Les premières années de formation et de développement du CCI
Présentation
Bilan d’une Conférence internationale
La situation internationale (World Revolution)
Rapport sur la question de l’organisation de notre courant international (Révolution Internationale)
Problèmes de la période de transition (Révolution Internationale)
La révolution prolétarienne (World Revolution)
Les problèmes de la période de transition (Rivoluzione Internazionale)
La période de transition (Revolutionary Perspectives)
Leçons de la révolution allemande
Révolution et contre-révolution en Italie (1919-1922) [1e partie]
Réponse à Workers’ Voice
Les épigones du conseillisme à l’oeuvre
Le conseillisme au secours du tiers-mondisme
Les causes économiques, sociales et politiques du fascisme
Article de A. Lehmann membre des Groupes Communistes Ouvriers, publié dans le n°11 de "Masses" en novembre 1933
La dégénérescence de la révolution russe (Réponse au Revolutionary Workers’ Group)
Révolution et contre-révolution en Italie (1919-1922) [2e partie] : Face au fascisme
Les leçons de Kronstadt
Thèses sur la situation en Espagne (adoptées par RI le 19 octobre 1975)
Leçons d’Espagne 1936
Massacre des travailleurs en Espagne
Extraits d’un article du n°12, octobre 1934
Extraits d’un article du n°13, novembre 1934
Extraits d’un article du n°14, déc-jan 1934/35
Thèses sur la situation au Portugal (septembre - octobre 1975)
Adresse à tous les révolutionnaires
Salut à Internationalisme
Correspondance internationale
Lettre à Arbetarmakt (Workers Power league, Suède)
Premier congrès du Courant Communiste International
Plate-forme du CCI
Le capital mondial : crise, lutte de classe et perspectives pour 1976
Thèses sur la situation internationale
Les statuts des organisations internationales du prolétariat
Présentation des textes de “Bilan”
Bilan n°34, août/septembre 1936
Extraits d’un article du n°36 novembre 1936
Extraits d’un article du même numéro 36
Extrait d’un article du n°37 novembre/décembre 1936
Extraits d’un article du n°36 octobre/novembre 1936
Brèves leçons “espagnoles”
Thèses sur l’organisation
Contributions sur la période de transition :
Aspects principaux de la période de transition
État et dictature
Le problème de l’État
Thèses sur la situation en Italie (23 juillet 1976)
La conscience de classe et le rôle des révolutionnaires
Frazzione Comunista Di Napoli : bilan d’une trajectoire
Présentation des textes de “Bilan”
Extraits d’un article du n°34, août 1936
Extraits d’un article du n°35 septembre/octobre 1936
La révolution espagnole (n°35)
Communiqué du “Comité de coordination” (n°35)
Communiqué de la CE (n°36)
Communiqué de la minorité (n°36)
Ordre du jour voté par la CE (n°37)
Résolution des camarades Biondo et Romolo (n°37)
Extraits d’un article du n°4, mai/juin 1937
“Combate” : le passage sans heurt à l’autogestion
Second congrès de Révolution Internationale
La situation politique internationale
L’accélération de la crise économique
État et dictature du prolétariat
La Gauche communiste en Russie (1918-1930) [1e partie]
Les ambiguïtés sur les “partisans” dans la constitution du Parti Communiste Internationaliste en Italie
Combate : “Contra a corrente”...
ou contre le CCI ?
La Gauche communiste en Russie (1918-1930) (2e partie]
Notes pour une histoire de la Gauche communiste (Fraction Italienne, 1926-1939)
Premier congrès d’Internationalisme (section du CCI en Belgique)
Polémique avec la CWO (1e partie)
Rupture avec Spartacusbond (Pays-Bas)
Correspondance avec Combate
(Portugal)
Textes de la Gauche mexicaine (1937-1938)
Mai 1937
Appel du Groupe de Travailleurs Marxistes du Mexique aux organisations ouvrières du pays et à l’étranger
Éditorial du n°1 de “Comunismo”
La Grande-Bretagne et la situation internationale
Polémique avec la CWO [2e partie]
La Conférence de Milan (mai 1977) :
De l’austro-marxisme à l’austro-fascisme
Second congrès du Courant Communiste International
De la crise à l’économie de guerre
Les groupes politiques prolétariens
Période de transition
L’État et la dictature du prolétariat
Sur “La Gauche communiste
en Allemagne (1918-1922)” de Authier et Barrot (Notes de lecture)
Octobre 1917, début de la révolution prolétarienne [1e partie]
La crise en Russie et dans les pays de l’Est [2e partie]
Le chemin difficile du regroupement des révolutionnaires :
Polémique avec la CWO [3e partie):
Quelques questions au CCI :Quelques réponses du CCI à la CWO :
Présentation du CCI :
Rapport sur la situation mondiale
Octobre 1917, début de la révolution prolétarienne [2e partie]
Marxisme et théories des crises
Réponse au P.C. Internazionalista (Battaglia Comunista)
Afrique, contre la marche vers la guerre mondiale riposte internationale de la classe ouvrière
Terreur, terrorisme et violence de classe
Chômage et lutte de classe
La crise en Russie et en Europe de l’Est [2e partie]
Massacre des ouvriers en Inde
Mai 68, la reprise de la lutte prolétarienne
Une caricature de Parti : le Parti bordiguiste
Le cours historique
L’État dans la période de transition
Résolution : Terrorisme, terreur et violence de classe
L'Allemagne de l’Est et l’insurrection ouvrière de juin 1953
Espagne 1936 : Le mythe des collectivités anarchistes
Sur la question nationale : Réponse à Solidarity
Iran : Crise, révolte et grèves ouvrières
Seconde Conférence internationale des groupes de la Gauche communiste - Paris, novembre 1978
Théories économiques et lutte pour le socialisme
Ascension et déclin de l’Autonomie Ouvrière
Notes sur la Gauche hollandaise [1e partie]
France : Longwy, Denain “nous montrent le chemin”
L’heure n’est plus aux paroles mais à l’action
Seconde Conférence internationale (Paris, novembre 1978)
Résolution sur le processus de regroupement
Le Parti, les Conseils et le problème du substitutionnisme
La Grande-Bretagne depuis la 2e guerre mondiale [1e partie]
Notes sur la Gauche hollandaise [2e partie]
Troisième congrès du Courant Communiste International
La situation internationale
Le cours historique
Dans l’opposition comme au gouvernement, la “gauche” contre la classe ouvrière
Résolution sur la situation internationale
Résolution sur l’État dans la période de transition
L’évolution de la lutte de classe
Onorato Damen est mort le 15 octobre 1979
La hausse du prix du pétrole : une conséquence et non la cause de la crise
Sur l’impérialisme : Marx, Lénine, Boukharine, Luxemburg
La Grande-Bretagne depuis la 2e guerre mondiale [2e partie]
Gauche mexicaine :
Avec ce premier numéro, commence la parution de la Revue Internationale de notre Courant Communiste International.
La nécessité d'une telle publication est apparue clairement à tous les groupes constituant notre Courant au cours des longues discussions qui ont précédé et préparé la Conférence Internationale du début de cette année. En prenant la décision de la publication d'une même revue en Anglais, Français et Espagnol, la Conférence a non seulement franchi un pas décisif dans le processus d'unification de notre Courant, mais a encore posé les jalons pour le regroupement nécessaire des révolutionnaires.
Concentrer les faibles forces révolutionnaires dispersées par le monde est aujourd'hui, dans cette période de crise générale, grosse de convulsions et de tourmentes sociales, une des tâches les plus urgentes et les plus ardues qu'affrontent les révolutionnaires. Cette tâche ne peut être entreprise qu'en se plaçant d'emblée et dès le départ sur le plan International. Ce souci est au centre des préoccupations de notre Courant. C'est à ce souci que répond également notre Revue, et en la lançant nous entendons en faire un instrument, un pôle pour le regroupement International des révolutionnaires.
La revue sera nécessairement et avant tout l'expression de l'effort théorique de notre Courant, car seul cet effort théorique dans une cohérence des positions politiques et de l'orientation générale, peut servir de base et assurer la condition première pour le regroupement et l'intervention réelle des révolutionnaires.
Tout en maintenant son caractère d'organe de recherche et de discussion indispensable pour la clarification des problèmes qui se posent au mouvement ouvrier, nous n'entendons nullement en faire une revue de marxologie si chère aux universitaires distingués. Notre Revue sera avant tout une arme de combat solidement ancrée sur les positions fondamentales de classe, les positions marxistes révolutionnaires, acquises par et dans l'expérience de la lutte historique de la classe contre toutes les tendances "gauchistes", confusionnistes, "innovatrices" (de Marcuse à Invariance et ses succédanés) tant répandues aujourd'hui, et qui encombrent gravement la voie de la reprise des luttes du prolétariat et entravent l'effort vers la reconstitution de l'organisation révolutionnaire de la classe.
Nous n'avons pas la prétention d'apporter un Programme en tous points achevé. Nous sommes parfaitement conscients de nos insuffisances qui ne peuvent être comblées que par l'effort incessant des révolutionnaires vers une plus grande compréhension et une plus haute cohérence au cours même du développement de la lutte de la classe et de ses expériences.
A cet effort que nous entendons poursuivre au travers de notre Revue, nous convions également les groupes révolutionnaires qui ne font pas partie organisationnellement de notre Courant international mais qui manifestent les mêmes préoccupations que nous, de s'y associer en multipliant et resserrant les contacts, les correspondances et éventuellement par l'envoi de critiques, de textes et d'articles de discussion que la Revue publiera dans la mesure du possible.
D’aucuns pensent que c'est là une action précipitée. Rien de tel. On nous connaît assez pour savoir que nous n'avons rien de ces braillards activistes, dont l'activité ne repose que sur un volontarisme autant effréné qu'éphémère. Mais il est tout autant nécessaire de rejeter énergiquement toute tendance à la formation des "petits cercles" qui se contentent de se réunir et à la rigueur de publier de temps en temps de petits papiers destinés bien plus à leur propre satisfaction qu'à une volonté de participation et d’intervention dans la lutte politique de la classe ouvrière. Une lutte implacable doit être menée contre cet esprit localiste, étroit de petites sectes familiales sécurisantes. Ne peut être considéré comme révolutionnaire que le groupe qui comprend la fonction militante dans la classe et l'assume effectivement.
Contre ceux qui ne font que dénigrer la notion de militant, des Situationnistes d'hier à Invariance dans toutes ses variantes d'aujourd'hui, nous n'avons qu'un peu de mépris et beaucoup d’indifférence à leur opposer. Chacun occupe sa place : les uns dans la lutte, les autres en marge, et c’est bien ainsi.
Nous laissons volontiers aux contestataires désabusés de la petite bourgeoisie en décomposition le plaisir de se gratter le nombril. Pour nous, militants, combattants de la classe, la Revue est une arme de la critique préparant le passage à la critique par les armes.
Ce premier numéro est entièrement consacré aux principaux textes de discussion de la Conférence Internationale. Tous les textes n’ont pu trouver place dans ce numéro, déjà par trop volumineux. Les débats soulevés sont loin d’être clos ; ils se poursuivront dans les prochains numéros, qui paraîtront trimestriellement. Il nous est pour le moment impossible d’assurer une publication plus fréquente. Cela sera en partie pallié par des brochures en diverses langues que nous nous proposons de publier.
Un grand pas vient d’être fait.
<<>>A tous les Révolutionnaires nous demandons leur soutien actif. > <<>> >
<<>>La Rédaction>
Depuis plusieurs années, Révolution Internationale (France), Internationalism (USA) et World Revolution (Angleterre) organisent des rencontres et conférences internationales afin de développer la discussion politique sur les perspectives de la lutte et de favoriser une plus grande compréhension des positions de classe aujourd’hui. Cette année, en plus des groupes déjà cités, deux nouveaux groupes de notre courant ont assisté à la Conférence Internationale : Accion Proletaria (Espagne) et Rivoluzione Internazionale (Italie) et nous avons accueilli également une délégation d’Internacionalismo, le groupe de notre Courant au Venezuela. Cette conférence était principalement orientée sur la nécessité d’organiser l’intervention et la volonté d’action des révolutionnaires dans un cadre international.
Même lorsque notre courant n'était constitué que d’un ou deux groupes dans différents pays (à la fin de la période de réaction et au début de la nouvelle période qui s'ouvre en 1968), la nature de la lutte prolétarienne et les positions de classe que nous défendions nous ont imposé une cohérence politique internationale. Aujourd'hui, face à l'aggravation de la crise et à la montée des luttes, cette unité politique fondamentale et les années de travail commun nous ont permis de créer un cadre organisationnel international pour notre courant, afin de concentrer nos efforts dans plusieurs pays.
Dans le contexte de la confusion politique actuelle et vu les forces très faibles des révolutionnaires, nous estimons qu'il est très important d’insister sur la nécessité, toujours existante en période de montée des luttes, de travailler vers un regroupement des révolutionnaires. Pour cette raison, nous avons invité des groupes dont les positions politiques les rapprochent de notre courant : Pour une Intervention Communiste (France), Revolutionary Workers' Group (USA), Revolutionary Perspectives (Grande-Bretagne) à participer à notre conférence. La confrontation des idées entre notre courant et ces groupes a aidé à clarifier les analyses et les orientations que défendent les différents groupes face aux tâches politiques actuelles.
Pendant les longues années qu'a duré la période de reconstruction d’après guerre, les marxistes révolutionnaires ont répété que le système capitaliste, entré dans sa période de décadence depuis sa première guerre mondiale, ne "prospérait" provisoirement que grâce aux divers palliatifs de la reconstruction, des mesures étatiques, de l'économie d'armement et qu'éventuellement les contradictions inhérentes au système vont éclater clairement dans une crise ouverte encore plus profonde que celle de 1929. Aujourd’hui, la crise n’est plus un mystère pour personne et la réalité du système en faillite a balayé de la scène les bourgeois exaltés et les marxologues érudits comme Socialisme ou Barbarie qui ont cru voir "la fin des crises", le "dépassement du marxisme" ou comme Marcuse, l’embourgeoisement du prolétariat. Notre courant analyse depuis 7 ans les péripéties de la crise qui va s’approfondissant : dans ce cours général, l’année 1974 a marqué une dégradation qualitative et quantitative de la situation économique du capitalisme (à l'Est comme à l’Ouest) et a montré la nature éphémère et trompeuse des mini reprises de 1972.
L'inflation, le chômage, les crises monétaires et les guerres commerciales, la chute des valeurs à la Bourse et les taux de décroissance des économies avancées, sont les signes de la crise générale de surproduction et de saturation des marchés qui mine le système capitaliste mondial à ses racines.
Contrairement à 1929, le Capitalisme aujourd'hui essaye autant que possible de pallier aux effets de la crise au moyen des structures étatiques. Malgré l'intensification des rivalités inter impérialistes (comme le montre la guerre continuelle en Indochine, les affrontements au Moyen-Orient et à Chypre) et le raffermissement des blocs impérialistes, le cours vers la guerre, inhérent aux crises économiques du capitalisme décadent, ne peut pas aboutir à la guerre généralisée aujourd'hui tant que la combativité de la classe ouvrière continue à se maintenir et à se développer. A la conférence, les groupes de notre courant ont élaboré la perspective défendue dans notre presse à savoir que la lutte de la classe ouvrière va s'intensifier dans une résistance à la crise et va poser l'alternative Socialisme ou Barbarie sur la scène historique après 50 années de recul.
La bourgeoisie vit une période de bouleversements et de crises politiques profondes. Dans une telle situation, elle cherche à mettre en avant son masque de "gauche" pour mieux embrigader la classe ouvrière, que ce soit à travers le parti Travailliste et le "contrat social" en Angleterre, les partis social-démocrate en Allemagne et ailleurs, ou le PS et le PC au Portugal, et bientôt en Espagne et en Italie et leurs tentatives en France. Dans la crise actuelle, une des armes les plus dangereuses de la classe capitaliste est sa capacité de désarmer la classe ouvrière à travers les mystifications réchauffées des fractions de "gauche" de la bourgeoisie. Economiquement, toutes les fractions de la bourgeoisie seront amenées à préconiser, d'une façon ou d'une autre, des mesures d’étatisation pour renforcer le capital national. Mais politiquement, surtout dans les aires où la crise frappe déjà très fort, c'est de ses partis de gauche dont la bourgeoisie a besoin pour pouvoir appeler à l'unité nationale et au travail gratuit le dimanche. Ces partis auront leur place au soleil capitaliste (soit dans le gouvernement, soit dans une opposition "constructive"), du fait qu'ils peuvent encore, ainsi que les syndicats, prétendre pouvoir encadrer la classe ouvrière et sa lutte.
Face à cette analyse, le PIC nous a semblé sous-estimer le poids des mystifications de gauche sur la classe ouvrière lorsqu'il supposait que ces mystifications n'ont plus tellement d'effet. Bien au contraire, nous croyons qu'une compréhension plus objective de la situation nous démontre que "l’antifascisme" et "l'unité nationale" sont encore loin d'être épuisés à l'heure actuelle. Bien que la classe manifeste une combativité croissante, il ne faut pas sous-estimer la marge de manœuvre de la classe ennemie. La bourgeoisie ne peut plus tenir dans certains pays comme l'Espagne ou le Portugal uniquement grâce à la répression de la droite, mais a besoin de recourir à la gauche, qui se montrera, au niveau de la mystification et du massacre des ouvriers, autrement plus efficace dans ces pays comme ailleurs.
La lutte de classe aujourd'hui surgit comme une résistance à la détérioration des conditions de vie produite par la crise et imposée aux ouvriers. C'est pour cette raison que notre courant a repoussé l'analyse du RWG qui disait que les luttes ''revendicatives" sont actuellement une impasse pour la classe. Au contraire, dans une période de crise et de montée des luttes, les luttes dites "revendicatives" s’inscrivent dans tout un processus de maturation de la conscience, de la combativité et de la capacité d'organisation de la classe. Les révolutionnaires doivent analyser le développement des luttes et contribuer à leur généralisation et au développement d'une conscience plus claire des buts historiques de la classe. En rejetant les manœuvres trotskistes qui fixent la classe dans des revendications partielles et mystificatrices dans un capitalisme décadent, les révolutionnaires ne doivent pas rejeter en même temps le potentiel de dépassement implicite dans les luttes actuelles.
L’analyse de la crise et de son évolution détermine en grande partie les perspectives que voient les révolutionnaires pour la lutte de classe. A la conférence internationale, notre courant a défendu la thèse selon laquelle la crise profonde du système se développe relativement lentement, bien qu'avec de brusques aggravations - un développement en dents de scie dans un cours s'approfondissant. La lutte de classe se manifeste d'une façon sporadique et épisodique laissant voir toute une période de maturation de la conscience à travers les confrontations importantes entre le prolétariat et la classe capitaliste. Cette analyse n’a pas été entièrement partagée par les autres groupes présents à la conférence. "RP", se basant sur d'autres explications économiques (rejetant la théorie luxembourgiste) voit la crise comme un long processus plutôt lointain ; pour eux, la lutte de classe est strictement déterminée par les données économiques et puisque la crise catastrophique est pour demain, un appel à la généralisation des luttes aujourd'hui n'est que volontarisme. Le "PIC", par contre, croit déjà voir aboutir la crise économique sous la forme d'un danger immédiat de guerre mondiale (lançant un "cri d’alarme" à propos des récents évènements diplomatiques au Moyen-Orient) ou celle des confrontations de classe qui puissent déjà trancher aujourd'hui l’évolution de l'histoire. Nous avons critiqué ces deux cas d’exagérations en mettant l’accent sur le fait que les révolutionnaires doivent pouvoir analyser une situation contingente au sein d’une période générale, sans tomber dans une sous ou surestimation qui mène soit à s'agiter dans le vide, soit à rester en marge de la réalité actuelle de la crise et de la lutte de classe.
Le moment n'est pas encore venu pour se lancer dans un travail d'agitation et les tentatives du PIC qui propose des campagnes (voir dans notre journal RI) en dehors de toute capacité pratique, entre autres, n'ont pas trouvé grand écho. D'un autre coté, après les rapports d'activité des différentes sections de notre courant et des autres groupes, les camarades du courant ont constaté la nécessité d’élargir notre travail d'intervention et de publication dans tous les pays d'une façon plus organisée et systématique. Surtout en assumant collectivement la responsabilité politique d'intervention dans des pays où le courant n'a pas encore de groupe organisé et en s'orientant vers la publication de journaux dans des pays où ceci serait possible. Pour nous, il est inutile de poser la question de l'intervention comme une abstraction : pour ou contre. La volonté d’action est la base même de toute formation révolutionnaire. La question est de ne pas se payer de mots en criant "intervention" à tue tête sans se préoccuper de la situation objective précise, en négligeant la nécessité même de se donner les moyens d'intervenir à travers l'organisation des révolutionnaires à l'échelle internationale. Nous devons plutôt voir que l'ampleur de l'intervention des révolutionnaires peut varier selon les nécessités de la situation mais tous les cris pour l’intervention ne peuvent pas combler le vide : l’absence d'une organisation des révolutionnaires. La question du niveau d'intervention est un problème d'analyse et d'appréciation du moment, tandis que la question d'organisation est un principe du mouvement ouvrier, un fondement sans lequel toute prise de position révolutionnaire reste lettre morte. C'est pour cette raison que nous avons rejeté la proposition d'Accion Proletaria de poser la question d’intervention comme une question préalable à la nécessité de s’organiser
Le travail militant est par définition un travail collectif : ce ne sont pas des individus qui assument une responsabilité personnelle au sein de la classe mais des groupes basés sur un corps d'idées qui sont appelés à répondre à la tache des révolutionnaires : aider à clarifier et à généraliser la conscience de classe. A la conférence internationale comme dans nos revues, nous avons insisté sur la nécessité de bien comprendre les raisons des surgissements de groupes au sein de la classe et les responsabilités qui en découlent. Après 50 années de contre-révolution c’est la rupture complète de toute continuité organique dans le mouvement ouvrier : la question d'organisation reste une des plus difficile à assimiler par de nouveaux éléments.
Un groupe révolutionnaire est basé fondamentalement sur les positions de classe et on ne saurait justifier le travail en groupes séparés que par une divergence de principe. Loin d'idéaliser ou de vouloir perpétuer l'état actuel d’éparpillement des efforts, les révolutionnaires dans notre période de montée des luttes doivent pouvoir distinguer les questions secondaires d'interprétation ou d’analyse des questions de principe, et mettre toutes leurs forces dans l’effort de regroupement autour des positions de principe en surmontant les tendances à la défense de sa "boutique" et de sa "liberté" d'isolement.
Depuis les débats de la 1e Internationale, c'est devenu un acquis dans le mouvement marxiste que l'organisation des révolutionnaires doit tendre vers une centralisation des efforts : Face aux bakouniniens et aux fausses théories du fédéralisme petit-bourgeois, les marxistes ont défendu la nécessité de la centralisation internationale du travail militant : nous n'avons fait que mettre ce débat à jour en dégageant l'idée de la centralisation des déviations léninistes (centralisme démocratique) ou bordiguistes (centralisme organique). Nous avons voulu insister sur la nécessité d'un cadre cohérent organisationnel pour le travail des révolutionnaires contrairement aux diverses théories des groupes "anti-groupes", des "libertaires" et autres formules anarchisantes en vogue actuellement. Le RWG était assez sceptique sur l’effort d'organiser un courant international ; ce groupe, outre les divergences secondaires qui nous séparent, semble être traumatisé par les aberrations de la contre-révolution (surtout le trotskisme) sur la question de l’organisation. En voulant prendre le contre-pied de la contre-révolution les militants risquent de tomber dans une idéalisation de l'actuelle fragmentation et confusion du milieu révolutionnaire et de ne jamais pouvoir dépasser les erreurs et les fétichismes organisationnels du passé d'une façon positive.
Si l'on regarde le développement du mouvement prolétarien dans l'histoire, on constate que la formation du parti de la classe suit les périodes de montée des luttes. Aujourd'hui, à notre époque où la lutte se développe à travers la résistance à la crise économique, la formation des noyaux du futur parti suit un chemin de lente maturation. L’effort de notre courant pour se constituer en pôle de regroupement autour des positions de classe s’inscrit dans un processus qui va vers la formation du parti au moment des luttes intenses et généralisées. Nous ne prétendons pas être un "parti" et nous nous gardons bien de surestimer la portée de nos efforts d’organisation dans la période actuelle. Cependant, le parti de demain ne sortira pas un beau jour du néant ; au contraire, l’expérience nous montre que la cohérence politique sert comme pôle de regroupement essentiel pour les éléments révolutionnaires du prolétariat dans le moment des surgissements décisifs.
Le regroupement des révolutionnaires s’effectue autour des frontières de classe et les perspectives révolutionnaires de base ; les questions politiques secondaires ne sauraient entraver un processus général vers une concentration des forces face aux exigences de la situation actuelle et à venir. Ceux qui sont pour un regroupement "en théorie" et en paroles et plutôt pour un lointain avenir, tout en élevant des questions secondaires au même niveau que des frontières de classe pour justifier leurs réticences ou confusions, ne font que retarder ce processus et font obstacle à la prise de conscience nécessaire.
Nous pensons que c’est essentiel aujourd’hui de faire le premier pas vers une plus grande organisation internationale des révolutionnaires, de traduire notre internationalisme en termes organisationnels pour solidifier notre travail. C’est cela que la conférence s’est donnée comme tâche principale. La conférence internationale cette année se distingue des autres dans la mesure où nous avons voulu rendre les militants plus conscients des moyens nécessaires pour assurer la discussion sur l’organisation et la situation actuelle en solidifiant les liens politiques et les fondements théoriques de notre courant.
Nous n’avons pas pu aborder la question de la période de transition, en discussion actuellement dans le courant, à la conférence faute de temps. Mais nous avons pensé important de publier ici les documents préparés pour la conférence à ce sujet. Le lecteur pourra constater que cette question théorique est loin d’être tranchée tant au sein du courant, que dans le mouvement ouvrier en général. Cependant ce débat offre un grand intérêt, même inachevé, pour les révolutionnaires qui essaient de dégager les grandes lignes pour l’orientation du mouvement de demain.
La conférence a terminé son travail avec la formation du Courant Communiste International (qui comprend Révolution Internationale, World Revolution, Internationalism, Internacionalismo, Accion Proletaria, et Rivoluzione Internazionale), et par la décision de publier une Revue Internationale en anglais, français et espagnol pour mieux diffuser et développer les positions de notre courant.
JA, pour le Courant Communiste International
Les textes que nous publions ici font partie des documents présentés à la conférence internationale. Les trois premiers sont des rapports préparés pour la conférence, les autres ont été des contributions écrites à la discussion. Nous n'avons pas eu le temps de présenter le rapport sur la période de transition, ni d'en discuter, à la conférence même, mais nous avons décidé de publier ces textes tout de suite pour continuer le débat ouvert sur ce sujet. Notre courant n'est pas arrivé à une homogénéité sur cette question complexe et de toute façon, contrairement à d'autres groupes (dont Revolutionary Perspectives), nous pensons que ce n'est pas aux révolutionnaires de créer des frontières de classe là où l'expérience de la classe elle-même n'a pas tranché. Alors que certains éléments révolutionnaires se montrent incapables d'assumer leurs tâches dans la situation actuelle, ils sont déjà en train de se lancer dans des absolus sur une question aussi complexe que celle de la période de transition. Nous pensons préférable de publier ces textes pour contribuer à la clarification sans prétendre résoudre tous les problèmes. Nous publions ici également une contribution de Revolutionary Perspectives sur la période de transition - des extraits choisis par eux d'un texte plus long - qui montre leurs divergences avec certains de nos camarades à ce sujet.
"Une nouvelle époque est née ! L'époque de la dissolution du capitalisme, de sa désintégration interne. L'époque de la révolution communiste du prolétariat". (Plate-forme de l'Internationale Communiste, 4 mars 1919)
Presque 54 ans après avoir été prononcés, ces mots résonnent à nouveau avec puissance et viennent hanter le capitalisme mondial. Le capitalisme décadent suant sang et boue de tous ses pores est à nouveau mis au banc d'accusation de l'humanité. Les accusateurs ? Des millions de prolétaires massacrés durant deux générations par le capital, ajoutés à tous ceux qui ont péri depuis le début du capitalisme ; tous se tiennent là, silencieux et sévères - ils sont la classe ouvrière internationale. La sentence ? Elle a été prononcée depuis que le prolétariat à ses débuts s'est dressé contre l'exploitation capitaliste. On la trouve dans les tentatives de Babeuf, Blanqui, la Ligue des Communistes qui préparaient déjà le prolétariat pour son assaut final. On la retrouve encore dans le travail de la première, seconde, et troisième Internationales, et dans celui que la Gauche Communiste nous a laissé en héritage. L'accusé est vraiment condamné -- sa sentence de mort a simplement été repoussée ; l'humanité elle-même ne peut plus tolérer d'autre délai !
Ces dernières années ont confirmé l'analyse que notre courant a commencé à faire en 1967/68 - et sur la base de la crise historique, et sur celle de l'actuel déploiement de la crise.
D'une façon concrète, les douze derniers mois furent la preuve irréfutable des perspectives que nos camarades américains présentaient il y a un an à la conférence. Les perspectives qu'a esquissées Internationalism pour notre courant comprenaient trois alternatives fondamentales à la crise du capitalisme, et chacune était susceptible d'être mise en œuvre simultanément à plus ou moins grande échelle. C'était : la tentative de rejeter la crise sur d'autres états capitalistes, sur les secteurs faibles du capital (petite bourgeoisie et paysannerie comprises) et sur le prolétariat.
Nous n'entrerons pas ici dans les détails des manifestations spécifiques de la crise (ce qui requerrait un exposé systématique, nation par nation ; l'excellente série d'articles parus dans les derniers numéros de Révolution Internationale est un exemple de la manière dont nous devons traiter ces problèmes). Nous voulons ici faire ressortir les principaux aspects de la crise conjoncturelle actuelle, en d'autres termes tracer les tendances générales de façon à replacer la crise dans une perspective historique intégralement liée au niveau de la lutte de classe internationale.
Avec la saturation des marchés qui condamne à tout jamais le capitalisme à des cycles de barbarie croissante, c'est de façon objective et matérielle que s'ouvre pour l'humanité la perspective de la révolution communiste. Mais elle est possible depuis 60 ans, et l'échec des tentatives communistes passées de renverser le capital a signifié que la continuation du capitalisme ne pouvait se faire qu'à travers des cycles de crises, de guerres et de reconstructions.
Le plus grand "boom" du capitalisme, la reconstruction qui a résulté de la profondeur de la destruction et de l'auto-cannibalisation menées à bien par le capitalisme en 39/45, a duré plus de 20 ans. Mais un ''boom' en période de décadence n'est que le gonflement d'un corps vide. Entre 1848 et 1873, la production industrielle mondiale a été multipliée par 3,5. Le PNB a augmenté en moyenne de 5% (certains pays, comme le Japon, ont vu doubler cette augmentation). Cela n'a pas pour autant mis en échec l'inflation mondiale, et les prix aujourd'hui en Grande-Bretagne sont à peu près 7,5 fois plus élevés qu'en 1945. Plus encore, l'économie des pays du Tiers-Monde n’a fait qu'empirer, et ce secteur énorme du capital mondial sombre d'année en année dans un gouffre de dettes, de chômage, de militarisme, de despotisme et de pauvreté.
Depuis les années 60, la crise s'est manifestée par des effondrements monétaires et la récente apparition de l'inflation galopante (les deux caractéristiques de presque tous les pays industriels). Le système monétaire international adopté aux accords de Bretton Woods en 1944, qui établissait des taux d'échange fixes par rapport au dollar et au cours de l'or, est maintenant relégué aux archives. Les grands druides du Fond Monétaire International orientent aujourd'hui tous leurs efforts dans le seul but de s'assurer qu'aucune épidémie n'est à craindre à la suite des inévitables morts qui jalonneront la période à venir. Une tâche désespérée ! Il n’existe pas de filet qui permette de résister à l'effondrement du colosse capitaliste. L'inflation entraîne inévitablement la récession, les faillites, les banqueroutes, les licenciements et les diminutions de profit. Ce sont les inévitables aspects du système de production capitaliste aujourd'hui, et ne sont que des moments de l'attaque permanente que mène le capitalisme décadent contre la classe ouvrière. Mais la continuation de la spirale inflationniste ne peut s'achever que par la paralysie de tout le marché mondial, par un effondrement international avec toutes ses conséquences propres à effrayer la bourgeoisie.
Bien que la période 1972/73 ait semblé marquer un relatif équilibre de l’économie mondiale, elle n'était qu'une courte accalmie pour les plus grandes puissances impérialistes aux dépens de leurs faibles rivales. L'intensification des guerres commerciales non déclarées, les dévaluations des cours, et la lente désintégration des unions douanières prouvent que cette période n'était qu'une tentative des pays capitalistes avancés pour atteindre un certain degré d'équilibre avant une détérioration plus grave, à l'échelle internationale. 1914 et maintenant 1975 annoncent un effondrement plus catastrophique encore, et la fin de la période faste qu'ont connue certains capitaux nationaux pendant ces deux dernières années.
Aujourd'hui, l'économie mondiale est plongée dans une profonde récession. En 1974 la croissance ne pouvait que diminuer et le commerce international s’est ralenti. Le PNB des USA a diminué de 2% en 73 et continue à baisser. Celui de la Grande-Bretagne stagne et celui du Japon a enregistré une baisse de 3%. Dans de nombreux pays, la panique grandit avec la chute de beaucoup de petites et moyennes entreprises. Eh Grande-Bretagne, c’est une maladie chronique qui touche même de grandes entreprises et même des multinationales (compagnies de transport, compagnies maritimes, d'automobiles, etc.). Les secteurs clé tels que le bâtiment, la construction, les compagnies aériennes, l'électronique, l'automobiles, le textile, la machine-outil et l'acier se trouvent confrontés à des difficultés grandissantes dans la période actuelle. L'augmentation des prix du pétrole est venu s’ajouter aux problèmes insolubles d'un capitalisme en récession, ajoutant un déficit global de 60 milliards de dollars en une année à la balance des paiements. A travers les mécanismes chancelants du FMI, les "druides" du capital tentent de "recycler" certains des profits venant des pays producteurs de pétrole, comme si de telles mesures "déflationnistes" pouvaient servir à autre chose qu'à faire entrer le pétrole dans la spirale inflationniste. Les dettes des compagnies industrielles ont doublé depuis 1965 et, depuis 1970, les taux de croissance des pays capitalistes n'ont cessé de diminuer ou de montrer clairement leur nature de création artificielle de dépenses déficitaires. Les prévisions pour 1975 ne vont pas au delà d'un maigre taux de croissance annuel de 1,9% pour les pays de l'OCDE (USA compris).
Bien que la situation soit critique pour le capitalisme mondial, différents mécanismes d'intervention de l'Etat ont aidé à amoindrir la crise en répandant immédiatement les pires conséquences (comme les licenciements massifs). Cela a été accompli grâce à des subventions - parfois massives - et le financement des déficits par le canal du système bancaire. Ces mécanismes sont absolument inaptes à aider à la réalisation de la plus-value globale dont le capital a besoin pour accumuler. La seule source qui peut offrir de tels revenus, ce sont des programmes d'austérité sévères (tels que les blocages de salaires, la réduction des services sociaux, les impôts, etc.). Tous ces procédés, qui ne sont que des mesures visant à colmater les brèches, intensifient au contraire la crise, soit en la déplaçant sur le terrain politique (c'est-à-dire la lutte des classes), soit en accélérant le tourbillon inflationniste, aujourd'hui irrésistiblement engagé. Tous les mécanismes habituels mis en place par le capitalisme pour "enrayer" la crise constituent la suite logique de la lutte désespérée que mène le capitalisme décadent contre sa propre décomposition depuis le début du siècle. Comme nous l'écrivions précédemment :
"Les causes profondes de la crise actuelle résident dans l'impasse historique dans laquelle se trouve le mode de production capitaliste depuis la première guerre mondiale : les grandes puissances capitalistes se sont partagé entièrement le monde et il n'existe plus de marchés en nombre suffisant pour permettre l'expansion du capital ; désormais, en l'absence de révolution prolétarienne victorieuse, seule capable d'en finir avec lui, le système se survit grâce au mécanisme crise, guerre, reconstruction, nouvelle crise, guerre, etc." (Surproduction et inflation, RI n°6).
Quand l’actuel ministre de l’agriculture américain a récemment rendu compte de la crise de l'agriculture américaine, il a admis : "Le seul moyen pour que nous ayons une pleine production agricole dans ce pays est d'avoir un marché d'exportation puissant. Nous ne pouvons pas consommer à l'intérieur du pays l'entière production de notre agriculture". Ce fidèle chien de garde aboyait pour une fois de façon honnête, à l'unisson avec tous ses collègues allemands, japonais, anglais, russes ou français. Chaque capital national du monde tente de pénétrer les marchés des autres. Comme Midas, ils sont saturés d'or, mais incapables de manger ne serait-ce qu'un croûton de pain ! L'insatiable soif de réalisation de plus-value ne peut être étanchée. Ainsi, les dirigeants russes ont cherché les statuts nationaux les plus favorables [1] [4] pour pénétrer les marchés des USA et pour acquérir ce qui leur manque (technologie, crédits, etc.) de façon à augmenter leur propre capacité productive et leur compétitivité sur le marché mondial. De même, les secteurs du capital américain qui comprennent le mieux dans quel état pitoyable se trouve le capital des USA, cherchent désespérément à pénétrer les marchés russes. Ces tentatives fusent toujours et de partout, pareilles à l’insatiabilité de Midas ; ce pauvre homme n'était qu'un propriétaire d'esclaves - ces capitalistes, pour leur part, sont véritablement des vampires ! Ayant saigné leurs victimes à blanc, ils se précipitent sur d'autres victimes, juste pour s’apercevoir que d'autres étaient sur les lieux avant eux !
La crise conjoncturelle actuelle contient un important facteur, inhérent au capitalisme décadent : la tendance au capitalisme d'Etat. Le crash et la crise de 1929 furent un effondrement catastrophique survenant soudain après des années de stagnation et de vaines tentatives de ressaisissement des pays capitalistes avancés, malgré, l' importante croissance des années avant 14. La tendance au capitalisme d'Etat déjà présente en 29, n'était cependant pas suffisamment développée pour servir de tampon aux crises mondiales.
Après la seconde guerre mondiale, la tendance au capitalisme d'Etat a été consciemment et délibérément adoptée par beaucoup de gouvernement capitaliste et appliquée de façon non officielle par tous les autres. L'économie de gaspillage (armement, etc.), largement financée par les dépenses inflationnistes, était considérée comme une solution à beaucoup de problèmes de stagnation et de surproduction. La production structurelle de gaspillage, ou plus précisément la consommation de la plus-value, devint une caractéristique économique indéniable après 1945, et c'est ce facteur qui est fondamentalement à la base de la soi-disante ''prospérité" de la période après-guerre. Les pays détruits par la guerre accusèrent de "miraculeuses" remontées (Allemagne, Italie, Japon), ce qui permit aux vainqueurs de reconstruire et de réorganiser un marché mondial détruit et mis en pièces par la guerre. Le marché mondial apportait à nouveau un regain de vie au prix de 55 millions de victimes. Un autre préjudice qu'a apporté cette période (préjudice beaucoup moins vital), c'est que beaucoup de Cardans, quittant définitivement le terrain marxiste et croyant au miracle, ont proclamé la "fin" des crises économiques. En fait, ce "préjudice" fut un bienfait pour la sociologie bourgeoise, tout est bien qui finit bien. Mais bien peu de miracles semblent survivre aux premières attaques de la crise grandissante. Le rythme et l'intensité de la crise actuelle semblent confirmer les analyses que notre tendance a faites il y a 9 ans. Le "boom" des années d'après guerre est terminé, disions-nous, et le système capitaliste mondial entre dans une longue, période de crise qui se développera encore. Les points de repère (en étroite relation les uns avec les autres) qui nous avaient servi à apprécier le rythme de la crise apparaissent simultanément et de plus en plus intensément :
1° - La chute massive du commerce international
2° - Les guerres commerciales ("dumpings", etc.) entre capitaux nationaux
3° - Les mesures protectionnistes et l'effondrement des unions douanières
4° - Le retour à l'autarcie
5° - Le déclin de la production
6° - L'accroissement considérable du chômage
7° - Les attaques portées au salaire réel des ouvriers, à leur niveau de vie
A certains moments, la convergence de plusieurs de ces points peut provoquer une dépression importante dans certains pays, tels que l'Angleterre, l'Italie, le Portugal ou l'Espagne. C'est une éventualité que nous ne nions pas. Toutefois, bien qu'un tel désastre ébranle irréparablement l'économie mondiale (les investissements et actions britanniques à l'étranger comptent à eux seuls pour 20 milliards de dollars), le système capitaliste mondial pourra encore se maintenir, tant que sera assuré un minimum de production dans certains pays avancés tels que les USA, l'Allemagne, le Japon ou les pays de l'Est. De tels évènements tendent évidemment à porter atteinte au système tout entier, et les crises sont inévitablement aujourd'hui des crises mondiales. Mais pour les raisons que nous avons exposées plus haut, nous avons lieu de croire que la crise sera étalée, avec des convulsions, en dents de scie, mais son mouvement ressemblera plus au mouvement rebondissant d'une balle qu'à une chute brutale et soudaine. Même l'effondrement d'une économie nationale ne signifierait pas nécessairement que tous les capitalistes en faillite vont aller se pendre, comme le disait Rosa Luxemburg dans un contexte légèrement différent. Pour qu'une telle chose arrive, il faut que la personnification du capital national, l'Etat, soit détruit : il ne le sera que par le prolétariat révolutionnaire.
Au niveau politique, les conséquences de la crise sont explosives et vont très loin. Avec l'approfondissement de la crise, la classe capitaliste mondiale va attiser les flammes de la guerre. Les "petites" guerres sans fin des 25 dernières années continueront (Viêt-Nam, Cambodge, Chypre, Inde, Moyen-Orient, etc.). Toutefois, à mesure que la décomposition chronique du Tiers-monde gagne les centres du capitalisme en période de crise, l'appel à la guerre fuse avec ces deux autres cris de guerre de la bourgeoisie : AUSTERITE et EXPORTER, EXPORTER ! Cette attaque à la classe ouvrière signifie que la bourgeoisie essaie de faire payer entièrement la crise au prolétariat, avec sa sueur et dans sa chair. Dans de telles conditions, le niveau de vie de la classe ouvrière, déjà brutalement diminué par l'inflation, va être encore réduit par l'austérité et l'effort sur l'exportation. La démoralisation psychologique entraînée par la perspective d'une guerre aide à fragmenter différents secteurs du prolétariat et les prépare à accepter une économie de guerre, avec toutes les conséquences qu'elle implique pour la future révolution prolétarienne. La bourgeoisie sent que l'unique solution à ses crises est d'avoir un prolétariat vaincu, un prolétariat incapable de résister aux cycles infernaux du capitalisme décadent. Donc incapable de résister à l'intensification systématique du taux d'exploitation, la considérable augmentation du chômage, comme c'est le cas en Angleterre, en Allemagne, aux USA, etc. On essaie aussi d'appliquer d'autres mesures draconiennes, telles que des réductions de salaire "volontaires", la semaine de trois jours, des semaines entières de chômage technique, l'expulsion des travailleurs "étrangers", les cadences, le freinage des services sociaux. Il n'est pas besoin de dire que ces mesures sont quotidiennement glorifiées dans les "medias" bourgeoises (presse, TV, journaux, etc.).
Mais, en dépit de leur sévérité, ces mesures ne sont rien en comparaison de ce que peut encore nous faire la bourgeoisie. Il n'est pas de crime, pas de monstruosité, pas de mensonge, pas de tromperie qui fasse reculer la classe capitaliste dans sa campagne lancée contre son mortel ennemi : le prolétariat. Si la bourgeoisie, au stade où nous en sommes, n'ose pas massacrer le prolétariat, c'est parce qu'elle hésite et qu'elle a peur. Le prolétariat, ce géant qui s'éveille, sort de la période de reconstruction sans être vaincu, et projette l'image d'une classe qui n'a rien à perdre et un monde à gagner. La lutte sera longue et dure à l'échelle mondiale avant que la bourgeoisie puisse imposer son ultime solution capitaliste : une nouvelle guerre mondiale.
Ceci explique l'hésitation que manifestent certaines sections de la bourgeoisie dans leurs rapports avec le prolétariat. Certains, effrayés par les dangers du chômage massif qu'entraîne une récession croissante, essaient d'augmenter la demande de consommation en réduisant les impôts individuels (Ford a proposé d'enlever 16 millions de dollars de taxes) ou en redorant la vieille production d'armement. Mais toutes ces mesures "anti-inflationnistes" finissent par aggraver le poids de l'inflation, et en fin de compte ne font qu'accélérer la tendance à la chute. Confrontée au déclin de la production qui accompagne l'inflation galopante, et incapable de réduire la baisse de son taux de profit, vu l'absence de marché, la bourgeoisie sera finalement contrainte d'affronter le prolétariat dans une lutte à mort.
Mais la bourgeoisie a aussi développé sa confiance en elle-même dans le "boom" d'après-guerre. Les platitudes pleines d'autosatisfaction des Daniel Bells, Bookchins et Cardan sur un capitalisme "moderne" libéré des crises, prennent leurs racines dans le fumier de la période de croissance et de reconstruction. Se raccrochant à l'Etat, cet appareil qui a directement supervisé la période de reconstruction, et dont les techniques d'intervention se sont perfectionnées en 60 ans de décadence, la bourgeoisie peut perdre l'assurance qu'elle avait pendant la période de reconstruction, elle peut même être prise de panique et de désespoir, elle n'est pas pour autant vaincue. Tant qu'elle pourra compter sur les mystifications de "l'unité nationale", sa confiance en elle-même pourra rester intacte. Mais les rapports entre classes tendent en période de crise à se durcir, et à prendre un caractère inconciliable.
Dans de telles conditions, l'Etat doit apparaître comme "impartial", de façon à mieux mystifier la classe ouvrière. Les interventions de l'Etat dans de tels moments doivent atténuer les insolubles culs-de-sac politiques et sociaux que la bourgeoisie a à affronter ; l'Etat doit donner l'impression qu'il agit au nom de "tous", patrons, petit-bourgeois, et travailleurs. Il doit donner l'apparence de posséder les nobles attributs d'un "arbitre" et ainsi obtenir la légitimité nécessaire pour écraser la classe ouvrière et maintenir les rapports de production existants.
Les fractions de gauche du capital (staliniens, sociaux-démocrates, les syndicats et leurs soutiens "critiques" trotskystes, maoïstes ou anarchistes) se préparent à assumer cette tâche, à assumer le rôle de gardien de l'Etat. Ils sont les seuls à pouvoir se poser comme les représentants de la classe ouvrière, des "petits", des "pauvres". C'est parce qu'une classe ouvrière n'est pas défaite qu’elle doit être amadouée si on veut qu'elle accepte les diminutions de salaire et autres mesures, que seule la gauche peut constituer un moyen réel d'introduire une plus grande centralisation étatique, les nationalisations et le despotisme, comme le montrent les exemples du Chili d'Allende ou du Portugal.
Dans un capitalisme en décadence, la tendance est aux crises et à la guerre, et il n'y a aucune force dans la société qui puisse mettre fin au cycle meurtrier de la barbarie, si ce n'est le prolétariat. A première vue, il semble que, dans l'immédiat, la guerre soit le seul chemin qui soit offert à la bourgeoisie. Le fait que le prolétariat n'ait pas d'organisation permanente de masse pourrait être le signe qu'il est sans défense contre l'orage de chauvinisme qui précède une nouvelle guerre mondiale. Mais la bourgeoisie sait que cela n'est pas vrai. Elle sait à travers ses syndicats que le prolétariat reste une classe révolutionnaire en dépit de l'absence d'organisation prolétarienne de masse. Les syndicats connaissent ce fait élémentaire depuis longtemps, et leur rôle est d'étouffer dans l'œuf tout mouvement ouvrier autonome. Dans toute mobilisation autonome du prolétariat, ils voient pointer l'hydre de la révolution. Et c'est là le principal obstacle aux desseins criminels de la bourgeoisie ! Avant que la bourgeoisie puisse mobiliser avec succès pour la guerre, il faut que la classe ouvrière soit vaincue. Jusque là, il faut être très prudent. En fait, la bourgeoisie éprouve de la difficulté à mobiliser le prolétariat derrière des mots d'ordre "d'austérité" et de "allons-y tous ensemble". Politiquement, les fascistes et antifascistes n'ont pas mieux réussi que la police du capital. Les nouvelles idéologies que secrète le capitalisme semblent trouver une résonance stable dans les rangs de la petite-bourgeoisie, mais pas dans la classe ouvrière. Ce n'est pas un hasard si les idéologies réactionnaires telles que la croissance zéro, la xénophobie, la libération sexuelle et ses contreparties (telles que le renforcement du mariage et "moins de sexe") ainsi que d'autres, semblent être concentrées la plupart du temps parmi des couches petite-bourgeoises. Aujourd'hui, il est clair qu'il n'y a plus un seul moyen de justifier rationnellement au prolétariat la continuation des rapports sociaux capitalistes.
Le fait que la classe ouvrière n'ait pas d'organisation permanente de masse aujourd'hui a plusieurs conséquences. La classe ouvrière n'est pas encombrée des énormes organisations réformistes de son passé comme c'était le cas en 14-23. Les leçons de la période actuelle peuvent donc être assimilées plus vite qu'elles ne l'étaient pendant et après la première guerre mondiale. La conscience que seules les solutions communistes peuvent donner un sens aux luttes salariales et pour les conditions de vie, peut apparaître de façon plus aiguë et plus claire depuis que toute "victoire" économique est immédiatement rongée par la crise. Comme le disait Marx, l'humanité ne se pose que les problèmes qu'elle peut résoudre. Si le prolétariat affronte la crise sans organisation réformiste permanente de masse, ce fait a inévitablement des corollaires positifs.
Tant que la crise ne s'est pas approfondie au point de provoquer inévitablement le renversement révolutionnaire du capitalisme, tant que le prolétariat tout entier ne se pose pas la révolution comme but immédiat, toutes les institutions temporaires surgies de la lutte de classe (comités de grève, assemblées générales) sont inévitablement intégrées ou récupérées par le capital si elles essaient de devenir permanentes. Ceci est un processus objectif inévitable, un des traits de la décadence du capitalisme. La classe ouvrière se trouvera tôt ou tard confrontée au fait que tout comité de grève, toute "commission ouvrière" tend aujourd'hui à devenir un organe du capital. Déjà, les ouvriers de Barcelone et du nord de l'Espagne semblent avoir pris pleinement conscience de ce fait. En Angleterre, des milliers d'ouvriers se méfient presque instinctivement des comités de grève dominés par les shop stewards. Aux USA, les ouvriers tolèrent les dirigeants syndicaux de gauche ou radicaux mais seuls des imbéciles pourraient voir dans cette tolérance une loyauté permanente au syndicalisme, ou une conséquence des luttes salariales.
Les ouvriers luttent chaque jour, et plus encore dans les moments de crise, parce que le prolétariat comme classe ne peut jamais être intégré au capitalisme. Il en est ainsi parce que le prolétariat est une classe exploitée et que c'est la seule classe productive dans la société capitaliste. En conséquence, le prolétariat ne peut que se battre pour s'affirmer contre les conditions intolérables que le capitalisme l'oblige à supporter. Il importe peu de savoir ce que le prolétariat pense de lui-même à court terme, l’important est ce qu'il est. Et c'est cette réalité objective qui fera la conscience communiste de la classe ouvrière. Laissons les modernistes, rire de cela. Pour sa part, le prolétariat n'a pas d'autre chemin à prendre, pas d'autre moyen d'apprendre que celui tracé par le Golgotha de la société bourgeoise.
Le prolétariat a besoin du temps offert par la période de crise pour être capable de lutter et de comprendre sa position dans la société mondiale. Cette compréhension ne peut venir tout d'un coup à l'ensemble de la classe. La classe ira à des confrontations de nombreuses fois dans la période à venir, et de nombreuses fois elle devra reculer, apparemment vaincue. Mais en fin de compte, aucun mur ne peut résister aux assauts continuels de la vague prolétarienne, encore moins quand le mur se désintègre lui-même. Mais pendant que le prolétariat utilisera la nature étalée de la crise, la bourgeoisie, elle, utilisera toutes ses cartes pour plonger dans la confusion, défaire et vaincre les efforts de la classe ouvrière. Le destin de l’humanité dépend de l'issue finale de cette confrontation. Mais tandis que la bourgeoisie fera tout ce qu'il est possible pour affaiblir les tendances prolétariennes vers un regroupement mondial, le prolétariat renforcera la capacité à établir une continuité directe dans sa lutte, en dépit de toutes les divisions et mystifications des syndicats, de la gauche, des gouvernements, etc. Il n'y a pas d'organisation capitaliste qui puisse résister à une vague quasi continuelle de grèves et d'auto-activité du prolétariat sans être démoralisée. Ainsi la classe toute entière commencera à se réapproprier la lutte communiste et à approfondir sa conscience globale dans des affrontements réels. Le temps des actions de masse de la classe va continuer, et elle aura à son actif de plus en plus de leçons et de mémoire. Ceci n'est pas à négliger, puisque les seules armes de l'arsenal prolétarien sont sa conscience et sa capacité à s'organiser de façon autonome.
Les communistes ne peuvent que se réjouir de l'approfondissement de la crise. La possibilité de la révolution communiste apparaît une fois de plus au niveau conjoncturel comme l'expression de la décadence historique de la société bourgeoise. Nos tâches vont nécessairement devenir plus larges et plus complexes et le processus menant à la formation du parti sera directement accéléré par notre activité présente. Le développement graduel de la crise dans cette période nous permettra aussi de mieux nous regrouper, de galvaniser nos forces internationalement. La tendance indiscutable des groupes communistes aujourd'hui est d’abord et avant tout de rechercher un regroupement international des forces. Les regroupements internationaux ne sont pas des stades formels antérieurs du regroupement international. Formaliser ainsi le déroulement du regroupement dans un schéma stérile et localiste signifierai revenir aux conceptions social-démocrate de "sections nationales" et autres gradualismes de gauche. Ce n'est que globalement que nous pouvons mener" à bien notre travail de préparation, approfondir notre compréhension théorique et défendre notre plate-forme dans les luttes de la classe ouvrière.
Notre courant va se trouver de plus en plus systématiquement confronté à un immense amoncellement de travail organisationnel, tel que la contribution à la formation et au renforcement des groupes communistes futurs. En liaison étroite avec ceux-ci, notre courant devra être capable d'intervenir avec plus de cohésion et de façon internationale sur tous les évènements qui vont surgir dans la période à venir. Mais notre fonction spécifique n'est plus d'"organiser techniquement" les grèves ou autres actions de la classe, mais de mettre patiemment et avec force, de la façon la plus claire possible, l'accent sur les implications de la lutte autonome du prolétariat, et sur la nécessité de la révolution communiste. Nous sommes là pour défendre les acquis programmatiques de tout le mouvement ouvrier et cette tâche ne peut être approfondie que par un travail militant et uni partout où la classe manifeste une mobilisation pour ses propres intérêts et lorsque ces intérêts sont directement menacés par les attaques du capital.
Les perspectives que Révolution Internationale avait présentées pour notre courant en janvier 1974 ne rendaient pas compte de cet aspect primordial, l'auteur ne voyant pas clairement nos besoins organisationnels et minimisant de ce fait leur importance. Cela peut être attribué à la relative immaturité de notre courant, en ce qui concerne les implications concrètes de notre activité, pour la classe comme pour nous-mêmes. Aujourd'hui, nous pouvons considérer la question du regroupement et du parti sur des bases plus solides. Pour nous, un accord programmatique doit s'accompagner d'un accord organisationnel, une tendance à l'action à l'intérieur du cadre du regroupement mondial. Loin de nous les "activistes" qui veulent "intervenir" sans avoir une claire compréhension de ce qu'est un regroupement global. La construction d'un courant communiste international est une épreuve amère pour de tels activistes. L'accord sur ce point doit être prouvé dans les actes et l'attitude, pas seulement en paroles. Notre courant a déjà rencontré beaucoup de sectes qui, comme les centristes d'hier, sont "en principe" pour un regroupement communiste (un sentiment louable comme l'est un accord "de principe" sur la fraternité entre les hommes ou la justice éternelle). Mais, en pratique ces sectes sabotent le regroupement ou tout mouvement significatif vers lui, en invoquant des points secondaires ou des trivialités qui les différencient de nous.
De même que notre courant n'a que faire des modernistes qui annoncent à la classe ouvrière son intégration au capital, de même nous n'avons pas besoin de confusionnistes qui, dans la pratique, n'appellent qu'à la démoralisation et à la dispersion localiste. C'est le fait de notre évolution si notre Conférence n’attire pas de tels éléments. Le processus de regroupement a commencé en 70, mais notre courant a déjà polarisé de nombreux groupes ou tendances qui, depuis, se sont en majorité décomposés organisationellement et théoriquement. Dans ceux-ci sont inclus des groupes en rupture avec S ou B, des dilettantes du genre Barrot, et de semblables lumières du modernisme. Aujourd’hui, notre courant a déjà parcouru un long chemin, et nous pouvons être certains que, sous beaucoup d’aspects, la route à faire sera plus dure et plus difficile encore. Mais en ce qui concerne la période passée de clarification des points théoriques essentiels, de base, nous pouvons conclure que cette période tire à sa fin. Le spectacle des sectes "d’ultragauche" d’aujourd’hui, s’enfonçant dans le modernisme et l’oubli, est une confirmation tragique mais inévitable de ce pronostic.
WORLD REVOLUTION
Janvier 1975
[1] [5] C’est-à-dire : des accords préférentiels pour l'exportation aux USA.
La conférence de janvier se donne, entre autres buts, celui de se donner les moyens d'organiser et centraliser, au niveau international, l'activité des différents groupes du courant international.
Cet acte se veut consciemment un pas vers la formation d'une organisation internationale achevée.
Pour comprendre sa signification, il faut répondre à trois questions principales :
L'organisation politique est un ORGANE de la CLASSE, engendré par elle pour remplir une fonction spécifique : permettre le développement de sa conscience de classe. L'organisation politique n'apporte pas cette conscience de "l'extérieur"; elle ne CRÉE pas non plus le processus de cette prise de conscience. Elle est au contraire un PRODUIT de ce processus en tant qu'instrument INDISPENSABLE à son développement. D'un certain point de vue, on peut considérer que l'organisation politique est aussi nécessaire à l'élaboration collective de la conscience de classe que l'expression orale et écrite l'est pour le développement de la pensée individuelle.
Deux tâches principales peuvent être distinguées dans la fonction générale de l'organisation politique du prolétariat : .
II La classe ouvrière n'est pas la seule classe à exister internationalement. La bourgeoisie et les diverses classes paysannes se retrouvent dans tous les pays. Mais le prolétariat est la seule classe qui puisse s'organiser et agir COLLECTIVEMENT au niveau international car elle est la seule qui ne possède pas d'intérêts nationaux. Son émancipation n'est possible qu'à condition d' être mondiale.
C'est pourquoi son organisation politique tend inévitablement à être CENTRA LISEE et INTERNATIONALE.
Le prolétariat crée son organisation politique à son image.
Qu'il s'agisse da sa tâche d'analyse politique ou qu'il s'agisse de son intervention, l'organisation politique prolétarienne a affaire à une réalité mondiale. Son caractère centralisé et international n'est pas le résultat d'une exigence éthique ou morale, mais une condition NECESSAIRE de son efficacité et donc de son EXISTENCE.
III. Le caractère international de l'organisation politique prolétarienne s'affirme tout au long de l'histoire du mouvement ouvrier: Dès 1817, la Ligue des Communistes, avec son mot d'ordre :"Prolétaires de tous les pays, unissez vous. Les prolétaires n'ont pas de patrie" proclame sa nature d’organisation internationale. A partir de 1864, les organisations politiques prennent la forme des "Internationales". Jusqu'au triomphe de la contre-révolution stalinienne et du "socialisme dans un seul pays", seule la faillite de II° Internationale interrompt véritablement cette continuité internationaliste.
La deuxième Internationale, en correspondant à la période de stabilité des grandes puissances industrielles, souffre inévitablement, dans son internationalisme, de l'enfermement des luttes prolétariennes dans le cadre des réformes , l'horizon du combat, prolétarien subit objectivement un rétrécissement nationaliste. Aussi, la trahison de la II° Internationale ne fut pas un phénomène isolé, inattendu. Elle fut la pire conséquence de 30 ans d’enfermement des luttes ouvrières dans les cadres nationaux. En fait, dès ses premières années, 1a II° Internationale marque, sur le terrain de 1'internationalisme, un recul par rapport à l’AIT. Le parlementarisme, le syndicalisme, la constitution des grands de masse, en somme, toute l'orientation du mouvement ouvrier vers des luttes pour des réformes, ont contribué à fractionner le mouvement ouvrier mondial suivant les frontières nationales. La tâche révolutionnaire du prolétariat ne peut se concevoir et se réaliser qu'à l'échelle internationale. Autrement elle n' est qu'une utopie. Mais, du fait même que le capital existe divisé en nations, les luttes pour la conquête des réformes (lorsqu'elles étaient possibles), ne nécessitaient pas du terrain international pour aboutir. Ce n’est pas 1e capital mondial qui décidait d’accorder telle ou telle amélioration au -prolétariat de telle ou telle nation. C'est dans chaque pays, et dans sa lutte contre sa propre bourgeoisie nationale, quo les travailleurs parvenaient à imposer leurs revendications.
L’INTERNATIONALISME PROLETARIEN N’EST PAS UN SOUHAIT MORAL ? NI UN IDEAL ABSTRAIT ? MAIS UNE NECESSITE QUI LUI IMPOSE LA NATURE DE SA TACHE REVOLUTIONNAIRE.
C’est pourquoi la première guerre mondiale, en marquant la non viabilité historique des cadres nationaux et la mise à l’ordre du jour de la tâche révolutionnaire prolétarienne, devait entraîner dans le mouvement ouvrier, après la faillite de la II° Internationale, la plus énergique réaffirmation de l'internationalisme prolétarien. C'est ce que fit d' abord Zimerwald et Kienthal ; c' est ce qui imposa ensuite la constitution de la nouvelle internationale : L’Internationale Communiste.
La troisième internationale se fonda au début même de « l’ère de la révolution socialiste » et sa première caractéristique devait être inévitablement son internationalisme intransigeant. Sa faillite fut marquée par son incapacité à continuer à assumer cet internationalisme. Ce fut la théorie du socialisme en un seul pays.
Depuis lors, ce n'est pas par hasard qui le mot internationaliste se retrouve dans le nom des principales réactions organisées à la contre-révolution stalinienne. Décadence capitaliste est synonyme de mise à 1'ordre du jour de la révolution prolétarienne et REVOLUTION PROLETARIENNE est synonyme d'INTERNATIONALISME.
IV. Si de tous temps les organisations politiques prolétariennes ont affirmé leur nature internationale, aujourd'hui cette affirmation est plus que jamais la PREMIERE CONDITION d'une organisation prolétarienne.
C'est ainsi qu'il faut comprendre l'importance et la signification profonde de l'effort internationaliste de notre courant.
POURQUOI S'ENGAGER DANS UN TEL PROCESSUS MAINTENANT ?
I. Lorsque l'on regarde le développement de notre courant international on ne peut pas ne pas être frappé par la faiblesse de notre importance numérique. Par le passé, même dans des circonstances particulièrement défavorables les organisations internationales étaient d'une ou d'autre façon l'aboutissement, le couronnement de diverses activités nationales. A regarder notre courant, on constate une -tendance inverse : l'existence internationale apparaît plutôt comme un point de départ pour 1es activités nationales que comme un résultat de celles-ci. Tous les groupes du courant se sont conçus comme partie intégrante d'un courant international avant même d'avoir publié le premier numéro de leur publication nationale !
On peut mettre en relief deux raisons principales de cet état de choses :
- la rupture organique produit de 50 ans de contre-révolution qui, par l’affaiblissement qu'elle a provoqué dans le mouvement révolutionnaire, oblige les révolutionnaires, dès le départ de 1a reprise des luttes de classe, à concentrer leurs faibles forces pour accomplir leur tâche ;
- la disparition définitive, après 50 ans de décadence capitaliste, de toute illusion sur les possibilités d'action réellement nationale .
Si le point de départ de notre courant a été l'activité internationale, c'est donc d'abord parce qu'il est l’expression concrète d'une situation historique particulière.
II.
En fait, par la création d'un bureau international, nous ne nous engageons pas maintenant clans le processus de formation de l'organisation internationale. Ce processus existe dès le début des différents groupes du courant. Nous ne faisons en réalité qu’assumer consciemment ce processus en passant du stade d’une certaine spontanéité passive et anarchique à l’égard des conditions objectives du travai1 révolutionnaire â celui de l'organisation consciente qui se crée par sa propre volonté des conditions optimales pour le développement de ce processus.
Il y a à la base de toute activité collective une spontanéité (réactions non préméditées à des conditions objectives et communes). Le passage à l’organisation est lui-même un produit spontané de cette activité, mais l’organisation n’en est pas moins un DEPASSEMENT (non une négation) de la spontanéité. Tout comme dans l’activité collective de l’ensemble de la classe, dans l’activité des révolutionnaires, l’organisation crée des conditions pour que :
1° surgisse la conscience des conditions pour que :
2° se forgent, de ce fait, les moyens pour agir consciemment et volontairement sur le développement de ce processus.
C’est ce que nous faisons en créant ce bureau international et en nous orientant vers la constitution de l’organisation achevée.
III
La rupture organique qu’a subit le mouvement révolutionnaire depuis la dernière vague des années 20, pèse sur les révolutionnaires non seulement sur les difficultés qu’inévitablement ils éprouvent à retrouver les acquis des luttes passées, mais aussi par l’influence trop importante qu’a acquise dans leurs rangs la vision petite bourgeoise estudiantine. Le mouvement étudiant, qui marque de façon si spectaculaire les premières manifestations de l’entrée du capitalisme en crise et de la reprise de la lutte prolétarienne, empoisonne encore par sa conception du monde, les jeunes groupes révolutionnaires (il poivait, d’ailleurs, difficilement en être autrement).
Une des manifestations majeures de cette faiblesse se concrétise dans les problèmes d’organisation. Toutes les tares du milieu universitaire pèsent souvent d’un poids gigantesque sur le mondes des révolutionnaires : difficulté à concevoir la pensée théorique comme un reflet du monde concret divisé en classes antagoniques (ce qui se traduit par toutes sortes de jalousies vis-à-vis de « sa » petite pensée « à soit » de ce que l’on croit être une chapelle théorique que l’on prétend sauvegarder comme une thèse universitaire), difficulté à saisir l’activité théorique comme moment de l’activité générale et instrument de celle-ci, difficulté à comprendre l’importance de l’activité pratique, de l’activité consciemment organisée, bref, incapacité de faire sienne dans toute sa profondeur et dans toutes ses implications, la vieille devise marxiste : « les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde, il s’agit maintenant de le transformer ».
C’est cette incompréhension qui s’exprime dans les critiques qu’ont pu naguère formuler, vis-à-vis de notre courant des éléments tels que ceux de la tendance « ex-LO » dans RI.
Pour ces éléments, notre courant international serait une invention artificielle et l’effort organisationnel pour le constituer du pur volontarisme. Les arguments d’une telle position se résument, en général, à deux idées :
1- il y aurait « volontarisme » parce qu’il existe une volonté de construire une organisation alors que cette dernière ne peut être qu’un produit naturel d’un processus objectif indépendant de la volonté des quelques individus du courant.
2- Il y aurait « artificialité » parce que les luttes de la classe n’ont pas encore franchies le « saut qualitatif » qui transformerait les luttes « revendicatives » en luttes « révolutionnaires », « communistes ».
Derrière ces deux idées à consonance marxisantes se cache en fait une incapacité totale à assumer le fondement essentiel du marxisme : la volonté d’agir consciemment pour la transformation révolutionnaire du monde.
Contre tous les courants idéalistes, le marxisme affirme l’insuffisance de la volonté humaine ; les hommes ne transforment 1e monde quand i1 et comme ils veulent. La concrétisation de toute volonté subjective dépend de l'existence de conditions objectives favorables, effectivement indépendante de cette volonté. Mais rien n'est plus contraire au marxisme que de transformer l'insuffisance de la volonté en une négation de la volonté tout court. Ce serait identifier le marxisme à son antagoniste philosophique principal : le positivisme empiriste et fataliste. Le marxisme ne fait la critique du volontarisme que pour mieux affirmer l'IMPORTANCE DE LA VOLONTE. En affirmant la nécessité des conditions objectives pour la concrétisation de la volonté humaine, le marxisme souligne surtout le caractère nécessaire de cette volonté.
L'idée qu'une organisation révolutionnaire se construit VOLONTAIREMENT, CONSCIEMMENT , AVEC PREMEDITATION, loin d' être une idée volontariste est au contraire un des aboutissements concrets de toute praxis marxiste. .
Comprendre la nécessité de conditions objectives pour commencer à construire le parti révolutionnaire ne signifie pas que cette organisation soit un produit automatique de ces conditions . Cela implique en réalité comprendre l'importance de la volonté subjective au moment où ces conditions sont historiquement données .
Voyons ce qu'il en est maintenant de l’accusation d’artificialité.
D'après nos "anti-organisationnels" les conditions objectives qui président au début du processus de construction du parti révolutionnaire ne sont autres que le début de la lutte ouvertement révolutionnaire du prolétariat ; destruction de l'Etat capitaliste , voir même instauration de rapports de production communistes.
Le parti révolutionnaire n’est pas un organe décoratif qui vient embellir le tableau que présente l’éclatement spontané d’une lutte révolutionnaire. Il est au contraire un élément vital et puissant de cette lutte, un instrument indispensable de la classe. Si la révolution russe est la preuve positive du caractère indispensable de cet instrument, 1a révolution allemande en est la preuve négative. L'incompréhension par la tendance de Rosa Luxemburg de la nécessité de commencer la construction du parti AVANT les premiers éclats de la lutte révolutionnaire a lourdement pesé sur l’évolution des événements.
Comprendre la nature d’INSTRUMENT INDISPENSABLE du Parti pour la lutte révolutionnaire c’est comprendre la nécessité d’agir en vue de sa constitution dès que commence à mûrir les conditions d’un affrontement révolutionnaire.
En fait, ne pas saisir l’importance de la construction de l’organisation politique mondiale du prolétariat alors que mûrissent les conditions d’un affrontement révolutionnaire, c’est ne pas comprendre l’importance du rôle de cette organisation.
Il n’existe pas d’indice infaillible pour mesurer la montée des luttes de classe. Dans certaines circonstances, même la diminution du nombre d’heures de grève peut cacher un mûrissement de la conscience révolutionnaire. Nous possédons, cependant aujourd’hui deux indices qui permettent d’avoir la certitude que nous sommes entrés depuis 1968 dans un cours révolutionnaire :
1- l’approfondissement de plus en plus accéléré de la crise.
2- L’existence d’une combativité intacte dans la classe ouvrière mondiale qui manifeste du fait que, au fur et à mesure, que la bourgeoisie peut de moins en moins continuer à gouverner comme avant, le prolétariat peut et vent de moins en moins vivre comme avant. C'est-à-dire que les conditions d’une situation révolutionnaire mûrissent irréversiblement.
Dans ces conditions, le travail de construction de l’organisation politique, n’est pas un souhait artificiel, mais une nécessité IMPERIEUSE.
IV – pour les révolutionnaires, le danger actuel n’est pas d’être en avance mais d’être en retard.
COMMENT DOIT ETRE CONÇU LE ROLE DU COURANT INTERNATIONAL DANS LE PROCESSUS DE CONSTITUTION DU PARTI MONDIAL DU PROLETARIAT.
I – Pour bien comprendre l’importance et la signification de ce que nous faisons en constituant un bureau international, il nous faut poser le problème du rapport qui existe entre le courant international et tout groupe surgissant sur des positions de classe.
Nous avons souvent affirmé qu’une des tâches des révolutionnaires était de constituer un pôle de regroupement de l’avant-garde prolétarienne. Il nous faut aujourd’hui comprendre que nous avons à constituer l’axe, le « squelette » du futur parti mondial du prolétariat.
II
– DU POINT DE VUE THEORIQUE, du fait qu’elle rassemble l’essentiel de l’expérience historique du prolétariat, la plate-forme du courant constitue le point de ralliement de tout groupe qui se situe sur le terrain de la lutte historique du prolétariat.
– Contrairement à ce qu’affirmait la tendance ex-LO dans un de ses textes, il n’y a pas « plusieurs cohérence possibles » pour englober les positions de classes. En dernière instance, la cohérence théorique n’est pas une question de syllogisme, ni de pure logique dans les raisonnements. Elle est l’expression d’une cohérence objective matérielle qui est UNIQUE : celle de la pratique de la classe.
– C’est parce qu’elle synthétise cette expérience pratique que notre plate-forme est le seul cadre possible pour l’activité d’une organisation révolutionnaire.
III
- DU POINT DE VUE ORGANISATIONNEL. Bordiga soulignait à juste titre que le Parti, loin d’être uniquement une doctrine, était aussi une VOLONTE. Cette volonté ne consiste pas en un voeux pieux ni en un souhait « sincère ». Elle est une détermination persévérante d’intervention révolutionnaire. Et, comme nous l’avons vu, cette intervention est synonyme d’organisation et donc, d’expérience organisationnelle.
- Il existe un ACQUIS ORGANISATIONNEL tout comme il y a ACQUIS THEORIQUE, et l’un conditionne l’autre de façon permanente.
- L’activité organisée n’est pas un phénomène immédiat, donné d’emblée, spontanément. Elle est le résultat d’une expérience et d’une conscience qui ne se confondent pas avec celle d’un ou de plusieurs individus. Elle résulte uniquement d’une PRAXIS collective d’autant plus riche et complexe à acquérir qu’elle set justement collective.
- C’est pourquoi du temps où il existait de grandes organisations révolutionnaires une scission était un événement que l’on hésitait longtemps à produire.
La continuité organique qui reliait les organisations révolutionnaires depuis 1847 n’était pas une simple « tradition » ou un fait du hasard. Elle exprimait, comme reflet de la continuité de la lutte prolétarienne, la nécessité de conserver l’acquis organisationnel que possédait l’organisation politique prolétarienne.
- C’est pourquoi les organisation internationales du prolétariat se sont toujours constituées autour d’un axe, autour d’un courant qui non seulement défendait de la façon la plus cohérente les acquis théoriques du prolétariat, mais qui possédait aussi une expérience pratique, organisationnelle suffisante pour servir de pilier à la nouvelle organisation.
- Ce rôle fut joué par le courant de Marx et Engels pour la 1° Internationale, par la Sociale Démocratie pour la 2°Internationale, par le Parti Bolchevik pour la 3°Internationale.
- Si le mouvement ouvrier n’avait connu la rupture de 60 ans qui le sépare aujourd’hui le l’Internationale Communiste, c’est sans doute « la Gauche » de celle-ci (« Gauche italienne », « Gauche allemande ») qui auraient cette fois-ci assumé cette tâche. Du point de vue des positions politique, il ne fait aucun doute que la prochaine Internationale sera une continuité de cette Gauche ; mais du point de vue organisationnel, cet axe est à construire.
- Depuis la récente reprise des luttes de la classe, notre courant international a assumé une pratique organisationnelle avec les positions de classe du prolétariat. C'est-à-dire que sa praxis est devenue, avec toutes ses faiblesses et erreurs, patrimoine de la lutte prolétarienne. Le courant a ainsi créé une nouvelle source de continuité organique, en étant la seule organisation à avoir assuré une CONTINUITE dans sa pratique au sein du cadre que constituent les positions de classe.
IV
- le courant international qui aujourd’hui franchit un pas vers sa centralisation doit donc, et peu effectivement considérer comme sa tâche essentielle, celle de constituer cette axe, indispensable pour la formation de la prochaine Internationale, le Parti mondial du prolétariat.
- Ceux d’entre nous qui verrez dans cette affirmation pure mégalomanie ne serez pas des modestes mais des irresponsables. Le courant international se suiciderait s’il n’était capable d’assumer, dans toute son ampleur, ce qu’il est objectivement.
C'est toujours avec une grande prudence que les révolutionnaires ont abordé la question de la période de transition. Le nombre, la complexité et surtout la nouveauté des problèmes que devra résoudre le prolétariat empêchent toute élaboration de plans détaillés de la future société, et toute tentative en ce sens risque de se convertir en carcan pour l'activité révolutionnaire de la classe, Marx, par exemple, s'est toujours refusé à donner des "recettes pour les marmites de l'avenir". Rosa Luxembourg de son côté, insiste sur le fait que sur la société de transition, nous ne disposons que de "poteaux indicateurs et encore de caractère essentiellement négatif".
Si les différentes expériences révolutionnaires de la classe (Commune de Paris, 1905, 191723) et l'expérience même de la contre-révolution ont pu permettre de préciser un certain nombre de problèmes que posera la période de transition, c'est essentiellement sur le cadre général de ces problèmes que portent ces précision et non sur la façon détaillée de les résoudre. C'est ce cadre qu'il s'agira de dégager ici.
1. Nature des périodes de transition.
A - L'histoire humaine se compose de différentes sociétés stables liées à un mode de production et donc à des rapports sociaux stables. Ces sociétés sont basées sur des lois économiques dominantes inhérentes à celles-ci, se composent de classes sociales fixes, et s'appuient sur des super structures appropriées. L'histoire écrite connaît comme sociétés fixes la société esclavagiste, la société "asiatique", la société féodale et la société capitaliste.
B – Ce qui distingue les périodes de transition de ces périodes de société stables, c'est la décomposition des anciennes structures sociale et la formation de nouvelles structures, toutes deux liées à un développement des forces productives et qu'accompagnent l'apparition et le développement de nouvelles classes, idées et institutions correspondant à ces nouvelles classes.
C – La période de transition n'a pas de mode de production propre mais un enchevêtrement de deux modes, l'ancien et le nouveau. C'est la période pendant laquelle se développent lentement, au détriment de l'ancien, les germes du nouveau mode de production jusqu'au point de le supplanter et de constituer le nouveau mode de production dominant.
D – Entre deux sociétés stables, et cela sera aussi vrai entre le capitalisme et le communisme que cela était dans le passé, la période de transition est une nécessité absolue. Cela est du au fait que l'épuisement des conditions de l'ancienne société ne signifie pas nécessairement et automatiquement le maturation et l'achèvement des conditions de la nouvelle société. En d'autres termes, le dépérissement de l'ancienne société n'est pas automatiquement maturation de la nouvelle mais seulement condition de cette maturation.
E – Décadence et période de transition sont deux choses bien distinctes. Toute période de transition présuppose la décomposition de l'ancienne société dont le mode et les rapports de production ont atteint la limite extrême de développement. Par contre, toute décadence ne signifie pas nécessairement période de transition, qui est un dépassement vers un mode de production plus évolué.
Par exemple la stagnation du mode asiatique de production n'a pas ouvert la voie au dépassement vers un nouveau mode de production. De même pour la Grèce antique qui ne disposait pas des conditions historiques au dépassement de l'esclavagisme. De même pour l'ancienne Egypte.
Décadence signifie épuisement de l'ancien mode de production social. Transition signifie surgissement des forces et conditions nouvelles permettant de dépasser et de résoudre les contradictions anciennes.
2. Différences entre la société communiste et les autres sociétés.
Pour pouvoir faire ressortir la nature de la période de transition qui va du capitalisme au communisme et ce qui distingue cette période de toutes les précédentes, il faut s'appuyer sur une idée fondamentale : toute période de transition relève de la nature même de la nouvelle société qui va surgir. Il faut donc d'abord mettre en relief les différences fondamentales qui distinguent la société communiste de toutes les autres.
A – Toutes les sociétés antérieures (à l'exception du communisme primitif qui appartient à la préhistoire) ont été divisées en classes.
- Le communisme est une société sans classes.
B – Les autres sociétés sont basées sur la propriété et l'exploitation de l'homme par l'homme.
- Le communisme ne connaît aucun type de propriété individuelle ou collective, c'est la communauté humaine unifiée et harmonieuse.
C – Les autres sociétés dans l'histoire ont pour fondement l'insuffisance du développement des forces productives par rapport aux besoins des hommes. Ce sont des sociétés de pénurie. C'est pour cela qu'elles sont dominées par des forces naturelles et économico-sociales aveugles. L'humanité est aliénée à la nature, et par suite, aux forces sociales qu'elle-même a engendrées dans son parcours.
- Le communisme est le plein développement des forces productives, par rapport aux besoins des hommes, l'abondance de la production capable de satisfaire les besoins humains. C'est la libération de l'humanité de la domination de la nature et de l'économie. C'est la maîtrise consciente de l'humanité sur ses conditions de vie. C'est le monde de la liberté, et non plus le monde de la nécessité de son histoire passée.
D – Toutes les sociétés traînent avec elles des vestiges anachroniques des systèmes économiques, des rapports sociaux, des idées et des préjugés des sociétés passées. Cela est dû au fait que toutes sont fondées sur la propriété privée et de l'exploitation du travail d'autrui. C'est pour cela que la nouvelle société de classe peut et doit naître et se développer au sein de l'ancienne.
C'est pour cette raison qu'elle peut, une fois triomphante, contenir et s'accommoder des vestiges de l'ancienne société défaite, des anciennes classes dominantes et même associer celles-ci au pouvoir.
C'est ainsi que dans le capitalisme il peut encore subsister des rapports esclavagistes ou féodaux, et que la bourgeoisie partage, pendant une longue période le pouvoir avec la noblesse.
- Toute autre est la situation dans la société communiste. Celle-ci ne supporte en son sein aucune survivance économico-sociale de la société antérieure. Tant que de telles survivances subsistent, on ne saurait parler de société pour des petits producteurs ou des rapports esclavagistes par exemple. C'est cela qui rend si longue la période de transition entre capitalisme et communisme. Telle le peuple hébreu devant errer quarante années dans le désert pour se libérer de l'esprit forgé par l'esclavagisme, l'humanité aura besoin de plusieurs générations pour se libérer des vestiges du vieux monde.
E - Toutes les sociétés antérieures, en même temps que fondée sur la division en classes, sont nécessairement basées sur des divisions géographiques régionales ou politiques nationales. Cela est dû surtout aux lois du développement inégal qui veulent que l'évolution de la société, tout en suivant partout une même orientation, se fasse de façon relativement indépendante et séparée dans ses différents secteurs avec des décalages de temps pouvant atteindre plusieurs siècles. Ce développement inégal est lui-même du au faible développement des forces productives : il existe un rapport direct entre ce degré de développement et l'échelle sur laquelle il se réalise. Seules les forces productives développées par le capitalisme à son apogée permettent pour la première fois dans l'histoire, une réelle interdépendance entre les différentes parties du monde.
- L'instauration de la société communiste a immédiatement le monde entier pour théâtre. Le communisme pour être fondé, exige une même évolution, dans le temps dans tous les pays à la fois. Il est universel d'emblée ou il ne peut pas être.
F – Pour être fondée sur la propriété privée, l'exploitation, la division en classes et en zones géographiques différentes, la production des sociétés antérieures tend nécessairement vers la production de marchandises avec tout ce qui s'ensuit de concurrence et d'anarchie dans la distribution et la consommation seulement régulée par la loi de la valeur à travers le marché et l'argent.
- Le communisme ne connaît pas l'échange ni la loi de la valeur. Sa production est socialisée dans le plein sens du terme. Elle est universellement planifiée selon les besoins des membres de la société et pour leur satisfaction. Une telle production ne connaît que des valeurs d'usage dont la distribution directe et socialisée exclut l'échange, marché et argent.
G – Pour être des sociétés divisées en classes et en intérêts antagoniques, toutes les sociétés antérieures ne peuvent exister et survivre que par la constitution d'un organe spécial, en apparence au-dessus des classes dans le cadre de sa conservation et des intérêts de la classe dominante : l'ETAT.
- Le communisme ne connaissant aucune de ces divisions n'a pas besoin d'Etat. Plus, il ne saurait supporter en son sein un organisme de gouvernement des hommes. Dans le communisme, il n'y a de place que pour l'administration des choses.
3. Caractéristiques des périodes de transition
La période de transition vers le communisme est constamment imprégnée de la société d'où elle sort (la préhistoire de l'humanité) et de celle vers quoi elle tend (l'histoire toute nouvelle de la société humaine). C'est ce qui va distinguer de toutes les périodes de transition antérieures.
A LES PERIODES DE TRANSITION ANTERIEURES
Les périodes de transition jusqu'à ce jour ont en commun leur déroulement dans l'ancienne société, en son sein. La reconnaissance et la proclamation définitive de la nouvelle société sanctionnée par le bond que constitue la révolution, se situe à la fin du processus transitoire proprement dit. Cette situation a deux causes essentielles :
1° - Les sociétés passées ont toutes un même fondement économico-social, la division en classe et l'exploitation qui font que la période de transition se réduit à un simple changement ou transfert de privilèges et non à la suppression des privilèges
2° - Toutes ces sociétés subissent aveuglément les impératifs des lois basées sur la pénurie des forces productives (règne de la nécessité). La période de transition entre deux d'entre elles connaît par conséquent un développement économique aveugle.
B – LA PERIODE DE TRANSITION VERS LE COMMUNISME
1° - C'est parce que le communisme constitue une rupture totale de toute exploitation et de toute divisions en classes que la transition vers cette société exige une rupture radicale dans l'ancienne société et ne peut se dérouler qu'en dehors d'elle.
2° - Le communisme n'a pas un mode de production soumis à des lois économiques aveugles opposées aux hommes mais est basé sur une organisation consciente de la production que permet l'abondance des forces productives que l'ancienne société capitaliste ne peut atteindre.
C CE QUI DISTINGUE LA PERIODE DE TRANSITION VERS LE COMMUNISME
Comme conséquence de ce qui vient d'être vu, on peut tirer les conclusions suivantes :
- La période de transition au communisme ne peut s'ouvrir qu'en dehors du capitalisme. La maturation des conditions du socialisme exige au préalable la destruction de la domination politique, économique et sociale du capitalisme dans la société.
- La période de transition au communisme ne peut s'engager immédiatement qu'à l'échelle mondiale.
- A l'inverse des autres périodes de transition, les institutions essentielles du capitalisme : l'Etat, la police, l'armée, la diplomatie ne peuvent être utilisées telles quelles par le prolétariat. Elles sont immédiatement détruites de fond en comble.
- Par suite, l'ouverture de la période de transition se caractérise essentiellement par la défaite politique du capitalisme et par le triomphe de la domination politique du prolétariat.
"Pour convertir la production sociale en un large et harmonieux système de travail coopératif, il faut des changements sociaux généraux, changements dans les conditions générales de la société qui ne peuvent être réalisée que par le moyen de la puissance organisée de la société – le pouvoir de Etat – arraché aux mains des capitalistes et des propriétaires fonciers et transféré aux mains des producteurs eux-mêmes".
Marx, Instructions sur les coopératives aux délégués du Conseil Général au premier congrès de Genève de l'AIT.
"La conquête du pouvoir politique est devenu le premier devoir de la classe ouvrière".
Marx, Adresse Inaugurale de l'AIT.
4. Les problèmes de la période de transition
A - La généralisation mondiale de la révolution est la condition première de l'ouverture de la période de transition. A cette généralisation est subordonnée toute la question des mesures économiques et sociales dans lesquelles il faut particulièrement se garder de "socialisations" isolées dans un pays, une région, une usine ou un groupe d'hommes quelconque. Même après un premier triomphe du prolétariat, le capitalisme poursuit sa résistance sous forme de guerre civile. Dans cette période, tout est subordonné à la destruction de la force du capitalisme. C'est ce premier objectif qui conditionne toute évolution ultérieure.
B – Une seule classe est intéressée au communisme : le prolétariat. D'autres classes peuvent être entraînées dans la lutte que le prolétariat livre au capitalisme, mais ne peuvent jamais, en tant que classes, devenir les protagonistes et porteurs du communisme. C'est pour cela qu'il faut mettre en valeur une tâche essentielle : la nécessité pour le prolétariat de ne pas se confondre ou se dissoudre avec les autres classes. Dans la période de transition, le prolétariat, comme classe révolutionnaire investie de la tâche de créer une nouvelle société sans classe, ne peut assurer cette marche en avant uniquement qu’en s’affirmant comme classe autonome et politiquement dominante de la société. Lui seul a un programme du communisme qu’il tente de réaliser et comme tel, il doit conserver entre ses mains toute la force politique et toute la forme armée : il a le monopole des armes.
Pour ce faire, il se donne des structures organisées, les Conseils Ouvriers basés sur les usines, et le parti révolutionnaire.
La dictature du prolétariat peut donc se résumer les termes suivants :
- le programme (le prolétariat sait où il va)
- son organisation générale comme classe
- la force armée
C – Les rapports entre le prolétariat et les autres classes de la société sont les suivants :
1° Face à la classe capitaliste et aux anciens dirigeants de la société capitaliste (députés, hauts fonctionnaires, armée, police, église), suppression totale de tout droit civique et exclusion de toute vie politique.
2° Face à la paysannerie et le petit artisanat, constitués de producteurs indépendants et non salariés, et qui constitueront la majeure partie de la société, le prolétariat ne pourra pas les éliminer totalement de la vie politique, ni d’emblée de la vie économique. Il sera nécessairement amené à trouver un modus vivendi avec ces classes tout en poursuivant à leur égard une politique de dissolution et d’intégration dans la classe ouvrière.
Si la classe ouvrière doit tenir compte de ces autres classes dans la vie économique et administrative, elle ne devra pas leur donner la possibilité d’une organisation autonome (presse, partis, etc.). Ces classes et couches nombreuses seront intégrées dans un système d’administration soviétique territorial. Elles seront intégrées dans la société comme citoyens et non comme classes.
A l’égard des couches sociales qui dans le capitalisme actuel occupent une place particulière dans la vie économique comme les professions libérales, les techniciens, les fonctionnaires, les intellectuels (ce qu’on appelle la "nouvelle classe moyenne") l’attitude du prolétariat sera basée sur les critères suivants :
- Ces classes ne représentent pas une homogénéité : dans leurs couches supérieures ; elles sont fondamentalement intégrées à une fonction et à une mentalité capitalistes, alors que dans leurs couches inférieures, elles ont la même fonction et intérêts que la classe ouvrière.
- Le prolétariat devra agir avec ces couches dans le sens du développement de cette séparation.
D - La société transitoire est encore une société divisée en classes et comme telle, elle fait surgir nécessairement en son sein cette institution propre à toutes les sociétés divisées en classes : l'ETAT
Avec toutes les amputations et mesures de précautions dont on peut entourer cette institution (fonctionnaires élus et révocables, rétributions égales à celles d’un ouvrier, unification entre le délibératif et l'exécutif, etc.) qui font de cet état un demi-état, il ne faut jamais perdre de vue sa nature historique anti-communiste et donc anti-prolétarienne et essentiellement conservatrice. L’Etat reste le gardien du statu quo.
Si nous reconnaissons l'inévitabilité de cette institution dont le prolétariat aura à se servir comme d'un mal nécessaire
- pour briser la résistance de le classe capitaliste déchue
- pour préserver un cadre administratif et politique uni à la société à une époque où elle est encore déchirée par des intérêts antagoniques
Nous devons rejeter catégoriquement l’idée de faire de cet état le drapeau et le moteur du communisme. Par sa nature d’état ("nature bourgeoise dons son essence" Marx), il es essentiellement un organe de conservation du statu quo et un frein au communisme. A ce titre, il ne saurait s'identifier ni au communisme, ni à la classe qui le porte avec elle : le prolétariat qui, par définition, est la classe la plus dynamique de l'histoire puisqu'elle porte la suppression de toutes les classe y compris elle-même. C’est pourquoi tout en se servant de l'Etat, le prolétariat exprime sa dictature non pas par l'Etat, mais sur l’Etat. C'est pourquoi également, le prolétariat ne peut reconnaître aucun droit à cette institution à intervenir par 1a violence au sein de la classe ni à arbitrer les discussions et l’activité des organismes de la classe : Conseils et parti révolutionnaire.
E - Sur le plan économique, la période de transition consiste en une politique économique (et non plus une économie politique) du prolétariat en vue d'accélérer le processus de socialisation universelle de la production et de la distribution. Ce programme du communisme intégral à tous les niveaux, tout en étant le but affirmé et poursuivi par la classe ouvrière, sera encore dans la période de transition, sujet dans sa réalisation à des conditions immédiates, conjoncturelles, contingentes, qu’il serait du pur volontarisme utopique de vouloir ignorer. Le prolétariat tentera immédiatement d'obtenir le maximum de réalisations possibles tout en reconnaissant la nécessité d'inévitables concessions, qu'il sera obligé de supporter. Deux écueils menacent une telle politique :
- l’idéaliser : en la présentant comme communiste alors qu'elle n'en a rien.
- nier sa nécessité au nom d'un volontarisme idéaliste.
5. Quelques mesures de la période de transition
Sans vouloir établir un plan détaillé de ces mesures, Nous pouvons dès maintenant en établir les grandes lignes :
A - Socialisation immédiate des grandes concentrations capitalistes et des centres principaux pour l'activité productive.
B - Planification de la production et de la distribution, les critères de la production devant être la satisfaction maximum des besoins et non plus l’accumulation.
C - Réduction massive de la journée de travail
D - Elévation substantielle du niveau de vie.
E - Tentative vers la suppression des rémunérations salariales et de leur forme argent.
F - Socialisation de la consommation et de la satisfaction des besoins (transports, loisirs, repos, etc.)
G - Orientation des rapports entre secteurs collectivisés et secteurs de production encore individuels (et tout particulièrement à la compagne) vers un échange organisé et collectif au travers de coopératives supprimant ainsi le marché et l'échange individuel.
REVOLUTION INTERNATIONALE
La nature, spécifique de la révolution prolétarienne
La nécessité qui presse les communistes à se battre pour le maximum de clarté et de cohérence en ce qui concerne les tâches révolutionnaires du prolétariat, vient de la nature unique de la révolution prolétarienne. Alors que la révolution bourgeoise (Grande Bretagne, France, etc.) constituait, fondamentalement, le couronnement politique de la domination économique bourgeoise sur la société qui s'était étendue progressivement et fermement sur les vestiges de la société féodale décadente, le prolétariat ne détient aucun pouvoir économique au sein du capitalisme, et, en période de décadence, aucune organisation permanente qui lui soit propre. Les seules armes qu'il puisse utiliser sont sa conscience de classe et sa capacité à organiser sa propre activité révolutionnaire. Et une fois le pouvoir arraché des mains de la bourgeoisie, s'ouvre devant lui l'immense tâche de construire consciemment un nouvel ordre social.
La société capitaliste, comme toutes les sociétés de classe, a grandi indépendamment de la volonté des hommes, à travers un lent processus "inconscient", régi par des lois et forces qui n'étaient pas sujettes au contrôle humain. Et la révolution bourgeoise s'est simplement chargée de chasser les superstructures féodales qui empêchaient ces lois de se généraliser. Aujourd'hui, c'est la nature même de ces lois, leur caractère aveugle, anarchique, marchand, qui menace de mener la civilisation humaine à la ruine. Mais en dépit du caractère apparemment immuable de ces lois, elles sont, en dernière instance, uniquement l'expression de rapports sociaux que les hommes ont créés. La révolution prolétarienne signifie un assaut systématique contre les rapports sociaux existants liés aux lois impitoyables du capital. Elle ne peut être qu'un assaut conscient car c'est précisément le caractère inconscient et incontrôlé du capital que la révolution tente de détruire; et le système social que le prolétariat construira sur les ruines du capitalisme, constitue la première société dans laquelle le genre humain exercera un contrôle rationnel et conscient sur les forces productives et sur toute l'activité sociale humaine.
Ce qui force le prolétariat à affronter et à détruire les rapports sociaux du capital -travail salarié, production marchande généralisée- c'est que ces derniers sont rentrés en conflit ouvert avec les forces productives, que se soient les besoins matériels du prolétariat ou les forces productives de la société humaine dans son ensemble. La décadence des rapports sociaux qui dominent le prolétariat l'amène à se donner pour première tache, à notre époque, la destruction de ces rapports et l'instauration de nouveaux. Il n'a donc pas pour tâche de réformer, réorganiser ou gouverner le capital mais de le liquider pour toujours. La décadence signifie simplement que les forces productives ne peuvent plus se développer dans l'intérêt de l'humanité tant qu'elles restent sous le joug du capital, et qu'un développement réel ne peut avoir lieu que dans des rapports de production communistes.
Le matérialisme historique ne laisse aucune place à un mode de production transitoire entre capitalisme et communisme.
"Ce à quoi nous avons à faire, c'est à une société communiste non pas telle qu'elle s'est développée sur ses bases propres, mais au contraire telle qu'elle vient de sortir de la société capitaliste. Ce qui veut dire qu'elle est encore à tous égards, économiquement, moralement et intellectuellement, marquée des empreintes de la vieille société dont elle naît" (Marx, Critique du Programme de Gotha.).
Nous avons à faire ici à une période de transition dans laquelle le communisme émerge, dans les violentes douleurs de l'accouchement, de la société capitaliste, un communisme en lutte constante contre les vestiges de l'ancienne société, un communisme qui s'efforce sans cesse de développer ses propres fondations, les fondations d'une étape plus avancée du communisme, du règne de la liberté, de la société sans classe.
La guerre civile révolutionnaire.
Mais le mouvement vers l'abolition des classes est un mouvement dirigé consciemment, et la conscience qui le guide vers son but final, n'appartient qu’à une seule classe communiste, le prolétariat. Le communisme n'est pas une simple impulsion inconsciente ayant pour but la négation des rapports marchands, et qui découvrirait, par hasard, que l'Etat capitaliste est leur gardien, qu'il faut le détruire pour réaliser le communisme. Le communisme est un mouvement du prolétariat qui met en place un programme politique; ce programme reconnaît clairement à l'avance dans l'Etat bourgeois le défenseur des rapports sociaux capitalistes; ce programme défend systématiquement que la destruction du pouvoir politique de la bourgeoisie est une condition préalable de la transformation communiste. En cela, la révolution prolétarienne se déroule selon un schéma contraire à celui de la révolution bourgeoise : la révolution sociale entreprise par le prolétariat ne peut prendre son envol qu'après la conquête politique du pouvoir par la classe ouvrière. Puisque le capital est un rapport mondial, la révolution communiste ne peut se développer qu'à l'échelle mondiale. La nature globale du prolétariat et de la bourgeoisie fait que la prise du pouvoir par les ouvriers d'un pays entraîne une guerre civile mondiale contre la bourgeoisie. Jusqu'à ce qu'elle soit victorieuse; jusqu’à ce que le prolétariat ait conquis le pouvoir mondialement, nous ne pouvons parler réellement d'une période de transition, encore moins d'une transformation communiste.
Pendant la période de guerre civile mondiale, la production, même lorsqu’elle est sous la direction du prolétariat, n'est pas une production principalement axée sur les besoins humains, ce qui sera le sceau de la production communiste. Pendant cette période, la production, comme tout le reste, est subordonné aux nécessités de la guerre civile, à la nécessité impérieuse d'étendre et d'enraciner la révolution internationale. Même si le prolétariat peut faire disparaître bien des caractéristiques formelles des rapports capitalistes, tout en s'armant et en produisant pour la guerre civile, on ne pourrait appeler communisme pur et simple une économie orientée vers la guerre. Tant que le capitalisme existera quelque part dans le monde, ses lois continuent à déterminer le contenu réel des rapports de production partout ailleurs.
Même si le prolétariat d'un pays se débarrasse de la forme du travail salarié et commence à rationner tout ce qu'il produit, sans aucune espèce d'intermédiaire monétaire, le rythme de la production et de la distribution dans ce bastion prolétarien reste encore à la merci de la domination du capital global, de la loi de la valeur globale. Au moindre reflux du mouvement révolutionnaire, ces mesures seraient rapidement minées et commenceraient à revenir à des rapports salariaux capitalistes dans toute leur brutalité, sans que les prolétaires aient jamais cessé d'être une partie de la classe exploitée. Prétendre qu'il est possible de créer des îlots de communisme quand la bourgeoisie détient encore le pouvoir à l'échelle mondiale, c'est tenter de mystifier la classe ouvrière et de la détourner de sa tâche fondamentale - l'élimination totale du pouvoir bourgeois.
Cela ne veut pas dire pour autant que sa lutte pour le pouvoir politique, le prolétariat s'abstient de prendre des mesures économiques dont le but est de saper la puissance du capital. Encore moins que le prolétariat n'a à prendre en mains l'économie capitaliste et l'utiliser à ses propres desseins. Tout comme la Commune de Paris a prouvé que le prolétariat ne peut s'emparer de la machine d'Etat capitaliste, la révolution russe a révélé qu'il était impossible à la classe ouvrière de se maintenir indéfiniment "à la tête" d'une économie capitaliste. En dernière analyse, cela veut dire que le prolétariat doit s'engager dans un processus de destruction du capital global s'il veut garder le pouvoir quelque part, mais que ce processus commence sur le champ : la classe ouvrière doit être consciente que sa lutte contre le capital a lieu à tous les niveaux (même si elle n'est pas uniforme) parce que le capital est un rapport social global.
Dès que le prolétariat aura pris le pouvoir en un endroit, il sera forcé d'entreprendre l'assaut des rapports capitalistes de production, premièrement pour lutter contre l'organisation globale du capital, deuxièmement pour faciliter la direction politique de la zone qu'il contrôle, troisièmement pour jeter les bases d'une transformation sociale bien plus développée qui succèdera à la guerre civile. L'expropriation de la bourgeoisie à un endroit produira des effets profondément désintégrateur sur l'ensemble du capital mondial si elle a lieu dans un centre important du capitalisme, et ceci approfondira en conséquence la lutte de classe mondiale; le prolétariat devra se servir de toutes les armes économiques qu'il a à sa disposition. Si l'on considère la seconde raison (qui n’est pas de moindre importance), il est impossible d'imaginer l'unification et l'hégémonie du prolétariat s'il n'entreprend pas un assaut radical de toutes les divisions et les complexités qu'impose la division capitaliste du travail. Le pouvoir politique des ouvriers dépendra de leur capacité à simplifier et, à rationaliser le processus de production et distribution, et cette question n'est pas secondaire. Cette rationalisation est impossible dans une économie totalement dominée par les rapports marchands. Un des principaux moteurs qui pousse le prolétariat à produire des valeurs d'usage, et qu'une telle méthode de production convient bien mieux aux tâches qu'il a à affronter durant la crise révolutionnaire - telles que l'armement général des ouvriers, l'urgence du rationnement du ravitaillement, la direction centralisée de l'appareil productif, etc. En fin de compte, du moment que la révolution est mondialement victorieuse, ces mesures rudimentaires de socialisation peuvent trouver une continuité dans la véritable réorganisation positive de la production, qui a lieu après la victoire, pour autant qu'elles aident à neutraliser et à ruiner la domination des rapports marchands, diminuant ainsi les tâches "négatives" du prolétariat pendant la période de transition.
La profondeur de l'extension de ces mesures dépendra de l'équilibre des forces dans une situation donnée, mais on peut prévoir qu'elles seront plus poussées là où le capitalisme a déjà permis d'avancer dans le processus de socialisation matérielle. Donc la collectivisation des moyens de production ira sûrement bien plus vite dans les secteurs où le prolétariat est plus concentré - dans les grandes usines, les mines, les docks, etc. De même, la socialisation de la consommation aura lieu bien plus facilement dans les zones partiellement socialisées : transports, logement, gaz, électricité et d’autres secteurs peuvent fonctionner gratuitement presque immédiatement, seulement sujets à la totalité des réserves contrôlées par les ouvriers. La collectivisation de ces services empièterait profondément sur le système salarial. Tout comme pour la distribution directe d'articles individuels de consommation, la suppression totale des formes monétaires, il est difficile de dire jusqu'où ce processus peut aller tant que la révolution reste circonscrite à une région. Mais nous pouvons dire qu'il faut attaquer au maximum la forme salariale, et il n'y a pas de doute sur le fait que les ouvriers ne seront pas disposés à se payer eux mêmes en salaires, une fois qu'ils 'auront pris le pouvoir. Pour être plus concrets, nous sommes pour des mesures qui tendent à régir la production et la distribution en termes sociaux, collectifs (des mesures comme le rationnement, et l'obligation universelle au travail telles que les Conseils Ouvriers les revendiquaient) plutôt que pour des mesures qui nécessitent le calcul de la contribution de chacun au travail social. Le système de bons sur la base du temps de travail tendrait à diviser les ouvriers capables de travailler de ceux qui ne le sont pas (situation qui pourrait fort bien s'étendre dans, une période de crise révolutionnaire mondiale) et pourrait de surcroît creuser un fossé entre les prolétaires et les autres couches, entravant le processus d'intégration sociale. Ce système de requerrait une supervision bureaucratique énorme du travail de chaque ouvrier, et dégénèrerait bien plus facilement en salaires-monnaie à un moment de reflux de la révolution (ces reculs peuvent avoir lieu tant pendant la guerre civile que pendant la période de transition elle même).
Un système de rationnement sous le contrôle des Conseils Ouvriers se prêterait bien plus facilement à une régulation démocratique de toutes les ressources d'un bastion prolétarien, et encouragerait les sentiments de solidarité à l'intérieur de la classe. Mais nous n'avons pas d'illusion : ce système, pas plus qu'un autre, ne peut représenter une "garantie" contre un retour à l'esclavage salarié dans sa forme la plus brute. Fondamentalement, la soumission au temps, à la rareté, à la pression des rapports marchands globaux existe encore - elle est simplement supportée par l'ensemble du bastion prolétarien comme une sorte de salariat collectif. Tout système temporaire de distribution reste ouvert aux dangers de la bureaucratisation et de la dégénérescence tant que les rapports marchands existent - et les rapports marchands (la force de travail comme marchandise incluse) ne peuvent totalement disparaître tant que les classes n'ont pas cessé d'exister, car la perpétuation des classes veut dire perpétuation de l'échange. On ne peut en aucune façon prétendre qu'une telle méthode de distribution, durant les premières étapes de la révolution, ou pendant la période de transition elle-même, suit le principe de "à chacun selon, ses besoins", ce qui ne peut être achevé que dans une étape très avancée du communisme.
L'assaut contre la forme salariale va de pair avec l'assaut contre la division capitaliste du travail. En tout premier lieu, les divisions que le capital impose dans les rangs même du prolétariat, doivent être impitoyablement dénoncées et combattues. Les divisions entre qualifiés et non qualifiés, hommes et femmes, entre secteurs prolétariens, employés et chômeurs, doivent être combattues au sein des organes de masse de la classe, comme seule voie pour cimenter l'unité de la combativité ouvrière.
De même, le prolétariat, dès le début, met en route un processus d’intégration des autres couches sociales dans ses rangs, commençant par les couches semi-prolétariennes qui auront montré leur capacité à soutenir le mouvement révolutionnaire des ouvriers. On peut envisager l'intégration rapide de certaines couches qui ont déjà prouvé leur capacité à combattre collectivement contre leur exploitation, par exemple de grands secteurs d'infirmières et d'ouvriers à cols blancs.
Mais il faut insister sur le fait que tous ces empiètements sur les rapports marchands et la division capitaliste du travail ne sont en fait que des moyens pour arriver à un but auquel ils doivent être strictement subordonnés : l'extension de la révolution mondiale. Bien qu'il ne se dérobe pas à la tâche de s'attaquer dès le début aux rapports marchands, le prolétariat doit voir quelle illusion et quel piège comporte l'idée de créer des îlots de communisme dans une région ou dans une autre. Bien qu'il commence à intégrer des classes non-exploitrices dans ses rangs, le prolétariat doit être constamment sur ses gardes contre toute dilution dans des couches qui ne peuvent, dans leur ensemble, partager les buts communistes de la classe ouvrière, et qui peuvent constituer dans ses rangs une cinquième colonne dangereuse aux premiers signes de recul de la vague révolutionnaire. L'unification des ouvriers du monde entier doit prendre le pas sur les tentatives de commencer à réaliser la communauté humaine. Toutes ces tentatives de socialisation ne sont en réalité que des mesures pour combler des brèches, pour répondre à certaines situations urgentes. Elles peuvent faire partie de l'assaut contre les rapports marchands, mais en aucun cas ne représentent "l'abolition" de toutes les catégories capitalistes. Le véritable dépassement positif de ces rapports marchands ne peut être fait qu'après l'abolition mondiale de la bourgeoisie, après la construction de la dictature prolétarienne internationale. C'est là que la période de transition à proprement parler commence.
La période de transition
Nous ne pouvons nous étendre ici sur les tâches qu'aura à accomplir le prolétariat pendant cette période. Nous ne pouvons que les mettre en relief brièvement afin d'insister sur l'immensité du projet prolétarien. En libérant les forces productives des entraves du capital, en liquidant le système du travail salarié, les frontières nationales, le marché mondial, le prolétariat devra établir un système mondial de production et de distribution organisé dans le seul but de la satisfaction des besoins humains. Il devra diriger le nouveau système productif vers la restauration et la renaissance d'un monde ravagé par des décades de décadence capitaliste et de guerre civile révolutionnaire. Nourrir et habiller les zones pauvres du monde, éliminer la pollution et les productions inutiles, réorganiser l'infrastructure industrielle globale, combattre les innombrables aliénations léguées par le capitalisme, qui sévissent aussi bien dans le travail que dans la vie sociale toute entière, voilà qui constitue simplement les premières tâches. Ce ne sont là que les conditions nécessaires à construction d’une nouvelle civilisation, d'une nouvelle culture, d'une nouvelle humanité dont la splendeur peut difficilement être imaginée de ce côté-ci du capitalisme, et qui ne peut être envisagée, principalement, qu'en termes négatifs : l'élimination de l'antagonisme économie-société, du travail et du loisir, de l'individu et de la société, de l'homme et de la nature, etc. Et pendant tout le temps où le prolétariat établit les fondations de ce nouveau mode de vie, il doit progressivement intégrer toute l'humanité dans ses rangs, au travail associé, créant ainsi la communauté humaine sans classe - non sans garder de "s'abolir" trop rapidement, sans s'assurer qu'il n'y a plus la moindre possibilité de revenir au rapport marchandise généralisé, et donc au capitalisme. La période de transition sera le terrain d'une lutte titanesque pour maintenir un mouvement irréversible vers la communauté humaine contre les vestiges de l'ancienne société.
Ceux qui peignent la période de transition comme une étape sans problème pouvant être rapidement dépassée par le prolétariat, se préparent à décevoir non seulement eux-mêmes, mais la classe dans son ensemble. Nous ne savons pas combien de temps va durer cette période. Ce que nous savons, c’est qu'elle posera des problèmes d'une nature et d'une importance sans précédent dans l'histoire de l'humanité, que la tâche qu'aura à accomplir le prolétariat est plus vaste que dans toute autre époque, et que penser que cette tâche pourra s’accomplir en un jour est au mieux une utopie, et au pire une mystification réactionnaire. Ce dont nous pouvons être surs, c'est que la période de transition ne permettra pas au prolétariat ni à la transformation sociale de stagner.
Tout arrêt dans la révolutionarisation de la production sociale signifierait danger immédiat de retour au capitalisme, et donc finalement à la barbarie. A aucun moment le prolétariat ne pourra se reposer sur ses lauriers et attendre que le communisme arrive tout seul. Ou bien le prolétariat se bat pour un plus haut degré de communisme, en constant état de mouvement lui-même basé sur la généralisation des rapports communistes, ou bien il se retrouve dans la situation d'une classe exploitée, mobilisée pour quelque catastrophe finale.
La forme que prendra la dictature du prolétariat.
C'est une évidence de préciser que les révolutionnaires ne peuvent définir à l'avance les formes organisationnelles précises dont se servira le prolétariat pour mener à bien la transformation communiste. Il est impossible de prévoir tous les divers problèmes organisationnels et pratiques que la classe ouvrière aura à affronter dans le monde entier, problèmes qui ne seront en fin de compte résolus que par la classe elle même dans sa lutte révolutionnaire. La créativité que manifestera la classe sera certainement supérieure à ses manifestations antérieures, et dépassera toutes les prévisions que pourraient faire les révolutionnaires aujourd'hui.
Néanmoins, les révolutionnaires ne peuvent en aucune façon se dérober à la discussion de la question des formes et des structures de la dictature du prolétariat. Agir ainsi reviendrait à renier toute l'expérience de la classe révolutionnaire à notre époque, expérience qui a permis de dégager certaines leçons que le prolétariat ne peut se permettre d'ignorer. Oublier ces leçons, surtout celle de la Russie, c'est laisser la porte ouverte à une répétition des erreurs passées. Ce n’est pas par hasard si la "gauche" capitaliste (Stalinistes, Trotskystes etc.) est incapable d’analyser les erreurs passées ou de définir un programme clair de ce qu'ils appellent la "révolution". Derrière cette ambiguité, cette réticence à "planifier en détail", se cache une position de classe qui s'opposera plus tard à l'activité révolutionnaire autonome de la classe ouvrière. Ces gauchistes "pratiques", "réalistes", se cachent souvent derrière la réticence souvent manifestée par Marx à spéculer sur les formes organisationnelles de la dictature du prolétariat. Mais cette résistance était le reflet de son époque, d'une époque où les conditions matérielles nécessaires à la révolution communiste n'existaient pas encore.
Toute prévision que pouvaient faire Marx ou Engels sur la forme de la dictature prolétarienne était déterminée par la maturité de la classe, par la façon dont elle se présentait, comme force capable de prendre en main la direction de la société. Mais dans la période ascendante du capitalisme, où le prolétariat était encore restreint et informe, la possibilité de prendre le pouvoir était extrêmement limitée, et de toute façon, le pouvoir n'aurait pu être maintenu dans cette période. Néanmoins, il y avait eu assez d'expériences de surgissements prolétariens pour permettre à Marx de définir certains points essentiels sur la nature du pouvoir prolétarien. Parce qu'ils se basaient sur la méthode du matérialisme historique, ils étaient capables de tirer les leçons des expériences qu'ils vivaient et de reconsidérer certaines conceptions fondamentales sur la nature de la prise de pouvoir par la classe ouvrière. C'est ainsi que l'expérience de l'insurrection de 1848 et plus encore de la Commune de Paris de 1871, les a amena à abandonner la perspective élaborée dans le Manifeste Communiste, perspective selon laquelle le prolétariat devait s'organiser pour s'emparer de la machine d'Etat bourgeoise. Après cette expérience, il était clair que le prolétariat ne pouvait que détruire cette machine et construire ses propres organes de pouvoir, qui pouvaient seuls servir les buts communistes.
En tirant cette leçon, Marx et Engels poursuivaient la tâche communiste fondamentale d'appuyer le programme politique prolétarien sur la seule base des expériences historiques de la classe, et c'est encore la seule façon d'élaborer le programme communiste aujourd'hui. Mais aujourd'hui nous vivons une époque de décadence du capitalisme et donc de possibilité de révolution sociale prolétarienne, et nous pouvons et devons tirer les conséquences de l'expérience de la classe à notre époque, particulièrement de la grande vague révolutionnaire de 1917-1923, en particulier en ce qui concerne la tâche d'élaborer des points organisationnels de ce programme, ce qui était impossible à Marx et Engels.
Engels décrit la Commune comme la forme même de la dictature du prolétariat. Marx l’appelle "la forme politique de l'émancipation sociale du travail". Mais alors que la Commune donne des leçons qui restent valables (nécessité de détruire l'Etat bourgeois, d'armer les ouvriers, d'assurer un contrôle direct sur les délégués, etc.), elle ne peut être considérée aujourd'hui comme le modèle de la dictature. La Commune a été l’expression d'une classe ouvrière jeune qui, non seulement n'était pas une classe mondiale, mais qui même dans les centres urbains du capitalisme, était fragmentée et pas encore distincte tout à fait d'autres classes urbaines comme la petite bourgeoisie. Ce fait se vit clairement reflété dans la Commune. Malgré son aspiration, à une "république sociale universelle", la Commune ne pouvait pas s'étendre à l'échelle mondiale. Les membres des organes centraux de la Commune étaient des Jacobins aussi bien que des Proudhoniens ou des communistes, et leur base électorale était circonscrite à l'enceinte de Paris, selon le système du suffrage universel : il n'y avait pas de représentation distinctement prolétarienne ou industrielle. De plus, et surtout, la Commune n'aurait pas pu entreprendre une transformation socialiste parce que les forces productives n'étaient pas suffisamment développées, pour mettre à l'ordre du jour aussi bien la possibilité que la nécessité immédiate du communisme. A la fin de la période ascendante du capitalisme, 1'extension du capitalisme au niveau global ainsi que sa concentration, avaient déjà fait tomber en désuétude beaucoup d'évènements caractéristiques de la Commune. Cependant aucun révolutionnaire des années 1890 et début 1900 ne pu parvenir à une vision claire du dépassement possible de la Commune, modèle de dictature prolétarienne, et les perspectives qu'ils ont émises sur le sujet sont nécessairement restées vagues.
Il faut le répéter, c'était l'expérience concrète de la classe elle-même qui devait apporter une réponse au problème. Ainsi, en Russie en 1905 et 1917, et durant toute la vague révolutionnaire qui suivit dans d'autres pays, le Soviet ou Conseil Ouvrier apparut comme l'organe de combat de la lutte révolutionnaire. Les Conseils, assemblées de délégués élus et révocables des secteurs industriels furent d'abord et avant tout l'expression de l’organisation collective du prolétariat unifié sur son propre terrain de classe et apparurent ainsi comme une forme du pouvoir prolétarien plus développée que celle de la Commune de Paris. Dès que l'union mondiale des Conseils Ouvriers apparut comme le but immédiat de la révolution prolétarienne, le mot d’ordre "tout le pouvoir aux Soviets" marqua une frontière de classe entre les organisations prolétariennes et les organisations bourgeoise. Aucune organisation prolétarienne ne pouvait plus rejeter le pouvoir des Soviets comme la forme de dictature prolétarienne. Depuis lors, tous les mouvements insurrectionnels de la classe depuis là Chine de 1927 jusqu'à la Hongrie de 1956, ont tendu à s'exprimer sous la Forme d'organisation en Conseils, et, malgré toute la faiblesse de ces mouvements, rien n'a fondamentalement changé dans la lutte de classe qui puisse justifier que les Conseils n'apparaissent pas dans la prochaine vague révolutionnaire comme la forme concrète d'organisation du prolétariat.
On est aujourd'hui assailli par une foule de modernistes et "innovateurs" (Invariance, Négation, Communismen) qui prétendent que les Conseils Ouvriers ne font que reproduire la division capitaliste du travail et qu'ils ne sont donc pas des instruments appropriés pour une révolution communiste qu'ils définissent comme le renversement immédiat de toutes les catégories de la Société capitaliste. Le point de vue de classe de ces tendances trahit la nature non dialectique et antimarxiste de leur conception de la révolution. Pour eux, la classe ouvrière n'est qu'une fraction du capitalisme qui ne peut être une partie du "sujet révolutionnaire" ou du "mouvement communiste" qu'en se niant immédiatement dans une "humanité" universelle.
La vision marxiste de la révolution, elle, ne peut être que celle du prolétariat s'affirmant comme la seule classe communiste avant d'intégrer l'ensemble de l'humanité dans le travail associé, mettant ainsi fin à sa propre existence de classe séparée. Les Conseils Ouvriers sont les instruments appropriés à l'auto affirmation du prolétariat contre le reste de la société, autant qu'au processus d'intégration des autres couches sociales dans les rangs du prolétariat, qu'à la création d'une communauté humaine. Ce n'est que lorsque cette communauté est définitivement réalisée que les Conseils Ouvriers disparaissent. Reliés, de ville en ville à travers le monde, les Conseils ouvriers seront responsables des tâches militaires, économiques et idéologiques de la guerre civile et de la direction de la transformation économique dans la période de transition. Dans cette période, les Conseils étendront constamment leur base sociale au fur et à mesure qu'ils intègreront de plus en plus 1'humanité aux rapports de production communistes.
Mais le fait d'affirmer la nécessité de la forme conseil n'empêche aucunement les révolutionnaires d'aujourd'hui de critiquer les mouvements précédents de conseils, ou les tendances politiques produites ou inspirées de ces mouvements. Cette critique est absolument indispensable si la classe ouvrière veut éviter de refaire les erreurs du passé; et elle ne peut que se fonder sur les amères leçons que le prolétariat a tirées de ses luttes les plus combatives de l'époque.
On peut en résumer ainsi les leçons les plus importantes.
1. - Le pouvoir politique est exerce a travers les conseils ouvriers eux-mêmes et non au moyen d'un parti.
En Russie et partout ailleurs, dans le passé, il était acquis que la dictature du prolétariat s'exerçait au moyen du parti communiste, ce dernier constituant le "gouvernement", une fois qu'il avait la majorité dans les soviets, comme dans les parlements bourgeois. Plus encore, on choisissait les délégués des soviets sur les listes de partis, et non dans les assemblées d'ouvriers où ils seraient élus et mandatés pour en accomplir lès décisions (et souvent les délégués ne venaient pas du tout des usines mais étaient des représentants des partis ou de syndicats). Ce fait en lui-même était une concession directe aux formes bourgeoises de représentation et de parlementarisme, et tendait à laisser le pouvoir entre les mains "d'experts" en politique, plutôt qu'à la masse des ouvriers eux-mêmes ; mais ce qui est plus grave encore, c'est l'idée que le parti exerce le pouvoir et non la classe dans son ensemble (une idée du mouvement ouvrier de l'époque); elle est devenue le porteur direct de la contre-révolution et utilisée par le parti bolchevik décadent pour justifier ses attaques contre la classe dans son ensemble après la faillite de la vague révolutionnaire. L'identification du pouvoir du parti à la dictature du prolétariat revêtit les bolcheviks d'une parure idéologique qui servit rapidement de couverture à la dictature du capital lui-même. L'expérience russe a définitivement réfuté la vieille idée social-démocrate selon laquelle c'est le parti qui représente et organise la classe.
Dans les soviets du futur, les décisions les plus importantes concernant la direction de la révolution doivent être pleinement discutées et élaborées dans les assemblées générales de la classe à la base dans les usines et autres lieux de travail, de sorte que les délégués des soviets servent essentiellement à centraliser et à exécuter les décisions de ces assemblées. Ces délégués seront souvent des membres du parti, ou d'autres fractions, mais ils seront élus en tant qu'ouvriers et non en tant que représentants d’un parti quelconque. Il se peut même qu'à un moment donné, la majorité des délégués soient les membres du parti communiste, mais cela ne comporte en soit pas de danger, tant que le prolétariat dans son ensemble participe activement à ses organes unitaires de Classe et en garde le contrôle. En dernière analyse, cela ne peut être assuré que par la radicalisation et l'énergie des ouvriers eux-mêmes, par le succès de la transformation révolutionnaire qu'ils ont entre les mains; mais certaines mesures formelles devront être prises pour parer au danger de voir se former une élite bureaucratique autour du parti ou de n'importe quel corps.
Parmi ces mesures, la révocabilité constante des délégués, la rotation des tâches administratives, accès égal des délégués et de n'importe quel autre ouvrier aux valeurs d'usage, et en particulier, séparation complète du parti et des fonctions "étatiques" des conseils. Ainsi, par exemple, ce sont les conseils ouvriers qui contrôlent les armes et se chargent de la répression des éléments contre-révolutionnaires, et non une partie ou une commission particulière du parti.
Le futur parti communiste n'aura pas d'autres armes que sa propre clarté théorique et son engagement politique envers le programme communiste. Il ne peut pas rechercher le pouvoir pour lui-même, mais doit lutter au sein de la classe pour l'application du programme communiste. En aucun cas, il ne peut forcer la classe dans son ensemble à mettre ce programme en pratique, pas plus que le mettre en pratique lui-même, car le communisme n'est crée que par l'activité consciente de la classe dans son ensemble. Le parti ne peut que chercher à convaincre la classe dans son ensemble de la justesse de ses analyses à travers le processus de discussion et d'éducation active qui a lieu dans les assemblées et les conseils de la classe, et il dénoncera sans pitié toute tendance auto proclamée révolutionnaire qui voudra s'arroger la tâche d'organiser la classe et de se substituer au sujet révolutionnaire.
2. - Les conseils ne sont pas des organes d'autogestion
Quelle que soit la situation révolutionnaire future, nous aurons les héritiers de la contre-révolution russe, trotskystes, staliniens et autres pour revendiquer la subordination des conseils ouvriers à un parti-Etat tout puissant qui guiderait et éduquerait la masse amorphe des ouvriers et centraliserait le capital entre ses mains. Les communistes devront se tenir au sein de leur classe et combattre ces conceptions bec et ongles. Mais l'expérience amère qu'a eu le prolétariat du capitalisme d'Etat en Russie et ailleurs, et son expérience de la nature réactionnaire des nationalisations en général peut très bien rendre la classe beaucoup plus réticente aux appels à la nationalisation qu’elle ne le fut dans les moments révolutionnaires du passé. Mais il ne fait aucun doute que la bourgeoisie trouvera d'autres cris de ralliement pour tenter de lier les ouvriers à l'Etat bourgeois et aux rapports de production capitalistes; l'un des plus pernicieux pourrait être le mot d'ordre "d'autogestion ouvrière"; il peut trouver un écho dans les mystifications corporatistes localistes et syndicalistes qui existent dans la classe. Les expériences du passé en ont donné bien des exemples. En Italie, en Allemagne, pendant la première grande vague révolutionnaire, on trouvait chez les ouvriers une forte tendance à s'enfermer tout simplement dans leur usine et à tenter de gérer "leur usine" sur une base corporatiste, à ramener l'organisation des conseils au niveau de chaque usine plutôt que de créer des organes spécifiquement destinés au regroupement et à la centralisation des efforts révolutionnaires de tous les ouvriers.
Aujourd'hui, l'idée d'autogestion se présente déjà comme un dernier recours à la crise du capitalisme et nombreuses sont les fractions de gauche du capital des social-démocrates aux trotskystes et divers libertaires qui préconisent des "conseils ouvriers" émasculés. L'avantage d’un tel mot d’ordre pour la bourgeoisie réside en ce qu'il sert à conduire le prolétariat à participer activement à sa propre exploitation et à son propre écrasement sans mettre en question le pouvoir de l'Etat capitaliste, ni les rapports de production marchands. C'est ainsi que la république bourgeoise espagnole a pu récupérer bien des cas d'autogestion et les mettre au service de son effort de guerre contre sa rivale capitaliste, la fraction de Franco ([1] [12]).
L’isolement des ouvriers dans les "conseils" composés de simples unités productives ne fait que maintenir les divisions imposées par le capitalisme et amène à la défaite certaine de la classe (Voir cardan : Sur le contenu du socialisme et les conseils ouvriers et les bases économiques de l’autogestion de la société, comme modèle parfait de la défaite).
De telles méthodes d’organisation détournent les ouvriers de leur but premier : détruire l'Etat capitaliste, et permettent ainsi à l'Etat de relancer son offensive contre une classe ouvrière fragmentée. Elles servent ainsi à perpétuer l'illusion "d'entreprises autonomes" et du socialisme qui consisterait en un libre échange entre collectivités d’ouvriers, alors que la véritable socialisation de la production exige la suppression des entreprises autonomes en tant que telles et la soumission de tout l'appareil productif à la direction consciente de la société, sans l'intermédiaire de l'échange. ([2] [13])
Dès que la classe ouvrière commence à s'emparer de l'appareil productif (et la prise des usines doit être considérée comme un moment de l'insurrection), elle commence à entreprendre la lutte pour soumettre la production aux besoins humains. Ceci n'implique pas seulement une production de valeurs d'usage, mais aussi de profondes transformations dans l'organisation du travail, de sorte que l'activité productive elle-même tend à devenir une partie de la consommation dans le sens le plus large. Certaines mesures allant dans ce sens devront être prises immédiatement, comme par exemple la réduction de la journée de travail (en fonction des besoins de la révolution), la rotation des tâches et l'élimination des rapports hiérarchiques à l'intérieur de l'usine par la participation égale de tous les ouvriers qualifiés ou non qualifiés, manuels ou techniques, hommes ou femmes, aux assemblées et comités d'usine. Mais la mystification de l'autogestion ne s'arrête pas à l'idée d'unités de production "autonomes". Elle peut s'étendre au niveau national, si l'on imagine des conseils ouvriers planifiant de concert l'accumulation "démocratique" du capital national. On peut aussi 1'associer à l'idéal d'un bastion "communiste" se suffisant à lui-même qui tenterait d'abolir formellement le travail salarié et le commerce dans un seul pays - illusion entretenue par beaucoup de communistes de conseils dans les années 20-30, et qui réapparaît de nouveau sous diverses formes dans les idées des "innovateurs" du marxisme qui demandent la création immédiate de la "communauté humaine". Toutes ces idéologies sont liées par un rejet commun de la nécessité pour le prolétariat de détruire l'Etat-bourgeois à l'échelle mondiale avant que toute socialisation réelle puisse être entreprise. Contre toutes ces confusions il faut affirmer que les Conseils Ouvriers sont d'abord et avant tout des organes de pouvoir politique qui doivent servir à unifier les ouvriers non seulement pour l'administration de l'économie mais pour la conquête du pouvoir à l'échelle mondiale.
3 - Les conseils ouvriers ne sont pas une fin en soi
La conquête internationale du pouvoir par la classe ouvrière n'est que le début de la révolution sociale : Dans la période de transition, les conseils ouvrier sont les moyens qu'emploie le prolétariat pour mener à bien la transformation communiste de la société. Si les conseils ouvriers deviennent une fin en soi, cela veut simplement dire que le processus de révolution sociale s'arrête et qu'on assiste à un début de retour au capitalisme. Bien que les Conseils Ouvriers soient les instruments positifs de l'abolition de l'esclavage salarié et de la production marchande, ils peuvent devenir l'enveloppe vide dans laquelle une nouvelle bourgeoisie pourra s'implanter pour exploiter la classe ouvrière.
Il ne peut y avoir aucune garantie, ni dans la période de transition, ni dans la période d'insurrection révolutionnaire elle-même, de la continuité du processus révolutionnaire jusqu'au triomphe du communisme. La meilleure volonté des minorités révolutionnaires ne peut suffire à empêcher la dégénérescence de la révolution qui dépend d'un changement matériel du rapport de force entre les c1asses. Entre le moment où les Conseils sont révolutionnaires et le moment où ils sont définitivement devenus des appendices du capital, il existe un moment d'équilibre instable où il est encore possible de réformer les Conseils de l'intérieur : mais ce n'est qu'une possibilité relativement restreinte. Si cette tentative échoue, les révolutionnaires doivent quitter les Conseils, et appeler à la formation de nouveaux Conseils en opposition aux anciens, en d'autres termes à une seconde révolution. A cet égard, nous avons l'exemple des petites fractions communistes de Russie qui ont refusé de collaborer aux Soviet morts des premières années 20, et appelaient au renversement de l'Etat "Bolchevik" (voir le Groupe Ouvrier de Miasnikov en 23) -ou celui de la Gauche Allemande qui abandonna les organisations d’usine réformistes aux machinations sordides du KPD et des partis Social-démocrate.
La question de l'état.
Le Problème de l'Etat dans la période de transition et de ses relations avec le prolétariat est si complexe que nous devons traiter cette question séparément, bien qu'elle soit en relation étroite avec les leçons tirées des révolutions précédentes, au sujet de la forme de la dictature du prolétariat et du rôle des Conseils Ouvriers.
Tant que les classes existent, nous ne pouvons parler de l'abolition de l'Etat. L'Etat continue à exister pendant la période de transition, parce qu'il reste encore des classes dont les intérêts directs ne peuvent être concilié : d'un côté le prolétariat communiste, de l'autre les autres classes, vestiges du capitalisme, qui ne peuvent avoir aucun intérêt matériel dans la communisation de la société (paysans, petite bourgeoisie des villes, professions libérales) comme l'écrit Engels dans L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat : "L'Etat n'est en aucune façon un pouvoir imposé de l'extérieur à la société… C'est un produit de la société à un certain niveau de développement est un constat du fait que la société s'est engagée dans d'insolubles contradictions, qu'elle est prisonnière d'antagonismes incompatibles, qu'elle est incapable de résoudre. Mais pour que ces antagonismes, ces classes en conflit avec les intérêts économiques, ne se consument pas eux-mêmes et avec eux la société tout entière dans une lutte stérile, apparaît la nécessité d'un pouvoir apparemment au dessus de la société pour modérer le conflit, le maintenir dans les limites de "l'ordre" ; et ce pouvoir issu de la société, mais se plaçant au dessus d'elle et de ce fait tendant constamment à se conserver lui-même, c'est l'Etat."
Il est important de ne pas réduire le phénomène de l'Etat à une simple conspiration de la classe dominante pour garder le pouvoir. L'Etat n'a jamais agi par la seule volonté d'une classe dirigeante, mais a été l'émanation de la société de classe en général, et par ce fait, est devenu l'instrument de la classe dominante.
"L'Etat surgit du besoin de contenir les antagonismes de classe, mais en même temps qu'il surgit au milieu du conflit entre ces classes, la règle veut qu'il soit l'Etat de la classe la plus puissante, de la classe qui domine économiquement et qui par l'intermédiaire de l'Etat, s'assure la domination politique" (ibid.).
Dans la période de transition communiste, l'Etat surgira inévitablement, pour empêcher que les antagonismes de classe ne fassent voler cette société hybride en éclats. Le prolétariat, en tant que classe dominante, utilisera l’Etat pour maintenir son pouvoir, et défendre les acquis de la transformation communiste qu'il accomplit. Ce qui est sûr c'est que cet Etat sera différent de tous les Etats du passé. Pour la première fois, la nouvelle classe dominante "n’hérite" pas de l'ancienne machine d'Etat pour s'en servir à ses fins propres mais renverse, détruit, anéanti l'Etat bourgeois, et construit de façon systématique ses propres organes de pouvoir. Et ceci parce que le prolétariat est la première classe exploitée de l’histoire à être révolutionnaire et qu'elle ne peut pas être une classe exploiteuse. Ainsi, elle n'utilise pas l'Etat pour exploiter les autres classes, mais pour défendre une transformation sociale qui anéantira à jamais l'exploitation, qui abolira tous les antagonismes sociaux, et conduira ainsi à la disparition de l'Etat. Le prolétariat ne peut pas être une classe qui domine économiquement. Sa domination ne peut être que politique.
Dans les écrits de Marx, Engels, Lénine et beaucoup d'autres, on trouve souvent l’idée que dans la période de transition "l'Etat ne peut être autre chose que la dictature révolutionnaire du prolétariat, que, l’Etat n'est que le prolétariat armé "organisé en classe dominante", et que cet Etat "prolétarien" n'es déjà plus un Etat dans le vieux sens du terme. Mais une analyse plus approfondie de la nature de l'Etat, basée sur les critiques de l'Etat de Marx et Engels les plus profondes, et sur l'expérience historique de la classe, amène à la conclusion que l'Etat de la révolution est autre chose que le prolétariat armé, que le prolétariat et l'Etat ne sont pas identiques.
Voyons les principales raisons qui nous permettent d’affirmer ceci.
1. - Dans la période insurrectionnelle elle-même, la période de guerre civile révolutionnaire, les perspectives élaborées par Marx, Engels et Lénine, peuvent conserver une certaine valeur. Dans cette phase, la principale tâche de la classe ouvrière, de la dictature du prolétariat qui s'exprime dans les Conseils Ouvriers, est en effet une fonction "étatique" : l'élimination violente de l'ennemi de classe, la bourgeoisie. Au début de l'insurrection, quand la masse des ouvriers détient les armes, et que l'assaut révolutionnaire contre la bourgeoisie est à son point culminant, les délégués des Conseils Ouvriers ne fonctionnent que comme instrument de la volonté de classe. Il n'y a alors que peu ou pas de conflit entre les assemblées de base des ouvriers et les organes centraux qu'ils élisent. Il est alors facile d'identifier le prolétariat armé et l’Etat. Mais même dans cette phase, il est dangereux de faire une identification. Si la vague révolutionnaire rencontre de sérieux obstacles ou entrave l'action des délégués ouvriers mandatés pour traiter avec le monde extérieur, (que se soient les paysans qui. fournissent la nourriture ou les Etats capitalistes prêts à échanger avec le pouvoir ouvrier) ([3] [14]), il sera nécessaire de recourir à certains compromis comme demander aux ouvriers de travailler plus ou réduire leur l'action. Les délégués commenceront alors à apparaître comme des agents extérieurs aux ouvriers, comme des fonctionnaires d'Etat dans le vieux sens du terme, comme des éléments se situant au-dessus des ouvriers, et contre eux.
A ce stade, les délégués ouvriers et les organes centraux sont à mi-chemin entre être les négociateurs entre ouvriers et capital mondial, et devenir définitivement les agents du capital mondial et par conséquent de la contre-révolution capitaliste à l'intérieur du bastion prolétarien, comme cela était le cas des bolcheviks en Russie. L'équilibre entre les deux est instable. La seule chose qui puisse faire pencher la balance en faveur des ouvriers, c'est une plus grande extension de la révolution mondiale, offrant un nouvel espace aux ouvriers cernés par le capital, et au secteur socialisé qu'ils ont crée.
L'instauration de mesures formelles n'est pas suffisante pour empêcher cette dégénérescence de prendre place, puisqu'elle est la conséquence directe des pressions du marché mondial. Mais il est tout de même primordial que les ouvriers soient préparés à une telle éventualité, pour qu'ils puissent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour la combattre. C'est pourquoi il est important que le prolétariat ne soit pas identifié à l'Etat, ni même à l'appareil qu'il met en place pour servir de médiateur entre les classes non exploitantes et le bastion prolétarien, ni non plus aux organes centraux chargés des relations avec l'extérieur, ou à toute autre institution, parce qu'il y a toujours une possibilité qu'une institution, même créée par la classe ouvrière, soit intégrée au capital, alors que la classe ouvrière, elle, ne peut jamais être intégrée, ne peut jamais devenir contre-révolutionnaire.
Identifier le prolétariat à l'Etat, comme l'ont fait les bolcheviks, amène à un moment de reflux, à la situation désastreuse où l'Etat, en tant "qu'incarnation" de la classe ouvrière, peut tout se permettre pour maintenir son pouvoir, alors que la classe ouvrière toute entière reste sans défense. C'est ainsi que Trotski déclarait que les ouvriers n'avaient pas le droit de faire grève contre "leur" propre Etat, et que le massacre de l'insurrection de Kronstadt a pu être justifié puisque toute rébellion contre "l'Etat ouvrier" ne pouvait qu'être contre-révolutionnaire. Il est sûr que ces évènements n'étaient pas dus au seul fait que la classe ouvrière était identifiée à l'Etat, mais aussi au recul matériel de la révolution mondiale. Néanmoins, cette mystification idéologique a servi à désarmer les ouvriers face à la dégénérescence de la révolution. A l'avenir, l'autonomie et l'initiative de la base ouvrière vis à vis des organes centraux devront être assurées et renforcées par des mesures positives, telles que renoncer à toute méthode violente au sein du prolétariat, donner le droit de grève aux ouvriers, aux assemblées de base la possession de leurs propres moyens de communication et de propagande (presse, etc.), et par dessus tout, la détention des armes par les ouvriers, dans les usines et dans les quartiers, de façon à ce qu'ils soient en mesure de résister à toute incursion de la bureaucratie, si nécessaire.
Nous n'invoquons pas ces mesures de précaution par manque de confiance dans la capacité du prolétariat à étendre la lutte et à socialiser la production, seules garanties contre la dégénérescence, mais parce que le prolétariat doit être prêt à toute éventualité et ne pas s'exposer aux déceptions que procurent les fausses promesses du genre "tout ira bien". La révolution aura peu de chance de résister aux obstacles si le prolétariat n'est pas près à les affronter.
2. - Contrairement à certaines prévisions de Marx, la révolution socialiste ne se produira pas dans un monde où la vaste majorité de la population est prolétarienne. Si tel était le cas, on pourrait peut-être imaginer que l'Etat disparaisse presque immédiatement après la destruction de la bourgeoisie. Mais une des principales conséquences de la décadence du capitalisme est qu'il n'a pu intégrer directement la majorité de l'humanité dans les rapports sociaux capitalistes, même s'il l'a entièrement soumise aux lois tyranniques du capital.
Le prolétariat n'est qu'une minorité de la population à l'échelle mondiale. Le problème que pose ce fait à la révolution prolétarienne ne peut disparaître par la magie des invocations des situationnistes ou autres' "modernistes", qui incluent dans le prolétariat tous ceux qui se sentent "aliénés", ou sans ou sans contrôle sur leur vie. Il y a des raisons matérielles qui font du prolétariat la seule classe communiste : sa nature d'associés au niveau mondial, sa place au centre de la production capitaliste, la conscience historique qui lui vient de la lutte de classe. C'est le fait que les autres couches ou classes n'ont pas ces caractéristiques qui rend nécessaire la dictature du prolétariat, et l'affirmation qu’il fait de ses buts communistes, face à toutes les autres couches de la société. Dans le processus de conquête du pouvoir lui-même, le prolétariat se trouvera confronté avec une énorme masse de couches non prolétariennes, non bourgeoises, qui peuvent avoir un rôle à jouer dans la lutte contre la bourgeoisie, qui peuvent éventuellement soutenir le prolétariat, mais ne peuvent, en tant que classe, avoir un quelconque intérêt dans le communisme.
Vouloir se dispenser de la période de transition, en intégrant immédiatement toutes les autres couches au prolétariat, est une idée qui relève soit d’une fantaisie sans espoir, soit d'une tentative consciente saper l’autonomie de la classe. La tâche est si énorme qu'elle ne peut être réalisée en un jour, fut-ce en portant un grand coup. Et toute tentative allant dans ce sens n'aboutirait pas à la dissolution des autres classes dans le prolétariat, mais à la dissolution du prolétariat dans le "peuple" mystique du radicalisme bourgeois. De telles tentatives diluerait la force du prolétariat en rendant impossible toute autonomie d'action. La condition première de cette autonomie, c'est que l’intégration se fasse en termes prolétariens, et soit soumise à l'extension de la révolution mondiale.
De même, vouloir donner à ces couches une représentation égale dans les Consei1 ouvriers, sans les avoir dissoutes en tant que couches, c'est-à-dire les avoir transformées en ouvriers, affaiblirait définitivement l'autonomie de la classe ouvrière. Tout au plus, le prolétariat peut permettre à ces couches ou classes de siéger dans des organismes parallèles de pouvoir, analogues aux Conseils Ouvriers.
En même temps, la classe ouvrière ne peut se contenter d’agir par la répression envers ces classes, et de leur ôter tout moyen d'expression. L'exemple de la Russie, où le prolétariat a été contraint pendant toute la période de "communisme de guerre" à une guerre civile contre la paysannerie, atteste de façon éloquente de l'impossibilité pour le prolétariat d'imposer sa volonté sur le reste de la société par la seule force armée. Un tel projet représenterai un terrible gâchis de vies et d'énergie révolutionnaire, et contribuerait de façon sûre à l'échec de la révolution. La seule guerre civile qui ne peut être évitée est celle qui doit être menée contre la bourgeoisie. La violence envers les autres classes ne devrait être employée qu'en dernière instance. De plus, le prolétariat, dans la production et la distribution de façon communiste, devra compter non seulement avec ses besoins mais avec ceux de la société toute entière, ce qui signifie que des institutions sociales adaptées à l'expression des besoins de tous seront nécessaires.
Donc le prolétariat devra permettre au reste de la population (à l’exclusion de la bourgeoisie) de s'organiser et de former des organes qui peuvent représenter ses besoins face aux Conseils Ouvriers. Cependant, la classe ouvrière ne permettra pas à ces autres couches de s'organiser spécifiquement en tant que classes ayant des intérêts économiques particuliers. Tout comme ces autres couches ne sont intégrées au travail associé qu'en tant qu'INDIVIDUS, le prolétariat ne leur permet de s'exprimer qu'en tant qu’individus au sein de la société civile. Ceci implique que les organes représentatifs au moyen desquels ils s'expriment, à la différence des Conseils .ouvriers, se fondent sur des unités et des formes d'organisation territoriales. C'est-à-dire, par exemple, à la campagne, les assemblées de village pourraient envoyer des délégués aux conseils de district rural et régional; et dans les villes, les assemblées de quartier pourraient envoyer des représentants aux conseils communaux de ville. Il est important de noter que les ouvriers (en tant que représentants des quartiers ouvriers) seront présents au sein de ces organes, et que des mesures devront être prises pour mener à bien la domination prolétarienne, même au sein de ces organes. Donc, les conseils ouvriers doivent insister sur le fait que les délégués de la classe ouvrière ont des droits de vote prépondérants, que les quartiers ouvriers ont leurs propres unités de milice, enfin que ce sont les délégués communaux de la classe ouvrière qui assurent la plus grande part des liaisons et de la discussion avec les conseils ouvriers.
L’existence même de ces organes en rapport régulier avec les conseils ouvriers crée constamment des formes étatiques au sens où l'entendait Engels plus haut, quel que soit le nom qu'on donne à un tel appareil. Pour cette raison, l'Etat dans la période de transition est lié aux Conseils Ouvriers et au prolétariat armé tout entier, mais non identique à eux. Car, comme le dit Engels, l'Etat n'est pas seulement un instrument de violence et de répression, (fonction qui sera, espérons-le, réduites au maximum après la défaite de la bourgeoisie) ; il est aussi un instrument de médiation entre les classes, un instrument servant à contenir la lutte de classe dans les limites nécessaires à la survie de la société. Ceci n'implique en aucune façon que cet Etat puisse être "neutre" ou "au-dessus des classes" (bien qu'il puisse apparaître souvent comme tel). Les médiations et négociations effectuées sous le contrôle de l'Etat sont toujours faite dans l'intérêt de la classe dominante, servent toujours à perpétuer sa domination. L'Etat dans la période de transition doit être utilisé comme instrument de la classe ouvrière.
Le prolétariat ne partage le pouvoir avec aucune autre couche ou classe. Il devra s’approprier le monopole du pouvoir politique et militaire, ce qui signifie concrètement que les ouvriers devront avoir le monopole des armes, le pouvoir de décision suprême sur toutes les propositions de tout organe de négociation, un maximum de représentation dans tous les corps étatiques, etc. Le prolétariat devra garder une vigilance constante envers cet Etat pour que cet instrument, surgi de la nécessité d'empêcher l'éclatement de la société transitoire, reste dans les mains de la classe ouvrière, et ne devienne pas le représentant des intérêts d'autres classes, l'instrument d'autres classes contre le prolétariat. Aussi longtemps que les classes existent, aussi longtemps qu'il y a échange et division du travail social, l'Etat se maintient. Mais aussi, comme tout autre Etat, il tend, selon les mots d'Engels, à "s'auto conserver", à devenir un pouvoir au-dessus de la société, et donc du prolétariat.
Le seul moyen qu'a le prolétariat d'empêcher que cela se produise, c'est de s'engager dans un processus continu de transformation sociale, de mettre en place de plus en plus de mesures tendant à saper les assises matérielles des autres classes, de les intégrer aux rapports de production communistes. Mais avant qu'il n'y ait plus de classe, le prolétariat ne peut dominer les organes surgis pendant la période de transition qu'en comprenant clairement leur nature et leur fonction. Nous utilisons le terme "Etat" pour caractériser cet appareil destiné à servir de médiateur entre les classes dans la période de transition, dans un contexte de domination politique du prolétariat. Le mot lui même a peu d'importance. Ce qui est important, c'est de ne pas confondre cet appareil et les Conseils Ouvriers, organes autonomes dont la fonction et l'essence ne sont pas les compromis et les négociations, mais la révolution sociale permanente.
3. - Ceci nous amène à notre dernier point. La nature même de l'Etat est d'être une force conservatrice, un héritage de millénaires de société de classe. Sa fonction même est de préserver les rapports sociaux existants, de maintenir l’équilibre des forces entre les classes, en un mot le statu quo. Mais, comme nous l’avons dit, le prolétariat ne peut pas s'en tenir à un statu quo. Tout ce qui n'est pas mouvement au communisme est retour au capitalisme. Laissé à lui-même, 1’Etat ne "s'évanouira" pas de lui-même, mais au contraire tendra à se préserver, voire à renforcer sa domination sur la vie sociale. L'Etat ne disparaît que si le prolétariat est capable de porter plus loin la transformation sociale, jusqu'à l'intégration de toutes les classes dans la communauté humaine. L'établissement de cette communauté sape les fondements sociaux de l'Etat : "l'antagonisme irréductible des classes", maladie sociale dont le seul remède est l'abolition des classes.
Seul le prolétariat contient en lui-même les bases des rapports sociaux communistes, seul le prolétariat est capable d'entreprendre la transformation communiste. L'Etat peut au mieux aider à conserver les acquis de cette transformation, (et au pire y faire obstacle) mais il ne peut, en tant qu'Etat, se charger de cette transformation. C'est le mouvement social du prolétariat tout entier qui par son activité créatrice propre anéantit la domination du fétichisme de la marchandise et construit de nouveaux rapports entre les êtres humains.
Le mouvement ouvrier, de Marx et Engels à Lénine et même aux Gauches Communistes a été marqué par la confusion selon laquelle la prise en main des moyens de production par l'Etat a quelque chose à voir avec le communisme, selon laquelle étatisation = socialisation. Comme Engels l'écrit dans l'Anti-Dühring :
"Le prolétariat s'empare du pouvoir d'Etat et transforme en premier lieu les moyens de production en propriété d'Etat. Mais en agissant ainsi il met un terme à son existence en tant que prolétariat, à toute différence ou antagonisme de classe. Il met aussi un terme à l'Etat en tant qu'Etat".
Marx et Engels pouvait établir de telles perspectives, malgré leur analyses contradictoires (et profondes) de l'impossibilité pour le prolétariat d'utiliser l'Etat dans l'intérêt de la liberté, parce qu'ils vivaient une période d'ascendance du capitalisme. En effet, dans cette période dominée par l'anarchie du capitalisme "privé", les crises de surproduction à l’intérieur des frontières nationales, l'organisation de la production par l'Etat, même un Etat national, pouvait apparaître comme un mode d'organisation économique extrêmement supérieur. Les fondateurs du socialisme scientifique n'ont jamais complètement échappé à l'idée d'une transformation socialiste pouvant prendre place à l'intérieur d'une économie nationale, ou d'une étatisation pouvant être un "pont" vers le socialisme ou même un équivalent à la socialisation elle-même. Ces illusions et confusions ont imprégné la Social-Démocratie et les tendances communistes qui rompirent avec elle après 1914, et n'ont été rejetées du mouvement communiste que par l'expérience russe, la crise de surproduction globale du capital, la tendance générale au capitalisme d'Etat propre à la décadence. Mais les confusions qui restent au sujet de l'étatisation qui aurait "quelque chose de socialiste" demeurent encore une mystification qui pèse comme un poids mort sur la classe ouvrière, et doivent être combattues avec énergie par les communistes.
Aujourd’hui, les révolutionnaires peuvent affirmer que la propriété étatique reste une propriété privée tant que les producteurs sont dépossédés, que l'étatisation des moyens de production ne met un terme ni au prolétariat, ni aux antagonismes de classe, ni à l'Etat, et que les perspectives d'Engels ne se sont pas vérifiées. Ni la nationalisation, ni l'étatisation par un état, fut-il mondial, dans la période de transition ne seront un pas vers la propriété sociale qui, en un sens, équivaut à l'abolition de la propriété elle-même. En expropriant la bourgeoisie, le prolétariat n'est pas en train d'instituer une propriété privée quelconque, pas même une propriété "prolétarienne". Il n'existe pas "d'économie prolétarienne" où les moyens de production seraient la propriété privée des seuls ouvriers. Le prolétariat, en prenant le pouvoir, socialise la production : ceci signifie que les moyens de production et de distribution tendent à devenir la "propriété" de la société toute entière. Le prolétariat "détient" cette propriété dans la période de transition, dans l'intérêt de la communauté humaine dont il jette les bases. Ce n'est pas sa propre propriété, parce que par définition, le prolétariat est une classe sans propriété. Le processus de socialisation de la société se réalise à condition que le prolétariat intègre à lui la société, devenant un avec la communauté humaine communiste, une humanité sociale qui naîtra à la vie pour la première fois. Une fois encore, le prolétariat utilisera l'Etat pour réguler l'accomplissement de ce processus, mais le processus lui-même non seulement se déroule indépendamment de l'Etat mais encore participe activement à la disparition de l'Etat.
Nous, communistes nous ne sommes pas "partisans" de l'Etat. Nous ne le brandissons pas non plus comme l'incarnation du mal, comme le font les anarchistes. En analysant les origines historiques de l'Etat, nous ne faisons que reconnaître l'inévitabilité des formes étatiques qui surgissent dans la période de transition et, en la reconnaissant, nous aidons la classe à se préparer à sa mission historique. LA CONSTRUCTION D'UNE SOCIETE SANS CLASSE, ET DONC LIBEREE A JAMAIS DE L'EMPRISE DE L'ETAT.
WORLD REVOLUTION.
Notes en supplément sur la question de l’Etat.
Ce texte exprime la vision de World Revolution, dans son ensemble, mais il n'est pas un programme achevé ou une "solution" aux problèmes de la période de transition; la discussion sur la période de transition doit rester ouverte entre les révolutionnaires, à l'intérieur d'un cadre délimitant les frontières de classe. Elle ne pourra être résolue concrètement que par l'activité révolutionnaire de la classe toute entière. Il s'ensuit qu'à l'intérieur de ce cadre différentes conceptions et définitions de l'Etat peuvent exister dans une tendance révolutionnaire cohérente.
Les frontières de classe sur la question de l'Etat sont les suivantes:
1. - La nécessité de détruire complètement l'Etat bourgeois à l'échelle mondiale.
2. - La nécessité de la dictature du prolétariat :
- le prolétariat est la seule classe révolutionnaire.
- l'autonomie du prolétariat est une condition nécessaire à la révolution communiste
- le prolétariat ne partage le pouvoir avec aucune autre classe. Il a le monopole du pouvoir politique et militaire.
3. - Le pouvoir est exercé par le prolétariat tout entier, organisé en Conseils et non par le parti.
4. - Tout rapport de force, toute violence à l'intérieur du camp prolétarien doivent être rejetés. La classe dans son ensemble doit avoir le droit de grève, le droit de porter les armes, d'avoir une pleine liberté d'expression, etc.
5. - La dictature du prolétariat doit rendre effectif le contenu social de la révolution : abolition du travail salarié, de la production marchande, des classes et construction de la communauté humaine mondiale.
[1] [15] Nous ne devons pas cependant oublier la nature bureaucratique et étatique de la plupart de la soi-disant collectivisation faite sous les auspices de la CNT anarchiste, et l'hostilité de celle-ci envers tout mouvement indépendant de la part de la classe, comme en témoigne la collaboration de la CNT à ta république lorsque celle-ci est venue demander par les armes aux ouvriers de rendre la Centrale des Téléphones en 1937. En fait, toutes les tentatives des ouvriers de "gérer" le capital se terminent nécessairement par le despotisme normal de la production capitaliste sur la société entière et sur chaque usine. Le soi-disant "capitalisme ouvrier" est impossible.
[2] [16] Ceci ne signifie pas que les ouvriers révolutionnaires devront tolérer des contremaîtres ou des régimes despotiques à l'intérieur de l'usine. Pendant tout le processus révolutionnaire, les comités d'usine élus et responsables devant l'assemblée générale de l'usine prendront en charge le fonctionnement quotidien de l'usine. Plus encore, les plans de production généraux auxquels se réfèreront les comités d'usine, seront décidés par les conseils ouvriers composés de délégués et donc par la classe ouvrière toute entière.
[3] [17] Nous ne nous opposons pas par principe à tout commerce ou compromis entre le prolétariat et d'autres classes non exploiteuses au cours de la guerre civile, ni même entre les bastions prolétariens et les sections de la bourgeoisie mondiale, si cela est nécessaire. Mais nous devons éclaircir les points suivants :
1) Le prolétariat doit savoir faire la distinction entre les compromis imposé par une situation difficile, et ceux qui sont une capitulation ouverte relevant d’une trahison de classe. Il doit être conscient du danger que représente tout compromis, et prendre des mesures pour les contrer. Toute tentative d'instaurer ou d’institutionnaliser un quelconque échange permanent avec la bourgeoisie est une entorse aux frontières de classe, une trahison de la guerre civile.
2) Dans les zones contrôlées par les Conseils ouvriers, il surgit un Etat qui a la tache de servir d'intermédiaire entre le prolétariat et les autres classes exploiteuses (cf tous les Congrès russes de Conseils d'ouvriers, de paysans, de soldats, après 17. Voir aussi plus loin). Mais le prolétariat ne peut se servir de cet Etat comme médiateur avec son ennemi de classe irréductible : la bourgeoisie. Toute négociation tactique avec les acteurs de la bourgeoisie en dehors du bastion prolétarien est la tâche directe des seuls conseils ouvriers, et doit être strictement supervisée par la classe ouvrière toute entière et ses assemblées générales.
Nous considérons ce texte comme un outil de travail et non comme quelque chose de complet ou d’achevé. Certaines positions sont seulement affirmées, d'autres esquissées. Cependant nous sommes convaincus qu'il pourra constituer une base pour une discussion correcte sur la "période de transition".
Dans "l'Idéologie Allemande", Marx écrivait : "La révolution n'est pas nécessaire uniquement parce que la classe dominante ne peut pas être abattue autrement, mais aussi parce que c'est seulement dans une révolution que la classe qui l'abat peut "réussir à se débarrasser de toute la saleté qu'elle hérite et devenir capable de jeter les bases de la société nouvelle".
Cependant l'insurrection prolétarienne, l'affrontement et l'attaque armée contre le pouvoir bourgeois, nécessités indispensables, ne sont que les premiers pas inévitables d'un PROCESSUS DYNAMIQUE qui doit conduire, en fin de compte, au triomphe du communisme de la société sans classe dans laquelle "le libre épanouissement de chacun est la condition du libre épanouissement de tous".
La révolution prolétarienne est une "révolution politique à âme sociale. La révolution est un acte politique. Le socialisme ne peut être réalisé sans révolution. Il nécessite cet acte politique dans la mesure où il a besoin de détruire et de dissoudre. Mais il se débarrasse de son enveloppe politique dès le début de son activité organisatrice, dès qu'il poursuit son but propre, dès que se révèle son âme."
L'acte politique est donc l'irruption victorieuse d'une classe née et forgée dans les entrailles même du capitalisme, l'affirmation de cette classe qui en s'émancipant émancipera toute l'humanité.
Le prolétariat, en s'érigeant en nouvelle classe dominante à travers révolution, ne vise pas à instaurer un nouveau rapport d'oppression d'une classes à une autre mais à supprimer toutes les conditions inhumaines de vie la société actuelle et qu'elle résume dans sa propre condition."
L'abattement du pouvoir bourgeois n'est pas DEJA LE COMMUNISME, mais est uniquement le premier pas d'un processus plus ou moins long et difficile. "Entre la société capitaliste et la société communiste il y a la période de la transformation révolutionnaire de l'une en l'autre. Il lui correspond aussi une période politique transitoire dont l'Etat ne peut être autre que la dictature révolutionnaire du prolétariat" (Marx, Critique du Programme de Gotha).
Dans l'histoire du mouvement communiste, le prolétariat est parvenu à deux reprises à abattre l'Etat bourgeois, à mettre sa dictature à l'ordre du jour: la Commune de Paris et la révolution russe.
Ces deux expériences ont été défaites, la première directement par la force des armes dans un massacre généralisé, la seconde dans des bains de sang non moins important, mais moins "visibles", dans une lente dégénérescence des objectifs initiaux, étouffée dans sa potentialité par l'absence de la révolution en Occident, condamnée à assumer des tâches qui n'étaient pas les siennes, la combativité prolétarienne se voyant réduite à une résistance toujours plus passive : dans le cas de la Russie ce fut un recul lent (et donc moins évident que pour la Commune de Paris), réalisée au nom du communisme (et ce fut là la pire tragédie), qui conduisit à la honte du stalinisme. "Il était facile de faire la révolution en Russie. Il était difficile de la continuer". (Lénine)
La résolution de "l'énigme" russe, des motifs de sa dégénérescence ont amené des groupes de révolutionnaires à tenter de résoudre les problèmes posés par la "période de transition", mais ils étaient trop liés à l'expérience russe où la question du pouvoir prolétarien et de la voie au communisme ne pouvait être que posée, jamais résolue.
Contrairement à ce que pensaient, en révolutionnaires, Lénine et Trotski, il était impossible de résister seuls pendant des décennies et des décennies dans les tranchées de la révolution : la dictature du prolétariat est la manifestation de sa combativité ou elle ne représente rien.
Kronstadt et les agitations de Petrograd montrent les premiers signes de la scission qui s'établissait entre les exigences immédiates de la classe et un pouvoir encore prolétarien qui Cherchait à résister.
Le drame de la révolution russe ne peut être compris en dehors de ce cadre qui condamnait à l'impuissance le parti bolchevik et un Lénine (qui avait pourtant, écrit "L' Etat et la Révolution") qui devait maintenant admettre : "La machine fuit des mains de celui qui la conduit: on dirait qu'il y a quelqu'un d'assis au volant et qui conduit cette machine, mais que cette dernière suit une direction différente à celle voulue, comme si elle était guidée par une main secrète, illégale. Dieu seul sait à qui elle appartient, peut-être à un spéculateur ou à un capitaliste privé, ou à tous les deux ensembles. Le fait est que la machine ne va pas dans la direction voulue par celui qui est au volant, quelque fois elle va plutôt dans le sens contraire." (Rapport politique du C.C. au parti, 1922). "Seule la lutte décidera (en fin de compte) de combien nous pourrons avancer, seule elle décidera de quelle part de cette très haute tâche, de qu’elle part de nos victoires nous pourrons définitivement consolider. Qui vivra, verra." (1921, Pour le IV anniversaire de la Révolution d'octobre).
Tout le déroulement des évènements en Russie a conduit à parler "d'Etat Ouvrier" ou "d'Etat prolétarien".
Il faut préciser que dans les années 20 ces expressions étaient synonymes de "dictature du prolétariat". L’Etat prolétarien dont on parlait alors était un : "…nouvel appareil tout à fait différent de celui actuel, non seulement parce qu'il n'y aura plus besoin de la distinction existante dans l'Etat bourgeois entre appareil représentatif et appareil exécutif, mais surtout du fait des différences fondamentales de structures, conséquences elles-mêmes de l'opposition dans les tâches historiques à accomplir et sur lesquelles les révolutions prolétariennes depuis la Commune de Paris jusqu'à la république russe des soviets, ont jeté une lumière décisive. ("Il Communista", février 1921)
Par la suite, ces synonymes" sont allés en s'autonomisant jusqu'à ce qu'on parle de "faire à la place de la classe" et d'une classe qui ne "comprenait pas que "tout était fait dans ses intérêts".
Les écrits sur le dépérissement de l'Etat-commune prenaient une résonance sinistre face à la croissance de cette force anonyme représentant du capital. Marx a laissé, après la Commune de Paris, des écrits mémorables dans lesquels il exprimait, de la meilleure façon possible, l'essence et la nature de la révolution communiste et de la dictature du prolétariat. Nous devons revenir à lui pour fonder sur ces bases notre perspective.
Marx, en corrigeant ce qu'il avait écrit 25 ans auparavant, écrivait : "La classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre la machine de l'Etat telle qu'elle est, pour la faire fonctionner à son profit. En fait l'appareil d'Etat est bourgeois en tant que tel et non uniquement parce que ses rouages sont aux mains de la bourgeoisie. L'Etat n'est pas un instrument neutre, mais de classe. Cependant, ce qui en fait un appareil bourgeois ce n'est pas à l'origine bourgeoise du personnel qui le dirige, mais bien sa propre nature d'appareil opposé au reste de la société."
La révolution communiste donne vie, au cours de son affirmation, à des institutions qui diffèrent de celles de la bourgeoisie de par LEURS PRINCIPES MEMES : telles sont la Commune et les soviets.
La Commune a été : "La forme politique enfin trouvée dans laquelle pouvait, s'accomplir l'émancipation économique du travail".
La lutte de classe ne finit pas avec la victoire politique de la classe : "La Commune ne supprime pas la lutte des classes (…) Elle crée le climat le plus rationnel dans lequel cette lutte peut se déroule à travers diverses phases de la façon la plus rationnel le et la plus en accord avec l'essence humaine (…) Elle ouvre la porte à l'émancipation du travail, sa grande finalité".
La classe à qui on a ôté le pouvoir ne peut pas être aboli par décret; elle survit, elle cherche à se réorganiser politiquement. Le prolétariat ne partagera le pouvoir avec personnelle, il exercera sa dictature pour combattre tous ceux qui s'opposent aux mesures qui minent le privilège économique
Le premier pas de la dictature du prolétariat vers l'abolition du salariat consistera dans l'obligation pour tous de travailler (généralisation de la condition du prolétariat) et dans l'action, simultanée pour une réduction sensible du temps de travail. C'est déjà la fin de la séparation entre travail manuel et travail intellectuel.
L'avancement de ce processus en termes réels, matériels, est vital pour le pouvoir prolétarien; le renforcement de ce dernier est simultanément prémisse et garantie du progrès vers le but final : le communisme. "Le communisme, abolition positive de cette aliénation de l'homme par lui-même que constitue la propriété privée, donc conquête effective de l'essence humaine par l'homme et pour l'homme; donc retour complet "conscient, atteint à travers l'entière richesse du développement passé, de l'homme pour lui-même en tant qu'homme social, c'est-à-dire en tant qu’homme humain. Ce communisme est (…) la véritable solution de la contradiction entre existence et essence, entre réalité objective et conscience subjective, entre liberté et nécessité,-entre individu et espèce. Le communisme c'est la solution de l'énigme de l'histoire et il se considère comme tel."
Sur la base de ce que nous venons d'exposer nous critiquons :
- AUSSI BIEN la position d'après laquelle c'est le parti qui prend le pouvoir, dirige et se confond avec l'Etat du fait qu'il possèderait une claire vision de la perspective révolutionnaire, etc, etc.
- Que la position qui parle de l'Etat prolétarien comme d'un instrument, expression de la classe, mais qui conserve toutes les caractéristiques de l'Etat, et où seul le nom et la direction changent.
- Que la position d'après laquelle, à côté de la dictature du prolétariat est nécessaire un Etat, compromis provisoire dans une société divisée en classes antagonistes.
Nous revendiquons, après la destruction du pouvoir bourgeois, la DICTATURE DU PROLETARIAT, dictature de la classe ouvrière victorieuse qui ôte par la force tout droit aux autres classes et n'admet aucune sorte de médiations, moment politique et social qui vit et s'alimente dans la prise de conscience de masses toujours plus larges.
RIVOLUZIONE INTERNAZIONALE.
Décembre 1974.
LA PERIODE DE TRANSITION
L'Etat
Tout d'abord, quelques remarques pour situer la question.
Historiquement parlant, l'Etat apparaît comme un organe de la classe dominante, bien qu'il apparaisse souvent comme siégeant au-dessus de la société, médiateur entre les classes, comme Engels l'écrit dans Socialisme utopique et socialisme scientifique :
"L'Etat était le représentant officiel de la société dans son ensemble ; son rassemblement dans une incarnation visible. Mais il l'était dans la mesure où l'Etat était celui de la classe qui elle même représentait à ce moment donné, la société dans son ensemble."
Donc, dès que l'Etat devient le "représentant réel de l'ensemble de la société" (nous soulignons), dès qu'il n'existe plus de classe à soumettre, alors l'Etat "lui-même n'a plus de raison d'être".
Cependant, c'est une erreur anarchiste de prétendre qu'une fois l'Etat-bourgeois détruit, le communisme peut apparaître automatiquement. Le prolétariat doit d'abord détruire l'Etat bourgeois et mettre en place sa propre forme de domination de classe. A cet égard seulement, l'Etat prolétarien ne se distinguera pas des autres Etats dans l'histoire. Mais à d'autres égards la dictature du prolétariat se démarquera tout à rait des autres formes d'Etat. Quantitativement parlant, ce sera le premier Etat dans l'histoire à exprimer les intérêts historiques de la majorité sur la minorité, et qualitativement, le prolétariat comme classe n'aura aucune forme spécifique de propriété à défendre. C'est cette dernière différence qui explique pourquoi l'Etat prolétarien n’est plus un Etat au sens propre du terme (Le Marxisme et l'Etat, Lénine). L'Etat prolétarien continuera d'opprimer tous les éléments qui tenteront de faire revivre les rapports de propriété bourgeois. Lorsqu'ils seront dissous et définitivement vaincus, la dictature du prolétariat cessera d'exister. Nulle part, à notre connaissance Lénine, Marx et Engels dans leurs écrits ne conçoivent d'autre possibilité. Dans la Critique du Programme de Gotha et dans l'Etat et la Révolution ils dénient effectivement toute alternative d’un "Etat des peuples libres ou d'un front populaire. Il est vrai que Lénine (et c'est compréhensible dans le contexte de 1917, quoi qu'erroné) appelle à une alliance entre le prolétariat et la paysannerie mais il conclut encore que l'Etat doit rester "le prolétariat organisé en classe dominante (citant le Manifeste Communiste). Et l'expérience du prolétariat durant les dernières soixante année ne nous a pas donné de raison nouvelle de douter de cette idée. Et même, si nous avons pu voir quelque chose, ce sont des développements qui ont fait pencher 1’équilibre encore plus en faveur du prolétariat. Ici, nous pensons à la paysannerie dont nous faisons une analyse dans la section suivante.
La paysannerie
La question des rapports du prolétariat avec l'aire vitale de la production rurale a toujours été particulièrement épineuse. La révolution russe (1917-21) est un exemple du problème, bien que ses leçons doivent être replacées dans une véritable perspective historique. Lénine a toujours pris en considération l'immense masse de la paysannerie en Russie. Dans l'Etat et la Révolution il suggère que l'alliance des ouvriers et des paysans formera la base de la nouvelle société, bien qu'elle reste sous la dictature du prolétariat. Mais en fait, Lénine et les bolcheviks n'auraient pas pu établir des rapports de production communistes dans la Russie isolée. Les ouvriers russes, comme tout autre secteur du prolétariat mondial avaient besoin d'une révolution mondiale pour mener leurs buts à bien. Aussi, le décret sur les terres de Novembre1917, n’était pas un pas vers le communisme, mais une tentative de se gagner le soutien des moujiks afin d'aider la lutte du régime des soviets pour survivre. C'est seulement la perspective de la révolution mondiale qui pouvait empêcher cette mesure d'être complètement contre-révolutionnaire, ce que l'échec de la révolution mondiale révéla pleinement ensuite. Soyons clairs sur ce point. Si la même situation se reproduisait aujourd'hui, où le prolétariat soit entouré d'une gigantesque masse de paysans, le prolétariat de ce pays serait encore destiné à être défait en l'absence d'une l'évolution mondiale. Cependant, cela ne nécessite pas des révolutionnaires qu'ils se découragent.
Avec les techniques modernes de production capitaliste de nourriture, avec la concentration croissante de la production alimentaire mondiale dans les agricultures Capitalistes hautement développées, et l'existence par conséquent d'un prolétariat dans, cette branche comme dans toute autre industrie, dans une situation révolutionnaire, il n'y aura pas de nécessité stratégique de satisfaire le besoin qu'a le paysan d'avoir des terres, car l'expropriation des unités agricoles capitalistes suffira à assurer la base de l'existence du prolétariat mondial. Le Prolétariat rural de ces aires sera donc une simple partie de la structure soviétique comme n'importe quel ancien ouvrier salarié du capitalisme.
Reste la question du maintien de la révolution prolétarienne dans une nation moins développée, où une grande proportion de ruraux pauvres demande des terres comme base de subsistance. Nous devons être réalistes, et appliquer les leçons de la révolution russe. Aucun prolétariat dans aucun pays, ne peut instaurer seul le communisme, mais dans ces pays sous-développés, le prolétariat souffre de deux inconvénients majeurs :
A. -La dictature du prolétariat, ne peut y établir, ne serait-ce qu'un minimum de conditions pour le communisme à l'intérieur de frontières nationales, vue la nécessité de faire des concessions à la puissante mentalité paysanne.
B. -Ils ne se trouveront pas face à une économie qui représente une puissance significative dans le marché mondial capitaliste, et donc la possibilité d'un résultat positif de leur action, d'un dépassement de la crise est très réduite. La révolution Prolétarienne mondiale ne peut arriver à temps pour sauver un surgissement prolétarien isolé dans un tel pays. Si nous devons en conclure que la révolution ne peut être victorieuse que si l'effondrement des centres vitaux du capitalisme (USA, URSS, Europe) intervient rapidement, nous devons nous en accommoder. L'alternative de faire des concessions idéologiques à tout autre couche, dans tout pays conduirait à la confusion pour le prolétariat mondial, et ultérieurement à la contre-révolution.
Dans les pays capitalistes avancés, la question de la paysannerie ne se pose pratiquement pas puisque chaque fermier capitaliste emploie des ouvriers agricoles. En Grande Bretagne par exemple, il y a 329 000 ouvriers agricoles. Avec l'aide des soviets auxquels ils seront rattachés, ils mèneront à bien l’expropriation des terres et commenceront à intégrer l'agriculture à l'économie socialiste. Là où une paysannerie significative existe encore, le prolétariat devra évidemment établir avec elle la quantité et l'orientation de la production à l'intérieur d'un cadre contrôlé par le prolétariat. Mais aucune concession ne peut être faite aux formes petite-bourgeoises de propriété. D'un autre côté, le prolétariat devra inciter activement les paysans à former leurs propres organisations qui pourront devenir éventuellement la base de la collectivisation de la production agricole. Nous devons reconnaître que certaines tâche de la période de transition peuvent prendre plus de temps que d'autres, et ce dernier point exige la maintien de la vigilance de la dictature du prolétariat pour au moins une génération.
( …)La première partie de cet article sur la période de transition a déjà traité de la question de l'Etat et des formes politiques de la Dictature du Prolétariat ; dans cet article, on a fait seulement des commentaires en passant sur les fondements économiques de ces formes. Ici, nous traitons de leur contenu, et seulement entre parenthèses, de leurs manifestations politiques concrètes. Ce type de présentation ne s'explique pas parce que nous pensons qu'un aspect est plus important que l'autre, ni parce que nous pensons que ce sont deux expressions séparées; au contraire, comme nous l'avons dit clairement dans la première partie, nous parlons de la totalité d'une transformation avec des aspects inséparables et tous aussi essentiels les uns que les autres.
Economiquement, aussi bien que politiquement, la soi-disant période de transition s'ouvre pour la classe ouvrière quand un ou plusieurs Etats capitalistes sont renversés par la révolution, et ne se termine qu'après l'inauguration d'un système global de production et de distribution selon les besoins; plus on s'approche du communisme, moins la période de transition comporte de résidus du capitaliste; sa durée n'est évidemment pas courte, mais d'au moins une génération. Ce n'est pas un système statique, et "ses défauts inévitables dans la première phase de la société communiste" (Marx) sont progressivement dépassés.
(…)L'idée que la production dans les bastions prolétariens devrait être dirigée vers une "économie de guerre" communiste est confusionniste. Quoiqu’il y ait certainement des luttes armées et même des batailles rangées pendant la révolution communiste, il n'y aura aucune possibilité que les travailleurs puissent vaincre le capital dans une guerre civile globale. Sur ce terrain, la défaite du prolétariat serait rapide et amènerait à l'avènement de la barbarie. Ceci met en évidence d'une façon encore plus forte que la révolution communiste doit éclater plus ou moins simultanément dans plusieurs Etats capitalistes, y compris les puissances impérialistes militairement dominantes, ou aller à la défaite. Les ouvriers dans une région doivent certainement aider les surgissements communistes voisins, mais l'instauration des premières étapes d'une économie communiste est une arme plus puissante et plus efficace que n'importe quel soutien militaire apporté par un groupe d'ouvriers à un autre.
(…) On doit maintenant examiner les rapports d'un prolétariat victorieux dans une région donnée avec le marché mondial encore existant, et ré insister sur la non séparation du politique et de l'économique pendant la période de transition. Les communistes doivent appeler les organes de masse de la classe à mettre fin à tous les rapports économiques entre les zones isolées où les travailleurs ont pris le pouvoir, et le marché mondial bourgeois. D'abord, parce qu'à une époque de crise mondiale, cette mesure approfondira une telle crise en retirant des marchés et des matières premières aux sections de la bourgeoisie mondiale qui existent encore. L'impact de l'arrêt des exportations de pétrole par une Russie révolutionnaire, ou de la nourriture par une Amérique soviétique donnerait une impulsion puissante à l'élargissement de la révolution communiste et à sa résolution à l'échelle mondiale. Ici, les tactiques économiques hâtent le progrès politique de la révolution.
D'un autre côté, seuls les rêveurs peuvent s'imaginer que les capitalistes accepteront de commercer avec une dictature prolétarienne sans que celle-ci ne capitule politiquement devant le capital mondial. Par exemple, dans les accords de commerce seraient exigés les indemnisations des expropriations dans les bastions ouvriers, la mise en veilleuse des branches du mouvement communiste en dehors des aires déjà révolutionnaires, la reconnaissance diplomatique et l'échange, etc. En fait, tout ce qui s'est vu en Russie à partir de 1920 à peu près quand la NEP et le commerce extérieur allaient de pair avec le frontisme, le retour à la léga1ité des PC, la suppression du prolétariat russe comme élément de la force du travail du marché mondial, etc. La leçon de la révolution russe est que le mouvement communiste est une lutte pour tout ou rien, le communisme ne peut pas être introduit à la dérobée, ni défendu par des compromis, ou des manœuvres pour "gagner du temps". Sur cette question, la défense de toute autre politique que celles que nous avons soulignées est une frontière de classe qui sépare les communistes de ceux qui aujourd'hui font l'apologie de la contre-révolution dans le passé; et préparent la même chose pour l'avenir.
REVOLUTIONNARY PERSPECTIVES.
Janvier 75.
I. LA FORMATION DU PARTI COMMUNISTE ALLEMAND (SPARTAKUSBUND)
Quand se fonde le Parti Communiste Allemand, entre le 30 décembre 1918 et le 1er janvier 1919, l'opposition révolutionnaire à la Social-Démocratie semble avoir trouvé une autonomie organisationnelle.
Mais le parti allemand, apparu au moment même où le prolétariat luttait déjà dans la rue les armes à la main et prenait pour peu de temps le pouvoir dans quelques centres, manifestera aussitôt soit le caractère hétérogène de sa formation, soit son incapacité à s’élever à une vision globale et complète et à affronter les taches pour lesquelles il s’était formé.
Quelles furent les forces qui s’unirent pour constituer le parti ?
Quels furent les problèmes sur lesquels aussitôt elles achoppèrent ?
Tenons-nous en aux moments qui semblent ici les plus intéressants, parce qu'ils sont capables de faire comprendre les erreurs et sont lourds de conséquences futures,
A- La trajectoire que prirent les évènements depuis le 4 août 14 fut hérissée de difficultés et de débandades. L'histoire du groupe spartakiste en est une démonstration. Son action de frein dans la clarification théorique et dans le développement du mouvement communiste est évidente.
Au temps de la "Ligue Spartakus" (Spartakusbund) — le groupe se dénommera ainsi en 1916 ; pendant toute l’année 1915, le nom du groupe fut "Internationale", du nom de la revue parue en avril 1915 —, toutes les décisions importantes furent caractérisées par les positions de Rosa Luxemburg.
A Zimmervald (5/8 septembre 1915), les allemands seront représentés par le groupe "Internationale", par le berlinois BORCHARDT représentant du petit groupe lié à la revue "Lichtstrahlen" ("Rayons de lumière") et par l’aile centriste proche de Kautsky. Seul Borchardt soutient les positions internationalistes de Lénine, tandis que les autres allemands soutiendront une motion rédigée dans les termes suivants :
"En aucun cas, il ne doit se dégager l’impression que cette conférence veut entraîner une scission et fonder une nouvelle Internationale."
A Kienthal (24/30 avril 1916), l’opposition allemande est représentée par le groupe "Internationale" (Bertha Thalheimer et Ernst Meyer), par l'"Opposizion in der Organisation" (centristes de Hoffmann) et –par les "Bremer Linksradikalen" (radicaux de gauche de Brème) avec Paul Frölich.
Les hésitations des spartakistes ("Internationale") ne sont pas tout à fait dissipées, encore une fois, ceux-ci seront plus proche des positions des centristes que de celles de la gauche (Lénine-Frölich). E. Meyer dira :
"Nous voulons créer la base idéologique (...) de la nouvelle Internationale, mais sur le plan de l’organisation, nous ne voulons pas nous engager étant donné que tout est encore en mouvement. "
C’est la position classique de Luxemburg pour qui la nécessité du Parti se situe plus à la fin de la Révolution que dans sa phase préparatoire et initiale ("En un mot, historiquement, le moment où nous devrons prendre la tête ne se situe pas au début mais à la fin de la Révolution").
Le fait le plus important est l’apparition sur le plan international des "Bremer Linksradikalen"([1] [19]). Déjà en 1910, le journal social-démocrate de Brème : la "Bremer BurgerseitLing" publiait des articles hebdomadaires de Pannekoek et de Radek, et c’est sous l'influence de la gauche hollandaise que se constitue à Brème le groupe autour de Knief, Paul Frölich et d’autres. A la fin de 1915, se constitueront les ISD (Internationale Socialisten Deutschland) nés de l’union des communistes de Brème avec les révolutionnaires berlinois qui publiaient la revue "Lichtstrahlen". La "Bremerlinke" devient indépendante de la Social-Démocratie, même sur le plan formel, en décembre 1916, mais déjà en juin de la même année, elle avait commencé la publication de "Arbeiterpolitik" ([2] [20]) qui sera l'organe légal le plus important de la gauche. Y paraîtront, outre ceux de Pannekoek et de Radek, les articles de Zinoviev, Boukharine, Kamenev, Trotski et Lénine.
"Arbeiterpolitik" montra aussitôt une conscience plus mûre de la rupture avec le réformisme, et l'on pouvait lire dans son premier numéro que le 4 août fut "la fin naturelle d’un mouvement politique dont le déclin avait été-préparé par le temps". D’"Arbeiterpolitik", surgirent les tendances qui faisaient la plus forte pression pour que soit discutée la question du Parti. La discussion du groupe de Brème avec les spartakistes fut difficile à cause de.la persistance de ces derniers à rester dans, la Social-Démocratie.
Le premier janvier 1907, à la Conférence nationale du groupe "Internationale", Knief critique, l’absence de perspectives claires, et même de toute résolution de rupture nette avec, le parti Social-Démocrate et de toute perspective de formation d'un parti révolutionnaire sur des bases radicalement nouvelles.
Tandis que le groupe spartakiste "Internationale" adhérait à la "Social-démocratische Arbeitergemeinschaft" (collectif de travail Social-Démocrate au Reichstag) et qu'apparaissaient des écrits comme :
"Lutte pour le Parti mais non contre le Parti... Lutte pour la démocratie dans le Parti, pour les droits de la masse, des camarades du Parti contre les chefs oublieux de leurs devoirs...Notre mot d’ordre n’est pas scission ou unité, nouveau ou vieux parti, mais la reconquête du Parti par la base grâce à la rébellion des masses. La lutte décisive pour le Parti est commencée".(Spartakus-Briefe, 30 mars 1916)
Dans "Arbeiterpolitik", on pouvait lire:
"Nous estimons que la scission, tant au niveau national qu’international, est non seulement inévitable mais une condition préalable de la réelle reconstitution de l'Internationale, du réveil du mouvement prolétarien des travailleurs. Nous estimons qu'il est inadmissible et dangereux de nous empêcher d’exprimer notre profonde conviction devant les masses laborieuses". (Abeiterpolitik, n°4),
Et Lénine dans "A propos de la brochure de Junius" (juillet 1916) écrivait :
"Le plus grand défaut de tous le marxisme révolutionnaire allemand, c’est l’absence d’une organisation illégale étroitement unie, une telle organisation serait obligée de définir nettement son attitude à l’égard de l'opportunisme comme du kautskysme. Seul le groupe des "Socialistes Internationalistes d’Allemagne" (ISD) reste à son poste, voilà qui est clair et sans ambiguïté pour personne".
L’adhésion des spartakistes à l’U.S.P.D. (date de fondation : 6/8 avril 1917), parti centriste qui n’était pas différent, sinon en proportions, de la Social-Démocratie et était lié à la croissante radicalisation des masses (et pour être plus clair, disons qu'en firent partie Haase, Ledebour, Kautsky, Hilferding et Bernstein) rendit encore plus durs et exaspérés les rapports entre les communistes de Brème et les spartakistes. Si en mars 1917, on lisait encore dans "Arbeiterpolitik" :
"Les radicaux de gauche se trouvent devant une grande décision. La plus grande responsabilité se trouve entre les mains du groupe "Internationale" en qui, en dépit des critiques que nous avons du lui faire, nous reconnaissons le groupe le plus actif et le plus nombreux le noyau du futur parti radical de gauche. Sans lui, nous devons en convenir franchement, nous ne pourrons — nous et l'ISD — construire dans un délai prévisible un parti capable d'agir. C’est du groupe Internationale qu’il dépend que la lutte des radicaux de gauche se mène ne un front ordonné sous un drapeau à eux, sinon en attendant en une petite armée, où bien que les oppositions à l’intérieur du mouvement ouvrier qui sont apparues dans le passé et dont la compétition est un facteur de clarification, mettent longtemps à se régler dans la confusion et d’autant plus lentement" . (Souligné par nous).
Devant l'adhésion du groupe spartakiste à l'USID, on pouvait y lire :
"Le groupe "Internationale" est mort… un groupe de camarades s'est constitué en comité d’action pour construire le nouveau parti".
En effet, en août 1917, se tint à Berlin une réunion de délégués de Brème, Berlin, Francfort et d'autres villes d'Allemagne, pour jeter les bases du nouveau Parti. A cette réunion, participa Otto Ruhle avec le groupe de Dresde. Dans le groupe spartakiste lui-même se manifestèrent des positions très proches des "Linksradikalen" qui n'acceptèrent pas les compromis organisationnels de la Centrale autour de Rosa Luxemburg. Ce fut d'abord l'opposition des groupes de Duisburg, Francfort et Dresde à l'adhésion de 'l'Arbeiterge-meinschaft" (l'organe du groupe de Duisburg, "Kampf " engagea une vive discussion contre cette adhésion); par la suite, d'autres groupes comme par exemple celui de Chemnitz avec Heckert qui était important, manifestèrent leur opposition à l'adhésion à l'USPD. Ces groupes partageaient pratiquement ce qu'exprimait Radek dans "Arbeiterpolitik". :
"L'idée de construire un parti avec les centristes est une dangereuse utopie. Les radicaux de gauche, que les circonstances s'y prêtent ou non, doivent, s'ils veulent remplir leur tâche historique, construire leur propre parti".
Liebknecht lui-même, plus lié au bouillonnement de la classe, exprimait sa propre position dans un écrit de prison (1917) dans lequel, cherchant à saisir les forces vives de la révolution, il distinguait trois couches sociales au sein de la Social-Démocratie allemande; la première était formée des fonctionnaires stipendiés, base sociale de la politique de la majorité du parti Social -Démocrate. La seconde était formée des travailleurs les plus aisés et les plus instruits. Tour eux, l'importance du danger de voir éclater un grave conflit avec la classe dominante n'était pas claire. Ils veulent réagir et lutter, mais ne sont pas décidés à franchir le Rubicon. Ils sont la base de la "Sorialdemocratische Arbeiterge-meinschaft", la troisième, enfin, "des masses prolétaires de travailleurs sans instruction. Le prolétariat dans son sens réel, strict. Seule cette couche, par son état actuel, n'a rien à perdre. Nous soutenons ces masses : le prolétariat".
B – Tout ceci démontre deux choses :
l) qu'une importante fraction du groupe spartakiste s'orientait dans la même direction que les radicaux de gauche, en se heurtant au centre minoritaire représenté par Rosa Luxemburg, Jogisches, Paul Levi.
2) Le caractère fédéraliste non centralisé du groupe spartakiste.
La Révolution Russe, les désaccords qui se manifestaient entre les spartakistes et la majorité de l'USPD à propos de cette révolution, poussèrent "Arbeiterpolitik" à reprendre les discussions avec les spartakistes ([3] [21]). Les communistes de Brème n'avaient jamais dissocié la solidarité avec la révolution russe d'avec l'exigence de former un Parti communiste en Allemagne. Pourquoi, se demandaient les communistes de Brème : la révolution avait triomphé en Russie ?
"Uniquement et seulement par le fait qu’en Russie, c'est un Parti autonome de radicaux de gauche qui dès le début porta le drapeau du socialisme et combattit avec l’emblème de la Révolution Sociale. Si l'on pouvait, avec bonne volonté, trouver encore à Gotha des raisons à l'attitude du groupe "Internationale", aujourd'hui, tout semblant de justification d'une association avec les Indépendants s'est évanoui. Aujourd'hui, la situation internationale rend encore plus urgente la nécessité de fonder un parti propre des radicaux de gauche.
"Nous avons de toute façon la ferme volonté de consacrer toutes nos forces à créer en Allemagne les conditions pour un "Linksradikalen Partei" (parti des radicaux de gauche). Nous invitons donc nos amis, nos camarades du groupe "Internationale", vue la faillite dans laquelle, depuis bientôt neuf mois, s'enfonce la fraction et le parti des Indépendants; vues les répercussions corruptrices du compromis de Gotha (lesquelles portent préjudice à l'avenir du mouvement radical en Allemagne([4] [22]), à rompre sans ambiguïté et ouvertement avec les pseudo socialistes indépendants et à fonder le propre parti des radicaux de gauche…" (souligné par nous) (Arbeiterpolitik, 15-12-1917).
Malgré tout, une année devra encore s’écouler avant la fondation du Parti en Allemagne, et tout cela alors que la tension sociale augmentait : des grèves de Berlin d'avril 17 à la révolte de la flotte pendant l'été, et à la vague de grèves de janvier 18 (Berlin, Ruhr, Kiel Brème, Hambourg, Dresde) qui dura pendant tout l'été et l'automne.
C - Voyons à présent quels autres groupes mineurs caractérisaient la situation allemande.
Nous avons écrit plus haut que les ISD regroupaient aussi le groupe berlinois autour de la revue "Lichtstrahlen". Le représentant le plus important en était Borchardt. Les idées qu'il développait dans la revue étaient violemment anti Social-démocrates, mais annonçaient déjà par leur orientation anarchisante la rupture avec les communistes de Brème. "Arbeiterpolitik" faisait observer que:
"A la place du parti, il (Borchardt) met une secte propagandiste à forme anarchiste".
Plus tard, les communistes de gauche le considérèrent comme un renégat et le baptisèrent "Julien l'Apostat".
A Berlin, Werner Möller (déjà adhérent aux "Lichtstrahlen" devint le plus assidu collaborateur d’"Arbeiterpolitik" puis son représentant. Il sera sauvagement tué de sang-froid par les hommes de Noske en janvier 19. A Berlin, le courant de gauche sera très fort, avec, entre autres, les Spartakistes (puis le KAPD) Karl Schroder et Friederich Wendel.
Le groupe de Hambourg occupe une place particulière dans l'opposition révolutionnaire à la Social Démocratie.
Il n'adhéra pas aux ISD jusqu'en novembre 1918, quand, sur une position de Knief, ceux-ci changèrent de nom pour devenir les IKD : Internationale Kommunisten Deutschland, le 23 décembre 18. Les chefs de file furent, à Hambourg, Henrich Laufenberg et Frits Wolffeim. Ce qui les distinguait des communistes de Brème fut une polémique plus acerbe contre les chefs, à tonalité syndicaliste et anarchiste.
"Arheiterpolitik" se maintenait, au contraire, sur des positions correctes lorsqu'il écrivait le 28 juillet 1918 : "La cause des "Linksradikalen", la cause du futur parti communiste allemand dans lequel; tôt ou tard, devront affluer tous ceux qui sont restés fidèles aux anciens idéaux, ne dépend pas de grands noms. Au contraire, ce qui est vraiment et doit être l'élément nouveau si nous devons un jour atteindre le socialisme, c'est que la masse anonyme prenne en main sa propre destinée : que chaque camarade pris individuellement y contribue de sa propre initiative, sans se préoccuper qu’il ait avec lui de "grands noms", (souligné par nous).
Ce qui distinguait aussi le groupe de Hambourg, c'était le caractère toujours plus ouvertement syndicaliste de son orientation politique, lequel venait en partie du militantisme de Wolffheim dans les IWW quand il avait vécu aux USA.
On peut dire que la meilleure expression de cette période de mouvement de la classe en Allemagne se trouvait, sans aucun doute, chez les communistes de Brème. Dire cela, veut dire aussi mettre en lumière toutes les tergiversations, les erreurs du groupe spartakiste (et donc de son meilleur théoricien, Rosa Luxemburg) en matière d'organisation, de conception du processus révolutionnaire, de la fonction à assigner au parti.
Il est clair que relever les erreurs de Rosa Luxemburg ne signifie pas qu'il faille rejeter ses batailles, sa lutte héroïque, mais cela permet de comprendre qu'à côté de sa vision prémonitoire dans sa lutte théorique contre Bernstein et Kautsky, elle défendait des positions que nous ne pouvons pas accepter.
Nous n'avons pas de dieux à vénérer, mais nous devons, par contre, faire face à la nécessité de comprendre les erreurs du passé pour pouvoir les éviter, à la nécessité de savoir tirer du mouvement prolétarien des indications utiles et non achevées, entre autres celles qui concernent la fonction et le rôle organisationnel des révolutionnaires.
Pour être à la hauteur de nos propres tâches, il s'agit aussi de comprendre le lien indissoluble qui existe entre l'activité des petits groupes lorsque la contre-révolution domine (et l’exemple du travail de "Bilan" et d'"Internationalisme" en est l'éloquente démonstration) et l'action du groupe politique quand les contradictions insurmontables du capitalisme poussent la classe à l'assaut révolutionnaire. Il ne s'agit plus alors de défendre les positions, mais, sur la base de ces positions en constante élaboration, sur la base du programme de classe, d'être capables de cimenter la spontanéité de la classe, d'exprimer la conscience de classe, d'unifier ses forces en vue de l'assaut décisif, en d'autres termes, de construire le parti, moment essentiel de la victoire prolétarienne.
Mais les partis ne se créent pas de toutes pièces, pas plus que les révolutions. Expliquons-nous. Les artifices organisationnels n'ont jamais servi à quoi que ce soit au contraire, ils ont même souvent servi la contre-révolution. S'autoproclamer Parti, se construire comme tel en période contre-révolutionnaire, est une absurdité, une erreur très grave qui dénote une incompréhension du fondement de la question, lorsqu'il n’y a aucune perspective révolutionnaire. Mais on peut considérer comme tout aussi grave le fait de laisser cette tache de côté, ou de la renvoyer au moment où ce sera déjà trop tard. Dans le cadre de notre étude, c'est ce second aspect qui présente le plus d'intérêt.
Celui qui parle d'une spontanéité qui résoudrait tous les problèmes fait, en fin de compte, l'éloge d'une spontanéité inconsciente et non du passage de la spontanéité à la conscience; il ne réussit ou ne veut comprendre que cette prise de conscience de la classe dons la lutte doit l'amener aussi à reconnaître la nécessité d'un instrument adéquat pour prendre d'assaut l'Etat, forteresse du capital.
Si la spontanéité de la classe est un moment que nous revendiquons, le spontanéisme — c'est-à-dire la théorisation de la spontanéité — tue la spontanéité, se traduit par des recettes toutes faites, par l'être-là-où-sont-les-masses, par le fait de ne pas savoir être contre le courent dans les moments d'arrêt et de reflux pour être "avec le courant" dans les moments décisifs. Les déviations de Luxemburg sur les questions organisationnelles se retrouvent aussi dans sa conception de la conquête du pouvoir et nous ajouterons que c'est inévitable étant donné l'étroite connexion entre ces deux questions : '
"La conquête du pouvoir doit se faire non d'un seul coup, mais par la marche progressive en nous enfonçant dans l’Etat bourgeois jusqu'à ce que nous occupions toutes les positions et les défendions becs et ongles". (cité par Prudhommeaux : Spartokus et la Commune de Berlin)
Mais malheureusement, ce n'est pas encore terminé. Tandis que Paul Frölich (représentant du groupe de Brème) lançait en novembre 1918 cet appel de Hambourg :
"C'est le début de la révolution allemande, de la révolution mondiale! Vive la plus grande action de la révolution mondiale! Vive la république allemande des ouvriers! Vive le bolchevisme mondial!"
Rosa Luxemburg, un peu plus d'un mois plus tard, au lieu de se demander pourquoi une attaque si massive du prolétariat allait être défaite, disait :
"Le 9 novembre, les ouvriers et les soldats ont détruit le vieux régime en Allemagne. (…) Le 9 novembre, le prolétariat s'est soulevé et il a secoué le joug infâme. Les Hohenzollern ont été chassés par les ouvriers et les soldats formés en conseils." (Prudhommeaux, cit.)
C'était comme une révolution qu'elle interprétait le passage du pouvoir des mains de l'équipe de Guillaume II à celles de Ebert-Scheidemann-Haase, et non comme une relève de la garde contre la révolution ([5] [23]).
L'incompréhension de la fonction, du rôle historique de la Social-Démocratie lui coûtera la vie, tout comme à Liebknecht et à des milliers de prolétaires. Le KAPD saura tirer des leçons de cette expérience (l'un des points sur lequel porte son opposition fondamentale à l'IC et au KPD, est son refus de tout contact avec l'USE); mais nous y reviendrons plus loin), ainsi que la Gauche Italienne. Bordiga écrivait le 6 février 1921 dans "Il communista", un article intitulé "La fonction historique de la social-démocratie" dont nous extrayons quelques passages :
"La Social-Démocratie a une fonction historique, en ce sens qu'il y aura probablement dans les pays de l'Occident, une période où les partis social-démocrates seront au gouvernement, seuls ou en collaboration avec les partis bourgeois. Mais là où le prolétariat n'aura pas la force de l'éviter, un tel intermède ne représentera pas une condition positive, nécessaire à l'avènement des formes et des institutions révolutionnaires ; il ne sera pas une préparation utile à ceux-ci, mais constituera une tentative désespérée de la bourgeoisie pour diminuer et dévier la force d'attaque du prolétariat, pour enfin l'écraser sons pitié sous les coups de la réaction blanche, au cas où il lui resterait assez de forces pour oser se révolter contre le légitime, l'humanitaire, le décent gouvernement de la social-démocratie".
"Pour nous, il ne peut y avoir d'autre transfert révolutionnaire du pouvoir, que des mains de la bourgeoisie dominante à celles du prolétariat, de même qu'on ne peut concevoir d'autre forme de pouvoir prolétarien que la dictature des conseils".
II LES BALBUTIEMENTS DU PARTI COMMUNISTE ALLEMAND (Spartakusbund)
Nous avons commencé cette étude par le Congrès de formation du PARTI COMMUNISTE ALLEMAND (30 déc. 1918 - 1er janv. 1919) et parcouru à rebours l'histoire de sa formation; nous reprenons maintenant la marche en avant à partir de ce point de départ.
A — Le congrès de formation cristallise, pour ainsi dire, deux conceptions et deux positions diamétralement opposées. D'une part, la minorité autour de Luxemburg, Jogiches, Paul Levi, qui regroupait les personnages les plus importants du nouveau parti, et qui, bien qu'étant une minorité, en assumait la direction (ses railleries et son quasi-refus de garantir l'expression des positions prépondérantes de la gauche — seul Frölich sera admis à la centrale — aboutiront quelques mois plus tard dans la Farce du Congrès de Heildelberg). D'autre part, la grande majorité du Parti: la rage et la potentialité révolutionnaire qu’expriment le groupe des IKD et une bonne partie des spartakistes, Liebknecht à leur tête. Les positions de la gauche triomphent à une écrasante majorité. Contre la participation électorale, pour la sortie des syndicats, pour l’insurrection.
Mais il leur manque une vision claire des tâches immédiates à affronter, de la préparation de l'attaque insurrectionnelle qui est aussi militaire, de la fonction centralisatrice et de direction du Parti. Une sorte de fédéralisme et d'indépendance régionaliste règne en maître. A Berlin, on ignore ou presque ce qui se passe dans la Ruhr, le centre ou le sud ; et vice-versa. La "Hôte Fahne" elle-même reconnaît, le 8 janvier 19, que "l'inexistence d'un centre chargé d'organiser la classe ouvrière ne peut plus durer ... Il fait que les ouvriers révolutionnaires mettent sur pied des organismes dirigeants en mesure de guider et d'utiliser l'énergie combative des masses". Et notons bien que l'on n'y parle que de la situation à Berlin !
La désorganisation croît encore et atteint son paroxysme après la mort de Luxemburg et de Liebknecht. Le parti, au moment où il v est réduit à la clandestinité et soumis à la terreur contrerévolutionnaire, se retrouve sans tête. Les Républiques Soviétiques qui surgissent un peu partout en Allemagne: Brème, Munich, Bavière, etc., sont une à une défaites, les combattants prolétariens anéantis. La vague prolétarienne, l’immense potentialité que contient la classe subissent un reflux. On ne peut pas ne pas citer intégralement la lettre que Lénine adressa, en avril 1919 à la République Soviétique de Bavière. Il est inutile de dire que la plus grande partie des "mesures concrètes" dont s'informait. Lénine, ne fut jamais prise.
SALUT A LA REPUBLIQUE SOVIETIQUE DE BAVIERE.
"Nous vous remercions de votre message de salutations et, à notre tour, nous saluons de tout cœur la République des Soviets de Bavière. Nous vous prions instamment de nous faire savoir plus souvent et plus concrètement quelles mesures vous avez prises pour lutter contre les bourreaux bourgeois que sont Scheidemann et Cie; si vous avez créé des soviets d'ouvriers et de gens de maison dans les quartiers de la ville; si vous avez armé les ouvriers et désarmé la bourgeoisie; si vous avez utilisé les dépôts de vêtements et d'autres articles pour assister immédiatement et largement les ouvriers, et surtout les journaliers et les petits paysans; si vous avez exproprié les fabriques et les biens des capitalistes de Munich, ainsi que les exploitations agricoles capitalistes des environs; si vous avez aboli les hypothèques et les fermages des petits paysans; si vous avez doublé ou triplé le salaire des journaliers et des manœuvres; si vous avez confisqué tout le papier et toutes les imprimeries pour publier des tracts et des journaux de masse; si vous avez institué la journée de travail de six heures avec deux ou trois heures consacrées à l'étude de l'art d'administrer par l'Etat ; si vous avez tassé la bourgeoisie à Munich pour installer immédiatement les ouvriers dans 11 les appartements riches ; si vous avez pris en main toutes les banques; si vous avez choisi des otages parmi la bourgeoisie ; si vous ayez établi une ration alimentaire plus élevée pour les ouvriers que pour les bourgeois; si vous avez mobilisé la totalité des ouvriers à la fois 11 pour la défense et pour la propagande idéologique dans les villages avoisinants. L'application la plus urgente et la plus vaste de ces mesures ainsi que d'autres semblables, faites en s'appuyant sur l'initiative des soviets d'ouvriers, de journaliers, et, séparément, de petits paysans, doit renforcer votre position. Il est indispensable de frapper la bourgeoisie d'un impôt extraordinaire et d'améliorer pratiquement, immédiatement et coûte que coûte la situation des ouvriers journaliers et petits paysans. Meilleurs vœux et souhaits de succès". Lénine
L'impréparation théorique, l'incapacité d'être à la hauteur de ses tâches que la situation requiert, provoqueront aux premiers signes de recul une scission dans le mouvement allemand. D'une part, on commencera à tourner les yeux en direction du bolchevisme, de la Russie victorieuse, à reprendre sa propagande, ses indications stratégiques et tactiques, pour tenter avec absurdité de les plaquer sur l'Allemagne. Pour donner un exemple : le cas de Radek est typique ; porte parole des communistes de Brème et de l'aile la plus intransigeante du mouvement, il sera, après le recul momentané de le lutte, pendant l'été 19, l'un des artisans avec Paul Levi, du congrès de Heidelberg (octobre 1919) où les conquêtes du Congrès de formation du parti seront répudiées au profit de l'usage, à nouveau de l'"instrument" électoral, des syndicats ultra réformistes où les communistes devraient développer leur activité, et pour finir, des "lettres ouvertes" et du front unique.
De quelle, valeur est alors l'appel à la centralisation, lorsque les événements prennent une voie contraire à celle du développement du mouvement spontané.
D'autre part, l'aile révolutionnaire qui refusa ce choix et sera bien plus féconde en conseils et indications, devra affronter, une fois constituée organisationnellement, un mur compact et des difficultés croissantes.
B - La révolution mondiale a-t-elle échoué a cause des insuffisances de la révolution russe ou bien la révolution russe a-t-elle échoué a cause des insuffisances de la révolution mondiale ?
La réponse n'est pas simple et demande la compréhension de la dynamique sociale de ces années. La révolution russe fut un magnifique exemple pour le prolétariat occidental. La 3ème Internationale fondée en Mars 1919 est un exemple de la volonté révolutionnaire des bolcheviks et fut, de leur part, une réelle tentative de s'appuyer sur les communistes européens. Mais les difficultés internes de la révolution russe qui surgirent dès la fin de la guerre civile et n'avaient pas de solution à l'intérieur du cadre russe, la défaite de la première phase de la révolution allemande, (janvier-mars 19), et celle de la République Hongroise des Conseils, ont convaincu les communistes russes que la perspective de révolution en Europe se serait éloignée. Selon eux, il ne s’agissait plus alors que de récupérer pour toute cette période, la grande masse des travailleurs, de convaincre les masses social-démocrates de la justesse des positions communistes, etc. On tendait à récupérer l'USPD en la voyant pour commencer comme l'aile droite du mouvement ouvrier et non comme la fraction de la bourgeoisie, plutôt qu’à mener une lutte théorique contre la sociale-démocratie Plutôt qu'à se mettre à l’écoute des couches la classe en fondant la nécessité d’attaquer et de démasquer la social-démocratie sur la volonté de lutte de celles là.
Nous pouvons donc dire que si les hésitations des communistes d'occident tendent à être funestes pendant toute une première phase (1918-19), ce fut l’Internationale Communiste elle-même qui devint un obstacle à l'éclosion — même tardive — de l'authentique avant-garde prolétarienne en Europe quand la situation y est encore révolutionnaire (et nous ne parlons que des années 1920-21, après lesquelles on peut parler pendant deux ans encore de réaction prolétarienne contre les assauts de la bourgeoisie - cf. Hambourg 1923- et encore après une seule véritable défaite du prolétariat par un massacre.)
Si le passage d'une situation à une autre se fait graduellement, nous pouvons malgré tout fixer comme moment qui manifeste le renversement de son cours, la dissolution du bureau d'Amsterdam par l'Internationale Communiste, et le texte de Lénine "Le Gauchisme, maladie infantile du communisme".
Retournons aux vicissitudes du Parti Communiste Allemand; le 17 août 1919 une conférence nationale est convoquée à Francfort, L'attaque de Lévi dirigée contre la Gauche est un échec; mais, en octobre de la même année, à Heildelberg, elle a en quelque sorte des résultats. Dans un congrès clandestin avec une maigre représentation de l'ensemble du district, au complet insu de quelques-uns, la scission est décidée en pratique avec le changement des positions programmatiques de janvier. Au point 5 du nouveau programme que se donne le Parti, il est écrit :
"La révolution qui ne se fait pas d'un seul coup mais est la longue et persévérante lutte d'une classe opprimée depuis dès millénaires, et par conséquent non pleinement consciente de sa mission et de sa force, est sujette au flux et au reflux. (souligné par nous)
Et Lévi, peu après, soutiendra que la nouvelle vague révolutionnaire surgirait en … 1926 !
Mais la décision d'expulser les gauchistes, les "aventuristes", ne fut pas prise officiellement, et c'est en 1920, au III° Congrès du KPD, qu'elle sera résolue. La gauche, après Heildelberg, cherche à se structurer en KPD O (O=Opposition) de sorte qu'à la fin des premiers mois de 1920, on avait pratiquement deux organisations du KPD : le KPD S et le KPD O. Tout ceci dans une situation extrêmement chaotique. Les informations qu'ils réussissaient à faire parvenir à Moscou étaient infimes et fragmentaires. Lénine dans "Salut aux Communistes italiens, français et allemands", daté du 10 octobre 1919, écrivait :
" Des communistes allemands, nous savons seulement qu'il existe une presse communiste dans beaucoup de villes. Il est normal que dans un mouvement qui s'étend rapidement, qui subit des persécutions aussi acharnées, surgissent des dissensions assez âpres. C'est une maladie de croissance. Les divergences au sein des communistes allemands se réduisent, pour autant que je puisse en juger, au problème de l’"utilisation des possibilités légales", de l'utilisation du Parlement bourgeois, des syndicats réactionnaires, de la loi sur les conseils qu'ont dénaturé scheidemanniens et kautskystes, de la participation à ces institutions ou à leur boycott".
Et il concluait à l’utilisation en donnant raison à Lévi.
Mais le problème central, qui se manifestera quelques mois après, sera :
- ou lutte révolutionnaire illégale et préparation militaire ;
- ou activité légale dans les syndicats et au Parlement.
C'est le terme de la confrontation entre les deux "lignes" du KPD.
Le centre de l’Opposition se situa pendant quelques temps à Hambourg. Mais rapidement, Laufenberg et Wolffhein commencèrent à être discrédités. Ce sont eux qui commencèrent à élaborer la théorie du national-bolchevisme selon laquelle la défense de l’Allemagne contre l'Entente était un devoir révolutionnaire à remplir, même au prix de l'alliance avec la bourgeoisie allemande ([6] [24]). C'est alors Brème qui fonctionnait déjà comme centre d'informations qui devint le point de référence du communisme de gauche. Le "centre d'information" de Brème lutta sur deux fronts jusqu'au début de 1920 : contre la Centrale du Parti et contre Hambourg. Brème ne chercha pas à scissionner, mais tenta de mettre en discussion les résultats du Congrès de Heidelberg, mais la Centrale de Lévi s'opposa à toute discussion aidée en cela par la lutte contre le "national-bolchevisme" des hambourgeois. La tentative du putsch militaire de Kapp, en donnant aux divergences un contenu "pratique" mit fin à toute discussion. Voyons la riposte prolétarienne à cette tentative de putsch, et le comportement des diverses organisations :
"Dans la Ruhr la Reichswehr n'a pas immédiatement clarifié sa position envers Kapp et étant donné que tous, de l'ADGE ([7] [25]) et la social-démocratie aux centristes et au KPD (S), lancèrent le mot d'ordre de grève générale (bien que la centrale du KP fut un peu hésitante dans les premiers jours,),, la situation aurait eu des possibilités révolutionnaires, si la direction des syndicats et des partis parlementaires avait été brisée; en effet, de nombreuses zones comme la Ruhr en Allemagne centrale n' avaient pas connu les grandes défaites ouvrières des années précédentes, comme celles qui s'étaient produites à Berlin Munich Brème Hambourg etc.
Dans la Ruhr, il y avait une forte tension entre la Reichswehr et les prolétaires, et ce fut la situation engendrée par les Kapp-putsch, qui provoqua immédiatement l'armement des prolétaires en grève (le fait, que de nombreux ouvriers combatifs eussent réussi à se libérer de la domination de l'ADGB en adhérant à la Fau, avait aussi son importance). A cause du caractère démocratiste et constitutionnaliste de la grève générale, les Indépendants et de nombreux sociaux-démocrates ne purent, dans les premiers jours, que tenter de modérer l'agressivité prolétarienne, bien que sans succès dans la première période d'avancée. Le développement de la situation fut le suivant:localement, dans chaque ville, indépendamment des syndicats, se formèrent des troupes de prolétaires qui prenaient les armes contre les soldats de la Reichswehr. Les villes insurgées se réunirent et marchèrent contre les villes encore aux mains de .l'armée, pour soutenir les ouvriers locaux.
Pendant qu'une partie de l'"Armée Rouge" de la Ruhr, comme elle s'appelait, repoussait la Reichswehr hors de la Ruhr, en formant un front parallèle au Lippe, d'autres groupes d'ouvriers prenaient une à une les villes de Remscheid, Essen, Dusseldorf, Mulheim, Duisburg, Hamborn et Dinkslaken, et repoussaient la Reichswehr le long du Rhin jusqu'à Wesell dans une courte période, entre le 18 et le 21 mars.
Le 20 mars, l'AGDB, après l'échec du putsch déclara la grève générale terminée et le 22 mars, la SD et l'USPD firent de même. Le 24 mars, des représentants du gouvernement social-démocrate, de la SD, de l'USPD et d'une partie du KPD conclurent un accord à Bielefeld, qui proclama le cessez-le-feu, le désarmement des ouvriers et la liberté pour les ouvriers qui avaient commis des actes "illégaux".
Une grande partie de l'Armée Rouge n'accepta pas l'accord et continua la lutte.
Le 30 mars, le gouvernement social-démocrate et la Reichvehr adressèrent un ultimatum aux prolétaires: accepter immédiatement l'accord ou bien la Reichwehr dont la force avait au moins quadruplé, grâce à l'arrivée de corps-francs venant de la Bavière, de Berlin, de l'Allemagne du Nord et de la Baltique, commençait une nouvelle offensive.
La coordination entre les diverses troupes ouvrières étaient désormais minimes à cause de la trahison des Indépendants, le centrisme du KPD (S) et des syndicalistes et la rivalité entre les trois centrales militaires de l'Armée Rouge.
La Reichwehr et les nombreuses troupes blanches ouvrirent une vaste offensive sur tous les fronts : le 4 avril, Duis burg et Mulheim tombèrent, le 5, Dortmund et le 6, Gelsenkirchen.
Une terreur blanche très dure commença; elle fit des victimes non seulement parmi les ouvriers armés, mais aussi parmi leurs, familles qui furent massacrées, et parmi de jeunes ouvriers qui avaient aidé les combattants blessés à l'arrière du front.
L'Armée Rouge de la Ruhr encadra entre 80.000 et 120.000 prolétaires, elle parvint à organiser une artillerie et une petite aviation. Le développement des luttes a formé ses trois centres militaires:
a - Hagen dirigée par l'USPD, accepta sans hésitation l'accord de Bielefeld.
b - Essen, dirigé par le KPD et par la gauche Indépendante: il fut reconnu comme Centrale Supérieure de l'armée le 25 mars. Quand le gouvernement social-démocrate mit les ouvriers devant son ultimatum du 30 mars, cette centrale donna le mot d'ordre très ambigu de retour à la grève générale (alors que les ouvriers étaient armés et en lutte!)
c - Mulheim, dirigé par les communistes de gauche et des syndicats révolutionnaires. Il suivait complètement la Centrale militaire de Essen, mais lorsque celle-ci réagit de façon centriste à l'accord de Bielefed la Centrale de Mulheim donna le mot d'ordre "luttez jusqu'au bout".
Les trois centrales de l'USPD, du KPD(S) m et de la FAUD(S) ([8] [26]) eurent en commun la position tout à fait ignoble, à savoir qu'elles considéraient ces luttes comme "aventuristes".
Aucune centrale nationale ne prit la direction des luttes : le mouvement prolétarien local montra toute sa volonté de centralisation, à l'intérieur des limites de ses n forces locales.
Même en Allemagne Centrale, les prolétaires s’armèrent et, sous la direction du communiste M.Hoelz, de nombreuses villes autour de Halle s'insurgèrent, mais le mouvement ne put aller plus loin, car le KPD(S) très fort à Chemnitz où il était la parti le plus grand, se contenta d’armer les ouvriers en accord avec les sociaux-démocrates et les Indépendants et d'attendre le retour de Ebert au gouvernement.
Brandler, qui dirigeait le conseil ouvrier de Chemnitz, conçut son rôle de dirigeant comuniste local comme consistant à éviter que des luttes n’éclatent entre les communistes de Hoelz qui voulaient s'armer avec les nombreuses armes abandonnées par la Reichwehr à Chemnitz et aux alentours, et les sociaux-démocrates, qui furent tout le temps prêts à attaquer les révolutionnaires, tentant plusieurs fois de lancer la Heimwehr (groupes blancs armés de la bourgeoisie locale) contre eux.
Le centrisme du KPD(S) fut pleinement révélé par le fait que, alors que les ouvriers étaient en lutte, la Centrale de Lévi donna, le 26 mars, le mot d'ordre d'opposition loyale en cas de gouvernement "ouvrier" entre les sociaux-démocrates et les Indépendants. "Die Rote Fahne", organe " central du KFD (S) écrivait (n°32, 1920) : "L'opposition loyale, nous la comprenons ainsi : aucune préparation à la prise de pouvoir armé, liberté naturelle pour l'agitation du Parti, pour son but et ses solutions". L e KPD abdiquait officiellement ses buts révolutionnaires, le faisant à un moment où plus que jamais, le prolétariat allemand avait besoin du Parti Communiste révolutionnaire.
C'est donc un résultat historique naturel que les communistes de gauche, devant la trahison de la section de la IIIème Internationale, aient formé le mois suivant (avril 1920) le KAPD, Parti Communiste Ouvrier d'Allemagne".
Il semble ici que ce long extrait de "La gauche Allemande et la question syndicale dans la IIIème Internationale" (travail par lequel une importante partie du PCI a rompu avec lui en 1972) n'appelle aucun commentaire.
Au cours de ces mois, un autre événement important survient l'abandon du KPD (O) par la Bremerlinke et son retour au sein du KID (S) où elle jouera un rôle d'opposition interne avec Frölich et Karl Becker (nous verrons par la suite sa position au cours des années suivantes et en particulier au printemps 1921). Nous ne possédons pas tous les éléments pour comprendre et porter un jugement sur ce qui fut un coup très rude pour le communisme de gauche et un grand succès pour la direction de Lévi. Ce qui influença certainement la décision du groupe de Brème, ce fut le sentiment de fidélité à l'IC (qui donnais on soutien au KH) S tout en émettant de fortes réserves) et sa nette opposition au groupe de Hambourg avec Laufenberg et Wolffheim.
Nous avons omis jusqu'ici de parler des syndicats, des Conseils et des Unions qui furent les points centraux du débat et des divergences au sein du mouvement allemand. La complexité de la question, nous a invité à déblayer d'abord les autres points pour pouvoir ensuite traiter (succinctement) de façon la plus claire possible, la "question syndicale". C'est ce que nous chercherons à faire dans un prochain texte.
S.
[1] [27] Les historiens et l‘historiographie ont utilisé le terme de "Linksradikalen" pour désigner des groupes comme celui de Brème ou celui de Hambourg, puis ensuite ceux du KAPD et les Unions. Le terme "Ultralinke" fut au contraire employé pour désigner l'opposition de gauche (Priesland-Fischer-Maslov) au cours des années suivantes au sein du KPD.
[2] [28] Pour la publication d’"Arbeiterpolitik", il y eut même une souscription parmi les ouvriers des chantiers navals de Brème.
[3] [29] Sur l'interprétation des événements russes, il existait toutes sortes de divergences entre les communistes de Brème et les Spartakistes. Citons seulement la question de l'usage de la "terreur révolutionnaire". Pour le groupe de Brème, Knief critiqua durement la position de Luxemburg sur son refus d'utiliser la terreur de classe dans la lutte révolutionnaire.
[4] [30] C'est à Gotha que les Spartakistes adhèrent à l'USPD.
[5] [31] Au IV° Congrès de l'IC (nov. 1922), Radek reprendra cette position en disant qu'on devait remercier la Social-démocratie "d'avoir fait le plaisir d'abattre le Kaiser".
[6] [32] La position "national-bolcheviste" sera reprise sans soulever autant de scandales par le KPD en 1923. Brandi er et Thalheimer firent des déclarations du style :
"Dans la mesure où elle mène une lutte défensive contre l'impérialisme, la bourgeoise allemande joue dans la situation qui s'est créée, un rôle objectivement révolutionnaire, mais en tant que classe réactionnaire, elle ne peut .utiliser les seules méthodes qui permettraient de résoudre le problème".
"Dans ces circonstances, la condition de la victoire prolétarienne est la lutte contre la bourgeoisie française et sa capacité de soutenir la bourgeoisie allemande dans cette lutte, en assumant l'organisation et la direction de la lutte défensive sabotée par la bourgeoisie".
Et dans "Imprekor" de juin 1923, on lisait :
"Le national-bolchevisme n'aurait été en 1920 qu'une alliance pour sauver, les généraux qui immédiatement après leur victoire auraient balayé le PC. "Aujourd'hui, il signifie que tous sont convaincus qu'il n'y a d'autre salut qu'avec les communistes. Aujourd'hui, nous sommes la seule solution possible. Le fait d’insister avec force sur l’élément national Allemagne est un acte révolutionnaire tout comme le fait d’insister sur l’élément national dans les colonies", (souligné par nous).
[7] [33] ADGB : Syndicat allemand : Allgemeiner Deutscher Gewerkschafs Bund. Avant juin 1919, il s'appelait Freien Gewerkshaften.
[8] [34] Freie Arbeiter Union Deutsclands (syndikalisten). Organisation Syndicale fondée en décembre 1919.
Toute thèse conçue sur le plan national étudie la situation de 1’Italie contemporaine "in vitro", par le décalage, l'inégalité de développement entre le nord industriel et, le Mezzogiorno caractérisé par une agriculture fondée sur le système des tenures et des latifundia, région où au début de ce siècle le revenu était moitié moindre de celui des provinces septentrionales. C'est notamment celle de l'élève de B. Croce, de 1'interventiste de 14, du révisionniste qui décrète qu'Octobre a infirmé l'analyse fournie par Marx : A. Gramsci dont hérite la "nouvelle gauche", et que l'hagiographie s'évertue à présenter comme le théoricien le plus puissant et le plus original du marxisme dans le monde non-russe ([1] [37]).
Là-dessus, le marxisme ne saurait être plus clair ; si les terres méridionales, prisonnières d'un carcan semi-féodal, constituent l’un des principaux foyers d'émigration, alors que le réservoir de richesses de la plaine alluviale du Pô est l'objet d'un soin particulièrement attentif de la part du capitalisme, cela tient fondamentalement aux conditions du marché mondial et, à la division internationale du travail qui s'ensuite Illustrant cette vision, nous dirons que cette émigration dépeuplant les provinces méridionales a correspondu à la crise mondiale et à la grande dépression agricole de la fin du siècle. L'adoption du protectionnisme fut l'acte de naissance du capitalisme italien, favorisant les agrariens de la plaine du Pô et fournissant aux propriétaires absentéistes un revenu assurée Quand en Louisiane sont découverts de nombreux gisements de soufre, c'est la ruine pour la Sicile qui, longtemps fut seule à l'extraire de son sous-sol.
Le capitalisme italien surgit "post festum" dans une arène où le partage du monde était déjà pratiquement achève. A ce capitalisme dénué des droits d'ainesse, allaient échoir les bas morceaux dont ne voulaient pas s'encombrer les Puissances, non qu'elles fussent en la matière des philanthropes à toute épreuve, mais en considération d'un budget colonial qui aurait immanquablement entrainé une lourde charge pour la métropole0 Mais elle, l'Italie continuera inlassablement à revendiquer de nouveaux domaines d'expansion pour se hisser à leur niveau. Dans une situation conjoncturelle défavorable à l'impérialisme italien, on verra germer la semence du nationalisme définissant l'Italie comme "la grande prolétaire des nations". Sur ce chemin, Mao a trouvé des prédécesseurs en la personne des Crispi, Corradini ou Mussolini, autre timonier, ce qui dans la langue de Dante se dit "Duce".
Au moment même de rivalités impérialistes croissantes, l'Italie mit en chantier son économie de guerre avec l'espoir de s'en servir bientôt dans sa propre politique de conquête territoriale De la sorte, elle se préparait à conquérir une partie des zones tierces recelant les principales sources de matières premières faisant cruellement défaut à l'économie métropolitaine. C'est dire aussi que les travailleurs italiens, contrairement à leurs frères de classe anglais, belges, français ou hollandais ne participèrent, en quoi que ce soit, à un quelconque partage des provendes impérialistes„
Le développement de certaines industries, en particulier de la sidérurgie, de la chimie, de l’aéronautique, des constructions navales, marque sa progression de succès qui vont impressionner jusqu'aux plus blasés des experts des vieilles citadelles impérialistes. L'effort de guerre italien, qui porte aussi les lignes du réseau ferroviaire de 8200 km en 1881, à 17 038 en 1905, tous les ingénieurs, financiers, plumitifs et politiciens qui visitèrent la péninsule à cette époque le saluent unanimement.
Devant beaucoup pour son développement à l'afflux de capitaux français investis massivement dans l'économie italienne à partir de 1902, et à la forte participation bancaire helvète et germanique, l'Italie construit dans le nord du pays de puissantes centrales hydro-électriques. Cet effort va lui permettre de suppléer aux insignifiantes extractions charbonnières du Val d'Aoste, et d'électrifier les lignes de chemin de fer, lesquelles permettront ultérieurement d'amener sur le théâtre des opérations militaires la chair à canon, mais verront aussi de formidables soulèvements de soldats et de grèves chez les cheminots qui furent déclarées illégales. Au cours de cette brève période de redressement économique, 1'assiette politique passera des mains des armateurs et négociants sardes et génois -le commerce entre l'Italie et l7Empire Ottoman avait augmenté de 150% entre 1896 et 1906- dans celles des chefs d'entreprises de Lombardie et Piémont.
La difficulté de trouver des territoires extra-capitalistes non occupés avait donc conduit au développement d'une grosse économie de guerres Dans les premières années du siècle, les dépenses militaires continuaient à dévorer de plus belle un quart du budget. De mai 1915 à octobre 17, la production mensuelle de mitrailleuses passe de 25 à 800, celle des canons de 80 à 500, la fabrication des obus de 10 000 à 85 000 par jour. Alors qu'en mai 1915, l'Italie ne possédait presqu'aucun lance-bombes, elle en détiendra 2 400 à la veille de Caporetto. Fin décembre 1914, l'Italie pouvait aligner 1 million et demi d’hommes.
Cependant, alors qu'au Parlement se votaient les commandes de matériel à 1’industrie lourde, et les crédits de défense, dans la plupart des centres industriels, les masses d'ouvriers en bleu ou en uniforme se mettent à déferler dans les rues pour réclamer du pain et du travail. Pas une ville qui ne fut paralysée par la grève générale, pas un centre industriel qui ne fut pas envahi par le flot révolutionnaire montant. A Naples, l'année 1914 commence sur une émeute contre l'augmentation des loyers; en mars, les cigariers des manufactures de tabacs de l'Etat commencent une longue grève qui durera deux mois. Courageux comme toujours, le prolétariat d'Italie réagit par sa violence de classe aux tueries de ses combattants. Le 7 juin, il s'empare durant sa "semaine rouge" d'Ancône où il abolit immédiatement les impôts, il ne protestait pas platoniquement contre les compagnies disciplinaires dans l'armée en signant un quelconque "Appel des Cent", mais en s'emparant du pouvoir. A Bologne, à Ravenne la " République Rouge" est proclamée, la grève générale s’étend à toute la péninsule coupant irrémédiablement l'Italie en deux camps. Salandra, appelé au pouvoir pour liquider les séquelles de la guerre coloniale de Lybie, devra utiliser 100 000 hommes de troupe pour rétablir l'ordre.
Rendons un vibrant hommage aux militants anarchistes ([2] [38]) qui payèrent de leur personne "se moquant avec raison des pédants bourgeois qui leur font le calcul du coût de cette guerre civile en morts, blessés et sacrifices d'argent" (Marx),
LA LUTTE CONTRE LA GUERRE
L'Italie monarchiste et démocratique était entrée en guerre pour reconquérir les pays africains perdus après le désastre militaire total d'Adua face aux armées abyssines, mars 1896. Elle essayait de rétablir des droits sur la Lybie, droits rognés par une série de traités, franco-anglais, et, de se gagner quelques possessions en Mer Rouge. Le déchaînement du premier conflit mondial où se jouait le partage impérialiste du monde -et non la lutte peur la "liberté", thème mensonger de la social-démocratie parut à la classe dominante italienne le moyen de s'annexer les régions irrédentes soumises à l’autorité autrichienne : Trentin, le débouché de Trieste, l'Istrie et la Dalmatie, ou à l'administration française : Corse et Tunisie. Plus d'un million de résidents italophones retrouveraient l'hospitalité de la mère-patrie.
Cette conflagration, dans laquelle l'Italie se devait: d'entrer de plain-pied pour ne pas être reléguée pour toujours à ce rang secondaire auquel elle essaie d'échapper depuis sa formation nationale, n'épargna qu'une année de désolation et de souffrance à la classe ouvrière et aux paysans italiens. La tardive entrée italienne dans le conflit embrasant le monde, traduisait d'une part les difficultés rencontrées par la bourgeoisie pour leur faire mordre à l'appât interventiste, d'autre part son hésitation à choisir entre les offres austro-allemandes et celles des Alliés. C'est pourquoi, la diplomatie de Rome consistait à jouer sur deux tableaux en conduisant deux tractations parallèles. Aux Autrichiens, elle réclamait, outre le Trentin, de pouvoir porter ses prochaines frontières jusqu'à la rive occidentale de l'Isonzo, de prendre Trieste et le Carso, les îles Curzalori au centre des cotes Dalmates, enfin la prépondérance italienne sur 1'Albanie. L'Entente sera plus généreuse : en entrant en guerre à ses côtés, sous le délai d'un mois, elle recevrait le Haut-Adige, le Trentin, les Alpes juliennes, Trieste et l'Albanie, plus des assurances sur la zone turque d'Adalia et, verrait confirmée sous occupation du Dodécanèse. L'Angleterre lui consentirait un prêt de 50 millions de livres (1,25 milliard de lires).
L'Italie se vendait donc au plus offrant, soit à l’entente, soit à l'Allemagne à laquelle elle était liée depuis 1882. La partie étant excessivement serrée, côté allemand le Reichstag délégua à Rome le député socialiste Sudekum, type du social-chauvin dépourvu de tout scrupule selon Lénine, chargé de faire respecter les engagements politiques et économiques de l'Italie auprès des signataires de la Triplice. De son coté, le gouvernement français chargea le député socialiste Cachin d'acheter le concours militaire italien par Mussolini interposée. Pour marquer la valeur relative que les Empires Centraux accordaient à l'Italie, l'Autriche trouva excessives les exigences formulées par Rome et, par conséquent inacceptables. Refus de toute cession de territoires appartenant aux Habsbourg, de les laisser occuper par l'Italie, de les étendre au-delà de la partie méridionale du Trentin. Alors, le 26 avril 1915 Sonnino signait le Pacte de Londres; le 4 mai la Triplice était dénoncée par l’Italie.
Le voyage de Cachin et Jouhaux pour faire entrer l'Italie dans la mêlé s'avérait payant pour l'impérialisme française. L'argent français s'ajoutait aux subsides des industriels intéressés par l'intervention, la FIAT, 1'ANSALDO, 1’EDISON… pour tomber dans les caisses du "Popolo d'Italia". Dans ces colonnes, Mussolini exaltait la "guerre libératrice" qui "doit avant tout effacer l'ignoble légende que les Italiens ne se battent pas; elle doit annuler la honte de Lissa et de Custoza ([3] [39]), elle doit démontrer au monde que l'Italie est capable de faire une guerre, une grande guerre. Il faut le répéter, une grande guerre. ("Popolo d'Italia", 14/01/1915).
Ment dans les intérêts de la bourgeoisie celui qui fait décrire à sa plume des scènes d'enthousiasme "des radieuses journées de mai" de la part des travailleurs italiens. Du même coup, il efface le rôle joué par la social-démocratie dans une guerre qui se livrait pour la domination économique et politique de contrées où pouvait s'installer le capital financière En fait, il n'y eut pas de classe ouvrière marchant allègrement au massacre la fleur au fusil et l'hymne national aux lèvres. Ni les prolétaires, ni les paysans, à qui pourtant on avait présenté la guerre comme leur affaire inaliénable, ne crurent aux harangues patriotiques que leur déversaient les officines de l'Etat, pas plus qu'aux promesses d'un avenir meilleur une fois la victoire remportée sur 1'ennemie
Aux premiers contacts avec la réalité peu glorieuse de la guerre, le sentiment défaitiste se raviva, car de plus, à l'action de transformer la guerre impérialiste en guerre civile se dévouaient corps et âme jeunes socialistes et jeunes anarchistes. La seule différence existant entre les uns et les autres consistait en ceci, que si les premiers savaient parfaitement qu'une semblable transformation est conditionnée par le fait que le capitalisme était arrivé au bout de ses contradictions en tant que système de production, les seconds croyaient pouvoir l'accomplir au gré de leur volonté de partie Mais, les uns comme les autres remplirent le devoir élémentaire du socialisme dans la guerre, à savoir la propagande pour la lutte de classée
Les années d'hostilité se caractériseront par une lame de fond faite de grèves contre les conséquences désastreuses de l'économie de guerre, de démonstrations de soldats dans les villes de garnison, et de soulèvement d'ouvriers agricoles. Pendant toute la durée du conflit impérialiste, éclatèrent sans se relâcher, de graves troubles sociaux. Les ouvriers exigeaient une paix immédiate et la démobilisation générale pour retrouver leur foyer. L'armée hésitait, et, par milliers les soldats désertèrent leurs postes de combat. Vers la fin d'octobre 17 l'aube de la guerre civile se leva sur les charniers de l'Isonzo; le front se débanda dans une zone de bataille de première importance. La conclusion du manque d'ardeur guerrière des soldats italiens, qui pour sûr n'avaient rien retenu de la leçon mussolinienne, fut l'écroulement du front à Caporetto. Par vagues successives, 350 000 hommes jetant armes et barda, abandonnaient le champ de bataille face à la percée des autre-allemands dont les éléments en première ligne faisaient usage de gaz mortels. Les réservistes Italiens envoyés pour stopper l'offensive et arrêter les déserteurs refusèrent à leur tour de monter en ligne.
Pour les progrès ultérieurs de la révolution, cette défaite qui était celle de la bourgeoisie réactionnaire italienne ouvrait de grandes perspectives. La débâcle de Caporetto ébranla le mécanisme gouvernemental italien : la voie révolutionnaire était définitivement déblayée. Sorti des poitrines meurtries de centaines de milliers de soldats, depuis les charniers de Galicie parcourus de ruisseaux de sang jusqu'aux tranchées de l'Isonzo, le cri de défaitisme révolutionnaire était enfin victorieux de la soldatesque. A des milliers de kilomètres plus loin, ouvriers, soldats et marins révolutionnaires s'emparaient à Petrograd du Palais d'Hiver, l’effondrement de l'armée italienne, le désordre qui atteignit de plein fouet les organes de l'Etat ouvrirent une profonde crise politique, de celles dont on ne se relève pas. La dépendance italienne vis à vis de l'Entente s'accentua puisque le généralissime Foch et le général en chef anglais Roberston imposèrent le remaniement profond du Haut-Commandement italien.
Au lendemain de la débandade de la IIe Armée, mettant l'ennemi à une journée de marche de Venise, la bourgeoisie associe l'exaltation du zèle patriotique aux solennels appels du roi à tous les hommes d'ordre. Coûte que coûte il fallait opposer un front uni à la "subversion bolchevique", car elle avait compris que si la machine de guerre s'arrêtait "la foule des ouvriers des usines d'armement restera sans travail : la faim et le froid la feront se réunir à la masse des fuyards. Ce sera la révolte, puis la Révolution". ([4] [40]) Pour la centrale syndicale, la CGIL, Rigola déclarera : "Lorsque l'ennemi piétine notre sol, nous avons un seul devoir, résister!". Trêves et Turati feront entendre un son de cloche identique, plus pernicieux : "La défense de la patrie n'est pas le reniement du socialisme!". Ils étaient bien les alliés de tout le bloc bourgeois, les commis de leur impérialisme.
Dans toute la péninsule, des propagandistes gouvernementaux se répandent en discours vengeurs afin d'exciter la vindicte contre le "poison caporetiste", pour relever le moral de la population, et stimuler la conscience professionnelle des travailleurs. Le mot d'ordre patriotique "Résister, résister, résister" draina dans les caisses de l'Etat plus de 6 milliards de lires sonnantes et trébuchantes. Comment regonfler le moral d’une troupe qui manifestait son refus de la boucherie? C'était bien simple l'armée fut réorganisée avec une bonne pincée de démocratisation, celle-ci octroyant des permissions régulières et, améliorant l'ordinaire du soldat. Niti, qui se trouvait alors ministre des Finances, créa 1'"Œuvre Nationale des Combattants" en vue de faciliter 1'acquisition de terre par les paysans après leur démobilisation.
Les militants internationalistes, inculpés de haute trahison, furent soumis, à de furieuses représailles, traînés devant les cours martiales, envoyés muni militari en première ligne. Ils n'avaient pas fait que souhaiter la défaite de leur gouvernement, mais s’étaient préparés aux tâches nouvelles : reconstruire une Internationale. Alors, les anarchistes -Malatesta en tête- savaient que la guerre est en permanente gestation dans l'organisme social capitaliste, qu'elle est la conséquence d'un régime qui a pour base l'exploitation de la force de travail, qu'il n'y a plus de guerre qu'impérialiste. Tous, socialistes comme libertaires, devaient donc goûter les châtiments de la démocratie. Eux chassés et martyrisés, déjà quelques députés du Parti Socialiste commencent à participer au travail de certaines Commissions Parlementaires, marchaient à grandes enjambées vers leur complète fusion avec le Royaume qu'ils avaient bon espoir de voir accéder aux premières loges de 1'impérialisme.
Très justement, Gorter a exprimé l'idée que la bourgeoisie grâce à sa propre décomposition, sachant flairer une autre, pourriture morale, devina immédiatement la corruption profonde de la social-démocratie. Dès le début des hostilités, Le P.S.I., avait surtout cherché à éviter tout ce qui pouvait contribuer à détourner l'Italie de la neutralité, si besoin était par la grève générale. L'amour des socialistes italiens pour la neutralité leur fit rencontrer la délégation socialiste suisse à Lugano en octobre 14. C'est d'une souris qu'allait accoucher la montagne, elle lancera au monde un message de paix et de concorde; elle essaiera de renouer les contacts avec les minoritaires neutralistes des partis socialistes? Elle adressera un fraternel avertissement (sic) aux camarades des pays en guerre pour la lutte en faveur de l'armistice; elle sera décidée à faire pression sur les gouvernants pour leur imposer une action pacifiste. Tout le maximalisme italien, qui tenait entre ses mains les destinées du P.S.l., est là.
La tactique du P.S.I. a uniquement consisté à freiner la lutte de classe pour toute la durée de la guerre sous le couvert de l'hypocrite : "Ni saboter, ni participer!", ce qui dans les faits revenait à fouler aux pieds les principes les plus élémentaires de la lutte de classe internationale. On notera que cette position, on ne peut plus ambiguë, était partagée par les milieux d'affaires giolittiens et, par le Vatican protecteur de l'Empire catholique autrichien. Tout comme les socialistes de la neutralité, Benoit XV lance sa fameuse circulaire invitant les Puissances à négocier une paix honorable, sans annexion, ni indemnités. En un mot, comprenant avec une crainte justifiée que de la guerre ne surgisse la révolution prolétarienne, le P.S.I. lutte tout simplement contre la Révolution en luttant contre la guerre.
En dépit de ses efforts pour constituer l'Union Sacrée, la bourgeoisie italienne n'était pas parvenue à étrangler la lutte de classée Pendant l'été 17, Turin s'était couvert de barricades en cette deuxième année de guerre totale. Le 21 août, le pain et les vivres courantes ayant fait défaut, bien que le préfet se soit décidé la rage au ventre de faire distribuer de la farine aux boulangers, les ouvriers de plusieurs usines avaient arrêté leur travail pour se rendre en cortège à la Chambre du Travail; mais, ils se heurtèrent aux forces de l'ordre l'arme aux pieds. Dès cet instant, poussé par sa propre dynamique, la grève démontre qu'elle ne consiste pas en un simple débrayage pour l'amélioration des conditions de vie. Elle se transforme vite en lutte frontale, puisqu'après avoir fraternisé avec les soldats du régiment "Alpini", les travailleurs mal armés se battent cinq jours durant avec des troupes d’élite ne reculant pas à mettre en batterie, mitrailleuses et tanks. Tel fut le grandiose soulèvement de Turin qui ne retrouvera son calme -et encore fut-il des plus précaires- qu'aux lendemains d'une répression faisant 50 morts et 200 blessés.
C'est vers la fin de 1916 que, pour prévenir l'éclatement des grèves sauvages à un moment où la production de guerre devait tourner à son plein rendement, la bourgeoisie avait institué des Comités de Mobilisation Industriels. Sans hésitation aucune, les syndicats avaient accepté de collaborer à la construction de cette digue du capitalisme d'Etat; des municipalités réputées "rouges", notamment Bologne, Reggio d'Emilia, Milan, s'arrangent pour humaniser la guerre, et dans un bel élan de charité viennent panser les blessures : ravitaillement, aide aux familles des militaires, etc. Les Commissions Internes, composées exclusivement de travailleurs en règle avec leur timbre syndical, reçurent pour mission de désamorcer la tension dans les ateliers. Elles devenaient des institutions permanentes qui se voyaient confier, entre autres choses, le droit de traiter d'un problème aussi important que celui du salaire au rendement ou, le licenciement des ouvriers. Ce sont ces structures de collaboration ouverte, présente dans chaque usine dès février 19, que les Ordinovistes prendront comme support de la "praxis révolutionnaire", le "germe soviétique" de la dictature prolétarienne, le moyen par excellence d'organisation autonome de la classe sur les lieux de travail. Quant à la classe, elle dut se battre encore, avec cet organe d'autorégulation du capital.
Les socialistes majoritaires n'ont pas été les seuls à suivre la politique nationaliste de leur bourgeoisie. Ce sont aussi les soréliens et anarcho-syndicalistes (au moins un important contingent), les militants qui se rallient à leur bourgeoisie, naguère si combattue, ne se comptent plus. Le vétéran A. Cipriani ne déclare-t-il pas que si ses 75 ans le lui permettaient, il serait dans les tranchées de la "démocratie" à combattre "la réaction militariste germanique". C'est le même scénario de capitulation de la social-démocratie au moment de la grande épreuve historique de la guerre qui se répétait presque ponctuellement outre-Alpes. Un pareil krach général de l'Internationale faisait dire à R. Luxembourg que la social-démocratie s'était placée au service de sa bourgeoisie parce qu'à dater du 4 août 14 et jusqu'à la signature de la paix, "la lutte de classe n'était profitable qu'à l'ennemi d'en face". En Italie aussi les organisations vont demander aux travailleurs de renoncer à faire grève, à retarder à plus tard leur lutte de classe pour ne pas saper les forces de l'Etat démocratique, pour ne pas compromettre les chances d'une paix rapide. Pendant que se tenaient ses propos mensongers, les bénéfices de 1'industrie lourde italienne levaient comme des champignons après la pluie, et les cadavres s'empiler les uns sur les autres jusqu'à faire des montagnes.
Des groupes d'anarchistes et de soréliens lançaient les fascis pour "la Révolution européenne contre la barbarie, le militarisme allemand et la perfide Autriche catholique et romaine".
Exemple après exemple, le ralliement de pans entiers de la social-démocratie à la bourgeoisie en guerre, l'attitude ultra-chauvine des organisations a été un phénomène mondial dont les racines ont poussé dans le changement définitif de la période du capitalisme, et non dans l'explication personnaliste qui veut que ce soit la trahison des chefs. Des dizaines d'années de développement du P.S.I. ne se sont pas écoulées sans dommages pour le programmée, il était devenu tout puissant sur le plan matériel avec entre ses mains 223 des 230 communes d'Emilie, des centaines de syndicats, ligues paysannes, coopératives et Bourses du Travail0 Mais cette puissance "terrestre" était un poids mort pour le prolétariat, l'œuvre extrêmement importante accomplie était terminée.
Bien évidemment, le passage de la social-démocratie italienne dans le camp bourgeois ne s'est pas fait brusquement du jour au lendemain0 Déjà, dans les années 1912, à une époque où en contrepartie de l'abandon de ses visées sur le Maroc et l'Egypte, l'impérialisme italien était autorisé par les anglo-français à jeter son dévolu sur la Tripolitaine et, préparer la conquête du Dodécanèse et de Rhodes, le Parti alors vieux de 22 ans avait été secoué par la question coloniale. Considérant que l'établissement de 2 millions d'Italiens continentaux dans les contrées désertiques de Tripolitaine et Cyrénaïque offrirait une chance exceptionnelle d'écouler une masse importante de chômeurs et, de remettre la main sur cette ancienne colonie romaine, les députés socialistes Bissolati. Procéda et Bonomi -celui-là nous le retrouverons plus loin en aussi bonne compagnie- s'étaient déclarés des partisans convaincus de l'expansionnisme italien. Dans le Proche-Orient, les Balkans et les Echelles, celui-ci devait et avait à prendre la relève de cet "homme malade", l'ottoman. Tout ce joli monde de politiciens clamait du haut de la tribune parlementaire et des estrades de meetings que les socialistes ne pouvaient pas décemment abandonner aux adversaires de droite le monopole du patriotisme. Et, ironie de l'histoire, c'est le futur Duce qui fera expulser du Parti les éléments bellicistes, les francs-maçons comme "ennemis de classe" pour leur attachement immodéré à la cause de la démocratie réformiste et leur sympathie apportée à la collaboration.
Il avait donc fallu au Parti s'amputer de ces membres gangrenés et, mettre en place un nouveau centre dirigeant capable de défendre la position de classe sur la question coloniale. Contre les partisans de la conquête, la Gauche lancera "Pas un homme, pas un sou pour les aventures africaines!". Las, les tendances expansionnistes affirmées à l'intérieur du mouvement ouvrier avaient, en fait, des causes plus profondes que ne pouvaient l'apprécier ceux qui y avaient porté le fer rouge dans l'espoir d'une prompte guérison. Lorsqu'à Monza en juillet 1900, surgit l'arme à la main l'ouvrier anarchiste Bresci pour venger les combattants prolétariens du Milan de 1898, les journaux socialistes paraissent avec les signes de deuil ostentatoires habituels. Les socialistes pleuraient Humberto 1°, le roi-boucher. Ainsi, nous pouvons dire que pendant la durée de la première guerre mondiale, le Parti italien a signé un nouveau répit avec la Maison de Savoie et, par accord tacite, a placé sans ambages, sa cause dans le giron de l'Etat. Au lieu donc d'appeler à la lutte de classe contre le militarisme, à la solidarité internationale, il soutenait qu'après les nécessaires sacrifices imposés par la cause nationale, une longue période de prospérité capitaliste s'ouvrirait avec son cortège bienfaisant de réformes sociales. Il aurait suffi à un gouvernement issu de la volonté populaire de légiférer loin des tumultes grossiers de la rue pour procéder à de vastes, très vastes réformes.
Mieux que par le passé, l'Etat subventionnerait les caisses d'assurances contre les accidents du travail, réglementerait les conditions d'embauché des femmes et des enfants, étendrait à de nouvelles couches de travailleurs le repos hebdomadaire, faciliterait la participation des salariés aux bénéfices d’entreprise. Donc, les mesures de législation sociale, prises vers les années 1903-1906 au moment de la brève stabilité économique italienne s’en seraient trouvées fortifiées et agrandies. Le chef de la bourgeoisie industrielle et commerciale, Giolitti, venait prêter main-forte aux discours endormeurs des socialistes de la Chambre, pour dire qu'il fallait aller "à gauche, toujours plus à gauche". Au sortir de la guerre, ce n'était pas ce tableau d'un touchant idyllisme social, espéré par la bourgeoisie et son commis social-démocrate, qui pouvait représenter la situation réelle italienne.
SITUATION CATASTROPHIQUE
La fin des hostilités intervenue le 04/11/18 ne fit pas bénéficier l’impérialisme de grandes conquêtes. Une fois la guerre finie, les pays de l'Entente se montrent fort chiches en compensations promises0 Jouant à fond sur l'imprécision de l'article 13 du Pacte de Londres, la France refuse la cession de toute la Dalmatie, préférant qu'à l'exemple de Danzig, Fiume soit érigée "ville libre" sous la tutelle de la S.D.N. De plus, l'Angleterre et la France autorisent les troupes grecques de Vênizélos à occuper Smyrne en lieu et place des Italiens et, il est hors de propos que Rome obtienne un mandat sur le Togo ex allemand. L'acquisition au nord et à l'est de nouvelles frontières, la conquête du versant adriatique de l'Istrie, du port de Zadar avec un étroit hinterland autour de la ville, plus quelques îlots, son protectorat sur l'Albanie, la souveraineté italienne sur le Dodécanèse ne résolvent pas pour autant le problème des débouchés pour l'économie italienne.
La disparition du puissant rival autrichien, qui doit lui céder la quasi totalité de sa flotte marchande, remplacé par une poussière d'Etats croupions, ne lui évite pas la confrontation avec sa plus grande crise historique depuis 1' achèvement de l'unité nationale.
Pour le grand capital, l'industrie lourde avait constitué un champ d'accumulation de plus en plus vaste : non seulement l'Italie put garantir sa production d'armes et de projectiles, mais elle exporta chez ses alliés des véhicules et des avions. Sur son chemin, elle rencontrera l'hostilité "pacifiste" des industries traditionnelles qui l'avaient précédée dans la genèse du capitalisme italien. Elle doit se reconvertir quand sonne l'heure de la réconciliation, quand à la guerre brutale se substitue la compétition commerciale. La solution est alors toute trouvée : les magnats des trusts ANSALDO, BREDA, MONTECATINI licencient car il est de plus en plus difficile de valoriser les énormes capitaux investis jusqu'à l'hypertrophie dans les industries de "défense nationale"« La production de fonte tombait de 471 188 tonnes en 1917 à 61 391 en 1921 et, dans le même temps, celle de l'acier, de 1 333 641 tonnes à 700 433. La FIAT, qui avait assemblé 14 835 véhicules en 1920, n'en construisait plus que 10 321 une année plus tard. Le déficit de la balance commerciale se trouvait être multiplié de près de 5% par rapport à 1914; l'Amérique réduisait l'immigration de 800 000 en 13 à moins de 300 000 en 1921- 1922; l'Angleterre diminuait d'un fiers ses exportations de charbon.
Alors que l'étau de la crise se resserrait à vue d'œil, naissait le nouveau gouvernement présidé par Nitti, avant tout pour relever les ruines de la guerre. Tout le commerce extérieur italien était à reconstituer ce qui représentait un travail au-dessus des forces réelles du pays puisqu'à ce moment, la dette publique atteint quelque 63 milliards, dont les 2/3 ont été affectés aux frais de guerre.
Par la pression fiscale, la création d'impôts supplémentaires et, surtout par l'écrasement des salaires, l'Etat avait fait supporter aux classes laborieuses la politique guerrière; le régime fiscal italien était devenu un des plus lourds du monde0 Le cabinet Nitti, qui va continuer dans cette voie, prend le 24/11/l9 les dispositions fiscales suivantes :
— impôts de 18% sur les revenus du capital,
— impôts de 15% sur les revenus mixtes du capital et du travail,
— impôts étages de 9 à 12% sur les salaires.
En même temps, il instituait de nouvelles taxes à la consommation Ce qui achevait d'assombrir la situation, c'était le manque de matières premières, de combustible. Le rythme de la production s'effondrait, les masses de chômeurs se faisaient plus importantes; les possibilités d'émigration, par où en 1913 s'étaient écoulés 900 000 travailleurs et paysans, se tarissaient. La bourgeoisie Italienne ne peut pas réadapter son économie aux nouveaux besoins du marché mondial, puisque des concurrents mieux outillés y font régner leur loi. La dette publique augmentant de 1 milliard par mois, ainsi que l'écrivait Nitti dans une lettre d'octobre 19 à ses électeurs, comptait parmi les sept plaies du pays s elle doit 14,5 milliards de lire à ses allies.
La "victoire mutilée" rendit tout à fait impossible la politique de concorde nationale que le social-patriote Cachin avait soutenu des subsides du gouvernement française Les grèves du début .le 1920 firent 320 morts.
LES LUTTES QUI PRECEDENT LES OCCUPATIONS
On ne peut vraiment comprendre les grèves en masse qui submergent l'Italie qu'en les incluant dans la courbe de la crise générale du capitalisme, ouverte en 1914, et de l'éruption prolétarienne qui lui a répondu dans la quasi-totalité de l'Europe. Comme son aînée russe, le surgissement en Italie n'a été qu'un moment de la révolution mondiale née de la misère et des indicibles horreurs engendrées par le militarisme C'est pour le pain et le retour aux foyers que, tel un volcan, se sont soulevés les travailleurs italiens affamés et sanguinolents. Depuis 1913, leur salaire réel avait baissé de 27% et la guerre a coûté au prolétariat 651 000 morts et 500 000 mutilés.
D'abord en Romagne, puis en Ligurie, en Toscane jusqu'à la pointe de la botte, les masses crevant de faim prennent d'assaut les magasins d'alimentation. C'est alors que les Chambres de Travail jouent pleinement leur rôle de chien de garde. Pris de panique, les commerçants qui, par la rétention des marchandises espéraient pouvoir jouer à la hausse, déposent les clés de leurs sacro-saintes boutiques entre les mains des chefs syndicaux. En revanche, ceux-ci leur assurent une protection que l'Etat est incapable de donner car, à ce moment il ne dispose pas d'assez de forces pour intervenir partout où la sauvegarde de la propriété privée 1'exige. Les grèves devinrent si fortes que l’Etat fut contraint d'importer du blé et, d'appliquer le "prix politique du pain" avec des subventions lui coûtant 6 milliards par an. Quand en juin 1920, le troisième ministère Nitti décide de s'attaquer au prix politique du pain, il provoque immédiatement des troubles tels qui l'obligent à présenter sa démission. La peur d'un renversement révolutionnaire était si justifiée que la Chambre repoussera maintes fois les propositions d'augmenter le prix du pain. Il lui faudra attendre le reflux de 21 pour passer à l'attaque, et c'est le neutraliste, l'homme de "gauche" Giolitti qui abattra la besogne de s'attaquer au prix politique du pain.
Dans les campagnes, commencent les occupations de latifundia. Ce sont essentiellement des mouvements de démobilisés, ayant définitivement perdu confiance dans les anciennes promesses de l'Etat sur un éventuel partage des terres. En Italie, toutes les propositions faites sur la question agraire par les réformateurs de l'ère libérale ou certains éléments éclairés de l'Eglise catholique ne firent bien entendu, que jeter de la poudre aux yeux. L'idée de créer des associations agricoles rassemblant en un seul domaine communautaire, les petites parcelles germa dans l'esprit de quelques uns parmi les philanthropes des années post-risorgimentales. II y eut un vaste élan vers cette proposition qui faisait dépendre le futur sort des paysans de la culture à compte commun et, le partage des récoltes proportionnellement à l'apport de chacun en terre, bétail, matériel. Les fermiers les plus grugés par le régime de la propriété foncière mirent leurs espoirs dans la libre association proposée, à son tour, par la social-démocratie.
C'est ainsi que les associations coopératives prirent leur essor dans l’enthousiasme général, et de celui des fermiers qui y voyaient le remède propre à adoucir leur misère matérielle et, de celui des socialistes tant leur paraissaient évidentes les possibilités offertes pour en faire une forme de production transitoire tendant progressivement à la réalisation du socialisme.
Ils auraient dû comprendre beaucoup de choses en voyant l'Etat soi-même réaliser des communes rurales, le clergé catholique organiser la coopération agricole en diocèses régionaux. Mais déjà le programme minimaliste de réformes à obtenir à l'intérieur du capitalisme avait accompli son œuvre. Par sa pratique, limitée aux conditions particulières et nationales de l'Italie, par ses mœurs mêmes la démocratie socialiste devenait toujours plus le représentant du capitalisme. La solution de la question agraire n'était plus enracinée dans la socialisation du sol pour que "la terre étant à personne, les fruits soient à tous" (Babeuf), mais la libération du métayer plié en deux sur la parcelle à qui il consacre toute son énergie. Elle pouvait ainsi se résoudre sans que le prolétariat triomphe dans sa lutte historique et organise la satisfaction des besoins de l'espèce humaine sur des bases libérées de tout critère mercantile; la terre et les instruments de travail n'avaient pas besoin de passer à l'ensemble de la société.
Dans la plaine du Pô, à culture intensive enregistrant des rendements en blé de 15 à19 quintaux à l'hectare, avec des pointes de 27 et 30, le parti socialiste avait organisé les journaliers sur la base de la coopérative agricole. Le maitre-mot des régisseurs était d'augmenter la productivité pour concurrencer les coopératives dû Parti Populaire Catholique. A Bologne, à Ravenne, à Reggio d'Emilia, d'où est parti le mouvement coopératif, les Chambres du Travail contrôlent toute la vie économique de leur province et, suprême victoire ouvrière, décident du prix des denrées qu'elles distribuent par le canal des Coopératives. A ce train, la classe ouvrière italienne allait pouvoir pacifiquement exproprier la bourgeoisie en la persuadant de l'inanité de son pouvoir. Tel était-du moins l'état d'esprit des dirigeants socialistes fiers d'avoir pu administrer la preuve concrète que leur programme ne relevait pas d'une vue de 1?esprit.
Remontant à Owen et aux pionniers de Rochdale, Lénine disait au sujet de la conception coopérative : "s’ils ont rêvé de réaliser la démocratie socialiste du monde sans tenir compte d'un point si important, qui est la lutte de classe, la conquête du pouvoir politique par la classe ouvrière, le renversement de la domination des exploiteurs". C'était exactement le cas pour les dirigeants italiens qui se proposaient d'aller vers de nouveaux rapports sociaux en les rendant possibles immédiatement.
La coopération ne résout rien puisque le socialisme ne peut s'enraciner au sein des rapports de production de la vieille société capitaliste pour devenir, à son tour, une force économique. Sur tout le territoire italien, où la concurrence se fait durement sentir, tout d'abord sur le blé et le maïs, la lutte agraire devint très intense. Et comme cette lutte désespérée n'arrivait pas à enrayer le déclin des petits producteurs paysans et, qu'évidemment elle était punie d9une violente répression de l'appareil d'Etat, la seule issue qui s'offrait, était l'échappatoire de l'émigration vers les métropoles américaines et les régions caféières du Brésil.
PREPARATIFS BOURGEOIS DE GUERRE CIVILE
Trois mois s'étaient à peine écoulés depuis sa formation à la Chambre, (16/11/19) que le ministère Nitti, qui par ailleurs a lancé le mot d'ordre "Produire plus, consommer moins!", décide d'équiper un corps de police auxiliaire, la Garde Royale0 Ce nouveau détachement armé, fort de dizaines de milliers d’hommes sera équipé de pieds en cap pour faire régner l'Ordre bourgeois de plus en plus battu en brèche. Avant même que le fascisme ne fasse peser la terreur brune, des centaines de travailleurs et de cafone tomberont sous les balles de la Garde Royale. Inutile d'ajouter que ce renforcement démocratique de l’appareil d'Etat donnera pleine satisfaction à la bourgeoisie. En avril 20, la troupe tire sur les grévistes de Décima pour laisser 9 ouvriers raides morts sur le pavé, la commémoration du 1° Mai se solde par une quinzaine de morts; le 26 juin il y aura 5 morts dans le soulèvement d'Ancône contre l'expédition des troupes italiennes pour aller occuper l'Albanie. Sous la direction des anarchistes, la révolte s'étend aux Marches et à la Romagne. A Mantoue, travailleurs et soldats envahissent la gare, arrachent les rails pour stopper les trains de la Garde Royale, pour bloquer ceux destinés à la guerre contre les Soviets, chargés d'armes et de munitions, frappent tous les officiers, donnent assaut à la prison qu'ils détruisent par le feu après en avoir libéré les-détenus. En un an, d'avril 19 à avril 20 la mitraille démocratique hachera menu 145 travailleurs et blessera 444 autres dans toutes les régions d'Italie. Mais chaque fois que des morts jonchent lé pavé, les travailleurs continuent la lutte en proclamant la grève générale, celle des postiers, celle des cheminots, celle de Milan, doublement désavouée par le P.S. et la C.G.T., dont les représentants élus au suffrage-universel préfèrent quitter la séance inaugurale de la nouvelle Chambre aux cris de : "Vive la République". Dans les Pouilles, les journaliers se battent pour obtenir la paye de leurs journées de travail et il y aura 6 morts du côté des bracciantes et 3 parmi les propriétaires terriens.
La chute des Hohenzollern, l'éclatement consécutif de l'Empire austro-allemand, la Révolution mondiale ébranlant d'abord l'Europe orientale et centrale, agirent comme autant de ferments dans une Italie de plus en plus fiévreuse. Il n'y aura que le prolétariat italien à concrétiser sa solidarité avec les Soviets russes et hongrois par la grève générale, il sera le seul à saboter dans son pays l'intervention armée des puissances alliées en faveur de Koltchak.
Au fur et à mesure que se développait le mouvement de lutte du prolétariat, la classe dirigeante ressentait le besoin de s'armer en conséquence. En mars 1920, les industriels regroupés dans une Confédération générale de l'Industrie signent à Milan un accord aux termes duquel chaque partie contractante s'engage de toutes ses forces à liquider le "bolchévisme italien" et en priorité les militants qui avaient observé la seule et unique position de classe pendant la guerre impérialiste : le défaitisme révolutionnaire. Non sans raison, les tenants de l'Ordre voyaient en eux le noyau du parti révolutionnaire qui appelait le prolétariat à la lutte contre le gouvernement de Sa Majesté, à se regrouper sous le drapeau de la guerre civile pour le renversement de la dictature démocratique bourgeoise. Le 18 août, se constitue sur un modèle identique la Confédération générale de l'Agriculture qui rallie autour de son programme toutes les formes de la grande, moyenne et petite exploitation agricole, toutes intéressées à un même titre à mettre fin aux occupations de terre. Tous et toutes veulent la tête des "caporétistes", des "rouges" considérés comme les agents stipendiés de 1'ennemi. Tous les moyens pour empêcher la propagande communiste de se frayer un chemin seront employés sans vergogne. Nous verrons plus loin leur rôle dans la venue au pouvoir du fascisme.
LES OCCUPATIONS D'USINES
En août 20, le prodrome de ce qui allait devenir le mouvement d'occupation des fabriques fut 1'obstructionnisme. Celui-ci était généralement appliqué en réponse à tout lock-out patronal, en tant que tactique consistant à remplacer, selon les stratèges de la F.I.O.M., la grève dont on s'est tellement servi, qu'elle est caduque. Un des arguments favoris de la propagande des délégués consistait à dire que la crise était beaucoup moins grave que ce que prétendaient les sirènes du patronat. Puisque l'économie nationale pouvait supporter les augmentions de salaires, du fait que les marchandises pouvaient s'écouler sur un marché en reconstitution, les ouvriers devaient forcer la porte des usines de façon à y poursuivre la production. Pas moins de 280 établissements métallurgiques de Milan furent occupés et sont témoins d'une gestion ouvrière qui donne aux syndicalistes l'espoir d'une participation des socialistes au pouvoir.
En la circonstance, les syndicalistes furent d'habiles propagandistes de l'économie gradualiste» On entendait par là que les travailleurs fassent la preuve éclatante du sens de leur responsabilité : qu'ils respectent scrupuleusement la propriété devenue "commune", qu'ils acceptent par discipline prolétarienne de se serrer la ceinture et de retrousser leurs manches. Pour produire à meilleur coût que sous le contrôle patronal, la classe ouvrière devait s'armer de connaissances techniques, administratives, remplaçant au pied levé les techniciens qui, sur l'ordre de l'administration, ont quitté leurs lieux de travail. En quelque sorte, elle est appelée à gouverner un Etat qui doit soigneusement réfléchir la structure économique du pays réel.
Aussitôt, la Gauche engagea la lutte contre l'idéologie gestionnaire qui au lieu de poser le problème au niveau politique central l’enfermait, le réduisait et en définitive l'émasculait sur la seule usine :
"Nous voudrions éviter que ne pénètre dans les masses ouvrières la conviction qu'il suffit sans plus de développer l'institution des Conseils pour s'emparer des usines et éliminer les capitalistes. Ce serait une illusion extrêmement dangereuse (…) Si la conquête du pouvoir politique n'a pas lieu, les Gardes Royales, les carabiniers se chargeront de dissiper toute illusion, avec tout le mécanisme d'oppression, toute la force dont dispose la bourgeoisie, l'appareil politique de son pouvoir". A. Bordiga.
Cette vigoureuse et prémonitoire mise en garde contre 1'illusionnisme gestionnaire achoppait sur la propagande de l'"0rdino Nuovo" mettant au premier plan le contrôle ouvrier et l'éducation technologique du prolétariat pour lui permettre de gérer les usines. Dans l'usine, l'ouvrier peut se forger une conception communiste du monde, et de là renverser le système économico-politique bourgeois pour y substituer l'Etat des Conseils Ouvriers. Le système des Conseils est supérieur à la forme syndicale et partiste car il fait de chaque travailleur de l'entreprise, technicien ou lampiste, un sélecteur à la Commission.
Ouvrière (Rapport de juillet 20 au Comité Exécutif de l’I.C.), et encore cet électeur s'exprimant non à main levée, mais dans le secret petit-bourgeois du bulletin de vote. Devant la grandeur de leur tâche, les travailleurs ne doivent-ils pas faire taire leur égoïsme et accepter de nouvelles innovations productives puisqu'elles peuvent augmenter leurs capacités productives, donc leur poids dans la Nation ? Les travailleurs doivent cesser de façon brouillonne comme ils l'avaient fait durant toutes ces dernières années « Maintenant, ils peuvent parvenir à quelque chose de palpable, ils doivent faire tourner les usines dans la plus totale démocratie ouvrière des réformistes aux anarchistes. Il n’y aura pas de rupture de continuité lorsque ce groupe sera, peu après, chargé d'appliquer les mesures de bolchévisation au sein du jeune Parti Communiste comme fourrier de la contre-révolution stalinienne.
Une nouvelle fois la Gauche devait réaffirmer son entière opposition au culturalisme cher aux vieux partis de la II° Internationale ainsi qu'au tout jeune "Ordino Nuovo"; quant au P.S., il faisait faire ménage à trois à son drapeau qui arborait tout à la fois la faucille, le marteau et le livre,. Elle butait en outre sur le parlementarisme puisqu'en pleine explosion révolutionnaire, le Parti Socialiste décidait sa participation aux élections pour le Parlement, et donnait aux travailleurs la consigne habituelle d'y participer en masse (16/11/ 19), convaincu que le vote à la proportionnelle qui vient d'être adopté, lui assurera une confortable majorité. Et, en effet, avec 1 840 000 voix, les socialistes auront 156 représentants à la Chambre, quelques mois plus tard 2 800 communes. Lénine se félicitait de l’"excellent travail" que cela représentait par rapport à la situation internationale, espérant que l'exemple serve aussi pour les communistes allemands, (Lettre à Serrati du 29/10/l9). L'Internationale Communiste salue le résultat comme un grand succès. Que font les députés et maires socialistes qui puissent le justifier ? Comme avant la guerre, ils se consacrent à réclamer des travaux publics à l'Etat, à constituer des syndicats et des coopératives, bref, à administrer les affaires de la cité. Ainsi, l'Italie achèvera sous la conduite des socialistes sa révolution nationale laissée en plan par le Risorgimento. On veut à la fois la Constituante et les Soviets, la dictature du prolétariat et la lutte sur le terrain électoral. C'était donc une façon très habile de ménager la chèvre et le chou. Ce qui fit dire à la Gauche qu’aux heures décisives, la bourgeoisie se défend de la Révolution prolétarienne en utilisant la méthode démocratique.
La toute première occupation d'usine arbora sur la cheminée le drapeau tricolore. Elle se produisait dans une petite ville du bergamasque, Dalmine, sous l'impulsion du syndicat d'obédience fasciste, l’"Union Italienne du Travail", avec les chauds encouragements du "Popolo d'Italia" qui écrivait dans ses colonnes :
"L'expérience de Dalmine a une valeur très haute ; elle indique la capacité du prolétariat à gérer directement la fabrique".
A. la lecture de ces quelques lignes, suivies d'autres aussi révélatrices, partis politiques, syndicats et gauchistes trouvaient des accents analogues à celui de .leur frère ennemi pour saluer la gestion ouvrière0 Loin de désapprouver alors les revendications des grévistes, Mussolini s'était rendu en personne dans la totalité pour encourager de la voix et du geste la résistance ouvrière aux "abus patronaux". Les travailleurs de chez Gregorini-Franchi avaient continué, pendant trois jours, d’assumer le bon fonctionnement de l'entreprise dans tous ses départements, devant le refus de la direction à leur accorder la semaine anglaise pour Mussolini, la classe ouvrière était digne de succéder à la bourgeoisie dans la gestion de la production puisqu'elle avait abandonné la grève traditionnelle, si nuisible à la Nation,
Un an plus tard, cette première occupation fut suivie de tentatives généralement éphémères de gestion ouvrière : à Sestri-Ponente dans la banlieue génoise le 10 février 20; aux chantiers de l'ANSALDO de Viareggio le lendemain, à Ponte Canavèse et Torre Pellice le 28 février dans les établissements d'usinage du bois à Asti le 2 mars, aux Etablissements Spadaccini à Sesto le 4 juin; aux Ateliers de mécanique Miani-Sivestri à Naples, dans le trust sidérurgique ILVA à Naples, le 10 juin. Ces grèves avec occupation, qui se répétaient régulièrement, portaient une forme d'organisation, le Conseil Ouvrier, unissant la plupart des travailleurs indépendamment de leurs convictions politiques dans la lutte contre le capitalisme. Toutefois, comme ce mouvement ne trouva jamais suffisamment de force nécessaire pour dépasser les bornes du contrôle des usines isolées pour aller à l'affrontement avec l'Etat, comme ses protagonistes se grisèrent d'éphémères et artificiels succès immédiats., il pourrit sur place. C'est pourquoi, sans tirer une seule cartouche, la bourgeoisie put reprendre son bien; pour en déloger les occupants, elle se servira de la F.I.O.M qui à plusieurs reprises a déclaré que son objectif était le seul contrôle ouvrier sur la production, qu’elle n'avait pas l'intention d’aller plus loin, qu'elle évacuera les usines, ce droit reconnu par la Chambre. Les dirigeants de la Banca Commerciale assurent la F.I.O.M de sa neutralité bienveillante; le préfet de Milan s'offre pour arrondir les angles entre industriels et syndicalistes; Mussolini rend visite au secrétaire de la F.I.O.M, Buozzi, pour lui déclarer que les occupations ont tout le soutien des fasci; le directeur du "Corriere délia Sera" se précipite chez le "camarade" Turati pour conseiller aux socialistes d'aller au gouvernement; le président de la FIAT, Agnelli, veut donner un plus grand rôle aux syndicats.
Pourtant, les exemples de préparatifs fébriles d'armement, de constitution de groupes de combat furent nombreux qui nous montrent que la fraction la plus consciente de la classe était décidée, non à faire tourner les usines comme le conseillait la C.G.I.L., mais à se battre le fusil à la main. A la Fiat de Turin, les chefs freinent les groupes qui ont transformé des camions en auto mitrailleuses blindées pour une sortie en force dans la ville. Une fois les armes introduites ou fabriquées dans les usines pendant l'occupation, découvertes et saisies par la police, la F.I.O.M avait les mains libres pour signer "son meilleur concordat", la reconnaissance des Commissions Ouvrières. Enfin, arriva le moment de négocier la défaite des travailleurs avec la Confinastria. La C.G.I.L accepta la réduction des horaires de travail pour toutes les catégories de travailleurs et d'employés. C'était encore une victoire contre l’"égoïsme", puisque la misère n'est rien si elle est bien partagée par les damnés, une marque de solidarité agissante entre tous les travailleurs. Le compromis arriva à ce résultat que tous les travailleurs se trouvaient devant des salaires très réduits.
Maintenant le fruit était mûr, la bourgeoisie pouvait intervenir en toute quiétude. Au lieu de commettre l'erreur d'utiliser la répression ouverte -ce que voulaient le Confindustria et la Confragricultura - Giolitti agit en homme de savoir, en défenseur adroit dos intérêts à long terme du capitalisme. Devant lui, deux choix se présentaient : soit utiliser les forces répressives pour faire cracher le canon sur les métallurgistes piémontais, les typographes romains les marins et dockers de Trieste, jusques et y compris les peu farouches instituteurs, soit attendre que la faim fasse ses effets. Et Giolitti garda tout son sang-froid, il misa sur celle-ci et sur la besogne de sape des syndicats. Fort de sa vieille expérience face à l'agitation sociale, sa tactique fut une nouvelle fois le mouvement se développer, puis refluer de lui-même„ Qui peut dire que de ne pas avoir misé sur la répression systématique ne lui a pas réussi avec un rare bonheur ?
BILAN POLITIQUE
Les Comités de Fabrique ont prouvé que le prolétariat ne pouvait pas surgir sur le terrain économique, ni investir la société tout entière à partir des positions occupées dans les usines, celles-ci modifieraient-elles le droit à la propriété et au commandement. L'expropriation des capitalistes sera seulement accomplie par une révolution prolétarienne. Le prolétariat doit donc se constituer en parti politique, non pas dans l'horizon bourgeois de la nation, mais internationalement. Dès le début de son activité révolutionnaire, il doit œuvrer à la formation du Parti Mondial, dont, le caractère intrinsèque ne se mesure pas à l'aune des réalisations économiques, mais à défaire l'Etat par les armes. Ainsi le problème posé, nous sommes en mesure de comprendre pourquoi la Commune de Paris qui ne peut que décréter au niveau social que bien peu de choses, en regard de ce qu'a accompli le capitalisme dans sa période ascendante, est une véritable révolution prolétarienne, la première dans l'Histoire.
Seule la Gauche qui avait commencé son travail de fraction dès les années 1912-1914 dans la lutte contre le blocardisme, la politique d'appui socialiste à la bourgeoisie italienne, qui s'orienta vers la dénonciation du culte électoral, sortit la tête haute de la tourmente. Mille et mille fois, elle incita le généreux prolétariat d'Italie à passer outre les anciens chefs imbus de leurs dangereuses méthodes d'action collaboratrice traditionnelle. Seule contre tous, elle appela les forces conscientes et combattantes du prolétariat à se défaire des liens criminels, l'emprisonnant derrière les grilles des usines, pour se constituer en Parti de classe, car c'était précisément en se paralysant sur le terrain morcelle des usines que la classe ouvrière d'Italie préparait sa propre tombe. Contre les courants nombreux qui firent miroiter la possibilité de s'emparer des moyens de production et d'échange sans procéder à la destruction préliminaire de l'appareil de l'Etat bourgeois, elle mit en évidence que :
"Selon la saine conception communiste, le contrôle ouvrier sur la production ne se réalisera qu'après la mise en pièces du pouvoir bourgeois si le contrôle de la marche de chaque entreprise passe à tout le prolétariat unifié dans l'Etat des Conseils. La gestion communiste de la production sur toutes ses branches et unités de production sera assurée par les organes collectifs rationnels représentant les intérêts de tous les travailleurs associés dans l'œuvre de construction du "Communisme". (Thèses de la Fraction Communiste Abstentionniste du Parti Socialiste Italien). (Mai 1920)
Elle se risqua, et c'était sa tâche révolutionnaire la plus urgente, à affronter les tabous ambiants de la grève gestionnaire expropriatrice, pour remettre en place le primat politique : la constitution du prolétariat en partie Alors que les endormeurs incitaient les travailleurs en grève à se pencher avec application sur leurs établis, à connaître la valeur du capital engage dans la production, à voir comment augmenter le rendement du travail, le langage de la Gauche posa le seul vrai problème, sans détours ni arguties démocratiques : "Prendrons-nous le pouvoir ou prendrons-nous les usines ?". Que n'ont-ils pas fulminé Gramsci et son équipe à l'énoncé de cette vérité première. Votre parti est une conception sectaire, hiérarchique de la Révolution, nous nous lui opposons une vision unitaire, large et libertaire.
Que de louanges à l'unité n'ont-ils pas entonnées dans la crainte morbide de la scission. Unité avec la majorité maximaliste unitaire de Seratti voulant faire du Parlement et des Communes des foyers actifs de propagande révolutionnaire; unité avec les réformistes de Turati adversaire des Conseils turinois et de 1;' Internationale Communiste; unité avec les syndicalistes épurés des éléments extrême-droitiers. D'où le nom du prochain quotidien du parti, l’"Unità". Ouverture rassurante en direction des catholiques intellectuels organisés dans le Parti Populaire :
"En Italie, à Rome, il y a le Vatican, il y a le pape. L'Etat "libéral a dû trouver un système d'équilibre avec la puissance "spirituelle de l'Eglise; l'Etat ouvrier devra lui aussi en "trouver un".
L'effort de la Gauche pour constituer le parti purement communiste en partant de la renonciation à la participation électorale n'était, aux yeux de Gramsci, que "particularisme halluciné"; lui aurait voulu le redressement du P.S.I. qui, "de parti parlementaire petit-bourgeois doit devenir le parti révolutionnaire". Les "Neuf points" publiés sous le titre "Per un rinnovamerto du P.S." dans l’Ordino Nuovo du 8 mai 1920 correspondaient à ce que désiraient les dirigeants de l'Internationale Communiste : une épuration progressive de l'aile droite soit, une scission. Avant Livourne, Lénine avait déclarés :
"Pour diriger victorieusement la révolution et pour la défendre le parti italien doit encore faire un certain pas vers la gauche (sans se lier les mains) et sans oublier que, par la suite les circonstances pourront très bien exiger quelques pas vers la droite".
Le pas à gauche ayant été fait à Livourne, les circonstances de la lutte contre l'offensive réactionnaire exigeaient "quelques pas vers la droite". Au IV° congrès de l'I.C. fut arrêtée la fusion du P.C.I. et du P.S.I.
R.C.
[1] [41] Voir la présentation que donne le trotskyste P. Broué du livre d'A. Léonetti.
[2] [42] E. Malatesta, le héros de l'équipée du Benevento d'avril 1877, était un des éléments révolutionnaires conscients de la gravité de la situation : "si nous laissons passer le moment favorable, nous devrons ensuite payer par des larmes de sang la peur que nous faisons maintenant à la bourgeoisie".
[3] [43] Lissa et Custoza étaient les batailles perdues contre les Autrichiens dans la première guerre pour 1'indépendance italienne en 1866 qui marque aussi le retour de la Vénétie au Royaume d'Italie.
[4] [44] Lettre du lieutenant-général Oscar Raffi, commandant de corps d'armée, à Giolitti au lendemain de Caporetto datée du 5 nov. 1917.
Dans le n°13 de la revue anglaise Workers ' Voice, a été publié une "déclaration" (statement), signée par Worlkers’ Voice qui rompt tout contact et tout rapport avec le CCI. Ceci peut surprendre nos lecteurs et les militants révolutionnaires qui partagent notre orientation politique, d'une part parce que Workers'Voice a poursuivi une discussion très étroite avec notre courant pendant deux ans, d'autre part, parce que 1e idée de "rompre tout contact" est pour le moins invraisemblable entre des groupes révolutionnaires.
Dans sa déclaration, Worker'Voice réaffirme son accord avec les positions de classe essentielles qui sont la base de notre courant et de Workers'Voice. Mais, malgré cet accord sur les principes, Workers'Voice annonce qu'il rompt toute discussion avec nous à cause d'un désaccord :
I - sur le regroupement des révolutionnaires aujourd'hui.
II - sur la question de l'Etat dans la société postrévolutionnaire, la période de transition.
Avant d'entrer dans les détails de cette déclaration, il faut préciser tout de suite que Workers'Voice doit assumer toute la responsabilité politique de la rupture, c'est Workers'Voice qui a pris la responsabilité de supprimer même le minimum de relations avec notre courante Notre courant n'abandonne pas la discussion avec des groupes en évolution, surtout si leur orientation politique s'appuie sur les positions de classe qu'il est extrêmement important de développer et de diffuser au sein de la lutte de classe Ce sont de profondes divergences politiques et la mise en question des frontières de classe qui peuvent motiver la rupture de tout contact.; et l'arrêt de toute discussion entre des groupes. Nous ne discutons pas, par exemple, avec des organisations staliniennes ou trotskystes parce que "discuter" avec la contre-révolution n'a aucun sens, Or, bien qu'il existe d'importantes divergences entre Workers'Voice et notre courant, nous ne les avons jamais mises sur le même plan que celles que nous pouvons avoir avec la contre-révolution elle-même! A aucun moment nous n'avons tenté ni même souhaité de mettre fin à la discussion avec Workers'Voice. Au contraire, nous considérons que la rupture de Workers'Voice constitue une fuite devant les responsabilités des révolutionnaires dans leur tâche de clarification des positions de classe par la confrontation des idées.
Comment Workers'Voice justifie-t-il sa rupture?
I -- Sur le premier point qu'il soulève, Workers'Voice est d'accord pour dire que "les frontières de classe indispensables à tout regroupement international des révolutionnaires existent déjà". De plus, ces frontières de classe sont fondamentalement à la base de la constitution de notre courant et de Workers'Voice. Le problème que se pose Workers'Voice, c'est :
1- que ce n'est pas le bon moment pour un regroupement et notre courant précipite le processus
2- que notre courant exigerait un regroupement en soumettant les autres groupes "à nos conditions".
Les camarades de Workers'Voice sont de bien timides défenseurs du regroupement. Tout ce qu'ils trouvent à dire, et du bout des lèvres, c'est qu’ils "ne sont pas contre un regroupement, en principe". Mais pourquoi se donner tant de peine pour œuvrer à un regroupement des forces révolutionnaires? Pourquoi ne pas se contenter d'une multitude de petits groupes révolutionnaires (et à 1'extrême d'individualités), chacun s'attachant à "son propre travail" dans "son" petit coin du globe, chacun maître "chez soi", protégeant "son" groupe des "agressions" des autres ? Pourquoi ne pas réduire les rapports entre camarades à de flamboyantes insultes, à de tapageuses exclusions dans le style tant répandu des situationnistes ? Pourquoi notre courant a-t-il, au contraire, tant insisté pour que les camarades comprennent l'importance du problème du regroupement et de la consolidation des forces révolutionnaires sur la base d'un accord programmatique clair ?
Dans un monde où la crise du capitalisme mène peu à peu au chaos économique, et où le système est forcé d'augmenter ses attaques contre la classe ouvrière; dans un monde où la bourgeoisie se trouve de plus en plus confrontée à de profondes crises politiques, dans tous les pays, et doit utiliser de plus en plus un masque de "gauche" et la répression où la résistance de la classe ouvrière s'est exprimée de façon puissante bien que sporadique à l'échelle internationale ; où la lutte de classe se prépare à d'importantes explosions à venir, les forces révolutionnaires sont extrêmement limitées. La confusion créée par cinquante années de contre-révolution et de rupture, pesé et pèsera lourdement sur le mouvement ouvrier. Mais Workers'Voice a tout son temps pour continuer à tourner en rond; pour lui, rien ne presse! Pour lui, l'important, c'est de continuer à rester ce qu'il a toujours été, un groupe local que la "collection" de contacts internationaux intéresse tant qu'elle n'implique rien d'autre.
Quant au problème que pose Workers'Voice concernant la soumission à "nos conditions" nécessaire pour rejoindre notre courant, nous considérons que la seule raison politique valable pour refuser de se joindre à d'autres groupes, c'est une différence entre les positions de classe fondamentales (incluant la position sur la nécessité de l'organisation et sur les moyens de la réaliser)« Notre seule "condition" est en fait un accord politique et théorique profond et solide C'est la seule interprétation possible qu'on puisse donner au "sous nos conditions". Apparemment, Workers'Voice a peur d'un "rassemblement artificiel oui ne signifierait rien et avertit notre courant du danger qui consisterait de perdre nos efforts encore limités vers une unité internationale pour la constitution d'un partie. Nous ne pouvons que remercier Workers'Voice de nous donner un conseil que nous-mêmes avons formulé et défendu depuis des années. Nous ne considérons pas notre courant international comme un parti bien que nous soyons convaincus qu'il constitue une contribution nécessaire à celui-ci. Aujourd'hui, le parti du prolétariat ne se formera que lorsque la lutte de classe se sera intensifiée et généralisée à l'échelle internationale. Mais le processus de clarification politique et organisationnelle qui mène à la constitution du parti, commence avec la période de montée des luttes, avec le début de la crise ouverte. Ce fait objectif est la cause fondamentale du surgissement de groupes révolutionnaires depuis 1968, tant Workers'Voice, que notre courant, et que tant d'autres. Le processus de prise de conscience de la classe ouvrière s'exprime aussi dans l'effort des groupes révolutionnaires pour devenir un facteur actif au sein de la lutte de classe. Notre effort actuel pour constituer un pôle de regroupement des forces révolutionnaires, aura une influence sur l'activité et l'organisation de demain. Bien que nous ne soyons pas arrivés à une étape où la formation du parti est nécessaire, ceci ne signifie pas que les révolutionnaires doivent rester isolés dans leur coin, inactifs et prisonniers du localisme.
Si l'on n'encourage pas la discussion internationale et si l'on ne tend pas à regrouper les forces qui parviennent à un accord politique, on condamne tous les programmes révolutionnaires à rester des paroles en l'air.
Il est possible que le problème réel qui se pose entre Workers'Voice et notre courant, réside dans une conception profondément différente de la nécessité de l'organisation et des moyens d'y parvenir0 Hais ces divergences ne peuvent être clarifiées (sinon surmontées) que par la discussion « De toutes façons, des désaccords sur le moment où peut avoir lieu un regroupement et sur la mise en pratique organisationnelle de l'internationalisme ne constituent pas -une raison de principe pour rompre tout contact entre les groupes révolutionnaires0 Hais il est toujours plus facile d'éluder les problèmes que de les approfondir.
II - Quant au deuxième point que Workers'Voice soulève pour justifier sa rupture avec notre courant, la question de la période de transition, Workers'Voice proclame que "Révolution Internationale considère qu'il existera un Etat pendant la période de transition qui sera indépendant de la classe". Après avoir un peu brodé sur ce thème, la déclaration conclut que cette position nécessite une rupture totale avec nous, car elle confirme de façon criante notre passage dans le camp de la contre-révolution.
Il faut tout de suite éclaircir cette question. Ni R.I., ni aucun des groupes de notre courant n'a publié ou exprimé une telle position. Dire que l'Etat pourrait exister indépendamment de la classe (des Conseils ouvriers) dénierait complètement tout sens à la dictature du prolétariat:; une telle conception n'est pas marxiste et nous la rejetons. Quiconque lit le n°1 de notre revue Internationale (paru en avril) où plusieurs articles de notre courant sur la période de transition sont publiés, est en mesure de voir que nos analyses théoriques ne défendent à aucun moment une telle conception. Il est regrettable que la peur du ridicule n'empêche pas Workers'Voice de publier des affirmations complètement fausses.
La question du déroulement de la période de transition est en discussion dans tous les groupes de notre courant, et comme nos publications le montrent, nous sommes loin d'avoir atteint une unanimité sur ce problème,, Nous ne pensons pas que toutes les questions qui surgiront pendant la période de transition, puissent être résolues de façon décisive dans l'immédiat et pour toujours, ni par nous, ni par quiconque, avant même que la pratique de la classe n'ait tranché.
Que Workers'Voice puisse prendre une mesure aussi draconienne que de rompre tout contact avec notre courant et nous dénoncer comme contre-révolutionnaires, en se basant sur une telle version incohérente et tronquée, ne fait que prouver la faiblesse et le manque de sérieux des éléments révolutionnaires qui sont confrontés aujourd'hui à un problème aussi difficile et complexe que celui de la période de transition.
Pour traiter la question de l'Etat dans la période de transition, il nous faut d'abord distinguer la conception marxiste de la conception anarchiste. Les anarchistes ignorent les lois économiques du capitalisme et l'évolution de l’histoire. Contrairement à eux, les marxistes ont affirmé qu'entre la société capitaliste et le communisme a lieu une période de transition t pendant cette période, la lutte du prolétariat contre les vestiges de la loi de la valeur se poursuit pour assurer la suppression définitive de la bourgeoisie et pour intégrer les couches et les classes non exploiteuses qui subsistent, dans les nouveaux rapports de production, en tant que producteurs librement associés, donc pour mener à terme le processus de transformation sociale sous la domination politique du prolétariat. Ce processus s'achèvera avec la réalisation d'une société sans classes.
Mais pendant la période de transition, c'est-à-dire jusqu’a ce que ce but soit atteint, la société reste divisée en classes. (Même après la défaite militaire et l'expropriation de la bourgeoisie, subsistent les paysans, les couches moyennes, etc., face au prolétariat)0 De cette société encore divisée en classes surgira nécessairement un Etat. Contrairement à la conception anarchiste qui voit dans l'Etat une personnification de tous les démons du mal, et pense que la seule volonté suffit à la faire disparaître, les marxistes affirment que l'Etat est une expression des rapports sociaux et ne peut être éliminé que par la transformation consciente des bases matérielles de ces rapports sociaux, de ces divisions, c'est-à-dire, par la réalisation du programme communiste de la classe-ouvrière.
Une fois reconnue 1'inévitabilité de l'Etat pendant la période de transition, la question se pose ainsi : comment comprendre l'Etat de la période de transition dans le contexte de la dictature du prolétariat ?
Au sein du courant marxiste, les bolcheviks ont proposé une ''solution'' : d'une part l'identification complète du prolétariat et de l'Etat, la création d'un Etat "ouvrier" ; d’autre part, 1’identification de la classe avec le parti, la création d'une bureaucratie de parti à laquelle est "confiée" la direction de l'Etat. L’expérience historique de la révolution russe doit nous amener à rejeter cette "solution" du problème de l'Etat de la période de transition.
Tirant les leçons de l'expérience historique du prolétariat, nous disons :
- premièrement, que l'Etat ne peut pas être pris en charge par un parti, le rôle du parti n'étant pas de prendre le pouvoir au nom de la classe ouvrière, de se substituer à 1’ensemble de la classe.
- deuxièmement, que c'est l'existence de classes pendant la période de transition qui détermine l'existence d'un Etat et non un besoin quelconque du prolétariat de créer un Etat.
Si le monde n'était composé que par la classe ouvrière après la révolution il n'existerait pas d'Etat. Il y aurait une "administration des choses" et non un "gouvernement des hommes". La question se pose donc ainsi s si l'Etat surgit de l'existence d'une société encore divisée en classes, est-ce que le prolétariat identifie ses buts historiques de transformation sociale avec les tâches de l'appareil d'Etat ?
Le prolétariat ne doit pas laisser exister un Etat indépendamment de lui. En fait, l'Etat doit être subordonné aux intérêts du prolétariat, autant que les rapports de force entre le prolétariat et le reste de la société postrévolutionnaire le permettent. Nais l’Etat n'a jamais été un instrument de transformation sociale dans l'histoire, et encore moins dans la période de transition. Le programme communiste ne peut être défendu et mené à bien que par des instruments internationaux spécifiques du seul prolétariat. En d'autres termes, les ouvriers doivent-ils reconnaître "une autorité de l’Etat sur leurs décisions s'ils considèrent qu'elle ne va pas dans le sens de leurs intérêts de classe ? Si la réponse est oui, Trotski avait raison de militariser le travail, et d'interdire les grèves contre le gouvernement "ouvrier", ces grèves étant alors réactionnaires et inadmissibles. Si l'Etat constitue pleinement l'instrument de la réalisation du programme communiste, en quoi les bolcheviks avaient- ils tort de vouloir utiliser cet Etat contre les ouvriers si nécessaire (en laissant de côté le fait que l'identification de l'Etat et de la classe prenait la forme du parti) ?
Il nous semble important d’insister sur le fait que la classe ouvrière doit conserver ses propres organisations de classe, indépendamment de ce que seront les formes étatiques II est fondamental que les ouvriers veillent à ne pas se laisser diluer dans les couches non-prolétariennes et résistent à toute tendance à leur faire reconnaître une quelconque autorité étatique suprême. Contrairement à Workers'Voice, nous ne disons pas que l’Etat, c'est la classe, ni que la classe est l’Etat, mais que ce semi-Etat hérité de la société de classes doit être utilisé par le prolétariat, sans que il s’identifie à lui ni qu'il se laisse dominer par lui.
Identifier totalement l'Etat à la classe, s'est ouvrir le chemin à Kronstadt. Ce problème semble échapper complètement à Workers'Voice, ce qui l’amène à engager un faut débat avec nous, nous ne disons pas que l’Etat doit être indépendant de la classe ouvrière, mais qu'au contraire, la classe ouvrière en maintenant sa domination sur l’Etat, doit conserver intacte son organisation de classe internationale spécifique, La classe ouvrière est la seule classe dans la société- postrévolutionnaire qui s'organisa en tant que classe : la dictature du prolétariat. Les individus des autres couches sociales seront représentés, individuellement sous une forme de soviets territoriaux au sein de l'Etat. Bien que l’Etat est une autorité sur toutes les autres couches de la société, il ne doit pas avoir une autorité sur les conseils ouvriers, quelles eue soient les contingences de la situation L’Etat surgit des nécessités de la société postrévolutionnaire encore divisée en classes, mais le prolétariat doit défendre son autonomie de classe. Prenant garde au maximum aux dangers qui résident dans l'Etat et eu rejetant toute mystification d'un Etat "ouvrier",
Nous ne prétendons pas avoir, résolu tous les problèmes, ni avoir trouve "LA" réponse à ces questions difficiles: mais nous rejetons l'idée de rompre prématurément tout débat, sous le prétexte absurde de notre passage dans le camp de la contre-révolution, accusation que Workers'Voice s’érigeant en juge de paix, nous assène.
Que peut conclure la classe face au spectacle de deux groupes qui partagent les mêmes positions de classe -notre courant et Workers'Voice - ''rompant leurs relations" sur des questions qui, au mieux, restent à débattre au sein de la classe elle-même, et, au pire, ne sont qu'un pot pourri de suppositions et de fausses accusations.
La dernière des choses dont le mouvement ouvrier a besoin, c'est de confusionnistes, et de ce genre de "tactiques de rupture" ! Nous espérons que Workers'Voice reconsidérera sa décision hâtive et sans fondement. Les positions et le travail de Workers'Voice ont constitué une contribution positive au mouvement ouvrier, mais si Workers'Voice, se fait le porteur de la confusion, il vaut pour la lutte ouvrière qu'ils disparaissent aussi vite que possible. Si Workers'Voice ne supporte plus de discuter les positions d’une façon principielle, et d’ouvrir son esprit; si l’hostilité continue de servir d’écran de fumée pour cacher un localisme et une jalousie de petit cercle ; il vaut mieux que le groupe disparaisse et laisse la place à des expressions de la classe ouvrière capables d’évoluer.
J.A., pour le Courant Communiste International.
Le "Spartacusbond", groupe hollandais dans la tradition du communisme de conseils, a récemment publié deux numéros d'un "bulletin de discussion internationale" en anglais. Il est extrêmement encourageant que le "Spartacusbond" ait voulu rendre ses idées plus accessibles à ceux qui ne comprennent pas le hollandais et se soit activement préoccupé de .participer aux discussions et débats internationaux.
Les deux numéros du bulletin de discussion internationale de Spartacusbond ont été consacrés à. la critique de notre courant international : le premier est une réponse à un article sur le regroupement international paru dans Internationalism n°5 (USA), le second applaudit l’éloignement de "Workers’ Voice" de notre courant et critique un article sur le KAPD paru dans RI n°6 et Internationalism n°5.
L'article d’Internationalimm n°5 sur la conférence internationale de 1974, mettait l'accent sur la nécessité du regroupement des révolutionnaires en cette période de lutte montante de la classe aujourd'hui. Dans le passé, cinquante années de .contre-révolution, la défaite des efforts révolutionnaires de la classe ouvrière, la mobilisation pour la guerre mondiale et la léthargie due aux années de reconstruction, ont eu des conséquences sur les groupes révolutionnaires qui tentaient de garder vivante la flamme de la théorie révolutionnaire pour contribuer à la lutte future. La conséquence inévitable de cette longue période de défaite et de chaos, fut l’atomisation et l'isolement des groupes révolutionnaires. Mais il ne faut pas faire de nécessité, vertu. La fragmentation, l'isolement des révolutionnaires, au niveau international sont inévitables dans la défaite, mais aujourd'hui, alors que la perspective de la révolution resurgit dans les luttes de la classe ouvrière dans le monde entier, cet isolement des révolutionnaires n'est plus inévitable. Au contraire, notre nouvelle période de lutte de classe a réanimé -et réanimera- la conscience de la classe ouvrière qui s'est déjà manifestée avec 1;apparition de groupes et cercles-révolutionnaires dans le monde entier.
L'objet de 1'' article d'Intemationalism était de mettre en avant l’idée que :
— les groupes révolutionnaires doivent faire l’effort de comprendre et défendre les principes d'une orientation révolutionnaire aujourd'hui: ils doivent fonder leur activité sur des positions de classe claires?
— ceci ne peut être mené a bien qu'en comprenant la dynamique historique de la lutte de classe aujourd'hui et en tirant les leçons des luttes des ouvriers dans le passé par la discussion et la confrontation internationale des idées ;
— la discussion internationale doit se situer dans le cadre d'une éventuelle unification de nos efforts, si un accord, sur les principes fondamentaux est acquis, pour pouvoir contribuer au développement de la conscience de classe au sein du prolétariat aujourd'hui par la participation active aux luttes de la classe.
Mais là où nous écrivons "regroupement des révolutionnaires"!, le Spartacus-bond voit le parti bolchevik montrer la tête une fois encore. "Nous nous demandons si les groupes présents à la conférence internationale veulent réellement former un parti bolchevik" (Bulletin n°1, p.3). Pour le Spartacusbond, apparemment toute organisation est un parti, et tout parti est bolchevik. Ce syllogisme renferme en fait une condamnation de tout travail révolutionnaire aujourd7hui… par peur que les démons du passé n'aient pas été exorcisés.
En premier lieu, il est surprenant que le Spartacusbond pense nécessaire de demander si nous nous orientons vers un parti bolchevik ou non. S'il a lu notre presse, il doit sûrement se rendre compte que la plateforme politique sur laquelle est fondée notre activité dans plusieurs pays, est claire et non équivoque sur le rejet de la conception bolchevik du parti, à la fois dans le rapport parti-classe et dans sa structure interne. Une des prémisses de base pour tout travail révolutionnaire aujourd'hui est le rejet de la conception Bolchevik du parti; sans cette base, aucun progrès dans la discussion n'est possible. Dès ses débuts, notre courant: a dépendu 1’idée que :
I- La conception léniniste de la conscience de classe apportée "de l'extérieur", par des éléments "intellectuels", est complètement fausse, Il n'y a pas de séparation entre l'être et la conscience, entre le prolétariat comme classe économique et son but historique du socialisme, entre la classe et ses luttes. Les organisations politiques des révolutionnaires sont une manifestation du développement de la conscience dans la classe; elles sont une émanation de la classe ouvrière.
La conscience n’est pas circonscrite au parti, elle existe dans l'ensemble ne la classe mais de façon ni homogène, ni simultanée, Le bue de ceux gui ont pris conscience plus vite que d'autres dans la classe est de s'organiser en vue de contribuer à la généralisation de la conscience de l'ensemble de la classe Le parti n'est pas le dépositaire exclusif de la conscience tel que la conception ultra léniniste des Bordiguistes le voudrait; il est simplement une intervention organisée qui tend à une plus grande clarté et une plus grande cohérence des perspectives de classe, peur contribuer ainsi activement au processus de développement de la conscience dans la classe. Le parti n’est en aucune manière un absolu éternel mais un effare constant pour renforcer la conscience du prolétariat.
II- La conception léniniste, partagée par presque tous les révolutionnaires a l'époque a un degré ou à un autre:, selon laquelle le parti doit prendre le pouvoir "au nom de la classe" : doit être rejetée. L’expérience historique de la révolution russe montre que cette conception ne mène qu’au capitalisme d’Etat, pas au socialisme.
La classe ouvrière DANS SON ENSEMBLE est le sujet de la révolution et ce n’est pas une minorité de la classe ou venant de l’extérieur aussi éclairée soit-elle ou pense-t-elle être qui peut lui "apporter" le socialisme Le socialisme n'est possible que par l’activité consciente, autonome de la classe ouvrière, qui apprend par sa pratique et sa lutte.
Le rôle du parti n'est en aucune façon d'exercer le pouvoir sur les ouvriers, ni d'assumer le pouvoir d'Etat. Le rôle du parti est de contribuer à la conscience de classe, à la compréhension des intérêts généraux et du but historique de la lutte. Les conseils ouvriers sont l'instrument de la dictature du prolétariat et non le parti.
III- Avec Marx, en rejetant la notion anarchiste de "fédéralisme" dans l’organisation révolutionnaire, notre courant soutient que la centralisation internationale des organisations révolutionnaires n’implique en rien le rejet de la démocratie dans le cadre des principes politiques du groupe. Un groupe politique n'est pas un monolithe sur le modèle stalinien et ne peut l'être parce qu5il doit exprimer les débats et discussions réelles du mouvement ouvrier. Les militants n’ont pas simplement le "droit", ils ont le devoir d'exprimer et de clarifier toutes les divergences librement dans l'organisation, dans le cadre des principes politiques. Les Bolchevicks ont construit le parti comme un appareil quasi-militaire parce que le but était envisagé comme la prise du pouvoir par le partie. Tel n’est PAS le but du parti prolétarien et par conséquent, sa structure interne doit être appropriée aux besoins de clarification politique pour laquelle il est crée au sein de la classe.
Tels étaient et sont, en résumé, les principes sur lesquels tous les groupes de notre courant sont basés. Demander si nous ne deviendrons pas tout simplement un autre parti Bolchevik, montre que soit le Spartacusbond ne connaît pas nos principes, soit il pense que quelque "destin fatal" nous transformera en notre contraire, parce que, malgré tout ce que nous disons ou faisons, Spartacusbond voit en nous l'invisible stigmate de la mort, nous pouvons seulement dire que le Spartacusbond n’a pas le monopôle d'être sincèrement opposé à la conception léniniste du parti, qu'en rejetant les conceptions léninistes sur la question du parti, il n'est pas nécessaire d'aboutir aux idées du Spartacusbond.
Le véritable problème est que notre courant est en train de former une organisation internationale. Pas un parti, parce qu’un parti ne peut se former que dans une période de lutte de classe intense et généralisée, mais nous construisons une base politique et organisationnelle en vue d’un regroupement internationale Voilà le hic! En rejetant la conception léniniste de 1‘organisation, le Spartacusbond rejette TOUTES les formes d1'organisation internationale. "Nous combattons toute idée de la nécessité d’un parti dans la lutte de classe" (Bulletin n°2, p.3) et de plus : "Leur présentation (celle CCI) estompe la différence et l'opposition entre parti et classe" (bulletin n°1, p.1). Les léninistes voient le parti comme extérieur et au-dessus de la classe, et le Spartacusbond admet cette définition comme inévitable et juste, et par conséquent rejette tout parti. Le raisonnement est le même, seules les conclusions changent.
Tout au long de l’histoire du mouvement ouvrier, des organisations politiques se sont formées, groupant ceux des individus qui défendent une orientation donnée dans la lutte de classe Depuis Babeuf, en passant par les sociétés secrètes, la Ligue des Communistes et la Première Internationale, les premières années du mouvement ouvrier foisonnent d’activité et de débats politiques. Graduellement, à travers 1’expérience de la lutte elle-même, la perspective et le rôle de ces organisations politiques sont confrontées à. la réalité et beaucoup d'aspects sont clarifiés ou rejetés. Les sectes de conspirateurs, les conceptions putschistes sont abandonnées, et le rôle du parti comme contribution au développement de la conscience de classe s'est clarifié par les leçons positives et négatives des Deuxième et Troisième Internationales. Pendant cette période, les marxistes et Marx lui-même ont combattu le refus Proudhonien de s'organiser politiquement aussi bien que la résistance anarchiste à la centralisation, pour mettre l'accent sur la nécessité pour les révolutionnaires de mettre en avant une idée claire des "buts finaux de la lutte et des moyens d’y parvenir".
Il est vain de prétendre que la généralisation de la conscience dans la classe ouvrière ne s’est pas manifestée par la croissance et l'unification de groupes révolutionnaires. Le Spartacusbond ne le prétend pas. Il spécifie simplement qu'AUJOURD'HUI ces types d'organisations sont devenus non seulement inutiles mais encore un véritable obstacle au mouvement de la classe ouvrière.
Pourquoi ? Le développement de la conscience de classe si essentiel à la lutte prolétarienne est--il miraculeusement devenu un processus homogène et automatique dans la classe ? N’y-a-t-il plus aucune nécessité pour les éléments qui voient plus clairement les choses plus tôt de s'unir pour propager leurs analyses et leurs perspectives ? La réponse à ces deux questions est non. Même le Spartacusbond le reconnaît : "il n’y a pas de doute que ceux qui parviennent à cette clarté (sur la nécessité des conseils ouvriers) ressentiront le besoin de propager leurs expériences sur tout terrain de lutte. Mais dès qu'ils prétendent lancer un parti ou une internationale considéré comme leader de la classe, ils retombent dans les idées et les modèles organisatinnels du passé" (bulletin n°2, p.3).
Il y a la une contradiction claire. Si ceux qui parviennent à se clarifier vont inévitablement vouloir s'organiser pour propager leur clarification, vont-ils alors contribuer positivement à la lutte eu non ? La réponse semble être : si c'est un groupe informel d'individus isolés, ils peuvent dire sans crainte ce qu'ils ont à dire; mais dès qu’ils tentent de s'organiser dans une organisation internationale, et d'élargir effectivement leur influence, alors ils sont un obstacle selon le Spartacusbond. Aussi longtemps que les groupes sont: inefficaces, isolés et flous, le Spartacusbcnd approuve leur existence. Mais dès qu'ils tendent vers une cohérence politique et organisationnelle, ils sont censés devenir néfastes. Nous pouvons nous demander, pourquoi le Spartacusbond existe ? Pour s'organiser lui-même afin de dire aux autres de ne pas s'organiser ? Pour le Spartacusbond, dès qu'un groupe essaye de développer quelque influence pour ses idées, il devient inévitablement "leader" (c'est-à-dire, le modèle Bolchevik). Dans cette logique, notre seul espoir est de nous condamner nous-mêmes à nous contraindre à l’impuissance.
Le Spartacusbond prétend se réclamer de la tradition communiste de Conseils de Ho11onde. Faut-il lui rappeler que les communistes de conseils avec Gorter essayèrent de former une IV° Internationale dès les années 20 ? Est-ce que cela signifie que Gorter était devenu le disciple hollandais de Lénine ? Un bolchevik qui se serait ignoré ? Un effort semblable fut tenté par le groupe communiste de conseil hollandais (a prés la rupture avec le Spartacusbond) en 1947. Ce groupe encouragea l’initiative des communistes de conseils belges qui appelèrent à une conférence internationale et le groupe hollandais participa activement en 1943 à cette conférence des différents groupes de la gauche communiste. N'est-ce pas là la véritable tradition du communisme de conseils plus que la non-participation et la condamnation par le Spartacusbond des regroupements internationaux aujourd'hui?
Cependant, le débat est plus profond : quel est le rôle des révolutionnaires? Est-ce simplement de propager leurs expériences actuelles en tant qu'individus, comme le sous-entend la phrase citée plus haut, ou est-ce de distiller l'expérience de toutes les luttes de la classe ouvrière dans l'histoire, d'enrichir les luttes présentes des leçons du passé ? Pour le Spartacusbond, le passé est effacé d’un coup de balai anti-léniniste. La révolution Russe était simplement une révolution bourgeoise et les Bolcheviks, un parti capitaliste d'Etat "par essence" dès le début.
Les conceptions erronées des Bolcheviks sont la reprise d'éléments de la Social-démocratie., Par conséquent, la II° Internationale doit tout autant être rejetée. On aboutit à un pot-pourri, à une approche incohérente, moraliste de l'histoire. Pourquoi donc analyser à la fois les luttes passées et la défaite, lors qu'il est beaucoup plus facile de les rayer d'un trait de plume.
La révolution russe, selon Spartacusbond, a été une révolution bourgeoise. Mais à l’"Ouest" (Europe de l'Ouest), la révolution était a l'ordre du jour du fait des changements objectifs du système capitaliste (la période de décadence, le début du cycle crise-guerre-reconstruction) et cela a fait surgir des soulèvements révolutionnaires en Allemagne et partout. Le Spartacusbond se rend compte qu'une nouvelle période de lutte, de lutte révolutionnaire, a commencé à cette époque, parce qu'il soutient correctement que les syndicats ne sont plus, dès cette époque, des organisations adéquates de la lutte de la classe ouvrière, Nous nous trouvons alors avec cette contradiction absurde que le capitalisme était mûr pour la révolution prolétarienne en "Europe de l'Ouest", mais pas en Russie, où la bourgeoisie comme classe historique était encore capable d'avancer vers sa révolution bourgeoise ; Le capitalisme cesse d'être un système qui domine le monde et devient une question de régions géographiques : ici, la révolution prolétarienne est a l'ordre du jour ; là, la bourgeoisie commence sa tâche. Ici, les ouvriers tentent de prendre le pouvoir, tandis que là leurs camarades ouvriers combattent le "féodalisme" russe? Et les ouvriers de l'Europe de l'Ouest qui poussent en avant les luttes contre l'ordre bourgeois sont, au même moment, si peu conscients qu'ils rejoignent la Troisième Internationale et prennent la révolution "bourgeoise" en Russie pour l'avant-garde de leur propre révolution! C'est une logique complètement incohérente, une vision d’Alice au Pays des Merveilles de l’histoire. Où le programme révolutionnaire, socialiste est une possibilité mondiale ou il est simplement une aventure utopique de l'Europe de l'Ouest. Comment le Spartacusbond explique-t-il l'existence de conseils ouvriers, organisation de la classe pour l’assaut révolutionnaire contre l'ordre capitaliste, au sein d'une révolution "bourgeoise" en Russie? Nous l'abandonnerons aux contorsions théoriques d'une argumentation illogique. Mais la révolution Russe reste un livre fermé à ceux qui sont tellement obsédés par la défaite qu'ils doivent simplement nier tout caractère prolétarien à l'expérience russe. Ceci amène inévitablement ou rejet de toute racine prolétarienne de la Troisième Internationale. L'histoire devient une énigme où chacun tourne en rond en faisant des choses incompréhensibles. Pour le Spartacusbond toute leçon du passé est inutile parce que la plus importante des luttes des ouvriers est "bourgeoise"; 1'histoire prolétarienne devient un immense vide.
Il est compréhensible que le Spartacusbond voit la contribution des révolutionnaires comme simplement la propagation de "leurs expériences" de façon immédiatiste et sans dimension historique. Il a une difficulté regrettable à renouer avec le passé tel qu'il était. Dans l'article sur le KAPD paru dans Internationalism n°5, Hembé cite l’intervention de Jan Appel (Hempel) au 3° Congrès de la Troisième Internationale, pour montrer que le KAPD n’était pas anti-parti comme le furent plus tard certains communistes de conseils. Le KAPD s'opposa à la politique Bolchevik dans l'Internationale Communiste et combattit l'idée de la prise du pouvoir d'Etat par le parti "au nom de la classe". Niais il ne rejeta pas le parti comme contribution nécessaire à la conscience de classe.
"Le prolétariat à besoin d'un parti-noyau ultra-formé. Chaque communiste doit être individuellement un communiste irrécusable… et il doit pouvoir être un dirigeant sur place. Dans ses rapports, dans les luttes où il est plongé, il doit pouvoir tenir bon et, ce qui le tient, c'est son programme. Ce qui le contraint à agir, ce sont les décisions prises par les communistes. Et là règne le plus stricte disciplinée. Là, on ne peut rien changer, ou ben, on sera exclu ou sanctionné" (…) JAN APPEL
Le Spartacusbond "veut exprimer son indignation sur le fait qu’Internationalism abuse du nom de J. Appel pour tenter d’enchaîner à nouveau la classe ouvrière" (Bulletin n°2, p.5).
Avant tout, le Spartacusbond pense nécessaire de prouver que le KAPD est "leur" tradition et que notre courant n'a rien à faire en citant le KAPD pour soutenir nos idées. Il en est réduit à "douter de l'exactitude de la citation", ce qui est une tactique puérile, puisque personne du KAPD ni Appel lui-même, que ce soit à l'époque, un peu plus tard ou aujourd'hui, n'a jamais protesté que ces discours étaient falsifiés. Les lecteurs peuvent se référer au livre sur La Gauche Allemande, La Vecchia Talpa., Invariance, La Vieille Taupe pour savoir si Internationalisrri a correctement transcrit cette citation des interventions du KAPD.
Mais le Spartacusbord va plus loin. "Le fait est qu'il (Appel) quitta l'Internationale Communiste et qu’après cela comme membre du KAPD rejoignit la lutte théorique et pratique de la classe ouvrière allemande" (bulletin n°2, p.5). Cette phrase implique qu'après avoir fait son discours, Appel se rendit compte de son erreur et rejoignit le KAPD. En fait, Appel parlait comme délégué du KAPD à l’Internationale Communiste et exprimait les idées de son organisation qui n'a jamais démenti ses discours. Appel n'attendit pas 1921 pour prendre part aux luttes de la classe ouvrière allemande et il en fit partie dès la Première Guerre Mondiale. Il est encore actif dans le mouvement révolutionnaire, participa à notre conférence internationale et contribue à notre organisation. Nous n'aurions pas relevé cette question si le Spartacusbond avait estimé nécessaire de manifester bruyamment son "indignation" et de nous accuser publiquement de falsification dans notre presse. C'est certainement une accusation qui peut-être retournée contre les accusateurs. Laissant de coté la polémique, il est révélateur que ceux dont la vision historique est limitée à l'obsession du parti léniniste ont des difficultés à comprendre le contenu des expériences du passée
Mais de quel droit le Spartacusbond prétend-il que notre courant veut "enchaîner à nouveau la classe ouvrière"? Outre les principes auxquels nous avons déjà fait allusion, le Spartacusbond nous reproche d'essayer de comprendre les contributions positives des Bolcheviks. Notre courant a en effet affirmé que les positions claire et in équivoques des Bolcheviks contre la Première Guerre impérialiste mondiale furent un appel retentissant à la classe ouvrière et rallièrent la gauche internationale qui maintint une position internationaliste à l'époque. Les positions du Parti Bolchevik sur cette question et sur la nécessité de rompre avec la II° Internationale influencèrent profondément le mouvement de la gauche communiste allemande, entre autre. La position Bolchevik contre tout compromis avec le gouvernement démocratique bourgeois de Kerenski et l'appel pour "tout le pouvoir aux soviets" sont des contributions extrêmement positives à la pratique révolutionnaire. Quoique nous ne puissions pas approfondir ici l'expérience Russe, nous voulons simplement faire observer que ces positions méritent l'attention et l'analyse des révolutionnaires et ne peuvent pas simplement être éliminées par l’idée de Spartacusbond de "l’essence" du Bolchevisme ou en prétendant que tout ceci n'était qu’une manœuvre machiavélique pour tromper les ouvriers.
Partager la contribution positive des Bolcheviks sur ces questions, ne peut en aucune manière être interprète comme une apologie de la position Bolchevik sur le parti ou sur d’autres aspects de la lutte de classe. Si les Bordiguistes font l'apologie de chaque phrase ou mot de Lénine, le Spartacusbond prend le contre-pied, jette l'enfant avec l'eau sale et condamne tout ce que les bolcheviks ont pu dire. Il est dommage que l’histoire prolétarienne ne puisse concorder avec les analyses simplistes du "tout bon ou tout mauvais" que le Spartacusbond avance.
Nous sommes entièrement d'accord avec le Spartacusbond que les conseils ouvriers sont l'instrument essentiel du pouvoir prolétarien, les organisations unitaires de la classe, et de la démocratie prolétarienne pour la lutte révolutionnaire et, la venue du socialisme Nous sommes d’accord également que l’existence de partis est un vestige d'une société divisée en classe, Malheureusement, le fait que le prolétariat soit une classe exploitée signifie que le pouvoir des "idées dominantes", l'idéologie bourgeoise retarde et repousse le développement homogène et simultané de la conscience de classe dans le prolétariat. Par conséquent, il est inévitable et nécessaire que ceux qui peuvent voir les racines de la lutte plus clairement s'organisent et essayent de propager ces idées dans la classe Le but ne peut être servi en restant des individus isolés et inefficaces ou des groupes locaux, pas plus que les activités doivent être limitées à dire aux ouvriers "formez des conseils ouvriers" ou réduites à 1’idée ridicule de dire aux autres révolutionnaires "ne vous organisez pas ".
La classe ouvrière n'a pas besoin des révolutionnaires pour être poussée à former des conseils ouvriers. Dans les périodes révolutionnaires, les ouvriers l'ont fait sans qu'on leur donne des conseils sur les mécanismes de cette opération. Dans le passé, quand la classe ouvrière était inexpérimentée, les révolutionnaires jouaient un rôle important en encourageant la formation des organisations de lutte économique, les syndicats. Aujourd'hui, la période est différente et la forme des conseils ouvriers est beaucoup moins le résultat de l’agitation révolutionnaire qu’un mouvement relativement spontané de la classe en réponse aux conditions objectives.
La tache de l'organisation révolutionnaire est beaucoup plus une question de clarification des perspectives pour la lutte, de définition des buts et de dénonciation claire des dangers des luttes corporatistes et partielles.
Il n’y a pas opposition entre les conseils ouvriers et le parti, entre le tout et l'une de ses parties. Chacun a un rôle à jouer dans la vie de la classe
Le rejet par le Spartacusbond de tout rôle d’une organisation révolutionnaire internationale sans parler d’un parti n’est pas une continuation des idées centrales du KAPD; il reflète les idées de la fraction Ruhle qui quitta le KAPD et ces idées furent partiellement développées dans les années 30 pendant la période de défaite et de démoralisation,, Malgré les nombreuses contributions du communisme de conseils pour renforcer l’idée de l'importance des conseils ouvriers, les théories de certaines de ses tendances et notamment le Spartacusbond reste inachevées et partielles. Celui-ci reste prisonnier de la dynamique léniniste en en prenant simplement le contre-pied : au lieu de dire "le parti est tout" on dit, "le parti né est rien".
"Bien sûr, il n'y a pas d'objection à l'étude et à la coopération internationale des groupes qui prétendent stimuler la lutte autonome des ouvriers. Mais ces groupes ne peuvent pas créer un nouveau mouvement international de la classe ouvrière" (Bulletin n°2, p. 4).
Ceci signifie qu'aussi longtemps que les groupes révolutionnaires "étudient" et "coopèrent", ils font partie de la classe. Mais dès qu'ils veulent porter 1a "coopération" de groupes locaux ou nationaux au niveau d'une organisation internationale principielle ayant une fonction active dans la classe, ils cessent d'en faire partie et le Spartacusbond condamne alors leurs efforts. Chaque pays pour lui-même, chaque groupe pour lui-même -par dessus tout, ne pas s'unir parce que le regroupement fera de vous des "leaders" et des "léninistes". Apparemment, non seulement le pouvoir corrompt, mais aussi l'organisation. Cette incohérence fondamentale est théoriquement insoutenable. Mais plus fondamentalement, l'influence de cette peur et de cette résistance au regroupement affaiblit le mouvement ouvrier et ralentit les efforts de la nouvelle génération de révolutionnaires pour créer toute réponse organisationnelle aux nécessités de la nouvelle situation d'aujourd'hui.
J.A.
Les conseillistes d'aujourd'hui tels que les groupes hollandais Spartacusbond et Daad en Gedachte se distinguent principalement par leur confusionnisrne menchevik qui atteint un niveau invraisemblable sur la question de la révolution russe.
Les communistes de conseils qui, luttaient de façon militante pour la clarification des positions de classe face à la contre-révolution, et qui écrivaient pour l’"International Council Correspondance" et d’autres revues communistes, n'étaient absolument pas mencheviks. Leurs racines étaient totalement prolétariennes. Dans la démoralisation et la confusion provoquées par la défaite de la révolution mondiale, ils tentèrent de comprendre les raisons de ce tournant, dans un cadre prolétarien en défendant parfois des conceptions erronées. Mais confrontés pendant des années au déclin du mouvement prolétarien, ils subirent, eux aussi, le contrecoup de la défaite. Cette période de recul était bien différente de celle de la montée de la révolution prolétarienne quand ils faisaient corps avec la vague apparemment irrésistible des années "'7-23o Le menchevisme quant à lui n’a pas été à la hauteur de ces événements historiques; il combattit la révolution prolétarienne du début à la fin.
UNE "REVOLUTION BOURGEOISE" OU LE "RENARD ET LES RAISINS".
Tout comme le renard de la .table tournait le des aux grappes de raisins qu'il ne pouvait atteindre en grommelant qu'elles devaient être de toute façon pourries, les conseillistes d'aujourd'hui tourne le dos à la révolution d7Octobre. Comme nous l'avons dit, les communistes de gauche allemands et hollandais qui, dans les années 30, commencèrent à élaborer une théorie de la ''révolution bourgeoise'' pour expliquer la contre-révolution eu Russie, constituaient un authentique courant communiste. Ceci malgré leurs affirmations erronées quant à la nature de la révolution russe. Par contre, les "conseillistes" d’aujourd’hui ne sont que des vestiges du passé, renforçant les défauts des gauches allemande et hollandaise des années 30 et ajoutant encore a la confusion. Il est révélateur qu’ils ne partagent en rien l'ardeur, la créativité et la cohérence qui distinguaient les gauches allemande et hollandaise du début ; bref, aucune de leurs qualités.
Les révolutionnaires du KAPD et ceux d’autres groupes d’accord sur leurs positions agissaient comme des militants communistes et soutenaient la révolution d’Octobre parce qu'ils la voyaient clairement comme moment de l’épanouissement de la révolution mondiale. Ce qu’ils dirent plus tard, pendant la période de reflux, est autre chose. Avec la démoralisation et le repli, inévitablement, les minorités communistes ne voyaient pas clair et faisaient des erreurs puisque la classe avait subi une défaite historique.
Mais soyons clairs sur ce point :Spartacusbond, Daad en Gedachte et Cie ramassent dans les poubelles de l’"histoire" toute la confusion et la démoralisation de ce que fut autrefois une fraction révolutionnaire vivante. Voilà toute la différence.
Examinons quelques affirmations du Spartacusbond d'aujourd'hui, qui montrent clairement une complète régression par rapport à des positions révolutionnaires ;
"La IIIe Internationale provenant de la structure politiquement et économiquement arriérée de la révolution russe qui était en fait une révolution bourgeoise, était une structure organisationnelle du passé, au moins pour l'Europe de l'Ouest" (Spartacusbond n°2, p.3).
Plus loin :
"Le déclin de la révolution fut le résultat de la structure de la "Russie et des idées socialistes d'Etat qui existaient dans le bolchevisme dès le début et qui ne pouvaient aboutir qu’au capitalisme d'Etat" (ibid. p.3).
Cajo Brendel, conseilliste de Daad en Gedachte pense aussi que 3a révolution d’Octobre était une révolution bourgeoise.
"Pendant un certain temps, la révolution russe (bourgeoise) somblait avoir de grandes conséquences pour des développements bourgeois semblables, en Asie et en Afrique" (Thèses sur la révolution Chinoise, Solidarity Pamplet 86, Londres 1974, p.3).
En voyant la dégradation répugnante du Marxisme et des besoins de la révolution mondiale perpétrée par Moscou et le Kominterm, les gauches allemande et hollandaise réagissaient de façon, souvent confuse. Certains, comme Gorter et Pannekoek commençaient à dire que ce qui était arrivé en Russie était inévitable, du fait de l'était d: arriération de ce pays. Otto Ruhle et beaucoup d'autres, affirmaient ouvertement que la Russie avait connu une "révolution bourgeoise". Selon Pannekoek, même "Matérialisme et Empiriocriticisme" de Lénine était l'expression philosophique du niveau économique arriéré du développement de la bourgeoisie en Russie, et le Bolchevisme était alors supposé être une forme "hybride", particulière, du mouvement jacobin bourgeois, historiquement "obligé" d'instaurer le capitalisme d’Etat en Russie.
Suivant cette logique et y ajoutant sa propre imagerie philistine, Brendel qualifie les Bolcheviks d'"idéalistes politiques" (id. p.2; voués à s'éveiller"…subitement et horriblement…." aux réalités du capitalisme d'Etat. Paul Mattick, autre vestige conseilliste, pense la même chose :
"Pour les bolcheviks, rester au pouvoir dans ces conditions objectives réelles signifiait accepter le rôle historique de la bourgeoisie, mais avec des institutions sociales et une idéologie différentes". (P. Mattick, "Workers 'C'ontrol in the New Left").
Selon Mattick, avec la nécessité objective de la révolution bourgeoise coexistait une vague révolutionnaire (déclenchée par le 1° Guerre Mondiale) qu'il décrit comme "trop faible".
En conclusion, tout ce qui est arrivé en Russie était inévitable du fait de l'arriération économique de la Russie, du fait de l’idéologie capitaliste d'Etat des Bolcheviks et de l'extrême faiblesse du prolétariat mondial. Le contenu réel de ces affirmations peut être résumé ainsi : "Tout est mal qui finit mal".
LE MENCHEVISME RESSUSCITE
En défendant la Révolution Russe contre les Mencheviks et les renégats kautskystes, Luxembourg et les communistes occidentaux qui soutenaient les Bolcheviks défendaient la position que le capitalisme était entré en 1914 dans sa période de déclin tant attendue par les révolutionnaires. Par conséquent, la Révolution Russe était un maillon de la chaine des révolutions communistes prolétariennes naissantes. La guerre impérialiste avait donné le coup mortel à la période ascendante de développement du système capitaliste. Par là même, la révolution communiste, le programme maximum, était immédiatement à l'ordre du jour pour l’humanité. La classe ouvrière se trouvait désormais en face des seules alternatives; socialisme ou barbarie, la spirale du cycle guerre-reconstruction-crise-guerre venait d’apparaître dans l'histoire dans toutes ses conséquences meurtrières, montrant que notre époque était aussi l'époque de la révolution prolétarienne mondiale.
Parler, dans de telles conditions, de "révolutions bourgeoises" ou d'"étapes capitalistes nécessaires" avant la révolution communiste, alors que le capitalisme dans son ensemble montrait les symptômes mortels de la décadence, fut le sommet du crétinisme kautskyste. Kautsky et les mencheviks s'opposèrent à la Révolution d'Octobre en prétendant que le développement économique arriéré de la Russie pouvait seulement permettre une république bourgeoise. "Théoriquement, cette doctrine…aboutit à la découverte "marxiste" originale qu'une révolution socialiste est l'affaire nationale, quasiment domestique, de chaque Etat moderne en particulier" (R. Luxembourg "Révolution Russe", Maspero p.56). Mais les marxistes de cette époque comprirent que le développement bourgeois était impossible dans le cadre de la société bourgeoise décadente. Et ceci pour tous les pays, de la Russie au Paraguay.
L'interdépendance économique mondiale du capital, qui intègre tous les pays en un seul organisme : le marché mondial (Luxembourg), ne laisse aucune place pour les théories des "cas particuliers" si prisées par les gauchistes de tous bords. Dès 1905-1906, Parvus et Trotsky entrevirent cette réalité, après l'expérience de la Révolution Russe de 19058. Lénine et Luxembourg défendirent fermement cette vision en 1917 et comprirent que la prise du pouvoir par le prolétariat russe ne pouvait être que le prélude à la révolution socialiste mondiale Il ne s'agissait plus pour les ouvriers russes de prendre le pouvoir pour "parachever la révolution bourgeoise", même en passant ; la crise du capitalisme mondial ne permettait plus qu'une chose, la lutte directe et sans relâche vers le socialisme.
Les arguments de Kautsky, Plekhanov, Martov et des divers doctrinaires du national capitalisme, furent complètement balayés par la vague révolutionnaire de 1917-23. Le fait que cette vague fut finalement écrasée n'altère en rien cette conclusion. Si les échecs de la révolution prolétarienne dans la période de décadence sont toujours dus à 1'"arriération économique", il ne reste alors aucun espoir pour le communisme. Le déclin capitaliste signifie précisément que les forces productives sont de plus en plus freinées et bloquées par les rapports de production capitaliste. En d'autres termes, le capitalisme en décadence ne peut que stagner et entraver le développement des capacités productives de l'humanité; il ne peut globalement que maintenir un état d'arriération économique.
Les raisons de la défaite de la vague révolutionnaire de 1917-23 sont trop complexes pour en discuter ici. On doit simplement constater que les réponses simplistes des mencheviks sur l’"arriération" de la Russie ne font qu’obscurcir la question. Les racines des défaites de la période de révolution prolétarienne se trouvent principalement dans le niveau de la conscience du prolétariat, qui, à son tour, permet d'expliquer les facteurs subjectifs tels que 1'attachement aux anciennes formes du mouvement ouvrier, l’insuffisante clarification du programme communiste, facteurs qui peuvent à certains moments paralyser la classe dans son ensemble et permettre au capital de reprendre le dessus. Les problèmes subjectifs de la classe prennent ainsi un aspect social concret qui peut devenir un obstacle objectif par moments. Mais le déterminisme mécaniste des kautskystes ne parle pas de ce processus, qui ressemblerait plus à un processus "organique" que mathématique.
Par conséquent; ce fut une régression théorique de la part de ceux des communistes de gauche qu'on appela plus tard les "communistes de conseils" de ressortir les arguments mencheviks sur la "nature bourgeoise:" inévitable de la Révolution Russe. Les militants, en agissant: de la sorte, se retournaient contre leur propre passé et contre une des plus grandes expériences de la classe ouvrière. Il est bien sûr vrai que la révolution russe fut noyée dans le sang par la contre-révolution mondiale qui se manifesta dans l’"Etat ouvrier" en Russie. Ce fut d’autant plus douloureux que les bolcheviks furent eux-mêmes les artisans de la dégénérescence. Mais ceci ne remet pas en question la nature prolétarienne de la Révolution d'Octobre dont la défaite signifia une monstrueuse débâcle de la classe ouvrière mondiale. Seuls la stupidité ou le dédain peuvent faire froncer les sourcils et voir une "révolution bourgeoise" dans ce carnage. Alors que les "révolutions bourgeoises1' émanent de la chair et du sang de millions de prolétaires conscients écrasés, ou d’un autre point de vue, alors que les "révolutions bourgeoises" sont ce que les prolétaires nomment simplement des contre-révolutions, comment peut-on considérer que Noske, Scheidemann, Staline, Mao, Ho, Castro et bien, d'autres sont des "révolutionnaires" bourgeois? Seuls les impudents ou les bornés peuvent oser compare: Cromwell, Robespierre. Saint-Just, Garibaldi, Marat ou William Blake a ces avortons sanglants de la décadence capitaliste que sont Staline, Mao ou Castro.
Mais les gribouilleurs comme Brendel excellent en impudence. Leurs bruyantes affirmations concernent la révolution prolétarienne contrastent de façon saisissante avec la superficialité de ces affirmations :
"La Révolution Chinoise a de façon générale (pas en détails) le même caractère que celle de Russie en 1917. Il y a certes des différences entre Moscou et Pékin, mais la Chine comme la Russie est sur la voie du capitalisme d'Etat, Tout comme Moscou, Pékin poursuit une politique étrangère qui s'intéresse peu à la révolution ailleurs en Asie (pas même à la révolution des classes moyennes)". (id. p.3)
Avec une celle logique la révolution et la contre-révolution, sont identiques, Lénine et Trotsky sont les mêmes que Mao et Chou En Laï. L'aspect le plus réactionnaire de cette sauce "'révolutionnaire" est qu’il dénigre implicitement et sème la confusion sur un moment complexe extrêmement riche du mouvement ouvrier, Brendel, avocat du développement éternel du capitalisme, se croit capable de juger ceux qu'il appelle, de façon paternaliste, les "idéalistes politiques".
Il compare les Bolcheviks à Mao, l'héritier de Staline et le demi-dieu auto-pro-clamé de 300 millions d'êtres humains. En se lavant rapidement les mains, notre Ponce-Pilate ne comprend pas ce qu'est la responsabilité historique au cours de la Révolution Russe. Pour lui, ce qui devait être, fut. Mais, ce n’est pas l'immaturité de la Russie qui a été prouvée par les événements de la guerre et de la Révolution Russe, dit Rosa Luxembourg, "mais l'immaturité du prolétariat allemand pour remplir ses taches historiques". Mais Brendel, bien sûr, n'est pas d'accord. Dans ses contorsions lui aussi, comme Kautsky et les mencheviks, tombe dans le bourbier que le mouvement ouvrier a laissé derrière lui pour ceux qui ne seront jamais "mûrs" pour comprendre la révolution communiste.
DES ROLES EN QUETE D'ACTEURS
Brendel parle facilement de toutes sortes de révolutions de la classe moyenne, capitaliste d'Etat, bourgeoise et même paysanne. Tout sauf de la révolution prolétarienne, qui reste pour lui un livre fermé par sept sceaux. Selon lui, la révolution bourgeoise est inévitable dans les aires arriérées et le drame se poursuit désespérément en quête d'acteurs. Ainsi : "Ni en Russie, ni en Chine, le capitalisme ne pouvait triompher sauf sous sa forme bolchevick. (id. p.11).
Mais sa conception menchevik ne s'exprime aussi ouvertement nulle part mieux qu'ici :
"En Russie comme en Chine les révolutions ont à résoudre les mêmes tâches politiques et économiques. Elles doivent détruire le féodalisme et libérer les forces productives dans 1'agriculture des entraves qui emprisonnent les relations. Elles doivent aussi préparer une base pour le développement industriel. Elles doivent détruire l’absolutisme et le remplacer par une force ce gouvernement et par un appareil d'Etat qui permette la résolution des problèmes existants. Les problèmes économiques et politiques étaient ceux de la révolution bourgeoise; c'est-à-dire de la révolution qui doit faire du capitalisme un mode de production dominant". (id., p.10).
Le message est clair : le prolétariat "doit" se fragmenter en unités nationales distinctes qui, à leur tour, ont chacune leur voie de développement particulière, séparée du marché mondial et de l'économie mondiale. Chaque capital national est autarcique et 1’accumulation peut très bien se dérouler dans les limites capitalistes. Les seules limites de cette saine accumulation seraient une soudaine révolte des "dirigés contre les dirigeants" (à la Cardan-Solidarity) ou une éventuelle "baisse du taux de profit" (à la Grossmann-MatticK).La chose importante est la conception qu'à Brendel de la révolution prolétarienne : une conception bourgeoise, nationale, localiste. Mais comment le prolétariat mondial peut-il s'affirmer comme classe, unifiée. Comment est-ce possible si chaque prolétariat est confronté à des conditions nationales fondamentalement différentes? Qu'est-ce qui unifiera matériellement la lutte de classe montante pour le socialisme mondial? Brendel et les autres journalistes du conseillisme se taisent sur ce point gardant leurs forces pour lancer leurs incantations sur les conseils ouvriers ou l’autogestion".
Brendel lui-même ne se pose même pas la question. Par exemple, selon lui, les luttes ouvrières chinoises de 1927 furent vaincues non parce qu'elles étaient à la merci de la contre-révolution mondiale (déjà triomphante en Russie, en Allemagne, en Bulgarie, en Italie, etc.) mais à cause du nombre "insignifiant" d'ouvriers! Mais laissons Brendel dire lui-même ce qu'il pense :
"Certains prétendent que les soulèvements étaient des tentatives du prolétariat chinois pour influencer les événements dans une direction révolutionnaire. Ce ne fut pas le cas. Vingt deux ans après les massacres dans ces deux villes chinoises, le Ministre Chinois des Affaires Sociales annonçait qu'il y a en Chine quatorze villes industrielles et seulement un million d’ouvriers industriels sur une population de quatre à cinq cent millions d’habitants c'est-à-dire que les ouvriers industriels forment moins de 0,25% de la population. En 1927 ces chiffres étaient encore plus bats.
"Avec un prolétariat insignifiant comme classe en 1949, il semble improbable (sic) qu'il ait pu engager une activité révolutionnaire de classe vingt deux ans plus tôt. Le soulèvement de "Shanghai de mars 1927 était un soulèvement populaire dont le but était de soutenir 1' armée du Nord de Chang Kai Check. Les ouvriers n'y jouèrent un rôle que parce que Shanghai était la ville la plus industrielle de Chine où se trouvait un tiers du "prolétariat- chinoise Le soulèvement fut plus "radical-démocratique" dans sa nature que prolétarien et s'il fut écrasé dans le sang ce fut parce que Chang Kai Check combattait le j'jacobinisme et non parce qu'il avait peur du prolétariat. La "Commune de Canton" comme on l'appelle, ne fut rien de plus qu’une aventure provoquée par les Bolcheviks Chinois en vue de réussir ce qu'ils avaient raté à Wu Nan.
"Le soulèvement de Canton de décembre 1927 n’avait pas de perspective politique et n'exprimait pas plus la résistance du prolétariat que le KTT (Parti Communiste Chinois) exprimait des aspirations prolétariennes. Borodine, le porte-parole du gouvernement Russe, disait qu'il était venu en Chine pour combattre pour une idée ; ce fut pour des idées politiques semblables que le KTT sacrifia les ouvriers de Canton. Les ouvriers ne mirent jamais sérieusement en question Chang Kai Check et l'aile droite du KMT, la seule opposition sérieuse, systématique et continue vint des paysans". (id., p.15).
Il est complètement faux d'accuser les ouvriers chinois de ne s'être jamais "sérieusement opposés" au capital chinois. Toute action autonome du prolétariat combat le capitalisme, même si dans les premières étapes les ouvriers ne sont pas conscients de leurs propres buts finaux et de leur force potentielle. Mais le capital l'est et c'est pourquoi Chang Kai Check, Staline, Boukharine, et Borodine aidèrent à l'étranglement de la révolution Chinoise. Quel critère utilise notre Ponce Pilate pour affirmer bêtement l'inexistence d’"opposition" prolétarienne ? Est-ce que le Soviet de Petrograd de février 1917, contrôlé par les mencheviks et les libéraux, s'"opposait" au capital russe? La réponse de. Brendel serait : "non". En fait, selon lui, les ouvriers ne peuvent pas penser à s'opposer .au capitalisme parce qu'ils sont voués au capitalisme d'Etat, au "Jacobinisme", etc.
Les ouvriers chinois de Shanghai, Hankéou et Canton se sont soulevés par milliers, ont crée des comités de grève et des détachements armés qui, par leur nature même, étaient destinés à s'affronter non seulement à Chang Kai Check mais aussi au Parti Communiste Chinois, si la classe arrivait à survivre politiquement et à rejoindre la lutte de classe mondiale. Mais comme il n'y avait pas de révolution mondiale à laquelle se relier, aucune perspective ne s'ouvrait pour les soulèvements du prolétariat chinois. Le mouvement prolétarien en Chine fut étranglé définitivement par la réaction politique mondiale en 1927 et non par sa faiblesse "numérique". La place du prolétariat dans l'économie et son caractère de classe international sont, avec sa conscience, la seule base réelle de sa lutte. Les calomnies de Brendel contre le prolétariat ont une résonance dangereuse. Il est contre les "aventures" tant qu'elles sont prolétariennes. Mais quand il parle de la paysannerie, il se montre sous son vrai jour. C'était donc pour lui la paysannerie qui représentait…" la seule opposition sérieuse, systématique et continue" au Kuomintang. Là, il n'est pas question d'aventures !
La logique suit son cours majestueusement :
"Après vingt ans d'efforts, les masses paysannes ont enfin découvert comment s'unir en une force révolutionnaire. Ce ne fut pas la classe ouvrière encore très faible qui amena la chute de Chang Kai Check mais les masses paysannes organisées en armées de guérilla avec une démocratie primitive. Ceci montre une autre différence fondamentale entre les révolutions Chinoise et Russe. Dans la révolution russe les ouvriers étaient à la tête des évènements de Petrograd, Moscou et Kronstadt et la révolution rayonnait de la ville vers les campagnes. Ce fut le contraire en Chine. La révolution rayonnait de la campagne vers les villes" (id, p.16)
Ce n'est plus une question de révolution prolétarienne luttant contre le capitalisme ; non, c'est une question de révolutions en l'air, en général, des pièces en quête d'auteurs et d'acteurs. L'idée que les paysans étaient organisés en armées de guérilla avec une démocratie primitive" n’est rien de plus qu'une apologie cynique du maoïsme digne d'écrivains du genre d'Edgar Snow. "En Chine comme en Russie, ce n'est pas le parti qui montrait le chemin aux paysans, c'étaient les paysans qui montraient le chemin au parti" (id., p.17).
La logique de cette position est claire même si elle n'est pas explicite : si les masses paysannes montrent le chemin à la bureaucratie, alors il s'ensuit que la bureaucratie peut être contrôlée par la base. Les communistes doivent donc soutenir cette bureaucratie contre d'autres fractions capitalistes qui ne permettent pas un tel contrôle (par exemple contre Chang Kai Check) ! Le mouvement marxiste du 19° siècle pendant la période ascendante du capitalisme n'hésita pas à le faire en soutenant les luttes de libération nationale authentiques ; il soutenait la lutte des démocrates petit-bourgeois ou de fractions capitalistes avancées contre les réactionnaires ou les absolutistes. Le bavardage moraliste de Brendel et Cie ne se montre pas aussi franc. La vérité est que les paysans chinois furent mobilisés par le PCC de Mao pendant et après la guerre sino-japonaise comme chair à canon pour le partage impérialiste du monde. Pendant la seconde guerre mondiale, le PCC de Mao n'était que l'allié de la fraction démocratique impérialiste luttant contre l'impérialisme fasciste. Brendel n'est du genre à s'opposer à une telle guerre. En Chine, il aurait pris parti pour les "armées de guérilla démocratiques de paysans" (sic). En d’autres termes, il aurait pris parti pour les alliés comme tous les libéraux et staliniens.
Notre Ponce Pilate a montré cependant qu'il n'aime pas que les choses soient dites si explicitement, que les conclusions soient tirées si clairement. Mais les traditions du mouvement ouvrier le réclament, c'est le seul moyen pour le prolétariat d'affirmer son programme révolutionnaire contre tous les confusionnistes, contre tous les scribes révolutionnaires.
Nous avons vu comment le menchevisme, ancien ou nouveau, mène inévitablement à la capitulation face aux différentes fractions capitalistes. Il n'y a rien de neutre dans la lutte de classe, et ces philistins mettent en garde sur le fait que "rien n'est blanc ou noir mais que le gris existe aussi" ignorent ce fait que pour apprécier la gradation des couleurs, il faut d'abord savoir ce qu'est le blanc et ce qu'est le noir. On trouve une autre manifestation de cette confusion réactionnaire dans cet extrait de Solidatity, groupe influencé par le "conseillisme" sous sa forme dégénérée :
"Même si les organisations tenues par les staliniens doivent parfois, pour des raisons tactiques ou locales, s'engager dans la lutte, même si ce n'est que pour se "présenter" comme les "leaders" de la lutte, les révolutionnaires ne doivent pas pour autant déserter cette lutte. Ce serait déserter une lutte dont les termes ont été déterminés par la classe. Déserter serait reconnaître que la lutte a été décidée par le "parti" et non "par la "classe". Une telle décision dans ces circonstances serait totalement réactionnaire". (Bob Potter. "Whose Victory ?" Solidarity Pamphlet 43°, Londres).
Ainsi, pour le sophiste Potter la "classe" "détermine" les "termes de la lutte". Ainsi, les partisans de Tito, la 8° Armée Britannique, les Rangers Américains au jour J; tout peut-être considéré comme "expression" de la " classe" "déterminant " ces luttes "antifascistes" en 1939-45, tout comme actuellement au Viêt-Nam la "classe" est censée "déterminer" la lutte contre Thieu et l'impérialisme américain. Cette apologie revient en fait à un nouveau-tour de passe-passe stalinien à bon marché. Elle signifie la complète dégénérescence de ces idées qui, malgré la prétention à soutenir la classe "à la base", capitule en fait face aux fractions capitalistes qui sont caractérisées comme expressions quoique déformées, de la classe.
Dans leur introduction de 1970 aux Thèses de Brendel, les Cardanistes de Solidarity Aberdeen, ont montré la subordination complète du "conseillisme" à l'idéologie gauchiste tiers-mondiste :
"Cependant, les luttes des peuples coloniaux sont une contribution au mouvement révolutionnaire. Le fait que les populations paysannes pauvrement armées aient tenu tête aux forces économiques de l'impérialisme moderne, ont brisé le mythe de la puissance rnilitaro-technologico-scientifique de l'occident. La lutte a révélé également à des millions de gens la brutalité et le racisme du capitalisme et en a amené beaucoup, particulièrement des jeunes et des étudiants, à lutter contre leurs "propres gouvernements. Mais le soutien- aux: peuples coloniaux "contre l'impérialisme, n'implique pas, cependant,, le soutien à telle ou telle organisation engagée dans la lutte". (Pamphlet n°3, p. 3)
La dernière phrase n'est pas dans la logique de ce qui précède mais sert seulement à apaiser quelque mauvaise conscience. Ces conceptions sont un résultat inévitable des années de stérilité et de confusion qui ont finalement pourri le mouvement conseilliste. Le menchevisme a été en fait ressuscité par le conseillisme (et les bordiguistes qui parlent de "révolutions coloniales", les ont rejoint au sixième acte de cette imposture). Selon la Bible, Jésus ressuscita Lazare et de toute évidence, personne ne s'est opposé à ce fait. Le cas eut été différent si Jésus eut ressuscité Hérode, Xerxes ou quelque despote sumérien assoiffé de sang. Ce genre de sauveur aurait rapidement mérité le mépris justifié de ses contemporains. Spartacusbond et Daad en Gedachte ont ressuscité le menchevisme : un fait non moins répugnant pour la classe ouvrière.
NODENS.
L’article que nous reproduisons à la suite a été publié en novembre 1933 dans le n°11 de "Masses" qui était un mensuel éclectique situé à la gauche de la social-démocratie française. Il a été écrit par A. Lehmann membre des "groupes communistes, ouvriers" allemands héritiers du K.A.P.D. Si nous le republions aujourd'hui, c'est pour permettre à nos lecteurs de situer le degré de clarification à laquelle était parvenue la gauche communiste qui s'est dégagée de la III° Internationale et le recul considérable représenté par les courants "conseillistes" ou "bordiguistes" qui s'en réclament aujourd’hui.
Cet article comporte un certain nombre de faiblesses, qui avaient cours parmi des éléments de la gauche allemande, dans la compréhension du fascisme et qui le conduit à considérer que le fascisme est appelé à s'étendre à tous les pays. S'il fait ressortir les conditions générales qui permettent le fascisme (période de déclin du capitalisme, existence d'une crise économique aiguë) il ne comprend pas les conditions particulières qui l'on fait apparaître en Italie et en Allemagne et nulle part ailleurs (défaite brutale de la classe ouvrière après un mouvement puissant, et mauvaise part dans la répartition du gâteau impérialiste).
Bien que moins précise dans la compréhension des conditions générales, la gauche italienne, à la même époque (après la 2° guerre, elle reprend à son compte l'aberration de la "mondialisation du fascisme"), a pu faire une analyse beaucoup plus juste de ces conditions particulières ce qui lui a permis de faire apparaître "l'antifascisme" comme le grand ennemi du prolétariat. On ne trouve pas dans ce texte, par contre, de dénonciation du danger antifasciste.
Autre faiblesse est celle de l'analyse de la dégénérescence de la révolution russe et de la IIIe Internationale.
Dans cet article, ces phénomènes sont présentés comme essentiellement des conséquences de la situation existant en Russie même (arriération, poids de la paysannerie) et non comme un produit du recul de la Révolution à l'échelle mondiale.
Malgré ces faiblesses, cet article comporte un nombre important de points forts qui encore aujourd'hui en font une analyse bien plus valable que celles de la plupart des groupes actuels se réclamant de "l’ultragauche", points forts qu'on peut énumérer ainsi :
Ces points constituent l'axe autour duquel s'est constitué aujourd'hui le Courant Communiste International. Il fait apparaître la continuité existant entre le mouvement révolutionnaire qui se développe actuellement et celui du passé, marquant l'unité historique de la lutte prolétarienne au-delà de la terrible période de contre-révolution dont nous sortons.
Un grand nombre de courants "modernistes" rejettent cette continuité. Ces courants veulent faire "du neuf" ...
Mais, aujourd'hui, en se refusant tout passé," ils s'interdisent tout avenir" (dans le camp prolétarien tout au moins). Pour notre part, nous savons qu'on ne pourra aller au-delà des acquis de la gauche communiste qu'en partant de ces acquis et non en les rejetant. C'est pourquoi, nous nous réclamons hautement de cette continuité.
Pour saisir les causes profondes du fascisme, il faut considérer le changement de structure du capitalisme qui s'est produit dans les dernières décades. Jusque dans les premières années du siècle s’est développé le capitalisme encore progressif où la concurrence jouait entre les éléments capitalistes privés ou les sociétés anonymes, le rôle de moteur du progrès économique. L'accroissement plus ou moins régulier de la productivité était absorbé assez facilement par les nouveaux débouchés ouverts dans la période de la colonisation par les méthodes de l’impérialisme actif. L'organisation politique correspondant à cette structure atomisée du capitalisme, était la démocratie bourgeoise qui donnait aux différentes couches capitalistes le moyen le plus approprié de régler leurs contradictions d’intérêts. La situation prospère du capitalisme permettait d’accorder aux ouvriers certaines concessions politiques et matérielles et créait dans la classe ouvrière les conditions du réformisme et l'illusion que le Parlement était un moyen de progrès pour la classe ouvrière.
Les possibilités d'une accumulation du capital toujours de plus en plus importante, qui s'étaient manifestées dans cette première phase, trouvèrent leur fin dans la concurrence de plus en plus acharnée des capitalismes nationaux qui se heurtaient dans les dernières tentatives possibles de conquête de nouveaux terrains d’expansion capitaliste., Ces rivalités causées par la restriction des débouchés aboutirent à la guerre mondiale. Les mêmes causes avaient aussi amorcé la transformation de la structure du capitalisme par la concentration progressive du capital avec prépondérance du capital financier. La guerre et ses conséquences accélérèrent ce processus. L’inflation surtout, par la dépossession des classes moyennes permit dans une grande échelle, le développement du capital monopoliste, l’organisation du capital dans de vastes trusts et cartels, horizontalement et verticalement, et qui dépassaient même le cadre national. Les différentes cruches du capitalisme perdirent leur caractère spécial (financier, industriel, etc.) pour se fondre dans une masse d'intérêts de plus en plus uniformisés.
Comme les domaines d'action de ces trusts et cartels dépassaient le cadre des Etats, le capitalisme se trouva dans la nécessité d'influencer la politique économique de l'Etat de la façon la plus rapide. La liaison entre les organes des intérêts économiques capitalistes et l'appareil d'Etat devint donc plus étroite, l'intermédiaire du parlement devint superflu.
Avec une telle structure, le capitalisme n'a plus besoin du parlementarisme qui ne subsiste dans une première période que comme une façade derrière laquelle s'accomplit la dictature de ce capital monopoliste, Cependant, ce parlementarisme a encore pour la bourgeoisie l'utilité de maintenir les masses prolétariennes dans les illusions réformistes formant ainsi pour la dictature du capital, une base politique sur laquelle elle peut s'appuyer. Mais l'aggravation de la crise mondiale, l'impossibilité d'ouvrir de nouveaux débouchés enlèvent peu à peu tout intérêt pour la bourgeoisie dans le maintien de cette façade parlementaire. La dictature directe et avouée du capital monopoliste devient une nécessité pour la bourgeoisie elle-même. Il se montre que le système fasciste est la forme du gouvernement la mieux appropriée aux besoins du capital monopoliste. Son organisation économique est la plus favorable pour la solution des contradictions internes de la bourgeoisie, tandis que son contenu politique permet à la bourgeoisie de s'appuyer sur une nouvelle base qui remplace ainsi le réformisme devenu de plus en plus incapable de maintenir les illusions des masses.
L'impossibilité pour la bourgeoisie de conserver le réformisme comme base politique, résulte de l'aggravation considérable des oppositions de classe entre la bourgeoisie et le prolétariat. Depuis la guerre, le réformisme n'était plus en Allemagne qu'un jeu stérile. Chaque jour la classe ouvrière allemande perdait un peu plus de ce qui restait des "conquêtes" du réformisme. Le prestige du réformisme sur les masses ne subsistait que grâce à une puissante organisation bureaucratique. Mais les dernières attaques les plus violentes contre le niveau de vie des ouvriers, jetant ceux-ci dans la misère la plus insupportable sapait rapidement l'influence du réformisme dans les masses ouvrières et mettait à nu les oppositions de classe entre le prolétariat et la bourgeoisie.
Parallèlement à ce processus au sein de la classe ouvrière se produisait dans les différentes couches de la petite bourgeoisie, un processus de radicalisation. Les paysans étaient endettés, réduits à la misère et passaient par endroit à des actions terroristes. Les commerçants ressentaient les contrecoups de l'appauvrissement des masses et de la concurrence des grands magasins et des coopératives. Des intellectuels désorientés par l'incertitude du lendemain, des étudiants sans avenir, des anciens officiers déclassés étaient tournés vers toute possibilité aventurière. Des employés prolétarisés et frappés par le chômage et des fonctionnaires licenciés étaient prêts à se laisser entraîner par une démagogie radicale. Un anticapitalisme vague et utopique se développait dans ces couches hétérogènes dépossédées par la grande bourgeoisie. Leur anticapitalisme était réactionnaire, puisqu'il voulait rétablir une étape périmée du capitalisme. Ainsi, ils devenaient malgré leur radicalisme, un facteur conservateur et avec cela un instrument facile dans les mains du capitalisme monopoliste. En réalité, pour cette masse petite-bourgeoise radicalisée et inconsciente, incapable de jouer un rôle indépendant dans l'économie, placée devant l'antagonisme croissant contre le prolétariat et la bourgeoisie, la question était de faire un choix entre l'un et l'autre. Il lui fallait choisir entre le capital monopoliste -cependant responsable de sa situation désespérée- et le prolétariat facteur révolutionnaire historique. La haine de la révolution prolétarienne qui supprimerait les classes, l'attachement aux privilèges des classes petite-bourgeoises -privilèges qui cependant n'étaient plus qu'un souvenir- jeta ces classes moyennes radicalisées dans les bras du capital monopoliste, fournissant ainsi à celui-ci la base sociale suffisamment large, susceptible de remplacer dans ce rôle le réformisme qui menaçait d'autre part de s'effondrer.
La synthèse de ces deux aspects contradictoires du fascisme : dépendance du capital monopoliste et enrôlement des masses petite-bourgeoises s'opéra sur le plan politique dans le développement du parti national-socialiste. Ce parti se développa grâce à une démagogie effrénée et aux subsides de l’industrie lourde. Sur le plan idéologique, ce parti exprimait le désespoir des masses petite-bourgeoises par un langage radical et révolutionnaire, allant même jusqu'à la propagande pour certaines formes d'expropriations (banques, juifs, grands magasins), sa liaison avec le capital monopoliste s'exprimait par la propagande pour la collaboration des classes, pour l'organisation corporative hiérarchisée contre la lutte de classe et le marxisme.
L'inconsistance du contenu idéologique de la démagogie nazi se manifeste dans la propagande raciste. Le mécontentement des masses était détourné contre le traité de Versailles, bouc émissaire du capitalisme et contre les juifs considérés comme représentants du capital international et comme promoteurs de la lutte de classe. Ce tissu de stupidités incohérentes ne pouvait trouver prise que sur l’esprit des petits bourgeois, que leur rôle secondaire dans l'économie rendait incapable de comprendre la moindre des choses aux faits économiques et aux événements historiques dans lesquels ils étaient plongés.
Les paysans et les petit-bourgeois radicalisés formèrent toujours la grande masse du parti national-socialiste. Ce ne fut qu'à mesure que la subordination au capital monopoliste devint plus claire que la bourgeoisie elle-même vint renforcer les cadres nazis et lui fournit des officiers et des chefs. Mais jusqu’à l'avènement d'Hitler au pouvoir, il fut impossible au parti national-socialiste de mordre sérieusement sur la classe ouvrière, ainsi qu'en témoignent les élections aux conseils d'entreprises. Jusqu'à la fin, les nazis eurent toujours beaucoup de difficultés pour pénétrer dans les bureaux de pointage des chômeurs (Stempelstelle), seulement quelques centaines de milliers de mercenaires purent être recrutés pour les S.A. et les S.S. parmi les employés en chômage et le lumpen prolétariat, cependant qu'il y avait des millions de chômeurs sans aucun moyens d'existence.
Mais si la classe ouvrière ne se laissa pas, ou presque pas, contaminer par la démagogie fasciste, elle n'en fut pas moins incapable de s'opposer au développement du parti national-socialiste. Elle ne réussit pas à dissocier le bloc de classes réactionnaires en formation. Les tentatives des grands partis ouvriers d'utiliser telle ou telle divergence apparente entre le capital monopoliste et les nationaux-socialistes. Surtout le prolétariat ne comprit pas que la partie se jouait non entre la démocratie et le fascisme, mais en réalité entre la révolution prolétarienne et le fascisme. C'est donc l'incapacité révolutionnaire du prolétariat qui permit le développement politique du fascisme et l'avènement d'Hitler.
Pour voir comment cela fut possible, il faut examiner en détails le contenu idéologique et tactique des principales tendances du mouvement ouvrier.
Le réformisme s'était développé parmi la classe ouvrière dans la période de montée du capitalisme. Ces racines se trouvaient dans la possibilité pour la bourgeoisie d'accroître rapidement l'appareil de production, cette production accrue étant en général facilement écoulée dans les débouchés nouveaux. Il en résultait pour la classe ouvrière un rapide développement en nombre et en puissance. La bourgeoisie avait besoin pour assurer le développement accru de la production d'une classe ouvrière docile et satisfaite. Elle pouvait facilement obtenir ce résultat en abandonnant à la classe ouvrière une faible partie des profits toujours plus élevés que lui assurait le développement de l'impérialisme. Mais même lorsque la bourgeoisie ne voulut plus -et fut impuissante à accorder à la classe ouvrière une puissance importante- et put remplir son rôle en arrachant à la classe ouvrière tous les avantages accordés autrefois, même alors le réformisme conserva dans la classe ouvrière une puissance importante et put remplir son rôle comme base politique du capitalisme. Cela tient à l'organisation politique syndicale et étatique du réformisme qui s'étant développé pendant les années de prospérité subsista tant qu'elle fut d'un intérêt quelconque pour le capitalisme. L'organisation politique (social-démocratie) avait pour méthode essentielle la pratique parlementaire. Son action avait pour but de faire croire aux ouvriers qu'ils devaient attendre paisiblement, toute amélioration de leur sort qui serait décidée par le parlement, suivant les principes démocratiques. Toutes les fois que la social-démocratie prit la part la plus active dans le massacre des ouvriers révolutionnaires, elle justifia ses trahisons en se présentant comme défenseur de la démocratie. L'organisation syndicale se donnait comme but la discussion avec les entrepreneurs des contrats de tarifs, en utilisant en dernier ressort l'arbitrage de l'Etat. Elle excluait la grève tant qu'elle pouvait le faire et, en cas de grèves spontanées, elle s'efforçait de ramener les ouvriers au travail par toutes les manœuvres possibles, même parfois en s'associant à la direction de la grève. Les bureaucrates syndicaux nombreux, bien payés, embourgeoisés, régnaient sur les ouvriers par le moyen de la gestion des institutions d'assistance de toute sorte (maladie, chômage, etc.). La participation à ces institutions et aux différents avantages syndicaux retenaient les ouvriers dans l'obéissance et permettait la persistance du pouvoir des bureaucrates malgré les trahisons répétées et toujours plus cyniques.
Parallèlement au développement de la bureaucratie syndicale, s'était développée dans l'appareil d'Etat une bureaucratie spéciale pour l'application des lois sociales, de l'assistance, des secours de chômage, etc. Il faut reconnaître dans cet organisme et sa fonction une forme auxiliaire du réformisme, qui d'ailleurs trouvait son origine dans la conjonction du réformisme parlementaire et du réformisme syndical. Ce réformisme étatique contribuait également au même rôle de maintient de la classe ouvrière dans l'ordre, l'obéissance et l'illusion.
Ainsi le réformisme persistait dans son organisation quoique ayant perdu ses racines économiques. L'idéologie du réformisme subsistait dans la classe ouvrière par survivance, mais peu à peu, elle s'effritait sous l'action de l'aggravation de l'exploitation et de la misère du prolétariat. Lorsque le prolétariat se trouva réduit à lutter pour ses intérêts les plus élémentaires, il ne parut plus possible à la bourgeoisie de maintenir cette organisation pratique de la collaboration des classes sur les bases de l'idéologie réformiste. L'organisation pratique devait être maintenue à tout prix, mais l'idéologie avait besoin d'être changée, la bourgeoisie remplaça alors résolument le réformisme par le fascisme. Les syndicats furent d'abord intégrés purement et simplement dans le fascisme. Il ne pouvait pas être question de résistance de la part des bureaucrates puisque la réalité de l'organisation réformiste de collaboration de classe était conservée : seule était rejetée, comme un oripeau inutilisable l'idéologie réformiste. Le remplacement du réformisme par le fascisme comme soutien, du capitalisme se produisit donc de la façon la plus simple et si la bourgeoisie n'avait pas eu besoin d'hommes nouveaux, elle aurait pu conserver les services des bonzes qui ne demandaient pas mieux.
Il s'est montré dans cette circonstance que les syndicats n'étaient pas une organisation qui puisse être utile à la classe ouvrière et que cela résultait non pas d'une mauvaise direction, mais de la structure et du but même des syndicats comme organes de représentation des intérêts corporatifs dans le cadre du capitalisme; de telles organisations deviennent donc nécessairement un organe du fonctionnement normal du capitalisme et ne peuvent donc pas être utilisés dans des buts révolutionnaires.
Le développement de la révolution russe depuis octobre 1917 a été conditionné par la contradiction entre un prolétariat très concentré, mais peu nombreux et une immense paysannerie arriéré. L'industrie russe était en général très moderne techniquement, mais sa structure économique présentait des lacunes car elle avait été organisée par le capital étranger pour des buts de guerre ou d’exportation Après l'effondrement du tsarisme, la bourgeoisie ne put pas stabiliser le pouvoir qui lui était tombé dans les mains, ne pouvant trouver aucun appui dans la paysannerie qui voulait la paix et la terre.
Le prolétariat audacieux et conscient s'empara du pouvoir d'état en octobre mais il se trouva devant des difficultés d'organisation énormes, en face d'une paysannerie arriérée et déjà satisfaite, vingt fois plus nombreuse que lui. La collectivisation des entreprises fut poursuivie par les ouvriers sur un rythme gigantesque, mais les tentatives d'organisation communiste de la répartition des produits se heurtèrent à la résistance passive et active de l'immense masse paysanne. La NEP fut un recul du prolétariat amené à composition par la paysannerie; cependant le prolétariat restait encore maître des leviers de commande de l'économie. Mais dans ce régime de compromis entre l'industrie collectivisée et l'agriculture parcellaire, la rivalité masquée, mais réelle, entre le prolétariat et la paysannerie fournit les bases du développement inouï de l'appareil d'Etat, de la spécialisation de cet appareil et de la suppression des pouvoirs des soviets. Les succès de la planification de l'économie accélèrent ce processus de cristallisation de la bureaucratie qui réussit à dominer peu à peu sans contrôle, en imposant des mesures de coercition économique, tant sur le prolétariat (rétablissement du travail aux pièces et de l'autorité des directeurs), que sur la paysannerie (concentration forcée des entreprises paysannes) et des mesures de domination politique (remplacement: des tribunaux populaires par des décisions de la police politique spéciale G.P.U.).
Un processus parallèle se poursuivit à l'intérieur du Parti communiste, organe dirigeant qui devint à la suite de crises successives, l'expression exclusive des nouveaux intérêts de classe de la bureaucratie Avec la disparition du pouvoir politique des soviets ouvriers, était disparu la dictature du Prolétariat à laquelle s'était complètement substituée la dictature de la Bureaucratie en temps que classe en formation.
La III° Internationale et les partis communistes dans tous les pays ont suivis leur structure les répercussions de cette transformation du régime en Russie. En particulier pour le parti allemand, la bureaucratisation et l'absence de démocratie intérieure étaient extrêmes. L'influence des masses ouvrières ne pouvait pas se faire sentir sur la politique du K.P.D. Sa stratégie et sa tactique lui était imposées suivant les intérêts de la bureaucratie soviétique. Jusqu’a la NEP, la politique extérieure soviétique avait été orientée vers la révolution mondiale, quoique avec des erreurs qui, par exemple avec Radek, eurent des conséquences désastreuses sur la révolution allemande. Maintenant la théorie du socialisme dans un seul pays met au premier plan l'édification de l'appareil industriel en Russie (cette édification industrielle étant baptisée socialisme), et par conséquent donne la plus grande importance à la stabilisation et à la politique de paix dans les relations extérieures. Avec la disparition de la dictature du prolétariat en Russie, disparait aussi l'intérêt du prolétariat mondial à considérer les développements de la situation en Russie comme l'axe de la révolution mondiale„
Les Intérêts de classe de la bureaucratie ont engendré la théorie du "parti dirigeant" qui est la négation de la possibilité d’une politique de la classe ouvrière qui soit indépendante des autres classes, en particulier des classes moyennes et, par conséquent, la racine de l’opportunisme. D'autre part, l'utilisation du prolétariat mondial pour les besoins changeants de la diplomatie soviétique engendrait une coupure toujours plus grande entre les masses et le K.P.D.
La conséquence essentielle, qui résume toute l'action de la bureaucratie soviétique a été la dégénérescence du caractère de classe du mouvement révolutionnaire. Au lieu d'une idéologie de classe, le K.P.D. répandait, tant par opportunisme que pour des raisons diplomatiques, une idéologie nationaliste (mot d'ordre de la libération nationale et sociale, théorie de l'oppression de la nation allemande par l'impérialisme). Le K.P.D. croyait en faisant cette manœuvre, introduire le désarroi dans les rangs petit-bourgeois des nationaux-socialistes. La réalité, il introduisit la confusion et le désarroi dans le prolétariat; il ne peut rien opposer idéologiquement au fascisme ascendant, et l'avènement du fascisme entraîna dans les rangs des nationaux-socialistes, des militants du K.P.D. trompés par leur propre mot d'ordre de confusion nationaliste.
L'incohérence des manœuvres bolcheviques (front unique tantôt avec les fascistes, tantôt avec les sociale-démocrates) les prétentions bureaucratiques à la dictature sur les masses, l'absence d'une idéologie prolétarienne condamnaient le K.P.D. a l'impuissance. Après avoir volé de "succès" en "succès" sur le plan électoral, le K.P.D. se trouva complètement isolé des masses quand il aurait voulu agir (manifestation des nazis devant la maison Liebknecht). Il n'est même pas possible de savoir s'il voulait agir vraiment et dans quel sens.
Les racines de cette incapacité sont les mêmes que celle de la social-démocratie. Elles résultent dans les deux cas de la pénétration des idéologies bureaucratiques dans les organisations. Ce sont les idéologies du parlementarisme (mot d'ordre : pour arrêter Hitler, votez pour Thaelmann), du syndicalisme (tentatives de conquête des syndicats) et de l'opportunisme qui consiste dans la pratique de manœuvres entre les classes et entre les différentes couches de la classe ouvrière.
La théorie du parti dirigeant et la pratique des manœuvres parlementaires syndicales et opportunistes se retrouvent dans les diverses oppositions bolcheviques. La K.P.D. (Brandler), les trotskistes et le S.A.P. ont la même idéologie fondamentale. Ils ne diffèrent que par des détails subtils et d'ailleurs changeants. Pour tous ces groupements, la tactique préconisée contre le fascisme était la même unité pour l'action du réformisme et du bolchévisme. Cette tactique ne fut pas appliquée, mais la classe ouvrière n'avait rien à espérer de 1' unité de l'incapacité avec la trahison.
Les perspectives ne peuvent se fonder que sur des expériences. Les expériences révolutionnaires sont déjà riches en enseignements depuis la Commune de Paris à la révolution d'octobre russe, en passant par la révolution de 1905 ; ces expériences contredisent formellement la tactique et la stratégie du bolchévisme; elles ont toujours montré que la classe ouvrière était capable dans des situations objectives déterminées, d'agir d'une façon indépendante comme classe, et que dans ces situations elle créait spontanément des organes pour l'expression et l'exercice de sa volonté de classe : conseils ouvriers ou soviets. Il faut voir comment sont nés et se sont développés ces organes en Allemagne. Les premières actions ouvrières surgies en 1917, contre la volonté des bureaucrates syndicaux intégrés dans le régime de guerre, ont engendré les "hommes de confiance révolutionnaires d'entreprise" (Révolutionare Betriebsobleute).
Les conseils d'ouvriers de 1918 furent la suite directe de ce mouvement. L’effondrement militaire de l'Allemagne donne prématurément des possibilités inouïes de développement à ces conseils, mais leur clarté politique n'était pas suffisante. La conscience la plus claire des nécessités révolutionnaires, représentée par le groupe Spartacus, n'était pas encore assez développée pour que le mouvement des conseils ; quelques illusions anarchistes et aussi des habitudes héritées d'une longue pratique réformiste. L'échec du mouvement des conseils en 1919 fut, pour une grande part, le résultat d'une conscience insuffisante de la nécessité de la dictature du prolétariat.
Dans la situation instable du capitalisme qui dura jusqu’à 1923, se manifesta la nécessité pour les ouvriers d'avoir des organisations révolutionnaires sur la base de la production et il naquit un peu partout en Allemagne des organisations d'entreprises, qui formées tout à fait spontanément en s'opposant aux syndicats contre-révolutionnaires, formèrent à ce moment un courant politique très important. Les tentatives révolutionnaires furent terminées en 1923 par l’action brutale de la Reichwehr écrasant les ouvriers déjà démoralisés par la tactique doublement absurde du Parti communiste qui proposait le front unique national aux fascistes de Reventlov contre l'impérialisme français et participait d'autre part, au gouvernement parlementaire de Saxe avec les social-démocrates.
Depuis 1924, la stabilisation passagère du capitalisme et l'absence de perspectives révolutionnaires entraîna la disparition des courants radicaux, permit un nouveau développement du réformisme appuyé sur l'appareil d'Etat et inaugura l'ère des "succès" parlementaires du bolchévisme. Cette consolidation apparente du réformisme et ces succès illusoires du bolchévisme n'empêchèrent pas, avec l'approche et le développement de la crise depuis 1929, la croissance du mouvement fasciste, et l'abaissement du niveau de vie de la classe ouvrière toujours de plus, en plus frappée par un chômage sans issue. Dans les masses naissaient en même temps, qu'une certaine méfiance dans les partis existants. une certaine effervescence tendant au front unique de classe, mais dans l'ensemble subsistait encore l'attente que les grandes organisations pourraient encore agir efficacement. L'avènement du fascisme sans aucune résistance, sonna le glas des illusions dos ouvriers.
Ainsi la pression des conditions économiques conduisit la bourgeoisie à détruire des organisations qui, cependant, étaient en fait seulement capables de freiner et de paralyser tout mouvement révolutionnaire de classe. Cet aspect dialectique de l'avènement du fascisme nous fait apercevoir à travers le déchaînement de la terreur et la dispersion de l'ancien mouvement ouvrier, les racines d'un progrès et les bases du mouvement rénové. La destruction des anciennes organisations ouvre de nouvelles perspectives pour un nouveau mouvement de classe. Le prolétariat se trouve débarrassé des partis soi-disant prolétariens, mais effectivement réactionnaires, des illusions paralysantes du réformisme politique et syndical et dû parlementarisme. Aussi les illusions bolcheviques sont ébranlées : la masse des prolétaires révolutionnaires ne croît plus qu'il soit nécessaire que toute son action soit dirigée par un parti de révolutionnaires professionnels au-dessus de la classe ouvrière; elle n'a plus confiance dans les méthodes de bluff de l'agitation bolchevique qui ne conduisent qu'à des actions stériles.
La pratique de la lutte illégale conduit les ouvriers à développer ces nouvelles formes de travail. Les ouvriers révolutionnaires forment à l'usine et dans les bureaux de pointage de petits groupes dans lesquels les provocateurs ne peuvent pas entrer. La diffusion des tracts couverts de mots d'ordre d'agitation et de bluff est remplacée par l'élaboration de matériel de discussion et d'éducation politique prolétarienne. Les bureaucrates du Parti communiste ne peuvent plus imposer des points de vue sans discussion.
Cependant ce travail de groupement et d'éducation de classe se fait encore de façon sporadique et avec une insuffisante clarté politique. Il est pourtant nécessaire que la clarté programmatique la plus grande possible soit le point de départ de tout travail. Les éléments révolutionnaires: des plus conscients, déjà rassemblés dans des noyaux formés par un travail tenace préparatoire, aideront ce processus de clarification et de rassemblement parmi les groupes qui sont nés des débris des anciennes organisations, mais sont encore à la recherche d'une nouvelle idéologie. Les noyaux communistes-ouvriers se sont développés, dans, la période d'aggravation de la crise. Par ces noyaux s'est réalisée la synthèse, de l'expérience de la lutte illégale des ouvriers radicaux pendant les différentes tentatives révolutionnaire depuis 1917 avec l'ardeur révolutionnaire de jeunes que le développement des événements avait éclairé sur la nécessité de rompre avec les méthodes du réformisme et du bolchévisme. Ils portent dans leur clarté idéologique les leçons du passé et dans leur volonté de lutte les espoirs de l'ouvrier.
Pendant la période précédent la terreur fasciste, dominée par les illusions réformistes et bolcheviques, ces noyaux étaient numériquement faibles en rapport aux grandes organisations de masse, mais ils étalent habitués à l'action de propagande illégale et leurs liaisons étaient solidement établies à travers toute l'Allemagne. Dégagés du sectarisme dans lequel s'étaient éperdus les débris, des organisations radicales depuis 1923, ils ont poursuivi leur action de propagande idéologique parmi les éléments les plus avancés au sein de la classe ouvrière. Grâce à leur habitude du travail illégal ils ont continué leur action malgré la terreur sans aucune interruption et n'ont subi que peu de perte. Sous le régime de terreur, ils se sont accrus de façon considérable, cependant que les grandes organisations, péniblement reconstituées, piétinent encore. Actuellement, la quantité de matériel diffusé en Allemagne par les noyaux communistes-ouvriers est comparable à celle de n'importe quelle autre organisation.
Ces noyaux qui doivent être l'armature idéologique du prolétariat, devront intégrer de nouveaux éléments pas à pas en évitant de diluer la clarté des principes. Tout nouveau noyau doit être intérieurement ferme et clair afin que n’éclate pas ultérieurement des contradictions masquées.
Dans la phase actuelle du capitalisme, la tactique des communistes est déterminée par son emploi dans une situation prérévolutionnaire ou révolutionnaire. Dans la situation actuelle prérévolutionnaire, la tâche est de créer les fondements d'un parti communiste révolutionnaire. Les noyaux communistes en formation doivent agir sur la classe ouvrière pour accélérer le développement des conditions de la lutte révolutionnaire : lutte pour la clarification de la conscience de classe, destruction de la vieille idéologie conservatrice, réformiste (ou bolchevique), compréhension de la nécessité de l'organisation de classe d'après le principe des conseils, propagande des méthodes révolutionnaires de lutte. Cette action au sein de la classe ne deviendra efficace que par la participation permanente à la pratique de la lutte pour l'existence du prolétariat sur tous les terrains, car les ouvriers n'apprennent réellement: que par l'expérience directe.
Dans la situation révolutionnaire le but est la destruction des positions des pouvoirs de la bourgeoisie par des actions de classe, la conquête des moyens de production, l'édification du pouvoir des conseils prolétariens sur les terrains économique et politique, et le commencement de la reconstruction socialiste de la société en général. Tous ces buts ne pourront se réaliser au cours de la révolution que par la liaison la plus étroite de la classe prolétarienne avec le parti révolutionnaire qui n'est autre que la partie la plus claire et là plus: active de la classe.
Le but du travail du parti ne peut être de s'élever au-dessus de la classe, à titre de chef, comme un Comité Central bolchevique, pour commander la révolution mais le parti révolutionnaire ne peut être qu'un levier du développement de l'activité propre du prolétariat.
Les forces actuelles du communisme de gauche doivent être conscientes qu'elles ne peuvent pas constituer à n'importe quel moment : le parti révolutionnaire, mais que c'est seulement au cours de la lutte révolutionnaire des masses qu'ils veulent développer, dans un nouveau travail de reconstruction, les bases de ce parti, "que la révolution ne peut vaincre sans un grand parti révolutionnaire". Mais inversement, dans une situation "devenant révolutionnaire", ce parti ne peut se développer, et s'ancrer largement dans la classe ouvrière!
La question fondamentale de la tactique révolutionnaire d'un noyau communiste dans la classe n'est pas : comment rassembler le plus, vite possible, le plus possible de puissance derrière l'organisation pour abattre l'adversaire grâce à l'intelligence supérieure de la direction de l'organisation? Non la question fondamentale est : comment dans chaque étape de la lutte pratique peuvent être développés et poussés en avant la conscience, l'organisation et la capacité d'action de la classe prolétarienne, de telle façon que la classe dans son ensemble puisse, en réciprocité avec le parti communiste révolutionnaire, accomplir sa tâche historique.
La tâche des noyaux communistes révolutionnaires est donc double : d'une part, la clarification idéologique comme fondement du développement du parti révolutionnaire; d'autre part, la préparation des bases des organisations d'entreprise par le rassemblement des ouvriers révolutionnaires de conscience évoluée. L'exploitation capitaliste, de plus en plus aigue obligera les ouvriers à défendre leur existence même, et à entrer dans la lutte, même dans les conditions les plus difficiles. Faute d'organisation, les ouvriers en lutte créeront des organes de direction de lutte comme par exemple, des comités d'action. Le rôle des noyaux d'entreprise sera de participer à ces mouvements, de les clarifier en leur donnant un contenu politique.et dé travailler à leur extension à l'échelle nationale et internationale.
Dans la mesure où ces luttes s'étendront, la classe ouvrière entrera dans la lutte pour le pouvoir politique. Ces organisations de lutte, devenues permanentes, prennent un caractère spécial : elles deviennent des organes pour la conquête du pouvoir prolétarien et enfin les seuls organes de la dictature du prolétariat. Ces conseils -organes issus directement de la base des usines, et des organisations de chômeurs et toujours révocables- auront un rôle double : les conseils politiques devront poursuivre l'écrasement de la bourgeoisie et l'affermissement de la dictature du prolétariat; les conseils économiques la transformation sociale de la production.
Ces principes d'organisation et ces perspectives de développement de l'activité de classe sont justifiés non seulement par l'expérience historique de la classe ouvrière, mais aussi par les perspectives du capitalisme.
Les perspectives du capitalisme sont dominées par l'approfondissement et l'élargissement de la crise dans le monde entier, il est maintenant visible pour tout le monde que la crise actuelle est de toute autre portée que les criées cycliques qui faisaient partie du fonctionnement normal du capitalisme. Il est clair que la crise actuelle est devenue une crise du régime même ou plutôt une étape de dégénérescence du capitalisme. Les tentatives faites pour surmonter la crise sont accompagnées à leur début de l'enthousiasme de la bourgeoisie (et de la social-démocratie), mais elles s'effondrent quelques mois après, comme c'est le cas actuellement pour l'expérience Roosevelt. Le capitalisme ne peut plus que modifier la répartition des débouchés, c'est-à-dire remplacer le secteur le plus éprouvé par la crise par tel autre secteur jusqu'alors moins atteint; mais il ne peut pas créer de nouveaux débouchés. Les tentatives de nouvelle répartition des débouchés n'ont finalement pour résultat que d'étendre à tous les pays et à toutes les branches de l'économie, les désastres de la crise, de soumettre les ouvriers du monde entier à une exploitation également aggravée et servir de prélude à l'extension du fascisme à de nouveaux pays.
Les tentatives de répartition nouvelle, des débouchés produisent dans le monde entier des violentes contradictions internationales. Les capitalismes nationaux se heurtent dans la politique douanière et monétaire la plus insensée. Les antagonismes deviennent de plus en plus aigus et les points de friction, les sources de conflit de plus en plus nombreux. Cette aggravation des rapports politiques internationaux réagit à son tour sur les conditions économiques qui l'ont engendrée et rendent ces conditions plus insurmontables. Il en résulte que le fascisme ne peut pas trouver la moindre base économique de stabilisation. C'est pourquoi, pour détourner l'attention des masses de leur propre misère, toujours croissante, il suscite à son tour de nouvelles difficultés internationales.
Ainsi l'impossibilité, pour le capitalisme, de surmonter les difficultés économiques et l'aggravation des contradictions sur le terrain international, ouvrait la voie au fascisme dans tous les pays et, cependant, excluent l'éventualité de la stabilisation du fascisme. La solution de cette contradiction dialectique ne peut être trouvée que dans la révolution prolétarienne. Cependant une solution peut être recherchée par la bourgeoisie dans une nouvelle guerre mondiale si le prolétariat ne prend pas l'initiative de l'action décisive. Mais la guerre mondiale elle-même n'est pas une solution et le dilemme qui se posera inéluctablement est celui prévu par Marx : Communisme ou barbarie.
Les perspectives révolutionnaires doivent donc être envisagées à l'échelle mondiale. Les fluctuations cycliques de la conjoncture, se produisant.sur le champ de la crise permanente du capitalisme dégénérescent, détermineront, dans les années qui viennent, des aggravations encore plus brutales et encore plus insupportables pour la classe ouvrière,
La nécessité, pour la classe ouvrière, de défendre ses intérêts les plus élémentaires produira inéluctablement les conditions d'une nouvelle époque de luttes à l'échelle mondiale.
En présence du développement mondial du fascisme, on ne doit pas considérer la situation des prolétaires d'Allemagne comme une situation spéciale, exigeant principalement des actions de solidarité avec des moyens plus ou moins utopiques; mais la question fondamentale qui se pose pour le prolétariat international est la suivante : comment utiliser au mieux les leçons politiques et organisations de l'expérience allemande pour que, dans une nouvelle époque de lutte, l'adversaire de classe trouve devant lui le prolétariat mondial mieux armé idéologiquement et organisatoirement .
La réponse est claire et découle de ce qui a été dit pour l'action en Allemagne. Les mêmes principes idéologiques et d'organisation doivent être, dès à présent, appliqués dans le monde entier par les communistes révolutionnaires qui ont su tirer les leçons de l'expérience récente de la honteuse trahison du réformisme et de l'effondrement du bolchevisme. Des noyaux de révolutionnaires clairvoyants doivent se constituer et s'attaquer opiniâtrement à la tâche de la clarification idéologique et de l'organisation nouvelle de la classe ouvrière.
Ces organisations nouvelles doivent établir leurs liaisons internationales pour jeter les bases de la formation de la IV° internationale par le même processus de la transformation des noyaux en parti qui doit se produire dans la conjoncture révolutionnaire.
Jeter dès maintenant le mot d'ordre de constitution de la IV° internationale est aussi inconséquent que de préconiser la constitution immédiate du nouveau "véritable parti de la classe ouvrière". En réalité, ce mot d'ordre des Trotskistes et du S.A.P. ne peut aboutir qu'à la reconstitution provisoire du bolchevisme, qu'à une internationale 3 et demi qui sera, comme un appendice honteux de la III° internationale, destinée à sombrer, comme celle-ci, dans le même fiasco.
Le prolétariat a autre chose à faire que de réaliser des caricatures historiques. Sa tâche est de vaincre la bourgeoisie et de réaliser le communisme. A nous de préparer les armes qui lui permettront de vaincre.
A. LEHMANN
Le second numéro de Forward, la revue du "Revolutionary Workers' Group" (RWG) ([1] [55]), contient une discussion internationale entre notre courant (Internacionalismo): "Défense du caractère prolétarien d'Octobre") et le RWG ("Les erreurs d'Internacionalismo au sujet de la Révolution russe"). Dans la critique de notre article, le RWG soulève d'importantes questions, mais sans dégager un cadre général permettant la compréhension globale de l'expérience russe.
Les révolutionnaires n'analysent pas l'histoire pour elle-même, ni pour trouver ce qu'ils auraient fait s'ils avaient étés là mais pour tirer, avec l'ensemble de la classe, les leçons de l'expérience du mouvement ouvrier afin de mieux comprendre le chemin à suivre dans les luttes de demain.
L'article de notre courant, "Défense du caractère prolétarien d'Octobre", sans avoir la prétention de faire une analyse exhaustive de la question complexe de la révolution russe cherche à clarifier un point essentiel : la révolution russe fut une expérience du prolétariat et non une révolution bourgeoise ; elle était partie intégrante de la vague révolutionnaire qui a secoué le capitalisme mondial de 17 aux années 20. La révolution russe ne fut pas une "action bourgeoise'' que nous pouvons donc tranquillement enterrer et ignorer dans nos analyses actuelles. Bien au contraire, il semble inconcevable que les révolutionnaires d'aujourd'hui, rejetant le stalinisme, rejettent du même coup l'histoire tragique de leur propre classe. Le rejet de tout caractère prolétarien de la révolution d'Octobre, qui souvent trouve ses adeptes chez ceux qui suivent la tradition conseilliste, est autant une mystification cachant là réalité des efforts révolutionnaires de la classe que celle des staliniens et trotskistes s'accrochant au soi-disant "acquis matériels" ou à l'"Etat Ouvrier" pour justifier la défense du capitalisme d'Etat russe.
Avec la reconnaissance du caractère prolétarien d'Octobre, on doit reconnaître que le parti Bolchevik, aux premiers rangs de la gauche marxiste internationale qui défendait des positions de classe révolutionnaire pendant la première guerre mondiale et en particulier en 17, était un parti prolétarien. Mais lors de la défaite des soulèvements ouvriers internationaux, le bastion russe, isolé, a subi une contre-révolution "de l’intérieur" ou le parti Bolchevik, de pilier de la gauche communiste internationale en 1919, a dégénéré en parti du camp bourgeois.
Voilà quelles sont les idées centrales qui ressortent de l’article d'Internacionalismo, malgré la traduction souvent pénible qu'en a fait Forward. Forward ne veut pas, en fait, discuter le problème de la nature prolétarienne d'Octobre, il est d'accord sur ce point, ce qui le préoccupe, c'est la nature contre-révolutionnaire des événements ultérieurs, bien que Internacionalismo ne traite le sujet que de façon secondaire. Il n'y a d'ailleurs pas d'article dans notre presse qui suffise, à lui seul à traiter tous les, problèmes de l'histoire. Malgré ce malentendu de départ c'est quand même avec étonnement que nous lisons :
Ces lignes semblent clairement indiquer que le chemin de la contre-révolution fut un processus dont les bases apparaissent avec l'étouffement du pouvoir des soviets et la suppression de l'activité autonome du prolétariat, un processus qui amena au massacre par l'Etat d'une partie de la classe ouvrière à Kronstadt. Le tout du vivant de Lénine.
Pourquoi la dégénérescence de la révolution russe a-t-elle eu lieu ? La réponse ne peut pas se trouver dans le cadre d'une nation, dans la seule Russie. De même que la révolution russe fut le premier bastion de la révolution internationale en 17, le premier d'une série de soulèvements prolétariens internationaux, de même sa dégénérescence en contre-révolution fut l'expression d'un phénomène international, le résultat de l' échec de l'action d'une classe internationale, le prolétariat. Dans le passé, las révolutions bourgeoises ont construit un Etat national, cadre logique pour le développement du capital, et ces révolutions bourgeoises pouvaient avoir lieu avec un siècle d'écart ou plus entre les différents pays. La révolution prolétarienne, au contraire, est par essence une révolution internationale, qui doit s'étendre jusqu'à intégrer le monde entier, ou être condamnée à une mort rapide.
La première guerre mondiale, terme de la période ascendante du capitalisme, a marqué le point de non-retour absolu pour le mouvement ouvrier du XIX° siècle et ses objectifs immédiats. Le mécontentement populaire contre la guerre a pris rapidement un caractère politique contre l'Etat dans les principaux pays d'Europe. Mais la majorité du prolétariat n'a pas été capable de rompre avec les vestiges du passé (adhésion à la politique de la II° Internationale qui était alors passée dans le camp de l'ennemi de classe) et de comprendre complètement toutes les implications de la nouvelle période. Ni le prolétariat dans son ensemble, ni ses organisations politiques, ne comprirent pleinement les impératifs de la lutte de classe dans cette nouvelle période de "guerre ou révolution", de "socialisme ou barbarie". Malgré les luttes héroïques du prolétariat à cette époque, la vague révolutionnaire fut écrasée par le massacre de la classe ouvrière européenne. La révolution russe était le phare qui guidait toute la classe ouvrière à l'époque, mais cela n'enlève rien au fait que son isolement constituait un grave danger, même une brèche temporaire entre deux soulèvements révolutionnaires est pleine de dangers. Celle qui s'ouvrait en 1920 devenait un précipice.
Le contexte du reflux international et de l'isolement de la révolution russe garde la plus grande importance. Mais à l'intérieur de ce contexte, les plus graves erreurs des Bolcheviks ont joué leur rôle. Ces erreurs doivent être mises en relation avec l'expérience et les luttes de la classe ouvrière elle-même. Les erreurs ou les apports positifs d'une organisation de la classe ne tombent pas du ciel ni ne se développent arbitrairement et par hasard. Ils sont, au sens large du terme, le reflet de la conscience de classe du prolétariat dans son ensemble.
Le parti Bolchevik fut contraint d’évoluer à la fois théoriquement et politiquement, en relation avec le surgissement du prolétariat russe en 17 et la perspective de mouvements internationaux, en Allemagne et ailleurs. Il a été aussi le reflet de l'isolement et de l’écrasement du prolétariat dans la période où grandissait la victoire de la contre-révolution. Que ce soient les bolcheviks, les spartakistes ou toute autre organisation politique de l'époque; confrontées aux tâches nouvelles de la période de décadence qui s’est ouverte avec la première guerre mondiale, leur compréhension incomplète a servi de base à des erreurs politiques très graves.
Mais le parti du prolétariat n’est pas un simple reflet passif de la conscience : il en est un facteur actif de développement et d’extension. Les bolcheviks, en exprimant clairement les buts de classe dans la période de la première guerre mondiale ("transformer la guerre impérialiste en guerre civile"), et pendant la période révolutionnaire (opposition au gouvernement démocratique bourgeois) "tout le pouvoir aux soviets", formation de l’IC, sur la base d’un programme révolutionnaire) ont contribué à tracer le chemin de la victoire. Malgré cela, les positions prises.par les bolcheviks dans le contacte du déclin de la vague révolutionnaire (alliance avec les fractions centristes à l’échelle internationale, syndicalisme, parlementarisme, tactique de front unique? Kronstadt) ont contribué à accélérer le processus .contre révolutionnaire à. l'échelle internationale autant qu’en Russie. Une fois disparu le creuset de praxis révolutionnaire sous, la contre révolution triomphante en Europe, les erreurs de la révolution russe furent privées do toute possibilité, d’évolution. Le parti Bolchevik était devenu l'instrument de la contre révolution.
Du fait de l'impossibilité de socialisme en un seul pays, la question de la dégénérescence de la révolution russe est avant tout une question de défaite internationale du prolétariat. La contre révolution a triomphé en Europe avant de pénétrer totalement le contexte russe "de l'intérieur". Ceci ne doit pas, répétons le, "excuser" les erreurs de la révolution russe ou du parti bolchevik. Pas ; plus que ces erreurs "n'excusent" le prolétariat de n’avoir pas su faire la révolution en Allemagne ou en Italie par exemple. Les marxistes n 'ont rien à faire d’" excuser" ou de ne pas "excuser" l’histoire Leur tâche est d’expliquer pourquoi ces événements ont eu lieu et d'en tirer les leçons pour la lutte prolétarienne à venir
Ce cadre générai international manque dans l’analyse du RWG qui débat de la "révolution et contre-révolution en Russie" (brochure du RWG) en termes presque exclusivement russes. Cette démarche peut sembler être une façon utile d’isoler théoriquement un problème particulier. Mais elle n'offre aucun cadre qui permette de comprendre pourquoi ces événements sont arrivés en Russie et elle mène à tourner en rond dans le vide sur le phénomène purement russe qui en ressort. Comme Rosa Luxemburg l’écrivait : "Le problème ne pouvait être que posé en Russie. Il ne pouvait être résolu en Russie".
Dans les limites de cet article, nous devins nécessairement nous borner à un aperçu d’ensemble du processus de dégénérescence, laissant de côté les détails des divers épisodes.
La révolution russe, fut d’abord et avant tout considérée comme la première victoire de la lutte internationale de la classe ouvrière. En mars 1919 les bolcheviks appelèrent au premier congrès d'une nouvelle Internationale pour marquer la rupture avec la social-démocratie traitre et pour réunir les forces de la révolution pour la lutte à venir. Malheureusement la révolution allemande avait déjà été écrasée en janvier 19, et la vague révolutionnaire refluait. Pourtant, malgré le blocus presque total de la Russie et les nouvelles déformées qui y parvenait du prolétariat de l'Ouest, la révolution mit toute son espérance dans la seule sortie possible, l’union internationale des forces révolutionnaire sous un programme qui fixait clairement les buts de classe :
Toile était la position en 1919 et * non les alliances ultérieures avec les centristes, ouvrant le parti et l’Internationale et finissant "front unique".
"Esclaves des colonies d'Afrique et d'Asie : le jour de la dictature prolétarienne en Europe sonnera pour vous comme le jour de votre délivrance. " (Manifeste de l'Internationale Communiste, 1919)
Et non l'inverse, comme le prônent les gauchistes aujourd'hui suivant, les formules contre-révolutionnaires sur la "libération nationale" issues de la dégénérescence de l'Internationale.
"Nous demandons à tous les ouvriers du monde de s'unir sous la bannière du communisme qui est déjà la bannière des premières victoires pour tous les pays! " (Manifeste)
Et non le socialisme en un seul pays :
Ces positions sont le reflet de l'énorme pas qu’avait franchit le prolétariat dans les années précédentes. Les positions que les bolcheviks mettaient alors en avant et défendaient étaient souvent en rupture nette avec leurs programmes antérieurs et constituaient un appel à la classe ouvrière toute entière, de reconnaître les nouvelles nécessités politiques de la situation révolutionnaire.
Mais en 1920, lors du second congrès de la même Internationale, la direction du parti bolchevik avait fait une volte face, retournant aux "tactiques" du passé. L’espoir de la révolution s’affaiblissait rapidement, et le parti Bolchevik défendait alors les 21 conditions d'admission à l'Internationale, incluant : la reconnaissance des luttes de libération nationale, de la participation électorale, de l'infiltration dans les syndicats, bref un retour au programme social-démocrate qui était complètement inadapté à la nouvelle situation. Le parti russe devint en effet la direction prépondérante de l’IC, et le bureau d'Amsterdam fut fermé. Et surtout, là direction bolchevik réussit à isoler les communistes de gauche : la gauche italienne avec Bordiga, les camarades anglais autour de Pankurst, et Pannekoek, Gorter et le KAPD (qui f ut exclu on troisième congres). Les bolcheviks et les forces dominantes de l’Internationale œuvraient en faveur d'un rapprochement avec les centristes, ambigus et traitres qu'ils dénonçaient seulement deux ans auparavant, et ils réussirent effectivement à saborder toute tentative de créer une basé de principes pour la création de partis communistes en Angleterre, en France ou ailleurs, grâce à leurs manœuvres et à leurs calomnies sur la gauche. Le chemin du "Front Unique" de 1922 au 4° Congrès et enfin de la défense de la patrie russe et du "socialisme en un seul pays" était déjà ouvert par ces actions.
L'affaiblissement de la vague révolutionnaire et le chemin vers la contre révolution est aussi claire vont marquer par la signature du traité secret de Rapallo avec le militarisme allemand. Quelle que soit l'analyse des points positifs et négatifs du traité de Brest-Litovsk par exemple, il fut fait en plein jour, après, un long débat au sein du parti bolchevik et fût présenté eu prolétariat mondial comme une chose imposée par une situation critique. Mais le traité de Rapallo, seulement deux ans après, était une trahison de tout ce qu'avaient défendu les bolcheviks, un traité militaire secret conclu avec l'Etat allemand.
Les germes de la contre-révolution se développaient, avec la rapidité, d'une période de bouleversaient historique, lorsque de très grands changements viennent en quelques années ou même en quelques mois. Et finalement toute vie a quitté le corps de l'Internationale quand La doctrine du "socialisme en un seul pays" fut proclamée.
L'histoire tourmentée de l'IC ne peut être réduite à un plan machiavélique des bolcheviks, qui auraient projeté de trahir la classe ouvrière aussi bien en Russie qu’internationalement. Cette notion infantile ne peut rien expliquer dans l'histoire. Mais la classe ouvrière n’a pas pu réagir pour redresser ses propres organisations à cause de la défaite et du reflux de la vague révolutionnaire; c’est cette même défaite qui a provoqué la dégénérescence définitive de des organisations et de leurs principes révolutionnaires.
Marx et Engels avaient constate qu'un parti ou une internationale ne pouvaient demeurer un instrument de la classe lorsqu'il y avait un cours général de réaction. Cet instrument de la classe ne peut demeurer une unité organisationnelle lorsqu'il n'y a plus de praxis de la classe, il est pénétré lui-même du reflux ou de la défaite, et éventuellement sert alors la confusion ou la contre-révolution. C’est pourquoi Marx a dissous la Ligue des Communistes après le reflux de la vague révolutionnaire de 1848 et a sabordé la Première Internationale (en l'envoyant à New-York) après que la défaite de la Commune de Paris ait marqué la fin d’une période. La III° Internationale, malgré son authentique contribution au mouvement ouvrier a souffert d'un long processus de corruption durant la période ascendante du capitalisme, où elle était de plus en plus liée au réformisme et donnait une vision nationale à chaque Parti. Son passage définitif dans le camp bourgeois survint avec la guerre de 1914, lorsqu'elle collabora à l'effort de la guerre impérialiste. Tout au long de cette période de crise pour la clause ouvrière, la tache continuelle d'élaboration théorique- et de développement de la conscience de classe incomba aux "fractions" révolutionnaires de la classe issues des anciennes organisations, qui préparaient le terrain pour la construction d'une nouvelle organisation.
La IIIe Internationale fut construite comme expression de la vague révolutionnaire des années qui suivirent la guerre mondiale, mais la défaite des tentatives révolutionnaires et la victoire de la contre révolution sonna son glas en tant qu'instrument de la classe. Le processus de contre révolution fut achevé (bien qu'il ait commencé avant) lors de la déclaration du "socialisme en un seul pays" ; la fin définitive de toute possibilité objective pour la subsistance des fractions révolutionnaires dans l'Internationale et la fin de toute une période.
L’idéologie bourgeoise peut pénétrer, dans une période de reflux, la lutte prolétarienne, à cause de la force des idées de la classe dominante dans la-société. Mais lorsqu’une organisation est définitivement passée dans le camp bourgeois, le chemin est fermé à toute possibilité de "régénérescence". De même qu'aucune fraction vivante exprimant la conscience de classe prolétarienne ne peut surgir d’une organisation bourgeoise, et ceci inclut aujourd'hui les staliniens, les trotskystes et les maoïstes (même si des individus peuvent être capables de faire la rupture) ; de même l'IC et tous les partis qui sont restés en son sein, furent
irrémédiablement perdus pour le prolétariat.
Ce processus est plus facile à voir avec le recul que nous avons aujourd'hui qu'il ne l'était malheureusement pour l'ensemble de la classe à l'époque, ou pour beaucoup de ses éléments les plus politises. Le processus de contre-révolution qui a condamné l'IC, a semé une terrible confusion dans le mouvement ouvrier pendant ces cinquante dernières années. Même ceux qui ont poursuivi la tache, d'élaboration théorique dans les sombres années 30 et 40, ceux qui restaient du mouvement de la gauche communiste, mirent longtemps à voir toutes les implications de la période de défaite. Laissons les modernistes arrogants ([2] [56]) qui ont "tout découvert" dans les années 74-75, apprendre aux ombres ce que l'histoire aurait du être.
La politique internationale des bolcheviks, leur rôle dans le processus de contre révolution internationale n'est pratiquement pas discuté dans la brochure de RWG "Révolution et contre révolution en Russie" et n'est que mentionné en passant dans le texte de Forward. Pour ces camarades, la contre révolution commence essentiellement avec la NEP (Nouvelle Politique Economique). La NSP fut, pour eux, "le tournant de l'histoire de l'Union Soviétique". La même année, le capitalisme fut restauré, la dictature politique vaincue et l'Union Soviétique devint un Etat ouvrier". (Révolution et contre révolution en Russie, p.7)
D'abord, il faut dire que quels que soient les événements dans le contexte russe, une révolution internationale ou un internationale ne meurent pas à cause d'une mauvaise politique économique dans un pays. Le lecteur cherchera en vain un cadre cohérent qui permette d'analyser la NEP ou les événements ultérieurs en Russie en général.
La dégénérescence de la Révolution sur le sol russe s'exprimait essentiellement par le déclin graduel mais mortel des Soviets et par leur réduction en un simple appendice du Parti-Etat bolchevik. L'activité autonome du prolétariat, la démocratie ouvrière à l'intérieur du système des soviets étaient la base principale de la victoire d'Octobre. Mais dès 1918, il apparaît clairement que le pouvoir politique des Conseils Ouvriers était en train d'être entamé et étouffé par l’appareil d'Etat. Le point culminant de la période de déclin des soviets en Russie fut le massacre d'une partie de la classe ouvrière à Kronstadt. Le RWG fixé sur la NEP, n'a même pas mentionné le massacre de Kronstadt par rapport à l’analyse de l'Etat russe. Ce fait n'est pas si étonnant. Kronstadt n'est mentionné dans aucun des deux textes principaux sur la Russie, pas plus que Rapallo. Il est peut être compréhensible que les camarades du RWG, récemment issus du dogme trotskiste, n’avaient pas encore compris, lorsqu'ils ont écrit ces articles, que Kronstadt n'était pas la "mutinerie contre-révolutionnaire" dont parlaient Lénine et Trotski. Ce qui est moins compréhensible, c'est qu'ils accusent nos camarades d'Internacionalismo de ne pas être capables de voir "la dégénérescence de la révolution du vivant de Lénine".
L’erreur fondement aie du parti Bolchevik en Russie était la conception selon laquelle le pouvoir devait être exercé par une minorité de la classe, le Parti. Ils croyaient que le parti pouvait apporter le socialisme à la classe et ils n'ont pas vu que c'était la classe dans son ensemble organisée en Soviets, qui était le sujet de la transformation socialiste. Cette conception du Parti prenant le pouvoir étatique existait dans toute la gauche, à un degré ou à un autre, même chez Rosa Luxemburg, jusqu'aux écrits du KAPD en 1921. L'expérience russe du parti au pouvoir, que le prolétariat payait de non sang, marque une frontière de classe définitive sur la question de la prise de pouvoir par un parti ou une minorité de la classe, "au nom de la classe ouvrière". A partir de cette expérience, la leçon de la non identification de l'Etat et du parti devint un signe distinctif des fractions révolutionnaires de la classe et encore plus loin que le rôle des organisations politiques de la classe est de contribuer à la conscience de la classe et non de se substituer à l'ensemble de la classe.
Les intérêts historiques de la classe ouvrière en tant que destructeur du capitalisme n'était pas toujours compris dès le départ, et ne pouvait pas l'être, le développement de la conscience politique de la classe étant constamment entravé par l'idéologie bourgeoise dominante. Marx écrivit, le manifeste communiste sans voir que le prolétariat ne pouvait pas s’emparer de l’appareil de l'Etat bourgeois pour s'en servir. L'expérience vivante de la Commune de Paris était nécessaire pour prouver de façon irréfutable que le prolétariat devait détruire l'Etat bourgeois pour pouvoir exercer sa dictature sur la société. De même, la question du rôle du Parti était en débat dans le mouvement ouvrier jusqu'en 17, mais l'expérience russe marque une frontière de classe sur ce point. Tous ceux qui-répètent ou théorisent la répétition des erreurs des bolcheviks sont de l'autre côté delà frontière de classe.
Ce que l'Etat Busse a détruit en affaiblissant les soviets, c'était la force mène du socialisme. En l'absence de l'activité autonome, organisée, de l'ensemble de la classe, tout espoir de régénération fut progressivement éliminé, la politique économique des bolcheviks était débattue, changée, modifiée, mais leur action politique en Russie fut fondamentalement un processus continu qui a creusé la tombe de .la révolution. Tout ce processus devient encore plus clair quand on lé voit dans le contexte de la défaite internationale du mouvement dont il faisait partie.
Une des premières, des plus importantes leçons qui doivent être tirées de l'expérience révolutionnaire de la période d'après la première guerre est que la lutte prolétarienne est avant tout une lutte internationale et que la dictature du prolétariat (que ce soit dans un secteur ou à l'échelle mondiale) est d'abord et avant tout une question politique.
Le prolétariat, à l'inverse de la bourgeoisie, est une classe exploitée et non exploiteuse. Elle n'a donc pas de privilège économique sur lequel appuyer son avenir de classe. Les révolutions bourgeoises étaient essentiellement une reconnaissance politique d'un fait économique accompli. La classe capitaliste était devenue la classe économique dominante de la société, bien avant le moment de sa révolution. La révolution prolétarienne, par contre, entreprend une transformation économique à partir d'un point de départ politique : la dictature du prolétariat. La clause ouvrière n’a aucun privilège économique à défendre dans l'ancienne société comme dans la nouvelle, et n’a que la capacité de s'organiser et sa conscience de classe, son pouvoir politique organisé en Conseils Ouvriers pour le guider dans la transformation de la société. La destruction du pouvoir bourgeois et l'expropriation de la bourgeoisie doit être victorieuse à l'échelle mondiale avant que toute transformation sociale réelle puisse être entreprise sous la direction de la dictature du prolétariat.
La loi économique fondamentale de la société capitaliste, la loi de la valeur est la produit de l'ensemble du marché capitaliste mondial et ne peut en aucune façon et par aucun moyen être éliminée dans un seul pays (même dans un des pays, les plus développés) ou dans un ensemble de plusieurs pays, mais seulement à l'échelle mondiale. Il n'existe aucun échappatoire à ce fait même en le reconnaissant pieusement pour ensuite l'ignorer en parlant de possibilités d'abolir tout de suite l'argent et le travail salarié (qui sont corollaires de la loi de la valeur et du système capitaliste dans son ensemble) dans un seul pays. Les seules armes dont dispose le prolétariat pour mener à bien la transformation de la société qui suit et ne précède pas la prise de pouvoir par les Conseils Ouvriers internationalement sont :
La victoire du prolétariat ne dépend pas de sa capacité à "gérer" une usine ou même toutes les usines d'un pays. Gérer la production alors que le système capitaliste continue à exister condamne cette "gestion" à être la gestion de la production de plus-value et de l'échange. La première tâche de tout prolétariat vainqueur dans un pays ou un secteur n’est pas de se préoccuper de la façon de créer un "mythique îlot de socialisme" qui est impossible mais de donner toute l'aide possible à son seul espoir —la victoire de la révolution mondiale.
Il est de la plus grande importance de définir des priorités sur ce point. Les mesures économiques que prendra le prolétariat dans un pays, ou dans un secteur, sont une question secondaire. Dans le meilleur des cas, ces mesures ne sont que des mesures destinées à parer au pire et tendent à aller dans un sens positif : toute erreur peut être corrigée si la révolution avance. Mais si le prolétariat perd sa cohérence politique, sa force armée, ou si les Conseils Ouvriers perdent leur contrôle politique et leur claire conscience du sens dans lequel aller, alors il n’y a plus d’espoir de corriger les erreurs ou d'instaurer le socialisme. Aujourd'hui, de nombreuses voix s'élèvent contre cette conception; certaines de ces voix proclament qu'enfermer la lutte prolétarien ne sur le terrain politique n'est qu'un non-sens, une vieillerie réactionnaire. En fait, la conception selon laquelle la classe révolutionnaire est une classe définie objectivement, le prolétariat, est aussi pour eux une vieillerie et devrait céder la place à une "classe universelle" rassemblant tous ceux qui sont "opprimés", tourmentés psychologiquement ou ayant un penchant philosophique pour la révolution.
Les "rapports communistes", ou selon un groupe anglais du même nom la "pratique communiste" peuvent être réalisés immédiatement, il suffit que les "gens" le désirent. Pour eux, le plus important n'est pas la prise de pouvoir du prolétariat à l'échelle internationale et l'élimination de la classe capitaliste, mais l'instauration immédiate des soi-disant "rapports communistes" sous la poussée spontanée des "gens en général".
Les éléments purement abstraits et mythiques qui sous tendent cette théorie n’enlèvent rien au fait qu'elle peut parfaitement servir de couverture à l'idéologie "autogestionnaire". Face à l'accroissement du mécontentement de la classe ouvrière s'exprimant en mouvements de masse avec l'approfondissement de la crise capitaliste, une des réactions de la bourgeoisie pourra être de dire aux ouvriers; vos intérêts ne sont pas de vous lancer dans des problèmes "politiques" comme la destruction de l'Etat (bourgeois, mais de prendre les usines et de les faire marcher "pour vous-même", dans l'ordre. La bourgeoisie essaiera d'épuiser les ouvriers derrière un programme économique d'autogestion de l'exploitation et pendant ce temps la classe capitaliste et son Etat attendront pour cueillir les fruits. C'est ce qui s'est passé en Italie en 1920, ou "Ordino Nuovo" et Gramsci exaltaient les possibilités économiques qu'ouvraient les occupations d'usines pendant que la fraction de gauche, avec Bordiga, disaient que les Conseils Ouvriers, bien qu'ils aient leurs racines dans l'usine, doivent mener une attaque frontale contre l'Etat et le système DANS SON ENSEMBLE, ou mourir.
Les camarades du RWG ne rejettent pas la lutte politique. Ils se bornent à dire que le contexte politique et les mesures économiques sont également importants et cruciales. Dans un sens, ils ne font que répéter un truisme marxiste : le prolétariat, classe exploitée, ne se bat pas pour prendre le pouvoir politique sur la bourgeoisie dans le but de satisfaire une quelconque psychose de pouvoir, mais pour jeter les bases d'une transformation sociale par la lutte de classe et l'activité autonome et organisée de la seule classe révolutionnaire qui, en se libérant de l'exploitation libérera l'humanité toute entière de l'exploitation pour toujours. Mais les camarades du RWG n'ont aucune idée concrète de la façon dont peut se dérouler ce processus de transformation sociale. La révolution est un assaut rapide contre l'Etat, mais la transformation économique de la société est un processus qui se déroule à l'échelle .mondiale et qui est d'une extrême complexité. Pour mener à bien ce processus économique, le cadre politique de la dictature de la classe ouvrière doit être clair. Avant tout, il faut reconnaître que la prise de pouvoir du prolétariat ne veut pas dire que le socialisme peut être instauré par décret. Donc :
A partir du fait que nous affirmons que la dictature politique du prolétariat est le cadre et la condition préalable pour la transformation sociale, l’esprit simpliste (RWG) conclue: il semble qu'Internacionalismo nie la nécessité pour le prolétariat de mener une guerre économique contre le capitalisme" (Forward, p44)
Contrairement à ce que proclame Forward, tout n'est pas immédiatement d'égale importance, ou de mené gravité, pour la lutte révolutionnaire. Dans un pays où la révolution vient juste de triompher, les conseils ouvriers peuvent considérer nécessaire de travailler 10 ou 12 heures par jour pour produire des armes et du matériel à envoyer à leurs frères assiégés d'une autre région. Est-ce le socialisme? Pas si l’on considère que les principes de base du socialisme sont la production pour les besoins humains (et non pour la destruction) et la réduction de la journée de travail. Est-ce que cette mesure doit alors être dénoncée comme une proposition contre révolutionnaire? Evidemment non, puisque la première tâche et le premier espoir de salut de la classe ouvrière est d'aider l’extension de la révolution internationale. Ne devons nous pas alors admettre que le programme économique est soumis aux conditions de la lutte de classe et qu'il n’existe pas de moyen de créer un paradis économique ouvrier dans un seul pays? Dans tout ceci, nous devons insister sur le fait que tout affaiblissement politique du pouvoir des Conseils dans les prises de décision et l'orientation de la lutte serait fatal.
Les révolutionnaires mentiraient à leur classe s'ils la berçaient de rêves dorés pleins de lait, de miel et de miracles économiques, au lieu d'insister sur la lutte à mort et les terribles destructions que nécessite une guerre civile. Ils ne feraient que démoraliser leur classe en déclarant que les inévitables reculs économiques (dans un pays ou plusieurs) signifient la fin de la révolution. En mettant ces questions sur le même plan immédiat que la solidarité politique, la démocratie prolétarienne ou le pouvoir de décision du prolétariat, ils détourneraient la force décisive de la lutte de classe et compromettraient ainsi le seul espoir d'entamer-une-période de transition au socialisme à l'échelle mondiale.
Le RWG répond que "tout ne peut pas être pareil qu'avant, après la révolution" et met l'accent sur les tragiques conditions des ouvriers en Russie en 1921. Mais ils ne nous disent pas de quelles conditions ils parlent. Est-ce-que c'est que les organisations de masse de la classe ouvrière étaient exclues de toute participation effective à l’Etat Ouvrier"? Qu'on réprimait les ouvriers en grève à Petrograd ? S’ils parlent de ces conditions, ils touchent là le cœur de la dégénérescence de la révolution. Ou bien parlent-ils simplement de la famine? Ici encore, il est inutile à nos yeux de prétendre que les difficultés et les dangers de famine ne pourront pas exister après la révolution. Ou bien parlent-ils du fait que les ouvriers avaient encore à travailler dans les usines, que les salaires existaient encore (peut-on les abolir dans un seul pays ?) ainsi que l'échange? Bien que ces pratiques ne soient évidemment pas le socialisme, elles sont cependant inévitables à moins de prétendre pouvoir éliminer la loi de la valeur en un clin d'œil. Comme le dit le KWG, "un trait doit être tiré quelque part". Mais où? En mélangeant l'importance cruciale d'une cohérence politique et le pouvoir de la classe avec les reculs économiques, les problèmes de la lutte future se réduisent à une espérance de réalisation miraculeuse de nos vœux les plus sincères.
Le socialisme (ou les rapports sociaux communistes, ces termes sont utilisés ici de façon interchangeable) se définit essentiellement par l'élimination totale de toutes les "lois économiques aveugle" et surtout de la loi de la valeur qui régit la production capitaliste, élimination qui permettra de satisfaire les besoins de l'humanité. Le socialisme est la fin de toutes les classes (l'intégration de tous les secteurs non capitalistes à la production socialisée et le début du travail associé décident de ses propres besoins), la fin de toute exploitation. De toute nécessité d'un Etat (expression d’une société divisée), de l'accumulation du capital avec "son corolaire le travail salarié et de l'économie de marché. C'est la fin de la domination du travail mort (capital) sur le travail vivant. Donc le socialisme n'est pas une question de création dé nouvelles lois économiques, mais l'élimination des bases des anciennes lois sous l'égide du programme communiste prolétarien.
Le capitalisme n'est pas un méchant bourgeois avec uni gros cigare mais toute l'organisation actuelle du marché mondial, la division du travail à l'échelle mondiale, la propriété privée des moyens de production, y compris celle de la paysannerie, le sous-développement et la misère, la production pour la destruction, etc. Tout cela doit être extirpé et éliminé de l'histoire humaine pour toujours. Ceci nécessite un processus de transformation économique et social, à l'échelle mondiale de proportions gigantesques, qui prendra au moins une génération. Et c'est sur quoi il faut insister, c'est qu'aucun marxiste ne peut prévoir les détails de la nouvelle situation qu'aura à affronter le prolétariat après la révolution mondiale. Marx a toujours évité de "tirer des plans sur la comète" pour le futur et tout ce que peut apporter l'expérience russe c'est des lignes d'orientation très générales pour la transformation économique. Les révolutionnaires manqueraient à leur tâche si leur seule contribution était de rejeter la révolution russe pour n'avoir pris crée le socialisme en seul pays, ou de bâtir des rêvés sur la simultanéité de construction du cadre politique et de la transformation économique.
Le véritable danger du programme économique de la révolution c'est que les grandes lignes directives ne soient pas claires, qu'on ne sache pas quelles sont les mesures qui vont donner le sens de la destruction des rapports de production capitaliste (et donc vers le capitalisme) qui devront être appliquées dès que possible. C'est une chose de dire que dons certaines conditions ne pourrons être contraints de travailler de longues heures, ou ne pas être capables d'abolir immédiatement l'argent dans un secteur. C'en est une autre de dire que le socialisme signifie travailler plus durement ou encore pire que les nationalisations et le capitalisme d'Etat sont un pas en avant vers le socialisme. Ce n'est pas tant pour avoir mis la NEP en place afin de sortir du chaos du communisme de guerre que les bolcheviques doivent être blâmés mais bien pour avoir présenté les nationalisations ou bien le capitalisme d'Etat comme une aide à la révolution ou avoir prétendît que la "compétition économique avec l'Ouest" prouverait la grandeur de la productivité socialiste, un programme de transformation économique clair est une nécessité absolue, et aujourd'hui, après 50 ans de recul, nous pouvons voir plus clairement la question que les bolcheviks ou toute autre expression politique du prolétariat à l'époque.
La classe ouvrière a besoin d'une orientation claire de son programmé politique clé de la transformation économique, mais non de fausses promesses de remèdes immédiats aux difficultés ou de mystifications sur la possibilité d'éliminer la loi de là voleur sur décret.
Le RWG n'est pas le seul à insister sur la NEP, beaucoup de ceux qui viennent de rompre avec le "gauchisme", et particulièrement avec les diverses variétés trotskystes, font de même. Après avoir défendu la théorie insensée selon laquelle des "Etats ouvriers" existent aujourd'hui, la collectivisation dans les mains de l'Etat "prouvent" le caractère socialiste de la Russie actuelle, ils cherchent à présent "le point où le changement entre 17 et aujourd'hui a du se produire" (Forward, p.44) en Russie. C'est la question que posent toujours les trotskystes avec satisfaction : " à quel moment le capitalisme est-il donc revenu ?".
La NEP n'était pas une invention produite par le cerveau des leaders bolcheviks. Elle reprend, d'ailleurs, pour une large part, le programme de la révolte de Kronstadt. La révolte de Kronstadt met en avant une revendication politique-clé pour sauver la révolution: la restitution du pouvoir aux Conseils Ouvriers, la démocratie prolétarienne et la fin de la dictature bolchevik par l'Etat. Mais économiquement; les ouvriers de Kronstadt, poussés par la famine vers l'échange individuel avec les paysans pour obtenir de la nourriture, ont proposé un "programme" qui demandait tout simplement une régularisation de l'échange, placée sous la direction des ouvriers.
— une régularisation du commerce pour en finir avec la famine et la stagnation économique. Les chargements de nourriture envoyés aux villes russes étaient pris d'assaut par la population affamée et devaient être accompagnés par des gardes armés. Les ouvriers étaient souvent réduits à échanger des outils contre de la nourriture aux paysans. La situation était catastrophique et Kronstadt, aussi bien que les bolcheviks, ne pouvait rien proposer d'autre qu'un retour à une sorte de normalisation économique, qui ne pouvait être que le capitalisme.
L'attaque que fait le RWG à la NEP ne tient pas compte du contexte historique dans laquelle elle a été adoptée. Plus encore, il fait des confusions sur certains des points essentiels de la guerre économique contre le capitalisme qu'il prétend défendre.
1- "Si les événements poussaient à la restauration de la propriété capitaliste en Russie, comme cela était le cas en partie, ..." (Révolution et contre-révolution en Russie, p. 7) ; "la restauration du capitalisme signifiait la restauration du prolétariat en tant que classe en soi (?)…" (Idem, p. 17) ;"on se demande ce qu'il aurait fallu concéder de plus au capitalisme pour en arriver à sa restauration ?" (Forward, p. 46) (Nous soulignons).
Tout ceci est la claire preuve de la confusion qui est faite. La NEP n'était pas la "restauration" du capitalisme, vu que celui-ci n'avait jamais été éliminé en Russie. Le RWG fait plus loin la même confusion en ajoutant : "si la NEP n'était pas la reconnaissance des rapports économiques capitalistes normaux, c'est à dire légaux" (Révolution et contre révolution en Russie, p.7). Voilà qui est encore plus absurde : que les rapports capitalistes soient ou ne soient pas légaux, c'est à dire que leurs existences soient ou ne soient pas reconnues, n'est qu'une question juridique. Quelle "pureté" gagne-t-on à prétendre que la réalité n'existe pas? De toute façon, qu'elle soit reconnue légalement ou non ne change rien à la réalité économique. Si la NEP marquait un point décisif, ce n'est pas parce qu’elle réintroduisait (ou reconnaissait) l'existence des forces économiques capitalistes ; les lois fondamentales de l'économie capitaliste dominaient le contexte russe pare qu’elles dominaient le marché mondial. ([3] [57])
Ceci peut conduire certains à dire qu'ils savent que la Russie a toujours été capitaliste et que c'est bien la preuve qu'il n'y a pas eu de révolution prolétarienne. Jamais nous ne serons en mesure d'identifier une révolution prolétarienne si nous nous entêtons à la concevoir comme une transformation économique complète du jour au lendemain. Une fois de plus, nous revenons au thème du "socialisme en un seul pays" qui est suspendu, tel un nuage menaçant, au dessus de l'expérience russe, La NEP, avec ses nationalisations des industries-clés, fut un pas en avant vers le capitalisme d'Etat, mais elle ne fut pas un revirement fondamental du "socialisme" (ou d'un système autre que le capitalisme) vers le capitalisme.
2- "Elle (la NEP) représente réellement une trahison des principes, une trahison programmatique des frontière de classe" (Révolution et contre révolution, p. 7). Ceci est le cœur de l'argumentation, bien que cet argument soit la suite naturelle de ce qui précède. Personne n'est assez fou pour prétendre que la classe ouvrière ne peut jamais reculer. Bien que d'une façon générale, la révolution doive avancer ou périr, ceci ne peut jamais être pris unilatéralement et signifier que nous puissions avancer en ligne droite et sans problème.
La question qui se pose est alors la suivante : qu'est ce qu'un recul inévitable, qu'est-ce qu'une mise en danger des principes ? Le programme bolchevik, dans sa mesure où il faisait une apologie mystificatrice du capitalisme d'Etat, était un programme anti-prolétarien, mais l'incapacité d'abolir la loi de la valeur ou de l'échange dans un seul pays n'est en rien une "trahison des frontières de classe". Soit on distingue clairement ceci, soit on doit défendre la position selon laquelle le prolétariat aurait du en arriver au socialisme intégral en Russie. Ceci étant par définition impossible, les révolutionnaires n'auraient plus qu’à masquer l'incapacité d'appliquer le programme en mentant sur ce qui aurait réellement du être fait.
Des reculs sur le terrain économique seront certainement inévitables, dans nombre de cas (malgré la nécessité d’une orientation claire), mais un recul sur le terrain politique signifie la mort pour le prolétariat. C'est la différence fondamentale qu'il y a entre la NEP et le massacre de Kronstadt, entre la NEP et le traité de Rapallo ou les tactiques de "front unique".
Cette approche historique du "qu'auriez vous fait" est stérile par définition, l’histoire ne pouvant être changée ou "jugée" avec notre conscience (ou notre manque de conscience) actuelle. Toutefois, les naïves questions posées par le RWG montrent qu'ils n'ont pas compris la différence entre un recul et une défaite.
L'économie marchande? Jamais elle n’a été détruite internationalement, seul moyen de la faire disparaître, aussi personne n’a pu la restaurer en Russie —elle y a toujours existé. Le rouble? Encore une question absurde selon les analyses marxistes du capitalisme mondial et du rôle de l’argent, La décentralisation de l’industrie? Cette question politique remet fortement en question le pouvoir des Conseils Ouvriers et appartient à un autre domaine. Défendre les intérêts du capital russe? Ceci était clairement le glas qui sonnait la mort de la révolution elle-même.
" (la transformation économique) ne pouvait être accomplie par décret, mais le décret en est le premier pas". Si le RWG entend par décret le programme de la classe ouvrière, il ne nous reste plus qu’à "décréter" le communisme intégral immédiatement. Et après? Comment y arriverons-nous ? Nous devons : soit abandonner le combat, soit mentir et prétendre qu'il est possible d'arriver au socialisme dans des petites républiques socialistes.
Une révolution dans un pays comme l'Angleterre par exemple (qui est loin d'être un pays avec une économie arriérée, sous-développée comme la Russie), ne pourrait résister que quelques semaines avant d'être étouffée par la famine (dans le cas d'un blocus). Quel sens y aurait-il à parler d'une guerre économique toujours victorieuse contre le capitalisme, au milieu d'une agonie de famine à court terme ? La seule politique qui protège et défende un bastion révolutionnaire est là lutte révolutionnaire offensive à l'échelle internationale et le seul espoir est la solidarité politique de la classe, son organisation autonome et la lutte de classe internationale.
Le RWG, avec tous leurs bavardages sur la NEP, n'offre aucune suggestion pour une orientation valable de l'économie dans la lutte de demain. Dans quelle direction devrons nous aller, aussi loin que les circonstances de la lutte de classe nous le permettront ?
Ces points doivent être pris comme des suggestions pour l'orientation future, comme une contribution au débat qui se mène au sein de la classe sur ces questions.
Comme les camarades du RWG ne comprennent pas la situation russe, ils s'y perdent. Ils essaient d’offrir une orientation pour le futur en choisissant certains côtés des différentes fractions qui s'opposaient en Russie. Tout comme ceux qui rejettent complètement le passé et prétendent que la conscience révolutionnaire est née d'hier (avec eux, bien sûr), le RWG prend apparemment le contre-pied et répond à l'histoire dans ses propres termes. Ceci n'est pas un enrichissement des leçons du passé, mais un désir de le revivre et de "faire mieux", au lieu d'être une tentative de chercher ce qu'on peut en tirer aujourd’hui.
Le RWG écrit donc : "c'est notre programme, le programme de l'Opposition Ouvrière, qui prône l'activité autonome de la classe ouvrière contre le bureaucratisme, et les tendances à la restauration du capitale. Ceci révèle un manque de compréhension fondamentale de ce que signifiait réellement l'Opposition Ouvrière dans le contexte des débats en Russie. L'Opposition Ouvrière était un des nombreux groupes qui se sont battus contre l'évolution des événements dans los circonstances de dégénérescence en Russie. Loin de rejeter leurs efforts souvent courageux, il est cependant nécessaire de considérer leur programme.
L'Opposition ouvrière n'était pas contre le "bureaucratisme", mais contre la bureaucratie d'Etat et pour l'utilisation de la bureaucratie syndicale. Les syndicats devaient être l'organe de gestion du capital en Russie et non la machine du parti-Etat. L'Opposition ouvrière pouvait vouloir défendre l'initiative de la classe ouvrière, mais elle ne pouvait l'envisager que dans un contexte syndical. La véritable vie de la classe dans les soviets avait été presque entièrement éliminée en Russie en 1920-21, mais cela ne voulait pas dire que les syndicats, et non plus les conseils ouvriers, étaient les instruments de la dictature du prolétariat. C'est le même genre de raisonnement qui a amené les bolcheviks a conclure à la nécessité de revenir à certains aspects du vieux programme social-démocrate (infiltration dans les syndicats, participation au parlement, alliances avec les centristes, etc.) du moment que le programme du premier , congrès de l'I.C ne pouvait plus être facilement mis en pratique du fait des défaites en Europe. Même si les soviets étaient écrasés, l'activité autonome de la classe (sans parler de son activité révolutionnaire) ne pouvait plus s'exercer dans les syndicats dans la période de décadence du capitalisme. Tout le débat sur les syndicats reposait sur une fausse base : les syndicats auraient pu être substitués à l'unité de la classe dans les conseils ouvriers. En ce sens, la révolte de Kronstadt, appelant à la régénération des soviets, était plus claire sur la question. Pendant ce temps l'opposition ouvrière apportait son accord et son soutien à l'écrasement militaire de Kronstadt.
Il faut comprendre historiquement que dans le contexte russe, les arguments de ce débat tournaient autour de la façon de "gérer" la dégénérescence de la révolution, et que ce serait le summum de l'absurdité de faire sien un tel programme aujourd'hui. Plus encore, le RWG affirme : "mais nous sommes sûrs d'une chose : si le programme de l'Opposition Ouvrière avait été adoptée, le programme de l'activité autonome du prolétariat, la dictature prolétarienne en Russie serait morte (si elle était morte) en combattant le capitalisme et non en s'adaptant à lui. Et il y a des chances pour qu'elle ait pu être sauvée par la victoire de l'Ouest. Si ce programme de lutte avait été adopté, il n’aurait peut-être pas eu de retraite internationale. Il y aurait eu des chances pour que la Gauche Internationale ait prédominé dans l'I.C. " (Forward, p. 48-49)
Ceci prouve seulement qu'il y a une conviction persistante chez le RWG que si la RUSSIE avait fait mieux, tout aurait été différent. Pour eux la Russie est le pivot de tout. Ils prennent aussi sur eux d'affirmer; comme nous l'avons vu, que si les mesures économiques avaient été différentes, la trahison politique aurait été évitée, et non le contraire. Mais l'absurdité historique de cette hypothèse est montrée par: "Il y aurait peut-être eu des chances pour que la gauche internationale ait prédominé dans l'IC"
La Gauche Internationale dont nous présumons qu'ils parlent ne comprenait pas très clairement le programme économique à l'époque. Mais le KAPD, par exemple, se basait sur le rejet du syndicalisme et de sa bureaucratie. L'Opposition Ouvrière ne trouvait que peu ou rien à redire sur la stratégie bolchevik à l'Ouest, et servait toujours de tampon à la politique bolchevik officielle sur la question, y compris sur les 21 conditions du second congrès de l'IC (comme le fit Ossinsky). La vision de l'Opposition Ouvrière devenant le point de ralliement de la Gauche Internationale est une pure invention du RWG, parce qu’ils ne connaissent pas l'histoire dont ils parlent avec tant de légèreté.
Alors que le RWG dit que de "scruter là boule de cristal n'est pas une tâche révolutionnaire" (Forward, p°48), ils se perdent seulement quelques lignes avant dans les horizons infinis que l'Opposition Ouvrière aurait ouverts à la classe ouvrière. On pourrit dire qu'en plus d'éviter les boules de cristal, il serait bon de savoir de quoi on parle.
Notre but essentiel dans cet article n'est pas de polémiquer, encore qu'il soit indubitablement utile de faire la lumière sur certaine points. La tache essentielle des révolutionnaires est de tirer de l'histoire des points pour l'orientation de la lutte future. Le débat qui porte spécifiquement sur la question de savoir quand la révolution russe a dégénéré est moins important que :
C'est en ce sens que nous aimerions; apporter une contribution à une vision générale de l'héritage essentiel que nous a laissé l'expérience de la vague révolutionnaire d'après-guerre, pour aujourd'hui et pour demain ?
1. —Là révolution prolétarienne est une révolution internationale, et la première tâche de la classe ouvrière dans un pays est de contribuer à la révolution mondiale.
2. — Le prolétariat est la seule classe révolutionnaire, le seul sujet de la révolution et de la transformation sociale. Il est clair aujourd'hui que toute alliance "ouvriers-paysans" est à rejeter.
3. —Le prolétariat dans son ensemble, organisé en Conseils Ouvriers, constitue la dictature du prolétariat. Le rôle du parti politique de la classe n'est pas de prendre le pouvoir d'Etat, de "diriger au nom de la classe", niais de contribuer à développer et à généraliser la conscience de la classe, à l'intérieur de celle-ci. Aucune minorité politique de la classe ne peut exercer le pouvoir politique à sa place.
4. — Le prolétariat doit diriger son pouvoir armé contre la bourgeoisie. Bien que la principale façon d’unifier la société doive être d'intégrer les éléments non prolétariens et non exploiteurs dans la production socialisée, la violence contre ces secteurs peut être à certains moments nécessaires, mais elle doit être exclue comme moyen de résoudre les débats à l’intérieur du prolétariat et de ses organisations de classe. Tous les efforts doivent être faits, par le moyen de la démocratie ouvrière, pour renforcer l’unité et la solidarité du prolétariat.
5. — Le capitalisme d'Etat est la tendance dominante de l'organisation capitaliste en période de décadence. Les mesures de capitalisme d'Etat, y compris les nationalisations ne sont en aucune façon un programme pour le socialisme, ni une "étape progressive", ni une politique qui puisse "aider" la marche vers le socialisme.
6. — Les lignes générales des mesures économiques qui tendent à éliminer la loi de la valeur la socialisation de la production industrielle et agricole pour les besoins de l’humanité, mentionnée ci-dessus représentent une contribution à l’élaboration d'une nouvelle orientation économique pour la dictature du prolétariat.
Ces points, rapidement esquissés ici, n’ont pas la prétention de faire le tour de la complexité de l'expérience révolutionnaire, mais peuvent servir de points de repère pour une élaboration future.
Il y a beaucoup de petits groupes qui se développent aujourd'hui, comme le RWG, avec la reprise de la lutte de classe et il est important de comprendre les implications de leur travail et d'encourager les échanges d'idées dans le milieu révolutionnaire. Mais il y a un danger à ce que, après tout d'années de contre-révolution, ces groupes ne soient pas capables de s'approprier l'héritage du passé révolutionnaire. Comme le RWG, beaucoup de ces groupes pensent qu'ils "découvrent" l'histoire pour la première fois, comme si rien n'avait existé avant eux. Ceci peut amener des aberrations de ce genre : se fixer sur le programme de l'Opposition dans le vide, comme si on "découvrait" chaque jour une "nouvelle pièce du puzzle", sans placer les nouveaux éléments dans un contexte plus large. Sans connaître le travail de la Gauche Communiste (et être critique à son égard) (KAH), Gorter, Gauche Hollandaise, Pannekoek, "Workers Preadnaught", la Gauche italienne, la revue Bilan dans les années trente et Internationalisme dans les années quarante, le Communisme des Conseils et Living Marxisme autant que les Communistes de Gauche russes), et sans, le voir non comme des pièces séparées d'un puzzle, mais en le comprenant dans des termes généraux de développement de la conscience révolutionnaire de la classe, notre travail serait condamné à la stérilité et à l'arrogance du dilettant.
Ceux qui font l'effort indispensable de rompre avec le gauchisme devraient comprendre qu’ils ne sont pas seuls à marcher suit le chemin de la révolution, que ce soit dans l'histoire ou aujourd'hui.
Judith Allen.
[1] [58] RWG, PO Box 60161, 1723 V. Devon, Chicago Illinois, 60660, USA.
[2] [59] Voir WR n°23, "From Modernism Into the Void"
[3] [60] La politique de communisme de guerre dans le pays pendant la guerre civile, tant vantée par le RWG, n'était pas plus "non-capitaliste" que la NEP. L'expropriation violente des biens des paysans, bien qu'étant une mesure nécessaire pour l'offensive prolétarienne de l'époque, ne constituait en rien un "programme" économique (le pillage ?). Il est facile de voir que ces mesures temporaires, agissant par la force sur la production agricole, ne pouvaient durer indéfiniment. Avant, pendant et après le communisme de guerre, la base essentielle de la production restait la propriété privée. Le RWG a raison de souligner l'importance de la lutte de classe des ouvriers agricoles dans le pays, mais cette lutte n'anéantit pas automatiquement et immédiatement la paysannerie et son système de production, même dans le meilleur des cas.
La première partie de ce texte a paru dans le n°2 de la Revue Internationale du Courant Communiste International.
LE KOMINTERN ORGANISE LA DEFAITE
On allait à reculons : ressusciter l'ancienne social-démocratie, telle qu'elle était avant le krach de 14, avec ses révolutionnaires et ses opportunistes.
Il ne s'agissait donc plus d'écarter de l'Internationale les social-bellicistes et les socialistes gouvernementaux de la II° Internationale, adversaires jusqu' au bout de la guerre civile du prolétariat contre ses exploiteurs. En un mot, le Kominterm visait à rejeter par dessus bord 1’enseignement de la guerre impérialiste et de la révolution mondiale : 1'"absolue nécessité d'une scission avec le social-chauvinisme" ([1] [63]).
Or, le Programme d'Action du P.C.I. présenté au IV° Congrès Mondial de 1922 repoussait avec la dernière énergie le projet de fusion organisationnelle avec le P.S.I. que le Kominterm voulait péremptoirement pour le 15 février 23. Son refus reposait sur l'analyse amplement démontrée que la vraie fonction du maximalisme était de détourner, par une habile propagande électorale et syndicaliste, une importante partie des travailleurs de la lutte révolutionnaire pour le pouvoir politique.
Dans les faits, fusionner signifiait la possibilité pour le P.S.I., dont une fraction les "terzinternazionalisti" se déclarait prête à accepter les conditions d'admission fixées au II° Congrès, primo de se remplumer par une opération d'escamotage de sa fonction, deuxio regagner aux yeux des travailleurs le prestige d’un parti disqualifié à tout jamais par les derniers événements„
A cette méthode de marchandage des principes conquis au feu de la lutte contre la social-démocratie, que le Kominterm préconisait pour attirer les girouettes maximalistes, la délégation italienne opposa qu'il fallait gagner au communisme les effectifs encadrés par l'appareil socialiste, en intervenant au premier rang de chacune des luttes engendrées par la situation économique. De la même manière, il fallait agir pour arracher aux autres partis à étiquette "ouvrière", les meilleurs éléments qui aspiraient à la dictature du prolétariat.
La thèse de travail, juste en partie, s'annihilait d'elle-même puisqu'elle préconisait l'agitation à partir d'organes bourgeois, tels les syndicats, les coopératives et mutuelles. Les motions du Comité Syndical Communiste avaient beau flétrir la "trahison d’Amsterdam", pouvaient rappeler tant et plus à la CGIL ses " devoirs de classe", n'empêche que celle-ci poursuivait sa route dans le sillage du capitalisme.
Le fait que des militants communistes eussent réussi à constituer leurs propres noyaux syndicaux reliés étroitement à la vie du parti ne changeait pas d'un pouce la dure réalité. Ils ne pouvaient arrêter la roue de l'histoire, c'est-à-dire empêcher les syndicats de s'incruster sur le terrain capitaliste, de se mouler dans les plis d'un tricolore indélébile.
Pour expérimenter la tactique de Front Unique Ouvrier, qu'elle accepta par discipline d'appliquer sur le seul terrain des revendications économiques immédiates, la Gauche participa à la grève générale nationale d'août 22, croyant qu'en y intégrant les non-syndiqués, l'Alliance du Travail s'approcherait ainsi de la forme Conseil Ouvrier. Tout cela renforçait, plusieurs types de préjugés que les travailleurs pouvaient avoir dans leur esprit dans un pays où s'enracinaient profondément les mythes soréliens : l'action syndicale, la grève générale et les illusions démocratiques. L'appel à la grève générale lancé par l'Alliance du Travail contenait dans sa proclamation tous les microbes bourgeois connus alors. L'Alliance conviait à la lutte contre la "folie dictatoriale" des fascistes, en insistant auprès des travailleurs contre le danger d'utiliser la violence nuisible "à la solennité de leur manifestation", pour la reconquête de la LIBERTE, "ce qu'il y a de plus sacré pour tout homme civilisé",
Inutile de préciser que pour le prolétariat italien, déjà si cruellement éprouvé ce fut une défaite supplémentaire qu’il ne pouvait éviter de ce fait que, dans un cours défavorable, il ne peut se maintenir sans relâche sur des positions de défensive: par rapport à 1920, le nombre de journées de grèves avait diminué de 70 à 80 %,
Dans un enchaînement de zigzags incohérents, le Kominterm tantôt encourageait les "terzini" à sortir du vieux P.S.I., tantôt leur intimait l'ordre brutal de s'y maintenir pour accomplir un travail fractionnel de noyautage. Comme les pourparlers de fusion, devant aboutir à la formation d'un parti portant le nom de "Parti Communiste Unifié d'Italie", traînaient en longueur, le Kominterm mena au pas de charge le procès de 1'"infantilisme de gauche".
La manne bénie tomba du ciel fasciste. En février 23, Mussolini ayant fait procéder à l'arrestation de Bordiga, de Grieco et de nombreux autres dirigeants appartenant à la Gauche, l'Exécutif Elargi de juin 23 pouvait désigner un C.E., provisoire avec Tasca et Graziadei, hommes de toute confiance, lequel ce sera du reste maintenu dans ses fonctions après la libération de l'ancienne direction élue à Livourne et à Rome ([2] [64]),
En Italie, comme en France avec Cachin, l'Internationale allait à la conquête des "masses" en prenant appui sur ces fameuses "planches pourries". Bien entendu, l'acrobatie impliquait la mise à l'écart des communistes, des fondateurs des sections nationales de l'I.C. ; de les traiter d'"opportunistes de gauche" pour leur intransigeance principielle.
Il se jouait, non un sordide jeu de manœuvres diverses pour le pouvoir dans les jeunes partis communistes, mais un drame aux dimensions historiques colossales : dictature de la bourgeoisie ou dictature du prolétariat, communisme ou fascisme. Hélas, le rideau rouge tomba sur la scène historique au désavantage du prolétariat.
La nouvelle ligne de conduite internationale fixée par Zinoviev, préférait voir dans la social-démocratie l'aile droite du prolétariat plutôt que l'aile gauche de la bourgeoisie. Elle passait l'éponge sur ce qui s'était passé : la social-démocratie, à la tête des vieilles organisations de l'époque réformiste avait rassemblé toutes ses forces en un front anti-prolétarien pour sauver le régime bourgeois la nuit du 4 août 14, avait donné à la réaction ses Noske, Scheidemann, ses Böhm et ses Peild pour l'écrasement de la République Hongroise des Conseils, un chancelier fédéral à l'Autriche en la personne de K,Renner, pour exciter les paysans contre les ouvriers.
Ainsi, le Kominterm finissait de désorienter complètement la classe ouvrière, semant sur son passage la confusion à pleines mains, avec sa tactique de "lettres ouvertes", de "mise au pied du mur", d'invitation à constituer des blocs électoraux de gauche, de fusion…. De son côté, l'ennemi de classe profitant d'un sérieux répit des luttes, arrivait à colmater l'hémorragie de son appareil.
L’ANTI-FASCISME DE GRAMSCI
Devenu représentant en titre de 1' I.C., dans le parti italien, peu de temps après que l'Exécutif Elargi ait relevé Bordiga de son poste dirigeant, Gramsci prépara la jeune formation communiste à la résistance antifasciste, conformément aux directives de 1'Internationale, Et de commencer à distinguer parmi la bourgeoisie quelles étaient les forces fascistes et les forces hostiles au fascisme, donc intégrables au bloc "historique", car le prolétariat italien pouvait devenir classe "hégémonique", en réussissant à créer un système d'alliance avec d'autres couches non-monopolistiques, (Thèses de Lyon, III° Congrès du P.C.I.).
A la suite du meurtre du député socialiste Matteotti, en juin 24, par les séides fascistes, les députés socialistes et communistes ont pris la "vigoureuse" décision de se retirer sur 1'Aventin. L'analyse, du nouveau groupe dirigeant le P.C.I. développait 1'idée qu'en Italie le parti devait rassembler autour de ses noyaux d’usine les plus larges masses anticapitalistes pour atteindre un objectif intermédiaire : récupérer les libertés fondamentales du citoyen. S 'il était exact d'affirmer que la dictature du prolétariat n'était plus à l'ordre du jour momentanément en Italie, par contre il était mensonger de déclarer que le rétablissement d'un régime de liberté bourgeoise faciliterait le prochain assaut révolutionnaire.
Par leur sortie du Parlement, socialistes et communistes, ceux de la tendance gramscienne surtout, espéraient pouvoir provoquer le renvoi de Mussolini, exactement comme si la présence de représentants d'un parti totalitaire à la Chambre des députés n'était qu'une souillure faite au respectable parlement bourgeois.
Ni plus ni moins, il s'agissait de supprimer toute référence à la notion de dictature du prolétariat pour y substituer le mot d'ordre à caractère transitoire: d'Assemblée Constituante. C'est sinon sur un gouvernement ouvrier identique à celui constitué en Saxe-Thuringe en 23, du moins sur la constitution de l'Assemblée Constituante que débouchait la ligne de Front Unique élaborée par Zinoviev. Avec empressement, s'attela à ce travail le duumvirat Gramsci-Togliatti. Leur analyse-était la suivante : l’"Aventin" qui a vu se constituer l'embryon d'un Etat de type démocratique dans l'Etat fasciste, est tout désigné pour servir de Constituante à une République fédérative des Soviets, à résoudre une politique étroitement nationale : l'unité italienne. Ce leitmotiv tenait une place de choix dans l'analyse de Gramsci, pour lui, le P.C.I. devait devenir ce parti qui, seul, réglerait de façon définitive le problème de l'unité nationale laissé en suspens par trois générations de bourgeois libéraux.
Telle a été la contribution de celui que les épigones autogestionnaires n'hésitent pas à qualifier du "plus radical révolutionnaire italien", lequel entendait d'abord; traduire les leçons de l'Octobre russe à sa façon, dans les conditions strictement italiennes. Ce rétrécissement provincial de la portée universelle de l'expérience du prolétariat international, ce refus de voir que le problème ne pouvait qu’être tranché par le glaive de la révolution mondiale ; étaient faits pour aligner Gramsci sur les lignes de défense du "socialisme en un seul pays" concocté par celui qui savait si bien préparer les plats épicés : Staline.
La thèse centrale défendue par Gramsci était que le fascisme dérivait de l'histoire italienne, de la structure économique de l'Italie en contraste avec la situation au niveau international. Il ne lui en fallait pas plus pour justifier la Constituante en tant qu'étape intermédiaire entre le capitalisme italien et la dictature du prolétariat. Ne disait-il pas qu’une classe à caractère internationale doit, en un certain sens, se nationaliser.
Il lui fallait une assemblée nationale constituante, où les députés de "toutes les classes démocratiques du pays", élus au scrutin universel, élaboreraient la future constitution italienne. Une Assemblée Constituante où, en compagnie des don Sturzo, le secrétaire du Parti Populaire Italien; des "figures" libérales comme Salvemini et Gobeti, des Turati, ils pourraient appliquer un régime "progressiste" pour la "jeune et libre" Italie.
Devant le V° Congrès mondial, A. Bordiga devait démolir la position adoptée par Gramsci qui voyait dans le fascisme une réaction féodale des propriétaires terriens. En ces termes, il s'adressa à une Internationale en passe d'adopter la théorie de la construction du socialisme en U.R.S.S.
"Nous devons repousser l'illusion selon laquelle un gouvernement de transition pourrait être naïf au point de permettre qu'avec des moyens légaux, des manœuvres parlementaires, des expédients plus ou moins habiles, on fasse le siège des positions de la bourgeoisie, c'est-à-dire qu’on s’empare légalement de tout son appareil technique et militaire pour distribuer tranquillement les armes aux prolétairee. C'est là une conception véritablement infantile ! Il n'est pas si facile de faire une Révolution !"
De fil en aiguille, sous couvert d'antifascisme, Gramsci amorça le rapprochement avec le Partiti d'Azione, de Guistizia è Liberta et, du Parti Sarde auquel il était lié de longue date, en tant qu’insulaire, depuis son adhésion aux thèses du manifeste antiprotectionniste pour la Sardaigne d'octobre 1913. Pour ne plus commettre ces "lourdes erreurs" de ce qu' ils osaient taxer d’"extrémisme abstrait et verbal" Gramsci-Togliatti rayèrent de la propagande communiste le seul terme résumant la situation avec exactitude : fascisme, eu communisme.
ORIGINE ET NATURE DU FASCISME
Des monceaux de paperasse à prétention scientifique se sont accumulés sur les bureaux des historiens, pour décrire l'originalité du phénomène fasciste. En elle-même, l'arrivée du fascisme au pouvoir, voilà un demi-siècle, n'a même pas droit au nom de coup d1Etat, idée brandie sans lésiner par le stalinisme et son antichambre gauchiste.
Le Parti National Fasciste entra au Parlement bourgeois grâce aux élections de mai 21, autrement dit par la voie la plus légale au monde. Il eut l'appui du très démocratique Giolitti qui, le 7 avril venait de dissoudre la précédente Chambre. Sur son ordre, les tracasseries .administratives et les poursuites judiciaires, visant des gens qu'il protégeait, cessèrent de suivre leur cours. Les fascistes purent alors agir à visage découvert, sûrs de l'impunité en hauts lieux. Ainsi, Mussolini siégeant à l’extrême-droite avec 34 autres députés fascistes disposait d'une tribune parlementaire. Le 21/06/21, il déclara rompre avec l'homme qui lui avait mis le pied sur l'étrier électoral, Giolitti. Or, l'homme du Dronnero restait, par l'intermédiaire du préfet de Milan, Lusignoli, en contacts étroits, avec le groupe parlementaire du P.N.F. De surcroît, cette connivence était double : Nitti ne craignant point, de recevoir, au vu et au su de chacun, le baron. Avezzana que lui envoyait Mussolini dans la perspective de former ensemble un grand ministère.
Ce qui est dit ici par L. Trotski : '' Le programme avec lequel le national-socialisme est arrivé au pouvoir -hélas!- rappelle beaucoup les grands magasins juifs dans une province perdue. Que n'y trouve-t-on pas?"([3] [65]) ; colle très bien au fascisme italien. A ce moment-là, le fascisme est un invraisemblable pot-pourri empruntent à droite et à gauche des idées absolument traditionnelles en Italie. Les parties constitutives de son programme étaient :
— l'anticléricalisme axé sur la confiscation des biens des congrégations religieuses. Au 1°Congrès des Fasci, à Florence le 9 oct.19, Marinetti avait proposé la dévaticanisation du pays dans des termes identiques, ou presque, à ceux tenus par Cavour quelque 34 ans plus tôt.
— Le syndicalisme d'inspiration sorélienne, vibrant d'exaltation débridée pour la "morale du producteur". Instruits de l'expérience des occupations, les fasci sentaient qu'il fallait, coûte que coûte, associer les syndicats ouvriers au fonctionnement technique et administratif de l'industrie.
— l'idéal d'une République éclairée, basant sa légitimité sur le suffrage universel avec scrutin de liste régional et représentation proportionnelles droit de vote et éligibilité pour les femmes et, rendant un culte bassement intéressé à la jeunesse, le fascisme réclamait l'abaissement de la limite d'âge à 18 ans pour les électeurs, à 25 pour les députés.
— l'antiploutocratisme menaçant de frapper le capital d'un impôt progressif (ce qu'il appelait "authentique expropriation partielle")? de réviser tous les contrats de fournitures de guerre et, de confisquer 85% des bénéfices acquis pendant celle-ci.
Plus un programme social est éclectique et riche en promesses, plus nombreux sont ses supporteurs. Dans les fasci commencèrent à affluer et y grouiller des gens de toutes espèces : arditti, francs-maçons, futuristes , anarcho-syndicalistes… Tous se trouvent un dénominateur commun dans le refus réactionnaire du capitalisme et de la décadence des institutions parlementaires» Dans la salle du San Sepolcro, mise à la disposition des fascistes par le Cercle des Intérêts Industriels et Commerciaux, le discours de Mussolini fera retentir cette formule : "Nous les fascistes, nous n'avons pas de doctrine préétablies, notre doctrine c'est le fait" (23/3/19).
Sur le plan électoral, le fascisme adopte, avec une évidente souplesse les tactiques les plus variées. À Rome, il présente un candidat sur la liste de l'Allianza Nazionale; proclame l'abstention à Vérone et à Padoue; compose le Bloc National à Ferrare et à Rovigo; s’allie aux anciens combattants à Trévise; à Milan il se paye le luxe de dénoncer la revendication de la "reconnaissance juridique des organisations ouvrières" dont les groupements de gauche ont fait leur cheval de bataille parce que, dit-il, il conduirait à leur "étranglement".
Tel était le premier fascisme qui ne pouvait prétendre, en quoi que ce soit, être une force politique indépendante sur des objectifs propres. Devant le P.N.F. se dressait une exigence de taillé : se débarrasser des thèmes qui ne conviennent plus du tout aux industriels et, que la classe dominante trouvait pour le moins déplacés dans la propagande d'un-parti qui aspirait à lui garantir l'ordre social. Elle avait tout lieu de se méfier d'un mouvement qui, pour s'attirer la masse des travailleurs et des paysans, faisait montre d’un spectaculaire mépris pour le conformisme social. Le fascisme devait muer et, il obtempéra aux ordres du capitalisme.
Ainsi, cet anticléricalisme ordurier, hier encore virulent dans ses attaques d'athéisme, fera bénir dans la nef de la cathédrale de Milan ses bannières par le cardinal Ritti, futur pape Pie XI ([4] [66]). Dès lors, il n'y eut plus aucune commémoration fasciste, aucune manifestation publique du fascisme qui ne reçut ses gouttes d'eau bénite. Apaisés par le Pacte de Latran (1929) par lequel le régime reconnaît au St. Siège la pleine propriété de ses biens et le dédommage par une indemnité de 750 millions de lires, plus des titres de rente à 5% d'intérêt pour un capital de 1 milliard de lires, les catholiques seront gré au fascisme d'avoir réintégré l'enseignement religieux dans les écoles publiques et feront de Mussolini, qui avait mis une sourdine à sa furia anticléricale, 1'"homme des destinées divines". Dans toutes les églises d'Italie, monteront les Te Deum pour le succès de l'entreprise de salut national fasciste.
Ce républicanisme ralliera la Couronne et la Monarchie; offrira le 9 mai 36 au Roi et à ses descendants le titre d'Empereur d'Ethiopie; donnera des postes officiels dans la diplomatie aux représentants de la dynastie régnante,
Cet antiparti anarchisant deviendra le Parti National Fasciste avec sa rigoureuse pyramide de quadrumvirs, de hiérarques et de podestats, comblera d'honneurs les dignitaires de l'Etat; enflera la bureaucratie d'Etat de nouveaux mercenaires et parasites.
Cet antiétatisme qui à sa première heure proclame l'incapacité de l'Etat à gérer les affaires nationales et les services publics, déclarera par la suite que tout est dans l'Etat. Le célèbre :
"Nous en avons assez de l'Etat cheminot, de l'Etat postier, de l'Etat assureur. Nous en avons assez de l'Etat exerçant ses fonctions aux frais de tous les contribuables italiens et aggravant l'épuisement des finances" du discours prononcé à Udine devant le Congrès des Fascistes du Frioul, le 20/ 9/22, laissera place au :
"Pour le fasciste, tout est dans l'Etat, et rien d'humain ou de spirituel n'existe, et à fortiori, n'a de valeur en dehors de l'Etat" de l'Encyclopédie Italienne.
Ce pseudo-ennemi des grosses fortunes des bénéfices de guerre et des affaires louches, particulièrement florissantes sous l'ère giolittienne, sera équipé de pieds en cap par les commandators de l'industrie et de l'agriculture et ce, bien avant la fameuse "marche sur Rome". Dès son lancement, la propagande du "Popolo d'Italie" fut régulièrement subventionnée par les grandes firmes de l'industrie d'armement et de fournitures de guerre intéressées à voir l'Italie basculer dans le camp interventiste : FIAT, ANSALDO, EDISON. Les chèques patriotiques versés par l'émissaire du ministère Guesde, M. Cachin, aidèrent eux aussi à sortir les premiers numéros du journal francophile.
Certes, au sein du P.N.F. naissaient des conflits allant, parfois, jusqu'à la dissidence comme ce fut le cas -provisoire- de certains faisceaux de province, notamment ceux conduits par les triunvirum Grandi et Baldo commandités, en partie, par la Confragricultura. Emboîtant le pas au président de l'I.C. -Zinoviev- Gramsci situera le fascisme : réaction des grands féodaux. D'abord apparu dans les grands centres urbains hautement industrialisés, c'est seulement ensuite que le fascisme a pu faire son entrée dans les campagnes sous la forme d'un syndicalisme rural d'allure plébéienne. Ses expéditions punitives partent bien des villes pour se porter dans les villages dont les squadristes se rendent maîtres après une lutte toujours sanglante. La vérité oblige à dire que ces luttes intestines entre fascistes exprimaient la contradiction entre les composantes petite-bourgeoises et anarchisantes du fascisme ruinées par la guerre et, la concentration économique dans les griffes de l'Etat, réponse adéquate aux intérêts généraux de la classe dominante.
Aussi, ceux parmi les "camarades" de la première heure qui se montrèrent uniquement capables de se vautrer dans les délices de Capoue ou de donner à tout venant du gourdin, ils goûtèrent, à leur tour, de la férule paternelle. Qui aime bien, châtie bien; et, après avoir tapé à gauche, le fascisme tapera à droite sur les têtes brûlées qui ne comprennent pas que le mouvement perdra les bénéfices de sa victoire s'il perd le sens de la mesure. Et la mesure ici, ce n'était rien d'autre que le taux de profit du capital.
Par-dessus la légende démocratique demeure le fait irréfragable que le fascisme n'a pas été une contre-révolution préventive faite avec l'intention consciente d'écraser un prolétariat qui tendait à démolir le système d'exploitation capitaliste. En Italie, ce ne sont pas les chemises noires qui mettent fin à la révolutions c'est 1'échec de la classe ouvrière internationale qui impulse jusqu'à la victoire du fascisme, non seulement en Italie, mais encore en Allemagne et en Hongrie, C'est seulement après l'échec du mouvement des occupations d'usines de l'automne 20 que la répression s'abat sur la classe ouvrière italienne, laquelle répression eut deux ailes marchantes : et les forces légalement constituées de l'Etat démocratique et, les squadres fascistes, fusionnant en un bloc monolithique, pratiquement toutes les ligues antibolchevistes et patriotiques.
C'est seulement après la défaite de la classe ouvrière que les faisceaux peuvent se développer pleinement grâce aux largesses du patronat et des facilités rencontrées auprès des autorités publique. Si à la fin de 19, les Fasci sont sur le point de sombrer dans le néant (30 fasci et un peu moins d'un millier d'adhérents), dans les derniers six mois de 20, ils s'enflent jusqu'à atteindre le nombre de 3200 fasci avec 300.000 inscrits.
C'est bien sur Mussolini que se portèrent le choix de la Confindustria et de la Confragricultura, de l'Association Bancaire, des députés et des deux gloires nationales, le général Diaz et l'amiral Thaon di Revel. C'est bien lui que le grand capital met en selle et non un d'Annunzio dont la bourgeoisie, unanime, annihilera la tentative nationaliste de Fiume à la Noël 20. Le poète des "Odes Navales" -Arme de proue et cingle vers le monde- reçut pour tout salaire celui de chanter en termes lyriques les médiocres conquêtes italiennes en terre africaine, entretenir la flamme nationaliste, et non pour finir de massacrer les travailleurs, A Mussolini ex-athée, ex-libertaire, ex intransigeant de Gauche, ex-directeur de l’Avanti, reviendra ce rôle.
Ainsi, pour le marxisme le fascisme ne recèle aucun mystère qu'il ne sa saurait pénétrer et dénoncer devant la classe.
LES SYNDICATS DE LA PERIODE FASCISTE
A partir des dernières semaines de 1920, l'offensive fasciste en direction des organisations et associations sous le contrôle du PSI redouble d'intensité,, De nouveau, la chasse aux bolcheviks fait, rage, les dirigeants socialistes sont molestés et, en cas de résistance, sont lâchement assassinés et les sièges des journaux socialistes, les Chambres du travail, les bâtiments des coopératives et des Ligues Paysannes sont incendiés, mis à sac, toujours avec le concours direct de l'Etat démocratique qui protège de ses propres fusils et mitrailleuses les escouades fascistes.
Investissant l'Etat, le fascisme conquiert du coup les rouages indispensables à cet Etat, il s'empare, si besoin est par la force, d'institutions étatiques qui précédemment ont satisfait pleinement la politique de la bourgeoisie impérialiste italienne.
Le fascisme marquera ostensiblement l'intérêt réel, qu'il porte aux syndicats en signant le 2 août 21, le Pacte de Pacification. Ce jour-là, il y avait réunis à Rome, les représentants du Conseil des Faisceaux, du P.S.I., des groupes parlementaires fasciste et socialiste, de la C.G.I.L., enfin De Nicola président de la Chambre, pour tomber d' accord pour ne plus livrer la rue aux "déchaînements de la violence, ni exciter les passions partisanes extrémistes" (art. 2). Les deux parties en présence s'"engagent réciproquement au respect des organisations économiques" (art. 4). Chacune reconnaît dans l'adversaire une force vive de la Nation avec laquelle il faut compter ; chacun convient d'en passer par là.
En avalisant le pacte de Pacification, toutes les forces politiques de la bourgeoisie, droite comme gauche, ressentent la nécessité d'enterrer définitivement la classe ouvrière sous un traité de paix civile. Pas encore tout à fait écrasée, celle-ci refluait sur des positions défensives, mais la résistance des masses travailleuses devenait au fil des jours, plus difficile. Malgré des conditions maintenant défavorables, le prolétariat italien continuait à se battre pied à pied contre une double réaction, légale et "illégale".
Turati, continuant à placer ses espoirs en un proche gouvernement de coalition soutenu par les "réformistes" se justifiait : "Il faut avoir le courage d'être un lâche! ". Le 10 août, la direction du P.S.I., celle-là même qui sera pressenti pour renforcer les rangs de la révolution par le Kominterm, approuvait officiellement le Pacte de Pacification. Alors, le lecteur du très anticlérical "Aventi" eut droit à un original feuilleton, "La Vie de Jésus" selon Pappini, pour faire passer la pilule.
Lé scénario de la comedia dell’arte se distribuait de la façon suivante: les premiers acteurs usent ouvertement de la force militaire contre un prolétariat affaibli et en retrait; les seconds exhortent celui-ci à ne rien faire qui puisse exciter l'adversaire, à ne rien entreprendre d'illicite qui serve de prétexte à de nouvelles attaques, et plus violentes, des fascistes. Combien de grèves suspendues par la C.G.I.L. en accord avec les instances du P.S.I. ? Impossible à dénombrer. Face à une offensive militaire et patronale faite à coups de licenciements et de réduction des salaires, choses allant de soi pour la F.I.O.M., soucieuse de plier les revendications à l’état objectif de la situation financière des entreprises, -tactique dite de 1'"articulation"- la gauche continuait son travail de sabotage des luttes.
Même cette Alliance du Travail portant haut les espoirs du P.C.I. acceptait le programma de sauvetage de l'économie capitaliste; déroutait les grèves, mettait un terme rapide aux agitations, ce que devait reconnaître et dénoncer vigoureusement les militants de la gauche.
Que doit faire alors le prolétariat? La réponse qui vient des organisations sociale-démocrates est simple, évidente : se rassembler une énième fois sur le terrain électoral, infliger la défaite des urnes aux fascistes, toutes choses permettant la formation d'un gouvernement antifasciste dans lequel pourraient entrer quelques chefs du P.S.I., Assuré d'obtenir un gros succès, Mussolini en personne réclamait cette "pacifique" confrontation :
"Ce spectre des élections est plus que suffisant pour aveugler les vieux parlementaires qui sont déjà en campagne pour obtenir notre alliance. Avec cet appât, nous ferons d'eux ce que nous voudrons. Nous sommes nés d'hier, mais nous sommes plus intelligents qu'eux" (Journal).
LA MARCHE SUR ROME
Tout était préparé de longue main pour une passation en douceur du pouvoir à Mussolini sous les auspices royaux vers la fin d'octobre 22. Dans la pantalonnade de la Marche sur Rome en wagons-lits, marche annoncée depuis les premiers jours de septembre par les meetings et défilés de chemises noires à Crémone, Mérano et Trente, les squadristes furent salués dans les gares par les représentants officiels de l'Etat. A Trieste, Padoue et Venise les autorités marchent au coude à coude avec les fascistes, à Rome l'intendance militaire ravitaille et héberge les chemises noires dans les casernes.
Installé, le fascisme demandera la collaboration loyale de la C.G.I.L. Le puissant syndicat des cheminots, bientôt suivi par d'autres fédérations, sera le premier à accepter l'appel à la trêve lancé par les fascistes. Ainsi, sans avoir eu recours à une insurrection armée, le fascisme put occuper les postes dans l'appareil d'Etat : Mussolini à la présidence du Conseil détient, en outre, les portefeuilles de l'Intérieur et des Affaires Etrangères; ses proches compagnons d'armes les autres importants ministères de la Justice, des Finances et des Terres Libérées.
Changement du personnel bourgeois dirigeant l'Etat, le fascisme put continuer de plus belle à donner des litres d'huile de ricin et du "manganello" aux cafones et ouvriers, matraque que les socialistes avaient tressée de leurs propres mains. L'Etat fasciste n'est donc que l'organisation que la bourgeoisie se donne pour maintenir les conditions de 1’accumulation face à une situation devenue telle que, sans une dictature ouverte, il n'y a plus guère d'espoir de gouverner par les moyens du parlementarisme.
ECONOMIE DE LA PERIODE FASCISTE
Qu'a fait le fascisme sinon accélérer un processus objectif rapprochant et fusionnant les organisations syndicales avec le pouvoir d'Etat bourgeois? Tant pour les syndicalistes et social-démocrates que pour les fascistes, la lutte de classe n'était-elle pas une lourde entrave à ceux qui recherchaient de solutionner les problèmes de l'économie nationale? Aussi le fascisme met les associations syndicales au service entier de la Nation comme elles-mêmes l'avaient fait de leur propre initiative lors de la récession économique d'après guerre. L'évangile social de solidarité entre les classes, c'étaient aussi bien les fascistes que les syndicats qui le professaient.
Formellement, l'économie à l'époque fasciste se fonde sur le principe corporatiste pour lequel les intérêts particuliers doivent se subordonner à l'intérêt général. A la lutte de classe, le corporatisme substitue l'union des classes et le bloc national de tous les fils de la patrie. Il essaie d'amener les travailleurs à se dépenser sans compter pour les intérêts suprêmes de 1'Italie. La Charte du Travail, adoptée en 27, reconnaît à l'Etat seul la capacité d'élaborer et d'appliquer la politique de main-d'œuvre, toute lutte factionnelle, toute intervention particulière en dehors de l'Etat sont exclues. Désormais, les conditions d'emploi et de salaire sont réglées par le contrat collectif qu'établit la Charte.
Le fascisme voulait bâtir un Parlement Economique dont la composition devait être donnée par élection de membres élus dans les corps de métier. Pour ces motifs, il attira dans sa sphère les principales têtes du syndicalisme d'obédience sorélienne. Dans ce projet, qualifié pour la circonstance d'"audacieux", ils voyaient la justification de leur apolitisme et de l'indépendance syndicale vis à vis de tout parti politique.
Aussi, le corporatisme s'applique en pleine période de crise mondiale en tant qu'intervention directe de l'Etat dans l'activité économique nationale, en même temps qu'il impose soumission et obéissance à la classe ouvrière. Est-ce là "l'unique solution pour développer les forces productives de l'industrie sous la direction des classes dirigeantes traditionnelles" se demandera le non-marxiste Gramsci ([5] [67]). Il échappe totalement à l'auteur de "La révolution contre le capital" que le capitalisme est en décadence, que le fascisme n'est que son mode de survie*
L'année 26 marquera le point de départ des grandes batailles économiques qui se font dans le but avoué de protéger le marché intérieur italien, limiter l'importation de produits alimentaires et d'objets manufacturés, de développer des secteurs jusqu'alors incapables de satisfaire les besoins intérieurs. Or, les résultats sont largement éclipsés par les conséquences négatives des prix supérieurs à ceux du marché mondial. Ainsi, recourir à des manipulations étatiques ne résolvait aucun des problèmes économiques d'un pays pauvre en ressources naturelles et, n'ayant participé à la curée impérialiste que pour en obtenir des territoires qui n’étaient ni des débouchés commerciaux ni le moyen de se débarrasser de son trop-plein de main-d’œuvre.
Le renforcement des droits douaniers, le contrôle draconien des changes, l'octroi de subventions, les commandes de l'Etat et, corrélativement le blocage des salaires, poursuivent la tendance prise durant la guerre. Alors, poussé par les nécessités, l’Etat était devenu bâtisseur d'usines, fournisseur de matières premières, distributeur de marchés d'après un plan général, acheteur unique de la production que dans certains cas il payait d'avance. Sous la pression des contingences, il était devenu le centre de gravité de cet énorme appareil productif impersonnel devant qui s'effacèrent les individus attachés aux règles de la libre-concurrence, l'esprit créateur des capitaines d'industrie. Pour ces raisons, les habitudes de la vie ''libérale", les pratiques "démocratiques" furent subjuguées par l'activité de cet Etat. De ces prémices pouvait éclore le fascisme.
Y a-t-il une entreprise sur laquelle plane l'ombre obscursissante de la faillite? L'Etat rachète la totalité des actions. Y a-t-il un secteur à développer plutôt qu'un autre? L'Etat donne ses directives impérieuses. Faut-il freiner les importations de blé? L'Etat oblige de fabriquer un type de pain unique dont il fixe le pourcentage de froment. Faut-il une lire surévaluée? L'Etat la met à la parité du franc malgré les avertissements des financiers. Il stimule la concentration des entreprises, il rend obligatoire la concentration dans la sidérurgie, il est propriétaire, il bloque l'immigration, il fixe les colons là où il entend "créer un système nouveau, organique et puissant de colonisation démographique en transportant tout l'équipement de (sa) civilisation"([6] [68]), il monopolise le commerce extérieur„
A la fin de 26, la plus importante partie de l'économie italienne va se retrouver entre les mains d'organismes étatiques ou paraétatiques: Istituto per la Ricostruzione (I.R.I.), Consiglio Nazionale delle Richerche (C.N.R.), Istitito Cotonière, Ente Nazionale per la Cellulosa, A Ziende Générale Italiane Petroli (A.Z.G.I.P.). Nombre de ces organismes ont donc pour raison d'être d'obtenir pour l'Italie des produits de remplacement : laine synthétique, soie artificielle, coton, etc. Tout ce programme d'autarcie économique, sur lequel s'extasièrent les beaux esprits, préparait l'Italie à la II° Guerre mondiale.
L'IMPERIALISME ITALIEN
Le capitalisme décadent, l'impérialisme qui ravage l'humanité ne peut, par une logique implacable, que produire des crises et des guerres, comme explosion des contradictions croissantes au sein du système capitaliste. Il suppose donc une bourgeoisie armée jusqu'aux dents. L'Italie fasciste ne pouvait pas renoncer à se jeter dans l'engrenage de la course aux armements sous peine de devoir renoncer à faire triompher ses "droits" impérialiste dans l'arène mondiale. Et ses "droits" forment un épais catalogue de revendications. Dans le droit fil de ses prédécesseurs, Mussolini veut faire de l'Italie une puissance redoutée dans le bassin méditerranéen, s'étendre toujours plus à l’Est vers les Balkans et 1'Anatolie.
L'armement que les E.U., la G.B. ou la France intensifiaient, tout en arborant le rameau d'olivier ; le souci majeur de se repartager le monde tout en donnant le change par de mielleuses paroles de "sécurité des nations d'arbitrage international" sous les auspices de la S.D.N., l'Italie fasciste ne craint pas d'annoncer, pour sa part, ce qu'ils seront la mobilisation de "huit millions de baïonnettes", de "beaucoup d'ailes et de beaucoup de torpilles".
"Le devoir précis et fondamental de l'Italie fasciste est précisément de préparer toutes ses forces armées de terre, de mer et d'air.
Alors quand -entre 1935 et 1940- nous aurons atteint un moment suprême dans l'histoire de l'Europe, nous serons en mesure de faire entendre notre voix et de voir nos droits finalement reconnus". Discours à la Chambre le 27 mai 1927 de Mussolini
Impérialiste elle-même, l'Italie savait de quoi il ressortait lorsque les autres membres de la S.D.N. s'engageaient "solennellement" à réduire leurs armements sous un contrôle international, quand le gouvernement des Etats-Unis essayait d'obtenir que tous les pays condamnent la guerre comme…illégale et s'engageassent à y renoncer pour régler leurs litiges (Pacte Kellog du 27/8/27). Pour Rome, tout ce pathos n'était que de la foutaise démocratique; la réalité est différente : le monde entier s'arme, et, nous aussi nous nous armons pour affronter la tempête qui couve sous les cendres de la première conflagration mondiale.
Les problèmes desquels dépend la vie d'une nation, le fascisme n'ignorait pas qu'ils sont des problèmes de force et non de justice; qu'ils se dénouent sous le fracas des armes et non par la grâce mythologique que prêtaient certains respectables idéalistes à la doctrine wilsonienne. Sur le "décalogue" qui leur étais remis, les jeunes miliciens pouvaient lire à la première phrase : "Qu'on sache bien qu'un véritable fasciste, particulièrement un milicien, ne doit pas croire à la paix perpétuelle". Dans les journaux, au cinéma, à une remise des diplômes universitaires, dans les concours sportifs se proclamait qu'après avoir gagné la bataille de 14-18, l'Italie devait reprendre sa marche .en avant.
Si l'importance du pouvoir d'Etat se place au centre de toute la vie sociale, le développement de ses bases guerrières (armée, flotte et aviation) s'accuse tout particulièrement à la veille de la seconde guerre. Même si on tient compte de la dévaluation de la lire, en 1939, l'Italie dépense deux fois plus qu'à la veille de la guerre d'Ethiopie ([7] [69]). Le Duce a prévenu toute la nation italienne de l’inéluctabilité de la guerre, de l'aggravation des conditions de vie du prolétariat. En sanctionnant d'un embargo commercial l'Italie pour avoir transgressé, dans l'agression de l'Abyssinie, les sacro-saints principes de l'institution genevoise, les 51 nations "démocratiques" permirent à Mussolini d'intensifier sa propre croisade contre les nations "nanties". A une hypocrite application des sanctions ne s'interdisant pas le commerce avec l'Italie du charbon, acier, pétrole et fer, c'est-à-dire tout ce qui était précisément indispensable à l'économie d'armements, le fascisme put répondre par la mobilisation facilitée des ouvriers autour de son programme ([8] [70]).
R.C. (à suivre)
[1] [71] Lénine "L'Impérialisme et la scission du socialisme" dans "Contre le Courant" T.II p.262 Bureau d'Editions.
[2] [72] Trotski qui écrivait : "Les Comités Centraux de gauche dans de nombreux partis furent détrônés aussi abusivement qu'ils avaient été installés avant le V° Congrès" dans 1'"Internationale Communiste après Lénine" aurait dû tourner 7 fois son stylo dans sa main".
[3] [73] "Qu'est-ce que le National-socialisme?" Trotski 10 juin 1933, T. III des "Ecrits" Suppléments à la Quatrième Internationale, 1959, P.397.
[4] [74] Elu par le conclave du 6-02-22, Pie XI sera tout à son affaire. Nonce apostolique en Pologne en 1913-21, donc pendant la guerre civile et l'offensive victorieuse de l'Armée Rouge, il vouait une haine inextinguible au prolétariat qui avait porté la main sacrilège sur cet Etat crée, le 11 nov. 1919 par Versailles, pour séparer la Russie des Soviets de la Révolution allemande.
[5] [75] "Il matérialismo storico e la filosofïa di B. Croce".
[6] [76] Plan du 17 mai 1938, Dès la fin de cette même année 20 000 paysans des Pouilles, de Sicile et de Sardaigne travaillent en Lybie sur 1880 entreprises rurales groupant 54000 HA en culture. En Lybie, le nombre total des Italiens atteint 120000; 93550 en Ethiopie etc., "L'Impérialisme colonial italien de 1870 à nos jours", J.L. Miège, S.E.D.E.S. 1968, p.250.
[7] [77] Budget Militaire en Millions de Lires : (J.L. Miège, S.E.D.E.S. 1968, p.250)
1933 : 4822
1934 : 5590
1935 : 12624
1936 : 16357
1937 : 13370
1938 : 15030
[8] [78] "Les ouvriers italiens sont donc mis devant le choix de l'impérialisme italien ou de celui de l'Angleterre qui essaie de se dissimuler au travers de la S.D.N. Ce n'est pas un dilemme qu'il pourrait enfourcher malgré les terribles difficultés actuelles, mais un dilemme entre deux forces impérialistes et, il n'est nullement étonnant qu'empêché du fait de la politique contre-révolutionnaire de ces deux partis, (partis "centristes" comme en disait alors dans la Gauche pour désigner le stalinisme et "socialiste") d'entrevoir leur chemin propre, forcés de faire un choix, ils se dirigent vers l'impérialisme italien, car dans la défaite de ce dernier, ils voient compromises leurs vies, la vie de leurs familles aussi bien d'ailleurs qu'ils voient s'accentuer le danger d'une plus forte aggravation de leurs conditions de vie". "Un mois; après l'application des sanctions" BILAN.
Cet article constitue une tentative d’analyse des événements de Kronstadt et des leçons à en tirer pour le mouvement ouvrier d’aujourd’hui et de demain, faite par un camarade du CCI. L’analyse se situe dans le cadre de l’orientation générale de notre courant. Les points essentiels pour comprendre l’héritage des événements de Kronstadt y sont donnés et peuvent se résumer ainsi :
1. – La révolution prolétarienne est, de par sa nature historique, une révolution internationale. Tant qu’elle est enfermée dans le cadre d’un ou même de plusieurs pays isolés, elle se heurte à des difficultés absolument insurmontables et est fatalement amenée à dépérir à plus ou moins brève échéance,
2. – Contrairement aux autres révolutions dans l’histoire, la révolution prolétarienne exige la participation directe, constante et active de l’ensemble de la classe. Cela veut dire qu’à aucun moment elle ne saurait supporter, sous peine d’ouvrir immédiatement un cours de dégénérescence, ni la “délégation” du pouvoir à un parti, ni la substitution d’un corps spécialisé ou d’une fraction de la classe, pour aussi révolutionnaires qu’ils soient, à l’ensemble de la classe.
3. – La classe ouvrière est la seule classe révolutionnaire, non seulement dans la société capitaliste, mais également dans toute la période de transition, tant que subsistent encore des classes dans la société à l’échelle mondiale. C’est pourquoi l’autonomie totale du prolétariat par rapport aux autres classes et couches sociales demeure la condition fondamentale lui permettant d’assurer son hégémonie et sa dictature de classe en vue de l’instauration de la société communiste.
4. – L’autonomie du prolétariat – signifie que, sous aucun prétexte, les organisations unitaires et politiques de la classe ne sauraient se subordonner aux institutions étatiques, car ceci reviendrait à dissoudre ces organismes de la classe et amènerait le prolétariat à abdiquer de son programme communiste dont lui seul est l’unique sujet.
5. – La marche ascendante de la révolution prolétarienne n’est pas donnée par telle ou telle mesure économique partielle, pour importante qu’elle soit. Seul l’ensemble du programme, la vision et l’action politique et totale du prolétariat constituent cette garantie et incluent dans cette globalité les mesures économiques immédiatement possibles allant dans ce sens.
6. – La violence révolutionnaire est une arme du prolétariat face et contre les autres classes. Sous aucun prétexte, la violence ne saurait servir de critère ni d’instrument, au sein de la classe parce qu’elle n’est pas un moyen de la prise de conscience. Cette prise de conscience, le prolétariat ne peut l’acquérir que par sa propre expérience et l’examen critique constant de cette expérience. C’est pourquoi la violence au sein de la classe, quelle que soit sa motivation et possible justification immédiate, ne peut qu’empêcher l’activité propre des masses et finalement être la plus grande entrave à sa prise de conscience condition indispensable du triomphe du communisme.
Le soulèvement de Kronstadt en 1921 est une pierre de touche qui sépare ceux qui peuvent comprendre le processus et l’évolution de la révolution prolétarienne, grâce à leurs positions de classe, de ceux pour qui la révolution reste un livre fermé. Il met en relief de façon tragique quelques unes des leçons les plus importantes de toute la révolution russe, leçons que le prolétariat ne peut se permettre d’ignorer au moment où il prépare son prochain grand soulèvement révolutionnaire contre le capital.
Une approche marxiste du problème de Kronstadt ne peut que partir de l’affirmation qu’Octobre 1917 en Russie a été une révolution prolétarienne, un moment dans le déroulement de la révolution prolétarienne mondiale qui était la réponse de la classe ouvrière internationale à la guerre impérialiste de 1914-18. Cette guerre avait marqué l’entrée définitive du capitalisme mondial dans son ère de déclin historique irréversible, faisant par là de la révolution prolétarienne une nécessité matérielle dans tous les pays. On doit affirmer aussi que le parti bolchevik, qui était à la tête de l’insurrection d’Octobre, était un parti communiste prolétarien, une force vitale dans la gauche internationale après la trahison de la IIe internationale en 1914, et qu’il a continué à défendre les positions de classe du prolétariat pendant la Première Guerre mondiale et la période suivante.
Contre ceux qui décrivent l’insurrection d’Octobre comme un simple “coup d’État”, un putsch réalisé par une élite de conspirateurs, nous répétons que l’insurrection était le point culminant d’un long processus de lutte de classe et de maturation de la conscience de la classe ouvrière, que cela représentait la prise du pouvoir politique consciente par la classe ouvrière organisée dans les Soviets, ses comités d’usine et ses gardes rouges. L’insurrection faisait partie d’un processus de destruction de l’État bourgeois et d’établissement de la dictature du prolétariat ; et comme les bolcheviks l’ont passionnément défendu, sa signification profonde était qu’elle devait marquer le premier moment décisif de la révolution prolétarienne mondiale, de la guerre civile mondiale contre la bourgeoisie. L’idée que l’insurrection avait pour but la construction “du socialisme dans la seule Russie” était loin de l’esprit des bolcheviks à ce moment-là, en dépit de nombre d’erreurs et de confusions en ce qui concernait le programme économique immédiat de la révolution, erreurs qu’ils partageaient alors avec le mouvement ouvrier tout entier.
C’est seulement dans ce cadre que l’on peut espérer comprendre la dégénérescence ultérieure de la révolution russe. Comme cette question est abordée dans un autre texte de la Revue du CCI (“La Dégénérescence de la Révolution russe”, (1) dans ce même numéro), nous nous limiterons ici à quelques remarques générales. La révolution commencée en 1917 n’a pas réussi à s’étendre internationalement, malgré les nombreuses tentatives de la classe dans toute l’Europe. La Russie elle-même était déchirée par une longue et sanglante guerre civile qui avait dévasté l’économie et fragmenté la classe ouvrière industrielle, colonne vertébrale du pouvoir des Soviets. Dans ce contexte d’isolement et de chaos interne, les erreurs idéologiques des bolcheviks ont commencé à exercer un poids matériel contre l’hégémonie politique de la classe ouvrière, presque aussitôt qu’ils eurent pris le pouvoir. C’était cependant un processus irrégulier. Les bolcheviks, qui recouraient à des mesures de plus en plus bureaucratiques en Russie même, pendant les années 1918-20, pouvaient encore contribuer à fonder l’Internationale Communiste en 1919, avec pour unique et clair objectif d’accélérer la révolution prolétarienne mondiale.
La délégation du pouvoir à un parti, l’élimination des comités d’usine, la subordination progressive des Soviets à l’appareil d’État, le démantèlement des milices ouvrières, la façon “militariste” toujours plus accentuée de faire face aux difficultés, résultats des périodes de tension de la période de guerre civile, la création de commissions bureaucratiques, étaient toutes des manifestations extrêmement significatives du processus de dégénérescence de la révolution en Russie.
Ces faits ne sont pas les seuls signes de l’affaiblissement du pouvoir politique de la classe ouvrière en Russie avant 1921, mais ce sont sûrement les plus importants. Bien que quelques-uns datent même d’avant la période de communisme de guerre, c’est la période de guerre civile qui voit le plein épanouissement de ce processus. Comme la rébellion de Kronstadt a été sous beaucoup d’aspects une réaction aux rigueurs du communisme de guerre, il est nécessaire d’être tout à fait clair sur la signification réelle de cette période pour le prolétariat russe.
Comme le souligne l’article sur La dégénérescence de la révolution russe, nous ne pouvons plus désormais entretenir les illusions des communistes de gauche de cette époque qui, pour la plupart, voyaient dans le communisme de guerre une “véritable” politique socialiste, contre la “restauration du capitalisme” établie ensuite par la NEP. La disparition quasi-totale de l’argent et des salaires, la réquisition des céréales chez les paysans ne représentaient pas l’abolition des rapports sociaux capitalistes, mais étaient simplement des mesures d’urgence imposées par le blocus économique capitaliste contre la république des Soviets, et par les nécessités de la guerre civile. En ce qui concerne le pouvoir politique réel de la classe ouvrière, nous avons vu que cette période était marquée par un affaiblissement progressif des organes de la dictature du prolétariat et par le développement des tendances et des institutions bureaucratiques. De plus en plus, la direction du Parti-État développait des arguments montrant que l’organisation de la classe était excellente en principe, mais que, dans l’instant présent, tout devait être subordonné à la lutte militaire. Une doctrine de l’“efficacité” commençait à saper les principes essentiels de la vie prolétarienne. Sous le couvert de cette doctrine, l’État commença à instituer une militarisation du travail, qui soumettait, les travailleurs à des méthodes de surveillance et d’exploitation extrêmement sévères. “En janvier 1920, le conseil des commissaires du peuple, principalement à l’instigation de Trotski, a décrété l’obligation générale pour tous les adultes valides de “travailler, et, en même temps, a autorisé” l’affectation de personnel militaire inemployé à des travaux civils”. (Paul Avrich, Kronstadt 1921, édition en anglais, Princeton 1970, pp. 26-27).
En même temps, la discipline du travail dans les usines était renforcée par la présence des troupes de l’Armée rouge. Ayant émasculé les comités d’usine, la voie était libre pour que l’État introduise la direction personnalisée et le système tayloriste d’exploitation sur les lieux de production, le même système que Lénine lui-même dénonçait comme “l’asservissement de l’homme à la machine”. Pour Trotski, “la militarisation de travail est l’indispensable méthode de base pour l’organisation de notre main-d’œuvre” (Rapport du IIIe Congrès des syndicats de toutes les Russies, Moscou 1920). Le fait que l’État était alors un “État ouvrier” signifiait pour lui que les travailleurs ne pouvaient faire aucune objection à leur soumission complète à l’État.
Les dures conditions de travail dans les usines n’étaient pas compensées par des salaires élevés ou un accès facile aux “valeurs d’usage”. Au contraire, les ravages de l’économie par la guerre et le blocus mettaient le pays tout entier au bord de la famine, et les travailleurs devaient se contenter des rations les plus maigres, souvent distribuées très irrégulièrement. De larges secteurs de l’industrie cessèrent de fonctionner, et des milliers d’ouvriers furent contraints de se débrouiller pour survivre. La réaction naturelle de beaucoup d’entre eux fut de quitter complètement les villes et de chercher quelques moyens de subsistance dans la campagne ; des milliers essayèrent de survivre en commerçant directement avec les paysans, troquant souvent des outils volés dans les usines contre de la nourriture. Quand le régime du communisme de guerre se mit à interdire l’échange individuel, chargeant l’État de la réquisition et de la distribution des biens essentiels, beaucoup de gens ne survécurent que grâce au marché noir qui fleurissait partout. Pour lutter contre celui-ci, le gouvernement établit des barrages armés sur les routes pour contrôler tous les voyageurs qui entraient ou sortaient des villes, pendant que les activités de la Tcheka pour renforcer les décrets du gouvernement se faisaient de plus en plus énergiques. Cette “Commission extraordinaire” établie en 1918 pour combattre la contre-révolution se comportait de façon plus ou moins incontrôlée, employant des méthodes impitoyables qui lui valurent la haine générale de tous les secteurs de la population.
Le traitement sommaire infligé aux paysans ne gagna pas non plus l’approbation universelle des ouvriers. Les rapports familiaux et personnels étroits entre beaucoup de secteurs de la classe ouvrière russe et la paysannerie tendaient à rendre les ouvriers sensibles aux plaintes des paysans sur les méthodes qu’utilisaient souvent les détachements armés envoyés pour la réquisition des céréales, surtout quand le détachement prenait plus que l’excédent des paysans et les laissait sans moyens de subvenir à leurs propres besoins, En réaction contre ces méthodes, les paysans cachaient ou détruisaient fréquemment leur récolte, venant par là aggraver la pauvreté et la pénurie dans tout le pays. L’impopularité générale de ces mesures de coercition économique allait être exprimée clairement dans le programme des insurgés de Kronstadt, comme nous allons le voir.
Si des révolutionnaires, comme Trotski, avaient tendance à faire des nécessités (imposées par la période) vertu, et à glorifier la militarisation de la vie économique et sociale, d’autres, et Lénine lui-même parmi eux, étaient plus prudents. Lénine ne dissimulait pas le fait que les Soviets ne fonctionnaient plus comme des organes du pouvoir prolétarien direct, et pendant le débat sur la question des syndicats en 1921 avec Trotski, il défendit l’idée que les travailleurs doivent se défendre eux-mêmes contre “leur” État, particulièrement depuis que la république des Soviets était selon Lénine, non plus seulement un “État prolétarien”, mais un “État des ouvriers et paysans” avec de profondes “déformations bureaucratiques”. L’Opposition Ouvrière et les autres groupes de gauche bien sûr, allèrent plus loin dans la dénonciation de ces déformations bureaucratiques que l’État avait subies dans la période 1918-21. Mais la majorité des bolcheviks croyaient fermement et sincèrement que tant qu’ils (comme parti du prolétariat) contrôleraient l’appareil d’État, la dictature du prolétariat existerait encore, mène si les masses laborieuses elles-.même semblaient temporairement être absentes de la scène politique. Cette position, fondamentalement fausse, devait inévitablement provoquer des conséquences désastreuses.
La crise de 1921
Tant que durait la guerre civile, l’État des Soviets conservait l’appui de la majorité de la population car il était identifié au combat contre les anciennes classes possédantes et capitalistes. Les privations très dures de la guerre civile avaient été supportées avec une bonne volonté relative par les travailleurs et les petits paysans. Mais après la défaite des armées impérialistes, beaucoup commençaient à espérer que les conditions de vie seraient moins sévères et que le régime relâcherait un peu son emprise sur la vie économique et sociale.
La direction bolchevique, toutefois, confrontée aux ravages de la production causés par la guerre, était assez réticente à permettre quelque relâchement dans le contrôle étatique centralisé. Quelques bolcheviks de gauche, comme Ossinsky, soutenaient le maintien et même le renforcement du communisme de guerre, surtout dans les campagnes. Il proposa un plan pour 1’"organisation obligatoire des masses pour la production”, (N. Ossinsky, Gosudarstvennca regulizovanie, Krest'ianskogo Khoziastva, Moscou 1920, pp. 8/9) sous la direction du gouvernement, pour la formation de “comités de semailles” locaux pour élargir la production collectivisée et pour des dépôts communs de semences dans lesquels les paysans seraient obligés de rassembler leurs “graines”, le gouvernement se chargeant de là distribution générale de ces graines. Toutes ces mesures – prévoyait-il – conduirait naturellement à l’économie “socialiste” en Russie.
Les autres bolcheviks, comme Lénine, commençaient à voir la nécessité d’un adoucissement, spécialement pour les paysans, mais dans l’ensemble, le parti défendait farouchement les méthodes du communisme de guerre. Le résultat fut que la patience des paysans commença à s’épuiser. Pendant l’hiver 1920-21, toute une série de soulèvements paysans s’étendit dans le pays. Dans la province de Tanbow, la région de la moyenne Volga, 1'Ukraine, la Sibérie occidentale et beaucoup d’autres régions, les paysans s’organisaient en bandes sommairement armées, pour lutter contre les détachements de ravitaillement et la Tcheka. Bien souvent, leurs rangs grouillaient de soldats de l’Armée rouge récemment démobilisés, qui apportaient un certain savoir-faire militaire. Dans certaines régions, d’énormes armées rebelles se formèrent, moitié forces de guérilla, moitié hordes de bandits. A Tanbow, par exemple l’armée de guérilla de A.S. Antonov comptait jusqu’à 50 000 hommes. Ces forces avaient peu de motivations idéologiques, si ce n’est leur ressentiment traditionnel de paysans contre la ville, contre le gouvernement centralisé et les rêves traditionnels de la petite bourgeoise rurale d’indépendance et d’autosubsistance. Ayant déjà affronté les armées paysannes de Makhno en Ukraine, les bolcheviks étaient hantés par la possibilité d’une jacquerie généralisée contre le pouvoir des Soviets. C’est pourquoi il n’est pas autrement surprenant qu’ils aient assimilés la révolte de Kronstadt à cette menace qui venait de la paysannerie. C’est sûrement l’une des raisons de la sauvagerie avec laquelle le soulèvement de Kronstadt fut réprimé.
Presque immédiatement après, une série de grèves sauvages beaucoup plus importantes se développa à Petrograd. Débutant à l’usine métallurgique Troubochny, la grève s’étendit rapidement, à beaucoup des plus grandes entreprises industrielles de la ville. Aux assemblées d’usine et dans les manifestations, des résolutions qui réclamaient une augmentation des rations de nourriture et de vêtements étaient adoptées, car la plupart des ouvriers avaient faim et froid. Allant de pair avec ces revendications économiques, d’autres, plus politiques, apparaissaient aussi : les ouvriers voulaient la fin des restrictions sur les déplacements en dehors des villes, la libération des prisonniers de la classe ouvrière, la liberté d’expression, etc. Les autorités soviétiques de la ville, Zinoviev à leur tête, répondirent en dénonçant les grèves comme “faisant le jeu de la contre-révolution” et placèrent la ville sous contrôle militaire direct, interdisant les assemblées dans les rues, et imposant un couvre-feu à 23 h. Sans aucun doute, quelques éléments contre-révolutionnaires comme les mencheviks ou les socialistes-révolutionnaires jouaient un rôle dans ces événements avec leurs propres visées politiques contre les bolcheviks dans leur soutien, mais le mouvement de grève de Petrograd était essentiellement une réponse prolétarienne spontanée aux conditions de vie intolérables. Les autorités bolcheviques, cependant, ne pouvaient admettre que les ouvriers puissent se mettre en grève contre l'"État ouvrier”, et taxaient les grévistes de provocateurs, de paresseux et d’individualistes. Elles cherchèrent aussi à briser la grève par des lock-out, des privations de rations, et l’arrestation, des porte-paroles des plus en vue et des “meneurs” par la Tcheka locale. Ces mesures répressives se combinaient avec des concessions : Zinoviev annonçait la fin du blocus des routes autour de la ville, l’achat de charbon à l’étranger pour faire face à la pénurie de combustible et faisait le projet de mettre fin aux réquisitions de céréales. Ce mélange de répression et de conciliation a conduit la plupart des travailleurs déjà affaiblis et épuisés à abandonner leur lutte dans l’espoir d’un futur meilleur.
Mais l’impact le plus important que le mouvement de grève de Petrograd devait avoir, fut celui qu’il eut sur la forteresse voisine, Kronstadt. La garnison de Kronstadt, un des principaux bastions de la révolution d’Octobre, avait déjà engagé une lutte contre la bureaucratisation avant les grèves de Petrograd. Pendant l’année 1920 et début 1921, les matelots de la flotte rouge dans la Baltique avaient combattu les tendances disciplinaires des officiers et les penchants bureaucratiques du POUBALT (section politique de la flotte de la Baltique – l’organe du Parti qui dominait la structure soviétique dans la marine). Des motions étaient votées par des assemblées de marins en février 21, déclarant “que le POUBALT ne s’est pas seulement séparé des masses, mais aussi des fonctionnaires actifs. Il est devenu un organe bureaucratique, ne disposant d’aucune autorité parmi les marins” (Ida Mett, La Commune de Kronstadt, p. 3).
Aussi, quand arrivèrent les nouvelles des grèves de Petrograd et de la déclaration de la loi martiale par les autorités, il y avait déjà un état de fermentation de révolte chez les marins. Le 28 février, ils envoyaient une délégation aux usines de Petrograd pour savoir ce qui se passait. Le même jour, l’équipage du croiseur Petropavlovsk se rassembla pour discuter de la situation et adopter la résolution suivante :
“Ayant entendu les représentants des équipages délégués par l’Assemblée générale des bâtiments pour se rendre compte de la situation à Petrograd, les matelots décident :
1- Etant donné que les soviets actuels n’expriment pas la volonté des ouvriers et des paysans, d’organiser immédiatement des réélections aux soviets par bulletins secrets, en ayant soin d’organiser une libre propagande électorale ;
2 – D’exiger la liberté de parole et de la presse pour les ouvriers et les paysans, les anarchistes et les partis socialistes de gauche ;
3 – D’exiger la liberté de réunion et la liberté des organisations syndicales et des organisations paysannes ;
4 – D’organiser au plus tard pour le 10 mars 1921 une conférence des ouvriers sans parti, soldats et matelots de Petrograd, de Kronstadt et du département de Petrograd ;
5 – De libérer tous les prisonniers politiques des partis socialistes, ainsi que tous les ouvriers et paysans, soldats rouges et marins emprisonnés des différents mouvements ouvriers et paysans ;
6 – D’élire une commission pour la révision des dossiers des détenus des prisons et des camps disciplinaires ;
7 – De supprimer tous les Politotdiel (sections politiques) car aucun parti ne doit avoir de privilèges pour la propagande de ces idées ni recevoir de l’État de ressources dans ce but. A leur place, doivent être créés des cercles culturels élus bénéficiant des ressources provenant de l’État ;
8 – De supprimer immédiatement tous les détachements de barrage ;
9 – D’égaliser la ration pour tous les travailleurs, excepté dans les corps de métiers insalubres et dangereux ;
10 – De supprimer les détachements de combat communistes dans les unités militaires et faire disparaître le service de garde communiste dans les usines et fabriques. En cas de besoin de ces services de garde, de les désigner par compagnie dans chaque unité militaire en tenant compte de 1’avis des ouvriers ;
11 – De donner aux paysans la liberté d’action complète sur leur terre ainsi que le droit d’avoir du bétail qu’ils devront soigner eux-mêmes et sans utiliser le travail des salariés ;
12 – De demander à toutes les unités militaires ainsi qu’aux camarades Koursantys de s’associer à notre résolution ;
13 – Exiger qu’on donne dans la presse une large publicité à toutes les résolutions ;
14 – Désigner un bureau de contrôle mobile ;
15 – Autoriser la production artisanale libre n’utilisant pas de travail salarié”.
Cette résolution devint rapidement le programme de la révolte de Kronstadt. Le 1er mars, une assemblée de masse de 16 000 personnes se déroula dans la garnison, officiellement prévue comme une assemblée des premières et deuxièmes sections de croiseurs, et à laquelle assistait Kalinine, président de l’exécutif des soviets de toutes les Russies, et Kouzmine commissaire politique de la flotte de la Baltique. Bien que Kalinine ait été accueilli avec de la musique et des drapeaux, lui et Kousmine se retrouvèrent bientôt complètement isolés, dans l’assemblée. L’assemblée entière adopta la résolution du Petropavlovsk, à l’exception de Kalinine et de Kouzmine qui prirent la parole sur un ton très provocateur pour dénoncer les initiatives de “ceux” de Kronstadt, et se firent huer.
Le jour suivant, le 2 mars, était le jour où le Soviet de Kronstadt devait être réélu. L’assemblée du 1er mars convoqua en conséquence une réunion des délégués des navires, des unités de l’Armée rouge des usines et autres, pour discuter de la reconstitution du Soviet. 300 délégués se rencontrèrent donc le 2 mars à la maison de la Culture. La résolution de Petropavlovsk fut de nouveau adoptée et des projets pour les élections du nouveau soviet présentés dans une motion avec l’orientation vers “une reconstruction pacifique du régime des Soviets” (Ida Mett, op. cité). En même temps, les délégués formèrent un comité révolutionnaire provisoire (CRP), chargé de 1'administration de la ville et de l’organisation de la défense contre toute intervention du gouvernement. Cette dernière tâche était considérée comme tout à fait urgente du fait de rumeurs à propos d’une attaque immédiate par des détachements bolcheviques, et à cause des violentes menaces de Kalinine et Kouzmine. Ces derniers se montraient si intraitables qu’ils furent arrêtés en même temps que deux autres personnages officiels, Cet acte marquait une étape décisive vers la mutinerie déclarée, et fut interprété comme tel par le gouvernement.
Le CRP assuma rapidement ses tâches. Il commença à publier ses propres Izvestia, dont le premier numéro déclarait :
“Le parti communiste, maître de cet État, s’est séparé des masses. Il s’est montré incapable de sortir le pays du chaos. D’innombrables incidents se sont produits récemment à Moscou et à Petrograd, qui montrent clairement que le Parti a perdu la confiance des masses ouvrières. Le Parti néglige les besoins de la classe ouvrière, parce qu’il croit que ces revendications sont le fruit d’activités contre-révolutionnaires. En cela, le Parti commet une profonde erreur” (Izvestia du CRP, 3 mars 1921).
La réponse immédiate du gouvernement bolchevique à la rébellion a été de la dénoncer comme une partie de la conspiration contre-révolutionnaire contre le pouvoir des Soviets. Radio Moscou l’appelait “complot de la Garde blanche” et proclamait qu’il avait des preuves que toute l’affaire avait été organisée par les cercles émigrés â Paris, et par les espions de l’Entente. Bien que ces falsifications soient encore utilisées aujourd’hui, cette interprétation des événements n’a plus grand crédit de nos jours, même chez les historiens semi-trotskystes, comme Deutscher, qui admet que ces accusations n’ont aucun fondement dans la réalité. Bien sûr, tous les charognards de la contre-révolution, depuis les Gardes blancs jusqu’aux socialistes-révolutionnaires tentèrent de récupérer la rébellion et lui offrirent leur appui. Mais, excepté l’aide “humanitaire” par le canal de la Croix-Rouge russe contrôlée, par les émigrés, le C.R.P. rejeta toutes les avances faites par les forces de la réaction. Il proclamait qu’il ne luttait pas pour le retour de l’autocratie ou de l’Assemblée constituante, mais pour une régénération du pouvoir des Soviets, libéré de la domination bureaucratique : “Ce sont les Soviets et non l’Assemblée constituante, qui sont le rempart des travailleurs”, déclarait les Izvestia de Kronstadt. “A Kronstadt, le pouvoir est entre les mains des marins, des soldats rouges et des travailleurs révolutionnaires. Il n’est pas dans les mains des gardes blancs commandés par le général Kozlovsky, comme l’affirme mensongèrement Radio Moscou” (Appel du CRP, cité par Ida Mett, p. 22-23.).
Quand l’idée d’un simple complot se révéla être une fiction, des excuses plus élaborées furent avancées pour justifier la répression de Kronstadt qui suivit, par ceux qui s’identifient de façon non critique avec la dégénérescence du bolchevisme. Dans un texte “Hue and Cry over Kronstadt” (New Internationale, avril 1938), Trotski a présenté l’argumentation suivante : c’est vrai, Kronstadt a été un des bastions de la révolution prolétarienne en 1917. Mais pendant la guerre civile, les éléments prolétariens révolutionnaires de la garnison ont été dispersés et remplacés par des éléments paysans empreints de l’idéologie petite-bourgeoise réactionnaire. Ces éléments ne pouvaient absolument pas s’accommoder des rigueurs de la dictature du prolétariat et de la guerre civile, c’est pourquoi ils se révoltèrent pour affaiblir la dictature et s’octroyer des rations privilégiées. Le soulèvement de Kronstadt n’était rien de plus qu’une réaction armée de la petite bourgeoisie contre les épreuves de la révolution sociale et l’austérité de la dictature du prolétariat. Il poursuit en disant que les travailleurs de Petrograd, qui contrairement aux dandys de Kronstadt supportaient ces épreuves sans se plaindre, avaient été “dégoûtés” par la rébellion, sentant que les “mutins de Kronstadt étaient de l’autre côté des barricades” et c’est ainsi “qu’ils ont apporté leur soutien au pouvoir des Soviets”.
Nous ne voulons pas passer trop de temps à examiner ces arguments : nous avons déjà cité assez de faits pour les discréditer. L’affirmation que les insurgés de Kronstadt réclamaient des rations privilégiées pour eux-mêmes, peut être démentie simplement par le rappel du point 9 de la résolution du Pétropavlovsk, qui demandait des rations égales pour tous. De la même manière, le portrait des ouvriers de Petrograd apportant docilement leur soutien à la répression est complètement démenti par la réalité des vagues de grèves qui ont précédé la révolte. Bien que ce mouvement soit en grande partie retombé au moment où a éclaté la révolte de Kronstadt, des fractions importantes du prolétariat de Petrograd continuèrent à apporter un soutien actif aux insurgés. Le 7 mars, le jour où commença le bombardement de Kronstadt, les travailleurs de l’Arsenal tinrent un meeting qui élut une commission chargée de lancer une grève générale pour soutenir la rébellion. Les grèves continuaient à Poutilov, Battisky, Oboukov et dans les principales autres entreprises.
D’un autre côté, nous ne nierons pas qu’il y avait des éléments petit-bourgeois dans le programme et l’idéologie des insurgés et dans le personnel de la flotte et des armées. Mais tous les soulèvements prolétariens s’accompagnent de toute une quantité d’éléments petit-bourgeois et réactionnaires qui ne changent pas le caractère fondamentalement ouvrier du mouvement. Ce fut sûrement le cas lors de l’insurrection d’Octobre elle-même, qui avait le soutien et la participation active d’éléments paysans dans les forces armées et dans les campagnes. Le fait que les insurgés de Kronstadt avaient une large base ouvrière peut être prouvé par la composition de 1'assemblée de délégués du 2 mars, qui étaient, en grande partie, des prolétaires des usines, des unités de marine de la garnison, et de l’ensemble du CRP élu par cette assemblée, qui lui, était constitué de travailleurs et de marins de longue date qui avaient pris part au mouvement révolutionnaire au moins depuis 17 (voir la brochure d’Ida Mett pour la liste des membres de ce comité). Mais ces faits sont moins importants que le contexte général de la révolte ; celle-ci s’est produite dans le cours d’un mouvement de lutte de la classe ouvrière contre la bureaucratisation du régime, elle s’identifiait à cette lutte et se voyait comme un moment dans sa généralisation.
“Que les travailleurs du monde entier sachent que nous, les défenseurs du pouvoir des Soviets, protégeons les conquêtes de la révolution sociales Nous vaincrons ou nous périrons sur les ruines de Kronstadt, en nous battant pour… la juste cause “des masses prolétariennes” (Pravda de Kronstadt, p. 82)
En dépit du fait que les idéologues de la petite bourgeoisie, les anarchistes parlent de Kronstadt comme étant l’expression de leur révolte, malgré le fait que des influences anarchistes aient sans aucun doute existé dans le programme des insurgés et dans leur phraséologie, les revendications des insurgés n’étaient pas simplement anarchistes. Ils ne réclamaient pas une abolition abstraite de l’État, mais la régénération du pouvoir des Soviets. Ils ne voulaient pas non plus abolir les “partis” en tant que tels. Bien que beaucoup parmi les insurgés aient abandonné le parti bolchevik à cette époque, et quoiqu’ils aient publié beaucoup de résolutions confuses sur la “tyrannie communiste”, ils n’ont pas réclamé les “Soviets sans les Communistes”, comme on l’a souvent affirmé. Leur slogan était liberté d’agitation pour les différentes composantes de la classe ouvrière, et “le pouvoir aux Soviets, pas aux partis”. Malgré toutes les ambiguïtés inhérentes à ces mots d’ordre, ils exprimaient un rejet instinctif de l’idée du parti qui se substitue à la classe, ce qui a été un des principaux facteurs contribuant à la dégénérescence du bolchevisme”.
C’est l’un des traits caractéristiques de la rébellion, Elle ne présentait pas une analyse politique claire et cohérente de la dégénérescence de la révolution. De telles analyses cohérentes devraient trouver une expression au sein des minorités communistes, même si dans certaines conjonctures spécifiques, ces minorités peuvent être à la traîne de la conscience spontanée de la classe dans son ensemble. Dans le cas de la Révolution russe, cela a pris des décennies de réflexion ardue dans la Gauche Communiste internationale, pour arriver à une compréhension cohérente de ce qu’était sa dégénérescence. Ce que représentait le soulèvement de Kronstadt, c’était une réaction élémentaire du prolétariat à cette dégénérescence, une des dernières manifestations de masse de la classe ouvrière russe à cette époque. À Moscou, Petrograd et Kronstadt, les travailleurs ont envoyé un SOS désespéré pour sauver la révolution russe qui allait sur son déclin.
Nombre de discussions ont eu lieu à propos du rapport entre les revendications des rebelles et la NEP. Pour les staliniens impénitents de l’Organisation Communiste anglaise et irlandaise – B&ICO – (Problème du Communisme, n°3), la rébellion a dû être écrasée parce que son programme économique de troc et de libre échange était une réaction petite-bourgeoise au processus de “construction du socialisme” en Russie – le “socialisme” signifiant bien entendu, la centralisation la plus complète possible dans le cadre du capitalisme d’État. Mais en même temps B&ICO défend la NEP comme étape vers le socialisme ! A l’autre extrémité de l’éventail, 1'anarchiste Murray Bookchin, dans son introduction à l’édition canadienne de “La Commune de Kronstadt” (ed. Black Rose Book, Montréal 1971) dépeint le paradis libertaire qui aurait pu exister si seulement le programme économique des rebelles avait été appliqué :
“Une victoire ces marins de Kronstadt aurait pu ouvrir de nouvelles perspectives pour la Russie : une forme hybride de développement social avec le contrôle ouvrier sur les usines et le commerce libre des produits agricoles, fondé sur-une économie paysanne à petite échelle et des communautés agraires volontaires”.
Bookchin ajoute ensuite, curieusement, qu’une telle société n’aurait pu survivre que si un mouvement révolutionnaire avait abouti en même temps en Occident. Mais on peut se demander en quoi de tels rêves autogestionnaires de petits boutiquiers auraient pu représenter une menace pour le capital mondial !
De toute façon, toute cette controverse a peu d’intérêt pour des communistes. Étant donné l’échec de la vague révolutionnaire, aucune politique économique quelle qu’elle soit, que ce soit le communisme de guerre, les tentatives d’autarcie, la NEP ou le programme de Kronstadt, n’aurait pu sauver la Révolution. D’ailleurs beaucoup de revendications purement économiques présentées par les rebelles étaient plus ou moins incluses dans la NEP. En tant que programmes économiques, tous sont également inadéquats, et il serait absurde pour les révolutionnaires aujourd’hui de revendiquer le troc ou le libre échange corme mesures économiques adéquates pour un bastion prolétarien, même si, dans des circonstances critiques, il peut être impossible de les éliminer. La différence essentielle entre le programme de Kronstadt et la NEP était la suivante : alors, que cette dernière devait être instaurée par le haut, par la bureaucratie d’État naissante, en coopération avec les directions privées et capitalistes restantes, sans aucun rétablissement du pouvoir prolétarien, les insurgés de Kronstadt posaient comme préalable à toute marche en avant de.la révolution, la restauration du pouvoir authentique des soviets et un terme à la dictature étatique du parti bolchevik.
C’est le nœud du problème. Il est vain de discuter aujourd’hui pour savoir quelle politique économique était la plus “socialiste” à ce moment-là. Le socialisme ne pouvait pas être construit en Russie seulement. Les rebelles de Kronstadt le comprenaient peut-être moins que les bolcheviks les plus éclairés. Les insurgés, par exemple, parlaient de 1'établissement d’un “socialisme libre” (indépendant) en Russie, sans mettre 1'accent sur la nécessité de l’extension de la révolution à l’échelle mondiale avant que le socialisme ne puisse être instauré.
“Kronstadt révolutionnaire combat pour une espèce différente de socialisme, pour une république soviétique des travailleurs dans laquelle le producteur sera son propre maître et pourra disposer de son produit comme il lui semble bon” (Pravda de Kronstadt, p. 92).
L’évaluation prudente de Lénine sur les possibilités de progrès “socialistes” en Russie à cette époque, bien que l’ayant amené à des conclusions totalement erronées et lourdes de conséquences, était en fait une approximation plus conforme à la réalité que les espoirs illusoires de ceux de Kronstadt sur le sens révolutionnaire de communes autogérées au sein de la Russie.
Mais Lénine et la direction bolchevique, emprisonnés dans l’appareil d’État n’arrivèrent pas à voir ce que disaient en réalité les insurgés de Kronstadt, en dépit de leurs confusions et de leurs idées mal formulées : la révolution ne peut aller nulle part si les travailleurs ne la dirigent pas. La condition préalable fondamentale pour la défense et l’extension de la révolution en Russie était tout le pouvoir aux Soviets, en d’autres termes, la reconquête de l’hégémonie politique par les masses ouvrières elles-mêmes. Comme il 'est souligné dans le texte sur la “dégénérescence de la Révolution russe”, cette question du pouvoir politique est de loin la plus importante. Le prolétariat au pouvoir peut faire des progrès économiques importants, ou être obligé de supporter des reculs économiques sans que la Révolution soit perdue. Mais une fois que le pouvoir politique de la classe s’effrite, aucune mesure économique, quelle qu’elle soit, ne peut sauver de.la révolution. C’est parce que les rebelles de Kronstadt luttaient pour la reconquête de cet indispensable pouvoir politique prolétarien que les révolutionnaires d’aujourd’hui doivent reconnaître dans la lutte de Kronstadt une défense fondamentale des positions de classe.
La direction. bolchevique a réagi avec extrême hostilité à la rébellion de Kronstadt. Nous avons déjà évoqué le comportement provocateur de Kouzmine et Kalinine face à la garnison elle-même, les mensonges répandus par Radio Moscou qui disait que c’était une tentative contre-révolutionnaire de la Garde blanche. L’attitude intransigeante du gouvernement bolchevique élimina rapidement toute possibilité de compromis ou de discussion. L’avertissement péremptoire adressé par Trotski à la garnison demandait uniquement la réddition sans condition, et ne faisait aucune offre de concessions aux revendications des insurgés. L’appel à Kronstadt émis par Zinoviev et le comité de défense de Petrograd (l’organe qui avait placé la ville sous la loi martiale après la vague de grèves) est bien connu pour sa cruauté avec son ordre “vous tirez dessus comme sur des perdreaux” si les rebelles persistaient. Zinoviev organisa aussi le prise en otage des familles des insurgés, sous le prétexte de l’arrestation par le CRP d’officiels bolcheviques (aucun ne subit de tort). Ces actions furent dénoncées comme honteuses par les insurgés qui refusèrent de s’abaisser à ce niveau. Pendant l’assaut militaire lui-même de la forteresse, les unités de l’Armée rouge envoyées pour écraser la rébellion étaient constamment au bord de la démoralisation. Quelques-unes fraternisèrent même avec les insurgés. Pour “s’assurer” de la loyauté de l’armée, d’éminents dirigeants bolcheviques furent délégués par le Xe Congrès du parti, alors en session, pour aller conduire le siège, et parmi eux des membres de l’Opposition ouvrière qui tenaient à se démarquer du soulèvement. En même temps, les fusils de la Tcheka étaient braqués sur le dos des soldats pour s’assurer doublement qu’aucune démoralisation ne pouvait se propager.
Quand la forteresse tomba enfin, des centaines d’insurgés furent massacrés, exécutés sommairement ou rapidement condamnés à mort par la Tcheka. Les autres furent envoyés en camp de concentration. La répression fut systématiquement sans merci. Afin d’effacer toutes les traces du soulèvement, la garnison fut placée sous contrôle militaire. Le Soviet fut dissous, et une purge de tous les éléments dissidents s’effectua. Même les soldats qui avaient pris part à la répression de la révolte furent rapidement dispersés dans des unités différentes pour empêcher que les “virus de Kronstadt” ne se propagent. Des mesures analogues furent prises pour les unités “sujettes à caution” dans la marine.
Le développement des événements en Russie dans les années après la révolte rendent absurdes les déclarations disant que la répression de la rébellion était une “nécessité tragique” pour défendre la Révolution. Les Bolcheviques croyaient qu’ils défendaient la révolution contre la menace de la réaction, représentée par la Garde blanche, sur ce port frontalier stratégique. Mais quelles qu’aient pu être les idées des Bolcheviques sur ce qu’ils faisaient, en fait, en attaquant les rebelles, ils attaquaient la seule défense réelle que la révolution pouvait avoir : 1'autonomie de la classe ouvrière et le pouvoir prolétarien direct. En faisant cela, ils se sont comportés eux-mêmes comme des agents de la contre-révolution et ces actes ont servi à déblayer la route du triomphe final de la contre-révolution bourgeoise sous la forme du stalinisme.
La férocité extrême avec laquelle le gouvernement a réprimé le soulèvement avait conduit quelques révolutionnaires à la conclusion que le parti bolchevik était clairement et ouvertement capitaliste en 1921, exactement comme les staliniens et les trotskystes le sont aujourd’hui. Nous ne voulons pas entrer dans une longue discussion sur le moment où le parti est finalement passé irrémédiablement du côté de la bourgeoisie et, en tout cas, nous rejetons la méthode qui essaie d’enfermer la compréhension du processus historique dans un schéma rigide de dates.
Mais dire que le parti bolchevik n’était “rien d’autre que capitaliste” en 1921, c’est dire, en effet que nous n’avons rien à apprendre des événements de Kronstadt, sauf la date de la mort de la révolution. Les capitalistes après tout, répriment toujours les soulèvements ouvriers et nous n’avons pas “à l’apprendre” sans arrêt. Kronstadt peut seulement nous enseigner quelque chose de neuf si nous le reconnaissons comme un chapitre de l’histoire du prolétariat, comme une tragédie dans le camp prolétarien. Le problème réel auquel sont confrontés les révolutionnaires aujourd’hui, c’est comment un parti prolétarien a-t-il pu être amené à agir comme les bolcheviks à Kronstadt en 1921 ? Et comment pouvons-nous nous assurer que de tels événements ne se reproduiront plus jamais ? En somme, quelles sont les leçons de Kronstadt ?
La révolte de Kronstadt éclaire sous un jour particulièrement dramatique les leçons fondamentales de toute la révolution russe, qui sont les seuls “acquis” de la classe ouvrière qui restent de la révolution d’Octobre aujourd’hui.
I – LA RÉVOLUTION PROLÉTARIENNE EST INTERNATIONALE OU N’EST RIEN
La révolution prolétarienne peut seulement réussir à l’échelle mondiale. Il est impossible d’abolir le capitalisme ou de “construire le socialisme” dans un seul pays. La révolution ne sera pas sauvée par des programmes de réorganisation économique dans un pays, mais seulement par l’extension du pouvoir politique prolétarien sur toute la terre. Sans cette extension, la dégénérescence de la révolution est inévitable, quel que soit le nombre de changements apportés dans l’économie. Si la révolution reste isolée, le pouvoir politique du prolétariat sera détruit soit par une invasion de l’extérieur, soit par la violence interne comme à Kronstadt,
II – LA DICTATURE DU PROLÉTARIAT N’EST PAS CELLE D’UN PARTI
La tragédie de la révolution russe, et en particulier le massacre de Kronstadt, a été que le parti du prolétariat, le parti bolchevik a considéré que son rôle était de prendre le pouvoir d’État et la défense de ce pouvoir même contre la classe ouvrière dans son ensemble. C’est pourquoi, quand l’État s’autonomise par rapport à la classe, et se dresse contre elle, comme à Kronstadt, les bolcheviks ont considéré que leur place était dans l’État qui se battait contre la classe, et non avec la classe qui luttait contre la bureaucratisation de l’État.
Aujourd’hui, les révolutionnaires doivent affirmer comme un principe fondamental que le rôle du parti n’est pas de prendre le pouvoir au nom de la classe. Seule la classe ouvrière dans son ensemble, organisée dans ses comités d’usine, ses milices et ses conseils ouvriers, peut prendre le pouvoir politique et entreprendre la transformation communiste de la société. Le parti doit être un facteur actif dans le développement de la conscience prolétarienne, mais il ne peut pas créer le communisme “au nom” de la classe. Une telle prétention peut seulement conduire, comme cela a été le cas en Russie, à la dictature du parti sur la classe, à la suppression de l’activité du prolétariat par lui-même sous le prétexte que le “parti est mieux” ou plus clairvoyant.
En même temps, l’identification du parti à l’État, chose naturelle pour le parti bourgeois, ne peut qu’entraîner les partis prolétariens dans la corruption et la trahison. Un parti du prolétariat doit constituer la fraction la plus radicale et la plus avancée de la classe qui est elle-même la classe la plus dynamique de 1'histoire. Charger le parti du fardeau de l’administration des affaires de l’État, qui par définition peut seulement avoir une fonction conservatrice, c’est nier tout le rôle du parti et étrangler sa créativité révolutionnaire. La bureaucratisation progressive du parti bolchevik, son incapacité croissante à séparer les intérêts de classe révolutionnaire de ceux de l’État des soviets, sa dégénérescence en machine administrative, tout ceci est le prix payé par le parti lui-même pour ses conceptions erronées du parti qui exerce le pouvoir d’État.
III – PAS DE RAPPORT DE FORCE A L’INTÉRIEUR DE LA CLASSE OUVRIÈRE
Le principe qu’aucune minorité, aussi éclairée soit-elle, ne peut prendre le pouvoir sur la classe ouvrière, va de pair avec celui qu’il ne peut y avoir aucun rapport de force ou de violence au sein même de la classe ouvrière. La démocratie prolétarienne n’est pas un luxe dont on peut se dispenser au nom de “l’efficacité”, mais la seule garantie de la bonne marche de la révolution et de la possibilité pour la classe de tirer des enseignements à travers sa propre expérience. Même si des fractions de la classe ont manifestement tort, la “ligne juste” ne peut pas leur être imposée par une autre fraction, qu’elle soit majoritaire ou non. Seule une liberté totale de dialogue à l’intérieur des organes autonomes de la classe (assemblées, conseils, parti) peut résoudre les conflits et les problèmes de la classe. Ceci implique aussi que la classe entière puisse avoir accès aux moyens de communication (presse, radio, TV, etc.), garder le droit de grève et remettre en question les directives issues des organes étatiques.
Même si les marins de Kronstadt n’avaient pas compris certains aspects de la situation, la dureté des mesures prises par le gouvernement bolchevik a été totalement injustifiée. De telles actions peuvent détruire la solidarité et la cohésion à l’intérieur de la classe et engendrer la démoralisation et le désespoir. La violence révolutionnaire est une arme que le prolétariat est forcé d’utiliser dans son combat contre la classe capitaliste. Son usage contre les autres classes non exploiteuses doit être réduit au minimum, autant qu’il est possible, mais à l’intérieur même du prolétariat, elle ne doit avoir aucune place.
IV – LA DICTATURE DU PROLÉTARIAT N’EST PAS L’ÉTAT
Au moment de la révolution russe, il y avait une confusion fondamentale dans le mouvement ouvrier, qui identifiait la dictature du prolétariat à l’État qui est apparu après le renversement du régime tsariste, c’est-à-dire le Congrès des délégués de toutes les Russies des Soviets, des travailleurs, soldats et paysans.
Mais la dictature du prolétariat, fonctionnant à travers les organes spécifiques de la classe ouvrière, comme les assemblées d’usine et les conseils ouvriers, n’est pas une institution mais un état de fait, un mouvement réel de la classe toute entière. Le but de la dictature prolétarienne n’est pas celui d’un État dans, le sens où l’entendent les marxistes ; l’État est cet organe de superstructure issu de la société de classes, dont la fonction est de préserver les relations sociales dominantes, le statu quo entre classes. La dictature du prolétariat au contraire a comme but unique la transformation des rapports sociaux et l’abolition des classes. En même temps, les marxistes ont toujours affirmé la nécessité de l’État dans une période de transition au communisme, après l’abolition du pouvoir politique bourgeois. C’est pourquoi, l’État russe soviétique, comme la Commune de Paris a été un produit inévitable de la société de classes qui existait en Russie après 1917.
Certains révolutionnaires rependent l’idée que le seul État qui puisse exister après la destruction du pouvoir bourgeois, sont les conseils ouvriers eux-mêmes. Il est vrai que les conseils ouvriers ont à assurer la fonction qui a toujours été une des principales caractéristiques de l’État, l’exercice du monopole de la violence. Mais appeler les conseils ouvriers à s’identifier à l’État à cause de cela, c’est réduire le rôle de l’État à celui d’un simple organe de violence et rien d’autre. Alors, avec de telles conceptions, l’État bourgeois aujourd’hui serait seulement composé de la police et de l’armée et pas du parlement, des municipalités, des syndicats et des innombrables autres institutions qui maintiennent l’ordre capitaliste sans usage immédiat de la répression. Ces institutions sont des organes de l’État car.ils servent à maintenir l’ordre social existant, les antagonismes de classe au sein d’un cadre acceptable. Les conseils ouvriers, au contraire, représentent la négation active de cette fonction de l’État, en ce qu’ils sont d’abord et avant tout des organes de transformation sociale radicale, pas des organes de statu quo.
Mais plus que cela, c’est un vœu pieu d’attendre que les seules institutions qui existeront dans la période de transition soient uniquement les conseils ouvriers. Une révolution ne suit pas les prévisions simplistes de certains révolutionnaires. L’immense bouleversement social de la révolution engendre toutes sortes d’institutions, pas seulement de la classe ouvrière sur les lieux de production, mais de la population toute entière qui était opprimée par la classe capitaliste. En Russie, les soviets et les autres structures d’organisation sociale de la population apparurent non seulement dans les usines mais partout, dans l’armée, la marine, les villages, les quartiers des villes. Ce n’était pas seulement le fait que “les bolcheviks commençaient à construire un État qui avait une existence séparée de l’organisation de masse de la classe” (Workers’ Voice n° 14). Il est vrai que les bolcheviks ont contribué activement à la bureaucratisation de l’État, en abandonnant le principe des élections et en instituant d’innombrables commissions en dehors des Soviets. Mais les bolcheviks eux-mêmes ne créèrent pas 1’“État soviétique”. C’était quelque chose qui est né du terrain même de la société russe après Octobre ; il est arrivé parce que la société devait donner naissance à une institution capable de contenir ses antagonismes de classe profonds. Dire que seuls les conseils ouvriers peuvent exister, c’est prêcher la guerre civile permanente, non seulement entre la classe ouvrière et la bourgeoisie (qui est bien sûr nécessaire) mais aussi entre la classe ouvrière et toutes les autres couches non exploiteuses aurait signifié une guerre entre les soviets d’ouvriers et ceux de soldats et paysans. Ceci aurait été évidemment une terrible perte d’énergie et une déviation par rapport à la tâche primordiale de la révolution : l’extension de la révolution mondiale contre la classe capitaliste. (2)
Mais si cet état des soviets était à un certain point de vue le produit inévitable de la société post-insurrectionnelle, nous pouvons mettre en évidence un grand nombre de graves défauts dans ses structures et son fonctionnement, après l’insurrection d’Octobre, tout à fait en dehors du fait qu’il était contrôlé par le parti.
a – Dans le fonctionnement réel de l’État, il y avait un abandon continuel des principes fondamentaux établis d’après les expériences de la Commune en 1871 et réaffirmés par Lénine dans L’État et la Révolution en 1917 : tous les fonctionnaires sont élus et révocables à tout instant, la rémunération des fonctionnaires de l’État égale à celle des ouvriers, l’armement permanent du prolétariat. De plus en plus de commissions et de bureaux sur lesquels la classe ouvrière n’aurait aucun contrôle sont apparus (conseils économiques, Tcheka, etc.). Les élections étaient sans arrêt remises, retardées ou truquées. Les privilèges pour les personnes officielles de l’État étaient progressivement devenus un lieu commun. Les milices ouvrières ont été-dissoutes dans l’Armée rouge, qui n’était elle-même., ni sous le contrôle des conseils ouvriers, ni des soldats du rang.
b – Les conseils ouvriers, les comités d’usine et les autres organes du prolétariat, représentaient une partie de l’appareil d’État parmi les autres (bien que les travailleurs eussent un droit de vote préférentiel). Au lieu d’avoir la garantie de l’autonomie et de l’hégémonie sur toutes les autres institutions sociales, ces organes tendaient de plus en plus, non seulement à être intégrés dans 1'appareil général de l’État, mais à lui être subordonnés.
Le pouvoir prolétarien, au lieu de se manifester par le canal des organes spécifiques de la classe, a été identifié à l’appareil d’État. Bien plus, le postulat spécieux qu’il était un État “prolétarien”, “socialiste”, a amené les bolcheviks à soutenir que les travailleurs ne pouvaient avoir aucun droit ou intérêt différent de ceux de l’État. En conséquence de quoi, toute résistance à l’État de la part des travailleurs ne pouvait être que contre-révolutionnaire. Cette conception profondément erronée a été au cœur de la réaction des bolcheviks vis-à-vis des grèves de Petrograd, et du soulèvement de Kronstadt.
A l’avenir, les principes de la Commune, de l’autonomie de la classe ouvrière ne doivent pas être posés que sur le papier, mais défendus comme condition fondamentale du pouvoir prolétarien sur l’État. À aucun moment, la vigilance du prolétariat vis-à-vis de l’appareil d’État ne peut se relâcher, parce que l’expérience russe et les événements de Kronstadt en particulier, ont montré que la contre-révolution peut très bien se manifester par le canal de l’État post-insurrectionnel et pas seulement par celui d’une agression bourgeoise “extérieure”.
En conséquence, afin de s’assurer que 1'État-commune reste un instrument de 1'autorité prolétarienne, la classe ouvrière ne peut identifier sa dictature à cet appareil ambigu et sujet à caution, mais seulement à ses organes de classe autonomes. Ces organes doivent sans relâche contrôler le travail de l’État à tous les niveaux, en exigeant le maximum de représentation de délégués des conseils ouvriers dans les congrès généraux des soviets, 1'unification autonome permanente de la classe ouvrière au sein de ces conseils et le pouvoir décisionnel des conseils ouvriers sur toutes les mesures préconisées et planifiées par l’État. Les travailleurs doivent par-dessus tout, empêcher l’État d’interférer politiquement ou militairement avec ses propres organes de classe ; mais, d’un autre côté, la classe ouvrière doit maintenir sa capacité à exercer sa dictature sur et contre l’État, par la violence si besoin en est. Cela signifie que la classe ouvrière doit garantir son autonomie de classe, grâce à l’armement général du prolétariat. Si pendant la guerre civile, il devient nécessaire de créer une “Armée rouge” régulière, cette force doit être complètement subordonnée politiquement aux Conseils ouvriers et dissoute dès que la bourgeoisie a été militairement vaincue. Et, à aucun moment, les milices prolétariennes dans les usines ne peuvent être dissoutes.
L’identification du parti et de l’État, de l’État et de la classe a trouvé sa conclusion logique à Kronstadt, quand le parti s’est mis du côté de l’État contre la classe. L’isolement de la révolution russe qui est devenu en 1921 un facteur dramatiquement déterminant de l’évolution de la situation en Russie, a rendu l’État, par définition, gardien du statu quo, celui de la stabilisation du capital et de 1'asservissement des travailleurs. Malgré toutes ses bonnes intentions, la direction bolchevique qui a continué à espérer l’aube salvatrice de la Révolution mondiale pendant plusieurs années encore, a été forcée d’agir, par son implication dans la machine de l’État, comme un obstacle à la révolution mondiale, et a été entraînée vers le triomphe final de la contre-révolution stalinienne. Quelques-uns parmi les bolcheviks les plus lucides commençaient à voir que ce n’était pas le parti qui contrôlait l’État, mais l’État qui contrôlait le parti. Comme disait Lénine lui-même :
“La machine est en train d’échapper aux mains de ceux qui la conduisent : on dirait qu’il y a quelqu’un aux commandes qui dirige cette machine, mais celle-ci suit une autre direction que celle qui est voulue, conduite par une main cachée.. Dieu seul sait à qui elle appartient, peut-être à un spéculateur ou à un capitaliste privé, ou aux deux à la fois. Le fait est que la machine ne va pas dans la direction voulue par ceux qui sont censés la conduire et quelquefois, elle prend tout à fait la direction opposée”. (Rapport Politique du Comité Central du Parti en 1922).
Les dernières années de la vie de Lénine virent sa lutte sans espoir contre la bureaucratie naissante, avec des projets dérisoires comme celui d’une “Inspection des travailleurs et paysans” dans lequel la bureaucratie aurait été sous la surveillance d’une nouvelle commission bureaucratique ! Ce qu’il ne pouvait pas admettre, ou qu’il ne pouvait pas voir, c’était que le soi-disant “État prolétarien” était devenu purement et simplement une machine bourgeoise, un appareil de réglementation des rapports sociaux capitalistes et ne pouvait, en conséquence, n’être que fondamentalement inaccessible aux besoins de la classe ouvrière. Le triomphe du stalinisme n’était que la reconnaissance cynique de ce fait, l’adaptation finale et définitive du parti à son rôle de contremaître de l’État capitaliste,. Cela a été la signification réelle de la déclaration du “socialisme en un seul pays” en 1924.
Le soulèvement de Kronstadt a mis le parti devant un choix historique extrêmement grave : soit continuer à diriger cette machine bourgeoise et finir de cette façon comme un parti du capital, soit se séparer de l’État et être aux côtés de la classe ouvrière entière dans son combat contre cette machine, cette personnification du capital. En choisissant la première voie, les bolcheviks ont, en fait, signé leur arrêt de mort en tant que parti du prolétariat et ont donné de l’élan au processus contre-révolutionnaire qui s’est manifeste ouvertement en 1924. Après 1921, seules les fractions bolcheviques qui avaient commencé à comprendre la nécessité de s’identifier directement à la lutte des ouvriers contre l’État, pouvaient rester révolutionnaires et capables de participer au combat international des communistes de gauche contre la dégénérescence de la IIIe Internationale. Ainsi, par exemple, le “groupe ouvrier” de Miasnikov a pu jouer un rôle actif dans la grève sauvage qui s’étendit en Russie en août et septembre 1923. Ceci contrairement à l’Opposition de gauche, dirigée par Trotski, dont la lutte contre la fraction stalinienne se situait toujours à l’intérieur de la bureaucratie et ne faisait aucune tentative pour essayer de se rattacher à la lutte ouvrière contre ce que les trotskystes définissent comme un “État ouvrier” et une “économie ouvrière”. Leur incapacité initiale à se détacher de la machine État-Parti laissait prévoir l’évolution ultérieure du trotskysme en appendice “critique” à la contre-révolution stalinienne.
Mais les choix “historiques” sont rarement clairs au moment où ils doivent être faits. Les hommes font leur histoire dans dès conditions objectives définies et les traditions des générations passées pèsent “comme un cauchemar sur les cerveaux des vivants” (Marx). Ce poids cauchemardesque du passé écrasait les bolcheviks et seul le triomphe révolutionnaire du prolétariat occidental aurait pu rendre possible la suppression de ce poids et permettre aux bolcheviks, ou au moins à une fraction appréciable du parti, de réaliser quelles étaient leurs erreurs, et d’être régénérés par la créativité inépuisable du mouvement prolétarien international.
Les traditions de la social-démocratie, l’arriération de la Russie, en plus de tous les fardeaux du pouvoir d’État dans le contexte d’une vague révolutionnaire en reflux, tous ces facteurs devaient contribuer à faire prendre aux bolcheviks la position qu’ils ont eue à Kronstadt. Mais il n’y a pas que la direction bolchevique qui a été incapable de comprendre ce qui se passait à Kronstadt. Comme nous l’avons vu, l’Opposition ouvrière dans le parti s’était dépêchée dé se désolidariser des soulèvements et de participer à l’assaut de la garnison. Même quand 1'ultra-gauche russe alla au-delà des timides protestations de l’Opposition ouvrière et rentra dans la clandestinité, elle ne réussit pas à tirer les leçons du soulèvement et fit très peu de références à lui dans ses critiques au régime.
Le KAPD a critiqué la répression du soulèvement de façon incomplète et n’a pas cherché à soutenir la rébellion elle-même. En bref, peu de communistes comprirent alors la signification profonde du soulèvement et en tirèrent les leçons essentielles. Tout ceci témoigne du fait que le prolétariat n’apprend pas les leçons fondamentales de la lutte de classe d’un seul coup, mais seulement au travers d’une accumulation d’expériences douloureuses, de luttes sanglantes et d’intenses réflexions théoriques. Ce n’est pas la tâche des révolutionnaires aujourd’hui d’émettre des jugements moraux abstraits sur le mouvement ouvrier passé, mais de le voir comme un produit de ce mouvement, un produit capable de faire une critique impitoyable de toutes les erreurs du mouvement, mais un produit tout de même. Autrement, la critique du passé par les révolutionnaires actuels n’aurait aucune assise dans la lutte réelle de la classe ouvrière. Ce n’est qu’en voyant les protagonistes qui se faisaient face à Kronstadt comme les acteurs tragiques de notre classe, de notre propre histoire, que les communistes peuvent aujourd’hui prétendre au droit de dénoncer 1'action des bolcheviks et déclarer leur solidarité avec les insurgés. C’est seulement en comprenant les évènements de Kronstadt comme un moment du mouvement historique de.la classe qu’on peut espérer comprendre les leçons de cette expérience afin qu’elles soient appliquées dans la pratique présente et à venir de la classe. Alors seulement, nous pourrons assurer qu’il n’y aura plus jamais d’autre Kronstadt.
CDW, août 1975
1“La dégénérescence de la révolution russe (Réponses au Revolutionary Workers Group) [81]”, Revue Internationale n° 3, 4e trimestre 1975.
2Ceci n’implique pas que nous partagions la vision tant des bolcheviks que des insurgés de Kronstadt, du “pouvoir des ouvriers et des paysans”. La classe ouvrière, lors de la prochaine vague révolutionnaire, devra affirmer qu’elle est la seule classe révolutionnaire. C’est pourquoi, elle doit s’assurer qu’elle est la seule classe à s’organiser en tant que classe pendant la période de transition, dissolvant toute institution qui prétend défendre les intérêts spécifiques de toute autre classe. Le reste de la population aura le droit de s’organiser dans les limites de la dictature du prolétariat et sera représente au sein de l’État seulement en tant que “citoyens” par le canal des soviets élus territorialement. D’accorder des droits civils et le vote à ces couches ne leur attribue pas plus de pouvoir politique en tant que classe, que la bourgeoisie ne donne de pouvoir à la classe ouvrière en lui permettant de voter aux élections municipales et parlementaires.
Extraits de Bilan nos 2 – 12 – 13 – 14 – 33 (1933 à 1936)
Présentation
Depuis longtemps nous caressions le projet de faire connaître ce, que fut "Bilan", organe de la Fraction Italienne de la Gauche Communiste, publié durant la période peut être la plus noire de l'histoire du mouvement ouvrier, cette période qui va du triomphe d'Hitler en Allemagne à la deuxième guerre impérialiste mondiale. Mais toute la force de notre désir et de notre volonté ne suffisait cependant pas pour venir à bout des difficultés rencontrées, difficultés qui pour nos faibles forces numériques et nos moyens très limités se présentaient comme insurmontables.
"Bilan", petite revue des années 30 totalement inconnue du public et à peine moins des militants d'extrême gauche, n'ayant pas derrière elle des noms prestigieux comme Pannekoek Trotsky, Rosa Luxembourg, n'était pas commercial et n'intéressait pas les grandes maisons d'édition ni davantage les Editions dites de Gauche. Elle ne pouvait guère plus intéresser le mouvement étudiant des années 60 plongé dans la contestation et l'anti autoritarisme, se nourrissant de Marcuse, découvrant la révolution sexuelle avec Reich, prenant comme idoles Castro et Che Guevara, se vautrant dans un racisme anti-racisme noir pourri de mystifications, de "Libération nationale", de tiers-mondisme et de soutien de la guerre "libératrice" du Viêt-Nam. Et en effet, que pouvaient ces SDS d'Allemagne, des Etats-Unis et d'ailleurs, eux qui n'avaient qu'un léger mépris pour la classé ouvrière, totalement intégrée dans le capitalisme à les entendre, que pouvaient-ils chercher et trouver dans "Bilan" sinon des "vieilleries marxistes" comme la notion de lutte de classes et du Prolétariat sujet historique de la Révolution Communiste. La barbe du "Che" et le sexe de Reich sont choses autrement plus attrayantes pour ces enfants révoltés de la petite-bourgeoisie en décomposition, que la prosaïque lutte de classe des ouvriers et les écrits de "Bilan" qui étaient entièrement consacrés à cela.
Plus étonnant et moins compréhensible à première vue pourrait être le silence complet du P.C.I. (bordiguiste) au sujet de "Bilan". Si "Bilan" et la fraction italienne d'avant la guerre de 1940 se réclamaient de la Gauche Communiste Italienne dont ils étaient la continuation, il ne semble pas que le Parti Communiste Internationaliste (Bordiguiste) fondé en Italie après la guerre, veuille se souvenir de ce que fut la gauche italienne en exil après son exclusion du Parti et de l'IC. Il est aussi fier de cette fraction de gauche dans l'émigration, que l'on peut l'être d'un bâtard dans une bonne famille bourgeoise. On préfère en parler le moins possible. Pendant les 30 années d'existence de ce parti et malgré les nombreuses publications régulières, le nombre d'articles republiés de "Bilan" peut se compter sur les doigts d'un manchot. Pourquoi cela et pourquoi ce silence gêné ? Il suffit de feuilleter un tant soit peu "Bilan" pour en saisir immédiatement la raison, qui réside dans la différence d'esprit qui sépare l'un de l'autre.
Autant les "balbutiements" (comme disait "Bilan" de lui-même) de l'un se veulent et sont un examen critique des positions erronées et des analyses incomplètes ou incorrectes de la IIIème Internationale, critique vivante faite à la dure lumière de l'expérience et des défaites de Prolétariat et constituent ainsi une contribution importante à la compréhension au dépassement et à l'enrichissement de la pensée communiste, autant l'oeuvre "achevée et invariable" du P.C.I. se veut être la "conservation". En vérité, elle se trouve engagée dans la voie d'un retour pur et simple aux pires erreurs de la IIIème Internationale (telles les questions syndicale-parlementaire-libération nationale-dictature du prolétariat identifiée à la dictature du Parti-etc..) que le P.C.I. revendique intégralement en poussant l'exagération jusqu'à l'absurde.
Là où l'un s’efforçait d'aller de l'avant, l'autre marche résolument en arrière. Loin de diminuer l’écart ne fait que s'accentuer avec les années. C'est uniquement là que réside la raison de la mauvaise volonté du P.C.I. pour ce qui concerne la réédition des écris de "Bilan". Mais rien ne sert de se désespérer. Nous sommes convaincus qu'avec le développement de la lutte de classe et l'activité révolutionnaire "Bilan" retrouvera sa place méritée dans le mouvement et auprès des militants désireux de mieux connaître l'histoire et le cheminement de l'élaboration de la pensée révolutionnaire. Le peu que nous avons publié de "Bilan" nous à valu un nombre important de lettres de nos lecteurs insistant sur l'intérêt certain d'en publier davantage»
Pour répondre à cette demande, en attendant qu'une édition complète de "Bilan" puisse voir le jour, la Revue Internationale entreprend dès maintenant la publication d’un plus grand nombre d'articles et extraits de cette revue. Dans la mesure du possible, nous tacherons de grouper les articles par sujet afin de donner aux lecteurs l’idée la plus complète de l'orientation; la recherche et les positions politiques pour lesquelles combattaient la Gauche Communiste et la revue "Bilan".
La revue "Bilan", ce sont 46 numéros: parus (1478 pages). Le premier numéro est de novembre1933, le dernier de janvier 1938. Commencée comme "Bulletin théorique de la Fraction de gauche du Parti communiste d'Italie", elle arrête sa publication pour être remplacée par la revue « Octobre », organe du Bureau International des Fractions de gauche. Exclue du PC et de l’IC au Congrès de Lyon en 1926 la Fraction de gauche s e reconstituera au début de 1929 et publiera le journal "Prometeo" en langue italienne et un bulletin d’information en français qui bien plus que d'information sera une publication théorique., .
Etroitement mêlée au mouvement Communiste International, la Fraction dans l'émigration prendra une part active dans ce mouvement surtout en France et en Belgique, participera de toutes ses forces à la lutte contre 1a dégénérescence et les trahisons de la III° Internationale et de ses partis définitivement dominés par le stalinisme. A ce titre, elle sera en liaison étroite avec tous les courants et groupes de gauche éjectés tour à tour dé ce que fut 1!Internationale Communiste, se débattant dans un terrible désarroi et dans une immense confusion produite par 1’ampleur de la défaite de la première grande vague révolutionnaire et la démoralisation qui en suivie.
Une tentative de rapprochement avec l’opposition de gauche; de Trotski devait tourner court, montrant la nature d'orientations fondamentalement divergences qui séparaient ces deux courant. Là ou le trotskisme se concevait; comme une simple opposition luttant pour le "redressement" et donc toujours prêt à réintégrer le PC en renonçant à l'existence organique autonome, la gauche Italienne voyait une différence de principe programmatique "qui ne pouvait se résoudre que par la constitution, d'organismes communistes indépendants : les Fractions luttant pour la destruction totale du courant contre révolutionnaire stalinien.
La discussion sur l'analyse de la situation en Allemagne, sa perspective et la position à prendre par les révolutionnaires devaient définitivement rendre incompatible tout travail en commun. Face à la menace de la montée du fascisme hitlérien, Trotski préconisait un large "Front unique" ouvrier entre le P.C. stalinien et la social-démocratie, C’est dans ce front unique entre les contre révolutionnaire d'hier et les contre-révolutionnaire d'aujourd'hui que Trotski voyait la force capable de barrer la route au fascisme, effaçant ainsi le problème fondamental de la nature de classe des forces en présence et le fait que la lutte contre le fascisme n'a aucun sens pour le prolétariat, séparée de la lutte générale de classe contre la bourgeoisie , et le système capitaliste.
Jonglant avec des images "brillantes", Trotski disait que le Front Unique pouvait se faire même "avec le diable et sa grand-mère", démontrant non moins brillement qu'il perdait jusqu'à la notion même de terrain de classe de la lutte du prolétariat. Lancé dans sa virtuosité verbale, Trotski, "sous le nom de Grouroy, allait jusqu'à soutenir que la "Révolution Communiste peut bien triompher même sous la direction de Thaelman" (sic). Désormais, il devenait évident que le chemin emprunté par Trotski devait le mener d'abandon en abandon des positions communistes directement vers la participation à la 2éme guerre impérialiste, au nom bien entendu de "la défense de l'URSS".
Diamétralement opposé devait être le chemin de la Fraction de gauche italienne. Le désastre qu'était pour le prolétariat le triomphe du fascisme rendu possible et inévitable par les catastrophiques défaites successives du prolétariat que lui ont infligé et fait subir la Social-démocratie d'abord et le stalinisme ensuite ouvrait largement la voie à la solution capitaliste à la crise historique de son système : une nouvelle guerre-impérialiste mondiale. Cette perspective, les révolutionnaires ne pouvaient la contrarier qu'en s'efforçant de regrouper le prolétariat sur son terrain de classe, en se maintenant eux-mêmes fermement sur les principes programmatiques du Communisme. Pour cela, il était de première urgence de réaliser la principale tâche consistant à soumettre à un examen critique minutieux toute l'expérience de la récente période écoulée débutant avec la grande vague révolutionnaire qui avait interrompu la première guerre mondiale et ouvert d’immenses espoirs à la classe ouvrière pour son émancipation définitive. Comprendre les raisons de la défaite, étudier les causes, faire le bilan des acquis et des erreurs, tirer les leçons et sur ces bases élaborer les nouvelles positions programmatiques politiques, était indispensable pour permettre à la classe de repartir mieux armée demain et donc plus capable d’affronter sa tâche historique de la Révolution Communiste. C'est cette formidable tâche que se proposait d'entreprendre "Bilan" — comme son nom l'indique — et c'est pour se joindre à lui pour l'accomplissement de cette tâche que Bilan invitait toutes les forces communistes qui avaient survécu à la débâcle de la contre-révolution.
Peu de groupes ont répondu à cet appel, mais aussi peu de groupes ont réussi à résister à ce terrible rouleau compresseur qu'était cette période de réaction et de préparation à la IIéme guerre mondiale. Ces groupes allaient s'amenuisant d'année en année. Toutefois, "Bilan", maintenu par le dévouement de quelques dizaines de membres et de sympathisants, avait toujours, dans le cadre strict des frontières de classe, ses colonnes ouvertes à des pensées divergentes dès siennes. Rien ne lui était plus étranger que l'esprit de secte ou la recherche d'un succès immédiat de chapelle et c'est pour cela qu'on trouve souvent dans "Bilan" des articles de discussion et de recherche émanant de camarades de la Gauche Allemande, Hollandaise, et de la Ligue des Communistes de Belgique. "Bilan" n'avait pas la prétention stupide d'avoir apporté une réponse définitive à tous les problèmes de la révolution. Il avait conscience de balbutier souvent, il savait que les réponses "définitives" ne peuvent être que le résultat de l'expérience vivante de la lutte de classe de la confrontation et la discussion au sein même du mouvement. Sur bien des questions, la réponse donnée par "Bilan" restait insatisfaisante, mais personne ne, saurait mettre en doute le sérieux, la sincérité. la profondeur de son effort et par dessus tout la validité de sa démarche, la justesse, de son orientation et la fermeté de ses, principes, révolutionnaires. Il ne s’agit pas seulement de rendre hommage à ce petit groupe qui a su maintenir ferme le drapeau de la révolution dans la bourrasque contre-révolutionnaire, mais encore d'assimiler ce qu'il nous a légué, en faisant notre son enseignement et son exemple, et de poursuivre cet effort avec une continuité qui n'est pas une stagnation mais un dépassement.
Ce n'est pas par hasard que nous avons choisi pour cette première publication une série d'articles se rapportant aux événements l’Espagne. Plus qu'une analyse de la situation proprement espagnole, l'examen de ces événements avait une portée générale et constituait la clé pour la compréhension de l'évolution de la situation mondiale des forces de classe en présence, des différentes formations politiques en leur sein et leurs forces effectives, leurs orientations et options politiques et par dessus tout offrait une vision crue de 1'immensité de la tragédie dans laquelle était projeté le prolétariat international et le prolétariat espagnol en premier lieu.
L'Espagne est de nouveau, aujourd'hui le centre de la situation internationale immédiate. S’il est absolument juste et nécessaire de mettre bien en évidence la différence qui sépare les événements d'Espagne des années 30 (lesquels s'inscrivaient dans la suite d'une longue série de défaites du prolétariat tendant inexorablement à l'intégration du prolétariat dans la guerre impérialiste) de la période actuelle de reprise de la lutte et de montée de la combativité ouvrière, il n'est pas moins important de souligner ce qu'il y a de commun entre les deux situations. Ce "commun" consiste dans le rôle décisif que l'Espagne est appelée à jouer dans l'évolution de la lutte de classe du prolétariat mondial. Par un concours historique particulier, l'Espagne se trouve, pour la seconde fois, être à là charnière de deux périodes. En 1936 — dernier soubresaut d'un prolétariat dont le massacre marquera le point culminant de la longue chaîne de défaites du prolétariat international et ouvrira toute grande la voie à la guerre mondiale. Aujourd'hui — ouvrant la perspective de grandes convulsions sociales dans les autres pays de l'Europe. L'Espagne se trouve donc à nouveau être une plaque tournante de la situation, un point de départ, et sera probablement aussi décisive aujourd'hui pour là période à venir qu'elle le fut dans les années 30. Banc dressai, l'Espagne va servir de test de la plus haute signification. Le capitalisme mondial, et en premier lieu les neuf de l'Europe, fera peser de tout son poids son intervention dans la situation en appuyant à fond les forces de l'ordre "démocratique", seules forces aptes à faire barrage à l'irruption de la classe ouvrière. Dans cette stratégie de classe, le capitalisme fera avancer son aile gauche à la tête de laquelle se placeront les différentes forces politiques agissant dans la classe ouvrière PC - PS et autres gauchistes. Déjà les batteries de la gauche sont mises en placé et les préparatifs fiévreusement organisés.
Le prolétariat trouvera de nouveau face à lui, dans les semaines à venir en Espagne, les mêmes forces qui en 36 ont magistralement réussi à le dévoyer d'abord, et à le saigner à blanc ensuite. Ces forces utiliseront à fond leur expérience acquise des événements de 36 comme arme contre le prolétariat, arme qu'ils n'ont fait que perfectionner depuis. Leur plus grande tromperie consiste à prêcher hypocritement aux ouvriers, au nom de la "réconciliation nationale", d'"oublier le passé". C'est à dire oublier les leçons de la sanglante expérience faite par les ouvriers.
L'histoire de la lutte de classe ouvrière est jalonnée de défaites. Parce qu'inévitables, ces défaites sont la douloureuse école par laquelle le prolétariat passe obligatoirement. Dans un certain sens et jusqu'à un certain point, elles sont la condition de la victoire finale. À travers elles, la classe prend conscience d'elle-même, de son but, de la voie qui y mène. Le prolétariat apprend ainsi à corriger ses erreurs, à reconnaître les faux prophètes, à éviter les impasses, à mieux s'organiser et mesurer plus exactement les rapports de forces à un moment donné. Classe dépourvue d'autres pouvoirs dans la société, son expérience est 1' atout majeur de son pouvoir et cette expérience est constituée en grande partie des leçons assimilées de ses défaites.
"Bilan" constatait amèrement l'état d'isolement auquel il était réduit chaque jour davantage, et qu'il considérait à juste titre comme une des manifestations de la tragique défaite du prolétariat, alors que l'hystérie guerrière gangrenait de plus en plus le corps et le cerveau des ouvriers. Comme tous les grands événements décisifs, la guerre d'Espagne ne laissait pas de place à des attitudes floues. Le choix était tranché et franc : avec le capitalisme dans la guerre ou avec le prolétariat contre la guerre. L'isolement auquel était condamné "Bilan" était alors le prix inévitable de sa fidélité aux principes du communisme et c'était aussi son mérite et son honneur, alors que tant de groupes communistes de gauche se sont laissé happer dans l'engrenage de l'ennemi de classe.
A l'encontre de "Bilan", nous avons aujourd'hui la ferme conviction qu'en reprenant les mêmes positions de classe, nous n'aurons pas à aller à "contre-courant", mais à nous trouver dans le flot de la nouvelle vague de la Révolution Communiste et de pouvoir contribuer à sa montée.
M. C.
I- Massacre des travailleurs en Espagne
Présentation
Dès les premiers mois de son existence la République en Espagne montrera qu'en fait de massacre des ouvriers elle n'avait rien à envier aux régimes fascistes. La seule différence est probablement que là où le fascisme massacre les ouvriers clairement en tant qu'ouvriers et révolutionnaires, la "démocratie" les massacre en ajoutant en plus l'infamie de les accuser d'être des "provocateurs", agents de la "réaction", de la monarchie ou du fascisme. Dès le début "Bilan" mettra ce fait en évidence contrairement à tous "ceux qui s'emploieront à entraîner les ouvriers dans la "défense de la République".
Extraits (Bilan n°2 Décembre 1933).
Combien seront-ils ?
Impossible de connaître un chiffre : même approximatif du nombre des victimes
tombées dans l’orgie de sang, digne cérémonie pour l’ouverture des Cortès de la
"République des travailleurs d'Espagne" : Droite agraire et
monarchiste,, droite républicaine, gauche radicale, parti socialiste, gauche
catalane dans un front unique admirable, manifestent leur satisfaction de cette
victoire de "l'ordre". La classe ouvrière espagnole ayant abandonné les
mauvais pasteurs - que seraient "en l'occurrence, les anarchistes de la
fédération Anarchiste Ibérique- de Macia, "le libérateur de la Catalogne" à Maura,
de Lerroux à Prieto rendent l'hommage
voulu et opportun à la "sagesse des travailleurs espagnols". Bien
sûr, il ne s'agit pas d'un mouvement ouvrier étouffé par les mitrailleuses et
les canons, mais tout simplement, ah! Combien simplement, d'une sorte
d'épuration faite par la bourgeoisie dans l'intérêt des travailleurs. Une fois
l'ulcère extirpé, la sagesse, la sagesse innée, reviendrait et les
travailleurs s'empresseraient de remercier les bourreaux qui les auraient
délivrés des mesures anarchistes..
Ah! qu'on l'établisse, mais qu'on1'établisse sans tarder le bilan des victimes qu'a à son actif la République des Azana-Caballero, aussi bien que celle des nouvelles Cortès, et bien mieux que mille controverses théoriques, on parviendra à établir la signification , de la "République" et de la soi-disant révolution démocratique de 1931.Ce bilan pâlira devant 1'oeuvre de la monarchie et finira par montrer au prolétariat qu'il n' y a, pour lui, aucune forme d'organisation bourgeoise qu'il puisse défendre. Qu’il n'y a pas de "moindre mal" pour lui, et tant que l'heure n'est pas venue pour livrer sa bataille insurrectionnelle, il comprendrait qu'il ne peut défendre que les positions de classe qu'il a conquises et qu'on ne peut confondre avec les formes d'organisation et de gouvernement de l'ennemi, fussent-elles les plus démocratiques. Les travailleurs espagnols viennent encore une fois d'en faire l'expérience, comme le prolétariat des pays du "paradis démocratique" ou du fascisme.
"Mouvement anarchiste! " C'est ainsi qu'est caractérisé ce soulèvement étouffé dans le sang. Et évidemment, les formation de la gauche bourgeoise, les socialistes aussi bien que le libéral Macia, diront que parmi ces "meneurs" anarchistes, se trouvaient les "provocateurs" de la monarchie : ainsi 1eur "conscience" républicaine trouvera une nouvelle sérénité et leur âme restera sans tâche. Mais le prolétariat reconnaît les siens et il sait que ce ne sont pas des provocateurs que la gendarmerie a étendu sur le sol, mais ses fils les plus valeureux qui s'étaient révoltés contre l'oppression du capitalisme républicain.
II- L’écrasement du prolétariat espagnol.
Présentation
Devant les massacres toujours plus massifs que perpétue la République au nom de la "défense de la Démocratie", Bilan pose en termes extrêmement clairs la question de la signification des régimes dits démocratiques. La Démocratie est-elle une étape sur la voie vers le développement de 1a révolution, comme le prétendent la gauche et les gauchistes qui appelait les ouvriers à la soutenir et la défendre, ou bien n'est-elle que l'arme momentanément la plus appropriée du capitalisme pour dévoyer le prolétariat afin de mieux l’écraser ? Les 2 millions de morts et les 40 années du Franquisme ont apporté une réponse tragique mais définitive à cette question confirmant pleinement le cri d'alarme et la mise en garde de Bilan dès avant les événements de 1936.
Extraits (Bilan n° 12 Novembre 1-934)
Deux critères existent pour la compréhension des événements : deux plates-formes opposées sur lesquelles s1effectue la concentration de la classe ouvrière. C'est ainsi seulement que nous pourrons analyser les dernières hécatombes où ont péri des milliers de prolétaires de la péninsule ibérique, fusillés, mitraillés, bombardés par la "République des travailleurs espagnols". Ou bien la République, les libertés démocratiques, ne sont qu'un puissant diversif que l'ennemi soulève quand il lui est impossible d'employer la violence et la terreur pour écraser le prolétariat. Ou bien, la République et les libertés démocratiques représentent un moindre mal et même une condition favorable à la marche victorieuse du prolétariat qui aurait pour devoir de les appuyer en vue de favoriser son attaque ultérieure pour sa délivrance des chaînes du capitalisme.
Le terrible carnage de ces derniers jours en Espagne devrait exclure la petite combine du "dosage" suivant laquelle la République est bien une "conquête ouvrière" à défendre, mais sous "certaines conditions" et surtout dans la "mesure" où "elle n'est pas ce qu'elle est", ou la condition qu'elle "devienne" ce qu'elle ne peut pas devenir, ou enfin, "si" loin d'avoir la signification et les objectifs qu'elle a, elle se dispose à devenir l'organe de domination de la classe des travailleurs. Ce petit jeu devient également très difficile pour ce qui concerne les situations ayant précédé 1a guerre civile en Espagne où le capitalisme a donné la mesure de sa force contre le prolétariat. En effet, depuis sa fondation, en Avril 31 et jusqu'en décembre 1931, la "marche à gauche" de la République Espagnole, la formation du gouvernement Azana-Caballero-Lerroux, son amputation en décembre 1931 de l'aile droite représentée par Lerroux, ne détermine nullement des conditions favorables à l'avancement des positions de classe du prolétariat ou à la formation des organismes capables, d'en diriger la lutte révolutionnaire. Et il ne s'agit nullement de voir ici ce que le gouvernement républicain et radical-socialiste aurait dû faire pour le salut de la révolution communiste, mais il s’agit de rechercher si oui ou non, cette conversion à gauche ou à l'extrême gauche du capitalisme, ce concert unanime qui allait des socialistes jusqu'aux syndicalistes pour la défense de la République, a crée les conditions du développement des conquêtes ouvrières et de la marche révolutionnaire du prolétariat ? Ou bien encore, si cette conversion à gauche n’était pas dictée par la nécessité, pour le capitalisme, d'enivrer les ouvriers bouleversés par un profond élan révolutionnaire, afin qu’ils ne s'orientent pas vers la lutte révolutionnaire, car le chemin que la bourgeoisie devait emprunter en octobre 1934 était trop risqué en 1931 et les ouvriers à cette époque, auraient pu vaincre à un moment où le capitalisme ne se trouvait pas dans la possibilité de recruter les armées de la répression féroce ?
D'autre part, le séparatisme catalan ou basque que l'on avait considéré comme une brèche ouverte dans l'appareil de domination de l'ennemi, brèche qu'il fallait élargir jusqu'à ses conséquences les plus extrêmes pour faire progresser ensuite le cours de la révolution prolétarienne, n'avait-il pas donné la mesure de sa force en érigeant une République Catalane pour quelques heures (qui s'effaça lamentablement sous les coups du même général Batlet que Companys conviait à la défense de la Catalogne proclamant son indépendance). Et aux Asturies, les forces de l'armée, de la police, de l'aviation ne se sont-elles pas jetées pendant des semaines contre les mineurs et les ouvriers, privés de tout guide dans leur lutte héroïque ? Le séparatisme basque, qui n'avait fait qu’annoncer la tourmente qui approchait par ses protestations des derniers mois, laissera écraser les luttes des Asturies et au surplus les bataillons de la terreur gouvernemental seront dirigés par un séparatiste qui fera sans doute demain un nouveau serment de fidélité à la République et aux autonomies régionales.
De 1930 à 1934 une cohérence d'acier établit la logique des événements. En 1930, Berenguerest appelé par le roi ALphonse XIII qui espère pouvoir répéter la manoeuvre de 1923, lorsqu'il parvint à contenir dans le cadre de la légalité monarchique les conséquences des désastres marocains. En 1923 Primo de Rivera est substitué à Bérenguer considéré comme responsable du désastre marocain, et cette modification gouvernementale permit d'éloigner l'attaque des masses qui devaient évidemment faire tous les frais de l'opération gouvernementale se concluant par 7 années de dictature agrarienne-cléricale. Mais en 1930, la situation économique était profondément bouleversée par l'apparition de la crise et il ne suffisait plus d'avoir recours à des simples manoeuvres gouvernementales. En février 1931, les conditions étaient déjà mûres pour des mouvements prolétariens et la menace existait d'une grève des cheminots : alors il faut avoir recours aux grands coups de théâtre et on offre aux masses les têtes de Bérenguer et du roi. Sur l'intervention du monarchiste Guerra, et en accord avec le républicain Zamora, le départ du roi est organisé avant la sortie des ouvriers des usines. Le mouvement de dilatation vers la gauche continue jusque, fin 1931 et c'est uniquement ainsi que l'on mettra les masses devant une difficulté extrême pour se forger l'organisme de la victoire : son parti de classe. Il n'était pas possible de supprimer les conflits de classe, le capitalisme ne pouvait que mettre ces conflits dans de telles conditions qu'ils ne puissent aboutir qu'à la confusion sans issue. Et la République sert ce but. Au début de 1932, le gouvernement de gauche fait son premier essai et passe à l'attaque violente contre la grève générale proclamée par les syndicalistes. A ce moment la concentration du capitalisme se fait autour de son aile gauche et le réactionnaire Maurra pourra faire plébisciter le gouvernement Azana-Caballero par les Cortes républicains.
L'élan des masses, produit des circonstances économiques, après s'être égaré dans les chemins de la République et de la démocratie, fut brisé par la violence réactionnaire du gouvernement radical-socialiste et il en résulta une conversion opposée de la bourgeoisie vers son aile droite ; nous aurons en Août 1932 la 1° escarmouche de Sanrurjio pour la concentration des forces de la droite. Quelques mois après, en décembre 1933, c'est le carnage des ouvriers lors de la nouvelle grève décidée par les syndicats au moment où les élections fournissent l'occasion pour déplacer à droite l'orientation de la République Espagnole. Par conséquent octobre 1934 marque la bataille frontale pour anéantir toutes les forces et les organisations du prolétariat espagnol. Et, triste et cruel épilogue des errements syndicalistes, en présence d'un tel carnage, nous verrons l'abstention de la Confédération du Travail Anarchiste qui considère ne pouvoir se mêler à des mouvements politiques.
Gauche-droite, république-monarchie, appui à la gauche et à la république contre la droite et la monarchie en vue de la révolution prolétarienne? Voilà les dilemmes et les positions qu'ont défendus les différents courants agissant au sein de la classe ouvrière. Mais le dilemme était autre et consistait dans 1'opposition : capitalisme-prolétariat, dictature de la bourgeoisie pour l'écrasement du prolétariat ou dictature du Prolétariat pour l'érection d'un bastion de "la révolution mondiale en vue de la suppression des Etats et des classes.
Bien que l'économie espagnole ait pu bénéficier des avantages conquis pendant la guerre par sa position de neutralité détenue, la structure de ce capitalisme offrait une résistance très faible aux contrecoups de la crise économique. Un secteur industriel trop limité en face d'une économie agraire très étendue et encore dominée par des forces et des formes de production non industrialisées. De tels fondements expliquent pourquoi les régions industrielles sont le théâtre de mouvements séparatistes dépourvus d'issue et qui doivent acquérir me signification réactionnaire du fait que la classe au pouvoir est quand même le capitalisme étendant sur tout le territoire l'emprise des organismes bancaires où se concentrent — autour des grands magnats — les produits de la plus value des prolétaires et du sur-travail des paysans. Une telle base économique laisse entrevoir la perspective qui s'ouvre devant la classe ouvrière espagnole qui se trouve dans des conditions analogues à celles connues par les ouvriers russes : en face d'une classe qui ne peut établir sa domination que par une dictature de fer et de sang, et il ne pourra battre cette domination féroce que par le triomphe de son insurrection.
Et la tragédie espagnole, tout comme celle d'Autriche se déroulera dans l'inattention du prolétariat mondial immobilisé par l’action contre-révolutionnaire des centristes et des socialistes. Une simple offre de la part de l'IC qui sera même refusée par l'Internationale social-démocrate prétextant que le moment favorable était déjà passé. Comme si après la victoire de Hitler, quand le moment favorable était aussi passé, l'Internationale social-démocrate n'adressait pas des propositions d'action commune à l'IC! Mais la pourriture et la corruption des organismes qui osent encore se proclamer ouvriers sont telles que sur les cimetières des prolétaires, les traites d'hier et de demain ne feront qu'esquisser une manoeuvre leur permettant de continuer leurs entreprises de trahison, jusqu'au jour où les ouvriers parviendront à balayer, avec la classe qui les opprime, toutes les forces qui les trahissent. Les milliers d'ouvriers espagnols ne sont pas morts en vain, car du sang dont s'est mouillée la République espagnole germera la lutte pour la révolution communiste, abattant toutes les diversions que l'ennemi ne cessera d'opposer à là marche, libératrice de la classe ouvrière.
III - Appel à la solidarité ouvrière internationale.
Présentation
Dans sa férocité sanguinaire, la République ne se contentait pas de massacres en bloc, il lui fallait encore des assassinats exemplaires individuels pour 1"exemple". Le vibrant appel à la solidarité internationale de classé lancé par la faible voix de Bilan fut facilement étouffée par les vacarmes de ceux qui allaient découvrir les "vertus" de la République et de la Démocratie pour la défense desquelles on allait faire massacrer par millions les ouvriers dans la guerre "anti-fasciste".
Faut-il signaler que pour sauver les ouvriers qui allaient être fusillés un à un par la République, il ne se trouvait ni gouvernements démocratiques, ni partis de gauche, ni "Droit de l’Homme", ni Pape, pour protester. Il est vrai que Bilan n'avait pas songé à faire appel à eux et à leurs sentiments humanitaires,
Extraits (Bilan n°13 Décembre 1934)
Le canon s!est tu en Espagne. Des milliers de prolétaires ont été massacrés impitoyablement : voilà le bilan que la bourgeoisie peut étaler à côté des massacres de février en Autriche, des décapitations en Allemagne.
Le prolétariat mondial gît écartelés sur le sol et son sang généreux est souillé par les bottes des satrapes de la bourgeoisie qui viennent d'imposer l'ordre à coups d'obus. De l'est à ouest règne la terreur bestiale des classes dominantes qui font rouler des têtes, fusiller pour étrangler la lutte révolutionnaire des ouvriers.
C'est d'abord aux lutteurs des Asturies que nous voulons rendre hommage. Ils ont combattu jusqu'à la mort, sacrifié femmes, enfants pour leur classe, pour la révolution, mais sans guide, ils ont succombé. Comme ils comprendront les mineurs d'Oviedo, ce que signifie construire pacifiquement le socialisme en Russie, eux qui se sont vus déchirés par les bombes, déchiquetés par les baïonnettes des légions marocaines. Le 17ème anniversaire de l’U.R.S.S. est pour ces ouvriers, un "de profondis" ; car en pleurant ses morts, le prolétariat espagnol sentira aussi qu'il ne peut compter que sur sa lutte, celle du prolétariat mondial, dont la Russie s'est détachée.
Après son orgie de sang dans les Asturies, la bourgeoisie a voulu faire assassiner par ses Cours militaires des ouvriers révoltés afin de symboliser le destin de ceux qui oseraient à nouveau prendre les armes pour leur émancipation,,
Le 7 novembre ; José Laredo Corrales et Guerra Pardo ont donc été fusillés pour l'exemple ; l'un à Gijen l'autre à Leon. D'autres suivront si la solidarité internationale des prolétaires ne se manifeste vigoureusement»
IV – Quand manque un Parti de classe… A propos des événements d’Espagne.
Présentation
Petite histoire de l'Espagne et du "noble" rôle joué par les socialistes de droite et de gauche, de Prieto à Largo Caballero. Une leçon parmi tant d'autres que les ouvriers ne devraient jamais oublier,
Extraits (Bilan n° 14 Janvier 1935)
Après la guerre, favorisée par 1’essor économique qui se manifesta dans tous les pays, y compris l'Espagne restée neutre, la social-démocratie n’en soutint pas moins directement - pour collaborer par après - la dictature de Primo de Rivera. A la chute de ce dernier, comme elle était l'unique organisation organisée nationalement (les formes républicaines de l'ancienne ou de la dernière couvée existaient localement), elle gagna une influence supérieure à sa puissance réelle : 114 députés aux élections à la Constituante. Ce fait lui permit d'ailleurs de se poser en agent central nécessaire pour sauver l'ordre capitaliste dans les moments dangereux et de consolider, par après, l'ordre d'où la contre-offensive put se jeter sur le prolétariat.
Pendant la dictature de Primo de Rivera établie en 1923, et sous le gouvernement de transition Bérenguer qui lui succéda en janvier 1930, s'opéra un morcellement des deux partis 'historiques" de la bourgeoisie, ouvrant 1'ère des partis se réclamant des classes moyennes : différents groupements républicains ne se distinguant pas très clairement les uns des autres et se situant aux côtés du parti radical de Lerroux et du parti radical-socialiste créé par la gauche du parti radical.
Ce qui caractérise cette période, c’est entre autres le pacte de San Sébastian d'août 1930, conclu entre les différents partis catalans et les partis anti-monarchistes (socialistes, radicaux-socialistes, radicaux, droite républicaine) et qui devaient régler l'épineuse question de l'autonomie de la Catalogne et des provinces basques ; c'est la tentative prématurée de décembre 1930 avec le soulèvement de la garnison de Jaca et la proclamation de la République à Madrid.
Le capitalisme possède une souplesse remarquable qui lui permet de s'adapter aux situations les plus difficiles ; les bourgeois espagnols, d'abord monarchistes, comprirent bientôt qu'il était plus utile momentanément d'abandonner pacifiquement le pouvoir aux "mains amies" des socialistes et des républicains plutôt que de risquer une résistance pouvant mettre un danger leurs intérêts de classe. D'ailleurs toutes les divergences politiques qui se firent jour dans les formations républicaines se rattachèrent à la consolidation de son pouvoir.
Par là même, du jour au lendemain, de monarchiste elle devint républicaine et lorsque les élections municipales du 12 avril 1931donnèrent aux partis d'opposition anti-monarchistes une majorité — ils gagnèrent 46 sur 50 chefs-lieux de province — il se vérifia un changement pacifique du décor politique et l'abdication d'Alfonso XIII eut lieu. A sa place succéda un gouvernement provisoire comprenant les signataires républicains et socialistes du manifeste de décembre 1930.
Dans le premier gouvernement de coalition, les socialistes occupèrent le ministère du Travail, de la Justice et des Finances — ces deux derniers après échange avec ceux de l'Instruction et des Travaux Publics.
En trente mois de coalition gouvernementale, les socialistes avalisèrent et couvrirent tous les crimes et forfaitures de la bourgeoisie "libérale", la répression des mouvements d'ouvriers et de paysans dont les massacres d'Arnedo et Casas Viejas, la loi de Défense de la République la loi sur l'Ordre Public, la loi réactionnaire sur les associations, la mystification de la loi agraire.
La Social-Démocratie eut surtout pour fonction historique de maintenir les illusions démocratiques parmi les ouvriers, empêcher ainsi leur radicalisation et éventuellement étouffer leur élan révolutionnaire.
A ce propos, il convient de remarquer que pour l'Espagne on a trop parlé de "révolution", particulièrement lorsqu'il s'agissait d'une simple manoeuvre de la bourgeoisie et exagéré les possibilités d'une "révolution prolétarienne" surtout que le manque d'un parti de classe et 1' influence négative de 1'anarco-syndica-lisme avait miné les chances de succès.
Quand la social-démocratie reçut le coup de pied de l'âne, c'est à dire quand le capitalisme se sentit assez puissant que, pour se passer de ses bons services, les socialistes qui avaient renforcés leur démagogie verbale proportionnellement à leur perte d'influence au sein du gouvernement, enfantèrent une "gauche" qui se força de maintenir le drapeau de la trahison parmi les prolétaires. Et Largo Caballero, le ministre de Casas Vieja menaça la bourgeoisie de la dictature prolétarienne et d'un régime sovietiste.
C'est vraiment une loi d'airain que celle qui détermine la social-démocratie à concentrer le prolétariat autour des mots d'ordres démocratiques, a passer ensuite à l'opposition "gauchiste" pour préparer enfin la trahison de demain pendant que les partis de la classe moyenne s'intègrent dans la réaction qui passe à l'attaque. Et les événements se déroulent alors avec une vitesse et une logique implacable.
Ainsi en Espagne, au gouvernement, carteliste succède, pour procéder à de nouvelles élections, un gouvernement radical de transition, qui après les élections de novembre 1933 où se vérifia la débâcle des socialistes, fit place à un gouvernement radical orienté vers la droite et dirigé par Lerroux lui-même. Mais la bourgeoisie ne se sentait pas encore en état de passer à l'offensive violente et Samper remplaça Leroux. Mais déjà les leviers de commandes étaient entre les mains des partisans ouverts de la réaction.
Les faits sont connus : en réponse à la reconstitution d’un gouvernement Lerroux où les ministères les plus importants, celui de la Justice, de l'Agriculture, du Travail étaient aux mains de populistes catholiques (donc du parti le plus réactionnaire de la péninsule ibérique), les socialistes proclamèrent la grève générale pour le 5 Octobre. Il s'agissait d'une grève "légale" devant provoquer la chute de Lerroux et lui substituer l'ancienne coalition républicaine-socialiste.
Comme en 1922 en Italie, où la grève décidée par l'Alliance du Travail devait écarter le "danger fasciste" de M.Mussolini pour lui substituer un "gouvernement meilleur" celui de Turati-Modigliani, en Espagne la social-démocratie lutta contre le "danger fasciste" et pour reconstituer un gouvernement de coalition républicain-socialiste. Mais cette dernière phase - à laquelle il faut rattacher la comédie de la proclamation de l'Etat catalan- fut de courte durée et la 2° phase se détermina de la lutte du prolétariat non atteint par des déviations séparatistes qui auraient pu se manifester surtout en Catalogne et dans les provinces basques, lutte qui se développa surtout dans le bassin houiller des Asturies où se vérifia la véritable unité ouvrière autour de la lutte armée pour le pouvoir.
Le gouvernement finit par concentrer contre les "Asturies rouges" toute une armée, de 30 000 hommes avec des moyens de destruction ultras-modernes : aviation de bombardement, chars d'assauts, etc.; les troupes les plus sûres furent employées pour maîtriser la rébellion : la légion étrangère, cette lie de la société et les tirailleurs marocains furent employés pour mater l'insurrection. On sait aujourd'hui que cette précaution ne fut pas vaine : à Allicante les marins eux-mêmes donnèrent l'assaut à l'arsenal, à Oviedo, 900 soldats quoique assiégés, refusèrent de tirer sur les ouvriers marchant à l'assaut de la caserne.
D'ailleurs certaines garnisons dans la province de Léon où il y eut des combats acharnés, durent être transportées d'urgence dans des régions plus tranquilles.
Mais à la fin, isolés pendant que le reste de l'Espagne ne bougeait, les héros des Asturies finirent par être écrasés non vaincus parce qu'encore aujourd'hui subsistent dans les montagnes,des groupes de rebelles qui continuent la lutte.
En Espagne : bourgeoisie contre prolétariat
Présentation
C’est avec beaucoup d'intérêt qu'on lira ce long article dans lequel Bilan tente une analyse serrée de l'évolution du capitalisme espagnol. Si le retard du développement du capitalisme espagnol explique bien des particularités, ce n'est cependant pas à partir de ces particularités qu'il faut analyser les événements en Espagne, mais avant tout à partir de la période historique du Capitalisme de la crise générale du système qui sévit dans le monde entier et que ce n'est qu'ainsi qu'on peut comprendre la situation présente et les convulsions sociales qui se déroulent.
Le fond de ces événements n'est pas une révolution bourgeoise démocratique contre un prétendu féodalisme mais la lutte entre le Capitalisme en pleine crise et le Prolétariat. Bilan rejette catégoriquement les références que certains font abusivement aux écrits de Marx et Engels et devant servir à justifier un nécessaire soutien de la République démocratique par les ouvriers en Espagne.
A comparer les écrits de Bilan sur ce point avec les positions défendues par le "Prolétaire", organe du PCI, concernant les soi-disant "révolutions démocratico-bourgeoises" dans les pays sous-développés on est frappé par l'énorme régression que représente ce dernier. Le "Prolétaire" feint d'ignorer l'aire historique pour ne voir que des aires géographiques. C'est ainsi qu'il continue à parler de révolution démocratico-bourgeoise dans les pays sous-développés où il distingue des classes "progressives" en lutte contre les classes réactionnaires. C'est ainsi que le "Prolétaire" voyait la guerre entre le Sud et le Nord Viêt-Nam, de même que la lutte entre Pinochet et Allende. A ce dernier il n'avait d'autres reproches à adresser que son indécision lui donnant dans sa grande sagesse, comme exemple à suivre, la fermeté des Jacobins. -
- Les arguments des Bordiguistes concernant le Chili et autres pays sous-développés auraient été parfaitement valables pour l'Espagne en 1936, qui était alors autant un pays sous-développé. Voilà ce que répond par avance Bilan, à ce genre d' arguments : "MAIS OCTOBRE 1917 EST LA POUR NOUS INDIQUER QUE LA CONTINUATION DE L’OEUVRE DE MARX: NE CONSISTE PAS A REPETER, EN UNE SITUATION PROFONDEMENT DIFFERENTE LES POSITIONS QUE NOS MAITRES DEFENDIRENT A LEUR EPOQUE EN ESPAGNE, COMME D'AILLEURS DANS TOUS LES AUTRES PAYS, LES FORCES DEMOCRATIQUES DE LA GAUCHE BOURGEOISE ONT DEMONTRE ETRE NON UN ECHELON POUVANT CONDUIRE A L'ETAPE DE LA VICTOIRE PROLE TARIENNE, MAIS LE DERNIER REMPART DE LA CONTRE-REVOLUTION".
L'article qui suit est écrit fin Juillet 1936 les jours mêmes du soulèvement franquiste et de la riposte ouvrière. Il manque alors encore à Bilan des informations sur la tournure que prenaient les événements. Mais il perçoit d'emblée le danger d'embrigadement des ouvriers derrière la défense de la République contre lequel il met en garde de toutes ses forces le Prolétariat d'Espagne et des autres pays.
Il est à souligner dans cet article le souci manifesté par Bilan, face aux événements d'Espagne prélude de la guerre impérialiste mondiale, pour le regroupement des noyaux révolutionnaires dispersés. Si le regroupement des révolutionnaires est ressenti comme un besoin pour résister dans une période de recul, il est une nécessité impérieuse dans une période de montée de la lutte. Il est absolument nécessaire d'insister sur ce point à 1'encontre de bien des groupes qui faute de l'avoir compris préfèrent le maintien de leur isolement au nom de "leur" autonomie de "leur" liberté de mouvement.
Extraits (Bilan N°33, Juillet-Août 1936)
La structure du capitalisme espagnol
La structure économique de la société espagnole surtout avant l'avènement de la République en avril 1931, par ses caractères extrêmement retardataires pourrait donner l'impression que la bourgeoisie n'y a pas encore conquis le pouvoir et que, dès lors, nous pourrions assister à la répétition du schéma des révolutions bourgeoises du siècle passé. Toutefois, avec cette variante d'une importance fondamentale pour les perspectives ultérieures que -à la suite de la nouvelle situation historique où le capitalisme n'a plus un rôle progressif mais est entré dans la phase de son déclin- le prolétariat pourrait écarter le capitalisme, substituer au triomphe de ce dernier l'avènement de la dictature de la classe ouvrière. Pourtant, il n’en est nullement ainsi, car l'Espagne appartient aux pays bourgeois les plus vieux et si nous n'avons pas assisté à un schéma analogue à celui qui conduisit le capitalisme au pouvoir dans les autres pays, cela dépendit uniquement des conditions exceptionnelles favorables dans lesquelles put s'affirmer et éclore la bourgeoisie espagnole. Possédant un immense empire colonial, ce capitalisme put évoluer sans grandes secousses intérieures, put même les esquiver justement parce que la base de sa domination ne consistait pas -ainsi qu'il en était pour les autres capitalismes- en une modification radicale des fondements de l'économie féodale pour l'installation de la grande industrie dans les villes et la libération des paysans du servage, mais l'adaptation de tout ce système aux exigences d'un capitalisme possédant des positions territoriales immenses pour investir ses capitaux et pouvant, dès lors, freiner la course à l'industrialisation de l'économie. Il est suggestif de remarquer que les anciennes colonies espagnoles ont été perdues par cette bourgeoisie au moment même où elles entraient dans le cyclone des transformations industrielles, La noblesse et le clergé détenaient en même temps les grandes propriétés terriennes, les actions bancaires et industrielles e"f la Compagnie des Trams de Madrid, ainsi, d’ailleurs que la partie des mines des Asturies soustraite au capital étranger étaient contrôlées, avant 1931, par les Jésuites,
Cette structure sociale archaïque fut profondément éclaboussée lors de la guerre, qui provoqua également une intensification accentuée de l'industrialisation de l'Espagne, surtout en Catalogne, où se développa fortement une puissante industrie de transformation. Mais ce développement se fit par îlots, au Nord, à Barcelone et à Madrid, le restant de 1'Espagne restant à peu près dans les conditions précédentes. Toutefois, la nécessité se fit immédiatement sentir de solutionner dictatorialement le problème social et, en 1923, Primo de Rivera prit le pouvoir, où il fut porté particulièrement par les cercles industriels de Barcelone dirigés par Cambo, alors qu'Alphonse XIII était plutôt enclin à conduire à terme 1'entreprise marocaine, malgré la cuisante défaite qu'y avaient essuyé ses troupes. L'expérience Primo de Rivera, bien que nullement comparable au fascisme italien ou allemand, s'explique déjà par la nécessité d'empêcher l'intervention autonome du prolétariat dans les luttes sociales et il est connu que c'est sous son gouvernement que se développèrent les institutions d'arbitrage des conflits du travail : Largo Caballero, celui qui est aujourd'hui qualifié de Lénine espagnol (l'insulte au grand mort est fort facile et il ne suffisait pas de consacrer Staline continuateur de Lénine) fut alors conseiller d’Etat, les organisations socialiste purent subsister et même la CNT anarchiste vivota.
En 1930, lorsque Primo de Rivera tomba comme un fruit pourri, la bourgeoisie espagnole crut pouvoir continuer avec le même système et c'est encore un général qui en prit la place, mais cette fois, dans une autre direction politique : il ne s'agissait plus de solutionner les questions sociales à 1’aide d'interventions étatiques mais d'essayer de canaliser les masses ouvrières vers un régime à tendance libérale et démocratique, la crise économique mondiale avait éclaté et il n'était plus possible de contenir l'effervescence sociale dans les cadres d'un autoritarisme de type militaire.
Les considérations qui précèdent nous permettent de définir en quelques phrases la nature même de 1a structure sociale en Espagne. Il s’agit bien d'un régime capitaliste où toute perspective est exclue d'une répétition des événements qui accompagnèrent la victoire bourgeoise dans les autres pays : loin de répéter les jacobins de 1793, ou les bourgeois de février 1848, évoluèrent vers les Cavaignac de Juin, les Azana Caballero s’acheminèrent plutôt vers le rôle des Noske avec toutefois une différence profonde, résultant de la particularité de la situation espagnole. Ce capitalisme entre dans la crise économique mondiale non seulement dépourvu de bases de manoeuvres sur l'échelle internationale où les marchés absorbent des quantités toujours inférieures des produits agricoles exportes, mais aussi avec une charpente économique qui est la moins apte à résister aux contrecoups de la crise économique. Il en résulte que de formidables mouvements sociaux ne pouvaient absolument pas être évités et, comme il en avait été le cas pour Primo de Rivera, dont la chute semblait avoir été provoquée par la faillite de l'Exposition de Barcelone, c'est encore un élément d'ordre secondaire dans le domaine historique qui est le présage des grands événements qui mûrissent : en octobre 1930, le pacte de St Sébastien est scellé pour fonder 1a République sous le guide du .monarchiste Zamora et le 4 avril 1931, par l'intermédiaire de Romanones, Alphonse XIII abdique à la suite des élections communales qui conduisirent à la proclamation de la République. Ainsi, les événements qui suivirent en 1931, 1932, 1933 permettent de bien expliquer la réalité sociale et la signification de l’avènement de la République. Cette dernière représentait, au point de vue du mouvement social et de sa progression, un élément absolument accessoire, elle ne pouvait nullement être comparée à l'avènement des Républiques bourgeois du siècle passé ; par contre elle représentait uniquement une nouvelle forme de la domination bourgeoise, une tentative nouvelle du capitalisme espagnol de faire face à ses nécessités.
Jamais une répression plus féroce ne s'exerça contre le mouvement ouvrier, que celle qui se déchaîna en 1931 et 1932 sous les gouvernements de gauche avec participation socialiste. Il est évident que la cause fondamentale de cette répression réside dans l'éclosion puissante des luttes ouvrières, mais ceux qui accouplent 1'ascension du mouvement ouvrier avec la prise du pouvoir par des gouvernement gauche feraient bien de réfléchir aux événements qui suivirent la proclamation de la République et qui prouvent à l’évidence que l'avènement de cette dernière ne représente en définitive que la forme la plus appropriée pour employer la formule dont se servit Salengro au Sénat français quand il disait que le gouvernement s'engageait avec tous les moyens appropriés à faire cesser l'occupation des usines pour la défense des intérêts de la bourgeoisie. Il n'y a donc pas de relation directe entre République et mouvement ouvrier, mais opposition sanglante ainsi que les événements devaient le prouver.
En présence, d'une structure sociale si arriérée, qui peut être comparée à celle de la Russie tsariste, se pose cette interrogation : comment d'une toile sociale si bigarrée, en face d'une bourgeoisie impuissante à trouver des solutions aux problèmes angoissants que la crise économique pose devant elle, comment s'est il fait qu'à l'instar de la Russie, de ce milieu social, particulièrement favorable, des noyaux marxistes ne se soient pas formés de la puissance de l'envergure des bolcheviks russes ? La: réponse a cette question nous partit consister dans, le fait que la bourgeoisie russe se trouvait sur une ligne d'ascension alors que la bourgeoisie espagnole, qui s'était affermie depuis des siècles traversait une phase de décadence putréfiée. Cette différence de position entre les deux bourgeoisies reflétait d'ailleurs une différence de position des deux prolétariats et le fait que le prolétariat espagnol se trouve dans l'impossibilité de faire surgir de ses mouvements gigantesques le parti de classe indispensable à sa victoire, nous semble dépendre de la condition d’infériorité absolue où se trouve, ce pays que le capitalisme a condamné à rester au rancart de l'évolution politique et sociale, actuelle.
L'anachronisme que représente le capitalisme espagnol, sa structure extrêmement retardataire, l'impossibilité où se trouve la bourgeoisie d'apporter une solution aux problèmes complexes et embrouillés de la structure économique du pays, cela nous semble expliquer les puissants mouvements qu'a connus l'Espagne depuis cinq ans, le fait que le prolétariat s'est trouvé dans l'impossibilité de fonder son parti et que ses mouvements paraissent être des convulsions sans issues plutôt que des événements pouvant aboutir à la seule expression digne des preuves d'héroïsme qu'ont données les ouvriers espagnols : la révolution communiste. C’est dans ce sens que nous croyons devoir interpréter la phrase de Marx de 1854 quand il disait qu'une révolution qui demanderait trois jours en un autre pays d' Europe, demanderait neuf ans en Espagne.
L'avènement de la république espagnole
Marx, après les événements de 1808 -1814, Engels à propos de ceux de 1873, préconisaient pour l'Espagne, le même système de règles de tactique qu'ils appliquèrent d'ailleurs en Allemagne. Ils conseillèrent aux socialistes des autres Pays, la position consistant à inoculer, au cours des révolutions bourgeoises, le virus de la lutte prolétarienne pour faire évoluer les situations à leur point terminal : la victoire de la classe ouvrière. Mais Octobre 1917 est là pour nous indiquer que la continuation de l'oeuvre de Marx ne consiste point à répéter, en une situation profondément différente, les positions que nos maîtres défendirent à leur époque. En Espagne, comme d'ailleurs dans tous les autres pays, les forces démocratiques de la gauche bourgeoise se sont démontrées être non un échelon pouvant conduire à l'étape de la victoire prolétarienne, mais le dernier rempart de la contre-révolution, Marx, en 1854, écrivait que la Junte Centrale aurait dû apporter des modifications sociales a la société espagnole.
Si elles ne se vérifiaient pas à l'époque, cela est peut-être imputable à des erreurs de tactique, mais la République de 1931 avait une tout autre fonction que la Junte de 1808 : cette dernière avait un caractère progressif, alors que la République a représenté l'arme de la plus féroce réaction contre le mouvement ouvrier. Il en est de même pour les positions de Engels à l'égard de la République de 1873, où il entrevoyait la possibilité, pour un groupe parlementaire ouvrier, d'agir habilement pour déterminer à la fois la victoire de Pi y Margall contre la droite et de déterminer aussi l'évolution de la gauche vers l'adoption des revendications ouvrières. Au sein des Cortes Constituante de 1931 et des autres qui suivirent, le groupe "ouvrier" n'a nullement fait défaut, mais puisque sa base prenait ses racines sur un tout autre terrain social, sur celui ou cela, la signification réelle de la République en tant qu'expression sanglante de la répression ouvrière, le groupe ouvrier ne pouvait être qu'un outil entre les mains de l'ennemi.
Dans les situations nouvelles, le regroupement des prolétaires ne pouvait se faire que sur la base du double appela pour les revendications partielles quant à l'agitation et finales quant à la propagande de la classe ouvrière. Aucune possibilité n'existant pour cramponner les conquêtes partielles de la classe ouvrière à l'expression de la République qui aurait évolué vers une transformation progressive de la société espagnole, et serait devenu favorable aux masses. Les années, 1931-1932-1933 ont connu, en même temps qu'une réaction sanglante contre les mouvements grévistes des ouvriers et des paysans, une évolution toujours plus à gauche du gouvernement passant du bloc Azann-Caballero-Leroux, à l'exclusion des radicaux. L'accentuation à gauche du gouvernement était le signal d'une forte répression anti-ouvrière.
Engels critique avec raison Bakounine et les Alleanzistes de l'époque, lesquels préconisaient la lutte immédiate pour l'affranchissement des travailleurs sur la base de l'extension des mouvements revendicatifs. La position marxiste interdit à la fois de lancer le mot d'ordre : de l'insurrection lorsque les conditions n’ en existent pas, tout autant qu'elle interdit de soulever le mot d'ordre de la lutte pour la République ou pour sa réforme au moment où l'analyse historique prouve que la République est devenue la forme essentielle de domination d'un prolétariat qui se trouve, de part l'évolution des situations historiques, dans les conditions de pouvoir soulever, comme revendication étatique, uniquement la dictature du prolétariat, au travers de l'insurrection et de la destruction de' l'état ennemi.
Ces considération se trouveront confirmées par une analyse rapide des événements de 1931-1932-1933-1934, qui nous parait indispensable pour pouvoir passer à l'examen des situations actuelles et à une indication des positions autour desquelles le prolétariat international et espagnol peuvent faire germer des gestes de gloire des ouvriers ibériques une poussée vers la victoire de la révolution communiste.
Nous avons déjà indiqué que la proclamation de la République n'était, en définitive, qu'une signalisation d'événements bien plus importants et qui devaient jeter dans l'arène de la lutte de classes l'ensemble des ouvriers et des paysans espagnols. Commençons par remarquer que le capitalisme se hâta de fournir à Alphonse XIII le coupon du voyage pour prévenir la grève des cheminots, mouvement qui, parce qu'il aurait paralysé la vie économique, était de nature à avoir des répercussions profondes sur la situation du pays. Il est bien évident que la bourgeoisie espagnole n'avait nullement conscience des situations qui se seraient ouvertes au cours des années 1931-32 et1933 alors qu'en prévision de cela elle aurait eu recours au changement de forme de son régime : de monarchique en républicain. Le capitalisme est condamné à ne jamais pouvoir prévoir les situations qui se produiront : expression même des bases contradictoires de son régime, il ne peut faire qu'une chose : battre son ennemi de classe et donner aux différentes situations la solution qui puisse le mieux convenir à la défense de son privilège. Lorsqu'en Avril 1931, la proclamation de la République a parut une nécessité, la bourgeoisie espagnole n'hésita point a y recourir et ce fut d’ailleurs là une manifestation claire de prévoyance, car, en face de tous les mouvements qui suivirent, il aurait été bien risqué de s'y opposer par les méthodes brutales de la réaction : un appoint était nécessaire et celui-ci a été fourni par les gouvernements de la gauche avec l'appui des socialistes, le groupe le plus nombreux parmi les républicains "fidèles et sincères".
Immédiatement après la fondation du nouveau régime, la vague des grèves déferle dans tous le pays, notamment celles des Téléphones, de l'Andalousie, auxquelles firent suite les autres de Bilbao, de Barcelone (Bâtiment), de Valence, de Manresa, etc. Au cours de tous ces événements, les positions suivantes s'affirment : le gouvernement, présidé par Zamora, s'oriente de plus en plus vers la répression féroce; le ministre de l'Intérieur Maura, qui étendra au sol trente paysans à Séville, répondra aux interpellations que "rien n'arrive" et le vingt octobre de la même année, la "loi de défense de la République" sera votée pour interdire les grèves, pour imposer l'arbitrage obligatoire des conflits du travail au travers des Commissions Paritaires et mettre hors la loi les organisations syndicales qui ne donneraient pas un préavis de dix jours avant la déclaration d'une grève. En même temps, l'Union Générale des Travailleurs Socialistes organisera ouvertement le sarrazinage des mouvements décidés par la Confédération Nationale du Travail (anarcho-syndicaliste), si ce n'est qu'elle arrivera a préconiser la lutte armée contre les ouvriers organisés dans la C.N.T. Et il faut dire que cette politique des socialistes eut un certain succès puisqu'à part de rares occasions où les ouvriers des deux centrales firent cause commune, l'U.G.T. parvient à maintenir au travail ses affiliés. Lorsque cela n’aboutissait pas à l'échec des mouvements ouvriers, ils en étaient rendus extrêmement plus difficiles si ce n'est plus sanglants à cause de l'intervention de la Garde Civile.
De l'autre côté de la barricade se trouvent les syndicats de la C.N.T. autour desquels se polarise la lutte de la classe ouvrière. Mais les positions politiques des anarchistes ne pouvaient nullement correspondre aux nécessités de la situation et bien que ses militants aient souvent fait preuve de grand courage, les dirigeants, au point de vue politique, n'arrivèrent jamais à coordonner un plan d'ensemble susceptible de reconstituer l'unité du bloc ouvrier pour le mener à la victoire contre le patronat. La suite ininterrompue des grèves auxquelles aucune issue n'était préétablie finissait par fatiguer les masses se trouvant toujours dans l'impossibilité d'obtenir une sérieuse amélioration de leur sort, alors que des épisodes désespérés se produisaient en Catalogne et en Andalousie, où des Communes Libres étaient fondées pour l'organisation de la société libertaire. Il est à noter que ces mouvements extrêmes ne rencontraient même pas l'appui solidaire de la direction de la C.N.T., ainsi qu'il en fut le cas pour le délégué de la Commune libre de Figols "qui se rend à Barcelone afin de s'assurer l'appui du prolétariat de cette ville; et il en revient sombre et attristé; il n'avait pu obtenir aucune promesse de soutien pour le mouvement de Figols" ("Révolution Prolétarienne" de Février 1932, reportage de Lazarevitch). Loin de nous l'idée de critiquer la CNT parce qu'elle ne proclame pas encore une fois la grève générale. Si nous avons voulu revenir sur cet épisode, c’est uniquement pour montrer que la politique des dirigeants anarcho-syndicalistes ne pouvait aboutir qu'à embouteiller le mouvement général des ouvriers espagnols dont certains détachements étaient emportés vers des gestes désespérés réprimés avec cruauté avec l'appui inconditionné des socialistes.
La gamme des événements de 1931-32-33 nous présente donc un gouvernement de gauche s'appuyant solidement sur l'UGT alors que la classe ouvrière n'a d'autre position de défense que celle de confier son sort à la C.N.T. Ce point essentiel concernant le rôle de la C. N.T. et qui n'est nullement particulier aux seules années dont nous parlons, doit porter les communistes à examiner si, à l'envers des autres pays où le mouvement communiste a trouvé sa source dans les organisations syndicales et politiques socialistes, issues de la lutte et de la scission avec les anarchistes, en Espagne, par contre, il ne vérifiera pas que le mouvement syndical évoluant vers le communisme trouvera sa source dans les syndicats de la C.N.T. aussi bien que dans ceux de là U.G.T.
Les anarchistes qui n'avaient pas un plan d'ensemble pour les grandes batailles de classe qui se déroulaient, étaient dans le domaine politique en un état de confusion totale : bien qu'hostile à la République, à "tous" les partis, ils ne luttaient pas contre les mouvements séparatistes de l'extrême gauche bourgeoise ce qui déterminait évidemment les masses à reporter leur confiance sur ces mouvements d'où ont surgi des épisodes de courage indiscutables, mais qui ne peuvent avoir aucun rapport avec les intérêts de la classe ouvrière.
Sur le plan gouvernemental, ainsi, que nous l'avons dit, le glissement à gauche se faisait, au rythme correspondant à 1'extension des mouvements grévistes, mais la répression sévissait férocement et l'on en a arriva jusqu'à déporter des militants anarchistes. Déjà en août 1932, une manoeuvre en sens inverse se dessinait de la part de, la bourgeoisie; Sanjurjo tente, un coup de main à Madrid et à Séville et précédemment les élections supplétives de juin à Madrid marquent un succès pour le fils de Primo de Ridera. La conjuration de Sanjurjo échoue, la République est sauvée et les ouvriers en janvier 1933 à Barcelone, Valence, Cadix et en mai à Malaga, Bilbao, Saragosse, sentiront par les balles de la Garde Civile ce que leur en coûte de ne pas parvenir à diriger leurs coups contre la gauche bourgeoise au même titre que contre la droite.
Le 8 septembre 1933 AZMA donne sa démission et après un interrègne de 23 jours du gouvernement Leroux, Martinez Barrios procède à la dissolution des Cortès et cela, semble-t-il, en violation de l'article 75 de la constitution. Ce même Barrios, qui fut chargé de réaliser le passage de la gauche vers la droite en 1933, eut la même charge au début des événements actuels, mais cette fois-ci sans pouvoir y parvenir. Et c'est ainsi que se clôtura la première phase de la République Espagnole. Il s’agit de préciser un point qui aura une valeur pour ce qui concerne les derniers événements également. L’on est porté à considérer la République, aussi bien que les gouvernements de gauche, comme un fruit de la classe ouvrière, un fruit imparfait il est vrai, mais toujours une expression de la classe ouvrière en éveil. En même temps la bourgeoisie, en face des masses qui reprennent leurs luttes, qui n'aurait rien d'autre à faire que de confier son sort à un gouvernement de gauche. Enfin le personnel de cette gauche se tromperait deux fois : d'abord quand il se confie à la bourgeoisie qui se débarrassera de lui au moment opportun, ensuite de croire que les ouvriers, se contenteront de ses phrases et renonceront à la lutte pour les revendications qui leur sont propres. A notre, avis il ne peut nullement s'agir pour expliquer les événements politiques de la volonté de telle ou telle autre formation bourgeoise, mais il faut expliquer le rôle que jouent dans la lutte des classes, des institutions données en l'occurrence la République.
Or la République apparaît comme la forme spécifique de la répression antiouvrière, la forme qui correspond le mieux aux intérêts du capitalisme puisqu'elle peut ajouter à la répression sanglante l'appoint qui est représenté par l'U.G.T. et le parti socialiste. On pourrait objecter que le capitalisme aurait pu recourir à une autre forme de gouvernement et que s'il ne l'a pas fait, c'est uniquement parce que la pression des ouvriers l'obligeait à une conversion vers la gauche. Ce genre de discussion hypothétique n'a pas grand intérêt pour nous et nous semble même inconcluant, mais ce qui nous paraît être l'essentiel c'est que le capitalisme doit être combattu dans la forme gouvernementale qu'il se donne, la droite comme la gauche. Et les bases de classe, la lutte autonome et indépendante du prolétariat permettent de sortir du dilemme droite-gauche bourgeoise et de ne pas favoriser la droite quand on lutte contre la gauche, comme inversement de ne pas appuyer la gauche quand la lutte est menée contre la droite. La République Espagnole est ce qu'elle est et non pas ce que l'on aurait voulu qu'elle soit. Sa fonction de brutale opposition aux intérêts ouvriers prouve à l'évidence que sa source se trouve uniquement dans le camp bourgeois et que les ouvriers qui sont tombés sous les balles de la République ne doivent point souffrir l'affront d'en avoir été les porteurs, d'en avoir conçu la victoire.
Avant d'entamer l'examen de la situation actuelle au sujet de laquelle nous traiterons d'abord de la question agraire, il nous faudra dire quelques mots sur les événements de 1934, sur l'insurrection aux Asturies. La place nous manque pour traiter de cet événement d'une importance colossale et force nous est de nous borner en indiquer seulement la signification. Après les élections de droite et la répression violente de la grève de novembre 1933, les situations évoluent graduellement et progressivement avec la prédominance de la C.E.D.A., et le retour des forces qui avaient été écartées lors de l'avènement de la République. Les socialistes font une brusque conversion à gauche et reprennent contact avec des ouvriers dont ils dirigent même les grèves. En octobre 1934, en réponse à la constitution du gouvernement Lerroux avec quatre représentants de la CEDA, la grève générale est proclamée. Ses dirigeants évidemment ne se doutaient point de 1'extension qu'elle aurait prise dans les milieux les plus éprouvés de la classe ouvrière espagnole, des mineurs d'Asturie condamnés à des salaires de famine et qui voyant leurs dirigeants donner l'ordre du mouvement croient que l'heure enfin a sonné où, au contraire de ce qui était arrivé en 1932, lorsque 1'U.G.T. sabotait les agitations, il sera enfin possible de conquérir de moins misérables conditions de vie. L'insurrection reste malheureusement isolée et après l'écrasement violent, c'est tout au cours de l'année 1935 une action continuelle de répression contre la classe ouvrière, répression qui s'exerce par la voie légale, et par le recours aux formes extrêmes de la persécution.
Fin 1935, comme fin 1933, les problèmes insolubles de la situation espagnole arrivent à un nouveau noeud : la manifestation de Madrid de glorification de Azana marque qu'un nouveau tournant va s'ouvrir et en février 1936, c'est la victoire, électorale du Front Populaire.
Le problème agraire.
Nous nous sommes appliqués à démontrer que la proclamation de la République, en 1931, ne pouvait être placée sur un des deux plans classiques sur lesquels nous, sommes habitués à expliquer ces événements dans les autres pays : il ne s'agissait point d'une phase de la lutte de la bourgeoisie passant à l'attaque de la vertèbre féodale de l'économie agraire, puisque le capitalisme s'étant formé depuis des siècles en Espagne, justement sur l'adaptation de cette structure économique à une vie parasitaire rendue possible par l'extension des territoires contrôlés. Il ne s’agissait pas non plus d'une forme de résistance de la bourgeoisie à une attaque révolutionnaire du prolétariat, celui-ci se trouvant — à cause de la position de décadence putréfiée de ce capitalisme — dans l'impossibilité de faire jaillir d'un milieu social extrêmement bigarré son parti de classe, le seul personnage historique pouvant agir pour la victoire communiste, La République de 1931 représente donc une expression anticipée des formidables convulsions sociales qui éclateront immédiatement après et qui, du fait de 1'isolement du prolétariat espagnol au point de vue international, seront condamnées à choir en une tragique impasse. Il en sera de même pour la victoire du Front Populaire de février 1936. Mais, avant de considérer les événements actuels, il nous faudra parler rapidement de la question agraire et des questions économiques, ce qui nous permettra de constater que la gauche, l'extrême gauche, tout aussi bien que la droite et l'extrême droite bourgeoise, se sont trouvées dans l'impossibilité d’apporter une solution à ces problèmes dont le vacarme des réformes politiques projetées ne fait que cacher l'impossibilité où se trouve le capitalisme de modifier les bases économiques de la société espagnole. Le prolétariat, et lui seul, représente la classe capable de modifier la base même de l'économie espagnole et en dehors de cette modification aucune solution ne reste possible.
Tant au point de vue agraire qu'industriel, l'Espagne peut se partager en gros en deux parties, dont l'une, la moins étendue, est composée de formes de cultures et d'industries du type de celles formant l'assiette de la domination du capitalisme dans les autres pays. L'autre partie, par contre, est constituée par les immenses étendues de terre non cultivables en partie et où les paysans et ouvriers agricoles sont condamnés à une vie extrêmement misérable. Les paysans du littoral de l'Est sont soumis aux exactions fiscales d'un pouvoir central qui ne peut subsister qu'à la condition de mettre ces propriétaires dans l'impossibilité de réaliser des prix rémunérateurs pour leurs produits qui doivent être exportés à des conditions avantageuses pour battre la concurrence internationale. Les petits propriétaires seront obligés de vendre leurs produits n'importe comment, car il leur faut immédiatement des capitaux pour continuer à cultiver les terres. Les grands propriétaires prendront, eux aussi, une position d'hostilité envers l'Etat centralisateur qui ne Leur rapportera, en échange des fortes contributions fiscales à payer, aucun avantage sérieux. C'est là le terrain où germent les mouvements séparatistes qui s'étendent d'ailleurs aux autres parties de l'Espagne, au plateau central, où les grands propriétaires terriens soutirent aux paysans condamnés à l'esclavage, des rentes qui sont immédiatement dirigées vers les grandes banques et ne seront jamais utilisées pour défricher les terres ou acheter des machines agricoles, sans quoi aucune possibilité n’existerait de mettre en valeur ces terres. Dépecer ces immenses propriétés, c’est compliquer davantage le problème, car la culture mécanique ne peut se faire sur la base parcellaire, mais exige une grande étendue de terrain soumise à une direction unique. Nous avons déjà dit que les grands propriétaires n'ont d'autre rapport avec leurs terres que ceux tenant à l'encaissement de leurs rentes et ce en s'appuyant sur une hiérarchie de fermiers et sous-fermiers qui rendent encore plus angoissantes l'exploitation des paysans et des ouvriers agricoles. Ces grands propriétaires ne songent même pas à investir leurs capitaux dans les terres et ils ne voient évidemment pas d'un mauvais oeil une intervention étatique, qui accroisse leur puissance en les "expropriant" de terres dont le rendement est minime. La transformation de l'économie agraire est uniquement possible par son industrialisation et celle-ci ne peut être réalisée que par le prolétariat victorieux.
Pour l'industrie, nous assistons à des phénomènes analogues. Les mines de charbon des Asturies sont d'un rendement pauvre et les ouvriers sont forcés d'y travailler à des conditions de famine analogues à celles des ouvriers d'Andalousie et de l'Estremadure, tandis que les riches mines de minerai qui sont partiellement sous le contrôle de capitalistes étrangers, ne produisent que pour l'exportation. L'industrie de transformation de Catalogne, pour ce qui la concerne, ne sera pas acheminée vers le marché intérieur qui, par la capacité d'achat extrêmement réduite des masses, est incapable d'absorber ses produits mais travaillera presque exclusivement pour 1’étranger. Bien sûr, les données existent pour trouver, au sein même de l'Espagne, les éléments pour résoudre le problème économique. A cet effet, l'on peut même dire que les engrais nécessaires à la culture et à la mise en valeur des terres existent dans le pays. Mais cette transformation n'est possible qu'à la condition de bouleverser de fond en comble toute la structure sociale, d'extirper ce capitalisme parasitaire et d'y substituer la direction consciente du prolétariat agissant pour la construction, de la société communiste.
Lors de 1'avènement de la République, aussi bien, d'ailleurs, qu'après la victoire du Front Populaire, beaucoup de bruit a été fait autour de la réforme agraire, mais il s'agissait toujours de mesures destinées à agir sur le plan politique (expropriation et redistribution des terres). Cependant, puisque la solution ne peut pas être trouvée qu'au travers de l'industrialisation des terres, les projets étaient destinés à s'évanouir alors que les masses déchaînait des mouvements au terme desquels aucune amélioration réelle ne pouvait être conquise.
Certes, il y a une différence, entre les programmes économiques de la droite et de la gauche. La première agissant pour le maintien rigoureux de la structure sociale spécifique de 1'Espagne, la seconde voulant agir sur les manifestations extérieures juridiques et politiques de cette structure. Mais, puisque ni l'une ni l'autre ne peuvent aborder le fond du problème il est inévitable que les masses, voyant qu'aucune solution n'est donnée à leurs problèmes, traversent, après des périodes de luttes désespérées, d'autres périodes de découragement qui seront habilement exploitées par la droite qui au moins, assure sans discontinuité l'exploitation capitaliste que la gauche compliquera en faisant croire, que, sous sa direction, des possibilités de lutte existent, qu'une réforme vaêtre appliquée à la condition, toutefois, de combattre les grands propriétaires qui resteront toujours debout parce que la base même de l'économie espagnole ne sera nullement transformée. La République de 1931, aussi bien que le Front Populaire de 1936, ont agi dans la même direction et il n'est pas étonnant qu'en 1934 les conditions sociales se soient présentées pour permettre une victoire de la droite agraire, qu'en juillet 1936, Franco ait pu trouver dans les campagnes un écho favorable.
La genèse des événements actuels.
En avril 1936, une première escarmouche se vérifiera, à l'occasion des manifestations pour l'anniversaire de la République une "révolte" (pour nous servir de la terminologie du Front Populaire) éclate, à la suite de quoi des mesures de rigueur seront édictées par le gouvernement : Azana déclara à l'époque que "le gouvernement a pris une série de mesures, on a éloigné ou déplacé les fascistes qui se trouvaient au sein du commandement. Les droites sont prises de paniques, mais elles n'oseront pas relever la tête", (voir "Humanité" de 26 avril 1936). Au débat qui eut lieu aux Cortes, le porte-parole des centristes, en accord parfait avec ses compères socialistes, votera la confiance au gouvernement qui s'est engagé à dissoudre les "factions". Et 1'"Humanité" félicitera ce dernier pour sa lutte courageuse, Les promesses d'une réforme agraire se font alors plus précises, l'on parle de l'article 44 de la Constitution qui prévoit la nationalisation sans indemnités, Azana déclare que l'on ne devra pas s'arrêter à la distribution des domaines communaux, qu'il faudra envisager le partage de"baldios", les terrains, en friche que les grands propriétaires destinent uniquement à la chasse. Enfin il ne faut pas exclure la distribution des grands domaines en état de culture aux paysans. Entre temps le mouvement de gauche au sein du parti socialiste s'accuse : l’assemblée madrilaine du 23 avril se prononce pour la dictature du prolétariat et à la veille des derniers événements, une scission paraissait inévitable. Deux mois et demi sont passés après les événements d'avril, les masses qui avaient attendu une modification de leur sol, sont démoralisées à nouveau, c'est le moment que les droites croient propice, ces droites qui "n'oseraient pas relever la tête", déchaînent leur attaque prenant prétexte du meurtre du chef monarchiste Sotelo, qui avait été tué en représailles à 1'assassinat du lieutenant Castillo, Il s'agit maintenant non point d'analyser des événements sur lesquels les informations sont les plus contradictoires, mais de les expliquer, d'en indiquer la signification afin de préciser les positions de classe autour desquelles le prolétariat espagnol et international peuvent se regrouper pour empêcher qu'encore une fois l'impasse cruelle où se trouvent : les masses ne les jette à nouveau dans la démoralisation et que le capitalisme n’en profite pour une saignée qui représenterait un nouveau pas vers la mobilisation des travailleurs de tous les pays pour la préparation du conflit mondial. Nous nous bornerons surtout à préciser des positions politiques, nous réservant de passer à une analyse détaillée des événements lorsque les conditions le permettront.
La signification de la bataille en Espagne
La conception, partant de cette considération qui estime que puisque le capitalisme est à la tête de la société actuelle, il serait possible d'établir une discipline sociale lui permettant de diriger les événements à sa guise, cette conception n'a aucune correspondance avec la réalité politique et historique qui fait de la société capitaliste un milieu contradictoire par excellence où fermentent non seulement les contrastes fondamentaux de classe, mais aussi les oppositions entre les différentes couches intermédiaires, entre ces dernières et la bourgeoisie et enfin les rivalités entre groupes et individualités capitalistes. Bien sur la bourgeoisie voudrait régner dans la paix sociale, mais cette tranquillité lui est interdite par les bases même de son régime. Aussi force lui est de s'accommoder de toutes les situations et de se borner à y intervenir non pour éviter la manifestation des contrastes sociaux, mais pour faire refluer ces derniers vers le maintien de sa domination, vers la rupture de l'attaque prolétarienne, tendant à la destruction de son régime. Toutefois il ne faudrait pas en conclure que ces oppositions peuvent ébranler et menacer la vie et les bases du système. En dépit des apparences nous ne retrouvons pas la lutte que se font les militaires et le front populaire dans l'opposition de leurs programmes politiques où des couches sociales capitalistes quelle représente. Il serait d'ailleurs bien difficile de reconnaître d'un côté le bloc des industriels derrière Azana, dont le front comprend même des anarcho-syndicalistes et de l'autre côté, derrière Franco, les grands propriétaires terriens qui peuvent exploiter la désaffection des masses paysannes à l'égard du front populaire et affermir leur domination en Andalousie, en Estrémadure, des régions qui furent le théâtre de soulèvements puissants également sous la République,
Les événements sociaux sont déterminés par des antagonismes se reliant au contraste surgi entre l'évolution des forces de production et la forme de 1' organisation sociale existante. Ce qui plane aujourd'hui sur l'Espagne c'est 1'antithèse historique entre un régime bourgeois condamné à ne pas pouvoir donner de solution aux problèmes économiques et politiques qui se posent devant lui et un régime prolétarien qui ne peut pas poindre faute d'un parti de classe. Droite et gauche bourgeoise expriment les convulsions d'une société capitaliste clouée dans une impasse, mais la lutte de ces deux courants de la bourgeoisie n'est pas limitée à leur zone respective, elle englobe le prolétariat lui-même parce qu'en définitive, c'est uniquement ce dernier qui détient la clé de l'évolution historique. L'alternative ne réside point entre Azana et Franco, mais entre bourgeoisie et prolétariat; que l'un et l'autre des deux partenaires soit battu, cela n'empêche que celui qui sera réellement vaincu sera le prolétariat qui fera les frais de la victoire d'Azana ou de celle de Franco. Loin de pouvoir rester indifférent aux événements actuels, parce que la lutte se déroulerait entre deux fractions de la bourgeoisie, le prolétariat a pour devoir d'intervenir directement dans les situations parce que lui seul est l'enjeu des batailles et lui seul sera la victime des luttes actuelles.
Trotsky, dans son étude sur la "révolution espagnole, mit en évidence le caractère particulier de l'armée espagnole: où la spécialisation des corps correspondait à une diversification de positions politiques, l'artillerie par exemple prenant toujours une position d'avant-garde sur l'échiquier social...Cette remarque profondément juste de Trotsky nous permet de comprendre que si l'armée en Espagne détient une position particulière et n'est pas au dessus de la mêlée ou à l'écart de la lutte, que se livrent les partis politiques de la bourgeoisie : cela dépend de la structure sociale espagnole; où le capitalisme a pu ne pas briser par la violence, mais, s'identifier avec la persistance de la toile sociale, du féodalisme Rien, d'étonnant si les vedettes des batailles sociales d'envergure que nous vivons soient des généraux et que ces derniers trouvent la possibilité de jouer un rôle politique considérable. Cette remarque nous la faisons pour mettre en évidence que la sédition militaire ne relève point de phénomènes intérieurs à l'armée et pouvant se conclure par un rapide pronuncamiento qui, s'il ne réussit pas les tous premiers jours, est voué à un échec certain, mais qu'il s'agit d'une lutte sociale dont d'ailleurs nous avons indiqué les éléments quand nous avons parlé de l'activité sociale du gouvernement de Front Populaire et de la déception qu'il avait apporté parmi les masses des travailleurs et paysannes surtout.
Tout comme lors de la proclamation de la République qui fut le signal annonciateur des formidables événements de classe qui suivirent, il est à prévoir que l'éclosion de la lutte actuelle entre le Front Populaire et les généraux, n'est en définitive que le camouflage d'une lutte sociale bien plus importante et qui mûrissait dans le sous-sol de là société espagnole démantibulée par le double anachronisme d'un capitalisme impuissant a apporter la moindre solution, aux problèmes que la situation pose, d'un prolétariat qui ne parvient pas à fonder son parti de classe et qui est tout aussi impuissant à jeter l'épée de sa révolution dans un milieu social hérissé de contrastes sans issues.
La classe prolétarienne, qui fut jetée, par les situations, dans des luttes épiques au cours des années 1931-33, se trouvait sans doute à l'aube du nouveau soulèvement dont l'ampleur aurait été d'autant plus puissante que la crise économique avait aggravé les problèmes fondamentaux qui n'ont reçu d’évolution ni de là part des gouvernements de gauche, ni de ceux de droite qui se suivirent en 1934-35, ni, enfin, de la part du gouvernement de Front Populaire. Il y eut bien la réaction légale qui dura toute l'année 1935 après là défaite de l'insurrection des Asturies, mais cette répression ne prouvait pas suffire à écarter le prolétariat de la scène sociale : la classe ouvrière était à nouveau jetée dans l'arène par la vigueur accentuée que prenaient les questions économiques auxquelles aucune solution n'avait pas pu être apportée. C'est ici, qu'à notre, avis, se trouvé l’explication des événements actuels. Il faudra tout d'abord remarquer que la première réaction du gouvernement de Front Populaire à la sédition du Maroc consista en une manoeuvre tendant a établir un compromis avec Franco. Lorsque Quiroga démissionna, ce fut pour donner un premier gage à la droite, car on attribuait à ce Président du Conseil une phrase que l'on interprétait comme un encouragement de l'expédition punitive contre le monarchiste Sotelo.
Immédiatement après, ce fut Barrios ; le même qui, fin 1933, réalisa 1a conversion du régime de la gauche vers la droite et présida aux élections d'où surgit la victoire de la droite, qui essaya de constituer un ministère, ce même Barrios qui, après l'assassinat de Sorelo, déclarait que la situation était devenue impossible parce que les corps réguliers de la Garde Civile, pouvaient organiser des attentats. La tentative du compromis échoua, mais cela ne signifie point qule gouvernement emprunta directement, le chemin de l'armement des ouvriers, Giral essaya, dès la constitution de son cabinet de canaliser les masses derrière de vagues proclamations antifascistes et les bureaux d'enrôlement furent constitués quand il était déjà évident que les ouvriers des villes industrielles auraient opposé une réaction vigoureuse et seraient passés à la lutte armée. Une fois que cette dernière était devenue inévitable, la bourgeoisie sentit que la seule voie de son salut consistait dans la légalisation de cet armement. Cette légalisation juridique de l’armement ouvrier représentait la seule condition pour le désarmement politique des masses. Celles-ci incorporées dans l'Etat, le danger était écarté que les ouvriers profitent de l'emploi de l'instrument illégal par excellence, l'assaut de la forteresse sociale du capitalisme.
L'on pourrait supposer que l'armement des ouvriers contient des vertus congénitales au point de vue politique et qu' une fois matériellement armés, les ouvriers pourront se débarrasser des chefs traîtres pour passer aux formes supérieures de leur lutte. Il n’en est rien. Les ouvriers que le Front Populaire est parvenu à incorporer à la bourgeoisie puisqu'ils combattent sous la direction et pour la victoire d’une fraction bourgeoise, s'interdisent par cela même, la possibilité d'évoluer autour des positions de classe. Et ici il ne s'agit point de batailles débutant sous la direction de formations bourgeoises et qui peuvent évoluer sur les bases prolétariennes parce qu'à leur origine se trouvaient des revendications de classe. Ici il s'agit bien de ceci : les ouvriers prennent parti pour une cause qui n'est pas seulement la leur, mais qui s'oppose foncièrement à leurs intérêts. Et point n'est besoin de réfuter l'argument vulgaire des responsabilités éventuelles des ouvriers ou des capacités démoniaques des traîtres. Pour nous les ouvriers se trouvent dans 1'impossibilité de déterminer, autrement que par une minorité de leur classe forgeant le parti, les bases sur lesquelles la victoire sera possible et cela à cause dé 1'oppression que fait régner le capitalisme qui les exploite, les abrutit, leur enlève toute possibilité de se former une conscience de la réalité sociale et des voies à emprunter pour arriver à la victoire. Les masses, dans leur ensemble, peuvent arriver à une conscience parfaite de leur rôle mais cela dans des circonstances particulières nées d'événements historiques, lors des révolutions et c'est à ce moment que la maturation de leur conscience permettra la victoire sous la direction du parti de classe. Les ouvriers ne luttent jamais, de leur propre volonté, pour les traîtres, en l'espèce pour le Front Populaire; ils croient toujours se battre pour la défense de leurs intérêts et c'est uniquement le degré intermédiaire de la tension des situations qui permettra aux traîtres de coller aux luttes des masses un drapeau qui ne leur appartient, pas le drapeau de l'ennemi.
Tel qu'ils se sont embranchés, les événements semblent devoir exclure l'éventualité que les prolétaires espagnols arrivent à définir une frontière de classe dans les situations qu'ils vivent. Fort probablement nous assisterons à des exploits héroïques du type de ceux de 1932 ou du type encore plus avancé, mais, malheureusement, il ne s'agira là que d'un tumulte social, sanglant, incapable d'atteindre la hauteur d'un mouvement insurrectionnel. La documentation sur les événements est - au moment où nous écrivons cet article - absolument inexistante, mais ce qui nous permet de préciser les positions politiques que nous indiquons, c'est la disproportion énorme qui existe entre 1'armement de larges masses ouvrières et les bien rares épisodes d'une lutte de classe. Tout dernièrement, nous avons pu lire des appels, qui semblent d'ailleurs avoir été écoutés, des socialistes et des anarcho-syndicalistes engageant les ouvriers à reprendre le travail pour assurer la victoire gouvernementale.
Les considérations qui précèdent nous permettent d'affirmer que, même dans la seconde phase des événements, lorsqu'il s'agira de procéder au désarmement matériel des ouvriers, les perspectives révolutionnaires ne s’ouvriront malheureusement pas. Au cas d' une victoire gouvernementale, il sera facile de réduire les îlots de résistance des ouvriers qui ne voudraient pas rendre les armes et de les massacrer, comme le firent les gouvernements ZAMORA et AZANA-CABALLERO, en 1931-32, alors que les masses, dans leur ensemble, seront plongées dans l’ivresse de la victoire anti-fasciste, dans l'hypothèse opposée d'une victoire delà droite, les nouvelles qui nous, parviennent des zones occupées par les généraux prouvent bien comment on si prendra pour massacrer les ouvriers révolutionnaires.
Les considérations que nous avons exposées pourraient nous faire taxer de pessimistes. Les questions de l'optimisme ou du pessimisme n'ont d'intérêt pour les marxistes que si elles sont basées sur des positions de classe. Ainsi, le plus grand pessimiste prolétarien est certainement celui qui ergote le plus sur les perspectives révolutionnaires qui s'ouvrent sur la direction du Front Populaire, parce qu'il manifeste le pessimisme le plus noir quand au programme, prolétarien et le rôle historique des ouvriers. Par contre, le plus grand optimisme est celui qui se base uniquement sur la politique du prolétariat et exprime non seulement de la méfiance mais un opposition sans quartier contre les traîtres même lorsqu'ils se dissimulent sous le masque écarlate de l'armement des ouvriers. Il est connu que Marx qui, après une analyse historique de l'époque, était hostile aux insurrections en 1870 (voir lettre à Kugelman), leva l'étendard de la défense de la Commune contre tous ses détracteurs démocrates ou ses assassins républicains et réactionnaires. C’est que la lutte du prolétariat ne peut pas suivre le schéma préétabli par l'académicien, mais résulte du cours contradictoire de l'évolution historique. Les événements actuels en Espagne tout antiéconomiques qu'ils puissent apparaître au révolutionnaire de chaire, n'en sont pas moins, une marche dans le chemin de 1'émancipation du prolétariat mondial. Non en vain lés héros ouvriers seront tombés, non en vain, les femmes et les jeunes filles espagnoles auront écrit des pages de gloire où, bien au delà de toutes les proclamations du féminisme, se trouvent consacrées les revendications des exploitées qui donnent l'accolade aux ouvriers pour "monter à l'assaut du ciel" (Marx).
Mais à part cette considération ayant trait aux répercussions ultérieures des événements actuels, il s'agit d'indiquer sur quelle base ils pourraient évoluer pour déboucher sur la victoire prolétarienne, et sur quel terrain le groupement prolétarien pouvant prétendre au rôle de forgeron du parti de classe, doit se battre dès maintenant. Le dilemme pour ou contre le Front Populaire, tout séduisant qu'il puisse apparaître dans les circonstances actuelles, la hantise d' une victoire de la droite qui passerait à l'extermination des ouvriers, toute justifiée qu'elle puisse être pour des militants qui ont connu la répression féroce du fascisme, ne peuvent nous faire oublier que le prolétariat ne peut se poser le problème dans ces termes, car c'est le capitalisme qui reste le seul arbitre de choix de son personnel gouvernemental.. La seule voie de salut pour les ouvriers consiste dans leur regroupement sur des bases de classé : pour des revendications partiel1es pour défendre leurs conquêtes en même temps qu'ils se .baseront sur la force de persuasion,des événements eux-mêmes pour soulever comme seule solution gouvernementale possible celle de la dictature du prolétariat, pour lancer ce mot d'ordre de 1'insurrection lorsque les conditions favorables auront mûri .Une telle définition du problème peut, certes, affaiblir la cohésion et les possibilités de succès du gouvernement de Front Populaire, mais l'éventuelle victoire de la droite, qui pourrait en résulter serait sans lendemain, car la force du prolétariat se serait enfin constituée et la barrière serait dressée pour briser une fois pour toutes les forces de la réaction capitaliste, en évitant que, comme en Italie et plus particulièrement en Allemagne, les socialo-centristes fassent le lit de la répression sanglante de la droite. Cette position n'a évidemment rien à voir avec celle que défendirent en 1924 les centristes en Bulgarie et qui consistait à rester indifférents devant une lutte où s'affrontaient deux forces bourgeoises. Nous avons expliqué que le fond du conflit ne réside pas entre France et Azana, mais entre la bourgeoisie et le prolétariat, et nous en concluons par la nécessité pour le prolétariat d'intervenir avec impétuosité dans les situations actuelles, mais sur des bases de classe et uniquement sur elles.
Au point de vue international, les manifestations de solidarité des ouvriers des autres pays ne peuvent se relier avec le développement de la lutte du prolétariat espagnol qu'à la condition de rompre avec le Front Populaire qui prêche 1'intervention des armées en vue de faire échec aux manoeuvres des fascistes, ce qui représente un excellent terrain de mobilisation des masses pour la guerre. Ces manifestations de solidarité ne peuvent aboutir que "si" elles sont des mouvements se dirigeant simultanément contre les bourgeoisies respectives. C'est dans ce sens que notre fraction essaie de travailler parmi l'émigration italienne.
Enfin l'alerte sanglante d'Espagne où les ouvriers tombent pour les intérêts du communisme, même s'ils se trouvent sous la chape du Front Populaire, est un nouvel avertissement aux communistes de gauche de différents pays en vue de passer à la constitution d'un centre international où par une discussion approfondie des expériences des dernières années, les conditions seraient réalisées pour construire les prémisses de la nouvelle internationale de la révolution. Cette tragique signalisation que représentent les cadavres des ouvriers espagnols, sera-t-elle la dernière et auront-nous ensuite la guerre ? Mais même si le capitalisme pouvait encore retarder la cruelle échéance, rien n'expliquerait l'inertie qu'offrent différents groupements de la gauche communiste aux initiatives de notre fraction pour aborder l'oeuvre d'éclaircissement politique et pour asseoir sur des bases de fer l'organisme qui pourra diriger les luttes de la classe ouvrière pour la victoire de la révolution mondiale.
A la suite d'une erreur technique les Thèses sur la situation au Portugal sont incomplètes. En effet il leur manque l'introduction écrite au moment de leur adoption, le 01/11/75.
INTRODUCTION
Depuis le 21 septembre où ces thèses ont été écrites? L’évolution do la situation au Portugal a confirmé l'analyse qu'elles contiennent.
1° L'incapacité pour le gouvernement Azavedo de faire face à la crise économique? Sociale, politique et militaire traduit l'épuisement? Souligné dans les Thèses, des formules classiques de gestion de l'Etat "bourgeois? D’encadrement et de mystification de la classe ouvrière. Elle rend d'autant plus indispensable la mise sur pied d'une solution prenant pour axe les fractions los plus "gauchistes" de l'année, en particulier celles s'appuyant sur le COPCGH et utilisant les différents organes tels que les Commissions de travailleurs et de quartiers comme instruments d'encadrement de la classe, ouvrière.
2° Le fait que les seuls succès obtenus par le 6ème Gouvernement provisoire se situent sur le plan de 1’obtention d'une aide de la CEE et des USA alors que sur le plan intérieur celui-ci est encore plus inapte que le 5ème à stabiliser la situation, confirme que la crise de l'été soit momentanément et principalement dénouée sur des problèmes de politique étrangère. Le choix du principal protagoniste de l'offensive contre la fraction pro-PC de l'armée, Melo Antunos comme ministre des affaires étrangères n'est pas fait pour démentir cette vision.
L'élément nouveau étant survenu depuis cotte date? Et qui s'inscrit dans la perspective tracée par les thèses, est l'apparition des S.U.V. et des Comités de soldats qui, bien qu'expression de la décomposition de l'ensemble du corps social, ne constituent en rien à l'inverse des Comités de soldats de 1917-19, une manifestation révolutionnaire de classe. Bien au contraire, ces organes sont essentiellement un instrument de "démocratisation" de l'armée devant lui permettre de mieux exercer son rôle de répression contre, la classe ouvrière.
PRESENTATION
Ces thèses ont été écrites le 21 Septembre 1975 et leur introduction ainsi que les points 6 et 8 de la dernière thèse datent du 1e Novembre. Depuis cette date sont intervenus, au Portugal, des événements importants qui semblent, à première vue, démentir totalement la perspective tracée. En effet depuis le 25 Novembre, à la suite d'une mutinerie des parachutistes de Tancos, fraîchement convertis à la politique "gauchiste", on a assisté à une vigoureuse "reprise en main" qui s'est traduite par l'élimination totale des rouages de l'Etat de la fraction qui est présentée dans les thèses comme la plus apte à diriger la défense du capital national portugais : la fraction COPCON-CARVALLO. En fait, le limogeage de Carvallo, Fabiao, Cdutinho, l'arrestation de Dinis, de Almeda etc., signifient que l'extrême gauche a perdu ce qui constituait son point fort : le contrôlé des forces de répression et d'intervention. Bien que le sixième gouvernement reste pratiquement inchangé, c'est la droite, qui gouverne maintenant au Portugal dans la mesure où, dans ce pays, c'est l'armée qui exerce l'essentiel du pouvoir. Le fait que ce soient des corps d'extrême droite comme les commandos d'Amadora et la Garde Nationale qui aient "rétabli l'ordre", le 26 Novembre et soient depuis chargés de la répression indique qu'elle est la véritable coloration du pouvoir politique actuel. Le retour en force d'officiers spinolistes aux postes laissés vacants par les "gauchistes" démis ou emprisonnés, la libération d'un nombre important d'agents de l'ex PIDE confirment cette indication.
Donc, ce que démontre clairement la situation présente, c'est la validité de l'idée essentielle des thèses : "du point de vue" des rouages politiques de gestion de la société et d'encadrement de la classe ouvrière, l'expérience portugaise signe l'échec de la" démocratie" classique..." (Thèse N°4). En effet, cette dernière, représentée essentiellement par le PS et le PPD qui dominent aussi bien la Constituante que le gouvernement Azevedo, a besoin, pour asseoir son pouvoir, du concours de l'extrême droite, ce qui lui retiré toute possibilité de mystification de Ta classe ouvrière et de contrôle de celle-ci autre que la répression ouverte.
Au Portugal, la crise, tant économique que politique, est tellement catastrophique qu'il n'existe pas de voie moyenne pour l'affronter. Pour contraindre la classe ouvrière a accepter les terribles sacrifices seuls capables d'empêcher une banqueroute totale, les solutions extrêmes sont seules envisageables: une répression d'extrême droite à la Pinochet, immédiate et ouverte, préconisée par. Spinola et Jaime Néves chef des commandos, ou bien la solution d'encadrement "gauchiste" définie par le document du COPCGW d'Août 1975.
Pour le moment, c'est la première solution qui .semble prévaloir. Mais le Portugal n'est pas le Chili. Il ne s'agit pas d'un pays "lointain" et "exotique" où on peut se permettre de massacrer sans problème, des dizaines de millier de travailleurs : le prolétariat du Portugal "est autrement plus puissant que celui du Chili et, d'autre par£ la bourgeoisie européenne n'est pas prête à accepter qu'.une guerre civile prématurée ne vienne dévoiler le véritable enjeu de la lutte de classe aujourd'hui. C'est pour cela, et bien qu'une erreur grossière de la bourgeoisie soit toujours possible, que la solution politique qui prévaut en ce moment au Portugal, ne devrait pas se prolonger très longtemps. Avec la reprise de "la, lutte prolétarienne qui depuis l'été, avait été paralysée par l'écran de" fumée d'une "alternative gauchiste" et qui ne manquera pas de se développer face à l’"austérité" aujourd'hui mise en; place, sera de nouveau à l'ordre du jour, pour la bourgeoisie portugaise, l'utilisation de ses formes les plus "radicales" de gouvernement, seules aptes à dévoyer la combativité ouvrière.
Le 3 Janvier 1976
ENSEIGNEMENTS DE LA SITUATION AU PORTUGAL
1 — Le Portugal constitue une illustration flagrante du fait que dans la période de décadence du capitalisme il n'y a pas de place pour un réel développement économique des pays sous-développés y compris les mieux lotis d’entre eux. Grande puissance coloniale, ce pays ne réussit pas, malgré sa part appréciable du gâteau impérialiste, à assurer au cours du 20ème siècle, le décollage de son économie, à tel point qu'il réussit le rare exploit, à la veille du 25 avril 1974, d'être à la fois le pays le plus-pauvre d'Europe, hormis la Yougoslavie, et le dernier à détenir des colonies.
D'abord conséquence de sa faiblesse économique, le retard avec lequel le Portugal donne l'indépendance à ses colonies se meut en un handicap très sévère pour son capital (dépenses d'armement, d'administration coloniale, immobilisation pendant quatre années des travailleurs potentiels, (émigration politique) à tel point qu'en 1974 le Portugal présente la plupart des caractéristiques d'un pays du Tiers-Monde :
- P.I.B. annuel par tête : 1250 $ (Grèce : 1790; France : 4900),
- secteur agricole très important (29% de la population active, France : 12%, Grande-Bretagne:3%)
- existence d'une structure agraire archaïque comprenant essentiellement des latifundia (moins de 1% des exploitations couvrent 39% des terres et des propriétés minuscules (92% des exploitations couvrent 33% des terrés) ayant dans les deux cas des rendements extrêmement, faibles.
- concentration très grande d'une industrie récente en deux zones, Porto et Lisbonne-Setubal, à côté d'une petite industrie archaïque et peu compétitive (32 000 entreprises de moins de 100 salariés contre 156 de plus de 500).
2 — La crise ouverte du capitalisme qui commence vers 1965-67 heurte de plein fouet le Portugal à partir de 1973 compte tenu :
- de la faiblesse structurelle de son économie de moins en moins compétitive,
- du poids de plus en plus écrasant des guerres coloniales,
- du chômage qui se développe parmi les travailleurs, émigrés qui, soit rentrent dans leur pays d’origine, soit cessent les envois de devises. En même temps que la crise qui se caractérise en 1973 par le taux d'inflation le plus élevé d'Europe, la lutte de classe, après l'épuisement de la vague de 1968-70 reprend avec une intensité accrue au début 1974 (Timex, -Lisnave, TAP, etc.)
3 — Le putsch du 25 avril correspond de la part des fractions les plus lucides de la classe bourgeoise, à une tentative de remise en ordre de l'économie nationale devant nécessairement passer:
- par la liquidation de l'hypothèque coloniale,
- par une : mise au pas de la classe ouvrière.
C'est 1'armée qui est l'agent de cette politique dans la mesure où c est pratiquement la seule force organisée de la société (en dehors du parti unique salazariste) et qui, en plus:
- est directement mise en contact avec la vanité d'une solution militaire dans les colonies,
- a suffisamment de distance avec les intérêts capitalistes particuliers liés au régime; de Salazar-Caetano pour avoir une vue globale des intérêts du capital national.
Si, au départ, le putsch se fait en accord avec les grands groupes privés (Champalimaud, CUF, etc.) dont Spinola est le principal représentant au sein de la Junte, la dynamique propulsée par les besoins objectifs de 1' économie nationale, conduit l'armée à prendre de plus en plus de mesures dans le sens du capitalisme d'Etat.
Celle-ci s'identifie d'autant plus à cette forme de capitalisme :
- qu'elle n'est pas liée directement à la propriété privée, surtout depuis que les guerres coloniales l’ont obligée à faire appel à toute une série de cadres issus de la petite-bourgeoisie intellectuelle ;
- que la-structure centralisée, hiérarchique et monolithique s’apparente à celle du capitalisme d’Etat.
C'est à travers une série de crises et de tentatives plus où moins effectives, de putsch des fractions classiques du capital que se fait cette évolution : juillet; 74, septembre 74, mars 75.
Même si, au départ, elles expriment une résistance des fractions anachroniques du capital, ces différentes crises viennent chaque fois à point nommé pour briser une offensive ouvrière (grèves de mai-juin, grèves, d'août-septembre en particulier à la TAP, mouvements de février mars) en défoulant le mécontentement contre les "fascistes" et les "réactionnaires" dont on se complet à exagérer l'importance; .pour renforcer lés mesures économiques et politiques de capitalisme d'Etat (renforcement de la "gauche" du MFA. et élimination des fractions de "droite" comme Spinola, nationalisations présentées comme de "grandes victoires" ouvrières, réforme agraire, etc.). C'est à travers ces différentes crises, que se manifeste de plus en plus ouvertement le poids de l'armée dans la conduite de l'Etat et que se renforce la fraction; pro-PCP de celle-ci. La concordance des politiques du PCP et de 1’armée s'explique par lé fait que ce parti représenter une des fractions les plus dynamiques du capitalisme d'Etat et qu'il est au départ le mieux armé pour contrôler la classe ouvrière. Cette concordance exprime également une tentative menée par le capital portugais de se soustraire partiellement, sur le plan économique et politique, de l'influence, du bloc occidental en se rapprochant du bloc de l'Est. Effectivement, même si le PCP, comme l'ensemble des partis staliniens, est avant tout un parti national, il n’en exprime pas moins, dans la division du monde en blocs impérialistes par rapport auxquels doit se déterminer chaque capital national, une tendance du capital portugais à se placer sous l'orbite russe ou du moins, à s'éloigner de l'orbite américaine,
4— Des objectifs que se fixait le coup d'État du 25 avril, seul celui de la décolonisation a été atteint9 Et encore, le résultat obtenu n'est pas particulièrement positif pour le capital portugais puisqu'il se traduit par un abandon de son influence au bénéfice des grands blocs impérialistes (particulièrement en Angola, colonie la plus riche) et qu'il aboutit au rapatriement d'un demi-million de colons complètement in-intégrables dans une économie métropolitaine en complète déconfiture. En effet, malgré l'ensemble des mesures de capitalisme d'Etat.et les flots de démagogie antifasciste ou "révolutionnaire" du gouvernement, jamais l'économie portugaise ne s'est portée aussi mal et à aucun moment la classe ouvrière n'a pu être réellement remise au pas, ni enrôlée dans "la bataille de production" dont les staliniens et leur intersyndicale se sont faits les incessants propagandistes.
Pour le capital portugais, le problème posé depuis le 25avril reste entier :
- comment assainir l'économie nationale ?
-comment encadrer la classe ouvrière ?
Quels que soient les détours ou les hésitations dans la mise en œuvre de cette politique, la seule issue possible réside en une étatisation croissante de l'économie, en une concentration toujours plus grande du pouvoir économique et politique. En effet, seule une telle politique peut préserver un peu de cohésion dans une économie et un corps social en pleine anarchie, au bord de la dislocation, et également se présenter comme "révolutionnaire" aux yeux du principal ennemi du capital : le prolétariat.
En ce sens, plus que jamais, au Portugal comme partout dans un monde plongé dans des convulsions économiques et sociales croissantes, l'heure est au capitalisme d'Etat. En ce sens, seules peuvent avoir un avenir les formations politiques qui représentent de façon la plus dynamique cette tendance. Celles qui s'accrochent à des formes anachroniques du capitalisme ou à des formes moins évoluées de capitalisme d'Etat comme le PPD ou le PS et ceci l'en s'appuyant essentiellement sur la petite-bourgeoisie liée à la propriété, ne peuvent que régresser sur la scène-politique en même temps que les structures politiques (élections, constituante, partis démocratiques), elles-mêmes anachroniques, à travers lesquelles elles s'expriment.
Comme dans la plupart des pays du Tiers-Monde, l'armée représente, au Portugal, le principal agent du capitalisme d'Etat et en son sein, la frac-tien qui est appelée à jouer un rôle croissant est celle qui est la plus concentrée, la plus opérationnelle et en thème temps la plus lucide : le COPCON. Dans son orbite, les deux autres grandes tendances du capitalisme d'Etat -le PCP et les gauchistes- sont appelées à conserver, quoi qu'il arrive, un rôle important dans l'appareil d'Etat dans la mesure où ces deux forces assument l'essentiel du contrôle de la classe ouvrière.
Du point de vue des rouages politiques, de gestion de. la société et d'encadrement de la classe ouvrière, l’expérience portugaise signe l'échec de la "démocratie" classique tant du point de vue de la technique de mystification électorale que de l'utilisation des partis comme gérants de l'Etat, De force essentielle de l'Etat auquel l’armée est inféodée, les partis deviennent des appendices de l'armée dans la direction de celui-ci. De même, le mode d'encadrement syndical se révèle de plus en. plus incapable de contrôler une classe ouvrière qui n'a pas connu des décennies d'opium "démocratique" et syndicaliste, A la place de ces techniques en voie d'épuisement, l'unique solution pour le capitalisme d'Etat portugais passe par un encadrement direct de l’armée sur la classe ouvrière à travers des organes de "base" comme les "commissions, de travailleurs", de locataires, de quartiers, chargées de prendre à leur compte l'administration des localités et la gestion des entreprises. A la démocratie classique électoraliste, le capitalisme d'Etat substitue de plus en plus une "participation" "apartidaire" des ouvriers à leur exploitation et à leur oppression. L’"autogestion" et le "contrôle ouvrier" ont de beaux jours à vivre au Portugal et c'est justement ce qu'exprime le document du COPCON du mois d'août 75. De telles nécessités objectives outre qu'elles ne peuvent signifier que l'écartement du PS et du PPD de tout pouvoir effectif, se traduisent par un renforcement de la tendance capitalisme d’Etat la plus liée aux techniques d'encadrement "à la base" au détriment de celle s'appuyant sur le syndicalisme classique. Le "soutien critique" des gauchistes au PCP risque de se convertir de plus en plus en un "soutien critique du PCP aux gauchistes,
5 — Dans le cadre d'une telle analyse, la situation politique actuelle au Portugal semble incompréhensible. En effet, si on admet que le PC représente une forme plus adaptée que le PS aux besoins actuels de l’économie portugaise, on .comprend mal son recul face à celui-ci à la suite de la longue crise de l'été passé. Ce qui se serait compris plus facilement, c’est que le nouveau gouvernement soit plus "gauchiste" que le précédent et non plus "social-démocrate". Tel n'est pas le cas.
En fait, c'est à moyen ou à long terme que s'expriment les besoins objectifs, tant économiques que politiques du capital. Et en ce sens, celui-ci sera obligé de faire appel aux formes d1organisa ion économique, aux mystifications et modes d'encadrement du prolétariat les plus .appropriés ainsi qu'aux forces et formations politiques qui en sont les agents et les véhicules. Mais c'est à travers toute une série de soubresauts apparemment contradictoires que peuvent être appelées à se dégager ces tendances à long terme. Et ceci pour plusieurs raisons :
1 — contrairement au prolétariat dont la prise de contrôle sur la société est nécessairement un acte lucide et conscient, ses propres préjugés de classe interdisent à la classe capitaliste une pleine conscience de son activité politique. En ce sens, c'est souvent à travers des louvoiements et des affrontements entre ses fractions les plus lucides qu'elles est amené à adopter l'orientation-la plus, apte à la défense de ses intérêts;
2 —.le jeu politique bourgeois est par excellence celui où "tous les coups sont permis", où les allies d’aujourd’hui peuvent devenir les adversaires de demain, où les combinaisons les plus surprenantes, apparemment "contre nature", peuvent se faire jour pour faire face à telle nécessité immédiate et circonstancielle et se dénouer quand cette nécessité a disparu;
3 — la profondeur de la crise actuelle s'exprime, dans tous les pays du monde, par le caractère contradictoire des mesures que la bourgeoisie tente de prendre pour la résoudre ou l’atténuer. Ce qui vaut pour le choix des plans économiques prisonniers de l'alternative implacable, récession/inflation, vaut seulement pour le choix des diverses solutions politiques : contradiction .entre la nécessité de jouer le plus vite possible les cartes de gauche afin de paralyser l'élan prolétarien à son début et la nécessité de ne pas user trop vite cette carte, contradiction entre, d'une part, le nécessaire renforcement des blocs imposé par l1approfondissement de la crise et la montée des tensions inter impérialistes et, d'autre part, la mise en avant d'une politique "d'union nationale" contre "l'impérialisme" capable d'entraîner le prolétariat derrière le char de son capital national, etc. Obligée de parer au plus pressé, la bourgeoisie adopte un jour une mesure dans un sens pour la remettre en cause le lendemain quand se déplace l'urgence des contradictions qui l'assaillent. C'est pourquoi, dans un pays, la conduite de la politique apparaît d'autant plus heurtée et contradictoire que la crise y est profonde.
Pour comprendre la crise de l'été passé et sa "solution" présente, il faut donc prendre en compte ces différentes considérations et faire intervenir non seulement les nécessités à long terme du capital portugais mais' également les nécessités plus circonstancielles et les manœuvres éventuelles que leur "solution" a pu provoquer entre les différences forces bourgeoises.
En l'occurrence, ce ne sont pas Seulement des données de politique intérieure qui; sont à l'origine réelle de la crise, même si c'est l'affaire "Republica" qui en est le détonateur, mais également des éléments de politique extérieure. Certes, plus la lutte de classe devient un facteur décisif dans la politique d'un Etat et plus celle-ci' se détermine en fonction de besoins internes mais cela ne signifie pas :
- que les besoins externes cessent d'exister ;
- que ceux-ci soient incapables de prendre momentanément le dessus à l'occasion d'une accalmie de la lutte de classe comme c'est le cas en juillet 75.
Début juillet, la fraction du MF A proche du PCP, dirigée par Vasco Gonzalves, exerce un pouvoir extrêmement important au sein de l'Etat : majorité au sein du gouvernement réel -le conseil de la révolution- ainsi que dans le gouvernement civil, contrôle de l'essentiel des moyens d'information et de propagande, (en particulier la 5° division), contrôle de l'Intersyndicale. Il s’agit là d'une solution inadaptée-aux besoins du capital portugais, et cela à deux titres:
- la force du PCP et de son intersyndicale va en décroissant au sein de la classe ouvrière ;
- le Portugal doit abandonner toute perspective de désengagement du bloc occidental tant du point de vue économique que militaire. L’échec des tentatives commerciales en direction de l'Europe de l’Est dont l'économie, très faible, offre peu de possibilités à celle du Portugal, les conditions mises à une aide éventuelle de la CE ainsi que les déclarations de Kissinger et la mise au point consécutive de l'URSS indiquent que la place du Portugal est au sein de l'Otan et de l'économie occidentale.
Même si le PCP continue de correspondre en partie au besoin du capitalisme d'État, sa place au sein de celui-ci doit nécessairement être réajustée au " bénéfice d'une autre fraction, à la fois plus "gauchiste", et moins liée à une politique extérieure pro-russe.
On assiste donc à une lutte dont l'a-prêté et la durée ainsi que la désorganisation qu'elle provoque dans l'Etat traduit la solidité des trois forcés qu'elle oppose : les restes du capitalisme classique, "démocratique", pro-atlantiste regroupées derrière le PS, le PPD, et en partie, la fraction Antunes de 1'armée; la fraction Gonzalves -PCP, pro-russe, la fraction COPCON appuyée sur les gauchistes, "réaliste" en politique extérieure (son slogan sera : "contre les impérialismes, indépendance nationale).
C'est au sein de l'armée que se produit l'affrontement décisif dans la mesure où celle-ci exerce l'essentiel du pouvoir. Et c'est la fraction Melo An tunes, prônant l'ouverture vers 1'Europe, qui y mène le combat le plus décidé contre la fraction Gonçalves, Le succès du document Antunes est le fruit de la conjonction de tous ceux qui se retrouvent contre Gonçalves pour des raisons de politique extérieure ou intérieure. Ce succès momentané et circonstanciel de la fraction Antunes propulse celle-ci au sein du MF A et lui fait acquérir, dans cet organe, la position dominante au détriment de la fraction PC-Gonçalves (qui s'y maintient avec relativement de force) et avec la neutralité de la fraction COPCON-Carvalho qui reste la plus lucide quant aux intérêts réels du capital portugais.
En ce sens l'actuelle "victoire" du PS et du PPD, expression circonstancielle des besoins du capital portugais en politique extérieure et du réajustement du poids de la fraction PCP ne doit pas cacher les faits :
- que c'est l'armée qui est restée le cadre décisif du conflit et donc se maintient comme unique source du pouvoir réel môme si on reparle actuellement de "ranimer" la Constituante ;
- que le cours vers le capitalisme d'Etat ne peut pas être réellement remis en cause ;
- que les problèmes de politique extérieure sur lesquels s'est joué en bonne partie le conflit (cf., Antunes aux affaires étrangères) ne sauraient rester longtemps au premier plan face à une reprise de la lutte de classe ;
- que l'actuel gouvernement ne possède pratiquement aucun pouvoir de mystification sur la classe ouvrière.
En fait, la fraction la plus forte militairement au sein de l'armée et la plus lucide, le COPCON-Carvalho, s'est servie des fractions "démocratiques" du Capital (Antunes dans l'armée et PS-PPD en dehors) uniquement en vue d'amoindrir la fraction PCP en évitant au maximum de faire cette tâche par elle-même (exception faite de l'occupation des locaux de la 5° division par le COPCON et la lettre de Carvalho à Gonçalves lui enjoignant "amicalement" de démissionner). Cette prudence s'explique par le fait que cette fraction devra compter sur 1' appui de la fraction PCP pour gouverner et qu'elle ne pouvait compromettre cette alliance nécessaire par une attaque trop ouverte.
En apportant un "soutien extrêmement critique" (Carvalho) à l'actuel gouvernement, la fraction Carvalho laisse celui-ci et les forces politiques qui le dominent (Antunes, PS, PPD) prendre la responsabilité des mesures d'austérité draconiennes que le capital portugais doit adopter de façon urgente et qui ne manqueront pas d'accélérer l'usure de ces forces au bénéfice de cette même fraction.
Par conséquent, ce gouvernement ne saurait rester longtemps en place et, assez rapidement, la solution préconisée par le COPCON et les gauchistes d'un pouvoir militaire utilisant une "assemblée nationale populaire" des différentes structures populaires de base comme moyen d'encadrement de la classe, sera à l'ordre du jour.
6 — Plus généralement, il est clair que l'activité autonome de la classe ne peut se manifester que dans le cadre des Comités d'usine et des Conseils ouvriers et, que ceux-ci ne peuvent survivre que comme organes au service de la classe. Il ne s'agit donc par là de simples "formes" sans importance comme le prétendent les bordiguistes. Cependant la simple existence de ces organes ne leur confère pas automatiquement, comme le pensent les conseillistes un mode d'activité conforme aux intérêts du prolétariat. L'expérience, entre autres, des Conseils ouvriers allemands en 1918 le montrait déjà. La situation au Portugal tond à le confirmer aujourd'hui dans le cas de celles des commissions qui ne sont pas de simples créations de gauchistes, mais qui ont surgi spontanément au cours des luttes. Il ne suffit donc pas aux révolutionnaires d'exalter de façon béate ces organes autonomes mais il leur revient la tâche fondamentale de défendre, au sein de ceux-ci, les positions communistes afin d'en faire un instrument véritable de la lutte prolétarienne.
7 — Du point de vue de sa localisation géographique à la périphérie de l'Europe comme de son importance économique, le Portugal n'est pas appelé à jouer un rôle fondamental dans les affrontements de classe qui se préparent. Néanmoins, dans la mesure où c'est aujourd'hui le pays d'Europe où, d'emblée, compte-tenu de sa faiblesse structurelle, les problèmes économiques et politiques ont été posés avec le plus d'acuité, le Portugal constitue un champ d'expérimentation des différentes armes de la bourgeoisie contre le prolétariat mondial et par suite un terrain d'analyse très riche pour la prise de conscience de ce dernier« Les enseignements essentiels de la situation portugaise sont les suivants :
1° — Le capitalisme d'Etat se confirme comme la seule option capable de faire, face à la crise tant pour empêcher la dislocation totale de l'économie que pour mystifier la classe ouvrière. La situation actuelle confirme la nécessité pour le capital de mettre en place un mode d'encadrement de la classe ouvrière avec lequel elle s'identifie au maximum et qui est le seul capable de lui imposer une certaine "discipline".
2° — La mystification antifasciste continue d'être une des armes les plus efficaces du capital et celui-ci 1'utilisera jusqu'au bout partout où cela sera possible. L'actuelle campagne pour la grâce des condamnés à mort Espagnols qui se développe tant en Espagne que dans d'autres pays confirme amplement ce fait. Le rôle des révolutionnaires sera de dénoncer impitoyablement ces mystifications et tous ceux qui les entretiennent.
3° — La présente situation au Portugal fait apparaître que là où elles n'ont pas pu se développer pleinement les institutions classiques d'encadrement de la classe -syndicats classiques et démocratie parlementaire- sont rapidement dépassées quand la lutte de classe s'approfondie. C'est là un phénomène qui s'était déjà manifesté en Russie en 1917* Mais se qui exprime l'impuissance actuelle de ces institutions au Portugal va au-delà des conditions spécifiques à ce pays. Après un demi-siècle ou plus pendant lequel se sont perpétuées ces institutions non plus sur la base de la fonction pour, laquelle elles avaient surgi dans l'histoire mais comme simple instrument de mystification, celles-ci sont maintenant en partie usées pour 1'accomplissement de cette seconde fonction. Les parties qui sont attachées à ces formes d'encadrement de la classe, les P.S et les P.C sont eux-mêmes atteints par cette usure, d'autant plus qu'ayant accompli l'essentiel de leurs fonctions au cours de la période de plus profonde contre-révolution ils ne sont pas nécessairement bien préparés pour affronter la situation nouvelle que représente la reprise de la classe.
4° — Comme déjà maintenant au Portugal, face à l'usure des formes classiques d'encadrement le capital tendra de plus en plus à utiliser les organes que la classe se sera, donnés au cours de sa lutte pour en faire des institutions d'étouffement de cette lutte. Il ne fera là que reprendre.une méthode qui a déjà fait ses preuves pendant la période de décadence : la récupération des organes et institutions de la classe qu'il ne parvient pas à combattre de front. Il en a été ainsi des syndicats .à une époque, puis plus tard des conseils ouvriers que la vague révolutionnaire des années 17-23 avait fait surgir. Avec le développement de la lutte de classe cette méthode sera sans doute employée à grande échelle et les révolutionnaires eux-mêmes devront prendre garde à ne pas tomber dans le piège des nouveaux "conseils ouvriers" ou des nouveaux "soviets",
5° — Une des formes la plus courante que revêtira cette récupération sera sans doute, à l'image du Portugal l'utilisation de ces organes comme instruments de "l'autogestion" et du "contrôle ouvrier", d'autant plus que ces formules apparaissent, d'une part, comme une variété plus "à gauche" du capitalisme d'Etat, et, d'autre part, s'accommoderont bien du cortège de faillites qui accompagnera la crise.
Donc à la place des formes classiques de "participation" médiatisée à la gestion de la société à travers syndicats et parlements, les travailleurs seront de plus en plus conviés à une "participation" beaucoup plus directe à leur exploitation et à leur oppression,
6° — Compte-tenu de cet ensemble de faits les différentes variétés gauchistes: "antifasciste", "anti-impérialiste", moins liées aux modèles classiques d'encadrement que les partis de gauche officiels seront appelés à jouer un rôle fondamental comme rabatteurs pour le compte de ces partis quand ce ne sera pas comme force de rechange. Là encore, le rôle des révolutionnaires sera de dénoncer avec la plus grande rigueur tous ces courants et d'annoncer clairement à la classe la fonction répugnante qu'ils seront amenés à accomplir.
8 — L'appel à des modes d'encadrement "à la base" et populistes de la classe ainsi que la mise en avant des gauchistes posera à terme, pour le capital, au fur et à mesure où il sera obligé d'y recourir, le problème de l'épuisement de ces moyens de mystification. Cet épuisement ouvrira alors la possibilité d'une claire prise de conscience par le prolétariat de ses véritables intérêts de classe. Derrière l'épuisement des formules classiques d'encadrement de la classe qui est déjà avancé aujourd'hui au Portugal et qui, demain, à des rythmes différents suivant les pays, tendra à se généraliser, se profile donc la perspective de l'organisation autonome de la classe luttant pour ses intérêts historiques et donc de son affrontement direct avec la bourgeoisie. Ce fait doit être pleinement compris par les révolutionnaires afin qu'ils mettent tout en œuvre dans le but d'être à la hauteur, du point de vue de leur organisation et de leur intervention, des responsabilités que cette perspective leur confère.
C.G.
Appel de la conférence de fondation du groupe "Internationalisme", section belge du Courant Communiste International.
Après plusieurs mois de discussions amenant à un accord sur les frontières de classe, positions politiques fondamentales issues se la lutte du prolétariat, trois groupes, le Révolutionnaire Raden Socialisten (d'Anvers), le Vrije Raden Socialisten (de Gand) et le Journal de Luttes de Classe (de Bruxelles), ont décidés de se dissoudre en tant que groupe séparés pour former une seule organisation en Belgique, appelée Internationalisme.
Vu la période actuelle de crise aigüe précédant soit l'émergence de la révolution prolétarienne, soit le prolongement de la barbarie capitaliste dans une troisième guerre mondiale, les révolutionnaires ont comme tâche, la constitution d'une organisation, centralisée au niveau international, en vue de généraliser les luttes communistes et la conscience révolutionnaire au sein de la classe ouvrière,
La conférence, considérant que :
- la destruction du capitalisme comme mode de production transitoire est 1'œuvre du prolétariat lui-même, seule classe historiquement contrainte et en mesure de s'organiser pour abattre le capitalisme.
- le prolétariat ne dispose pour cette tâche que de sa conscience et dé son organisation.
- l'organisation politique du prolétariat contribue à la prise de conscience de la classe, et les conseils, expression de son unité, sont 1'instrument de sa prisé de pouvoir et de sa dictature.
- la destruction du capitalisme n'est pas un problème local ni national, mais -parce que le capitalisme est un système mondial et le prolétariat- une classe mondiale embrasse tous les pays du globe et nécessite pour cet anéantissement le concours théorique et pratique des forces révolutionnaires les plus avancées,.
Appelle tous les révolutionnaires et groupes révolutionnaires en accord sur les .frontières de classe à se regrouper autour d'un pôle révolutionnaire cohérent et organisé de façon mondiale.
C'est vers-la constitution de ce pôle que tendent actuellement les plus grands efforts des groupes qui constituent le Courant Communiste Internationale C'est donc avec lui et autour de lui que nous appelons tous les révolutionnaires conséquents et responsables devant leur classe à unir leurs efforts et à .s'organiser en vue d'en faire l'outil indispensable au triomphe de la révolution communiste.
VIVE LA REVOLUTION MONDIALE
PRESENTATION
Depuis le moment où ces thèses ont été écrites (19-10-75) des événements politiques importants se sont produits en Espagne qui, sans remettre en cause les perspectives générales tracées par celles-ci, demandent qu'elles soient actualisées.
Les thèses situent une des causes de "l'incapacité de la bourgeoisie espagnole à se doter de moyens politiques adaptés à la tâche d'encadrement et d'affrontement du prolétariat autres que sanglants" dans "une paralysie à caractère quasi-religieux devant la personne de Franco, qui,, tant qu'il est en vie, constitue l'unique ciment et raison d'être des forces complètement anachroniques qui le soutiennent" (thèse n°5). L'agonie et la mort de Franco, en éliminant une des causes de la paralysie de la bourgeoisie espagnole ont débloqué la situation. Elles ont jeté dans un total désarroi ces: forces anachroniques mentionnées dans les thèses et qui se regroupaient en partie dans l'armée et surtout dans la police. Celle-ci, au cours de "l'in ter-règne", a essayé de compromettre toute perspective de "démocratisation", en se livrant à une répression systématique et en particulier en remettant en prison Marcelino Camacho, dirigeant stalinien des commissions ouvrières, quelques jours après sa libération. Mais c'était là le chant du cygne.des "ultras". Ceux-ci se sont laissés lier les mains par le maintien de Arias Navarro à la tête du gouvernement et ont dû recevoir sans broncher une mise en garde solennelle du ministre de l'intérieur, le nouvel "homme fort" du régime, Fraga Iribarne : "Que m'entendent bien ceux qui s'attribuent des fonctions, que personne ne leur reconnaît, de gardiens pour leur propre compte et de leur propre chef; nous n'aurons d'autres amis ni d'autres ennemis que ceux de l'Etat" (20 Déc.)
La mort de Franco vient donc nuancer la perspective tracée dans la thèse n°10 : "Malgré la "prise en charge" de la situation espagnole par la bourgeoisie mondiale, il est peu probable que la transition en Espagne puisse encore se faire dans le calme". Aujourd'hui, forte de l'appui de toute cette bourgeoisie mondiale (à preuve 1' afflux au couronnement de Juan Carlos de chef s d'Etat qui avaient 'manqué" les obsèques de Franco) et particulièrement de la bourgeoisie américaine, la bourgeoisie espagnole a enfin mis sur rails, après deux tentatives infructueuses à la fin des années 60 et au début de 74, le délicat processus d'ouverture ("apertura") qui doit lui permettre d'aboutir à une "véritable démocratie". Et qu'elles soient au gouvernement ou dans l'opposition, les principales fractions de cette bourgeoisie font tout leur possible et de façon concertée (cf. le diner en tête à tête le 15 décembre de Fraga Iribarne et de Tierno Galvân, un des dirigeants de la Junte Démocratique) pour que cette transition se fasse dans le calme.
Ainsi, la politique des "petits pas" vers la démocratie menée par le gouvernement actuel a un double objectif :
- assurer "une continuité suffisante dans les structures étatiques pour éviter une désorganisation et des bouleversements comme ceux du Portugal
- permettre que le mécontentement et la combativité du prolétariat soient dévoyés vers un "approfondissement" et une. accélération de la démocratisation.
L'opposition, de son côté, s'est unifiée sur la base d'un tel dévoiement des luttes ouvrières. Le chef du PSOE, Felipe Gonzalez ne se gêne pas pour déclarer : "Le pays veut la démocratie sans la violence, c'est pourquoi nous sommes prêts à un compromis. Il faut faire un effort de réalisme" (L'Expansion, Déc. 75). Les thèmes vers lesquels la gauche peut tenter de détourner la combativité de la classe ne manquent pas et ils seront probablement tour à tour tous utilisés l’amnistie, liberté de la presse, "droit" de grève, suffrage universel, référendum constitutionnel, etc.
Et quand tous ces thèmes auront été usés il lui restera encore 1'épouvantail du "retour du fascisme". En Espagne, comme partout ailleurs, la gauche au pouvoir ne se privera pas de dénouer les ouvriers en lutte comme "agents du fascisme", de la "réaction", de la "droite" etc., afin de pouvoir mieux les réprimer, C'est en ce sens que les présentes thèses gardent toute leur actualité.
PERSPECTIVES
1 — Avec des taux de croissance de plus de 10% au cours des années 60, 1’économie espagnole est après celle du Japon celle qui a su le mieux profiter des dernières possibilités offertes par la reconstruction d’après-guerre. Ces progrès spectaculaires en ont fait en peu d"'années une des économies d'Europe les plus modernes et concentrées tout en laissant en vie toute une série de secteurs archaïques dans 1'agriculture, le commerce, l'artisanat et la petite industrie. Jointe aux structures politiques rigides du franquisme, la persistance de ces secteurs archaïques' a été la cause de l'apparition de tensions et de contradictions que le développement de la crise mondiale met aujourd'hui à nu.
2 — Enfant prodige de l'économie européen ne, le capitalisme espagnol tend aujourd'hui à devenir un de ses parents pauvres. Avec une baisse de la production industrielle de 8 % une inflation de presque 20 %, et un doublement du chômage, l'Espagne est entrée cette dernière année de plein pied dans la crise* L'existence d'une forte émigration dans les pays plus développés également frappés par la crise et la place importante du tourisme dans l'économie espagnole ont contribué de manière très sensible à l'aggravation de la situation de celle-ci .
3 — Riche d'une tradition ancienne de combativité et de solidarité, payant le boom de "son" économie nationale par une exploitation féroce, le prolétariat espagnol s'est lancé, dès les premières agressions de la crise, vers la fin des années.60, dans des luttes très dures et résolues. Celles-ci ont atteint leur point culminant pendant l'hiver 74-75, quand ce sont des concentrations industrielles ou des provinces entières qui ont participé à des mouvements souvent violents et qui ont placé le prolétariat espagnol, malgré la répression systématique qu'il doit affronter, au premier rang mondial pour les grèves. L'aggravation très importante des conditions de vie des travailleurs depuis l'hiver dernier, aggravation liée au déferlement de la crise, ouvre la perspective d'affrontements considérables entre ce prolétariat et sa bourgeoisie0
4 — Pour faire face à cette perspective de luttes, la bourgeoisie espagnole est particulièrement démunie :
— Le régime actuel est honni par les populations ouvrières qui voient en lui le symbole de leur écrasement de 36-39, et de leur répression ultérieure. Il ne présente aucune possibilité de mystification et de détournement "de l'intérieur "des luttes.
— Ce régime est complètement caduc, sénile et incapable de se réformer par lui-même pour affronter la nouvelle situation; en particulier, après plusieurs tentatives, il s’est avère incapable d'assurer une transition "institutionnelle" vers la démocratie pourtant appelée par les vœux d'une partie croissante de la bourgeoisie et qui est seule capable de détourner la lutte de classe La violence aveugle avec laquelle le régime franquiste a frappé les militants gauchistes du FRAP et de l'ETA est la manifestation de l'impasse mortelle dans laquelle il se trouve. Sa fin imminente le fait ressembler à une bote aux abois.
5— L'incapacité de la bourgeoisie espagnole à se doter de moyens politiques adaptés à la tâche d'encadrement et l'affrontement du prolétariat, autre que sanglent, réside dans plusieurs causes :
— Une paralysie de la bourgeoisie face aux mesures urgentes que la situation impose, occasionnées par la peur de réveiller les démons qui sommeillent. En d'autres termes, la menace prolétarienne est devenue trop forte pour que la bourgeoisie prenne en charge les mesures capables de l’affronter.
— Une paralysie à caractère quasi-religieux devant la personne de Franco, qui, tant qu'il est en vie, constitue l'unique ciment et raison d'être des forces complètement anachroniques qui le soutiennent.
— La relative faiblesse des partis politiques démocratiques, faiblesse liée à la situation encore partiellement ... arriérée ce l'économie espagnole et aux 36 années d'illégalité dans laquelle sont restés ces partis.
6 — Contrairement au Portugal, l'armée ne peut constituer en Espagne un levier de transformation politique dans la mesure où cette force sociale ne constitue pas la seule force sociale organisée au sein d'un capitalisme relativement développé et puissant.
— n'est pas une armée coloniale confrontée à une situation lui permettant de prendre conscience des intérêts véritables du capital national.
— recrute ses cadres dans les catégories sociales les plus proches du régime, compte tenu de son rôle limité au maintien de l'ordre intérieur.
— constitue le meilleur soutien du régime et que le maintien de son poids prépondérant au sein de l'Etat comme le maintien des privilèges du personnel militaire en service actuellement sont liés à la survie de ce régime.
En ce sens, les mouvements de contestation qui se développent au sein de l’armée espagnole, même s'ils sont utilisés par la bourgeoisie pour développer le mythe d'une "armée démocratique", comme c'est leur seule fonction, sont condamnés à conserver un rôle politique secondaire et ne peuvent en aucune façon jouer un rôle semblable à celui du "mouvement des capitaines".
C'est pour ces mêmes raisons que les Partis démocratiques classiques et particulièrement ceux regroupés derrière la "junte démocratique" sont appelés, malgré leur relative faiblesse, à jouer un rôle important, plus qu'au Portugal, ainsi par conséquent, que les formes classiques d'encadrement et de mystification de la classe, syndicats et élections. En ce sens, les cartes gauchistes seront probablement utilisées Plus tard qu'au Portugal et assumeront pour un bon moment, plutôt que de relève, un rôle de rabatteurs pour la gauche classique.
7 - Une autre différence avec le Portugal réside dans la position de ces deux pays sur l'échiquier international, et particulièrement dans le domaine de la lutte de classe. Par le poids de son industrie, de son prolétariat, de la combativité de celui-ci, par sa position géographique beaucoup plus proche des centres vitaux eu capitalisme européen, l'importance de la situation en Espagne est beaucoup plus grande que celle du Portugal.
Cette dernière avait essentiellement une valeur de champ de manœuvre et d’expérimentation des différentes solutions de rechange de la bourgeoisie face à la crise et aux luttes ouvrières. Au même titre que la Russie de 1917, parce que c'est un des "maillons faibles" du système, l'importance du développement de la situation en Espagne dépasse de loin celle d'un exemple pour acquérir un poids effectif et décisif sur le développement de la lutte de classe dans le reste de l'Europe.
8 — Le rôle fondamental de la situation en Espagne sur le terrain international de l'affrontement entre classes et l’incapacité de la bourgeoisie espagnole à faire face aux nécessités objectives de la défense de ses intérêts (incapacité qui s'est manifestée en particulier par les cinq exécutions du 27 septembre) ont conduit la bourgeoisie mondiale à prendre en charge elle même la "régularisation" de la situation espagnole.
L'histoire enseigne que le seul moment où les différentes bourgeoisies nationales peuvent laisser de côté leurs rivalités économiques et impérialistes, c’est quand leur propre existence est mise en cause par la lutte de classe.
C'est ce qu'aujourd'hui les différentes fractions nationales de la classe bourgeoise, fortes de leur expérience passée, sont en train de réaliser de façon préventive par rapport à l'Espagne en prenant des mesures effectives de pression sur ce pays (décisions de la CEE) et en orchestrant de grandes campagnes de dénonciation de son régime politique.
Encore plus qu'elles ne servaient à défouler le mécontentement des travailleurs européens et à détourner leurs luttes, les récentes campagnes antifascistes avaient pour fonction de signifier à la bourgeoisie espagnole le soutien assuré par la bourgeoisie des autres pays aux fractions démocratiques, comme seules aptes à faire face aux besoins politiques du capital en Espagne et dans le reste de l'Europe.
9 — Dans ces grandes manœuvres du capital il n'est pas surprenant de retrouver, aux côtés du Pape, de la gauche traditionnelle et des gaullistes comme Alexandre Sanguinetti, ces éternels jusqu’'auxboutistes des causes anti-prolétariennes que sont les gauchistes parmi lesquels les anarchistes font autant de bruit que le leur permettent leurs faibles forces.
Plus tragique est le fait que le désespoir de certains éléments de la petite-bourgeoise et même du prolétariat les mette à la merci des menées contre-révolutionnaires du FEAP et de l'ETA ou autres mouvements nationalistes, qui les utilisent comme instruments d'un terrorisme qui d'une part constitue un moyen de dévoiement de la lutte de classe , d'autre part permet de justifier une répression sanglante , et enfin: fournit en martyrs frais ,1a propagande répugnante de la gauche et des gauchistes; propagande d' autant plus répugnante que la tâche à laquelle elle est attelée n'est autre que la préparation des équipes ministérielles qui auront pour tâche d’assurer un éventuel massacre du prolétariat espagnole,
10 — Malgré la "prise en charge" de la situation 'espagnole par la bourgeoisie mondiale (y compris celle des USA par Allemagne et Hollande interposées) il est peu; probable que la transition en Espagne puisse encore se faire dans le calme. C'est donc "à chaud", particulièrement comme produit des luttes ouvrières que les partis démocratiques et particulièrement la junte du même nom accéderont au pouvoir. Dans une telle situation, il est également probable qu'une très grande violence se développera contre les tenants de 1’ancien régime, violence qui sera prise en charge par la gauche, et les gauchistes; au nom encore une fois de l'antifascisme, ils essaieront de polariser le prolétariat.sur un terrain bourgeois et de le détourner de ses luttes.
11 — Comme en 1936, en raison des violences, qui s'y préparent, et de la situation historique de laquelle elle sort, l’Espagne est appelée à constituer à nouveau un des thèmes principaux de dévoiement des luttes, du prolétariat européen. Les actuelles campagnes antifascistes, bien que pour le moment elles aient surtout pour fonction d'aider la bourgeoisie espagnole a se débarrasser d'un régime inadapté aux besoins du capital, font partie des préparatifs bourgeois pour renforcer le mythe qu'elle utilisera à fond au plus chaud des affrontements de classe : celui de "la menace fasciste".
La différence avec les campagnes de 36, c'est que les présentes ont surtout pour fonction d'entraver un développement ascendant de la lutte prolétarienne afin de mieux pouvoir la réprimer le moment venu, alors que les précédentes se situaient après 1’écrasement du prolétariat mondial et avaient pour tâche de mobiliser celui-ci dans la guerre impérialiste. En 1925, en face d'un prolétariat complètement désemparé, le fascisme avait une existence réelle et cela permettait d’autant mieux l'embrigadement de la classe prolétarienne. Aujourd'hui la "menace fasciste" doit être construite de toutes pièces et un prolétariat en plein réveil aura beaucoup plus de difficultés à avaler une telle couleuvre, mais le relatif succès avec des conditions moins propices de la mystification antifasciste autour du Portugal, montre qu'il ne faut pas négliger celle qui se développera autour de l'Espagne.
12 — Dans cette perspective, les .révolutionnaires doivent mettre au premier plan de leur activité la dénonciation la plus claire et systématique possible de la mystification antifasciste. Ils doivent; dénoncer 1a gauche candidate au rôle de bourreau du prolétariat et particulièrement les chiens de garde gauchistes, qui essai et essaieront de la battre sur son terrain dans l'hystérie antifasciste. Ils doivent, pour leur part, veiller à ne faire aucune concession aux campagnes antifascistes et affirmer clairement la fonction contre-révolutionnaire de tous les courants politiques qui, même de façon critique, participent et participeront à ces campagnes.
REVOLUTION INTERNATIONALE 19. 10. 1975.
Le Courant Communiste International salue la constitution du groupe unifié en Belgique et son intégration dans le C.C.I. Il voit dans ce fait une manifestation de la situation mondiale d'approfondissement de la crise ressentie plus fortement chaque jour par les éléments révolutionnaires qui tendent à regrouper leurs forces sur le plan national et international afin de pouvoir efficacement assumer les responsabilités qui sont les leurs dans lai lutte internationale du prolétariat.
L'importance de la constitution de la section du C.C.I. en Belgique est à souligner pour plus d'une raison :
- l'importance de ce pays hautement industrialisé dont le prolétariat a une longue tradition de lutte de classe.
- sa place géographique qui en fait une plaque tournante de l'Europe.
- 1'inclusion d’un important secteur ouvrier qui permettra le développement de notre propagande vers les pays de langue flamande.
Aussi, le C.C.I. est convaincu de la place qu'est appelée à occuper la section en Belgique dans le cadre-de l'ensemble de son travail.
Le C.C.I. estime qu’une attention particulière doit être accordée par les révolutionnaires à l’expérience que constitue le processus d'unification des groupes en Belgique. L’esprit qui a été constamment présent dans ce processus se fondait sur une véritable volonté révolutionnaire consciente de la nécessite du regroupement organisationnel dans le cadre des principes fondamentaux de l’orientation révolutionnaire.
Le C.C.I., dans son ensemble, doit s'imprégner de cette riche et positive expérience dans la poursuite de son travail pour le regroupement des révolutionnaires. Cette expérience est une illustration de la nécessité entre le monolithisme stérile et l’éclectisme empirique, produites de la longue période de recul et qui pèsent lourdement aujourd'hui sur les éléments révolutionnaires.
RESOLUTION ADOPTEE PAR LE C.C.I.
INTRODUCTION A LA LETTRE A "DIVERSION",
La lettre qui suit fut adressée à un groupe argentin qui, se réclamant de l’essentiel des conceptions de l’"INTERNATIONALE SITUATIONNISTE", nous a fait parvenir des extraits du premier numéro à paraître, de leur revue : "DIVERSION". A travers la critique de ces documents, elle est donc amenée à traiter de ce qu’on a voulu appeler le "situationnisme".
Le "situationnisme" fut l'expression la plus radicale du mouvement étudiant qui, réagissant aux premiers symptômes de la crise économique mondiale secoua les principaux pays occidentaux à la fin des années
Préconisant la "fin de l'université", la destruction radicale de l’Etat bourgeois avec ses syndicats et ses "partis ouvriers" staliniens, trotskistes et autres dérivés, se revendiquant du "pouvoir international des "Consei1s Ouvriers", il tranchait d'avec le gauchisme universitaire qui réclamait "la modernisation de l'université", l'instauration de "gouvernements démocratique" formés par les "partis ouvriers" du capital, et ne mettait derrière le mot révolution que la revendication de capitalisme d'Etat.
Mais 1'"Internationale Situationniste" ne survécut pas au mouvement qui l’avait portée au sommet de sa gloire. Avec la fin de la contestation estudiantine, l’IS se dissout dans une série de scissions et d'exclusions réciproques portant sur la problématique qui lui était en fait la plus spécifique, à savoir les problèmes du petit-bourgeois intellectuel, sincèrement révolté entre la société capitaliste, mais impuissant a envisager les problèmes de 1’humanité autrement qu'à travers ceux de sa petite individualité, ceux de la ''misère de sa vie quotidienne". Incapables tout comme les socialistes utopistes du XIX° siècle dont ils aimaient tant se réclamer, de reconnaître réellement dans la classe ouvrière la seule force révolutionnaire de la société ; les situationnistes ont fini par s'user dans les impasses mesquines et nombrilistes de la recherche de l'auto "désaliénation".
Cependant, par ses positions contre le syndicalisme, le parlementarisme, le frontisme, le nationalisme, le capitalisme d'Etat présenté comme socialisme, le situationnisme fait encore illusion aujourd'hui dans des noyaux cherchant à se transformer en facteurs actifs de la révolution communiste. Mais, tout comme il y a sept ans, son incompréhension des fondements mêmes du marxisme le déterminisme économique et le rejet de toute possibilité d'activité révolutionnaire en dehors de la lutte historique de la classe ouvrière — fait du "situationnisme" cette théorie de la petite bourgeoisie révoltée, une impasse réactionnaire pour toute démarche vers l'activité révolutionnaire.
C'est ce que nous avons voulu mettre en évidence dons cette lettre à "Diversion".
LETTRE A "DIVERSION" (Argentine).
Le texte de Maria Teresa et de Daniel commence par dire :
"La lutte que nous avons engagé contre le vieux monde, la réalisation de moments qui ne soient pas morts entre dans une phase nouvelle. La société spectaculaire-marchande se divise et affaiblit ses forces dans cette période historique. La "diversion" surgit et sa force va grandissante. Et le lecteur attentif constate qu'il ne parvient pas réellement à comprendre ce que les auteurs ont voulu exprimer dans ces lignes. Il lit dans le texte, toujours attentif, jusqu'à la dernière ligne, dans l’espoir d’un éclaircissement. Mais la seule conclusion à laquelle il puisse parvenir en fin du dernier paragraphe, c’est que son incompréhension est due en réalité à l'incohérence des idées qui les rend si obscure.
Voyons point par point :
LE SUJET DE L’HISTOIRE.
"Il est dit, dans 1e dernier paragraphe : "la poursuite cohérente de la réalisation du pouvoir international dés Conseils Ouvriers". Et le texte commence par "La lutte que nous avons engage centre le vieux monde". Qui çà nous? Si l'on considère que "le pouvoir international des Conseils Ouvriers" est l’actuelle finalité historique, un moment de la lutte pour détruire le vieux monde, On doit logiquement admettre que la classe ouvrière seule est le réel sujet de cette lutte. (A moins de supposer que ce pouvoir international soit donné à la classe ouvrière par une autre classe ou par un groupe d’individus, comme le croient, ou croient le croire, les léninistes de tous poils — ce qui est supposé ne pas être votre cas).
On est donc amenés à se demander : pourquoi, dans tout le reste du texte, il n’est jamais plus question ni de la classe ouvrière, ni de 1a lutte quelle mène depuis 150 ans, pourquoi rien n'est déduit, absolument rien, de toutes les expériences que la classe révolutionnaire a dégagé tout au long de sa lutte contre 1e vieux monde, le monde capitaliste, et qu' elle a payé si, cher ?
Si l'on est réellement convaincu que, dans la société actuelle la classe ouvrière est le sujet de l’histoire, il faut écrire, au lieu de "la lutte que nous avons engagé contre 1e vieux monde", "la lutte que la classe ouvrière à engagé contre le vieux monde depuis plus do 150 ans".
Ce qui alors devient incompréhensible, c'est, le passage, sur la "réalisation de moments qui ne soient pas morts". Elle prête à croire que la lutte du prolétariat depuis ses débuts "est faite de la réalisations de moments qui ne soient pas morts". On peut supposer que ces derniers sont des moments de "vie réelle", c’est à dire des moments; dans lesquels l’homme, ou plutôt dans ce cas les ouvriers, ont pu développer sans entraves et harmonieusement leurs capacités. Mais,
— premièrement seuls les réformistes récalcitrants peuvent croire que cela est possible "momentanément" et dans le cadre de cette société. "Réalisé" dans cette société, c’est la mystification de base qu’utilisent les réformistes. La vérité des révolutionnaires, c’est que la destruction de cette société est indispensable pour pouvoir en réaliser une autre plus humaine, et que c’est donc qu’il faut commencer. Une des particularités ode la révolution prolétarienne réside dans le fait que c'est la première fois dans l’histoire qu’une révolution sera faite par une classe exploitée, ce qui implique que pour la première fois dans l’histoire, il est impossible de faire surgir la nouvelle société à l'intérieur de la vieille (comme la féodalité put surgir dans la société esclavagiste, et plus tard la bourgeoisie put apparaître dans le monde féodal. Il n'y a pas aujourd'hui d'arrangement politico-économique possible entre la classe dominante et la classe révolutionnaire, parce que ce ne sont pas deux classes exploiteuses qui s'affrontent, mais bien la classe exploitée et la classe exploiteuse. C'est donc une conception parfaitement réformiste et tristement étriquée que vous défendez en écrivant :
"La fausseté de la séparation entre "travail manuel et travail intellectuel "doit être démontrée en nous mène. Notre expérience nous a démontré que dans le chemin "pour devenir humains, nous devons développer nos aptitudes, été capables de souder un tuyau aussi bien que ranger une cuisine, savoir parler plusieurs langues ou exercer des médecines traditionnelles" (indigènes, massages, herbes, acupuncture, etc.)
La séparation entre travail manuel et intellectuel n'est ni faussé ni juste. Elle est une nécessité de cette société, au "même titre que sa disparition le sera dans la future société. Son élimination n’est pas un problème individuel, pour la bonne raison que son existence ne l'est pas et ne le fut jamais. Nous ne pourrons l'éliminer qu'à l'échelle mondiale uniquement, car ce n’est qu'à l'échelle mondiale que son élimination répondra à une nécessité objective, et donc à une possibilité. C'est une triste et pauvre illusion que de penser que "souder des canalisations" entre deux lectures philosophiques contribue un tant soit peu à éliminer la division entre travail manuel et intellectuel! Le prolétariat ne lutte pas pour créer d'illusoires moments individuels pendant lesquels s'éliminerait cette division. Sa lutte, bien au contraire, a pour but la création des conditions matérielles concrètes (la dictature politique des Conseils Ouvriers dans le monde entier) qui permettront de commencer à établir les bases d'une société nouvelle dans laquelle cette division pourra et devra disparaître, non pas momentanément, mais de façon, définitive.
— deuxièmement : le moteur de l'action des classes, et donc celui de la classe ouvrière, n'est pas constitué spécifiquement par une "critique de la vie quotidienne" ou par la quête de "moments non morts". Dans la société actuelle, comme dans toutes les sociétés du passé, la "vie quotidienne" a toujours été aine vie inhumaine, non seulement pour les classes exploitées, mais aussi pour tous les hommes. Il ne fait aucun doute que tous les hommes, en fin de compte, cherchent des améliorations, l'humanisation de leur vie quotidienne, et cela est aussi vrai pour les bourgeois que pour les prolétaires. Les individus aujourd'hui bourgeois auront une vie plus humanisée, seront plus heureux dans la future société. On se demande alors pourquoi les uns luttent pour la destruction de la société actuelle tandis que les autres œuvrent à sa perpétuation. Considérée du point de vue de la problématique de la vie quotidienne, cette réalité reste incompréhensible. En outre, si l'on pousse de façon cohérente la problématique qui fait de la lutte contre l'aliénation individuelle de la vie quotidienne le moteur de la lutte révolutionnaire, il faut bien vite en arriver aux conclusions suivantes :
1° la révolution n'est pas une question de classé, c'est à dire d'hommes déterminés par leur situation économique au sein d'un mode de production, mais bien plus une question d'individus plus ou moins aliénés (ce n'est pas un hasard, s'il n'est presque jamais parlé de "classes" dans vos textes, pas plus que dans ceux de l'IS).
2° Les individus les plus révolutionnaires seraient les petits-bourgeois intellectuels, parce que leur vie est la plus "irréelle" et aussi parce que leurs préoccupations personnelles sont les plus favorables à la réflexion sur tous ces problèmes d'ennui et "d’absurdité de l'existence" (un groupe social sans position réelle dans le mode de production est bien sûr le plus sujet aux angoisses "existentielles" caractéristiques d’une classe sans passé ni devenir historique). "Ce n'est pas du tout par hasard que vous écrivez : "la possibilité de réalisation de l'histoire de l'humanité se trouve dans l'union indissoluble des luttes des groupes qui veulent être révolutionnaires et du mouvement toujours inachevé — dans cette préhistoire — de la rage des déclassés ; dans, l'addition totale de leurs talents et volonté dans le combat contre le " spectacle dominant".
Si vous voulez croire, avec les anarchistes, que l'histoire humaine est le produit de 1'"addition totale des talents et volonté" d'individus qui "veulent" et d'hommes "déclassés", c'est votre affaire. Mais expliquez alors quel besoin vous avez de parler du "pouvoir international des Conseils ouvriers."
Le pouvoir des Conseils Ouvriers suppose les ouvriers organisés en tant que classe. Dire que ce pouvoir constitue le chemin vers la société sans classe revient à dire que la réalisation de l'histoire de l'humanité sera le fait de la lutte de la classe ouvrière.
La problématique de la vie quotidienne peut sembler permettre la critique globale de tous les Etats actuels, URSS, Chine ou USA, sans avoir à assumer la tache pénible de la démonstration économique, scientifique, qu’ils sont tous des formes que prend le capitalisme à un stade plus ou moins avancé de son évolution vers la forme la plus décadente du système : le capitalisme d'Etat.
Mais la critique de la vie quotidienne, en réalité, à force de tout englober (toutes les classes, toutes les époques de 1’histoire) n'englobe que le vide, elle n’est faite que de mots creux, qui parviennent tout juste à cacher l'essentiel (la lutte des classes), poussant ses adeptes à perdre leur temps dans des traités sur "le parfait self-made free man".
— troisièmement : le "chemin pour devenir humains" dont vous parlez et que tout individu (quelle que soit son origine de classe) peut chercher, ne peut pas être un chemin "d'auto-purification solitaire", d'"auto-désaliénation individuelle"; être humain revient à s'assumer en tant qu'être humain, c'est à dire faisant partie intégrante de l’humanité et implique donc, avant tout, d'assumer l'histoire de l'humanité en s'intégrant en tant que facteur conscient et actif dans cette évolution historique de 1' espèce.
Pour l'instant, au sein de cette dernière étape de la "préhistoire de l'humanité", "règne et domination de la nécessité", 1'"histoire de l'humanité est toujours l'histoire de la lutte des classes"; dans ce contexte, être humain revient à être un facteur actif dans la lutte d'une classe déterminée, la classe-révolutionnaire : la lutte de la classe ouvrière pour la défense de ses propre intérêts, qui aujourd'hui se confondent avec les intérêts de .l'humanité entière.
Les idées ne sont pas le fruit d'autres idées, elles sont, des produits de la vie pratique des hommes et celle -ci ne peut être que sociale. Dans une société divisée en classes, les idées révolutionnaires ne peuvent être que le produit de la pratique historique de la classe révolutionnaire.
Lorsque dans votre texte vous faites référence à ce que doit être l'organisation des révolutionnaires (la quasi totalité du texte traite de ce sujet) et aux convictions qui doivent l'animer, vous ne faites jamais référence à la pratique historique de la classe révolutionnaire. C'est pour cela que votre texte est, dans le pire sens du terme, idéologique, idéaliste. Au lieu de prendre pour point de départ la pratique historique de la classe pour parvenir à définir ce que doit être un de ses instruments —1'organisation des révolutionnaires —, et à partir de son rôle et sa fonction, ensuite, définir comment doivent agir les individus qui y adhèrent, au lieu de prendre ce processus d'analyse réellement matérialiste, vous poursuivez un processus inverse (celui-là même que Marx a critiqué dans les "Thèses sur Feuerbach" et qu'il qualifiait de matérialisme "intuitif", "vulgaire"), prenant pour point de départ et comme ultime point de vue l’individu, considéré hors de la pratique sociale, extérieur aux classes.
Ainsi, alors que la classe ouvrière mondiale réapparaît plus forte que jamais dans tous les recoins de la planète, après cinquante ans de contre-révolution triomphante, alors que cette réapparition est engourdie par un demi-siècle d'obscurantisme stalinien, social-démocrate, qui parle de socialisme de nationalisations et autres pièges que le capital mondial tient toujours tendus, alors que la classe ouvrière affronte la dure tâche de se réapproprier son expérience historique révolutionnaire, vous perdez les 3/4 de votre première publication et de votre temps en bavardages d'auto-désaliénation au moyen de lampes à souder, d'herbes indigènes et autres "diversions" de votre médiocrité quotidienne.
Il est effectivement important de dénoncer tous ceux qui testent de confondre capitalisme d'état et socialisme, tous ceux pour qui "la révolution" n'implique pas une transformation radicale dans tous les rapports humains. Cependant, baser notre critique sur ce dernier aspect est en fin de compte secondaire car permettant trop de confusions du simple fait qu'il épargne et laisse de côté l'essentiel : la lutte de classe et il est révélateur de constater à quel point les sociaux-démocrates européens sont loin de l'ignorer, et en particulier en France, où leurs slogans préférés depuis quelques années sont : "changer la vie" et "socialisme autogestionnaire". Et ce n'est pas pure démagogie : le premier slogan permet de diluer le prolétariat dans le "Peuple", c’est-à-dire 1’ensemble des classes posant problèmes et solutions à l’échelle des INDIVIDUS. Le second mot d'ordre a pour but d’enfermer la classe dans ses usines, en faisant jouer les ouvriers à la "gestion de leur propre exploitation", de leur propre misère, pendant que le Capital conserve les rênes du pouvoir central face à une classe atomisée, auto-divisée, auto castrée. L'expérience de 1920 en Italie, où la classe ouvrière se laissa enfermer dans ses usines en jouant al1 auto-exploitation, pendant que le gouvernement de Giolitti (lequel n'interrompit même pas ses vacances pour mener à nier 1’opération), avec l’appui. des syndicats, s'emparait sans coup férir avec sa police de toute la ville, est un clair, et parfait exemple du contenu et des dangers de toute la mystification autogestionnaire et de la "vie quotidienne".
Dans la période actuelle, le prolétariat — la classe ouvrière — est le seul sujet de 1'histoire. Toute idéologie, toute conception qui ne prend pas la classe ouvrière comme axe essentiel de la lutte révolutionnaire, se situe du fait hors de 1' histoire, hors du terrain réel de la révolution. C'est essentiellement pour cela qu'elles peuvent si facilement devenir des instruments de la contre-révolution.
Là PERIODE HISTORIQUE ACTUELLE
Revenons au premier paragraphe du texte qui, en fin de compte, résume l'essentiel des faiblesses du texte entier.
Il y est affirmé que "la lutte... contre le vieux monde entre dans une nouvelle phase". "La société. spectaculaire—marchande se divise et affaiblit ses forces dans cette période historique". "La DIVERSION surgit et sa force va grandissante".
Laissons de côté ce qui concerne la DIVERSION, que vous définissez comme étant "le dépassement de la séparation entre le jeu et la vie quotidienne", puisque la première partie de cette lettre ébauche la critique de ce genre de concept. Ecartons aussi cette formule qui désigne le Capital :"société spectaculaire-marchande", car le terme "spectaculaire" qu'aimait tant à employer l.'I.S. est des plus confusionniste et l'Association "spectaculaire-marchande", au lieu de préciser la spécificité historique de la société actuelle (ce qui distingue le capitalisme des autres formes sociales dans l’histoire) ne fait que la diluer.
Ces deux points étant écartés, nous sommes totalement d'accord pour dire que la lutte historique de la classe ouvrière entre dans une "nouvelle phase" et que le système capitaliste "se divise et affaiblit ses forces". Il n'empêche que tout ceci, aujourd’hui, ne dépasse pas le stade de la constatation banale telle qu'elle peut apparaître sur la couverture du "Time Magasine". L'important est de dégager :
1° pourquoi se développent ces deux phénomènes et pourquoi aujourd'hui ;
2° en quoi consiste cette nouvelle phase de la lutte révolutionnaire.
Votre texte ne donné aucune réponse suffisante à ces deux préoccupations essentielles.
A la question "pourquoi la société capitaliste se divise et affaiblit ses forces" de façon générale, la seule réponse que vous donnez se trouve dans la bande dessinée qui s’appelle "Dialectique de l'Etat, dialectique de la pourriture". Le "super-héros" de cette historiette dit : "Une légère régression suffit, un grain de sable dans les systèmes, pour qu'éclate la crise; ou pour mieux dire, pour qu'elle révèle sa réalité immédiate. Au moindre prétexte — récession économique, brutalité policière, émeute de football, règlement de comptes — la violence sociale reprendra son escalade !"
Qu'est-ce que la "violence sociale"? Est-elle l'exploitation et l'oppression quotidienne ? Est-elle la lutte révolutionnaire du prolétariat ? Le terrorisme d'individus désespérés ? Celui de factions de la bourgeoisie luttant pour prendre le pouvoir ? Afin que la phrase suivante dans l'historiette — "le moment n'est.pas venu ... de s'engager consciemment dans un travail pour favoriser l'évolution de la révolution internationale" (?) — prenne un sens, nous allons : supposer qu'il s'agit de la lutte de la classe révolutionnaire contre le vieux monde.
Cette idée est alors complètement fausse. Depuis des décennies, les fameux "moindres prétextes" dont vous parlez, se sont produits des dizaines de fois (récessions économiques), des milliers (émeutes de football), des millions de fois (règlements de comptes), sans que la lutte révolutionnaire "reprenne son escalade". En outre, d'où avez-vous pu sortir cette idée qui vous fait dire qu'une "légère régression" SUFFIT pour faire éclater la crise permanente dans laquelle est plongée la société? De quel monde parlez-vous donc ? De celui qui apparaît dans l’historiette de science-fiction ou de celui dans lequel nous vivons ?
Si nous considérons un individu pris isolément, il est juste de dire que sa prise de conscience de la crise dans laquelle vit .l'humanité depuis plus de cinquante ans peut être provoquée par n'importe quelle cause : révolte contre le père, problèmes affectifs, crise de religion, lecture de textes, etc… Mais il serait absurde de confondre le monde personnel de chacun et le monde social réel. La vie individuelle est déterminée par la vie sociale, mais la vie de la société n’est pas le produit de l'addition des vies individuelles— comme le prétend l'idéalisme. La révolution prolétarienne a déjà éclaté plus d'une fois dans l'histoire, et qui n'en a pas une ignorance totale sait que ce qui la fait surgir en tant que mouvement apparent est déterminé par :
1°) une condition nécessaire (ce qui ne signifie pas suffisante) : une crise économique suffisemment profonde. Elle seule peut forcer toutes les classes (couches sociales d'hommes déterminés non par leurs idées, ni par la couleur de leur peau, ni par leurs coutumes, etc., mais avant tout par leur situation à l'intérieur du rapport social de production), et en particulier le prolétariat, à tenter d'agir selon leurs intérêts spécifiques. La crise économique du système, met en évidence la NECESSITE de réorganiser différemment la société, puisque jusqu'à présent, le squelette de la société reste l’économie.
2°) une condition suffisante : la classe ouvrière ne se trouve pas dans une période historique de défaite lorsqu'éclate la crise (comme cela pouvait être le cas dans les années 1929-46, quand la classe ouvrière mondiale gisait sous la botte de la contre-révolution triomphante, de Moscou à Madrid et de Canton à Berlin en passant par Turin).
Voilà les conditions générales qui peuvent être déduites de l'expérience historique d'un siècle et demi de luttes ouvrières. Ce sont les conditions pour qu'éclaté ouvertement lai révolution prolétarienne, mais elles ne suffisent pas pour attester son triomphe. Celui-ci dépend de mille autres facteurs qui influent sur le rapport de force entre le prolétariat et le capital — mais ce n'est pas le sujet de la discussion pour le moment.
On peut en tous cas dégager que les conditions de cette explosion, nécessaires pour que la révolution prolétarienne "reprenne son escalade", n'ont rien de commun avec les "moindres prétextes" dont vous parlez. Selon votre conception de la révolution sociale, la force révolutionnaire est toujours présente, éternellement, toujours prête à détruire le vieux monde au nom du monde à venir. Avouons qu'elle fait étrangement penser au désir de communisme des chrétiens primitifs. Sur quoi vous basez-vous pour affirmer la nécessité et la possibilité de la révolution prolétarienne internationale? Sur l'indignation que peuvent provoquer les injustices? Sur 1’aliénation exagérée de la vie quotidienne? Pensez-vouer réellement que Mai 68 en France et l'Automne 69 en Italie, Décembre 70 en Pologne, les luttes du Ferrol, de Pampelune ou de Valladolid en Espagne, la généralisation de grèves sauvages en Angleterre en 72, le "Cordobazo" et le "Mendozazo" en Argentine etc., soient le produit spontané mondial de la renaissance de l'idée de justice en soi? Pensez-vous que c'est par pur hasard si les luttes ouvrières se sont développé internationalement peu près 1;entrée dans une nouvelle crise de l'économie capitaliste (seconde moitié des années 60), lorsque s'est achevée la "prospérité" de la reconstruction (due aux dégâts produits par la seconde guerre mondiale) aux sons agressifs des clairons des pays "reconstruits" qui cessaient d'être un marché pour les USA, tout en commençant à nécessiter pour eux-mêmes des marchés pour écouler leurs marchandises.
Aujourd'hui, à nouveau, le capitalisme referme le cycle de survie qui est le sien depuis la première guerre mondiale : CRISE-GUERRE - RECONSTRUCTION - CRISE etc.
Pour faire face à la crise dans laquelle s'enfonce toujours plus le capitalisme décadent, l'humanité ne dispose aujourd'hui que de deux solutions :
- la solution prolétarienne, la révolution, qui détruira le système capitaliste et instaurera le socialisme, mettant ainsi fin à la préhistoire de l'humanité ;
- la solution capitaliste, si le prolétariat est vaincu dans sa tentative révolutionnaire, c'est à dire une troisième guerre mondiale qui relancerait le cycle de reconstruction et la perspective d'une nouvelle crise qui reposera le même problème.
Si on peut aujourd’hui dire que 1'alternative est à nouveau "socialisme ou barbarie", ce n'est pas en fonction d'un éternel principe de "justice" qui guiderait 1'évolution de l'humanité, même si on peut 1'opposer au cycle capitaliste. L'histoire nous apprend (et l'actualité nous le confirme) que la crise économique du système capitaliste impose la Barbarie de la guerre impérialiste, la destruction généralisée, et met à l'ordre du jour, d'autre part, la réaction d’une des classes exploitées, la classe ouvrière. Cette dernière, de par sa position de classe EXPLOITEE et ASSOCIEE dans la production, est porteuse, dans son opposition, et sa résistance à l'exploitation et à l'oppression du capital, de la solution socialiste la société nouvelle.
On ne peut comprendre 1es événements mondiaux actuels que sur cette base, et sur elle seule se fonde de façon sérieuse la perspective révolutionnaire internationale.
En fait, l'essentiel de cette discussion se résume, en un point : êtes-vous, oui ou non, marxistes ? "L’Internationale Situationniste", qui héritait pour une grande part de la tradition de "Socialisme ou Barbarie" ne l'était pas: (bien que jamais elle n'osa clairement 1'avouer). Elle se contenta de répondre, comme souvent, par des plaisanteries et des pseudos clins d’œil pour "pseudo-initiés", dans le genre : "Marx a fondé l'IS en 1864" ou "Comme le disait Marx, nous ne sommes pas marxistes".
Tout comme "S ou B", l'IS est une partie du tribut que le mouvement révolutionnaire a du payer à la contre-révolution stalinienne et a la plus gigantesque mystification de l'histoire : celle qui présente le marxisme comme étant le support théorique du capitalisme d'Etat.
Notre tâche aujourd'hui consiste à nous réapproprier l'expérience de notre classe, et le marxisme en fait partie intégrante, essentielle. Pour ce faire, il est nécessaire d'abandonner certaines attitudes puériles, en particulier celle de croire que ce qui est révolutionnaire est défini en réaction inverse à ce qui est contre-révolutionnaire. La théorie prolétarienne, les conceptions révolutionnaires, ne sont pas l'inverse de la contre-révolution, mais bien les résultats de la pratique historique de la classe révolutionnaire.
Rompre avec la tradition révolutionnaire du militantisme parce que les staliniens créèrent un militantisme qui correspondait à leurs fins contre-révolutionnaires, rompre avec l'idée de PARTI parce que les partis actuels sont tous dans le camp de la bourgeoisie, rompre avec les enseignements de l'expérience du prolétariat russe en 17 et du parti bolchevik parce que celui-ci y incarna la contre-révolution, toutes ces ruptures ne font rien d'autre que prendre le contre-pied symétrique de la contre-révolution.
Ce qui distingue la lutte prolétarienne des luttes des autres classes exploitées; c'est précisément que c'est la seule qui puisse s'affirmer POSITIVEMENT, car elle apporte une solution au devenir historique, alors que les autres, (petits-paysans, petits commerçants) ne parviennent difficilement et ce, dans le meilleur des cas, qu'à une REBELLION purement négative : elles s'affirment contre 1'évolution du capitalisme sans être à même d'apporter là perspective d'un autre type d'évolution. Dans ce sens, seul le prolétariat est à même d'engendrer une pensée, une conception du monde réellement autonome, par rapport à l'idéologie dominante. Le prolétariat, SEUL, peut NIER le capitalisme, parce que lui SEUL peut le-dépasser.
C'est à partir de ce point de vue que nous pouvons nous situer, et non à partir de la simple antithèse systématique de la contre-révolution,
Quant à la seconde question : quelle est, cette "nouvelle phase" dans laquelle entre la lutte du prolétariat, c'est encore dans 1'historiette de bande dessinée que nous avons cru devoir trouver la réponse. Il y est dit: Si le prolétariat ne se dissout pas bientôt, mettant ainsi fin à la société de classes, à la société de survie, au système spectaculaire-marchand, à la perspective de pouvoir. S'il n'établit pas l'autogestion généralisée, l'harmonie sociale basée sur les assemblées souveraines, le risque existe que le mal de la survie généralise le réflexe conditionné de la mort.
La question se pose d'abord : qu'entendez-vous par "si le prolétariat ne se dissout pas bientôt" ?
Il est juste dé dire que la disparition de la société divisée en classes, accélérera la disparition, la dissolution du prolétariat. "Ceci n'est cependant pas le début de la lutte révolutionnaire, mais bien son ultime conséquence, car l'élimination des classes n'implique pas seulement la destruction du pouvoir de la bourgeoisie, mais aussi l'élimination de tous les vestiges économiques de la société capitaliste, et en particulier de la marchandise ce qui implique l'élimination AU NIVEAU MONDIAL de toute échange, ce qui à son tour implique que les richesses de la société soient suffisantes PARTOUT DANS LE MONDE, ce qui ne pourra être possible qu'après un certain temps de domination, par les producteurs, des moyens de production.
La période de transition entre capitalisme et communisme n'est rien d'autre que la période durant laquelle le prolétariat va s'étendre à l'ensemble de la population du globe. Non pas en s'auto-dissolvant dans les autres couches sociales, mais au contraire en intégrant en son sein ces dernières. Le prolétariat ne cessera pas d'exister parce que les prolétaire d'aujourd'hui décideront demain de ne plus l'être, mais parce.que 1'ensemble de la population se sera intégré au prolétariat» Le processus de dissolution de la classe ouvrière se confond avec le processus de son extension.
Ce processus est à la fois conscient, politique et économique, et sa fin est celle de la politique et de l'économie.
Afin de pouvoir dissoudre les classes, le prolétariat doit avant tout prendre les moyens concrets de le faire, et le premier de ceux-ci n'est rien moins que la prise de pouvoir politique et l'exercice de sa dictature, Pour pouvoir se nier, le prolétariat doit donc commencer par s'affirmer en tant que classe autonome face à toutes les autres couches de la société, parce qu'il est la seule force réellement révolutionnaire.
La phase dans laquelle entre aujourd'hui la lutte révolutionnaire n'est donc pas celle qui doit conduire le prolétariat à une "dissolution proche", mais au contraire celle qui doit accélérer le processus de prise de conscience de ses intérêts de classe, la nécessité d'agir en tant que classe unie mondialisent et autonome face au reste de là société, la prise de conscience qu'elle est la classe qui porte en elle l'avenir de l'humanité.
Le mouvement ouvrier est aujourd'hui dans la phase d'apprentissage d'auto-organisation, c'est à dire qu'il apprend à s'organiser dans ses propres assemblées et à les coordonner par le moyen des Conseils de délégués élus et révocables, à la plus grande échelle possible, hors des syndicats et contre eux.
Nous avons déjà parlé des dangers qu'impliquent les idéologies du type de "l'autogestion généralisée". Une des principales tâches, des révolutionnaires est aujourd'hui de dénoncer toutes les mystifications que la bourgeoisie tente de faire accepter dans tous lès pays au prolétariat, pour lui faire prendre en charge la gestion de la banqueroute du système, pour le diviser en l'enfermant dans les "usines autogérées", et surtout pour le dévier des impératif s politiques de sa lutte historique, la prise de pouvoir à l'échelle mondiale. .
Toute critique porte en elle le danger de déformation de l'idée critiquée. Nous espérons l'avoir évité dans cette lettre, et nous attendons votre réponse au plus tôt. Les années que nous vivons sont celles dont Marx disait qu'elles résumaient des époques entières. Et, comme vous le dites dans votre texte : "Etre révolutionnaires, c'est marcher au rythme de la réalité".
Saluts communistes, pour le SI du CCI,
R. Victor (cette lettre est traduite de l'espagnol)
I n t r o d u c t i o n
Ce texte est une lettre adressée au groupe suédois "Arbetarmakt" dans le contexte de l'effort de discussion et de prise de contact internationaux que poursuit notre Courant. Récemment, Arbetarmakt a publié en anglais un texte résumant l'orientation politique du groupe défendue dans son journal en suédois d'où il se dégage un curieux mélange d’aspects positifs de la tradition "conseilliste" et d'un certain Tiers-mondisme, ce mélange n'est d'ailleurs pas étranger à ceux qui prétendent être les continuateurs de la gauche hollandaise, comme nous 1'avons montre dans un article dirigé contre les conceptions de Daad en Gedachte dans le n°2 de la Revue Internationale ([1] [90])
Cependant, le texte d’orientation d’Arbetarmakt présente un intérêt dans la mesure où il exprime un effort commun à beaucoup de groupes 'actuellement vers; la clarification des idées politique. C'est dans cette optique que nous avons voulu contribuer à ce processus. Bien que nous n'ayons pas reçu de réponse, nous pensons que notre lettre dans la: mesure où elle soulève des questions telles que la "libération nationale" aujourd'hui, le capitalisme d'Etat, etc., a une portée générale, c'est pourquoi nous la publions,
Votre "texte de présentation" tente de définir l'orientation politique de votre organisation dans la lutte de .classe» En ce sens, ce texte soulève des points importants : la nécessité des conseils ouvriers et de l'activité autonome de la classe, l'importance de l'expérience acquise par la classe ouvrière tout au long de son histoire, la dénonciation de la "gauche" du capital et des pays dits "socialistes". Vous rejetez la conception léniniste du parti tout en reconnaissant la nécessité de l'organisation des révolutionnaires dans notre période de montée des luttes. En ce qui concerne ces points, notre Courant défend des positions très proches des vôtres.
Nous voulons cependant commencer certains aspects de votre plateforme qui demandent à être clarifiés ou précisés davantage.
Par exemple, votre document ne parle même pas de la crise économique qui bouleverse le monde capitaliste actuellement de l'ouest à l'est. De même que toutes les formes d'organisation sociale : antérieures basées sur l'exploitation, le capitalisme n'est pas éternel. Il est déchiré par la contradiction entre le développement. des forces; productives et les limites étroites des rapports sociaux, contradiction liée aux lois économiques du système. Durant la plus grande partie du 20° siècle, le capitalisme a fonctionné à travers le cycle infernal de crise-guerre-reconstruction-crise, démontrant par là sa faillite historique en tant que système. En l'absence de victoire de l'a révolution prolétarienne, le capitalisme en déclin ne peut que perpétuer ce cycle exprimé dans une autarcie croissante, une économie de guerre permanente, une crise économique de plus en plus profonde et 1'exacerbation des conflits inter-impérialistes qui menacent d'une autre guerre mondiale. La seule alternative possible dans le capitalisme décadent est le socialisme ou la continuation de la barbarie.
Pendant les années d'apparente "prospérité", basée sur la reconstruction des économies détruites par la guerre, certains courants politiques ont pris ce "boom" apparent pour la réalité du système capitaliste qui aurait soi-disant échappé à la logique de ses propres lois économiques. Cardan par exemple parlait d'un capitalisme "sans crise", et il a rejeté le marxisme comme théorie désormais inappropriée et "démodée". Pour sa part, Marcuse parlait de l'intégration de la classe ouvrière dans le capital et du besoin de trouver un "nouveau" sujet révolutionnaire dans les couches marginales. L'analysé de la "société de consommation" est devenue très à la mode? et parmi tous les bavardages sur la "société du spectacle" dont l'ennui provoquerait, on ne sait comment, la révolution2 la classe ouvrière, seule classe capable d'être le fossoyeur du capitalisme, a été mise au panier.
Mais, arrivée aux années 60, les choses ont changé. Les symptômes de la crise permanente du système sont réapparus avec la fin de la période de reconstruction. Aujourd'hui aucun doute ne peut: subsister sur la crise : inflation galopante, crise monétaire, chômage menace de désorganisation économique. C’est cette situation objective qui a déterminé la résistance de la classe ouvrière à la dégradation de ses conditions de vie, de l'Italie en 69 à la Pologne 71, en Amérique du Sud,...dans toute l'Europe, de la Scandinavie à l'Espagne et du Portugal. La poussée de la crise a détermine de nouveau un développement de la conscience de classe dans la classe ouvrière et la réémergence de groupes révolutionnaires au sein de la classe.
Nous estimons qu'il ne suffit pas de parler des aspirations révolutionnaires de la classe ouvrière sans les voir dans le contexte de la possibilité concrète et de. la nécessité historique de la transformation révolutionnaire du capitalisme en déclin. Sinon, on peut tomber très facilement dans des notions dangereusement simplistes," à savoir que la crise n'est autre chose que le résultat de machinations des capitalistes individuels, des conspirations de Rockefeller, ou des "cheiks arabes", ou d'autres variations sur le même thème qui aucunes ne tiennent compte des aspects généraux de l'ensemble d'un système mondial en crise. Les révolutionnaires peuvent avoir dés analyses différentes sur le fonctionnement de1a loi de la valeur sur le plan théorique, mais la réalité de la crise économique ne peut pas être niée et on doit en tenir compte de façon cohérente. Cette dimension manque dans votre texte.
L'explication des manifestations de la crise est essentielle pour le développement d'une orientation révolutionnaire cohérente -pour une: analyse qui est une contribution à la lutte de classe- et non pas un ramassis, de différentes positions sans lien les unes avec les autres. Et une telle analyse doit avoir une dimension historique qui inclut les acquis de la lutte de classe antérieure et la contribution du marxisme révolutionnaire.
La cohérence politique et l'effort pour comprendre les acquis du passé sont particulièrement importants par rapport à la question de l'internationalisme prolétarien-et des luttes de libération nationale. Dans sa phase ascendante, le capitalisme était une force sociale progressive vis-à-vis des vestiges du féodalisme et les nations qui se constituaient, étaient le cadre même pour le développement du capitalisme. Dans la mesure où le capitalisme représentait alors un mode de production historiquement progressif, le prolétariat luttait aux côtés de la bourgeoisie contre les éléments réactionnaires. Cela ne veut pas dire cependant que la lutte de classe contre l'exploitation capitaliste n'existait pas. Au contraire, le prolétariat construisait ses organisations: de classe et luttait pour ses intérêts tout au long de cette période. Mais la révolution n'était pas une possibilité historique immédiate, les marxistes et le mouvement ouvrier soutenaient la formation de nouvelles nations dans la mesure ou elle pouvait favoriser le développement des forces productives et donc, accélérer l’accomplissement des tâches historiques du capitalisme. C’était le critère, principal de Marx et Engels quand ils soutenaient d'une part les mouvements en Pologne par exemple, et d1 autre part quand ils supposaient à la formation d’un Etat "sudiste" aux Etats-Unis pendant la guerre de sécession. On ne trouve nulle part dans le marxisme à cette époque la formulation d'un droit abstrait d’"auto-détermination" des nations ou " des peuples" qui constituerait "un pas vers le socialisme", formulations si chères à. nos tiers-mondistes d’aujourd’hui.
Avec le commencement de la décadence du capitalisme, le programme révolutionnaire est devenu la seule réponse possible à la décomposition de la société capitaliste. La bourgeoisie a cessé d'être une classe progressive, essentielle pour le développement des forces productives; seul le socialisme peut sauver l'humanité de la barbarie et de la destruction. Dans l'incapacité générale du système à résoudre ses contradictions internes, les révolutions bourgeoises sont devenues caduques.
Le parti bolchevik a défendu d'une façon intransigeante la position internationaliste pendant la première guerre mondiale et a participé activement à la révolution russe, l'une des plus grandes expériences de la classe ouvrière. Mais il n'a pas complètement compris les nécessités de la nouvelle période de décadence. En particulier, après le 2° congrès de l'IC en 1921, il a imposé à l'ensemble du mouvement ouvrier sa conception du potentiel "révolutionnaire" des luttes pour l'indépendance nationale. En effet, cette, question était si difficile à comprendre que même dans la tradition du conseillisme, des hésitations et des ambiguïtés persistaient à cette époque sur la "libération nationale". Ces ambiguïtés sont reprises sous des formes beaucoup plus ouvertes par ceux qui prétendent être les continuateurs du conseillisme (Daad en Gedachte par exemple).
Malgré votre désir de rejeter le "léninisme" sur certaines questions de la théorie révolutionnaire, vous ne faites qu'accepter et continuer le léninisme quant à la libération nationale. Notre Courant reconnaît les contributions du parti bolchevik dans l'histoire, mais la théorie de Lénine sur la libération nationale n'a pas soutenu l’épreuve de l'histoire. Qu'est-ce que les 50 dernières années nous ont montré au sujet des luttes "libérations nationales". Après tout, nous ne sommes plus dans le domaine de la spéculation sur les "possibilités" futures -nous avons des années d'expérience pour nous rendre compte.
Dans notre époque de décadence, c'est la domination suprême de l'impérialisme, l'impérialisme de tous les pays, des petits comme des grands. Tous les pays se font concurrence pour une part du marché mondial déjà partagé et de toutes façons, insuffisant pour les besoins de la production. Bien entendu, les grandes puissances capitalistes sont mieux armées dans cette lutte constante. Dans ce contexte de rivalités inter impérialistes, l'autonomie nationale est une utopie. Aucun pays ne peut se libérer d'un bloc sans l'aide d'un autre sous la domination militaire et économique duquel il tombe inévitablement.
Les luttes de "libération nationale" sont le théâtre de guerres locales et de confrontation entre les grands blocs impérialistes. Dans votre désir de lutter contre l'impérialisme, vous semblez ne pas comprendre que l'impérialisme n'est pas une question de "mauvaise politique" d'un pays ou d'un autre. L'impérialisme, c'est le mode de vie de tous les pays du système dans son ensemble, dans l'ère de la décadence. Identifier l'impérialisme à la barbarie d'un bloc en particulier, c'est donner implicitement son soutien à l'autre bloc. On peut demander où est le contenu "idéologique", "anti-impérialiste" des luttes qui ont vu l'impérialisme américain et chinois soutenir le Pakistan, et l'impérialisme russe le Bengladesh? Chacun luttait pour ses propres intérêts tout comme la bourgeoisie locale défendait ses intérêts dans cette lutte et la population de cette région a été utilisée comme chair-à-canon pour être laissée ensuite à la famine. Où est le contenu "révolutionnaire" dans le fait que l'impérialisme chinois et français aient soutenu le Biafra pour trouver une petite ouverture en Afrique, tandis que l'impérialisme russe a soutenu le gouvernement fédéral du Nigeria ? Ou encore, aujourd'hui, quand l'impérialisme chinois et américain soutient le régime Marcos aux Philippines, tandis que les intérêts de l'impérialisme russe le poussent à tenter d'appuyer les rebelles musulmans ? Ou encore en Angola, où les russes soutiennent le MPLA et les intérêts chinois et américains sont derrière Holden Roberto et le FNLA.et l’UNI TA ? Dans la situation angolaise, il y a de quoi faire réfléchir même le plus aveugle des adeptes de la libération nationale (cf. brochure d'Internationalism-World Révolution). Tout comme les révolutionnaires du passé ont appelé à la transformation de la guerre impérialiste en guerre de classe, les révolutionnaires aujourd’hui doivent dénoncer ces guerres impérialistes localisées et appeler à la lutte de classe.
Vous prétendez que les luttes de "libération nationale" amènent une "vie Meilleure aux gens", mais comment peut il y avoir de "vie meilleure" sous le capitalisme, sinon en le détruisant? Ou est-ce que vous voulez dire qu'un changement de personnel changera l'exploitation ? Le développement des forces productives à l'échelle mondiale est impossible aujourd'hui -le décalage entre les pays développés et sous-développés se creuse chaque jour davantage, et la misère du Tiers-Monde, aggravée par la guerre, la famine, le chaos économique et les régimes capitalistes d'Etat qui intensifient 1'exploitation, atteint des degrés inimaginables. Le capitalisme a été capable de créer un marché mondial (en détruisant les économies précapitalistes) mais il est actuellement incapable d'intégrer les populations du Tiers-Monde dans le processus de production comme le montrent les bidonvilles de chômeurs un peu partout dans le Tiers-Monde. Dans .certains cas, avec la dépendance économique par rapport aux grandes puissances et une exploitation féroce de la force de travail, certains pays (tels que Cuba, la Chine) ont pu développer une économie de guerre massive et une exploitation intensive de la force de travail avec un taux de productivité très bas.
Ces résultats sont des témoignages tragiques de la misère dés conditions de vie de la classe ouvrière dans ces zones et de la réalité du soi-disant "développement" dans le capitalisme décadent sous toutes ses formes. En Chine, un "petit" haut-fourneau derrière la maison ne représenté guère un développement des forces productives; il n'est qu'une manifestation de l'irrationalité générale des efforts autarciques vers le développement national dans une période de déclin.
Ces nouveaux régimes de "libération", payés dans le sang des ouvriers et de la population en général, qu'est-ce qu’ils signifient pour la lutte de classe ? L'indépendance" veut dire eh réalité être dominé par une puissance impérialiste ou une autre; les gouvernements "libéré " sont obligés d'aller vers le capitalisme d'Etat, comme seul moyen de défendre leur capital national relativement faible. Ceci veut dire, en termes clairs, une intensification de l’exploitation, y inclus la militarisation du travail et l'interdiction des grèves. Le Frelimo proclame qu'il n'y aura pas déplace pour les grèves dans le nouveau Mozambique et que la "paresse" sera sévèrement punie. Voilà la réalité de la "vie meilleure" promise à la classe ouvrière. Il est particulièrement ironique sinon répugnant de voir des groupes politiques aux Etats-Unis et en Europe qui écrivent sur le sabotage de la production des ouvriers de Turin ou de Détroit, mais qui pensent différemment du travail forcé s'il se fait au nom de la "libération nationale", très loin, quel-part dans le monde où cela ne leur coûte rien.. Les gouvernements qui se succèdent au Portugal, proclament tous qu'à cause de la crise économique, tout le monde doit travailler pour la "patrie" et éviter l'agitation et les grèves. Les gouvernements de "gauche" n'ont pas hésité à envoyer l'armée pour, briser les grèves (cf.; la grève de la TAP) tout comme au Chili. Les gauchistes au Portugal appellent-ils à la lutte de classe contre le capital sous tous ses masques ? Ah, mais ce serait "injuste" pour le capital national en difficultés et pour les fractions de la bourgeoisie soi-disant "radicales" (tels Carvalho ou Gonçalves) qui pourraient "faire mieux.
Mais le prolétariat n'a pas de patrie et ces "gauchistes" font un travail précieux pour le capital par leur "soutien critique" à un gouvernement ou à un autre et par leur verbiage radical.
La révolte des ouvriers polonais a montré au monde entier que la crise touche également les régimes de capitalisme d’Etat et que, dans ces conditions, la classe ouvrière luttera directement contre le mythe et la réalité du "paradis ouvrier", contre la bourgeoisie, et non pas en laissant embrigader dans une lutte antirusse ou nationaliste. De la même façon, les grèves des ouvriers dans les industries nationalisées de la métallurgie ; au Venezuela, les grèves au Pérou, en Colombie, en Egypte, les grèves des ouvriers du cuivre qui devaient faire face aux mitraillettes du régime Allende au Chili, ont toutes mis en évidence la frontière de classe que constitue l’"unité nationale" et les "mouvements nationaux". Les révolutionnaires, où se trouvent-ils ? Du côté de la lutte de classe dans ces pays, ou du côté de la bourgeoisie dans ses efforts pour mobiliser les ouvriers dans le nationalisme et l’"anti-impérialisme" intéressé, de la bourgeoise locale qui veut créer, les conditions d'une exploitation plus efficace ? Le besoin d'exprimer notre solidarité avec nos frères de classe partout dans le monde et d’agir en fonction d'elle ne se réalise absolument pas à travers un quelconque soutien du Frelimo, de l'armée de "libération" au Viêt-Nam, des guérillas palestiniennes ou de l'IRA, pas plus à travers ces mouvements qu'à travers l'ONU, l'Alliance pour le Progrès, ou le sionisme. Notre solidarité s'exprime dans la solidarité avec les luttes ouvrières et les intérêts de classe du prolétariat dans tous les pays. Le programme révolutionnaire communiste est la seule voie de sortie pour arrêter les massacres du Tiers-Monde. Le socialisme ne peut pas être crée dans un seul pays, qu'il soit sous-développé ou développé. Les luttes de classe des ouvriers du Tiers-Monde trouvent un écho dans les luttes de classe d'Europe et de tous les pays développés, et c'est là que réside l'espoir révolutionnaire.
Vous écrivez : "Vive l'Internationalisme prolétarien" et, ensuite, vous appelez au soutien des mouvements nationaux dans le Tiers-Monde" ; en réalité, cela revient au même que d'appeler au soutien de l'Union sacrée, à l'Unité nationale, à l'arrêt des grèves; que d'appeler au soutien du PC, des gauchistes dans tous les pays d'Europe. Le nationalisme est un chemin qui mène à la défaite quelle que soit sa justification idéologique.
Le Tiers-mondisme a connu une vogue parmi les gauchistes des pays: développés, parce qu'il est un moyen tellement facile de se soulager d'un sentiment de "culpabilité", et de trouver une satisfaction émotionnelle. Il y a quelques années, quand la classe ouvrière européenne et américaine n'était pas activement en lutte, il pouvait sembler que le seul "espoir" était de chercher ailleurs, dans le "peuple" et non dans le prolétariat. Mais aujourd'hui, quand la crise est une réalité tangible partout dans le monde et quand la lutte de classe se réveille après des années de contre-révolution, il est largement temps de réévaluer les implications d'une telle position. L'autosatisfaction que constituent les bavardages sur une "vie meilleure" au Viêt-Nam ou au Cambodge, dans le contexte d'une génération entière de morts pour, la guerre impérialiste, c'est une caricature de la pensée révolutionnaire.
Nous estimons, que cette question de la "libération nationale" aujourd'hui est l'un des points cruciaux que nous voudrions discuter avec votre groupe(*). Nous regrettons de ne pas pouvoir lire votre journal en suédois, mais nous espérons recevoir plus de traductions de vos textes en .anglais ou en d'autres langues.
Votre vision de l'impérialisme aujourd’hui est liée à vos positions sur la nature des régimes en Russie, en Chine et dans les pays de l'Est. Il est très difficile d'élaborer une perspective révolutionnaire si vos analyses ne définissent pas le système capitaliste comme un ensemble. Vous écrivez : "Toutes les aires du monde ne sont pas dominées par le système capitaliste". Selon vos analyses, le monde est divisé en "régimes capitalistes" et "régimes non-capitalistes, bureaucratiques". Comment est-il alors possible de défendre et d'expliquer un seul et même programme révolutionnaire pour deux systèmes sociaux différents ? Vous écrivez : "La lutte de classe continue". Mais quelles sont les classes ? Quelle est la base matérielle de cette bureaucratie soi disant "non-capitaliste" et quelles sont les contradictions objectives de ce système ?
Vous dites que la Russie et la Chine ont des "économies planifiées", mais la planification en soi n’a jamais constitué une définition d'un système social. La planification économique centralisée de l'Etat, à un degré plus ou moins grand, est en vigueur en France, en Grande Bretagne, en Espagne, en fait dans tous les pays aujourd'hui, y inclus les Etats-Unis et le Canada. La nationalisation et la planification sont devenues des parties intégrantes du capitalisme décadent partout dans le monde et cette tendance va s'accélérer au fur et à mesure que la crise s'approfondit.
Même si nous suivons la logique de vos propres arguments, la nature du "bureaucratisme" russe ou chinois est claire si nous ne restons pas aveuglés par les apparences. Quel est ce système que vous définissez comme créant un prolétariat, dont la classe dominante contrôle les moyens de production, où existe le salariat, dont le but est d'élargir la production nationale en vue de l'accumulation, ce système qui participe à la concurrence sur le marché mondial. C’est le capitalisme et le fonctionnement de la loi de la valeur.
Les régimes de Russie, de Chine et des pays de l'Est sont des expressions de la tendance au capitalisme d'Etat qui domine le système capitaliste partout dans le monde actuel, à un degré plus ou moins grand. La Russie ou la Chine sont des expressions plus extrêmes de ce besoin de concentrer le capital national entre les mains de l'Etat. Et la bureaucratie en Russie et en Chine joue le même rôle dans la production que la bourgeoisie "privée" traditionnelle : elle est le fonctionnaire du capital. La forme juridique que peut prendre le capitalisme, que ce soit entre les mains de l'Etat ou entre les mains d'individus, n'est qu'une question secondaire. La question primordiale est le rôle d'une classe sociale par rapport aux moyens de production.
La Russie, la Chine ou d'autres exemples extrêmes d'organisation capitaliste d'Etat, sont impérialistes à cause de la nature même du capitalisme à notre époque. Dans votre analyse, ce point reste dangereusement flou. Et les lecteurs peuvent conclure que ces pays pourraient mener des luttes "anti-impérialistes" comme le prétendent les staliniens, les trotskystes et autres maoïstes. Tout comme les théories de l'Etat ouvrier, ou de l'Etat ouvrier dégénéré, etc., votre théorie peu explicite d'un "autre système" laisse la porte ouverte à de dangereuses mystifications. Bien que vous appeliez à la révolution prolétarienne dans cet "autre" système bizarre, la définition du prolétariat lui-même est sapée par cette analyse inconséquente. Les conclusions peuvent être justes', mais il n'y a pas de logique. Il y a eu bien des théories qui ont tenté d'expliquer la Russie ou la Chine sans se référer au capitalisme d'Etat. On peut, en particulier, signaler les écrits de Chaulieu alias Cardan dans "Socialisme ou Barbarie", qui a proclamé que la Russie et, plus tard, la Chine constituent un "troisième système", ni socialiste ni capitaliste. Cette théorie l'a amené à abandonner le prolétariat en tant que classe révolutionnaire internationale (cf. son œuvre sous le nom de Coudray ("La Brèche") et à adopter l'idée des "dirigeants-dirigés" comme la division fondamentale de la "nouvelle" société "libérée des crises", dont les racines matérielles restent un mystère. Ce qui est plus fondamental encore, c'est que l'idée d'un "troisième système" implique le rejet de l'acquis marxiste essentiel selon lequel le socialisme, la fin de tout rapport de propriété et de la loi de la valeur, la fin- de la production marchande et du salariat, peuvent résoudre les contradictions inhérentes au capitalisme.
En rejetant toutes les spéculations sur la Russie et la Chine qui ont dominé pendant la période de contre-révolution, et en défendant la conception du capitalisme d'Etat, notre Courant souligne le fait que l'étatisation est une tendance générale dans le capitalisme décadent depuis la 1° Guerre Mondiale. Quelle que soit leur étiquette idéologique : stalinisme, fascisme ou "démocratie", les mesures de capitalisme d'Etat, à un degré plus ou moins grand, sont la tendance fondamentale dans .tous, les pays. Avec l’approfondissement de la crise, la bourgeoisie de tous les bords accélérera cette tendance et il est important que les révolutionnaires fassent l’effort de clarifier cette question dans les pays avancés ainsi que dans, les pays sous-développés. La bourgeoisie tentera de récupérer les luttes prolétariennes à travers les nationalisations, l’autogestion, des "New Deal" ou des "Fronts Populaires", en défense du capital national au moyen de l'étatisation intensifiée et de la "pacification" de la classe ouvrière.
De façon générale, s'il fallait résumer l'axe principal du travail de notre Courant, ce serait l'insistance que nous mettons sur la seule classe révolutionnaire dans le capitalisme, à l'Est comme à l'Ouest, le prolétariat. Aujourd'hui, avec la crise et le réveil de la lutte de classe internationale, parler des mouvements marginaux n'est qu'un détournement de la lutte de classe. Les théories sur la "société de consommation" que vous mentionnez dans votre texte semblent des absurdités vides de tout sens lorsqu'aujourd’hui, le problème crucial pour 1a classe ouvrière est l'inflation, le chômage et le maintien d'un niveau de vie minimum. Dans le contexte d'un chômage de presque 10% aux Etats-Unis, 12% au Danemark par exemple, pour ne pas parler de la baisse du pouvoir d'achat produit par l'inflation galopante, comment peut-on prendre au sérieux l'idée que la société capitaliste existe pour faire "consommer" la classe ouvrière ?
La classe ouvrière est le seul sujet de la révolution dans la société capitaliste, et ce n'est qu'à travers son activité autonome, le développement de sa conscience révolutionnaire et son organisation de classe dans les conseils ouvriers que le socialisme peut éventuellement devenir une réalité tangible. En ce sens, notre Courant a toujours défendu la position selon laquelle le parti révolutionnaire de la classe ouvrière ne peut pas se substituer à la classe dans son ensemble. Nous rejetons la conception léniniste qui dit que ce parti doit' prendre le pouvoir "au nom de la classe". Les organisations politiques de la classe existent pour contribuer à l'approfondissement et à la généralisation de la conscience de classe, pour présenter "les buts fondamentaux et les moyens d'y parvenir".
Nous ne comprenons pas bien votre référence à la nécessité de 1'"autonomie" de la classe par rapport à ses organisations politiques. Bien que ces organisations ne puissent pas assumer les tâches de la classe ouvrière dans son ensemble, elles sont une émanation de la classe pour remplir le rôle vital de contribution à la clarification de la conscience de classe dans...la lutte. Quand nous parlons de l'autonomie; de la classe ouvrière, ce n'est pas une autonomie qui séparerait le tout d'une partie de ce tout, mais plutôt 1'autonomie de la classe par rapport à toutes les autres classes. Le refus de se [91] joindre aux Fronts Populaires, antifascistes, de "libération nationale" et aux côtés des éléments de la bourgeoisie, le refus de diluer les intérêts prolétariens dans l’amalgame du "peuple" c'est là l'autonomie du mouvement prolétarien qui est essentielle au processus révolutionnaire«
Bien que nous rejetions le parti léniniste, nous ne sommes, pas d'accord pour rejeter tout besoin d'une organisation des révolutionnaires tout comme votre groupe, nous voyons la nécessité d'un regroupement international des révolutionnaires aujourd'hui, basé sur une plateforme politique, cohérente. Nous essayons de contribuer à ce but par l'unité créée entre nos sections dans; différents pays. Au niveau actuel de lutte de classe, nous estimons que les contributions des révolutionnaires organisés peuvent être un facteur important pour aujourd'hui et pour la formation future d'un parti prolétarien international sur une base programmatique claire.
Nous ne prétendons pas avoir découvert toutes les réponses, ni avoir trouvé là "vérité éternelle". Nous essayons de baser notre intervention sur l'héritage du communisme de gauche, et sur l'analyse la plus large possible des acquis de la lutte de classe. Nous sommes extrêmement intéressés à contribuer au débat international et à la clarification des idées qui doit se faire parmi les révolutionnaires dans la classe. Nous espérons pouvoir lire plus de vos publications bientôt et que cette lettre sera considérée comme une contribution à une correspondance suivie entre nos groupes.
Fraternellement, J.A., pour le CCI. Août 75. (Lettre traduite de l'anglais)
[1] [92] Le Conseillisme au secours du Tiers-mondisme p.45-53. Lettre à "ARBETARMAKT" (Workers1 Power League - Suède)
Ce numéro de la Revue Internationale est entièrement consacré à la publication des documents du premier Congrès du Courant Communiste International. Nous publions ces documents dans le but de concrétiser publiquement ce que nous entendons par regroupement international des révolutionnaires, et d'encourager la réflexion des militants partout où ils se trouvent.
QUELLES EST LA FONCTION D'UNE ORGANISATION REVOLUTIONNAIRE ? SUR QUELLE BASE SE CONSTITUE-T-ELLE ? COMMENT ANALYSER LA PERIODE ACTUELLE ET LES PERSPECTIVES DE LUTTE ?
Voilà les questions qui préoccupent les révolutionnaires depuis le début de la lutte prolétarienne et qui étaient au cœur des discussions de ce premier Congrès du CCI.
En effet, ces questions cristallisent toute la difficulté des révolutionnaires dans notre période : d'une part pour définir les positions de classe à travers l'expérience de la lutte ouvrière dans l'histoire et d'autre part pour savoir comment agir et dans quel cadre organisationnel. Lorsqu’aujourd'hui, après plus de 50 ans de contre-révolution, la réapparition de la crise permanente du système fait surgir des éléments révolutionnaires, ces éléments ressentent inévitablement les effets de la rupture organique avec tous les courants et organisations que le mouvement ouvrier a fait naître par le passé. Aujourd'hui, il n'existe plus aucun lien vivant, organisationnel avec la Gauche Communiste des années 20, 30 et 40 qui a essayé de préserver et de faire avancer la théorie révolutionnaire pendant les années de défaite et de guerre mondiale. Ce lien organique étant rompu, la plupart des petits noyaux révolutionnaires qui se forment maintenant surgissent de façon isolés, éparpillés géographiquement; leur formation étant le plus souvent déterminée par des événements locaux et immédiats. Ils ont le pi plus grand mal à se situer dans un contexte politiquement et historiquement cohérent, à comprendre ce qu'ils représentent et les forces sociales qui les ont fait surgir. La rupture de 50 ans a créé tout un terrain propice à la confusion et jonché de difficultés : comment comprendre que les effets locaux et conjoncturels de la crise se rattachent à la crise mondiale, permanente du capitalisme depuis la première guerre mondiale
—comment comprendre que la lutte aujourd'hui n'est que la reprise et la continuation de la lutte historique du prolétariat ;
— comment œuvrer dans le sens d'un regroupement des révolutionnaires sur la base des positions de classe.
Le CCI est loin d'être la seule organisation à essayer de donner une réponse à ces questions; depuis la fin des années 60, il y a tout un bourgeonnement dans la classe qui fait naître des noyaux révolutionnaires un peu partout dans le monde comme expression d'un processus de prise de conscience. Mais si ces petits noyaux ne se situent pas rapidement sur un terrain de classe, s'ils ne situent pas leur activité dans un cadre international cohérent, ils risquent d'être vite épuisés dans la confusion et l'isolement, surtout dans notre période. Car aujourd1hui, c'est lentement que se fait le mûrissement de la lutte de classe, sous la poussée de la crise économique, contrairement à d'autres périodes où la guerre générale politisait immédiatement et internationalement le mouvement ouvrier. Dans ce contexte, les révolutionnaires doivent savoir travailler à longue haleine, regroupant leurs forces pour défendre une orientation politique d'ensemble, l’orientation de la lutte, ceci à travers et au delà des soubresauts, des flux et des reflux qui marquent cette lutte et des manifestations conjoncturelles de la crise. Dans le développement de cet effort, les révolutionnaires doivent avant tout se garder de deux écueils : l’immédiatisme et le modernisme,
L'immédiatisme est un danger particulier aujourd'hui quand la lutte de classe se développe par à-coups, en dent de scie, avec des moments de lutte intense suivis par des périodes d'accalmie provisoire, l'immédiatisme ne voit la lutte qu'au jour le jour et se perd dans une impatience activiste, typique de ceux qui viennent du gauchisme. Il voit ce développement de la montée des luttes de façon linéaire, mécaniste et il est entièrement déterminé par les flux et reflux des luttes locales, incapable de tracer une perspective globale. Tout le mouvement étudiant, le mouvement du "22 mars", le SDS allemand et américain, tout le "ras-le-bol" petit-bourgeois n'a rien laissé, sauf la démoralisation quand arrive inévitablement une retombée momentanée des luttes. Du grand triomphalisme des "campagnes" du moment, on tombe alors dans le pessimisme. Un activisme disproportionné par rapport à la réalité non seulement épuise les militants et fait la caricature du vrai travail révolutionnaire, mais encore il empêche les éléments révolutionnaires d’accomplir la tâche qui leur incombe, celle de la consolidation des acquis, du regroupement des forces sur la base d'une cohérence et d'une continuité politique.
Les révolutionnaires ne devraient pas se laisser emporter par l'impact immédiat des convulsions sociales. Il faut qu'ils puissent contribuer à une orientation générale sur l'évolution de la lutte à long terme, vers où va la lutte. Il faut surtout qu'ils comprennent que, après 50 ans de défaite?, la classe ouvrière ne sautera pas à pieds joints dans l'histoire. Il y aura inévitablement toute une période pendant laquelle les ouvriers auront à se débarrasser peu à peu des mystifications de la gauche du capital qui s’emploie de toutes ses forces à 1’embrigadé.
Le deuxième écueil ,1e "modernisme", est bien souvent le simple contre-pied d'un activisme fiévreux. Il correspond alors au creux de la vague, et amène au repli sur soi, à la théorisation de la démoralisation qui peut aller jusqu'à l'abandon de la conception du prolétariat comme classe révolutionnaire. Tel a été le cas d'Invariance et d'autres "modernistes" qui ont fui la réalité dans les hautes sphères de la "philosophie" marginaliste. C’est cette même fuite devant la réalité de la lutte longue et tourmentée de la classe ouvrière, qui dans de telles circonstances, produit des actes de terrorisme désespéré.
Pour la classe ouvrière, le manque de clarté sur ces deux écueils, ces deux aspects extrêmes, 1'immédiatisme et le modernisme, fait perdre énormément d'énergies révolutionnaires. La plupart des petits noyaux qui ont surgi depuis 1968 ce sont perdus. Au lieu d'éclairer le chemin de la classe, soit ils disparaissent, soit ils se transforment: en entraves au développement de la conscience. C'est pour éviter à des éléments révolutionnaires de se débattre seuls face aux confusions, pour éviter qu'on soit obligé à chaque fois de refaire les erreurs du passé, qu'il faut œuvrer dans le sens de la discussion et du regroupement international des révolutionnaires. Nous savons que les idées révolutionnaires surgissent du sol même de la lutte de classe, mais combien difficile est la voie vers la formation d'une organisation des révolutionnaires aujourd’hui. On n'est pas révolutionnaire parce qu'individuellement on a "des idées", mais parce que collectivement on travaille à remplir la tâche des révolutionnaires au sein de la classe. L'organisation des révolutionnaires, instrument de la réflexion et de l'activité collective internationale, requiers une volonté consciente de la part des militants. Le grand danger, c'est que nos efforts restent éparpillés, isolés dans une ville ou dans un pays, au point que les révolutionnaires soient incapables, aujourd'hui et demain d'assumer leur fonction. C'est pour cette raison que nous insistons tant sur la nécessité de regroupement.
Le CCI a aussi eu à lutter en son sein contre ces tendances activistes ou modernistes... il y a des éléments du PIC et de feu "Une Tendance Communiste" qui sont sortis de nos rangs en France. Il n'y a jamais de garanties "d'immunisation" absolues contre la con fusion et la pénétration des idées bourgeoises. Mais le CCI a fait tous les efforts pour surmonter ses faiblesses, pour orienter son travail sur la voie de la persévérance et de la continuité à long terme, contre le triomphalisme immédiatiste et le pessimisme des sceptiques. Dans ce sens, ce premier Congrès de notre Courant, cette année, couronne et affermit tout un travail patient et méthodique de sept ans vers la formation d'une organisation internationale des révolutionnaires autour d'une plateforme de classe.
Ceux de nos lecteurs qui nous suivent depuis un certain temps peuvent mieux se rendre compte dû chemin qu'a fait le CCI depuis les premières rencontres et discussions internationales et la proposition d'un réseau international de correspondance à travers les rapports des conférences internationales en France et en Angleterre publiés dans notre presse. L'année dernière sur l'initiative de Révolution Internationale, Internacionalismo (Venezuela), Internationalism (USA) World Révolution (G.B.), Rivoluzione Internazionale (Italie) et Accion Proletaria (Espagne) qui se réclament de la même orientation politique générale ont participé à une conférence internationale qui devait jeter les premières bases de la constitution d'une organisation internationale. Nous basions notre regrouperait sur l'analyse de la crise générale dans laquelle est plongé le capital mondial, débouchant inévitablement sur l'affrontement entre le Capital et le Prolétariat. Dans cette situation, les révolutionnaires ne peuvent aider le développement et la généralisation de la conscience qu'en s'organisant internationalement.
Quand le CCI a décidé de s'engager dans cette voie, (voir les travaux de la conférence 1975 publiés dans la revue internationale n°1), il y avait des critiques qui nous parvenaient de la part de certains groupes politiques. Pour le PIC en France, par exemple, le regroupement des révolutionnaires dans une organisation internationale unie n'était que "du vent" de notre part — il voyait la question d'intervention des révolutionnaires sans comprendre que l'intervention implique un cadre organisationnel international capable d'assumer un travail global, mais d'une façon immédiatiste et disproportionnée, Workers'Voice et Revolutionary Perspectives (Angleterre) étaient d'accord sur le fait que les révolutionnaires doivent se regrouper internationalement, mais ce n'était pas pour aujourd'hui. Il fallait d'autant plus attendre le mythique jour J, que la crise n'était pas encore d'actualité brûlante selon RP. Pour le Revolutionary Workers Group (USA), les questions d'organisation relevaient tout simplement d'une préoccupation de "bureaucrates" selon le modèle trotskyste.
Nous pensons que les événements qui ont eu lieu depuis la conférence de janvier 1975, confirment les analyses que nous avons élaborées alors, Sur le plan organisationnel, certaines constatations s'imposent : le PIC continue à s'agiter dans un vide sectaire, voyant les interventions du CCI dépasser de loin ses capacités isolées; RP et WR ont accompli un regroupement inachevé, limité sur le terrain purement local, en Angleterre, (Communist Workers Organisation) attribuant on ne sait quelles idées confuses au CCI, qu'ils taxent de "contre-révolutionnaires ". Ils se renferment jalousement dans leur isolement. Le RWG, incapable de s'intégrer à un travail cohérent et organisé a abouti à 1'autodissolution. Il est possible, comme le disent certains, que le fait que le CCI continue depuis 7 ans à se développer ne constitue pas une preuve en soi, mais il est encore plus vrai que disparaître dans la confusion n'apporte aucune contribution positive aux grands problèmes actuels du mouvement.
Le CCI ne tire aucun "orgueil" de petite chapelle de ses expériences et de ses polémiques, il s'agit de défendre et de concrétiser la nécessité du regroupement sur la base des positions révolutionnaires. C'est cette ORIENTATION que nous défendons et c'est pour œuvrer dans ce sens AVEC TOUTES LES FORCES REVOLUTIONNAIRES, pour encourager tous les révolutionnaires à partager ce souci, que nous pensons constituer une contribution effective au mouvement révolutionnaire.
En 1976, une année après la décision de constituer un Courant International organisé, le CCI a convoqué son premier Congrès pour faire un examen et un bilan du travail effectué et pour achever le travail de constitution du CCI. Le Congrès a constaté qu'en un an, le Courant a diffusé plus de 35 publications en 5 langues, a admis une nouvelle section en Belgique et a centralisé ses interventions et activités au niveau international.
La discussion au Congrès était centrée sur quatre thèmes principaux :
— Premièrement, l'adoption d'une plateforme politique internationale qui affirme les positions de classe0 On ne peut jamais trop insister sur le fait qu'une organisation révolutionnaire ne peut se constituer que sur la base des principes politiques cohérents; contre les tentatives de constitution de groupes "révolutionnaires" sur la base d'un pot-pourri de positions contingentes et contradictoires, le CCI défend la nécessité d'une cohérence historique, d'une plateforme basée sur les acquis des luttes passées.
Nous savons bien qu'une plateforme révolutionnaire n'est jamais achevée, d’autant plus que la classe est aujourd'hui en plein mouvement. Mais nous sommes convaincus que les positions de classe contenues dans cette plateforme tranchent par rapport aux enseignements du passé et que ces positions représentent par conséquent, le seul point de départ pour aller de l'avant à l,:avenir face à des problèmes nouveaux» La plateforme affirme les positions fondamentales du CCI mais elle ne présente pas une explication détaillée de tous ses aspects. Elle est conçue comme la base de l'action et de l'intervention dans la classe dans cette période de montée de luttes0
Cette plateforme que nous publions dans ce numéro 5 de la Revue Internationale, reprend les positions défendues dans les textes d'orientation de tous les Croupes qui maintenant constituent le CCI, mais c'est pour la première fois que nous avons une plateforme internationale de l'ensemble qui sera la base de toute adhésion au CCI dans n'importe quel pays.
Le deuxième axe du Congrès était la discussion sur le rôle et le fonctionnement d'une organisation révolutionnaire0 Tout d'abord, nous rejetons la conception léniniste selon laquelle le travail des révolutionnaires est de constituer des partis de masse, appelés à prendre le pouvoir. Nous rejetons également l'idée des "spontanéistes" qui nie toute fonction de l'organisation des révolutionnaires. L'organisation est forcément un organisme minoritaire dans la classe qui a pour seule fonction le développement et la généralisation de la conscience de classe.
Nous affirmons que le travail révolutionnaire ne peut se faire que dans un cadre international d'emblée. Contre la pratique de la II° Internationale qui concevait l'organisation internationale comme simple "chapeautage" de partis nationaux, nous pensons essentiel de créer un corps organisationnel uni à l'image de l'unité historique du prolétariat.
Notre travail reste une activité collective et centralisée sur le plan international. En ce sens, le Congres annuel constitue l'assemblée générale du CCI, le lieu de prise de décisions sur les perspectives générales pour l'ensemble du Courant.
Tous les points ci-dessus trouvent une formulation plus précise dans les statuts internes de l'organisation internationale :
— Le CCI a également voté un Manifeste, émanation du Congres, qui trace les grandes lignes de la lutte de classe depuis les 50 dernières années et met 1' accent sur la gravité de l'enjeu des affrontements qui se préparent. Ce document publié dans plusieurs langues dans toute notre presse locale présente la perspective du CCI face aux possibilités historiques qui s'ouvrent devant le prolétariat mondial.
— Sur la base des acquis du passé et de notre analyse de la période actuelle, le Congrès a fait l'examen plus précis de l'évolution de la crise dans la conjoncture présente et de la situation internationale en 1975-76.
Nous publions donc ces travaux et la plateforme en les soumettant à la réflexion et à la critique des militants engagés dans la lutte pour la révolution Communiste.
Après la plus longue et profonde contre-révolution de son histoire, le prolétariat retrouve progressivement le chemin des combats de classe. Conséquence à la fois de la crise aigue du système qui se développe depuis le milieu des années 1960 et de l'apparition de nouvelles générations ouvrières qui subissent beaucoup moins que les précédentes le poids des défaites passées de la classe, ces combats sont d'ores et déjà les plus étendus qu'elle ait menés. Depuis le surgissement de 1968 en France, c'est de l'Italie à l'Argentine, de l'Angleterre à la Pologne, de la Suède à l'Egypte, de la Chine au Portugal, des Etats-Unis à l'Inde, du Japon à l'Espagne, que les luttes ouvrières sont redevenues un cauchemar pour la classe capitaliste.
La réapparition du prolétariat sur la scène historique vient condamner sans appel toutes les idéologies produites ou permises par la contre-révolution qu'il a dû subir et qui tendaient à lui nier sa nature de sujet de la révolution. Ce que redémontre magistralement l'actuelle reprise de la lutte de classe, c'est que le prolétariat est la classe révolutionnaire a notre époque et la seule.
Est révolutionnaire toute classe dont la domination sur la société est en accord avec l'instauration et l'extension, au détriment des anciens rapports de production devenus caducs, des nouveaux rapports de production rendus nécessaires par le degré de développement des forces productives. Au même titre que les modes de production qui l'ont précédé, le capitalisme correspond à une étape particulière du développement de la société. Forme progressive de celle-ci, à un moment de son histoire, il crée, par sa généralisation, les conditions de sa propre disparition. La classe ouvrière, par sa place spécifique dans le procès de production capitaliste, par sa nature de producteur collectif de l'essentiel de la richesse sociale, privé de toute propriété sur les moyens de production qu'il met en œuvre et donc n'ayant aucun intérêt qui l'attache au maintien de la société capitaliste, est la seule classe de la société qui puisse, tant objectivement que subjectivement, instaurer le nouveau mode de production qui doit succéder au capitalisme : le communisme. Le resurgissement actuel de la lutte prolétarienne indique, qu'à nouveau la perspective du communisme, de nécessité historique, est devenue également une possibilité.
Cependant, l'effort que doit faire le prolétariat pour se donner les moyens d'affronter victorieusement le capitalisme est encore immense. Produits et facteurs actifs de cet effort, les courants et éléments révolutionnaires qui sont apparus depuis le début de la reprise prolétarienne portent donc une énorme responsabilité dans le développement et l'issue de ces combats. Pour être à la hauteur de cette responsabilité ils doivent s'organiser autour des frontières de classe qui ont été tranchées de façon définitive par les expériences successives du prolétariat, et qui doivent guider toute activité et intervention en son sein.
C'est à travers l'expérience pratique et théorique de la classe que se dégagent les moyens et les buts de sa lutte historique pour le renversement du capitalisme et pour l'instauration du communisme. Depuis le début du capitalisme, l'activité du prolétariat est tendue vers un effort constant pour, à travers son expérience, prendre conscience de ses intérêts de classe et se dégager de l'emprise des idées de la classe dominante, des mystifications de l'idéologie bourgeoise. Cet effort du prolétariat est marqué par une continuité qui s'étend tout au long du mouvement ouvrier depuis les premières sociétés secrètes jusqu'aux fractions de gauche qui se sont dégagées de la III° Internationale. Malgré toutes les aberrations et toutes les manifestations de la pression de l’idéologie bourgeoise que pouvaient receler leurs positions et leur mode d'action, les différentes organisations qui se sont succédées constituent autant de maillons irremplaçables de la chaine de la continuité historique de la lutte prolétarienne, et le fait de succomber à la défaite ou à une dégénérescence interne, n'enlève rien à leur contribution fondamentale à cette lutte. Aussi, l'organisation des révolutionnaires qui se reconstitue aujourd'hui comme manifestation de la reprise générale du prolétariat après un demi-siècle de contre-révolution et de rupture dans le mouvement ouvrier, se doit absolument de renouer avec cette continuité historique afin que les combats présents et futurs de la classe puissent s'armer pleinement des leçons de son expérience passée, que toutes les défaites Partielles qui jalonnent son chemin ne restent pas vaines mais puissent constituer autant de promesses de sa victoire finale.
Le Courant Communiste International se revendique des apports successifs de la Ligue des Communistes, des Première, Deuxième et Troisième Internationales, des fractions de gauche qui se sont dégagées de cette dernière, en particulier des gauches Allemande - Hollandaise et Italienne. Ce sont ces apports-essentiels permettant d'intégrer l'ensemble des frontières de classe dans une vision cohérente et générale qui sont présentés dans la présente plateforme.
I - LA THEORIE DE LA REVOLUTION COMMUNISTE.
Le marxisme est l'acquis théorique fondamental de la lutte prolétarienne. C’est sur sa base que l’ensemble des acquis du prolétariat s'intègrent dans un tout cohérent.
En expliquant la marche de l'histoire par le développement de la lutte de classe, c'est-à-dire de la lutte basée sur la défense des intérêts économiques dans un cadre donné du développement des forces productives, et en reconnaissant dans le prolétariat la classe sujet de la révolution qui abolira le capitalisme, il est la seule conception du monde qui se place réellement du "point de vue de cette classe. Loin de constituer une spéculation abstraite sur le monde il est donc, et avant tout, une arme de combat de là classe. Et c'est parce que le prolétariat est la première et seule classe de l'histoire dont l'émancipation s'accompagne nécessairement de l'émancipation de toute l'humanité, dont la domination sur la société n'implique pas une nouvelle forme d'exploitation mais l'abolition de toute exploitation, que le marxisme est seul capable d'appréhender la réalité sociale de façon objective et scientifique, sans préjugés ni mystifications d'aucune sorte.
Par conséquent, bien qu'il ne soit pas un système ni un corps de doctrine fermé, mais au contraire une théorie en élaboration constante, en liaison directe et vivante avec la. Lutte de classe, et bien qu'il ait bénéficié des manifestations théoriques de la vie de la classe qui l'ont précédé, il constitue, depuis le moment où ses bases ont été jetées, le seul cadre. à partir et au sein duquel la théorie révolutionnaire peut se développera
II -LES CONDITIONS DE LA REVOLUTION PROLETARIENNE.
Toute révolution sociale est l'acte par lequel la classe porteuse des nouveaux rapports de production établit sa domination politique sur la société La révolution prolétarienne n'échappe pas a cette définition mais ses conditions et son contenu diffèrent fondamentalement des révolutions du passé.
Celles-ci, parce qu'elles se trouvaient; à la charnière de deux modes de production dominés par la pénurie avaient pour fonction de substituer la domination d'une classe exploiteuse à celle d'une autre classe exploiteuse : ce fait s'exprimait par le remplacement d'une forme de propriété, par une autre forme de propriété, d'un type de privilèges par un autre type de privilèges.
La révolution prolétarienne, par contre, a pour but de remplacer des rapports de production basés sur l'abondance. C'est pour cela qu'elle signifie la fin de toute forme de propriété, de privilèges et d’exploitation.
Ces différences confèrent à la Révolution prolétarienne les caractéristiques suivantes, que la classe ouvrière-se doit, comme condition de son succès, de comprendre et de maîtriser :
a — Elle est la première forme de révolution à caractère mondial, qui ne puisse atteindre ses buts qu'en se généralisant à tous les pays, puisqu1avec la propriété privée elle doit abolir l'ensemble des cadres sectoriels, régionaux et nationaux liés à celle-ci. C’est la généralisation de la domination du capitalisme à l'échelle mondiale qui permet que cette nécessité soit aussi une possibilité.
b — La classe révolutionnaire, pour la première fois dans l'histoire, est en même temps aussi la classe exploitée de l'ancien système et, de ce fait, elle ne peut s'appuyer sur un quelconque pouvoir économique dans la conquête du pouvoir politique. Bien au contraire, à l'encontre de ce qui a prévalu dans le passé, la prise du pouvoir politique par le prolétariat précède nécessairement la période de transition pendant laquelle la domination des anciens rapports de production est détruite au bénéfice de celle des nouveaux.
c — Le fait que, pour la première fois, une classe de la société soit en même temps classe exploitée et classe révolutionnaire implique également que sa lutte comme classe exploitée ne peut à aucun moment être associée ou opposée à sa lutte comme classe révolutionnaire. Au contraire, comme le marxisme l'a, depuis le début affirmé contre les théories proudhoniennes et petites-bourgeoises, le développement de la lutte révolutionnaire est conditionné par 1' approfondissement et la généralisation de la lutte du prolétariat comme classe exploitée.
III - LA DECADENCE DU CAPITALISME
Pour que la Révolution Prolétarienne puisse passer du stade de simple souhait ou de simple potentialité et perspective historique au stade d'une possibilité concrète, il faut qu'elle soit devenue une nécessité objective pour le développement de l'humanité. C'est cette situation historique qui prévaut depuis la-première guerre mondiale : depuis cette date a pris fin la phase ascendante du mode de production capitaliste qui commence au 16ème siècle pour atteindre son apogée à la fin du 19ème. La nouvelle phase ouverte dès lors est celle de la décadence du capitalisme.
Comme pour toutes les sociétés du passé, la première phase du capitalisme traduisait le caractère historiquement nécessaire des rapports de production qu'il incarne, c'est-à-dire de leur nature indispensable pour l'épanouissement des forces productives de la société. La seconde, au contraire, traduit la transformation de ces rapports en une entrave de plus en plus lourde à ce même développement.
La décadence du capitalisme est le produit du développement des contradictions internes inhérentes à ce mode de production, et qu'on peut définir comme suit :
Bien que la marchandise ait existé dans la plupart des sociétés, l'économie capitaliste est la première qui soit basée fondamentalement sur la production marchandises. Aussi l'existence de marchés sans cesse croissants est-elle une des conditions essentielles du développement du capitalisme. En particulier, la réalisation de la plus-value produite par l'exploitation de la classe ouvrière est indispensable à l'accumulation du capital, moteur essentiel de la dynamique de celui-ci. Or, contrairement à ce que prétendent les adorateurs du capital, la production capitaliste ne crée pas automatiquement et à volonté les marchés nécessaires à sa croissance. Le capitalisme se développe dans un monde non capitaliste, et c'est dans ce monde qu'il trouve les débouchés qui permettent ce développement. Mais en généralisant ses rapports à l'ensemble de la planète et en unifiant le marché mondial, il a atteint un degré critique de saturation des mêmes débouchés qui lui avaient permis sa formidable expansion du 19ème siècle. De plus la difficulté croissante pour le capital de- trouver des marchés où réaliser sa plus—value, accentue la pression à la baisse qu'exerce sur son taux de profit l'accroissement constant de la proportion entre la valeur des moyens de- production et celle de là for-' ce de travail qui les met en œuvre. De tendancielle, cette baisse du taux, de profit devient de plus en plus effective, ce qui entrave d'autant le procès d'accumulation du capital, et donc le fonctionnement de l'ensemble des rouages du système.
Après avoir unifié et universalisé 1' échange marchand en faisant connaître un grand bond au développement de l'humanité, le capitalisme a donc mis à 1' ordre du jour la disparition des rapports de -production fondés sur l'échangée Mais tant que le prolétariat ne s'est pas donné les moyens d'imposer cette disparition, ces rapports de production se maintiennent et entraînent l'humanité dans des contradictions de plus en plus monstrueuses.
La cri.se [94] de surproduction, manifestation caractéristique des contradictions du mode de production capitaliste mais qui, dans le passé, constituait un palier entre chaque phase d'expansion du marché, battement de cœur d'un système en pleine santé, est devenue aujourd'hui permanente. C'est effectivement de façon permanente que sont sous-utilisées les capacités de l'appareil productif et que le capital est devenu incapable d'étendre sa domination ne serait-ce qu'au rythme de la croissance de la population humaine. La seule chose que ,1e capitalisme puisse aujourd'hui étendre dans le monde, c'est la misère humaine absolue, comme celle que connaissent les pays du tiers monde.
La concurrence entre les nations capitalistes, ne peut, dans ces conditions que devenir de plus en plus implacable. L'impérialisme, politique à laquelle est contrainte, pour survivre, toute nation quelle que soit sa taille, impose à l’humanité d'être plongée depuis 1914, dans le cycle infernal de crise-guerre-reconstruction-nouvelle crise, où une production d'armement chaque jour plus monstrueuse devient de plus en plus le seul terrain d'application de la science et d'utilisation des forces productives. Dans la décadence du capitalisme, l'humanité ne se survit que sur la base de destructions et d'une automutilation permanentes9
A la misère physiologique qui frappe les pays sous développés, fait écho dans les pays développés une déshumanisât ion extrême, jamais atteinte auparavant, des relations entre les membres de la société, et qui a pour' base l'absence totale de perspectives que le capitalisme offre à l'humanité, autres que celle de guerres de plus en plus meurtrières et d'une exploitation de plus en plus systématique, rationnelle et scientifique. Il en découle, comme pour toute société en décadence, un effondrement et une décomposition croissante des institutions sociales, de l'idéologie dominante, de l'ensemble des valeurs morales, des formes d'art et de toutes les autres manifestations culturelles du capitalisme. Le développement d'idéologies comme le fascisme ou le stalinisme marquent le triomphe croissant de la barbarie en l'absence du triomphe de l'alternative révolutionnaire.
IV - LE CAPITALISME D'ETAT
Dans toute période de décadence, face à l'exacerbation des contradictions du système, l’Etat garant de la cohésion du corps social et de la préservation des rapports de classe dominante, tend à se renforcer jusqu'à incorporer dans ses structures l’ensemble de la vie de la société. L’hypertrophie de l'administration impériale et monarchie absolue ont été les manifestations de ce phénomène dans la décadence de la société esclavagiste romaine et dans celle de la société féodale.
Dans la décadence capitaliste la tendance générale vers le capitalisme d'Etat est une des caractéristiques dominante de la vie sociale. Dans cette période, chaque capital national, privé de toute base pour un développement puissant, condamné à une concurrence impérialiste aigüe est contraint de s'organiser de la façon la plus efficace pour à l'extérieur, affronter économiquement et militairement ses rivaux et, à l'intérieur, faire face à une exacerbation croissante des contradictions sociales. La seule force de la société qui soit capable de prendre en charge l'accomplissement des tâches que cela impose est 1' Etat.
Effectivement, seul l'Etat :
- Peut prendre en main l'économie nationale de façon globale et centralisée et atténuer la concurrence interne qui l'affaiblit afin de renforcer sa capacité à affronter, comme un tout, la concurrence sur le marché mondial.
- mettre sur pied la puissance militaire nécessaire à la défense de ses intérêts face à 1'exacerbation des antagonismes internationaux.
- enfin, grâce, entre autres, aux forces de répression et à une bureaucratie de plus en plus pesantes; raffermir la cohésion interne de la société menacée de dislocation par la décomposition croissante de ses fondements économiques, imposer par une violence omniprésente le maintien d'une structure sociale de plus en plus inapte à régir spontanément les relations humaines et acceptée avec d'autant moins de facilité qu'elle devient, de plus en plus, une absurdité du point de vue de la survie même de la société.
Sur le plan économique, cette tendance jamais totalement achevée vers le capitalisme d'Etat, se traduit par le passage aux mains de l'Etat de tous les leviers de l'appareil productif Cela ne signifie pas que disparaissent la loi de la valeur, la concurrence où l'anarchie de la production, qui sont les caractéristiques fondamentales de l'économie capitaliste. Elles continuent de s'appliquer à l'échelle mondiale où les lois du marché continuent de régner et déterminent donc les conditions de la production à l'intérieur de chaque économie nationale aussi étatisée soit-elle. Dans ce cadre, si les lois de la valeur et de la concurrence semblent être "violées" c'est afin qu'elles puissent mieux s'appliquer. Si 1'anarchie de la production semble refluer face à la planification étatique, elle en ressurgit d'autant plus violemment à l'échelle mondiale particulièrement à l'occasion des crises aigues du système que le capitalisme d'Etat est incapable de prévenir. Loin de constituer une "rationalisation" du capitalisme, son étatisation n'est donc qu’une manifestation de son pourrissement.
Cette étatisation se fait, soit de façon graduelle, par fusion des capitaux "privés" et du capital d'Etat comme c'est plutôt le cas dans les pays les plus développés, soit par des sauts brusques sous forme de nationalisations massives et totales, en général là où le capital, privé est le plus faible.
Effectivement, si la tendance vers le capitalisme d'Etat se manifeste dans tous les pays du monde, elle s'accélère et éclate avec plus d'évidence quand, et où, les effets de la décadence se font sentir avec le plus de violence historiquement durant les périodes de crise ouverte ou de guerre, géographiquement dans les économies les plus faibles. Mais le capitalisme d'Etat n'est pas un phénomène spécifique des pays arriérés. Au contraire, bien que le degré d'étatisation formelle soit souvent plus élevé dans le capitalisme sous-développé, la prise en main véritable par l'Etat de la vie économique est généralement encore plus effective dans les pays les plus développés, du fait du haut degré de concentration du capital qui y règne.
Sur le plan politique et social, la tendance vers le capitalisme d'Etat se traduit par le fait que, sous les formes totalitaires les plus extrêmes comme le fascisme ou le stalinisme ou sous les formes qui se recouvrent du masque démocratique, l'appareil d'Etat, et essentiellement 1' exécutif, exerce un contrôle de plus en plus puissant, omniprésent et systématique sur tous les aspects de la vie sociale. A une échelle bien supérieure à celle de la décadence romaine ou féodale, l'Etat de la décadence capitaliste est devenu cette machine monstrueuse, froide et impersonnelle qui a fini par dévorer la substance même de la société civile.
V -LES PAYS DITS SOCIALISTES
En faisant passer le capital aux mains de l’Etat, le capitalisme d'Etat crée 1' illusion de la disparition de la propriété privée des moyens de production et de l'élimination de la classe bourgeoise, -La théorie stalinienne de la possibilité du "socialisme en un seul pays" ainsi que le mensonge des pays dits "communistes "socialistes", ou en voie de le devenir, trouvent leur fondements dans cette apparence mystificatrice.
Les changements provoqués par la tendance au capitalisme d'Etat ne se situent pas au niveau réel des rapports de production, mais au niveau juridique des formes de propriété. Ils n’éliminent pas le caractère réel de propriété privée des moyens de production, mais leur aspect juridique de propriété individuelle. Les travailleurs restent "prives" de toute emprise réelle sur leur utilisation, ils demeurent entièrement séparés d'eux. Les moyens de production ne sont "collectivisés" que pour la bureaucratie qui les possède et qui les gère collectivement.
La bureaucratie étatique qui assume la fonction économique spécifique d'extirpation du surtravail du prolétariat et d'accumulation du capital national constitue une classe. Mais ce n'est pas une nouvelle classe. Par sa fonction, elle n'est autre que la vieille bourgeoisie dans sa forme étatique. Au niveau de ses privilèges, ce qui la distingue, ce n'est pas l'importance de ceux-ci ,mais la façon dont elle les détient : au lieu de percevoir ses revenus sous forme de dividendes du fait de la possession individuelle de parts du capital, elle les perçoit du fait de la fonction de ses membres sous forme de "frais de fonction", de primes et de rémunérations fixes à apparence "salariale", dont le montant est souvent des dizaines ou des centaines de fois supérieur au revenu d'un ouvrier.
La centralisation et la planification de la production capitaliste par l'Etat et sa bureaucratie, loin d'être un pas vers l'élimination de l'exploitation n'est rien d'autre qu'un moyen pour tenter de la rendre plus efficace.
Sur le terrain économique, la Russie, même pendant le court laps de temps où le prolétariat y a détenu le pouvoir politique, n’a pu se désengager pleinement du capitalisme. Si la forme du capitalisme d'Etat y est apparue aussi tôt d'une façon aussi développée, c'est que la désorganisation économique causée par la défaite de la première guerre mondiale, puis par la guerre civile, y ont porté au plus haut degré les difficultés- de survie d'un capital national dans le cadre de la décadence capitaliste.
Le triomphe de la contre-révolution en Russie s'est fait sous le signe de la réorganisation de l'économie nationale avec les formes les plus achevées de capitalisme d'Etat, cyniquement représentées pour la circonstance comme "prolongements d'Octobre" et "construction du socialisme". L'exemple a été repris ailleurs : Chine, pays de l'Est, Cuba, Corée du Nord, Indochine, etc. Il n'y a cependant rien de prolétarien, encore moins de communiste, dans tous ces pays, où, sous le poids de ce qui restera comme un des plus grand mensonge de l’histoire, règne, sous ses formes les plus décadentes, la dictature du capital. Toute défense, même "critique" ou "conditionnelle" de ces pays est une activité absolument contre-révolutionnaire.
VI - LA LUTTE DU PROLETARIAT DANS LE CAPITALISME DECADENT»
Depuis ses débuts, la lutte du prolétariat pour l'a défense de ses intérêts propres porte en elle la perspective de la destruction du capital et de l'avènement de la société communiste.
Mais le prolétariat ne poursuit pas le but ultime de son combat par idéalisme, guidé par une inspiration divine. S'il est amené à s'attaquer à ses tâches communistes c'est que les conditions matérielles dans lesquelles se déroule sa lutte immédiate finissent par l'y contraindre, toute autre forme de combat aboutissant à un désastre.
Tant que la bourgeoisie parvient, grâce à l'expansion gigantesque de ses richesses dans le monde entier au cours de la phase ascendante du capitalisme, à accorder de véritables réformes de la condition prolétarienne, la lutte ouvrière ne peut trouver les conditions objectives nécessaires à la réalisation de son assaut révolutionnaire.
Malgré la volonté révolutionnaire, communiste, affirmée dès la révolution bourgeoise par les tendances les plus radicales du prolétariat, le combat ouvrier se trouve, au cours de cette période historique, cantonné aux luttes pour des réformes.
Apprendre à s'organiser pour arracher des réformes politiques et économiques à travers le parlementarisme et le syndicalisme devient à la fin du 19ème siècle un des axes essentiel de l'activité prolétarienne. On trouve ainsi dans des organisations authentiquement ouvrières, côte à côte, des éléments "réformistes " (ceux pour qui toute lutte ouvrière doit uniquement être une lutte pour des réformes) et les révolutionnaires (ceux pour qui les luttes pour des réformes ne peuvent constituer qu'une étape, un moment du processus qui mène aux luttes révolutionnaires).
Ainsi, pouvait-on voir également dans cette période le prolétariat appuyer certaines fractions de la bourgeoisie contre d'autres, plus réactionnaires, dans le but d'imposer des aménagements de la société en sa faveur, ce qui correspond objectivement à l'accélération du développement des forces productives»
L'ensemble de ces conditions se transforme radicalement dans le capitalisme décadent. Le monde est devenu trop étroit pour contenir le nombre de capitaux nationaux existants. Dans chaque nation, le capital est contraint d'augmenter sa productivité, c'est-à-dire l'exploitation des travailleurs;, jusqu'aux limites les plus extrêmes.
L'organisation de l'exploitation du prolétariat cesse d'être une affaire entre patrons d'entreprises et ouvriers, pour devenir celle de l'Etat et de mille rouages nouveaux crées pour l'encadrer, gérer, vider en permanence de tout danger révolutionnaire, la soumettre à une répression aussi systématique qu'insidieuse.
L'inflation, devenue un phénomène permanent depuis la première guerre mondiale, ronge toute "augmentation de salaires". La durée de temps de travail stagne ou ne diminue que pour compenser des augmentations du temps de transport ou pour empêcher la totale destruction nerveuse des travailleurs soumis à des rythmes de vie et de travail sans cesse croissants.
La lutte pour des réformes est devenue une utopie grossière. Contre le capital, la classe ouvrière ne peut mener en fin de compte qu'une lutte à mort. Elle n'a plus d'autres alternative qu'accepter d' être atomisée en une somme de millions d'individus écrasés et encadrés, ou bien se battre en affrontant l'Etat lui-même, en généralisant des luttes de la façon la plus étendue, en refusant de se laisser enfermer dans le cadre purement économique ou dans le localisme de l'usine ou de la profession, en se donnant comme forme d'organisation les embryons de ses organes de pouvoir : les conseils ouvriers .
Dans ces nouvelles conditions historiques, beaucoup des anciennes armes du prolétariat sont devenues inopérantes. Les courants politiques qui en préconisent l'usage ne le font que pour mieux T'enchaîner à l'exploitation, pour mieux briser toute volonté de combat.
La distinction faite dans le mouvement ouvrier du 19ème siècle entre programme maximum et programme minimum a perdu tout son sens. Il n'y a plus de programme minimum possible. Le prolétariat ne peut développer ses luttes qu'en les inscrivant dans la perspective d'un programme maximum : la révolution communiste.
VII - LES SYNDICATS : ORGANES DU PROLETARIAT HIER, INSTRUMENT DU CAPITAL AUJOURD' HUI.
Au 19ème siècle, dans la période de plus grande prospérité du capitalisme, la classe ouvrière s'est donné, souvent au prix de luttes acharnées et sanglantes des organisations permanentes et professionnelles destinées à assurer la défense de ses intérêts économiques : les syndicats. Ces organes ont assumé un rôle fondamental dans la lutte pour des réformes et pour les améliorations substantielles des conditions de vie des travailleurs que le système pouvait encore accorder. Ils ont également constitué des lieux de regroupement de la classe, de développement de sa solidarité et de sa conscience, dans lesquels les révolutionnaires intervenaient activement pour en faire " des écoles du communisme". Donc, bien que l’existence de ces organes ait été liée de façon indissoluble à celle du salariat et que, dès cette période, ils se soient souvent déjà bureaucratisés de façon importante, ils n'en constituaient pas moins d'authentiques organes de la classe dans la mesure où l'abolition du salariat n'était pas à l'ordre du jour.
En entrant dans sa phase de décadence, le capitalisme cesse d'être en mesure d’accorder des réformes et des améliorations en faveur de la classe ouvrière. Ayant perdu toute possibilité d'exercer leur fonction initiale de défenseurs efficaces des intérêts prolétariens et confrontés à une situation historique où seule l'abolition du salariat, et donc leur propre disparition, est à l'ordre du jour, les syndicats sont devenus, comme condition de leur propre survie, d'authentiques défenseurs du capitalisme, des agences de l'Etat bourgeois in milieu ouvrier — évolution qui a été fortement favorisée par leur bureaucratisation antérieure et par la tendance inexorable de l'Etat de la période de décadence à absorber toutes les structures de la société.
La fonction anti-ouvrière des syndicats s'est manifestée pour la première fois de façon décisive au cours de la première guerre mondiale où, aux côtés des partis sociaux-démocrates, ils ont participé, à la mobilisation des ouvriers dans la boucherie impérialiste. Dans la vague révolutionnaire qui a suivi la guerre, les syndicats ont tout fait pour entraver les tentatives du prolétariat de détruire le capitalisme. Depuis lors, ils ont été maintenus en vie, non par la classe ouvrière, mais par l'Etat capitaliste pour le compte duquel ils remplissent des fonctions très importantes :
— participation active aux tentatives de l'Etat capitaliste de rationaliser l'économie, réglementation de la vente de la force de travail, et intensification de l'exploitation ;
— sabotage de la lutte de classe de l'intérieur, soit en détournant les grèves et les révoltes vers des impasses catégorielles, soit en affrontant les mouvements autonomes par la répression ouverte.
Du fait que les syndicats ont perdu leur caractère prolétarien, ils ne peuvent pas être reconquis par la classe ouvrière, ni constituer un terrain pour 1'activité des minorités révolutionnaires. Depuis plus d'un demi-siècle les ouvriers, ont éprouvé de moins en moins d'intérêt à participer à l'activité de ces organisations devenues corps et âme des organes de l’Etat capitaliste. Leurs ce, luttes de résistance contre la dégradation de leurs conditions de vie ont tendu à prendre la forme de "grèves sauvages" en dehors.... et contre les syndicats dirigées par les assemblées générales de grévistes et, dans les cas où elles se sont généralisées, coordonnées par des dû comités de délégués élus et révocables par les assemblées, ces luttes se sont immédiatement situées sur un terrain politique, dans la mesure où elles ont dû se confronter à l'Etat sous la forme de ses représentants dans l'entreprise : Leu les syndicats. Seule la généralisation et la radicalisation de ces luttes peuvent permettre à la classe de passer à un assaut ouvert et frontal contre l'Etat capitaliste. La destruction de l’Etat bourgeois implique nécessairement la destruction des syndicats.
Le caractère anti-prolétarien des anciens syndicats ne leur est pas conféré par leur mode d'organisation propre, par profession ou branche industrielle, m par l'existence de "mauvais chefs", mais bien par l'impossibilité, dans le renvoi de actuelle, de maintenir en vie des organes permanents de défense véritable des intérêts économiques du prolétariat. Par conséquent, le caractère capitaliste de ces organes s'étend à toutes les "nouvelles" organisations qui se donnent des fonctions similaires et ceci quel que soient leur modèle organisatif et les intentions qu’elles proclament. Il en est ainsi des "syndicats révolutionnaires" ou des "shop stewards"' comme de 1’ensemble des organes (comités ou noyaux ouvriers, commissions ouvrières) qui peuvent subsister à l'issue d'une lutte, même opposée aux syndicats, et qui tentent de reconstituer un "pôle authentique" de défense des intérêts immédiats des travailleurs. Sur cette base, ces organisations ne peuvent pas échapper à 1'engrenage de l'intégration effective dans l'appareil d' tes Etat bourgeois, même à tire d'organes non officiels ou illégaux.
Toutes les politiques "d'utilisation", de "rénovation" ou de "reconquête" d'organisations à caractère syndical, en ce qu'elles conduisent à revigorer des institutions capitalistes souvent déjà désertées par les travailleurs, sont foncièrement favorables à la survie du capitalisme. Apres plus d’un demi-siècle d'expérience jamais démentie du rôle anti-ouvrier de ces organisations, les courants qui préconisent encore de telles politiques se trouvent sur le terrain de la contre-révolution.
VII - LA MYSTIFICATION PARLEMENTAIRE ET ELECTORALE.
Dans la période d'apogée du système capitaliste, le parlement constituait la forme la plus appropriée de l'organisation de la vie politique de la bourgeoisie. Institution spécifiquement bourgeoise, il n'a donc jamais été un terrain de prédilection pour l'action de la classe ouvrière et le fait pour celle-ci de participer à ses activités ou aux campagnes électorales recelait des dangers très importants que les révolutionnaires du siècle dernier n'ont jamais manqué de dénoncer. Cependant, dans une période où la Révolution n'était pas à l'ordre du jour et où le prolétariat pouvait arracher des réformes à son avantage à l'intérieur du système, une telle participation lui permettait à la fois de faire pression en faveur de ces réformes, d' utiliser les campagnes électorales comme moyen de propagande et d'agitation autour du programme prolétarien et d’employer le Parlement comme tribune de dénonciation de l'ignominie de la politique bourgeoise . C'est pour cela que la lutte pour le suffrage universel a constitué, tout au long du 19ème siècle, dans un grand nombre de pays, une des occasions majeures de mobilisation du prolétariat.
Avec l'entrée du système dans sa phase de décadence, le Parlement cesse d'être un organe de réformes. Comme le dit l’Internationale Communiste (2°Congrès) : "le centre de gravité de la vie politique est sorti complètement et définitivement du Parlement". La seule fonction qu'il puisse assumer, et qui explique son maintien en vie, est "une fonction de mystification. Dès lors, prend fin toute possibilité, pour le prolétariat de l'utiliser de quelque façon que ce soit. En effet, il ne peut conquérir des réformes devenues impossibles à travers un organe qui a perdu toute fonction politique effective» A l'heure où sa tâche fondamentale réside dans la destruction de l'ensemble des institutions étatiques bourgeoises et donc du Parlement, où il se doit d'établir sa propre dictature sur les ruines du suffrage universel et autres vestiges de la société bourgeoise, sa participation aux institutions parlementaires et électorales aboutit, quelles que soient les intentions affirmées par ceux qui la préconisent, à insuffler un semblant de vie à ces institutions moribondes .
La participation électorale et parlementaire ne comporte actuellement aucun des avantages qu'elle pouvait avoir au siècle dernier. Par contre, elle cumule tous les inconvénients et dangers, et principalement celui de maintenir vivaces les illusions sur la possibilité d'un "passage pacifique ou progressif au socialisme" à travers la conquête d'une majorité parlementaire par les partis dits "ouvriers",
La politique de "destruction de l'intérieur" du Parlement à laquelle seraient sensés participer les élus "révolutionnaires" s'est révélée, de façon catégorique, n'aboutir qu'à la corruption des organisations politiques qui l'ont pratiquée et à leur absorption par le capitalisme.
Enfin, l'utilisation des élections et des parlements comme instruments d'agitation et de propagande, dans la mesure où elle est essentiellement affaire de spécialistes, où elle privilégie le jeu des partis politiques au détriment de l'activité propre des masses, tendra préserver les schémas politiques de la société bourgeoise et à encourager la passivité des travailleurs. Si un tel inconvénient était acceptable quand le Révolution n'était pas immédiatement possible, il devient une entrave décisive à l'heure où la seule tâche qui soit historiquement à l'ordre du jour pour le prolétariat est justement celle du renversement du vieil ordre social et l'instauration de la société communiste qui exigent la participation active et consciente de l'ensemble de la classe.
Si, à l'origine, les tactiques de "parlementarisme révolutionnaire" étaient, avant tout, la manifestation du poids du passé au sein de la classe et de ses organisations, elles, se sont; avérées, après une pratique aux résultats désastreux pour la classe, une politique foncièrement contre-révolutionnaire. Les courants qui la préconisent, au même titre que ceux qui présentent le Parlement comme instrument de la transformation socialiste, de la société, se situent aujourd'hui, de façon irréversible dans le camp de la bourgeoisie»
IX - LE FRONTISME, STRATEGIE DE DEVOTEMENT DU PROLETARIAT
Dans la décadence capitaliste, quand seule la Révolution Prolétarienne constitue un pas en avant de l'Histoire, il ne peut exister aucune tâche commune, même momentanée, entre la classe révolutionnaire et une quelconque fraction de la classe dominante, aussi "progressiste", "démocratique" ou "populaire" qu' elle puisse se prétendre. Contrairement à la phase ascendante du capitalisme, sa période de décadence ne permet effectivement à aucune fraction de la bourgeoisie de jouer un rôle progressiste. En particulier, la démocratie bourgeoise qui, contre les vestiges des structures héritées de la féodalité, constituait, au siècle dernier, une forme politique progressive, a perdu, à l'heure de la décadence, tout contenu politique réel. Elle ne subsiste que comme paravent trompeur au renforcement du totalitarisme étatique et les fractions de la bourgeoisie qui s'en réclament sont aussi réactionnaires que toutes.les autres, De fait, depuis la première guerre mondiale, la "démocratie" s'est révélée comme un des pires opiums pour le prolétariat. C'est en son nom, qu'après cette guerre, a été écrasée la révolution dans plusieurs pays d'Europe, c'est en son nom et contre le "fascisme", qu'ont été mobilisés des dizaines de millions de prolétaires dans la seconde guerre impérialiste. C'est encore en son nom, qu'aujourd'hui, le capital tente de dévoyer les luttes prolétariennes dans les alliances "contre le fascisme", "contre la réaction", "contre la répression", "contre le totalitarisme", etc. coproduit spécifique d'une période où le prolétariat a déjà été écrasé, le fascisme n'est absolument pas à l'ordre du jour à l’heure actuelle et toute propagande sur le "danger fasciste" est parfaitement mystificatrice. D'autre part, il ne détient pas le monopole de la répression, et si les courants politiques démocratiques ou de gauche l'identifient avec celle-ci, c'est qu'ils tentent de masquer qu'ils sont eux-mêmes des utilisateurs décidés de cette même répression a tel point que c'est à eux que revient l'essentiel de l'écrasement des mouvements révolutionnaires de la classe.
Au même titre que les "fronts populaires" et "antifascistes", les tactiques de "front unique" se sont révélées de redoutables moyens de détournement de la lutte prolétarienne. Ces tactiques, qui commandent aux organisations révolutionnaires de proposer des alliances aux partis dits "ouvriers" afin de les "mettre au pied du mur" et de les démasquer, ne reviennent, en fin de compte, qu'à maintenir des illusions sur la véritable nature bourgeoise de ces partis et à retarder la rupture des ouvriers avec eux,
L’"autonomie" du prolétariat face à toutes les autres classes de la société est la condition première de l'épanouissement de sa lutte vers le but révolutionnaire. Toutes les alliances, et particulièrement celles avec des fractions de la bourgeoisie, ne peuvent aboutir qu'à son désarmement devant son ennemi en lui faisant abandonner le seul terrain où il puisse tremper ses forces : son terrain de classe. Tout courant politique qui tente de lui faire quitter ce terrain appartient au camp, de la bourgeoisie.
X - LE MYTHE CONTRE-REVOLUTLONNAIRE DE LA " LIBERATION NATIONALE"
La libération nationale et la constitution de nouvelles nations n'a jamais été une tâche propre du prolétariat, Si, au siècle dernier, les révolutionnaires ont été amenés à appuyer de telles politiques, ce n'est donc.pas avec des illusions sur leur caractère exclusivement bourgeois ni au nom du "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes". Un tel appui reposait sur le fait que, dans la phase ascendante du capitalisme, la nation représentait le cadre approprié au développement du capitalisme et toute nouvelle édification de ce cadre, en éliminant les vestiges contraignants des rapports sociaux précapitalistes, constituait un pas en avant dans le sens d' une croissance des forces productives au niveau mondial et donc dans le sens de la maturation des conditions matériel les du socialisme.
Avec l'entrée du capitalisme dans sa phase de décadence, et au même titre que l'ensemble des rapports de production capitalistes, la nation devient un cadre trop étroit pour le développement des forces productives. Aujourd'hui, la constitution juridique d’un nouveau pays ne permet aucun réel pas en avant dans un tel développement que les pays les plus anciens et les plus puissants sont eux-mêmes incapables d'assumer. Dans un monde désormais divisé et partagé entre blocs impérialistes, toute lutte de "libération nationale", loin de constituer un quelconque mouvement progressif, se résume en fait à un moment de l'affrontement constant entre bloc rivaux dans lesquels les prolétaires: et paysans enrôlés, volontairement ou de force, ne participent que comme chair à canon,
De telles luttes "n'affaiblissent" aucunement 1'Impérialisme puisqu'elles ne remettent pas en cause sa base : les rapports de production capitalistes. Si elles affaiblissent un bloc impérialiste c'est pour mieux en renforcer un autre et, la nation ainsi constitué devient elle-même impérialiste puisqu'à l’heure de la décadence, aucun pays, grand ou petit, ne peut s'épargner une telle politique.
Si, dans le monde actuel, une "libération nationale réussie" n'a d'autre signification que le changement de puissance de tutelle pour le pays concerné, elle se traduit la plupart du temps, pour les travailleurs, en particulier dans les nouveaux pays "socialistes", par une intensification, une systématisation, une militarisation de l'exploitation par le capital étatisé qui, manifestation de la barbarie actuelle du système, transforme la nation "libérée" en véritable camp de concentration. Loin d'être, comme le prétendent certains, un tremplin pour la lutte de classe du prolétariat du tiers-monde, ces luttes, par les mystifications "patriotiques" qu'elles colportent et l'embrigadement derrière le capital national qu'elles impliquent, agissent toujours comme frein et dévoiement de la lutte prolétarienne souvent acharnée dans ces pays. L’histoire a amplement montré depuis plus d'un demi-siècle et contrairement aux affirmations de l'Internationale Communiste, que les luttes de "libération nationale" n'impulsent pas plus le combat de classe des prolétaires des pays avancés que celui des prolétaires des pays sous-développés. Les uns comme les autres n'ont rien à attendre de ces luttes ni aucun "camp à choisir". Dans ces affrontements le "seul" mot d'ordre des révolutionnaires ne peut être, contre la version moderne de la "défense nationale" que représente "l'indépendance nationale" que celui qui fut déjà adopté par eux dans la première guerre mondiale : "défaitisme révolutionnaire : transformation de la guerre impérialiste en guerre civile". Toute position de "soutien inconditionnel" ou "critique" à ces luttes est aussi criminelle que celle des "social-chauvins" de la première guerre mondiale et donc parfaitement incompatible avec une activité communiste.
XI - L’AUTOGESTION AUTO-EXPLOITATION DU PROLETARIAT
Si la nation est devenue un cadre trop étroit pour les forces productives actuelles, ceci est encore plus vrai pour 1' entreprise qui n'a jamais connu d'autonomie véritable par rapport aux lois générales du capitalisme et dont la dépendance par rapport à celles-ci et à l'Etat ne peut aller qu'en s'accentuant dans la décadence capitaliste. C'est pour cela que "l'autogestion", c'est-à-dire la gestion des entreprises par les ouvriers au sein d'une société qui reste capitaliste, si elle était déjà une utopie petite-bourgeoise au siècle dernier quand elle était préconisée par les courants proudhoniens, est aujourd'hui une pure mystification capitaliste.
— arme économique du capital, elle a pour finalité de faire accepter par les travailleurs le poids des difficultés des entreprises frappées par la crise en leur faisant organiser les modalités de leur propre exploitation,,
— arme politique de la contre-révolution, elle a pour fonction :
- de diviser la classe ouvrière en l'enfermant et l'isolant usine par usine, quartier par quartier, secteur par secteur ;
- d'attacher les travailleurs aux préoccupations de l'économie capitaliste qu'ils ont au contraire pour tâche de détruire ;
- de détourner le prolétariat de la première tâche qui conditionne son émancipation ; la destruction de 1'appareil politique du capital et l'instauration de sa propre dictature au niveau mondial.
C'est effectivement à ce seul niveau que le prolétariat pourra .prendre en charge la gestion de la production, mais alors, il ne le fera pas dans le cadre des lois capitalistes mais en détruisant celles-ci.
Tous les courants politiques qui, même au nom de "1'expérience, prolétarienne" ou de "l'établissement" de nouveaux rapports entre travailleurs", défendent 1' autogestion, se font en fait les défenseurs objectifs des rapports de production capitalistes.
XII - LES LUTTES "PARCELLAIRES", IMPASSE RE ACTIONNAIRE.
La décadence du capitalisme a accentué la. Décomposition de toutes ses valeurs morales et "une dégradation profonde de tous les rapports humains9
Cependant, s'il est vrai.que la Révolution Prolétarienne engendrera de nouveaux rapports dans tous les domaines de la vie, il est erroné de croire que l'on peut y contribuer en organisant des luttes spécifiques sur des problèmes parcellaires tels le racisme, la condition féminine, la pollution, la sexualité et autres aspects de la vie quotidienne.
La lutte contre les fondements économiques du système contient la lutte contre les aspects superstructures de la société capitaliste, mais la réciproque est fausse.
Par leur contenu même, les luttes "parcellaires", loin de renforcer la nécessaire autonomie de la classe ouvrière, tendent au contraire à la diluer dans la confusion de catégories particulières ou invertébrées (races, sexes, jeunes, etc.) totalement impuissantes devant 1'Histoire. C’est pourquoi elles constituent un authentique instrument de la contre-révolution que les gouvernements bourgeois ont appris à utiliser efficacement.
XIII - LA NATURE CONTRE-REVOLUTIONNAIRE DES PARTIS "OUVRIERS"
L'ensemble des partis ou organisations qui aujourd'hui défendent, même conditionnellement ou de façon critique, certains Etats ou certaines fractions de la bourgeoisie contre d'autres, que ce soit -au nom du "socialisme", "de la démocratie, de l’antifascisme, de "l’indépendance nationale", du "front unique" ou du "moindre mal", qui participent, de quelque façon que ce soit, au jeu bourgeois, des élections, à l'activité anti ouvrière du syndicalisme ou aux mystifications autogestionnaires, sont des agents du capitale. Il en est ainsi, en particulier des partis "socialistes" et "communistes".
Les premiers ont perdu toute substance; prolétarienne en s'engageant dans la "défense nationale" au cours de la première guerre mondiale et se sont illustrés après celle-ci comme bourreaux du prolétariat révolutionnaire.
Les seconds sont, à leur tour, passés dans le camp du capital, en reniant l'internationalisme qui avait justement été à l'origine de leur rupture avec les partis socialistes, A travers, "le socialisme en un seul pays" d'abord et qui marque ce passage définitif à l'ennemi de classe puis la participation aux efforts d'armement de leur bourgeoisie, aux "fronts populaires", à la "résistance" durant la seconde guerre mondiale et à la "reconstruction nationale" après, celle-ci y ces partis se sont confirmes de plus en plus comme de fidèle serviteurs du capital national, et comme la pure incarnation de la contre-révolution.
L'ensemble des courants maoïstes, trotskistes ou anarchistes qui, soit sont directement issus de ces partis bourgeois, soit défendent un certain nombre de leurs, positions (défense des pays dits "socialistes" et alliances "antifascistes"…) appartiennent au même camp qu’eux : celui du capital. Le fait qu'ils aient moins d'influence ou qu'ils utilisent un langage plus radical, n’enlève rien au fond bourgeois de leur programme mais en fait d'utiles rabatteurs ou suppléants de ces partis.
XIV - LA PREMIERE GRANDE VAGUE REVOLUTIONNAIRE DU PROLETARIAT MONDIAL
En ponctuant l'entrée du capitalisme dans sa phase de décadence, la première guerre mondiale indique que l.es conditions objectives de la révolution prolétarienne sont mûres.
La vague révolutionnaire qui, en réponse à la guerre et à ses séquelles, surgit, et, se répand en. Russie et; en Europe, marque de son empreinte les deux Amériques et se répercute comme un écho jusqu’en Chine, constitue donc la première tentative du prolétariat mondial d’accomplir sa tâche historique de destruction du capitalisme. Au plus fort de sa lutte entre 1917 et 1923, le prolétariat se saisit du pouvoir en Russie, se lance-dans des insurrections de masses en Allemagne et secoue, jusque dans ses fondements l'Italie, la. Hongrie et l'Autriche. Bien que moins puissamment, il ne s’en manifeste pas moins et de façon acharnée, dans le reste du monde, comme par exemple en Espagne, en Grande-Bretagne, en Amérique du Nord et en Amérique du Sud. Finalement, l'échec tragique de cette vague révolutionnaire est ponctuée, en 1927, par l'écrasement de l'insurrection prolétarienne en Chine, à Shanghai et à. Canton, qui vient conclure une longue série de combats et de défaites de la classe au niveau international. C’est pour cela que la Révolution d'Octobre 17 en Russie ne peut se comprendre que comme une des manifestations de cet immense mouvement de la classe, et non, comme une "révolution bourgeoise", "capitaliste d'Etat", "double", ou encore "permanente", imposant au prolétariat l’accomplissement de tâches "démocratiques" à la place d'une bourgeoisie incapable de les assumer.
C'est également à l'intérieur de cette vague révolutionnaire que s'inscrit la création, en 1919, de la Troisième Internationale (Internationale .Communiste) qui rompt organisâtionnellement et politiquement avec les partis de la Seconde dont la participation à la Guerre impérialiste a signé le passage dans le camp de la bourgeoisie. Le parti bolchevik, partie intégrante de la Gauche Révolutionnaire qui s'est dégagée de la 2° Internationale, par ses positions politiques, claires condensées dans les mots d'ordre "transformation de la guerre impérialiste en guerre civile !" "Destruction de l'Etat bourgeois!" et '"Tout le Pouvoir aux Soviets !" ainsi que par sa participation décisive à: la création de la Troisième Internationale, apporte une contribution fondamentale au processus révolutionnaire et constitue, à ce moment, une authentique
Toutefois, si la dégénérescence tant de la révolution en Russie que de la 3ème Internationale a été essentiellement la conséquence de l'écrasement des tentatives révolutionnaires dans d’autres pays et de 1'épuisement général de la vague révolutionnaire, il faut également prendre considération le rôle joué parle parti Bolchevik, parce que pièce maîtresse de l'Internationale Communiste du fait de la faiblesse des autres partis, dans ce processus de dégénérescence et dans les échecs internationaux du prolétariat. Avec, pour exemples, l’écrasement du soulèvement de Kronstadt, la mise en avant contre la gauche de la 3ème Internationale, des politiques de "conquête des syndicats", de "parlementarisme" révolutionnaire" et de "front unique", son influence et sa responsabilité dans la liquidation de la vague révolutionnaire ont été à la mesure de celles qu'il avait assumées dans le développement de cette vague.
En Russie même la contre-révolution ne venait pas seulement "de l'extérieur" mais aussi "de l'intérieur" et en particulier des structures de l'Etat mises en place par le Parti Bolchevik devenu parti étatique. Ce qui, pendant Octobre 1917, ne constituait que des erreurs graves mais s'expliquant aussi bien par l'immaturité du prolétariat en Russie que par celle du mouvement ouvrier mondial face au changement de période, devait, dès lors, servir de paravent et justification idéologique de la contre-révolution, et agir comme facteur emportant de celle-ci. Cependant, le déclin de la vague révolutionnaire du premier après-guerre comme de la révolution en Russie, la dégénérescence de la 3° Internationale comme du parti bolchevick et le rôle contre-révolutionnaire, finalement joué pair ce dernier à partie d'un certain moment, ne peuvent être compris qu'en considérant cette vague révolutionnaire et la 3° Internationale, y induis leur composante en Russie; comme d'authentiques manifestations du mouvement prolétarien, toute autre interprétation constituant un facteur considérable de confusion et interdisant aux courants qui la défendent un réel accomplissement de tâches révolutionnaires.
Même si, et d’autant plus qu'il ne subsiste aucun "acquis matériel" de ces expériences de la classe, ce n'est qu'à partir de cette compréhension de leur nature qu'on peut et doit dégager leurs acquis théoriques réels, d'une importance considérable. En particulier, seul exemple historique de prise de pouvoir politique par le prolétariat (hormis la tentative éphémère et désespérée de la Commune en 1871 et les expériences avortées de Bavière et de Hongrie en 1919), la Révolution d'Octobre 17 a apporté des enseignements précieux dans la compréhension de deux problèmes cruciaux de la lutte prolétarienne : le contenu de la Révolution et la nature de l'Organisation des révolutionnaires.
XV -LA DICTATURE DU PROLETARIAT
La prise du pouvoir politique par le prolétariat à l’échelle mondiale, condition préliminaire et première étape de la transformation révolutionnaire de la société capitaliste, signifie, en premier lieu, la destruction de fond en comble de l^FP5£Giï^d^Êtat_boûrgêôïs7
En effet, comme c'est sur celui-ci que la bourgeoisie assoit la perpétuation de sa domination sur la société, de ses privilèges, de l'exploitation des autres classes et,: particulièrement de la classe ouvrière, cet organe est nécessairement adapté à cette fonction.et ne peut convenir à cette dernière classe qui n'a aucune privilège ni exploitation à préserver. En d'autres termes, il n'existe pas de "voie pacifique vers le "socialisme" : à la violence de classe minoritaire et exploiteuse exercée ouvertement ou hypocritement, mais de façon de plus en plus systématique par la bourgeoisie, le prolétariat ne peut qu'opposer sa propre violence révolutionnaire de classe.
Levier de la transformation économique de la société, la dictature du prolétariat, c'est-à-dire l'exercice exclusif du pouvoir, politique par celui-ci, aura pour tâche fondamentale d'exproprierez classe exploiteuse en socialisant ses moyens de production et d’étendre progressivement au secteur socialisé à l'ensemble des activités productives. Fort de son pouvoir politique, le prolétariat devra s'attaquer à l'économie politique bourgeoise en menant une politique économique dans le sens de l'abolition du salariat et de la production marchande, dans celui de la satisfaction des besoins de l'Humanité.
Pendant cette période de transition du capitalisme au Communisme, il subsiste des classes et couches sociales non-exploiteuses autres que le prolétariat et qui assoient leur existence sur le secteur non socialisé de l'économie. De ce fait, la lutte de classe se maintien comme manifestation d'intérêts économiques contradictoires au sein de la société. Celle-ci fait donc surgir un Etat destiné à empêcher que ces conflits ne conduisent à son déchirement. Mais avec la disparition progressive de ces classes sociales par l'intégration de leurs membres dans le secteur socialisé, donc avec l'abolition de toute classe sociale, l’Etat lui-même sera appelé à disparaître.
La forme revêtue par la dictature du prolétariat sera celle des Conseils Ouvriers, assemblées unitaires et centralisées à l'échelle de la classe, avec délégués élus et révocables, permettant l'exercice effectif, collectif et indivisible du pouvoir par l'ensemble de celle-ci. Ces conseils devront avoir le monopole du contrôlé des armes comme garant du pouvoir politique exclusif de la classe ouvrière.
C'est la classe ouvrière dans son ensemble qui seule peut exercer le pouvoir dans le sens de la transformation communiste de la société, contrairement aux autres classes révolutionnaires du passé, elle ne peut donc déléguer son pouvoir à une quelconque institution ou minorité y compris là minorité des révolutionnaires elle-même. Ceux-ci agissent au sein des Conseils, mais leur organisation ne peut se substituer à l'organisation unitaire de la classe dans l'accomplissement de la tâche historique de celle-ci.
De même, l'expérience de la révolution russe a fait apparaître la complexité et .la-gravité du problème posé par les rapports entre la classe et l'Etat de la période de transition. Dans la période qui vient, le prolétariat et les révolutionnaires ne pourront pas esquiver ce problème, mais se devront d'y consacrer tous les efforts nécessaires pour le résoudre.
La dictature du prolétariat implique l'absolue soustraction de celui-ci à toute soumission, en tant que classe, à des forces extérieures ainsi qu'à tout établissement de rapports de violence en son sein. Dans 1a période de transition, le prolétariat est la seule classe révolutionnaire de la société. Sa conscience et sa cohésion, ainsi que son action autonome, sont les garanties essentielles de l'issue communiste de sa dictature.
XVI - L'ORGANISATION DES REVOLUTIONNAIRES,
a— Organisation et conscience de.la classe
Toute classe luttant contre l'ordre social de son époque, ne peut le faire efficacement qu’en donnant à sa lutte une forme organisée et consciente. Ceci était déjà valable, quel que puisse être le degré d'imperfection et d'aliénation de leurs formes d'organisation et de conscience, pour les couches comme la paysannerie ou celle des esclaves qui ne portaient pas en elles le devenir socialo Mais cette nécessité s’applique encore plus aux classes historiques porteuses des nouveaux rapports de production rendus nécessaires par l'évolution de la société. Le prolétariat est, parmi celles-ci, la seule classe qui ne dispose, dans l'ancienne société d'aucun pouvoir économique, ne prélude à sa future domination. De ce fait, l’organisation et la conscience sont des facteurs encore bien plus décisifs de sa lutte,,
La forme d'organisation que se donne la classe dans sa lutte révolutionnaire et pour l'exercice de son pouvoir politique est celle des Conseils Ouvriers. Mais si c'est l'en semble de la classe qui est le sujet de la Révolution et qui se regroupe donc dans ces organes au moment de celle-ci, cela n’en signifie pas pour autant que le processus de sa prise de conscience soit simultané et homogène.
La conscience de la classe se forge à travers ses luttes, elle se fraye un chemin difficile à travers ses succès et ses défaites. Elle doit faire face aux divisions et aux différences catégorielles ou nationales qui constituent le cadre "naturel" de la société que le capitalisme a intérêt à maintenir au sein de la classe.
b — Les révolutionnaires et leur fonction
Les révolutionnaires sont les éléments de la classe qui, à travers ce Processus hétérogène, se hissent les premiers à une "intelligence nette des conditions de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien" (Manifeste Communiste) et, comme dans la société capitaliste, "les idées dominantes sont les idées de la classe dominante", ils constituent forcement une minorité de la classe.
Sécrétion de la classe, manifestation du processus de sa prise de conscience, les révolutionnaires ne peuvent exister comme tels qu'en s'organisant et devenant accomplir cette tâche et de façon indissociable, l'organisation des révolutionnaires :
- participe à toutes les luttes de la classe dans lesquelles ses membres se distinguent comme les éléments les plus déterminés et combatifs.
- y intervient en mettant toujours au premier plan les intérêts généraux de la classe et les buts finaux du mouvement.
- pour cette intervention, et comme partie intégrante de celle-ci, elle se consacre de façon permanente au travail de réflexion et d'élaboration théorique, travail qui seul permet que son activité générale s'appuie sur toute l'expérience passée de.la classe et sur ses perspectives d'avenir ainsi dégagées.
c — Les rapports entre la classe et l'organisation des révolutionnaires.
Si l'organisation générale de la classe et l'organisation des révolutionnaires participent d'un même mouvement, ce n’en sont pas moins deux choses distinctes.
La première, l'organisation des Conseils, regroupe1' ensemble de la classe : le seul critère d'appartenances est d’être un travailleur.
La seconde, par contre, ne regroupe que des éléments révolutionnaires de la classe. Le critère d'appartenance est, non plus sociologique, mais politique : l'accord sur le programme et l'engagement de le défendre. En ce sens, peuvent faire partie de l'avant-garde de la classe des individus qui n'en font pas partie sociologiquement mais qui, rompant avec leur classe d'origine, font leurs les intérêts historiques du prolétariat.
Cependant, si la classe et l'organisation de son avant-garde sont deux choses bien distinctes, elles ne sont pas pour cela séparées, extérieures l’une à l’autre ou même opposées comme le prétendent d'une part les courants "léninistes" et, d'autre part, les courants conseillistes-ouvriéristes.
Ce que ces deux conceptions veulent ignorer, c'est que, loin de s'affronter, ou de s'opposer, ces deux éléments -la classe et les révolutionnaires- sont en fait complémentaires dans un rapport de tout et de partie du tout. Entre la première et les seconds, il ne peut jamais exister de rapports de force puisque "les communistes n'ont point d'intérêt qui les séparent du prolétariat en général" (Manifeste Communiste).
Comme partie de la classe, les révolutionnaires ne peuvent, à aucun moment, se substituer à celle-ci, ni dans ses luttes au sein du capitalisme ni, à plus forte raison, dans le renversement de celui-ci ou dans l'exercice du pouvoir. Contrairement à ce qui prévalait pour les autres classes historiques, l'œuvre que doit mener à bien le prolétariat ne se suffit pas de la conscience d'une minorité aussi éclairée soit-elle, mais exige la participation constante et une activité créatrice de tout instant de la classe dans son ensemble.
La conscience généralisée est la seule garantie de victoire de la Révolution prolétarienne et, comme elle est essentiellement le fruit de l'expérience pratique, l'activité de l’ensemble de la classe est irremplaçable. En particulier, l'usage que la classe doit nécessairement faire de la violence ne peut-être une activité séparée du mouvement général de la classe. En ce sens, le terrorisme individuel ou de groupes isolés, est absolument étranger aux méthodes de la classe et constitue au mieux une manifestation de désespoir petit-bourgeois quand il n'est pas simplement une méthode cynique de lutte de fractions de la bourgeoisie entre elles.
L'auto-organisation des luttes de la classe et l'exercice du pouvoir par elle-même n'est pas une des voies vers le communisme, qu'on pourrait mettre en balance avec d'autres, C'EST L'UNIQUE VOIE.
d — L’autonomie de la classe ouvrière
Cependant, le concept d'"autonomie de la classe" tel qu'il est compris par les courants ouvriéristes et anarchistes, et qu'ils opposent aux conceptions substitutionnistes, acquiert chez eux, un sens réactionnaire et petit-bourgeois. Outre que "l'autonomie" se réduit bien souvent chez eux à leur propre autonomie de petite secte prétendant représenter la classe ouvrière au même titre que les courants substitutionnistes qu'ils dénoncent, leur conception comporte deux aspects principaux :
- le rejet de la part des travailleurs des partis et organisations politiques quels qu'ils soient
- L'autonomie de chaque fraction de la classe ouvrière (usines, quartiers, régions, nations, etc.) par rapport aux autres : le Fédéralisme.
Actuellement de telles notions sont, dans le meilleur des cas, une réaction primaire contre le bureaucratisme stalinien et le développement du totalitarisme étatique et, dans le pire, l'expression politique de l'isolement et de la division propre à la petite bourgeoisie. Mais dans les deux cas, elles traduisent l'incompréhension totale de trois aspects fondamentaux de la lutte révolutionnaire du prolétariat.
- l'importance et la priorité des tâches politiques de la classe (destruction de l'Etat capitaliste, dictature mondiale du prolétariat) ;
- l'importance et le caractère indispensable de l'organisation des révolutionnaires au sein de la classe ;
- le caractère unitaire, centralisé et mondial de la lutte révolutionnaire de la classe.
Pour nous, marxistes, l'autonomie de la classe signifie son indépendance par rapport aux autres classes de la société. Cette autonomie constitue une CONDITION INDISPENSABLE pour l'action révolutionnaire de la classe dans la mesure où le prolétariat est aujourd'hui la seule classe révolutionnaire. Elle se manifeste tant sur le plan organisationnel (organisation des Conseils) que sur les plans politiques et programmatiques et donc, contrairement à ce que pensent les courants ouvriéristes, on étroite liaison avec son avant-garde communiste.
e — L’organisation des révolutionnaires dans les différents moments de la lutte de classe.
Si l'organisation générale de la classe et l'organisation de révolutionnaires sont deux choses différentes quand à leur fonction, elles le sont également quand aux circonstances de leur apparition, Les Conseils n'apparaissent que dans les périodes d’affrontements révolutionnaires, quand toutes les luttes de la classe tendent vers la prise du pouvoir. Par contre, l'effort de prise de conscience de la classe existe constamment depuis ses origines et existera jusqu'à sa disparition dans la société communiste. C'est en ce sens qu'il existe en toutes périodes des minorités révolutionnaires comme expression de cet effort constant. Mais l'ampleur, l'influence, le type d'activité et le mode d'organisation de ces minorités sont étroitement liés aux conditions de la lutte de classe.
Dans les périodes d'activité intense de la classe, ces minorités ont une influence directe sur le cours pratique de cette activité. On peut alors parler de parti pour désigner l'organisation de cette avant-garde. Par contre, dans les périodes de recul, ou de creux de la lutte de classe, les révolutionnaires n’ont plus une influence directe sur le cours immédiat de l'Histoire. Seules peuvent subsister des organisations à la taille beaucoup plus redite dont la fonction ne errait plus être d’influencer le mouvement immédiat, mais d'y résister, ce qui les conduit à lutter à contre-courant d’une classe paralysée et entraînée par la bourgeoisie sur son terrain (collaboration de classe, "union sacrée", "résistance", "antifascisme", etc.). Leur tache essentielle consiste alors, en tirant les leçons des expériences antérieures, à préparer le cadre théorique et programmatique du futur parti prolétarien qui devra nécessairement ressurgir dans la prochaine montée de la classe. D’une certaine façon, ces groupes et fractions qui, au moment du recul de la lutte se sont dégagés du parti en dégénérescence ou lui ont survécu, ont pour rôle de constituer le pont politique et organisationnel jusqu'à son prochain resurgissement.
f — Le mode d’organisation des révolutionnaires.
La nature nécessairement mondiale et centralisée de la Révolution Prolétarienne confère au parti de la classe ouvrière ce même ce même caractère mondial et centralisé, et les fractions ou groupes qui travaillent à sa reconstitution tendent nécessairement vers une centralisation mondiale. Celle-ci se concrétise par l'existence d'organes centraux investis de responsabilité politiques entre chacun des congrès devant lesquels ils sont responsables.
La structure que se donne l'organisation des révolutionnaires doit tenir compte de deux nécessités fondamentales :
- permettre le plein développement de la conscience révolutionnaire en son sein et donc de la discussion la plus large et approfondie de toutes les questions et désaccords qui surgissent dans une organisation non monolithique.
- assurer, en même temps, sa cohésion et son unité d’action en particulier par l'application, par toutes les parties de l'organisation, des décisions adoptées majoritairement.
De même, les rapports qui se nouent entre les différentes parties et différents militants de l'organisation porte nécessairement les stigmates de la société capitaliste et, ne peuvent donc constituer un îlot de rapports communistes au sein de celle-ci. Néanmoins, ils ne peuvent être en contradiction flagrante avec le but poursuivi par les révolutionnaires et ils s'appuient nécessairement sur une solidarité et une confiance mutuelle qui sont une des marques de l'appartenance de l'organisation à la classe porteuse du communisme.
L’EQUILIBRE ECONOMIQUE
Le fragile équilibre économique du capital mondial a été irrémédiablement brisé l’année passée. Le Tiers-monde a sombré encore plus dans l'appauvrissement et le déclin tandis que les prix des matières premières dont dépendent ces économies se sont effondrés. Pour prendre un exemple, l’indice des prix mondiaux des métaux recueilli par l’"Economist" a chuté de 245,8 en mai 1974 à 111,8 en septembre 1975 -une chute qui a pratiquement ramené l'indice au niveau prévalant en 1970. Même les apparents eldorados de ces dernières années, les Etats producteurs de pétrole comme 1!Iran et Arabie Saoudite ont dû rogner vigoureusement dans 1eurs à ambitieux projets de développement.
Dans les métropoles capitalistes, la crise a rapidement dépassé ses premières manifestations comme crise monétaire même si les répercutions de la dislocation du système monétaire international et l’inflation galopante gagnent en intensité.
Maintenant, la crise se manifeste dans le procès de production des valeurs matérielles lui-même. Le jugement selon lequel nous sommes pleinement et clairement dans une crise générale de surproduction est aujourd'hui incontestable.
Aux U.S.A, 31?S des capacités de production restent inactives aujourd' hui 5 au Japon, plus d'un cinquième de la capacité industrielle reste inemployé. Avec une capacité de production annuelle de douze millions de voitures, l'industrie automobile européenne ne va pas produire plus de huit millions de véhicules en 1975.
Le tableau qui suit montre l'ampleur de l'affaissement de la production industrielle, qui a été sans précédent depuis la crise des années 1930.
Production - variation en pourcentage du second quart de 1974 au second quart de 1975.
Le déclin de la production est maintenant ressenti dons le bloc de l’Est également, où les planificateurs russes ont dû admettre en décembre que la production a seulement augmenté de 4$ au lieu des 6,5$ prévus. Ce dernier chiffre étant lui même un objectif qui avait été, deux ans auparavant, sérieusement révisé en baisse quand les bureaucrates ont découvert qu’ils devaient "planifier" les effets destructeurs d'une crise qui rend risible toute tentative de planification capitaliste.
Le fléchissement de la croissance du commerce mondial, qui a suivi le "boom" inflationniste de 72-73, a produit eh 75 la première diminution en volume du commerce mondial depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Les profits, qui sont 1'indice le plus précis de la santé de l'économie capitaliste, ont chuté de manière encore plus catastrophique eue la production et le commerce mondial, An Japon, lès bénéfices des sociétés ont chuté de 47 $ durant les six premiers mois de 1975. Les sommes substantielles mises en épargne, pendant les années du "boom" sont maintenant incorporées dans les bilans, les profits ont en fait diminué de 70 $ environ. Un quart des compagnies répertoriées à la bourse de Tokyo ont fonctionné à perte cette année. En Allemagne, les grands trusts chimiques qui avaient lancé le "miracle économique" ont vu leurs énormes bénéfices se dissoudre: Bayer a vu ses bénéfices pour 6 mois diminuer des 2/3, BASF de moitié. En Grande-Bretagne, beaucoup parmi les plus importantes entreprises ont dû se mettre sous l'aile protectrice de 1' Etat pour éviter la fermeture ou la faillite : Burmah Oil, Ferranti, Alfred Herbert, British Leyland, Chrysler U.K., et toute l'industrie de construction navale.
Le Trésor estime que le taux de profit du capital placé dans l'industrie britanniques est tombé de 11,5 $ à 4,5 en 1974. En Italie, pratiquement tous les grands groupes industriels (étatisés ou "privés") perdent de l'argent et sont étouffés par le paiement des énormes intérêts des dettes contractées les années passées pour rester à flot. Le gouverneur de la Banque Centrale a recommandé que la part de dette de l'industrie envers les banques soit convertie en actions, ce qui constituerait de fait une nationalisation car les grandes banques sont propriété de l'Etat. De son côté> la Fédération des patrons, la Confindustria, a demandé d'urgence un moratoire d’un ou deux ans sur le paiement des intérêts comme étant le seul moyen de sauver 1’économie italienne.
Aux Etats-Unis, qui furent les architectes de l'équilibre économique provisoire établi après la IIème Guerre Mondiale aussi bien que les principaux bénéficiaires du repartage du marché mondial affecté par le carnage impérialiste, les profits dans toutes les industries de base se sont écroulés comme un château de cartes sous l'impact de la crise.
LE STATU-QUO ENTRE LES CLASSES.
L'effondrement de l'équilibre économique, si soigneusement reconstruit à la suite de la boucherie inter-impérialiste de 1939-45, a déjà sévèrement perturbé le fragile statuquo social qui reposait sur lui et qui ne pourra lui survivre. Avec le profond déclin de la production, du commerce mondial et du profit, le capital se débarrasse lui-même de cette partie de la force de travail qui devient superflue. A travers le monde, une immense armée de chômeurs, à la croissance rapide, atteste le seul futur que le capitalisme décadent peut la misère de plus offrir au prolétariat en plus profonde.
La croissance massive du chômage les années passées a déjà sonné comme un avertissement aux oreilles de la bourgeoisie dont les représentants les plus intelligents voient dans cette masse de prolétaires amers un des éléments qui menace de s'unir dans l'armée de la révolution mondiale.
Les statistiques officielles ne donnent en fait qu'une pâle indication de 1' extension du chômage dans les nations capitalistes dominantes. Aux USA, comme 1'attestent même des politiciens et économistes bourgeois, un calcul plus précis du nombre de chômeurs montrerait que ce sont plus de 10 millions de travailleurs qui sont privés par la crise de leur moyen d'existence. Une étude de la Banque d'Angleterre qui essaie d'unifier les calculs en ajustant les différences dans les méthodes de calcul utilisées par différents gouvernements, montre qu'en France il y avait déjà 1.150.000 chômeurs en avril (Financial Times, 20 juin 1975), un nombre qui a certainement dû s'accroître depuis. En Allemagne, le chiffre officiel ne tient pas compte des 300.000 travailleurs immigrés expulsés depuis mars 74 et du million de travailleurs inemployés à temps partiel. Les statistiques japonaises sur le chômage ignorent les travailleurs saisonniers qui ont été licenciés, ne tiennent pas compte-du chômage partiel ces travailleurs qui ont été contraints de quitter "volontairement" leur travail ou de "prendre des vacances" imposées qui cachent les fermetures temporaires. Une estimation plus réaliste du nombre de chômeurs véritable au Japon devrait au moins se situer vers 2 millions. Sur la base d'estimations raisonnables et précises des gens sans travail en Europe de l'Ouest, Amérique du Nord, Australie et Japon, il y a aujourd'hui au moins une masse grandissante de 21 millions de chômeurs.
La croissance énorme du nombre de chômeurs est seulement l'un des signes de la détérioration du niveau de vie de la classe ouvrière. D'un côté une part croissante du prolétariat doit faire face à la perspective d'être jetée sur le pavé par la bourgeoisie qui cherche à licencier les ouvriers en rapport avec la contraction des marchés avec l'espoir de rétablir un taux de profit plus élevé en extorquant encore plus de plus-value d'un plus petit nombre d'ouvriers. De l'autre côté, ces travailleurs qui n'ont pas été expulsés du procès dé production et que la crise condamne à une intensification incessante de l'exploitation dans les usines, ont vu leur salaire réel sévèrement amputé par la prodigieuse augmentation des prix des biens de consommation. Dans beaucoup de pays, en dépit de la croissance du chômage, les prix de consommation (alimentation, loyer, vêtement) augmentent encore plus vite qu'en 1974 :
A travers l'Europe Occidentale, 1'Amérique du Nord, l'Australie et le Japon, les prix de consommation ont augmenté à la moyenne de 11% entre août 74 et août 75.
Le prolétariat dans les pays de l'Est a aussi commencé à ressentir tout l'impact de la crise mondiale. En Yougoslavie, il y a plus d'un demi-million de chômeurs, tandis que l'augmentation du coût de la vie a été de 30fi l'année passée. En Russie et dans les autres pays de l'Est, même si le chômage peut être caché, rien ne peut dissimuler aux travailleurs l'augmentation palpable du taux d'exploitation qu'imposent 1eurs patrons capitalistes. De plus, le prolétariat est soumis à une augmentation dévastatrice et continuelle des prix des produits de consommation alors qu'au même moment il y a une pénurie massive et grandissante des produits de première nécessité. En décembre, les travailleurs polonais se sont vu annoncer "qu’une politique flexible des prix" remplacera le blocage des prix sur les produits d'alimentation de base. Quelques prix d'alimentation sont gelés depuis l'insurrection ouvrière de 1970 - 71, mais le seul résultat de ce blocage des prix est depuis longtemps de produire une pénurie accrue pour ces produits. L'effet de la planification capitaliste en Pologne, qui a permis l'exportation de quelques rares produits d'alimentation à l'étranger, peut se voir aussi dans le problème du logement où il y a maintenant une liste d'attente pour les appartements de plus d'un million et demi de familles. En décembre aussi, la Hongrie a annoncé la troisième augmentation importante des prix cette année sur un grand nombre de produits d'alimentation et de consommation.
Sous la poussée de la crise mondiale qui s'approfondie, avec la paupérisation grandissante du prolétariat qui en découle, le statuquo entre les classes qui a déjà commencé à se fissurer avec la venue de la crise à la fin des années 60, est brisé. L'année passée, la lutte de classe s'est intensifiée et généralisée, confirmant l'analyse de notre courant selon laquelle la perspective qui s'ouvre avec la crise est celle de la guerre de cl asse, de la révolution prolétarienne.
Au Pérou, en février 1975 les émeutes et les batailles de rue de Lima contre lesquelles la junte militaire de "gauche" a répondu par une répression sauvage causant la mort de centaines de personnes, l'arrestation de milliers de manifestants, et par la déclaration de l'état d'urgence furent» le sommet d'une importante vague de grèves : en août 1974, 15 000 mineurs du Centromin-Pérou, propriété de l'état se mettent en grève; en décembre 25 000 mineurs de cuivre se mettent en grève. Au Venezuela, durant l'hiver 1975, les mineurs, dans les mines de fer récemment nationalisées, lancent une grève dure. En Argentine, des dizaines de milliers de travailleurs sont en grève de Villa construction à Cordoba, de Rosario à Buenos Air es f du printemps à l'été. La vague d'occupation d'usines et la défense armée des quartiers ouvriers face à la répression brutale de l'armée et de la police, marquent la combativité grandissante du prolétariat en réponse à la crise.
En Chine, l'année 1975 a vu une vague de luttes ouvrières en réponse aux mesures d'austérité; l'Etat a réagi en envoyant des troupes dans les régions concernées pour briser les grèves et restaurer la production. En Septembre on a annoncé que 10 000 soldats ont été envoyés à Hengchow pour restaurer la production dans treize usinés. La très large utilisation de l'armée dans les mines de charbon, les centres sidérurgiques et de nombreuses autres industries donne une indication de l'étendue de la réponse du prolétariat chinois contre, à la fois, la détérioration de son niveau de vie et celle des conditions de travail que l'Etat veut lui imposer.
En Europe de l'Est, 1975 a aussi apporté de nouvelles évidences de la résistance prolétarienne aux attaques de la crise du capital mondial. Les grèves le ralentissement du travail, les actions de protestation et les sabotages ont augmenté partout. En Pologne, l'Etat a réagi en novembre, de lourdes amendes contre l'absentéisme ont été introduites et toute une série d'autres mesures disciplinaires sont annoncées comme prochaines. Avec en mémoire l'insurrection de1970 encore présente dans leurs pensées, les leaders politiques et les syndicats officiels ont fait une tournée des usines pour convaincre les travailleurs que les "conquêtes" des années passées peuvent être misés en danger par une "agitation stérile".
En Europe de l'Ouest, 1975 a amené une dramatique poussée de l'importance et de 1'intensité des grèves, terminant ainsi l'accalmie relative dé 1973-74 qui avait succédé à la vague de grèves débutant en 68. L'hiver dernier, des centaines de milliers d'ouvriers espagnols ont entrepris des grèves massives En janvier et février, la vague de grèves s'étend de Pampelune à Barcelone dans le nord, à travers la région de Madrid, vers 1'Andalousie au sud. En mars, les faubourgs industriels, de Bilbao sont le théâtre de grèves très dures, tandis qu'en avril, la vague culmine un moment avec la grève des 3000 ouvriers de la Casa Renault à Valladolid
En Italie, la fin du mois d'avril voit une grève sauvage des conducteurs du réseau de transports de Milan (ATM) qui était dirigée aussi bien contre les syndicats que contre les employeurs. En France, pendant le: printemps, la classe ouvrière a répondu aux licenciements et à la fermeture des usines dans l'industrie automobile, la sidérurgie, métallurgie, les journaux, les transports et les services publics par une vague de grèves que les syndicats ont provisoirement réussi à contenir mais avec de plus en de difficultés. En avril, plus de 50 usines étaient occupées tandis que le nombre de grévistes s'élevait à 100 000 par jour.
Aux Etats-Unis, l'été dernier, une grève sauvage des mineurs de charbon de la Virginie de l'Ouest, dirigée contre la collusion des syndicats et des propriétaires, s'est étendue en quelques jours, jusqu'à englober 80 000 des 125 000 mineurs de charbon du pays. Les efforts combinés des syndicats, des patrons, des cours de justice et de la police ont été nécessaire pour mettre fin à la grève qui a duré un mois et qui a complètement paralysé l’industrie du charbon.
Les années écoulées, la lutte de classe a continué à se développer, se répandant de pays en pays, touchant de plus en plus de secteurs industriels et incluant un nombre grandissant de travailleurs. Cependant, en dépit de leur extension et de leur intensité, qui témoigne de la combativité d'une génération de travailleurs qui n'a pas connue la défaite, ces luttes ont seulement ouvert une brèche mais n'ont pas encore brise les remparts corporatistes nationaux, et syndicaux, qui constituent les derniers bastions du capital contre la tempête prolétarienne menaçante. Une accalmie s'est momentanément installée sur le champ de bataille de classe pendant laquelle le prolétariat assimile les leçons de sa lutte récente et la bourgeoisie se prépare à affronter la classe ouvrière. Le calme avant le nouveau soulèvement qui germe déjà profondément dans le tréfonds de la société bourgeoise en déclin coïncide avec les bavardages concernant une reprise économique.
LA REPRISE : REALITE OU MYTHE?
Le prestigieux Economist de Londres a signalé une augmentation de la production commençant le printemps dernier au Japon, et cet été aux Etats-Unis et en Allemagne de l'Ouest, comme le signe annonciateur d’une reprise, ceci après la pire dépression depuis celle des années 30 :
"Les six plus importantes nations industrielles : USA, France, Japon, RFA, Grande-Bretagne et Italie, représentant environ à elles toutes 80% de la production industrielle. Après qu'elles se soient rencontrées au sommet de Rambouillet, chacune voit des hirondelles dans son ciel, et espère qu'elles sont le signal du printemps qui s'annonce. (15 nov. 75, p.
Ainsi l’Economist prévoit d'une manière très optimiste une élévation de leur PNB à toutes les six pour 1976, dans le cas des Etats-Unis et du Japon, une croissance solide de 6 $. Les cercles dirigeants aux USA parlent d'une manière encore plus confiante ; plus de doutes à ce sujet : la reprise des 11 affaires est vigoureuse, plus vigoureuse même que les optimistes ne l'attendaient" (borness Week, 3 nov.1975, p. 19).
Une partie non négligeable de la bourgeoisie partage le point de vue du premier ministre français Chirac, disant "on commence à voir le bout du tunnel".
Les marxistes n'ont jamais affirmé que dans une crise généralisée de surproduction, qui avec les périodes de guerre impérialiste et de reconstruction nationale constitue le cycle barbare du capitalisme décadent, la production baisse constamment, suivant une ligne droite descendante. Une crise sera toujours ponctuée par de faibles et courts sursauts de la production ou même par une augmentation conjoncturelle pour un capital particulier (national). Cependant, seule la bourgeoisie peut confondre une telle pause dans le déclin de la production avec les signes d'une reprise. Le prolétariat a appris une cruelle leçon selon laquelle à une époque de capitalisme décadent, la seule "reprise" qu'après une crise générale de surproduction la société bourgeoise peut avoir se situe après le carnage d'une nouvelle guerre mondiale.
Tandis que l'Etat capitaliste a assumé de manière croissante l'ensemble de chaque économie nationale depuis la crise mondiale des années 30 sans éliminer l'anarchie de la production qui est le stigmate du système capitaliste, la tendance générale vers le capitalisme d'Etat a rendu possible le tassement de la crise. Mène si l'appareil du capitalisme d'Etat a permis d'éviter un effondrement total de la production par le recours au programme inflationniste, le produit inéducable de l'inflation avec ses déficits budgétaires massifs, représente par la suite un affaiblissement de la compétitivité du capital national sur le marché mondial et une tendance prononcée vers une hyperinflation. Une telle situation nécessitera alors une déflation énergique pour éviter un effondrement de l'économie, qui produirait rapidement une crise de liquidités, une avalanche de banqueroutes et une nouvelle chute de la production. De plus, de là manière que la déflation, d'une part produit un effondrement industriel, d'autre part ne fait que ralentir, sans l'arrêter l'inflation galopante, les programmes inflationnistes ne font que ralentir le déclin de la production sans pouvoir renverser la tendance, et de plus produit un boom de l'inflation. Bieri avant que la déflation puisse arrêter l'inflation galopante, elle produirait un effondrement général du système à travers l'asphyxie. Bien avant que la relance puisse éliminer la sous-utilisassions, des capacités industrielles, elle produirait l'hyperinflation et donc l’écroulement de la production. L'économie mondiale est aujourd'hui condamnée à osciller entre des poussées d'inflation et de dépression de plus' en plus dures quelque soit le plan que l'Etat capitaliste adopte.
La reprise, dont la bourgeoisie elle-même essaie de se convaincre de la réalité est condamnée à être morte née. Les signes d'une reprise apparente sont dus à deux facteurs :
- D’abord, une halte temporaire d'une sévère politique de déstockage que l'industrie a entreprise depuis plus d'une année pour, faire face aux marchés sur saturés; et l'élan qui en découle dans la production quand l'industrie recomposées stocks dégarnis.
- Ensuite, la diminution des taxes et 1' accroissement, des dépenses publiques que les différents Etats leadeurs du capitalisme ont entrepris dans un effort désespéré pour soutenir la production et éviter un chômage encore plus important (avec le soulèvement social qui en serait le résultat inévitable).
Aucun de ces facteurs ne fournit les bases pour une reprise réelle. La reconstitution des stocks sera rapidement achevée dès que ceux-ci se heurteront aux réalités du marché mondial rétréci, et sans un nouvel élan, une nouvelle période de liquidation des stocks devra commencer. Le déficit budgétaire sans précédent qui a été nécessaire pour financer les différents programmes de relance, a déjà atteint le point où il provoque une forte-inflation sans pour autant, diminuer rapidement.
Estimation des déficits budgétaires pour l'année fiscale en cours :
Dans les pays capitalistes dominants, 1'année qui vient va se caractériser par un effort systématique pour réduire le déficit budgétaire en rognant sur les dépenses publiques et en faisant un nouveau saut dans la déflation. Ainsi la "reprise" va-t-elle nécessairement entrer en collision avec la diminution des dépenses publiques. Quand aucun accroissement effectif de la demande globale n'est concevable, quand les industries du monde entier amputent leurs dépenses, quand les "économies planifiées" planifient toutes la baisse de leur croissance industrielle, la nature erronée de la reprise pour laquelle est fait un si grand battage, devient évidente.
LA REPONSE DE LA BOURGEOISIE A LA CRISE.
Pour être compétitive sur un marché mondial saturé, chaque fraction nationale du capital doit essayer de réduire le prix de ses marchandises afin d'affronter ses concurrents sur le marché. Cependant, face à la chute du profit, elle doit réduire ses investissements dans de nouveaux outillages ou de nouvelles machines qui permettraient d'élever la productivité du travail et de vendre moins cher que ses concurrents. De plus, les coûts de production liés au capital constant qui est utilisé, sont relativement rigides et résistants à toute diminution si le coût des matières premières (capital circulant) tend à baisser quelque peu, le fardeau de l'outillage et des machines inoccupées (capital fixe) croix à un taux de plus en plus élevé. Il n'y a qu'un seul moyen par lequel chaque capital national pout essayer de rendre sa production plus compétitive : en faisant supporter au prolétariat le poids de la crise.
L'assaut massif contre la classe ouvrière que mène actuellement la bourgeoisie prend deux formes. D'abord, celle d'une détérioration des conditions de travail du prolétariat de manière à élever le taux de profit sans faire aucun nouvel investissement dans le capital constant : réduction massive de la force de travail d'un côté, intensification du travail et allongement des horaires pour les travailleurs qui restent, de l'autre ([1] [95]). Ensuite, une forte réduction du niveau de vie du prolétariat, une attaque directe contre les salaires des ouvriers. Les salaires qui représentent l'équivalent du coût de production et de reproduction de la force de travail (et rendent aussi possible pour un ouvrier de fonder une famille, une nouvelle génération de prolétaires) sont dans les conditions prédominantes de capitalisme d'Etat "payé" de deux façons. Une partie est directement payée au travailleur par son employeur sous la forme de sa paye ; la deuxième partie est donnée au travailleur à la fois par son employeur et par l'Etat sous forme de "services sociaux". Les mesures d'austérité draconiennes (blocage des salaires, politique des revenus, diminution des services sociaux) que la bourgeoisie essaye maintenant d'imposer partout, ont pour objet l'amputation impitoyable des salaires des ouvriers sous ces deux formes.
Toutefois, confrontée à une classe ouvrière combative qui n'a pas connu la défaite, la bourgeoisie doit procéder avec la plus grande dextérité, elle n'ose pas encore imposer sa volonté à la classe ouvrière à travers la répression violente, de peur de provoquer l'affrontement de classe pour lequel elle n'est pas encore prête. Aussi, la bourgeoisie doit d’abord essayer de dévier le prolétariat de son terrain de classe, de le mystifier, de le diviser et de le dissoudre dans le "peuple" ([2] [96]). Ce que la bourgeoisie doit imposer à tout prix, c’est l’unité nationale. Ceci signifie que la gauche va être amenée à "gérer" la crise, à imposer des mesures d'austérité à la classe ouvrière, à convaincre les ouvriers que l'Etat est "leur" Etat et qu'ils doivent faire les sacrifices nécessaires dans son intérêt. Nous allons voir apparaître une floraison d'idéologies nationalistes antifascistes, anti-impérialistes; au niveau le plus élevé de l'appareil d'Etat capitaliste. Toute "opposition à l'Etat sera décrite comme aidant objectivement le toujours menaçant "danger fasciste" que le "peuple démocratique" doit écraser avec son "Etat populaire". La fraction consciente de .la clause, les militants ouvriers et les révolutionnaires seront dénoncés par tous les organes de propagande comme des "agents, fascistes" et des "instruments de la réaction". Avant que chaque fraction nationale de la bourgeoisie puisse espérer atténuer les effets dévastateurs de la crise mondiale et essayer de rafistoler 1'équilibre économique chancelant, elle doit d'abord restaurer 1'équilibre entre les classes. C'est cela qui constitue l'objectif politique du capitalisme d'Etat. La crise économique du capital agonisant a aujourd'hui poussé a un point crucial la profonde crise politique de la classe dirigeante.
LA LUTTE DE CLASSE
A cause de la nature convulsive de la crise qui échappe même au tentaculaire Etat capitaliste et à cause des sacrifices grandissants que l'Etat doit demander, la possibilité de restaurer, ne serait-ce que le plus ténu des statu quo social, s'évanouit, et l'éclatement d'une nouvelle et encore plus puissante vague de lutte de classe devient effectivement certaine.
A quelque moment que la prochain vague de grèves surgira, les travailleurs, s’ils veulent éviter que leur lutte soit, dirigée dans une impasse, devront immédiatement briser le contrôle que les syndicats ont de plus en plus difficilement maintenu sur les luttes des ouvriers. La rupture avec les syndicats prendra son expression concrète dans la formation d'Assemblées Générales dans les usines, qui auront le contrôle de la lutte et dans la création do Comités de Grève élus et révocables. Cependant, il est clair que même la grève la plus militante, et la plus combative, si elle veut éviter d'être isolée et finalement écrasée, doit dépasser rapidement le caractère corporatiste et local.que la structure même du système capitaliste essaie de lui imprimer dès sa naissance. Ce qui est nécessaire, c'est la GENERALISATION de la lutte : son extension aux autres usines, aux autres branches d'industrie et aux autres villes. Ce processus s'accompagnera de la constitution de Comité de Coordination, consistant en délégués des différentes usines, qui seront les embryons à partir desquels les Conseils Ouvriers prendront forme.
L'expérience des soixante années passées a amplement démontré que mené les vagues de grèves de masse les plus généralisées dans lesquelles les ouvriers ont occupé les usines dans les principales villes industrielles (Allemagne 18-19, Italie 20, Espagne 36) sont condamnées à la défaite si la POLITISATION de 1a lutte, 1'attaque de l’Etat bourgeois n’apparaît pas. Tant qu'ils n'auront pas complètement détruit l'Etat bourgeois? Les travailleurs ne pourront être vraiment les maîtres du procès de production. C'est avec, la politisation de la lutte que les Conseils Ouvriers les organes politico-militaires et non simplement économiques du prolétariat, font leur apparition.
Même dans la première petite apparition d'un mouvement ouvrier autonome, lorsque les luttes commencent a briser le cadre étroit des syndicats et à se généraliser, la gauche de 1'appareil politique du capital vient aussi au devant pour appeler à la nécessité de la "politisation" de la lutte qui germer quand 20 000 travailleurs défilent dons les rues, manifestant contre le chômage, les licenciements, les heures supplémentaires obligatoires, comme l'ont fait les ouvriers de Lisbonne en février 75; quand les travailleurs occupent leurs lieux de travail, dénoncent les syndicats et envoient les délégués dans d'autres usines pour coordonner la lutte, comme l'ont fait les travailleurs de la TAE au Portugal, il y a un peu plus d'un an, la gauche terrifiée par ce qui n'était que le début d'une lutte de classe réelle, soutient des grèves et des arrêts de travail officiels pour monter la haine du prolétariat envers le fascisme" et sa confiance dans l'Etat "démocratique". Quand la gauche préconise la transformation de la lutte économique en lutte politique, c'est pour défendre en vérité la transformation de la lutte du prolétariat en lutte pour la défense de l'Etat capitaliste et la préservation de l'ordre bourgeois! La lutte pour des salaires plus élevés, contre les licenciements, etc., est indiscutablement une lutte pour les travailleurs, la base et le sol réel sur lesquels: une lutte révolutionnaire se développe. Les grèves antifascistes et démocratiques, défendues par la gauche, ne sont sans conteste que des grèves contre la classe ouvrière des grèves dirigées à la fois contre les intérêts de classe historiques et immédiats du prolétariat. Dans leurs appels aux grèves antifascistes et démocratiques, les staliniens, maoïstes, trotskystes, anarchistes et socialistes de gauche se révèlent une fois de plus les héritiers directs et légitimes de la social-démocratie d'août 1914 : des instruments enthousiastes et les agents actifs de l'ordre bourgeois chancelant, les bourreaux du prolétariat.
Confrontée à un mouvement de classe autonome qu'elle ne peut simplement ignorer, la bourgeoisie dans un premier temps ne peut agir que d'une seule façon : essayer de détourner à tous prix le prolétariat d'une attaque directe contre l'Etat capitaliste. Toute concession économique peut être faite et sera faite, tant que l'appareil d'Etat bourgeois reste intact, que les usines continueront de tourner, même à perte, elles peuvent mène être "données" aux ouvriers un réseau de "Conseils" d'usine sera toléré ou même encouragé; les augmentations salariales seront accordées et en même temps le gouvernement évoluera de plus en plus à gauche comme le caméléon prenant la couleur rouge pour se protéger quand il est en danger.
Si face à une vague montante de grèves, la bourgeoisie semble céder dévouant toute son énergie à la défense de son appareil d’Etat, sa stratégie est d'attendre que la rage du prolétariat s'épuise d'elle-même et se consume à travers les frustrations et les responsabilités de la gestion des usines, dans la société capitaliste, et ensuite d'agir pour rétablir son autorité et son contrôle direct dans la production elle-même. Cependant, la combativité des travailleurs n'est pais le seul facteur qui affectera la réponse de la bourgeoisie à la vague de grèves de masse qui arrive. La profondeur même de la crise enlève à la bourgeoisie toute marge de manœuvre réelle : si d'un côté des concessions doivent être faites, de l'autre la nature catastrophique de la crise exige qu'elles soient vite retirées. L'Etat capitaliste devra agir promptement pour restaurer l'ordre dans les usines et gagner la "bataille de la production" de peur que les ressources du capital mondial ne soient complètement épuisées et sa compétitivité sur le marché mondial définitivement atteinte.
Dans son effort pour restaurer la production sur une base rentable et imposer sa volonté au prolétariat après qu'une vague de grèves se soit temporairement calmé, la bourgeoisie peut avoir recours soit à la mystification, soit à la répression violente. La plus extrême prudence face à-une classe ouvrière pas encore vaincue doit dicter le choix des mystifications utilisées par la bourgeoisie : organes de "démocratie populaire" autogestion, comités de base, etc.. Toutefois, la nature des sacrifices que 1'Etat capitaliste doit imposer et la forte combativité des ouvriers face à la crise sont telles que même les mystifications gauchistes que maintenant la bourgeoisie trouve plus concrètes, perdent vite leur pouvoir d'influence et de mobilisation sur la classe. Donc, si la tentative de restauration de 1'équilibre économique en mettant les fusils dans les reins des prolétaires détruirait complètement les derniers lambeaux du statu quo social et précipiterait la guerre de classe à outrance, 1’incapacité de la bourgeoisie à restaurer le statu quo social à travers la mystification détruira entièrement toute possibilité de rafistoler même temporairement l'équilibre économique. Tel est le dilemme auquel la bourgeoisie se trouve confrontée à l'aube d'une nouvelle offensive prolétarienne.
LE RAPPORT DE FORCE INTERNATIONAL.
La crise, qui a d'une manière si dévastatrice brisé le statuquo économique et social du capital mondial a aussi sévèrement disloqué l'équilibre international. Face à la faillite d'une économie, chaque fraction nationale du capital est confrontée à la nécessité de rogner dans ses importations et d'encourager les exportations. En d'autres termes "exporter ou mourir" ! Déjà, dans le cadre d’un marché mondial sursaturé, chaque capital national peut seulement améliorer sa balance commerciale aux dépens de celle de ses rivaux car il est, évident que tous les pays ne peuvent importer moins et exporter plus au même moment. La manifestation concrète de la rupture de 1’équilibre international provisoirement établi après la IIème guerre mondiale réside dans la tendance prononcée vers les guerres commerciales, l'autarcie, le nationalisme économique, le protectionnisme et le dumping qui deviennent partie intégrante de la vie quotidienne du capital depuis la. fin.des années 60. A cela on doit ajouter la tendance très significative aux affrontements inter-impérialistes localisés qui se déplacent des pays delà périphérie du monde capitaliste (Indochine, Cachemire, Bengale) vexe les centres vitaux (Moyen-Orient, bassin méditerranéen, régions d'Afrique situées sur les principaux axes de commerce liant l'Europe à l'Asie et aux Amériques).
A mesure que la crise s'approfondit, ces dernières années que le commerce devient plus difficile, et les conflits localisés encore plus féroces, la nécessité d’imposer une nouvelle re division du marché mondial, 1a nécessité de l'élimination violente des concurrents s'imposera avec une logique implacable à chacun des blocs impérialistes. Depuis plus de soixante ans, le marxisme insiste sur le fait qu'en dernière instance, la bourgeoisie a seulement une réponse à la crise : la guerre mondiale impérialiste. Il n’est pas question ici d'une théorie sur la conspiration de généraux bellicistes, mais de la reconnaissance de la tendance inéluctable à laquelle la société bourgeoise pourrissante dans son ensemble, pacifiste ou chauvine, devra se plier :
"Dans la phase décadente de l'impérialisme, le capitalisme peut seulement diriger les contradictions de son système dans une direction : la guerre. Quel que soit le chemin qu'il suive, quels que soient les moyens qu'il essaie d'utiliser pour surmonter la crise, le capitalisme est irrésistiblement poussé vers sa destinée de guerre. L'humanité: peut échapper à. un tel aboutissement au travers de la révolution prolétarienne" (Mitchell, "Bilan" 1934).
Cependant, relativement en dehors du fait que la crise n’a pas encore atteint une acuité qui contraindrait la bourgeoisie à entreprendre une nouvelle guerre impérialiste, il y a une raison beaucoup plus déterminante pour laquelle nous insistons aujourd'hui sur le fait que ce n'est pas la guerre impérialiste mondiale mais la guerre de classe, la révolution prolétarienne qui est à l'ordre du jour. Pour lancer une guerre mondiale, le capital, doit avoir un prolétariat suffisamment écrasé et mystifié pour que celui-ci puisse accepter les sacrifices ultimes dans l'intérêt de la "défense nationale". Aujourd'hui, c’est un prolétariat militant et combatif qui affronte la bourgeoisie et lui barre le chemin vers la guerre. Avant que le capital puisse imposer sa "solution" à la crise, il devra d'abord battre et écraser le prolétariat. Ou la présente crise se terminera par la solution bourgeoise de la guerre mondiale ou la solution prolétarienne de la révolution communiste sera décidée par l'aboutissement de la bataille de classe décisive qui sera allée de l'avant.
Bien que la guerre mondiale ne soit pas maintenant a l'ordre du jour et bien que la bourgeoisie soit occupée par la lutte de classe, avec l’approfondissement inexorable de la crise, les antagonismes inter-impérialistes se font de plus en plus aigus. Pour avoir une idée claire du moyen par lequel les tensions internationales se feront plus aiguës dans les années qui viennent, nous devons considérer à la fois l'équilibre interne dans les blocs russes et américains, et l'équilibre entre ces deux blocs impérialistes.
Certains faits semblent récemment indiquer la désintégration des deux blocs impérialistes, la destruction de leur unité et de leur cohésion. La tendance aux guerres commerciales, la montée du nationalisme économique et même la tendance générale du capital à se centraliser dans les mains de chaque Etat national, tout cela semble être annonciateur de la dissolution des grands blocs impérialistes. Bien sur, des faits tels que la décision de la province canadienne du Sashatchewan de nationaliser 1’industrie de la potasse à capitaux américains, les limitations du Canada sur l'exportation de pétrole vers les Etats-Unis, la nationalisation par le Venezuela des gisements de pétrole et de fer (là aussi, le capital était surtout américain) et le recours de la Grande-Bretagne au contrôle des importations attestent du nationalisme véritable et des tendances à l'autarcie parmi les pays qui constituent le bloc américain. Des tendances similaires sont apparentes dans les relations des Etats roumains et indochinois avec la Russie.
De telles tendances qui devraient si elles étaient dominantes, mener à l'éclatement des blocs, sont cependant contrecarrées par la tendance beaucoup plus forte et profonde vers le renforcement de chaque bloc impérialiste sur la base d'un accroissement de la domination indiscutable d'un Etat capitaliste à l’échelle d'un continent : USA et Russie. Ainsi, à l'intérieur de chaque bloc, toutes les puissances plus faibles, malgré leurs efforts pour continuer une politique nationale agressive, sont contraintes par leur faiblesse sur le marché mondial s'adapter leur politique aux besoins du pouvoir impérialiste dominant. Finalement, le nationalisme économique et les tendances autarciques des petits pays sont condamnés à n’être guère plus qu'un rideau de fumée idéologique utilisé pour obtenir le soutien populaire aux mesures d'austérité extrêmement dures que l'étau du capital russe ou américain impose aux pays dominés.
Le capital russe et le capital américain ont tous deux répondu aux premiers assauts de la crise en en exportant les pires effets sur leurs satellites plus faibles. Ainsi la fameuse "crise du pétrole" provoquée par 1'argumentation des prix qui a accompagné la guerre du Yom Kippour fut un écran de fumée cachant la réalité d'un transfert massif de richesses de l'Europe de l'Ouest et du Japon vers les Etats-Unis par le biais de l'Iran et des producteurs arabes. Dépendant militairement et financièrement des USA, incapables d'avoir une activité indépendante au Moyen-Orient, l'Europe et le Japon ont du accepter un arrangement par lequel des milliards de dollars affluèrent dans les trésoreries de l'OPEP et furent ensuite "administrés" par Wall Street ou utilisés pour acheter a l'Amérique du matériel militaire, des biens d’équipement, des produits agricoles, ceci améliorant la balance commerciale américaine, En plus de ce considérable transfert de richesses aux USA, les produits européens ou japonais sont devenus moins compétitifs sur le marché mondial car leurs prix ont au répercuter la forte augmentation du prix du pétrole vis-à-vis duquel leur économie est totalement dépendante. Le capital américain a été le bénéficiaire de ce "handicap" supplémentaire auquel ses concurrents ont été soumis.
L'étendue du bouleversement qu'a subi 1'équilibre à l'intérieur du bloc occidental, reflétant ainsi le rôle dominant dû plus en plus grand et de moins en moins contestable des USA se voit dans la comparaison des balances commerciales les pays de ce bloc. Les USA, d'un déficit commercial de 5,3 milliards de dollars en 1974 sont parvenus à un surplus commercial de 11 milliard de dollars en 75. La plus grande partie des 15 milliards d'exportation en plus en 1975 par rapport à 74, qui ont seulement pu atténuer les effets de la crise aux Etats-Unis, proviennent directement ou indirectement et à leurs dépens des pays clients des USA. L! acceptation britannique à la conférence de Rambouillet du dictât américain sur le contrôle dés importations, la soumission de la France aux USA à propos du rôle de l’or, la tolérance de l’Allemagne de l'Ouest qui a une monnaie surévaluée à une période de baisse des exportations et l'acquiescement de Tokyo aux "recommandations" américaines concernant les investissements 'étrangers au Japon, tout cela indique le caractère insoutenable de la théorie de l'effritement des blocs.
A l'intérieur du bloc de l’Est, l'équilibre s'est aussi modifié; reflétant la domination incontestable de la Russie sur ses "partenaires". Durant les deux années passées, 1' URSS a imposé des augmentations successives des prix du pétrole et d'autres matières premières aux Etats dépendants, demandant récemment qu'ils fournissent en plus des capitaux pour des projets éléphantesques d'investissements en Sibérie.
La totale impuissance des Etats les plus faibles à résister à la demande des capitalismes d'Etat dominant le monde est aujourd'hui manifeste. Et même si un pays, réussit vraiment à assurer son "indépendance" et à rompre avec un bloc impérialiste, il est condamné par la structure même du capitalisme décadent à tomber immédiatement sous la domination du bloc impérialiste rival. Ceci a été le destin de l’Egypte qui s’est elle-même dégagée de l’hégémonie de Moscou pour ,tomber finalement sous sa domination de Washington, Ainsi, ce qui est en cause ici, ce n'est d'aucune façon l'effritement des blocs impérialistes, mais plutôt la manifestation d'une rivalité inter-impérialiste plus dure entre les blocs.
Cependant, le fait que la Russie et les USA aient accru leur contrôle sur leurs blocs respectifs ces deux dernières années a seulement rendu momentanément possible l'atténuation des pires effets de la crise. Quelques soient les espoirs que l'URSS et les USA ont mis sur leurs blocs pour absorber une masse toujours plus grande de leurs marchandises; leur perspective de succès sur le plan de l'exportation, sont excessivement faibles. Les plus petits pays du bloc américain, déjà paralysés par la crise, ne seront pas capables de continuer à absorber les marchandises américaines au niveau actuel dans 1'année qui vient. En 1976, quand la demande effective en Europe va décliner et que la tentative d’éviter une faillite économique totale conduit à des efforts frénétiques pour limiter les importations, la balance commerciale des Etats-Unis va gravement se détériorer. De manière similaire, les planificateurs russes qui essaient désespérément d’augmenter leur commerce extérieur de 13,6% cette année la majeure partie vers leurs "alliés" européens devront aussi lutter contre la contraction de la demande, et dans ce domaine comme dans bien d'autres, ils ne parviendront sûrement pas à atteindre leur but.
De la même manière que dans les deux années passées, le statu quo à l'intérieur de chaque bloc a basculé en faveur du pouvoir impérialiste dominant, l’équilibre entre les blocs a aussi basculé en faveur des américains aux dépend du bloc russe! Ce n'est pas dans des zones d’une importance relativement faible comme le Viêt-Nam, mais dans des zones qui, par leur proximité des centres industriels du capital mondial et par leur richesse en matières premières, par leur marché et leur situation stratégique dominant les voies du commerce mondial, sont vitales pour les blocs impérialistes, que la rupture dramatique de l'équilibre des puissances peut être clairement vue.
Les gains significatifs que l’impérialisme russe a réalisés au Moyen-Orient durant les années 60 ont été réduits durant ces deux dernières années. La contre-attaque de l'impérialisme américain dans cette région cruciale a déjà ramené l'Egypte et le Soudan dans l'orbite occidentale. Pendant l'année passée, un solide axe Téhéran-Djeddah-Amman-le Caire-Washington a été bâti, ce qui avec son client israélien assure la domination américaine au Moyen-Orient. Les énormes ventes d'armes à l'Iran, la livraison d'un nouvel équipement militaire à Israël, le projet d'une industrie arabe d'armement liée au bloc américain qui a été entrepris par l'Egypte, l'Arabie Saoudite, le Qatar et les émirats arabes unis constituent des moments significatifs de la construction militaire en cours que les USA ont entrepris avec succès dans cette région. Les fruits de cette politique belliqueuse sont déjà apparents avec la fin de la rébellion du Dhofar soutenu par l'Urss contre le sultan pro-occidental d'Oman, qui a été écrasée avec l'aide des troupes iraniennes et l'armement sophistiqué Anglo-américain.
En réponse à ce basculement de l'équilibre international en faveur du bloc américain, l'impérialisme russe a lancé une offensive réfléchie pour expulser les USA d’un certain nombre de positions près des centres nerveux du capital mondial. En Yougoslavie, les "kominformistes" pro-russes et anti-titistes et les groupes nationalistes croates ont considérablement accru leurs activités ces derniers mois. Une initiative russe en Yougoslavie, avec ses facilités navales dans la mer Adriatique et sa proximité de l'Italie, prend forme. Le bloc américain a pris des mesures pour contrecarrer la poussée russe dans les Balkans avec le projet du régime grec d'un pacte des Balkans qui serait basé sur les régimes albanais, yougoslaves, grecs et turcs, tous antirusses, et qui cherchera à miner l'influence russe en Roumanie.
L'impérialisme russe essaie aussi de récupérer le terrain perdu au Moyen-Orient par son intervention au Liban. L'aide militaire est acheminée pari l'Irak- une des places forte qui reste à Moscou dans la péninsule arabique, pour les FORCES UNIES d’Ibrahim Koleilat qui sont engagées dans une lutte sanglante pour le contrôle de cette région importante du littoral méditerranéen. Les Etats-Unis en même temps qu'ils soutiennent les forces phalangistes, essaient au travers de la Ligue Arabe, de l'Egypte, de la Syrie, et de l'OLP de restaurer le statu quo au Liban. Si cela échoue, et dans l'éventualité d'un effondrement complet de l'Etat libanais pro-occidental, les Etats-Unis pourraient intervenir pour conserver les positions stratégiques, ou bien au travers d’une invasion israélienne, ou bien par la partition du Liban d'où un Etat chrétien totalement dépendant du bloc américain pourrait émerger.
Les impérialismes russe et américain s’affrontent autour de la corne de 'Afrique et du détroit vital de Bab-el-Mahdeb qui contrôle l'accès à la mer Rouge et par lequel le commerce entre l'Europe et l'Asie passera avec la réouverture du canal de Suez. Tandis que les russes essaient désespérément de briser la domination américaine sur cette région au travers de leur soutien au front de libération de l'Erythrée et par l'importante implantation militaire en Somalie, quand la lutte dans cette région dû monde va s'intensifier, les américains peuvent réagir de trois façons:
1- Soutenir le régime militaire en Ethiopie s'il apparaît capable de contrôler la situation et d'être un chien de gardé loya1 de l'impérialisme américain.
2- Créer un état Afar dépendant à partir de la province éthiopienne de Wollo et du territoire français des Afar et des Issas pour surveiller l'importante route du commerce.
3- En trouvant un terrain d'entente avec l'aile "modérée" du FLE et avec les arrières arabes "amis" l'Egypte et le Soudan, pour soutenir la création d'un Etat érythréen qui garantirait la domination américaine sur la région.
De l'autre côté de l'Afrique, le Maroc et l'Algérie sont au bord de la guerre pour le phosphate de l'ancienne et riche colonie espagnole du Sahara. Tandis que les troupes marocaines assurent leur contrôle sur la région, le Front Polisario soutenu par l'Algérie a lancé une guerre de guérilla contre l'armée du roi Hassan, au même moment l’Algérie a massé le gros de ses troupes à la frontière saharienne, et l'Algérie et la Lybie ont de manière répétée averti que l'annexion du Sahara Occidental par le Maroc serait inacceptable pour eux. Derrière le Maroc et l'Algérie, se cachent les des grands blocs impérialistes, dont les aides et les armements seuls peuvent rendre une guerre possible. Derrière la question des matières premières, c'est la situation stratégique de l'ancienne colonie espagnole qui est du plus grand intérêt pour les USA et la Russie. Les Etats-Unis espèrent faire échec aux ambitions navales de la Russie dans l'Atlantique grâce à l’incorporation du Sahara au Maroc, son "ami" de l'autre côté, un Sahara Indépendant" qui "dépendrait du soutien de l'Algérie et de la Russie, fournirait à la Russie sa première bise sur l'Océan Atlantique.
Les besoins de la Russie pour une telle base deviennent visibles quand sa flotte de guerre traverse l'Atlantique vers l'Angola où une puissante force d'intervention américaine est concentrée. C'est en Angola que la boucherie inter-impérialiste atteint, actuellement son sommet : les "fronts de libération" rivaux, largement équipés avec les plus modernes instruments de mort par leurs maîtres américains et russes ont transformé le pays en véritable boucherie. En Angola, 1' URSS, au travers du MPLA et d’un corps expéditionnaire cubain, les USA avec le FNLA, 1'UNITA et des contingents de troupes sud africaines, se battent pour l'Angola riche en matières premières (pétrole, fer, diamants, etc..) pour le contrôle du transport du cuivre et de l'uranium provenant du Zaïre et de la Zambie qui passe par les ports angolais et pour la domination des joutes commerciales qui lien l'Europe à l'Afrique du Sud et traversent l'Atlantique sud entre l'Europe et l’Amérique du Sud.
La Chine, une puissance impérialiste mineure essayant vainement de construire seule un bloc, est condamnée par sa faiblesse à chercher le soutien de l'un des deux blocs impérialistes. Si pour l'instant la Chine est l'alliée des USA contre la Russie et essaie énergiquement de contrecarrer la poussée expansionniste de Moscou en Asie du Sud et en Extrême-Orient, un renversement d'alliance dicté par les circonstances n'est pas à exclure.
LA GUERRE DE CLASSES
L’effondrement de l'économie du statu quo social et de l'équilibre international du capital mondial face à la crise générale de surproduction a amené l'ordre bourgeois déclinant au bord d'une guerre de classe généralisée. Aujourd'hui, le Portugal et 1’Espagne sont devenues les arènes décisives où le prolétariat et la bourgeoisie mesurent leurs forces et se préparent pour les luttes gigantesques qui vont venir ; c'est sur la base des leçons tirées des événements qui se déroulent maintenant dans la péninsule ibérique que la classe ouvrière et son avant-garde communiste s'armera pour la lutte violente qui s'annonce pour la destruction de l'Etat capitaliste et l'établissement de la dictature des Conseils Ouvriers.
Au Portugal, face à une vague de grèves de masse, la bourgeoisie a réussi à détourner la classe ouvrière d'un assaut direct contre l'Etat capitaliste grâce aux mystifications nationalistes, démocratiques et antifascistes qui ont accompagné le mouvement de gouvernements successifs vers la gauche entre 1974 et 75. Cependant, le cinquième gouvernement, dans lequel les staliniens et le COPCON ont joué le rôle principal, a complètement échoué dans "la bataille de la production", pour restaurer l'ordre et la discipline dans les usines et pour imposer les sacrifices nécessaires au prolétariat. Toutefois, la fragmentation et la dramatisation momentanée que les mystifications de la démocratie, de l'unité nationale et de l'antifascisme ont amené dans la classe, ont suffi pour produire un creux momentané dans la lutte de classe et c'est a ce creux que le sixième gouvernement correspondait. La combinaison de l'effondrement économique qui menace et d'une classe ouvrière pas encore défaite, va toutefois- bientôt relancer une nouvelle vague de grèves. Face à une bourgeoisie qui évolue toujours plus à gauche, en réponse à un nouveau surgissement de la classe, il est impératif que les révolutionnaires dénoncent sans merci les programmes de démocratie populaire, d'autogestion, de comités de base, et de quartiers par lesquels la bourgeoisie essaiera de contenir la poussée violente du prolétariat et de créer ainsi les bases de sa contre-attaque à venir.
Maintenant, encore plus que le Portugal, c'est l’Espagne qui est devenue le banc d'essai des oppositions de classe. Pays industriel avancé qui par son histoire de militantisme prolétarien et sa proximité de la France et de l'Italie, peut allumer la flamme révolutionnaire en Europe, l'Espagne est devenue l'objet de préoccupation de la bourgeoisie qui tente désespérément de mettre en place son arsenal de mystifications avant 1'explosion de la poudrière. La vague de grèves qui vient quasiment de paralyser Madrid indique l'ampleur de l'explosion à laquelle le capital aura bientôt à faire face.
La préparation des révolutionnaires pour l'intervention dans la lutte de leur classe dans cette bataille cruciale demande une compréhension complète de là marche vers la gauche que la bourgeoisie espagnole, sous les exhortations de ses maîtres européens et américains, entreprend maintenant. C'est sur les champs de bataille de la classe que les analyses, les perspectives et l'orientation pratique pour la lutte qui émergeront à ce Congrès du Courant Communiste International seront vérifiées dans l'année qui vient.
Mc Intosh, décembre 1975- janvier 1976
[1] [97] Au milieu d'une crise, le capitalisme décadent a recours aux méthodes barbares d'extraction de la plus-value qui caractérise son enfance : la plus-value absolue. C'est la seule caractéristique de sa jeunesse que le capital, dans les affres de l'agonie, peut reprendre.
[2] [98] Le mot le plus odieux du vocabulaire bourgeois!
1 — La crise, qui a commencé à toucher, depuis 1965, les pays développés et dont le cours s'est brutalement accéléré depuis fin 1973, n’est ni une crise de civilisation, ni une crise monétaire, ni même une crise de matières premières, ou de "restructuration" mais la crise du système capitaliste mondial.
2 — L'extension du chômage qui accompagne la baisse généralisée de la production mondiale et dont l'ampleur est comparable à 1929, la multiplication des famines et des épidémies dans certains pays du tiers monde, les "crises" agricoles jusque dans les pays les plus développés sont les symptômes les plus clairs que la maladie actuelle qui ébranle le capital mondial à un rythme accru n'est pas une simple "dépression" momentanée, conjoncturelle ou cyclique mais la convulsion d'un système à l'agonie.
3 — Cette seconde crise ouverte du système capitaliste confirme avec éclat la thèse défendue par les révolutionnaires depuis presque 60 ans. A là suite de 1' Internationale communiste, que la période ouverte par la première guerre mondiale est la phase de déclin d'un mode de production parvenu au terme de sa trajectoire historique. Dans cette phase, la crise mondiale est le reflet de l'état de décomposition d'un système entré en décadence.
4 — Les tentatives répétées du capitalisme avec la fin de la période de reconstruction qui a suivi les destructions du second conflit impérialiste, d' échapper à la crise ouverte en rejetant les premiers symptômes dans les zones arriérées et en cherchant dans les guerres locales, en particulier dans la guerre du Vietnam, un exutoire à ses propres contradictions, se soldent aujourd'hui par un cuisant échec. Par un effet de boomerang, elles n'ont fait qu'accentuer en retour les effets destructeurs du choc de la crise.
5 — Contrairement à 1929, où un krach généralisé signifiait le début de la phase de crise ouverte, la crise actuelle se caractérise non plus par un effondrement-brutal mais par un étalement prolongé dans le temps. La bourgeoisie, poussée par son propre instinct de conservation de classe a tiré les leçons de la précédente crise en accélérant le phénomène tendanciel de prise en charge par l'Etat de l'ensemble de l'économie. L'injection de capital fictif, sous forme d'une inflation généralisée, dans les cellules nécrosées du capital, a permis et permet encore de freiner la chute du système jusqu'à un effondrement final.
6 — Néanmoins, la mise en place de ces paliers successifs dans la descente au fond de la crise n'a fait qu'amplifier en sur face ce que le capitalisme tentait de conjurer dans le temps. Aujourd'hui, quels que soient l'hémisphère, le continent, la nation, la crise a jeté sa chape de plomb sur l'ensemble du monde. Les divers "miracles économiques" avec leurs régulières et rapides courbes de croissances ne sont plus que des fantômes qui hantent la mémoire de la classe dirigeante. La tâche sombre du tiers monde en crise permanente dans les années de reconstruction a fini par envahir l'ensemble de la scène économique mondiale.
6 bis — L'économie mondiale -malgré l'extension de l'appareil du capitalisme d' Etat dans chacune de ses cellules nationales- est condamnée désormais à subir les oscillations dé plus en plus rapprochées de l'hyperinflation et de la déflation brutale. Cette courbe sinusoïdale dans l'utilisation de plus en plus frénétique de capital-monnaie ne fait que traduire 1'asphyxie progressive qui gagne l'économie mondiale sous la double forme de la surproduction et de déficits budgétaires de plus en plus massifs et dont la conjonction ne peut qu'entrainer à la longue l'effondrement brutal.
7 — Les pays du bloc russe, les multiples et pittoresques variétés de "socialisme" qui, aux dires de la "gauche" et des gauchistes, ne pouvaient connaitre les affres de la crise grâce à leur planification prétendument "scientifique", "socialiste" ont en 1975 plongé eux aussi dans la crise. Ce retard dans la crise qui s'explique par les mécanismes mis en place, les manipulations permanentes exercées par le "capital idéal : l'Etat" met ces pays brutalement et à l'improviste dans une situation de moindre résistance au choc d'une crise amplifiée par la masse des pays atteints.
8 — La crise des pays de l'Est est la confirmation éclatante de la thèse marxiste selon laquelle le capitalisme entré en décadence est dans l'incapacité de se résoudre ses contradictions. Le "capitalisme d'Etat" n'est pas une "solution" à la crise, comme le soutiennent et les staliniens et les tenants des théories conseillistes qui y voient du "socialisme d'Etat". L'échec de cette "solution" prive aujourd'hui la bourgeoisie d'une de ses mystifications les plus puissantes.
9 — Les révolutionnaires ne peuvent que dénoncer avec la plus grande énergie les mystifications de "reprise" mises aujourd'hui en avant par la bourgeoisie, que ce soit sous forme de "plans de relance" ou de nationalisations. Leur propagande au sein de leur classe doit être axée sur le fait que dans le cadre du système capitaliste décadent les soi-disant "solutions" ne sont que des replâtrages qui signifient attaque de son niveau de vie et aggravation constante de ses conditions d'existence.
10 — Aujourd'hui, comme il y a 50 ans, la seule alternative est : guerre ou révolution. Sur un marché hyper saturé, où chaque capital national a besoin pour survivre d'exporter ses propres marchandises au détriment des autres capitaux qui le concurrencent, il ne peut y avoir d'autre "solution" que celle de la force. La projection brutale du prolétariat dans la réalité de la crise dont l'issue ne peut être que son utilisation comme chair à canon d'un troisième conflit impérialiste qui pourrait bien signifier pour l'humanité une chute irrémédiable dans la barbarie comme l'ont montré les 2 guerres précédentes, met à l'ordre du jour la nécessité de la révolution communiste permettant à l'humanité de passer du règne de la nécessité dans le règne de la liberté.
11 — Contrairement à l'entre-deux-guerres, la tendance actuelle n'est pas à la guerre impérialiste. Le prolétariat a manifesté depuis la fin de la période de reconstruction une combativité décuplée par l’approfondissement de la crise. Seul un écrasement brutal du prolétariat ou des défaites répétées pourraient inverser la tendance actuelle à la révolution en tendance à la guerre impérialiste. Aujourd' hui, la coïncidence de la crise avec un essor des luttes prolétariennes met à l’ordre du jour la révolution prolétarienne, dans les conditions telles que Marx les avaient envisagées et non pas au sortir d'une guerre impérialiste comme ce fut le cas de la vague révolutionnaire passée, dont le déclenchement pouvait signifier la disparition du mouvement prolétarien.
12 — Comme l'ont montré les deux grands conflits impérialistes, pour la bourgeoisie il ne peut y avoir d'autre perspective que celle de la guerre. Si la guerre impérialiste, dont les destructions généralisées à l'ensemble de la planète, entraînent une régression des forces productives, ne saurait être un remède au déclin du capitalisme qu'elle accélère chaque fois plus, pour le capital elle est son unique sortie de secours. En aucun cas elle ne peut résoudre le problème de la crise : elle est la continuation de la crise avec d'autres moyens.
13 — Si le cours actuel n'est pas celui de la guerre, c'est néanmoins par le biais des "luttes de libération nationale" ou des guerres locales que le capital teste et perfectionne tout son arsenal de mort dans le cadre de ses préparatifs permanents à l'éventuel d'un troisième conflit mondial.
14 — La fin de la guerre du Vietnam ne marque pas le début d'une ère de "paix armée" entre les deux blocs que viendrait sanctionner des conférences d'Helsinki. L'industrie d'armements' est le seul secteur de l'économie qui dans la crise actuelle connaît un développement rapide et fiévreux. L'année 75 a été celle du plus formidable programme d'armement qu'ait connu l'humanité loin d'établir, comme le prétendent d'attardés descendants de Kautsky, l'ère d'un condominium russo-américain, elle marque 1'accélération d'une course aux armements, dont la seule limite est la combativité- accrue du prolétariat.
15 — Si les deux blocs impérialistes continuent à jauger leurs forces dans les zones marginales du capitalisme, c'est aujourd'hui à proximité des zones vitales du système que se déplacent les conflits inter-impérialistes. Le Bassin méditerranéen, où la Russie et les USA s'affrontent au travers de la guerre civile, tend à devenir "la poudrière du monde capitaliste". Le développement de la guerre en Angola, les incidents de frontière entre l'Inde et la Chine d'une part, entre celle-ci et la Russie d'autre part, sont le signe que pour des raisons à la fois stratégiques et économiques les deux grands impérialismes concentrent leurs forces dans une périphérie toujours plus proche des pôles industrialisés du capital.
16 — La multiplication de guerres locales entre pays d'un même bloc (Grèce et Turquie) ou l'apparente "indépendance nationale" accordée aux pays de l'Asie du Sud-est par les deux grandes puissances impérialistes ne signifient pas un affaiblissement des blocs constitués autour de l'URSS et des USA. De tels phénomènes montrent que chaque camp a renforcé sa mainmise politique dans sa zone d'influence au point de ne plus avoir besoin de recourir à des interventions militaires directes. L'apparent développement des forces centrifuges qui s'exercent au sein de chaque bloc et qui trouvent leur origine dans les tentatives désespérées de chaque bourgeoisie nationale de trouver un moyen de résoudre seule "sa" propre crise, n'est qu'une résistance anachronique à la force centripète qui pousse chaque capital national dans le giron de son bloc impérialiste respectif. Aujourd'hui le mot d'ordre de chaque bourgeoisie ne peut plus être "chacun pour soi" comme dans la période de reconstruction, mais "coulons tous ensemble". L'effrontément d'un seul pays industrialisé pouvant entraîner la chute de tous les autres et la nécessité de renforcer les blocs dans la perspective d'une guerre mondiale imposent de plus en plus une discipline de fer au sein de chaque camp.
17 — Dans le jeu des forces des grandes puissances impérialistes qui avancent leurs .pions respectifs sur l'échiquier mondial, ce sont les Etats-Unis qui ont marqué le plus de points aux dépens de la Russie qui a du en partie se replier sur son "glacis" dont elle a renforcé la cohésion et la discipline, même si la politique extérieure reste axée sur la recherche fébrile de nouveaux points d'appui stratégiques. La Chine comme troisième puissance impérialiste, joue un rôle identique à celui de la Russie d'avant 14 : cherchant à se constituer des zones d'influence en Asie et en Afrique, sa faiblesse économique l'empêche de pouvoir mener par ses propres forces une politique d'expansion. Comme la Russie tzariste elle est destinée à fournir le gros de la chair à canon au profit d'un bloc dans un troisième conflit impérialiste. Si actuellement elle s'est alliée avec les USA contre la Russie, l'histoire de ces cinquante années montre qu'un renversement d'alliance est toujours possible.
18 — La thèse répandue par les gauchistes de l'affaiblissement de l'impérialisme US sous les coups des "luttes de libération nationale" est un pur instrument de mystification et une tentative d'embrigader les prolétaires dans le camp russe. Son corollaire de l’"effritement des blocs" quand il n'est pas une apologie voilée du nationalisme sous la forme de 1'"indépendance nationale" est une dangereuse sous-estimation, des préparatifs de guerre du capital menant soit à l'attentisme soit au pacifisme.
19 — Face à la reprise de la lutte de classe du prolétariat dont le développement est .une menace mortelle pour le capital, celui-ci ne peut que globalement renforcer ses préparatifs et sa cohésion pour ne plus former qu'un seul bloc dans la perspective du surgissement dé la révolution prolétarienne. Face à la bourgeoisie qui est amenée à prendre les mesures les plus extrêmes pour sortir d'une crise dont le prolongement signifierait son propre arrêt de mort, le prolétariat ne peut qu' être amené à comprendre l'immensité de la lutte sans merci qu'il devra mener contre son ennemi mortel
20 — Le krach de 1929 pouvait faire croire aux révolutionnaires dans le passé que la crise constituait un facteur de démoralisation du prolétariat ouvrant le cours fatal vers la guerre. Au contraire, la crise actuelle est une véritable école de combat du prolétariat, dont les craintes se dissolvent dans le feu de la lutte de classe. Dans la période actuelle, l'approfondissement de La crise sous les coups répétés de la lutte de classe internationale ne peut qu'accélérer le cours de celle-ci, renforçant, en cohésion et en force les rangs prolétariens, condition même de son passage à un stade qualitativement supérieur au niveau de sa conscience et son" organisation. Le géant endormi par cinquante ans de contre-révolution a ressurgi sur la scène historique, avec de nouvelles forces, galvanisé par la crise. De l'Espagne à l'Argentine, de l'Angleterre à la Pologne, quel que soit le nom que se donne le système qui l'exploite, le prolétariat est de nouveau le spectre qui hante le monde.
21 — Alors qu'aux explosions ouvrières de 68-71 en Europe avait succédé un certain reflux des luttes, l'année 1975 a marqué une nouvelle étape dans la lutte de classe du prolétariat, sous la forme d'une résistance farouche aux assauts du capital (chômage massif, diminution rapide de l'ancien niveau de "vie") une fois le premier effet de stupeur dissipé. Le cours de la lutte de classe est aujourd'hui à un tournant décisif. L'irruption de la lutte de classe encore lente et sporadique, de quantitative et ponctuelle, tend à se hisser de .plus en plus à un stade qualitativement supérieur en gagnant en extension et en profondeur ce qu’elle a perdu en masse momentanément. Alors que le renouveau des luttes ouvrières se faisait jusqu'ici dans les pays où la tradition de lutte de classe. était plus solidement enracinée, leur extension à l'ensemble du monde est le signe avant-coureur de leur généralisation en masse.et donc l'embryon de la formation des l'armée mondiale du prolétariat.
22— C'est néanmoins vers l'Espagne, compte tenu .de l'intensité et de la radicalité des luttes menées par la classe ouvrière de ce pays, que se concentre aujourd'hui l'attention des révolutionnaires. Alors qu'en 36 l'Espagne s'était vite transformée en un banc d'essai pour la seconde guerre mondiale impérialiste, elle est appelée dans la période actuelle à jouer un rôle décisif au niveau international pour les deux forces en présence : bourgeoisie et prolétariat. Véritable laboratoire du combat titanesque auquel se préparent les deux classes antagonistes, les révolutionnaires devront tirer toutes les leçons des événements cruciaux appelés à s'y dérouler et dont le poids pèsera lourd dans le surgissement ou l'étouffement de la révolution mondiale.
23 — Cependant en raison :
- du caractère encore graduel et relativement lent du rythme de la crise;
- du poids de 50 ans de contre-révolution, où le prolétariat a connu les plus sanglantes défaites de son histoire, perdant jusqu’a son instinct le plus élémentaire de classe; la reprise des luttes se manifeste encore sur le terrain économique de la résistance au capital. Même lorsque ces luttes se hissent au niveau de la grève de masse posant immédiatement le problème de leur affrontement à l'Etat, elles prennent une forme saccadée, suivant un tracé irrégulier, une apathie apparente suivant souvent de grandes irruptions prolétariennes. Le prolétariat ne semble pas encore prendre pleinement conscience de la richesse des enseignements contenus dans ces luttes qu'il a menées, même si ses expériences généralisées sont partout les mêmes. Malgré l'apparition sporadique de noyaux politiques au sein du prolétariat, là où la lutte de classe connaît son plus haut degré de développement, la classe n'a pas pu et ne peut encore prendre spontanément conscience de la nécessité de passer du terrain économique au terrain politique de l'offensive généralisée contre le capital, de la lutte parcellaire à la lutte globale qui s'accompagne nécessairement de l'apparition de l'organisation unitaire, économique et politique, de l'ensemble de la classe : les conseils ouvriers.
24 — Dans le monde entier les leçons qui commencent déjà à se graver dans le cœur et le cerveau de la classe sont partout les mêmes, du pays le plus arriéré au plus développé. :
- résistance acharnée aux effets de la crise par la généralisation de la lutte de classe;
- autonomie de la classe par l'affrontement avec .les syndicats, bras armé du capital au sein de l'usine;
- nécessité de la lutte directe politique par l'affrontement violent avec l'Etat..
25 — L'apparition et le développement dans le feu de la lutte, d'assemblées ouvrières rassemblant l'ensemble des travail leurs d'une ou de plusieurs usines sur un objectif revendicatif donné, expriment les balbutiements de la classe révolutionnaire cherchant à tâtons la voie de son autonomie Dans la conjoncture actuelle, où le niveau de la lutte de classe demeure encore relativement modeste, ces organisations ne peuvent être autre chose que des embryons de l'organisation unitaire de la classe. En tant que tels, en l'absence d'une lutte permanente de la classe, ils sont amenés soit à disparaître avec la retombée de la lutte, soit à se transformer en syndicats et donc en de nouveaux instruments de mystifications.
26 — La paralysie croissante et chronique ce l'appareil politique du capital qui si manifeste aujourd'hui dans les pays dent l'économie est à mi-chemin entre 1' arriération et le développement industriel, comme au Portugal et en Argentine, ust la préfiguration de l'Etat de décomposition avancée tant économiquement que socialement qui est appelé à devenir le mode d’existence de l'ensemble du capitalisme, avec l'accélération de la crise et de la lutte de classe. Gomme l'ont montre les révolutions passées, la révolution prolétarienne est la conjonction de l’impossibilité pour la bourgeoisie de gouverner désormais de manière stable et le refus croissant des ouvriers de vivre comme auparavant.
27 — Face au prolétariat dont l'audace et la combativité n'ont cessé de s1affirmer toujours plus, la bourgeoisie a de moins en moins la capacité et la cohésion suffisantes pour écraser le prolétariat et l'embrigader dans une troisième guerre impérialiste. Sa ligne d'action est aujourd’hui d'éviter toute lutte frontale avec son ennemi mortel, laquelle ne pourrait que précipiter le cours de la lutte de classe vers la révolution. La mystification, c'est-à-dire toute la stratégie de dévoiement, de division, de démoralisation du prolétariat, est la seule arme réelle dont dispose et use la bourgeoisie aujourd'hui. Plus encore que tout l'arsenal répressif, de guerre civile déjà mis au point, les diverses mystifications utilisées par le capital pour empêcher, ou du moins freiner la prise de conscience révolutionnaire du prolétariat, sont dans la période actuelle l'arme la plus efficace et la plus dangereuse de son arsenal. Néanmoins, la bourgeoisie est parfaitement consciente qu'au bout du compte l'affrontement direct est inévitable, les mystifications mises en place n'ayant d'autres sens que de gagner du temps pour affronter le prolétariat dans les conditions les plus favorables pour elle.
28 — Seule force apte à détourner les ouvriers de leur terrain de classe, les partis de gauche, dont la venue au pouvoir est inéluctable et nécessaire pour le capital, constituent la seule solution de rechange aux partis classiques incapables toujours plus d'exercer un contrôle quelconque sur la classe ouvrière. Leur capacité d'apparaître vis-à-vis des ouvriers comme "leurs partis", leur confère un rôle de tout premier plan pour inciter la classe à se sacrifier sur l'autel de la défense de "son gouvernement populaire", de " son économie socialiste". Même là où l'instabilité ou l'archaïsme de l'appareil politique du capital, ou bien une défaite locale du prolétariat ont amené le remplacement de la gauche par la droite, parce que les solutions politiques de la bourgeoisie ne peuvent être que globales, la nécessité de la "solution" de gauche s'impose face à un prolétariat qui ne peut être battu ou du moins paralysé que globalement et universellement.
29 — Néanmoins, aux solutions classiques des partis de gauche, dont la capacité de mystification a commencé à s'user au bout de cinquante ans de contre-révolution, devront se substituer de plus en plus des fractions plus "radicales" dans leur fonction de dévoreurs de la classe ouvrière. Ils constituent l'ultime carte de mystification que la bourgeoisie met soigneusement en réserve au moment où l'affrontement global prolétariat-bourgeoisie de vient inévitable. Cependant, la gauche et les gauchistes, comme n'importe quelle fraction du capital, ne peuvent résoudre la crise; leur venue ne peut que freiner mais non empêcher la conflagration finale entre les deux classes.
30 — Aujourd'hui comme hier, l'arme utilisée par la gauche face au prolétariat, qui conserve encore des illusions léguées par cinquante ans de contre-révolution qu'il a dû traverser, est celle du frontisme. Toutes les variétés d'antifascisme, d'anti stalinisme sont autant de manœuvres systématiques du capital pour faire lâcher au prolétariat sa propre boussole de classe. Les révolutionnaires doivent mettre en garde le prolétariat contre toutes les illusions de type démocratique qui, comme par le passé, ne pourraient le mener qu'à un nouveau massacre, et dénoncer sans relâche tous les partis qui se font les propagandistes de tous les "anti" démocratiques,
31 — Ni le "fasciste" ni la "dictature" ne peuvent être aujourd'hui à l'ordre du jour, la bourgeoisie renforçant à l'est comme à l'ouest son arsenal démocratique face au prolétariat, ce thème ne peut p prendre dans la période actuelle toute la place qu'il tenait en période de contre-révolution. Enfermer le prolétariat dans le cadre de l'usine par l'autogestion, ou laisser croire aux ouvriers que la "solution" à la crise se trouve dans 1'"indépendance nationale" contre les "multinationales" ou "l'impérialisme" deviennent aujourd'hui les mystifications majeures utilisées par le capital pour empêcher toute autonomie de classe, toute prise de conscience généralisée en tentant d'atomiser, de dissoudre les intérêts de la classe dans ceux de "la nation toute entière"0
32 — C'est donc une "intelligence" de la situation, aiguisée par l'enjeu de la bataille, qui est sa propre existence en tant que classe, qui a permis à la bourgeoisie de manœuvrer cette année encore de main de maître, pour éviter tout affrontement direct avec le prolétariat. Même si la bourgeoisie sur le plan local (Portugal, Espagne) n'a pas su manœuvrer avec toute l'habilité recuise, globalement elle a réussi à affronter les réactions prolétariennes à la crise et la crise elle-même par de multiples plans d'ensemble, sans subir aucun recul, même si déjà le prolétariat commence à se libérer de plus en plus des illusions ou des mystifications qui lui sont imposées par la classe, dominante,
33 — Les révolutionnaires ne peuvent que mettre en garde le prolétariat contre toute sous-estimation des forces et capacités de manœuvrer son ennemi de classe. Plus que par le passé, face à une bourgeoisie forte de plus d'un siècle et demi d'expériences dont elle a su tirer les leçons, la cohésion, l'organisation du prolétariat au niveau mondial sont une impérieuse nécessitée Les révolutionnaires doivent, par leur participation active dans toutes les luttes que mène le prolétariat contre le capital, montrer qu'aujourd’hui face à un adversaire aguerri- le moindre recul pourrait avait des répercussions catastrophiques, s'il n'est pas à même de tirer les leçons de ses luttes par le développement de son organisation autonome de classe,,
34 — Le CCI invite tous les groupes ou individus révolutionnaires à se regrouper dans une même organisation de combat, à concentrer et non à disperser leurs forces. Les révolutionnaires, plus que par le passé, alors que l'alternative est le triomphe du communisme ou la chute irrémédiable dans la. Barbarie par un 3° holocauste mondial, doivent prendre conscience des lourdes responsabilités historiques qui pèsent sur leurs épaules. Le moindre retard dans leur organisation ou le refus de s'organiser ne pourrait être qu'un abandon de leurs tâches au sein de la classe d'intervention de manière organisée comme la fraction la plus décidée du mouvement de lutte de classe du prolétariat mondial. Si les révolutionnaires n'arrivaient pas à être à la hauteur des tâches pour lesquelles la classe les a sécrétées, ils ne pourraient que porter une lourde responsabilité en cas de défaite de leur propre classe. Dans les formidables batailles qui se préparent, l'intervention organisée et décidée des révolutionnaires aura un poids qui au moment décisif peut faire pencher la balance des forces dans le sens de la victoire du prolétariat mondial sur le capital mondial.
PRESENTATION
Au premier Congrès du Courant Communiste International, outre la plate-forme, ont été adoptés des statuts qui viennent sceller et cimenter l'existence de l'organisation unie. Nous publions ici un article basé sur le rapport introductif à la discussion sur les statuts et qui tente de dégager les grandes lignes qui ont présidé à la rédaction des actuels statuts de l'organisation.
Si, en filigrane des statuts que se sont données les différentes organisations politiques de la classe, on peut lire les principes généraux, programmatiques, qui président à leur constitution, on y décèle bien plus encore, les conditions particulières dans lesquelles elles sont affirmées. Alors que le programme du prolétariat, même s'il n'est pas 'Invariant", comme le prétendent certains, et s'il bénéficie des apports successifs de l'expérience de la classe, n'est pas quelque chose de circonstanciel, qu'on peut remettre en cause à chaque détour de la lutte, la façon dont les révolutionnaires s'organisent pour défendre ce programme est éminemment liée, tant aux conditions pratiques que ceux-ci affrontent, qu'au moment historique où se situe leur activité. Loin de constituer de simples règles neutres et intemporelles, les statuts sont donc un reflet signifiant de la vie même de l'organisation politique, et qui change de forme quand les conditions de cette vie se transforment. A travers les statuts des quatre principales organisations principales que s'est données le prolétariat (Ligue des communistes, première, deuxième et troisième Internationales), c'est l'évolution et la maturation mêmes du mouvement de la classe qu'on peut suivre.
LA LIGUE DES COMMUNISTES (1847)
Des statuts de la Ligue des Communistes on peut dégager trois caractéristiques essentielles :
— l'affirmation du principe d'unité internationale du prolétariat ;
— une forte insistance sur les problèmes de clandestinité ;
— les vestiges du communisme utopique.
1° L'AFFIRMATION DU PRINCIPE D'UNITE INTERNATIONALE DU PROLETARIAT
En tête des statuts de la Ligue se trouve sa célèbre devise : "Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !". Dès les premiers balbutiements de la classe, l'internationalisme apparaît d'emblée comme une des pierres de touche de son programme. De même l'organisation que se donnent ses éléments les plus conscients, les communistes, est unitaire au niveau international et ses statuts s'adressent non pas à des sections territoriales particulières (régionales ou nationales), mais à l'ensemble des membres de l'organisation.
Cependant, dans l'existence des statuts uniques, régissant l'activité de chaque membre à l'échelle internationale, on ne doit pas seulement voir, dans le cas de la Ligue, une manifestation puissante de son internationalisme. En fait, la Ligue est avant tout une société secrète comme il en existe tant d'autres à l'époque. Elle regroupe essentiellement des ouvriers et des artisans allemands, pour la plupart émigrés à Bruxelles, Londres et Paris et ne comporte pas, par conséquent, des sections nationales effectives, liées à. la vie politique du prolétariat des différents pays. Il ne faut pas perdre de vue, en effet, que la Ligue ne regroupe qu'une petite partie des forces vives du prolétariat de l'époque : les courants proudhoniens et blanquistes, pour ne parler que de ceux-ci, très influents en France, n1en font pas partie. La Ligue reste une petite organisation dont les membres sont souvent liés par les vestiges des vieilles relations de compagnonnage. Il faut d' ailleurs noter que les "tours" d'apprentissage de la profession, que les ouvriers de l'époque ont l'habitude de faire, jouent un rôle important dans la diffusion des idées de la Ligue et dans le développement de son organisation.
Concernant le champ d'application territorial des statuts de la Ligue, il faut enfin, remarquer que c'est sur cette base territoriale qu’elle est clairement organisée : les commîmes de la Ligue existent, par localités et sont regroupées en secteurs géographiques et non pas sur une base professionnelle ou d'activité industrielle. C'est là une caractéristique d'une organisation de type parti en opposition à celles de type syndical. D'emblée, la Ligue a donc compris la nécessité pour la classe d'organisations de ce premier type mais cela ne correspond pas encore au degré de maturation de celle-ci à l'époque.
2° L'INSISTANCE SUR LES PROBLEMES DE CLANDESTINITE
Dans l'Europe de 1847 marquée de sceau du "Congrès de Vienne" symbole de la réaction féodale, les libertés bourgeoises sont encore fort peu développées et le programme de la Ligue la contraint à l'illégalité. Cela explique en bonne parie les dispositions prévues dans les statuts pour assurer sa clandestinité :
— "garder le silence sur l'existence de toute affaire de la Ligue". (Art. 2, point f)
— "être admis à l'unanimité dans une commune". (Art. 2, point g)
— "les membres portent des noms d'emprunt". (Art, 4)
— "Les diverses communes ne se connaissent "pas entre elles, et n'échangent pas de "correspondance entre elles". (Art, 8)
Cependant, si les conditions policières de cette période expliquent la nécessité d'un certain nombre de mesures, il faut également voir dans celles-ci la manifestation du caractère de société secrète de la Ligue hérité des différentes sectes conspiratives qui l'ont précédée et dont elle est issue (Société des Saisons, Ligue des Justes, etc.). Ici encore, l'immaturité du prolétariat de l'époque est transcrite dans les dispositions organisationnelles de la Ligue. Mais elle l'est encore plus dans :
3° LES VESTIGES DU COMMUNISME UTOPIQUE
Les statuts de la Ligue portent la marque des origines de celle-ci dans les sociétés secrètes, tant du point de vue d'une certaine verbosité que du rituel qui marque l'admission d'un nouveau membre : "Tous les membres sont égaux et frères, et se doivent donc aider en toute circonstance" (art. 3).
Où retrouve là l'ancienne devise de la Ligue des Justes d'où est issue la Ligue des Communistes : "Tous les hommes sont frères" mais, par ailleurs, l'idée de la nécessaire solidarité entre les membres de 1'organisation n'est pas un vestige d'une époque révolue. Au contraire, contre les déformations subies dans les partis de la IIème et IIIème Internationales où l’arrivisme, le carriérisme et le jeu des rivalités professionnelles ont été une des manifestations de la dégénérescence, nous avons jugé nécessaire d'écrire dans la plateforme du CCI : " (les rapports entre militants de l'organisation).. ne peuvent être en contradiction flagrante avec le but poursuivi par les révolutionnaires et ils s'appuient nécessairement sur une solidarité et une confiance mutuelle qui sont une des marques de l'appartenance de l'organisation à la classe porteuse du communisme".
Dans les statuts de la Ligue on trouve aussi :
"(les adhérents doivent) faire profession de communisme" (art. 2, point c) et, dans l'article 50, la description du rituel qui doit accompagner toute admission : " Le président de la commune donne lecture au candidat des articles 1 à 49, les explique, met particulièrement en évidence dans une brève allocution les obligations dont se charge celui qui entre dans la Ligue, et lui pose ensuite la question : "Veux-tu, dans ces conditions, entrer dans cette Ligue ?" ..."
Là encore, on trouve donc des restes des origines sectaires de la Ligue. Cependant, ces dispositions contiennent une autre idée fondamentale et qui, elle, ne porte pas la marque de l'époque : celle du nécessaire engagement des membres de l'organisation, laquelle ne peut être composée de dilettantes. Rappelons que c'est sur ce problème que s'est faite la scission entre bolcheviks et menchéviks en 1903.
La Ligue constituait une étape importante dans le développement du prolétariat. Elle lui a légué des acquis fondamentaux, en particulier son "Manifeste" qui est probablement le texte le plus important du mouvement ouvrier. Mais elle n'a pu réellement constituer le regroupement des forces vives du prolétariat mondial, tâche que l'AIT allait assumer dans la période suivante.
2° - L'ASSOCIATION INTERNATIONALE Ces TRAVAILLEURS (1864)
Les statuts de l’AIT ont joué un rôle politique fondamental dans le développement et l'activité dé l'organisation. A travers leur évolution, les discussions à leur sujet, la façon dont ils ont été appliqués, c’est toute une étape fondamentale de la vie de la classe qu'on retrouve de façon condensée.
La forme de ces Statuts appelle un certain nombre de remarques préliminaires.
En premier lieu, les "considérants" constituent le véritable programme de l'AIT, Les statuts et la plateforme de l’organisation sont confondus. Ceci était également valable pour les statuts de la Ligue des Communistes dont le premier article indiquait:
"Le but de la Ligue est le renversement de la bourgeoisie, la domination du prolétariat, l'abolition de la vieille société bourgeoise fondée sur les antagonismes de classe, et l'instauration d'une société nouvelle, sans classes et sans propriété privée".
La possibilité d'insérer le programme de l'organisation dans |les statuts existe au début du mouvement ouvrier quand ce programme se résume à quelques principes généraux sur le but à atteindre. Pais au fur et à mesure que se développe l'expérience de la classe, et que se précise ce programme, non pas tant sur le but ultime, qui a été défini dès les débuts du mouvement ouvrier, mais sur les moyens de l'atteindre, il devient de plus en plus difficile de l'intégrer dans les statuts. Les considérants des statuts de l'AIT sont déjà plus développés que l'article premier de ceux de la Ligue mais en quelques points ils établissent l'essentiel du programme prolétarien de cette époque: auto-émancipation du prolétariat, abolition des classes, base économique de l'exploitation et de l'oppression des travailleurs, nécessité de moyens politiques pour abolir celles-ci, nécessité de la solidarité, de l'action et de l'organisation à l'échelle internationale. Ces considérants constituent donc les bases de l'unification des éléments les plus avancés de la classe de cette époque,
Deuxième remarque qu’on peut faire sur ces statuts, c'est de signaler le reste de verbalisme qu'ils contiennent encore:
"La base de leur conduite envers tous les hommes (doit être) la vérité, la justice, la morale..." "Pas de droits sans devoirs, pas de devoirs sans droits". Dans une lettre du 29 novembre 1864? Marx, le rédacteur de ces statuts, s'en explique:
"Par politesse pour les français et les italiens qui emploient toujours de grandes phrases, j'ai dû accueillir dans le préambule des statuts quelques figures de style inutiles".
En fait l'Internationale regroupait toute une série de courants de la classe : proudhoniens, Pierre-Leroux, marxistes, Owenistes et même Mazziniens et, d'une façon atténuée, cela se reflétait dans ses propres statuts qui devaient pouvoir satisfaire ces courants hétéroclites.
La troisième remarque porte sur le caractère hybride de l'AIT, à la fois parti politique et organisation générale de la classe (ou tendant à l'Être) regroupant aussi bien des organisations professionnelles (sociétés ouvrières, de secours mutuel,..) que des groupes politiques (comme la trop célèbre "Alliance de la Démocratie Socialiste" de Bakounine). C'est là une manifestation du caractère immature de la classe de cette période. Ce n'est que progressivement que la question s'est clarifiée sans jamais, toutefois, être résolue. On peut suivre cette clarification à travers l'évolution des statuts et des règlements spéciaux adoptés par les Congrès successifs. Par exemple l'article 3 des statuts se transforme entre 1864 (constitution) et 1866 (1er Congrès). La phrases "(le Congrès) sera composé de représentants de toutes les sociétés ouvrières qui auront adhéré" est devenue "Tous les ans aura lieu un Congrès ouvrier général composé de délégués de£ branches de l'Association". On voit donc l'AIT, de rassemblement de sociétés ouvrières, se structurer en branches sections, etc.
En fait, les statuts ainsi que les amendements et compléments qui leur ont été apportés, ont été eux-mêmes un instrument de clarification et de lutte contre les tendances confusionnistes et fédéralistes. On peut citer le cas des règlements spéciaux adoptés au Congrès de Genève en 1866 et dont l'article 5 stipules "Partout où les circonstances le permettront, des conseils centraux groupant un certain nombre de sections seront établis".
Ainsi, les règles de fonctionnement se font un outil actif et dynamique du processus de centralisation de 1’Internationale. La nécessité de cet effort de centralisation est mise en relief, à contrario, par la façon dont les statuts ont été traduits par les sections françaises :
-"Le conseil central fonctionne comme agence internationale" devient "établira des relations" (art.6)
-"Sous une direction commune" devient "dans un môme esprit" (art.6)
-"Conseil Central International" devient "Conseil central" (art.7)
-"Organes nationaux centraux" devient "organe spécial" (art.7)
-"Les sociétés ouvrières qui adhèrent à l'Association Internationale continueront à garder intacte leur organisation existante" devient "n'en continueront pas moins d'exister sur les bases qui leur sont particulières" (art.10)
Cette lutte contre les courants petit-bourgeois trouvera sa conclusion au Congrès de La Haye en 1872 qui adoptera l'article 7a des statuts : "Dans sa lutte contre le pouvoir collectif des classes possédantes, le prolétariat ne peut agir comme classe qu’en se constituant lui-même en parti politique distinct, opposé à tous les anciens partis formés par les classes possédantes. Cette constitution du prolétariat en parti politique est indispensable pour assurer le triomphe de la révolution sociale et de son but suprême l’abolition des classes. La coalition des forces ouvrières, déjà obtenue par la lutte économique, doit aussi servir de levier aux mains de cette classe dans sa lutte contre le pouvoir politique de ses exploiteurs".
Ainsi, le dernier Congrès de l'AIT jetait des bases claires pour la poursuite de la lutte du prolétariat :
- nécessité de l'activité politique de la classe et non seulement économique.
- nécessité de la constitution d'un parti politique distinct des multiples "sociétés ouvrières" et autres organes exclusivement économiques.
Cet effort de clarification de l’AIT devait trouver son terme a ce Congrès par le départ des anarchistes regroupés autour de "l'Alliance" de Bakounine et devenus inassimilables. Ce terme était marqué par le fait que l'Internationale en revenait, du point de vue programmatique, aux positions de la Ligue. Mais, alors que celle-ci était encore en bonne partie une secte, ne regroupant qu'une toute petite minorité d'éléments de la classe et sans influence majeur sur celle-ci, l'Internationale avait dépassé les sectes et regroupé les forces vives du prolétariat mondial autour d'un certain nombre de points fondamentaux dont le moindre n'était pas 1'Internationalisme.
A la différence de la Ligue, l’AIT était donc une véritable organisation internationale ayant une activité et un impact effectifs au sein de la classe, C'est pour cela, qu’à l’opposé de la Ligue dont les statuts s’adressaient directement aux membres de Inorganisation, que 1’Internationale s’est structurée en sections nationales puisque c'est d’abord dans ce cadre national que le prolétariat est confronté à la bourgeoisie et à son Etat.
Cependant, cela n'affaiblissait pas le caractère puissamment centralisé de l'organisation dans laquelle le Conseil Général de Londres a joué un rôle fondamental tant dans la lutte contre les tendances confusionnistes et sectaires ([1] [99]) que dans les prises de position face aux événements fondamentaux de la vie politique. On se souvient par exemple que les deux textes sur la guerre -franco-prussienne de 1870 et celui sur la Commune de 1871, œuvres de Marx, ont été publiés comme adresses du Conseil Général et donc prises de positions officielles de l'Internationale,
L'AIT est morte en 1876, comme résultat du reflux du mouvement ouvrier après l’écrasement de la Commune, mais aussi comme manifestation du fait, qu'après une série de convulsions économiques et politiques de 1847 à 1871, le capitalisme. A connu après cette date, la période de plus grande prospérité et stabilité de toute son histoire.
3° - L'INTERNATIONALE SOCIALISTE (1889)
Au moment de la fondation de la IIème Internationale, le capitalisme est donc à son apogée; ce qui se répercute immédiatement tant dans le programme de la IIème Internationale que dans son mode d'organisation. Ainsi, on lit à l'ordre du jour du 1er Congrès :
1- Législation internationale du travail, Réglementation légale de la journée de travail. Travail de jour, de nuit, des jours fériés, des adultes et des enfants,
2- Surveillance des ateliers de la grande et petite industrie, ainsi que de l'industrie domestique,
3- Voies et moyens pour obtenir ces revendications,
4- Abolition des armées permanentes et armement du peuple.
On peut donc constater que les préoccupations des partis qui composent l'Internationale sont tournées vers l'obtention de réformes dans le cadre du système.
Sur le plan organisationnel, le moins que l'on puisse dire c'est que cette Internationale ne ressemblait pas du tout à la précédente. En effet pendant plus de dix ans, elle n’a existé que par ses Congrès. Jusqu’en 1900 il n'a existé aucun organe permanent chargé de faire exécuter les décisions de ceux-ci. La préparation et l’organisation des Congrès étaient laissées aux partis des pays dans lesquels ils devaient se tenir. Ce n’est qu'au Congrès de Paris, en 1900 que le principe de la création d'un "Comité permanent international" est retenu et que celui-ci se constitue fin 1900 sous le nom de Bureau Socialiste International (BSI). Celui-ci est composé de deux délégués par pays et nomme un secrétariat permanent.
Jusqu’en 1905 le BSI reste relativement effacé. Et ce n’est qu'en 1907 au Congrès de Stuttgart que sont adoptés statuts et règlements pour les Congrès et le BSI. Mais, môme au moment critique du début de la 1ère guerre mondiale, le BSI réuni le 29 juillet ne prend aucune décision et se rallie à la solution proposée par Jaurès :
"Le BSI formulera la protestation contre la guerre, le Congrès souverain décidera".
Ce Congrès de l'Internationale ne devait jamais se réunir car celle-ci mourut dans la tourmente de la guerre ses principaux partis étant passés à la "défense nationale" et à "l'union sacrée" avec la "bourgeoisie de leurs pays respectifs.
Jusqu'au bout, l'Internationale Socialiste était donc restée une fédération de partis nationaux? C’est ce que traduit la forme du BSI qui n'est pas l'expression collective d'un corps unitaire mais la somme des délégués mandatés par les partis nationaux. Comment expliquer ce relâchement considérable par rapport à la centralisation de l'AIT? Essentiellement par les conditions historiques de la lutte prolétarienne de cette époque. L’éloignement de la perspective de la révolution, qui au milieu du 19ème siècle, au milieu de différents soubresauts du capitalisme, avait paru imminente, la nécessité par suite, de consacrer l'essentiel des luttes à l'obtention de réformes, avait conduit le prolétariat à développer son organisation sur le plan national qui-était celui dans lequel il pouvait obtenir ces réformes.
La IIème Internationale constitue l'étape du mouvement ouvrier où celui-ci se développe en grands partis de masse devenant des forces effectives sur le terrain politique des différents pays. Mais les conditions de prospérité capitaliste, dans laquelle elle a vécu, ont favorisé chez elle le développement de l'opportunisme et un relâchement de 1’Internationalisme qui devaient lui coûter la vie en 1914.
Par ailleurs, l'Internationale Socialiste a parachevé l'œuvre entreprise par l'AIT, de clarification de la distinction entre l'organisation générale de la classe et l'organisation des révolutionnaires.
Bien qu'elle ait été bien souvent à l'origine des syndicats (surtout en Allemagne), la IIème Internationale prend progressivement ses distances avec le mouvement syndical du point de vue organisationnels après une série de débats, la séparation organique est consommée en 1902 par la création d'un "Secrétariat International des Organisations Syndicales". Même si on ne peut assimiler complètement les syndicats à l'organisation générale de la classe et les partis de la IIème Internationale à la minorité révolutionnaire, telles qu'elles sont apparues dans la période suivante, la distinction entre syndicats et partis politiques.
4° - L'INTERNATIONALE COMMUNISTE (1919)
Dans les 30 années qui séparent la fondation de la IIème Internationale et celle de la IIIème, des événements d'une importance considérable pour le mouvement ouvrier sont intervenus. De système à l'apogée, le capitalisme est devenu un système en décadence ouvrant ainsi "l'ère des guerres et des révolutions". La première grande manifestation de cette décadence, la guerre impérialiste de I914-18 a, en même temps, signé la mort de l'Internationale Socialiste et permis l'éclosion de l'Internationale Communiste dont la fonction n'est plus d'organiser la lutte pour des réformes, mais de préparer le prolétariat à la révolution. Tant du point de vue programmatique qu'organisationnel, la IIIème Internationale s'oppose à la seconde. Plus de distinction entre "programme minimum et programme maximum": "L'Internationale se donne pour but la lutte armée pour le renversement de la bourgeoisie internationale, et la création de la république Internationale des Soviets, première "étape" dans la voie de la suppression complète de tout régime gouvernemental". (Préambule des statuts de l'IC, 1920). Et pour cela, l'organisation de l'avant-garde de la classe ne peut être que mondiale et centralisée.
Cependant, si l'IC a rompu fondamentalement avec la seconde, elle ne s'est pas entièrement dégagée d'elle, Ainsi elle conserve, en leur donnant un sens qui se veut "révolutionnaire", les vieilles tactiques syndicales et parlementaires et, plus tard, frontistes. De même, sur le plan organisationnel, elle conserve un certain nombre de vestiges de 1'époque antérieure. Ainsi l'article 4 des statuts, indiques "L'instance suprême de l'IC n'est autre que le Congrès Mondial de tous les partis et organisations affiliées", ce qui laisse encore une possibilité d'ambiguïté sur l'aspect de l'Internationale comme somme de partis. Par ailleurs, autre vestige de la IIème Internationale, les articles 14, 15 et 16 des statuts de l'IC prévoient des relations spéciales avec les syndicats, le mouvement de la jeunesse et le mouvement des femmes.
Cependant, le caractère "fortement centralisé" de l'organisation est bien souligné :
Article 5: "Le Congrès international élit un comité exécutif de l'Internationale Communiste, qui devient l'instance suprême de l'I.C. durant les intervalles qui séparent les sessions du Congrès mondial.
Article 9 : "Le Comité Exécutif de l'IC a le droit d'exiger des partis affiliés que soient exclus tels groupes ou tels individus qui auraient enfreint la discipline prolétarienne. Il peut exiger l’exclusion des partis qui auraient violé les décisions du Congrès mondial".
Article 11 : " Les organes de la presse de tous les partis et organisations affilié à l'I.C. doivent publier tous les documents officiels de l'I.C. et de son Comité Exécutif".
Cette centralisation est l'expression directe des tâches du prolétariat à cette époque. La révolution mondiale implique qu’autant le prolétariat que son avant-garde doivent s'unifier à l'échelle mondiale. Comme dans la première Internationale, les éléments qui se .revendiquent d'une plus grande "autonomie" des sections (comme en France), sont en fait ceux qui véhiculent le plus d'idéologie bourgeoise. Et c'est la gauche italienne qui, par la bouche de Bordiga, propose la création d'un parti mondial. Donc, si c'est en partie à travers cette centralisation qu'ont été véhiculés un certain nombre de germes de la dégénérescence ultérieure, il ne faut pas perdre de vue que la centralisation est, dans la période actuelle, une condition indispensable pour l'organisation des révolutionnaires .
5° LES STATUTS DU CCI.
a) Leur forme:
Comme on l'a vu an début de ce texte, les statuts des différentes organisations politiques de la classe ont été, en même temps qu'instruments de la lutte politique, des miroirs fidèles des conditions dans lesquelles celle-ci devait lutter. Et en particulier, ils portaient en eux les faiblesses et l'immaturité du prolétariat des différentes époques. Les statuts du CCI n'échappent pas à la règle. Ils sont un produit de leur époque, et c'est parce que le mouvement général de la classe a progressivement surmonté son immaturité qu'ils peuvent aujourd’hui, à leur tour, dépasser les faiblesses des statuts que nous avons passé en revue.
Par exemple, dans les statuts du C.C.I., il n'est plus fait référence à l'idée que "tous les hommes sont frères" ou qu'il n'y a "pas de devoir sans droit". Ils établissent, contrairement à l'A.I.T. ou aux débuts de la seconde Internationale, une distinction nette entre la classe et les révolutionnaires. N'ayant plus pour tache d’unifier les différentes sectes et de clarifier progressivement le programme prolétarien, ils ne sont pas des statuts-programme comme l'étaient ceux de l'A.I.T. Ils ont également abandonné toute conception fédéraliste comme celle de la seconde Internationale. Enfin, ils ne prévoient pas 1'existence d'organisation syndicale annexe, d'organisât ion de jeunes ou de femmes comme ceux de la troisième Internationale.
Compte tenu de toute l'expérience du mouvement ouvrier et des tâches que le CCI doit assumer dans la période actuelle, les caractéristiques essentielles de ces statuts sont une forte insistance sur le caractère unifié et centralisé mondialement de l'organisation mais qui n'exclut pas le maintien de l'existence de sections par pays comme manifestation du fait que c'est à ce niveau que, dans les luttes qui viennent, le prolétariat sera d'abord confronté à la bourgeoisie et que les révolutionnaires seront appelés à agir. C'est pour cela que ces statuts s'adressent à des sections de pays et non à des individus.
Par ailleurs, compte-tenu de l'expérience delà dégénérescence de la troisième Internationale, où les mesures administratives ont été l'instrument utilisé contre les fractions révolutionnaires, il était utile d'insérer dans les présents statuts des points précisant les conditions dans lesquelles peuvent et doivent s'exprimer les divergences au sein de l’organisation.
Par conséquent, les statuts, se. .-subdivisant en un certain nombre de parties qu'on peut identifier de la façon suivante :
-Préambule indiquant la signification du Courant et faisant référence à la base programmatique de celui-ci : la plateforme à laquelle il n’a pas pour fonction de se substituer ;
-L'unité du courant ;
-Le Congrès comme expression de cette unité ;
-Le rôle centralisateur de l'organe exécutif ;
-La façon centralisée de concevoir les rapports avec l'extérieur, les finances, et les publications ;
-La vie de 1'organisation ;
b) Leur signification:
L'adoption par le C.C.I. revêt une importance considérable à l'heure où s'approfondit inexorablement la crise du capitalisme et le mouvement de la classe. Elle est la manifestation du fait que les révolutionnaires se sont dotés d'un instrument fondamental de leur activité : leur organisation mondiale. II faut à ce propos signaler le fait que pour la première fois de l'histoire du mouvement ouvrier, l'organisation internationale né vient pas chapeauter des sections nationales existant au préalable, mais au contraire que ces sections sont le résultat de l'activité du Courant International lequel s'est constitué pratiquement d'emblée à cette échelle,,
Contrairement au passé, la constitution effective de l'organisation mondiale intervient avant que le prolétariat ne se soit lancé dans ses combats décisifs : en 1919 l'Internationale est fondée alors que le plus fort du mouvement est déjà passé. Certains groupes révolutionnaires sont d'accord avec nous sur le caractère nécessairement mondial de l'organisation des révolutionnaires, mais prétendent en même temps que le moment n'est pas encore venu et qu'il faut attendre ces combats décisifs, la création d'une organisation mondiale aujourd'hui étant "volontariste". Cette temporisation n'est en fait qu'une manifestation de leur localisme, de leur jalousie de petite chapelle et cet "après" qu'ils proposent risque de vouloir dire "trop tard", Les révolutionnaires ne doivent pas faire vertu des faiblesses du passé.
L'organisation des révolutionnaires qui se reconstitue difficilement aujourd’hui après.la rupture organique du lien avec les fractions communistes, conséquence d'un demi-siècle de contre-révolution, porte encore de graves faiblesses qui ne pourront être surmontées qu'à travers toute une expérience longue et difficile. Par contre, le fait que, dès maintenant, la classe puisse se doter d'une organisation mondiale de ses éléments révolutionnaires est un élément extrêmement positif qui vient en partie compenser ces autres faiblesses et pèsera certainement d'un poids très lourd sur l'issue des combats gigantesques qui se préparent.
C
G
[1] [100] "L’histoire de l’Internationale a été une lutte continuelle du Conseil Général contre les sectes et les tentatives d'amateurs qui tentaient sans cesse de se maintenir contre le mouvement réel de la classe ouvrière au sein de l’Internationale elle-même" (Marx, lettre à Bolte, 23 novembre 1871)
Bilan nos 34 – 35 – 36 – 37 (1936).
Présentation des textes de "Bilan"
En republiant les textes de "Bilan" (organe de la Fraction italien ne de la Gauche communiste) concernant les événements de 1936-39 en Espagne, nous n'entendons pas faire oeuvre d'historiens soucieux de donner des descriptions détaillées et chronologiques de leur déroulement. Il existe aujourd'hui, à ce sujet, des dizaines de livres d'histoire souvent fort bien documentés, que le lecteur à la recherche d'une documentation pourrait largement mettre à profit. Notre objectif est tout autre. Si l'histoire de l'humanité est toujours l'histoire de la lutte des classes, les luttes d'hier ne se présentent pas au prolétariat comme un "passé" figé, mort, mais comme des moments toujours vivants de sa lutte historique pour la transformation révolutionnaire de la société, de sa lutte toujours présente. Non seulement le contenu, le but, de cette lutte demeurent toujours les mêmes mais encore les configurations politiques fondamentales, les forces politiques en présence, leurs poids et les positions qu'elles occupent et défendent ont à peine varié. La compréhension de ses luttes d'hier constitue pour le prolétariat, seule classe révolutionnaire dans la société capitaliste, un effort nécessaire et incessant de connaissance toujours plus approfondie du contenu et des moyens de la lutte qu'il mène; de saisir et de surmonter ses défaillances et ses erreurs, de connaître et éviter les impasses et les déviations, de forger sa conscience et ses armes pour les batailles futures et sa victoire finale.
Les textes de "Bilan" gardent un intérêt énorme et cela, non seulement parce que les positions défendues par la Gauche italienne étaient la seule réponse juste de classe aux problèmes auxquels se heurtait le prolétariat espagnol il y a 40 ans mais encore parce que les mêmes problèmes restent au centre des luttes actuelles du prolétariat espagnol et international. Il ne s'agit pas de distribuer de satisfecit à un groupe révolutionnaire dans le passé dont par ailleurs nul révolutionnaire ne saurait ignorer son apport mais de saisir de ses positions qui ont largement soutenu l'épreuve du feu de l'expérience et qui doivent nous servir de fil conducteur dans les affrontements présents et futurs de la classe ouvrière.
La force de l'analyse que fait "Bilan" sur la situation en Espagne, réside avant tout, dans le fait qu'il place cette situation particulière dans un contexte mondial et historique. Une erreur devenue commune et qu'on retrouve jusque dans les rangs des Communistes de Gauche, consiste à analyser des situations en partant du pays, isolément, en soi. Une telle démarche qui se veut "marxiste", déterministe, concrète, mène inévitablement aux pires aberrations. Le "développement inégal" du capitalisme dont parlait Marx et ses implications sur, 1a lutte de classe avait toute son importance et jouait pleinement au début du capitalisme et dans sa période ascendante. Le capitalisme naît dans une économie régionalisée de laquelle il se dégage lentement. Dans de telles conditions, 1e poids des particularités régionales ou nationales pèse encore d'une façon prépondérante sur l'évolution tant locale que générale. Mais au fur et à mesure que le capitalisme se développe et crée le marché mondial, les spécificités locales, tout en subsistant perdent en importance et cèdent devant les lois générales du capitalisme en tant que système mondial qui impose sa domination à tous les pays et à chaque pays pris isolément. On peut ainsi donner comme formulation générale : plus le capitalisme s'est développé comme système, plus les pays individuels se trouvent dépendants de l'évolution du système comme un tout et moins jouent les caractères particuliers de chaque pays dans l'analyse de leur développement propre.
C’est dans la période de décadence, quand le système capitaliste comme un tout, entre dans le déclin, suite au développement de ses contradictions devenues insurmontables que se manifeste le plus hautement cette unité mondiale du système. Il est alors aberrant, sous prétextes de la loi du "développement inégal", d'axer l'analyse en partant des particularités propres à chaque pays et du degré de développement capitaliste qu'il aurait atteint. Nombreuses sont ces analyses "marxistes" qui partant de l'état arriéré de l'économie russe pris isolement, arrivent à rejeter jusqu'à la possibilité même d'une révolution socialiste, et à nier en conséquence toute signification prolétarienne à la Révolution d’Octobre 1917. C!est là une démarche typiquement menchevik en dernière analyse elle consiste à appliquer à la crise du capitalisme et à la Révolution prolétarienne le schéma et les normes qui présidaient à la Révolution bourgeoise. C’est à ce schéma, que l'Internationale Communiste de Boukharine-Staline se référait pour justifier sa politique de bloc des classes en Chine, en redécouvrant la Révolution bourgeoise-démocratique, 10 ans après la Révolution d'Octobre. Cette démarche sert de plateforme commune, aussi bien à eaux qui combattaient pour la dévolution Prolétarienne en Allemagne mais niaient sa possibilité en Russie, qu'à ceux qui ont inventé une théorie de "Révolution double" (à la fois bourgeoise et prolétarienne), qu'à ceux qui continuent à voir un mouvement progressiste dans les guerres de "libération nationale" et persistent à voir à l'ordre du jour de l'histoire des Révolutions dérnocratico-bourgeoises pour les pays sous-développês et coloniaux en même temps qu'ils bavardent volontiers sur la Révolution prolétarienne dans les pays industrialisés.
La première difficulté, 1e premier obstacle auquel se heurtait "Bilan" à propos des événements en Espagne, consistait dans la démarche de tous ceux qui mettaient en avant le "cas particulier" de l'Espagne, qui parlaient de "féodalisme et de lutte contre le "féodalisme réactionnaire". L'état arriéré de l'économie Espagnole devenant une chose en soi, servait ainsi de justification à toutes les compromissions et ouvrait la porte à toutes les trahisons. Replaçant l'Espagne dans l'économie mondiale, "Bilan" démontrait la nature capitaliste de ce pays, que ce n'est que dans ce cadre, d'une économie capitaliste mondiale en crise que devait et pouvait être comprise la situation de l'Espagne.
Non moins important était de situer la lutte du Prolétariat espagnol dans le contexte de l'évolution générale mondiale de la lutte du Prolétariat. Dans quel cours se trouve le Prolétariat dans la décennie de 1939 : dans un cours de montée de la lutte révolutionnaire ou dans celui, où après avoir subi des défaites profondes , démoralisé , il s'est laissé intégrer dans la défense nationale, au nom de la défense de la démocratie et de 1!antifascisme, débouchant inévitablement dans la guerre impérialiste? Trotsky qui avait vu et dénoncé dans le victoire d'Hitler en Allemagne l'ouverture d'un cours vers la guerre, change complètement de perspective avec l'avènement du Front Populaire en France et en Espagne et annoncera en gros titre en 1936 que "La Révolution a commencé en France". Tout autre sera l'analyse de "Bilan" qui non seulement ne verra pas dans le triomphe du Front populaire un renversement du cours vers la guerre mais au contraire le considérera comme un renforcement de ce cours, une réplique adéquate dans les pays "démocratiques" l'hystérie guerrière de l'Allemagne et de l'Italie, un moyen, et des plus efficaces, pour faire quitter au prolétariat son terrain de classe, pour le mobiliser autour de la défense de la "démocratie" et de l'intérêt national, préparation nécessaire pour le mener à la guerre impérialiste.
Dans un tel contexte quelle pouvait être la perspective des luttes héroïques du prolétariat espagnol? Il est indéniable que le prolétariat d'Espagne donne, dans sa vigoureuse lutte surtout les premiers jours contre le soulèvement des armées de Franco, un magnifique exemple de combativité et de décision. Mais pour si grande que fut sa combativité le développement des événements devait vite démontrer qu'il n'était pas en son pouvoir d'aller seul à la victoire révolutionnaire dans un cours mondial de recul et de démobilisation de la classe ouvrière internationale.
La plupart des groupes communistes qui se situaient à la gauche du trotskysme jugeaient autrement. Rejetant ce qui leur paraissait du "fatalisme" de la part de "Bilan"' et ne se référant comme critère décisif qu'à la combativité des ouvriers d'Espagne, ils croyaient à la possibilité pour le Prolétariat espagnol de renverser le cours général de recul et engager ainsi un nouveau départ pour la Révolution. Entraînés davantage par un sentimentalisme révolutionnaire que par un raisonnement rigoureux, ils ne voient dans les événements d'Espagne une dernière onde de la grande vague révolutionnaire des années 17-20, un dernier soubresaut d'un prolétariat mondial s'engloutissant dans la marée de l'Union nationale et de la guerre, mais l'annonce d'un réveil de la Révolution, rejoignant ainsi la perspective de Trotsky. Rien d'étonnant que, s'accrochant à l'espoir d'un miracle qui ne pouvait venir,ils étaient amenés à voir comme conquête ouvrière ce qui n'était qu'un renforcement du capitalisme, comme les fameuses milices ou la participation au gouvernement, à fermer les yeux sur la réalité tragique dans laquelle le Prolétariat d'Espagne complètement désorienté était livré au pire massacre capitaliste, à se voir eux-mêmes sombrer politiquement et devenir les complices "critiques" et rabatteurs de la guerre, à l'instar des trotskystes et autres poumistes. Des événements tragiques du Prolétariat en Espagne 1936, nous devons retenir cette leçon précieuse : autant Octobre 17 nous montre la possibilité d'une victoire de la Révolution prolétarienne dans un pays capitaliste arriéré parce que portée par une vague générale de la Révolution, ce prolétariat ne fait qu'exprimer et annoncer, autant 1936 en Espagne nous montre qu'il est impossible à un prolétariat d'un pays sous développé quelle que soit sa combativité de renverser un cours général de contre-révolution triomphante. Cela n'a rien à voir avec un fatalisme et un croisement de bras. Comme l'écrira "Bilan" "La tâche de l'heure:était de ne pas trahir". En Espagne 36 ce n'était pas la victoire de la Révolution qui était en question mais essentiellement ne pas laisser le prolétariat se désarçonner, abandonner son terrain de classe et se laisser s’immoler sur l'autel au bénéfice de la contre-révolution, qu'elle se présente sous la forme fasciste ou démocratique. Si le Prolétariat espagnol ne pouvait faire triompher la révolution, il pouvait et devait rester fermement sur son terrain de lutte de classe, rejeter toute alliance et coalition avec des fractions de la bourgeoisie, se refuser aux mensonges d'une guerre antifasciste qui elle, oui contenait la fatalité de son écrasement et servait de prélude à 6 ans de massacres ininterrompus de millions de prolétaires dans la 2ème guerre impérialiste mondiale. Telle était la tâche de l'heure et le devoir premier des révolutionnaires que leur assignait "Bilan" en dénonçant de toutes ses forces cette fausse "solidarité" qui consistait à réclamer et envoyer des armes et des hommes en Espagne et qui ne pouvait avoir d'autre résultat que de prolonger et élargir la guerre au point de transformer la guerre capitaliste locale en guerre impérialiste générale.
La guerre d'Espagne devait encore rajeunir et développer un autre mythe, un autre mensonge. En même temps qu'on substituait à la guerre déclasses du prolétariat contre le capitalisme, la guerre entre "Démocratie et Fascisme, qu'on remplaçait les frontières de classes par des frontières territoriales, on défigurait le contenu même de la Révolution en changeant l'objectif central de la Révolution : Destruction de l'Etat bourgeois et prise du pouvoir politique par le Prolétariat en celui de soi-disantes mesures de socialisation et de gestion ouvrière des usines.
Ce sont surtout les anarchistes et certaines tendances se réclamant du Conseillisme qui se distinguaient à exalter le plus ce mythe, allant jusqu'à voir et proclamer dans cette Espagne républicaine, antifasciste et stalinienne la conquête de positions socialistes bien plus avancées que n'aurait atteint la Révolution d'Octobre.
Il n'est pas de notre intention d'entre ici dans une analyse détaillée de l'importance et de la signification de ces mesures. Le lecteur trouvera dans les textes de "Bilan" que nous publions une réponse suffisamment claire à ces questions. Ce que nous voulons mettre en évidence ici est que ces mesures mêmes si elles auraient été plus radicales qu'elles ne furent en réalité, n’auraient en rien changé le caractère fondamentalement contre-révolutionnaire du déroulement des événements en Espagne. Pour la bourgeoisie comme pour le prolétariat le point central de la révolution ne peut-être que celui de la conservation ou de la destruction de l'Etat capitaliste. Le capitalisme peut non seulement s'accommoder momentanément des mesures d'autogestion ou de soi-disant socialisations (lire mise en coopératives) des exploitations agricoles en attendant la possibilité de les ramener dans l'ordre à la première occasion propice (voir les récentes expériences au Portugal) mais elle peut parfaitement les susciter comme moyens de mystification et de dévoiement des énergies du Prolétariat vers des conquêtes illusoires afin de le détourner de l'objectif central qui est l'enjeu de la Révolution : la destruction de la puissance du Capitalisme, son Etat.
L'exaltation de prétendues mesures sociales comme le summum de la Révolution n'est qu'une radicalité de mots qui recouvre dans le meilleure des cas une même racine du vieux réformisme : 1a marche graduelle de la transformation sociale. Dans la réalité de l'Espagne 36, ce radicalisme de la phrase est plus que cela; elle fait sienne la mystification du capitalisme tendant à détourner le prolétariat de sa lutte révolutionnaire contre l'Etat. Victimes eux-mêmes, dans un premier temps de la mystification et des apparences, ces courants deviennent rapidement des complices de ce détournement, s'employant de leur mieux à brouiller la vision claire de la tâche première du Prolétariat dans la Révolution. A l'encontre de ces radicaux de la phrase et en total accord avec "Bilan" nous affirmons qu'une Révolution qui ne commence pas par la destruction de l'Etat capitaliste peut-être tout ce que l'on veut sauf une Révolution prolétarienne. Les événements d'Espagne 36 n'ont fait que confirmer tragiquement ce postulat révolutionnaire mis en évidence et appliqué en 1917 par le Parti bolchevique et qui était une des conditions décisives de la victoire d'Octobre
En 36 en Espagne le prolétariat a subi une de ses plus sanglantes défaites qui lui a valu 60 ans de répression féroce. Reflet de ce cours de défaites et de réaction triomphante, 1a Gauche Communiste réduite à de petits groupes qui trouvaient leur expression dans Bilan, avait douloureusement conscience de son isolement et de son impuissance dans l'immédiat. Tout comme le Parti Bolchevik et la poignée de révolutionnaires en 1917, elle restait fidèle au communisme en allant à contre-courant. Si la guerre et 40 années de contre-révolution triomphante avaient eu raison matériellement de son organisation, les enseignements du combat et des positions révolutionnaires de la Gauche Communiste des années 30 n'ont pas été perdus. Aujourd'hui avec la reprise de la lutte de classe et la perspective de son développement révolutionnaire, les communistes retrouvent et renouent le fil de cette continuité politique. En republiant les textes de "Bilan", nous entendons en faire des instruments pour un réarmement politique du prolétariat d'aujourd'hui et des leçons de la défaite d'hier forger les armes de la victoire finale de demain.
Au front impérialiste du massacre des ouvriers espagnols il faut opposer le front de classe du prolétariat international.
(Bilan n°34, Août-Septembre 1936)
La simple affirmation générale qu’actuellement, en Espagne, se déroule une bataille sanglante entre la bourgeoisie et le prolétariat, loin de permettre d'établir les positions et les forces politiques pouvant permettre la défense et la victoire du prolétariat, peut conduire au pire désastre et au massacre des travailleurs. Pour arriver à des conclusions positives il faut déterminer tout d'abord si les masses ont occupé leur retranchement spécifique de classe, se trouvent dans la possibilité d'évoluer, de faire sortir de leur sein les forces capables de briser l'attaque ennemie.
Plusieurs alternatives occupent, en ce moment, la scène politique. Commençons par celle soulevée par le Front Populaire et à laquelle les centristes ont donné une consécration "théorique". Il s'agirait d'une lutte à mort des "factieux, des rebelles, des fascistes" contre le "gouvernement légal, défendant le pain et la liberté"; le devoir du prolétariat serait, par conséquent, de défendre le gouvernement qui serait en définitive celui de la bourgeoisie progressive en lutte contre les forces de la féodalité. Les ouvriers qui auraient permis la victoire contre les représentants du régime féodal pourraient, par la suite, passer à la phase supérieure de la lutte pour le socialisme. Dans notre précédent numéro, nous avons mis en évidence que si, en Espagne, le capitalisme se trouvait dans l'impossibilité d'organiser une société du type des autres existantes en Europe, c'est bien une bourgeoisie qui détient le pouvoir et le seul protagoniste de la refonte du mécanisme économique et politique est le prolétariat et lui seul.
Le Front Populaire en Espagne, tout comme d'ailleurs dans les autres pays, se révèle être, même au cours des événements actuels, non pas une force dont les ouvriers pourraient se servir, mais une arme puissante de l'ennemi ayant pour fonction l'écrasement de la classe ouvrière. Qu'il suffise de réfléchir au fait que c'est bien sous son gouvernement qui a pu s'organiser méthodiquement toute l'action de la droite, dont les supports ne consistent pas seulement dans la conjuration (cet aspect le plus théâtral est quand même le moins important), à laquelle toute latitude a été donnée pour se préparer que, dans le domaine social, l'action du gouvernement de Front Populaire avait déterminé la démoralisation des masses paysannes, l'hostilité profonde des ouvriers s'acheminant à nouveau vers l'éclosion de grandes grèves du type de celle de 1931-32 et qui furent écrasées par la terreur dirigée justement par le gouvernement de gauche composé d' une équipe analogue à celle du Front Populaire d'aujourd'hui.
Même au début des événements actuels, l'orientation bien marquée du Front Populaire était celle d'aboutir à un compromis avec la droite, ainsi qu'en témoigne la tentative de constitution du gouvernement Barrios. Aussi Azana peut-il bien s'étonner du fait que Franco, tout en pouvant le faire sans le moindre risque, ne soit pas allé l'arrêter dès le premier jour. C’est qu'une grande inconnue planait sur la situation et le capitalisme tout en ayant décidé une première attaque frontale dans toutes les villes, ne savait point si son aile droite aurait pu obtenir immédiatement une victoire totale. En prévision de cela l'arrestation d’Azana a été réservée, et c'est bien l'action successive du Front Populaire qui a donné les plus grandes chances de succès à l'offensive capitaliste.
A Barcelone en premier lieu et dans les autres centres ouvriers aussi, l'attaque de la droite se heurta à un soulèvement populaire, lequel, parce qu'ils luttaient sans la moindre attache avec la machine étatique capitaliste et affirmaient leur base de classe, purent rapidement désagréger les régiments, où en correspondance avec les événements qui se déroulaient dans les rues, la lutte de classe éclata et les soldats se révoltèrent contre leurs chefs» A ce moment, le prolétariat s'acheminait directement vers un intense armement politique, d'où ne pouvait résulter qu’une offensive dirigée contre la classe capitaliste et vers le triomphe de la révolution communiste.
En conséquence de la riposte véhémente et puissante du prolétariat, le capitalisme sentit qu'il devait abandonner son premier plan d'attaque frontale et uniforme. En face d'ouvriers qui s'étaient insurgés, qui allaient acquérir une puissante conscience de classe, la bourgeoisie sentit qu'il n'y avait d'autre moyen de se sauver et de vaincre, qu'en chargeant le Front Populaire de diriger l'action politique des ouvriers. La tolérance de l'armement des masses s'accompagnait avec son encadrement, que Caballero veut aujourd'hui porter à sa perfection au point de vue technique au travers du "commandement unique", et avec une orientation politique spécifiquement capitaliste. A la première phase du faible armement matériel, mais de l'intense armement politique, succédait l'autre de l'accroissement des instruments techniques à la disposition d'ouvriers qui, progressivement, étaient transportés de leur base primitive de classe vers l'autre opposée et qui est celle de la classe capitaliste.
A Madrid, rapidement, moins facilement aux Asturies, par un procédé bien plus compliqué à Barcelone, le Front Populaire a pu obtenir son succès et les masses se trouvent actuellement englobées sous cette devise centrale : qu'elle soit Sacrée, la machine étatique du capitalisme, qu'elle fonctionne au plus haut rendement pour permettre la victoire contre la droite; l'écrasement des "factieux" étant le suprême devoir du moment.
Le prolétariat a déposé ses armes spécifiques de classe et a consenti au compromis avec son ennemi, au travers du Front Populaire. Aux frontières de classe, les seules qui auraient pu démantibuler les régiments de Franco, redonner confiance aux paysans terrorisés par la droite, d'autres frontières ont surgi, celles spécifiquement capitalistes, et l'Union Sacrée a été réalisée pour le carnage impérialiste, région contre région, ville contre ville en Espagne et, par extension, Etats contre Etats dans les deux blocs démocratique et fasciste. Qu'il n'y ait pas la guerre mondiale, cela ne signifie pas que la mobilisation du prolétariat espagnol et international ne soit pas actuellement achevée, pour son entrégorgement sous le drapeau impérialiste de l'opposition : fascisme-antifascisme.
Après les expériences italienne et allemande, il est extrêmement désolant de voir des prolétaires d'une haute préparation politique qui, en se basant sur le fait que les ouvriers sont armés, en concluent que, bien que le Front Populaire dirige ces armées, les conditions se seraient présentées, sans un bouleversement total de la situation, pour permettre la défense et la victoire de la classe ouvrière. Non, Azana et Caballero sont les dignes frères des socialistes italiens et allemands, ils en sont les émules parce que dans une situation extrêmement tendue ils sont parvenus à trahir les ouvriers, à qui ils ont laissé les armes uniquement parce qu'elles devaient servir une bataille de classe, non contre le capitalisme espagnol et international, mais à une bataille de classe contre la classe ouvrière d'Espagne et du monde entier sur le front de la guerre impérialiste.
A Barcelone la façade offusque la réalité. Parce que la bourgeoisie se retire provisoirement de la scène politique, parce que les bourgeois ne sont plus à la tête de certaines entreprises, l'on en arrive à considérer que le pouvoir bourgeois n'existe plus. Mais si ce dernier est vraiment inexistant, alors c'est l'autre qui aurait dû surgir : celui du prolétariat. Et ici la réponse tragique des événements est cruelle : toutes les formations politiques, mêmes les plus extrêmes, la CNT, proclament ouvertement qu'il ne faut nullement attenter à la machine étatique capitaliste à la tête de laquelle Compagnys serait même d'utilité pour la classe ouvrière. Notre avis à ce sujet est absolument net : deux principes s'opposent, deux classes, deux réalités : celle de la collaboration et de la trahison, l'autre de la lutte. A la tension extrême de la situation, correspondent aussi des forces extrêmes de la collaboration. Si en face d'une conflagration sociale du type de celle de Barcelone les ouvriers sont poussés non vers l'attaque contre la machine étatique capitaliste, mais vers sa sauvegarde, alors c'est la collaboration et non la lutte de classe qui triomphe. La voie pour l'éclosion de la lutte de classe ne se trouve point dans l'élargissement successif des conquêtes matérielles, tout en laissant debout l'instrument de domination de l'ennemi, mais dans la voie opposée qui connaît le déclenchement des mouvements prolétariens. La socialisation d'une entreprise tout en laissant intact l'appareil étatique est un maillon de la chaîne qui bloque le prolétariat derrière son ennemi aussi bien sur le front intérieur que sur le front impérialiste de l'antagonisme fascisme-antifascisme, alors que le déclenchement d’une grève pour la moindre revendication de classe et cela même dans une industrie "socialisée" est un anneau qui peut conduire à la défense et à la victoire du prolétariat espagnol et international.
Il est tout aussi impossible d'opérer un mélange entre le prolétariat et la bourgeoisie qu’il l'est entre les Fronts territoriaux actuels, les armées d'Union Sacrée et les frontières de classe, les armées de classe. La différenciation s'opère sur les questions fondamentales et non sur celles de détail. Il existe actuellement une opposition apparente entre le détail et l'essentiel, entre la composition, l'ardeur, le sacrifice, l'héroïsme des prolétaires enchaînés par le Front Populaire et la force politique, historique que représente ce dernier. Tout comme Lénine en avril 1917, nous devons opérer sur le noeud central du problème et c'est là que la seule différenciation politique "réelle" peut s'opérer. A l'attaque capitaliste on ne peut répondre que sur une base prolétarienne. Ceux qui négligent ce problème central se mettent délibérément de l'autre côté de la barricade et les prétendues réalisations sociales ne sont, en définitive, qu’une maille reliant les ouvriers à la bourgeoisie.
De la situation actuelle où le prolétariat est tenaillé entre deux forces capitalistes, la classe ouvrière ne peut passer à l'autre opposée qu'en empruntant le chemin conduisant à l'insurrection. Il n' y a pas évolution possible des armées actuelles de Catalogne, de Madrid, d'Asturies mais il faut la rupture brutale, sans la moindre équivoque. La condition essentielle pour le sauvetage de la classe ouvrière espagnole réside dans le rétablissement des frontières de classe qui sont opposées à celles territoriales actuelles. En Catalogne surtout, où les énergies prolétariennes sont encore puissantes, ces énergies doivent être mobilisées sur un plan de classe. Il faut faire échec au plan capitaliste qui consiste à écraser par la terreur les masses paysannes et à convoiter, par la corruption politique, les masses paysannes industrielles pour les diriger vers le même front de la victoire du capitalisme espagnol et international. Pas d'Union Sacrée, à aucun échelon de la lutte, à aucun instant de la bataille. Cet acte de la guerre impérialiste peut ne pas se relier avec l'éclosion immédiate de la conflagration mondiale. Dans ce cas, les batailles actuelles en Espagne, faute d'un bouleversement total de la situation, se dirigeront vers la victoire de la droite, car c'est à cette dernière que revient la fonction politique d'écraser par milliers les prolétaires, d'instaurer la terreur générale, totale, du type de celle qui a exterminé le prolétariat italien et allemand. La gauche, le Front Populaire a une fonction capitaliste différente et consistant à faire le lit à la réaction, un lit sanglant où sont déjà couchés des milliers de travailleurs espagnols et d’autres pays.
La classe ouvrière n'a que des forteresses de classes et ne peut vaincre du moment qu'elle est emprisonnée dans les forteresses ennemies que sont actuellement les fronts militaires. Les héroïques défenseurs d'Irun étaient condamnés d'avance, ils avaient été livrés au capitalisme par le Front Populaire qui était parvenu à les extirper de leur terrain de classe et en a fait la proie des armées de Franco.
La lutte armée sur le front impérialiste est la tombe du prolétariat. Il faut y opposer la lutte armée sur le terrain social. A la compétition pour la conquête des régions et des villes, il faut opposer l’attaque contre la machine étatique, et c'est uniquement de cette attaque que peut résulter la désagrégation des régiments de la droite, c'est ainsi seulement que le plan du capitalisme espagnol et international pourra être brisé. Autrement, avec ou sans l'acceptation du plan français de neutralité, avec ou sans le Comité de Coordination composé de fascistes, démocrates et centristes, (tous les pays importants y étant représentés), c'est l'orgie capitaliste qui triomphe et les marchands de canons de France, d'Angleterre, d’Allemagne, d'Italie, l'Etat Soviétique lui-même livreront les munitions aux deux Etats-majors, celui de Franco, l'autre de Caballero pour massacrer les ouvriers et les paysans en Espagne.
Dans tous les pays au mot d'ordre capitaliste, pour ou contre la neutralité, pour ou contre l'envoi de munitions à Franco ou au gouvernement, opposés des manifestations de classe, des grèves contre les transports légaux d'armes, des batailles dirigées contre chaque impérialisme. C'est à cette condition uniquement que la solidarité peut s'affirmer réellement pour la cause du prolétariat espagnol.
L'abattoir des prolétaires en espagne.
Extraits (Bilan n°35, Septembre-Oct. 1936)
Les fascistes attaquent en Espagne. Les traîtres à la classe ouvrière de tous les pays sont à leur place quand ils réclament de leurs gouvernements respectifs des envois d'armes et munitions au gouvernement "légal de la République". Mais autre chose serait de lancer un appel à la classe ouvrière de chaque pays afin qu'elle se mobilise dans une lutte acharnée contre ses capitalismes respectifs. Ce serait là de la lutte de classe, ce serait là la seule solidarité à manifester aux ouvriers espagnols. Une telle action, les traîtres ne pouvaient même pas la concevoir elle conduirait, en effet, à l'affaiblissement du capitalisme dans tous les pays et, par ricochet, arrêterait les chances de succès de l'attaque fasciste en Espagne. Cette directive n'appartient qu'à des groupes restreints de prolétaires qui s'amenuisent d'ailleurs de jour en jour si l'on considère que le parti d'unification marxiste, POUM, la CNT et la FAI s'insurgent contre la mystification du discours de M. Bloum à Luna-Parc et demandent aux ouvriers français, non de déclencher une lutte de classe contre leur impérialisme, mais d'imposer au gouvernement de Front Populaire de lever le blocus, pour neutraliser l'aide apportée par Hitler et Mussolini aux fascistes espagnols.
Si l'on réfléchit à l'opposition criante qui existe entre la première et la deuxième phase des événements, l'on comprend enfin la cruelle logique des situations actuelles. Le 19 juillet, le prolétariat s'insurge contre l'attaque fasciste et déclenche la grève générale. Le prolétariat est debout, le prolétariat est lui-même, il est la classe qui est capable d'arrêter l'offensive des fascistes, il lutte avec son arme spécifique : la grève. Lutte armée, oui, mais au service d'une revendication de classe. Et à ce moment il n'existe pas de gouvernement à côté des ouvriers, pas de républicain pas de séparatistes. Le prolétariat est terriblement fort parce qu'il est terriblement seul. Par après la situation est bouleversée. Autour des ouvriers espagnols il y a le gouvernement de Front Populaire et la sympathie de gouvernements puissants : français, anglais, russe, mais le prolétariat n'existe plus car, sorti de sa base primitive de classe, il a été cloué dans une base qui n'est plus la sienne, qui est le contraire de la sienne, celle de son ennemi de classe.
Et la tragédie commence. Les fascistes se renforcent dans la mesure même où les ouvriers se collent —au travers du gouvernement de Front Populaire- à leur bourgeoisie. A Barcelone la machine étatique capitaliste non seulement est laissée intacte, mais elle est sanctifiée lorsqu'on pousse les ouvriers à la faire fonctionner avec le maximum de rendement pour permettre la guerre militaire. Le renforcement de la machine étatique à Barcelone, à Madrid, à Valence avec son corollaire : le renforcernent de la même machine à Séville et Burgos, détermine des chances toujours plus favorables pour l'attaque fasciste.
Les traîtres dans les différents pays poussent les ouvriers à invoquer l'intervention des gouvernements respectifs. Quel serait le résultat ? Mais la leçon de 1914-18 est là : tragiquement éloquente. A supposer même qu'il ne s'en suivrait pas de conflit mondial, et que de meilleures conditions militaires pour les armées "loyales" permettent la victoire sur les généraux, les ouvriers espagnols qui auraient lutter sous la direction, les objectifs, le contrôle du gouvernement du Front Populaire, se trouveraient demain tout comme les ouvriers français et anglais en 1918 à devoir payer avec le renforcement de leur esclavage le prix de n'avoir pas su déjouer la tromperie ennemie. La manoeuvre du capitalisme, consistant à jeter les travailleurs les uns contre les autres, se serait bornée à l'Espagne, elle n'aurait pas embrasée le monde entier mais cela n’en aurait pas moins pour conséquence que le prolétariat espagnol aurait été le seul à en faire les frais.
Mais cette hypothèse n'est pas celle qui semble correspondre à l’évolution des terribles événements d’Espagne. Nos prévisions primitives semblent se confirmer. Le capitalisme était forcé de procéder à une sanglante conversion de son extrême gauche vers l’extrême droite. Le plan initial n'avait pas abouti : écraser d'un coup les masses dans toute l'Espagne. Pour y arriver la bourgeoisie avait besoin d'une force complémentaire à celle de l'attaque frontale des généraux. Cette force a été représentée par le Front Populaire.
De son front de classe primitif, les batailles de rues contre la bourgeoisie, les ouvriers ont été arrachés par le succès de la manoeuvre du Front Populaire qui les a jetés vers le Front opposé des frontières territoriales. Et progressivement, à chaque défaite sur le front territorial, la manoeuvre capitaliste a gagné de nouvelles forces agissant au sein des masses. La défaite d’Irun correspond à la formation du gouvernement d’extrème-gauche de Caballero, la chute de Tolède à l'entrée du POUM et des anarchistes dans la Généralidad de Barcelone. C'est ainsi que le capitalisme espagnol suffoquait toute réaction de classe.
Les ouvriers espagnols et du monde entier se souviendront de la douloureuse tragédie actuelle, ils l'ajouteront à celle de l'Allemagne, d'Italie, de Russie, des autres pays. L'ennemi capitaliste allonge la file de ses victoires contre le prolétariat, mais sur le terrain historique, il est définitivement condamné : pour se venger de son incapacité de mater l'éclosion des forces de production, il amoncelle des montagnes de cadavres d'ouvriers. De ces innombrables victimes jaillit la force invincible qui construira la société communiste. Les ouvriers d'Espagne se battent comme des lions, mais ils sont battus parce qu'ils sont dirigés par les traîtres dans l'enceinte de la forteresse ennemie sur les Fronts territoriaux. De leur défaite, jaillira la digue de fer de la lutte des classes contre laquelle aucune arme n'aura de puissance car les travailleurs, qui devraient la diriger contre leur frères, sauront s'en servir contre leur ennemi de classe pour la victoire de la révolution.
La consigne de l’heure : ne pas trahir.
Extraits (Bilan, n°36, Nov. 1936).
Une phrase suffit pour détruire de fond en comble notre position : quoi ? Alors que les ouvriers espagnols luttent d'arrache-pied contre l'attaque fasciste, se battent comme des lions contre un ennemi qui reçoit armes et munitions de Hitler et Mussolini avec la complaisance de Blum et de Eden quand ils dressent des barricades avec leurs corps pour arrêter l'avance des hordes fascistes, alors que, dans tous les pays, des centaines et des milliers d'ouvriers s'apprêtent à rejoindre le front de la bataille, votre position consiste à démoraliser les rangs des combattants, à faciliter l'invasion de l'ennemi fasciste, à démanteler les fronts où les prolétaires disputent, mètre par mètre, le terrain à Franco derrière qui se trouvent coalisés, les fascistes de tous les pays.
Seulement cette phrase n'est point un argument et si elle peut facilement, —à cause de son caractère démagogique— avoir raison de nous, elle ne représente guère une manifestation de solidarité aux ouvriers espagnols. Elle n'est, en définitive qu'un anneau de plus enchaînant les prolétaires, livrant ces derniers aux forces qui conduisent à l'échafaud leurs vies, leurs institutions et leur classe. Encore une fois, il ne s'agit pas —au cours des discussions entre les courants qui prétendent oeuvrer pour la libération des ouvriers du joug capitaliste— d'une bataille polémique tendant à écarter et à réduire au silence l'adversaire, ainsi que ses arguments. Il s'agit de présenter des positions politiques, de mobiliser des forces qui puissent déterminer la lutte, la défense et la victoire de la classe ouvrière contre l'ennemi capitaliste. C’est uniquement sur ce terrain que la diversification politique peut correspondre aux intérêts des ouvriers espagnols et de tous les pays : c'est sur ce front seulement que les énergies de la classe ouvrière peuvent se nouer pour construire le barrage de la défense et de la victoire.
Les flots de la démagogie peuvent nous noyer, mais le cruel développement des événements laissera non seulement debout l'ensemble de nos positions politiques, mais donnera la plus tragique des confirmations à ces dernières et cela parce que nous restons inébranlablement ancrés, dans les fondements de classe des masses prolétariennes et uniquement dans ceux-ci. Autant nous serions disposés à détruire jusqu'à la dernière syllabe de nos considérations si cela pouvait apporter une aide aux ouvriers espagnols, autant nous sommes forcés de voir l’opposition enragée des militants qui luttent contre nous, non un élément positif pour la résistance du prolétariat espagnol, mais une nouvelle manifestation de la victoire de la manoeuvre de l'ennemi capitaliste qui ne pouvait gagner cette nouvelle bataille qu'à la condition de pouvoir enchaîner à son char —avec la colossale mystification de l'anti-fascisme qui se révèle être, encore une fois, le lit du fascisme— jusqu'aux secteurs les plus avancés où résistaient les militants révolutionnaires.
C'est la plus tragique des confirmations du marxisme que celle qui se déroule aujourd'hui. Plus encore que dans les situations intermédiaires, dans des situations définitives, le sort de la classe ouvrière ne peut être sauvé que sur le front d'une politique de classe et uniquement d'elle, toutes les autres conduisant au pire massacre des ouvriers. La moindre compromission comporte en contre partie de l'illusion d'un appoint de la lutte, la lugubre certitude de la pénétration dans les rangs des ouvriers de la colonne ennemie qui en prépare méthodiquement la déroute.
Oui! Avant les événements d'Espagne existait une décision ferme, inébranlable: "nous ne marcherons pas, à aucun prix, d’aucune façon, quelle que soit l'embûche que l'on nous présentera. A l'ennemi qui nous appellerait aux armes pour battre le fascisme, nous répondrons par la proclamation de la lutte contre notre propre capitalisme. Les millions d'ouvriers tombés en 1914-18 croyaient combattre pour déraciner, dans le tsarisme ou le prussianisme, l'obstacle principal à l'affranchissement de la classe ouvrière. Mais, en réalité, ils sont tombés pour la sauvegarde du capitalisme, de son régime, pour construire —au travers de cette digue macabre des cadavres des ouvriers des deux camps— la barricade de la bourgeoisie contre l'assaut révolutionnaire des masses. Cet enseignement tragique, nous ne l'oublierons jamais, au grand jamais, et notre devise sera celle de battre chaque secteur du capitalisme pour faire crouler le système dans chaque pays et ,dans le monde entier".
Encore, à l'égard du pouvoir bourgeois la devise était tout autant ferme : "la leçon de 1914 nous a appris que, sous aucun prétexte, il ne faut collaborer avec la bourgeoisie. A l'appât que constitue l'idée de pénétrer dans l'Etat capitaliste afin de la faire servir au socialisme, ou pour repousser l'attaque de la réaction, les millions d'ouvriers tombés dans la lutte pour leur libération sont là pour nous dire que la collaboration avec la bourgeoisie c'est l'emprisonnement des ouvriers, leur perte, leur livraison à l'ennemi".
Les événements d'Espagne sont arrivés. Que reste-t-il des événements tragiques de 1914 ? L'on a commencé à parler de l’ouverture d'une situation révolutionnaire, mais immédiatement après l'on a ajouté que déclencher des luttes de classe?, passer à l'attaque contre l'Etat capitaliste, pour le détruire, pour fonder un pouvoir prolétarien, c'était réaliser, en fait, une condition favorable non pour les ouvriers, mais pour les fascistes qui attaquaient. De deux choses l'une : ou bien la situation révolutionnaire existe et il faut lutter contre le capitalisme, ou bien elle n'existe pas et alors parler de révolution aux ouvriers alors que malheureusement, il ne s'agit que défendre leurs conquêtes partielles, signifie substituer au critère de la nécessité d'une défensive mesurée pour empêcher le succès de l'ennemi, celle qui consiste à lancer les masses dans le gouffre où elles seront écrasées, "Les ouvriers croient lutter pour le socialisme"! Bien sûr, il n'en a jamais été autrement? Il en fut de même en 1914. Mais le devoir des militants est-il de se jeter parmi les ouvriers pour leur dire que le chemin du socialisme est celui qui se dirige vers la destruction du régime capitaliste ou celui qui encastre les ouvriers dans ce régime?
Mais, nous dira-t-on, nous ne sommes pas en 1914. En Espagne, ce ne sont pas deux armées impérialistes au service d' Etats antagonistes qui se heurtent, ou, dans un sens plus limité, ce n'est pas encore cela; actuellement, c'est le fascisme qui attaque, le prolétariat qui se défend. En participant à la lutte armée des ouvriers, en oeuvrant pour la victoire militaire contre le fascisme, nous ne répétons nullement les gestes de ceux qui conduisirent les ouvriers à la boucherie de 1914.
Ah! Oui la leçon de la derrière guerre était trop cruellement vive dans la mémoire des ouvriers ; le traquenard de la guerre sous le drapeau de l'antifascisme ne suffisait plus et les prolétaires, du moment qu'ils auraient vu l’entrée en lice des états capitalistes, auraient vite compris que c'eût été pour les intérêts de leurs ennemis et contre les leurs qu'ils se seraient battus et fait tuer. Avant la dernière guerre, les mouvements nationalistes de chaque pays se dressaient les uns contre les autres alors que le socialisme levait le drapeau de l'unification des peuples pour sauver la paix. Aujourd'hui, les mouvements de droite de tous les pays établissent une sympathie solidaire pour l'écrasement de la classe ouvrière de chaque pays et c'est là une réédition sous d'autres formes, d'une subsistance qui est la même que celle de 1914. Les formes différentes sont à la fois commandées par la tension extrême des situations et des rapports entre les classes, ainsi que par la nécessité où se trouve le capitalisme d'agiter devant les masses, pour les égarer, les tromper et les égorger, une autre enseigne sur le même drapeau, qui reste toujours celui de la sauvegarde et de la défense du régime capitaliste. Mais, nous a-t-on dit si souvent, les événements d'Espagne ne se déroulent pas encore, mais pourraient, demain, se dérouler sur la même ligne que ceux de 1914. Tant qu'ils n’en seront pas là, il faut défendre les territoires que le fascisme menace de sa conquête.
Mais le devenir n'est-il pas le réel. Peut-on demain être autre chose que le développement de ce que l'on est actuellement? Du moment que les ouvriers ont emprunté un certain chemin qui peut conduire à la guerre, ils se sont mis dans le chemin opposé à celui qui leur est propre et sont les victimes de forces qu'ils ne pourront plus déjouer parce qu'ils ont été désarmés politiquement par elles du moment que celles-ci les ont happés. Bien sur, le militant, un groupé déterminé pourraient se laver les mains au moment où plus aucun doute ne serait possible et que les Etats impérialistes antagonistes interviendraient ouvertement, mais la masse des ouvriers comment pourrait elle se désintégrer d'un tourbillon qui l'emporte? Au surplus, dès le premier jour des événements espagnols, n'était-il pas clair quelles différents Etats capitalistes tiraient les ficelles des situations pour permettre l'écrasement des ouvriers espagnols ; tous les Etats, les fascistes comme les démocratiques et l'Etat soviétique. Et, pour déloger ces Etats, y avait-il d'autres directives que celle de la lutte des celasses dans chaque pays ? Lancer le mot d'ordre de là "levée du blocus" n'était-ce pas précipiter le cours se dirigeant, vers la guerre impérialiste? N’était-ce pas suivre les traces de Jouhaux, de la Deuxième, de la Troisième Internationale, qui parviennent —avec succès d' ailleurs à suffoquer les mouvements de classe (les seuls qui puissent apporter une aide solidaire aux ouvriers espagnols). Pour accoupler les ouvriers à l'Etat capitaliste et pousser ce dernier vers ce même débouché de la guerre impérialiste ?
Notre position centrale consiste à faire découler de la thèse —que tout le monde semble admettre comme indiscutable- que le fascisme étant l'expression la plus cruelle du capitalisme, c' est uniquement par une attaque contre ce dernier que le prolétariat peut défendre ses intérêts et briser l'offensive ennemi. Et il est vraiment déconcertant de nous entendre dire que le déclenchement des luttes, de classe dirigées contre le capitalisme puisse favoriser ce dernier, A Barcelone, par rapport à Séville, il est évident que de bien plus amples possibilités existent aujourd'hui pour mener la lutte contre le capitalisme et il est incompréhensible que l'on emploie ces énergies, non pour la lutte contre la bourgeoisie, mais dans la direction opposée d'une intégration du prolétariat dans l'Etat capitaliste. Il nous revient que les anarchistes, pour justifier leur entrée dans le gouvernement Caballero affirment que c'était là le seul moyen pouvant permettre le réel armement des ouvriers saboté dès gouvernements précédents. Tout en devant faire la part de l'affolement dont sont victimes ceux qui se trouvent dans le tourbillon des événements, nous ne pouvons voir, dans cette thèse de la CNT, que la répétition de ce qu'ont toujours dit les réformistes et d'après quoi il fallait entrer dans l’appareil de l'Etat pour éviter qu'il serve aux intérêts du capitalisme : la tragédie espagnole ajoute une nouvelle note lugubre à celle de 1914.
"Le déclenchement des luttes de classe dans les régions non soumises au fascisme, aurait pour résultat de faciliter la chute et l'occupation des territoires par les hordes de Franco", L'on nous riposte cela pour prouver l'impossibilité d'appliquer les positions que nous défendions dès le début des événements. A part le fait que cela n'est nullement prouvé, reste cette autre considération que même si une position de classe peut avoir pour résultat de hâter le dénouement tragique d'événements qui se seraient, par cela même démontrés extrêmement préjugés pour, les ouvriers, au moins alors l'entrée des fascistes se ferait quand les énergies prolétariennes —ou au moins une parti d'entre elles- seraient encore sauvés et l'ennemi: n'aurait pu étrangler —au cours d'une lutte qui ne pouvait qu'aboutir à la défaite— les meilleures forces ouvrières en démoralisant les masses dans leur ensemble.
Immédiatement après que les ouvrirs se soient insurgés le 19 Juillet, le capitalisme espagnol a emprunté un double chemin pour étrangler la lutte de classe du prolétariat : dans les secteurs paysans, au travers de la terreur blanche, dans les centres ouvriers en englobant les masses dans l'appareil de l'Etat et en mettant à leur tête un état major qui devait inévitablement les conduire au massacre. Dès le début des événements, une double directive planait sur la situation d'un côté, celle du capitaliste gagnant chaque jour avantage les forces agissant au sein du prolétariat pour retenir les masses sur les fronts où elles sont massacrées ; de l'autre, celle des ouvriers qui, ayant emprunté leur chemin au cours de la première semaine, en ont été évincés par l'intervention de ceux-là mêmes à qui ils avaient confié leurs intérêts. Chaque, fois que les ouvriers auraient pu se redresser et reprendre leur chemin de classe, lors des défaites militaires, le capitalisme élargissait sa manoeuvre et passait du ministère Giral à celui de Caballero, et, enfin, à celui où se trouvent les anarchistes. Ainsi il agissait afin que le prolétariat ne puisse retirer les enseignements des défaites qu'il subissait et maintiennent sa confiance à ce qui ne pouvait le conduire qu'au massacre car, une fois intégré dans l'appareil de l'ennemi, on oeuvre non pour le prolétariat, mais pour le capitalisme.
Dans la situation extrêmement préjugée d’aujourd'hui, quand les chances de résistance et de victoire deviennent de plus en plus restreintes, les militants qui soulèvent la nécessité de reprendre le chemin de classe et de déclencher des luttes sur ce terrain sont exposés aux coups d'un appareil capitaliste qui à Valence et en Catalogne peut s'appuyer sur toutes les organisations agissant au sein du prolétariat. Les conditions semblent donc être remplies, comme en 1914, plus qu'en 1914, pour éviter que la moindre voir de classe ne s'élève parmi les ouvriers. Notre fraction qui, en Espagne, comme dans les autres pays, n'a négligé aucune possibilités concrètes —si modestes qu'elles pouvaient être- pour défendre ses positions, notre fraction qui s'est toujours laissée guider par la considération que pour mériter la confiance des masses, il faut rester sur le plan de la lutte de classe, que toute autorité conquise sur les ouvriers en entrant dans les fronts où ceux-ci ont été jetés par le capitalisme, est une autorité qui ne peut servir que la manoeuvre ennemie, notre fraction, dans un poignant isolement que les cadavres des ouvriers espagnols illuminent tragiquement, reste persuadée que ce qui ce creuse actuellement, ce n'est pas le tombeau du prolétariat, mais des idéologies et des forces qui, n'étant pas armées —au travers du marxisme— de la théorie de la classe prolétarienne ne pouvaient que conduire au massacre des masses ouvrières.
La hyène fasciste peut cyniquement dire qu’en face de cinquante mille de leurs assassins, les millions d'ouvriers n'ont pu résister et vaincre, mais cette hyène sait bien que cela a été uniquement possible parce que les ouvriers ont été extirpés de leur base de classe, parce que pour diriger leurs combats, se trouvaient les complices directs des Franco, les antifascistes de toutes les gradations.
La condition pour rester sur le chemin des ouvriers, à supposer qu'aucune possibilité n'existe plus pour bouleverser la situation à cause de la supériorité écrasante de l'ennemi, et de ne pas trahir, tout comme le fit Lénine en 1914.
La désertion des fronts militaires en Espagne, comme indication de classe pour l’ensemble des prolétaires, c'est de dissocier du capitalisme, c'est lutter contre lui, c'est se battre pour les ouvriers.
Dans tous les pays, lutter contre chaque capitalisme c'est se battre en solidarité avec les prolétaires espagnols.
Toute autre directive avec n'importe qu'elle étiquette : socialiste, centriste ou anarchiste, conduit à l'écrasement du prolétariat en Espagne et dans tous les autres pays.
La réalité d’un "gouvernement de façade".
Extraits ("Bilan" n° 37, Nov. Dec. 1936)
Combien de fois ne nous l'a-t-on pas dit ? Caballero et Companys ne sont que des façades. En réalité, les ouvriers ont le pouvoir en mains et ils dissimulent la réalité de crainte d'une intervention étrangère. 4 mois déjà que cette rengaine est servie aux prolétaires avec l'accompagnement de cette autre rengaine qu'il s'agit de répéter le schéma de l'affaire Kornilov. Décidément, la démagogie ne désarme jamais et les milliers de cadavres de travailleurs ne sont pas fait pour lui permettre de réfléchir ou de se réfréner.
Companys n'est qu'une façade, Caballero un simple paravent et cela suffirait pour donner l’échange aux Etats capitalistes. Ces messieurs prennent-ils vraiment les ouvriers pour des imbéciles? Car on a peine à croire que les anarchistes, le POUM, les socialo centristes se soient donnés tant de peine pour faire partie des gouvernements si telle avait la réalité. Depuis le plénum national des régionales de la CNT de septembre, celle-ci se démenait pour faire partie d'un gouvernement Caballero (baptisé Conseil), alors que le POUM n'avait de repos avant d'obtenir un portefeuille dans le Conseil de la Généralité de Catalogne.
Mais voyons les choses de plus près encore. La soi-disant façade de Madrid avait-elle oui ou non la direction des forces militaires de la "démocratie"? N'était-ce pas cet élément qui déterminait les anarchistes à demander à corps et à cris leur participation à cette façade ? Drôles de "révolutionnaires" qui disent que la révolution dépend de la guerre et qui donnent la direction de la guerre à M Caballero.
Mais lorsqu'on veut vraiment prouver que les gouvernements bourgeois du Front Populaire sont nuls et sans importance, il faut tout au moins prouver qu'en dehors d’eux existent des gouvernements véritables. Comme cela est quelque peu difficile on recourt à d'autres arguments : l'entrée des organisations ouvrières dans les ministères a modifié l'aspect et la nature de l'Etat. Certes, une apparence subsiste et elle fait ressembler l'Etat ancien à l'Etat nouveau comme une goutte d'eau à une autre. Mais cela n'est que la façade extérieure. Pas autrement résonnaient les réformistes lorsqu'ils participaient à des gouvernements de la bourgeoisie. Seulement le problème est de savoir qui se modifie : l'Etat bourgeois qui reçoit en son sein des "ministres ouvriers" ou ces derniers qui accèdent à des charges étatiques. Un demi-siècle de réformisme a résolu le problème et c'est Lénine qui a eu raison lorsqu’en Octobre 17 il est resté fidèle aux enseignements de Marx prônant la destruction violente et complète de l'Etat capitaliste.
Si l’on reste sur le terrain concret de l'expérience espagnole, il ne sera pas très difficile de prouver que la façade est la réalité de la situation, alors qu’inversement la soi-disant réalité des anarchistes et polémistes n'est qu'une grossière façade.
Que voulait la bourgeoisie espagnole ? En finir pour de longues années avec les mouvements ouvriers, mettant obstacle à la constitution d'un pouvoir stable assurant "pacifiquement" son exploitation sur les ouvriers et les paysans. Elle ne pouvait arriver à ses fins qu'aux travers d'un monstrueux massacre des ouvriers révoltés le 19 juillet, et dans la mesure où ces massacres devenaient une guerre sainte, une croisade anti-fasciste au cours de laquelle les travailleurs auraient cru lutter pour leur révolution.
Une condition essentielle devait être respectée : laisser intact le mécanisme de l'Etat bourgeois et le renforcer par l'apport des organisations ouvrières auxquelles étaient dévolus les rôles de propulsion, de Pierre l'Ermite, dans la guerre antifasciste. Bien sûr, l'on a collectivisé les usines expropriées par les ouvriers, l'on a partagé les grandes terres appartenant à des fascistes, mais toujours en conformité avec le maintien et le renforcement de l’Etat bourgeois qui peut croître et se développer dans une ambiance où les usines collectivisées sont devenues des usines militarisées où le prolétaire doit produire plus et plus qu'avant le 19 juillet et où il ne peut plus émettre la moindre revendication de classe. L'Etat bourgeois vit et se renforcé dans la mesure même où l'on jette une digue militaire pour empêcher les ouvriers de vivre et de se renforcer sur le terrain des luttes sociales. " Tous au front ou à l'usine" voilà la situation qui permet aux organisations bourgeoises et ouvrières de remplacer l'activité spécifique du prolétariat par l'activité spécifique de la bourgeoisie.
Ah! Si la révolution prolétarienne avait grondé en Espagne, les ouvriers auraient vite exigé que la clarté des situations se traduise dans les faits. Comment peut-on agir, appeler les ouvriers des autres pays à la rescousse lorsqu'on farde et dissimule ses gestes? Enfin, le passage du pouvoir des mains d'une classe entre celles d'une autre est la chose la moins conformiste et la moins traditionnelle qu'on puisse s'imaginer. Le problème des "façades" ne se pose pas un seul instant car il s'agit de bouleverser de fond en comble l'ancien état de choses et d’y substituer un nouveau.
La réalité est pourtant bien simple. Ceux qui demandent aux ouvriers d’applaudir la "façade" que seraient Companys et Caballero, sont les mêmes qui pensent que l'on peut faire la révolution prolétarienne avec la permission de la bourgeoisie démocratique et que l'on peut construire un pouvoir prolétarien en réformant l'Etat bourgeois. Ce sont ces intentions que le prolétariat doit considérer et non la réalité : cette vulgaire façade.
Si pourtant les faits ne dégageaient pas souvent de cruelles vérités, tout serait excellent : les ouvriers se feraient tuer sur les fronts, la législation économique et sociale de la "nouvelle société" se développerait petit à petit et Franco progresserait militairement. Mais il y a les faits qui font naître bien des inquiétudes parmi les ouvriers. Ainsi, la bourgeoisie catalane a jeté dernièrement un coup de sonde. Peut-être en proclamant la République indépendante de la Catalogne permettrait-on à Franco d'en finir plus vite avec Madrid. Le "complot" a été découvert : les coupables ont été punis (?) et tout est rentré dans l'ordre car les anarchistes ne veulent pas d'une "république médiévale". D'autre part, l'Avangardia —organe sous l'influence de la Généralité- s'est élevée dans son N° du 2 décembre contre l'indiscipline à l'arriêre garde. Puisque tous les partis et organisations ouvrières sont représentés dans les gouvernements, ceux qui agissent sans représentation au gouvernement doivent être considérés comme des fascistes. L'Etat "façade", comme on voit ne se porte pas trop mal. La bourgeoisie peut lancer des coups de sonde parmi le prolétariat et personne ne peut agir en dehors de l'Etat.
Jusqu'au POUM qui se lamente devant son pseudo "gouvernement ouvrier et petit bourgeois". Les ministres socialistes de Valence prétendent qu'un quart d'heure après avoir pris des décisions, leurs services les transmettent à Franco. Tout l'appareil ancien de la bourgeoisie est resté sur pied. Et quand les Cortes se réuniront à Valence, la stupéfaction sera générale. La C.N.T. décidera que ses ministres ne participeront pas aux discussions peut-être par décence. Mais elle laissera se jouer la comédie parlementaire sans souffler mot. Les anarchistes sont de grands hommes d'Etat qui comprennent la politique extérieure de Caballero et qui, pour rien au monde, ne voudraient l'aggraver. Le POUM permettra au représentant de son aile gauche de bavarder sur l'Etat bourgeois qui subsiste et sur la nécessité de baser la révolution non sur les Cortes mais sur des comités d'ouvriers, de paysans s1assemblant en Congrès, Quatre mois après juillet, il devra écrire que la bourgeoisie émet un geste symbolique qui signifie la préservation de la forme et du fond de l'Etat démocratique bourgeois,
La révolution est bien profonde en Espagne. N'étaient-ce les milliers d'ouvriers et paysans qui se font massacrer, l'on serait tenté de repousser seulement du pied, le verbiage des démagogues. Mais il s'agit de lutter et d'appeler les prolétaires de tous les pays à lutter pour aider à sortir le prolétariat ibérique du massacre. Déjà plus personne n'ose nier que l'intervention de plus en plus active de l'Allemagne, de l’Italie et de la Russie, fait des événements espagnols une phase de la guerre impérialiste. La résistance des républicains autour de Madrid accélère la tension de la situation internationale et clarifie l'aspect réel de la lutte. Seulement, l'intervention des ouvriers de tous les pays engageant la lutte contre leur propre bourgeoisie et l'intervention des ouvriers espagnols retournant leurs armes contre le gouvernement de "façade" de Valence, de Barcelone, comme contre Franco déchaînant leurs batailles revendicatrices, jalons d'une attaque générale contre l'Etat capitaliste, peuvent permettre au prolétariat mondial de retrouver le chemin de la révolution prolétarienne.
L'isolement de notre fraction devant les événements d’Espagne
Extraits ("Bilan" n° 36, OCT. NOV. 36)
A l!heure actuelle, selon l'enseignement des bolcheviks après 1914, nous tentons vainement de repérer les rares îlots marxistes qui devant le déchaînement de la guerre en Espagne, la vague mondiale de trahison et de revirement brusque, tiennent bon et malgré la meute enragée des traîtres d'hier et d'aujourd'hui, continuent à proclamer leur fidélité à l'action d'indépendance du prolétariat pour la réalisation de son idéal de classe.
Combien sont-ils ? Où sont-ils ? C’est là des problèmes auxquels les faits se chargent de répondre avec un laconisme sinistre. Il semble que tout a sombré et que nous vivions une lamentable époque de faillite de tout ce qui subsistait comme éléments révolutionnaires.
Notre isolement n'est pas fortuit : il est la conséquence d'une profonde victoire du capitalisme mondial qui est parvenu à gangrener jusqu'aux groupes de la gauche communiste dont le porte-parole a été jusqu'à ce jour Trotsky. Nous ne poussons pas la prétention jusqu'à affirmer qu'à l'heure actuelle nous restons le seul groupe dont les positions aient été confirmées sur tous les points par la marche des événements, mais ce que nous prétendons catégoriquement c'est que, bien ou mal, nos positions ont été une affirmation permanente de la nécessité d'une action indépendante et de classe du prolétariat. Et c'est sur ce terrain que s'est précisément vérifiée la faillite de tous les groupes trotskystes et semi-trotskys-tes.
A aucun prix et sous aucun prétexte nous ne voulons nous départir d'un critère de principe pour repérer les groupes avec lesquels il faut rechercher un terrain de travail commun et avec lesquels il faut constituer un centre de liaisons internationales en vue de jeter les fondements programmatiques de cette internationale que la vague réellement révolutionnaire de demain nous permettra de fonder. Ce critère consiste à rejeter impitoyablement ceux que les événements eux-mêmes ont liquidé ou qui agissent ouvertement sur le terrain de l'ennemi en tenant bien compte que tout accord avec ces catégories d'opportunistes sur le terrain où le prolétariat doit être d'une intransigeance brutale : le terrain de la formation des partis, peut compromettre pour toujours l'avenir de la classe ouvrière.
Ni en France, ni en Belgique les deux partis trotskystes ne représentent des organismes de la vie et de la lutte du prolétariat. Ici la base programmatique pour le nouveau parti est remplacée par la lutte entre le clan Naville et le clan Molinier et au moment où se déchaîne en France la vague des batailles grévistes de Juin, le nouveau parti se crée sur un compromis et avec des positions où l'aventurisme et la démagogie deviennent programme (armement des ouvriers, création de milices armées etç.) Après ces événements, c'est la liquidation du clan Molinier et ce seront les événements d'Espagne où -malgré l'avertissement de Trotsky traitant Nin de traître- l'on marche à toute peur derrière le POUM.
En Belgique, où le caractère ouvrier des groupes trotskystes est de loin plus accentué qu'en France, sous l'impulsion de Trotsky, c'est la rentrée dans le P.O.B. à laquelle résiste le groupe de Bruxelles, non pour des raisons de principe mais pour des considérations de "tactique" (en France la rentrée était justifiée mais pas en Belgique etc.). Au sein du P.O.B., c'est l'alliance des trotskystes orthodoxes avec l'ex-gauche du Ministre Spaak, décapitée de son chef et remplacé par Walier Bauge. Les circonstances où l'exclusion de "l'Action Socialiste Révolutionnaire" se situe, ne sont pas très brillantes : il s' agit d'une affaire électorale où le P.O.B. décida d'enlever Bauge de la liste de ses candidats à moins que ce dernier veuille n'accepter des conditions qui l'auraient liquidées comme gauchiste. Après des tentatives de marchandages la scission eut lieu et après les élections ce fut la campagne pour la création d'un parti socialiste révolutionnaire qui vient de se fonder avec le groupe Spartacus de Bruxelles. Au sujet de l'Espagne, c'est la même position qu'en France : L'envoi d'armes en Espagne, la lutte contre la neutralité, l'envoi de jeunes ouvriers sur les champs de bataille d'Espagne, etc .... II est donc évident qu'avec les groupes trotskystes le fossé antérieur a été transformé par les événements de l'Espagne en un gouffre qui est en réalité celui qui existe entre ceux qui luttent pour la révolution communiste et ceux qui se sont incorporés des idéologies appartenant au capitalisme.
Mais déjà l'année passée, au Congrès de notre fraction, nous avions exprimé notre inquiétude devant l'isolement de la fraction et avions passé en revue ceux qui auraient pu être sollicités pour un travail commun. Nous avions d'abord rejeté les propositions du groupe américain de la Class Struggle voulant convoquer une Conférence Internationale pour y élaborer, le programme d'une Nouvelle Internationale. Nous y avons opposé la notion plus sérieuse de la constitution d'un centre de liaisons avec ces groupes se revendiquant du deuxième Congrès de l'IC ,ayant rompu avec Trotsky et proclamant la nécessité de passer au crible de la critique tout le bagage de la révolution russe.
Notre proposition n'eut pas de suite et nos rapports restèrent ce qu'ils étaient avec tous les autres groupes. En Belgique les rapports avec la Ligue des Communistes Internationalistes restèrent empreints d'un désir mutuel de discussion et de confrontation et c'est bien là le seul endroit où notre fraction ait rencontré un désir d'oeuvrer dans une direction progressive. Aujourd'hui encore, c'est au sein de la Ligue que s'élèvent les seules voix internationalistes qui osent se faire entendre dans la débâcle espagnole et c'est pour nous une joie réelle de pouvoir saluer publiquement ces camarades qui restent fidèles aux bases mêmes du marxisme.
La majorité des camarades de la Ligue ([1]) ont des divergences profondes avec notre fraction, mais l'entente, y compris pour un centre de liaison, reste toujours du fait que la Ligue comme notre fraction évolue sur le terrain de classes du prolétariat et que dans cette direction aucune rupture ne s'est encore vérifiée dans les documents programmatiques de la Ligue.
En France, il est temps de faire un bilan sommaire de nos tentatives d'arriver à réaliser un accord avec des groupes de militants révolutionnaires.
Si aujourd'hui, se vérifie la faillite de l'Union Communiste ce n'est pas un hasard mais le fait que ce groupement a refusé, malgré nos multiples invitations et nos avertissements, à s'engager dans la voie réelle et historique où se forgent les cadres que le prolétariat aura besoin pour fonder, dans les situations de demain son parti de classe. Conglomérat de tendances opposées, l'Union n'a jamais voulu emprunter la voie de la délimitation idéologique et ses positions politiques n'ont été qu'un éternel compromis entre le trotskysme orthodoxe et des tentatives confuses de se dégager des formules de ce dernier. Au moment des événements de juin, l'Union s'est effondrée et une partie de sas membres a rejoint le parti des trotskystes. A cette époque nous sommes intervenus en France afin de déterminer les camarades de l'Union à faire de cette nouvelle scission le signal d'une délimitation programmatique. A ce moment nous avons proposé l'organisation de réunions de confrontation entre différents tronçons communistes (y compris l'Union) en insistant pour que chacun d'eux envisage d'y apporter sa contribution politique spécifique, justifiant son existence comme groupe indépendant afin de permettre aux ouvriers de s'orienter dans le maquis qu'est aujourd'hui le mouvement ouvrier en France. Ici aussi, nos tentatives se sont heurtées à l'impossibilité pour tous ces groupes de faire le moindre pas et à leur volonté d'exprimer fidèlement le cours de dégénérescence du prolétariat français mais non la réaction de ce dernier. Les événements espagnols ont nettoyés ici également. Ils ont montrés les débris de l'Union Communiste emboîter le pas au POUM et défendre plus ou moins les positions des groupes trotskystes. Nous ne doutons pas un seul instant qu'au sein de ce qui subsiste de l'Union pourraient se trouver des militants qui veulent rester fidèles au marxisme internationaliste. Mais si à la faveur des massacres de la Péninsule Ibérique ils n'arrivent point à se dégager de l'ornière et a préparer leur rupture avec le passé et les bases de leur Union, ils seront perdus pour la cause prolétarienne.
Nous déclarons ouvertement que nous nous sommes trompés sur l'éventualité d’un travail de clarification qui aurait pu être effectué avec l'UNION Communiste. Ses positions plus ou moins déclarées sur l'Espagne nous obligeront à maintenir à son sujet la même attitude qu'en vers d' autres groupements que nous rencontrons.
Il ne serait pas inutile de passer en revue ce qui existe en Espagne comme force de classe du prolétariat. A ce sujet nous refusons d'admettre le POUM autrement que comme un obstacle contre-révolutionnaire de l'évolution de la conscience des travailleurs.
On sait tout d'abord que les trotskystes espagnols refusèrent d'entrer dans le parti socialiste, comme le demandait Trotsky, mais ce fut pour sauter dans le parti opportuniste de Maurin, le Bloc Ouvrier et Paysan. Il convient aussi de reprocher au POUM (résultat de ce mariage politique) son régionalisme catalan qu'il baptise de marxiste au nom du droit d'auto-détermination des peuples. Cela lui a permis d'entrer dans un gouvernement d'Union Sacrée en Catalogne sans même se préoccuper de Madrid (tout comme la CNT d'ailleurs). Enfin, il ne faut pas oublier que le POUM est membre du Bureau de Londres où se trouve l'Indépendant Labour Party; qu'il travaille avec la gauche du parti socialiste français (Pivert, Collinet et cie) : qu'il est en étroite liaison avec les maximalistes italiens de Balabanova et le groupe de Brandier qui, tout en restant pour le redressement de la troisième internationale et la défense de l'URSS, a décidé de donner toute son aide au POUM.
Le POUM ne sait jamais bien dégagé des partis de l'Esquerra Catalane avec lesquels, au nom du front unique avec la petite bourgeoisie, il a fait toutes les compromissions. Dès le 19 juillet le POUM s'est lié à la Généralité comme les autres organisations de la Catalogne et c'est sans heurts qu'il est passé de sa revendication confuse : Assemblée Constituante appuyée sur des Comités d'Ouvriers et de Soldats et pour un gouvernement ouvrier, à la participation du gouvernement de la Généralité qui n'est pas précisément "ouvrier".
Toutes les tendances du POUM, celle de Gorkin (qui n’est que le continuateur de la politique de Maurin), de Nin, d'Andrade, gravitent autour du même axe politique sans s'opposer fondamentalement dans leurs divergences. Nous ont participé à 1étranglement de la bataille de classe des prolétaires espagnols par l'organisation des colonnes militaires et si Andrade s'est différencié dans l'organe du POUM de Madrid par sa phraséologie pseudo-marxiste, en réalité il a soutenu dans ses grandes lignes toute la politique de collaboration de classe de la direction centrale du POUM. Les trotskystes espagnols ont voulu concrétiser la notion "Léniniste" (?) consistant à entrer dans un parti opportuniste afin de le conquérir, à des positions révolutionnaires. Le résultat a été la transformation des dirigeants de l'ancienne gauche communiste en des traîtres avérés à la cause du prolétariat. Ce n'est pas un hasard si M.Nin est aujourd’hui Ministre de la Justice en Catalogne où il appliquera la justice "de classe" sous l'égide de M. Companys. Nin a oublié sa parenthèse "Trotskyste" de la Russie et il est redevenu le bonze de L'I.SR. qu'il était auparavant. Quant à la gauche d'Andrade, ce n'est pas non plus un hasard si elle s'est associée à la campagne militaire du POUM et si elle nous désigne autant que les Nin et Gorkin, comme des contre-révolutionnaires qui osent dénoncer la duperie monstrueuse et criminelle dont les ouvriers espagnols sont les victimes. Le POUM est un terrain où agissent les forces de l'ennemi et aucune tendance révolutionnaire ne peut se développer en son sein. Le même que les prolétaires qui veulent retrouver leur chemin de classe doivent s'orienter vers un bouleversement radical de la situation en Espagne et opposer aux fronts territoriaux leurs fronts de classe, de même, les ouvriers espagnols qui veulent oeuvrer pour jeter les bases d'un parti révolutionnaire, doivent tout d'abord briser avec le POUM et opposer au terrain capitaliste où il agit, le terrain de la lutte spécifique du prolétariat. Les Andrade et Cie représentent ceux qui lient les ouvriers plus avancés à la politique contre-révolutionnaire du POUM et par là même il s'agit non de les accréditer par des appuis politiques, mais il faut les dénoncer avec vigueur.
Il n’entre donc nullement dans les intentions de notre fraction de réaliser le moindre accord politique avec qui que ce soit du POUM (à ce sujet nous rappelons que la minorité de notre organisation se réclame de positions différentes) ou de considérer la nécessité d'appuyer la soi-disant gauche du POUM. Le fait est que le prolétariat de la péninsule ibérique a encore à jeter les fondements pour créer les bases d'un noyau marxiste et ce dernier ne se constituera pas par des manoeuvres "révolutionnaires" avec les opportunistes, mais en appelant les ouvriers à agir sur des bases de classe, indépendamment de toute influence capitaliste, en dehors et contre les partis agissant pour le compte de la bourgeoisie, tels le POUM ou la FAI qui ont réalisé 1!Union Sacrée la plus étroite avec la gauche républicaine et le Front Populaire.
Ainsi, l’on constatera que tant en Espagne, que dans les autres pays ne s'effectue pas un effort politique dans une direction historique analogue à celle que les prolétaires italiens ont tracé au cours de plusieurs années de guerre civile contre le fascisme et que notre fraction, avec ses forces restreintes, voudrait exprimer. Nous sommes profondément conscients de l'impossibilité de bouleverser cette situation internationale, qui n'est que le reflet d'un rapport de force entre les classes défavorables au prolétariat, par des propositions de création d'Internationales ou par des alliances avec des opportunistes du type trotskystes ou poumistes. Si la défense du marxisme révolutionnaire signifie aujourd'hui l'isolement complet, nous devons l'accepter en considérant que nous ne ferons, dans ce cas, qu'exprimer l'isolement terrible du prolétariat, trahi par tous et jeté dans l'anéantissement par tous les partis se réclamant de son émancipation. Nous ne dissimulons pas les dangers qui peuvent découler de cette situation pour notre organisation qui sait parfaitement qu'elle ne possède pas le summum de la connaissance marxiste et que les mouvements sociaux de demain en remettant les prolétaires sur leur terrain de classe, redonneront seulement sa véritable puissance au marxisme révolutionnaire et aux organismes qui s'en réclament, notre fraction y comprise.
Brèves leçons "espagnoles"
Il y a quarante ans, .le 19 juillet .36, les prolétaires espagnols, avec leurs poings nus, se jettent en travers le Pronunciamiento des batailles franquistes. Qu'ils furent capables de cet élan, sans mot d'ordre ni directives des organisations de masse révéla de quel farouche instinct de classe ils étaient capables. Ils constituent alors, une force autonome tendant à se défaire des liens idéologiques avec l'Etat. Au soir de ce jour mémorable, la classe ouvrière créa spontanément ses organes de lutte : la milice Ouvrière englobant en son sein l'ensemble des exploités indépendamment des divisions corporatives et syndicales et de la différence de maturité politique de chaque milicien,, En ce sens elle constitue la seule conquête et l'arme matérielle du prolétariat lors de ces journées qui virent la centrale CNTiste engager les travailleurs à reprendre le travail sous les hospices de la République "sociale", celle la même qui précédemment les avait massacrés et équipés de pieds en cap ces mêmes bataillons de "factieux".
Le prolétariat espagnol s'est montré capable de stopper le soulèvement franquiste mais aussi trop faible pour s'emparer du pouvoir, pour conserver et développer ses propres organes de lutte. Et entre cette impuissance et la situation mondiale existe un intime rapport de cause à effet. En 36, les procès de Moscou jettent les dernières pelletées sur le cercueil, de la révolution mondiale. Les salves des pelotons qui exterminent le dernier carré de bolchevik sont assourdies par les tintamarres antifascistes.
De quelle Révolution sociale s'agit-il quand le critère international fait complètement défaut, quand l'Etat reste debout ? Dans ces conditions c’est répandre le mensonge que d'expliquer l’échec par des références à la "trahison" des dirigeants anarchistes ; à la "non-intervention" de Daladier et de Chamberlain (sic) ou d'accuser le POUM de ne pas avoir été à la hauteur ; seul la lutte ou s’allier avec les fractions de la bourgeoisie. Ici., il prit la seconde voie entraîné par les chefs anarchistes guéris, comme par enchantement, de leur phobie de toute "politique". De guerre de classe contre l'ennemi capitaliste, sa propre lutte se transforma .en conflit mettant aux prises deux fractions de la bourgeoisie : la démocratique et la fasciste. Au lieu de marcher résolu sur le chemin du défaitisme révolutionnaire, à l'exemple de l'Octobre victorieux, il servait de chair à canon aux appétits de Franco ou aux instincts de survie du gouvernement Négrin-Gaballero.
Le militant qui avait avec une petite poignée d'internationalistes, levé le drapeau du défaitisme révolutionnaire dans la première boucherie mondiale, Trotsky, trouvait le chemin du parjure. A ses partisans espagnols, il inculqua les idées de la défense de la démocratie, fut-elle pourrissante, sous couvert que cette dernière conserve sur le fascisme l'avantage de permettre au prolétariat sa liberté de mouvements. Sous la plume des uns et des autres, ce qui revient comme un lancinant leitmotiv c'est le maintien des forces antifascistes pour assurer la victoire militaire du gouvernement légal. Reprenant un par un les numéros de "la Batalla", de "Solidaritad Obrera", de""Mundo Obrero" : il est impossible de les lire sans une nausée de dégoût. Tous en sont venus à conclure une alliance complète avec la bourgeoisie tous se sont mis à plat ventre devant l'Etat militariste. Le "marxisme" d'Union Sacrée, le POUM, ne rougit pas de caractériser le gouvernement républicain comme expression de la volonté de lutte des masses laborieuses ; les anti-étatistes de la CNT-FAI ne rechignent pas à endosser la livrée de domestiques qui fera d-eux l'alter ego du stalinisme : "D' abord la guerre (impérialiste s'entend) ensuite le pain! ". C'est grâce à eux, si l'Etat put rassembler entre ses mains criminelles les fils, un moment rompus, de son contrôle sur la classe et ses organes de lutte.
Mais parce qu’à l’époque de la décadence aucune étape intermédiaire ne peut s'intercaler entre la dictature de la bourgeoisie et celle du prolétariat, durant ce dernier se présente un dilemme insoluble sur le terrain national : ou poursuivre seul la lutte ou s'allier avec les fractions de. la bourgeoisie. Ici., il prit la seconde voie entraîné par les chefs anarchistes guéris, comme par enchantement, de leur phobie de toute "politique". De guerre de classe contre l'ennemi capitaliste, sa propre lutte se transforma en conflit mettant aux prises deux fractions de la bourgeoisie : la démocratique et la fasciste. Au lieu de marcher résolu sur le chemin du défaitisme révolutionnaire, à l'exemple de l'Octobre victorieux, il servait de chair à canon aux appétits de Franco ou aux instincts de survie du gouvernement Négrin-Caballero.
Le militant qui avait, avec une petite poignée d'internationalistes, levé le drapeau du défaitisme révolutionnaire dans la première boucherie mondiale, Trotsky, trouvait le chemin du parjure. A ses partisans espagnols, il inculqua les idées de la défense de la démocratie, fut-elle pourrissante, sous couvert que cette dernière conserve sur le fascisme l'avantage de permettre au prolétariat sa liberté de mouvement. Sous la plume des uns et des autres, ce qui revient comme un lancinant leitmotiv c'est le maintien des forces antifascistes pour assurer la victoire militaire du gouvernement légale Reprenant un par un les numéros, de "la Batalla", de "Solidaritad Obrera" de""Mundo Obrero" : il est impossible de les lire sans une nausée de dégoût. Tous en sont venus à conclure une alliance complète avec la bourgeoisie, tous se sont mis à plat ventre devant l'Etat militariste. Le "marxisme" d'Union Sacrée, le POUM, ne rougit pas de caractériser le gouvernement républicain comme expression de la volonté de lutte des masses laborieuses, les anti-étatistes de la CNT-FAI ne rechignent pas à endosser la livrée de domestiques qui fera d'eux l'alter ego du stalinisme : "D’abord la guerre (impérialiste s'entend) ensuite le pain"? C'est grâce à eux, si l'Etat put rassembler entre ses mains criminelles les fils, un moment rompus, de son contrôle sur la classe et ses organes de lutte.
A partir de l'instant où le prolétariat se laissa tirer hors de son terrain de classe, le capitalisme trouvait la voie libre menant au massacre. Défendait-il des positions fondamentales pour sa montée révolutionnaire ou des conquêtes de carton pâte qu'étaient les réformes agraires et le contrôle ouvrier sur la production ? Tout nous oblige à affirmer qu'en croyant écraser l’hydre fasciste sous la direction d'un gouvernement républicain, les prolétaires espagnols furent rapidement et plus complètement conduits à la défaite. Pendant que, de toutes parts, on courrait sus à la bête fasciste (avait-elle surgie des flans putrides de la bourgeoisie sénile ou du cerveau enfiévré de l'état-major militaire félon?) le capitalisme pouvait célébrer ses noces de sang en dansant la sarabande sur le corps de centaines de milliers de "rouges" et de "hoirs". Franco monta au pouvoir et se tint à l'écart de la deuxième guerre impérialiste dont l'Espagne, comme le conflit sino-japonais et les opérations militaires italiennes d'Abyssinie ne fut qu'un épisode scellé du sang de la multitude. Faites encore une fois au nom des principes humanistes et démocratiques celles-ci devait transformer toute la production du temps de paix en production de cadavres humains comme cela ne s'était encore jamais vu.
La guerre permit, dès que les brigands impérialistes eurent signé l'acte diplomatique mettant fin aux hostilités, à la bourgeoisie d'entreprendre de relever le monde de ses ruines fumantes. Ce fut au prix de la pire exploitation et d'indicibles privations que l'ordre capitaliste put se remettre de sa terrible blessure, toutes choses que la bourgeoisie présenta comme oeuvre humanitaire. Au nom de l'humanité je fais des ruines, au nom de l'humanité je les reconstruis, ainsi vogue la galère capitaliste jusqu'à ce qu'elle se brise sur l'écueil du prolétariat.
En ce moment même, un nouvel acte de la lutte mondiale du prolétariat contre la société capitaliste se joue sur la scène espagnole, et précipite la marche des événements. Loin de pouvoir signifier cette stabilisation du système, la mort de Franco, qui avait pris appui sur l'église comme point le plus stable pour asseoir sa dictature, a ouvert pour l'Espagne une nouvelle ère d'instabilité.
Ces dernières dizaines d'années de reconstruction avaient apporté de profonds changements dans la structure économique espagnole. Profitant des possibilités offertes par une haute conjoncture, la bourgeoisie espagnole développa et concentra son appareil productif. De nouveaux centres, des secteurs flambant neuf ont surgi d'un sol fertilisé par la pluie de monnaies fortes que déversaient généreusement les nations occidentales. Mais à cette haute conjoncture d'après-guerre a succédé la dépression mondiale des activités industrielles et du courant d'échange commercial. Si l'on désire soutenir l'activité industrielle, alors il faut obtenir les marchés indispensables. Or, l'économie mondiale ne vit plus aujourd'hui qu'à l' air vicié du protectionnisme. Pour l'Espagne le retournement de situation se concrétise par une chute des commandes.
Malgré le soutien actif qu'apportent, en premier lieu, la puissance américaine et l'Europe des neuf à l'économie espagnole dans l'attente de l'intégrer complètement dans la communauté atlantique, la bourgeoisie s'avère avec Juan Carlos, incapable d'assumer une transition en douceur vers l'après-franquisme. Par suite, ce même capitalisme assez infatué de sa personne pour croire que certaines de ses usines allaient éclipser les plus proches rivales, françaises et italiennes, se présente au prolétariat sous la réalité hideuse de la faim, de la baisse des salaires, de l'insécurité matérielle et de la violence d'Etat. La fausse perspective de l'amélioration continuelle du niveau de vie des travailleurs en régime capitaliste, la théorie de l'aplanissement des contrastes de classes présentés triomphalement par les "dépasseurs" du marxisme, a vécu.
La classe ouvrière dut payer d'un lourd tribut les progrès d'une industrialisation qui fit enregistrer à l'Espagne des taux de croissance, dans la décennie précédente, supérieurs à 10%, et en outre, se satisfaire de recevoir une part insignifiante de son labeur. Maintenant, elle doit non seulement retrousser ses manches, mais aussi faire sienne la politique de réconciliation nationale.
La vie politique est un marais duquel montent les relents pestilentiels de la décadence. Qui pouvait penser que staliniens et monarchistes s'allieraient un jour ? Qui pouvait prévoir que les fiers rebelles anarchistes rentreraient sans vergogne dans les syndicats verticaux pour pouvoir "faire jouer, le corporatisme en faveur des ouvriers" ? Mais l'étonnement n’est pas de mise chez ceux qui ouvrent les yeux et font parler l'histoire. Toutes les fractions de la bourgeoisie peuvent se rassembler dans une union sacrée pour sauver leur économie, elles ne réussiront pas pour autant à contrôler les antagonismes de classe. Ce dont il est question aujourd'hui, c'est l'épuisement historique de la bourgeoisie, son impuissance à résoudre un problème la dépassant de plusieurs têtes : la contradiction toujours plus explosive entre le développement des forces productives et la forme d'organisation sociale.
La classe ouvrière en Espagne n'a pas voulu se laisser mettre à genou et du coup renoncer à sa lutte. Dès avant même la fin "du prodige espagnol", emporté comme un fétu de paille par le souffle de la crise mondiale, de nombreux foyers d’incendie social se sont allumés dans la plupart des centres économiques du pays. Il était courant de voir cette détermination se matérialiser non seulement par l'arrêt de travail, mais aussi par des émeutes de rues, intrépide comme toujours, bravant les balles de la Guardia Civil, le prolétariat espagnol s'est lancé, vers les années 60, résolument dans la lutte. Ces dernières semaines, des centaines de milliers de grévistes ont marqué d’une empreinte indélébile la vie sociale espagnole. Pour la bourgeoisie, les sacrifices sont difficiles à faire accepter au prolétariat. La grève devait éclater avec un maximum de puissance quand le gouvernement d'Arias Navarro se mit fâcheusement en tête de bloquer les salaires tout en augmentant la durée du travail. A partir de la grève du métro de Madrid, d'anneau en anneau, la chaîne de solidarité de classe s'est forgée au feu de la lutte contre les réquisitions de grévistes et l'intervention de la troupe. Le mouvement, de lui-même, prenait son caractère politique. Les dockers de Barcelone, les électroniciens de la Standard à Madrid, les employés de banque à Valence et Séville n'avaient qu'à se montrer sur leur propre terrain pour causer l'insomnie du gouvernement et de l'opposition qui aspire à s'y installer avec un minimum de remous sociaux.
Sur cette scène politique qui réfracte l'impossible essor du capitalisme dans de violents soubresauts, l'héroïque prolétariat espagnol tient le premier plan. De nouveau lui que les "novateurs" et autres "dépasseurs" du marxisme tenaient pour une classe non révolutionnaire? Lui que le système croyait avoir domestiqué avec les miettes de la fameuse prospérité, se bat.
Cette combativité le place à l'avant-garde du mouvement mondial de la classe. Alors que, du fait de son tragique isolement au point de vue international dans les années 30, chaque bataille du prolétariat en Espagne devenait une hécatombe, cette fois-ci, il constitue le détachement avancé de l'immense armée prolétarienne qui, aussi bien à l'est qu'à l'ouest, a relevé la tête. Représentant l'un des enjeux les plus décisifs pour la lutte de classe dans le monde, la situation en Espagne nous permet de comprendre l'ampleur des efforts faits par la bourgeoisie internationale pour dresser les derniers remparts à son ordre.
Le prolétariat a ressurgi sur un terrain devant lui permettre d'orienter les événements vers leur issue révolutionnaire. Ce terrain, c'est son indépendance de classe, cette issue, c'est la prise du pouvoir politique. De cette capacité à tenir en mains son drapeau arboré depuis ses premiers assauts au ciel dépend la possibilité pour l'humanité toute entière de sortir de l'ornière dans laquelle elle croupit depuis 3/4 de siècle.
Les ennemis et leurs armes
Face aux grèves qui se sont développées comme une traînée de poudre, malgré la ferme vigilance des commissions ouvrières à assurer une paisible transition, les formations de gauche usent toute leur science. Elles essaient de dévier la riposte ouvrière et de faire que celle-ci soit rabaissée à devenir une "force tranquille", tentant de transformer la conscience ouvrière en vulgaire "opinion publique".
Les staliniens, les sociaux-démocrates, avant la victoire militaire de Franco terrorisaient les travailleurs. Donnez-vous corps et âme aux nécessités de la lutte contre le fascisme et nous vous abattrons comme des chiens! Et, ils ne se privèrent pas d'utiliser l'appareil d'Etat contre le prolétariat. En Mai 37 la canaille stalino-réformiste brisa, par les armes, l'ultime bataille livrée par le prolétariat de Barcelone et des banlieues ouvrières, pour lui ôter jusqu'à l'envie de déclencher la grève dans les secteurs présentés comme conquêtes révolutionnaires. A nouveau, ils viennent demander aux travailleurs de se montrer "responsables" dans le respect des lois. Toute volonté de lutte autonome, toute action indépendante de la classe est comme l'intrusion d'un éléphant dans un magasin de porcelaines. La sainte alliance nouée par les vieux chevaux de retour, staliniens, poumistes, socialistes, anarchistes, a pour fonction d'étouffer dans l'oeuf ce qui fait la force du prolétariat.
Chaque mot d'ordre démocratique, chaque revendication transitoire pousse le prolétariat à la soudure avec l'aile gauche de la bourgeoisie espagnole. Les Gauchistes jouent le rôle de la mouche et du coche. Les staliniens respecteront-ils le verdict des urnes quel qu'en soit le résultat, les trotskystes le respecteront aussi pour ne pas se couper des masses. Les staliniens feront-ils rentrer les ouvriers dans les usines qu'ils auront désertées pour descendre dans la rue, les trotskystes appèleront à ne pas donner prise à la "réaction" qui n'attend qu'un prétexte pour réprimer. Dans tous les cas, on marque son intention à garantir à la bourgeoisie la paix sociale par l'encadrement de masses toujours plus grandes de prolétaires en éveil.
Que le capitalisme ne puisse plus gouverner dans le cadre de l’autoritarisme franquiste, c'est ce que nous démontrent l'assouplissement de la procédure "sumarisimo" et les amendements apportés à la loi anti-terroriste de l'été 75. La bourgeoisie espagnole doit aller vers le nécessaire changement politique. L'enveloppe démocratique dans un pays où 3 décennies et un lustre a régné un autocrate à poigne est toute indiquée pour servir de paratonnerre capable de capter l'électricité sociale. Dans ce pays, les sentiments anti-franquistes sont à vif et, les mots d'ordre de "conquête des droits démocratiques" revêtent une importance exceptionnelle pour dupés la masse ouvrière. On légalisera les partis démocratiques, on convertira la CSN en véritables syndicats représentatifs", pour reculer le plus possible l'affrontement direct avec la classe ouvrière.
Que celle-ci ne s'y trompe pas et : prenne garde de tous ceux qui se servent du miroir aux: alouettes démocratique. L'Etat, quel que soit sa constitution restera la machine d'oppression de la classe ouvrière. Lorsque celle-ci franchira une nouvelle étape la conduisant à la prise du pouvoir, cet Etat "épuré" fera couler le sang des ouvriers qui auront su retrouver le chemin de l'insurrection armée.
Les sirènes démocratiques font beaucoup de bruit comme s'il s'agissait d'un véritable embarquement pour cette île où pousse en abondance l'arbre à pain. Cette démocratie formelle n'est rien d'autre que la dictature bourgeoise déguisée. Plus la coquette est décrépite, plus elle use de fards et de maquillage. Ainsi, des mêmes armes séductrices usent la bourgeoisie en pleine décadence. C'est vrai : comme les Thugs indous, Franco pratique largement le meurtre d'Etat par garrottage. Mais la République espagnole que fit-elle pendant son interrègne ?
A chaque dictature, tombât d'elle-même telle un fruit pourri, a correspondu une concentration supérieure des forces de la bourgeoisie pour préparer l'écrasement physique de la classe ouvrière. De 1931 à 36, le gouvernement de la République sociale mitrailla, bombarda, déporta dans ses pénitenciers africains des fournées entières d'ouvriers rebelles. Il conserva quasi intégralement l'héritage policier et l'appareil judiciaire de la dictature de Primo de Rivera. Très vite, la coalition des républicains et socialistes dans le gouvernement d'Azana donna sa pleine mesure. Les 114 députés socialistes aux Cortès Constituantes couvrirent tous les crimes du cannibalisme libéral. De cette interminable série d'assassinats légaux perpétrés au nom de la"démocratie" il y a Arnido et il y a Casas Viejas. Plus horrible encore fut, la répression dans les Asturies. Requêtes, regulores et légionnaires du "Tercio" plongèrent les mineurs d’Ovièdo et les travailleurs de Giron dans un bain de sang avec la bénédiction de l'église. C'est cette république qui donna toute licence à sa soldatesque pour porter la terreur sur les cités ouvrières et c'est elle qu'appellent aujourd'hui tout le ramassis de "gauche" et de "gauchistes".
Quinze ans plus tôt, à son premier Congrès, l'I.C. honorant les victimes de la Terreur Blanche avivée par les campagnes de calomnie des sociaux démocrates contre le pouvoir des Soviets devait déclarer :
"Dans sa lutte pour le maintien de l'ordre capitaliste, la bourgeoisie emploie les méthodes les plus inouïes, devant lesquelles pâlissent toutes les " cruautés du moyen âge, de l'inquisition et de la colonisation."
Héritier au travers des Fractions issues de la Troisième Internationale d'un programme communiste cohérent, le CCI. estime devoir réaffirmer que l'avènement d'une république espagnole élue au suffrage universel ne créera nullement les conditions constitutionnelles favorables au prolétariat. Au contraire, l'érection de celle-ci résultera du besoin d'opérer la répression à l'abri de règles juridiques et de lois"légales" puisque voulues par la majorité du "Peuple". En tant que planche de salut du capitalisme -mais planche pourrie- il est dans la logique que les partis "démocratiques" se présentent avec des paroles endormeuses sur le "compromis nécessaire" et sur "l'unité antifasciste". S’opposer à eux les dénoncer pour ce qu'ils sont des étrangleurs de grèves, des massacreurs de soulèvements ouvriers, voilà une des premières attitudes politiques à adopter.
Le prolétariat en Espagne s'est donné avec fougue à la Révolution, mais la bourgeoisie, elle, a donné le ban et l'arrière ban de ses avocaillons, de ses journaleux, de ses parlementaires et de ses agents autonomistes pour le réduire à l'impuissance.
C'est avec un relief tout particulier que les expériences en Espagne contiennent leurs enseignements politiques. La tragédie espagnole doit guider le combat d'aujourd'hui et servir d'avertissement au prolétariat mondial. La classe doit s’emparer d'abord du pouvoir politique parce que, à l'inverse des autres classes révolutionnaires du passé, elle ne dispose d'aucune assise économique au sein de la société. Telle est la condition "sine qua non" du procès de socialisation des forces productives. Nécessité vitale de la lutte, les grèves ne sont que le point de départ pour affranchir complètement la classe ouvrière la destruction de l'Etat.
R.C
[1] Le courant représenté par le camarade Hénnaut, combat énergiquement nos positions mais sans verser dans un interventionnisme du type trotskyste.
I - "Les conceptions théoriques des communistes ne reposent nullement sur des idées des principes inventés ou découverts par tel ou tel réformateur du monde.
Elles ne sont que l'expression générale des conditions réelles d’une lutte de classes existante, d'un mouvement historique qui se déroule sous nos yeux." Marx Engels, Le Manifeste du Parti Communiste, 1847.
II - Depuis plus de 50 ans, sévit la contre-révolution masquant et falsifiant systématiquement toute expression théorique défendant les intérêts historiques du prolétariat. Ce voile de distorsion a évidemment recouvert toutes les questions centrales du marxisme : théorie du devenir historique de la classe ouvrière. La question aussi primordiale, pour les révolutionnaires, du mouvement animant la classe ouvrière et le Parti - organisation des révolutionnaires défendant les positions de classe - s'est vu caricaturé – dénaturé -, soit par la version Léniniste, soit par celle anti-léniniste, méconnaissant toutes deux le fondement même de ce mouvement –classe – parti - : « Le processus de prise de conscience ».
III - La compréhension du « comment la classe ouvrière prend conscience de sa tâche historique », c’est-à-dire, comment le prolétariat se constitue en classe unie, est bien au centre de la compréhension du rôle des révolutionnaires.
IV - Pour nous, marxistes, la conscience du prolétariat est la conscience de « ce qu'il est » dans le mode de production et donc ce qu'il sera contraint d’effectuer : la révolution communiste.
Cette conscience "de ce qu'il est", il ne peut l'obtenir que lui même, au travers de sa lutte de classe quotidienne, au travers de sa praxis.
V – C’est par la place de créateur d'une valeur nouvelle que le prolétariat occupe dans le processus de production capitaliste, qui il est le seul à pouvoir prendre conscience collectivement (en tant que classe) de ses intérêts et de son devenir.
"Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c'est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience." Marx, Avant-propos à la Critique de l'économie politique, 1859.
VI - Le processus de prise de conscience de la classe ouvrière - le passage de celle-ci de classe en soi, en classe pour soi – est un processus nécessairement -collectif parce que cette classe effectue dans la production capitaliste un travail associé nécessitant la participation d’une collectivité de travailleurs. Les ouvriers ne peuvent défendre que collectivement leurs intérêts parce que ceux-ci ne sont que des intérêts collectifs.
VII _ La révolution communiste, contrairement à toutes les révolutions antérieures ne peut être accomplie que par une classe hautement consciente de sa tâche historique car la classe ouvrière ne dispose pour cette révolution d'aucune assise économique dans la société capitaliste. Ses seules armes sont sa conscience de classe et l'organisation qu'elle se donne pour réaliser ses buts.
VIII - La constitution du prolétariat en classe consciente et unie est déclenchée par la conjonction d'un certain nombre de facteurs objectifs agissant comme catalyseurs. Parmi eux figure certainement la contrainte économique qui est indispensable mais insuffisante au processus de prise de conscience.
Toute l'histoire du mouvement ouvrier nous montre que si cette contrainte économique est nécessaire, elle doit s'exercer dans le cadre de la période de décadence du système, c'est-à-dire en période où celui-ci peut matériellement être détruit.
IX - L'intervention des révolutionnaires, organisée d'abord en fraction internationale et ensuite en parti mondial a pour rôle de diffuser les expériences passées de la classe ouvrière et de prévoir (à partir de ces expériences et de l’analyse socio-économique) les perspectives futures. Et, par ce rôle, l'intervention des révolutionnaires est, elle aussi, un facteur actif dans le déclenchement du processus de prise de conscience par et pour la classe, ainsi que dans la généralisation de cette conscience (Tâche nécessaire car la conscience de classe n'est jamais un phénomène homogène).
X - Les fractions communistes se situant en accord pratique et théorique avec les positions de classe ("programme communiste") ont la responsabilité devant le prolétariat de tendre à s'organiser à l'image de celui-ci de manière unifiée et centralisée au niveau international en vue de constituer un pôle révolutionnaire cohérent (fraction, courant communiste international).
XI - Une fois ce pôle révolutionnaire constitué, celui-ci doit se transformer en parti communiste mondial. Cette transformation ne peut bien entendu avoir lieu qu'en période de lutte de classe et lorsque la fraction internationale a une influence effective au sein de la classe ouvrière.
XII - Le parti est une expression politique, secrétée par l'expérience même de la classe (la théorie révolutionnaire défendue par ce parti) et qui agit sur celle-ci en favorisant le déclenchement et la généralisation de la prise de conscience de classe produite par et pour le prolétariat lui-même. Il existe donc un lien dialectique entre la classe et le parti qui réside dans le fait que le parti, produit par la classe, devient en même temps facteur actif dans la classe.
XIII - La conception défendue par Lénine dans "Que Faire",1902, qui consiste à prétendre que la constitution du prolétariat en classe n'est pas le produit des luttes quotidiennes mais est produit par l'importation depuis l'extérieur de la "conscience socialiste" correspond à effectuer une scission idéaliste entre l'être et la conscience, l'être brutal, sale, et "ouvrier", et la conscience "tornade blanche" détenue par des intellectuels bourgeois déniant l'apporter à la masse.
Cette dichotomie entre la matière et l'idée qui plane (dans des mains extérieures à la matière) est bien l'expression de l'idéalisme dominant qui prétend qu’une idée supérieure préexiste à la matière et que donc seule une médiation (la religion, la philosophie, le " parti" léniniste...) peut réaliser la rencontre entre l'idée et la matière.
Alors que le mouvement du prolétariat, est avant tout un enchaînement naturel de phénomènes historiques, enchaînement soumis à des lois qui, non seulement sont indépendantes de la volonté, de la conscience et des desseins des prolétaires, mais qui au contraire, détermine leur volonté, leur conscience et leur dessein : "Pour moi (...) le mouvement de la pensée n'est que la réflexion du mouvement réel transporté et transposé dans le cerveau de l'homme", Marx, Le Capital.
XIV - De la même manière, la conception dite "conseilliste", qui consiste à prendre le contre pied de celle du "Que Faire", en revient à faire la même déformation idéaliste mais à l'envers. Pour le "conseillisme", la conscience ne pouvant venir que de la classe elle-même, toute expression théorique des intérêts de la classe par un groupe révolutionnaire devient immanquablement une substitution au mouvement réel. Et ces individus, culpabilisés par les erreurs de Lénine, se refusent à toute intervention, niant de ce fait le processus de la prise de conscience où la théorie révolutionnaire diffusée au sein de la classe ouvrière est, comme nous l'avons vu, un facteur actif.
Refusant leur responsabilité face à la classe, ils acceptent la dichotomie léniniste entre l'être et la conscience mais en plus ils en sont honteux.
XV - "L'effort de prise de conscience de la classe existe constamment depuis ses origines et existera jusqu'à sa disparition dans la société communiste. C'est en ce sens qu'il existe en toute période des minorités révolutionnaires comme expression de cet effort constant."
R.I., N° 17
Marc M.
Les textes que nous publions ci-après sont des contributions à la discussion sur la Période de Transition, question toujours ouverte dans le mouvement ouvrier et sur laquelle les révolutionnaires doivent se pencher sans pour autant faire des "recettes pour les marmites de l 'avenir", simplifier une question aussi complexe ou encore définir des frontières de classe là où l'expérience de la classe elle-même n'a pas tranché par sa pratique.
Le débat au sein du C.C.I. sur cette question a commencé depuis que le C.C.I. existe, et les textes qui suivent s'inscrivent en continuité avec la discussion déjà amorcée dans le n° 1 de la Revue Internationale. Le débat se poursuit au sein du Courant et nous ne sommes pas encore arrivés à une homogénéité, en particulier sur la question de l'Etat de la Période de Transition dont traitent ces textes.
LA PERIODE DE TRANSITION
I – NATURE DES PERIODES DE TRANSITION
L'histoire humaine se compose de différentes sociétés stables liées à un mode de production et donc à des rapports sociaux stables. Ces sociétés sont basées sur des lois économiques dominantes inhérentes à celles-ci, se composent de couches sociales fixes, et s'appuient sur des superstructures appropriées (communisme primitif, mode de production asiatique, antique, féodal, capitaliste).
Tout mode de production possède une phase "ascendante", au cours de laquelle il développe des forces productives, et une phase de "décadence", où il devient un frein à ce développement, où s'accomplissent son épuisement et sa décomposition.
Après une période plus ou moins longue de décadence, peut s'instaurer une période de transition pendant laquelle se développent, au détriment de l'ancien, les germes du nouveau mode de production, permettant de résoudre et dépasser les contradictions anciennes, jusqu'au point de constituer le nouveau mode de production dominant. La période de transition n'a pas de mode de production propre mais un enchevêtrement de deux modes, l'ancien et le nouveau. Elle est une nécessité absolue, car le dépérissement de l'ancienne société n'est pas automatiquement maturation de la nouvelle, mais seulement condition de cette maturation. Ainsi, la tendance du capitalisme était la socialisation mondiale de la production (création d’une communauté matérielle), qui aurait directement fait perdre à l'échange sa raison d'être et directement posé la réalisation du communisme. Mais, avec la création du marché mondial qui met en place les limites définitives de l'accumulation, le capital a sapé les bases de la socialisation complète de l’humanité : il a démantelé les secteurs extra-capitalistes mais ne peut plus les intégrer dans la production.
II - LA SOCIETE COMMUNISTE
Toute période de transition relève de la nature même de la nouvelle société qui va surgir. Pour pouvoir faire ressortir la nature de la période de transition qui va du capitalisme au communisme et ce qui distingue cette période de toutes les précédentes, il faut donc d’abord mettre en relief ce que sera la société communiste, ou plutôt ce qui la distingue de toutes les autres sociétés :
- contrairement aux sociétés antérieures – à l’exception du communisme primitif - divisées en classes, basées sur la propriété et l'exploitation de l'homme par l'homme, le communisme est une société sans classes, sans aucun type de propriété, c'est la communauté humaine unifiée et harmonieuse.
- les autres sociétés de l'histoire ont pour fondement l'insuffisance du développement des forces productives par rapport aux besoins des hommes : ce sont des sociétés de pénurie, dominées par les forces naturelles et économico-sociales aveugles. Le communisme est le plein développement des forces productives par rapport aux besoins des hommes, l’abondance de la production capable de satisfaire les besoins humains : c'est le monde de la liberté, la libération de l'humanité de la domination de la nature et de l'économie.
- Toutes les sociétés traînent avec elles des vestiges anachroniques des systèmes économiques, des rapports sociaux, des idées et des préjugés des sociétés passées, parce qu'elles sont toutes fondées sur la propriété privée et l'exploitation du travail d'autrui. Par contre, rompant avec toutes ces caractéristiques, la société communiste ne peut supporter en son sein aucune survivance de la société antérieure.
- le faible développement des forces productives dans les sociétés antérieures, entraînait un développement inégal de l'évolution de la société enc es différents secteurs : en même temps que fondées sur la division en classes, ces sociétés étaient divisées en régions ou nations. Seules les forces productives développées par le capitalisme depuis son apogée permettent, pour la première fois dans l’histoire, une réelle interdépendance entre les différentes parties du monde. Le communisme, lui, est universel d'emblée ou il ne peut pas être ; il exige une même évolution, dans le temps, dans toutes les parties du monde à la fois.
- le communisme ne connaît ni l'échange, ni la loi de la valeur. Sa production est socialisée dans le plein sens du terme : elle est universellement planifiée selon les besoins des membres de la société et pour leur satisfaction. Une telle production que des valeurs d'usage dont la distribution directe et socialisée exclut l'échange, marché et argent.
- pour être des sociétés divisées en classes et en intérêts antagonistes toutes les sociétés antérieures (à l'exception du communisme primitif) ne peuvent exister et survivre que par la constitution d'un organe spécial, en apparence au dessus des classes, en fait imposant la domination de la classe dominante : l'Etat.
Le communisme, ne connaissant pas de divisions, n'a pas besoin d'Etat. Plus, en tant que communauté humaine, il ne pourrait supporter en son sein un organisme de gouvernement des hommes.
II - CARACTERISTIQUES DE LA PERIODE DE TRANSITION
Les périodes de transition ont eu, jusqu'à présent dans l'histoire, en commun leur déroulement au sein de l'ancienne société. La révolution politique de la nouvelle classe dominante n'était que le couronnement de sa domination économique qui se déroulait progressivement au sein de l'ancienne société. Cette situation provient de ce que la nouvelle, comme l'ancienne société, subit aveuglément les impératifs des lois basées sur la pénurie des forces productives, et donc de ce que la nouvelle classe dominante ne porte simplement une autre forme d'exploitation et de division en classes.
Le communisme, lui, constitue une rupture totale de toute exploitation et de toute division en classes, ainsi qu'une organisation consciente de la production que permet l'abondance des forces productives. C'est pourquoi la période de transition au communisme ne peut s’ouvrir qu'en dehors du capitalisme, après la défaite politique du capitalisme et le triomphe de la domination politique du prolétariat à l'échelle mondiale. La première préoccupation du prolétariat est donc la prise de pouvoir mondiale et la destruction totale des institutions capitalistes : l'Etat, la police, l'armée, la diplomatie...
La période de transition qui s’ouvre alors est un mouvement sans trêve de renversement révolutionnaire de rapports capitalistes en rapports communistes. La période de transition doit abolir tous les rapports capitalistes, car le capital est un procès dont chaque moment est inséparable des autres (vente de la force de travail, extraction et réalisation de la plus-value, capitalisation...) Disparaissent donc échange, marché et argent (donc salariat).
Il est important de voir que toute stagnation dans la transformation révolutionnaire de la société signifie danger de retour au capitalisme. En effet la totalité des rapports marchands ne disparaîtra définitivement que sous le communisme achevé, quand les classes auront cessé d'exister, quand la perpétuation des classes veut dire perpétuation de l’échange. Nous insistons également sur le fait qu'il n'y a pas de mode de production transitoire entre le capitalisme et le communisme. Au cours de la période de transition, "ce à quoi nous avons à faire, c’est une société communiste non pas telle qu’elle s'est développée sur des bases propres mais au contraire telle qu'elle vient de sortir de la société capitaliste. Ce qui veut dire qu'elle est encore à tous égards, économiquement, moralement et intellectuellement, marquée des empreintes de la société dont elle naît. " (Marx, Critique du Programme de Gotha)
IV - REALISATIONS ECONOMIQUES
Quoiqu'il soit difficile de dire précisément quelles seront les mesures économiques prises au cours de la période de transition, nous pouvons nous prononcer en faveur de mesures qui tendent directement à régir la production et la distribution en termes sociaux, collectifs, plutôt que de mesures qui nécessitent le calcul de la distribution de chacun au travail social.
Il faut critiquer le système des "bons de travail" qui perpétue la division de la classe ouvrière en une somme d'individus qui reçoivent de quoi vivre en fonction de leur travail individuel. Avec ce système, chaque travailleur reçoit, en échange d'une heure de travail, un bon représentant une heure de travail, avec lequel il peut puiser dans la masse des produits,' l'équivalent du temps qu'il a fourni. On a une "forme salariale" sans contenu salarial. Peu importe alors le travail concret créé, le temps réel, l'effort cristallisé dans un produit, seul compte le temps de travail abstrait, le temps nécessaire déterminé par la productivité globale de la société ; ce qui divise les ouvriers d'après leur productivité. Mais ce système est surtout irréalisable : en effet, il faut, pour calculer l'heure moyenne, que la productivité soit uniforme dans chaque branche de la production ; et si ceci pouvait être réalisé, il faudrait un calcul planifié mondialement qui suivrait de façon permanente les transformations de la productivité, qui seront continuelles au cours de la période de transition. Il faudrait encore une monstrueuse bureaucratie, inconnue jusqu'à présent dans l'histoire de l'humanité, pour empêcher chaque producteur ou unité de production de "tricher", de déclarer des heures inutiles, etc. Ce système risque aussi de dégénérer facilement en salaires-monnaie à un moment de reflux de la révolution.
L'orientation qui doit guider toutes les mesures prises doit être de tendre vers la production contrôlée collectivement en fonction de la satisfaction des besoins sociaux, en valeurs d'usage et en travail concret ; vers la réduction des heures de travail en assimilant d'autres couches dans le travail associé. Il faut, au plus vite, assurer la gratuité et la collectivisation de tous les biens de consommation nécessaires à la vie d’un homme, surtout dans les secteurs industrialisés où la socialisation peut aller plus vite.
V - LA GUERRE CIVILE REVOLUTIONNAIRE
La nature g1obale du prolétariat et de la bourgeoisie fait que la prise du pouvoir par les ouvriers d'un pays entraîne une guerre civile mondiale contre la bourgeoisie. Jusqu'à ce qu' elle soit victorieuse, jusqu'à ce que le prolétariat ait conquis le pouvoir mondialement, nous ne pouvons parler réellement d'une période de transition, ni d'une transformation communiste.
Pendant la guerre civile mondiale, tout est subordonné à celle-ci : la production n'est pas encore principalement axée sur les besoins humains, ce qui sera le saut de la production communiste, mais sur la nécessité impérieuse d'étendre et d'enraciner la révolution internationale. Même si le prolétariat peut faire disparaître bien des caractéristiques formelles du capitalisme, tout en s'armant et en produisant pour la guerre civile, on ne pourrait appeler communisme une économie orientée vers la guerre. Tant que le capitalisme existera quelque part dans le monde, ses lois continuent à déterminer le contenu réel des rapports de production partout ailleurs. Néanmoins, dès qu'il aura pris le pouvoir en un endroit le prolétariat devra entreprendre l'assaut des rapports capitalistes de production :
1 - parce que toute atteinte au capitalisme, dans un centre important, produira des effets profondément désintégrateurs, sur l'ensemble du capital mondial, ce qui approfondira la lutte de classes mondiale,
2 - pour faciliter la direction politique de la zone qu’il contrôle, car le pouvoir politique des ouvriers dépendra de leur capacité à simplifier et à rationaliser le processus de production et distribution, tâche impossible dans une économie totalement dominée par les rapports marchands.
3 - pour jeter les bases de la transformation sociale qui succèdera à la guerre civile.
De plus, il est important de noter que, si la transformation communiste de la société ne peut être entreprise pleinement qu’une fois assis le pouvoir politique mondial du prolétariat, qu'une fois achevée la guerre civile mondiale, néanmoins les organes de pouvoir du prolétariat sont déjà mis en place, dès la prise de pouvoir à un endroit du globe, avec, en cet endroit, les mêmes caractéristiques que pendant toute la période de transition : il en est ainsi des conseils ouvriers, mais aussi de l'Etat, qui est déjà l'Etat de la période de transition.
VI - ASPECTS PRINCIPAUX DE LA PERIODE DE TRANSITION
Nous ne pouvons nous étendre ici sur les tâches qu'aura à accomplir le prolétariat pendant la période de transition : elles sont gigantesques et multiples. C'est une société dans son intégralité qu'il faudra construire.
1 - La dictature du prolétariat :
Dans la période de transition existe encore plusieurs classes. Mais une seule est intéressée au communisme : le prolétariat. D'autres classes peuvent être entraînées dans la lutte que livre le prolétariat au capitalisme, mais elles ne peuvent jamais, en tant que classe, devenir porteuses du communisme. C'est pourquoi le prolétariat doit constamment se garder de se confondre ou de se dissoudre avec les autres classes. Il ne peut assurer la marche en avant vers la société sans classes uniquement en s'affirmant comme classe autonome et politiquement dominante de la société, car économiquement il reste exploité par le fait que le monde est encore dominé par la loi de la valeur. Il doit conserver entre ses mains toute la force politique et toute sa force armée : c'est la classe ouvrière dans son ensemble qui a le monopole des armes.
Si la classe ouvrière doit tenir compte des autres classes dans la vie économique et administrative, parce que ces classes constitueront au début la majorité de la société, elle ne devra pas leur laisser la possibilité d'une organisation autonome. Ces classes et couches nombreuses seront intégrées dans un système d'administration soviétique territoriale, en tant que citoyens et non en tant que classes. Ces classes seront progressivement dissoutes et intégrées dans la classe ouvrière.
Il s'agit bien sur des classes non exploiteuses; l’ensemble de la classe capitaliste et les anciens dirigeants de la société capitaliste seront directement exclus de la vie politique.
Le prolétariat, pour assurer sa dictature, se donne des structures organisées : les conseils ouvriers et le parti révolutionnaire.
Si, dans toute société divisée en classes, la classe dominante exerce ouvertement ou hypocritement sa dictature sur les autres, la dictature du prolétariat est différente des précédentes :
- à l'opposé des précédentes, elle est uniquement tournée contre les anciennes classes de la société. Elle ne porte pas de nouveaux privilèges, pas de nouvelles exploitations, mais supprime tous les privilèges et toute exploitation. Loin d'être gardienne du statu quo, elle vise une transformation ininterrompue de la société.
- pour cette raison, elle n’a nullement besoin, comme les autres classes, de cacher ses buts, de mystifier les classes opprimées en présentant sa dictature comme le règne de la Liberté, Egalité, Fraternité.
- elle s’applique à faire disparaître toutes les spécialisations et divisions hiérarchiques de la société. Il faudra garantir que la classe dans son ensemble ait le droit de grève, le droit de porter les armes, d’avoir une pleine liberté de réunion et d'expression, etc. Tout rapport de force, toute violence à l'intérieur du camp prolétarien doivent être rejetés.
2 - Les Conseils ouvriers :
Le Conseil Ouvrier est la forme historique de l’auto organisation du prolétariat dans la lutte révolutionnaire ; il est l'organisation autonome regroupant l'ensemble de la classe, le moyen approprié à la dictature du prolétariat. Les conseils sont des assemblées de délégués nommés et révocables à tout instant par les assemblées générales des travailleurs, exécutant les décisions prises par celle-ci.
Les conseils se centralisent mondialement, car ils doivent assurer la dictature mondiale du prolétariat, c'est à dire le pouvoir politique mondial et l'ensemble des transformations révolutionnaires de la société.
- Le pouvoir politique est donc exercé à travers les conseils ouvriers eux-mêmes et non au moyen d'un parti.
- les conseils sont l'organisation autonome de la classe ouvrière. Des deux dangers pouvant surgir dans la constitution des conseils, à savoir l'infiltration d'éléments bourgeois et l'enfermement des ouvriers dans le cadre strict de l'usine, le deuxième s'est révélé le plus grave :
- c'est au nom du danger d'infiltration d'éléments bourgeois que les sociaux démocrates allemands ont interdit à Rosa Luxemburg l'accès aux conseils. Le parti est une fraction de la classe et intervient donc librement dans les conseils.
- les conseils ne sont pas des organes d'autogestion. L'isolement des ouvriers dans des "conseils" composés de simples unités productives ne fait que maintenir les divisions imposées par le capitalisme et amène la défaite certaine de la classe. Les conseils sont avant tout des organes de pouvoir politique centralisé.
- les conseils ne sont pas une fin en soi : ils sont les moyens qu'emploie le prolétariat pour mener à bien la transformation communiste de la société. Si les conseils deviennent une fin en soi, cela veut simplement dire que le processus de révolution sociale s'arrête et qu'on assiste à un début de retour au capitalisme.
3 - Le Parti Révolutionnaire
Le parti révolutionnaire, formé par les fractions révolutionnaires au cours de la période révolutionnaire, est une fraction de la classe qui a la claire vision des buts communistes portés par le prolétariat. Sa seule tâche est la généralisation de la conscience révolutionnaire au sein de la classe. En aucun cas il ne prend le pouvoir "au nom de la classe", ni n’organise la classe.
Le parti aura un rôle actif à jouer au sein de la classe jusqu'au communisme, quand le "programme communiste" sera réalisé pratiquement. Tant que nous serons dans la période de transition, il se maintiendra l'hétérogénéité de la conscience au sein de la classe et continuera à se poser le problème de l'autonomie de la classe, donc se maintiendra la fonction du parti.
4 - L'Etat :
Pour empêcher que les antagonismes de classes qui travaillent la société n'explosent en luttes menaçant l'équilibre, et mettant en péril jusqu'à l'existence même de la société, la bourgeoisie, comme les classes qui l'ont précédée, a été amenée à créer des institutions et une superstructure, dont l'Etat est le couronnement et dont la fonction consiste essentiellement à maintenir ces luttes dans un cadre approprié, et de veiller à conserver et renforcer le cadre de l'organe social donné. C'est pourquoi l'Etat reste en règle générale l'organe par excellence de la classe dominante et s'identifie avec elle.
La Période de Transition est encore une société où subsiste la division en classes. Il surgira donc nécessairement cet organisme super structurel, ce fléau inévitable qu'est l'Etat, pour empêcher que les antagonismes de classes ne fassent voler cette société hybride en éclats. Le prolétariat, en tant que classe politiquement dominante, utilisera l'Etat pour maintenir son pouvoir et défendre les acquis de la transformation communiste. Cet Etat sera différent de tous les Etats du passé. Ce qui en fait un "demi-Etat". Pour la première fois, la classe « n’hérite » pas de l'ancienne machine d'Etat pour s'en servir à ses fins propres, mais renverse, détruit l'Etat bourgeois et construit ses propres organes de pouvoir. Car le prolétariat n'utilise pas l'Etat pour exploiter d'autres classes, mais pour défendre une transformation sociale qui anéantira à jamais l'exploitation, qui abolira tous les antagonismes sociaux, et conduit ainsi à l'extinction de l'Etat.
Mais, puisque le prolétariat continue à être la classe exploitée de la société, que la domination est uniquement politique et non économique, il ne peut pas s'identifier à l’Etat, organisme de conservation sociale qui exprime le frein que constituent les autres classes, vestiges du passé, et qui exprime la division de classes, c'est-à-dire l'exploitation se poursuivant. C'est parce que la fonction et les intérêts de l’Etat bourgeois se confondent avec ceux de la classe économiquement dominante, c’est-à-dire la conservation de l'Etat social existant, que l'Etat bourgeois peut et doit s’identifier avec celle-ci. Rien de tel donc pour le prolétariat, qui ne tend pas à conserver l'état de chose existant, mais à le bouleverser et à le transformer continuellement. C'est pourquoi sa dictature historique ne peut trouver dans une institution conservatrice par excellence, comme l'est l'Etat, son expression authentique. Il n’y a pas et ne peut y avoir d’Etat socialiste ou communiste. Etat et communisme s'excluent par définition, le communisme étant l'intérêt historique du prolétariat, sa substance en développement ; il n'y a pas identification entre l'un et l'autre. En conséquence, dans la mesure où on parle du prolétariat communiste, on ne parle pas "d'Etat ouvrier", d’Etat du prolétariat.
- Identifier le prolétariat à l'Etat, comme l’ont fait les Bolcheviks, amène à un moment de reflux, à la situation désastreuse où 1'Etat, en tant « qu’incarnation » de la classe ouvrière, peut tout se permettre pour maintenir son pouvoir, alors que la classe ouvrière toute entière reste sans défense.
- Le prolétariat n’est qu’une minorité de la population à l’échelle mondiale. La majorité de la population mondiale (paysannerie, artisans, principalement dans le Tiers-Monde), le prolétariat ne peut ni les intégrer dans les conseils ouvriers, ce qui ferait perdre au prolétariat son autonomie, ni les supprimer, ni les ignorer : il devra lui permettre (à l’exclusion de la bourgeoisie) de s'organiser et de former des conseils ouvriers. La violence envers les autres classes que la bourgeoisie, ne devra être employée qu’en dernière instance (exemple négatif de la révolution russe). Bien sûr tout comme ces autres couches ne seront intégrées au travail associé qu'en tant qu'individus, le prolétariat ne leur permet de s'exprimer qu’en tant qu'individus (et non en tant que classe) au sein de la société civile. Ceci implique que les organes représentatifs aux moyens desquels ils s'expriment, à la différence des conseils ouvriers, se fondent sur des unités et des formes d’organisations territoriale.
Tout ceci nous permet de dire que, tout en se servant de l'Etat, le prolétariat exprime sa dictature non pas par l’Etat mais sur l'Etat.
Afin de s’assurer la soumission de cet Etat, un certain nombre de mesures doivent être prises :
- les ouvriers organisés en conseils ont le pouvoir de décision sur toutes les mesures que prend l’Etat ; aucune mesure n'est prise sans leur consentement et leur participation active.
- les ouvriers ont le monopole des armes et sont prêts à s’en servir contre cet Etat si nécessaire.
- les ouvriers sont représentés dans l'Etat dans des proportions maximales (celles que les rapports de force permettent).
- tous les membres de l'Etat sont nommés et révocables à tout instant ; les représentants ouvriers rendent compte aux conseils de toutes les mesures et démarches qu’ils effectuent.
- les conseils décident des changements qui doivent être effectués au sein de l'Etat et de la société même, compte-tenu de l'évolution des rapports de force.
M. LAZARE. (TREIGNES 1975)
ETAT ET DICTATURE
Le texte qui suit a pour but d'énoncer une conception générale de l'Etat et de la dictature sans intention démonstrative. Ceci pour contribuer à la discussion en cours sur la période de transition qui pose la question fondamentale des formes et du contenu de la dictature prolétarienne. De plus amples explications, notamment sur les points d'achoppement feront l'objet d'une contribution ultérieure.
1 - Engels dans les pages désormais classiques de "Origines de la Famille, de la propriété privée et de l'Etat" dégage la signification et le rôle de l'Etat. Celui-ci est un produit de la société à un stade déterminé de son développement. Il est le résultat et la manifestation de contradictions de classes inconciliables. L'Etat surgit afin que les classes aux intérêts économiques opposés ne s'épuisent pas, et avec elles la société, dans une lutte stérile.
2 - Si l'Etat naît pour estomper les conflits de classes, les maintenir dans des limites déterminées, est-il une structure de dialogue entre classes, par l'intermédiaire de laquelle elles arrivent à des compromis ? Est-il un organisme neutre, extérieur à la société, qui arbitre des antagonismes ? Bien évidemment, non ! Encore une fois, l'Etat ne pourrait surgir, ni se maintenir, si la conciliation de classes était possible. On ne peut se demander dès lors quelle fonction, remplit exactement l'Etat ? Les classes opprimées de toutes les époques ont la réponse à cette question imprimée dans leur longue histoire de misère, d'exploitation et de déportation : l'Etat est donc, en règle générale ([1] [102]), l'Etat de la classe la plus puissante, de celle qui s'est imposée politiquement et militairement dans le rapport de force historique. L'Etat est l'instrument que la classe dominante utilise en vue d'instaurer et garantir sa dictature.
3 - Un principe essentiel du marxisme est que le heurt des classes se décide non sur le terrain de droit, mais sur celui de la force. L'Etat est un organe spécial de répression : c'est l'exercice centralisé de la violence par une classe contre une autre. L'Etat politique, même et surtout démocratique et parlementaire, est un outil de domination violente. L'appareil d'Etat utilise en permanence des moyens coercitifs pour mater la classe dominée, même si apparemment ils consistent non dans l'usage implacable d'une force matérielle, policière ou autre, mais dans la simple menace de sanctions violentes, dans un simple article de loi (même non codifié), sans le fracas des armes et sans effusion de sang.
4 - Organe de violence, l'Etat se caractérise par l'institution d'une force publique. Cette force publique particulière est indispensable parce qu'une organisation armée de la population dans son ensemble est devenue impossible depuis la scission en classes. Chaque Etat, dès sa formation, crée une force de coercition, des "détachements spéciaux d'hommes armés" disposant de prisons, etc. Les diverses révolutions nous montrent comment la classe renversée s'efforce de reconstituer ses anciens organismes de domination (ou de les reconquérir) et la force armée lui était arrachée, et comment la classe nouvellement dominante se dote d'une nouvelle organisation de ce genre ou perfectionne l'ancienne afin d'empêcher toute restauration de la classe renversée et toute remise en cause des nouveaux rapports dominants.
5 - Pour synthétiser ce que nous venons de dire : dans toute société divisée en classes, la classe dominante exerce une dictature ouverte ou camouflée sur les autres classes de la société, en vue de préserver ses intérêts de classe et de garantir ou développer les rapports de production qui lui sont liés. Il est nécessaire de bien mettre en évidence le fondement de la dictature ; une classe déterminée domine par son intermédiaire et s'en sert pour défendre ses intérêts contre les intérêts antagoniques des autres classes (déterminisme économique), pour assurer l’extension, le développement, la conservation du rapport de production spécifique contre les dangers de restauration ou de destruction. Il est donc faux de considérer que tout Etat doit être haïs et constitue un "fléau dévastateur" (nous ne sommes pas des petit-bourgeois anarchistes). En effet, même l'Etat bourgeois est, à un moment historique donné, un instrument progressif aux yeux des marxistes : lorsqu'il représente la force organisée contre la réaction féodale intérieure et ses alliés de l'extérieur et favorise la mise en place de structures modernes sur les débris des sociétés pré-capitalistes. Il était non seulement utile mais indispensable que la bourgeoisie, au moyen de décrets étatiques et de l'usage de la violence, abattit les obstacles institutionnels qui retardaient l'apparition de grandes fabriques et d'une méthode plus moderne d'exploitation du sol. Si le marxisme a cette vision DIALECTIQUE de l'Etat, révolutionnaire à certaines époques, conservateur ou contre-révolutionnaire à d’autres, c'est qu'il en fait le PROLONGEMENT et l'INSTRUMENT des classes sociales qui prennent naissance, mûrissent et disparaissent. L'Etat est étroitement lié au cycle de la classe et s'avère donc PROGRESSIF ou CONTRE-REVOLUTIONNAIRE selon l'action historique de la classe sur le développement des forces productives de la société (selon qu'elle concourt à favoriser ou à freiner leur développement).
6 - Nous avons relié l'existence de l'Etat à la division en classes de la société. De la même façon que cette dernière n'est pas la caractéristique immanente des sociétés humaines, l'Etat n'existe pas de toute éternité. Il y eut des formes sociales sans classes et sans Etat, et le développement de la production, auquel l’existence des classes est devenue un obstacle, ôtera à l'Etat toute nécessité et le fera disparaître progressivement. Comme dit Engels: "La société qui réorganisera la production sur la base d'une association libre et égalitaire des producteurs relèguera toute la machine de l'Etat là où sera dorénavant sa place au musée des antiquités, à côté du rouet et de la hache de bronze."
Cependant avant la société sans classes et sans Etat, entre capitalisme et communisme s'insère une période de transition, une phase de transformation économique de la société. La société transitoire est encore une société divisée en classes et comme telle, elle fait surgir inévitablement un Etat et une dictature.
7 - L'Etat est l'organisation spéciale d'un pouvoir ; c'est l'organisation de la violence destinée à tenir en laisse une certaine classe. Le prolétariat a besoin de l'Etat pour réprimer la résistance de la bourgeoisie. Or, orienter cette répression, l'effectuer pratiquement, il n'y a que le prolétariat qui puisse le faire, en tant que seule classe révolutionnaire jusqu'au bout, seule classe capable d'unir sous le drapeau de la révolution tous les travailleurs et tous les exploités. L'intelligence de l'action révolutionnaire du prolétariat doit donc aller jusqu'à la reconnaissance de sa domination politique, de sa dictature, c'est-à-dire D'UN POUVOIR QU'IL NE PARTAGE AVEC PERSONNE et qui s'appuie directement sur la force armée de la classe elle-même. La bourgeoisie ne peut être balayée que si le prolétariat est transformé en classe dominante à même de noyer la résistance inévitable des classes possédantes, et d'organiser pour la transformation socialiste de l'économie toutes les masses travailleuses et exploitées. Le prolétariat A BESOIN d'un appareil d'Etat, d'une organisation centralisée de la violence, aussi bien pour REPRIMER la résistance désespérée de la bourgeoisie que pour DIRIGER la grande masse de la population - paysannerie, petite bourgeoisie, "nouvelles couches moyennes", semi-prolétaires - dans la mise en place du communisme.
8 - Si l'Etat est né parce que les contradictions de classes sont inconciliables, s'il est un pouvoir qui est devenu « de plus en plus étranger » à la société, il est clair que l'affranchissement de la classe opprimée est impossible, non seulement sans une révolution violente, mais aussi sans la suppression de l'appareil du pouvoir d'Etat, qui a été créé par la classe dominante et dans lequel est matérialisé ce caractère "étranger". Il en résulte ceci : la lutte prolétarienne n'est pas une lutte à l'intérieur de l'Etat et de ses organismes, mais une lutte extérieure à l'Etat, contre l'Etat, contre toutes ses manifestations et toutes ses formes. La révolution prolétarienne passe par l'anéantissement de l'Etat bourgeois. Cependant, une forme d’Etat politique est nécessaire après cette destruction. C'est une des formes nouvelles de la domination prolétarienne, nécessaire à la classe ouvrière placée devant la nécessité de diriger l'emploi de la violence pour extirper les privilèges de la bourgeoisie et organiser de manière nouvelle les forces de production libérées des entraves capitalistes. La révolution russe a démontré, contre les anarchistes qui, tout en ayant l'indéniable mérite de proposer la destruction de l'Etat bourgeois, s'imaginent pouvoir se passer après cette destruction de toute forme de pouvoir organisé, la nécessité d'un Etat politique, c'est-à-dire d’une structure de violence sociale. Comme la transformation communiste de la société est un processus de longue durée et non une réalisation immédiate, la suppression de la classe non travailleuse et l'intégration à la production socialisée de l'ensemble des classes et couches travailleuses non prolétariennes ne peuvent l'être non plus et on ne peut réaliser cette suppression et cette intégration par l'intermédiaire d'un massacre physique. Dès lors, pendant la période de transition, l'Etat révolutionnaire doit fonctionner, ce qui signifie, comme Lénine eut la franchise de dire aux pacifistes et autres petits bourgeois romantiques nostalgiques de la démocratie, avoir une armée, des forces de police et des prisons. Ce qui exclut bien évidement toute confusion quant à la caractérisation de l'Etat pendant la phase transitoire qui ne peut défendre les intérêts de plusieurs classes, mais d'UNE SEULE, et qui ne peut servir d'instrument à un agrégat indifférencié de classes et couches sociales, mais constitue un outil spécifique d'UNE SEULE CLASSE, de la classe dominante. C'est en ce sens qu'on peut et doit parler d’un Etat prolétarien, ce dernier étant l’UNE DES formes indispensable de la dictature du prolétariat. Avec la réduction progressive du domaine de l'économie privée et mercantile se réduit celui où il est nécessaire d'appliquer la contrainte politique et l'Etat prolétarien tend à disparaître progressivement.
9 - Il reste à examiner les formes déterminées de l'Etat prolétarien. Il se marque certains traits de similitudes entre l'Etat prolétarien et les Etats qui le précèdent dans la suite des époques historiques - traits qui permettent dans divers cas de parler d'Etat - et d'autre part, des traits qui le distinguent où se marque la transition vers la suppression de l'Etat. Nous avons vu que l'Etat prolétarien est l'instrument dont se dote le prolétariat en vue de réprimer la classe antagonique. L'Etat du prolétariat donne également à la société le cadre administratif adéquat dont elle ne peut se doter spontanément du fait de la division en classes. L'Etat révolutionnaire permet encore, d'une manière ou d'une autre qui n'en fasse pas une structure interclassiste, aux classes et couches prolétariennes de la société d'exprimer leurs intérêts immédiats, à l'exclusion de la bourgeoisie privée de tout droit et de tout moyen d'expression. Ces tâches qui supposent l'existence de détachements armés et de fonctionnaires identifient formellement les tâches de l'Etat prolétarien aux tâches des Etats précédents. Cependant, des différences SUBSTANTIELLES distinguent l'Etat du prolétariat des Etats des anciennes sociétés divisées en classes, différences qui résultent de l'action spécifique du prolétariat sur les rapports sociaux. Le prolétariat n’exerce pas sa dictature en vue de bâtir une nouvelle société d'oppression et d'exploitation, dans le but de préserver des privilèges économiques. Le prolétariat n'a pas de privilèges économiques et son seul intérêt de classe est la socialisation réelle de la production et l'avènement du communisme. Ces caractéristiques influent sur la forme et le contenu de l'Etat :
- l'absence d'appui économique dans la société fait du prolétariat "la classe de la conscience". Il est impossible que le prolétariat délègue la responsabilité de la dictature politique à un corps de spécialistes. La classe ouvrière dans son ensemble détient le pouvoir politique (et la puissance militaire: armement du prolétariat) au sein de ses propres organismes de classe, organes centralisés de domination politique : les conseils ouvriers. Le prolétariat exerce donc lui-même en tant que classe une partie des fonctions étatiques. En outre, il modèle son Etat à son image : il supprime tous les privilèges inhérents au fonctionnement des anciens Etats (nivellement des traitements, contrôle rigoureux des fonctionnaires : électivité complète et révocabilité à tout moment) ainsi que la séparation réalisée par le parlementarisme entre organismes représentatifs et exécutifs. Pour toutes les raisons que nous venons de mentionner, action étatique des conseils et contrôle absolu de l'Etat par la classe dans son ensemble, qui suppriment le caractère « étranger » de l'appareil d'Etat, nous pouvons parler de DEMI-ETAT prolétarien.
- dès le début de la période de transition, le prolétariat entame la transformation économique de la société. Il y a corrélation entre le développement du communisme et l'extinction de l'Etat. Engels dit de l'Etat : "Quand il finit par devenir effectivement le représentant de toute la société, il se rend lui-même superflu. Dès qu'il n'y a plus de classe sociale à tenir dans l'oppression, dès que, avec la domination de classe et la lutte pour l’existence individuelle motivée par l'anarchie antérieure de la production, sont éliminés également les collisions et les excès qui en résultent, il n'y a plus rien à réprimer qui rende nécessaire un pouvoir de répression, un Etat (…/…) L'intervention d'un pouvoir d'Etat dans les rapports sociaux devient superflue dans un domaine après l'autre, et entre alors naturellement en sommeil. Le gouvernement des personnes fait place à l'administration des choses et à la direction des opérations de production. "L'ETAT N'EST PAS ABOLI, IL S'ETEINT" ». C'est seulement dans la société communiste, lorsque la résistance des capitalistes est définitivement brisée, que les capitalistes. ont disparu et qu'il n'y a plus de classe (c'est-à-dire de distinctions entre les membres de la société quant à leurs rapports avec les moyens sociaux de production), c'est alors seulement que l'Etat cesse d'exister et qu'il devient possible de parler de liberté. Cependant, le processus d'extinction de l'Etat commence dès que le prolétariat entame l'intégration des autres couches sociales à la production socialisée et la "communisation des rapports sociaux". C'est pourquoi nous pouvons caractériser l'Etat prolétarien de demi-Etat qui s'éteint.
10 - Les cris d'alarme que poussent anarchistes et conseillistes dès qu'ils entendent le mot "Etat", en invoquant une prétendue impossibilité à freiner "l’appétit de pouvoir" et de nouveaux privilèges des fonctionnaires, présentés comme "nouvelle classe dominante", relèvent d'une incompréhension des mécanismes historiques et des phénomènes économiques et sociaux. La société et l'Etat ne sont pas autant d'entités abstraites. Le marxisme démonte magistralement la mystique bourgeoise de l"'essence éternelle" de 1'Etat en analysant cette forme sociale dans le cadre matériel des déterminations économiques et des transformations résultant des confrontations de classes. Ainsi, se dégage une conception dialectique de l'Etat révolutionnaire lorsque la classe qui l'utilise l'est également ; contre-révolutionnaire s'il est l'instrument de préservation d'une classe décadente. L'Etat prolétarien, par sa forme et son contenu, directement déterminés par les tâches et le programme du prolétariat, est essentiellement un organe de la classe dominante qui s'en sert en vue d'abolir les contradictions de classes, et par là l'Etat prolétarien lui-même. Il n'est pas un organisme de statu quo, pas plus qu'une structure visant à concilier des intérêts de classes antagoniques. Il est un instrument de violence sociale utilisé par le prolétariat contre la bourgeoisie et les rapports de production qu'elle personnifie. L'Etat prolétarien est également un organe dont le prolétariat se sert pour diriger l'ensemble des classes et couches exploitées de la société.
11 - Il reste à envisager l'éventuelle dégénérescence de l'Etat. Il est bien évident qu'en dernière instance, aucune mesure formelle ne peut contrer la dégénérescence de l'Etat, ni d'ailleurs de tout autre organe prolétarien. Mais la dégénérescence ne provient jamais de soi disant tares formelles intrinsèques à l'appareil étatique. Une telle conception métaphysique et subjectiviste de l'histoire est étrangère au marxisme. En ce qui concerne la révolution russe, avec les diverses substitutions qui se sont produites au cours d'un processus où s'entrecroisaient étroitement révolution et contre-révolution, les identifications parti-Etat, Etat prolétariat, ne sont pas à l'origine d'une dégénérescence de la révolution, MAIS EN CONSTITUENT LA CONSEQUENCE.
S'il est nécessaire de lutter avec énergie contre toutes les tendances substitutionnistes qui identifient diverses formes de la dictature du prolétariat (qui toutes remplissent des fonctions spécifiques), il serait illusoire de croire éviter par ce biais tout risque de dégénérescence. Le mécanisme des conseils lui-même peut tomber sous des influences contre-révolutionnaires. Il n'existe aucune immunisation formelle ou constitutionnelle contre ce danger, qui se trouve UNIQUEMENT déprendre du développement intérieur et MONDIAL du rapport des forces sociales. La décomposition interne de l'Etat prolétarien suppose qu'au préalable l'organisation centralisée du prolétariat ait commencé à se disloquer et à se vider du contenu révolutionnaire. Ainsi que le CCI le répète inlassablement, la SEULE garantie réelle contre les risques de recul réside dans la conscience de classe prolétarienne, liée aux progrès de la Révolution.
SAM.
CONTRIBUTION A L'ETUDE DE LA QUESTION DE L'ETAT.
Seule l'expérience historique du prolétariat constitue la base réelle sur laquelle les révolutionnaires entendent élaborer le programme communiste. Contre les philistins, les invariants en chambre et les alchimistes de la révolution, ils affirment l'unité fondamentale entre la pratique et la théorie de la classe ouvrière et c'est en se référant aux exemples concrets de la lutte de classe qu'ils peuvent tracer les perspectives plus lointaines du mouvement révolutionnaire, mettre le prolétariat en garde des nombreux pièges qui lui sont tendus, déblayer théoriquement les obstacles qui surgiront sans nul doute sur le chemin de la révolution.
Car si les révolutionnaires n’ont pas à trancher des questions dont le prolétariat n’a pas encore fait l'expérience concrète, ils peuvent néanmoins sur base de 1'acquis historique de la classe ouvrière tenter de jeter les premières bases théoriques dans la compréhension de certains problèmes fondamentaux. La question du programme communiste et des perspectives révolutionnaires, loin de se situer sur un plan mental et purement spéculatif, constitue un problème réel, lié à la prise de conscience du prolétariat - prise de conscience qui n'est que la destruction pratique et théorique des rapports sociaux capitalistes. – C’est pourquoi le travail de théorisation entrepris par les révolutionnaires s'enrichit sans cesse par l'action historique et présente du prolétariat ainsi que par son passé dont ils tirent de précieux enseignements en vue de tracer les perspectives générales, les prévisions du mouvement ouvrier.
« Prévoir n'est donc pas inventer mais dévoiler en allant au-delà des apparences phénoménales le contenu nouveau qui gît dans les entrailles de la vieille société. C'est seulement ainsi que la théorie peut devenir un facteur actif, un guide pour l'action et le socialisme une transformation révolutionnaire consciente de la société. » [Parti de Classe.]
C'est en tirant les leçons de l'expérience de l'insurrection de 1848 et plus encore de la Commune de Paris de 1871 que Marx et Engels ont été amenés à abandonner les perspectives élaborées dans le Manifeste Communiste, perspectives selon lesquelles le prolétariat devait s'emparer de l'Etat bourgeois. De la même manière les révolutionnaires aujourd'hui doivent se pencher sur la grande vague révolutionnaire de 1917-1923 - première tentative réelle du prolétariat de s'affirmer en classe révolutionnaire consciente de son rôle historique : la prise du pouvoir - afin d'en retenir tous les apports en ce qui concerne l'organisation et la prise du pouvoir du prolétariat.
La révolution Russe nous a enseigné la nécessité pour la classe ouvrière d'affirmer son autonomie et de s'organiser en conseils ouvriers. Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité les bases concrètes, objectives de la transformation consciente des rapports sociaux capitalistes par une classe révolutionnaire et exploitée étaient posées. Mais encore une fois, il ne suffit pas de se dire que les conditions économiques, matérielles liées à l'entrée du capitalisme dans sa période de déclin "permettent", "déterminent" la révolution prolétarienne.
"Pour accéder au communisme les prémisses économiques objectives sont insuffisantes car le communisme ne peut surgir indépendamment de la prise de conscience du prolétariat et apparaître comme le résultat d'un processus mécanique fatal s'opérant derrière son dos". [Parti de Classe]
La révolution communiste se présente d'emblée comme un processus dialectique conscient balayant les obstacles concrets empêchant le développement des forces productives. C'est pour cette raison que théorie et pratique sont indissociables. Affirmant depuis son apparition même son opposition brutale en tant que classe exploitée à l'existence du capitalisme le prolétariat éprouve depuis toujours la nécessité de se doter des instruments indispensables à sa prise de conscience. La révolution russe confirme d'une manière éclatante cette nécessité pour la classe ouvrière d'accéder à la conscience globale de la société et de sa situation ; Le rôle du Parti Bolchevik, son impossibilité à résoudre une série de problèmes non tranchés par la pratique du prolétariat, sa dégénérescence, sont autant d'éléments fondamentaux pour la compréhension et la clarté de l'engagement des révolutionnaires dans le processus de cette conscience.
Prétendre renouer avec les acquis de la révolution russe et nier le rôle déterminant du Parti Bolchevik dans celle-ci sous prétexte des tendances substitutionnistes et les nombreuses erreurs qu'il sera amené à commettre par la suite, c'est faire preuve d'un purisme inutile, cela revient à tomber dans la sociologie bourgeoise la plus plate. Les révolutionnaires n’ont pas à porter des jugements étiques sur les événements du passé, ni même à les refléter mécaniquement, l'objectivité sociologique n'est pas non plus de leur ressort. Ils théorisent les expériences passées en vue d'un but final ; c'est pour cette raison qu'ils constituent une organisation révolutionnaire intervenant dans le mouvement ouvrier et non pas un groupe de discussion.
« La tâche de la théorie n'est pas de refléter la réalité immédiate (ce qui suppose qu'elle arrive après coup et que donc, elle ne joue aucun rôle actif) mais de prévoir à partir de cette réalité les grandes tendances historiques qui s'en dégagent. » [Parti de Classe]
Seule la vision globale de la révolution russe et de sa dégénérescence vers le capitalisme d'Etat, dans toutes ses implications nous permet de tracer pour la période de transition quelques perspectives générales concernant la dictature du prolétariat et plus spécifiquement le problème de l'Etat. .
LA DICTATURE DU PROLETARIAT ET LE PROBLEME DE L'ETAT DANS LA PERIODE DE TRANSITION
LA DICTATURE DU PROLETARIAT
C'est un acquis fondamental aujourd'hui pour le mouvement révolutionnaire que la dictature du prolétariat doit se faire au travers des conseils ouvriers centralisés au niveau mondial. Déjà le mot d'ordre révolutionnaire "tout le pouvoir aux soviets" exprimait la compréhension des révolutionnaires face à la prise du pouvoir politique par le prolétariat et le refus de toute conciliation interclassiste ou toute forme de compromis avec la bourgeoisie. Mais la dictature du prolétariat ne représente pas une fin en soi, la réponse à tous les problèmes posés par le passage du mode de production capitaliste au mode de production communiste. La dictature prolétarienne représente en fait une condition indispensable à ce passage mais elle ne constitue pas une panacée ; l'action consciente de toute une classe en vue de la transformation des rapports sociaux périmés ne se résume pas à imposer un pouvoir politique face aux autres classes. La dictature du prolétariat ne constitue en fin de compte que la transition vers l'abolition de toutes les classes, l'instauration d'un mode de production sans classe. La mission historique du prolétariat ne saurait s’attacher à la simple domination politique de la société ; classe sociale à la fois révolutionnaire et exploitée sa mission consiste à faire faire à l’humanité le saut "du règne de la nécessité dans le règne de la liberté" et à libérer celle-ci de toute forme d'exploitation quelle qu'elle soit. La dictature du prolétariat ne saurait en elle-même constituer un garant de cette mission, elle ne constitue qu'un simple outil au service d'un processus complexe qui requiert l’intervention consciente de la classe ouvrière. C'est pourquoi la transition du capitalisme vers le socialisme après la prise du pouvoir par le prolétariat ne se fera pas par des décrets mais nécessitera une longue période transitoire pendant laquelle le prolétariat s'attaquera aux vestiges de l'ancienne société, intégrera les autres classes au procès de production, s'attachera à la construction d'une nouvelle société.
Cette période de transition s'échelonnant entre le capitalisme et le communisme lourde de la "tradition de toutes les générations de morts (qui) pèsent comme un cauchemar sur le cerveau des vivants" Marx, porte encore les traces de la société capitaliste. ; "Nous avons affaire, nous dit Marx, à une société non pas telle qu’elle s’est développée sur les bases qui lui sont propres, mais telle qu’elle vient au contraire de sortir de la société capitaliste ; par conséquent une société qui sous tous les rapports : économique, moral, intellectuel, porte encore les stigmates de l'ancienne société des flans de laquelle elle sort".
Ce qui signifie concrètement : subsistance des classes sociales et de leur antagonisme, subsistance de la loi de la valeur (bien qu’elle doive subir de profondes modifications de nature à la faire progressivement disparaître), existence de formes sociales intermédiaires destinées à disparaître mais rendues indispensables au maintien d'une certaine cohérence sociale… C'est ainsi que le prolétariat devra recourir à l'Etat, organisme de contrainte, "fléau dont le prolétariat hérite dans sa lutte pour arriver à sa domination de classe, mais dont il devra, comme l'a fait la Commune et dans la mesure du possible atténuer les plus fâcheux effets jusqu'au jour où une génération élevée dans une société d'hommes libres et égaux pourra se débarrasser de tout ce fatras gouvernemental" (Engels), mal nécessaire rendu inévitable par la subsistance des classes sociales.
L'existence de cet Etat ne doit pourtant en aucune manière représenter un frein à la dictature du prolétariat et plus encore à la transformation consciente de la société ; c'est pourquoi la dictature du prolétariat devra affirmer son autonomie par rapport aux autres classes et s’opposer à toute forme de dictature du Parti ou toute forme de substitution Parti-Etat, Classe-Etat, Parti-Classe. En refusant à une minorité de révolutionnaires « professionnels » d'exercer le pouvoir politique la classe ouvrière et les conseils où elle s'organise, confirment la nécessité à sa place pour la dictature prolétarienne d'être 1’action consciente de l'ensemble de la classe. Quant au Parti révolutionnaire, s’il continue à jouer un rô1e déterminant pendant la période de transition, il n'en reste pas moins distinct des conseils ([2] [103]) et ne s'apprête nullement à exercer un pouvoir quelconque au sein de celle-ci.
« Le futur parti communiste n’aura pas d’autres armes que sa propre clarté théorique et son engagement politique envers le programme communiste. Il ne peut pas rechercher le pouvoir pour lui-même, mais doit lutter au sein de la classe pour l’application de programme communiste. En aucun cas, il ne peut forcer la classe dans son ensemble à mettre ce programme en pratique, pas plus que le mettre en pratique lui-même. Car le communisme n’est créé que par l’activité consciente de la classe dans son ensemble. » (WR, RINT n°1)
LE PROBLEME DE L'ETAT
Le prolétariat une fois victorieux et la révolution étendue à l'ensemble du monde la période de transition entre le capitalisme et le socialisme voit surgir un Etat foncièrement différent de l'Etat bourgeois (dont le prolétariat s'est débarrassé durant la guerre civile) mais qui n’en conserve pas moins le caractère coercitif de tout Etat. Mais comment expliquer dans ce cas la contradiction apparente entre l'existence d'un organe conservateur et la nécessité pour le prolétariat de procéder à la transformation radicale de la société ? La réponse est toute entière contenue dans la nature même de la période de transition et dans le caractère essentiellement ambigu de celle-ci (c'est pourquoi contre cette ambiguïté même le prolétariat n'aura que deux armes à opposer: le pouvoir des conseils ouvriers et sa conscience de classe).
1 - destruction de l’Etat bourgeois"
« Le prolétariat apparaît comme la première classe révolutionnaire dans l'histoire à qui incombe la nécessité d'anéantir la machine bureaucratique et policière, de plus en plus centralisée, dont toutes les classes exploiteuses s'étaient servies jusqu'ici pour écraser les masses exploitées. Dans son « 18 Brumaire », Marx souligna que "toutes les révolutions politiques n'ont fait que perfectionner cette machine au lieu de la briser". Le pouvoir centralisé de l'Etat remontait à la monarchie absolue, la Bourgeoisie naissante s'en servi pour lutter contre la féodalité, la Révolution française ne fit que le débarrasser des dernières entraves féodales et le Premier Empire paracheva l'Etat moderne. La société bourgeoise développée transforma le pouvoir central en une machine d’oppression du prolétariat » (Mitchell, Problèmes de 1a période de transition, in Bilan).
Le prolétariat, première classe révolutionnaire exploitée dans l'histoire, loin de s’attacher à conquérir l'Etat bourgeois devra s'efforcer au contraire de s'attaquer directement à lui, de le détruire entièrement et d'imposer son pouvoir au travers des conseils qui constitueront le prolétariat en armes (c'est la classe dans son ensemble qui sera armée et non une "armée rouge", un corps armé détaché d'elle). Mais cette destruction ne s’attachera pas uniquement à la disparition de l'Etat bourgeois, le prolétariat aura une seconde tâche : celle de détruire progressivement l'Etat rendu nécessaire pendant la période de transition et qui constitue un organe de statu quo par excellence ; la dictature du prolétariat ne consiste donc nullement à prendre en main l'Etat bourgeois ou à détruire celui-ci en vue de la mise en place d'un Etat prolétarien identifié à la classe. Fondamentalement, la révolution prolétarienne est d'ordre politique et affirme le pouvoir d'une classe révolutionnaire consciente dans son ensemble. Mais si la prise du pouvoir politique par le prolétariat ouvre la voie aux bouleversements des rapports sociaux capitalistes et à l'instauration de la société communiste, celle-ci ne surgira pas spontanément et automatiquement des entrailles de l'ancienne société.
"Oui, la classe ouvrière n'est pas séparée de la vieille société bourgeoise par un mur chinois. Lorsque la révolution éclate, les choses ne se passent pas comme à la mort d'un homme où l'on emporte et enterre son cadavre. Au moment où la vieille société périt, on ne peut pas clouer ses restes dans une bière et les mettre dans la tombe. Elle se décompose au milieu de nous, elle pourrit et sa pourriture nous gagne nous-mêmes. Aucune grande révolution au monde ne s'est accomplie autrement et il ne saurait en être autrement. C'est justement ce que nous devons combattre pour sauvegarder et développer les germes du nouveau au milieu de cette atmosphère empestée des miasmes du cadavre en décomposition". (La lutte pour le pain. Discours prononcé par Lénine au C.C.E.)
2 - nécessite d'un Etat pendant la période de transition
Ainsi que nous venons de le voir, les classes ne seront pas entièrement abolies après la prise du pouvoir par le prolétariat. Or, tant que les classes existent, existe, pour contenir les antagonismes de classes et empêcher que la société "ne vole en éclats", un Etat. Le prolétariat, loin d'utiliser cet Etat pour exploiter les autres classes, s'en servira dans le but d'amener petit à petit les autres parties de la société à intégrer le procès de production, il en possède donc le contrôle absolu et s'en sert pour "régulariser ses relations avec les autres classes" ; de là à dire que le prolétariat et l'Etat sont identiques ou que la dictature du prolétariat exercera aussi des fonctions étatiques, il y a un pas vite franchi, mais qu'il faut se garder de faire. Identifier l'Etat au prolétariat revient à mal poser le problème et ne fait qu'embrouiller les choses. Cette confusion classe-Etat révèle, en fait, une incompréhension du caractère profondément politique de la révolution prolétarienne et du moteur objectif essentiel qui l'anime.
La période de transition, nous l'avons vu, est toute entière contenue dans cette contradiction :
a - d'une part, le prolétariat possède le pouvoir politique par l'intermédiaire de ses conseils ouvriers en armes ;
b - d'autre part, les classes subsistent ainsi que la loi de la valeur et le prolétariat reste une classe exploitée, celle qui ne possède aucun pouvoir économique particulier au sein de la société.
C'est cette contradiction apparente qui encourage la dynamique révolutionnaire vers l'abolition des rapports marchands, la socialisation de la production, la mise en place progressive de nouveaux rapports sociaux. Or, cette transformation consciente ne se réalise que si le prolétariat intègre à lui l'ensemble de la société et ce processus se fait non seulement à l'extérieur de l'Etat mais encore lui est profondément "contraire" dans la mesure où il tend à détruire celui-ci, à le rendre de plus en plus inutile. Le prolétariat reste donc une classe exploitée pendant la période de transition et cette exploitation est inversement proportionnelle à la destruction de l'Etat et des classes sociales.
A 1’inverse des révolutions passées qui couronnaient politiquement un pouvoir économique déjà en place, la révolution prolétarienne et le passage du mode de production capitaliste au mode de production communiste implique une conscience globale de ce passage. Alors que l’Etat bourgeois était progressif dans l’histoire en brisant les rapports féodaux et en affirmant les rapports capitalistes, l'Etat dans la période de transition constitue de par sa nature même un mal conservateur mais nécessaire, qui ne met pas la dictature du prolétariat en question mais qui traduit la situation même de la période de transition : période charnière pendant laquelle le prolétariat détruit peu à peu le cadavre capitaliste, les derniers vestiges pourrissant des rapports de production marchands.
c – Le prolétariat doit donc rester autonome par rapport aux autres classes et transformer consciemment la société ; or l'Etat incarne précisément l'existence de classe, il est l'expression concrète d'une nécessité de régulation, d'échange entre le prolétariat et les autres classes subsistantes, il concrétise une nécessité coercitive face aux antagonismes de classe qui restent après la prise du pouvoir par le prolétariat ; dans une certaine mesure, il est la matérialisation super structurelle de l'existence de l'exploitation (liée à l'échange et à la division sociale du travail du prolétariat pendant la période de transition). C'est pourquoi, même si les négociations entre prolétariat et autres classes se feront toujours dans l'intérêt de la classe ouvrière et sous contrôle des conseils, les tâches étatiques pendant la période de transition et la transformation consciente des rapports sociaux bien que relevant d'un-même processus : la dictature du prolétariat représentent deux choses bien distinctes.
« Seul le prolétariat contient en lui-même les bases des rapports sociaux communistes, seul le prolétariat est capable d’entreprendre la transformation communiste. L'Etat peut au mieux aider à conserver les acquis de cette transformation (et au pire y faire obstacle) mais il ne peut en tant qu'Etat se charger de cette transformation. C'est le mouvement social du prolétariat tout entier, par son activité créatrice propre qui anéantira la domination du fétichisme de la marchandise et construira de nouveaux rapports entre les êtres humains. » (W.R, RINT n°1)
Nous nous devons de ne pas confondre l'outil avec celui qui s'en sert.
d - Il est indispensable, dans le processus même de la prise de conscience du prolétariat, que l’Etat soit distinct de la classe, dans la mesure où le prolétariat doit agir en vue de ses intérêts finaux, intérêts qui ne sont pas le maintien de l'exploitation et des classes sociales ni la dictature du prolétariat en elle-même mais qui résident dans l’abolition des classes par le changement conscient des rapports de production. Ces intérêts sont donc en contradiction avec la fonction même de l'Etat et sa nature conservatrice. Un vieux dicton populaire affirme qu’un ennemi connu vaut mieux que trop d’amis inconnus. Le prolétariat, en se distinguant nettement de l'Etat, prend conscience de l'existence de cet « ennemi » utile et sur lequel il peut exercer, un véritable contrôle (on ne contrôle effectivement que ce qui est séparé de soi, sans cela il ne s'agit plus d'un contrôle).
La seule garantie qu'il possède de bouleverser les rapports sociaux d'une manière consciente réside dans la vision globale qu'il doit avoir de ce qui est à détruire et de ce qui est à construire. Ainsi l'Etat constitue bien un organe nécessaire mais à détruire progressivement.
"Ce qui doit retenir notre attention, c’est que le postulat du dépérissement de l'Etat prolétarien est appelé à devenir en quelque sorte la pierre de touche du contenu des révolutions prolétariennes. Nous avons déjà indiqué que celles-ci surgissaient dans un milieu historique obligeant le prolétariat à supporter un Etat, bien que ce ne put être « qu'un Etat, en dépérissement, c'est-à-dire constitué de telle sorte qu'il commence sans délai à dépérir et qu’il ne puisse pas ne point dépérir » (Lénine). (Mitchell, Problèmes de la période de transition in Bilan),
Apparente contradiction entre le caractère essentiellement dynamique de la période de transition, c'est-à-dire de la dictature du prolétariat, et la nécessité de l'Etat maintien d'un statu quo, apparente contradiction entre l'existence de cet Etat et le but du prolétariat qui réside précisément dans la destruction de cet organe conservateur et l'abolition des classes… toutes ces ambiguïtés touchent la nature même de la période de transition et nous révèle le caractère foncièrement difficile et douloureux de cette période et les tâches immenses que la classe ouvrière aura à assumer, la condition sine qua non de sa conscience radicale de ses intérêts ainsi que le danger toujours présent d'un retour au capitalisme parce que les germes du communisme auront à se développer dans l'atmosphère empestée des miasmes du cadavre capitaliste en décomposition.
J.L.
[1] [104] "Exceptionnellement, il se présente pourtant des périodes où les classes en lutte sont si près de s'équilibrer que le pouvoir de l'Etat, comme pseudo-médiateur, garde pour un temps une certaine indépendance vis-à-vis de l'une et de l'autre. (...) Telle la monarchie absolue des XVIIème et XVIIIème siècles, tel le bonapartisme du Premier et du Second Empire en France, tel Bismarck en Allemagne." ENGELS
[2] [105] Et cela même si l’influence des révolutionnaires se fait de plus en plus efficacement ; même si pendant cette période l’unité entre la théorie et la pratique devient telle que le prolétariat reconnaît en l'organisation des révolutionnaires le porteur de ses intérêts finaux.
La section du Courant Communiste International en Grande Bretagne, World Revolution, a tenu son Premier Congrès en Avril de cette année. Le Congrès a été consacré au bilan du travail de la section et, dans le cadre du rapport sur la situation internationale issu du Premier Congrès du CCI (voir Revue Internationale n° 5), a discuté sur les perspectives de la crise et de la lutte de classe en Grande-Bretagne ainsi que sur le rô1e des révolutionnaires et le travail global du CCI.
Le Premier Congrès de World Revolution était, avant tout, un Congrès "de travail" dans la mesure où il a permis à WR de se rendre compte consciemment au sein du CCI de son développement, de sa maturation et de sa capacité à intervenir dans la lutte de classe. C'était également l'occasion de tirer le bilan des origines de WR et de ses activités depuis que la section a contribué à la fondation du CCI.
Le Congrès s'est prononcé pour une publication plus fréquente de WR dans la mesure où nos publications sont à l'heure actuelle notre principal moyen d'intervention, l'instrument essentiel à travers lequel la voix des révolutionnaires se fait entendre. Le Congrès a également accepté des résolutions et documents qui expriment la prise de position du CCI face aux questions vitales posées à la classe ouvrière aujourd'hui. Parmi ces documents, il faut signaler la "Perspective sur la crise et la lutte de classe en Grande Bretagne" et les "Thèses sur la lutte de classe en Grande Bretagne" qui se trouveront dans le n°7 de la revue WR. Dans la décadence du système capitaliste, les conditions de la lutte du prolétariat se sont généralisées partout dans le monde ; les travaux cités ci-dessus représentent un effort pour concrétiser l'analyse de la période actuelle pour l'intervention militante dans le contexte de la Grande Bretagne, pays d'Europe particulièrement frappé par la crise du système.
Dans ce numéro de la Revue Internationale, nous présentons un autre document discuté et approuvé par le Congrès : « l'Adresse aux révolutionnaires en Grande Bretagne ». Cette adresse est une contribution des camarades de WR sur la préoccupation fondamentale de tous les révolutionnaires de notre période : la nécessité d'unifier et de regrouper toutes les forces révolutionnaires autour des positions de classe, des acquis de la lutte historique du prolétariat. Après 50 ans de contre-révolution, cette nécessité est d'autant plus urgente et cruciale que les forces du prolétariat, encore faibles et dispersées, doivent faire face aux tâches immenses de notre époque de crise et de montée de la lutte prolétarienne
L'acquis fondamental de ce congrès de WR, c'est la réaffirmation de l'unité du CCI et le renforcement politique et organisationnel de ses sections afin de pouvoir assumer effectivement les tâches pour lesquelles une organisation des révolutionnaires surgit au sein de la classe ouvrière comme instrument de sa lutte.
ADRESSE AUX REVOLUTIONNAIRES EN GRANDE BRETAGNE
Dans la période actuelle de montée de la lutte de classes, les révolutionnaires du monde entier doivent regrouper leurs forces afin d'être capables d'intervenir efficacement dans le mouvement de la classe qui mène à la révolution. Après cinquante ans de contre révolution triomphante pendant lesquels la continuité organique avec le mouvement ouvrier du passé a été rompue, la constitution du Courant Communiste International comme pôle révolutionnaire clair et cohérent est un moment vital du processus de regroupement international qui aboutira à terme au surgissement du parti communiste mondial.
Cette rupture de la continuité organique est particulièrement évidente en Grande Bretagne où il n'y a pas eu de tradition de communisme de gauche depuis la disparition de Workers ' Dreadnought en 1924. Aujourd’hui le mouvement révolutionnaire en Grande Bretagne est extrêmement restreint et les éléments qui tendent à venir aux idées révolutionnaires doivent encore comprendre la nécessité de rompre radicalement avec l'influence du trotskisme, celle des libertaires, du marginalisme et d'autres idéologies bourgeoises. Tout ceci ne peut que renforcer l'importance de la présence du CCI en Grande Bretagne à travers World Révolution. Au fur et à mesure que la lutte de classe se développera, WR aura une lourde responsabilité en agissant comme pôle de regroupement communiste en Grande Bretagne. Dans ce contexte, ce Congrès
- regrette que d'autres expressions du ressurgissent du mouvement communiste en Grande Bretagne - en particulier les éléments qui constituent aujourd'hui la Communist Workers’ Organisation - n'aient pas réussi à comprendre la nécessité du regroupement et soient tombés dans une attitude sectaire qui ne peut que servir à fragmenter le mouvement révolutionnaire aujourd'hui.
- affirme que la plate forme du CCI exprime les acquis fondamentaux de l'expérience historique du prolétariat.
- appelle tous les révolutionnaires en Grande Bretagne à reconnaître la nécessité de la centralisation et de l'unification de l'activité révolutionnaire, à se regrouper avec le CCI et à participer à en faire un facteur actif et fondamental dans la reconstitution du parti mondial de la révolution communiste.
REVOLUTIONNAIRES DE TOUS LES PAYS, UNISSEZ – VOUS !
1 - C'est par un mouvement d'oscillation de plus en plus chaotique entre l'inflation aiguë et la récession brutale que le capitalisme s'enfonce progressivement dans la crise. Si, à chacun de ces balancements les pays les plus puissants peuvent s'accorder un court répit baptisé pompeusement « reprise », c'est au détriment des économies les plus faibles qui, les unes après les autres, dans un mouvement qui va de la périphérie vers le centre, du tiers monde vers les métropoles industrielles, sont plongées dans un chaos sans espoir. En Europe, le faible capital portugais a été le premier à être frappé de cette façon. Aujourd'hui, au milieu d'un capitalisme qui se laisse bercer par les douces clameurs de la « reprise », l’Italie a pris à son tour le rôle de « l'homme malade". Des dizaines de milliards de dollars de dettes, une inflation aux allures « sud américaines », une monnaie qui n’en finit pas de s'effondrer, une productivité dont aucune mesure n'arrive à enrayer la chute : la « miracle italien » s'est transformé en cauchemar pour la bourgeoisie.
2 – A présent les conditions de ce fameux « miracle », non seulement sont complètement épuisées, mais se sont partiellement converties en handicaps supplémentaires pour le capital italien. Les relatifs succès de celui-ci dans la deuxième après-guerre et qui ont masqué le fait qu'il restait structurellement faible et très dépendant du capital étranger, s’appuyaient en bonne partie sur l'existence dans le pays même d’un important secteur agricole arriéré qui a constitué une réserve massive de forces de travail bon marché. C'est par l'exploitation de cette main-d’œuvre que le capital italien a pu mettre à profit la période de reconstruction pour se constituer d’importants marchés en Europe particulièrement dans le domaine des biens de consommation (automobile, habillement, électroménager). A cette condition favorable il faut ajouter l’inexistence pour l’Italie de problème colonial qui a pu entraver le développement et la compétitivité d’autres pays européens concurrents (France, Portugal, Espagne, Belgique).
Ce faisceau de conditions favorables s'est disloqué avec la fin de la reconstruction : la solution des problèmes coloniaux des autres pays avaient signifié la fin de l'avantage de l’Italie sur ce plan alors qu'en même temps, venaient s'accumuler sur son économie des difficultés croissantes. En particulier, au moment où un marché international de plus en plus rétrécit n'arrivait plus à absorber la production de cette économie, le secteur agricole arriéré devenait un réservoir de chômeurs à la charge de la collectivité tout en demeurant incapable de fournir les besoins alimentaires de la population et se convertissaient de ce fait en un lourd boulet au pied du capital italien. Par ailleurs le rapide développement de la production industrielle de l’après-guerre dans un pays où le sous-développement maintenait une forte empreinte avait créé une série de déséquilibres internes et de facteurs d'instabilité tant sur les plans économiques que sociaux et politiques. C'est pour cela que contrairement au capital anglais, par exemple, dont les effets d'une crise sévère sont amortis par tous les rouages que la bourgeoisie la plus épanouie du monde a, depuis plus d'un siècle, mis en place, le capital italien se trouve être à l 'heure actuelle en Europe un des plus démuni face au déferlement de la crise.
3 - Ces faiblesses du capital italien se sont traduites sur le plan social par le développement d’un mouvement de luttes de classe qui, depuis le « Mai rampant » de 1969, a placé le prolétariat d'Italie aux premières lignes du prolétariat mondial pour la profondeur et l'extension de ses luttes et qui, dès lors, a constitué un handicap supplémentaire pour ce capital. Sur le plan politique, ces faiblesses se sont manifestées dans une succession de crises gouvernementales qui, si elles ne réussissaient pas à perturber sérieusement le « Boom » de la période de reconstruction, sont devenues une entrave supplémentaire à toute tentative de remise en ordre économique quand la crise aiguë est arrivée. A la base de cette vulnérabilité de l’appareil politique du capital italien il faut situer le vieillissement, l'usure et la corruption croissante du parti dominant, la Démocratie Chrétienne, qui, s'appuyant sur les secteurs les plus anachroniques de la société italienne et engoncée dans un exercice presque solitaire du pouvoir depuis 30 ans, est de moins en moins apte à gérer le capital national. Cette carence de l'appareil politique est à la base d'un "laisser-aller" généralisé au sein de l'institution étatique qui, à l'heure où la situation requiert son intervention résolue dans l'économie nationale, se trouve en fait de plus en plus impuissante.
4 - Malgré cette accumulation de faiblesse, le capital italien dispose d'un atout de tout premier ordre qui, s'il ne peut aujourd'hui accomplir de nouveau « miracle », constitue un de ses derniers recours : Le Parti "communiste" (P.C.I.).
Avec des effectifs qui dépassent le million, un électorat de 12 millions, doté d'une organisation hautement structurée, le P.C.I. constitue la plus grande force politique d'Italie, le parti stalinien le plus puissant des pays occidentaux et un des tous premiers partis politiques de l'ensemble de l'Europe. Exerçant un contrôle très efficace sur les travailleurs, particulièrement à travers la première centrale syndicale d'Italie, la C.G.I.L., le P.C.I. s'est par ailleurs acquis une forte expérience dans la direction des « affaires publiques » à la tête des villes les plus importantes d'Italie et d'un nombre appréciable de régions.
Poursuivant le travail inauguré par la mobilisation, à travers la "résistance" du prolétariat italien dans la Seconde Guerre mondiale, ainsi que par son encadrement et sa répression (le camarade-ministre Togliatti n'a pas hésité à faire tirer sur les ouvriers quand il était au gouvernement) au service de la « reconstruction nationale », le P.C.I. s'est illustré, surtout depuis 1969, par un appui efficace à son capital national. Que ce soit par une gestion "saine" des municipalités et des régions qu'il contrôle, par un soutien discret de la politique gouvernementale (depuis plusieurs années la majorité des lois, y compris certaines des plus répressives, adoptées par le Parlement ont été votées par le P.C.I.) ou par son activité de maintien de l'ordre dans les entreprises, ce "parti de la classe ouvrière" a fait preuve d'un "sens élevé de ses responsabilités"… capitalistes. Dans ce dernier domaine, il a manifesté, après 1969, une grande habileté récupérant et intégrant dans, le syndicalisme officiel les organes extra- et même antisyndicaux surgis du "Mai rampant". A travers l'organisation de "journées d'action" démobilisatrices, la prise en charge par sa courroie de transmission syndicale de différents mouvements "d'auto réduction" des loyers et des tarifs publics, l'agitation du "danger fasciste" et la mise en avant d'une perspective de participation gouvernementale présentée comme devant tirer le pays du mauvais pas où il se trouve, le P.C.I. a réussi jusqu'à présent à dévoyer le mécontentement croissant des ouvriers et à le canaliser vers des impasses.
5 - Si la politique "d'opposition constructive" du P.C.I. a permis pendant plusieurs années d'éviter au capital italien une catastrophe encore plus grande, la situation présente met à l'ordre du jour, et de façon urgente, une participation beaucoup plus directe de ce parti à la gestion de celui-ci. En effet, la perspective d'une entrée du P.C.I. au gouvernement ne saurait constituer indéfiniment un facteur de temporisation de la lutte de classe si son échéance en est continuellement repoussée. Le plan draconien d'austérité indispensable pour ralentir la marche de l'économie italienne vers la banqueroute n'a de chance d'être toléré par la classe ouvrière que s'il est mis en œuvre par un gouvernement dans lequel elle a l’impression que ses intérêts sont directement représentés. Et cette coloration "ouvrière", seul le P.C.I. est en mesure de l'apporter par une présence effective au sein de cette institution : une prolongation trop grande d'un soutien extra-gouvernemental du P.C.I. à une politique de "rigueur" risquerait de faire rejaillir sur lui l'impopularité d'une telle politique sans qu'il puisse pour autant agiter en contrepartie le mythe de la "victoire ouvrière" que constitue la présence des camarades à la tête de l'Etat.
Plus généralement, l'accession du P.C.I. à un rôle gouvernemental permettrait de renforcer notablement l'Etat italien non seulement dans sa fonction de mystification des travailleurs mais aussi dans sa capacité à assumer l'ensemble de ses tâches. Se présentant comme le champion de « l'ordre », de la "morale", et de la "justice sociale"', le P.C.I. est, sur l'éventail politique, le parti le moins lié à la défense des petits intérêts particuliers, plus ou moins parasitaires d'une « clientèle » et donc celui qui est aujourd'hui le mieux armé pour faire réellement passer les intérêts généraux du capital national devant ces intérêts et privilèges particuliers. Il est en particulier le seul qui puisse contribuer efficacement à la mise sur pied de mesures de capitalisme d'Etat imposées par la profondeur de la crise et qui, dans un pays où le secteur étatisé est déjà dominant dans l’économie, passent en premier lieu par une restauration de l'autorité de l'Etat lui-même. Il est le seul qui peut présenter ces mesures nécessaires de défense du capital comme de "grandes victoires" pour la classe ouvrière et donc d'en faire des instruments efficaces de mystification mais, de plus, cet "Etat fort" que le PCI réclame et qu'il se propose explicitement de contribuer à établir est la condition première du rétablissement de "l'ordre" dans la rue et dans les usines et donc d'une exploitation accrue de la classe ouvrière.
6 – L’extrême vulnérabilité du capital italien, s'il met à l'ordre du jour l'adoption de mesures d'urgence sur le plan intérieur, le place en même temps sous une très grande dépendance par rapport aux autres pays d'Europe et par rapport au bloc impérialiste de tutelle : celui des U.S.A. Ceci explique que, depuis de nombreuses années déjà et de plus en plus à l'heure actuelle, le P.C.I. ait officiellement distendu ses liens avec l'URSS et se soit fait le défenseur de la C.E.E. comme du maintien de l'Italie dans l’OTAN. De plus, parfaitement conscient du fait que le bloc occidental ne pouvait absolument pas accepter une position dominante à la tête du gouvernement d'un PCI même défenseur affiché de la C.E.E et de l’OTAN, ce parti a axé toute sa perspective dans le "compromis historique" (alliance PC-PS-DC) dans lequel il serait minoritaire et non dans une alliance de la seule gauche qu'il dominerait massivement. En cela, il se distingue des PC français et portugais qui, eux, peuvent miser sur une alliance avec le PS dans la mesure où, dans leurs pays respectifs, ils sont moins forts que les PS et qu’ils ne joueraient que les seconds rôles dans « l'union de la gauche ». Même si la participation des PC au gouvernement devient absolument indispensable dans certains pays d'Europe occidentale, la seule chose que le bloc américain puisse permettre, c'est une participation minoritaire : l'éviction, à la suite d'une pression massive des pays occidentaux, du PC portugais d'un pouvoir qu'il exerçait presque seul en constitue une autre illustration probante.
Les partis communistes sont avant tout des partis du capital national et c'est comme tels que, dans la division du monde en blocs impérialistes par rapports auxquels chaque capital national doit se déterminer, ils représentent la fraction de celui-ci la plus favorable à une alliance avec l'URSS ou à une plus grande indépendance à l'égard des USA. De ce fait également, si les options d'origine des PC en politique internationale entrent en conflit avec une défense cohérente et efficace des intérêts capitalistes nationaux, c’est nécessairement au détriment de ces options que les PC orientent leur politique et ceci d'autant plus que le pays est faible et donc dépendant du bloc impérialiste de tutelle. C'est en particulier le cas du P.C.I. qui, du fait de l'extrême dépendance du capital italien à l'égard des USA depuis la fin de la 2ème Guerre mondiale a toujours été à l' avant garde du "polycentrisme", de l'indépendance à l'égard de l'URSS et de "l'eurocommunisme". Toutefois une telle orientation de la politique des partis staliniens ne saurait être considérée comme définitive et dans des conditions différentes du rapport de forces entre blocs impérialistes ces partis seraient sur l'arène politique nationale les plus susceptibles de « réviser » leurs positions afin de faire pencher la balance dans leur pays en faveur du bloc russe. C'est pour cela que le bloc occidental ne peut tolérer que se mettent en place des gouvernements dominés par les PC, même momentanément fidèles, mais qui dans des circonstances différentes pourraient faire basculer leur pays dans l'autre bloc.
7 - Malgré l'urgence de la participation du P.C.I. au pouvoir, malgré le "réalisme" et la souplesse de celui-ci tant en politique extérieure qu'intérieure, le capital italien éprouve aujourd’hui les plus grandes hésitations et difficultés à jouer cette carte fondamentale. A ce fait on peut trouver comme cause essentielle l'énorme pression qu'exerce le gouvernement des USA et par suite celui des grands pays d'Europe occidentale - y compris le gouvernement français qui abandonne de plus en plus "l'indépendance" du gaullisme - contre toute solution de ce type. Des secteurs importants, dits "libéraux", de la bourgeoisie américaine ont compris dès maintenant l'inévitabilité de l'accession du P.C.I. à des responsabilités gouvernementales. Ils ont compris en particulier qu'un allié chez qui règne le chaos le plus total n'est pas le plus approprié pour assurer avec efficacité ses fonctions au sein du bloc, tant du point de vue économique que militaire. Cela, l'actuelle équipe dirigeante l'a également compris quand il s’est agit de faire pression sur la bourgeoisie espagnole pour qu'elle abandonne des structures politiques héritées du franquisme de plus en plus inaptes à affronter la dégradation de sa situation économique et sociale intérieure dans la mesure où la "démocratisation" préconisée en Espagne n'implique pas nécessairement une entrée du P.C.E. au gouvernement. Mais, en ce qui concerne l'Italie, cette équipe reste attachée à une politique de résistance décidée à toute formule gouvernementale incluant le P.C.I. : que ce soit au nom de la "défense de la démocratie" ou de celle de l'Alliance atlantique, elle agite ostensiblement et avec fracas la menace de représailles économiques pour dissuader la bourgeoisie italienne de faire appel à une telle formule. Ainsi, se trouve illustrée avec éclat une des composantes de la crise politique de la bourgeoisie face à la crise de son économie : la contradiction entre le caractère fondamentalement national des intérêts du capital et la nécessité du renforcement des blocs au milieu de tensions inter impérialistes croissantes. Pour le moment, et tant que la survie même du capitalisme n'est pas en cause, les blocs tendent à faire passer au premier plan leurs intérêts généraux immédiats, c'est-à-dire avant tout ceux de la puissance dominante, avant les difficultés particulières des capitaux nationaux qui les composent y compris quelque fois au détriment de leurs intérêts futurs.
8 - En Italie même, cette opposition résolue à tout rôle gouvernemental du P.C.I. orchestrée par les USA trouve des alliés décidés dans les couches les plus anachroniques du capital italien, celles qui risquent d'être les plus touchées par la remise en ordre politique et économique préconisée par le P.C.I. et qui, derrière le M.S.I., se regroupent derrière la droite de la Démocratie Chrétienne avec à sa tête Fanfani. Mais cette opposition n'a pu, jusqu'à présent, se révéler décisive que parce que des couches très importantes de la bourgeoisie italienne restent extrêmement méfiantes à l'égard d'un P.C.I. dont les tournants démocratiques et atlantistes n’ont pas fait oublier qu'il appartient à une catégorie particulière des partis du capital : ceux qui sont les porteurs les plus résolus de la tendance générale vers le capitalisme d'Etat et qui restent toujours aptes, si la situation s'y prête, à éliminer toutes les autres fractions de la bourgeoisie liées à la propriété individuelle tant sur le plan économique (étatisation du capital) que politique (parti unique). Même si ces secteurs décisifs du capital italien, et dont l'ancien "patron des patrons" Giovanni Agneli, est un représentant significatif, se sont convaincus de la nécessité de l'entrée du P.C.I. au gouvernement, ils essaient d'obtenir le maximum de garanties préalables de la part de celui-ci contre toute évolution "totalitaire" à leurs dépens.
9 - Les récentes élections italiennes n'ont pas fondamentalement modifié cette situation. Par le maintien des positions électorales d'une Démocratie Chrétienne pourtant usée et discréditée, elles ont mis en relief l'importance des résistances à la venue du P.C.I. au gouvernement, dans la mesure où, justement, la DC avait, sous la conduite de Fanfani, axé sa campagne contre une telle éventualité.
Cependant, tout en alarmant encore plus les secteurs les plus rétrogrades de la bourgeoisie, la très forte poussée du P.C.I. a en même temps démontré de façon éclatante à cette classe le caractère inéluctable d’un "compromis historique" ou autre formule de participation de ce parti au gouvernement. La bipolarisation engendrée par l'affrontement électoral n’a pas, contrairement aux espérances de la droite de la DC, provoqué une rupture irrémédiable entre les deux grands partis de l'appareil politique du capital italien. En écartant toute possibilité à un recours aux formules de «centre gauche» utilisées jusqu'à ces derniers temps, cette évolution électorale a tracé à l'ensemble de la bourgeoisie italienne le chemin dans lequel elle doit s'engager : celui d'une alliance entre ses deux grands partis. C'est là la signification des accords entre partis de "l'arc constitutionnel" en vue de l'attribution d'un certain nombre de postes parlementaires qui, dans le cadre des institutions italiennes, constituent de fait des branches de l'exécutif.
Ces accords, nouveau pas dans la voie du « compromis historique », sont la traduction du fait que les besoins objectifs de l’ensemble du capital national doivent, en fin de compte, prendre le pas sur les résistances opposées par telle ou telle fraction de celui-ci. Cependant, la lenteur avec laquelle se met en place cette solution est une manifestation du poids encore très important de ces résistances dont les récentes élections n'ont pas permis le dépassement. De fait, si d'un côté celles-ci ont clarifié le jeu politique italien et montré nettement à la classe dominante la direction à suivre, elles lui ont également en partie lié les mains : brillamment reconduite dans sa suprématie sur le programme le, mieux en mesure d'assurer son succès électoral de refus du "compromis" avec le P.C.I., la DC ne peut pour le moment renier toutes ses promesses électorales et s'engager pleinement dans un tel compromis.
La situation créée par les élections italiennes met en relief le fait que les mécanismes électoraux et parlementaires, s'ils constituent encore des instruments efficaces de mystification de la classe ouvrière dans les pays les plus développés, peuvent également agir comme entrave à l'adoption par le capital national des mesures les plus appropriées à la défense de ses intérêts. Expression de la décadence du mode de production capitaliste inaugurée par la première guerre mondiale, la tendance générale au capitalisme d'Etat qui avait déjà vidé de tout pouvoir réel le Parlement au bénéfice de l'Exécutif, tend, de plus en plus à entrer en conflit avec les vestiges de la Démocratie bourgeoise parlementaire hérités de la phase ascendante de ce système, particulièrement dans les pays les plus faibles là où cette tendance générale s'exerce avec le plus de force.
10 - La venue du P.C.I. au pouvoir est inexorable, mais le retard avec lequel cette venue risque d'intervenir est une autre manifestation des contradictions insolubles dans lesquelles se débat le capitalisme dont la seule défense cohérente ne peut s'exercer qu'au niveau national mais qui, à l’intérieur de chaque nation, particulièrement dans sa sphère occidentale, reste divisée en une multitude d'intérêts contradictoires. En particulier le fait que la bourgeoisie italienne ne fasse pas appel dès maintenant à ce parti pour des tâches gouvernementales ne saurait être interprété comme le résultat de la mise sur pied d'un plan machiavélique par celle-ci afin de jouer la carte P.C.I. le plus tard possible ; quand la situation économique et sociale se sera dégradée encore plus. Outre le fait que la bourgeoisie, prisonnière de ses propres préjugés de classe, est en général incapable de se donner une vision à long terme de la défense de ses intérêts, elle ne peut trouver aujourd'hui en Italie aucun avantage à retarder encore plus l'adoption des mesures économiques et politiques de « salut national » exigées par la situation et qui impliquent la mise en place du "compromis historique". Plus ces mesures économiques tarderont à intervenir et plus il sera difficile au capital italien de remonter un tant soit peu la pente, y compris avec un P.C.I. au pouvoir. De même la bourgeoisie n'a aucun intérêt à attendre que la lutte de classe se soit développée pleinement pour se doter des moyens de mystification et d'encadrement les plus aptes à l'affronter avec succès. Les mesures « à chaud » sont toujours moins efficaces que les mesures préventives, en ce sens qu'elles sont moins élaborées que les secondes et que l'instabilité qui les a provoquées ne peut jamais être totalement résorbée. Présentée dans toutes les circonstances comme une « victoire ouvrière », la venue de la gauche au pouvoir comme réponse à une mobilisation massive de la classe tend à ancrer dans celle-ci l'idée que "la lutte paie" alors que tous les efforts de la bourgeoisie sont destinés à lui démontrer le contraire.
Ces contradictions structurelles du capital, l'obligeant à mener une politique pragmatique et à court terme face à la classe ouvrière, constituent un facteur très favorable pour celle-ci du point de vue de son affrontement décisif avec l'ordre social existant. Cependant, tous ces antagonismes au sein même de la classe dominante, tant sur le plan national qu'international, ne doivent pas faire oublier à la classe révolutionnaire que, face à elle, la bourgeoisie manifeste une unité fondamentale qu'elle peut renforcer dans les moments les plus décisifs afin de sauvegarder, y compris par le sacrifice de fractions importantes d'elle-même, ce qui reste essentiel : le maintien des rapports de production capitalistes. Les travailleurs doivent en particulier rejeter aujourd'hui toute idée d'utilisation des affrontements au sein même de la classe dominante par le soutien de telle ou telle fraction de celle-ci contre une autre : démocratie contre fascisme, capital d'Etat contre capital privé, telle nation contre telle autre, etc. Depuis plus d'un demi-siècle, de telles "tactiques" n’ont jamais conduit à un affaiblissement du capitalisme mais elles ont toujours abouti à l’anéantissement de l'autonomie et de l'unité de la classe ouvrière et en fin de compte à son écrasement.
11 - En Europe, l'Italie occupe une position d'une extrême importance tant du point de vue de sa localisation géographique, du poids de son économie, que du degré élevé de la combativité de sa classe ouvrière face à laquelle la bourgeoisie dispose d'un arsenal hautement élaboré. De plus, le prolétariat de ce pays est un de ceux qui disposent depuis la 1a guerre mondiale de l'expérience la plus riche tant du point de vue pratique que politique et théorique (Labriola, Bordiga, Gauche Italienne).
Pendant une période, le Portugal a occupé une place importante en tant que terrain d'expérimentation des diverses "solutions" bourgeoises face à la crise. Avec l'aggravation de sa situation économique, politique et sociale, l'Espagne s'est ensuite confirmée comme un des maillons faibles du capitalisme, tant du point de vue de la puissance des affrontements sociaux que du retard accusé par la bourgeoisie dans la mise en place des dispositifs appropriés pour limiter ces affrontements et les dévoyer. Avec le déferlement brutal de la crise en Italie, l'axe de la situation sociopolitique en Europe passe aujourd’hui par ce pays.
Pendant toute une période, cet axe passera à la fois par l’Espagne et l’Italie. Des événements de ce premier pays que la bourgeoisie européenne utilisera au maximum pour promouvoir ses mystifications antifascistes, les révolutionnaires et l'ensemble de la classe devront tirer à leur tour un maximum d’enseignements. Cependant, au fur et à mesure du développement de la crise et de la lutte de classe, la situation en Italie tendra à passer au premier plan dans la mesure où c'est à la fois le pays où, d’ores et déjà depuis 1969, la lutte de classe a atteint un des niveaux les plus élevés et dont les caractéristiques générales s'apparentent de façon étroite à celles des grandes métropoles capitalistes d'Europe. En ce sens, l’expérience qui se dégagera des affrontements sociaux à venir dans ce pays sera d'une extrême importance tant pour la bourgeoisie que pour le prolétariat de ces métropoles et son avant-garde.
12 - Dès à présent, une des caractéristiques que l'on peut dégager de l'ensemble de la situation présente et dont l'Italie constitue un des exemples les plus significatifs, par le fait même que c’est un des pays où la lutte de classe a atteint son niveau le plus élevé, c'est l'existence d'un énorme décalage entre la profondeur de la crise politique de la bourgeoisie, reflet de sa crise économique, et le degré encore plus limité de la mobilisation et de la prise de conscience de la classe ouvrière. Ce contraste est particulièrement net en Italie où les toutes premières manifestations de la crise avaient provoqué en 1969 une réponse générale du prolétariat qui avait, à grande échelle, fait éclater le cadre syndical et où la gravité présente de la crise n’entraîne de la part des travailleurs que des réactions beaucoup plus limitées et entièrement canalisées par les syndicats.
La cause de ce décalage réside dans le poids des mystifications que la gauche et les gauchistes ont systématiquement développées au sein de la classe ouvrière en présentant la venue de cette gauche au pouvoir comme une solution à la crise supposée apporter aux travailleurs les "victoires" qu'ils n’avaient pu obtenir sur le plan des luttes économiques ; mystifications rendues possibles par la difficulté éprouvée par la classe à se dégager de la plus profonde contre-révolution de son histoire. En Italie, le rôle des gauchistes, en premier lieu de ceux regroupés dans le cartel électoral de la « démocratie prolétarienne », a été particulièrement important. A travers leur "antifascisme de gauche" plus "radical" que celui du PCI, leur prise en charge "responsable" des éléments de la classe (en particulier les chômeurs) tendant à échapper au contrôle de ce parti et des syndicats ainsi que leur mise en avant d'une "alternative ouvrière" (gouvernement PS-PC-Gauchistes), ils ont accompli avec brio leur tâche de rabatteurs de la gauche du capital. Ce qu'a démontré l'évolution de la situation en Italie ces 7 dernières années, c'est que, loin de constituer une expression de la prise de conscience de la classe, le développement des courants gauchistes, telle l’apparition des boutons dans certaines maladies éruptive, est la manifestation de la sécrétion par l'organisme capitaliste d'anticorps contre le virus de la lutte de classe. Au fur et à mesure que celle-ci se développera dans tous les pays, on verra ces anticorps se développer parallèlement, en particulier pour ramener à la gauche officielle, par toutes les politiques de « soutien critique », les éléments de la classe qui s'en détournent.
Ce décalage existant entre le niveau de la crise et celui de la lutte de classe ne saurait se prolonger indéfiniment : aujourd'hui, à l'heure où de plus en plus la gauche ne peut plus se contenter d'assumer sa fonction capitaliste dans l'opposition mais en prenant directement en charge des responsabilités gouvernementales, mûrissent les conditions pour qu'il disparaisse. Si, dans un premier temps, les gouvernements « de gauche » permettront un meilleur encadrement de la classe au service du capital, leur inévitable faillite économique et les mesures de plus en plus violemment anti ouvrières qu'une crise sans issue et de plus en plus profonde les obligera de prendre viendront balayer les mystifications qui obscurcissent encore la conscience des prolétaires.
LE BUREAU INTERNATIONAL (23/07/76)
« Quand le prolétariat, nous dit Marx, annonce la dissolution de l'ordre actuel du monde, il ne fait qu'énoncer le secret de sa propre existence car il constitue la dissolution effective de cet ordre du monde ».
Cette destruction, loin de s'affirmer pourtant comme une action aveugle et strictement déterminée - une sorte de produit direct, mécaniquement engendré par un certain nombre de causes économiques -, exige du sujet qui l'accomplit une pleine conscience du but à atteindre.
Mais si l'on s'en tient à une vision bourgeoise de l'histoire, cette conscience, définie comme un sentiment que l'on possède de son existence, ne dépasse pas la catégorie intellectuelle et subjective d'une somme d'idées appliquée à cerner ce qui est.
Car pour toute science bourgeoise, la pensée, la conscience détachée du mouvement général de la matière est avant tout affaire d’individus isolés ou de groupes d'individus ayant vaguement certains intérêts en commun. Ainsi en raisonnant toujours avec les mêmes déformations grossières de l'idéologie dominante, elle ne conçoit le processus de la prise de conscience que selon un mécanisme purement mental qui amènerait l'individu ou même un groupe social, après une suite de causes - réaction - réflexion - action, à prendre conscience de ce qu'il est. Transposant ce mouvement de l'être isolé à celui d’une classe sociale, cette façon de concevoir en arrive à symboliser et à figer les classes sociales sous une forme individuelle et mythique. Le prolétariat se présente alors sous une apparence solidifiée, objectivée en simple catégorie économique. On le compresse sous la forme d'un bloc compact qui aurait à « prendre conscience », comme une individualité de ce qu'il est et de ce qu'il a à accomplir. Et de cette coupe savante et verticale dans l’être social on en conclut que le prolétariat n'est plus que classe pour le capital ou qu'il suffit en tant que "masse" agissante d'attendre qu'une prise de conscience se fasse de manière homogène et simultanée dans le cerveau de chaque ouvrier ou encore qu'il n'est rien d'autre qu'une sorte de corps humain dont la tête serait le parti, les pieds les conseils, etc.
Cette façon tout à fait erronée de concevoir un processus historique d'une classe sociale et déjà critiquée par Marx dans les Thèses sur Feuerbach, s'explique par le fait que la bourgeoisie, incapable de se remettre elle-même en question ne pense jamais autrement qu'en stratifications, en catégories, en séparations arbitraires. Il n'existe pour elle qu'une réalité accomplie et achevée du monde en dehors de la pratique, une matière inchangée et morte, une pensée appliquée comme un voile extérieur à la réalité sans transformer celle-ci.
La forme et le contenu, l'objet perçu et le sujet pensant, l'idée et la matière, la théorie et la pratique se retrouvent associés, collés dos à dos en couple inséparable certes mais différenciés, envisagés chacun selon un mode d'existence propre.
Le monde des concepts s'élabore, se déploie et, opposé à lui, placé en arrière plan de la conscience, le monde des objets se contente "d’être là". Quant à leur unité ne dépassant pas pour l'esprit celle des droites parallèles se rejoignant à l'infini, elle relève d'un simple tour de passe-passe intellectuel.
C'est qu'en effet, et c’est le défaut de tout matérialisme vulgaire même s'il reconnaît les déterminations de la matière, de ne considérer l'objet que sous la forme extérieure et indépendante du sujet et non comme pratique humaine. La conscience de classe n'a plus qu'à se laisser condenser en programme théorique et à être porté par une minorité pendant que le prolétariat s'agite dans le monde de la matière, incapable d'arriver à la conscience autrement que par l'intermédiaire d'une liaison, d'une charnière nécessaire : le parti, médiation entre expérience et conscience de la classe. Ou bien elle ne constitue plus pour le prolétariat qu'une sorte de réponse instinctive et immédiate aux stimuli extérieurs et les révolutionnaires, de peur de troubler et de violer ce métabolisme naturel, n'ont qu'à s'enfouir comme les autruches la tête sous le sable à attendre que les choses se fassent spontanément.
Les révolutionnaires quant à eux ne se contentent pas de cette vue simpliste. Parce qu'ils sont conscients que la vision qu'ils ont de la réalité n'est pas produite du hasard ou fille de la volonté individuelle, parce que le rôle essentiel qu'ils jouent dans la réalité sociale ne se borne pas à une constatation intellectuelle ou empirique des conditions objectives et subjectives de la révolution communiste. Et ce qui pourrait apparaître comme trop abstrait ou trop théorique dans leur réflexion ne constitue pas autre chose qu'un pas nécessaire dans la mise en pratique de leur intervention organisée.
Car imaginer théoriquement un mouvement, essayé de photographier mentalement un processus, cela revient un peu à vouloir voyager sur une rivière tout en restant sur la berge. C'est pourquoi les révolutionnaires, parce qu'ils n'ont pas d'intérêts distincts de ceux du prolétariat, ne se contentent pas de représentations ou de schémas abstraits, de descriptions journalistiques et immédiates de la réalité sociale. Partie prenante d’un tout, produits et facteurs d'un procès historique, leurs réflexions théoriques constituent en dernière instance une prise de position politique sur la réalité, un désir de transformation radicale de la société. ([1] [106])
Dans cette mesure là, ces réflexions sur la conscience de classe et le rôle des révolutionnaires et du parti ne doivent absolument pas être abordées par leur côté purement théorique. Si les premiers éléments d'analyse avancés ici se bornent encore à tracer de grandes lignes générales, d'autres facteurs puisés dans l'expérience même de la lutte de classe viendront renforcer, modifier ou préciser de nombreux points. Seule l'activité de la classe peut en dernière instance confirmer ou infirmer la théorie révolutionnaire.
« Et tous les systèmes qui entraînent la théorie vers le mysticisme trouvent leur solution rationnelle dans la pratique humaine et dans la compréhension de cette pratique ». Marx, Thèses sur Feuerbach - VIII.
LES CONDITIONS DE LA REVOLUTION COMMUNISTE
I - Le mode de production capitaliste, en achevant le cycle de la valeur, ne peut être dépassé que par l'action d'une classe consciente dans son ensemble et unie mondialement : le prolétariat.
Et cette condition est d'une importance tellement capitale qu'elle est la seule à pouvoir nous éclairer sur le caractère spécifique de la révolution communiste et le passage d'un mode de production basé sur la loi de la valeur à un mode d'existence supérieur.
Il existe en effet un gouffre entre ce que l'humanité a connu jusqu'à présent au niveau de son développement historique et le saut qualitatif qu'elle se prépare à accomplir pour clôturer ce cycle et libérer l'homme de toute exploitation quelle qu'elle soit. Et cette différence immense est d'autant plus difficile à concevoir que la succession des divers modes de production dans l'histoire s'est déroulée comme un processus nécessaire déterminé et plus ou moins inconscient parce que réalisé jusqu' à aujourd'hui par une classe révolutionnaire déjà porteuse du pouvoir économique dans l'ancien mode de production périmé. Cette différence qualitative se mesure au niveau de la conscience historique qu’exigera la destruction du mode de production capitaliste et sa transformation vers le communisme. Cette conscience loin de pouvoir se réduire à un simple phénomène mental, idéologique ou individuel doit être replacée dans le contexte d’une classe sociale.
II - Le concept de classe sociale comprise non comme simple classification ou catégorie économique ou addition d'individus isolés, repose essentiellement sur un devenir historique que forgent des intérêts politiques communs.
Le prolétariat n'existe vraiment en tant que classe qu'au travers du mouvement historique qui l'oppose mortellement au capitalisme, et ce mouvement n'a lui-même de fondement réel que dans le processus de la prise de conscience qui l'accompagne.
La révolution communiste se démarque donc fondamentalement de toutes les révolutions antérieures dans la mesure où pour la première fois dans 1’histoire de l'humanité une classe révolutionnaire, porteuse de nouveaux rapports sociaux ne possède aucun pouvoir économique au sein de l'ancienne société. Le prolétariat est la première et la dernière classe révolutionnaire dans l’histoire qui soit aussi une classe exploitée. Ce qui signifie bien qu’elle soit contrainte, de par la place socio-économique qu'elle occupe dans le mode de production capitaliste, d'avoir une entière conscience de ses buts historiques ; c'est en effet la seule classe qui ait la possibilité objective et subjective de prendre conscience de l'ensemble de la société. Le prolétariat ne possède aucune racine économique dans le sol capitaliste ; il n’existe aucune possibilité pour lui de développer sur la base de ces racines les ramifications de l'idéologie parce qu'il ne possède plus en lui les graines d'une nouvelle exploitation de l'homme par l'homme.
Alors que l'idéologie présuppose une superstructure politico-juridique et une infrastructure économique déterminée par des forces productives qui continuent à dominer l' homme, le processus de prise de conscience ne peut se faire chez le prolétariat que comme condition préalable à la prise du pouvoir et au changement total de l'infrastructure capitaliste.
III – Le prolétariat est la seule classe dans l'histoire pour laquelle la nécessité historique de la destruction du système d'exploitation coïncide pleinement avec ses intérêts de classe révolutionnaire, intérêts eux-mêmes liés aux intérêts de l'humanité toute entière.
Aucune autre classe ou couche sociale dans la société ne peut véhiculer cet avenir historique. C'est pourquoi ces classes ne peuvent pas prendre conscience de la nécessité d'une transformation de l'ensemble de la société et cela même si elles possèdent le vague sentiment de la barbarie sociale qui les entoure (sentiment d'ailleurs toujours récupéré d'une manière ou d'une autre par la classe dominante et la cécité de l'idéologie bourgeoise).
Du point de vue capitaliste et donc de l'idéologie, la connaissance du caractère historique et transitoire de la société est évidemment impossible. Les rapports sociaux étant pour la bourgeoisie des rapports figés, éternels, et planant au-dessus de la volonté humaine. Même si la bourgeoisie dans ses mystifications contre la classe ouvrière opère avec plus ou moins de lucidité, elle mettra tout en œuvre pour faire disparaître de la conscience sociale le fait de la lutte de classe. Les limites objectives de la production capitaliste déterminent de cette manière les limites de sa "conscience" qui n'est, de part ces frontières, que simple idéologie.
C'est dans cette mesure là que les principales mystifications de la bourgeoisie actuellement consistent à essayer de faire croire au prolétariat qu'une nouvelle gestion plus adéquate du système peut reculer indéfiniment l'effondrement du capitalisme.
IV - La conscience de classe, loin de coïncider avec le concept de l'idéologie, en est avant tout la négation première, l'antithèse fondamentale. Il s'agit avant tout aujourd'hui de sortir l'homme de la léthargie dans laquelle il est plongé, de rendre le monde conscient de lui-même et de ses actions, ce qu’aucune idéologie n’est à même de réaliser. Parce que l'idéologie, produite par des facteurs économiques et une réalité sociale aliénée, attribue aux objets une existence autonome et à la connaissance un pouvoir d'abstraction en dehors de toute contingence matérielle, il lui est impossible d'opérer une transformation critique et pratique de la société. La conscience de classe révolutionnaire, loin de simplement précéder l'action, de la diriger vers un but précis, est avant tout processus de transformation de la société ; un procès vivant qui, produit par le développement et l'exacerbation de la contradiction du mode capitaliste décadent, contraint une classe sociale à réaliser l'essence de son existence au travers d'une négation pratique et théorique (et donc consciente) de ses conditions de vie. L'histoire de ce procès recouvre l'histoire de la lutte du prolétariat et celui des minorités révolutionnaires qui ont surgit comme partie prenante de ce combat.
LES CARACTERISTIQUES DE LA PRISE DE CONSCIENCE
I - Les différences essentielles entre idéologie et conscience de classe se fondent sur l'origine même de l'idéologie et ses racines matérielles. Racines qui plongent dans l'histoire de la division du travail, la séparation des producteurs d'avec leur produit, l'autonomie des rapports de production et la domination de l'homme par la forme matérielle de son propre travail. Les lois inhérentes au capitalisme, lois qui se caractérisent par la domination du travail mort sur le travail vivant, la prépondérance de la valeur d'échange sur la valeur d'usage et le fétichisme de la valeur, entraînent la transformation de rapports sociaux en rapports entre choses et conditionnent l'apparition de rapports juridiques où le point de départ de ces rapports est individu isolé.
C'est elles aussi qui par le biais de la spécialisation enlèvent à l'homme l'image de la totalité et le maintiennent prisonnier d’une série de catégories séparées, isolées et indépendantes les unes des autres (la nation, l'usine, le quartier…) La vision de la totalité n'est plus alors qu'une simple addition de domaines particuliers du "savoir", savoir lui-même détenu par des spécialistes.
La conscience de classe quant à elle s'affirme comme vision de la totalité et conscience de l'ensemble de la classe. Elle constitue un processus éminemment collectif. Son point de départ est celui d’une classe unifiée dans la lutte, déterminée à détruire les rapports sociaux capitaliste, elle implique la domination déterminante du tout sur les parties. Mais cette totalité ne peut être posée que si le sujet qui la pose est lui-même une totalité, et ce point de vue de la totalité comme sujet, seule une classe le représente. C'est pourquoi le prolétariat pour s'unifier en classe consciente devra briser tout cloisonnement, toute séparation, toute frontière quelle qu'elle soit et imposer la dictature de ses conseils ouvriers au de là des nations.
Une autre conséquence de la réunification dans la conscience sociale est la séparation entre les parties et le tout, le but partiel et le but final, la lutte économique et la lutte politique. Dans cette période de décadence du capitalisme, où toute réforme est devenue impossible et où la révolution est à l'ordre du jour, les luttes économiques tendent à se transformer en luttes politiques et à s'attaquer de front au système. Le prolétariat est amené à transformer consciemment la société, c'est pourquoi la vision de la totalité implique pour lui la compréhension de la contradiction dialectique entre intérêt immédiat et but final, entre le moment isolé et la totalité. Le moment isolé, c'est-à-dire sa situation de classe atomisée et mystifiée, étant lié au système capitaliste, le prolétariat doit s'unifier mondialement et passer d'une catégorie économique à une classe révolutionnaire. Cette unification en classe consciente, le prolétariat seul est capable de l'accomplir, parce que la nature du travail associé lui confère la possibilité de cette vision globale.
II - La nature de cette prise de conscience qui en fait avant tout une conscience de classe, nous permet de comprendre l'opposition fondamentale qui s'élève dès à présent entre idéologie et conscience. Et ce n'est pas par purisme linguistique que nous affirmerons qu'il n'existe pas d'idéologie prolétarienne ou de science révolutionnaire, pas plus qu'il n'existe pour une minorité révolutionnaire la possibilité de "porter" ou "d'incarner" cette conscience de classe.
Ramenant tout un phénomène historique à la fois pratique et théorique à la simple expression d'une réflexion cristallisée dans le programme, patrimoine du parti, les léninistes ou bordiguistes de toute tendance appréhendent la nature de la conscience de classe avec les mêmes vices de raisonnement qui permettent aux mystiques d'affirmer que l’Ostie incarne le corps du Christ.
C'est qu'en effet l'idéologie et le mysticisme doivent leur existence au fait que la séparation entre travail manuel et travail intellectuel a rendu possible l'apparition d’une pensée qui se caractérise par la distance qu'elle cherche à placer entre sa propre réalité et les conditions matérielles de son existence et par son souci d'apparaître comme pensée indépendante et autonome, agent causal unique du mouvement qui anime la matière. Concevant la réalité comme une série de médiations, étapes nécessaires entre l’homme et la matière, l’idéologie bourgeoise se refuse à reconnaître son origine véritable. Attribuant à la réalité une existence indépendante, elle oppose au matérialisme métaphysique un idéalisme véritablement cause de l'action, et en reléguant la pratique dans sa basse manifestation naturelle.
La conscience de classe, quant à elle, coïncide pleinement avec la réalité sociale dans la mesure où sa raison d'être est produite par le développement historique de la contradiction entre les forces productives et les rapports de production et que cette nécessité d'un changement radical des rapports de production demande une vision globale et vraie de l'ensemble de la réalité sociale.
La conscience de classe reconnaît son origine et son objet : le prolétariat comme noyau vivant de la production, classe sociale en constant devenir. Le processus de la prise de conscience du prolétariat, fondé sur l’unité dialectique entre l'être et la pensée, rejette toute forme d'intermédiaire de médiation entre l'Existence et la Conscience ; elle devient conscience de soi et renoue par là l'unité entre l’Homme et la Réalité.
III - Le prolétariat est contraint de vendre sa force de travail comme simple objet par rapport à l'ensemble de sa personnalité et c'est cette objectivité et la scission opérée ente la force de travail, objet soumis à l'exploitation et le sujet qui la vend qui permet à la prise de conscience de se réaliser. C'est au travers de sa lutte contre l'exploitation capitaliste que le prolétariat peut se percevoir à la fois comme sujet et comme objet de la connaissance. Cette perception et la conscience de son extrême dénuement et de son inhumanité, est en même temps dévoilement de toute la société et destruction de celle-ci.
Ainsi, en détruisant l'ensemble de la société, le prolétariat ne fait qu'énoncer l'essence de sa propre existence étant lui-même négation de la société (le seul rapport social existant entre le capitalisme et le prolétariat étant la lutte de classe). La réalisation du prolétariat comme classe pour soi passe par la destruction du système ; la conscience est facteur et produit de ce processus. La connaissance de soi est pour le prolétariat connaissance de l'essence de la société, elle n'est pas prise de conscience sur un objet mais conscience de soi de l'objet, dans cette mesure là, elle est déjà pratique et opère une modification dans l'objet. En reconnaissant le caractère objectif du travail comme marchandise, ce processus permet de dévoiler le fétichisme de toute marchandise et de révéler le caractère humain de la relation capital-travail.
Les illusions, les mystifications, les cloisonnements imposés à la pensée par l'idéologie ne sont donc que les expressions mentales d’une réalité elle-même réifiée d’une structure économique basée sur l'exploitation de l'homme par l’homme et leur négation ne peut être accomplie par un simple mouvement de la pensée, mais bien par un dépassement pratique. C'est pourquoi, la conscience de classe n'est pas simplement une remise en question théorique du capitalisme, elle procède avant tout d’une critique et d’une destruction matérielle du système dans son ensemble.
La conscience de classe, en reconnaissant la nature historique des lois économiques, dévoile le caractère historique et transitoire du mode de production capitaliste, cerne les limites objectives de celui-ci et analyse les périodes historiques de la société. Ce dévoilement est un processus qui accouple théorie et pratique dans la mesure où chaque illusion qui tombe, chaque mystification dévoilée correspond à la volonté pratique de destruction de l'esclavage salarial.
IV - Pourtant si cette conscience historique émerge de la nécessité pour le prolétariat que la connaissance totale de la réalité s'ouvre à partir de son point de vue de classe, cela ne signifie pas pour autant que cette connaissance lui soit immédiatement donnée.
Bien au contraire, le caractère de classe de ce processus s'accorde précisément avec le développement hétérogène et douloureux d'une pratique et d'une théorie ouvrière confrontées dès leur naissance aux pressions coercitives de la bourgeoisie.
Le prolétariat, quelle que soit son unité dans la lutte, n'agit pas comme une individualité unique et mécaniquement dirigée vers un but. La contradiction dialectique qui existe entre sa situation de classe révolutionnaire et de classe exploitée, son dénuement total au sein de la société, le détermine à être la première victime de l’idéologie bourgeoise. Incapable de développer sa conscience selon le principe stable d'une idéologie ou d'une série de recettes pratiques, étant à la fois sujet et objet de la connaissance, le prolétariat ne prend conscience de sa situation que dans un processus réel lié aux conditions matérielles de son existence sociale.
Ce sont ces conditions objectives et la présence toujours oppressante de l'idéologie dominante qui contraignent le prolétariat à secréter, comme partie intégrante de sa tendance à se constituer en classe révolutionnaire, les minorités révolutionnaires en vue d’accélérer le processus de théorisation de ses acquis historiques et leur diffusion au sein des luttes. La conscience de classe n'est donc pas "miroir" de la réalité, reflet mécanique de la situation économique de la classe ouvrière (elle n'aurait dans ces conditions aucun rôle actif), et ne se produit pas spontanément sur le sol de l'exploitation capitaliste.
Elle surgit en réalité de la convergence de plusieurs facteurs parmi lesquels les prémices économiques, bien qu’indispensables, sont nettement insuffisants. La lutte économique du prolétariat ne suffit pas à engendrer tout un mouvement théorique et pratique, elle ne joue pas en effet le rôle magique du créateur, démiurge unique et tout puissant dont certains spontanéistes ont fait leur idole.
La lutte de classe n'est pas une entité en soi séparée du monde et donatrice du mouvement de la matière, elle est le monde, s’est forgée par lui et l'a forgé à son tour.
Dans cette mesure là, seule la réunion de plusieurs éléments enfantée au cours du développement de la lutte de classe peut, en dernière instance, amener la conscience socialiste à son niveau historique le plus élevé. Ces éléments sont, essentiellement :
a) la contrainte économique subie par le prolétariat et sa situation de classe exploitée ;
b) les données objectives de la période et le niveau atteint par les contradictions du système (décadence du capitalisme, exacerbation de la crise) ;
c) le niveau de la lutte de classe répondant à cette situation et la tendance plus ou moins développée du prolétariat à s'organiser en classe autonome ;
d) l'influence de plus en plus décisive des groupes révolutionnaires dans la lutte et la faculté du prolétariat à se réapproprier sa théorie révolutionnaire.
Aucun de ces éléments ne peut, envisagé pour lui-même être détaché des autres et s'ériger en principe causal unique du mouvement.
Il est bien évident que la contrainte économique ou la théorie révolutionnaire s'imposent comme facteurs actifs dans le développement de la conscience prolétarienne mais ils ne constituent pas en eux-mêmes la cause première du processus. Rechercher une cause prédominante et isolée à tout un mouvement revient à figer celui-ci en tombant dans un débat tout à fait stérile du type : de l'œuf ou de la poule, qui est la cause de l’autre?
LE ROLE DES REVOLUTIONNAIRES ET DU PARTI
Définir la conscience du prolétariat comme un processus historique propre à une classe sociale et se caractérisant par l'affirmation sur la scène de l'histoire de "l'être conscient", cela revient à ne pas dépasser le palier de la simple constatation passive.
En nous arrêtant à ce stade nous n'aurions fait que disserter théoriquement sur les caractéristiques de la prise de conscience sans saisir les raisons objectives qui nous poussent à formuler de telles définitions. Or, c'est en dépassant l'aspect purement théorique de leur activité que les révolutionnaires prennent conscience de leur rôle historique comme élément agissant d'un tout.
On ne fait pas tomber un mur en soufflant dessus, on ne détruit pas tout un système d'exploitation en faisant des vœux pieux et des réflexions philosophiques. C'est en assumant pleinement leur responsabilité face à la classe ouvrière que les révolutionnaires peuvent accélérer le processus de la prise de conscience du prolétariat et sa constitution en classe autonome. Cette responsabilité nécessite une vision claire de leur fonction, une mise au point des tâches historiques pour lesquelles ils ont été constitués.
I - La nature et la fonction des groupes révolutionnaires et du Parti ne peuvent réellement s'expliquer qu'au travers de la nature profondément contradictoire du processus de la prise de conscience du prolétariat, contradiction qui sous-tend, s'accouple au mouvement même de la lutte de classe et continuera à marquer la période de transition jusqu'à la disparition de toutes les classes.
Contradiction entre la situation de la classe ouvrière comme classe exploitée et ses tâches historiques qui vont dans le sens de l'abolition de toute exploitation quelle qu'elle soit. Contradiction entre l'impossibilité pour le prolétariat de se forger une "idéologie" prolétarienne sur base d'un pouvoir économique quelconque et la nécessité impérieuse de théoriser ses acquis et d'avoir pleinement conscience de ses buts historiques. C'est ainsi que s'impose au prolétariat l'obligation :
- d'une part d'assumer en pratique et par ses luttes quotidiennes la condition fondamentale à la révolution communiste : "l'émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes" ;
- d'autre part de se forger les armes théoriques indispensables à son émancipation consciente alors qu'il lui est impossible d'échapper entièrement à l'influence de l'idéologie dominante.
Les minorités révolutionnaires apparaissent donc comme les produits de cette nécessité contradictoire. Elles surgissent comme partie prenante du prolétariat et pourtant n’en sont pas pour autant des membres sociologiques. La classe économique dominante étant celle qui dispose des moyens de production matériels et idéologiques, le prolétariat est incapable de donner naissance à une culture ou une idéologie qui lui serait "sociologiquement immanente" car cela impliquerait un intérêt économique qui viserait à perpétuer sa situation de classe exploitée. Dans cette mesure là, c'est un critère politique qui définit les révolutionnaires comme membres effectifs du prolétariat et leur assigne la tâche de théoriser les acquis historiques de la classe et de faire en sorte que ceux-ci deviennent le fait du plus grand nombre possible.
II - Parce que s'impose pour le prolétariat la nécessité d'opérer un bouleversement conscient de l'ancienne société, cette transformation à la fois pratique et théorique exige une vision claire, «une intelligence nette des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien ». Tant que subsisteront l'antagonisme de classe et l'exploitation capitaliste, cette vision des buts finaux du mouvement restera confrontée à l'influence coercitive de l'idéologie bourgeoise et dans cette mesure là ne sera pas immédiatement donnée à la majorité du prolétariat. La diffusion et l'élargissement de la théorie révolutionnaire et de la conscience des buts ultimes de la révolution prolétarienne à l'ensemble de la classe ne constituent pas un phénomène "naturel" en progression mathématique linéaire, elle est avant tout le produit d'un effort organisé de la classe. Cette tentative consciente du prolétariat de se doter d'une théorie révolutionnaire et de tirer les leçons de ses luttes passées, se matérialise dans l'apparition des minorités révolutionnaires et la constitution de celles-ci, lors de périodes de montée révolutionnaire, en Parti.
Cette tension constante au sein du prolétariat dans la constitution d'un Parti révolutionnaire n'est absolument pas comparable à l'action volontariste d'individus ou de groupes d'individus qui entendraient construire un parti révolutionnaire en vue de suppléer à l'action de la classe dans son ensemble. Le surgissement de la théorie révolutionnaire, comme celui des groupes révolutionnaires, n'est pas le fruit d'une volonté individuelle, ou le fait de quelques principes nouveaux "découverts par tel ou tel réformateur du monde", il concrétise le développement d’une lutte de classe réelle et celui d'un besoin vital au sein du prolétariat.
III – Ce n'est donc pas au niveau abstrait que le prolétariat s’est pensé en classe, mais bien au niveau de son action concrète, par ses luttes incessantes en confrontations avec les conditions objectives de la période. De cette pratique historique a surgi non pas une série de principes dogmatiques appliqués comme recette théorique à la lutte de classe mais l'expression théorique de cette expérience. La théorie révolutionnaire ne constitue pas un somme définitive et invariante de principes, mais bien le reflet d'une activité concrète du prolétariat explicitée et globalisée au niveau théorique par les groupes révolutionnaires et réappropriée par la classe. Ainsi, à chaque problème vérifié par la lutte et l'organisation de la classe correspond un nouvel apport théorique, qui sera lui-même transformé en réalité pratique par l'intervention qu'il aura dans les luttes futures. Ainsi, produite par l'être social des luttes, la théorie puise son énergie dans la pratique et transforme à son tour la clarté politique des luttes à venir.
Se développant à partir des luttes concrètes de la classe, la théorie révolutionnaire, véhiculée par les groupes révolutionnaires, ne reste pas pour autant le trésor caché de ceux-ci. Bien au contraire le rôle même des révolutionnaires et du Parti concrétise le souci fondamental du prolétariat de se réapproprier ses acquis historiques pour en faire la réalité du plus grand nombre. Leur fonction consiste à diffuser cette théorie au sein de la classe, en sachant bien que cette diffusion est un phénomène qui se déroule au sein même du prolétariat et qu'il ne s'agit pas de "réinjecter" une théorie dans la pratique ou de figer la théorie en ferment chimique premier de tout un mouvement historique.
Théorie et pratique se complètent, s'interpénètrent ; favoriser l'un au détriment de l'autre, insister sur le facteur causal de la théorie ou au contraire ignorer le côté actif de la théorie, risque de nous entraîner dans les voies dangereuses du volontarisme ou de l'académisme.
IV - Ce n'est pas parce qu'il existe des groupes révolutionnaires que le prolétariat est une classe révolutionnaire, la bourgeoisie pourrait en effet supprimer dans le monde la présence de tous les révolutionnaires, elle ne ferait que retarder l'échéance de sa propre mort sans pouvoir arrêter la lutte de classe et empêcher le prolétariat de reconstituer des groupes révolutionnaires. Ce n'est pas en détruisant les premières fleurs écloses d'un arbre qu'on freine définitivement tout le processus de reproduction de celui-ci.
Les révolutionnaires, dans cette mesure là, tout en n'ayant pas d'intérêts distincts et sans être séparés du prolétariat, n'en sont pas pour autant synonymes de la classe. Ils n’en sont qu'une partie, la partie la plus déterminée, celle qui, sans être l'état-major d'une armée inconsciente et encadrée ou le grand timonier de la révolution, trace les grands axes généraux de la lutte, indique la direction finale du mouvement. Leur fonction ne consiste pas à préparer la direction "technique" des luttes, ce ne sont pas eux qui « par des mots d'ordre justes donnent organiquement naissance aux conditions et aux possibilités de l'organisation technique du prolétariat » (Lukacs). Leur rôle n'est pas d'organiser la classe, de diriger l'organisation autonome du prolétariat par voie de recettes pratiques sur telle ou telle forme d'organisation unitaire mais de toujours mettre en avant la direction politique générale du mouvement.
V - Que le parti n’ait pas à se substituer à la classe n’implique absolument pas que son existence représente un pis-aller, un mal nécessaire qu’il faudrait atténuer ou éviter le plus possible. Les révolutionnaires, et le Parti existent comme produits nécessaires, éléments indispensables au processus de la prise de conscience du prolétariat. Nier leur fonction sous prétexte des erreurs substitutionnistes du passé, c'est faire preuve de purisme stérile, c'est enlever au prolétariat une de ses armes vitales. Leur tâche historique, loin de concrétiser un palliatif quelconque, rejoint une tendance générale du prolétariat à se constituer en classe révolutionnaire consciente. Eléments les plus combatifs et les plus déterminés au sein de la classe ouvrière, ils développent au sein des luttes prolétariennes une intervention organisée dans la perspective de mettre en avant les buts ultimes du mouvement. Leur participation active au sein des luttes exerce sur l’organisation générale du mouvement de la classe une influence décisive. Influence qui peut effectivement se matérialiser par la direction politique générale de la lutte et l'accélération de la constitution du prolétariat en classe autonome en vue de la prise du pouvoir et de la destruction de l'esclavage salarial.
Les révolutionnaires et le Parti n'ont pas à se substituer à la classe, ce qui implique que leur fonction, tout en étant indispensable, ne constitue pas une fin en soi, une œuvre achevée et parfaite qui pourrait agir à la place du prolétariat ou faire pénétrer dans le mouvement de masse spontané de la classe la « vérité » qui lui serait immanente pour "élever" le prolétariat de la nécessité économique de son origine à l’action consciente et révolutionnaire. C’est pourquoi, étant un élément actif et constitutif du prolétariat, engagé à participer pleinement au développement de 1a prise de conscience de la classe, le Parti n’est en rien médiation entre théorie et pratique, expérience et conscience. L’un et l’autre, le Parti et la classe, matérialisent l’unité entre théorie et pratique ; cette unité identique aux deux ne demande pas à être assumée par un intermédiaire (on ne peut effectivement placer un intermédiaire qu’entre deux entités préalablement séparées), elle est un processus vivant qui détermine aussi bien le Parti que l'action de la classe dans son ensemble et son organisation unitaire en conseils. Faire du Parti la médiation entre théorie et pratique, cela revient à concevoir la théorie comme extérieure au prolétariat, comme patrimoine unique du Parti qui devient alors seule force capable de « renverser le sens de la praxis », cela revient à castrer le prolétariat de toute possibilité consciente et politique dans sa prise de pouvoir. Car, en suivant ce raisonnement, les conseils ouvriers se transformeraient en coquilles vides, en organes administratifs et étatiques dans lesquels le contenu révolutionnaire serait apporté par le Parti. Il devient très logique dans cette mesure là de remettre aux mains du Parti la direction réelle de la dictature de la société et de le mettre à la tête de l'Etat de la dictature du Prolétariat.
Le Parti ne représente pas un organisme de direction ou d'exécution, un organe créé par le prolétariat en vue de la prise du pouvoir. L’idée selon laquelle la direction de la dictature ouvrière est le fait d'un Parti révolutionnaire unique, constitué en Parti de masse pendant la période postrévolutionnaire manifeste une incompréhension grave quant au but politique réel du Parti. Le Parti ne vise pas en effet à gonfler démesurément en vue de s'incorporer le plus d'éléments possible. Sa fonction n’est pas celle d'un Parti unique totalitaire et étatique. Bien au contraire, il restera toujours l'expression d'une partie de la classe, et sa raison d’être tendra à disparaître au fur et à mesure que la conscience socialiste deviendra le fait de l’ensemble de la classe.
CONCLUSIONS
L'inadéquation entre les rapports de production et les forces productives a atteint un tel degré de développement dans la période qui suit la Première Guerre mondiale qu’elle révèle aujourd'hui le caractère mensonger des idéologies correspondant aux rapports sociaux rendus caducs et contraint la bourgeoisie d'employer toute une série de mystifications qui consistent à dévoyer les luttes ouvrières de leur but véritable.
Ces différences essentielles avec la période ascendante affectent fondamentalement l’unité entre la théorie et la pratique dans la mesure où le développement des conditions objectives permettant la révolution communiste renforce cette unité.
Or, il se fait qu'en période de décadence la révolution communiste devenue une possibilité objective et la pratique des luttes de classe se radicalisant dans ce sens, la théorie tend de plus en plus à saisir l'objet premier de son analyse, la conscience de classe, comme unité réelle des deux, s'affirme dans son processus qui n’est que le processus de l'être conscient. Ce renforcement de l'unité entre l'être social du prolétariat et sa théorie se traduit tout au long de l'histoire de la classe ouvrière en période de décadence par l'apparition des organisations révolutionnaires de la classe se donnant comme objectif, non plus l'amélioration des conditions d'existence du prolétariat dans le système capitaliste, mais bien la mise en avant pour la classe ouvrière de la destruction du mode de production capitaliste par la violence et la prise du pouvoir politique au travers de ses organisations autonomes.
Alors qu'en période ascendante du capitalisme, l'organisation permanente du prolétariat au sein de partis de classe ou de syndicats signifiait pour celui-ci les luttes pour des réformes réelles et durables, l'apparition de minorités révolutionnaires ne pouvait se faire que dans un cadre encore limité. Aujourd'hui toute forme permanente d'organisation de 1a classe est irrémédiablement voué à disparaître ou à être intégré à la contre révolution ; quant aux minorités révolutionnaires, elles ne se bornent pas simplement à théoriser les acquis de l’expérience prolétarienne, leur pratique au sein de la lutte de classe peut être un réel facteur de transformation et d'éclaircissement de la perspective historique de celle-ci. La théorie ne tend plus simplement à se réaliser dans la pratique, mais la réalité elle-même tend et va s'incorporer la pensée, c'est-à-dire que le prolétariat tend à se réapproprier la théorie en prenant conscience, à la suite de ses luttes, des frontières de classe comme acquis de son passé historique.
Le programme révolutionnaire n'est donc pas simplement une somme de positions plus ou moins souples suivant les variations de l'actualité. Il est issu de la liaison historique qui unit les différents moments d'apparition du prolétariat en tant que classe pensante et agissante pour sa mission historique qui est la destruction du capitalisme.
L'intervention des révolutionnaires ne représente rien d’autre que la tentative pour le prolétariat d'arriver à la conscience de ses intérêts véritables en vue de dépasser la simple constatation empirique des phénomènes particuliers, en cherchant la relation avec ses principes généraux tirés de son expérience historique. Parce que la mise en avant incessante des frontières de classe, la clarification théorique de plus en plus profonde des buts historiques du prolétariat ne concrétisent en fin de compte que la nécessité pour celui-ci d'avoir pleinement conscience de sa pratique, l'existence des organisations révolutionnaires est bien le produit de cette nécessité. Parce que cette prise de conscience précède et complète à la fois la prise du pouvoir du prolétariat par les conseils ouvriers, elle annonce un mode de production où les hommes, enfin maîtres des forces productives, développeront celles-ci en pleine conscience pour que s'achève le règne de la nécessité et que commence celui de la liberté.
J.L. Juillet 1976.
[1] [107] Aujourd'hui, à l'ère des révolutions sociales alors que le prolétariat ressurgit sur la scène de l'histoire, leur intervention est d'autant plus vitale que un demi siècle de contre révolution et de confusion a pesé sur la lutte de classe, falsifiant grossièrement la théorie révolutionnaire, entraînant certains groupes dans les marécages de la dégénérescence, et exigeant des minorités révolutionnaires actuelles une clarification théorique indispensable en vue d'une pratique organisée au sein des luttes.
INTRODUCTION
Nous publions ici un texte de la "Frazione Communista de Naples" qui est son document final. La "Frazione" a commencé comme un cercle de discussion en 1975 sur la base de la lecture des textes du CCI et d'autres courants politiques. La plupart de ses membres venaient du milieu contestataire, cherchant à rompre avec le "gauchisme" extraparlementaire pour retrouver les positions révolutionnaires. L'évolution de la discussion politique a abouti à ce que, d'une part, les membres du noyau fondateur adhèrent au CCI, et, d'autre part, le cercle de la "Frazione" se dissolve en tant que tel. Avec le présent document, les ex-camarades de la "Frazione" cherchent à rendre leur expérience consciente et explicite, à laisser une trace de leur évolution afin d'aider la compréhension d'autres éléments qui se trouvent et se trouveront dans la même situation.
Leur document montre tout le côté inévitable et positif du surgissement des "cercles de discussion politique" aujourd'hui ; le réveil de la lutte de classe à la fin des années 60 a trouvé le mouvement révolutionnaire dispersé, coupé du lien organique avec les organisations du passé. Le besoin de créer des "cercles" pour contribuer à la clarification politique trouve sa raison d'être dans la difficulté de s'orienter après tant d'années de contre-révolution. Cependant le document rend compte également des ambiguïtés et des difficultés rencontrées au cours de l'évolution politique. Nous cherchons donc, à travers, cette expérience particulière faite à Naples, à dégager les enseignements généraux de ce processus de prise de conscience.
L'un des dangers principaux de tout "cercle de discussion", c'est que ces membres le prennent pour ce qu'il n'est pas et ne peut pas être : un groupe politique achevé. En effet, un "cercle de discussion" est l'expression d'un moment dans un processus de clarification politique ; c'est un lieu relativement ouvert où la discussion et la recherche politique se poursuivent à travers la confrontation des idées. Tout autre chose est un groupe politique basé sur une plate-forme cohérente qui se concrétise dans une organisation au niveau international afin d'assumer la responsabilité de l'intervention dans la classe. Il ne faut pas confondre le processus et son aboutissement: soit en figeant un moment de l'évolution des cercles dans une "demi plate-forme" inachevée et incohérente, soit en s'érigeant en "organisation" locale et isolée, soit en voulant intervenir comme corps politique dans la lutte de classe sans définition politique claire. La "Frazione Communista" s'est heurtée à ces difficultés quand elle a voulu tenter d’établir une plate-forme partielle, et aussi à propos de la responsabilité politique qu'impliquaient ses publications (intervention). Les ex-camarades de la "Frazione" se rendent compte eux-mêmes dans leur texte que l'idée d'écrire une "mini plate-forme" pour la "Frazione" correspondait effectivement à l'impulsion de préserver "l'autonomie" à Naples pour "résister" à la pression politique d’autres groupes politiques, notamment le CCI, bien que cette raison n'ait pas été entièrement consciente à l'époque. Malgré ces difficultés, la "Frazione" a pu dépasser ses faiblesses grâce à une profonde conviction de la nature internationale de la lutte de classe, ce qui l'a amenée à garder toujours un contact ouvert avec le CCI.
Un autre danger dans l'évolution des "cercles", c'est de ne pas prendre conscience de l’hétérogénéité inévitable d'une telle formation. Les membres d'un cercle peuvent évoluer non seulement dans des sens différents mais, même en allant vers le même but, évoluer à des rythmes différents. Il est de la plus grande importance que les membres qui arrivent à une vision relativement cohérente sachent impulser le travail d'ensemble sans renoncer à aller de l'avant sous prétexte de vouloir artificiellement préserver le "cercle" comme corps uni. Une plus grande responsabilité incombe toujours à ceux qui prennent conscience plus vite et ceci à tous les niveaux de la vie politique de la classe. Nous constatons donc que, bien qu'il n'y ait pas de recettes, ni de solutions toutes faites, un cercle doit rester ouvert à l'extérieur et dynamique dans son évolution à l'intérieur.
Après une période de décantation politique de plusieurs mois, les camarades du noyau fondateur de la Frazione ont pris conscience qu’un cercle de discussion n'a pas de sens en soi, sinon pour aboutir à un engagement militant dans la classe. Puisqu'ils étaient d'accord avec la plate-forme du CCI, ils se sont intégrés au travail du Courant à travers la section en Italie. Mais dès qu'ils sont arrivés à reconnaître la nécessité d’un pôle de regroupement organisationnel, ces camarades ont voulu éviter que leur "cercle" ne se transforme en obstacle à la compréhension en se maintenant comme une espèce d'"anti-chambre" de la politique. Pour cette raison, en affirmant l’aboutissement de leur travail, ils ont dissous la Frazione.
De façon générale, les cercles de discussion et d'études ne peuvent pas être conçus comme des "fins en soi" ; on ne cherche pas les "idées" pour elles-mêmes mais pour qu'elles s'expriment dans une activité sociale. Les cercles font partie de tout un processus dans la classe ouvrière qui tend à sécréter un organisme politique de classe. En ce sens, le surgissement de ces "cercles" un peu partout dans le monde actuellement est la vérification de l'ouverture d'une nouvelle période de lutte de classe ; après la rupture dans le mouvement ouvrier, on assiste à la renaissance des petits noyaux qui cherchent les positions révolutionnaires. Pour que cet énorme effort, malheureusement dispersé, puisse aboutir, il faut tout d'abord reconnaître que l'évolution de ces cercles ne peut pas rester stationnaire : soit ils s'intègrent dans un courant politique cohérent au niveau international, soit ils se transforment, à la longue, en entraves à la prise de conscience. Si les cercles se préservent en tant que formation locale et limitée politiquement, nous aboutissons à une poussière de petits groupes mi-achevés, chacun isolé, contribuant ainsi à semer la confusion aussi bien sur la nécessité d'une cohérence politique globale, que sur le besoin du regroupement organisationnel des révolutionnaires au niveau international. Le plus souvent de tels efforts avortés finissent par se disloquer et disparaître dans la démoralisation la plus totale de ses éléments fondateurs. En somme, les "cercles", qui constituent un pas positif doivent être dépassés.
Si nous insistons tant sur l’expérience de la "Frazione de Naples", c'est justement parce que son expérience n'est pas "napolitaine". Elle contient les mêmes richesses et les mêmes problèmes que l'expérience des cercles en Espagne (qui ont rejoint Accion Prolétaria), à Seattle, à Toronto, en Suède, au Danemark, en France et à Bombay. Certaines de ces expériences ont abouti à une clarification politique dans un sens ou dans un autre, mais pour bien d'autres la dislocation et la démoralisation sont tout ce que la classe ouvrière peut tirer comme bilan. Et si nous citons certaines expériences, c'est en sachant parfaitement bien qu'il y en a des dizaines d'autres qu'on ignore à cause de l'isolement local des éléments. Si le CCI insiste tant sur la nécessité du regroupement des forces révolutionnaires, ce n’est pas, comme nous reprochent certains, par une "volonté hégémonique (exercée) ouvertement ou de façon détournée sur les autres" (Jeune Taupe, n°10).
C'est là vraiment la preuve que quand on ne comprend pas un problème à fond, on le réduit à des questions psychologiques de "volonté de puissance" servant à escamoter le vrai problème, celui de la résistance des petits groupes pour sauvegarder leur autonomie particulière. Le CCI intervient le plus activement possible dans l'évolution de toute la vie politique et plus particulièrement dans l'évolution des noyaux politiques. Dans le cas de la "Frazione", l'intervention du CCI a été déterminante dans le processus de clarification, justement parce que nous avons cherché à généraliser les expériences en mettant toujours en avant le but de la discussion.
Fondamentalement, le CCI espère par son intervention aider à rompre le mur de l’isolement et de la confusion politique. Quand des éléments se perdent, à cause de la confusion et de la pression politique constante de la classe ennemie, c’est tout le mouvement qui en ressent la perte. Si nos camarades, ex-membres de la Frazione Communista, écrivent ce texte, c’est dans l’esprit qui anime l’ensemble du CCI : remplir la tâche de clarification politique au sein de la classe en travaillant vers la constitution d'un pôle de regroupement révolutionnaire cohérent.
J. A.
BILAN D'UNE TRAJECTOIRE POLITIQUE
"Dans tous les cas, il ne peut s'agir que d'une organisation provisoire. Et la conscience de ce caractère provisoire est ici une condition du bon résultat final. En effet, un cercle de discussion qui se prétendrait être une organisation politique achevée ne serait, NI une bonne organisation politique, NI un bon cercle de discussion."
(Lettre du CCI aux camarades de Naples, 3 décembre 1975.)
Si nous refaisons un peu l'histoire de son évolution politique nous constatons que le groupe à l’origine de la "Frazione" a commencé un travail de discussion au cours du printemps/été 1975 sur la base de la lecture de textes du CCI. Pendant toute un période il a constitué effectivement et de plus en plus un centre de débat politique, surtout à l'automne de cette même année. La publication du document sur le Portugal ([1] [109]) a marqué un tournant radical : pour signer le texte, le groupe s’est donné un nom, "Frazione Communista di Napoli", et l'introduction dont il l'a doté était celle d'un groupe politique. La première conséquence de cette publication, c'est que le nombre de camarades a doublé avec l'arrivée de nouveaux éléments qui, de fait, adhéraient à un groupe politique en formation de la même manière qu'ils auraient adhéré à un groupe extra-parlementaire.
Par la suite, nous avons souvent dit que cette introduction constituait un trop grand pas politique pour le groupe ; mais c'est réellement la publication en elle-même d'un tel document qui constituait un trop grand pas. Un cercle de discussion est, par nature, transitoire et informel ; il ne peut donc avoir une intervention à l'extérieur (publications, etc.) avec tout ce que cela comporte : cristallisation organisationnelle et politique (prise de positions - sans les avoir pleinement comprises - parce que "le document ne pouvait sortir tel quel"). Le résultat en est que la nécessité de se situer immédiatement vis-à-vis de l'extérieur compromet la capacité de débat interne, et donc la base d'une future autodéfinition consciente.
L'accord de la "Frazione" sur la lettre du CCI n'a été dans les faits qu'un accord formel, puisque tout en se définissant comme un groupe de discussion, déjà le groupe d'origine n'était plus un groupe de discussion mais se situait à mi-chemin vers un groupe politique. Cela s'est manifesté dans la rédaction de la Plate-forme de la "Frazione Communista" qui cristallisait le niveau atteint par les camarades et fixait une base programmatique d'adhésion ; ce qui, certes, est une anomalie pour un groupe de discussion. Ce n'est pas par hasard si on a par la suite reconnu que la Plate-forme n'était pleinement comprise que par les membres du groupe d’origine. Il est tout aussi significatif que la Plate-forme ait été proposée et écrite par quelques camarades (aujourd'hui membres du CCI) qui redoutaient l'utilisation de la "FC" par le CCI. Par l'adoption d'un programme propre, ils tendaient instinctivement à défendre leur propre petit groupe contre "l'invasion extérieure", selon la déformation typique de ces cercles qui en amène invariablement la dégénérescence ou la fin.
Toute l'existence de la "FC" a été imprégnée de cette ambiguïté de fond qui a risqué de compromettre l'énorme masse de travail accompli. L'abandon successif de toutes les activités vers l'extérieur, y compris celle de publication (après "I sindicati contro la classe operaia", publiée en Janvier, la "FC" n'a plus rien publié) est un indice de la compréhension progressive du danger que constitue la fixation dans une forme bâtarde semi-politique. Ce processus a contribué à lever l'ambiguïté de la situation des camarades qui avaient formé le premier noyau et qui avaient inspiré les positions politiques de la Plate-forme ; ces camarades ont reconnu leur extériorité vis-à-vis de cette situation intermédiaire et trouvé dans le CCI l'organisation politique avec laquelle discuter. La rapidité avec laquelle cette discussion a mené à l'intégration dans le courant est la preuve que ce pas était depuis longtemps nécessaire.
Il faut être clair : le groupe de discussion de Naples est mort dès le moment où a été adoptée une Plate-forme qui a signifié sa transformation en groupe semi-politique. Si aujourd'hui nous avons compris la nécessité de dénoncer la "FC" comme un organe bâtard voué à la dégénérescence politique, ce n'était pas moins vrai et inévitable cinq mois plus tôt.
Toute organisation qui se définit organisationnellement sans assumer sur la base d'un programme politique cohérent ses propres responsabilités militantes face à la classe ne peut que se transformer en un obstacle au regroupement des révolutionnaires, en une espèce de Purgatoire, de marais où pataugent des éléments figés dans un perpétuel état de semi-confusion.
C'est particulièrement vrai aujourd'hui que le prolétariat revient sur la scène de l'histoire après une période de contre-révolution forte au point d'engloutir toute trace laissée par la vague révolutionnaire des années 20 dans la conscience ouvrière. Les anciennes petites fractions de communistes survivant à la défaite pour conserver les enseignements de la lutte, n'ont pu que succomber l'une après l'autre à la contre-révolution triomphante. C'est donc sans leur soutien direct que le géant prolétarien doit se dégager de la prostration et retrouver son chemin historique de classe. D'autre part, avec la fin de la période des réformes et l'entrée du capitalisme dans sa phase de décadence, tous les anciens instruments de la classe se sont transformés en autant d'obstacles à sa prise de conscience. Les syndicats, les lois ouvrières, les Maisons du Peuple, tout cet appareil réformiste où pourtant chaque soir convergeaient de leurs usines des centaines d'ouvriers socialistes pour s'informer, discuter les événements du jour, se préparer à la lutte, ces centres où battait la vie de la classe ouvrière sont devenus aujourd'hui autant de centrales actives de la bourgeoisie.
Les ouvriers qui retrouvent aujourd'hui le chemin de la lutte privés de leurs traditionnels points d'appui ressentent d'autant plus l'exigence de se retrouver pour discuter et réfléchir que plus grandes sont les difficultés pour le réaliser. Voici pourquoi après chaque vague de luttes se créaient des dizaines de petits noyaux d'ouvriers, généralement regroupés par un minimum de positions antisyndicales. Ce n'est certes pas par hasard ni par esprit académique que beaucoup de collectifs ouvriers formés pendant l'"Automne chaud" dans les usines italiennes se sont appelés "Groupes d'études". Ce fait traduisait l'impérieux besoin de réflexion, la nécessité pour la classe de retrouver sa propre histoire et son propre avenir.
Mais ce même vide de cinquante années qui est à l'origine de leur prolifération est aussi la cause de leur faiblesse intrinsèque. Avec la disparition des fractions communistes sorties de l'Internationale en dégénérescence, a disparu aussi pour ces ouvriers leur cadre naturel de recherche. Ils sont pratiquement seuls face à la démoralisation, au reflux, au poids des tendances localistes et de la gauche syndicale.
C’est pourquoi il faut souligner qu'aucun de ces noyaux ne peut résister à la longue au poids de l'idéologie dominante s'il est dans l'incapacité de rompre complètement avec l'horizon limité d'une seule usine et d'orienter aussitôt sa propre activité vers la clarification des questions politiques de fond et de sa propre position militante. La seule façon pour que les camarades issus de ces expériences puissent par la suite contribuer à la lutte de classe, c'est de s'intégrer activement et consciemment dans le processus de regroupement international des révolutionnaires : emprunter un chemin de traverse est une impasse.
Quelles leçons peuvent être dégagées de notre expérience ? Un cercle de discussion, de par sa nature, est un agrégat transitoire, né de la nécessité de clarifier les problèmes de la lutte de classe. Au fur et à mesure que par la discussion cette clarification se fait, le cercle de discussion, loin de se renforcer (Plate-forme, organisation) dépérit (il épuise sa fonction). Quelque soit le sort de ses militants pris individuellement (évolution ou disparition), le cercle de discussion quant à lui ne peut que dégénérer ou mourir.
Aux révolutionnaires d’en indiquer la fonction et les limites et d'en dénoncer les survivances.
D'anciens membres de l'ex-"Frazione Communista"
[1] [110] Lotte operaie in Portogallo : Una lotta esemplare : Il lavoratori della T.A.P. di fronte al PCP ed al "esercito democratico".
Dans le n°4 de la Revue Internationale, nous avons publié une première série d'articles de "Bilan", allant de la chute du régime de Primo de Rivera et de la monarchie aux événements de 1936. Dans ces articles-analyses, Bilan s'efforçait de démontrer que la chute de l'ancien régime monarchique était le fait de son anachronisme absolument inadéquat pour affronter les difficultés dans lesquelles se trouvait le capitalisme espagnol, subissant pleinement la crise générale du capitalisme mondial. Ce n'est qu'en partant de ce contexte historique mondial, qu'on devait analyser la situation en Espagne, pour comprendre son évolution. La démarche de la Gauche Communiste, avec la Fraction Italienne en tête, s'opposait radicalement à celle de Trotski et autres groupes issus de la dégénérescence de l'IC, qui, eux, partaient avant tout des spécificités de l’Espagne, ce qui les amenait à toutes sortes d'aberrations et notamment à voir dans l'avènement de la République le triomphe d'on ne sait quelle Révolution démocratico-bourgeoise "progressive" venant à bout d’un ancien "ordre féodal". Bilan n’ignorait certes pas l’état arriéré du capitalisme espagnol, il insistait au contraire sur ce point, mais il rejetait énergiquement cette aberrante définition de cet état arriéré, comme une société féodale grosse d'une révolution démocratico-bourgeoise, et tout ce que cela implique. D'une façon générale Bilan a été amené à rejeter catégoriquement toute idée de révolution démocratico-bourgeoise dans la période présente de déclin du capitalisme, cette ère historique où la seule alternative qui se présente à la société est celle de Révolution prolétarienne ou de guerre impérialiste, de socialisme ou de barbarie (décadence)([1] [111]).
Dans leur grande majorité, ces groupes de gauche, même quand ils ne se référaient pas à une "révolution antiféodale", persistaient toutefois à voir dans les événements un mouvement de renforcement continu de la classe ouvrière, obligeant la bourgeoisie au recul. C'est ainsi que fut interprété, par eux, le renforcement de la République et des partis de "gauche" en son sein. Le développement de la "démocratie" était compris comme la manifestation de l'avance du prolétariat, comme 1e renforcement de ses positions de classe. Le renforcement de l'Etat "démocratique" et de son appareil, pour aussi violemment répressif qu'il se présentait, était vu comme une manifestation de la faiblesse de la bourgeoisie et était synonyme de renforcement du prolétariat et condition de son avance ultérieure.
Diamétralement opposée était l'interprétation de Bilan qui voyait dans cette République démocratique la mise en place d'une structure étatique plus apte à dévoyer la classe ouvrière, à lui faire abandonner son terrain de classe, à la démobiliser politiquement, tout en la matant physiquement. En effet, le capitalisme - dont celui de l'Espagne n’est qu'une partie intégrante - se voyait avancer à pas accélérés vers son unique issue à sa crise mondiale : la guerre impérialiste. Par ailleurs, le capitalisme était parvenu à dominer et enrayer complètement la seule alternative à la guerre qui entrave son déchaînement : la lutte de classe du prolétariat. Par les multiples défaites subies, par le triomphe, selon les pays, du stalinisme, du fascisme, de l'hitlérisme, des fronts populaires, la classe ouvrière, dans les principaux pays, se trouvait profondément démoralisée et impuissante. Seule dans la zone ibérique se trouvait encore un prolétariat qui a gardé un énorme potentiel de combativité - et cette combativité devenue en la circonstance absolument intolérable pour le capitalisme, il lui fallait non seulement la briser, mais s'en servir pour, dans un immense bain de sang des ouvriers d'Espagne, créer l'ambiance nécessaire pour "l’adhésion" au massacre impérialiste des prolétaires de tous les pays du monde. Telles étaient la signification et l’œuvre de la République démocratique et du triomphe du Front populaire en Espagne. Une telle différence d'analyse et de perspectives isolait chaque jour davantage la Fraction italienne des autres groupes qui ont survécu à la dégénérescence de l'IC. Les efforts de Bilan, ses mises en garde passionnées contre les dangers et la catastrophe imminente qui se préparait pour le prolétariat en Espagne, ne trouvaient aucun écho et il ne restait à Bilan que d'enregistrer avec tristesse l'aveuglement qui frappait ces groupes, leur graduel fourvoiement qui fera d'eux les victimes et les complices du massacre dit "antifasciste" qui allait se déchaîner en Espagne.
Le déroulement des événements ne tardera pas à confirmer l'achèvement de l'involution de ces groupes. Aucun d'eux n'aura la force nécessaire pour échapper d'être happé dans l'engrenage de la guerre impérialiste, mise en mouvement par le soulèvement de l'armée sous la direction de Franco. La magnifique riposte spontanée du prolétariat, qui, restant sur son terrain de classe, a rapidement raison de l'armée dans les principaux centres ouvriers, est vite mise en brèche par une manœuvre contournant de l'Etat Républicain. Toutes les forces politiques organisées qui agissent au sein de la classe et contre elle, PC-PS-anarchistes-syndicats de l'UGT et de la CNT, vont s'employer à qui mieux mieux à arracher la victoire des ouvriers contre l'armée en transformant cette victoire de classe en une défense de la démocratie, de l'Etat républicain, de l'ordre capitaliste. Les démarcations de classe seront estompées, les frontières de classe effacées. A la lutte de classe - prolétariat contre capitalisme - sera substituée la lutte contre le fascisme dont l'alternative est la démocratie, l'Union de toutes les forces démocratiques, plate forme classique de la domination capitaliste. C'est la répétition générale de ce qui servira exactement de plate forme et de mystification à la mobilisation pour la Seconde Guerre mondiale impérialiste, démocratie contre fascisme.
La boucle était ainsi fermée, confirmant tragiquement la thèse de Bilan sur la nature et la fonction de la démocratie en général, et en Espagne en particulier : la démocratie, loin d'être le signe d'un renforcement du prolétariat, et loin de constituer un tremplin pour de nouvelles conquêtes de la classe comme le prétendaient les divers groupes de gauche, n'était au contraire que le signe de leur déroute, condition de nouvelles défaites pour la classe, qui menait finalement à la guerre impérialiste. Non seulement la thèse de "Bilan" se trouvait pleinement confirmée par les événements, mais cette thèse marxiste révolutionnaire lui a permis de rester lui-même, c'est-à-dire fidèle aux principes révolutionnaires de la classe, et de ne pas se laisser entraîner dans le bourbier nauséabond de la guerre impérialiste, "antifasciste". Et c'est là un très rare mérite et un grand honneur pour tout groupe qui se veut révolutionnaire.
Tout autre était le sort de la grande majorité d'autres groupes de gauche et même communistes. Sans parler de la racaille des socialistes de gauche à la Pivert et Cie, l'ensemble des groupes de l'opposition trotskiste, le POUM, les syndicalistes-révolutionnaires de la RP jusqu'à - et y compris - des groupes tels que l'Union Communiste en France et le groupe internationaliste de Belgique pataugeaient misérablement dans ce bourbier antifasciste de la guerre en Espagne. Les uns avec enthousiasme, les autres à contre cœur, ulcérés, mais tous étaient pris dans ce filet antifasciste qu'ils ont eux-mêmes tissé, et dans les mailles duquel ils se débattaient lamentablement. Les groupes les plus radicaux qui volontiers dénonçaient le Front Populaire et la participation au gouvernement républicain, estimaient quand même indispensable la participation à la guerre contre Franco, considérant la victoire militaire contre le fascisme comme condition de la marche en avant de la Révolution. Ou bien cherchaient à conjuguer la guerre "extérieure" des Fronts contre Franco avec une lutte de classe contre le gouvernement républicain bourgeois à l'intérieur.
Dans le n°6 de la Revue Internationale, nous avons reproduit une série d'articles
dans lesquels Bilan met en lambeaux tout ce tissu fait d'ergotages et de sophismes qui n'avaient comme conséquence que de justifier quand même la participation à la guerre impérialiste camouflée en antifascisme prolétarien pour les besoins de la cause. La guerre d'Espagne débouchait directement dans la Deuxième Guerre mondiale. Les groupes radicaux pris dans leur propre piège ne pouvaient que se disloquer et disparaître ; quant aux autres, comme les trotskistes, ils ne pouvaient que passer sans retour, avec armes et bagages, .dans le camp de l'ennemi de classe, en participant pleinement dans la guerre impérialiste généralisée.
Les événements d'Espagne renouvellent aux révolutionnaires une leçon capitale : un groupe prolétarien ne met pas impunément le doigt dans l'engrenage capitaliste. A un moment donné, dans un de ces tournants brusques que connaît l'histoire, il est irrémédiablement happé par l'engrenage et impitoyablement broyé. Si la classe trompée et écrasée ne peut pas ne pas resurgir, car elle est et reste le sujet de l'histoire, il n'en est pas de même de ses organisations révolutionnaires qui ne sont que des organismes et instruments de la classe. Prises dans l'engrenage de l'ennemi elles sont définitivement perdues et détruites et la classe n'aura d'autres ressources que d'en sécréter de nouvelles. Les organisations révolutionnaires demeurent donc toujours exposées au danger de la corruption par l'ennemi de classe. Il n'y a aucune garantie absolue contre ces dangers. Seules, la fidélité aux principes et la vigilance politique constante offrent à l'organisation révolutionnaire quelque assurance d'être prémunie contre la pénétration corruptrice de l'idéologie de l'ennemi de classe. Et cela même n'est pas toujours une sécurité totale.
Dans le n°6 de notre revue, nous terminions la série d'articles de Bilan par celui de "L’isolement de notre Fraction devant les événements d'Espagne". Bilan écrit: "Notre isolement n'est pas fortuit : il est la conséquence d'une profonde victoire du capitalisme mondial qui est parvenu à gangrener jusqu'aux groupes de la Gauche Communiste". Non seulement la Fraction italienne se retrouvera isolée par le fait que les autres groupes se trouvaient gangrenés par le capitalisme mondial, mais la Fraction elle-même, malgré toute sa vigilance, n'échappera pas complètement à cette pression, et se trouvera à son tour atteinte par cette même gangrène qui pénétrera dans ses rangs et se manifestera par l'apparition d'une minorité se réclamant d'une position de soutien de la guerre "antifasciste" en Espagne. On sait qu’à la déclaration de la Première Guerre mondiale, une grande partie de la section parisienne du Parti Bolchevik s'était prononcée pour le soutien de la guerre "décisive" des alliés "démocratiques" contre le militarisme impérialiste prussien. Avec la minorité de la Fraction italienne se vérifie une fois de plus l'absence d'une immunité absolue contre la pénétration de la gangrène capitaliste dans le corps des révolutionnaires et une fois de plus, comme ce fut le cas pour le Parti Bolchevik, la santé robuste de l’organisation a eu raison et a pu venir à bout, sans trop de dommages, de cette gangrène.
Nous avons jugé indispensable la publication de tous les textes et déclarations, tant de la minorité que de la majorité, concernant les débats et la crise qu’ils ont provoqués dans la Fraction italienne de la Gauche Communiste. Ceci pour plusieurs raisons, et tout d'abord parce que le contraire aurait été manquer au plus élémentaire devoir d'information révolutionnaire. La lecture de ces textes est hautement édifiante et donne une idée de l'ampleur, du contenu, et de la portée de ces débats, et une vue plus exacte de la vie politique dans la Fraction. Les arguments de la minorité, qui sont souvent plus une réaction sentimentale de volonté révolutionnaire, ne diffèrent guère de 1a façon de raisonner d'autres groupes radicaux tombés dans les mêmes mystifications et mêmes erreurs. Leur principal argument se réduit à celui que de ne pas intervenir serait faire preuve d’un attentisme et d’une indifférence insupportables. Le non attentisme sert souvent de couverture a des précipitations inconsidérées et irréfléchies ([2] [112]). Et la minorité en a fait la triste expérience. Pour ce qui est du reproche de l'indifférence, il est frappant de le retrouver dans la bouche des bordiguistes nous le jetant à la face pour justifier aujourd'hui leur soutien aux luttes (massacres) de libération nationale. Cela ne surprendrait certainement personne en apprenant qu'après leur mésaventure dans la milice antifasciste du POUM et à la suite de la dissolution de la milice et de son incorporation dans l'armée, la minorité, de retour d'Espagne, allait s'incorporer dans le marais de l'Union Communiste. C’était sa place naturelle. Cela ne surprendrait pas davantage en sachant qu'à la fin de la guerre, c'est encore la minorité qui est la plus enthousiaste partisane de la constitution du Parti bordiguiste et c'est avec elle que se constitue la section en France de ce Parti. Là aussi, elle a trouvé sa place naturelle. Quelle revanche éclatante ! Car C2 sont précisément les positions de la minorité qui ont réellement, sinon formellement triomphé dans le PCI. Si le PCI ne reconnaît pas ses origines dans la Fraction italienne et dans Bilan, il devrait au moins reconnaître certaines de ses racines dans les positions politiques de la minorité de la Fraction italienne de la Gauche Communiste et lui rendre cette justice. Enfin, il est extrêmement intéressant et significatif de voir comment la Fraction s'est efforcée de mener les discussions, avec quelle patience elle supportait toutes les infractions de la minorité, faisant toutes sortes de concessions organisationnelles, non pour garder la minorité dont elle considérait les positions politiques absolument incompatibles avec celles de la Fraction, et la scission absolument inévitable, mais pour pousser la clarification des divergences à leur point extrême afin que la scission soit encore un renforcement de la conscience et de la cohésion de l'organisation révolutionnaire. C’est là une très rare leçon d’une grande valeur que nous a encore légué la Fraction italienne de la Gauche Communiste. Aujourd’hui, avec la tendance à la reconstitution du mouvement révo1utionnaire, les jeunes groupes qui surgissent devraient méditer sur cette leçon afin de l’assimiler pleinement et en faire une arme supplémentaire pour le regroupement des révolutionnaires.
Pour finir, nous publions l'Appel de la Gauche Communiste, en réponse aux massacres de Mai 1937, qui sanctionne définitivement le débat avec la minorité sur la signification du Gouvernement Républicain de coalition antifasciste et le sens des événements en Espagne. Ceux qui prétendent pouvoir tirer de ces événements d’autres enseignements positifs - de collectivisation dans les campagnes ou de syndicalisation de l'industrie - de formes nouvelles ou supérieures de l'autonomie ouvrière se laissent mystifier par l'apparence des choses qu'ils prennent pour la réalité.
La seule et tragique réalité était la transformation de l'Espagne en un immense champ de massacre où ont été exécutés par centaines de mille les ouvriers espagnols au nom de la défense de la démocratie et comme préparation à la Deuxième Guerre impérialiste. Il n’y a jamais eu rien d’autre, et c’est la seule leçon qu'ont à tirer les ouvriers du monde entier et ne jamais plus l'oublier.
COMMUNIQUE DE LA COMMISSION EXECUTIVE
EXTRAITS (Bilan n° 34, Août 1936)
Les événements d’Espagne ont ouvert une grave crise au sein de notre organisation. Les conditions actuelles n'ont pas permis une discussion approfondie des divergences, d’autant plus qu'une partie des camarades ne se trouve pas actuellement dans la possibilité d'apporter le concours de leurs opinions.
Dans cette situation, la C.E. n'a pu qu’enregistrer la première délimitation des positions politiques, tout en constatant qu'elles posent inéluctablement le problème de la scission de notre organisation. Scission bien évidemment au point de vue idéologique et non organisationnel, à la condition toutefois que la clarté la plus complète se fasse sur les problèmes fondamentaux où le contraste s'est manifesté.
A part la conception qui est défendue publiquement par la fraction et au sujet de laquelle aucune explication n’est nécessaire, d’autres opinions se sont affirmées et qui se trouvent actuellement - ainsi que nous l'avons dit - dans l'impossibilité de se concentrer autour d’une position générale, ou se départager en précisant les contours respectifs. L’idée centrale dominant parmi les camarades qui ne partagent pas l’avis de la majorité actuelle de l'organisation, est celle qui considère possible l’affirmation d'une indépendance de la classe ouvrière, en Catalogne surtout, sans passer au bouleversement radical de toute la situation, sans opposer aux fronts actuels que nous considérons impérialistes, les fronts de la lutte de classe dans les villes et les campagnes.
La C.E. a décidé de ne pas brusquer la discussion pour permettre à l'organisation de bénéficier de la contribution des camarades qui ne se trouvent pas dans la possibilité d'intervenir activement dans le débat, et aussi parce que l'évolution ultérieure de la situation permettra une plus complète clarification des divergences fondamentales apparues.
En vertu de ces considérations, il est évident que les camarades de la minorité actuelle ont tout aussi bien que les autres la possibilité de séparer publiquement leurs responsabilités et, tout en se revendiquant de leur appartenance à la fraction, poursuivre la lutte en Espagne sur la base de leurs positions tendant à déterminer une position autonome de la classe ouvrière même dans le cadre de la situation actuelle.
Nous escomptons publier dans le numéro prochain de Bilan tous les documents relatifs aux divergences surgies au sein de notre organisation.
LA CRISE DANS LA FRACTION
COMMUNIQUE DE LA C.E.
EXTRAITS (Bilan n°35, sept-oct. 1936)
La crise surgie dans la fraction, à la suite des événements d'Espagne, a marqué un premier point de son évolution. Les divergences fondamentales que nous avions énoncées dans notre précédent communiqué se sont à nouveau manifestées au cours des discussions qui ont eu lieu au sein de l'organisation. Ces discussions ne se sont pas encore acheminées vers la clarification des questions fondamentales controversées et cela surtout parce que la minorité ne s’est pas encore trouvée dans la possibilité de procéder à une analyse des derniers événements d'Espagne pouvant servir de confirmation aux positions centrales qu'elle défend.
La C.E., se basant sur les notions programmatiques qu'elle défend au sujet de la construction du parti, en face de divergences d’ordre capital qui, non seulement rendent impossible une discipline commune, mais font que cette discipline devient un obstacle rendant impossible l'expression et le développement des deux positions politiques, a considéré qu'il était nécessaire d’arriver sur le terrain de l'organisation, à une séparation aussi nette que celle existant dans le domaine politique, où les deux conceptions sont en réalité un écho de l’opposition existant entre le capitalisme et le prolétariat.
La C.E. a pris acte que c'est dans la même direction que s'est orientée la minorité, laquelle vient de constituer le "Comité de Coordination".
Ce Comité a pris une série de décisions que la C.E. s'est bornée à enregistrer, sans lui opposer la moindre des critiques et en prenant les mesures nécessaires pour faciliter la plus complète activité de 1a minorité. Toutefois, la C.E. a cru ne pas devoir accepter la demande de reconnaissance de la Fédération de Barcelone, car celle-ci s'est fondée sur la base de l’enrôlement de milices qui sont devenues progressivement des organes à la dépendance de l'Etat capitaliste. La divergence avec des membres de la fraction sur cette question des milices peut encore être soumise à l'appréciation du prochain Congrès de notre fraction, car ce contraste a surgi sur le fond d'une solidarité qui s'affirme sur les documents fondamentaux de l'organisation. Il en est tout autrement pour ceux qui voudraient adhérer à l'organisation sur la base politique de l'enrôlement dans les milices, problème dont la compatibilité avec les documents programmatiques de la fraction ne pourra être tranché que par le Congrès. Pour ces raisons, la C.E. a décidé de ne pas reconnaître la Fédération de Barcelone et de faire valoir les votes des camarades qui en font partie, au sein des groupes dont ils faisaient partie avant leur départ…
La C.E. réaffirme que l'unité de la fraction, qui a été brisée par les événements d'Espagne, ne pourra se reconstruire que sur la base de l'exclusion des idées politiques, lesquelles, loin de pouvoir engendrer une aide solidaire au prolétariat espagnol, ont accrédité parmi les masses des forces qui lui sont profondément hostiles et dont le capitalisme se sert pour l'extermination de la classe ouvrière en Espagne et dans tous les pays.
LA REVOLUTION ESPAGNOLE
Cet article d'un camarade de la minorité de la fraction a été écrit le 8 août, à un moment donc où l'extrême pénurie des nouvelles ne permettait guère une analyse des événements en cours. Il n'a pas été possible de permettre à l'auteur de revoir son texte afin d'y apporter les rectifications nécessaires quant à certains faits qui y sont évoqués. Le lecteur voudra bien en tenir compte.
La chute de la monarchie, bien qu'elle se soit accomplie paisiblement et de façon chevaleresque, dans une ambiance de réjouissances et non de luttes, ouvre la crise révolutionnaire en Espagne. La dictature de Primo de Rivera en est aussi un symptôme.
La structure politique et économique de l'Espagne est entièrement construite sur l'échafaudage féodal d'un Etat qui, pendant quatre siècles, a vécu en parasite en exploitant un empire colonial immense, rempli de richesses inépuisables. A la fin du XIXe siècle, par la perte des dernières possessions coloniales, le rôle de l’Espagne est réduit à celui d'un pays de troisième ordre, vivotant au travers de l'exportation de sa production agraire. La crise mondiale survenue après la guerre rétrécit considérablement les marchés, amoindrit les réserves de l'accumulation qui s'était faite pendant la guerre par suite de la neutralité du pays, et pose le problème de sa transformation économique. Le stimulant des forces de production tendant à créer un appareil industriel moderne, et à susciter un marché intérieur pour la production industrielle au travers de la transformation des systèmes productifs à la campagne, se heurte à l'esprit conservateur des vieilles castes féodales privilégiées.
Cinq années de gouvernements successifs de gauche et de droite ne résolvent même pas le problème politique de la forme constitutionnelle ; la République elle-même est menacée par un parti monarchique décidé. Aucune solution n'est davantage apportée au problème économique qui ne peut trouver de solution définitive qu'au travers de la rupture violente des rapports sociaux dans les campagnes. La question agraire est d’importance primordiale ; elle ne peut être résolue dans le cadre des institutions bourgeoises, mais par la voie révolutionnaire au travers de l’expropriation sans indemnisation des latifundia et des domaines seigneuriaux.
Sur un demi-million de kilomètres carrés que représente la surface de l'Espagne, deux tiers des terres appartiennent à 20 000 propriétaires. Les bribes restantes sont laissées à vingt millions d’êtres qui consomment leur misère dans l’abrutissement et l'ignorance séculaires. La tentative de réforme agraire de Azana ne put donner que des résultats négatifs. La confiscation, avec indemnisation aux propriétaires, est suivie d'une répartition de la terre, onéreuse pour le paysan qui doit commencer à cultiver une terre souvent aride et négligée, avec une dette initiale et sans aucun capital de circulation. Là où la répartition des terres s’est faite, une irritation se produit parmi les paysans qui n'ont pu tirer aucun avantage de la possession de la terre. Cette situation de mécontentement peut expliquer pourquoi les "rebelles" ont trouvé, dans certaines provinces agraires, un appui de la part des populations locales.
La menace d’une attaque réactionnaire à fond, après deux années de gouvernement de droite, détermine la formation d’une coalition des partis républicains et ouvriers, et provoque la victoire électorale du 16 février. La pression des masses qui ouvrent les prisons au 30 000 emprisonnés politiques avant même que soit promulgué le décret d’amnistie, déplace le rapport des forces, mais l'espoir des masses est déçu. Au cours des cinq mois d'activité du gouvernement de Front Populaire, aucun changement radical ne se vérifie dans la situation. La situation économique, d'autre part, ne perd pas son caractère de gravité. Rien n'est fait pour tenter une solution définitive, et cela s'explique par le caractère bourgeois du nouveau gouvernement qui se borne à une défensive envers le parti monarchique en déplaçant vers le Maroc un grand nombre d'officiers infidèles au régime républicain. Ce qui explique que le Maroc était le berceau de la rébellion militaire, qui en quelques jours put compter sur une armée de 40000 hommes complètement équipés, à l'abri de toute menace répressive. La Légion Etrangère, "LA BANDERA" qui a formé la base de cette armée, ne compte que très peu d'éléments étrangers (10-15%), tandis que dans sa majorité elle groupe des espagnols enrôlés : chômeurs, déclassés, criminels, c'est-à-dire de véritables mercenaires qu'il est facile d'attirer par le mirage d'une solde.
Le meurtre du lieutenant de Castil1o, socialiste, suivi le lendemain, par représailles, du meurtre de Carlos Sotelo, chef monarchiste (9 et 10 juillet), décida la droite à agir. Le 17 juillet l'insurrection commence. Elle n'a pas le caractère du PRONUNCIAMENTO militaire typique qui compte sur la surprise, la rapidité et a toujours des buts et objectifs limités : généralement le changement du personnel gouvernemental.
La durée et l’intensité de la lutte prouvent que nous nous trouvons devant un vaste mouvement social qui bouleverse jusqu'à ses racines la société espagnole. La preuve en est que le gouvernement démocratique, modifié deux fois en quelques heures, au lieu de se replier ou de se hâter de faire un compromis avec les chefs militaires insurgés, préfère s'allier avec les organisations ouvrières et consigner les armes au prolétariat.
Cet événement a une importance énorme. La lutte, bien qu'elle reste formellement insérée dans les cadres d’une compétition entre groupes bourgeois et bien qu'elle trouve son prétexte dans la défense de la république démocratique contre la menace de la dictature fasciste, atteint aujourd’hui une signification plus ample, une valeur profonde de classe ; elle devient le levain, le ferment propulseur d 'une véritable guerre sociale.
L'autorité du gouvernement est en pièces : en quelques jours le contrôle des opérations militaires passe aux mains de la milice ouvrière ; les services de la logistique, la direction en général des affaires inhérentes à la conduite de la guerre, la circulation, la production, la distribution, tout est remis aux organisations ouvrières.
Le gouvernement de fait est aux organisations ouvrières, l'autre, le gouvernement légal est une coque vide, un simulacre, un prisonnier de la situation.
Incendie de toutes les églises, confiscation de biens, occupation de maisons et de propriétés, réquisition de journaux, condamnations et exécutions sommaires, d'étrangers aussi, voilà les expressions formidables, ardentes, plébéiennes de ce profond bouleversement des rapports de classe que le gouvernement bourgeois ne peut plus empêcher. Entre temps le gouvernement intervient, non pas pour anéantir, mais pour légaliser "l'arbitraire". On met la main sur les banques et sur la propriété des usines abandonnées par les patrons, les usines qui produisent pour la guerre, sont nationalisées. Des mesures sociales sont prises : semaine de 40 heures, 15% d'augmentation des salaires, réduction de 50% dès loyers.
Le 6 août un remaniement ministériel a lieu en Catalogne sous la pression de la CNT. Companys, président de la Généralité, est obligé, paraît-il, par les organisations ouvrières de rester à sa place pour éviter des complications internationales, qui, au reste ne manqueront pas de se produire au cours des événements.
Le gouvernement bourgeois est encore debout. Sans doute, une fois le danger écarté, il essaiera de reprendre désespérément l'autorité perdue. Une nouvelle phase de la lutte commencera pour la classe ouvrière.
Il est indéniable que la lutte a été déchaînée par les compétitions entre deux fractions bourgeoises. La classe ouvrière s'est rangée à l'avantage de celle dominée par l'idéologie du Front Populaire. Le gouvernement démocratique arme le prolétariat, moyen extrême de sa défense. Mais l'état de dissolution de l'économie bourgeoise exclut toute possibilité de réajustement, soit avec la victoire du fascisme, soit avec la victoire de la démocratie. Seule une intervention successive, autonome du prolétariat pourra résoudre la crise de régime de la société espagnole. Mais le résultat de cette intervention est conditionnée par la situation internationale. La révolution espagnole est strictement reliée au problème de la révolution mondiale.
La victoire d'un groupe ou de l'autre ne peut résoudre le problème général, qui consiste dans la modification des rapports fondamentaux des classes sur l’échelle internationale et de la désintoxication des masses hypnotisées par le serpent du Front Populaire. Toutefois, la victoire d'un groupe plutôt que d’un autre détermine des répercussions politiques et psychologiques dont il faut tenir compte dans l'analyse de la situation. La victoire des militaires ne signifierait pas seulement une victoire sur la méthode démocratique de la bourgeoisie, mais signifierait aussi la victoire brutale et sans merci sur la classe ouvrière qui s'est engagée à fond et comme telle dans la mêlée. La classe ouvrière serait clouée à la croix de sa défaite de façon irrémédiable et totale, comme il est arrivé en Italie et en Allemagne. En outre toute la situation internationale serait modelée sur la victoire du fascisme espagnol. Une rafale de répression violente s'abattrait sur la classe travailleuse dans le monde entier.
Ne discutons même pas la conception qui soutient que, après la victoire des réactionnaires, le prolétariat retrouverait plus hardiment sa conscience de classe. La victoire gouvernementale créerait des déplacements de grande importance dans la situation internationale, en redonnant conscience et hardiesse au prolétariat dans les différents pays. Sans doute ces avantages seraient en partie neutralisés par l’influence délétère d'une intense propagande nationaliste, antifasciste, fourrière de guerre des partis du Front Populaire, et en toute première ligne du parti communiste.
Il est douteux que la défaite des militaires ait comme conséquence inéluctable un renforcement du gouvernement démocratique. Par contre, il est certain que les masses, encore armées, dans l'orgueil de la victoire douloureuse et contestée mais fortes d'une expérience acquise dans l'âpreté de la bataille, demanderaient des comptes à ce gouvernement. Les poudrières idéologiques données par le Front Populaire pour confondre les masses, pourraient éclater dans les mains de la bourgeoisie elle-même.
Seule une méfiance extrême dans l'intelligence de classe des masses peut amener à admettre que la démobilisation de millions d'ouvriers qui ont soutenu un combat dur et long puisse se vérifier sans heurts et sans tempêtes.
Mais, même dans l'hypothèse qu’à la victoire du gouvernement succède, sans frictions, le désarmement matériel et spirituel du prolétariat, on ne peut pas exclure que tous les rapports de classe seraient déplacés. Des énergies nouvelles et puissantes pourraient émerger de cette vaste conflagration sociale et l'évolution vers la formation du parti de classe en sera accélérée.
La lutte de classe n'est pas de la cire molle qui se modèle suivant nos schémas et nos préférences. Elle se détermine de façon dialectique. En politique la prévision représente toujours une approximation de la réalité. Fermer les yeux en face de la réalité uniquement parce qu'elle ne correspond pas au schéma mental que nous nous sommes forgé, signifie s'extraire du mouvement et s'expulser de façon définitive du dynamisme de la situation.
La corruption idéologique du Front Populaire et le défaut du parti de classe sont deux éléments négatifs et d'une importance écrasante. Mais c'est justement pour cela qu'aujourd'hui notre effort doit se porter du côté des ouvriers espagnols.
Leur dire : ce danger vous menace et ne pas intervenir nous-mêmes pour combattre ce danger, est manifestation d'insensibilité et de dilettantisme. Notre abstentionnisme dans la question espagnole signifie la liquidation de notre fraction, une sorte de suicide dû à une indigestion de formules doctrinaires.
Imbus de nous-mêmes, comme Narcisse, nous nous voyons dans les eaux des abstractions où nous nous complaisons tandis que la belle nymphe Echo se meurt de langueur par amour pour nous.
TITO
LA CRISE DANS LA FRACTION
("BILAN" n°35)
COMMUNIQUE DU "COMITE DE COORDINATION"
La minorité de la fraction italienne de la gauche communiste, après avoir examiné les événements espagnols et acté les informations reçues de vive voix par un délégué qui s'est rendu sur place :
NIE toute solidarité et responsabilité avec les positions prises par la majorité de la fraction au travers de la presse ("Prometeo", "Bilan", Manifestes...) ;
APPROUVE l'attitude prise par le groupe des camarades qui, contre le veto opposé par la C.E., se sont rendus en Espagne pour défendre, les armes à la main, la révolution espagnole, même sur le front militaire ;
CONSIDERE que les conditions pour la scission sont déjà posées, mais que l'absence des camarades combattants enlèverait aujourd'hui à la discussion un élément indispensable, politique et moral, de clarification ;
ACCEPTE le critère de renvoyer à un prochain Congrès la solution définitive à donner aux divergences ;
RESTE donc, au point de vue de l'organisation - sinon plus idéologiquement - dans les rangs de la fraction à condition que lui soit garantie la libre expression de la pensée de minorité tout autant dans la presse que dans les réunions publiques.
DECIDE :
D'ENVOYER immédiatement en Espagne un de ses délégués et successivement, si cela devient nécessaire, un groupe de camarades pour développer un travail conséquent au sein et accord avec l'esprit de l'avant garde du prolétariat espagnol, partout où il se trouve, afin d'accélérer le cours de l'évolution politique du prolétariat en lutte, jusqu'à la complète émancipation de toute influence capitaliste et de toute illusion de collaboration de classe en associant à ce travail politique les camarades qui se trouvent, actuellement au front - quand cela sera possible ;
DE NOMMER un Comité de Coordination qui réglera les rapports entre les camarades, la Fédération de Barcelone (dont on demande la reconnaissance immédiate) et les camarades des autres pays, afin de définir, à l’égard de la C.E., les rapports que la minorité aura avec elle ;
EXIGE que le présent ordre du jour soit publié dans le prochain numéro de "Prometeo" et de "Bilan" ;
CONCLUT par l'envoi d'un salut fraternel au prolétariat espagnol qui défend la révolution mondiale dans les milices ouvrières.
LA MINORITE DE LA FRACTION ITALIENNE DE LA GAUCHE COMMUNISTE
LA CRISE DE LA FRACTION
("BILAN" n°36, Oct-Nov. 1936)
COMMUNIQUE DE LA C.E.
La Commission Exécutive entend resté fermement attachée au principe que la scission au sein de l'organisme fondamental du prolétariat, trouble et arrête le processus délicat de la vie et de l'évolution de ce dernier, quand elle ne vérifie pas sur le terrain des divergences programmatiques ne font qu'exprimer ou tendent à exprimer les revendications historiques non d’une tendance mais de la classe dans son ensemble.
La CE constate que la minorité s'inspire d'autres critères et menace de passer à la scission non seulement avant le Congrès mais avant même que les discussions se soient initiées, et cela sur le point controversé de la reconnaissance ou non du groupe de Barcelone. Malgré cette injonction de la minorité, la CE retient de devoir sauvegarder l'application du principe de la nécessité du Congrès pour la solution de la crise de la fraction.
La CE avait ratifié les positions prises par un de ses représentants, qui consistaient à prendre acte de toutes les décisions du Comité de Coordination. Mais ce Comité s'était limité à demander la reconnaissance du groupe de Barcelone, ce qui ne représentait donc pas une décision mais simplement une requête à la CE qui restait libre de prendre une décision. Il est donc inexact de parler d'engagements qui ne furent pas maintenus.
La CE s'est basée sur un critère élémentaire et de principe de la vie de l'organisation lorsqu'elle a décidé de ne pas reconnaître le groupe de Barcelone. Cela pour des considérations qui n'ont même pas été discutées par le Comité de Coordination et qui furent publiées dans notre communiqué précédent. Aucune exclusion n'était décidée contre des membres de la fraction et pour cela la décision du Comité de Coordination devient incompréhensible lorsqu’il considère l'ensemble de la minorité exc1u si le groupe de Barcelone n'est pas reconnu.
La CE devant l'état actuel d'imperfection de l'élaboration des normes réglementant la vie de l'organisation traversant une phase de crise (bien que convaincue de la justesse de sa précédente décision) pour diriger l'ensemble de la fraction dans la phase ultérieure de la discussion programmatique et devant l'ultimatum du C. de C., rectifie sa décision antérieure et passe à la reconnaissance du groupe de Barcelone.
La CE avait aussi soulevé quelques considérations politiques, quant à l’impossibilité d'un recrutement en une période de crise devant aboutir (par la conviction commune des deux tendances) à la scission, puisque les nouveaux éléments venus à l'organisation sur la base des problèmes controversés, se seraient trouvés absolument dans l'impossibilité de résoudre le problème fondamental qui se réfère à des questions de programme et qui ne peut être résolu que par ceux qui faisaient partie de l'organisation avant le déclenchement de la crise et qui avaient donné leur adhésion aux documents de base de la fraction.
Le C. de C. poursuit son chemin dans une voie qui ne peut conduire à aucun résultat positif pour la cause du prolétariat et prétend que c'est la peur de devenir minorité qui a guidé la CE. Le C. de C. sait autant que la CE que, même dans l'hypothèse absurde d'une comptabilisation des votes des prolétaires qui ont donné leur adhésion à la fraction de Barcelone, le présumé renversement des rapports actuels ne se serait pas vérifié.
La CE exhorte tous les camarades à se pénétrer de la gravité de la situation et à comprimer toutes les réactions afin de pouvoir passer à une discussion dont le but ne sera pas le triomphe de l'une ou de l'autre tendance, mais l'habilitation de
la fraction à se rendre digne de la cause du prolétariat révolutionnaire au travers du bannissement de toute idéologie qui se sera avérée (au cours des événements espagnols) comme un élément nocif pour la lutte de la classe ouvrière.
COMMUNIQUE DE LA MINORITE
Le Comité de Coordination, au nom de la minorité de la Fraction italienne de la Gauche Communiste :
Constate que la CE ne maintient pas la parole donnée par son représentant au C. de C., d’accepter l'ordre du jour présenté par la minorité où il était demandé, entre autres choses, la reconnaissance du groupe de Barcelone ;
Vu le communiqué de la CE, paru dans "Prometeo" où il est déclaré de ne pas vouloir reconnaître le groupe de Barcelone en prenant prétexte que les bases de sa constitution consistent dans la participation à la lutte militaire ;
Considérant que la base de la constitution du groupe de Barcelone est la même que celle sur laquelle se trouve toute la minorité ;
Décide que si la CE veut persister dans sa position, la minorité ne pourra considérer cette position que comme l'exclusion de toute la minorité de la fraction.
Pour la minorité: Le Comité de Coordination
P.S. : De la réponse de la CE, datée du 23 Octobre, résulte que la non reconnaissance du groupe de Barcelone dépend du fait que la minorité pourrait devenir majorité. Le C. de C. déclare qu'il est disposé à ne pas faire valoir le vote des nouveaux inscrits à Barcelone et que la CE peut considérer valides les seuls votes des camarades déjà inscrits avant de partir pour l'Espagne.
La minorité considère pour sa part les nouveaux inscrits comme membres de la fraction.
Le C. de C. 24/10/36.
Motion (adresse) votée à la réunion du groupe de Barcelone de la F.I.G.C. (Avant de partir pour le front).
Barcelone, le 23 août 1936.
Les camarades de la fraction Italienne de la Gauche Communiste sont entrés dans les rangs de la milice ouvrière pour soutenir le prolétariat espagnol dans la lutte grandiose contre la bourgeoisie. Nous sommes à ses côtés prêts à tous les sacrifices pour le triomphe de la révolution. Durant de longues années de militantisme, de luttes et d'exil, nous avons fait une double expérience : celle de la réaction fasciste qui a jeté le prolétariat italien dans une situation désespérée, et celle de la dégénérescence du parti communiste qui a crucifié idéologiquement la masse. Pourtant le problème de la révolution ne peut trouver une solution si la masse ne se soustrait pas à l'influence de la Deuxième et Troisième Internationale, pour reconstruire son véritable parti de classe capable de la conduire à la victoire.
Nous espérons dans le développement des événements actuels qui avec leur dynamisme pourront créer en Espagne et ailleurs le parti de la révolution. L'avant-garde existant au sein du POUM a devant elle une grande tâche et une extrême responsabilité.
Nous partons pour le front de bataille dans la colonne Internationale des milices du POUM, poussés par un idéal politique qui est commun à ces héroïques et magnifiques ouvriers espagnols : l'idéal de combattre jusqu'au dernier non pour sauver la bourgeoisie en débris, mais pour abattre dans ses racines toutes les formes du pouvoir bourgeois et faire triompher la révolution prolétarienne. Pour que les efforts de nous tous ne soient pas vains, il faut que l'avant-garde révolutionnaire du POUM réussisse à vaincre les ultimes hésitations et se place résolument sur le chemin de l'Octobre espagnol. Aujourd'hui, elle devra choisir entre l'appui soit direct ou involontaire à la bourgeoisie ou l'alliance avec les ouvriers révolutionnaires du monde entier.
Le destin de la masse ouvrière du monde entier dépendra du caractère qui sera donné à l'action politique dans l'actuelle conflagration sociale en Espagne.
Vive la milice ouvrière !
Vive la révolution !
(La motion de Blondo et la dernière résolution de la minorité paraîtront dans le prochain numéro - La Rédaction)
ORDRE DU JOUR VOTE PAR LA CE LE 29/11/36 SUR LES RAPPORTS ENTRE LA FRACTION ET LES MEMBRES DE L’ORGANISATION QUI ACCEPTENT LES POSITIONS CONTENUES DANS LA LETTRE DU COMITE DE COORDINATION DU 25/12/36.
Tout au long de l'évolution de la crise de la fraction, la CE s'est laissés guider par ce double critère : éviter des mesures disciplinaires et déterminer les camarades de la minorité à se coordonner en vue de la formation d'un courant de l’organisation s'orientant vers la démonstration que l'autre courant aurait rompu avec les bases fondamentales de l'organisation alors que lui en serait resté le réel et fidèle défenseur. Cette confrontation polémique n'aurait pu trouver d'autre place qu'au Congrès. Successivement à la réunion de la Fédération parisienne du 27/09/36 qui donna naissance au Comité de Coordination, la CE exhorta la fraction a subir une situation dans laquelle la minorité avait un régime de faveur, qui consistait dans sa non participation à l'effort financier nécessaire à la vie de la presse, alors qu'elle écrivait sur cette même presse. La CE fit cela dans l'unique but d'éviter que la rupture ne se fasse sur des questions de procédure.
Immédiatement après, surgit la menace d'une rupture au cas où la CE n'aurait pas reconnu le groupe de Barcelone. La CE se basant toujours sur le même critère, à savoir que la scission devait trouver sa place sur des questions de principe et nullement sur des questions particulières de tendance, encore moins sur des questions organisationnelles, passa à la reconnaissance du groupe de Barcelone.
Enfin, quand la CE fut contrainte de constater que le refus de la minorité à échanger avec l'autre tendance la documentation concernant sa vie politique, signifiait la rupture de l'organisation (mais malgré cela la CE maintenait toujours la nécessité du Congrès) par une communication "verbale" du camarade Candiani, la minorité nous informa qu'elle serait passée immédiatement à la rupture.
Le dernier appel de la CE, du 25 Nov., reçut une réponse qui empêche toute tentative ultérieure en vue de la présence de la minorité au Congrès.
Dans ces conditions, la CE constate que l'évolution de la minorité est la preuve manifeste qu'elle ne peut plus être considérée comme une tendance de l'organisation, mais comme un réflexe de la manœuvre du Front Populaire au sein de la fraction. En conséquence, il ne peut pas se poser un problème de scission politique de l'organisation.
Considérant d’autre part que la minorité s'acoquine avec des forces ennemies de la fraction et nettement contre-révolutionnaire (Giuestizia e Libertà, débris du trotskisme, maximaliste) en même temps qu’elle proclame inutile de discuter avec la fraction..
La C.E. décide l'expulsion pour indignité politique de tous les camarades qui se solidariseront avec la lettre du Comité de Coordination du 25-11-36 et elle laisse 15 jours de temps aux camarades de la minorité pour se prononcer définitivement. Ces camarades sont invités à faire parvenir leur réponse individuellement pour le 13 décembre. Exception est faite pour les camarades résidant à Barcelone pour lesquels il sera attendu le retour afin qu’ils soient dans la possibilité de se documenter complètement. Ces réserves ne concernent pas le camarade Candiani qui avant son retour a eu la possibilité de prendre complètement connaissance de la situation.
DOCUMENTS DE LA MINORITE (suite)
RESOLUTION DES CAMARADES BIONDO ET ROMOLO
(Après leur retour du front et avoir pris contact avec la délégation officielle la fraction)
L'Espagne, en ces moments, est la clé de voûte de toute la situation internationale. De la victoire d'une des différentes forces en lutte sortira une situation différente pour l'Europe. La victoire de Franco signifierait le renforcement du bloc militaire de l'Italie et de l’Allemagne. La victoire du Front Populaire signifierait le renforcement du bloc militaire antifasciste (tous les deux conduisent à la guerre impérialiste) ; et la victoire du prolétariat qui serait le point de départ d'une reprise mondiale de la révolution prolétarienne.
En Espagne nous nous trouvons devant une situation objectivement révolutionnaire. Les élections de février se concluant par la victoire du Front Populaire ont été un étouffoir, Une soupape de sûreté qui a empêché l'explosion violente des graves contrastes entre les classes. Les grandes grèves et l'agitation qui les ont suivies en sont la démonstration.
La menace révolutionnaire du prolétariat a décidé la bourgeoisie à prendre les devants pour avoir l'avantage de l'initiative. De ces prémisses l'on arrive à la conclusion que la lutte n' est pas entre deux fractions de la bourgeoisie, mais entre bourgeoisie et prolétariat. Et que le prolétariat prend les armes pour défendre ses conditions de vie et ses organisations de l’assaut de la réaction. Pour les même raisons pour lesquelles les prolétaires ont pris les armes contre Kornilov, les ouvriers espagnols ont pris les armes contre Franco.
Il ne s'agit pas du dilemme démocratie-fascisme, mais du dilemme capitalisme-prolétariat. Et si la bourgeoisie reste virtuellement au pouvoir, si les rapports de propriété n'ont pas subi une transformation profonde, la cause doit être recherchée dans le fait que le prolétariat n'est pas armé idéologiquement, ne possède pas son parti de classe.
L’existence du parti de classe aurait résolu la question en faveur du prolétariat dès les premiers jours de la lutte. La révolution espagnole n'est pas encore entrée dans son cours descendant et les possibilités de victoire du prolétariat ne peuvent être exclues d'une façon catégorique.
Devant le capitalisme qui lutte sur deux fronts, le prolétariat doit lutter sur les deux fronts : le front social et militaire. Sur le front militaire le prolétariat lutte pour défendre ce qu'il a conquis avec des décades de lutte ; sur le front social, le prolétariat doit accélérer le processus de décomposition de l'Etat Capitaliste, forger son parti de classe et les organes du gouvernement prolétarien, ce qui permettra de donner l'assaut au pouvoir capitaliste. Sur le front militaire, dès aujourd'hui, le prolétariat tend à jeter les bases de l'armée rouge de demain. Dans les zones que, successivement, les milices occupent, l'on passe immédiatement à la formation de comités de paysans et à la collectivisation des terres, et cela au nez des gouvernements de Madrid et Barcelone.
Le groupe constitué en Espagne considère qu'il n'a pas rompu avec les principes de la fraction et pour cela il ne peut pas ne pas être reconnu. On nous demande de rompre tous les contacts avec le POUM : ces contacts n’ont jamais existé. Dissoudre la colonne n'est pas en notre pouvoir parce que ce n’est pas nous qui l'avons constituée. Quant à se disperser entre les prolétaires dans les lieux de travail, cela sera fait à mesure que les possibilités le permettront.
(Ce document doit être considéré comme une réponse à la résolution de la CE du 27-8-36 et dut être écrit à la fin du mois de septembre).
DECLARATION
Un groupe de camarades de la minorité de la Fraction italienne de la gauche italienne, désapprouvant l'attitude officielle prise par la Fraction envers la Révolution espagnole, a brisé brusquement tous liens disciplinaires et formalistes envers l'organisation et s'est mis au service de la Révolution, allant jusqu'à faire partie des milices ouvrières et à partir combattre au front.
Aujourd'hui, une nouvelle situation se présente pleine d’inconnus et de périls pour la classe ouvrière: la dissolution du Comité Central des Milices Antifascistes, organisme surgi de la Révolution et garantie du caractère de classe des Milices, et la réorganisation de cette dernière en une armée régulière dépendante du Conseil de Défense, déformant le principe de la milice volontaire ouvrière.
Les nécessités du moment historique que nous vivons imposent une vigilance extrême aux éléments d'avant-garde du prolétariat, afin d'empêcher que la masse encadrée dans le nouvel organisme militaire puisse devenir un instrument de la bourgeoisie, qui sera un jour employé contre les intérêts mêmes de la classe laborieuse. Ce travail de vigilance peut être d'autant plus efficace que les organisations de classe acquerront conscience de leurs intérêts et dirigeront leur action politique dans un sens exclusif de classe. Le travail politique dans ces organisations assume une importance primordiale qui n'est pas moins intéressante que les tâches militaires au front.
Ces mêmes camarades, tout en restant fermes sur le principe de la nécessité de la lutte armée au front, n'ont pas accepté d'être encadrés dans une armée régulière qui n’est pas l'expression du pouvoir du prolétariat, et au sein de laquelle il serait impossible de déployer une fonction politique directe. Ils peuvent, par contre, donner aujourd'hui une contribution de plus grande efficacité à la cause du prolétariat espagnol, dans le travail politique et social indispensable pour préserver et renforcer l'efficience idéologique révolutionnaire des organisations ouvrières qui doivent reprendre sur le terrain politique et social l'influence que les nouvelles conditions ont atténuées au sujet de la direction militaire.
Ces mêmes camarades, en abandonnant leur poste de miliciens de la colonne internationale Lénine, restent toujours mobilisés à la disposition du prolétariat révolutionnaire espagnol, et décident de continuer à dédier sur un autre terrain leur activité et leur expérience jusqu'au triomphe définitif du prolétariat sur le capitalisme dans toutes ses formes de domination.
Barcelone, le 22 octobre 1936.
Le Groupe Portugais "COMBATE" s’est formé en 1974 au cours du resurgissement des luttes ouvrières au Portugal, après le renversement de la dictature Caetano. Comme des groupes analogues dans d'autres pays, 1'apparition de "Combate" était un signe du réveil général du mouvement ouvrier après 50 ans de contre-révolution, une reprise qui n’a cessé de s’affirmer depuis 1968. Pendant et après Mai en France, beaucoup de groupes sont apparus qui semblaient promettre de pouvoir contribuer à la généralisation des leçons que le prolétariat a acquis si péniblement depuis que la vague révolutionnaire de 1917-23 a été engloutie par la contre-révolution montante.
Le réveil actuel de la lutte de classe internationale est le produit de l’approfondissement de la crise mondiale du capitalisme, provoquée par la fin de la reconstruction qui a suivi la guerre. Par suite, la crise a posé aussi les conditions sociales et politiques préalables au surgissement de groupes qui tentent de situer leur activité dans le camp de la classe ouvrière, contre les mystifications de l'aile gauche du capital et de ses souteneurs idéologiques (Trotskistes, Maoïstes, populistes, anarchistes, etc.) Quand il est apparu, "Combate" n'était pas seulement un souffle d’air frais émanant des luttes des ouvriers portugais, il promettait beaucoup plus. En effet, "Combate" était le seul groupe au Portugal - à part les sectes anarchistes et conseillistes paralysées de façon chronique - qui s'était regroupé autour de certaines positions révolutionnaires. "Combate" attaquait carrément les mystifications du M.F.A. (Mouvement des Forces Armées portugais), l'appareil des syndicats et de la gauche de la bourgeoisie. Le groupe défendait les luttes autonomes des ouvriers portugais et se voulait fermement Internationaliste. Dans le climat répugnant de triomphalisme créé par le carnaval gauchiste au Portugal d’Avril 74 à Novembre 75, la position de "Combate" offrait une lueur d'espoir. C’était comme si, au cœur même de la "Révolution portugaise", de la "révolution aux œillets ", qui s’affrontait sans merci aux luttes ouvrières à la TAP, à TIMEX, dans les Postes, etc., une voix prolétarienne s'était enfin élevée.
LES LIMITES DE "COMBATE"
Dans le N°5 de World Révolution, la publication du CCI en Angleterre, nous avions écrit : "il apparaît que la principale faiblesse de "Combate" est son manque de clarté sur l'organisation, combiné avec un certain localisme. (Ses) articles semblent plaider pour une opposition abstraite aux "partis", plutôt que de considérer la politique réactionnaire des partis gauchistes comme manifestation de leur nature capitaliste. Cette attitude est liée, de la part de "Combate", au fait qu'il ne voit pas la nécessité de s'organiser de façon cohérente et centralisée, autour d'une plate-forme définie. Les articles révèlent, aussi, une tendance à voir la crise actuelle au Portugal comme un phénomène portugais plutôt que comme une manifestation de la crise mondiale du capitalisme et plus encore, il semble qu'il y ait une conscience limitée du fait que les problèmes que rencontre la classe ouvrière au Portugal peuvent seulement être résolus au niveau international. " (World Révolution, introduction à l'article de "Combate" : "quels conseils ouvriers ? ")
Ce que nous disions a été confirmé par l'évolution ultérieure de "Combate". Les camarades du CCI ont rencontré et ont discuté à plusieurs reprises avec "Combate" depuis l'été 75. Mais, malheureusement, ces discussions fraternelles n'ont fait que mettre en évidence une propension, de la part de "Combate", au localisme, à la stagnation théorique, et à l'éclectisme. Dans la situation portugaise, qui requiert de la part des révolutionnaires des idées particulièrement claires, ces traits négatifs ont conduit rapidement à l'apparition et à l'élargissement d'un décalage entre les activités de "Combate" et les besoins de la classe ouvrière.
Les limites de "Combate" existaient en son sein depuis le début, mais elles sont devenues un frein réel au développement du groupe quand elles ont commencé à être "théorisées". Quand la lutte de classe au Portugal est entrée dans une phase d'accalmie temporaire (pendant et après l'été 75) "Combate" est allé clairement en régressant. Probablement désemparé par la retraite temporaire du prolétariat après les événements de Novembre, "Combate" a commencé à montrer une tendance marquée à la défense de l'idéologie "autogestionnaire", y compris la défense des luttes populistes et marginales. Cela a été accompagné, parallèlement, de la part de "Combate", par une indifférence et une abstention presque complètes vis-à-vis des problèmes politiques plus généraux qui se posaient au prolétariat portugais et mondial pendant ces derniers mois. En réponse aux récentes élections au Portugal, "Combate" publiait un titre en première page qui proclamait "Non à Otelo, Non à Eanes, pour la Démocratie directe"! Avec ces banalités, agrémentées d'un éditorial dans lequel la "Démocratie directe" était transformée en "Démocratie ouvrière", "Combate" entreprenait ensuite de submerger ses lecteurs sous un flot d'articles qui faisaient l'éloge du "contrôle ouvrier et paysan dans les entreprises portugaises" ("Combate", n°43 Juin-Juillet 1976, cf. articles : "Ciment Armé : une coopérative de travailleurs et d'habitants", "Semprocil: une expérience de contrôle ouvrier"). L'évolution de "Combate" n'est ni accidentelle, ni exceptionnelle. Elle montre le poids immense que la contre-révolution fait toujours peser sur les forces révolutionnaires qui surgissent, un poids si grand qu'il peut facilement abréger le développement positif d'un groupe, surtout dans une situation où le groupe est coupé de la continuité théorique et organique avec le mouvement ouvrier du passé. C'est pourquoi l'évolution de "Combate" est importante, parce qu'elle aide les révolutionnaires à évaluer les difficultés que rencontre aujourd'hui la classe ouvrière dans sa recherche permanente de clarté et de compréhension plus profonde.
LES ORIGINES DE "COMBATE"
Les tâches que "Combate" a essayé de remplir dans la lutte de la classe portugaise n'ont jamais été définies très clairement. "Combate" a commencé en 74, comme une espèce de "Collectif" autogéré, centré sur une librairie à Lisbonne. Cette librairie, à tour de rôle, était ouverte aux ouvriers en lutte et aux "groupes révolutionnaires autonomes" comme endroit pour tenir des réunions. Les locaux étaient aussi prêtés aux entreprises autogérées - qui sont une caractéristique courante dans l'industrie légère portugaise depuis 1974 - comme débouché pour leurs marchandises. En réponse à la lettre d’un lecteur "Combate" affirmait dans un de ses numéros que la raison d'être du journal était de contribuer à "l'auto organisation et l'auto direction de la classe, en aidant à créer les conditions qui favorisent et accélèrent cette auto-organisation" ("Combate", n°29). Bien que cette formulation fût juste en soi, la tâche "d'aider" les travailleurs était conçue bien souvent de façon académique, dans le sens d'une "démystification" de l’idéologie capitaliste d'Etat détenue par une prétendue classe "technocratique" supposée prendre en main la société (une notion probablement empruntée aux écrits de James Burnham, ou de Paul Cardan). Par ailleurs, "Combate" voyait ses tâches comme une intervention dans les "commissions ouvrières" qui sont apparues pendant les luttes ouvrières au Portugal, pour les "unifier". Ces commissions sont devenues maintenant, avec le reflux de la lutte de classe, des véhicules de l'idéologie autogestionnaire dans le prolétariat.
A ces tâches de "démystification" idéologique et d"'unification pratique" de la classe au Portugal, il était joint un appel faible et incohérent à l'internationalisme. Mais cet appel n'était compris par "Combate", qu'en termes de "solidarité internationale" des travailleurs dans tous les autres pays - de préférence ceux qui étaient engagés de la même manière dans des activités "autogestionnaires" - avec les ouvriers au Portugal. "Combate" se désintéressait complètement du combat pour la création d'une organisation internationale, définie politiquement par sa défense des positions de classe au sein de la lutte de classe internationale. Apparemment, la création d'un corps de communistes regroupés autour d’une plate-forme, avec un cadre international clair, basée sur les leçons passées et actuelles tirées des luttes de classe, était un peu trop "théorique" pour "Combate"."Combate" insistait sans cesse sur le fait qu'il n'était "ni léniniste, ni anarchiste", comme si la question de l'organisation révolutionnaire pouvait se ramener à un niveau aussi simpliste. "Combate", cependant, était toujours prêt à entreprendre un travail "commun" avec n'importe qui, y compris les staliniens, pourvu qu'un vague dénominateur commun de confusion soit respecté par les participants. Un tel frontisme était candidement admis dans un manifeste publié par "Combate" :
"Tout notre travail a comme seul point de référence, les positions pratiques défendues dans les luttes ouvrières. Et il n'a comme seul objectif que de contribuer à l'unification des différentes luttes en lutte générale des masses prolétariennes et autres travailleurs. Nous ne sommes pas un parti et nous ne nous proposons pas de constituer un parti basé sur le travail lié à notre journal. Des éléments ou des groupes, de n'importe quel parti ou sans parti, collaborent à ce travail à la condition qu'ils développent des positions révolutionnaires pratiques dans les luttes ouvrières." (Manifeste de "Combate")
Ce que signifie exactement "développer des positions révolutionnaires pratiques" n'était pas explicité, mais on est conduit à soupçonner que c'est le cheval de Troie de l'autogestion. C'est ainsi que, pour "Combate, toute la question de l’organisation révolutionnaire n’était qu’un vague "projet" enraciné dans le localisme, et étayé par des conceptions autogestionnaires. Un effort qui combinait nettement les caractéristiques à la fois de l’anarchisme et de l'avant-gardisme gauchiste. La tâche d’organiser et de "fomenter" la lutte de classe ainsi que la lutte dans l’armée et la marine était carrément établie par "Combate" comme le passage suivant le met en évidence :
"Ce journal a pour but d’être un agent actif dans la liaison des différentes luttes particulières, en popularisant ces luttes et les expériences organisationnelles qui ont pu en résulter, et en accélérant de cette manière le développement des luttes ouvrières généralisées. C'est à partir de ces luttes et du développement de la lutte généralisée que toute l'élaboration de ce journal sera fondée, et aura pour résultat l'approfondissement des positions que nous prenons. Ce journal est le premier axe de notre travail."
Notons déjà que "Combate" base son existence comme journal sur des contingences, à savoir l'existence de "différentes luttes particulières" sur laquelle "toute son élaboration sera fondée". En écrivant cela, "Combate" annonce donc sa propre disparition dès le premier recul des luttes, ce qui suppose, soit qu'il ignore totalement la façon dont se développe la lutte prolétarienne avec ses pauses, ses reculs et ses brusques surgissements, soit qu'il se refuse à toute activité dès que la classe connaît un tel recul momentané. Dans un cas comme dans l'autre nous avons affaire à une attitude irresponsable : il faut effectivement manquer sérieusement du sens des responsabilités pour se proposer d'influer sur un mouvement aussi fondamental pour le destin de l'humanité comme celui du prolétariat sans en connaître les rudiments ou en prévoyant de le déserter dès qu'il connaîtra le moindre revers.
Mais voyons la suite de la citation :
"Intimement lié au journal, réside la tâche de susciter l'organisation d'assemblées de masse parmi les travailleurs, les soldats et les marins, ou de travailleurs avec des soldats et des marins impliqués dans des luttes spécifiques. Nous savons que c’est une tâche difficile, qui requiert plus que la simple préparation des nombreuses conditions matérielles comme la défense contre la répression de la bourgeoisie. Mais il ne peut y avoir de développement et de généralisation de notre lutte sans la réalisation d’assemblées de masse des ouvriers ayant des expériences de luttes particulières et différentes. C’est le deuxième axe de notre travail" (Ibid.)
Bien qu'il soit vrai qu’un groupe révolutionnaire intervienne et participe aux luttes de la classe ouvrière, surtout quand le Prolétariat entier entre dans une nouvelle période de combativité comme aujourd’hui, l'organisation révolutionnaire ne prépare pas (et dans ce domaine, elle ne peut pas) "les conditions matérielles" pour la lutte révolutionnaire de la classe (la création de liens à grande échelle entre les travailleurs en lutte, le déclenchement d'actions de classe contre la répression de la Bourgeoisie et son Etat, etc.) Abandonnant son premier rôle d’organisation d’assistance sociale offrant ses services à la classe ouvrière, "Combate" s'est attribué en idée le rôle vedette de majordome de la révolution. Une transformation équivalente à celle de l'obscur Clark Kent en Superman !
Les minorités révolutionnaires du prolétariat défendent le but final général du mouvement prolétarien : le Communisme. Leur tâche n'est pas "d'organiser", "d'unifier" ou de "fomenter" les luttes du Prolétariat. Ce n'est que la classe comme un tout qui peut armer ses propres bataillons, les préparer dans la lutte pour l'assaut final contre le bastion du pouvoir Bourgeois, l'Etat, puisque c'est seulement le prolétariat révolutionnaire dans son ensemble qui peut devenir la classe dominante de la société, et non une minorité de leaders et de "tacticiens auto désignés". Les conceptions de "Combate" sur sa propre fonction ne sont pas seulement disproportionnées, du fait qu'elles ne se basent pas sur une définition claire des principes politiques de l'organisation révolutionnaire et des responsabilités des militants de celle-ci, elles aboutissent également et en fin de compte à laisser l'ennemi de classe participer aux "projets révolutionnaires pratiques." Les staliniens, les populistes du COPCON, de la variété PRP, les trotskistes isolés, etc., tous ont leur contribution à faire, pour autant qu'ils s'inclinent devant les mystères du "contrôle ouvrier" et de "l'autogestion". Leur contribution aurait sûrement l’approbation de "Combate" s'ils choisissent d’ajouter des phrases résolues contre la création de "partis politiques" puisque, pour "Combate" une telle création signifie automatiquement "léninisme". Bien sûr, partant d'une telle conception, il n'y a d'ailleurs pas de raison pour que Otelo lui-même ne puisse avoir quelque contribution à apporter à titre individuel aux efforts de "Combate".
L'expérience portugaise après bien d’autres nous a démontré que derrière l'étiquette "apartidaire" se regroupent bien souvent les bataillons légers et les francs-tireurs du capital. Ceux qui, au lieu d'affronter ouvertement le mouvement de la classe tentent au contraire d'en flatter les tâtonnements afin de le dévoyer. Quand les ouvriers commencent à se révolter contre les partis bourgeois, les "apartidaires" essaient de les dresser contre tous les partis, y compris les organisations que la classe a fait surgir historiquement dans son effort de prise de conscience. Incapable de faire disparaître la méfiance que ses partis et mystifications classiques inspirent à la classe ouvrière, le capital essaie d'étendre, cette méfiance jusqu'aux organisations révolutionnaires qui défendent le programme historique du prolétariat afin que celui-ci se prive d'un des instruments fondamentaux de sa lutte et de son autonomie de classe
Au Portugal comme ailleurs, où la bourgeoisie est à bout de souffle, cette phrase séculaire "pas de partis politiques" exprime en fait les intérêts de l'appareil d'Etat dans ses tentatives de submerger l'autonomie de la lutte de classe sous l'hégémonie "apolitique" du capitalisme d'Etat portugais.
L’INTERNATIONALISME DANS LE STYLE DE "COMBATE"
Pour expliquer les événements portugais, "Combate" a écrit "la situation intenable de la bourgeoisie portugaise dans les colonies, l'incapacité de vaincre militairement le peuple des colonies, a été un des facteurs qui ont rendu extrêmement urgent pour la bourgeoisie le "changement" de sa politique, et l'ont conduit à rechercher à travers la paix militaire, des solutions politiques et économiques néocolonialistes.
La multiplicité des grèves et des luttes que les ouvriers portugais ont entreprise ont montré à la bourgeoisie que l'appareil répressif du régime Caetano était déjà complètement inadapté pour essayer de contenir et de réprimer ces grèves. La bourgeoisie voulait alors permettre le "droit de grève" en même temps qu'elle mettait à la tête de l'appareil syndical des éléments réactionnaires opposés à la pratique des grèves.
Les classes et les couches exploiteuses avaient aussi besoin d'adapter l'appareil d'Etat à la résolution des graves problèmes économiques qui s'accumulaient sans que le gouvernement de Caetano ne soit capable de trouver une quelconque solution. L'inflation, la nécessité d'intensifier le développement industriel, les relations avec le Marché Commun, l’émigration, tout demandait une réorganisation urgente et à grande échelle de l'appareil d'Etat." (Manifeste de "Combate", p.1)
Comme on peut le voir ci-dessus, les explications de "Combate" pour le coup d'Etat d’avril 74, ne dépassai pas le cadre étroit du localisme. Une vision du coup d'Etat strictement circonscrite au contexte portugais, l'inflation galopante, la nécessité d'intégrer l'économie portugaise plus complètement dans la CEE, la vague montante de luttes de classe au Portugal sont toutes des aspects de la réalité du Capital portugais comme partie du système capitaliste international. La crise portugaise a été, en d’autres termes, une expression, un moment, de la crise mondiale du capitalisme qui a marqué la fin du "boom" d'après guerre. "Combate", toutefois, a considéré la lutte de classe au Portugal comme un phénomène essentiellement "portugais". C'était comme si le monde entier tournait autour du Portugal, et autour du prolétariat portugais. L'afflux pesant de gauchistes au Portugal a donné corps à cette illusion et contribué à l'atmosphère d'euphorie engendrée par "la révolution des œillets". De même que le Chili d'Allende était devenu un grand laboratoire pour les diverses expériences gauchistes, de "socialisme", le Portugal a été transformé en un centre vital de mystifications gauchistes. Mais du fait qu'il appartient, contrairement au Chili, à l'Europe occidentale, le Portugal constitue un terrain d'autant plus propice pour le gauchisme. En tant que chaînon important dans le dispositif de l'OTAN et nation solidement intégrée à l'économie européenne, le Portugal est devenu un véritable Eldorado pour les entrepreneurs gauchistes.
Dans un pays, relativement arriéré, où le mouvement ouvrier a subi une atomisation immense au cours des cinquante dernières années, où une tradition politique révolutionnaire forte et cohérente n’a jamais existé, le surgissement de luttes de classe sérieuses était voué à donner aux révolutionnaires dans ce pays la fausse impression de triomphe, surtout quand leur enthousiasme n'était pas tempéré par une compréhension sobre et rigoureuse de la lutte de classe internationale et de ses perspectives. Cet optimisme institutionnalisé, ce triomphalisme naïf, devait aller de pair au niveau pratique avec une activité immédiatise et des préjugés localistes face aux implications du développement de la crise internationale du capitalisme et de la lutte du prolétariat.
En janvier 1976, un membre de "Combate" pouvait écrire: "je dirais que la lutte de classe au Portugal est idéale et pure : les producteurs se trouvent en lutte contre les expropriateur, une lutte presque sans médiation institutionnelle intégrée à l'appareil d'exploitation". L'auteur poursuit en parlant du nouveau régime portugais comme d’un "Etat capitaliste dégénéré" ; dégénéré sans doute à cause d’une classe ouvrière avec "une grande conscience et une grande capacité politique" (Joao Bernado, Portugal, économie et politique de la classe dominante, Londres, 1976, p.2)
Pour le localise, le monde entier tourne autour de lui et de ses petits "projets ". Le localisme n'a de la lutte prolétarienne qu'une vision au jour le jour. Il est perdu quand il essaie de généraliser de telles expériences à un niveau plus global. C'est pourquoi le nationalisme est toujours dans ses perspectives, car ce dernier est incapable d'apprécier le poids et la signification de la situation immédiate en relation avec les questions et les événements plus généraux. Les localistes ne trouvent de nouveaux "aliments" que dans leur environnement immédiat et d'origine dans une discussion individuelle d’un travailleur, une lettre d’une entreprise autogéré voisine, ou dans les "on-dit" de la vie quotidienne. Une certaine "présence physique dans les "luttes quotidiennes" des ouvriers donne aux localistes une opinion exagérée d’eux-mêmes qui les incite à assumer leur rôle d’interprète des aspirations et de la conscience locales du prolétariat. Si la lutte s’approfondie, les localistes (qui ont tendance à devenir super activistes dans de telles conditions) connaissent leur jour de gloire. L’ampleur de la lutte est gonflée au-delà de toute proportion, et l'enthousiasme irréfléchi et les prédictions messianiques étreignent le cœur et tombent de la bouche du localiste. Mais quand la lutte reflue, le localiste reste échoué, se sent "trahi" par la lutte de classe.
Le pessimisme, la "théorisation" académique de l'isolement individuel, ou alors l'adhésion cynique aux vues du gauchisme s'ensuivent. En bref, la stabilité politique des localistes est toujours minime, et n'est d'aucune valeur positive pour la lutte prolétarienne.
Pour "Combate" aussi, l’optimisme, fondé sur une analyse superficielle des événements locaux, s'est évanoui pour être remplacé par le pessimisme, quand la lutte de classe au Portugal s’est engagée dans une phase de recul. Au début de 76, "Combate" a commencé à dresser un bilan de son travail international :
"Nous remarquons que pour les groupes qui affirment défendre la lutte autonome des ouvriers et qui quelquefois écrivent à "Combate", il n'y a presque toujours qu’un seul souci, la discussion des concepts théoriques en général, de façon idéaliste et indépendante des expériences réelles des luttes prolétariennes, avec le but, par-dessus tout, non pas de faire de la propagande pour les nouvelles formes d'organisation que le prolétariat en lutte a créées, mais de faire de la publicité pour leur propre doit y avoir de la place quelque part pour leur propre groupe politique considéré comme étant le dépositaire de recettes théoriques, sans la connaissance et l’étude desquelles le prolétariat ne peut être sauvé. Quand ces groupes publient des textes de "Combate", ce sont à quelques exceptions près les éditoriaux. Les groupes qui publient à l’étranger les textes des travailleurs ou les interviews, existent en nombre infime et c'est pour nous la partie du journal qui est la plus importante pour l'état d'organisation, les formes de lutte et la conscience des ouvriers portugais, afin de développer ces formes lutte internationalement. Presque deux ans de correspondance nous ont convaincu du fait que ces organisations confondent le monde gigantesque de la lutte de classe avec le monde microscopique des luttes d’organisation" (in "Internationalisme, la lutte communiste et l’organisation politique". Supplément à "Combate" n°36)
Préférant les télescopes aux microscopes, "Combate" nous explique ce qu’il veut dire par "monde gigantesque de la lutte de classe" : "Depuis. le début de ce journal, nous avons cherché à ce que les groupes et les camarades des autres pays qui ont une pratique analogue unissent leurs forces pour établir des relations entre les travailleurs (Un exemple : très récemment, les ouvriers de TIMEX ont dit qu'il était difficile d'entrer en contact avec les ouvriers de cette multinationale dans les autres pays, parce qu'ils ne peuvent avoir les travailleurs au téléphone, mais seulement les patrons qui boycottent de tels contacts). Ne serait-il pas plus facile pour les groupes qui essaient de dynamiser les luttes des travailleurs, de travailler dans la voie qui rendrait ces contacts possibles ? "(Ibid.).
Pauvre prolétariat ! Son monde gigantesque est si vaste qu'il a besoin du dynamisme de groupes comme "COMBATE" pour enjamber les vastes espaces. Comment la classe ouvrière pourrait-elle unifier ses luttes si elle n’a pas de réseau de communication correct, établi pour elle par les fées débrouillardes des « organisations révolutionnaires », travaillant en heures supplémentaires à la composition de bons numéros ? Mais "Combate" ne veut pas être simplement considéré comme un central téléphonique commode, son rôle de majordome révolutionnaire ne peut pas se limiter à cela, il doit y avoir de la place quelque part pour la théorie :
"Nous ne voulons pas dire que nous considérons pas la discussion de problèmes théoriques comme importante, ou que ceux-ci ne pourraient être élargis par les différentes pratiques de luttes dans les différents pays. Mais dans notre compréhension de ceci, la plate-forme pour l’unité du prolétariat révolutionnaire est inscrite dans les formes d’organisation qui sont développées par les luttes autonomes et la conscience qui en est le produit, et non dans un quelconque système idéologique particulier, lié à des querelles théoriques. Pour nous, il est plus important de contribuer aux formes concrètes de lutte qui font éclater les frontières et qui permettent aux travailleurs d’établir des relations directes dans la lutte commune contre le capitalisme" (ibid.).
Malheureusement, pour "Combate", la "théorie" est tributaire d'une relation mécanique purement immédiate, et subordonnée aux "formes concrètes de lutte" fragmentaires de l’époque actuelle, sans qu'aucune considération ne soit accordée à l'aspect historique de la conscience de classe liée, comme elle l'est, à toute l'expérience du prolétariat international, acquise après plus de 130 années de luttes.
Cette confusion, chez "Combate", est le résultat d'une incohérence totale en ce qui concerne les buts communistes de la classe ouvrière, le rôle du parti et des organes de masse prolétariens : les conseils ouvriers. "Combate" n’arrive pas à comprendre la période actuelle de décadence du Capitalisme, l’impossibilité de conquérir des améliorations durables, la nature réactionnaire des partis gauchistes (réactionnaires non parce qu’ils "limitent" l'autogestion, mais à cause de leur défense du capitalisme pendant les 50 dernières années de contre-révolution), et ce qu'implique véritablement pour la classe ouvrière l'internationalisme. En somme, "Combate", sous prétexte de rejeter ce qu'il considère comme de simples "querelles théoriques" manifeste une indifférence à peu près complète pour la clarté au sein de la lutte révolutionnaire de la classe, et la nécessité d'une plate--forme cohérente dans la lutte de classe. La conscience de classe est un élément historique dans la lutte du prolétariat - elle ne surgit pas du néant chaque jour, engendrée par chaque action fragmentaire d’individus de la classe ouvrière. De même, l'internationalisme n'est pas un échange ad hoc, fait au hasard, d'"expériences concrètes" de tels ou tels individus ou sectes, qui agissent avec une conception implicitement fédéraliste du style "je vous aiderai si vous m'aidez". De telles "expériences concrètes" ne font éclater aucune frontière, si ce n'est dans la tête des éléments qui s’en font les adorateurs béats.
En fait derrière cette attitude de prosternation devant chacune des luttes "concrètes" et de mépris devant les expériences passées, derrière cette vision édulcorée de l'internationalisme, réside une vision étriquée et mesquine du prolétariat. Celui-ci n’est plus un être social ayant une unité historique et géographique: il devient la simple somme et juxtaposition d'ouvriers ou entreprises dont le mouvement historique vers le communisme se réduit à l'accumulation quotidienne "d'expériences pratiques" de "nouvelles formes d'organisation" sensées préfigurer les rapports sociaux de cette société. On en arrive alors, d’une façon insensible et inavouée, à la vision gradualiste qui croit que le communisme peut se construire par étapes, au sein du capitalisme, quand l'Etat bourgeois est toujours là, exerçant sa tutelle sur l'ensemble de la vie sociale.
Une telle aberration est semblable à la théorie de Bernstein, mais assortie par les ajouts plaisants de l'autogestion et autres colifichets idéologique des 50 dernières années de contre-révolution, comme la défense des luttes marginales, la défense des "peuples opprimés", etc. L'idée du "Socialisme dans un seul pays" mise en circulation par le stalinisme n'est pas étrangère à cette théorisation confuse. Aussi s'entend-on dire par "Combate" que "les formes sociales communistes peuvent être créées pendant un moment dans certains cas particuliers, sans que la société toute entière n'y soit arrivée et n'ait transformé les simples formes sociales en organisation économique communiste réelle" (ibid.) !! "Combate" ne parait pas avoir remarqué le rôle joué par l'idéologie autogestionnaire dans la lutte de classe au Portugal, dans l’aide au sauvetage de la production capitaliste. Au contraire, l'"autogestion", les "formes communistes" de gestion de firmes capitalistes, sont présentées par "Combate" comme "la solidarité des ouvriers" dans la lutte. Les recettes titistes, Ben Belistes cuisinées à la façon non doctrinaire coutumière de "Combate ", veulent éviter de semer la confusion dans les luttes ouvrières avec le monde "microscopique" de la lutte entre les organisations, et noient tout simplement la lutte de classe dans le marais macroscopique de la contre-révolution. Quand "Combate" réclame "1'autonomie" pour les masses, en fait, son appel n'a rien à voir avec les masses - c'est simplement la requête de "Combate" pour qu'on lui permette de continuer à déformer la signification du communisme, à sa façon si pratique, si concrète, si apolitique et "autonome". C'est un plaidoyer pour l'autonomie organisationnelle qui demande qu'on lui épargne la recherche et la critique principielle des organisations communistes qui reconnaissent l’importance absolument vitale de la clarification et de l'absence de confusion dans la lutte de classe.
L'EVOLUTION ULTERIEURE DE COMBATE
Le destin de "Combate" est celui d'un groupe qui essaie de se placer sur le terrain de la lutte de la classe ouvrière, mais qui n'a pas réussi à voir que cela impliquait la rupture avec toute la boue idéologique du capitalisme décadent. Aucun groupe ne peut aujourd'hui rester dans le no man’s land entre les positions gauchistes, conseillistes floues, et les positions communistes du prolétariat. En dernière analyse, une frontière de classe sépare les unes des autres. Pour "Combate", évoluer positivement aurait consisté à comprendre la nécessité du regroupement international des révolutionnaires au sein d'une organisation défendant des positions de classe clarifiées par la lutte historique du prolétariat international. Cela ne s'est pas produit (et peut-être, étant donné la confusion engendrée par la "révolution des œillets", cela ne pouvait-il pas se faire).
Après un certain point, l'évolution de "Combate" est devenue négative et le groupe est devenu le porte-parole de nombreuses mystifications gauchistes, tout en prétendant être "le reporter" des activités des ouvriers. Les préoccupations favorites habituelles de la politique libertaire sont devenues de plus en plus à la mode dans les pages de "Combate", avec des articles sur l'avortement, des reproductions de publications étrangères, telles que "International Socialists" en Angleterre, sur les problèmes des femmes, ou des articles sur les problèmes raciaux, reproduits sans critique, de "Race Today", etc. Les questions essentielles auxquelles est confrontée la lutte prolétarienne ont moins de place dans "Combate". La nécessité de l'internationalisme dans la lutte de classe, par exemple, était envisagée de façon ambiguë par "Combate", dont les demi-vérités et les truismes sur ce sujet tendent à esquiver toute responsabilité organisationnelle vis-à-vis de cet aspect fondamental de la lutte de la classe ouvrière. "Combate", comme beaucoup de courants confus, peut être d'accord sur presque tous les points avec un groupe communiste pourvu que l’accord puisse être donné sans conviction et n'implique ainsi aucune conséquence politique. Comment ne pas reconnaître que c’est la porte ouverte à l'opportunisme invertébré?
LES DIFFICULTES RENCONTREES PAR LES REVOLUTIONNAIRES AU PORTUGAL ET EN ESPAGNE
Les limitations objectives d’aujourd'hui trouvent leur origine dans le désarroi, la démoralisation et la confusion régnant sur deux générations du prolétariat mondial qui ont subi les pires coups de la contre-révolution. Alors que le niveau de la lutte de classe qui s'élève actuellement pose les conditions nécessaires à la formation de groupes révolutionnaires, cette période est toujours infectée par les aberrations idéologiques et les débris de la précédente. Aujourd'hui, si les groupes qui surgissent n'enracinent pas solidement leur activité dans un cadre international cohérent, tôt ou tard, ils s'engageront dans la voie de la décomposition théorique et pratique. Marx disait que les idées des générations mortes pèsent comme un cauchemar sur les cerveaux des vivants. L’évolution négative de "Combate" illustre cette vérité de façon poignante.
Le Portugal et l'Espagne aujourd'hui représentent des exemples spécifiques de la situation difficile que rencontrent les révolutionnaires. L'arriération économique et politique de ces deux maillons faibles du capitalisme européen a entraîné le fait que le Prolétariat de ces pays ait tendu à être propulsé dans l’arène politique dès le début de la crise économique. Dans le but de dévoyer les luttes du prolétariat, les forces gauchistes sont aussi apparues en Espagne et au Portugal, annonçant au monde entier que le prolétariat devait être noyé dans tout le "peuple révolutionnaire". Les essais du gauchisme pour diluer la classe ouvrière dans le front commun du "peuple" ouvrant la voie à tout un barrage de mystification que la gauche utilise pour entraîner le prolétariat aux besoins du capital national.
Toute une mythologie à propos de la "Révolution Portugaise" en 1974 a pris corps grâce aux gauchistes au Portugal. La même chose arrivera demain en Espagne. Sur tous les toits de Lisbonne et de Porto, les gauchistes ont crié la nécessité de "défendre" la soi-disant "révolution", en même temps qu'ils s'employaient systématiquement à dévoyer les luttes autonomes des travailleurs vers les impasses de "l'indépendance nationale", de "l'autogestion ouvrière". Toute la campagne révoltante pour les "comités populaires", "la démocratie populaire", "la démocratie à la base", les "conseils ouvriers" (SIC), les "inter-impresas", tous ces lamentables mensonges ont été utilisés à fond par les gauchistes au Portugal.
Au Portugal, il était presque impossible de nager contre ce courant de mensonges, de confusion et de faux espoirs engendrés de façon si hystérique par le gauchisme. Initialement, "Combate" semblait capable de le faire. Mais l'erreur de "Combate" était de considérer que la montée des luttes de classe au Portugal était le signe avant coureur immédiat d'une transformation sociale totale au Portugal" Il n’a pas réalisé que la lutte des ouvriers portugais était un maillon qui constituait dans la chaîne de la lutte de classe internationale, et que ce que promettait le prolétariat portugais devait être considéré en termes de leçons acquises dans les luttes d'aujourd'hui qui trouveront leur achèvement dans la lutte révolutionnaire du prolétariat international dans les années à venir.
"Combate", cependant, a surestimé les événements au Portugal, et, plus tard, a prouvé qu'il était incapable de fournir une analyse communiste sérieuse de ce qui se passait. Il mettait l'accent sur l'autogestion et les luttes "quotidiennes" de la classe ouvrière au Portugal. Il y avait, bien sûr, une montée énorme de la combativité au Portugal qui réclamait l'intervention de tout un groupe révolutionnaire au mieux de ses possibilités. Mais une telle intervention ne pouvait être systématique et porter ses fruits que si elle était fondée sur une conception internationale claire de la lutte de classe globale. "Combate" a naïvement méconnu la nécessité d'une telle clarification. Il croyait que la clarté politique jaillirait spontanément des luttes "quotidiennes" de la classe ouvrière portugaise. C'est pourquoi, pour lui, il n'y avait aucune nécessité fondamentale de faire le lien avec quoi que ce soit en dehors du Portugal, en dehors d’une vague notion "d'internationalisme", qui, au mieux, équivalait à un vague sentiment de solidarité morale avec les secteurs dispersés de la classe. Son plaidoyer pour des "liens" permanents entre les travailleurs se réduisait à une crainte que les travailleurs eux-mêmes ne soient incapables de faire jouer une solidarité de classe dans une poussée révolutionnaire, et n'était en fait rien moins qu'une défense des idées d'autogestion portées à un niveau "international". Différents secteurs de la classe unis par "des liens" permanents pourraient en apparence mieux lutter dans le combat pour des réformes. Mais un tel combat est impossible aujourd'hui dans un monde assiégé par la crise historique du capitalisme. Pour les Révolutionnaires, prêcher pour des "liens" ou des "rapports" basés sur les illusions réformistes du prolétariat, c'est semer la confusion et abaisser le niveau de conscience de classe née dans les dures batailles de la classe telles qu’elles se sont déroulées au Portugal même en 1974 et 1975.
La décomposition politique de "Combate" est une perte pour le mouvement révolutionnaire aujourd'hui. C'est une perte quand on pense à ce que "Combate" et des groupes semblables auraient pu devenir s'ils avaient évolué positivement. Mais, dans leur état actuel, de tels groupes fonctionnent comme une entrave au développement de la conscience du prolétariat : ils deviennent des obstacles à la cohésion organisationnelle et au regroupement fondés sur des principes révolutionnaires.
Dès lors, et en l'absence d'un redressement dont la possibilité s'éloigne de plus en plus au fur et à mesure qu'ils s'enfoncent dans leurs erreurs et surtout la théorisation de celles-ci, ces groupes ne sauraient résister bien longtemps à la terrible contradiction à laquelle ils sont soumis entre leurs propres principes révolutionnaires de départ et la terrible pression de l'idéologie bourgeoise qu'ils ont laissé pénétrer en leur sein en se refusant à donner à ces principes une assise claire et cohérente basée sur les besoins de l'expérience historique de la classe. L’alternative qui s'ouvre à eux est alors simple :
- soient ils résolvent la contradiction en franchissant le Rubicon et rejoignent le camp capitaliste par l'abandon de principes qui les embarrassent de plus en plus ;
- soit, plus simplement, ils disparaissent, disloqués par cette contradiction.
C'est probablement ce qui va arriver à "Combate" dont la disparition est déjà, comme nous l'avons vu inscrite en filigrane dans la plate-forme sur laquelle il base son existence. Si un tel groupe ne réussit pas, comme il est très probable, à remonter le courant de la confusion, c'est en fin de compte la seule évolution qui réponde à la nécessité vitale de positions communistes claires dans le mouvement ouvrier.
NODENS
- La situation politique internationale.
- L'accélération de la crise économique.
- Etat et dictature du prolétariat.
Un choix parmi les rapports présentés au Congrès de 76. Dans le contexte de la fin des espoirs sur la "reprise économique", ils développent une analyse du jeu des différents facteurs qui déterminent la situation actuelle : l'affrontement entre les blocs impérialistes, les conflits entre différents secteurs de la classe dominante et la lutte de classe.
Dans le cadre de nos discussions sur la période de transition, nous présentons aussi une résolution sur l'Etat après la révolution.
La première partie d'une étude sur le surgissement des fractions de Gauche dans la Russie d'après Octobre : Ossinsky, le Centralisme Démocratique, l'Opposition Ouvrière, le Groupe Ouvrier jusqu'à 1921. Cet article cherche à montrer les difficultés de la prise de conscience dans la période de dégénérescence de la révolution, et les jalons de l'avenir qu'ont posé les Communistes de Gauche avant même que l'Opposition Unifiée (Trotski-Zinoviev) ne se constitue.
Cet échange de lettres entre le CCI et Battag1ia Comunista (l'un des groupes issus du PC Internationaliste d'Italie fondé en 43) vise à mettre en évidence le danger de l'antifascisme dont les germes ont pu pénétrer jusque dans les rangs de la Gauche Italienne malgré sa position contre la guerre impérialiste. Ce rappel de l'histoire de la Gauche Communiste des années 40 peut être considéré comme la continuation de notre polémique contre le PCI (Programme Communiste) actuel en dégénérescence et constitue une suite aux textes de BILAN (organe de 1a fraction Italienne en exil des années 30) sur l'Espagne 36, que nous avons republiés dans les n°4, 6 et 7 de la Revue Internationale.
Une mise au point du CCI à propos du refus des librairies "Contra a Corrente" de diffuser les publications du CCI.
TEXTES DU SECOND CONGRES DE REVOLUTION INTERNATIONALE
Les textes sur la "situation internationale" et sur la "période de transition" que nous publions dans le présent numéro de la Revue Internationale sont des rapports du Second Congrès de RI, section du CCI en France. Ces deux thèmes constituaient la toile de fond sur laquelle se sont inscrits les travaux du Congrès, l'axe de ses débats. S'ils étaient inscrits à l'ordre du jour du Congrès, ce n'est pas selon un choix de sujets théoriques généraux mais bel et bien en réponse au développement de la situation générale. En effet, l'évolution actuelle de la crise du système - qui n'est qu'une continuation de sa décadence - pose par son acuité, de plus en plus ouvertement, la perspective révolutionnaire comme seule issue possible. Aujourd'hui, son développement inéluctable et dont plus personne ne cherche à prédire une fin prochaine, va contraindre le prolétariat à reprendre les armes de sa lutte historique. Et au même moment où le capital ne cherche même plus à faire miroiter les reflets illusoires de "beaux jours" encore possibles mais ne peut que demander aux prolétaires du monde entier de "se serrer la ceinture", la révolution n'apparaît plus comme une possibilité lointaine mais comme une nécessité vitale. Le contenu du socialisme, les premiers problèmes que posera la victoire deviennent une préoccupation de plus en plus ressentie par les révolutionnaires. Ce sont ces problèmes, l'analyse de la situation qui conduit à la révolution et les premières questions que sa victoire posera au prolétariat, auxquels le Congrès a tenté de répondre. Et de plus en plus, ces deux aspects de l'avenir, la situation avant et après la révolution, seront intimement liés car c'est le développement présent de la crise qui, faisant de la révolution une perspective de plus en plus concrète, amène à se poser comme un problème réel le contenu de celle-ci.
Ceci est tellement vrai qu'aujourd'hui plusieurs groupes sont amenés à se pencher sur les problèmes de la période de transition et à en concevoir l'importance. Des groupes comme le PIC, la CWO, la revue Spartacus ont consacré dans leurs publications des articles sur cette question qui, il y a quelques années encore, était pratiquement méconnue au sein du mouvement ouvrier renaissant. C'est fondamentalement l'évolution de la réalité elle-même qui fait naître un tel besoin. Il a fallu que la crise apparaisse dans toute sa réalité pour que les éléments de la classe qui, comme ICO, le GLAT, Alarma ou les situationnistes en 68-69, ironisaient sur les "prophéties" de RI, soient obligés de la reconnaître et d'en parler. De la même façon, c'est bel et bien l'évolution présente de la situation qui pousse aujourd'hui différents groupes à se pencher sur les problèmes de la révolution et à les reconnaître comme tels. "L'humanité ne se pose que les problèmes qu'elle peut résoudre". C'est la réalité qui suscite le développement de la conscience du prolétariat de ses intérêts et de ses tâches ; c'est elle qui met les révolutionnaires face à leurs responsabilités dans le développement de cette conscience.
De plus en plus, donc, le développement de la situation va poser le problème du contenu de la révolution qui deviendra une préoccupation croissante dans le mouvement ouvrier. Qui prend le pouvoir, comment est ce pouvoir, comment il s'organise, quelles sont les premières mesures à prendre ? Toutes ces questions vont être soulevées et largement débattues. C'est seulement sur la base des expériences passées de la classe que les premiers éléments de réponse peuvent être apportés. Ils nécessitent une réflexion approfondie et la responsabilité des révolutionnaires à cet égard est d'autant plus grande que la rupture de la continuité organique avec le mouvement ouvrier du passé, la méconnaissance par le mouvement ouvrier actuel des acquis de son propre passé en augmentent la difficulté. Depuis plusieurs années déjà RI a engagé des discussions sur la période de transition ; celles-ci viennent d'aboutir dans un premier temps à la résolution publiée dans la revue et qui est versée comme contribution au débat qui se déroule au sein du CCI et à la classe ouvrière dans son ensemble.
Quant aux textes sur la "situation internationale", le premier, tout en faisant un tableau de la situation politique mondiale, cherche à faire la synthèse des discussions sur l'actualité qui ont eu lieu au sein du CCI cette année et à mettre en évidence les différents facteurs qui interviennent dans toute situation ; en ce sens, il se conçoit aussi comme un texte de méthode cherchant à développer les armes pour la compréhension de toute situation politique. Le second s'attache à donner un aperçu de la situation économique du système à l'heure actuelle.
Ainsi le Second Congrès de RI ne s'est pas penché seulement sur des problèmes spécifiques à la section en France ; c'est véritablement comme une partie intégrante du CCI qu'il a conçu son travail. Nous avons publié les textes relevant plus directement de la section française dans RI n°32 mais les textes qui suivent relevant d'un intérêt général et international, nous les versons comme contributions dans notre presse internationale, à tout le mouvement ouvrier.
CN.
Pendant des années, les porte-parole appointés de la bourgeoisie ont essayé d'exorciser par des incantations à prétention scientifique les démons de la crise. En couvrant de prix Nobel et d'honneurs ses économistes les plus stupidement béats, cette classe espérait que les faits se plieraient à ses aspirations. Aujourd'hui la crise du capitalisme est devenue d'une telle évidence que même les secteurs les plus "confiants" et "optimistes" de la classe dominante ont admis non seulement son existence mais aussi sa gravité. De ce fait, la tâche des révolutionnaires n'est plus d'en annoncer l'inévitabilité mais de souligner la faillite des théories qui avaient surgi comme champignons après la pluie lors de la période de fallacieuse "prospérité" accompagnant la reconstruction des ruines de la Seconde Guerre mondiale.
Parmi les théories les plus en vogue dans le monde bourgeois, celle de l'Ecole néo-keynésienne faisait figure de favorite. N'avait-elle pas annoncé une ère de prospérité illimitée grâce à une intervention judicieuse de l'Etat dans l'économie à travers les outils budgétaires ? Depuis 1945 une telle intervention a été la règle dans tous les pays : la catastrophe économique présente vient sonner le glas des illusions des disciples de celui que la bourgeoisie considère comme "le plus grand économiste du XXème siècle".
Plus généralement, la situation actuelle illustre la faillite de toutes les théories qui ont fait de l'Etat un possible sauveur du système capitaliste contre la menace de ses propres contradictions internes. Le capitalisme d'Etat qu'on a pu présenter comme la simple prolongation du processus de concentration engagé dans la période ascendante du capitalisme ou comme "dépassement de la loi de la valeur", se révèle de plus en plus pour ce qu'il a toujours été depuis son apparition au cours de la Première Guerre mondiale : la manifestation, essentiellement sur le plan politique, des efforts désespérés d'un système économique aux abois pour préserver un minimum de cohésion et pour assurer, non son expansion, mais sa survie.
La violence avec laquelle la crise mondiale frappe aujourd'hui les pays où le capitalisme d'Etat s'est développé le plus, anéantit de façon croissante les illusions sur leur nature "socialiste" et sur la prétendue capacité de la "planification" ou du "monopole du commerce extérieur" de venir à bout de l'anarchie capitaliste. Dans ces pays, le chômage est de plus en plus difficilement masqué par la sous-utilisassions de la main d'œuvre. C'est maintenant ouvertement et officiellement que les autorités reconnaissent l'existence de ce fléau typiquement capitaliste. De même, la hausse des prix, qui jusqu'à ces derniers temps ne touchait que le marché parallèle, s'étend de façon spectaculaire au marché officiel. L'économie de ces pays qui était censée tenir tête aux convulsions du capitalisme mondial se révèle fragile et mal armée pour affronter l'exacerbation actuelle de la concurrence commerciale. Loin d'être en mesure, comme l'annonçaient certains de leurs dirigeants, de "dépasser le capitalisme occidental", ces économies ont, au cours des dernières années, contracté d'énormes dettes à l'égard de celui-ci, ce qui aujourd'hui les place pratiquement dans une situation de banqueroute. Cet endettement considérable vient apporter un démenti cinglant à toutes les théories qui, oubliant, quelquefois même au nom du "marxisme", que la saturation générale des marchés n'est pas un phénomène spécifique à telle ou telle région du monde mais touche l'ensemble du capitalisme, ont cru trouver dans les pays soi-disant socialistes des débouchés miraculeux qui allaient résoudre les problèmes qui assaillent le capital.
Depuis la fin des années 60 où la bourgeoisie a commencé à prendre conscience des difficultés de son économie elle n'a eu de cesse de répéter que la situation actuelle est fondamentalement différente de celle de 1929. Terrifiée à l'idée qu'elle pourrait connaître une autre "dépression" de ce type, elle a essayé de se consoler en mettant en relief toutes les différences qui distinguent la crise actuelle de celle de l'entre-deux guerres. Elle a ainsi détaché de l'ensemble les différents aspects et les différentes étapes de la crise pour ne parler que de "la crise du système monétaire" à laquelle devait succéder la "crise du pétrole" rendue responsable à la fois de l'inflation galopante et de la récession.
Contrairement à ce que pensent la majorité des "spécialistes" de la classe dominante, la crise de 1929 et la crise actuelle ont la même nature fondamentale : les deux s'inscrivent dans le cycle infernal de la décadence du mode de production capitaliste : crise - guerre inter impérialiste –reconstruction - nouvelle crise, etc. Elles sont l'expression du fait qu'après une période de reconstitution de l'appareil productif détruit par la guerre impérialiste, le capitalisme se retrouve incapable d'écouler sa production sur un marché mondial saturé. Ce qui distingue les deux crises est du domaine du circonstanciel. En 1929, la saturation des marchés se traduit par un effondrement du crédit privé exprimé par l'effondrement de la Bourse. Après une première période de débandade on assiste, à travers les politiques d'armement et de grands travaux, comme dans l'Allemagne hitlérienne et le "New Deal" américain, à une intervention massive de l'Etat dans les mécanismes économiques qui permet une relance momentanée. Mais une telle politique trouve ses propres limites dans le fait que les réserves financières de l'Etat ne sont pas inépuisables : en 1938, les caisses sont vides et l'économie mondiale plonge dans une nouvelle dépression dont elle n'est sortie que par la guerre.
Dans la période qui suit la Seconde guerre l'intervention étatique ne se relâche pas comme dans celle qui suit la Première. En particulier les dépenses d'armement conservent une place majeure dans l'économie. Ceci explique le maintien depuis 1945 d'une inflation structurelle qui exprime la pression croissante des dépenses improductives nécessaires à la survie du système et qui conduit à un endettement de plus en plus généralisé particulièrement de la part des Etats. Avec la fin de la reconstruction et la saturation des marchés, le système ne trouve d'échappatoire que dans une fuite en avant de l'endettement qui transforme l'inflation structurelle en inflation galopante. Dès lors, le capitalisme n'a d'autre issue que d'osciller entre cette inflation et la récession dès que les gouvernements essayent de la combattre : c'est pour cela que plans de relance et plans d'austérité se succèdent dans un rythme dont l'accélération traduit en fait l'aggravation catastrophique des convulsions du système. Au stade actuel de la crise, c'est de façon de plus en plus simultanée et non alternée que l'inflation et la récession s'abattent sur les économies nationales.
L'intervention systématique de l'Etat a évité au système un effondrement du crédit privé comme celui de 1929. Obnubilée par les épiphénomènes et incapable de comprendre les lois fondamentales de sa propre économie, la bourgeoisie ne voit toujours pas venir devant elle son nouveau 29... pour la bonne raison qu'elle se trouve déjà dans la situation de 1938!
La situation présente de l'économie mondiale signe également la faillite de l'idée, défendue jusque dans les rangs des révolutionnaires, que la crise actuelle est une "crise de restructuration" comprise, non dans le sens qu'elle n'a d'issue que dans une transformation de la structure de la société, mais comme résultat d'un réaménagement des structures économiques existantes. En particulier, dans une telle conception les mesures de capitalisme d'Etat sont souvent présentées comme un moyen pour le système de surmonter ses contradictions.
Si, vers la fin des années 60, de telles théories pouvaient avoir un semblant de crédibilité, elles apparaissent aujourd'hui comme des élucubrations d'intellectuel original. Les dirigeants de l'économie bourgeoise seraient de bien piètres apprentis sorciers s'ils l'avaient plongée dans le chaos actuel uniquement dans le but de la "restructurer".
En fait, dans tous les domaines, la situation est aujourd'hui bien pire que celle qui existait il y a cinq ans, laquelle s'était déjà notablement dégradée par rapport à celle d'il y a dix ans. Si les conditions de départ d'il y a dix ans ont conduit au résultat d'il y a cinq ans et si celles de cette époque ont conduit au résultat actuel, on ne voit pas comment les conditions présentes - où la récession l'endettement et l'inflation n'ont jamais été pires - pourraient déboucher sur une quelconque amélioration de la situation de l'économie capitaliste.
Les prix Nobel d'économie comme les "révolutionnaires" qui ont jeté aux orties un marxisme prétendument "dépassé" devront se résigner : la crise actuelle est sans issue et ne peut aller qu'en s'aggravant.
Si la crise actuelle ne peut que s'approfondir de façon inéluctable, si aucune mesure prise par la classe dominante n'est capable d'en enrayer le cours, celle-ci est cependant conduite à adopter toute une série de dispositions afin de tenter, dans la débandade générale, d'assurer un minimum de défense de son capital national et d'en ralentir la dégradation.
Du fait que la crise est le résultat du caractère limité du marché mondial auquel se heurte l'expansion de la production capitaliste, une quelconque défense des intérêts d'un capital national passe nécessairement par un renforcement de ses capacités concurrentielles à l'égard des autres capitaux nationaux et corollairement le report sur eux d'une partie de ses difficultés. Outre les mesures à caractère extérieur aptes à améliorer ses positions sur la scène internationale, chaque capital national doit, sur le plan interne, mettre en place une politique tendant à diminuer le prix de revient de ses marchandises par rapport à celles des autres pays, ce qui suppose donc une baisse de des dépenses entrant dans la fabrication de chaque produit. Une telle baisse passe par une rentabilisation maximale du capital et une diminution de la consommation globale du pays, ce qui implique une attaque, d'une part contre les secteurs les plus arriérés de la production et contre l'ensemble des couches moyennes et, d'autre part contre le niveau de vie de la classe ouvrière.
C'est donc une politique à trois volets - report de ses difficultés sur les autres pays, sur les couches intermédiaires et sur les travailleurs - et qui ont pour dénominateur commun le renforcement de la tendance au capitalisme d'Etat, que tente partout la bourgeoisie de mettre en place. C'est dans les résistances auxquelles s'oppose cette mise en place, dans les contradictions qu'elle fait surgir, qu'il faut rechercher les mécanismes à travers lesquels la crise économique débouche sur la crise politique qui, aujourd'hui, tend à son tour à se généraliser.
Le premier volet de la politique de la bourgeoisie de chaque pays, face à la crise, la tentative de report des difficultés sur les autres pays, se heurte à la limite immédiate et évidente d'entrer en contradiction avec la même tentative de la part de chaque autre bourgeoisie nationale. Elle ne peut que conduire à une aggravation des rivalités économiques entre pays qui se reportent nécessairement sur le plan militaire. Mais que ce soit sur le terrain économique ou, encore plus, sur le terrain militaire, aucune nation ne peut seule s'opposer à toutes les autres nations du monde. C'est ce qui explique l'existence de blocs impérialistes qui tendent nécessairement à se renforcer au fur et à mesure que la crise s'approfondit.
La division en de tels blocs ne recouvre pas nécessairement les rivalités commerciales majeures (ainsi l'Europe occidentale, les USA, le Japon, principaux concurrents sur le plan économique, se retrouvent au sein du même bloc impérialiste), qui n'en continuent pas moins de s'aggraver. Mais, même si des affrontements militaires ne sont jamais exclus entre pays d'un même bloc (cf. l'Israël et la Jordanie en 67, la Grèce et la Turquie en 74), ces tensions économiques ne sauraient remettre en cause la "solidarité" militaire des principaux pays qui le constituent face à l'autre bloc. Ne pouvant s'exprimer sur le plan militaire, au sein d'un même bloc, sous peine de favoriser l'autre, l'intensification des rivalités économiques entre pays débouche sur l'intensification des rivalités militaires entre blocs. Dans une telle situation, la défense du capital national de chaque pays tend à entrer de plus en plus en conflit avec la défense des intérêts du bloc de tutelle, par laquelle elle passe de façon inévitable. Outre la première contradiction déjà relevée, c'est donc là une difficulté supplémentaire à laquelle se heurte la bourgeoisie de chaque pays dans la mise en œuvre du premier volet de sa politique contre la crise et qui ne peut déboucher que sur la soumission des intérêts nationaux à ceux du bloc de tutelle.
La capacité de mise en œuvre par chaque bourgeoisie de ce volet de sa politique est conditionnée essentiellement par la puissance de son économie. Ce fait s'est traduit en premier lieu par un report des premières atteintes de la crise sur les pays de la périphérie du système : ceux du Tiers-monde. Mais, au fur et à mesure que la crise s'aggrave, ses effets viennent frapper de plus en plus brutalement les métropoles industrielles parmi lesquelles celles qui disposent du potentiel économique le plus solide sont aussi celles qui y résistent le mieux. Ainsi la "reprise" de 1975-76 dont ont bénéficié surtout les USA et l'Allemagne a été payée par une détérioration catastrophique des économies européennes les plus faibles comme celles du Portugal de l'Espagne et de l'Italie, ce qui a accru d'autant leur dépendance à l'égard des pays les plus puissants, essentiellement des USA. Cette suprématie économique se répercute sur le plan militaire où, non seulement les pays les plus faibles doivent, au sein de chaque bloc, se soumettre de façon croissante au plus puissant, mais où, également, le bloc ayant l'assise économique la plus solide, celui dirigé par les USA, progresse et se renforce au détriment de l'autre. Il est aujourd'hui devenu clair, par exemple, que la fameuse "défaite" américaine au Vietnam constituait un repli tactique d’une zone sans grand intérêt militaire et économique afin de venir renforcer la puissance américaine dans les zones beaucoup plus importantes d'Afrique australe et surtout du Moyen Orient. L'aggravation de la crise vient donc annuler les velléités "d'indépendance nationale" qui s'étaient développées à la faveur de la reconstruction dans certains pays comme la France, de même qu'elle apporte un démenti cinglant à toutes les mystifications entretenues par l'extrême gauche du capital sur la "libération nationale" et la "victoire contre l'impérialisme américain".
Le deuxième volet de la politique bourgeoise face à la crise consiste dans une meilleure rentabilisation de l'appareil productif s'exerçant contre les couches sociales autres que prolétariennes. Il consiste d'une part, en une attaque contre le niveau de vie de l'ensemble des couches moyennes liées aux secteurs non productifs ou à la petite production, d'autre part, dans une élimination des secteurs économiques les plus anachroniques, les moins concentrés ou travaillant suivant des techniques les plus archaïques. Les couches sociales en général assez hétéroclites touchées par ces mesures, sont composées essentiellement de la petite paysannerie, de l'artisanat, de la petite industrie et du petit commerce dont le revenu est souvent réduit de façon drastique à travers une aggravation de la pression fiscale et de 1a concurrence de la part d'unités productives ou de distribution plus concentrées et qui sont conduits bien souvent à la ruine et à l'abandon de leur activité. Cette politique peut également frapper, à travers des mesures de capitalisme d'Etat, les professions libérales, les cadres, certains secteurs de l'administration ou du secteur tertiaire particulièrement parasitaires comme également des fractions de la classe dominante elle-même, sous sa forme la plus classique liée à la propriété individuelle.
Cette politique du capital national se heurte nécessairement à la résistance, quelquefois très vive, de l'ensemble de ces couches qui, bien qu'incapables de s'unifier et historiquement condamnées, peuvent peser de façon notable sur la vie politique. En particulier, ces couches peuvent avoir un poids électoral important et quelquefois décisif dans certains pays, dans la mesure où elles constituent l'appui essentiel des gouvernements de droite liés au capitalisme classique - qui ont dominé dans beaucoup de pays durant la période de reconstruction - ou même une force d'appoint des gouvernements de gauche, particulièrement en Europe du Nord. De ce fait, la résistance de ces couches sociales peut constituer une entrave très puissante contre les mesures de capitalisme d'Etat que ces gouvernements sont conduits à prendre de façon impérative. Cette entrave peut, dans certains cas, aboutir à une véritable paralysie des capacités de ces gouvernements à prendre ce type de mesures, ce qui est un facteur venant aggraver encore la crise politique de la classe dominante.
Le troisième volet de la politique capitaliste face à la crise, l'attaque du niveau de vie de la classe ouvrière, est celui qui est destiné à devenir le plus important dans la mesure où cette classe est la principale productrice de richesse sociale. Cette politique, qui a pour but essentiel de réduire les salaires réels et d'augmenter l'exploitation, se manifeste principalement à travers l'inflation qui touche plus particulièrement les prix des biens de consommation, importants dans les milieux ouvriers comme l'alimentation, l'augmentation massive du chômage, la suppression d'un certain nombre "d'avantages sociaux", qui, en fait, font partie des moyens de reproduction de la force de travail, donc du salaire, et enfin d'une intensification, quelquefois violente, des cadences de travail.
Cette agression contre le niveau de vie de la classe ouvrière est devenue une réalité évidente reconnue par la classe capitaliste elle-même qui en fait la pierre angulaire de ses "plans d'austérité". Elle est en fait bien plus violente que les chiffres officiels n'osent le dire, dans la mesure où ceux-ci ne prennent pas en compte cette atteinte aux "avantages sociaux" (médecine, sécurité sociale, cadre de vie, etc.), non plus que le chômage qui ne frappe pas seulement les travailleurs sans travail mais pèse sur l'ensemble de la classe ouvrière puisqu'il se traduit lui aussi par une baisse globale du capital variable destiné à l'entretien de la force de travail.
Cette situation vient détruire une autre théorie qui a eu son heure de gloire durant la période de reconstruction : celle de la faillite des prévisions marxistes sur la paupérisation absolue du prolétariat. Aujourd'hui ce n'est plus de façon relative mais bien de façon absolue que diminue la consommation des travailleurs et qu'augmente l'exploitation.
L'agression capitaliste contre la classe ouvrière s'est heurtée, depuis ses tous débuts en 1968-69, à une réponse très vive de celle-ci. Cet affrontement entre bourgeoisie et prolétariat est celui qui aujourd'hui détermine le cours général de l'évolution historique par rapport à la crise : non pas guerre impérialiste comme à la suite de la crise de 1929, mais guerre de classe. En ce sens, des trois volets de la politique bourgeoise, c'est celui qui s'adresse directement à la classe ouvrière qui va tendre à primer de plus en plus quant à l'évolution politique générale. En particulier dans les zones où le prolétariat est le plus important, le capital va mettre de plus en plus en avant ses fractions politiques "de gauche" qui sont les plus aptes à mystifier et encadrer la classe ouvrière et lui faire accepter les "sacrifices" exigés par la situation économique. Ce besoin de faire appel à la gauche se fait d'autant plus sentir, parmi les pays industrialisés, que la situation de l'économie elle-même est incapable de constituer un facteur de "consensus social" et de confiance dans la capacité du capitalisme à surmonter la crise. Contrairement aux plus prospères et résistant le mieux aux assauts de la crise, dans lesquels il n'est pas besoin de propagande "anticapitaliste" pour attacher les travailleurs au char de leur capital national, ces pays sont donc à la veille de remaniements importants de leur appareil politique. Cependant, et c'est là une contradiction supplémentaire qui assaille la classe dominante, ces remaniements se heurtent à une résistance souvent très décidée de la part des équipes encore au pouvoir et qui, même au détriment des intérêts globaux du capital national, font tout leur possible pour y rester ou y conserver une place importante.
Dans la mise en place de chacun de ces trois axes de sa politique, la bourgeoisie se heurte donc à toute une série de résistances et de contradictions mais, de plus en plus, ces axes de la politique capitaliste peuvent également entrer en contradiction entre eux. Dans certains cas il y a convergence entre certains de ces axes : par exemple les nécessaires mesures de capitalisme d'Etat qui doivent frapper les secteurs les plus anachroniques du capitalisme constituent en même temps un bon moyen pour les fractions de gauche du capital de mystifier les travailleurs en les faisant passer comme mesures "anticapitalistes" ou "socialistes". De même, il est possible que la lutte contre les secteurs les plus anachroniques de la société soit menée par des forces politiques qui ont la confiance et l'appui du bloc de tutelle, comme c'est le cas aujourd'hui en Espagne où le processus de "démocratisation" se fait en liaison et accord direct avec la bourgeoisie européenne et américaine. Cependant, on assiste très souvent à un conflit entre les mesures de capitalisme d'Etat, rendues indispensables par l'aggravation de la crise, et le resserrement des liens de soumission du capital national à l'égard de son bloc de tutelle, conflit qui peut résulter d'une atteinte aux intérêts économiques de la puissance dominante ou encore du fait que les forces politiques les plus appropriées pour les prendre ont, en politique internationale, des options non conformes à celles du bloc. Il peut, dans le même sens, surgir un conflit entre les nécessités du capital national en politique internationale et les mystifications nationalistes qu'il mettra partout en œuvre pour mieux encadrer le prolétariat.
A mesure que la crise s'approfondit, ces différentes contradictions tendent à s'aiguiser et à rendre encore plus inextricables les problèmes posés à la bourgeoisie, laquelle est de plus en plus conduite à faire face à ces problèmes, non pas avec un plan à long ou même à moyen terme, mais au coup par coup, au jour le jour, en fonction des urgences du moment. Cet aspect empirique de la politique de la bourgeoisie est encore accentué par le fait que cette classe est incapable de se donner une vision à long terme de ses propres perspectives historiques. Certes, elle a profité de ses expériences passées que ses hommes politiques et universitaires, économistes ou historiens, lui rappellent quand nécessaire pour lui éviter de commettre les mêmes erreurs : par exemple, sur le plan économique, elle a su éviter l'affolement de 1929, de même que sur le plan politique, elle a su prendre en 1945 les dispositions pour éviter une vague révolutionnaire d'après guerre comme celle de 1917-23. Cependant cette utilisation de ses propres expériences par la bourgeoisie ne va jamais bien plus loin que l'apprentissage d'un certain nombre de réponses précises face à des situations répertoriées. Ses propres préjugés de classe interdisent à la bourgeoisie de se donner une compréhension correcte des lois historiques, incapacité qui est encore aggravée par le fait qu'elle est aujourd'hui une classe réactionnaire dont la société qu'elle dirige est en pleine décomposition et décadence. Cette incapacité se manifeste avec d'autant plus d'ampleur que la situation économique lui échappe et avec elle l'intelligence des mécanismes de plus en plus complexes et contradictoires qui animent cette situation.
La compréhension des différentes politiques que la bourgeoisie de tel ou tel pays est amenée à adopter à tel ou tel moment, ainsi que de l'évolution des rapports de force et des affrontements entre les différentes fractions de cette classe, doit donc tenir compte de l'ensemble des données contradictoires des différents problèmes qu'elle doit résoudre et de l'importance relative que ces données acquièrent dans les différents pays, compte tenu de leur situation géographique, historique, économique et sociale respectives. Elle doit tenir compte, en particulier, du fait que la bourgeoisie n'agit pas nécessairement à chaque moment de la façon la plus appropriée à la défense de ses intérêts immédiats ou historiques et que c'est souvent à long terme et à travers des conflits quelquefois violents que ses fractions les plus aptes à faire face à une situation s'imposent à celles qui le sont le moins.
C'est dans les pays sous-développés que les contradictions rencontrées dans la mise en œuvre des tentatives de la bourgeoisie, sont les plus violentes. L'impasse totale sur le plan économique condamne à l'échec les différentes mesures que peut prendre la classe dominante : loin d'être en mesure de reporter sur les autres pays les difficultés du sien, celle-ci, au contraire, subit le poids de ce même type de politique de la part de la bourgeoisie des pays les plus développés. Cette impuissance sur le plan économique se répercute sur le plan politique par une instabilité chronique et des convulsions brutales. L'affrontement des différentes fractions du capital national, loin d'être en mesure de se résoudre sur le terrain institutionnel des rouages "démocratiques", débouche souvent sur des heurts armés. Ces heurts sont particulièrement violents entre d'une part, les fractions les plus liées au capitalisme d'Etat dont le besoin se fait sentir d'autant plus que l'économie est délabrée et d'autre part, les secteurs les plus anachroniques de la production particulièrement importants du fait du faible niveau de l'industrialisation.
Ces affrontements entre différents secteurs du capital national sont en général amplifiés par le poids des rivalités inter impérialistes quand ils ne sont pas purement et simplement mis au service de celles-ci comme c'est aujourd'hui le cas au Liban et en Afrique australe.
Pour toutes ces raisons, les pays sous-développés constituent le terrain de prédilection des luttes de "libération nationale"- surtout quand ils se trouvent dans les zones en dispute entre grands brigands impérialistes - ainsi que des coups d'Etat militaires dans la mesure où l'armée est en général la seule force de la société ayant un minimum de cohésion et où elle dispose de cet élément essentiel dans les conflits entre secteurs de la classe dominante de ce pays : la force physique. C'est elle en particulier qui, dans ces pays, se fait souvent l'agent le plus décidé du capitalisme d'Etat contre les secteurs "démocratiques" liés à des intérêts privés. Dans ces pays, cette prédominance des affrontements entre différentes fractions de la classe dominante est d'autant plus forte que la classe ouvrière, malgré les réactions quelquefois violentes qu'elle oppose à une exploitation féroce, est relativement faible de par le faible niveau d'industrialisation.
C'est dans les pays économiquement les plus puissants que la classe dominante contrôle encore le mieux l'ensemble des problèmes mis à nu par l'aggravation de la crise, qu'elle maintient la plus grande stabilité et maîtrise du jeu politique. Cela est lié au fait que c'est dans ces pays que les différents axes de la réponse bourgeoise à la crise provoquent le moins de contradictions, dans la mesure où la situation économique, moins délabrée qu'ailleurs, fait appel à des mesures moins extrêmes et où la classe dominante dispose encore d'énormes moyens politiques, résultat de son assise économique.
Concrètement, cela se manifeste par le fait que le capital national dispose d'une plus grande aptitude à concurrencer ses adversaires sur le plan économique et militaire, ce qui les place en moindre dépendance à l'égard des blocs impérialistes auxquels il impose un grand nombre de ses objectifs:
- par le poids très faible des points de vue numérique économique et, partant, politique des secteurs anachroniques de la production ;
- par la grande capacité de mystification de la classe ouvrière par le simple poids de la "prospérité" économique.
Ce dernier aspect de la puissance de la bourgeoisie est particulièrement sensible dans des pays comme les USA et l'Allemagne de l'Ouest où cette classe a pu se livrer à une attaque officiellement reconnue contre le niveau de vie du prolétariat (baisse sensible du salaire réel et augmentation massive du chômage) sans que celui-ci, pourtant le plus puissant du monde, n'ait réagi de façon majeure. Par ailleurs, dans ce type de pays, la tendance générale au capitalisme d'Etat que la crise vient accentuer de façon très puissante ne se traduit pas, comme dans les pays plus arriérés, par un choc violent entre secteur étatique et secteur privé de l'économie, mais par une fusion progressive de ces deux secteurs.
Dans ces conditions, la bourgeoisie dispose d'un marge de manœuvre relativement importante qui limite les affrontements entre ses différents secteurs (cf. la similitude des programmes entre les candidats Ford et Carter aux USA) ou les répercussions de ces affrontements (cf. la facilité avec laquelle la bourgeoisie américaine a surmonté et exploité l'affaire "Watergate"). Le faible niveau actuel des contradictions engendrées par la mise en place des premier et troisième volets de la politique capitaliste, pourtant les plus importants historiquement, peut, dans certains de ces pays, conduire à une prééminence circonstancielle de contradictions engendrées par la mise en place du deuxième. C'est ainsi qu'on peut s'expliquer la défaite social-démocrate en Suède et le recul du SPD en Allemagne dont le maintien au pouvoir, grâce au concours des libéraux, traduit cependant les besoins présents de la bourgeoisie allemande de moyens pour prendre des mesures de capitalisme d'Etat et mystifier la classe ouvrière.
Dans le cas des pays développés mais au capitalisme plus faible que les précédents, en particulier les pays d'Europe occidentale, les différentes contradictions auxquelles se heurtent les différents axes de la politique bourgeoise, tendent à l'heure actuelle à équilibrer leurs poids respectifs et à interagir jusqu'à aboutir à des situations à première vue paradoxales et précaires. Ce phénomène est particulièrement net en ce qui concerne la détermination de la place des PC dans la vie politique dans un certain nombre de pays européens. Ces partis constituent, dans ces pays, les fractions de l'appareil politique bourgeois les plus aptes à la fois de prendre les mesures résolues dans le sens du capitalisme d'Etat que la situation requiert et de faire accepter à la classe ouvrière le maximum de sacrifices. En ce sens, leur participation au pouvoir s'impose de plus en plus. Cependant, de par leurs options en politique internationale et la crainte qu'ils inspirent à des secteurs importants des classes possédantes, leur accession à des responsabilités gouvernementales se heurte à une résistance décidée du bloc américain qui trouve un appui important auprès des secteurs les plus anachroniques de la société. Ces dernières années, les PC ont tenté de donner au reste de la bourgeoisie un maximum de gages de leur attachement au capital national, de leur indépendance à l'égard de l'URSS et de leur volonté de respecter les règles démocratiques en vigueur dans leurs pays, volonté qui s'est exprimée en particulier par le rejet de la notion de "dictature du prolétariat". Cependant, toutes ces concessions n'ont pas suffi, pour le moment, à surmonter ces résistances alors que l'entrée des PC au gouvernement est devenue des plus urgentes dans certains de ces pays. Ceci constitue une illustration du fait, déjà signalé que, ballottée par ses contractions à l'échelle nationale et internationale, la bourgeoisie ne se donne pas nécessairement les instruments les plus appropriés aux moments les plus opportuns. Il est significatif du caractère éminemment temporaire et instable des situations et des rapports de force qui prévalent pour le moment dans un nombre important des pays d'Europe et plus particulièrement au Portugal, en Espagne, Italie et en France.
Le Portugal est des pays européens celui qui a, ces dernières années, illustré avec le plus d'évidence la crise politique de la bourgeoisie. Ses caractéristiques de pays sous-développé et qui expliquent le rôle fondamental joué par l'armée, jointe à ses caractéristiques de pays développé, en particulier une forte concentration prolétarienne animée d'une forte combativité à partir de la fin 73, sont à l'origine des soubresauts de ce pays en 1974 et 1975. La poussée initiale des forces de gauche : gauche militaire, gauche et gauchistes, qui s'expliquait à la fois par l'urgence des mesures de capitalisme d'Etat dans une économie particulièrement déliquescente et par le besoin de dévoyer et encadrer la classe ouvrière a laissé la place à un retour du balancier vers la droite à la faveur de la conjonction d'une retombée de la lutte de classe, d'une très forte résistance des secteurs liés à la petite propriété contre le capitalisme d'Etat et d'une énorme pression politique et économique du bloc américain. L'actuelle orientation de la politique portugaise vers la droite (remise en cause d'aspects de la réforme agraire, retour de Spinola, libération des agents de la PIDE), si elle exprime le reflux de la classe ouvrière et renforce sa démoralisation, est cependant peu armée pour faire face à la prochaine remontée et, de ce fait, est grosse d'instabilité future.
L'Espagne est un des pays européens appelés, dans les prochaines années, à connaître des convulsions majeures. La rigueur de la crise en même temps que la sénilité et l'impopularité de l'ancien régime franquiste y ont mis à l'ordre du jour des transformations politiques importantes dans le sens de la "démocratie" et que la disparition de Franco a permis de mettre en chantier. Ces transformations sont d'autant plus urgentes pour la bourgeoisie en Espagne qu'elle affronte un des prolétariats les plus combatifs du monde et que la simple répression est de moins en moins capable de contenir. Elles constituent "l'objectif" fondamental en direction duquel le capitalisme peut aujourd'hui, en Espagne, dévoyer la combativité ouvrière. Cependant, malgré l'urgence de la rupture ou de la "transition" démocratique, ce processus se heurte à une très forte résistance des secteurs les plus arriérés de la classe dominante ayant pour appuis essentiels la bureaucratie étatique, l'armée et surtout la police. De plus, la bourgeoisie espagnole, de même que l'ensemble de la bourgeoisie occidentale, reste extrêmement méfiante à l'égard d'un PCE, pourtant parmi les plus "eurocommunistes". Alarmée par l'expérience portugaise, elle tient en particulier à éviter qu'un passage trop rapide du pouvoir aux mains de l'opposition ne favorise trop le PCE qui en constitue la force majeure. En ce sens, elle met tout en œuvre pour qu'avant cette passation de responsabilités se constitue un grand parti du centre, défenseur de la bourgeoisie classique, capable de lui faire contrepoids.
C'est donc, par l'extrême fragilité de l'équilibre - traduction des faiblesses du capital national - entre la poussée de la lutte de classe, la résistance des vestiges du franquisme et les impératifs de la politique du bloc occidental que se traduit aujourd'hui en Espagne la crise politique de la bourgeoisie.
La situation du capital italien se caractérise elle aussi par l'extrême précarité des solutions politiques qu'il a pu jusqu'ici se donner. Face à une situation économique parmi les plus chaotiques d'Europe, sa fraction politique dominante, la Démocratie Chrétienne, se trouve dans l'incapacité de prendre des mesures d"'assainissement économique" et de renforcement effectif de l'Etat qui sont de plus en plus urgentes. Si, de l'avis même d'une partie croissante de la bourgeoisie, la venue au pouvoir du PCI est indispensable, cette solution se heurte pour l'heure à des résistances décisives. C'est la même alliance entre les intérêts de la bourgeoisie américaine et ceux des secteurs arriérés de l'économie nationale particulièrement visés par le capitalisme d'Etat qui avait, au Portugal, chassé le PC du pouvoir qui empêche son accession directe à ce même pouvoir en Italie. C'est pour le moment de façon indirecte que, face aux urgences de l'heure, le PCI assure ses responsabilités à la tête du capital italien. Cependant, son "soutien critique" à l'action du gouvernement minoritaire Andreotti ne peut constituer qu'un pis-aller qui ne saurait se prolonger très longtemps sans dangers majeurs pour ce capital.
En effet, cette solution bâtarde comporte le double inconvénient de ne pas permettre l'adoption de mesures énergiques de capitalisme d'Etat et de ne pas pouvoir être présentée comme une "victoire" pour les travailleurs comme le serait une participation directe du PCI au pouvoir alors qu'elle fait en même temps retomber sur lui une part de l'impopularité des mesures d"'austérité". Comme en Espagne, le capital est en Italie sur la corde raide.
En France, une longue période de stabilité politique touche à sa fin. Frappé, à la suite des autres pays latins, de plein fouet par la crise, ce pays est à la veille de bouleversements politiques importants. Les forces politiques au pouvoir depuis près de vingt ans sont de plus en plus usées et impuissantes pour prendre des mesures énergiques d"'assainissement" de l'économie. Très dépendantes des secteurs les plus retardataires de la société comme l'ont montré les affrontements parlementaires sur les "plus-values", ces forces ne sont capables que d'attaques relativement timides contre le niveau de vie de la classe ouvrière comme le fait apparaître la modération du plan Barre. Dans ces circonstances, "la gauche unie" pose avec assurance sa candidature à la succession de la droite qui interviendra probablement à la suite des élections législatives de 1978. De ce fait, celles-ci constituent de plus en plus le centre de polarisation de la vie politique en France, d'autant plus qu'elles doivent permettre, avec le relai opportun des municipales de 1977, de faire patienter jusqu'à cette "grande victoire" la classe ouvrière dont le mécontentement et l'inquiétude vont grandissants.
Dans l'attente de ce dénouement, la droite va se contenter d"'expédier les affaires courantes". Cependant, si la situation en France se rapproche de celles du Portugal, de l'Espagne et de l'Italie par son caractère transitoire, le capital de ce pays dispose, comme traduction d'une plus grande force structurelle, d'une plus grande marge de manœuvre et de moyens plus importants pour parer dans l'immédiat à ses difficultés politiques.
Du point de vue de la précarité de son équilibre, la situation en Grande-Bretagne ne se distingue pas fondamentalement de celle des autres pays d'Europe considérés. Cependant, ce qu'il faut souligner concernant ce pays, c'est le paradoxe existant entre la profondeur avec laquelle il est frappé par la crise et la capacité de la bourgeoisie à continuer à maîtriser la situation sur le plan politique. En effet, si on prend en considération les différents axes de la politique bourgeoise, la classe dominante ne rencontre pas de problèmes majeurs avec les couches moyennes et en particulier avec la paysannerie proportionnellement la plus faible du monde. De même, sa fraction de gauche dominante, le parti travailliste, jouit de la parfaite confiance du bloc américain ; enfin, le capital a manifesté une grande capacité politique par la reprise en main d'un des prolétariats les plus combatifs du monde à travers un appareil syndical éprouvé dans lequel TUC et shop-stewards se partagent efficacement le travail.
Cependant, si la bourgeoisie la plus vieille du monde a momentanément surpris par l'ampleur de ses ressources, tout son "savoir faire" sera impuissant en fin de compte devant la gravité de la situation d'une économie qui depuis 1967 est une des moins épargnées par la crise mondiale.
Dans les pays dits "socialistes" la situation n'est pas fondamentalement différente de celle des pays du bloc occidental. C'est à travers les contradictions que soulèvent les divergences entre l'intérêt du bloc de tutelle et l'intérêt national, la nécessité de renforcer la cohésion d'un appareil productif peu efficace, les résistances sourdes mais quelquefois décisives de secteurs comme la paysannerie, les réactions limitées en nombre mais violentes de la classe ouvrière, que la crise se transmet de la sphère économique à la sphère politique. Cependant, la grande fragilité de ces régimes liée à leur faiblesse économique et à leur très grande impopularité leur laisse une marge de manœuvre très réduite, contrairement aux pays "démocratiques". En particulier, l'absence de forces politique de rechange du capital liée à son étatisation presque complète interdit une "relève démocratique" du type espagnol, capable de canaliser le mécontentement ouvrier. Les seuls changements que soit capable de se donner l'appareil politique de ces pays consiste dans la modification des cliques dirigeantes au sein du parti unique, ce qui limite de façon importante leur capacité de mystification. De ce fait, à part la récupération et l'institutionnalisation des organes que la classe peut se donner au cours de ses luttes et la mise en avant des thèmes "démocratiques" agités par des forces limitées destinées à rester dans l'opposition, le capital de ces pays dispose de peu de moyens d'encadrement de la classe ouvrière autre qu'une répression systématique et féroce. Sur chacun de ces points, la situation en Pologne est particulièrement significative : elle met en relief la grande faiblesse du capital de ces pays, la grande rigidité et les convulsions de son appareil politique qui sont liées à cette faiblesse ainsi que son impuissance à mener une attaque en règle contre le niveau de vie de la paysannerie et une classe ouvrière particulièrement combative.
Parmi les pays "socialistes", la Chine constitue un cas significatif. Son évolution - particulièrement mise en relief avec l'aggravation de la crise - tant en politique intérieure qu'en politique internationale, vient confirmer un certain nombre d'analyses déjà définies pour d'autres pays.
En premier lieu, son rapprochement à la fin des années 60 avec les USA apporte un démenti à la thèse qui veut qu'il y ait un "bloc du capitalisme d'Etat" aux intérêts fondamentalement "solidaires" face au "bloc du capitalisme privé". Ce rapprochement illustre également l'impossibilité d'une indépendance véritable de tout pays, aussi puissant soit-il, à l'égard des deux grands blocs impérialistes qui se partagent la planète, la seule "indépendance nationale" consistant en fin de compte dans une possibilité de passage de l'orbite de l'un à celle de l'autre.
En second lieu, les convulsions qui ont suivi la mort de Mao mettent en évidence la grande instabilité de ce type de régimes : l'affrontement entre les forces politiques plus ou moins favorables au bloc russe ou américain se combinent comme ailleurs avec les oppositions entre différentes orientations économiques et politiques et entre différents secteurs de la bureaucratie étatique pour aboutir à des règlements de compte violents et même sanglants entre les différentes cliques qui constituent l'Etat et le parti.
En troisième lieu, l'émergence à la tête de l'Etat de l'ancien chef de la police Hua Kuo-Feng s'appuyant en bonne partie sur 1'armée illustre à la fois que la répression la plus systématique et ouverte constitue le moyen privilégié pour contenir la lutte de classe et que, malgré ses caractéristiques particulières, la Chine n'échappe pas à la règle qui assigne à l'armée une place déterminante dans la politique intérieure des pays sous-développés.
Si c'est en prenant en considération, non pas un seul, mais les trois axes de la politique bourgeoise face à la crise et l'ensemble des contradictions qu'ils provoquent dans différents domaines qu'on a pu comprendre les conditions de l'actuelle crise politique de la classe dominante, cela ne signifie pas cependant que chacun de ces trois axes ait un impact égal dans l'évolution de celle-ci. On a déjà mis en relief le fait que certains d'entre eux peuvent à certains moments et de façon circonstancielle constituer l'élément déterminant d'une situation, mais il est également vrai que, sur le plan historique, certains de ces axes tendront de façon plus définitive à prendre le pas sur d'autres. On peut ainsi établir que l'importance des problèmes liés à l'attaque capitaliste contre les couches moyennes est appelée à diminuer en faveur des problèmes liés à ce qui touche les intérêts fondamentaux du capital et qui sont à la base de l'alternative ouverte par la crise : guerre de classe généralisée ou guerre impérialiste. Dans la période qui vient on verra donc s'accroître le poids des questions liées à la concurrence entre capitaux nationaux, ce qui se traduira par une aggravation des tensions inter impérialistes et un renforcement de la cohésion au sein des blocs, et d'autre part l'importance du facteur lutte de classe. Et dans la mesure où ce dernier est celui qui commande la survie du système, il devrait progressivement prendre le pas sur le précédent à mesure qu'augmentera la remise en cause de cette survie : l'histoire nous a montré, particulièrement en 1918, que le seul moment où la bourgeoisie peut oublier ses déchirements entre nations est celui où sa vie même est en jeu mais, qu'alors, elle est parfaitement capable de le faire.
Une fois posées ces perspectives globales, l'examen de la situation politique de la plupart des pays (à l'exception peut-être de l'Espagne et de la Pologne) conduit à la constatation que, cette dernière année, le facteur lutte de classe a été relativement effacé par rapport aux autres facteurs dans la détermination de la conduite des affaires bourgeoises. Et en fait, si contrairement aux années 30 la perspective générale n'est pas guerre impérialiste mais guerre de classe, il faut justement constater que la situation présente se distingue par l'existence d'un grand décalage entre le niveau de la crise économique et politique et le niveau de la lutte de classe. Ce décalage est particulièrement frappant quand on examine le pays qui, depuis 1969, a connu le plus grand nombre de mouvements sociaux : l'Italie. Si, dans ce pays, les premières atteintes de la crise avaient provoqué des réactions ouvrières aussi puissantes que celle du "mai rampant" de 1969, la véritable agression actuelle contre la classe ouvrière comme produit de la déliquescence de la situation économique ainsi que le chaos politique résultant également de cette situation, ne trouvent en face d'eux qu'une réponse prolétarienne très limitée, sans commune mesure avec celle du passé. Ce n'est donc pas seulement de stagnation de la lutte de classe dont il faut parler mais bien d'un repli de celle-ci et qui affecte aussi bien la combativité du prolétariat que son niveau de conscience puisque aujourd'hui, et particulièrement en Italie, l'appareil syndical -passablement bousculé et dénoncé par un nombre important de travailleurs dans le passé - a rétabli un contrôle assez efficace sur ceux-ci.
Indépendamment des explications qu'on peut donner au creux présent de la lutte de classe, ce phénomène vient donner un coup de grâce à toutes les théories qui voyaient dans la lutte de classe la cause du développement de la crise. Qu'elles soient le fait d'économistes bourgeois, en général les plus stupides et réactionnaires, ou qu'elles tentent de s'abriter derrière le "marxisme", ces conceptions sont aujourd'hui bien incapables d'expliquer par quel mécanisme un repli de la lutte de classe peut provoquer une telle aggravation de la crise économique. Le "marxisme" des situationnistes, qui voyaient dans mai 1968 la cause des difficultés économiques qu'ils n'ont découvert qu'avec plusieurs années de retard, comme celui du GLAT qui passe son temps à faire dire n'importe quoi à des cargaisons de chiffres a bien besoin d'aller se refaire une cure de santé.
Par contre, la situation actuelle semble apporter de l'eau au moulin des théories qui considèrent que la crise est l'ennemie des luttes ouvrières et que le prolétariat ne peut faire sa révolution que contre un système fonctionnant "normalement". Cette conception, qui trouve des arguments historique avec le cours suivi par la lutte de classe après 1929, est une des expressions, quand elle est développée par des révolutionnaires, de la démoralisation engendrée par la terrible contre-révolution qui a marqué la moitié du XXème siècle. Elle tourne le dos à l'ensemble de l'expérience historique et a été toujours combattue par le marxisme. De même, aujourd'hui, ce n'est pas en examinant d'une façon statique et immédiate la situation - ce qui peut effectivement conduire à la conclusion que le recul relatif des luttes est la conséquence de l'aggravation de la crise -, mais en prenant en compte l'ensemble des conditions et des caractéristiques du développement du mouvement prolétarien qu'on peut comprendre les causes de ce repli et, de ce fait, dégager les perspectives sur lesquelles débouche cette situation. Et de tous les facteurs qui déterminent la situation actuelle il faut en prendre en compte particulièrement trois :
- les caractéristiques du développement historique des mouvements révolutionnaires de la classe ;
- la nature et le rythme de la crise présente ;
- la situation créée par un demi-siècle de contre-révolution.
C'est depuis plus d'un siècle que les révolutionnaires ont mis en évidence que, contrairement aux révolutions bourgeoises qui "se précipitent de succès en succès", les révolutions prolétariennes "interrompent à chaque instant leur propre cours, (...) paraissent n'abattre leur adversaire que pour lui permettre de puiser de nouvelles forces de la terre et se redresser à nouveau formidable en face d'elles" (K. Marx, Le 18 Brumaire). Ce cours en dents de scie de la lutte de classe qui se manifeste aussi bien par de grands cycles historiques de flux et de reflux que par des fluctuations à l'intérieur de ces grands cycles est lié au fait que, contrairement aux autres classes révolutionnaires du passé, la classe ouvrière ne dispose d'aucune assise économique dans la société. Ses seules forces étant sa conscience et son organisation constamment menacées par la pression de la société bourgeoise, chacun de ses faux pas ne se traduit pas par un simple coup d'arrêt de son mouvement mais par un reflux qui vient terrasser l'une et l'autre et la plonge dans la démoralisation et l'atomisation.
Ce phénomène est encore accentué par l'entrée du capitalisme dans sa phase de décadence dans laquelle la classe ouvrière ne peut plus se donner d'organisation permanente basée sur la défense de ses intérêts comme classe exploitée, comme pouvaient l'être les syndicats au siècle dernier. Aujourd'hui, au lendemain de la plus terrible contre-révolution de son histoire, ce caractère en dents de scie du développement des luttes de la classe est encore plus renforcé du fait de la rupture profonde entre les nouvelles générations ouvrières et les expériences passées du prolétariat. Celui-ci doit donc refaire toute une série d'expériences répétées avant d'être en mesure de pouvoir en tirer valablement les leçons, renouer avec son passé et tirer des expériences de ce1ui-ci les enseignements qu'il devra intégrer dans ses luttes futures.
Ce long chemin de la lutte de classe d'aujourd'hui est encore allongé par les conditions dans lesquelles s'opère la reprise : le développement lent d'une crise économique du système. Les mouvements révolutionnaires passés du prolétariat se sont tous développés à la suite de guerres, ce qui les plaçait d'emblée en face des convulsions les plus violentes que la société capitaliste puisse connaître et les confrontait rapidement aux problèmes politiques, en particulier à celui de la prise du pouvoir. Dans les conditions présentes, la prise de conscience de la faillite totale du système - particulièrement là où le prolétariat est le plus concentré, c'est-à-dire dans les pays les plus développés - est nécessairement un processus lent qui suit le rythme de la crise elle-même. Cela permet le maintien, pendant une longue période, de toute une série d'illusions sur la capacité de ce système à surmonter sa crise à travers différentes formules mises en avant par les équipes de rechange de la bourgeoisie.
C'est l'ensemble de cette situation qui a permis au capital de refaire une partie du terrain perdu au début de la crise face aux réactions brusques de la classe que celle-ci avait provoquées et qui avaient surpris la classe dominante dans un premier temps. En particulier, les fractions de gauche du capital et leur appareil syndical ont systématiquement saboté les luttes soit, quand elles étaient au pouvoir, en agitant la menace d'un "retour de la droite ou de la réaction", soit, plus souvent encore, en présentant la venue de la gauche - rendue de toutes façons de plus en plus nécessaire pour imposer des mesures de capitalisme d'Etat aux secteurs liés à la propriété individuelle comme un moyen de surmonter la crise et de préserver les intérêts prolétariens. Dans cette tâche, les gauchistes ont joué un rôle très important à travers leurs politiques de "soutien critique", racolant vers le terrain électoral et syndical les éléments de la classe qui commençaient à ruer dans les brancards de la gauche classique.
Cette perspective de victoire de la gauche a été facilitée par la déception qu'a pu faire peser sur la classe une série de défaites dans ses luttes économiques : ressentant le besoin d'une "politisation" de son action, mais ne disposant pas encore d'une expérience suffisante, elle a été conduite sur le terrain d'une "politisation" bourgeoise. Cette déception a également eu pour conséquence le développement d'un certain fatalisme parmi les travailleurs qui ne les incite à réagir de nouveau que face à une aggravation beaucoup plus violente de la crise.
L'ensemble de ces conditions permet d'expliquer les causes du désarroi actuel du prolétariat et du creux relatif de ses luttes. Mais avec l'aggravation irrémédiable de la crise économique et du fait que, contrairement à 1929, la classe d'aujourd'hui n'a pas été battue, ces conditions qui ont permis momentanément à la classe dominante de rétablir son emprise sur la classe ouvrière vont tendre à s'épuiser.
En effet, avec l'approfondissement de la crise et l'aggravation violente qu'elle suppose contre les conditions de vie du prolétariat, celui-ci sera contraint de nouveau à réagir quelles que soient les mystifications qui peuvent aujourd'hui encombrer sa conscience. Cette réaction va contraindre la gauche et ses rabatteurs gauchistes à se démasquer un peu plus là où ce n'est pas encore le cas.
Son accession à la tête de l'Etat rendue de plus en plus indispensable va probablement constituer, dans un premier temps, un facteur supplémentaire de temporisation. Mais en même temps, vont se mettre en place les conditions permettant au prolétariat de comprendre la seule issue de sa lutte : l'affrontement direct avec l'Etat capitaliste. Enfin, l'accumulation des expériences de la classe lui permettra de se doter des moyens de tirer les leçons de celles-ci, la démoralisation et les mystifications antérieurement subies se transformant dès lors en éléments supplémentaires de combativité et de prise de conscience.
Pour l'heure, les manœuvres mystificatrices déployées par la bourgeoisie portent encore leurs fruits et le rôle des révolutionnaires est de continuer à les dénoncer avec la plus grande énergie, plus particulièrement celles promues par les courants "gauchistes". Mais l'existence même du décalage présent entre le niveau de la crise et celui de la classe met à l'ordre du jour des resurgissements importants de cette dernière et qui tendront à combler ce décalage. Le calme relatif de la classe alors que la crise portait des coups de plus en plus violents, particulièrement en 1974-75, et qui l'ont comme étourdie dans un premier temps, ne saurait être interprété comme une inversion de la tendance générale de la reprise des luttes apparue à la fin des années 60. Le calme actuel est comme celui qui précède les tempêtes. Après un premier assaut à la fin des années 60 et au début des années 70, la classe ouvrière est en train, de façon souvent encore inconsciente, de préparer et concentrer ses forces pour un deuxième assaut. Les révolutionnaires doivent miser sur ce prochain assaut afin de ne pas être surpris par lui et être en mesure d'assumer pleinement leur fonction au sein des combats qui se préparent.
31/10/76
L'ACCELERATION DE LA CRISE ECONOMIQUE
"Il semble heureusement que, cette fois, le danger sera évité. La reprise a pris corps et s'est généralisée au premier semestre de 1976, et le chômage, qui avait atteint l'un de ses maxima d'après-guerre, a amorcé une baisse dans certains pays..." (Perspectives de l'OCDE, juin 76)
Quelques mois auront suffi pour balayer les prédictions optimistes de l'OCDE. Pour la première fois depuis la récession de 1974-75, les bourses de New York, Londres et Paris ont connu leurs cours les plus bas. Traduisant le profond scepticisme de la bourgeoisie quant à la profondeur de la "reprise", celle de Paris connaissait son "mardi noir" le 12 octobre avec une baisse moyenne de 3 % le même jour sur toutes les valeurs. Ce même mois, et le même jour, l'Espagne, le Portugal, l'Italie prenaient les mesures les plus draconiennes de leur histoire : hausse des produits courants, blocage des prix et des salaires, mesures protectionnistes de blocage des importations. Il est vrai que la France les avait déjà précédés dans cette voie, à un niveau plus faible, avec le "plan Barre". Simultanément, et le même mois, le franc, la livre, la lire continuaient leur lente descente aux enfers. "La reprise s'essouffle", pouvait conclure laconiquement le Monde du 5 octobre.
L'ESSOUFFLEMENT DE LA "REPRISE"
Avant d'examiner les phénomènes et la nature de la "reprise", il faut tout d'abord rappeler la situation de l'économie mondiale en 1975. Selon la Banque des Règlements Internationaux, l'expansion du commerce mondial a représenté cette année 35 milliards de dollars, c'est-à-dire le huitième du chiffre de 1974, la contraction du marché mondial la plus importante depuis la Seconde Guerre mondiale.
La paralysie des échanges qui traduit celle de l'appareil de production trop développé pour un marché mondial saturé de marchandises non réalisées se concrétise par un déclin de 10 % du volume du commerce international.
En août 75, et sur une année, la chute de la production industrielle était la suivante : USA : -12,5% ; Japon : - 14 % ; RFA : - 12 % ; France : - 9% ; Grande-Bretagne : - 6% ; Italie: - 12,2 %. Corrélativement, l'indice du cours mondial des métaux (base 100 en 1970) passait de 245,8 en mai 74 à 111,5 en juillet 75. Traduisant la contradiction irréductible entre les rapports de production et les forces productives, le chômage atteignait le chiffre record de 23 millions de chômeurs pour l'ensemble des pays de l'OCDE au milieu de l'année 75.
LES PHENOMENES DE LA "REPRISE"
Commencée au dernier trimestre 1975, la "reprise" trouve essentiellement sa cause dans le mouvement purement conjoncturel de restockage pendant 1975. Cet aspect artificiel de la "reprise" est souligné par le fait que "la constitution des stocks aura sans doute contribué cette année pour 1,75 % environ à l'expansion de la production en termes réels, alors que son rôle avait été négligeable à cet égard pendant les reprises de 1968 et 1972" ("Perspectives économiques" de l'OCDE).
Quels sont les résultats de cette opération "technique" ?
Toujours selon l'OCDE, dont les ministres se sont réunis en juin dernier à Paris : "l'expansion rapide que connaissent les Etats-Unis depuis le milieu de 1975 a donné une forte impulsion à la reprise dans d'autres pays, notamment au Japon. Le niveau de la production industrielle de la zone de l'OCDE est maintenant proche de son maximum des derniers mois de 1973. Le taux de chômage qui avait atteint quelque 5,50 % de la population active vers la fin de 1975 est maintenant descendu aux environs de 5 % de la population active, cette baisse reflétant essentiellement l'amélioration de la situation aux Etats-Unis. Au Japon et en Europe, le chômage partiel a nettement reculé mais le nombre de chômeurs est resté élevé".
Là aussi, ces optimistes prédictions devaient se trouver démenties par la réalité un mois plus tard
"L'infléchissement déjà observé en mai et juin se transforme maintenant en ralentissement et fait même craindre une chute précoce de l'activité économique. Les courbes de la croissance industrielle de la France et de l'Allemagne déclinent beaucoup plus qu'on aurait pu le prévoir il y a quelques mois. 5% par an de croissance, c'est peu pour un régime de croisière qui devrait normalement se situer à 7 ou 8%. L'Italie où la reprise est plus récente voit elle aussi sa courbe redescendre, bien que le rythme y reste encore élevé (18 %). Ne parlons pas de la Grande-Bretagne où l'essoufflement a suivi presque immédiatement le premier effort sérieux."
Quant aux deux géants économiques (USA et Japon), ils ont connu depuis le troisième trimestre 76 - moins marqué en raison de leur puissance économique - le même rythme de ... décroissance :
"Au Japon, le redémarrage a été tardif mais foudroyant : de 2 % à peine en novembre, le rythme est passé à près de 30 % en avril... En juin-juillet, le rythme n'y est plus que de 9 %. Seule, la courbe de croissance industrielle des Etats-Unis présente une forme différente, moins abrupte et plus rassurante : après un sommet de 18 % en septembre-octobre, le rythme a diminué pour atteindre 6 % au début de 76, puis il s'est stabilisé à 7 % en juin-juillet". (Le Monde, 5 octobre 1976)
Quant à la diminution du chômage présentée comme la grande victoire de la "reprise", elle est essentiellement le fait des USA où les effectifs de travail ont augmenté de 1.8 millions depuis le début de 1976 ([1] [114]). Au contraire, en Europe, non seulement le chiffre de chômeurs est resté identique en France. Italie et même RFA, mais il a crû en Grande-Bretagne au point d'atteindre le chiffre record de 6,4% de la population active.
C'est cette extrême modération de la reprise qui explique le recul de l'inflation pour les prix de gros et des matières premières (à l'exception des prix de détail toujours en hausse) : comme en 75, a commencé un mouvement de baisse des cours des métaux depuis juillet-août, qui s'explique par l'arrêt des achats (particulièrement ceux du Japon). De fait, le recul de l'inflation présenté par les économistes du capital comme l'amorce de la "reprise" traduit en réalité la rechute dans la crise.
LES MECANISMES DE LA "REPRISE"
Contrairement aux "reprises" qui avaient suivi les récessions de 67-68 et 71, celle du premier semestre 76 se caractérise par sa nature sectorielle et non généralisée. La relance de la production, loin de se manifester par l'essor des investissements en capital fixe (comme cela avait été le cas dans les précédentes "reprises" par une politique d'hyper inflation) émane avant tout des achats en biens durables (automobiles, électroménager, etc.), à quoi il faut ajouter les dépenses en services (Sécurité Sociale, travaux publics, logements). Il s'agit, en fait, purement et simplement de dépenses de rattrapage (usure des biens durables et d'équipements publics). Comme le constate l'OCDE, à propos de la France :
"La demande émanant du secteur public et la consommation privée ont constitué les éléments moteurs de cette reprise. Elles ont été ensuite relayées par la demande extérieure et le retournement du cycle des stocks. La progression extrêmement vive de la demande des ménages a été stimulée par les mesures de relance de l'automne dernier, et a pris essentiellement la forme d'un rattrapage dans les achats de biens durables qui avaient été différés depuis le milieu de 1974."
Contrairement à ce que prétendent les descendants du professeur Dühring en la personne de la gauche et des gauchistes, la relance de la production par la consommation est plus que jamais un pur mensonge, non seulement parce que la survie même du capital implique une croissance plus rapide du secteur l (production) sur le secteur II des biens de consommation mais parce que la croissance du premier secteur implique la nécessaire décroissance relative ou absolue du second, contradiction qui est la base même du système capitaliste. De fait, il ne peut y avoir d'essor de la consommation qu'en fonction d'une croissance massive et durable de la production répondant à l'existence de marchés solvables ; cet essor étant purement relatif et conjoncturel. De fait, les crises du capital décadent s'accompagnent non seulement d'une diminution de la consommation relative mais d'une diminution absolue de celle-ci. Cela est d'autant plus vrai aujourd'hui que des millions d'ouvriers sont rejetés de la production tandis que la masse du prolétariat subit une diminution de plus en plus accélérée de son salaire et nominal, et réel.
C'est pourquoi la demande en biens de consommation qui s'est manifestée est essentiellement une demande de "rattrapage" correspondant à l'usure de biens durables nécessaires à l'entretien de la force de travail.
De fait, on voit toute la faillite du maintien du niveau de consommation pour une fraction de plus en plus restreinte de la population en ce que même cette politique dite de "relance", non seulement n'a pas empêché la décroissance de la production pour l'ensemble des pays capitalistes, mais s'est accompagnée d'une relance réelle et exacerbée de l'inflation, par une politique systématique d'endettements et de déficits budgétaires. Ainsi, l'augmentation du volume des échanges au cours du premier semestre 76 a entraîné une accélération du déficit courant de l'OCDE qui est passé d'environ 6 milliards de dollars en 75 à quelque 20 milliards de dollars (taux annuel) au cours de ce premier semestre.
Face au pessimisme grandissant de la bourgeoisie, les gouvernements ont pris toutes sortes de mesures en vue d'encourager les investissements à la production : depuis les crédits d'impôts, les subventions pour l'investissement, jusqu'aux amortissements accélérés. Ainsi, le gouvernement français a institué fin 75 des a11ègements fiscaux en faveur des entreprises représentant 10 % de la valeur des commandes de biens d'équipement passées entre le 1er mai 75 et le 7 janvier 76. Quand les gouvernements se trouvent dans une situation de semi-banqueroute sur le plan financier, ils font appel massivement à l'endettement extérieur : 1 milliard de dollars, prêt de l'OCDE à l'Italie ; il en a été de même en Grande-Bretagne et au Portugal où les banques centrales ont soutenu à bout de bras l'économie défaillante de ces pays. Mais, comme le notait The Economist, récemment : "Les banquiers sont maintenant inquiets sur "le sort de ces prêts, mais ils ont permis que "le commerce continue à fonctionner". On ne peut être plus clair : la survie à crédit, ou la mort subite du système !
Cette survie "à crédit" est encore plus nette dans les soi-disant pays "socialistes", où la dette de l'ensemble des pays du bloc russe à l'égard de l'occident se chiffre maintenant à 35 milliards de dollars. Pour certains, la situation est si grave qu'ils demandent déjà un moratoire ; la Corée du Nord a même cessé de payer le service de sa dette qui s'élève à quelque 1,5 milliard de dollars. La situation est identique dans les pays arriérés non pétroliers où le déficit de la balance courante atteint maintenant le chiffre tout aussi vertigineux de 37 milliards de dollars. Face à une telle situation, les banquiers et les Etats occidentaux ont alors décidé de restreindre leurs prêts aux pays de l'est ; dans les pays de leur bloc, ceux-ci, comme en Italie ou en Grande-Bretagne, sont assortis de toutes sortes de conditions qui brisent toute velléité "d'indépendance nationale" et ne seront plus accordés qu'en fonction de la nécessité de sauvegarder la cohésion de leur bloc. L'URSS n'a accordé de nouveaux crédits que sous la condition d'un contrôle plus strict de sa politique extérieure.
A travers la croissance des déficits budgétaires et de la dette extérieure, on assiste à une intervention de plus en plus accélérée de l'Etat. C'est lui qui est le véritable moteur de la "relance", faute d'une relance véritable par des marchés, lesquels ont continué à stagner et même à décroître (l'évo1ution des parts de marché des sept grands pays de l'OCDE a encore décru en 76, à la seule exception du Japon et de la RFA). Devant cette situation, les Etats ont mis au point un système d'encouragement à l'exportation par un jeu de primes ou de dégrèvement des impôts sur les bénéfices, ce qui a notablement encouragé les pays exportateurs comme le Japon ou la RFA à accroître notablement la part de leurs exportations dans leur commerce global.
BRIEVETE DES "REPRISES"
L'un des indices les plus probants du caractère permanent de la crise générale du système depuis 67 est le raccourcissement des phases de reprise. La crise de 67-68 est suivie de deux ans de reprise ; celle de 71 d'un an et demi de reprise. La reprise de 76 n'aura duré qu'un peu plus de six mois. On voit par contre se manifester un rallongement des phases de récession : un an en 67 et 71 ; presque deux ans en 74-75. On a donc des phases de reprise de plus en plus brèves jusqu'au point où elles deviennent inexistantes tandis que les phases de récession, en devenant de plus en plus longues, tendent à devenir permanentes.
On voit ici toute la vanité de prétendues explications marxistes (telle celle de "Programme Communiste" n° 67) qui croient déceler encore des cycles de croissance et de récession dans le capitalisme décadent. L'existence de cycles qui se vérifiait au XIXème siècle parce que les récessions ouvraient la voie à une expansion élargie sur un marché mondial encore en friche pour le capital ne peut plus être observée sous le capitalisme en déclin.
Dans cette période d'ascension continue du mode de production capitaliste, où il prend sa forme moderne de capital industriel, la constitution des cycles est la manifestation de la croissance organique du système. Les cycles d'expansion et de récession expriment alors de façon matérielle le développement contradictoire d'un système se heurtant aux limitations du marché national dans son cadre de vie déjà mondial. Non limité encore par l'achèvement de la conquête du marché mondial, le capital connaît des crises qui sont essentiellement d'adaptation, quand la croissance de la production tend à être plus rapide que celle du marché, ou quand la révolution technique incessante impose des déplacements de plus en plus rapides des capitaux dans les nouvelles branches de la production. Les crises étaient donc le moteur de nouveaux cycles de la production, toujours plus élargis à l'échelle du marché mondial. L'observation de phases périodiques de récession ou de stagnation aussi régulières que les marées, et généralement courtes, trouvait sa cause de moins en moins dans le poids des déterminismes agricoles et climatiques (crise de 1847, par exemple) que dans la faiblesse momentanée du secteur universel de la croissance de la production : le capital sous sa forme de monnaie (or et crédit). Les phases longues de dépression, toutes relatives, telle celle de 1873 à 1896, trouvaient leur origine dans le surgissement de capitaux plus modernes (Etats-Unis, Allemagne) venant concurrencer les vieux pays capitalistes (Grande-Bretagne, France) et étaient donc plus locales qu'internationales. Il s'agissait de paliers dans la phase générale d'expansion internationale du système. Quant aux crises qui éclataient à la charnière de ces cycles, elles devenaient de moins en moins fréquentes mais de plus en plus fortes (1873), à la mesure de l'extension colossale du système lui-même.
Ce qui était des cycles naturels de vie d'un système en pleine croissance n'est plus aujourd’hui que de simples convulsions, des spasmes de plus en plus rapides et rapprochés. Seuls, les mécanismes mis en place par la bourgeoisie depuis 29 sont en mesure - et de plus en plus faiblement, exactement comme un frein qui perd sa force d'avoir été trop utilisé - d'adoucir la violence croissante des convulsions. Estimer malgré cela que la bourgeoisie serait à même déclencher à volonté "reprises" et booms avant de retomber dans une nouvelle crise, c'est croire que la bourgeoisie est à même de surmonter ses contradictions aujourd'hui mortelles indéfiniment dans le temps :
"Le cycle mondial que nous avons observé de 1971 à 1975 a une période moyenne d'environ 4 à 5 ans... Dans cette hypothèse, la reprise lente au début devrait s'accélérer vers 1977 par le jeu de simultanéité du cycle économique et de l'entraînement mutuel des économies ; cette reprise devrait être d'autant plus forte que la baisse a été plus profonde et faire place vers 1978 à un nouveau boom productif". ("Programme Communiste", n° 67)
La reprise de la crise actuelle et la banqueroute dans laquelle glisse lentement l'ensemble de l'Europe après les pays du Tiers monde se sont chargées de balayer de telles jongleries pseudo-dia1ectiques sur les cyc1es "naturels" du capitalisme en décadence. On peut mettre en parallèle la vision trotskiste - et cette convergence n'est pas le fait du hasard - d'un E. Mandel : celui-ci croit déceler dans la crise de 1967-68 une "nouvelle onde longue à tonalité stagnante", voire le "résultat d'un mouvement cyclique traditionnel (septennal, décennal ou quinquennal)". Bref, les augures bordiguistes et trotskistes sont des oiseaux de bon augure pour le capitalisme agonisant, auquel ils donnent les vertus de l'immortalité.
LA "REPRISE" EST INEGALE
Les récessions dans la période de reconstruction des années 50 avaient une origine purement conjoncturelle (inégalité de la reconstruction selon les pays, poids des guerres coloniales, etc.) ; c'est pourquoi la reprise était générale et se poursuivait avec autant de régularité que de force.
Depuis l'ouverture de la phase de crise générale du capitalisme en 67, l'inverse s'est produit. La récession est devenue la règle, la reprise l'exception. De générale au niveau du monde, la reprise de 69-70 ne touche plus aujourd’hui que les pays les plus puissants économiquement, essentiellement les impérialismes dominants qui rejettent les effets de la crise sur leur zone d'influence, comme les USA ou l'URSS, qui ont bénéficié momentanément de la reprise par leur emprise renforcée sur leur propre bloc. En réalité, seuls trois pays ont connu une réelle reprise de leur production et de leur commerce extérieur : les Etats-Unis, l'Allemagne Fédérale et surtout le Japon. La fameuse "reprise" a vu en effet la chute de trois des plus grandes puissances capitalistes : l'Italie, la Grande-Bretagne, la France.
Au bout du compte, seuls les Etats-Unis sont plus à même par leur puissance à résister à la concurrence exacerbée de la RFA et du Japon, par tout un jeu de changes flottants du dollar et une série de mesures protectionnistes accompagnés de pressions politiques sur ses alliés. La faiblesse du Japon et de la RFA, dont la production dépend du maintien et même de l'accélération de leurs exportations, laisse voir, alors que les USA voient déjà leur production industrielle décliner au dernier trimestre 76 et leur chômage reprendre, qu'après avoir été internationaux en 69-70 et 72-73, les mouvements de "reprise" deviennent inégaux et purement locaux. On peut dire que, lorsqu'ils se manifestent localement, de plus en plus dans deux ou trois nations, ils prennent une forme négative, puisque la "reprise" de la production est une chute plus ralentie dans la récession, et relative, puisque la condition de cette reprise locale est l'accélération de la décomposition des économies concurrentes les plus faibles. Et, dans cette décomposition générale, ce que la bourgeoisie nomme "reprise" n'est plus qu'une capacité plus forte de freiner la chute libre de l'économie des pays les plus forts économiquement et ne correspond plus à un essor de la production industrielle et du commerce mondiaux. Dans cette nouvelle crise mortelle du capitalisme mondial, il ne peut plus y avoir d'alternance des cycles comme en phase ascendante : il n'existe qu'un seul cycle, celui de la crise permanente qui mène soit à la guerre, soit à la révolution.
Examinons plus en détail quelles mesures essayent de mettre en place le capital au niveau national et international pour freiner la décomposition rapide de l'économie.
LES "SOLUTIONS" DE LA BOURGEOISIE : EXPORTER PLUS
De l'est à l'ouest, c'est la solution miracle. En particulier, c'est la seule qui s'offre aux capitaux les plus faibles, en raison de la médiocrité de leur marché intérieur. Par exemple, en Pologne les exportations ont progressé de 30% en 1975, assurant l'essentiel du maintien du PNB. Pour l'ensemble des pays de l'est, les exportations vers la zone OCDE ont progressé de 22 % en 1970 à 30 % en 1975. Il en est de même pour l'Italie et la Grande-Bretagne où des dévaluations successives leur ont permis d'accroître le volume et la valeur de leurs exportations.
Malgré toute l'aide apportée par les différents Etats aux entreprises exportatrices, un nombre infiniment plus restreint de pays a profité de quelques mois de "reprise" par rapport à 72. Il s'agit essentiellement des pays où la productivité du travail s'est élevée notablement ou maintenu au niveau antérieur, tandis que diminuait le salaire réel des ouvriers. Cela est particulièrement vrai pour les trois grandes puissances commerciales mondiales : Japon. RFA et USA. On peut le constater au travers de l'évolution des coûts unitaires de main d'œuvre dans les industries manufacturières :
C'est grâce à sa plus grande compétitivité que le capital japonais a pu notablement améliorer ses positions au détriment des USA en devenant le premier exportateur d'acier, en s’implantant solidement en Amérique latine et en Europe dans le domaine de l'automobile et de l'électronique. Il en a été de même dans une moindre mesure pour la RFA et les USA. Néanmoins, le fait que ce maintien des exportations des capitaux les plus forts s'est opéré aux dépens des autres capitaux qui deviennent ainsi des marchés de moins en moins solvables pour les premiers entraîne en fait une diminution des marchés globaux.
La première contradiction de cette "solution" du capital se révèle aujourd'hui sous son jour le plus cru, dans l'exportation massive de capitaux. Celle-ci a pris des proportions inconnues : les investissements de la RFA et du Japon hors de leur cadre national se sont multipliés par sept depuis 1967. Ce qu'on a appelé les "multinationales" qui investissent de plus en plus hors de leurs pays d'origine, exprime en réalité le besoin du capital à réduire ses coûts de production : par une diminution de la part du capital variable incluse dans le prix de la marchandise. Cela ne peut se faire que là où le coût de la force de travail se situe en dessous de la moyenne des pays développés et où la production de marchandises ne nécessite qu'un travail simple. L'installation d'unités de production déversant les marchandises à coût inférieur sur le marché mondial ne fait que renforcer la concurrence qu'elle essayait de surmonter : selon la Far Eastern Review (15/10/76) l'implantation d'usines de montage électronique japonaises à Singapour, en Corée du Sud, a entraîné en retour une concurrence accrue sur le marché national japonais des appareils à transistors. Il en est de même jusque dans la plus grande puissance capitaliste où, en raison depuis trois ans du moindre coût salarial des ouvriers américains ([2] [115]), les succursales des multinationales européennes et japonaises prennent déjà le 1/4 des exportations américaines avec un coût d'investissement moitié moindre qu'en 1970 (Neue Zürcher Zeitung, 29 juin 76).
Cette recherche de la diminution du coût des investissements sur le marché extérieur s'est accompagnée en retour de la chute des investissements dans les grands pays industriels.
C'est pourquoi la deuxième contradiction, symétrique de la première, qui se manifeste de plus en plus au sein des pays industrialisés est la nécessité de continuer à investir productivement afin de conserver un minimum de modernisation des installations, condition même du maintien de la compétitivité des marchandises exportées. De fait les mesures de restrictions budgétaires prises et la diminution massive des profits pour le capital entraînent une diminution croissante des investissements productifs et de la recherche technique au fur et à mesure même que les marchés se réduisent :
"La faible propension à investir que l'on observe depuis des années aux USA a eu pour résultat un phénomène de vieillissement de l'appareil de production beaucoup plus rapide qu'au Japon et en RFA. Alors qu'en RFA en 1975 moins de 50% du potentiel industriel avait onze ans d'âge et plus, aux USA cette proportion était de 85% ; dans des secteurs importants tels que l'acier, le papier, l'automobile, on ne trouve plus la moindre trace d'innovation". (Der Spiegel, 29 mars 1976)
Ce qui est déjà vrai aux USA (et encore plus en Grande-Bretagne) ne fait que se répéter à une plus grande échelle dans les pays les plus faibles. Les pays qui, comme l'URSS ou la Pologne, malgré la faiblesse de leur accumulation, ou plutôt en raison de celle-ci, tentent de moderniser leur appareil de production par des investissements opérés aux prix d'un endettement extérieur systématique ne font à long terme que grever leurs marchandises du poids de plus en plus lourd de la dette extérieure. Faute de positions sur le marché mondial, ils ne font qu'accélérer leur banqueroute (et aussi celle des Etats emprunteurs qui seront à la longue dans l'incapacité de recouvrir leurs prêts).
C'est pourquoi les seuls investissements possibles sont ceux que les capitalistes appellent cyniquement de "rationalité". Nous verrons plus loin comment ceux-ci se sont manifestés sous forme d'extension du chômage et d'une exploitation accrue de la classe ouvrière.
Ainsi donc, ce que la bourgeoisie se plaît à nommer "pénurie des capitaux" ne fait que traduire l'impuissance croissante du capital, à l'est comme à l'ouest, à trouver de nouveaux débouchés. Développer l'appareil productif pour une réalisation du capital de plus en plus restreinte devient de plus en plus absurde dans le cadre du système.
Aujourd'hui, seuls les capitalismes les plus développés sont à même de freiner la chute de leurs investissements pour maintenir leurs positions antérieures et cela au prix de la destruction des capitaux les plus faibles entraînant un nouveau rétrécissement des marchés solvables.
RETOUR AUX MESURES PROTECTIONNISTES
La fin de la "reprise" remet à l'ordre du jour les vieilles recettes de la bourgeoisie en crise. Compte tenu de la situation de banqueroute qui se manifeste par une balance négative de l'ensemble des pays de l'est, des pays du Tiers-monde comme de l'OCDE (à l'exception pour le moment de la RFA et du Japon), chaque Etat essaie de protéger son marché intérieur de la concurrence par des restrictions des importations de marchandises.
Ces derniers mois, la libre circulation des produits au sein de la CEE a vécu. Récemment, la France a décidé le blocage des prix de revente des importateurs jusqu'au 31 décembre, pour lutter contre la concurrence allemande. Depuis le printemps dernier, l'Italie a institué un dépôt obligatoire de 50 % sur les importations. Pour lutter contre la concurrence japonaise, la Grande-Bretagne parle d'instituer des contingentements supplémentaires. De façon générale, tous les plans anti-inflation adopté ces dernières semaines en Europe auront pour effet de restreindre les échanges extérieurs. La CEE envisage que les échanges au sein de la Communauté passeront en valeur de 13 à 10% d'ici un an.
Dans les pays de l'est, on commence à observer la même tendance puisque par exemple, le plan quinquennal hongrois 76-80 prévoit une diminution des importations, tant du Comecon que de l'OCDE : respectivement de 9,9% par an à 6,5% et de 8,3% à 6,5% (Courrier des Pays de l'est, mai 76).
Aux USA, le paradis du "libre échange", le gouvernement a décidé en juin d'imposer un contingentement sur les importations d'acier (aciers spéciaux et aciers inoxydables). La récente imposition de quotas à l'importation d'acier, ainsi que les nombreuses enquêtes antidumping touchant les télévisions japonaises, les chaussures et l'automobile, s'inscrivent dans cette même tendance au retour à une certaine autarcie.
Néanmoins de telles mesures extrêmes ne peuvent être prises que dans des limites bien définies, compte tenu :
- d'une division internationale du travail et d'une interpénétration ou plutôt interdépendance des capitaux plus grandes que par le passé ;
- du renforcement des blocs qui exige un minimum de stabilité économique, la banqueroute d'un pays donné sous les coups de mesures protectionnistes trop brutales pouvant entraîner la banqueroute des autres économies par un effet de réaction en chaîne ;
- des leçons qu'a tirées la bourgeoisie à la suite de la crise de 29 de l'effet catastrophique d'un retour brutal des économies nationales à l'autarcie ;
- du développement de la lutte de classe depuis 68 qui impose à la bourgeoisie une certaine prudence dans la limitation des importations de biens de consommation courante (cf., par exemple, les leçons qu'a tirées la bourgeoisie polonaise à la suite des émeutes des ouvriers polonais en 70).
Il est donc à prévoir que pendant une période encore on va voir ces mesures protectionnistes s'accompagner de marchandages sur les quotas d'exportation et de "compensations mutuelles" ([3] [116]). Cependant, la limitation graduelle des échanges ne peut que reporter le krach inévitable de l'économie mondiale à une échelle beaucoup plus élargie. D'autre part les "aides" massives accordées par les banques centrales aux économies défaillantes, en déclenchant de nouvelles vagues d'hyperinflation risquent à plus ou moins long terme de déclencher une banqueroute financière généralisée à mesure que la permanence de la crise entraîne des mouvements de panique au sein de la bourgeoisie de plus en plus incontrôlables.
CAPITALISME D'ETAT ET AUSTERITE
Toutes les mesures de "re1ance" prises par les différents Etats nationaux, ainsi que la part de plus en plus importante prise par l'Etat pour favoriser les exportations et freiner les importations sur le marché déclinant national, s'inscrivent tout naturellement dans la prise en charge de l'ensemble de l'économie par l'appareil étatique, ultime béquille du système.
La tendance au capitalisme d'Etat qui a abouti dans les pays de l'est et dans la plupart des pays du tiers monde à un contrôle total de l'économie (Pérou, Algérie, Chine, etc.), dans tous les pays où le capitalisme se trouve dans un état de débilité et de stagnation endémiques, s'est considérablement accrue ces dernières années dans les pays où l'économie se trouvait en situation de force sur le marché mondial. La venue de la gauche au pouvoir en Europe, afin de prendre des mesures de nationalisations permettant de contrôler l'ensemble de l'économie par un appareil centralisé se montre de plus en plus inévitable dans les mois à venir. L'apparition répétée de "scandales" dans l'ensemble des pays d'Occident peut être interprétée comme des pressions de plus en plus intenses d'une fraction croissante de la bourgeoisie sur les secteurs les plus rétrogrades ou les plus développés du capital afin de se plier à la nécessité d'un contrôle de plus en plus énergique des grandes sociétés capitalistes par l'Etat. Là où le capital est traditionnellement le plus puissant (Japon, USA), cette tendance s'exerce essentiellement par des mouvements de plus en plus rapides de concentration, largement favorisés par l'Etat au moyen "d'aides" diverses. Ainsi, aux USA même, rien qu'entre janvier et avril 76, le nombre des fusions est monté à 264, soit 40% de plus que durant la même période en 1975. Aux USA encore, une fraction croissante de la classe capitaliste n'hésite plus à envisager comme une très forte probabilité la planification de l'économie. En avril 76, le président de la Commission des voies et des moyens de la Chambre des représentants devait déclarer :
"L'expression "planification économique" est considérée dans certains milieux comme un drapeau rouge que l'on déploie face à l'entreprise privée et évoque l'image de commissaires soviétiques ; il serait absurde qu'un gouvernement puisse planifier dans tous ses détails le système complexe de l'offre et de la demande, mais il le serait encore plus de prétendre que le gouvernement n'a aucune responsabilité dans la prévision et qu'il n'a pas à prendre de mesures intelligentes pour éviter les dangers et même le désastre." (Cité par Hiscox : "Analyse de la crise aux Etats-Unis", Critique de l'économie politique, n°24-25)
Même dans les pays de capitalisme d'Etat, cette tendance se poursuit par la mise en route de plans tendant, comme en Russie, à liquider la petite propriété paysanne et à regrouper les terres dans des complexes agro-industriels, après les catastrophes agricoles successives. C'est ainsi que le CC du PCUS a fait paraître un arrêté en date du 2 juin 76 sur le "développement de la spécialisation et de la concentration agricoles sur la base de la coopération interentreprises et de l'intégration agro-industrielle" qui va dans ce sens (cf. Courrier des pays de l'est, juillet-août 76). De même, ces dernières années la fusion du capital par des concentrations horizontales et verticales s'est particulièrement accélérée : cette fusion du capital avec l'Etat rendue plus étroite par ces mesures a permis en 1976 le développement des unions industrielles regroupant des entreprises jadis autonomes (leur nombre monte maintenant à 2300, d'après le discours de Kossyguine au XXVème congrès du PCUS).
Ces mesures de "rationalisation" de l'économie face à la crise s'accompagnent de mesures d'austérité sans précédent tendant à rendre "bon marché" pour l'accumulation un Etat lourdement paralysé par des déficits budgétaires de plus en plus vertigineux. En 1975, conséquences des mesures de relance après la récession, ils atteignaient des sommets jusqu'ici inconnus : 70 milliards de dollars aux USA ; 35 milliards de dollars en RFA ; 10 milliards au Japon, etc.
Avec la fin de la reprise, l'OCDE prévoit et conseille (!) à ses membres de réduire les déficits budgétaires, qui selon elle devait régulièrement se réduire dès 1977. Cela vise plus particulièrement "les services" (sécurité sociale dont les cotisations sont partout relevées) faisant partie des salaires des ouvriers. A New York, les mesures de "rationalisation" des services municipaux se sont soldées le 1er juillet 76 par la suppression de 36.000 emplois, tandis que dans d'autres grandes villes étaient décidés des licenciements massifs, un accroissement des impôts et une réduction draconienne de l'aide sociale. De même, de la France à l'Italie en passant par la Pologne, sont prises des mesures de blocages de salaires accompagnées d'augmentations d'impôts ; en Pologne, le gouvernement a décidé d'office de prélever une part des dépôts des caisses d'épargne pour subventionner la construction de logements.
PAUPERISATION CROISSANTE DU PROLETARIAT
Ces dernières années ont vu croître notablement le taux d'exploitation du prolétariat par un développement convulsif de la productivité, pour les ouvriers conservant leur poste de travail. A cette augmentation du taux d'exploitation par l'extraction de la plus-value relative s'est ajoutée l'exploitation absolue par l'augmentation des heures travaillées supplémentaires.
A cette paupérisation relative du prolétariat, permanente à chaque instant de l'existence du système capitaliste, s'est cumulée l'extension croissante de la paupérisation absolue. Niée hier par les réformistes quand les crises cycliques s'abattaient sur la grande masse du prolétariat et aujourd'hui par la gauche du capital alors que la crise est devenue permanente, elle a fini par toucher l'ensemble de la classe. Limitée pendant la période de reconstruction aux pays du Tiers-monde et de l'est européen, elle englobe aujourd'hui l'immense masse du prolétariat mondial :
- sous la forme d'un chômage constant depuis plusieurs années qui touche maintenant pour l'OCDE 20 millions d'ouvriers, pour les pays du Tiers-monde au moins 20 % de la population active et pour les pays de l'est, où il est souvent dissimulé par les camps de travail, quand il n'est pas officiellement reconnu (il y avait 600.000 chômeurs en Pologne avant les évènements de 1970, selon Contemporary Po1and, septembre 71). De plus en plus, cette masse immense de chômeurs tend à atteindre le seuil de misère physiologique à mesure que les gouvernements diminuent leurs aides (déjà misérables) aux sans-travail. Si ce seuil de misère physiologique varie en fonction des pays (salaire historique des différentes classes ouvrières) quantitativement, qualitativement il tend à être atteint ou même franchi (comme le montre d'ailleurs les enquêtes de l'OCDE sur la "pauvreté") dans l'ensemble du monde capitaliste touché par la crise. 80 % des chômeurs frappés par la crise n'ont pu retrouver un travail fixe pendant la "reprise", essayant plus ou moins de vivre par le travail "au noir". Ceci devient déjà de moins en moins possible. La classe capitaliste parle non seulement de diminuer son "aide sociale" mais de créer des chantiers de travail. En Belgique, par exemple, le ministre du travail a projeté de contraindre les chômeurs à trois journées de travail gratuit par semaine sous peine de suppression immédiate de ces "aides".
- sous la forme de la diminution du salaire réel qui se manifeste tant dans la diminution des prestations de services (allocations familiales, sécurité sociale, etc.) que dans la décroissance du pouvoir d'achat atteint de plus en plus lourdement par l'inflation galopante. Les statistiques officielles du Département of Commerce révèle que le salaire réel moyen des salariés ayant du travail a baissé de plus de 10 % entre 1972 et 1975 aux USA mêmes. Toujours selon les statistiques officielles des ministères du travail ou patronales, on peut calculer qu'en France, au Japon, en Grande-Bretagne, en moins d'un an, de 1974 à 1975, le salaire réel a chuté en moyenne de plus de 6%. Cette chute s'est montrée plus ou moins forte dans les différents pays touchés par la crise en fonction de la résistance plus ou moins forte de la classe ouvrière aux attaques massives du capital ; par exemple, en Pologne, c'est tout récemment que les ouvriers viennent de subir des réductions massives de leur salaire réel, alors que l'insurrection de 1970 avait contraint le gouvernement polonais à s'endetter massivement auprès des USA et de l'URSS afin de mouiller la poudre par une hausse nominale de 40% des salaires en cinq ans ( Le Monde Diplomatique, octobre 1976), ce qui explique en grande partie la situation de banqueroute du capital polonais aujourd'hui qui comprend que "produire plus" signifie "consommer moins".
Cette situation d'aggravation des conditions de vie de la classe ouvrière n'a fait d'ailleurs que s'aggraver avec la "reprise" qui s'est accompagnée de blocages de salaires, alors que l'inflation se faisait toujours plus convulsive avec les techniques de "relance" mises en œuvre. Tout le mensonge de la "reprise" tient là.
Le retour de la paupérisation absolue qu'on croyait définitivement bannie "des sociétés industrielles" donne aujourd'hui tout son sens à l'analyse de Rosa Luxembourg faite il y a presque 70 ans :
"Les couches les plus basses de miséreux et de réprouvés qui ne sont que faiblement ou pas du tout employées ne sont pas un rebut qui ne compterait pas dans la société "officielle", comme bien entendu la bourgeoisie les présente ; elles sont liées par des liens intimes à la couche supérieure des ouvriers d'industrie les mieux situés, au travers de tous les membres intermédiaires de l'armée de réserve. L'existence des couches les plus basses du prolétariat est régie par les mêmes lois de la production capitaliste qui la gonflent ou la réduisent et le prolétariat ne forme un tout organique, une classe sociale dont les degrés de misère et d'oppression permettent de saisir la loi capitaliste des salaires dans son ensemble que si on englobe les ouvriers ruraux et l'armée de réserve de chômeurs avec toutes ses couches, depuis la plus haute jusqu'aux plus basses."
(Rosa Luxembourg, "Introduction à l'économie politique")
La paupérisation de la classe n'implique donc nullement son écrasement ou son atomisation ; la paupérisation absolue, loin de se traduire par la décomposition organique de la classe exploitée, comme ce fut le cas dans les périodes de déclin des systèmes esclavagistes et féodal, est l'affirmation organique de toute une classe, la classe historique contrainte de s'affirmer révolutionnairement ou de disparaître par la guerre dans la destruction de l'ensemble de l'humanité.
PERSPECTIVES
Dans un récent rapport établi à l'issue d'un conseil des principaux ministres de l'O.C.D.E. en juin 1976, la bourgeoisie mondiale a imaginé des "scénarii" (la bourgeoisie ne parle plus de prévisions étant donné la faillite de plus en plus grandissante du capitalisme d'Etat)... de croissance. Elle estime :
- que la croissance jusqu'à 1980 devra être modérée (pas plus de 5 % annuel) afin d'éviter une nouvelle vague d'inflation qui pourrait faire sombrer le système monétaire et financier international dans la banqueroute après une "reprise" trop forte. Ainsi la bourgeoisie qui avait développé historiquement les forces productives et en avait tiré tout son orgueil de classe conquérante avoue aujourd'hui que sa condition de survie consiste maintenant à "contenir le risque d'une croissance excessive des profits" et à éviter "le risque que la vigueur des forces expansionnistes à l’œuvre soit sous estimée" (OCDE, juin 1976) ;
- que "la croissance entre 1975 et 1980 ne pourra se produire que si la progression des salaires n'atteint pas un rythme tel qu'elle compromette la progression de la productivité et décourage l'investissement". Autrement dit le ralentissement de la décroissance dépend maintenant de la limitation de la lutte de classe. La bourgeoisie commence à comprendre que la survie de son système tient maintenant dans les mains de la classe prolétarienne.
Néanmoins la crise actuelle se développe encore lentement. A la différence de 1929, le krach de l'économie ne s'étend pas des nations les plus puissantes aux plus fragiles (des USA à l'Allemagne de 1929 à 1932) mais inversement des centres les moins développés aujourd'hui (Italie, Grande-Bretagne, France) vers le cœur du capitalisme (USA, Japon, Allemagne, URSS), selon un processus lent dû au fait que la chute des économies faibles s'accompagne momentanément du relatif renforcement de leurs rivaux les plus forts. Compte tenu de la disparition graduelle de phases de reprise et du soutien par le capital mondial de ses fractions en état de banqueroute, par une croissance de plus en plus rapide du capital fictif, la moindre résistance de la bourgeoisie aux mouvements de panique qui se font de plus en plus jour en son sein (et ce malgré tous les organismes internationaux dont elle s'est dotée depuis 1945 pour assurer une cohésion dans les rangs des différents capitaux nationaux) laissent planer la menace d'une banqueroute générale du système sur la tête d'une classe bourgeoise de plus en plus apeurée.
Ce sont ces deux facteurs (lutte de classe, panique croissante de la bourgeoisie) qui parallèlement déterminent la survie du système.
Présentation sur la période de transition
Dans la plate-forme du CCI, adoptée au premier congrès du CCI de janvier 1976, le point concernant les rapports entre prolétariat et Etat dans la période de transition est resté "ouvert" :
"L'expérience de la révolution russe a fait apparaître la complexité et la gravité du problème posé par les rapports entre la classe et l'Etat de la période de transition. Dans la période qui vient, les révolutionnaires ne pourront pas esquiver ce problème mais devront y consacrer tous les efforts nécessaires pour le résoudre". (Plate-forme du CCI, point XV sur la dictature du prolétariat)
C'est dans le cadre de cet effort que s'inscrit la décision du deuxième congrès de RI d'aborder cette question et de tenter de parvenir à une résolution faisant le point de l'état de ces discussions sur ce problème.
Mais la question abordée est d'ordre programmatique. La plate-forme du CCI étant depuis le premier congrès la seule base programmatique pour toutes les sections du Courant, il va de soi que seul le congrès général du CCI a compétence pour décider de l'opportunité et du contenu d'un éventuel changement de la plate-forme.
En se prononçant sur une résolution sur la période de transition, le deuxième congrès de RI ne modifie donc pas les bases programmatiques de RI (pas plus que n'importe quelle section du CCI, RI n'a pas da bases programmatiques distinctes de celles du CCI).
Le congrès ne fait que faire le point sur l'effort réalisé au sein de RI dans la tâche de l'approfondissement de cette question afin de mieux l'inscrire dans l'effort global de l'ensemble du Courant.
LES LIMITES DE L'APPORT POSSIBLE
Afin de mieux pouvoir se repérer dans la complexité des problèmes de la période de transition, on peut regrouper ces derniers autour de trois sujets de préoccupation, distingués ici uniquement pour tenter de rendre plus commode la présentation de l'analyse :
- les spécificités générales qui distinguent globalement les fondements de la période de transition du capitalisme au communisme de ces deux genèses des autres systèmes qui l'ont précédée dans l'histoire;
- les rapports entre la classe révolutionnaire et le reste de la société au cours de la période de transition, c'est-à-dire les problèmes posés par la compréhension de ce qu'est la "dictature du prolétariat" et, par conséquent, ce que doit être le rapport entre la classe révolutionnaire et l'Etat dans la période de transition ;
- enfin, les questions concernant l'ensemble des mesures "économiques" concrètes de transformation de la production sociale.
Le travail d'analyse des révolutionnaires ne saurait manquer à la tâche d'apporter des réponses à l'ensemble de ces problèmes. Cependant, depuis que Marx et Engels jetèrent les bases du "matérialisme scientifique", les révolutionnaires savent que, sous peine de se perdre dans des spéculations à la recherche de ce que Marx appelait avec mépris "des recettes pour les marmites de l'avenir", ils doivent être conscients des limites immenses que leur imposent les limites mêmes de l'expérience prolétarienne dans ce domaine.
C'est l'ampleur de ces limites que Marx soulignait en 1875 dans sa critique du programme de Gotha en écrivant:
"Quelle transformation subira l'Etat dans une société communiste ? Quelles fonctions sociales s'y maintiendront qui soient analogues aux fonctions actuelles de l'Etat ? Cette question ne peut être résolue que par la science et ce n'est pas en accouplant de mille façons le mot peuple avec le mot Etat qu'on fera avancer le problème d'un seul saut de puce".
C'est la même conscience que R. Luxembourg exprimait en 1918 dans sa brochure sur la révolution russe :
"Bien loin d'être une somme de prescriptions toutes faites, qu'on n'aurait qu'à mettre en application, la réalisation pratique du socialisme comme système économique, social et juridique est une chose qui réside dans le brouillard de l'avenir. Ce que nous possédons dans notre programme, ce ne sont que quelques grands poteaux indicateurs montrant la direction dans laquelle les mesures à prendre doivent être recherchées, indications d'ailleurs surtout de caractère négatif. (…) (Le socialisme) a pour condition préalable une série de mesures violentes contre la propriété, etc. Ce qui est négatif, la destruction, on peut le décréter ; ce qui est positif, la construction, non. Terre vierge. Problèmes par milliers. Seule l'expérience est capable de faire les corrections et d'ouvrir des chemins nouveaux".
Outre cette limite d'ordre général, la résolution est consciemment limitée par l'objet qu'elle se donne. Elle ne prétend pas faire une synthèse de tout ce qui a pu être dégagé par les révolutionnaires sur la période de transition. En particulier, la résolution n'aborde pas la question des mesures économiques de transformation de la production sociale. Elle regroupe d'une part des positions acquises de longue date par le mouvement ouvrier (avant l'expérience de la révolution russe) et qui se sont confirmées comme de véritables frontières de classe ; d'autre part, des positions concernant les rapports entre la dictature du prolétariat et l'Etat de la période transition, dégagées principalement de la révolution russe et qui, si elles ne constituent pas par elles-mêmes des frontières de classe, n'en reposent pas moins sur une base historique suffisamment développée pour être partie intégrante des bases programmatiques d'une organisation révolutionnaire.
Les positions de classe fondamentales : inéluctabilité de la période de transition ; primauté du caractère politique de l'action du prolétariat comme condition et garantie de la transition vers la société sans classes ; caractère mondial de cette transformation ; spécificité du pouvoir de la classe ouvrière, en particulier le fait que le prolétariat, contrairement aux autres classes révolutionnaires de l'histoire, au lieu d'affirmer son pouvoir politique afin de consolider une position de classe dominante économiquement, position qu'il ne possèdera jamais, agit pour l'élimination de toute domination économique de classe par l'abolition des classes elles-mêmes ; impossibilité pour le prolétariat de se servir de l'appareil d'Etat bourgeois et nécessité de la destruction de ce dernier comme condition première du pouvoir politique prolétarien ; inéluctabilité de l'existence d'un Etat pendant la période transition, bien que profondément différent des Etats qui ont précédemment existé dans l'histoire.
Toutes ces positions constituent déjà par elles-mêmes un rejet catégorique de toutes les conceptions social-démocrates, anarchistes, autogestionnaires et modernistes qui, si elles ont sévi dans le mouvement ouvrier depuis ses premiers temps, ne servent pas moins aujourd'hui de piliers idéologiques de la contre révolution.
c'est sur la base de ces positions de classe fondamentales que la résolution dégage, principalement à partir de l'expérience de la révolution russe, des indications sur le problème du rapport entre prolétariat et Etat dans la période de transition au cours de la dictature du prolétariat : il en est ainsi de la compréhension du caractère inévitablement conservateur de l'Etat de transition ; de l'impossibilité d'identification du prolétariat ou de son parti avec cet Etat ; de la nécessité pour la classe ouvrière de concevoir ses rapports avec cet Etat auquel elle participe en tant que classe politiquement dominante, comme des rapports de force : "la domination de la société, c'est aussi sa domination sur l'Etat" ; nécessité de l'existence et du renforcement (armé) des organisations propres et spécifiques à la classe ouvrière (seule classe organisée comme telle dans la société), organisations sur lesquelles l'Etat ne peut avoir aucun pouvoir de coercition.
Ces indications affirment un rejet des conceptions qui ont pu servir de base mystificatrice à la "contre révolution qui se développe en Russie sous la direction du parti bolchevik dégénérant" et sont reprises aujourd'hui par l'ensemble des courants staliniens et trotskistes comme fondement théorique de la présentation du capitalisme d'Etat comme synonyme de socialisme.
Elles constituent donc un véritable garde-fou contre un ensemble de conceptions erronées que devra rencontrer demain le prolétariat dans son assaut mondial contre le capitalisme.
Cependant, aussi importantes que puissent être demain les conséquences de ces positions dans la lutte prolétarienne, il est nécessaire de comprendre aujourd'hui les limites réelles de cet apport :
Les expériences historiques sur lesquelles sont fondées ces positions, concernant les rapports classe-Etat de transition, demeurent encore trop peu nombreuses, trop spécifiques, pour que les conclusions qui en sont tirées puissent être considérées aujourd'hui par les révolutionnaires comme des frontières de classe, c'est-à-dire des positions qui constituent des parties clairement définies de la ligne de démarcation qui sépare le camp bourgeois du camp prolétarien. Les frontières de classe ne peuvent être appréhendées et définies par les révolutionnaires en fonction d'une expérience historique insuffisante ou de leur appréciation de l'avenir, mais sur une base expérimentale, fournie par l'histoire même des luttes prolétariennes, qui soit suffisamment nette et claire pour permettre d'en dégager des enseignements indiscutables.([4] [117])
Il faut donc souligner ici le caractère expressément limité des points que nous pouvons considérer acquis sur cette question : le rejet de l'identification du prolétariat ou de son parti avec l'Etat de transition ; la définition de la dictature du prolétariat par rapport à l'Etat comme une dictature de classe sur l'Etat et en aucun cas de l'Etat sur la classe ; la mise en avant de l'autonomie des organisations propres du prolétariat par rapport à l'Etat comme condition première d'une véritable autonomie et d'un véritable épanouissement de la dictature du prolétariat.
Ces points restent abstraits et généraux. Ils ne constituent que "quelques grands poteaux indicateurs montrant la direction dans laquelle les mesures à prendre doivent être recherchées, indicateurs d'un caractère souvent négatif". Les formes précises dans lesquelles ils pourront se concrétiser restent encore "terre vierge" que seule l'expérience permettra de défricher.
C'est une condition d'efficacité de l'organisation révolutionnaire que de savoir appréhender non seulement ce qu'elle sait et peut savoir, mais aussi ce qu'elle sait ni ne peut encore savoir. Il y va de sa capacité à savoir élaborer une véritable rigueur programmatique ainsi qu'à savoir faire siens à temps, dans l'action de la classe, les apports fondamentaux que seule la pratique vivante de la classe ouvrière peut fournir.
LE PROBLEME DU RAPPORT CLASSE-ETAT DE LA PERIODE DE TRANSITION DANS L'HISTOIRE DU MOUVEMENT OUVRIER
La méconnaissance généralisée de l'histoire du mouvement ouvrier, aggravée par la rupture organique qui sépare les révolutionnaires aujourd'hui des anciennes organisations politiques de la classe, ont pu faire paraître, dans certains cas, l'analyse sur laquelle nous nous prononçons aujourd'hui comme une "trouvaille", une "originalité" du CCI. Un rappel, même extrêmement bref et sommaire de la façon dont le problème a été abordé (il faudrait presque dire "découvert") par les révolutionnaires depuis Marx et Engels suffira à démontrer la fausseté d'une telle vision.
Dans le "Manifeste communiste" de Marx et Engels, qui n'emploie pas encore la formule de "dictature du prolétariat", "le premier pas dans la révolution ouvrière" est défini comme "la montée du prolétariat au rang de classe dominante, la conquête de la démocratie". Cette conquête n'est autre, en fait, que celle de l'appareil d'Etat bourgeois que le prolétariat devrait utiliser pour "arracher peu à peu toute espèce de capital à la bourgeoisie, pour centraliser tous les instruments de la production dans les mains de l'Etat - du prolétariat organisé en classe dominante - et pour accroître le plus rapidement possible la masse des forces productives". Même si l'idée de l'inévitable disparition de tout Etat est déjà établie depuis "Misère de la Philosophie", même si l'inévitabilité de l'existence d'un Etat pendant les "premiers pas de la révolution ouvrière" est présente, le problème même du rapport entre classe ouvrière et Etat de la période de transition n'est qu'à peine entrevu.
C'est avec la Commune de Paris et son expérience que le problème commence réellement à être perçu au travers des leçons que Marx et Engels en dégagent : nécessité de la destruction de l'appareil d'Etat bourgeois par le prolétariat, mise en place d'un appareil tout différent qui "n'est plus un Etat au sens propre du mot" (Engels), dans la mesure où il n'est plus un organe d'oppression de la majorité par la minorité. Un appareil dont le caractère de poids hérité du passé est clairement souligné par Engels qui en parle comme d'un fléau, un fléau dont le prolétariat hérite dans sa lutte pour arriver à sa domination de classe mais dont il devra, comme l'a fait la Commune et dans la mesure du possible, atténuer les effets, jusqu'au jour où une génération élevée dans une société d'hommes libres et égaux pourra se débarrasser de tout ce fatras gouvernemental. (Préface de "la Guerre civile en France")
Cependant, malgré l'intuition de la nécessité pour le prolétariat de développer toute sa méfiance envers cet appareil hérité du passé (le prolétariat, écrivait Engels, "avait à prendre des précautions contre ses propres subordonnés et ses propres fonctionnaires en les déclarant sans exception et en tout temps amovibles") et du fait que la très courte et circonscrite expérience de la Commune de Paris ne pouvait pas poser le problème des rapports entre le prolétariat, l'Etat et les autres classes non exploiteuses de la société, une des idées majeures qui fut dégagée de la Commune, fut celle de l'identification de la dictature du prolétariat avec l'Etat de la période de transition. Ainsi, trois ans après la Commune de Paris, Marx écrivait dans sa "Critique du _programme de Gotha" :
"Entre la société capitaliste et la société communiste, se situe la période de transformation révolutionnaire de l'une en l'autre. A cette période correspond également une phase de transition politique, où l'Etat ne saurait être autre chose que la dictature révolutionnaire du prolétariat."
C'est cette base théorique que Lénine reformula dans le concept de "l'Etat prolétarien" dans "l'Etat et la Révolution", c'est sur elle que les bolcheviks et le prolétariat russe instaurèrent la dictature du prolétariat en 1917.
Les conditions dans lesquelles dut se dérouler cette tentative prolétarienne, par le fait même qu'elles cumulaient les plus grandes difficultés pour le maintien d'un pouvoir prolétarien (écrasante majorité de paysans dans la société, nécessité de soutenir immédiatement une guerre civile impitoyable, isolement international de la Russie, faiblesse extrême de l'appareil productif détruit par la Première Guerre mondiale puis par la guerre civile), toutes ces conditions eurent pour résultat de faire éclater dans toute son ampleur le problème du rapport entre dictature du prolétariat et Etat.
La dure réalité des faits devait démontrer qu'il ne suffisait pas de baptiser l'Etat "prolétarien" pour que celui-ci agisse en fonction des intérêts révolutionnaires du prolétariat ; qu'il ne suffisait pas de placer le parti prolétarien à la tête de l'Etat (au point de s'identifier complètement avec lui) pour que la machine étatique suivit le cours que les révolutionnaires les plus dévoués voulaient lui imprimer.
L'appareil d'Etat, la bureaucratie d'Etat ne pouvait pas être l'expression des seuls intérêts de la classe prolétarienne. Appareil chargé de la survie de la société, il ne pouvait exprimer que les intérêts de la survie de l'économie moribonde russe. Ce que les marxistes répètent depuis les premiers temps se vérifiait dans toute sa puissance : les impératifs de la survie économique s'imposaient impitoyablement à la politique de l'Etat. Et l'économie était loin de pouvoir être influencée en quoi que ce soit en un sens prolétarien.
Lénine devait constater cette impuissance clairement lors du XXIème congrès du Parti, un an après le début de la NEP :
"Apprenez donc, communistes, ouvriers, partie consciente du prolétariat qui s'est chargée de diriger l'Etat, apprenez à faire en sorte que l'Etat que vous avez entre vos mains agisse selon votre gré... l'Etat reste entre vos mains mais est-ce qu'en fait de politique économique il a marché selon vos désirs ? NON ! ... Comment a-t-il donc marché ? La machine vous glisse sous la main : on dirait qu'un autre homme la dirige, la machine court dans une autre direction que celle qu'on lui a tracée".
L'identification du parti prolétarien avec l'Etat n'aboutit pas à la soumission de l'Etat aux intérêts révolutionnaires du prolétariat, mais au contraire à la soumission du parti aux intérêts de l'Etat russe. C'est ainsi que sous la pression des impératifs de la survie de l'Etat russe (dans lequel les bolcheviks voyaient l'incarnation même de la dictature du prolétariat - il s'agissait de la sauvegarde du "bastion prolétarien"), le parti bolchevik finit par soumettre la tactique de l'IC aux intérêts de la Russie (alliances avec les grands partis social-chauvins européens en vue de tenter de faire relâcher le "cordon sanitaire" qui étouffait la Russie) ; c'est sous cette pression que fut signé le traité de Rapallo avec l'impérialisme allemand ; c'est aussi pour éviter l'affaiblissement du pouvoir de l'appareil d'Etat "prolétarien" (et en son nom) que furent écrasés les insurgés de Kronstadt par l'Armée rouge.
Quant aux masses ouvrières, si l'identification de leur parti avec l'Etat avait abouti à les amputer de leur avant-garde, au moment même où elles en avaient le plus besoin, l'idée de l'identification de leur pouvoir avec l'Etat ne servit qu'à les rendre impuissantes et confuses devant l'oppression croissante de la bureaucratie étatique. ([5] [118])
La contre-révolution qui réduisait en cendres la dictature du prolétariat avait surgi de l'organe même que les révolutionnaires avaient pendant des décennies cru pouvoir identifier avec la dictature du prolétariat.
Le long processus de dégagement des leçons de l'expérience russe commença dès les débuts de la révolution elle-même.
Dans une confusion inévitable, en s'attaquant à des aspects parcellaires, sans pouvoir toujours saisir le fond même des problèmes au milieu des tourbillons d'une révolution dont les traits de dégénérescence se développaient à ses tous débuts, surgirent les premières réactions théoriques. Les critiques de Rosa Luxembourg dès 1918 dans sa brochure sur la révolution russe contre l'identification de la dictature du prolétariat avec celle du parti, tout comme sa critique de toute limitation par l'Etat de la vie politique de la classe ouvrière, portaient en elles déjà des bases de la critique de l'identification du prolétariat avec l'Etat de la période de transition. Rosa Luxembourg, malgré le fait de considérer toujours l'Etat de transition comme un "Etat prolétarien", malgré la subsistance de l'idée de "la conquête du pouvoir par le parti socialiste", dégage ce qui constitue le seul moyen réel d'atténuer les fâcheux effets du "fléau Etat" dont parlait Engels :
"L'unique moyen efficace que puisse avoir en main la révolution prolétarienne, ce sont, ici comme toujours, des mesures radicales de nature sociale et politique, une transformation aussi rapide que possible, les garanties sociales d'existence chez la masse et le déploiement de l'idéalisme révolutionnaire, qui ne saurait se maintenir durablement que par une vie immensément active des masses dans une liberté politique illimitée".
En Russie et au sein même du parti bolchevik, le développement de la bureaucratisation de l'Etat et donc de l'antagonisme entre prolétariat et pouvoir étatique provoqua dès les premières années la naissance de réactions telles celle du groupe d'Ossinsky ou plus tard du "groupe ouvrier" de Miasnikov qui, en mettant en question la bureaucratie soulevait déjà, même de façon confuse, le problème de la nature de l'Etat et des rapports entre classe et Etat de la période de transition.
Mais c'est probablement dans la polémique qui opposa Lénine et Trotski au Xème congrès du Parti, sur la question des syndicats, que la question de la nature de l'Etat fut posée de la façon la plus aiguë. En effet, contre Trotski qui défendait l'idée d'une plus grande intégration des syndicats ouvriers dans l'appareil d'Etat afin de mieux affronter les difficultés économiques, Lénine opposa la nécessité de sauvegarder l'autonomie de ces organisations de classe afin que les ouvriers puissent se défendre "des abus néfastes de la bureaucratie étatique". Lénine en arriva jusqu'à affirmer que l'Etat n'était pas "ouvrier, mais ouvrier et paysan avec de nombreuses déformations bureaucratiques". Même s'il est certain que ces débats étaient menés au milieu d'une confusion généralisée (pour Lénine, les divergences avec Trotski ne portaient pas sur des questions de principe mais résultaient de considérations contingentes), ils n'en étaient pas moins d'authentiques expressions de la recherche dans le prolétariat de réponses au problème des rapports entre sa dictature et l'Etat.
Les Gauches hollandaise et allemande, après avoir réagi dans le prolongement de Rosa Luxembourg au développement de la bureaucratie d'Etat contre le prolétariat en Russie et ayant eu à affronter les problèmes de la dégénérescence de la politique internationale de l'IC, furent aussi amenées à développer la critique de ce qu'elles appelèrent : le socialisme d'Etat. Cependant, le travail d'Appel fait en collaboration avec la gauche hollandaise sur les "Principes de base de la distribution communiste" aborda surtout la question de la période de transition du point de vue économique, les développements sur l'aspect politique demeurant essentiellement une réaffirmation des idées fondamentales de R. Luxembourg.
C'est surtout avec les travaux de la gauche italienne en Belgique et en particulier les articles de Mitchell publiés à partir du n°28 de mars-avril 1936 de la revue Bilan que les bases théoriques pour une compréhension plus profonde du problème ont été posées : tout en restant sur la base théorique "léniniste" de la quasi identité entre parti et classe, Bilan fut le premier à affirmer nettement le caractère néfaste de toute identification de la dictature du prolétariat avec l'Etat de la période de transition et à souligner parallèlement l'importance de l'autonomie de la classe et de son parti par rapport à cet Etat :
"Mais l'Etat soviétique ne fut pas considéré par les bolcheviks, au travers des terribles difficultés contingentes, essentiellement comme un "fléau dont le prolétariat hérite et dont il devra atténuer les plus fâcheux effets", mais comme un organisme pouvant s'identifier complètement avec la dictature prolétarienne, c'est-à-dire le Parti.
D'où résulta cette altération principale que le fondement de la dictature du prolétariat, ce n'était pas le parti, mais l'Etat qui, par le renversement des rapports qui s'ensuivit, se trouva placé dans des conditions d'évolution aboutissant non à son dépérissement mais au renforcement de son pouvoir coercitif et répressif. D'instrument de la révolution mondiale, l'Etat prolétarien était inévitablement appelé à devenir une arme de la contre-révolution mondiale.
Bien que Marx, Engels et surtout Lénine eussent maintes fois souligné la nécessité d'opposer à l'Etat son antidote prolétarien, capable d'empêcher sa dégénérescence, la Révolution Russe, loin de d'assurer le maintien et la vitalité des organisations de classe du prolétariat, les stérilisa en les incorporant à l'appareil d'Etat et ainsi dévora sa propre substance ".
L'analyse de Bilan porte encore des hésitations et des faiblesses, en particulier en ce qui concerne l'analyse de la nature de classe de l'Etat de la période de transition, considéré comme "Etat prolétarien".
Ces hésitations et ces insuffisances, normales, seront dépassées par les analyses d'Internationalisme en 1945 (voir article "la nature de l'Etat et la révolution prolétarienne" republié dans le n°1 du "Bulletin d'étude et de discussion" de RI, janvier 1973). Internationalisme affirme déjà de façon nette et se fondant sur des critères d'analyse objective de la nature économique et politique de la période de transition, la nature non prolétarienne et antisocialiste de l'Etat de la période de transition:
"L'Etat, dans la mesure où il est reconstitué après la révolution, exprime l'immaturité des conditions de la société communiste. Il est la superstructure politique d'une structure économique non encore socialiste. Sa nature reste étrangère et opposée au socialisme. De même que la phase transitoire est une inévitabilité historique objective par laquelle passe le prolétariat, de même l'Etat est un instrument de violence inévitable pour le prolétariat dont il se sert contre les classes dépossédées mais avec lequel il ne peut s'identifier. (...)
L'expérience russe a mis particulièrement en évidence l'erreur théorique de la notion d'Etat ouvrier, de la nature de classe prolétarienne de l'Etat et de l'identification de la dictature du prolétariat avec l'utilisation, par le prolétariat, de l'instrument de coercition qu'est l'Etat."
Internationalisme dégage de l'expérience de la révolution russe la nécessité vitale pour le prolétariat de savoir exercer un contrôle strict et permanent sur cet appareil d'Etat toujours prêt à devenir au moindre recul la force principale de la contre-révolution :
"L'histoire et l'expérience russe ont démontré qu'il n'existe pas d'Etat prolétarien proprement dit, mais un Etat entre les mains du prolétariat, dont la nature reste antisocialiste et qui, dès que la vigilance politique du prolétariat s'affaiblit, devient la place forte, le centre de ralliement et l'expression des classes dépossédées du capitalisme renaissant."
Encore imprégné de certaines des conceptions de la gauche italienne, dont il est issu, notamment en ce qui concerne la question du parti et des syndicats, mais se plaçant déjà dans la vision claire de la classe ouvrière comme véritable sujet de la révolution, Internationalisme affirme enfin la nécessité de la plus totale liberté politique de la classe et de ses organes unitaires (qu'il considère encore comme pouvant être les syndicats) par rapport à l'Etat, soulignant la condamnation de toute violence de ce dernier sur les premiers. Il est le premier aussi à établir une véritable cohérence entre les problèmes politiques et les problèmes économiques qui se posent pendant cette période :
"Cette phase transitoire du capitalisme au socialisme, sous la dictature politique du prolétariat, se traduit sur le terrain des rapports économiques par une politique énergique tendant à diminuer l'exploitation de la classe, d'augmenter constamment la part du prolétariat dans le revenu national, du capital variable par rapport au capital constant.
Cette politique ne peut être donnée par une affirmation programmatique du parti et encore moins être dévolue à l'Etat, organe de gestion et de coercition. Cette politique trouve sa condition, sa garantie et son expression dans la. classe elle-même et exclusivement en elle, dans la pression qu'exerce la classe dans la vie sociale, dans son opposition et sa lutte contre les autres classes.(...)
Toute tendance à diminuer le rôle des syndicats après la révolution, qui sous prétexte de l'existence de "l'Etat ouvrier", interdirait la liberté d'action syndicale et la grève, qui favoriserait l'immixtion de l'Etat dans les syndicats, qui, au travers de la théorie en apparence révolutionnaire de remettre la gestion aux syndicats, incorporerait en fait ces derniers dans la machine étatique, qui préconiserait la violence au sein du prolétariat et de son organisation, sous le couvert de et avec la meilleure intention révolutionnaire du but final, qui empêcherait l'existence de la plus large démocratie par le simple jeu de la lutte politique et des fractions au sein du syndicat, exprimerait une politique anti ouvrière faussant les l'apports du parti et de la classe, affaiblissant la position du prolétariat dans la phase transitoire. Le devoir communiste serait de dénoncer et de combattre avec la plus grande énergie toutes ces tendances et d'œuvrer au plein développement et à l'indépendance du mouvement syndical, indispensable pour la victoire de l'économie socialiste. "
Il revient à Internationalisme d'avoir su définir le cadre théorique général dans lequel la question des rapports entre la dictature du prolétariat et l'Etat dans la période de transition pouvait enfin être posée sur des bases solides et cohérentes.
C'est en s'inscrivant entièrement dans ce processus que la résolution présentée au congrès se conçoit comme une tentative de réappropriation des principaux acquis du mouvement ouvrier sur cette question et un effort pour continuer l'œuvre permanente d'approfondissement des bases programmatiques de la lutte révolutionnaire du prolétariat.
C'est dire à quel point cette résolution n'a rien à voir avec une quelconque "trouvaille du CCI". Mais c'est dire aussi le poids de la responsabilité historique que fait peser sur les épaules de l'organisation révolutionnaire le fait d'assumer cet héritage.
CONTRIBUTION DU CONGRES DE R.I.
1) Entre le capitalisme et le socialisme existe inévitablement une période plus ou moins longue de transition de l'un à l'autre. Elle est transitoire dans le fait qu'elle ne connaît pas un mode de production propre ni stable. Sa caractéristique spécifique consiste dans le bouleversement ininterrompu et systématique qu'elle porte dans le mode de production. Par des mesures politiques et économiques, elle sape jusqu'aux fondements de l'ancien système et dégage les bases de nouveaux rapports sociaux : le communisme.
2) Le communisme est une société sans classes. La période de transition, qui ne se développe réellement qu'après le triomphe de la révolution l'échelle mondiale, est une période dynamique qui tend vers la disparition des classes, mais qui connaît encore la division en classes et la persistance d'intérêts divergents et antagoniques dans la société.
4) A la différence des révolutions bourgeoises qui eurent la région ou la nation pour cadre, le socialisme ne peut se réaliser qu'à l'échelle mondiale. L'extension de la révolution et de la guerre civile est donc l'acte primordial qui conditionne les possibilités et le rythme de la transformation économique et sociale dans le ou les pays où le prolétariat s’est déjà emparé du pouvoir politique.
3) A l'encontre des autres périodes de transition dans l'histoire, qui toutes se déroulaient au sein de l'ancienne société et culminaient dans la révolution, la période de transition du capitalisme au communisme ne peut débuter qu'après la destruction de la domination politique du capitalisme et en premier lieu de son Etat. La prise du pouvoir politique générale dans la société par la classe ouvrière, la dictature du prolétariat, précède.
5) Produit de la division de la société en classes, la dictature du prolétariat se distingue cependant du pouvoir des classes dominantes par le passé, essentiellement par les caractéristiques suivantes :
a) n’étant pas classe économiquement dominante, la classe ouvrière n'exerce pas son pouvoir pour défendre des privilèges économiques (qu'elle ne possède pas et ne possèdera jamais), mais pour détruire tous les privilèges ;
b) en conséquence, le prolétariat n'a nullement besoin, comme les autres classes, de cacher ses buts, de mystifier les autres classes en présentant sa dictature comme le règne de ²la liberté, l'égalité et la fraternité" ;
c) cette dictature n'a pas pour fonction de perpétuer l'état de choses existant, mais au contraire de le révolutionner, afin d'assurer l'avènement de la société véritablement humaine, sans exploitation ni oppression.
6) Dans toute société divisée en classes, afin d'empêcher que les antagonismes qui la travaillent n'explosent en luttes permanentes qui en menacent l'équilibre et mettent en péril jusqu'à son existence même, surgissent des superstructures, des institutions dont le couronnement est l'Etat, dont la fonction consiste essentiellement à maintenir ces luttes dans un cadre approprié, s'adaptant et conservant l'infrastructure existante.
7) La période de transition au socialisme est, comme nous l'avons vu, encore une société où subsiste la division en classes. C'est la raison pour laquelle surgit nécessairement cet organisme superstructurel, ce mal inévitable qu'est l'Etat. Mais des différences substantielles distinguent ce dernier de l'Etat des anciennes sociétés divisées en classes. L'expérience de la Commune de Paris a mis en évidence :
a) en premier lieu, le fait que pour la première fois dans l'histoire il est l'Etat de la majorité des classes exploitées et non exploiteuses contre la minorité (les anciennes classes dominantes déchues) et non d'une minorité exploiteuse pour l'oppression de la majorité ;
b) le fait qu'il ne se constitue pas sur une couche spécialisée, les partis politiques, mais sur la base de délégués élus par les organisations territoriales, les Conseils locaux, et révocables par elles ;
c) que toute cette organisation étatique exclut catégoriquement toute participation des couches et classes exploiteuses qui sont privées de tout droit politique ou civique ;
d) que la rémunération de ses membres ne peut jamais être supérieure à celle des ouvriers.
C'est dans ce sens que les marxistes pouvaient, avec raison, parler d'un semi-Etat, d'un Etat altéré, d'un Etat en voie d'extinction.
8) L'expérience de la révolution russe victorieuse devait apporter des enseignements précis, encore que négatifs, sur le rapport entre la dictature du prolétariat et l'institution étatique dans la période de transition :
a)la fonction des partis politiques du prolétariat se distingue fondamentalement de celle des partis bourgeois, tout particulièrement par le fait qu'ils ne sont pas et ne peuvent pas être des organismes d'Etat. Autant les partis de la bourgeoisie ne peuvent exister qu'en tendant à s'intégrer à l'appareil d'Etat, autant l'intégration des partis ouvriers à l'Etat après la révolution, les dénature et leur fait perdre complètement leur fonction spécifique dans la classe;
b) s'il est vrai que parce que la fonction de l'Etat se confond avec la conservation de l'état social existant, l'Etat dans les sociétés d'exploitation ne peut que s'identifier avec la classe économiquement dominante dans ce système et devenir l'expression principale de ses intérêts généraux et de son unité, à l'intérieur même de cette classe et face aux autres classes de la société, il n'est rien de tel pour le prolétariat qui, n'étant pas dominant économiquement, ne tend pas à conserver l'état de choses existant mais à le bouleverser et le transformer. Sa dictature ne peut trouver, dans une constitution conservatrice par excellence, comme est l'Etat, son expression authentique et totale. Il n'y a pas et il ne peut y avoir d'Etat socialiste. Etat et socialisme s'excluent par définition. Le socialisme étant l'intérêt historique du prolétariat, sa substance en développement, il y a identité et identification entre l'un et l'autre. En conséquence, dans la mesure même où on doit parler de prolétariat socialiste, on ne peut pas parler "d'Etat ouvrier", d'Etat du prolétariat. Aussi pensons nous que, sur la base de l'expérience de la révolution russe, une distinction très nette doit être faite entre l'Etat de la période de transition, que le prolétariat ne peut pas ne pas utiliser et soumettre à tout instant à sa dictature et cette dictature elle-même. Politiquement, l'identification entre les institutions étatiques de la période de transition et la dictature du prolétariat a apporté le plus grand mal à la dictature révolutionnaire du prolétariat et a parfaitement servi comme moyen de mystification à la contre révolution en Russie, sous la direction du parti bolchevik dégénérant ;
c) l'Etat de la période de transition, avec toutes ses altérations et limites, porte encore tous les stigmates d'une société divisée en classes. Il ne saurait jamais être l'organe concentrant et symbolisant le socialisme. Seule la classe prolétarienne est la classe porteuse du socialisme. Sa domination sur la société, c'est aussi sa domination sur l'Etat et elle ne peut l'assurer que par sa dictature de classe.
9) La dictature du prolétariat doit se définir par:
a) la nécessité de maintenir l'unité et l'autonomie de la classe dans ses organisations propres : les conseils ouvriers, en même temps qu'elle se prononce pour la dissolution de toute organisation propre aux autres classes en tant que classes ;
b) elle dicte comme règle générale son hégémonie au sein de la société, ce qui se traduit par sa participation hégémonique au sein de l'organisation d'où émane l'Etat mais interdit aux autres classes tout droit d'intervention au sein de sa propre organisation de classe ;
c) elle s'impose comme seule classe armée indépendamment de toute immixtion du reste de la société et tout particulièrement de l'Etat.
[1] [119] Cette "augmentation" des effectifs de travail, saluée par la bourgeoisie américaine comme la grande réussite de la "reprise" n'exprime en fait qu'une certaine diminution du nombre des chômeurs, ridicule à l'échelle des 9 millions de chômeurs en 1975.
[2] [120] Le salaire horaire est passé de 70 à 75 de 4,20 à 6,22 dollars aux USA alors qu'il grimpait de 2,08 à 6,46 dollars pour la Belgique ; et même 2,93 à 7,12 dollars en Suède (City Money International, mai 1976).
[3] [121] C'est ce qui s'est effectivement fait au cours de ce dernier trimestre : le Japon, dont la compétitivité menaçait d'inonder de ses marchandises les pays de la CEE, a dû s'incliner. Il devra se plier aux décisions de la CEE contingentant ses exportations d'acier, limiter sa politique de dumping et ouvrir plus largement son marché aux produits européens.
[4] [122] Les "bases programmatiques" d'une organisation révolutionnaire sont constituées par l'ensemble des positions principales et des analyses qui définissent le cadre général de son action. Les positions "frontières de classe" en font partie et en représentent inévitablement le squelette de base. Mais l'action d'une organisation révolutionnaire ne peut être définie par les seules frontières de classe. La nécessité de la plus grande cohérence de son intervention la contraint à chercher la plus grande cohérence dans ses conceptions et donc à définir le plus profondément possible le cadre général qui relie entre elles les différentes positions de classe en les plaçant dans une vision cohérente et globale des buts et des moyens de la lutte révolutionnaire du prolétariat.
[5] [123] Ces deux éléments expliquent en partie la confusion, parfois extrême, qui caractérise les soubresauts prolétariens contre la contre révolution étatique (Kronstadt).
Quand on parle de l'opposition révolutionnaire à la dégénérescence de la Révolution en Russie ou à celle de l'Internationale Communiste, il est entendu en général qu'on se réfère à l'Opposition de Gauche dirigée par Trotski et d'autres leaders bolcheviks. Les critiques tardives et inadéquates de la dégénérescence qui ont été faites par ceux qui ont joué un rôle actif dans cette dégénérescence sont prises pour l'Alpha et l'Omega de l'opposition communiste à l'intérieur de la Russie et de l'Internationale. La critique beaucoup plus profonde et plus sérieuse élaborée par les "Communistes de Gauche" bien avant que l'Opposition de Gauche n'apparaisse en 1923 est soit ignorée, soit considérée avec mépris comme des divagations de fous sectaires coupés du "monde réel". Cette déformation du passé est tout simplement une expression de la longue influence de la contre-révolution depuis la fin de la période de luttes révolutionnaires dans les années 20. C'est toujours l'intérêt de la contre-révolution capitaliste que de cacher ou de déformer l'histoire et les traditions véritablement révolutionnaires de la classe ouvrière et de ses minorités communistes, parce que ce n'est que de cette manière que la bourgeoisie peut espérer dissimuler la nature historique du prolétariat comme classe destinée à conduire l'humanité vers le règne de la liberté.
Contre cette déformation du passé, les révolutionnaires doivent réaffirmer et réexaminer les luttes historiques du prolétariat non par un intérêt d'archivistes pour l'histoire en tant que telle, mais parce que l'expérience passée de la classe forme avec ses activités présentes et futures une chaîne inséparable et parce que ce n'est qu'en comprenant le passé que le présent et le futur peuvent être mieux compris et abordés. Nous espérons que ce travail sur la Gauche Communiste en Russie contribuera à rétablir un chapitre important du mouvement communiste, contre les déformations de l'histoire bourgeoise, qu'elles soient académiques ou gauchistes. Mais avant tout, nous espérons qu'il servira à clarifier certaines leçons qui peuvent être tirées des luttes, les erreurs et les pas positifs de la Gauche Russe, leçons qui auront un rôle essentiel à jouer dans la reconstitution du mouvement communiste aujourd'hui.
"En Russie, la question ne pouvait être que posée. Elle ne pouvait être résolue en Russie."
Rosa Luxembourg, la Révolution Russe.
Dans le cours de la contre-révolution qui, dans le monde entier, a suivi la grande vague révolutionnaire de 17-23, un mythe s'est développé autour du bolchevisme, qui était décrit comme un produit spécifique de "l'arriération" russe et de la barbarie asiatique. Des survivants des communistes de la Gauche allemande et hollandaise, profondément démoralisés par la dégénérescence et la mort de la révolution en Russie, revenaient à des positions semi-mencheviks selon lesquelles le développement bourgeois en Russie dans les années 20 et 30 était inévitable parce que la Russie n'était pas mûre pour le communisme ; le bolchevisme était défini comme une idéologie de "l'intelligentsia" qui n'avait cherché que la modernisation capitaliste de la Russie et par conséquent l'avait réalisée à la place d'une bourgeoisie impuissante, en faisant une révolution "bourgeoise" ou "capitaliste d'Etat" et en s'appuyant sur un prolétariat qui n'était pas mûr.
Toute cette théorie était une révision totale du caractère véritablement prolétarien de la révolution russe et du bolchevisme et un dénie de la part de beaucoup de communistes de Gauche de leur propre participation au drame héroïque qui avait commencé en octobre 17. Mais comme tous les mythes, il contenait une part de vérité. Alors qu'il est fondamentalement le produit de conditions internationales, le mouvement ouvrier présente aussi certains caractères spécifiques issus de conditions historiques et nationales particulières. Aujourd'hui, par exemple, ce n'est pas par hasard que le mouvement communiste qui resurgit est plus fort dans les pays d'Europe occidentale, et de loin plus faible, pour ainsi dire presque inexistant dans le bloc de l'Est. C'est un produit de la manière spécifique dont les événements historiques se sont déroulés dans les 50 dernières années, en particulier de la façon dont la contre-révolution capitaliste s'est organisée dans les différents pays. De même, quand on examine le mouvement révolutionnaire en Russie avant et après l'insurrection d'Octobre, si on ne peut en saisir l'essence qu'en la considérant dans le contexte du mouvement ouvrier international, certains aspects de ses forces et de ses faiblesses peuvent être liés aux conditions particulières qui prévalaient alors en Russie.
Sous beaucoup d'aspects, les faiblesses du mouvement révolutionnaire russe n'étaient que le revers de ce qui faisait sa force. La capacité du prolétariat russe à s'orienter très rapidement vers une solution révolutionnaire à ses problèmes a été grandement déterminée par la nature du régime tsariste. Autoritaire, en pleine décrépitude, incapable de mettre en place aucun système "tampon" stable entre lui et la menace prolétarienne, le système tsariste faisait que tout effort du prolétariat pour se défendre ne pouvait que l'amener immédiatement à s'affronter aux forces répressives de l'Etat. Le prolétariat russe, jeune mais très combatif et très concentré, n'a jamais eu le temps ni la place politique pour que se développe en son sein une mentalité réformiste qui aurait pu l'amener à identifier la défense de ses intérêts matériels immédiats à la survie de sa "patrie". Il était alors beaucoup plus facile pour le prolétariat russe de refuser toute identification avec l'effort de guerre tsariste après 1914 et de voir dans la destruction de l'appareil politique tsariste une condition préalable à sa marche en avant en 19l7. Très généralement et sans vouloir établir un lien trop mécanique entre le prolétariat russe et ses minorités révolutionnaires, ces aspects forts de la classe russe ont constitué l'un des facteurs qui ont permis aux bolcheviks d'être à la pointe du mouvement révolutionnaire mondial tant en 1914 qu'en 1917, par la dénonciation retentissante de la guerre et l'affirmation sans compromis de la nécessité de détruire la machine de l'Etat bourgeois.
Mais, comme nous l'avons dit, ces forces étaient aussi des faiblesses : l'immaturité du prolétariat russe, son manque de traditions organisationnelles, la brutalité avec laquelle il a été projeté dans une situation révolutionnaire, ont eu tendance à laisser d'importantes lacunes dans l'arsenal théorique de ses minorités révolutionnaires. Il est significatif, par exemple, que les critiques les plus pertinentes des pratiques réformistes de la social-démocratie et des syndicats aient commencé à être élaborées dans les pays où précisément ces pratiques étaient le plus solidement établies, en particulier en Hollande et en Allemagne. C'était là, plutôt qu'en Russie où le prolétariat se battait encore pour des droits parlementaires et syndicaux que les dangers pernicieux des habitudes réformistes ont été en premier lieu compris par les révolutionnaires. Par exemple, le travail de Anton Pannekoek et du groupe hollandais Tribune, dans les années qui ont précédé la Première Guerre mondiale, a contribué à préparer le terrain à la rupture radicale que les révolutionnaires allemands et hollandais ont fait avec les vieilles tactiques réformistes après la guerre. Il en est de même pour ce qui est de la Fraction Abstentionniste de Bordiga en Italie. Au contraire, les bolcheviks n'ont jamais vraiment compris que la période des "tactiques" réformistes étaient terminées une fois pour toutes avec l'entrée du capitalisme dans sa période d'agonie en 1914 ; ou tout au moins, ils n'ont jamais compris pleinement toutes les implications de la nouvelle période en ce qui concerne la stratégie révolutionnaire. Les conflits à partir des tactiques parlementaires et syndicales qui ont déchiré l'IC après 1920 étaient en grande partie le résultat de l'incapacité du parti russe à saisir pleinement la nécessité de la nouvelle période ; et cette incapacité n'était pas totalement le fait de la seule direction bolchevik : elle se reflète aussi dans le fait que la critique du syndicalisme, du parlementarisme et du substitutionnisme et des autres reliquats sociale-démocrates que faisaient les communistes de Gauche russes, n'ont jamais atteint le même niveau de clarté que celles des fractions de Gauche hollandaise, allemande et italienne.
Mais, là encore, il faut nuancer cette observation par une compréhension du contexte international de la révolution. Les faiblesses du parti bolchevik n'étaient pas définitives et cela précisément parce que c'était un parti véritablement prolétarien et, partant, ouvert à tous les développements et à la compréhension nouvelle qui proviennent de la lutte prolétarienne quand elle est dans une phase ascendante. Si la révolution d'Octobre s'était étendue internationalement, ces faiblesses auraient pu être surmontées ; les déformations social-démocrates qui existaient au sein du bolchevisme ne se sont cristallisées en un obstacle fondamental au mouvement révolutionnaire que lorsque la révolution mondiale est entrée dans une phase de reflux et que le bastion prolétarien en Russie s'est trouvé paralysé par son isolement. Le glissement rapide de l'IC vers l'opportunisme, en grande partie sous l'influence du parti russe dominant, était entre autres choses le résultat de l'effort des bolcheviks à chercher un équilibre entre les besoins de la survie de l'Etat-Soviet et les besoins internationaux de la révolution d'autre part ; un effort qui s'enferrait de plus en plus dans la contradiction au fur et à mesure que la vague révolutionnaire refluait. Cet effort a été finalement abandonné avec le triomphe "du socialisme dans un seul pays", ce qui signifiait la mort de l'IC et couronnait la victoire de la contre révolution en Russie.
Si l'isolement extrême du bastion russe devait empêcher en définitive le parti bolchevik de dépasser ses erreurs initiales, il a aussi entravé le développement théorique des fractions de la Gauche Communiste qui s'étaient détachées du parti russe en dégénérescence. Coupée des discussions et des débats qui se poursuivaient toujours dans les fractions de Gauche en Europe, soumise à la répression sans pitié d'un Etat de plus en plus totalitaire, la Gauche russe tendait à se restreindre à une critique formelle de la contre révolution russe et ne discernait que rarement les racine mêmes de la dégénérescence. La nouveauté absolue et la rapidité de l'expérience russe devaient laisser une génération tout entière de révolutionnaires dans une confusion complète au sujet de ce qui s'était passé. Ce n'est que vers les années 30 et 40 qu'une approche cohérente a commencé à apparaître parmi les fractions communistes qui avaient survécu. Mais cette compréhension a surtout été le fait des révolutionnaires en Europe et en Amérique ; la Gauche russe était trop proche, trop empêtrée dans toute cette expérience pour élaborer une analyse globale du phénomène. C'est pourquoi nous ne pouvons qu'acquiescer à l'appréciation de la Gauche communiste faite par les camarades d'Internationalism :
"La contribution durable de ces petits groupes qui essayaient d'appréhender la nouvelle situation, ne pouvait être d'avoir compris l'ensemble du processus du capitalisme d'Etat à ses débuts pas plus que d'exprimer un programme cohérent pour relancer la révolution, mais dans le fait qu'ils an tiré la sonnette d'alarme et qu'ils ont dénoncé, pratiquement, pour la première fois dans l'histoire l'établissement d'un régime capitaliste d'Etat ; leur contribution dans le mouvement ouvrier a été d'avoir fourni la preuve politique que le prolétariat russe n'est pas allé à la défaite dans le silence".
("Une contribution sur le capitalisme d'Etat", J.A, Bul1etin d'étude et de discussion de RI n°10.11/Internationalism n°6).
Qu’est-ce que la gauche communiste ?
Un aspect du mythe du bolchevisme "arriéré" ou "bourgeois" réside dans l'idée selon laquelle il existe un abîme infranchissable entre les bolcheviks d'une part, qui sont représentés comme des partisans du capitalisme d'Etat et de la dictature du parti et les communistes de gauche d'autre part, qui sont dépeints comme les véritables défenseurs du pouvoir ouvrier et de la transformation communiste de la société. Cette idée est particulièrement séduisante pour les conseillistes et les libertaires qui ne veulent s'identifier qu'avec ce qui leur plaît dans le mouvement ouvrier passé et qui rejettent l'expérience réelle de la classe dès qu'ils découvrent ses imperfections. Dans le monde réel, il y a cependant une continuité directe et inéluctable entre ce qu'était le bolchevisme au début et ce qu'étaient les communistes de gauche dans les années 20 et après. Les bolcheviks étaient eux-mêmes à l'extrême gauche du mouvement social-démocrate d'avant guerre, surtout par leur défense acharnée de la cohérence organisationnelle et de la nécessité d'un parti révolutionnaire indépendant de toutes les tendances réformistes et confusionnistes dans le mouvement ouvrier ([1] [124]). Leur position sur la guerre de 14-18 (ou plutôt la position de Lénine et de ceux qu'il ralliait au sein du parti) était encore la plus radicale de toutes les déclarations contre la guerre dans le mouvement socialiste : "transformer la guerre impérialiste en guerre civile" et leur appel à la liquidation de l'Etat bourgeois a fait d'eux le point de ralliement de toutes les minorités révolutionnaires les plus intransigeantes du monde. Les "Radicaux de Gauche" en Allemagne autour desque1s se constitua le noyau du KAPD en 1920 s'inspiraient directement de l'exemple des bolcheviks, surtout lorsqu’ils commencèrent à réclamer la constitution d'un nouveau parti révolutionnaire en opposition totale avec les sociaux-patriotes du SPD ([2] [125]). Ainsi jusqu'à un certain point, les bolcheviks et l'IC, fondée en grande partie sur leur initiative, représentaient la "Gauche" : ils sont devenus le mouvement communiste. Le communisme de gauche n'a de signification que comme réaction contre la dégénérescence de cette avant-garde communiste à l'origine, et l'abandon par cette même avant-garde de ce qu'elle défendait au début. Le communisme de gauche est ainsi issu organiquement du mouvement communiste impulsé par les bolcheviks et l'IC.
Tout ceci devient clair lorsqu'on regarde les origines de la Gauche communiste en Russie même où toutes les fractions de gauche avaient leurs origines dans le parti bolchevik. C'est en soi une preuve du caractère prolétarien du bolchevisme. Parce qu'il était une expression vivante de la classe ouvrière, la seule classe qui peut faire une critique radicale et continuelle de sa propre pratique, le parti bolchevik a engendré sans cesse des fractions révolutionnaires. A chaque étape de sa dégénérescence, se sont élevées à l'intérieur même du parti des voix qui protestaient, se sont formés des groupes à l'intérieur du parti ou qui s'en séparaient pour dénoncer l'abandon du programme initial du bolchevisme. Ce n'est que quand le parti a finalement été enterré par ses fossoyeurs staliniens que ces fractions n'ont plus surgi de lui. Les communistes de gauche russes étaient tous des bolcheviks ; c'étaient eux qui défendaient une continuité avec le bolchevisme des années héroïques de la révolution, alors que ceux qui les ont calomniés, persécutés et exécutés, aussi célèbres qu'aient été leurs noms, étaient ceux qui rompaient avec l'essence du bolchevisme.
La Gauche Communiste pendant les années héroïques de la révolution : 1918 - 21
a) Les premiers mois
Le parti bolchevik fut en fait le premier parti du mouvement ouvrier reconstitué après la guerre à donner naissance à une gauche. C'était précisément parce que c'était le premier parti à mener une insurrection victorieuse contre l'Etat bourgeois. Dans la conception du mouvement ouvrier de l'époque, le rôle du parti était d'organiser la prise du pouvoir et d'assurer le rôle gouvernemental dans le nouvel "Etat prolétarien". En effet, le caractère prolétarien de l'Etat, selon cette conception, était garanti par le fait qu'il était entre les mains d'un parti prolétarien qui visait à conduire la classe ouvrière vers le socialisme. Le caractère fondamentalement erroné de cette double ou triple substitution (Parti-Etat, Etat-classe, Parti-classe) devait être dévoilé pendant les années qui ont suivi la révolution ; mais ce fut le destin tragique du parti bolchevik de mettre en pratique les erreurs théoriques du mouvement ouvrier tout entier et par là de démontrer par leur expérience négative la fausseté totale de cette conception. Toute la honte et les trahisons associées au bolchevisme découlent du fait que la révolution est née et morte en Russie et que le parti bolchevik, en s'identifiant avec l'Etat qui devait devenir l'agent interne de la contre révolution, s'est transformé en organisateur de la mort de la révolution.
Si la révolution avait éclaté et dégénéré en Allemagne et non en Russie, les noms de Luxembourg et de Liebknecht pourraient provoquer aujourd'hui les mêmes réactions ambiguës ou équivoques que ceux de Lénine, Trotski, Boukharine et Zinoviev. Ce n'est qu'à cause de la grande expérience que les bolcheviks ont entreprise que les révolutionnaires peuvent affirmer sans ambiguïté aujourd'hui : le rôle du parti n'est pas de prendre le pouvoir à la place de la classe et les intérêts de la classe ne s'identifient pas aux intérêts de l'Etat révolutionnaire. Mais il a fallu aux révolutionnaires de nombreuses années de dure réflexion et d'autocritique pour qu'ils soient capables d'énoncer ces leçons si simples en apparence.
Dès qu'il est devenu un parti qui avait la charge de l'Etat soviétique en Octobre 17, le parti bolchevik a commencé à dégénérer, non d'un seul coup, non dans un cours descendant totalement linéaire et non tant que la révolution mondiale était à l'ordre du jour, de manière irréversible. Mais, néanmoins, le processus général de dégénérescence a commencé immédiatement. Alors qu'auparavant, le parti avait été capable d'agir librement comme la fraction de la classe la plus résolue, montrant toujours la voie vers l'approfondissement et l'extension de la lutte de classe, le fait d'assumer le pouvoir d'Etat de la part des bolcheviks a mis un frein de plus en plus grand à leur capacité à s'identifier et à participer à la lutte de classe prolétarienne. A partir de là les besoins de l'Etat devaient prendre de plus en plus le pas sur les besoins de la classe ; et bien que cette dichotomie ait été obscurcie au début par l'intensité même de la lutte révolutionnaire, elle était néanmoins l'expression d'une contradiction intrinsèque et fondamentale entre la nature de l'Etat et la nature du prolétariat : les besoins d'un Etat sont essentiellement déterminés par le fait de maintenir une cohésion dans la société, de maintenir la lutte de classe dans un cadre correspondant au statu quo social ; les besoins du prolétariat et donc de son avant-garde communiste, par contre, ne peuvent être que l'extension et l'approfondissement de sa lutte de classe jusqu'au renversement de toutes les conditions existantes. Aussi longtemps que le mouvement révolutionnaire de la classe se trouvait dans une phase de montée de la lutte tant en Russie qu'internationa1ement, l'Etat soviétique pouvait être utilisé pour défendre les conquêtes de la révolution, il pouvait être un instrument dans les mains de la classe ouvrière. Mais dès que le mouvement réel de la classe eut disparu, le statu quo garanti par l'Etat ne pouvait être que le statu quo du capital. Telle était la tendance générale ; mais en fait les contradictions entre le prolétariat et le nouvel Etat ont commencé à apparaître immédiatement du fait de l'immaturité de la classe et des bolcheviks dans leur attitude vis-à-vis de l'Etat et par dessus tout du fait des conséquences de l'isolement de la révolution en Russie qui a pesé sur le nouveau bastion prolétarien dès le début. Confrontés à de nombreux problèmes qui ne pouvaient être résolus qu'au niveau international - l'organisation de l'économie ravagée par la guerre, les relations avec les immenses masses paysannes en Russie et avec un monde capitaliste hostile à l'extérieur - les bolcheviks manquaient d'expérience pour prendre des mesures qui auraient pu au moins atténuer les conséquences les plus néfastes de cette situation.
Dans les faits, les mesures qui furent prises ont tendu plutôt à aggraver les problèmes qu'à les résoudre. Et la majorité écrasante des erreurs commises sont provenues du fait que les bolcheviks se trouvaient à la tête de l'Etat et avaient ainsi le sentiment d'être dans le vrai en identifiant les intérêts du prolétariat aux besoins de l'Etat soviétique, en fait en subordonnant ces premiers à ces derniers.
Bien qu'aucune fraction communiste en Russie à cette époque n'ait réussi à faire une critique de fond de ces erreurs substitutionnistes - ce qui devait rester une carence de la part de toute la gauche russe -, une opposition révolutionnaire aux pratiques du jeune Etat bolchevik se cristallisa quelques mois après la prise du pouvoir. Cette opposition prit la forme d'un groupe communiste de gauche autour d'Ossinsky, Boukharine, Radek, Smirnov et d'autres, organisé principalement dans le Bureau régional du Parti à Moscou et s'exprimant dans le journal fractionnel "Kommunist". Cette opposition du début 18 fut la première fraction bolchevik organisée à critiquer les efforts du parti pour discipliner la classe ouvrière. Mais, en fait, la raison d'être originelle du groupe de la Gauche Communiste était l'opposition à la signature du traité de Brest-Litovsk avec l'impérialisme allemand. Il ne s'agit pas ici d'entreprendre une étude détaillée de toute la question de Brest-Litovsk. En résumé, le principal débat était entre Lénine et les communistes de gauche (avec Boukharine à leur tête) qui préconisaient une guerre révolutionnaire contre l'Allemagne et dénonçaient le traité de paix comme une "trahison" de la révolution mondiale. Lénine défendait la signature du traité comme étant un moyen d'obtenir une "marge de manœuvre" pour réorganiser le potentiel militaire de l'Etat soviétique. Les Gauches insistaient sur un fait :
"L'adoption des conditions dictées par les impérialistes allemands serait un acte qui irait contre toute notre politique du socialisme révolutionnaire. Cela conduirait à l’abandon de la ligne juste du socialisme international, en politique intérieure aussi bien qu’en politique étrangère et pourrait conduire à une des pires espèces d’opportunisme. ² (R. Daniels, The Conscience of the Revolution, p.73).
Tout en admettant l'incapacité technique de l'Etat soviétique à soutenir une guerre conventionnelle contre l'impérialisme allemand, ils préconisaient une stratégie d'épuisement de l'armée allemande par des attaques de guérilla, par des détachements mobiles de partisans rouges. Le fait de mener cette "guerre sainte" contre l'impérialisme allemand, espéraient-ils, servirait d'exemple au prolétariat mondial et l'inciterait à rejoindre la lutte.
Nous ne voulons pas entrer ici dans un débat a posteriori sur les possibilités stratégiques ouvertes au pouvoir soviétique en 1918. Nous soulignerons qu'aussi bien Lénine que les communistes de Gauche reconnaissaient que le seul espoir du prolétariat reposait sur l'extension mondiale de la révolution ; tous situaient leurs préoccupations et leurs actions dans un cadre internationaliste et tous présentaient leurs arguments ouvertement devant le prolétariat russe organisé dans les conseils. C'est pourquoi nous considérons qu'il est inadmissible de définir la signature du traité comme une "trahison" de l'internationalisme. Pas plus que, tel que c'est arrivé, il n'a signifié l'écroulement de la révolution en Russie ou en Allemagne, comme Boukharine le craignait. En tout cas, ces considérations stratégiques sont dans une certaine mesure des impondérables. La question politique la plus importante qui a surgi dans la discussion sur Brest-Litovsk est la suivante : est-ce que la "guerre révolutionnaire" est le principal moyen d'étendre la révolution? Est-ce que le prolétariat au pouvoir dans une région a la tâche d'exporter la révolution vers le prolétariat mondial à la pointe des baïonnettes? Les commentaires de la Gauche Italienne sur la question de Brest-Litovsk sont significatifs à cet égard :
²Des deux tendances dans le parti bolchevik qui se sont opposées à l'époque de Brest-Litovsk, de celle de Lénine et de celle de Boukharine, nous pensons que c'était la première qui était la plus adaptée aux nécessités de la révolution mondiale. La position de la fraction menée par Boukharine, selon laquelle la fonction de l'Etat prolétarien était de libérer les travailleurs des autres pays par une "guerre révolutionnaire" est en contradiction avec la nature même de la révolution prolétarienne et le rôle historique du prolétariat." (²Parti, Etat, Internationale. L'Etat prolétarien.² Bilan 18, Avril-Mai l935).
Contrairement à la révo1ution bourgeoise qui pouvait bien être exportée par les conquêtes militaires, la révolution prolétarienne dépend de la lutte consciente du prolétariat de chaque pays contre sa propre bourgeoisie : "la victoire d’un Etat prolétarien contre un Etat capitaliste (dans le sens territorial du terme) ne signifie en aucune manière la victoire de la révolution mondiale" (Ibid.) : le fait que l'entrée de l'Armée Rouge en Pologne en 1920 n'a réussi qu’à jeter les ouvriers polonais dans les bras de leur propre bourgeoisie est la preuve que les victoires militaires emportées par un bastion prolétarien ne peuvent se substituer à l'action politique consciente du prolétariat mondial et c'est pourquoi l'extension de la révolution est d'abord et avant tout une tâche politique. La fondation de l'IC en 1919 était ainsi une contribution de loin plus importante à la révolution mondiale qu'aurait pu l'être n'importe quelle "guerre révolutionnaire".
La signature du traité de Brest-Litovsk, sa ratification par le parti et les conseils et le vif désir de la Gauche d'éviter une scission dans le parti sur la question, marquèrent la fin de la première phase de l'activité des Communistes de gauche, Une fois que l'Etat soviétique avait acquis "le temps de souffler", les problèmes immédiats auxquels avait à faire face le parti étaient ceux de l'organisation de l'économie russe ravagée par la guerre. Et c'est sur cette question des dangers qui guettaient le bastion révolutionnaire que le groupe des Communistes de gauche a le plus contribué. Boukharine, le partisan fervent de la guerre révolutionnaire, était moins intéressé à critiquer la politique de la majorité bolchevik en matière d'organisation interne du régime et, à partir de ce moment là, la plupart des critiques les plus pertinentes de la politique intérieure devaient venir de la plume d'Ossinsky, qui devait se révéler être une figure de l'opposition bien plus cohérente que Boukharine.
Dans les premiers mois de 18, la direction bolchevik avait essayé de résoudre le désordre économique de la Russie d'une manière superficiellement "pragmatique".
Dans un discours fait au comité central bolchevik et publié sous le titre "les tâches immédiates du régime soviétique", Lénine préconisait la formation de trusts d'Etat dans lesquels les experts bourgeois et les propriétaires resteraient, mais sous la surveillance de l'Etat "prolétarien". Les travailleurs, en échange, auraient à accepter le système de Taylor du "management scientifique" (dénoncé autrefois par Lénine lui-même comme esclavage de l’homme par la machine) et de la "direction unique" dans les usines :
"La révolution requiert précisément dans l’intérêt du socialisme que les masses obéissent inconditionnellement à la seule volonté des dirigeants du procès de production".
Tout ceci signifiait que le mouvement des conseils d'usine, qui s'était propagé comme une traînée de poudre depuis février 1917, devait être refréné ; les expropriations réalisées par ces conseils ne devaient pas être encouragées, leur autorité croissante dans les usines devait être restreinte à une simple fonction de "contrôle" et ils devaient être transformés en appendices des syndicats qui étaient des institutions beaucoup plus malléables, déjà incorporées dans le nouvel appareil d'Etat. La direction bolchevik présentait cette politique comme la meilleure façon pour le régime révolutionnaire d'échapper à la menace du chaos économique et de rationaliser l'économie en vue de la construction définitive du socialisme quand la révolution mondiale se serait étendue. Lénine appelait carrément ce système "capitalisme d'Etat", terme sous lequel il entendait : contrôle par l'Etat prolétarien de l'économie capitaliste dans l'intérêt de la révolution.
Dans une polémique contre les communistes de gauche (Infantilisme et la mentalité petite bourgeoise du gauchisme), Lénine soutenait qu'un tel système de capitalisme d'Etat serait indiscutablement un pas en avant dans un pays arriéré comme la Russie où le principal danger de contre révolution venait de la masse petite bourgeoise, archaïque et atomisée, de la paysannerie. Cette conception est restée un "credo" des bolcheviks et les a aveuglés sur le fait que la contre révolution internationale s'exprimait d'abord et avant tout à travers l'Etat et non pas par les paysans. Les communistes de gauche aussi craignaient la possibilité de la dégénérescence de la révolution en un système de "rapports économiques petit-bourgeois". (²Thèses sur la situation présente². Kommunist, n°1, Avril 1918, et disponible en anglais dans : Daniels, Une Histoire documentaire de la Révolution). Ils partageaient aussi la conviction de la direction que la nationalisation par l'Etat "prolétarien" était bien une mesure socialiste. En fait, ils demandaient son extension à toute l'économie. Ils ne pouvaient pas être clairement conscients de ce que signifiait réellement le danger du "capitalisme d'Etat", mais, en se fondant sur un fort instinct de classe, ils ont vu rapidement les dangers inhérents à un système qui prétendait organiser l'exploitation des travailleurs dans l'intérêt du socialisme. L'avertissement prophétique d'Ossinsky est maintenant bien connu.
"Nous ne soutenons pas le point de vue de la construction du socialisme sous la direction des trusts. Nous soutenons le point de vue de la construction de la société prolétarienne par la créativité des travailleurs eux-mêmes, pas par les diktats des capitaines d'industrie. Nous faisons confiance à l'instinct de classe, à l'active initiative du prolétariat. Il ne peut en être autrement. Si le prolétariat ne sait pas comment créer les conditions nécessaires à l'organisation socialiste du travail, personne ne peut le faire à sa place et personne ne peut l'obliger à le faire. Le bâton, s’il est levé contre les travailleurs , se trouvera dans les mains d’une force sociale qui est, soit sous l’influence d’une autre classe sociale, soit dans les mains du pouvoir soviétique ; le pouvoir des soviets sera alors obligé de chercher du renfort contre le prolétariat chez une autre classe (par exemple, la paysannerie) et par là même il se détruira lui-même en tant que dictature du prolétariat. Le socialisme et l’organisation socialiste doivent être mis en place par le prolétariat lui-même ou ils ne seront pas mis en place du tout ; quelque chose sera installé, ²le capitalisme d’Etat².
(²Sur la construction du socialisme", Kommunist, n°2, Avril 1918. Daniels, ibid., p.85)
Contre cette menace, les communistes de gauche préconisaient le contrôle ouvrier de l'industrie par un système de comités d'usines et de "conseils économiques". Ils définissaient leur propre rôle comme étant celui "opposition prolétarienne responsable" constituée au sein du parti pour empêcher le Parti et le régime soviétique de "dévier" vers "le chemin désastreux de la politique petite bourgeoise". (²Thèses sur la situation présente²)
Les avertissements des gauches contre les dangers n'étaient pas restreints au plan économique, mais avaient de profondes ramifications politiques, ce qui peut être démontré par cet autre avertissement contre les efforts d'imposer la discipline du travail d'en haut :
²A la politique de gérer les entreprises sur la base d'une large participation des capitalistes et d'une centralisation semi bureaucratique, il devient normal d'ajouter une politique du travail qui vise à l'instauration parmi les travailleurs d'une discipline, sous les couleurs de "l’autodiscipline", à l'introduction du travail obligatoire (un tel programme avait été proposé par les bolcheviks de droite), au paiement aux pièces, à l'allongement de la journée de travail, etc."
"La forme de l'administration gouvernementale viendra à se développer dans le sens de la centralisation bureaucratique, vers le règne des "commissaires", vers la suppression de l'indépendance des conseils locaux et en pratique vers le rejet de "l'Etat-commune" administré par la base". (Thèses sur la situation présente)
La défense de la part des communistes des comités d'usines, des conseils, et de l'activité autonome de la classe ouvrière était importante non parce qu'elle aurait fourni une solution aux problèmes économiques rencontrés par la Russie, ou encore moins une recette pour la construction immédiate du "communisme" en Russie ; la Gauche déclarait explicitement que le "socialisme ne peut pas être réalisé dans un seul pays et surtout pas dans un pays "arriéré". (L.Schapiro, "L'Origine de l'autocratie communiste (p.137). Le fait que ce soit l’Etat qui imposait une discipline du travail, l'incorporation des organes autonomes du prolétariat dans l'appareil d'Etat, étaient surtout des coups portés à la domination politique de la classe ouvrière russe. Comme le CCI l'a souvent souligné ([3] [126]), le pouvoir politique de la classe est la seule garantie véritable de l'issue victorieuse de la révolution. Et le pouvoir politique ne peut être exercé que par les organes de masse de la classe, par ses comités, ses assemblées d'usines, ses conseils, ses milices. En affaiblissant l'autorité de ces organes, la politique de la direction bolchevik faisait peser une grave menace sur la révolution elle-même. Les signes de ce danger, que les communistes de gauche avaient si clairement vus dans les premiers mois de la révolution, devaient devenir encore plus sérieux pendant la période qui suivit la guerre civile. En fait, cette période allait déterminer sous beaucoup d'aspects la destinée finale de la révolution en Russie.
b) La guerre civile
La période de guerre civile en Russie, à partir de 18-20, montre surtout les dangers immenses que rencontre un bastion prolétarien, s'il n'est pas renforcé immédiatement par les armées de la révolution mondiale. Parce que la révolution n'a pas pris racine en dehors de la Russie, le prolétariat russe a du lutter à peu près seul contre les attaques de la contre révolution blanche et ses alliés impérialistes. Sur le plan militaire, la résistance des ouvriers russes était victorieuse. Mais politiquement, le prolétariat russe est sorti décimé de la guerre civile, épuisé, atomisé et plus ou moins privé de tout contrôle effectif sur l'Etat soviétique, Dans leur ardeur à gagner la lutte militaire, les bolcheviks avaient accéléré le déclin du pouvoir politique de la classe ouvrière en militarisant de plus en plus la vie sociale et économique. La concentration de tout le pouvoir effectif aux plus hauts niveaux de la machine d'Etat, permettait de poursuivre la lutte militaire de façon efficace et sans merci, mais elle sapait encore plus les véritables centres de la révolution : les organes unitaires de masse de la classe. La bureaucratisation du régime soviétique, qui s'est produite pendant cette période, devait devenir irréversible avec le reflux de la révolution mondiale après 1921.
Avec le début des hostilités en 1918, il y eut un resserrement général des rangs dans le parti bolchevik car chacun reconnaissait la nécessité de l'unité d'action contre le danger extérieur. Le groupe Kommunist, dont les publications avaient cessé de paraître après avoir été sévèrement critiquées par la direction du parti, n'existaient plus et son noyau du début se dispersa dans deux directions en réponse à la guerre civile.
Une tendance, représentée par Radek et Boukharine, saluait les mesures économiques imposées par la guerre civile avec enthousiasme. Pour eux, les nationalisations, la suppression des formes commerciales et monétaires et les réquisitions chez les paysans, les mesures dites de "communisme de guerre" représentaient une véritable rupture avec la phase ²capitaliste d'Etat" antérieure et constituaient un pas en avant majeur vers des rapports de production véritablement communistes. Boukharine a même écrit un livre – Les Problèmes économiques pendant la Période de Transition - qui explique comment la désintégration économique et même le travail forcé étaient des étapes préliminaires inévitables dans la transition au communisme. Il essayait manifestement de démontrer théoriquement que la Russie sous le communisme de guerre, qui avait été adopté simplement comme un ensemble de mesures d'urgence pour faire face à une situation désespérée, était une société de transition vers le communisme. Les ex-communistes de gauche, comme Boukharine, étaient tout à fait prêts à abandonner leurs critiques antérieures "de la direction unique" et de la discipline du travail, parce que, pour eux, l'Etat soviétique n'essayait plus de faire un compromis avec le capital à l'intérieur du pays, mais agissait résolument comme un organe de transformation communiste. Dans ses Problèmes de la Période de Transition, Boukharine soutenait que le renforcement de l'Etat soviétique et l'absorption croissante par cet Etat de la vie sociale et économique représentaient un pas décisif vers le communisme :
²L'intégration des syndicats au gouvernement, l’intégration de toutes les organisations de masse de prolétariat, sont le résultat de la logique interne du processus de transformation lui-même. La plus petite cellule de l’appareil de production doit devenir un support pour le processus général d’organisation qui est dirigé de façon planifiée et conduit par la volonté collective de la classe ouvrière qui se matérialise dans l’organisation qui couronne la société, celle qui embrasse tout : son pouvoir d’Etat. c’est ainsi que le système capitaliste d’Etat est transformé dialectiquement en son antithèse propre, dans la forme gouvernementale du socialisme des travailleurs.² (²Les Problèmes économiques², cité dans une Histoire documentaire du communisme, R. Daniels, éd. 1960, p. 180).
Avec des idées pareilles, Boukharine renversait "dialectiquement" le raisonnement marxiste selon lequel le mouvement vers la société communiste serait caractérisé par un affaiblissement progressif, un "dépérissement" de l'appareil d'Etat. Boukharine était encore un révolutionnaire quand il a écrit "Les problèmes économiques", mais entre sa théorie d'un "communisme" étatique, entièrement enfermé dans une seule nation et la théorie stalinienne du "socialisme dans un seul pays", il y a une continuité certaine.
Alors que Boukharine faisait la paix avec le communisme de guerre, ceux de la gauche qui avaient été le plus cohérents dans leur défense de la démocratie ouvrière, continuaient à défendre ce principe devant la militarisation croissante du régime. En 1919 le groupe du Centralisme Démocratique se formait autour d'Ossinsky, Sapronov et d'autres. Ils continuaient à protester contre le principe de "la direction unique" dans l'industrie et à défendre le principe collectif ou collégial comme étant "l'arme la plus efficace contre la départementalisation et l'étouffement bureaucratique de l'appareil d'Etat" (Thèses sur le principe collégial et l'autorité individuelle). Alors qu'ils reconnaissaient la nécessité d'utiliser des spécialistes bourgeois dans l'industrie et dans l'armée, ils mettaient aussi l'accent sur la nécessité de mettre ces spécialistes sous le contrôle de la base : "Personne ne discute la nécessité d'employer des spécialistes - la discussion, c'est : comment les emploie-t-on ?" (Sapronov, cité par Daniels, The Conscience of the Revolution, p.109) En même temps, les Centralistes démocratiques, ou "Décistes" comme on les appelait, protestaient contre la perte d'initiative des soviets locaux et ils suggéraient une série de réformes ayant pour but de les rétablir comme organes effectifs de la démocratie ouvrière. De telles politiques ont amené leurs critiques à remarquer que les Décistes s'intéressaient plus à la démocratie qu'au centralisme. Les Décistes réclamaient le rétablissement des pratiques démocratiques dans le parti. Au IXème congrès du PCR en septembre 1920, ils attaquèrent la bureaucratisation du parti, la concentration croissante du pouvoir dans les mains d'une petite minorité. Le fait que le congrès se soit terminé par le vote d'un manifeste qui appelait énergiquement à des "critiques plus générales des institutions du parti tant centrales que locales" et que soit rejetée "toute sorte de répression contre les camarades parce qu'ils ont des idées différentes" montre l'influence que ces critiques pouvaient encore avoir dans le parti. (Résolution du IXème congrès du Parti sur les nouvelles tâches de la construction du Parti).
En général, l'attitude des Décistes vis-à-vis des tâches du régime soviétique en période de guerre civile peut être résumée dans les phrases d'Ossinsky prononcées à ce même congrès :
"Le mot d'ordre fondamental que nous devons mettre en avant dans la période actuelle est celui de l'unification des tâches militaires, des formes militaires d'organisation et de méthode d'administration, avec l'initiative créative des ouvriers conscients. Si, sous la couverture des tâches militaires, vous commencez en fait à implanter le bureaucratisme, nous disperserons nos forces et n'arriverons pas à remplir nos tâches" (Cité par Daniels, Histoire documentaire, p.186).
Quelques années plus tard, le communiste de gauche Miasnikov devait dire ceci à propos du groupe du Centralisme Démocratique :
"Ce groupe n'avait pas une plate-forme qui ait une quelconque valeur théorique réelle. Le seul point qui attirait l'attention de tous les groupes et du Parti était sa lutte contre la centralisation excessive. Ce n'est que maintenant qu'on peut voir dans cette lutte, un effort encore confus du prolétariat pour déloger la bureaucratie des positions qu'elle venait de conquérir dans l'économie. Le groupe est mort de mort naturelle sans qu'aucune violence ne soit exercée contre lui." (L'ouvrier communiste,1929 - Un journal français proche du KAPD).
Les critiques des Décistes étaient inévitablement imprécises parce qu'ils représentaient une tendance née à une époque où le Parti Bolchevik et la révolution étaient encore très vivants, si bien que toute critique du Parti était vouée à prendre la forme d'appels à plus de démocratie dans le étaient voués à restreindre les critiques au niveau de la pratique organisationnelle plutôt qu'aux positions politiques fondamentales.
Beaucoup de ceux du Centralisme démocratique étaient ainsi engagés dans l'opposition militaire, qui s'était formée pendant une brève période en mars 1919. Les besoins de la guerre civile avaient forcé les bolcheviks à mettre en place une force combattante centralisée, l'Armée Rouge, composée non seulement de travailleurs mais aussi de recrues faites dans la paysannerie et d'autres couches. Très rapidement, cette armée commença à se conformer au schéma hiérarchique établi dans le reste de l'appareil d'Etat. L'élection des officiers était bientôt abandonnée parce que "politiquement inutile et techniquement inefficace" (Trotski, "Travail, discipline et ordre", 1920). La peine de mort pour désobéissance au feu, le salut et les formes spéciales pour s'adresser aux officiers avaient été rétablies et les distinctions hiérarchiques renforcées, surtout avec la mise à des postes de haut commandement dans l'armée des officiers antérieurement tsaristes.
L'opposition militaire, dont le porte-parole principal était Vladimir Smirnov, s'était constituée pour lutter contre la tendance à modeler l'Armée rouge sur les canons d'une armée bourgeoise typique. Elle ne s'opposait pas à la mise en place de l'Armée rouge en tant que telle, ni à l'emploi de "spécialistes" militaires, mais était contre une discipline et une hiérarchie excessives et voulait assurer à l'armée une orientation politique générale qui ne se sépare pas des principes bolcheviks. La direction du Parti accusait à tort ceux de l'opposition militaire de vouloir démanteler l'armée au profit d'un système de détachements de partisans plus adaptés aux guerres paysannes ; comme en beaucoup d'autres occasions, la seule alternative que la direction bolchevik pouvait voir à ce qu'ils appelaient "l'organisation étatique prolétarienne" était la décentralisation petite bourgeoise, anarchiste. En fait, les bolcheviks confondaient très souvent les formes bourgeoises de centralisation hiérarchique avec la centralisation et l'autodiscipline à partir de la base qui est une marque distinctive du prolétariat. En tout cas, ce que réclamait l'opposition militaire fut rejeté et le groupe se dispersa aussitôt. Mais la structure hiérarchique de l'Armée rouge - en conjonction avec le démantèlement des milices d'usines - devait faire d'elle un instrument plus efficace comme force répressive contre le prolétariat à partir de 1921.
En dépit de la persistance de tendances oppositionnelles à l'intérieur du Parti, tout au long de la période de guerre civile, la nécessité de l'unité contre les attaques de la contre révolution, agit comme force de cohésion tant dans le Parti que dans toute la classe et dans les couches sociales qui défendaient le régime soviétique contre les Blancs. Les tensions internes au sein du régime ont mûri pendant cette période pour n'apparaître au grand jour que lorsque les hostilités cessèrent, quand le régime eut à faire face aux tâches de reconstruire un pays dévasté. Les dissensions à propos de la nouvelle étape pour le régime soviétique s'exprimèrent en 1920-21 dans les révoltes des paysans, le mécontentement dans la marine, les grèves ouvrières à Moscou et Petrograd et culminèrent dans le soulèvement ouvrier de Cronstadt en mars 1921. Ces antagonismes s'exprimèrent inévitablement dans le Parti lui-même et dans les années déchirantes de 1920-21, il revient au groupe de l'Opposition Ouvrière d'avoir été le principal foyer de dissension politique au sein du Parti Bolchevik.
c) L'Opposition Ouvrière
Au Xème congrès du Parti, en mars 1921, éclata au sein du Parti Bolchevik une controverse qui était devenue de plus en plus aiguë depuis la fin de la guerre civile : la question syndicale. En apparence, c'était un débat sur le rôle des syndicats pendant la dictature du prolétariat, mais, en fait, c'était l'expression de problèmes beaucoup plus profonds sur l'avenir général du régime soviétique et de ses relations avec la classe ouvrière.
En résumé, il y avait trois positions dans le Parti : celle de Trotski, pour l'intégration totale des syndicats à "l'Etat ouvrier", où ils auraient pour tâche de stimuler la productivité du travail ; celle de Lénine pour qui les syndicats auraient toujours à agir en tant qu'organes de défense de la classe, même contre "l'Etat ouvrier", qui, soulignait-il, souffrait de "déformations bureaucratiques" et enfin la position de l'Opposition Ouvrière, pour la gestion de la production par les syndicats industriels, indépendants de l'Etat soviétique. Bien que tout le cadre de ce débat ait été profondément inadéquat, l'Opposition Ouvrière exprimait de façon confuse et hésitante l'antipathie du prolétariat pour les méthodes bureaucratiques et militaires devenues de plus en plus la marque du régime et l'espérance de la classe que les choses allaient changer maintenant que les rigueurs de la guerre avaient pris fin.
Les dirigeants de l'Opposition Ouvrière provenaient en grande partie de l'appareil syndical, mais le groupe semble avoir eu un soutien considérable de la classe ouvrière dans le sud-est de la Russie d'Europe et à Moscou, surtout chez les ouvriers de la métallurgie. Chliapnikov et Medvedev, deux des membres de la direction du groupe, étaient tous deux ouvriers métallurgistes. Mais le plus célèbre de ses dirigeants était Alexandra Kollontaï, qui avait écrit le texte programmatique de l'Opposition Ouvrière, comme un projet de "Thèses sur la question syndicale" soumis par le groupe au Xème congrès. Toutes les forces et les faiblesses du groupe peuvent être dégagées de ce texte, comme on peut en juger. Le texte commence en affirmant :
"L'Opposition Ouvrière est née du plus profond du prolétariat industriel de la Russie soviétique et a puisé sa force non seulement dans d'effroyables conditions de vie et de travail de sept millions de prolétaires industriels, mais encore dans les multiples écarts, oscillations et contradictions de notre politique gouvernementale et même dans ses franches déviations de la ligne de classe nette et conséquente du programme communiste". (Kollontaï, L'Opposition Ouvrière, Ed. du Seuil)
Kollontaï continue alors en soulignant les conditions économiques effroyables qu'a affrontées le régime soviétique après la guerre civile et en attirant l'attention sur la croissance d'une couche bureaucratique dont les origines se situent en dehors de la classe ouvrière - dans l'Intelligentsia, la paysannerie, les restes de la vieille bourgeoisie, etc. Cette couche est venue de plus en plus dominer l'appareil soviétique et le Parti lui-même, engendrant tant le carriérisme qu'un dédain aveugle pour les intérêts du prolétariat. Pour l'Opposition Ouvrière, l'Etat soviétique lui-même n'était pas un pur organe prolétarien mais une institution hétérogène obligée de tenir un équilibre entre les différentes classes et couches dans la société russe. Elle insistait sur le fait que la façon d'assurer que la révolution reste fidèle à ses buts initiaux, n'était pas de confier sa direction à des technocrates non prolétaires et aux organes socialement ambigus de l'Etat, mais à s'en remettre à l'auto activité et au pouvoir créatif des masses ouvrières elles-mêmes :
"Cette vérité qui est simple et claire pour n'importe quel ouvrier est perdue de vue par les sommets de notre Parti : le communisme ne peut pas être décrété. Il doit être créé par la recherche des hommes vivants, au prix d'erreurs parfois, mais par l'élan créateur de la classe ouvrière elle-même". (Kollontaï, p.80)
Cette vision générale de l'Opposition Ouvrière était très profonde sur beaucoup d'aspects mais le groupe fut incapable d'apporter une contribution dépassant ces généralités. Les propositions concrètes qu'il mettait en avant comme solution à la crise que traversait la révolution, se fondaient sur une série d'incompréhensions fondamentales, qui exprimaient toute l'ampleur de l'impasse dans laquelle se trouvait le prolétariat russe à cette époque.
Pour l'Opposition Ouvrière, les organes qui exprimaient les véritables intérêts du prolétariat n'étaient rien d'autre que les syndicats ou plutôt les syndicats industriels. La tâche de créer le communisme devait donc être confiée aux syndicats:
"L'Opposition Ouvrière reconnaît les syndicats comme les créateurs et les directeurs de l' économie communiste..." (Kollontaï, p.74)
C'est pourquoi, alors que les communistes de Gauche en Allemagne, Hollande et ailleurs dénonçaient les syndicats comme étant un des principaux obstacles à la révolution prolétarienne, la Gauche en Russie les exaltait comme des organes potentiels de transformation communiste ! Les révolutionnaires en Russie semblent avoir eu de grandes difficultés à comprendre que les syndicats ne pouvaient plus désormais jouer aucun rôle pour le prolétariat à l'époque de la décadence du capitalisme. Bien que l'apparition des comités d'usine et des conseils en 17 ait signifié la mort des syndicats en tant qu'organes de lutte de la classe ouvrière, aucun des groupes de Gauche en Russie ne l'avait vraiment compris, soit avant, soit après l'Opposition Ouvrière en 1921, alors que l'Opposition Ouvrière dépeignait les syndicats comme le squelette de la révolution, les véritables organes de la lutte révolutionnaire - les comités d'usine et les conseils - avaient déjà été émasculés. Dans le cas des comités d'usine, c'était leur intégration même dans les syndicats après 1918 qui les avait effectivement tués comme organes de la classe. Le transfert du pouvoir de décision dans les mains des syndicats, malgré la bonne intention de leurs partisans, n'aurait en aucune façon redonné le pouvoir au prolétariat en Russie. Même si un tel projet avait été possible, il n'aurait été qu'un simple transfert de pouvoir d'une branche de l'Etat à une autre.
Le programme de l'Opposition Ouvrière pour la régénérescence du Parti était également vicié à la base. Ils n'expliquaient l'opportunisme croissant du Parti qu'en termes d'afflux de membres non prolétariens. Pour eux, le Parti pouvait être remis dans le chemin prolétarien si une purge ouvriériste était effectuée contre les membres non ouvriers. Si le Parti était composé de manière écrasante de "purs" prolétaires aux mains calleuses, tout irait bien. Cette réponse à la dégénérescence du Parti manquait complètement son but. L'opportunisme du Parti n'était pas une question de personnes, mais une réponse aux pressions et aux tensions créées par l'exercice du pouvoir d'Etat et une situation de plus en plus défavorable. Recevoir les "rênes" du pouvoir en période ferait devenir n'importe qui "opportuniste", si pure que soit son origine prolétarienne. Bordiga remarquait, une fois, que les ex-ouvriers devenaient les pires de tous les bureaucrates. Mais l'Opposition Ouvrière n'a jamais mis en question la notion selon laquelle le Parti devait diriger l'Etat pour garantir qu'il reste un instrument du prolétariat :
"Le comité central de notre Parti doit devenir le centre supérieur de la politique de classe, l'organe de la pensée communiste et le contrôle permanent de la politique réelle des soviets et l'incarnation morale des principes de notre programme". (Kollontaï, p.88)
L'incapacité de l'Opposition Ouvrière à concevoir la dictature du prolétariat comme autre chose que la dictature du Parti les a conduits à faire frénétiquement acte de fidélité envers le Parti, quand, au milieu du Xème congrès, la révolte de Cronstadt a éclaté. Des leaders éminents de l'Opposition Ouvrière ont même donné des gages en se mettant eux-mêmes sur le front de l'assaut contre la garnison de Cronstadt. Comme toutes les autres fractions de gauche en Russie, ils n'ont pas du tout compris l'importance du soulèvement de Cronstadt en tant que dernière lutte de masse des ouvriers russes pour le rétablissement du pouvoir des soviets. Mais aider à la répression de la révolte n'a pas sauvé l'Opposition Ouvrière de la condamnation en tant que "déviation anarchiste, petite-bourgeoise", en tant "qu'élément objectivement contre-révolutionnaire" à la fin du congrès.
L'exclusion des "fractions" du Parti au Xème congrès porta un coup accablant à l'Opposition Ouvrière. Confrontée à la perspective d'un travail illégal, clandestin, elle s'avéra incapable de maintenir son opposition au régime. Quelques-uns de ses membres continuaient à lutter pendant les années 20, en association avec d'autres fractions illégales ; d'autres capitulèrent simplement. Kollontaï elle-même finit comme serviteur loyal du régime stalinien. En 1922, le journal communiste anglais le "Workers Dreadnought" faisait référence aux "dirigeants sans principe et sans épine dorsale" de la soi-disant "Opposition Ouvrière" (Workers Dreadnought, 20 juillet 22) et il y avait certainement un véritable manque de résolution dans le programme du groupe. Ce n'était pas une question de courage ou de manque de courage des membres individuels du groupe, mais le résultat des difficultés énormes qu'avaient à affronter les révolutionnaires russes pour essayer de s'opposer ou de rompre avec un parti qui avait été l'âme de la révolution. Pour beaucoup de communistes sincères, discuter les bases mêmes du Parti était pure folie. Il n'y avait rien en dehors du parti sinon le néant. L'attachement au Parti, si profond qu'il est devenu un obstacle à la défense des principes révolutionnaires, devait être encore plus prononcé dans l'Opposition de Gauche plus tard.
Une autre raison de la faiblesse des critiques de l'Opposition Ouvrière au régime était leur manque quasi total de perspectives internationales. Alors que les fractions de gauche les plus déterminées en Russie tiraient leur force de la compréhension du fait que le seul véritable allié du prolétariat russe et de sa minorité révolutionnaire était la classe ouvrière mondiale, l'Opposition Ouvrière avait un programme basé sur la recherche de solutions entièrement contenues dans le cadre de l'Etat russe.
La préoccupation centrale de l'Opposition Ouvrière était celle-ci : "Qui doit réaliser la créativité de la dictature du prolétariat dans la sphère de la construction économique ?" (Kollontaï, p.50). La tâche primordiale qu'ils fixaient à la classe ouvrière russe était la construction d'une "économie communiste" en Russie. Leurs préoccupations des problèmes de gestion de la production en créant des soi disant "rapports communistes" de production en Russie, manifestaient une incompréhension totale d'un point fondamental: le communisme ne peut pas être construit dans un bastion isolé. Le principal problème qui se dressait devant la classe ouvrière russe était l'extension de la révolution mondiale, non la "reconstruction économique" de la Russie.
Bien que le texte de Kollontaï critique "les relations commerciales actuellement engagées avec les puissances capitalistes, relations qui passent par dessus la tête du prolétariat organisé" (Kollontaï, p.56), l'Opposition Ouvrière était d'accord avec une attitude qui allait en se renforçant au sein même de la direction bolchevik, à savoir une tendance à mettre en avant les problèmes de l'économie russe au détriment de l'extension de la révolution au niveau international. Que ces groupes du parti aient défendu des positions divergentes sur le plan de la reconstruction économique est moins important que le fait qu'ils aient tous deux tendance à croire que la Russie pouvait se replier sur elle-même sans trahir les intérêts de la révolution mondiale.
La perspective exclusivement "russe" de l'Opposition Ouvrière se reflétait également dans son incapacité à développer des liens effectifs avec l'opposition communiste en dehors de la Russie. Bien que le texte de Kollontaï ait été sorti de Russie par un membre du KAPD et publié par le KAPD et le Workers dreadnought, Kollontaï changea d'avis par la suite et, regrettant sa décision, tenta de récupérer son texte ! L'Opposition Ouvrière ne fit aucune critique réelle de la politique opportuniste adoptée par l'IC ; elle approuva les 21 conditions et n'a pas cherché à se joindre à l'opposition de "l'étranger" malgré la solidarité que le KAPD et d'autres lui ont manifesté. En 1922, les membres de l'Opposition Ouvrière firent un dernier appel au IVème congrès de l'IC mais leur intervention se bornait à protester contre la bureaucratisation du régime et contre l'absence de liberté d'expression pour les groupes communistes dissidents en Russie. De toute façon, ils n'eurent que peu d'écho dans une Internationale qui avait déjà expulsé ses meilleurs éléments et qui allait approuver la politique du "front unique". Peu après leur dernier appel, une commission bolchevik spéciale fut formée pour examiner les activités de l'Opposition Ouvrière. La commission tira la conclusion que le groupe constituait une "organisation fractionnelle illégale" et la répression qui suivit mit fin à la plupart des activités de ce groupe ([4] [127]). L'Opposition Ouvrière eut le malheur d'être poussée sur le devant de la scène à une époque où le Parti subissait des bouleversements profonds qui allaient peu de temps après rendre toute activité oppositionnelle légale impossible en Russie. En voulant faire un compromis entre les deux extrêmes : le travail fractionnel au sein du Parti, d'une part, et une opposition clandestine au régime d'autre part, l'Opposition Ouvrière finit dans le vide ; dorénavant, le flambeau de la résistance prolétarienne trouverait des porteurs plus résolus et intransigeants.
C.D.
Ward
[1] [128] Les bolcheviks eux-mêmes ont produit des tendances d'extrême gauche pendant la période d'avant la Première guerre, notamment les maximalistes qui critiquaient la tactique parlementaire de l'organisation bolchevik après la révolution de 1905. Mais puisque ce débat avait lieu à l'époque marquant la fin de la phase ascendante du capitalisme, nous n'entrerons pas dans une discussion approfondie de ces positions dans cette étude. La Gauche Communiste, par contre, est un produit spécifique du mouvement ouvrier dans l'époque de décadence ; la Gauche Communiste a son origine dans la critique de la stratégie communiste "officielle" de l'IC à ses débuts, critique qui cherchait à définir les tâches révolutionnaires du prolétariat dans la nouvelle période.
[2] [129] cf. "Leçons de la Révolution Allemande" (Revue Internationale, n°2).
[3] [130] cf. "La dégénérescence de la Révolution Russe" et les "Leçons de Cronstadt" (Revue Internationale, n°3).
[4] [131] Bien que l'Opposition Ouvrière ait cessé d'exister après 1922, son nom comme celui du Centralisme Démocratique revient continuellement par rapport à l'activité clandestine jusqu'au début des années 30, ce qui semble démontrer que des éléments de ces deux groupes ont combattu jusqu'au dernier souffle.
LETTRE DE BATTAGLIA COMUNISTA
Chers camarades,
Nous avons lu dans le numéro de septembre de votre journal le passage suivant ([1] [132]) :
"A vrai dire, les révolutionnaires alias les "métaphysiciens impuissants" ne seront qu'à demi surpris des offres de service discipliné des bordiguistes au front unique. C'est avec un précédent bagage antifasciste que l'actuel PCI s'est formé. Les premiers à rejoindre les rangs viennent des groupes de "partisans' italiens", ensuite ceux du Comité antifasciste de Bruxelles, puis des éléments de l'ancienne minorité de la Gauche favorables à ce qu'ils estimaient pouvoir être une "véritable lutte de classe" face à Franco. Par contre, la Gauche Communiste en France et en Belgique est restée de façon intransigeante sur les bases affirmées par la Gauche Communiste Internationale. Pendant la Seconde guerre, ses appels ne sont pas allés vers les antifascistes "sincères" ou "ouvriers", mais ils se sont adressés au prolétariat mondial, l'appelant à transformer la guerre impérialiste en guerre civile, excluant par avance tout geste pouvant être interprété comme un appui critique à la démocratie."
Ce passage est extrait de l'article "Honnêtes propositions d'hymen frontiste du PCI, polémique contre une des habituelles escapades frontiste de Programma Comunista (Le Prolétaire) en France".
Nous n'entendons pas entrer ici dans le cœur d'une polémique qui ne nous concerne pas et sur laquelle nous avons déjà clairement défini notre position. Nous entendons plutôt demander une profonde rectification des graves affirmations contenues dans le passage cité, affirmations que nous n'hésitons pas à qualifier d'entièrement et complètement fausses, sans que nous sachions si elles ont été dictées par le manque de connaissance ou par le laisser-aller politique. Il est vrai que Programma Comunista (les bordiguistes) s'est mis en dehors du Partito Comunista Internazionalista qui à Turin "en 1943 a tenu sa première convention et où s'étaient rassemblés à ce moment-là ces mêmes camarades qui aujourd'hui ruminent de nouveau ce frontisme (antifasciste et syndical) depuis longtemps digéré par la Gauche révolutionnaire". Mais il est tout aussi vrai que le P. C. Internazionalista a continué d'être en Italie la seule force qui défende avec sérieux et de façon conséquente tout ce que la gauche avait fait de mieux dans sa tâche de tirer les leçons et les conclusions de la première vague révolutionnaire ouverte par la révolution en Russie et close au sein de la Troisième Internationale. Que par ailleurs les "programmistes" se réclament par commodité de ce même patrimoine d'élaboration et de lutte pour le renier dans la pratique politique, c'est une affaire qui nous concerne seulement à cause de la confusion que cela engendre même dans les avant-gardes ouvrières.
Et ce Partito Comunista Internazionalista fondé en 43 qui connut la convention de Turin, le congrès de Florence de 1948 et celui de Milan en 1952 n'a pas tout à fait un bagage simplement "antifasciste". Les camarades qui l'ont constitué provenaient de cette Gauche qui avait la première dénoncé, aussi bien en Italie qu'à l'étranger, la politique contre révolutionnaire du bloc démocratique (comprenant les partis staliniens et trotskistes) et avait été la première et la seule à agir au sein des luttes ouvrières dans les rangs mêmes des Partisans, appelant le prolétariat contre le capitalisme quel que soit le régime dont il se recouvre.
Les camarades, que RI voudrait faire passer pour des "résistants", étaient ces militants révolutionnaires qui faisaient un travail de pénétration dans les rangs des Partisans pour y diffuser les principes et la tactique du mouvement révolutionnaire et qui, pour cet engagement, sont même allés jusqu'à payer de leur vie. Devons-nous rappeler aux camarades de Révolution Internationale les figures d'Acquaviva et d'Atti? Et bien, ces deux camarades vilement assassinés sur ordre des chefs staliniens (les mêmes démocrates d'aujourd'hui), étaient des cadres du Partito Comunista Internazionalista et c'est aussi au fait de leur héroïque conduite révolutionnaire que le Partito Comunista Internazionalista a pu et peut se présenter avec toutes ses cartes en règle.
En ce qui concerne les camarades qui pendant la période de la guerre d'Espagne décidèrent d'abandonner la fraction de la Gauche Italienne pour se lancer dans une aventure en dehors de toute position de classe, rappelons que les événements d'Espagne qui ne faisaient que confirmer les positions de la Gauche, leur ont servi de leçon pour les faire rentrer de nouveau dans le sillon de la gauche révo1utionnaire. Le Comité antifasciste de Bruxelles dans la personne de Vercesi, qui au moment de la constitution du P.C.Int., pense devoir y adhérer, maintient ses propres positions bâtardes jusqu'au moment où le parti rendant le tribut nécessaire à la clarté se sépare des branches mortes du bordiguisme.
Ce que nous affirmons est confirmé par des documents qui existent et que les camarades de Révolution Internationale ont à leur disposition mais semblent ne pas avoir lu. Le premier cahier internationaliste avec tous les documents "d'époque" montre quelle fut la politique du P.C.Int. et de quel "frontisme" il se réclamait (unité des travailleurs contre la guerre et contre ses agents fascistes et démocrates), chose tout à fait différente du frontisme d'organisations qui est aujourd'hui défendu par les programmistes.
En demandant que soit faite cette nécessaire rectification, au moment même où RI se place sur le terrain de la discussion avec les forces révolutionnaires et se déclare disponible pour l'initiative internationale de notre Parti, nous souhaitons que tous les révolutionnaires sachent mener un sérieux examen critique des positions sur les principaux problèmes politiques de la classe ouvrière aujourd’hui, en se documentant avec le sérieux propre précisément aux révolutionnaires, lorsqu’il s'agit de revenir (et c'est là quelque chose qui est toujours nécessaire) sur les erreurs du passé.
Saluts communistes
Pour l'exécutif du P.C.Int., Damen
REPONSE DU C. C. I.
Nous n'étions pas peu surpris de recevoir et de lire votre lettre imprégnée d'une sainte indignation, c'est le moins qu'on puisse dire. De quoi s'agit-il exactement ? Il s'agit d'un article publié dans le numéro 29 de Révolution Internationale du mois de septembre, article dirigé contre le PCI bordiguiste dans lequel nous mettions en relief l'opportunisme profond qui ronge cette organisation notamment pour ce qui concerne sa tendance de plus en plus accentuée vers le "frontisme". Le bordiguisme reconstitué en Parti à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, nous offre une image frappante d'une dégénérescence d'un courant autrefois communiste de gauche, sur toutes les questions qui se sont posées au mouvement ouvrier depuis la faillite de la 3eme Internationale : fonction du Parti, moment historique de sa constitution ; nature et fonction des syndicats aujourd’hui, programme de revendications transitoires ; électoralisme ; question de la libération nationale ; frontisme. Sur toutes ces questions, le bordiguisme converti en Parti, n'a fait qu'emprunter une voie qui l'éloigne de plus en plus des positions communistes et le rapproche chaque jour plus du trotskisme. Cette régression politique semble être la seule "invariance" dans l'évolution du bordiguisme et tout groupe vraiment révolutionnaire ne peut manquer de se heurter à lui et de le combattre implacablement. C'est ce qu'avait fait Révolution Internationale dans l'article incriminé.
Comment se fait-il alors que les attaques dirigées contre le bordiguisme aient atteint Battaglia Comunista qui s'en plaint et proteste, ce qui nous a valu cette lettre ? A croire que les balles ont malencontreusement ricoché. Mais ricoché sur quoi?
En premier lieu, cela vient du fait qu'il existe en Italie au moins quatre groupes qui se nomment PCI, tous les quatre provenant du même Parti initial, se réclamant de la même continuité, de la même "invariance", de la même tradition et de la même plate-forme initiale dont chacun se revendique comme le seul, le vrai et légitime, l'unique héritier. Il est certainement dommage que, par un excès d'amour propre et souci d'authenticité, ces groupes, en maintenant le même nom, ne font qu'entretenir une confusion. Nous n'y sommes pour rien et ne pouvons que le regretter. A cela, il faut ajouter que, hors d'Italie, et surtout en France, c'est le groupe bordiguiste (Progranna Comunista) qui est connu comme le PCI et, quoi qu'en pense Battaglia, cela ne semble pas complètement illogique. S'il ne nous appartient pas de donner des attestations de légitimité, il nous semble cependant que c'est aller vite en besogne que de considérer le bordiguisme comme un courant qui n'a fait que "traverser" la Gauche Italienne, comme veut le faire accroire la lettre. Quelle que soit sa régression aujourd'hui, personne ne peut ignorer ou nier que, durant 25 années, le bordiguisme se confond complètement avec ce qu'on connaît comme la Gauche Italienne. Cela est non seulement vrai pour la fraction abstentionniste de Bordiga, et son journal Il Soviet dans les années 20, mais est encore attesté par le fait que la Plate-forme, présentée par la gauche au Congrès de Lyon en 1926 et qui servira de base à son exclusion du PC, porte expressément le titre : "Plate-forme de la Gauche (Bordiguiste)".
Quoi qu'il en soit, personne ne pouvait se tromper sur l'adresse à qui notre article était destiné. Aucune équivoque ne peut subsister car nous avions de plus pris la précaution de souligner en toutes lettres dans le sous-titre : "Un PCI (Programme Communiste) frontiste". Quant au passage que vous citez et qui semble tellement vous irriter, remarquons qu'il était non seulement de notre droit mais politiquement tout à fait logique de nous demander si cette dégénérescence du bordiguisme n'est qu'un fait du hasard, ou s'il ne faut pas en chercher les germes et les trouver déjà dans le passé, dans les conditions politiques mêmes dans lesquelles s'est constitué ce Parti. Ce qui vous gêne est que l'histoire de la constitution de ce Parti se trouve être également votre propre histoire. Aussi, vous essayez de minimiser cette unité de responsabilité, cette unité tout court existant à l'origine de ce Parti, en marquant une distinction à faire selon vous dès le début, entre les uns et les autres, en écrivant :
"Il est vrai que Programma Comunista (les bordiguistes) s'est mis en dehors du Partito Comunista Internazionalista qui à Turin "en 1943 a tenu sa première convention et où s'étaient rassemblés à ce moment-là ces mêmes camarades (…)".
"… jusqu'au moment où le parti rendant le tribut nécessaire à la clarté se sépare des branches mortes du bordiguisme".
En d'autres termes : à la constitution du PCI, il y avait nous et eux ; ce qui était bon, c'était nous, le mauvais, c'était eux. En admettant qu'il en fut ainsi, cela ne change rien au fait que ce "mauvais" y était, qu'il constituait un élément fondamental et unitaire dans le moment de la constitution du Parti et que personne n'a rien trouvé à y redire ni n'a élevé la moindre critique, parce que lancés tous ensemble dans une course précipitée de construction d'un Parti, on ne prit pas le temps (sans parler déjà d'un examen sérieux du moment de la constitution du Parti) de regarder de plus près avec qui on entreprenait cette construction et de quelles positions et activités ceux-ci se réclamaient.
De ne l'avoir pas vu et compris au moment même peut à la rigueur être une explication, en aucun cas une justification, et encore moins a posteriori. C'est pourquoi nous ne comprenons pas vos protestations quand nous ne faisons que rappeler tout simplement les faits et leur signification à nos yeux.
Battaglia Comunista nous demande une "profonde rectification des graves affirmations contenues dans le passage cité", en ajoutant, "affirmations que nous n'hésitons pas à qualifier d'entièrement et complètement fausses". En fait de rectification, nous nous voyons plutôt obligés de nous expliquer et d'apporter des précisions qui fondent nos affirmations et qui sont, quoiqu'en pense Battaglia Comunista loin d'être "entièrement et complètement fausses". Tout d'abord, une chose doit être claire : nous n'avons jamais dit que le PCI -fondé en 1943 - avait "tout à fait un bagage simplement 'antifasciste'". Si telle avait été notre appréciation, nous l'aurions dit et nous aurions eu à son égard une attitude politique en conséquence, c'est-à-dire de dénonciation pure et simple comme envers les trotskistes, et non celle de la confrontation, ce qui est tout à fait différent, même si cette confrontation est parfois violente. Nous ne disons pas que les positions du PCI étaient "simplement" antifascistes, mais que dans le Parti, on avait laissé droit de cité (et cela jusque dans la direction) à des éléments qui se réclamaient ouvertement d'expériences (les leurs) frontistes et antifascistes. Ce que nous voulons mettre en évidence, c'est qu'à côté des affirmations de positions de classe, le PCI laissait subsister des ambiguïtés, tant du point de vue du regroupement des éléments que de celui des formulations. Tout se passait comme si en fermant la porte, on laissait à tout hasard la fenêtre entrouverte. Il ne faut pas nous faire dire ce que nous ne disons pas, mais nous entendons défendre tout ce que nous disons. Aussi nous souscrivons pleinement à ce qu'écrivait Internationalisme n°36 en juillet 1948 :
'Tout comme après la Conférence de 1945, nous estimons qu'en son sein (le PCI) sont rassemblés un grand nombre de militants révolutionnaires sains, et de ce fait, cette organisation ne peut être considérée comme perdue d'avance pour le prolétariat".
Internationalisme n'aurait certainement pas parlé ainsi d'un groupe simplement antifasciste, mais cela ne diminue en rien les "graves affirmations" critiques qu'il portait contre les "ambiguïtés" et les erreurs du PCI que les vicissitudes ultérieures de ce Parti, ses crises, et ses scissions, ont depuis amplement justifiées.
Ces ambiguïtés et erreurs, nous les trouvons dans le fait même de la constitution du Parti. Le Parti ne se constitue pas à n'importe quel moment. La Gauche Communiste de France avait raison en s'appuyant sur les critiques pertinentes portées par "Bilan" contre la proclamation de la 4eme Internationale de Trotski, de critiquer énergiquement la constitution du P.C.I. Un tel Parti constitué dans une période de réaction et de défaite de la classe porte non seulement des marques de volontarisme et d'artificiel mais doit nécessairement contenir des "flous" et des ambiguïtés politiques. Jamais, à notre connaissance, le P.C.I. (que vous soyez les seuls ou non à continuer) n'a répondu à cette critique, préférant, dans son enthousiasme de la constitution, l'ignorer dans un silence dédaigneux, en même temps qu'il ouvrait les portes à des éléments politiquement douteux.
Nous trouvons ces ambiguïtés dans la Plate-forme Politique du P.C.I. publiée en français en mai 1946. Faut-il insister sur le fait que durant la guerre et surtout vers la fin de celle-ci, les questions sur l'attitude des révolutionnaires face à la guerre, la Résistance partisane, la mystification antifasciste et autres "libérations" prenaient une acuité particulière, exigeant la plus grande clarté et intransigeance ? Parlant de ces activités et tout en condamnant la Résistance dans son ensemble, la Plate-forme écrit :
"Les éléments effectifs de l'action clandestine qui a été développée contre le régime fasciste ont été et sont des réactions spontanées et informes de groupements prolétariens et de rares intellectuels désintéressés ainsi que l'action et l'organisation que tout Etat et toute armée créent et alimentent aux arrières de l'ennemi." (Plate-forme, p. 19, § 7).
Tout le paragraphe 7, où est traitée la question des Partisans, s'efforce d'habiliter l'idée que ce mouvement a un double fondement : l'un d'origine prolétarienne, l'autre émanant des Etats et armées adversaires. Et pour mieux faire valoir encore le caractère de "réactions spontanées et informes de groupements prolétariens" on ira jusqu'à minimiser le poids de l'autre : "Ces chefaillons politiques qui sont apparus comme des mouches du coche n'ayant eu qu'une influence minime dans cette action" (ibid.). Comment ne pas sentir toute l'ambiguïté de cet autre passage de ce même paragraphe :
"En réalité le réseau que les partis bourgeois et pseudo-prolétariens ont constitué dans la période clandestine, n'avait pas du tout comme but l'insurrection partisane nationale et démocratique, mais seulement la création d'un appareil destiné à immobiliser tout mouvement révolutionnaire, qui aurait pu se déterminer au moment de l'effondrement de la défense fasciste et allemande." (Ibid.)
Cette insistance à vouloir distinguer et opposer "l'insurrection partisane nationale et démocratique" à la recherche d'"d'immobiliser tout mouvement révolutionnaire" recouvre nettement la première distinction faite sur l'origine et caractère doubles du mouvement Partisan et mène logiquement à la reconnaissance d'un possible mouvement "antifasciste prolétarien" sincère, démocratique et tout, en opposition à un faux antifascisme bourgeois.
C'est voiler à peine le lien "naturel" qu'on établit ainsi entre le prolétariat et les Partisans, et ce léger voile disparaîtra complètement quand on écrira:
"Ces mouvements (des Partisans) qui n'ont pas une orientation politique suffisante (sic !) expriment tout au plus la tendance de groupes prolétariens locaux à s'organiser et à s'armer pour conquérir et conserver le contrôle des situations locales et donc du pouvoir." (p. 2, § 18)
Le mouvement de Partisans n'est plus dénoncé pour ce qu'il est, la mobilisation des ouvriers pour la guerre impérialiste, mais devient une tendance de groupes prolétariens pour conquérir le pouvoir local, mais, malheureusement... "avec une orientation politique insuffisante"… !
Quand on pense que ce sont là des textes extraits de la Plate-forme, c'est-à-dire, le document de fondement, écrit avec la plus grande attention et par les membres les plus autorisés, on peut s'imaginer aisément quelles diatribes antifascistes se trouvaient dans la presse locale du P.C.I., dans le Sud surtout, qui se trouvait isolé et coupé du centre qui était dans le Nord ([2] [133]).
Avec une telle définition, on ne peut s'étonner qu'on en soit arrivé à prendre la défense de ces luttes :
"En ce qui concerne la lutte partisane et patriotique contre les Allemands et les fascistes, le Parti dénonce la manœuvre de la bourgeoisie internationale et nationale qui, avec sa propagande pour la renaissance d'un militarisme d'Etat officiel (propagande vide de sens) (sic) vise à dissoudre et à liquider les organisations volontaires de cette lutte, qui, dans beaucoup de pays ont déjà été attaquées par la répression armée."
On nous demandait une "rectification profonde de graves affirmations". Nous sommes absolument d'accord et convaincus que ces rectifications sont nécessaires et s'imposent. La seule question est de savoir qui doit rectifier quoi ? Est-ce à nous de rectifier de fausses accusations d'antifascisme ? Ou est-ce à Battaglia de rectifier des postulats et des formulations plus qu'ambiguës de la Plate-forme, base de constitution du P.C.I. ?
Comment le P.C.I. pouvait-il prendre la défense de l'organisation Partisane contre la menace de leur dissolution par l'Etat ? Les Partisans étaient l'organisation armée dans laquelle la bourgeoisie mobilisait les ouvriers de l'arrière pour la guerre impérialiste au nom de l'antifascisme et de la libération nationale. Cela ne semble pas tellement évident pour le P.C.I. qui voit dans cette organisation de Partisans patriotique et antifasciste quelque chose d'autre, "une réaction spontanée de groupements prolétariens" - d'où sa politique pleine de sollicitudes à son égard :
"Face à ces tendances qui constituent un fait historique de premier ordre... le Parti met en évidence que la tactique prolétarienne exige en premier lieu que les éléments les plus combatifs et les plus résolus trouvent finalement (!) la position politique et l'organisation qui leur permettra - après avoir longtemps donné leur sang pour la cause des autres - de se battre enfin et seulement pour leur propre cause." (Ibid.).
Qu'on ne s'y trompe pas. Il ne s'agit pas pour le P.C.I. d'éléments ouvriers égarés et entraînés dans une organisation capitaliste que le prolétariat en premier ordre doit détruire, mais donc d'une organisation ouvrière, "un fait historique de premier ordre", ayant une "orientation politique insuffisante", qu'on doit défendre contre la manœuvre de la bourgeoisie qui veut la dissoudre, avec qui il peut y avoir un dialogue, un terrain fertile pour la révolution et dans les rangs de laquelle on va pénétrer pour porter les positions communistes.
On pense nous confondre en nous disant que les militants du P.C.I. dans les rangs des Partisans n'allaient pas pour faire œuvre de "résistants" mais pour "diffuser les principes et la tactique du mouvement révolutionnaire". Soit. Mais pour faire la propagande orale ou écrite, on ne demande pas aux révolutionnaires l'adhésion dans une organisation contre révolutionnaire. Ce genre de pénétration est la tactique de ceux qui vont faire du "noyautage tactique" que nous n'apprécions pas outre mesure et que nous préférons laisser aux trotskistes. Mais cela n'explique pas encore pourquoi, précisément, dans les rangs des Partisans... et non pas dans les Partis P.S. ou P.C., par exemple ? Cela ressemble bien plus à la tactique d"'entrisme" des trotskistes et n'a rien de commun avec les positions révolutionnaires de la Fraction Italienne de la Gauche Communiste. Que ce soit de leur propre chef (ou sur décision du Parti) que le Parti ait accepté que "des cadres du Parti" adhèrent à l'organisation de Partisans, c'est là une "tactique" plus qu'étrange et que nous ne pouvons qualifier que de collaboration politique. Les Partisans, ne l'oublions pas, est une organisation contre révolutionnaire de la pire espèce, créée pendant la guerre en vue de perpétuer le massacre des ouvriers; c'est une organisation militaire, basée sur le "volontariat" (tout comme les S.S.) et, à ce titre, n'offre aucun terrain propice de diffusion de principes et tactiques révolutionnaires, ce qui la distingue de l'armée, dans laquelle les ouvriers sont mobilisés de force ([3] [134]). Le fait que cette organisation de guerre avait des allures "populaires" et sur sa façade "l'antifascisme", ne justifiait nullement la politique de pénétration et l'envoi de cadres de la part d'un Parti révolutionnaire. Si le P.C.I. l'a fait, c'est que lui-même était dans la confusion et, en plus, pris dans son "activisme", il a commis une terrible légèreté en laissant aller, ou, pire encore, en envoyant des militants dans ce repaire contre révolutionnaire militaire où ils ne pouvaient que se faire assassiner. D'une telle erreur, il n'y a vraiment pas de quoi se vanter ([4] [135]).
Nous ne connaissons pas le détail des circonstances dans lesquelles furent assassinés, sur ordre des staliniens, les camarades Acquaviva et Atti. Mais leur fin tragique, loin d'apporter la preuve de la justesse de votre politique de participation, ne fait que nous renforcer dans notre conviction. Beaucoup de trotskistes en France et ailleurs ont perdu leur vie dans des circonstances analogues ; cela ne prouve nullement que la politique de participation qu'ils pratiquaient était révolutionnaire
Après tout ce que nous venons de voir, aucun doute n'est possible sur l'ambiguïté de la position du P.C.I. au moment de sa constitution concernant la question de la Résistance antifasciste et Partisane - et ceci devra peser sur l'évolution ultérieure de l'organisation. Pour confirmer nos dires, il suffit de citer l'intervention de Danielis ([5] [136]) au Congrès du P.C.I. à Florence (6-9 mai 1948) :
"Une chose doit être claire pour tout le monde : le Parti a subi l'expérience grave d'un facile élargissement de son influence politique - due à un non moins facile activisme - non en profondeur (car difficile) mais en surface. Je dois faire part d'une expérience personnelle qui servira de mise en garde face au danger d'une facile influence du Parti sur certaines couches, de masses, conséquence automatique d'une non moins facile formation théorique des cadres. Je me trouvais comme représentant du Parti à Turin, dans les derniers mois de la guerre. La Fédération était numériquement forte, avec des éléments très activistes, des tas de jeunes, de nombreuses réunions, des tracts, le journal, un Bulletin, des contacts avec les usines ; des discussions internes qui prenaient toujours un ton extrémiste dans les divergences sur la guerre en général ou la guerre de Partisans en particulier ; des contacts avec des éléments déserteurs. La position face à la guerre était claire : aucune participation à la guerre, refus de la discipline militaire de la part d'éléments qui se proclamaient internationalistes. On devait donc penser qu'aucun inscrit au Parti n'aurait accepté les directives du "Comité de Libération Nationale". Or, le 25 avril au matin (date de la "libération" de Turin), toute la Fédération de Turin était en armes pour participer au couronnement d'un massacre de 6 années, et quelques camarades de la province -encadrés militairement et disciplinés entraient à Turin pour participer à la classe à l'homme. Moi-même, qui aurais dû déclarer dissoute l'organisation, je trouvais un moyen de compromis et fis voter un ordre du jour dans lequel les camarades s'engageaient à participer au mouvement individuellement. Le Parti n'existait pas ; il s'était volatilisé."
Ce témoignage public d'un vieux militant responsable et formé par une longue expérience de la Fraction Italienne à l'étranger est éloquent et dramatique à la fois. Ainsi, ce n'est pas le Parti qui pénétrait dans les rangs de Partisans pour diffuser les principes et la tactique révolutionnaires, mais c'était bel et bien l'esprit de Partisans qui pénétrait dans le parti et gangrenait ces militants. Le fait que le P.C.I. ne se soit jamais livré à un débat critique approfondi sur ce sujet, que pour des raisons de prestige prévalant, le Parti ait préféré se réfugier dans le silence, entraînant, comme nous le verrons, d'autres "silences", explique bien des incidences le long de son histoire, la survivance de ces ambiguïtés et leur développement même, dans l'ensemble des groupes dans lesquels il s'est divisé.
Cette ambiguïté concernant la question de Partisans, nous la retrouverons à chaque pas dans les groupes issus du PCI originel, et cela non seulement chez les bordiguistes (Programma) avec leur soutien des mouvements de libération nationale dans les pays sous-développés. Nous la retrouvons dans le Bulletin International publié en français au début des années 60, fait en commun par News and Letters, Munis et Battaglia Comunista, où, dans un article d'un camarade italien, on essaie de montrer à l'aide de la théorie du "cas particulier" que les Partisans en Italie avaient quelque chose de différent des autres résistances dans les autres pays, et donc justifiait un traitement particulier. Les traces de cette position ambiguë, nous les retrouvons encore jusque dans la lettre présente de Battaglia Comunista quand elle parle "d'agir au sein des luttes ouvrières et dans les rangs mêmes des Partisans".
Selon la lettre de Battaglia, les camarades de la minorité de la fraction italienne allèrent en Espagne "en dehors de toute position de classe", à l'encontre des militants du PCI qui, eux, "faisaient un travail de pénétration dans les rangs des Partisans pour y diffuser les principes et la tactique du mouvement révolutionnaire". Mais est-ce que les camarades de Battaglia Comunista pensent que les militants de la minorité sont allés en Espagne pour "défendre la démocratie républicaine contre le fascisme" ? Eux aussi, en allant en Espagne, tout comme ceux du P.C.I. dans les rangs des Partisans, voulaient aller pour diffuser dans les files des principes et la tactique du mouvement révolutionnaire", pour la Dictature du Prolétariat, pour le Communisme. Pourquoi celle de la minorité a été une "aventure" et celle du P.C.I. un acte d'héroïsme ? Une simple question, et qui ne trouve certes pas sa réponse dans l'affirmation toute gratuite que les évènements "leur ont servi (à la minorité) de leçon pour les faire rentrer dans le sillon de la gauche révolutionnaire". Cette minorité exclue de la fraction, en 36 va se regrouper dans l'Union Communiste, qui défend les mêmes positions, et va y rester jusqu'à la dispersion de ce groupe pendant la guerre. Il n'a jamais plus été question de retour de ces militants à la Gauche Communiste, jusqu'au moment de la dissolution de la fraction et l'intégration de ses militants dans le P.C.I. (fin 45). Il n'a jamais été question de "leçon", ni de rejet de position, ni de condamnation de leur participation à la guerre antifasciste d'Espagne de la part de ces camarades. C'est tout simplement l'euphorie et la confusion de la constitution du parti "avec Bordiga" qui ont incité ces camarades, y compris les quelques camarades français survivants de l'ancienne Union Communiste, à le rejoindre, et cela sous l'instigation directe de Vercesi, devenu entre temps dirigeant du parti et son représentant en dehors d'Italie. Le Parti en Italie ne leur a pas demandé de comptes, non pas par ignorance – de vieux camarades de la fraction comme Danielis, Lecce, Luciano, Butta, Vercesi et tant d'autres ne pouvaient pas ignorer cette minorité que neuf ans avant ils ont eux-mêmes exclue - mais parce que le moment n'était pas à "de vieilles querelles" ; la reconstitution du Parti effaçait tout. Ce parti qui n'était pas trop regardant sur l'agissement des Partisans présents dans ses propres militants ne pouvait se montrer rigoureux envers cette minorité pour son activité dans un passé déjà lointain et lui ouvrait "naturellement" ses portes, faisant d'elle, dans le silence, l'assise de la section française du nouveau Parti.
Les choses ne vont pas mieux pour ce qui concerne les explications sur le Comité Antifasciste de Bruxelles et son promoteur Vercesi. A ce sujet la lettre dit :"Le Comité antifasciste de Bruxelles dans la personne de Vercesi, qui au moment de la constitution du PCI pense devoir y adhérer, maintient ses propres positions bâtardes jusqu'au moment où le Parti, rendant le tribut nécessaire à la clarté, se sépare des branches mortes du bordiguisme". Qu'en termes galants ces choses là sont dites ! Il - Vercesi - pense devoir y adhérer !!?? Et le Parti, qu'en pense-t-il ? Ou est-ce que le Parti est une société de bridge où adhère qui veut bien y penser ? Vercesi n'était pas le premier venu. C'est un vieux militant de la Gauche Italienne des années 20 -et principal porte-parole de la Gauche Italienne dans l'émigration. Il est l'âme de la Fraction, et principal rédacteur de Bilan. Son œuvre militante et ses mérites révolutionnaires sont énormes, de même que son influence. C'est pourquoi la lutte au sein de la Fraction à la veille de la guerre comme durant celle-ci contre les positions de plus en plus aberrantes de Vercesi avait une grande importance.
L'annonce de la constitution d'un Comité Antifasciste italien à Bruxelles les derniers mois de la guerre, avec Vercesi - au nom de la Fraction - à sa tête devait provoquer une violente réprobation parmi les éléments et groupes révolutionnaires en France. La fraction regroupée en France - avec l'accord du Groupe Français de la Gauche Communiste - a réagi en excluant Vercesi de la Fraction, quelques mois avant de connaître la constitution du Parti en Italie et qu'elle ne proclame sa propre dissolution. Ce qui rendait plus grave le comportement politique de Vercesi, c'est qu'il entraînait derrière lui les camarades italiens de Bruxelles et la majorité de la Fraction Belge. C'est dans cette situation que quelques mois après, Vercesi se rend en Italie où il obtient ces nouvelles investitures de dirigeant du nouveau Parti et sa représentation à l'étranger. Le Parti ne pouvait pas ne pas connaître ces évènements parce que, non seulement une bonne partie des camarades responsables de la Fraction dissoute venaient de retourner en Italie, mais surtout parce que le Groupe Français de la Gauche Communiste posait ces débats publiquement dans sa revue Internationalisme et multipliait ses lettres directes et lettres ouvertes au P.C.I. et aux autres fractions de la Gauche Communiste, dans lesquelles il critiquait et condamnait tous ces agissements. Mise à part la Fraction Belge, le P.C.I. s'enfermait dans un épais silence pour finalement, pour toute réponse, ne reconnaître en France que la Fraction nouvellement constituée par le même Vercesi sur la base et le concours de l'ancienne minorité, écartant ainsi le groupe Internationalisme et ses questions gênantes. Il fallait attendre pas moins que 1948 pour que le Parti se décide à rompre le silence, et dans une brève et laconique résolution se prononce contre le Comité Antifasciste de Bruxelles sans même mentionner nominalement celui qui reste un de ses dirigeants : Vercesi. La politique du silence, c'est la politique du maintien de l'ambiguïté. Et il fallait encore 5 années supplémentaires pour que, comme dit la lettre, "le Parti, rendant le tribut nécessaire à la clarté, se sépare des branches mortes du bordiguisme".
Il n'est pas dans notre intention de faire un historique du P.C.Int. Si nous nous sommes arrêtés longuement sur la Plate-forme et la question des Partisans, c'est parce que c'était à l'époque la question clé. Nous nous sommes peu arrêtés sur l'intégration de la minorité de la Fraction qui a participé à la guerre d'Espagne, ainsi que celle des tenants du Comité Antifasciste de Bruxelles, quoique les implications politiques de ces derniers soient de la plus haute importance, car ce que nous voulions n'était pas une condamnation ad hoc, mais simplement corroborer nos dires qu'à la base de la constitution du P.C.Int. se trouvent de graves ambiguïtés qui font de celui-ci une régression politique par rapport aux positions de la Fraction d'avant-guerre et de Bilan. Tout en se maintenant globalement sur un terrain de classe, le P.C.Int. n'est pas parvenu à se dégager des vieilles positions erronées de l'Internationale Communiste comme sur la question des syndicats et de la participation aux campagnes électorales. L'évolution ultérieure du P.C.Int. et la dislocation en plusieurs groupes qui s'en est suivie prouvent son échec. L'apport de la Gauche Italienne est considérable et ses travaux théoriques politiques appartiennent au patrimoine de l'histoire du mouvement révolutionnaire du prolétariat. Mais, comme pour la Gauche Allemande ou la Gauche Hollandaise, tout indique l'épuisement depuis longtemps de ce que fut la Gauche Italienne traditionnelle. C'est là une constatation d'une rupture de la continuité organique. Le terrible cours de la contre révolution, sa profondeur et sa longue durée, ont eu raison physiquement et organiquement de l'I.C. en faillite. La Fraction se voulait comme un pont entre le Parti d'hier et celui de demain. Cela ne s'est pas réalisé. La constitution du P.C.Int. se voulait être le pôle du nouveau mouvement révolutionnaire. Et la période, et ses propres insuffisances et ambiguïtés ne l'ont pas permis. Il a échoué et apparaît plus comme une survivance du passé que comme un nouveau point de départ. ([6] [137])
Avec la réapparition de la crise historique qui ébranle les fondements du système capitaliste, avec la reprise de la lutte des ouvriers dans tous les pays, ne pouvait manquer le resurgissement de nouveaux groupes révolutionnaires, exprimant la nécessité et la possibilité d'un regroupement des révolutionnaires. Il faut cesser de se réclamer d'une vague et douteuse continuité organique et de vouloir la ressusciter artificiellement. Il importe de s'atteler sérieusement a la tâche de regroupement, de créer un pôle de regroupement des révolutionnaires. C'est la tâche de l'heure.
Mais ce regroupement, pour remplir vraiment sa fonction et être apte à l'assumer pleinement, ne peut se réaliser qu'à partir et sur les bases de critères politiques précis, d'une cohérence et d'orientations claires, fruit des expériences du mouvement ouvrier et de ses principes théoriques. C'est là un effort à poursuivre méthodiquement avec le plus grand sérieux. Il faut se garder de la facilité comme disait Danielis, en convoquant des conférences sur la base vague d'une dénonciation de tel ou tel tournant des Partis "Communistes" d'Europe. Cela serait mettre en avant le souci du plus grand nombre aux dépens de critères politiques seuls aptes à constituer un fondement solide et donner une vraie signification à un regroupement révolutionnaire. Sur ce point encore, l'expérience de la constitution du P.C.Int. peut nous servir de leçon édifiante.
Fermement attaché à l'idée de la nécessité de contact et de regroupement des révolutionnaires, le C.C.I. encouragera et participera activement à toute tentative dans ce sens. C'est pourquoi il a répondu positivement à l'initiative de Battaglia d'une Conférence Internationale de groupes révolutionnaires, tout en mettant en garde contre l'absence de critères politiques, ce qui permet l'invitation de groupes tels que les trotskistes, modernistes de l'Union Ouvrière, ou mao-trotskistes du Combat Communiste, dont nous ne voyons pas la place dans une conférence de communistes.
On nous a demandé une "rectification". Nous venons de la faire, un peu longue peut-être, mais assez claire espérons-nous. C'est justement parce que nous restons plus que jamais convaincus de la nécessité de discussion entre les groupes qui se réclament du communisme que nous pensons que ces discussions ne seront vraiment fécondes que dans la plus grande clarté sur les positions politiques, dans le présent comme dans le passé.
Dans l'attente de vos nouvelles, et avec nos salutations communistes.
Le COURANT
COMMUNISTE INTERNATIONAL - 30/11/76
[1] [138] RI n°29.
[2] [139] Nous avons pu prendre connaissance de ces journaux, mais nous ne pouvons malheureusement pas en citer des passages, ne les ayant pas à notre disposition. Le Parti certainement pourrait les republier... ?
[3] [140] Les Partisans se sont constitués directement sous le contrôle des Alliés et, sur place, sous le contrôle du Parti Communiste et du Parti Socialiste.
[4] [141] De façon générale, nous n'aimons pas beaucoup le ton vantard concernant les camarades qui ont constitué le P.C.I., et qui provenaient de cette Gauche qui "avait été la première et la seule à agir au sein de luttes ouvrières et dans les rangs mêmes des Partisans appelant le prolétariat à la lutte contre le capitalisme, quel que soit le régime dont il se recouvre." Premièrement, il et difficile de ne pas être la "première" quand on est la "seule". Deuxièmement, cette Gauche n'était pas la "seule". D'autres groupes existaient comme les Conseillistes hollandais et américains, le R.K.D., les C.R., etc., qui défendaient les positions de classe contre le capitalisme et contre la guerre. Troisièmement, si on veut parler de participation jusque dans les rangs des Partisans, cette partie de la Gauche italienne qui s'est laissée entraîner n'aura sûrement pas trop souffert d'isolement, étant en bonne compagnie avec toutes sortes de groupes, des trotskistes aux anarchistes.
[5] [142] Danielis était un militant actif de la Fraction Italienne en France et est retourné en Italie à la veille de la guerre.
[6] [143] Il suffit de rappeler l'absence totale de différents groupes se réclamant du P.C.Int. lors des luttes de la FIAT et de Pirelli de l'automne chaud en 1969 en Italie, complètement surpris par les évènements, pour s'en convaincre. Ne parlons pas du ridicule appel des bordiguistes appelant, par une petite affiche écrite à la main, collée sur les murs de l'université, les 12 millions d'ouvriers en grève à se mettre derrière le drapeau du Parti... en mai 1968 en France.
Dans une lettre récente, les librairies "Contra a corrente" du groupe Combate au Portugal nous font part de leur décision de cesser la vente des publications du CCI. Il n'est pas dans les habitudes du CCI de rentrer dans de tels détails dans les pages de ses publications. Cependant, nous ne partageons pas le mépris qu'affichent les "modernistes" pour ce qu'ils appellent "le souci de la marchandise politique". Au contraire, nous pensons que la diffusion la plus large possible de la presse révolutionnaire est une contribution importante à la clarification et constitue ainsi une préoccupation politique élémentaire. De plus, tant que les groupes révolutionnaires restent composés de petites minorités, il leur serait difficile d'assumer entièrement leurs publications sans une certaine contrepartie, souvent faible, à travers les ventes. Mais si nous parlons de la lettre de Combate ici, c'est pour soulever ouvertement la question : pourquoi Combate a pris une telle décision de nous fermer ses librairies ? Dans la lettre, nous ne trouvons qu'un refus, pas une explication.
Sur le plan purement pratique, nous pouvons constater que les publications révolutionnaires, étant donné le reflux de la lutte, ne se vendent plus aussi bien aujourd'hui au Portugal que pendant la période 1974-75. Il nous avait semblé nécessaire de réduire le nombre d'envois (décision qui a été prise entre Combate et les camarades du CCI qui se sont rendus au Portugal cet été). Mais supprimer toute vente est autre chose. Seule une librairie bourgeoise pourrait affirmer comme seul critère : si vos publications ne se vendent pas rapidement et en nombre suffisant, nous n'avons pas d'intérêt à perdre notre temps avec vous. Les librairies "Contra a corrente" à Porto et Lisbonne sont tout de même aux mains d'un groupe qui se veut révolutionnaire, intéressé à rendre plus accessibles les idées des courants communistes parmi les ouvriers. Il nous semble donc qu'il faut écarter toute hypothèse d'ordre "pratique" comme explication de la décision.
Sur le plan politique le CCI n'a jamais caché ses critiques au groupe Combate ni oralement quand nous avons eu l'occasion de rencontrer ces camarades, ni par écrit dans notre presse. Malgré toutes ses faiblesses et ses confusions mises en évidence dans l'article ([1] [146]) "A propos de Combate" dans la Revue Internationale n°7, nous avons toujours considéré Combate comme un des seuls groupes au Portugal à défendre des positions de classe : la dénonciation des mystifications du MFA (Mouvement des Forces Armées), de l'appareil syndical et de la gauche du capital ainsi que la défense des luttes autonomes des ouvriers et l'internationalisme prolétarien. C'est pour cela que nous avons pris contact avec Combate et mis des militants d'autres pays en rapport avec eux. Mais la principale faiblesse de Combate, à savoir son absence de clarté sur la nécessité de constituer une organisation sur la base d'une plate-forme politique cohérente, l'a entraîné inévitablement vers un certain localisme, un appui ambigu aux expériences "autogestionnaires", une confusion de plus en plus grande sur l'orientation des activités des révolutionnaires. Enfin, nous avons constaté que si Combate continue à théoriser ses erreurs, il "ne saurait résister bien longtemps à la terrible contradiction à laquelle il est soumis entre ses propres principes révolutionnaires du départ et la terrible pression de l'idéologie bourgeoise qu'il a laissé pénétrer en son sein en se refusant à donner à ses principes une assise claire et cohérente basée sur les leçons de l'expérience historique de la classe." (Revue Internationale, n°7)
L'ensemble de nos appréciations sur Combate fait partie d'un effort pour contribuer à la clarification des positions révolutionnaires dans la classe ouvrière. Faut-il croire que Combate a la peau si chatouilleuse que la critique lui fait fermer la porte au CCI ? Nous ne travaillons à la confrontation des idées qu'avec des groupes qui se situent dans le camp prolétarien, malgré toutes les confusions possibles en leur sein. Nous ne polémiquons pas avec le stalinisme, le trotskisme ou le maoïsme ; nous les dénonçons purement et simplement comme armes idéologiques du capital. Et nous ne sommes pas étonnés quand des librairies sous contrôle stalinien ou trotskiste (directement ou indirectement) refusent nos publications ou quand les trotskistes - comme ceux d'une librairie de Boston - nous rendent nos revues en ayant pris soin de déchirer préalablement les articles sur le Vietnam. On ne s'épuise pas à demander la "démocratie" à la bourgeoisie. Mais Combate en viendrait-il aussi à utiliser des mesures administratives pour les règlements de comptes politiques ?
A travers les discussions que nous avons eues avec Combate, il se dégage que Combate reproche au CCI d'être fixé sur la nécessité de créer une organisation internationale sur la base des positions de classe claires et tranchées. Nous serions, selon certains de ses membres, un vestige de la "vieille conception" d'une organisation révolutionnaire, repliés sur nous-mêmes, sectaires et incapables de nous "ouvrir aux nouveaux apports de la lutte", surtout au Portugal. Nous regrettons que notre intransigeance sur les positions politiques de classe et notre souci du regroupement des révolutionnaires ne trouvent pas d'écho chez Combate. Nous regrettons également que Combate semble trouver beaucoup plus d'intérêt dans des groupes caractérisés surtout par le flou politique et la recherche de "nouveautés" comme le "self-management" de Solidarity en Grande-Bretagne ou autres libertaires sans définition politique claire. Mais faut-il conclure qu'il n'y a pas pire démagogue que ceux qui se prétendent "libertaires" jusqu'au moment où les divergences les amènent à prendre des mesures répressives ? Nous accuser, nous, de sectaires nous semble un alibi facile.
Il faut se rappeler que les librairies "Contra a corrente" ne diffusent pas uniquement la presse révolutionnaire. On peut comprendre qu'il est impossible de diriger une librairie dans le monde capitaliste d'aujourd'hui avec comme seul appui la presse communiste. En conséquence, à "Contra a corrente" se vendent des publications de toutes sortes: psychologie, romans, livres de Staline et de Mao, textes des trotskistes aussi bien que les publications de Solidaritv, de la CWO et du CCI, en portugais et dans d'autres langues. Devons-nous comprendre que la classe ouvrière au Portugal a besoin de lire les élucubrations de la contre révolution sous la plume de staliniens ou de trotskistes mais qu'elle doit être "protégée" du CCI qui disparaîtra des librairies de Combate ? La canaille stalinienne peut trouver une place pour diffuser ses mystifications et une voix des révolutionnaires être censurée ? Il faudrait alors mettre sur la porte des librairies "Contra a corrente" :
"Il n'existe pas pire ennemi de la classe ouvrière que le CCI et c'est pour cela que vous ne trouverez pas ici sa presse" !
L'enjeu de cette discussion n'est pas simplement la diffusion du CCI. De toute façon, notre presse sera diffusée au Portugal. Mais tout ceci n'est pas digne des efforts des éléments qui aujourd'hui cherchent le chemin de la révolution. Il est révoltant de constater que Combate prend de telles décisions sans aucune explication. Il y a trop de groupes actuellement qui se veulent révolutionnaires mais qui s'érigent en "juge censeur" du mouvement ouvrier : la CWO en est un exemple flagrant avec sa malheureuse conviction que tous ceux qui ne sont pas d'accord avec elles sont de la contre révolution. Il faut combattre cette tendance à établir des frontières de classe chacun à sa guise pour les besoins de sa chapelle. Aujourd'hui, quand la classe ouvrière doit avoir une orientation politique claire afin de pouvoir agir à temps face à la crise du système, quand enfin, après 50 années de triomphe de la barbarie de la contre révolution, il y a une ouverture dans l'histoire, il est lamentable que les groupes révolutionnaires comme Combate se contentent de positions politiques confuses et tombent si facilement dans les mesures répressives contre d'autres courants politiques, mesures qui ne peuvent que rappeler le "bon vieux temps" des staliniens.
Nous demandons donc ouvertement à Combate de reconsidérer ces mesures de suppression de la vente de notre presse et de revenir sur cette décision aberrante.
Le CCI
30 novembre 1976
LIVRARIA CONTRA-A-CORRENTE
Porto, le 9 septembre 1976
Chers camarades,
Il y a quelques jours, dans une réunion, les librairies Contra a Corrente (Porto et Lisbonne) ont décidé de ne plus vendre RI et toutes les autres publications de votre Courant ; pour l'avenir nous voulons seulement recevoir deux numéros pour les archives ; prochainement, nous allons tenter de payer ce qu'on a vendu.
F.S
[1] [147] Cet article a été écrit pendant l'été, avant l'envoi de la lettre de Combate et publié après sa réception. Il ne joue donc aucun rôle particulier dans l'affaire de la librairie, sinon comme résumé général des discussions et des critiques.
Après 1921, la situation où s'est trouvé le parti bolchevik était un véritable cauchemar. A la suite de la défaite des insurrections ouvrières en Hongrie, en Italie, en Allemagne et ailleurs entre 1918 et 1921, la révolution mondiale a subi un profond reflux qui ne devait jamais être endigué, malgré l'irruption ultérieure de luttes de classe comme en Allemagne et en Bulgarie en 1923, en Chine en 1927. En Russie, tant l'économie que le prolétariat lui-même avaient atteint un niveau proche de la désintégration ; les masses ouvrières s'étaient retirées ou avaient été chassées de la vie politique. N'étant plus un instrument dans les mains de la classe ouvrière, l'Etat des soviets avait effectivement dégénéré en une machine pour la défense de "l'ordre" capitaliste. Prisonniers de leurs conceptions substitutionnistes, les bolcheviks croyaient encore qu'il était possible d'administrer cette machine d'Etat et l'économie capitaliste tout en attendant et même en participant au resurgissement de la révolution mondiale. En réalité, les nécessités du pouvoir d'Etat transformaient les bolcheviks en agents effectifs de la contre-révolution, tant à l'intérieur qu'à l'étranger… En Russie, ils étaient devenus les gardiens d'une exploitation de plus en plus féroce de la classe ouvrière. Bien que la NEP ait amené un certain relâchement de la domination économique de l'Etat, surtout sur les paysans, il n'y eut pas de relâchement de la dictature du parti sur le prolétariat. Au contraire, puisque les bolcheviks considéraient toujours les paysans comme le principal danger pour la révolution en Russie, ils étaient arrivés à la conclusion que les concessions économiques accordées aux paysans devaient être contre balancées par un renforcement de la domination politique du parti bolchevik sur la société russe ; et ceci se traduisait par un renforcement des tendances au monolithisme dans le parti lui-même. La seule façon de construire un rempart prolétarien à l'assaut du capitalisme paysan, c'était alors de resserrer le contrôle du parti et au sein du parti.
Au niveau international, du fait de la place dominante du parti russe au sein de l'IC, les impératifs de l'Etat russe avaient des effets de plus en plus pernicieux sur la politique de celle-ci. Le Front Unique, le Gouvernement ouvrier, de telles "tactiques" réactionnaires étaient, pour une grande part, l'expression de la nécessité de l'Etat russe de trouver des alliés bourgeois dans le monde capitaliste.
Bien que le parti bolchevik n'ait pas encore abandonné définitivement la révolution prolétarienne, toute la logique de la situation dans laquelle il se trouvait le poussait de plus en plus à s'identifier complètement aux besoins du capital national russe; les derniers écrits de Lénine expriment une préoccupation tournant à l'obsession sur les problèmes de la "construction socialiste" dans la Russie arriérée. La victoire du stalinisme a simplement rendu cette logique implicite ; il a éliminé le dilemme entre l'internationalisme et les intérêts de l'Etat russe, en abandonnant simplement le premier en faveur de ces derniers.
Les évènements de ces cinquante dernières années ont montré qu'un parti prolétarien ne peut pas survivre en période de reflux ou de défaite. Ainsi pour les partis communistes, la seule façon de préserver leur existence physique après l'échec de la vague révolutionnaire, c'était de passer avec armes et bagages dans le camp de la bourgeoisie. De plus, en Russie, la tendance à la dégénérescence a été accélérée du fait que le parti s'était confondu avec l'Etat et avait alors à s'adapter encore plus rapidement aux besoins du capital national. Dans une période de défaite, la défense des positions révolutionnaires ne peut être assurée que par de petites fractions qui se détachent du parti en dégénérescence ou survivent à sa mort. Ce phénomène s'est produit en Russie, surtout entre 1921 et 1924 avec l'apparition de petits groupes déterminés à défendre les positions communistes contre les trahisons du parti. Comme nous l'avons vu, l'apparition de tendances oppositionnelles au sein du parti bolchevik, n'était pas nouvelle mais les conditions dans lesquelles ces fractions devaient agir après 1921 différaient de manière dramatique de celles dans lesquelles leurs prédécesseurs avaient travaillé.
Les conditions préalables pour défendre une perspective communiste contre la montée de la contre-révolution résidaient, surtout en Russie, dans la capacité à garder un attachement loyal à cette perspective et à la placer avant tout attachement sentimental, personnel et politique à l'organisation initiale de la classe, maintenant que cette dernière s'était engagée sur la voie de la trahison de classe. Et c'est bien en cela que réside le grand exploit des fractions de gauche russes : leur engagement résolu à mener les tâches communistes contre le parti et contre l'Etat soviétique, dès que ces tâches ne furent plus assumées au sein de ces institutions. Pour la Gauche, les positions communistes passaient avant tout ; si les "héros" de la révolution ne défendaient plus le programme communiste, alors ces héros devaient être dénoncés et abandonnés. Il n'est pas étonnant que les communistes de gauche russes aient été des individus relativement obscurs, surtout des travailleurs qui n'avaient pas fait partie de la direction bolchevik pendant les années héroïques.
Miasnikov avait même l'habitude de se moquer de l'opposition de gauche en disant qu'elle n'était qu'une "opposition de célébrités" qui ne s'opposait à la faction stalinienne que pour leurs propres raisons bureaucratiques ("L'ouvrier communiste", n°6, janvier 1930).
Ces ouvriers révolutionnaires étaient capables de comprendre les conditions qu'affrontait le prolétariat russe beaucoup plus facilement que les officiels bolcheviks de rang élevé qui avaient vraiment perdu le contact avec la classe et n'étaient capables de voir le problème de la révolution qu'en termes d'administration d'Etat. En même temps, cependant, les origines obscures des membres des fractions de gauche étaient souvent un facteur de faiblesse dans ces groupes. Leurs analyses tendaient à se fonder plus sur un pur instinct de classe que sur une formation théorique approfondie. De pair avec les faiblesses historiques du mouvement ouvrier russe, que nous avons déjà évoquées, et l'isolement de la gauche russe vis-à-vis des fractions communistes à l'extérieur, ces facteurs mettaient de sérieuses limites à l'évolution théorique du communisme de gauche en Russie.
En dépit de la capacité des gauches à rompre avec les institutions "officielles" et à s'identifier à la lutte de classe contre elles, l'immense reflux de la classe en Russie posait aux fractions de gauche une série de problèmes difficiles et contradictoires. Malgré sa dégénérescence rapide après 1921, le parti bolchevik restait le centre de la vie politique du prolétariat en Russie ; les conseils, les comités d'usines et les autres organes de masse de la classe étaient morts et l'Etat lui-même était devenu un organe du capital. Du fait de l'apathie et de l'indifférence de la classe, les débats et conflits politiques avaient lieu presque exclusivement dans la sphère du parti. C'est vrai que l'indifférence et l'inactivité de la classe elle-même rendaient la plupart des débats idéologiques au sein du parti dans les années 20 stériles dès le début, mais le fait que le parti était une sorte d'oasis pour la pensée révolutionnaire dans le désert de l'apolitisme de la classe ouvrière, ne pouvait pas être dédaigné par les révolutionnaires.
Cette situation a placé les fractions de gauche devant un horrible dilemme. D'un côté l'apathie des masses et les actes répressifs de l'Etat faisaient qu'il leur était extrêmement difficile de militer au sein du prolétariat "en général". D'un autre côté, tout ce travail en direction du parti était terriblement entravé par l'élimination des fractions en 1921 et l'atmosphère de plus en plus étouffante au sein du parti. Il était presque impossible à n'importe quel groupe véritablement d'opposition de faire un travail légal au sein du parti. Même les critiques relativement modérées exprimées en 1923 par la plate-forme des 46 (le document de fondation de l'opposition de gauche) contenaient le regret que "la libre discussion au sein du parti ait en fait disparu et que la raison sociale du parti ait été étouffée". Pour les tendances à gauche de l'Opposition de gauche, la situation était même pire ; cependant toutes continuaient à allier le travail de propagande au sein "des grandes masses" des usines avec le travail secret au sein des cellules locales du parti. Le groupe Ouvrier, dans son manifeste de 1923, parlait de "la nécessité de constituer le groupe ouvrier du Parti Communiste Russe (bolchevik) sur la base du programme et des statuts du PCR, de façon à exercer une pression décisive sur le groupe dirigeant du parti lui-même". "L'Appel" du groupe la Vérité Ouvrière en 1922 exprimait la vision que "partout dans les usines et les fabriques, dans les organisations syndicales, les universités ouvrières, les écoles des soviets et du parti, l'Union Communiste de la jeunesse et les organisations du parti, doivent être créés des cercles de propagande solidaires de
la Vérité Ouvrière" ([1] [148]). De telles déclarations d'intention démontrent les difficultés extrêmes que rencontraient ces groupes dans leurs tentatives de trouver des solutions organisationnelles nettement tranchées, dans une période de désarroi et de confusion.
Nous devons enfin avoir présent à l'esprit que ces regroupements étaient soumis à la persécution la plus intense et à la répression de la part de l'Etat-Parti. Justement parce que la Russie avait été la "terre des soviets", le pays de la révolution prolétarienne, la contre-révolution devait y être totale, sans merci et implacable, ensevelissant les derniers vestiges de tout ce qui avait été révolutionnaire. Même avant la victoire de la faction stalinienne, les groupes de gauche avaient été soumis aux persécutions de la Guépéou, aux arrestations, aux emprisonnements et à l'exil. Dépourvus de fonds et de matériel, constamment sur la brèche à cause de la police secrète, il leur était difficile d'entreprendre un minimum de travail de propagande. La solidification de la contre-révolution après 1924 a rendu les choses encore plus difficiles.
Et cependant, au cours des sombres années de réaction, les communistes de gauche ont continué à lutter pour la révolution. En 1929 encore, le groupe Ouvrier publiait un journal illégal à Moscou, la Voie ouvrière vers le pouvoir. Même dans les camps de travail staliniens, leur expression politique n'a pu être réduite au silence. Une révolution prolétarienne ne meurt pas facilement. Les révolutionnaires qui luttaient dans des circonstances aussi défavorables, tiraient leur courage du simple fait qu'ils étaient nés d'une révolution de la classe ouvrière. Examinons donc plus en détail les principaux groupes qui ont continué à tenir le drapeau de la révolution en dépit de tout ce qui s'accumulait contre eux.
a) La VERITE OUVRIERE
La Vérité ouvrière s'était constituée à l'automne 1921. Elle semble avoir été surtout composée d'intellectuels et avoir grandi dans le milieu culturel "Pro1etkult" dont le principal animateur était Bogdanov, un théoricien du parti qui avait été en conflit avec Lénine sur des problèmes philosophiques dans les années 20 et qui avait été très en vue dans les tendances de "gauche" du bo1chévisme à cette époque. Dans son "Appel" de 1922, la Vérité ouvrière caractérisait la NEP de "renaissance de rapports capitalistes normaux", comme l'expression d'une profonde défaite du prolétariat russe:
"La classe ouvrière en Russie est désorganisée ; la confusion règne dans les esprits des travailleurs ; sont-ils dans un pays de dictature du prolétariat comme le parti communiste le répète à satiété verbalement et dans la presse ? Ou sont-ils dans un pays où règnent l'arbitraire et l'exploitation, comme la vie le leur dit à chaque instant ? La classe ouvrière mène une existence misérable à une époque où la nouvelle bourgeoisie (c'est-à-dire les fonctionnaires responsables, les directeurs d'usines, les hommes de confiance, les présidents des comités exécutifs, etc.) et les hommes de la NEP vivent dans le luxe et nous rappellent à la mémoire le tableau de la vie de la bourgeoisie de tout temps".
Pour la Vérité ouvrière, l'Etat des soviets était devenu "le représentant des intérêts nationaux du capital... le simple appareil de direction de l'administration politique et de la réglementation économique par l'Intelligentsia". La classe ouvrière a été privée en même temps de ses organes défensifs, les syndicats et de son parti de classe. Dans un manifeste produit au XIIème congrès du parti en 1923, la Vérité ouvrière accusait les syndicats de :
"Se transformer d'organisations pour défendre les intérêts économiques des travailleurs en organisations pour défendre les intérêts de la production, c'est-à-dire du capital étatique d'abord et avant tout" (cité par E.H Carr, The Interregnum).
De même pour le parti, l'Appel affirme que: "Le parti communiste russe est devenu le parti de l'Intelligentsia organisatrice. Le fossé entre le parti communiste et la classe ouvrière s'approfondit de plus en plus".
C'est pourquoi ils déclarent leur intention de travailler à la formation d'un véritable "parti du prolétariat russe", bien qu'ils admettent que leur travail sera "de longue haleine et avant tout idéologique".
Bien que les buts relativement modestes de la Vérité ouvrière semblent exprimer une certaine compréhension de la défaite que la classe avait subie et donc les limites de l'activité révolutionnaire dans une telle période, tout le cadre est faussé par une ambiguïté particulière sur la période historique et les tâches auxquelles doit faire face la classe dans son ensemble.
En se fondant peut-être sur l'idée de Bogdanov, à savoir que tant que le prolétariat n'a pas mûri comme classe capable de s'organiser, la révolution socialiste serait prématurée, ils supposaient que la révolution en Russie devait avoir la tâche d'ouvrir une phase de développement capitaliste :
"Après la révolution et la guerre civile victorieuse, de vastes perspectives se sont ouvertes en Russie, de transformation rapide en un pays capitaliste progressiste. C'est en cela que réside le succès énorme et incontestable de la révolution d'Octobre" (Appel) .
Cette perspective a aussi conduit le groupe la Vérité ouvrière à préconiser une politique étrangère bizarre, en appelant au rapprochement avec les capitalismes "progressistes" d'Amérique et d'Allemagne contre la France "réactionnaire". En même temps le groupe semble n'avoir eu que peu ou pas de contact avec les groupes communistes à l'extérieur de la Russie.
C'étaient des positions comme celles-ci qui ont sans doute conduit le groupe Ouvrier de Miasnikov à affirmer qu'il n'avait "rien de commun avec la soi-disant "Vérité ouvrière", qui essaie d'effacer tout ce qu'il y avait de communiste dans la révolution de 1917 et qui est en conséquence complètement menchevik"(Workers dreadnought, 31 mai 1924), bien que dans son Manifeste de 1923, le groupe Ouvrier ait reconnu que des groupes comme la Vérité ouvrière, le Centralisme Démocratique et l'Opposition Ouvrière contenaient beaucoup d'éléments prolétariens sincères et les ait appelés à se regrouper sur la base du Manifeste du groupe Ouvrier.
A l'époque de la révolution russe, ceux qui parlaient de l'inéluctabilité d'une évolution bourgeoise de la Russie, tendaient à être identifiés aux mencheviks. Mais à la lumière de l'expérience ultérieure, nous préférons comparer les positions de la Vérité ouvrière à l'analyse à laquelle sont arrivées les gauches allemande et hollandaise vers les années 30… Comme la Vérité ouvrière, ces dernières avaient commencé à percevoir réellement la nature du capitalisme d'Etat mais ils ont sapé leurs analyses en arrivant à la conclusion que la révolution russe avait été depuis le début une affaire de l'Intelligentsia qui avait entrepris l'organisation du capitalisme d'Etat dans un pays qui n'était pas mûr pour la révolution communiste. En d'autres termes, l'analyse faite par la Vérité ouvrière est celle d'une tendance révolutionnaire démoralisée et dans la confusion à cause de la défaite de la révolution et par là amenée à mettre en question le caractère originellement prolétarien de cette révolution. En l'absence d'un cadre clair et cohérent dans lequel analyser la dégénérescence de la révolution, de telles déviations sont inévitables, surtout dans les conditions difficiles qu'affrontaient les révolutionnaires en Russie après 1921.
Mais, malgré un certain pessimisme et un certain intellectualisme, la Vérité ouvrière n'a pas hésité à intervenir dans les grèves sauvages qui ont balayé la Russie dans l'été 1923, en essayant d'avancer des mots d'ordre politiques au sein du mouvement général de la classe. Cette intervention a cependant attiré toutes les forces de la Guépéou sur le groupe dont l'échine a été très rapidement brisée dans la répression qui a suivi.
b) Le GROUPE OUVRIER et le PARTI COMMUNISTE OUVRIER
Nous avons vu qu'en grande partie, la faiblesse des groupes comme l'Opposition Ouvrière et la Vérité ouvrière était liée à leur manque de perspectives internationales ; de même nous pouvons dire que la plus importante des fractions communistes de gauche était justement celle qui a mis l'accent sur la nature internationale de la révolution et la nécessité pour les révolutionnaires du monde entier de se regrouper.
C'était le cas de ces éléments en Russie qui correspondaient de très près au KAPD allemand et à ses organisations sœurs.
Le 3 et le 17 juin 1923, le Workers' dreadnought a publié une résolution d'un groupe qui s'était formé peu de temps avant et qui s'appelait le "groupe des communistes révolutionnaires de gauche (parti communiste ouvrier) de Russie". Ils se présentaient comme un groupe qui avait quitté le "parti communiste russe social-démocrate qui avait fait du business sa principale préoccupation" (W.D, 3 juin) ; et bien qu'ils s'engagent à "soutenir tout ce qui est à gauche des tendances révolutionnaires dans le parti communiste russe" et à "accueillir et soutenir toutes les questions et toutes les propositions de l'Opposition Ouvrière qui s'inscrivent dans une saine orientation révolutionnaire", ils insistent sur le fait "qu'il n'y a pas de possibilité de réformer le parti communiste russe de l'intérieur" (W.D, 17 juin). Le groupe dénonçait les tentatives des bolcheviks et du Komintern de compromis avec le capital aussi bien en Russie qu'à l'extérieur et en particulier, il attaquait la politique de front unique du Komintern en disant que c'était un instrument "de la reconstruction de l'économie capitaliste mondiale". (W.D, 17 juin). Depuis que les bolcheviks et le Komintern avaient suivi un cours opportuniste qui ne pouvait mener qu'à leur intégration au capitalisme, le groupe affirmait qu'il était temps de travailler à la construction d'un parti communiste ouvrier de Russie, lié au KAPD en Allemagne, au KAP en Hollande et autres partis de l'Internationale Communiste Ouvrière ([2] [149]).
Le développement ultérieur de ce groupe est mal connu mais il semble avoir été étroitement lié au groupe Ouvrier de Miasnikov, plus connu sous le nom de Groupe Ouvrier Communiste - en fait le PCO de 1922 semble avoir été un précurseur de ce dernier. Le 1er décembre 1923, le Dreadnought annonçait qu'il avait reçu le manifeste du groupe Ouvrier, envoyé par le PCO russe, en même temps qu'une protestation du PCO contre les emprisonnements en Russie de Miasnikov, Kuznetzov et d'autres militants du groupe Ouvrier. En 1924, le KAPD publiait le Manifeste en allemand et parlait du groupe Ouvrier comme de "la section russe de la IVème Internationale". La défense du communisme de gauche, telle que le KAPD en a donné l'exemple, devait en tout cas à partir de ce moment être assurée en Russie par le groupe de Miasnikov.
Gabriel Miasnikov, un ouvrier de l'Oural, s'était distingué dans le parti bolchevik en 1921, quand, tout de suite après le crucial Xème congrès, il avait réclamé "la liberté de la presse, des monarchistes aux anarchistes inclus" (cité par Carr, The Interregnum). Malgré les efforts de Lénine pour le dissuader de mener un débat sur cette question, il refusa de reculer et fut expulsé du parti au début de 1922. En février, mars 1923, il se groupa avec d'autres militants pour fonder "le groupe Ouvrier du parti communiste russe (bolchevik)" et ils publièrent et distribuèrent leur Manifeste au XIIème congrès du PCR. Le groupe commença à faire du travail illégal parmi les ouvriers du parti ou non et semble avoir été présent de façon significative dans la vague de grèves de l'été 1923, en appelant à des manifestations de masses et essayant de politiser un mouvement de classe essentiellement défensif. Leur activité dans ces grèves a suffi pour convaincre la Guépéou qu'ils représentaient une véritable menace ; une vague d'arrestations de certains militants dirigeants porta un coup sévère au groupe.
Mais comme nous l'avons vu, ils ont poursuivi leur travail clandestin, même à une échelle réduite jusqu'au début des années 1930 ([3] [150]). Le Manifeste du groupe Ouvrier est un pas en avant considérable par rapport à l'Appel de la Vérité ouvrière, mais il présente encore les hésitations et les idées à demi-achevées de la gauche communiste à cette époque, surtout en Russie.
Le Manifeste contient les dénonciations habituelles des conditions matérielles épouvantables que subissaient les ouvriers russes et les inégalités qui accompagnaient la NEP et demande : Est-il vraiment possible que la NEP (nouvelle politique économique) se transforme en NEP = la Nouvelle Exploitation du Prolétariat ?
Il poursuit en attaquant la suppression des divergences au sein et en dehors du parti et le danger que le parti ne soit transformé en "une minorité détenant le contrôle du pouvoir et celui des ressources économiques de la nation. ce qui finira en la création d'une caste bureaucratique". Il expose le fait que les syndicats, les soviets et les comités d'usines ont perdu leur fonction d'organes prolétariens, si bien que la classe n'a plus ni le contrôle de la production, ni de l'appareil politique du régime. Il réclame pour régénérer tous ces organes une réforme radicale du système des soviets qui permettra à la classe d’exercer sa domination sur la vie économique et politique.
Ceci nous amène immédiatement au problème majeur que rencontrait la gauche russe dans le début-des années 20. Quelle attitude devait-elle prendre vis-à-vis du régime soviétique ? Est-ce que le régime avait encore un caractère prolétarien ou est-ce que les révolutionnaires devaient appeler à sa destruction? La difficulté était qu'à cette époque, il n'y avait ni l'expérience ni de critères établis pour décider si oui ou non le régime était devenu contre-révolutionnaire. Ce dilemme s'est reflété dans l'attitude ambiguë que le groupe Ouvrier a adopté face au régime. Alors qu'il dénonce les inégalités de la NEP et le danger de "sa dégénérescence bureaucratique", en même temps, il affirme que "la NEP est le résultat direct de la situation des forces productives dans notre pays. Elle doit être utilisée pour consolider les positions conquises par le prolétariat en Octobre" ([4] [151]). Le Manifeste énonce alors une série de suggestions pour "l'amélioration" de la NEP - contrôle ouvrier, indépendance vis-à-vis des capitaux étrangers, etc. De la même manière, tout en critiquant la dégénérescence du parti, le groupe Ouvrier, comme nous l'avons vu, avait choisi de travailler parmi les membres du parti et d'exercer des pressions sur la direction du parti. Alors qu'ailleurs le groupe posait la question de savoir si le prolétariat ne pouvait pas être "forcé une fois encore à commencer une nouvelle lutte, et peut-être une lutte sanglante pour renverser l'oligarchie" (cité par Carr, The Interregnum), dans le Manifeste l'accent était surtout mis sur la régénération de l'Etat des soviets et de ses institutions et non sur leur renversement violent.
Cette position de "soutien critique" est encore plus mise en évidence dans le fait qu'en face de la menace de guerre que posait l'ultimatum de Curzon en 1923, on a rapporté que les membres du groupe Ouvrier avaient pris un engagement de résister à "toutes les tentatives de renverser le pouvoir des soviets" (Carr, op.cit.).
Etait-il correct ou non de défendre le régime russe en 1923 ? Là n'est pas la question. Les positions que le groupe Ouvrier a prises alors ne faisaient certainement pas d'eux des contre-révolutionnaires, parce que l'expérience de la classe n'avait pas encore tranché définitivement la question russe. Les ambiguïtés sur la nature du régime russe sont avant tout la manifestation des immenses difficultés que cette question posait aux révolutionnaires dans la confusion et le désarroi de ces années là.
Mais l'aspect le plus important du groupe Ouvrier n'était pas son analyse du régime russe mais sa perspective internationa1iste intransigeante. De façon significative, le Manifeste de 1923 commence par une description puissante de la crise mondiale du capitalisme et de l'alternative devant laquelle se trouve l'ensemble de l'humanité : socialisme ou barbarie. En essayant d'expliquer le retard de la prise de conscience révolutionnaire de la classe ouvrière face a cette crise, le Manifeste attaque de façon éclatante le rôle universellement contre-révolutionnaire de la Social-démocratie :
"Les socialistes de tous les pays sont, à un moment donné, les uniques sauveurs de la bourgeoisie face à la révolution prolétarienne, parce que les masses ouvrières sont habituées à se méfier de tout ce qui vient de leurs oppresseurs, mais quand on leur présente la même chose comme leur intérêt et qu'on l'agrémente de phraséologie socialiste, alors, les travailleurs, trompés par ce langage, croient les traîtres et dépensent leurs énergies dans une lutte sans espoir. La bourgeoisie n'a et n'aura pas de meilleur avocat".
Cette compréhension permet au groupe Ouvrier de faire une série de dénonciations des tactiques du Kominterm, de front unique et de gouvernement ouvrier, comme autant de façons de lier le prolétariat à son ennemi de classe. Bien que moins conscient du rôle réactionnaire des syndicats, le groupe Ouvrier a partagé l'approche du KAPD, selon laquelle, dans la nouvelle période de décadence du capitalisme, toutes les vieilles tactiques réformistes devaient être abandonnées :
"Le temps où la classe ouvrière pouvait améliorer sa condition matérielle et légale par des grèves et son admission au parlement est maintenant irrévocablement terminé. On doit le dire ouvertement. La lutte pour les objectifs les plus immédiats est une lutte pour le pouvoir. Nous devons expliquer par notre propagande que, bien que nous appelions à la grève en diverses occasions, les grèves ne peuvent pas vraiment améliorer les conditions des ouvriers. Mais, vous, travailleurs, n'avez pas encore dépassé les vieilles illusions réformistes et vous poursuivez un combat qui ne fait que vous épuiser. Nous sommes solidaires de vos grèves ; mais il faut le rappeler : ces mouvements ne vous libéreront pas de l'esclavage, de l'exploitation et de la pauvreté sans espoir. La seule voie vers la victoire est la conquête du pouvoir, directement par vos propres mains".
Le rôle du parti est aussi de préparer les masses partout à la guerre contre la bourgeoisie.
La compréhension par le groupe Ouvrier de la nouvelle époque historique semble contenir à la fois les faiblesses et la force de la vision du KAPD sur la "crise mortelle du capitalisme". Pour les deux, une fois que le capitalisme est entré dans sa crise finale, les conditions de la révolution prolétarienne existent à tout moment. Le rôle du parti est alors, vis-à-vis de la classe, celui du détonateur de l'explosion révolutionnaire. Il n'y a nulle part dans le Manifeste une quelconque vision du reflux de la révolution mondiale, nécessitant une analyse minutieuse des nouvelles perspectives ouvertes aux révolutionnaires. Pour le groupe Ouvrier en 1923, la révolution mondiale était autant à l'ordre du jour qu'elle l'avait été en 1917.
C'est pourquoi il pouvait partager les illusions du KAPD sur la possibilité de construire une IVème Internationale en 1922 et aussi tard qu'en 1928-1931, Miasnikov essayait encore d'organiser un parti communiste ouvrier pour la Russie ([5] [152]). Il apparaît que seule la Gauche Italienne a été capable d'apprécier quel était le rôle des fractions communistes dans une période de reflux, quand le parti ne peut plus exister. Pour le KAPD, le Workers' Dreadnought, Miasnikov et d'autres, le parti pouvait exister n'importe quand. Le corollaire de cette vision immédiatiste était une tendance inexorable à la désintégration politique : même en tenant compte des effets de la répression, les communistes de gauche allemands, comme leurs sympathisants russes ou anglais, se sont trouvés dans la quasi impossibilité d'assurer leur existence politique pendant la période de contre-révolution.
Les propositions concrètes avancées par le groupe Ouvrier en ce qui concerne le regroupement international des révolutionnaires manifeste une saine préoccupation de l'unité maximum des forces révolutionnaires, mais elles sont aussi le reflet des mêmes dilemmes au sujet des rapports entre la gauche communiste et les institutions "officielles" en dégénérescence, dilemmes dont nous avons déjà parlé. Ainsi, tout en s'opposant violemment à tout front unique avec les social-démocrates, le Manifeste du groupe Ouvrier appelle à une espèce de front unique de tous les éléments véritablement révolutionnaires, parmi lesquels il incluait les partis de la IIIème Internationale au même titre que les partis communistes ouvriers. On rapporte qu'en une autre occasion le groupe Ouvrier avait commencé des négociations avec la gauche du KPD. groupé autour de Maslow, dans le but d'attirer Maslow dans le "bureau étranger" mort-né. Le KAPD, dans ses commentaires sur le Manifeste, était extrêmement critique sur ce qu'il appelait "les illusions du groupe Ouvrier" : "quant au fait que vous pourriez révolutionner l'Internationale Communiste... la IIIème Internationale n'est plus un instrument de lutte de la classe prolétarienne. C'est pourquoi les partis communistes ont fondé l'Internationale Communiste Ouvrière". Toutefois, le dilemme du groupe Ouvrier sur la nature du régime russe et du Kominterm devait être résolu à la lumière de l'expérience concrète ; la victoire du stalinisme en Russie l'amenait à prendre une ligne de conduite plus intransigeante contre la bureaucratie et son Etat, alors que la décomposition rapide du Kominterm après 1923 rendait inévitable le fait que les futurs "partenaires" internationaux du groupe Ouvrier seraient les vrais communistes de gauche des différents pays.
C'était d'abord et avant tout cette "liaison internationale" avec les survivants de la vague révolutionnaire qui permettait à des révolutionnaires comme Miasnikov d’atteindre un degré de clarté relativement élevé dans l'océan de confusion, de démoralisation et de mensonges qui avaient englouti le mouvement ouvrier russe.
c) LES IRRECONCILIABLES DE L'OPPOSITION DE GAUCHE
Nous ne pouvons envisager toute la question de l'Opposition de gauche ici, bien que sa défense confuse de la démocratie dans le parti, de la révolution chinoise et de l'internationalisme contre la théorie stalinienne du "socialisme dans un seul pays", démontre qu'elle était un courant prolétarien, la dernière étincelle, en fait, de la résistance dans le parti bolchevik et dans le Kominterm. L'insuffisance de sa critique de la contre-révolution montante rend impossible le fait de considérer l'Opposition de gauche comme partie intégrante de la tradition révolutionnaire de la gauche communiste.
Au niveau international, son refus de remettre en question les thèses des quatre premiers congrès du Kominterm l'empêchait de comprendre les causes de la dégénérescence de l'Internationale et d'éviter une répétition dramatique de toutes ces erreurs. En Russie même, l'Opposition de gauche n'a pas réussi à faire la rupture nécessaire avec l'appareil d'Etat-parti, une rupture qui aurait pu le placer solidement sur le terrain de la lutte prolétarienne contre le régime, aux côtés des véritables fractions communistes de gauche. Bien que ses ennemis aient essayé d'accuser Trotski d'être entré en contact avec des groupes illégaux comme la Vérité ouvrière, Trotski lui-même se dissociait explicitement de ces groupes en faisant référence au groupe de Bogdanov comme étant celui de la "Non-Vérité ouvrière" (Carr, Interregnum) et en participant lui-même à la répression de l'ultragauche, par exemple dans la commission qui faisait des recherches sur l'activité de l'Opposition ouvrière en 1922. Tout ce que Trotski admettait, c'est que ces groupes constituaient des symptômes d'une véritable dégénérescence du régime des soviets !
Mais l'Opposition de gauche dans ses premières années, ce n'était pas seulement Trotski. Beaucoup parmi les signataires de la plate-forme des 46 étaient d'anciens communistes de gauche et centralistes démocratiques comme Ossinsky, Smirnov, Pialakov et d'autres. Comme Miasnikov l'a dit :
"Il n'y a pas que de grands hommes dans l'opposition trotskiste, il y a aussi beaucoup d'ouvriers. Et ceux-ci ne veulent pas suivre les leaders ; après quelques hésitations, ils rentreront dans les rangs du groupe Ouvrier" (L'ouvrier communiste, n°6, janvier 1930).
Justement, parce que l'Opposition de gauche était un courant prolétarien, elle a donné naturellement naissance à une aile gauche qui est allée bien au delà des critiques timides du stalinisme par Trotski et de ses disciples "orthodoxes". Vers la fin des années 20, un courant connu sous le nom des "irréconciliables" grandissait au sein de l'Opposition de gauche, composé en grande partie de jeunes ouvriers qui s'opposaient à la tendance des trotskistes "modérés" à se diriger vers une réconciliation avec la faction stalinienne, une tendance qui s'est accélérée après 1928 quand Staline a paru mettre en œuvre rapidement le programme d'industrialisation de l'Opposition de gauche. Isaac Deutscher écrit que parmi les "Irréconciliables" :
"Il devenait déjà évident que 1'Union soviétique n'était p1us un Etat ouvrier ; que 1e parti avait trahi ta révo1ution et que l'espoir de 1e reformer étant devenue sans objet, l'opposition devait se constituer en nouveau parti, prêcher et préparer une nouve1le révolution. Quelques uns voyaient en Sta1ine 1e promoteur du capita1isme agrarien ou même 1e leader d'une "démocratie koulak", alors que pour d'autres, son pouvoir incarnait la domination d'un capita1isme d'Etat imptacab1ement hosti1e au socialisme".
(Le prophète banni, OUP)
Dans son livre, Au pays du grand mensonge, Anton Ciliga donne un témoignage des débats au sein de l'Opposition de gauche qui eurent lieu dans les camps de travail staliniens ; il montre que quelques membres de l'Opposition de gauche défendaient la capitulation devant le système stalinien, que d'autres soutenaient qu'il fallait le réformer, que d'autres encore étaient pour une "révolution politique" pour éliminer la bureaucratie (la position que Trotski devait adopter). Mais les irréconciliables ou les "négateurs", comme il les appelle (Ciliga en faisait partie) :
"Croyaient que non seu1ement l'ordre politique mais aussi l'ordre économique et social étaient étrangers et hostiles au prolétariat. Nous envisageons donc non seulement une révolution politique mais aussi une révolution sociale qui ouvrirait une voie au développement du socialisme. Selon nous, la bureaucratie était une véritable classe, une classe hostile au prolétariat". (reproduit dans les "questions politiques dans les prisons staliniennes", un tract oppositionniste).
En janvier 1930, écrivant dans l'Ouvrier communiste n°6, Miasnikov disait de l’Opposition de gauche que :
"Il n'y a que deux possibilités, soit les trotskistes se regroupent sous le mot d'ordre "guerre aux palais, paix aux maisons", sous l'étendard de la révolution ouvrière, le premier pas que doit faire le prolétariat pour devenir classe dominante, ou ils s'éteindront lentement et passeront individuellement ou collectivement dans 1e camp de la bourgeoisie. Ce sont les deux seuls éléments de l'alternative, il n'y a pas de troisième voie".
Les évènements des années 30, qui ont vu le passage définitif des trotskistes dans les armées du capital, devaient confirmer les prédictions de Miasnikov. Mais encore les meilleurs éléments de l'Opposition de gauche ont été capables de suivre l'autre voie, la voie de la révolution. Dégoûtés par l'incapacité de Trotski à confirmer leurs analyses dans ses écrits à l'étranger, ils ont rompu avec l'Opposition de gauche dans les années 30-32 et ont commencé à travailler avec les survivants du groupe Ouvrier et du groupe du centralisme démocratique en prison, en élaborant une analyse de l'échec de la révolution mondiale et de la signification du capitalisme d'Etat. Comme Ciliga le souligne dans son livre, ils n'avaient plus peur d'aller droit au cœur de la question et d'accepter le fait que la dégénérescence de la révolution n'avait pas commencé avec Staline mais avait pris l'élan même sous l'égide de Lénine et de Trotski. Comme Marx le disait souvent, être radical veut dire aller au fond des choses. Dans les années noires de réaction, quelle meilleure contribution aurait pu faire la gauche communiste que d'avoir creusé sans peur jusqu'aux racines de la défaite du prolétariat ?
Certains peuvent voir les débats menés par les communistes de gauche en prison comme rien d'autre qu'un symbole de l'impuissance des idées révolutionnaires en face du Léviathan capitaliste. Mais même si leur situation était l'expression d'une profonde défaite pour le prolétariat, le simple fait qu'ils aient continué à clarifier les leçons de la révolution dans des circonstances aussi défavorables, est un signe que la mission historique du prolétariat ne peut jamais être liquidée par une victoire temporaire de la contre-révolution. Comme Miasnikov l'écrivait, à propos de l'emprisonnement de Sapranov :
"Maintenant Sapranov a été arrêté. Même 1'exil et l'étouffement de sa voix n'ont pas réussi à diminuer son énergie et la bureaucratie ne pouvait pas se sentir en sécurité vis-à-vis de 1ui tant qu'il n'était pas entre les murs épais d'une prison. Mais un souffle puissant, souffle de la révolution d'Octobre, ne peut pas être mis en prison ; même la tombe ne peut le faire disparaître. Les principes de la révolution sont toujours vivants dans la classe ouvrière en Russie et tant que la classe ouvrière vivra, cette idée ne pourra pas mourir. Vous pouvez arrêter Sapranov mais pas 1’idée de la révolution". (L'ouvrier communiste, 1929)
C'est vrai que la bureaucratie stalinienne a réussi, il y a longtemps, à balayer les dernières minorités communistes en Russie. Mais aujourd'hui, quand une nouvelle vague de luttes prolétariennes internationales trouve un écho assourdi même dans le prolétariat russe, le "souffle puissant" d’un deuxième Octobre est revenu hanter les esprits des bourreaux staliniens à Moscou et de leurs rejetons à Varsovie, Prague et Pékin. Quand les ouvriers de la "patrie du socialisme" se dresseront pour détruire une fois pour toutes l'immense prison de l'Etat stalinien, ils seront enfin capables, en liaison avec leurs frères de classe du monde entier, de résoudre les problèmes posés tant par la révolution de 1917 que par ses plus loyaux défenseurs : les révolutionnaires de la gauche communiste russe.
C.D WARD.
[153] [1]Le Manifeste du groupe Ouvrier est disponible, ainsi que les notes du KAPD, en français dans "Invariance II série n°6". Une version incomplète a paru en anglais dans les numéros suivants du Workers' dreadnought - 1er décembre 1923, 5 janvier 1924, 2 février 1924, 9 février 1924. L’Appel de la Vérité Ouvrière a été publié dans le Socialist Herold, Berlin, 31 janvier 1922 ; des extraits ont paru en anglais dans Daniels : une histoire documentaire du communisme, p.219-223.
[2] [154] Le texte du 17 juin et un autre texte sur le Front Unique par ce même groupe a été reproduit dans Workers' voice, n°14.
[3] [155] L'histoire ultérieure de Miasnikov est celle-ci : de 1923 à 1927, il a passé la plupart de son temps en exil ou en prison à cause de ses activités clandestines. Evadé de Russie en 1927, il a fui en Perse et en Turquie et s'installa définitivement en France en 1930. Pendant cette période, il essayait toujours d'organiser son groupe en Russie. En 1946, pour des raisons mieux connues de lui-même (peut-être parce qu'il attendait une nouvelle révolution après la guerre ?), Miasnikov est retourné en Russie et on n'a plus jamais entendu parler de lui.
[4] [156] Le KAPD a publié le Manifeste du groupe Ouvrier avec ses notes critiques ; il n'acceptait pas l'analyse du groupe Ouvrier sur la NEP. Pour lui, la Russie en 1925 était un pays capitaliste dominé par les paysans. Il soutenait donc "non le dépassement de la NEP mais son abolition violente".
[5] [157] Ecrivant dans L'ouvrier communiste en 1929, Miasnikov faisait un compte rendu d'une conférence tenue en août 1928 par le Groupe Ouvrier, "le groupe des 15" de Sapranov et les survivants de l'Opposition Ouvrière. Arrivée à un niveau d'accord programmatique élevé, la conférence décida que "le Bureau central du Groupe Ouvrier constituerait le Bureau central organisationnel des Partis communistes ouvriers de l'URSS".
La décision de mettre en place des Partis communistes ouvriers pour l'URSS pouvait être l'expression du souci d'assurer l'autonomie de chaque république des soviets et de son Parti communiste, idée exprimée dans le Manifeste de 1923 ; elle montre une tendance "décentralisatrice" qui était critiquée par le KAPD dans ses notes sur le Manifeste.
Sur le centraliste démocratique qu'avait été Sapranov et sur sa compréhension, Miasnikov devait dire ceci : "le camarade Sapranov n'était pas fait du même bois que les leaders de l'opposition des célébrités. Les embrassades et les accolades amicales de Lénine ne l'étouffaient pas et n'enlevaient pas chez lui son esprit critique prolétarien. Et en 1926-27, il réapparut comme leader du "groupe des 15". La plate-forme du "groupe des 15" n'avait aucun lien, ni dans les idées, ni dans les théories avec la plate-forme du centralisme démocratique. C'était une nouvelle plate-forme, d'un nouveau groupe sans autre lien avec le passé du centralisme démocratique que le fait que son porte-parole était Sapranov. Le groupe des 15 devait son nom au fait que sa plateforme avait été signée par 15 camarades. Sur les principaux points, sur son estimation de la nature de l'Etat en URSS, ses idées sur l'Etat ouvrier, le programme des 15 est très proche de l'idéologie du Groupe ouvrier".
"Nous sommes tous soumis à la loi de l'histoire et l'on ne peut introduire l'ordre socialiste qu’à l’échelle internationale. Les bolcheviks ont montré qu'ils pouvaient faire tout ce qu'un parti vraiment révolutionnaire est capable d'accomplir dans les limites des possibilités historiques. Qu'ils ne cherchent pas à faire des miracles! Car une révolution prolétarienne exemplaire et parfaite dans un pays isolé, épuisé par la guerre mondiale, écrasé par l'impérialisme, trahi par le prolétariat international, serait un miracle. Ce qui importe, c'est de distinguer dans la politique des bolcheviks, l'essentiel de l'accessoire, la substance du fortuit. En cette dernière période où les luttes finales décisives nous attendent dans le monde entier, le problème le plus important du socialisme a été et est encore précisément la question brûlante de l'actualité, non pas telle ou telle question de détail de la tactique mais la combativité du prolétariat, l'énergie des masses, la volonté du socialisme de prendre le pouvoir en général. A cet égard, Lénine, Trotski et leurs amis ont les premiers, par leur exemple, ouvert la voie au prolétariat mondial, ils sont jusqu'à présent encore les seuls qui puissent s'écrier comme Hutten : "J'ai osé"!
Voilà ce que la politique des bolcheviks comporte d'essentiel et de durable. En ce sens, ils conservent le mérite impérissable d'avoir ouvert la voie au prolétariat international en prenant le pouvoir politique et en posant le problème pratique de la réalisation du socialisme, d'avoir fait progresser considérablement le conflit entre capital et travail dans le monde entier. En Russie, le problème ne pouvait être que posé. Il ne pouvait être résolu en Russie. Et en ce sens, l'avenir appartient partout au "Bolchevisme".
Rosa Luxembourg, "La Révolution Russe "
Le texte que nous reproduisons ici fait partie de l'introduction au recueil d'articles de "Bilan" sur la guerre d'Espagne, publié par la section du CCI en Italie (Bilan, I933-I938, "Articoli sulla guerra di Spagna" ; Rivista Internazionale n°I, novembre I976). De ce fait, il ne s'attache pas tant à reprendre les positions de la Gauche italienne (développées, elles, dans les articles eux-mêmes) mais plutôt à rappeler le cadre historique dans lequel elles furent développées.
Nous le reprenons ici non seulement parce que les textes qu'il introduit sont ceux qui sont parus dans les n° 4, 6 et 7 de cette revue, mais aussi parce qu'en donnant un aperçu de ce que furent les principales étapes du combat de la Gauche communiste en Italie dans l'entre-deux guerres pour maintenir en vie l'effort théorique de la classe révolutionnaire, au milieu de la tourmente contre-révolutionnaire qui s'abattit sur le mouvement ouvrier au lendemain de la défaite de la grande vague prolétarienne de la fin de la Première Guerre mondiale. il rend compte d'un exemple impérissable d'une des plus indispensables qualités des révolutionnaires prolétariens - savoir maintenir, dégager et approfondir les expériences historiques de la classe sans céder aux pressions contraires des courants dominants de l'idéologie bourgeoise.
"Je parlerai brièvement et avec la pleine conscience de mes responsabilités. Ce que j'ai à dire est grave pour nous tous et pour le parti, mais on a voulu créer une situation pénible qui me contraint à parler. Indépendamment de toute considération de sincérité et de pureté plus ou moins grande des individus, je dois déclarer au nom de la Gauche que les procédés qui sont utilisés ici, non seulement n'ont pas ébranlé nos positions, mais constituent, avec l'organisation et la préparation du congrès et avec le programme qu’on y expos, l'argument le plus formidable pour renforcer la sérénité de notre jugement. Je dois dire que la méthode utilisée ici nous apparaît malheureusement mais sûrement être une méthode nuisible aux intérêts de notre cause et du prolétariat (...). Nous pensons que c’est notre devoir de dire sans hésitation et avec toute la conscience de nos responsabilités ce fait très grave : qu'aucune solidarité ne pourra nous unir à des hommes, qu'indépendamment de leurs intentions et de leurs caractéristiques psychologiques, nous jugeons être les représentants de la perspective désormais inévitable de l'évolution opportuniste de notre parti (...). Si je suis victime, si nous sommes tous victimes d'une terrible erreur en évaluant ainsi ce qui va arriver, alors je devrai et nous devrons être considérés comme indignes d'être seulement dans le parti et disparaître aux yeux de la classe ouvrière. Mais si cette impitoyable antithèse que nous voyons se profiler est vraie et nous réserve dans l'avenir de douloureuses conséquences, alors nous pourrons au moins dire que nous avons lutté jusqu'à la fin contre les pernicieuses méthodes par lesquelles on nous attaque et que nous avons apporté, en résistant à chaque menace, un peu de clarté dans l'obscure confusion qu'on veut créer ici. Maintenant que j'ai dû parler, jugez-moi comme vous voulez".
Ceci est la "Déclaration de Bordiga" au Congrès de Lyon en I926 (rapportée dans Prométéo, 1er juin 1928) et qui signait l'exclusion définitive de la Gauche par le Parti Communiste d'Italie. Gauche qui avait fondé et dirigé le parti durant les premières années et avait ensuite mené un dur travail d'opposition en son sein, précisément jusqu'au Congrès de Lyon. Le 6ème exécutif élargi de l'Internationale Communiste en février 1926 sanctionnait définitivement sur le plan international aussi la défaite de la Gauche Italienne dans un affrontement direct entre Bordiga et Staline.
Il nous semble nécessaire de donner quelques "dates" et références sur le processus de dégénérescence de l'IC, tout en étant conscients de leurs insuffisances et limites inévitables dans la mesure où elles ne peuvent donner qu'une bien pâle image de tous les bouleversements qu'a connus le mouvement prolétarien pendant ces années.
D'autre part, ce n'est pas l'objet de cette introduction que de traiter de cette période pourtant si riche et si féconde en enseignements et sur laquelle il existe - même si c'est en grande partie sous l'égide de la propagande contre-révolutionnaire - un certain matériel de documentation, mais bien de considérer pendant les années qui suivent I926, l'activité organisée
de ces noyaux communistes qui malgré des conditions pratiquement impossibles, ont su tenir bon, continuer une lutte désespérée et inégale, traqués dans toute l'Europe par le fascisme nazi et les tueurs staliniens, vus par les uns et par les autres comme les pires ennemis, comme des éléments à éliminer ; une activité complètement méconnue et ignorée même de ceux qui veulent s'y rallier, dans une mesure toujours plus faible à vrai dire.
1921 : IIIème Congrès de l'Internationale Communiste ; on présente la théorie du "Front Unique" ; on discute la validité de la scission de Livourne ; du côté des allemands, le KAPD, déjà en marge, rompt avec l'Internationale Communiste.
La gauche communiste semble vaincue. Suite au travail d'Essen du KAPD, l'éphémère KAI est fondée dont le Manifeste constitutif dit entre autres :
"Rien ne peut arrêter la progression des évènements ni obscurcir la vérité. Nous le disons sans réticences inutiles, sans sentimentalisme : la Russie prolétarienne de l'Octobre rouge devient un Etat bourgeois".
1922 : IIème congrès du Parti Communiste d'Italie, thèses de Rome ; IVème congrès de l'IC ; opposition de la gauche italienne à la fusion avec les socialistes ; analyse du fascisme par la gauche.
1923 : arrestation de Bordiga et autres dirigeants du parti communiste en Italie ; bo1chévisation des partis communistes ; l'opposition entre la gauche italienne et l'IC augmente toujours plus.
1924 : en Italie paraît la revue Prométéo ; Bordiga refuse de se présenter aux élections et déclare :
"Je ne serai jamais député et plus vous ferez vos projets sans moi, moins vous perdrez de temps".
Conférence de Côme ; Vème congrès de l'IC.
1925 : Bordiga écrit "La question Trotski" et "Le danger opportuniste et l'Internationale" ; le "comité d'entente" est fondé puis dissout.
1926 : la gauche est exclue du parti et de l'IC ; la période d'émigration commence ; lettre de Bordiga à Korsch.
La lettre que Bordiga envoie à Naples le 28/ 10/1926 à Korsch répond à la tentative de ce dernier de promouvoir un projet d'unification de ce qui restait de la gauche communiste à l'échelle internationale (seul document qui reste de la correspondance de Bordiga avec d'autres révolutionnaires pendant ces années et dont toute trace semble avoir disparu) ; elle nous paraît particulièrement intéressante ; nous en citons donc certains passages fondamentaux :
"Votre façon de vous exprimer (Bordiga parle de Korsch) ne me semble pas bonne. On ne peut pas dire que la révolution russe est une révolution bourgeoise. La révolution de 1917 a été une révolution prolétarienne bien que ce soit une erreur d'en généraliser les leçons "tactiques". Maintenant se pose le problème de ce qu'il advient de la dictature du prolétariat dans un pays, si la révolution ne se poursuit pas dans d'autres pays. Il peut y avoir une contre-révolution ; il peut y avoir un cours dégénérescent dont il s'agit de découvrir et définir les symptômes et les reflets au sein du parti communiste. On ne peut pas simplement dire que la Russie est un pays où le capitalisme est en expansion.
Nous recherchons la construction d'une ligne de gauche vraiment générale et non occasionnelle qui se construise à travers des phases et des développements de situations distantes dans le temps en les affrontant toutes sur le bon terrain révolutionnaire et certainement pas en ignorant leurs caractéristiques distinctes objectives.
De façon générale je pense qu'aujourd'hui, plutôt que l'organisation et ta manœuvre, ce qu'on doit mettre au premier plan, c'est un travail d'élaboration d'une idéologie politique de la gauche internationale basée sur les éloquentes expériences qu'a traversées le Kominterm. En étant bien en deçà de ce point, toute initiative internationale reste difficile.
Il n'est pas nécessaire de vouloir scissionner des partis et de l'Internationale. Il faut laisser s'accomplir l'expérience de la discipline artificielle et mécanique en la suivant dans ses absurdités de procédure tant que c'est possible, sans jamais renoncer aux positions de critique idéologique et politique et sans jamais se solidariser avec la direction qui prévaut.
Je crois que l'un des défauts de l'Internationale actuelle a été de constituer un "bloc d'oppositions" locales et nationales. Il faut réfléchir à cela, bien entendu sans arriver à des exagérations mais pour accumuler des enseignements. Lénine a réalisé beaucoup de travail d'élaboration "spontanée" en comptant regrouper matériellement les divers groupes pour les fondre seulement après à la chaleur de la révolution russe. En grande partie, cela n'a pas réussi".
Donc, en premier lieu, défense du caractère prolétarien de la révolution russe contre les affirmations simplistes sur la "nature bourgeoise" qu'exprimaient tous ceux qui découvraient à l'improviste qu'en Russie "quelque chose n'allait pas". Ensuite, précision du vrai problème qui
se pose : qu'advient-il de la dictature du prolétariat si la révolution ne se poursuit pas dans d'autres pays et avant tout "comment" affronter cette question en dehors de toute solution organisationnelle, d'alliance ou de bloc de type divers, dans le contexte de la période historique reconnue comme la pire contre-révolution en marche et du difficile travail d'analyse, d'étude, de compréhension des erreurs pour la reprise future ?
Parmi ces positions intransigeantes, une phrase de la lettre de Bordiga tranche : "il n'est pas nécessaire de vouloir scissionner des partis et de l'Internationale", quand, de fait, la gauche a déjà été mise dehors. Ce que la gauche défendait là, c'était de rester liée à ce qui était, cinq ans auparavant seulement, l'avant garde du prolétariat mondial, liée à l'espérance que pour la révolution, cela n'en était pas vraiment fini pour des décennies et des décennies ; c'était de rester liée à l'espérance que dans la crise mortelle du capital, la classe ouvrière serrée dans le terrible étau de la crise, puisse encore relever la tête et que sous la poussée de la "base", les positions que la gauche défendait puissent encore triompher dans le parti de l'Internationale ; la reprise ne pouvait avoir lieu si la classe ne savait pas secréter l'avant garde, le parti qui n'existait plus.
A côté de cela, Bordiga exprime aussi son point de vue sur l'IC. Pour lui, elle était effectivement le parti mondial du prolétariat. Au Vème congrès de l'IC (juillet 1924), il dira :
"Je voudrais dire sincèrement que dans la situation présente, c'est l'Internationale du prolétariat révolutionnaire mondial qui doit rendre au parti communiste russe une partie des nombreux services qu'elle a reçus de lui."
D'après Bordiga, donc, l'IC devait s'opposer à l'involution du parti russe et ne pas devenir un instrument de celui-ci, ou bien il n’y aurait vraiment plus d'espoirs… Mais c’est ce qui eut lieu.
Sur ces bases et avec ces préoccupations, la gauche italienne commence et continue son travail dans l'émigration.
"D'UNE CERTAINE MANIERE, NOUS JOUONS UN RÔLE INTERNATIONAL PARCE QUE LE PEUPLE ITALIEN EST UN PEUPLE D'EMIGRANTS DANS LE SENS ECONOMIQUE ET SOCIAL DU TERME ET, APRES L'AVENEMENT DU FASCISME, AUSSI DANS LE SENS POLITIQUE... IL NOUS ARRIVE UN PEU COMME AUX HEBREUX : SI NOUS AVONS ETE BATTUS EN ITALIE, NOUS POUVONS NOUS CONSOLER EN PENSANT QUE LES HEBREUX AUSSI SONT FORTS NON EN PALESTINE MAIS AILLEURS" (Intervention de Bordiga au VIème Exécutif élargi de l'IC).
Toute l'émigration des militants communistes en Italie ne suit pas le même chemin. Si la majeure partie d'entre eux devait quitter l'Italie en 1925-1926, à la suite de l'impitoyable chasse que leur font les fascistes et de leur exclusion du parti communiste au congrès de Lyon ce qui les privait de tout réseau de secours ou de refuge, certains éléments se trouvaient déjà en Autriche d'abord et ensuite, en 1923, en Allemagne, où les combattants révolutionnaires ont vécu de tragiques évènements. Ils s'opposeront aux décisions de l'IC et quitteront le parti communiste d'Italie. Dans la pratique, ils représentent la première opposition de gauche qui s'organise dans l'émigration. En Allemagne, ils gardent le contact avec les Entschie dene Linke ([1] [158]) et avec Karl Korsch ainsi qu'avec les camarades de la gauche qui, en Italie, avait donné naissance au "comité d'entente". A la suite de cette période, il y a eu la tentative de contact entre Korsch et Bordiga, et la lettre dont nous avons déjà parlé. Le groupe quitte ensuite l'Allemagne et rejoint la France à travers la Suisse et, tout en maintenant le contact avec les Allemands, il adhère à un comité des oppositions communistes (qui n'a rien à voir avec l'opposition trotskiste), tout en maintenant la pleine autonomie du groupe.
En 1927 à Pantin, en pleine banlieue parisienne, refuge des émigrés, des sans-abris, des désespérés et des expulsés de la société civile, est constituée la "Fraction de gauche du parti communiste d'Italie" en l'absence de Vercesi (Ottorino Perrone), plus tard l'un des meilleurs partisans de Bilan parce qu'il avait été expulsé de la "démocratique" France. Ce serait facile de parler des vicissitudes de ces camarades, à la recherche d'un travail et d'un abri, persécutés et indésirables dans les démocraties, traqués par les staliniens, et qui partout ont su continuer une lutte intransigeante, défendre et diffuser sans compromis ni peur les positions communistes. D'ailleurs, pour rendre clair quel type de rapports existait avec les staliniens, nous citerons quelques passages d'une lettre d'un certain Togliatti à Iaroslavsky, lettre du 19 avril 1929 :
"La lutte que notre parti doit mener contre les débris de l'opposition bordiguiste qui tente d'organiser en fraction tous les mécontents. Nous devons lutter contre ces gens dans tous les pays où existe l'émigration italienne (Belgique, France, Suisse, Amérique du Nord, Amérique du Sud, etc.) Pour nous, c'est impossible de mener cette lutte si nos partis frères ne nous aident pas. Le PC d'Italie demande au PC d'URSS une aide pour continuer cette lutte déjà difficile et qui peut le devenir encore plus si l'on a des faiblesses. Notre parti n'a rien d'autre à dire. Il demande seulement qu’on use du maximum de rigueur."
Nous ne savons pas si la scission qui voit se scinder en deux formations l'émigration en France, une minorité très réduite et une majorité, a eu lieu avant ou après Pantin, même si les données que nous avons nous font pencher pour la seconde alternative. Le premier groupe qui représente la continuité de ce petit noyau d'émigrants que nous avons déjà vu en Allemagne, donnera vie à Le Réveil Communiste qui paraîtra en 1928 et 1929. La revue ouvrira ses colonne à des groupes de la gauche en Allemagne (au Korsch de Kommunistische Politik et à ce qui restait du KAPD pendant ces années) et aussi à la gauche russe dans la personne de Miasnikov.
Le point central qui caractérisait les positions du Réveil Communiste était la négation de tout caractère prolétarien de l'Etat russe - point sur lequel pendant ces années, les autres éléments qui ont constitué Bilan par la suite étaient plus prudents – et un appui ouvert et manifeste aux positions du KAPD. Au Réveil Communiste va succéder, au début des années 1930, l'Ouvrier Communiste sur des positions ouvertement conseillistes.
Le second groupe est celui qui est connu, à proprement parler, comme la "Fraction de gauche du Parti Communiste d'Italie" ; il publiera Prométéo, journal en langue italienne, de juin 1928 à 1938. tantôt tous les quinze jours, tantôt tous les mois, et Bilan de 1933 à 1938. Les premières années de vie de la Fraction voient le débat avec Trotski, désormais exilé à Prinkipo, et avec les formations qui se réclament de lui et s'organisent surtout en France.
En novembre 1927 paraît Contre le Courant, "organe de l'Opposition Communiste" qui tente d'être le catalyseur des divers groupuscules trotskistes et de favoriser, ou au moins d'initier, un processus de regroupement de toute l'opposition de gauche. Dans le n°12 de 1928 (juin), une "lettre ouverte aux communistes de l'opposition" est envoyée aux organisations suivantes :
- le "Cercle Marx-Lénine" qui publie Bulletin Communiste,
- la "Fraction de la gauche italienne",
- le groupe "Barré-Treint" qui publie Redressement Communiste,
- le groupe "la lutte de classe" dont le chef est Naville
- le "Réveil Communiste" dont on a déjà parlé.
Il ne sortira rien de ce projet (ce n'est qu'en 1930 que la Vérité avec l'appui de Trotski se fera le porte-parole de toute l'opposition trotskiste) mais il est intéressant de voir la réponse du Bureau politique de la Fraction italienne par Vercesi :
"Beaucoup de groupes d'opposition croient devoir se limiter au rôle de cénacle qui enregistre les progrès d'un cours dégénérescent et ne présentent au prolétariat que l’évidence de la vérité qu'on pense avoir trouvée. Et bien nous pensons que nous aurons l'avenir que nous aurons su préparer. Mais la chose la plus importante, c'est d'établir avec quel moyen on peut tracer l'orientation de l'action communiste.
Nous pensons que la crise de l'Internationale dépend de causes très profondes, de son fondement apparemment uniforme mais essentiellement hétérogène, de l'absence d'une politique ferme et d'une tactique communiste, dont découle une altération des principes marxistes qui a conduit à une série de désastres révolutionnaires.
Hors de l'opposition russe, seule notre fraction a élaboré une direction d'action systématique dans une plate-forme qui est due au camarade Bordiga ([2] [159])
Il y a beaucoup d’oppositions. C’est un mal ; mais il n’y a pas d’autre remède que la confrontation de leurs idéologies respectives, la polémique pour parvenir en suite à ce que vous nous proposez.
S’il existe tant d’oppositions, c’est parce qu’il y a plusieurs idéologies qui doivent se manifester dans leur substance et non simplement se rencontrer dans une simple discussion dans un organe commun. Notre mot d’ordre, c’est de pousser à fond notre effort sans se laisser guider par la possibilité d’un résultat qui serait en réalité un nouvel échec.
Nous pensons que si l'Internationale, après avoir officiellement altéré ses programmes, a failli à son rôle de guide la révolution, les partis communistes n'en ont pas moins fait. Vu la nature de la situation que nous vivons, ce sont les organes dans lesquels on doit travailler pour combattre l'opportunisme et ce n'est pas du tout exclu pour en faire le guide de la révolution".
La lettre (publiée dans le n°13 de Contre le Courant) se termine (pour les raisons susdites) par le refus de l'invitation. Comme on le voit, cette réponse de Vercesi reprend celle de Bordiga à Korsch ; à nouveau est affirmée la nécessité d'examiner de façon critique le passé, de tirer les leçons de la dégénérescence et de la vague contre-révolutionnaire qui s'est abattue sur le mouvement prolétarien ; à nouveau la confiance dans une lutte autonome et intransigeante sur les principes, à l'intérieur des partis communistes. Bien plus importants seront les contacts épistolaires entre Prométéo, qui avait commencé à paraître en juin 1928 et Trotski (une bonne documentation se trouve dans le livre de Corvisieri "Trotski et le communisme italien).
Dans la première lettre adressée à Trotski, Prométéo retrace un peu son histoire : la rupture avec Le Réveil Communiste, la constitution en fraction, l'analyse de la situation internationale caractérisée par l'offensive capitaliste, l'ana1yse de la Russie qui divisera - une majorité voyant dans la Russie un Etat prolétarien et une minorité qui se prononce "pour la négation du caractère prolétarien de l'Etat russe" -, la question italienne sur laquelle la fraction refuse de reconnaître que la social-démocratie ou les forces d'opposition démocratique puissent mener une lutte contre le fascisme et affirme que "la classe ouvrière a seulement la possibilité de mener cette lutte sur les bases du programme communiste".
A la suite de la non-participation de la "Fraction" à une conférence de "l'Opposition" à Paris, les rapports avec Trotski deviennent plus tendus et dans une lettre le révolutionnaire russe pose à Prométéo les questions suivantes :
"Vous considérez-vous comme un mouvement national ou comme une partie d'un mouvement international ?
Pourquoi ne pensez-vous pas créer une fraction internationale de votre tendance ?
A quelle tendance appartenez-vous ?
Et Prométéo répond :
"En l’occurrence vous nous invitez à vous dire si nous sommes ou non des communistes.
(...) et maintenant nous répondons à vos questions :
Nous nous considérons comme partie d'un mouvement international.
Nous appartenons, depuis la fondation de 1'IC et même avant à la tendance de gauche.
Nous ne pensons pas créer une fraction internationale de notre tendance parce que nous croyons avoir appris du marxisme que l'organisation internationale du prolétariat n'est pas une somme artificielle de groupes et de personnalités de tous pays autour d'un groupe donné. Par contre, nous pensons que cette organisation doit bien être le résultat de l'expérience du prolétariat de tous les pays."
Des questions de méthode et de principe opposaient donc Prométéo et Trotski : de la part de Prométéo, il n'y avait pas d'acceptation intégrale des quatre premiers congrès de l'IC mais une critique du "front unique" qui (écrit Prométéo) amène "au gouvernement ouvrier-paysan, au comité ang1o-russe, au Kuomitang, aux comités prolétariens antifascistes". Les événements d'Espagne 1930-1931 ont amené la rupture et l'interruption définitive du contact. A Trotski qui écrit dans "La révolution espagnole et les devoirs des communistes" :
"Le mot d'ordre de la répub1ique, naturellement, est aussi un mot d'ordre du prolétariat. Mais pour lui, il ne s'agit pas seulement de changer un roi contre un président, mais d'une épuration radicale de toute la société des immondices du féodalisme", et aussi:
"Les tendances séparatistes posent à la révolution le devoir démocratique de l'autodétermination nationale… Le séparatisme des ouvriers et des paysans est l'enveloppe de 1eur indignation sociale" ;
Prométéo ne pouvait que répondre :
"Il est clair que nous ne pouvons pas le suivre dans cette voie et à lui autant qu'aux dirigeants anarcho-syndicalistes de La CNT, nous répondons en niant de là façon la plus explicite que les communistes doivent prendre place aux premiers rangs de la défense de la république et d'autant moins de la république espagnole." (Prométéo, 23 août 1931)
Une rupture définitive qui ne pouvait qu'aller s'accentuant lorsqu'il s'agira de la nature sociale de l'URSS, de l'analyse de Trotski sur la direction bureaucratique en Russie et sur la défense de la Russie en cas de guerre impérialiste.
En novembre 1933, paraît le premier numéro de Bilan "Bulletin théorique mensuel de la Fraction de gauche du PC d'Italie". Dans l'introduction, le cadre historique dans lequel s'inscrivent précisément le travail de la revue et les tâches que ce groupe révolutionnaire se propose d'assumer, est d'emblée délimité :
"Ce n’est pas un changement de situation historique qui a permis au capitalisme de traverser la tourmente des événements de l’après-guerre : en 1933, tout comme en 1917 et encore plus, le capitalisme se trouve être définitivement condamné en tant que système d’organisation sociale. Ce qui a changé de 1917 à 1933, c’est le rapport de force entre les deux classes fondamentales, entre les deux forces historiques qui agissent dans la période actuelle : le capitalisme et le prolétariat.
Nous sommes aujourd’hui à un terme extrême de cette période : le prolétariat n’est peut-être plus à même d’opposer le triomphe de la révolution à l’explosion d’une nouvelle guerre impérialiste. Toutefois, s’il existe encore des chances de reprise révolutionnaire immédiate, elles consistent seulement dans la compréhension des défaites passées. Ceux qui opposent à ce travail indispensable d'analyse historique le cliché de la mobilisation immédiate des travailleurs ne font que jeter la confusion et empêcher la réelle reprise prolétarienne.
Les cadres pour les nouveaux partis du pro1étariat ne peuvent surgir que de la connaissance profonde des causes de la défaite. Et cette connaissance ne peut supporter aucun interdit non plus qu'aucun ostracisme.
Tirer le bilan des évènements de l’après-guerre, c'est donc établir les conditions pour la victoire du prolétariat dans tous les pays".
C'est selon cet axe que Bi1an a avancé et travaillé en traitant toujours les questions fondamentales du mouvement révo1utionnaire. De l'analyse de la crise du capitalisme (décadence) à la critique des mouvements de libération nationale, de la délimitation des moments qui rendront à nouveau possib1e la reprise de classe du prolétariat à la critique impitoyable des "partis communistes" et de la Russie - dont la nature sociale n'était pas encore claire - mais son rôle politique ne puissance impérialiste à laquelle la classe ouvrière doit refuser toute forme de soutien vu la proximité de la guerre mondiale, se précisait. Comme moment fondamental du travail révolutionnaire, Bilan sollicitait aussi le débat avec d'autres formations politiques et a publié des textes d'autres camarades.
En 1935, Bilan, de "bulletin théorique mensuel de la Fraction de gauche du PC d'Italie", devient "bulletin théorique mensuel de la Fraction Italienne de la Gauche Communiste", ce qui marque la rupture définitive avec un parti qui est désormais un maillon de la contre-révolution capitaliste ainsi que l'affirmation du caractère international de ses tâches.
En 1936, commencent les divergences sur la question de la guerre d'Espagne qui allaient provoquer une scission dans Bilan. Parallèlement a aussi lieu la rupture des liens qui s’étaient établis fin 1932 avec la "Ligue des Communistes Internationalistes de Belgique", groupe qui venait du trotskisme et avait tout de suite après subi une forte influence conseilliste. En 1932, Bilan et la Ligue se trouveront sur les mêmes positions dans la critique de "l'Opposition Internationale de gauche" (trotskiste) qui, en Allemagne, face à l'attaque fasciste, avait lancé un appel à un front unique pour la défense "des revendications démocratiques" considérées comme autant d'étapes de la lutte pour la révolution communiste.
Cet accord, ainsi que le refus de la solution proposée par l'opposition trotskiste pour la reconstruction du parti communiste, renforçait la possibilité d'un débat et d'un contact entre les deux organisations : débat qui devait avoir comme but la reconstruction du patrimoine historique du prolétariat et se basait sur l'analyse et la réponse politique à donner aux évènements qui se succédaient pendant ces années.
La guerre d'Espagne a signé la rupture d'un débat qui s'était poursuivi pendant six ans et que Bilan avait amplement alimenté. La majorité de la "Ligue des Communistes Internationalistes de Belgique" choisit l'appui à la guerre antifasciste comme la minorité de Bilan et du groupe français "L'Union Communiste". En fait, Hennaut, représentant très important de la Ligue, écrira dans un document daté de février 1937 (et qui sanctionnait la rupture) :
"Nous savons que la défense de la démocratie n'est que l'aspect formel de la lutte ; l'antagonisme entre le capitalisme et le prolétariat n'en est pas l'essence réelle. Et, à condition de n’abandonner en aucune circonstance la lutte de classe, le devoir des révolutionnaires est d'y participer".
Une expression SUBSTANTIELLE de la lutte du capitalisme contre le prolétariat est donc considérée comme une expression FORMELLE de la lutte prolétarienne contre le capitalisme...
Mais ce n'est pas toute la Ligue qui prendra cette position. Une minorité, mais la majorité à Bruxelles, reste sur la position de Bilan. Elle fut expulsée de l'organisation et s'est constituée en "Fraction belge de la Gauche Communiste". De 1937 à 1939, elle a publié Communisme, revue mensuelle ronéotée.
En 1938, Bilan s'arrête et Octobre s'y substitue, "organe mensuel du Bureau International des Fractions de la Gauche Communiste". Cinq numéros d'Octobre ont été publiés, le dernier en août 1939. Un mois plus tard, commencera le deuxième carnage mondial.
Quel est le lien des groupes qui prétendent être la "continuité" (plus ou moins organique) de la Gauche Italienne, avec le travail de la "Fraction" à l'étranger?
Examinons la position du "Parti communiste International" (Programme Communiste) sur ce point.
En paroles, Programme Communiste s'est toujours revendiqué du travail de Bilan et de Prométéo, peut-être pour combler le trou qui va de 1926 à la Deuxième Guerre mondiale. Il n'a jamais cherché à clarifier pour ses militants et ses lecteurs les positions et le travail de Bilan (sinon dans quelques courts articles dans un numéro du journal en 1957 lors de la mort d'Ottorino Perrone, alias Vercesi) qui reste donc pour lui un nom et pas grand chose de plus. C'est probablement par pudeur qu'il en a été ainsi !
Lire Bilan aurait été traumatisant pour ceux qui désormais prenaient un chemin diamétralement opposé à celui indiqué par la "Fraction italienne" dans l'émigration. Aujourd'hui il semble qu'il n'y ait même plus trace de cette fausse pudeur ; non qu'on dise ouvertement qu'il n'y a rien à tirer du travail de Bilan, mais cela se comprend implicitement à la lecture de certains articles qui touchent à la question du mouvement ouvrier des années 1930. Si dans un article de 1971 (Programma Communista, n°21, 1971), on critiquait encore le travail de Trotski qui comportait "toute une série de coalitions hybrides sur la scène de l'opposition internationale" pour dire ensuite "qu'ultérieurement cette opposition pot-pourri se retrouvera dans la IVème Internationale mort-née", en 1973 (Programma Communista, n°19, 1973) on en arrivait à écrire :
"Quand Trotski affirmait la nécessité prioritaire de former un noyau solide basé sur les positions révolutionnaires comme condition, non exclusive ou suffisante, mais indispensable d'une reprise révolutionnaire, plus ou moins proche, et de façon à faire fructifier dans un sens révolutionnaire le prochain confit, il ne faisait pas qu'énoncer une vérité première du marxisme, une vérité d'autant plus importante qu'elle est moins évidente, à tel point qu'elle peut être ignorée et même raillée par la droite, par le centre, par ta "gauche" et même par l'extrême gauche".
Pour celui qui voudrait savoir ce qu'entend Programma Cornmunista par "solidement basé sur des positions révolutionnaires", peut-être le renverra-t-il à l'entrisme dans les partis social-démocrates, ou bien à la défense de la Russie pendant la Seconde Guerre mondiale ?
De quoi s'agit-il d'autre sinon, lorsqu'il parle de "faire fructifier dans un sens révolutionnaire le prochain conflit" selon la tradition trotskiste.
Plus loin, on trouve encore:
"Si Trotski s'est trompé, ce n'est pas pour avoir présenté la nécessité de la IVème Internationale, ni pour avoir conçu une telle nécessité comme un but de travail, au contraire de ceux qui la reconnaissaient abstraitement dans l'atmosphère ouatée des bibliothèques où se sont réfugiés, en s'en faisant un honneur, les Korsch et les Pannekoek".
Et pourquoi n'écrit-on pas aussi les Vercesi et les Bordiga, etc. ? Mais l'article continue :
"Seuls les sectaires sans cervelle peuvent se réjouir d'une tragédie comme celle de la prétendue IVème Internationale tombée parce que devenue la proie des formes les plus hétérogène d'opportunisme et ricaner de satisfaction", pour arriver à son point culminant :
"la IVème Internationale reste à construire".
Enfin ! ! !
Qu'a donc à partager avec la Gauche Communiste et avec Bilan un groupe qui veut :
"Travailler aujourd’hui avec patience, ténacité, modestie, pour rendre possible le jour où le cri de l’avant-garde révolutionnaire du monde entier sera : vive la IVème Internationale !" ?
Messieurs, vous avez dû attendre d'ensevelir des cadavres avant de pouvoir écrire des choses de ce genre qui, d'autre part, ne peuvent être attribuées à la folie d'un quelconque imbécile qui écrirait sous l'anonymat de votre journal, mais sont l’œuvre "collective" du "parti".
Le "Parti Communiste Internationaliste" (Battaglia Communista) se réclame aussi de Bilan. Un numéro de Prométéo - mars 1958 (série II, n°10), revue théorique de Battaglia Communista, fut entièrement dédié à l’œuvre théorico-politique d'Ottorino Perrone (Vercesi). Nous citons quelques extraits de la présentation de ce texte :
"Les évènements de la révolution espagnole, comme ils ont été de loin supérieurs à leurs propres protagonistes, ont ainsi mis en évidence les points forts et les points faibles de notre propre vision : la majorité de Bilan nous apparaît avec une formulation théoriquement impeccable mais qui avait le défaut de rester une simple abstraction; la minorité nous apparaît, d'un autre côté, avoir la préoccupation de prendre le chemin d'une participation qui ne s'est pas toujours avisée d'éviter les virages du jacobinisme bourgeois, même quand on monte des barricades.
Etant donné les possibilités objectives, nos camarades de Bilan auraient dû poser le problème, celui-là même que notre parti devait poser plus tard face à l'appel partisan, en invitant les ouvriers qui se battaient à ne pas tomber dans le piège de la stratégie de la guerre impérialiste".
Exactement. Battaglia Communista défend au tout début du deuxième après-guerre (pour ne pas parler de la participation électorale en 1948) la même position que la minorité de Bilan pendant la guerre d'Espagne. La minorité de Bilan n'est pas allée défendre en Espagne la république contre le fascisme (comme le montrent par ailleurs les textes que nous avons publiés) ([3] [160]), mais pour défendre parmi les miliciens les principes et la tactique communistes.
Mais le problème ne s'arrête pas là. La question centrale, c'est ce que Battaglia appelle notre "formalisme", ou bien des "abstractions" et qui, pour nous, sont un principe, une frontière de classe.
S.
[1] [161] Entschiedene Linke : groupe formé par les expulsés du KPD (avec Schwarz à leur tête) très proche du KAPD (de Berlin) à l'activité duquel participe aussi Korsch. Peu de temps auparavant, c'est aussi la constitution face à la dissolution du KPD d'une "ligue de Spartacus n°2" qui réunissait l'AAUE, le groupe autour de Iwan Katz et d'autres éléments. Par la suite, Korsch se détacha, à cause de ses divergences avec le KAPD, de ces formations et donna vie au Kommunitische Politik.
[2] [162] Selon toute probabilité: on se réfère ici aux thèses présentées par la Gauche au congrès de Lyon.
[3] [163] Voir Revue Internationale n°4 et 7.
La tache première de tout congrès consiste à tirer le bilan de l'activité de l'organisation et à se doter de perspectives pour l'année à venir. Cette préoccupation a pris une importance particulière au cours du premier Congrès d'Internationalisme, section du CCI en Belgique. Rappelons-nous qu'il y a un peu plus d'un an, lors de son congrès de fondation, ce fut de trois groupes (le JLC, le RRS et le VRS), dépassant avec l'aide du CCI leurs confusions antérieures, que naquit la section en Belgique. Trois groupes qu'avait fait surgir la reprise de la lutte prolétarienne, et qui, au cours de plusieurs années de recherche 1aborieuse, tombant souvent dans le piège des idéologies bourgeoises, furent petit à petit gagnés aux positions de classe. A l'époque, cet évènement fut salué par le CCI comme un pas important dans son renforcement, non pas tant pour la nouvelle section en elle-même, que pour l'expérience positive qu'avait constitué l'unification de trois groupes isolés sur la base du programme prolétarien ; celle-ci étant la manifestation de la compréhension croissante, chez les éléments révolutionnaires, de la nécessité de l'unité mondiale. Vaincre les préjugés localistes et réaliser une centralisation effective de la section, surmonter les divisions linguistiques, assumer la publication d'une revue en deux langues (français et néerlandais), s'intégrer dans le travail de l'ensemble du CCI, assimiler les expériences des autres sections et enfin assurer une formation accélérée des militants pour se hisser à la compréhension théorique générale du Courant : telles furent quelques unes des tâches qu'Internationalisme a dû mener à bien au cours de l'année écoulée. L'importance de la synthèse d'un tel travail ne peut être sous-estimée, car c'est seulement l'assimilation complète des difficultés rencontrées au cours des pas précédents qui permet d'accomplir le pas suivant avec assurance.
Après avoir analysé la situation économique et politique aux niveaux international et national ([1] [164]), le congrès a concrétisé la nouvelle étape que s'apprête à franchir la section dans son développement et son renforcement par l'adoption de ses perspectives politiques pour l’année à venir. L'aspect le plus important de celles-ci est sans conteste la décision de publier bientôt Internationalisme mensuellement, en deux langues. Cette augmentation de la fréquence de parution de la revue est le reflet de la multiplication des problèmes qui commencent à se poser à la classe au cours de sa lutte et auxquels l'organisation des révolutionnaires se doit de répondre pour remplir sa fonction au sein du prolétariat. Avec l’approfondissement de la crise et l'exacerbation saccadée de la lutte de classe, les révolutionnaires sont poussés à intervenir de plus en plus intensément, non seulement pour faire face aux besoins immédiats de la lutte, mais encore pour se préparer de façon continue et progressive aux explosions révolutionnaires futures qui germent aujourd'hui dans le sol fertile des luttes quotidiennes.
C'est encore pour se préparer au futur qu'une deuxième tâche d'un congrès consiste à se prononcer sur des questions générales qui ne se posent pas directement dans la pratique, mais qui ne manqueront pas de surgir dans le cours ultérieur de la lutte. Tout comme le second congrès de Révolution Internationale, le premier congrès d’Internationalisme s'est penché sur le problème de la période de transition qui s'étend entre le capitalisme et le communisme achevé. Il s'agit là par excellence d'un problème qui nécessite une réflexion préparatoire. Car, lorsque le prolétariat se soulèvera tout entier contre la bourgeoisie, lorsqu'il balaiera de fond en comble l'Etat bourgeois, dans ce bouillonnement fiévreux qu'est la révolution, les révolutionnaires n'auront jamais trop réfléchi, trop tiré les leçons des expériences passées pour faire face à la nécessité immédiate de l'organisation du pouvoir prolétarien. C'est parce que la dialectique interne des luttes de la classe ouvrière entraîne aujourd'hui celles-ci vers la révolution, c'est parce que chaque lutte porte en filigrane le contenu de la révolution, donc du communisme, que le CCI estime indispensable de prendre position, au cours de son prochain congrès international, sur les grandes lignes des rapports politiques qui existeront dans la période de transition.
L'adoption par le premier congrès d'Internationalisme d'une résolution sur ce sujet s'inscrit donc dans le cadre de la discussion internationale qui prépare le second congrès international.
Et, si la résolution présentée au congrès de Révolution Internationale (publiée dans la Revue Internationale n°8) fut également acceptée par le congrès d'Internationalisme, les discussions n'en furent pas moins controversées et très fructueuses. Le débat fondamental, qui porte sur la nature de l'Etat dans la période de transition, a déjà trouvé une expression dans la Revue Internationale n°6 ; il s'est encore considérablement enrichi d’arguments au cours de la discussion du congrès.
Enfin, le premier congrès d'Internationalisme fut l'occasion de présenter deux textes importants : les thèses sur la lutte de classe en Belgique et les thèses sur la filiation des groupes communistes en Belgique ([2] [165]). Ce congrès fut un moment important de la vie de la section en Belgique, en quelque sorte l'étape qui marquait la tenue de sa constitution effective et le dépassement de ses premières expériences, pour entrer dans une phase d'affirmation politique. Or il est capital de comprendre d'où nous venons pour mieux cerner où nous allons. Ces textes furent ainsi, pour la jeune section en Belgique, un moyen de renouer avec le passé de la classe et de mieux se comprendre comme un maillon de la chaîne qui relie, à travers l'histoire, toutes les luttes et toutes les expressions politiques de la classe.
M.L.
[1] [166] Nous ne reprenons pas ces points ici puisque des textes complets sur la situation internationale, émanant du second congrès de Révolution Internationale ont été publiés dans la Revue Internationale n°8, tandis qu'une résolution sur la situation en Belgique a été publiée dans Internationalisme n°8.
[2] [167] Ces textes seront publiés ultérieurement dans la presse du CCI.
Une scission importante vient récemment d'avoir lieu au sein du Communist Workers Organisation (CWO), groupe révolutionnaire en Grande-Bretagne qui défend des positions proches de celles du CCI. Bien que les détails de la scission restent obscurs puisque les scissionnistes du CWO ne font apparemment publié aucun texte expliquant pourquoi ils rompent, il semble que la section de Liverpool toute entière -plus ou moins l'ancien Workers'Voice- ait quitté le CWO, lui reprochant son attitude intolérante vis-à-vis des autres groupes et dans la discussion interne. Ceci a peut-être de solides justifications mais l'ancien Workers’Voice (WV) a beau jeu de se plaindre de 1'intolérance vis-à-vis d'autres groupes : il fut le premier de différents groupes à rompre avec le CCI, l'accusant d'être contre-révolutionnaire avec des arguments politiques des plus légers (voir WV n°13, "Statement"). Du peu que nous savons, il semble que le principal motif du groupe de Liverpool pour quitter le CWO est une tendance prononcée au localisme et à l'activisme, une insistance purement verbale d'intervenir dans la lutte de classe, comprenant à la fois l'intervention et la classe ouvrière dans le sens le plus étroit et le plus parcellaire. Ces tendances localistes d'une part et l'échec du groupe de Liverpool à débattre des divergences de façon véritablement politique d'autre part, sont la continuation directe de la pratique de l'ancien WV (voir «Sectarisme illimité» dans WR n°3). Cependant la réaction de ceux qui restent comme le CWO, semble être en droite ligne dans cette tradition de dogmatisme enfermé sur lui-même au point que leurs publications n'ont pas cherché à approfondir les implications politiques de cette scission.
Nous ne voulons pas nous appesantir sur les détails de cette scission. Nous disons simplement qu'elle est la conclusion logique de ce que nous avons qualifié de "regroupement incomplet" (World Révolution (WR), n°5) lorsque Workers’Voice et Revolutionary Perspectives fusionnèrent pour former le CWO en septembre 1975. C'est là le résultat inévitable de la politique d'isolé ment sectaire que le CWO se choisit lorsqu'il rompit avec le CCI. Cet isolement s'est même accru depuis la formation du CWO ; la plupart des contacts avec des éléments révolutionnaires dans d'autres pays (Pour une Intervention Communiste en France, l'ex Revolutionary Workers Group aux USA), n'ont rien donné et le groupe a maintenant perdu une de ses plus fortes sections. Plus que jamais le CWO reste un groupe local pris au piège de l'étroitesse de ses horizons. Bien que le CWO lui-même soit peut-être incapable de comprendre ce qui s'est passé, alors que la période est fondamentalement favorable pour le regroupement des révolutionnaires, il est important pour nous de voir toute l'expérience du CWO comme un problème du ressurgissement du mouvement révolutionnaire et quelles leçons peuvent être dégagées de cette expérience pour le processus de regroupement des révolutionnaires engagé aujourd'hui. Nous saisissons aussi cette occasion pour exprimer nos critiques sur ce que nous considérons être les principales erreurs politiques du CWO ; cette critique servira de réponse à la polémique avec le CCI de l'article du CWO dans Revolutionary Perspectives n°4, "les convulsions du CCI", qui vise a montrer comment le CCI fait partie de la bourgeoisie.
Pour comprendre la situation bizarre qui fait qu'en Grande-Bretagne deux groupes révolutionnaires défendent des positions de classe et en même temps n'entretiennent aucune relation entre eux parce que l'un considère l'autre comme "contre-révolutionnaire", il faut revenir plu» sieurs années en arrière quand le mouvement révolutionnaire d'aujourd'hui, faible mais grandissant, commence à émerger de la longue nuit de contre-révolution dont la fin est marquée par la résurgence du prolétariat après 1968.
C'est précisément parce que la contre-révolution qui a suivi la défaite de la vague révolutionnaire des années I917-I923, a été si longue et si profonde que le ressurgissement du mouvement révolutionnaire à la fin des années 60 s'est heurté à de nombreux obstacles et confusions. En effet il n'y a pas de lien automatique entre le niveau de la lutte de classe à un moment donné et la clarté des minorités révolutionnaires du prolétariat. A la suite des événements de mai 1968 en France, le prolétariat international, réagissant aux premiers coups de la crise économique globale qui s'amorce, se lance dans une série de batailles à une échelle que le monde n'avait plus connue depuis cinquante ans. Mais bien que la réapparition du prolétariat sur la scène de l'histoire pose les conditions générales pour la renaissance d'une fraction communiste au sein de la classe, les premiers groupes engendrés par le réveil de la lutte de classe se trouvent devant d'extrêmes difficultés pour comprendre la signification de leur propre existence et les tâches à entre prendre pour lesquels ils ont surgi. Le problème le plus important auquel ils se heurtent est la rupture complète de la continuité organique avec le mouvement révolutionnaire du passé. Dans les périodes précédentes, le prolétariat avait vu ses partis s'effondrer ou le trahir mais chaque fois une nouvelle organisation émergeait peu après, regroupant les meilleurs éléments des anciens partis" et reprenant la synthèse de tous les acquis. Ainsi, bien que la IIème Internationale fut perdue pour le prolétariat lorsqu'elle capitula devant la guerre impérialiste en 1914, l'écroulement ne fut pas total : en quelques années une nouvelle Internationale se reconstituait tel le phénix renaissant de ses cendres, basée sur les éléments de l'ancienne Internationale qui restaient attachés aux principes programmatiques de la classe ouvrière. En rompant avec les partis de la social-démocratie, la nouvelle Internationale Communiste n'avait pas à partir de "zéro" ; elle pouvait compter sur une expérience organisationnelle et une présence au sein de la classe ouvrière entretenue par les révolutionnaires pendant des décades avant le désastre de 1914. Au contraire la défaite de la vague révolutionnaire des années 20, parce qu'elle a lieu dans une nouvelle période où la seule perspective pour le prolétariat est socialisme ou barbarie et donc où seules restent des minorités politiques prolétariennes (ceux qui se basent sur un programme communiste explicite) signifie la quasi disparition du mouvement révolutionnaire de la scène de l'histoire. Les fractions communistes de gauche qui se détachent de l'IC qui dégénère, continuent à jouer leur rôle vital de tirer les leçons de la défaite de la révolution mais n'arrivent pas en fin de compte à résister à l'énorme pression de l'idéologie bourgeoise dans une période de défaite et de démoralisation. L'histoire du mouvement communiste de gauche des années 20 aux années 50 est celle d'une dispersion, d'un isolement croissant.
La rupture tragique dans la continuité avec le mouvement passé signifie que les nouveaux groupes qui surgissent à la fin des années 60 se trouvent privés d'une expérience théorique et organisationnelle vitale , n'ont pas de tradition d'intervention dans la lutte révolutionnaire, sont isolés de la classe,etc.. De plus, le mouvement surgit « parallèlement » à la soi-disant révolte étudiante et beaucoup de nouveaux éléments révolutionnaires viennent au départ du milieu universitaire avec toutes les confusions et les préjugés qui fleurissent dans un tel milieu.
Cette influence petite-bourgeoise est ressentie le plus fortement dans le domaine où les nouveaux groupes révolutionnaires sont les plus confus : la question d'organisation. Les trahisons du parti bolchevik, la transformation des partis révolutionnaires au départ en monstrueuses machines bureaucratiques ont produit et ceci dès les années 20, une réaction dans le mouvement ouvrier tendant à suspecter toute forme d'organisation révolutionnaire comme voulant se substituer à la classe ouvrière. Certaines tendances provenant des Communistes de Conseils des années 30 et 40 ont commencé à évoluer vers la position selon laquelle les organisations révolutionnaires constituent une barrière au développement d'un mouvement prolétarien autonome,
Il n'est guère surprenant que le jeune mouvement révolutionnaire des années 60 adopte au début ces erreurs conseillistes. Beaucoup d'éléments évoluent vers des positions révolutionnaires en réaction aux prétentions bureaucratiques et avant-gardistes des diverses organisations gauchistes ; et si on se rend compte du fait que les conceptions libertaires, situationnistes et autres "anti-autoritaires" sont intimement liées au milieu petit-bourgeois d'où sortent beaucoup de révolutionnaires, on peut voir pourquoi la question d'organisation est une pierre d'achoppement de la majorité des nouveaux courants révolutionnaires. Le rôle des révolutionnaires au sein de la lutte de classe, comment organiser une minorité révolutionnaire, la signification de l'intervention dans la lutte de classe, toutes ces questions sont beaucoup moins nettement comprises que les positions de classe plus générales telles que la nature bourgeoise des syndicats ou des régimes staliniens. Il y a une peur presque réflexe du "léninisme", du "bolchévisme", un sentiment que quiconque met l'accent sur 1'importance de l'organisation révolutionnaire ne peut être que "la même chose" que les trotskystes ou les staliniens, intéressé à s'auto-ériger en faux "leader" de la classe ouvrière. De même, toute tentative d'organiser l'activité révolutionnaire de façon centralisée est suspecte : le seul centralisme qu'on imagine est la hiérarchie bureaucratique des organisations gauchistes. En même temps, les aspects du travail révolutionnaire tels que la publication régulière et méthodique, une approche systématique de l'intervention, de la diffusion des textes, sont souvent considérés comme du "fétichisme organisationnel". Cette méfiance, allant parfois jusqu'à la paralysie en fait de tout travail révolutionnaire, est un produit direct du "traumatisme" de la contre-révolution : hantise compréhensible mais qui doit être dépassée le plus rapidement possible pour que le mouvement révolutionnaire puisse aller plus loin.
A cause de ces problèmes, beaucoup de groupes surgis de la première vague de luttes prolétariennes entre 1968 et 1972 ont complètement disparu et pour la majorité d'entre eux à cause d'une profonde confusion sur l'organisation. Le groupe suédois Internationall Arbetarkamp (IAK) en est un exemple typique. Commençant comme une saine réaction contre le maoïsme, IAK est parvenu tout près de l'élaboration d'une plate-forme communiste claire mais lorsqu'il s'est agi de s'affronter au problème de s'organiser, la peur a repris le dessus. Sous l'influence des idées modernistes comme celle d’Invariance en France, IAK a rapidement commencé à théoriser sa propre décomposition interne, affirmant que tout groupe est un "racket" et bourgeois par nature, que la tâche des communistes est de"vivre comme des communistes" : il n'est pas surprenant que le groupe ait bientôt éclaté entre des individus démoralisés poursuivant leur « propre » évolution vers le "végétarisme", la rédaction de romans "anti-capitalistes", etc..
Un des problèmes principaux pendant cette période a été l'absence d'une tendance politique capable d'agir comme pôle solide de regroupement, d’offrir à des groupes corme IAK une alternative à la désintégration politique. Ceci était inévitable car le mouvement révolutionnaire naissant n'avait d'autre alternative que de croître et mûrir à travers ses propres expériences. Néanmoins, ce processus de maturation s'est développé lentement : un des premiers signes est la disparition de la plupart des courants qui, éblouis par le boom d'après-guerre, avaient rejeté la conception marxiste de la crise et ont aujourd'hui vu leurs fantaisies sur un capitalisme ayant surmonté ses crises, démenties par le net infléchissement de la crise économique après 1973 (situationnisme, Gauche marxiste, ICO, etc.).
Entre 1968 et 1973 s'est poursuivi un processus graduel et continu de décantation dans le mouvement révolutionnaire ; dans ce contexte, la persistance et la persévérance du Courant international (alors représenté par Révolution Internationale en France, Internationalism aux USA et Internationalismo au Venezuela) défendant la nécessité d'une plate-forme politique cohérente comme base du regroupement des révolutionnaires, a été l'expression des besoins objectifs du mouvement révolutionnaire. Pour nous, l'affirmer aujourd'hui n'est pas une question de fanfaronner rétrospectivement ou de nous auto-proclamer arbitrairement pôle de regroupement (l'unique et l'éternel !) comme le CWO semble le prétendre dans leur "Convulsions du CCI". Si le Courant international a été le regroupement révolutionnaire le plus consistant après 1968, c'est par son souci constant de réappropriation et d'approfondissement des acquis du mouvement révolutionnaire passé. Le fait que quelques-uns des membres fondateurs du Courant international aient fait partie directement du mouvement de la Gauche communiste des années 30 à 50 est un élément important bien qu'il n'ait pas été un facteur décisif comme nous l'avons dit, toute continuité organique avec la Gauche communiste ayant finalement été rompue par la contre-révolution. Mais le Courant international s'est engagé à construire une continuité politique avec le mouvement de la Gauche communiste du passé et a ainsi élaboré une plateforme qui s'efforce de synthétiser les contributions fondamentales du mouvement ouvrier historique. Ceci a fait que le Courant tendait à devenir un pôle de regroupement et contribuait à la clarification du mouvement révolutionnaire des années 70. Mais, de par sa propre immaturité, il a fallu longtemps pour que les implications d'une telle orientation soient comprises par le Courant lui-même et beaucoup de conflits internes et de confusions ont du être résolues avant que le Courant international puisse pleinement assimiler la réalité de sa propre existence. Par exemple, il a fallu résoudre les hésitations "anti-organisationnelles" en son sein, exprimées par le départ des éléments activistes du PIC de RI en 1973 et de la "Tendance Communiste" moderniste en 1974, etc.. (Dans les "Convulsions du CCI", le CWO présente ces revers comme signes d'un groupe agonisant ; aujourd'hui on peut les voir clairement comme des maladies de croissance du CCI).
Ainsi, comme la plupart des courants révolutionnaires de l'époque, le Courant international qui est devenu le CCI aujourd'hui, a compris en dernier la question d'organisation, après les questions politiques plus générales ; l'immaturité relative du Courant était inévitable mais devait avoir des répercussions importantes sur certains des premiers efforts de regroupement. C'est ce qui devait apparaître douloureusement en Grande-Bretagne.
En mai 1973, divers éléments et individus essayant de clarifier les positions communistes se réunissent à Liverpool pour discuter des perspectives politiques. Il y a trois groupes en Grande-Bretagne : Workers'Voice de Liverpool, qui a rompu avec le trotskisme et essaie de réassimiler les acquis des Communistes de gauche du début des années 20 ; quelques camarades d'Ecosse qui ont scissionné de Solidarity pour défendre une conception marxiste de la crise du capitalisme et un groupe de Londres, dont certains membres ont également scissionne de Solidarity mais qui se considèrent proches des positions de Révolution Internationale et d'Internationalism (qui participent également aux discussions sur le les questions importantes comme les syndicats, l'organisation et la décadence du capitalisme) ; la confusion est grande dans les groupes britanniques et les contributions de RI et Internationalism sont importantes pour essayer de clarifier quelques-uns de ces problèmes.
De nombreuses réunions se poursuivent pendant quelques mois et les groupes en Grande-Bretagne progressent considérablement (le groupe, de Londres devient World Révolution et les éléments en Ecosse Revolutionary Perspectives). La discussion entre les groupes se poursuit de façon fraternelle et constructive et des interventions conjointes ont lieu (par exemple le tract de WR et WV sur le Chili en septembre 1973 au moment de la chute d'Allende). Mais un problème commence à se poser par le fait que WR évolue plus rapidement vers la plateforme et la politique du Courant international que WV et RP. Des questions importantes comme la décadence du capitalisme ou l'alternative de guerre ou révolution, socialisme ou barbarie, soulèvent des hésitations et des incompréhensions de la part de WV, au début RP, tout en niant le problème de la saturation des marchés comme source de la crise capitaliste, assimile le concept général de décadence plus rapidement. RP cependant, exprime des désaccords sur la question de la révolution russe et du parti bolchevik en particulier. Il faut longtemps à RP pour saisir pleinement le caractère prolétarien du parti bolchevik. Ce développement inégal des trois groupes devient une source de complications pour une raison fondamentale : la discussion et la coopération entre les groupes n'ont à aucun moment été fondées sur une conception claire du regroupement des révolutionnaires. Dès le début, le regroupement est vu comme un projet vague et lointain, peut-être seulement nécessaire au début de la révolution. La discussion entre les groupes se mène sur la compréhension tacite que chaque groupe a sa propre"autonomie", ses « propres positions » à développer et à défendre. La fraternité dans la discussion est authentique mais instable dans la mesure où elle n’a pas à faire face à la question difficile d'une réelle implication, une fusion en une seule organisation centralisée à l'échelle internationale. Là encore, le Courant International est le premier à poser la question du regroupement de façon claire. Mais au moment où la question devient explicite, son apparition implicite sans vraiment comprendre ce que cela signifie, a déjà mené à une détérioration des relations entre les groupes en Grande-Bretagne. Ceci se vérifie particulièrement après la Conférence de janvier 1974 lorsque WR change de position sur la révolution russe (l'insurrection d'Octobre était jusque là considérée comme une contre-révolution capitaliste d'Etat dirigée par un parti bolchevik "bourgeois") et montre une volonté claire de prendre part au Courant international de RI-Internationalism-Internacionallsmo. WV interprète cela comme une "capitulation" de WR face aux desseins « semi-bolcheviks » du Courant international (interprétation encore mise en avant par le CWO dans les "convulsions du CCI") et les relations entre WR et WV se détériorent ensuite rapidement. WV se retire de plus en plus dans un refus renfrogné de discuter ses divergences (cf, ''Sectarisme illimité", WR, n°3) et ne répond pas aux diverses lettres qu'écrit WR pour tenter de poursuivre la discussion (il semble qu'aujourd'hui le groupe de Liverpool veuille continuer la mène politique de silence sur ses divergences avec le CWO).
Au moment où le Courant international commence à mettre réellement en avant que le regroupement signifie regroupement aujourd'hui en une seule organisation internationale, il apparaît aux groupes "hors" du Courant que le Courant international (alors rejoint par les groupes en Italie et en Espagne) exprime une sorte de "désir impérialiste" de s'étendre a tout prix et d'incorporer tous les autres groupes pour accroître ses propres prétentions. Le Courant ne parle pas seulement de regroupement, il commence à construire un cadre organisationnel dans lequel le regroupement peut réellement se faire. Ceci provoque une réponse soupçonneuse des autres groupes et pas seulement en Grande-Bretagne. Le Revolutionary Workers'Group (RWG) de Chicago qui a rompu avec le trotskisme et évolue de façon positive vers le Courant commence aussi à se retirer quand la question pratique de son intégration dans le Courant commence à se poser. Quelques éléments de WV et RWG gardent certaines illusions sur la possibilité d'un travail indépendant avec la Tendance Communiste avant sa désintégration politique et sa disparition complète.
En novembre 1974, le silence de WV est rompu par une mise au point affirmant que le Courant est une force contre-révolutionnaire à cause de ses positions sur l'Etat dans la période de transition. RP montre encore une volonté de discuter les questions politiques mais commence à soulever de plus en plus d'objections aux positions du Courant, particulièrement sur la révolution russe et la période de transition. Après avoir discuté la possibilité d'entrer dans le Courant international comme "minorité" et avoir été sévèrement critiqué sur cette position, RP commence à se considérer comme le groupe "le plus clair" et agir comme si lui-même était le pôle de regroupement et non le Courant. Il demande que le Courant qui s'est constitué en janvier 1975 comme Courant Communiste International, change ses positions considérées alors comme des "frontières de classe" sur la question de l'Etat et sur la mort définitive de la révolution russe. A ce stade, sa perspective est de convaincre le CCI de ses "erreurs" qui sont subjectives et ne représentent pas un point étranger à la classe (Lettre ouverte au CCI, RP, février 1975). Peu après, RP abandonne l'espoir de réformer le CCI et se consacre au regroupement avec les autres groupes qui semblent être plus proches de ses propres positions et qui forcent une sorte de "contre-courant" au CCI : WV, RWG et PIC ((Pour une Intervention Communiste), France).
Les discussions avec le RWG et le PIC révèlent des divergences importantes mais en septembre 1975, WV et RP fusionnent pour former le CWO. Il semble au début que les éléments de RP dans le CWO continuent de considérer le CCI comme un groupe "confus" et non-bourgeois, mais plus tard, l'ensemble du CWO adepte la position de l'ancien WV - que le CCI est une faction contre-révolutionnaire du capital avec laquelle toute discussion est inutile. Malgré tout, le CWO affirme dans "Les convulsions du CCI" que c'est le CCI qui a mis fin à la discussion entre les groupes, ce qui est une affirmation invraisemblable si l'on se rappelle les prises de positions ininterrompues du CCI à la fois avant et après la formation du CWO, affirmant sa volonté de maintenir un dialogue avec le CWO, position qu'il maintient encore aujourd'hui, sans mettre aucune condition au débat.
Ceci est d'autant plus invraisemblable quand on considère qu'au cours du processus de regroupement en Belgique, les groupes participants (RRS d'Anvers, VRS de Gand et Journal de luttes de classe de Bruxelles) invitent le CWO à participer à leur conférence en plein accord avec le CCI. Le CWO n'est cependant pas venu et leur silence a été déploré dans les documents issus de la Conférence de 1975 (Revue Internationale n°4 [168]).
Cette brève trajectoire du processus qui a mené à la formation du CWO n'apporte que peu de choses sauf si on analyse les raisons sous-jacentes et si on essaye d'en tirer les leçons. Nous n'entrerons pas dans tous les détails de cette affaire. Notre tache aujourd'hui est de comprendre pourquoi a pu se produire une telle détérioration des relations ; c'est seulement en considérant les caractéristiques générales qu'il sera possible de voir comment à certains moments, des questions secondaires peuvent exacerber un problème Rétrospectivement, il est possible de voir beaucoup de raisons générales pour l'échec de cette tentative de regroupement.
De la part des groupes hors du Courant, les obstacles principaux au regroupement sont des problèmes qui, comme nous l'avons vu, sont communs à beaucoup de groupes qui ont surgi de la période de contre-révolution: une peur du bolchevisme et l'héritage de la contre-révolution et une profonde absence de clarté sur la question d'organisation.
1- Une des principales pommes de discorde entre le CCI et les autres groupes est la révolution russe et les leçons â en tirer. Ce n'est pas par hasard. La révolution russe a été un des événements les plus importants de l'histoire du prolétariat et quiconque échoue à comprendre les leçons de cette expérience n'arrivera pas à se dégager de la contre-révolution. La réaction de quelques éléments du prolétariat à la défaite de cette révolution est le rejet de toute l'expérience comme rien de plus qu'une révolution bourgeoise ou un moment dans l'évolution du capital vers de nouvelles formes. Le parti bolchevik, en particulier, est souvent rejeté de tout le mouvement prolétarien et présenté comme le porteur parfait du capitalisme d'Etat, intéressé à la seule modernisation de la Russie. Ce genre d'interprétation que nous pouvons qualifier vaguement de "conseilliste", a eu une influence importante sur les groupes en Grande-Bretagne quand ils ont surgi, WR se nomme au départ "Conseil Communism" et s'oppose violemment au bolchevisme ; WV passe par une phase explicitement conseilliste lorsqu'il rejette toute idée d'un parti révolutionnaire ; RP commence avec des positions proches d'Otto Ruhle à savoir que tous les partis sont bourgeois et que 1917 en Russie est une révolution bourgeoise. Au contraire, RI, dès le début, insiste sur le caractère prolétarien de l'insurrection d'Octobre et du parti bolchevik. Ceci provoque "naturellement" des soupçons que RI est encore quelque peu teinté de bolchevisme et de léninisme, qu'il se prépare à excuser et défendre toutes les actions anti-ouvrières des bolcheviks après 1917. D'autres soupçons sont provoqués par l'affirmation de RI que pendant la période de transition l'Etat est inévitable, un fléau nécessaire que le prolétariat aura à utiliser mais avec lequel il ne pourra jamais s'identifier. Et comme RI a toujours défendu la nécessité d'un "parti révolutionnaire", ce que dit le Courant sur le regroupement est interprété comme une autre aventure, à la manière trotskyste, de construction du parti.
Echouant à comprendre la méthode du Courant international pour tirer les leçons de l'expérience bolchevik, les autres groupes tendent à voir la « contre-révolution » derrière chaque position qu'ils ne saisissent pas immédiatement.
Après beaucoup de discussions, WR et RP se séparent tous deux de l'interprétation conseilliste et acceptent le caractère prolétarien de la révolution russe et du parti bolchevik. Ils commencent également à parler de la nécessité d'un parti révolutionnaire, mais ils ne considéreront jamais l'idée que l'Etat de transition est quelque chose de distinct de la classe ouvrière et sous-entendent que la position du CCI signifie la répétition de l'erreur des bolcheviks de subordonner les conseils ouvriers à une force étrangère au prolétariat (ce qui est exactement le contraire de la position du CCI qui met l'accent sur la nécessité pour les conseils ouvriers d'exercer leur pouvoir sur toutes les autres institutions de la société !). En même temps, tout en reconnaissant le caractère prolétarien de la révolution russe, WV et RP (et le RWG) commencent à mettre en avant que quiconque ne reconnaît pas que le parti bolchevik est "fini" en 1921 (Kronstadt, la NEP, le front unique), a franchi les "frontières de classe" et devient un apologiste de la contre-révolution. Nous discuterons l'absurdité de cette position plus loin mais même cette absurdité n'est pas sans signification. Jamais auparavant dans l'histoire du mouvement ouvrier, une question de date, une interprétation historique a posteriori, n'a constitué une "frontière de classe". La seule explication possible pour l'intransigeance avec laquelle WV, RP et le RWG ont défendu leur position sur "1921" est qu'ils voient cette date comme une sorte de cordon sanitaire les protégeant d'un lien possible avec la dégénérescence du bolchevisme. C'est comme s'ils voulaient diminuer leurs réticences à accepter le parti bolchevik comme une partie de leur propre histoire en disant "jusque là mais pas plus loin". Ils ont évolué d'une position conseilliste à une position plus cohérente, proche de celle du CCI, comme nous l'avons dit, ils n'ont pas assimile de méthode cohérente pour analyser les erreurs et même les crimes du mouvement ouvrier passé, ni l'approche du problème de la dégénérescence et de la mort des organisations prolétariennes.
2- Les confusions de WV-RP sur le regroupement et l'organisation ont été liées de très près à leur peur du "léninisme" et du "bolchévisme". Particulièrement, WV a considéré pendant longtemps que parler de regroupement aujourd'hui est "substitutionniste". Bien que leur position ait changé ultérieurement (sans explication aucune), la question du regroupement n'a jamais été pleinement clarifiée dans le CWO comme nous le venons. Parallèlement à cette hostilité au regroupement, il y a eu cette réticence vis-à-vis du parti et une difficulté sur la conception de la centralisation. Les idées de WV sur l'organisation ont été plus ou moins fédéralistes : chaque groupe est autonome et a sa propre intervention à faire dans son coin du monde. La perspective d'être absorbé dans un corps international les a remplis d'angoisse. RP a accepté l'idée du regroupement et de la centralisation plus facilement mais la compréhension des implications a été très limitée, ce qui a été démontré par exemple par l'idée d'entrer dans le Courant comme un bloc avec sa propre plateforme au sein de l'organisation et leur basculement ultérieur, de la conception sous-fédéraliste à un monolithisme extrême, pour lequel le regroupement est impossible tant qu'il n'y a pas accord absolu sur tous les points quels qu'ils soient, a montré qu'il n'a pas compris réellement la conception de la centralisation. En général, ni RP, ni WV n'ont abandonné l'idée qu'ils ont leur propre contribution à apporter au mouvement ouvrier, que ce sont eux qui ont fait et clarifié l'essentiel d'une plateforme révolutionnaire : il est vrai, disent-ils que le Courant international les a aidés un tout petit peu mais le principal vient d'eux. Il se sont sortis du gauchisme par leurs propres moyens.
La vérité est quelque peu différente. Ni RP, ni WV, ni le CWO n'ont fait de critique systématique de leur propre passé, nais s'ils l'avaient fait, ils seraient arrivés à quelques conclusions désagréables. Alors que la discussion entre révolutionnaires n'est jamais un monologue et que des deux cotés on a gagné dans les débats qui se sont tenus en Grande-Bretagne, un coup d’oeil rapide aux faits ne laissera aucun doute sur qui a été la source principale de clarification. Le Courant avait déjà un cadre et une plateforme clairs avant que ces discussions s'engagent : ceux de RI (la Déclaration de principes de 1968 et la plateforme de 1972). Quand RP et WV ont commencé à discuter avec le Courant, ils étaient confus sur des questions absolument vitales comme les shop stewards, la révolution russe, la décadence, l'organisation, le mouvement de la gauche communiste et les positions claires vers lesquelles ils ont évolué, ont été les positions que le Courant défendait déjà ; ce qu'ils ont considéré plus tard comme la preuve de leur clarté supérieure (1921, l'Etat, etc.) ont été principalement des confusions qu'ils n'ont jamais surmontées. Le résultat est que les plateformes de WV, de RP et du CWO sont essentiellement des versions affadies de la plateforme du CCI avec en plus leurs propres dadas. Sans l'intervention du Courant, il est peu probable que WV et RP seraient arrivés à une perspective politique relativement claire. Une fois de plus, nous n'affirmons pas cela pour donner du prestige au CCI, nous réaffirmons simplement que les circonstances historiques ont fait que le Courant international a été le premier à élaborer une plateforme politique cohérente, ce qui lui a donné une responsabilité particulière dans le développement d'autres groupes. Autant RP que WV n'ont jamais pu admettre ce fait. Leur désir de défendre leur autonomie et de développer "leurs" idées les a empêchés de voir la nécessité pour les communistes d'unifier leurs efforts et de se regrouper dans une seule organisation.
Mais les erreurs de WV et RP ne peuvent pas expliquer toute l'histoire. Nous n'avons pas affaire ici à des problèmes psychologiques : les hésitations, confusions et craintes de WV-RP sont en grande partie un produit historique de 1'immaturité du mouvement révolutionnaire et cette immaturité a aussi affecté le Courant international en freinant ses propres efforts vers la constitution d'un pôle de regroupement.
Comme nous l'avons vu, bien que les groupes du Courant international aient eu une vision plus cohérente sur les problèmes organisationnels en général, ils ont mis du temps à tirer toutes les conclusions pratiques de cette compréhension globale. Ceci s'applique autant à leur structure interne qu'à la question du regroupement, tous deux étant des aspects de la centralisation. Ce n'est que graduellement qu'il est devenu clair qu'il était nécessaire aujourd'hui de construire une organisation de révolutionnaires centralisée internationalement, laquelle ne serait à son tour qu'un moment de la reconstitution du parti communiste mondial dans une période de lutte de classe intense. Bien qu'il ait imposé sa clarté générale dans la discussion avec les autres groupes, le Courant international n'a pas réussi à poser le problème fondamental du regroupement dès le début. Il n'a pas insisté suffisamment tôt sur le fait que la discussion et la coopération entre les groupes en Grande-Bretagne avaient pour but la clarification sur les points essentiels d'une plateforme communiste et la fusion des différents éléments dans une seule organisation internationale.
Quand les divergences ont surgi entre les groupes, le Courant n'a pas toujours répondu de manière adéquate et c'était là essentiellement le résultat de son inexpérience à traiter de tels problèmes. Le développement de nouveaux groupes est un processus extrêmement délicat qui requiert en même temps qu'une défense intransigeante des positions politiques générales, beaucoup de souplesse et de patience de la part d'un groupe plus mur. Ceci ne veut pas dire que les problèmes auraient pu être évités si le Courant avait fait preuve de plus de"tact" - arrivés à un certain point, le tact et la bonne disposition du Courant ont été interprétés comme des manifestations d'un opportunisme dénué de principes. Mais quand le mouvement révolutionnaire est si jeune et faible, les problèmes secondaires et mêmes personnels peuvent avoir un effet sans commune mesure avec leur importance réelle. Ceci veut dire que la manière de mener une discussion est très importante. Il est nécessaire particulièrement de séparer les problèmes d'importance secondaire de ceux d'importance fondamentale et de mener la discussion à un niveau strictement politique, sans se perdre dans les minuties de la psychologie inter-groupes.
Au manque d'expérience du Courant international à mener de telles discussions, s'ajoutait le fait qu'il n'avait pas encore les moyens organisationnels de diriger le débat vers une conclusion fructueuse. Par le fait que le Courant n'existait pas encore comme une seule organisation unifiée, il n'avait pas les moyens d'élaborer une orientation globale et cohérente dans ses relations avec d'autres groupes. Pour la même raison, il était difficile que les autres groupes le voient comme un pôle de regroupement alors qu'il n'avait pas de plateforme commune et de structure organisationnelle unifiée. Des groupes comme le RWG lui ont reproché effectivement de ne pas être centralisé sans comprendre que la centralisation est un processus qui ne peut être proclamé du jour au lendemain. Toute la perspective du Courant était qu'il devait s'acheminer vers la constitution d'une seule organisation internationale. Mais le fait qu'il n'avait pas encore atteint ce stade devait peser lourdement sur ses premières tentatives de regroupement avec d'autres éléments. De plus, la naissance du CCI s'est accompagnée des inévitables douleurs de l'enfantement qui ont donné lieu à un certain nombre de défections et de scissions :
Si on compare la faillite du regroupement avec RP et WV en Grande-Bretagne avec le regroupement mené à bien après en Belgique, il devient évident que l'existence du Courant en tant que corps unifié était extrêmement importante. Les trois groupes qui ont commencé à discuter les positions révolutionnaires en Belgique, ont démarré avec les mêmes problèmes que les groupes en Grande-Bretagne avaient affrontés : origines différentes, développement inégal vers les positions du CCI... Mais cette fois, le CCI non seulement existait en tant que tel mais avait appris de son expérience négative en Grande-Bretagne et a été capable de situer les discussions dans un cadre cohérent dès le début. Il a été capable de minimiser les problèmes secondaires et d'aider à la clarification de tous les groupes. Pendant cette période, le CCI a mis clairement en avant le fait que le but de la discussion était l'unification des différents éléments dans une même organisation internationale et le CCI a été capable de se présenter comme cette organisation. En fait, il est devenu rapidement clair pour les camarades en Belgique que le CCI était la seule organisation capable de fournir un cadre permettant le regroupement international. L'intervention du PIC et du CWO dans ce processus a simplement révélé leur préoccupation d'attaquer le CCI et de faire obstruction à toute unification dans le mouvement révolutionnaire. La constitution d'Internationalisme comme section belge du CCI, de même que d'autres regroupements qui ont été menés à bien au Canada, en Italie et Espagne, ont prouvé que le CCI avait surmonté beaucoup de ses difficultés du début et commençait à montrer une capacité réelle d'agir comme pôle de regroupement et de clarification.
Il est dommage que beaucoup des leçons amères que le CCI a apprises sur le regroupement - la nécessité de placer la discussion dans un cadre global, la nécessité d'une organisation unifiée et internationale, etc., l'ont été par une expérience négative en Grande-Bretagne mais la défaite a toujours été l'école du mouvement prolétarien. Les conditions qui ont mené à la formation du CWO sont surtout un produit d'une phase particulière dans la reconstitution du mouvement révolutionnaire et ne se répéteront probablement plus. En ce sens le CWO est une anomalie d'une période révolue. La croissance positive du CCI et la fragmentation et l'isolement croissants du CWO le confirment.
Depuis qu'il s’est créé, le CWO s'est enfermé de plus en plus dans une coquille de sectarisme misanthrope. Son rôle principal a été de semer la confusion parmi les éléments qui s'approchaient des positions communistes, les désorientant avec son insistance obsessionnelle sur les "divergences" avec le CCI. Après tout, qu'est ce qui peut être plus déroutant pour qui commence à comprendre les vraies positions de classe et la différence réelle entre un groupe communiste et un groupe gauchiste, que de découvrir tout d'un coup une série de "nouvelles frontières de classe" ? Il est difficile d'évaluer à l'heure actuelle l'influence confusionniste du CWO dans le mouvement révolutionnaire naissant. Nous avons mentionné leur rôle entièrement négatif dans le processus de regroupement en Belgique. En Grande-Bretagne, ils ont réussi à dévoyer plusieurs éléments dans leur tanière isolationniste, sans parler du fait que les militants du CWO se sont retirés eux-mêmes de la discussion au sein du mouvement révolutionnaire et se sont ainsi privés de la contribution au mouvement qu'il promettaient au début de leur développement.
Mais il serait erroné de surestimer l'influence (négative) du CWO. Dans beaucoup de cas avec les groupes en Belgique, par exemple et avec certains camarades en Grande-Bretagne qui font maintenant partie de WR , ils n'ont pas réussi à convaincre des révolutionnaires qui venaient de surgir que leur point d'appui « contre le CCI » était basé sur des critères politiques sérieux. Maintenant que leur attitude sectaire n'est plus dirigée seulement contre le CCI, ils ont des difficultés à maintenir des contacts avec un certain nombre d'autres groupes et encore plus à se regrouper avec eux. L'attitude qu'ils ont adopté envers le PIC est typique, exigeant que le PIC abandonne tout simplement sa position luxembourgiste sur la crise comme préalable à un regroupement (cf WR n°5 "Un regroupement incomplet"). Ils ont adopté la même attitude sectaire envers un groupe à Goteborg, en Suède en rupture avec l'anarchisme : la réponse du CWO n'a pas été de faire la critique de ses confusions mais d'écrire une attaque retentissante contre le mouvement anarchiste dans l'histoire (cf "Anarchism" dans RP n°3) et insister pour que le groupe de Goteborg réponde à cette attaque avant d'entamer une quelconque discussion. Il n'est pas surprenant que ni le PIC ni le groupe suédois n'aient voulu accepter un tel ultimatum. D'autres contacts internationaux n'ont également mené nulle part. Le CWO a eu un bref flirt avec le groupe Union Ouvrière en France, scission du groupe trotskyste Lutte Ouvrière. Bien que le CWO ait clairement encouragé les premiers efforts d'UO vers des positions révolutionnaires, il a sous-estimé les difficultés sur le plan politique général d'une rupture complète avec un passé organisationnel contre-révolutionnaire. La recherche désespérée du CWO d'autres contacts révolutionnaires après s'être arbitrairement coupé lui-même du CCI et de tous ceux qui ont des contacts avec lui, les a amenés à se bercer d'illusions sur la véritable clarté d'UO et de se jeter dans la proclamation de la victoire d'UO avant la bataille. En tout cas, le "dialogue politique" avec UO semble s'être terminé en un silence embarrassé puisque ce dernier s'est maintenant transformé en une sorte de rassemblement de modernistes. La fin des relations du CWO avec le groupe américain RWG, dont le CWO disait à ses débuts que c'était le groupe qui lui était "le plus proche" (WV 15), a aussi été passée sous silence. Le fait d'être proche du CWO n'a pas empêché le RWG de se démoraliser complètement et de se dissoudre (cf. WR n°5). Après une brève résurrection comme "Groupe Prolétarien Communiste", les vestiges du RWG ont finalement fusionné avec un étrange club de Chicago appelé "Comité pour un Conseil Ouvrier" pour former une ridicule secte semi-moderniste "Forward". "Forward" pense que l’ensemble de l'histoire du mouvement ouvrier depuis Marx jusqu'aux Bolcheviks (et probablement la gauche communiste aussi) n'a été que l'aile gauche du capital et que les luttes revendicatives de la classe (que "Forward" identifie avec mépris et à tort avec le "marchandage syndical") devraient être abandonnées. Leur journal est principalement consacré à des attaques fumeuses contre le CCI et le CWO.
La rupture de ses relations internationales accentue l'isolement du CWO et son incapacité à offrir une perspective réelle pour le regroupement des révolutionnaires. Bien que le CWO ait jusqu'à présent échoué à tirer un bilan de ces tentatives de regroupement, cette série d'échecs doit avoir produit des tensions dans l'organisation ; comme nous l'avons vu, la section de Liverpool qui a scissionné, a donné, parmi les raisons de sa scission, l'attitude intolérante du CWO envers les autres groupes. Lorsqu'un groupe s'enferme sur lui-même comme le CWO, il se crée une immense pression interne qui peut mener à des défections et des scissions soudaines, sans explication. La pression à l'intérieur du CWO a été augmentée par le caractère monolithique du groupe, son insistance sur un accord total sur tous les points de la plateforme, son refus de permettre des positions minoritaires. Comme nous l'avions prédit dans WR n°6, cette conception monolithique de l'organisation :
Ce monolithisme n'a jamais permis aux divergences de surgir et d'être débattues publiquement ou même au sein de l'organisation d'après les "scissionnistes". Cela ne peut servir qu'à cacher les divergences réelles et créer une atmosphère étouffante à l'intérieur du groupe ; mais en même temps le CWO a été incapable de se passer d'une structure monolithique. A 1'origine réaction excessive contre le fédéralisme de RP et WV, le monolithisme du CWO est devenu un paravent indispensable pour marquer nettement la séparation d'avec les autres groupes et pour protéger la "virginité" de la plateforme. Mais il est aussi clair que cette structure monolithique n'a jamais réellement éliminé la fragilité du regroupement d'origine entre WV, RP. Le CWO lui-même l'admet dans sa récente lettre au CCI :
Sous l'unité apparente et le "centralisme programmatique" du CWO, il existait encore deux groupes et l’acceptation du groupe de Liverpool des perspectives politiques défendues par le CWO, semble avoir été plutôt superficielle, à en juger par la facile régression de WV vers ses anciennes activités localistes et activistes. Dès le début l'organisation unie du CWO était une création artificielle, construite sur une base politique entièrement inadéquate, comme une sorte de miroir reflétant en négatif l'image du CCI. La scission était donc inscrite dans le groupe dès le début et à moins que le CWO ne change radicalement son orientation présente, il se dirige encore vers des tendances à la désintégration dans l'avenir.
Une des conséquences de l'isolement du CWO est une accumulation de confusion et de conceptions politiques erronées qui, en l'absence de discussions avec d'autres, ne sont pas clarifiées mais servent comme nouvelle justification du caractère "unique" du CWO. Un exemple suffira pour l'instant : dans RP n°5, nous trouvons l'incroyable affirmation que ni le soulèvement du 19 juillet 1936 ni les journées de mai 1937 à Barcelone, n'ont été des expressions d'une lutte prolétarienne. Cette vision est totalement en désaccord avec la position défendue par BILAN (cf. "L'appel de la Gauche communiste" publié dans la Revue Internationale n°7) et de fait obscurcit la signification de ce qui est arrivé en Espagne, en particulier le rôle de l'extrême gauche, rôle d'autant plus important que la bourgeoisie espagnole avait senti de façon aigue le danger prolétarien. Nous ne voulons pas entrer dans les détails de cette question ici : nous la citons comme exemple de la façon dont l'isolement du CWO par rapport au mouvement révolutionnaire d'aujourd'hui et aux traditions de la gauche communiste est en train de le mener à adopter des positions de plus en plus bizarres et sans fondement. Le CWO continue à défendre des positions de classe et reste dans le camp prolétarien ; sa dégénérescence politique est entrain de se faire lentement mais la prolifération de confusion dans ses rangs accélérera inévitablement cette tendance qui devient de plus en plus apparente.
C.D.WARD
SPARTACUSBOND : SEUL AU MONDE ?
L'article qui suit a été écrit par un camarade hollandais qui a quitté le SPARTACUSBOND (SB). Cet article est composé de différents textes écrits en préparation de la dernière conférence de SB et sert de lettre de rupture avec cette organisation. Le but de l'article est de clarifier pour le monde extérieur les développements qui ont eu lieu au sein de SB et, se faisant, de contribuer aussi au processus de regroupement international des révolutionnaires qui a amené F.K. à rejoindre le CCI, considérant qu'il est "le seul pôle sérieux de regroupement international des révolutionnaires aujourd'hui
LE "SPARTACUSBOND" : SEUL AU MONDE
Depuis la seconde partie des années 60, la lutte ouvrière a repris une forme ouvertement révolutionnaire. Au même moment, nous voyons émerger des noyaux révolutionnaires qui tentent de comprendre la crise du capitalisme et le resurgissement de la lutte de classes. Ces groupes révolutionnaires jettent ainsi les bases pour une reprise des activités de propagande qu'ont menées les organisations révolutionnaires issues de la première vague révolutionnaire du prolétariat mondial, après le massacre inter impérialiste de 1914-18. Ces tentatives sont d'autant plus difficiles que 50 années de contre-révolution ont rompu la continuité organique avec ces partis communistes qui s'étaient organisés dans la 3ème Internationale et avec ces groupes qui sont restés fidèles à la révolution mondiale après la dégénérescence et la désintégration de la 3ème Internationale et du Parti Bolchevik. Il est donc normal que les groupes révolutionnaires surgis pendant ces dernières années engagent une discussion approfondie, dans le but de se réapproprier les acquis historiques de la classe ouvrière, de clarifier les positions de classe et finalement de créer un regroupement international sur la base d'une plate-forme où sont élaborées les positions de classe. Le CCI est le résultat des efforts théoriques et organisationnels de ces groupes révolutionnaires qui ont pris conscience du fait que c'est seulement dans un cadre organisé internationalement qu’ils pourront assumer leurs responsabilités vis-à-vis de la classe ouvrière.
Tout le monde ne comprend pas immédiatement la portée d'un tel effort et ceci d'autant plus que les nombreuses organisations contre-révolutionnaires existantes contribuent à dévoyer le sens de cet effort. Elles ont, en effet. l'honneur douteux de pouvoir se réclamer d'une continuité organique et vivante avec ces courants qui, l'un après l'autre, se sont révélés être les massacreurs de la classe ouvrière - comme, par exemple, les trotskistes, les staliniens et les maoïstes, tous produits de la dégénérescence de la 3ème Internationale et du Parti Bolchevik.
Les groupes contre-révolutionnaires ne sont pas menacés par le reflux des luttes ouvrières. Au contraire, ils sont l'expression bourgeoise de ce reflux, et l'accélèrent. Leur rôle de mystification consiste à présenter n'importe quelle défaite de la classe ouvrière comme une victoire : le reflux des luttes dans le giron des syndicats, c'est l'expression d'une "unité croissante" ; le retour au parlementarisme, c'est une "lutte politique" ; le retour au nationalisme devient "l'internationalisme prolétarien" et la participation à la guerre, c'est là défense d'un quelconque "pays socialiste".
Le rôle de ces organisations bourgeoises contre-révolutionnaires est clair : mais au sein du camp prolétarien, les efforts pour un regroupement international sont-ils compris par les descendants des gauches allemande et hollandaise, ces groupes qui ne sont pas le produit de la reprise de la lutte de classe aujourd'hui mais qui ont été capables de maintenir une position révolutionnaire sur des questions vitales que la lutte de classe a affronté dans le passé ? Représentent-ils la continuité organique, vivante et non rompue, avec les courants révolutionnaires produits de la vague des années 1917-23 ? En d'autres termes, défendent-ils des positions de classe et accomplissent-ils leurs taches d'organisations révolutionnaires au sein de la classe ? On ne peut pas répondre à ces questions en termes généraux. Dans les pages qui suivent, nous allons examiner le cas du Spartacusbond (SB), organisation hollandaise qui est considérée parfois comme la continuité organique de la Gauche allemande et hollandaise des années 1920, 30 et 40.
LES ORIGINES DU "SPARTACUSBOND"Lorsque le "Communistenbond ‘Spartacus’"(Ligue des communistes 'Spartacus') resurgit de l'illégalité après la Seconde Guerre mondiale, beaucoup de membres du GIC ([1] [171]) d'avant la guerre font partie de ce groupe qui était auparavant un groupe trotskiste. En effet, à l'origine, le “Spartacusbond” était l'une des continuations illégales du RSAP de Sneevliet (Maring) qui, dans le second massacre inter impérialiste, avait pris une position internationaliste prolétarienne cohérente en refusant de choisir un camp ou un autre, et en défendant la lutte de classe. La fraction “Spartacus” en particulier a évolué positivement vers des positions de classe et abandonné les positions trotskistes : compréhension de la nature capitaliste de l'URSS, rejet des syndicats et reconnaissance des comités d'usine comme organisation de lutte de la classe ouvrière, dénonciation du parlementarisme et insistance sur la nature politique de la lutte dans les usines. Dans cette évolution, le groupe "Spartacus" était poussé de l'avant par le GIC, qu'il avait contacté après l'arrestation et l'assassinat de Sneevliet et de 7 autres camarades en 1943. L'étude et la discussion théorique entre les ex trotskistes et les membres du GIC ont évolué si positivement qu'ils ont tous décidé de continuer en tant que "Cormnunistenbond 'Spartacus'" qui a défendu publiquement les positions de classe en Hollande après la dernière guerre mondiale.
La fin de la Seconde Guerre mondiale n'a pas amené la révolution prolétarienne qu'ils attendaient en regard des évènements de Russie et d'Allemagne qui s'étaient produits après la Première Guerre mondiale. A la place, le capitalisme s'est engagé dans une phase de reconstruction à laquelle il a tenté d'atteler la classe ouvrière. Les "Eenheidsvakcentrale" (syndicats unis), à la création desquels les Spartacistes avaient contribué pendant les dernières années d'illégalité et qu'ils espéraient voir évoluer, à travers leur propagande pour des comités d'usine, vers un genre d"'Arbeiter Union" comme ceux de la révolution allemande, vont en fait devenir des syndicats ordinaires et pour couronner le tout, vont tomber entre les mains des staliniens. Ils ont rejoint ensuite la "Onafhankelijke Vakbond van Bedrijfsorganisaties", (Alliance Indépendante des organisations d'usine) qui, tout en n'étant pas dominée par les staliniens, est aussi devenue une sorte de syndicat sous la pression de la période de reconstruction ; après quoi les spartacistes l'ont quittée. Avec le déclin des grèves sauvages immédiatement après la Seconde Guerre mondiale, le "Spartacusbond" est entré dans une périodes difficile. Beaucoup de camarades l'ont quitté et il est devenu un petit groupe tentant désespérément de lutter contre le déclin des luttes ouvrières. La diffusion des positions de classe ne trouvait pas d'audience à cause de l'absence d'un mouvement de classe. Le SB a naturellement tenté d'expliquer cette situation, mais il est peu à peu tombé dans une théorisation de la défaite. Ce processus s'est 1ui-même reflété à travers l'émergence d'une fraction conseilliste dans SB qui a commencé à publier "Daad en Gedachte" ("action et pensée") indépendamment de SB en 1965.
LE CONSEILLISME ([2] [172])
Il faut faire une distinction entre les communistes de gauche d'avant la Seconde Guerre et le conseillisme en tant que courant qui surgit pendant la période de reconstruction. Les germes du conseillisme, qui ont produit la dégénérescence ultérieure, peuvent être trouvés dans certains courants d'avant-guerre au sein des gauches allemande et hollandaise, en particulier dans le communisme de conseils de ²l’Einheidsorganisation² (organisation unitaire) d'Otto Rühle, et dans le communisme de conseils du GIC. Cependant, ces deux courants étaient encore une expression de tentatives sérieuses pour clarifier les problèmes posés par les "Arbeiter Union" (unions d'ouvriers). Nous les appelons donc communistes de conseils et non conseillistes. Bien qu'à l'époque, le rejet par Rühle de la nécessité d'une organisation politique et du parti soit déjà une erreur, on ne peut comprendre cette position que dans le contexte de la confusion qui existait aussi dans le KAPD sur la question des ²Arbeiter Union". Ce n'est que peu à peu qu'a été comprise l'impossibilité pour la classe ouvrière d'avoir désormais des organisations permanentes. Cette compréhension a été exprimée dans les conceptions du GIC. Le communisme de conseils du GIC doit donc être distingué de celui de Rühle.
D'un autre côté, le "conseillisme" se base sur des fragments du communisme de conseils du GIC et de celui d'Otto Rühle. Il ne faut pas voir le "conseillisme" comme une tentative de clarification des vrais problèmes surgis de la lutte de classe. Tout au contraire, il retourne au rejet de Rühle des organisations politiques, à une époque où le problème des organes de lutte de la classe et de leur relation avec l'organisation politique avait été clarifié par le GIC. En ce sens, le "conseillisme" néglige une leçon fondamentale tirée de la lutte des ouvriers.
Les "conseillistes" prennent bien soin de relier leurs positions à celles des révolutionnaires comme Pannekoek. "Daad en Gedachte" se réclame même comme étant la continuation du GIC en disant qu'en 1965 tous les ex membres du GIC qui étaient encore membres du SB sont devenus membres de "Daad en Gedachte² ("D en G", 1976, n°3, p.7). Mais la continuité d'un courant révolutionnaire n'est pas garantie par des personnes. Un courant révolutionnaire ne peut se maintenir que dans le cadre d'une organisation qui diffuse publiquement les positions de classe et ce n'est sûrement pas le cas de "Daad en Gedachte". Au contraire, "D en G" considère que la diffusion des positions de classe est une "pratique de partis", mot qui, dans le vocabulaire "conseilliste", se réfère aux positions social-démocrates et léninistes sur les tâches du parti. Ce qui échappe complètement aux "conseillistes", c'est le fait que depuis la fondation du KAPD en 1920, les révolutionnaires défendent la position selon laquelle les tâches du parti sont de propagande et de clarification de la conscience et que celle de mener la lutte et de prendre le pouvoir doit être accomplie par les masses en lutte et qu'elles utilisent des comités élus dans ce but. Cette conception selon laquelle la tâche urgente du parti est d'intervenir dans la lutte de classe de façon exclusivement propagandiste est une position de classe. En d'autres termes, c'est une position de classe fondamentale que le KAPD avait appris de la pratique des partis réformistes et des syndicats, et de la poursuite de son activité dans la "centrale" du KPD(S) suivant la "direction" de Moscou ([3] [173]). Otto Rühle s'est éloigné du KAPD parce que, d'après lui, il "était payé par Moscou" et suivait la ligne léniniste. Gorter, Hempel et Pannekoek au contraire ont désapprouvé la position de Rühle car ils étaient convaincus que les ouvriers qui les premiers prennent conscience commencent nécessairement par se regrouper ensemble pour étudier et discuter, puis diffusent leurs positions dans l'ensemble de la classe.
Les "conseillistes" pensent trouver un argument supplémentaire ([4] [174]) contre les tâches de propagande du parti dans le fait que les positions de classe ont leur fondement dans l'activité créatrice de la classe ouvrière, et ne sont pas des créations indépendantes de théoriciens de salon contemplant leur nombril. En réalité, les positions de classe sont le résultat de l'étude de la lutte ouvrière par la classe ouvrière. Et donc les positions de classe changent quand la lutte de classe se heurte à un nouvel obstacle et réussit à le surmonter par sa créativité. Pour cette raison, les "conseillistes" pensent qu'il vaut mieux ne pas faire de propagande pour des positions qui risquent dans le futur de s'avérer limitées. Et deuxièmement, ils pensent que cela peut amener à une tentative de voler aux ouvriers la conduite de leur lutte. Une telle opinion se base sur une vision bien trop limitée des positions de classe. Les positions de classe ne sont pas des plans détaillés sur ce que doit faire la classe ouvrière dans chaque situation donnée. Les positions de classe tendent à cristalliser les acquis de l'expérience des plus hauts moments de la lutte de classe – comme ceux de la Commune de Paris, de la révolution russe, de la révolution allemande, par exemple - ainsi que les acquis de l'expérience de la contre-révolution - comme ceux des deux guerres mondiales, par exemple. Les frontières de classe ne sont pas plus qu'une orientation générale, un large cadre où s'inscrit l'action consciente de la classe et qui ne peut être développé qu'à travers des évènements de la lutte de classe de dimension historique mondiale. La peur des "conseillistes" de voir les groupes politiques prendre la direction de la lutte ouvrière s'ils se livrent à des activités de propagande est complètement erronée. Elle est d'autant plus erronée lorsqu'on sait que depuis 1920, les révolutionnaires ont compris qu'au cours de ses luttes, la classe ouvrière produit deux organisations : l'organisation unitaire et l'organisation des révolutionnaires.
Depuis l'éclatement de la Première Guerre mondiale, le capitalisme a prouvé qu'il était entré dans sa phase de décadence et dans l'ère de la révolution. Durant la période de décadence, des améliorations graduelles des conditions de vie de la classe ouvrière au moyen du parlement et des syndicats sont devenues impossibles à cause de l'absence d'un réel développement des forces productives. Et ceci implique que la classe ouvrière ne peut plus s'unir désormais au sein d'organisations permanentes de lutte, ce qu'avaient été dans le passé les syndicats et les partis parlementaires. C'est seulement directement dans les luttes, lorsqu’elle défend ses intérêts immédiats, qu'elle peut temporairement créer des unités organisationnelles. Ces luttes directes tout comme les formes organisationnelles unitaires secrétées dans ces luttes se heurtent toujours à l'impossibilité de gagner des réformes durables dans la période de décadence du capitalisme. Ce qu'il reste alors, ce sont les expériences de la lutte de son organisation et de ses résultats. En élaborant ces expériences, dans le cadre du processus de prise de conscience des ouvriers à travers leurs luttes de la nature des rapports de production capitalistes et de leurs propres formes d'organisation, la classe se prépare à remplir ses tâches historiques : le renversement conscient du capitalisme et la fondations du pouvoir ouvrier basé sur les conseils et dans le but de réaliser la société communiste. La classe ouvrière en train de prendre conscience de sa tâche historique n'est donc pas un fantasmé idéaliste qu'on pourrait injecter dans la classe de l'extérieur. Au contraire, cette conscience est produite de l'élaboration de ses expériences par la classe ouvrière, à travers des discussions intenses autour de différents points de vue.
Afin de diffuser leurs positions le mieux possible, ceux qui ont les mêmes positions s'unissent dans les organisations politiques des révolutionnaires qui elles, sont des expressions permanentes de la lutte de classe pour autant qu'elles se fondent sur l'étude des expériences de cette lutte du point de vue de la classe ouvrière. A côte de ces organisations, existent des organisations de lutte où se développent l'unité et l'indépendance de la classe ouvrière contre le capital et qui sont des expressions temporaires des surgissements de la lutte de classe. Les conseils ouvriers deviennent permanents lorsqu'ils ont détruit l'Etat bourgeois.
RUPTURE AVEC SPARTACUSBONDComprendre la distinction entre les organes unitaires de la classe et l'organisation des révolutionnaires ainsi que leurs rapports mutuels, c'est une nécessité fondamentale pour une organisation des révolutionnaires qui veut remplir ses tâches dans la classe le mieux possible. Ce n'est qu'à cette condition que nous pouvons parler de continuité organique et vivante avec la gauche communiste avant la guerre. "D en G" n'est pas la continuation de la gauche hollandaise - aucune équivoque n'est possible là dessus -, bien qu'il soit exagéré de dire que ce n’est qu'un groupe contre-révolutionnaire. Qu'en est-il de SB ?
Il est impossible de retracer ici toute l'histoire de SB. Nous nous bornerons à remarquer que le SB ne s’est pas libéré du "conseillisme" après le départ de la fraction "D en G". Il est vrai que c'est "D en G" qui a le plus contribué à donner des fondements théoriques au "conseillisme", l'a mis en pratique et diffusé à l'échelle internationale de la façon la plus conséquente ; cependant on trouve dans le SB des fragments du conseillisme. Nous pouvons évaluer la nature conseilliste ou communiste de SB en étudiant les thèmes traités lors de la première conférence de SB totalement dédiée à la question de l'organisation des révolutionnaires. La direction des décisions pratiques prises à cette conférence a constitué une raison suffisante pour l'auteur de cet article de quitter le SB. Les arguments développés ici ne sont pas inconnus du SB ; on peut les trouver dans les nombreux textes préparatoires à la conférence et dans les lettres envoyées au SB après la conférence.
A la dernière conférence de SB, la tendance conseilliste à voir tous les acquis historiques et politiques à travers le prisme de la défaite a pris fortement le dessus. Cette conférence dédiée à la question de l'organisation des révolutionnaires, était devenue nécessaire à cause de la manière défectueuse dont travaillait le SB. Après la parution de deux bulletins internationaux, le SB n'a plus semblé capable de réagir face aux différents groupes surgis dans le milieu révolutionnaire. Le SB fonctionnait si mal que même la discussion interne devenait impossible. La conférence aurait dû résoudre ces problèmes en développant une compréhension des tâches et de l'organisation du travail dans une organisation politique. Hélas, la conférence a montré qu'il y avait une confusion terrible dans le SB sur:
a) le regroupement international,
b) les origines dans la gauche allemande et hollandaise,
c) les tâches d'une organisation révolutionnaire,
d) le regroupement des révolutionnaires en Hollande.
a) Le regroupement international
Dans son rapport de la conférence des 25 et 26 septembre, le SB justifie son refus d'élaborer une plate-forme de la façon suivante :
"Dans une plate-forme (thèses), on est obligé de transcrire ses opinions en termes très généraux, parce qu'on doit dire beaucoup de choses en très peu de mots. Donc, en pratique, une plate-forme ne peut être comprise que par d'autres groupes. Elle ne peut être utile que dans ce genre de communications. Spartacus est différent : nous ne sommes pas intéressés en premier lieu par les autres groupes...
Ceux qui cherchent la forme parti avec d'autres groupes, internationalement, ont besoin d'une plate-forme, d'une déclaration élaborée, pour décider s'ils peuvent coopérer et avec qui" (Spartacus, nov. 1976).
A la conférence, l'argument était qu'une plate-forme n'est utile que pour établir des contacts avec d'autres groupes. Nous devons en conclure que le SB pense être la seule organisation révolutionnaire au monde, ou bien que les contacts avec d'autres organisations révolutionnaires n'ont aucune importance. L'isolationnisme de SB n'est évidemment pas un acquis de la gauche hollandaise, comme le montrent les faits suivants :
- Quand, en 1908, Gorter et Pannekoek ont quitté le parti social-démocrate hollandais pour fonder un nouveau parti social-démocrate vraiment marxiste, ils ont tout fait pour rester organisés dans la IIe Internationale. Pendant la même période, Pannekœk participait aussi activement à l'aile gauche du parti social-démocrate allemand.
- Lors du premier massacre impérialiste, Gorter, en particulier, a participé aux efforts de regroupement des gauches à Zimmerwald. qui ont abouti à la fondation de la IIIe Internationale. Pendant la révolution allemande, Pannekoek et Gorter se sont engagés avec passion dans les débats au sein du KPD(S) et du KAPD. Gorter fit un voyage à Moscou pour défendre les positions au Comité Exécutif de la Troisième Internationale. Après le Troisième Congrès du Comintern et que les efforts pour former une opposition eurent échoué, Gorter est devenu l'un des fondateurs du KAI (Kommunistische Arbeiter International ou Internationale Communiste Ouvrière).
- Après les scissions dans le KAPD et dans l'"Union", Canne Meijer et Hempel ont activement contribué au travail de regroupement des révolutionnaires allemands dans le KAU (Kommunistische Arbeiter Union ou Union Communiste Ouvrière).
- Dans le GIC, Canne Meijer, Hempel et Pannekoek ont tiré les leçons des révolutions russe et allemande, tout en gardant un contact permanent avec des camarades en Allemagne, en France, aux Etats-Unis et en Belgique.
- Après la Deuxième Guerre mondiale, lorsque les membres du GIC sortis de l'illégalité ont formé une partie du SB, le SB ne se tenait pas alors à l'écart des discussions internationales. Il avait des contacts en Allemagne, en France et en Belgique. A cette époque, le SB était aussi en contact avec les précurseurs du CCI.
Ces faits montrent clairement qu'il n'y aurait pas eu de Gauche hollandaise si elle ne s'était pas développée dans le cadre de la discussion internationale, au sein des 2e et 3e Internationales, et dans le cadre de contacts internationaux après la dégénérescence de la 3e. Ni la classe ouvrière, ni ses luttes ne s'arrêtent aux frontières nationales. Au contraire, la classe ouvrière constitue une unité qui dépasse les différentes nations ; elle est contrainte à cette unité dans ses luttes parce que le capitalisme qui l'a engendrée et qui est l'objet de sa lutte est organisé internationalement et en marché mondial. Deux guerres mondiales et deux vagues de lutte ouvrière internationale - celle de 1911-20 et celle qui débute aujourd'hui - l'ont prouvé. La nature internationale de la lutte ouvrière signifie aussi que les différentes organisations de révolutionnaires ne peuvent pas s'enfermer derrière les frontières nationales, et donc étudier et discuter la lutte de classe dans ce cadre limité, mais qu'elles doivent au contraire jeter les bases d'un regroupement international.
Malheureusement, c'est typique de l"'isolationnisme" du SB de ne pas avoir invité d'autres groupes à sa Conférence "pour éviter que la discussion ne s'axe trop sur les positions des différents groupes" (Spartacus, Novembre 76). Avant la Conférence, ce qui motivait le refus d'inviter d'autres groupes, c'était que le travail de la Conférence était la base et la pré-condition pour permettre ultérieurement la discussion systématique des positions des différents groupes, Mais lorsqu'à la Conférence s'est exprimée la "position très déviationniste" (Spartacus, nov. 76) qui proposait de traduire les plate-formes de différents groupes étrangers (par exemple, celles de la CWO, du PIC, du RWG, d'Arbetarmakt, dans la mesure où elles n'étaient pas traduites comme l'est celle du CCI) pour pouvoir les étudier et les évaluer, cette proposition fut rejetée. Aussi pouvons-nous craindre que dans les prochaines Conférences du SB, il n'y ait pas non plus d'autres groupes présents. Ce choix d'isolement face au resurgissement de la lutte ouvrière à l'échelle mondiale et aux questions qu'elle fera naître, entraînera inévitablement le SB à une position de plus en plus dogmatique. La progression de la nouvelle vague révolutionnaire l'abandonnera sur la berge, dans le camp bourgeois.
b) Les origines du SB dans les Gauches allemande et hollandaise.
Le SB ne s'est pas borné à refuser d'étudier les plates-formes des groupes existants aujourd'hui ; il a aussi refusé de se pencher sur les programmes des organisations dont il vient : le KPD (S), le KAPD, le KAPN (KAP hollandais), le GIC, et même sur son propre programme de 1945. Son argument était : "Mais tout cela n'est que de la vieille histoire. Maintenant, nous vivons dans une autre époque". Mais le fait est que presque tout ce que le SB met en avant, ce sont des fragments de théories délibérément sorties du contexte de la théorie globale des Gauches allemande et hollandaise. Refuser de l'admettre, n'est pas seulement terriblement arrogant, mais c'est aussi dangereux. C'est justement à cause de cette tendance dans le SB à mettre en avant (de manière superficielle et non critique) tantôt un élément, tantôt un autre des positions de Rosa Luxembourg, Anton Pannekoek, Herman Gorter, Henk Canne Meijer ou Hempel que le SB risque de tomber dans des positions dogmatiques qu'il redoute tellement. Le seul moyen de retrouver les positions de classe et de voir comment elles doivent éventuellement être développées ou changées en conséquence de changements radicaux dans la lutte de la classe, c'est d'étudier les positions fondamentales de la Gauche allemande et hollandaise dans le contexte des circonstances qui les ont fait surgir, et en tenant compte de ce qui nous sépare dans la période actuelle, des communistes d'avant-guerre. Car en en premier lieu, le SB ne connaît pas la globalité des positions de la Gauche allemande et hollandaise. Deuxièmement, le SB n'a jamais entendu parler des positions de la Gauche italienne par exemple. Troisièmement, le SB n'a pas la moindre idée de ce que veut dire "frontière de classe", ce qui l'amène à conclure superficiellement qu'une position "en dehors de son époque" peut être dangereuse ou même contre-révolutionnaire.
L'étude critique des positions de la Gauche allemande et hollandaise ainsi que des organisations existantes aujourd'hui auraient pu pousser le SB à adopter une plate-forme. Dans la façon même dont il rejette l'idée d'une plate-forme, il montre sa tendance à utiliser de façon superficielle des fragments de théorie :
"Notre tâche consiste à rendre nos positions claires aux gens, aux individus qui luttent. En d'autres termes, nous essayons de propager nos positions de classe ; nous tentons de propager la lutte de classe. Avec une plate-forme, on court le risque de se baser trop sur le passé pour juger l'évolution présente, on risque de devenir conservateur" (Spartacus, nov.76, souligné par nous).
Ceci n'est pas une contribution nouvelle du SB. Non, c'est en fait un fragment de théorie tiré de Rosa Luxembourg comme le montre la citation suivante :
"Dans ses grandes lignes, la tactique de lutte de la social-démocratie n'est, en général, pas à "inventer" ; elle est le résultat d'une série ininterrompue de grands actes créateurs de la lutte de classe souvent spontanée, qui cherche son chemin. L'inconscient précède le conscient et la logique du processus historique objectif précède la logique de ses protagonistes. Le rôle des organes directeurs du Parti revêt dans une large mesure un caractère conservateur : comme le démontre l'expérience, chaque fois que le mouvement ouvrier conquiert un terrain nouveau, ces organes le labourent jusqu'à ses limites les plus extrêmes ; mais le transforment en même temps en un bastion contre des progrès ultérieurs de plus vaste envergure".
(Rosa Luxembourg, "Centralisme et démocratie")
Mais chez Rosa Luxembourg, cette conception n'était pas un motif pour s'opposer à l'existence d'un programme du parti. Quelques lignes plus loin, elle écrit :
"Ce qui importe toujours pour la social-démocratie, c'est évidemment, non point la préparation d'une ordonnance toute prête pour la tactique future, ce qui importe, c'est de maintenir l'appréciation historique correcte des formes de lutte correspondant à chaque moment donné, la compréhension vivante de la relativité de la phase donnée de la lutte et de l'inéluctabilité de l'aggravation des tensions révolutionnaires sous l'angle du but final de la lutte de classe".
(Ibid. )
Rosa Luxembourg donne une excellente définition des origines et de la fonction des positions de classe contenues dans la plate-forme ou le programme de toute organisation révolutionnaire. En fait, défendre les positions de classe n'a rien à voir avec "s'efforcer d'être les 'chefs'" des luttes de la classe ouvrière, ni (ce qui en serait le résultat) avec freiner "les expériences souvent spontanées de la lutte de classe".
Le texte de Rosa Luxembourg cité ci-dessus a été écrit dans une période où la décadence du capitalisme n'avait pas commencé et où la classe ouvrière pouvait encore forcer le système à céder des réformes au moyen du parlement et des syndicats. A cette époque, les révolutionnaires militaient dans les organisations social-démocrates parce qu’elles étaient des organisations prolétariennes permanentes de lutte et de propagande. Le programme sur lequel s'est fondé le KAPD en 1920 rendait compte de la période de décadence du capitalisme qui avait commencé en 1914, ce qui s'exprimait dans ce programme par l'inadéquation du parlement et des syndicats comme moyens de lutte du prolétariat et par la distinction entre les organisations unitaires et l'organisation des révolutionnaires. Cette distinction est la continuation de l'approfondissement théorique commencé par Rosa Luxembourg dans son opposition au sein de la social-démocratie. Cette évolution n'est pas du tout le résultat de la recherche d'"intellectuels en chambre", mais vient d'une élaboration profonde des développements de la lutte de classe jusqu'à 1920, qui ont marqué une distinction entre les organisations de lutte et les organisations de révolutionnaires dans la réalité de la lutte de classe. La Première Guerre mondiale et la vague révolutionnaire de 1917-20 ont fait changer les frontières de classe et le programme du KAPD en témoigne. Quand le SB suggère maintenant que les frontières de classe décrites par le KAPD ont changé parce que c'est de "la vieille histoire", il a la responsabilité de démontrer les faits historiques qui le prouvent. C'est notre conviction que, de façon générale, ces faits n'existent pas. Mais le SB a de très bonnes raisons de refuser d’étudier les plates-formes et programme du KAPD et de leur continuation dans la Gauche hollandaise : pour le moment, le SB continue d'exister grâce à son refus conseilliste et activiste de remplir ses tâches en tant qu'organisation des révolutionnaires. Les "conseillistes", les plus vieux militants dans le SB, n'essaient plus de mettre en avant les positions de classe après leur expérience décevante pendant la période de reconstruction maintenant terminée. Les activistes, les plus jeunes du SB, ont peur de perdre dans une organisation de révolutionnaires agissante la sécurité des limites localistes de leur "lieu de travail", de leur "quartier" et de leur niveau théorique : celui du bavardage avec l'ouvrier!
c) Les tâches de l'organisation des révolutionnaires.
Pendant la Conférence, le SB n'a pas pu nier la distinction entre l'organisation des révolutionnaires et les organisations unitaires. Mais il ne l'a fait qu'après de très grands efforts et malgré des "objections" du genre de celle que l'on peut trouver dans le rapport de la Conférence que le SB a publié :
"Mais la conception selon laquelle l'organisation politique est si schématiquement distincte des organisations unitaires qu'elles en arrivent dans la pratique à être même séparées ne colle pas à la réalité. D'abord, il n'arrive pratiquement jamais que dans une lutte ou une action, seuls des intérêts indirects et immédiats soient en cause. C'est précisément dans la lutte concrète que se développent des intérêts et des idées qui transcendent l’aspect immédiat, local et matériel de la lutte. C'est justement là que réside la base de toute évo1ution politique future. Et, en second lieu, dans beaucoup de mouvements, il n'y a pas d'unité de classe, et ce qui domine est la coopération des intérêts concernés (par exemple, les actions dans les quartiers ouvriers). Il doit y avoir une évolution de la part des organisations unitaires et des groupes d'action vers l'étude et l'approfondissement de questions plus générales : une évolution de la pratique vers l'étude de la pratique. Bien entendu, le groupe politique est distinct des groupes d'action, comités de grève, etc. Parce que le groupe politique a la tâche spécifique de remettre les expériences acquises au cours des luttes dans une perspective plus vaste".
(Spartacus, novembre 76).
Ce que dit le SB ici est très correct. Mais ce n'est pas du tout un argument contre la nécessité pour les révolutionnaires de s'organiser sur la base d'une plate-forme politique. Ce n'est pas parce que la conscience se développe dans la lutte, à partir de l'expérience que l'on peut en conclure, que c'est un processus automatique et simultané. C'est pour cela que les éléments qui prennent conscience d'abord se regroupent pour mieux développer et diffuser leurs positions. Le SB semble confirmer cela quand il dit :
"Une plate-forme consiste il rédiger les positions sous forme de thèses. Positions sur l'histoire de la lutte de classe, sur les expériences présentes et internationales, sur le capitalisme et les perspectives futures. Tout le monde a été d'accord sur le fait qu'un groupe politique comme le SB devrait s'attaquer à cette tâche. Il y a eu une longue discussion à ce sujet et aussi beaucoup de confusion, mais dans ce rapport on ne peut qu'être bref ; tout le monde a été d'accord et est toujours d'accord".
(Spartacus, novembre 76)
Mais quelle était la divergence à la Conférence ? D'après le SB :
"La divergence était sur la nécessité (ou non) de rédiger les positions sous la forme de thèses et sur l'accent à mettre sur l'étude de points particuliers". (Spartacus, nov.76).
Bien sûr, la divergence n'était pas sur la forme de thèses, d'essai ou de poème... ou bien de déclaration de principes. La divergence était et est sur le contenu d'une plate-forme, d'une déclaration de principes, quel que soit le mot qu'on emploie. C'est ce que montrent les lignes suivantes :
"Si nous voulons accomplir nos tâches, c'est-à-dire diffuser la vision qui résulte de l'étude, alors nous avons besoin d'une discussion permanente. L'évolution de nombreux groupes a montré en pratique qu'une plate-forme (avec toutes ses conséquences : ligne générale nationale à laquelle les sections doivent obéir, mois de discussion sur la formulation des objectifs, mode de fonctionnement, etc.) ne peut qu'empêcher cette confrontation permanente avec la réalité".
(Spartacus, Nov. 76)
Par "réalité", le SB veut dire la "pratique quotidienne" de l'activiste qui a choisi un certain "champ d'action", c'est-à-dire la lutte partielle et qui ne veut rien entendre des sujets qui, selon lui, n'ont rien à voir avec ça. S'il a choisi un quartier ouvrier, il ne veut pas entendre parler de luttes salariales, pas plus que des luttes de Soweto, de Vitoria, de Gdansk et encore moins des positions de classe élaborées dans les hauts moments de la lutte de classe.
Les activistes sont caractérisés par leur refus de fait de l'organisation des révolutionnaires qu'ils identifient à tort avec le parti léniniste. L'organisation politique est superflue, pensent les activistes, car ils estiment que les positions politiques doivent être directement applicables dans leur "champ d'action". Les positions qui sont les produits des grands moments de la lutte de classe, ou de la lutte de classe dans les autres pays sont considérées comme "théoriques" et "inapplicables". Donc l'activisme est une tendance ahistorique, localiste, qui se restreint principalement à des luttes partielles. Au mieux, l'activisme peut être le reflet d'une lutte ouvrière limitée. L'activisme ne peut jamais aider à dépasser ces limites. Au contraire, il se fait l'apôtre des limitations de la lutte partielle qu'il présente à la classe comme exemplaire. Alors que la classe ouvrière dans son ensemble est toujours obligée d'élargir sa lutte à tous les aspects de la vie et à une partie toujours plus grande de la classe pour pouvoir faire la révolution prolétarienne, alors que dans ce processus, elle rencontre le même type de problèmes qu'elle a dû dépasser dans les révolutions précédentes, les activistes continuent à rejeter les expériences des grands moments révolutionnaires du passé qui ont été élaborées et formulées dans les positions du mouvement ouvrier. Tout comme Lénine, les activistes considèrent ces conceptions théoriques comme quelque chose qui aliène tout simplement la classe ouvrière qui, selon eux, ne lutte que sur la base d'intérêts limités (ce il quoi Lénine ajoute qu'elle ne peut jamais dépasser ce stade sans l'aide de l'intelligentsia). A la différence des léninistes, les activistes en concluent que "L'organisation politique est superflue". En agissant ainsi, ils se retrouvent en compagnie des conseillistes qui ne croient plus à la diffusion des positions de classe parce qu'ils se sont fatigués à lutter contre le reflux du mouvement de la classe pendant les années de la contre-révolution.
Léninistes, activistes et conseillistes sont tous d'accord, malgré leurs autres divergences, pour nier que les positions de classe ont leur origine dans la lutte historique de la classe ouvrière. De là vient leur rejet de l'intervention exclusivement de propagande dans la classe ouvrière par l'organisation des révolutionnaires.
Après tout, l'intervention de propagande dans la classe ne semble complètement naturelle et nécessaire que si l'on pense que les positions sont élaborées à partir des expériences de la classe elle-même et que la propagande est une contribution à l'élaboration de ces expériences au sein de la classe, une contribution à la discussion dans la classe ouvrière.
On trouve une bonne illustration de la tendance du SB à considérer les positions de classe comme le produit de théoriciens "qui contemplent leur nombril" dans les notes marginales du Spartacus d'octobre 76 traitant des luttes ouvrières en Pologne durant l'hiver 1970-71 et l'été 1976. Sur l'auteur de l'édition polonaise, le SB remarque :
"Il est... lui-même prisonnier des conceptions partidaires, conceptions qui néanmoins doivent être distinguées de celles qui correspondent aux théories de capitalisme d'Etat dans lesquelles le Parti "dirige" et "utilise" la classe ouvrière, parti qui doit prendre le pouvoir d'Etat. Cependant l'auteur a la conception d'un parti qui met en avant le but de la lutte, la conquête du pouvoir par les travailleurs et qui stimule toujours les ouvriers à se préparer dans chaque aspect de la lutte pour ce but final. Nous avons l'impression qu'avec ces conceptions, il ne voit pas le fait, immensément important, que la classe ouvrière ne permet pas aux idéaux sociaux de guider sa lutte, mais que la classe ouvrière est inspirée par la réalité sociale qu'elle vit."
(Spartacus, déc. 76)
Comme si le but final de la lutte : la conquête du pouvoir par les travailleurs, était une "invention" du parti ! Même dans les premières années du socialisme scientifique, la conquête du pouvoir par les travailleurs n'était pas le produit d'une pensée abstraite, mais la conclusion de la recherche matérialiste historique de l'essence et du développement du capitalisme. Et, en plus, depuis la révolution russe, la conquête du pouvoir par les travailleurs est un fait d'expérience. Pour les ouvriers de Szczecin durant l'hiver 1970-71, le pouvoir des travailleurs n'était pas un fait inconnu ; dans les faits, ils ont eu le pouvoir entre leurs mains, dans la ville, pendant quelque temps ! Ce pouvoir leur a été arraché par l'arrivée de Gierek dans les chantiers navals. La discussion entre les conseils ouvriers de Szczecin et Gierek et entre les travailleurs eux-mêmes (reproduite dans "Spartacus", oct.76) était centrée sur la question "maintenir le pouvoir des travailleurs ou le laisser à Gierek en échange de la satisfaction des "revendications". A cet égard, la Pologne est un test pour évaluer la position du SB dans une situation révolutionnaire :
"Donc, c'est notre opinion que les ouvriers de Szczecin et de quelques autres villes de Pologne n'étaient pas capables de renverser les Etats capitalistes de l'Est. Ceci n'est pas plus surprenant que la défaite finale des révoltés en Allemagne de l'Est en 1953 et celle des ouvriers hongrois de 1956. Dans un tel isolement les possibilités étaient trop restreintes pour rendre possible la conquête complète du pouvoir par ces travailleurs."
(Spartacus, décembre 76)
d)Le regroupement des révolutionnaires en Hollande
En plein éveil de la lutte de classe révolutionnaire, après 50 ans de contre-révolution, la tendance "conseilliste" du SB à voir tous les événements avec les yeux de la défaite, devient une propagande ouvertement défaitiste. Les récentes luttes ouvrières en Pologne ne sont pas un phénomène isolé derrière le rideau de fer mais font partie de la lutte de classe internationale depuis la deuxième moitié des années 60 : France 1968, Italie et Allemagne 1969, Pays-Bas 1970, Pologne 1970-71, Angleterre 1972, Belgique 1973, Portugal 1974-75, Espagne et de nouveau Pologne 1976, sans mentionner les autres parties du monde.
C'est toujours le devoir des révolutionnaires de diffuser les positions de classe. Dans le passé, ceci était aussi l'opinion du SB :
"C'est seulement quand le troisième groupe d'opposition a quitté les rangs du SB qu'il est devenu clair que la seconde et aussi la troisième scissions avaient vraiment des divergences de principe. Le réel désaccord portait sur la position du SB dans le mouvement ouvrier actuel, dans une période où selon ceux qui ont scissionné il n'y aurait pas de mouvements de masse révolutionnaires, ou, s'il y en avait, ceux-ci ne prendraient pas un caractère révolutionnaire. Le point de vue de ces anciens camarades, c'était que, tout en poursuivant la propagande pour "la production dans les mains des organisations d'usine", "tout le pouvoir aux conseils ouvriers" et "pour une production communiste sur la base d'un calcul des prix en fonction du temps de travail moyen" ([5] [175]), le SB n'avait pas à intervenir dans la lutte des ouvriers telle qu'elle se présente aujourd'hui. La propagande du SB doit être pure dans ses principes et si les masses ne sont pas intéressées aujourd’hui, cela changera quand les mouvements de masse redeviendront révolutionnaires."
("Vit Engenkring" end 47)
C'est le résumé des raisons politiques des deux groupes d'opposition qui ont quitté le SB par ceux qui restaient. La crainte du second et du troisième groupes de l'opposition selon laquelle le SB se "diluerait" quand la lutte des travailleurs reprendrait un caractère révolutionnaire est devenue vraie. Dans une période où la lutte révolutionnaire renaît, c'est devenu une nécessité absolue de défendre les acquis historiques de la classe ouvrière, les positions de classe, avec la plus grande clarté. Le SB en est incapable. Une organisation de révolutionnaires qui n'est pas basée sur la discussion permanente de tous ses membres sur les positions fondamentales rassemblées dans une plate-forme, périra, parce qu'une telle organisation
- n'est pas capable de diffuser au maximum ses positions (qui n'ont pas encore été définies) au sein de la classe qui les a produites dans son expérience même ;
- n'a pas de critères d'appartenance pour ses membres et doit donc, soit s'isoler de nouveaux membres potentiels et mourir, soit ouvrir la porte à toutes sortes de positions ;
- ne peut se distinguer elle-même d'organisations "concurrentes" et devient donc un porteur de confusion au lieu de clarification.
CONCLUSIONLe refus du SB d’engager une discussion dans le but d'écrire une plate-forme aboutit essentiellement au refus de se soumettre à une cure de rajeunissement contre les trois "maladies" de vieillesse exposées plus haut. Le SB existe depuis trente-sept ans mais ceci ne suffit pas à en faire la continuation de la Gauche Hollandaise. C'est surtout par ses positions confuses sur la question de l'organisation des révolutionnaires et de ses tâches que le SB montre qu'il y a eu une véritable rupture dans la continuité avec les communistes d'avant-guerre. Avec les positions qu'a adoptées SB à sa dernière conférence, il serait difficile de le considérer apte à remplir efficacement la fonction de pôle de regroupement des révolutionnaires en Hollande. Et ceci à l'heure où l'évolution de la crise et de la lutte ouvrière exigent plus que jamais un tel regroupement.
Contrairement à la période antérieure, quand la gauche hollandaise était active, la Hollande est aujourd'hui un pays hautement industrialisé avec une classe ouvrière développée. Mais ceci ne doit pas inciter à croire que la constitution d'une organisation des révolutionnaires en Hollande peut être conçue dans le seul cadre national. La bourgeoisie hollandaise, surtout depuis la période de reconstruction, est étroitement liée à l'économie allemande et peut donc s'appuyer sur la position relativement forte de cette dernière ainsi que sur ses propres réserves de gaz naturel pour essayer d'alléger le poids du chômage par un développement des mesures sociales et des subventions étatiques visant à stimuler l'industrie. A cause de ce rythme lent du développement de la crise en Hollande jusqu'à ces derniers temps, la lutte ouvrière a pu être cantonnée et détournée vers des revendications telles que le nivellement des salaires et des nationalisations. Les révolutionnaires savent que les nationalisations et les nivellements des salaires peuvent ralentir la crise pendant un temps mais que, tel un boomerang, celle-ci reviendra inéluctablement. Récemment, la crise a commencé à frapper plus durement et le gouvernement de coalition social-démocrate chrétien est revenu sur certaines mesures sociales ; et la politique de l'échelle mobile des salaires est très menacée par l'inflation. Lentement la classe ouvrière hollandaise commence à se libérer du carcan syndical :.en 1976 on a pu voir des grèves sauvages dans les ports et dans la construction, deux secteurs traditionnellement combatifs de la classe ouvrière. Le PC, les trotskistes, les maoïstes se sont efforcés de jouer leur rôle de caution de gauche de la social-démocratie. Ils se sont employés à ramener les ouvriers dans les syndicats officiels ou dans les mini-syndicats style maoïste. Leur défense du parlementarisme, des nationalisations et de "l'indépendance nationale" est une caricature bourgeoise de la lutte politique.
Etant donné ce développement, bien qu'encore faible, des luttes ouvrières dans le pays, la tâche des révolutionnaires est de rendre les ouvriers conscients d'une part des luttes menées par leurs frères de classe dans d'autres pays frappés plus tôt et plus durement par la crise et, d'autre part, de la perspective historique de ces luttes. Ceci veut dire que la formation d'une organisation des révolutionnaires en
Hollande doit se situer dans une vision et donc dans un cadre international. Par conséquent, l'activité du CCI et surtout de sa section en Belgique par rapport à la Hollande doit être applaudie par les révolutionnaires.
La décision du SB de ne pas entamer une discussion sur une plate-forme n'est pas forcément définitive. Toutes les questions abordées à la dernière conférence reviendront quand le SB essaiera de formuler une "déclaration de principes". Si cette discussion se situe dans un cadre international de confrontation des idées sur les positions de la gauche communiste pendant la période d'avant-guerre et sur les positions des groupes révolutionnaires aujourd'hui, elle sera une contribution vers la création d'un pôle de regroupement des révolutionnaires en Hollande. En plus, le SB pourrait faire une contribution internationale importante en aidant les groupes révolutionnaires qui ont surgi ces dernières années à se réapproprier de façon critique les acquis de la gauche hollandaise. Parce que le SB n'a jamais été et n'est pas aujourd'hui seul au monde.
Fred Kraai
[1] [176] GIC : "Groep(en) van Internationale Communisten" (Groupe(s) de communistes Internationalistes) ; peut être considéré comme la continuation du KAP hollandais.
[2] [177] Nous ne donnons ici un examen critique des positions conseillistes que sur la question d'organisation. On trouvera davantage sur cette question et les positions conseillistes à propos de la révolution russe et des luttes de "libération nationale" dans la Revue Internationale n°2 ("Les épigones du conseillisme").
[3] [178] Le "Kommunistische Arbeiter Partei Deutschlands" (KAPD) a été formé par la majorité du "Kommunistische Partei Deutschlands (Spartakusbund)" qui est sortie de ce parti sur la base de positions conséquentes contre le parlementarisme et contre les syndicats.
[4] [179] Cet argument tiré de la théorie de la connaissance est ainsi formulé par "D en G" : "Dans tout acte spécifique, la pensée précède l'action. Dans l'action des classes et des masses cependant, la signification de l'acte vient ensuite. Là l'action précède la compréhension". Pour le lecteur intéressé par la comparaison avec la position de Pannekoek, il y a un passage dans "Les Conseils Ouvriers" qui s'appelle, et non entièrement par hasard, "Pensée et Action". Nous nous contenterons de la citation suivante :
"C'est seulement lorsque chez les ouvriers -vaguement au début - est présente la compréhension qu'ils ont tout à faire eux-mêmes et que c'est eux qui doivent créer l'organisation du travail dans les usines, que leur action sera le point de départ d'un nouveau et puissant développement.
Eveiller cette compréhension, c'est la tâche la plus importante de notre propagande qui commence avec des individus et des petits groupes pour qui, les premiers, cette compréhension devient claire. Aussi difficile que ce soit au départ, aussi fructueux ce sera car c'est exactement dans la ligne des propres expériences vivantes du prolétariat. Alors, cette idée gagnera les masses comme une flamme et guidera leurs premiers actes. Mais là où quelles que soient les circonstances d'arriération politique et économique qui le causent, cette compréhension manque, l'évolution aura à passer par des hauts et des bas encore plus durs." (Pannekoek)
[5] [180] Cette position du GIC était développée par Hempel quand il a été prisonnier politique ; il a tenté de tirer les leçons des révolutions russe et allemande et de ses propres expériences, aussi bien en ce qui concerne sa participation aux luttes des ouvriers des chantiers navals à Hambourg que ses visites aux Soviets dans les environs de Moscou à l'occasion du 3eme Congrès du Komintern. Le GIC a élaboré les idées de Hempel dans les "Principes de Base de la Production et Distribution Communistes" (en allemand et hollandais) qui constitue une contribution importante sur les aspect économiques de la période de transition.
Nous publions ci-dessous une lettre du groupe "COMBATE" du Portugal. Quelques explications s'imposent pour la comprendre et dissiper les malentendus qui se sont produits dans les relations que nous avions avec ce groupe.
Dans l'énorme confusion dans laquelle se déroulaient les événements au Portugal après la chute du régime de Salazar-Caetano, "Combate" paraissait être l'unique groupe se situant sur un terrain de classe. Pour cette raison nous avons toujours cherché à établir et à maintenir les contacts avec ce groupe - en nous rendant sur place, en invitant des camarades responsables de passage à Paris à venir débattre avec nous les problèmes touchant la lutte du prolétariat au Portugal et également, comme cela doit être naturel entre groupes révolutionnaires, en portant les débats et les critiques dans nos publications.
Nos divergences avec "Combate" sont certes de taille. Ce n'est pas là une raison pour les passer sous silence ou se contenter simplement d'échanger "des informations", mais, au contraire, c'est un devoir de tout groupe révolutionnaire de confronter et de discuter ouvertement les divergences. C'est une condition pour parvenir à les clarifier et, éventuellement, à les dépasser.
C'est dans ces dispositions et alors qu'un camarade responsable de "Combate" se trouvait parmi nous que nous avons eu l’ahurissante surprise de recevoir la lettre de "Combate" du 9 septembre, nous informant laconiquement de la décision de suspendre la vente des publications du C.C.I. dans les librairies de "Combate". Notre réponse publiée dans le dernier numéro de la Revue Internationale (n°8) est une protestation véhémente contre une telle décision que nous qualifiions à juste titre d"'aberrante". Nous demandions dans cette lettre des explications, et que "Combate" revînt sur sa décision.
Nous sommes satisfaits de recevoir aujourd'hui les explications et la rectification qui s'imposaient et laissons volontiers de côté les remarques ironiques qui les accompagnent. Les rapports sains qui doivent exister entre les groupes militants de la classe sont pour nous un problème extrêmement grave et dépasse de loin les ironies faciles. En toute occasion nous entendons rester vigilants et fermement décidés à les défendre afin d'extirper les mœurs perverties introduites depuis des décennies par le stalinisme dans la vie de la classe.
Nous retenons la suggestion de republier des pages de "Combate" sur les luttes concrètes. Nous devons cependant faire remarquer que nous divergeons notablement avec "Combate" sur ce que doit être la tâche de la presse révolutionnaire. Alors que pour "Combate" la presse est essentiellement un instrument d'information et de description, elle est pour nous un instrument d'intervention et d'orientation politique.
La question n'est pas une différence entre ouvriers en lutte et "professeurs", mais entre immédiatistes qui se contentent d"'informer" et groupes politiques qui disent leur nom et qui, au sein de la classe et dans ses luttes, défendent une orientation révolutionnaire.
Aussi, souhaitons-nous voir "Combate" défendre plus nettement dans ses colonnes une orientation en la confrontant franchement aux positions d'autres courants politiques.
CONTRA-A-CORRENTE
Lisbonne, le 5 janvier I977
Edicoes - Livraria, "Mons mus parturiens"
Chers camarades,
Vos interprétations sont remarquables et leur lecture est un plaisir, mais les faits sont, hélas, bien plus banals et prosaïques. Il vaut donc toujours mieux s'en assurer avant de brandir le glaive vengeur.
Les faits : un camarade qui a mal compris une décision d'une réunion ; d'autres camarades qui ne lisent pas les lettres une fois écrites. La décision : la librairie de Porto a décidé de ne plus assurer la diffusion de vos publications auprès des librairies de Porto, Lisbonne et Coimbra, en raison des difficultés commerciales. Cela n'a rien à voir avec la vente de vos publications dans nos librairies. D'ailleurs, la librairie de Lisbonne a toujours étalagé vos publications et continuera de le faire.
Nous vous remercions de votre bienveillance en ayant déjà par deux fois jugées les idées de Combate suffisamment dignes d'intérêt pour figurer en tant qu'objet de critique dans les pages de vos publications. Nous tenons pourtant à vous signaler que dans les pages de Combate, vous trouverez maintes informations directement élaborées par des ouvriers sur les luttes concrètes - banales certes, mais qui constituent le petit monde dans lequel la classe ouvrière vit en attendant que les professeurs changent la société. Peut-être quelques-uns de vos lecteurs auraient-ils intérêt à les voir figurer sur vos pages ?
Sa1utations révolutionnaires
Le collectif de Combate
Que les partis socialistes et staliniens exaltent la campagne pour la guerre et prennent leur place à la tête de celles-ci n'a rien de surprenant. Passés depuis longtemps dans le camp du capitalisme, ces partis "ouvriers" ne font qu'accomplir leur tâche ; la guerre n'étant rien d'autre que la continuation de la politique de défense des intérêts du capital national sous une autre forme. Par leur passé "ouvrier" et "socialiste", ces partis sont aussi les mieux placés parmi les forces politiques de la bourgeoisie pour mystifier la classe ouvrière, la détourner de sa lutte et l'embrigader dans le massacre impérialiste.
Concernant ces grands partis de la gauche, leur prise de position en faveur de la guerre et leur participation à sa direction est donc tout à fait dans l'ordre des choses. C'est le contraire qui aurait pu être une surprise incompréhensible. Mais comment comprendre que des courants comme les anarcho-syndicalistes, la CNT, ou celui des trotskystes et, derrière eux, la grande majorité des groupes de gauche, ont pu tomber et être pris dans le tourbillon de la guerre ? Les Uns allaient jusqu'à participer dans le gouvernement de défense nationale (Républicain) comme la CNT et le POUM ; les autres, quoique s'opposant à la participation gouvernementale (les trotskystes), ne prêchaient pas moins la participation à la guerre au nom d'un front unique antifasciste aussi large que possible. D'autres, plus radicaux, marchaient dans la guerre au nom de la résistance antifasciste OUVRIERE ; d'autres encore, au nom de l'ennemi n°l à abattre (Franco) sur le front de la guerre, pour mieux pouvoir faire ensuite, après la victoire (? !), la lutte de classe ouvrière. Il y en eut même pour considérer que l'Etat dans la zone républicaine avait complètement disparu ou qu'il n'était plus qu'une simple façade ayant perdu toute signification.
Dans leur immense majorité, ces groupes de gauche qui avaient, durant des années, trouvé la force et leur raison d'être dans la résistance à la dégénérescence des PC et de l'internationale Communiste, ces groupes qui combattaient sans merci le stalinisme au nom de l'Internationalisme prolétarien, se sont cependant laissés happer dans l'engrenage de la guerre par les évènements d'Espagne. Ce fut souvent à contrecoeur il est vrai, émettant beaucoup de critiques et pas mal de réserves, s'accrochant à toutes sortes de justifications fallacieuses pour calmer leurs propres angoisses, que ces groupes ont quand même marché et justifié leur soutien actif à la guerre d'Espagne. Pourquoi ?
Il y avait tout d'abord le phénomène fasciste. Ce problème n'a jamais été clairement et correctement posé ni analysé à fond dans l'Internationale Communiste qui l'a rapidement noyé dans un fatras de considérations de tactique et de manoeuvres savantes de Front Unique. La différence de formes de la dictature bourgeoise Démocratie et Fascisme devenait peu à peu un antagonisme fondamental de la société se substituant à celui d'opposition historique de classe : Prolétariat/Bourgeoisie. Les frontières de classe se trouvaient ainsi complètement escamotées et confondues : Démocratie devenait le terrain de mobilisation du prolétariat, Fascisme un synonyme de capitalisme. Dans cette nouvelle figuration de la division dans la société, le terrain historique du prolétariat, la lutte pour le communisme disparaissait définitivement et il ne restait à la classe ouvrière d'autre choix que de servir d'appendice à l'un ou à l'autre clans de la bourgeoisie, la répugnance et la haine naturelle des ouvriers contre la répression barbare et sans gants des bandes sanglantes du fascisme se prêtaient et ont été remarquablement exploitées par toutes les forces dites démocratiques du capital pour dévoyer le prolétariat, en fixant ses yeux sur un "ennemi principal" pour mieux lui faire oublier que ce n'était là qu'un élément d'une classe qui, face à lui, reste toujours unie en tant que classe ennemie.
L'antifascisme, comme entité se substituant à 1'anticapitalisme, comme front immédiat privilégié de la lutte contre le capitalisme, était devenu la meilleure et la plus précieuse plateforme pour engloutir le prolétariat dans les sables mouvants du capitalisme, et c'est dans ces mêmes sables que se sont laissés entraîner la majorité des groupes de gauche pour s'y perdre. Si des militants isolés ont pu se retrouver après la guerre, il n'en fut pas de même pour les groupes politiques tels l'Union Communiste en France, le Groupe Internationaliste de Belgique, le GIC en Hollande, la minorité de la Fraction Italienne et tant d'autres dont aucun n'a pu se sauver du naufrage.
Une autre pierre d'achoppement sur laquelle devaient trébucher ces groupes de gauche, résidait dans leur compréhension incomplète de la signification profonde, historique, de la guerre dans la phase de déclin du capitalisme. Ils ne voyaient dans la guerre que la seule motivation immédiate, contingente, d'affrontement inter impérialiste. Ils ne percevaient pas qu'au-delà de ces déterminations immédiates et directes, les guerres impérialistes de notre période, expriment l'impasse historique à laquelle est parvenu le système capitaliste comme tel. A ce stade, la seule solution possible aux contradictions devenues insurmontables est leur dépassement par la révolution communiste. A défaut de cette solution, la société s'engage dans un mouvement inexorable de décadence et d'autodestruction. La guerre impérialiste se présente ainsi comme l'unique alternative à la révolution. Ce caractère historique d'un mouvement de destruction et d'autodestruction, en opposition directe à la révolution, marque désormais toutes les guerres actuelles, quelle que soit la forme qu'elles prennent, guerres locales ou guerre généralisée, guerres soi-disant anti-impérialistes, d'indépendance ou de libération nationale, guerre de la démocratie contre le totalitarisme, ou encore qu'elles se présentent à l'intérieur même d'un pays sous la forme de fascisme ou d'anti-fascisme.
Deux groupes, pour s'être solidement ancrés sur le terrain de classe et du marxisme, ont su ne pas succomber à cette double épreuve que constituait la guerre d'Espagne de 1936-39 : les Fractions Italienne et Belge de la Gauche Communiste. Malgré bien des faiblesses, leur oeuvre reste une contribution sérieuse au mouvement révolutionnaire et constitue encore aujourd'hui une source précieuse de réflexion théorique pour les militants. Ils se savaient condamnés au pire des isolements mais leurs convictions ne fléchissaient pas car ils savaient que tel est le lot inévitable de tout groupe authentiquement révolutionnaire dans une période de défaite et de recul du prolétariat débouchant dans la guerre. Et alors que le bruit assourdissant des canons et des bombes de la guerre en Espagne étouffait la faible voix révolutionnaire de la Gauche Communiste, parvenait de l'autre bout du monde, d'un "groupe de travailleurs marxiste", du Mexique, un manifeste que Bilan saluait chaleureusement comme un "rayon de lumière".
C'est à la lumière noire de la guerre d'Espagne qu'un groupe de révolutionnaires, en partie en rupture avec le trotskisme, retrouve le chemin de classe et se constitue pour dénoncer la guerre impérialiste, pour dénoncer tous les pourvoyeurs conscients ou non, pour appeler les ouvriers à rompre avec ces répugnantes alliances de classes des fronts de guerre anti-fascistes. Particulièrement difficile était l'effort de constitution de ce groupe révolutionnaire, tragiquement isolé dans un pays lointain comme le Mexique, soumis à la lourde répression de l'Etat démocratique, attaqué de toutes parts et particulièrement par les trotskystes qui ont déchaîné contre lui une furieuse campagne d'immondes calomnies et de dénonciation policière. Partant de l'opposition à la guerre "antifasciste" d'Espagne, ce groupe a rapidement senti la nécessité impérieuse de remonter le cours de l'histoire et de soumettre à un examen critique et théorique toutes les positions, postulats et pratique des mouvements trotskystes et assimilés.
Sur bien des questions fondamentales, nous partageons avec lui la même démarche et les mêmes conclusions politiques, et tout particulièrement sur la période de décadence et la question nationale. Nous saluons en eux nos prédécesseurs et un moment de la continuité historique du programme du prolétariat. En publiant une première série de documents de ce groupe, nous montrons la vie et la réalité de cette continuité politique en mouvement. Ces documents, archi-ignorés dans le mouvement, trouveront, nous en sommes sûrs, un vif intérêt chez tous les militants révolutionnaires, car ils apportent de nouveaux éléments à la connaissance et à la réflexion des problèmes de la révolution prolétarienne.
Dans un prochain numéro, nous proposons de publier deux textes théoriques de ce groupe, l'un portant sur les nationalisations, l'autre sur la question nationale.
Les travailleurs d'Espagne croyaient qu'ils vivaient dans une république démocratique, qu'ils avaient un gouvernement ouvrier, que ce gouvernement était la meilleure défense contre le fascisme.
Alors que les travailleurs n'étaient pas sur leurs gardes et qu'ils avaient plus de confiance dans le gouvernement capitaliste que dans leurs propres forces, les fascistes, au vu et au su du gouvernement, préparèrent leur coup du mois de juillet de l'année passée, exactement comme le gouvernement de Cardenas permet aux Cedillo, Morones, Cailles, etc., de préparer leur coup, tandis qu'il endort les ouvriers avec sa démagogie "ouvriériste".
Comment fut-il possible que les travailleurs d'Espagne, en juillet dernier, n’aient pas compris que le gouvernement "anti-fasciste" les avait trahis en permettant la préparation du coup des fascistes ? Comment se fait-il que les travailleurs du Mexique n’aient tiré aucune leçon de cette expérience douloureuse ? Parce que le gouvernement espagnol a continué habilement sa démagogie et parce qu'il s'est présenté devant le front des travailleurs en les trompant encore une fois avec la consigne : le seul ennemi, c'est le fascisme ! En prenant la direction de la guerre que les travailleurs avaient commencée, la bourgeoisie l'a convertie de guerre classiste en guerre capitaliste, en une guerre pour laquelle les travailleurs ont donné leur sang pour la défense de la république de leurs exploiteurs.
Leurs leaders, vendus à la bourgeoisie ont donné la consigne : ne présentez pas de revendication de classe avant que nous ayons vaincu le fascisme ! Et pendant neuf mois de guerre, les travailleurs n'ont organisé aucune grève, ont permis au gouvernement de supprimer leurs comités de base qui avaient surgis aux jours de juillet et d'assujettir les milices ouvrières aux généraux de la bourgeoisie. Ils ont sacrifié leur propre lutte pour ne pas préjuger la lutte contre les fascistes.
Pour entretenir la confiance des travailleurs en leur esprit de classe ? Le gouvernement de Cardenas a un intérêt primordial à ce que les travailleurs du Mexique ne comprennent pas pourquoi le gouvernement anti-fasciste d'Espagne avait permis aux fascistes de préparer leur coup. Parce que s'ils comprenaient ce qui s'était passé en Espagne, ils comprendraient aussi ce qui est entrain de se passer au Mexique.
C'est pour cette raison que Cardenas a donné son appui au gouvernement légalement constitué de Azana et lui a envoyé des armes. Démagogiquement, il a dit que celles-ci étaient destinées à la défense des travailleurs contre les fascistes.
Les dernières nouvelles arrivées d'Espagne ont détruit pour toujours ce mensonge : le gouvernement légalement constitué de Azana utilisa les armes pour dompter les héroïques travailleurs de Barcelone lorsqu'ils durent se défendre contre ce gouvernement qui voulait les désarmer le 4 mai de cette année.
Aujourd'hui comme hier, le gouvernement de Cardenas aide le gouvernement légalement constitué de Azana, mais aujourd'hui non contre les fascistes mais contre les travailleurs. L'oppression sanglante qui succéda au soulèvement des travailleurs de Barcelone a montré la véritable situation en Espagne comme la foudre illuminant la nuit : que d'illusions de neuf mois détruites. Dans sa lutte féroce contre les travailleurs de Barcelone, le gouvernement "anti-fasciste" s'est démasqué. Non seulement, il a envoyé sa police spéciale, ses gardes d'assaut, ses mitrailleuses et ses tanks contre les travailleurs, mais il a libéré des prisonniers fascistes et a retiré du front des régiments "loyaux" en exposant ce front à l'attaque de Franco !
Ces faits ont prouvé que les véritables ennemis du Front Populaire ne sont pas les fascistes mais les travailleurs !
Vous avez lutté magnifiquement mais vous avez perdu. La bourgeoisie peut vous isoler. Votre force seule ne pouvait pas être suffisante. Travailleurs de l'arrière-garde, vous devez lutter conjointement avec vos camarades du front, contre l'armée de Franco, mais contre la bourgeoisie elle-même, qu'elle soit fasciste ou "anti-fasciste".
Vous devez envoyer des agitateurs au front avec la consigne : rébellion contre vos généraux ! Fraternisation avec les soldats de Franco - en majorité des paysans tombés dans les filets de la démagogie fasciste et cela parce que le gouvernement de front populaire n'avait pas rempli la promesse de leur donner la terre ! Lutte commune de tous les opprimés, qu'ils soient ouvriers ou paysans, espagnols ou maures, italiens ou allemands contre notre ennemi commun : la bourgeoisie espagnole et ses alliés, 1'impérialisme !
Pour cette lutte, un parti qui soit véritablement le vôtre est nécessaire. Toutes les organisations d'aujourd'hui, des socialistes aux anarchistes, sont au service de la bourgeoisie. Ces derniers jours à Barcelone, elles ont collaboré, une fois de plus avec le gouvernement pour rétablir "l'ordre " et la "paix". Forger ce parti de classe indépendant, voilà la condition de votre triomphe. En avant, camarades de Barcelone, pour une Espagne soviétique.
Fraternisation avec les paysans trompés, dans l'armée de Franco, pour la lutte contre leurs oppresseurs communs, qu'ils soient fascistes ou anti-fascistes !
A bas le massacre des ouvriers et des paysans pour le compte de Franco, Azana et Companys ! Transformons la guerre impérialiste en Espagne en guerre classiste !
Quand vous insurgerez-vous ? Permettrez-vous à la bourgeoisie mexicaine de répéter la même tromperie qu'en Espagne ? Non ! Nous apprenons la leçon de Barcelone ! La tromperie de la bourgeoisie espagnole a été possible seulement parce que les leaders avaient trahi, comme au Mexique, en abandonnant la défense des intérêts des travailleurs à la magnanimité du gouvernement "ouvriériste" et parce qu'ils ont pu convaincre les travailleurs que la lutte contre le fascisme exigeait une trêve avec la bourgeoisie républicaine.
Les leaders sociaux du Mexique ont abandonné la lutte de conquêtes économiques et ont intégré les travailleurs en les ligotant au gouvernement. Tous les organismes syndicaux et politiques du Mexique appuient l'envoi d'armes de la part du gouvernement de Cardenas aux assassins de nos camarades de Barcelone. Tous donnent leur appui à la démagogie du gouvernement. Aucune organisation n'expose la véritable fonction du gouvernement de Cardenas.
Si les travailleurs du Mexique ne forgent pas un parti véritablement classiste, indépendant, nous subirons la même déroute que celle des travailleurs d'Espagne ! Seul un parti indépendant du prolétariat peut contrecarrer le travail du gouvernement qui sépare les paysans des ouvriers avec la force de la distribution de quelques lopins de terre de la lagune, pour les séparer des ouvriers industriels.
La lutte contre la démagogie du gouvernement, l'alliance avec les paysans et la lutte pour la révolution prolétarienne au Mexique sous le drapeau d'un nouveau parti communiste seront la garantie de notre triomphe et la meilleure aide à nos frères d'Espagne ! Alerte, travailleurs du Mexique ! Nous ne devons pas être surpris par le faux ouvriérisme du gouvernement !
Plus d'armes aux assassins de nos frères d'Espagne !
Luttons pour un parti classiste indépendant ! A bas le gouvernement de Front Populaire ! Vive la dictature du prolétariat !
Tous les partis (y compris les anarcho-syndicalistes) ont brisé le mouvement de grève pour donner la consigne : aucune revendication de classe avant que nous n'allions gagner la guerre ! Le résultat de cette politique a été que le prolétariat espagnol a abandonné la lutte des classes et a donné son sang pour la défense de la république capitaliste. Au travers de la guerre en Espagne, la bourgeoisie a oeuvré pour unifier dans le cerveau du travailleur espagnol et mondial, ses intérêts de classe avec les intérêts de la démocratie bourgeoise afin de lui faire abandonner ses propres moyens de lutte de classe, pour accepter la méthode de la bourgeoisie : lutte territoriale, prolétaire contre prolétaire. Nous voyons par là comment, dans la même mesure où croît 1'héroïsme du prolétariat espagnol et la solidarité du prolétariat espagnol, la conscience de classe des travailleurs descend au même rythme. La bourgeoisie mondiale, surtout celle dite "démocratique", approuve l'héroïsme du prolétariat espagnol et la solidarité du prolétariat international pour dévoyer la lutte du terrain national au terrain "international" : de la lutte contre sa propre bourgeoisie à la lutte contre le fascisme d'Espagne, d'Allemagne et d'Italie; Cette méthode a donné de grands bénéfices à la bourgeoisie dans tous les pays : c'est ainsi que les grèves ont été brisées. La guerre en Espagne et son utilisation par la bourgeoisie a relié plus étroitement le prolétariat de chaque pays à sa propre bourgeoisie.
Le gouvernement du Mexique dépasse tous les gouvernements capitalistes par sa manière systématique et démagogique d'approuver la guerre en Espagne pour renforcer sa position et relier le prolétariat mexicain à la bourgeoisie. Les organisations ouvrières qui demandent que leur gouvernement envoie des armes en Espagne, donnent en réalité leur appui, non au prolétariat espagnol mais à la bourgeoisie espagnole et à leur propre bourgeoisie. Egalement, les collectes et l'envoi de volontaires au front de bataille n'ont d'autres résultats que de prolonger les illusions du prolétariat d'Espagne et de chaque pays et de fournir de la chair à canon à la bourgeoisie espagnole et internationale.
Le gouvernement actuel du Mexique a pour tâche de continuer l'oeuvre de ses prédécesseurs, c'est à dire détruire le mouvement ouvrier indépendant afin de convertir le Mexique en un territoire d'exploitation certaine pour le compte du capitalisme international. Ce qui a changé par rapport au gouvernement antérieur, c'est seulement la forme dans laquelle s'accomplit cette tâche, c'est à dire l'intensification de la démagogie gauchiste. Le gouvernement actuel se présente aux masses comme l'expression de la véritable démocratie. Le devoir de l'avant-garde du prolétariat est de signaler à sa classe et aux masses travailleuses en général ce qui suit : primo, que la démocratie n'est autre chose qu'une forme de la dictature capitaliste et que la bourgeoisie emploie cette forme lorsque l'autre forme ouverte ne sert pas ; secondo, que la fonction de la démocratie est de corrompre l'indépendance idéologique et organisationnelle du prolétariat ; tertio, que la bourgeoisie complète toujours la méthode violente d'oppression des travailleurs avec la corruption ; quarto, que les méthodes démocratiques d'aujourd'hui tirent leur fonction de la préparation du terrain pour l'oppression brutale du mouvement ouvrier et pour une dictature ouverte pour l'avenir ; que le gouvernement de Cardenas permet aux éléments réactionnaires de l'intérieur et de l'extérieur du gouvernement de forger les instruments pour l'oppression brutale de l'avenir (amnistie, etc.).
Le gouvernement actuel vise à séparer les ouvriers de ses alliés naturels, les paysans pauvres et d'incorporer les organisations des deux classes dans l'appareil étatique. Le gouvernement organise et donne des armes aux paysans afin que ceux-ci les emploient à l'avenir contre le prolétariat. En même temps, il vise à en finir avec toutes les organisations du prolétariat pour former un seul parti et une seule centrale syndicale reliée directement à l'Etat. Le gouvernement profite de la division au sein du prolétariat pour débiliter toutes les organisations existantes ; premièrement en les opposant l'une contre l'autre, secondement en unifiant les sections locales et régionales avec une aide dirigée par l'Etat. Dernièrement, le gouvernement a utilisé Trotsky et les trotskystes pour affaiblir la CTM et les stalinistes. Le devoir de l'avant-garde du prolétariat est de dénoncer et de combattre systématiquement les manoeuvres du gouvernement en intensifiant la lutte anti-gouvernementale au même degré que le gouvernement intensifie son travail de corruption et de démagogie ; secondo, accélérer le travail de préparation d'un parti de classe ; tertio élaborer une tactique révolutionnaire pour l'unification du mouvement syndical pleinement indépendant de l'Etat ; quarto, commencer un travail systématique au sein des ouvriers agricoles et des paysans pauvres pour briser leur confiance dans l'Etat en vue de leur alliance avec le prolétariat des villes.
Chaque gouvernement capitaliste d'un pays semi colonial est un instrument de l'impérialisme. Le gouvernement actuel du Mexique est un instrument de l'impérialisme américain. Dans ses fondements, sa politique sert uniquement l'impérialisme et intensifie l'esclavage des masses mexicaines. Le devoir de l'avant-garde du prolétariat est de démasquer la démagogie anti-impérialiste du gouvernement et de signaler aux masses du continent et du monde que la collaboration du gouvernement mexicain est aujourd'hui indispensable pour l'extension de l'impérialisme, comme l'a prouvé, par exemple, la fonction qu'a développée la délégation mexicaine à la Conférence de Buenos-Aires. Le résultat de la Conférence fut l'intensification de la domination américaine surtout au Mexique.
Les méthodes démagogiques du gouvernement mexicain actuel, par rapport au mouvement ouvrier, et l'agitation dans les campagnes, a inspiré tellement de confiance en l'impérialisme américain que les banques de Wall Street ont offert un grand emprunt au gouvernement mexicain à la condition que les impôts des compagnies pétrolières servent de garantie pour le paiement des intérêts. Le gouvernement accepta cette condition sans rencontrer la moindre opposition dans le pays ainsi qu'il en fut le cas pour le gouvernement antérieur. Ceci lui fut possible grâce à la popularité que l'aide au gouvernement espagnol et la distribution des terres dans la lagune lui avaient donnée, et aussi grâce à l'affirmation que l'emprunt servirait à la construction de machines. Ainsi, nous voyons comment le prolétariat ne peut lutter avec fruit contre la politique intérieure de la bourgeoisie mexicaine sans lutter systématiquement contre sa politique extérieure et comment on ne peut pas lutter contre Cardenas sans lutter contre Roosevelt.
Puisque le gouvernement mexicain dépend par toute sa politique de l'impérialisme américain, il en est de même du droit d'asile pour Trotsky. Il est clair que Cardenas a concédé le droit d'asile pour Trotsky seulement avec l'autorisation de son maître : l'impérialisme américain, lequel escompte utiliser Trotsky pour ses manoeuvres diplomatiques internationales, surtout pour ses négociations avec Staline. Le devoir de l'avant-garde du prolétariat est de signaler cette situation aux travailleurs sans cesser naturellement, en même temps de lutter pour le droit d'asile de Trotsky.
Une organisation qui se dit communiste et internationaliste vient de commettre un acte qui démontre qu'elle n'est ni communiste ni internationaliste. La section de la Ligue Communiste Internationaliste a commis le crime de dénoncer un camarade étranger qui habite Mexico en l'accusant de mener dans la classe ouvrière de ce pays une activité contraire à la politique du gouvernement. Notre enquête nous a permis d'établir que ce camarade a appartenu pendant onze ans, de 1920 jusqu'en 1931, au PC allemand et à l'Union Générale des Travailleurs du même pays. De 1931 à 1934, il a été membre du groupe d'émigration allemande de la Ligue Communiste et a rompu avec elle lors du tournant opéré par Trotsky, quand il ordonna aux différentes sections de l'opposition d'entrer dans la IVème Internationale. Depuis quelques années, ce camarade militait aux Etats-Unis dans la "Revolutionary Workers'League" (groupe Ochler) sous le pseudonyme d'Eiffel, comme membre du Comité central et du Bureau politique. Obligé de quitter les Etats-Unis parce que les autorités ne voulaient pas renouveler son passeport, c'est en tant que représentant du BP de Revolutionary Workers'League qu'Eiffel s'était réfugié au Mexique et qu'il travailla dans notre organisation.
Pour toute réponse à notre enquête, à notre demande loyale d'explications, comme il se doit entre organisations ouvrières, la Ligue a répondu par de nouvelles calomnies, combinées à une dénonciation à la police puisque dans sa revue "IVème Internationale", elle donne le nom du camarade, sa nationalité et son pseudonyme politique.
Nous sommes de plus accusés en tant qu'organisation d'être entretenus par les soins d'Hitler et de Staline.
Nous savons que de telles méthodes sont le lot d'organisations qui n'ont plus rien de prolétarien. Ce sont des méthodes staliniennes, des méthodes qu'employèrent auparavant les social-démocrates dans la lutte contre l'avant-garde révolutionnaire, contre les internationalistes. Que la Ligue Communiste s'engage dans cette voie est le signe d'une dégénérescence politique qui n'ose pas affronter la lumière d'une explication franche et honnête des divergences existant entre deux organisations. Nous nous efforcerons maintenant de donner le contenu de nos divergences.
Depuis l'arrivée de Trotsky au Mexique, la Ligue a cessé ses attaques contre le gouvernement de Cardenas, elle en assure même la défense. Elle qualifie le gouvernement "d'anti-impérialiste", "d'anti-fasciste", de "progressiste" etc.. Voyant le danger d'une telle politique qui ramenait l'avant-garde au niveau du stalinisme, le camarade Daniel Ayala, alors membre de la Ligue mexicaine, avait demandé que la Ligue ne se considère pas liée par le compromis nécessaire que Trotsky avait dû passer pour obtenir le droit d'asile et qu'elle délivre également Trotsky de ses liens politiques avec l'organisation - le devoir évident pour toute organisation ouvrière, c'est de combattre pour le droit d'asile au camarade Trotsky, sans changer une seule ligne de sa doctrine, de sa propagande.
La Ligue Communiste ne l'a pas compris ainsi et en prenant la responsabilité des actes de Trotsky, elle donne au gouvernement la possibilité d'expulser ce camarade quand l'activité de la Ligue ne lui conviendra pas. Notre proposition comportait donc pour Trotsky une garantie de plus et permettait à la Ligue de conserver son entière indépendance idéologique. Daniel Alaya est devenu membre du Groupe des Travailleurs Marxistes et accusé de provocations, d'agent de la Gépéou, par la section mexicaine de la 4ème Internationale. Depuis, la nouvelle politique de la Ligue au Mexique rejoint celle du stalinisme, à part 1' argumentation théorique différente - un exemple ; Diego Riviéra, un des leaders de la Ligue parle ouvertement de la nécessite pour les travailleurs de défendre "l'indépendance de notre pays" (Excelsior, 3.9.1937). Les trotskystes rejoignent le social-patriotisme, même s'ils lui assignent le but de "défendre l'indépendance de notre pays" contre les tentatives de "soumettre l'administration de notre pays à Moscou". (Excelsior, 3.9.1937).
Dans notre tract du mois de mai 1937 sur le massacre de Barcelone, nous disions : "toutes les organisations syndicales et politiques du Mexique appuient l'envoi d'armes par le gouvernement de Cardenas aux assassins de nos camarades de Barcelone". Nous portions ce jugement et sur le Parti communiste et sur la Ligue, parce qu'ils font partie tous deux intégrante du front unique anti-fasciste dont la fonction est de détruire 1'indépendance idéologique des organisations ouvrières et les incorporer à l'Etat bourgeois.
Auparavant, la Ligue combattait les staliniens pour l'appui qu'ils donnaient au gouvernement Cardenas, dont elle disait qu'"il est en réalité la dictature des capitalistes sous une forme camouflée" et qu'"il représente les intérêts du capital yankee. L'unique raison de son existence, c'est de maintenir le système d'oppression en usant de phrases radicales". Depuis l'arrivée de Trotsky, la Ligue renonce à cette juste conception marxiste des Etats démocratiques bourgeois et agit comme si le gouvernement se tenait au dessus des classes. Les mots d'ordre de la Ligue font écho à ceux qu'on peut lire sur les manchettes de la presse stalinienne : "Le gouvernement doit mettre fin aux abus des capitalistes" ; "Il faut combattre la passivité du gouvernement" ; etc.
Sur la guerre d'Espagne, la Ligue critique l'appui des staliniens au gouvernement démocratique bourgeois, mais elle s'associe à cette trahison parce qu'elle n'explique pas aux ouvriers que la guerre d'Espagne est devenue impérialiste. Au contraire, elle tient le langage des staliniens quand elle dit qu'il est nécessaire de combattre sur le front.
Nous sommes contre l'appui au pouvoir républicain, mais non pour soutenir le pouvoir de Franco. Nous n'acceptons pas l'alternative "avec Azana ou avec Franco". Au contraire, nous pensons que l'unique façon de battre le fascisme, c'est d'abord pour les ouvriers de briser la discipline des oppresseurs "démocrates" parce que le seul front où puisse triompher le prolétariat, c'est le front de classe. La guerre en Espagne, comme toutes les guerres qui sont conduites par la bourgeoisie est une guerre impérialiste et non une guerre civile ; par conséquent, ceux qui recommandent aux ouvriers de donner leur appui à cette guerre trahissent les véritables intérêts de la classe opprimée. C'est seulement en suivant la politique des bolcheviks et autres marxistes révolutionnaires durant la guerre mondiale que les travailleurs pourraient faire leur révolution, en s'insurgeant contre leurs propres généraux et en fraternisant avec les soldats de Franco. C'est la seule manière pour convertir la guerre impérialiste actuelle en guerre civile.
Lénine, Liebknecht travaillèrent pour la défaite de "leur propre gouvernement", c'est-à-dire de la bourgeoisie et pour le triomphe du prolétariat. En Russie, la révolution triompha sur la base de la défaite du gouvernement russe. Mais les révolutionnaires russes utilisèrent cette défaite pour faire la révolution prolétarienne non seulement en Russie mais aussi en Allemagne. La même chose se produirait en Espagne. La rébellion des soldats d'Azana serait le signal de la rébellion pour les soldats qui sont sous la domination de Franco. C'est le seul moyen de faire surgir la révolution prolétarienne de l'actuelle guerre impérialiste. Ceux qui disent au contraire que la révolution surgira à la suite du triomphe du gouvernement Azana, ceux-là mentent ! Ce qui suivra la victoire du gouvernement républicain sera une oppression terrible pour les ouvriers et les paysans d'Espagne, une oppression bien plus sanglante que le massacre des ouvriers de Barcelone par le général démocrate Pezas.
Oubliant ce qu'il avait dit pendant plusieurs années sur la révolution chinoise, Trotsky affirme aujourd'hui qu'en Chine "Toutes les organisations ouvrières… accomplirent leur devoir jusqu'à la fin de la guerre de libération". Aujourd'hui, Tchang-Kaï-Chek est le héros de la guerre de libération et les ouvriers ont le devoir d'appuyer cette guerre. Mais Trotsky ne nous explique pas comment une guerre sous la direction de la bourgeoisie peut être une guerre de "libération".
Staline dit aussi que les ouvriers chinois "accompliront leur devoir jusqu'à la fin de la guerre de libération sans prendre en considération son programme et son indépendance politique". Tandis que Trotsky affirme qu'ils doivent accomplir leur devoir "sans abandonner d'une façon absolue leur programme et leur indépendance politique". Trotsky parle de lutte indépendante en même temps qu'il l'abandonne en fait. Il vaut la peine d'attirer l'attention sur le petit fait suivant. Une note insérée dans le n°13 de la revue "IVé Internationale" rectifie une erreur glissée dans le texte de l'article que Trotsky avait donné au journal de Mexico "Excelsior" sur la guerre de Chine, où les mots "sans abandonner absolument" avaient été remplacés par les termes staliniens "sans prendre en considération, etc.". Ce qu'il y a de grave et de piquant, c'est que la revue "IVè Internationale" ait reproduit sans rectifier la même version de l'article de Trotsky. Si les leaders eux-mêmes confondent les versions stalinienne et trotskyste, comment les ouvriers pourraient-ils s'y reconnaître en fin de compte ?
Dans le cas de la Chine comme celui de l'Espagne, les ouvriers ne retiendront qu'une chose : en leur demandant d'accomplir leur devoir, la Ligue et le Parti Communiste leur demandent d'abandonner leur propre lutte pour donner l'appui à la bourgeoisie "libératrice", "anti-impérialiste", "démocratique", etc.
L'unique sauvegarde pour les ouvriers et les paysans chinois, c'est de lutter comme force indépendante contre les deux gouvernements. En organisant la lutte contre leur propre bourgeoisie, les révolutionnaires chinois lèveront les germes de la révolte contre le gouvernement japonais, et de la fraternisation des ouvriers et des paysans des deux pays surgira la révolution prolétarienne. Si les révolutionnaires s'unissent avec la bourgeoisie pour défendre la patrie jusqu'à la fin de la guerre, comme le conseillent Staline et Trotsky, ils favorisent la destruction de la fleur du prolétariat et des paysans des deux pays et, en fin de compte, les deux bourgeoisies adverses sauront trouver Un accord pour assurer en commun l'exploitation des masses chinoises.
Dans toutes les situations, notre position se base sur un seul critère : l'intérêt de classe du prolétariat exige son indépendance absolue ; son unique sauvegarde, c'est la révolution prolétarienne. Toutes les "guerres de libération" et toutes les "guerres anti-fascistes" sont au fond dirigées contre la révolution prolétarienne. Donner son appui à de telles guerres équivaut à lutter contre la révolution prolétarienne.
Les camarades du Groupe des Travailleurs Marxistes concluent qu'ils ne sont ni agents d'Hitler, ni de Mussolini, ni de Staline. Ils prétendent rester des marxistes conséquents, alors que sur les questions fondamentales qui départagent le mouvement ouvrier, les staliniens et les trotskystes se trouvent du même bord.
Jamais le mouvement communiste n'a été si effondré et si corrompu que dans ces moments. Il y a longtemps que les dénommés "communistes", stalinistes et trotskystes, ont abandonné le chemin communiste, capitulant devant les fétiches de notre ennemi de classe : la démocratie et le patrie. De vrais communistes, il y a seulement quelques groupes dans quelques pays, comme la "Fraction Italienne de la Gauche Communiste", qui se prépare dans l'exil pour le jour de la révolution prolétarienne dans son pays et une autre "fraction", avec une position politique semblable en Belgique. C'est le travail de ces deux groupes qui nous a inspiré dans notre effort de créer au Mexique un noyau communiste.
Au mois de mai de l'année dernière, nous avions à peine commencé les premières conservations entre plusieurs camarades, la majorité des membres ou ex-membres de la "Ligue Communiste Internationaliste", quand le massacre de nos frères de classe, à Barcelone, par les bourreaux du gouvernement "ouvriériste" d'Azana et Companys nous obligea à lancer une première publication : notre tract intitulé -; "Le massacre de Barcelone, une leçon pour les travailleurs du Mexique". Nous affirmons dans ce tract notre opposition de principe contre la participation des organismes ouvriers dans la guerre en Espagne, que l'on doit caractériser, des deux cotés, comme une guerre impérialiste et nous lançons le mot d'ordre de “défaitisme révolutionnaire” comme l'unique mot d'ordre qui peut séparer le prolétariat de "sa" bourgeoisie et l'amener à la révolution.
En même temps, nous dénonçons la complicité du gouvernement "ouvriériste" du Mexique et de toutes les organisations ouvrières du pays dans la tuerie de nos frères de classe en Espagne. Mais ces bases n'avaient pas quelque chose de spécial au Mexique. Au contraire, elles étaient communes au mouvement communiste dans tous les pays coloniaux et semi coloniaux, comme le démontra avec clarté la déroute de la révolution prolétarienne en Chine. Ces bases fausses avaient pour origine l'état inachevé et en partie incorrect dans lequel l'Internationale Communiste laissa le problème de la lutte prolétarienne dans des pays comme le Mexique ou la Chine.
Notre première tâche, par conséquent, est l'étude critique des positions de l'Internationale Communiste (naturellement pas de l'actuelle qui de communisme n'a plus que le nom mais de celle du temps de Lénine) au sujet de la tactique à suivre dans les pays coloniaux et semi coloniaux. A la seule condition d'accomplir cette tâche, nous pourrons créer des bases solides pour le futur Parti Communiste du Mexique.
En partant des mêmes bases marxistes que celles dont partirent Lénine et les autres communistes de cette époque, mais en tirant les leçons des grandes expériences prolétariennes postérieures, en premier lieu de celle de la révolution chinoise de 1926-1928, nous allons réviser les conclusions tactiques auxquelles aboutirent ces camarades. En d'autres mots, publier une nouvelle thèse sur la lutte dans les pays coloniaux et semi coloniaux est notre tâche la plus urgente. Si nous ne l'avons pas encore accomplie, cela est dû en premier lieu à notre nombre encore assez réduit et à notre manque d'expérience dans un tel travail théorique. C'est la première fois, au Mexique, qu'un groupe de travailleurs attaque les problèmes du pays, d'une manière indépendante, unique et exclusivement du point de vue classiste. Nos amis, au Mexique ou ailleurs doivent être indulgents sur la lenteur ou l'imperfection avec laquelle nous accomplissons cette tâche.
Pendant que se poursuit dans notre groupe la discussion sur les problèmes fondamentaux de la révolution prolétarienne au Mexique, les évènements du jour, comme la "nationalisation" du pétrole, nous obligent et en même temps nous permettent d'attaquer quelques points de ces problèmes bien avant d'arriver à une position complète, que l'on doit chercher dans une étude analytique de toute l'histoire du mouvement ouvrier au Mexique et dans d'autres pays à structure sociale semblable. Dans ce sens nous commençons dans le premier numéro de notre revue "Communismo", la discussion des principes fondamentaux de notre lutte, discussion qui est indispensable pour fonder le futur Parti de la révolution prolétarienne sur des bases solides et vraiment marxistes. Pour ce travail, nous invitons tous les camarades du Mexique et de l'étranger à coopérer.
Nous concluons en affirmant l'urgence de commencer le travail pour préparer les bases programmatiques et organisationnelles pour un nouveau Parti Communiste au Mexique, complètement indépendant de tous les courants qui, à l’intérieur du mouvement ouvrier représentent consciemment ou inconsciemment les intérêts de notre ennemi de classe.
La publication de ce tract, dictée par notre désir de réveiller la conscience prolétarienne contre le massacre à Barcelone et en Espagne en général, mais prématurée car, à cette époque, nous n'avions pas encore une position claire sur les problèmes de notre pays, eut un effet double :
D'un côté, elle provoqua contre notre groupe une furieuse campagne de calomnies de la part de Léon Trotsky et de la dénommée "Ligue Communiste Internationaliste, nous traitant "d'agents du fascisme", dénonçant à la police les camarades qui partagèrent notre point de vue.
D'un autre côté, notre premier tract nous apporta la solidarité du prolétariat de deux pays : les "Fractions Italiennes et belges de la Gauche Communiste", qui non seulement nous défendirent contre ces accusations mais publièrent des traductions du texte intégral de notre tract dans leurs revues "PROMETEO" (en italien) et "BILAN" (en français) et "COMMUNISME" (en français aussi), exprimant leur satisfaction qu'enfin soient apparus au Mexique les premiers "rayons de lumière".
Stimulés par cet appui international et par les lettres que nous envoyèrent les camarades italiens et belges, nous essayions d'accélérer la discussion déjà commencée à l'intérieur de notre groupe en formation; mais les difficultés politiques et personnelles que nous créèrent les accusations et les dénonciations des trotskystes furent si graves que nous perdîmes des mois entiers à notre autodéfense.
A la fin, nous avons pu avancer du travail négatif au travail positif. Ce fut plus difficile que nous ne l'avions pensé. La raison fondamentale est qu'en réalité, dans notre pays, les problèmes de la révolution prolétarienne n'ont jamais été posés dans la forme correcte. Pendant tout le temps de l'existence d'un mouvement communiste au Mexique, celui-ci était envenimé par l'idée de la coopération avec la bourgeoisie "anti-impérialiste" et "progressiste" du pays.
Notre travail, par conséquent, peut se baser sur des expériences positives du prolétariat mexicain, car il n'y en a pas. Au contraire, il doit commencer avec la critique marxiste des Bases fausses sur lesquelles s'est construit dans le passé le mouvement communiste au Mexique.
Une autre question, l'Etat dans la période de transition du capitalisme au communisme, constitue un sujet important de discussion au congrès, considérant que le problème n'a pas été entièrement "résolu" par l'expérience de la classe ouvrière, comme par exemple, la nature des syndicats dans la décadence du capitalisme, que le prolétariat a dû affronter bien des fois comme des appendices réactionnaires de l'Etat capitaliste. Les révolutionnaires doivent donc consacrer une partie de leurs efforts à clarifier la nature de phase post-révolutionnaire de la lutte du prolétariat, en se basant le plus possible sur l'expérience limitée de la classe, en particulier de la révolution russe. Quoique ce soit seulement la classe ouvrière qui, à travers son expérience pratique puisse résoudre le problème de la période de transition, le prolétariat et ses minorités révolutionnaires doivent théoriquement se préparer aujourd'hui pour cette tâche formidable et à peine comprise qui devra être réalisée dans l'avenir. Le texte du congrès que nous publions dans cette revue, traite de la situation actuelle en Grande-Bretagne. Il est une contribution à l'une des tâches de WR et de tout, le courant: analyser constamment la période actuelle en relation avec les tendances générales du capitalisme décadent. Ce n'est pas par souci académique mais pour rendre concret dans notre intervention dans la classe ouvrière, le contexte de notre orientation politique fondamentale, l'évolution de la situation mondiale vers l'alternative guerre ou révolution, l'incapacité de la bourgeoisie à contrecarrer la crise au niveau politique et économique, la nature des mystifications, en particulier celle de la gauche, et les étapes du développement de la lutte du prolétariat vers la révolution. Un des aspects les plus importants du texte réside dans la tentative de voir la situation britannique dans le cadre international, en se référant aux tendances décrites ci-dessus et qui ont déjà été développées dans les numéros précédents de la Revue Internationale. Nous cherchons toujours à analyser en détail l'évolution de la situation présente de la façon la plus claire et la plus précise possible, en se rappelant qu'elle est un guide pour l'action du prolétariat. Ceci constitue, sous bien des aspects, un appel aux révolutionnaires à comprendre l'urgence de leurs tâches et la nécessité de redoubler les efforts car demain nos analyses seront un instrument politique dans les mains de la classe quand elle influencera directement l'histoire de façon décisive.
Dans les 14 années qui vont de 1953 à 1967, l’inflation était en moyenne de 2% par an dans les onze principaux pays industriels du monde. Dans les années 1973-1975, elle était en moyenne de 13%. Dans les années soixante, la production mondiale a augmenté de 6 à7 % par an. Mais, en 1974, la production globale a stagné et a diminué de 10% en 1975. Le volume du commerce mondial augmentait en moyenne de 9% de 1964 à 1974, mais lui aussi a chuté d'environ 6% en 1975.
Cela a entraîné l'augmentation du chômage qui s'est élevé au chiffre officiel de 5,25% de la population active des pays développés, dépassant ainsi du double le taux du "boum" de l'après-guerre. Voici quelques-uns des chiffres clés qui mettent en lumière la gravité de la crise économique qui se développe depuis 1968. Cette crise est due à la réapparition du problème de la saturation du marché mondial, elle marque la fin de la période de reconstruction et met en lumière, une fois de plus la mortalité du système capitaliste.
En 1976 et dans les premiers mois de 1977, nous avons pu voir que la soi-disant reprise, qui était supposée avoir mis fin à la récession de 1975, s'essoufflait immédiatement. Cette "reprise" était fondée sur les bases peu solides que sont la politique de re-stockage et une augmentation de la consommation et elle a donc échoué puis qu'elle ne pouvait influer sur les causes profondes de la crise économique. Le commerce mondial stagnant ne s'est pas véritablement relevé et la croissance industrielle n'a pas fait mieux prouvant que le modeste objectif de 5% calculé par l'OCDE en juillet 1976 était trop optimiste. C'est un taux de croissance de 3,25% qui est dorénavant prévu pour 1977. Ce qui est important, c'est qu'aucune action n'a été engagée à l'égard des aspects fondamentaux des crises capitalistes la sous-utilisation des forces productives et de la force de travail. Au contraire, même pendant la dernière reprise, un processus de rationalisation a été entrepris sur toute l'économie pour réduire autant que possible les coûts de production et de travail.
Il est de plus en plus ridicule de supposer que la politique keynésienne mise au point pour traiter des problèmes de l'économie dans un passé récent, puisse résoudre la crise d'aujourd'hui. D'un côté, la bourgeoisie est maintenant terrifiée par la perspective de la reflation : stimuler la production par d'énormes déficits ne peut que mener à une inflation encore plus désastreuse qu'aujourd'hui sans l'élargissement mondial. Mais d'un autre côté la déflation, par le moyen d'une restriction des crédits, est également alarmante pour la classe dominante. L'économie capitaliste ne peut fonctionner qu'en ayant la rentabilité pour but. Prévoir une expansion faible ou nulle ne peut qu'entraîner une diminution de la "confiance dans les affaires la chute des investissements et, en conséquence, la banqueroute définitive du système. Tracer un chemin entre ces deux maux devient de plus en plus difficile car la profondeur de la crise réduit 1es possibilités offertes à la bourgeoisie.
Un retour au protectionnisme à travers un renforcement de l'étatisation de chaque capital national, c'est-à-dire la politique qui mène à la guerre généralisée, telle est à long terme la seule voie de la bourgeoisie. Les USA vont essayer de préserver, le plus longtemps possible la cohésion du bloc américain, qu'une politique d'autarcie de chaque nation menacerait. Il semble que les USA vont tenter d'utiliser la force relative de l'économie allemande et japonaise pour soutenir les nations plus faibles, comme la Grande-Bretagne, l'Italie, ce qui aura pour corollaire de renforcer encore le capital américain. Déjà des appels sont lancés aux allemands et aux. japonais pour qu'ils développent leur marché intérieur afin de sauver les exportations des pays faibles. Des pourparlers ont aussi commencé, concernant la formation d'un "club de créditeurs", financé par les capitaux forts pour prêter aux économies faibles. Mais même cette stratégie va tôt ou tard s'effondrer. Les surplus commerciaux des économies fortes, avoisinant 4,50 milliards de dollars en 1976, ne peuvent éponger les déficits des faibles qui ont atteint 27 milliards de dollars en 1976. (De plus, nous ne parlons pas des déficits du tiers-monde qui a atteint le chiffre de 24 milliards de dollars en 1976 ni de ceux du bloc soviétique qui a accumulé une dette de 48,5 milliards de dollars).
L'approfondissement de la crise économique va continuer à exacerber les rivalités inter impérialistes entre les blocs américain et soviétique. A un autre niveau, les contradictions entre les intérêts de chaque nation d'un même bloc et ceux de l'ensemble du bloc, entre les secteurs dynamiques et les secteurs retardataires de chaque économie vont s'aggraver. La conséquence la plus importante de la crise sera la détérioration de l'équilibre entre les classes. Mais le calme qui existe encore aujourd'hui dans la lutte de classe nous oblige à nous pencher sur les deux premiers facteurs.
Dans la sphère de la politique internationale, nous venons de voir la tension monter en Afrique Australe. Les voyages de Castro et de Podgorny dans les Etats de la "ligne de front" de l'Afrique Australe et l'aide militaire qui accompagne chacun de ces voyages et l'invasion du Zaïre, sans aucun doute Inspirée par les russes, indiquent les manoeuvres de l'URSS dans cette région du monde. Ce qui caractérise de telles manoeuvres, c'est la tentative de s'attaquer à la supériorité politique et militaire des USA par des moyens militaires et de déstabiliser la situation existante. D'un autre côté, les USA sont en train d'essayer de garder les Etats-clients - la Rhodésie et l'Afrique du Sud - en maintenant une situation stable, à travers l'utilisation des pressions économiques et politiques pour passer graduellement à la domination de la majorité noire. C'est la signification de l'embargo récent des USA sur les exportations rhodésiennes et la résolution de l'ONU inspirée par les USA contre l'apartheid en Afrique du Sud, mais en dépit des manoeuvres des deux blocs impérialistes dans ce continent, la situation reste en équilibre pour le moment.
L'importance attachée par les USA et la Russie à l'Afrique Australe et au Proche-Orient plutôt qu'au Sud-est Asiatique montre l'intensification de la lutte inter impérialiste dans des endroits qui seront cruciaux dans un troisième carnage inter impérialiste mondial.
Tous les pourparlers sur la limitation des armements stratégiques et sur le danger de prolifération des armes nucléaires, qui sont assez à la mode dans la bourgeoisie, ne peuvent cacher le volume croissant et la sophistication des armements nucléaires détenus et développés par les super-puissances. La cynique défense des "droits de l'homme" par Carter vis à vis du bloc soviétique n'est rien d'autre que le coup d'envoi d'une nouvelle phase de la guerre froide et une voie détournée pour éviter un accord sur l'armement avec les russes. Brejnev a déjà averti les USA de ne pas s'occuper des affaires russes et proclame que Carter met en danger la soi-disant détente. Considérant que les USA ont maintenant besoin de la gauche comme allié dans les pays occidentaux, la cause des "droits de l'homme" - au contraire de "l'anti-communisme", est la plus appropriée pour sa propagande de guerre contre la Russie. La Russie veut éviter la pression politique que son asservissement économique au bloc occidental crée déjà.
La tentative du bloc américain de se renforcer en Europe continue. Nous avons déjà montré que les USA vont augmenter leur emprise économique sur les pays satellites d'Europe. Ceci permet dans une large mesure de superviser les équipes politiques qui seront obligées de mettre en application les mesures économiques. Toutefois ce déroulement des évènements a entraîné des tensions accrues entre les intérêts des USA et ceux de certains pays d'Europe. Face à la crise économique, chaque capital national a intérêt à étatiser l'économie le plus possible, et ceci de façon à non seulement centraliser et concentrer encore plus le capital national mais aussi à faciliter une plus grande exploitation et mystification de la classe ouvrière. Ce dernier objectif est facilité par le fait que les fractions politiques favorisant le capitalisme d'Etat sont le plus souvent de gauche et ont un langage "socialiste". Cependant, comme les faits récents en Espagne, Portugal et Italie l'ont montré, certaines de ces équipes de gauche n'ont pas la confiance des USA ni celle d'importantes fractions de la bourgeoisie locale. Les PC qui sont les plus puissants partis de gauche dans ces pays menacent les secteurs arriérés de la bourgeoisie liés aux USA et ont une affinité (bien qu'affaiblie) avec le bloc soviétique dans leur orientation internationale. Donc, dans ces pays, il y a une grave crise politique principalement due au fait que la solution satisfaisante qui doit être trouvée, doit répondre à la fois aux intérêts des blocs et à ceux du capital national. Cette crise s'intensifie d'autant plus que la situation économique de ces pays se détériore et que la lutte de classe semble s'intensifier. La grande révolte des étudiants en Italie est un symptôme de la décomposition à la fois économique et politique dans ce pays. Mais en dépit de la crise politique en Europe, les USA sont de plus en plus conscients que seule la gauche peut être une garantie de la paix sociale et de la cohésion économique et est donc l'instrument le plus adéquat pour assurer leur hégémonie en Europe.
Par contre, la victoire de la gauche aux municipales en France qui précède sa victoire probable aux élections législatives, semble montrer le chemin de la solution la plus adéquate pour la bourgeoisie nationale et l'ensemble du bloc américain. Ceci déjà parce que le PS de Mitterrand, force dominante de la coalition, est atlantiste, qu'il se chargera probablement d'étatiser graduellement la société et qu'il a le potentiel idéologique adéquat pour mystifier la classe ouvrière.
Dans le bloc soviétique, les tentatives de la bourgeoisie pour maintenir sa cohésion interne avec ses satellites se sont heurtées à des difficultés, l'année dernière. Dans ces pays, le fait que la vie politique et économique ait déjà été absorbée par l'Etat signifie que la bourgeoisie a un champ de manoeuvre très restreint contre la crise actuelle. L'incapacité de la bourgeoisie polonaise, par exemple, de persuader la classe ouvrière d'accepter la hausse brutale des prix en 1976, indique la rigidité extrême des régimes du bloc soviétique, et la profondeur de la crise politique qu'ils ont à supporter comme résultat. En Tchécoslovaquie, les bureaucrates et les gauchistes dissidents du parti donnent à la fraction de la bourgeoisie au pouvoir de sérieuses migraines. La "Démocratie" qu'ils défendent, amènerait, si elle était acceptée, sans aucun doute l'éclatement de la cohésion du bloc soviétique dans son ensemble et de l'appareil d'Etat. Le fait que le mouvement de la Charte 77 coïncide avec la propagande américaine sur les libertés civiles, augmente le danger que représente ce mouvement bourgeois dissident pour les intérêts du bloc soviétique. L'évidente incapacité dans laquelle se trouve la classe dominante tchèque de se servir de ces dissensions (qui se considèrent elles-mêmes comme une arme contre le danger prolétarien), pour mystifier la classe, éclaire sur la banqueroute politique du bloc soviétique.
Les imbroglios de la démocratie bourgeoise dans les dernières élections en Inde ou au Pakistan montrent l'extrême faiblesse de la bourgeoisie dans le tiers-monde alors qu'elle est durement secouée par la crise. Alors que le parti populaire pakistanais de Bhutto et le parti du Congrès de Gandhi sont réellement les forces les plus aptes à gouverner, la force des secteurs de la bourgeoisie moins viables politiquement qui constituaient l'opposition dans ces deux pays, était telle que, dans le cas du Pakistan, il n'a pas pu être écarté ni neutralisé sans que les élections soient manipulées et faussées et que la fraction dominante fasse appel à la force armée pour préserver son pouvoir. En Inde, le fait que l'opposition soit parvenue à ses fins, signifie qu'une période de dislocation politique est à l'ordre du jour dans ce pays, et qu'en conséquence un retour vers le renforcement de l'Etat, en particulier de l'armée, en sera un résultat inévitable à long terme.
Les évènements en Chine de l'année dernière ont aussi montré la fragilité des pays du tiers-monde et des pays "socialistes". L'élimination du secteur le plus arriéré de la bourgeoisie chinoise, les radicaux qui soutenaient l'indépendance nationale, économique, sociale et militaire ne s'est pas achevée sans de violentes secousses dans l'appareil du parti (comme en témoigne la vague d'exécutions ayant lieu actuellement) ni sans l'utilisation de l'armée pour mater la rébellion dans le pays. L'incapacité de la bourgeoisie chinoise à concilier ses différents d'une manière stable et qui va continuer malgré la victoire des "progressistes", proaméricains modérés, montre avec certitude que des convulsions extrêmes auront lieu dans l'appareil politique au fur et à mesure que la crise s'aggravera et que la classe ouvrière reprendra le chemin de la lutte. Par l'intégration plus grande de la Chine et de l'Inde dans le bloc américain, résultat des récents évènements, aggrave les échecs dont l'URSS souffre sur l'arène mondiale.
Depuis 1972, la balance commerciale du capital britannique n'est plus excédentaire. Vers l'automne 1976, à la suite d'une forte"course à la livre", celle-ci avait perdu 44,7 de sa valeur d'avant 1967. Le ministre de l'Economie et des Finances, Denis Healy devait faire appel au bloc US, au travers du FMI, pour un prêt de 3,9 milliards de dollars pour préserver la vie de l'économie britannique. Inévitablement, des conditions ont accompagné ce prêt, conditions qui semblent exprimer une stratégie économique et politique dans l'ensemble du bloc américain. Cette stratégie, à son tour, est le reflet du processus de renforcement interne du bloc impérialiste. Au niveau économique, une politique déflationniste était "conseillée", à savoir :
La stratégie comprenant ces éléments a été clairement conçue dans le sens d'une acceptation d'un affaiblissement continuel de la position compétitive de la Grande-Bretagne sur le marché mondial et pour préserver un maillon de la chaîne capitaliste européenne.
Au niveau politique, un soutien implicite a été donné au gouvernement centre-gauche de Callaghan et de Healy parce que tout en mettant en place la politique économique mentionnée, il allait :
Toutefois, une telle situation politique et économique ne coïncide pas nécessairement avec les intérêts strictement nationaux de la bourgeoisie britannique qui, à long terme, sont de créer une économie complètement étatisée derrière laquelle la classe ouvrière puisse être mobilisée par une équipe de gauche.
Les contradictions entre les intérêts du bloc impérialiste et de la nation font surgir d'immenses problèmes auxquels se trouve confrontée l'équipe de Callaghan aujourd'hui. La politique déflationniste imposée par le FMI n'améliore pas de manière significative la situation économique britannique qui va probablement empirer en 1977 lorsque les pleins effets de la dévaluation de la livre se feront sentir. Les mesures pour centraliser l'économie et la vie politique dans les mains de l'Etat, mesures qui vont fournir un cadre à long terme pour faire face à la crise n'ont pas lieu très rapidement. En fin de compte, l'équilibre entre les classes et le contrat social sur lequel il est basé, commence à s'effondrer.
Les tentatives que l'actuel gouvernement travailliste a faites pour nationaliser certains secteurs de l'industrie et éliminer les éléments parasites de l'appareil politique et économique, bien qu'assez mitigées, ont cependant rencontré de nombreux obstacles. Le vote sur les nationalisations des chantiers navals a été arrêté par l'opposition de la Chambre des Lords et vient juste de passer maintenant que les conservateurs se sont assurés que l'industrie de réparation des bateaux, encore bénéficiaire, resterait dans les mains du secteur privé. Le rapport Billock, ainsi qu'un plan ingénieux pour étatiser l'industrie avec l'aide des syndicats, ont été finalement mis au rancart après une forte opposition de la part des secteurs traditionnels de la bourgeoisie et des partis de droite. Des mesures pour restreindre l'activité des conservateurs à la Chambre des Lords et nationaliser les banques, sont loin d'être mises en place et de devenir effectives. L'arrêt de ces mesures n'est pas seulement le résultat de la nature modérée du gouvernement travailliste mais aussi de la force électorale des secteurs les plus arriérés de la bourgeoisie. Maintenant, les travaillistes n'ont plus la majorité au Parlement et le gouvernement est obligé de faire une quasi coalition avec l'aile droite : le parti libéral. Cela va sans aucun doute retarder la politique d'étatisation.
Le gouvernement travailliste et ses représentants dans la classe ouvrière- les syndicats - arrivent de plus en plus difficilement à maintenir le contrat social. Les marins lui ont déjà montré leur hostilité en août, l'année dernière, les mineurs et les cheminots semblent aussi promettre de le rejeter dans le futur, les ouvriers de l'industrie automobile, particulièrement, British Leyland, la grande compagnie subventionnée par l'Etat, se sont souvent mis en grève contre les effets du contrat. Alors que la raison mise en avant pour les quatre semaines de débrayage par les outilleurs de British Leyland, était le maintien de droits de négociations différenciés et séparés, sa cause profonde était l'appauvrissement que le blocage des salaires impose à l'ensemble de la classe. Bien que le débrayage ait été contenu par les shop stewards qui ont empêché la généralisation de la grève et le dépassement des préoccupations professionnelles, le refus des ouvriers de rentrer au travail pour le "bienfait de l'intérêt national" (B.L symbolise la faiblesse du capital britannique) montre, en dépit de l'alliance ouverte entre les patrons et les syndicats et l'Etat, la capacité de lutter que la classe promet pour l'avenir.
Tous les principaux syndicats ont été obligés, sentant le mécontentement de la classe, de proclamer leur opposition ou leur doute envers le succès de la troisième phase du contrat social et de jouer serré. Le TUC dans son ensemble a refusé de se compromettre avec la troisième phase jusqu'à ce qu'il puisse voir le contenu du budget des finances, mais considérant que le contrat social est un pilier vital pour la survie de l'économie britannique, il est donc essentiel qu'il dure. Cependant, la bourgeoisie est déjà consciente que des concessions à certains secteurs de travailleurs et une application souple du contrat social à l'avenir sont essentielles si l'on veut la paix sociale.
Les trois axes fondamentaux auxquels se trouve confrontée la bourgeoisie aujourd'hui :
Mais en dépit de ces importants obstacles, la gauche travailliste reste la seule fraction de la bourgeoisie dont les perspectives à long terme puissent maintenir l'ordre capitaliste. Pour cette raison et quelles que soient les difficultés qui existent aujourd'hui, un compromis entre le bloc américain et la gauche travailliste pourrait légitimer cette dernière pour le pouvoir dans des perspectives à long terme.
L'adoption de la récente quasi coalition avec les libéraux, premier mouvement dans cette direction depuis la guerre, est le signe de la crise politique qui va de plus en plus affecter la bourgeoisie britannique. A court terme, le "compromis" avec les libéraux signifie un mouvement à droite et une augmentation des difficultés pour préparer lentement une équipe gouvernementale de la gauche travailliste. Il est donc probable que cette dernière prenne le pouvoir dans le futur en réponse au resurgissement de la classe et à l'incapacité de l'équipe actuelle d'y faire face. Cependant, aujourd'hui et dans un avenir immédiat, le régime Callaghan constitue la fraction gouvernementale la plus adaptée. Le pacte libéraux-travaillistes est un signe qu'en dépit de l'impopularité électorale du gouvernement ; la bourgeoisie comprend la nécessité qu'il reste au pouvoir.
La situation en Irlande du Nord est sans aucun doute un obstacle aux efforts de la bourgeoisie britannique pour faire face à la crise. Non seulement, les groupes terroristes rivaux mais aussi les partis parlementaires résistent au pouvoir centralisé de l'Etat britannique. Les infructueuses campagnes terroristes imposent de sévères restrictions de la production dans le nord et la présence continue de l'armée britannique est une saignée sur les ressources militaires de la Grande-Bretagne, qui doivent, de plus, être restreintes pour remplir ses obligations à l'égard de l'OTAN.
La révélation du "sale travail" fait par l'armée en Irlande du Nord et les promesses de Carter pour arrêter l'argent allant des USA à l'IRA semblent montrer que la bourgeoisie envisage un retrait ou une diminution de la présence de troupes britanniques en Irlande du Nord.
Les attaques contre le niveau de vie et les salaires de la classe constituent les "solutions" les plus importantes de la bourgeoisie à la crise parce que, premièrement c'est un moyen essentiel de réduire le prix des denrées vendues sur le marché et deuxièmement cela l'aide à préparer la classe à des sacrifices pour la nation et finalement à la mobilisation pour la guerre. La première vague de lutte de classe depuis 1968 était une réponse élémentaire du prolétariat aux premières atteintes de la crise sur son niveau de vie. Elle a pris les partis de gauche du capital et les syndicats au dépourvu et les a dépassés un moment. Depuis, la bourgeoisie a regagné du terrain en utilisant dans la plupart des cas ces ennemis les plus implacables de la classe ouvrière que sont les équipes de gauche au pouvoir qui ont persuadé, jusqu'à un certain degré, la classe d'accepter l'austérité "pour le bien du pays" et les syndicats qui ont fidèlement cloisonné la lutte dans des limites acceptables. Ceci a amené un certain reflux pendant lequel la classe a été obligée d'approfondir sa conscience de la situation présente. Ce moment de basse activité est donc, en partie une réponse à la perception implicite que les luttes économiques sont de moins en moins payantes et que seuls la généralisation et l'approfondissement de la lutte peuvent amener des avantages. En même temps, un tel chemin implique aujourd'hui une confrontation consciente avec la gauche. Le sentiment de l'immensité d'un tel pas et de ses implications, le commencement d'une véritable guerre de classe a laissé la classe dans un état passif mais non vaincu.
La bourgeoisie, pour l'avenir, en dépit de son adoption de la gauche, a dévoilé plusieurs des possibilités qui lui sont offertes, pour affronter le prolétariat. A cause de 1'approfondissement de la crise, elle est capable de moins de manoeuvres et une fois que la carte de gauche aura été jouée, elle aura utilisé sa source de mystification la plus importante. L'approfondissement constant de la crise mondiale assure que l'immense affrontement entre les classes est à l'ordre du jour dans le futur. La lutte de classe en Pologne et en Espagne en 1976, le surgissement en Egypte et les grèves en Israël cette année et l'activité de la classe en Ethiopie occidentale sont des signes de résurgence du prolétariat après le calme relatif depuis 1972. Les réponses de la bourgeoisie à la crise, ses conflits inter impérialistes, ses tentatives d'étatiser chaque capital national et tout son jeu politique seront interrompus par la reprise de la lutte de classe. La tendance vers la barbarie capitaliste, qui semble être évidente en ce moment, sera éclipsée lorsque la solution du socialisme deviendra une possibilité plus concrète. Aujourd'hui, les révolutionnaires doivent se préparer à la seconde vague de montée des luttes depuis la fin de la période de la contre-révolution.
Dans le texte "Le CWO et les leçons du regroupement des révolutionnaires" (Rint. 9 [184]), nous avons vu comment les positions sectaires adoptées par le CWO le menaient à la désintégration organisationnelle et à un isolement grandissant du mouvement révolutionnaire. Nous allons examiner maintenant comment cet isolement renforce un certain nombre de confusions théoriques importantes qui sont autant de signes de l'impasse politique dans laquelle s'est enfermé le CWO.
Nous ne pouvons nous étendre ici sur toutes les différences que nous avons avec le CWO. En particulier, nous devrons laisser la question des fondements économiques de la décadence à une date ultérieure, tout en reconnaissant pleinement l'importance de discuter de cette question au sein du mouvement ouvrier. Nous n'aborderons pas non plus la question générale de l'organisation des révolutionnaires, parce que nous avons déjà publié une longue critique des conceptions organisationnelles du CWO (WR 6 et RI 27 et 28 ; "Le CWO et la question de l'organisation"). Nous nous occuperons essentiellement des questions soulevées par la "critique" du CWO au CCI ("Les convulsions du CCI" - Revolutionary Perspectives n°4). Cependant, nous ne nous limiterons pas à ce texte. Les "convulsions" qui sont supposées être une explication des relations entre le CCI et le CWO dans le passé et un exposé de la nature "contre-révolutionnaire" du CCI, constituent un bon point de départ pour une critique des erreurs du CWO, parce que c'est une expression significative de l'irresponsabilité et de l'incohérence croissantes de ce groupe.
Nous n'entendons pas disséquer ce texte dans ses moindres détails. En effet, nous avons déjà répondu à la partie du texte qui constitue la version CWO des rapports entre le CWO et le CCI dans l'article de la Rint n°9, qui faisait un bilan de toute l'expérience et en tirait les leçons pour le regroupement des révolutionnaires. Et la récente scission du CWO a succinctement montré que c'est le CWO et non le CCI, dont les pratiques organisationnelles conduisent à toutes sortes de convulsions. De même il serait futile d'essayer de réfuter chaque attaque faite au CCI dans cet article, la plupart étant, si manifestement absurdes qu'elles peuvent être rejetées par une lecture, même superficielle, des textes du CCI. Par exemple, le CCI est accusé (RP n°4, pages 41-42) de voir les causes de la défaite de la Révolution Russe, non pas dans le reflux de la vague révolutionnaire mondiale mais dans "les erreurs idéologiques des ouvriers russes". Et pourtant, chacun des textes produits par le CCI sur la question russe insiste sur le fait que l’ensemble de l’expérience russe ne peut être compris que si on la replace dans le contexte international : on n'a qu'à se référer par exemple à l'article "la dégénérescence de la révolution russe" (Rint n°3), à la plateforme du CCI, etc.
Des accusations inconsidérées et sans fondement de cette sorte, faites sans références exactes, n'ont pas leur place dans la discussion sérieuse entre révolutionnaires. Ce comportement renforce aussi notre conviction que les attaques du CWO aux positions du CCI servent surtout à mettre en lumière les aberrations du CWO lui-même. Nous aborderons trois points importants dans ce débat :
Beaucoup des accusations contre le CCI sur ces questions ont été traitées dans l'article "Le CWO et la question de l'organisation", aussi nous n'entrerons pas très en détail là-dessus. Mais en bref, le CWO affirme la chose suivante : le CCI n'a pas une vision de la crise présente du capitalisme comme d'un processus qui évolue graduellement vers un effondrement et vers une situation révolutionnaire. Ceci parce que nous adhérons à la théorie Luxemburgiste sur "l'opération de la loi de la valeur" (affirmation naïve, puisque la théorie luxemburgiste de l'accumulation et de la crise se base fermement sur la vision marxiste du système salarié en tant qu'expression de la généralisation de la loi de la valeur). De plus, nos erreurs en économie seraient étroitement liées à notre conception "volontariste" de l'organisation : "pour le CCI, parce que les marchés sont saturés, la crise est là et ne s'approfondira pas plus, ne gagnant qu'en extension. Donc, pour lui, les conditions objectives de la révolution sont déjà avec nous. Ce qui manque c'est l'instrument indispensable. Et le CCI croit qu'il est l'instrument indispensable, et que sa propagande apportera au prolétariat la volonté subjective" (RP n°4, page 38).
En réponse à cette grossière déformation de notre perspective, qu'on nous laisse dire avant tout que se baser sur l'analyse luxemburgiste de la crise ne signifie pas que l'approfondissement de la crise ne puisse être saisi comme un processus. Quand nous disons que le marché mondial est saturé, nous n'entendons pas que tous les marchés du monde sont absolument saturés : ce serait un non-sens car il ne pourrait pas y avoir d'accumulation du tout. Ce que nous disons en réalité, c'est que le marché est saturé, relativement aux besoins d'accumulation du incapacité du marché mondial à s'étendre de manière progressive "au rythme de la capacité de la production" implique que les conditions objectives de la révolution prolétarienne existent depuis 1914 ; mais cela ne veut sûrement pas dire que la révolution est possible dans n'importe quelle conjoncture.
La défaite de la vague révolutionnaire de 17-23 a signifié que cette perspective était reportée pour des dizaines d'années que l'humanité était condamnée à vivre des années la barbarie. Aujourd'hui, le resurgissement de la crise économique et le réveil de la lutte de classe dans le monde entier ouvrent de nouveau la perspective révolutionnaire.
Mais cela ne signifie pas que la crise a atteint son point le plus profond, ou que nous sommes à la veille d'une situation révolutionnaire imminente (voir par exemple les arguments contre l'activisme et le volontarisme dans l'article "Le premier Congrès du CCI" – Rint.5). Le CCI a souligné maintes et maintes fois que la crise présente du système serait un processus long, saccadé, irrégulier et graduel. Ceci parce que le capitalisme a découvert des palliatifs aux effets de la saturation du marché : étatisations, mesures fiscales, secteurs improductifs, économie de guerre, guerres localisées, etc. et peut ainsi éviter l'effondrement brusque du type déclin de 1929. C'est précisément parce que la crise s'approfondit de cette façon que le prolétariat pourra consolider sa force à travers toute une série de luttes, à travers lesquelles il développe la conscience subjective nécessaire pour un assaut politique contre l'ensemble du système. Ce sera un processus dur et pénible dans lequel la classe acquérra une compréhension de sa situation à la dure école de la lutte elle-même. Tant que la classe ne développera pas sa compréhension subjective de cette façon, l'intervention des révolutionnaires gardera un impact relativement faible.
Rien ne peut être plus étranger à nos positions que l' idée selon laquelle tout ce qui manque aujourd'hui c'est que le CCI bondisse sur la scène et "démystifie" la classe et la conduise à la Révolution. Cela serait une prétention absurde de la part d'une organisation qui regroupe une poignée de révolutionnaires ; mais, de toutes façons, ce n'est tout simplement pas notre rôle de "sauver" la classe et ce ne sera pas le rôle du Parti demain. En fait, c'est parce que le CWO a lui-même une vision proche du volontarisme et du substitutionnisme qu'il la"voit" partout ailleurs et chez d'autres.
Pour lui, dans une situation objectivement révolutionnaire, "les communistes essayeront par leur exemple et leur propagande, de diriger cette activité dans la direction du communisme" (RP.4, page 38). L'erreur, c'est que les communistes ne "dirigent" pas la classe ouvrière vers le communisme. Ni aujourd'hui, ni demain, l'organisation des révolutionnaires n'a pas la tâche d'organiser, de démystifier, ou de diriger la classe. L'organisation communiste est un facteur actif dans l'auto organisation et l'autodémystification de la classe. Cela, nous l'avons dit des centaines de fois dans tous nos écrits sur la question de l'organisation : voir par exemple la partie sur l'organisation dans la plateforme du CCI.
Il en découle que, contrairement a ce que dit le CWO (RP.4, page 38) le CCI n'est pas engagé dans l'aventure opportuniste de se poser comme Parti avant que les conditions objectives pour sa constitution réelle ne soient remplies. Le Parti de demain émergera pendant le cours de l'ascension longue et difficile du prolétariat vers sa conscience. Mais ce que le CWO persiste à ne pas comprendre, c'est que le Parti n'est pas un produit automatique ou mécanique de la lutte de classe : ses fondements doivent être consciemment et méthodiquement élaborés par les fractions révolutionnaires qui le précèdent. Et, dès que les possibilités pour un tel travail sont ouvertes par la montée de la lutte de classe, les révolutionnaires sont confrontés à la responsabilité de commencer à s'engager dans le processus qui mène à la constitution du Parti, même si c'est une tâche extrêmement longue et ardue.
En termes concrets, cela signifie travailler au regroupement des révolutionnaires au niveau mondial aujourd'hui. Le CWO, en tout état de cause, ne pense pas que ce soit le moment pour un tel regroupement (RP.4 page 38) et, en fait, le CWO ne fait pas que choisir d'attendre passivement une organisation révolutionnaire internationale sortie du néant, son attitude sectaire actuelle l'oblige à se tourner contre toute tentative de regroupement principiel aujourd'hui. Ce qui amène simplement à mettre en évidence le fait que les révolutionnaires aujourd'hui doivent choisir entre : soit être un facteur actif dans le processus qui mènera à la constitution du Parti, soit en être une entrave, être un obstacle sur le chemin du mouvement révolutionnaire. Il n'y a pas de troisième voie.
A en croire le CWO, les erreurs du CCI sur la crise et l'intervention sont des "lignes de démarcations" et non pas des frontières de classe. Ce qui révèlerait vraiment que nous sommes une organisation du capital, ce sont les positions que nous défendons sur la révolution russe et sur la période de transition dont les leçons sont tirées essentiellement de la révolution russe.
"En termes concrets, ils (le CCI) sont capitalistes parce que :
Ce passage remarquable montre clairement que le CWO ne sait pas comment on détermine la nature de classe d'une organisation politique. Prétendre que le CCI "défend" la Russie après 21 est la marque d'une confusion. Premièrement, cela obscurcit le problème global qui consiste à analyser la dégénérescence de la révolution, en confondant l'Etat et le Parti, comme si les deux étaient identiques tout au long du processus (cette confusion réapparaît dans leur texte sur la Révolution Russe, comme nous le verrons).
Plus important encore, l'accusation est basée sur l'idée (si chère aux trotskystes) que les révolutionnaires doivent se plonger dans le passé et prendre position sur des questions qui n'avaient pas été encore clarifiées par le mouvement révolutionnaire (la question de la défense ou non de la Russie n'a été tranchée que bien après que la Révolution soit morte). Pour les marxistes, le programme communiste est le produit vivant des luttes passées de la classe ouvrière, une synthèse de toutes les leçons que la classe a apprises au fil de décennies de défaites, d'erreurs et de victoires. C'est quelque chose qui est sécrété à travers le processus historique, et les révolutionnaires sont à tout moment une partie de ce processus. Il n'est pas possible aux révolutionnaires de se poser hors de ce processus et de regarder les évènements passés en termes de : "Ce qu'ils auraient fait" s'ils avaient été là. De telles questions n'ont pas de sens, parce que les révolutionnaires aujourd'hui ne sauraient pas ce qu'ils savent si la classe n'avait pas fait l'expérience de ces luttes et n'était devenue consciente des leçons de ces expériences en y participant. Les révolutionnaires ne peuvent avoir la clarté qu'ils ont aujourd'hui qu'à cause des erreurs et des défaites d'hier ; ce n'est pas une solution que de revenir sur ces défaites en se projetant dans le passé. Le fondement même de la question: "Qu'aurions-nous fait ?", c'est une vision idéaliste du développement de la conscience révolutionnaire, posant la clarté communiste existant dans un éther intemporel, hors du mouvement historique réel de la classe. Bien sûr, les révolutionnaires peuvent analyser le passé et reconnaître les fractions et tendances qui ont exprimé le mieux les nécessités du prolétariat à l'époque, et critiquer les erreurs et les confusions d'autres tendances. Mais ils le font dans le but de clarifier les leçons pour aujourd'hui, pas pour engager de puériles "empoignades" avec les fantômes des traîtres du passé.
A nouveau, l'affirmation du CWO suppose que lorsque les révolutionnaires comprennent qu'une organisation prolétarienne avant eux a pu commettre de profondes erreurs, voire des crimes, ils défendent peu ou prou ces crimes ; en d'autres termes, si le CCI affirme que le Parti Bolchevik, bien qu'en dégénérescence en 1921, n'était pas encore une organisation bourgeoise, alors, il doit "défendre" toutes les actions et politiques contre-révolutionnaires des bolcheviks de cette période : Kronstadt, Rapallo , le Front Unique, etc.. Là encore, notre condamnation sans équivoque de cette politique est attestée par n'importe quel texte de nos publications. Le problème du CWO est qu'il ne comprend pas les critères pour juger précisément du passage d'une organisation prolétarienne dans le camp bourgeois. Cela vaut aussi bien pour son appréciation du Parti Bolchevik, que du CCI. Il n'appartient pas seulement aux révolutionnaires de "juger" de la mort d'une organisation prolétarienne. Cela ne peut être tranché qu'à la lumière de grands évènements historiques : guerres mondiales ou révolutions, qui ne laissent aucun doute sur le camp auquel ils appartiennent. Cela ne saurait être l'affaire d'une "addition au hasard" des positions politiques, l'histoire ayant montré qu'une organisation révolutionnaire peut très bien apporter une contribution vitale au mouvement ouvrier, tout en étant profondément dans l'erreur sur des points cruciaux. Ce fut le cas des Bolcheviks en 1917 (luttes de libération nationale, par exemple) et de Bilan dans les années 30 qui maintenait une position erronée sur le Parti et les syndicats, et même sur l'analyse exacte de l'économie russe. Mais, quand un organisme auparavant prolétarien abandonne ouvertement la position internationaliste, il peut être déclaré définitivement mort pour la classe ouvrière. C'est pourquoi les révolutionnaires disaient que la social-démocratie en 1914 ou le trotskysme en 1939, étaient passés une fois pour toutes dans le camp bourgeois, ayant tous deux participé à la mobilisation de la classe dans le carnage impérialiste mondial. C'est aussi pourquoi l'adoption de la théorie du "socialisme dans un seul pays" a signifié l'abandon définitif de la révolution internationale par les PC, et a démontré qu'ils étaient devenus les défenseurs du capital national et rien d'autre.
D'après le CWO, l'écrasement de l'insurrection de Kronstadt par les Bolcheviks "a placé les Bolcheviks en dehors de la révolution et en a fait une organisation contre-révolutionnaire". (RP.4 page 22). A première vue, il pourrait sembler que la répression physique d'un soulèvement ouvrier soit suffisante pour prouver qu'un parti n'est plus dans le camp prolétarien, mais nous devons garder à l'esprit que le soulèvement de Kronstadt était un évènement sans précédent : les ouvriers se soulèvent contre "l'Etat Ouvrier" et le parti communiste qui le contrôlait. En réprimant la révolte, les Bolcheviks ont sans aucun doute précipité leur propre fin en tant que parti révolutionnaire, mais ils n'abandonnèrent pas pour autant un principe bien établi comme l'opposition à la guerre impérialiste. Au contraire, leur réponse au soulèvement était la conséquence logique des idées défendues par l'ensemble du mouvement ouvrier de l'époque : l'identification entre Etat et dictature du prolétariat et la prise en charge du pouvoir d'Etat par le Parti. L'insurrection de Kronstadt a produit un tel désarroi au sein du mouvement ouvrier (Gauche communiste comprise) précisément parce que le mouvement n'avait pas de critères pour comprendre une telle situation.
Au contraire de ceci, la théorie du socialisme en un seul pays était un rejet explicite de tout ce que les Bolcheviks avaient défendu en 17, et fut dénoncée comme tel par les fractions révolutionnaires de l'époque. Aussi criminelle que soit la réponse des Bolcheviks à l'insurrection de Kronstadt, nous ne pensons pas que ce fut la preuve définitive de leur passage dans le camp bourgeois[1] [185] Les évènements de Kronstadt sont une manifestation violente de la gravité et de la profondeur du processus de régression et de dégénérescence dans lequel s'est trouvé engagée la révolution d'Octobre et le Parti Bolchevik. Mais aussi bien la Révolution et le Parti, à l'intérieur comme à l'extérieur de la Russie, contenaient encore en eux des forces vivantes de la classe capables de réactions de classe et qui se sont manifestées effectivement dans ce dernier combat inégal mais décisif : révolution internationale ou intérêt national (socialisme en un seul pays). En prenant Kronstadt comme le point de la mort, on ne comprend pas le sens de luttes épiques qui ont secoué et bouleversé jusqu'à leurs fondements le Parti Bolchevik, l'I.C. et tout le mouvement révolutionnaire international de 1921 à 1927. Le radicalisme verbal sur 21 ne sert finalement au CWO que de prétexte pour ignorer les évènements ultérieurs et pour s'épargner la peine de les analyser et de les comprendre.
Nous pensons aussi que la caractérisation de l'"Opposition de Gauche "comme un" gang du capitalisme d'Etat" depuis le début est une simplification grossière ; cependant, nous ne pouvons en débattre ici (voir la partie de l'article "La Gauche Communiste en Russie 1918-1930" Rint n°9 [184]). Nous préférons traiter de l'affirmation selon laquelle le fait de dire que les Bolcheviks étaient encore dans le camp prolétarien après 21 ou que l'Opposition de Gauche en 23 était un courant prolétarien, fait du CCI un groupe bourgeois.
Comme nous l'avons dit, les révolutionnaires ne dénoncent pas une organisation comme étant bourgeoise avant qu'elle n'ait ôté tout doute possible en abandonnant clairement le terrain international de la classe ouvrière, ce qui en fait une expression du capital national. Un groupe peut avoir bon nombre de confusions, mais s'il appelle au défaitisme révolutionnaire contre la guerre impérialiste, s'il défend la lutte autonome du prolétariat contre le capital national, il doit être considéré comme faisant partie du mouvement ouvrier. Il ne fait aucun doute que le CCI défend cette perspective internationaliste. Ainsi, même si la question de "1921" était une frontière de classe, cela ne suffirait pas à qualifier le CCI de contre-révolutionnaire. De la même façon, même si le CCI avait des confusions dangereuses sur le problème de la période de transition, ce n'est que dans une période révolutionnaire, quand toutes les frontières de classe sur cette question sont clairement tracées que l'on peut dire que les confusions d'un groupe sur ce point l'ont finalement conduit dans le camp ennemi. Porter un tel jugement à l'avance, c'est abandonner la possibilité de convaincre une organisation prolétarienne de ses erreurs, et aussi longtemps qu'une organisation est dans le camp ouvrier, elle est capable de corriger ses erreurs, ou au moins, de produire des fractions qui adopteront une position révolutionnaire.
Mais en tous cas, la question de "21" ne saurait être par définition une frontière de classe (et bien sûr, nous pensons que c'est le CWO et non le CCI qui souffre d'une plus grande confusion sur la période de transition, ainsi que nous le verrons). Les révolutionnaires élaborent des positions communistes, des frontières de classe sur la base de l'expérience passée de la classe, dans le but, non pas de juger rétrospectivement le passé, mais de dresser des poteaux indicateurs pour les luttes présentes et à venir de la classe. Ainsi, la question de la défense de la Russie est devenue, à travers une série d'évènements cruciaux, une frontière de classe écrite en lettres de sang. Cela à cause de son lien direct avec la question clef de l'internationalisme. La deuxième guerre mondiale a montré une fois pour toutes que la défense de l'URSS ne pouvait que conduire à la défense de la guerre impérialiste. Au début des années 20, cette question avait encore à être clarifiée dans le mouvement ouvrier, mais par la suite, la non-défense de l'URSS devient la pierre angulaire de toute perspective révolutionnaire.
Mais alors qu'il n'y a de place pour aucune ambiguïté sur cette question fondamentale, il est impossible de voir comment le problème de la date exacte du passage de l'Etat russe et/ ou des PC à la contre-révolution, pourrait être une frontière de classe aujourd'hui. Le CWO n'avance aucun argument pour expliquer qu'un groupe qui considère que les PC sont morts disons en 26 ou 28 ou que l'Opposition de Gauche de 1923 avait un caractère prolétarien, est un groupe qui défend le capitalisme aujourd'hui. Cela signifie-t-il qu'un tel groupe appelle au front unique avec les PC et les trotskystes ou à la défense de la Russie ? Bien sûr que non. La dénonciation du caractère bourgeois des PC, des trotskystes et de la Russie aujourd'hui sont de véritables frontières de classe parce qu'elles découlent d'une compréhension de la dégénérescence de la Révolution Russe. Ce sont des frontières de classe parce qu'elles ont une influence directe sur les positions que prendront les révolutionnaires, dès aujourd'hui et dans le futur, dans les moments cruciaux de la lutte de classe. Mais, que l'on considère comme date de la mort des PC, 1921, 23, 26 ou 28 est tout à fait secondaire pour la défense de ces frontières de classe.
Peut-on imaginer, par exemple, les conseils ouvriers de demain, dépensant autant d'énergie à débattre du passage des PC dans le camp ennemi qu'ils en utiliseront à chercher les moyens de détruire leur influence réactionnaire sur la classe ouvrière ? Non. Inventer des frontières de classe sur chaque aspect de l'interprétation historique ne sert qu'à détourner l'attention des problèmes réels auxquels s'affronte la classe. A moins de définir les frontières de classe à partir de critères très stricts, on en arrive à en faire ce que bon nous semble ou ce que ses intérêts de petite secte exigent. Après tout, pourquoi restreindre les frontières de classe à la date de la mort du bolchevisme ? Pourquoi ne pas dresser une frontière de classe à propos du passage définitif de l'anarcho-syndicalisme dans le camp bourgeois, ou ne pas prôner la séparation organisationnelle sur la question de quand le blanquisme a cessé d'être un parti du mouvement ouvrier, ou encore si oui ou non Pannekoek a eu raison de quitter la social-démocratie hollandaise en 1907 ? Pourquoi vraiment ne pas mettre autant de frontières de classe qu'on le veut, surtout si cela sert à faire de vous "le seul et l'unique" défenseur du programme communiste intégral...
Puisque le CWO n'a pas de critères clairs pour déterminer de la nature de classe d'une organisation, ses accusations à l'égard du CCI sont tout à fait inconsistantes. Dans l'article "Convulsions ...", il n'apparaît pas clairement si les groupes du Courant International ont jamais été une partie du prolétariat, et pourtant, nous trouvons l'idée que "ceux qui allaient former le CWO ont repris beaucoup d'idées positives de RI" (RP 4, page 36). Des idées positives ? Reprises d'une organisation contre-révolutionnaire ? Et, si le Courant était auparavant prolétarien et qu'il soit passé dans le camp bourgeois, quand et pourquoi cela s'est-il passé ?
Et si la position du CCI sur l'Etat (c'est-à-dire que l'Etat et la dictature du prolétariat ne sont pas identiques) et sur "1921" en font un organe contre-révolutionnaire aujourd'hui, pourquoi le CWO reconnaît-il (cf. RP 5) les précurseurs du CCI -Bilan et d'Internationalisme- comme des organisations communistes, alors que tous deux défendaient une position sur l'Etat dans la période de transition qui est précisément la base de la position majoritaire dans le CCI aujourd'hui ? (De même que pour la mort de l'internationale Communiste, la Gauche Italienne avait coutume de la situer en ... 1933 !). Quels évènements fondamentaux dans la lutte de classe depuis les années 40 ont donc finalement clarifié la question de l'Etat dans la période de transition, à tel point que quiconque défend aujourd'hui les positions de Bilan et d'Internationalisme est contre-révolutionnaire ? Peut-être que le CWO considère que cet évènement fondamental n'est autre que l'apparition du CWO, qui a tranché tous les problèmes une fois pour toutes ? Mais, en réalité, des questions aussi cruciales ne peuvent être définitivement tranchées que par la lutte révolutionnaire de toute la classe ouvrière.
Les erreurs du CWO sur la période de transition sont intimement liées à son incompréhension de la Révolution Russe, et l'étendue de sa confusion sur les deux questions a été péniblement exposé dans sa récente oeuvre sur la Révolution Russe "Révolution et Contre-révolution en Russie 1917-23" (RP 4). L'essence de sa confusion peut se résumer dans sa réaction à l'affirmation du CCI selon laquelle :
C'en est trop pour le CWO. Pour lui, cela ne peut que signifier que le CCI défend le capitalisme d'Etat, ou l'autogestion pendant la révolution (RP 4, page 40). Le CWO cependant, ne réussit pas à répondre clairement à la question : la loi de la valeur peut-elle, oui ou non, être abolie dans un seul pays ? Un mode de production communiste peut-il, oui ou non, être réalisé en un seul pays ? Le CWO ne répond pas. Mais ailleurs, il apparaît vraiment qu'il croit que le travail salarié, la loi de la valeur, en bref le capitalisme, peuvent être abolis dans le cadre national. L'article de RP, publié dans Worker's Voice n°15 parle de la construction d'"économies communisées" dans des bastions prolétariens et en général, le CWO semble croire que si un bastion prolétarien se coupe du marché mondial et élimine la forme salaire et l'argent, alors, le mode de production communiste est établi.
Soyons tout à fait clairs à ce propos. L'argent, le salaire, etc., ne sont que des expressions de la loi de la valeur, et à son tour la loi de la valeur est une expression du développement insuffisant, de la fragmentation des forces productives. En somme, une expression de la domination de la pénurie sur l'activité productive des hommes. L'élimination de certains aspects à travers lesquels s'exprime la loi de la valeur ne signifie pas l'élimination de la loi de la valeur elle-même, ce qui ne peut avoir lieu que dans une société d'abondance. Et une telle société ne peut être construite qu'à une échelle mondiale. Même si les ouvriers au sein d'un bastion révolutionnaire éliminaient l'argent et l'échange et distribuaient directement tous les produits à la population, nous devrions encore appeler le mode de production au sein du bastion un mode de production régi par la loi de la valeur parce que tout ce que les ouvriers feraient ou seraient capables de faire serait largement déterminé par leurs relations avec le monde capitaliste extérieur. Les ouvriers seraient encore soumis à la domination, à l'exploitation du capital global. Ils ne feraient que socialiser la misère dans le cadre permis par le blocus capitaliste, parce que jamais un mode de production communiste ne peut appeler une telle misère : la faim, la queue devant les boulangeries, les inévitables marchés noirs, etc.. Une économie "communiste" ce serait mentir à la classe ouvrière et la détourner de sa lutte. Dans une telle situation, la question n'est pas à préconiser une "défense" du capitalisme d'Etat ou de l'autogestion ; la question c'est d'appeler le capitalisme, et de clarifier ainsi le contenu de la lutte du prolétariat contre le capitalisme, à l'intérieur et à l'extérieur de ses bastions. Autrement dit, le mot d'ordre des révolutionnaires sera : continuer à combattre les capitalistes, exproprier la bourgeoisie, détruire le salariat, mais ne jamais entretenir l'illusion que ce combat peut être achevé dans un bastion isolé.
Seule l'extension internationale de la révolution peut répondre à un problème posé dans un bastion, et donc tout doit être subordonné à cette tâche.
L'extension de la révolution est fondamentalement une tâche politique. Le CWO fustige le CCI qui maintient que les tâches politiques de la révolution précèdent et conditionnent le programme économique du prolétariat. Pour lui, les deux aspects sont simultanés : "A aucun moment, dans la réalisation du communisme, les tâches politiques ne peuvent être séparées des tâches économiques, les deux doivent être réalisées simultanément..." (Plateforme du CWO).
Malheureusement, cette position révèle une incompréhension fondamentale de la nature même de la révolution prolétarienne. En tant que classe exploitée, sans propriété, la classe ouvrière ne peut avoir aucune base économique à partir de laquelle sauvegarder sa révolution. Les seules garanties que peut avoir la révolution prolétarienne sont essentiellement politiques : la capacité de la classe à s'auto organiser et à combattre consciemment pour ses buts. Le prolétariat ne peut acquérir une position de force "au sein" du capitalisme, en gagnant graduellement l'industrie et ensuite en s'emparant du pouvoir politique. Au contraire, il doit d'abord détruire l'appareil politique de la bourgeoisie, établir sa domination et ensuite lutter pour la réalisation de son programme social : la construction d'une société sans classe. Le CWO semble d'accord pour dire que le prolétariat doit d'abord prendre le pouvoir politique avant de pouvoir transformer les rapports de production, puisqu'il dénonce l'autogestion comme une mystification capitaliste. Tout cela est très bien, mais pour le CWO, la défense des principes semble s'arrêter aux frontières nationales. Pour lui, une fois que le prolétariat a pris le pouvoir politique dans un pays, les tâches politiques et économiques deviennent soudain, simultanées, et les rapports sociaux communistes peuvent être construits dans le cadre d'un marché mondial capitaliste.
...Mais l'économie capitaliste est mondiale et le prolétariat est une classe mondiale. Cela signifie que la condition minimum pour la création de rapports sociaux communistes est la conquête du pouvoir à un niveau mondial par le prolétariat. Contrairement aux affirmations du CWO (RP 4 page 34), des bastions prolétariens isolés ne peuvent être "sauvés pour le communisme" par une série de mesures économiques. Le seul moyen de "sauver" la révolution, c'est l'activité politique indépendante d'une classe qui s'efforce consciemment d'étendre son pouvoir à l'ensemble du monde. Il n'y a rien d'autre pour éviter à la classe la défaite ; et c'est pourquoi la révolution russe ne pouvait laisser à la classe de soi-disant "acquis matériels" en dépit des stupides falsifications des trotskystes.
Cependant, le vague espoir de trouver des garanties économiques a indubitablement conduit le CWO à présenter une image de la révolution russe qui n'est pas complètement dégagée de l'empreinte du trotskysme, qui, à son tour, ne l'est pas du Parti Bolchevik dégénérescent. Il présente ainsi une image complètement déformée de la Russie des années 17-21. Le fait que sous la pression de l'isolement économique et de la destruction, l'Etat des Soviets ait été amené à suspendre les salaires et les formes monétaires (la période du "communisme de guerre") est vu comme "une étape vers le démantèlement du capitalisme et le commencement de la construction du communisme" (RP.4 page 13).
Nous voyons bien là la confusion du CWO dans toute sa splendeur. Pour lui, le communisme de guerre était vraiment "le communisme"par certains aspects ; c'est souligné par le fait qu'ils disent que le capitalisme est restauré en Russie en 21 (RP.4 page 25).
Quelqu'un dont le soutien aux Bolcheviks ne s'est jamais démenti : Victor Serge disait du communisme de guerre :
Nous l'avons déjà dit bien des fois dans le passé, et nous le redisons aujourd'hui : le capitalisme n'a jamais été aboli en Russie, et le Communisme de guerre n'était pas l'abolition des rapports sociaux capitalistes. Même si les mesures économiques imposées pendant cette période avaient été le produit direct de l'activité de masse de la classe ouvrière, cela n'aurait pas éliminé la nature capitaliste de l'économie russe après 17.
Mais la réalité, c'est que presque toutes les mesures économiques du "communisme de guerre" ne furent pas imposées par l'activité autonome de la classe -qui en aurait fait au moins des mesures tendant vers le renforcement du pouvoir politique des ouvriers- mais par un corps se séparant de plus en plus de la classe : l'Etat.
Et ici, nous voyons que l'incapacité du CWO à aborder le problème de l'Etat dans la période de transition le conduit à faire l'apologie des mesures capitalistes d'Etats.
Pour le CWO, l'Etat en Russie, de 17 à 21, était un "Etat prolétarien", et donc les mesures de nationalisation et d'étatisation, prises pendant cette période étaient intrinsèquement des mesures communistes.
De plus, l'Etat étant un état prolétarien l'incorporation des comités d'usines et des milices ouvrières dans l'appareil d'Etat ne pouvait être que positive pour la classe (RP.4 pages 6 à 8). Même l'identification du Parti avec l'Etat n'est pas vue comme un danger : "A ce moment là, à savoir début 18, cela n'a aucun sens d'essayer de distinguer entre Parti, classe et soviets ; alors que la majorité de la classe a créé des organes d'Etat dans lesquels le Parti, qui a le soutien de la classe, a une nette majorité, c'est tout à fait formaliste de demander "Qui a le pouvoir ?" (RP.4 page 4).
D'ailleurs hormis quelques critiques ici ou là, le CWO présente la majeure partie de ce qui s'est passé en Russie entre 17 et 21 comme une Bonne Chose, et il devient donc assez difficile de comprendre pourquoi les ouvriers russes ont commencé à se révolter contre ce régime d'Etat dans la période 20-21. En dépit de ses fréquentes références à la révolte de Kronstadt, rien, dans les analyses du CWO, ne parvient à cerner ce contre quoi exactement se révoltaient les ouvriers de Kronstadt et qui était, pour une grande part, précisément les soi-disant mesures communistes du prétendu "Etat Prolétarien" !.
Et les implications des analyses du CWO pour la révolution à venir sont réellement troublantes ; parce que si une économie établie dans un bastion est une économie communiste, quel droit les ouvriers auraient-ils de continuer la lutte, l'exploitation ayant été abolie ? Et si l'Etat est véritablement une expression des aspirations communistes de la classe ouvrière, comment celle-ci pourrait-elle refuser de se subordonner à un tel Etat ? Un indice sur la direction que semble prendre le CWO est donné par son affirmation selon laquelle "la discipline du travail en soi, à la condition qu'elle soit menée par des organes propres à la classe, n'est pas un pêché mortel" (RP.4 page 10). Peut-être ! Mais que sont ces "organes propres à la classe" ? Le Sovnarkom ? Le Vesenklass ? L'Armée Rouge ? La Tcheka ? Le CWO est muet à ce propos. Parce qu'il refuse de considérer le problème de l'Etat de la période de transition tel que l'a posé le CCI ainsi que les fractions communistes du passé comme Bilan et Internationalisme. Le CWO reste attaché à beaucoup d'erreurs du mouvement ouvrier de l'époque de la Révolution Russe. Toutes les leçons sur l'Etat à tirer de la Révolution Russe restent incomprises de lui. Pour le CWO comme pour les Bolcheviks, Etatisation par l'Etat "prolétarien" égale socialisation réelle. Les organes de la classe doivent être fusionné dans l'Etat, et ainsi qu'il transparaît de plus en plus dans les écrits du CWO, le Parti se présente comme candidat au pouvoir d'Etat.
Pour nous, s'il y a une leçon fondamentale à tirer de la Révolution Russe, c'est que les révolutionnaires ne peuvent s'identifier et participer qu'aux luttes autonomes de la classe, avant comme après la prise du pouvoir. Les luttes du prolétariat continueront pendant la période de transition ; c'est en fait le seul facteur dynamique menant à l'abolition de la société de classe. Les communistes ne doivent jamais abandonner leur poste dans la lutte de classe même si cette lutte dresse la classe contre l'économie "socialisée" ou contre l'"Etat-Commune". Jamais plus, la classe ne doit subordonner ses luttes à une force extérieure, tel l'Etat, ou déléguer la direction de ses luttes à une minorité, aussi révolutionnaire soit-elle.
La défense, par le CCI, de l'autonomie de la classe, y compris par rapport à l'Etat transitoire, est interprétée par le CWO comme la défense du fait que "La classe ne détient pas le pouvoir d'Etat, mais donne son soutien à un Etat inter-classiste" (RP.4 page 42). En fait, le CCI reconnaît l'inévitabilité du surgissement d'un pouvoir d'Etat pendant la période de transition, mais réaffirme la thèse marxiste selon laquelle cet Etat est, au mieux, un mal nécessaire que le prolétariat doit considérer avec méfiance et vigilance. Pour pouvoir exercer le pouvoir, la classe doit s'assurer qu'à tout moment elle domine l'Etat, de façon à pouvoir éviter qu'il ne devienne un instrument d'autres classes contre elle-même. Et parce que, comme le disait Engels, le prolétariat"n'utilise pas (l'Etat) dans l'intérêt de la liberté", "nous refusons de considérer l'Etat transitoire comme un organe de transformation communiste".
Le CWO nous accuse de cacher des intentions contre-révolutionnaires, au sujet de la politique de l'Etat à l'égard des paysans et de la bourgeoisie mondiale. Il nous rappelle que les paysans ne sont pas "neutres", comme si le CCI entretenait des illusions sur les aspirations communistes de la paysannerie. Et parce que nous reconnaissons l'inévitabilité de concessions momentanées à la paysannerie pendant la période de transition, nous sommes suspectés de vouloir vendre les intérêts des ouvriers aux hordes de paysans qui hanteraient nos rêves anachroniques où nous "rejouons" 1917. Ce que dit réellement le CCI sur le problème paysan c'est qu'il ne peut être solutionné en une nuit et certainement pas au sein d'un seul bastion prolétarien, pas plus que la seule violence, bien qu'elle soit parfois inévitable, ne résoudra le problème paysan. La seule solution à ce problème est le développement global des forces productives, vers une société sans classe. Sur le chemin qui y mène le prolétariat devra trouver des moyens de coexistence avec les paysans, d'échange de produits avec eux. Et, au niveau politique, ces relations s'instaureront à travers un Etat des soviets, sous le contrôle de la classe ouvrière.
La seule alternative à la voie du "compromis" avec la paysannerie, ce serait la collectivisation immédiate et forcée. Le CWO se refuse à dire si c'est sa position, mais ce serait, à coup sûr, de la folie que pour la classe ouvrière de tenter cela. En fait, dans des textes précédents, le CWO semblait accepter l'idée de l'échange entre les conseils ouvriers et les paysans, en "d'autres termes, des compromis" (cf. Worker's Voice n° 15 "La Période de Transition"). Le CWO aurait-il sauté par-dessus ses propres frontières de classe ?
Le CCI est aussi accusé de "défendre" que les ouvriers doivent "négocier avec la bourgeoisie internationale", pendant la Révolution. Le CCI ne "défend" rien de semblable. Une fois que le prolétariat a pris le pouvoir dans une aire géographique, nous défendons l'extension de la révolution au monde entier, la poursuite de la guerre civile mondiale contre la bourgeoisie. N'étant pas des "diseuses de bonne aventure", nous ne "savons" pas si la Révolution éclatera simultanément dans tous les pays ; et dans la mesure où la réaction la plus probable de la bourgeoisie mondiale à un bastion prolétarien unique sera d'imposer un blocus économique, nous ne pontifions pas, comme le CWO, l'absolue impossibilité de négociation, ou même d'échange entre le bastion prolétarien et les secteurs de la bourgeoisie mondiale.
Même au plus fort de la crise révolutionnaire en Europe (18-20) les Bolcheviks étaient contraints d'avoir des rapports avec la bourgeoisie internationale et au sens large, aucune guerre dans l'histoire n'a connu une absence complète de relations avec l'ennemi. La guerre civile elle-même ne sera probablement pas une exception malgré l'irréconciabilité des parties en présence. Plutôt que de faire des prédictions hasardeuses sur l'impossibilité de telles négociations, nous devons être capables de distinguer les négociations tactiques des trahisons faites à la classe. Un bastion prolétarien peut supporter certaines limitations, certaines concessions momentanées à la bourgeoisie internationale, pourvu que les ouvriers comprennent ce qu'ils font, se préparent aux conséquences et surtout, pourvu que la Révolution soit dans un cours ascendant. Par exemple, le traité de Brest-Litovsk ne signifiait pas la fin de la Révolution en Russie, en dépit des avertissements de Boukharine. Dans une période de profonde crise révolutionnaire, tel ou tel capitaliste peut être forcé d'offrir des conditions qui sont plus ou moins favorables au bastion prolétarien. Un bastion confronté à la famine se devrait de peser très sérieusement les conséquences de tels compromis, mais il serait absurde de sa part de refuser de considérer tout compromis.
Dans la période de décadence, tout organe surgi de la classe qui tend à devenir un instrument permanent de négociation avec le capital, s'intègre au capital. Cela ne signifie pas cependant que, un organe prolétarien comme un comité de grève, devient bourgeois dès qu'il est mandaté par les ouvriers pour mener des négociations tactiques avec les patrons, tant que sa fonction essentielle demeure l'extension et l'approfondissement des luttes, il reste un organe prolétarien. On peut dire la même chose des organes de pouvoir prolétariens pendant la guerre civile mondiale. Tant qu'ils sont fondamentalement des organes d'extension de la révolution, ils peuvent supporter des négociations temporaires avec l'ennemi, sur, disons le repli des armées, le ravitaillement en nourriture et médicaments, etc.. L'intégration de ces organes dans le capital mondial ne se fait que quand ils entrent en relation commerciale et diplomatique permanente et institutionnalisée avec les états bourgeois et abandonnant objectivement toute tentative d'extension de la révolution mondiale. Mais pour que cela arrive, il faudrait que l'ensemble du mouvement révolutionnaire mondial soit entré dans une phase de profond reflux. De telles transformations des rapports de forces entre les classes n'arrivent pas en une nuit.
A la lumière de la Révolution Russe nous pouvons donner quelques grandes lignes générales concernant les relations entre un bastion prolétarien et le reste du monde, grandes lignes qui seront beaucoup plus utiles que de simples affirmations du genre : "Cela ne peut pas arriver".
Les erreurs théoriques du CWO ont des conséquences importantes pour son travail de groupe révolutionnaire aujourd'hui. Toutes ses ratiocinations théoriques tendent à renforcer son isolement et son sectarisme. Sa vision de la crise et du regroupement souligne son pessimisme sur la possibilité d'unifier le mouvement révolutionnaire dès maintenant. Sa façon de juger les autres organisations prolétariennes, son invention de nouvelles frontières de classe, le conduit de plus en plus à l'idée stérile qu'il est le seul groupe révolutionnaire au monde, ce qui ne peut que l'empêcher de contribuer au processus vivant de discussion et de regroupement qui s'effectue aujourd'hui.
En ce moment, se révèlent les signes qui indiquent que le CWO est en train de s'éveiller à certains des dangers de son isolationnisme. Dans plusieurs lettres, il a diminué l'accusation au CCI d'être contre-révolutionnaire et a insisté au contraire sur le fait que c'est le CCI et non lui, qui a rompu la discussion. Si inexact que cela soit, nous ne pouvons que souhaiter une réévaluation de son attitude.
Nous insistons sur le fait que les divergences au sein du mouvement révolutionnaire ne peuvent être clarifiées que par un débat ouvert, public et honnête. Les critiques que nous faisons ici du CWO sont sans compromis, mais nous avons toujours reconnu que nous nous adressions aux confusions d'une organisation révolutionnaire qui a encore la possibilité d'évoluer de façon positive.
Nous pressons donc le CWO à abandonner ses attitudes antérieures face au débat et à répondre aux critiques faites ici, comprenant que la reprise d'un tel dialogue ne vaut pas pour elle-même, mais comme un moment du regroupement des révolutionnaires vers la reconstitution de l'organisation internationale du prolétariat.
CD. WARD[1] [186] Et cela va, bien sûr, à l'encontre de la position du CWO, pour qui l'année 21 marque aussi la mort de l'IC dans son ensemble, peut-être parce que cela correspond à la position du CWO selon laquelle l'IC était révolutionnaire quand elle "reflétait le caractère prolétarien de l'Etat russe" (RP.4, page 17). En d'autres termes, contrairement à l'idée d'après laquelle l'IC meurt quand elle devient un instrument de la politique de l'état russe, le CWO considère qu'elle est un organe de l'Etat russe dès le début !
La vie des groupes révolutionnaires, leurs discussions et leurs désaccords font partie du processus de prise de conscience qui se développe au sein de la classe ouvrière ; c'est pourquoi, nous sommes radicalement contre toute politique de "discussions cachées" ou d'"accords secrets". Nous publions donc notre point de vue sur ce qu'a été la rencontre internationale qui s'est déroulée à Milan, les 31 avril et 1er mai, à l'initiative du PCI ("Battaglia Commista"). Avant tout, il est nécessaire de clarifier dans quel cadre s'inscrit une telle initiative et pourquoi nous y avons participé. Nous estimons que dans le contexte de confusion politique actuelle et de faiblesse des forces révolutionnaires, il est très important d'insister sur la nécessité du regroupement des révolutionnaires.
La reprise historique des luttes de la classe ouvrière a provoqué le resurgissement de courants révolutionnaires que la plus profonde contre-révolution de l'histoire du mouvement ouvrier avait pratiquement anéantis. Ce resurgissement se manifeste de manière encore dispersée, confuse ou hésitante, ce qui met à l'ordre du jour pour les tâches des communistes, un effort de clarification des positions politiques et un effort de regroupement, deux tâches indissociablement liées. Indissociables parce que, comme l'a montré la Gauche Italienne entre les deux guerres, il n'y a de regroupement possible pour les communistes que sur la base de la plus grande clarté programmatique. Cela dit, nous nous sentons le droit de souligner l'énorme responsabilité face à la classe de certains groupes qui, pour des divergences secondaires, rejettent la discussion et refusent d'unir leurs efforts aux notre, démontrant par là qu'ils ne sont pas capables de dépasser la vision petite-bourgeoise qui consiste à vouloir préserver "son" idée et "son" groupe et à ne pas se concevoir comme partie et produit de la classe. En fait, il devrait être clair qu'à l'image de l'ensemble de la classe, les révolutionnaires doivent tendre aujourd'hui à se regrouper et à centraliser leurs forces au niveau national et international, ce qui signifie rompre l'isolement, contribuer à l'évolution d'autres groupes et ceci à travers un débat clair et une critique constante de sa propre activité.
Quand le CCI n'était constitué que d'un ou deux groupes, il a toujours agi dans ce sens, comprenant qu'on ne peut laisser au hasard la confrontation et les discussions, mais qu'on doit les rechercher et les organiser.
Si le CCI souligne la nécessité fondamentale du travail de regroupement, il met en garde aussi contre toute précipitation. Il faut exclure tout regroupement sur des bases sentimentales et insister sur l'indispensable cohérence des positions programmatiques comme condition première du regroupement.
La contre-révolution, dont nous commençons à sortir, a pesé terriblement sur les organisations de la classe. Les fractions qui étaient sorties de la IIIème Internationale ont résisté de plus en plus difficilement à sa dégénérescence : la majeure partie d'entre elles a disparu et celles qui ont résisté ont du subir un processus de sclérose qui les a fait régresser. L'effort indispensable de clarification passe aujourd'hui :
Si d'un côté le CCI rejette la précipitation dans tout processus de regroupement, d'un autre côté, il dénonce le sectarisme qui amène à trouver des prétextes multiples pour ne pas engager ou poursuivre la discussion entre groupes communistes ; malheureusement, ce sectarisme anime aujourd'hui un certain nombre de groupes révolutionnaires qui ne comprennent pas la nécessité de la formation d'un courant communiste solide que la reprise prolétarienne rend indispensable.
On comprend, vu ce qui a été dit avant, l'importance que le CCI a attaché à une telle rencontre. Mais c'est justement la réflexion sur les faiblesses du mouvement ouvrier dans le passé (les hésitations des communistes, la formation tardive de l'Internationale et les difficultés bien connues qui ont suivi sa formation) qui nous permet de comprendre que l'organisation de l'avant-garde du prolétariat doit se former avant l'affrontement décisif et directement centralisée au niveau mondial.
Cette difficulté s'est illustrée dans l'exemple concret suivant : malheureusement, aucun des autres groupes invités ne s'est présenté à la conférence. Certains groupes ont donné leur accord de principe pour participer à la rencontre mais n'ont pas pu venir pour diverses raisons :
Dès le début de la rencontre, nous avons fait une déclaration pour regretter l'absence des autres groupes et faire valoir les limites de cette conférence :
Dans de telles conditions, cette rencontre ne pouvait être considérée que comme une simple réunion de confrontation des positions entre "Battaglia" et le CCI. Les débats ont porté sur les points suivants :
Comme bilan de ces deux jours de discussions animées mais fraternelles, nous pouvons dire qu'il ne s'est pas agi d'un "dialogue de sourds',' ni d'une "rencontre sentimentale" sans principes, mais du début d'une confrontation que nous espérons sincèrement voir se poursuivre entre tous les groupes qui restent encore sur les bases révolutionnaires du communisme. Comme issue concrète et afin de porter les discussions parmi les autres groupes révolutionnaires et dans la classe toute entière, la rencontre a décidé la publication d'un bulletin contenant les textes présentés et une synthèse des interventions, bulletin que les camarades de "Battaglia" ont pris en charge de publier au plus vite. En conclusion nous pouvons dire que, si d'un commun accord nous avons jugé tout à fait prématuré la formation d'un quelconque "comité de coordination", nous considérons que cette conférence a représenté un pas positif, le début d'un processus que nous espérons voir se développer toujours plus.
A l'évidence, ces professionnels de l'Histoire connaissent sur le bout des doigts leurs leçons, mais vues au travers du prisme de "l'objectivité"? Le révolutionnaire ne prétendant pas aux honneurs de "l'impartialité" ne peut envisager l'austro-marxisme" que sous l'angle de l'engagement militant. Par austro-marxisme sera désignée l'activité particulièrement maligne de réformisme et de lâcheté devant les tâches révolutionnaires avec lesquelles se sont illustrés ses divers chefs de file. Que ce soient Viktor, Max et Fritz Adler, Renner, Hilferding ou Bauer tous, en divers domaines ont développé la thèse de l'adaptation du socialisme radical pour une Autriche complexe, multinationale, multi religieuse... vouée à la consommation des siècles. Et, il n'est pas fortuit si ce sont ceux-là qui élaborèrent parmi les premiers, la thèse du passage graduel et pacifique au socialisme selon les voies et les moyens adaptés aux particularités nationales de chaque pays.
En fait, ce qu'on exhume du tombeau de l'histoire c'est un mouvement qui, lors de la grandiose lutte de janvier 1918, mit le pied à l'étrier de la contre-révolution. Le trait d'infamie de l'austro-marxisme, qu'aucune thèse universitaire n'effacera, a été de repousser, avec le concours de la prélature catholique, l'action révolutionnaire du prolétariat en Autriche, ce pont indispensable entre la révolution russe et le spartakisme. Convaincus que sans le rétablissement de l'ordre en Autriche, il eût été autrement plus difficile de renverser, dans l'été 1919, les soviets hongrois, quand nous songeons que le grand alibi que s'est donné l'austro-marxisme, c'était d'éviter au prolétariat les calamités sans nom provoquées par la "guerre civile", lui qui l'avait poussé dans les tranchées impérialistes, notre dégoût ne fait que grandir. Quel magnifique parallèle nous permet d'établir Gramsci dissuadant les travailleurs de Turin et Milan de s'emparer du pouvoir politique avec Bauer exhortant les masses ouvrières à ne pas compromettre par des excès la paix honorable et la République. Si, en Italie, à l'habileté du gouvernement Giolotti devant la vague d'occupations de septembre 1920 fit écho le slogan mystificateur du "contrôle ouvrier", en Autriche, au moment des troubles de rue dans Wien et Linz durant les pourparlers de Brest-Litovsk les dirigeants autrichiens discutaient avec les représentants du pouvoir du retour de la légalité en échange de menue monnaie.
Entre l'austro-marxisme et la commère italienne existe un autre point commun. Toutes deux tenaient en sainte horreur les "impatiences risquant de conduire à des actions prématurées condamnées à faire couler inutilement le sang des travailleurs". Toutes deux assuraient que la chute de la bourgeoisie se ferait par un phénomène de capillarité excluant l'intervention des grèves générales et, il va de soi, l'insurrection considérée comme une vieillerie blanquiste. Des deux côtés de l'Adige, la devise était : "Qui va piano, va sano".
La social-démocratie autrichienne pu paraître dans l'accomplissement de ses devoirs de solidarité internationale et, à la veille de l'holocauste, s'auréoler de la notoriété surfaite d'avoir appliqué correctement les principes d'internationalisme. Encore une légende qui ne résiste pas à un examen sérieux et s'écroule comme un château de cartes lorsqu'on sait la façon dont le mouvement ouvrier s'organisa dans le vieil Empire. Dans le cas autrichien, c'est le funeste triomphe du séparatisme et du fédéralisme si contraires au développement de la solidarité prolétarienne[1] [187].
Juriste de profession et avocat politique de l'autonomie territoriale et culturelle, Renner conçut la question de l'État du point de vue le plus platement démocratique. L'Autriche qu'il revendique, c'est celle où toutes les nationalités de l'Empire ont leur propre gouvernement et leur administration particulière. Il se sert du modèle de l'empire médiéval carolingien sous l'autorité duquel vivaient dix nationalités différentes avec pour chacune une langue et un Code spécifiques. La lutte de classe doit avoir pour fonction d'équilibrer les rapports intercommunautaires ; les relations sociales sont des rapports de "Droit" '; l'État une "une autorité territoriale de Droit" ; la société une " association de personnes". Ce faisant la lutte pour la reconnaissance du Droit amènera chacun des groupes de travailleurs -Slovènes, italiens, allemands, hongrois... à la liberté de fonder leurs propres associations culturelles, syndicales et autres. A l'échelle autrichienne, nous obtenons ce que doit être la IIème Internationale et le principe politique des nationalités dans la communauté socialiste future.
Quant à Bauer, sa thèse sur les nationalités ne vaut guère mieux, qui lie la victoire du socialisme à la réalisation du principe éternel des nationalités. Sous le socialisme, que la nation soit grande ou pas, elle pourra construire son économie nationale sur la base de la division mondiale du travail. C'est comme ça : «le socialisme sera à l'image des structures dont s'est d'ores et déjà doté le capitalisme : l'Union Télégraphique Internationale ou la Communauté des chemins de fer.»
Héritiers de la thèse du libéralisme qui fait de l'État une catégorie abstraite planant au dessus des classes, Renner et Bauer ferment de sept sceaux le livre de la jungle capitaliste : la bourgeoisie exploiteuse n'a pas crée un État national pour garantir à son industrie un marché national ; dans le cadre de cet État, elle n'a pas fait goûter à la classe opprimée l'idyllique politique du protectionnisme douanier, des impôts indirects et du sang ; elle ne s'en est pas servi comme instrument de conquête impérialiste. Elle a tout simplement poursuivi la réalisation de la Justice et du Droit.
Au sein de l'Internationale, ni Pannekoek ni Strasser, leader de la Gauche autrichienne, ne purent avaler pareille couleuvre. Leur dénonciation de l'école autrichienne fut implacable. La brochure de Strasser "L'ouvrier et la nation" mettait en garde contre la pénétration de l'idéologie nationale dans l'organisation prolétarienne. Elle annonçait la théorie du défaitisme révolutionnaire en cas de conflit mettant aux prises deux pays et concluait que le socialisme ne connaît plus le fait national. Laquelle brochure fut épuisée dans les deux semaines qui suivirent sa publication. Partis d'une même vision marxiste, Strasser et Pannekoek vont arriver à d'identiques conclusions : il n'y a pas de communauté nationale de destin et de culture, comme le prétend Bauer, entre le prolétaire écrasé par la domination capitaliste et la bourgeoisie, mais lutte irrépressible. Celle-ci débouchera sur une unité nationale constituant alors la seule communauté de destin de l'Humanité entière.
Grâce au comte Stürgkh qui venait depuis peu de mettre le Parlement en vacance, les députés sociaux-démocrates autrichiens n'eurent même pas à voter les crédits de guerre. Mais le Centre salua celui des "frères" allemands dans "l'Arbeiter Zeitung" du 5 août intitulé "le jour de la nation allemande", faisant vibrer, avec maestria, la corde sensible du crin-crin nationaliste.
Dans les hautes sphères du Parti, de la droite (Renner) à la gauche (Bauer), on était traditionnellement pangermaniste, toutefois avec une pointe de poésie : "Patience ! Le jour viendra ou l'on étendra une toile unique au dessus de toutes les terres allemandes". Les "majoritaires" ont approuvé l'ultimatum envoyé à la Serbie et ne manquèrent pas de joindre leurs voix au choeur des interventistes appelant les travailleurs à courber le dos sous la rafale guerrière. Voilà nos militants matérialistes à prier le dieu Mars pour qu'il donne la victoire "à la sainte cause du peuple allemand, un peuple uni, soulevé par une volonté puissante. L'histoire du monde irait à reculons si le bon droit du peuple allemand ne triomphait pas".
"O, bandes de Smerdiakovs" s'écrie alors Trotsky qui n'en peut plus de respirer les miasmes émanés de l'appareil social-démocrate autrichien. Y-a-t’il une opposition réelle à la politique menée par ces laquais ? Oui si l'on considère le "Cercle K. Marx", surgi au sein même du parti avec les "jeunes" (Hilferding, Bauern, M.Adler) qui condamnent la "majorité" pour avoir violé les engagements du Congrès international de Bâle ; oui si l'on estime que le prolétariat pouvait être réveillé de sa torpeur par un acte individuel "exemplaire". Non, si l'on pense que l'on ne peut jamais bâtir une politique révolutionnaire sur un acte terroriste ; non si l'on estime que le seul travail à faire est celui de la construction de la Fraction. C'est pourquoi le coup de feu de F. Adler qui abattit le comte Stürgkh n'avait aucune force salvatrice.
Il serait certes exagéré d'affirmer que l'austro-marxisme est allé jusqu'au noskisme. Toutefois, à la liquidation de la monarchie, le 12 nov.1918, il aura toute latitude pour tenir ses promesses. Excusez du peu : Renner, qui durant le conflit avait défendu la "Grande et unique Europe centrale allemande" connaît son jour de gloire en endossant la livrée de Chancelier du gouvernement de coalition de la première République que l'Autriche se soit donnée ; le chef historique du "Gesamtpartei" V. Adler, autorité incontestée, était nommé Secrétaire d'État aux affaires étrangères ; Seitz élu vice-président du Reicharat, sans compter les autres innombrables sinécures distribuées aux fonctionnaires du parti.
Eux que l'on considérait comme les sommités du marxisme, les représentants distingués de la "culture", les "Schüngeist" (beaux esprits) ne se retrouvaient plus chaque soir à philosopher à perte de vue sur l'apport de la pensée de Kant au marxisme dans la très célèbre brasserie politico littéraire du "Café central". Leur permanence, ils l'avaient établie dans le palais baroque de la Ballhausplatz, occupant les fauteuils encore chauds des ex-premiers ministres Aherental et Beck. Ils préparaient le rattachement de l'Autriche à l'Allemagne, mais ratèrent' leur "Anschluss" pacifique, objectif que réalisa par la voie violente le nazisme quelques années plus tard et qui ne différa du projet austro-marxiste qu'en ce qu'il fut centraliste au lieu d'être fédéraliste.
Mieux que quiconque Trotsky, qui vécut sept années d'émigration en Autriche après l'échec de 1905, a dépeint la social-démocratie de ce pays, ses méthodes de collaboration à peine voilées avec l'État monarchique, ses hommes et leur train de vie dans la capitale, modèle inégalé de "socialisme municipal" :
Tous ces brillants avocats du "possibilisme", ces honorables citoyens, qui prenaient une part active aux travaux de législature du Reicharat, avaient beaucoup "réalisé". Pour rien au monde, ils n'auraient voulu se laisser lier les mains par des "principes abstraits". Aussi, leur optique de "realpolitik" leur faisait voir dans le dirigeant du premier Soviet de Petrograd un espèce de déclassé lié par "un attachement donquichottesque aux principes". Deux visions du monde s'affrontaient et les travailleurs viennois le comprenaient très bien. Laissons encore témoigner Trotsky : "En même temps, je trouvais sans la moindre peine la langue commune avec les ouvriers sociaux-démocrates que je voyais aux réunions ou à la manifestation du 1er Mai". A ces 1er Mai, chaque année les dirigeants se demandaient avec angoisse si la démonstration pacifique n'allait pas tourner à l'émeute ou "dégénérer" en combat de rue comme cela avait été le cas en 1890 pour réclamer la libération de V. Adler, alors emprisonné pour "haute trahison".
La Wien où vécurent Trotsky et Boukharine était celle de la fin du long règne de Ferdinand, époque de stabilité et d'essor économique avec ses dizaines de milliers de "Biedermayer", incarnation du bon bourgeois chez qui rien ne saurait entamer la belle humeur, content de son bon sens des affaires. Nos austro-marxistes furent de ces Biedermayer qui, au lieu de se griser au son des valses, l'étaient par les flonflons célébrant la montée électorale du Parti. De cette façon, ils célèbrent toujours plus le caractère bureaucratique, militariste et absolutiste de la double Monarchie. C'est parce qu'il abandonna la vision catastrophique de l'histoire qu'il fallut attendre les expressionnistes, Trakl, Kraus ou Musil pour exprimer que cette maison de fous qu'était devenue l'Autriche allait voir s'abattre sur elle des catastrophes imminentes ; que sa civilisation allait s'achever dans la pourriture des charniers.
De même que dans l'Allemagne Bismarckienne, la social-démocratie autrichienne a été durant un lustre, de 1885 à 1891, mise au ban de la société par des lois d'exception du gouvernement Taafe. Pendant cette difficile épreuve, le socialisme fut l'objet de confiscations de journaux, d'arrestations de militants, de procès interminables. Il en sortit en tête haute, ne négligeant rien pour unir l'ensemble des travailleurs dans la lutte indispensable pour le suffrage universel. La Gauche, suivant en cela l'exemple du prolétariat belge, réclamait le recours à la grève générale mais se voyait continuellement objecter l'argutie tactique selon laquelle "il pourrait être avantageux de tromper l'adversaire sur nos forces mais malheur au parti s'il se trompe lui-même sur ses propres forces". Un pareil argument ne concourait qu'à paralyser les forces vives du prolétariat, remettant toujours à demain la lutte qui s'impose d'ores et déjà. C'était bien la Gauche qui voyait la solution juste puisque le suffrage universel ne fut arraché que sous les coups de la grève générale du 28 novembre 1905. Mais pas par elle seulement : la révolution russe y contribua énormément : à Wien, grève générale pour le suffrage universel, à Petrograd grève générale pour la journée de huit heures et ces deux mouvements se complètent organiquement car ils expriment tous deux des besoins de classe.
Dès l'instant où le pouvoir se partagea entre le Monarque et le Parlement, le Parti se lança, tête première dans la brèche constitutionnelle. Dans la serre chaude des concessions, la plante réformiste et opportuniste croît en tout sens pour triompher au congrès de Brno en septembre 1889. On y prononçait la transformation pacifique de l'État, l'extinction en douceur des classes : l'esprit de Lassalle soufflait sur le Congrès. Essentiellement, il s'agissait de faire pression pour tempérer le pouvoir impérial et de substituer au régime monarchique, fonctionnant le plus souvent par décrets-lois, la complète démocratie parlementaire.
Electoralement, la social-démocratie s'affirmait comme le premier parti politique du pays. Aux élections de 1911, les dernières avant l'effondrement de l'Empire, elle avait obtenu des chiffres colossaux avec 25 % des voix; à Wien elle emporta 20 des 33 sièges. C'est le couronnement d'une orientation vulgairement démocratique sur le terrain légal et qui va l'entraîner toujours plus loin. Que le Parti soit devenu typiquement ministérialiste, c'est ce qui dégage de la crise politique de 1906 même s'il s'était offert le luxe de refuser l'entrée dans le cabinet Beck. En principe, il ne refusait pas du tout la collaboration de ses élus avec les gérants de la classe capitaliste mais la recherchait consciemment. Quand l'Internationale, réunie à son congrès d'Amsterdam en 1904 posa le problème de "l'expérience Millerand", socialiste entré dans le cabinet de défense républicaine Waldeck-Rousseau, la délégation autrichienne fit entendre un plaidoyer pour la participation socialiste à un gouvernement bourgeois. En bonne compagnie avec Jaurès et Vandervelde, V. Adler présenta un amendement pour justifier à fond la valeur du ministérialisme.
Avec dépit, il fallait se rendre à l'évidence que tout le travail de près d'un demi-siècle dans le Parlement et les municipalités rendait, en fait, le prolétariat plus malléable à la propagande bourgeoise quand les nuages de la guerre s'accumulaient sur la tête des ouvriers.
Une poignée de nationalistes serbes, en assassinant l'héritier des Habsbourg allaient déclencher des évènements dont la portée fut inimaginable : la guerre et la révolution mondiales. La Monarchie règne sur 51 millions de sujets dont 40 millions d'allogènes répartis en une douzaine de nationalités sur un territoire couvrant près de 700.000 km2. Lorsque monte l'appel des armes, elle ne peut rien faire d'autre que de jeter son épée dans la balance des forces. Depuis des années que l'Autriche rongeait son frein, elle pouvait se servir de l'attentat de Sarajevo pour rendre la Serbie inoffensive. S'appuyant sur le puissant allié allemand, qui lui donnait carte blanche pour opérer dans les Balkans, elle crut saisir l'occasion pour briser ce que le Comte Czernim appelait "l'encerclement de la Monarchie par la nouvelle ligue balkanique impulsée et dirigée par les russes". Jusqu'alors les autrichiens étaient sortis vainqueurs de toutes les guerres de leur histoire mais cette fois le vent avait tourné, confirmant la défaite de Sadowa devant les prussiens munis de fusils à culasse. Au lieu d'enfoncer comme prévu les lignes serbes en un rien de temps, il fallut repousser les russes en Galicie et attendre une année pour que l'Allemagne vienne en aide à l'Autriche. Lorsque l'Italie entre en jeu, l'armée autrichienne est déjà au bord de l'épuisement. La Hongrie, se rendant compte de la proximité de la défaite, essayait de se séparer de la double Monarchie pour ne pas avoir à payer le tribut du désastre et aussi pour recouvrer son indépendance. Le sort des armes avait décidé autrement que les chancelleries ! Il fallut céder d'immenses territoires : la Bohême-Moravie, la Silésie, la Galicie, la Bukovine, la Hongrie, la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, la Dalmatie, la Carniole, l'Istrie, le Tyrol et la Carinthie méridionale. Il ne restait plus qu'une Autriche allemande ramenée à 120.000 km2 avec une dizaine de millions d'âmes, faisant de Vienne un monstre hydrocéphale, tête énorme sur un corps rabougri.
A quelques mois de la débâcle militaire, les conditions de vie se firent, de jour en jour, plus intenables. Le pays avait faim et froid. Quel prolétariat aurait pu accepter la poursuite de la guerre alors que celui de Russie venait de donner l'exemple ? Lorsqu'au début de janvier 1918, le ministre de l'alimentation Höfer décide de réduire de moitié la chiche, ration de pain, à Vienne éclate immédiatement l'action de la classe. Sous l'impulsion des conseils ouvriers, elle se propage à toute la Haute-Autriche, la Styrie industrielle et jusqu'en Hongrie. C'est l'occasion unique de raccourcir la guerre ; c'est la possibilité qui se présente concrètement de voler au secours de la révolution russe menacée.
Alors les savantissimes austro-marxistes qui savent toujours tout et mieux avant que les autres, ces hypocrites amis de la Russie prolétarienne qui, deux mois plus tôt ont déclaré qu'il fallait soutenir les bolcheviks, font paraître dans l'organe central "Arbeiter Zeitung" la déclaration suivante :
C'est parce qu'ils ont compris que "le sort des pourparlers ne sera pas réglé à Brest, mais dans les rues de Vienne et de Berlin" que les sociaux-démocrates se placent en tête du mouvement pour mieux l'étouffer, sous couvert de défendre "la cause sacrée, des travailleurs". Ils se chargèrent de porter le coup d'arrêt à la grève qui, en moins de quatre jours, est devenue générale. Devant les assemblées ouvrières, ses représentants présenteront un programme de revendications lu et approuvé auparavant par le président du Conseil Von Seider et le comte Czernim. Tout ce que les ouvriers obtenaient, c'étaient de fort belles promesses, comme seuls peuvent les ciseler en orfèvres les sociaux-démocrates : apparemment radicales, en réalité creuses et sonores.
Instinctivement, les travailleurs ressentaient que les chefs les avaient vendus et, dans un ultime sursaut, refusèrent de reprendre le travail. Alors, pour venir définitivement à bout des dernières poches de résistance, la direction socialiste utilisera ses hommes de confiance pour expulser des assemblées "les irréductibles". Enfin pour faire bonne mesure, elle brandit l'épouvantail de la répression policière. Ces "extrémistes irresponsables" qui sentaient le fagot, c'étaient les éléments qui bientôt allaient fonder le parti communiste. A la fin de la grève, ils lancèrent la proclamation "traîtres et vendus" :
Pendant le mouvement, le préfet de Wien aura noté qu'au début, les autorités étaient débordées, sans aucun moyen d'intervenir de manière énergique et qu'il aurait fallu disposer de dix mille hommes le colonel Kloss, ministre de la Guerre, fit ressortir dans son rapport militaire au Conseil des Ministres du 28 janvier que les ouvriers disposaient d'armes nombreuses et entraient librement dans l'enceinte de l'Arsenal. C'est bien malgré lui que Bauer détruit ses propres thèses de l'isolement et de la répression :
Où sont les troupes tchèques, croates et de slovènes d'antan qui furent mises à la disposition de Windischgrätz pour mater la révolution démocratique de Wien en 1848 ? Qui se trouvait isolé sinon l'État à qui était refusé le support de baïonnettes de l'armée permanente ? Sur un front s'étendant de l'Adriatique aux plaines de la Pologne et courait le long de la formidable barrière des Alpes, l'armée autrichienne n'avait pas fait preuve d'un "héroïsme admirable". Dès la mobilisation des recrues, à qui l'État-Major faisait prêter serment de bravoure, le moral était peu brillant, comparable en cela à celui des soldats italiens. Dans la boue ou la neige, les soldats autrichiens n'avaient qu'une hâte : en finir au plus vite avec la boucherie. Le soldat autrichien déserte ou passe aux Russes ; s'il refuse de s'exposer aux coups de quelque coté qu'ils viennent, c'est alors le «brave soldat Chveik» simulant l'idiotie pour échapper au front.
Le commandement ne réussissait pas à opposer des forces régulières importantes et sûres aux grévistes, comme le confirmera presque aussitôt la mutinerie des marins de Cattaro que, seule l'intervention des sous-marins allemands, pu réduire. Tout de suite après la grève de janvier, vers le 6 février l'équipage de la flotte autrichienne mouillée dans les eaux de Cattaro, se souleva ; les marins hissent le drapeau rouge, forment" leurs conseils et rejoignent les ouvriers des arsenaux en grève. Un anarchiste, J. Cserny, qui au cours de la future «Révolution des chrysanthèmes» allait servir héroïquement dans le bataillon "les gars de Lénine" en Hongrie, se porta à la pointe du combat, encourageant ses camarades au combat de classe.
En un mot, la "démoralisation" rendait l'armée impropre à ses tâches impérialistes ; l'insubordination des régiments tout entiers, réalisait la vieille prédiction du "général" blanchi sous le harnais de la lutte du prolétariat :
Pareil mouvement avait pu prendre une ampleur grandiose en Allemagne et surtout en Russie parce que là le parti bolchevik avait su donner une liaison étroite entre les conseils ouvriers et les soviets des soldats et de marins. A la tête de la révolte, marchent résolument les matelots puisque leur service à bord exige d'eux des capacités d'ingéniosité et de discipline car un bateau est une véritable usine flottante. L'Autriche n'était pas devenue une puissance navale, coincée entre l'Allemagne impériale et la Russie tsariste : sa chair à canon est constituée essentiellement de paysans qui sont, par nature peu enclins à se plier à une discipline, fût-elle celle de la révolution.
Mais l'État-Major ne badinait pas envers ceux qui s'étaient laissés emporter par un mouvement de révolte. Czernin, très apprécié de la direction du parti socialiste avec laquelle il entretenait des rapports, on ne peut plus cordiaux, exerça de cruelles représailles sur les mutins, soulevés contre l'absurde discipline de corps et la poursuite insensée de la guerre. Czernin pouvait faire pendre et fusiller des dizaines de mutins, il avait encore et toujours la confiance des socialistes autrichiens, comme jamais auparavant aucun autre homme d'État de l'Autriche ne l'avait eue. "Vous et moi, est-ce que nous ne nous entendions pas bien ensemble" se plaisait à répéter le comte au vieil Adler, lequel ne pouvait que lui répondre en souhaitant de voir son Excellence demeurer fidèle à elle-même et ne pas s'écarter d'une politique qui lui valait l'assentiment de la direction socialiste.
Les choses allaient de mal en pis. Dès le 20 décembre 1917, la classe dominante se rendit a l'évidence qu'il fallait confier rapidement les destinées de l'État à un fondé de pouvoir des plus sûr. Son choix ne fut pas difficile et se porta sans tergiversations sur la social-démocratie qui, durant la paix, avait si bien administré son "patrimoine" de parti responsable.
A un Empereur sur le trône depuis 68 ans, le comte Czernin, particulièrement clairvoyant, télégraphiait :
Les mandarins de la social-démocratie autrichienne, législateurs, bourgmestres ou directeurs de coopératives, s'étaient finalement intégrés dans les rouages du capital financier. Quand il fut plus qu'évident que les revendications économiques des grévistes, pour ne pas mourir de faim, s'orientaient dans la voie politique, leur action fut de se mettre en travers de la lutte du prolétariat pour briser son élan et le détourner de la lutte pour le pouvoir.
C'était bien là ce qu'avait discerné autrefois Trotsky, des représentants du type opposé à de lui du révolutionnaire. La social-démocratie autrichienne était tout à fait représentative “de cet Occident supérieurement développé composée de poltrons qui, en spectateurs paisibles laisseront les russes perdre tout leur sang" (R. Luxembourg).
Il fut particulièrement difficile de constituer le parti communiste pour la réalisation des nouvelles tâches qui trouvèrent les éléments radicaux dans un état d'impréparation lamentable. Même après plusieurs années de massacre, le pôle où l'opposition à une politique d'Union Sacrée suivie par la social-démocratie puisse se cristalliser faisait encore défaut : les Gauches étaient désunies, dispersées autant qu'il était possible.
Koritschoner avait vainement lutté contre le sabotage de la grève de janvier 1918 ; maintenant il remuait ciel et terre pour réunir dans une seule formation distincte les minoritaires de guerre. Sa tâche lui fut facilitée par les discussions engagées à Kienthal par Lénine et Radek. Il rencontra un terrain favorable auprès de certains éléments de l'Association des Etudiants Socialistes ; un groupe de tendance anarchisante "Internationale" ; les syndicalistes révolutionnaires ; l'extrême gauche du groupe socialiste juif de "Poale Sion" et, bien entendu, son propre groupe des "Linksradicale", comprenant J. Strasser qui, comme tant d'autres, avait mis un terme à son activité social-démocrate à l'issue de la grève générale de 1918.
La personnalité de F. Adler fit, pour une part notable, barrage à la constitution de la nouvelle formation révolutionnaire. Celui-ci, à la suite de l'attentat du mois d'octobre 1916 sur la personne du comte Stürgkh était devenu pour toute la classe ouvrière le symbole de l'hostilité à la guerre et du sursaut contre la position chauvine de son parti. Son attitude courageuse lors du procès qui le condamnait à mort, renforça son auréole de martyre. Or, contre toute attente, à sa sortie de prison en novembre 1918, au lieu de servir de drapeau révolutionnaire aux masses, il se remet à la disposition du parti socialiste qui avait proclamé que son acte était celui d'un forcené. Son titre de gloire va servir ainsi à détourner de la lutte pour le pouvoir. Il aura les mains libres pour réunifier tous les conseils en "zentralrätte", instruments d'une lutte difficile contre.... l'aventurisme "communiste" sur le terrain des conseils. La propagande sociale-démocrate contre la scission fut considérable et exerça une profonde influence sur les travailleurs ; elle excita la classe ouvrière contre les communistes en faisant appel à ses pires préjugés. Les mots d'ordre des communistes pour la République des Conseils furent dénoncés comme "agitation effrénée lancée au mépris de toutes les réalités politiques et sociales".
Qui sont réellement ces "énergumènes" dont on dit que leur véritable intention consiste à conduire le pays au chaos ? A Wien, le parti communiste s'appuie sur les ouvriers de districts, ainsi que sur les soldats et démobilisés organisés en milice armée, installée dans une caserne de la Mariahilferstrasse. A Linz, le Soviet des députés des ouvriers et soldats se trouve influencé par les militants communistes. A Salzbourg, le parti possède un appui solide parmi les ouvriers et les paysans, pauvres de la montagne.
L'ancienne armée monarchique était en débandade, les soldats quittaient les casernes pour centrer chez eux. A leur retour de Russie, les prisonniers de guerre, les soldats démobilisés entièrement gagnés aux thèses bolcheviks, rentrent au pays en rapportant tracts, journaux et brochures. Assurément, les appels répétés aux ouvriers, paysans et soldats de tous les pays belligérants ont trouvé un profond écho en Autriche-Hongrie; plus particulièrement, le "Manifeste du Comité Central Exécutif et des Commissaires du Peuple aux ouvriers d'Autriche-Hongrie du 3/11/1918". Même Bauer du reconnaître "dictature du prolétariat", "pouvoir des soviets", on n'entendait que ça dans les rues. Dans les premiers jours de novembre 1918 se constitua le parti communiste pour l'Autriche allemande, avec pour toile de fond les premières manifestations de masses où l'élément le plus important était constitué de soldats démobilisés d'eux-mêmes ou de rapatriés de guerre. Les énergiques militants de la "Linksradicale", groupée autour de Koritschoner, jugeaient la proclamation du parti prématurée puisque tout était à mettre sur pied, depuis les sections locales jusqu'aux organismes centraux. Mais ils finirent par se rallier, le jour même du premier congrès, le 9 novembre 1919.
Après avoir attentivement examiné la situation de décadence irrémédiable du capitalisme, le congrès déclara que la question de participer à la vie parlementaire restaurée par les soins de l'austro-marxisme se posait uniquement pour distraire le prolétariat des voies insurrectionnelles le conduisant à sa dictature de classe. En conséquence, le parti décida à l'unanimité à l'unanimité de dénoncer les fébriles préparatifs électoraux parce que s'effectuant dans la période historique de la révolution prolétarienne.
La Gauche, qui allait diriger le PCA jusqu'à ce que la bolchévisation fasse subir son oeuvre dévastatrice des acquis, en plaçant au sommet deux médiocrités : Fiala et Koplenig, n'eut que très peu de temps devant elle pour charpenter le parti. Elle saisit immédiatement la proclamation officielle de la République, le 12, pour appeler tous les prolétaires et démobilisés à manifester devant le vénérable parlement sous le mot d'ordre "pour la république socialiste" inscrit sur un océan de banderoles. Une foule immense était rassemblée lorsque la fusillade éclata. Alors, en riposte immédiate, un détachement de la "Garde Rouge" occupa la "Neue Freie Presse" et réussit à faire imprimer une proclamation sur l'imminence de la chute définitive de la république bourgeoise.
De la part de la jeune formation communiste, la surestimation des possibilités révolutionnaires était grande avec, en plus, un manque d'unité de vue. Ceux des "Linksradicale" ont même désapprouvé l'occupation du journal, attitude démontrant, hélas, que les groupes ne s'étaient pas encore fondus en un tout cohérent et ordonné. Facilitée par cette discorde, la répression s'abattit à un train d'enfer. A peine constitué, le parti devait passer dans la semi clandestinité : militants pourchassés, locaux sous scellés, journaux interdits, méthodes de gouvernement parfaitement démocratiques que les sociaux-démocrates appliquèrent avec un zèle tout particulier : à Gratz, important centre industriel de Styrie, le "camarade" Resel, commandant militaire de la place, dirigea contre les communistes une terreur en règle.
Durant les premiers mois de 1919, l'Autriche connut une situation épouvantable, mettant à l'ordre du jour la révolution. En Hongrie, dans la nuit du 21 mars, B. Kun et ses compagnons étaient arrachés de la prison par une foule de manifestants : les ouvriers occupèrent les quartiers névralgiques de BudaPest, les conseils proclamèrent la dictature rouge. En Bavière, c'était l'établissement de la république des conseils, le 7 avril. Le parti en Autriche considérant la situation mûre et, fort de ses 50.000 membres fixa l'insurrection pour le 15 juin, pour coïncider avec la date retenue par la commission d'armistice pour la réduction des effectifs militaires.
Soupçonnant la faiblesse des communistes, la social-démocratie se hâta d'accumuler les embûches. Le 13, F.Adler s'adressa aux ouvriers pour les mettre en garde contre un éventuel putsch communiste ; O. Bauer intervint auprès des représentants de la commission pour lui demander de ne pas dégarnir les casernes par un licenciement intempestif de la milice. De la sorte, travaillé par la propagande de l'ex-héros Adler, le conseil ouvrier de Wien se prononça contre l'Insurrection pour se réfugier dans les bras de la démocratie qui ne tarda pas à l'étouffer. Même après l'action de novembre, le parti communiste était loin de posséder une correcte unité de vue sur le problème de l'insurrection.
Faute d'avoir réussi à
prendre solidement appui, tels les bolcheviks, sur une puissante vague de
grèves ouvrières, de ne pas avoir gagné suffisamment d'influence sur les
conseils et de ne pas avoir saisi quel était le moment le plus critique dans
les rangs ennemis, l'insurrection a tourné court. La "Garde Rouge"
attendant en vain le signal de l'attaque se coordonna mal avec le reste des combattants.
La reculade des responsables du parti au dernier moment, leurs atermoiements
coûtèrent la vie à une trentaine de manifestants touchés par la fusillade
ordonnée par le ministre de l'Intérieur, le social-démocrate Eldersch. Le
tragique exemple autrichien nous montre comment il ne faut pas faire
l'insurrection, parce qu'à Wien, elle s'est faite justement sous la forme tant
redoutée du "putsch".
A la limite, la dictature du prolétariat exercée par le système des conseils d'ouvriers et de soldats, Adler et Bauer pouvaient le concevoir, mais à une condition expresse : qu'elle se fasse loin de chez eux, chez les voisins "arriérés". Qu'elle surgisse, avec son cortège de violence, dans la Russie où régnait le "despotisme oriental", qu'elle ait lieu en Hongrie ou Tchécoslovaquie, passe encore. Mais pour les travailleurs autrichiens qui disposent depuis des générations de ce réseau serré de municipalités, de crèches, de clubs sportifs, de cités "ouvrières" ou de coopératives, alors "Vade rétro, Satana" :
Ces paroles empreintes d'une rare sagesse, que Bauer prononça en 1924, n'étaient en fait qu'une pétition de principe sans lendemain. Quand, en 1933 arriva l'heure de démontrer dans la pratique la force de cette fameuse théorie de la "violence défensive", le parti dirigé par Bauer s'effondra sans combat.
Plus à "gauche" dans le parti, Adler tient des propos identiques :
En brisant le vieil appareil d'État, la Commune de Paris a aboli la distinction bourgeoise entre législatif et exécutif. A l'opposé de cette expérience historique, Adler veut exprimer sa confiance, toute démocratique, au parlementarisme, ce "moulin a paroles où se décide périodiquement quel membre de la classe dominante écrasera le peuple"(Lénine). Quelle horreur si les conseils venaient à confondre législatif et exécutif. Monsieur de Montesquieu se retournerait dans sa tombe!
Avant la première guerre, la social-démocratie autrichienne justifiait sa position "défensive" par le fait qu'il ne fallait pas perdre les conquêtes obtenues à l'intérieur du capitalisme, depuis l'abrogation des droits douaniers jusqu'aux dispensaires "ouvriers" et boulangeries municipales, barrage à la cherté de la vie (sic). A la fin de la guerre, à cet argument s'en ajouta un autre : celui de "rapport de forces".
On partait de l'idée, réellement fondée, que l'Autriche réduite à la dépendance économique, n'aurait jamais suffi à ses besoins sans l'appui des puissances victorieuses. Tout dépendait du bon vouloir de celles-ci. La guerre civile, rompant l'équilibre des forces aurait immédiatement provoqué l'intervention de l'Entente et, c'en aurait été fini du processus de "socialisation lente" qui, peu à peu, transformait les rapports sociaux de production.
Comme toujours en pareil cas, la prise du pouvoir politique par le prolétariat était rabaissée à un acte putschiste de type blanquiste à empêcher coûte que coûte. Mieux valait tenir que courir et, puis si la classe dominante essayait de réagir à son expropriation, c'est alors qu'interviendrait la "violence défensive".
Qu'entendait donc l'austro-marxisme
par là ? Protéger la Constitution de la République contre toute attaque d'où
qu'elle vienne. Parbleu ! C'est pourquoi il veillera à ce que l'armée
reconstituée dispose d'armes et de matériel en quantité suffisante. En 1923, il
donna corps à sa doctrine en constituant le Schutzband pour seconder l'armée
fédérale numériquement très faible. Ainsi le prolétariat autrichien devenait le
bouclier de la démocratie, une démocratie se faisant chaque jour un peu plus
carnassière.
Une fois la grève de janvier liquidée, la social-démocratie pu se consacrer à un problème qui lui tenait particulièrement à coeur : poursuivre la "socialisation" entamée dans la période de développement organique du capitalisme autrichien.
En mars 1919, Bauer se trouva promu à la tête de La "Commission de socialisation" aux côtés d'experts économiques chrétiens sociaux, où il pu faire la preuve de ses immenses talents d'administrateur. Socialistes et chrétiens sociaux attaquèrent au problème de la "socialisation" les mines de fer et de charbon et de l'industrie lourde. Les anciens trusts et cartels, nés pendant la guerre se convertirent en "Union Industrielle", gérées suivant le principe de la co-gestion.
Bauer ne s'est jamais lassé de répéter qu'il fallait faire l'impossible pour diminuer les frais de production et développer les méthodes le rationalisation en vigueur dans les pays plus développés :
Mais la condition indispensable à la réussite du capitalisme "populaire" consistait à ramener dans le bercail social-démocrate les "Arbeiträtte". En tant qu'organisation de lutte, ces derniers s'étaient écroulés sous l'attaque sournoise de la constitution démocratique et, surtout à cause de la chute de la République hongroise des Conseils sous les coups de l'armée française d'Espéry. Ils se transformaient en simples instruments de cogestion pour la fixation des salaires et de stimulant de l'effort productif.
Le 15 mai 1919, la loi officialisait l'existence des conseils ouvriers sous forme de conseils d'entreprise avec mission d'arbitrer les conflits survenant sur les lieux d'exploitation, pour faire cheminer sans heurts le capitalisme autrichien.
Dans le temps où il
fréquentait l'Université, cet O. Bauer avait beaucoup impressionné Kautsky qui
croyait, pas moins, avoir rencontré... Marx ! : "C'est ainsi que je me
représente le jeune Marx". Confondre Marx et Lassalle, qui lui pouvait
flirter avec Bismarck, voilà encore un bel effet d'optique de l’opportunisme !
Les "sages" austro-marxistes qui étaient à la tête du parti social-démocrate le plus parfaitement organisé du monde, se sont félicités d'avoir épargné au prolétariat autrichien le "cauchemar" de la guerre civile. Et ils se sont congratulés de l'avoir engagé dans "une paix Véritablement constructive destinée à durer". En pleine crise révolutionnaire, pour calmer la faim et la colère des masses, ils leur ont jeté l'os de la "sozialpartnershaft" autrement dit la cogestion. Il est vrai qu'à Wien, les socialistes avaient su élever jusqu'à l'art la tactique de la neutralisation du prolétariat par une fourberie rarement égalée.
Une fois le grand précurseur de la révolution russe, Herzen, a dit de Bakounine que ce dernier était parfois trop enclin à prendre le troisième mois de la grossesse pour le terme. En tant que campagnard un peu rustre, notre "batko" n'entendait certainement rien à l'obstétrique sociale et manipulait dangereusement, comme à Lyon en 1871, le bistouri social. Mais nos raffinés docteurs en science de l'austro-marxisme firent pire : ayant refusé d'accoucher l'enfant ; ils récoltèrent en retour... l'austro-fascisme.
Vers les années 1933, l'Autriche se trouvait être le théâtre du dernier acte de la guerre civile commencée en 1918. Cette république modèle, portée sur les fonts baptismaux par les grands officiants de la "voie pacifique au socialisme” ne faisait aucun quartier. Progressivement, la police légale investissait ce qui, naguère, faisait l'orgueil des bonzes.
De même qu'en Italie, dans un dernier sursaut, le prolétariat autrichien prit les armes, non pour sauver les institutions, mais pour vendre le plus chèrement possible sa peau. Des centaines de combattants ouvriers versèrent leur sang, par groupes isolés, sans directive centrale, en dépit de la carence des chefs militaires du "schutzbund" et surtout contre les ordres formels de la Zentrale qui prêchait, encore à ce moment là, la confiance dans les rouages démocratiques. Un grand nombre de membres du parti socialiste se battirent malgré eux, le fusil à la main ce qui, évidemment, permit à la social-démocratie en tant que telle de se retrouver avec l'auréole de martyr de la lutte anti-fasciste.
Après l'héroïque soulèvement de février 1934, les gardes civiques de la "Heimwehren" ratissaient les rues de Wien et de Linz au pas cadencé ; les domiciles des travailleurs étaient perquisitionnés et mis à sac. On pouvait voir alors le débonnaire citoyen Biedermayer, rendu enragé par la crise, donner la chasse aux juifs et aux ouvriers. Monseigneur le prince le Stahrenberg et Monseigneur le très dévôt ; Seipel, faisaient mettre en position les lance-mines de la république pour bombarder les derniers grévistes ; partout, dans les usines, les travailleurs "rouges" étaient remplacés par des employés "patriotes". La démocratie parlait le langage de la poudre dans un État se définissant "totalitaire mais sans arbitraire".
L'austro-marxisme avait beau jeté ses cris perçants de femmelette et proposé aux communistes le pacte d'unité d'action anti-fasciste. C'était bien lui et personne d'autre qui avait préparé le lit du fascisme. Jouant sa sempiternelle carte du "moindre mal", n'avait-il pas tenté un rapprochement avec Dolfuss pour protéger l'Autriche du nazisme ? En 1934, Dolfuss lui marqua toute son ingratitude en le réduisant à l'illégalité.
Avant de disparaître, Bauer eut encore le temps de signer une ultime forfaiture. Il salua, lui l'ennemi de toute violence, la sinistre théorie du socialisme dans un seul pays. Il engagea les travailleurs du monde entier à suivre l'exemple du stalinisme. Il en appela aux partis "ouvriers" des pays démocratiques à conclure l'Union Sacrée avec leurs gouvernements :
Quand l'Armée Rouge, en avril 1945, "libéra" Wien, le vieux Renner se vit confier par les russes la tâche de former le gouvernement provisoire et Staline put faire l'éloge du "chancelier d'opérette”. Renner est certainement un des rares politiciens qui, par deux fois au cours de sa vie, eut à mettre sur pied un appareil d'État dans des moments cruciaux pour "sa" bourgeoisie.
Aujourd'hui, l'homme qui est chargé de faire avaler aux travailleurs autrichiens la pilule de l'austérité se nomme Kreisky qui se targue de continuer l'oeuvre de l'austro-marxisme. Nous ne saurions en douter un seul instant.
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Pannekoek : "Lutte de classe et nation"
[1] [188] Un parti centralisé, c'est certes ce qui était souhaité... à la condition qu'en son sein soit respectée l'autonomie nationale. Loin d'être à l'image de la communauté d'intérêts de tous les prolétaires, le "Gesamtpartei" ressemblait au manteau d'Arlequin fait de plusieurs petits partis nationaux. Un affirme sa "germanité", un second son "italianité", un troisième sa "ruthénité". Au Reicharat, il était d'usage courant que tel groupe de députés socialistes tchèque vota dans un sens tout à fait contraire à celui des camarades allemands. Moins il sera question de souder le prolétariat en une armée compacte sur l'objectif de classe, plus on occupa l'esprit des travailleurs avec le "fait national", plus vite se fit la débandade. A partir des années 90, la crise séparatiste brisa l'unité ouvrière. On réorganisa les syndicats en donnant entière satisfaction aux tendances séparatistes et, à la fin du siècle, le syndicalisme autrichien était tronçonné en autant de fédérations qu'il existe de groupes nationaux.
Présentation
Nous publions dans ce numéro les principaux textes du second Congrès du Courant Communiste International. Ce Congrès a essentiellement été consacré au réexamen et à la vérification de l'orientation du CCI. Il a été un moment où l'organisation internationale toute entière, tire le bilan et trace les perspectives pour la période à venir.
Ce second Congrès a ainsi réaffirmé avec force, à la lumière de l'expérience, la validité des bases principielles sur lesquelles s'est fondé le CCI, il y a un an et demi :
Seule cette basé de principes cohérents donne un sens global à l'activité révolutionnaire et le second Congrès du CCI s'est donné comme tâche la mise en application de ces principes à l'analyse de la situation politique actuelle.
es textes du Congrès parlent d'eux-mêmes, mais on ne peut en saisir toute la portée qu'en les comprenant comme le résultat du travail collectif d'une organisation révolutionnaire. L'élaboration méthodique des perspectives tout comice sa traduction en interventions actives nécessitent la création d'un cadre collectif et organisé. Ce Congrès a donc, considéré l'élargissement général de l'organisation dans ses huit sections territoriales et surtout le développement du travail du CCI en Espagne, en Italie, en Allemagne et en Hollande comme une vérification de l'orientation défendue et suivie depuis longtemps. Plus que le simple accroissement numérique, l'important a été la capacité du CCI depuis dix-huit mois à diffuser régulièrement ses analyses dans 95 numéros de ses publications, en 7 langues, distribuées un peu partout dans le monde.
Les textes ci-dessous sont aussi le fruit d'une recherche politique et théorique constante du CCI pour pouvoir aller plus loin vers les problèmes que la lutte de classe pose pour l'avenir et notamment sur la période de transition au socialisme. En ce sens, ces textes cristallisent un an et demi d'efforts de discussions aussi bien avec d'autres courants politiques qu'au sein du CCI. La capacité d'élever constamment le niveau politique du CCI et ceci de façon homogène dans toute l'organisation en comptant sur l'apport de tous les militants, a été et reste un axe fondamental du travail, seule façon d'assurer que les révolutionnaires puissent contribuer à l'approfondissement théorique dans le mouvement ouvrier.Expression d'un effort organisationnel et d'une recherche théorique, les travaux du second Congrès expriment aussi la volonté de mieux com-prenùre le milieu révolutionnaire aujourd'hui afin d'oeuvrer vers le regroupement. Nous pré-, sentons donc ces documents à la lumière des récentes tentatives importantes de confrontation entre groupes politiques prolétariens. En mai 1977, le Partito Comunista Internazionalista ("Battaglia Comunista") a convoqué une Conférence Internationale[3] [192] de discussions à laquelle a participé le CCI. D'autres groupes invités (dont la Communist Workers Organisation et Fomento Obrero Revolucionario) n'ont malheureusement pas pu être présents et d'autres comme Pour Une Intervention Communiste ont refusé; mais les débats sur la période actuelle et les implications pour la lutte de classe, sur le rôle des syndicats et sur l'organisation des révolutionnaires ont aidé à dissiper des malentendus, à mieux cerner les points d'accord et les raisons des désaccords. Suite à cette tentative, limitée mais fructueuse de clarification, le CCI a accueilli une délégation du PCI-Battaglia Comunista au second Congrès où ces camarades ont pu porter le débat devant l'ensemble de l'organisation. Les impératifs imposés par le développement de la résistance ouvrière sont aujourd'hui ressentis de façon beaucoup plus forte dans le milieu révolutionnaire en tant qu'impulsion vers les contacts internationaux. En septembre 1977, plusieurs groupes suédois et norvégiens organisent une conférence, de discussions à laquelle le CCI participe.
Un autre élément de la situation actuelle prouvé par l'expérience de ces dernières années, est la' faillite de la théorisation de l'isolement. Ceux qui, en 1975, ont rejeté le regroupement et même tout contact avec le CCI - PIC en France, la CWO en Grande-Bretagne, le Revolutionary Workers 'group aux USA - se sont depuis longtemps disloqués entre eux, condamnant la tentative d'association anti-CCI à la stérilité. La RWC s'est dissoute il y a un an après avoir subi les métamorphoses du modernisme. La CWO, pour sa part avait déjà recueilli l'an passé les premiers fruits amers de l'unification confuse et sectaire entre Revolutionary Perspectives et Workers 'Voice : l'éclatement de leur "regroupement" national en deux morceaux. Tout récemment, au cours de l'été 77, le reste de la CWO a subi une seconde scission et ceux qui quittent la CWO défendent, cette fois-ci la nécessité du regroupement et plus particulièrement expriment la volonté d'entamer une discussion avec le CCI dans ce sens[4] [193].
C'est dans ce contexte général que nous présentons les textes du Congrès qui portent sur trois thèmes principaux :
[1] [194] Revue Internationale n°5
[2] [195] Révolution Internationale n°22
[3] [196] Revue Internationale n°10 et textes de la Conférence Internationale (brochures) (ronéoté en Français et Anglais, n° spécial de "Prométéo" bilingue français-italien)
[4] [197] Les textes de cette scission et une mise au point sur les discussions seront publiés dans le prochain numéro de la Revue Internationale ainsi que dans "Revolutionary Perspectives" (organe de la CWO à notre critique parue clans les n°s 9 et 10 de la Revue Internationale)
Ce rapport sur la situation internationale tente de tracer les perspectives politiques et économiques fondamentales que au cours de l'année à venir. Plus qu'une analyse détaillée de la conjoncture économique et politique actuelle même dans les principaux pays capitalistes -analyses qui se poursuivent aujourd'hui de façon régulière dans les publications des différentes sections territoriales du Courant Communiste International-, nous nous efforcerons de donner les lignes essentielles, les axes fondamentaux qui vont déterminer le cours de l'économie capitaliste pour l'année prochaine et qui vont dessiner l'orientation politique des diverses bourgeoisies nationales et les actions des deux blocs impérialistes. Nous espérons ainsi élaborer une perspective cohérente pour guider l'intervention du CCI dans les batailles de classe décisives qui se préparent de plus en plus : perspective qui sera un des éléments pour que le CCI devienne de plus en plus un facteur actif du développement de la conscience du prolétariat, pour que le CCI puisse devenir un élément vital de l'orage prolétarien qui déracinera et détruira l'Etat capitaliste dans le monde entier et ouvrira la transition au Communisme.
Malgré les proclamations triomphales de "reprise" avec lesquelles politiciens et hommes d'Etat bourgeois ont tenté de calmer leur faim croissante et ont appauvri le monde, ces deux dernières années, la crise économique capitaliste globale s'est approfondie sans relâche. Dans les pays industrialisés du bloc américain (OCDE), la croissance du PNB réel et des exportations a décliné depuis le début de 1977 (voir tableau ci-dessous). Cependant, même ces sombres tableaux n'arrivent pas à traduire la situation catastrophique dans laquelle les pays européens les plus faibles économiquement, comme la Grande-Bretagne, l'Italie, l'Espagne et le Portugal se trouvent aujourd'hui. Des PNB quasiment stagnants, un effondrement des investissements dans des nouvelles branches et des déficits énormes du commerce et des balances de paiements, ont mené â une dévaluation de fait de leurs monnaies, une chute vertigineuse des réserves d'échange et une poussée des dettes extérieures.
Il en est résulté une hyper-inflation (Grande-Bretagne, 16-17% ; Italie, 21% ; Espagne, 30% ; Portugal, plus de 30%) et un chômage massif (Grande-Bretagne, 1,5 million ; Italie, 1,5 million ; Espagne, 1 million ; Portugal, 500.000 soit 18% de la population officiellement).
Ces quatre pays sont réellement en faillite et ne sont maintenus à flot que par les prêts et les crédits qui dépendent en dernier ressort du bon vouloir des Etats-Unis. La bourgeoisie de ces hommes malades de l'Europe ne parle même plus de "reprise" ou de "croissance" ; le nouveau mot d'ordre est "stabilisation", euphémisme pour l'austérité draconienne, la déflation et la stagnation auxquelles ils sont condamnés par leur faiblesse économique et les dictats de leurs créanciers. Qui plus est, les rangs de ces hommes malades commencent à être rejoints par la France, la Belgique, le Danemark, la Suède et le Canada, pays dont la puissance économique n'était pas mise en question dans les cercles bourgeois il y a quelques années, mais qui s'enfoncent maintenant rapidement dans le marécage des déficits incontrôlables du commerce et des paiements, des dévaluations, des dettes accrues, de l'hyper-inflation et du chômage montant en flèche, auxquels ont déjà droit leurs proches voisins.
Un coup d'oeil sur les économies puissantes du bloc américain -Etats-Unis, Allemagne, Japon- révèle rapidement une extrême fragilité et de sombres perspectives pour ces mêmes économies qui semblent fortes. La santé apparente de l'Allemagne et du Japon -avec leurs importants surplus commerciaux et leurs monnaies robustes- repose presque exclusivement sur de gros efforts d'exportation massive et un dumping systématique. Parallèlement, les Etats-Unis ont bénéficié d'une série de mesures inflationnistes qui sont arrivées maintenant à leur terme et du fait que le déficit de leur commerce a largement été compensé par d'énormes bénéfices invisibles (paiements d'intérêts, profits d'investissements à l'étranger, transfert de capitaux, etc.) qui échoient au chef de file d'un bloc impérialiste. En effet, bien qu'ils se défendent de s'adonner à une politique aux dépens du voisin pour atténuer le choc de la crise mondiale, c'est précisément ce qu'ont fait les Etats-Unis, l'Allemagne et le Japon ; ils n'ont présenté un semblant de santé économique qu'en reportant les pires effets de la crise sur les nations les plus faibles du bloc. Cependant avec la chute alarmante de nouveaux investissements, avec les mesures extrêmes que prennent les pays au commerce en déficit pour réduire leurs importations, les possibilités pour les Etats-Unis, l'Allemagne et le Japon d'atteindre leurs objectifs de croissance prévus pour 1977 (Etats-Unis, 5,8% ; Allemagne, 5% ; Japon, 6,7%) et de réduire par là leur chômage déjà dangereusement élevé (Etats-Unis, 6,7 millions ; Allemagne, 1,4 million ; Japon, 1,4 million) sans même parler de fournir un quelconque stimulant à leurs "partenaires" plus faibles, apparaissent de plus en plus hypothétiques. Et aucun des trois grands ne se mettra ardemment à relâcher cette pression par de nouveaux budgets inflationnistes, confrontés qu'ils sont au spectre de l'inflation galopante qui se rapproche à nouveau d'un taux à deux chiffres aux Etats-Unis (6,4%) et au Japon (9,4%).
Dans le bloc russe (COMECON), même les bureaux de planification étatiques doivent maintenant reconnaître la présence et l'accroissement du chômage et de l'inflation - effets sans équivoque d'une production capitaliste et de sa crise permanente. L'activité économique du bloc russe a été soutenue par 35 à 40 milliards de dollars en prêts des banques occidentales au cours de ces dernières années (en partie de l'explosion du crédit du bloc américain dans un effort vain de compenser la saturation du marché mondial). Le bloc russe s'est maintenant lancé dans une course à 1'exportation massive, une quête frénétique de marchés du résultat de laquelle dépend le remboursement de ses énormes prêts. Mais cette offensive à l'exportation massive arrive au moment où les pays du bloc américain s'orientent désespérément vers un freinage de la pénétration des importations et où les pays du tiers-monde sont à deux doigts de la banqueroute, mais encore tombe sur les barrières mises à l'octroi de nouveaux prêts (résultant à la fois de considérations financières et politiques) sans lesquels le bloc russe ne peut acquérir la nouvelle technologie qui seule -conjointement avec les attaques planifiées contre la classe ouvrière- pourrait rendre ses marchandises compétitives sur le marché mondial. Ainsi, pares la flambée du commerce et des échanges avec le bloc américain entre 1971 et 1976, le bloc russe se retrouve dans un cul-de-sac économique.
Le "tiers-monde" -y compris les quelques puissances industrielles de second ordre comme l'Afrique du Sud, le Brésil, le Mexique, l'Argentine, etc.- s'enfonce chaque jour de plus en plus profondément dans une barbarie croissante. Le monde de cauchemar, de faim, de misère, de camps de travail et de mendicité auquel le capitalisme décadent condamne l'humanité, est déjà une réalité dans des pays constituant les deux tiers de la population mondiale. Les 78 milliards de dollars en prêts au "tiers-monde" en 1974-1976 n'ont pratiquement rien fait pour ne serait-ce que ralentir la chute totale (bien qu'ils aient pu être un palliatif temporaire à l'absence de demande effective condamnant de plus en plus l'appareil industriel du monde à tourner au ralenti). Etant donné la banqueroute complète du "tiers-monde", les nouveaux fonds à venir -à une échelle nettement moindre- ne serviront qu'à reculer l'impossible remboursement des dettes et la faillite qui en découlerait pour les principales banques occidentales. L'austérité brutale que les régimes du "tiers-monde" -"socialistes", "marxistes-léninistes", "nationalistes" et "démocratique”- imposent de plus en plus dans un effort désespéré pour réduire les invraisemblables déficits commerciaux (22 milliards de dollars en 1976 pour les pays importateurs de pétrole avec les seuls pays de l'OCDE) nés de leur dépendance des exportations agricoles et de matières premières, sera le verdict pour les masses.
Nous pouvons mieux comprendre pourquoi la perspective qu'affronte le capital mondial aujourd'hui est une chute inévitable de la production et du commerce, si nous regardons la nature,les fondements et les limites de l'apparent tournant dans la production et le commerce pendant l'hiver 1975-1976 qui a suivi la chute exceptionnelle de 1975 et l'accélération de la production (mais non du commerce) qui a eu lieu l'hiver passé après l'accalmie de l'été dernier. La chute de 1975 a été enrayée en premier lieu par l'intervention hâtive de budgets réflationnistes et une nouvelle explosion massive du crédit, la création de capital fictif, qui peut, pour un court moment, une fois encore compenser la saturation des marchés sous-jacente à la crise mortelle du capitalisme. Il faut ajouter à ces deux facteurs, d'une part le bond dans l'armement dû au re-stockage qui a suivi la chute des stocks alors que la production coulait, d'autre part, la chute de l'épargne des classes moyennes qui a provoqué un mini-boom dans les biens de consommation (voitures, etc.), moins due à une quelconque confiance dans la reprise qu'à une conviction assurée du caractère permanent de l'inflation. Ces deux derniers facteurs ont servi à ce que la croissance des pays de l'OCDE atteigne 7-8% en PNB réel au cours de l'hiver 1975-76, tandis que seule l'explosion du crédit et les mesures fiscales gouvernementales soutiennent le beaucoup plus fragile "bout du tunnel" entrevu cet hiver.
Aujourd'hui, ce qui empêche la poursuite de l'explosion du crédit - sans lequel le commerce mondial se réduirait - apparaît dans ce qui menace de plus en plus les gros emprunteurs comme le Zaïre, le Pérou, le Mexique et le Brésil, les gigantesques déficits du commerce et des paiements qui harcèlent les "tiers-monde", le bloc russe et les pays les plus faibles du bloc américain ? Les sources du crédit se tarissent comme la capacité des pays débiteurs à rembourser leurs dernières dettes. Les nouveaux prêts aux pays du "tiers-monde" -fournis sans enthousiasme par le FMI (Fonds Monétaire International) plutôt que par les banques privées à sec- serviront à assurer le remboursement des prêts précédents avec les intérêts, et non à financer un flux continu de marchandises ; de plus, de tels prêts dépendront du strict contrôle sur les économies des pays débiteurs et l'exigence qu'ils réduisent ou éliminent leurs dettes en diminuant de façon drastique leurs importations. A cette pression considérable qui va contracter le commerce mondial, viennent s'ajouter les limitations politico-financières d'un nouveau bond des prêts massifs au bloc russe sans lesquels le commerce entre les deux blocs déclinera. Finalement, les pays en déficit du bloc américain ont été conduits à la limite de la faillite par leurs énormes dettes et le déficit de leurs balances de paiements. Ayant atteint les limites de leur solvabilité, confrontés â la crise économique, ces pays doivent, soit opter pour le protectionnisme et l'autarcie, soit accepter les ordres et la discipline - ce qui signifie encore des limitations strictes aux importations et une contraction plus avancée du commerce mondial.
Le rétrécissement du commerce mondial ne peut être compensé par une forte hausse de la demande dans les centres industriels vitaux du capitalisme. Les obstacles 2 la poursuite (sans parler d'accélération) des stimulants fiscaux qui ont été pratiquement la seule base de la plus haute demande dans les pays industrialisés du bloc américain, empêchent le lancement de quelconques "programmes de reprise" ambitieux et l'introduction de budgets inflationnistes ou de politiques aptes à permettre un nouveau bond de la production.
Dans ces pays frappés par l'hyper-inflation, tant que les conditions politiques (le niveau de la lutte de classe) le permettent, les coupes sombres dans les "dépenses publiques", la restriction du crédit, en d'autres termes, la politique déflationniste est une nécessité. Dans les économies 'fortes" (Etats-Unis, Allemagne, Japon), la bourgeoisie est très hésitante de peur de laisser libre court à l'hyperinflation que le déploiement de mesures d'austérité a pour le moment tenue en échec. Si les stimulants fiscaux gouvernementaux ne peuvent plus être utilisés comme avant pour empêcher une chute de la production, le plongeon n'en sera que plus dévastateur du fait du déclin catastrophique actuel de nouveaux investissements industriels. Le refus d'investir de la part de la bourgeoisie est lié â la chute prodigieuse et continue du taux de profit depuis que le capital mondial a replongé dans la crise ouverte en 1967 environ. Ce phénomène est illustré par la situation du capital allemand (qui a indiscutablement étalé les premiers assauts de la crise ouverte mieux qu'aucun autre pratiquement) où le taux de profit, après taxes, était de 6 7, pour la période 1960-67, 5,3% pour 1967-71 et 4,1% en 1972-75. La baisse du taux de profit s'est accélérée du fait de l'accroissement des dépenses improductives de l'Etat au fur et à mesure des tentatives de contrebalancer les effets de la saturation du marché mondial, et du fait de contenir les antagonismes de classe portés au rouge par l'approfondissement de la crise. Ceci, et les taux d'intérêts élevés avec lesquels la bourgeoisie tente désespérément de combattre l'hyper-inflation que ces dépenses improductives -mais nécessaires- ont engendrée, réduisent les investissements (particulièrement dans le secteur 1, la production des moyens de production), à tel point qu'une chute de la production se profile menaçante à l'horizon.
L'échec des efforts des différents gouvernements pour stimuler leurs économies et surmonter le les effets de la crise en alternant plans et budgets de "reprise" et d'austérité, inflation galopante et simultanément récession, la persistance et l'aggravation d'une explosion du crédit et simultanément de la chute ravageuse des investissements, la persistance et l'aggravation de la diminution des taux de profit et parallèlement de dépenses "publiques" sans précédent, le chômage massif et d'énormes déficits budgétaires, tout cela montre la faillite totale du Keynésianisme, de la confiance dans la politique fiscale et monétaire, qui a été la pierre angulaire de la politique économique bourgeoise depuis le resurgissement de la crise ouverte en 1967. L'impossibilité de stimuler l'économie sans relancer l'hyper-inflation , l'impossibilité de contrôler l'inflation sans une chute vertigineuse de la production et des profits, les moments toujours plus courts d'oscillations entre récession et inflation galopante, en fait, le caractère permanent et simultané de la récession et de l'inflation, ont démoli les théories économiques (sic) sur lesquelles la bourgeoisie a fondé sa politique.
L'impuissance d'une politique fiscale et monétaire devant un nouveau plongeon du commerce mondial et de la production, impose à la bourgeoisie une nouvelle politique économique pour affronter sa crise mortelle.
La bourgeoisie doit tenter d'échapper à l'effondrement des politiques keynésiennes en recourant de plus en plus à un contrôle totalitaire et direct sur l'ensemble de l'économie par l'appareil d'Etat. Et si d'importantes fractions de la bourgeoisie hésitent encore à admettre que le Keynésianisme a fait son temps, ses représentants les plus éclairés n'ont aucun doute sur le choix à faire. Les porte-parole des groupes financiers et industriels dominants des Etats-Unis l'expriment ainsi :
"Si la politique monétaire et fiscale peut ramener l'équilibre dans l'économie, c'est tout ce dont on a besoin. Toutefois, si les plans échouent, le gouvernement, les syndicats et le patronat peuvent tous s’attendre à une intervention (de l'Etat) à une échelle qui_ ne connaît pas de précédent dans l'histoire". (Business Week, 4.4.77)
Les révolutionnaires doivent être absolument clairs sur la nature des pas que la crise permanente du capitalisme impose à chaque fraction de la bourgeoisie, dans le sens du renforcement du capitalisme d'Etat, nouvelle phase dans l'évolution qu'affronte notre classe :
"Le capitalisme d'Etat n'est pas une tentative de résoudre les contradictions 'essentielles du capitalisme en tant que système d'exploitation de la force de travail mais la manifestation de ces contradictions. Chaque groupe d'intérêts capitaliste essaie de rejeter les effets de la crise du système sur un groupe voisin, en se l'appropriant comme marché et champ d'exploitation. Le capitalisme d'Etat est né de la nécessité pour ce groupe d'opérer sa concentration et de mettre sous sa coupe les marchés qui lui sont extérieurs. L'économie se transforme donc en une économie de guerre". ("'L'évolution du capitalisme et la nouvelle perspective", Internationalisme 1952, republié dans le Bulletin d'Etudes et de Discussion n°8 de RI, p.8/9).
L'économie de guerre qui surgit sur les décombres du keynésianisme n'est en rien une sortie pour la crise mondiale ; ce n'est pas une * politique économique qui peut résoudre les contradictions du capitalisme ou créer les fondements d'une nouvelle étape du développement capitaliste. L'économie de guerre ne peut être comprise qu'en termes d'inévitabilité d'une autre guerre mondiale impérialiste si le prolétariat ne met pas fin au règne de la, bourgeoisie : elle est le cadre indispensable pour les préparatifs de la bourgeoisie à la conflagration mondiale que les lois aveugles du capitalisme et l'approfondissement inexorable de la crise lui imposent. La seule fonction de l'économie de guerre est... la GUERRE ! Sa raison d'être est la destruction effective et systématique des moyens de production et des forces productives et la production des moyens dé destruction - la véritable logique de la barbarie capitaliste.
Seule la mise en place d'une économie de guerre peut maintenant empêcher l'appareil productif capitaliste de s'enrayer. Pour établir pleinement une économie de guerre, cependant, chaque fraction nationale du capital doit :
L'énormité et la difficulté d'une telle entreprise sont la cause de la crise politique croissante dans laquelle se trouve empêtrée la bourgeoisie de chaque pays. L'organisation totalitaire de l'économie et son orientation vers un seul but fait souvent surgir d'âpres luttes entre fractions de la bourgeoisie, du fait que ces fractions aux intérêts particuliers qui seront sacrifiés, combattent contre l'immolation sur l'autel de l'étatisation. La réduction de l'ensemble de la consommation que l'économie de guerre nécessite, provoque d'incessants remous et une âpre opposition dans les rangs des couches moyennes, de la petite-bourgeoisie et des paysans. Mais c'est l'assaut contre le prolétariat -parce qu'il risque d'ouvrir la porte à une guerre de classe généralisée- qui n'est pas seulement la tâche la plus difficile à accomplir par la bourgeoisie dans la situation présente mais encore est la véritable clé de la constitution de l'économie de guerre. L'économie de guerre dépend de façon absolue de la soumission physique et/ou idéologique du prolétariat à l'Etat, du degré de contrôle que l'Etat a sur la classe ouvrière.
Toutefois, l'économie de guerre à l'époque actuelle, n'est pas seulement mise en place à l'échelle nationale mais aussi à l'échelle d'un bloc impérialiste. L'incorporation dans un des deux blocs impérialistes -chacun dominé par un capitalisme d'Etat continental et colossal, les Etats-Unis et l'URSS- est une nécessité â laquelle même les grandes puissances anciennement impérialistes comme la Grande-Bretagne, la France, l'Allemagne et le Japon, ne peuvent résister. La tendance puissante de la part des Etats-Unis et de la Russie à coordonner, organiser et diriger le potentiel de guerre de leur bloc, intensifie la crise politique de chaque bourgeoisie nationale du fait, d'une part, de la pression à se soumettre aux exigences de consolidation du bloc impérialiste, d'autre part, du besoin de défendre l'intérêt du capital national et engendre des tensions accrues et irrésistibles.
Nous allons voir maintenant les problèmes spécifiques auxquels s'affronte la bourgeoisie aux Etats-Unis et dans le bloc américain et dans le bloc russe, dans l'organisation de leur économie de guerre pour surmonter les différentes résistances qu'elle suscite et pour résoudre leurs crises politiques. Nous verrons ensuite l'accroissement des oppositions inter-impérialistes dans le monde qui mènent inexorablement, quoique graduellement les deux blocs impérialistes vers la guerre mondiale. Finalement, nous tracerons les perspectives d'intensification de la lutte de classe du prolétariat, les obstacles et les tendances à la guerre de classe généralisée.
Au cours de ses premiers mois, comme président des Etats-Unis, Jimmy Carter a infligé des coups sévères aux Keynésiens orthodoxes de son administration en combattant le budget initial inflationniste (par l'élimination des réductions de taxes, proposées et des crédits aux nouveaux investissements), Carter a présenté un budget moins large que celui proposé par son prédécesseur Républicain, Gérald Ford. Mais si Carter et son équipe ont vu les limites du Keynésianisme, ils n'ont certainement pas fait battre en retraite le "conservatisme fiscal" et le monétarisme que beaucoup de Républicains tiennent pour la seule réponse gouvernementale à la crise et au spectre de l'inflation galopante. L'administration Carter a vu la totale futilité des tentatives d'arrêter la crise en comptant sur une politique monétaire et fiscale (stimulante ou restrictive) et commence à engager les Etats-Unis vers une nouvelle phase d'économie de guerre et de totalitarisme étatique.
Le seul poste du budget américain â s'accroître à un taux prodigieux est la recherche et la production d'armements. Le boni en avant probable -qui dépend du résultat des pourparlers SALT- des têtes nucléaires Mk-12a ("silo-buster") et des bombardiers B-1 n'est que le commencement d'une nouvelle explosion des armements qui deviendra l'axe de l'activité économique. Qui plus est, les initiatives récentes de l'administration Carter pour soumettre les exportations d'armes plus directement aux intérêts stratégiques américains, et pour limiter l'extension de la technologie nucléaire qui fournit le plutonium sous une forme utilisable pour la fabrication de bombes, ne sont pas des pas vers la limitation des armements, mais beaucoup plus une partie d’une politique d'ensemble pour consolider le bloc américain autour de la domination exclusive des Etats-Unis et pour soumettre l'armement et son développement exclusive, au contrôle, à la volonté et aux visées de l'impérialisme américain.
L'orientation résolue de l'administration Carter vers une économie de guerre et son accélération vers le capitalisme d'Etat apparaît clairement dans sa politique de l'énergie, ses propositions pour l'extension de l'importance et l'échelle du stockage, et ses pas vers la cartellisation du commerce mondial. Les nécessités d'une économie de guerre ont amené le gouvernement à commencer une politique nationale de l'énergie par la mise en place d'agences d'Etat et la proposition de créer une super agence dirigée par un responsable de l'énergie. L'État américain entend dicter le prix de l'énergie, les sortes d'énergie à utiliser et les quantités d'énergie â allouer aux différentes régions et aux divers types de production et de consommation. L'insistance de la politique d'énergie sur les économies est le fer de lance de l'effort de restreindre la consommation de toutes les classes et couches sociales (bien qu'en premier lieu, ce soit pour la classe ouvrière), l'austérité brutale qui est la base d'une économie de guerre. Le développement de nouvelles sources d'énergie pour à la fois assurer "l'indépendance" de l'Amérique en matière d'énergie en temps de guerre, et rendre les autres pays de bloc totalement dépendants des Etats-Unis, va se faire au travers de l'étatisation de l'industrie de l'énergie. L'étatisation complète de l'énergie se produit de deux façons. D'abord, l'Etat américain possède directement la plupart des ressources énergétiques restantes du pays :
"Les meilleures possibilités pour le pétrole et le gaz naturel se trouvent dans les gisements offshore des eaux fédérales. La production de charbon se déplace vers l'ouest où le gouvernement contrôle la plupart des concessions minières même l'uranium de la nation se trouve en grande partie dans le domaine public". (Business Week, 4.4.77)
Ensuite, le développement de la technologie nucléaire et de l'infrastructure nécessaire au traitement du charbon exigent un plan d'Etat et un capital d'Etat, comme le reconnaissent en personne les porte-parole des monopoles des Etats-Unis :
"Développer et mettre en oeuvre une telle technologie nécessaire à grande échelle, dicte des ajustements économiques importants - par exemple, des prix du pétrole plus élevés et la formation massive de capital. Seul, le gouvernement semble capable de diriger un tel effort aussi titanesque". (Ibid)
L'équipe Carter envisage aussi une expansion massive des stocks du gouvernement américain, en ajoutant des stocks "économiques" aux 7,6 milliards de dollars de réserve militaire stratégique de 93 marchandises. Les réserves stratégiques sont faites en vue d'assurer le ravitaillement en cas de guerre. Les stocks économiques de matières premières clés permettent à l'Etat américain de contrôler les prix S la consommation et de faire pression sur les produits étrangers pour casser les prix, à travers sa capacité de mettre en circulation les marchandises stockées sur le marché.
Finalement, l'Etat américain est à l'avant-garde du mouvement de cartellisation du commerce mondial. Par opposition aux cartels Internationaux qui ont dominé le marché mondial à l'époque du capitalisme monopoliste, et qui ont été établis par des trusts "privés", un nouveau type de cartellisation appropriée à l'époque du capitalisme d'Etat et de l'économie de guerre, apparaît. Les cartels organisés aujourd'hui pour fixer et régulariser les prix des matières premières importantes, et pour déterminer le partage des marchés clés à répartir aux différents capitaux nationaux, sont négociés et dirigés directement par les divers appareils de l'Etat.
Deux types de cartels ont été impulsés par l'administration Carter. Les premiers sont les cartels de marchandises qui englobent à la fois pays importateurs et exportateurs, et qui déterminent la marge des prix acceptable et régularisent le mouvement des prix par l'utilisation de stocks-tampons dans les mains soit des gouvernements, soit du cartel. Les Etats-Unis sont maintenant en voie d'organiser de tels cartels pour le sucre et le blé, qui peuvent être lés premiers venus de cartels pour d'autres matières premières et produits agricoles. De tels cartels de marchandises organisés par l'Etat vont tenter de stabiliser les prix des matières premières, élément â la base de toute planification économique d'ensemble, contrebalançant la baisse du taux de profit, tout autant que facilitant une stratégie de "nourriture bon marché", qui abaisserait la valeur de la force de travail et par là-même atténuerait la voie vers une compression des salaires de la classe ouvrière -tout ce qui forme les ingrédients nécessaires â l'économie de guerre.
Le second type de cartels est une réponse directe au rétrécissement du marché mondial et implique une planification étatique non pour l'expansion mais pour la contraction du commerce mondial. Ce qui est mis en place, ce sont des accords entre Etats exportateurs et importateurs pour fixer quotas ou partages d'un marché national pour des marchandises spécifiques pour de nombreux capitaux nationaux en compétition. Les Etats-Unis ont récemment arrangé ce qu’ils nomment avec euphémisme des "accords de discipline de marché" avec le Japon sur les aciers spéciaux et les appareils de TV (ce dernier réduira les importations japonaises aux Etats-Unis de 40%), et sont maintenant en voie de négocier des accords pour diviser les marchés mondiaux pour les textiles, les vêtements, les chaussures et l'acier. Ces cartels représentent l'alternative de Washington à une orgie de protectionnisme et d'autarcie de la part de chaque capital national au sein du bloc américain, un rétrécissement organisé et coordonné des marchés, pour tenter de préserver la cohésion du bloc de l'impact de la crise mondiale.
Parallèlement à ces étapes pour consolider une économie de guerre, l'administration Carter a brandi une nouvelle idéologie de guerre -la croisade pour les "droits de l'homme". A l'époque des guerres mondiales impérialistes, quand la victoire dépend avant tout de la production, quand chaque ouvrier est un "soldat", une idéologie capable de plier l'ensemble de la population à l'Etat et inculquant une volonté de produire et dé se sacrifier est une nécessité pour le capitalisme. Gui plus est, à l'époque où les guerres ne sont pas des combats entre nations mais entre blocs impérialistes, le chauvinisme national seul n'est plus une idéologie suffisante. Comme la bourgeoisie prépare une nouvelle le boucherie mondiale, la lutte pour les "droits de l'homme" remplace l'anti-communisme dans l'arsenal idéologique des impérialismes "démocratiques" du bloc américain, comme ils commencent à mobiliser leurs populations pour la guerre avec les "dictatures totalitaires" du bloc russe (d'autant plus que les pays comme la Chine qui sont incorporés au bloc américain ont des régimes "communistes" et que la participation dans les gouvernements de plusieurs pays d'Europe de l'Ouest des partis "communistes" est prévisible. Derrière les appels moralisateurs de Jimmy Carter à la reconnaissance universelle des droits de l'homme, s'aiguisent les sabres américains.
L'organisation d'une économie de guerre pleinement développée aux Etats-Unis ne se met toutefois pas en place sans une furieuse résistance de la part de beaucoup d'intérêts bourgeois puissants. En particulier, les milieux d'affaires agricoles du "Middle West" s'opposent â ce qu'ils perçoivent comme une stratégie de "nourriture bon marché" ; l'acier, le textile, la chaussure et beaucoup d'autres industries se battent pour un protectionnisme, considérant le souci du gouvernement de la cohésion et de la stabilité du bloc impérialiste mondial comme une trahison de l'industrie américaine ; les intérêts pétroliers du sud-ouest s'opposent violemment à la politique d'énergie de Carter. Tous ces groupes s'organisent pour défendre des intérêts particularistes en résistant à l'étranglement par l'Etat-léviathan de l'ensemble de l'économie. Plus encore, ils essaient de mobiliser des légions de petits et moyens capitalistes (pour qui le capitalisme d'Etat est la sentence de mort) tout comme les classes moyennes désenchantées pour résister au courant d'étatisation, Néanmoins, ce sont les intérêts du capital national global - qui exigent absolument une économie de guerre - qui vaincront dans toute lutte au sein de la bourgeoisie, et ce sont ces fractions de la bourgeoisie qui reflètent au plus près ces intérêts qui dicteront en dernière instance l'orientation de l'Etat capitaliste et détermineront sa politique.
Du fait du décalage qui ne cesse d'augmenter entre le poids économique relativement croissant des Etats-Unis et l'économie affaiblie de l'Europe et du Japon, les Etats-Unis ont la capacité de déterminer, de dicter les priorités économiques et l'orientation des autres pays de son bloc. Oui plus est, avec l'intensification de la crise au sein même de l'Amérique, les Etats-Unis vont avoir de plus en plus à détourner les pires effets de la crise sur l'Europe et le Japon (dans les limites qui ne détruisent pas la cohésion d'ensemble du bloc). Les Etats-Unis mettent maintenant en place une politique visant au rationnement de l'Europe. La manière par laquelle le capital américain impose l'austérité sur les pays en faillite de l'Europe, se trouve dans sa capacité à accorder ou refuser les crédits sans lesquels l'Europe se trouve confrontée à la ruine économique, et par conséquent à contraindre les "hommes malades" du continent à placer le contrôle de leurs économies dans les mains de leur créditeur américain. A la différence des années 20, lorsque les prêts désespérément demandés étaient largement fournis par les banques privées, aujourd'hui -dans des conditions dominantes de capitalisme d'Etat- la masse des crédits est canalisée par des institutions d'Etat ou semi-publiques comme le Trésor, le Système Fédéral de Réserve ou le Fonds Monétaire International, contrôlés par Washington. On a pu voir les plans du capital américain, pour d'un côté réduire énergiquement la consommation en Europe, et d'un autre côté imposer plus fermement à l'Europe les impératifs d'une économie de guerre construite à l'échelle de l'ensemble du bloc impérialiste, dans les négociations récentes du FMI sur les prêts à la Grande-Bretagne, l'Italie et le Portugal. Comme condition du prêt de 3,9 milliards de dollars, le FMI a tenu à ce que la Grande-Bretagne garantisse de ne pas imposer de contrôles permanents de l'ensemble des importations et de ne pas instituer de restrictions monétaires, garanties qui éliminent la possibilité de mesures protectionnistes ou autarciques qui pourraient briser le bloc ou mettre en danger les intérêts américains. Dans le cas de l'Italie, les conditions du FMI au prêt de 530 millions de dollars ont été un début de démantèlement du système d'indexation qui fait automatiquement les ajustements de salaires quand les prix montent, des limites et des contrôles sur les dépenses publiques locales et nationales, et un veto du FMI à l'expansion du crédit. La demande du Portugal d'un prêt d'1,5 milliard de dollars au FMI a rencontré une exigence de dévaluation de 25% de l'escudo pour attaquer les salaires réels et réduire les importations (dont 20% sont de l'alimentation) ; et dans ce cas, les portugais ont dévalué de 15% et les coffres américains ont commencé à s'ouvrir.
Comme partie intégrante de cette politique pour assurer la stabilité de l'ensemble du bloc américain, les Etats-Unis se sont efforcés de répartir l'impact de la crise mondiale plus régulièrement dans son bloc (Amérique mise â part), en imposant à l'Allemagne de l'Ouest et au Japon une politique d'assistance et de soutien aux économies de ces pays d'Europe qui sont prêts de 1'effrondement. Ainsi, les Etats-Unis pressent l'Allemagne et le Japon de réévaluer pour fournir aux pays plus faibles des marchés et réduire de façon significative leurs exportations -ce qui a été en partie accompli au travers d'une réévaluation du mark et du yen. La hausse de la valeur des monnaies allemande et japonaise va ainsi aider à contenir l'offensive des exportations vers l'Amérique, et â réduire la compétitivité des deux principaux rivaux commerciaux des Etats-Unis. Cette politique a commencé à porter ses premiers fruits, puisque le gouvernement Fukuda du japon a laissé le yen s'élever de plus de 7% par rapport au dollar entre janvier et avril 1977.
Si l'une des bases de l'étranglement de l'ensemble des économies des son bloc par l'Amérique est la suprématie de sa puissance financière, son contrôle des ressources d'énergie vitales en est une autre. C'est la "Pax americana" de Washington au Moyen-Orient qui assure à l'Europe et au Japon le pétrole dont dépend maintenant le fonctionnement de leur appareil productif. La ferme opposition des Etats-Unis au développement et à l'extension des réacteurs nucléaires à haut rendement qui produisent leur propre plutonium comme source d'énergie, est en partie due au fait qu'une telle technologie pourrait potentiellement rendre les économies de l'Europe et du Japon indépendantes de l'Amérique en ce qui concerne l'énergie. En abandonnant le développement des réacteurs à haut rendement, les Etats-Unis ne se sacrifient en rien, puisque leurs réserves d'uranium sont là pour faire de l'utilisation de la puissance nucléaire quelque chose de compatible avec le but américain d'indépendance en matière d'énergie. Pour l'Europe et le Japon cependant, l'énergie nucléaire qui dépend de l'uranium et du pétrole les condamne à une dépendance absolue des Etats-Unis en matière d'énergie.
Tout en mettant l'Europe sous rationnement et en dictant l'austérité aux pays de son bloc, il est un domaine ou l'Amérique exige une augmentation massive des dépenses et de la production : l'armement. L'exacerbation des tensions inter-impérialistes et les nécessités d'une économie de guerre ont déjà amené les Etats-Unis à presser ses alliés de l'OTAN â accroître leurs budgets militaires. Les économies européenne et japonaise seront désormais de plus en plus organisées pour la production de canons et non de beurre !
Le besoin d'imposer une austérité draconienne, d'accélérer la tendance qu capitalisme d'Etat, de lancer une attaque contre le prolétariat (dans des conditions d'accroissement de la lutte de classe), et d'ajuster leurs politiques aux diktats américains, a amené les bourgeoisies de l'Europe et du Japon dans les filets d'une crise politique grave. La nature des tâches que ces bourgeoisies doivent essayer d'accomplir, dicte entièrement un cours qui, graduellement ou brutalement (en fonction de la vitesse avec laquelle une économie donnée s'effondre ou de l'acuité de la lutte de classe), amènera la gauche au pouvoir. Dans la conjoncture présente, ce sont des gouvernements de gauche dominés par les partis socialistes et basés sur les organisations syndicales, ou des fronts populaires qui comprennent les partis staliniens, qui sont le mieux adaptés aux besoins de la bourgeoisie.
Parce qu'elle n'est pas liée au capital "privé" aux intérêts particuliers au sein du capital national et aux fractions anachroniques de la bourgeoisie (caractéristique de la droite), la gauche peut mieux imposer le contrôle totalitaire et centralisé de l'Etat sur l'ensemble de l'économie et la réduction draconienne de la consommation de la bourgeoisie et de la petite-bourgeoisie, marques de l'économie de guerre. Du fait du soutien électoral de la classe ouvrière, de son encadrement à la base et de son idéologie "socialiste", seule la gauche -confrontée à un prolétariat combatif qui devient l'axe de la vie politique- a une chance de dévoyer la lutte de classe et de mettre en place la réduction féroce du niveau de vie du prolétariat, l'intensification de son exploitation et sa soumission idéologique à l'Etat - tout ce dont dépend le succès mortel de l'économie de guerre. Du fait de son atlantisme, son "internationalisme", la gauche (tout au moins les partis socialistes et les syndicats) est la mieux placée pour poursuivre la consolidation d'une économie de guerre à l'échelle de l'ensemble du bloc américain.
On peut, par exemple, voir cette convergence entre gouvernement de gauche et intérêts de. L’impérialisme américain dans les efforts des Etats-Unis d'imposer des politiques économiques différentes selon la force ou la faiblesse des économies de son bloc. Dans les économies plus faibles (Grande-Bretagne, France, Italie, Espagne, Portugal), les Etats-Unis poussent à l'austérité et à la déflation, ce qui cristallise une résistance autour des partis de droite liés au capital "privé" et aux secteurs anachroniques et rétrogrades de la bourgeoisie qui a besoin de subventions massives du gouvernement, de crédit facile et d'une inflation pour maintenir à flot le marché national. Au contraire, c'est le centre-gauche et la gauche qui sont prêts à accepter les "recommandations" du FMI et â imposer les diktats américains. Même la politique de gauche, de nationalisation, qui fait partie intégrante d'une économie de guerre (comme la nationalisation de l'aéronautique et de la construction navale en Grande-Bretagne, ou la nationalisation de Dassault et des monopoles de l'électronique, proposée par le Programme Commun en France), ne mettra pas en péril les intérêts américains et pourra certainement faciliter, le contrôle américain directement au niveau étatique. En Allemagne et au Japon, les Etats-Unis exigent la réévaluation des monnaies et les limitations des exportations, ce qui engendre une opposition considérable de la part de fractions de la bourgeoisie, coalisées autour des partis de droite qui répugnent extrêmement â prendre des mesures de limitation de la compétitivité nationale sur le marché mondial et à ajuster les intérêts du capital national aux intérêts du bloc. C'est au contraire la gauche modérée (SPD en Allemagne, Sociaux-démocrates et aile EDA du parti socialiste au Japon) qui est la plus à même de coordonner les intérêts du capital national et les exigences de l'Amérique.
Le capital américain préfère clairement les Travaillistes, aux Conservateurs en Grande-Bretagne, les. Sociaux-démocrates au Chrétiens-démocrates en Allemagne, au Portugal, Soares et les Socialistes sont mieux adaptés aux intérêts américains que Sa Carneiro et Jaime Neves. En Espagne, Washington veut un gouvernement mené par Suarez avec, participation directe ou indirecte de Felipe Gonzalez et du PSOE et ne tolérerait pas un gouvernement mené par Fraga Iri-barne et l'Alianza Popular. En France, un gouvernement mené par Mitterrand et le parti socialiste a la faveur des américains, plutôt qu'un gouvernement mené par Chirac. Même en Italie, une combinaison Andreotti-Berlinguer est mieux adaptée aux besoins américains qu'un gouvernement mené par Fanfani et l'aile droite des Chrétiens-démocrates.
Et puis, la droite est de plus en plus incapable d'adopter les mesures économiques nécessaires imposées par l'approfondissement de la crise, aussi bien qu'inadéquate à faire face à la menace prolétarienne ; elle est de plus en plus hostile aux intérêts américains, alors que la gauche est le seul véhicule par lequel la bourgeoisie peut de façon réaliste essayer d'établir une économie de guerre dans la conjoncture actuelle. L'inéluctable mouvement de la bourgeoisie vers la gauche semble cependant contredit par .le résultat de récentes élections dans certains pays du bloc américain. Dans nombre de pays, il y a eu une tendance électorale prononcée vers la droite ; victoires de la droite aux élections générales en Australie, Nouvelle Zélande et Suède en 1976 ; gains appréciables du CDU/CSU en Allemagne, la même année ; déplacement considérable vers la droite au Portugal entre les élections d'avril 1975 pour l'Assemblée Constituante et les élections au parlement de l'année suivante ; victoires totales des- conservateurs au parlement et aux élections locales en Grande-Bretagne, cette année ; triomphe des sociaux-chrétiens aux élections générales en Belgique, en avril.
Cette tendance électorale vers la droite se nourrit d'une vague de frustration et de mécontentement de la part des petits et moyens capitalistes, de la petite-bourgeoisie et des classes moyennes, tous ceux qui ont vu leur niveau de vie tomber fortement ces dernières années. Parce que l'Etat capitaliste a hésité à s'attaquer trop directement au prolétariat de peur de provoquer prématurément l'étincelle d'une guerre de classe généralisée ou même d'une vague de grèves massive à laquelle il n'est pas préparé, les classes moyennes -plus fragmentées et qui ne menacent pas directement l'ordre bourgeois- ont été l'objet de beaucoup des premières mesures d'austérité. Il en est résulté que les couches moyennes et leurs frustrations sont devenues momentanément l'axe de la politique dans beaucoup de pays et ceci a provoqué la renaissance électorale actuelle de la droite. Cependant, pour empêcher le krach économique imminent et établir une véritable économie de guerre, la bourgeoisie -malgré ses hésitations- doit rapidement axer son attaque directement contre le prolétariat et tenter d'enrayer la lutte de classe montante qu'elle va provoquer. Et comme la classe ouvrière devient l'axe de la politique. La tendance électorale va bientôt refléter le cours fondamental de la bourgeoisies : un tournant à gauche.
Cependant, même si le déplacement électoral à court terme vers la droite n'a pas altéré ou même ralenti l'évolution résolue de la bourgeoisie vers la gauche dans la constitution des gouvernements (ce qui démontre une fois encore la nature purement décorative des parlements et le caractère seulement mystificateur à l'époque de la décadence capitaliste), si la bourgeoisie avait recherché une ouverture pour effectuer un tournant gouvernemental vers la droite (comme le prétendent les gauchistes), le tournant électoral récent la lui aurait fourni. Au lieu de cela, la bourgeoisie s'est grandement désintéressée des résultats des élections en constituant ou perpétuant une équipe gouvernementale qui exprime le besoin actuel de se baser sur les partis de gauche et les syndicats. Ainsi, en Grande-Bretagne, où une élection générale aurait presque certainement amené le retour d'un gouvernement conservateur, la bourgeoisie tient bon jusqu'à ce que la tendance électorale revienne à la gauche et pour éviter une élection prématurée soutient le gouvernement travailliste avec les votes du parti Libéral. Au Portugal, malgré le Parlement, la bourgeoisie tient à un gouvernement purement socialiste. En Belgique, où les résultats électoraux ont rendu possible un gouvernement Social-Chrétien-Libéral de centre-droit, la bourgeoisie au lieu de cela, est déterminée à constituer un gouvernement Social-Chrétien-Socialiste de centre-gauche avec une base syndicale puissante.
Avec la perspective claire d'une évolution vers la gauche de la bourgeoisie, nous devons maintenant voir la nature des partis staliniens aujourd'hui. La participation des staliniens au gouvernement va devenir de plus en plus, une nécessité pour les bourgeoisies de quelques-uns des pays européens les plus faibles (Italie, France, Espagne), d'autant plus que les staliniens sont les mieux pourvus pour imposer les mesures d'austérité essentielles à la classe ouvrière et dévoyer la lutte de classe. Cependant, la participation stalinienne dans le gouvernement provoque une opposition furieuse -souvent violente- de la part de fractions plus puissantes de la bourgeoisie nationale et une résistance et une méfiance de la part des Etats-Unis. Nous devons être clairs sur le véritable caractère du stalinisme, ses traits distinctifs comme parti bourgeois, pour comprendre ce que sont les sources de cette opposition et de cette méfiance et jusqu'à quel point celles-ci peuvent empêcher que les staliniens n'accèdent au pouvoir.
D'abord, les partis staliniens ne sont pas des partis anti-nationaux ou des agents de Moscou. Tous les partis bourgeois (de droite comme de gauche), quelle que soit leur orientation dans l'arène internationale sont des partis nationalistes :
"A l'époque de l'impérialisme, la défense de l'intérêt national ne peut prendre place qu'au sein du cadre élargi du bloc impérialiste. Ce n'est pas comme une cinquième colonne, comme agent de l'étranger, mais en fonction de son intérêt immédiat ou à long terme, à strictement parler, qu'une bourgeoisie nationale opte pour et adhère à un des blocs qui existe. C'est autour de ce choix pour l'un ou l'autre bloc que la division et la lutte interne au sein de la bourgeoisie prennent place ; mais cette division prend toujours place sur la base d'un seul souci et d'un seul but commun : l'intérêt national, l'intérêt de la bourgeoisie nationale". (Internationalisme, n°30, 1948).
Le nationalisme est et a toujours été la base des partis staliniens, et lorsqu'ils optèrent en 194K) pour le bloc russe, quand se met en place la division de l'Europe entre les deux blocs impérialistes mondiaux, ils n'étaient pas plus une cinquième colonne de Moscou que les sociaux-démocrates ou les chrétiens-démocrates, une cinquième colonne de Washington : ce qui a divisé ces partis bourgeois, était la question de savoir dans quel bloc impérialiste, les intérêts vitaux du capital national seraient les mieux défendus.
Cependant, dans la conjoncture actuelle, alors qu'un changement de bloc de la part d'un des pays d'Europe de l'ouest et du Japon est difficilement possible, sauf à travers la guerre ou -à la dernière limite- par un changement dramatique et fondamental dans l'équilibre mondial entre les deux camps impérialistes, aucune fraction de la bourgeoisie, qui espère avec réalisme venir au pouvoir, ne peut rechercher l'incorporation dans le bloc russe. En ce sens, "l'Eurocommunisme" est la reconnaissance par les staliniens que les intérêts de leurs capitaux nationaux excluent aujourd'hui un changement de bloc. Le nationalisme des partis staliniens dans ces pays prend maintenant la forme d'un soutien aux réponses protectionnistes à l'approfondissement de la crise économique, et d'un engagement vers ce qui n'est encore qu'une tendance embryonnaire à l'autarcie. Si cette orientation de la part des staliniens ne remet pas en question l'incorporation de leur pays dans le bloc américain, elle va néanmoins à 1'encontre des plans du capital américain, qui visent à intégrer plus fortement les différents pays du bloc dans une gigantesque économie de guerre sous le contrôle absolu de Washington. On trouve là une des bases de l'éternelle méfiance des Etats-Unis vis-à-vis des staliniens et sa préférence pour les partis socialistes, pour lesquels les intérêts vitaux du capital national exigent l'ajustement le plus complet des politiques nationales aux besoins de l'ensemble du bloc.
Mais ce n'est pas son soutien à des politiques autarciques -qu'il partage de toute manière avec l'extrême-droite- qui est la caractéristique la plus distinctive du stalinisme, et qui explique la férocité qu'il met à s'opposer aux autres fractions de la bourgeoisie nationale. Les partis staliniens, quelle que soit leur phraséologie actuelle démocratique et pluraliste, sont les défenseurs de la forme la plus totale et la plus extrême du capitalisme d'Etat, du contrôle totalitaire et direct par l'Etat de tous les aspects de la production et de la distribution, du parti unique d'Etat et de la militarisation totale de la société. A l'inverse des autres partis bourgeois (y compris les socialistes), les staliniens n'ont pas d'attaches à un quelconque capital "privé". Tandis que d' d'autres fractions de la bourgeoisie soutiennent une fusion plus ou moins grande entre capital d'Etat et capital "privé", les staliniens au pouvoir veut dire élimination du capital privé et avec lui de tous les autres partis bourgeois. C'est la base de la peur permanente et de l'hostilité des autres fractions bourgeoises envers les staliniens ; et cela explique les nombreuses réserves de l'impérialisme américain, qui exerce encore le plus gros de son contrôle sur ses "alliés", pas encore directement sur l'Etat ou sur une base étatique, mais à travers les liens du capital privé -liens que le stalinisme remettrait en cause.
C'est pour ces raisons qu'à la fois les Etats-Unis et les autres partis de la bourgeoisie en Europe et au Japon sont décidés à maintenir un strict contrôle sur les staliniens même si l'aggravation de la situation économique et politique les amène peu à peu à une participation directe dans le gouvernement, dans un effort pour stabiliser l'ordre bourgeois chancelant. Cependant, comme la situation économique et politique continue à se détériorer et comme s'affirme le besoin d'aller le plus loin possible vers une économie de guerre, il y aura de plus en plus convergence totale entre les besoins vitaux du capital national et programme draconien du stalinisme.
La crise permanente du capitalisme mondial pose au bloc russe des problèmes particulièrement aigus : son extrême faiblesse et ses énormes handicaps matériels face à l'intensification de la guerre commerciale contre le bloc américain, et en arrière fond, la préparation aux affrontements militaires pour le repartage du marché.
Les pays du bloc russe doivent essayer de compenser le faible taux productif de la force de travail, l'archaïsme de leur appareil productif par une plus grande extraction de plus-value absolue que leurs rivaux du bloc US." Même la plus drastique baisse de salaire, l'accroissement énorme des cadences et l'allongement de la journée de travail dont la limite est évidente dans la renaissance de combativité ouvrière, ne parviendraient pas à rendre le capital russe compétitif sur un marché rétréci. S'il est vrai que la plus-value n'est le produit que du travail vivant nouvellement ajouté dans le procès de production du capital variable, aussi bien la masse que le taux de plus-value dépendent étroitement du niveau de mécanisation et de technologie du capital que les ouvriers mettent en mouvement, du capital engagé dans le procès productif. C'est pour cette raison que la compétitivité du bloc russe est étroitement liée à l'acquisition de technologie de pointe, qui de toute façon ne peut venir que du bloc US, par achat ou par conquête. Une des différences entre le "socialisme" autarcique de Staline et le "socialisme" mercantile de Brejnev est que, dans le cadre d'une re-division en cours du marché mondial, et l'établissement de nouvelles constellations impérialistes, Staline voyait le dépassement des faiblesses de la Russie d'abord dans les conquêtes militaires (pillage et transport en Russie des industries les plus avancées d'Allemagne, de pays danubiens et de Mandchourie, et ainsi, à travers l'incorporation directe de ces aires dans l'orbite de l'impérialisme russe) alors que dans le cadre d'une stabilisation relative entre les blocs impérialistes (au moins en ce qui concerne les aires les plus industrielles), Brejnev a essayé de compenser le retard russe par le commerce et l'achat massif de technologie à l'Ouest.
Les déficits commerciaux croissants qui sont la preuve inexorable de la même non-compétitivité du capital russe sur le marché mondial, ont rendu l'achat de technologie au bloc US complètement dépendant des emprunts et crédits... Mais la dette étrangère croissante du bloc russe ajouté à son déficit commercial produit un nouveau cycle d'emprunts, financièrement trop risqués pour être entrepris par les banques de l'Ouest. A ceci, s'ajoutent les facteurs politico-militaires qui de plus en plus jouent contre la continuation du déversement de marchandises et de technologie du bloc US dans le COMECON. L'approfondissement de la crise économique intensifie la compétition entre les blocs (particulièrement dans le tiers-monde, où la Russie a une balance positive et où les machines et la technologie de l'Ouest deviennent indispensables à son offensive économique) et développe les contrastes inter-impérialistes. En réponse, l'impérialisme américain, en tant que moment de la consolidation de l'économie de guerre pour le compte de son bloc, n'hésitera pas à subordonner les considérations du commerce à court terme aux objectifs politiques et stratégiques à plus long terme, qui conduiront à un tassement des échanges commerciaux entre les blocs. En fin de compte, conquêtes et guerres seront le seul moyen de l'impérialisme russe pour essayer de dépasser l'archaïsme technique de son appareil productif et des carnages du "socialisme" mercantile avec sa politique de détente, naîtra sur le sol russe une version "revue et corrigée" du "socialisme" autarcique d'hier.
La supériorité stratégique et tactique actuelle du Pacte de Varsovie sur l'OTAN, sur la ligne de partage des deux impérialismes en Europe centrale, ne doit pas masquer l'infériorité matérielle écrasante du bloc russe dans sa tentative de rejoindre les pays industriels du coeur de l'Europe. Le marxisme montre la primauté du facteur économique sur le facteur politico-économique dans tous les heurts entre Etats capitalistes. En dernière analyse, la supériorité économique se traduit en supériorité militaire comme le démontrent les deux guerres inter-impérialistes. L'énorme supériorité de l'appareil productif du bloc US qui ne laisse aucun choix a l'impérialisme russe, sinon une guerre de conquête s'il ne veut pas être étouffé par l'hippopotame US, est ainsi la raison pour laquelle l'impérialisme US possède toutes les cartes maîtresses dans ce jeu de mort avec le rival russe. La bourgeoisie russe est confrontée au dilemme que, pour faire la guerre avec succès, il faut d'abord être économiquement le plus fort, alors que pour asseoir sa supériorité économique dans l'époque de la décadence, il faut d'abord faire la guerre. La seule issue que peut espérer le bloc russe pour faire pencher la balance dans son sens, dans la mesure où il est contraint de préparer la guerre et de compenser son infériorité économique par une meilleure organisation de son économie de guerre, une plus totale intégration de toutes ses ressources -humaines et matérielles- aux nécessités de la production de guerre.
Les formes extrêmes de capitalisme d'Etat dans les pays du bloc russe -résultat de leur faiblesse économique- ne doivent pas nous faire conclure qu'une économie de guerre bien organisée existait déjà. La situation chaotique de la production et de la distribution de denrées alimentaires, dont une bonne organisation est vitale dans une économie de guerre afin de nourrir les producteurs et les utilisateurs d'armes à meilleur marché possible, et ainsi destiner la masse de travail disponible, des machines et des matières premières à la production de matériel de guerre, indique l'ampleur du problème rencontré par la bourgeoisie du bloc russe.
La prédominance de fermes "privées" petites et inefficaces (85% de la production agricole en Pologne) et les parcelles "privées" dans les fermes collectives (au point que 50% du revenu des Kolkhozes russes vient de la vente du produit des lopins privés) aussi bien que les florissants marchés "noirs" ou "libres" pour les denrées alimentaires, montrent que l'Etat n'a pas encore un contrôle totalitaire du secteur II, la production de biens de consommation, une bonne distribution, qui sont essentielles à une économie de guerre. La sujétion de la paysannerie et le contrôle complet de l'agriculture par l'Etat' Léviathan aussi bien que l'élimination des marchés noirs et libres, sont des tâches formidables que la bourgeoisie du bloc russe devra affronter dans les années à venir.
Même dans l'industrie, dont la quasi totalité est nationalisée dans le bloc russe, il y a des obstacles d'importance à la consolidation de l'économie de guerre.
La décentralisation de l'industrie et l'autonomie de l'entreprise qui était un aspect du "socialisme" mercantile,doit d'abord être éliminé si le secteur 1 doit être organisé de manière centralisée autour du but de la production d'armements.
Déjà, une telle entreprise produira des heurts au sein de la bourgeoisie elle-même tels que les directeurs et chefs d'entreprises d'usines particulières et de trusts, essaieront de préserver leurs prérogatives.
La nécessité d'un ordre économique plus unifié et autarcique (dirigé par Moscou) qui pèse sur l'ensemble du bloc, exacerbe aussi les tensions au sein de la bourgeoisie de chaque pays sur la manière d'appliquer les décisions de l'impérialisme russe.
Etant donné la prédominance du facteur politico-militaire, aucune fraction significative de la bourgeoisie d'aucun pays du COMECON ne peut sérieusement remettre en cause l'appartenance au bloc russe. Cependant, il y a de sérieuses divergences entre ces fractions de la bourgeoisie dans chaque pays, qui cherchent à étendre leur commerce avec l'Ouest et à encourager les investissements du capital de l'Ouest afin de stimuler le développement d'industries purement nationales, et d'autres fractions pont qui l'intérêt du capital national implique l'orientation de la vie économique exclusivement autour du bloc et de la construction d'une économie de guerre unifiée.
Le poids politico-militaire écrasant de l'impérialisme russe dans le bloc de l'Est fera en sorte que ce soit cette dernière fraction qui l'emporte dans les heurts au sein de la bourgeoisie.
La profondeur de la crise politique de la bourgeoisie dans le bloc russe de toutes façons, se manifeste crûment par les efforts croissants pour contenir un prolétariat combatif. La profondeur de la crise économique et la nécessité de l'économie de guerre réclament une attaque drastique au niveau de vie et aux conditions de travail déjà abyssaux du prolétariat. Déjà, l'appareil politique de la bourgeoisie, perfectionné pendant le creux de la contre-révolution, quand la classe était écrasée, est mal adapté à la tâche de tromper un prolétariat déclenchant des luttes toujours plus dures et militantes.
La faiblesse économique de toutes les fractions du capital national les a conduit à une dépendance quasi-totale à l'égard de leur appareil militaire et policier pour maintenir l'ordre. De plus, la domination de l'impérialisme russe sur son bloc (à la différence de la situation de l'impérialisme US) dépend presque exclusivement de facteurs militaires. Ainsi, dans une situation historique dans laquelle le recours à la répression physique directe du prolétariat risque de provoquer la guerre de classe généralisée, quand le capital doit d'abord essayer de contrôler le prolétariat économiquement, condition préalable à son écrasement physique, la bourgeoisie du bloc russe a été incapable d'ajuster les formes de sa dictature aux nécessités du nouveau rapport de force entre classes. Chaque relâchement de l'appareil de répression directe risque d'affaiblir l'Etat ; une trop grande utilisation de l'appareil répressif risque d'allumer la flamme prolétarienne. Aussi, la bourgeoisie dans le bloc russe est paralysée face à la tâche urgente de l'attaque du prolétariat.
Si la production d'armements et la mise en place de l'économie de guerre sont la seule manière d'éviter la chute de l'appareil productif capitaliste, ce n'est en aucune façon une politique économique en soi (quoiqu'en pensent encore de larges secteurs de la bourgeoisie) mais la préparation à une conflagration mondiale, une expression des antagonismes inter-impérialistes que la crise mortelle du capitalisme mène au point de rupture. L'approfondissement inexorable de la crise mondiale n'a pas seulement porté à un point extraordinairement haut les tensions entre les doux blocs impérialistes, mais a aussi clairement révélé les différentes manières pour les impérialismes américains et russes de dominer les autres pays de leurs blocs, et de contrôler les marchés extérieurs, sources de matières premières et réservoir de main-d'oeuvre bon marché. A cause de sa faiblesse économique, la domination de la Russie sur d'autres pays dépend presque exclusivement de l'occupation militaire directe, ou au moins, de l'intervention rapide de ses forces armées. De plus, du fait de la supériorité navale américaine toujours écrasante, les régions sujettes au contrôle militaire de l'impérialisme russe, sont effectivement limitées aux régions d'Eurasie, et à des aires aisément accessibles à l'armée de terre russe.
C'est la clé de la domination russe en Europe de l'Est et en Mongolie, de même que l'incapacité de l'impérialisme russe à avoir un contrôle sur les pays hors d'atteinte de ses tanks. Au contraire, la suprématie de l'appareil productif de l'impérialisme "américain est telle qu'il peut économiquement dominer n'importe quelle partie du monde. La seule barrière à la domination économique américaine est l'hégémonie militaire de l'impérialisme russe dans une aire donnée qui, nous l'avons vu, est, pour des raisons stratégiques (l'infériorité navale) encore limité aujourd'hui à des aires contiguës à la Russie elle-même. L'infériorité économique de la Russie et les limites à ses ambitions militaires sont telles que même quand les fractions bourgeoises, armées et soutenues par elles triomphent dans un conflit inter-impérialistes localisé (Viêt-Nam, Mozambique, Angola…), cela ne signifie pas que le pays en question passe sans équivoque dans le bloc russe. Plutôt, la combinaison du poids économique du bloc US qui va croissant au fur et à mesure que la crise frappe les économies les plus faibles de plus en plus durement, et les limitations stratégiques de l'impérialisme russe produisent souvent une période d'oscillations entre les blocs. La recherche de la part du Viêt-Nam d'investissements du bloc US, de crédit et de commerce, dans un vain effort pour reconstruire une économie délabrée, prouve l'incapacité de la Russie à incorporer fermement dans son bloc, même un régime dont l'existence dépend de son aide militaire. La continuation de la dépendance à l'égard de l'Afrique du Sud par le Mozambique, l'appel au bloc US pour l'extraction et la vente de son pétrole et de ses minerais qui sont, la base de la vie économique de l'Angola, indiquent tous les deux les énormes difficultés que rencontre la Russie à essayer de supplanter l'impérialisme américain dans les points forts d'Afrique.
A cause de sa supériorité économique, môme les défaites militaires des fractions bourgeoises qu'il soutient ne sont suffisantes pour briser la mainmise de l'impérialisme US sur un pays, vu que, en raison de faiblesse économique, aucune sorte d'occupation militaire ne suffit a l'impérialisme russe pour s'assurer le contrôle d'un pays.
C'est la supériorité économique et stratégique qui est la base du continuel déséquilibre entre les deux camps impérialistes en faveur du bloc américain. Les USA sont en train d'éliminer la plus importante tète rie pont que l'impérialisme russe a établie dans l'effort pour s'étendre au coeur de l'Eurasie, son fief. Ainsi, au Moyen-Orient, l'Egypte et le Soudan sont réincorporés politiquement, économiquement et même militairement dans le bloc US, tandis que la Syrie a déjà fait les premiers pas dans ce sens. Le récent effort de l'impérialisme russe pour gagner une place dominante au Liban, via les Palestiniens et le front des gauchistes musulmans (qu’il armait et soutenait diplomatiquement); a été balayé par la seule armée syrienne (soutenue par Washington), que Moscou avait si bien équipée. La défaite militaire au Liban et l'affaiblissement de l'impérialisme russe au Moyen-Orient, ont maintenant conduit la plus influente fraction de l'OLP à reconsidérer son orientation pro-russe. De plus, les USA commencent à remettre en cause jusqu'à l'hégémonie russe en Irak.
Avec le rétablissement de la domination quasi-totale des USA sur le monde arabe, une domination qui embrasse aussi bien les régimes "socialistes" que les “royaumes", l'administration Carter dirige maintenant ses efforts pour imposer un statu quo israélo-arabe, qui impliquerait la formation d'un Etat croupion sur la rive ouest et dans la bande de Gaza.
L'impérialisme US espère établir une "Pax americacana" durable sur la région et faire du Moyen-Orient une solide barrière à l'expansion de l'impérialisme russe, plutôt qu'un passage pour la Russie vers l'Afrique et l'Asie du Sud comme cela se passait précédemment.
La lutte intense entre les deux blocs pour le contrôle de la corne africaine et de la ligne vitale de Babed-el-Mameb, qui commande les routes entre l'Europe et l'Asie, entre maintenant dans une phase décisive. L'apparent triomphe de la Russie en Ethiopie où le régime du colonel Mengistus a opté pour Moscou et où les armes russes permettent une escalade de la guerre barbare en Erythrée ainsi que le fait de mettre le front de libération de l'Erythrée dans la dépendance de l'impérialisme américain, a sa contre-partie dans la réorientation de la Somalie vers le bloc US.
Ceci et l'influence croissante du client américain, l'Arabie Saoudite sur le Sud-Yemen conduisent à un changement du rapport de force interimpérialiste dans la corne orientale, qui pourrait bien laisser l'impérialisme russe avec seulement le bastion éthiopien, dont les parties importantes (Erythrée, Ogaden) seraient détachées par des voisins envieux et des fronts de libération soutenus par les USA. Un régime indépendant en Erythrée soutenu par les USA, un à Djibouti occupé par la France, le Yémen, la Somalie tirés dans le bloc US par l'Arabie Saoudite, feraient (avec l'Egypte et le Soudan, maintenant intégrés dans le camp US) de la Mer Rouge, un lac américain.
En Inde, la défaite d'Indira Gandhi et la victoire de la coalition pro-américaine Janata, la formation d'un gouvernement dirigé par Morarji Desai forgent de nouvelles chaînes économiques liant New-Delhi à Washington en même temps que cela signifie l'élimination des politico-militaires de Moscou (établis au cours de la guerre indo-pakistanaise) dans l'Asie du Sud et l'Océan Indien.
Ce n'est pas l'expansion de l'impérialisme russe nais la consolidation de la mainmise du bloc US sur le sous-continent indien qui s'opère'. Cependant, en Extrême-Orient, l'incroyable croissance des antagonismes inter-impérialistes entre Chine et Russie et les tensions croissantes sur leurs frontières communes font pencher la Chine vers le bloc US, processus qui est accéléré par l'état de son économie. Alors que l'administration Carter se pose déjà la question de la nature de son aide à la Chine dans l'éventualité d'une guerre russo-japonaise et que l'amorce d'un rapprochement sino-indien se fait jour (rapprochement désiré par Washington), tous ces faits sont des signes incontestables de l'affaiblissement du bloc russe dans le continent asiatique.
Les initiatives de Washington au Moyen-Orient et dans la corne orientale, dans le sous-continent indien et en Extrême-Orient ont pour but d'enfermer ces régions dans un cercle de fer, que les Etats-Unis essayent de construire afin de confirmer l'impérialisme russe dans le centre Eurasien. Le succès de la politique de l'impérialisme US dépend en grande partie de sa capacité a stabiliser ces régions et à atténuer les rivalités inter-impérialistes entre les différents Etats - stabilisation de la barbarie, dans laquelle la crise permanente du capitalisme a déjà poussé l'humanité. La seule issue laissée à l'impérialisme russe, s'il a une chance de concurrencer l'impérialisme américain, est de mettre tous ses efforts pour déstabiliser ces régions par son soutien politique et: militaire aux luttes de libération nationale et à certaines fractions de la bourgeoisie dans chacun de ces pays, pour qui le statu-quo imposé par les USA est intolérable. Ainsi, au Moyen-Orient, le seul espoir pour les russes de reprendre du terrain est une nouvelle guerre israélo-arabe.
Dans le sous-continent indien, 1'expansion de l'impérialisme russe ne peut se faire que par une nouvelle guerre indo-pakistanaise -même, si cette fois, la Russie soutient Islamabad et essaie de forger un bloc musulman composé du Pakistan- du BanglaDesh et de l'Afghanistan afin de lutter contre l'Inde soutenue par les USA.
C'est exactement cette politique de déstabilisation que le capital russe a entrepris en Afrique du Sud, où les armes et les fonds vont au front patriotique en Rhodésie, au Swapo en Afrique du Sud-est et à la récente guérilla cubaine en Afrique du Sud même. Les USA voyant: le danger d'une telle déstabilisation pour sa propre domination, essaient d'imposer la règle de la majorité noire en Rhodésie et en Afrique du Sud afin d'asseoir sa domination sur des bases plus solides en soutenant une fraction noire do la bourgeoisie. Dans toutes ces régions, de toute façon, les limites stratégiques de la Russie, même si une politique de déstabilisation ne peut être, évitée, rendent l'occupation militaire directe de la Russie extrêmement difficile.
Il existe une région où la tentative de l'impérialisme russe pour s'étendre à partir de son aire géo-politique offre des possibilités de technologie avancée et n'a pas de limites stratégiques écrasantes, cette région c'est : l'Europe. Le seul pays en Europe où une extension russe serait bénéfique, et qui ne provoquerait pas automatiquement une guerre importante entre les deux blocs impérialistes, c'est : la Yougoslavie.
La mort de Tito va exacerber les contradictions au sein de la bourgeoisie yougoslave : d'un côté les fractions favorables à une orientation pro-russe et de l'autre celles favorables à une orientation pro-américaine. Entre la fraction Serbe, qui domine la bourgeoisie et le nationalisme croissant des fractions Croates et Slovènes, l'impérialisme russe peut, soit provoquer un changement de pouvoir à Belgrade, soit essayer de démembrer la Yougoslavie en fournissant une aide matérielle décisive à l'établissement d'Etats nationaux Serbe et Croates liés à Moscou. Avec sa supériorité matérielle et stratégique en Europe du Sud-est, le spectre de la Russie se dessine dans l'Adriatique.
L'effet d'une telle progression, si elle devait être couronnée de succès, modifierait de manière significative le rapport de force entre les blocs dans l'Europe du Sud et soumettrait l'Italie et la Grèce à une pression croissante de la Russie. A cela il faut ajouter la tension croissante entre la Grèce et la Turquie à propos de Chypre et des droits d'exploitation dans la mer Egée, qui peuvent donner au bloc russe l'occasion de prendre l'impérialisme US de flanc dans la Méditerranée, s'il ne parvient pas à une solution stable pour la région. La concentration de la pression russe dans l'Europe du Sud-est et en Asie Mineure indique le lieu où le prochain conflit impérialiste peut éclater.
L'approfondissement de la crise économique, menaçant de paralyser l'appareil productif du capitalisme, et ses manifestations dans l'exacerbation des antagonismes inter-impérialistes, conduisent la bourgeoisie à l'établissement de l'économie de guerre et, en fin de compte, aux préparatifs pour un nouveau massacre mondial. Cependant, le prolétariat partout barre le chemin à l'économie de guerre et à la conflagration mondiale dont elle est la préparation indispensable. La soumission idéologique et physique de la classe ouvrière à l'Etat capitaliste est la condition préalable nécessaire pour installer définitivement une économie de guerre. Mais aujourd'hui, la bourgeoisie s’affronte à un prolétariat combatif et de plus en plus conscient de ses intérêts.
En effet, la classe ouvrière a réagi de façon combative aux premiers coups de la crise qui a marqué la fin définitive de la période de reconstruction après la seconde guerre mondiale: la vague d'occupations d'usines qui a débouché sur la grève générale de 10 millions d'ouvriers en France en 1968 ; "l'automne chaud" de 1969 en Italie pendant lequel l'industrie a été paralysée par des grèves de masse et des occupations d'usines ; la grève anti-syndicale des mineurs de KIRUNA cette même année, qui a brisé plus de trois décennies de "paix sociale", qui avait valu h la Suède la renommée de "paradis pour le capital" sous le régime social-démocrate; les dures luttes des mineurs de Limbourg en Belgique en 1970 ; les grèves et combats violents de milliers d'ouvriers contre la police qui ont foudroyé les centres industriels de la Pologne pendant l'hiver 1970-71 ; la vague des grèves en Grande-Bretagne qui a culminé dans la grève générale de solidarité avec les dockers en 1972 ; les luttes des ouvriers à SEAT (Barcelone) en 1971 et à Vigo et Ferrol en 1972 qui -élevant des barricades et se battant dans la rue Cintre la police ainsi que les assemblées générales dans les usines- ont marqué la remontée du prolétariat en Espagne ; toutes ces luttes étaient autant de coups portés à la bourgeoisie des métropoles capitalistes, elles ont mis en évidence que l'approfondissement de la crise économique produit un durcissement de la lutte de classe. Par conséquent, si d'un côté, les nécessités économiques obligent la bourgeoisie à faire face au prolétariat rapidement et de façon décidée pour l'écraser, les réalités politiques, d'un autre côté, le rapport de force entre les classes, font que la bourgeoisie essaie d'éviter l'affrontement direct avec la classe ouvrière aussi longtemps que possible.
Par rapport aux années 1968-72, les années qui ont suivi la vague de luttes 1968-72, donnent l'impression d'un recul et d'un creux dans la lutte de classe. En réalité, après avoir encaissé les premiers coups de la crise, la bourgeoisie des métropoles a cherché désespérément à reporter les effets les plus désastreux de la crise sur les pays capitalistes plus faibles ; ainsi, les plus durs affrontements entre prolétariat et bourgeoisie se sont déplacés vers le Moyen-Orient, l'Afrique, l'Amérique Latine et la Chine. L'Egypte est la proie de vagues de grèves sauvages depuis 1974 : les usines de textile à Kelvan en 1975, les grèves qui ont paralysé les trois grands centres industriels du pays, Alexandrie, Helwan et Le Caire, en avril 1976, et les grèves et émeutes contre les hausses des prix des produits de première nécessité en janvier de cette année. En Israël, les ouvriers ont répondu à la hausse des prix gigantesque de 1975 par des protestations violentes, et en novembre-décembre 1976, une vague de grèves -touchant 35 7, des travailleurs du pays, s'est attaquée au contrat social imposé par le gouvernement des travaillistes et par les syndicats. En Afrique, en 1976, le prolétariat s'est lancé dans des grèves de; masse aussi bien contre les régimes du capital " noir" que du capital "blanc" : en juillet, les ports de l'Angola ont été paralysés par des grèves que le MFLA a réprimées dans le sang ; en septembre, les mesures d'austérité de la junte "marxiste-léniniste" d'Ethiopie' ont provoqué une grève générale dans les banques, les assurances, dans les secteurs de l'eau, du gaz et de l'électricité, grève générale qui a abouti à un affrontement violent avec l'armé ; en Afrique du Sud, aussi bien dans l'industrie automobile que dans les mines, des grèves dures ont éclaté, tandis qu'en Rhodésie, les chauffeurs d'autobus de Salisbury ont paralysé les transports de la ville pendant plus de quarante jours malgré la répression brutale de la police. En Amérique Latine, le prolétariat a répondu à la crise avec des luttes de plus en plus massives, violentes et unifiées : en Argentine, les ouvriers de l'électricité ont coupé le. courant dans les principales villes, en automne 1976 ; à Cordoba, les ouvriers de l'automobile se sont affrontés aux forces de police ; au Pérou, des luttes semi-insurrectionnelles ont transformé Lima en un champ de bataille, en 1975 et 1976 ; dans les mines d'étain de Bolivie, dans les plantations et usines de textile de Colombie, dans les centres de textile et la zone de fer au Venezuela, le prolétariat a engagé des luttes violentes. En Chine, les années 1975 et 76 ont vu des grèves se généraliser d'usine en usine, saisissant des provinces entières et atteignant des proportions semi-insurrectionnelles ; comme à Kang-Show, lors d'une grève générale qui a duré trois mois, les ouvriers ont attaqué les sièges du Parti et du gouvernement, des barricades ont été dressées dans des quartiers ouvriers et il a fallu dix mille soldats pour ramener l'ordre. Entre 1973 fit 1977, on n'assiste pas à un ralentissement de l'intensité de la résistance du prolétariat aux effets de la crise mais à un déplacement momentané de l'épicentre de la lutte de classe vers la périphérie du monde capitaliste.
Par ailleurs, en ce qui concerne les métropoles capitalistes, même si on dit qu'il y a un décalage entre la profondeur de la crise et la réaction du prolétariat, que la lutte de classe a baissé après 1972, on ne doit pas oublier le fait qu'il n'y a pas eu de défaite politique du prolétariat, que dans aucun des centre du capitalisme mondial, la bourgeoisie n'a écrasé physiquement ou idéologiquement la classe ouvrière. En fait le calme apparent dans la lutte de classe ne signifie pas une diminution de combativité de la classe -même provisoirement- mais une conscience croissante chez les ouvriers du caractère futile en dernière instance des luttes purement économiques. C'est par l'impossibilité de défendre, avec leurs luttes, ne fussent que leurs intérêts"immédiats", que le prolétariat est entrain d'apprendre qu'il doit s'affronter au capital et son Etat avec des luttes directement politiques ; c'est par cette impossibilité qu'il apprend la nécessité de généraliser et politiser ses luttes. La vague de grèves qui s'est répandue à travers l'Espagne comme une traînée de poudre en janvier mars 1976, et les grèves violentes qui ont embrassé la Pologne en juin 1976, ont donné le signe de départ d'une nouvelle phase de généralisation et de radicalisation des luttes prolétariennes dans les métropoles capitalistes. La vitesse avec laquelle se sont généralisées les luttes à Radom (Pologne) et à Vitoria (Espagne), prenant une usine après l'autre, revêtant souvent un caractère insurrectionnel, est un signe indicateur de l'expérience que le prolétariat a déjà acquise et de l'orage prolétarien qui se prépare. Au cours de 1'année dernière, les bourgeoisies d'Italie, de Grande-Bretagne, du Portugal, du Danemark et de Hollande ont dû faire face aux premiers assauts de cette nouvelle vague de luttes ouvrières. Mais ce n'est pas une simple énumération de grèves ni de pays touchés par les luttes qui peut exprimer quelle est la situation réelle du moment présent alors que c'est au niveau mondial que le prolétariat est l'élément déterminant :
De même que la réapparition d'une crise ouverte en 1967 a provoqué une vague de luttes combatives du prolétariat dans les années qui ont suivi, de même, la nouvelle phase de la crise, qui oblige la bourgeoisie à mettre en place une économie de guerre et l'amène vers une guerre inter-impérialiste généralisée, deviendra un facteur qui engendrera dans la classa ouvrière la conscience de plus en plus claire de la nécessité d'engager des luttes directement politiques.
Ainsi, la nécessité impérieuse pour la bourgeoisie de mettre Dur pied une économie de guerre deviendra un facteur de poids dans l'accélération du cours vers une guerre de classe généralisée.
La bourgeoisie est amenée il instaurer son économie de guerre conformément aux lois aveugles qui déterminent ses actions ; alors que la classe bourgeoise est incapable de comprendre les forces qui la poussent vers la guerre, les marxistes révolutionnaires peuvent voir clairement quel est le cours que la bourgeoisie sera obligée de suivre et comprendre les tendances de base de l'économie et de la politique capitalistes que la bourgeoisie ne peut voir que confusément.
C'est pour cette raison que le CCI peut tracer les perspectives politiques et économiques fondamentales du capitalisme dans les années à venir. Cependant, la lutte de classe du prolétariat, en devenant directement une lutte politique, n'est pas un produit des lois aveugles, c'est une lutte consciente. Aussi, si les révolutionnaires ne peuvent pas prédire quand les luttes vont surgir -justement à cause du facteur conscient qui en est la clé- ils peuvent et doivent, par leur intervention politique dans la lutte de classe, par l'accomplissement de leur tâche vitale de contribution à la généralisation de la conscience révolutionnaire dans la classe, devenir un facteur actif et décisif dans le surgissement et le développement des luttes politiques qui mèneront vers une guerre de classe généralisée du prolétariat contre la bourgeoisie. C'est cela qui est à l'ordre du jour maintenant.
CCI
La caractérisation des différentes organisations qui se réclament du socialisme et de la classe ouvrière est de la plus haute importance pour le CCI. Ce n'est nullement une question abstraite ou de simple théorie mais au contraire qui oriente de façon directe l'attitude du Courant à l'égard de ces organisations et donc son intervention face à elles : soit dénonciation en tant qu'organe et émanation du Capital, soit polémique et discussion en vue de tenter de favoriser leur évolution vers une plus grande clarté et rigueur programmatique ou de permettre et impulser en leur sein l'apparition de tendances à la recherche d'une telle clarté. C'est pour cela qu'il faut se garder de toute appréciation hâtive ou subjective des organisations auxquelles le CCI est confronté et qu'il est nécessaire, tout en se gardant d'un étiquetage formel et rigide, de définir les critères les plus exacts possible d'une telle appréciation. Toute erreur ou précipitation en ce domaine met en cause l'accomplissement de la tâche fondamentale de constitution d'un pôle de regroupement des révolutionnaires et porte en germe des déviations de caractère soit opportuniste, soit sectaire qui seraient des menaces pour la vie même du Courant.
1) Le mouvement révolutionnaire de la classe ouvrière s'exprime en un processus de maturation de sa conscience, processus difficile, en dents de scie, jamais linéaire, connaissant de multiples tâtonnements, remises en question, et qui se manifeste nécessairement dans l'apparition et l'existence simultanée de plusieurs organisations plus ou moins formées et avancées. Ce processus s'appuie sur l'expérience à la fois immédiate et historique de la classe, a besoin des deux pour pouvoir se développer et s'enrichir. Il doit s'approprier les acquis passés de la classe mais, en même temps, il doit être capable de critiquer et dépasser les limites de ces acquis, activité qui n'est à son tour possible qu'à partir d'une réelle assimilation de ces acquis ; et, de fait, les différents courants qui se manifestent dans la classe se distinguent par une plus ou moins grande aptitude à assumer ces différentes tâches. Si la prise de conscience de la classe s'inscrit en rupture avec l'idéologie bourgeoise ambiante, les groupes qui l'expriment et y participent sont eux-mêmes soumis à la pression de cette idéologie ce qui fait constamment peser sur eux une menace de disparition ou d'absorption par la classe ennemie.
Ces caractéristiques générales du processus de développement de la conscience révolutionnaire sont encore plus marquées dans la période de décadence du capitalisme. En effet, cette décadence, tout en jetant les bases pour la destruction du système aussi bien du point de vue objectif (crise mortelle du mode de production) que subjectif (décomposition et déliquescence qui en résultent pour l'idéologie bourgeoise et affaiblissement de son emprise sur la classe ouvrière), a suscité l'apparition d'entraves et difficultés nouvelles à cette prise de conscience. A ce titre, on peut citer :
Mais à l'heure actuelle, à l'ensemble de ces conditions, il vient s'ajouter :
2) Dans un tel cadre général du mouvement de la classe vers une prise de conscience de ses tâches historiques, on peut observer l'existence de trois types fondamentaux d'organisations.
En premier lieu, les partis qui, après avoir été des organes de la classe, ont succombé à la pression du capitalisme et ont pris place comme défenseurs du système en assumant une fonction plus ou moins directe de gestion du capital national. Pour de tels partis, l'histoire enseigne :
Parmi ces partis, on peut nommer principalement les partis socialistes issus de la 2ème Internationale, les partis communistes issus de la 3ème, de même que les organisations appartenant à l'anarchisme officiel, et également les courants trotskystes. Tous ces partis ont été conduits à tenir une place dans la défense du capital national comme agents du maintien de l'ordre ou rabatteurs pour la guerre impérialiste.
En second lieu, les organisations dont l'appartenance à la classe ouvrière est indiscutable de par leur capacité à tirer les leçons des expériences passées de la classe, à comprendre les données historiques nouvelles, à rejeter toutes les conceptions qui se sont révélées étrangères à la classe ouvrière et dont l'ensemble des positions atteint un haut niveau de cohérence. Même si le processus de prise de conscience n'est jamais achevé, si la cohérence ne peut jamais être parfaite, si les positions de classe demandent un constant enrichissement, on a pu constater à travers l'histoire l'existence de courants qui, à un moment donné, ont représentés les manifestations non exclusives, mais les plus avancées et complètes de la conscience de classe et ont assumé un rôle central dans ce processus.
Dans nos rapports avec de tels groupes, proches du CCI mais extérieurs, notre but est clair. Nous essayons d'établir une discussion fraternelle et approfondie des différentes questions affrontées par la classe ouvrière, afin:
En troisième lieu, des groupements dont, à l'inverse des précédents, la nature de classe n'est pas tranchée de façon nette et qui, manifestation du caractère complexe et difficile du processus de prise de conscience du prolétariat, se distinguent des organisations du second type par le. fait :
Dans le cas de ces groupes, dans la mesure où ils sont plongés dans la confusion, la démarcation qui sépare le camp prolétarien du camp capitaliste, bien qu'elle existe effectivement, est extrêmement difficile à établir de façon formelle. Pour ces mêmes raisons, il est difficile d'en définir une classification précise, on peut cependant les distinguer en trois grandes catégories :
I) Les courants plus ou moins formels qui peuvent se dégager de mouvements embryonnaires et encore confus de la classe,
II) Les courants issus d'organisations passées dans le camp ennemi et rompant avec elles, qui, tous deux, sont une manifestation du processus général de rupture avec l'idéologie bourgeoise.
III) Les courants communistes en voie de dégénérescence, en général comme résultat d'une sclérose et d'un épuisement suite à une incapacité à actualiser leurs positions d'origine.
3) Parmi les groupes du premier type on peut ranger divers courants informels comme le "Mouvement du 22 mars" en 1968, des "groupes autonomes", etc., toutes organisations surgies du mouvement immédiat lui-même et donc sans racine historique, sans programme élaboré, puisqu'établi sur quelques points partiels et vagues, dépourvus d'une cohérence globale et ignorant l'ensemble des acquis historiques de la classe. Ces caractéristiques rendent ces courants très vulnérables, ce qui se manifeste dans la plupart des cas par leur disparition à bref délai ou leur transformation rapide en simple queue des groupes gauchistes. Cependant, de tels courants peuvent également s'engager dans un processus de clarification et d'approfondissement de leurs positions, ce qui les amène à évoluer vers une disparition comme tels et une intégration de leurs membres dans l'organisation politique de la classe.
Face à chacun de ces mouvements, le CCI doit intervenir afin de favoriser et de stimuler une telle évolution positive et tenter de leur éviter une dislocation dans la confusion ou leur récupération par le capitalisme.
4) Concernant les groupes du deuxième type, seuls en font partie les courants qui se séparent de leur organisation d'origine sur la base d'une rupture avec certains points de son programme et non sur la base d'une "sauvegarde" de principes prétendument révolutionnaires en cours de liquidation. En ce sens, on ne doit rien attendre des différentes scissions trotskystes qui régulièrement se proposent de sauvegarder ou revenir à un "trotskysme pur".
Apparus sur la base, d'une rupture programmatique avec leur organisation d'origine, ces groupes se distinguent fondamentalement des fractions communistes qui peuvent apparaître comme réaction à un processus de dégénérescence des organisations prolétariennes. En effet, celles-ci se basent non sur une rupture mais sur une continuité du programme révolutionnaire précisément menacé par le cours opportuniste de l'organisation, même si par la suite elles lui apportent les rectifications et enrichissements imposés par l'expérience. De ce fait, alors que les fractions apparaissent avec un programme révolutionnaire cohérent et élaboré, les courants qui rompent avec la contre-révolution se présentent avec des positions essentiellement négatives, opposées, généralement de façon partielle, à celles de leur organisation d'origine, ce qui ne suffit pas à constituer un programme communiste solide. Leur rupture avec une cohérence contre-révolutionnaire ne peut suffire à leur conférer une cohérence révolutionnaire. De plus, l'aspect nécessairement parcellaire de leur rupture se traduit par la conservation d'un certain nombre de pratiques du groupe d'origine (activisme, carriérisme, manoeuvriérisme, etc.) ou par l'adoption de pratiques symétriques, mais non moins erronées (attentisme, refus de l'organisation, sectarisme, etc.).
Pour l'ensemble de ces raisons, de tels groupes ont en général des probabilités très faibles d'évolution positive comme corps. Leurs déformations d'origine pèsent la plupart du temps trop fortement pour qu'ils puissent se dégager véritablement de la contre-révolution, quand ils ne disparaissent pas purement et simplement. Une telle dissolution est en fin de compte la meilleure issue puisqu'elle peut permettre à leurs militants de se dégager des tares organiques originelles et donc de s'orienter vers une cohérence révolutionnaire.
Cependant, ce qui existe à l'état d'une forte probabilité ne peut jamais être considéré comme une absolue certitude et, en ce sens, le CCI doit se garder de toute prise de position les rejetant de façon irrémédiable dans la contre-révolution, ce qui ne peut que bloquer une évolution positive de tel groupe ou de ses militants. Il peut en effet exister de grandes différences dans la dynamique de tels groupes suivant leur organisation d'origine : si les scissions provenant d'organisations au programme et à la pratique contre-révolutionnaires bien cohérents et affirmés (comme les organisations trotskystes par exemple) sont en général les plus handicapés, par contre, les courants qui se dégagent d'organisations plus informelles et au programme moins élaboré (comme celles venant de l'anarchisme par exemple) ou ayant trahi de façon plus récente, ont de meilleures chances d'évoluer vers des positions révolutionnaires y compris comme corps.
Par ailleurs, le caractère de plus en plus évident, à mesure que s'approfondit la crise du capitalisme, du décalage existant entre la phraséologie radicale des organisations gauchistes et leur politique bourgeoise provoque et va encore provoquer en leur sein la réaction de leurs éléments les plus sains, abusés dans un premier temps par cette phraséologie, et qui viendra alimenter ce genre de scissions.
Dans tous les cas, tout en faisant preuve d'une plus grande prudence qu'à l'égard des groupements du premier type et tout en se gardant de toute tentative de création de "comités" communs avec eux, comme a pu le préconiser le PIC par exemple, le CCI doit intervenir activement dans l'évolution de tels courants, favoriser par ses critiques non pas sectaires mais ouvertes la discussion et la clarification en leur sein et se garder de recommencer ses erreurs passées qui ont conduit par exemple "Révolution Internationale" à écrire "nous doutons de l'évolution positive d'un groupe venant de l'anarchisme" dans une lettre adressée au "Journal des Luttes de Classe" dont les membres allaient, un an plus tard, en compagnie de ceux du RRS et du VRS, fonder la section du CCI en Belgique.
5) Le problème posé par les groupes communistes en cours de dégénérescence est probablement un des plus difficiles à résoudre et demande à être examiné avec un maximum de soins. Le fait que tout franchissement de la frontière entre le camp prolétarien et le camp capitaliste ne puisse se faire qu'à sens unique, qu'une organisation prolétarienne qui passe sur le terrain bourgeois le fasse de façon définitive sans espoir de retour, doit inciter à la plus grande prudence dans la détermination du moment de ce passage et dans le choix des critères permettant une telle détermination.
Il ne faut pas considérer par exemple qu'une organisation est bourgeoise parce qu'elle agit dans les faits comme facteur non de clarification de la conscience de classe mais comme facteur de confusion : toute erreur d'une organisation prolétarienne, et du prolétariat en général, profite évidemment à l'ennemi de classe mais on ne peut pas dire que parce qu'une organisation commet des erreurs même très graves elle est l'émanation de la classe ennemie. Dans une armée, l'existence de mauvaises troupes est incontestablement une faiblesse qui favorise l'autre camp. Doit-on pour cela considérer que de telles troupes trahissent ?
En second lieu, on ne peut considérer que le franchissement d'une frontière de classe par une organisation signifie obligatoirement sa mort comme organe du prolétariat. Parmi les frontières de classe, il en est effectivement qui influent tout particulièrement sur la cohérence globale du programme et dont le franchissement peut constituer un critère décisif : ainsi le soutien de la "défense nationale" place d'emblée une organisation dans le camp de la bourgeoisie. Cependant, si une position erronée, même sur un seul point, éclaire d'une manière ambiguë tout l'ensemble du programme d'un groupe, certaines positions tout en se situant en dehors d'une cohérence communiste, ne l'empêchent pas forcément de maintenir un ensemble de positions authentiquement révolutionnaires. Ainsi, certains courants communistes ont pu apporter des contributions fondamentales à la clarification du programme révolutionnaire tout en conservant des positions nettement fausses sur des points importants (ainsi, la Gauche Italienne qui, sur les questions du substitutionisme, des syndicats et même de la nature de l'URSS, a maintenu des positions et analyses fortement, erronées).
Enfin, un des éléments fondamentaux à prendre en compte est l'évolution du groupe considéré. Un jugement ne doit pas être formulé à partir d'une analyse statique, mais dynamique. Par exemple, à toutes positions identiques, il existe une différence entre un groupe qui surgit aujourd'hui et qui appuie les luttes de libérations nationales,et un groupe qui s'est formé sur la base de la lutte contre la guerre impérialiste et qui, ne comprenant pas de lien entre ces deux positions, capitule sur le premier point.
Alors que pour un groupe récent, toute position contre-révolutionnaire risque de l'entraîner rapidement en bloc sur le terrain de la bourgeoisie, les courants communistes qui se sont trempés dans les grandes épreuves historiques, même s'ils portent en eux des éléments très importants de dégénérescence, n'évoluent pas d'une façon aussi rapide. Les conditions très difficiles dans lesquelles ils ont surgi les ont obligé à se doter d'une armure programmatique et organisationnelle beaucoup plus résistante contre les assauts de la classe dominante. En règle générale, d'ailleurs, leur sclérose est en partie la rançon qu'ils payent à leur attachement et à leur fidélité aux principes révolutionnaires, à leur méfiance à l'égard de toute innovation qui a constitué pour d'autres groupes le cheval de Troie de la dégénérescence, méfiance qui les a conduit à rejeter les actualisations de leur programme rendues nécessaires par l'expérience historique. C'est pour l'ensemble de ces raisons qu'en général seuls les événements majeurs de l'évolution de la société, guerre impérialiste ou révolution, qui constituent des phases essentielles de la vie des organisations politiques, permettent de trancher de façon définitive sur le passage comme corps d'un organisme dans le camp ennemi. Souvent, seules de telles situations sont en mesure de clarifier suffisamment les problèmes pour permettre de déchirer le voile empêchant de comprendre certaines aberrations qui relèvent plus d'un aveuglement d'éléments prolétariens que d'une cohérence dans la contre-révolution. C'est généralement dans ces moments où il n'existe plus de place pour les ambiguïtés que les organes en dégénérescence font la preuve soit de leur passage définitif dans l'autre camp, par une collaboration ouverte avec la bourgeoisie, soit de leur maintien dans le camp ouvrier, par une réaction salutaire démontrant qu'ils constituent encore un terrain fertile pour l'apparition d'une pensée communiste. Mais ce qui est valable pour les grandes organisations de la classe en dégénérescence, l'est beaucoup moins pour les petits groupes communistes, à l'impact limité. Si les premiers sont reçus à tambour battant par la bourgeoisie auprès de laquelle ils sont appelés à jouer un rôle de premier ordre, les seconds, quand ils sont happés dans l'engrenage, pour n'avoir pas de possibilité réelle d'assumer une fonction capitaliste, sont broyés impitoyablement et meurent dans une longue et douloureuse agonie de secte.
6) À l'heure actuelle, on peut distinguer deux grands courants qui entrent dans la caractérisation qui vient d'être faite et qui se trouvent dans un processus semblable de sclérose et de dégénérescence. Il s'agit de groupes venant des Gauches Hollandaises et Allemande, d'une part, et Italienne d'autre part. Parmi eux, certains ont mieux résisté que les autres à cette dégénérescence, notamment "Spartacusbond" pour le premier courant et "Battaglia Communista" pour le second, au point de pouvoir se dégager en bonne partie des positions sclérosées, Par contre, d'autres groupes sont engagés beaucoup plus avant dans une telle involution : par exemple "Programme Communiste". Concernant cette dernière organisation, quel que soit le degré atteint par sa régression, il n'existe cependant pas, à l'heure actuelle, d'élément décisif permettant d'établir qu'elle est passée comme corps dans le camp bourgeois. Il faut mettre en garde contre une appréciation hâtive sur ce sujet qui risque non pas de favoriser, mais d'entraver l'évolution et le travail des éléments ou tendances qui peuvent tenter au sein de ce groupe de résister contre ce cours de dégénérescence, ou de s'en dégager.
A l'égard de l'ensemble de ces groupes, il s'agit de maintenir une attitude sereine alliant l'intransigeance dans la défense de nos positions et la dénonciation de leurs erreurs, à la manifestation de notre volonté de discuter avec eux. Ne pas faire cela traduirait une incompréhension fondamentale de nos responsabilités et du fait que la dégénérescence complète de ces groupes constitue une perte et un affaiblissement pour le prolétariat.
7) Dans la définition de l'attitude générale du CCI à l'égard des différents groupes et éléments pouvant exister ou apparaître autour de lui avec des positions plus ou moins confuses, il faut prendre en considération le fait que nous nous situons aujourd'hui dans une période de reprise historique de la lutte de classe.
Dans les périodes de recul ou de creux prolétarien, comme celle dont nous sommes sortis au milieu des années 60, la préoccupation majeure des noyaux communistes est de sauvegarder la rigueur des principes, ce qui les conduit plutôt à s'isoler à l'égard de la situation ambiante pour ne pas se laisser entraîner par elle. Dans de telles circonstances, il est vain de miser sur l'apparition de nouveaux éléments ou forces révolutionnaires : la tâche difficile de défense des principes communistes menacés par la contre-révolution revient essentiellement aux quelques éléments issus des anciens partis qu'elle n'a pas entraînés et qui sont restés fidèles à ces principes.
Par contre, dans la période de reprise actuelle, tout en portant la plus grande attention à l'évolution des courants communistes venant de la vague révolutionnaire précédente et à la discussion avec eux, nous devons avoir comme préoccupation principale de ne pas nous couper des éléments et groupes qui surgissent nécessairement dans la classe comme manifestation de cette reprise. Nous ne pourrons réellement assumer notre fonction comme pôle de regroupement à leur égard que si nous sommes en même temps capables :
Loin de s'exclure, fermeté sur les principes et ouverture dans l'attitude vont de pair : nous n'avons pas peur de discuter précisément parce que nous sommes convaincus de la validité de nos positions.
La plate-forme du CCI énonce les acquis essentiels du mouvement ouvrier sur les conditions et le contenu de la révolution communiste. Ces acquis peuvent être résumés ainsi :
a) Toutes les sociétés jusqu'à aujourd'hui ont été fondées sur l'insuffisance du développement des forces productives par rapport aux besoins des hommes. De ce fait, à l'exception du communisme primitif, elles ont toutes été divisées en classes sociales aux intérêts antagoniques. Cette division a provoqué l'apparition d'un organe, l'Etat, dont la fonction spécifique a été d'empêcher que ces antagonismes ne conduisent à un déchirement et à une destruction de la société elle-même.
b) Par le progrès que le capitalisme a impulsé au développement des forces productives, il a rendu nécessaire et possible son remplacement et son dépassement par une société fondée sur le plein développement des forces productives, l'abondance, la satisfaction de tous les besoins humains : le communisme. Une telle société n'est plus divisée en classes sociales et de ce fait ne connaît ni ne peut supporter l'existence d'un Etat.
c) Comme par le passé, il existe entre les deux sociétés stables que sont le capitalisme et le communisme, une période de transition pendant laquelle disparaissent les anciens rapports sociaux et se mettent en place les nouveaux. Pendant cette période, subsistent des classes sociales, des conflits entre elles et donc un organe ayant pour fonction d'empêcher que les conflits ne menacent la société : l'Etat.
d) L'expérience de la classe ouvrière a démontré que cet Etat ne peut en aucune façon constituer une continuité organique de l'Etat de la société capitaliste. C'est de fond en comble et à l'échelle mondiale que celui-ci doit être détruit pour que puisse s'ouvrir la période de transition du capitalisme au communisme.
e) La destruction mondiale du pouvoir politique de la bourgeoisie s'accompagne de la prise, du pouvoir à cette échelle par le prolétariat, seule classe qui soit porteuse du communisme. La dictature du prolétariat qui s'instaure sur la société, est basée sur l'organisation générale de la classe : les Conseils Ouvriers. C'est la classe ouvrière dans son ensemble qui seule peut exercer le pouvoir dans le sens de la transformation communiste de la société : contrairement aux classes révolutionnaires du passé, elle ne peut déléguer son pouvoir à une quelconque institution particulière, à aucun parti politique, y compris les partis ouvriers eux-mêmes.
f) Le plein exercice par le prolétariat de sa dictature de classe suppose :
g) La dictature du prolétariat exerce sa fonction de levier de la transformation sociale :
La plate-forme du CCI, se basant sur l'expérience de la révolution, souligne la"complexité et la gravité du problème posé par les rapports entre la classe ouvrière organisée et l'Etat de la période de transition". Elle estime que "dans la période qui vient, le prolétariat et les révolutionnaires ne pourront pas esquiver ce problème, mais se devront d'y consacrer tous les efforts nécessaires pour le résoudre". C'est dans un tel effort que s'inscrit la présente résolution.
La période de transition du capitalisme au communisme comporte un certain nombre de points communs avec les autres périodes de transition antérieures. C'est ainsi que, comme par le passé :
La période de transition du capitalisme au communisme ne connaît pas de mode de production propre, mais un enchevêtrement de deux modes de production;
Pendant cette période se développent lentement, au détriment de l'ancien, les germes du nouveau mode de production jusqu'au point de le supplanter;
Le dernier point commun, qu'il est utile de mettre en évidence, entre toutes les périodes de transition, c'est qu'elles relèvent de la société qui va surgir. Dans la mesure où le communisme se distingue fondamentalement de toutes les autres sociétés, la transition qui y conduit comporte donc toute une série de caractéristiques inédites :
Elle ne marque plus le passage d'une société d'exploitation à une autre société d'exploitation, d'une forme de propriété à une autre forme de propriété mais conduit à la fin de toute exploitation et de toute propriété ;
Elle n'est plus l'oeuvre d'une classe exploiteuse et propriétaire des moyens de production, mais d'une classe exploitée qui n'a jamais possédé et ne possédera jamais, même collectivement, de moyens de production, d'économie propre ;
Elle n'aboutit pas à la conquête du pouvoir politique par la classe révolutionnaire ayant au préalable établi sa domination économique sur la société, mais au contraire, commence et est conditionnée par cette prise du pouvoir. La seule domination que le prolétariat ne pourra jamais exercer sur la société sera de nature politique et non économique ;
Le pouvoir politique du prolétariat n'aura pas pour fonction de stabiliser un état de choses existant, préserver des privilèges particuliers ou l'existence d'une division en classes, mais au contraire de bouleverser continuellement cet état de choses, d'abolir tous les privilèges et toute division en classes.
Suivant les propres termes d'Engels :
Le marxisme n'a jamais donc considéré l'Etat comme une création ex-nihilo de la classe dominante mais bien comme un produit, une sécrétion organique de l'ensemble de la société. L'identification entre la classe économiquement dominante et l'Etat est fondamentalement le résultat de l'identité de leurs intérêts communs de préservation des rapports de production existants. De même, à partir de la conception marxiste, on ne peut en aucune façon considérer l'Etat comme un agent révolutionnaire, un instrument de progrès historique. En effet, pour le marxisme :
La seule conclusion découlant logiquement de ces prémices est que dans toute société l'Etat ne peut être autre chose qu'une institution conservatrice par essence et par excellence. Aussi, si l'Etat est dans les sociétés de classe un instrument indispensable au processus productif en ce qu'il assure la stabilité nécessaire à sa continuation, il ne peut jouer ce rôle que par sa fonction d'agent de l'ordre social. Au cours de l'histoire, l'Etat apparaît donc comme un facteur conservateur et réactionnaire de premier ordre, comme une entrave à laquelle se heurtent constamment l'évolution et le développement des forces productives.
Afin de pouvoir assurer son rôle d'agent de sécurité et de conservation, l'Etat s'appuie sur une force matérielle, sur la violence. Dans les sociétés passées, il possède en monopole exclusif toutes les forces de violence existantes : la police, l'armée, les prisons.
Ayant son origine dans la nécessité historique de la violence, trouvant dans l'exercice de la coercition la condition de son épanouissement, l'Etat tend à devenir un facteur indépendant et supplémentaire de violence dans l'intérêt de son auto-conservation, de sa propre existence. La violence, en tant que moyen devient un but en soi, entretenu et cultivé par l'Etat, répugnant de par sa nature même à toute forme de société tendant à se passer de violence en tant que régulateur des rapports entre les hommes.
L'existence, dans la période de transition, d'une division de la société en classes aux intérêts antagoniques fait surgir au sein de celle-ci, un Etat. Cet état a pour tâche de garantir les bases de la société transitoire à la fois contre toute tentative de restauration du pouvoir des anciennes classes exploiteuses et contre tout déchirement résultant des oppositions entre les différentes classes non exploitées qui subsistent en son sein.
L'État de la période de transition comporte un certain nombre de différences d'avec celui des sociétés antérieures :
Par contre, cet État conserve un certain nombre de caractéristiques de ceux du passé. Il reste en particulier l'organe gardien du statu-quo, chargé de codifier, légaliser un état économique déjà existant, de le sanctionner, de lui donner force de loi dont l'acceptation est obligatoire pour tous les membres de la société. En ce sens, l'Etat reste un organe fondamentalement conservateur tendant :
C'est pour cela que l'Etat de la période de transition a été depuis le début considéré par les marxistes comme un "fléau", "un mal nécessaire" dont il s'agit de"limiter les effets les plus fâcheux". Pour l'ensemble de ces raisons, et contrairement à ce qui s'est produit dans le passé, la classe révolutionnaire ne peut s'identifier avec l'Etat de la période de transition.
D'une part, le prolétariat n'est pas une classe économiquement dominante. Il ne l'est ni dans la société capitaliste ni dans la société transitoire. Dans celle-ci, il ne possède aucune économie, aucune propriété même collective mais lutte pour la disparition de l'économie, de la propriété. D'autre part, le prolétariat, classe porteuse du communisme, agent du bouleversement des conditions économiques et sociales de la société transitoire, se heurte nécessairement à l'organe tendant à perpétuer ces conditions. C'est pour cela qu'on ne peut parler ni "d'Etat socialiste", ni "d'Etat ouvrier", ni "d'Etat du prolétariat" durant la période de de transition.
Cet antagonisme entre prolétariat et Etat Se manifeste tant sur le plan immédiat que sur le plan historique.
Sur le terrain immédiat, le prolétariat devra s'opposer aux empiétements et à la pression de l'Etat en tant que représentant d'une société dans laquelle subsistent des classes aux intérêts antagoniques aux siens.
Sur le terrain historique, la nécessaire extinction de l'Etat dans le Communisme, déjà mise en évidence par le marxisme, ne sera pas le résultat de sa dynamique propre mais le fruit d'une pression soutenue de la part du prolétariat qui le dépouillera progressivement de tous ses attributs au fur et à mesure de l'évolution vers la société sans classe.
Pour ces raisons, si le prolétariat doit se servir de l'Etat de la période de transition, il doit conserver sa complète indépendance à l'égard de cet organe. En ce sens, la dictature du prolétariat ne se confond pas avec l'Etat. Entre les deux, existe un rapport de forces constant que le prolétariat devra maintenir en sa faveur : la dictature du prolétariat ne s'exerce pas dans l'Etat ni à travers l'Etat mais sur l'Etat.
L'expérience de la Commune d'une part, et celle de la révolution en Russie d'autre part, au cours de laquelle l'Etat a constitué l'agent majeur de la contre-révolution en Russie même, ont mis en évidence la nécessité d'un certain nombre de moyens permettant :
a) la limitation des caractéristiques les plus néfastes de l'Etat de la société transitoire passe par :
b) l'indépendance de la classe ouvrière se manifeste par :
Elle s'exerce contre l'Etat et les autres classes de la société :
c) la domination de la dictature du prolétariat sur l'Etat et l'ensemble de la société se base essentiellement :
1) La succession des modes de production esclavagiste, féodal, capitaliste ne connaissait pas à proprement parler de périodes de transition. Les nouveaux rapports, sur la base desquels s'édifiait la forme sociale progressive, étaient créés à l'intérieur de l'ancienne société. Le vieux système et le nouveau coexistaient (jusqu'à ce que le second supplante le premier) et cette cohabitation était possible parce qu'entre ces diverses sociétés n'existait qu'un antagonisme de forme alors qu'elles restaient par essence des sociétés d'exploitation. La succession du communisme au capitalisme diffère fondamentalement de celles du passé. Le communisme ne peut émerger au sein du capitalisme parce qu'entre ces deux sociétés, il y a non seulement différence de forme mais également différence de contenu. Le communisme n'est plus une société d'exploitation et le mobile de la production n'est plus la satisfaction des besoins d'une minorité. Cette différence de contenu exclut la coexistence de l'un et de l'autre et crée la nécessité d'une phase transitoire au cours de laquelle les nouveaux rapports et la nouvelle société se développent à l'extérieur du capitalisme.
2) Entre la société capitaliste et la société communiste se place donc une phase de transformation révolutionnaire de celle-ci en celle-là. Cette phase transitoire est non seulement inévitable, mais encore nécessaire, pour combler l'immaturité des conditions matérielles et spirituelles léguées par le capitalisme au prolétariat (immaturité qui interdit le règne immédiat du communisme au sortir de la révolution). Cette période se caractérise par la fusion de deux processus sociaux : l'un de décroissance des rapports et catégories appartenant au système en déclin, l'autre de croissance des rapports et catégories qui relèvent du système nouveau. La spécificité de l'époque de transition réside en ceci : le prolétariat qui a conquis le pouvoir politique (par la révolution) et garanti sa domination (par la dictature) s'engage dans le bouleversement ininterrompu et systématique des rapports de production et des formes de conscience et d'organisation qui en dépendent. Pendant la phase intermédiaire, par des mesures politiques et économiques, la classe ouvrière développe les forces productives laissées en héritage par le capitalisme, en sapant les bases de l'ancien système et en dégageant les bases de nouveaux rapports sociaux fondés sur une répartition de la masse des produits (et des conditions de la production) permettant à tous les producteurs de réaliser la pleine satisfaction, la libre expansion de leurs besoins.
3) Pour le capitalisme, la substitution de son privilège au privilège féodal, l'époque des révolutions bourgeoises pouvaient s'accommoder d'une coexistence durable entre États capitalistes et États féodaux, voire même pré-féodaux, sans altérer ou supprimer les assises du nouveau système. La bourgeoisie, sur la base de positions économiques conquises graduellement n'avait pas non plus à détruire l'appareil d'État de l'ancienne classe dominante dont elle s'était progressivement emparé. Elle n'eut à supprimer ni la bureaucratie, ni la police, ni la force armée permanente, mais à subordonner ces instruments d'oppression à ses fins propres, parce que la révolution politique (qui n'était pas toujours indispensable) concrétisait une hégémonie économique et ne faisait que substituer juridiquement une forme d'exploitation à une autre. Il en va tout autrement pour le prolétariat qui, n'ayant aucune assise économique et aucun intérêt particulier, ne peut se contenter de prendre tel quel l'ancien appareil d'État. La période de transition ne peut débuter qu'après la révolution prolétarienne dont l'essence consiste en la destruction mondiale de la domination politique du capitalisme et, en premier lieu, des États bourgeois nationaux. La prise du pouvoir politique général dans la société par la classe ouvrière, l'instauration mondiale de la dictature du prolétariat précédent, conditionnent et garantissent la marche de la transformation économique et sociale.
4) Le communisme est une société sans classes et, partant, sans État. La période de transition qui ne se développe réellement qu'après le triomphe de la révolution à l'échelle internationale, est une période dynamique qui tend vers la disparition des classes, mais qui connaît encore la division en classes et la persistance d'intérêts divergents et antagoniques dans la société. Comme telle, elle fait surgir inévitablement une dictature et une forme d'État politique. Le prolétariat ne peut parer à l'insuffisance temporaire des forces productives que lui lègue le capitalisme sans recourir à la contrainte. En effet, l'époque de transition est caractérisée par la nécessité de discipliner et de réglementer l'évolution de la production, de l'orienter vers un épanouissement qui permettra l'établissement de la société communiste. Les menaces de restauration bourgeoise sont également en fonction de cette insuffisance de la production et des forces de production. La dictature et l'utilisation de l'État sont indispensables au prolétariat placé devant la nécessité de diriger 1'emploi de la violence pour extirper les privilèges de la bourgeoisie, dominer celle-ci politiquement et organiser de manière nouvelle les forces de production libérées progressivement des entraves capitalistes.
5) Dans toute société divisée en classes, afin d'empêcher que les classes aux intérêts opposés et inconciliables ne se détruisent mutuellement, et par là même consument la société, surgissent des superstructures, des institutions, dont le couronnement est l'État. L'État naît pour maintenir les conflits de classes dans des limites déterminées. Cela ne signifie nullement qu'il parvient à concilier les intérêts antagoniques sur un terrain d'entente "démocratique", ni qu'il fasse office de "médiateur" entre les classes. Comme l'État surgit du besoin de discipliner les antagonismes de classes, mais comme en même temps il surgit au milieu du conflit entre les classes, il est en général l'État de la classe la plus puissante, de celle qui s'est imposée politiquement et militairement dans le rapport de force historique, et qui, par l'intermédiaire de l'État, impose et garantit sa domination.
L'État est l'organisation spéciale d'un pouvoir (Engels), c'est l'exercice centralisé de la violence par une classe contre les autres, destinée à fournir à la société un cadre conforme aux intérêts de la classe dominante. L'État est l'organisme qui maintient la cohésion de la société, non en réalisant un soi-disant "bien commun" (parfaitement inexistant), mais en assurant l'ensemble des tâches de domination d'une classe aux divers niveaux économique, juridique, politique et idéologique. Son rôle propre est non seulement de type administratif, mais surtout de maintenir par la violence les conditions de domination de la classe dominante contre les classes dominées, pour assurer 1'extension, le développement, la conservation de rapports de production spécifiques contre les dangers de restauration ou de destruction.
6) Quelles que soient les formes que prennent la société, les classes et l'État, le rôle de celui-ci reste toujours fondamentalement : assurer la domination d'une classe sur les autres. L'État n'est donc pas "par essence une entité conservatrice". Il est révolutionnaire à certaines époques, conservateur ou contre-révolutionnaire à d'autres, parce que loin d'être un facteur autonome dans l'histoire, il est l'instrument, le prolongement, la forme d'organisation de classes sociales qui prennent naissance, mûrissent et disparaissent. L'État est étroitement lié au cycle de la classe et s'avère donc progressif ou réactionnaire selon l'action historique de la classe sur le développement des forces productives de la société (selon qu'elle concourt à favoriser ou à freiner leur développement).
Il faut se garder cependant d'une vision strictement "instrumentaliste" de l'État. Par définition arme de classe dans les conflits immédiats et de sociétés, l'État est affecté en retour par ces mêmes conflits. Loin d'être simplement tributaires de la volonté (traduction de la nécessité) d'une classe d'assurer sa domination, les appareils d'État subissent les pressions des diverses classes et des divers intérêts. Interviennent dans les déterminations d'action de l'État (et les possibilités de son évolution) aussi bien le cadre économique, le niveau du droit, que les rapports de force politiques et militaires. C'est en ce sens que l'État "n'est jamais en avance sur l'état de chose existant". En effet, si l'État permet, à certaines époques, aux classes progressives d'exercer le pouvoir politique, en vue de l'extension de rapports de production déterminés, il est contraint -à ces mêmes époques et pour poursuivre ce même but- de défendre la société nouvelle contre les menaces internes et externes, de relier les aspects épars de la production, de la distribution, de la vie sociale, culturelle, idéologique, et ce, avec des moyens (ceux qui existent et dont il peut disposer) qui ne relèvent pas toujours et forcément du programme de la classe révolutionnaire, d'une tendance de la nouvelle société en train de naître. "Ainsi, il faut considérer que la formule “l'État” est l'organe d'une classe n'est pas d'un point de vue formel, une réponse en soi aux phénomènes qui se déterminent, la pierre philosophale qui doit être recherchée au travers des faits, mais qu'elle signifie qu'entre la classe et l'État se déterminent des rapports qui dépendent de la fonction d'une classe donnée". (Bilan)
7) L'État qui succède à l'État bourgeois est une forme nouvelle d'organisation du prolétariat, grâce à laquelle celui-ci se transforme, de classe opprimée, en classe dominante et exerce sa dictature révolutionnaire sur la société. Les Soviets territoriaux (des ouvriers, des paysans pauvres, des soldats...) en tant que puissance étatique du prolétariat signifient :
Le prolétariat a encore besoin d'un appareil d'État, aussi bien pour réprimer la résistance désespérée de la bourgeoisie que pour diriger la grande masse de la population dans la lutte contre la classe capitaliste et la mise en place du communisme. Cette situation n'a nullement besoin d'être idéalisée : "L'État n'étant qu'une, institution temporaire dont on est obligé de se servir dans la lutte, dans la révolution, pour organiser la répression par la force contre ses adversaires, il est parfaitement absurde de parler d'un État populaire libre ; tant que le prolétariat fait encore usage de l'État, ce n'est point dans l'intérêt de la liberté, mais pour réprimer ses adversaires". (Engels)
8) Produit de la division en classes de la société, de la nature inconciliable des antagonismes de classes, la dictature du prolétariat se distingue cependant (et avec elle son État) du pouvoir des classes dominantes dans le passé par les caractéristiques suivantes :
C'est ainsi que Marx, Engels, Lénine, la Fraction parlaient -pouvaient et devaient parler- non d'un État "de la majorité des classes exploitées et non-exploiteuses" (l'encadrement des formations intermédiaires dans l'État n'étant pas synonyme de partage du pouvoir), non d'un État "a-classiste" ou "multiclassiste" (notions idéologiques et aberrantes par définition), mais d'un État prolétarien, d'un État de la classe ouvrière, ce dernier étant l'une des formes indispensables de la dictature du prolétariat.
La domination de la majorité, organisée et dirigée par le prolétariat sur la minorité dépossédée de ses prérogatives, rend inutile le maintien d'une machine bureaucratique et militaire, à laquelle le prolétariat substitue, et son propre armement -pour briser toute résistance bourgeoise- et une forme politique lui permettant d'accéder progressivement (et par devers lui l'ensemble de l'humanité) à la gestion sociale. Il supprime tous les privilèges inhérents au fonctionnement des anciens États (nivellement des traitements, contrôle rigoureux des fonctionnaires : électivité complète et révocabilité à tous moments) ainsi que la séparation réalisée par le parlementarisme entre organismes législatifs et exécutifs. Dès sa formation, l'État de la dictature du prolétariat cesse de la sorte d'être un "État" au vieux sens du terme. A l'État bourgeois se substituent les Soviets, un demi-État, un État-Commune ; l'organe de domination de l'ancienne classe est remplacé par des institutions de principe essentiellement différent.
9) Tenant compte des considérations que nous avons évoquées quant aux conditions et à l'ambiance historiques dans lesquelles naît l'État prolétarien, il est évident que le dépérissement de celui-ci ne peut se concevoir que comme le signe du développement de la révolution mondiale et, plus profondément, de la transformation économique et sociale. Dans des conditions de combat défavorables (sur le triple plan politique, militaire, économique), l'État ouvrier peut se trouver contraint de se renforcer, à la fois pour empêcher la désagrégation de la société et pour assurer les tâches de défense de la dictature prolétarienne érigée dans un ou plusieurs pays. Cette obligation réagit à son tour sur sa nature même : l'État acquiert un caractère contradictoire : instrument de classe, il est cependant forcé de répartir les biens -les conditions de la production- et les responsabilités sociales selon des normes qui ne relèvent pas toujours et forcément d'une tendance immédiate vers le communisme. En cohérence avec la conception développée par Lénine, Trotsky, et surtout par Bilan, nous devons donc admettre -au-delà de préoccupations métaphysiques- que l'État ouvrier, bien qu'assurant la domination du prolétariat sur la bourgeoisie, exprime toujours l'impuissance temporaire à supprimer le droit bourgeois. Ce dernier continue à exister, non seulement dans le déroulement économique et social mais dans le cerveau de millions de prolétaires, de milliards d'individus. L'État menace continuellement, même après la victoire politique du prolétariat, de donner vie à des stratifications sociales s’opposant sans cesse davantage à la mission libératrice de la classe ouvrière. Aussi, a certaines époques, "si l'État, au lieu de dépérir, devient de plus en plus despotique, si les mandataires de la classe ouvrière se bureaucratisent, tandis que la bureaucratie s'érige au-dessus de la société, ce n'est pas seulement pour des raisons secondaires, telles que les survivances idéologiques du passé, etc., c'est en vertu de l'inflexible nécessité de former et d'entretenir une minorité privilégiée, tant qu'il n'est pas possible d'assurer l'égalité réelle". (Trotsky). Jusqu'à la disparition de l'État, jusqu'à sa résorption dans une société s'administrant elle-même, celui-ci continue à receler cet aspect négatif : instrument nécessaire de 1'évolution historique, il menace constamment de diriger cette évolution non à l'avantage des producteurs, mais contre eux et vers leur massacre.
10) La physionomie spécifique de l'État ouvrier se dévoile en ceci :
Il faut considérer que :
a) la conquête de la dictature du prolétariat, l'existence de l'État ouvrier sont des conditions nouvelles à l’avantage du prolétariat mondial, non une garantie irrévocable contre toute entreprise de dégénérescence ;
b) si l'État est ouvrier, cela ne signifie nullement qu'il n'y ait aucun besoin ou possibilité pour le prolétariat d'entrer en conflit avec lui, de telle sorte qu'il ne faille tolérer aucune opposition à la politique étatique ;
c) à l'inverse des États du passé, l'État prolétarien ne peut synthétiser, concentrer dans ses appareils, tous les aspects de la dictature. L'État ouvrier se différencie profondément de l'organisme unitaire de classe et de l'organisation qui regroupe l'avant-garde du prolétariat, cette différenciation s'opérant parce que l'État, malgré l'apparence de sa plus grande puissance matérielle, possède, au point de vue politique de moindres possibilités d'action. Il est mille fois plus vulnérable par l'ennemi que les autres organismes ouvriers. Le prolétariat ne peut compenser cette faiblesse que par la politique de classe de son Parti et de Conseils Ouvriers, au moyen desquels il exerce un contrôle indispensable sur l'activité étatique, développera sa conscience de classe et préservera la défense de ses intérêts. La présence agissante de ces organismes est la condition pour que l'État reste prolétarien. Le fondement de la dictature réside non seulement dans le fait que nulle inter diction ne s'oppose au fonctionnement des Conseils Ouvriers et du Parti (proscription de la violence au sein du prolétariat, permanence du droit de grève, autonomie des Conseils et du Parti, liberté de tendance dans ces organes), mais aussi que les moyens leur soient octroyés pour résister à une métamorphose éventuelle de l'État, non vers le dépérissement, mais vers le triomphe de son despotisme.
12) Le rôle du capitalisme, son but, suffisaient à indiquer le rôle de ses différentes formes d'État : maintenir l'oppression au profit de la bourgeoisie. Pour ce qui est du prolétariat, c'est encore une fois, le rôle et le but de la
classe ouvrière qui détermineront le rôle et le but de l'État prolétarien. Mais ici, le critère de la politique menée par l'État n'est plus un élément indifférent pour déterminer son rôle (comme c'était le cas pour la bourgeoisie et pour toutes les classes précédentes), mais un élément d'ordre capital dont va dépendre sa fonction d'appui à la révolution mondiale, et, en définitive, la conservation de son caractère prolétarien.
13) Une politique prolétarienne dirigera l'évolution économique vers le communisme seulement si celle-ci reçoit une orientation diamétralement opposée à celle du capitalisme, si donc elle se dirige vers une élévation progressive et constante des conditions de vie des masses et non vers leur abaissement. Dans la mesure où le permet le contexte politique, le prolétariat doit agir dans le sens d'une diminution constante du travail non payé, ce qui amené inévitablement comme conséquence un rythme de l'accumulation suivant un cours extrêmement ralenti par rapport à celui de l'économie capitaliste. Toute autre politique entraînerait inéluctablement la conversion de l'Etat prolétarien en un nouvel Etat bourgeois à l'image de ce qui s'est passé en Russie.
14) En aucun cas, l'accumulation ne peut se baser sur la nécessité de l'accumulation pour battre la puissance économique et militaire des Etats capitalistes. La révolution mondiale ne peut résulter que de la capacité du prolétariat de chaque pays à s'acquitter de sa mission, de la maturation mondiale des conditions politiques pour l'insurrection. La classe ouvrière ne peut reprendre à la bourgeoisie sa vision de la "guerre révolutionnaire". Dans la période de guerre civile, le contraste ne passe pas entre État(s) prolétarien(s) et Etats capitalistes, mais entre prolétariat mondial et bourgeoisie mondiale. Dans l'activité de l'Etat prolétarien, les domaines économiques et militaires sont forcément d'ordre secondaire.
15) L'État transitoire est essentiellement un instrument de domination politique qui ne peut suppléer à la lutte de classe internationale. L'État ouvrier doit être considéré comme un outil de la révolution mondiale et au grand jamais comme le pôle de concentration de cette dernière. Si le prolétariat obéissait au second des deux critères, il serait forcé de passer à des compromis avec les classes ennemies alors que les nécessités révolutionnaires réclament impérieusement une lutte sans merci contre toutes les formations anti-prolétariennes même au risque d'aggraver la désorganisation économique résultant de la révolution. Toute autre perspective qui partirait de soucis soi-disant "réalistes" ou d'une prétendue "loi du développement inégal" ne pourrait que vicier les fondements de l'État prolétarien et conduire à sa transformation en État bourgeois sous le couvert fallacieux du "socialisme en un seul pays".
16) La dictature du prolétariat doit veiller à ce que les formes et les procédés de contrôle des masses soient multiples et variés afin de parer à toute ombre de dégénérescence et de déformation du pouvoir des Soviets, dans le but également d'arracher sans cesse "l'ivraie bureaucratique", excroissance qui accompagne inévitablement la période transitoire. La sauvegarde de la révolution est conditionnée par l'activité consciente des masses ouvrières. La véritable tâche politique du prolétariat consiste à élever sa propre conscience de classe comme à transformer la conscience de l'ensemble des couches travailleuses, tâche à côté de laquelle l'exercice de la contrainte se manifestant au travers des organismes administratifs et policiers de l'État ouvrier est secondaire (et le prolétariat doit veiller à en limiter les plus fâcheux effets). Le prolétariat ne doit pas perdre de vue ceci : que "tant qu'il fait encore usage de l'État, il ne le fait pas dans l'intérêt de la liberté, mais pour avoir raison de son adversaire".
Avant l'expérience de la Révolution en Russie, les marxistes avaient une conception du rapport entre le prolétariat et l’État au cours de la période de transition du capitalisme au communisme, qui était relativement simple dans son essence.
On savait que cette transition devrait commencer par la destruction du pouvoir politique de la bourgeoisie et que cette phase ne faisait que précéder, en la préparant, la société communiste qui ne connaîtrait, elle, ni classes, ni pouvoir politique, ni État. On savait qu'au cours de ce mouvement la classe ouvrière devrait instaurer sur le reste de la société sa dictature. On savait aussi qu'au cours de cette période qui porte encore tous les stigmates du capitalisme, en particulier par la subsistance de la pénurie matérielle et des divisions de la société en classes, il subsisterait inévitablement un appareil de type étatique ; on savait enfin, surtout grâce à l'expérience de la Commune de Paris en 1871, que cet appareil ne pourrait pas être l' État bourgeois "conquis" par les ouvriers, mais qu'il serait dans ses formes et dans son contenu une institution transitoire essentiellement différente de tous les États ayant existé jusqu'alors. Mais, en ce qui concerne le problème du rapport entre la dictature du prolétariat et cet État, entre la classe ouvrière et cette institution produit des héritages du passé, on croyait pouvoir résoudre la question par une idée simple : dictature du prolétariat et État de la période de transition sont une et même chose, classe ouvrière armée et État sont identiques. En quelque sorte, au cours de la période de sa dictature, le prolétariat, croyait-on, pourrait reprendre à son compte la célèbre formule de Louis XIV : "L'État c'est moi".
Ainsi, dans le Manifeste Communiste, cet État est décrit comme "Le prolétariat organisé en classe dominante" ; de même, dans la Critique du Programme de Gotha, Marx écrivait :
Plus tard, à la veille d'Octobre 17, Lénine, en plein combat contre la Social-démocratie qui se vautrait dans le bourbier du premier massacre mondial en participant aux gouvernements des États bourgeois belligérants, reprenait avec force cette idée dans l' État et la Révolution :
ou encore :
Il découlait tout naturellement de cette vision que l’État de la Période de Transition ne pour rait être autre chose que l'expression la plus achevée, la plus efficace de la classe ouvrière et de son pouvoir. Tout paraissait assez simple dans le rapport entre État et prolétariat puisqu'ils devaient être une seule et même chose. La bureaucratie étatique ? Elle n'existe rait pas ou constituerait un problème sans importance majeure puisque les ouvriers eux-mêmes (même une cuisinière, disait Lénine) assumeraient sa fonction. Envisager sérieusement la possibilité d'un antagonisme, d'une opposition entre classe ouvrière et État sur le terrain économique ? Impossible ! Comment le prolétariat pourrait-il faire grève contre l’État puisque l’État ce serait lui ? Comment l’État pourrait-il, de son côté, chercher à imposer quoi que ce soit de contraire aux intérêts économiques de la classe ouvrière puisqu'il en serait l'émanation directe ? Envisager un antagonisme sur le terrain politique semblait encore plus invraisemblable : l’État ne devait-il pas être l'instrument le plus achevé de la dictature du prolétariat ? Comment pourrait-il exprimer des forces contre-révolutionnaires puisqu'il devait être par définition le fer de lance du combat du prolétariat contre la contre-révolution ?
La Révolution Russe apporta un démenti cinglant à cette vision trop simple, mais qui prédominait inévitablement dans le mouvement ouvrier international qui, à l'exception de l'expérience des deux mois de la Commune de Paris, ne s'était jamais affronté réellement aux problèmes de la Période de Transition dans toute leur complexité.
Ainsi, au lendemain de la prise du pouvoir d'Octobre 17, l'on proclama l'État, "État Prolétarien" ; les meilleurs des ouvriers, les combattants les plus expérimentés furent placés à la tête des principaux organes de l' État ; on interdit les grèves ; on se promit d'accepter toute décision des organes de l'État comme expression des nécessités globales du combat révolutionnaire ; bref, on inscrivit dans les lois et dans la chair de la révolution naissante l'identité tant proclamée entre État et classe ouvrière.
Mais, dès les premiers moments, les impératifs de la subsistance sociale entreprirent de contredire systématiquement le fondé d'une telle identification. Devant les difficultés auxquelles devait faire face la Révolution Russe étouffée progressivement par son isolement international, l'appareil de l'État s'avéra constituer non pas un corps identique aux "ouvriers armés", ni l'incarnation la plus globale de la dictature du prolétariat, mais au contraire un corps de fonctionnaires bien distinct du prolétariat et une force dont les tendances innées n'étaient pas à la révolution communiste, mais au contraire au conservatisme. La bureaucratisation des fonctionnaires chargés de l'organisation de la production, la distribution, le maintien de l'ordre, etc., se développa dès les premiers mois sans que personne, ni même les premiers responsables du Parti Bolchevik à la tête de l'État -qui ne manquèrent pourtant pas de la combattre- n'y puissent rien, et surtout, sans que l'on pût reconnaître dans cette bureaucratie étatique une force contre-révolutionnaire, puisqu'elle était "l'État Prolétarien".
Sur le terrain économique comme sur le terrain politique, un fossé se creusa progressivement entre la classe ouvrière et ce qui était supposé être "son" État. Dès la fin de 1917, des grèves économiques éclataient à Petrograd ; dès 1919, des courants communistes de gauche ouvriers dénonçaient la bureaucratie étatique et son opposition aux intérêts de la classe ouvrière ; en 1920-21, à la fin de la guerre civile, ces antagonismes explosaient ouvertement dans les grèves de Petrograd de 1920 et l'insurrection de Kronstadt de 1921 réprimée par l'Armée Rouge. Bref, dans le combat pour le maintien de son pouvoir, le prolétariat en Russie ne trouve pas dans l'État l'instrument auquel il s'attendait, mais au contraire une force de résistance qui bientôt se transforma en principal protagoniste de la contre-révolution.
La défaite de la Révolution Russe fut certes, en dernière instance, le produit de la défaite de la révolution mondiale et non de l'action de l’État. Mais dans ce combat contre la contre-révolution, l'expérience mit en évidence que l'appareil d’État et sa bureaucratie n'étaient ni le prolétariat, ni même le fer de lance de sa dictature, encore moins une institution à laquelle la classe révolutionnaire en armes devrait se soumettre au nom d'une soi-disant "nature prolétarienne".
Il est vrai que l'expérience du prolétariat en Russie était condamnée à l'échec du moment qu’elle n'était pas parvenue à s'étendre mondialement. Il est certain que la puissance de l'antagonisme État-prolétariat fut une manifestation de la faiblesse du prolétariat mondial et de l'inexistence des conditions matérielles pour un véritable épanouissement de la dictature du prolétariat. Mais ce serait se bercer à nouveau d'illusions que de croire que seule l'ampleur de ces difficultés expliquent cet antagonisme, et que, dans des conditions meilleures, l'identification dictature du prolétariat-État de la Période de Transition resterait valable. La Période de Transition est une phase où le prolétariat affronte une difficulté fondamentale : celle d'établir de nouveaux rapports sociaux alors que par définition, les conditions matérielles de leur épanouissement ne font alors que s'instaurer sous l'action révolutionnaire des ouvriers en armes. Cette difficulté s'est développée en Russie sous ses formes les plus extrêmes, mais elle n'en était pas moins dans son essence la même que le prolétariat retrouvera demain. L'importance des entraves rencontrées par la dictature du prolétariat en Russie ne fait pas de cette expérience une exception qui infirmerait la règle de l'identité Prolétariat-État de la Période de Transition, mais au contraire un facteur qui a permis de mettre en lumière, sous ses formes les plus aiguës, l'inévitabilité et la nature de l'antagonisme qui oppose la force révolutionnaire prolétarienne et l'institution du maintien de l'ordre pendant la Période de Transition.
Depuis sa constitution, le CCI, à la suite des travaux de la Gauche Italienne (Bilan) pendant l'entre-deux-guerres et ceux du groupe Internationalisme, dans les années 40, a entrepris la complexe et indispensable tâche de reprendre, revoir et compléter la compréhension révolutionnaire du rapport entre État et Prolétariat au cours de la Période de Transition à la lumière de l'expérience russe (voir n°s 1, 3 et 6 de la Revue Internationale).
Dans le cadre de cet effort, nous publions ici, d'une part, la lettre d'un camarade qui réagit critiquement aux thèses développées à ce sujet dans la Résolution adoptée par le IIème Congrès de Révolution Internationale, section en France du C.C.I. (voir Revue Internationale n° 6) et d'autre part, une réponse à cette critique.
CCI
Le marxisme, dans la mesure où il est une connaissance scientifique de la succession des modes et des formes sociales de la production dans le passé, est aussi la prévision des étapes et des caractéristiques fondamentales et indissociables de la succession de l'ultime forme sociale, le communisme à partir de celle où nous vivons. Les formes économiques se transforment selon un processus ininterrompu dans l'histoire de la société humaine. Mais ce processus se traduit sous la forme de périodes de convulsions, de luttes pendant lesquelles l'affrontement politique et armé des classes brise les entraves qui empêchent l'accouchement et le développement accéléré de la nouvelle forme, c'est la période de la lutte pour le pouvoir, dont l'aboutissement est une dictature de la force de demain sur celle d'hier (ou l'inverse jusqu'à une nouvelle crise). Le révisionnisme socialiste de l'avant-dernière guerre avait prétendu effacer la théorie de Marx et d'Engels sur la dictature, et c'est à Lénine que revient le mérite de l'avoir remise sur ses pieds, dans "L'État et la Révolution", où, restaurant complètement le marxisme, il pousse à son terme le devoir théorique de destruction de l'État bourgeois. Lénine, en accord parfait avec la doctrine marxiste, pose ainsi le cadre permettant de distinguer les phases successives de la transition du capitalisme au communisme.
Le prolétariat a conquis le pouvoir politique et comme toutes les autres classes dans le passé impose sa propre dictature. Ne pouvant abolir d'un seul coup les autres classes, le prolétariat les met hors-la-loi. Ce qui veut dire que l'État prolétarien contrôle une économie, qui dans un secteur toujours plus restreint, non seulement comporte une distribution marchande, mais aussi des formes d'appropriation privée de ses produits et de ses moyens de production, tant individuels qu'associés ; en même temps, par ses interventions despotiques, il ouvre la voie qui mène au stade inférieur du communisme. Comme on voit, contrairement aux assertions de R. sur une prétendue complexité de la conception de l'État et de son rôle chez Lénine, l'essence de celle-ci est très simple : le prolétariat s'érigeant en classe dominante crée son propre organe d'État différent des précédents par la forme, mais gardant par essence la même fonction : oppression des autres classes, violence concentrée contre elles pour le triomphe de ses intérêts historiques comme classe dominante même si ceux-ci coïncident à long terme avec ceux de l'humanité.
Dans cette phase, la société a déjà la disposition des produits en général et en fait la répartition à ses membres, selon un plan de contingentement. Pour une telle tache, il n'y a plus besoin d'échange marchand ni de monnaie : la distribution s'effectue centralement sans échange d'équivalents. A un tel stade, il y a non seulement obligation au travail, mais comptabilisation du temps de travail "effectué" et un certificat qui en atteste : les fameux bons de travail tant discutés, qui ont la caractéristique de ne pouvoir être accumulés, de telle sorte que toute tentative d'accumulation se fasse en pure perte, avec une quote-part de travail ne recevant aucun équivalent. La loi de la valeur est détruite parce que la société "n'accorde aucune valeur aux produits" (Engels). A ce second stade, succède le communisme supérieur, sur lequel nous ne nous attarderons pas.
Comme nous l'avons vu, le marxisme met au début de la phase de transition et comme prémisse nécessaire, la révolution politique violente dont l'issue est l'inévitable dictature de classe. Ce sera par l'exercice de cette dictature qu'avec des interventions despotiques et soutenues par le monopole de la force année que le prolétariat actualisera les profondes "réformes" qui détruiront jusqu'au dernier vestige de la forme capitaliste.
Jusqu'ici, il me semble qu'il n'y a aucune divergence. Les difficultés commencent quand on affirme que "L'État a une nature historique anti-communiste et anti-prolétarienne" et "essentiellement conservatrice" et que donc sa dictature (celle du prolétariat) ne "peut trouver dans une institution conservatrice par excellence sa propre expression authentique et totale". Ici l'anarchisme (pardonnez-moi la brutalité des mots) chassé par la porte rentre par la fenêtre. En fait, on accepte la dictature du prolétariat, mais on oublie qu'État et dictature ou pouvoir exclusif d'une classe sont synonymes.
Avant de critiquer plus spécifiquement quelques affirmations contenues dans le texte pris en exemple, Je veux rappeler les lignes fondamentales de la théorie marxiste de l'État. Chaque État se définit, dans Engels, par un territoire précis et par la nature de la classe dominante, il se définit donc par un lieu, la capitale où se réunit le gouvernement, qui pour le marxisme est le "comité d'administration des intérêts de la classe dominante". Dans la phase du pouvoir féodal au pouvoir bourgeois, se forme la théorie politique -typique de la mystification bourgeoise- qui dans toutes les révolutions historiques a dissimulé le caractère du passage du féodalisme au capitalisme. La bourgeoisie dans sa conscience mystifiée affirme détruire le pouvoir d'une classe non pour y substituer celui d'une autre, mais pour construire un État qui fonde son propre pouvoir sur l'accord et l'harmonisation des exigences de "tout un peuple". Mais dans toutes les révolutions, une série de faits mirent en lumière la robustesse de la dynamique révolutionnaire marxiste fondée sur les classes, la dictature de l'une s'accompagnant de l'a violation de la liberté des autres, et de violence exacerbées contre leurs partis, jusqu'à la terreur, fait aussi inséparable des révolutions purement bourgeoises.
Un des premiers actes à accomplir est la démolition du vieil appareil d'État que la classe arrivée au pouvoir doit entreprendre sans hésitation. Les leçons, déjà tirées par Marx de la Commune de Paris, qui, s'installant à l'Hôtel de Ville, opposa l'État à l'État armé, étouffa dans la terreur (avant d'être étouffée à son tour) même les individus de la classe ennemie, sont celles-là. Et "s'il y eut une faute, ce ne fut pas celle d'avoir été trop féroce mais de ne pas l'avoir été assez".
De cette importante expérience du prolétariat, Marx tira l'enseignement fondamental auquel nous ne pouvons renoncer, que les classes exploiteuses ont besoin de la domination politique pour le maintien de l'exploitation et que le prolétariat en a besoin pour la supprimer complètement. La destruction de la bourgeoisie n'est réalisable qu'à travers la transformation du prolétariat en classe dominante. Cela veut dire que l'émancipation de la classe travailleuse est impossible dans les limites de l'État bourgeois. Celui-ci doit être défait dans la guerre civile et son mécanisme démoli. Après la victoire révolutionnaire, il faut que surgisse une autre forme historique pendant laquelle surgit la société socialiste et s'éteint l'État.
Après cette brève réaffirmation de ce que sont pour moi les piliers de la doctrine marxiste de l'État et du passage d'un système social à un autre, et plus spécifiquement du capitalisme au communisme, je vais m'arrêter sur le texte de la résolution relative à la période de transition. Ce qui saute aux yeux dans un tel document est avant tout le caractère contradictoire de certaines affirmations.
Si, d'un côté on affirme "que la prise du pouvoir politique général. dans la société par le prolétariat précède, conditionne et garantit la poursuite de la transformation économique et sociale", on ne se rend pas compte que prendre le pouvoir politique général, signifie instaurer une dictature sur les autres classes et que l'État est et fut toujours l'organe(différent dans ses caractéristiques : fonctionnement, division des pouvoirs, représentation, selon le mode de production et les classes dont il représentait la domination) de la dictature d'une classe sur les autres.
En outre, quand on affirme que "toute cette organisation exclut catégoriquement toute participation des classes et couches sociales exploiteuses qui pont privées de tout, droit politique et civique", on ne se rend pas compte que toutes les justes caractéristiques de cet État exprimées dans d'autres points du même paragraphe et surtout celle déjà citée de la représentation politique d'une seule classe, ne sont pas de simples différences formelles mais détruisent toutes les assertions qui servent à identifier l'État de la bourgeoisie et de ce fait donnent une base à l'identité tant combattue entre État et dictature du prolétariat.
Mais sur quelles bases arrive-t-on à affirmer la nécessité absolue pour le prolétariat de ne pas identifier sa propre dictature et l'État de la période de transition ? Avant tout parce qu'on affirme que l'État est une institution conservatrice par excellence. On rejoint par là l'anti-historicisme de l'anarchisme et ses oppositions de principe à l'État. Les anarchistes tirent leur conviction de la nécessité de l'affranchissement de sa seigneurie "l'Autorité". R.I. ne va pas jusque là, évidemment, mais exactement comme les anarchistes, juge l'État conservateur et réactionnaire dans toute époque sociale, n'importe quelle aire géographique, quelle que soit la direction vers laquelle il s'oriente, et donc quelle que soit la domination de classe dont il est l'expression, indépendamment de la période historique au cours de laquelle cette domination s'exerce.
Rien de tel pour le marxisme. Pour le marxisme, l'État est avant tout une institution différente selon les époques historiques, tant par ses caractéristiques formelles que par ses fonctions propres. En fait, le matérialisme du marxisme nous enseigne, si on se réfère à l'histoire, que dans le passé et les phases révolutionnaires, à peine une classe a-t-elle conquis le pouvoir qu'elle stabilise le type d'organisation étatique répondant le mieux à la poursuite de ses intérêts de classe. L'État assumait alors la fonction révolutionnaire qu'avait la classe -alors révolutionnaire- qui l'avait institué. C'est à dire : faciliter par ses interventions despotiques -après avoir brisé par la terreur la résistance des anciennes classes- le développement des forces productives, en balayant les obstacles qui barrent ce chemin, en stabilisant et en imposant par le monopole des forces armées un cadre de lois et rapports de production qui favorisent ce développement et répondent aux intérêts de la nouvelle classe ou pouvoir. Par exemple, pour n'en citer qu'un, l'État français de 1793 assuma une fonction éminemment révolutionnaire.
Une autre raison est exprimée au même paragraphe du point C : "l'État de la période de transition porte encore tous les stigmates d'une société divisée en classes". C'est une bien étrange raison, puisque tout ce qui sort de la société capitaliste en porte les stigmates. Donc, pas seulement l'État, mais aussi le prolétariat organisé dans les soviets, puisqu'il a grandi et a été éduqué sous l'influence pesante de l'idéologie conservatrice du système capitaliste. Seul, le parti, même s'il ne constitue pas un îlot de communisme au sein du capitalisme, est moins marqué par ces stigmates puisqu'en lui se fondent "volonté et conscience qui deviennent prémisses de l'action, comme résultat d'une élaboration générale historique" (Bordiga). (Ces affirmations peuvent sembler sommaires mais je les éclaircirai par la suite) (* [198]).
Pour conclure, je veux n'arrêter sur la profonde contradiction à laquelle votre vision mène. Vous affirmez en fait :"sa domination (du prolétariat) sur la société est aussi dominante sur l'État et il ne peut l'assurer qu'à travers sa dictature de classe". Je veux répondre avec les paroles classiques de Lénine qui, dans"l'État et la Révolution" souligne encore une fois l'essence de la doctrine marxiste de l'État : 'L' essence de la doctrine de l'État de Marx peut être comprise en profondeur seulement par celui qui comprend que la dictature d'une seul la classe est nécessaire, non seulement pour toutes sociétés de classes en général, non seulement pour le prolétariat après avoir abattu la bourgeoisie mais pour toute la période historique qui sépare le capitalisme de "la société sans classes", du communisme. Les formes de l'État bourgeois sont extraordinairement variées, mais leur substance est unique : tour car. État cent, d'une façon ou d'une autre, et en dernière instance, nécessairement une dictature de la bourgeoisie. Le passage au communisme ne peut naturellement pas produire une énorme abondance et diversité de formes politiques mais sa substance est nécessairement une: la dictature du prolétariat".
Donc, du point de vue marxiste, l'État se définit comme un organe (différent dans la forme et les structures selon les époques historiques, les sociétés de classes et la direction de classe dans laquelle il travaille) au moyen duquel s'exerce la dictature du prolétariat, disposant du monopole de la force armée.
C'est donc un non sens de parler d'un État qui soit soumis à une dictature qui lui est extérieure et qui ne peut alors intervenir despotiquement dans la réalité économique, et sociale pour l'orienter vers une certaine direction de classe.
E.* [199] Dans un prochain numéro de la REVUE INTERNATIONALE, nous publierons la seconde partie de cette lettre, avec notre réponse, sur la question du parti.
Deux idées sous-tendent essentiellement la
critique formulée par le camarade E. : la première consiste dans le rejet de
l'affirmation que "l'État est une institution conservatrice par
excellence" ; la seconde, dans la réaffirmation de l'identité État et
dictature du prolétariat au cours de la période de transition, car l'État est
toujours l'État de la classe dominante. Voyons donc de plus près le contenu de
ces deux arguments.
E. écrit : ..."on affirme (dans la résolution de R.I.) que l'État est une institution conservatrice par excellence. On rejoint là l'anti-historicisme de l'anarchisme et ses oppositions de principe à l'État. Les anarchistes tirent leurs convictions de la nécessité de l'affranchissement de sa seigneurie "l'autorité".
R.I. ne va pas jusque là, évidemment, mais exactement corme les anarchistes, juge l'État conservateur et réactionnaire dans toute époque sociale, n'importe quelle aire géographique, cruelle que soit la direction vers laquelle il s'oriente et donc quelle que soit la domination de classe dont il est l'expression, indépendamment de la période historique au cours de laquelle cette domination s'exerce."
Avant de voir pourquoi l'État est effectivement "une institution conservatrice par excellence", répondons à cet argument polémique qui consiste à assimiler notre position à celle des anarchistes.
Notre conception relèverait de l'"anti-historicisme anarchiste" parce qu'elle dégage une caractéristique de l'institution étatique (son caractère conservateur) indépendamment de "l'aire géographique", de la "domination de classe dont il est l'expression" et "de la période historique au cours de laquelle cette domination s'exerce". Mais en quoi dégager les caractéristiques générales d'une institution ou d'un phénomène au travers de l'histoire, indépendamment des formes spécifiques que celle-ci peut connaître suivant la période, relèverait-il d'une conception "a-historique" ? Qu'est ce donc que savoir se servir de l'histoire pour comprendre la réalité ni ce n'est d'abord et avant tout savoir dégager les lois générales qui se vérifient au travers de différentes périodes et conditions spécifiques. Le marxisme est-il "a-historique" lorsqu'il dit que depuis que la société est divisée en classes "la lutte de classes est le moteur de l'histoire" quelle que soit la période historique et quelles que soient les classes ?
On peut mettre en avant la nécessité de distinguer dans chaque État de l'histoire (État féodal, État bourgeois, État de la période de transition, etc.) ce qui lui est particulier, spécifique. Mais comment pourrait-on saisir ces particularités sans savoir par rapport à quelles généralités elles se définissent? Le fait de dégager les caractéristiques générales d'un phénomène au cours de l'histoire, à travers toutes les tonnes particulières aussi différentes soient-elles qu'il ait pu prendre suivant les périodes, est non seulement le fondement même d'une analyse historique mais aussi la condition première pour pouvoir comprendre en quoi consistent les spécificités de chaque expression particulière du phénomène.
Du point de vue marxiste, on peut être tenté de mettre en question la véracité de la loi générale que nous dégageons sur la nature conservatrice de l'État, mais en aucun cas s'attaquer au fait en soi de vouloir reconnaître la caractéristique historique générale d'une institution. Autrement, c'est nier la possibilité de toute analyse historique.
Il nous est ensuite dit que notre position relève encore de l'anarchiste par le fait qu'elle constituerait "une opposition de principe à l'État". Rappelons en quoi consiste cette opposition de principe des anarchistes à l'État : rejetant l'analyse de l'histoire en termes de classe et le déterminisme économique, les anarchistes n'ont jamais compris l'État comme le produit des besoins d'une société divisée en classes, mais comme un mal en soi qui, avec la religion et l'autoritarisme, serait à la base de tous les maux de la société ("je suis contre l'État parce que l'État est maudit", disait Louise Michel). Pour les mêmes raisons ils considèrent qu'entre le capitalisme et le communisme, il n'y a aucun besoin d'une période ce transition et encore moins d'État : l'État ouvra et devra être "aboli","interdit" par décret au lendemain même de l'Insurrection générale.
Qu'y a-t-il de commun entre cette vision et celle qui affirme que l'État, produit de la division de la société en classes, à une essence conservatrice car il a pour fonction de réfréner et de maintenir ce conflit dans l'ordre et la stabilité sociale ? Si nous soulignons le caractère conservateur de cette institution ce n'est pas pour préconiser une indifférence "apolitique" du prolétariat à son égard, ou pour colporter des illusions sur la possibilité de faire disparaître l'institution étatique par quelque interdiction que ce soit tant que la division de la société en classes subsistera, mais pour mettre en lumière pourquoi le prolétariat, loin de se soumettre inconditionnellement à l'autorité de cet État au cours de la période de transition -comme le préconise l'idée qui voit dans l'État l'incarnation de la dictature du prolétariat- doit, au contraire, soumettre cet appareil par un rapport de force permanent à sa propre dictature de classe. Qu'y a-t-il de commun entre cette vision et celle des anarchistes qui rejettent en bloc État, période de transition et surtout la nécessité de la dictature du prolétariat ?
Assimiler cette analyse à la vision anarchiste c'est se payer de mots avec des arguments de polémique dérisoire.
Mais venons-en au problème de fond : pourquoi l'État est-il une institution conservatrice par excellence ?
Le mot conservateur désigne par définition ce ou celui qui s'oppose à toute innovation, ce ou celui qui résiste au bouleversement de l'état de chose existant. Or, l'État, quel qu'il soit, est une institution dont la fonction essentielle n'est autre que celle du maintien de l'ordre, le maintien de l'ordre existant. Il est le produit du besoin de toute société divisée en classes de se doter d'un organe capable de maintenir par la force un ordre qu'elle n'est pas capable de maintenir de façon spontanée, harmonieuse, du fait même de son déchirement en groupes sociaux aux intérêts économiques antagonistes. Il constitue par là même la force à laquelle doit s'opposer toute action visant à bouleverser l'ordre social, et donc, toute action révolutionnaire.
Dans la fameuse formulation d'Engels dans "L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'État", expliquant le besoin auquel correspond l'État et la fonction qui en découle pour celui-ci se trouve clairement énoncé cet aspect essentiel du rôle de cette institution : estomper le conflit entre classes, le maintenir dans les limites de l'ordre. Et quelques pages plus loin, …"l'État est né du besoin de réfréner des oppositions de classes".
Quand on sait que la force qui crée les bouleversements révolutionnaires n'est autre que la lutte des classes, c'est-à-dire, ce "conflit", cette "opposition" que l'État a pour tâche d'estomper" et de "réfréner", il est aisé de comprendre pourquoi l'État est une institution essentiellement conservatrice.
Dans les sociétés d'exploitation où l'État est ouvertement le gardien des intérêts de la classe économiquement dominante, le rôle conservateur de l'État face à tout mouvement tendant à mettre en question l'ordre économique existant et dont l'État est toujours, avec la classe dominante, Je bénéficiaire, apparaît assez clairement. Cependant, cette caractéristique conservatrice n'est pas moins présente dans l'État de la période de transition au communisme.
A chaque pas franchi par la révolution communiste (destruction du pouvoir politique de la bourgeoisie dans un ou plusieurs pays, puis dans le monde entier ; collectivisation de nouveaux secteurs de la production, développements de la collectivisation de la distribution dans les centres industriels, puis dans des régions agricoles avancées, puis arriérées, etc.) à chacune de ces étapes, et tant que le développement des forces productives n'aura pas atteint un degré suffisant permettant que chaque être humain suisse participer réellement à une production collectivisée à l'échelle mondiale et recevoir de la société "selon ses besoins", tant que l'humanité ne sera pas parvenue à ce stade de richesse qui lui permettra de se débarrasser enfin de tous les systèmes de rationnement de la distribution des produits et de s'unifier dans une communauté humaine sans divisions, à chaque pas franchi dans ces conditions, donc, la société devra se doter de règles de vie, de lois sociales stables et uniformes qui lui permettent de vivre en accord avec les conditions de production existantes, sans être pour autant déchirée par les conflits internes entre les classes qui subsistent, en attendant de pouvoir franchir de nouvelles étapes en avant.
Du fait qu'il s'agit de lois qui expriment encore un stade de pénurie, c'est-à-dire, un stade où le bien-être des uns tend à se faire toujours aux dépens du bien-être des autres, il s'agit de lois qui -même en instaurant "l'égalité dans la pénurie"- exigent pour être appliquées un appareil de contrainte et d'administration qui les impose et les fait respecter à l'ensemble de la société. Cet appareil n'est autre que l'État.
Si au cours de la période de transition nous décidions par exemple de distribuer gratuitement les biens de consommation dans ce qui seraient des centres de distribution, alors que la pénurie sévit encore dans la société, nous aurions peut-être quelques milliers ou milliards de personnes qui pourraient, le premier jour, se servir a leur faim -les premiers arrivés aux centres- mais au moins autant d'autres personnes se trouveraient réduites à la famine. Dans le manque, distribuer, même équitablement, impose d'instaurer des règle de rationnement et avec elles, des "fonctionnaires" : l'État des "surveillants et des comptables" dont parlait Lénine.
La fonction de cet État n'est pas une fonction révolutionnaire, même si l'ordre politique existant est celui de la dictature du prolétariat. Sa fonction intrinsèque est dans le meilleur des cas celle de stabiliser, régulariser, institutionnaliser les rapports sociaux existants. La mentalité du bureaucrate de la période de transition (et il n'y a pas d'État sans bureaucrates) n'est pas caractérisée par sa hardiesse révolutionnaire, loin de là. Elle tend invinciblement à être celle de tous les fonctionnaires : le maintien de l'ordre, la stabilité des lois qu'il est chargé de faire appliquer... et autant que possible, la défense de ses intérêts de privilégié. Plus la pénurie qui rend indispensable cet État se prolonge et plus s'accroît la force conservatrice de cet appareil et donc, avec elle, la tendance au resurgissement de toutes les caractéristiques de la vieille société.
Dans le Manifeste Communiste, Marx écrivait :
La révolution russe où le pouvoir du prolétariat doit rester isolé, condamné à la pire pénurie fut la tragique démonstration par la pratique de cette vision. Mais elle montra du même coup que "le vieux fatras" ressuscitait d'abord et avant tout, là où on croyait que se trouvait l'incarnation de la dictature du prolétariat : dans l'État et sa bureaucratie.
Citons un témoin d'autant plus significatif qu'il fut un des principaux défenseurs de l'identité entre dictature révolutionnaire du prolétariat et État de la période de transition : Léon Trotsky :
Certes, le prochain mouvement révolutionnaire ne connaîtra certainement pas des conditions matérielles aussi désastreuses que le furent celles de la Russie. Mais la nécessité d'une période de transition, une période de lutte contre l'indigence et la pénurie à l'échelle de la planète ne sera pas moins inévitable que la subsistance d'une structure étatique. Le fait de disposer d'un potentiel plus grand de forces productives pour entreprendre la création des conditions matérielles de la société communiste constitue un éléments fondamental de l'affaiblissement de l'État et donc de sa force conservatrice sous la dictature du prolétariat. Mais il n'élimine pas pour autant cette caractéristique. Aussi reste-t-il de la première importance que le prolétariat ait su assimiler les leçons de l'expérience russe et sache voir dans l'État de cette période non pas l'incarnation suprême de sa dictature mais un organe qu'il devra soumettre à sa dictature et par rapport auquel il devra maintenir son autonomie organisationnelle.
Mais, nous dit-on, l'histoire montre que l'État assume une fonction révolutionnaire lorsque la classe qui l'instaure est elle-même révolutionnaire :
Il ne s'agit pas ici de jouer avec les mots. "Assumer une fonction révolutionnaire" d'une part, "stabiliser un cadre de lois et de rapports qui répondent aux intérêts de la nouvelle classe au pouvoir" d'autre part, ne décrivent pas la même chose. A partit du moment où la lutte d'une classe révolutionnaire aboutit à établir un rapport de forces dans la société en sa faveur, il est évident que le cadre légal, l'institution étatique qui a pour fonction de stabiliser les rapports de force existants dans la société est amené à traduire ce nouvel état de fait dans les lois et des interventions de l'exécutif pour les faire appliquer. Toute action politique d'envergure dans une société divisée en classes et donc chapeautée par une structure étatique, ne peut atteindre son but sans se traduire, tôt ou tard, par une concrétisation au niveau des lois et de l'action de l'État. C'est ainsi que l'État de 1793 en France, par exemple, fut amené à légaliser des mesures révolutionnaires imposées dans les faits par les forces révolutionnaires : exécution du roi, loi des suspects et instauration de la Terreur contre les éléments réactionnaires, réquisitions et rationnements, confiscation et vente des biens des immigrés, impôt sur les riches, "déchristianisation" et fermeture des églises, etc.. De même l'État des soviets en Russie prit des mesures révolutionnaires, telles la consécration du pouvoir des soviets et la destruction du pouvoir politique de l'ancienne classe, l'organisation de la guerre civile contre les armées blanches, etc…
Mais peut-on dire que l'État ait assumé pour autant la fonction révolutionnaire des classes qui l'ont instauré ?
La question qui se pose est de savoir si ces faits montrent que l'État n'est conservateur que dans la mesure où la classe dominante l'est elle-même, et inversement, révolutionnaire lorsque cette dernière est elle-même révolutionnaire. En d'autres termes, l'État n'aurait aucune tendance conservatrice ou révolutionnaire intrinsèque par lui-même. Il serait tout simplement l'incarnation institutionnelle de la volonté de la classe dominante politiquement, ou, pour reprendre une formulation de Boukharine sur l'État et le prolétariat pendant la période de transition :
Regardons donc ces événements de plus près, et commençons par :
L'État de 93 est celui de la Convention Nationale, instaurée à la fin de 92 après la destitution de la Monarchie par la Commune Insurrectionnelle de Paris et la terreur imposée par celle-ci la Convention succédait à l'État de l'Assemblée Législative qui avait "organisé" les guerres révolutionnaires, mais dont l'existence se trouve mise en question par la chute du trône et par le pouvoir réel de la Commune Insurrectionnelle dont elle tenta, en vain, de déclarer la dissolution (le 1er septembre, la Législative proclama la dissolution de la Commune mais dut revenir sur sa décision le soir même).
La Législative succédait elle-même à la Constituante qui, après avoir déclaré abolis les droits seigneuriaux et adopté la déclaration universelle des droits de l'homme, avait refusé de prononcer la déchéance du roi.
Avant de voir comment ont été prises les fameuses mesures radicales de 1793, constatons donc déjà que les évènements qui vont de la conquête du pouvoir par la bourgeoisie en 89 à l'avènement de la Convention, trois ans plus tard (septembre 92), n'ont rien à voir avec la description simpliste que nous offre le camarade E. : "Dans le passé et dans les phases révolutionnaires, à peine une classe a t’elle conquis le pouvoir qu'elle stabilise (sic) le type d'organisation étatique répondant le mieux à la poursuite de ses intérêts de classe".
Dans la réalité, à peine la bourgeoisie a t’elle conquis le pouvoir politique en 89 que commence un processus long et complexe au cours duquel la classe révolutionnaire, au lieu de stabiliser l'État qu'elle vient d'instaurer, se voit contrainte de le mettre, systématiquement en question pour pouvoir mener à bien sa mission révolutionnaire.
A peine l'État a t’il consacré un nouveau rapport de forces instauré par les forces vives de la société (l'abolition des droits seigneuriaux par la Constituante après les événements de Juillet 89 à Paris, par exemple) que déjà le cadre institutionnel, qui se trouve par cet acte stabilisé, s'avère insuffisant et se transforme en entrave aux nouveaux développements du bouleversement révolutionnaire (refus de la Constituante de prononcer la déchéance du roi et répression par celle-ci des mouvements populaires en ce sens).
Si de 89 a 93, il a déjà fallu à la révolution trois forces étatiques (chacune ayant connu elle-même divers gouvernements), c'est justement parce qu'aucun de ces États ne parvient à "assumer la fonction révolutionnaire de la classe qui l'a institué". Chaque nouveau pas en avant de la révolution prend ainsi la forme d'une lutte, non seulement contre les classes de l'ancien régime, mais aussi contre l'État "révolutionnaire" et son inertie légaliste et conservatrice.
L'année 93 elle-même ne marque pas une "stabilisation du type d'organisation étatique répondant le mieux à la poursuite des intérêts de la bourgeoisie". Elle correspond au contraire à l'apogée de la déstabilisation de l'institution étatique. Il faut attendre Napoléon, ses codes juridiques, sa réorganisation de l'administration et son "Citoyens ! La révolution est fixée aux principes qui l'ont commencés, elle est finie !" pour que véritablement on puisse commencer à parler de stabilisation[1] [200].
Et comment pourrait-il en être autrement ? Comment une classe véritablement révolutionnaire pourrait-elle traiter, au moment même du combat le représentant du maintien de l'ordre" (même du sien) autrement qu'à coups de pieds pour le faire sortir de ses préoccupations administratives et ses formalités juridiques où il s'attache, suivant le mot d'Engels, à "estomper le conflit (entre classes), à le maintenir dans les limites de ‘l'ordre’".
Croire que l'institution étatique puisse être "l'incarnation matérielle" de la volonté révolutionnaire d'une classe est aussi absurde qu'imaginer qu'une révolution puisse se dérouler dans l'ordre ! ; C’est demander à un organe dont la fonction essentielle est d'assurer la stabilité de la vie sociale, d'incarner l'esprit de subversion qu'il a précisément pour tâche d'étouffer dans les forces vives de la société ; c'est demander à un corps de bureaucrates d'avoir l'esprit d'une classe révolutionnaire.
Une révolution est la formidable explosion des forces vives de la société qui prennent directement en mains la destinée du corps social, bouleversement sans respect ni atermoiements sur toute institution (même créée par elle) qui entrave leur mouvement. La puissance d'une révolution se mesure ainsi en premier lieu dans la capacité de la classe révolutionnaire à ne pas se laisser enfermer dans le carcan légal de ses premières conquêtes, à savoir être aussi impitoyable avec les insuffisances de ses propres premiers pas qu'avec les forces de l'ancien régime. La supériorité politique de la révolution bourgeoise en France par rapport à celle de la bourgeoisie anglaise résida précisément dans sa capacité à ne pas être paralysée par le fétichisme de l'État et d'être parvenue à bouleverser sans cesse et sans pitié sa propre institution étatique jusqu'aux dernières conséquences.
Mais, venons-en donc au fameux État de 93 et à ses mesures, puisqu'il constitue précisément d'une part l'exemple proposé par le camarade E. pour démontrer les soi-disant capacités révolutionnaires de l'institution étatique, et d'autre part, une des plus éclatantes illustrations de l'impuissance de cette institution dans ce domaine.
En fait, les grandes mesures révolutionnaires de la période de 93 n'ont pas été prises par l'initiative de l'État mais contre celui-ci. C'est à l'action directe des fractions les plus radicales de la bourgeoisie parisienne, appuyées et souvent emportées par l'énorme pression du prolétariat des faubourgs de la capitale, qu'elles doivent leur réalisation.
La Commune Insurrectionnelle de Paris, ce corps constitué avec les événements des 9-10 août 92, par les éléments les plus radicaux de la bourgeoisie disposant de la force des bourgeois armés, la Garde Nationale et les Sectionnaires armés des faubourgs reposant essentiellement sur l'élan des masses populaires, c'est ce corps, expression organique directe du mouvement révolutionnaire, qui impose d'abord à la Législative, puis à la Convention -dont elle provoque l'instauration par les élections au suffrage universel indirect et 90% d'abstentions d'électeurs terrorisés- les mesures les plus radicales de la révolution. C'est elle qui provoque la chute du roi le 10 août 92, qui emprisonne la famille royale au Temple le 13, c'est elle qui empêcha sa propre dissolution par l'État de la Législative, elle qui instaura directement les tribunaux révolutionnaires et la terreur des journées de septembre 92 ; c'est elle qui, en 93, impose à la Convention l'exécution du roi, la loi sur les suspects, la proscription des Girondins, la fermeture des églises, l'instauration officielle de la Terreur, etc. Et, comme pour mettre en évidence son caractère de force vive distincte de l'État, elle impose encore à la Convention la prééminence de Paris comme "guide la Nation et tuteur de l'Assemblée", le droit d'intervention directe du "peuple" au besoin contre "ses représentants" et enfin "le droit à l'insurrection" !
L'exemple de Cromwell en Angleterre dissolvant par la force l'Assemblée et faisant apposer sur la porte d'entrée une affiche : "A LOUER", traduit la même nécessité.
Si les événements de 92-93 montrent quelque chose, ce n'est donc pas que l'institution étatique est d'autant plus révolutionnaire que l'est la classe qui la domine, mais au contraire que :
Nous avons dit au début de ce point : "assumer une fonction révolutionnaire" et "stabiliser un cadre de lois et de rapports qui répondent aux intérêts de la nouvelle classe au pouvoir" ne veut pas dire la même chose. La différence entre les deux dans les phases révolutionnaires, l'histoire La résout par un rapport de forces entre la vraie force révolutionnaire, la classe réelle elle-même, et son expression juridique, l'État.
S'identifier à un organe stabilisateur
Nous avons jusqu'à présent traité de la nature conservatrice de l'État en restant sur un terrain historique général. En revenant au domaine de la période de transition au communisme, nous sommes amenés à voir à quel point cet antagonisme entre révolution et institution étatique, larvé ou ponctuel dans les révolutions du passé, prend dans la révolution communiste un caractère plus profond et irréconciliable.
Le camarade E. nous dit :
Laissons de côté l'argument polémique qui consiste à traiter notre position d'anarchiste : nous en avons déjà parlé. Et voyons pourquoi le prolétariat ne peut trouver dans une institution conservatrice son "expression authentique et totale".
Nous avons vu comment au cours de la révolution bourgeoise, il se produit des moments où, du fait de la tendance conservatrice qui s'exprimait dans les premières formes de son propre État, la bourgeoisie s'est vue contrainte, à travers ses fractions les plus radicales de prendre une distance réelle par rapport à cette institution et d'imposer sa dictature "despotique" non seulement sur les autres classes de la société, mais aussi sur l'État qu'elle venait d'instaurer.
Cependant, cette opposition entre bourgeoisie et État ne pouvait être que momentanée. Le but des révolutions bourgeoises, aussi radicales et populaires soient-elles, ne peut jamais être autre que l'affermissement et la stabilisation d'un ordre social dont elle est bénéficiaire. Aussi grande que puisse être son opposition à l'ancienne classe dominante, elle ne déstabilise la société et l'institution étatique que pour mieux la figer par la suite, une fois affirmé son pouvoir politique dans un nouvel ordre stable où elle peut, sans entrave, épanouir sa force de classe exploiteuse.
C'est ainsi que l'ouragan révolutionnaire de 93 fut suivi de la soumission de la Commune Insurrectionnelle de Paris au gouvernement du Comité de Salut Public de Robespierre, puis de l'exécution de Robespierre lui-même par la "réaction" de Thermidor, pour aboutir à l'État fort de Napoléon, où État et bourgeoisie se retrouveront fraternellement enlacés dans un désir absolu d'ordre et de stabilité.
En fait, plus se consolide et se développe le système de la bourgeoisie et plus cette dernière se reconnaît entièrement dans son État, garant absolu et conservateur de ses privilèges. Plus la bourgeoisie devient conservatrice et plus elle s'identifie à son gendarme et administrateur.
Il en est tout autrement pour le prolétariat. Le but de la classe ouvrière au pouvoir n'est ni de maintenir son existence comme classe ni de conserver l'État, produit de la société divisée en classes. Son objectif déclaré, c'est la disparition des classes et en conséquence de l'État. La période de transition au communisme n'est pas un mouvement vers la stabilisation du pouvoir prolétarien mais au contraire vers sa disparition. Il en découle, non pas que le prolétariat ne doive pas affirmer sa dictature sur l'ensemble de la société mais qu'il se sert de cette dictature pour bouleverser en permanence l'état de choses existant. Ce mouvement de bouleversement est permanent jusqu'au communisme : toute stabilisation de la révolution prolétarienne constitue pour elle un recul et une menace de mort. La fameuse sentence de Saint-Just : "Ceux qui font une révolution à moitié creusent leur propre tombe" s'applique au prolétariat du fait de sa nature de classe exploitée plus qu'à toute classe révolutionnaire dans l'histoire.
Contrairement à l'idée de Trotsky qui -incapable de reconnaître dans le développement de la bureaucratie après 17 la force de la contre-révolution- parlait d'un "Thermidor prolétarien", il n'y a pas de "thermidor" pour la révolution prolétarienne. Thermidor fut pour la bourgeoisie une nécessité correspondant à la recherche d'une stabilisation de son pouvoir. Pour le prolétariat, toute stabilisation constitue non pas un aboutissement, une réussite, mais une faiblesse, et à moyen terme, un recul de son oeuvre révolutionnaire.
Le seul moment où la stabilisation des rapports sociaux pourrait correspondre aux intérêts du prolétariat serait celui d'une société sans classe, le communisme. Mais alors, il n'y aura plus ni prolétariat, ni dictature du prolétariat, ni État. C'est pourquoi le prolétariat ne peut jamais trouver dans cette institution dont la fonction est"d'estomper le conflit entre les classes" et de stabiliser l'état de choses existant, "son expression authentique et totale".
Contrairement à ce qui se produisait pour la bourgeoisie, le développement de la révolution prolétarienne ne se mesure pas au renforcement de l'institution étatique, mais au contraire à la dissolution de celle-ci dans la société civile, la société des producteurs.
Mais l'attitude du prolétariat au cours de sa dictature à l'égard de l'État -non identification, organisation autonome par rapport à lui et exercice de sa dictature sur lui- se distingue de celle de la bourgeoisie installée, non seulement parce que pour la première, la dissolution de l'appareil étatique est une nécessité, mais aussi -et sans cela cette nécessité ne serait qu'un voeu pieux- parce qu'elle est une possibilité.
Divisée par la propriété privée et la concurrence sur lesquelles elle fonde sa domination économique, la bourgeoisie ne peut engendrer longtemps de corps organisé qui incarne ses intérêts de classe en dehors de l'État. L'État est pour la bourgeoisie non seulement le défenseur de sa domination à l'égard des autres classes, il est aussi le seul lien d'unification de ses intérêts. Dans la division en mille intérêts privés et antagonistes de la bourgeoisie, seul l'État constitue une force capable d'exprimer les intérêts de l'ensemble de la classe. C'est pourquoi, si elle ne pouvait se passer, à un moment donné, ni en France ni en Angleterre, de l'action autonome de ses fractions les plus radicales contre l'État qu'elle avait instauré pour mener à bout sa révolution, elle ne pouvait pas plus prolonger longtemps cet état de choses, sous peine de perdre toute unité politique et donc toute force (voir le sort réservé à la Commune Insurrectionnelle de Paris et à ses dirigeants une fois leur fulgurante action révolutionnaire accomplie).
Le prolétariat ne connaît pas cette impuissance. N'ayant pas d'intérêts antagonistes en son sein et trouvant dans son unité autonome la principale force de son action, le prolétariat peut exister unifié et puissant sans recours à un arbitre armé au-dessus de lui. Sa représentation comme classe, il la trouve en lui-même, dans ses propres organes unitaires : les Conseils Ouvriers.
Ce sont ces Conseils qui doivent et peuvent constituer le seul et véritable organe de la dictature du prolétariat. C'est en eux et en eux seuls que la classe ouvrière trouve son "expression authentique et totale".
Le camarade E. reprend à son compte les positions de Lénine dans "l'État et la Révolution", basées elles-mêmes sur les écrits et l'expérience pratique passée du mouvement prolétarien. Mais il le fait en simplifiant à l'extrême cette position, en oubliant le contexte politique où elle fut définie et évidemment en laissant de côté la plus importante expérience de la dictature du prolétariat : la révolution russe.
Le plus grand et le plus riche moment de l'histoire du combat prolétarien n'aurait d'après E., rien, strictement rien modifié aux formulations des révolutionnaires avant Octobre. Le résultat est une grossière simplification des inévitables insuffisances de la théorie révolutionnaire avant 1917, dans un domaine où la seule expérience existante alors était celle de la Commune de Paris.
E. écrit :
Il est vrai que l'essence de la fonction de l'État a toujours été le maintien de l'oppression des classes exploitées par la classe exploiteuse. Mais au moment de transporter cette idée à l'analyse de la période de transition au communisme, cette simplicité est plus qu'insuffisante. Et cela pour deux raisons principales :
Dans "l'État et la Révolution", Lénine fut amené à mettre au premier plan cette conception simple de l'État, du fait même de la polémique qu'il y développait contre la social-démocratie. Cette dernière, pour justifier sa participation au gouvernement de l'État bourgeois, prétendait ne voir dans l'État (et l'État bourgeois en particulier) qu'un organe de conciliation entre les classes : elle en déduisait qu'en y participant et développant l'influence électorale des partis ouvriers, on pourrait le transformer en outil du prolétariat pour l'avènement du socialisme. Lénine rappela avec force que dans une société divisée en classes l'État avait toujours été l'État de la classe dominante, l'appareil du maintien du pouvoir de cette dernière, sa force armée contre les autres classes.
La pensée d'une classe révolutionnaire et à fortiori celle d'une classe révolutionnaire exploitée ne peut jamais se développer dans un univers de paisible recherche scientifique. Arme d'un combat global, elle ne peut s'exprimer qu'en opposition violente à l'idéologie dominante dont elle s'attache en permanence à démontrer la fausseté. C'est pourquoi, on ne trouvera jamais un texte révolutionnaire qui ne prenne, d'une façon ou d'une autre, la forme de critique ou de polémique. Même les morceaux les plus "scientifiques" du Capital sont rédigés dans un esprit de combat critique contre les théories économiques de la classe dominante. Aussi faut-il savoir, quand on reprend les écrits révolutionnaires, les replacer en permanence dans le combat auquel ils s'intègrent. La polémique, si elle est vivante, conduit inévitablement à polariser la pensée sur des aspects particuliers de la réalité parce qu'étant les plus importants dans tel combat particulier. Mais ce qui est essentiel dans une discussion ne l'est pas automatiquement dans une autre. Reprendre mot pour mot les formulations et les préoccupations exprimées dans des textes traitant d'un problème particulier pour les appliquer telles quelles, sans les replacer dans leur contexte, à d'autres problèmes fondamentalement différents, conduit la plupart du temps à des aberrations où ce qui pouvait être une simplification nécessaire dans une polémique se transforme, transposé ailleurs, en une absurdité théorique. C'est pourquoi l'exégèse est toujours une entrave pour la théorie révolutionnaire.
Transposer telles quelles les insistances dégagées du combat contre la participation de la social-démocratie dans l'État bourgeois et son rejet de la dictature du prolétariat, aux problèmes posés par le rapport entre la classe ouvrière et l'État de la période de transition au communisme est un exemple de ce type d'erreur. Erreur qui fut souvent commise aussi bien par Marx et Engels que par Lénine et tous les révolutionnaires dont l'union fut forgée au feu du combat contre la social-démocratie pendant la première guerre. Compréhensible peu avant Octobre 17, elle ne l'est cependant plus aujourd'hui.
L'expérience de la révolution russe a mis en évidence à quel point le rapport entre le prolétariat au pouvoir et l'État était différent de celui qu'entretenaient les classes exploiteuses.
Le prolétariat exerçant sa dictature s'affirme comme classe dominante dans la société. Mais dominante n'a rien à voir ici avec le contenu de ce terme dans les sociétés passées. Le prolétariat est classe dominante politiquement, mais non économiquement. Non seulement la classe ouvrière ne peut exploiter aucune autre classe de la société, mais, qui plus est, elle demeure dans une certaine mesure classe exploitée.
Exploiter économiquement une classe, c'est tirer profit de son travail au détriment de sa propre satisfaction, c'est amputer une classe d'une partie du fruit de son travail en la privant par cela de la possibilité d'en jouir. Or, au lendemain de la prise du pouvoir par le prolétariat, la situation économique de la société connaît les deux caractéristiques suivantes :
Dans ces conditions, la marche vers le Communisme implique un énorme effort de production visant à permettre d'une part la plus grande satisfaction des besoins humains et, d'autre part (liée à cette première nécessité) l'intégration au processus productif (à ses niveaux de technicité les plus élevés) de l'immense masse de la population qui est improductive, soit (dans les pays développés) parce qu'elle remplissait des fonctions improductives dans le capitalisme, soit (et c'est le cas pour la majorité dans le tiers-monde) parce que le capitalisme n'avait pu les intégrer à la production sociale. Or, qu'il s'agisse d'augmenter la production de biens de consommation ou qu'il s'agisse de produire les moyens de production qui permettront d'intégrer les masses improductives (le paysannat indigent du tiers-monde ne sera pas intégré à la production socialisée avec des charrues de bois ou d'acier, mais avec les moyens industriels les plus avancés... qu'il faudra créer), cet effort donc repose essentiellement sur le prolétariat.
Tant que subsiste la pénurie dans le monde et tant que le prolétariat reste une fraction de la société (c'est à dire tant que sa condition ne s'est pas étendue à toute la population du globe), il se trouvera à produire un surplus de biens (de consommation et de production) dont il ne bénéficiera qu'à long terme. De ce point de vue, donc, le prolétariat non seulement n'est pas classe exploiteuse mais demeure encore classe exploitée.
Dans les sociétés passées, l'État tendait à s'identifier à la classe dominante et à la défense de ses privilèges dans la mesure où cette classe était économiquement dominante, c'est à dire bénéficiant du maintien des rapports production existants. La tâche de "l'État de maintien de l'ordre est dans une société d'exploitation inévitablement le maintien de l'exploitation et donc des privilèges de l'exploiteur.
Mais au cours de la période de transition au communisme, le maintien des rapports économiques existants, s'il peut constituer, par certains aspects et à court terme, un moyen d'empêcher un recul en deçà des pas franchis par le prolétariat (et c'est en cela que l'État est inévitable au cours de la période de transition), il représente par ailleurs le maintien d'une situation économique où le prolétariat supporte le poids de la subsistance et du développement de l'ensemble de la société. Contrairement à ce qui passait dans les sociétés où la classe politiquement dominante était une classe bénéficiant directement de l'ordre économique existant, au cours de la dictature du prolétariat, la convergence entre État et classe politiquement dominante perd tout fondement économique. Qui plus est, comme organe exprimant les besoins de cohérence de la société et la nécessité d'empêcher que les antagonismes entre classes se développent, l'État tend inévitablement à s'opposer, sur le terrain économique, aux intérêts immédiats de la classe ouvrière. L'expérience russe au cours de laquelle, on vit l'État exiger du prolétariat un effort de production toujours plus grand au nom de la nécessité de pouvoir satisfaire aux exigences de l'échange avec les paysans ou avec les puissances étrangères, mit en évidence, à travers la répression des grèves ouvrières (dès les premiers mois de la révolution) à quel point cet antagonisme pouvait être déterminant dans les rapports entre prolétariat et État.
C'est pourquoi encore le prolétariat au pouvoir ne peut reconnaître dans l'État, comme le voulait Boukharine, "l'incarnation matérielle de sa raison collective", mais un instrument de la société qui ne se soumettra pas à son pouvoir "automatiquement" -comme c'était le cas pour les classes exploiteuses, une fois leur domination politique définitivement assurée- mais qu'il devra au contraire soumettre sans relâche à son contrôle et à sa dictature, s'il ne veut le voir se retourner contre lui, comme en Russie.
Mais, dernier argument du camarade E., on nous dit qu'un État qui serait soumis à une dictature qui lui est extérieure, n'aurait pas les moyens de jouer son rôle. Nous oublierons que, si État et dictature d'une classe ne sont pas identiques, il n'y a pas de dictature réelle.
Il est vrai qu'il ne peut y avoir de dictature d'une classe quelle qu'elle soit sans qu'existe dans la société une institution de type étatique : d'une part, parce que division de la société en classes implique existence d'un État, d'autre part, parce que tout pouvoir de classe nécessite l'existence d'un appareil qui traduise dans un cadre de lois et de moyens de contraintes son pouvoir dans, la société: l'État. Il est vrai aussi qu'un État qui ne disposerait pas d'un pouvoir réel ne serait pas un État. Mais il est faux de dire que dictature de classe est identique à État et "qu'un État qui soit soumis à une dictature qui lui est extérieure est un non-sens".
La situation de dualité de pouvoir (celui d'une classe d'une part, celui de l'État d'autre part le premier s'exerçant sur le second) s'est déjà produite dans l'histoire, en particulier au cours des grandes révolutions bourgeoises. Et, pour toutes les raisons que nous avons vues, elle s'imposera comme une nécessité au cours de la période de dictature du prolétariat.
Ce qui est réel, c'est qu'une telle situation ne peut s'éterniser sans entraîner la société dans une contradiction inextricable dans laquelle elle se consommerait elle-même. Elle constitue une contradiction vivante qui doit se résoudre inévitablement. Mais la façon dont elle se résout diffère fondamentalement suivant qu'il s'agisse de la révolution bourgeoise ou de la révolution prolétarienne.
Dans le premier cas, cette dualité du pouvoir se résout rapidement par une identification du pouvoir de la classe dominante avec le pouvoir d'État qui sort du processus révolutionnaire renforcé et investi du pouvoir suprême sur l'ensemble de la société, la classe dominante incluse.
Dans le cas de la révolution prolétarienne au contraire, elle se résout dans la dissolution de l'État et la prise en mains de toutes les destinées dé la vie sociale par la société elle-même.
C'est là une opposition fondamentale qui se traduit par des caractéristiques dans le rapport entre classe dominante et État dans la révolution prolétarienne différentes de celles de la révolution bourgeoise, non seulement par la forme mais aussi par le contenu.
Pour mieux cerner ces différences, il est nécessaire de tenter de se représenter les lignes générales des formes du pouvoir du prolétariat au cours de la période de transition telles qu'elles peuvent être esquissées à partir de l'expérience historique du prolétariat. Sans vouloir s'attacher à définir les détails institutionnels d'une telle période, car s'il est une caractéristique majeure des périodes révolutionnaires, c'est que toutes les formes institutionnelles tendent à apparaître comme des coquilles vides que les forces vives de la société remplissent et bouleversent au gré du besoin de leurs affrontements, il est cependant possible de dégager les axes très généraux suivants :
Emanation de ces institutions, se dresse tout l'appareil d'État avec d'une part, ceux chargés du maintien de l'ordre : "surveillants" et armée pendant la guerre civile et, d'autre part le corps des fonctionnaires chargés de l'administration et de la gestion de la production et de la distribution.
Cet appareil de gendarmes et de fonctionnaires pourra être plus ou moins important, plus ou moins dissout dans la population elle-même suivant le cours du processus révolutionnaire, mais il serait illusoire d'ignorer l'inévitabilité de leur existence dans une société qui connaît encore les classes et la pénurie.
La dictature du prolétariat sur l'État de la période de transition, c'est la capacité de la classe ouvrière à maintenir l'armement et l'autonomie de ses conseils par rapport à l'État et à imposer à celui-ci (à ses organes centraux comme à ses fonctionnaires) sa volonté.
La dualité de pouvoir qui en résulte tendra à se résoudre au fur et à mesure que l'ensemble de la population sera intégrée dans le prolétariat et ses conseils et que l'abondance se développant, la fonction des gendarmes et autres fonctionnaires disparaîtra, "le gouvernement des hommes cédant la place à l'administration des choses" par les producteurs eux-mêmes. Le développement du pouvoir du prolétariat se fait dans le même mouvement que la diminution de celui des fonctionnaires de l'État et l'absorption par le prolétariat de l'ensemble de l'humanité transforme son pouvoir de classe en action consciente de la communauté humaine.
Mais, pour qu'un tel processus ait cours, il est nécessaire non seulement que les conditions matérielles de son épanouissement se trouvent réunies (en particulier extension mondiale de la révolution, développement des forces productives) main encore que le prolétariat, force motrice essentielle de ce processus, sache conserver et développer l'autonomie et la force de son pouvoir sur l'État.
Loin de constituer un non-sens, cette dictature de conseils ouvriers à laquelle est soumis l'État et qui lui est "extérieure", représente le mouvement même du dépérissement de l'État.
La révolution russe ne connut pas les conditions matérielles d'un tel épanouissement, mais par les difficultés énormes auxquelles elle se heurta, mit en relief le contenu des tendances intrinsèques de l'appareil étatique, le rôle de ce dernier s'étant trouvé du fait même de ces difficultés amplifié jusqu'aux dernières limites.
Au lendemain d'Octobre 17, existaient en Russie aussi bien les conseils ouvriers, protagonistes d'Octobre, que les conseils d'État, les soviets et leur appareil étatique en développement. Mais, reposant sur la conviction que l'État ne pouvait être distinct de la dictature du prolétariat, les conseils ouvriers se transformèrent en institution étatique s'intégrant dans l'appareil d'État. Avec le développement du pouvoir de la bureaucratie, provoquée par l'absence de toutes les conditions matérielles du développement de la révolution, l'opposition entre État et prolétariat ne tarda pas à apparaître au grand jour, on crut pouvoir résoudre l'antagonisme en plaçant partout où l'on pouvait dans l'appareil étatique, à la place ces fonctionnaires, les ouvriers les plus résolus et les plus expérimentés, les membres du Parti. Le résultat ne fut pas une prolétarisation de l'État, mais une bureaucratisation des révolutionnaires. A la fin de la guerre civile, le développement de l'antagonisme entre classe ouvrière et État aboutit à la répression par l'État des grèves de Petrograd en 1920 puis de l'insurrection des ouvriers de Kronstadt qui revendiquaient entre autres, des mesures contre la bureaucratie et la révocation des délégués aux Soviets.
Il ne s'agit pas d'en déduire ici que si le prolétariat avait gardé l'autonomie de ses conseils à l'égard de l'État et su imposer sa dictature à l'État au lieu de voir dans ce dernier son "incarnation matérielle", la révolution aurait définitivement triomphé en Russie.
La dictature du prolétariat en Russie ne fut pas étouffée par son incapacité à résoudre les problèmes de ses rapports avec l'État mais par l'échec de la révolution dans les autres pays, qui la condamnait à l'isolement. Cependant, son expérience à l'égard de ce problème crucial ne fut ni inutile ni "un cas particulier" sans signification pour l'ensemble du mouvement historique. L'expérience russe jeta une lumière fondamentale sur cette question complexe qui demeurait dans la théorie révolutionnaire encore particulièrement confuse. Non seulement, elle apporta avec les conseils ouvriers et l'organisation Soviétique, une réponse pratique au problème des formes du pouvoir prolétarien, mais elle permit de mieux résoudre ce qui se présentait dans les théories dégagées de l'expérience de la Commune de Paris comme une contradiction : de Marx et Engels à Lénine d'une part, on affirmait que l'État était l'incarnation de la dictature du prolétariat et d'autre part, on tirait de l'expérience de la Commune la leçon que le prolétariat devrait se prémunir contre les "effets nuisibles" (Engels) de cet État en soumettant tous ses fonctionnaires à un contrôle du prolétariat : réduction du revenu à celui d'un ouvrier et révocabilité à tout instant des fonctionnaires d'État par le prolétariat. Si l'État est identique à la dictature du prolétariat, pourquoi celui-ci devrait-il se méfier de ses effets nuisibles ? Comment la dictature d'une classe pourrait-elle avoir des effets contraires à ses propres intérêts ?
En fait, la nécessité d'une distinction nette entre dictature du prolétariat et État ainsi que d'un pouvoir dictatorial de la première sur le second se trouve en germe, sinon comme intuition du moins comme nécessité théorique dans les écrits des révolutionnaires sur cette question avant 17. Ainsi, par exemple, dans "l'État et la Révolution", Lénine est amené à parler d'une distinction entre quelque chose qui serait "l'État des fonctionnaires" et une autre qui serait "l'État des ouvriers armés": "en attendant l'avènement de la phase supérieure du communisme, les socialistes réclament de la société et de l'État qu'ils exercent le contrôle le plus rigoureux sur la mesure de travail et la mesure de consommation ; mais ce contrôle doit commencer par l'expropriation des capitalistes, par le contrôle des ouvriers sur les capitalistes, et il doit être exercé non par l'État des fonctionnaires mais par l'État des ouvriers armés" (souligné dans le texte).
Et dans un autre passage du même ouvrage où il tente de faire une comparaison entre l'économie de la période de transition et l'organisation de la poste dans le capitalisme, il affirme la nécessité du contrôle de ce corps de fonctionnaires par le corps des ouvriers armés :
La révolution russe montre tragiquement à quel point ce qui pouvait paraître comme une contradiction théorique dans la pensée révolutionnaire exprimait en fait une contradiction réelle entre la dictature du prolétariat et l'État de la période de transition ; elle mit en lumière à quel point "le contrôle et la direction du prolétariat armé" sur l'État constitue une condition sine qua non de l'affirmation de la dictature du prolétariat.
Le camarade E. croit certainement rester fidèle à l'effort théorique du prolétariat tel qu'il se concrétise avant Octobre 17 et en particulier dans "l'État et la Révolution" de Lénine dont il prend ici une défense intransigeante. Mais c'est trahir l'esprit de cet effort que de se camper sur une position qui presque par principe se refuse de mettre en question ces acquis théoriques à la lumière de la plus grande expérience de dictature du prolétariat. Pour conclure, nous ne pouvons que rappeler ce que Lénine écrivait justement dans "l'État et la Révolution" à propos de ce que doit être l'attitude des révolutionnaires dans ce domaine :
[1] [201]Et encore : l'État
français connaîtra les forte suivit l'Empire Napoléonien et celles de 1848.
Nous saluons d'abord la parution récente de
l'ouvrage de Denis Authier et Jean Barrot, qui manifeste incontestablement un
souci d'analyse d'un point de vue marxiste révolutionnaire et qui met à la
disposition de nombreux camarades, des textes de la Gauche jusqu'alors
introuvables. Il va de soi que l'on ne saurait trop insister sur la nécessité
de telles études qui déchirent un petit bout du voile diffamatoire recouvrant
la richesse des positions de la Gauche Communiste. Le livre est un des seuls[1] [202]
à mettre en avant la perspective communiste ouverte par la révolution en Russie
et ce, dans la période historique des révolutions prolétariennes. Ce travail a
de grandes qualités, mais également des faiblesses que nous allons essayer de
développer ici.
Le livre se présente en deux parties, l'une d'analyse de la situation historique générale et de l'évolution des groupes de la Gauche Communiste, et l'autre en un recueil de textes. De manière générale dans leur analyse, les auteurs ne perçoivent pas nettement le changement de période ouvert par la première guerre mondiale et ne l'analysent pas comme la fin de la période où le mode de production capitaliste développait effectivement les forces productives et où, de plus en plus, ce même mode de production devient une entrave à tout développement ultérieur, entrave concrétisée par la nécessité périodique de détruire massivement une partie de ces forces productives dans des guerres mondiales. Ces camarades n'expriment jamais clairement la cause matérielle qui fait basculer l'ensemble de la social-démocratie et ses organes, partis de masse et syndicats, dans le camp de la bourgeoisie : la fin de la période ascendante et l'ouverture de la période de décadence, où les seules tâches du prolétariat sont la destruction de l'État bourgeois et la constitution mondiale de la dictature des Conseils Ouvriers.
Noyant le phénomène fondamental du changement de période dans des épiphénomènes tels que l'augmentation massive de la productivité du travail permettant l'extraction de plus-value relative, ce que Marx appelle alors la domination réelle du capital, les auteurs tombent dans les sophismes modernistes d'une soi-disant dichotomie entre "l'ancien mouvement ouvrier" (correspondant à la période ascendante) qui serait réformiste et le "nouveau" qui serait lui "pur et dur". De là à parler de "prolétariat allemand (qui) reste globalement réformiste ..." (p.28) ou de "la majorité réformiste de la classe ouvrière ..." (p.89) ..., il n'y a qu'un pas, qu'ils franchissent en assimilant le poids de l'idéologie bourgeoise : le réformisme, à la nature même de la classe ouvrière qui elle ne peut pas, qu'elle le veuille ou non, être "réformiste", "pour le capital" ou autres nouveautés. La classe ouvrière est strictement déterminée par la place socio-économique qu'elle occupe dans la production, qui la contraint à toujours lutter contre le capital ; c'est la lutte de classe. Le changement de période ne fait, lui, "que" changer les conditions de cette lutte qui a toujours été révolutionnaire (cf. La Commune de Paris), mais qui, dans le cadre progressif du système, pouvait arracher des réformes, c'est-à-dire des améliorations réelles de sa condition d'exploitée. Le changement des conditions dans lesquelles la lutte de classe se développe, est donc étroitement lié au changement de période qui marque le passage du système capitaliste dans sa phase de déclin historique. En assimilant la maladie bourgeoise du réformisme, à la nature révolutionnaire du prolétariat, l'on ne comprend plus pourquoi la classe ouvrière est la classe révolutionnaire, porteuse du communisme, l'on ne comprend plus ce qui ferait changer la nature "réformiste" du prolétariat en révolutionnaire, sinon un coup de baguette magique... Non, "le prolétariat est révolutionnaire ou n'est rien" (lettre de Marx à Schweitzer - 1865) signifie que sa lutte a toujours été une lutte contre le capital, une lutte révolutionnaire, une lutte qui d'emblée est politique car elle vise, consciemment ou non, à la destruction de l'État bourgeois. C'est donc bien ce changement des conditions de la lutte prolétarienne qui obligé la classe ouvrière, dans la période de décadence, à s'organiser uniquement dans les organes de la prise du pouvoir, les Conseils Ouvriers, et qui l'oblige à secréter le parti de classe, comme minorité, expression visible de sa conscience de classe. Nous voyons ici très clairement en quoi les Conseils Ouvriers ne sont pas la "découverte d'une forme d'un nouveau mouvement ouvrier", mais correspondent à la matérialisation du contenu invariant qui gît dans les entrailles du prolétariat, contenu que la période historique imposera comme nécessité à l'humanité : le communisme, la société sans classe.
Cette légende, entretenue notamment par les bordiguistes “orthodoxes" du PCI[2] [203] vise à présenter la Gauche Allemande "anarchiste", antagoniquement à la Gauche Italienne "marxiste". Or, s'il est vrai que la Gauche Italienne a développé ses positions par des analyses plus vigoureuses, l'ensemble de la Gauche Internationale est le produit du même mouvement, affirmant, par delà les frontières, les mêmes constantes fondamentalement correctes : l'anti-parlementarisme marxiste, la défiance envers les syndicats, le rejet du frontisme, la nécessité de partis minoritaires, mais forgés par des principes communistes stricts rejetant toutes les anciennes tactiques opportunistes. La démystification de cette légende est particulièrement bienvenue dans cet ouvrage. Barrot et Authier démontrent, même s'il n'y a pas eu la constitution d'une fraction communiste de gauche au niveau international, la présence de cette gauche dans tous les pays (la Belgique avec Van Overstraeten et l'Ouvrier Communiste ne faisant pas exception), et, en particulier, l'existence de liens programmatiques entre la fraction communiste abstentionniste du Parti Socialiste Italien ("Il Soviet") et la Gauche Communiste Allemande (Pannekoek, Gorter). En effet, c'est cette fraction qui chargea, lors de sa conférence en mai 1920 à Florence, ses délégués à l'Internationale Communiste, "de constituer une fraction antiparlementaire conséquente à l'intérieur de la IIIème Internationale ..." et insiste "sur l'incompatibilité des principes et des méthodes communistes avec une participation aux instances représentatives bourgeoises"(* [204]). C'est dans ce même but qu'un an plus tard furent délégués des membres du KAPD (Parti Communiste Ouvrier d'Allemagne) au 3ème Congrès de l'I.C. Et, de fait, Terraccini, délégué du PC d'Italie à ce même congrès, a soutenu l'intervention du KAPD contre la "tactique" frontiste de la "Lettre ouverte". L'on pourrait encore citer longuement les faits et prises de positions démontrant ce lien programmatique évident entre les différentes Gauches, lien certainement existant du seul fait que toutes les Gauches étaient produites par le même mouvement, celui de la compréhension que la révolution communiste mondiale est à l'ordre du jour et est, la seule solution pour la classe ouvrière. La faiblesse des Gauches s'exprime également clairement dans leur impossibilité de créer une réelle fraction internationale, pouvant lutter efficacement contre la dégénérescence de l'IC, entraînée de plus en plus, du fait de l'écrasement de la révolution mondiale, vers la bourgeoisie. L'on peut citer, outre la Gauche Allemande et Hollandaise, la Gauche Italienne, l'Hongroise avec B. Kun, Varga et Lukàcs, la Bulgare avec I. Gancher, l'Américaine avec J. Reed, l'Anglaise avec Pankhurst, la Française avec Lepetit et Sigrand, la Russe avec l'Opposition Ouvrière et le groupe de Miasnikov... Mais, comme le dit très bien cet extrait du texte "La Gauche Allemande et la question syndicale dans la IIIème Internationale"[3] [205] (cité p. 189) :
La Gauche Allemande et la question du “Parti”
Un élément important encore mis en avant par ce livre est, parmi l'ensemble des faiblesses des communistes en Allemagne, celle qui matérialise le plus toutes les autres, l'incompréhension du caractère indispensable pour le prolétariat d'avoir une avant-garde solide, constituée avant les combats décisifs, et ayant fermement rompu avec tout l'opportunisme et les positions bourgeoises véhiculées par la social-démocratie. Relever les erreurs du passé ne signifie pas qu'il faille rejeter la lutte héroïque de la Gauche Communiste, au contraire, cela permet aux révolutionnaires de tirer du mouvement prolétarien des indications utiles concernant la fonction et le rôle de l'avant-garde communiste. En cela, l'expérience allemande est riche en tâtonnements, en incompréhensions, mais aussi en ruptures lucides avec le substitutionnisme et le carriérisme, caractérisant de plus en plus les PC centristes comme étant amenés, avec le reflux du mouvement, dans le camp de la bourgeoisie par l'adoption du "socialisme dans un seul pays", négation même du programme communiste. D'autre part, il ne faudrait pas voir la Gauche Allemande comme homogène, et entièrement ravagée par l'attentisme, hérité des tergiversations de Rosa Luxembourg à rompre avec la social-démocratie et le refus de la nécessité des minorités révolutionnaires, théorisé, par la suite, par la tendance Essen et l'AAUD-E (Union Générale Ouvrière d'Allemagne Unitaire.) avec 0tto Rhule et "Die Aktion". En effet, les thèses du KAPD sur le rôle du Parti dans la révolution prolétarienne développent largement le besoin pour le prolétariat de se doter de "la forme historique convenable pour le rassemblement des combattants prolétariens les plus conscients, les plus éclairés, les plus disposés à l'action, (qui) est le parti" :
Dans le même sens, les interventions de Jan Appel au 3ème Congrès de l'IC sont aussi significatives[5] [207] :
Un texte aussi clair ne peut laisser aucun doute sur la nature profondément marxiste du KAPD, et nous permet de comprendre la dynamique qui fait surgir le parti de classe comme continuellement à la tête des luttes. Ce qui signifie qu'en période de contre-révolution, toute constitution de parti n'est qu'un artifice organisationnel qui ne sert que la confusion. Il ne peut rester que de petits groupes préservant les acquis programmatiques et les positions de classe. Mais lorsque la vague ouvrière remonte :
Pour terminer ces quelques remarques, il nous faut encore signaler que le choix des textes est relativement peu significatif et ne correspond pas aux meilleures productions de la Gauche Allemande, mais les auteurs s’en expliquent eux-mêmes et de toute manière leur publication en français ne peut que contribuer à la reconnaissance de ce courant comme l’un des plus important de la Gauche Communiste Internationale.
Ainsi ce livre vient à point pour satisfaire le besoin pressant du mouvement révolutionnaire renaissant de :
[1] [208] Avec également l'autre excellent ouvrage de D. Authier sur ce sujet, qui regroupe des textes beaucoup plus fondamentaux de la Gauche Allemande : "La Gauche Allemande", textes du KAPD, de l'AAUD... Edition : "Invariance" -Brignoles- voir la critique de ce livre dans "Révolution Internationale" n°6. Pour un aperçu général de cette question, il existe un article paru dans la Revue Internationale du CCI n°2 : "Les leçons de la Révolution Allemande".
[2] [209] Il est d'ailleurs compréhensible pour ces vestales dégénérées du "Parti Communiste International", de camoufler leur vertu léniniste derrière de calomnieuses insinuations, car c'est notamment deux scissions de ce même P.C.I., "Invariance" et le groupe danois "Kommunismen" qui remirent des textes de la Gauche Allemande en circulation.
* [210] (p. 313-314)
[3] [211] Ce texte est justement écrit par la scission du P.C.I. en 1972, "Kommunismen".
[4] [212] Extrait d'"Invariance" n° 8.
[5] [213] Extrait de la "Gauche Allemande".
A soixante années de l'éclatement de la Révolution russe qui fit tressaillir le monde au point que la bourgeoisie mondiale vit vaciller sa domination séculaire, les défilés d'ouvriers en armes sur la place Rouge se sont transformés en parades insolentes de troupes marchant au pas cadencés sous le regard satisfait de leurs maîtres. La bourgeoisie russe peut contempler d'un oeil tranquille son armement de mort, auprès du quel celui utilisé pendant les deux carnages impérialistes fait maintenant figure de jouet inoffensif. Elle peut baptiser des mots d'octobre" et de "communisme" son arsenal infernal et embellir de citations de Lénine sa hideuse domination de classe, pour conjurer le spectre du communisme. Jamais à soixante ans d'Octobre 1917, la puissance de la classe dominante russe n'a semblé si assurée à l'ombre de ses chars dernier cri et de ses missiles ultra perfectionnés.
Mais le spectre du communisme ressurgit de nouveau. Mondialement, le système capitaliste est entré en crise, posant les bases objectives de la révolution prolétarienne. Si le prolétariat russe a été broyé par la plus féroce contre-révolution engendrée par le capitalisme, sous les bottes de la classe dominante russe, le sous-sol économique de sa propre domination se fait toujours plus fragile. C'est de la crise du capitalisme et d'elle seule, que surgira de nouveau demain, après cinquante ans de silence de mort, le prolétariat russe, entraîné dans la tourmente révolutionnaire par la masse des ouvriers d'Europe de l'Est.
Nous nous proposons dans un premier article de démontrer l'existence de la crise générale du capitalisme en Europe de l'Est, en montrant quelles en sont les formes particulières au sein du bloc russe.
Parler de crise économique dans le bloc russe, c'est-à-dire montrer la similitude des contra dictions qui minent le capitalisme décadent tant à l'Est qu'à l'Ouest, semblait, il y a encore quelques années, susciter l'incrédulité ou les sarcasmes des défenseurs patentés des "pays socialistes". On pu voir aussi des représentants respectables de la bourgeoisie libérale à l'Ouest s'extasier - alors que la crise était déjà là dans le reste du monde - sur l'apparente absence de phénomènes de crise économique dans ces pays (chute du taux de croissance, inflation, chômage). Quelle merveille de trouver enfin un oasis de calme économique, avec de belles courbes régulières de croissance ! Et puis, pensez donc, la Russie semi féodale d'avant 1914 dépassait maintenant les USA par sa production d'acier! Il y avait de quoi susciter l'admiration envieuse de bien des capitalistes occidentaux et les cris de jubilation des PC et de leurs "soutiens critiques" trotskystes. Mais l'admiration et la jubilation se sont vite changées en Inquiétude : la crise économique est bien présente là aussi ! Il n'y a pas de potion magique dans le chaudron de sorcières du capitalisme pourrissant, qu'elle se nomme "planification socialiste" ou "pensée de Mao".
Aujourd'hui, dans la presse mondiale se multi plient les articles mettant en évidence les phénomènes de crise économique dans le bloc russe. Bien mieux les représentants du capital d'Europe de l'Est vont à Canossa quémander à l'Ouest, crédits sur crédits auprès des grandes banques internationales[1] [215]. Et les trotskystes qui jouaient les seconds violons sur l'air du "développement ininterrompu des forces productives" à l'Est se sont faits soudainement muets dans leur "soutien critique" de la "société de transition socialiste". On préfère maintenant faire le battage autour des slogans d'"opposition démocratique". Quelles sont donc les raisons qui ont réduit à un couac tout ce beau concert d'éloges de la "planification socialiste" ? Pour le comprendre, Il est nécessaire de remonter dans le passé, ce lui de l'apparition des plans quinquennaux au cours des années 30.
Le grand mythe de la bourgeoisie russe depuis la période stalinienne des plans quinquennaux est celui de 1'"Imperméabilité" du monde "socialiste" à la crise. Il est repris à qui mieux mieux par tous les partis staliniens et trotskystes du mon de quand il s'agit de préconiser des mesures "radicales" de nationalisations et "d'expropriation du capital privé".
Ainsi, selon eux, les pays de l'Est comme tous les pays du tiers-monde, où l'étatisation de l'économie est plus ou moins achevée, constitueraient un "monde à part" dans le monde capitaliste. La suppression juridique des titres de propriété serait un label de socialisme "pur" ou "dé généré". Pour les trotskystes, le seul point faible de ce "nouveau système" résiderait uniquement dans le parasitisme de la "bureaucratie" qui use rait et abuserait pour son profit personnel de la "propriété socialiste". Il suffirait que les ouvriers chassent la "bureaucratie" par une révolution "politique" ne touchant pas à la base économique "socialiste" pour que la "révolution trahie" soit enfin achevée. Alors les ouvriers pourraient goûter aux bienfaits de la "propriété socialiste". Que pour les trotskystes, la Russie soit un "Etat ouvrier" se démontre dans le miracle économique des années 30. Voilà, selon Trotsky, quel est ce "miracle" du "socialisme" :
Une telle assertion ferait aujourd'hui sourire si l'on ne savait ce que recouvre dans la réalité ce "droit à la victoire". Plus de dix millions de morts pendant les premiers plans quinquennaux[2] [216], le prolétariat réduit à un état de misère physiologique digne des pires horreurs de l'accumulation primitive du capital au début du 19ème siècle, la marche vers la guerre Impérialiste au prix de 17 millions de victimes, voilà le bilan de ce "brillant développement" sur le quel s'enthousiasmait Trotsky. Jamais dans le capitalisme, la dialectique du fer, du ciment et de l'électricité" n'a autant recouvert la barbarie du capitalisme écrite dans la dialectique réel le du fer et du sang.
Que la croissance des indices de production n'ait jamais été un signe du socialisme est une vérité qu'il faut de nouveau répéter après cinquante années de mensonges stalinien et trotskyste. Pour le marxisme, plus s'élèvent les Indices de production, plus se développe la paupérisation relative et absolue de la classe ouvrière astreinte à vendre une force de travail toujours plus dévalorisée au fur et à mesure que s'accélère l'accumulation. Lorsque les trotskystes parlent de croissance des forces productives, ils "oublient" de dire que dans la vraie période de transition socialiste - c'est à dire quand le prolétariat exerce sa dictature à l'intérieur d'un système qui reste encore capitaliste - la croissance des indices de production (pour au tant qu'on puisse alors parler d'Indices) se traduit par le développement absolu et relatif du secteur des biens de consommation. Le secteur des biens de production au contraire est par excellence celui du capitalisme et de son cycle infernal d'accumulation. Le socialisme n'est pas proportionnel au développement de ce secteur il lui est inversement proportionnel. La condition même du communisme, c'est que toute la production soit orientée vers la satisfaction des besoins sociaux, même si on doit défalquer un fonds d'accumulation réservé à la reproduction sociale élargie. Mais plus qu'un simple rapport arithmétique entre les deux secteurs, c'est la croissance exponentielle de la consommation qui marque le chemin suivi par le prolétariat pour substituer à la valeur d'échange, la valeur d'u sage, jusqu'à disparition de toute loi de la valeur. Alors que la révolution prolétarienne d'Octobre avait tâché - avec les moyens limités légués par la guerre civile - de développer le secteur des biens de consommation, la dialectique "du fer, du ciment et de l'électricité" allait signifier l'inversion des proportions entre les deux secteurs au profit du premier, sans que les chiffres montrent en absolu une croissance des biens de consommation, bien au contraire. Ainsi, en 1927-28 (avant les plans quinquennaux), le rapport entre secteur biens de consommation et secteur moyens de production était encore en pourcentage encore de 67,2 % contre 32,8£. En 1932, après le premier plan quinquennal- on avait déjà 46,7 % et 55,3 %. A la veille de la guerre, le secteur des biens de consommation ne représentait plus que 25 % de la production globale. C'est une proportion qui est restée rigoureusement identique depuis[3] [217] (voir tableau ci-dessous).
Année |
Production industrielle globale |
Moyens de production |
Moyens de consommation |
1917 |
100 |
38,1 |
61.9 |
1922 |
100 |
32,0 |
68 |
1928 |
100 |
39,5 |
60,5 |
1945 |
100 |
74,9 |
25.1 |
1950 |
100 |
68.8 |
31,2 |
1960 |
100 |
72,5 |
27,5 |
1964 |
100 |
74.0 |
26.0 |
I960 |
100 |
73,8 |
26,2 |
1971 |
100 |
73,4 |
26.6 |
Tableau 1 : Poids respectif des moyens de production et des moyens de consommation dans le volume global de la production industrielle (en pourcentage) (FMI-[1]).
Ce droit "à la victoire" du capitalisme en Russie assumé par le triomphe de la plus féroce contre-révolution de l'histoire se traduisit dans le langage des chiffres cher à Trotsky par une chute de 50 % du salaire réel entre 1926 et 1936[4] [218] par un triplement de la productivité du travail, autrement dit du taux d'exploitation. Avec un tel rythme d'exploitation l'URSS pouvait évidemment dépasser la production industrielle de l'Angle terre et rejoindre bientôt celle de l'Allemagne à la veille de la guerre.
Les "bordiguistes"[5] [219] ont voulu voir dans la croissance démesurée des indices de production lourde la preuve du développement d'un capitalisme "juvénile", qui du fait de sa "jeunesse" ne pouvait être encore contaminé par la crise générale du capitalisme qui entraînait dans l'effondrement l'ensemble du monde. Bref, comme pour les trotskystes - l'URSS aurait constitué un "cas particulier" pour les bordiguistes. Pourtant dans un tableau reproduit dans un récent Programme Communiste (voir tableau plus loin), il apparaît très clairement que :
TAUX DE CROISSANCE DE L'INDUSTRIE RUSSE
Périodes |
Plan |
Taux de croissance annuel moyen |
1922-28 |
Avant les plans |
23% |
1929-1932 |
1er plan |
19,3% |
1933-37 |
2ème plan |
17,1% |
1938-40 |
3ème plan |
13 ,2% |
1941-45 |
Guerre |
---- |
1946-50 |
4ème plan |
13,5% |
1951-55 |
5ème plan |
13% |
1956-60 |
6ème plan |
10,4% |
1961-65 |
7ème plan (plan septennal) |
8,6% |
1966-70 |
8ème plan |
8,4% |
1971-75 |
9ème plan |
7,4% |
1976-80 |
10ème plan |
6,5% |
Sources ; calculs effectués d'après les données de Narodnoe Khoziaistvo SSSR, années diverses.
Comment s'explique en dépit de cette baisse, l'existence d'un fort taux de croissance, qui tranche avec ceux plus faibles des grands pays industrialisés ? Les staliniens en ont fait la preuve irréfutable de la "supériorité de la planification socialiste sous le capitalisme". Ils "oublient" une petite chose : l'URSS partait d'extrêmement bas (elle ne retrouve sa production de 1913 qu'en 1928) et se trouvait dans la nécessité, sous peine de stagnation, de renforcer ou du moins de maintenir sa production par rapport à la production mondiale : le ralentissement immédiat et rapide du taux d'accumulation ne signifie pas que la Russie aurait réussi, par une "accumulation primitive", à atteindre une vitesse de "croisière" comme les grands pays capitalistes à la fin du 19ème siècle. A la différence de ces pays qui connurent une période d'accumulation assez longue avec une croissance régulière de leur taux d'accumulation, pour la Russie, le chiffre le plus élevé atteint s'étend - d'après les statistiques officielles.- sur une période de 4 ans. Et si l'on ne tient pas compte de ces chiffres, on doit les réduire d'au moins 30 ou 40%.[7] [221]
L'URSS en dépit de toutes les mesures de capitalisme d'Etat qui sont prises à une vitesse accélérée n'échappe pas à la crise générale qui suit le krach de 1929. Ces chiffres officiels qui sont bien évidemment "gonflés" par les économistes russes traduisent mal la réalité de la chute de la production, ils montrent que la crise en Russie est bien présente et suit un rythme identique au reste du monde capitaliste. Pourquoi alors l'autarcie ? La Russie aurait-elle pu échapper à la banqueroute de 1929 ? Or la Russie se trouve dans la même situation que les autres pays : dans l'impossibilité d'exporter et d'importer en raison de son insolvabilité, le commerce extérieur russe est tombé à la fin des années 30 au tiers du chiffre de 1913 (tableau ci-dessous) :
Pour financer les plans quinquennaux, l'inflation fait ravage : de 1928 à 1933 la masse monétaire passera de 1,7 milliards de roubles à 8 milliards. En 1935, le rouble du être dévalué de 80%.(cf. : Bordiga : Structure économique et sociale de la Russie). La relative imperméabilité des frontières russes au commerce mondial se traduisait donc par une banqueroute totale au même titre que celle de l'économie hitlérienne à la veille de la guerre. Mais, diront les trotskystes et les staliniens, la part de la Russie dans la production mondiale s'est élevée entre 1913 et 1938 de 4% à 12%, les indices de production se sont multipliés par 3 ou 4 en quelques années. La raison de ce "miracle" ? Au même titre que l'Allemagne, qui elle aussi accomplissait de tels miracles, la Russie "socialiste" se lançait à corps perdu dans l'économie de guerre. Au "des canons, pas de beurre" de Göring, correspondait la prosaïque constatation de Staline : "On ne peut à la fois fabriquer des casseroles et des canons".
Point culminant de la crise générale du capitalisme ne trouvant plus d'autre solution que la guerre de brigandage impérialiste, l'économie de guerre fut le seul secteur qui pouvait être planifié. Grâce aux plans quinquennaux et sur tout à la mobilisation permanente par la terreur de toute la population, dès 1935-39 les dépenses militaires soviétiques atteignaient les deux tiers de l'effort allemand ; en 1940, elles correspondaient aux 5/6 de ce dernier; en 1941, l'URSS produisait déjà pour 8,5 milliards de dollars d'armements contre 6 à l'Allemagne, (cf. : Le Conflit du Siècle de Fritz Sternberg). Le développement de la Sibérie où se trouvaient toutes les matières premières nécessaires à la guerre, par la constitution de gigantesques camps de travaux forcés, la mise en place de toute une infrastructure routière, l'accroisse ment de la productivité par le stakhanovisme furent autant de jalons dans la transformation de toute l'économie russe en économie de guerre.
La supériorité de l'économie de guerre russe sur celle de l'Allemagne tient surtout au facteur "nombre" (170 millions d'habitants contre 70 en Allemagne) mais aussi à une mobilisation de la force de travail plus intense, une réduction plus draconienne encore du secteur des biens de consommation mais surtout la destruction du secteur précapitaliste des campagnes russes sera un facteur décisif dans la mise en place de cette économie de guerre : par la collectivisation,les campagnes cessent de vivre en unités closes auto consommant les valeurs d'usage, elles fournissent, par un fantastique pillage de l'Etat capitaliste, des débouchés à l'industrie russe (bâtiments et machines agricoles). Elles fournissent un marché extra capitaliste et une avance de plusieurs millions de tonnes de vivres prêtes à nourrir les millions d'hommes mobilisés dans l'Armée Rouge [8] [222]. On sait comment, après 1945, l'URSS devait se rembourser des faux frais que constituent pour le capital les industries d'armement par le pillage systématiquement organisé des nouveaux "pays frères" tombés sous sa domination : démontage d'usines allemandes transportées en Russie avec leurs ouvriers, réquisitions forcées, échange inégal au dessous de leur va leur pour les achats russes, au dessus de leur valeur pour les ventes de marchandises produites par le "grand frère socialiste". C'est cette politique typiquement impérialiste qui permît à la Russie dès 1949 de retrouver son niveau de production de 1940. La planification de l'économie de guerre se continuerait par la planification du pillage des pays du C0MEC0N, mis en place pendant la "guerre froide".
Aujourd'hui, les trotskystes continuent è argumenter que l'URSS échappe à la crise du capitalisme ; la preuve : entre 1950 et 1973, la production industrielle russe passe de 30% à 75% de celle des USA; dans la même période son rêve nu national est passé de 31% à 66% de celui de "l'oncle Sam". L'URSS, sauf de façon indirecte au travers de ses échanges internationaux, se rait donc condamnée à se situer en dehors de toute crise générale. Pour les "bordiguistes", c'est seulement maintenant que les capitalismes "juvéniles" de l'Est connaîtraient la crise en entrant dans un cycle "classique" de vieillissement.
La période d'après-guerre aurait-elle signifié pour le capitalisme d'Etat dans le bloc russe une résolution de sa crise ? Pour répondre, on ne peut séparer le cas "russe" du "cas" capitalisme mondial. Plus que toute autre économie, à l'exception du tiers-monde, celle du bloc russe vérifie pleinement la crise permanente du capitalisme depuis 1914, la crise ouverte en étant le point culminant. Tout d'abord, l'Etat prend de plus en plus en charge l'ensemble d'une économie dans l'impossibilité de trouver des débouchés extérieurs sur un marché déjà con contrôlé par quelques capitaux. Dans l'impossibilité d'accumuler de façon organique du capital productif, l'économie russe a converti toute son économie en économie de guerre. Mais l'économie d'armements est absolument improductive pour le capital national. Elle n'est une "solution" provisoire que pour autant que le capital national reporte le prix de ces "faux frais" du capital sur les pays voisins ou de son bloc. L'industrie d'armements ne produit pas un capital additionnel mais une destruction du capital accumulé. C'est la main mise impérialiste sur les pays du C0MEC0N qui lui a permis de trouver des débouchés à sa production marchande. C'est une telle politique qui a permis pendant la reconstruction du second après-guerre à la Russie d'échapper dans une certaine me sure aux convulsions du tiers-monde. Mais, loin de s'arrêter à la faveur d'un traité de"paix", l'effort de guerre russe n'a fait que se pour suivre de façon permanente au lendemain de la guerre alimenté en cela non seulement par les luttes de "libération nationale" et par la guerre de Corée mais par le maintien de "l'équilibre de la terreur" avec le bloc américain. La cri se permanente n'a pas été résolue, elle a été reportée à une échelle toujours plus élargie sur l'arène mondiale.
Dans le bloc russe de même que l'Etat totalitaire a absorbé l'ensemble de la vie civile, l'économie de guerre a absorbé l'ensemble de l'économie, créant une véritable symbiose entre secteur "civil" et secteur"militaire"de la production. A aucun moment depuis la guerre de Corée, la place des dépenses d'armements n'est tombée au dessous de 10-15% de son PNB (6% aux USA)[9] [223]. L'intégration des pays "frères" dans le grand sabbat d'armements, va signifier un poids accru dans leur économie de ce secteur purement improductif : entre 4 et 6% selon les pays, qui ont en prime l'entretien des troupes russes présentes sur leur sol, le plus défavorisé étant la RDA.
Deuxième puissance impérialiste mais puissance économique de 3ème ou 4ème rang, l'URSS a dû toujours plus rouler son capital accumulé dans le tonneau sans fond de l'industrie d'armements. A la différence du Japon où -le secteur d'armements est bien plus réduit et qui a donc pu développer son capital productif avec de prodigieux chiffres de croissance, la caractéristique de l'URSS est de nouveau après la guerre une diminution de son taux de croissance mais plus rapide encore : le taux de croissance a voisine 13% de 1945 a 1955 (reconstruction et guerre de Corée qui fournit un débouché momentané à la production d'armements); ensuite chute continuelle de 1956 à aujourd'hui avec une pointe d'accélération depuis 1960-64 puis 1971 : 8% seulement. Les chiffres donnés sont ce qu'il y a d'officiel. Si nous prenons les chiffres officieux, tels qu'ils apparaissent dans les travaux à diffusion restreinte des économistes russes[10] [224], la décroissance du taux de "croissance" est encore plus prononcée : de 1950 à 1960 = 10% environ ; 7% seulement de 1960 à 70. Les résultats du dernier plan quinquennal (1971-76) ne donneraient plus que 4,5%, donc chiffre identique peu ou prou à ceux des pays de l'OCDE.
Parallèlement, on constate des récessions de plus en plus fortes en URSS en 1953, en 1957, en 1963, qui ont pour effet d'entraîner un changement immédiat de personnel dirigeant. La situation est encore plus grave dans les pays satellites. Sauf en Bulgarie et RDA qui servent de "vitrine" du "bien-être socialiste", pour les autres pays, l'indice du revenu national par habitant ne cesse de baisser de 1950 à 1970; pour la Tchécoslovaquie, l'indice passe de 172 à 109 an prenant le chiffre de base 100 pour l'URSS); (cf. tableau ci-dessous) :
INDICES DU REVENU NATIONAL PAR HABITANT (URSS=100) |
||
|
1950 |
1970 |
Bulgarie |
60 |
96 |
Roumanie |
55 |
70 |
Hongrie |
119 |
81 |
Pologne |
114 |
81 |
RDA |
131 |
135 |
Tchécoslovaquie |
172 |
109 |
Source : Problème de l’intégration socialiste (I. Polejnik et V.P Sergeev, Moscou 1974, p.53)
Ces chiffres ne peuvent traduire plus clairement comment la Russie n'a cessé en permanence de reporter sa crise sur son bloc grâce à cet instrument privilégié que constitue le C0MEC0N. On comprend alors que dans les années 1950 la croissance de certains pays "frères" ait été purement et simplement négative dans leur revenu national : - 2% en 1952, - 4% en 1954 et 10% (!) en 1956 pour la Hongrie. Point n'est besoin de chercher plus loin la cause des explosions sociales qui embrasèrent l'Europe de l'Est entre 1953 et 56. Seule la crainte de la désagrégation de son bloc devait pousser la Russie à limiter le pillage de ces pays, au prix d'un relâchement de son contrôle économique jusqu'à ces dernières années.
Si la crise ouverte du capitalisme d'Etat a pu connaître un répit dans les pays comme la Pologne et la Hongrie au prix de l'endettement, l'URSS y est entrée de plein pied depuis les années 60. En dépit des réformes Libermann, en dépit de la hausse de son pétrole après 1973, l'URSS va connaître maintenant au travers des chiffres de son plan quinquennal 1976-80, les chiffres les plus faibles enregistrés depuis 1928 pour la croissance du fonds d'accumulation : moitié que celle enregistrée entre 1970 et 75. La crise permanente se développe donc mainte nant de plus en plus comme crise ouverte.
Deux constatations peuvent être tirées de cet te analyse de la crise en URSS et dans ses pays sate11ites :
Il faut voir maintenant comment se manifeste spécifiquement la crise à l'Est à travers trois phénomènes caractéristiques : endettement, inflation et chômage.
L'endettement d'un pays capitaliste depuis 1914 traduit une tendance à la banqueroute momentanément freinée par la survie à crédit. Ce n'est plus un crédit qui anticipe un surplus social réel mais une anticipation du manque croissant à accumuler et valoriser le capital national.
Le déficit des pays du C0MEC0N depuis 1971 est lié à la faiblesse de leur production[11] [225] alors que la nécessité se fait sentir pour eux tant de jeter leurs marchandises sur le marché mondial que de perfectionner leur appareil d'économie de guerre. Ce déficit traduit leur insertion réelle dans la crise générale. Selon le Bulletin mensuel de l'ONU (juillet 1976), le déficit des balances commerciales des pays du bloc russe est passé de 700 millions de dollars en 1972 à 10 milliards en 75, avec une accélération brutale entre 74 et 75. Il apparaît à travers cette étude qu'après avoir reporté la crise sur ses "alliés", l'URSS tend à augmenter démesurément son endettement : 3,6 milliards de dollars. La situation a pris une tournure catastrophique ; selon une étude de la Chase Manhattan Bank (1977), le déficit commercial cumulé des pays de l'Est entre 1961 et 76 serait de l'ordre de 42,5 milliards de dollars, plus de la moitié du déficit relève des années 75 et 76. Fin 76 l'endettement atteignait 47 milliards de dollars, certains économistes n'hésitaient pas à prédire un chiffre compris entre 80 et 90 milliards pour 1980. Si l'endettement des pays du C0MEC0N représente 4% de leur PSB (Produit Social Brut), pour certains pays (Hongrie, Pologne) il représente jusqu'à 10-15% du PSB. Un tel endettement n'est pas s'en rappeler celui qui affecte les "hommes malades" de l'Europe : Grande-Bretagne, Italie, Portugal, Espagne, à la seule différence que te pays dominant du bloc russe, l'URSS, n'a pas d'organismes internationaux (FMI, banque mondiale) lut permettant de transférer sa dette sur ses alliés.
Les staliniens et leurs"théoriciens" trotskystes sont bien contraints de reconnaître de telles données brutes. Ils prétendent néanmoins que la crise à l'Est découle de la pression pernicieuse du capitalisme occidental qui vend plus cher ses produits au COMECON, lequel ne pourrait ex porter les précieuses marchandises "socialistes" à l'Ouest protégé par toutes sortes de barrières protectionnistes. Ce que E. Mandel appelle "contrecoup de la récession capitaliste" (Critique de l'Economie Politique, n°24-25) est l'aveu naïf que cette prétendue "récession" est bien une crise mondiale auquel aucun pays ne peut se soustraire quelque soit le soin apporté par le même Mandel à disserter sur la "nature sociale ment différente de l'économie des Etats ouvriers bureaucratisés".
Toutes les autres théories qui faisaient de : l'URSS un troisième système pouvant se soustraire au marché mondial et aux lois d'airain de la division internationale du travail, s'écroulent. Quel que soit le degré d'autarcie adopté par un pays capitaliste depuis la décadence du système, il ne peut se soustraire à la nécessité d'échanger sa production afin de la réaliser sur le marché mondial. La contradiction du système capitaliste devient telle sous la décadence qu'en même temps que s'accélère la tendance à l'autarcie se renforcent les liens internationaux entre les économies capitalistes soumises à l’impérieuse nécessités "d'exporter ou mourir". Le COMECON n'échappe pas à cette réalité, bien qu'en lui-même il représente pour les huit pays membres du COMECON une fraction du marché mondial où je réalise leur capital. Mais il n'y a pas deux marchés mondiaux : l'un "classique" dominé par les USA et l'autre externe avec ses lois propres. L'assertion de Mattick (Marx et Keynes) que tes "nations capitalistes d'Etat forment un bloc qui, sur le plan des relations économiques, se présente un peu comme un second marché mondial" se révèle totalement démentie par la réalité de la crise actuelle. Plus que jamais il se vérifie que l'unicité du marché mondial est la contra diction du capitalisme qui jette chaque Etat dans la crise. Mais, et l'inflation ? Ajoutent ceux pour qui l'apparence tient lieu de réalité "l'inflation c'est la crise, où voit-on trace d'inflation à l'Est" ?
Si l'inflation exprime depuis la première guerre mondiale la crise historique du système capitaliste, la déflation ne l'exprime pas moins, par une diminution artificielle de la masse monétaire et par la restriction du crédit. Dans les années 30 de telles mesures déflationnistes (Grande-Bretagne, France...) ne firent qu'aggraver la crise, s'accompagnant de restrictions draconiennes des salaires nominaux et d'un hyper chômage. Le monde capitaliste ne tarda pas à adopter les mesures suggérées par Keynes basées sur le plein emploi et l'inflation. On sait aujourd'hui à quelle faillite ont abouti de telles mesures à l'Ouest.
Dans le bloc russe, les indices économiques indiquent une absence d'inflation. Pourtant en 1975, les statistiques fournies par les banques de Pologne et de Hongrie admettaient depuis 70 une hausse des prix respectivement de 13,252 et de 14,6%. En Hongrie (à la différence du gouvernement polonais qui a dû reculer devant les émeutes ouvrières), en juillet 76, le prix de la viande a été relevé de 33%. En réalité, même dans les autres pays de l'Est qui n'acceptent pas la "vérité des prix", au point de décréter des baisses autoritaires (cas de la Tchécoslovaquie, de la RDA), l'inflation se manifeste de façon détournée. Par le biais du "marché libre" et du "marché noir" qui constituent le véritable marché des produits de consommation courants. C'est sur ce marché quasi institutionnalisé que la population trouve les produits de base nécessaires à la reproduction de sa force de travail ; là, les prix sont fréquemment le double, le triple des prix officiels. Les marchandises vendues au prix officiel sont bien entendu extrêmement rares et de qualité médiocre, quand elles ne sont pas détournées simple ment vers le marché noir... C'est donc une autre façon de s'attaquer à la classe ouvrière : à l'Ouest par une inflation franche et ouverte ("vérité des prix"); à l'Est par la méthode hypocrite du marché noir. D'un côté on diminue le salaire réel par la hausse accélérée des prix, de l'autre par la raréfaction des marchandises vendues dans les magasins d'Etat et par, le marché noir. Le résultat est identique : dans les deux cas le salaire réel se trouve diminué.
Ainsi le prix de chaque marchandise ne se trouve pas être le fruit d'une politique purement arbitraire de la bourgeoisie des pays de l'Est. Comme à l'Ouest, la hausse des prix exprime la loi de la valeur : valorisation et dévalorisation du capital accumulé. Il en est de même des prix à la production qui traduisent tout autant la valorisation du capital. Si des "marxistes" bien intentionnés comme le GLAT[12] [226] ou Mattick reconnaissent cette attaque permanente de la classe ouvrière par cette inflation camouflée, ils ne veulent pas reconnaître par contre que les prix de production subissent l'influence du marché mondial. Selon le GLAT "les prix imposés aux entreprises ne sont que des instruments comptables qui tentent de refléter la nécessité pour les entre prises de participer à l'extraction générale de la plus-value et à la rentabilisation du capital social". Si cela était un phénomène purement interne de comptabilité, on comprend mal pourquoi l'URSS a relevé de 100% le prix de son pétrole en 1974, on ne comprend pas plus pourquoi en Hongrie - par exemple - des relèvements des prix de l'énergie, des produits chimiques et sidérurgiques ont été effectués en 1976-77[13] [227], traduisant le relèvement général des prix mondiaux. On pourrait multiplier les exemples qui montrent que les prix ne sont pas de purs "instruments comptables" mais le pro duit d'un marché mondial sur lequel s'échangent des marchandises vendues à un prix moyen. Pas plus qu'à l'Ouest, le bloc russe n'échappe à ce déterminisme qui est la négation de tout volontarisme économique.
Cependant, la crise du capitalisme dont nous avons retrouvé les phénomènes classiques, se manifeste de façon -mais non de nature- différente en ce qui concerne le chômage, expression la plus classique de la crise générale du système.
Il en est du chômage comme de l'inflation dans les pays de l'Est : officiellement, il n'existe pas. Avant de voir si les chiffres officiels traduisent bien la réalité, on doit faire observer tout d'abord que capitalisme d'Etat ne signifie pas disparition du chômage. Déjà dans la Russie stalinienne d'avant les plans quinquennaux, il y avait 800.000 chômeurs "officiels" pour environ 10 millions d'ouvriers (1928-30). Les chômeurs "disparurent" par la suite des statistiques avec la croissance quantitative de la classe ouvrière. Aujourd'hui, selon la Revue d'Etudes Comparatives Est-Ouest (n°1, 1977), le chômage en Yougoslavie touche près de 600 mille ouvriers, triplant par rapport à 1965, tandis qu'un million d'ouvriers recensés devaient vendre en 1972 à l'étranger leur force de travail "socialiste".
Passons maintenant dans tes pays adhérents au C0MEC0N où l'autogestion absente n'a pas la vertu miraculeuse de transformer les ouvriers en chômeurs. En 1965, en Pologne, il y avait officiellement 600.000 chômeurs recensés et d'après Trybuna Ludu du 15/2/71, le plan quinquennal mis en place prévoyait entre 500 et 600 000 chômeurs. Il est vrai que depuis l'in surrection ouvrière de 1970-71, le gouvernement polonais a choisi la voie du plein emploi au prix d'un endettement considérable tant auprès des banques russes que des organismes internationaux de l'Ouest. On peut supposer que le "cas polonais" n'est pas isolé dans les autres pays, quand on sait que les entreprises et l'Etat, s'arrogent le droit de licencier ou comme on dit plus pudiquement de "déplacer la main-d'oeuvre". Il y a quelques années, l'organe des syndicats soviétiques Trud se plaignait de licenciements abusifs dans les Républiques d'Asie Centrale.
Un chômage camouflé peut se manifester aussi par l'émigration de la main-d'oeuvre entre les différents Etats"frères". Ce phénomène s'est particulièrement développé ces dernières années. On sait qu'en RDA travaillent (chiffres officiels) 50 000 mineurs polonais et près de 10 000 ouvriers hongrois. En Tchécoslovaquie, ce sont 20 000 travailleurs polonais qui doivent y vendre leur force de travail, tandis qu'y afflue maintenant un fort contingent d'ouvriers yougoslaves en quête de travail (La Repubblica du 10/2/76).
Cependant, il ne semble pas que ces cas, qui traduisent un chômage endémique, soient généralisables d'autant plus si l'on tient compte du fait que la masse des ouvriers représente souvent plus de 50% de la population active. Pour le moment dans la majorité des pays de l'Est les ouvriers sans travail sont avant tout des "éléments asociaux", c'est à dire les ouvriers combatifs qui luttent courageusement contre l'exploitation capitaliste. Aujourd'hui, le chômage ne se dissimule plus derrière les barbelés des camps de travail staliniens, que les régimes en place durent supprimer au début des années 50, quand il se révéla qu'ils étaient non seulement des foyers de révolte mais parfaitement improductifs et non rentables d'un point de vue capitaliste.
Comme le proclamait en 1956 la revue polonaise, Polytika, organe du parti stalinien, les classes dominantes des pays du C0MECQN se trouvent placées devant le dilemme suivant :
Une telle déclaration sincère des capitalistes polonais pourrait s'intituler : deux manières de réduire la part de capital variable dans les marchandises produites.
A L'Ouest, entre l'inflation et le blocage des salaires, il y a en effet une manière radicale de diminuer la part du facteur V (capital variable) pour augmenter l'extraction de la plus-value : c'est d'expulser les ouvriers du processus de production. Le résultat c'est une diminution de la masse salariale globale, quand une augmentation de la productivité vient compenser (théoriquement) les frais occasionnés par l'entretien des chômeurs.
A l'Est, en général, on n'expulse pas les ouvriers du processus de production mais on diminue la part du facteur capital variable par la réduction des biens de consommation accessibles aux ouvriers. Elle prend deux aspects : inflation (marché noir) comme à l'Ouest et blocage des salaires réels. Quand la pression ouvrière devient trop forte, on lâche les augmentations nominales de salaire. A la différence ce des pays capitalistes développés, ces hausses sont essentiellement annulées par la pénurie des biens de consommation. Les ouvriers ne peuvent acheter, ils se serrent la ceinture n'ayant d'autre chois que de déposer leur part de salaire "excédentaire" dans les caisses d'Epargne[14] [228] (voir note 19, page suivante).
Ainsi, d'après l'Annuaire statistique du COMECON (1974), les dépôts en caisses d'Epargne de 1960 à 1976 se sont multipliés par 6 en URSS par 11 en Hongrie et par 13 en Pologne. De quoi fournir un crédit gratuit pour le capitalisme qui peut les investir dans l'industrie lourde ! Tous ces chiffres montrent que malgré l'accumulation capitaliste accrue, depuis plus d'une dizaine d'années les salaires réels ont eu tendance à stagner. L'emploi a donc été maintenu par une paupérisation relative colossale de l'ensemble de la classe ouvrière. Il est à noter qu'une telle "méthode" est peu efficace compte tenue de la faiblesse de la masse de plus-value obtenue en raison du faible taux de productivité. En Occident la place occupée dans la marchandise par le facteur y est compensée par une masse de plus-value obtenue par une productivité croissante, quand le chômage payé ne croît pas de façon démesurée.
Cependant tant à l'Est qu'à l'Ouest, le résultat est identique avec l'accélération de la crise : diminution du niveau de vie global de la classe ouvrière prise comme un tout, ramenée progressivement à un seuil physiologique. Pour une fraction de plus en plus importante de la classe ouvrière à l'Ouest, pour l'ensemble de la classe à l'Est vivant à la limite du SMIC officiel. La seule différence entre l'Est et l'Ouest consiste en ce que l'attaque contre la classe ouvrière à l'Est est faite beaucoup plus tôt et plus brutalement en raison de la faiblesse de l'économie. Seule la politique "keynésienne" de plein emploi permet de mystifier le degré de l'exploitation chez les ouvriers.
Nous verrons dans la deuxième partie de cet article :
Ch.
[1] [229] Pour la première fois dans l’histoire du bloc russe, un pays comme la Hongrie s’est trouvé dans l’obligation d’ouvrir tous ses comptes bancaires et de les communiquer au FMI, pour prouver sa solvabilité et recevoir ainsi les précieux crédits de cette institution.
[2] [230] Selon Souvarine (Staline), lors d'un recensement de la population effectué en 1937, au Heu de V70 millions d'habitants escomptés, on ne trouve que 147 millions (chiffre de 1928) de "citoyens socialistes". Après avoir fait disparaître les résultats et les statisticiens "contre-révolutionnaires", un nouveau recensement en 1939 se chargea de trouver -enfin - les 170 millions d'habitants. Il est difficile de savoir comment se répartissaient les 23 millions de fantômes entre les cimetières et les camps de concentration.
[3] [231] Chiffres extraits de l'Annuaire statistique du COMECON (1971)
[4] [232] cf. : L'URSS telle qu'elle est de Yvon (1937), témoignage d'un ouvrier français ayant travaillé en Russie, qui indique que le salaire réel mensuel est passé de. 800 kgs de pain en 1927 à 170 kgs en 1935, pour remonter faiblement à 260 kgs en 1937.
[5] [233] Il s'agit de Programme Communiste en France et de II Partito Comunista, scission de ce dernier en Italie. Tous deux considèrent que c'est dans les années 60 que le capitalisme russe est entré dans une phase de "maturité", après avoir connu une phase d'expansion "juvénile" lors des plans quinquennaux Bordiga voyait même en Staline un "révolutionnaire romantique" (sic) porté par le "tumultueux développement capitaliste".
[6] [234] cf. : Le Conflit du Siècle de Fritz Sternberg.
[7] [235] Souvarine qui fait recouper les déclarations officielles contradictoires montre "qu'aucun chiffre n'a de signification précise". Par exemple : "En 1932, il a été coulé 6,2 millions de tonnes de fon te au lieu de 10 escomptées par le plan et des 17 prévues par Staline au 16ème Congrès. Il a été ex trait 62,4 millions de tonnes de houille au lieu de 7,5 (Plan), de 90 (chiffres de contrôle) et des 140 fixées par le Comité Central (décision du 15 août 1931)..".
[8] [236] L'Etat russe ira jusqu'à prélever 85% de la production agricole qu'il n'arrive pas à développer en raison de la médiocrité du matériel (sur les 147.000 tracteurs des sovkozes, 137.000 sont endommagés) et de la résistance paysanne (en 1932, la récolte de céréales est de 69,9 millions de tonnes pour 96,6 en 1913) qui refuse de produire pour le "roi de Prusse".
[9] [237] Les extraits de Military Balance (Londres) sous-estiment une réalité où s'enchevêtre inextricablement production civile et production d'armements
[10] [238] Vassil VASSILEV, dans son livre Rationalité (sic) du système soviétique (1976) cite des chiffres extraits de thèses à huis clos (dites Zakritata teza ; publié seulement après l'agrément de la censure et « où les auteurs de tels travaux ont pu accéder à des sources statistiques ne figurant sur aucun annuaire de statistique officielle ».
[11] [239] Nous y reviendrons dans la deuxième partie de cet article.
[12] [240] GLAT : groupe de Liaison pour l’Autonomie des Travailleurs (Lutte de classe), groupe révolutionnaire dont Révolution Internationale a fait la critique dans le numéro RI nouvelle série.
[13] [241] Notes et études documentaires (9 septembre 1977) : l’Europe de l’Est en 1976.
[14] [242] Les ouvriers épargnent en attendant des produits disponibles sur le marché libre. Il est bien évident que seule une mince couche de la classe ouvrière peut épargner, la majorité n'ayant pas de salaire supérieur à la simple production et reproduction de sa force de travail. Si l'argent de son salaire doit être de plus en plus déposé dans les banques ou caisses d'Epargne, avant d'être touché, cela ne lui donne aucune possibilité de disposer d'un crédit à l'achat ou d'anticiper des achats au tres que ceux immédiats de la consommation mensuelle. L'Epargne reste le fait des couches moyennes ou de la bourgeoisie dont les revenus ne peuvent s'échanger contre des marchandises qui font défaut sur le marché (ou trop onéreuses pour être achetées immédiatement : une voiture représente trois années de travail d'un ouvrier moyen).
En septembre 1977 s'est tenue une conférence de discussion internationale convoquée par des groupes politiques de Norvège (dont Arbedarkamp) et de Suède (dont Arbetarmakt-Workere Power League et Internationell Révolution) à laquelle assistaient la CWO et le CCI. Nous publierons ultérieurement le texte présenté par le CCI à cette conférence, texte qui souligne la nécessité de la clarification sur la nature du capitalisme d'Etat et sur le rejet des luttes de libération nationale, deux questions au coeur du débat en Scandinavie, pour pouvoir dégager la perspective d'un regroupement international.
Il y a à l'heure actuelle trois choses que tout groupe se voulant révolutionnaire doit comprendre : premièrement, qu'il existe d'autres groupes, qu'il n'est pas le seul, "l'unique"', qui évoluerait en va se clos ; deuxièmement, que le développement de la conscience de classe passe nécessairement par la confrontation des positions politiques partout dans le monde dans le milieu révolutionnaire ; troisièmement, que cette discussion essentielle doit être organisée, qu'elle ne peut pas se poursuivre par "ouï-dire" mais seulement dans un cadre approprié, déterminé par le besoin d'un regroupement des énergies révolutionnaires.
Il faut donc dégager les accords politiques mais aussi cerner les points de désaccord entre les groupes. Les révolutionnaires doivent avoir des critères pour déterminer quels désaccords sont compatibles dans une même organisation. Le CCI est toujours convaincu qu'il faut rejeter le monolithisme. Cette notion qui exige un accord total sur tout et à chaque instant pour pouvoir constituer une organisation révolutionnaire vient de l'aberration des petites sectes ; elle n'a jamais fait partie du mouvement ouvrier. Cependant, il faut reconnaître des limites aux divergences possibles dans un groupe prolétarien. C'est pour toutes ces raisons que la discussion doit être organisée de façon efficace. C'est pour défendre ce point de vue qui nous semble franchement UNE EVIDENCE, que le CCI s'acharne à pousser dans le sens d'une plus ample discussion internationale. Que cet acharnement ne soit pas toujours compris, les textes de ce numéro en témoignent. Nous ne faisons pourtant que poursuivre, à notre niveau, l'effort des révolutionnaires depuis Zimmerwald, les premières années de l'Internationale Communiste, la Gauche Communiste, la Gauche Italienne qui, en 1923, lançait un appel à la discussion et au travail de recherche en commun, dans le n°1 de Bilan, appel adressé aux différents groupes révolutionnaires qu'elle estimait proche, tout en gardant une fermeté exemplaire sur les positions programmatiques. La Gauche Italien ne à l'époque était loin de ce pâle fantôme qu'est le PCI (Programme Communiste) aujourd'hui dont la mégalomanie sur le parti cache mal la dégénérescence des positions politiques. L'esprit d'ouverture, le besoin de rapprochement des révolutionnaires dominaient le travail d'Internationalisme des années 40, pour ne citer que cet exemple du groupe qui est le prédécesseur direct du CCI. Cette préoccupation anime notre courant depuis ses débuts d'autant plus que s'ouvre aujourd'hui une nouvelle période de crise et de luttes ouvrières.
C'est avec le souci de la confrontation des positions politiques que le PC Internationaliste ("Battaglia Comunista") a convoqué la Conférence de Milan, et c'est dans cet esprit que le CCI y est allé et a invité d'autres groupes à se rendre à ses Congrès. Quand nous sommes allés à Milan, c'était en insistant pour que "Battaglia Comunista" invite d'autres groupes y inclus tous ceux issus de la Gauche Italienne. Avons-nous demandé un "rassemblement" sans principes ? Absolument pas. Le CCI a rejeté l'idée d'inviter des groupes trotskystes (dont Combat Communiste) et a insisté sur la définition de critères politiques clairs pour une telle conférence[1]. De même nous rejetons la méthode qui consiste à courir derrière les petits groupes soi-disant "autonomes" dont on ne sait pas où ils vont ni ce qu'ils représentent politiquement, dans le style racolage dans lequel tombe le PIC (Pour une Intervention Communiste). Au contraire, c'est avec le souci de rencontrer des groupes politiques sérieux que le CCI est allé à Oslo en septembre. La lettre que nous publions ci-dessous constitue un bilan de cette expérience qui s'efforce de clarifier le fait que les révolutionnaires ne discutent pas "pour discuter", ni pour "se clarifier" dans l'abstrait, mais pour oeuvrer concrètement et consciemment vers un regroupement. Tout ce qui va dans ce sens est positif malgré les obstacles. Tout ce qui tourne le dos à ce souci est négatif et accentue encore davantage l'isolement et la faiblesse du mouvement révolutionnaire ressurgissant aujourd'hui.
Lettre ouverte du CCI après la Conférence d'Oslo (septembre l977)
Chers camarades,
Nous vous écrivons cette lettre afin de pour suivre la discussion politique entamée par les différents groupes à" la Conférence d'Oslo, pour préciser les interventions du CCI et pour tirer le bilan de cette expérience.
Dès le départ, le processus de clarification politique en Scandinavie a préoccupé le CCI (cf. la "Lettre ouverte à Arbetarmakt" en 1975[2], les visites à différents groupes durant ces deux dernières années, la correspondance engagée), car un tel processus concerne tous les révolutionnaires et ses répercussions sont loin d'être simplement locales.
L'internationalisme est le fondement du mouvement ouvrier ; il est l'expression même de la lutte du prolétariat mondial contre le capital, contre l'exploitation et contre l'aliénation. Il n'est pas une simple addition des luttes des différents prolétariats nationaux, et ne se ré duit pas seulement à une question de solidarité ou d'aide mutuelle. C'est l'unité fondamentale de la classe ouvrière, l'unité des problèmes qu'elle rencontre dans sa lutte qu'exprime l'internationalisme, l'unité de ses expériences et des leçons qu'elle en tire. L'Internationalisme est une expression des buts du programme communiste qui, dans cette période de décadence du capitalisme, constitue la seule base pour un mouvement révolutionnaire dans n'importe quel coin du globe.
Ce qui est vrai pour la classe ouvrière dans son ensemble l’est encore plus pour ses éléments révolutionnaires. Contrairement à la bourgeoisie et à son principe de "non-ingérence dans les affaires intérieures" propre à son cadre nationaliste, pour le prolétariat il n'y a pas de questions politiques "scandinaves" qui seraient distinctes de l'ensemble du programme communiste. Il n'y a pas d'affaires spécifiquement "scandinaves" qui devraient être résolues en Scandinavie "avant" de porter le débat à 1'"extérieur". C'est la compréhension de ce fait fondamental qui a déterminé la convocation de la récente Conférence d'Oslo.
Le mouvement révolutionnaire ne produit pas des organisations qui sont circonscrites à la nationalité ou à la région où elles surgissent, mais des organisations qui se délimitent en fonction plutôt de différents courants de pensée politique au sein du prolétariat. Le but d'une organisation révolutionnaire est de contribuer au développement de la conscience de classe au sein du prolétariat par une intervention basée sur des analyses politiques claires. Ce but ne peut en aucun cas être favorisé en flattant une soi-disant exclusivité nationale ni un "auto développement". Les courants politiques ne se développent pas nécessairement de façon homogène dans une "patrie" et le processus de regroupement des révolutionnaires en Scandinavie par exemple ne peut se réaliser dans l'isolement. Il doit bénéficier de la réflexion et des expériences (et des erreurs afin de ne pas les répéter) des autres courants révolutionnaires d'hier et d'aujourd'hui ; il faut rechercher des contacts et des discussions à l'échelle internationale, pas seulement avec le CCI, mais avec la CWO, le PIC, "Battaglia Comunista", Fomento Obrero Revolucionario, c'est-à-dire les principaux courants du milieu révolutionnaire international aujourd'hui. C'est dans cet esprit qu'a été lancée l'invitation à la Conférence d'Oslo et que le CCI ressent pour lui-même la nécessité de participer à de tels efforts ; (il en fut de même pour la Conférence convoquée par "Battaglia" en mai 1977). Nous ne pouvons que souhaiter que de telles tentatives se poursuivent et se multiplient. C'est dans ce cadre que nous voudrions apporter notre point de vue sur la Conférence d'Oslo et ses discussions.
Avant toute chose, la Conférence d'Oslo a marqué un pas important vers une meilleure compréhension politique des questions fondamentales qu'elle a abordées. L'ordre du jour comprenait des discussions sur le capitalisme d'Etat et sur la nature des luttes de libération nationale dans la période actuelle. Les participants à la Conférence ne se limitaient pas seulement aux représentants des différents groupes et cercles en Norvège et en Suède (Arbetarmakt, Arbedarkamp, Groupe d'Etude Marxiste, För Komunismen, Internationell Révolution, cercle de Trondheim, etc.) mais comprenaient également des délégations de la CWO et du CCI. Dans ses buts et ses grandes lignes, on peut vraiment considérer que cette conférence (ainsi que les deux précédentes tenues en Scandinavie) est une manifestation du resurgissement et de la recherche de la classe ouvrière aujourd'hui.
Cependant, nous avons pu constater pendant la Conférence des préoccupations disparates et par fois contradictoires que nous définirons en gros comme suit :
Par exemple, on a retrouvé cette dernière préoccupation plutôt confuse dans le fait que pour certains, les conférences politiques étaient plus une opportunité pour se réaliser et s'exprimer individuellement qu'un lieu de confrontation collective d'analyses et de positions. La mystique de la "révolte dans la vie quotidienne" aidant, cette fixation sur l'individualité est aussi partiellement responsable du manque de cohésion et de structure collective dans certains des groupes.
Cette préoccupation diffuse caractéristique de l'idéologie libertaire est peut-être due aux origines de beaucoup de ces groupes qui viennent de scissions de la Fédération Anarchiste. En tous cas, la réalisation individuelle dans le capitalisme est une impossibilité et la quasi-totalité des efforts pour concrétiser la "révolution totale" aboutit à une caricature de "comportement libéré". En fait, on ne fait pas des conférences révolutionnaires pour sa propre expression ou réalisation individuelle mais pour préciser une orientation politique et pour permettre l'élaboration et la confrontation la plus fructueuse des idées. Dans sa forme la plus absurde, la conception individualiste mène à l'idée que si quelqu'un s'ennuie ou a sommeil, il n'a pas besoin de se présenter aux réunions : chacun pour soi c'est la fin de toute action organisée et collective.
Quant à la seconde préoccupation, l'orientation académique, elle était plus évidente et s'est exprimée ouvertement. Tout d'abord, i1 a été proposé de transformer la Conférence en une série de séminaires, en petits groupes d'études avec des chefs d'équipe, un procédé qui est typique des conférences universitaires à l'anglai se fort respectables et même un peu progressistes. Cette suggestion tombait vraiment a côté, vu le petit nombre de militants qui participaient à la Conférence. L'invitation adressée au CCI spécifiait a l'origine que le CCI et la CWO avaient chacun deux ou trois heures pour "faire une conférence suivie de questions", exactement comme si on invitait un professeur étranger à faire un cours sur la marxologie avancée ou sur la conception du néant selon Kierkegaard. Le CCI avait soulevé cette question dans sa correspondance et ce projet avait été changé. Ensuite i1 y eut une insistance inquiétante sur certains sujets ("qu'est-ce que le capital ?" ou “la baisse du taux de profit” et “la saturation des marchés”) qui étaient considérés comme bien plus dignes que d'autres points bien trop "politiques". En fin, il y avait un dédain, si ce n'est une hostilité ouverte, vis-à-vis de la polémique, vis-à-vis du débat et de la confrontation de positions politiques qui polluaient probablement l'air pur de l'étude "désintéressée". Confronter les positions était considéré comme "superficiel" ou comme "parler comme un tract".
Poussée jusqu'au bout de sa logique, cette attitude mène au rejet du but même de la discussion : tirer des conclusions politiques et arriver à une orientation générale qui détermine le cadre de l'intervention dans la lutte de classe. Le fait que les révolutionnaires souffrent aujourd'hui de la rupture organisationnelle avec le mouvement ouvrier passé due aux longues an nées de contre-révolution, le fait qu'il soit énormément difficile de retrouver les liens historiques et théoriques avec le marxisme révolutionnaire, ne peuvent en aucun cas servir de prétexte pour abdiquer de ses responsabilités poli tiques. Quel que soit le temps que peut prendre un processus de regroupement, en Scandinavie ou ailleurs, le cadre de la discussion ne peut jamais être "l'étude pour elle-même" ; le regroupe ment des révolutionnaires sur une base programmatique claire doit être le but explicite qui dé termine le contenu, la forme et le rythme de la discussion. Un cercle d'étude peut bien sûr constituer une étape dans la clarification politique dans la mesure où il ne devient pas une fin en soit "pendant dix ans", ou encore une illusion d' auto éducation qui devient complètement étrangère a tout contenu révolutionnaire.
Il ne s'agit pas seulement ici de critiquer certaines "formes" académiques d'organisation. Contre l'idée d'un fonctionnement académique en petits séminaires, il serait suffisant que les camarades sortent de leur coquille et participent à d'autres conférences de révolutionnaires ailleurs dans le monde, ou lisent comment les conférences de révolutionnaires procédaient dans le passé. Non, ce n'est pas une question de forme en soi mais une question plus large, une question de méthode.
Le marxisme est une arme de combat, une arme dans la lutte de classe. Ce n'est pas une science neutre. Si nous sommes tous d'accord pour approfondir notre compréhension du marxisme et pour l'utiliser dans la situation présente, on ne peut le faire qu'en tant que militant révolutionnaire engagé. La marxologie dont parlent les intellectuels des institutions bourgeoises, est une récupération vidée de sens et dénaturant le contenu du matérialisme historique.
En ce qui concerne le reproche aux "polémiques", dans la méthode marxiste il y a nécessairement un affrontement de forces sociales et la confrontation des positions politiques. La notion d'ex-posé "neutre" d'idées n'a rien à voir avec le marxisme qui, à travers toute l'histoire du mouvement ouvrier, s'est précisément développé comme critique et polémique. "Le Capital" de Marx qui semble être un point de fixation de certaines préoccupations, a été écrit comme une "critique de l'économie politique". La plupart des œuvres fondamentales du marxisme, les positions qui ont influencé le cours de la lutte de classe, les organisations du prolétariat et la vague révolutionnaire elle-même ont été élaborées au feu de la polémique à travers la confrontation des positions politiques, dans la pratique. Il n'y a pas d'autre marxisme.
De plus, les révolutionnaires marxistes ont toujours été conscients que la clarification est un processus qui, s'il n'a pas de "fin" a un commencement. Où commence-t-il aujourd'hui pour nous ? Est-ce qu'on doit refaire tout le chemin qu'a fait Marx et commencer avec Hegel (et pourquoi ne pas retourner à Platon pour avoir une idée encore plus claire de l'évolution de la philosophie) ? Est-ce qu'on doit commencer avec Quesnay et Smith et découvrir la loi de la valeur et l'étudier jusqu'en... 1977 ? Ou est-ce qu'on doit commencer comme l'a fait le CCI (et la CWO et le PIC), à partir de l'expérience de la plus haute et plus récente expression de la prise de conscience du prolétariat, le mouvement des communistes de gauche qui a rompu avec la dégénérescence de la 3ème Internationale ? Le critère est évidemment la situation dans la quelle se trouve la classe ouvrière aujourd'hui. Nous ne sommes pas dans une situation de paix sociale avec une perspective sans fin pour la maturation intellectuelle. Au contraire, la pression de la réalité impose à la classe ouvrière de résister à la crise du système capitaliste. Les surgissements sporadiques et épisodiques de révoltes rencontrent de puissants obstacles. Et dans ce contexte, il faut constater que les éléments révolutionnaires sont dispersés, et l'isolement guette même les groupes organisés. Que devons-nous penser dans ces conditions de ceux qui "n'ont pas de positions clairement délimitées" sur les principaux problèmes de la lutte de classe aujourd'hui et choisissent de passer leur temps à compter les points à propos de la baisse tendancielle du taux de profit contre la saturation des marchés ?
Bien que ces points de clarification théorique puissent avoir des conséquences sérieuses sur un plan général, ils ne sont pas et n'ont jamais été (pour Grossman, Mattick, Luxembourg ou Lénine) les facteurs déterminants du regroupement des révolutionnaires ni de leur intervention. Des camarades qui ont des positions théoriques différentes sur cette question ont travaillé dans la même organisation parce que leur accord était, d'abord et avant tout, politique, basé sur une plateforme ou un programme commun. Les racines théoriques de la crise constituent très certainement un important sujet que Marx et ses successeurs ont tenté constamment de clarifier depuis plus de cent ans dans le mouvement ouvrier. Mais ce thème n'a de sens que dans le camp du prolétariat. La bourgeoisie peut aussi trouver la confrontation des deux théories "intéressante" et même "stimulante intellectuellement". Mais sans une claire délimitation d'un terrain de classe commun, d'une perspective révolutionnaire, une telle discussion en soi équivaut à tourner le dos aux questions politiques vitales qui se posent au mouvement ouvrier aujourd'hui.
De telles fixations académiques, quel que soit leur objet, sont en fait l'expression de l'hésitation et de la résistance à l'engagement militant dans la lutte de classe de la part d'éléments qui n'ont pas encore rompu avec le milieu étudiant. Un écran de fumée, l'aveu qu'on pense que la lutte de classe est "tellement loin"... A ce sujet, les approches libertaires et académiques convergent vraiment.
Mais dans l'ensemble, en dépit de bien des difficultés, la préoccupation militante de clarification a dominé la Conférence. Les discussions ont mis en évidence la nécessité d'approfondir les questions suivantes :
C'est dans ce sens que le CCI tente de poursuivre le débat, et demande que les camarades d'Arbetarmakt considèrent sérieusement les ambiguïtés de leur position et les graves implications politiques de leur soutien aux luttes de libération nationale.
La discussion politique à la Conférence était très positive et les camarades Scandinaves ont fait un gros effort de traductions pour faciliter le débat. Beaucoup de décisions importantes ont été prises : publier un bulletin (en anglais aussi) avec les textes et le rapport de la Conférence pour fournir un cadre pour l'organisation d'u ne discussion ultérieure ; inviter d'autres groupes non Scandinaves à de futures conférences.
Il existe un potentiel révolutionnaire en Scandinavie mais les forces militantes doivent se libérer du poids des préoccupations académiques et libertaires. Si certains groupes ou cercles étaient plus représentatifs d'une certaine orientation, globalement, il n'y a pas d'homogénéité au sein des groupes Scandinaves. Aucun type de préoccupation n'était la caractéristique exclusive d'un groupe particulier. Certains des groupes existants ont des difficultés pour créer une cohésion organisationnelle, et pour assumer la responsabilité de publications régulières. Quand la cohérence n'est pas clairement définie politiquement, il y a peu de raisons pour qu'elle sache s'exprimer organisationnellement.
Tôt ou tard, les groupes Scandinaves doivent arriver à des conclusions dans leur définition politique. L'expérience a montré, en particulier depuis dix ans, que les groupes qui n'arrivent pas à se libérer de fixations académiques ou libertaires tombent rapidement dans le modernisme et disparaissent. La liste est trop longue : Manifestgruppen, Komunismen et Communist Basis en Scandinavie ; ICO, Mouvement Communiste en France ; For Ourselves aux Etats-Unis ; etc. Il semble toujours qu'on a "tout le temps qu'on veut"... et pourtant, c'est toujours les mêmes erreurs qui se répètent.
Les camarades se demandent souvent si le processus de clarification aujourd'hui et l'inévitable sélection qu'il entraîne, ne signifieront pas une forte réduction du nombre de militants, brisant la "fraternité" de la confusion ou de l'ambiguïté. Il faut dire que l'importance du regroupement sur la base des principes révolutionnaires va bien plus loin qu'une question de nombre dans le sens immédiat. Mais en fait, à long terme, la clarification apporte le seul résultat positif, même numériquement, parce que l'inertie et la lente décomposition (que ce soit pour retomber dans l'activisme le plus plat, ou dans des formes recherchées d'intellectualisme) démoralisent et épuisent les camarades, en particulier les nouveaux. En fin de compte, par manque d'orientations, tout le château de cartes s'écroule.
Le regroupement révolutionnaire aujourd'hui se heurte à beaucoup d'obstacles durant tout son processus. Ce n'est pas surprenant et les difficultés rencontrées en Scandinavie ressemblent beaucoup à celles rencontrées ailleurs. Néanmoins, il faut reconnaître les obstacles pour ce qu'ils sont. En ce sens, nous regrettons que la Conférence ait rejeté l'idée de mettre en place un comité de coordination (formé de membres de différents groupes et cercles en Scandinavie) qui aurait planifié les futurs efforts vers le regroupement, prenant en compte les points d'accord et les points qui doivent encore être clarifiés.
En fait, à la fin de la Conférence, certains camarades exaspérés par les aspects "trop politiques" de la discussion ou peut-être par 1'"intrusion" du CCI ou du CWO dans les débats Scandinaves, ont suggéré que la prochaine conférence en janvier ait lieu selon d'autres orientations : la limitation des groupes étrangers à deux camarades seulement (ceci est une modification à une proposition pour leur complète élimination), le re-établissement d'une forme de discussion en séminaires, un ordre du jour uniquement consacré aux théories des crises : “baisse du taux de profit” et “saturation des marchés”. Cette suggestion a été acceptée pendant la dernière heure de la Conférence malgré une autre proposition de la part d'autres camarades scandinaves qui voulaient que l'on poursuive la discussion sur les acquis de la discussion du moment dans une prochaine conférence, en approfondissant la question nationale et en discutant du rôle des révolutionnaires dans la lutte de classe.
Cette décision de ne discuter que de la théorie économique (Kapital Logik) à la prochaine conférence et donc durant les six mois de sa préparation équivaut à tourner le dos à la question vitale d'une définition politique et à refuser les implications de la discussion qui a eu lieu en septembre. La conférence de janvier telle qu'elle est maintenant envisagée, ne constitue pas une étape ou un pas en avant sur la voie de la clarification mais un détour, une manifestation de la résistance à voir la signification d'une plateforme politique et son importance cruciale.
La seule limitation du nombre des "étrangers" n'est-elle pas symptomatique d'une peur de confronter ses idées à celles des autres, d'une peur d'être "englouti" par ce qui est considéré comme des organisations "rivales", d'un désir de préserver son identité Scandinave et son individualité ?
Le CCI considère ce qui est actuellement prévu pour la conférence de janvier comme une dispersion des efforts révolutionnaires et un détour qui éparpille les énergies potentielles.
Considérant que c'est pour nous un énorme effort de voyager si loin pour ce que nous considérons sincèrement être une voie de garage : des séminaires sur "L'accumulation du capital" de Rosa Luxembourg ;
En ce qui concerne l'ordre du jour de cette conférence, nous vous renvoyons aux textes que le CCI a écrit à ce sujet et à ceux de bien d'autres groupes aujourd'hui comme aux classiques du marxisme.
En ce qui concerne la question cruciale du regroupement des révolutionnaires en Scandinavie, une tâche qui touche profondément les révolutionnaires où qu'ils vivent, nous vous demandons de reconsidérer votre orientation actuelle et de prendre en compte la suggestion d'une conférence bien plus utile avec un ordre du jour tel qu'il avait été proposé au départ : la question nationale et le rôle des révolutionnaires dans le but explicite de s'orienter vers le regroupement des forces avant que l'élan de départ n'ait complètement disparu.
Camarades, c'est une illusion qui relève de l'idéologie bourgeoise que de penser que les problèmes du monde sont "si loin" de la Scandinavie. L'approfondissement de la crise économique, l'accélération de l'économie de guerre, le surgissement de la lutte de classe, la faiblesse du mouvement révolutionnaire due à la contre-révolution, tous ces facteurs rendent urgente, la formation d'un courant révolutionnaire en Scandinavie, dans ces pays qui vont être de plus en plus fortement touchés par la crise mondiale. Malgré les difficultés rencontrées par les groupes Scandinaves, l'organisation de la Conférence de septembre a commencé à répondre à une nécessité objective. Et dans ce sens, nous espérons que cette initiative sera un encouragement pour tous les révolutionnaires, Le CCI est intervenu avec l'intention d'aider le processus de clarification, et ceci non par la flatterie, par une "diplomatie secrète" ou par des "tactiques" subtiles, mais en établissant clairement quel est son point de vue et en critiquant les conceptions qu'il ne partage pas. La décision est entre vos mains tout comme la responsabilité ultime.
Cette lettre est une contribution au bulletin que vous avez créé. Nous espérons poursuivre la correspondance et les contacts avec tous les groupes et nous espérons vous voir dans de prochaines conférences. Nous réitérons notre invitation à tous les camarades à venir discuter avec nos sections quand ils le voudront et nous vous remercions par la même occasion de votre hospitalité lors de notre passage.
Fraternellement et salutations communistes,
le CCI.
Extraits de "BILAN" N°1 (novembre 1933) : introduction
Le
texte qui suit est une réponse de la "Communist Workers' Organisation" à l'article
"Les confusions politiques de la CWO" paru dans La Revue
Internationale n°10. Nous le saluons comme une contribution à la discussion
internationale parmi les révolutionnaires et, plus spécifiquement, comme
l'expression d'un nouvel intérêt de la CWO pour reprendre un dialogue politique
avec le CCI, ceci bien que la CWO n'ait pas changé l'évaluation qu'elle fait du
CCI : un groupe "contre-révolutionnaire". Nous publions également
une réponse aux points spécifiques et aux critiques que la CWO met en avant
dans ce texte.
L'article "Les confusions politiques de la CWO" fait la preuve une fois de plus de l'impasse dans laquelle se trouve le CCI. D'une part on nous dit que la CWO et le CCI partagent les mêmes positions de classe, d'autre part une cri tique de nos "confusions" révèle que nous sommes tout à la fois "près des" ou "virtuellement" substitutionnistes, staliniens et autogestionnaires. Est-ce que ce ne sont pas là des frontières de classe plutôt que des "confusions" compatibles avec les positions du CCI ? C'est seulement en prenant ses désirs pour des réalités ou par opportunisme qu'on peut faire un lien entre affirmer d'une part que nous partageons les mêmes positions de classe et d'autre part que nos confusions nous mènent à frôler les positions contre-révolutionnaires[1] [247]. Comme peu de vos membres hors du Royaume-Uni ou des États-Unis ont pu étudier soit nos positions, soit notre critique de celles du CCI, nous avons pensé qu'il peut s'avérer utile de reprendre quelques uns des points soulevés dans l'article cité ci-dessus et de démontrer les inconsistances du CCI. Une fois établies avec sérieux nos différences avec vous, nous espérons vous inciter à les traiter plus sérieusement que cela n'a été fait dans le passé.
L'analyse du CCI des contradictions du capitalisme s'oppose à celle présentée par Marx dans "Le Capital". Bien que cette dernière soit incomplète et consacrée inévitablement au capitalisme du 19ème siècle, le contenu fondamental et la méthode de la théorie de Marx peuvent être utilisés pour expliquer tous les phénomènes de la décadence du capitalisme[2] [248]. La CWO reconnaît que l'abandon des idées de Marx mène à diverses erreurs théoriques et pratiques qui peuvent pousser un groupe â la confusion ou même l'amener sur les traces de la contre-révolution[3] [249]. Ainsi, pour la CWO, i n'y a aucun problème sur comment mener l'analyse économique, établir une base de granit pour nos positions et élaborer une perspective politique. Mais qu'en est-i1 dans le CCI ?
"Nous reconnaissons pleinement l'importance de discuter de cette question (à savoir l'analyse économique de la CWO) au sein du mouvement ouvrier". (Revue Internationale n°10 [250]) On ne peut pas prendre au sérieux une telle affirmation puisqu'en neuf ans, depuis la fondation du groupe-père du CCI (Révolution Internationale), l'organisation n'a jamais fourni d'explications publiques et de défense de ses bases économiques qui aillent au-delà d'affirmations journalistiques. Le SEUL texte relativement soli de ("La décadence du capitalisme") ne fait mention de Rosa Luxembourg, dont le CCI prétend se réclamer pour les fondements de son analyse, qu'une seule fois. Malgré son "importance", l'analyse économique est beaucoup plus une addition décorative au marxisme et ne peut pas en elle-même mener a des confusions ou à la contre-révolution ; cette attitude est en effet tout à fait logique. Pourquoi perdre du temps a défendre l'analyse de Luxembourg, si on laisse de côté pour le moment le fait qu'elle est indéfendable[4] [251], puisque celle-ci ou toute autre théorie économique n'a pas d'implications ? Si le CCI reconnaît 1'"importance" de discuter des questions économiques, pourquoi ne l'a-t-i1 jamais fait de façon conséquente ? Plus sérieusement, pourquoi est-i1 "important" de discuter cette "question", si ses implications politiques sont peu importantes ? Ce que vous semblez réellement reconnaître (pour éviter d'être accusés de vulgariser le marxisme), c'est le besoin de dire que vous reconnaissez l'importance de l'analyse économique. Nous ouvrons au CCI notre revue Revolutionary Perspectives pour répondre au texte paru dans le n°6, "The Accumulation of Contradictions, or The Economic Conséquences of Rosa Luxembourg". De plus, nous vous invitons à expliquer pourquoi il est important selon vous de discuter l'analyse économique.
Ce n'est pas seulement avec les théories économiques de Rosa Luxembourg que le CCI défend l'in défendable ; la même chose s'applique à son analyse du déclin de la vague révolutionnaire et de la fin du pouvoir prolétarien en Russie. Le CCI doit probablement être d'accord qu'en 1919 la classe ouvrière détenait réellement le pouvoir politique en Russie ; i1 est inconcevable autrement qu'ait pu se produire une révolution prolétarienne. Mais derrière un écran de fumée de "fantaisies", le CCI n'a jamais dit quand la classe ouvrière a finalement PERDU ce pouvoir. En effet, si nous sommes d'accord qu'en 1917 la classe détenait ce pouvoir, mais qu'en 1977 il n'en est plus ainsi, il s'en suit logiquement qu'à un moment donné elle a perdu ce pouvoir. Nous avons expliqué maintes fois que mars 1921 a été le Thermidor[5] [252]. (NEP, Kronstadt, le Front Unique) après lequel i1 n'est rien resté de prolétarien dans l'État russe, le Parti Bolchevik et l'Internationale Communiste. La défaite de la révolution mondiale a signifié l'impossibilité de toute autre issue à l'expérience héroïque russe. Le CCI, désireux d'éviter cette conclusion, se voit contraint à une série de convulsions à vous couper le souffle. Pour ne donner qu'un seul exemple, Kronstadt, frontière de classe autrefois, est maintenant excuse puisque les "principes" pour résoudre une telle situation n'avaient pas été essayés et expérimentés. Le prolétariat a-t-il besoin d'établir comme principe que son propre massacre est contre-révolutionnaire ? D'autres problèmes se posent au CCI lorsqu'il s'agit de traiter de la nature de classe des tendances en Russie liées au boucher de Kronstadt, Trotsky. Pourquoi la soi-disant opposition de gauche a-t-elle été une expression (quoique dégénérée) du prolétariat ? A cela aucune réponse n'a été donnée ni n'aurait pu l'être parce que le CCI n'a pas fait d'examen sérieux du programme de l'opposition et de Trotsky. Il est incroyable que le seul argument avancé a été que l'opposition a combattu l'idée d'un socialisme en un seul pays. En fait, le CCI se révèle n'être qu'un pauvre légataire. Comment l'opposition, qui est morte comme mouvement organisé en 1923, a-t-elle pu combattre une théorie qui n'allait apparaître que plus d'un an après ? Peut-être qu'une fois encore le CCI est simplement victime de son manque de clarté sur les faits. Est-ce réellement l'Opposition Unifiée de 1927 (Kamenev et autres) que nous saluerions puisqu'elle s'opposait nommément à la thèse du "socialisme en un seul pays" de Staline ?
Mais quoi qu'il en soit, l'idée que la proclamation du "socialisme en un seul pays" ait signifié que quelque chose avait changé en ce qui concerne la Russie ou le Parti Bolchevik est doublement absurde. En premier lieu, l'adoption de cette théorie n'a rien changé dans la politique des bolcheviks, du Kominterm ou de la Russie, qui étaient aussi contre-révolutionnaires avant qu'après son adoption ; de même elle n'a rien changé en ce qui concerne la position de la classe ouvrière russe. En second lieu, votre propre "méthode" dénonce la théorie de Staline comme une frontière de classe. Le rejet du "socialisme en un seul pays" n'était pas un "principe déjà établi". Comme vous le dites, même le pauvre vieux Marx avait des défaillances dans ce sens (cf."La Guerre Civile en France"), alors que Lénine défendait spécifiquement la possibilité d'une telle réalisation en 1915 (cf."Le Slogan des États-Unis d'Europe"). Ainsi, au mieux vous pouvez dire que le "socialisme en un seul pays", après la tentative qui a été faite et son échec, est devenu une frontière de classe, c'est-à-dire à la fin des années 30 ; en aucune manière, i1 ne pouvait le devenir instantanément lorsqu'il fut proposé par Staline (qui, quoi qu'il en soit, le considérait exactement de la même façon que Lénine considérait la NEP : une opération pour tenir jusqu'à la prochaine vague de la révolution en Occident. Voir Deutscher sur cette question). Vous ne pouvez guère laisser de côté la NEP de cette façon et mettre en avant le "socialisme en un seul pays" qui en fut l'aboutissement. Le CCI coupe en petits morceaux et change sa méthode selon les conclusions auxquelles il veut arriver. Les innovations de Staline ou les trahisons de la Social-démocratie sont instantanément des frontières de classe tandis que Kronstadt, le Front Unique, etc. ne le deviennent qu'après avoir été expérimentés et avoir échoué.
Si vous abandonnez l'idée de 1921 comme Thermidor, il n'y a aucune possibilité d'abandonner une position défaitiste sur la Russie jusqu'en 1940 lorsque celle-ci entre dans la guerre. Qui plus est, si la Russie avait quelque chose de prolétarien, entrer dans la guerre lorsqu'elle était attaquée par l'Allemagne nazie ne pouvait rien y changer, et nous serions forcés de repousser jusqu'en 1944-45, lorsque la Russie devient clairement impérialiste, pour rejeter toute défense de celle-ci. Les dernières publications du CCI montrent en effet clairement des signes dans ce sens et proclament que la défense de la Russie était une question ouverte jusqu'en 1940 (Revue Internationale n°10). Les leçons que nous tirons de 1'expérience russe influencent de façon cruciale ce que nous défendons comme la politique du prolétariat dans la prochaine vague révolutionnaire. Comme le CCI ne comprend pas les premières, i1 est incapable de comprendre la seconde.
Le CCI moralise de façon a-historique sur la question de l'État, ce qui l'amène parfois au bord de l'anarchisme et du libéralisme. Ce premier aspect s'illustre dans sa vision de l'État comme "essentiellement conservateur" et opposé à la "liberté" tandis que le second apparaît dans sa vision de l'État comme un "mal nécessaire" qui existe pour concilier ou servir de "médiation" entre les classes. Les fantômes de Kropotkine et de John Stuart Mill hantent les publications du CCI. Une analyse marxiste de l'État au con traire -tout en reconnaissant les traits communs à toutes les formes d'État- est une rupture avec de telles généralités comme celles qui obsèdent le CCI et voit chaque forme étatique historique comme porteuse de traits spécifiques. "Pour un marxiste, il n'existe pas d'"État" en général". (Karl Korsch, "Pourquoi je suis marxiste").
Si l'on prend comme exemple l'État asiatique ou despotique, on se rend compte qu'il était au début une force révolutionnaire organisant l'expansion des forces productives, regroupant par la force les producteurs dispersés en tribus dans des travaux publics à grande échelle. De même, l'État de la période absolutiste en Europe, était une alliance progressiste entre le monarque et la bourgeoisie pour jeter bas la nobles se féodale guerrière (le règne des Tudor en Grande-Bretagne par exemple). Les généralités a-historiques du CCI, qui refuse de voir ce qu'il y a de spécifique dans chaque forme étatique, se retrouvent dans l'approche qu'ils ont de l'État absolutiste. Dans la brochure sur "La décadence du capitalisme", on nous dit que c'était un organe conservateur destiné a soutenir la société féodale en déclin, un phénomène réactionnaire analogue au renforcement actuel de l'État bourgeois. En suivant la méthodologie de Luxembourg qui con fondait toutes les époques du capitalisme dans le capitalisme "en soi", le CCI confond toutes les formes étatiques dans l'État éternellement conservateur "en soi". Nous sommes ici en présence de l'idéalisme, l'idéalisme des "formes" platoniques.
En fait, l'État ouvrier n'est pas une expression de l'essence éternelle de l'État, mais une arme spécifique de la domination de classe destinée S détruire politiquement les ennemis du prolétariat. Hors de l'État-Conseils de classe, il ne peut y avoir aucun organe de nature politique exprimant les intérêts des classes ennemies. Il peut exister des associations à un niveau technique/économique sous le contrôle des soviets, il peut se créer des appendices de l'État ouvrier au travers desquels il communique avec les autres couches, mais l'idée d'un "État"extérieur aux Conseils Ouvriers est un anathème réactionnaire. Evidemment, dans le passé de tels organes se sont développés et c'était la tâche des communistes et de la classe de les détruire. Ainsi l'Assemblée Constituante en Russie était une expression de toutes les "classes non bourgeoises" particulièrement de la paysannerie. Le CCI critique-t-il maintenant les bolcheviks, comme Rosa Luxembourg, pour avoir dissout la Constituante qui aurait pu être une force de médiation pour éviter les "excès" du communisme de guerre ? Lorsqu'il tente de s'opposer à l'idée de la CWO qu'il peut y avoir un État ouvrier, le texte de la Revue Internationale n°10 nous accuse de faire le silence sur des institutions telles que le Sovnarkom, la Vesenkahn, l'Armée Rouge, de ne pas dire s'ils étaient des "organes de classe" de l'État ouvrier russe. Nous n'avons jamais fait le silence et nous ne le faisons pas : jusqu'au triomphe de la contre-révolution, ils l’étaient certainement. L'arme essentiel le pour détruire la contre-révolution ne sera pas des médiations mais la violence et la terreur.
Dans "L'Accumulation du Capital", Luxembourg verse beaucoup de larmes sur le destin des tribus, des artisans et des paysans précapitalistes. Cependant (malgré les affirmations réitérées du CCI sur le fait que son travail se base sur la loi de la valeur), le prolétariat, dont la plus-value qui lui est extraite assure la reproduction du capitalisme, mérite a peine une mention dans ce travail, encore moins une larme. Derrière la vision du CCI sur l'État dans la période de transition se cache un souci humaniste libéral semblable, pour les couches non-prolétariennes et leur destin. Ceci amène à la défense (au niveau des principes) de concessions politiques et économiques aux masses non-prolétariennes et aux aires économiquement arriérées du globe. Le prolétariat est certainement une minorité de la population mondiale, mais ce n'est pas un argument pour des médiations et pour la nécessité de concessions. Dans les pays où la grande majorité de la.production mondiale industrielle et agricole est concentrée, le prolétariat est une majorité de la population et peut traiter avec les autres couches par la force, la répression ou la dispersion selon le cas. Avec qui y a-t-il besoin d'intermédiaire au coeur du capitalisme ? La petite-bourgeoisie comme les commerçants ? Les couches professionnelles desquelles on peut tout juste s'attendre à ce qu'elles agissent de façon atomisée ? Une analyse de classe erronée, comme celle qui amène invariablement le CCI à ranger les "cols blancs" dans les "classes moyennes" ou même dans la petite bourgeoisie, mène à la vision que ces éléments douteux devront être maintenus dans leurs propres organisations distinctes de celle des ouvriers. Au contraire, l'intégration la plus rapide possible de tels groupes dans le travail productif sera la plus sure garantie contre la contre-révolution qui trouve sa base dans leurs rangs. Comme pour les millions d'êtres humains lumpenisés hors des pays capitalistes avancés, leur seul espoir est de suivre leur propre prolétariat et le prolétariat mondial vers le communisme. Au contraire de la paysannerie du passé, ils ne peuvent même pas se nourrir eux-mêmes et ne constituent certainement pas un grand obstacle au pouvoir prolétarien. Mais si un "État" surgissait réellement tel que le CCI le prévoit, baptisé dans l'eau bénite des groupes vraiment communistes, il servirait certainement de foyer pour la contre-révolution, ouvertement des couches non-prolétariennes, souterrainement du capital lui-même[6] [253].
C'est un argument fallacieux de dire que depuis Bilan qui défendait cette position dans les années 30, elle ne peut pas être une frontière de classe puisque le CCI et la CWO reconnaissent Bilan comme un groupe prolétarien. Si cette position sur l'État est une frontière de classe, demandons au CCI pourquoi Bilan n'est pas contre-révolutionnaire ? Bilan a aussi défendu le caractère prolétarien des syndicats, ce qui pour le CCI est une frontière de classe. On ne peut pas dire que ce fut seulement au cours de la 2ème Guerre Mondiale que cette question a été clarifiée ; comme pour la question de l'État qui a été posée au cours de la révolution et de la contre-révolution des années 1917-23. Ce que nous pouvons étendre aux groupes dans les profondeurs de la contre-révolution ne peut pas être étendu aux groupes émergeant dans une nouvelle situation pré-révolutionnaire. Nous pouvons défendre Bilan et dire que la question de l'État est une frontière de classe, tout comme le CCI peut le défendre bien que la question syndicale soit une "frontière de classe". Ou les syndicats deviendront-ils la prochaine "question ouverte" du CCI ?
Le CCI trouve impossible de comprendre les positions de la CWO sur cette question et est horrifié par ce qu'il voit comme nos "tendances substitutionnistes". Ce que le CCI ne saisit pas est que le substitutionnisme, comme 1'"autonomie", est un mot auquel il est impossible d'attribuer un conte nu qui ait un sens. Essayons de démêler le noeud gordien entourant cette question qui n'en est pas une. "Substitutionnisme" est sensé vouloir dire qu'une minorité de la classe tente de prendre en charge les tâches de l'ensemble de la classe. Le terme ne peut pas s'appliquer aux groupes bourgeois ; la domination minoritaire de la bourgeoisie sur les ouvriers n'est pas du substitutionnisme de l’une sur les autres, mais simplement la forme de domination de classe. Aussi, la question ne peut avoir de sens que par rapport aux groupes prolétariens, et en effet le CCI pense que des groupes communistes peuvent franchir les frontières de classe sur la question du "substitutionnisme". Nous devons clairement distinguer deux questions bien séparées.
D'un côté, il y a la position formulée au départ par Blanqui, reprise d'une certaine manière par Lénine et Bordiga ensuite, qu'une minorité communiste bien organisée peut s'emparer du pouvoir au nom de la classe ouvrière et garder le pou voir pour eux. Ceci est certainement une confusion mais ne peut être en aucun cas une frontière de classe. Nous voulons que le communisme évite l'anéantissement de l'humanité, là est le but, peu importe les moyens. Pourrait-i1 se réaliser par des coups de main blanquistes ou pour quoi pas par lévitation, tel serait alors notre programme. La question n'est pas morale. Au contraire, puisque la conscience et la participation active de la classe sont nécessaires pour battre les ennemis de la révolution et construire une nouvelle société, une telle vision de tactiques minoritaires est simplement une lamentable confusion.
L'autre côté de la même pièce sur la question substitutionnistes se situe à un niveau plus sérieux. Selon le CCI, une des "frontières de classe" sur la question de l'État est que le parti politique ne vise pas à prendre le pouvoir. Au lieu de cela, il se contente d'être une"facteur actif de 1'auto-organisation et de 1'auto-démystification de la classe ouvrière", quel que soit le véritable sens de cette phrase creuse. Si la majorité de la classe au travers de ses expériences devient consciente de la nécessité du communisme et est préparée à combattre dans ce but, elle mandate alors les communistes à des postes de responsabilité au sein des organisations générales de la classe. On peut au mieux parler d'une insurrection, pas d'une révolution tant qu'il n'y a pas de majorité communiste dans les organisations de classe. Et ces communistes mandatés ne viennent pas de l'air, ils sont membres du parti communiste (quoi d'autre ?). Par conséquent à son point victorieux, l'insurrection sera transformée en révolution, et le soutien de la majorité pour le communisme s'exprimera par la classe -via le parti dans les conseils- prenant le pouvoir. L'idée que la révolution pourrait réussir alors que la majorité de la classe n'est pas consciente de la nécessité du communisme, ou alors que la majorité des délégués aux conseils ne sont pas communistes, est absurde. Une telle conception ôte à la révolution son aspect vital -la conscience- et la réduit à un acte spontanéiste, conseilliste. Au mieux c'est une insurrection condamnée, pas une révolution. Aussi, si le "substitutionnisme", c'est-à-dire le parti cherchant â s'emparer du pouvoir, est une frontière de classe, alors le CWO a franchi ce Rubicon là depuis longtemps.
Comme le parti a un rôle vital à jouer, il a besoin de savoir ce qu'il fait. Aussi, son programme et comment il est construit (la théorie) est vital. La théorie n'est pas un hobby ou un ornement des positions que nous connaissons déjà intuitivement, mais le chemin difficile qui nous fait parvenir réellement à ces positions. Nulle part ailleurs le déclin du CCI n'est plus marqué que dans la dégradation de la théorie et la tendance de son travail à devenir de plus en plus journalistique. Comme de plus en plus de problèmes sont considérés comme des "questions ouvertes" (et parallèlement de plus en plus de pourvoyeurs de contre-révolution considérés comme groupes prolétariens "confus"[7] [254], nous sommes sûrs que les tâches auxquelles nous faisons face sont "fondamentalement concrètes" (WR n°5, p.27) ou que les "questions d'interprétation historique" comme la mort du Komintern sont "entièrement hors de propos ?
Les tâches "pratiques" comme l'intervention et le regroupement ne peuvent être séparées de la théorie, de l'élaboration d'un proqramme communiste cohérent. Nous n'écrivons pas des textes théoriques ou des polémiques pour le plaisir de poser des questions, mais pour les résoudre ; c'est ainsi que le regroupement peut se faire, et avec lui l'intervention à une échelle plus large. La question du regroupement ne peut pas être posée dans l'abstrait, séparée des polémiques politiques ; c'est seulement si la discussion résout les points en question que l'existence d'organisations séparées devient injustifiée. C'est dans cet esprit que la CWO a été dans le passé et est aujourd'hui préparée à débattre avec le CCI duquel nous attendons des réponses aux questions soulevées dans cette lettre.
CWO. Octobre 1977[1] [255] Selon le CCI, la CWO s'oriente vers le "substitutionnisme". Or, ceci est une "frontière de classe" ou pour appeler un chat un chat, contre-révolutionnaire. Bien sûr, de telles conclusions sectaires ne sont jamais directement tirées de ces prémisses.
[2] [256] "Economics of Capitalist décadence" dans Revolutionary Perspectives n°2.
[3] [257] "On implications of luxembourgism" dans RP n°8.
[4] [258] Cette affirmation est démontrée dans "Economic conséquences of Rosa Luxembourg" dans RP n°6.
[5] [259] "Révolution and counter-revolution in Russia" dans RP n°4.
[6] [260] Sur notre position sur la période de
transition, voir les textes sous ce titre dans Workers'Voice n° 14 et 15.
[7] [261]
Les frontières de classe sont
tracées pour délimiter les groupes bourgeois des groupes prolétariens. Toute
autre conception les abaisse et les avilit. Aussi, nous ne pouvons que nous
opposer à la "nouvelle ligne" du CCI qui baptise toutes sortes de confusionnistes
et de contre-révolutionnaires, prolétariens, selon le critère le plus vague. Un
cadre qui inclut Programme Communiste (PCI) au sein du camp ouvrier est incapable
d'exclure de ce camp le SWP en Grande-Bretagne. En effet, si les frontières de
classe ne définissent pas un groupe prolétarien, alors toute la gauche est
prolétarienne. Toute cette question sera traitée dans un prochain numéro de
Revolutionary Perspectives ; en attendant, nos positions sont tracées dans RP
n°8 : "Une réponse de la majorité".
Comme le texte des camarades d'Aberdeen/Edimbourg le montre (voir dans ce numéro), le fait que la CWO ressente le besoin de "s'ouvrir" au monde extérieur (qui implique non seulement discussion avec le CCI, mais aussi la volonté de participer à des conférences internationales, d'ouvrir les pages des publications à des points de vue minoritaires, de faire une analyse de sa propre histoire - cf. RP n°8) est une preuve marquante du fait que, dans cette période, il est impossible pour des révolutionnaires sérieux de se retrancher dans l'isolement et d'éviter la question du regroupement.
Le texte d'Aberdeen/Edimbourg pénètre plus profondément les contradictions de la nouvelle orientation de la CWO, dans une évaluation de sa perspective présente et future ; aussi nous ne développerons pas plus ces points ici. Nous allons principalement nous concentrer sur les critiques politiques générales que la CWO fait au CCI. Bien que nous ne puissions pas répondre dans tous les détails, nous pouvons au moins faire quelques observations qui définiront les points qui nécessitent une plus grande discussion et une clarification. Pris en lui-même le texte de la CWO nous montre que le groupe souffre toujours des mêmes conceptions fausses et des mêmes confusions que nous avons examinées dans les articles précédents et qu'il a toujours une tendance marquée à présenter une image entièrement distordue des positions du CCI. Mais l'aspect le plus sain de ce texte est qu'il peut et doit servir de stimulant à de futures discussions publiques entre nos organisations.
Nous allons traiter les points spécifiques de la critique que la CWO met en avant :
Pour la CWO, l'explication économique sert comme arme dans son arsenal sectaire. Ceci s'applique à la fois à la manière dont la CWO aborde le problème des fondements économiques de la décadence capitaliste et à la manière dont il applique l'explication économique à sa perspective politique générale.
Par rapport au premier aspect, nous rejetons l'assertion de la CWO selon laquelle notre analyse de la décadence, qui doit beaucoup à la théorie des crises de Rosa Luxembourg, est "en contradiction avec celle présentée par Marx dans Le Capital". Selon la CWO, les écrits de Marx sur la baisse du taux de profit sont suffisants pour expliquer la crise historique du capitalisme et il n'y a rien de plus à ajouter. Comme sur beaucoup d'autres questions, la CWO possède déjà une vision achevée. Elle est si acharnée à vouloir ignorer les autres aspects du problème qu'elle a commencé à dire que le problème de la saturation des marchés et de la surproduction n'a rien à voir avec Marx, mais est une invention de Sismondi et de Malthus (cf. l'article sur le crédit dans RP n°8). Les préoccupations de Luxembourg sur le problème de la surproduction de marchandises seraient, selon la CWO, une variante des théories non marxistes sur la sous-consommation (cf. RP n°6). Mais si nous retournons à Marx et Engels, nous voyons qu'ils considèrent le problème de la surproduction comme absolument crucial dans la compréhension des crises capitalistes. Dans "L'Anti-Dühring". Engels insiste sur la nécessité de voir la surproduction de marchandises comme un trait fondamental et qui distingue le mode de production capitaliste, et il critique sévèrement Herr Dühring pour ses confusions entre sous-consommation et surproduction :
De manière similaire, dans les théories de la plus-value, Marx attaque Say et Ricardo précisé ment parce qu'ils affirment que, bien qu'il puis se y avoir surproduction du capital, la surproduction de marchandises et l'engorgement général du marché ne sont pas des tendances inhérentes au procès d'accumulation capitaliste :
Nous développerons ces points dans des textes ultérieurs, avec une fois de plus une réponse à la critique de la CWO sur la théorie des crises de Rosa Luxembourg que la CWO a offert de publier dans RP. Mais pour le moment, il suffit de dire que la CWO ne fait pas de contribution constructive au débat sur la décadence si elle continue à proclamer ses prétentions à défendre la totalité de l'orthodoxie marxiste sur ce sujet tout en fermant les yeux sur un aspect crucial de la pensée de Marx et Engels. Puisque Marx a situé deux contradictions fondamentales dans l'accumulation capitaliste -la tendance du taux de profit à baisser et le problème de la réalisation de la plus-value-, il y a, d'une manière générale, deux théories des crises qui existent au sein de la tradition marxiste : celle défendue par Grossman, Mattick et la CWO qui souligne la baisse du taux de profit d'une part, et la théorie de Luxembourg qui insiste sur les problèmes du marché d'autre part. Le CCI a toujours considéré que le cadre élaboré par Luxembourg est plus cohérent et permet de voir comment ces deux contradictions fondamentales opèrent comme deux aspects d'une totalité, tout en considérant que ni Luxembourg ni le CCI n'ont fourni une réponse achevée. Nous pensons que c'est un débat qui peut et doit se développer au sein du mouvement révolutionnaire aujourd'hui et qui ne doit pas constituer un obstacle au regroupement, surtout dans la mesure où il n'y a pas de réponse toute faite, immédiate à cette question.
La lutte de classe actuelle ne jette pas une lumière directe sur ce problème qui reste une des questions théoriques les plus complexes pour les révolutionnaires. En affrontant la réalité de la crise, le mouvement prolétarien est obligé de comprendre le mécanisme interne du capitalisme qui mène inéluctablement aux crises. Mais une orientation politique claire basée sur la décadence du système est un préalable à l'approfondissement de cette question dans la pratique du mouvement ouvrier. C'est sur ce point que le mouvement risque de s'écarter du chemin en tombant soit dans l'académisme sectaire soit dans un activisme immédiatiste qui considère les questions théoriques comme étant des affirmations dogmatiques inutiles dans la "pratique". Le CCI est profondément convaincu que l'explication économique est une question fondamentale pour le prolétariat, mais cette question n'a de sens qu'au sein d'une intervention internationale cohérente basée sur le regroupement des forces révolutionnaires.
De même, nous n'avons jamais dit qu'aucune conséquence politique ne découlait des différentes théories. En juin 1974, lors du débat sur cette question avec Revolutionary Perspectives, nous avons présenté ce que nous pensions être les faiblesses de la théorie Grossman-Mattick comme explication de la décadence et les implications politiques possibles de ces faiblesses. En même temps nous avons encouragé RP à essayer de démontrer que le concept de décadence et les conclusions politiques qu'il implique n'étaient pas incompatibles avec la théorie de Grossman-Mattick.
Il n'y a pas de contradiction dans ce que nous avons dit alors car, bien que nous pensions que des explications différentes de la crise ont réellement des conséquences politiques, ces conséquences sont rarement directes et jamais mécaniques. Puisque le marxisme est une critique de l'économie bourgeoise, du point de vue de la classe ouvrière, la clarté politique provient d'abord et avant tout de la capacité à assimiler les leçons de l'expérience de la classe ouvrière. En dernière analyse, une compréhension de "l'économie" vient d'une perspective prolétarienne et non l'inverse. Marx fut capable d'écrire "Le Capital", non parce qu'il était un homme doué, mais parce qu'il était communiste, pro duit du mouvement prolétarien, de la conscience de la classe prolétarienne qui est seule capable de saisir la finalité historique du mode de production capitaliste. Sans aucun doute, une compréhension claire du fonctionnement du capital est cruciale pour atteindre une clarté politique d'ensemble mais nous rejetons la tentative stérile de la CWO de faire dériver v1rtuellement toutes les positions politiques de l'accord ou du désaccord avec l'analyse de la crise selon la baisse du taux de profit. Ainsi, dans le texte présenté à la Conférence de Milan, nous découvrons que, du "volontarisme" au "fétichisme organisationnel", de la prétendue fixation du CCI sur l'intervention en milieu gauchiste aux erreurs sur la période de transition, etc., tout peut être directement imputé à notre "luxembourgisme". Cette méthode pour critiquer des positions politiques se fonde sur une conception complètement fausse de la compréhension politique : la compréhension est le fruit de l'expérience de la classe et non d'une contemplation de l'économie in abstracto. Cette méthode est aussi illogique qu'inconsistante et n'explique pas pourquoi des groupes (le PIC et le CCI par exemple) peuvent avoir la même analyse économique et diverger sur les perspectives politiques, et vice-versa. Il est particulièrement ironique de voir la CWO utiliser une méthodologie similaire à celle de Boukharine qui, en 1924, attaqua les théories économiques de Luxembourg pour liquider le "virus du Luxembourgisme" de l'Internationale Communiste et pour montrer comment l'explication économique de Luxembourg mène à des "positions politiques erronées" selon lui, telles que le rejet des luttes de libération nationale, la sous-estimation du problème paysan et, par implication, le refus de la possibilité du "socialisme en un seul pays" dé fendue par Staline !
La CWO ne comprend pas la signification de la discussion lancée par le CCI sur comment évaluer la dégénérescence de groupes politiques prolétariens. Selon elle, le CCI a bâti une "nouvelle ligne" qui n'est rien d'autre qu'une tentative pour développer le "recrutement" dans le marécage du gauchisme. En fait, la discussion qui a abouti à la "Résolution sur les groupes politiques prolétariens" adoptée au 2ème Congrès du CCI (Revue Internationale n°11), n'a pas donné naissance à une "nouvelle ligne" mais à la clarification d'une position qui était implicite auparavant. La CWO n'a pas compris les motifs du débat et la méthode utilisée. Parce que nous disons que seuls des événements cruciaux, comme les guerres ou les révolutions, peuvent trancher définitivement la question de la nature de classe d'anciens groupes prolétariens, la CWO nous accuse de "faire l'apologie" de l'attaque contre Kronstadt et d'entre tenir l'idée que l'Etat russe a quelque chose de prolétarien jusqu'à la 2ème Guerre Mondiale. Même une lecture superficielle d'un seul de nos textes peut démentir cette assertion. Ce que nous avons essayé de montrer, c'est le chemin complexe et souvent difficile par lequel passe le mouvement ouvrier pour assimiler de nouvelles leçons, comme la dégénérescence de la révolution russe. Le décalage inévitable entre la réalité et la conscience signifie que des révolutionnaires sont devenus pleinement conscients de la nature capitaliste de l'Etat et de l'économie russes bien après que le prolétariat ait perdu son pou voir politique et que la contre-révolution ait triomphé. C'est pourquoi nous insistons sur le fait que seuls les évènements majeurs dans l'histoire -même s'ils sont "symboliques", comme le vote des crédits de guerre ou la proclamation du "socialisme en un seul pays"- peuvent rendre clair pour les révolutionnaires de l'époque que d'anciennes organisations prolétariennes sont désormais devenues des ennemis de classe. Il est important de voir la différence entre ce qui peut être vu et compris aujourd'hui avec le recul historique, et ce qui a pu être compris par les révolutionnaires dans le passé. Par exemple, la Russie n'est pas soudainement devenue une puissance impérialiste en 1940 ; aujourd'hui, il est possible de tracer les tendances impérialistes de l'Etat russe à partir de 1921-22. Mais pour les révolutionnaires des années 30 et 40, ce point a été l'objet d'un grand nombre de polémiques et de débats dans le mouvement ouvrier et fut tranché de manière décisive par des événements tels que l'entrée en guerre de la Russie dans la 2ème Guerre Mondiale. Ces événements montrent, sans l'ombre d'un doute, que la Russie était intégrée entièrement dans le système impérialiste mondial, et que toute défense de la Russie signifiait participation à la guerre impérialiste et abandon de l'internationalisme. Avec les trotskystes et leur défense de "l'Etat ouvrier dégénéré", ce qui fut une grave confusion théorique culmina dans le franchissement définitif des frontières de classe.
Pourquoi est-il important de faire la distinction entre une grave confusion qui peut mener à la désertion du camp prolétarien et le franchisse ment définitif de la frontière de classe ? Pour quoi est-il important d'utiliser des critères extrêmement stricts pour déclarer la mort d'une organisation prolétarienne ? C'est parce que tout jugement précipité diminue la possibilité de con vaincre des révolutionnaires confus des erreurs de leur raisonnement ; cela signifie les abandonner à la bourgeoisie sans avoir lutté. Ceci est une leçon que la CWO a grand besoin d'apprendre. Selon elle, le CCI est contre-révolutionnaire aujourd'hui parce que ses confusions sur la période de transition le mèneront à agir contre la classe demain. En admettant que le CCI ait de réelles confusions sur cette question, la tâche de tout groupe communiste responsable n'est sûre ment pas de nous rejeter comme des contre-révolutionnaires sans espoir, mais d'essayer de lutter contre les erreurs dans l'espoir qu'elles ne nous mènent pas dans le camp capitaliste dans le futur. Où la CWO trouve-t-elle la prescience qui ferait de cet effort une perte de temps ? Quoi qu'il en soit, nous espérons que la reprise de la discussion de la part de la CWO signifie une réévaluation de son sens des responsabilités.
Nous ne répondrons pas à l'affirmation de la CWO prétendant que "le CCI moralise de façon a-historique sur la question de l'Etat". A cette accusation, une réponse a déjà été faite dans "Etat et dictature du prolétariat" (Revue Internationale n°11). Nous voulons simplement souligner une inconsistance flagrante dans l'approche de la CWO sur la question. D'un côté, il est dit que "l'idée d'un Etat extérieur aux Conseils ouvriers est un anathème réactionnaire", c'est-à-dire que l'Etat, c'est les Conseils ouvriers et rien de plus, et de l'autre côté, il est affirmé cruement que le Sovnarkom, la Vesenkahn, l'Armée Rouge et la Tcheka étaient des organes de classe de l'Etat ouvrier russe. Ou c'est l'un ou c'est l'autre. Les communistes de conseils étaient au moins cohérents à ce sujet. Pour eux, les seuls organes prolétariens dans la révolution russe étaient les Conseils ouvriers, les Comités d'usine et les Gardes Rouges ; l'Armée Rouge, la Tcheka, etc. étaient des institutions bourgeoises des bureaucrates bolcheviks. La CWO, quant à elle, veut défendre un Etat qui n'est rien d'autre que les Conseils ouvriers alors qu'elle est prête à qualifier d'Etat ouvrier l'Etat soviétique de 1917-21. Mais l'Etat soviétique était évidemment constitué non seule ment de Conseils ouvriers mais aussi d'Assemblées non prolétariennes comme les soviets de paysans et de soldats, d'organes administratifs (Vesenkahn) et d'organes répressifs (Tcheka et Armée Rouge) qui étaient manifestement distincts des Conseils ouvriers. En fait, tout le drame de la révolution russe et de sa dégénérescence "de l'intérieur" s'est exprimé dans l'absorption progressive des Conseils ouvriers par ces autres corps de l'Etat. Là-dessus, la CWO garde le silence quant aux questions posées dans la Revue Internationale n°1O. Les ouvriers devaient-ils, dans les Comités d'usine et les Conseils ouvriers, accepter la discipline du travail qu'imposaient diverses institutions de l'Etat, "un mal nécessaire", afin de préserver l'ordre social dans la période post-révolutionnaire, ou les Conseils ouvriers devaient-ils assurer un contrôle sur tous ces organes ?
La contribution fondamentale de la Gauche italienne à l'approfondissement de l'analyse marxiste de l'Etat fut de montrer comment les intuitions de Marx et Engels à propos de l'Etat, vu comme une "trique", furent confirmées par l'expérience pratique de la révolution russe. Ainsi, Octobre écrivait en 1938 :
Comme on peut le voir dans les textes de la Revue Internationale n°11, il y a discussion aujourd’hui au sein du CCI sur des questions telles que : peut-on appeler l'Etat de la période de transition un Etat ouvrier, mais il est clair que les deux ré solutions présentées au 2ème Congrès du CCI ont assimilé cette compréhension cruciale développée par la Gauche italienne sur les caractéristiques négatives de l'Etat de transition. Ceci est quelque chose qui se confirmera être une question de vie ou de mort dans la période révolutionnaire qui vient, mais qui n'a même pas été entraperçu par la CWO. Avant de faire de grandes déclarations sur les "erreurs" de la Gauche italienne sur cette question, nous voudrions demander à la CWO de réfléchir sérieusement à la contribution faite par des groupes comme Bilan, Octobre et Internationalisme à notre compréhension présente de l’Etat.
Dans la Revue Internationale n°10, nous avons sou ligné que la CWO n'a pas saisi les leçons sur l'Etat et le parti tirées de l'expérience russe. Le dernier texte de la CWO a le mérite de dire claire ment ce qui, auparavant, était seulement implicite dans ses textes : à savoir que le rôle du parti communiste est de prendre et d'assurer le pouvoir, d'Etat. Bien que nous soyons en profond désaccord avec cette idée, nous saluons au moins le fait que le débat peut maintenant se développer sur une base sans ambiguïté. Dans de nombreux textes, nous avons essayé de démontrer pourquoi le fait d'assumer le pouvoir d'Etat par le parti bolchevik fut un facteur déterminant de la dégénérescence du parti et de la révolution comme un tout, et pourquoi ce n'est pas la tâche de l'organisation politique de la classe de prendre le pou voir. La CWO, ne comprenant rien à cela, pense que pour le CCI "la révolution pourrait réussir alors que la majorité de la classe n'est pas consciente de la nécessité du communisme". Sa position sur le parti révèle une grande incompréhension de la manière dont la conscience se développe au sein de la classe. Non seulement, la CWO rejoint la conception parlementaire selon laquelle la conscience communiste peut être mesurée par la volonté des travailleurs de voter pour un parti pour gouverner l'Etat mais elle est aussi entrain d'évoluer très fortement vers la position léniniste classique selon laquelle les Conseils ouvriers ne sont qu'une "forme" au sein de laquelle la masse "incohérente" de la classe est organisée et dans laquelle le parti -qui est la conscience communiste de la classe- a la tâche d'injecter un contenu communiste. La CWO ne voit pas que la conscience de classe -c'est-à-dire la conscience communiste- se développe dans l'ensemble de la classe et que les Conseils sont aussi un aspect de ce développement de la conscience communiste. Le parti est la fraction la plus consciente de la classe, il est une arme indispensable dans la généralisation de la conscience révolutionnaire mais sa clarté est toujours relative et il ne peut jamais représenter la totalité de la conscience de classe. Une fois de plus, la CWO ne peut soutenir deux thèses. D'un côté, il est affirmé correctement qu'une minorité ne peut se substituer à la classe dans la prise du pouvoir ; de l'autre, on appelle les ouvriers à déléguer le pouvoir d'Etat au parti. Mais, comme l'a montré la révolution russe, de la conception qui dit que le parti représente le pouvoir de la classe à celle du parti se substituant à la classe, il y a une marge étroite. Un signe certain que la conscience révolutionnaire se développe dans la classe demain sera son refus de laisser le pouvoir politique qu'elle seule peut assumer dans sa totalité, entre les mains d'une minorité.
Le cheminement de la CWO vers l'idée que le par ti "détient" ou "représente" la totalité de la conscience communiste est en harmonie avec l'idée qu'elle-même représente l'ensemble du mouvement communiste aujourd'hui, qu'elle possède la seule plateforme communiste du monde. Les conséquences désastreuses de cette théorie sectaire sont bien montrées dans le texte d'Aberdeen/Edimbourg.
Nous avons souligné qu'étant donné le développe ment lent et inégal de la crise et de la lutte de classe aujourd'hui, les deux dangers auxquels font face les groupes révolutionnaires dans cette période sont l'immédiatisme -une tendance à surestimer chaque lutte partielle de la classe- et l'académisme -une tendance à répondre aux inévitables creux de la lutte de classe en se retranchant dans la recherche pour "la recherche". Le deuxième danger semble celui auquel se confronte la CWO aujourd'hui. Nous ne sommes pas impressionnés par sa déclaration selon laquelle le CCI glisse aujourd'hui vers une approche "journalistique" des questions théoriques, vers "un dénigrement de la nécessité de réflexion théorique et historique". Nous ne prétendons pas avoir épuisé toutes les aires de recherche -en fait, beaucoup ne font que commencer, ce qui n'est guère surprenant si l'on considère l'extrême jeunesse du CCI et du mouvement révolutionnaire dans son ensemble. Mais les déclarations de la CWO selon lesquelles nous avons perdu tout intérêt è la clarification théorique ne résistent pas à un examen de l'énorme effort exprimé par nos publications durant ces deux dernières années. C'est plutôt le reflet du retranchement de la CWO dans un rôle autoproclamé de seul gardien de la théorie communiste et en parti culier d'"économistes politiques" du mouvement révolutionnaire. La CWO a commencé à justifier cet te position -et à expliquer sa propre décomposition interne- en réagissant démesurément è la relative lenteur de la crise et au creux de la lutte de classe après 1974 (creux qui s'est en grande partie limité aux pays avancés). Pour la CWO, cela signifie qu'à la fois le regroupement des révolutionnaires et l'intervention dans la lutte de classe sont des perspectives très lointaines pour les révolutionnaires. Mais en faisant une séparation rigide entre aujourd'hui et demain à peu près comme si nous vivions maintenant dans une période de contre-révolution -la CWO renforce le fait qu'elle ne pourra être organisationnellement et politiquement préparée aux affrontements massifs et aux conflits de classe qui mûrissent partout aujourd'hui. La nécessité de réaliser une synthèse active entre la réflexion théorique, les considérations organisationnelles et l'intervention dans le mouvement de la classe est plus que jamais la tâche de l'heure. C'est la tâche que le CCI s'est donnée.
La CWO prétend que le CCI dit des choses contradictoires quand il affirme d'un côté que le CCI et la CWO défendent les mêmes positions de classe et devraient oeuvrer vers le regroupement et de l'autre côté souligne les confusions de la CWO. Pour nous, il n'y a pas de contradiction. Nous insistons sur la nécessité pour tous les groupes communistes de discuter ensemble et d'oeuvrer vers le regroupement. Mais ceci ne signifie pas qu'il faut masquer les divergences en s'engageant dans une fusion prématurée (à la manière de RP et WV comme l'explique le texte d'Aberdeen/Edimbourg). Cela veut dire discuter à fond des divergences de manière à voir lesquelles sont compatibles au sein d'une seule organisation et lesquelles sont des obstacles sérieux au regroupement. En même temps, un regroupement ne peut être basé que sur un accord sur les positions de classe, il demande aussi une perspective d'activité commune, une volonté de travail1er et de clarifier ensemble, une conviction profonde de la nécessité de l'unité au sein du mouvement révolutionnaire. Le CCI oriente ses discussions sur le regroupement avec les camarades d'Aberdeen/Edimbourg avec cette idée claire à l'esprit. Et nous espérons que le temps viendra où nous pourrons nous engager dans un processus similaire avec ceux qui restent dans la CWO. Notre seul futur est un futur commun.
Le CCI.1) L'approfondissement de la crise aiguë du capitalisme se poursuit de façon inexorable. On avait pu assister en 1975-76 à un semblant de reprise après l'aggravation très sensible de 1974, mais 77 a vu partout revenir une profonde "morosité". Si quelques pays réussissent à s'en sortir un peu mieux sur le plan des échanges commerciaux, comme l'Allemagne et le Japon, ils ne peuvent éviter une stagnation de la production ni une élévation du chômage. D'autres pays, comme les Etats-Unis réussissent mieux à faire face à une baisse de la production et sont momentanément parvenus à stopper une augmentation du chômage, mais en même temps ils connaissent un déficit commercial catastrophique et un effondrement de leur monnaie. Et ce tableau ne concerne que les pays les plus développés et puissants; donc les mieux armés face à la crise. La situation des autres est désespérée : inflation de plus de 20 %, chômage de plus en plus écrasant, endettement extérieur insurmontable et qui va en s'aggravant. On peut donc conclure à la faillite totale de toutes les politiques économiques tentées par la bourgeoisie : qu'elles soient néo-keynésiennes ou "monétaristes", inspirées de Harvard ou de "l'école de Chicago".
Et il ne reste plus qu'à essayer de s'en consoler en attribuant des prix Nobel aux économistes qui se sont trompés le plus : le sommet étant atteint évidemment quand on récompense un économiste de ses échecs professionnels en le nommant chef de gouvernement. En fait, la seule "perspective" que la bourgeoisie puisse présenter face à la crise est celle d'une nouvelle guerre impérialiste généralisée.
2) Une telle perspective, les secteurs "optimistes" de la classe dominante essaient évidemment d'en écarter la possibilité ou bien d'en rejeter la "responsabilité" sur les "forces du mal et du bellicisme". Dans la vision pacifiste, une entente entre belligérants et même entre blocs impérialistes est possible et mérite donc qu'on se mobilise pour elle. En fait, une telle vision est une expression typique de l'humanisme petit- bourgeois. Le plus grand reproche qu'on peut lui faire n'est pas qu'elle tourne le dos à la réalité mais qu'elle tende à maintenir des illusions extrêmement dangereuses dans la classe ouvrière :
- possibilité de réforme et d'harmonisation du capitalisme,
- non nécessité de sa destruction pour mettre fin aux catastrophes qu'il engendre.
De plus, une telle conception qui oppose un capitalisme "pacifique" à un capitalisme "belliqueux" constitue une excellente base pour une mobilisation guerrière des pays "pacifiques" contre les pays "militaristes". A l'heure actuelle, on peut assister à une forte offensive de la bourgeoisie sur ce terrain. C'est tout particulièrement le cas au Moyen-Orient où les négociations entre l'Egypte et Israël ne constituent absolument pas une "victoire de la paix", comme dirait le Pape, mais un simple renforcement des positions américaines en vue de mieux préparer les affrontements futurs avec l'autre bloc. Plus généralement, tout le battage sur la "sécurité européenne", la "défense des droits de l'homme" et autres "croisades de paix" de Carter ne constituent que les préparatifs idéologiques de ces affrontements au même titre que les grandes déclarations de soutien au "socialisme", à "l'Indépendance nationale" et à "l’anti-impérialisme" de la part de l'URSS.
3) Une version "moderne" de la conception pacifiste consiste à considérer qu'un affrontement généralisé entre puissances impérialistes n'est plus possible de par l'évolution de leurs armements et particulièrement la possession d'armes thermonucléaires qui, pour la première fois de l’'histoire "favoriseraient l'offensive au détriment de la défensive" et dont l'utilisation se traduirait par des destructions insurmontables pour toutes les bourgeoisies. Ce qu'il faut répondre à une telle conception c'est que :
- elle n'est pas nouvelle ayant déjà été utilisée à l'égard des gaz asphyxiants et des bombardements et ayant "prédit" la fin de toutes les guerres à la veille de 1914 et de 1939,
- elle suppose une "rationalité" du capitalisme et de sa classe dominante, chose qu'ils n'ont pas,
- elle induit l'idée que les guerres sont le résultat du vouloir des gouvernements et non le résultat nécessaire des contradictions propres du système,
- elle débouche sur la possibilité d'une 3ème alternative autre que guerre ou révolution. Outre qu'elle peut démobiliser la classe ouvrière en atténuant les dangers qui menacent l'humanité en l'absence de sa propre action, une telle vision a enfin le tort très grave d'apporter de l'eau au moulin de toute la mystification bourgeoise qui dit "si tu veux la paix, prépare la guerre".
4) En fait, l'expérience de plus d'un demi-siècle a démontré que le seul obstacle qui puisse s'opposer à la "solution " bourgeoise de la crise, la guerre impérialiste, n'est autre que la lutte de classe du prolétariat qui culmine dans la révolution. Si la guerre, par les sacrifices quelle impose aux classes exploitées et le traumatisme qu'elle provoque dans l'ensemble du corps social a pu déboucher sur la révolution, on ne peut pas en conclure qu'il y ait une marche simultanée ou parallèle vers chacune des deux alternatives. Bien au contraire : l'une s'oppose à l'autre. C'est parce que la classe ouvrière est embrigadée par la social-démocratie belliciste et donc battue idéologiquement que la bourgeoisie peut aller à la guerre en 14.
De même, la victoire du fascisme et de ses "alter-ego", les "Fronts populaires" constitue le préalable nécessaire à la guerre de 1939. Réciproquement c'est la lutte de classe et la révolution qui, en 1917 en Russie et 1918 en Allemagne, mettent fin à la guerre. A tous moments, la tendance dominante entre cours vers la guerre et cours vers la révolution est fondamentalement la traduction du rapport de forces entre les deux principales classes de la société : bourgeoisie et prolétariat. C'est pour cela que la perspective sur laquelle débouche la crise actuelle est déterminée par la nature de ce rapport de forces : la capacité pour le capitalisme de mettre en place sa propre "solution" à la crise est Inversement proportionnelle à la capacité de la classe ouvrière de résister et de répondre sur son terrain aux empiétements de la crise.
LE RAPPORT DE FORCES ENTRE CLASSES SOCIALES
5) Le niveau des luttes de la classe connaît à l'heure actuelle, à son détriment, un décalage très net par rapport au niveau atteint par la crise économique. Ce décalage ne peut pas s'exprimer dans l'absolu par rapport à un schéma idéal qui, à une valeur X de la crise, ferait correspondre une valeur Y de la lutte de classe. Par contre, il peut être mis en évidence en termes relatifs par une comparaison entre le niveau dos luttes actuelles et celui des luttes à la fin des années 60, début des années 70, alors que la crise frappait de façon beaucoup moins violente que maintenant.
Une telle comparaison peut et doit se faire tant sur un plan "quantitatif" du nombre de luttes et dont les statistiques peuvent donner une image, que sur un plan "qualitatif" de la capacité de ces luttes à remettre en cause l'encadrement syndical et rejeter les mystifications capitalistes. Ces deux plans sont nécessaires dans la mesure où il n'existe pas un lien mécanique entre la combativité et la conscience de la classe mais où également le nombre des luttes constitue en soi une donnée traduisant un certain niveau de conscience ou étant apte à favoriser celle-ci. Sur le plan "quantitatif", la comparaison fait apparaître depuis quelques années et particulièrement pour 1977, une diminution du nombre de grèves et de travailleurs impliqués dans celles-ci. On peut citer en exemple un grand nombre de pays mais certains sont particulièrement significatifs, comme la France entre 1968 et maintenant ou bien l'Italie entre 1969 et aujourd'hui. Sur le plan "qualitatif'', la comparaison entre le "mai rampant" italien, qui a connu le rejet explicite des syndicats de la part d'un nombre élevé de travailleurs et la situation présente où les syndicats contrôlent, malgré quelques ratés, l'ensemble de la classe ouvrière, parle d'elle-même. Une évolution semblable, bien que plus récente, s'est manifestée en Espagne où une période combats très durs pendant lesquels la classe ouvrière s'est donnée des formes de lutte comme les assemblées, a débordé fréquemment y compris les syndicats non-officiels et a manifesté des tendances à la généralisation dans une ville ou une région, est suivie par une période beaucoup plus "calme" où la signature d'un plan d'austérité n'a pas provoqué de réactions majeures et où les seules mobilisations massives se font sur des thèmes aussi mystificateurs que "l'autonomie nationale" y compris dans des provinces encore peu touchées jusqu'Ici par un tel virus.
6) A l'heure actuelle, les seuls pays qui connaissent des luttes importantes appartiennent à des zones excentrées par rapport au cœur du capitalisme. Il s'agit essentiellement de pays sous-développés ou à mi-chemin entre développement et sous-développement comme l'Amérique Latine (Argentine, Equateur, Bolivie), le Moyen-Orient ou l'Afrique du Nord (Algérie et Tunisie). De telles luttes sont une confirmation du fait qu'il existe dans ces pays, contrairement aux théories prétendant qu'ils doivent encore connaître un développement capitaliste pour qu'il s'y développe une classe ouvrière, un prolétariat capable de lutter pour ses propres Intérêts de classe au point même, dans certains cas, de faire reculer partiellement les menaces de guerre sur un plan local. Mais, en même temps, le fait qu'il faille chercher des luttes Importantes de la classe dans des pays où justement elle est moins concentrée, Illustre d'une façon frappante le fait que globalement la lutte de classe se trouve actuellement dans un creux,
7) Quand II s'agit d'expliquer les causes du décalage entre niveau de la crise et niveau de la lutte de classe, certains courants comme le FOR, par exemple, ont une Interprétation toute prête. Pour eux, la crise, l'insécurité, le chômage pèsent sur la combativité et la conscience de la classe ouvrière au point, de plus en plus, de la paralyser et de la jeter dans les bras des forces politiques bourgeoises. Dans cette conception, il ne peut y avoir de révolution contre le système que quand celui-ci fonctionne "normalement", en dehors des périodes de crise. A une telle analyse, on peut apporter les réfutations suivantes :
La crise ne constitue pas une "anomalie" du fonctionnement du capitalisme; bien au contraire, elle est une expression, la plus véridique et significative de son fonctionnement normal et ce qui était déjà valable dans la phase ascendante de ce mode de production prend une ampleur toute particulière dans la phase de décadence, si on estime que la classe ouvrière ne se révolte que quand "tout va bien" alors on rejette la vision historique du socialisme comme nécessité objective, on en revient aux théories de Bernstein et en niant l'existence d'une relation entre effondrement du système et lutte révolutionnaire, on est obligé de chercher pour cette dernière d'autres facteurs capables de la provoquer - tels que la conscience "fruit de l'éducation" ou la "révolte morale" toute l'histoire du mouvement ouvrier nous enseigne que les révolutions ne viennent qu'après des crises (1846) ou des guerres (1871, 1905, 1917), c'est-à-dire des formes aigues de crise de la société.
Il est vrai que dans certaines circonstances historiques, la crise a pu aggraver la démoralisation et la sujétion Idéologique de la classe (comme ce fut le cas au cours des années 30), mais c'était dans les moments où celle-ci était déjà battue, les difficultés qu'elle rencontrait venant alors Intensifier sa détresse au lieu de radicaliser ses luttes. Il se peut également que certaines manifestations de la crise comme le chômage puissent momentanément désorienter les travailleurs mais, ici encore, l'histoire enseigne que le chômage constitue lui aussi un facteur puissant de prise de conscience de la faillite du système.
En fin de compte, cette conception n'a pas pour seul inconvénient d'être fausse et Incapable de rendre compte ce la réalité historique maïs, de plus, elle conduit è la démoralisation de la classe ouvrière et à son apathie dans la mesure où elle aboutit logiquement à l'idée :
- qu'elle doit attendre patiemment que le système soit sorti de la crise avant d'espérer pouvoir le combattre victorieusement,
- qu'elle doit, pendant ce temps, modérer ses luttes qui ne sont promises qu'à des défaites.
Avec une telle conception, on est donc amené, et pire on incite la classe; à renoncer à la révolution au moment même où elle devient possible et donc à toute perspective révolutionnaire,
8) Pour rendre compte des périodes de creux dans la lutte prolétarienne et donc d'un décalage pouvant apparaître entre niveau d'une crise et le niveau des luttes, le marxisme a déjà mis en évidence le cours sinueux et en dents de scie du mouvement de la classe, différent en cela de celui de la bourgeoisie par exemple et l'explique par le fait que le prolétariat est la première classe révolutionnaire de l'histoire n'ayant dans la vieille société aucune assise économique, marchepied de sa future domination politique, que par suite sa seule force réside dans son organisation et sa conscience acquises dans la lutte et qui sont constamment menacées par les aléas de cette lutte et l'énorme pression exercée par l'ensemble de la société bourgeoise. Ces caractéristiques permettent d'expliquer le caractère convulsif et explosif des luttes prolétariennes, y compris quand le développement de la crise revêt une forme beaucoup plus progressive. Maïs ces traits de la lutte de classe déjà valables au siècle dernier sont encore bien plus nets dans la période de décadence du capitalisme avec la perte pour le prolétariat de ses organisations de masse : parti et syndicats. Et ce phénomène est encore amplifié par le poids de la contre-révolution qui suit la vague révolutionnaire de 1917-23 et qui conduit à une disparition presque totale des organisations politiques de la classe et à la perte de tout un capital d'expérience transmis entre les générations ouvrières.
A ces causes générales et historiques motivant un cours en dents de scie il faut ajouter les conditions particulières de la reprise prolétarienne de la fin des années 60 pour comprendre les caractéristiques présentes de la lutte de classe.
Les débuts du mouvement entre 1968 et 1972 sont marqués par une très forte poussée prolétarienne qui surprend compte-tenu des effets encore peu sensibles de la crise mais qui s'explique par :
Les faibles préparatifs de la classe bourgeoise à qui des décennies de "calme social" avaient fait penser que la révolte ouvrière appartenait désormais à l'imagerie d'Epinal, l'impétuosité des nouvelles générations ouvrières qui s'éveillaient à la lutte sans avoir été brisées comme les précédentes.
On assiste ensuite à une "prise de conscience" et à une contre-offensive de la classe bourgeoise favorisée par :
La lenteur de la crise dont l'approfondissement n'est pas venu immédiatement "soutenir" et "alimenter" la première vague de luttes et grâce à laquelle les gouvernements ont pu faire croire à une possibilité de "bout du tunnel", la jeunesse et l'inexpérience des générations ouvrières qui ont animé cette vague et qui les rend plus vulnérables à des fluctuations et aux pièges tendus par la bourgeoisie.
Pour l'ensemble de ces raisons, la forte aggravation de la crise à partir de 1974 essentiellement marquée par l'explosion du chômage, n'a pas provoqué Immédiatement une réponse de la classe. Au contraire, dans la mesure où elle a frappé celle-ci au moment du ressac de la vague précédente, elle a plutôt eu tendance à engendrer momentanément un plus grand désarroi et une plus grande apathie.
9) La contre-offensive de la bourgeoisie commence à se dessiner avec netteté dès le lendemain des premiers soubresauts de la classe et a pour fer de lance les fractions "de gauche" du capital, celles qui sont les plus "crédibles" pour les travailleurs. Elle consiste dans la mise en avant d'une "alternative de gauche" ou "démocratique", qui a pour but de canaliser le mécontentement ouvrier derrière la lutte contre "la réaction", "les monopoles", "la corruption" ou le "fascisme" dans le "respect des Institutions existantes". C'est ainsi que dans un grand nombre de pays, particulièrement là où la classe ouvrière a manifesté le plus de combativité, est mise en place toute une mystification tendant à "démontrer" :
Que "la latte ne pale pas,
Qu’il faut un "changement" pour faire face à la crise.
Suivant les pays, ce changement prend la forme :
En Grande-Bretagne de l'accession des travaillistes au pouvoir à la suite des grandes grèves de l'hiver 1972-73,
En Italie du "compromis historique" destiné, avec la venue du PCI au gouvernement à "moraliser" la vie politique,
En Espagne, de la "rupture démocratique" avec le régime franquiste,
Au Portugal, de la "démocratie" d'abord, du "pouvoir populaire" ensuite,
En France, du "programme commun" et de "l'union de la gauche" qui doivent mettre fin à 20 ans de politique du "grand capital".
Dans le travail de mobilisation de la classe ouvrière vers des objectifs capitalistes et donc la démobilisation de ses propres luttes, la gauche officielle (PC-PS) a reçu une aide fidèle de la part des courants gauchistes qui sont venus apporter une caution "radicale" à cette politique (particulièrement en Italie et en Espagne) quand ils n'en ont pas été les promoteurs directs.
10) Après cette première étape de mobilisation de la classe ouvrière derrière des objectifs illusoires, l'offensive bourgeoise a comporté en général une autre étape débouchant sur la démoralisation et l'apathie des travailleurs, soit par la réalisation de l'objectif mis en avant, soit par l'échec de sa perspective.
Dans le premier cas, la bourgeoisie poursuit sa mystification en décourageant toute lutte qui risquerait de "compromettre" ou "saboter" l'objectif enfin atteint :
En Espagne, Il ne faut pas faire "le jeu du fascisme", il faut se garder de tout ce qui pourrait affaiblir la "jeune démocratie" et donc favoriser le retour du régime honni,
En Grande-Bretagne, il ne faut pas créer de difficultés au gouvernement "du travail", ce qui favoriserait le retour des "Tories réactionnaires" avec qui "ce serait pire".
Dans le second cas, l'apathie de la classe est le résultat du fait que l'échec de la perspective mise en avant est ressenti comme une défaite, ce qui provoque dans un premier temps désenchantement et démoralisation. Cette démoralisation pèse d'autant plus que, contrairement aux défaites essuyées au cours des véritables luttes du prolétariat, qui sont source d'apprentissage et d'expérience de son unité et de sa conscience, ce type de défaite sur un terrain qui n'est pas le sien (la véritable défaite étant de s'y être laissé entraîner), laisse surtout du désarroi et un sentiment d'Impuissance et non la volonté de reprendre la combat avec de meilleures forces. Les exemples les plus nets d'un tel phénomène sont probablement celui du 25 novembre 1975 au Portugal qui est venu 'ruiner les espoirs de "pouvoir populaire" qui avaient pendant un an dévoyé les luttes prolétariennes, et plus récemment celui de la France où la rupture de l'Union de la Gauche est venue mettre fin à plus de cinq années de mirage du "programme commun" qui d'élection en élection avait réussi à anesthésier totalement la combativité ouvrière.
11) Le fait que la disparition d'une perspective pour laquelle la classe s'est mobilisée, plonge celle-ci dans le désarroi et l'apathie, ne signifie pas que l'ensemble du scénario soit planifié de façon machiavélique et délibérée entre les différentes forces de la bourgeoisie. En réalité, si elle laisse un certain temps le prolétariat désemparé, l'absence de perspectives conformes à l'intérêt bourgeois, risque de déboucher sur des explosions "incontrôlées" dans la mesure où l'encadrement capitaliste, et particulièrement syndical, ne peut se passer de telles perspectives. Et la bourgeoisie n'a aucun intérêt à ce que de telles explosions aient lieu car elles constituent autant d'expériences vivantes qui restent un acquis pour la classe. En fait, la faillite des objectifs qui ont réussi à démobiliser la lutte de classe, est fondamentalement le résultat des conflits entre différents secteurs de la classe dominante, qu'ils touchent des problèmes de politique intérieure (politique à l'égard des couches moyennes, rythme du cours vers le capitalisme d'Etat, ampleur des mesures en ce sens, etc.) ou de politique extérieure (plus ou moins grande intégration dans le bloc de tutelle). Au Portugal, l'élimination de la fraction Carvalho après celle de la fraction Gonçalves des sphères du pouvoir, est le résultat de la conjonction des résistances aux mesures de capitalisme d'Etat préconisées par ces deux fractions et des impératifs de fidélité au bloc américain et dont le PS s'est fait le porte-parole le plus dynamique et efficace.
En France, les motifs de la rupture entre PC et PS résident dans des divergences très importantes sur les mesures de capitalisme d'Etat (rôle et place des nationalisations, etc.) mais encore plus sur la politique extérieure (degré d'intégration dans le bloc américain) et qui pouvaient difficilement s'envisager dans un gouvernement. Mais dans un cas comme dans l'autre, les autres facteurs de la politique bourgeoise ont pu jouer et s'imposer dans la mesure où le facteur lutte de classe était passé au second plan de par la réussite de la mystification mise en avant. Paradoxalement, c'est la réussite du "pouvoir populaire" et du "programme commun" en tant que moyens de dévoyer la lutte prolétarienne qui les rend inutiles comme formules de gouvernement. Pour le moment donc, que les perspectives mises en avant aient été réalisées ou non, la contre-offensive de la bourgeoisie a globalement porté ses fruits en faisant taire presque totalement les réactions de la classe à l'aggravation de la crise, ce qui lui laisse les mains d'autant plus libres pour développer sa propre politique de renforcement de l'Etat et d'intensification de l'économie de guerre.
LE RENFORCEMENT DE L'ETAT
12) Le renforcement de l'Etat capitaliste est un processus constant depuis l'entrée du système dans sa phase de décadence. Il s'exerce dans tous les domaines : économique, politique et social par une absorption croissante de la société civile par le Léviathan étatique. Ce processus s'accélère encore lors des périodes de crise aiguë, telles les guerres et l'effondrement économique qui suit les périodes de reconstruction, comme celui qu'on connaît à l'heure actuelle. Mais l'élément marquant de ces derniers mois consiste dans le renforcement de l'Etat en tant que gardien de l'ordre social, en tant que gendarme de la lutte de classe : c'est ainsi qu'il faut Interpréter le dispositif policier et idéologique promu par le gouvernement allemand et ses confrères européens durant l'Affaire Baader. Ici semble surgir un paradoxe :
D’une part on constate que le renforcement de l'Etat est rendu possible par l'affaiblissement de la lutte de classe, d'autre part, on considère que c'est pour faire face à la lutte de classe que l'Etat se renforce.
Faut-il en conclure que l'Etat se renforce en même temps que la lutte de classe ? Ou bien faut-il dire que sa force est en raison inverse de la lutte de classe ?
Pour répondre correctement à ces questions, il faut prendre en considération l'ensemble des moyens qui constituent la force de l'Etat en tant que gardien de l'ordre (à l'exclusion de sa force économique donc). Ces moyens sont d'ordre :
Répressif, juridique, politique, idéologique. Il est clair qu'on ne peut séparer arbitrairement ces différents moyens dont les champs d'action s'interpénètrent mutuellement pour constituer le tissu superstructurel de la société, mais il est nécessaire de connaître leur spécificité pour comprendre comment Ils sont utilisés par la classe ennemie. En fait, au fur et à mesure que se développe la lutte de classe, les moyens "techniques" de la puissance étatique tendent à se renforcer:
Armement et nombre des forces de répression, mesures policières, arsenal juridique, mais en même temps les moyens politiques et idéologiques, quant à eux, tendent à s'affaiblir crise politique au sein de la classe bourgeoise ("ceux d'en haut ne peuvent plus gouverner comme avant"), rupture idéologique de la classe ouvrière à l'égard de l'emprise bourgeoise ("ceux d'en bas ne veulent plus vivre comme avant"). L'insurrection est le point culminant de ce processus quand l'Etat a été dépouillé de l'ensemble de ses moyens et qu'il ne lui reste plus, face à la lutte de classe, que la force physique, elle-même partiellement paralysée par la décomposition idéologique qui règne dans ses rangs. Quand on considère la puissance de l'Etat, il faut donc distinguer les aspects formels, qui évoluent dans le même sens quo la lutte de classe, de sa force réelle qui, elle, évolue en sens inverse.
13) Les derniers événements entourant l'affaire Baader manifestent un renforcement de l'Etat sur tous les plans, non seulement formel mais réel. Ou point de vue des moyens techniques de la répression, on a assisté ces derniers mois à un déploiement spectaculaire : utilisation des sections spéciales d'intervention de l'Etat allemand systématisation des contrôles frontaliers, quadrillage policier massif, collaboration étroite des différentes polices, proposition d'un "espace judiciaire européen", etc.
Sous l'angle politique, la bourgeoisie allemande a donné l'exemple à ses consœurs européennes en constituant un "Etat major de crise", regroupant les différentes forces politiques rivales surmontant "face au danger" leurs dissections. Mais c'est sur le plan idéologique que l'offensive capitaliste a été la plus importante. Profitant d'un rapport de forces qui lui est pour l'instant favorable, la bourgeoisie a organisé tout un battage sur le terrorisme destiné à :
Justifier les déploiements policiers et les mesures juridiques diverses,
habituer l'opinion à un usage de plus en plus massif de la violence étatique contre la violence des "terroristes", substituer à la vieille mystification "démocratie contre fascisme" quelque peu usée, une nouvelle mystification "démocratie contre terrorisme" qui serait sensé la menacer.
14) Dans cette offensive en vue de renforcer l'emprise policière et idéologique de son Etat, la bourgeoisie a utilisé d’une façon très adroite le prétexte que lui a donné le comportement désespéré d'éléments de la petite bourgeoisie en décomposition, vestiges du mouvement étudiant du milieu des années 60. Mais cela ne signifie pas que ce renforcement trouve sa cause dans les agissements d'une poignée de "terroristes" ou même que ce renforcement n'aurait pu se faire sans ces agissements. En fait, c'est essentiellement de façon préventive contre la classe ouvrière, et non contre les piqûres de moustiques terroristes, que la bourgeoisie déploie dès aujourd'hui son arsenal. Et ce n'est pas un hasard si c'est la bourgeoisie allemande et particulièrement son parti social-démocrate qui se trouve à l'avant-garde de cette offensive :
L’Allemagne occupe au cœur de l'Europe, tant sur le plan économique que géographique, une position clé du point de vue de l'évolution des futures luttes de classe,
Ce pays jusqu'à présent relativement épargné, entre de plein pied dans des convulsions économiques particulièrement sous la forme d'une poussée très forte du chômage, le SPD dispose d'une expérience incomparable en matière de répression de la classe ouvrière; c'est lui qui a joué le rôle de "chien sanglant" contre les insurrections ouvrières à la fin de la première guerre mondiale et qui a provoqué l'assassinat des "terroristes" Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht.
Les leçons essentielles que nous enseignent ou nous rappellent les événements liés à l'affaire Baader, sont :
- Avant même que la classe ouvrière, à l'exception d'une toute petite minorité, ait compris l'inéluctabilité d'affrontements de classe violents avec la bourgeoisie, celle-ci a déjà mis en branle tout un dispositif pour y faire face,
- dans ce dispositif, les partis socio-démocrates joueront en Europe occidentale un rôle majeur, malgré leurs bavardages "humanistes" et "sociaux", et grâce à eux, contrairement à ce qui pouvait se passer dans la période ascendante du capitalisme, le langage "démocratique" ne fait que recouvrir une terreur d'Etat systématique qui ne s'embarrasse des "garanties démocratiques" que quand elles lui conviennent, dans sa lutte à mort contre la classe ouvrière, le capitalisme est ' prêt à utiliser pour survivre, tous les moyens qui seront à sa disposition, y compris les plus terrifiants, la période où le "droit d'asile" avait un sens, est bien terminée; désormais l'ensemble des nations capitalistes, y compris les plus "libérales", deviendra pour les éléments de la classe pourchassés dans leur pays une Immense "planète sans visa".
LE RENFORCEMENT DE L'ECONOMIE DE GUERRE
15) L'économie de guerre n'est pas un phénomène nouveau : elle s'est imposée au capitalisme depuis l’entrée de ce système dans sa phase de décadence marquée par la succession des cycles : crise-guerre-reconstruction- nouvelle crise etc. La guerre constitue le point culminant de la crise de la société ainsi que son expression la plus significative puisqu'elle signe le fait que le capitalisme ne peut se survivre qu'à travers des autodestructions et des mutilations successives. Et, de ce fait, toute la vie sociale et particulièrement l'infrastructure économique est dominée par la guerre, ses effets ou ses préparatifs. Le phénomène de l'économie de guerre apparaît donc de façon généralisée en 1914 par une mobilisation de toutes les ressources de la nation, sous l'égide de l'Etat, en vue de la production d'armements. Après 1918, on assiste cependant à un certain recul de ce phénomène Hé, d'une part aux convulsions sociales de cette période et qui font passer les rivalités inter-impérialistes au second plan dans la vie du capitalisme, et d'autre part aux propres illusions de la bourgeoisie qui avait cru à la véracité de sa propre propagande sur "la der des der". Mais le phénomène apparaît avec encore plus d'Intensité qu'auparavant dans les années 30, suite à la nouvelle crise aiguë qui frappe le système. Il revêt des formes politiques variées (fascisme, national-socialisme, new-deal, fronts populaires, plan De Man) mais qui sont toutes orientées vers les prépara "-tifs pour Ha guerre impérialiste et qui s'accompagnent d'une emprise de plus en plus totalitaire de l'Etat sur l'ensemble de la vie sociale. Un tel phénomène atteint évidemment ses plus grands sommets au cours de la deuxième guerre mondiale mais, au lendemain de celle-ci, contrairement au premier après-guerre, il ne se résorbe pas de façon totale. Avant même que l'Axe ne soit écrasé, les rivalités Inter-impérialistes se manifestent avec force au sein du camp des vainqueurs pour culminer dans la "guerre froide". De ce fait, on note la poursuite d’une production d'armements dans les proportions massives, phénomène qui ne s'est pas démenti jusqu'à aujourd'hui.
16) L'existence permanente d'une économie de guerre ne saurait être interprétée comme une "solution" aux contradictions du capitalisme, qui passerait par une modification radicale du but de la production. Celui-ci, en effet, reste toujours la production de plus-value et contrairement à ce qu'ont pu penser certaines tendances, y compris au sein du mouvement ouvrier- pour qui l'économie de guerre aurait constitué une "politique économique en sol", capable d'éviter au système les crises et de lui assurer une nouvelle ère d'essor et de prospérité, repoussant tout danger de guerre impérialiste, ce type d'économie n'a d'autre signification que la préparation directe de la guerre et ne permet de faire face à aucune des impasses économiques. Certes, on a pu voir que la production d'armes (et plus généralement les dépenses improductives) ont permis une certaine relance de l'activité économique à certains moments de l'histoire (politiques de Hitler et de Roosevelt, par exemple), mais cela n'a pu se faire que :
- par une intensification considérable de l'exploitation de la classe ouvrière,
- par un endettement massif de l'Etat qui doit bien se faire rembourser les dépenses qu'il a engagées et pour qui une nouvelle guerre apparaît comme un moyen (entre autres) de faire payer les pays vaincus.
En ce sens, non seulement l'économie de guerre ne constitue pas une "solution" permettant au capitalisme de surmonter la crise (et donc la guerre elle-même) mais de plus elle vient aggraver encore la situation économique et renforce d'autant la nécessité de la guerre. Ainsi, le fait que l'économie de guerre n'ait cessé d'exister de façon massive depuis 1945, laisse aujourd'hui au capitalisme une marge de manœuvre bien plus étroite qu'en 1929 face à la crise. En 1929, le poids relativement faible de l'économie de guerre et les réserves financières des Etats à l'issue de la période de reconstruction donnaient la possibilité momentanée d'une relance. Par contre aujourd'hui, après 30 années où l'économie de guerre n'a cessé de peser (sans compter la guerre elle-même évidemment), et bien qu'elle ait permis de prolonger la période de reconstruction jusque vers 1965, une telle politique ou son renforcement n'est plus en mesure de permettre un quelconque sursis dans la mesure où les Etats sont déjà endettés de façon généralisée. En particulier, le fait que l'inflation, qui s'était maintenue de façon endémique au lendemain de la guerre comme résultat du poids des dépenses improductives (dont l'armement), ait pris depuis le début de la crise ouverte une forme violente, traduit bien cette réalité que la crise du capitalisme se manifeste aujourd'hui comme crise et faillite des mécanismes basés sur l'économie de guerre elle-même.
17) Mais le fait que l'économie de guerre soit elle-même devenue facteur aggravant de la crise, ne peut empêcher son renforcement croissant de la part de chaque Etat et plus généralement de la part de chaque bloc. Dans la mesure où la guerre constitue le seul aboutissement que le capitalisme puisse donner à sa crise, oblige chaque jour plus chaque bloc à accentuer ses préparatifs de tous ordres et particulièrement sur le plan d'une soumission toujours plus grande de l'économie aux besoins d'armements qui suppose :
- un contrôle de plus en plus absolu et totalitaire de l'appareil productif par l'Etat,
- une réduction massive de la consommation de toutes les classes et catégories sociales,
- une augmentation massive de l'exploitation de la classe produisant l'essentiel des richesses sociales, le prolétariat.
En ce sens, le repli constaté à l'heure actuelle dans la lutte de classe, a permis une nouvelle offensive contre son niveau de vie, correspondant à une tentative pour chaque capital national d'améliorer sa position sur le marché mondial mais aussi à un nouveau renforcement de l'économie de guerre et donc à une accélération du cours vers la guerre elle-même.
VERS LA GUERRE IMPERIALISTE OU LA GUERRE DE CLASSE ?
18) La constatation de l'évolution présente du rapport de forces au détriment du prolétariat et de l'aggravation du cours vers la guerre Impérialiste qui en résulte, peut conduire à 1’idée que désormais ce cours est devenu dominant et que la classe bourgeoise peut, sans entrave notable, déchaîner une nouvelle boucherie impérialiste. En d'autres termes, le prolétariat serait déjà vaincu et incapable de perturber le libre jeu des nécessités capitalistes. Avec une telle analyse, nous serions déjà à la veille de 14 ou 39. Peut-on faire un tel rapprochement Cela supposerait que le degré de soumission du prolétariat au capitalisme soit aujourd'hui au moins égal à ce qu'il était à ces deux dates. Qu’en est-il ?
En 1914, malgré l'influence de la social-démocratie sur les travailleurs, ses succès électoraux, la puissance de ses syndicats, toutes choses qui font l'orgueil de ses dirigeants et d'un grand nombre de ses membres, et à cause de ces faits eux-mêmes, la classe ouvrière est battue, non pas physiquement mais idéologiquement. L'opportunisme a déjà fait ses plus grands ravages : croyance en un passage graduel au socialisme et en une amélioration constante des conditions de vie de la classe ouvrière, abandon de toute perspective d'un affrontement violent avec l'Etat capitaliste, adhésion aux Idéaux de la démocratie bourgeoise, à l'idée d'une convergence des intérêts des travailleurs et de ceux de leur propre bourgeoisie, par exemple dans la politique coloniale, etc. Malgré la résistance de ses éléments de gauche, cette dégénérescence frappe l'ensemble de la social-démocratie qui se fait un agent d'encadrement du prolétariat au service du capitalisme en freinant ses luttes, en les dévoyant vers des impasses, et, enfin, en prenant la tête de l'hystérie guerrière et chauvine. Et, malgré des manifestations locales de combativité ouvrière comme en Russie en 1913, malgré le maintien de certains partis socialistes sur un terrain de classe (comme en Serbie, etc), c'est globalement que la classe ouvrière est battue et plus particulièrement dans les pays les plus Ira- portants comme l'Allemagne, la France, l'Angleterre et la Belgique où différentes manifestations d'opportunisme (le "révisionnisme" de Bernstein et le réformisme "orthodoxe" de Kautsky le ministérialisme de Millerand et l'humanisme pacifiste de Jaurès, le trade-unionisme, le réformisme de Vandervelde) l'ont complètement démobilisée et livrée pieds et poings liés à ses différentes bourgeoisies. En fin de compte, contrairement aux apparences, ce n'est pas l'éclatement de la guerre en août 1914 qui provoque l'effondrement de la Même Internationale mais bien la dégénérescence opportuniste du mouvement ouvrier qui rend possible l'éclatement de la guerre, la- quelle ne fait que mettre en pleine évidence et achever un processus depuis longtemps en cours.
En 1939, lorsque la seconde guerre mondiale est déclenchée, la classe ouvrière se prouve dans une détresse beaucoup plus profonde qu'en 14. C'est à la fois physiquement et idéologiquement qu'elle a été battue. A la suite de la grande vague révolutionnaire du premier après-guerre, la bourgeoisie a mené une contre-offensive massive qui s’est étendue sur près de deux décennies et a comporté trois étapes :
- épuisement de la vague révolutionnaire par une série de défaites dans différents pays, défaite de la Gauche Communiste exclue de l'IC dégénérescente, construction du "socialisme dans un seul pays" (lire le capitalisme d'Etat) en URSS,
- liquidation des convulsions sociales dans le centre décisif où se joue l'alternative historique : l'Allemagne, par l'écrasement physique du prolétariat et l'Instauration du régime hitlérien; simultanément mort définitive de l'IC et faillite de l'opposition de gauche de Trotski sombrant dans le manoeuvriérisme et l'aventurisme.
- dévoiement total du mouvement ouvrier dans les pays "démocratiques" sous couvert de "défense des conquêtes" et "d'antifascisme", enveloppe moderne de la "défense nationale"; en même temps intégration complète des partis "communistes" dans l'appareil politique de leur capital national et de l'URSS dans un bloc impérialiste ainsi que liquidation de nombreux groupes révolutionnaires et communistes de gauche qui, au travers de l'adhésion à l'idéologie antifasciste (particulièrement lors de la guerre d'Espagne) et à la "défense de l'URSS", sont happés dans l'engrenage du capitalisme ou disparaissent. En fin de compte, à la veille de la guerre, la classe ouvrière est soit soumise à ta terreur stalinienne ou hitlérienne, soit complètement dévoyés dans l’antifascisme et les rares groupes communistes qui tentent d'exprimer avec les pires difficultés sa vie politique, sont dans un état absolu d'Isolement et réduits quantitativement à de petits ilots négligeables. Bien moins encore qu'en 1914, elle ne peut apposer la moindre résistance au déclenchement de la deuxième boucherie impérialiste.
19) Aujourd'hui, on peut constater, comme on l'a vu, la persistance de beaucoup d'Illusions - en particulier électoralistes - dans la classe ouvrière; il faut relever également une certaine confiance de sa part à l'égard des partis "ouvriers" (PC et PS) mais on n'est pas autorisé à en conclure qu'elle est déjà battue, ni physiquement, ni idéologiquement. Certes, elle a pu subir ces derniers temps, des défaites physiques comme au Chili en 1973, mais uniquement dans des zones excentrées par rapport au cœur du capitalisme. Sur le plan idéologique, l'influence présente des partis de gauche ne peut pas être comparée à l'influence de la social-démocratie en 1914 ni à celle qu'ils avaient à la fin des années 30 : ils sont passés depuis trop longtemps au service du capitalisme, ils ont à leur actif trop de participations gouvernementales pour qu'ils puissent provoquer parmi les travailleurs les mêmes illusions et le même enthousiasme que par le passé. Par ailleurs, 1'idéologie "antifasciste" est aujourd'hui bien usée pour avoir trop servi déjà et ses "produits de remplacement" comme "l'anti-terrorisme", malgré leur succès présent, ne sont pas promis à une aussi grande carrière: la "bande à Baader" aurait bien du mal à provoquer la même peur que les SS de Hitler. Enfin, le bellicisme, l'envie d'en découdre avec "l'ennemi héréditaire" est bien peu répandue à l'heure actuelle et il est bien difficile pour le moment de mobiliser les jeunes générations ouvrières pour une telle cause (voir par exemple la décomposition du corps expéditionnaire américain au Vietnam au début des années 70).
Globalement, les conditions pour l'engagement d'une nouvelle guerre 4mpériallste sont aujourd'hui bien moins favorables è la bourgeoisie qu'en 1939 et môme qu'en 1914. Et même si elles étaient semblables à celles qui existaient à cette dernière date, on peut considérer que cela ne suffirait pas pour que la bourgeoisie -qui est capable de tirer les leçons de l'histoire - s'engage dans une nouvelle guerre qui risquerait d'aboutir au même résultat qu'en 1917. Les longs préparatifs de la seconde guerre mondiale, l'écrasement systématique avant son déclenchement, démontrent qu'après cette expérience où elle a senti menacée sa survie même, la bourgeoisie désormais ne se laissera entraîner dans une guerre généralisée qu'après avoir acquis la certitude absolue que la classe ouvrière a été dépouillée de toute possibilité de riposte.
Aujourd'hui, une telle certitude de la bourgeoisie passe par un écrasement préalable physique et idéologique du prolétariat. La perspective reste donc : non pas guerre Impérialiste mais guerre de classe, telle qu'elle a été analysée par le CCI à partir des premiers affrontement de classe à la fin des années 60.
20) Si malgré le creux présent, la perspective historique d'aujourd'hui reste à l'affrontement de classes, Il faut donc s'attendre à une reprise, à terme, des luttes prolétariennes. Et bien qu'il soit Impossible de prévoir le moment précis de cette reprise, on peut néanmoins en dégager certaines conditions et caractéristiques. La condition majeure de la reprise est l'abandon par la classe d'une bonne partie des illusions sur les "solutions" mises en avant par la gauche du capital. Un tel processus semble à l'heure actuelle engagé : soit que la gauche au pouvoir ait tendance de plus en plus à se déconsidérer, soit que l'échec des perspectives mises en avant commence à provoquer une certaine perplexité à leur égard. Comme on l'a vu, la perte d'illusions ne permet pas nécessairement et immédiatement un regain de combativité des travailleurs, mais, en général, provoque une certaine apathie. Il n'est pas exclu également, qu'aux illusions perdues II ne puisse s'en substituer de nouvelles mises en œuvre, en particulier, par des secteurs plus "à gauche" de la bourgeoisie. C'est pour cela qu'il serait Imprudent de prévoir une reprise Immédiate et générale des luttes. Cependant, ces nouvelles Illusions ou l'éventuelle démoralisation de la classe ne peuvent elles-mêmes résister à la progression inexorable de la crise, à l'aggravation des souffrances qu'elle représente pour le prolétariat et donc au développement de son mécontentement. En particulier, l'extension massive et persistante du chômage constituera un cinglant démenti des bavardages sur "l'efficacité" des diverses "solutions de rechange" proposées pour "résoudre la crise". Tôt ou tard, c'est cette pression économique elle-même qui jettera de nouveau les ouvriers dans la lutte. Et s'il est difficile d'évaluer le seuil de la crise à partir duquel se réamorcera un nouveau cycle de luttes de classe, il semble possible, par contre, d'établir que ce prochain cycle - et ce sera un des critères qui permettront de le reconnaître et de ne pas le confondre avec des explosions sans lendemain - devra aller au delà du cycle précédent notamment dans deux domaines : l'autonomie des luttes et la reconnaissance de leur caractère International., dans la mesure où c'est par l'encadrement syndical et la mystification sur la défense de "l'économie nationale" que la bourgeoisie a repris les choses en main jusqu'Ici. La prochaine reprise devrait donc se traduire par : un débordement beaucoup plus net que par le passé des syndicats et son corollaire : la tendance à une plus grande auto-organisation (assemblées générales souveraines, constitution de comités de grèves élus et révocables, coordination de ceux-ci entre les entreprises d'une même ville, d'une même région, etc.), une plus grande conscience du caractère international de la lutte qui pourra se traduire dans la pratique par des mouvements de solidarité Internationale, l'envol de délégations d'ouvriers en lutte (et non syndicales) d'un pays à l’autre, etc..
En résumé, la situation d'aujourd'hui se présente comme une veillée d'armes, qui peut encore se prolonger, qui peut être troublée par des éclats violents mais ponctuels, et pendant laquelle se poursuit tout un travail souterrain de maturation, s'accumulent toute une série de tensions et de charges qui vont nécessairement exploser dans de nouveaux et formidables combats de classe, qui ne constitueront probablement pas encore le surgissement révolutionnaire décisif (et II faut s'attendre à de nouvelles contre-offensives bourgeoises et à de nouvelles périodes de recul temporaire), mais à côté desquels ceux de la fin-des années 60 et début des années 70, risquent d'apparaître comme de simples escarmouches.
Janvier 1978
Ce texte n'a pas la prétention de traiter tous les problèmes que soulève la théorie marxiste des crises. Son but est simplement de fournir un cadre au débat qui s'ouvre dans le mouvement révolutionnaire international; il ne prétend pas donner un point de vue "objectif" sur le débat dans la mesure où il défend une interprétation spécifique des origines de la décadence du système capitaliste, mais nous espérons qu'il pourra donner certains axes qui permettent à la discussion de se poursuivre de manière constructive.
De façon générale, nous pouvons dire que le renouveau de la discussion sur la crise du capitalisme vient répondre à la réalité matérielle que nous vivons depuis la fin des années 60 : le plongeon irrémédiable du système capitaliste mondial dans un état de crise économique chronique. Les symptômes avant-coureurs du milieu des années 60 qui avaient pris la forme d'une dislocation du système monétaire international, ont cédé la place aux manifestations d'un désastre plus grand touchant le cœur même de la production capitaliste : chômage, inflation, chute des taux de profit, ralentissement de la production et du commerce. Aucun pays du monde -y compris les soi-disant pays "socialistes"- n'a échappé aux effets dévastateurs de cette crise. Au cours des années (19)50 et 60, l'apparent "succès" de l'économie capitaliste de l'après-guerre a ébloui bien des éléments d'un mouvement révolutionnaire extrêmement restreint qui parvenait à maintenir une existence précaire durant ces années de calme de la lutte de classe et de croissance économique. Socialisme ou Barbarie, l'Internationale Situationniste et d'autres ont pris cette phase de relative prospérité pour argent comptant et déclaré que le capitalisme avait résolu ses contradictions économiques et donc que ce n'était plus dans les limites objectives du système que se trouvaient les conditions d'un soulèvement révolutionnaire mais dans le refus "subjectif" de la classe exploitée. Les prémisses mêmes du marxisme étaient remis en question et l'on relégua les groupes qui continuaient à maintenir que le système capitaliste ne pouvait pas échapper et n'échapperait pas à un nouveau cycle de crises économiques, au rang des "reliques" d'une Gauche Communiste maintenant dépassée et se cramponnant vainement à une orthodoxie marxiste fossilisée.
Néanmoins, quelques petits groupes héritiers de la Gauche Communiste comme Internationalisme en France dans les années 40 et 50, celui de Mattick aux Etats-Unis, Internacionalismo au Venezuela dans les années 60 se sont accrochés avec ténacité à leurs positions. Ils ont compris ce qu'était exactement le boom d'après-guerre : un moment du cycle de crise-guerre et reconstruction qui caractérise le capitalisme dans sa période de décadence. Ils ont reconnu les premiers hoquets de l'économie au milieu des années 60 pour ce qu'ils étaient : les premiers chocs d'un nouvel effondrement économique; et ils ont compris que la résurgence des luttes ouvrières à partir de 68 n'était pas l'expression d'un refus des "dirigés" d'être "dirigés", mais la réponse du prolétariat à la crise économique et à la détérioration de son niveau de vie. Quelques années après 68, c'est devenu impossible de nier la réalité d'une nouvelle crise économique mondiale. Les débats qui ont donc eu lieu alors, ne portent évidemment pas sur l'existence ou non de la crise, mais sur ce qu'elle signifiait : était-elle, comme le prétendaient certains, l'expression d'un déséquilibre purement temporaire, de la nécessité de "restructurer" l'appareil productif, de l'augmentation du prix du pétrole ou des revendications des ouvriers pour l'augmentation des salaires ; ou était-elle, comme l'ont défendu les précurseurs du CCI, une expression du déclin historique irréversible du capitalisme, un nouveau moment de l'agonie du capital qui ne pouvait mener le monde qu'à la guerre ou à la révolution mondiale ?
L'approfondissement inexorable de la crise, la reconnaissance par la bourgeoisie elle-même du fait qu'il ne s'agissait pas d'une simple fluctuation temporaire mais de quelque chose de plus profond et bien plus grave, ont tranché le débat pour les éléments les plus avancés du mouvement révolutionnaire. Un processus de décantation a eu lieu qui laissa de côté les groupes qui niaient la nature de la crise actuelle comme une expression de la décadence du système capitaliste -comme le GLAT en France qui est tombé dans la forme la plus raffinée d'académisme, cependant pas avant d'avoir abandonné silencieusement l'idée que la crise était due à la lutte de classe. Aujourd'hui, la question n'est plus de savoir si la crise est une manifestation de la décadence du capitalisme, le débat porte sur les fondements économiques de la décadence elle-même, et en ce sens, il est déjà l'expression de tout un processus de clarification qui a eu lieu durant ces quelques années passées. Le seul fait que le débat se situe à ce niveau est le produit des progrès qu'a effectué le mouvement révolutionnaire.
Comprendre que le capitalisme est un système en décadence, est absolument crucial pour toute pratique révolutionnaire aujourd'hui. L'impossibilité des réformes et de la libération nationale, l'intégration des syndicats à l'Etat, la signification du capitalisme d'Etat, la perspective qu'affronte la classe ouvrière aujourd'hui, aucun de ces points fondamentaux ne peut être compris sans les situer dans le contexte de la période historique dans laquelle nous vivons. Mais si aucun groupe révolutionnaire cohérent ne peut travailler sans comprendre la période de décadence, l'importance immédiate du débat sur les fondements économiques de celle-ci est moins claire. Nous tâcherons de traiter cette question dans ce texte, mais pour le moment, nous voudrions revenir sur quelques erreurs qui pourraient être faites. En gros, il est possible de tomber dans trois erreurs:
1) Nier l'importance de la
question sous prétexte qu'elle serait "académique" ou
"abstraite". Le groupe Workers' Voice
de Liverpool qui s'est regroupé avec Revolutionary Perspectives en 75 puis a rompu un an après, est un exemple de cette
attitude. L'une des faiblesses de ce groupe -même si ce n'était pas la plus
importante- c'était son absence de préoccupation et même son incompréhension
vis-à-vis de la décadence.
Il n'allait pas au-delà
d'une vague affirmation que le capitalisme était en déclin, ce qui a amené le
groupe à de graves confusions. Certains membres de Liverpool, quand ils étaient
encore dans la CWO, ont commencé à développer une vision complètement idéaliste
et morale de la lutte de classe, pendant que d'autres succombaient aux
illusions immédiatistes parce que des grèves locales venaient d'avoir lieu. En
règle générale, de telles attitudes de mépris de la "théorie"
s'accompagnent d'une vision activiste du travail politique.
2) Exagérer l'importance du débat. C'est actuellement une tendance répandue dans le milieu révolutionnaire; aussi allons-nous nous étendre un peu plus dessus. Un exemple typique de ce genre, c'est la CWO qui non seulement considère que la seule explication économique de la décadence du capitalisme est la baisse tendancielle du taux de profit, mais encore voit derrière chaque prétendue erreur des groupes politiques leur "fausse" explication de la décadence. Par exemple, la CWO estime que le PIC est activiste parce qu'il a une analyse "luxemburgiste" de la décadence (Revolutlonary Perspectives n°8) et que les insuffisances politiques du CCI (qui vont de son analyse et de ses rapports de la gauche jusqu'à ses erreurs sur la période de transition), plongent aussi leurs racines dans son analyse "luxemburgiste" de la crise. Puisque la CWO juge que les positions politiques ne découlent pas, fondamentalement, d'une compréhension de la période de décadence mais plus encore, de l'analyse économique spécifique faite de celle-ci, elle en conclut qu'il est impossible de se regrouper avec des organisations qui ont une analyse différente des causes de la décadence. En même temps, la CWO insiste énormément sur la nécessité d'écrire des articles sur "l'économie", et ce au détriment d'autres préoccupations qui sont aussi la tâche des révolutionnaires.
On trouve le même genre de tendance académique dans des cercles d'études en Scandinavie, en particulier. Pour beaucoup de camarades là-bas, mener une activité politique régulière et créer une organisation sont des choses impossibles tant qu'on n'a pas compris dans les moindres détails l'ensemble de la critique de l'économie politique qu'a faite Marx. Et puisqu'une telle tâche est pratiquement irréalisable, on repousse indéfiniment l'engagement dans une activité politique au profit de sessions d'études du Capital ou de débats sur les dernières productions du "marxisme" académique dont les universités de Scandinavie ou d'Allemagne nous submergent.
Les camarades qui surestiment ainsi la signification de l'analyse économique, ne comprennent pas en réalité de qu'est le marxisme. Il n'est pas un nouveau système économique" mais la critique de l'économie politique bourgeoise du point de vue de la classe ouvrière. Et en fin de compte, c'est de ce point de vue de classe qui permet d'atteindre une claire compréhension du processus économique de la société capitaliste il n'y a pas d'autre moyen d'y arriver. Penser que la clarté politique et la défense d'un point de vue prolétarien peuvent découler d'une étude abstraite et contemplative de l'économie ou qu'il est possible de séparer la critique marxiste de l'économie politique et le point de vue partisan de la classe ouvrière, c'est laisser tomber les prémisses mêmes du marxisme qui est basé sur l'idée que l'existence précède la conscience et que de sont les intérêts des classes qui déterminent leur vision de l'économie et de la société. C'est tomber dans une caricature idéaliste du marxisme qui est alors considéré comme une science "pure" ou une discipline académique qui existerait dans le royaume des abstractions et bien loin de la réalité sordide et vulgaire de la politique et de la lutte de classe.
La critique de l'économie politique bourgeoise qu'a faîte Marx, montre qu'en dernière instance, les théories économiques bourgeoises sont une apologie des Intérêts de classe de la bourgeoisie; et la critique de Marx est l'expression des intérêts du prolétariat. L'analyse de la tendance inhérente du capital à l'effondrement qui s'exprime dans le Capital et dans d'autres œuvres, constitue l'élaboration théorique de la conscience pratique que le prolétariat développe en tant que sujet historique, dernière classe exploitée dans l'histoire et porteuse d'un mode de production supérieur et sans classe. C'est seulement du point de vue de cette classe qu'on peut comprendre la nature transitoire du capitalisme et que le communisme constitue la résolution des contradictions du capital. Aussi, l'existence du prolétariat précède-t-elle Marx, et les théories élaborées par Marx, le marxisme, sont le produit du prolétariat. Les conceptions générales développées dans le Manifeste Communiste -avec ses positions et ses polémiques "vulgairement politiques" par nos académiciens- ont précédé et jeté les bases de la réflexion la plus développée qui s'exprime dans le Capital. Et le Capital lui-même, cette "merde d'économie" comme le disait Marx, était conçu seulement comme la première partie d'une œuvre beaucoup plus vaste qui devait traiter chaque aspect de la vie politique et sociale dans le capitalisme. Ceux qui pensent qu'on doit comprendre chaque point et chaque virgule du Capital avant de pouvoir aborder les positions de classe du prolétariat et de la défendre activement, mettent simplement le marxisme et l'histoire sur la tête.
Chez Marx, il n'y a pas de distinction entre l'analyse "politique" et l'analyse "économique", l'une qui serait la compréhension pratique du monde d'un point de vue de classe, l'autre qui serait "objective" et "scientifique" et que n'importe quel professeur d'université ou autre gourou gauchiste assez intelligents pour être capables de lire les volumes du Capital, pourrait l'appliquer. C'est la conception de Kautsky et d'autres théoriciens de la Seconde Internationale sur le marxisme -une science neutre élaborée par des intellectuels bourgeois et apportée de "l'extérieur" au prolétariat. Mais pour Marx, la théorie communiste est une expression du prolétariat lui-même :
Le Capital, comme toutes les œuvres de Marx, est le produit militant et polémique d'un communiste, d'un combattant du prolétariat. On ne peut le concevoir autrement que comme une arme du prolétariat, une contribution à sa prise de conscience et à son émancipation. Et comment Marx qui critiquait la philosophie bourgeoise radicale comme toute la philosophie, pour n'avoir fait qu'interpréter le monde, aurait-il pu écrire un autre ouvrage ?
Marx s'est penché sur l'étude de l'économie politique parce qu'il voulait donner une base plus ferme, un cadre plus cohérent aux perspectives politiques qui découlaient de la lutte de classe et de ses expériences. Jamais il ne l'a considérée comme une alternative à une activité politique (et d'ailleurs, Marx interrompait sans cesse ses travaux pour participer à l'organisation de l'Internationale), ni comme l'unique source des positions révolutionnaires; elle ne pouvait, en aucun cas, remplacer ce qui était sa substance réelle : la conscience historique du prolétariat.
Tout comme la clarté politique se base en tout premier lieu sur la capacité à assimiler le contenu de l'expérience de la classe ouvrière, les confusions politiques expriment essentiellement l'incapacité de le faire, et plus encore, la pénétration de l'Idéologie bourgeoise. Ainsi, les confusions d'un Bernstein sur les possibilités offertes au capitalisme de surmonter ses crises, n'étaient pas le simple résultat de son incapacité à comprendre comment fonctionne la loi de la valeur, mais reflétaient la subordination idéologique croissante de la social-démocratie aux intérêts du capital. Et la critique révolutionnaire par Rosa Luxemburg et d'autres du réformisme, ne venait pas du fait qu'ils étaient de "meilleurs économistes" mais de leur capacité à défendre une perspective de classe contre les pénétrations de l'Idéologie bourgeoise.
3) Une autre Idée étroitement liée à cette seconde attitude, c'est de croire que le débat a été ou sera finalement résolu. Ceci implique à nouveau que les processus économiques peuvent tous être compris si on est assez intelligent ou scientifique, ou si on a assez de temps pour s'attacher à leur étude. En fait, au delà de certaines idées fondamentales et en particulier celles qui surgissent directement de la nature et de l'expérience du prolétariat -comme la réalité de l'exploitation, l'inévitabilité de la crise, la signification concrète de la décadence, bien des problèmes "économiques" soulevés par le marxisme ne peuvent jamais être tranchés de façon décisive, précisément parce qu'ils ne relèvent pas tous de l'expérience de la classe dans sa lutte. Ceci s'applique à la question de la force qui détermine le déclin du système capitaliste : l'expérience future de la classe ouvrière ne sera pas suffisante pour déterminer si la décadence a commencé en premier lieu comme résultat de la baisse tendancielle du taux de profit ou bien de la saturation du marché mondial, à la différence d'autres questions aujourd'hui "ouvertes" comme la nature exacte de l'Etat dans la période de transition qui sera résolue dans la prochaine vague révolutionnaire.
Ceci est déjà suffisant pour confirmer que les débats sur les "causes" réelles de la décadence ne peuvent être déclarés achevés, mais il est aussi important de noter que Marx lui-même n'a jamais élaboré une théorie complète de la crise historique du capitalisme et ce serait a-historique de s'attendre à ce qu'il l'ait fait puis qu'il ne pouvait saisir tout le phénomène de la décadence du capitalisme dans une période où le système était encore en train de se développer sur la planète. Marx a dégagé des indications générales, des conceptions fondamentales et par dessus tout une méthode pour aborder le problème. Les révolutionnaires d'aujourd'hui doivent reprendre cette méthode mais, justement parce que le marxisme n'est pas une doctrine figée mais une analyse dynamique d'une réalité en mouvement, Ils ne peuvent pas le faire en se réclamant faussement d'un "marxisme orthodoxe" qui aurait eu depuis longtemps le dernier mot sur tous les aspects de la théorie révolutionnaire. Cette attitude ne conduit en fin de compte qu'à une distorsion de ce que Marx disait en réalité. La CWO, par exemple, qui cherche à montrer que l'explication de la décadence par la baisse tendancielle du taux de profit est la seule explication marxiste, est tombée dans le piège de rabaisser en réalité toute préoccupation concernant la surproduction de marchandises comme si elle n'avait rien à voir avec Marx et comme si c'était seulement une variante de la théorie de la sous-consommation et autres confusions défendues par Malthus et Sismondi. Comme nous le verrons, le problème de la surproduction est central dans la théorie de la crise de Marx. Si le débat sur la décadence veut être fructueux, il doit laisser tomber les appels sectaires à l'orthodoxie et rechercher avant tout à définir le cadre général dans lequel peut avoir lieu une approche marxiste de la discussion.
Il n'y a pas mille et une théories des crises dans la tradition marxiste. Le déclin du capitalisme ne provient pas de l'avidité capitaliste, ni du triomphe "du socialisme sur un sixième de la planète", ni de l'épuisement des ressources naturelles. Fondamentalement, il y a deux explications de la crise historique du capitalisme durant ce siècle parce que Marx a mis en évidence deux contradictions fondamentales qui se trouvaient à la base des crises de croissance que le capitalisme a traversées au 19ème siècle, et qui allaient, à un moment donné, pousser le capitalisme dans une phase de déclin historique, le plonger dans une crise mortelle qui mettrait la révolution communiste à l'ordre du jour. Ces deux contradictions sont : l) la tendance du taux de profit à baisser avec l'inévitabilité de l'élévation constante de la composition organique du capital et 2) le problème de la surproduction, une maladie innée du système capitaliste qui produit plus que le marché ne peut absorber. Bien que Marx ait élaboré un cadre dans lequel ces deux phénomènes sont intimement liés, il n'a jamais terminé son examen du système capitaliste de sorte que selon ses différents écrits, il donne plus ou moins d'importance à l'un ou à l'autre phénomène comme cause fondamentale de la crise. Dans le Capital (livre troisième, 3ème section), la baisse tendancielle du taux de profit est présentée comme l'entrave fondamentale à l'accumulation, bien qu'il y soit aussi traité du problème du marché (voir plus loin). Dans la polémique avec Ricardo, dans les "Théories sur la Plus-value" (Livre quatre du Capital) Marx considère la surproduction de marchandises comme le "phénomène fondamental des crises (p.90). C'est le caractère inachevé de la pensée de Marx sur ce problème crucial -qui n'est pas déterminé par l'incapacité personnelle de Marx à achever le Capital- mais comme nous l'avons dit, par les limites de la période historique dans laquelle il écrivait, qui a amené la controverse au sein du mouvement ouvrier sur les fondements économiques du déclin du capitalisme.
La période qui a suivi la mort de Marx et d'Engels a été caractérisée par une stabilité économique relative dans les métropoles capitalistes et par la course finale et décisive des puissances capitalistes pour s'annexer les parties du globe non encore conquises. Le débat sur les origines spécifiques des crises capitalistes tendait à cette époque à se situer dans le contexte des houleux débats au sein de la Seconde Internationale entre les réformistes et les révolutionnaires, les premiers niant que le capitalisme puisse rencontrer des entraves fondamentales à son expansion tandis que les seconds commençaient à comprendre que l'impérialisme était un symptôme de la fin de la phase ascendante du capitalisme. A cette époque, la théorie "orthodoxe" de la crise dans le marxisme, comme la défendait Kautsky entre autres, tendait à se concentrer sur la question du marché mais elle n'avait pas été systématisée ni reliée à la décadence du système jusqu'à ce que Rosa Luxemburg fasse paraître "L'Accumulation du Capital" en 1913. Ce texte constitue l'exposé le plus cohérent de la thèse selon laquelle la décadence du capitalisme a lieu d'abord et avant tout à cause de l'impossibilité de développer le marché de façon continue. Luxemburg développait l'idée que puisque la totalité de la plus-value du capital social global ne pouvait être réalisée de par sa nature même ou sein des rapports sociaux capitalistes, la croissance du capitalisme était dépendante de ses continuelles conquêtes de marchés précapitalistes; l'épuisement relatif de ces marchés vers la fin du 19ème siècle et le début du 20ème a précipité l'ensemble du système capitaliste dans une nouvelle époque de barbarie et de guerres impérialistes.
La première guerre mondiale a apporté la confirmation de la réalité de cette nouvelle époque; la compréhension que le capitalisme venait d'entrer dans une nouvelle étape, "la période de décomposition et d'effondrement de tout le système capitaliste mondial" (Invitation au 1er congrès de l'IC, Janvier 1919) devenait un axiome pour l'ensemble du mouvement révolutionnaire de l'époque, mais l'Internationale n'avait pas pour autant une position unanime sur les causes spécifiques de la décomposition du capitalisme. Les principaux théoriciens de l'Internationale comme Lénine et Boukharine n'étaient pas d'accord avec Rosa Luxemburg et ils mettaient en avant la baisse tendancielle du taux de profit; Lénine, en particulier, était aussi influencé par les lubies d'Hilferding sur la théorie de la concentration qui est une impasse dans la pensée marxiste. L'Internationale n'a jamais élaboré une analyse complète de la décadence. Au contraire, son analyse était marquée par son incapacité à voir que l'ensemble du monde capitaliste était en décadence, de sorte qu'il n'y avait plus de révolutions bourgeoises ou de libérations nationales possibles dans les colonies.
Les minorités révolutionnaires les plus cohérentes de cette période et durant la période de défaite qui a suivi, les communistes de gauche d'Allemagne et d'Italie étaient plutôt d'accord avec la théorie de Rosa Luxemburg. Cette tradition relie le KAPD, Bilan, Internationalisme et le CCI aujourd'hui. A la même époque, durant les années 30, Paul Mattick, qui appartenait au mouvement des Communistes de Conseils, reprenait la critique d'Henryk Grossman à Rosa Luxemburg et l'idée que la crise permanente du capitalisme a lieu lorsque la composition organique du capital atteint une telle ampleur qu'il y a de moins en moins de plus-value pour relancer l'accumulation. Cette idée de base - tout en étant davantage élaborée sur de nombreux points, est aujourd'hui défendue par des groupes révolutionnaires comme la CWO, Battaglia Comunista et certains des groupes qui surgissent en Scandinavie (et des éléments du CCI partagent aussi ce point de vue). Il faut donc voir que le débat qui a lieu aujourd'hui, trouve ses racines historiques tout le long du chemin qui nous ramène à Marx.
Le débat sur les racines économiques de la décadence soulève deux premières questions : les deux explications s'excluent-elles mutuellement ? Amènent-elles à des conclusions politiques différentes ? Voyons d'abord un aspect de la première question : ceux qui défendent aujourd'hui la théorie de Mattick affirment que l'analyse de Rosa Luxemburg n'a rien à voir avec Marx. Si cela est vrai, alors on ne peut pas parler d'un débat entre ces deux positions.
Durant ces dernières années, un certain nombre de révolutionnaires qui ont surgi de la reprise de la lutte de classe, a défendu la position de Mattick, entre autres parce qu'à première vue, les explications liées à la baisse tendancielle du taux de profit semblent s'inscrire mieux dans l'analyse que Marx a développée dans le Capital. Marx a situé l'explication de la crise dans la Sphère de la production" disent-ils, et non dans celle de la "circulation". Et c'est la bourgeoisie qui s'occupe des "problèmes de marché". Et la plupart des camarades qui nous disent ça, ne manquent pas de reprendre le vieux cri de guerre des "critiques" qui ont attaqué Rosa en 1913 : toute la théorie de Luxemburg est basée sur une incompréhension du schéma de Marx sur la reproduction élargie dans le 2ème livre du Capital. Le problème que pose Rosa sur la réalisation de la plus-value n'existe pas. On trouve dans R.P. n°6 un texte particulièrement virulent de ce genre, dans lequel la CWO, avec son sectarisme coutumier, accuse Luxemburg d'abandonner totalement le marxisme.
Le CCI ne répondra pas ici à ce texte, mais nous voudrions, pour le moment, montrer pourquoi nous considérons que la théorie de Luxemburg se situe entièrement d'un point de vue marxiste et que l'explication de la décadence du capitalisme par le phénomène de la baisse tendancielle du taux de profit obscurcît certains points cruciaux de l'analyse de Marx. Voyons tout d'abord une citation de la CWO dans RP n°6 :
Cette affirmation tombe complètement à côté de ce que Marx a montré à propos des crises. L'idée que les crises de surproduction sont dues à une "disproportion" entre les secteurs -c'est-à-dire qu'elles ne trouvent pas leurs causes dans les rapports sociaux capitalistes mais qu'elles sont simplement des inadéquations temporaires et contingentes entre l'offre et la demande- c'est précisément l'idée de Say et de Ricardo que Marx attaque dans les Théories sur la plus-value :
Ou encore, comme Marx le dit plus loin, selon les disciples de Ricardo :
Marx dénonce ces enfantillages et montre que "toutes les objections faites par Ricardo etc., à la surproduction ont la même base : ces économistes regardent la production bourgeoise comme un mode de production où il n'y a pas de distinction entre l'achat et la vente" (p.91) ; ce sont des apologistes de cette production, pour Marx, le phénomène de la surproduction n'est pas une interruption temporaire dans un processus d'accumulation par ailleurs régulier et constant. Une telle harmonie entre l'offre et la demande est, peut-être, théoriquement possible dans une société de simple production marchande, mais pas dans une société fondée sur les rapports de classe capitalistes, dans une société basée sur la production de plus-value. En réalité :
Marx développe aussi l'analyse des limites inhérentes au marché capitaliste lorsqu'il met en évidence:
"Le simple rapport du salarié et du capitaliste implique deux choses :
Le capitalisme doit s'étendre continuellement vers des "marchés extérieurs" s'il veut éviter la surproduction à cause de ces limites "internes" au marché capitaliste :
Marx revient aussi sur ce point dans la partie qui traite du taux de profit dans le Capital, livre 3 :
Ici, comme l'explique Rosa dans l'Accumulation du capital, quand Marx parle de "l'extension du champ extérieur de la production" ou "du commerce extérieur", il veut dire l'extension vers des aires non-capitalistes et le commerce avec elles, puisque c'est simplement pour les besoins de son modèle abstrait de l'accumulation qu'il a traité l'ensemble du monde capitaliste comme une nation unique exclusivement composée d'ouvriers et de capitalistes. Contrairement aux affirmations de la CWO, qui ne voit pas comment la plus-value pourrait être réalisée par un tel commerce (R.P N°6), Marx lui a clairement reconnu cette possibilité :
Marx ne fait pas qu'accepter ta possibilité d'un tel commerce. Il entrevoit aussi sa nécessité puisque le processus du commerce qui s'accompagne de la destruction et de l'absorption des marchés précapitalistes, n'est autre que la façon dont le capitalisme "étend constamment son marché" durant la phase ascendante :
En fait, Marx a déjà montré dans le Manifeste Communiste comment l'extension du marché capitaliste, tout en résolvant les crises à court terme, ne fait qu'accentuer le problème de la surproduction à long terme :
On peut donc voir que le problème de la réalisation que Luxemburg a analysé dans L'Accumulation du Capital, n'était pas un "faux problème", dû à une mauvaise lecture de Marx. Au contraire, la thèse de Rosa s'inscrit en complète continuité avec le thème centrai de la théorie des crises de Marx : à savoir que la production capitaliste rencontre des limites inhérentes à son propre marché et doit donc s'étendre continuellement à de nouveaux marchés s'il veut éviter une crise générale de surproduction. Luxemburg a démontré que le schéma de la reproduction élargie du livre 2 du Capital est en contradiction avec cette vision dans la mesure où il se base sur la possibilité que l'accumulation crée son propre marché. Mais Luxemburg montre aussi que ce schéma est valable en tant qu'abstraction théorique permettant d'illustrer certains aspects du processus de la circulation. Il n'avait pas pour but de se présenter comme le schéma de l'accumulation historique réelle, ni comme une explication des crises et sûrement pas de "résoudre" le problème de la surproduction. Néanmoins, Marx tombe dans certaines contradictions dans l'utilisation qu'il fait du schéma et Luxemburg les met en lumière. Mais ce qui est fondamental, c'est que Marx et Luxemburg étaient tous deux conscients de la différence qui existe entre des modèles abstraits et le processus réel de l'accumulation. Rien n'est plus étranger à l'esprit de Marx que la tentative stérile d'Otto Bauer de prouver "mathématiquement" que l'accumulation peut avoir lieu sans rencontrer de limites intrinsèques sur le plan du marché et que Rosa s'était trompé parce qu'elle n'avait pas fait correctement ses calculs. Si on veut parler d'une incompréhension à propos du schéma de Marx sur la reproduction élargie, ce devrait être de l'incompréhension de ceux qui le prennent à la lettre et "liquident" le problème de la réalisation; ce sont eux qui s'éloignent de la préoccupation sous-jacente de Marx, et non pas Rosa Luxemburg. Il n'y a pas de moyen de se sortir du fait que ce schéma implique que le capitalisme peut créer indéfiniment son propre marché; ce que Marx a spécifiquement nié. Et ceci met bien des critiques de Rosa dans une position contradictoire. Mattick, par exemple, va plus loin sur le problème de la réalisation que ne le fait la CWO. dans son livre "Crises et Théories des Crises". Il met en évidence que :
Mais en fin de compte, Mattick nie ce point de vue en disant que le capitalisme ne rencontre pas de problème fondamental de réalisation parce que l'accumulation crée son propre marché :
Ici, Mattick évite clairement le problème : "Dans la mesure où elle est capable de convertir la plus-value en capital additionnel", "tant qu'il existe une demande convenable et continue"... on ne répond pas du tout à la question de savoir d'où va venir cette demande "convenable" et Mattick se retrouve dans le "cercle vicieux" de la "production pour la production" que Rosa met en évidence dans l'Accumulation. Les critiques de Luxemburg citent souvent Marx quand il dit que la production capitaliste est la production pour elle-même, mais ce passage doit être remis dans son contexte. Marx n'a pas voulu dire que la production capitaliste pouvait résoudre ses problèmes en investissant dans une énorme quantité de biens capitaux sans se préoccuper de la capacité de la société à consommer les biens qu'elle produirait :
Selon Mattick, le problème qu'une fraction de la plus-value resterait non réalisée n'existe pas puisque "l'investissement" pour une accumulation ultérieure de capital constant absorbe tout ce qui est en circulation. La crise ne résulte que d'une suraccumulation de capital constant par rapport au capital variable, c'est-à-dire de la baisse tendancielle du taux de profit. Mais comme Rosa l'a déjà démontré dans L'Accumulation :
Ce "but" de la production de moyens de production doit se traduire par une expansion constante du marché pour tous les produits du capital. Sinon, en disant que "l'investissement" par lui-même résous le problème du marché, on retourne aux fausses solutions que Marx a critiquées dans le Capital :
Ceux qui disent que l'accumulation du capital constant résout le problème de l'accumulation ne font que reprendre l'idée que les capitalistes peuvent simplement échanger leurs produits entre eux même s'ils le font pour le "futur" comme c'est dit et non pour la consommation immédiate. Tôt ou tard cependant, le capital constant dans lequel ils investissent, devra trouver un véritable marché pour les marchandises qu'il aura produites; ou bien le cycle de l'accumulation s'arrêtera. Et puisqu'il n'y a pas moyen d'éviter ce problème, nous répéterons que la position de Luxemburg disant que toute la plus-value ne peut pas être réalisée au sein des rapports de production capitalistes, est la seule conclusion qu'on peut tirer de l'idée de Marx disant que la production capitaliste ne crée pas son propre marché; c'est la seule alternative à la théorie de Ricardo selon laquelle les crises de surproduction sont seulement des interruptions accidentelles dans un cycle de reproduction fondamentalement harmonieux. Les défenseurs de la théorie de Mattick sur la "baisse du taux de profit" sont avec Marx lorsqu'ils insistent sur l'importance de la baisse du taux de profit en tant que facteur de la crise capitaliste, mais ils sont avec Say et Ricardo lorsqu'ils nient que le problème de la réalisation est fondamental dans le processus d'accumulation capitaliste.
A partir de ce que nous venons de dire, il est évident qu'il ne peut y avoir d'analyse marxiste de la crise qui ignore le problème du marché en tant que facteur fondamental de la crise capitaliste. Même l'argument mis en avant par Mattick et d'autres, selon quoi la surproduction de marchandises est un problème réel mais secondaire parce qu'il découle de la baisse tendancielle du taux de profit, évite la véritable question posée par Marx et Luxemburg : le marché de la production capitaliste est limité par le rapport même entre le capital et le travail salarié. La baisse du taux de profit comme le problème du marché sont des contradictions fondamentales du capitalisme. En même temps, les deux contradictions sont étroitement liées et se déterminent réciproquement de différentes façons. La question qui se pose est alors : quel est le meilleur cadre pour comprendre comment ces deux phénomènes agissent l'un sur l'autre ?
Nous dirons que l'analyse de Mattick ne fournit pas un tel cadre dans la mesure où elle nie qu'il existe un problème de marché ; celle de Luxemburg, elle, ne rejette pas l'existence de la baisse du taux de profit. C'est vrai que dans L'Accumulation, Rosa développe un modèle abstrait, il faut le dire -"qui permettrait à la baisse tendancielle du taux de profit d'être totalement stoppée" (p.14) et que dans "Critique des Critiques", elle dit : "I1 coulera encore de l'eau sous les ponts avant que la baisse du taux de profit ne provoque l'effondrement du capitalisme" (p.158).
On pourrait dire que c'est l'expression de la sous-estimation du problème par Rosa, mais il n'y a rien, à la base de son analyse, qui rejette ce problème; et L'Accumulation donne plusieurs exemples de la façon dont la baisse tendancielle du taux de profit agit réciproquement sur le problème de la réalisation.
La raison pour laquelle Luxemburg insiste sur la question du marché comme étant à la racine de la décadence, n'est pas difficile à trouver. Comme Marx l'a montré, la baisse tendancielle du taux de profit en tant que facteur des crises capitalistes est une tendance générale qui s'exprime durant de longues périodes et rencontre des influences contraires ; par contre, le problème de la réalisation peut entraver le processus d'accumulation de façon bien plus directe et immédiate. Ceci s'applique à la fois aux crises conjoncturelles du siècle dernier et à la crise historique du capitalisme puisque l'absorption des aires précapitalistes qui avaient fourni le terrain d'une expansion continuelle du marché, constituait une entrave à laquelle s'est heurté le capital bien avant que sa composition organique ne se soit développée dans des proportions telles qu'une production rentable ne puisse se poursuivre. Mais comme le met en évidence la plate-forme du CCI :
La saturation des marchés d'une part aggrave la baisse du taux de profit (parce que la concurrence croissante sur un marché allant se rétrécissant force les capitalistes à renouveler les machines avant que toute leur valeur ait été utilisée); d'autre part, elle supprime l'une de ses principales contre-influences : compenser la baisse dans le taux de profit en accroissant sa masse, c'est-à-dire en développant le volume des marchandises produites. Ceci ne peut servir de compensation à la baisse du taux de profit que tant que l'expansion du marché accompagne cette production croissante du volume des marchandises. Quand le marché ne peut plus s'étendre, cette compensation ne fait qu'empirer les choses puisqu'elle aggrave à la fois le problème de la baisse du taux de profit et celui de la réalisation. Il est nécessaire d'étudier de beaucoup plus près cette question, mais si Rosa n'a certainement pas répondu à ce problème, le cadre qu'elle a élaboré, permet de saisir mieux le rôle de la baisse tendancielle du taux de profit.
Mais peut-être le problème va-t-iI plus loin ? Peut-être qu'en fin de compte, les deux phénomènes ne peuvent être véritablement "réconciliés" parce qu'il y a une contradiction à la base de la pensée de Marx ? A première vue, évidemment, il apparaît que l'idée que la crise provient d'une trop grande quantité de plus-value non réalisée ne peut être "réconciliée" avec celle selon laquelle la crise résulte d'un manque de plus-value.
Bien que Marx n'ait jamais résolu le problème, Il existe dans son œuvre des éléments qui nous permettent de dire que les deux contradictions s'inscrivent cependant dans un tout dialectique.
Pour commencer :
Une fois qu'on a compris cela, on peut voir que les deux contradictions agissent nécessairement ensemble dans les crises capitalistes : d'un côté, la surproduction de capital amène une baisse plus poussée du taux de profit parce qu'elle implique une augmentation de la proportion entre le capital constant et le capital variable; d'un autre côté, cette énorme masse de capital constant produit une pléthore de marchandises qui dépasse de plus en plus le pouvoir de consommation de ce capital variable relativement diminuant (c'est-à-dire la classe ouvrière). Poussé par la concurrence sur un marché restreint, le capital avec sa capacité à produire sans fin des marchandises, s'accroît et s'enfle démesuré ment pendant que les masses s'appauvrissent par rapport à lui; de moins en moins de profit est représenté dans chaque marchandise, de moins en moins de marchandises peuvent être vendues. Le taux de profit et la capacité de réalisation diminuent ensemble, et l'un aggrave l'autre. La contradiction apparente entre "avoir trop" et "pas assez" de plus-value disparaît une fois qu'on voit clairement que nous parlons du capital en tant que tout, et que nous parlons en termes relatifs et non absolus. Pour le capital dans son ensemble. Il n'y a jamais de saturation absolue du marché, pas plus que le taux de profit ne tombe jusqu'à un zéro absolu qui supprimerait toute plus-value. En fait, comme Luxemburg l'a montré, à un certain stade de concentration du capital, "l'excès" et le "manque" de plus-value sont la même chose, vue de points de vue différents :
En d'autres termes, c'est une masse de plus-value relativement de plus en plus réduite qui est destinée à la capitalisation, mais elle est encore "en excès" par rapport à la demande effective. Et cette plus-value de plus en plus "réduite" (à côté de la valeur qui remplace simplement la mise de tonds Initiale) est le résultat d'une composition organique du capital toujours plus grande.
Il devient donc plus clair que les deux contradictions mises en évidence par Marx ne s'excluent pas réciproquement mais sont les deux facettes d'un processus global de production de valeur. En dernière Instance, ceci fait que les "deux" théories de la crise reviennent à n'être qu'une seule.
Nous avons tenté de montrer qu'en dernière analyse, le problème du "taux de profit" et celui du "marché" sont théoriquement conciliables, bien que dans l'analyse de Grossman-Mattick, la question de la réalisation de la plus-value ne soit pas posée ou sous-estimée. Les faiblesses de l'analyse de Mattick sur le plan économique amènent aussi à des erreurs sur le plan des conclusions politiques qui en découlent. Bien que nous ayons l'intention ici de simplement mentionner ces faiblesses et non de les analyser de près et que, de plus, il faille être extrêmement prudent car il ne s'agit pas de voir un lien mécanique et unilatéral entre une analyse économique et des positions politiques, nous ne devons pas tomber dans l'attitude contraire et nier qu'aucune iplication politique ne soit liée à l'analyse économique. Ces conséquences prennent plus la forme de tendance, d'orientation plutôt que celle d'une loi d'airain; elles sont plus prononcées chez certains que chez d'autres, néanmoins il apparaît certaines caractéristiques communes aux différents courants qui défendent la théorie économique de Mattick.
Si l'on part uniquement de l'analyse de la baisse tendancielle du taux de profit. Il est extrêmement difficile de définir le cours historique de la crise capitaliste. Ceci concerne à la fois la compréhension rétrospective de l'aube de la décadence du capitalisme et l'analyse des perspectives de développement de la crise aujourd'hui, et c'est dû au fait que la théorie de Mattick laisse un certain nombre de questions sans réponses, ou y répond de façon inadéquate. Par exemple, si la baisse tendancielle du taux de profit est l'unique problème auquel le capital doit faire face, pourquoi la division du monde entre puissances impérialistes et la création du marché mondial capitaliste ont-elles plongé le capital dans sa crise historique ? Quand la composition organique du capital sur une échelle globale atteint-elle un point où ses contre-tendances ne peuvent plus être effectives ? Et dans l'avenir, quand donc le taux de profit sera-t-il trop bas au point d'empêcher le capital d'accumuler sans qu'il déclenche une nouvelle guerre ? Et de plus, pourquoi la guerre est-elle devenue le mode de survie du capital à notre époque ? On ne peut répondre à aucune de ces questions si l'on ne voit pas le problème du marché. Et comme Mattick ne le voit pas, il ne peut que donner des réponses vagues à ces questions. Sa compréhension de l'époque actuelle est plutôt inconsistante. Dans les années 30, ses écrits montrent qu'il voyait la crise permanente du capital comme une réalité immédiate qui ne pouvait être "résolue" que par la guerre. Mais dans ses écrits d'après-guerre, il semble mettre en question le fait que le capitalisme soit véritablement entré dans sa crise historique à l'époque de la révolution russe; tantôt, il sous-entend que la crise n'a commencé qu'en 29, tantôt que la baisse tendancielle du taux de profit ne provoquera des problèmes cruciaux pour le capital que vers l'an 2000, et que peut-être le capitalisme n'est pas décadent ! En bref, avec la théorie de Mattick, on n'a pas une compréhension consistante de la décadence comme une époque de crise-guerre-reconstruction qui a commencé de façon décisive avec la première guerre mondiale; ni de la crise d'aujourd'hui en tant que manifestation directe de ce cycle historique et que Mattick voit plutôt comme un hoquet temporaire dans une période de croissance. Ce manque de clarté sur ce qu'est en réalité la décadence, l'amène à sous-estimer la gravité de la crise actuelle et renforce sa tendance à l'académisme, qu'on retrouve le long de tout son chemin depuis les années 40. Puisque de son point de vue la "vraie" crise est bien loin devant nous, les perspectives de surgissements importants de la lutte de classe aujourd'hui ne sont pas très brillantes. Et donc, il y a peu de raison de s'engager aujourd'hui dans une activité politique militante.
Bien que la CWO se rattache à la théorie de Mattick, elle a une compréhension bien plus claire de la période de décadence, de la crise actuelle et des conclusions politiques qui en découlent. Elle a tenté de montrer que la baisse tendancielle du taux de profit peut expliquer la période ouverte par la première guerre mondiale (en particulier dans l'article "les fondements économiques de la décadence", R.P n°2). Ceci constitue un effort sérieux et qui requiert une critique plus détaillée que ce que nous pouvons faire dans le présent article. Une telle critique devrait se centrer sur certaines questions cruciales comme : l'application de la théorie économique de Mattick au cadre de la décadence est-elle cohérente ? Jusqu'à quel point peut-on analyser la période de décadence sur la base de la baisse tendancielle du taux de profit sans se référer au problème des marchés ? Et jusqu'à quel point la vision de la décadence qu'a la CWO serait-elle cohérente, si elle n'avait pas été influencée par d'autres courants, et en particulier le CCI, qui considèrent le problème des marchés comme fondamental dans l'explication de la décadence ? En d'autres termes, jusqu'à quel point l'analyse de la décadence que fait la CWO est-elle une continuation cohérente de la théorie de Mattick et jusqu'à quel point est-elle implicitement ou explicitement liée à une théorie plus globale de la décadence ? Ce que nous avons écrit plus haut sur l'impossibilité d'ignorer le problème de la réalisation indique déjà quelle doit être notre réponse à ces questions.
Ce qui est plus important peut-être encore, c'est de montrer que tout en ne suivant pas nécessairement Mattick jusqu'à l'extrême dans sa démission académique de l'engagement politique militant, "l'école de la baisse tendancielle du taux de profit" partage une tendance à voir la "vraie" crise bien loin devant nous. Et puisque de plus, certains de ces camarades défendent aussi une conception plutôt mécaniste du lien entre le niveau de la crise et le niveau de la lutte de classe, ils concluent en général que les perspectives de lutte de classe et de regroupement des révolutionnaires sont quelque peu lointaines. Ainsi, Battaglia Comunista ne voit la crise actuelle ressurgir qu'en 1971. Et pour elle le resurgissement d'une organisation internationale des révolutionnaires ne pourra avoir lieu que dans le futur; la CWO, elle, considère à la fois les préparatifs du capital pour la guerre impérialiste et la préparation de la classe ouvrière pour la guerre de classe comme quelque chose qui relève de "demain", lorsque la crise aura atteint une nouvelle étape. Le regroupement des révolutionnaires est repoussé de la même façon. Bien des camarades de Scandinavie, plus proches de Mattick et qui se situent encore dans une certaine mesure, dans le cocon de la prospérité Scandinave, continuent à voir les tâches des révolutionnaires comme une "étude" et une réflexion sans lien avec une activité militante. Nous ne pensons pas que ces attitudes "attentistes" sont accidentelles. Elles sont liées aux insuffisances de la théorie de Mattick qui ne montre pas que la décadence est une crise permanente, le produit de la disparition des conditions qui ont permis une saine expansion du capital au 19ème siècle. La théorie de Luxemburg en montrant le caractère maladif de l'accumulation à notre époque, permet de montrer les limités de la reconstruction et de comprendre que la crise, l'économie de guerre et la lutte de classe sont vraiment des réalités d'aujourd'hui. En fait, nous dirons même que la réponse de la classe est déjà en retard par rapport au développement de la crise et aux préparatifs de la bourgeoisie pour la guerre. Ceci ne veut pas dire que la crise a déjà atteint le fond ni que la guerre ou la révolution sont à l'ordre du jour de façon Immédiate et que donc nous devrions nous engager dans un activisme frénétique (comme le PIC dont l'activisme inné est renforcé par une mauvaise application de la théorie de Luxemburg sur la crise). Le capital dispose encore de mécanismes pour pailler à la crise et toute une série de processus économiques doivent encore se dérouler avant que la crise ne trouve une issue dans la guerre ou dans la révolution. Néanmoins, il est important de voir que ces processus sont déjà en route et que les tâches des révolutionnaires sont urgentes et ne peuvent être repoussées à demain. Comme l'a écrit Bilan "est-ce que demain peut-être autre chose que le développement de ce qui arrive aujourd'hui ?" (Bilan n°36)
Comme Lukacs l'a mis en évidence dans son essai "Rosa Luxemburg, marxiste", la validité de la théorie de l'accumulation de Luxemburg en tant que contribution au point de vue mondial du prolétariat, réside dans le fait qu'elle se base sur la "catégorie de la totalité", la catégorie de la perception spécifiquement prolétarienne. Le problème de l'accumulation que Rosa Luxemburg a développé, n'est qu'un problème au niveau du capital global ou total; les économistes vulgaires qui partent du point de vue du capital individuel étaient incapables de voir qu'il y avait même un problème. Dans une certaine mesure, Mattick exprime la même "vulgarité" puisqu'il a une forte tendance à voir chaque capital national isolément. Cette fausse perspective mène à un certain nombre d'erreurs :
Ces erreurs découlent en grande partie d'une incapacité à voir ces nations comme une partie de l'ensemble du marché capitaliste. Sur cette question à nouveau, la CWO est allée bien au-delà de Mattick et considère que les luttes de libération nationale sont impossibles et que la Russie et la Chine sont régulées par la loi de la valeur. Mais même dans ce cas, son analyse contient un certain nombre de faiblesses qu'on peut rattacher à sa théorie économique. La CWO trouve que c'est difficile d'analyser des phénomènes particuliers du point de vue de l'ensemble et montre une certaine incapacité à voir que le capitalisme d'Etat et l'économie de guerre sont fondamentalement déterminés par la nécessité pour les capitaux nationaux d'être compétitifs sur le marché mondial. Pour la CWO, les mesures capitalistes d'Etat sont en premier lieu une réponse à la baisse tendancielle du taux de profit dans certaines industries dont la haute composition organique rend l'intervention de l'Etat nécessaire pour les soutenir. Mais c'est seulement une explication partielle puisque l'Etat le fait précisément pour accroître la compétitivité de l'ensemble du capital national. Et l'idée de la CWO selon laquelle la Russie, la Chine, etc. peuvent être considérés comme des capitalismes d'Etat "intégraux" dont le développement prouve que "l'accumulation capitaliste est possible dans un système fermé" (R.P n°1), est du même ordre. Ce "fait" prétend être une réfutation de la théorie économique de Luxemburg alors que la notion de capitalisme d'Etat intégral ouvre la porte à l'idée que ces économies sont en quelque sorte "différentes" et doivent être expliquées d'une façon particulière. Et la notion implicite ou explicite selon laquelle un développement autarcique est possible, peut avoir diverses conséquences politiques. Sur la question nationale, par exemple, la CWO défend des conclusions politiques justes mais on pourrait se demander si ses conclusions sont très consistantes et cohérentes avec son analyse économique. Est-ce que l'idée de Mattick selon laquelle les nations sous-développées peuvent se développer sur la base de leur marché intérieur n'est pas une conséquence plus logique de sa théorie économique ?
Nous ne sommes pas en train de dire que la CWO a des confusions fondamentales sur la question nationale ni que son explication de l'impossibilité des luttes de libération nationale n'a pas sa cohérence propre. Mais toute contradiction aujourd'hui peut ouvrir la porte à des erreurs véritables demain. Et nous voudrions ajouter qu'il y a déjà des faiblesses notables dans l'approche que fait la CWO sur la question nationale : une difficulté à voir la voracité des appétits impérialistes dans toutes les nations aujourd'hui, y compris les plus petites; et un pessimisme prononcé sur la lutte de classe dans le tiers-monde. Sur le premier point, la CWO affirme que seules la Russie et l'Amérique peuvent "vraiment" agir en tant qu'impérialismes aujourd'hui, et que les autres capitaux nationaux ne sont que potentiellement ou tendanciellement impérialistes. Ceci cache la réalité des rivalités inter impérialistes locales qui ont un rôle à jouer dans la confrontation globale entre les blocs, une réalité qui est confirmée avec éclat par les récents événements dans la corne de l'Afrique et en Asie du Sud-est. Sur la lutte de classe dans les pays du tiers-monde, la CWO affirme régulièrement que "nous ne pouvons attendre des développements positifs... que lorsque les ouvriers des pays avancés auront pris le chemin de la révolution et donné une direction claire" (R.P n°6). Une telle vision rapetisse l'importance des luttes actuelles des ouvriers du tiers-monde dans le développement international de la conscience de classe et fait une séparation rigide entre aujourd'hui et demain, les capitaux avancés et arriérés, ce qui ne peut qu'obscurcir notre compréhension. Ces analyses inadéquates de l'impérialisme et de la lutte de classe trouvent toutes deux leur racine dans l'analyse économique qui défend l'idée que seules les nations dont la composition organique du capital est haute, sont purement impérialistes, et que seul le prolétariat de ces nations a de l'importance. Sur les deux terrains, il y a tendance à fragmenter le capital mondial et le prolétariat mondial.
Cette tendance de la part des théoriciens de la "baisse du taux de profit" à n'envisager que les choses que du point de vue du capital individuel et non global peut avoir des implications dans la discussion sur la période de transition. En effet, si l'accumulation du capital peut avoir lieu dans un seul pays, pourquoi ne pas envisager aussi des économies "communistes" autarciques ? Et la CWO pense d'ailleurs que des bastions prolétariens, qui sont sortis du marché mondial, peuvent, temporairement du moins, commencer à construire un mode de production communiste. Cette incompréhension ne peut être critiquée de façon cohérente qu'à partir d'une perspective qui comprend le capital et le marché mondial comme une totalité; à nouveau, nous dirons que l'analyse de Luxemburg fournit les armes théoriques pour comprendre comment de tels bastions isolés ne pourraient pas échapper aux effets du marché mondial.
Une fois que nous avons mis cela en évidence, nous tenons à souligner deux choses importantes :
Lorsque nous voulons analyser les erreurs d'un groupe politique. Il est important d'examiner l'ensemble de son histoire et de ses positions politiques.
Bien des erreurs mentionnées ci-dessus trouvent leur origine dans des expériences et des incompréhensions plus fondamentales : l'académisme de Mattick, par exemple, est basé sur l'expérience globale de la contre-révolution qui l'a amené à un pessimisme profond sur la lutte de classe et à une sérieuse sous-estimation de la nécessité d'une organisation des révolutionnaires. Les erreurs de la CWO sur le regroupement et la période actuelle sont aussi dans une grande mesure le produit de ses difficultés à comprendre la question de l'organisation, alors que ses erreurs sur la période de transition sont largement dues à son incapacité à tirer des leçons de la révolution russe. De même dans le "contexte luxemburgiste", l'activisme du PIC est bien plus dû dirions-nous à de profondes confusions sur le rôle des révolutionnaires qu'à son analyse économique. Les erreurs sur le plan économique tendent à renforcer les erreurs qui viennent de l'ensemble de la politique menée par ces groupes. Toute incohérence dans l'analyse faite par un groupe, ouvre la porte à des confusions plus générales; mais nous ne traitons pas de fatalités irrévocables. Les camarades qui défendent la "baisse du taux de profit" ne doivent pas nécessairement tomber dans les confusions organisationnelles de Mattick, de la CWO, de Battaglia Comunista et dans leurs incompréhensions sur la révolution russe. En même temps, les confusions organisationnelles et autres -comme le sectarisme de la CWO- peuvent accentuer les faiblesses de leur analyse économique. Ce n'est vraiment pas difficile de voir, par exemple, que les grands efforts de la CWO pour nier le problème de la surproduction sont liés au besoin de se distinguer d'autres groupes qui ont une autre vision de la décadence. Les camarades qui partent de la "baisse tendancielle du taux de profit " peuvent et doivent développer une vision plus globale qui ne nie pas la question du marché. Bien sûr, nous posons qu'en dernière instance, cela les conduira à devenir "luxemburgistes", mais seul un débat ouvert et constructif peut clarifier cela.
Ceci nous permet d'arriver à une conclusion générale sur l'importance du débat. Il est d'une importance extrême parce que, de la même façon que les faiblesses d'une analyse économique peuvent semer le chemin d'erreurs politiques plus générales ou bien les renforcer, de la même façon une analyse cohérente des fondements de la décadence rendra notre compréhension de la décadence et de ses implications politiques plus solides. Cette question doit donc être discutée comme une partie de l'ensemble des positions communistes,
Une fois comprise son importance en tant que partie d'une cohérence plus globale, le débat peut être entamé dans une perspective correcte. Puisque l'analyse des fondements économiques de la décadence est une partie d'un point de vue prolétarien plus global, un point de vue qui réclame un engagement actif pour "transformer le monde", la discussion ne peut jamais entraver l'activité révolutionnaire. Et puisque les conclusions politiques défendues par les révolutionnaires ne découlent pas de façon mécanique d'une analyse économique particulière, la discussion ne peut, en aucun cas, être une entrave au regroupement. Comme le CCI l'a toujours dit, le débat peut et doit avoir lieu dans une organisation politique unie. Les révolutionnaires du passé ne se sont jamais sentis incapables de se regrouper à cause d'analyses économiques différentes, et pas plus aujourd'hui que demain une telle nécessité ne peut être entravée pour cette raison. En réalité, c'est une des questions que nous serons probablement encore en train de discuter après que le prolétariat aura chassé le capitalisme de la surface de la terre...
C.D WARD
Depuis plus d'un an, le CCI et le Parti Communiste Internationa1iste ont engagé un débat dans le but de dépasser le sectarisme qui pèse encore sur le mouvement révolutionnaire renaissant. C'est dans la poursuite de cet effort commun que le CCI a envoyé une importante délégation à la Conférence Internationale convoquée par Battaglia Communista en mal 1977 à Milan ([1] [263]) et qu'il a invité une délégation de Battaglia à assister aux travaux de son second Congrès en Juillet de la même année. Nous avons donc été plutôt surpris par la publication, immédiatement après, de deux articles dans Battaglia intitulés : "Le Second Congrès du CCI : déboussolement et confusion", dans lesquels nous sommes violemment attaqués parce que nous serions la proie d'un "processus d'involution et d’un éloignement conséquent du marxisme révolutionnaire"([2] [264]).
Nous avons déjà souligné dans notre presse ([3] [265]) la méprise bruyante des camarades de Battaglia qui ont pris pour des grandes "nouveautés de nature politique", des Innovations, les projets de résolution qui synthétisaient les positions constamment apparues dans notre presse (en particulier le projet sur les groupes politiques prolétariens qui est une nouvelle version de l'article "Groupes Révolutionnaires et Groupes Confus" paru entre autres dans Rivoluzione Internazionale n°8).
Battaglia n'a pas pu nier l'évidence et a cherché à échapper à la question en soutenant que ces textes-là n'étalent pas "officiels". Voilà, en vérité, une bien étrange conception que celle qui considère comme non officiels des ébauches de documents qui circulent à usage interne. Mais, toute autre considération mise à part, les positions qui sont à la base du projet de résolution sur la période de transition sont exprimées non seulement dans un tas d'articles, mais dans une résolution adoptée au second Congrès de notre section en France et publiée comme telle dans la Revue Internationale n°8. Et cela aussi, ce n'est pas officiel ?
Et en fait, ces grandes "nouveautés" apparues dans le congrès dont depuis des années au centre du débat international entre organisations communistes, un débat qui a été mené à travers les différentes publications et au cours de nombreuse conférences internationales. En plus certains groupes se sont précisément basés sur ces positions pour rompre tout contact avec notre organisation en la condamnant comme "contre-révolutionnaire". Mais, pour Battaglia tout ce travail, ces progrès, ces erreurs n'existent pas ou bien sont des bavardages sans signification : la discussion commence avec ses articles - qui sont en grande partie la répétition d'une attaque analogue fait par Programme Communiste il y a deux ans ([4] [266]).
Si nous insistons sur cette méprise, ce n'est pas pour le plaisir de coincer Battaglia, mais pour mettre en évidence les difficultés que les groupes, ayant survécues aux anciennes Gauches Communistes du passé, rencontrent pour participer au débat sur le même plan que les groupes révolutionnaires produits par la récente reprise de la lutte de classe. Mais si certains de ces groupes ont choisi la vole du silence, d'au-plus capable de réagir, ressentent à toute occasion la nécessité de défendre leurs conceptions vis-à-vis de ces minorités en adoptant un une attitude "supérieure" et inadéquate ([5] [267]).
Ainsi, pour autant que l'attaque lancée par Battaglia est violente et superficielle, elle est aussi un symptôme du fait que "le camp révolutionnaire International est en perpétuel mouvement, unifications et ruptures, croisement de polémiques, rencontres et heurts qui montrent que quelque chose bouge"([6] [268]) et comme telle, nous la saluons.. Pour cette raison, nous ne considérons pas notre réponse comme une des éternelles "mises au point" qui ont pour but de "liquider" l'adversaire. Au contraire, c'est une réaffirmation de nos positions là où elles ont été déformées, et une contribution pour redéfinir le cadre dans lequel doit se situer ta poursuite du débat - qui ne peut que mettre au centre les thèmes qui sont effectivement-à la base de nos divergences et en premier lieu celui de la nature et de la fonction du parti prolétarien.
REPRISE DE LA LUTTE DE CLASSE ET REEMERGENCE DES POSITIONS REVOLUTIONNAIRES
"Il est Inutile de se référer aux groupes affiliés au "Courant", à leur histoire pas toujours révolutionnaire de façon conséquente... En 1968, Il y a ceux qui se sont confondus avec les gauchistes; de toute façon, pour ne pas perdre sa réputation, on se cache encore aujourd'hui derrière des analyses fictives selon lesquelles mai 1968 a été le moment d'ouverture de la crise actuelle, un moment d'explosions de grandes luttes ouvrières, une première grande réponse de la classe Contre le capital" (Battaglia Communista n°10-11).
Pour commencer, nous voulons dire que si Battaglia a des accusations à faire, qu'il le fasse ouvertement les accusés et surtout en les documentant. Les communistes n'ont rien à cacher y compris leurs propres erreurs. Ceci dit, nous rappelons à l'imprudent auteur de l'article que pendant les événements de mai-juin 68, notre section française actuelle. Révolution Internationale, n'existait pas (le premier numéro ronéotypé sort en décembre 68) et avait par la même occasion peu de chances de se confondre avec les gauchistes. A l'époque, il existait seulement un petit groupe de camarades au Venezuela qui publiait la revue Internacionalismo et collaborait au bulletin ouvrier Proletario avec d'autres camarades non organisés et un autre groupe de la gauche communiste "Proletario Internacional".
Lors des événements de mal, Proletario Internacional s'est laissé entraîner, à leur annonce, dans l'euphorie générale et a proclamé, derrière les Situationnistes, la nécessité de constituer immédiatement les Conseils ouvriers :
"Et pour donner l'exemple, Proletario Internacional a proposé que les différents groupes constituant Proletario (considéré pour l'occasion comme une sorte de conseil ouvrier) se dissolvent en son sein. Tous les participants à Proletario ont suivi Proletario Internacional sur cette voie glorieuse à l'exception d'Internacionalismo. Proletario et ses participants auto-dissous n'ont pas survécu à ce qu'ils avaient pris pour la révolution. Les retombées du mouvement de mai les ont entraînés dans le néant"([7] [269]).
Ainsi les quelques militants qui défendaient alors les positions qui sont aujourd'hui celles du Courant, isolés géographiquement et entourés par la débandade et les illusions, ont su rester solidement attachés au fil de l'histoire, même au prix de leur isolement local. Mais le "coup d'épaule" de mai 68 a aussi permis le surgissement en France et aux Etats-Unis de petits groupes de camarades capables de se rattacher aux positions de la Gauche Communiste défendues par Internacionalismo, jetant ainsi les bases de notre regroupement International. Quant à Mai 68, nous y reconnaissons effectivement la première manifestation ouverte de la crise qui a ébranlé le monde capitaliste après les années "d'abondance". Mais les marxistes n'ont pas besoin de voir exploser la crise de façon ouverte et tangible pour la prévoir :
"L'année 1967 a vu la chute de la Livre-sterling et 68 nous amène les mesures de Johnson... Nous ne sommes pas des prophètes et nous ne prétendons pas savoir comment et quand auront lieu les événements. Par contre, nous sommes certains qu'il est impossible d'arrêter le processus que subit actuellement le système capitaliste avec ses réformes, ses mesures de sauvetage et autres mesures économiques capitalistes et que ce processus les porte irrémédiablement à la crise". (Internaclonalismo - janvier 1968).
Nous étions bien préparés pour reconnaître la crise qui allait commencer à se manifester et nous l'avons reconnue ([8] [270]), au milieu des grands rires de tous ceux qui parlaient de "révolte étudiante contre l'ennui de la vie". Aujourd'hui, ils ont cessé de rire.
Turin, Cordoba, Dantzig, Szczecin ont rendu impossible par la suite de nier l'évidence et Battaglia reconnaît que le capitalisme est entré en crise en...1971. Pour rejeter la nature de classe des événements de 68 en France et de 69 en Italie, Battaglia rappelle comment ils se sont terminés et quelle sorte de groupuscules les ont dominés. C'est avec cette même méthode que depuis cinquante ans, les conseillistes démontrent que la révolution d'Octobre était une révolution bourgeoise,... vu comment elle s'est terminée... Nier la nature de classe de la vague de grèves de ces années en se référant à la nature "opportuniste" des groupes qui l'ont dirigée, cela revient à nier la nature prolétarienne des révolutions de 1905 et de février 1917 puisque la majorité des soviets était contre les bolcheviks. Battaglia soutient avec raison que la présence physique des ouvriers ne garantit pas la nature prolétarienne d'un mouvement et donne l'exemple des manifestations pour l'anniversaire de la Libération en Italie. Mais il y a une grande différence entre une manifestation politique qui célèbre le triomphe de l'Etat républicain sur la lutte de classe et une grève sauvage, c'est-à-dire une manifestation de la lutte de classe. Si la Gauche Italienne ne nous avait enseigné qu'une seule chose, c'est bien que les communistes soutiennent et participent à toutes les luttes prolétariennes qui se situent sur le terrain de la défense des intérêts spécifiques de la classe ouvrière Indépendamment de la nature politique de ceux qui dominent les grèves ([9] [271]). Il est plutôt drôle de noter que dans le feu de la justification de l'absence du parti dans les luttes de 69, les camarades de Battaglia se font du tort à eux-mêmes. En effet, dans les polémiques qui ont précédé la scission du Parti Communiste Internationaliste avec les prédécesseurs de l'actuel Programme Communiste en 1952, c'étaient ces derniers qui proclamaient la nécessité de ne pas participer aux grèves politiques générales contre l'impérialisme américain vue la totale hégémonie des staliniens sur ces mouvements. Et les camarades de la tendance Damen répondaient :
"Les groupes d'usines et de chantiers doivent acquérir la capacité (qu'ils n'ont pas encore) de changer le cours de l'agitation contre l'esprit et l'orientation de cette agitation... Après avoir ouvertement pris leurs responsabilités et exprimé leurs positions politiques, ils doivent sortir de l'usine avec la majorité des travailleurs qui sortent, rester là où la majorité reste. Il ne s'agit pas d'un critère de conformité à la majorité ou à la minorité, mais d'une méthode communiste, d'une évaluation de principe : celle d'être présents là où se trouvent les masses ouvrières, là où elles bougent, discutent et ex» priment leurs désirs qui, nous le savons, ne sont pas toujours en accord avec leurs intérêts de classe... Les soi-disant camarades d'Asti (qui n'avaient pas participé aux grèves) sont et restent des jaunes; j'ajoute que, s'ils s'étaient trouvés là, leur geste aurait reçu la leçon qui lui est due; cela aurait été beau de voir des Internationalistes attaquer d'autres Internationalistes", (extrait des interventions de Lecchi et Mazenchelli, rapportées dans un bulletin interne fin 1951 de la tendance Damen). Que devons-nous en déduire ? Que la participation de la classe à des manifestations qui se déroulent EN DEHORS du terrain de classe ne constituent pas un empêchement suffisant pour être présents "là où se trouvent les ouvriers", alors que l'Inévitable immaturité et confusion qui accompagne le retour de la classe sur son PROPRE TERRAIN DE LUTTE suffit par contre pour s'interdire de participer à cette reprise de la lutte ? Cette spectaculaire contradiction n'est qu'un exemple parmi tant d'autres des conséquences auxquelles mène la tentative de concilier le mythe de l'infaillibilité du parti avec la prosaïque réalité de l'absence du parti au rendez-vous qu'il avait pourtant su attendre durant de longues années de "paix sociale". Il serait absurde aujourd'hui de proclamer notre supériorité parce que nous aurions su "comprendre Mai". Mais c'est encore plus absurde que ceux qui ont pris les événements de 1968-69 pour une restructuration du capitalisme menée par la révolte des petit-bourgeois, se permettant aujourd’hui de proclamer :
"La portée réelle de cette crise que SEUL le parti et LE PREMIER (!) a su voir et énoncer" (Battaglla CommunIsta n°l3).
INVARIANCE DOGMATIQUE ET REFLEXION REVOLUTIONNAIRE
"Le marxisme révolutionnaire, le léninisme (comme continuité rigide de cette tradition de laquelle nous nous réclamons)... contre ceux qui pour ne pas se "scléroser", ont besoin de se "renouveler" par de continuelles élucubrations sur ces manques ou "erreurs" présumés du marxisme ou du léninisme" (B.C n°10-11);
Dans l'enthousiasme de la polémique contre nous, Battaglia semble accepter le fameux acte d'adhésion du militant communiste qui s'engage à : "ne pas revoir, ne pas ajouter, ne pas laisser de côté - tout soutenir, tout défendre, tout confirmer et tout répandre comme un bloc monolithique et de toutes ses forces" (Bordiga, février 1953).
Mais, par chance et surtout pour eux, nos "léninistes d'acier" se sont permis quelque "révision" et c'est vraiment ce qui leur a permis de maintenir une position entièrement Internationaliste et défaitiste pendant la seconde guerre mondiale :
"... ces thèses (de Lénine), tout en arrivant à des conclusions franchement révolutionnaires, contiennent dans leurs prémisses certaines idées qui, si elles sont mal comprises et encore plus mal appliquées devaient mener à de dangereuses déviations et donc par là-même, à de graves défaites prolétariennes.... la notion de classe a un caractère essentiellement international : ce point fondamental de la conception marxiste a été examiné de façon plus approfondie par Rosa Luxembourg qui, à peu près en même temps que Lénine, est arrivée par d'autres voies à des conclusions différentes et à les dépasser... Brièvement, le problème que Rosa soulevait et qui se heurtait aux thèses de Lénine est le suivant : le capitalisme, dans son ensemble mondial suit une voie essentiellement unitaire : les désaccords qui le troublent ne sont jamais tels qu'ils brisent la solidarité de classe qui préside à la défense de ses Intérêts fondamentaux... A faire abstraction de la considération très importante que déjà, en 1914, Rosa avait raison contre Lénine lorsqu'elle affirmait que l'époque des luttes de libération nationale était terminée avec la constitution des grands Etats européens et que dans la phase de décadence du capitalisme, toutes les guerres avalent nettement un caractère impérialiste (alors que, selon Lénine, les guerre nationales étaient encore possibles et les tâches des révolutionnaires vis-à-vis de celles-ci étaient différentes de celles à assumer face aux autres), il n'en reste pas moins le fait que le cours de la situation qui s'est ouvert avec la guerre d'Afrique, confirme de façon lumineuse la vérité des thèses de Luxembourg". (Prometeo, clandestin 1er novembre 1943)
Aujourd'hui encore Battaglia défend la position révolutionnaire sur les soi-disant "luttes de libération nationale", mais pour la défendre contre Programma à qui se réfère-t-il ? à Lénine ! :
"Il faudrait rappeler aux prétendus Internationalistes en question comment Lénine écrit vis-à-vis des soi-disant "guerres nationales" en réalité des guerres impérialistes... Lénine explique que dans toutes les guerres, le seul vaincu, c'est le prolétariat", (B.C n°18-décembre 1976)
Pour ménager la chèvre et le chou, positions révolutionnaires et "autorité léninienne", Battaglia est contraint de faire dire à Lénine le contraire de ce qu'il a dit historiquement et entre autre en se démentant lui-même comme l'a montré la citation de Prometeo. Ainsi, l'incapacité de faire une critique complète des erreurs de la IIIème Internationale (ceci vaut en particulier pour le parti) comporte le fait que même sur les questions dans lesquelles les erreurs ont été dépassées on ne parvient pourtant jamais à une véritable clarté. Par exemple, dans la question syndicale, Battaglia reconnaît que dans la vague révolutionnaire, la classe détruira les syndicats et que c'est la tâche des communistes d'en dénoncer dès maintenant la nature bourgeoise. Mais on écrit que :
"(En ce qui concerne les syndicats), s'éloigner de la ligne tracée par l'œuvre de Lénine, c'est de toute façon une chute verticale dans le vide... Le cadre de toujours reste fondamental, tout comme cela a été pour Marx, puis Lénine et tout comme nous le connaissons aujourd'hui". (Prometeo n°18, p.9, 1972)
Alors, si rien n'est changé, pourquoi le prolétariat devrait-il détruire ses anciens instruments, les syndicats. Si le syndicat est celui "de toujours", pourquoi écrire dans la plateforme :
"Catégoriquement, le Parti affirme que, dans la phase actuel le de domination totalitaire de l'impérialisme (souligné par nous), les organisations syndicales sont indispensables à l'exercice de cette domination". (Plate-forme 1952, P.C Int.).
Les camarades de Battaglia nous accusent de fossiliser leur position sur les groupes Internationalistes d'usine, qui dans la réalité sont des organes du parti, de véritables courroies de transmission entre le parti et la classe. Dans un article sur la récente Rencontre d'Oslo (B.C n°13), ils constatent que même la Comunist Workers' Organisation n'arrive pas à comprendre le rôle de ces groupes. Nous pensons qu'une incompréhension aussi largement diffusée, est due surtout à la réelle ambiguïté de leur rôle. On nous dit qu'ils sont des organes de parti, mais comment un organe de parti peut-II se baser sur des éléments qui, dans leur grand nombre, ne militent pas dans le parti ? On nous dit que les courroies de transmission du parti dans la classe sont ces groupes et non ceux des coordinations ouvrières qui surgissent spontanément. Bien. Mais, si les mots ont un sens, la courroie de transmission dans un moteur est l'élément qui assure la médiation entre deux autres éléments (et en effet les camarades de Battaglia parient "d'organismes intermédiaires"). Mais si un organisme est intermédiaire, c'est-à-dire est à moitié chemin entre le parti et la classe, comment peut-il être "un organisme de parti" ? La Gauche Italienne a toujours refusé la ligne de l'Internationale visant à l'organisation du parti sur la base des cellules d'usine et avec l'argumentation que les ouvriers étaient des militants du parti comme n'importe quel autre et que seule une organisation basée sur des sections territoriales pouvaient garantir une militance politique de tous ses membres. Battaglia semble résoudre la question en prévoyant à côté de la structure territoriale pour tous les militants une sous-structure "intermédiaire" réservée seulement aux militants ouvriers. Nous ne pensons pas qu'il s'agit d'un pas en avant. Pour la même raison, nous ne pensons pas que c'est "un souci d'ordre intellectuel" que de voir une contradiction entre la dénonciation des syndicats comme contre-révolutionnaires et la présence en leur sein comme délégués syndicaux. Plus ces délégués seront combatifs et dévoués aux intérêts de la classe, plus seront renforcées chez les ouvriers la possibilité "d'utiliser les syndicats". Il ne s'agit pas de simples plaintes de pessimistes mais d'un danger réel comme le montre le fait que Battaglia, qui soutient néanmoins qu'il a les idées claires sur les Conseils d'Usine (Documents de la Gauche Italienne n°1, p.7, Janvier 1974) arrive à déclarer :
"Il y a des données de toute autre nature à la I.B Mec. d'Asti où la participation ouvrière est très grande, pourquoi ? Parce qu'à la I .B Mec. d'Asti le Conseil d'Usine agit indépendamment ou mieux sur la base des Intérêts ouvriers et non sur les directives "pompiéristes" de Lama et Cie". (Battaglia Comunista n°l Janvier 1977)
On finit donc par participer au chorus que depuis des mois la gauche extra-parlementaire a commencé à chanter : redonner du souffle aux structures de base du syndicat, les conseils d'usine en les opposant aux "méchants sommets", c'est à dire Lama et Cie (Voir à ce propos l'assemblée du Théâtre Lyrique "pour un syndicat de Conseil"). Si on voulait suivre les méthodes polémiques de Battaglia, on pourrait sans difficulté déclarer que sa seule préoccupation est la chasse aux fauteuils des bureaucrates syndicaux. Mais ce n'est pas vrai et nous le savons bien. Nous pensons au contraire que ces erreurs-là sont une réponse fausse à une exigence juste et fondamentale : la défense militante des positions révolutionnaires dans la classe et dans ses luttes. Nous n'avons pas non plus la présomption de détenir toute la vérité. Mais les positions que nous défendons ne sont pas de "simples abstractions géométriques" développées dans l'atmosphère raréfiée des bibliothèques. Passées à l'épreuve des faits dans les cercles ouvriers qui ont surgi de la lutte de classe en Espagne, en Belgique, en France et ailleurs, elles se sont bien révélées autre chose que de "l'intellectualisme".
GROUPES POLITIQUES PROLETARIENS
"Enoncé de façon présomptueuse (puisque nous ne savons pas de quel droit le CCI s'empare du rôle d'eau pure opposée au marais de la confusion entre les groupes de la Gauche Communiste), le premier document théorise en partant d'une position au-dessus des partis : nous sommes la vérité, tous les autres le chaos".(B.C n°10-11)
Un groupe qui imagine être le seul dépositaire de la vérité révolutionnaire, "l'imaginerait" justement. Mais si nous relisons notre résolution sur les "groupes politiques prolétariens ([10] [272]), nous ne trouvons pas de telles bêtises; la résolution se conclue justement en soulignant la nécessité absolue de "nous garder de considérer que nous sommes le seul et unique groupe révolutionnaire existant aujourd'hui (Revue Internationale n°11, p.22). Loin de vanter notre incapacité innée à commettre une erreur quelconque, nous affirmons :
"Le CCI doit... se garder de recommencer ses erreurs passées qui ont conduit Révolution Internationale par exempte à écrire "nous doutons de l'évolution positive d'un groupe venant de l'anarchisme" dans une lettre adressée au "Journal Lutte de classe" dont les membres allaient un an plus tard avec ceux du RRS et du VRS fonder la section du CCI en Belgique" (Revue lnt.n°11, p.20). Et pourtant, on aurait beaucoup à citer sur les erreurs des autres.il existe par exemple des groupes qui prétendent être déjà parvenus à une clarté parfaite alors que les autres commenceraient tout juste maintenant à éclaircir leurs idées :
"La tâche propre aux révolutionnaires de tous les pays, là où Ils sont organisés en Parti (Italie) ou là où Ils agissent comme petits groupes ou simplement des individus isolés, se précise de plus en plus". (Prometeo, n°26/27, p.16, 1976)
Mis à part le ton d'auto-exaltation mythologique et la réduction à de petits groupes en phase d'orientation pour le CCI, le PIC et la CWO qui ont une plate-forme, on peut penser que, pour Battaglia, les trois autres groupes qui en Italie se réclament de la Gauche Italienne (Programma Comunista, Rivoluzione Comunista et Partito Comunista) ne sont pas révolutionnaires ou ne sont pas des partis! Mais la chose la plus amusante est le fait, qu'après avoir d'une façon désinvolte annulé d'un simple trait l'existence même de Programma Comunista, Battaglia trouve "absurdes et ridicules" nos critiques à cette organisation dans notre résolution sur les groupes politiques prolétariens. Quelle est notre position ? :
"Concernant ce dernier groupe, quel que soit le degré atteint par sa régression, Il n'existe pas à 1'heure actuelle d'é1ément décisif permettant d'établir qu'elle est passée comme corps dans le camp de la bourgeoisie. Il faut mettre en garde contre une appréciation hâtive sur ce sujet qui risque non pas de favoriser, mais d'entraver le travail d'éléments ou tendances qui peuvent tenter; au sein de ces groupes, de résister contre ce cours de dégénérescence, ou de s'en dégager" (Revue Internationale n°11, p.21).
Nous considérons Programma Comunista comme un groupe qui se situe encore dans le camp prolétarien, donc nous sommes ouverts à la discussion et à la polémique politique. Ce n'est pas par hasard que dans notre presse "nous avons déploré son mépris manifeste pour la Conférence Internationale convoquée par Battaglia. Mais quelle ne fut pas notre surprise quand, ayant reçu (après avoir beaucoup Insisté) la liste des organisations auxquelles Battaglia avait expédié 1'Appel, aux groupes internationaux de la Gauche Communiste pour la Conférence de Milan, nous n'avons trouvé ni Programma ni les autres organisations qui se réclament de la Gauche Italienne. Il y a donc deux possibilités : soit Battaglia n'a pas expédié l'Appel à ces organisations et dans ce cas, elle a essayé de se faire passer au niveau International comme le seul groupe héritier de la Gauche Italienne, soit elle les a Invités, et, face à leur refus, n'a pas daigné les nommer. Quel que soit le cas ([11] [273]), elle a démontré dans les faits son incompréhension que face aux groupes politiques qui sont sur un terrain de classe, quelles que soient leurs erreurs, Il est nécessaire : "de conserver une attitude ouverte à la discussion, discussion qui doit se mener pu publiquement et non à travers des échanges confidentiels" (Revue lnt. n°11.p.22) Et surtout, il faut savoir ne pas se laisser aller à des réactions émotives, à des représailles polémiques et à des obstinations sur des problèmes formels; c'est pour cette raison que notre attitude envers Programma Comunista ne change pas par le simple fait qu'il nous a qualifiés d’imbéciles" ([12] [274]) .
BATTAGLIA COMUNISTA, LE CCI ET LA CWO
"SI la CWO, avec plus de sérieux, se montre ou vert à l'approfondissement critique et ne s'érige pas en maître du communisme, les confusionnistes du CCI prétendent donner des sentences sur les confusions des autres en rangeant parmi les groupes confus la fleur des réactionnaires gauchistes, comme les trotskystes" (B.C n°l3).
Pour que notre nature de "marxistes du dernier moment" soit plus claire, Battaglia a pensé à nous opposer à un groupe "sérieux", la CWO. Mais pour arriver à son but, elle doit nous attribuer les positions erronées des autres et vice-versa. Battaglia fait semblant de ne pas savoir (ou probablement, elle ne le sait pas vraiment) que la CWO a rompu tout rapport avec nous en 1976 après nous avoir défini non pas comme confus mais comme "contre-révolutionnaires"([13] [275]). Les camarades de la CWO ont maintenu cette position absurde pendant presque deux ans, refusant toute discussion avec nous malgré nos propositions publiques en ce sens (W.R n°6, Revue Internationale n°9 et 10). Cette attitude ultra-sectaire l'a amenée à un isolement croissant et à la désagrégation : d'abord la scission de Liverpool (l'ancien Workers' Voice) après la scission des sections d'Edimbourg et d'Aberdeen, qui réclamaient l'ouverture de discussions avec le CCI en vue de leur Intégration dans le Courant.
Les camarades restés dans la CWO, même s'ils continuent à nous qualifier de "contre-révolutionnaires" ont enfin annoncé "que l'article dans la Revue Internationale n°l0 était politiquement assez sérieux pour pouvoir constituer la base d'une reprise de débat et donc nous sommes obligés d'essayer de faire comprendre encore une fois au CCI les conséquences de ses théories"([14] [276]) et Ils ont maintenu une attitude fraternelle lors de la Conférence "non-léniniste d'Oslo" où nous avons défendu en commun les positions révolutionnaires. En ce qui concerne les trotskystes, notre Résolution parle clair : "Parmi les parti passés à la bourgeoisie, on peut nommer principalement les partis socialistes issus de la 2ème Internationale, les partis communistes Issus de la 3ème Internationale de même que les organisations appartenant au monarchisme officiel et également les courants trotskystes...En ce sens, on ne doit rien attendre des différentes scissions trotskystes qui régulièrement se proposent de sauvegarder ou revenir à "un trotskysme pur" ([15] [277]). Mais si nous n'avons jamais pris les trotskystes pour des confus, il y en a qui, malheureusement, les ont pris pour des révolutionnaires : Battaglia Comunista a invité à la Conférence de Milan deux organisations trotskystes françaises, Union Ouvrière et Combat Communiste, et elle a défendu longuement cette invitation contre nos protestations et notre ferme opposition à n'lm-porte quelle discussion avec des organisations contre-révolutionnaires. Cette opposition n'a pas été simplement exprimée de vive voix dans une rencontre avec la CE de Battaglia mais a été publiée dans notre presse :
"... tout en mettant en garde contre l'absence de critères politiques, ce qui permet l'invitation de groupes tels que les trotskystes-modernistes d'Union Ouvrière ou les mao-trotskystes de Combat Communiste, dont nous ne voyons pas la place dans une conférence de communistes..."([16] [278]). Après tout cela. Il faut pas mal d'inconscience pour écrire que c'est nous qui n'avons pas les idées claires sur la nature réactionnaire du trotskysme.
L'ETAT DANS LA PERIODE DE TRANSITION
Nous n'avons pas l'intention, ici, de nous étendre sur ce sujet aussi complexe que vital pour les révolutionnaires, ni même de réfuter les simplifications désinvoltes que Battaglia énumère à ce propos (ceci trouvera sa place dans le développement ultérieur de la discussion). Nous nous contenterons de souligner les bourdes les plus retentissantes et mettre au clair le cadre dans lequel cette discussion doit se situer.
Pour les camarades de Battaglia, le projet de résolution présenté par le Bureau International du CCI n'est rien d'autre que la négation de la dictature du prolétariat au profit d'un "organe au-dessus des classes, ce qui se rattache, comme une conséquence logique à la défense que les partis de gauche font de "l'Etat de tous". Il est bon de rappeler ici que des accusations analogues avaient été faites par la CWO, pour ne nommer qu'elle. Quel est aujourd'hui le bilan de toutes ces accusations ? Voici ce qu'une importante minorité de la CWO a été conduite à admettre :
"La CWO soutient que le CCI serait partisan d'une soumission de la classe ouvrière à un quelconque "Etat Interclassiste". S'il en était ainsi, le CCI aurait effectivement franchi les frontières de classe. Mais en réalité, si on se prend la peine de suivre les textes du CCI sur la période de transition, on y trouve défendues les mêmes positions de classe que la CWO... Le CCI met clairement en relief que SEULE la classe ouvrière peut disposer du pouvoir politique... Il y est clair que SEULE la classe ouvrière peut s'organiser en tant que classe; la seule concession faite à cet égard concerne les paysans qui peuvent s'organiser sur une base géographique pour faire connaître leurs besoins au prolétariat"([17] [279]).
La thèse défendue dans le projet de résolution et dans maints autres textes précédents, exprime l'idée que l'expérience de la révolution russe a démontré de façon tragique que la dictature du prolétariat, la dictature des conseils ouvriers ne peut s'identifier avec cet Etat engendré par la subsistance de la division de la société en classes au lendemain même de la révolution, il en découle que la dictature du prolétariat ne s'exerce pas dans l'Etat ni à travers l'Etat mais sur l'Etat, qu'en conséquence celui-ci ne pourra être -comme l'a toujours dit le marxisme- qu'un "demi-Etat" destiné à s'éteindre progressivement et pour cela privé de toute une série de caractéristiques particulières, tel par exemple le monopole des armes.
Battaglia joue de l'équivoque et s'indigne :
"Mais alors l'Etat bourgeois a, lui, le monopole des armes, par contre celui qui surgira de la révolution prolétarienne, non!" (B.C n°12) laissant ainsi entendre au lecteur que, d'après nous, le prolétariat devrait se partager fraternellement les armes disponibles avec les anciennes classes possédantes, au nom d'une soi-disant très démocratique "lutte pour le monopole". En réalité, dans la résolution, l'Etat n'a pas le monopole des armes pour la simple raison que la classe, en ne s'identifiant pas à lui, ne le lui délègue pas :
"La domination de la dictature du prolétariat sur l'Etat et l'ensemble de la société se base essentiellement :
- sur l'interdiction de toute organisation propre aux autres classes en tant que classes,
- par sa participation hégémonique au sein de l'organisation d'où émane l'Etat,
- sur le fait qu'elle s'impose comme seule classe armée".(Revue Internationale n°11, p.26)
Puis Battaglia entreprend de nous présenter comme des gens aveuglés par une sorte de phobie de l'Etat due à des "amours libertaires non encore assoupies" :
"Faire de tous les effets négatifs de l'Etat la cause principale de la dégénérescence de la révolution d'Octobre - comme le théorise de façon explicite le document - c'est avoir compris bien peu de l'expérience de la révolution russe, c'est prendre des vessies pour des lanternes, les effets pour les causes". (B.C n°l2).
Et Battaglia d'assumer la tâche aisée de rappeler le poids sur la révolution, de l'encerclement, le reflux de la vague révolutionnaire, etc. Mais le rappeler à qui ? Le CCI a toujours défendu que "de même que la révolution russe fut le premier bastion de la révolution Internationale en 1917, le premier d'une série de soulèvements prolétariens internationaux, de même sa dégénérescence en contre-révolution fut l'expression d'un phénomène international, le résultat de l'échec de l'action d’une classe internationale, le prolétariat" ([18] [280]), menant de dures polémiques contre ceux qui ne volent comme cause de la dégénérescence que les erreurs du parti bolchevik et son identification avec l'Etat. La résolution affirme que l'Etat fut "le principal agent", c'est-à-dire l'Instrument de la contre-révolution, contrairement aux prévisions des bolcheviks, pour qui la contre-révolution ne pouvait s'affirmer qu'au travers de la destruction de l'Etat soviétique par les généraux blancs et les armées d'Invasion du capital mondial. Il revint cependant à l'Etat soviétique, renforcé au maximum pour mieux "défendre la révolution", de prendre en charge son étranglement ainsi que celui du parti bolchevik, en tant que parti prolétarien.
Bref, le projet de résolution sur la période de transition constitue un "brusque détour des voies de la science révolutionnaire", détour qui est d'autant plus grave qu9II n'a d'autre justification que celle de l’originalité à tout prix" (souligné par nous). Battaglia tombe ici vraiment mal. Notre débat sur la période de transition, les contributions élaborées au cours des années, se situent dans une continuité directe des recherches menées par les minorités révolutionnaires des années 30. Ceci est particulièrement vrai pour la Gauche Italienne qui énonçait comme tâche des révolutionnaires la résolution des "NOUVEAUX PROBLEMES POSES PAR L'EXERCICE DU POUVOIR PROLETARIEN EN RUSSIE" (Bilan, nov.1933), et qui parvint à fournir une contribution, qui pour ne pas avoir été définitive, n'en fut pas moins fondamentale :
"Mais l'Etat soviétique ne fut pas considéré essentiellement par les bolcheviks, au travers des terribles difficultés contingentes, comme un "fléau dont le prolétariat hérite et dont il devra atténuer les effets les plus fâcheux" (Engels), mais comme un organe qui pouvait être totalement identifié avec la dictature du prolétariat et donc avec le Parti... Bien que Marx, Engels, et surtout Lénine, aient, plus d'une fois, souligné la nécessité d'opposer à l'Etat son antidote prolétarien, capable d'empêcher sa dégénérescence, la révolution russe, loin de garantir le maintien et la vitalité des organisations de classe du prolétariat, les a stérilisées en les intégrant dans l'appareil étatique et en a ainsi dévoré la substance même" ([19] [281])
On peut certes être en divergence avec ces positions et/ou avec les conclusions qui en ont été tirées par la Gauche Communiste de France (Internationalisme) pendant les années 40 et par nous aujourd'hui : l'existence d'un débat ouvert sur ces thèmes au sein de notre organisation en est la meilleure preuve ([20] [282]). Mais présenter tout ce travail comme un ridicule souci "d'originalité", c'est au contraire fournir la meilleure preuve du processus de sclérose auquel Battaglia se trouve confrontée.
Mais à peine a-t-on prononcé ce terme de sclérose que les camarades de Battaglia sentent le sang leur monter à la tête, l'interprétant comme une tentative de les définir comme une bande de vieillards artérioscléroses et recroquevillés. Ce n'est pourtant pas en termes d'Insultes que nous parlons de sclérose à l'égard des groupes qui ont survécu des anciens courants révolutionnaires, tout comme ce n'est pas sur un ton d'éloge que nous constatons "l'agilité" de tous ceux (Togliatti, etc.) qui ont, avec la plus grande désinvolture, sauté de l'autre côté de la barricade. Il n'en demeure pas moins qu'un groupe révolutionnaire ne peut pas subir pendant près de 50 ans l'influence du poids de la contre-révolution triomphante, au sein même des rangs de la classe ouvrière, sans qu'il s'en dégage la moindre conséquence :
"En règle générale, d'ailleurs, leur sclérose est, en partie la rançon qu'ils paient à leur attachement et à leur fidélité aux principes révolutionnaires, à leur méfiance à l'égard de toute Innovation qui a constitué, pour d'autres groupes, le cheval de Troie de la dégénérescence ([21] [283]), méfiance qui les a conduits à rejeter les actualisations de leur programme, rendues nécessaires par l'expérience historique"([22] [284]).
Dans la réalité, la capacité de dépasser et de dénoncer les faiblesses de la position de Lénine sur la question nationale (positions que le Parti Communiste d'Italie avait, en son temps, entièrement fait siennes) a constitué un facteur Important dans la défense du défaitisme révolutionnaire, menée par le Parti Communiste International pendant la IIème guerre mondiale. Mais au cours de la longue période de paix sociale qui s'est ouverte avec l'après-guerre, le processus de sclérose a pris, en grande partie, le dessus sur le travail d'enrichissement des positions de classe. Si Programma Comunista a cru résoudre tous les problèmes et, proclamant le retour à toutes les vieilles erreurs de la IIIème Internationale, Battaglia - comme nous l’avons vu -tente elle de concilier la défense de positions de classe et une adhésion "rigide" au "léninisme". Ainsi, par exemple, dans un article sur le parti bolchevik paru dans Prometeo ([23] [285]). L’auteur des articles sur le second congrès du CCI, à côté d'une polémique juste "contre ces conceptions qui Identifient l'exercice de la dictature - qui doit être le fait de la classe et d'elle seule - avec la dictature du parti", attaque surtout "ces conceptions débordantes de préjugés bourgeois, telles celles de Rosa Luxembourg, suivant lesquelles la dictature consiste dans l'application de la démocratie et non dans son abolition". Nous ne pensons pas que ce soit ici le lieu pour répondre à ces simplifications et déformations des critiques adressées par la grande révolutionnaire à l'expérience bolchevique. D'ailleurs, il y a quelques années, Battaglia s'est, elle-même chargée de le faire en publiant, en italien la brochure "La Révolution Russe" de Rosa et en affirmant, par la plume autorisée d'Onorato Damen, que :
"La dictature du prolétariat de demain, quelque soit le pays où elle agira, constituera une expérience nouvelle, en ce sens qu'elle synthétise ra l'intuition et l'optimisme révolutionnaires de Luxembourg et l'irremplaçable enseignement de Lénine" ([24] [286]).
Mais peut-être l'auteur de l'article ne le savait pas et peut-être s'est-ll laissé aller au plaisir de "l'originalité à tout prix" à l'égard de son propre parti. Nous ne pouvons que constater : Il s'agit encore une fois des zigzags typiques de cette prétendue "Invariance" rigide.
LE DEBAT ENTRE LES REVOLUTIONNAIRES ET LES QUESTIONS OUVERTES
"Ainsi, d'après les auteurs de l'article (peut-être d'après tous les camarades du CCI ? Nous en doutons ...), l'Etat au cours de la période de transition est une question sur laquelle II est permis et même nécessaire de discuter au sein d'une organisation révolutionnaire aux aspirations vraiment internationales... Ce qui est tout à fait Inacceptable, c'est la prétention du CCI d'être une organisation Internationale de révolutionnaires. Il serait plus juste de l'appeler "groupe international d'études", groupe avec lequel, bien entendu, nous sommes toujours prêts à collaborer en donnant le meilleur de nous-mêmes". (B.C. n°14).
Contrairement à ce que semble penser aujourd'hui Battaglia Comunista, les frontières de classe qui déterminent l'appartenance au camp prolétarien, n'ont pas été toutes codifiées dans le Manifeste de 1848. La Commune de Paris a démontré que "l'Etat bourgeois se détruit mais ne sa conquiert pas", et l'entrée du capitalisme dans sa phase de décadence, marquée par l'éclatement de la première guerre mondiale a rendu inutilisables pour la classé toutes les vieilles tactiques réformistes. De façon spécifique, dans ce dernier cas, il est parfaitement compréhensible que les révolutionnaires n'aient pas été capables, sur le moment, de mesurer l'ampleur du changement qualitatif. Mais aujourd'hui, après 50 ans de démenti historique, les refus de 669 tactiques est devenu une frontière de classe, dont la défense est la base de toute organisation révolutionnaire. La plate-forme du CCI, base d'adhésion unique dans tous les pays, assume cette fonction et c'est à faire sa critique que nous invitons quiconque voudrait sérieuse ment démontrer notre inexistence comme organisation Internationale des révolutionnaires. C'est au sein de ce cadre programmatique cohérent qu'il est permis, même nécessaire de discuter sur tous les problèmes que l'expérience historique de la classe n'a pas encore résolus. Avec Bilan, nous pensons que le court exercice du pouvoir par le prolétariat en Russie, loin de confirmer toutes les vieilles convictions du mouvement ouvrier, a soulevé de "nouveaux problèmes" auxquels II faut donner une solution dans la perspective révolutionnaire. Contribuer à la préparation de cette solution, telle est la tâche qui anime tous les militants du CCI dans cette discussion, qui se situe fermement à l'intérieur du cadre tracé par l'expérience russe (la dictature du prolétariat n'est pas la dictature du parti, etc.). Mais ce problème ne concerne pas uniquement le CCI; Il est l'affaire de tout le mouvement révolutionnaire. C'est pourquoi le débat est mené de façon ouverte, face à l'ensemble de la classe, Invitant les autres groupes à participer au débat.
C'est cette attitude qui nous a aidés è assumer dans les faits l'effort de regroupement des révolutionnaires au niveau International, cette tâche que nous avons "la prétention" de faire nôtre. C'est pour cela que nous pouvons entreprendre une discussion avec d'autres groupes sans besoin de "nous donner du courage" en affirmant qu'il s'agit uniquement de fournir une aide maximum de notre part à d'inoffensifs studieux, privés de toute cohérence Interne.
Si nous avons publié dans notre presse un texte de Battaglia fortement critique à notre égard ([25] [287]) ce n'est ni par éclectisme, ni par faiblesse : "Loin de s'exclure, fermeté sur les principes et ouverture dans l'attitude vont de pair : nous n'avons pas peur de discuter précisément parce que nous sommes-convaincus de la validité de nos positions" ([26] [288]). En fait, nous soutenons fermement que la discussion publique au sein et entre les organisations prolétariennes soit le patrimoine du mouvement ouvrier et non de quelque Institut International des Hautes Etudes Sociales. C'est ainsi que Bilan publia - à propos de la guerre d'Espagne - les textes de la minorité scissionniste et nous- mêmes les avons reproduits en publiant aujourd'hui les textes de Bilan sur cette question ;
"Ce n'est certes pas un scrupule moral qui a motivé ce choix, c'est encore moins une volonté de se tenir au-dessus de la mêlée (étant donné notre prise de position sans équivoque) qui nous a conduits à publier les textes des deux tendances. La politesse n'a rien à faire ici. Nous laissons volontiers aux héros des guerres Impérialistes la haute satisfaction de porter des fleurs à l’ennemi vaincu. Le débat politique n'est pas pour nous un beau geste, une "touche de classe", quelque chose qui nous distingue et nous fait remarquer, mais au contraire, UNE NECESSITE ELEMENTAIRE VITALE A LAQUELLE IL NE SAURAIT ETRE QUESTION DE RENONCER". ([27] [289])
[1] [290] Les documents et les procès-verbaux de la Conférence sont publiés sous la forme d'une brochure ronéotée en français et anglais et comme numéro spécial de Prometeo en Italien. On peut se procurer ces textes au PCInt. Casella Postale 1753 -Milano-Italie-
[2] [291] Voir Battaglia Comunista nô 10-11 et 12 -Août-septembre 1977.
[3] [292] Rivoluzione Internazionale n°10, p.4, sept.77.
[4] [293] "L'insondable profondeur du marxisme occidental" dans 'Le Prolétaire n°203-204-octobre 1975.
[5] [294] C'est le cas de Battaglia pour les groupes qui viennent de la Gauche Italienne, de Spartacus-Bond pour la Gauche Hollandaise (voir "Spartacus-Bond terrorisé par les fantasmes bolcheviks, Revue Internationale n:2).
[6] [295] Battaglia Comunista n°l3-octobre 1977.
[7] [296] Bulletin d'Etude et de Discussion de RI n°!0, p.3l.
[8] [297] Voir par exemple "La crise monétaire" dans RI ancienne série n°2, février 1969.
[9] [298] Ainsi nous nous sommes solidarisés avec les grèves d'août 1975 des cheminots Italiens malgré l'Intervention démagogique des syndicats autonomes (Rivoluzione Internazionale n°3).
[10] [299] Rivoluzione Internazionale n°7, p.23
[11] [300] Probablement le deuxième, étant donné les "allusions" de Programma : "Toutefois, de temps en temps, nous recevons des appels, pas très convaincus, certainement peu convaincants, pour une rencontre sur la base d'un programme très général de lutte contre l'opportunisme" (Programma Comunista, n°l2, Juin 1976).
[12] [301] Voir article de Programma Comunista n°2l, nov.1977, auquel nous répondrons dans notre prochain numéro de Rivoluzione Internazionale.
[13] [302] Voir "Les convulsions du CCI" dans Revolutionary Perspectives n°4. Selon ces camarades, en en effet, notre refus de considérer le parti bolchevik et l'IC dans son ensemble comme totalement réactionnaires à partir de 1921, fait de nous "un de ces nombreux groupes qui font partir la contre-révolution après 1921". Les camarades de Battaglia qui se réclament explicitement du Parti de Livourne (1921) et des Thèses de Rome savent désormais ce que la CWO pense d'eux.
[14] [303] Revolutionary Perspectives n°8, p.38.
[15] [304] Revue Internationale n°11, p.19-20.
[16] [305] Revue Internationale n°8, p.46, déc.1976.
[17] [306] "Frontières de classe et organisation", texte de la section d'Aberdeen et d'Edimbourg, publié maintenant dans Revolutionary Perspectives n°8
[18] [307] "La dégénérescence do la révolution russe", p.l8 dans la Revue Internationale n°3.
[19] [308] Bilan n°28, mars-avril 1936. Pour une Histoire de la Gauche Italienne dans l'exil, voir Revue Internationale n°9. p.10.
[20] [309] Voir à ce propos le contre-projet de résolution écrit par quelques camarades dans la Revue Internationale n°11, p.27. Voir encore dans le même numéro la lettre critique envoyée par le camarade E. et la réponse de R.Victor, p.31.
[21] [310] C'est pour cela que nous avons toujours condamné le mépris "juvénile" de groupes qui tels, Union Ouvrière à qui II a suffi d'une année pour Juger théoriquement et expérimenter pratiquement la formidable pauvreté de tous les "bordigo-pannekoeko-révisionnistes et de leurs sous-produits critiques" (U.O de décembre 1975); leur mépris pour les vieilles "momies" de la Gauche Communiste n'est en réalité qu'un mépris vis-à-vis des difficultés que rencontre le prolétariat pour se hausser à la hauteur de ses tâches historiques. Le naufrage d'Union Ouvrière dans la confusion après "une année" en est la meilleure preuve.
[22] [311] Revue Internationale n°11, p.21
[23] [312] Prometeo n°24-25, p.35, 1975.
[24] [313] "La Révolution Russe" de Rosa Luxembourg, Edizione Battaglia Comunista, sans date.
[25] [314] Introduction aux textes sur la divergence dans la Rivoluzione Internazionale n°1.
[26] [315] "Lettre de Battaglia Comunista" publiée dans la Revue Internationale n°8 (Eds française, anglaise et espagnole) avec une réponse approfondie et documentée de notre part. Depuis, près d'un an s'est écoulé et nous attendons toujours une réponse.
[27] [316] Revue Internationale n°11, p.22.
Le capitalisme décadent porte la guerre en ses flancs comme seul aboutissement aux contradictions et déchirements internes du système. Aucun mystère ne voile la nature de la guerre impérialiste à notre époque. L'absence de nouveaux débouchés pour réaliser la plus-value incluse dans les marchandises produites au cours du processus de production, ouvre une crise permanente du système : une lutte acharnée pour la possession des matières première, pour la maîtrise du marché mondial, pour le contrôle des zones militaires stratégiques du globe. Plus l'antagonisme inter-impérialiste s'aggrave avec la crise économique, plus les Etats capitalistes sont amenés à renforcer leur appareil militaire défensif et offensif. Depuis la fin du siècle dernier, le capitalisme est définitivement rentré dans le stade de l'impérialisme et tous les Etats du monde, pour défendre leurs intérêts propres, sont obligés de se mettre sous la tutelle de l'une ou l'autre des deux grandes puissances : les USA et la Russie.
Les guerres restent actuellement localisées mais le théâtre des opérations s'est étendu ces derniers temps depuis l'Indochine, proie entre la Russie et la Chine, elle-même devenue l'interlocuteur privilégié du bloc occidental en Asie, jusqu'au Moyen-Orient, abcès de fixation quasi permanent et maintenant en Afrique qui se déchire en foyers de guerre effectifs ou potentiels : Zaïre, Tchad, Rhodésie, Afrique du Sud, Angola, Ethiopie, Erythrée, Somalie.
Les récents événements au Zaïre constituent le signe le plus marquant du réchauffement des conflits inter impérialistes à l'heure actuelle. Les interventions militaires directes de la France et la Belgique sont motivées par les intérêts économiques et politiques que gardent ces pays face à leurs anciens empires coloniaux, tout comme, les "casques bleus" français au Liban ne sont que l'ancienne armée coloniale déguisée. On serait tenté, si l'on reste à ce niveau seulement de comparer le Zaïre avec des aventures impérialistes des années 60 telles que le Vietnam et d'en conclure que les événements d'aujourd'hui sont moins graves, moins âpres, moins dangereux. Mais on se tromperait lourdement.
En fait, l'intervention au Zaïre comme celle au Tchad fait partie d'une concertation des efforts de tous les pays de l'OTAN pour affronter les poussées du bloc russe. Ce ne sont pas un ou deux pays qui sont en cause mais directement toute la politique des blocs impérialistes. L'impérialisme russe s'acharne à vouloir briser l'emprise du bloc américain sur l'Afrique, après avoir subi l'étau de la "pax americana" au Moyen-Orient. L'impérialisme américain vient de faire une démonstration importante de la rapidité de ses réactions ainsi que de la collaboration au sein de son bloc face aux conflits.
Au moment des événements, tous les pays d'Europe ont donné leur appui à l'intervention au Zaïre et Washington a même prêté certains de ses avions. Le 5 juin, les six pays de l'OTAN se sont réunis à Bruxelles pour étudier la situation en Afrique et plus tard, le 11 juin, les "onze" du bloc américain (y inclus l'Iran, l'Arabie Saoudite, le FMI (Fonds Monétaire International), la Banque mondiale et une commission de la CEE) ont étudié les modalités d'une aide financière pour maintenir à flot l'économie zaïroise, criblée de dettes étrangères de 2,3 milliards de dollars et dont le PNB diminue de 5 % chaque année depuis 1976. Sept pays africains participent à la force chargée de la défense du Shaba; le Maroc fournira l'essentiel des troupes de cette force sans précédent. Même l'Egypte donne son soutien militaire au Zaïre comme au Tchad.
Le renforcement des blocs impérialistes s'accentue de conflit en conflit. Nous voyons aujourd'hui clairement la véracité de notre analyse : "L'économie de guerre à l'époque actuelle n'est pas seule ment mise en place à l'échelle nationale mais aussi à l'échelle d'un bloc impérialiste. L'incorporation dans un des deux blocs impérialistes -chacun dominé par un capitalisme d'Etat continental et colossal, les USA et la Russie est une nécessité à laquelle même les "grandes puissances anciennement impérialistes comme la Grande-Bretagne, la France, l'Allemagne et le Japon ne peuvent résister. La tendance dominante de la part des USA et de la Russie est de coordonner, organiser et diriger le potentiel de guerre de leur bloc ("Rapport sur la situation Internationale [317]", Revue Internationale n°11). La bourgeoisie a présenté ce nouveau pas vers la guerre "franche" comme un acte humanitaire" pour "sauver les blancs", tout comme elle a lancé une campagne anti-terroriste pour mieux cacher le renforcement de l'appareil répressif de l'Etat. Les révolutionnaires ont le devoir de prendre une position intransigeante, internationaliste face à toutes les menaces de guerre, à toutes les campagnes idéologiques de la guerre. Et c'est cela que le CCI a fait à travers la déclaration que nous publions ci-dessous, dénonçant les deux camps en présence, dénonçant toute tentative de couvrir la vérité des événements par la mystification des soi-disant "luttes de libération nationale" ou par un appui au bloc russe, supposé "progressiste". Contrairement au PCI (bordiguiste) qui écrit : "les combattants palestiniens, libanais, tchadiens, sahraouis, qui se dressent les armes à la main contre "notre" impérialisme, sont les frères des prolétaires de la métropole dans la lutte contre l'ennemi commun : l'Etat impérialiste français" (Tract du 21 mai 1978, France), le CCI affirme "qu'on ne lutte pas contre l'impérialisme en choisissant l'une ou l'autre des puissances antagonistes. Tous ceux qui tiennent ce langage se font, consciemment ou inconsciemment les rabatteurs de la guerre impérialiste". Les armées palestiniennes, tchadiennes ou katangaises sont des proies de l'impérialisme russe tout en dépendant des intérêts d'une partie de la bourgeoisie locale de la même manière que le corps expéditionnaire du bloc occidental (les légionnaires français, les troupes marocaines et autres) servent l'impérialisme américain tout en défendant les intérêts d'une partie de la bourgeoisie locale. Le prolétariat n'a pas de patrie. Il n'a pas à soutenir de mouvement nationaliste d'aucune sorte, ni au « tiers-monde », ni dans les métropoles. La classe ouvrière vit et agit dans les pays sous-développés ; c'est elle, on effet, qui s'est fait massacrer dans la ville minière de Kolwezi par les armées adverses. La classe ouvrière n'a que faire des alliances avec des mouvements nationalistes. Son seul ennemi, c'est le système capitaliste partout dans le monde.
La situation internationale s'aggrave mais seul le prolétariat peut porter un coup d'arrêt aux forces impérialistes. Au mois de juin 1978, alors que les corps expéditionnaire français et occidentaux font leur sale besogne au Zaïre et au Tchad, 50.000 ouvriers des arsenaux de l'Etat français se sont mis en grève contre leurs conditions d'exploitation. C'est cette voie, cette capacité d'arrêter le bras destructeur du capital qui constitue la seule réponse possible à la crise, à l'OTAN couru ; au C0MEC0N. Il devient chaque jour plus clair que la lutte contre la guerre, c'est la lutte décisive entre le capital et le travail.
La déclaration suivante est publiée dans toute la presse du CCI, dans toutes les langues. Elle a été diffusée en tant que tract au cours des évènements du Zaïre en France et en Belgique.
Ils disent intervenir pour "raisons humanitaires". Ils mentent.
Certes, le fait n'est pas nouveau. Depuis la fin de la seconde guerre, les deux blocs impérialistes : USA et ses valets, URSS et ses "frères" n'ont cessé de s'affronter sous couvert de "dé colonisation", "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes", "défense de l'intégrité nationale", "lutte pour la démocratie", "lutte pour le socialisme", faisant des zones en conflit des enfers pour les peuples victimes de leur" sollicitude". Et ce fut, par l'envoi massif d'armements les plus meurtriers, ou par l'intervention directe, le quadrillage de la terre saignant de ces massacres : Indochine, Corée, Afrique du Nord, Moyen-Orient, Vietnam, Biafra, Bengale, Cambodge. Aujourd'hui, l'Afrique est une zone privilégiée de l'échiquier où se joue leur jeu infernal : chacun avance ses pions. Les deux camps sont pour l'heure ainsi tracés : aux couleurs de l'URSS : Angola, Mozambique, Algérie, Libye et Ethiopie. En face, les pièces maîtresses des USA et de ses acolytes anglais, français et belges : Afrique du Sud et Zaïre. Plus le capitalisme mondial s'enfonce dans sa crise économique plus les conflits deviennent nombreux et violents : Rhodésie, Sahara, Ogaden, Erythrée, Tchad, la liste des massacres s'allonge.
Aujourd'hui, l'intervention au Zaïre.
par l'ampleur des moyens et l'hystérie des propos. Pour tout cela, l'intervention au Zaïre est une étape fondamentale de cette escalade.
Les autres mensonges de la bourgeoisie
A côté de ceux qui ont patronné cette expédition, certains ne sont pas moins hypocrites :
La guerre n'est pas le fait de quelques gouvernements bellicistes ou mal intentionnés. Elle fait partie du mode de vie même du capitalisme, et particulièrement depuis le début du 20ème siècle. A partir de la première guerre mondiale, ce système ne se survit plus qu'à travers des mutilations successives, qu'à travers un cycle infernal où chaque reconstruction ne fait que préparer une crise encore plus grave que la précédente à laquelle la bourgeoisie no sait apporter qu'une issue guerrière chaque fois plus dévastatrice et meurtrière.
Et, pas plus que celle de 1929, le capitalisme ne peut la foire aboutir qu'à une nouvelle boucherie mondiale.
C'est ce que nous démontre jour après jour la dégradation de la situation économique dans tous les pays du monde, y compris ceux qui se disent socialistes.
C'est ce que "nous démontre l'aggravation constante des conflits sur toute la planète. C'est ce que nous démontre aujourd'hui l'intervention au Zaïre.
Prôner le pacifisme, c'est prôner la passivité et la soumission à cet engrenage. C'est ouvrir la voie à la guerre.
Il n'y a pas d'issue au sein du capitalisme.
Une seule force dans la société peut le faire : la classe ouvrière. Elle l'a déjà montré en 1917 en Russie et en 1918 en Allemagne, elle seule petit enrayer et paralyser l'engrenage vers le nouvel holocauste; elle seule a le pouvoir d'abolir l'exploitation, l'oppression, les classes et les nations et d'instaurer une société nouvel le : le socialisme.
Pour cela, elle doit partout engager ou poursuivre l'offensive contre le capitalisme.
Dans les pays où on l'enrôle directement dans le massacre, elle doit dénoncer l'abrutissement du chauvinisme qu'on lui fait subir sous couvert de "libération nationale" et autres mensongeries. La seule réponse possible est celle des ouvriers russes de 1917, des ouvriers allemands de 1918.
Dans les pays du tiers-monde, terre d'élection des guerres actuelles, le prolétariat a commencé à lutter sur son terrain de classe : pour lui, pas d'autre issue que de poursuivre dans cette voie.
Dans les métropoles du capitalisme et particulièrement en France et on Belgique, celles dont l'impérialisme est aujourd'hui en première ligne, il n'y a pas non plus d'autre voie pour les travailleurs que la reprise des luttes contre l’austérité et les licenciements :
Votre réponse de classe ne peut attendre. Renouez avec les combats engagés à partir de 1968 et que la bourgeoisie a réussi à épuiser dans les impasses "démocratiques", électorales et syndicales, "de gauche". Faites vôtres les mots d'ordre de votre classe ;
LES PROLETAIRES N'ONT PAS DE PATRIE, PROLETAIRES DE TOUS LES PAYS, UNISSEZ-VOUS !
20 mai 1978Courant Communiste International
Tract diffusé en France et en Belgique et publié dans toutes les revues du CCI.
"Les cadres pour les nouveaux partis du prolétariat ne peuvent sortir que de la connaissance profonde des causes des défaites. Et cette connaissance ne peut supporter aucun interdit non plus qu'aucun ostracisme.
Tirer le bilan des événements de l’après guerre, c'est donc établir les conditions pour la victoire du prolétariat dans tous les pays."
BILAN n°1 (novembre 1933)
Les formidables campagnes idéologiques de la bourgeoisie européenne sur le terrorisme l’affaire Schlayer en Allemagne, affaire Moro en Italie), feuilles de vigne d’un renforcement massif de la terreur et de l’État bourgeois a mis pour un temps au premier plan des préoccupations des révolutionnaires les problèmes de la violence, de la terreur et du terrorisme. Ces question ne son pas nouvelles pour les communistes : depuis des décennies ils ont stigmatisé la barbarie avec laquelle la classe dominante maintient son pouvoir sur la société, avec quelle sauvagerie même les régimes les plus démocratiques se déchaînent à la moindre remise en cause de l’ordre existant. Ils ont su mettre en évidence que ce ne sont pas les piqûres de moustique de quelques éléments désespérés issus de la décomposition des couches petites bourgeoises qui sont visées par les campagnes officielles actuelles mais bien la classe ouvrière dont la révolte nécessairement lente va constituer, lors de son réveil, la seule menace sérieuse pour le capitalisme.
Leur rôle était donc de dénoncer ces campagnes pour ce qu’elles étaient et également mettre en évidence la stupide servilité de groupes gauchistes, comme par exemple certains trotskistes passant leur temps à dénoncer les “Brigades Rouges” parce qu’elles avaient condamné Moro “sans preuves suffisantes” et “sans l’accord de la classe ouvrière”. Mais en même temps qu’ils dénonçaient la terreur bourgeoise, qu’ils affirmaient la nécessité pour la classe ouvrière d’utiliser la violence pour détruire le capitalisme, les révolutionnaires se devaient d’être particulièrement clairs
Et c’est ici qu’il faut constater l’existence, au sein même d’organisations défendant des positions de classe, d’un certain nombre de conceptions erronées pour lesquelles violence, terreur et terrorisme sont synonymes et qui considèrent
C’est probablement le P.C.I. (Parti Communiste International) bordiguiste qui s’est fait l’interprète le plus explicite de ce type de confusion en écrivant, par exemple
“Du stalinisme, ils (les Marchais et les Pelikan) ne rejettent que les aspects révolutionnaires, le parti unique, la dictature, la terreur, qu’il avait hérités de la révolution prolétarienne... “(Programme Communiste N°76, p.87)
Ainsi, pour cette organisation, la terreur, même quand elle est mise en œuvre par le stalinisme, est d’essence révolutionnaire et il existerait une identité entre les méthodes de la révolution prolétarienne et celle de la pire contre-révolution qui se soit abattue sur la classe ouvrière.
Par ailleurs, le P.C.I. a eu tendance, au moment de l’affaire Baader, à présenter les actes terroristes de celui-ci et de ses compagnons, malgré des réserves sur l’impasse que constituent ces actes, comme annonciateurs et exemple de la future violence de la classe ouvrière. C’est ainsi qu’on peut lire dans “ Prolétaire n° 254 :
“C’est avec cet esprit anxieux que nous avons suivi la tragique épopée d’Andréas Baader et de ses compagnons, qui ont participé à ce mouvement, celui de la lente accumulation des pré misses de la reprise prolétarienne...”, et, plus loin :
“La lutte prolétarienne devra connaître d’autres martyrs...”
Enfin, l’idée d’un “terrorisme ouvrier” apparaît nettement dans des passage comme : “ Bref, pour être révolutionnaire, il ne suffit pas de dénoncer la violence et la terreur de l’État bourgeois, il faut encore revendiquer la violence et le terrorisme comme armes indispensables de l’émancipation du prolétariat.” (Prolétaire n°253)
Face à ce type de confusion, le texte qui suit se propose donc d’établir, au delà de simples définitions du dictionnaire et des abus de langage qu’ont pu commettre de façon accidentelle certains révolutionnaires du passé, les différences qui existent, en particulier du point de vue de leur contenu de classe, entre le terrorisme, la terreur cf. la violence, notamment celle que la classe ouvrière sera obligée de mettre en oeuvre pour pouvoir réaliser son émancipation.
• Reconnaître la lutte de classes c’est accepter d’emblée la violence comme un de ses éléments fondamentaux et inhérents à elle. L’existence de classes signifie que la société se trouve déchirée par des antagonismes d’intérêts, des intérêts irréconciliables. C’est sur la base de ces antagonismes que se constituent les classes. Les rapports sociaux qui s’établissent entre les classes sont donc forcément d’opposition et d’antagonismes, c’est-à-dire, de lutte.
Prétendre le contraire, prétendre qu’on puisse surmonter cet état de fait par la bonne volonté des uns et des autres, par la collaboration et l’harmonie entre les classes, c’est être hors de la réalité, en plein dans l’utopie.
Que les classes exploiteuses professent et diffusent de telles illusions n’a rien de surprenant. Elles sont “naturellement” convaincues qu’il ne peut exister d’autre société, de meilleure société, que celle où elles sont la classe dominante. Cette conviction aveugle et absolue leur est dictée par leurs intérêts et privilèges. Leurs intérêts et privilèges de classe se confondant avec le type de société qu’elles dominent, elles sont donc intéressées à prêcher aux classes dominées et exploitées à renoncer à la lutte, à accepter l’ordre existant; à soumettre à des “lois historiques” qu’elles prétendent être immuable. Ces classes dominantes sont donc à la fois, objectivement bornées et incapables de comprendre le dynamisme de la lutte de classes (des classes opprimées) et subjectivement intéressées, au plus haut degré, à faire renoncer les classes opprimées à toute velléité de lutte, en annihilant leur volonté par toutes sortes de mystifications.
Mais les classes exploiteuses dominantes ne sont pas les seules à avoir une telle attitude vis-à-vis de la lutte de classe. Certains courants ont cru possible d’éviter la lutte de classes en faisant appel à l’intelligence, à la meilleure compréhension, aux hommes de bonne volonté, afin de créer une société harmonieuse, fraternelle et égalitaire. Tels étaient par exemple les utopistes au début du capitalisme. Ces derniers, contrairement à la bourgeoisie et ses idéologues, n’étaient absolument pas intéressés à escamoter la lutte de classes dans l’intérêt du maintien des privilèges des classes dominantes. S’ils passaient à côté de la lutte de classes c’est parce qu’ils ne comprenaient pas les raisons historiques de l’existence de classes. Ils manifestent ainsi une immaturité de la compréhension par rapport à la réalité, de cette réalité où l’existence de la lutte de classes, de la lutte du prolétariat contre la bourgeoisie est déjà dans les faits. Tout en manifestant le retard inévitable de la conscience sur l’existence, ils sont une expression de cet effort de prise de conscience, des éléments de ce balbutiement théorique de la classe. C’est pourquoi ils sont, à juste titre, considérés comme les précurseurs du mouvement socialiste, un apport considérable à ce mouvement qui dans son développement trouvera avec le marxisme un fondement scientifique et historique à la lutte de classe du prolétariat.
Il n’en est pas de même en ce qui concerne tous les mouvements humanistes, pacifistes, etc. qui fleurissent depuis la seconde moitié du siècle dernier et qui prétendent ignorer la lutte de classes. Ceux-là ne présentent en rien le moindre apport à l’émancipation de l’humanité. Ils ne sont que l’expression de classes et de couches sociales petites bourgeoises historiquement anachroniques, impuissantes, qui survivent écrasées dans la société moderne, dans la lutte entre le capitalisme et le prolétariat. Leur idéologie a-classiste, inter-classiste, anti-lutte de classes, sont autant de lamentations d’une classe impuissante, condamnée, n’ayant aucun avenir ni dans le capitalisme ni, et encore moins, dans la société que le prolétariat est appelé à instaurer: le socialisme minables et ridicules, leurs idées et comportement politiques, faits de lamentations, de prières et d’illusions absurdes, ne peuvent qu’entraver la marche et la volonté du prolétariat; par contre et pour cette même raison, elles sont grandement utilisables et effectivement utilisées par le capitalisme intéressé à entretenir tout ce qui peut servir d’armes dans la mystification.
L’existence de classes, de la lutte de classe implique nécessairement violence de classe. Vouloir rejeter cette implication, seuls peuvent le faire de lamentables pleurnicheurs ou de fieffés charlatans (c’est nommer la social-démocratie). Sur un plan général, la violence est une caractéristique de la vie et l’accompagne le long de son déroulement. Toute action comporte un certain degré de violence. Le mouvement lui-même est fait de violence puisqu’il est le résultat rupture constante d’équilibre, laquelle découle du choc entre des forces contradictoires. Elle est présente dans le rapport entre les premiers groupements d’hommes ; elle ne s’exprime d’ailleurs pas nécessairement sous forme de violence physique ouverte : fait partie de la violence tout ce qui est imposition, coercition, établissement d’un rapport de force, menace. Est violent ce qui fait appel une agression physique ou physiologique contre d’autres êtres, mais également ce qui impose telle ou telle situation ou décision par le seul fait de disposer des moyens d’une telle agression sans les utiliser effectivement. Mais si la violence sous l’une ou l’autre de ces formes se manifeste dès qu’existe mouvement ou vie, la division de la société en classes en fait un des fondements principaux des rapports sociaux atteignant avec le capitalisme des abîmes infernaux.
Toute exploitation de classe fonde son pouvoir sur la violence et une violence toujours croissante au point de devenir la principale institution de la société. La violence sert de principal pilier, soutenant et assurant tout l’édifice social sans lequel la société s’effondrerait immédiatement. Produit nécessaire de l’exploitation d’une classe par une autre, la violence, organisée, concentrée, institutionnalisée sous sa forme achevée de l’État, devient dialectiquement un facteur, une condition fondamentale de l’existence et de la perpétuation de la société d’exploitation. Face à cette violence de plus en plus sanglante et meurtrière des classes exploiteuses, les classes exploitées et opprimées ne pouvant opposer que leur propre violence si elles veulent se libérer. Faire appel aux sentiments “humanistes” des classes exploiteuses, comme le font les religieux à la Tolstoï et les Gandhi, ou les socialistes en peau de lapin, c’est croire au miracle, c’est demander aux loups de cesser d’être des loups pour se convertir en agneaux, c’est demander à la classe capitaliste de ne plus être une classe capitaliste pour se métamorphoser en classe ouvrière.
La violence de la classe exploiteuse, inhérente à son être ne peut être arrêtée qu’en la brisant par la violence révolutionnaire des classes opprimées. Le comprendre, le prévoir, s’y préparer, l’organiser, c’est non seulement une condition décisive pour la victoire des classes opprimées, mais encore assure cette victoire à moindre frais de souffrance et de durée. N’est par un révolutionnaire celui qui émet le moindre doute, la moindre hésitation à ce sujet.
Nous avons vu qu’exploitation est inconcevable sans violence, organiquement inséparables l’une de l’autre. Autant la violence peut être conçue hors des rapports d’exploitation, cette dernière (l’exploitation), par contre, n’est réalisable qu’avec et par la violence. Elles sont l’une par rapport à l’autre comme les poumons et l’air, les poumons ne pouvant fonctionner sans oxygène.
Tout comme lors du passage du capitalisme à la phase de l’impérialisme, la violence, combinée à l’exploitation, acquiert une qualité toute nouvelle et particulière. Elle n’est plus un fait accidentel ou secondaire, mais sa présence est devenue un état constant à tous les niveaux de la vie sociale. Elle imprègne tous les rapports, pénètre dans tous les pores du corps social, tant sur le plan général que sur celui dit personnel. Partant de l’exploitation et des besoins de soumettre la classe travailleuse, la violence s’impose de façon massive dans toutes les relations entre les différentes classes et couches de la société, entre les pays industrialisés et les pays sous-développés, entre les pays industrialisés eux-mêmes, entre l’homme et la femme, entre les parents et les enfants, entre les maîtres et les élèves, entre les individus, entre les gouvernants et les gouvernés ; elle se spécialise, se structure, se concentre en un corps distinct : I’État, avec ses armées permanentes, sa police, ses prisons, ses lois, ses fonctionnaires et tortionnaires et tend à s’élever au-dessus de la société et la dominer.
Pour les besoins d’assurer l’exploitation de l’homme par l’homme, la violence devient la première activité de la société pour laquelle la société dépense une partie chaque fois plus grande de ses ressources économiques et culturelles. La violence est élevée à l’état de culte, à l’état d’art, à l’état de science. Une science appliquée, non seulement à l’art militaire, à la technique des armements, mais à tous les domaines, à tous les niveaux, à l’organisation des camps de concentration, aux installations de chambres à gaz, à l’art de l’extermination rapide et massive de populations entières, à la création de véritables universités de la torture scientifique, psychologique, où se qualifient une pléiade de tortionnaires diplômés et patentés. Une société qui, non seulement “dégouline de boue et de sang par tous ses pores” corne le constatait Marx, mais qui ne peut plus vivre ni respirer un seul instant hors d’une atmosphère empoisonnée et empestée de cadavres, de mort, de destruction, de massacre, de souffrance et de torture. Dans une telle société, la violence ayant atteint cette Nième puissance, change de qualité, elle devient la Terreur.
Parler de la violence en général, en termes généraux sans se référer aux conditions concrètes, aux périodes historiques, aux classes qui l’exercent, c’est ne rien comprendre à son contenu réel, à ce qui fait d’elle une qualité distincte, spécifique dans les sociétés d’exploitation et le pourquoi de cette modification fondamentale de la violence en terreur, qui ne peut pas être réduite à une simple question de quantité. Ne pas voir cette différence qualitative entre violence et terreur précède de la même démarche que celle qui, traitant de la marchandise, se contenterait de ne voir entre l’antiquité et le capitalisme qu’une simple différence quantitative sans s’apercevoir de la différence essentielle qualitative des deux modes de production fondamentalement distincts qui s’est opérée et qu’elle recouvre.
Au fur et à mesure que la société divisée en classes antagonistes va en se développant, la violence entre les mains de la classe exploiteuse et dominante va aller en prenant de plus en plus un caractère nouveau celui de la terreur. La terreur pas un attribut des classes révolutionnaires au moment d’accomplir leur révolution et pour cet accomplissement. C’est là une vision purement formelle, très superficielle et qui revient à glorifier dans la terreur l’action révolutionnaire par excellence. A ce compte on finit par établir con un axiome “Plus forte est la terreur, plus profonde, plus radicale est la révolution”. Or, ceci est absolument démenti par l’histoire. La bourgeoisie a plus perfectionné et utilisé la terreur le long de son existence qu’au moment de sa révolution (voir l848 et lors de la Commune de Paris en 1871) et la terreur atteint ses sommets au moment justement où le capitalisme entre en décadence. La terreur n’est pas l’expression de la nature et de l’action révolutionnaires de la bourgeoisie au moment de sa révolution, c’est-à-dire liée au fait révolutionnaire, même si dans ces moments elle prend des manifestations spectaculaires ; elle est bien plus l’expression de sa nature de classe exploiteuse qui, comme toutes les classes exploiteuses, ne peut fonder son pouvoir que sur la terreur. Les révolutions qui ont assuré la succession des différentes sociétés d’exploitation de classe, ne sont nullement les progéniteurs de la terreur mais ne font que la transférer en la continuant d’une classe à une autre classe exploiteuse. Ce n’est pas tant contre l’ancienne classe dominante, pour en finir avec elle, mais surtout pour affirmer sa domination sur la société en général contre la classe ouvrière en particulier que la bourgeoisie perfectionne et renforce la terreur. La terreur dans la révolution bourgeoise n’est donc pas une fin mais une continuité parce que la nouvelle société est une continuité de sociétés d’exploitation de l’homme par l’homme. La violence dans les révolutions bourgeoises n’est pas une fin de l’oppression mais la continuité de l’oppression sans fin. C’est pourquoi elle ne peut être que de la terreur.
En résumé, on peut définir la terreur comme la violence spécifique et particulière aux classes exploiteuses et dominantes dans l’histoire qui ne disparaîtra qu’avec elles.
Ses caractéristiques spécifiques sont :
Les classes petites-bourgeoises (paysans, artisans, petits commerçants, professions libérales, intellectuels) ne constituent pas des classes fondamentales dans la société. Elles n’ont pas de mode de production particulier à présenter ni aucun projet de société à offrir. Elles ne sont pas des classes historiques dans le sens marxiste du terme. Elles sont par excellence les moins homogènes des classes sociales. sociales dans leurs couches supérieures elles tirent leurs revenus de l’exploitation du travail des autres, et, à ce titre, font partie des privilégiés, elles sont dans leur ensemble soumises à la domination de la classe capitaliste dont elles subissent la rigueur des lois et de l’oppression. Aucun devenir ne se présente à elles comme classes. Dans leurs couches supérieures, le maximum de leurs aspirations est de parvenir à s’intégrer individuellement dans la classe capitaliste. Dans leurs couches inférieures, elles sont destinées implacablement à perdre toute propriété et “indépendance” des moyens de subsistance et à se prolétariser. Dans leur immense masse moyenne, elles sont condamnées à végéter, économiquement et politiquement écrasées par la domination de la classe capitaliste. Leur comportement politique est déterminé par le rapport de force entre les deux classes fondamentales de la société : le capitalisme et le prolétariat. Leur résistance sans espoir aux lois impitoyables du Capital les amène à une vision et un comportement fatalistes et passifs. Leur idéologie est le “sauve-qui-peut” individualiste et, collectivement, les multiples variétés de lamentations plaintives, la recherche de consolations misérables, les impuissants et ridicules sermons pacifistes, humanistes de toutes sortes.
Écrasées matériellement, sans aucun avenir devant elles, végétant dans un présent aux horizons complètement bouchés, piétinant dans une médiocrité quotidienne sans bornes, elles sont dans leur désespoir la proie facile à toutes les mystifications, des plus pacifiques (sectes religieuses, naturistes, anti-violence, anti-bombe atomique, hippies, écologistes, anti-nucléaires, etc.) aux plus sanglants (Cent-noirs, pogromistes, racistes, Ku-Klux-Klan, bandes fascistes, gangsters et mercenaires de tout acabit, etc.). C’est surtout dans ces dernières, les plus sanglantes, qu’elles trouvent la compensation d’une dignité illusoire à leur déchéance réelle que le développement du capitalisme accroît de jour en jour. C’est l’héroïsme de la lâcheté, le courage des poltrons, la gloire de la médiocrité sordide. C’est dans ces rangs que le capitalisme, après les avoir réduites à la déchéance extrême, trouve une réserve inépuisable pour le recrutement de ses héros de la terreur.
S’il est arrivé parfois le long de l’his toire des explosions de colère et de violence de la part de ces classes, ces explosions restaient sporadiques et ne sont jamais allées au delà de jacqueries et révoltes car aucune autre perspective ne s’ouvrait à elles sinon celle d’être écrasées. Dans le capitalisme, ces classes perdent complètement leur indépendance et ne servent que de masse de manoeuvre et d’appui aux affrontements que se livrent les différentes fractions de la classe dominante tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des frontières nationales. Dans des moments de crise révolutionnaire et dans certaines circonstances favorables, le mécontentement profond d’une partie de ces classes pourrait servir de force d’appoint à la lutte du prolétariat.
L’inévitable processus de paupérisation et de prolétarisation des couches inférieures de ces classes, est un chemin extrêmement difficile et douloureux à parcourir et donna naissance à un courant de révolte particulièrement exacerbée. La combativité de ces éléments provenant plus spécialement des artisans et de l’intelligentsia déclassée, repose plus sur leur état d’individus désespérés que sur la lutte classe du prolétariat qu’ils ont beaucoup de mal à intégrer. Ce qui les caractérise fondamentalement c’est : l’individualisme, l’impatience, le scepticisme, la démoralisation, leurs actions qui relèvent plus du suicide spectaculaire que d’un but à atteindre. Ayant perdu “leur passé”, n’ayant aucun avenir devant eux, ils vivent un présent de misère et la révolte exaspérée contre la misère de ce présent ressenti dans l’immédiat et comme un immédiat. Même si en contact avec la classe ouvrière et son devenir historique ils parviennent à s’inspirer d’une façon généralement déformée de ses idéaux, cela dépasse rarement le niveau de la fantaisie et du rêve. Leur véritable vision de la réalité reste le champ réduit et borné de la contingence. L’expression politique de ce courant prend des formes extrêmement variées qui va de la stricte actuation individuelle aux différentes formations de sectes fermées, de conspiration, de complot, de préparation de “coup d’État” minoritaire, d’actions exemplaires et, à l’extrême, le terrorisme.
Ce qui constitue leur unité dans cette diversité c’est leur méconnaissance du déterminisme objectif et historique du mouvement de la lutte de classes, leur méconnaissance du sujet historique de la société moderne, seul capable d’assurer la transformation sociale : le prolétariat.
La persistance des manifestations de ce courant est donnée par la permanence du processus de prolétarisation de ces couches tout le tong de l’histoire du capitalisme. Leurs variétés et diversités sont le produit des situations locales et contingentes. Ce phénomène social accompagne tout au long l’histoire de la formation de la classe prolétarienne et se trouve ainsi mêlé à des degrés divers au mouvement du prolétariat dans lequel ce courant importe des idées et des comportements qu’il charrie et qui sont étrangers à la classe. Cela est vrai tout particulièrement en ce qui concerne le terrorisme.
Il faut absolument insister sur ce point essentiel et ne laisser aucune ambiguïté à ce sujet. Si, à l’aube de sa formation de classe, le prolétariat dans sa tendance à s’organiser ne trouve pas encore sa forme appropriée et utilise le type d’organisation de sociétés conspiratives, secrètes, héritage de la révolution bourgeoise, cela ne change en rien la nature de classe de ces formes, leur inadéquation au contenu nouveau, celui de la lutte de classe du prolétariat. Rapidement le prolétariat sera amené à se dégager de ces formes d’organisations et méthodes d’action et à les rejeter définitivement.
Tout comme pour ce qui concerne l’élaboration théorique et sa phase utopiste, la formation d’organisations politiques de la classe passait inévitablement par la phase de sectes conspiratives. Mais il importe de ne pas alimenter la confusion, ne pas faire de nécessité vertu, ne pas confondre les divers stades du mouvement et savoir distinguer la signification différente et opposé de leur eau manifestation dans des stades différents.
De même que le socialisme utopique se transformera, à un certain stade atteint par le mouvement du prolétariat, d’une grande contribution positive en une entrave au développement ultérieur de ce mouvement, de même et à ce même stade, les sectes conspiratives seront désormais frappées du signe négatif et stérilisant pour le développement ultérieur du mouvement.
Le courant représentant les couches en voie d’une difficile prolétarisation ne saurait désormais être la moindre contribution à un mouvement de classe déjà développé. Non seulement ce courant doit revendiquer le type d’organisation de sectes et de méthodes de conspiration, mais, arrivant avec un retard toujours plus accentué sur le mouvement réel, il est amené dans son exacerbation à pousser cette revendication à outrance, à en faire une caricature, trouvant son expression extrême en préconisant l’action terroriste.
Le terrorisme n’est pas simplement l’action de terreur. C’est là se placer sur un terrain terminologique. Ce que nous voulons faire ressortir et mettre en relief c’est le sens social et la différence que ces termes recouvrent. La terreur est un système de domination, structuré, permanant, des classes exploiteuses. Le terrorisme par contre est une réaction de classe opprimée, mais sans devenir, contre la terreur de la classe opprimante. Ce sont des réactions momentanées, sans continuité, des réactions de vengeance et sans lendemain.
Nous trouvons la description émouvante de ce genre de mouvement dans Panaït Istrati et ses Haïdoucs dans le contexte historique de la Roumanie de la fin du siècle dernier. Nous les retrouvons dans le terrorisme des. narodnikis russes et, aussi différentes qu’elles se présentent, chez les anarchistes et la bande à Bonnot; elles relèvent toujours de la même nature : vengeance des impuissants parce qu’impuissants. Elles ne sont jamais l’annonce d’un nouveau, mais l’expression désespérée d’une fin, de sa propre fin
Réaction impuissante d’une impuissance, le terrorisme n’ébranle pas et ne peut ébranler la terreur de la classe dominante C’est une piqûre de moustique sur la peau d’éléphant. Par contre, il peut être et est souvent exploité par l’État pour justifier et renforcer sa terreur
Il faut absolument dénoncer le mythe qui veut que le terrorisme serve ou puisse servir de détonateur pour déclencher le mouvement de la lutte du prolétariat. Cela serait pour le moins très singulier qu’une classe au devenir historique ait besoin de chercher dans une classe sans devenir l’élément détonateur de sa propre lutte.
Il est absolument absurde de prétendre que le terrorisme des couches les plus radicalisées de la petite-bourgeoisie a le mérite de détruire dans la classe ouvrière les effets de la mystification démocratique, de la légalité bourgeoise, et de lui enseigner la voie indispensable de la violence. Le prolétariat n’a aucune leçon à tirer du terrorisme radical, sinon celle de s’en écarter et de le rejeter, car la violence contenue dans le terrorisme se situe fondamentalement sur le terrain bourgeois de la lutte. La compréhension de la violence nécessaire et indispensable, le prolétariat la tire de son existence propre, de sa lutte, de ses expériences, de ses affrontements avec la classe dominante. C’est une violence de classe qui diffère de nature, de contenu, de forme et de méthodes aussi catégoriquement du terrorisme petit-bourgeois que de la terreur de la classe exploiteuse dominante.
Il est absolument certain que la classe ouvrière manifeste généralement une attitude de solidarité et de sympathie, non pas à l’égard du terrorisme qu’elle condamne en tant qu’idéologie, organisation et méthodes, mais à l’égard des éléments qui s’y livrent. Cela pour des raisons évidentes :
• Nous n’avons pas à insister ici sur la nécessaire violence de la lutte de classe du prolétariat. Le faire serait enfoncer des portes ouvertes, car, voilà bientôt deux siècles depuis les Égaux de Babeuf, que la démonstration théorique et dans les faits de sa nécessité et inévitabilité a été apportée. II est aussi vain de répéter à n’en plus pouvoir, en la présentant comme une découverte, cette vérité que toutes les classes sont amenées à user de la violence et aussi le prolétariat. En se contentant d’énoncer ces vérités devenues des banalités, on finit par établir une sorte d’équation vide de tout sens “violence = violence”. On établit ainsi une équivalence, une identité aussi simpliste qu’absurde entre la violence du capital et la violence du prolétariat, et on passe à côté, on escamote leur différence essentielle, l’une étant oppressive et l’autre libératrice.
Dire et redire cette tautologie “violence = violence” et se contenter de démontrer que toutes les classes en usent, pour établir sa nature identique, est aussi intelligent, génial, que de voir une identité entre l’acte du chirurgien faisant une césarienne pour donner naissance à la vie et l’acte de l’assassin éventrant sa victime pour lui donner la mort, par le fait que l’un et l’autre se servent d’instrument qui se ressemblent : le couteau exerçant sur un même objet : le ventre, et une même technique apparemment fort semblable : celle d’ouvrir le ventre.
Ce qui importe au plus haut point ce n’est pas de répéter : violence, violence, mais de souligner fortement leur différence essentielle et dégager le plus clairement possible ce en quoi, pourquoi et comment la violence du prolétariat se distingue et diffère de la terreur et du terrorisme des autres classes.
En établissant une différence entre terrorisme et violence de classe, ce n’est pas pour des raisons de querelles, de terminologie, de répugnance affective au mot de terreur, ni pour des raisons de pudeur de vierges intimidées, mais pour faire ressortir plus clairement la nature de classe différente, le contenu et les formes différentes que le même mot recouvre et estompe. Le vocabulaire retarde sur les faits et souvent aussi le manque de la distinction dans les mots témoigne d’une pensée insuffisamment élaborée et entretient une ambiguïté toujours nocive. Comme exemple on peut citer le mot de “social-démocratie” qui ne correspond en rien à l’essence révolutionnaire et au but d’une société communiste que se propose l’organisation politique du prolétariat. Il en est de même pour le mot “terreur” qu’on trouve parfois dans la littérature socialiste, même chez nos classiques, accolé aux mots “révolutionnaire” et “du prolétariat”. Il faut instamment mettre en garde contre les abus qui consistent à recourir à des citations littérales de phrases, sans les rétablir dans leur contexte, les circonstances dans lesquelles elles étaient écrites, l’adversaire qu’elles visaient au risque de déformer et de trahir la véritable pensée de leurs auteurs, Il faut encore souligner que la plupart du temps ces auteurs, tout en utilisant le mot de terreur prenaient de grandes précautions pour établir la différence de fond et de forme entre celle du prolétariat et celle de la bourgeoisie, entre la Commune de Paris et Versailles, entre la révolution et la contre-révolution dans la guerre civile en Russie. Si nous pensons qu’il est temps de distinguer ces deux termes, c’est pour lever les ambiguïtés que leur identification entretient et surtout, cette ambiguïté qui ne veut voir là qu’une différence de quantité, d’intensité et non de nature de classe.
Et même s’il ne s’agissait strictement que d’un changement de quantité, cela entraînerait pour les marxistes qui se réclament de la méthode dialectique, un changement de qualité.
En répudiant la terreur en faveur de la violence de classe du prolétariat, nous entendons, non seulement exprimer notre répugnance de classe à l’égard du contenu réel d’exploitation et d’oppression qu’est la terreur, mais également en finir avec les finasseries casuistiques et hypocrites sur “la fin justifie les moyens”.
Les apologistes inconditionnels de la terreur, ces calvinistes de la révolution que sont les bordiguistes, dédaignent les questions de formes d’organisation et de moyens. Seul existe pour eux le “but” pour lequel toutes les formes et tous les moyens peuvent être indifféremment utilisés. “La révolution est une question de contenu et non de formes d’organisation”, répètent-ils inlassablement, sauf... sauf... pour ce qui est de la terreur. Sur ce point, on est catégorique “pas de révolution sans terreur”, et n’est pas un révolutionnaire celui qui n’est pas capable de tuer quelques enfants; ici, la terreur, considérée comme moyen devient une condition absolue, un impératif catégorique de la révolution et de son contenue Pourquoi cette exception ? On pourrait aussi à l’inverse, se poser d’autres questions. Si vraiment les questions de moyens et de formes d’organisation sont si importantes pour la révolution prolétarienne, ne serait-il pas possible qu’elle s’accomplisse avec la forme monarchiste ou parlementaire par exemple ? Pourquoi pas ?
La vérité est que vouloir séparer le contenu et les formes, la fin et les moyens, est une pure absurdité. Dans la réalité, contenu et formes sont intrinsèquement liés. Une fin ne contient pas n’importe quels moyens, mais “ moyens propres et les moyens déterminés ne sont valable que pour des fins déterminées. Toute autre approche n’est que de la spéculation sophistique.
Quand nous rejetons la terreur comme mode d’existence de la violence du prolétariat, ce n’est pas pour on ne sait quelle raison morale mais parce que la terreur, comme contenu et méthode, s’oppose par nature au but que se propose et poursuit le prolétariat. Les calvinistes de la révolution croient-Ils vraiment et peuvent-ils nous convaincre que pour atteindre notre but, le communisme, le prolétariat pourrait et devrait recourir aux moyens d’immenses camps de concentration et d’extermination systématique des populations par millions et millions, ou par l’installation d’un immense réseau de chambres à gaz, scientifiquement encore plus perfectionnées que celles de Hitler ? Le génocide fait-il partie du Programme et de la “voie calviniste” du socialisme ? !
Il suffit de rappeler l’énumération que nous avons faite des principales caractéristiques du contenu et des méthodes de la terreur, pour voir au premier coup d’oeil tout l’abîme qui sépare et oppose le prolétariat de celle-là.
Le prolétariat est une classe exploitée et lutte pour la suppression de l’exploitation de l’homme par l’homme.
Le prolétariat n’a aucun privilège et lutte pour la suppression de tout privilège.
Le prolétariat représente avec les travailleurs l’immense majorité de la société. D’aucuns voudraient peut-être voir dans cette référence notre “indécrottable penchant pour les principes de la démocratie”, de majorité et minorité, sans prendre garde que ce sont eux qui sont obnubilés par ce problème, en faisant de plus, de la minorité, par horreur viscérale de la majorité, le critère de la vérité révolutionnaire. Le socialisme est irréalisable s’il ne repose pas sur la possibilité historique et ne correspond pas aux intérêts fondamentaux et à la volonté de l’immense majorité de la société. C’est là un des arguments clé de Lénine de “L’État et la Révolution”, et également de Marx affirmant que le prolétariat ne saurait s’émanciper sans émanciper l’humanité toute entière.
Le prolétariat a écrit sur son drapeau la destruction de l’armée permanente, de la police, pour l’armement général du peuple et avant tout du prolétariat.
Le prolétariat rejette, comme objectif toute spécialisation, et dans la mesure de l’impossibilité de sa totale réalisation immédiate, l’exigence de sa soumission totale au contrôle de la société.
Le prolétariat entend, lui, mettre fin à cette reproduction et à ce perfectionnement et s’engage dans cette vole dès le premier jour de sa prise du pouvoir.
Les buts du prolétariat sont diamétralement opposés. Sa raison d’être est celle de la libération et l’épanouissement de la société humaine.
Le prolétariat supprime tous ces anachronismes historiques devenus des monstruosités et des entraves à l’unification harmonieuse, possible et nécessaire de toute l’humanIté.
Le prolétariat au contraire développe des sentiments tout nouveaux de solidarité, de vie collective, de fraternité de “tous pour un et un pour tous”, d’une libre association de producteurs, d’une production et consommation socialisées.
Et si l’essence des classes exploiteuses est de : “plonger toute la société dans un état de terreur sans fin”, le prolétariat, lui, fait appel à l’initiative et à la créativité de tous qui dans un enthousiasme général prennent leur vie et leur sort dans leurs propres mains.
La violence de classe du prolétariat ne saurait être la terreur puisque que sa raison d’être est précisément de briser la terreur. C’est jouer sur les mots que de considérer comme la même chose et les confondre en les désignant par les mêmes mots : violence ou terreur, le comportement de l’assassin exhibant son couteau et la main qui l’immobilise et l’empêche de commettre le meurtre. Le prolétariat ne saurait recourir à l’organisation de pogroms, au lynchage, à la création d’École de Torture, aux viols, aux procès de Moscou, comme moyens et méthodes pour la réalisation du socialisme. Ces méthodes, ils les laisse au capitalisme, parce qu’elles font partie de lui, lui sont propres, adaptées à ses buts, et qui portent le nom générique de TERREUR.
L'accroissement sans précédant du chômage depuis une dizaine d'années pose et posera de plus en plus directement dans l'organisation de sa lutte, le problème que toute une partie de la classe ouvrière ne se trouve pas ou plus sur les lieux de production. Ainsi privés d'un des moyens fondamentaux de lutte que constitue la grève, les chômeurs n'en sont pas pour autant privés de toute possibilité de lutter. Au contraire. Le chômage, s'il a d'abord frappé les secteurs faibles, les petites entreprises et les secteurs marginaux de l'économie capitaliste, commence à toucher des pans entiers de la classe ouvrière dans les secteurs les plus concentrés : textile, métallurgie, construction navale, etc. Le chômage a commencé par frapper "sélectivement" la classe ouvrière et a permis à la bourgeoisie de mener son attaque contre les conditions de vie en présentant le chômage comme un problème individuel, et la rigueur catégoriel ou régional. En imprégnant de plus en plus la vie sociale, par l'accroissement de sa durée, par la présence de plus en plus fréquente de chômeurs de plus en plus nombreux dans chaque famille ouvrière -amputant ainsi le salaire qui entretient un nombre croissant de personnes-, par la mobilité qu'il provoque, le chômage, en s'étendant, fournit un potentiel d'accroissement de la capacité de la classe ouvrière à appréhender les moyens et les objectifs de la lutte au-delà des divisions entretenues par le capital. Dans la période actuelle de montée générale des luttes ouvrières, pour la première fois dans l'histoire - si l'on excepte 1848-, la perspective d’une vague révolutionnaire telle que Marx l'avait envisagée s'est ouverte : l'assaut de l'Etat bourgeois par le prolétariat se prépare dans une phase de crise économique et d'effondrement relativement lent du système capitaliste. La bourgeoisie n'a pas réuni les conditions d'embrigadement et de défaite pour aller directement à sa "solution" à la crise : la guerre généralisée. Une des conséquences d'une telle situation est l'importance prise par la lutte contre le chômage, la perte directe des moyens de subsistance, qui devient un facteur moteur des affrontements décisifs qui se préparent. En quelque sorte, les chômeurs vont être appelés à agir dans ces combats d'une manière analogue à l'action des soldats dans la vague révolutionnaire qui a suivi la guerre de 1914, dans le sens de la décision, de l'unité et de la généralisation dans l'affrontement avec l'Etat capitaliste. C'est pourquoi, il est fondamental pour la classe ouvrière de ne pas prêter le flanc aux multiples pièges que la bourgeoisie dresse pour maintenir les chômeurs comme une catégorie distincte et séparés de l'ensemble des ouvriers. Le texte qui suit s'efforce de répondre aux objections couramment mises on avant pour amputer cette unité indispensable de la classe ouvrière d'une partie de ses membres, d'une partie de ses moyens de lutter.
La surproduction générale dans le monde entier qui accompagna les crises du capitalisme, et particulièrement celles de sa phase de décadence, rejette une partie toujours croissante de la classe ouvrière en dehors du processus productif. Le chômage, dans les moments de crise aigue tels que nous les traversons actuellement est déterminé à prendre de plus en plus d'ampleur et à devenir une préoccupation centrale de la classe ouvrière. Il est donc primordial pour une organisation révolutionnaire qui se propose d'intervenir au sein de la classe ouvrière afin de clarifier les problèmes qui se posent à celle-ci, d'avoir une compréhension claire du problème du chômage au sein de la lutte de classe.
1 - La situation de chômage est Inscrite nécessairement dans la condition d'existence de la classe ouvrière. Celle-ci est, en effet, une classe de travailleurs "libres", c'est-à-dire libres de tout lien avec les moyens de production dont ils sont séparés et qui leur font face comme capital. Cette "liberté" est en fait la périodes servitudes car les ouvriers ne peuvent compter, pour à peine survivre, que sur la vente de leur force de travail. La forme spécifique que prend, dans le capitalisme, l'association du travail avec les moyens de production - le salariat - fait de la force de travail une simple marchandise comme les autres, et même la seule marchandise que possèdent les travailleurs en propre. Comme toutes les marchandises, la marchandise force de travail ne trouve à se vendre que lorsque le marché est assez large, et puisque la surproduction par rapport aux besoins du marché est contenue dans le rapport de production capitaliste lui-même, l'emploi temporaire ou définitif d'une partie des forces de travail - c'est-à-dire - le chômage - fait partie intégrante de la condition que le capital impose à la classe ouvrière. En raison du caractère particulier de la marchandise force de travail - créatrice de valeur - le chômage a même toujours été une condition indispensable au bon fonctionnement de l'économie capitaliste, en créant d'une part une masse de forces de travail disponibles pour pouvoir assumer l'élargissement de la production, et en constituant d'autre part une pression constante sur les salaires. Dans la période de décadence du capitalisme, le chômage, sous toutes ses formes, prend une ampleur considérable et devient alors une expression de la faillite historique du capital, de l’incapacité de celui-ci à poursuivre le développement des forces productives.
2 - Puisque le chômage est un aspect de la condition ouvrière, les ouvriers chômeurs font tout autant partie de la classe ouvrière que les ouvriers au travail. Si un ouvrier est au chômage, il est potentiellement au travail; s'il travaille, il est potentiellement un chômeur. La définition de la classe ouvrière comme productrice de plus-value n'est pas une question individuelle, mais ne peut-être considérée que corme une définition sociale, collective, La classe ouvrière n'est pas une simple somme d’individus, même si, au départ, le capital la crée en individus concurrents. Le prolétariat s'exprime bien plutôt dans le dépassement des divisions et de la concurrence entre les individus, pour former une seule collectivité aux intérêts distincts de ceux du reste de la société. La division des ouvriers en chômeurs et ouvriers au travail ne fait d'eux, pas plus que les autres divisions existant entre diverses catégories d'ouvriers, des classes différentes. Au contraire : ouvriers au chômage et ouvriers au travail possèdent strictement les mêmes intérêts face au capital. De même, la conscience de classe du prolétariat n'est pas une somme de consciences individuelles et, si elle tire son origine dans la façon dont les ouvriers sont intégrés à la production capitaliste, elle n'est pas liée de manière immédiate à l'activité de tel ou tel ouvrier et à sa présence ou non sur un lieu de production. La conscience de classe mûrit dans la classe ouvrière, et aussi bien parmi les chômeurs que parmi les ouvriers au travail. Cela est tellement vrai que, bien souvent, les chômeurs constituent une des parties les plus décidées du prolétariat dans une lutte frontale contre le capital, car la situation du chômeur concentre toute la misère de la condition ouvrière,
3 - Il est faux de considérer les chômeurs comme une catégorie sociale distincte : les seules divisions fondamentales que connaît la société sont les divisions en classes et celles-ci sont de déterminées par la position occupée dans la production. La situation de chômage est liée au travail salarié. Or, la société capitaliste, dans son développement et notamment dans sa tendance au capitalisme d'Etat, a salarié une partie de plus en plus grande de la population, jusqu'à salarier parfois l'ensemble de la classe bourgeoise elle-même. Une des expressions les plus pures de la décadence du capitalisme consiste en ce que les gestionnaires du capital eux-mêmes, les fonctionnaires d'Etat, les cadres, sont aussi frappés par le chômage. La situation du chômeur n’est donc plus exclusive à l’ouvrier, et c’est pourquoi le groupe de chômeurs ne représente rien en tant que tel; il englobe des ouvriers comme des membres de la bourgeoisie et des couches intermédiaires. C'est pourquoi aussi, en plus du facteur de démoralisation qui pèse sur 'e chômeur du fait de son isolement-, une partie de la masse des chômeurs peut, dans certaines circonstances, être utilisée par la bourgeoise à des fins contre-révolutionnaires et plus particulièrement dans les périodes où la classe n’offre pas de perspective prolétarienne à la crise du capital.
4 - Partie intégrante de la classe ouvrière, les ouvriers chômeurs doivent s'intégrer à la lutte de leur classe. Cependant, les possibilités de lutte qui leur sont offertes sont-, dans un premier temps restreintes. Car, d'une part, ils se retrouvent fortement isolés les uns des autres et, d'autre part, ils ne disposent- pas de moyen d'action pratique, tels que peuvent en disposer les ouvriers dans la production (grève,…). C'est pourquoi les ouvriers chômeurs entrent généralement et massivement en lutte aux moments où la lutte de classe devient assez générale. L'Intégration des chômeurs à la lutte sera alors un facteur important de radicalisation de celle-ci dans la mesure où, plus que tout autre, ils n'ont pas de revendication. immédiate, de réformes à faire valoir et où ils tendront à mener la lutte centre l'ensemble de le société capitaliste. Les modalités pratiques de cette intégration à la lutte générale de la classe et aux conseils ouvriers, nous n'avons pas à les envisager précisément ; l'expérience les donnera et ce n'est pas aux révolutionnaires de planifier les formes d'organisation de la classe. Quand celles-ci naissent, ils doivent les comprendre dans leur liaison avec le contenu de la lutte, mais ils ne peuvent pas les inventer à I'avance.
5 - La mise au chômage toujours plus massive de la classe ouvrière, sans perspective réelle de sa réintégration dans la production, a des effets multiples et contradictoires sur l'évolution de la lutte de classe. Dans un premier temps, elle affaiblit la cohésion de la classe, la divisant en ouvriers dans l'usine et hors de l'usine. En plus d'utiliser la menace de chômage et des ouvriers en chômage, comme pression sur les salaires suscitant artificiellement une hostilité opposant les ouvriers au travail et ceux au chômage, le capital s'emploie de toutes ses forces à disperser cette fraction de la classe, à les atomiser, à en faire de simples individus et à les noyer dans"une masse de nécessiteux". Dans un deuxième temps, devant l'impossibilité de réussir pleinement cet ha opération et devant le mécontentement grandissant dos ouvriers au chômage, rendant nécessaire un meilleur contrôle sur eux, le capital avec tous ses organismes, partis et syndicats, et aidé volontiers par les gauchistes, recherchent les moyens de mieux les encadrer, créant pour cela des. organismes spécialisés, les cloisonnant corme une "classe à part" de déclassés. A cette double opération du capital, de dispersion et d'encadrement, la classe ouvrière ne peut répondre que par l'affirmation de son UNITE", du fait de ses intérêts unitaires historiques or Immédiats, et par son effort constant et inlassable vers son auto-organisation.
6 - La période de décadence, de crise historique générale du système social capitaliste, mettant fin à la possibilité d'un mouvement d'amélioration réelle et durable de la condition ouvrière et posant à la classe et sa lutte des objectifs globaux et d'action révolutionnaire, rend inadéquate l'existence de cette organisation spécifique de défense de la condition économique des ouvriers a u sein du capitalisme qu'étalent autrefois les syndicats, et qui de ce fait, ne peuvent être désormais que des entraves à la lutte de classe, c'est-à-dire au profit du capitalisme. Cela ne signifie nullement que la classe n'a plus aucune défense à faire valoir pour ses intérêts immédiats, et le besoin de s'organiser pour lutter, cela signifie seulement un changement radical de la forme de lutte et de son organisation que la classe se donne nécessairement : les grèves sauvages, les comités élus par l'ensemble des ouvriers en lutte, les assemblées générales dans les usines, autant de préfigurations et d'annonciations de l'organisation générale unitaire de la classe de demain, les conseils ouvriers, vers laquelle tend la lutte de classe du prolétariat. Ce qui est vrai pour l'ensemble de la classe l'est également pour cette fraction qui se trouve au chômage, c'est-à-dire hors des usines. Comme l'ensemble de la classe, ces masses de millions de chômeurs ont à lutter contre les conditions les plus misérables que le capitalisme leur fait subir. De même que ces conditions de misère ne sont pas un fait d'individus, de chômeurs (même si cette misère est plus directement ressentie par des individus), mais fait partie intégrante de la condition imposée à la classe dans son ensemble, de même la lutte des chômeurs est une partie intégrante de la lutte générale de la classe. La lutte de classe pour les salaires n'est pas une somme de luttes de chaque ouvrier contre son exploitation individuelle mais une lutte générale contre l'exploitation par le capital de la force de travail de la classe ouvrière globale. La lutte des chômeurs contre les misérables allocations de chômage ou contre les loyers, le paiement de services sociaux (gaz, électricité, transport, etc) relève de la même nature que la lutte pour les salaires. S'il est vrai qu'elle n'a pas immédiatement un visage net, elle ne relève pas moins de la lutte globale contre l'extraction de la plus-value immédiate ou passée, directe ou indirecte à laquelle est et a été soumise la classe ouvrière.
7 - Il n'est pas exact que les ouvriers au chômage ne peuvent participer à la lutte de classe qu'uniquement au travers de leur participation au soutien des ouvriers au travail (solidarité et soutien de grèves). C'est directement en se défendant pied à pied contre les conditions que le capital leur impose et à la place qu'il leur fait occuper que le lutte des chômeurs est une partie Intégrante de la lutte générale de la classe ouvrière contre le capital et comme telle doit être soutenue par l'ensemble de la classe.
8 - Il est vrai que la situation où se trouvent les ouvriers au chômage d'être hors des usines, les prive d'une des armes importantes et classiques de la lutte de classe - la grève - mais cela ne signifie pas qu'ils sont privés de tout moyen de lutte. En perdant l'usine, les ouvriers au chômage gagnent la rue. C'est par des rassemblements dans la rue, des manifestations, des occupations de mairies, bureaux de chômage et autres Institutions publiques que les chômeurs peuvent lutter et ont lutté. Ces luttes ont pris parfois le caractère de véritables émeutes et peuvent devenir le signal et le stimulant d'une lutte généralisée. On commettrait une erreur grave on négligeant de telles possibilités. Dans une certaine mesure, les luttes radicales, éventuelles, des chômeurs peuvent prendre plus facilement et plus rapidement qu'une grève d'ouvriers dans l'usine, le caractère de lutte sociale.
9 - Pour mener la lutte que les conditions leur imposent, les ouvriers au chômage, à l'instar de toute la classe, tendent à se grouper. De par leur situation de dispersement, ce besoin de se grouper leur est rendu relativement plus difficile qu'aux ouvriers concentrés sur leur lieu de travail, les usines. Partant des bureaux de chômage où ils. pointent et se retrouvent, de leur quartier où ils se rencontrent, ils finissent par trouver les moyens de se rassembler et de se grouper. Disposant largement de "temps libre", chassés de leur habitat par l'ennui, la misère, le froid souvent, ils recherchent le contact avec les autres, Ils finissent par réclamer et obtenir des locaux publics pour se réunir. Ainsi se créent des lieux permanents de rassemble ment où les conversations, réflexions et discussions se transforment en réunions permanentes. Cela constitue un énorme avantage pour l'agitation et la politisation de ces importantes masses ouvrières. Il est de la plus haute importance de contrecarrer les manoeuvres des partis et surtout des syndicats visant à les inféoder et à en faire des appendices des syndicats. Ces rassemblements, quel que soit leur nom : groupe, comité, foyer, etc..., ne sont pas des syndicats ne serait-ce que pour la raison qu'ils ne sont pas structurés sur le même modèle; ils ne connaissent pas de statuts, d'adhésion, de sélection, de carte et de cotisations. Même quand ils se donnent des comités, ceux-ci ne sont pas permanents et sont constamment sous le contrôle de tous les participants toujours présents, quotidiennement rassemblés. A bien des égards, ils sont l'équivalent de ce que sont les assemblées générales des ouvriers des usines en lutte, tout comme ses dernières, ils sont menacés et ont à faire face aux manoeuvres des syndicats cherchant à les contrôler, chapeauter, inféoder afin de mieux les stériliser.
10 - Le fait que le mode d'existence de ces groupements . d'ouvriers au chômage ne soit pas le lieu de travail, mais leur habitat, leur quartier, leur commune, ne change rien à leur nature de classe, ni à leur lien social avec l'ensemble des autres membres de la classe. Ces liens indestructibles sont donnés par le fait que ces ouvriers au chômage ont été des ouvriers au travail hier et sont susceptibles de retourner individuellement au travail demain et par le mouvement constant d'ouvrier au travail rejoignant les sans-travail. Si le chômage est un phénomène fixe et Irréversible de la crise, cela ne se rapporte pas à chaque chômeur pris individuellement, mais à la classe dans son ensemble. Ces liens sont encore donnés par la vie commune, de parenté ou d'amitié des ouvriers au travail et au chômage partageant en commun les revenus des uns et des autres.
Et enfin ces liens existent entre les ouvriers habitant le quartier et les ouvriers travaillant dans les usines dans le quartier. La diversité des conditions particulières et circonstancielles à l'intérieur de la condition unitaire générale de la classe peut donner naissance a des formes momentanées diversifiées do regroupement des ouvriers sans mettre pour cela en cause leur caractère de classe.
11 - Dans l'organisation unitaire de la classe, qui sera dans la période révolutionnaire l'organisation centralisée des Conseils Ouvriers, Il est impensable l'exclusion de millions d'ouvriers parce qu'ils sont au chômage. D'une façon ou d'une autre, ils seront nécessairement présents dans cotte organisation unitaire de la classe comme dans ses combats. Rien ne nous permet, même pas l'expérience du passé, de stipuler d'avance la forme que doit prendre ou prendra cette participation, et à priori proclamer que ce ne sera pas par des groupements focaux de chômeurs. Il en est exactement de même pour les ouvriers au chômage que pour les ouvriers et employés dans de petites entreprises qui, le plus probablement seront appelés à se grouper sur la base des localités de leur lieu de travail pour envoyer leurs délégués au Conseil Central des conseils de la ville. De toute façon, il serait artificiel et présomptueux de dicter arbitrairement et au préalable les formes particulières que peuvent prendre les groupements des ouvriers. Il appartient aux révolutionnaires de rester toujours attentifs et vigilants afin que toutes ces formations, qui peuvent apparaître, puissent s'intégrer le mieux possible dans l'organisation unitaire et le combat unitaire de la classe.
12 - Le fait que d'autres éléments provenant de la petite-bourgeoisie et d’autres couches fassent partie également de l'état de chômage, ne modifie pas substantiellement le problème du chômage et des chômeurs. Ces éléments sont largement minoritaires dans la masse des chômeurs. Dans un certain sens, la chute de ces éléments ou une partie d'entre eux dans la masse des ouvriers au chômage est en quelque sorte un mode paradoxal de leur prolétarisation. Ce d'où ils viennent sociologiquement et ce qu'ils sont en train de devenir diffère grandement. La mentalité petite-bourgeoise qu'ils apportent avec eux au sein de la masse ouvrière au chômage peut certes avoir une influence néfaste, mais cette influence est largement limitée et minimisée par des facteurs autrement plus importants que sont la lutte classe et les rapports de force entre prolétariat et bourgeoisie. Il n'y a pas lieu de lui accorder une importance outre mesure. Après tout, nous trouvons un problème similaire quand ces éléments chutent parmi les ouvriers au travail. Tout dépend de l'état de la classe, de sa conscience et de sa combativité, la rendant fort capable de les diriger et de les assimiler. Il en est également ainsi dans une période de guerre où de grandes masses d'ouvriers, au lieu d'être en chômage, se trouvent métamorphosés en soldats et également mélangés avec des éléments provenant d'autres couches. Il serait vain et par ailleurs impossible de perdre son temps à vouloir passer un à un par le crible de leur origine sociale. Le chômage est et demeure fondamentalement un état imposé à la classe ouvrière et comme tel c'est un problème de la classe ouvrière.
Faiblesse et sénilité du capitalisme d’État à l’Est
A sa différence des
trotskystes qui recouvrent d'une chasuble d'or le corps nu de l'économie
capitaliste à l'Est, des militants de la gauche communiste comme Mattick ou du
GLAT[1] [325]
reconnaissent la nature réactionnaire du capitalisme d'Etat et ne lui donnent
pas un label "progressif" au nom d'une théorie du "troisième
système" si chère à SouB et à ses rejetons actuels de Solidarity.
Nous ne pouvons par exemple
que souscrire à l'article du GLAT paru dans Lutte de Classe de janvier 1977
qui affirme clairement "les contra dictions qui précipitent le capitalisme
dans la crise ne sont pas le privilège des pays les plus avancés ou des pays
sous-développés de la planète. Elles sont inhérentes au capitalisme d'Etat
comme le montre l'exemple de l'URSS". Cette prise de position est
certainement plus claire que l'assertion gratuite, en contradiction avec la
réalité de toujours du capitalisme d'Etat russe, celle de Paul Mattick prétendant
que le "capitalisme d'Etat n'est pas "réglé" par la concurrence
et les crises". Non seulement en ne
voyant pas le rôle destructeur de la concurrence et des crises à l'intérieur du
capitalisme en général mois en niant leurs effets à l'Est en particulier,
Mattick ne peut que rejeter toute possibilité objective d'une révolution
prolétarienne. C'est pourquoi alors que la bourgeoisie de par le mon de prend
de plus en plus des mesures de capitalisme d'Etat en nationalisant des secteurs
clefs de l'économie, il est nécessaire d'en définir la nature afin de montrer
qu'il ne constitue qu'un palliatif et non une "solution" à la crise
générale du capitalisme.
Le fait que le capitalisme d'Etat ait été souvent assimilé à la Russie et à son bloc, ou à sa variante chinoise, a entretenu longtemps l'Idée que la prise en charge plus ou moins achevée dans l'ensemble de l'économie par l'Etat, était une particularité de ces pays. L'absence apparente, pendant longtemps, des manifestations classiques de la crise : chômage, crise de surproduction, baisse brutale de la production, ont semblé confirmer dette vision fausse "d'un monde à part".
En fait, loin d'être une énigme historique, un tel phénomène s'inscrivait dans l'évolution "naturelle"[2] [326] du capitalisme : "naturelle" dans la sens que ce mode de production était amené à dominer de façon toujours plus violente et totalitaire l'ensemble des rapports sociaux, "naturel le", cette évolution au 19ème siècle qui fait que certaines nations capitalistes, pour des raisons tant historiques que géographiques, avalant depuis des siècles commencé à accumuler le capital, forcé la nature à se plier aux lois qui l'engendraient et qui le dominaient. Cependant, dès la fin du siècle dernier, l'existence de nations capitalistes toujours plus nombreuses allait donner une place grandissante à l'intervention de l'Etat dans les lois "naturelles" du capitalisme. Que l'ère du libéralisme et de la lutte contre le "moloch-Etat", chère aux théoriciens libéraux du I9ème siècle avait sonné. Engels en était parfaitement conscient lorsqu'il écrivait :
"L'Etat moderne, quelle que soit sa forme, est une machine essentiellement capitaliste, un Etat des capitalistes, le capitaliste collectif idéal. Plus il s'approprie de forces productives, plus il devient un capitaliste collectif, plus grand est le nombre de citoyens qu'il exploite. Les ouvriers restent des salariés, des prolétaires. Le rapport capitaliste n'est pas supprimé, il est au contraire poussé à son comble". (Anti-Dühring)
Cette analyse d'Engels que les trotskystes prennent soin "d'ignorer", est une gifle posthume à leur théorie de "l'Etat ouvrier". Elle est une condamnation sans équivoque de tout "Programme de transition" avec son chapelet de nationalisations et d'expropriation du capital privé. L'Etat est la machine d'exploitation par excellence; quand les "Dühring" modernes, les gauchistes surenchérissent sur les nationalisations de la gauche, ils ne font qu'appeler au renforcement de la machine capitaliste.
Les bordiguistes participent inconsciemment d'une telle vision, lorsqu'ils volent dans l'Etat surgi des luttes de "libération nationale" un facteur de progrès, celui de la révolution bourgeoise. Ils ne comprennent pas que l'Etat bourgeois surgi des révolutions bourgeoises du passé, ne traduisait un progrès historique que pour au tant qu'il laissait place au libre développement des forces productives, qu'il s'effaçait devant cette nouvelle force historique. Au contraire, l'hypocrisie grandissante de l'Etat capitaliste dès la fin du siècle dernier, loin de traduire un nouvel essor qualitatif des forces productives, reflétait leur compression grandissante dans le cadre national. Deux guerres mondiales ont prouvé que le gonflement de l'Etat était directement proportionnel aux destructions croissantes des forces productives accumulées. Les nouveaux Etats "libérés" qui prennent en charge l'ensemble de la vie sociale, sont non seulement l'aveu de la faiblesse des forces productives qu'ils enserrent dans leur étau mais poussent à son comble l'exploitation et la démoralisation du prolétariat écrasé par une féroce ré pression.
On commettrait une erreur en limitant aux seuls soi-disant Etats "socialistes" le phénomène du capitalisme d'Etat. D'Internationalisme[3] [327] au CCI, les révolutionnaires n'ont cessé de dé montrer qu'il s'agissait d'un phénomène généralisé au monde entier, se manifestant comme une tendance, mais une tendance jamais achevée compte tenu de l'impossibilité d'absorber totalement les secteurs non capitalistes. C'est pourquoi, il est aussi faux de parler d'un capitalisme d'Etat achevé, économiquement "pur" à l'Est, où pèse encore de tout son poids un secteur agricole faiblement centralisé (kolkhozes, petits lopins de terre) et artisanal que de capitalisme privé "pur" à l'Ouest en raison de la faiblesse relative du secteur étatique. La tendance au capitalisme d'Etat ne dépend pas du pourcentage -qui serait la barre fatidique des 50 %- du secteur économique contrôlé par l'Etat. En définissant l'économie américaine comme "économie mixte" dans Marx et Keynes -diamétralement opposée au système capitaliste d'Etat russe, Mattick perd de vue l'existence de cette tendance générale.
Si certains, comme Mattick, se laissant prendre au piège des apparences, en définissant le capitalisme sous l'aspect de deux forces antagoniques ("d'Etat" et "privé"), c'est qu'ils ne veulent voir que la forme juridique revêtue par le capital. Le capitalisme d'Etat est fondamentalement le résultat de la fusion croissante entre capital et Etat. Cette fusion ne peut être confondue avec la forme juridique qui vient la recouvrir et qui bien souvent n'est que la forme mystifiée de son contenu réel. C'est le degré de concentration et de centralisation du capital au niveau de l'Etat qui détermina la réalité d'une telle fusion. Le capitalisme classique tendait au 19ème siècle à se concentrer de plus en plus internationalement au delà des frontières d'origine. Mais le capitalisme, bien que mondial, ne peut se développer et exister que dans le cadre de la concurrence entre nations capitalistes. C'est pourquoi cette tendance, lorsque se développe l'impérialisme à 1a fin du 19ème siècle, se trouve freinée : la concentration et la centralisation toujours plus grandes du capital, trouvaient comme base l'Etat national, seul en mesure de les soutenir et d'en maintenir l'existence face à d'autres concurrents dans la guerre économique permanente de tous contre tous. La manifestation du capitalisme d'Etat comme tendance, se manifesta pleinement pendant la première guerre mondiale chez tous les belligérants, faibles ou puissants. Bien que faible jusqu'à la crise de 29, la manifestation de cette tendance fut particulièrement frappante dans les grands Etats impérialistes où le capital était déjà parvenu à un haut degré de concentration et centralisation : les USA et l'Allemagne de la première guerre mondiale; cette Allemagne dont Lénine verra le modèle du capitalisme d'Etat pour la Russie. La capacité du capital américain à transformer tout l'appareil productif en économie de guerre lors de la seconde guerre mondiale, a démontré dans les faits combien la puissance même du capitalisme d'Etat était directement conditionnée par la puissance même des soubresauts de l'économie.
Cela ne signifie nullement que le capitalisme d'Etat serait une force supérieure du capitalisme, une "rationalisation du processus de production" (Boukharine, Economique de la Période de Transition). La crise permanente depuis 1914 a montré qu'on ne peut "rationaliser" un système dont le fonctionnement à travers le cycle de guerre crise reconstruction est devenu totalement irrationnel. La "rationalisation" du capitalisme est une contradiction dans les termes. De même, la planification de l'économie par le capitalisme d'Etat ne peut être rien d'autre qu'une planification de l'anarchie croissante, caractéristique même du capitalisme dès ses origines.
Précisément la force du capitalisme d'Etat américain tient dans sa propre capacité de la reporter sur le marché mondial à travers tous ses organismes étatiques (FMI, GATT, BIRD, etc.).
Qu'en est-il du capitalisme d'Etat russe ? En quoi diffère-t-il du capitalisme d'Etat américain ? Comme nous l'avons vu, l'existence du capitalisme privé n'est pas contradictoire avec celle du capital d'Etat et vice-versa. Seuls les staliniens et les trotskystes peuvent aujourd'hui voir dans l'Etat capitaliste américain "un prisonnier des monopoles" affaibli par leur pouvoir occulte. Ces apologistes de la dictature de l'Etat russe ne peuvent comprendre évidemment que la force politique d'un Etat est d'autant plus grande que la base économique qui la sous-tend est large. Comme l'ont montré les marxistes dans le passé, et Engels le premier, le développement des sociétés par actions, puis des cartels et des trusts ne conduisent pas à un affaiblissement de l'Etat mais au contraire aboutît au monopole de l'Etat qui exclue tous les autres qui lui sont alors directement subordonnés.
Si ce processus s'est en quelque sorte accompli progressivement pour les grandes puissances capitalistes (Allemagne, Etats-Unis, Japon), il n'en est pas de même pour la Russie et les pays de l'Est. Ce processus s'est au contraire réalisé par la dépossession violente de la plupart des propriétaires privés, l'Etat devenant seul propriétaire exclusif des moyens de production. L'Etat a pallié la faiblesse congénitale d'une bourgeoisie faible incapable d'opérer la concentration et la centralisation du capital par son incursion despotique dans l'économie. L'Etat s'est alors gonflé démesurément sur une assise économique faible, absorbant la société civile sans vraiment la dominer réellement.
Si, d'une certaine façon, le capitalisme d'Etat prend sa forme la plus achevée en Russie par cette absorption totale de la société civile, par la fusion totale de l'économique et du poli tique, ce n'est qu'au prix d'une anarchie toujours plus grande dans les rapports de production qu'il ne réussit a dominer que formellement. Le gigantesque gaspillage d'une planification anarchique incapable de centraliser et concentrer réellement le capital accumulé, montre que cette fusion du capital et de l'Etat s'est plus réalisée dans le domaine du droit que dans celui des faits.
Les pays de l'Est sont l'illustration de l'irrationalité croissante du système capitaliste dans sa totalité. Le capitalisme, surtout depuis les années 30, a cru qu'il serait possible de développer la production et la consommation de façon régulière et harmonieuse en "décidant" à l'avance les quotas de production. Des méthodes statistiques précises et des bureaux spécialisés de planificateurs permettraient de prévoir l'avenir et d'éviter ainsi les catastrophes brusques comme celle de 29. Tous les plans capitalistes, du plan De Man aux plans staliniens se sont nourris de cette illusion. La guerre devait détruire cette illusion, après qu'en 38 l'ensemble des pays capitalistes des USA à l'URSS, qui avait adopté des méthodes de planification, soit retombé dans la crise. Si l'après-guerre a fait ressurgir à nouveau ce rêve du capitalisme de trouver enfin la pierre philosophale anti-crises, sous la forme des théories "économétriques" à l'ouest et de "calculs scientifiques" à l'est, c'est qu'en réalité l'expansion des marchés reconstruits "planifiait" l'économie. C'est aujourd'hui la crise qui "planifie" l'économie. Nous avons pu le constater dans le précédent article en montrant la chute continuelle des indices de production, reflétant la contradiction grandissante de l'accumulation. La chute du taux de croissance à 3-4% annuel prévue dans les plans annuels des pays du COMECON jusqu'en 1980, montre à l'évidence que les plans sont le reflet passif de la situation. Les planificateurs russes et autres ne peuvent être des agents conscients de la production; ils ne fixent pas la production mais des indices déterminés par la tendance antérieure.
Quel est alors le sens de cette "planification" si elle ne semble avoir aucune réalité apparente ? Le titre de la brochure publiée par l'agence de presse Novosti ("Les grandes options de l'économie nationale de l'URSS pour 1976-80"), nous le donne. Planifier dans le capitalisme d'Etat ne signifie pas atteindre des objectifs certains, mais présenter...des options. Cela signifie que la planification ne trouve son sens non dans des grandeurs mathématiques croissantes mais dans les proportions existant entre secteur des biens de production et secteur des biens de consommation, compte tenu :
Cela ne signifie en aucun cas que l'anarchie capitaliste est supprimée dans ces secteurs "prioritaires". Bien au contraire, la réalisation des objectifs du plan dans une branche déterminée se fait au prix d'un gaspillage permanent du matériel et des matières premières. Les marchandises produites de qualité médiocre n'ont alors qu'une valeur marchande des plus basses, faute d'être utilisables. Qu'on en juge :
"Dans les autres pays (que l'URSS), la production normalement s'étale sur toute la durée du mois, mais ici elle ne peut commencer que le 15 ou le 20, quand tout le matériel est arrivé. Les usines doivent donc remplir 80 % des exigences du Plan (les quotas) pendant les 10 ou derniers 15 jours. Personne ne se soucie plus de la qualité. Il n'y a plus que la quantité qui compte "L'économie russe se trouve être le domaine par excellence de l'irrationalité du point de vue des lois capitalistes de la division du travail, de la productivité et de la rentabilité. Une telle situation se reflète dans les déclarations des dirigeants capitalistes russes, qui rituellement préconisent que "dans les entreprises existantes, la production doit s'accroître en règle générale, sans augmentation de la main-d'oeuvre et même en la réduisant. Mais il n'est pas moins important d'améliorer l'organisation du travail, d'éliminer les pertes de temps de travail et d'élever la discipline à la production". (Kossyguine, XXVème congrès du PCUS).
Il faut être M. Mandel pour voir dans l'anarchie permanente des économies d'Europe de l'Est une quelconque "rationalité". Selon lui, à la différence des planifications "occidentales", "la planification soviétique est par contre une planification réelle" (Traité d'Economie Marxiste). Il est vrai que tous les mensonges trotskystes sont permis pour la défense du caractère "socialiste" des "Etats ouvriers".
Le seul secteur de l'économie qui garde aujourd'hui un semblant de vitalité reste en Europe de l'Est et plus encore en URSS, celui de l'industrie d'armements, "il est plus facile de produire une bombe atomique ou des isotopes que de produire des transistors ou des médicaments bio chimiques" constatait un physicien russe (cité par Hedrick Smith : les Russes); il est vrai que c'est le seul secteur où la production soit réellement contrôlée; meilleur matériel, plus grande productivité, meilleurs salaires pour stimuler la recherche de la qualité. C'est le seul secteur où la concentration et la centralisation du capital par l'Etat soit une réalité, car elle est une question vitale pour l'existence même du bloc impérialiste russe. Cela est si vrai, que dans les usines travaillant pour le secteur civil, certaines chaînes de montage travaillent pour l'armée avec des pièces de première qualité rigoureusement testées dès leur arrivée dans l'usine à leur transformation par les autorités militaires. Par exemple à la médiocrité proverbiale des automobiles livrées aux particuliers, s'oppose la robustesse des véhicules utilitaires livrés au personnel de l'armée et du parti (cf. Smith, les Russes).
Cette force de l'économie de guerre russe, qu'on put voir s'exercer pendant la seconde guerre mondiale face au capital allemand, ne reflète nullement celle de l'économie globale; elle lui est inversement proportionnelle. Mais pour que l'économie" de guerre soit réelle ment efficace et puisse affronter celle des Etats-Unis, il ne suffit pas que la production d'armements du bloc russe vienne équilibrer celle de l'autre bloc. Le fait que le secteur d'armements russe représente (officiellement) 20 % du PNB de l'URSS contre 10 % de celui des Etats-Unis, montre clairement la faiblesse de l'économie soviétique.
Contrairement à une idée reçue, et qui fut en vogue à l'époque de la "réforme Liberman", le capitalisme d'Etat russe ne souffre pas d'hypercentralisation et d'hyper concentration des unités de production. C'est exactement le contraire, l'hypertrophie croissante des bureaux du plan des pays du COMECON,- est précisément le résultat de la faiblesse du soubassement économique ; elle ne peut en aucun cas aller dans le sens d'une plus grande centralisation du capital, car celle ci est fondamentalement "la concentration de capitaux déjà formés, le dépassement de leur autonomie individuelle, l'expropriation du capitaliste par le capitaliste, la transformation de beaucoup de petits capitaux en peu de capitaux déjà existants et fonctionnant" (Marx, Capital volume 1), Les statistiques russes montrent précisément (et cela est valable pour les autres pays du bloc à l'exception de la RDA qui hérite du haut degré de concentration de l'économie d'avant-guerre) que le capitalisme d'Etat est bien sou vent théorique : - au premier janvier 74, l'industrie russe comptait 48 578 entreprises auto nomes étatisées, mais fonctionnant chacune comme un centre d'accumulation propre, avec sa comptabilité propre, son autonomie financière. La part des grosses entreprises demeure faible en dehors des réalisations pilotes comme la pétrochimie et 1'électrométallurgie (Elektrostal à Moscou regroupant 20.000 ouvriers). En 1973, 31 % de la production industrielle était assurée par 1,4 % entreprises, soit 660 ; aux Etats-Unis pour obtenir le même pourcentage, il suffisait de 50 entreprises seulement (Fortune, mai 1974). En dépit de la fameuse constitution des "unions industrielles" censées regrouper les petites entreprises dans des unités plus grandes, dans une branche d'industrie donnée, en 74-75, selon Fortune, 500 entreprises américaines produisaient autant que 5000 entreprises russes !
Mais plus que d'une simple concentration, qui est plus le produit que la condition d'une accumulation élargie, c'est d'une domination purement formelle du travail dont souffrent tous les pays de capitalisme d'Etat à la russe. Il s'agit plus en effet d'une utilisation extensive (en dehors des usines pilotes) de la force de travail reposant sur la quantité de main-d'oeuvre utilisée (ou gaspillée par l'anarchie générale) que d'un essor intensif de la productivité du travail, base même du capitalisme moderne depuis la fin du siècle dernier. Si l'exploitation du prolétariat est tout aussi féroce à l'Est qu'à l'Ouest, elle ne prend pas la même forme. Ce que l'exploitation capitaliste gagne en extension en URSS et dans le C0MEC0N par l'allongement du temps de travail (de 10 à 12 heures de travail par jour), par la mobilisation quantitative de la force de travail, elle le perd en intensité et donc en efficacité du point de vue capitaliste. La forme de salariat existant, le salaire aux pièces (2/3 des ouvriers d'URSS) dominant au 19ème siècle au départ du capitalisme industriel, est typique d'un capital faible et traduit la faiblesse de la productivité du travail. En effet, c'est fondamentalement l'orientation du capital vers l'extraction de la plus-value relative qui a entraîné au siècle dernier le capitalisme sur la voie de sa domination toujours plus totalitaire sur le travail vivant. Ce que le capital russe obtient sur le terrain de la violence terroriste d'Etat au niveau politique, la dictature du capital sur le travail, se situe au niveau formel au ni veau économique. Tel est le cas des sempiternel les mises en garde des capitalistes russes, est-allemands, etc… contre le "laisser-al1er dans le travail". (Comme le remarquait déjà Marx au siècle dernier "la production de la plus-value absolue correspond à la soumission formelle du travail au capital, celle de la plus-value relative correspond à la soumission réelle du travail au capital"(Vlème chapitre du Capital). Reflet de la crise générale du capitalisme de puis 1914, le capitalisme d'Etat russe affronte la crise ouverte dans un état de faiblesse et d'archaïsme qui accroît le décalage existant sur le terrain économique entre les deux blocs antagonistes. Ainsi, le rendement en 75 par habitant en URSS était presque celui d'un pays sous-développé : 25ème rang mondial L'URSS ne participe que pour 4% aux échanges internationaux, soit autant que les Pays-Bas. Alors que la place croissante sur le marché mondial est une question de vie ou de mort pour chaque capital national plongé dans la crise, le COMECON depuis 20 ans ne participe que pour 10 % du commerce mondial, soit moins même que la RFA. Si l'on ajoute que le secteur agricole mobilise encore entre 20 et 40 % de la population active selon les pays du COMECON, on aura une idée du degré de faillite du capitalisme d'Etat. La faillite générale aujourd'hui du capitalisme est aussi et surtout celle du capitalisme d'Etat, réponse sans issue à la décadence générale, qui fait de l'irrationalité de son fonctionnement la base de son existence.
A la fin des années 60, le bloc russe a tenté de "résoudre" sa crise en cherchant à moderniser son appareil de production, de façon à accroître ses possibilités d'exportation sur le marché mondial, compte tenu du caractère limité du marché du C0MEC0N. Les réformes du style Liberman n'avaient pas permis en effet d'enrayer la chute continuelle du taux de profit accumulé dans les entreprises, se manifestant par une baisse continuelle de la rentabilité : celle-ci "passe pour les accumulations monétaires de 45, de 1% en i960 à 71, 7% en 1973", la baisse tendancielle du taux de profit reprenant en 71 (V. Vassilov, "Rationalité du système économique soviétique").
Au prix d'un endettement considérable, les pays du COMEC0N ont cherché à importer de la technologie et incité les pays industrialisés à installer des usines ultramodernes "clefs en main". Les pays de l'Est avaient l'illusion qu'il suffisait de moderniser pour transformer cette "ruée vers l'Est" du capital occidental en "ruée vers l'Ouest" de leurs marchandises. Dès 75, le monde capitaliste a du déchanter : non seulement l'Ouest a diminué ses exportations de capital vers l'Est pour des raison économiques (insolvabilité grandissante du COMECON) et stratégiques (relance de la guerre froide), mais l'Est a du se résigner à diminuer à son tour ses exportations de marchandises sur les marchés occidentaux. En dépit de l'utilisation du palliatif du dumping, la contraction des échanges et du commerce international est un phénomène irréversible qu'aucune "importation de technologie" ne saurait surmonter. Même des pays orientés pour leurs exportations (Pologne, Hongrie) vers l'Ouest ont dû modifier leurs politiques d'échanges commerciaux en les réorientant vers l'Est. Contrairement à ce qu'affirme le GLAT (Lutte de classe, février 77), la crise actuelle se manifeste bien à l'Est comme le produit de la saturation des marchés, même si celle-ci se concrétise dans ses effets par la chute tendancielle du taux de profit. Il faut être totalement en dehors de la réalité pour affirmer que"l'URSS constitue une preuve expérimentale de l'absurdité (!) de toutes les théories qui cherchent l'origine "de la crise du capitalisme dans une insuffisance de la demande ou toute autre[4] [328] forme de manque de débouchés". Le capitalisme d'Etat dans le bloc russe n'est pas en crise parce qu'il ne produit pas assez de capital accumulé : le capitalisme d'Etat est une gigantesque accumulation de capital constant et de capital variable dévalorisés non seulement par l'anarchie endémique de la production mais par la faiblesse des marchés existants, capables de le réaliser en le valorisant. Le capitalisme à l'Est a eu l'illusion - comme le GLAT - qu'il stagnait parce qu'il ne produisait pas assez de capital (cf. par exemple, le complexe d'usines de camions de la Kama, gigantesque accumulation de capital importé d'occident et gigantesque fiasco après plusieurs années de travaux (routes, bâtiments, etc.). En 75, des 100 000 camions prévus, on ne vit jamais la couleur. Mais la sous-production de capital, c'est-à-dire de marchandises n'est globalement que le corollaire de la surproduction. La sous-production d'un capital national donné est le résultat de la tendance à la surproduction des capitaux plus développés face à la contraction des marchés. Le capital polonais, par exemple, surproduit trop de bateaux par rapport aux capacités d'absorption du marché mondial; il se trouve donc obligé de sous produire par rapport à ses capacités de production. La planification dans les pays de l'Est n'a pas d'autre sens : le capital évite la brutalité de l'effondrement dû à la contraction du marché mondial en adaptant à chaque moment de cet effondrement son appareil produc tif. Seul le socialisme sera en mesure de mettre fin à cette dialectique infernale de la sous et surproduction comme croissance infinie des besoins de l'humanité et donc de la production de biens d'usage capables d'y répondre. Lui seul mettra fin à l'illusion mercantile qui enfonce toujours plus l'humanité dans la barba rie
Si l'accélération brutale de la crise a augmenté
Ainsi ce que le capitalisme d'Etat russe n'a pu obtenir par une politique de détente avec l'ouest, la modernisation de son appareil productif, il tente de le mettre maintenant en place par la force en faisant reporter sur ses alliés tout le poids de la crise. C'est non seulement la politique Dubcek de pratiquer une politique économique "tous azimuts" qui agonise définitivement avec le retour au bercail des enfants turbulents, Pologne et Hongrie, mais toute l'illusion de la détente et de la "coexistence pacifique" entre les blocs, théorisée jadis par Krhrrouchtchev.
Le resurgissement de la lutte de classe dans les années 70 en Pologne, la peur de la contamination de l'insurrection des ouvriers de la Baltique sur le reste des pays du COMECON, avaient poussé la bourgeoisie de ces pays à augmenter le secteur des biens consommés, il est vrai au prix d'un endettement de l'économie par l'importation de biens courants ou par le blocage des prix des produits de base de l'alimentation. La bourgeoisie dans tous ces pays avait alors laissé espérer aux ouvriers que la pénurie des années 50 n'était plus qu'un mauvais souvenir et que l'alliance du coca-cola importé puis fa briqué en Russie avec la goulasch locale allaient amener une élévation sensible du niveau de vie.
La crise, le
renforcement du bloc russe par le report de la crise dans tous les pays du
COMECON, la place croissante consacrée de nouveau aux investissements dans
l'industrie lourde ont modifié la situation. Malgré la crainte éprouvée par la
bourgeoisie d'émeutes ouvrières, tous les plans mis en place jusqu'en 1980
prévoient une nette diminution du salaire réel :
|
Pologne |
Hongrie |
RDA |
Tchécoslovaquie |
1971-1975 |
7,2% |
3,4% |
3,7% |
3,4% |
1976-1980 |
3-3,4% |
2,7-3% |
? |
2,5-2,8% |
(% d'accroissement annuel, source : L'Europe de l'Est en 1976, Notes et Etudes documentaires, 9 septembre 1977).
On sait comment la Pologne a du après les émeutes de Radom et Ursus, revoir sa politique d'attaque du niveau de "vie" des ouvriers en reportant les hausses des produits alimentaires. Il n'en reste pas moins que les deux dernières années ont été des années où l'attaque du capital contre la classe ouvrière s'est fait durement sentir par des hausses répétées des prix. Le poids des sacrifices va désormais se faire plus pesant et particulièrement dans les "démocraties populaires" où la Russie a commencé à exporter les effets de la crise. Cela ne signifie nullement que le capital russe cherche à reporter sa politique d'attaque directe contre "sa" classe ouvrière. Bien au contraire : le développement prodigieux des frais militaires en Russie pour équilibrer l'avance stratégique du bloc américain, de développement d'une politique mondiale agressive vers le Moyen-Orient et l'Afrique en particulier, la nécessité de payer au prix fort le maintien dans son camp de ses lointains alliés (Cuba, Vietnam) pèse de plus en plus lourdement non seulement sur l'ensemble de l'économie du bloc mais sur les épaules de tous les prolétaires du COMECON. La théorie de "l'aristocratie ouvrière" des grands pays impérialistes achetés par leur bourgeoisie, se révèle dans le cas du prolétariat russe comme une sinistre plaisanterie, que seuls de fanatiques tiers-mondistes défenseurs des "petits peuples" pourraient prendre au sérieux.
Le prolétariat des pays de l'Est est peut-être moins que tout autre susceptible d'être embrigadé dans des préparatifs de guerre impérialiste et d'accepter de se sacrifier sur l'autel du "socialisme". Non seulement le prolétariat a connu les réactions les plus féroces d'une bourgeoisie impitoyable quand il s'agit de maintenir en place son système (Hongrie en 1956, Pologne en 1970), mais aussi les attaques du capital contre son niveau de"vie" signifient l'abaisser au-dessous du SMIC dans lequel le capitalisme d'Etat le maintient. Même si le capitalisme d'Etat tente maintenant de constituer des stocks alimentaires en investissant massivement dans l'agriculture (complexes agro-alimentaires), cela ne peut être compris non comme des mesures préventives de famines mais comme la constitution de stocks de réserve pour nourrir les armées qui seraient un jour jetées dans la guerre impérialiste.
D'autre part, pour pouvoir affronter le marché mondial et le bloc américain, le bloc russe devrait :
Enfin, le renforcement de la main mise économique sur les pays du bloc n'a renforcé que formellement la cohésion du COMECON. La note à payer présentée par l'impérialisme russe à ses alliés reste trop lourde, les avantages économiques et politiques trop faibles à côté de ceux du bloc américain, pour que soit assurée la stabilité et la solidité du bloc. Comme la montre l'écho rencontré par la campagne Carter dans les "démocraties populaires" (Charte des 77, opposition interne jusque dans le SlD, opposition "démocratique" en Pologne), le renforcement du bloc s'est accompagné aussi du renforcement des for ces centrifuges qui viennent affaiblir la cohésion du bloc.
Alors que les contradictions s'accumulent dans le bloc russe, il appartient aux révolutionnaires d'évaluer le rapport de forces entre les classes, c'est-à-dire les conditions objectives d'éclatement de la révolution mondiale en Europe de l'Est.
La mise en place du capitalisme d'Etat en Europe de l'Est a simplifié le cadre politique dans le quel se déroule la vie même du capital. La victoire de l'URSS dans cette partie de l'Europe a entraîné des changements politiques profonds : instauration du parti unique, élimination des partis proaméricains socio-démocrates, libéraux ou paysans. S'il subsiste encore aujourd'hui officiellement d'autres partis à côté du parti étatique, tels le parti paysan polonais ou les partis chrétiens démocrate et libéral démocrate en RDA, c'est uniquement comme succursale du parti Etat; leur existence anachronique reflète en fait non un pluralisme de type occidental, mais la subsistance d'un important secteur paysan, voir confessionnel, sans qu'ils représentent une force d'opposition. Le même phénomène se retrouve en URSS où le parti stalinien russe coexiste avec d'autres partis "communistes" ou "nationaux" (ukrainien, etc.), censés représenter spécifiquement non des groupes sociaux particuliers mais des "nationalités" (géorgiens, arméniens, etc.).
Malgré ces particularités, la mise en place du capitalisme d'Etat sous forme violente dans ces pays, a abouti au parti unique. Ce qui n'a pu être réellement réalisé sur le plan économique, la fusion du capital avec l'Etat, l'a été sur le plan politique. L'existence de tels partis expriment, sous la forme la plus pure, la décadence du mode démocratique de la dictature bourgeoise. Au siècle dernier, la subsistance de classes représentant d'anciens modes de production (noblesse, paysannerie) obligeait la bourgeoisie à coexister, à s'accommoder de ces forces archaïques au sein de l'Etat. La domination progressive de la bourgeoisie sur l'Etat devait éliminer de telles forces ; l'instabilité de la base économique de sa domination avec le déclin de son propre système devait l'amener de plus en plus à enlever le voile des "libertés" recouvrant sa dictature de classe ; le déclin du capitalisme a contraint la bourgeoisie à fusionner totalement avec l'Etat, dernier rempart de sa domination. Cette tendance à la disparition de tout le con tenu formel de la démocratie s'est réalisé là où la classe capitaliste est la plus faible, la moins assise économiquement : dans le tiers-monde et en Europe de l'Est. Le renforcement du totalitarisme de l'Etat à l'Ouest montre qu'une telle tendance est non seulement universelle mais irréversible. Seule la force relative du capitalisme a laissé subsister des partis représentant les couches archaïques du capitalisme dans les pays les plus développés, la démocratie cessant d'être un mécanisme de fonctionnement du capital pour ne plus avoir qu'une simple fonction de mystification, ("libertés démocratiques", élections "libres", etc.). La faiblesse même du capitalisme à l'Est, la faiblesse de la classe bourgeoise constituée inorganiquement dans l'Etat ne lui donne pas les moyens de se payer le luxe de cet opium inefficace pour calmer les souffrances de prolétaires totalement démunis. La classe capitaliste fusionne directement avec la police et l'armée dans l'Etat à travers le parti unique qui apparaît comme son état-major. On ferait une lourde erreur si l'on croyait que la concentration en un tout de la classe capitaliste, sa totale fusion avec l'Etat ont supprimé les contradictions internes de la classe bourgeoise et éliminé toute espèce de crise politique en son sein. Les purges sanglantes au sein des partis staliniens au pouvoir depuis plus de quarante ans, ont montré que le capitalisme d'Etat n'apportait pas une consolidation de la classe dominante. Les épurations, les coups d'Etat, les règlements de compte forment la toile de fond de la vie politique de la bourgeoisie. Les scissions de la classe bourgeoise, ses déchirements en intérêts divergents ne se manifestent plus au travers de partis multiples mais au sein même du parti unique, ce qui a pour effet d'accroître l'instabilité et la fragilité de l'Etat, les événements de 56 en Hongrie en sont l'exemple le plus frappant lors de la scissions du parti en deux, entre la fraction Ralosi et la fraction Nagy. De fait, la crise permanente auquel correspond le capitalisme d'Etat en traîne une crise permanente de la bourgeoisie prisonnière du cadre totalitaire et étouffant qu'elle s'est donnée, le parti unique, pour main tenir sa domination.
La crise ouverte du capitalisme, ses manifestations, n'ont pu que mettre à nu une telle réalité ; élimination de Khroutchev, printemps de Prague, remplacement de Gomulka par Gierek. Si la crise politique tend de plus en plus à s'affirmer au grand jour, sortant du champ clos des affrontements de cliques au sein du parti étatique pour s'étaler sur la place publique, cela tient à l'accumulation grandissante des contradictions au sein de chaque capital national du bloc. L'austérité imposée par le capital russe, non seulement menace la cohésion sociale dans les "démocraties populaires", mais son poids est trop lourd à supporter pour des bourgeoisies congénitalement faibles, qui sans espoir de pou voir trouver des débouchés nécessaires à l'Ouest 53 trouvent néanmoins ramenées vers le bercail du COMECON.
Depuis quelques années, depuis surtout la campagne Carter sur les "droits de l'homme" et à la suite des espoirs nés dans certains cénacles intellectuels des accords d'Helsinki, on a vu apparaître de l'URSS jusqu'en Pologne, RDA, Tchécoslovaquie des groupes d'opposition dans ou en dehors des partis uniques réclamant l'instauration de "libertés démocratiques" et le pluralisme politique. Si en URSS, cette opposition est essentiellement limitée aux cercles intellectuels qui réclament une plus grande liberté de pensée dans leurs travaux, elle se teinte d'opposition nationaliste anti "grand-russien" dans les républiques non russes. Ces deux formes viennent se combiner dans les "démocraties populaires" : les intellectuels réclament des "libertés" soutenus cette fois plus ou moins ouvertement par des fractions de la bourgeoisie souhaitant prendre des distances économiquement et politiquement avec la ruineuse "amitié" de l'ours rus se. Dans un pays comme la Pologne, l'essor de la lutte de classe, l'impossibilité de briser par la force totalitaire de l'Etat le farouche prolétariat polonais, a fait naître une armée de cercles ou groupes d'opposition se proclamant les "défenseurs des ouvriers" tel le KOR de Kuron. Ce sont ces éléments qui font pleurer de joie les trotskystes et autres défenseurs du rétablissement de la "démocratie ouvrière''. Ces bons pèlerins de la "liberté démocratique" vont même jusqu'à affirmer (staliniens et Libertés en Europe de l'Est, Cahier Rouge n°2 "série Pays de l'Est") : "le caractère extraordinairement subversif de la revendication des libertés démocratiques en Europe de l'Est". Subversif ? Laissons parler l'un des représentants du courant "démocratique" Lipinski : "Un système dé pourvu d'un mécanisme d'adaptation continu, un système rigide qui détruit les critiques, qui n'est pas soumis à un contrôle social, qui ne respecte pas les libertés critiques fondamentales, un tel système n'est pas efficace". (Interview du Nouvel Observateur, 15 mai 1976). Main tenir la cohésion, assurer la survie, l'efficacité" du système capitaliste, voilà le programme" subversif" qu'une fois de plus les trotskystes découvrent dans de tels organismes bourgeois. Il est difficile de connaître l'écho de tels groupes chez les ouvriers : inexistant en URSS où l'activité de l'intelligentsia ne rencontre que méfiance, il semble avoir été plus grand spécifiquement en Pologne dans le milieu ouvrier[5] [329]. Cependant de telles tentatives de constituer une opposition ne signifient pas que des "régimes démocratiques" soient à l'ordre du jour en Europe de l'Est. La crise du capitalisme signifie l'accentuation du caractère totalitaire de l'Etat, la mise au pas de l'ensemble de la société. Cette emprise renforcée du capital sur le corps social ne peut se relâcher que momentanément avec l'explosion de conflits sociaux; un tel relâchement n'est alors que temporaire et prépare des mesures totalitaires nouvelles pour briser la résistance du prolétariat. L'opposition "démocratique" en Pologne n'est que le corollaire exact, le complément du renforcement de la dictature de l'Etat capitaliste, concentrée dans le parti unique. Adam Michnik, représentant du KOR, l'avouait cyniquement il y a peu de temps (Esprit, janvier 1977) : "Postuler un renversement révolutionnaire de la dictature du parti, organiser des tentatives dans ce but, serait aussi irréaliste que dangereux". L'emprise grandissante de l'URSS sur ses alliés ne laisse à cette "opposition" pas d'autre choix que d'être l'opposition officieuse du capital d'Etat, dans une acceptation tacite ou résignée du bloc russe constitué.
En dehors de sa fonction de canaliser localement le mécontentement des ouvriers dans des campagnes de signatures contre la répression, les "oppositions démocratiques" ont peu de chance de rencontrer un écho quand elles menacent la domination de l'impérialisme russe et proposent une rupture avec le bloc (Charte des 77 en Tchécoslovaquie). En aucun cas, elles ne pourront se transformer en partis d'opposition ; elles ne pourront que coexister à côté du parti unique aussi longtemps que le capital national et l'URSS le jugeront bon. C'est cette politique que le capital polonais avait mené en 56 ; une fois épuisé le mécontentement ouvrier et stabilisé le pou voir, les groupes d'opposition surgis, disparaissaient avec ou sans répression ouverte. A l'Est pas plus qu'à l'Ouest, le prolétariat n'a de "libertés" à défendre, ni d'amis sur qui compter. La seule liberté que revendique le prolétariat, c'est celle de détruire le capitalisme pourrissant qui l'écrase toujours plus. Le prolétariat prendra les armes à la main la liberté de s'organiser et de lutter pour la destruction du système. Il prendra la liberté d'enlever toute liberté de la classe bourgeoise de l'exploiter Cette vérité du marxisme, martelée incessamment par Lénine face à tous les "démocrates" du prolétariat, est plus que jamais vraie en Europe de l'Est.
De l'insurrection en Saxe et à Berlin en 53, de l’explosion de 56 en Hongrie jusqu'aux chantiers de la Baltique en 71, le prolétariat do l'Europe de l'Est a montré qu'il n'était pas une fraction séparée du prolétariat mondial, mais un de ses détachements. Il a montré par sa combativité et son héroïsme que la possibilité da la révolution prolétarienne n'est plus une utopie cultivée par quelques "archéo-marxistes".
Certes, le prolétariat des pays de l'Est devra franchir de durs obstacles pour retrouver la voie d'Octobre 17 :
Les surgissements du prolétariat en Europe de l'Est montrent que le prolétariat y a moins de peine à manifester sa combativité et à étendre la lutte de classe qu'en Russie où le degré des affrontements reste beaucoup plus faible et dispersé dans le temps et l'espace (explosions locales totalement isolées), parce que le capitalisme d'Etat dans ces pays seront de plus en plus des zones de faiblesse du capital mondial face au prolétariat mondial.
Cependant, le rôle central du prolétariat ouest-européen dans la lutte de classe internationale, sa concentration, le surgissement depuis le réveil de la lutte de classe en 66 d'organisations politiques sécrétées pour tirer les leçons de son combat, son niveau de conscience historique de classe plus développé, vont être un catalyseur décisif en Europe de l'Est pour transformer cette combativité accumulée depuis 71 en énergie révolutionnaire consciente capable de renverser la dictature de fer du capitalisme au niveau mondial.[1] [330] GLAT : adresse : Renée TOGNY, B.P 620 09 75421 PARIS CEDEX 09.
[2] [331] Il va de soi qu'aucune isolation d'un
phénomène historique n'est "fatale", dans le sens que ce sont les
hommes qui font leur propre histoire. C'est
plutôt la survie du capitalisme avec l'échec de la vague révolutionnaire de
17-21 qui a donné une réalité à un tel phénomène.
[3] [332]
Organe de la Gauche Communiste en
France. Voir Bulletin d'Etudes et de Discussions n°9.
[4] [333]
Celle-ci ne peut être d'aucun
secours pour les pays les plus endettés (Pologne, Hongrie). Cela est si vrai
que ces deux derniers, plus la Tchécoslovaquie, ont récemment laissé entendre,
officieusement, qu'ils tenaient à recevoir des prêts du FMI, voire à y adhérer.
Le FMI l'invention du capital américain, il est inutile de préciser que cela ne
serait possible que si ces pays passaient dans ce bloc. Le renforcement du bloc
russe sur ses satellites montre qu'un tel projet est une illusion.
[5] [334] Signatures des pétitions du KOR par des milliers d'ouvriers polonais, etc.
Le tract qui suit a été récemment envoyé au CCI d'Inde; il est non signé et de source inconnue. Nous le publions parce qu'il relate un épisode important et tragique de la lutte de classe en Inde, épisode qui apporte des leçons à l'ensemble de la classe ouvrière internationale. Le massacre des ouvriers de l'usine textile de Swadeshl à Kanpur restera pour longtemps un témoignage brutal de la barbarie capitaliste et iI rappellera à tous les ouvriers que c'est la seule réponse que peut offrir le capitalisme à l'humanité dans cette époque de déclin de la "civilisation" capitaliste. Le massacre de Kanpur n'est qu'un événement parmi tant d'autres d'une série d'actes brutaux de répression de la part du régime "démocratique" Desai. Ces derniers mois, des ouvriers, des étudiants et des paysans ont été tués lors de manifestations par la police Janata dans toute l'Inde : Utar Pradesh, Madya Pradesh, Tamil, Binar, Punjab etc. Le massacre de Kanpur a aussi bien des ressemblances avec celui des 200 ouvriers de l'usine de sucre "Aztra" en Equateur en octobre dernier. Là, tout comme à Kanpur, l'armée, à défaut de la police, a utilisé la seule politique consistante pour le capital aujourd'hui face à des ouvriers en lutte : la répression cynique et sanglante. Les récents événements du Pérou, du Nicaragua, etc. confirment cette tendance qui accompagne le resurgissement du prolétariat au Tiers-Monde. En Inde, le resurgissement de la classe ouvrière a été annoncé par la grande grève des chemins de fer en 1974 qui n'a pu être écrasée par le régime de Gandhi qu'au prix de la répression la plus massive (25000 ouvriers jetés en prison) et de la collaboration la plus éhontée entre les syndicats et le gouvernement. Le régime Janata a été mis en place en 1976 pour remplacer la "dictature" de Gandhi et contrôler mieux les ouvriers grâce à la promesse de "démocratie" et de "droits humains"; mais à peine le gouvernement Dosai était-!I au pouvoir qu'il se trouvait confronté à une vague de grèves sauvages dans la classe : les dockers do Bombay, les mineurs dé Rajhara, les fonctionnaires du gouvernement et bien d'autres ont mené des luttes très dures, souvent en dehors du contrôle syndical ; et la plupart du temps elles ont reçu la même réponse sanglante que la grève de Kampour décrite dans le tract. . Les ouvriers Indiens ont payé avec bien des vies le privilège d'apprendre ce qu'est la réalité cachée derrière la façade de la démocratie Janata : la terreur de l'Etat bourgeois.
Mais le tract contient certaines faiblesses. Inévitables dans un mouvement prolétarien International qui renaît depuis peu. On les trouve quand le tract critique les leaders "révolutionnaires" du mouvement ouvrier pour leur légalisme et leur collaboration de classé avec le régime Janata. De même, Il ne reconnaît pas que le rôle de division des syndicats est produit du fait qu'ils sont eux-mêmes des organes de répression de l'Etat au sein de la classe ouvrière. En fait, le PC (M) soi-disant "ouvrier" et les autres organisations de gauche du même type sont des partis capitalistes qui soutiennent pleinement les besoins du capitalisme d'Etat et de l'austérité économique. Ils ne"trahissent" personne, pas plus qu'ils no "collaborent" avec le capitalisme, lis sont une partie do l'appareil politique du capitalisme, tout comme les syndicats. S'ils parlent de "la classe ouvrière", c'est pour mieux la mystifier. Mais dans la vie réelle, lis contribuent à la répression physique du prolétariat en le dupant, en le divisant et en l'Isolant, le tout au nom de "l'Intérêt national". La force du tract se trouve assurément ailleurs, dans sa claire dénonciation du massacre et son Internationalisme : "Ouvriers du monde entier, unissez-vous !". C'est pourquoi ce tract apporte avec lui un souffle d'air frais depuis le sous-continent Indien, pour servir d'inspiration aux révolutionnaires et à leur classe partout ailleurs.
A une époque où le monde est plus que jamais ravagé par des bains de sang Inter impérialistes travestis dans des "luttes de libération nationale", à une époque où l'on dit aux révolutionnaires dans les pays avancés qu'ils doivent soutenir ces guerres nationales parce que le prolétariat "n'existe pas" dans le tiers-monde, parce quo ces guerres peuvent préparer la voie à un "développement capitaliste progressif", ce tract nous dit très clairement qu'il y a une classe ouvrière dans le tiers-monde, qu'elle a déjà engagé sa lutte autonome et que dans cette lutte, elle s'affronte aux mêmes ennemis que les ouvriers des métropoles : la démocratie, les partis de gauche, les syndicats et, par dessus tout, l'Etat national dont la banqueroute historique dans toutes les parties du monde est clairement mise en relief par son recours à la terreur et au massacre contre le prolétariat.
MASSACRE DES OUVRIERS DE L'ENTREPRISE QUE S'EST-IL EXACTEMENT PASSE A SWAPESHI ? SWADESHI (KANPUR)
- 6 décembre 1977 : Environ mille ouvriers de l'entreprise de coton SwadeshI à Kanpur, encercle deux cadres pour exiger le paiement de leurs salaires, impayé depuis 51 jours; ceci se passe à 13h30;
15h30 : d'importants effectifs de la police armée et de la Provencial Armed Constabulary (PAC) entourent l'entreprise de toutes parts;
15h50 : la police ouvre le feu sans sommation;
Vers 17h30 : plus de 150 ouvriers sont morts, des centaines sont blessés et 237 sont arrêtés.
Le 6 décembre 1977, restera dans l'histoire de 13 classe ouvrière comme le MARDI NOIR, le jour où le capital lança une guerre ouverte et armée contre la classe ouvrière, le jour du massacre de sang froid le jour du "Jalianwala Bagh" ouvrier.
On se souviendra du bain de sang; l'entreprise Swadeshi, une des plus grandes entreprises textiles de l'Inde, où les 8000 ouvriers doivent payer les frais d'une crise dont Ils ne sont pas responsables, étant contraints d'attendre le paiement de leurs salaires.
On retiendra le nombre, sinon les noms des ouvriers tués par les balles de la police. Et on se souviendra aussi des noms des meurtriers et avant tout ceux des leaders et ministres du Parti Janata qui ont décidé et justifié la fusillade.
Rien de tout cela ne sera oublié, parce que le 6 décembre fut le jour du massacre le plus barbare et prémédité d'ouvriers Indiens, depuis l'indépendance. Le nombre exact d'ouvriers tués ne sera probablement Jamais connu, dans la mesure où les cadavres précipités dans le Gange ou la rivière Betwa ne seront jamais retrouvés et identifiés, non plus que ceux réduits en cendres dans les fours de l'entreprise. Leur nombre parait être facilement de 200. Tandis que la bureaucratie censurait complètement l'Information, la presse "Iibre" gardait le silence.
Nous donnons ci-dessous la version de la police et les faits rapportés par ces centaines d'ouvriers, des témoins visibles et quelques journalistes Indépendants.
Le rapport de police : Il a été nécessaire d'ouvrir le feu parce que les ouvriers étalent en train de tuer deux cadres - le directeur de production Sharma et le chef comptable lyenger -et qu'ils ont attaqué rageusement les policiers qui essayaient d'intervenir. On suppose que le surintendant de police Rei a été assommé.
Les faits : Les cadres ont été encerclés au sein de l'entreprise à côté d'une fontaine, cependant leurs cadavres ont été trouvés dans une petite pièce à l'étage. Les trois ou quatre per sonnes qui ont été vues en train de porter les corps des deux cadres dans les escaliers n'avaient jamais été vus dans l'usine auparavant. Un journal de Kanpur rapporte que l'on a entendu Sharma crier à la police d'arrêter de tirer et que les cadres étaient vivants quand le feu a commencé. Un hebdomadaire a déclaré que les cadres ont été tués par la police après coup pour donner un bon prétexte à leurs orgies de meurtres. Le CID est jusqu'à aujourd'hui Incapable de fournir la moindre preuve de la culpabilité d'ouvriers dans le meurtre des deux cadres. On croit généralement que les deux cadres en savaient trop à propos des méfaits de la direction qui avait engagé quelques éléments (les trois ou quatre personnes dont on parlait ci-dessus), et qu'il fallait s'en débarrasser.
D'après le reportage d'un certain nombre de journaux, le surintendant de police Rei n'était pas sérieusement blessé. Sarin, l'officier de sécurité de l'entreprise a déclaré à un magazine que Rei ‘’est sorti de l'usine sur ses deux jambes et n'était pas porté’’.
Le rapport de police : Le tir a duré "au plus cinq ou dix minutes". Douze ouvriers"seulement" ont été tués et une vingtaine blessés.
Les faits : Les tirs ont commencé à 16h50 et se sont arrêtés aux alentours de 17h30. Au moins 15 ouvriers ont été tués et largement plus de cent blessés. Des propriétaires de petites échoppes en face des portes de l'entreprise, certifient que le tir de la police a duré sans discontinuer jusqu'à 17h30. Les ouvriers qui ont survécu, déclarent qu'ils ont été obligés de porter les cadavres de leurs camarades dans des camions. Ils disent qu'ils ont porté des "quantités de corps".
Cinq semaines après le 6 décembre, les autorités ont enfin commencé 5 verser les payes dues aux ouvriers. 238 ouvriers ne sont jamais venus pour recevoir leurs salaires. Où sont les 220 ouvriers qui manquent, si l'on admet la version officielle de 12 morts ?).
La police a tiré a l'intérieur de l'entreprise et aussi dehors, sans distinction et en toutes directions. Un jeune garçon de huit ans nommé Pappu et un autre de douze ans ont. été tués. Ils étalent tous deux à une bonne centaine de mètres de la porte de l'usine. Des enseignes de magasins et des maisons portent des traces de balles. Une longueur de un kilomètre de route a été complètement bloquée par la police durant trois jours pour effacer les traces de leur sauvagerie. De toute façon, les stores de Arvind Cloth Stores (magasin de vêtements), portent encore des traces de balles. Un correspondant de "Aaj", un quotidien de Kanpur a été battu et sa caméra a été détruite alors qu'il essayait de prendre des photos à l'extérieur de l'entreprise, le 6 décembre au soir.
Tout nous amène à la conclusion que les déclarations de police sont fausses et sans fondements et que les tirs n'ont pas été provoqués par les "violences ouvrières". Le feu était aussi "illégal" d'après le India To-Day, un prestigieux magazine peu suspect de sympathies de gauche.
La police n'a jamais envisagé des étapes intermédiaires telles des gaz lacrymogènes, des balles de caoutchouc avant d'ouvrir le feu. Dans le manuel de la barbarie, il n'y a pas de place pour les "détails de procédure".
POURQUOI CE MASSACRE DE SANG FROID DES OUVRIERS A SWADESHI ?
La toile de fond du massacre est la crise présente de l'industrie textile en Inde en général, la "solution" particulière recherchée par la direction Jaipuria de Swadeshi avec la sympathie et le soutien à la fois du Congrès et du régime Janata, l'expérience des ouvriers de Kanpur (qui n'est pas unique aux Indes) face aux syndicats, et la tendance récente des ouvriers à l'esprit militant et à l'auto organisation. La période de l'état "d'urgence" fut bien sûr le feu vert des capitalistes pour "discipliner" les ouvriers et augmenter le taux d'exploitation du travail. Le Jaipuria a fait un pas de plus; depuis août 1975, il verse les salaires des ouvriers avec 45 ou 60 jours de retard. Tandis que les salaires des ouvriers devenaient ainsi un apport additionnel de capital libre et intéressant pour l'entreprise, atteignant 500 000 ou 600 000 roupies, les ouvriers, eux, étalent obligés de vivre d'emprunt, dont le taux d'Intérêt montait jusqu'à 120 % par an dans la plupart des cas.
Depuis septembre Î975, les ouvriers ont dû entourer la direction, pas moins de six fois, rien que pour obtenir le paiement de leurs salaires longtemps après la date normale de paie. On peut signaler au passage qu'en aucun des cas antérieurs, les ouvriers n'ont tenté de tuer les cadres, même dans les cas où les occupations ont duré 48 ou 50 heures. Au cours de ces tortueuses batailles pour leur simple survie, les ouvriers en sont arrivés à perdre foi dans les appareils de conciliation de l'Etat d'un côté et dans ceux de "leurs" syndicats qui ont prouvé leur incapacité à sortir du cadre de la "légalité bourgeoise et à porter le mouvement plus loin".
Le plus Important de ces mouvements, fut celui du 26 octobre, avec l'encerclement du secrétaire de l'entreprise, Agarwal. L'occupation a duré 53 heures et ne s'acheva que lorsque les ouvriers eurent obtenu satisfaction pour leurs revendications. Si l'aspect explicite est la lutte pour des salaires dus, la signification réelle de ces occupations réside dans l'exemple de l'unité de classe des ouvriers et leur combativité militante. Les jours d'occupations, les ouvriers s'armaient de pierres, de briquetons, de barres de fer et surtout de tubes de gaz chlorhydrique. L'entreprise était entourée de toutes parts par les ouvriers empêchant ainsi les forces armées de faire leur travail habituel, de briser l'encerclement. Les ouvriers menaçaient de faire exploser les tubes de gaz si la police faisait la moindre tentative pour briser l'encerclement. Pendant 53 heures, les forces armées de l'Etat restèrent sans ressources, humiliées et paralysées.
La réponse des syndicats (la plupart des syndicats nationaux en Inde ont une "section" à Swadeshi) à ce degré de combativité de la classe, a été d'appeler les ouvriers à "dénoncer l'occupation". Les ouvriers de Swadeshi avaient eu plus que leur part de déclarations pathétiques sur les négociations, l'arbitrage, les compromis, les résolutions et les délégations. Pendant ces événements d'octobre, ils rossèrent les leaders syndicaux et les chassèrent. Il est notable que les ouvriers, pendant l'occupation, prirent la production en main, de même que l'organisation de la nourriture, etc. aux occupants de l'entreprise. Cette victoire des ouvriers de Swadeshi en octobre a constitué un précédent dans le Kanpur. En une seule poussée d'activité militante, les ouvriers avaient défié en même temps les capitalistes, l'Etat et leurs "propres" institutions du passé, irrémédiablement responsables du "syndicalisme responsable" et de la "légalité bourgeoise".
C’est dans cette démonstration de leur capacité d’auto organisation et leur combativité militante que se trouvent les racines réelles du massacre du 6 DECEMBRE.
Le défi de la classe ouvrière avait mis en mouvement l'appareil répressif de l'Etat. Quelques jours après le 26 octobre, le ministre de l'Intérieur et le DIG, police de l'Uttar Pradesh, dans une interview à la télévision, déclaraient que le gouvernement était prêt à prendre des "mesures définitives" pour éviter les incidents à Swadeshi et ceci "à tout prix". Le 29 novembre, un agent provocateur tenta de transformer une querelle mineure entre deux ouvriers en une émeute communale, afin de briser l'unité ouvrière. L'occasion de prendre ces "mesures définitives" se présenta enfin qui leur permit de faire une "contre démonstration" pour I’ exemple d'octobre. Certains pensent même que, bien qu'il y ait eu une réelle colère ouvrière qui ait poussé à l'occupation’’ du 6 décembre, cette occupation elle-même pourra bien avoir été échafaudée pour diviser les ouvriers impréparés. A cause d'une panne d'électricité à Kanpur, seulement mille ouvriers étalent à l'entreprise cet après-midi là sur un total de quatre vingt mille.
Depuis le massacre du 6 décembre, l'usine a subi un "lock-out" illégal qui se perpétue jusqu'à aujourd'hui le 3 mars. Même le ministre "socialiste" Georges Fernandes aurait dit qu'il faudrait encore au moins un ou deux mois avant que l'entreprise ne rouvre. Apres le 15 janvier, le versement des salaires commença en présence de centaine de policiers, armés de mitraillettes, à l’Intérieur de l'entreprise et sur la route principale à l'extérieur. Les salaires payés 90 jours après échéance disparurent dans le gouffre des emprunts passés. La situation des ouvriers et de leurs familles est des plus précaires. Comme on l'a signalé plus haut, 238 ouvriers n'ont pas reparu pour récupérer leurs salaires pour des raisons évidentes. Une commission d'une seule personne nommée par le gouvernement pour enquêter sur les causes du tir, a abouti à la conclusion que celui-ci était justifié. Il y a même une critique au "Dy Magistrate" pour "n'avoir pas ordonné le tir plus tôt". Au même moment, un comité des Droits Civiques a vu le jour à Delhi défiant une fois de plus les affirmations de la bureaucratie. Le premier ministre de l'UP continue à refuser catégoriquement la tenue d'une enquête judiciaire.
LA "DEMOCRATIE" JANATA ET LA CLASSE OUVRIERE
Sans aucun doute, le massacre de Swadeshi n'a pas de parallèle dans l'histoire de la classe ouvrière aux Indes. Mais cette répression sanglante ne doit pas être prise comme un cas unique au Swadeshi. Ce n'est pas non plus l'acte d'un "District Magistrate" à la gâchette facile. Ce n'est que la manifestation la plus crue de l’attitude de plus en plus répressive du régime de Janata à l'égard de la classe ouvrière. Dès qu'il fut installé au pouvoir, il dit explicitement que les occupations ne seraient pas tolérées, que des accords signés pendant des occupations ne seraient pas reconnus, que des mesures énergiques seraient prises pour prévenir de telles actions. Non seulement cela, mais, durant ces onze derniers mois, la police sous les ordres du régime Janata a ouvert le feu, y compris sur des grèves ordinaires et "légales" dans'-la logique de la "légalité bourgeoise". Dilli-Rajharmin (MP), llsccket Bojaro % (Bihar), Sahibabad et Lucknow (UP), Mulund (Maharashtra) en sont quelques exemples. Des tas d'ouvriers y ont perdu la vie et des centaines ont été gravement blessés. Dans les campagnes où le travail agricole est plus ou moins organisé, la machine répressive a été peut-être plus dure. D'après les versions officiellement reconnues, dans le seul Etat de Bihar, la police a ouvert le feu huit fois sur des agriculteurs et onze y ont perdu la vie. Armés jusqu'aux dents, les propriétaires terriens qui défendent leurs intérêts dans la région ont déclaré une guerre ouverte aux salariés.
C'est une manifestation toujours plus évidente du caractère "démocratique" du régime Janata dont la répression est au maximum, précisément la où le Janata détient le pouvoir. Dans la grève des quatre vingt mille enseignants du secondaire en UP, vingt trois mille ont été emprisonnés alors que quelques cinq mille y perdaient leur emploi. Une loi visant à réprimer le mouvement, "déguisée" en loi s'attaquent aux criminels, est sur le point de passer au Dihar.
Dévoyant la vague de mécontentement do nasse contre le régime du parti "garlbi hatao" ("lutte contre la pauvreté"), le parti Janata se catapulta au pouvoir, se posant on "Parti de la Démocratie". Il fallait donner un sens aux slogans. Le Janata restaura le droit de grève formellement, élimina le "Compulsory Deposit Scheme" et restaura le bonus minimum de 8 1/3 % par an. On pouvait croire que le régime Janata avait des sympathies pour la classe ouvrière aussi longtemps qu'il croyait que les luttes ouvrières pouvaient être réduites à une lutte pour la "démocratie" et se dérouler dans une "ambiance libre" pour son exploitation; aussi longtemps qu'il croyait que la lutte de classe se déroulerait dans le même cadre salarié que pendant "l'état d'urgence". Mais il est de plus en plus clair aujourd'hui que les luttes des ouvriers ne sont pas basées sur tel ou tel aspect de l'esclavage salarié mais contre les fondements mêmes du système salarié. La lutte révolutionnaire de la classe ouvrière ne se fait pas pour la démocratie capitaliste mais pour la fin du capitalisme et de sa forme démocratique, basée sur l'exploitation.
Au fur et à mesure que le caractère de classe du mouvement ouvrier et son fondement révolutionnaire devint explicite, le caractère du régime Janata se révéla; son caractère de classe devint clair aussi. Aussi opposé que le régime Janata ait pu être au "Congress", avec ses slogans sur la démocratie, dans les récentes grèves des employés du gouvernement dans l'Etat du Maharastra, le premier ministre du Janata et le premier ministre du "Congress" ont affronté la lutte du même point de vue et avec une plateforme identique. Tandis que le Janata du Maharastra, les yeux fixés sur les élections à venir, soutenait la grève, son président demandait ouvertement que les ouvriers ayant de "bons" salaires n'aient pas le droit de faire grève. Pour autant que le salaire puisse être bon pour l'esclave du capital.
Aujourd'hui le langage et la politique du Janata changent très rapidement. Aujourd'hui, on entend des discours sur la condamnation des grèves, le maintien de la loi sur la détention préventive, les limitations de salaires, etc.
Pour les "champions de la démocratie", la constitution, la législation et les tribunaux industriels sont les seuls juges valables de la "légitimité" des revendications et des formes des luttes des ouvriers.
Pour la classe ouvrière, toute forme de lutte est "légitime" y compris et en particulier celles qui tendent à mettre fin à la "légitimité" de la société bourgeoise, il est clair aussi, pour la classe ouvrière, que quand elle défend ses intérêts, les champions du capital n'ont pas grand effort à faire pour laisser tomber le masque de la légalité et de la démocratie. Que coûte-t'il aux défenseurs du capital, après tout de refaire des lois dans le "parlement du peuple" ? L'imposition de l'Etat d'urgence, les justifications du maintien de la détention préventive par le Ministère de l'Intérieur, le massacre des ouvriers de Kanpur, l'introduction du "mini-Misa" en MP, ne sont que quelques exemples des plus récents.
LA "GAUCHE: SOCIALISTE" DU PARTI JANATA
Il est utile de se demander pourquoi la "gauche" du Janata reste aussi silencieuse que les hommes de paille de Gandhi, à propos de la tuerie des ouvriers de Swadeshi. La répression de la classe ouvrière et des travailleurs agricoles va sans cesse croissant et les "socialistes-Gandhiens" resteraient silencieux ? Il devient clair aujourd'hui que la gauche du Janata est forcée de jouer le même rôle vis-à-vis des mouvements de la classe ouvrière que les courants "progressistes" et "socialistes" du Congress jouaient hier, agitant les plans de "gauche"pour l'exploitation du travail tandis que la "droite" continue ses manœuvres.
LA GAUCHE "COMMUNISTE"ET LA CLASSE OUVRIERE :
De plus, les choses ne s'arrêtent pas là. Il est des questions qu'il faut adresser aux partis "communistes" officiels eux aussi. En intervenant dans le débat au parlement sur l'incident de Swadeshi, Jyotirmoy Bosu, le PCM a proclamé que cet incident était le résultat d'une conspiration, préparée par les agents provocateurs d'un certain parti politique pour rendre impopulaire le ministre de l'Intérieur et pour battre le premier ministre de l'UP dans les prochaines élections (Times of India du 8/12/1977). Selon un ouvrier de Swadeshi, un chef du PCI, Harbans Singh, dans un discours public à Kanpur, a traité les ouvriers de Swadeshi "d'ingrats" (en référence claire aux occupations d'octobre et à la bagarre entre ouvriers et dirigeants syndicaux).
Bien sûr, la bourgeoisie voit toujours la combativité ouvrière comme le résultat d'une conspiration d’éléments « anti sociaux ». Ce chef « révolutionnaire » du mouvement ouvrier défend t-il le même point de vue ? Si les revendications imposées par sa situation et par son expérience de classe, dans le contexte de crise nationale et internationale du capital, requière que la classe ouvrière brise les barrières des formes légales de lutte, pour pouvoir porter la lutte sur son propre terrain de classe, et si les chefs restent enfermés dans la politique du passé, qu'attendent-ils des ouvriers ? Naturellement, aux yeux des chefs réactionnaires, les initiatives de la classe vers son unité de classe apparaissent comme "déloyales".
Apparemment, les journaux de ces partis ont dénoncé le massacre de Swadeshi. Mais la question est de savoir ce que valent ces dénonciations et résolutions. N'est-il pas clair que si le traitement odieux que!'Etat a fait subir à une fraction de la classe ouvrière reste sans réponse de la part des ouvriers de Kanpur et du mouvement ouvrier indien, cela ne peut finir qu'en laissant au capital et à ses représentants le rapport de forces décisif ? Combien de temps faudra t’il encore pour comprendre que la plus petite illusion vis-à-vis de n'importe que représentant du capital ne peut avoir que les conséquences les plus désastreuses sur le mouvement de la classe ouvrière ? Dans quel but et pour combien de temps encore parlera-t-on des alliances avec tel ou tel secteur de la bourgeoisie ?
Il n’y a qu'une voie pour la classe ouvrière aujourd'hui. Contre sa division dans des dizaines de syndicats, la constitution de son unité de classe passe par un défi militant au parti du Congres, au régime Janata et à tous les autres représentants de la bourgeoisie. Il est devenu clair, ces derniers mois, mémo si c'est de façon sporadique, que des fractions de la classe commencent à surgir, conscientes de la tache historique qui Incombe au mouvement ouvrier. La lutte des ouvriers" de Swadeshi à Kanpur n'était pas le résultat d'une "conspiration" maïs le début de la préparation historique du défi révolutionnaire à tout l'ordre bourgeois. Dans ce sens, il fait partie Intégrante de la nouvelle phase du mouvement International de la classe ouvrière. Dans la période à venir, seuls pourront jouer un rôle révolutionnaire, ceux qui sauront saisir la dynamique interne et le contenu révolutionnaire des aspirations de la classe ouvrière.
PROLETAIRES DE TOUS LES PAYS, UNISSEZ-VOUS !
"Mai 68, premiers signes de la crise et du réveil prolétarien, Mai 78, approfondissement de la crise et montée de la lutte de classe".
Cette formule lapidaire, qui résume à elle seule toute l'évolution de ces dix dernières années, nous permet à la fois d'affirmer notre position et d'infirmer toutes les interprétations, les bavardages de la gauche et des gauchistes sur la signification réelle qu'a recouvert Mai 68. Car Mai 68, loin d'être un accident de l'histoire, une révolte fortuite, est en fait une des premières réactions de la classe ouvrière face à l'apparition de la crise du capitalisme.
LES EVENEMENTS DE MAI 68
Il va 10 ans, le 3 mai, un meeting rassemblant quelques centaines d'étudiants, était organisé dans la cour intérieure de la Sorbonne, à Paris, par l'UNEF (Syndicat étudiant) et le "Mouvement du 22 Mars" (formé à la Faculté de Nanterre quelques semaines avant). Rien de très exaltant dans les discours théorisateurs des "leaders" gauchistes, mais une rumeur persistante : "Occident va attaquer". Le mouvement d'extrême droite donnait ainsi le prétexte aux forces de police de "s'interposer" officiellement entre les manifestants. Il s'agissait surtout de briser l'agitation étudiante, qui, depuis quelques semaines se poursuivait à Nanterre. Simple fait divers du ras-le-bol des étudiants, constitue par des mobiles aussi divers que la contestation du mandarinat universitaire, de la revendication d'une plus grande liberté individuelle et sexuelle dans la vie interne de l'université.
Et pourtant, "l'Impensable est advenu" : pendant plusieurs jours, l'agitation va se poursuivre au Quartier Latin. Elle va monter d'un cran tous les soirs : chaque manifestation, chaque meeting rassemblera un peu plus de monde que la veille : dix mille, trente mille, cinquante mille personnes. Les heurts avec les forces do l'ordre sont aussi de plus en plus violents. Dans la rue, de jeunes ouvriers se joignent au combat, et, malgré l'hostilité déclarée ouvertement du PCF qui traîna dans la boue les "enragés" et "l'anarchiste allemand" Daniel Cohn-Bendit, la CGT se verra contrainte pour ne pas être débordée complètement de "reconnaître" la grève déclarée spontanément et qui se généralise : dix millions de grévistes secouent la torpeur de la Ve République et marquent d'une manière exceptionnelle le réveil du prolétariat.
En effet, la grève déclenchée le 14 mai à Sud-Aviation et qui s'est étendue spontanément, a pris dès le départ un caractère radical par rapport à ce qu'avaient été jusque là les "actions" orchestrées par les syndicats. Dans les secteurs essentiels de la métallurgie et des transports, la grève est quasi générale. Les syndicats sont dépassés par une agitation qui se démarque de leur politique traditionnelle et sont débordés par un mouvement qui prend d'emblée un caractère illimité et souvent peu précis comme le fait remarquer ICO (Informations et Correspondance Ouvrières) : "A la base, il n'existe en fait aucune revendication précise. Tout le monde, c'est évident, est pour une augmentation de salaire, le raccourcissement de la semaine de travail. Mais les grévistes, ou du moins la majorité d'entre eux, n'ignorent pas que ces avantages seront précaires, la meilleure preuve c'est qu'ils ne se sont jamais résolus à une action pareille. La vraie raison, toute simple, les panneaux accrochés aux portes de petites usines de la banlieue parisienne la donnent clairement : "Nous en avons assez !" (La grève généralisée en France : mai -Juin 63. N° 72 - juillet 78). Dans les affrontements qui ont eu lieu, un rôle important a été joué par les chômeurs. Ce que la presse bourgeoise appelait les "déclassés". Or, ces "déclassés", ces "dévoyés" sont de purs prolétaires. En effet, ne sont pas seulement prolétaires les ouvriers et les chômeurs ayant déjà travaillé, mais aussi ceux qui n'ont pas encore pu travailler et sont déjà au chômage. Ils sont les purs produits de l'époque de décadence du capitalisme : nous voyons dans le chômage massif des jeunes une des limites historiques du capitalisme, qui, de par la surproduction généralisée, est devenu Incapable d'intégrer la génération montante dans le procès de production. Mais ce mouvement déclenché en dehors des syndicats, et dans une certaine mesure contre eux, puisqu'il rompt avec les méthodes de lutte qu'ils préconisent en toute occasion, les syndicats ne vont pas tarder à le reprendre en mains. Dès le vendredi 17 mai, la CGT diffuse partout un tract qui précise bien les limites qu'elle entend donner à son action,: d'une part, revendications traditionnelles couplées à la conclusion d'accords de type Matignon garantissant l'existence de la section syndicale d'entreprise, d'autre part, changement de gouvernement, c'est-à-dire, les élections. Méfiants à l'égard du syndicat avant la grève, la déclenchant par dessus sa tête, l'étendant de leur propre initiative, les ouvriers ont pourtant agi pondant la grève comme s'ils trouvaient normal que le syndicat reste charge de la conduire à son terme.
Pourtant, la grève générale, malgré ses limites, a contribué avec un immense élan à la reprise mondiale de la lutte de classe. Apres une suite ininterrompue de reculs, depuis son écrasement après les événements révolutionnaires des années 1917-23, les émeutes de mai-juin 68 constituent un tournant décisif, non seulement en France, mais encore en Europe et dans le monde entier où les grèves ont non seulement ébranlé le pouvoir on place mais aussi ce qui représente son rempart le plus efficace et le plus difficile à abattre : la gauche et les syndicats,
UNE CRISE DE LA JEUNESSE ?
La première surprise passée, la première panique écartée, la bourgeoisie a pu s'atteler à trouver les explications aux événements qui remettaient en cause sa quiétude. Il n'est donc pas étonnant que la gauche ait utilisé le phénomène de l'agitation étudiante pour exorciser le spectre réel qui se lève devant les yeux de la bourgeoisie apeurée - le prolétariat - et que les événements sociaux aient été limités à leur aspect de querelle idéologique entre générations. Mai 68 nous est présenté comme étant le résultat du désoeuvrement d'une jeunesse face aux inadaptations créées par le monde moderne. Ainsi, le sociologue français Edgar Morin déclarait dans un article publié dans "Le Monde"du 5 juin 68 : "Tout d'abord, c'est un tourbillon où une lutte de classes d'âge a fait rage (jeunes contre gérontes, jeunes contre société adulte), mais a déclenché en même temps une lutte de classes, c'est à dire une révolte des dominés, les travailleurs. En fait, la lutte jeunes-vieux a déclenché par résonance la lutte travaiIleurs-autorité (patronale-étatique)". Le même type d'explication nous est donné par le journal anarchiste de Liège "Le Libertaire" qui affirme que : "S'ils refusent les structures et les responsables, c'est qu'ils se méfient d'un monde adulte où la démocratie a été bafouée, la révolution trahie. Avec eux, nous assistons à un retour extraordinaire du socialisme utopique du XIXème siècle." (n°6, juin 68). Quant au Parti Communiste International, dans son organe "Le Prolétaire" de mai 68, il mettait en évidence les causes du mouvement : "Dans ces agitations, se mêlent divers motifs, parmi lesquels émergent la guerre du Vietnam et la revendication pour le moins ingénue d'une participation directe des étudiants à la "direction de 1'université, c'est à dire aux réformes de sa structure."
Parmi les innombrables analyses qui ont été publiées sur les événements de mai 68, certaines expliquent que les occupations d'usines qui se sont soudain multipliées à travers le pays répondaient à l'occupation de la Sorbonne par les étudiants. Il y aurait eu de la part des travailleurs en grève une sorte de phénomène de mimétisme à l'égard des étudiants parisiens, alors que d'autres comme ICO, mettaient en évidence 1’incompréhension politique de la Vieme République à l'égard de la jeunesse : ".., le maillon le plus faible du capitalisme français, c'est bien en définitive la Jeunesse et les problèmes qu'elle se pose et pose à des classes dirigeantes incapables même de les apercevoir, enfermées qu'elles sont dans une politique où les promesses tiennent lieu d'actes et où l’immobilisme et le respect des puissances d'argent se parent de formules dynamiques."
L'INTEGRATION DE LA CLASSE OUVRIERE
Toutes ces "analyses" ou explications mettent l'accent sur le rôle spectaculaire du mouvement étudiant et tentent de minimiser le rôle de la classe ouvrière, allant jusqu'à nier tout rôle révolutionnaire à la classe ouvrière : "Il est de première importance de dire bien haut et avec calme qu'en mai 68, le prolétariat n'était pas 1'avant-garde révolutionnaire de la société, qu'il n'était que l'arrière-garde muette." (Coudray, alias Cardan -Castoriadis- dans "La Brèche"). Ce n'est pas un hasard. La bourgeoisie, avec ses idéologues attitrés d'une part et avec l'appui des utopistes marginaux d'autre part, a toujours cherché à occulter la réalité de l'exploitation capitaliste. Elle a toujours tout mis en oeuvre pour dévier la classe ouvrière de sa prise de conscience en distillant diverses mystifications qui démobilisent ou démoralisent le prolétariat. Les sources de ces attitudes et de ces explications qui cherchent à mettre en évidence la négation du caractère révolutionnaire du prolétariat viennent de l'intelligentsia gauchiste en retraite, pulvérisée par le déclin du capitalisme mondial. Dans les années 30 et 40, les sympathisants staliniens de "L'Institut de Recherche Sociale" de Francfort (Marcuse, Horkheimer, Adorno) ont commencé à édifier l'ossature qu'utilisent aujourd'hui les théoriciens "radicaux" récupérés par la bourgeoisie : ces idéologues prétendaient que le capitalisme "avancé" ou "moderne" a éliminé les différences entre la base économique de la société et sa superstructure. Implicitement, cette notion signifie que la classe ouvrière s'est fait "acheter" par un capitalisme qui ne souffre lui-même d'aucune contradiction économique fondamentale. Il s'ensuit alors que les contradictions du capitalisme se sont déplacées de la base vers la superstructure. Ainsi, la critique de la vie quotidienne a pris une importance prépondérante pour ses idéologues. Marcuse analyse les divers aspects du phénomène des sociétés de consommation en expliquant que si le citoyen est désormais assuré du confort, il se voit dénié tout droit à l'exercice de sa liberté et de ses responsabilités, toute possibilité de contestation, en un mot, la quasi totalité de ses dimensions humaines, d'où le titre de son livre : "L'Homme Unidimensionnel". La révolte étudiante aux yeux de Marcuse est l'un des premiers signes d'une révolte de l'homme contre ce mécanisme qui le nie puisqu'il lui refuse toute liberté et tout contrôle de ses actes; "cette révolte, souligne-t’i1, n'est pas dirigée contre les malheurs que provoque cette société mais contre ses bénéfices." C'est un phénomène nouveau propre à ce qu'on appelle la civilisation de l'opulence. Il ne faut pas avoir d'illusions mais on ne doit pas être défaitiste non plus. Il est inutile d'attendre dans un tel débat, que les masses viennent se joindre au mouvement, participent au processus. Tout a toujours commencé par une poignée d'intellectuels en révolte." Marcuse constate que la société do consommation se montre particulièrement habille dans l'art d'intégrer les révoltes. Elle produit des "esclaves" qui sont d'autant plus asservis qu'ils n'ont pas conscience d'être opprimés. La classe ouvrière, en particulier, n'est plus dans cette optique une force révolutionnaire puisque toutes ses revendications sont acceptées et assimilées par la société. Seuls restent révolutionnaires les intellectuels possédant un esprit critique suffisant pour déceler les pièges de la société de 1'opulence et les marginaux qui ne bénéficient pas de ses"bienfaits".
LA REAFFIRMAT ION DE LA NATURE REVOLUTIONNAIRE DU PROLETARIAT
"Le prolétariat est mort. Vive le prolétariat !" scandaient les jeunes marginaux d'Amsterdam. Funérailles prématurées, le mouvement de mai 68 a remis les choses en place rappelant la nature réelle du prolétariat : à la conception d'une humanité agissant sous la conduite d'idéaux éternels et inexplicables, le prolétariat oppose celle des sociétés divisées en classes économiques et évoluant sous la pression dos luttes économiques qui les opposent. Le projet révolutionnaire ne peut être défini que par une classe, c'est-à-dire une partie de la société définie par sa position spécifique au sein des rapports de production, cette classe, c'est la classe ouvrière. "L'antagonisme entre le prolétariat et la bourgeoisie est une lutte de classe à classe, lutte qui portée à sa plus haute expression, est une révolution totale" écrira Marx dans "Misère de la Philosophie". La spécificité du prolétariat par rapport aux autres classes de la société réside dans le fait qu'elle constitue la force vivante du travail associé. C'est face aux crises économiques de la société que les classes révèlent leur véritable nature historique. De par sa situation de producteur collectif, le prolétariat ne peut envisager, face à une crise économique, de solution individuelle. Situé au coeur même de la production de l'essentiel des richesses de la société, travaillant de façon associée, n'ayant de rapport avec les moyens de production que de façon collective, le prolétariat industriel est bien la seule classe de la société à pouvoir comprendre, désirer et réaliser la collectivisation effective de la production. L'essence de la vie sociale capitaliste se résume en fait dans la lutte pour la plus-value entre ceux qui la créent et ceux qui la consomment et l'utilisent. Le moteur de l'action du prolétariat est ce combat contre l'extraction de la plus-value, contre le salariat. Tant que le capital existe, toute l'action du prolétariat est et reste déterminée par l'antagonisme fondamental qui le lie à celui-ci. C'est donc à cause des contradictions objectives existant au sein du système capitaliste et parce qu'elles correspondent au mouvement du prolétariat que le communisme est une possibilité. Ce sont les conditions historiques concrètes qui déterminent quelles sont les possibilités réelles dans une période déterminée, bien que la décision entre les diverses possibilités objectives dépend toujours de la conscience, de la volonté et de l'action des travailleurs.
LE MOUVEMENT ETUDIANT
Il est plus qu'évident que Mai 68 a pu être marqué par une décomposition certaine des valeurs de l'idéologie dominante, mais cette révolte "culturelle" n'est pas la cause du conflit : Marx nous a montré, en effet, dans son avant-propos à "La critique de l’économie politique" que "le changement dans les fondations économiques s'accompagne d'un bouleversement plus ou moins rapide dans tout cet énorme édifice. Quand on considère ces bouleversements. Il faut toujours distinguer deux ordres de choses. Il y a bouleversement matériel des conditions de production économiques. On doit le constater dans l'esprit de rigueur des sciences naturelles. Mais il y a aussi les formes juridiques, politiques, religieuses, bref les formes idéologiques dans lesquelles les hommes prennent conscience de ce conflit et le poussent jusqu'au bout."
Toutes les manifestations de crise idéologique trouvent leurs racines dans la crise économique et non le contraire. C'est l'état de crise qui peut nous indiquer le cours actuel des choses. Le mouvement étudiant fut donc bien une expression de la décomposition générale de l'idéologie bourgeoise, il fut l'annonciateur d'un mouvement social plus fondamental, mais en raison même de la place de l'université dans un système de production et des éléments qui la composent, celle-ci n'a qu'exceptionnellement un lien avec la lutte de classe. Croire que les émeutes, avec barricades et affrontements entre étudiants et policiers sont une découverte récente, serait faux. L'histoire de toutes les grandes universités européennes est marquée depuis le Moyen-Âge par des incidents violents et une activité politique intense. La grève des cours a été "inventée" il y a huit cents ans. Au XII ième siècle, les étudiants reprochaient à l'enseignement de ne pas avoir évolué depuis Charlemagne, comme les révoltés de 68 dénonçaient une université encore construite sur le modèle arrêté par Napoléon. Un campus avant la lettre, la cité étudiante de Corbell, qui regroupait hors de Paris 3000 étudiants, a été à l'origine d'un phénomène de contestation en 1104. D'ailleurs quand on regarde ainsi en arrière, on constate que les étudiants contemporains sont allés moins loin que certains de leurs prédécesseurs. En 1893, ceux-ci avaient par exemple, donné l'assaut à la Préfecture de Police. Les étudiants, cependant, ne sont pas une classe, pas même une couche sociale, leur mouvement n'est pas un mouvement de classe. Les revendications que posent les étudiants, sont liées à l'existence de la division bourgeoise du travail et de la société capitaliste en général. En outre, ce mouvement n'a nullement une vision historique et économique du développement objectif des contradictions au sein de la société. Pourtant, des étudiants allemands ou français, ont cru ouvrir la voie des révolutions du XXIème siècle en minant les communes et les barricades du XIXème. La révolte étudiante s'est épuisée à reporter ses espoirs sur les modèles "radicaux" du capitalisme d'Etat, de Cuba au Chili, de Chine au Portugal, en une longue marche désespérée. Les sectes gauchistes préexistantes, trotskystes, maoïstes ou anarchistes, se sont un temps regonflées de militants généreux hier encore anti-autoritaires, mystifiés ou insécurisés par leur impuissance à assumer un quelconque débouché à leurs rêves petit-bourgeois. Au bout de l'isolement, au bout du désespoir, les plus marginaux d'entre eux auront été jusqu'au terrorisme.
Mal 68 ne fait que montrer l'étroite relation existant entre les conflits sociaux et la dégradation économique, entre les décompositions de l'idéologie dominante et cette morne crise économique. En ce sens, mal 68 n'est pas un moment inattendu, une sorte d'accident de l'histoire : les grèves et les émeutes n'ont fait que répondre aux premiers symptômes de la nouvelle phase de la crise mondiale du capitalisme.
LA CRISE OU CAPITALISME
Marx a déjà expliqué que le capitalisme ne pouvait survivre qu'en détruisant périodiquement l'excès de capital des périodes de surproduction, afin de rajeunir et de connaître de nouveau des taux d'expansion élevés : "Cependant, ces catastrophes qui le régénèrent régulièrement, se répètent à une échelle toujours plus grande et finiront par provoquer son renversement violent," Dans la destruction massive en vue de la reconstruction, le capitalisme découvre une issue dangereuse et provisoire, mais momentanément efficace pour ses nouveaux problèmes de débouchés. Ainsi, au cours de la première guerre, les destructions n'ont pas été "suffisantes" : les opérations militaires n'affectèrent directement qu'un secteur Industriel représentant moins d'un dixième de la production mondiale. L'autodestruction de l'Europe au cours de la première guerre mondiale s'est accompagnée d'une croissance de 15 % de la production américaine. Mais dès 1929, le capitalisme mondial se heurte de nouveau à la crise. Tout comme si la leçon avait été retenue, les destructions de la seconde guerre sont beaucoup plus importantes en étendue et en intensité. Et lorsque s'ouvre la période de reconstruction de la deuxième guerre, il y a donc déjà longtemps que le capitalisme "ne peut plus s'agrandir au moyen de brusques poussées expansionnistes". Depuis des décennies, la productivité du travail s'accroît trop vite pour être contenue dans les rapports de production capitaliste, il y a déjà trente ans que les assauts répétés et de plus en plus violents des forces productives contre les "barrières qui endiguent leur développement" ravagent sauvagement la société entière, il n'y a que la misère et la barbarie de ces années de dépression croissante qui peuvent expliquer I'éblouissement général par le développement économique qui s'annonce avec la reconstruction.
Cet éblouissement n'a d'ailleurs pas épargné ceux qui se "proposaient d'être le plus haut degré do la conscience révolutionnaire", l'Internationale Situationniste : dans un ouvrage publié on 1969, "Enragés et Situationnistes dans le mouvement des occupations", l'I.S. écrivait qu'"on ne pouvait observer aucune tendance à la crise économique... L'éruption révolutionnaire n'est pas venue d'une crise économique... ce qui a été attaqué de front en mai, c'est l'économie capitaliste fonctionnant bien."
Après 1945, l'aide des USA va permettre la relance de la production de l'Europe qui paie en partie ses dettes en cédant ses entreprises aux compagnies américaines. Mais après 1955 ? Les USA cessent leur aide "gratuite", la balance commerciale des USA est excédentaire alors que celle de la majorité des autres pays est déficitaire. Les capitaux américains continuent de s'investir plus rapidement en Europe que dans le reste du monde, ce qui équilibre la balance des paiements de ces pays, mais va bientôt déséquilibrer celle des USA. Cette situation conduit à un endettement croissant du trésor américain, puisque les dollars émis et investis en Europe ou dans le reste du monde constituent une dette de celui-ci à l'égard des détenteurs de cette monnaie. A partir des années 60, cette dette extérieure dépasse les réserves d'or du trésor américain, mais cette non couverture du dollar ne suffit pas encore à mettre les USA en difficulté tant que les autres pays sont endettés vis-à-vis dos USA. Les USA peuvent donc continuer à s'approprier le capital du reste du monde en payant avec du papier. Cette situation se renverse avec la fin de la reconstruction dans les pays européens. Celle-ci se manifeste par la capacité acquise par les économies européennes de lancer sur le marché international des produits concurrents aux produits américains : vers le milieu des années 60, les balances commerciales de la plupart des anciens pays assistés deviennent positives alors que, après 1964, celle des USA ne cesse de se détériorer. Dès lors que la reconstruction des pays européens est achevée l'appareil productif s'avère pléthorique et trouve en face d'elle un marché sursaturé obligeant les bourgeoisies nationales à accroître les conditions d'exploitation de leur prolétariat pour faire face à I'exacerbation de la concurrence internationale.
La France n'échappe pas à cette situation et dans le courant, de l'année 67, la situation économique de la France doit faire face à l'inévitable restructuration capitaliste : rationalisation, productivité améliorée ne peuvent que provoquer un accroissement du chômage. Ainsi, au début de 1968, le nombre de chômeurs complets dépasse les 500 000. Le chômage partiel s'installe dans de nombreuses usines et provoque des réactions parmi les ouvriers. De nombreuses grèves éclatent, grèves limitées et encore encadrées par les syndicats mais qui manifestent un malaise certain (voir ICO). Car la récession dans l'emploi tombe d'autant plus mal que se présente sur le marché de l'emploi cette génération de l'explosion démographique qui a suivi la fin de la seconde guerre mondiale.
En liaison avec cette situation de chômage, le patronat s'efforce d'abaisser le niveau de vie des ouvriers. Une attaque en règle contre les conditions de vie et de travail est menée par la bourgeoisie et son gouvernement. Et pourtant, la France, avec ses réserves d'or, occupe encore une place sur l'échiquier mondial, place qui sera, compte tenu du contexte d'essoufflement à l'échelle mondiale, rapidement abandonnée, obligeant la bourgeoisie française à opérer un revirement politique spectaculaire. Ainsi, dans tous les pays industriels, le chômage se développe insensiblement, les perspectives économiques s'assombrissent, la concurrence internationale se fait plus acharnée. La Grande-Bretagne devra procéder, fin 67, à une première dévaluation de la livre afin de rendre ses produits plus compétitifs. Mais cette mesure sera annulée par la dévaluation successive des monnaies de toute une série d'autres pays. La politique d'austérité imposée par le gouvernement travailliste de l'époque fut particulièrement sévère : réduction massive des dépenses publiques, retrait des troupes britanniques de l'Asie, blocage des salaires, premières mesures protectionnistes. Les USA, principale victime de l'offensive européenne ne manque pas de réagir sévèrement et, dès le début de janvier 68, des mesures économiques sont annoncées par Johnson, alors qu'en mars 68, en réponse aux dévaluations de monnaies concurrentes, le dollar chute à son tour. Telle est la toile de fond de la situation économique d'avant mai 68. Il ne s'agit pas encore d'une crise économique ouverte, mais seulement des prémisses certaines qu'il fallait entrevoir pour comprendre la situation exacte.
LES LEÇONS DE MAI 68
Ainsi, nous pouvons réaffirmer que les événements de mai 68, résultaient de la crise économique du capitalisme. Loin de vouloir faire l'apologie de mai 68, les révolutionnaires doivent pouvoir en tirer les leçons et mettre on évidence les points forts et les points faibles. Premier sursaut du prolétariat face au surgissement de la crise, mai 68 ne peut être caractérisé comme moment révolutionnaire; bien des faiblesses subsistaient. Une faiblesse de taille fut I'inexpérience totale du prolétariat. Si la bourgeoisie a trouvé devant elle une détermination certaine dans la lutte, due essentiellement à un prolétariat qui n’avait pas connu les défaites de la contre-révolution et I'écrasement de la seconde guerre mondiale, la victoire de la bourgeoisie fut facilitée par l'inexpérience des ouvriers. Le mouvement spontané de la classe semble s'être Immobilisé laissant le temps aux syndicats de reprendre les choses en main, laissant le temps à la bourgeoisie, une fois sa peur passée, de passer à l'offensive.
Paradoxalement, en apparence du moins, le moyen de cette reprise en main, ce sont les grévistes eux-mêmes qui l'ont offert en occupant les usines. De l'expression maladroite et incomplète d'une radicalisation du mouvement ouvrier, les syndicats ont réussi à faire une arme pour la défense pour la défense de l'ordre. Que voulaient les grévistes en occupant les usines ? Obtenir d'abord que la grève soit totale, manifester leur détermination en agissant massivement et donc éviter la dispersion. Utilisant habilement une limitation corporative du mouvement, se manifestant justement par le repli sur l'entreprise, les syndicats ont délibérément emprisonné les ouvriers dans l'usine, obtenant ainsi qu'un mouvement quasi-général reste finalement cloisonné. Ainsi, la rue demeurait interdite à l'ouvrier de même que le contact avec d'autres entreprises.
Cinquante ans de rupture organique avec la vague do luttes des années 20 et l'absence d'un pole révolutionnaire clair et cohérent synthétisant les acquis du passé, ont pesé très lourdement dans la balance du rapport de force.
Malgré toutes les limites de l'action du prolétariat en mai 68, cette manifestation de la vie prolétarienne a suffi à rendre caduques toutes les théories d'inspiration marcusienne. L'après-mai 68 a vu l'effritement de l'école moderniste en de multiples sectes qui ont rejoint aujourd'hui le néant de leurs élucubrations passées. Cependant les idées réactionnaires meurent difficilement et la bourgeoisie s'est efforcée, par l'intermédiaire d'une idéologie plus appropriée, de poursuivre son oeuvre de mystification. Affirmer froidement que le prolétariat était intégré au capitalisme devant des ouvriers en grève, n'avait pas beaucoup de portée. Par contre, il fallait poursuivre la tâche de démoralisation, dénaturer le cours historique do l'activité prolétarienne, rendre incompréhensible le rapport existant entre la classe ouvrière et son avant-garde.
LES CONFUSIONS D’APRES MAI
Alors que les armes fondamentales du prolétariat dans, sa lutte contre le capitalisme sont sa conscience et son organisation, alors que dans l'affrontement décisif contre le capital, la classe ouvrière se dote, comme traduction de cette double nécessité, d'une part d'une organisation générale et unitaire, les conseils ouvriers et, d'autre part, d'organisations politiques, les partis prolétariens, regroupant les éléments les plus avancés de la classe et dont la tache est de généraliser et d'approfondir le processus de prise de conscience dont ils sont une expression, on a vu apparaître et refleurir les théories de la méfiance en l'action révolutionnaire du prolétariat : le léninisme et l’autonomistes Pour ces conceptions, l'organisation politique et la classe sont deux entités indépendantes, extérieures l'une à l'autre. Le léninisme déclarant la classe "trade-unioniste" accorde la primauté au parti qui aurait pour fonction essentielle de lutter contre cette autonomie ou cette spontanéité et donc de diriger la classe. Pour les autonomistes, toute tentative d'organisation des éléments les plus conscients distincte de l'organisation unitaire de la classe, aboutit nécessairement à la constitution d'un organe extérieur à celle-ci et à ses intérêts. Henri Simon, ancien animateur d'ICO, exprimait clairement cette position dans une brochure intitulée "Le nouveau mouvement" : "L'apparition du nouveau mouvement autonome a fait évoluer la notion de parti» Le parti "dirigeant" d'hier, se définissant lui-même comme "avant-garde révolutionnaire", s'identifiait au prolétariat ; cette "fraction consciente du prolétariat" devait jouer un rôle déterminant pour élever la "conscience de classe", marque essentielle des prolétaires constitués en classe. Les héritiers modernes du parti se rendent bien compte de la difficulté de maintenir une telle position ; aussi, chargent-ils le parti ou le groupe d'une "mission" bien précise pour suppléer à ce qu'ils considèrent comme des carences des travailleurs ; d'où le développement des groupes spécialisés dans l'intervention, les liaisons, I'action exemplaire, l'explication théorique, etc. Mais même ces groupes ne peuvent plus exercer cotte fonction hiérarchique de spécialistes dans le mouvement de lutte. Le nouveau mouvement, celui des travailleurs en lutte, considère tous ces éléments, les anciens groupes comme les nouveaux, en parfaite égalité avec ses propres actions. Il prend ce qu'il peut emprunter à ce qui se présente et rejette ce qui ne lui convient pas. Théorie et pratique n'apparaissent plus qu'un seul et même élément du processus révolutionnaire ; aucune ne précède ou ne domine l'autre. Aucun groupe politique n'a donc un rôle essentiel à jouer." (Liaisons N° 26, déc. 1974).
L'autonomie de la classe ouvrière n’a rien à voir avec le rejet de la part des travailleurs des partis et organisations politiques. Elle n'a rien à voir non plus avec l'autonomie de chaque fraction de la classe ouvrière (usines, régions, quartiers, nations...) par rapport aux autres, en un mot, le fédéralisme. Contre ces conceptions, nous affirmons le caractère nécessairement unitaire, mondial et centralisé du mouvement de la classe ouvrière. De même l'effort incessant de prise do conscience de la classe ouvrière secrète des organisations politiques regroupant ses éléments les plus avancés, lesquelles sont un facteur actif dans l'approfondissement, la généralisation et l'homogénéisation de la conscience au soin de la classe. Si l'autonomie du prolétariat, c'est-à-dire son indépendance vis-à-vis dos autres classes de la société, se manifeste par son organisation propre, générale et unitaire -les conseils ouvriers- elle se manifeste également sur le plan politique et programmatique par la lutte contre les Influences idéologiques des autres classes. Les leçons d'un demi siècle d'expériences depuis la vague révolutionnaire des années 1917-23 sont claires. L'organisation unitaire de la classe ne peut exister de façon permanente qu'aux moments des luttes révolutionnaires. Elle regroupe alors l'ensemble des travailleurs et constitue l'organe de la prise du pouvoir par le prolétariat. En dehors de telles périodes, dans ses différentes luttes de résistance contre l'exploitation, les organes unitaires que se donne la classe ouvrière, les comités de grèves basés sur les assemblées générales, ne peuvent exister qu'aux moments des luttes elles-mêmes. Par contre, les organisations politiques de la classe peuvent, comme expression d'un effort constant de celle-ci vers sa prise de conscience, exister dans les différentes phases de la lutte. Leur base d'existence est nécessairement un programme élaboré et cohérent, fruit de l'ensemble de l'expérience de la classe. Cette problématique est complètement escamotée par le léninisme qui dans l'action du prolétariat ne volt qu'un moteur : le parti. Parti qui d'ailleurs, indépendamment des circonstances pourrait mettre le prolétariat en mouvement, Krivine, le leader trotskyste, résume assez bien cette vision lorsqu'il écrit : "Pour en rester l'explosion révolutionnaire de mai 68, il ne lui manqua pour réussir que l'existence d'une organisation révolutionnaire bien implantée, reconnue par la masse des travailleurs et en quoi Lénine voyait la condition subjective indispensable de la crise révolutionnaire. Une telle organisation aurait fait en sorte que toutes les luttes convergent et s'étendent. Elle aurait avancé des mots d'ordre capables de faire progresser les luttes, comme celui de la grève générale illimitée, entraînant inéluctablement des mots d'ordre de combat pour la prise du pouvoir politique. Si mai 68 n'a pas abouti, n'a été qu'un "répétition générale", c'est précisément parce qu'un tel parti n'existait pas...".
La méme idée se retrouve chez les bordiguistes du PCI qui, dans leur manifeste sur la grève générale diffusé en Juin 68, appellent le prolétariat à s'organiser sous la bannière du parti et à créer des syndicats rouges : "Il les préparera, sous la direction du parti communiste mondial, en chassant de ses propres rangs les divers prophètes du pacifisme, du réformisme, du démocratisme, en imprégnant les organisations syndicales de l'idéologie communiste pour en faire sa courroie de transmission de l'organe de direction politique, le parti..". Ces idées introduisent au niveau de la lutte du prolétariat une séparation qualitative : la lutte de classe "politique" d'une partie extérieure à la lutte "économique" d'autre part. Le passage de l'économique au politique ne pouvant s'opérer que par la médiation du parti. La lutte du prolétariat ne peut donc relever dans cette optique de l'idéologie et de l'initiative du parti. Il est donc logique pour les défenseurs de cette position que le prolétariat ne se manifeste que lorsque existe le parti : ainsi Battaglia Comunista nie le caractère prolétarien des grèves en mai-juin parce que le parti n'était pas à leur tête ! (Voir compte-rendu de la Conférence Internationale de Milan en mai 1977, p.59).
Ainsi, entre lutte de classe "économique " et "politique", entre la défense de l'intérêt de classe et la révolution, il n'y a pas de continuité, un même mouvement qui se transforme en se radicalisant, mais intermédiaire obligé du parti. Loin d'envisager le mouvement révolutionnaire comme un processus de rupture des formes de l'économie capitaliste, le léninisme les considère comme la base matérielle historique du socialisme, celui-ci est dès lors projette comme leur continuité.
Opposés à cette conception, nous réaffirmons que le prolétariat fait son histoire dans les limites imposées par le développement économique et social, dans une situation donnée, dans des conditions déterminées, mais que c'est lui qui le fait, qui la décide par sa praxis qui est le lien dialectique entre le passé et l'avenir, en même temps cause et conséquence du processus historique. Il existe donc une objectivité et une obligation d'agir pour la classe et non un quelconque mouvement idéal. La lutte pour de meilleurs conditions de travail (salaires et durée) est une nécessité immédiate pour la classe ouvrière. La lutte du prolétariat, telle que nous la comprenons, est d'abord une lutte de résistance aux effets de l'accumulation du capital, une tentative d'empêcher la dépréciation de la force de travail que le développement capitaliste entraîne avec lui. L'action de résistance contre l'exploitation du capital est bien le soutien et le moteur de l'action révolutionnaire de la classe révolutionnaire. Mais ce qui donne toute son importance à la lutte au delà de la revendication, c'est la réalité nouvelle qu'elle eut inaugurer : la résistance à l'exploitation favorisant au sein du combat de l'association qui met fin momentanément à la division, à l'atomisation, qui annule les effets de la concurrence. C'est la poursuite de cette dynamique propre à la lutte qui ouvre la voie au véritable terrain de l'affrontement qui oppose le prolétariat à la bourgeoisie et laisse apparaître le fait politique. Il convient donc de prolonger, d'étendre, d'organiser ce mouvement réel de résistance afin qu'il devienne un véritable mouvement continu vers le communisme. C'est à cela que s'attachent les organes qui naissent au sein de la classe, agissant de manière collective, provoquant l'association des travailleurs, renforçant la solidarité, élément combien important de la conscience de classe prolétarienne.
C'est dans ce processus que les révolutionnaires interviennent en clarifiant le sens de la lutte, en indiquant les buts généraux du mouvement, dépassant par là la revendication parcellaire, en participant dans la lutte à l'organisation de la classe, sous la direction des organes que celle-ci se donne, en défendant les formes d'action les plus adéquates pour étendre le mouvement. En ce sens, si les communistes sont parmi les plus décidés comme le rappelle le Manifeste Communiste, Ils remplissent aussi un rôle décisif dans la clarification qu'ils apportent au mouvement, ce qui par contre n'a rien à voir avec le pouvoir de décision, qui pour nous reste aux mains des organe unitaires de la classe. Les révolutionnaires, produits du mouvement de la classe, on tant qu'éléments les plus conscients -renforçant d'ailleurs leur conscience par le mouvement de la classe- accélère la maturation de ce mouvement par la clarification théorique.
Si de la défaite des mouvements prolétariens de la fin des années 60 et du début des années 70 la bourgeoisie a pu reprendre l’initiative au travers des syndicats et des partis de gauche et gauchistes, portant ainsi l’attention sur la "solution" de la bourgeoisie à la crise : une nouvelle guerre mondiale, il n'en reste pas moins que la classe ouvrière n'est pas battue et les mouvements de lutte qui se sont développés ces derniers temps un peu partout dans le monde, sont la résultante des perspectives ouvertes par mai 68 : la réponse de la classe ouvrière contre la crise de plus en plus aiguë du capitalisme dont l'approfondissement inéluctable conduira, au travers des périodes de flux et de reflux à la radicalisation des combats prolétariens qui déboucheront sur l'embrasement révolutionnaire.
F.D.
La prise de conscience absolument indispensable à son émancipation, est un processus constant, incessant du prolétariat. Cette prise de conscience lui est dictée par son être social en tant que classe conditionnée historiquement et contenant seule la solution aux contradictions insolubles auxquelles aboutit la société capitaliste, dernière expression des sociétés divisées en classes. De même que la tâche historique d'en finir à tout jamais avec l'existence et l'antagonisme de classe qui déchirent la société humaine sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes, de même la conscience de cette tâche ne saurait être "importée et inculquée" au prolétariat de l'extérieur, mais elle est le produit de son propre être, de sa propre existence, de par sa situation économique, sociale et politique dans la société qui détermine son action pratique et sa lutte historique.
La manifestation de son incessant mouvement vers la prise de conscience est donnée par son effort à s'organiser, et par la formation de groupes politiques en son sein, culminant dans la constitution du parti.
C'est à cette question, la constitution du parti que le n° 76 de mars 78 de Programme Communiste, revue théorique du PC International consacre un très long article : "Sur la voie du Parti commet et puissant de demain". On doit commencer par constater qu'avec l'emphase coutumière du langage bordiguiste, les tours et les détours à longueur de pages pour se retrouver au point de départ, l'enfoncement des portes ouvertes et les répétitions d'affirmations qui tiennent lieu d'argumentation, rendent malaisés et plus difficiles à cerner les vrais problèmes en débat. Le procédé qui consiste à démontrer une affirmation en citant ses propres affirmations de la veille, elles-mêmes fondées sur des affirmations antérieures - au point de donner le vertige - peut, à ra rigueur, prouver une continuité dans l'affirmation, mais ne jamais être la démonstration qui fonde sa validité. Dans ces conditions et malgré notre ferme désir de nous en tenir aux affirmations exprimant les positions bordiguistes concernant le parti que nous considérons erronées et à combattre, il nous serait Impossible d'éviter complètement de nous laisser entraîner, suite aux affirmations de l'article, sur bien d'autres considérations.
A PROPOS DE LA FRACTION ITALIENNE DE LA GAUCHE COMMUNISTE
Ce ne serait certainement pas le moins surprenant pour la majorité des lecteurs de Programma et probablement aussi pour la majorité des propres membres du PCI, d'apprendre brusquement que "malgré ses limites objectives (?), la "Fraction de Gauche à l'étranger" fait partie de l'histoire" ([1] [338]) de la Gauche Italienne et à ce titre devient même "notre Fraction à l'étranger entre 1928 et 1940". Sur ce point, Programma nous avait habitués plutôt à une grande réserve, un lourd silence, sinon carrément à une réprobation de ce que fut la Fraction. Comment autrement comprendre, qu'en 30 ans d'existence, le PCI, qui n'épargne ses efforts de reproduire et republier dans ses journaux, revues théoriques, brochures et livres, les textes de la Gauche de 1920-26, n'a jamais trouvé le temps, le moyen, la place de publier un seul texte de la Fraction qui avait publié le "Bulletin d'Information", la revue "Bilan", le journal "Prometeo" les bulletins "Il Semé" et tant d'autres textes ? Ce n'est tout de même pas par simple hasard qu'on ne trouvera jamais dans Programma ni référence, ni mention de positions politiques défendues par "notre" Fraction, ni jamais citation de Bilan. C'est à ce point, que certains camarades du PCI en ayant vaguement entendu parler, soutenaient que le Parti ne se revendiquait pas plus de l'activité politique de la Fraction que des écrits de Bilan, et que d'autres camarades du même Parti ignoraient jusqu'à leur nom et existence.
Aujourd'hui, on découvre "le mérite de notre Fraction", un mérite II est vrai très limité, tout juste pour lui donner un coup de chapeau. Pourquoi aujourd'hui ? Est-ce parce que le trou % dans la continuité organique (un mot si apprécié par le PCI) qui va de 1926 à… 1952, est devenu un peu gênant et qu'il fallait tenter de le boucher tant bien que mal, ou est-ce parce que le CCI en a assez parlé au point qu'il est devenu Impossible de garder plus longtemps le silence ? Et pourquoi situer la Fraction entre 1928 et 1940 alors qu'elle ne s'est dissoute -à tort - qu'en juillet 1945 pour s'intégrer dans le "Parti" enfin reconstitué en Italie, après avoir entre temps dénoncé le Comité Anti-Fasciste italien de Bruxelles et exclu son promoteur Vercesi, ce même Vercesi qui, sans discussion, sera admis dans le PCI et même dans sa direction ? Est-ce par ignorance ou parce que pendant la guerre, la Fraction est allée encore plus loin dans l'orientation dans laquelle Bilan s'était engagé avant la guerre, notamment sur la question russe, sur la question de l'Etat et du parti, ce qui forait apparaître encore plus la distance qui sépare Programma des positions défendues par la Fraction ? D'ailleurs, le "mérite" accordé à la Fraction du bout des lèvres est rapidement recouvert par des critiquées d'autant plus sévères. "L'impossibilité - écrit Programme - de briser pour ainsi dire le cercle subjectif (?!) de la contre-révolution, a conduit la Fraction à certains tâchâmes, comme par exemple dans la question nationale et coloniale, ou encore à propos do la Russie, non tant dans l'appréciation do ce qu'elle était devenue, que dans la recherche d'une vole différente de colle des bolcheviks dans l'exercice do la dictature... une vole qui empêcherait a l'avenir une répétition de la catastrophe do 1926-27; et aussi on un certain sens, dans la question du parti ou de l'Internationale... (la Fraction) attendait elle aussi cette reconstitution (du Parti) du retour en force de grandes masses sur le terrain de l'affrontement direct avec l'ennemi".
Si le fait de rester fidèles aux fondements révolutionnaires du marxisme dans une période de recul est incontestablement méritoire, le grand mérite de la Fraction, ce qui la distingue particulièrement des autres groupes de l'époque, consiste précisément dans ce que l'article de Programme appelle "les lâchages". La Fraction soutenait : "les cadres pour les nouveaux partis du Prolétariat ne peuvent sortir que de la connaissance profonde des causes des défaites. Et cette connaissance ne peut supporter aucun interdit non plus qu'aucun ostracisme." ([2] [339])
Pour des gens pour qui le programme est une donnée "achevée et invariante", qui ont transformé le marxisme en un dogme et Lénine en un prophète intouchable, le fait que la Fraction ait osé (Brrr, à vous donner froid dans le dos !) vouloir soumettre à l'examen de la réalité, non pas les fondements du marxisme, mais les positions politiques et programmatiques du parti bolchevik et de l'IC, frise les limites du tolérable. Poser dans le cadre de la théorie et du mouvement communiste que le réexamen des positions politiques qui ont présidé à des défaites "ne peut supporter aucun interdit non plus qu'aucun ostracisme", n'est-ce pas la pire hérésie, un "lâchage" di rait Programme !
Le grand mérite de la Fraction, en plus de sa fidélité au marxisme et de ses prises de position sur des questions de première importance, contre le front unique réclamé par Trotski, contre les fronts populaires, contre l'infâme mystification de l'anti-fascisme, contre la collaboration et le soutien de la guerre d'Espagne; son grand mérite est d'avoir osé rompre avec cette méthode qui avait triomphé dans le mouvement où la théorie s'est transformée en dogme et les principes en tabous étouffant toute vie politique. Son mérite est d'avoir convié les révolutionnaires aux débats, ce qui l'a menée non à des "lâchages", mais à être apte à apporter une riche et valeureuse contribution à l'oeuvre révolutionnaire.
La Fraction, avec toute sa fermeté dans ses convictions, avait cette modestie de ne pas prétendre avoir résolu tous les problèmes et répondu à toutes les questions : "Notre Fraction en abordant la publication du présent bulletin, ne croît pas pouvoir présenter des solutions définitives aux problèmes terribles qui se posent aux prolétariats de tous les pays"([3] [340]).Et même là où elle était convaincue d'avoir apporté des réponses, ni le n'exigeait pas des autres la reconnaissance, mais les soumettait à leur examen, à la confrontation, à la discussion : "Elle (la Fraction) n'entend pas se prévaloir de ses précédents politiques pour demander des adhésions aux solutions qu'elle préconise pour la situation actuelle. Bien au contraire, elle convie les révolutionnaires à soumettre à la vérification des événements, les positions qu'elle défend actuellement aussi bien que les positions politiques contenues dans ses documents de base" ([4] [341]). Et suivant le même esprit elle écrira : "Notre Fraction aurait proféré qu'une telle oeuvre (publication de Bilan) se fît par un organisme international, persuadée comme elle l'est de la nécessité de la confrontation politique entre ces groupes capables de représenter la classe prolétarienne de plusieurs pays" ([5] [342]).
Pour faire ressortir pleinement toute la distance qui sépare la vision de la Fraction en ce qui concerne les rapports devant exister entre les groupes communistes et celle du parti bordiguiste, Il suffit de mettre en parallèle la citation ci-dessus de Bilan avec cette autre de Programme Communiste, de la comparer. Ainsi, parlant de leur propre groupe bombardé du titre Parti, Programme Communiste écrit : "C'est un "noyau de Parti" ? Certainement si on le compare au parti "compact et puissant de demain". Mais c'est un parti. Il ne pourra grandir que sur ses propres bases, non pas à travers la "confrontation" (souligné igné par Programme) des points de vue, mais à travers le heurt contre ceux-là mêmes qui paraissent "proches"" ([6] [343]). Comme disait un porte-parole du PCI récemment dans une réunion publique de RI à Paris : "Nous ne venons pas pour discuter ni confronter nos points de vue avec vous mais uniquement pour exposer le notre. Nous venons à votre réunion comme nous allons dans celles du parti stalinien". Une telle attitude, une telle vision ne tient pas de la fermeté des convictions mais de la simple suffisance et de" l'arrogance. Le prétendu "programme achevé et invariant" dont les bordiguistes se disent être les héritiers et les gardiens, ne recouvre rien d'autre qu'une profonde mégalomanie.
Plus un bordiguiste est ébranlé par des doutes et des incompréhensions, moins fermes sont ses convictions et plus II lui est demandé, au sortir chaque matin du lit, de s'agenouiller la tête sur le sol, et se frappant la poitrine d'entamer la litanie à l'instar des musulmans : "Dieu, mon dieu est le seul dieu et Mohamed est son prophète" ou encore comme dirait quelque part Bordiga : "Pour être membre du Parti, il n'est pas nécessaire que chacun comprenne et soit convaincu, il suffit qu'il croit et obéisse au Parti".
Il n'est pas question de dire Ici l'histoire de ce que fut la Fraction, ses mérites et ses défauts, la validité de ses positions et de ses erreurs. Comme elle disait elle-même, elle n'a fait souvent que balbutier, maïs sa contribution était d'autant plus énorme, parce qu'elle était un corps politique vivant, osant ouvrir un débat, confronter ses positions, affrontant celles des autres et non cette secte sclérosée et mégalomane qu'est le "Parti" bordiguiste. Ce qui fait, comme on vient de le voir, que la Fraction pouvait se réclamer de la Gauche Italienne, alors que c'est un abus grossier que commet le parti bordiguiste en parlant de "notre Fraction à l'étranger".
LA CONSTITUTION OU PARTI
Le parti indispensable au prolétariat se construit sur le fondement solide d'un programme cohérent, des principes clairs, lui donnant une orientation générale, contenant les réponses les plus élaborées possibles aux problèmes politiques qui se posent à la lutte de classe. Cela n'a rien de commun avec le mythique "Programme achevé, Immuable et Invariant" des bordiguistes. "A chaque période, nous verrons que la possibilité de la constitution du parti se détermine sur la base de l'expérience précédente et des nouveaux problèmes apparus au prolétariat". ([7] [344])
Ce qui est vrai pour le programme l'est également pour les forces politiques vivantes qui constituent physiquement le parti. Le parti n'est certes pas un conglomérat de toutes sortes de groupes et de tendances politiques hétéroclites. Maïs II n'est pas non plus ce "bloc monolithique" dont se réclament les bordiguistes et qui d'ailleurs n'a jamais existé que dans leurs fantasmes. "A chaque période où les conditions sont données pour la constitution du parti, le prolétariat peut s'organiser en classe, le parti se fondera sur les deux éléments suivants : 1) la conscience de la position plus avancée que le prolétariat doit occuper, l'intelligence des nouvel les voles à emprunter) la croissante délimitation des forces pouvant agir pour la révolution prolétarienne" ([8] [345]). Ne vouloir reconnaître, par principe et a priori comme seule force agissant pour la révolution que soi, et rien que sol, relève non pas de la fermeté révolutionnaire maïs d'un esprit de secte.
Relatant les conditions dans lesquelles s'est constituée la 1ère Internationale, Engels écrit : "Après les expériences et les vicissitudes de la lutte contre le capital, après les succès et surtout après les défaites, chacun pouvait se rendre compte qu'il ne suffisait plus de vanter sa médecine favorite et qu'il convenait de rechercher une meilleure Intelligence des conditions réelles de l'émancipation ouvrière". ([9] [346])
La réalité n'a rien à voir avec ce miroir devant lequel le "Parti" bordiguiste passe le meilleur de son temps et qui ne lui renvoie que sa propre image. La réalité de la constitution du parti tout au long de l'histoire du mouvement ouvrier, se présente à la fois comme une convergence et une délimitation croissante des forces pouvant agir pour la révolution, à moins de croire qu'il n'avait jamais existé de parti autre que le parti bordiguiste. Quelques exemples : La Ligue Communiste à laquelle se joignent Marx et Engels et leurs amis est l'ancienne Ligue des Justes constituée par plusieurs groupes d'Allemagne, Suisse et France, Belgique et Angleterre avec l'élimination du courant de Weltling. La 1ère Internationale est à la fols l'élimination des socialistes à la Louis Blanc et Mazzinl et la convergence d'autres courants ; la 2ème Internationale est I'élimination dos anarchistes et le regroupement des partis marxistes sociaux-démocrates; la 3ème Internationale est l'élimination des sociaux-démocrates et regroupe les courants révolutionnaires communistes ; il en est de même pour la constitution du parti social-démocrate en Allemagne Issu du parti d'Eisenach et de celui de Lassale, de même pour le parti socialiste en France provenant du parti de Guesde et Lafargue et de celui de Jaurès; de même pour la constitution du parti social-démocrate en Russie, provenant de la convergence de groupes isolés et dispersés à travers toutes les villes et régions de Russie, et l'élimination de la tendance de Struve. On peut continuer ainsi les exemples de constitution du parti dans l'histoire, on trouvera toujours ce même mouvement, opérant à la fois sur la base de l'élimination et de la convergence. Le Parti Communiste d'Italie lui-même se constitua à partir de la Fraction Abstentionniste de Bordiga et le groupe de Gramsci après l'élimination des maximalistes de Serati.
Il n'y a pas de critères valables dans l'absolu et Identiques à toutes les périodes. Toute la question est de savoir dans chaque période distinguer clairement quels sont les critères politiques pour la convergence des forces et quels sont les critères pour la délimitation. C'est précisément cela que le "Parti" bordiguiste ne sait pas, lui qui s'est constitué sans critères , par l'amalgame des forces : du parti constitué dans le nord, des groupes du sud avec des relents de partisans, de la tendance de Vercesi au Comité Anti-Fasciste de Bruxelles, de la minorité exclue de la Fraction en 1936 pour sa participation dans les milices républicaines pendant la guerre d'Espagne et de la Fraction dissoute prématurément en 1945. Comme on volt, Programme Communiste (PC) est particulièrement bien placé pour parler d'Intransigeance, de continuité organique et donner des leçons de ferme té et de pureté révolutionnaires. Dans le dénigrement de tout effort de confrontation et de débats entre les groupes révolutionnaires communistes, il ne s'agit nullement de fermeté de principes ni même de myopie politique, mais tout simplement du souci de défense et de sauvegarde de sa petite chapelle.
D'ailleurs, cette "terrible" Intransigeance purement verbale des bordigulstes contre toute "confrontation" et à fortiori regroupement, déclaré d'avance et hors de tout critère comme une entreprise de confusion, varie (excusez pour l'Invariance) selon le jour et leurs propres convenances. C'est ainsi qu'en 1949, Ils lancent un "appel pour la réorganisation internationale du mouvement révolutionnaire marxiste", appel repris en 1952 et Î957, où on peut lire : "En accord avec la position marxiste… les communistes de la Gauche Italienne adressent aujourd'hui un appel aux groupes ouvriers révolutionnaires de tous les pays pour les Inviter, en reprenant un long et difficile chemin, à accomplir un grand effort en vue de se rassembler Internationalement sur une stricte base de classe..." ([10] [347]).
Mais il est Indispensable de savoir distinguer entre le parti bordiguiste et toute autre organisation; on commettrait la plus grande erreur en croyant que ce qui est convenable pour le Parti, qui garde en exclusivité un programme achevé et Immuable, puisse être admissible pour une simple organisation mortelle de révolutionnaires. Le Parti a des raisons que la raison ne connaît pas et ne peut pas connaître. Quand les bordiguistes appellent à un "rassemblement International", c'est de l'or pur, mais quand d'autres organisations révolutionnaires appellent à une simple conférence de prise de contact et de discussion, c'est évidemment de la pire m..., du "marchandage de principes" et autre entreprise de confusion. N'est-ce pas plutôt parce que les bordiguistes se sont enfoncés aujourd'hui plus que jamais dans leur sclérose et qu'ils craignent de confronter leurs positions incertaines avec des courants révolutionnaires vivants qui existent et se développent, qu'ils préfèrent se replier sur eux-mêmes et s'Isoler ?
Il n'est pas sans Intérêt de rappeler les critères avancés dans cet appel pour le rassemblement et revendiqués à nouveau dans l'article d'aujourd’hui : "Le Parti Communiste Internationaliste propose aux camarades de tous les pays les lignes directrices suivantes :
- 1) Revendication des armes de la révolution : violence, dictature, terreur,
.- 2) Rupture complète avec la tradition des alliances de guerre, des fronts de partisans et des "libérations nationales",
- 3) Négation historique du pacifisme, du fédéralisme entre les Etats et de la "défense nationale",
- 4) Condamnation des programmes sociaux communs et des fronts politiques avec les classes non salariées,
- 5) Proclamation du caractère capitaliste de la structure sociale russe. ("Le pouvoir - l'Etat en Russie - est exercé par une coalition, hybride et complexe, des intérêts internes des classes petites-bourgeoises, semi bourgeoises et des entrepreneurs dissimulés, ainsi que des intérêts des classes capitalistes internationales" (???).
- 6) Conclusion : désaveu de tout appui au militarisme impérial russe, défaitisme catégorique contre celui de I'Amérique."
Nous venons de citer les six têtes de chapitres eux-mêmes accompagnes de commentaires les développant, qu'il serait trop long de reproduire ici. Il n'est pas question non plus de discuter ici en détails ces points et leur formulation qui peuvent laisser à désirer, notamment sur la terreur prise comme principe et arme fondamentale de la révolution ([11] [348]) ou cette subtile nuance dans la conclusion entre l'attitude à avoir face l'Amérique (défaitisme) et la Russie (désaveu) ou encore cette curieuse (c'est le moins qu'on puisse dire définition du Pouvoir en Russie qui ne serait pas tout bonnement du capitalisme d'Etat mais une "coalition hybride de classes petites-bourgeoises... et des intérêts capitalistes internationaux". On pourrait également signaler l'absence explicite d'autres points parmi ces critères, notamment la revendication du caractère prolétarien d'Octobre ou encore la nécessité du Parti de classe. Ce qui nous intéresse ici, c'est de souligner que ces critères constituent effectivement une base sérieuse sinon pour un "rassemblement" immédiat, du moins pour une prise de contact et de discussion entre des groupes révolutionnaires existants. Cette démarche est celle qu'a poursuivie la Fraction autrefois, celle que nous poursuivons aujourd'hui, celle qui a présidé à la Rencontre Internationale de Milan, l'année dernière. Mais les bordiguistes dans les éclipses de leur invariance, n'ont plus besoin aujourd'hui parce qu'ils ont constitué déjà le Parti ("minuscule mais un Parti" quand même !).
Mais cet appel a été déjà signé en son temps par le PCI, demanderont les lecteurs naïfs ? Oui mais, ce n'était encore que le Parti Communiste Internationaliste et pas encore le P.C International, nuance !. Mais ce P.C International faisait partie intégrante du P.C internationaliste d'alors, et il prétend même avoir été sa majorité ? "Oui mais", nous répond-on, il était en train de parachever sa constitution, nuance ! Mais il revendique cet Appel comme texte du Parti d'aujourd'hui ? "Oui... mais", mals-mêe-mêe-mêê-mêe….
A propos, et en passant, peut-on savoir une bonne fois pour toutes, depuis quand existe ce "vaillant minuscule parti" ? Il est de mode aujourd'hui - on ne sait pas trop pourquoi - d'affirmer que le Parti a été constitué seulement en 1952 et l'article cité plus haut, Insiste sur cette date ([12] [349]). Cependant, on cite dans l'article cité plus haut des "textes fondamentaux" de 1946 - la plate-forme date, elle, de 1945, d'autres textes aussi fondamentaux de 1948-49-51. Ces textes en question, aussi "fondamentaux" les uns que les autres, émanaient de qui au juste ? D'un Parti, d'un groupe, d'une fraction, d'un noyau, d'un embryon ?
En réalité, le PCI se constitue en 1943 après la chute de Mussolini dans le nord de l'Italie. Il se "reconstitue" une deuxième fois en 1945, à la suite de la "libération" du nord de l'occupation allemande, permettant aux groupes qui se sont constitués entre temps dans le sud de s'intégrer, s'unifier avec l'organisation existante dans le nord. C'est pour s'intégrer à ce Parti que la Fraction Italienne de la Gauche Communiste se prononce dans sa quasi unanimité pour sa propre dissolution. Cette dissolution ainsi que la proclamation de la constitution du Parti provoqueront des discussions et polémiques acharnées dans la GCI, ce qui conduira en France à une scission dans la Fraction Française de la Gauche Communiste où seule une minorité adhérera à cette politique et se séparera de la majorité. Celle-ci se prononcera contre la dissolution précipitée de la Fraction Italienne, condamnera catégoriquement et publiquement comme artificielle et volontariste la proclamation du Parti en Italie et elle mettra en relief l'opportunisme qui a servi de base politique à ce nouveau Parti ([13] [350]). Fin 1945 se tient le 1er Congrès de ce Parti (PCI) qui publie une plate-forme politique et nomme une direction centrale du Parti et un Bureau International composé des représentants du PCI et des Fractions française et belge. L'article de Programma se réfère lui-même à "Eléments d'orientation marxiste, notre texte de 1946". En 1948, nous avons de nouveau des textes programmatiques du Parti et ainsi de suite. En 1951, éclate la première crise au sein de ce Parti, qui va se terminer en une scission en deux PCI, chacun revendiquant être la continuité de l'ancien Parti, ce à quoi Programa n'a jamais renoncé.
Aujourd'hui, on Invente une nouvelle date de la constitution du Parti bordiguiste. Pourquoi ? Est-ce parce que ce n'est qu'en 1951 que "notre courant a pu atteindre cette conscience critique, grâce à la continuité de sa bataille pour défendre une "ligne vraiment générale et non occasionnelle", ce qui lui a permis de se "constituer en conscience critique organisée, en corps militant agissant en Parti" ([14] [351]) Mais où étaient donc les bordiguistes avec Bordiga entre 1943/45 et 1951 ? Que devient dans tout ceci le Programme qui reste toujours invariable depuis 1848, l'avalent-ils égaré durant ces années et n'avaient-ils "pu (ainsi) atteindre cette conscience critique" qui leur a permis de constituer le Parti en 1951 ? Mais, n'étaient-ils pas organisés depuis 1943/45 en tant que membres et membres dirigeants du PCI ? Difficile, très difficile de discuter sur une question aussi grave avec des gens qui confondent tous les termes, qui ne savent distinguer et faire la différence entre le moment de la gestation et celui de la naissance - qui ne savent pas ce qu'ils sont eux-mêmes et à quel stade ils sont, qui se disent le "Parti" tout en clamant la nécessité de la constitution du Parti, comment prendre au sérieux dos gens qui, selon les convenances du jour exhibent des actes de naissance datant de 1943, de 1945 ou en encore de 1952 ou bien à une date encore moins déterminée, dans le futur !
Il en est de la date de la constitution du PCI comme il en est pour la "Fraction’’ Gauche à l'étranger, on s'en revendique ou on les rejette selon les convenances du jour. Mais quoiqu'il en soit de la date, pour ce qui est la constitution du Parti "nous pouvons dire d'emblée que ce n'est pas porté par un mouvement ascendant mais au contraire en le précédant de loin". Voilà qui semble clair. La constitution du Parti n'est en rien conditionnée par un mouvement ascendant de la lutte de classe "mais, au contraire le précède de loin". Maïs, à quoi rime cet empressement d’ajouter aussitôt qu'il s'agit de "préparer le véritable Parti... préparer le Parti compact et puissant que nous ne sommes pas encore". En somme un Parti qui.... prépare le Parti ! En d'autres mots, un Parti qui n'en est pas un ! Mais pourquoi ce parti qui possède un programme achevé et invariant, qui a aussi atteint la conscience critique nécessaire et organisée, pourquoi n'est-il pas le "véritable parti" ? Que lui manque t'il donc pour l'être ? Certes, ce n'est pas une question de nombre de militants, mais en écrivant que le "Parti en construction" reconnaissait qu'il était "en train de naître" et non pas achevé justement (parce que) le Parti de classe est toujours en construction depuis son apparition jusqu'à sa disparition" (souligné dans le texte) ([15] [352]), on ne fait visiblement que jongler avec des mots pour mieux esquiver la réponse demandée en même temps qu'on escamote la question elle-même. Une chose est de dire que l'ovulation est une condition d'une future naissance, autre chose est de prétendre que l'ovulation est l'acte de naissance, le fait même de donner le jour à un être vivant. L'originalité géniale de "Programme" consiste à les identifier à faire de deux choses, une seule et même chose. Avec un tel raisonnement spécieux, on peut démontrer n'Importe quoi et mettre facilement Paris en bouteille. Le besoin d'un développement et d'un renforcement constant d'un parti vraiment existant, ne prouve pas son existence déjà comme le besoin de développement et renforcement de l'enfant ne prouve pas que l'ovule est déjà un enfant, mais seulement que dans certaines conditions précises, il peut le devenir. Les problèmes qui se posent à 'un diffèrent grandement de ceux qui se posent à l'autre.
Toute cette sophistique sur le Parti existant par sa construction constante, et la construction constante par le Parti déjà existant est là pour introduire subrepticement cette autre théorie bordiguiste du Parti réel et du Parti formel. Autre sophisme où le Parti réel est un pur fantôme "historique" qui n'a pas nécessairement d'existence dans la réalité et le Parti formel qui existe lui effectivement dans la réalité mais qui ne l'exprime pas forcément. Dans la dialectique bordiguiste, le mouvement n'est pas un état de la matière et donc une chose matérielle mais une force métaphysique qui crée la matière. Ainsi, la phrase du Manifeste Communiste "la constitution du prolétariat en classe, donc en Parti" devient dans la démarche bordiguiste "la constitution du Parti fait du prolétariat une classe", ce qui mène à ces conclusions doubles et contradictoires mais relevant également de la scolastique : ou l'affirmation - contrairement à toute évidence -d'un Parti qui n'aurait jamais cessé d'exister depuis son apparition (disons depuis Babeuf et les chartistes) ou partant de la constatation évidente de non existence du Parti pendant de longues périodes dans l'histoire, conclure à la disparition momentanée ou définitive de la classe (Vercesi, Camatte). La seule, constance du bordiguisme est de se mouvoir constamment d'un bout à l'autre dans ce cadre de la démarche scolastique.
On pourrait peut-être pour plus de clarté poser la question d'une autre façon. Les bordiguistes définissent le Parti comme une doctrine, un programme et une capacité d'intervention pratique, une volonté d'action. Cette définition quelque peu sommaire du Parti est aujourd'hui complétée par cet autre postulat : l'existence du Parti n'est pas liée mais doit au contraire être absolument indépendante des conditions d'une période donnée. Or de ces deux bases qui fondent le Parti : programme et volonté d'action, le premier, le programme, nous dit-on, est achevé et invariant depuis le Manifeste Communiste de 1848. Nous nous trouvons ici devant une contradiction évidente : le Programme en tant qu'essence du Parti, lui, est achevé mais le Parti en tant que matérialisation du Programme, lui, est en perpétuelle constitution ! Plus que cela, même, Il disparaît purement et simplement. Comment cela et pourquoi ?
La Ligue Communiste se dissout et disparaît en 1852. Pourquoi ? Les fondateurs du Programme, Marx et Engels, ont-ils perdu le Programme ? On pourrait peut-être invoquer contre eux la perte d'une volonté d'action, en se référant à la scission opérée par eux contre la minorité (Willitch-Schapper} de la Ligue et leur dénonciation de l'activisme volontariste de cette minorité. Mais ce se serait aller ainsi d'une absurdité à une absurdité encore plus grande ? Que reste t'il alors d'autre pour expliquer cette dissolution qui - n'en déplaise aux bordiguistes - provient d'un profond changement intervenu dans la situation ? Engels, qui sait de quoi il parle, explique, en ces termes, la disparition de la Ligue : "L'écrasement de l'insurrection parisienne de Juin 1848 - la première grande bataille entre le prolétariat et la bourgeoisie - fit passer à l'arrière plan, de nouveau, et pour un temps, les aspirations sociales et politiques de la classe ouvrière européenne.... La classe ouvrière fut réduite à lutter pour avoir, politiquement les coudées franches et à occuper une position à l'extrême gauche de la bourgeoisie radicale. Là où les mouvements prolétariens indépendants ont continué à se manifester, ils ont été impitoyablement écrasés... Sitôt la sentence (du procès des communistes de Cologne - octobre 1852) prononcée, la Ligue fut formellement dissoute par les membres qui subsistaient". ([16] [353]).
Cette explication ne semble pas convaincre nos bordiguistes qui d'ailleurs doivent la trouver complètement superflue, étant donné que pour eux le Parti ne s'est jamais dissout réellement puisqu'il continuait à exister en la personne de Marx et Engels. Pour l'affirmer, ils citent par référence une boutade extraite d'une lettre de Marx à Engels, et comme chaque fois que cola leur convient, ils transforment un mot, un bout de phrase et même une boutade dans une lettre, en vérité absolue, en un principe Invariant et Immuable. ([17] [354]). S’est-il passé quelque chose du point de vue de I'existence du Parti entre la dissolution de la Ligue en 1352 et la naissance de l'Internationale on 1864 ? Pour les bordiguistes, absolument rien; le programme restait Invariant, la volonté d'action était présente, Marx et Engels étaient là et le Parti avec eux. Rien, rien de trop important ne s'était passé, mais telle ne semble pas être l'opinion d'Engels qui écrit : "Lorsque la classe ouvrière européenne eut recouvré assez de forces pour une nouvelle attaque contre la classe dominante, naquit l'Association Internationale des TravaiIleurs".([18] [355]).
Quand Programme écrit dans son article : "Le parti révolutionnaire marxiste n'est pas le produit du mouvement sous son aspect immédiat, c'est-a-dire des phases de montée et de reflux", il ne fait, par incompréhension ou intentionnellement, que fausser le débat en introduisant ce petit mot de produit - souligné dans le texte - . Certes, le besoin d'un parti ne résulte pas de situations particulières mais de la situation générale historique de la classe (ceci s'apprend dans le cours élémentaire du marxisme et II n'y a vraiment pas de quoi se vanter de ces hautes connaissances). La controverse ne porte pas là-dessus mais si son existence effective est liée ou non aux vicissitudes de la lutte de classe, si des conditions spécifiques sont encore nécessaires pour que les révolutionnaires puissent effectivement - et non en paroles - assumer les fonctions qu'il incombe au Parti d'effectuer. Il ne suffit pas de dire qu'un enfant est un produit humain pour conclure que, de ce fait, les conditions nécessaires à sa vie - air pour respirer, alimentation pour se nourrir, soins en général - lui sont automatiquement donnés, et sans ces conditions, l'enfant est irrémédiablement condamné à dépérir. Le parti est une intervention efficace, un impact grandissant, une influence effective dans la lutte de classe et cela n'est possible que sous la condition que les luttes de la classe suivent une courbe ascendante. C'est là ce qui différencie le Parti et son existence réelle de la Fraction ou du groupe. C'est aussi ce que le PCI n'a pas encore compris et ne veut pas comprendre.
La Ligue des Communistes se constitue avec la montée de la lutte de classe annonçant la vague de luttes révolutionnaires de 1848, de même, comme nous l'avons vu avec Engels, cette même Ligue disparaît avec les défaites et les reflux de la lutte Ceci est un fait non épisodique mais général, vérifiable tout au long du mouvement ouvrier et II ne saurait en être autrement. La 1ère Internationale "naquit lorsque la classe ouvrière eut recouvre assez de force pour une nouvelle attaque contre la classe dominante" (Engels). Et nous pouvons pleinement souscrire aux paroles du Rapporteur du Conseil Général au premier Congrès de l'Internationale répondant aux attaques de la presse bourgeoise : "Ce n'est pas l'Internationale qui déclenche les grèves des ouvriers, mais ce sont les grèves des ouvriers qui donnent cette force à l'Internationale". A son tour, tout comme ce fut le cas pour la Ligue des Communistes, l'Internationale ne survivra pas longtemps à la défaite sanglante de la Commune de Paris et succombera peu après, et cela en dépit de la présence en son coin de Marx et Engels et du "programme achevé et invariant".
C'est en vain que l'article, pour démontrer le contraire de ce que nous venons de constater, recourt à la "vérification pratique. .. qu'il existe des aires entières où se sont déroulées des luttes sociales d'une extraordinaire vigueur (telle l'Angleterre ou l'Amérique du Nord) où le Parti n'a même pas existé". Voilà un argument qui ne prouve rien, sinon qu'il fait le constat qu'il n'y a pas un lien mécanique entre les luttes de la classe et la sécrétion d'un parti en son sein, ou encore qu'il existe d'autres facteurs qui contrecarrent le processus de la constitution du parti; qu'il existe en général un décalage entre les conditions objectives et les conditions subjectives entre l'être existant et sa prise de conscience. Pour que l'argument ait quelque validité, il aurait fallu nous citer le contraire, à savoir des exemples où le parti s'est constitué en dehors de pays et de périodes de montée de la lutte de classe du prolétariat. Il n'en existe pas. A moins de nous citer pour unique exemple (ne parlons pas de la IVème Internationale des trotskystes) celui du PCI. Mais là c'est une autre histoire, l'histoire de la grenouille qui voulait être aussi grosse que le boeuf. Le PCI n'a jamais été un parti autrement qu'en paroles.
Avec les exemples de la Ligue Communiste et de la 1ère Internationale, les exemples de la naissance de la 2ème Internationale et sa mort Infâme, et encore plus la constitution de la 3ème Internationale et sa fin ignoble, devenue stalinienne, sont là pour nous convaincre définitivement de la validité de la thèse défendue par la Fraction Italienne et dont nous nous revendiquons intégralement, à savoir de l'impossibilité de la constitution du parti dans une période de reflux de la lutte de classe ([19] [356]). Toute autre, naturellement, est la vision de Programme : la reconstitution du parti de classe devait se faire "avant que le prolétariat ne remonte de l'abîme où il était lui aussi tombé. Il faut ajouter que cette renaissance devait nécessairement comme c'est toujours le cas, précéder cette remontée du prolétariat ([20] [357])."
On comprend que l'article se réfère avec insistance au "Que Faire" de Lénine, surtout à la partie traitant de la conscience trade-unioniste de la classe ouvrière. Car, à bien regarder ce que sous-entend tout le raisonnement de l'article, n'est pas tant dans la surestimation du rôle du parti et leur propre tendance à la mégalomanie maïs est donné surtout par une criante sous-estimation de la capacité de prise de conscience de la classe, une profonde méfiance à son égard et pour tout dire un mépris à peine voilé de la classe ouvrière et de sa capacité de compréhension.: "S'il ("le futur scientifiquement prévu par le Parti") est certain et inéluctable pour nous matérialistes, ce n'est pas en fonction d'un "mûrissement" au sein de la classe de la conscience de sa mission historique, mais parce qu'elle sera poussée par des déterminations objectives, avant de le savoir, sans le savoir à lutter pour le communisme...([21] [358])".
C'est tout au long de l'article qu'on trouve ces compliments méprisants pour la classé ouvrière : une masse brute et abrutie qui agit sans savoir ni comprendre, mais heureusement dirigée par un parti qui comprend tout et est toute compréhension. Qu'il nous soit permis de juxtaposer à cet étouffant mépris le jugement, Ô combien aéré du vieux Engels : "Pour la victoire ultime des principes énonces dans le Manifeste, Marx se fiait uniquement au développement Intellectuel de la classe ouvrière, tel qu'il devait résulter nécessairement de l'action et de la discussion communes ([22] [359])".
Tout commentaire serait superflu. Poursuivons. Dans la vision bordiguiste, la reconstitution du Parti - complètement détachée des conditions concrètes - exige la maturité théorique et la volonté d'action. Aussi I'article porte le jugement suivant sur la Fraction : "Si elle (la Fraction) n'a pas encore été le Parti mais seulement son prélude, ce n’est pas faute d'activité pratique mais plutôt à cause de l'insuffisance du travail théorique." C'est un jugement et il vaut ce qu'il vaut. Mais qu'entend l'article au juste par suffisance du travail théorique ? La restauration, la réappropriation, la conservation du programme achevé et invariant ? Surtout sans remise en examen des positions du passé, sans recherche de réponses à des problèmes nouveaux. C'est surtout ce travail que 'article reproche à la Fraction et qu'il considère comme des lâchages graves. Ces conservateurs de musée qui ont hissé à hauteur d'idéal leur propre stérilité, voudraient faire croire que Lénine, tout comme eux, n'a jamais rien fait d'autre que "restaurer" la théorie achevée de Marx. Peut-être voudraient-ils méditer sur ce que Lénine a dit à propos de la théorie ? "Nous autres, nous ne considérons absolument pas !a théorie de Marx comme quelque chose d'achevé et d'intouchable. Nous sommes convaincus, au contraire, que cette théorie ne fait que placer les pierres angulaires de la science que les socialistes doivent (souligné par Lénine) impulser dans tous les sens, s'ils ne veulent pas rester en dehors de la vie ([23] [360])". L'article d'où est tirée cette citation s'intitule précisément "Notre Programme".
Et comment nos pontifes en marxisme mesurent-ils le degré de maturité théorique ? Existe-t-il de telles mesures fixes ? Les mesures, pour ne pas être arbitraires doivent aussi être mesurées et il n'y a pas de meilleure façon de le faire que de vérifier cette maturité théorique dans sa traduction en des positions politiques qu'on défend.
Si c'est là le moyen de mesurer la maturité et si celle-ci est le principal critère pour la constitution du Parti, nous pouvons calmement mais avec toute la conviction nécessaire dire que ce n'est pas en 1943, ni en 45 ni surtout en 52 que les bordiguistes auraient dû construire le Parti, mais ils auraient avantageusement dû attendre l'an 2000. Tout le monde y aurait gagné et eux les premiers.
Comment se constituera le Parti compact et puissant de demain, on ne peut pas encore le dire mais ce qui est certain aujourd'hui, c'est que le PCI ne l'est pas. Le drame du bordiguisme est de vouloir être ce qu'il n'est pas : le Parti et de ne pas vouloir être ce qu'il est : un groupe politique. Ainsi, il n'accomplit pas -sauf en paroles les fonctions du parti qu'il ne peut accomplir et n'assume pas les tâches, mesquines à ces yeux, d'un vrai groupe politique. Quant à sa maturité politique, à en juger par ses positions, et au rythme où vont les choses, il risque fort de ne jamais y arriver car à chaque pas en avant, il fait deux ou trois pas en arrière.
MX
[1] [361] Programme Communiste n°76, p.5.
[2] [362] Bilan n°1, Introduction p.3.
[3] [363] Idem
[4] [364] Idem
[5] [365] Idem
[6] [366] Programme Communiste n°76, p.14.
[7] [367] Bilan n°1, p.15.
[8] [368] Idem
[9] [369] Engels : "Préface à l'édition anglaise du Manifeste Communiste" 1888.
[10] [370] Programme Communiste n°18 et 19 de l'édition française.
[11] [371] Voir notre article "Terreur, terrorisme et Violence de classe" dans ce même numéro de la Revue où ce sujet est amplement développé.
[12] [372] "Le Prolétaire" n°264 du 8/21 avril est plus explicite encore quand il écrit "...ses thèses caractéristiques de 1951 qui constituent son acte de naissance et ses bases d'adhésion".
[13] [373] Voir "L'Etincelle" et "Internationalisme", publications de la Gauche Communiste en France jusqu'à 1952.
[14] [374] "Sur la Vole du Parti Compact et Puissant de Demain".
[15] [375] Idem
[16] [376] Engels : "Préface à l'édition anglaise du Manifeste Communiste".
[17] [377] Il est largement temps de mettre fin à cet incroyable abus que certains font de citations, leur faisant dire n’importe quoi. Ceci est particulièrement vrai pour les bordiguistes en ce qui concerne l'idée du Parti chez Marx. Peut-être ne serait-ce pas inutile de citer à leur attention et soumettre à leur réflexion en vue d'expliquer cette phrase quelque peu surprenante et énigmatique du Manifeste Communiste : "Les communistes ne forment pas un parti distinct en face des autres partis ouvriers".
[18] [378] Engels : "Préface à l'édition anglaise du Manifeste Communiste".
[19] [379] On sait d'ailleurs que Bordlga était plus que récalcitrant à la proclamation de la constitution du Parti et qu'il a cédé à contrecœur à la pression exercée sur lui de tous côtés, pour s'y associer. Vercesi, à son tour, ne tardera pas longtemps pour remettre publiquement en question la constitution du Parti. Mais le vin était tiré, il ne restait plus qu'à le. boire. On trouvera l'écho de ses réticences dans "l'avant-projet de déclaration de principe pour le Bureau International de la (nouvelle) Gauche Communiste Internationale" qu'il rédige et publie en Belgique à la fin de l'année 1946; on peut y lire : "Le processus de transformation de Fractions en Partis a été déterminé dans ses grandes lignes par la Gauche Communiste selon le schéma qui affirme que le parti ne peut apparaître que lorsque les ouvriers ont commencé des mouvements de lutte qui livrent la matière première pour la prise du pouvoir", (naître que lorsque les ouvriers ont commence des mouvements de lutte qui livrent la matière première pour la prise du pouvoir", (cité dans Programa).
[20] [380] Même article et souligné dans l'original.
[21] [381] Idem, p.17
[22] [382] Engels : "Préface à la réédition allemande du Manifeste Communiste", 1er mai 1890.
[23] [383] Lénine. Article écrit en 1894 pub Mo-en 1925. Œuvres complètes p.190. Traduit de l'édition en espagnol.
Comment le CCI peut-il parler d'intensification des antagonismes inter-impérialistes aujourd'hui, tout en affirmant par ailleurs que la société bourgeoise est entrée dans une période de montée des luttes de classe depuis la fin des années 60 ? N'y a-t-il pas une contradiction entre les mises en garde contre un danger de guerre en Afrique, au Moyen-Orient, et l'analyse selon laquelle un nouveau cours vers la lutte prolétarienne et vers une confrontation décisive entre les classes s'est ouvert avec la crise économique ? Vivons-nous une nouvelle version des années 30 avec à l'horizon inéluctablement la guerre généralisée, ou sommes-nous devant la perspective révolutionnaire ?
Cette question revêt une importance capitale. Tout au contraire de la pensée paresseuse, molle, des spectateurs sociaux, la pensée révolutionnaire, dynamique, ne peut pas se contenter d'"un peu de ceci" et "un peu de cela" mélangés dans une sauce sociologique sans lignes directrices. Si le marxisme ne nous apportait qu'une analyse du passé pour nous offrir pour aujourd'hui un simple "on verra bien", nous n'en aurions pas besoin.
L'action sociale, la lutte, exige la compréhension des forces en présence, exige une perspective. L'action du prolétariat diffère selon sa conscience de la réalité sociale à laquelle il s'affronte et selon les possibilités offertes par le rapport des forces. L'intervention organisée des révolutionnaires dans ce processus de prise de conscience de la classe s'oriente différemment également, sinon dans son contenu profond, du moins dans son expression, selon la réponse donnée à la question "allons-nous vers la guerre, ou allons-nous vers une confrontation révolutionnaire ?".
La théorie marxiste n'est pas la lettre morte des bourreaux staliniens ou des académiciens mais reste l'effort le plus cohérent d'exprimer théoriquement l'existence et l'expérience du prolétariat dans la société bourgeoise. C'est dans le cadre du marxisme, et non seulement de sa réappropriation mais aussi de son actualisation, que les révolutionnaires peuvent et doivent répondre à la question du rapport de forces entre la bourgeoisie et le prolétariat aujourd'hui, entre la guerre et la révolution.
La Période Historique de la Société Bourgeoise
En premier lieu, la perspective pour les luttes n'est pas une simple question immédiate de jours ou d'années, mais suppose tout un développement historique. Le mode de production capitaliste, au cours de son développement, en détruisant les bases matérielles, économiques du féodalisme et d'autres sociétés précapitalistes, a étendu ses rapports de production et le marché capitaliste à toute la planète. Bien que le capitalisme aspire à être un système universel, il se heurte à des contradictions économiques internes à son propre fonctionnement basé sur l'exploitation et la concurrence. A partir de la création effective du marché mondial et du développement des forces productives, le capitalisme ne peut plus surmonter ses crises cycliques par une extension de son champ d'accumulation, il entre dans une période de déchirement interne, une période de déclin en tant que système historique, ne répondant plus aux besoins de la reproduction sociale. Le système le plus dynamique de l'histoire jusqu'à nos jours déchaîne dans sa décadence un véritable cannibalisme.
La décadence du capitalisme est marquée par l'épanouissement des contradictions inhérentes à sa nature, par une crise permanente. La crise trouve deux forces sociales antagoniques en présence, la bourgeoisie, classe du capital, vivant de la plus-value, et le prolétariat dont les intérêts de classe exploitée, en le poussant à s'opposer à son exploitation, mènent à la seule possibilité historique de dépassement de l'exploitation, de la concurrence, de la production de marchandises : une société de producteurs librement associés.
La crise agit sur ces deux forces historiquement antagoniques de façon différente : elle pousse la bourgeoisie vers la guerre et le prolétariat vers la lutte contre la dégradation de ses conditions d'existence. Avec la crise, la bourgeoisie est obligée de se retrancher derrière la force concertée des Etats nationaux pour pouvoir se défendre dans la concurrence effrénée d'un marché mondial déjà divisé entre puissances impérialistes et qui ne peut s'étendre davantage. La guerre impérialiste mondiale est le seul aboutissement de la concurrence reportée au niveau international. Pour pouvoir survivre, le capitalisme subit les déformations de son dernier stade : l'impérialisme généralisé. La tendance universelle du capitalisme décadent vers le capitalisme d'Etat n'est rien d'autre que l'expression "organisationnelle" des exigences des antagonismes impérialistes. Le mouvement vers la concentration du capital qui s'exprime déjà à la fin du XIXème siècle par des trusts, cartels et ensuite des multinationales se voit contrecarré et dépassé par la tendance vers l'étatisation qui ne répond pas à une "rationalisation" du capital mais aux besoins de renforcer et mobiliser le capital national dans une économie de guerre quasi permanente, un totalitarisme étatique dans tous les domaines de la société. La décadence du capitalisme, c'est la guerre, le massacre constant, la guerre de tous contre tous.
Contrairement au siècle passé où la bourgeoisie se renforçait en développant sa domination sur la société, elle est aujourd'hui une classe déclinante, affaiblie par la crise de son système, assurant seulement guerres et destructions comme conséquences de ses contradictions économiques.
A défaut d'une intervention prolétarienne victorieuse dans une révolution mondiale, la bourgeoisie n'a pas une "stabilité", une attente patiente à nous offrir mais au contraire un cycle de destructions chaque fois plus étendu. La classe capitaliste n'a pas d'unité ni de paix en son sein, mais l'antagonisme et la concurrence issus des rapports marchands d'une société d'exploitation. Déjà, dans la période ascendante du développement capitaliste, les révolutionnaires se sont opposés à l'idée réformiste de Kautsky, de Hilferding, selon laquelle le capitalisme pourrait évoluer vers une unité supra-nationale. La gauche socialiste et Lénine dans "L'impérialisme, Stade Suprême du Capitalisme", ont dénoncé cette chimère d'une unification mondiale du capital. Bien que les forces productives tendent à pousser dans le sens d'un dépassement du cadre national étriqué, elles n'y parviennent jamais parce que soumises au carcan des rapports capitalistes.
Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, une nouvelle variante de cette théorie de supra-nationalité a été développée par Socialisme ou Barbarie pour qui une "nouvelle société bureaucratique" tendrait à créer cette unification mondiale. Mais la "société bureaucratique" n'existe pas ; la tendance générale vers l'étatisation du capital n'est ni un nouveau mode de production, ni un pas progressif vers le socialisme comme ont pu le croire certains éléments du mouvement ouvrier en la voyant se développer dans la première guerre mondiale. Etant l'expression de 1'exacerbation des rivalités entre fractions nationales du capital, le capitalisme d'Etat ne réalise aucune unité, au contraire. Le capital national est obligé de se regrouper autour des grandes puissances dans des blocs impérialistes mais ceci non seulement n'élimine pas les rivalités au sein d'un bloc, mais surtout reporte et accentue davantage les antagonismes au niveau international dans la confrontation et la guerre entre les blocs. Ce n'est que pour faire face à son ennemi mortel, le prolétariat en lutte, que la classe capitaliste peut réaliser une quelconque unité internationale provisoire.
Face à la menace du prolétariat, dans l'incapacité de répondre aux exploités par une réelle amélioration de leurs conditions de vie, mais au contraire contrainte d'exiger une exploitation plus féroce et une mobilisation pour la guerre économique et ensuite militaire, face à l'usure de ses capacités de mystification, la bourgeoisie développe un Etat policier hypertrophié, met en place tout un appareil de répression allant des syndicats jusqu'aux camps de concentration, pour pouvoir dominer une société en décomposition. Mais tout comme les guerres mondiales expriment la décomposition du système économique, le renforcement de l'appareil répressif de l'Etat montre la faiblesse réelle de la bourgeoisie face aux échéances de l'histoire. La crise du système sape les bases matérielles et idéologiques du pouvoir de la classe dominante et ne lui laisse que l'acharnement du massacre.
Contrairement à l'effondrement de la bourgeoisie dans la barbarie sanglante de son déclin, le prolétariat à l'époque de la décadence, représente la seule force dynamique de la société. L'initiative historique est avec le prolétariat; c'est lui seul qui porte la solution historique qui peut faire avancer la société. Par sa lutte de classe, il peut freiner et enfin arrêter la barbarie constante de la décadence capitaliste. En posant la question de la révolution, en "transformant la guerre impérialiste en guerre civile", le prolétariat oblige la bourgeoisie à répondre sur le terrain de la guerre des classes.
Quelle Perspective aujourd'hui?
Si nous avons posé la question de savoir si au cours d'une période de montée des luttes il peut y avoir l'expression et même l'aggravation des antagonismes impérialistes, nous sommes alors en mesure de répondre. Le propre de la bourgeoisie est la tendance vers la guerre, qu'elle en soit consciente ou non. Même quand elle se prépare pour affronter le prolétariat, les antagonismes impérialistes existent toujours; ils dépendent de l'approfondissement de la crise et ne trouvent pas leur source dans l'action de 1a classe ouvrière. Mais le capitalisme ne peut aller jusqu'au bout, à la guerre généralisée, qu'à la condition d'avoir au préalable maté le prolétariat et l'avoir embrigadé dans la mobilisation. Sans cela, l'impérialisme ne peut pas aboutir à sa fin logique.
En effet, entre l'éclatement de la crise en 29 et la seconde guerre mondiale, il a fallu dix ans, non seulement pour remettre en place une économie de guerre suffisante pour les besoins de destruction, mais pour achever l'écrasement physique et le désarmement idéologique de la classe ouvrière embrigadée dans les partis "ouvriers", staliniens et social-démocrates, derrière la bannière de 1'antifascisme ou dans les rangs du fascisme, dans l'union sacrée. De même, avant août 14, c'est tout un processus de dégénérescence de la deuxième Internationale et de collaboration des classes qui a préparé le terrain de la trahison des organisations ouvrières. La guerre mondiale n'éclate pas tel l'éclair dans un ciel bleu, mais à la suite de l'élimination effective de la résistance prolétarienne.
Si la lutte de classe est suffisamment forte, l'aboutissement dans la guerre généralisée n'est pas possible; si la lutte s'affaiblit à travers1a défaite physique ou idéologique du prolétariat, alors la voie est ouverte à l'expression de la tendance inhérente au capitalisme décadent : la guerre mondiale. Par la suite, ce n'est qu'au cours même de la guerre, comme réponse aux conditions de vie insoutenables, que le prolétariat peut reprendre le chemin de sa conscience et resurgir dans la lutte. Il ne faut pas se leurrer: on ne peut pas prétendre "faire la révolution contre la guerre", faire la grève générale au jour "J", face à l'ordre de mobilisation. Si la guerre est sur le point d'éclater, c'est justement parce que la lutte de classe a été trop faible pour freiner la bourgeoisie, et alors il ne s'agit pas de bercer le prolétariat d'illusions.
Aujourd'hui, les ouvriers ne sauraient négliger la gravité des manifestations des rivalités impérialistes et de l'enjeu du rapport de forces entre bourgeoisie et prolétariat. Si la deuxième guerre mondiale n'est qu'une continuité de la première et si la troisième est la continuité de la deuxième, si le capitalisme, tel un match de boxe, ne vit les périodes de "reconstruction" que comme intervalles entre les guerres, la capacité destructive actuelle nous laisse peu d'espoir d'une quelconque possibilité de surgissement du prolétariat au cours d'un troisièime holocauste. Il est fort probable que la destruction serait telle que la nécessité et la possibilité du socialisme seraient écartées avec la destruction de la majeure partie du globe. L'enjeu se joue donc aujourd'hui et non pas demain ; c'est face à une période de crise économique que surgira la classe ouvrière et non face à une guerre. Seul le prolétariat peut freiner, par sa lutte sur son terrain de classe contre la crise et la dégradation de ses conditions de vie, la tendance constante de la bourgeoisie vers la guerre. C'est aujourd'hui seulement que le rapport prolétariat/bourgeoisie décidera entre le socialisme ou la chute définitive dans la barbarie.
Si nous signalons donc la gravité des affrontements entre les blocs aujourd'hui, c'est pour mieux démasquer la réalité hideuse du système capitaliste que 60 années de souffrances nous ont enseignées. Mais cette mise en garde générale et nécessaire ne signifie nullement qu'aujourd'hui la perspective est vers la guerre mondiale ou que nous vivions une période de contre-révolution triomphante. Au contraire, les rapports de forces ont basculé en faveur du prolétariat. Les nouvelles générations ouvrières n'ont pas subi les défaites des précédentes. La dislocation du bloc "socialiste" ainsi que les insurrections ouvrières dans le bloc de l'Est ont énormément affaibli le pouvoir mystificateur de l'idéologie bourgeoise stalinienne. Fascisme et anti-fascisme sont bien trop usés pour servir et l'idéologie des "droits de l'homme" sous le capitalisme, démentie du Nicaragua à l'Iran, ne suffit pas pour les remplacer. La crise, fin de la prospérité trompeuse de la reconstruction d'après-guerre, a provoqué un réveil général du prolétariat. La vague de 1968 à 1974 a été une puissante riposte aux débuts de la crise et la combativité ouvrière n'a épargné aucun pays. C'est cette renaissance de la combativité ouvrière qui marque la fin de la contre-révolution et qui constitue la pierre angulaire de la perspective révolutionnaire aujourd'hui.
Il n'y a jamais de situation sociale unilatérale simpliste ; les antagonismes inter-impérialistes ne disparaissent pas tant que le système capitaliste est en vie. Mais la combativité ouvrière est un obstacle, le seul aujourd'hui, à la tendance vers la guerre. Quand il y a un creux dans les luttes, le frein n'agit pas suffisamment sur la vitesse et les antagonismes inter-impérialistes s'aggravent. C'est pour cela que les révolutionnaires insistent tant sur les développements de la lutte autonome de la classe ouvrière, sur les grèves sauvages qui tendent à dépasser le carcan syndical, sur la tendance vers l'auto-organisation de la classe, sur la combativité face à l'austérité et contre les sacrifices qu'exige la bourgeoisie.
La crise, en une ligne droite toujours descendante, amène la classe capitaliste en décomposition à la guerre. Par contre, elle pousse en des explosions sporadiques, en dents de scie, la classe révolutionnaire à la lutte. Le cours historique est la résultante de ces deux tendances antagoniques : guerre ou révolution.
Bien que le socialisme soit une nécessité historique face à la décadence de la société bourgeoise, la révolution socialiste n'est pas à chaque moment une possibilité concrète. Pendant les longues années de la contre-révolution, le prolétariat était défait, sa conscience et son organisation trop faibles pour être une force autonome dans la société en face de la destruction.
Aujourd'hui, par contre, le cours historique est à la montée des luttes prolétariennes. Mais le temps joue ; il n'y a jamais de fatalité dans l'histoire. Un cours historique n'est pas "stable", acquis pour toujours ; le cours vers la révolution prolétarienne est une possibilité qui s'ouvre, un mûrissement des conditions qui mène à la confrontation des classes. Mais si le prolétariat ne développe pas sa combativité, ne s'arme pas à travers la conscience forgée dans les luttes et par la contribution des révolutionnaires en son sein, il ne pourra pas répondre à ce mûrissement par son activité créatrice et révolutionnaire. Si le prolétariat est battu, s'il retombe dans la passivité à la suite d'un écrasement, alors le cours sera renversé et le potentiel de guerre généralisée toujours présent se réalisera.
Aujourd'hui le cours est vers la montée. Parce que la classe ouvrière n'est pas battue, parce qu'elle résiste à la dégradation de ses conditions de vie partout dans le monde, parce que la crise économique internationale aggrave l'usure de l'idéologie bourgeoise et donc son poids sur la classe, parce que la classe ouvrière est la force de la vie contre le "viva la muerte" de la contre-révolution sanglante, pour toutes ces raisons, nous faisons un "salut à la crise" qui ouvre pour une deuxième fois dans la période de décadence la porte de l'histoire.
J.A.
« Les contradictions du régime capitaliste se sont transformées pour l'humanité, par suite de la guerre, en souffrances inhumaines : faim, froid, épidémies, barbarie morale. La vieille querelle académique des socialistes sur la théorie de la paupérisation et le passage progressif du capitalisme au socialisme a été ainsi définitivement tranchée. Les statisticiens et les pédants de la théorie de l'aplanissement des contradictions se sont efforcés pendant des années de rechercher dans tous les coins du monde, des faits réels ou imaginaires permettant de prouver l'amélioration de certains groupes ou catégories de la classe ouvrière. On admit que la théorie de la paupérisation était enterrée sous les sifflements méprisants des eunuques qui occupent les chaires universitaires bourgeoises et des bonzes de l'opportunisme socialiste. Aujourd'hui, ce n'est pas seulement la paupérisation sociale, mais aussi la paupérisation physiologique, biologique dans toute sa réalité hideuse, qui se présente à nous.
La catastrophe de la guerre impérialiste a balayé toutes les conquêtes de la lutte syndicale et parlementaire. Et pourtant, cette guerre est née des tendances internes du capitalisme tout comme ces marchandages économiques et ces compromis parlementaires qu'elle a noyés dans le sang et la boue.
Le capital financier, qui a précipité l'humanité dans l'abîme de la guerre, a lui-même subi des modifications catastrophiques au cours de la guerre. Les liens de dépendance où se trouvait le papier-monnaie par rapport aux fondements matériels de la production ont été complètement rompus. (...) Si la subordination totale du pouvoir d'Etat à la puissance du capital financier a conduit l'humanité à la boucherie impérialiste, cette boucherie a permis au capital financier, non seulement de militariser complètement l'Etat, mais aussi de se militariser lui-même, si bien qu'il ne peut plus remplir ses fonctions économiques essentielles que par le fer et le sang. Les opportunistes qui, avant la guerre, incitaient les ouvriers à modérer leurs revendications au nom du passage progressif au socialisme, qui exigèrent pendant la guerre l'humiliation de classe et la soumission de classe du prolétariat au nom de l'union sacrée et de la défense de la patrie, demandent encore au prolétariat de nouveaux sacrifices et abnégations afin de surmonter les effroyables conséquences de la guerre. Si de tels prêches trouvaient audience au sein de la classe ouvrière, le développement capitaliste poursuivrait son redressement sur les cadavres de plusieurs générations avec des formes nouvelles encore plus concentrées et plus monstrueuses, avec la perspective d'une nouvelle et inévitable guerre mondiale. »
Manifeste de l'Internationale Communiste aux prolétaires du monde entier
Premier Congrès : 6 mars 1919
La "Revue Internationale" du CCI a abordé à plusieurs reprises la question de la période de transition du capitalisme au communisme. Elle a publié plus d'une dizaine de textes dans lesquels est évoqué en particulier le problème posé par les rapports entre la dictature du prolétariat et l'Etat dans la période de transition. L'idée d'une non-identité entre ces deux notions, telle qu'elle apparaît dans les textes suivants : "Problèmes de la période de transition" et "La révolution prolétarienne" (n°1), "La période de transition" et "Contribution à l'étude de la question de l'Etat" (n°6), "Présentation des projets de résolution du 2ème Congrès de R.I." et "La Gauche Communiste en Russie" (n°8) "Les confusions politiques de la C.W.O." (n°10) "Projet de résolution sur la période de transition au 2ème Congrès du CCI." et "L'Etat et la dictature du prolétariat" (n°11) y cette idée donc a souvent été considérée comme scandaleuse et "absolument étrangère au marxisme" par nombre d'éléments révolutionnaires qui s'empressent de brandir la citation célèbre de Marx, tirée de sa "Critique du Programme de Gotha", suivant laquelle, durant la période de transition "l'Etat ne saurait être autre chose que la dictature révolutionnaire du prolétariat".
Le texte qui suit est une nouvelle contribution sur cette question. Il se propose en particulier d'établir que cette non-identité entre Etat et dictature du prolétariat n'est en rien "anti-marxiste" mais qu'au contraire, au delà de sa réfutation de certaines formules de Marx et Engels, elle s'inscrit parfaitement dans toute la démarche du marxisme.
Au cœur de la théorie de l'Etat de Marx, se trouve la notion du dépérissement de l'Etat.
Dans sa critique de la philosophie de l'Etat de Hegel, avec laquelle débute sa vie de penseur et militant révolutionnaire, Marx combat non seulement l'idéalisme de Hegel selon lequel le point de départ de tout le mouvement serait l'Idée (faisant partout "de l'Idée le sujet, et du sujet réel proprement dit, le prédicat") (), mais dénonce avec véhémence les conclusions de cette philosophie, qui fait de l'Etat le médiateur entre l'homme social et l'homme universel politique, le réconciliateur du déchirement entre l'homme privé et l'homme universel. Hegel constatant l'opposition conflictuelle croissante entre la société civile et l'Etat, veut que la solution à cette contradiction soit trouvée dans l'auto limitation de la société civile et son intégration volontaire dans l'Etat, car disait-il "c'est seulement dans l'Etat que l'homme a une existence conforme à la raison" et "tout ce que l'homme est, il le doit à l'Etat, c'est là que son être réside. Toute sa valeur, toute sa réalité spirituelle, il ne les a que par l'Etat". () A cette délirante valorisation de l'Etat qui fait de Hegel son plus grand apologiste, Marx oppose : "L'émancipation humaine n'est réalisée que lorsque l'homme a reconnu et organisé ses forces propres comme force sociale et ne sépare donc plus de lui la force sociale sous la forme de la force politique" (), c'est à dire de l'Etat.
D'emblée, la finalité, c'est-à-dire la prise de position face et contre l'Etat, produit, manifestation et facteur actif de l'aliénation de l'humanité sera présente dans l'oeuvre d'élaboration théorique de Marx. Au renforcement de l'Etat et de son absorption de la société civile de Hegel, Marx opposera résolument le dépérissement de l'Etat comme synonyme de la marche vers l'émancipation de l'humanité, et cette notion fondamentale sera reprise, enrichie, développée tout au long de sa vie et de son oeuvre.
Cette opposition radicale à l'Etat et l'annonce de son dépérissement possible et inévitable ne sont pas un produit du génie personnel de Marx, encore qu'elles trouvent chez lui une analyse rigoureuse et une démonstration des plus cohérentes. C'est dans la réalité de l'époque que ces problématiques sont présentes et c'est dans cette même réalité que les premiers germes de la réponse commencent à s'ébaucher dans l'apparition et la lutte d'une classe historique nouvelle : le prolétariat. Aussi grands qu'aient pu être sa contribution et son mérite, Marx ne faisait que rendre théoriquement saisissable le mouvement du prolétariat qui se déroulait dans la réalité.
En même temps qu'il combattait l'idéalisme et l'apologie de l'Etat de Hegel, Marx rejetait également toutes les théories "rationalistes" qui cherchaient à fonder l'Etat sur la "raison critique" ou encore celles qui, de Stirner à Bakounine, le condamnaient au nom d'un principe moral.
Produit historique du développement des forces productives et de la division du travail -qui font éclater l'ancienne société communiste primitive- la nouvelle société fondée sur la propriété privée et sa division en classes antagoniques fait nécessairement surgir cette institution super-structurelle qu'est l'Etat.
Manifestation d'une situation historique où la société est entrée dans un état de contradictions et d'antagonismes irréductibles (), l'Etat est en même temps l'institution indispensable pour maintenir une certaine cohésion, un ordre social, pour empêcher la société de se détruire complètement dans des luttes stériles et pour imposer par la force aux classes exploitées la soumission à cet ordre. Cet ordre, c'est la domination économique d'une classe exploiteuse dans la société dont l'Etat est le gardien, et c'est à travers lui que la classe exploiteuse économiquement dominante accède à la domination politique de la société. L'Etat, est donc toujours l'émanation des classes exploiteuses et, en règle générale, de la classe économiquement et immédiatement prédominante, dont il tire son origine et dont une fraction se spécialise dans la fonction étatique.
De ce que nous venons de dire découle que la fonction fondamentale de L’Etat est d'être le gardien de l'ordre économique établi.
Quand de nouvelles classes exploiteuses surgissent représentant les nouvelles forces productives qui se sont développées au sein de la société au point d'entrer en contradiction avec les rapports de production existants et exigent leur changement, c'est à l'Etat qu'elles se heurtent, à l'Etat représentant le dernier rempart de l'ancienne société. La dynamique révolutionnaire se trouve toujours dans la société civile, dans les nouvelles classes qui ont surgi, mais jamais dans l'Etat comme tel. Il est donc principalement un instrument de conservation sociale. Dire que l'Etat est tantôt conservateur, tantôt révolutionnaire selon l'état de la classe qui le domine, mettre sur le même plan ces deux moments, en faire un parallèle, c'est escamoter le problème de ce qui constitue le caractère fondamental de l'Etat, sa fonction essentielle. Même quand la classe révolutionnaire a conquis par la force l'Etat et, en le reconstruisant, l'adapte à ses besoins et intérêts, cela ne change pas la nature essentiellement conservatrice de L’Etat, ni ne lui donne une nouvelle nature révolutionnaire. Et cela pour la double raison :
D'aucuns, se référant à tel ou tel acte ou évènement sporadique, qui s'est produit surtout durant les moments de crises sociales et de révolutions, croient pouvoir affirmer une double nature de L’Etat, conservatrice et révolutionnaire à la fois. On a cité ainsi en exemple les actes de la Convention et la Terreur dirigés contre l'aristocratie féodale, la guerre intérieure et extérieure durant les années de la Révolution Française, l'appui apporté à certains moments à la bourgeoisie par la monarchie en France et également la politique de Pierre le Grand en Russie, etc. A ces objections, on veut opposer plusieurs remarques :
1) "Les exceptions ne font que confirmer la règle".
2) On ne peut voir et comprendre le cours de l'histoire et ses lois fondamentales avec des lunettes événementielles - comme on ne mesure pas les distances entre les galaxies avec un centimètre.
3) Il n'est pas dans notre propos d'étudier et de donner une explication détaillée de chaque événement pris à part, (cela serait de la phénoménologie) mais d'expliquer leur enchaînement global, de dégager de celui-ci les lois et le sens général.
4) Nous étudions ici l’Etat dans l'histoire, et non l'histoire de l’Etat. Nous n'étudions pas chaque moment, chaque jour de son existence, mais son existence même qui correspond à une ère historique bien déterminée et limitée : l'ère de la société divisée en classes. Pendant toute cette ère historique, L’Etat a pour fonction fondamentale de maintenir l’ordre social existant. Maintenir, entretenir, garder sont autant d'ex-pressions pour dire conserver en opposition à celle de créer. C'est le sens passif opposé au sens actif, le statique opposé au dynamique.
5) Contre qui L’Etat doit-il assurer la défense de l'ordre existant ? Qui, quelles forces menacent cet ordre social ? () Réponse possible : les anciennes classes dominantes.
Ces anciennes classes ont été déchues et vaincues avant tout dans le domaine économique. La révolution ne fait que consacrer et non déterminer cette déchéance. C'est pourquoi les marxistes pouvaient parler des révolutions politiques dans cette ère, comme des "révolutions de palais", la véritable transformation s'étant déjà opérée dans les entrailles de la société, dans sa profonde réalité et structure économique.
Autre constatation importante : ce n'est jamais à partir de L’Etat existant que se déclenche le mouvement de la révolution, mais la révolution, même politique, se déclenche de la société civile contre L’Etat. Et cela, parce que ce n'est pas L’Etat qui révolutionne la société mais la société révolutionnée qui modifie et adapte l'Etat.
Le nouvel Etat surgi après l'événement qu'est la révolution, peut se livrer à quelques actes spectaculaires contre les membres de l'ancienne classe dominante, mais cela ne va jamais très loin, ni longtemps. L'ancienne classe continue à subsister et ses membres continuent I occuper longtemps une place importante dans l'appareil de L’Etat et souvent une place prépondérante. C'est la preuve que l'ancienne classe dominante ne présente pas cette menace que l’on prétend décisive et contre laquelle s'opérerait le renforcement du nouvel Etat, ce qui ferait de lui une nature révolutionnaire. Ceci est une énorme surestimation largement démentie par l'histoire.
La menace fondamentale de l'ordre existant ne vient pas des classes déchues mais des classes opprimées et des nouvelles classes historiques montantes. Ce sont elles qui, les premières de façon constante, les secondes potentiellement, présentent cette menace mortelle contre laquelle l'ordre existant a besoin de L’Etat, cette force concentrée de coercition et de répression pour sa défense.
L'Etat n'est pas tant un barrage contre le passé qu'un barrage contre l'avenir. C'est cela qui fait de sa défense du présent (conservatisme) un parent plus proche du passé (réactionnaire) que de l'avenir (révolutionnaire). Dans ce sens, on peut dire que si les classes sont représentantes des forces productives en développement, L’Etat, lui, est le défenseur des rapports de production. La dynamique historique vient toujours des premières, les entraves des seconds.
6) Pour ce qui est des exemples du rôle prétendument progressif, voire révolutionnaire, joué par la Monarchie française, Pierre le Grand, etc., il est évident que l'Etat est amené à accomplir des actes progressifs, non parce que c'est inhérent à sa nature progressive, mais malgré sa nature conservatrice, sous la pression des nouvelles forces progressives, car il ne peut se soustraire complètement aux pressions venues des la société civile.
C'est un fait que la suppression du servage et le développement de l'industrialisation capitaliste en Russie se sont faits sous le régime des tsars, de même que l'industrialisation en Allemagne sous celui des Junkers prussiens et en France sous le Bonapartisme. Cela ne fait pas de ces régimes et Etats des forces révolutionnaires ; les deux derniers, celui d'Allemagne et de France, étaient même directement issus de la contre-révolution de 1848-52.
7) Quant à l'argument de la double nature de l'Etat -contre-révolutionnaire et révolutionnaire à la fois- il n'est guère plus sérieux que celui avancé pour la défense des syndicats qui, à côté de leur nature bourgeoise auraient aussi une nature ouvrière du fait qu'en telle ou telle occasion ils prennent la défense de tel ou tel ouvrier. A ce titre, on pourrait aussi bien parler de la double nature des CRS, puisque de temps en temps, ils sauvent quelques personnes de la noyade. A croire que chaque fois que l'on essaie de raisonner et qu'on ne sait pas raisonner, on a naturellement recours à l'argument de la "double nature".
Ces quelques remarques n'ajoutent rien de substantiel , mais s'imposent pour montrer l'inanité des objections et rendent peut-être plus précise notre pensée sur la nature et fonction conservatrice de l'Etat.
Il importe ici de prendre garde et de ne pas -en se complaisant dans la confusion et l'éclectisme : l'Etat est aussi conservateur que révolutionnaire- renverser les données et ouvrir la porte qui mène directement à l'erreur de Hegel faisant de l'Etat le Sujet du mouvement de la société.
La thèse de la nature conservatrice de l'Etat, et avant tout de sa propre conservation, est dialectiquement et étroitement liée à cette autre thèse qui lui fait face, celle que l'émancipation de l'humanité s'identifie au dépérissement de l'Etat. L'une met en lumière l'autre. En escamotant ou en mettant en sourdine la première, c'est la théorie et la réalisation du nécessaire dépérissement de l'Etat que l'on obscurcit et que l'on atteint gravement.
La non-compréhension de la notion de la nature conservatrice de l'Etat doit inévitablement trouver son pendant dans la non-insistance sur la notion marxiste fondamentale du dépérissement de l'Etat. Ses implications ne manqueront pas de s'avérer d'autant plus dangereuses.
Ce qui est encore plus important et qui nous intéresse au premier chef est de faire ressortir que l'Etat -pas plus le nouveau que l'ancien n'est jamais et ne peut jamais être par définition le porteur du mouvement de dépérissement de l'Etat. Or nous avons vu que la théorie de l'Etat de Marx identifie les mouvements de dépérissement de l'Etat à celui de l'émancipation de l'humanité et, puisque l'Etat ne porte pas en lui son propre dépérissement, il s'ensuit que de par sa nature même, il ne saurait jamais être le moteur ni même l'instrument de l'émancipation humaine.
La théorie de l'Etat de Marx met encore en évidence la tendance inhérente de l'Etat et "de la fraction de la classe dominante qu'il groupe et qui se constitue en un corps à part de se "libérer" (Je la société civile, de s'en séparer, de se hisser au-dessus de la société" (Engels). Sans jamais y parvenir complètement et tout en continuant de défendre les intérêts généraux de la classe dominante, cette tendance est cependant une réalité et ouvre la voie à de nouvelles contradictions, antagonismes et aliénations que Hegel avait déjà vus et signalés et que Marx a repris : avant tout l'opposition croissante entre l'Etat et la société civile avec toutes ses implications. Cette tendance explique à son tour les multiples perturbations sociales, les convulsions dans la classe dominante elle-même, les différentes variétés de formes d'Etat existant dans une même société donnée et leurs rapports particuliers avec l'ensemble de la société. Cette tendance à se rendre indépendant de la société fait de l'autoconservation une préoccupation majeure de l'Etat et vient renforcer encore sa nature conservatrice.
Avec le développement, au travers de la succession des sociétés, de la division de la société en classes, se renforce et se développe l'Etat, poussant ses tentacules dans toutes les sphères de la vie sociale. Sa masse numérique croît proportionnellement. L'entretien de cette énorme masse parasitaire se fait par un prélèvement croissant sur la production sociale. Par le truchement des impôts directs ou indirects -qu'il prélève non seulement des revenus des masses travailleuses mais également sur les profits des capitalistes- l'Etat entre en conflit d'intérêt même avec sa propre classe qui réclame bien un Etat fort, mais qui soit en même temps bon marché. Pour les hommes de l'appareil d'Etat, cette hostilité extérieure et leurs intérêts aidant déterminent un réflexe de défense et de solidarité, un esprit de corps qui les soudent en une véritable caste à part.
De tous les champs d'activité de l'Etat, la coercition et l'oppression lui appartiennent en propre. Il dispose pour cela en exclusivité de la force armée. La coercition et l'oppression sont la raison d'être de l'Etat, son être même. Il en est le produit spécifique et les reproduit sans cesse en les amplifiant et en les perfectionnant. La complicité dans les massacres et la terreur constituent ainsi le plus solide ciment de son unité.
Avec le capitalisme est atteint le point culminant de toute la longue histoire des sociétés divisées en classes. Si ce long parcours historique imprégné de sang et de souffrances fut le tribut inévitable que l'humanité eut à payer pour développer ses forces productives, ces dernières ont atteint aujourd'hui un développement tel qu'elles rendent caduque ce type de société mais que sa survivance même est devenue la plus grande entrave à leur développement ultérieur et va jusqu'à mettre en danger l'existence même de l'humanité.
Avec le capitalisme, l'exploitation et l'oppression ont été poussées au paroxysme car le capitalisme est le résumé condensé de toutes les sociétés d'exploitation de l'homme par l'homme qui se sont succédées. L'Etat, dans le capitalisme a enfin achevé sa destinée en devenant ce monstre hideux et sanglant que nous connaissons aujourd'hui. Avec le capitalisme d'Etat, il a réalisé l'absorption de la société civile, il est devenu le gérant de l'économie, le patron de la production, le maître absolu et incontesté de tous les membres de la société, de leur vie et de leurs activités déchaînant la terreur, semant la mort et présidant à la barbarie généralisée.
La révolution prolétarienne diffère radicalement de toutes les révolutions antérieures dans l'histoire. Si toutes les révolutions ont eu en commun d'être déterminées et d'exprimer la révolte des forces productives contre les rapports de production de l'ordre existant, celles qui sous-tendent la révolution prolétarienne expriment non simplement un développement quantitatif, mais posent la nécessité d'un changement qualitatif fondamental du cours de l'histoire. Toutes les anciennes modifications intervenues dans le développement des forces productives demeurent contenues dans l'ère historique de la pénurie qui pose l'inéluctabilité de l'exploitation de la force de travail. Les changements qu'elles opèrent ne sont pas en vue d'une diminution mais au contraire en vue d'une plus grande exploitation, d'une exploitation plus rationnelle, plus efficace des masses toujours plus nombreuses de la population. Elles assurent une expropriation plus poussée de celles-ci d'avec les instruments de travail et du produit de leur travail.
Dans le mouvement dialectique de l'histoire humaine, ces modifications appartiennent ensemble à une seule et même période, celle de la négation de la communauté humaine, celle de l'anti-thèse. Cette unité fondamentale fait que les différentes sociétés qui se succèdent dans cette ère, se présentent quelles que puissent être leurs différences, comme une progression dans la continuité. Sans cette continuité on ne saurait comprendre ni expliquer des événements aussi contradictoires qu'incompréhensibles à première vue comme :
C'est ce qui explique que les révolutions dans cette ère se présentent comme de simples transferts de la machine d'Etat d'une classe exploiteuse à une autre classe exploiteuse et que très souvent les transformations sociales s'opèrent même sans révolution politique.
Il en est tout autrement en ce qui concerne la révolution prolétarienne. En effet, elle n'est pas en continuité des solutions aux problèmes posés par la pénurie, mais la fin de la pénurie des forces productives : à elle ne se pose pas le problème de comment rendre plus efficaces l'exploitation mais celui de la supprimer, non pas de comment assurer le renforcement de l'oppression mais de la détruire à jamais. Elle n'est pas la continuité de la Négation mais la négation de la négation et la restauration de la communauté humaine sur un nouveau plan plus élevé. La révolution prolétarienne ne saurait reproduire les caractéristiques des révolutions antérieures comme celles dont nous venons de citer quelques exemples, parce qu'elle est en rupture totale, en opposition radicale avec elles et cela aussi bien dans son contenu que dans ses formes et moyens.
Une des caractéristiques fondamentales de la révolution prolétarienne est - en opposition avec les révolutions antérieures et compte-tenu du degré atteint par le développement des forces productives - que les transformations nécessaires ne peuvent plus s'opérer avec un long décalage de pays à pays mais exigent d'emblée comme théâtre d'opération le monde entier. La révolution prolétarienne est internationale ou n'est pas. Commencée dans un pays, elle n'a de cesse que de s'étendre à tous les pays ou de succomber à plus ou moins brève échéance. Les autres révolutions étaient l'oeuvre des classes minoritaires et exploiteuses contre la majorité des classes travailleuses, la révolution prolétarienne est celle de l'immense majorité des exploités contre une minorité. Etant l'émancipation de l'immense majorité dans l'intérêt de l'immense majorité, elle ne peut se réaliser que par la participation active et constante de l'immense majorité. Elle ne peut en aucune façon prendre les anciennes révolutions pour modèle puisqu'elle est en tout point l'opposé.
Elle est appelée à bouleverser de fond en comble toutes les structures, tous les rapports existants en commençant par la destruction totale des superstructures de l'Etat. A l'encontre des révolutions antérieures qui ne viennent qu' achever la domination économique de la nouvelle classe, la Révolution du prolétariat - une classe qui n'a aucune assise économique - est le premier acte politique ouvrant et assurant par la violence révolutionnaire, le processus de la totale transformation sociale.
Comme il est mis en évidence dans le "Manifeste Communiste", la bourgeoisie n'a pas seulement créé les conditions matérielles de la révolution mais elle a également engendré la classe qui sera son fossoyeur, le sujet de la révolution : le prolétariat. Le prolétariat est le porteur de cette révolution radicale, parce qu'il constitue "une classe avec des chaînes radicales", une classe qui est "la négation de la société", qui selon les termes de Marx, incarne toutes les souffrances de la société, à qui on n'a pas fait un tort particulier mais "un tort en soi", une classe qui n'a rien à perdre que ses chaînes et qui ne saurait s'émanciper sans émanciper l'humanité entière. C'est la classe productive et du travail associé par excellence. C'est pourquoi le prolétariat est la seule classe porteuse de la solution aux contradictions désormais insurmontables et insupportables des sociétés divisées en classes. La solution historique que porte le prolétariat est le communisme. La profondeur de ce changement historique et l'impossibilité de toute mesure dans ce sens au sein du capitalisme qui font de la révolution sa première condition, rendent également indispensable la substitution de la domination de classe capitaliste par celle du prolétariat pour assurer la marche vers le communisme. La dictature est incontestablement liée au fait de la domination mais elle est bien plus que cela. "La dictature, écrit Lénine, signifie un pouvoir illimité s'appuyant non pas sur la loi mais sur la force" (). L'idée de la force liée à la dictature n'est pas nouvelle, ce qui nous paraît plus intéressant est la première partie de cette phrase qui contient l'idée d'un "pouvoir illimité". Lénine insistera beaucoup.".Ce pouvoir ne reconnaît aucun autre pouvoir, aucune loi, aucune norme d'où qu'ils viennent".() Particulièrement intéressant est cet autre passage où il fait ressortir l'idée de la dictature du prolétariat, dans un sens plus large que la simple force -."Cette question est posée habituellement par ceux qui rencontrent pour la première fois le mot dictature dans une acceptation nouvelle pour eux. Les gens sont habitués à ne voir que le pouvoir policier et la dictature policière. Il leur semble étrange qu'il puisse exister un pouvoir sans aucune police, qu'il puisse y avoir une dictature qui ne soit pas policière".() C'est le pouvoir des soviets tant exalté par Lénine et qui a créé "... de nouveaux organes du pouvoir révolutionnaire : soviets d'ouvriers, de soldats, de cheminots, de paysans; nouvelles autorités à la ville et à la campagne, "et qui ne s'appuyaient ni sur la "force des baïonnettes" ni sur celle du "commissariat de police" et n'avait rien de commun avec les vieux instruments de la force."() Cette dictature n'est-elle pas également fondée sur la force et la coercition ? Bien sûr que oui, mais ce qui importe est de savoir distinguer sa qualité nouvelle. Alors que la dictature des anciennes classes est essentiellement dirigée contre l'avenir, contre l'émancipation humaine, la dictature du prolétariat est "celle du peuple à l'égard de l'oppression exercée par les organes policiers et autres de l'ancien pouvoir". C'est pourquoi elle peut et doit s'appuyer sur autre chose que la simple force :
"Le nouveau pouvoir, dictature de l'immense majorité, pouvait se maintenir et se maintient exclusivement à l'aide de la confiance des larges masses, exclusivement en invitant de la façon la plus libre, la plus large et la plus forte toute la masse à participer au pouvoir. Rien de caché, rien de secret, aucun règlement, aucune formalité... c'est un pouvoir qui s'offre à la vue de tous, qui fait tout sous les yeux des masses, accessible à la masse, issu directement de la masse, c'est l'organe direct et sans intermédiaire de la masse populaire et de sa volonté". ()
Nous avons ici, non pas la description de la société communiste, dans laquelle n'existe plus aucun problème de pouvoir, mais de la période révolutionnaire où la question du pouvoir occupe une place centrale. C'est de ce pouvoir de la dictature du prolétariat dont il est question. Nous trouvons là, sous la plume de Lénine ce qu'est et doit être la dictature du prolétariat et nous retrouvons là l'essence même de la notion marxiste du dépérissement de l'Etat. C'est dans le même sens qu'Engels pouvait écrire : "Vous voulez savoir, Messieurs ce qu'est la dictature du prolétariat, regardez la Commune".
La dictature du prolétariat c'est le pouvoir illimité de la classe d'exercer librement et pleinement ses activités créatrices, c'est sa prise en charge "sans intermédiaire" de sa destinée et ce celle de la société toute entière, entraînant derrière lui les autres classes et couches travailleuses. Ce pouvoir, le prolétariat ne peut le déléguer â aucune formation particulière sans se saborder et renoncer à son émancipation car "l'émancipation du prolétariat ne peut être que l'oeuvre du prolétariat lui-même".
La classe capitaliste ainsi que les autres classes exploiteuses dans l'histoire, unies dans le but de l'exploitation, sont elles-mêmes divisées en fractions hostiles les unes aux autres, avec des intérêts divergents, et ne peuvent trouver leur unité que dans le règne d'une fraction particulière, celle qui assume la fonction de l'Etat. Le prolétariat ne connait pas en son sein d'intérêts divergents et hostiles. Son unité, il la trouve dans son but : le communisme et dans son organisation unitaire de classe : les conseils ouvriers. C'est de lui-même et en lui-même qu'il tire son unité et sa force. Sa conscience lui est dictée par son existence. Il n'y a aucune médiation entre son être et sa conscience. Le processus de sa prise de conscience se manifeste par l'apparition, en son sein, de courants de pensées et d'organisations politiques. Ceux-ci peuvent être parfois les porteurs d'idéologie de classes étrangères à lui ou bien les manifestations extrêmement importantes et précieuses d'une véritable prise de conscience de ses intérêts historiques. Le Parti communiste représente assurément la fraction la plus consciente de la classe, mais ne peut jamais prétendre être la classe elle-même, ni la remplacer dans l'accomplissement de ses tâches historiques. Aucun parti, ni même le Parti communiste ne peut réclamer un "droit" de direction, ni un pouvoir particulier de décision dans la classe. Le pouvoir de décision est l'attribut exclusif de l'organisation unitaire de la classe et de ses organes élus et révocables, un pouvoir qui ne peut jamais être aliéné à aucun autre organisme, sous le risque d'altérer gravement le fonctionnement de l'organisation de la classe et l'accomplissement de ses tâches. C'est pourquoi, il est inconcevable que les organes de direction soient confiés, même par un vote à tel ou tel groupement particulier. Cela serait reproduire au sein du prolétariat le mode de fonctionnement et de pratique propre aux classes non prolétariennes.
Toutes les formations politiques qui se situent dans le cadre de la reconnaissance de l'autonomie de la classe par rapport aux autres classes et son pouvoir illimité à l'hégémonie dans la société, doivent avoir la pleine liberté d'action et de propagande au sein de la classe et de la société, car "une des conditions de la prise de conscience de la classe est la libre circulation et confrontation des idées en son sein." (Marx)
Des esprits chagrins croient déceler dans cette conception de la dictature du prolétariat, un relent de "démocratisme". De même qu'ils prennent la révolution bourgeoise comme modèle de la révolution prolétarienne, ils prennent la dictature de la bourgeoisie pour modèle de la dictature du prolétariat. Parce que la dictature de la bourgeoisie, c'est l'Etat et rien que l'Etat, ils prennent l'Etat qui surgit inévitablement dans la période de transition, après la victoire de la révolution prolétarienne pour la dictature du prolétariat, ne faisant aucune distinction entre l'un et l'autre. Leur attention ne s'arrête pas un instant sur le simple fait suivant : alors que la bourgeoisie n'a pas d'autre organisation unitaire de sa classe que l'Etat, le prolétariat, lui, crée cette organisation unitaire groupant l'ensemble de sa classe : les Conseils, pour faire sa révolution et la maintenir après, sans la dissoudre dans l'Etat. Le pouvoir illimité de ces Conseils, voilà la Dictature du Prolétariat qui s'exerce sur toute la vie de la société y compris sur le semi Etat de la période de transition. La notion marxiste de semi-Etat ou d'Etat-Commune leur échappe complètement et ils ne retiennent, de la dictature du prolétariat, que le mot générique de Dictature, qu'ils identifient à l'Etat fort, à l'Etat terreur. Par ailleurs, ils identifient la Dictature de la classe à la dictature du Parti, ce dernier dictant sa loi, par la force, à la première. Cette vision peut se résumer ainsi: un parti unique s'emparant de l'Etat, exerçant la terreur pour soumettre l'organisation unitaire du prolétariat : les Conseils et tout le système soviétique de la société de la période de transition. Une telle dictature du prolétariat ressemble comme deux gouttes d'eau au type achevé de l'Etat capitaliste totalitaire : l'Etat stalinien et l'Etat fasciste.
Les prétendus arguments sur le rejet de toute référence à majorité-minorité, ramenés à une ridicule question de 49 et 51%, sont des jongleries sophistiques, une phraséologie creuse, un radicalisme de façade qui estompent le vrai problème. La question n'est pas que la majorité ne porte pas forcément la vérité, parce que majorité, mais de comprendre que la Révolution prolétarienne ne peut être l'oeuvre d'une minorité de la classe. Ce n'est pas ici une question de formalisme, mais de l'essence, du contenu même de la Révolution, à savoir que la classe "organise ses propres forces comme force sociale" (Marx) et ne les sépare plus comme force extérieure, indépendante d'elle. L'accomplissement de la révolution est donc inséparable de la participation effective et illimitée des immenses masses de la classe, de leur activité et organisation. C'est en cela que consiste avant tout la dictature du prolétariat. Ceci ne s'accorde donc pas avec le renforcement d'un Etat tout puissant, mais avec son affaiblissement, un Etat amputé dès sa naissance par la volonté et le pouvoir illimité du prolétariat.
La dictature du prolétariat est corrélative avec le concept du dépérissement de l'Etat, tel que le marxisme, de Marx à Lénine de 'l'Etat et la Révolution" l'ont toujours défendu. Ce n'est pas l'Etat qui fait et exerce la dictature, mais c'est la Dictature du Prolétariat qui supporte l'existence encore inévitable d'un semi-Etat et assure le processus de son dépérissement.
La différence entre les marxistes et les anarchistes ne réside pas dans ce que les premiers concevraient un socialisme avec un Etat et les seconds une société sans Etat. Sur ce point, il y accord total. C'est plutôt avec les pseudo marxistes de la Social-démocratie, héritiers de Lassai le qui conjuguaient le Socialisme avec l'Etat, que cette différence existe, et elle est fondamentale, (cf. La "Critique du Programme de Gotha" de Marx et l'"Etat et la Révolution" de Lénine). Le débat avec les anarchistes portait sur leur méconnaissance totale d'une période de transition inévitable et sur le fait qu'en bons idéologues, ils dictaient à l'histoire un saut à pieds joints, immédiat et direct, du Capitalisme à la société communiste. ()
Il est absolument impossible d'aborder le problème de l'Etat après la Révolution si on n'a pas compris auparavant qu"entre la société capitaliste et la société communiste se place la période de transformation révolutionnaire de la première en la seconde" (), si on n'a pas compris pourquoi cette période se situe non avant mais après la révolution victorieuse, ni en quoi consiste son caractère radical par rapport aux périodes analogues dans le passé, ni le fait qu'après avoir détruit la domination de la classe capitaliste, subsistent dans la société des classes avec d'immenses masses travailleuses qui sont profondément anti-capitalistes sans être pour autant pro-communistes et qu'il ne saurait être question de les tenir à l'écart de la vie politique et de la participation active à l'organisation de la société.
Ce n'est qu'en partant de ces données objectives des exigences de la réalité historique et non en partant de l'Etat en soi qu'on peut comprendre :
1) son resurgissement inévitable
2) sa différence fondamentale avec les autres types d'Etat
3) la nécessité d'une attitude active de la part du prolétariat pour la limitation progressive de ses fonctions et en vue de son dépérissement.
Examinons de plus près ces points :
)1 son surgissement inévitable
a) Plus que dans les autres révolutions, le prolétariat se heurtera à la plus féroce et opiniâtre résistance de la part de la classe capitaliste vaincue. Il est à souligner que pour l'acte de la révolution, c'est-à-dire chasser la classe capitaliste de sa position dominante et brise son appareil d'Etat, le prolétariat y parvient en s'appuyant strictement sur son pouvoir de classe, c'est-à-dire ses organisations, sans avoir besoin d'aucun type d'Etat. Le souffle brûlant de la révolution démoralise et désorganise l'armée permanente composée en majorité d'ouvriers et de paysans dont une grande partie passe du côté de la révolution. Mais une fois vaincue, la bourgeoisie dans sa rage effrénée de revanche, décuple sa résistance, regroupe ses forces, reconstitue une armée sélectionnée de volontaires forcenés et de mercenaires, et dans la terreur déchaîne une guerre contre-révolutionnaire sans merci. Face à une telle guerre rangée menée selon toutes les règles de l'art militaire, le prolétariat ne peut se contenter d'opposer ses masses en armes mais se trouve obligé de construire à son tour une armée régulière, avec une incorporation non seulement des ouvriers mais de l'ensemble de la population. Guerre, représailles, coercition systématique contre les menées de la contre-révolution, voilà les premières déterminations du surgissement de l'institution étatique.
Pour si importantes que soient les raisons de la lutte militaire et les nécessités de la coercition contre les menées contre-révolutionnaires de la classe capitaliste, même au point d'occuper pendant la guerre civile une place de premier plan, ce serait cependant une erreur simpliste de les prendre pour la raison essentielle, encore moins unique, du surgissement de l'Etat. Le simple fait que l'Etat se maintienne et dure bien au-delà de la période de guerre civile en est une preuve suffisante.
Dans le même sens, il est important de retenir cette différence existant entre les autres Etats dans le passé, pour lesquels la coercition était essentiellement dirigée contre les classes montantes -donc durables- alors qu'ils s'accommodaient avec les anciennes classes dominantes, et l'Etat de la période de transition pour lequel c'est exactement le contraire : aucune coercition ne s'impose contre des classes montantes qui n'existent pas, mais uniquement contre les anciennes classes avec qui aucune collaboration ne saurait exister.
b) La société dans la période de transition est encore une société divisée en classes. Le marxisme et l'histoire enseignent qu'aucune société divisée en classes ne saurait subsister sans un Etat, non pas comme médiateur mais comme institution indispensable pour maintenir la cohésion nécessaire, pour empêcher la société de succomber et de se détruire.
De plus, il est indispensable et possible pour le prolétariat d'enlever tout droit politique aux membres de l'ancienne classe -classe très minoritaire-, il serait un pur non sens et hautement préjudiciable et d'ailleurs impossible d'exclure les grandes masses des classes non prolétariennes mais non exploiteuses de la vie politique et sociale. Ces masses sont vivement intéressées et concernées par tous les problèmes économiques, politiques, culturels de la vie immédiate de la société. Le prolétariat ne peut ignorer leur existence ni exercer à leur égard, dans ses transformations révolutionnaires, une coercition systématique. A l'égard de ces masses, le prolétariat ne peut mener qu'une politique de réformes, de propagande et d'incorporation à la vie sociale, sans pour autant se dissoudre lui-même ni abdiquer à l'égard de sa mission et de son hégémonie qu'est la dictature du prolétariat.
Cette incorporation nécessaire de ces masses prend la forme de cette institution particulière qu'est l'Etat-Commune et qui est encore un Etat. C'est essentiellement l'existence de ces classes, leur lente dissolution et la nécessité impérieuse de leur incorporation qui rendent inévitable le surgissement de l'Etat dans la période de transition au socialisme.
c) Aux deux raisons citées plus haut s'ajoutent les besoins de centralisation et d'organisation de la production, de la distribution, des rapports avec le monde environnant etc., en un mot toute l'administration des choses et de la vie publique complètement bouleversée par la révolution et que la société n'a pas encore appris et n'est pas encore à même de séparer du gouvernement des hommes.
Ces trois raisons se conjuguent pour agir puissamment comme facteurs déterminants pour le surgissement de l'Etat après la révolution.
2) La différence fondamentale de cet Etat avec les autres types d'Etat
Engels disait, analysant la Commune de Paris, que ce n'était plus proprement un Etat. Voulant mettre en évidence les différences profondes avec l'Etat classique, Marx, Engels, Lénine lui ont donné des noms différents: Etat-Commune, semi-Etat, Etat populaire, Dictature démocratique, Dictature révolutionnaire, etc. Tous ces noms se réfèrent, en les mettant en relief, aux caractères spécifiques qui le différencient avec 1'Etat dans le passé.
Lénine ne confond pas cet Etat avec la Dictature du prolétariat car cet Etat est seulement "la dictature démocratique révolutionnaire du prolétariat et des paysans pauvres". "Certes, disait Lénine, la démocratie est aussi une forme d'Etat qui devra disparaître quand celui-ci disparaîtra lui-même, mais cela n'arrivera que lors du passage au socialisme définitivement victorieux et affermi, au communisme intégral".
Et Lénine de préciser le rôle du prolétariat après qu'il ait "démoli" l'Etat bourgeois : "le prolétariat doit organiser tous les éléments exploités de la population afin qu'eux-mêmes prennent directement en mains les organes du pouvoir d'Etat en formant eux-mêmes les institutions de ce pouvoir".
Ces lignes furent écrites au début mars 1917, un mois à peine après la révolution de Février. Ce thème, de la prise de l'Etat "aux mains de tous les éléments exploités de la population", nous le trouverons développe dans des dizaines d'articles de Lénine, et particulièrement dans "L'Etat et la Révolution". Et nous pouvons répéter avec lui "voilà le type d'Etat dont nous avons besoin" et que la révolution fait surgir.
3) La nécessité d'une attitude active de la part du prolétariat pour la limitation progressive des fonctions et en vue du dépérissement de l'Etat
Nous venons de voir l'énorme distance qui sépare l'Etat de la période de transition -qui n'est plus d'après Engels, à proprement parler un Etat-de tous les autres. Et pourtant d'après le même Engels "il est un fléau" dont hérite le prolétariat et Engels se charge de mettre en garde ce dernier contre ce "fléau". Comment le comprendre ?
Marx et Engels ont mis en relief les mesures que la Commune de Paris a immédiatement ressenti le besoin de prendre contre ce semi-Etat, notamment en rendant révocable à tout moment toute élection et en limitant la rémunération de ses élus et fonctionnaires au salaire moyen d'un ouvrier, afin de limiter ses tendances nocives. Lénine ne cessait de rappeler et de se référer à ces mesures, montrant ainsi l'importance qu'il accordait aux graves dangers de bureaucratisation que comportait même ce type d'Etat-Commune.
La Commune de Paris, limitée à une seule ville, et d'une courte durée de deux mois, avait eu à peine l'occasion de manifester les côtés dangereux de ce semi-Etat. On ne peut que rester encore plus admiratif devant l'étonnante perspicacité politique d'Engels, parvenant dans ces conditions à déceler et mettre en garde contre ce caractère de fléau de l'Etat post-révolutionnaire.
La révolution d'Octobre dans un pays immense, avec une population de plus de cent millions d'habitants et une durée de plusieurs années, devait servir autrement comme terrain d'expérience. Cette expérience devait confirmer tragiquement et au-delà de tout ce que l'on pouvait imaginer même dans le pire des cauchemars, les mises en garde d'Engels contre ce fléau.
Quand nous énumérions, après Marx, Engels et Lénine les caractères distinctifs de cet Etat, c'est plutôt ce qu'il devrait être que ce qu'il est de lui-même. De lui-même, il porte une lourde charge de toutes les tares héritées de tous les Etats qui l'on précédé. Il appartient au prolétariat d'être extrêmement vigilant à son égard. Le prolétariat ne peut éviter son surgissement, ni se soustraire à l'obligation de son utilisation, mais pour cela il devra , dès l'apparition de cet Etat, amputer ses aspects les plus nocifs afin de pouvoir le rendre utilisable pour ses propres fins.
L'Etat n'est pas le porteur ni l'agent actif du communisme. Il est plutôt son entrave. Il reflète l'état présent de la société et comme tout Etat, il a tendance à maintenir, conserver le statu quo. Le prolétariat, porteur du mouvement de la transformation sociale, oblige l'Etat à agir dans ce sens. Il ne peut l'obliger à cela qu'en le contrôlant de l'intérieur et en le dominant de l'extérieur, en lui ôtant, en le dépouillant, autant que les conditions le permettent, de ses fonctions, assurant ainsi activement le processus de son dépérissement.
L'Etat tend toujours à s'accroître démesurément. Il offre pour cela un terrain de prédilection à toute la fange d'arrivistes et autres parasites et recrute facilement ses cadres parmi les éléments résidus et vestiges de l'ancienne classe dominante en décomposition. C'est ce qu'a pu constater Lénine quand il parle de l'Etat comme la reconstitution de l'ancien appareil d'Etat tsariste. Cette machine d'Etat, comme le constatait encore Lénine, "tend à échapper à notre contrôle et tourne dans le sens contraire à ce que nous voulons". C'est encore Lénine qui, indigné, ne trouvait pas de mots assez durs pour stigmatiser les énormes abus et vexations de toutes sortes auxquels se livraient les représentants de l'Etat contre la population. Cela n'était pas seulement le fait de la vieille canaille tsariste qui Infestait l'appareil de l'Etat, mais également le personnel recruté parmi les communistes pour qui Lénine avait créé le nom de komtchvanstva (voyous communistes).
On ne peut combattre de telles manifestations si on les considère simplement comme accidentelles. Pour les combattre .efficacement, il faut aller au fond des choses, reconnaître qu'elles plongent leurs racines dans ce fléau qu'est l'inévitable survivance de cette superstructure qu'est l'Etat. Il ne s'agit pas de se lamenter, de lever les bras au ciel et de s'incliner impuissants devant une "fatalité". Le déterminisme n'est pas une philosophie du fatalisme; il ne s'agit pas davantage de prétendre que, par notre simple volonté, la société peut échapper à la nécessité du surgissement de l'Etat. Cela serait tomber dans l'idéalisme. Mais, si nous devons reconnaître que l'Etat s'impose à nous comme une "exigence de la situation" (Lénine), comme une nécessité, il importe de ne pas faire ce cette nécessité vertu, de se mettre à faire l'apologie de l'Etat et de chanter ses louanges. Le marxisme reconnait l'Etat comme une nécessité mais aussi comme un fléau et pose devant le prolétariat le problème des mesures à prendre pour assurer son dépérissement.
Il ne sert à rien d'accoupler de trente-six façons les mots Etat et prolétariat et ouvrier. On ne résout pas le problème en changeant de nom, on ne fait que l'esquiver en l'aggravant encore par la confusion. L'Etat prolétarien est un mythe. Lénine le rejetait, rappelant que c'était "un gouvernement des ouvriers et des paysans avec une déformation bureaucratique". C'est une contradiction dans les termes et c'est une contradiction dans la réalité. La grande expérience de la révolution russe est là pour en témoigner. Chaque fatigue, chaque défaillance, chaque erreur du prolétariat a Immédiatement pour conséquence le renforcement de l'Etat, et inversement, chaque victoire, chaque renforcement de l'Etat se fait en évinçant un peu plus le prolétariat. L'Etat se nourrit de l'affaiblissement du prolétariat et de sa dictature de classe. La victoire de l'un est la défaite de l'autre.
Il ne sert à rien de vouloir faire de l'organisation unitaire du prolétariat : les conseils ouvriers, l'Etat. Proclamer le Comité Central des conseils ouvriers, l'Etat, tient chez les promoteurs d'une telle idée autant de l'astuce que de l'ignorance des vrais problèmes posés par la réalité. A quoi bon affubler le conseil du nom d'Etat, s'ils sont synonymes et recouvrent la même chose ? Est-ce par amour du joli nom d'Etat ? Ces malins, à la phrase radicale, ont-ils jamais entendu parler des conseils ouvriers comme d'un fléau ou de la nécessité de leur dépérissement ? En proclamant que le conseil est l'Etat, ils excluent et interdisent toute participation des classes travailleuses non prolétariennes à la vie de la société, participation qui est comme nous l'avons vu, la principale raison du surgissement de l'Etat, ce qui est une impossibilité et une absurdité à la fois (). Et si, pour échapper à cette absurdité, on entend faire participer ces classes et ces couches dans les conseils ouvriers, ce sont ces derniers qu'on altère et on leur fait perdre leur nature d'organisation unitaire autonome du prolétariat.
On doit rejeter également une structuration de l'Etat sur la base d'une composition des différents corps sociaux (ouvriers, paysans, professions libérales, artisans, etc.) organisés séparément. Cela serait institutionnaliser leur existence et prendre pour modèle l'Etat corporatiste de Mussolini. C'est perdre de vue que nous ne sommes pas devant une société à mode d'existence fixe, mais dans une période de transition. C'est en tant que membres de la société que toute la population non exploiteuse participe à la vie sociale dans les soviets territoriaux et c'est seulement le prolétariat, parce que porteur du devenir communiste, qui, en plus, participe hégémoniquement à la vie sociale et la dirige, organisé en tant que classe dans ses conseils ouvriers.
Sans entrer dans des détails de modalité, nous pouvons retenir pour principes la structure suivante de la société de la période de transition :
1) Toute la population non exploiteuse est organisée sur la base des soviets-Communes territoriaux, se centralisant de la base au sommet, donnant naissance à cet organe qu'est l'Etat-Commune.
2) Les ouvriers participent à cette organisation soviétique, individuellement comme tous les autres membres de la société, et collectivement par leur organisation de classe autonome, à tous les échelons de cette organisation soviétique.
3) Le prolétariat s'assure une prépondérance dans la représentation, à tous les échelons, mais surtout dans les échelons supérieurs.
4) Le prolétariat garde sa pleine et entière liberté par rapport à l'Etat. Sous aucun prétexte, le prolétariat ne saurait reconnaître la primauté de décision des organes de l'Etat sur celle de son organisation de classe : les conseils ouvriers, et devrait imposer le contraire.
5) En particulier, il ne saurait tolérer l'immixtion et la pression d'aucune sorte de l'Etat dans la vie et l'activité de la classe organisée excluant tout droit et possibilité de répression de l'Etat &' l'égard de la classe ouvrière.
6) Le prolétariat conserve son armement en dehors de tout contrôle de l'Etat.
Il nous reste encore à affirmer que le Parti politique n'est pas un organe d'Etat. Longtemps, les révolutionnaires ont vécu dans cette optique, marquant ainsi l'immaturité de la situation objective et leur propre manque d'expérience. L'expérience de la révolution russe a montré la caducité de cette vision. La structure de l'Etat basée sur les partis politiques, est propre à l'Etat bourgeois et plus spécifiquement à la démocratie bourgeoise. La société de la période de transition ne délègue pas son pouvoir à des partis, c'est-à-dire à des corps spécialisés. Le semi-Etat de cette période a pour structure le système des soviets, c'est-à-dire une participation constante et directe des masses à la vie et au fonctionnement de la société. C'est à cette condition que ces masses peuvent, à chaque moment, révoquer leurs représentants, les remplacer et exercer un contrôle permanent sur eux. La délégation du pouvoir à des partis quels qu'ils soient, revient à réintroduire la division entre le pouvoir et la société, et par conséquent, s'avère la plus grande entrave à son émancipation.
Par ailleurs, comme l'a montré l'expérience de la révolution d'Octobre, la prise en mains ou la participation du parti du prolétariat à l'Etat altère profondément ses fonctions. Sans entrer dans la discussion sur la fonction du parti et ses rapports avec la classe qui relève d'un autre débat- il suffit ici de mentionner simplement que les raisons contingentes et les raisons d'Etat finissent par prévaloir pour le parti, par l'identifier à l'Etat et le séparer de la classe, jusqu'à l'opposer à celle-ci.
En conclusion, une chose doit être claire une fois pour toutes. Quand nous parlons d'autonomie, il s'agit de l'autonomie de la classe à 1'égard de l'Etat et non de celle de l'Etat. L'Etat, lui doit être subordonné à la classe. La tâche du prolétariat est de veiller au dépérissement de l'Etat. La condition première en est la non-identification de la classe avec l'Etat.
M.C
Marx, "Critique de la Philosophie de l'Etat de Hegel" p.29
Hegel, "La Raison dans l'Histoire", p.136
Marx, "La Question Juive"
"... le pouvoir politique est précisément le résumé officiel de l'antagonisme dans la société civile" (Marx, "Misère de la Philosophie" Edts Pléiade, p.136)
Nous excluons volontairement les menaces extérieures, c'est-à-dire de pays à pays qui est un problème qui existe mais qui, en l'occurrence ne ferait qu'encombrer et entraver la clarté du texte et ce que nous voulons élucider ici : le rôle de l'Etat dans l'évolution des sociétés.
Lénine "La victoire des cadets et les tâches du parti ouvrier" (28/3/1906)
idem, p.250 - 251
idem, p.250 - 251
idem, p.250 - 251
idem, p.250 - 251
Comme il arrive souvent avec l'idéalisme, il n'est radical dans la spéculation abstraite que pour mieux tomber dans la pratique concrète aux pires opportunismes, ce qui n'a pas manqué d'arriver aux anarchistes. Leur farouche "anti-tout-étatisme" postrévolutionnaire, fondé sur une volontaire ignorance des exigences de la situation historique les a directement menés à s'intégrer et à défendre encore plus farouchement l'Etat bourgeois "républicain" dans la guerre d'Espagne de 1936-39.
Marx, "Critique du Programme de Gotha".
C'est dans une erreur semblable qu'est tombée l'Opposition Ouvrière, quand elle réclamait la remise de l'Etat aux mains des syndicats, et c'est avec raison que Lénine la taxait de conception anarcho-syndicaliste.
Dans le numéro précédent de la “Revue Internationale”, nous avons déjà publié un texte sur la question du terrorisme, de la terreur et de la violence de classe, dégageant les fondements de1’intervention du CCI au travers de ses divers organes de presse, répondant globalement d’une part à la grande offensive idéologique et policière de la bourgeoisie et d’autre part aux différentes conceptions courantes admises dans l’ensemble du milieu révolutionnaire face aux récentes actions terroristes. Le texte que nous publions ici sous forme de résolution souligne, prolonge et approfondit les différents points développés dans le texte précédent avec la préoccupation constante de toujours mieux cerner la nature de classe de la violence libératrice et émancipatrice du prolétariat.
La résolution n’a pas pour but de donner une réponse précise et détaillée à toutes les questions et problèmes concrets qui se posent et se poseront à la classe ouvrière dans son activité révolutionnaire, activité qui part de la reprise des luttes vers la période de transformation révolutionnaire de la société, en passant par la phase insurrectionnelle et la prise du pouvoir. La résolution ne traite pas non plus de l’utilisation directe que la bourgeoisie peut faire du terrorisme. Son but est de donner un cadre, une conception d’ensemble qui permette d’aborder ces problèmes d’un point de vue prolétarien autrement qu’au travers d’affirmations simplistes telles que : “la violence, c’est la violence”, “la violence, c’est la terreur”, “dire que la violence n’est pas la terreur, c’est du pacifisme”, etc., cette casuistique de “la fin justifie les moyens” comme disait le texte précédent.
Tels sont les buts que se fixe la résolution publiée ci-dessous.
De plus, le texte montre que s’il y a une question où les rapports entre “buts et moyens” se trouvent particulièrement liés en se conditionnant mutuellement, c’est bien celle de la violence révolutionnaire du prolétariat. Cela implique que dans les discussions actuelles sur le terrorisme, la terreur et la violence de classe, c’est le coeur même de la conception de la révolution prolétarienne qui est abordé.
1) Il est absolument faux de présenter ce problème en
termes d’un dilemme : terreur ou pacifisme. Le pacifisme n’a jamais existé
dans la réalité d’une société divisée en classes, aux intérêts antagoniques.
Dans une telle société, ce qui régit les rapports entre les classes ne peut
être que la lutte. Aussi, le pacifisme n’a jamais été autre chose qu’une idéologie;
dans le meilleur des cas, un mirage des couches impuissantes et veules d’une
petite bourgeoisie sans devenir, dans le pire des cas, une mystification, un
mensonge éhonté des classes dominantes pour détourner les classes exploitées de
la lutte et leur faire accepter le joug de l’oppression. Raisonner en termes de
terreur ou pacifisme, opposer l’un comme une alternative de l’autre, c’est se
laisser prendre soi-même dans les filets d’un piège et finalement accréditer ce
faux dilemme, tout couine c’est le cas d’un autre piège construit également sur
un faux dilemme : guerre ou paix.
Il est indispensable de bannir des débats toute utilisation de
ce faux dilemme car en ne faisant qu’opposer la fantaisie à une réalité, on ne
fait que tourner le dos et escamoter le vrai problème qui se pose, celui de la
nature de classe de la terreur, du terrorisme et de la violence de classe.
2) De même qu’on escamote le vrai problème de la
terreur et de la violence de classe en lui substituant un faux dilemme de
terreur et pacifisme, de même on escamote complètement ce problème en
établissant une identification entre ces termes. Dans le premier cas, on l’escamote
en lui substituant un faux dilemme, dans le deuxième cas, le problème lui-même
s’évanouit et, nié, disparaît complètement. Or, il est pour le moins
stupéfiant, pour des marxistes, de concevoir que des classes aussi différentes
de nature que sont la bourgeoisie et le prolétariat, l’une porteuse de
l’exploitation, l’autre de l’émancipation, l’une porteuse de la répression,
l’autre de la libération, l’une porteuse du maintien et de la perpétuation de
la division de l’humanité, l’autre de son unification dans une communauté
humaine, que ces deux classes, l’une représentant le règne de la nécessité, de
la pénurie et de la misère, l’autre le règne de la liberté, de l’abondance et
de l’épanouissement de l’homme, que ces deux classes puissent avoir comme expression
les mêmes moeurs, le même comportement, les mêmes moyens et modes d’action.
En établissant cette identification, on escamote tout ce qui
distingue et oppose ces deux classes, non pas dans les nuées de la spéculation,
dans l’abstrait, mais dans la réalité de leur pratique. A force
d’identification de leurs pratiques, on finit par établir une identité entre
les sujets eux-mêmes, entre la bourgeoisie et le prolétariat, car il est
aberrant d’affirmer d’une part que nous sommes en présence de deux classes
d’essence diamétralement opposée et de soutenir d’autre part que ces deux
classes ont dans la réalité une pratique identique.
3) Pour cerner le fond du problème concernant la terreur, il nous faut mettre de côté ce qui n’apparaît que comme une querelle de mots, pour mettre a nu ce que les mots recouvrent. Autrement dit, le contenu et la pratique de la terreur et sa signification. Il faut commencer par rejeter la vision d’une séparation possible entre le contenu et la pratique. Le marxisme renvoie dos à dos la vision idéaliste d’un contenu éthéré existant hors de la matérialité réelle qu’est sa pratique et la vision pragmatique d’une pratique vide de contenu. Contenu et pratique, but et moyens, sans être des identités, constituent néanmoins des moments d’une unité indissoluble. Il ne saurait y avoir une pratique distincte et opposée à son contenu et on ne saurait mettre en question un contenu sans mettre en question ipso facto sa pratique. La pratique révèle nécessairement son contenu, tout comme ce dernier ne peut s’affirmer que dans sa pratique. Ceci est particulièrement évident au niveau de la vie sociale.
4) Le capitalisme est la dernière société divisée en
classes de l’histoire. La classe capitaliste fonde sa domination sur
l’exploitation économique de la classe ouvrière. Pour assurer cette
exploitation et l’accentuer au maximum, la classe capitaliste, comme toutes les
classes exploiteuses dans l’histoire recours à tous les moyens de coercition,
d’oppression et de répression dont elle peut disposer. Aucun des moyens les
plus inhumains, les plus sauvages, les plus sanglants ne saurait être exclu par
elle pour assurer et perpétuer l’exploitation. Plus se manifestent des difficultés
internes, plus se manifeste la résistance des ouvriers et plus sanglant est
l’exercice de la répression. A cette fin, elle a développé tout un arsenal de
moyens de répression les prisons, les déportations, les assassinats, les camps
de concentration, les guerres génocides, la torture la plus raffinée et
nécessairement aussi tout un corps social spécialisé dans leur mise en oeuvre -la
police, la gendarmerie, l’armée, le corps juridique, les tortionnaires
qualifiés, les commandos et les bandes para militaires. La classe capitaliste
dépense une part de plus en plus grande de la plus-value extraite de
l’exploitation de la classe ouvrière à l’entretien de cet appareil de répression,
au point que ce secteur est devenu aujourd’hui le plus important et le plus
florissant champ de l’activité sociale. Dans le but de maintenir sa domination,
la classe capitaliste est entrain de mener la société à la pire des ruines et
vouer toute l’humanité aux pires souffrances et à la mort.
Ce n’est pas là une description émotive de la barbarie
capitaliste que nous entendons faire mais plus prosaïquement la description de
ce qui constitue sa pratique.
Cette pratique qui imprègne toute la vie sociale, toutes les
relations entre les hommes et qui pénètre dans tous les pores de la société,
cette pratique, ce système de domination, nous l’appelons la terreur. La
terreur n’est pas tel ou tel acte de violence épisodique et circonstanciel. La
terreur est un mode particulier de la violence, inhérent aux classes
exploiteuses. C’est une violence concentrée, organisée, spécialisée, entretenue
et en constant développement et perfectionnement, en vue de perpétuer
l’exploitation.
Ses caractères principaux sont :
5) Le prolétariat n’est plus la seule classe à subir
les rigueurs de la terreur de l’État sur la société. La terreur s’exerce
également sur toutes les classes et couches petites-bourgeoises, paysans,
artisans, petits producteurs et commerçants, intellectuels et professions libérales,
scientifiques et jeunesse étudiante, et se prolonge jusque dans les rangs mêmes
de la classe bourgeoise. Ces couches et classes n’offrant aucune alternative
historique au capitalisme, excédées et exaspérées par la barbarie du système et
de sa terreur, ne peuvent lui opposer que des actes de désespoir : le
terrorisme.
Bien qu’il puisse être également utilisé par certains secteurs
de la bourgeoisie, le terrorisme est essentiellement le mode d’action, la pratique
des couches et classes désespérées et sans devenir. C’est pourquoi cette pratique
qui se veut “héroïque et exemplaire” n’est en fait qu’une action de suicide.
Elle n’offre aucune issue et n’a d’autre effet que de fournir des victimes à la
terreur de l’État. Elle n’a aucun effet positif sur la lutte de classe du prolétariat
et ne sert souvent qu’à entraver cette lutte dans la mesure où elle fait naître
des illusions parmi les ouvriers sur la possibilité d’une autre voie que celle
de la lutte de classe. C’est pour cela aussi que le terrorisme, pratique de
la petite-bourgeoisie peut être et est souvent judicieusement exploité par
l’État comme moyen de détourner les ouvriers du terrain de la lutte de classe
et sert également de prétexte pour renforcer sa terreur.
Ce qui caractérise le terrorisme, pratique de la
petite-bourgeoisie, c’est de rester une action de petites minorités ou
d’individus isolés, de ne jamais s’élever à des actions de masses, d’être mené
dans l’ombre de la petite conspiration, offrant ainsi un terrain de prédilection
aux manigances des agents de la police et de l’État, et en général à toutes
sortes de manipulations et d’intrigues les plus insolites. Si au départ le terrorisme
est l’émanation de volontés individualistes et non de l’action généralisée
d’une classe révolutionnaire, il reste également, dans son aboutissement, sur
un plan individualiste. Son action n’est plus dirigée contre la société
capitaliste et ses institutions, mais seulement contre des individualités représentatives
de cette société. Il prend donc inévitablement l’aspect d’un règlement de comptes,
d’une vengeance, d’une vendetta, de personne à personne et non celui d’un
affrontement révolutionnaire de classe contre classe. D’une façon générale, le
terrorisme tourne le dos à la révolution qui ne peut être que l’oeuvre d’une
classe déterminée, engageant de larges masses dans une lutte ouverte et
frontale contre l’ordre existant et pour la transformation sociale. Il est en outre
fondamentalement substitutionniste, ne plaçant sa confiance que dans l’action
volontariste des petites minorités agissantes.
En ce sens, l’idée est à proscrire d’un “terrorisme ouvrier”
qui se voudrait l’oeuvre de détachements du prolétariat, “spécialistes” de
l’action armée, ou bien destinés à préparer les futurs combats en donnant
l’exemple de la lutte violente au reste de la classe, ou en “affaiblissant” l’État
capitaliste par des”attaques préliminaires” Le prolétariat peut déléguer
certains détachements pour telle ou telle action ponctuelle (piquets,
patrouilles, etc.), mais sous son contrôle et dans le cadre de son mouvement
d’ensemble et, si, dans ce cadre, l’action plus décidée des secteurs
d’avant-garde peut servir de catalyseur à la lutte des larges masses, ce ne
peut jamais être à travers les méthodes conspiratives et individualistes
propres au terrorisme. Celui-ci, même s’il est pratiqué par des ouvriers ou des
groupes d’ouvriers, ne peut acquérir un caractère prolétarien, de la même façon
que la composition ouvrière des syndicats n’en fait pas des organes de la
classe ouvrière. Cependant, il ne faut pas le confondre avec des actes de
sabotage ou de violence individuelle perpétrés par des travailleurs sur des
lieux de production. De tels actes sont fondamentalement des expressions du
mécontentement et du désespoir surtout fréquents dans les périodes de reflux
pendant lesquelles ils ne peuvent en aucune façon servir de détonateur et qui
tendent, dans un moment de reprise, à s’intégrer et à être dépassés dans un
mouvement collectif et plus conscient.
Si pour toutes ces raisons, le terrorisme dans le meilleur
sens du terme (dans le pire, il peut être dirigé carrément contre les
travailleurs), ne saurait jamais être le mode d’action du prolétariat; ce
dernier ne le met jamais sur le même plan que la terreur, car il n’oublie pas
que le terrorisme, aussi futile que soit son action, est une réaction, une
conséquence provoquée par la terreur de son ennemi mortel, l’État capitaliste,
et il en est également la victime.
Le terrorisme comme pratique reflète parfaitement son
contenu : les classes petites bourgeoises dont il émane. Il est la pratique
stérile des classes impuissantes et sans devenir.
6) Dernière classe exploitée dans l’histoire, le
prolétariat porte avec lui la solution à tous le les déchirements, à toutes les
contradictions et impasses dans lesquelles la société s’est embourbée Cette
solution n’est pas seulement une réponse à son exploitation mais se rapporte à
toute la société, car le prolétariat ne peut se libérer sans libérer l’humanité
toute entière de la division de la société en classes et de l’exploitation de
l’homme par l’homme. Cette solution, d’une communauté humaine librement
associée et unifiée, c’est le communisme. Dès sa naissance, le prolétariat
porte en lui les germes et certains caractères de cette humanité renaissante :
classe démunie de toute propriété privée, classe la plus exploitée de la
société, elle s’oppose à toute exploitation; classe unifiée par le capital dans
le travail productif associé, elle est la classe la plus homogène, la plus
unitaire de la société; la solidarité est une des premières de ses qualités et
est ressentie comme le plus profond de ses besoins; classe la plus opprimée,
elle combat toutes les oppressions; classe la plus aliénée, elle porte avec
elle le mouvement de la désaliénation car sa conscience de la réalité n’est
plus sujette à l’automystifi-cation dictée par les intérêts des classes exploiteuses;
les autres classes sont soumises aux lois aveugles de l’économie, le prolétariat,
lui, agissant consciemment, se rend maître de la production, supprime l’échange
marchand et organise consciemment la vie sociale.
Portant encore les stigmates de l’ancienne société d’où il
émerge, le prolétariat est appelé néanmoins à agir en fonction de son devenir.
Pour son action il ne prend pas pour modèle les agissements des anciennes classes
dominantes car dans sa pratique comme dans son être il est en tous points leur
antithèse catégorique. Les anciennes classes dominaient, motivées qu’elles
étaient pour la défense de leurs privilèges, le prolétariat n’a, lui, aucun
privilège et sa domination est pour la suppression de tout privilège. Pour les
mêmes raisons, les anciennes classes dominantes s’enfermaient dans des
barrières sociales infranchissables de caste, le prolétariat, lui, est ouvert à
l’incorporation de tous les autres membres de la société en son sein afin de
créer une seule communauté humaine.
La lutte du prolétariat, comme toute lutte sociale, est
nécessairement violence mais la pratique de sa violence est aussi distincte de
la violence des autres classes corne sont distincts leurs pro jets et leurs
buts. Sa pratique, y compris la violence, est l’action d’immenses masses et non
de minorités; elle est libératrice, l’acte d’accouchement d’une société
nouvelle harmonieuse, et non la perpétuation d’un état de guerre permanent, chacun
contre tous et tous contre chacun. Sa pratique ne vise pas à perfectionner et
perpétuer la violence mais à bannir de la société les criminels agissements de
la classe capitaliste et l’immobiliser. C’est pourquoi la violence
révolutionnaire du prolétariat ne pourra jamais prendre la forme monstrueuse de
la terreur propre à la domination capitaliste, ou la forme du terrorisme
impuissant de la petite bourgeoisie. Sa force invincible ne réside pas tant
dans sa force physique et militaire et encore moins dans la répression, que
dans sa capacité de mobiliser ses larges masses, d’associer la majorité des
couches et classes travailleuses non prolétariennes à la lutte contre la
barbarie capitaliste. Elle réside dans sa prise de conscience et dans sa
capacité de s’organiser de façon autonome et unitaire, dans la fermeté de ses
convictions et dans la vigueur de ses décisions. Telles sont les armes
fondamentales de la pratique et de la violence de classe du prolétariat.
La littérature marxiste emploie parfois le terme de terreur à
la place de violence de classe. Mais il suffit de se référer à l’ensemble de
toute l’oeuvre de Marx, pour comprendre qu’il s’agit plutôt d’une imprécision
de formulation que d’une véritable identification dans la pensée. Cette imprécision
lui vient en outre de la profonde impression qu’a laissée sur elle l’exemple de
la grande révolution bourgeoise de 1789. Quoi qu’il en soit, il est largement
temps de lever ces ambiguïtés qui amènent certains groupes, corne les
bordiguistes, à pousser à l’extrême caricature l’exaltation de la terreur et à
faire de cette monstruosité un nouvel idéal du prolétariat.
Le texte que nous publions sur le 17 juin 1953 n'a pas pour but de céder au goût des commémorations funèbres. Depuis bien longtemps, la bourgeoisie tente de conjurer les fantômes qui viennent la hanter au déclin de son existence. Ces fantômes, ce sont ceux des révolutions prolétariennes, des mouvements révolutionnaires qu'elle a écrasés et dont elle craint le retour fatidique sinon dans la réalité immédiate, du moins dans ses pensées paisibles de classe dominante. Elle tente alors de conjurer sa terreur superstitieuse devant les "dates fatidiques" en commémorant l'événement à sa façon, en l'enterrant une seconde fois. La 1ère fois, elle déchaîne toutes ses forces militaires et idéologiques contre la classe ouvrière qui menace les bases de sa domination, la 2ème fois, elle falsifie le contenu de classe de la lutte en la transformant en vulgaire lutte pour la "patrie", la "démocratie", la "liberté".
C'est ce qu'a tenté une fois de plus la bourgeoisie à l'Est comme à l'Ouest ; les uns en transformant la lutte des ouvriers est-allemands en lutte contre les "exactions staliniennes", les autres en lutte pour la "démocratie parlementaire et pluraliste". Chaque fraction de la bourgeoisie mondiale tente une fois de plus d'assassiner le prolétariat de Berlin-Est et de Saxe en dénaturant, en calomniant, en transformant son combat en son contraire, en le niant purement et simplement.
Les révolutionnaires ne font pas de la lutte du prolétariat un objet d'étude ou de culte. Pour eux, cette lutte du passé est toujours présente. C'est pourquoi elle n'est pas un objet de commémoration de leur part, mais une arme pour le combat futur, une incitation à l'action révolutionnaire. Les événements de 1953 sont nôtres, car ils sont un moment de la lutte historique du prolétariat pour son émancipation. Ils sont une preuve éclatante de la nature capitaliste des pays de l'Est, présentés par les trotskystes comme "socialistes". Ils sont la preuve que la dictature la plus impitoyable du capital à travers son Etat totalitaire ne met pas fin à la lutte de classe. Celle-ci se poursuivra tant qu'il y aura division de la société en classes et donc exploitation. Le prolétariat à réagi aux mesures d'intensification de l'exploitation et donné une réponse cinglante au mensonge trotskyste et stalinien d'un Etat "ouvrier et socialiste". Les ouvriers d'Allemagne de l'Est, avant ceux de Hongrie en 1956, de Pologne en 1970, ont pu constater que la mitraille de la police et de l'armée était de même nature que celle qui les faucha dans les années 1918-20 de Berlin à Budapest. Avec l'insurrection des ouvriers est-allemands a commencé à s'effondrer avec fracas dans la conscience du prolétariat mondial le mythe des "Etats socialistes".
Mais surtout, les ouvriers d'Allemagne orientale ont montré -malgré leur écrasement- qu'ils sont la seule force capable d'abattre l'exploitation capitaliste. En dépit de leurs illusions sur l'Occident "démocratique", pendant mystificateur de la dictature de fer de l'Etat capitaliste à l'Est, ils ont prouvé la possibilité future d'une révolution prolétarienne dans le bloc russe, par le surgissement en quelques jours de comités de grève et d’usine couvrant tout le pays. Seul le poids de la contre-révolution triomphante a pu permettre l'intervention de l'armée russe et l'isolement du prolétariat est-allemand de la partie occidentale de l'Allemagne et des autres pays d'Europe.
Aujourd'hui la période de contre-révolution qui a isolé, affaibli, détourné la lutte prolétarienne est close. Mai 68 a prouvé que le prolétariat d'Europe occidentale n'était pas "intégré" ; les émeutes ouvrières en Pologne de décembre 1970 et janvier 1971 ont montré que la lutte de classe se poursuivait et que les événements de 1953 n'étaient pas accidentels ou le produit de la seule "stalinisation" de ces pays. C'est la crise générale du capitalisme qui parallèlement à l'Est et à l'Ouest met en branle les ouvriers de tous les pays dans leur résistance à l'exploitation.
En dépit de toutes les sirènes qui en Pologne (KOR, comité de défense des ouvriers emprisonnés), en Tchécoslovaquie (Charte des 77), tentent de montrer aux ouvriers qu'ils doivent lutter pour la "nation libre", se fondre dans le "peuple", les ouvriers des pays de l'Est ne peuvent que s'intégrer dans la lutte internationale du prolétariat. Hier isolés, c'est unis dans la lutte révolutionnaire que les ouvriers de tous les pays, en dépit de tous les "rideaux de fer", monteront demain à l'assaut du ciel.
25 Ans après le sursaut du 17 juin 1953
A la fin de la seconde guerre mondiale, les gouvernements de tous les pays ont promis aux travailleurs la paix et une prospérité durable. Aujourd'hui, plus de trente ans après, nous sommes une fois de plus plongés en plein coeur d'une crise économique internationale qui, d'Est en Ouest attaque massivement le niveau de vie de la classe ouvrière. Face à la difficulté croissante à trouver des débouchés pour la production, face à l'inflation galopante, au chômage grandissant, aux faillites de plus en plus nombreuses des secteurs industriels, le capitalisme aujourd'hui suit le chemin tracé par ses contradictions internes; ce chemin mène à terme et pour la troisième fois dans notre siècle, à la lutte inter-impérialiste généralisée, au massacre.
En Allemagne de l'Ouest, la bourgeoisie, et spécialement ses fractions extrêmes tels les maoïstes, les trotskystes et les néo-fascistes met en avant le but d'une Allemagne unifiée, indépendante, démocratique et même"socialiste", comme solution à l'aspect allemand de la crise mondiale. Nous comprendrons le sens de"cette indépendance nationale et unité" quand nous nous souviendrons que le gouvernement de Bonn a fait du 17 juin et de la défaite des travailleurs est-allemands, le jour de la célébration de l'unité allemande. En réalité, il n'y a pas de solution à la crise du capitalisme, enfermé dans le cercle vicieux de crise-guerre-reconstruction- nouvelle crise, et qui laissé à lui-même, continuera de la sorte jusqu'à ce que l'humanité soit finalement détruite. C'est précisément parce que la seule manière de sortir de cette barbarie est la révolution prolétarienne mondiale, que la tâche vitale des révolutionnaires est d'analyser les expériences passées et les luttes de notre classe, de sorte que les défaites d'hier deviennent les victoires de demain.
Les pays soi-disant socialistes de l'Europe de l'Est sont le résultat de la redivision du monde après la seconde guerre mondiale. Le mot d'ordre de la"guerre sainte" contre le fascisme n'était rien d'autre que le mensonge que les bourgeoisies de l'Ouest et de Russie ont utilisé pour mobiliser les travailleurs dans la lutte pour le profit, la recherche de marchés, de matières premières pour leurs maîtres capitalistes. L'amour de la démocratie qui était censé animer les alliés n'empêcha pas Staline de pactiser avec Hitler au début de la guerre, et ainsi la Russie put s'emparer de larges zones en Europe de 1'Est.
Au fur et à mesure que la victoire des "alliés" devenait imminente, le conflit d'intérêts au sein du camp "démocratique" lui-même et en particulier entre la Russie d'un côté et les anglais et les américains de l'autre, se faisait plus intense. La Russie ne reçut que le minimum d'aide de la part de l'Ouest et la Grande-Bretagne voulut même ouvrir un deuxième front dans les Balkans, plutôt qu'en France, afin d'empêcher les Russes d'occuper l'Europe de l'Est.
Ce qui maintint l'unité de ces gangsters, ce fut la peur que la guerre, particulièrement dans les pays vaincus, puisse, comme pour la première guerre mondiale, se terminer par une éruption de luttes de classe. Les bombardements féroces des "alliés" sur les villes allemandes avaient pour but d'écraser la classe ouvrière allemande. Dans la plupart des villes, des quartiers ouvriers ont été rasés, tandis que 10 % seulement des équipements industriels furent détruits.
La résistance croissante des ouvriers qui, dans quelques cas, entraîna des soulèvements dans les camps de concentration et dans les usines, et le mécontentement des soldats (comme les désertions sur le front Est, qui furent réprimées par des pendaisons massives) fut rapidement écrasée par les forces d'occupation. Cet exemple fut suivi partout. A l'Est, l'armée russe laissait agir les forces allemandes, qui écrasaient le soulèvement de Varsovie, qui dura 63 jours et fit 240 000 morts. De la même façon, l'armée russe se rendit responsable du maintien de l'ordre et de la paix sociale en Bulgarie ainsi qu1 ailleurs dans les Balkans. A l'Ouest, les PC participaient aux gouvernements d'après-guerre en France et en Italie afin de briser les mouvements de grèves perlées et l'agitation sociale. Le PC italien au pouvoir soutenait les mêmes "alliés" démocratiques qui bombardèrent sans merci les ouvriers italiens qui occupaient les usines vers la fin de la guerre.
Les occupants "soviétiques" commencèrent à exercer un pillage organisé des territoires de l'Europe de l'Est sous leur contrôle. Dans la zone d'occupation soviétique (ZOS), de l'Allemagne de l'Est, le démantèlement de l'équipement industriel et son transport en Union Soviétique atteignit 40 % des capacités industrielles de la Z0S. la Sowjetischen Aktiengesellschaften (SAG, société soviétique par actions), qui fut fondée en 1946 emporta en Russie 200 usines clé en mains, incluant, par exemple la grande entreprise de Leuna. Dans certaines zones, à la fin de la guerre, les ouvriers réparèrent et remirent en marche les usines, et ce sont celles-là que les Russes prirent avec un empressement particulier. En 1950 le SAG constituait les proportions suivantes de l'économie de l'Allemagne de l'Est : "plus de la moitié d'industries chimiques, un tiers de produits métallurgiques et environ un quart de machines-outils". (Staritz Sozialismus in einetw halben Land, p. 103).
Une grande partie de ces profits allait en Russie, directement comme réparation. La RDA était condamnée à payer une réparation à l'URSS jusque vers 1953-54, c'est-à-dire jusqu'à ce qu'il devienne clair que ces réparations étaient néfastes pour l'économie russe elle-même. L'économie ravagée de l'Allemagne de l'Est paya la note par une augmentation brutale de l'exploitation de la classe ouvrière. Le prolétariat y était forcé afin de participer au financement de la reconstruction et de l'expansion de l'économie de guerre soviétique. Staline n'a jamais expliqué pourquoi la classe ouvrière et l'Etat ouvrier" en Allemagne de l'Est devrait payer pour les crimes de ses exploiteurs. Le renforcement du pouvoir économique de l'impérialisme russe en RDA et en Europe de l'Est, était accompagné de l'émergence de fractions bourgeoises pro-russes au pouvoir. Dans la Z0S, les staliniens du KPD en arrivèrent à former avec les assassins sociaux-démocrates de la révolution allemande, la "Sozialistiche Einheits Partei" Ses buts pour l'immédiat après-guerre avaient été déjà clairement exprimés peu avant la guerre : "La nouvelle république démocratique dépossédera le fascisme de ses bases Matérielles en expropriant les trusts capitalistes fascistes et placera de réels défenseurs des libertés démocratiques et des droits des peuples dans l'armée, dans /les forces de police et dans la bureaucratie". (Staritz, p.49).
Renforcement et "démocratisation" de l'armée, de la police, de la bureaucratie telles sont les leçons que ces bons bourgeois "marxistes" ont tirées de Marx, de Lénine et de la Commune de Paris.
Et puis, les années de l'après-guerre étant finies, vint le temps de l'annonciation du début de la construction du socialisme. Un socialisme miraculeux qui pouvait être construit sur le corps d'un prolétariat défait et écrasé. Il est intéressant dénoter que, entre 1945 et 48, même le SED ne prétendait pas que les mesures de capitalisme d'Etat qu'il mettait en avant avait quelque chose à voir avec le socialisme. Mais, aujourd'hui les gauchistes de toutes tendances, qui prétendent que les nationalisations, c'est le socialisme, préfèrent oublier le haut degré d'étatisation dans les pays d'Europe de l'Est, même avant la guerre, et spécialement dans ces pays renommés pour leurs gouvernements "réactionnaires", tels que la Pologne ou la Yougoslavie. Cette centralisation de l'économie sous la direction de l'Etat s'est poursuivie pendant l'occupation allemande ([1] [388]).
En fait, la fameuse déclaration de "construction du socialisme" alla de paire avec le resserrement économique, politique et militaire dans l'Europe de l'Est parés 1948. Ce fut le résultat direct d'un renforcement global des conflits entre les blocs américain et russe. Le plan de deux ans (à dater de 1949) prévoyait une augmentation de la production de 35 %, reposant sur un accroissement de la productivité de 30 %, 15% d'augmentation de la masse salariale, et une baisse de 7% des tarifs publics. Le but du SED était, par ce moyen d'augmenter la productivité du travail deux fois plus que les salaires. Les moyens pour arriver à ces fins reposaient sur l'amélioration dans l'organisation du travail, l'introduction de "normes strictes", la lutte contre l'absentéisme et le manque d'attention au travail. ([2] [389])
L'augmentation des salaires en 1948, pour autant qu'elle ait eu lieu, était purement et simplement le résultat de l'accroissement des cadences et de "l'émulation" en d'autres termes, elles furent le résultat de l'augmentation de l'exploitation. C'était la période du mouvement Hennecke (équivalent du stakhanovisme) et de la discipline de fer imposée dans les usines par les syndicats. Mais, même de si petites augmentations de salaire devinrent insupportables pour l'économie et durent être supprimées de diverses façons. Le bloc de l'Est moins fort économiquement, de moins en moins capable de concurrencer son rival américain fut contraint pour survivre d'extraire des superprofits sur le dos du prolétariat et de les réinvestir dans l'industrie lourde (et plus précisément dans les industries en rapport avec l'économie de guerre) et au détriment de l'infrastructure et de la production de biens de consommation... Cette situation qui requérait un contrôle immédiat et centralisé de la part de l'Etat contraint la bourgeoisie à attaquer de front le niveau de vie de la classe ouvrière.
La réponse du prolétariat se manifesta par des vagues de lutte de classe qui secouèrent l'Europe de l'Est des années 53 à 56. Le mouvement commença au début de Juin 53 avec la manifestation des ouvriers de Pilsen (Tchécoslovaque) qui entraîna un affrontement avec l'armée et qui fut suivie immédiatement par une montée de luttes en RDA et par des révoltes dans les énormes camps de travail de Vorkuta (URSS) en Juin de la même année. Ce mouvement atteignit son apogée en 56 avec les événements en Pologne, en Hongrie où des conseils ouvriers furent formés.
On estima que les salaires réels en RDA en 1950 étaient deux fois moins élevés qu'en 1936 (Bureaucratie et Révolution p.80). En Juillet 1952, le SED annonça l'ouverture d'une nouvelle période de "construction accélérée du socialisme", par quoi il faut entendre une nouvelle augmentation des investissements dans l'industrie lourde, un grand accroissement de la productivité et un plus grand accroissement encore des normes de productivité. Il était clair que l'on tentait d'accélérer la reconstruction d'après-guerre. Au printemps 53, au moment où les syndicats de Berlin Ouest avaient des difficultés à contrôler la combativité des ouvriers du bâtiment, le gouvernement de Berlin Est mettait sur pied une campagne énorme pour l'accroissement des normes de production en général, et de celles du bâtiment en particulier. Le 28 Mai, il fut annoncé que 60% des ouvriers du gigantesque site de construction de Stalinallee avaient "volontairement" augmenté leurs normes (il s'agit là du langage du réalisme socialiste !). Les effets de la campagne nationale de la production se faisaient déjà sentir. Le même mois, des grèves eurent lieu à Magdebourg et Karl Marx Stadt. En réponse, le gouvernement annonça une augmentation générale de 10% des normes de production pour le 5 Juin.
Effrayé par l'esprit prévalant au sein de la classe ouvrière, un groupement anti-Ulbricht au sein de la direction du SED, et apparemment avec le soutien du Kremlin, mit en avant un train de réformes destiné à obtenir le soutien des classes moyennes. Ce groupe commença même à suggérer une politique plus souple en ce qui con cerne les normes de production ([3] [390]).
Mais il était trop tard pour éviter une éruption prolétarienne par de telles manoeuvres. Le 16 Juin, les ouvriers du bâtiment prirent la rue et appelèrent les autres ouvriers à s'unir à eux. La manifestation se dirigea vers les bâtiments gouvernementaux. La grève générale fut appelée pour le lendemain et paralysa Berlin-Est; elle fut suivie dans toutes les autres villes importantes. La lutte était organisée par des comités de grève élus par les ouvriers dans les assemblées ouvertes et contrôlées par eux -indépendamment des partis et des syndicats. En effet, la dissolution des cellules du Parti dans les usines étaient souvent la première revendication des ouvriers. A Halle, Bitterfeld et Merseburg, coeur industriel de l'Allemagne de l'Est, des comités de grève pour toute la ville furent élus qui essayaient ensemble de coordonner et de diriger la lutte. Ces comités assumaient la tâche de centraliser la lutte et aussi d'organiser temporairement les affaires courantes de la ville :
" A Bitterfeld, le comité de grève central, demanda que les pompiers lavent la propagande officielle. La police continuait à procéder à des arrestations, là-dessus, le comité forma des unités de combat et organisa l'occupation systématique des quartiers de la ville. Les prisonniers politiques de Bitterfeld furent relâchés sur ordre du comité de grève. Par contre, le comité ordonna l'arrestation du maire. (Sarel. "Arbeiter gegen den Kormiunismus"!).
Dans tout le pays, les quartiers généraux du parti furent occupés ou brûlés, les prisons ouvertes et les prisonniers libérés. L'appareil répressif de l'Etat fut paralysé. Seuls, les chars russes pouvaient à présent aider le gouvernement. A Berlin Est, 25 000 soldats russes et 300 chars écrasèrent la résistance des ouvriers armés de bâtons et de bouteilles. A Leipzig, Magdeburg et Dresde, l'ordre fut ramené au bout de quelques heures. En d'autres endroits, cela prit plus de temps. A Berlin, des grèves avaient encore lieu trois semaines plus tard.
A cause de la vitesse avec laquelle ils prirent la rue, généralisant la lutte et l'amenant au niveau politique immédiatement mais surtout à cause de la compréhension de la nécessité d'affronter directement l'Etat, les ouvriers furent capables de paralyser l'appareil répressif de la bourgeoisie Est-allemande, Cependant, de la même façon que l'extension rapide de la grève à travers le pays permit d'empêcher l'utilisation effective de la police contre les ouvriers, une extension INTERNATIONALE de la guerre civile aurait été nécessaire pour contrer la menace de 1'"armée rouge". En ce sens, nous pouvons dire que, prenant place, comme elle le fit, au plus profond de la contre-révolution qui suivit la vague révolutionnaire des années 17-23, la défaite des ouvriers est-allemands eut pour cause l'isolement d'avec leurs frères de classe des autres pays à l'Est comme à l'Ouest. En fait, le poids de la contre-révolution mit des barrières plus importantes que les baïonnettes de l'impérialisme russe au passage de la révolte à la révolution. Les liens de la classe à son propre passé, à ses expériences et à ses luttes ont été rompus depuis longtemps par les héros sanglants de la réaction que sont les Noske, Hitler et Staline -rompus par les camps de concentration, les bombardements de population-par la démoralisation et la destruction de ses partis révolutionnaires (meurtre de Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht et dispersion politique du KAPD). Ayant souffert longtemps de la domination des Etats à parti unique, les ouvriers pensaient que la démocratie parlementaire pouvait les protéger de l'exploitation brutale. Ils réclamèrent des élections libres et un parlement. Ils envoyèrent des délégués à Berlin-Ouest pour obtenir l'aide de l'Etat et des syndicats, mais en vain. La police de Berlin-Ouest et les troupes françaises et britanniques furent postées le long de la frontière avec Berlin-Est pour empêcher tout mouvement de solidarité entre les ouvriers de l'Est et de l'Ouest. Les syndicats de l'Ouest rejetèrent la suggestion d'appeler à une grève de solidarité et mirent les ouvriers de l'Est en garde contre les actions illégales et l'aventurisme. Les ouvriers appelèrent l'armée russe à rester neutre (à ne pas intervenir dans les affaires intérieures allemandes d'après le comité de grève de Halle et Bitterfeld). Mais ils en apprirent une dure leçon : dans la guerre de classes, il n'y a pas de neutralité. Les ouvriers voulaient être débarrassés de Ulbricht et Cie, sans réaliser qu'il serait remplacé par un autre et que la question n'est pas de renverser tel ou tel gouvernement mais de détruire le système capitaliste mondial qui est une corde à notre cou. Ils ne comprenaient pas le besoin de centraliser politiquement la lutte au niveau des conseils ouvriers afin de balayer l'Etat bourgeois.
Les staliniens du DKP et les maoïstes d'Allemagne de l'ouest sont d'avis que les événements du 17 juin étaient un complot fasciste organisé par Bonn et Washington. Ils montraient par là-même leur nature anti-prolétarienne une fois de plus. La classe ouvrière aura à rejeter de tels courants (ou d'autres comme le "camarade" Bahro qui est si ardent à vouloir démocratiser l'Etat de l'Allemagne de l'Est et son Etat ouvrier" bien-aimé afin de préserver la loi et l'ordre) aux poubelles de l'histoire.
La logique de tels courants est illustrée par un tract Que le groupe maoïste KBW sortit pour le 25ème anniversaire des événements du 17 juin. Ces chiens de garde autoproclamés de la pureté stalinienne disaient ceci : "Le fait que le soulèvement fut "soutenu" par le gouvernement ouest-allemand prouve qu'il ne peut s'agir que d'une tentative de putsch fasciste. En fait, la bourgeoisie occidentale soutînt ce soulèvement exactement de la même manière que les syndicats, par exemple, "soutiennent" un mouvement de grève : dans le but de le diriger dans une impasse et à la défaite. Les faits montrent que les gens qui préparaient le leur sale besogne pour le 17 juin étaient en fait sans pouvoir, précisément parce qu'ils n'étaient pas des "ouvriers courageux" mais des provocateurs, des valets de l'impérialisme, sans le soutien de la classe ouvrière et qui détalèrent comme des lapins quand l'"Armée rouge',' à cette époque une armée de la classe ouvrière s'opposa à cette tentative contre ^révolutionnaire".
Tract du KBW, 15 juin 1978
Voilà qui est bien, c'est si facile d'expliquer ainsi le problème ! Mais même ainsi, ces perroquets de la contre-révolution jugent encore nécessaire de radoter sur les erreurs de l'Oncle Walter (Ulbricht) et les confusions des ouvriers. Mais comment se fait-il que trois ans après cette première aventure fasciste, les cocktails des masses ouvrières hongroises aient eu à combattre les chars de Staline ? Et pourquoi les ouvriers attaquèrent-ils leur "propre" armée si souvent et si violemment ? Et pourquoi encore les "bons ouvriers" ne remuèrent-ils pas le petit doigt pour sauver leur "Etat" et"leur révolution" pendant la fameuse contre-révolution Kroutchévienne dont on parle tant dans les milieux maoïstes ?
Les conditions de la lutte de classe dans le système capitaliste décadent firent que les ouvriers d'Allemagne en 1953 et de Hongrie en 1956, dans leur lutte contre le système, furent immédiatement confrontés aux forces et à l'hostilité de la bourgeoisie mondiale. Les buts frauduleux de la "démocratie" et de "l'unité allemande" mis en avant par la propagande de l'Ouest, achevèrent l'oeuvre de l'armée rouge dans la défaite de la classe ouvrière. Par sa manipulation de mensonges, la bourgeoisie des plus vieux pays capitalistes prouva une fois de plus sa maîtrise en la matière. Leur stratégie consista à :
- mener les luttes ouvrières à leur fin aussi vite que possible, principalement en empêchant l'extension au-delà des frontières;
- en déviant le mouvement sur le terrain bourgeois (démocratie, liberté...), l'Occident espérait étendre son influence au sein du bloc russe.
De toute façon l'idéologie de la bourgeoisie de l'Ouest était dirigée en premier lieu et surtout contre le prolétariat lui-même. Tous les discours sur les bas salaires et le manque de liberté du "peuple" à l'Est est utilisé surtout aujourd'hui pour briser la résistance ouvrière à l'austérité et à l'économie de guerre intensive. L'intervention idéologique du bloc de l'Ouest en 1953 était particulièrement importante à tel point que, contribuant au désarmement politique du prolétariat, elle aida les staliniens à rester au pouvoir.
En 1956 en Pologne et en Hongrie, le nationalisme fut l'arme la plus efficace pour réduire puis dissoudre la résistance ouvrière. Quelques mois seulement après le massacre des ouvriers à Pozna’n, le PC polonais pouvait armer la population de Varsovie pour défendre la patrie contre les russes. Par contre le gouvernement de Berlin-Est fut lui-même menacé par le nationalisme allemand dans la mesure où ce nationalisme incarnait la menace de l'Ouest, la grande peur d'être dévoré par Bonn* Précisément pour ces raisons, l'unification de toutes les classes contre les russes et était exclue depuis le début, l'existence même de la RDA dépendant du pouvoir des russes. Incapable d'utiliser des moyens de mystification, le SED dut être secouru par les chars étrangers et par le baratin démocratique.
La classe ouvrière en menant ses luttes, n'a jamais été et ne peut pas être une"classe pour le capital". Face aux mensonges de la bourgeoisie et de ses fractions de gauche - qui reprochent sans cesse à la classe le militarisme, l’aristocratie ouvrière, le racisme - face à cette conception qui voit la classe ouvrière résignée et défaite, les révolutionnaires mettent en avant le fait que le coeur de la société de classe réside dans la contradiction entre travail salarié et capital. Ceux-ci s'opposent sans cesse, dans une situation d'hostilité permanente, déterminée par les conditions objectives. Parce que le prolétariat n'a pas de pouvoir économique dans la société, la destruction du capitalisme ne peut être qu'un acte politique, le résultat d'une conscience et d'une volonté révolutionnaire de la part des travailleurs. Ce fut en grande partie à cause d'un manque d'expérience et de conscience de la part de la classe et de ses minorités révolutionnaires que la révolution d'octobre échoua. De la même façon, toutes les tentatives des années 40 et 50 pour résister au capitalisme n'ont pu éviter l'échec à cause de la profonde confusion et de la démoralisation qui suivirent la défaite de la Révolution d'Octobre.
Les Communistes de Conseils, comme "Daad en Gedachte" par exemple atteignent le sommet de l'idéalisme quand ils affirment que les évènements du 17 juin 1953 prouvent le pouvoir illimité de la spontanéité de masse du prolétariat, concept qu'ils opposent à la nécessité du Parti de classe. Toute aussi étrangère au marxisme e est la conception typique des bordiguistes qui expliquent toute défaite par l'absence du parti révolutionnaire. Parce que la nature profonde du prolétariat est celle d'une classe exploitée et révolutionnaire, il entre en lutte spontanément. Cependant, afin d'être capable de mener ses luttes à bien et de s'attaquer au capital, il est essentiel pour le prolétariat d'organiser et de diriger ses luttes aussi consciemment que possible. La classe forge ses armes, ses organes au feu même de la lutte de classe. Grâce à ses organes elle fait passer ses luttes immédiates sur le terrain de ses propres intérêts de classe, c'est-à-dire la lutte pour le communisme. Dans les affrontements révolutionnaires, les masses ouvrières s'organisent en conseils qui lancent et coordonnent les attaques et les retraites temporaires et qui préparent l'insurrection. De cette façon, la classe dépasse sa propre spontanéité et devient un pouvoir révolutionnaire autonome, unifié et indivisible.
En fait, les Communistes de Conseils et les Bordiguistes posent la question de travers. Ce ne sont ni les Conseils seuls, ni le Parti seul qui soient indispensables pour la victoire de la révolution mais c'est L'AUTO-ORGANISATION CONSCIENTE DE LA CLASSE !
La formation du parti et des conseils sont deux moments séparés et fondamentaux dans le p processus d'auto-organisation de la classe. Aucune lutte ouvrière et encore moins au plus profonde de la contre-révolution ne sera victorieuse simplement parce que le "parti mondial" existera. Le parti mondial n'est pas simplement une collection de principes ; il est encore mo moins le produit de quelques sectes malade prenant ses propres rêves pour la réalité. Le parti mondial de demain signifie 1'auto-organisation militante et disciplinée des éléments les plus combatifs et les plus conscients de la classe qui, durant les luttes, jouent un rôle vital et dynamique dans l'effort de la classe pour s'organiser et remplir les tâches qui se présentent à elle. Le parti, produit de la lutte de classe, n'en émerge pas pour autant spontanément, au contraire son existence est préparée par de longues années de travail théorique et pratique. Nous devons, dès à présent nous engager dans ce travail préparatoire.
Bien que l'absence de minorités révolutionnaires dans les luttes des années 53 et 56 soit un symptôme de la faiblesse de la classe dans cette période, l'apparition et le renforcement de telles minorités depuis 1968 nous montre qu'une nouvelle période de lutte de classe est ouverte devant nous. Les grèves à Berlin-Est et Karl Marx Stadt, ainsi que les émeutes à Wittenberg et Erfurt qui eurent lieu récemment, annoncent qu'une nouvelle ère de luttes de classe et de crise sociale s'est ouverte en RDA. En Europe de l’Est, nous avons vu les premières tentatives courageuses du prolétariat pour résister à la crise (Pologne et Roumanie). Sans avoir atteint un haut degré de politisation ces luttes ont tracé des leçons essentielles pour la classe ouvrière mondiale : donner un démenti aux théories qui proclament "l'intégration" du prolétariat dans le capitalisme d'Etat à l'Est prétendument "paradis ouvrier", la preuve de l'unité internationale du combat ouvrier contre le capital sous toutes ses formes. 25 ans après la révolte des ouvriers d'Allemagne de l'Est, nous opposons à l'unité des brigands de la bourgeoisie, l'unité et la solidarité des ouvriers et révolutionnaires de tous les pays.
Krespel
[1] [391] La situation de Tchécoslovaquie en 1945 nous montre la réalité de ce développement capitaliste d'Etat qui a été mis en place sans les staliniens et les "partis ouvriers". D'après Benes, le chef d'Etat conservateur à l'époque : "Les allemands prirent simplement le contrôle de toutes les banques. S'ils ne les ont pas nationalisées directement, ils les mirent en fin de compte entre les mains de grands trusts allemands. Dans ce sens, ils ont préparé automatiquement le capital financier et l'économie de notre pays pour les nationalisations...Remettre ces propriétés et les banques entre les mains des propriétaires tchèques ou les renforcer sans une aide considérable de l'Etat et sans de nouvelles garanties financières, était tout simplement impossible. L'Etat devait aller de l'avant." ("Bureaucracy and Révolution", p.27).
[2] [392] Staritz p.107. L'auteur oublie ici qu'un accroissement de la masse salariale de 15% ne signifie pas une augmentation de 15% du salaire individuel mais d'abord et surtout un accroissement du nombre d'ouvriers.
[3] [393] Il s'agit du groupe constitué autour de Franz Dahlem. Chaque crise politique dans l'Europe de l'Est fait naître une fraction voulant "démocratiser" ou changer ceci ou cela, afin d'éviter l'affrontement avec le prolétariat. En 1956, c'était Gomulka en Pologne et Nagy en Hongrie. En 1968, c'était Dubcek en Tchécoslovaquie. Aujourd'hui c'est exactement la même chose avec l'Opposition en Pologne, les "droits de l'homme" en Russie, la "Charte 77" en Tchécoslovaquie et Bahro, Havemann, Biermann et leurs amis en RDA.
Les collectivités espagnoles de 1936 ont été présentées par les anarchistes comme le modèle parfait de la révolution. Selon eux, elles permettent l'autogestion ouvrière de l'économie, elles signifient l'élimination de la bureaucratie, elles augmentent le rendement du travail et "merveille des merveilles" sont "l'oeuvre des travailleurs eux-mêmes"..."dirigés et orientés à tout moment par les libertaires", (selon les paroles de Gaston Levai, défenseur intransigeant de l'anarchisme et de la CNT).
Mais les anarchistes ne sont pas seuls à nous offrir le "paradis" des collectivités. Heribert Barrera -républicain catalaniste en 1936, aujourd'hui député aux Cortes- en fait l'éloge comme un "exemple d'économie mixte respectueuse de la liberté et de l'initiative humaine" (!!!) tandis que les trotskystes du POUM nous apprennent que "l'oeuvre des collectivités a donné un caractère plus profond à la révolution espagnole qu'à la révolution russe". G.Munis et les camarades du FOR (Fomento Obrero Revolucionario) se font des illusions sur le caractère "révolutionnaire" et "profond" des collectivités.
Pour notre part, nous nous voyons obligés de jouer une fois de plus les rabat-joie : les collectivités de 36 n'ont pas été un instrument de la révolution prolétarienne mais un instrument de la contre-révolution bourgeoise; elles ne furent pas "l'organisation de la nouvelle société" mais la planche de salut de l'ancienne qui s'est maintenue avec toute sa sauvagerie.
En disant cela, nous ne voulons pas démoraliser notre classe. Au contraire : la meilleure manière de la démoraliser est de la faire lutter pour de faux modèles de révolution. La condition môme pour la victoire de ses aspirations révolutionnaires est de se libérer complètement de tout faux modèle, de tout faux paradis.
Qu'ont été les collectivités
En 1936, l'Espagne, touchée de plein fouet par la crise économique qui, depuis 1929 secoue le capitalisme mondial, vit des convulsions particulièrement graves.
Tout capital national souffre de trois types de convulsions sociales :
- celui issu de la contradiction fondamentale bourgeoisie-prolétariat;
- celui provenant des conflits internes entre les différentes fractions de la bourgeoisie elle-même;
- celui qu'occasionne l'affrontement entre blocs impérialistes qui prennent chaque pays comme scène pour leurs luttes d'influence et comme marché.
Dans l'Espagne de 1936, ces trois convulsions confluèrent avec une intensité brutale, amenant le capitalisme espagnol à une situation extrême.
En premier lieu, le prolétariat espagnol -pas encore écrasé comme le furent ses frères européens mena une bataille énergique contre l'exploitation, jalonnée par une extraordinaire escalade de grèves générales, de révoltes et d'insurrection qui ont causé la plus grande alarme au sein de la classe dominante.
En second lieu, les conflits internes de celle-ci vont en s'aggravant. Une économie retardataire, déchirée par de formidables déséquilibres et dévorée pour cela avec plus d'intensité par la crise mondiale, est le meilleur bouillon de culture pour l'éclatement de conflits entre la bourgeoisie de droite (propriétaires terriens, financiers, militaires, clergé, commandés par Franco) et la bourgeoisie de gauche (industriels, classes moyennes urbaines, syndicats, etc dirigés par la République et le Front Populaire). Finalement, l'instabilité du capitalisme espagnol en fait une proie facile des convoitises impérialistes du moment, qui, éperonnés par la crise, ont besoin de nouveaux marchés et de nouvelles positions stratégiques. L'Allemagne et l'Italie tiennent leur pion avec Franco, dissimulé derrière le masque de la "tradition" et de "la croisade contre le communisme athée", tandis que la Russie et les puissances occidentales -alors amies- trouvent dans la République et le Front Populaire, leur bastion, dissimulés derrière le voile mystificateur de "l'anti-fascisme" et de la"lutte pour la révolution". Dans ce contexte, surgit le soulèvement de Franco, le fameux 18 juillet 1936 qui signifie pour la classe ouvrière l'apogée de la surexploitation et de la répression commencée par la République dès 1931. La réponse de la classe ouvrière est immédiate et foudroyante : grève générale, insurrection, armement des masses, expropriation et occupation des entreprises. Dès les premiers instants, toutes les forces de la bourgeoisie de gauche qui vont des partis républicains jusqu'à la CNT, essaient d'enfermer les ouvriers dans le piège de la lutte "antifasciste" et de transformer les expropriations d'entreprises en une fin en soi, pour faire retourner les ouvriers au travail avec l'illusion que les entreprises sont leurs, qu'elles sont "collectivisées".
Mais les journées insurrectionnelles de Juillet démontrent à satiété que la lutte ouvrière ne se développe pas seulement contre Franco mais aussi, à la fois, contre l'Etat républicain : les ouvriers font grève, exproprient les entreprises, s'arment comme classe autonome pour entamer une offensive contre l'ensemble de l'Etat capitaliste, aussi bien le Franquiste que le Républicain. Pour réussir la grève insurrectionnelle, les ouvriers ne pouvaient se satisfaire des expropriations et de la formation de milices, mais devaient détruire en même temps que l'armée franquiste toutes les forces républicaines (les Azana, Companys, le PC, la CNT, etc.) et, ensuite, détruire totalement l'Etat capitaliste, érigeant sug ses décombres le pouvoir des conseils ouvriers.
Cependant, la clé de l'échec du prolétariat et de son enrôlement dans la barbarie de la guerre civile, réside dans le fait que les forces républicaines -et par-dessus tous la CNT et le POUM- parvinrent à empêcher les ouvriers de franchir le pas décisif -détruire l'Etat capitaliste- et ils enfermèrent les ouvriers dans la "collectivisation de l'économie" et de la "lutte anti-fasciste".
Les nationalistes catalans, le Front Populaire, le POUM et surtout la CNT réduisirent la lutte des ouvriers à la simple expropriation des entreprises, les transformant en "COLLECTIVITES REVOLUTIONNAIRES", lesquelles en se maintenant au sein de 1'Etat capitaliste, le laissant intact, non seulement devinrent inutiles pour les ouvriers mais aussi se convertirent en un instrument de sa sur-exploitation et de contrôle du capital.
"Parce que le pouvoir de l'Etat restait en place, la Généralité de Catalogne pouvait légaliser tranquillement les expropriations ouvrières et faire choeur avec tous les courants "ouvriers" qui trompaient les ouvriers avec les expropriations, le contrôle ouvrier, la répartition des terres, les épurations, mais qui gardaient un silence criminel sur la réalité terriblement effective et peu apparente de l'existence de l'Etat capitaliste. Pour cette raison, les expropriations ouvrières sont restées intégrées dans le marché du capitalisme d'Etat".
BILAN
Ainsi, nous voyons que la CNT qui, à aucun moment, n'a appelé à la grève spontanée du 19 juillet, à prendre les armes, appelle ensuite à REPRENDRE LE TRAVAIL, A TERMINER LA GREVE, ou même s'oppose à l'assaut contre l'Etat capitaliste avec l'excuse que les entreprises sont collectivisées". Gaston Levai dans son livre "Collectivités Libertaires en Espagne" nous "raisonne" ainsi : "Quand se produisit l'attaque fasciste, la lutte et l'état d'alerte mobilisèrent la population durant cinq ou six jours, à la fin desquels la CNT donna l'ordre de reprendre le travail. Prolonger la grève aurait été contre les intérêts des travailleurs eux-mêmes qui assumaient la responsabilité de la situation".
Les belles collectivités "libertaires" qui étalent "une révolution plus profonde que la révolution russe" - toujours selon le POUM- justifièrent le RETOUR AU TRAVAIL, LA FIN DE LA TENTATIVE REVOLUTIONNAIRE, LA SOUMISSION DES OUVRIERS A LA PRODUCTION POUR LA GUERRE. Dans les conditions d'alors de convulsions et de désagrégation extrêmes de l'édifice capitaliste, la façade radicale des collectivités fut l'ultime recours pour faire travailler les ouvriers et sauver l’ordre exploiteur comme le reconnaît franchement Osorio Gallardo, politicien monarchiste et de droite :"Jugeons impartialement. Les collectivités ont été une nécessité. Le capitalisme avait perdu toute son autorité morale et les maîtres ne pouvaient plus ordonner et les ouvriers ne voulaient plus obéir. Dans une situation aussi angoissante, ou l'industrie restait abandonnée, ou bien la Généralité s'en chargeait, établissant un communisme soviétique".
AU SERVICE DE L'ECONOMIE DE GUERRE
Quand on nous dit que les collectivités furent un modèle de "communisme", de "pouvoir ouvrier", qu'elles furent "une révolution plus profonde que celle en Russie", il y a de quoi éclater de rire : la quantité de renseignements, de faits et de témoignages qui montrent le contraire sont accablants Voyons donc :
Premièrement : un grand nombre de collectivisations se fit avec l'accord des patrons eux-mêmes. A propos de la collectivisation de l'industrie chocolatière de Torrente (Valence), Gaston Levai, dans le livre précédemment cité, écrit :
"Motivés par le désir de moderniser la production (?) Comme de supprimer l'exploitation de l'homme par l'homme (sic), il y eut une assemblée le 1er septembre 1936. Les patrons furent invités à participer à la collectivité tout comme les ouvriers. Et tous acceptèrent de s'associer pour organiser la production et la vie sur des bases inédites".
Les, "bases inédites" de la vie se construisaient en respectant tous les piliers du régime capitaliste ! Ainsi, la collectivité des tramways de Barcelone "non seulement accepta de payer aux créditeurs de la Compagnie les dettes contractées, mais aussi traita avec les actionnaires qui furent convoqués à une assemblée générale"(idem). Quelle profonde révolution que celle qui respecte les dettes antérieures et respecte les intérêts des actionnaires ! Quelle étrange manière d'organiser la production et la vie sur des bases inédites !
Deuxièmement : les collectivités servirent aux syndicats et partis politiques bourgeois à reconstruire l'économie capitaliste : - en concentrant les entreprises :
"Nous nous sommes chargés des ateliers avec un nombre insignifiant de travailleurs sans embryons syndicaux dont l'inactivité portait préjudice à l'économie".
Rapport du syndicat du bois de la CNT de Barcelone (1937)
- en rationalisant l'économie
"En premier, nous avons établi la solidarité financière des industries, organisant un Conseil général de l'économie* où chaque branche envoyait deux délégués. Les ressources excédentaires serviront pour aider les industries déficitaires afin qu'elles reçoivent les matières premières et autres éléments de production".
CNT de Barcelone 1936
- en centralisant la plus-value et le crédit pour les canaliser selon les besoins de l'économie de guerre.
"Dans toutes les entreprises collectivisées, 50 % des bénéfices seront destinés à la conservation des ressources propres et les 50 % restants seront mis à la disposition du Conseil économique local ou régional correspondant"
Rapport de la CNT sur les collectivités Décembre 1936
Comme on le voit, pas un centime de bénéfice pour les travailleurs, mais cela ne fait rien ! Gaston Levai le justifie avec le plus grand cynisme: "On peut avec raison se demander pourquoi les bénéfices ne sont pas répartis entre les travailleurs dont les efforts fournissent ces bénéfices; à cela nous répondons : parce qu'ils sont réservés à des fins de solidarité sociale".
En fait de solidarité "sociale" avec l'exploitation, avec l'économie de guerre, avec la misère la plus terrible !
Troisièmement : les collectivités ne touchent pas au capital étranger, "pour ne pas incommoder les pays amis"selon le POUM, ce que nous traduisons par : afin de s'assujettir aux puissances impérialistes qui soutiennent le gang républicain. Merveilleuse et profonde révolution que voilà !
Quatrièmement : les organismes qui géraient et dirigeaient les collectivités (syndicats, partis politiques, comités) étaient pleinement intégrés à l'Etat capitaliste :
"Les comités de fabrique et les comités de contrôle des entreprises expropriées se transformèrent en organes pour activer la production et pour cette raison, ils furent défigurés quant à leur signification de classe. Il ne s'agissait plus là d'organismes créés dans le cours d'une grève insurrectionnelle pour démolir l'Etat, mais d'organes orientés vers la production de guerre, condition essentielle pour permettre la survivance et le renforcement de cet Etat".
BILAN
Et quant aux partis et syndicats, ce sont non seulement les forces du Front Populaire mais aussi les organisations plus "ouvrières" et plus "radicales" qui sont intégrées à l'Etat : la CNT participa au Conseil Economique de Catalogne avec quatre délégués, au gouvernement de la Généralité de Catalogne avec trois ministres et au gouvernement central de Madrid avec trois autres. Mais ce n'est pas seulement au sommet de l'Etat qu'ils participèrent pleinement mais aussi à la base de cet Etat, village par village, entreprises par entreprises, quartiers par quartiers. L'Espagne républicaine a vu des centaines de maires, de conseillers, d'administrateurs, de chefs de police, d'officiers militaires, etc., "libertaires"...
Mais ces forces ne sont pas seulement partie intégrante de l'Etat par leur participation directe en son sein. C'est toute la politique qu'elles défendaient qui faisaient d'elles la chair et le sang de l'ordre capitaliste. Cette politique qui entravait à tout moment l'action des collectivités était l'unité anti-fasciste, qui justifia le sacrifice des ouvriers sur le front militaire et la sur-exploitation de l'arrière-garde. Gaston Levai nous explique clairement cette politique qui, parmi d'autres, mena la CNT :"il fallait défendre les libertés si relatives et pourtant si appréciables représentées par la République". Gaston Levai "oublie" "l'appréciable" "liberté ouvrière" qui signifie la répression de la République contre les grèves ouvrières (rappelons nous Casas Viejas, Alto Llobregart, Asturias...) "Il ne s'agissait pas de faire une révolution sociale, ni d'implanter le communisme libertaire, ni d'une offensive contre le capitalisme, l'Etat ou les partis politiques-: il fallait empêcher le triomphe du fascisme" (G.L). Pourquoi diable la CNT, les anarchistes et compagnie critiquent-ils donc le PCE s'ils défendaient la même chose ! si leur programme était le même : la défense du capitalisme sous le masque de 1'anti-fascisme !
Cinquièmement : le caractère "révolutionnaire", "anti-capitaliste", "libertaire" des collectivités fut convenablement canalisé par l'Etat capitaliste qui les reconnut au travers du Décret de collectivisation (24/10/36) et les coordonna par la constitution du Conseil de l'Economie. Et savez-vous qui signa ces deux décrets ? Mr Tarradellas aujourd'hui brillant président de la Généralité de Catalogne !
Nous sommes obligés de conclure que les collectivités ne signifièrent pas la plus petite attaque contre l’ordre bourgeois mais furent une forme que celui-ci adopta pour réorganiser l'économie et maintenir l'exploitation à un moment d'extrême tension sociale et d'énorme radicalisation ouvrière qui ne permettait pas d'utiliser les méthodes traditionnelles :
"Face à un incendie de classe, le capitalisme ne peut même pas penser à recourir aux méthodes classiques de la légalité. Ce qui le menace est l'INDÉPENDANCE de la lutte ouvrière qui conditionne la prochaine étape révolutionnaire jusqu'à l'abolition de la domination bourgeoise. Par conséquent, le capitalisme doit retisser la maille de son contrôle sur les exploités. Les fils de cette maille qui avant étaient la magistrature, la police, les prisons se transforment dans la situation extrême de Barcelone en Comités de milice, en industries socialisées, en syndicats ouvriers, en patrouilles de vigilance, etc.".
L'IMPLANTATION DE L'ECONOMIE DE GUERRE
Une fois vue la nature d'instrument capitaliste des collectivités, nous allons voir le rôle qu'elles ont joué, et celui-ci fut d'implanter au sein du prolétariat une économie de guerre draconienne, qui permit d'affronter le énormes frais et la gigantesque saignée de ressources que supposait la guerre impérialiste qui se déroulait en Espagne en 1936-39.
En peu de mots, l'économie de guerre suppose trois choses :
1) La militarisation du travail
2) Le rationnement
3) Canaliser toute la production vers une fin exclusive, totalitaire et monolithique : la GUERRE.
Le cache-sexe des collectivités servit à la bourgeoisie pour imposer aux ouvriers une discipline militaire dans le travail, l'allongement de la journée de travail, la réalisation d'heures supplémentaires non payées...
Un journal bourgeois chantait joyeusement "l'ambiance" régnant à l'usine Ford de Barcelone : "Il n'y avait ni commentaires ni controverses. D'abord la guerre et pour elle travailler et travailler sans cesse... Optimistes et satisfaits, cela ne leur faisait rien que leur comité -constitué de camarades travailleurs comme eux- établisse des consignes rigides et détermine plus d'heures de travail. Ce qui était important était de vaincre le fascisme »1. Le statut des collectivités définissait clairement l'implantation de la militarisation du travail : "Article 24 : tous travailleront obligatoirement sans limite de temps pour ce qui est nécessaire au bien de la collectivité"'. "Article 25 : tout collectiviste est obligé* en plus du travail qui lui est normalement assigné, de donner son aide où que ce soit pour tous les travaux urgents ou imprévus "(Collectivité de Jatina-Valence).
Dans les "assemblées" des collectivités s'imposaient "démocratiquement" de plus en plus de mesures de militarisation : "On décida d'organiser un atelier où les femmes iraient travailler au lieu de perdre leur temps dans la rue... On finit par décider que chaque atelier aurait une déléguée qui se chargerait de contrôler les apprenties, lesquelles si elles manquaient deux fois sans motif seraient renvoyées sans appel". (Collectivité de Tamarite-Huesca).
Quant aux rationnements, une revue catalaniste de l'époque nous explique très clairement la méthode "démocratique" de les imposer au prolétariat :"Dans tous les pays, on oblige les citoyens à tout économiser, depuis les métaux précieux jusqu'aux pelures de pommes de terre. Le pouvoir public exige d'eux ce régime de rigueur. Mais ici, en Catalogne, c'est le peuple qui spontanément complète son oeuvre, s'imposant volontairement, consciemment un rationnement rigoureux".
La première loi de 1'"ultra-révolutionnaire" Conseil d'Aragon de Durruti et autres satrapes fut :"Pour les fournitures des collectivités, on établira une carte de rationnement". Ces rationnements imposés comme des "mesures révolutionnaires" et "consciemment acceptés par les citoyens" signifièrent une misère indescriptible pour les ouvriers et pour toute la population. Gaston Levai reconnaît sans vergogne :
"Dans la majorité des collectivités, la viande manquait presque toujours et peu à peu il manqua jusqu'aux pommes de terre"(opus cité).
Finalement, la discipline militaire, les rationnements que la bourgeoisie impose derrière le masque des collectivités, avait une fin unique : sacrifier toutes les ressources économiques et humaines aux dieux sanguinaires de la guerre impérialiste :
- Dans la collectivité de Mas de las Matas (Barcelone) et suivant proposition de la CNT :
"On adapta les installations du cellier à la fabrication d'alcool à 96 ° indispensable aux médecins du front. On limita également l'achat de vêtements, de machines, etc., destinés à la consommation des gens de la collectivité car ces ressources ne devaient pas servir au luxe mais au front".
- Dans les collectivités d'Alicante :"Le gouvernement reconnaissant les progrès de la collectivisation dans la province, commanda des armes aux ateliers syndicaux d'Alcoy, du tissu à l'industrie textile socialisée et des chaussures à l'industrie d'Elda également aux mains des libertaires, avec pour but d'armer, de vêtir et de chausser les soldats". (Gaston Levai)
LES COLLECTIVITES: INSTRUMENTS DE SUREXPLOITATION
La démonstration la plus palpable du caractère anti-ouvrier des sinistres "collectivités" anarchistes est, que grâce à elles, la bourgeoisie républicaine réduisit jusqu'à une limite intolérable les conditions de travail et de vie des ouvriers :
- Les salaires : ceux-ci, de juillet 1936 à décembre 1938 diminuèrent nominalement de 30 %, tandis que la chute du niveau de vie fut pire encore : plus de 200 %\
- les prix : Ils passèrent de l'indice 168,8 en 1936 (indice 100 en 1913) à celui de 564 en novembre 1937 et 687,8 en février 1938.
- Le chômage : malgré l'énorme saignée de gens envoyés au front, laquelle diminua le chiffre des chômeurs, celui-ci grimpa de 39 % entre janvier 1936 et novembre 1937.
- La durée du travail : elle monta à 48 H (en 1931, elle était de 44H, en juillet 36, la Généralité, pour calmer la lutte ouvrière, décréta la semaine de 40H, mais quelques mois plus tard, cette mesure disparut du plan avec l'excuse de l'effort de guerre et de la "collectivisation". Le nombre d'heures supplémentaires augmenta la durée du travail de30%. Ce furent précisément les organisations "ouvrières" (PCE, UGT, P0UM et surtout la CNT) qui réclamèrent avec plus de véhémence la surexploitation et la dégradation de la situation des ouvriers.
Peiro, bonze de la CNT écrivit en août 1936 : "Four les besoins nationaux, la semaine de 40h n'est pas assez, celle-ci ne peut certainement pas être plus inopportune".
Les consignes syndicales de la CNT sont des plus "favorables" aux ouvriers : "Travailler, produire et vendre. Aucune revendication salariale ou autre. Tout doit rester subordonné à la guerre. Dans toute la production qui a un lien direct ou indirect avec la guerre anti-fasciste, on ne pourra exiger que soient respectées les bases le travail, que ce soit pour les salaires ou la durée du travail. Les ouvriers ne pourront demander des rémunérations spéciales pour les heures extra effectuées pour la guerre anti-fasciste et devront augmenter la production par rapport à la période antérieure au 9 juillet."
Le PCE quant à lui crie :"Non aux grèves dans l Espagne démocratique ! Pas un ouvrier oisif à l'arrière. !".
Naturellement, les collectivités, comme instrument de "pouvoir ouvrier" et de "socialisation" aux mains de l'Etat furent l'excuse qui fit avaler aux ouvriers cette brutale réduction de leurs conditions de vie.
Ainsi, dans la collectivité de Graus (Huesca) :"aux femmes on ne paiera pas de salaire pour leur travail étant donné que leurs besoins sont couverts par le salaire familial!. Dans la collectivité d'Hospitalet (Barcelone) "comprenant la nécessité d'un effort exceptionnel, on repoussa l'augmentation de S % des salaires et la diminution de la journée de travail décrétée par le gouvernement". Encore plus royaliste que le gouvernement !
CONCLUSIONS
Rappeler la douloureuse expérience historique dont souffrit le prolétariat espagnol, dénoncer la grande escroquerie des collectivités, par laquelle la bourgeoisie parvint à le tromper, ce n'est pas là une question pour intellectuels ou érudits, c'est une nécessité vitale pour ne pas retomber dans le même piège. Pour nous vaincre et pour nous faire avaler des mesures de surexploitation, de chômage, de sacrifice, la bourgeoisie recourt au mensonge; elle se déguise en "ouvrière" et "populaire" (en 1936, les bourgeois se faisaient des cals aux mains et s'habillaient en "ouvriers"); elle"socialise" et fait autogérer les usines, elle appelle à toutes les formes de solidarité inter-classiste, derrière les drapeaux de "l'anti-fascisme", de la "défense de la démocratie", de la "lutte anti-terroriste".., Elle donne aux ouvriers la fausse impression qu'ils sont "libres", qu'ils "contrôlent" l'économie, etc.. Mais derrière tant de"démocratie", "participation" et "autogestion", se cache intact, plus puissant et renforcé que jamais, 1'APPAREIL D'ETAT BOURGEOIS autour duquel les RELATIONS CAPITALISTES DE PRODUCTION se maintiennent et s'aggravent dans toute leur sauvagerie.
Aujourd'hui, alors que les lois fatales du capitalisme sénile, le conduise vers la guerre, ce sont le "sourire", la "confiance dans les citoyens", la "plus grande démocratie", l’"autogestion", qui sont le grand théâtre par lequel le capitalisme demande de plus en plus de sacrifices, de plus en plus de chômage, de plus en plus de misère, de plus en plus de sang sur les champs de bataille. Les "collectivités" de 1936 furent un des faux modèles, un des paradis, une des belles illusions de plus au travers desquelles le capitalisme amena les ouvriers à la défaite et au massacre. La leçon de ces événements doit être tirée et servir aux prolétaires d'aujourd'hui pour déjouer les pièges que le capital leur tend, afin d'avancer vers leur libération définitive.
E.F. (Traduit de A.P n° 20)
Ce texte a été rédigé pour être publié dans le milieu révolutionnaire en Scandinavie. En effet, des camarades d'Oslo (Norvège) avaient l'intention de publier un texte de Solidarity qui s'intitule "Le Tiers-mondisme et le Socialisme" et ils nous ont demandé une réponse critique à ce texte. Puisque vraisemblablement, ce projet ne s'est pas réalisé jusqu'à présent, nous jugeons utile de publier ce texte nous-mêmes dans notre presse.
On constate que des éléments révolutionnaires en Scandinavie -comme d'autres qui surgissent en Amérique, en Inde ou à Hong-Kong- tombent souvent sous l'influence des idées anarchistes, "libertaires", telles qu'elles sont véhiculées par le groupe Solidarity. Les thèmes traités dans cette critique -signification de la décadence capitaliste, des "luttes de libération nationale"; nature de classe de la révolution russe- sont particulièrement difficiles à comprendre pour les éléments révolutionnaires d'aujourd'hui coupés des acquis théoriques des fractions communistes du passé. Chaque fois, on en revient aux mêmes questions comme si elles n'avaient jamais été posées dans le passé. "Oui, Cuba ou la Chine sont des pays capitalistes mais... il doit y avoir quand même quelque chose de progressiste dans le développement de ces régimes..." ou bien "La Russie est un pays capitaliste aujourd'hui et par conséquent... la révolution d'Octobre 17 est une révolution bourgeoise...". Bien que débattre de ces questions soit nécessaire à la clarification politique, celle-ci est souvent bloquée par l'intervention de courants qui cherchent à donner un cadre plus élaboré à ces confusions inextricables. Tel est le rôle de Solidarity avec sa théorie du "nouveau capitalisme bureaucratique"; tel est le râle des bordiguistes avec leurs fantaisies sur les "jeunes capitalismes" du tiers-monde ou la "révolution double" (c'est-à-dire bourgeoise et prolétarienne) d'Octobre 17. Dans le texte qui suit, nous nous efforçons de confronter ces aberrations théoriques avec la vision historique claire défendue par Rosa Luxembourg à l'époque de la première guerre mondiale et par Bilan dans les années 30 : à l'époque de la décadence capitaliste, il ne peut plus y avoir de révolution bourgeoise nulle part dans le monde; c'est la révolution prolétarienne qui est à l'ordre du jour partout, dans tous les pays.
Le texte traite brièvement des origines de Solidarity et des idées de Cardan telies qu'elles sont présentées dans "Modem Capitalism" et "The Cnsis of Modem Society". Rupture positive avec le trotskisme à l'origine, Socialisme ou Barbarie, le groupe de Cardan/Chaulieu et Solidarity plus tard, tous deux imprégnés de conceptions héritées du trotskysme, ont été incapables de répondre aux événements. Socialisme ou Barbarie a eu le bon goût de disparaître avant que le resurgissement de la crise capitaliste mondiale n'ait démystifié sa théorie d'un soi-disant capitalisme "sans crises", et avant que le groupe n'ait abandonné toute prétention à une position prolétarienne. Par contre, l'existence actuelle de Solidarity ne fait que souligner les contradictions, les absurdités de ses idées. Ecrit avant la fusion de Solidarity avec un autre groupe libertaire, Social Révolution (scission du groupe fossilisé The Socialist Party of Great Britain), le texte note déjà une tendance qui semble s'accélérer depuis la fusion : l'abandon progressif des positions de classe en faveur du point de vue de "l'individu autonome". Cette évolution vers l'individualisme ([1] [395]) et l'"alternate life-styles" (la vie quotidienne "désaliénée") s'accompagne d'une évolution rapide vers des positions purement et simplement gauchistes sur des questions cruciales telles que les syndicats et l'anti-fascisme. L'incohérence théorique mène toujours à l'opportunisme en pratique, vers la trahison des principes fondamentaux.
En publiant ce texte donc, nous espérons contribuer à l'évolution politique des courants qui surgissent actuellement -de la Californie à Bombay, d'Oslo à Hong-Kong. Contrairement à Socialisme ou Barbarie et Solidarity, la majorité de ces courants ne vient pas du marasme contre-révolutionnaire du trotskysme, mats a surgi dans une période plus favorable au développement des groupes communistes que ne liétaient les années 50 ou le début des années 60. Il y a ainsi plus de chances d'éviter de répéter les erreurs du passé et de devenir partie prenante de l'avenir révolutionnaire.
La brochure de Solidarity : "Ceylan : la montée du JVP en avril 1971", contient un appendice qui s'appelle "tiers-mondisme ou socialisme ?" (paru par ailleurs dans une autre brochure de Solidarity : "Viêt-Nam : quelle victoire ?".) Le point de vue de Solidarity sur les soi-disant luttes de libération nationale apparaît particulièrement clairement dans cet appendice, qui contient aussi quelques brefs commentaires sur la révolution russe. Nous tenterons de traiter ici des positions de Solidarity sur ces deux questions d'importance vitale, dans 1'espoir d'ouvrir une discussion dans le mouvement révolutionnaire actuel.
La Question des Révolutions bourgeoises dans les Sphères Arriérées du Capitalisme Mondial
L'appendice établit que "dans des conditions favorables, toute bureaucratie peut "résoudre" le problème des tâches bourgeoises dans le tiers-monde". Il parle aussi "des nouvelles classes dominantes" dans le tiers-monde qui prennent en charge la réalisation de "l'accumulation primitive" du capital dans le cadre de leurs frontières nationales". Les "révolutions bourgeoises tardives" dit aussi Solidarity, permettent d'"élever le niveau de consommation des masses"et de mettre en place des "programmes sociaux" pour elles.
En 1919, l'Internationale Communiste (IC) a affirmé que le capitalisme était entré dans sa phase de décadence, l'ère de la révolution prolétarienne ou de la guerre inter-impérialiste. Mais pour Solidarity, nous sommes à l'époque du "capitalisme moderne" où tout est possible, y compris "des révolutions bourgeoises tardives" ainsi qu'un progrès économique sans fin pour l'ensemble du capitalisme. Le CCI défend aujourd'hui l'analyse de TIC ([2] [396]). A la lumière des 50 dernières années de contre -révolution et de guerres inter-impérialistes, il devrait être évident que la classe capitaliste, existant à l'échelle mondiale, est devenue une classe complètement réactionnaire, en même temps qu'avec la première guerre mondiale, le capitalisme entrait dans sa période de décadence. L'époque des révolutions bourgeoises, l'époque de l'ascendance du capitalisme en tant que système progressif de reproduction humaine a pris fin avec la première guerre mondiale. Les guerres de "libération nationale" de ce siècle sont devenues des arènes pour la confrontation impérialiste mondiale, des bancs d'essai pour d'autres guerres impérialistes mondiales et des charniers pour les ouvriers et les paysans sans terres. Aujourd'hui, il n'y a plus de révolutions bourgeoises possibles et seule la révolution communiste peut ouvrir à l'humanité une nouvelle ère de progrès et de développement.
Aux 18ème et 19ème siècles, la révolution bourgeoise était une possibilité historique. De telles révolutions, comme Marx fut capable de l'analyser, étaient des mouvements politiques progressistes qui permettaient de libérer les énormes forces productives du capitalisme ascendant. Ces révolutions ont irrésistiblement arraché les entraves précapitalistes et féodales pour pouvoir développer le progrès social. A partir des marchés locaux, régionaux, nationaux, la bourgeoisie a étendu son système jusqu'à créer le marché mondial et le prolétariat mondial. La fonction la plus progressive qu'a en fin de compte remplie le jeune ordre bourgeois, c'est la création et la consolidation du marché mondial. Mais en 1914, ce marché était devenu complètement saturé par rapport à la capacité progressive croissante du système dans son ensemble. Dès lors, le système est entré dans sa phase de déclin, une période de crise permanente et de guerre impérialiste cyclique, une période caractérisée par la croissance incessante de la production de gaspillage et les préparatifs de guerre.
Il est tout aussi faux de parler d'"accumulation primitive" dans les aires arriérées du capitalisme aujourd'hui. Cette étape du développement du capitalisme constituait un moment progressif dans la destruction du féodalisme et la création du prolétariat à l'échelle mondiale. L'accumulation primitive est donc une composante historique du capitalisme ascendant. Elle ne peut avoir à nouveau lieu pendant sa phase de décadence. C'est un non-sens que de parler à la fois d'impérialisme et d'accumulation primitive qui auraient lieu au même moment, dans un système qui a créé le marché capitaliste mondial. Non seulement les conditions objectives du socialisme existent à l'échelle mondiale, mais encore elles existent depuis 50 ans. Seule la défaite de la vague de luttes prolétariennes en 1917-23 a permis qu'ait lieu la contre-révolution bestiale du stalinisme et autres variantes capitalistes d'Etat comme le maoïsme, ou le castrisme. Ces mouvements contre-révolutionnaires n'ont pas libéré les forces productives, nationalement ou internationalement. Ils n'ont pas ouvert à l'humanité des horizons nouveaux comme le firent la révolution française de 1789 ou les révolutions européennes de 1848. Ils sont bien plutôt apparus comme des expressions de la victoire de la contre-révolution sur le prolétariat. Les plans quinquennaux de Staline et les collectivisations de Mao n'étaient pas historiquement progressifs ; ils furent inévitables une fois que l'alternative prolétarienne à la décadence capitaliste - la révolution mondiale - fut écrasée par la bourgeoisie, y compris et surtout par ses fractions de gauche comme les staliniens. Seule la révolution prolétarienne est aujourd'hui progressive pour l'humanité. Toute autre sorte de "révolution" n'est qu'une convulsion d'une fraction de la bourgeoisie qui répond à la crise, à la guerre impérialiste, et à la nécessité d'étatiser l'économie. Et puisque l'ensemble de l'économie mondiale est aujourd'hui déterminé par des rapports de production complètement décadents, toute étatisation de l'économie nationale (ou ce que Solidarity appelle "l'accumulation primitive") ne constitue qu'un renforcement de ces rapports de production dépassés, sur une échelle nationale. Pour toutes ces raisons, la République de Weimar par exemple n'était pas une révolution bourgeoise allemande "tardive". Au contraire, elle représentait la destruction de la révolution prolétarienne en Allemagne, le massacre de plus de 20000 militants prolétariens entre 1918 et 1919. Les révolutionnaires ne peuvent pas confondre la victoire de la contre-révolution mondiale avec la période, à jamais finie, d'ascendance du capitalisme.
En dépit des banalités répandues par les "experts" en économie, le progrès matériel ne se mesure pas par des augmentations de rendement, par la création de nouvelles usines, par le plein emploi ni par la croissance numérique apparente de la classe ouvrière. Aujourd'hui, de tels mythes de technocrates ne servent qu'à cacher le gonflement de production de gaspillage. En d'autres termes, le développement de moyens de destruction ne représente pas un accroissement des valeurs d'usage qui peuvent être consommées de façon productive dans le processus d'accumulation capitaliste. Pour le capital global, y inclus les secteurs arriérés de l'économie mondiale, la production de gaspillage et les dépenses militaires constituent une stérilisation de la plus-value. Un bref examen du "progrès économique" réalisé par les "révolutions bourgeoises tardives" de Solidarity montrera qu'il n'y a pas eu de progrès matériel dans ces pays. Le déclin économique s'est poursuivi là comme ailleurs, et s'il s'est produit quelque chose c'est que les contradictions dans ces pays sont devenues plus brutales et plus intolérables. La Chine, Cuba, le Vietnam, etc. ont des dépenses d'Etat énormes, orientées vers la production de gaspillage et une économie de guerre ; la Chine dépense plus de 30% de son produit national en armements. Ces pays ne peuvent pas échapper aux lois du système, pas plus que ne le peuvent les pays européens, la Russie et les Etats-Unis.
Partout le prolétariat se trouve confronté à l'austérité, au chômage - masqué ou non -, à une exploitation croissante, à une répression policière plus grande, à l'inflation et à des réductions de salaires brutales. Partout le prolétariat se trouve face aux diktats d'un système qui s'oriente de plus en plus vers la guerre impérialiste, vers une barbarie complète. Où sont donc les "plus hauts niveaux de consommation" et les "programmes sociaux" de Solidarity ?
La Première Internationale a pu soutenir Lincoln et le Nord contre les esclavagistes du Sud, durant la guerre civile mexicaine ; de même, le mouvement ouvrier du siècle dernier a soutenu la petite-bourgeoise "jacobine" d'Italie, de Pologne et d'Irlande dans sa lutte contre le féodalisme et la réaction absolutiste. Comment était-ce possible ? Solidarity ne le voit pas du tout. A cette époque, le prolétariat luttait encore dans un contexte social où le système était économiquement progressif. Aussi la classe ouvrière pouvait-elle soutenir certaines tendances capitalistes spécifiques sans perdre pour autant sa propre autonomie de classe. La lutte contre le féodalisme que menait la bourgeoisie et que soutenait le prolétariat, libérait les rapports de production capitalistes et dans ce sens, renforçait le prolétariat dans la préparation de sa propre révolution, lorsque le capitalisme aurait achevé son rôle historiquement progressif. Dans les conditions d'aujourd'hui, une telle stratégie ne fait que mener le prolétariat au massacre puisque partout la bourgeoisie s'affronte directement au prolétariat. Aujourd'hui le capitalisme est un système mondial. Le féodalisme a été vaincu par le développement du capitalisme dans sa période ascendante. Dans une époque d'impérialisme mondial, il ne peut plus y avoir de révolution bourgeoise contre le féodalisme. La libération nationale dans le tiers-monde aujourd'hui ne veut pas dire la lutte d'un capitalisme montant contre des modes de production précapitalistes ou féodaux mais veut dire lutte inter-impérialiste menée à l'échelle d'un capital national particulier. Dire, comme le fait Solidarity, que des "révolutions bourgeoises" peuvent se produite aujourd'hui mais que le prolétariat ne doit pas soutenir la bourgeoisie dans sa "lutte", est complètement absurde. Quand les révolutions bourgeoises contre le féodalisme étaient possibles, le prolétariat les soutenait. Aujourd'hui, si le prolétariat ne peut pas soutenir une quelconque fraction de la bourgeoisie, c'est parce que le capitalisme a termine sa mission historique. Ce qui est aujourd'hui historiquement à Tordre du jour, c'est la révolution communiste.
Cependant, puisque Solidarity défend l'idée que des "révolutions bourgeoises" sont possibles aujourd'hui dans les pays sous-développés, sur quoi se base-t-il donc pour s'opposer aux régimes qui surgissent de ces "révolutions" ? Après tout, Solidarity est d'accord avec les proclamations de ces gouvernements selon lesquels la "révolution" a pour résultat le développement économique. Solidarity veut même flatter ces gouvernements en les traitant de "jacobins" ou de révolutionnaires bourgeois. Mais en abandonnant ainsi l'analyse matérialiste du développement historique du capitalisme, Solidarity n'en reste qu'au moralisme lorsqu'il établit son opposition à ces régimes. C'est une opposition purement idéaliste et utopique. Voila Solidarity qui déverse son mépris quand il parle des ""Révolutionnaires bourgeois tardifs" de Ceylan, de la Chine ou du Vietnam, tout en admettant en même temps qu'ils remplissent une tâche historique progressiste et inévitable en développant les forces productives du capitalisme. Mais si c'était vrai, il n^ aurait alors rien de "tardif" à la montée de Mao, Castro ou Allende. En fait, leur montée au pouvoir serait tout à fait à propos pour le capital. De plus, toute cette période pourrait être caractérisée, de façon tout à fait justifiée, comme celle des "révolutions bourgeoises tardives", promettant au capitalisme un développement éternel jusqu'au moment où le dernier village de Patagonie se sera engagé dans la "reproduction élargie", après avoir terminé sa "propre" "accumulation primitive".
Dans le point de vue de Solidarity, il y a donc une étrange séparation entre la réalité économique et la lutte de classe. Pour les marxistes, le capitalisme doit entrer dans sa phase de décadence en tant que système social avant que le prolétariat mondial puisse directement lutter pour le communisme. Si le capitalisme peut continuer à se développer économiquement, si des "révolutions bourgeoises", "tardives" ou autres, peuvent se produire aujourd'hui,alors la révolution communiste n'est pas seulement une impossibilité objective, mais est subjectivement impossible jusqu'au moment où le capital aura terminé son évolution progressiste. Mais pour Solidarity, cela n'a aucune importance de savoir si oui ou non le capitalisme est décadent en tant que système de reproduction économique. Ce qui est important, c'est la conscience subjective des "dirigés" et c'est tout. Si les "dirigés" veulent la révolution, alors la révolution aura lieu, même si cela veut dire que la révolution prolétarienne est simultanée à une révolution bourgeoise dans un autre coin du globe. Si Solidarity était logique, alors il défendrait la position que la révolution était possible n'importe quand, même au 19ème siècle. Si les conditions objectives de la décadence capitaliste n'ont aucune importance aujourd'hui, pourquoi les conditions objectives du développement capitaliste dans sa phase d'ascendance en auraient-elles ?
Aux yeux du mouvement marxiste cependant, la révolution prolétarienne obéit à une nécessité historique. La révolution prolétarienne n'est historiquement à Tordre du jour que lorsque le capitalisme est entré mondialement dans une ère de déclin. D'après Solidarity, le capitalisme aurait une superstructure politique complètement autonome, indépendante des fondements économiques. Cuba, la Chine, la Russie se sont tous développés "économiquement", mais"politiquement" les répercussions de ces "révolutions bourgeoises tardives" sont négatives et réactionnaires. La vérité, c'est qu'il existe une interconnexion réelle entre le déclin économique du système capitaliste mondial et son déclin politique. Le "progrès économique" de bien des nations arriérées "libérées" comme la Chine, la Corée du Nord ou le Vietnam peut bien impressionner des scribes tels que Myrdal ou Cajo Brendel, mais les révolutionnaires doivent comprendre le contenu réel de ce "progrès". Nous avons déjà mentionné la production de gaspillage chronique de ces économies et le fait que ce sont des Etats policiers. La nécessité pour la bourgeoisie à notre époque et dans ces régimes en particulier, de réprimer brutalement le prolétariat exprime la profonde faiblesse de tels régimes, à la fois au niveau économique et politique. De tels régimes doivent se lancer dans la concurrence de façon militaire s'ils veulent survivre sur le marché mondial.
A l'exception de la Russie (qui est elle-même une puissance impérialiste dominante même si elle est plus faible que les Etats-Unis), de tels régimes ne peuvent qu'avoir une existence fragile et précaire, passant d'un bloc impérialiste à l'autre. Il est complètement impossible pour ces régimes de conquérir une quelconque indépendance nationale. Chaque fois que ces aires ont servi comme arènes de la lutte inter impérialiste (comme l’héroïque" Vietnam), elles n'ont fait que renforcer la puissance impérialiste de l'un ou 1'autre des deux grands blocs impérialistes. Les luttes de libération nationale (sic) n'"affaiblissent" jamais l'impérialisme comme les gauchistes (et Solidarity dans sa brochure sur le Vietnam) le prétendent. La bourgeoisie américaine est tout autant assurée de sa puissance impérialiste qu'elle ne l'était avant la guerre du Vietnam. C'est tout autant absurde de parler de "révolutions bourgeoises" dans le tiers-monde qui développeraient des forces productives dans ces pays. Aucun de ces capitaux nationaux "libérés" n'a atteint un niveau de productivité du travail qui soit comparable à celui des pays développés. Au lieu de faire des comparaisons arbitraires au niveau local comme le font les apologistes de ces régimes, une comparaison véritable doit être faite entre la productivité économique des pays avancés par rapport à celle qu'accomplissent aujourd'hui les régimes de "libération nationale". Plutôt que de comparer la Chine de Mao à celle du Kuomintang, une vraie comparaison serait de la mesurer aux niveaux économiques des secteurs avancés du capitalisme. La crise des rapports de production capitalistes que subissent les économies occidentales avancées (avec leurs 22 millions de chômeurs, leurs usines inutilisées et l'inflation galopante) est la même contradiction qui étrangle aujourd'hui l'économie chinoise. C'est d'ailleurs cette caractéristique même qui fait que la productivité du travail reste extrêmement basse en Chine en comparaison avec les pays développés, tout comme la Russie stalinienne n'a pas réussi en cinquante ans à atteindre le niveau de productivité du travail des pays capitalistes avancés de l'Ouest. De ce point de vue concret, on peut voir que le décalage entre le les secteurs plus développés et les secteurs arriérés du capital mondial s’accroît favorablement chaque année, en progression géométrique. Et les pays avancés confrontés à la décadence de l'ensemble du système s'orientent vers une autre guerre impérialiste généralisée et entraînent toutes les nations "libérées" derrière eux dans la barbarie.
La question des aires arriérées du capitalisme ne peut être posée qu'à l'échelle globale. Solidarity, comme les mencheviks et des tendances similaires dans la Social Démocratie avant eux, base toute sa perspective sur l'exemple isolé d'une économie nationale. Selon l'analyse que fit Rosa Luxembourg au début de notre époque, l'avenir des aires arriérées du capitalisme mondial est indissolublement lié à la décadence de l'ensemble du système. Aujourd'hui, après deux guerres mondiales, après l'établissement d'une économie de guerre permanente, après plus de 50 années de déclin économique et social prolongé dans le sillage d'une révolution internationale défaite, il est impossible de prendre au sérieux les fantaisies de Paul Cardan et de son "capitalisme moderne", et la proclamation du développement éternel du capitalisme. Pour le prolétariat, la question de savoir si le système se développe ou décline a été tranchée pour toujours par le cycle barbare de crise, guerre et reconstruction de ce siècle. Et alors que le prolétariat international ressurgit sur l'arène politique après avoir subi la pire période contre-révolutionnaire de son histoire, seuls les aveugles continuent à parler de "révolutions bourgeoises tardives" au moment où se font entendre les premiers bruits de la seconde vague révolutionnaire de ce siècle.
LA REVOLUTION RUSSE
L'autre confusion principale dans l'appendice publié par Solidarity réside dans les remarques que fait le groupe sur la révolution russe. Ces remarques révèlent les profondes confusions de Solidarity sur cet épisode vital du mouvement ouvrier. Nous pouvons lire :
"...la "révolution permanente" en Russie à la fois débuta et finit comme une révolution bourgeoise (malgré le fait que le prolétariat ait assumé le "rôle dirigeant" dans le déroulement du processus)".
Il est ahurissant que cette vieille thèse menchevik soit présentée par Solidarity comme une grande découverte. Malheureusement pour Solidarity, cette grande "innovation" n'avait déjà aucune base dans la réalité à l'époque où les mencheviks l'ont défendue. Elle n'en a pas plus aujourd'hui.
Beaucoup de tendances anarchistes, de même que les Sociaux-Démocrates, ont rejeté la révolution russe. Ce n'est pas surprenant puisqu'elles rejettent le marxisme. En ce qui concerne Solidarity, bien qu'il ne se soit jamais prétendu marxiste, il a néanmoins ressenti le besoin de rejeter l'expérience de la révolution prolétarienne d'octobre 17 pour se joindre au choeur des libertaires. Le refrain de ce choeur, c'est l'affirmation que le stalinisme égale le léninisme égale le marxisme. Avec cette formule, les libertaires commencent avec la contre-révolution et l'identifient à la pensée et à l'action de la classe ouvrière. En commençant par le rejet de la contre-révolution et ce qu'il en comprend, Solidarity finit par rejeter à la fois l'expérience pratique de l’outil théorique de la lutte de classe,. Il rejette non seulement les expériences ouvrières de la révolution russe mais encore la totalité de la période de luttes révolutionnaires qui va de 1917 à 1923 : le développement du mouvement ouvrier en Europe, les surgissements ouvriers, le regroupement des révolutionnaires dans la Troisième Internationale et la clarification qui s'est faite dans ses premiers Congrès, et enfin la compréhension qui se fit à travers les luttes et que l'aile gauche de TIC défendit contre la dégénérescence de celle-ci alors que la révolution mondiale commençait à refluer. Est-ce que tout cela n'était que de l'aventurisme, simplement la conséquence de la "révolution bourgeoise" russe comme les mencheviks le proclamaient ? Est-ce que c'était une"révolution bourgeoise"russe qui était à l'ordre du jour durant cette époque de déclin impérialiste, cette époque de guerres et de révolutions, durant cette époque de lutte à mort entre le capitalisme mondial et le prolétariat international ? Les révolutionnaires qui s'étaient regroupés autour du slogan "transformation de la guerre impérialiste en guerre civile", étaient-ils des utopistes dans l'erreur ou même des machiavéliques rusés qui voulaient prendre le pouvoir pour eux-mêmes aux dépens de l'effort de guerre impérialiste ? Toute l'expérience russe de la dictature du prolétariat - ce qu'elle fut historiquement, c'est-à-dire une tentative -, les conseils ouvriers, l'activité autonome de la classe ouvrière, tout cela était-ce simplement une illusion, quelque chose que le prolétariat d'aujourd'hui ferait mieux d'oublier ?
Est-ce que l'échec final de la révolution russe était identique à l'évolution de la conscience du prolétariat en 1917, quand il devint conscient de la nécessité de détruire l'Etat bourgeois de Kerensky - un événement qui a fait de la dictature du prolétariat une réalité vivante de cette époque révolutionnaire ? Que la classe ouvrière n'ait pas été capable d'étendre son pouvoir à l'échelle internationale, est évident. Il est tout aussi évident quand on lit les documents des premières années de l'IC et les écrits des révolutionnaires russes de cette époque, que le camp prolétarien comprenait qu'un isolement continu de la révolution russe se terminerait en une défaite du bastion prolétarien. Sur le plan subjectif, les confusions du prolétariat que ses minorités politiques, y compris les bolcheviks, reflétaient, ont finalement condamné la révolution russe et l'ensemble du mouvement révolutionnaire à l'échec. Mais ce serait d'une pensée stérile et d'un curieux fatalisme de dire que février et octobre 17 ont été condamnés à l'échec (en Russie et internationalement) depuis le début. Et c'est ce que dit Solidarity dans son appendice sur la révolution russe. On peut déjà voir la mort dans un bébé nouveau-né, et peut-être que sur ce plan Kierkegaard est plus profond que Marx. Mais les processus historiques dépendent de l'intervention active et consciente des forces de classe qui ne peuvent être analysées comme un jeu de mystères médiéval. Ce qui a manqué au prolétariat en 17, c'était une expérience et une clarté suffisantes sur les besoins qui surgissaient devant lui avec l'avènement d'une nouvelle époque. Il a été catapulté dans une nouvelle phase historique au moment où il sortait juste du carnage de la première guerre impérialiste mondiale. Il a tenté de détruire le capitalisme mais il a échoué. Mais aucun révolutionnaire de l'époque n'aurait affirmé que tout était perdu d'avance! Ceux qui proclamaient alors que seule une "révolution bourgeoise" était à l'ordre du jour, c'étaient Plekhanov en Russie, Ebert et Noske en Allemagne qui, soit cherchaient à excuser l'exécution du prolétariat révolutionnaire, soit en devinrent eux-mêmes les bourreaux.
Solidarity va rapidement atteindre la fin de sa longue et négative évolution, et disparaître comme beaucoup d'autres groupes. Les positions incohérentes de Solidarity sont le résultat de son incapacité à rompre pleinement avec son passé gauchiste. Tout comme le groupe français Socialisme ou Barbarie qui défendait des idées similaires et s'est dissout en 1967, Solidarity vient d'une scission du trotskysme après la guerre. Se prenant pour des "innovateurs", ces tendances n'ont jamais tenté d'établir une continuité avec les traditions et les leçons défendues par les fractions communistes de gauche (les Gauches Italienne, Allemande et Hollandaise). Elles n'ont donc jamais rompu complètement avec la contre-révolution. Elles n'ont pas vu, par exemple, que leurs "innovations" étaient des conceptions usées ou des incompréhensions qui furent réfutées il y a longtemps par le mouvement révolutionnaire. Toute leur vision se basait sur une critique individualiste et fragmentaire de la contre-révolution. Ainsi, Socialisme ou Barbarie pouvait encore défendre 1'idë d'un parti léniniste et défendre les luttes de libération nationale et le "travail syndical de boîte". Graduellement, les conceptions anarchistes de Stirner, de Proudhon ont commencé à pénétrer ses activités. Solidarity et d'autres groupes similaires ont commence a défendre ce qu'ils appellent "l'autogestion", et de plus en plus on ne savait pas si la classe ouvrière était la classe communiste de notre époque. Ces confusions étaient rationnaiisées par la forte influence de la sociologie bourgeoise et bien vite nos "innovateurs" de S ou B et de Solidarity se sont mis à défendre les idées des renégats comme Burn-ham, Rizzi et autres académiciens bourgeois comme Marcuse et Bell qui proclamaient la mort du prolétariat et que la "bureaucratie" était une nouvelle classe sociale qui mettait en question le marxisme.
Bien que la rupture initiale de Solidarity avec le trotskysme révélait un véritable effort de clarification, elle a aussi montré la quasi-impossibilité d'un développement sain de la part d'une tendance qui vient de l'appareil politique capitaliste. Aujourd'hui, alors que le prolétariat surgit à nouveau à l'échelle mondiale, les idées de Solidarity apparaîtront de plus en plus cyniques et anachroniques. A côté de ce resurgissement et avec lui, le mouvement révolutionnaire actuel contribuera aussi à la mort des idées de Solidarity. En fait, le mouvement actuel doit critiquer sans merci toutes les confusions qui restent de la contre-révolution. Et il est forcé de la faire par les nécessités mêmes de la révolution communiste qui requiert la plus grande clarté et cohérence comme condition première à la pratique révolutionnaire. L'incapacité de dire ce qui est et ce qui n'est pas, l'incapacité de tirer les leçons du passé, la mollesse et l'impuissance politiques, toutes ces caractéristiques sont celles d'une tendance politique mourante. Solidarity est perclus de tous ces défauts majeurs. Si le mouvement révolutionnaire actuel peut bénéficier d'une dernière contribution de la part de Solidarity, ce serait la disparition rapide de sa stérile existence.
J.McIver août 77
L'auteur de cette critique a participé à la rédaction du texte de Solidarity "Tiers-mondisme ou socialisme", il y a plusieurs années. Aujourd'hui, dans le Courant Communiste International ce camarade peut apprécier l'attraction que les idées de Solidarity ont dans le mouvement révolutionnaire actuel L'espoir est donc non seulement que s'ouvre et se poursuive une discussion sur ces sujets, mais que les nouveaux révolutionnaires acquièrent la clarté nécessaire pour confronter ces conceptions usées qui ne peuvent être que des obstacles à l'activité révolutionnaire. Sans cette clarté nécessaire, le but qu'ils défendent ne deviendra jamais "dur comme l'acier, clair comme le cristal" (Gorter).
Plus de 10.000 morts en un an ; tous les jours et pendant plusieurs mois, la répétition incessante des manifestations et de la répression; l'ensemble du pays paralysé par la grève quasi-générale des ouvriers du pétrole, mais aussi des hôpitaux et des banques, des transports et de la presse; les universités et les écoles fermées; les avertissements jusqu'aux menaces d'intervention des grandes puissances ; les évacuations des ressortissants étrangers; les tergiversations de l'armée et du Shah, de l'opposition religieuse et du Front National; tels sont les événements qui ont révélé ouvertement la décomposition sociale, la crise politique et la paralysie du système, illustration dans un pays des caractéristiques et des perspectives de la situation actuelle du monde capitaliste dans son ensemble.
Au plan économique d'abord, le mythe de l'Iran, longtemps donné comme l'exemple d'une nation en développement, promise par le Shah au 5ème rang mondial pour la fin de ce siècle, s'est écroulé comme un château de cartes.
En 1973, pour la première fois, le déficit extérieur chronique de l'Iran se résorbait et en 1974 les exportations dépassaient les importations de 52%. Ce bond fit croire alors au "décollage" économique, tout comme ce fut le cas pour le Brésil ; enfin, disait-on, un pays du Tiers-Monde montrait la possibilité de sortir du sous-développement. Mais l'illusion s'est rapidement dissipée avec un excédent ramené à 23% dès 1975. En fait, dépendant à 96% du pétrole pour ses ressources d'exportation, l'Iran n'avait fait que bénéficier du quadruplement du prix du pétrole tout à fait conjoncturellement. Ceci ne correspondait pas au profit de la vente d'un produit devenu subitement "rare" sur le marché, comme le battage sur la "pénurie" de pétrole tentait de le faire croire, mais à une hausse des prix, voulue par les Etats-Unis et ses grandes compagnies pour remettre en ordre, à leur profit, le marché sursaturé de l'or noir. Par cette hausse en effet, les Etats-Unis, se trouvant eux-mêmes parmi les principaux producteurs de pétrole, accentuaient la mise sous rationnement de leurs alliés et concurrents, l’Europe et le Japon, en rendant la production américaine plus compétitive sur le marché mondial tout en faisant payer par ceux-ci l'armement des pays pétroliers (avec les Eurodollars fournis à l’OPEP par les achats de pétrole).
La "nouvelle richesse" des pays producteurs de pétrole devait vite céder sous les coups de la compétition acharnée issue de la surproduction mondiale dans tous les domaines et dans celui* du pétrole, amenant l'Iran à réduire ses ambitions de grandeur et à concentrer ses efforts sur les secteurs vitaux de l'économie nationale. Le "décollage" de l'Iran a fait long feu : il n'a pas été un souffle juvénile de santé du capital national mais un sursaut de l'agonie du capitalisme mondial. Il n'est plus question de prospérité désormais ; seul subsiste un endettement croissant pour les achats massifs d'armements ultra-perfectionnés et la fourniture d'usines "clés en mains" que la bourgeoisie n'a jamais pu faire réellement tourner.
Au plan politique ensuite, la bourgeoisie iranienne dont le pouvoir repose tout entier sur l'armée, seule force capable dans un pays sous-développé d'assurer à l'Etat un minimum de cohésion, dispose d'une marge de manoeuvre de plus en plus réduite. La monarchie du Shah tout-puissant ne représente pas un féodalisme retardataire et anachronique, dont la bourgeoisie pourrait se débarrasser pour aller de l'avant, mais bien une forme de capitalisme d'Etat concentré issu de la faiblesse historique et structurelle du capital national. L'évolution de l'Iran, marquée par des tentatives de "modernisation" et la mise à l'écart des secteurs archaïques de l'appareil productif, orientée toute entière par l'économie de guerre sur le pétrole et l'armement, seuls domaines du "développement" et du profit, est une évolution irréversible.
Aucune politique de la bourgeoisie ne peut aujourd'hui remettre en question le rôle prépondérant de l'armée et l'orientation de l'économie nationale sur la seule maigre ressource dont elle dispose dans l'économie mondiale. Dans un tel régime, caractéristique des pays sous-développés, tout est à importer et les "affaires" se traitent avec l'argent fourni par les exportations, avec tout ce que cela suppose de combines, marchandages, détournements de fonds, etc. De la surgissent des oppositions dans la bourgeoisie, mais qui ne peuvent pour autant réellement remettre en question la source des revenus et le fonctionne ment du système. Aucune politique de la bourgeoisie ne peut s'opposer réellement à l'élimination des secteurs non rentables de l'appareil productif sous peine d'accentuer encore la faillite. Pour ces raisons, il n'existe aucune alternative stable réelle et à long terme à la crise qui a mis en mouvement toutes les couches et classes de la population. La bourgeoisie n'est en dernier recours capable de proposer que la mitraille et les massacres répétés des masses paupérisées soulevées ; les oppositions de l'Eglise et Front National ne peuvent jouer que sur la manière d'utiliser l'Etat et l'armée pour mettre en oeuvre le seul véritable intérêt dans la situation : trouver les moyens d'une remise en marche du pays.
L'alternative d'une "Révolution de 1789" en Iran, mise en avant par toute une propagande prompte à fournir ses bons conseils et son appui à la domination bourgeoise secouée par la crise, n'est qu'un mensonge, A l'heure de la crise mondiale du système capitaliste, il n'y a plus de place pour la prospérité et le développement dans le cadre du capitalisme. L'histoire de l'Iran de ces cinquante dernières années est toute entière marquée non par la féodalité à laquelle la bourgeoisie pourrait opposer aujourd'hui une perspective de progrès, mais par la décadence capitaliste, la contre-révolution qui a suivi la vague révolutionnaire des années 1917-23 et le partage du monde issu de la deuxième guerre mondiale. Lorsque le Général des Cosaques Reza Khan, père du Shah actuel, prit le pouvoir en 1921 et se fit proclamer empereur en 1925, l'ère des révolutions bourgeoises était terminée et le régime s'instaurait avec la bénédiction des "alliés" sur les ruines de la guerre généralisée et sur la défaite du prolétariat mondial. Chancelant pendant la deuxième guerre mondiale, parce que penchant vers les puissances de l"Axe", le régime était remis sur pied par les vainqueurs occidentaux après le partage de Yalta entre l’Est et l'Ouest, l'ordre restauré à leur profit par le soutien au Shah contre un Mossadegh au nationalisme pas assez plié à leurs intérêts.
La crise iranienne actuelle s'inscrit toute entière, par ses caractéristiques historiques, économiques et politiques dans la crise mondiale du système capitaliste.
La crise du système provoque, en frappant l'ensemble des moyens de subsistance des couches et classes qui composent la société, une dislocation de sa cohésion et une décomposition sociale. De plus en plus repliée sur l'essentiel de ce qui lui assure le maintien de sa domination, la bourgeoisie est impuissante à fournir des remèdes matériels à la situation. Au contraire, les salaires et le nombre des ouvriers, les subsides et les divers expédients de survie des chômeurs et des sans-travail, les débouchés des étudiants, les profits du petit commerce, les investissements non rentables, sont irrémédiablement laminés par la bourgeoisie. Les contradictions sociales vont alors se révéler ouvertement. D'une part, au sein même de la classe dominante, les pratiques de racket, le bakchich et la corruption de ceux qui ont en mains les rênes gouvernementales, vont provoquer la colère de ceux qui en sont écartés. D'autre part, la misère grandit et la masse des éléments paupérisés grossit, accroissant le mécontentement et poussant de plus en plus à la révolte. Face à un pouvoir d'Etat réduit et identifié à une clique, lorsque toutes ces conditions convergent, le soulèvement de la population surgit d'autant plus vaste et d'autant plus décidé. Car plus les fondements de la domination de classe sont faibles et affaiblis par la crise, plus cette domination est arrogante et crûment imposée.
Comme au Nicaragua contre le dictateur Somoza, en Iran, les récriminations et la colère se sont cristallisées contre le Shah, sa famille, sa police politique. Comme au Nicaragua, à "tout un peuple" regroupé dans les manifestations pour réclamer le départ du tyran, le régime répondait de façon répétée par la répression de l'armée, laissant chaque fois nombre de morts sur le terrain (en septembre à Téhéran, 3000 à 5000 morts en une journée). Mais lorsque les grèves ont surgi, d'abord dans les usines pétrolières puis dans les autres secteurs, la bourgeoisie a dû céder aux revendications de salaires des ouvriers (jusqu'à 50% d'augmentation) pour faire redémarrer sa production. Et pour s'en assurer, l'armée a quadrillé les centres pétroliers, instauré la loi martiale, interdit les rassemblements, arrêté les "meneurs" de la grève. Les grèves ont alors repris contre la répression et l'armée, bloquant à nouveau la production et, en cela, fourni une nouvelle vigueur au mouvement.
Cette fois, au contraire du Nicaragua, l'attaque du symbole de la domination capitaliste était doublée d'une paralysie des bases mêmes de cette domination. La revendication du départ du Shah, au début voeu pieux utilisé pour leurs manoeuvres par les oppositions de l'Eglise et du Front National, auquel le gouvernement pouvait répondre par la seule répression, devenait une question vitale pour la bourgeoisie dès lors que son profit était mis en question par les grèves. Distincte du "peuple", la classe ouvrière se montrait une force capable de résister aux attaques de la bourgeoisie. Au sein des revendications des couches et classes aux motivations aussi disparates et aux intérêts aussi divergents que ceux des bourgeois de plus en plus ruinés des "Bazars" ou excédés par les exactions de la clique du Shah, des sans-travail jetés dans la misère, des étudiants sans débouchés, de la petite bourgeoisie indécise et fluctuante, la classe ouvrière défendait collectivement, sur une base matérielle, ses intérêts, concrétisant en même temps les aspirations des couches paupérisées de la société.
Au contraire de la petite-bourgeoise et des couches intermédiaires qui, dispersées en une multitude d'intérêts particuliers, ne peuvent aller par leur propre mouvement que vers la soumission ou la révolte désespérée, la classe ouvrière, regroupée en corps collectif au coeur de la production capitaliste, peut résister à la misère et aux massacres aujourd'hui et oeuvrer par là à la seule véritable alternative historique, la destruction du capitalisme. C'est cette réalité qui ie déroule en Iran au delà de l'écran de fumée des appels au secours d'Allah et de son prophète Khomeiny ou des tractations du Front National.
"(La classe ouvrière) n'a pas à réaliser d'idéal mais seulement à libérer les éléments de la société nouvelle que porte dans ses flancs la vieille société bourgeoise qui s'effondre". (Troisième Adresse du Conseil Général de l'AIT à la Commune de Paris en I871 Marx).
Avec ce mouvement se sont accentuées les caractéristiques de la crise politique et la rupture du fragile équilibre de l'Etat iranien. Aux premières difficultés, l'Etat a répondu sans ménagement par la répression ouverte. Le Shah recevait l'appui réitéré des Etats-Unis et le président Carter, après le massacre de septembre, tous "droits de l'homme" réduits à leur réalité de vent et de papier, réaffirmait la nature "libérale" du régime. L'URSS respectait une bienveillante neutralité. Le ministre des Affaires Etrangères britannique apportait au Shah un ferme soutien. La Chine, avec le voyage de Hua Kuo Feng, avait aussi donné son appui. Pour tous, la seule possibilité résidait dans le régime du Shah et de son armée. Aucun n'avait quelqu'un d'autre à proposer, une alternative à avancer. L'extension du "chaos" devait pousser la bourgeoisie à préparer des tentatives de relève. Déjà, la France, meilleure auxiliaire de la politique extérieure occidentale, avait récupéré et mis en réserve sous son aile l'opposition religieuse en accueillant comme "réfugié" l'Ayatollah Khomeiny, héraut de l'opposition,"expulsé" d'Irak où il était installé. Le Shah sortait des prisons les éléments du Front National. La valse-hésitation déclenchée par la nécessité de remise en ordre ne pouvait trouver fondamentalement d'autre point d'appui que l'armée, ce qui se traduisit par la remise du gouvernement formellement entre les mains de l'armée, et de la part de l'opposition, par des appels répétés à l'armée à passer à ses côtés. Dans le même temps, la bourgeoisie s'activait à trouver des justifications face à la population et à tenter de se rallier les fractions de la bourgeoisie et la petite-bourgeoise neutres, passives ou opposées à la corruption, en cherchant des "hommes intègres" et"non compromis" avec le régime. L'Ayatollah Khomeiny et le Front National maintenaient la radicalité de façade nécessaire pour éviter les débordements en réclamant toujours plus haut le départ du Shah. Au même moment, c'est le Front National qui fournissait l'homme susceptible de faire une première tentative, Bakhtiar ("l'homme des français") et l'Ayatollah Khomeiny créait une commission du pétrole destinée à demander aux ouvriers la reprise du travail sous couvert de la "consommation populaire".
Cette tâche n'est déjà pas facile lorsque le "peuple" est dans la rue. Et lorsque les ouvriers sont mobilisés et organisés, de tels appels de l'opposition, même la plus crédible et la plus décidée, se retournent contre ses intérêts. Ainsi, les ouvriers acheminèrent effectivement sous leur contrôle le ravitaillement. L'armée dut intervenir pour l'interrompre et l'Ayatollah faire le silence sur cette opération. Le "peuple" n'est bien pour ces fantômes du passé qu'un mot creux pour servir les intérêts nationaux. S'il a un sens pour le prolétariat, il ne peut être que celui de sa force autonome capable de vraie solidarité avec les immenses masses paupérisées. Il ne peut jamais être celui qu'entendent les "humanistes", les "démocrates" et les "populistes" qui, proposant leurs bons offices pour la défense du capital national, volent dans le "peuple" la masse de manoeuvre pour appuyer leurs ambitions.
Cette illustration de la crise politique montre la bourgeoisie en Iran, comme cela le sera de plus en plus partout dans le monde, sans aucune véritable issue à sa crise. Les "hommes politiques" de la bourgeoisie sont aujourd'hui de plus en plus des "hommes de transition", des "techniciens", cachant ou non selon les possibilités et les besoins de la bourgeoisie, les véritables "hommes" de la bourgeoisie, ceux de l'armée, de la police et de tous les corps de répression de l'Etat. En Iran, l'alternative n'est pas Khomeiny ou l'armée, ou Sandjabi ou l'armée : tant que l’Etat capitaliste existe, l'armée sera toujours là, avec un Khomeiny, avec un Sandjabi, comme avec un Shah. Les "relèves" ne peuvent constituer qu'un nouveau masque pour l'armée et ses fonctions d'encadrement car elle est la seule force sur laquelle la bourgeoisie peut asseoir son pouvoir. Et historiquement, les deux seules forces qui sont appelées à s'affronter de façon décisive sont la bourgeoisie et le prolétariat, l'armée et les ouvriers.
Dans l'immédiat, la bourgeoisie, pour faire face à la classe ouvrière, essaie de dissoudre ses intérêts dans l'ensemble de la population pour la démobiliser et perpétuer la dictature du capital. Les fondements des discussions et des manoeuvres politiques de la bourgeoisie, du gouvernement et de l'opposition, et au sein même de l'armée, sont de mater la révolte et/ou de dissocier dans l'esprit de la population et des ouvriers soulevés, le Shah et l'Etat, pour leur jeter, s'il le faut, le Shah en pâture sans rien toucher à l'Etat.
"La révolution jusqu'au départ du Shah", criaient les manifestants de Téhéran. Si le départ du Shah est la condition de l'arrêt de la marche du prolétariat, la bourgeoisie fera tout pour en arriver là, pousser les ouvriers à prendre la proie pour l'ombre, à croire que le but de la lutte est la chute du Shah, la fin de leur mouvement et de leur mobilisation.
Par la bourgeoisie, aucune perspective n'existe aujourd'hui, ni à court, ni à long terme. L'abandon du Shah et un autre gouvernement ne sont que la perpétuation et l'accélération des mêmes conditions de crise, de misère, de guerre et de répression.
Pour le prolétariat, à long terme, par l'extension et la généralisation de son combat au monde entier et fondamentalement dans les grandes concentrations industrialisées du capital, la perspective est celle de la destruction de ce système par la révolution communiste. Le combat de la classe ouvrière en Iran est un moment de ce combat général. Il n'est pas circonscrit à l'Iran, il a ouvert de nouvelles expériences vers des possibilités d'extension et de généralisation, par sa propre organisation et vis-à-vis des masses paupérisées de la société; il a montré, pour le prolétariat du monde entier, dans un pays situé sur la ligne des affrontements inter impérialistes, qu'il pouvait enrayer les attaques de la bourgeoisie.
Pour la classe ouvrière en Iran, le danger est à court terme de laisser diluer ses intérêts dans ceux de toute la population si elle accepte une union contre-nature du capital et du travail avec une quelconque fraction de la bourgeoisie, le danger d'une exploitation et d'une répression renforcées. Sa force réside dans sa capacité à rester mobilisée sur son terrain de classe.
M.Gr
Dans la première quinzaine de Novembre s'est réunie à Paris la deuxième Conférence des groupes communistes en continuation de la première qui a eu lieu sur l'initiative de Parti Communiste Internationaliste (Battaglia Communista) en Mai 1977 à Milan. Il n'est pas dans notre Intention de donner, dans le cadre de cet article, un compte-rendu détaillé des débats. Celui-ci fera l'objet d'une brochure spéciale qui paraîtra prochainement en anglais, français, et italien afin de permettre à tous les militants révolutionnaires de suivre l'effort de clarification au travers de la confrontation des groupes qui ont participé à cette conférence. Plus modestement, nous nous proposons dans cet article, de dégager â grands traits, la signification importante à nos yeux de la tenue d'une telle conférence, tout particulièrement dans la situation actuelle et répondre en même temps à l'attitude très négative que certains groupes ont jugé bon d'adopter à rencontre de cette conférence.
Tout d'abord nous devons souligner que cette deuxième conférence a été mieux préparée, mieux organisée que la première, et cela aussi bien du point de vue politique quforgan1sat1one1. Ainsi 1'Invitation a été faite sur la base de critères politiques précis. L'Invitation s'adressait à tous les groupes qui :
1) Se réclament et défendent les principes fondamentaux qui ont présidé à la Révolution prolétarienne d'Octobre 1917 et à la constitution de la Troisième Internationale de 1919 et qui a partir de ces principes entendent soumettre à la critique constructive les positions politiques et la pratique élaborée et énoncée par l'IC à la lumière de l'expérience.
2) Rejettent sans la moindre réserve toute prétendue existence dans le monde de pays à régime socialiste ou de gouvernement ouvrier, même avec le qualificatif de "dégénéré". Rejettent toute distinction de classe à établir entre les pays du bloc de l'Est ou de la Chine avec les pays du bloc de l'Ouest et dénoncent comme contre-révolutionnaire tout appel à la défense de ces pays.
3) Dénoncent les P.S. et les P.C. et leurs acolytes comme des partis du capital.
4) Rejettent catégoriquement l'idéologie de l’ « antifascisme », établissant une frontière de classe entre le fascisme et la démocratie en appelant les ouvriers à défendre ou à soutenir la démocratie contre le fascisme.
5) Proclament la nécessité pour les communistes d'oeuvrer pour la reconstruction du Parti, arme indispensable pour la victoire de la Révolution Prolétarienne.
Un simple énoncé de ces critères fait comprendre à tout ouvrier qu'il ne s'agit pas d'un ramassis de toutes les "bonnes volontés" mais de groupes authentiquement communistes se démarquant nettement de toute la faune gauchiste : maoïstes, trotskystes, modernistes, et autres conseil listes bêlants "anti-parti".
Ces critères, certes insuffisants pour établir une plate-forme politique pour un regroupement sont par contre parfaitement suffisants pour savoir avec qui on discute et dans quel cadre, afin que la discussion soit réellement fructueuse et constitue un point positif.
D'autre part et en amélioration de la première conférence, l'ordre du jour des débats a été établi, longtemps avant la conférence elle-même, permettant ainsi aux groupes de présenter leurs points de vue dans des textes écrits â l'avance, rendant plus clairs les débats à la Conférence. L'ordre du jour était le suivant :
- 1) L'évolution de la crise et les perspectives qu'elle ouvre pour la lutte de la classe ouvrière.
- 2) La position des communistes face aux mouvements dits de "libération nationale".
- 3) Les tâches des révolutionnaires dans la période présente.
Un tel ordre du jour démontre que la conférence n'avait rien de commun avec ces colloques académiques de singes savants, de sociologues et économistes se gargarisant de "théorie" dans l'abstrait. C'est une préoccupation militante qui présidait à la conférence, cherchant à dégager une plus grande compréhension de la situation mondiale actuelle, de la crise dans laquelle est plongé le capitalisme mondial et ses perspectives du point de vue de classe du prolétariat, ainsi que les tâches qui en découlent pour les groupes révolutionnaires au sein de la classe.
C'est dans le cadre de ces critères et dans un souci militant qu'ont été invités une douzaine de groupes de divers pays. La plupart ont répondu favorablement à cette initiative, même si certains n'ont pu à la dernière minute et pour des raisons diverses y assister. Ce fut le cas d'"Arbetarmakt" de Suède, d'HORCIAM de France et "Il Leninista" d'Italie. On doit cependant noter que quatre groupes ont refusé toute participation. Ce sont le Spartacusbond" de Hollande, le P.I.C. de France et les deux « partis » communiste international (PCI " Pogramme" et PCI "Il Partito Communista") d'Italie.
Il n'est pas sans Intérêt d'examiner de plus près les arguments avancés par chacun de ces groupes et les vraies motivations qui ont décidé leur refus. Pour le "Spartacusbond" de Hollande, la chose est simple : le groupe Spartacus est contre toute idée de Parti. Le seul mot de Parti lui fait hérisser les cheveux. C'est en vain que ce groupe, né le lendemain de la deuxième guerre, prétend se réclamer de la tradition et comme continuité de la gauche communiste hollandaise et allemande dont il est une pâle caricature. C'est tout au plus de l'Otto Rhule assaisonné de Sneevliet qu'il pourrait se réclamer, mais certainement pas de Gorter et de Pannekoek qui eux n'ont jamais nié le principe de la nécessité d'un Parti communiste. Spartacus s'avère être la fin sénile du Courant Communiste Conseilliste devenu une petite secte, repliée sur elle-même, isolée et s'isolant chaque jour plus du mouvement ouvrier international. Son refus ne fait que montrer l'épuisement définitif du courant conseilliste pur, se confondant et s'Intégrant chaque jour plus avec le marais gauchiste. C'est une triste fin d'une évolution Irréversible produit d'une trop longue période de contre-révolution.
De différente façon se présente l'attitude du P.I.C. Après avoir donné son accord de principe pour la première conférence de Milan, il revient sur sa décision à la veille de celle-ci, estimant que dans les circonstances présentes, cela serait un "dialogue de sourds". Pour la deuxième conférence, il fonde ainsi son refus de principe : refus de participer à des conférences "Bordigo-Léninistes". Là aussi, nous assistons à une évolution précise. Quand, il y a quelques cinq ou six ans, les quelques camarades qui ont quitté Révolution Internationale pour constituer le groupe "Pour une Intervention Communiste" fondaient leur séparation sur le reproche d'une Intervention insuffisante de la part de R.I. En mettant de côté l'activisme verbal du P.I.C qui l'a conduit à toutes sortes de "conférences" et de "campagnes" (sic!) plus artificielles les unes que les autres, il reste évident aujourd'hui ce que nous avons toujours affirmé : que le vrai débat n'était pas "intervention ou non Intervention" mais bien "de quel type d'intervention, sur quel terrain, et à côte de qui". Ainsi le P.I.C. qui se livre de temps à autre à des "conférences" avec toutes sortes de groupes et d'éléments anarchisants ou des groupes "autonomes" plus que fantomatiques et qui se terminent à chaque fois en queue de poisson, est vraiment bien placé pour parler de "dialogue de sourds" quand il s'agit de discussions entre des groupes vraiment communistes. Ceci n'est pas tout. Revenu de ses tentatives malheureuses de constituer un courant anti-CCI avec "Revolutionary Perspectives", "Workers Voice", et le "RWG" (ces deux derniers disparus depuis dans la nature sans laisser de traces), le P.I.C., quelque peu refroidi pour ce qui concerne les groupes de la gauche communiste, s'est rabattu sur les éléments de la gauche socialiste et participait au groupe initiateur qui a relancé la vieille revue socialiste de gauche "Spartacus", sous la haute direction de son fondateur René Lefeuvre. Dans cette revue, où s'étalent à longueur de pages la glorification de l'armée républicaine de la guerre d'Espagne de 36-39, les hauts faits de "l'anti-fascisme" promoteur actif de la deuxième boucherie mondiale, les hommages chaleureux de Marceau Pivert, du PSOP (le PSU d'avant-guerre), du POUM, les louanges et souvenirs attendrissants de l'action héroïque trotskyste dans la Résistance durant la guerre, le PIC se trouve à son aise et fait partie de la rédaction. Ses narines délicates qui ne sauraient supporter l'odeur horrible des "Bordigo-Léninistes" se dilatent voluptueusement à l'encens parfumé du Socialisme de gauche et de 1'anti-autoritarisme. Dans cette basse-cour de la Social Démocratie ([1] [401]) on PICore tout à son aise et on peut même s'offrir de temps à autre le plaisir de faire des critiques "radicales" et de jouer "l'enfant terrible" ultra-révolutionnaire. Il est vrai que "Spartacus" est une revue très ouverte, très large. Mais le fait d'être large est loin d'être toujours une qualité ! Ce qui fait l'unité, le ciment de l'équipe de "Spartacus", c'est l’antibolchevisme tripal qu'il confond volontairement et sournoisement avec le stalinisme. Les socialistes de "gauche" n'ont jamais attendu le stalinisme pour dénigrer les bolcheviks, les Lénine et combattre au nom "du socialisme démocratique" la révolution d'Octobre et le communisme. Au nom de l’antibolchevisme, les socialistes de gauche ont toujours été la queue misérable de la Social -Démocratie, des Scheidemann-Noske, des Turati et des Blum. Cela ne gêne pas le PIC de marcher et de collaborer avec eux. Ce n'est pas dans l'arsenal et la continuité de la Gauche Communiste que le PIC va chercher sa critique contre telle ou telle position des bolcheviks et de Lénine, mais dans les poubelles des consulats tsaristes et de Kerenski ou encore en PICorant sur le fumier de la gauche socialiste. Dans sa fougue antibolchevik, le PIC oublie que, quelles que puissent être nos divergences avec les bolcheviks, elles ne peuvent changer notre jugement sur la social-démocratie, qu'elle soit de droite ou de gauche, car ce qui sépare les communistes de la social-démocratie est ce fossé infranchissable : l'appartenance à deux classes mortellement ennemies : les communistes appartenant au prolétariat, la social-démocratie à la bourgeoisie. Ne serait-ce que cette leçon, nous la devons entièrement à Lénine et au parti bolchevik. Ce n'est donc pas par hasard, mais pour avoir oublié cette leçon, que le PIC peut, des creux des colonnes de Spartacus où il a fait sa niche douillette, refuser de se déranger pour discuter avec les "bordigo-léninistes". On peut se demander si c'est son "anti-léninisme" viscéral qui fait s'approcher le PIC de la gauche socialiste ou, au contraire, si c'est son rapprochement du socialisme de gauche et du gauchisme qui le rend si farouchement antibolchevik ? Ou encore les deux à la fois ? Une chose reste certaine : c'est que le PIC se trouve sur un point situé quelque part entre les socialistes de gauche et Lénine, c'est-à-dire violemment antibolchévik (radicalisme en paroles) en collaboration avec les socialistes de gauche (opportunisme dans la pratique).
Pas le moins cocasse de cette histoire est l'article de critique publié par la "Jeune Taupe" à l'égard du groupe "Combat Communiste". Dans cet article, le PIC "gronde" "Combat Communiste" de leur non-rupture totale avec les trotskystes et leur rappellent à cette occasion (une fois n'est pas péché mortel) : "Comme le disait Lénine à Zimmerwald par rapport aux sociaux-démocrates, c'est-à-dire (que ces derniers) étaient hors du camp du prolétariat et donc dans celui de la bourgeoisie. Si on est tant soit peu conséquent, on ne peut pas les considérer comme des camarades dans l'erreur et à plus forte raison militer a leurs côtés". ([2] [402]) (souligné par nous). Le PIC n'est donc pas complètement amnésique -même s’il est un peu faible de la tête. Quand il s'agit d'admonester "Combat Communiste", il se rappelle bien que : "pour lui (Lénine) les sociaux-démocrates étalient des ennemis de classe avec lesquels il appelait à rompre. Ainsi la Troisième Internationale se constituera en opposition aux tentatives de reconstitution de la deuxième Internationale-.." ([3] [403]). Excellente mémoire ! Mais à croire que le PIC ne se regarde jamais dans la glace. A moins, à moins que ... ce qu'il considère comme indispensable : la rupture avec le trotskisme, devienne moins évidente lorsqu'il s'agit de collaborer avec la gauche socialiste. Nous serons encore d'accord avec la conclusion de l'article cité : "Les années qui viennent et qui devraient voir le prolétariat ressurgir sur la scène de l'histoire comme sujet de son propre devenir ne toléreront pas la moindre confusion théorique. Ce qui est aujourd'hui inconsistance et fantaisie deviendra demain danger mortel et théorie contre-révolutionnaire. C'est maintenant qu'il faut se prononcer clairement, qu'il faut choisir son camp." ([4] [404]). Exactement ! C'est tout à fait exact ! Faut-il conclure que le PIC, en refusant de venir à la Conférence de crainte d'être contaminé par les "Bordigo-Léninistes" et en restant tranquillement dans les rangs de Spartacus, a déjà choisi son camp ? Le proche avenir nous le dira.
Pour ce qui concerne les deux PCI bordiguistes, ils n'ont pas daigné faire savoir directement leur refus mais se sont contentés de publier chacun un article dans leur presse, plus dénigrant et persiflant l'un que l'autre. Quand on se dit Parti Communiste International, on garde son rang et on ne se rabaisse pas à répondre â d'autres qui ne sont que de simples groupes On a sa dignité a sauvegarder que diable, même si on n'est en réalité qu'un petit groupe, lui-même divisé et subdivisé en quelques trois [ou quatre partis communiste! Internationaux, qui s'ignorent entre eux !
Provenant, après la mort de Bordiga, d'une scission obscure avec l'organisation de Programma, le groupe de Florence, dans la stricte tradition du bordiguisme où il ne saurait exister dans tout l'univers qu'un seul Parti, s'est tout simplement auto-proclamé "Parti Communiste International". Ce grand "Parti International" de Florence est donc tout indiqué pour vilipender les "misères des faiseurs de Parti". ([5] [405]). Comment rassurer ces gens ombrageux que personne dans la Conférence n'en voulait à ce qu'ils considèrent être leur bien exclusif. Personne dans la Conférence ne posait le problème d'une constitution immédiate du Parti, même pas celui de la constitution d'une organisation unifiée et cela pour la simple raison que tous les groupes étaient parfaitement conscients de l'immaturité d'un tel projet. Ce n'est rien comprendre au problème du Parti de classe, que de penser qu'il se décrète par la simple volonté de quelques militants et dans n'importe quelles conditions. Cette conception volontariste et idéaliste du Parti qui se décrête n'importe quand, indépendamment de l'état et du développement de la lutte de classe n'a rien â faire avec la réalité qui fait que le Parti est un organisme vivant de la classe qui ne surgit et se développe que quand les conditions sont données pour qu'il puisse assumer effectivement les tâches qui sont les siennes. Les jongleries bordiguistes sur le Parti formel et le Parti historique ne servent qu'à couvrir leur ignorance totale de la différence entre les fractions ou groupes et le Parti, et par là même leur incompréhension de la formation effective du Parti.
La conception qu'on a de la nature et la fonction du Parti est une question qui a soulevé le plus de débats passionnés dans l'histoire du mouvement marxiste. Il suffit de rappeler les divergences qui opposèrent Rosa Luxembourg et Lénine, le Parti bolchevik et la Gauche Allemande, la fraction de Bordiga à l'Internationale Communiste, et la fraction Italienne de Bilan au PCI reconstitué a la fin de la deuxième guerre. Elle reste encore aujourd'hui un sujet de discussions et de précisions au sein du mouvement des Communistes de Gauche. Libre à des groupes dans une ville provinciale quelconque, de se proclamer un beau jour "Parti unique et mondial", aucune loi ne peut les empêcher de le faire. Mais de là qu'il le soit réellement, et d'y croire, relève d'une douce mégalomanie. Mais pour le courant bordiguiste, il ne saurait être question de mettre en discussion leur conception du Parti unique et monolithique, qui prend le pouvoir et exerce sa dictature au nom du prolétariat, même à l'encontre de la volonté de la classe. Car, menace "Il Partito" : "Qui s'oppose à cette conception ou n'accepte pas cette discipline programmatique et organisationnelle se trouve en dehors du camp de la Gauche". Inutile de dire que cette conception est très loin d'être celle de Marx et Engels qui ne s'amusaient pas à se proclamer a tout bout de champ le "Parti", ni a celle d'une Rosa Luxembourg, ni même celle de Lénine, ni celle de Bilan, ni celle de la Gauche Italienne en général; elle appartient, mais strictement, en propre au bordiguisme. Et que cela soit dit sans crainte d'être excommuniés, elle n'est pas non plus la nôtre.
On comprend que les bordiguistes évitent toute discussion avec d'autres groupes communistes et la confrontation de leurs positions avec eux. Ils ne discutent pas déjà entre eux (centralisme organique oblige). Car aucune secte ne saurait mettre en question les dogmes de sa bible invariante. Leur seule dispute est pour savoir qui d'entre leurs nombreux partis sera l'unique, reconnu universellement comme tel. Ces disputes ressemblent étrangement a celles de cette maison d'aliénés où chacun se prend pour le vrai, l'Unique Napoléon !
Le dernier rejeton de 1'avant-dernière scission des bordiguistes : le Parti florentin, n'est pas le moins farouche. Offensé qu'on ait osé 1'inviter à la Conférence, il jette comme une foudre son avertissement : "Les missionnaires de l'unification, groupes politiques de diverses traditions tendent "nolens-vo1ens" à constituer une organisation politique objectivement contre la Gauche et la Révolution". Passons sur les "missionnaires", qui se veut être blessant, et répétons une fois de plus que jamais la Conférence ne posait comme objectif la discussion sur l'unification. Il n'y a pas pire sourd que celui qui ne veut entendre. L'heure n'a pas encore sonné pour l'unification dans un seul Parti des différents groupes communistes qui existent aujourd'hui. Mais l'heure, pensons-nous, a largement sonné pour que les groupes communistes sortent de leur isolement hivernal qui n'a que trop longtemps duré. Pendant cette période qui a duré cinq décennies, la contre-révolution a eu raison non seulement de la classe, mais inévitablement aussi du mouvement communiste international qui a été réduit à sa plus simple expression. Peu de groupes de la Gauche Communiste ont résisté et survécu à cette avalanche. Et ceux qui ont réussi à survivre ont été profondément marqués par ce repli général qui a développé chez eux un réflexe d'isolement, un renfermement sur eux-mêmes et un esprit de secte.
Un autre réflexe était la fuite en avant, faire bonne figure contre mauvais sort et qui se traduisait dans cette construction artificielle des Partis, dont les trotskystes se sont rendus maîtres avant la seconde guerre, et que les bordiguistes ont repris après ceux-ci, en dépassant les premiers et, à leur habitude, en le poussant à l'absurde. Dans ces conditions, la constitution du Parti bordiguiste devenait une marche à contre sens de la réalité et ne pouvait qu'accuser échec sur échec. Autant le développement de la lutte de classe est un puissant facteur d'un processus d'homogénéisation dans la classe, et donc aussi celui de l'organisation des communistes. Le Parti autant une période de réaction et de contre-révolution est un facteur d'un processus d’atomisation dans la classe et de dispersion de l'organisation des communistes . Le Parti bordiguiste ne pouvait échapper à cette loi, d'où un processus de scissions incessantes dans ses rangs.
On sait que Bordiga était plus réservé quant à l'opportunité de la constitution immédiate du Parti. Il en était de même de Vercesi, qui deux ans après, mettait cette constitution carrément en question, en accord avec la critique que lui-même a développée dix ans avant dans Bilan, à l’encontre de la démarche de Trotsky. Mais au moins chez Trotsky, la constitution du Parti est une conclusion correcte, fondée sur une analyse erronée de la situation. Trotsky voyait dans la France du Front Populaire et dans la guerre civile en Espagne le "début d'une montée révolutionnaire", ce qui impliquait la nécessité de la constitution Immédiate du Parti. Le Parti bordiguiste ne peut même pas invoquer une fausse analyse. C'est pourquoi, il a développé une théorie aberrante qui fait que la constitution du Parti est complètement détachée de tout lien avec la situation réelle de la lutte du prolétariat. Même chez Bordiga, dans sa conception pyramidale du Parti, ce dernier tout en haut de la pyramide repose néanmoins sur la base de la classe dont il est le produit direct. Par contre dans la dialectique des bordiguistes d'aujourd' hui, le Parti reste suspendu, comme dans une lévitation, en l'air, complètement détaché du mouvement réel de la classe; il peut se constituer même si la classe subit les pires conditions de la défaite et de la démoralisation, il lui suffit pour cela de sa connaissance théorique et de sa volonté. Tournant ainsi le dos à toute l'histoire du mouvement ouvrier, faisant fi de ses enseignements et chaque petit groupe bordiguiste se proclamant pour son propre compte le Parti Mondial Unique Reconstitué; il n'est pas étonnant qu'ils ne comprennent absolument pas ce que signifie une période de remontée de la lutte de classe et le processus qu'elle implique nécessairement, de la tendance au regroupement des révolutionnaires. Ainsi les bordiguistes continuent à marcher à contre-sens. Hier, ils levaient le pied quand les marches descendaient, aujourd'hui ils le baissent quand elles sont ascendantes. Il y a une vingtaine d'années, ils lançaient dans le désert des appels au regroupement des révolutionnaires. Aujourd'hui quand de telles possibilités apparaissent, ils ne cessent de les dénigrer et de s'enfermer, eux et leur "dignité" dans leur cocon et dans l'isolement. Toute idée de discussion entre révolutionnaires est pour eux pur blasphème sans parler déjà de regroupement qui leur paraît ne pouvoir jamais être autre chose que "constituer une organisation politique objectivement contre la gauche et la révolution". Faut-il penser qu' ils ignorent à ce point l'histoire, réelle et non critique du mouvement révolutionnaire? La constitution de la Ligue des Communistes, de la première, de la deuxième et de la troisième Internationale, de tous les partis ouvriers, ne se sont-elles pas faites au travers de rencontres, de discussions, entre des groupes éparpillés dans un mouvement de convergence vers une unité politique et organisationnelle? N'était-ce pas le processus préconisé par 1'ancienne Iskra de Lénine de sortir de l'éparpillement de Cercles afin de donner naissance au Parti Russe ? La constitution (tardive) du PC d'Italie à Livourne a-t-elle suivi une autre vole ? Et la reconstruction précipitée du PCI à la fin de la seconde guerre n'était-elle pas elle aussi l'oeuvre de rencontres de plusieurs groupes ?
Le PCI de Florence termine son article en se plaignant : "il est pénible de devoir assister périodiquement à ces misères". Au fond il a raison; il est largement servi par sa propre misère pour que cela lui suffise.
Peu différent -quant au fond de l'argumentation - est l'article, réponse du deuxième PCI, celui de Programma. Ce qui le distingue essentiellement est sa grossièreté. Le titre de l'article "La Lutte entre Fottenti et Fottuti " (littéralement entre "enculeurs et encules") montre déjà la "hauteur" où se place le PCI Programma hauteur vraiment peu accessible à d'autres. Faut-il croire que Programma est à tel point imprégné de moeurs staliniennes qu'il ne peut concevoir la confrontation de positions entre révolutionnaires que dans les termes de "violeurs" et "violés" ? Pour Programma aucune discussion n'est possible entre des groupes qui se réclament et se situent sur le terrain du communisme, surtout pas entre ces groupes. On peut à la rigueur, marcher avec les trotskystes et autres maoïstes dans un Comité -fantôme- de soldats, ou encore signer avec les mêmes et autres gauchistes des tracts communs pour "la défense des ouvriers immigrés", mais jamais envisager la discussion avec d'autres groupes communistes, même pas entre les nombreux partis bordiguistes. Ici, ne peut régner qu'un rapport de forces, si on ne peut les détruire, alors ignorer jusqu'à leur existence ! Viol ou impuissance, telle est l'unique alternative dans laquelle Programma voudrait enfermer le mouvement communiste et les rapports entre les groupes. N'ayant pas d'autre vision, il la voit partout , et l'attribue volontiers aux autres. Une Conférence internationale des groupes communistes ne peut, à ses yeux, être autre chose, et avoir un autre objectif que celui de débaucher quelques éléments d'un autre groupe. Et si Programma n'est pas venu, ce n'est certes pas par manque de désir de "violer" mais parce qu'il craignait d'être impuissant. En vain Programma débite-t-il un chapelet de sarcasmes contre les critères qui servaient de cadre pour les Invitations des groupes. Aurait-il préféré l'absence de tout critère ? Ou aurait-il voulu d'autres critères, et lesquels s’il vous plaît ? Les critères qui ont été établis visaient à délimiter un cadre permettant une discussion des groupes qui se réclament de la Gauche communiste, éliminant les tendances anarchisantes, trotskystes, maoïstes et autres gauchistes. Ces critères constituent un tout organique, et on ne peut pas les séparer les uns des autres comme se plait à le faire Programma. Ils ne prétendent pas être une plateforme pour une unification, mais plus modestement, un cadre, pour savoir avec qui, et dans quelle orientation on mène la discussion. Mais pour Programma, on ne peut discuter qu'avec soi-même. Par crainte d'être impuissant dans une confrontation des positions avec d'autres groupes communistes, Programa se réfugie dans le "plaisir solitaire". C'est la virilité d'une secte et l'unique moyen de sa satisfaction.
De sa grosse voix, Programma fait de sévères remontrances contre ceux qui mettent en question "le mode par lequel le parti bolchevik... a posé le rapport entre parti communiste et classe ouvrière". Quoiqu'en pense Programma, ce "mode" n'est pas un tabou intouchable et peut être discuté, comme il l'a toujours été dans le mouvement communiste, et ce "mode" n'a certainement rien gagné par la caricature outrée qu'en ont fait les bordiguistes. Et quand Programma s'écrie : "Oui, l'Internationale a rompu avec la social-démocratie, mais elle a rompu auparavant avec toutes les versions infantiles, spontanéistes, anti-parti, illuministes, et du point de vue idéologique, bourgeoises" elle arrange l'histoire à sa convenance. Les groupes invités au premier Congrès et qui vont fonder la Troisième Internationale sont infiniment plus hétéroclites que Programma ne prétend. Nous trouvons dans ce Congrès depuis les anarcho-syndicalistes jusqu'aux Gauches socialistes à peine dégrossies. Les seuls point précis dans ce manque de cohésion et confusion sont : 1) la rupture avec la social-démocratie et 2) le soutien à la révolution d'Octobre. Ce n’est qu'après que commencent les ruptures, et il est vrai qu'elles sont essentiellement dirigées contre la Gauche (même pas toujours cohérente} alors qu'on ouvre toute grande la porte aux opportunistes et autres gauches socio-démocrates. Depuis quand les bordiguistes se sont-ils mis à exalter et à applaudir à cette orientation dé dégénérescence opportuniste de l'Internationale Communiste ? Les thèses du second Congrès sur le parlementarisme révolutionnaire, sur la conquête des syndicats, sur la question nationale et coloniale, la politique de conférences avec la seconde et l'Internationale 2 1/2 sont autant de pas marquants de cette involution de l'Internationale Communiste. Voilà l'orientation que les bordiguistes glorifient aujourd'hui depuis qu'ils se sont proclamés le nouveau Parti Communiste International. N'est-ce pas cela "se moquer véritablement de ses propres adhérents "comme le dit si bien l'article de Programa ?
Programma nous fait violemment grief d'être "des anti-parti". Pure invention bordiguiste qui contient autant de vérités que cette autre affirmation (du PIC par exemple) qui nous traite de "bordigo-léninistes". Aucun des groupes présents à la Conférence ne mettait en question la nécessité du Parti. Ce qui est en question est : quel type de Parti , quelle est sa fonction et quels sont et doivent être les rapports entre le Parti et la classe. Il n'est absolument pas vrai que le premier congrès de l'IC ni les 21 conditions aient donné une réponse complète et définitive à ces questions. L'histoire de l'IC, l'expérience de la révolution russe et leur dégénérescence posent aujourd'hui, avec la remontée des luttes du prolétariat, devant les révolutionnaires la tâche impérieuse de répondre d'une façon plus précise à ces questions. La conception bordiguiste d'un Parti infaillible, omni conscient et tout puissant nous semble relever bien plus d'une vision religieuse que du marxisme. Chez les bordiguistes, à l'instar de la religion monothéiste des hébreux, tous les rapports se trouvent inversés. Tout marche sur la tête. Dieu (le Parti) n'est pas un produit de la conscience humaine, mais c'est Jéhovah (le Parti) qui choisit son peuple (sa classe). Le Parti n'est plus une manifestation d'un mouvement historique de la classe, mais c'est le Parti gqi fait que la classe existe. Ce n'est pas Dieu à l'image de l'homme mais c'est l'homme qui est à l'image de Dieu. On comprend alors que dans la Bible (Proqramma) un tel Dieu unique (Parti) ne parle pas à son peuple, mais "ordonne, exige et commande" à tout moment. C'est un dieu jaloux de ses prérogatives. Il peut s'il le veut, accorder tout à son peuple, le paradis et l'Immortalité, mais il n'admettra jamais que l'homme puisse manger les fruits de l'arbre de la connaissance. La conscience, toute la conscience est le monopole exclusif du Parti. C'est pour cela que ce dieu (Parti) exige la pleine confiance , l'absolue reconnaissance, la totale soumission à sa toute puissance, et pour le moindre doute ou mise en question, il deviendra le dieu sévère de la rancune, de la punition et de la vengeance ("jusqu'à la dixième génération") d'un Cronstadt que les bordiguistes revendiquent pour hier et pour demain. Ce dieu terrifiant -de la terreur rouge- voilà le modèle du Parti bordiguiste et c'est ce type de Parti que nous rejetons.
Le bordiguisme n'a pas construit le parti international. C'est une mythologie qu'il a inventée : le mythe –parti. Son Parti réel n'a pas grande consistance, mais le mythe -parti- est d'autant plus consistant. Ce qui avant tout caractérise ce parti-mythe, c'est son plus profond mépris de la classe à qui on dénie toute conscience et toute capacité de prise de conscience. Et cette conception mythologique du Parti, du Parti-épouvantai1 est devenue aujourd'hui une entrave réelle à l'effort nécessaire pour la construction du Parti communiste mondial de demain. C'est sincèrement, sans aucun esprit de polémique que nous pensons et disons, que les groupes bordiguistes se trouvent aujourd'hui à la croisée des chemins : ou ils s'engagent honnêtement, sans esprit de "fottenti et fottuti" sans ostracisme, dans la vole de confrontation et de discussion dans le mouvement communiste révolutionnaire renaissant, ou ils se condamnent à l'isolement et à se convertir sans retour en une petite secte sclérosée et impuissante.
La Conférence devait encore connaître un de ces coups de théâtre du fait du comportement étrange du groupe "FOR". Celui-ci, après avoir donné sa pleine adhésion à la première conférence de Milan, et son accord pour la réunion de la seconde, en contribuant par des textes de discussions, s'est rétracté à l'ouverture de celle-ci sous prétexte de ne pas être d'accord avec le premier point à l'ordre du jour, à savoir sur l'évolution de la crise et ses perspectives. Le "FOR" développe la thèse que le capitalisme n'est pas en crise économiquement. La crise actuelle n'est qu'une crise conjoncturelle, comme le capitalisme a connu et surmonté tout au long de son histoire. Elle n'ouvre de ce fait aucune perspective nouvelle, surtout pas une reprise de luttes du prolétariat, mais plutôt le contraire. Par contre, le "FOR" professe une thèse de "crise de la civilisation" totalement indépendante de la situation économique. On retrouve dans cette thèse les relents du modernisme, héritage du situationnisme. Nous n'ouvrirons pas ici un débat pour démontrer que pour des marxistes il paraît absurde de parler de décadence et d'effondrement d'une société historique, en se basant uniquement sur des manifestations super structurelles et culturelles sans se référer à sa structure économique, en affirmant même, que cette structure -fondamentale de toute société- ne connaît que son renforcement et son plus grand épanouissement. C'est là une démarche qui se rapproche plus des divagations d'un Marcuse qu'à la pensée de Marx. Aussi le "FOR" fonde-t-il l'activité révolutionnaire moins sur un déterminisme économique objectif que sur un volontarisme subjectif, qui est l'apanage de tous les groupes contestataires. Mais devons-nous nous demander : ces aberrations sont-elles la raison fondamentale qui a dicté le "FOR" à se retirer de la Conférence ? Non certainement pas. Dans son refus de participer à la Conférence, et en se retirant de ce débat, se manifestait avant tout l'esprit de chapelle, de chacun chez soi, esprit qui imprègne encore si fortement les groupes se réclamant du communisme de Gauche, et qui ne sera surmonté qu'avec le développement de la lutte de classe du prolétariat et par la prise de conscience des groupes révolutionnaires.
Rompre avec cet esprit d'isolement et de repli sur soi, héritage de cinquante années de contre-révolution, montrer la nécessité et la possibilité d'établir des contacts et des discussions entre les groupes révolutionnaires, était ce qu'il y avait de plus positif dans les travaux de la Conférence. Si à Milan, nous n'étions que deux groupes, dans cette deuxième Conférence à Paris, ce sont cinq groupes de plusieurs pays qui ont participé au débat, et cela constitue à nos yeux un pas très important et qu'il faudrait poursuivre. Il n'est pas sorti de la Conférence une hypothétique unification, ni un Parti éphémère, parce que la Conférence ne le posait pas comme un objectif immédiat. La Conférence n'a même pas donné lieu à des résolutions communes. Elle a pu constater l'existence de nombreuses divergences réelles, et encore plus nombreuses des incompréhensions, des malentendus qui existent dans le milieu révolutionnaire. En aucune sorte, cela ne doit nous décourager car nous n'avons jamais semé les illusions sur une unité de vue et de position qui seraient déjà existantes. Cette unité de vue elle-même, ne saurait tomber du ciel. Elle ne peut être le fruit que d'une longue période de discussions, de confrontations entre les groupes révolutionnaires dans un cours de montée de la lutte du prolétariat. Elle dépend donc également de la capacité et de la volonté des groupes de rompre avec l'esprit de secte, de savoir s'engager et persévérer dans le difficile chemin et dans l'effort vers le regroupement des révolutionnaires.
Les débats de la Conférence -qu'on lira dans la prochaine publication des procès-verbaux- a montré bien des insuffisances, des lacunes et des confusions, aussi bien dans les analyses que dans la perspective. Mais elle a démontré aussi, que les rencontres et la discussion peuvent déboucher vers des résultats positifs même si très limités. Elle a démontré ce qu'Engels ne cessait de répéter, que c'est de la discussion que Marx et lui, attendaient le développement ultérieur du mouvement ouvrier.
La Conférence a dégagé une volonté unanime de poursuivre cet effort, de préparer et mieux préparer de nouvelles conférences et de les élargir à d'autres groupes se réclamant du communisme de Gauche, entrant dans le cadre des critères établis. C'est là une tentative bien limitée et nous sommes conscients que, comme telle, elle n'offre pas de garantie certaine de la réussite. D'ailleurs, l'histoire nous enseigne qu'il n'existe pas de garantie absolue. Mais ce dont nous sommes convaincus, c'est qu'il n'existe pas d'autre vole qui mène au nécessaire regroupement des révolutionnaires, pour l'indispensable constitution du Parti Communiste mondial, arme du triomphe de la révolution prolétarienne. Dans cette voie, le CCI entend s'engager sans réserves, de toute sa conviction et de toute sa volonté.
M.C.
[1] [406] "Car il n'est aucune continuité organisationnelle ou programmatique dont un révolutionnaire non fossilisé puisse (aujourd'hui) se réclamer". (Jeune Taupe n°23, p. 10). "Aucune continuité", proclame le PIC, c'est pourquoi il est "tombé tout chaud, tout rôti" contre les mamelles avachies de la Gauche Socialiste;
[2] [407] Article "Combat Communiste" (Jeune Taupe, n°23)
[3] [408] Idem
[4] [409] Idem
[5] [410] Titre de l'article paru dans "Il Partito Comunista" n°48, août 1978,
Ce texte est une réponse à une invitation à défendre les analyses économiques du CCI dans les pages de "Revolutionary Perspective ? Nous ne proposerons pas d'entrer dans la toile embrouillée des faux rapports et des confusions qui constituent "la critique" du CWO sur les analyses économiques de Luxembourg et du CCI: des réponses plus détaillées aux questions soulevées par le CWO apparaîtront dans des prochains numéros de la "Revue Internationale". Ici, nous répondrons aux principales accusations dirigées par le CWO contre le CCI et "contre l'économie luxemburgiste" en général.
LA LOI DE LA VALEUR
On trouve surtout une affirmation qui apparaît constamment dans les textes du CWO : la théorie de la saturation des marchés de Luxembourg "abandonne le marxisme et la théorie de la valeur". Peut-être que le CWO pense qu'en répétant assez souvent cette étonnante assertion, elle va se vérifier dans la réalité. Pourtant, le langage autoritaire avec lequel le CWO bannit Rosa Luxembourg du royaume du marxisme ne peut pas cacher la signification réelle de ces prétentions : la profonde incompréhension de la part du CWO, de la"théorie de la Valeur" et son rôle dans l'analyse économique marxiste. Le CWO prétend que Luxembourg "a abandonné la théorie de la Valeur en affirmant que la baisse du taux de profit ne pouvait pas être la cause de la crise capitaliste" ([1] [411]). Mais l'Inévitabilité des crises et la nécessité historique du socialisme ne peut pas simplement s'expliquer par telle ou telle tendance de la production capitaliste, comme par exemple la baisse du taux de profit, mais par la compréhension marxiste de la production de la valeur elle-même.
La détermination de la valeur des marchandises selon le temps de travail contenu en elle n'est pas spécifique au marxisme. Comme il est bien connu, cette conception était le point central du travail des plus importants économistes classiques bourgeois, jusqu'à Ricardo Inclus. Mais la compréhension marxiste de la valeur est complètement opposée à celle des économistes bourgeois. Pour ces derniers, le système capitaliste de production de marchandises et l'échange des marchandises selon leur valeur est un rapport social harmonieux qui exprime l'égalité dans l'humanité à travers l'échange égal des produits du travail humain par des individus libres. Ainsi la production de la valeur assure la distribution équitable de la richesse de l'humanité
Sous-jacente à cette conception se trouve celle dé la production de la valeur comme la forme rationnelle du travail humain. Comme disait Rosa Luxembourg : "De la même façon que l'araignée produit sa toile de son propre corps ainsi l'homme qui travaille (selon les économistes bourgeois) produit la valeur". Contre la vision bourgeoise qui présente la société capitaliste non seulement fondée sur des principes d'égalité -liberté-fraternité- mais aussi comme un système éternel, la vision marxiste de la production capitaliste se fonde sur la compréhension de la contradiction inévitable entre la production de valeurs d'échange et la production de valeurs d'usage. Selon le marxisme, la production généralisée de valeurs d'échange n'est ni la forme naturelle, ni la forme éternelle de la production humaine. Elle est une forme historique spécifique de la production qui caractérise une société dont le but est devenu la production pour la production, opposée et ceci de façon inéluctable dès le début à la production en fonction des besoins humains. La production de valeurs d'échange sous la forme de la production généralisée de marchandises n'est pas un mécanisme d'échanges égalitaire mais inégal dont la réalité n'est autre que l'extorsion de valeur de la classe ouvrière (tout comme des capitalistes mineurs et des producteurs indépendants) avec comme but l'accumulation du capital, c'est-à-dire la restriction de la consommation afin de développer les moyens de production.
Ce système répond aux nécessités de l'humanité à une certaine étape de développement. Mais à un certain degré de développement ultérieur, la production de valeurs d'échange, la concentration des énergies humaines vers le seul but du développement des moyens de production, pose des restrictions sociales accrues à l'utilisation rationnelle des moyens de production. Il doit alors céder la place à une nouvelle société : le socialisme, où la production est réalisée directement pour les besoins humains, où l'abondance potentielle créée par le capitalisme est transformée en réalité sociale, c'est-à-dire en bien-être matériel de l'ensemble de l'humanité.
Mais la théorie marxiste de la valeur, ne fournit pas uniquement un fondement à l'Idée de la nécessité historique du socialisme. Elle per-pet aussi de définir les moyens par lesquels il doit être réalisé. Le but de la production de la valeur entraîne la restriction de la consommation en faveur du développement des moyens de production; les moyens par lesquels ceci est accompli sont et ne peuvent être que l'exploitation de la classe ouvrière. Selon la conception bourgeoise de la valeur, l'échange de marchandises permettrait à l'ensemble de l'humanité de profiter du développement des forces productives. Marx a démontré que c'est le contraire qui est vrai, le rapport social et économique fondamental dans le capitalisme, le rapport capital-travail où la force de travail elle-même est transformée en marchandise revêt l'appauvrissement permanent de la classe ouvrière. Plus grand est le développement des forces productives, plus grande est l'exploitation de la classe ouvrière, et plus limitées sont les possibilités pour la classe ouvrière de profiter de l'abondance potentielle créée par le développement des forces productives. La contradiction entre la valeur d'usage et la valeur d'échange,entre le potentiel matériel de la production capitaliste et les restrictions sociales à la réalisation de ce potentiel, est exprimée dans l'accroissement des antagonismes de classes et surtout dans la lutte entre le producteur de la richesse, le prolétariat, et le représentant du capital, la bourgeoisie. La nécessité objective du socialisme se reflète dans la nécessité subjective pour le prolétariat d'arracher le contrôle des moyens de production à la bourgeoisie : seul le prolétariat, à travers sa propre émancipation peut libérer l'humanité.
La théorie marxiste de "la valeur-travail" n'est donc pas un modèle économique de l'accumulation capitaliste mais surtout une critique sociale et historique du capitalisme. Certes, seul le marxisme permet l'élaboration des modèles de ce genre. Mais les principes socialistes ne découlent pas d'un tel modèle. Au contraire, c'est ce modèle qui découle d'une analyse dont la prémisse est la compréhension de la nécessité historique du socialisme contenue dans la théorie marxiste de la valeur.
Comment donc définissons-nous une analyse de la valeur en termes marxistes ? Les principes de base de la théorie marxiste de la valeur se retrouvent non pas dans les analyses détaillées du troisième tome du Capital par exemple, mais dans le programme révolutionnaire du prolétariat énoncé par Marx et Engels dans le"Manifeste Communiste". Ceux-ci sont :
1) la nature historiquement transitoire du capitalisme et la nécessité historique du socialisme au niveau mondial
2) la nature révolutionnaire de la classe ouvrière.
"LA THEORIE DE LA BAISSE DU TAUX DE PROFIT" COMME CRITIQUE ABSTRAITE
Définir l'analyse de la valeur comme le fait la CWO dans les termes d'une adhésion à un modèle économique fondé sur l'abstraction d'un aspect partiel du développement du capitalisme (la tendance à la baisse du taux de profit) en fait, enlève au marxisme son contenu révolutionnaire. Car cela remplace la critique historique et sociale du capitalisme contenue dans la théorie marxiste de la valeur par une critique purement économique. L'interaction des classes sociales est remplacée par l'Interaction des catégories économiques qui, en soi, n'explique ni la nécessité historique du socialisme, ni la nature révolutionnaire de la classe ouvrière.
L'analyse de Marx de la tendance à la baisse du taux de profit se fonde sur la compréhension que le travail est la source de toute valeur. L'investissement du capital peut être divisé en deux catégories : le capital variable, c'est-à-dire la force du travail vivant et le capital constant c'est-à-dire les matières premières, les machines et autre capital fixe : mais tandis que la valeur du capital constant est simplement transférée dans les marchandises produites, le capital variable fournit lui, une valeur additionnelle qui forme le profit du capitaliste. Mais avec le développement du capitalisme, la composition organique du capital (c'est-à-dire le rapport entre capital constant et capital variable)tend à augmenter et donc le taux de profit (c'est-à-dire le rapport du profit à l'investissement total) tend à diminuer. Comme la productivité du travail augmente avec le développement de l'industrie, une proportion de plus en plus grande des dépenses du capitaliste est vouée aux matières premières et aux machines plus sophistiquées et l'élément producteur de valeur dans son investissement, la force de valeur humaine, baisse en proportion.
Dans RP n°8, la CWO suivant les analyses de Grossman et Mattick, tentent de montrer que, une fois arrivé à un certain point, la valeur globale du"capital constant devient si grande que la plus-value produite ne suffit plus à fournir les fonds pour davantage d'investissement".([2] [412]) Ici se trouve le coeur de toute analyse qui, comme celle de la CWO, tente de comprendre la crise du capitalisme seulement en fonction de la baisse tendancielle du taux de profit.
Ces analyses admettent en général que cette tendance pose dans les faits des problèmes immenses au niveau du capitaliste individuel, mais que cet aspect doit être considéré comme entièrement secondaire par rapport au problème principal de la rentabilité du capital au niveau global. Comme le dit Mattick, dans son commentaire sur les travaux de Grossman : "Pour comprendre l'action de la loi de la valeur et l'accumulation, il faut laisser de côté ces mouvements individuels et marginaux et envisager l'accumulation du point de vue du capital global". ([3] [413])
Dans cette analyse, comme suggère la citation de la CWO, la cause de la crise est donc vue comme une pénurie absolue de plus-value au niveau global. Ici apparaissent les conséquences de cette façon de raisonner qui consiste à faire abstraction du monde réel du développement capitaliste pour ne voir le capitalisme que dans son aspect global, sous forme de rapports entre catégories économiques abstraites telles le capital constant et le capital variable. Dans le monde réel, le capitaliste individuel a besoin d'une masse définie de plus-value à investir s'il veut que son Investissement se fasse à un niveau de profit suffisant. Mais le niveau de profit et la masse de plus-value préalable est déterminée entièrement par la lutte concurrentielle entre capitalistes. S'il est incapable de produire à un niveau de rentabilité équivalent ou supérieur à celui de ses concurrents, le capitaliste disparaît. Il est vrai qu'avec le développement de l'industrie, le taux de profit tend à baisser, tandis que la masse de plus-value nécessaire pour réaliser des investissements à des niveaux compétitifs de rentabilité s'accroît toujours. Mais sans tenir compte de cette lutte concurrentielle entre capitalistes, comment peut-on déterminer le point où le capital global est incapable de produire "assez" de plus-value pour investir à un niveau nécessaire de rentabilité ? Dans un monde capitaliste théorique sans concurrence, cette question devient un non-sens car le facteur qui détermine le niveau requis de rentabilité, la lutte concurrentielle, est absent.
Dans son modèle abstrait de l'accumulation capitaliste, Grossman présume que le niveau de rentabilité nécessaire pour le capital global doit permettre au capital constant de s'accroître de 10 % chaque année, et au capital variable de 5 %. Quand le taux de profit tombe largement en dessous de 10 % cette croissance devient impossible et, selon Grossman, la crise commence. Il est assez évident que, dès que le taux de profit tombe au-dessous de 10 %, on ne peut continuer longtemps à accroître le capital constant de 10 % et le capital variable de 5%. Une table statistique n'est pas nécessaire pour faire une telle constatation. Mais pourquoi cela poserait-il un problème insurmontable pour le capital global ? Cela reste obscur. Malgré le vernis statistique impressionnant de l'analyse de Grossman, il ne démontre pas pourquoi le capitalisme qui n'accroîtrait son capital constant que de 9 % par an ou son capital variable de 4 % aboutirait ai| désastre, (pas plus d'ailleurs que si ces chiffres étaient de 8 et 3 % ou même 3 et 1 %). Bien sûr, les chiffres des tableaux de Grossman sont purement fictifs. Mais ces tableaux tentent de décrire "la loi inhérente du développement capitaliste" en montrant que, dès que le taux global de profit et donc d'accumulation, tombe au-dessous d'un certain niveau, l'ensemble du procès de production est disloqué et une période de convulsions économiques commence. Selon Mattick, il y a deux raisons pour qu'une chute dans le taux d'accumulation mène à une crise du capital global:
Premièrement, parce qu'elle produit le chômage : la croissance du capital variable ne peut plus marcher de pair avec la croissance de la population. Deuxièmement, parce qu'au-dessous d'un certain taux de croissance du capital constant "l'appareil productif ne peut pas être renouvelé et élargi à la même vitesse que le progrès technique"([4] [414]). Cette obsession des catégories économiques mène ainsi à la conclusion que la crise du capitalisme est due à une incapacité technique du capitalisme à satisfaire les besoins de l'accumulation continue et par là de l'humanité. Mais rien ne pourrait être plus loin de l'analyse de Marx lui-même, pour qui la crise résulte de contradictions réelles provenant du développement de la capacité technique du capitalisme à satisfaire ces besoins. A un niveau global abstrait, coupé de la réalité sociale, la chute du taux de profit en soi ne menace pas le capitalisme. La chute du taux de profit et donc la chute du taux d'accumulation en termes de valeurs d’échange reflète simplement la croissance de la productivité de la main-d'oeuvre, ce qui veut dire que, malgré la croissance de plus en plus rapide de la richesse sociale en termes de valeurs d'usage (les éléments matériels de la production et de la consommation), cette croissance dépend de moins en moins de la croissance de la main-d'oeuvre employée. Comme le travail est la source de toute valeur, la plus-value extraite de la classe ouvrière, et donc le taux de profit et d'accumulation tend à diminuer malgré la croissance continue en termes matériels. L'aboutissement éventuel de cette tendance serait la production entièrement automatisée, l'exclusion totale du travailleur du procès de production. A ce point, même avec une croissance fantastique de la production de marchandises, le taux d'accumulation serait zéro c'est à dire, en termes de valeurs d'échanges, la production stagnerait. Bien sûr, ce point hypothétique ne peut être atteint. Mais il sert à illustrer le fait que la chute du taux d'accumulation exprime, non pas l'incapacité du capitalisme à produire assez de plus-value, mais le fait que la croissance de la production dépend de moins en moins de l'extraction de plus-value. Elle exprime la tendance du mode de production capitaliste "vers le développement absolu des forces productives sans égard pour la valeur et la plus-value qu'elles contiennent";([5] [415])
Voilà pour ce qui est de l'incapacité de l'appareil productif à "marcher de pair avec le progrès technique". Si cette tendance était "la seule contradiction" du capitalisme, il pourrait, a travers une distribution rationnelle de la plus-value, continuer à vivre à jamais avec en même temps une baisse du taux de profit et une capacité croissante à satisfaire les besoins de l'humanité...et cela aussi bien en termes d'abondance de marchandises que de bien-être physique pour l'humanité, puisqu'ainsi la croissance du chômage signifierait tout bêtement l'augmentation du temps de loisirs. Ceci au sein d'un capitalisme dynamique qui se libérerait de la nécessité de s'appuyer sur le travail humain pour produire des marchandises. Cela serait vrai pour un taux global de profit de 10 %, 5 %, 3 % ou même moins. En ce sens, Luxembourg avait parfaitement raison de dire que : "il y a toujours un certain temps à passer avant que le capitalisme s'effondre à cause de la baisse du taux de profit -à peu près jusqu'à ce que le soleil s'éteigne".([6] [416])
En fait cette distribution rationnelle de la plus-value est, en termes généraux, le but de l'économie de Keynes, dont l'analyse est fondée explicitement sur la reconnaissance de la baisse du taux de profit. "Dans la vue de Keynes, la stagnation du capital exprime l'incapacité ou le manque de volonté du capitaliste d'accepter une rentabilité décroissante...Keynes est venu finalement à la conclusion que le devoir de planifier le volume courant d'investissement ne peut être laissé sans risques entre les mains des capitalistes privés." ([7] [417])
Keynes ne voyait pas pourquoi la chute de la rentabilité poserait des problèmes insolubles pour le capitalisme. Sa vision bourgeoise l'empêchait de comprendre comment les rapports sociaux dans le capitalisme empêchaient une distribution rationnelle de la plus-value telle qu'il l'a préconisée. Le but du capitalisme, disait Marx, c'est de "préserver l'auto-expansion du capital existant et de pousser cette auto-expansion au plus haut niveau" ([8] [418]). Dès lors nous n'avons plus affaire à une distribution rationnelle de la plus-value à une échelle globale, mais aux tentatives de chaque capital individuel pour maximiser sa propre plus-value. Les origines de la crise ne résident pas principalement dans le rapport entre capital constant et capital variable, mais dans le rapport social entre capitaux individuels, dont la lutte compétitive fi nit par rendre impossible la réalisation de la plus-value à l'échelle mondiale.
La CWO, en même temps qu'elle est obsédée par cette tendance abstraite et en fait fictive vers une pénurie absolue de la plus-value au niveau global tend à minimiser la concurrence entre les capitaux individuels. Par contre, la CWO souligne les mécanismes variés tels que les crédits et les emprunts internationaux qui permettent au capitalisme d'atténuer les pires effets de la concurrence ([9] [419]). Cette préoccupation au sujet du développement d'un capital "supranational" qui tend à aller au-delà du cadre de l'Etat national est, comme on va le voir, un aspect commun à toutes ces analyses fondées exclusivement sur la baisse du taux de profit, et la tendance correspondante vers la centralisation du capital. Cette conception renvoie l'effondrement inévitable du capitalisme (à cause de la baisse du taux de profit) à un avenir indéterminé et plutôt flou tandis qu'elle ignore, ou même nie, le facteur principal du monde réel de l'accumulation capitaliste, propulsé vers la crise et le délabrement : la concurrence entre les capitaux individuels.
"LA THEORIE DE LA BAISSE DU TAUX DE PROFIT" COMME CRITIQUE HISTORIQUE
Le capital "individuel" peut être constitué par un grand trust, ou par l'économie capitaliste d'Etat moderne. Aujourd'hui, il pouvait sembler qu'avec l'intégration d'économies nationales séparées sous le contrôle global de blocs impérialistes, nous pouvons voir l'émergence d'une unité capitaliste qui irait au delà-même de l'économie nationale. Mais en réalité cela reflète les rapports de force entre capitaux nationaux à l'intérieur de chaque bloc et la domination militaire et économique des deux forces économiques les plus puissantes du monde : l'URSS et les USA. Plutôt que l'émergence d'une économie internationale planifiée au niveau du bloc impérialiste. Mais de toute façon, l'essentiel, c'est que la centralisation du capital au niveau de la nation ou même du bloc impérialiste, ne représente aucunement un mouvement vers une vraie économie capitaliste "supranationale": au contraire, elle représente, à travers l'émergence des antagonismes impérialistes sur une échelle encore plus grande, 1'incapacité du capitalisme à se transformer en une économie mondiale unique, c'est cette incapacité qui finit par conduire à la destruction du capitalisme.
Dans ce sens, ce que Rosa Luxembourg a écrit dans "Qu'est-ce que l'Economie Politique" est encore vrai de nos jours :
"... Tandis que les innombrables pièces détachées - et une entreprise privée actuelle, même la plus gigantesque, n'est qu'une infime parcelle de ces grands ensembles économiques qui s'étendent à toute la terre- tandis donc que les pièces détachées sont organisées rigoureusement, l'ensemble de ce que l'on appelle "l'économie politique", c'est à dire l'économie capitaliste mondiale, est complètement inorganisée. Dans l’ensemble qui couvre les océans et les continents, ni plan, ni conscience, ni réglementation ne s'affirme; des forces aveugles, inconnues, indomptées, jouent avec le destin économique des hommes. Certes, aujourd'hui aussi, un maître tout puissant gouverne l'humanité qui travaille, c'est le capital. Mais sa forme de gouvernement n'est pas le despotisme, c 'est l'anarchie." "Introduction à l'économie politique". Chap.I. Collection 10-18. P. 85.86
Dans le développement historique de cette "anarchie", nous pouvons néanmoins distinguer une tendance constante : l'absorption des capitaux individuels par les grands trusts par la concurrence jusqu'à la fusion de ces trusts dans les monopoles nationaux et la consolidation progressive de l'ensemble du capital national dans un seul capital d'Etat défendu par le pouvoir militaire de l'Etat.
Simultanément le capitalisme envahissait les coins les plus lointains du monde, détruisant les vieux rapports de la société pré-capitaliste et les remplaçant par les siens.
A la veille de la première guerre mondiale, les capitaux "murs" de l'Europe et de l'Amérique s'étaient entièrement partagés le monde entre eux, et dans la lutte des puissances coloniales pour le contrôle du marché mondial, la concurrence économique faisait naître son enfant monstrueux : la guerre impérialiste.
Depuis 1914, deux guerres mondiales ont détruit les plus faibles puissances impérialistes et le capitalisme a révélé le point final de son développement : deux grandes puissances impérialistes se confrontent, leurs Etats de tutelle regroupés autour d'eux en blocs rivaux, les moyens de production sont dédiés au développement de nouveaux et terribles moyens de destruction, tandis que plus de la moitié de l'humanité plonge plus profondément dans le dénuement et la misère. Pour la classe ouvrière, même la maigre compensation par quelques "biens de consommation" aux longues années de crise ouverte et de guerre, à l'intensification toujours croissante de l'exploitation, à l’insécurité constante de l’existence quotidienne et de l'inhumanité du travail sous le capitalisme-même cette maigre compensation est perdue progressivement, à un moment où le chômage et l'austérité deviennent la norme journalière. La destruction de l'humanité elle-même apparaît comme la conclusion logique de l'anarchie capitaliste.
Comment les révolutionnaires de la classe ouvrière peuvent ils comprendre ce développement et la situation où ils se trouvent aujourd'hui? Ce n'est certes ni à travers la sèche érudition d'Hilferding, ni grâce aux tables mathématiques de Grossman, pas plus qu'à travers les affirmations narquoises de la CWO suivant lesquelles notre jour viendra quand le taux de profit sera tombé à tel ou tel niveau, même si "nous sommes encore très loin d'une telle situation". C'est seulement à travers l'analyse vivante et historique de Rosa Luxembourg que nous pouvons embrasser réellement la réalité complexe du monde capitaliste ! Quels que soient les défauts de l'analyse de Luxembourg, celle-ci a le grand mérite de reposer sur la compréhension, qu'une analyse marxiste concrète et historique est, surtout une analyse historique et sociale. Parce que les lois générales du développement capitaliste élaboré par Marx ne concernent pas le développement économique capitaliste pris en soi, mais un cadre pour la compréhension du développement capitaliste au sein de la réalité sociale. Une analyse qui se limite aux bords restreints des catégories économiques est aussi inadéquate pour comprendre le développement du capitalisme autant que pour saisir la nécessité historique du socialisme.
Pour illustrer ceci, ne prenons qu'un aspect du capitalisme moderne, la caractéristique la plus importante du capitalisme moderne à comprendre pour la classe ouvrière : la différence qualitative entre les crises de croissance du capitalisme au XIXème siècle et les crises de la décadence au XXème siècle. Evidemment celle-ci ne surgit pas des taux globaux de profit différents pendant les deux périodes mais des conditions historiquement différentes dans lesquelles la crise a lieu.
Bien sûr, une analyse fondée sur la baisse tendancielle du taux de profit n'est pas contradictoire avec une telle analyse historique. On voit cette préoccupation du développement historique du capitalisme, des restrictions sociales au développement capitaliste, dans une des meilleures analyses contemporaines de Luxembourg, basée sur cette baisse tendancielle du taux de profit. C'est l'analyse de Boukharine dans "L'économie mondiale et l'impérialisme" :
"On constate un manque d'harmonie grandissant entre la base de l'économie sociale du monde et la structure de classe spécifique de la société où la classe dirigeante elle-même (la bourgeoisie) est scindée en groupes nationaux aux intérêts économiques discordants, groupes qui, tout en étant opposés au prolétariat mondial* agissent en même temps en concurrents dans le processus du partage de la plus-value produite dans la totalité du monde..." (Page 103)
Dans le cadre étroit des frontières nationales s'opère le développement des forces productives qui ont déjà débordé ce cadre. Dans ces conditions le conflit éclate fatalement. Il est tranché sur la base capitaliste par l'élargissement violent des frontières nationales dont la conséquence est de provoquer de nouveaux conflits de plus en plus considérables..." (Page 104)
La concurrence atteint son développement maximum : la concurrence des trusts capitalistes nationaux sur le marché mondial. Dans le cadre des économies nationales, la concurrence est réduite au minimum pour rebondir en dehors dans des pro portions fantastiques, inconnues des époques historiques précédentes " (Page 118)
L'analyse de la CWO, aussi bien que celle de Mattick et Grossman où les conditions historiques de développement capitaliste ne sont qu'un élément périphérique marquant une nette régression par rapport à cette analyse historique et sociale de Boukharine qui est proche de la description de l'anarchie capitaliste dans "L'introduction à l'économie politique". Néanmoins, même dans l'analyse de Boukharine, il y a une certaine insuffisance. Boukharine considère la guerre impérialiste comme l'aboutissement inévitable du développement capitaliste mais elle est considérée aussi à un certain degré comme une partie du processus du développement capitaliste, une continuation de l'expansion progressive du capitalisme pendant le XIXème siècle.
" La guerre est un moyen de reproduction de certains rapports de production. La guerre de conquête est un moyen de reproduction élargie de ces rapports. Si la guerre "impérialiste" ne peut arrêter le cours général du développement du capital mondial ... elle est au contraire l'expression d'une expansion maximum du processus de centralisation... Par son influence économique, la guerre rappelle sous bien des rapports, les crises industrielles dont elle se distingue, cela va de soi, par une plus grande intensité, bouleversements et de ravages..." (souligné par nous) (Page 111 - Pagel49. 150)
Dans l'analyse de Boukharine, la guerre est donc la crise cyclique traditionnelle élargie et intensifiée au nième degré. Mais la guerre impérialiste est beaucoup plus que cela : elle reflète l'impossibilité historique du développement capitaliste. La première guerre mondiale n'était pas tout bêtement une nouvelle forme historique de la crise cyclique, elle inaugure une nouvelle époque de crise permanente où la crise n'est pas simplement l'aboutissement logique du développement capitaliste mais la seule alternative possible à la révolution prolétarienne.
On peut voir l'erreur de Boukharine répétée dans l'analyse de la CWO : "Chaque crise mène (à travers la guerre) à une dévalorisation du capital constant, élevant ainsi le taux de profit et permettant au cycle de reconstruction -le boom, dépression, guerre- de se répéter encore". RP n°6. Ainsi pour la CWO, les crises du capitalisme décadent sont vues en terme économique, comme les crises cycliques du capitalisme ascendant, répétées à un plus haut niveau.
Voyons ce point de plus près. Si c'était en fait le cas, on s'attendrait à voir évidemment les mêmes caractéristiques à la fois dans les périodes de reconstruction suivant les guerres mondiales et â la fois dans les périodes d'expansion économique suivant les crises cycliques du XIXème siècle. Il y a en effet, certaines similitudes superficielles entre les deux périodes. Les niveaux de production, par exemple se sont beaucoup accrus au moins dans la période qui a suivi la deuxième guerre mondiale. Ceci à cause de la croissance continue de la productivité du travail pendant toute la période de la décadence : le développement technique des moyens de production n'a pas cessé un seul instant et il ne pouvait en être autrement, à moins que la production capitaliste ne s'arrête complètement. C'est le même phénomène pour le processus de concentration du capital qui a continué sans Interruption depuis le début du capitalisme jusqu'à nos jours.
Mais la production capitaliste ne cesse pas brutalement et totalement avec le début de la décadence. Elle continue et continuera jusqu'à ce que la société capitaliste soit bouleversée par le prolétariat. Nous devons être capables d'expliquer la forme spécifique de la production capitaliste pendant sa période décadente, en l'absence de la révolution prolétarienne, c'est à dire le cycle de guerre-reconstruction-crise Cet en particulier la période de croissance rapide qui a suivi la deuxième guerre mondiale). Mais surtout, notre analyse doit expliquer l'impossibilité de tout développement capitaliste progressif pendant toute la période de décadence capitaliste, non pas seulement pendant les guerres et les crises, mais également pendant les périodes de reconstruction.
Afin de clarifier ce point, voyons les caractéristiques les plus importantes de la période progressiste de l'expansion capitaliste au XIXéme siècle.
1) La croissance numérique du prolétariat : l'absorption d'une proportion croissante de la population mondiale dans le travail salarié.
2) Le surgissement de nouvelles puissances capitalistes telles que les USA, la Russie et le Japon.
3) La croissance du commerce mondial dans le sens que les économies non capitalistes et les "jeunes" capitalismes jouaient un rôle de plus en plus important.
En un mot, le développement du capitalisme du XIXème siècle s'exprimait dans l'internationalisation du capital. Une partie de plus en plus importante de la population mondiale était intégrée dans le processus du développement des moyens de production que permettaient les rapports sociaux capitalistes. C'était pour cette raison que le mouvement révolutionnaire du XIXème siècle soutenait la lutte pour l'établissement de rapports capitalistes de production dans les régions sous-développées et non pas seulement dans les pays coloniaux mais aussi dans des pays tels que l'Allemagne, l'Italie ou la Russie, où les conditions politiques et sociales archaïques menaçaient d'arrêter le processus de développement capitaliste.
On peut voir que dans le capitalisme décadent, aucune de ces caractéristiques n'est présente ([10] [420]):
1) Dans les régions développées, la croissance du prolétariat n'a pas suivi la croissance de la population. Dans certaines ères telles que la Russie, l'Italie ou le Japon, des couches non capitalistes ont été absorbées dans le prolétariat; mais cette augmentation a été insignifiante par rapport à la tendance globale vers l'exclusion de larges secteurs de la population mondiale de toute activité économique. Cette tendance s'exprime dans la croissance, historiquement sans précédent de la famine et de la pénurie massive pendant ces soixante dernières années.
2) Aucune nouvelle puissance capitaliste n'a surgi pendant cette période. Bien sur, il y a eu quelques développements industriels dans les pays sous-développés, mais en général, l'écart économique entre les vieilles économies capitalistes et les économies du "Tiers-Monde" -même les plus riches en ressources naturelles comme la Chine s'est approfondi toujours plus vite. Par exemple comme nous l'avons montré dans "La Décadence du capitalisme" : ."Entre 1950 et 1960,(le sommet de la reconstruction de l'après-guerre) en Asie, Afrique et Amérique Latine, le nombre de nouveaux salariés pour chaque centaine d'habitants était neuf fols plus bas que dans les pays développés.
3) Parallèlement, la part des nations sous-développées dans le commerce mondial ne s'est pas accru mais a tendu à diminuer depuis 1914.
Du point de vue de l'internationalisation de la production capitaliste, les années depuis 1914 ont été pour le moins une période de stagnation économique. Et c'est là la façon la plus fondamentale de voir le développement capitaliste, puisqu'elle permet de comprendre pourquoi le développement économique a été presque entièrement restreint à un petit nombre de nations qui était déjà des puissances économiques majeures avant 1914, et plus généralement de comprendre la différence immense entre les niveaux d'accumulation qui auraient pu être possibles si on avait pris en compte le seul taux global de profit et ceux qui ont été en fait atteints. Il suffit de considérer l'ampleur de la proportion des forces productives qui ont été consacrées aux différentes formes de production de gaspillage (armements, publicité, obsolescence planifiée, etc.) qui ne contribuent pas à l'accumulation du capital, ou la réserve immense de potentiel productif "cachée" qui se révèle pendant les guerres mondiales, pour avoir une idée de l'importance de cet écart.
Si la guerre impérialiste, selon la CWO, en élevant le taux de profit, fournit les conditions pour une nouvelle période du développement capitaliste, pourquoi toutes les caractéristiques du développement progressif du capitalisme ont elles été absentes depuis 1918 ? Et si par contre, la CWO reconnait la nature qualitativement différente du développement capitaliste depuis 1914, quelles sont les raisons économiques de cette différence ?
Nous avons déjà montré que la baisse tendancielle du taux de profit, en tant que tendance globale et abstraite, ne peut pas expliquer les limites historiques da 'développement capitaliste. Mais l'analyse historique de la "théorie de la baisse du taux de profit", qui voit le capitalisme décadent comme une continuation des crises cycliques du XIXème siècle, exception faite de la constatation que la concurrence ne voit plus s'affronter des capitalistes individuels mais des économies nationales étatisées, n'est pas non plus capable d'expliquer la restriction croissante du développement économique depuis 1914. En fait, lorsqu'on a écarté la conception erronée selon laquelle la crise est le résultat d'une pénurie absolue de la plus-value, il est clair qu'une analyse fondée sur la seule baisse du taux de profit mène à la conclusion opposée : la guerre devrait, comme cela est sous-entendu dans l'analyse de Boukharine, commencer une nouvelle période de croissance économique vigoureuse, la création de nouvelles économies capitalistes développées et l'intégration de vastes secteurs des couches non prolétariennes dans la production capitaliste. Dans les derniers travaux de Boukharine, "L'Impérialisme et l'Accumulation du Capital", la conclusion logique de ses analyses antérieures est explicitement constatée : une telle vision d'un capitalisme dynamique de l'après-guerre "révélant les prodiges éclatants du progrès technique" n'est utilisée que pour justifier l'abandon de la politique révolutionnaire par la troisième Internationale décadente. La CWO, qui ne reconnait pas que celle-ci est aussi la conclusion logique de sa propre analyse, prétend que les "minables conclusions politiques" de Boukharine, ne découlent pas "de son analyse économique". Mais Lénine avait montré clairement dans sa préface à "L'Economie Mondiale et l'Impérialisme" les conséquences politiques dangereuses de ce type d'analyse :
"Peut-on cependant contester qu'une nouvelle phase du capitalisme, après l'impérialisme, à savoir : une phase de super-impérialisme (c'est-à-dire une unification internationale d'impérialismes nationaux qui seraient capables d'éliminer les conflits les plus naïfs et les plus gênants tels que les guerres, les convulsions politiques, etc.), soit dans l'abstrait"concevable" ? Non. On peut théoriquement imaginer une phase de ce genre. Il ne fait aucun doute que le développement suit la direction de la marche vers un seul trust mondial qui intégrerait toutes les entreprises, tous les Etats sans exception. Mais, en pratique, si l'on s 'en tenait à cette conception, on serait un opportuniste qui prétend ignorer les plus graves problèmes de l'actualité pour rêver à des problèmes moins graves qui se poseraient dans l'avenir".
Ici Lénine exprime l'insuffisance théorique de l'économie marxiste "orthodoxe" contemporaine qui était à la base des analyses de Boukharine et de Lénine lui-même pour expliquer la réalité politique à laquelle était confronté le prolétariat : la décadence du capitalisme et la nouvelle époque des guerres et des révolutions. Fournir une explication économique et théorique de cette réalité politique fut la tâche que s'est donné Rosa Luxembourg dans "L'Accumulation du Capital". Cette explication exigeait une analyse capable de prendre en considération l'autre contradiction fondamentale de la production capitaliste : la contradiction des marchés.
L'ANALYSE DE ROSA LUXEMBOURG
Au fur et à mesure que le capitalisme développe les forces productives, la classe ouvrière ne peut consommer qu'une proportion de plus en plus petite de la production croissante des marchandises. Dans les termes les plus simples possible, c'est cela "la théorie des marchés" sur laquelle Rosa Luxembourg fonde son analyse. Dans ce sens, l'analyse de Luxembourg, découle directement d'une compréhension marxiste de la production de la valeur dont nous avons exposé les lignes générales au début de ce texte : le "problème des marchés" surgit directement de la caractéristique de la production capitaliste -c'est-à-dire "la restriction de la consommation afin de développer les moyens de production". Nous avons déjà démontré à travers nos analyses que le problème des marchés joue un rôle central dans la théorie marxiste.([11] [421])
En fait les deux aspects de la crise capitaliste reflètent la même tendance profonde : la composition organique croissante du capital. Celle-ci amène non seulement la baisse tendancielle du taux de profit, mais aussi la contraction du marché : ceci parce que la classe ouvrière ne peut que consommer une valeur en marchandises égale à la valeur totale des salaires et parce que la croissance de la productivité du travail (c'est-à-dire la composition organique croissante du capital) signifie que la totalité des salaires représente une proportion toujours diminuant de la production totale.
Pourtant ces deux tendances ne constituent pas au début un problème insoluble pour le capitalisme. Au contraire, pendant la période ascendante du capitalisme, elles fournissaient l'impulsion la plus puissante au développement du capitalisme. La baisse du taux de profit poussait à l'élimination des capitaux arriérés ou de petite taille et à leur remplacement par des capitaux produisant à une échelle plus large et techniquement plus avancé qui pouvait compenser la baisse du taux de profit par une masse croissante de profit. La contradiction relative du "marché domestique" par ailleurs, poussait à l'extension géographique du capitalisme au fur et à mesure que la recherche pour des nouveaux marchés amenait la destruction des types de production pré-capitaliste, et l'ouverture de nouvelles régions au développement capitaliste.
Ces deux tendances sont évidemment reliées ([12] [422]); la baisse du taux de profit nécessite que chaque capitaliste réduise le plus possible les salaires de la force de travail, ce qui restreint encore plus le marché Interne de l'ensemble du capitalisme et pousse à son expansion vers les réglons extérieures de la production non capitaliste. La saturation des marchés impose la nécessité pour chaque capital de vendre ses marchandises au prix les plus bas possible, ce qui aggrave encore plus le problème de la rentabilité, et stimule la concentration et la rationalisation du capital existant. Ensemble, elles expliquent les traits caractéristiques de la phase ascendante du capital : le développement technologique rapide des moyens de production et en même temps l'expansion rapide des rapports capitalistes, de la production aux points les plus é1oignés de la planète.
Nous n'avons pas ici la place de décrire en détails le rôle joué par les marchés non capitalistes dans le développement du capitalisme. Mais l'importance cruciale de ces zones consistait dans l'occasion qu'elles fournissaient pour le capitalisme d'entrer dans un rapport d'échange (l'échange de marchandises très variées contre les matières premières vitales à l'accumulation continue) avec des économies, qui, parce qu'elles ne produisaient pas sur la base de la rentabilité, fournissaient un débouché pour le surplus capitaliste sans être une menace pour le marché domestique. Il est important de comprendre que le capitalisme ne pouvait pas utiliser n'importe quelle communauté paysanne ou tribale pour ses marchandises excédentaires. Seules les économies précapitalistes bien développées, telles que l'Inde, la Chine ou l'Egypte qui pouvaient offrir des biens en échange du surplus capitaliste étaient vraiment capables de remplir ce rôle. Mais ce processus lui-même (comme l'a montré de façon vivante Luxembourg dans la troisième partie de "L'Accumulation du Capital") amène inévitablement la transformation de ces économies en économies capitalistes, qui non seulement ne peuvent plus fournir un débouché pour la production excédentaire des métropoles capitalistes, mais encore doivent dépendre pour leur propre survie, d'une nouvelle extension du marché mondial. Ce fut dans ces circonstances que le capitalisme a tourné ses yeux vers les régions inexplorées du monde telles que l'Afrique. Mais les nouveaux marchés créés dans la lutte coloniale pour ces terrains économiquement vierges devenaient Insignifiants par rapport au marché demandé par la croissance rapide du capitalisme mondial.
Selon Luxembourg, c'est à partir de ce point, c'est-à-dire quand il n'y a plus assez de zones de production non capitaliste capables de fournir des nouveaux marchés pour compenser la contraction du marché capitaliste existant, que la période ascendante du capitalisme se termine, et que la période de la décadence, celle de la crise permanente commence. Les deux tendances qui fournissaient jadis l'impulsion au développement capitaliste deviennent un cercle vicieux ce qui forme une entrave à l'accumulation capitaliste. La recherche de nouveaux marchés devient une compétition impitoyable où chaque capitaliste individuel est obligé de réduire ses marges de profit au minimum afin d'être compétitifs sur un marché mondial entrain de se rétrécir. La production rentable devient de plus en plus impossible, non seulement pour les capitaux arriérés et inefficaces, mais aussi pour tous les capitaux quel que soit leur niveau de développement. Les salaires réels sont de plus en plus restreints avec la recherche d'une plus grande rentabilité du capital. Mais au fur et à mesure que les salaires baissent et que l'investissement diminue, les marchés se contractent de plus en plus vite, réduisant ainsi la possibilité d'une plus haute rentabilisation de la production. Les deux aspects les plus Importants de notre analyse, résumée ci-dessus, sont :
1) C'est la saturation du marché mondial qui est le point historiquement décisif entre les périodes d'ascendance et de décadence du développement capitaliste.
2) La crise permanente du capitalisme décadent n'est pas compréhensible si on ne prend pas en compte les deux aspects de la crise qui sont en 1nter-relation : saturation du marché mondial et baisse tendancielle du taux de profit.
En fait, nous pouvons dire simplement que toutes les contradictions qui découlent de la baisse du taux de profit, pourraient être résolues par une hausse du taux d'exploitation, comme le reconnait Mattick quand il dit qu'une "situation où l'exploitation ne peut pas être augmentée suffisamment pour compenser la baisse tendancielle du taux de profit n'est pas possible" ([13] [423]) si la crise résultant du problème des marchés n'exacerbait encore plus le problème de la rentabilité.
En fait, nier que la surproduction est une contradiction inhérente au capitalisme amène dans les faits à proclamer l'immortalité du système. L'ironie veut que Grossman lui-même ait montré clairement ce point, en écrivant sur l'économiste bourgeois Say :
"La théorie des marchés de Say, c'est-à-dire la doctrine d'après laquelle toute offre est simultanément une demande, et conséquemment que toute production, en produisant une offre crée une demande menait à la conclusion qu'un équilibre entre l'offre et la demande est possible à n'importe quel moment. Mais ceci implique la possibilité d'une accumulation du capital et d'une expansion de la production sans limite, corme s'il n'y avait aucune entrave au plein emploi de tous les facteurs de production. ([14] [424])
De même, le problème du marché pourrait se résoudre en augmentant l'investissement afin d'absorber les surplus autrement invendables, comme par exemple le souligne Mattick -"tant qu'il existe une demande adéquate et continue pour les biens produits par le capitalisme, 11 n'y a pas de raison pour que les marchandises qui arrivent sur le marché ne puissent être vendues"-([15] [425]), si la baisse du taux de profit n'imposait pas à ce nouvel Investissement des niveaux de rentabilité qui aggraveraient encore plus le problème du marché.
Cette interrelation entre les deux aspects de la crise est implicite dans l'analyse de Luxembourg car bien que la CWO prétende que Luxembourg ne prend pas en compte la baisse tendancielle du taux de profit, toute son analyse est fondée sur la restriction du marché à cause de la composition organique du capital (et donc la baisse du taux de profit). Les schémas de Marx de la reproduction élargie (c'est-à-dire l'accumulation du capital) dans le "Capital, tome II" montre que chaque année, toute la plus-value produite, en termes de biens de production et de consommation est réabsorbée en tant qu'éléments nouveaux de la production (capital variable et capital constant). C'est sur la base de ces schémas que la CWO et d'autres prétendent qu'il n'y a pas de problème de marché pourvu que l'accumulation continue à un taux suffisant. Mais ces schémas ne tiennent pas compte de la composition organique croissante du capital. Luxembourg montre que, quand on en tient compte, c'est le processus de 1’accumulation 1ui-même qui, en diminuant toujours le capital variable par rapport au capital constant, crée le problème de la surproduction.
Le besoin permanent de réduire les frais de capital variable veut dire que le nouvel investissement, loin de résoudre le problème existant au niveau du marché (en réalisant la plus-value), aggrave le problème en demandant comme condition première l'expansion du marché et ceci de façon plus urgente qu'avant.
La CWO prétend aussi que Luxembourg abandonne Marx et la théorie de la valeur en "cherchant en dehors du rapport entre le travail et la valeur, en dehors des royaumes où la valeur règne en maître, sa fameuse saturation des marchés, sa fameuse insuffisance du consommateur". Mais il est évident que ceci traduit une incompréhension et une falsification délibérée de la pensée de Luxembourg4 Celle-ci voit l'expansion du capitalisme aux aires périphériques de la production pré-capitaliste en tant que solution au problème des marchés saturés dans les aires existantes de la production capitaliste. C'est à travers l'extension géographique du capitalisme que les nouveaux marchés sont créés afin de compenser la contraction du marché domestique.
Ici Luxembourg suivait la conception propre à Marx, comme nous l'avons déjà montré dans "Marxisme et Théorie des Crises" (Revue Internationale n°13). Là où Luxembourg va au-delà de Marx, c'est dans la détermination des limites historiques de ce processus de "l'expansion des champs de production". Mais par là même, elle détermine ainsi les limites historiques de l'accumulation elle-même; la conjoncture historique ou la baisse tendancielle du taux de profit ainsi que la contraction du marché cessent d'être les éperons du développement capitaliste et deviennent les aspects complémentaires d'une crise mortelle qui condamne le capitalisme à un cycle toujours plus approfondi de diminution de la rentabilité et de contraction des marchés et dont l'aboutissement est la seule alternative : guerre ou révolution, socialisme ou barbarie.
Quand la CWO affirme que l'analyse économique de Luxembourg amène à des confusions politiques sérieuses, qui peuvent conduire à des positions anti-communistes, nous pouvons leur répondre que c'est Luxembourg qui a fourni la réponse la plus claire à la question politique la plus importante pour le prolétariat durant les soixante dernières années : la décadence historique et globale du capitalisme. C'est de la compréhension claire de la décadence en tant que réalité permanente du capitalisme contemporain, que toutes les positions défendues par les minorités révolutionnaires dépendent.
Aucune des analyses basées seulement sur la baisse du taux de profit n'a pu, jusqu'à aujourd'hui, expliquer cette réalité. Les tables mathématiques de Grossman prétendent montrer comment éventuellement, le moment longuement attendu va surgir où le capitalisme ne pourra plus fonctionner à cause d'une pénurie absolue de la plus-value. Mais Grossman était incapable de faire le rapport entre son modèle abstrait et la réalité alors que d'autres forces avaient déjà projeté le capitalisme dans une époque de déclin irréversible. Mattick, qui en discutant avec le CCI a insisté sur le fait que la crise finale du capitalisme n'arriverait peut-être pas avant mille ans, a enfin reconnu dans ses oeuvres récentes ([16] [426]) que cette analyse économique n'amène aucune conclusion définitive sur le futur du capitalisme. Mattick et Grossman en plus insistent sur le fait que les économies du capitalisme d'Etat, telles la Russie et la Chine, sont immunisées contre les effets de la crise. Grossman a soutenu la Russie stalinienne jusqu'à la fin de sa vie. La CWO, elle aussi, malgré sa compréhension politique de la décadence, comme phénomène global et permanent, a une analyse économique qui repousse l'effondrement du capitalisme à un futur indéfini. Cela les conduit à la position absurde et contradictoire que le capitalisme est décadent mais "que la fin du capitalisme n'est pas en vue" ([17] [427]).
Nous n'avons pas la place dans ce texte de discuter plus avant des sérieux dangers politiques qui accompagnent cette sous-estimation de la profondeur de la crise actuelle. Mais tout cela nous rappelle curieusement les critiques faites à l'époque à Luxembourg par les "petits experts de Dresde" (adeptes du marxisme orthodoxe), qui, tandis que le capitalisme plongeait à toute vitesse vers la première guerre mondiale, spéculaient sur la possibilité d'une nouvelle époque de "capitalisme paisible" et qui adhérant strictement à"l'orthodoxie marxiste" insistaient sur le fait "qu'éventuellement, dans le futur lointain, le capitalisme s'effondrerait à cause de la baisse du taux de profit".
Bien sûr, tous ceux qui adhérent à là théorie de la baisse du taux de profit ne suivent pas ces renégats dans le chemin de la contre-révolution. Comme nous l'avons montré, une analyse politiquement correcte ne découle pas directement d'une analyse économique ; au contraire, elle dépend d'une capacité à s'en tenir fermement aux principes fondamentaux du marxisme: nécessite historique du socialisme et nature révolutionnaire de la classe ouvrière.
De même, la détermination des intérêts de la classe ouvrière ne découle pas des analyses économiques» mais directement de l'expérience et des leçons de la lutte de classe. C'est sur cette base que Lénine et Boukharine pouvaient» malgré les limites de leur analyse économique, défendre les Intérêts du prolétariat mondial en 1914. Par contre, une analyse "luxembourgiste" ne garantit pas en sol une adhésion aux positions révolutionnaires : deux "luxembourgistes" de l'après-guerre, par exemple, Steinberg et Lucien Couvât, soutenaient politiquement des sociaux-démocrates contre-révolutionnaires.
Mais si nous rejetons le rapport mécanique que la CWO volt entre l'analyse économique et les positions politiques, cela ne veut pas dire que nous considérions l'analyse économique comme superflue. Au contraire, nous reconnaissons qu'une analyse économique cohérente est un facteur vital pour la conscience prolétarienne. En soudant toutes les leçons de l'expérience de la classe ouvrière en une vue unifiée du monde, elle donne au prolétariat la capacité de comprendre et donc d'affronter de façon plus décidée tous tes problèmes qu'11 rencontre pour son émancipation.
Evidemment, nous avons une longue route à parcourir avant de pouvoir comprendre complètement le développement du capitalisme depuis 1914 et particulièrement depuis 1945. Comme nous avons dit au début de ce texte, ces points seront soulevés dans des textes futurs de cette revue. Mais nous affirmons encore qu'une analyse "luxemburgiste" peut fournir une analyse cohérente de la réalité politique à laquelle s'affronte le prolétariat aujourd'hui.
Pour résumer : nous rejetons l'analyse de la CWO, fondée exclusivement sur la baisse tendancielle du taux de profit parce que :
- c'est une analyse partielle qui ne peut pas en soi expliquer les forces économiques qui mènent à l'effondrement du capitalisme. En tant que théorie abstraite, elle mène logiquement à la conclusion que la production capitaliste peut continuer Indéfiniment;
- de plus, elle mène à une sous-estimation ou même un rejet de la profondeur et des conséquences de la crise actuelle.
Nous suggérons vigoureusement que les camarades de la CWO cessent d'essayer de montrer que nous sommes loin de la fin du capitalisme, risquant ainsi de faire un pas hors des pages du tome III du "Capital" et des analyses abstraites de Grossman et Mattick. Ainsi, pourront-Ils porter leur attention sur la crise actuelle et ses Implications politiques pour la lutte prolétarienne et le mouvement révolutionnaire.
Quant à nous, nous nous proposons de continuer le travail Important de l'analyse économique et nous nous donnons les deux tâches suivantes :
- développer notre analyse du capitalisme depuis 1914 et particulièrement depuis 1945 afin de situer la crise actuelle dans le cadre de la crise permanente du capitalisme depuis 1914;
- exposer toutes les théories qui ont surgi hors et dans le camp prolétarien et qui nient la réalité de la crise actuelle, rejettent la crise du capitalisme & un futur Indéterminé ou prétendent que les contradictions du capitalisme peuvent être surmontées dans le cadre de l'économie du capitalisme d'Etat ou de"l'Etat ouvrier".
Nous prenons pour cadre de notre travail la compréhension marxiste de l'économie politique souligné par Luxembourg en 1916 :
"Dans la théorie de Marx, l'économie politique a trouvé son achèvement et la conclusion. La suite ne peut plue être -à part certains développement de détails de la théorie de Marx- que la transposition de cette théorie dans l'action, c'est-à-dire la lutte du prolétariat international pour réaliser l'ordre économique socialiste. La fin de l'économie politique comme science est une action historique de portée mondiale : la traduction dans la pratique d'une économie mondiale organisée selon un plan. Le dernier chapitre de la doctrine de l'économie politique, c'est la révolution sociale du prolétariat mondial".
R.Weyden
[1] [428] Voir "The Accumulation of Contradictions" dans "Revolutionary Perspectives" (RP) n°6.
[2] [429] "Crédit and Crisis" dans RP n°8, page 20.
[3] [430] Mattick : "Grossman's Interpretation of Marx's Theory of Capitalist Accumulation's"
[4] [431] Mattick, Idem page 7.
[5] [432] Marx : "Capital, tome III".
[6] [433] Luxembourg : "L'Anti-critique" dans "l'Accumulation du Capital".
[7] [434] Mattick : "Marx et Keynes"
[8] [435] Marx, idem
[9] [436] Voir "Crédit and Crisis" dans RP n°3
[10] [437] Voir la brochure du CCI "La Décadence du Capitalisme" pour une description plus détaillée des points suivants.
[11] [438] Voir "Marxisme et Théorie des Crises" dans la Revue Internationale n°13
[12] [439] En fait, le contraire serait étonnant puisque le marxisme a toujours compris que la production de la valeur et sa réalisation (c'est-à-dire la vente), sont deux aspects intimement liés du même processus. Les crises dans le processus de production elle-même se reflètent au niveau de l'échange et vice-versa. Quand la CWO condamne Luxembourg parce quelle voit surgir la crise dans le "domaine secondaire" de la distribution, ils oublient évidemment la longue lutte de Marx et Engels contre le "socialisme vulgaire qui reprenait des économistes bourgeois le fait de considérer et de traiter de la distribution comme Indépendante du mode de production" -contre, comme Engels l'a dit plus violemment "la bêtise qui en arrive à écrire sur l'économie politique sans avoir compris le lien entre la production et la distribution". (Marx : "Critique du Programme de Gotha, et Engels : "Anti-Dühring").
[13] [440] Mattick : "Marx et Keynes".
[14] [441] Grossman : "Marx, l'Economie Politique Classique et le problème de la Dynamique"
[15] [442] Mattick, idem
[16] [443] Voir par exemple "Critique of Marcuse".
[17] [444] RP n° 8, page 28
Les événements de l'année dernière ont vu se braquer les projecteurs de l'actualité sur l'Autonomie Ouvrière (notamment en Italie), nouvelle incarnation du démon pour la presse bourgeoise. Mais ils ont mis aussi en évidence la façon dont ce "milieu autonome" a perdu tout motif de se réclamer de la classe ouvrière. En effet, aujourd'hui, on parle de "l'Aire de l'Autonomie" et non plus de l'Autonomie Ouvrière. Celle-ci est devenue un écumeux ramassis de toutes sortes de franges petites-bourgeoises : des étudiants aux acteurs de rue, des féministes ceux professeurs à l'emploi précaire, tous unis dans l'exaltation de leur propre "spécificité" et dans le refus effrayé de la nature de la classe ouvrière corme seule classe révolutionnaire de notre époque. Dans ce marais, les autonomes "ouvriers" se distinguent par une plus grande dureté sur les grandes questions politiques d'aujourd'hui : faut-il utiliser les cocktails Molotov dans le sens offensif ou défensif ? Le P.38, ce mythique passe-partout du communisme doit-il être pointé sur les jambes des flics ou plus haut ?
Il y a tout de même, dans ce cadre de dégénérescence totale, une réaction aux tentatives critiques des conceptions confusionnistes et interclassistes, d'éléments restés liés à une vision plus classiste. Même s’il faut encourager ces tentatives, il faut aussi dénoncer les graves dangers dans lesquels ces dernières risquent de tomber en considérant ces déviations comme des "incidents de parcours" et en conclure de nouveau qu'il est possible "de recommencer à nouveau".
Cet article traite essentiellement de l'Autonomie Ouvrière en Italie, car c'est là que ce mouvement s’est essentiellement développé. Mais ses conclusions sont autant applicables aux partisans de la recherche du nouveau gadget politique, "l'Autonomie", partisans qui ont germé dans le monde entier. [Lire à ce sujet Rupture avec CPAO). Dans cette contribution à la discussion, nous avons analysé les bases théoriques mêmes de l'Autonomie Ouvrière, en indiquant comment elles se fondent en fait sur le rejet du matérialisme marxiste et laissent la porte ouverte à toutes les dégénérescences qui se sont manifestées ultérieurement.
C'est aussi à travers la critique la plus radicale du mouvement de l'Autonomie ouvrière et toutes ses erreurs que demain dans sa lutte, le prolétariat retrouvera le contenu politique de son autonomie de classe.
Avec l'entrée du capitalisme dans sa phase de décadence, les manifestations des luttes ouvrières se sont profondément modifiées, car les longs combats, qui ont duré parfois des années, pour obtenir des améliorations comme la journée de huit heures, etc., n'ont plus de sens, étant donné l'impossibilité d'obtenir une quelconque amélioration de fond dans un système qui ne peut plus rien offrir. Par contre, les luttes ouvrières dans la période de décadence sont caractérisées par des explosions imprévisibles et souvent très aiguës, suivies par de longues périodes de calme apparent tandis que de nouvelles explosions se préparent.
En Italie, il a été particulièrement difficile de comprendre cette nature discontinue de la riposte ouvrière à la crise, à cause de l'extraordinaire continuité des luttes, ouvertes par le "69 de l'automne chaud", poursuivies en 70-71 avec "l'automne rampant' et terminées avec les derniers soubresauts de "l'automne 72 à mars 73" (occupation à la Fiat Mirafiori). Dans cette dernière période de lutte, les groupes extraparlementaires se sont clairement caractérisés comme les chiens de garde des chiens de garde (syndicats) du capital en perdant une bonne partie de l'influence acquise dans les années 69 dans les secteurs ouvriers les plus combatifs. "Les conventions de 1972-73 sont de ce point de vue la limite extrême au-delà de laquelle les groupes n'ont fait que survivre" (Potere Operaio n°50, novembre 73).
Les groupes autonomes d'usine ont leur origine dans la méfiance qu'ils éprouvent envers les groupuscules, mais cette méfiance n'aboutit pas à une opposition â leur contenu politique. Aussi différents que puissent être les motifs de des groupes et des individus qui se sont reconnus dans le milieu de l'autonomie, il y a un point commun à tout le monde : la tendance à mettre au centre de leurs préoccupations le point de vue ouvrier. C'est pourtant justement de ce point de vue du rappel d'une conception cl assiste de la lutte politique que le milieu autonome enregistre sa faillite la plus éclatante. A la disparition ou pire à la transformation en noms vides de sens de la grande majorité des groupes autonomes ouvriers, a correspondu un développement incroyable d'une autonomie qui, loin d'être ouvrière, possède une seule unité, celle de la négation de la classe ouvrière comme axe fondamental de leurs préoccupations.
Féministes et homosexuels, étudiants angoissés par la perte du mirage d'un petit emploi dans les bureaux de l'administration locale ou dans l'enseignement et artistes "alternatifs" en crise par manque d'acheteurs, forment un seul pour revendiquer leur "spécificité" précieuse autonomie par rapport à 1 mi nation ouvrière dans les groupes extraparlementaires (?!!!). Contrairement à ce qu'écrivent les journaux bourgeois, ces mouvements marginaux ne représentent pas les "cent fleurs" du printemps révolutionnaire, mais quelques uns des mille et un pièges purulents de cette société en dégénérescence. Cette année écoulée, le processus de dégénérescence est arrivé à un tel niveau que certains éléments plus "classistes" sont contraints de prendre un certain recul par rapport à l'ensemble du milieu autonome et de commencer un processus de critique des expériences passées. Même si ces tentatives sont positives, elles possèdent en elles-mêmes de profondes limites : en effet, elles prennent et dénoncent seulement les positions plus facilement critiquables du marginalisme pour leur opposer les options "classistes" comme positions ouvrières, sans qu'aucun fondement sur lesquels s'est fondée l'aire de l'autonomie ne soit réellement remis en cause.
Le but de cet article est donc de régler les comptes avec les fondements théoriques de l'autonomie et de montrer comment le marginalisme, même"ouvrier" n'est pas seulement son fils bâtard et dégénéré, mais représente bien sa conclusion logique et inévitable. Pour ce faire nous analyserons la théorie de la "crise de la direction" qui est à la base de toutes les positions politiques de l'Area dell'Autonomia (traduction approximative:"milieu autonome").
(°) L'Area dell’Autonomia peut se comprendre comme étant la zone d'influence des idées autonomes dans laquelle évoluent ses différents éléments.
AUX ORIGINES DE LA "CRISE DE LA DIRECTION": LE REJET DU CATASTROPHISME ECONOMIQUE MARXISTE
Si la longue période de prospérité de la fin du XIXème siècle avait pu donner naissance à toute une série de théories sur le passage graduel du capitalisme au socialisme, par l'élévation de la conscience des travailleurs, l'entrée du système dans sa phase décadente avec la première guerre mondiale, marque la confirmation historique des vieilles formulations "catastrophiques" de Marx sur l'effondrement inévitable de l'économie marchande. Alors, il est devenu clair qu'une seule alternative se pose à l'humanité : révolution ou réaction, et la révolution n'est pas"ce que pense devoir faire tel ou tel prolétaire ou même le prolétariat tout entier à un moment donné mais ce qu'il sera historiquement contraint de faire "(Marx). C'est pourquoi après la défaite de la vague révolutionnaire des années 20 et le passage de l'Internationale Communiste à la contre-révolution, les groupes révolutionnaires naissants ont toujours défendu le principe marxiste qu'"une nouvelle vague révolutionnaire surgirait seulement d'une nouvelle crise" (Marx). Cependant, l'absence d'une reprise prolétarienne après la deuxième guerre mondiale -selon le schéma de l'Octobre Rouge- mais aussi la période de santé du capital liée à la reconstruction a dispersé ces petites fractions en les condamnant le plus souvent à la disparition.
Comme produit de cette période, on a vu surgir de nouvelles théories prétendant dépasser la vision marxiste des crises et comme le faisait le groupe Socialisme ou Barbarie ([1] [445]) en France affirmant que le capitalisme avait dépassé ses contradictions économiques. Les conclusions anti-marxistes de Socialisme ou Barbarie se sont propagées au travers de toute une série de groupes dont l'un des plus connus fut certainement l'Internationale Situationniste.
Mai 68 fut le chant du cygne d'une telle position : la réapparition du mouvement ouvrier sur la scène de l'histoire, quand la crise économique ne s'était pas encore développée dans toute -son ampleur, a fait croire à ces malheureux que le mouvement n'avait pas de base économique :
"Quant aux débris du vieil ultra-gauchisme non trotskiste (...) maintenant qu'ils ont reconnu une crise révolutionnaire en Mai, il leur faut prouver qu'il y avait donc là, au printemps de 68 cette crise économique invisible. Ils s'y emploient sans crainte du ridicule en produisant des schémas sur la montée du chômage et des prix".
(Internationale Situationniste n912, décembre 1969)
En effet, pour les théoriciens de la "société du spectacle", seulement une crise spectaculaires pouvait être visible. Les marxistes, par contre, n'ont pas besoin d'attendre que l’évidence des choses s'impose sur les couvertures de la presse ou arrive à pénétrer dans le cerveau des notables de la bourgeoisie, pour reconnaître et saluer l'imminence et la portée de la nouvelle crise. Même s'ils étaient éloignés du centre du monde capitaliste, une poignée de camarades au Venezuela, "ultragauchistes", pouvait écrire en janvier 68 dans leur revue Internacionalismo :
"L'année 67 nous a laissé la chute de la livre-sterling et 68 nous apporte les mesures de Johnson (...) Nous ne sommes pas des prophètes, et nous ne prétendons pas savoir quand et de quelle façon les événements futurs vont avoir lieu. Nous sommes certains, par contre, qu'il est impossible d'arrêter le processus que subit actuellement le capitalisme avec des réformes ou des dévaluations, ou avec un autre genre de mesures économiques capitalistes et qu'inévitablement, ce processus le mène vers la crise. Par là même, le processus inverse, celui du développement de la combativité de la classe, qui en général, a lieu actuellement, va conduire le prolétariat à une lutte sanglante et directe en vue de la destruction des Etats bourgeois".
L'irruption sur la scène historique de la classe ouvrière à partir de 68, enlève aux partisans de la "fête révolutionnaire", toute possibilité de parler en son nom : en 1970, l'IS se dissout dans une orgie d'exclusions réciproques; à partir de là, les explosions périodiques de révolte qui expriment la décomposition de la petite-bourgeoise ne sont jamais arrivées même à constituer une Internationale Situationniste. Toutes les expressions postérieures n'ont réussi qu'à être du simple folklore.
LE VOLONTARISME A COULEUR OUVRIERE ET LA CRISE de la DIRECTION
L'entrée sur la scène historique de la classe, en plus de la disparition des situationnistes et des différents contestataires, impose un renouvellement des théories sur le contrôle de la crise pour tenir compte de la nouvelle réalité. Au lieu de simplement nier la possibilité de la crise (comment peut-on le faire maintenant ?) on réévalue le côté actif de la thèse : étant donné que le capitalisme contrôle la crise économique, ce qui ouvre la voie à la véritable crise économique est la crise de ce contrôle même à la suite de l'action ouvrière ([2] [446]).
Ce thème, qui était déjà présent dans les derniers textes des situationnistes parmi les pastorales sur "la critique de la vie quotidienne'' devient Taxe des positions des nouveaux social-barbares, qui seront donc"marxistes"et"ouvriers". C'est significatif qu'en France, la tentative avortée de création sur cette base d'une gauche marxiste pour le pouvoir des conseils des travailleurs en 1971, soit partie du groupe Pouvoir Ouvrier, héritier "marxiste" de Socialisme ou Barbarie.
En Italie ces positions étalent exprimées fondamentalement par le groupe Potere Operaio et nous allons donc analyser ces conceptions ([3] [447]).
Le groupe part de la reconnaissance de (a toute puissance du "cerveau théorique du capital", manipulateur expérimenté d'une société sans crise.: " après 1929, le capital apprend à contrôler le cycle économique, à s'emparer des mécanismes de la crise, à ne pas être écrasé et à les utiliser de façon politique contre la classe ouvrière", pour proposer cette solution : "l'objectif stratégique de la lutte ouvrière -plus d'argent et moins de travail- lancé contre le développement, a vérifié le théorème duquel nous étions parti il y a 10 ans : introduire un nouveau concept de crise de l'état du capital, plus de crise économique spontanée, à cause de ses contradictions internes, mais crise politique provoquée par les mouvements subjectifs de la classe ouvrière, par ses luttes revendicatives".([4] [448])
Ayant nié "qu'une nouvelle vague révolutionnaire ne pourra avoir lieu qu'à la suite d'une nouvelle crise", il faut encore expliquer pourquoi cette subjectivité ouvrière a décidé de se réveiller en 1968-1969 et non pas, par exemple, en 1954 ou 1982. Les explications sur les origines du cycle des luttes révèlent toute l'incompréhension ou, pour dire mieux, la méconnaissance, par Potere Operaio, de l'histoire du mouvement ouvrier.
La défaite des années 20, l'expulsion et ensuite l'extermination des camarades par l'Internationale passée à la contre révolution, tout cela n'existe pas d'après Potere Operaio, étant donné que tout cela sort des limites de l'usine. Pour PO, le fait central est l'introduction du travail à la chaîne, qui "déqualifie tous les ouvriers, faisant reculer la vague révolutionnaire" et ce serait seulement dans les années 30, pour n'avoir pas compris la restructuration de l'appareil productif faite sur la base des théories économiques de Keynes, que les organisations historiques se seraient trouvées "à l'intérieur du projet capitaliste". Ayant posé ainsi la question, ayant rejeté l'expérience historique de la classe, il ne vaut pas la peine de se demander pourquoi c'est seulement en 68 que les ouvriers ont appris (...)" qu'une nouvelle société et une nouvelle vie sont possibles, qu'un monde nouveau, libre, est à portée de la lutte". Il suffira de répondre : "Où sont elles ces conditions objectives sinon dans la volonté politique subjective, organisée, de parcourir jusqu'au bout la voie révolutionnaire ? "(PO n°38-39 - Mai 1971). Sur cette base la proposition organisationnelle que PO fait à toutes les avant-gardes ne pourra se fonder que sur le mépris le plus absolu de tout l'autonomie réelle de la classe ouvrière, considérée comme cire molle dans les mains du Parti qui, pour grande consolation, "est à l'intérieur de la classe" ": "Nous avons toujours combattu la lie opportuniste qui appelait "spontanéisme" la spontanéité, au lieu d'appeler impuissance sa propre incapacité à la diriger et à la plier à un projet organisationnel à une direction de parti" (PO n*38-39-Page4, souligné par nous).
Le centre des contradictions de PO est que quand il parle du Parti comme fraction de la classe, il ne veut pas parler de l'organisation qui regroupe autour d'un programme clair, donc sur une base politique claire, les éléments les plus conscients qui vont se former dans les luttes ouvrières quelle que soit leur origine sociale; il veut parler d'une couche, d'un pourcentage de la classe, qui est directement indiqué, du point de vue sociologique, dans "l’ouvrier-masse, l'avant-garde de masse de la lutte contre le travail". Le menchévik Martov défendait contre le bolchevik Lénine la thèse que "chaque gréviste est membre du parti". Les "bolcheviks" de PO ont remis à neuf Martov : "Chaque gréviste dur est membre du Parti". Le Parti n'est qu'un grand comité de base et son seul problème est de soumettre à l'hégémonie de l’ouvrier-masse""!a passivité et la résistance de certaines couches de la classe".
Pour réveiller les ouvriers, il faut leur donner le plan organisationnel tout prêt : "Pourquoi (...) le syndicat a t'il encore en mains la gestion des luttes ? Seulement à cause de sa supériorité organisationnelle. Donc, nous avons à faire face à un problème de gestion. Un problème de réalisation d'un minimum d'organisation, au-delà duquel une possibilité de gestion du combat est crédible et acceptable". Quand on superpose le Parti aux fractions combatives de la classe, il est inévitable que face au reflux progressif de la combativité, le parti va toujours plus se substituer à la classe, dans une progression "complètement subjective" d'ascétisme et de militarisation".
LA FORMATION DE LA RE A DELL' AUTONOMIA ET LA DISSOLUTION DE POTERE OPERAIO
Les luttes ouvrières de l'automne 72, terminées avec l'occupation à la Fiat-Mirafiori en mars 73 provoquèrent d'un côté une perte de crédibilité des groupuscules gauchistes chez les ouvriers (ce qui mena à l'extension des organismes autonomes), et de l'autre côté la crise interne de PO. La ligne hyper-volontariste et militarisée et critiquée, parce que celle-ci théorise que : "la structure militaire est la seule qui est capable de remplir un rôle révolutionnaire, en niant la lutte de classe et le rôle politique des comités ouvriers." (P0n°50, novembre 73). Cependant cette dénonciation n'arrive pas à s'attaquer aux bases théoriques de cette dégénérescence, et elle se présente plus comme réaffirmation des thèses de PO que comme une critique de celle-ci.
En effet ce qui se passe, c'est un renouvellement de la vieille thèse, pour expliquer d'une certaine manière pourquoi, en l'absence de luttes ouvrières, la crise allait s'aggraver dans tous le les pays : si avant, on insistait sur la crise provoquée par les avant-gardes, maintenant c'est la thèse qui aura la plus grande chance de prendre le dessus, c'est-à-dire la thèse de la crise provoquée à dessein par les capitalistes. "Les capitalistes crient et éliminent la crise économique toutes les fois qu'ils le croient nécessaire, toujours dans le but de battre la classe ouvrière. ("Des luttes au développement de l'organisation autonome ouvrière" des Assemblées autonomes Al-fa-Romeo et Pirelli et Comité de lutte Sit-Siemens, mai 73).
Encore une fois, il y a le refus d'un bilan de l'expérience historique du prolétariat, en se bornant à rire justement de la forme du parti propre à la Troisième Internationale", Or, quand la classe réfléchit sur son propre passé, elle ne le fait pas pour en rire ou en pleurer mais pour comprendre ses erreurs, et sur la base de ses expériences tracer une ligne qui soit de classe et de démarcation de l'ennemi de classe. Le prolétariat révolutionnaire ne "rit" pas du "marxisme-léninisme dépassé de Staline" pour mieux glorifier celui remis à "neuf" par Mao Tsé Toung, mais les dénonce tous les deux en tant qu'armes de la contre-révolution. C'est justement ce que nos néo-autonomistes ne veulent pas faire : De ce point de vue, nous refusons toute dogmatique (?!) distinction entre léninisme et anarchisme : notre léninisme est celui de "l'Etat et la Révolution", et notre marxisme-léninisme est celui de la révolution culturelle chinoise".(PO n°50, page 3)
Quel est en conclusion le rôle des révolutionnaires ? "Nous devons être capables de réunir et organiser la force ouvrière, ne pas nous substituer à elle" (4). Cette phrase représente la limite insurmontable au-delà de laquelle l'Autonomia Opérai a n'a jamais été capable d'aller, c'est-à-dire de considérer substitutionnistes seulement les conceptions d'après lesquelles la révolution est faite par les députés avec des réformes ou les étudiants "militarisés" avec les cocktails molotov. Par contre, est substitutionniste, celui qui nie la nature révolutionnaire de la classe ouvrière, avec tout ce que cela signifie. Quand on dit que la tâche des révolutionnaires est d'organiser la classe, on nie justement la capacité de la classe à s'auto-organiser par rapport à toutes les autres classes de la société. Les conseils ouvriers de la première vague révolutionnaire ont été créés spontanément par les masses prolétariennes, ce que Lénine a fait en 1905 n'a pas été de les organiser mais de les reconnaître et de défendre en leur sein les positions révolutionnaires du parti.
Si "l'organisation, le parti, se fonde aujourd'hui dans la lutte", une fois que la lutte est terminée, comment peut-on justifier la survivance de ce parti sans tomber dans le substitutionnisme ? Les avant-gardes, les révolutionnaires ne se regroupent pas autour de la lutte mais autour d'un programme politique, et c'est sur la base de celui-ci, qu'en tant que produit des luttes, ils deviennent à leur tour un facteur actif de celles-ci, sans ni dépendre des hauts et des bas du mouvement, ni vouloir les remplir avec leur oeuvre "organisationnelle" pleine de bonne volonté. L'incapacité de voir que classe et organisation révolutionnaire sont deux réalités distinctes, mais non opposées, est à la base des conceptions substitutionnistes qui, toutes, identifient parti et classe. Si les léninistes identifient la classe au parti, les autonomes (descendants Inconscients du conseillisme dégénéré) ne font que renverser les choses en identifiant le parti à la classe. Cette incapacité est le symptôme d'une rupture incomplète avec les groupes gauchistes et ceci est exprimé de façon éclatante par l'Assemblée Autonome de Alfa Romeo, qui arrive à théoriser un partage des tâches d'après lequel les groupes politiques font les luttes politiques (à savoir, droits politiques et civils, ant1-fascisme, en un mot tout l'arsenal des mystifications anti-ouvrières) et les organismes autonomes, les luttes dans les usines et les bureaux. Tout cela est logique pour ceux qui pensent que : "la capacité de faire sortir des prisons Valpreda avec le vote devenait un moment de lutte victorieuse contre l'Etat bourgeois (!) Alfa Romeo journal ouvrier de la lutte 1972-73, par l'assemblée autonome, octobre 1973).
Comme nous l'avons vu, l'Autonomia Operaia partait avec des bases un peu plus confuses que PO, tandis que les changements de situation en exigeaient de beaucoup plus claires. Toutes ces poussées prolétariennes qui exprimaient, bien que confuses, une saine réaction à la misérable pratique des gauchistes, étaient destinées à tourner en rond et à se perdre si elles restaient dans ce cadre confus.
LES COMPTES FAITS: BILAN D'UNE DEFAITE
"En Italie, les journées de mars 1973 à Mirafiori sont la sanction officielle du passage à la deuxième au mouvement, de la même façon que les journées de la Place d'Etat furent la première phase. La lutte armée, prônée par l'avant-garde ouvrière dans le mouvement de masse constitue la forme supérieure de la lutte ouvrière... Le devoir du parti est celui de développer dans une forme moléculaire, généralisée et centralisée, cette nouvelle expérience d'attaque". (PO novembre 73)
Avec ces paroles pleines d'illusions béates sur la "formidable continuité du mouvement italien, PO annonçait sa propre dissolution dans"l'aire de l'autonomie" et l'imminente centralisation de cette aire en tant que : "fusion de volonté subjective, capacité de battre le cycle des luttes dominées par le patronat et par les syndicats, pour imposer au contraire l'initiative de 1 'attaque (PO, 1973), Comme on voit le sigle change mais les vieilles illusions sur la possibilité de mettre sur pied à volonté des cycles de luttes ouvrières sont dures à nourrir. Hélas pour les illusions, Mirafiori 73 n'a pas été le tremplin vers l'extension d'un nouveau niveau de lutta armée mais le dernier sursaut du mouvement avant d'entrer dans une longue période de reflux. Comment expliquer cette interruption dans la formidable continuité du mouvement italien ? En se souvenant qu'elle est une caractéristique typique des luttes ouvrières aujourd’hui, luttes qui se déroulent dans le cadre du capitalisme décadent, incapable d'améliorer en général les conditions de vie des travailleurs. De plus, même les miettes accordées lors du "boom" de la reconstruction après la seconde boucherie mondiale ont été récupérées; la crise économique ouverte depuis les années 60 est revenue exaspérer cette situation.
Avec le premier véritable effondrement de l'économie italienne, qui se vérifie justement en 1973, la marge: de manoeuvre déjà étroite des syndicats pour demander des augmentations de salaires se resserrera de manière draconienne (c'est à ce moment que se produit l'écroulement des dernières illusions sur un syndicalisme combatif, autonome par rapport aux partis, et sur le rôle des conseils d'usines). De plus en plus souvent, les grèves mêmes longues et violentes se terminent sans qu'aucune des revendications de la classe ouvrière n'ait été obtenue; en un tout, les ouvriers découvrent, défaite après défaite, que pour défendre leurs conditions de vie, 11 faut désormais s'attaquer directement à l'Etat, dont les syndicats ne sont qu'un rouage. Pour caractériser cette phase, qui avec des particularités différentes s'est présentée dans tous les pays industrialisés, nous avons souvent dit que c'était comme si la classe ouvrière reculait face à ces nouveaux obstacles pour mieux pouvoir prendre son élan. Ces années d'apparente passivité ont été des années de maturation souterraine et celui qui croyait que ce reflux serait éternel peut s'attendre déjà à quelques désillusions. En fait, la difficulté de défendre victorieusement ses propres conditions de vie, peut désorienter et démoraliser les ouvriers, mais à la longue elle ne pourra que les rejeter de nouveau dans la lutte, avec une rage et une détermination cent fois plus grande.
Face aux reflux, les réponses de "l'autonomie" sont essentiellement de deux types :
1) la tentative volontariste de contrebalancer le reflux, grâce à un activisme toujours plus frénétique et toujours plus "substitutionniste" par rapport à la classe.
2) Le déplacement graduel de la lutte de l'usine à de nouveaux terrains de combat, évidemment "supérieurs".
Sur cette progressive différenciation entre les "durs" et les "alternatifs", trébuche et se brise le projet de centralisation de "l'Aire de l'Autonomie" ambitieusement ressorti au moment où PO se fondait au sein de la constitution de la Coordination Nationale. Ces deux lignes ont été, grosso modo le terrain sur lequel se sont développées les deux déviations symétriques, le terrorisme et le marginalisme, qui finissent toujours par se recouper.
Sans avoir la prétention d'analyser à fond ces deux "filons", à propos desquels nous reviendrons certainement, il est quand même important de démontrer qu'ils sont le développement logique de leur origine ouvriériste et non sa négation.
"Quand la lutte ouvrière pousse le capital à la crise, à la défensive, l'organisation ouvrière doit déjà avoir des instruments techniquement préparés (souligné par nous), solides, grâce auxquels on pourra étendre, renforcer et pousser la volonté d'attaque de la classe... Susciter, organiser la révolution ininterrompue contre le travail, déterminer et vivre tout de suite des moments de libération... Telle est la tâche de V} avant-garde ouvrière et notre conception de la dictature" (4)
Comme on le voit déjà, PO exprime clairement les positions de fond qui sont à la base de sa "ligne" terroriste.
1) D'une part la vision de la crise comme étant Imposée par la lutte de classe.
2) D'autre part la conception de révolutionnaires organisateurs techniques de la lutte de classe; c'est pourquoi il leur faut arriver à un certain type d'organisation" pour être crédible face à la classe ouvrière et pouvoir rivaliser les syndicats sur le terrain de la "gestion" des luttes.
Au fur et à mesure que la vague de 68 s'est effilochée, on augmente les "trucs" qu'un bon technicien de la guérilla en usines doit connaitre pour conduire ses camarades de travail vers la "terre promise". Ainsi nait et se développe la Rustique de "l'enquête ouvrière" c'est-à-dire de l'étude, de la part de l'avant-garde, de la structure de l'usine -et du cycle productif, pour en repérer les points faibles : il suffira de toucher ceux-ci pour bloquer le cycle entier et "coincer" les patrons. Mais comme d'habitude, ce qu'il y a de bon n'est pas nouveau, et ce qui est nouveau n'est pas bon. L'idée de frapper sans préavis au moment et là où cela causera le plus grand préjudice aux patrons sans qu'il y ait trop de perte pour les ouvriers, ceci n'est pas une idée mais une découverte pratique pour la classe et a un nom précis : grève sauvage. Ce qu'il y a de nouveau, c'est l'idée (et ceci n'est pas qu'une idée), que la grève sauvage peut être programmée par les avant-gardes, ce qui est une contradiction dans les termes.
On pourrait nous répondre que tout ceci est vrai mais que si on ne connait pas l'usine, on ne peut unir les luttes des différents services, on se perd, etc. Très juste, mais il n'est pas certain que c'est avec les "études" nocturnes de quelques militants que les ouvriers, par exemple du "vernissage" apprendront à s’orienter dans la carrosserie ou la presse. C'est au cours de sa lutte que la classe résout pratiquement le problème des grilles : en les défonçant.
Ce point, qui pourrait sembler secondaire, montre clairement qu'une telle vision technico-militariste considère la lutte de classe sous un faux angle. Ce n'est pas le fait d'avoir dans chaque groupe des camarades avec le plan de l'usine imprimé en tête qui permet l'unification des luttes; c'est l'exigence d'unifier les luttes pour sortir des impasses aveugles des luttes sectorielles qui pousse la classe à dépasser les obstacles qui s'opposent à cette unification. Pour partir en cortège appeler les ouvriers des autres usines, la chose fondamentale n'est pas de savoir où est la sortie mais d'avoir compris que seule la généralisation des luttes peut mener à la victoire. En réalité les obstacles les plus redoutables ne sont pas les grilles, mais ceux qui à l'intérieur de la classe s'opposent avec leur démagogie à la maturation de sa conscience. Le vrai mur à abattre c'est celui fabriqué jour après jour par les délégués syndicaux, par les activistes des partis et des groupuscules"ouvriers", c'est le mur invisible mais solide qui enferme le prolétariat à l'intérieur du "peuple italien" et le sépare de ses frères de classe du monde entier, c'est la chaîne visqueuse qui le lie au sort de l'économie nationale en difficulté. Dépouiller ces obstacles de leurs travestissements démagogues et extrémistes, en dénoncer la nature contre-révolutionnaire, voilà le rôle spécifique des révolutionnaires à l'usine et en dehors, voilà leur contribution indispensable pour forger cette conscience et cette unité de classe qui abattront bien d'autres portes que celles de la Fiat, (il est clair que ceci n'a rien à voir avec une conception qui ferait des révolutionnaires des "conseillers" de la classe, puisque pour qu'il en soit ainsi, ils est nécessaire que ceux-ci aient une fonction active au sein du mouvement prolétarien).
C'est désormais devenu un lieu commun de voir dans les publications de l'Autonomie une critique des "Brigades Rouges" parce qu'ils "exagèrent" avec leur militarisme, parce qu'ils se coupent des masses, etc.. Les Brigades Rouges ont simplement parcouru jusqu'au bout la pente inclinée du volontarisme dans la tentative impossible de répondre par un "saut qualitatif" des avant-gardes aux nouvelles difficultés du mouvement de classe.
Le fait que toutes les critiques de l'Autonomie Ouvrière aux Brigades Rouges ne sont jamais allées au-delà des habituelles lamentations opportunistes sur le caractère prématuré de certaines actions, etc., sans jamais arriver à l'essentiel, n'est certainement pas un hasard, mais trouve ses racines dans les théorisations mêmes de l'Autonomie Ouvrière :
"Une théorie insurrectionnelle "classique" n'est plus applicable aux métropoles capitalistes; elle se révèle dépassée^ comme est dépassée l'interprétation de la crise en termes d’effondrement... La lutte armée correspond à la nouvelle forme de la crise imposée par l'autonomie Ouvrière de même que l'insurrection était la conclusion logique de la vieille théorie de la crise comme effondrement économique". (PO mars 197Z)
On ne peut pas rejeter le marxisme au nom de la volonté subjective des masses et puis être en mesure de critiquer sérieusement celui qui, s'étant autoproclamé "parti combattant", cherche à accélérer le cours de l'histoire en apportant aux masses un peu de sa propre "volonté". Le militarisme des Brigades Rouges n'est que le développement cohérent et logique de l'activisme ouvriériste des trop célèbres "enquêtes ouvrières".
Il reste à constater que, durant ces derniers mois, tant de cohérence et de prévoyance n'a pas empêché les Brigades Rouges de devoir poursuivre à coups de communiqués et d'appels les jeunes séduits par le "parti du P.38" et qui^pouf passer à la lutte armée, n'ont pas cru devoir bon de passer par les Brigades Rouges. On pourrait parler d'apprentis sorciers incapables de contrôler des forces imprudemment déchaînées. Rien de plus faux : cette incapacité à contrôler les pistoleros métropolitains est la preuve aveuglante que cela n'a pas été l’action exemplaire"des BR, mais le processus inexorable de la crise économique qui jette dans le désespoir d'amples couches de la petite-bourgeoise.
Les "détachements d'acier du parti armé", les "chiens déchaînés" du P.38 ne peuvent rien imposer, en bien ou en mal. C'est la logique des faits qui les a imposés, ce sera la logique des faits qui les balayera.
LE MARGINALISME PAR LA LUTTE DE CLASSES EN DEHORS DE L'HISTOIRE
Tandis que les "durs" se militarisent pour se substituer au mouvement de reflux dans les usines, la plus grande partie du mouvement autonome est à la recherche de chemins de traverse plus praticables vers le communisme. Aussitôt dit, aussitôt fait : le mouvement n'est pas en reflux, voyons, il est en train d'attaquer d'un autre côté pour désorienter les patrons. C'est le lieu "magique" du territoire, comme "nouvelle dimension de l'Autonomie Ouvrière". En réalité, le déplacement de la lutte sur le "plan social", ne facilite absolument pas "le débordement" de l'initiative ouvrière de l'usine vers le territoire". La lutte contre l'augmentation des prix, des loyers, en général la lutte des quartiers ne peut que se baser I sur toute la population des quartiers. En effet, une auto-réduction du paiement de l'électricité mise en avant seulement par les familles ouvrières serait absurde et destinée à une fin rapide. Ceci signifie que l'autonomie ouvrière. Loin de s'étendre, va être au contraire emportée par le flot de la petite-bourgeoise et s'immobiliser dans l'ensemble de la population. La généralisation tant vantée de la lutte se révèle être le passage de la lutte pour la défense I de ses conditions matérielles de vie en tant qu'ouvriers à la lutte pour des droits en tant que citoyens. La réalité historique des explosions ouvrières est bien différente: elle ne suggère pas des comités populaires et interclassistes. Par sa dynamique interne déclasse, le prolétariat, aux moments cruciaux de la lutte, trouve en lui la force de dépasser les limites suffocantes de l'usine, et d'annoncer aux patrons et à ses valets ce débordement futur auquel ne pourra plus succéder nul "retour au calme". Petrograd 1917, Pologne 1970, Grande-Bretagne 1972, Espagne 1976, Egypte 1977, c'est toujours dans tes grandes concentrations ouvrières que s'est réalisée l'unification du corps collectif du prolétariat et la fissure du "peuple uni" en deux camps distincts et opposés. Ainsi la logique même de ces divers mouvements "autonomes" a été celle d'une progressive dilution du mouvement des luttes dans les usines vers les luttes petites-bourgeoises et marginales.
Du territoire comme "aire de recomposition de l'Autonomie Ouvrière" aux cercles du jeune prolétariat, du pouvoir ouvrier au pouvoir des "indiens métropolitains", la trajectoire est connue. Chaque couche de la petite-bourgeoise bousculée par la crise s'érige en "fraction de classe" et arbore le drapeau de sa propre "autonomie". Ne prenons qu'un exemple, celui du féminisme. En Italie, son"développement de masse", comme celui de tous les mouvements marginaux, est précisément lié à la"crise des groupes " (gauchistes), à la déception qui marque le reflux de la lutte de classe, quand le communisme "tout et tout de suite" n'est pas venu se placer comme le saint-esprit sur les fronts volontaires des ouvriers de la F1at-Mirafiori.
Comme toutes les conceptions idéalistes, le féminisme croit que ce sont les idéologies qui déterminent l'existence et non l'inverse. C'est pourquoi il suffirait de nier, de refuser les rôles imposés, pour provoquer la crise de la société bourgeoise. Quand on essaie d'appliquer cela à la lutte de classe, cela donne simplement une interprétation fausse (par exemple : c'est le refus du travail qui détermine la crise économique) qui devient une pure idéologie réactionnaire. C'est l'affirmation de la part de chaque couche "opprimée" de la société de sa propre autonomie, qui mettra en cause la "direction capitaliste".
Ce n'est pas par hasard si la "nouvelle façon de faire de la politique" découverte par les féministes a principalement consisté en de petits groupes "d'auto conscience" !!! C'est le destin de chaque "catégorie" de la société bourgeoise (noirs, femmes, jeunes, homosexuels, etc.) d'être totalement impuissante face à l'histoire et aussi incapable de se forger une conscience historique et de finir par se réfugier dans le giron de "l'auto-conscience" de sa propre misère. Si le prolétariat est la classe révolutionnaire de notre époque, ce n'est pas parce qu'il a été convaincu par les socialistes et qu'il s'est habitué à cette idée, mais c'est par sa situation pratique au centre de la production capitaliste.
"Si les auteurs socialistes attribuent au prolétariat ce rôle historique mondial, ce n'est pas comme le prétend la Critique, parce que nous considérons les prolétaires comme des dieux. C'est plutôt le contraire... Ce qui est important, ce n'est pas de savoir ce que pense tel ou tel prolétaire, ou même le prolétariat dans son ensemble... mais ce qu'il sera contraint historiquement de faire conformément à son être".(Marx et Engels : "La Sainte Famille)
Le fait que les femmes ne sont pas une couche sociale capable de conduire la lutte de classe dépend du fait qu'elles ne sont ni une classe, ni une fraction de classe mais une des nombreuses catégories que le capital oppose les unes aux autres (division en races, sexes, nations, religions, etc) pour tenter de diluer la contradiction centrale que seul le prolétariat peut résoudre :
"(Le prolétariat) ne peut se libérer sans supprimer ses propres conditions d'existence. Il ne peut supprimer ses conditions d'existence sans supprimer toutes les conditions inhumaines d'existence de la société actuelle.."(Marx, Engels : "La Sainte Famille")
C'est précisément parce qu'11 s'adresse aux femmes, c'est-à-dire à une catégorie qui, face à la crise se sépare inexorablement en deux, le long d'une frontière de classe, que le féminisme se révèle être pour le capital une mystification de seconde catégorie, incapable de détourner un nombre considérable de prolétaires de la ligne de combat de leur classe. Pour avoir une quelconque utilité, le féminisme doit être une simple carte bien mélangée dans le jeu truqué du capital avec son atout majeur 'l'alternative populaire et de gauche", la seule capable de dévier encore le prolétariat.
Le sort de tous ces mouvements marginaux est déjà signé. Durant la première boucherie mondiale, les suffragettes anglaises suspendirent toute agitation et accoururent à l'appel de l'Etat bourgeois, pour la sauvegarde de l'intérêt supérieur de la patrie en remplaçant comme volontaires les hommes envoyés au front. Aux suffragettes modernes du capital ne sera pas réservé un rôle moins répugnant.
COMPRENDRE TOUT DE SUITE, RECOMMENCER! RECOMMENCER QUOI?
Les événements de ces derniers mois ont montré que le danger de ne pas aller jusqu'au bout de la critique n'était pas un produit de notre invention. Dans un texte distribué à Milan et appelé significativement "Comprendre tout de suite, recommencer !", il était écrit :
"Si quelqu'un se faisait des illusions sur le caractère "immédiat" et "linéaire" de l'affrontement, aujourd'hui cela est fini. Beaucoup de secteurs du mouvement ont affronté le heurt de classe avec une rudesse et des illusions "insurrectionnelles", avec des formes de luttes aussi soudaines et spontanées qu'incapables de poser le problème réel dans l'affrontement. L'Etat, sa structure ne se balaient pas comme un fantasme en un instant... Les masses –camarades ! - ne se mobilisent pas en un matin, à coup de baguette magique", (souligné par nous) (Tract signé par différents comités ouvriers et comités maoïstes)
Les faits sont têtus -disait Marx- et cette évidence -comme la nature de "chiens de garde"de la "légalité démocratique" des groupuscules gauchistes- a commencé à s'imposer à l'intérieur du mouvement. Mais le danger est dans l'illusion que l'on peut comprendre tout de suite, et de recommencer la même chose demain matin."Le poids des morts pèse sur la tête des vivants". Ce n'est pas en reconnaissant simplement que certaines erreurs ont été faites mais en en faisant une critique radicale que ce qu'il y a de vivant dans l'Autonomie ouvrière pourra s'enlever de la tête et du coeur le fantasme obsédant de l’ouvriérisme.
Dans les discussions avec des militants de l'Autonomie ouvrière, on en arrive toujours au même point : "Ca va, vous avez raison, mais que faire ?". Camarades, l'ambiguïté cesse immédiatement si, comme élément de l'avant-garde, on prend toutes ses responsabilités face à la classe. Et ceci ne peut se faire qu'avec un programme clair et une organisation militante. Mais un programme n'est pas une plate-forme syndicale alternative au"contrat social"de l'année, c'est une plate-forme politique qui délimite clairement les frontières de classe mises en lumière par l'expérience historique du prolétariat. Comprendre tout de suite ? Mais pendant longtemps, l'Autonomie Ouvrière a soutenu la Chine rouge, la lutte des peuples anti-impérialistes, etc… et aujourd'hui que la Chine est démasquée, que dans le Cambodge "libéré" règne la terreur, comment réagit l'Autonomie Ouvrière ? Et bien tout simplement, elle n'en parle plus. Camarades, si on ne comprend pas tout cela, si on n'arrive pas à intégrer tous ces faits "mystérieux" dans un ensemble cohérent de positions de classe, sur le capitalisme d'Etat, sur les luttes de libération nationale, sur les "pays socialistes", etc. ... on construit sur du sable et on trompe le prolétariat.
Notre but n'est pas de faire des citations, de pontifier, mais de travailler avec ténacité à ce qui est aujourd'hui la tâche fondamentale des révolutionnaires : le regroupement International pour préparer la bataille future et décisive. Remplir un tel rôle ne signifie pas pour nous la chasse aux militants pour renforcer nos rangs, mais cela signifie donner de manière organisée et militante notre propre contribution et stimulation au processus encore confus et discontinu de clarification en cours dans le mouvement de classe. C'est cette clarification qui renforcera les rangs des révolutionnaires. Nous n'avons pas de raccourcis à offrir, il n'en n'existe point. Si quelqu'un a encore l'illusion qu'il est possible de trafiquer une quelconque coordination des comités de base en parti révolutionnaire, elle lui passera et vite;: du temps a déjà été perdu, et beaucoup trop.
BEYLE
[1] [449] Scission du trotskysme dans les années 50.
[2] [450] Pour une analyse de l'interprétation marxiste de la crise, voir la brochure : "La décadence du capitalisme".
[3] [451] Nous ne voulons pas soutenir qu'il y a une descendance directe entre Socialisme ou Barbarie et Potere Operaio; ce qui est intéressant par contre, c'est de souligner que les positions que les militants et sympathisants de PO ont toujours comprises comme le produit de la reprise de la lutte de classe, ne sont que des versions ouvriéristes des vieilles positions dégénérescentes qui ont fleuri sur la défaite de la classe ouvrière. D'autre part, il faut rappeler que PO a été le seul groupe italien qui a exprimé, même si c'est de manière très confuse, cette reprise de la lutte ouvrière et que sa fin malheureuse ne doit pas faire oublier que les autres groupes, ont fini au parlement.
[4] [452] Les citations sont prises de la brochure " "Aile avanguardie per il Partito" élaborée par le secrétariat national^ de PO, en décembre 1970.
Dans cet article, nous voulons présenter quelques notes sur l'histoire de la Gauche Hollandaise pour défendre le caractère marxiste de cette fraction de la Gauche Communiste qui s'est détachée de la Troisième Internationale en dégénérescence. Aujourd'hui, ce sont surtout les bordiguistes qui reprennent la vieille accusation selon laquelle la Gauche Hollandaise faisait partie du courant anarchiste. Mais hélas, ce ne sont pas seulement eux qui, par ignorance ou par manque de textes traduits de la Gauche Hollandaise et d'une analyse de son développement d'un point de vue communiste, accusent cette Gauche Communiste d'un"vie11 Idéalisme" antimarxiste ([1] [454]). Ce sont aussi les conseil listes qui prétendent être la continuation de la Gauche Hollandaise, qui soutiennent implicitement cette falsification de la nature fondamentalement marxiste de "leur origine". Dans ce dernier cas, la falsification est plus subtile : d'abord, on falsifie le marxisme lui-même avec le but de lui donner un contenu anarchiste et ensuite, on dénature habilement les textes de la Gauche Hollandaise en les torturant pour les mettre en accord avec ce"marxisme " reconstruit.
marx anarchiste?
Cajo Brendel, membre du groupe conseilliste hollandais "Daad en Gedachte" et connu internationalement comme théoricien du conseillisme et "spécialiste" de l'histoire de la Gauche Hollandaise ([2] [455]), fait de grands efforts pour trouver des citations anarchistes chez Marx et Engels. Pour prouver sa thèse selon laquelle "la révolution prolétarienne n'a pas un caractère politique mais un caractère social" ([3] [456]), il cite Engels qui dit : "La révolution sociale est tout à fait différente des révolutions politiques qu'on a vu jusqu'à présent" (souligné par nous). En ce qui concerne ce que Brendel appelle "la différence entre la révolution politique bourgeoise et la révolution sociale prolétarienne ",il se réfère aux textes de Marx: "Gloses marginales critiques à l'article : "Le Roi de Prusse et la réforme sociale par un prussien"" ([4] [457]). Lorsque Cajo Brendel cite en fait des références, il est toujours intéressant de "se rendre compte de cette charlatanerie littéraire" comme nous le dit Marx dans cet article.
Que dit Marx exactement ?:
" Une révolution "sociale" à âme politique est (...) un non-sens complexe si le "Prussien" (ou notre légataire de la Gauche Hollandaise Cajo Brendel) comprend par révolution sociale une révolution "sociale" opposée à une révolution politique {...). Toute révolution dissout l'ancienne société : en ce sens, elle est sociale. Toute révolution renverse l'ancien pouvoir: en ce sens, elle est politique (...).
La révolution en général, -le renversement du pouvoir existant et la dissolution des anciens rapports- est un acte politique. Hais, sans révolution, le socialisme ne peut se réaliser. Il a besoin de cet acte politique dans la mesure où il a besoin de destruction et de dissolution. Mais là où commence son activité organisatrice, et où émergent son but propre, son âme, ~le socialisme rejette son enveloppe politique." (souligné par Marx)
(Gloses marginales critiques â l'article : "Le Roi de Prusse et la Réforme sociale par un prussien". Edition Spartacus - n°33- Pages 89-90)
Paraphrasant Marx, nous conclurons sur la question en demandant si notre "hollandais" ne se sent pas l'obligation, vis à vis de son public de lecture, de s'abstenir provisoirement de toute journalistique historique sur le marxisme et la Gauche Hollandaise, et de commencer plutôt à réfléchir sur sa propre position anarchisante?
Heureusement, nous n'avons pas besoin d'écrire autant de pages pour démystifier les erreurs de notre "hollandais" comme Marx a dû le faire pour l'article du "Prussien". Toute sa vie, Marx, et les marxistes après lui, ont défendu le caractère politique de la révolution prolétarienne, non comme un but en sol ni pour reparler des "révolutions politiques qu'on a vu jusqu'à présent", mais parce que : ([5] [458])
"Il s'ensuit également que toute classe qui aspire à la domination, même si sa domination détermine l'abolition de toute l'ancienne forme sociale et de la domination en général comme c'est le cas pour le prolétariat il s'ensuit donc que cette classe doit conquérir d'abord le pouvoir politique pour représenter à son tour son intérêt propre comme étant l'intérêt général, ce à quoi elle est contrainte dans les premiers temps".
Le programme de la révolution prolétarienne est bien défini dans la lutte Idéologique contre "les Idéologues allemands" et l'anarchisme (voir la conclusion de "Misère de la philosophie") en tant que programme politique. La tentative de Brendel de contribuer au marxisme avec des thèses anarchisantes, est tout bonnement ridicule.
La gauche hollandaise anarchiste?
Mais peut-être que la Gauche Hollandaise avait des positions anarchisantes ? C'est clair que certaines positions conseil listes comportent des éléments anarchisants. Mais cela n'est pas vrai pour la Gauche Hollandaise telle qu'elle a existé comme partie de la Gauche Communiste Internationale jusqu'après la seconde guerre mondiale.
La Gauche Hollandaise s'est formée comme aile gauche de la jeune Social-Démocratie au Pays-Bas qui combattait fermement les restants d'anarchisme à la Domela Nieuwenhuis ([6] [459]). Soyons clairs: Domela Nieuwenhuis, bien qu'il eût quitté le marxisme pour défendre un anti-parlementarisme idéaliste, n'a jamais quitté le camp de la classe ouvrière comme le montre sa position internationaliste contre la première guerre mondiale et pour la Révolution d'Octobre. Mais contrairement à Domela Nieuwenhuis, la Gauche Hollandaise a basé son internationalisme prolétarien sur une analyse marxiste C'est pourquoi ses contributions sont encore aujourd'hui des acquis de la classe ouvrière pour le programme communiste du futur parti ouvrier mondial. Gorter, Pannekoek, Canne Meyer et tous les autres représentants de la Gauche Hollandaise ne sont pas les élèves de Domela Nieuwenhuis comme quelqu'un qui ne connait pas l'histoire du mouvement ouvrier au Pays-Bas, pourrait le croire. C'est une toute autre chose lorsqu'un membre de "Daad en Gedachte" qui vient de l'anarchisme, reproche à l'anarchiste hollandais Anton Constandse d'avoir trahi l'internationalisme dans la seconde guerre mondiale ([7] [460]). Pour les marxistes, un tel comportement n'est pas étonnant : on ne fait des reproches à l'anarchisme que si on a des illusions dessus.
Si on étudie les positions de Gorter et de Pannekoek dans la Social-Démocratie Hollandaise, il est évident que contre la direction de Troelstra, ils défendaient le parlementarisme révolutionnaire dans la question agraire (1901) et dans la question du soutien à l'enseignement confessionnel (1902). Dans les grèves de masse de 1903, la Gauche reprochait à la direction de la Social-Démocratie d'avoir brisé la combativité et la volonté des ouvriers hollandais par son attitude hésitante. A cette époque, la Gauche Hollandaise ne s'est pas posé le faux choix entre anarchisme et réformisme, mais le posait de façon juste entre"réforme ou révolution". En 1909, Pannekoek déduit "le caractère hautement contradictoire du mouvement ouvrier moderne" à la fois "réformiste et révolutionnaire" du fait que le capitalisme dont le prolétariat est le produit est au même moment expansif et destructeur en accord avec les formulations du Manifeste Communiste qui définit le capitalisme comme un système en expansion constante, développant de plus en plus les forces productives ([8] [461]). Pannekoek condamne clairement le réformisme qui "ruine la conscience de classe si péniblement acquise" et l'anarchisme qui rejette le lent et minutieux travail qu'il a fait naitre et n'est pas capable d'appliquer un esprit révolutionnaire à la combativité. ([9] [462]) Ainsi l'antiparlementarisme que la Gauche Hollandaise a défendu dans la période décadente du capitalisme après 1914, n'a rien à voir avec l'anti-parlementarisme de Domela Nieuwienhuis avant,qui ignorait complètement la phase ascendante dans laquelle se trouvait à cette époque le capitalisme et les réformes que la classe ouvrière pouvait encore obtenir.
Ce n'est pas la Gauche Hollandaise qui déniait avant 1914 à la Social-Démocratie son caractère socialiste. C'est "Daad en Gedachte" groupe conseil liste par excellence, qui défend cette position anarchisante dans sa brochure de rupture avec le "Spartacusbond" ("Was de sociaal démokra tie ooit socialistisch ?"Amsterdam 1965). Dans cette brochure, on cherche en vain une référence à l'opposition de la Gauche dans la social-démocratie.
Quand en 1909, l'opposition de la Gauche dans le Parti n'a plus été possible parce qu'on exigeait la suppression de son organe "Tribune", elle a quitté le SDAP (pour les abréviations, voir table à la fin) et a fondé un parti marxiste appelé -et c'est caractéristique- le "sociaal-démokratische Partij". Le SDP a demandé par l'intermédiaire de Lénine au Bureau Socialiste International d'être accepté dans la deuxième Internationale et au Congrès de Copenhague en 1910, l'Internationale l'a accepté. C'est clair que le SDP n'était pas anarchiste. On peut même dire que le SPD défendait plus les positions de "centre" kautskyste contre le révisionnisme ouvert du SDAP, que les positions de Rosa Luxembourg contre Kautsky.
. Mais depuis le débat de 1910 sur la grève de masse dans la social-démocratie allemande, Herman Gorter défendait les mêmes positions que Karl Liebknecht, Franz Mehring, Karl Radek, Rosa Luxembourg et ... Anton Pannekoek qui était actif en Allemagne à cette époque.
P internationalisme prolétarien
Avant la première guerre mondiale Pannekoek à travers un engagement Intense dans les débats du Parti social-démocrate allemand, était le représentant le plus productif de la Gauche hollandaise. Sa polémique contre Kautsky est bien connue et a été reprise par Lénine dans "l'Etat et la Révolution". Pendant la première guerre mondiale, Gorter s'est aussi engagé dans le débat international avec sa brochure : "Het Impérialisme, de Wereldoorlog en de sociaal-démocratie".
"Contre l'impérialism, contre la politique de tous les Etats : le nouveau Parti international. Contre les deux, l'action de masse. Telle est la phase que nous vivons aujourd'hui. Le reflet de cette pensée, sa matérialisation en actes ce doit être la nouvelle Internationale".
Dès lors, l'Internationalisme prolétarien devient Taxe fondamental de la Gauche hollandaise:
"Le changement le plus important, l'approfondissement et l'aggravation dans la relation entre capital et travail produite par l'impérialisme (pour la première fois dans l'histoire mondiale d'aujourd'hui), c'est que tout le prolétariat international y compris celui d'Asie, d'Afrique et des colonies peut s'opposer à la bourgeoisie mondiale. Et cette lutte, il est le seul à pouvoir la mener de façon unie".
A la fin de la première guerre mondiale, Gorter et Pannekoek prenaient la parole dans les débats Internationaux sur la tactique des jeunes partis communistes. Lorsque le SDP s'est appelé "Communistische Partij 1n Nederland"(novembre 1918), deuxième parti à prendre ce nom, Gorter était déjà en désaccord avec la direction Wijnkoop/Van Ravesteyn du parti à cause de sa défense de "l’Impérialisme démocratique" de l'Entente ([10] [463]), sa collaboration opportuniste avec les anarcho-syndicalistes ([11] [464]), et son hésitation par rapport à la préparation d'une nouvelle Internationale ([12] [465]). Bien que Gorter ait salué la révolution d'Octobre et le rôle joué par le Parti bolchevik, il critiquait la politique de répartition des terres et du "droit des nations à disposer d'elles-mêmes". Toute la brochure de Gorter sur la révolution mondiale est une défense du caractère International de la révolution prolétarienne.
"La guerre n'a pu se produire et peut se poursuivre que parce que le prolétariat mondial n'est pas uni. La révolution russe, trahie par le prolétariat européen et surtout d'Allemagne, est la preuve que toute révolution ne peut être qu'un échec si le prolétariat international ne se révolte pas comme un corps, comme une unité internationale contre l'impérialisme mondial." (Gorter : "De Wereldrevolutie")
Gorter et Pannekoek étalent surtout engagés dans le mouvement communiste allemand. Lorsque l'opposition du KPD qui constituait la majorité du parti, a été expulsée selon "les pratiques les plus corrompues des messieurs de la vieille social-démocratie" (Pannekoek), ils ont choisi le camp de l'opposition qui, en 1920, fondait le Kommunistische Arbelter Partel Deutschiands (KAPD).
En septembre 1921, on fondait un KAP hollandais.
Il se trouvait alors que la direction de la Troisième Internationale et du Parti bolchevik appuyaient la tactique de la direction Levi du KPD (S) et de Mijnkoop et Van Ravesteyn qui de venaient les disciples les plus fidèles de Moscou. La Gauche hollandaise au contraire, par son adhésion au programme prolétarien de la révolution mondiale, devenait l'une des représentantes de l'opposition "gauchiste" (selon Lénine) contre la direction du Komintern. Se basant sur l'analyse de la décadence du capitalisme, les touches allemande et hollandaise proposaient une politique révolutionnaire Internationale contre les tactiques opportunistes du parlementarisme, de frontisme, de syndicalisme préconisées par le Kominterm. Nous supposons que les positions de la Gauche communiste allemande et hollandaise sur le parlementarisme et le syndicalisme sont bien connues dans le milieu révolutionnaire International ([13] [466]) à travers les textes des années 20 réédités ces dernières années. Dans la partie suivante, nous nous limiterons donc à la question du parti pour souligner une caractéristique de la Gauche hollandaise, sa compréhension du matérialisme historique, les aspects forts et faibles de cette compréhension et la théorisation des points faibles par le conseil Usine.
La question du PARTI
On dit souvent que la Gauche hollandaise était un courant anti-parti, anti-chefs, anti-politique. Contre le fétichisme des mots des conseillistes et contre l'apologie scolastique des bordiguistes sur le parti, il nous faut souligner que la Gauche hollandaise a défini le terme "parti" différemment selon les époques, et par ailleurs, que Gorter, Pannekoek et le GIC (groupe des communistes Internationalistes dans les années 30) n'ont rien à voir avec Ruhle et sa position anti-parti.
Dans le fond, la Gauche hollandaise n'est pas devenue le sujet de critiques, et même de ridiculisation et d'insultes de la part des meneurs de la troisième Internationale parce que Pannekoek et Gorter auraient changé de position sur le rôle des partis communistes mais parce que l'Internationale, elle, a changé de position avec son deuxième congrès et 1es "21 conditions" d'adhésion qui prescrivent aux communistes, entre autres, de militer à l'intérieur des syndicats et d'utiliser les élections et le parlement pour conquérir de larges masses. C'est une manifestation des relents de la période passée, du réformisme, marquée par les chefs de l'Internationale 2 1/2. A cette époque, l'IC et ses partis adhérents se transforment et d'instruments de propagande et d'agitation communistes qu'ils étaient, deviennent un corps fermement centralisé qui prétendait"diriger" les masses conquises vers la révolution, par des tactiques /opportunistes tes. La dissolution du Bureau d'Amsterdam a constitué un moment: Important de cette évolution. L'Internationale suivait l'exemple du Parti bolchevik non tel qu'il était lors de la révolution d'Octobre, mais tel qu'il était devenu à cette époque, un Parti d'Etat qui avait déjà commencé à subordonner les soviets. Pannekoek écrit :
"La référence à la Russie où le gouvernement communiste non seulement n'a pas reculé quand les grandes masses d'ouvriers s'en sont détournées démoralisés mais au contraire a fermement pratiqué la dictature et défendu la révolution de toutes ses forces,ne peut pas être appliqué ici. Là-bas, il ne s'agissait pas de conquérir le pouvoir y la situation était déjà décidée, la dictature prolétarienne disposait déjà de toutes les modalités de pouvoir et ne pouvait pas s'en abstenir. Le vrai exemple russe, c'est avant novembre 1917 qu'on peut le trouver. A cette époque, le parti communiste n 'avait jamais dit ou penser qu'il faudrait prendre le pouvoir et que sa dictature serait la dictature des masses travailleuses. Il a déclaré maintes et maintes fois que les soviets, représentant les masses, prendraient le pouvoir; lui-fi&me devait définir le programme, lutter pour le programme et quand finalement la majorité des soviets reconnaitrait ce programme comme le sien, il prendrait le pouvoir alors. Les organes exécutifs des communistes, le PC étaient naturellement le soutien puissant à qui revenait tout ce travail". (Pannekoek ; "Der Neue Blanquismus", 1920)
Face à la stagnation de la révolution mondiale, Pannekoek et Gorter pensaient qu'on ne pouvait pas abréger la voie qui mène à la victoire en agissant comme minorité révolutionnaire à la place de l'ensemble de la classe. La défaite du pouvoir du capital dans les pays industriels, de sa domination idéologique sur la conscience du prolétariat pouvait seulement être précipitée par la propagande des buts et des moyens de la lutte prolétarienne dans la période de décadence, et non par l'utilisation opportuniste des formes de lutte de la période ascendante d'un côté, ni par le putschisme de 1'autre. Tel était aussi le contenu du programme du KAPD ([14] [467]). Ce souci de former une avant-garde du prolétariat basée sur des positions communistes claires, ayant pour tâche de défendre et de diffuser activement ces positions dans la lutte, a toujours été celui de la Gauche Hollandaise.
F.K.
Table des abréviations :
SDAP : Sociaal-Democratische Arbeiderspartj (Parti Ouvrier Social-Démocrate) hollandais;
SDP : Sociaal-Democratische Partij (Parti Social-Démocrate) hollandais
KPD : Kommunistische Partei Deutschlands (Parti Communiste d'Allemagne)
KAPD : Kommunistische Arbeiter Partei Deutschlands. (Parti communiste ouvrier d'Allemagne).
GIC : Groep van Internationale communisten (Groupe des communistes internationaux).
[1] [468] Tract de "Programme Communiste"
[2] [469] Presque toutes les études sur la Gauche Hollandaise se basent en partie, directement ou indirectement sur des informations et des interprétations données par C. Brendel.
[3] [470] C.Brendel: "Revolutie en Contrarevolutie in Spanje", Baam 1977, Page 158.
[4] [471] Cet article écrit par Marx en 1844 est paru dans le "Vorwarts ! " de Paris.
[5] [472] Marx : "L'Idéologie Allemande", Editions Sociales, page 50.
[6] [473] Sur Domela Nieuwenhuis, Bricianer écrit dans "Pannekoek et les Conseils Ouvriers" (EDI. Paris- Page 42) : "Le mouvement socialiste avait donc présenté en Hollande, du moins à ses débuts, un caractère plus "français", c'est à dire plus axé sur l’anarchisme que sur 1e marxisme. Son Inspirateur fut un homme de grand talent, Tex-pasteur Domela Nieuwenhuis. (il fut) élu député tout d'abord dans le seul dessein d'utiliser la tribune parlementaire pour la propagande du mouvement social-démocrate."
[7] [474] "Daad en Gedachte", Avril 1978, Page 10
[8] [475] Pannekoek. "Die taktlschen differenzen in der Arbeiterbewegung", Hambourg 1909. En Français : "Les divergences tactiques au sein du mouvement ouvrier" publié en partie dans "Pannekoek et les Conseils Ouvriers" par Bricianer. EDI. Paris. Page 51.
[9] [476] Ibidem.
[10] [477] Ibidem.
[11] [478] Comme le PCI aujourd'hui, Wijnkoop /Van Ravesleyn attaquaient seulement "leur" impérialisme propre, l'Impérialisme allemand auquel la bourgeoisie hollandaise dans sa majorité s'était ralliée. (Les Pays-Bas n'étalent pas directement impliqués dans la guerre mondiale).
[12] [479] Les ouvriers anarcho-syndicalistes étalent antiallemands et pacifiques, ce qui a amené le SDP à prendre des positions opportunistes par rapport à la violence prolétarienne.
[13] [480] La direction Wijnkoop/Van Ravesteyn préférait une attitude sectaire vis à vis de la conférence de K1enthaï.
[14] [481] Des textes du KAPD sont publiés en français dans le livre "La Gauche Allemande", La Vieille Taupe -Paris 1973.
Le silence de la presse internationale sur les violents affrontements qui opposent depuis près de trois mois bourgeoisie et prolétariat en France ne doit pas nous étonner. Depuis toujours les révolutionnaires, les bolcheviks les premiers ont dénoncé "l'abominable vénalité" de la presse, dont la fonction en période de luttes de classe est d'empêcher par le mensonge, et plus efficacement par le silence, tout mouvement de solidarité prolétarienne. Battage intense sur la "paix au Moyen-Orient", silence sur les affrontements violents entre ouvriers et police. La bourgeoisie française et internationale a raison de craindre le réveil du spectre de la lutte de classe internationale :
• fin 1978 : pendant plusieurs mois, grèves totale des ouvriers iraniens que Bazargan et Khomeiny ont remis à grand peine au travail ;
• novembre-décembre : grève des métallos de la Ruhr en Allemagne Fédérale ;
• janvier-février 1979 : grève des camionneurs anglais, suivie d'autres grèves des travailleurs des hôpitaux, des métallos ; les ouvriers obtiendront jusqu'à 20-30 % d'augmentation de salaire ; au moment où nous écrivons, le mouvement de grèves ne s'est pas encore éteint ;
• février 1979 : grèves des ouvriers de Renault à Valladolid en Espagne, en mars grève des métallos de Bilbao ;
• mars 1979 : grèves qui débordent les syndicats au Brésil à Sao Paulo, plus de 200000 métallos se réunissent en assemblées générales.
On commettrait une lourde erreur si on voyait dans ces affrontements simultanés de simples escarmouches prolongeant la vague de luttes de 1968-73, parce que bien souvent les ouvriers ne remettent pas ou peu en cause les syndicats, ne réussissent pas ou peu à étendre leurs luttes. Nous devons savoir reconnaître dans cette simultanéité et cette combativité les premiers signes d'un mouvement plus vaste, en train de mûrir. La violence décidée de l'attaque bourgeoise contre le prolétariat pousse celui-ci au combat. Comme en France, les ouvriers sentent de plus en plus que "l'heure n'est plus aux paroles mais à l'action", devant le cynisme, la morgue d'une classe dominante qui part dans la guerre économique "fraîche et joyeuse" en licenciant, en réprimant ouvertement les ouvriers toujours plus exploités et mutilés, humiliés dans leur travail et aux quels elle ne peut réserver que la mutilation suprême : la boucherie impérialiste.
Cette reprise de la lutte de classe, ces symptômes d'une nouvelle vague de combats, nous la voyons se dérouler déjà sous nos yeux. Certes, elle n'est encore qu'en gestation, elle ne prend pas l'aspect d'explosion généralisée de 1968-69 Mais ce qu'elle perd en spectaculaire elle le gagne en profondeur, en plongeant ses racines dans toutes les strates du prolétariat. Plus personne ne peut nier que le prolétariat est aujourd'hui la seule clé de la situation historique. Les sociologues et autres journalistes ont dû enterrer le "mouvement étudiant" et constatent avec effroi que la classe ouvrière n'est pas un mythe, mais une réalité bien vivante. Certes, le surgissement est lent et encore souterrain, mais décidé. Le prolétariat ne se lance pas tête baissée dans le feu du combat. A une crise lente, mais inexorable, il répond encore au coup par coup et de longs et difficiles combats attendent encore la classe ouvrière internationale, combats qui seront autrement plus décisifs que les luttes actuelles.
Quelles sont les leçons des affrontements en France ?
Face aux silences et aux mensonges de la bourgeoisie il est nécessaire de donner un aperçu chronologique des affrontements en Lorraine et dans le Nord, avant de dégager quelques leçons et perspectives pour le futur proche.
L’HEURE N'EST PLUS AUX PAROLES MAIS A L’ACTION!
Après 1971, le prolétariat français était peu à peu tombé dans l'apathie. La gauche de l'appareil politique avait promis aux ouvriers monts et merveilles avec son"programme commun de gouvernement". Pendant des années, les syndicats ont promené les ouvriers dans des manifestations sans lendemain. De grèves catégorielles en grèves de 24 heures, ils les ont enfermés dans l'usine par des occupations, des séquestrations de patrons, ils les ont amusés dans les actions autogestionnaires (Lip en 1973). Les syndicats ont soigneusement usé les soupapes de sécurité en attendant la fameuse venue au pouvoir du PC et du PS. La crise politique au sein de la gauche, les déclarations en faveur des sacrifices après 1975 ont peu à peu érodé certaines illusions. L'échec de la gauche aux élections de mars 1978 a signé l'acte de décès du "programme commun" et persuadé peu à peu les ouvriers qu'il fallait reprendre le chemin de la lutte. Des grèves dures -bien que contrôlées par les syndicats- ont éclaté dès l'été 1978 dans les arsenaux, chez les contrôleurs aériens, à Moulinex, chez les immigrés à Renault-Flins.
Le "plan Barre" dit de "redéploiement industriel" a été un facteur décisif du mécontentement ouvrier qui couvait depuis plusieurs années. Plus de trente mille licenciements par mois prévus, alors que le chômage atteint déjà un million et demi de travailleurs, blocage des salaires, hausse des prix, augmentation brutale en décembre 1978 des cotisations ouvrières à la Sécurité Sociale, diminution et même suppression de certains indemnités de chômage, autant de coups de matraque économiques répétés sur la classe ouvrière. Presque toutes les couches de travailleurs sont désormais visées : employés de Banque, des Assurances, techniciens, enseignants... Mais pour la première fois, c'est le coeur de la classe ouvrière qui est touché par l'offensive bourgeoise : ouvriers des chantiers navals et sidérurgistes, menacés de trente mille licenciements dans l'année à venir. C'est ce que la bourgeoisie appelle cyniquement la "politique" de dégraissage des effectifs".
Dans les dernières années, les ouvriers de secteurs périphériques ou faiblement concentrés avaient peu réagi ou étaient restés isolés. L'attaque contre les sidérurgistes fortement concentrés dans le Nord et la Lorraine est un pas décisif dans toute l'offensive bourgeoise contre la classe ouvrière. Les syndicats ont tout naturellement accepté les mesures de l'Etat capitaliste en négociant le chômage. La bourgeoisie française, pleine de morgue et d'assurance, a alors ajouté à la violence économique la violence politique par un matraquage systématique des ouvriers en grève, par les expulsions des ouvriers occupant les usines.
Peu à peu, l'idée s'est fait jour dans la conscience des ouvriers, qu'en abandonnant l'usine, forteresse gardée par les miradors syndicaux, pour gagner la rue, c'est leur liberté qu'ils gagneraient, que pour faire reculer la bourgeoisie, il fallait s'affronter sans plus hésiter aux forces de l'Etat. Débordement syndical, affrontement violent de classe ont surgi. Surpris par son audace, le prolétariat s'est peu à peu enhardi.
De novembre 1978 à mi-janvier 1979, les affrontements vont s'engager lentement pour se durcir progressivement.
17/11/78 : à Caen ([1] [482]), la promenade syndicale débouche sur un affrontement avec la police ; et "incontrôlés".
20/12/78 : séquestrations de cadres dans les chantiers navals de Saint-Nazaire (les plus grands en France); la police intervient, des affrontements se produisent.
21/12/78 : Saint-Chamond (région de Saint-Étienne) : une petite usine occupée par quelques ouvriers en grève est prise de nuit par la police qui expulse le piquet de grève et le remplace par des vigiles (hommes de main embauchés par les patrons pour la "surveillance" de leurs entreprises); dans cette région, fortement touchée par le chômage, la nouvelle va se répandre comme une traînée de poudre ; au matin, environ cinq mille travailleurs de Saint-Chamond, de Saint-Etienne, de Rive de Giers menacent de prendre d'assaut l'usine gardée par des vigiles armés qui se réfugient sur les toits ; ils ne devront leur salut qu'à l'intervention conjointe des syndicats et de la police; l'usine est alors réoccupée par les ouvriers.
L'annonce des vingt mille licenciements dans la sidérurgie prévus par le plan Barre va accélérer le processus à partir de décembre 78. Plus aucun espoir n'est permis : les premiers licenciements sont fixés pour janvier 79. La détermination de la bourgeoisie va accroître d'autant la détermination des ouvriers qui n'ont plus rien à perdre dans les centres de Lorraine et du Nord qui ne vivent que de la sidérurgie.
EN PRELUDE...
4/1/79.: à Nancy, capitale de la Lorraine, la manifestation de cinq mille ouvriers tourne en affrontements violents avec les CRS (police spécialement entraînée pour la répression). A Metz le même jour, les ouvriers essaient de s'emparer de la sous-préfecture gardée par la police.
17/1/79 : Dans la région Lyonnaise, la seconde concentration industrielle française, le directeur de PUK (Péchiney Ugine Kulmann), est séquestré et délivré par les CRS. Au même moment, des grèves commencent à s'étendre dans les Assurances à Paris, Bordeaux et Pau dans le sud-ouest.
DENAIN LONGWY- PARIS
Denain et Longwy vont devenir rapidement le symbole de la contre-offensive ouvrière. La fermeture des aciéries Usinor qui dominent exclusivement ces deux villes, excluant toute possibilité de retrouver nulle part du travail, fermeture prévue dans les semaines à venir, pousse les ouvriers à réagir d'autant plus rapidement que la répression policière se fait plus violente.
26/1/79 : les sidérurgistes d'Usinor brûlent les dossiers de la perception des impôts et sont matraqués durement par la police (Denain).
29.30/1/79 : de violents affrontements éclatent à Longwy, près de la frontière belgo-luxembourgeoise , région où les ouvriers se sentent peu "lorrains" (italiens, espagnols, maghrébins, belges), tous travaillent dans l'industrie locale .En dépit des appels de la CGT à sauver le "pays" de l'empire des trusts "allemands", les sidérurgistes vont cette fois déborder nettement les syndicats et attaquer le commissariat de police, à la suite de l'expulsion par la policé d'une usine où les ouvriers séquestraient quatre directeurs. Au maire (PCF) de la ville qui déclara aux ouvriers : "ne répondez pas à la violence par la violence, rentrez dans vos entreprises", ceux-ci répliquaient : "la prochaine fois on aura du"matériel"". février, début mars connaissent une suite quasi ininterrompue d'affrontements face auxquels les syndicats tentent de diviser le mouvement, de le dévoyer sur des objectifs nationalistes (campagne du PCF contre "l'Europe allemande", attaque par des commandos PC de wagons de fer et de charbon "étrangers", de le dénigrer par la dénonciation de "provocateurs" et "d'incontrôlés" contre les ouvriers combatifs qui échappent à leur emprise.
2/2/79 : dans le port de Dinard en Bretagne, les pompiers en grève manifestent et réussissent à enfoncer le cordon des CRS.
6/2/79 : dans le bassin des mines de fer de Briey en Lorraine (mairie PCF), la sous-préfecture est occupée par les ouvriers qui affrontent la police.
A Denain le même jour, les syndicats arrivent avec peine à obtenir la libération des cadres Usinor séquestrés.
7/2/79 : Longwy, occupation de la sous-préfecture, affrontements avec la police.
8/2/79 : Nantes, port sur l'Atlantique -ville d'où partirent les premiers mouvements d'occupation d'usines en 1968- manifestations, affrontements au cours d'une tentative d'assaut de la sous-préfecture.
9/2/79 : A l'appel des syndicats, les sidérurgistes de Denain montent sur Paris. Les syndicats n'arrivent pas à empêcher l'affrontement avec les CRS qui se produit aux abords de l'aéroport de Roissy.
C'est presque au même moment que début la grève à la Société Française de Production (SFP) des techniciens de radio et de télévision, techniciens qui ont reçu 450 lettres de licenciements Cette grève va durer plus de trois semaines• Les techniciens SFP cherchent à prendre contact avec les sidérurgistes lorrains. Le même jour, journée "ville-morte" à Hagondange (aciérie lorraine) à l'appel des syndicats.
13/2/79 : séquestration des cadres Usinor à Denain ; affrontements entre pompiers et policiers à Grenoble dans le sud-est. A ce moment, les syndicats, qui tentent de contrôler le mouvement en lançant des mots d'ordre de manifestation, de grèves régionales pour le 16/2 n'arrivent plus à contrôler leurs propres adhérents. De jeunes ouvriers CGT déclarent : .à l'heure actuelle, les syndicats ont du mal à tenir le terrain. D'ailleurs, on ne se sent plus syndiqué, on agit par nous-mêmes"."On les a suppliés, on a couru après, il n'y a plus rien eu à faire", avoue avec amertume une militante PCF de Longwy. La CGT, à la différence de la CFDT, qui plus subtilement suit le mouvement, ne sait que verser des torrents d'ordures nationalistes : "1870, 1914, 1940, ça suffit ! la Lorraine ne sera pas bradée aux grands trusts allemands". La réponse des ouvriers ? C'est celle des ouvriers de Nantes qui manifestent le 8/2 aux cris de : "A bas la bourgeoisie". Voyant le mouvement prendre de l'ampleur dans plusieurs réglons, les syndicats tentent d'iso1er les sidérurgistes du Nord et de Lorraine, en appelant à une grève générale... régionale pour le 16/2. Ils espèrent que les autres ouvriers ne bougeront pas, que ce sera un bel enterrement. Mal leur en prit :
16/2/79 : la manifestation syndicale "dégénère": â Sedan, les ouvriers dressent des barricades et se battent six heures durant avec la police. A Roubaix, des affrontements se produisent.
20/2/79 : Rouen, affrontements entre grévistes et police. La CGT dénonce les "éléments incontrôlés".
Cette violence ouvrière va-t-elle s'organiser, se demandent avec Inquiétude les syndicalistes ? "Ce qu'on redoute maintenant, c'est que des gars s'organisent entre eux et montent des coups sans nous avertir, parce qu'ils sauraient qu'ils ne peuvent plus compter sur notre soutien!! Cette crainte des syndicats va se confirmer de plus en plus.
20/2/79 : Début de grèves dans les PTT, dans plusieurs centres de Paris de banlieue et de province. La grève s'étend lentement et ne dure que quelques jours dans les centres touchés, mais une grande combativité et une grande méfiance vis-à-vis des syndicats apparaissent. Pour la première fois, on voit des délégations de postiers de la banlieue parisienne aller d'eux-mêmes chercher la solidarité dans les autres centres pour les faire débrayer. L'échec de la grève des postiers de 1974 n'est pas oublié : la conscience des travailleurs a mûri. Les mots d'ordre qui surgissent sont "Hier à Longwy, aujourd'hui à Paris", "plus de lamentations, des actions efficaces". L'Idée d'une coordination de la grève entre tous les centres va se faire jour chez les postiers. Les syndicats vont tout faire pour étouffer dans l'oeuf une coordination de lutte Indépendante de leur contrôle. Le travail reprend début mars, mais l'Idée de coordination est l'acquis essentiel de cette lutte.
21/2/79 : occupation par des sidérurgistes CFDT de l'émetteur de télévision de Longwy. Pour les ouvriers, son fonctionnement, alors que les travailleurs de la SFP sont encore en grève est une provocation d'autant plus que des salles de rédaction, des torrents de mensonges sur les luttes se déversent. Les journalistes seront séquestrés et seront délivrés sur l'intervention de la Centrale CFDT. Il est â noter combien les ouvriers haïssent "les valets de plume". Un journaliste faillit se faire corriger par un ouvrier en colère quelques jours après.
22/2/79 : à Paris, des employés de la Bourse occupent avec des employés de Banque en grève, après avoir bousculé le service d'ordre syndical, le"temple du capital" aux cris de : "les syndicats sont débordés".
23/2/79 : depuis le 21/2, l'émetteur de Longwy occupé par les sidérurgistes diffuse des informations sur la crise en Lorraine. La police occupe alors l'émetteur. Les ouvriers aussitôt s'assemblent dans la nuit et la police évacue l'émetteur ; d'autres ouvriers réoccupent la télévision, la foule grossit avec l'arrivée de nouveaux sidérurgistes prévenus par sirènes et tocsin ; au son de chants révolutionnaires, les ouvriers vont attaquer au matin le commissariat de police. Quelques-uns parlent de se munir de fusils. Le maire PCF (Porcu) dénonce les groupes incontrôlés. Les sidérurgistes attaquent la chambre patronale, brûlent les dossiers et toutes les routes d'accès a Longwy sont bloquées.
Devant l'ampleur des événements, les syndicats vont essayer d'empêcher tout affrontement entre police et ouvriers dans le Nord où les sidérurgistes sont prêts à reprendre le flambeau. "Longwy montre le chemin" est un slogan qui aura beaucoup de succès.
28/2/79 : mise à sac de la chambre patronale à Valenciennes dans le Nord. Les syndicats tentent d'éviter que les ouvriers n'attaquent le commissariat de police et les bâtiments publics. Un syndicaliste CFDT déclare : "11 faut que les gars puissent se défouler, on a prévu pour cela un catalogue d'actions". Mais les syndicats n'avaient pas prévu les brutalités délibérées des CRS et des gardes mobiles contre les ouvriers à Denain.
7.8/3/79 : la C6T tente d'entraîner les ouvriers vers des actions de commando pour bloquer le charbon et le fer "étranger" aux frontières. Ce qu'elle n'avait pas prévu, c'est que des compagnies de CRS vont arrêter des cars de sidérurgistes, casser des vitres, lancer des grenades, matraquer et fouiller les ouvriers. La nouvelle aussitôt connue déclenche la grève des ouvriers d'Usinor-Denain qui tiennent un meeting et décident d'attaquer le commissariat de police armés de boulons, de cocktails Molotov, de lance-pierres et même d'un bulldozer. Les affrontements durent toute la journée. Le soir, l'Intersyndicale regroupant CFDT et C6T appellent les ouvriers à "rentrer immédiatement dans l'entreprise pour l'occuper". Les ouvriers refusent de quitter la rue et piétinent sans le lire le tract syndical en criant : "il n'est plus temps de discuter, mais d'y aller". Les combats ne s'arrêtent pas, ils reprennent plusieurs heures encore, quelques ouvriers armés de fusils tirent sur les CRS.
10/3/79 : Suite aux affrontements, les syndicats, le PC et le PS décident de tenir un grand meeting d'enterrement de la lutte dans le flonflon des discours électoraux à Denain. Rapidement, des centaines d'ouvriers désertent le stade où la gauche a rassemblé les ouvriers aux cris de : "Plus de paroles, des actions".
LE SABOTAGE DE LA MARCHE SUR PARIS
Depuis quelques semaines, ce sont des centaines de grèves qui éclatent localement dans toute la France. Les grands centres, Paris (à l'exception des postiers, des agents hospitaliers et des travailleurs des Assurances et de la télévision) et Lyon sont relativement peu touchés par la vague de grèves qui court d'une usine à l'autre, d'une région à l'autre. Les syndicats savent qu'il faut tout faire pour empêcher une extension du mouvement de plus en plus explosif du mécontentement ouvrier vers Paris, centre politique et principale concentration prolétarienne. Les syndicats décident des "journées d'action" sectorielles, qui seront d'ailleurs fortement suivies : instituteurs, enseignants, cheminots.
En effet, chez les ouvriers du Nord et de Lorraine, une Idée est née qui a germé à travers les combats : Il faut marcher sur Paris, ce qui a une valeur de symbole pour tout le mécontentement accumulé chez les ouvriers. Pour empêcher tout risque d'explosion comme en 1968, les syndicats vont entrer en action. La CGT va appeler à une marche sur Paris pour le 23 mars; CGT, CFDT et tous les autres syndicats vont saboter le mouvement de mécontentement à Paris. Ils vont s'employer à faire reprendre les employés de Banque, les techniciens de la SFP, les postiers et comme l'ensemble de la presse bourgeoise, ils mentent en prétendant que chaque mouvement de grève est Isolé. Ils dissimulent l'ampleur du mécontentement et des grèves et font reprendre le travail"petit paquet par petit paquet
Mais vis-à-vis des ouvriers du Nord et de Lorraine, la stratégie syndicale de dévoiement et d'épuisement de la combativité est beaucoup plus délicate. Le but des syndicats est d'épuiser lentement, mais sûrement cette combativité des sidérurgistes lorrains et du Nord avant qu'à Paris les ouvriers ne réagissent, risquant de mettre "le feu aux poudres". Il n'est pas sûr que la marche sur Paris, choisie à une date où certains secteurs ont repris le travail ne remette pas en grève des milliers de travailleurs qui se joindraient à cette marche.
La politique des syndicats en premier lieu de la CGT, va être un chef-d'oeuvre de sabotage de la manifestation. Tout est fait pour empêcher que les ouvriers de la région parisienne, du Nord, de la Lorraine s'unissent dans la lutte. La CGT,.qui appelle dès le 10/2 à une marche sur Paris abandonne quelques jours après cette idée, parle de marche régionale. Elle laisse planer le doute sur la tenue d'une marche qui est née spontanément chez les ouvriers lorrains et du Nord qui sentent confusément que leur force ne peut se développer qu'en union étroite avec le principal centre indus triel (Paris et sa banlieue). Une minutieuse division du travail, planifiée dans les Etats- majors syndicaux, va se faire entre la CGT et la CFDT pour dégoûter les ouvriers de l'idée de "monter" sur Paris* La CFDT annonce qu'elle ne participera pas à la marche. La CGT, à son tour, annonce qu'elle n'appellera pas à la grève générale dans la région parisienne pour le 23 Mars. La CGT espère faire de cette marche une preuve de son encadrement de la classe ouvrière et montrer dans les faits qu'elle mérite bien d'être largement subventionnée par la bourgeoisie. Plus de 300 nervis du PCF membres de la CGT, plus les employés des mairies communistes, sont mobilisés pour assurer le service d'ordre, empêcher toute solidarité entre les ouvriers du Nord, de Lorraine, de Paris. Jusqu'à la dernière minute, on ne saura pas quand, par quels moyens (cars, trains,) les ouvriers du Nord et de Lorraine viendront sur Paris. Ils seront mis en pleine nuit dans les cars PC-CGT et réceptionnés à leur descente en 5 points différents de la banlieue parisienne, dans les mairies communistes, où les élus locaux les attendent ceints de leur chiffon tricolore, la bouche pleine de slogans nationalistes.
Mais ce n'est pas tout. La CGT va modifier au dernier moment l'Itinéraire de la manifestation pour éviter que les ouvriers soient en contact avec les travailleurs rentrant du travail. La manifestation est déviée de la gare Saint-Lazare, par où transitent chaque jour des centaines de milliers de travailleurs, vers les beaux quartiers de l'Opéra. C'est pourquoi, la rage au ventre, les travailleurs les plus combatifs du Nord et de Lorraine vont se trouver frustrés d'une marche de solidarité avec les ouvriers de Paris. La manifestation sera moins importante que prévu : cent mille manifestants, mais sur ces cent mille, 11 faut enlever les milliers de flics du service d'ordre syndical et tous les fonctionnaires de l'appareil du PCF. Certes, malgré le sabotage, il y a un assez grand nombre de travailleurs, SFP, EDF (électriciens) cheminots, quelques ouvriers de Renault. Les ouvriers de Denain, de Longwy, ont été dispersés dans les cortèges syndicaux pour éviter toute contamination de la manifestation et empêcher qu'ils apparaissent comme un corps uni. Néanmoins, les flics syndicaux n'arriveront pas à empêcher que les sidérurgistes de Longwy enfoncent le cordon syndical et prennent la tête du cortège.
Une étroite collaboration s'établit entre CRS, gardes mobiles et police syndicale pour empêcher qu'à la dispersion les ouvriers ne tiennent des meetings. La police est présente partout, le service d'ordre syndical disperse immédiatement les ouvriers arrivés au bout du parcours, prenant prétexte de la présence d'autonomes dans le cortège et la police arrosera abondamment de grenades lacrymogènes les ouvriers tandis que les nervis PC-CGT cogneront sauvagement de jeunes manifestants et en livreront même certains à la police. Les syndicalistes enfin protégeront de la colère des sidérurgistes des CRS qui frappent les manifestants. Jamais la collaboration entre police syndicale et police tout court n'aura été aussi manifeste.
Mais le plus écœurant pour les combattants de Longwy et de Denain, en plus d'être bombardés par les grenades des policiers, fut d'entendre les incessants slogans et litanies nationalistes du PC et de la CGT, du genre "Sauver l'indépendance nationale" ou "Se protéger des trusts allemands". Les ouvriers, repoussés jusque dans les trains par les grenades et les matraques de la police se souviendront des appels à la dispersion, de la dénonciation des combattants comme "agents du pouvoir". Ceci provoquera des heurts au sein même du syndicat.
La leçon est amère mais nécessaire : pour gagner, il faut enfoncer le cordon syndical. Pour les ouvriers qui ont combattu pendant des semaines contre la bourgeoisie, la leçon n'est pas négative. La bourgeoisie a pu triompher en dénonçant la "violence des autonomes" et étaler dans ses journaux avec complaisance les photos de centaines de CRS chargeant les manifestants.
Messieurs du PC, du PS, du RPR, de l'UDF, ceints de vos écharpes tricolores, messieurs les rabatteurs gauchistes, à la solde de la gauche de la bourgeoisie, messieurs les anarchistes qui vous réclamez de la "liberté, égalité, fraternité", de la justice de classe capitaliste, quoique vous déclariez, les travailleurs qui par centaines se sont ce jour-là affrontés à la police sont forts d'une expérience que, sans votre pouvoir et malgré eux, ils sauront ajouter et Intégrer à celle de toutes les luttes ouvrières.([2] [483])
Bien qu'isolés les ouvriers du Nord et de Lorraine n'ont pas épuisé leur combativité et leur volonté de se battre. Les ouvriers de Paris ont été peu nombreux à participer à la manifestation. Beaucoup d'ouvriers sont dégoûtés par les manoeuvres syndicales. Mais cette manifestation est une leçon : ou reculer en acceptant les licenciements ou approfondir le mouvement, s'organiser par nous-mêmes en dehors des syndicats. Les ouvriers ont perdu le goût des manifestations syndicales-promenades, des grèves sectorielles et régionales. Ils ont senti leur force et détermination en s'affrontant avec l'Etat en dehors des syndicats.
QUELQUES LEÇONS
En lisant ce récit des événements en France, événements qui se sont précipités depuis février, il faut se garder à la fois :
- d'une sous-estimation : l'ampleur des affrontements, le débordement des syndicats, la violence ouvrière ne font juste que commencer à se déployer. Ces manifestations, ces bagarres de rues ont déjà une couleur différente. Il y a un mouvement montant qui est loin d'avoir atteint son point culminant.
- d'une surestimation : bien que débordés, les syndicats n'ont pas perdu le contrôle des ouvriers. Ils ne peuvent le perdre qu'à la condition que la lutte prolétarienne passe à un stade qualitativement supérieur : l'organisation des ouvriers en dehors des syndicats dans leurs assemblées générales. Celles-ci ne sont apparues qu'embryonnairement et ponctuellement dans l'organisation de la violence ouvrière contre la police. Il reste encore aux ouvriers à organiser -pas énorme à franchir- eux-mêmes leurs manifestations, à aller eux-mêmes en masse chercher partout la solidarité des ouvriers qui hésitent encore à se lancer dans l'action. Cela demande une clarté de conscience dans les buts et les moyens de la lutte qui ne peut se développer, non dans l'abstrait, mais dans le feu de l'expérience. Le prolétariat a seulement commencé son combat, 11 est loin d'avoir engagé la guerre de classe généralisée. Et des illusions subsistent encore sur la gauche et les élections (comme le triomphe du PS et du PC l'ont montré aux élections cantonales „ avec une forte participation ouvrière).
Cependant en dépit du poids de la gauche dans; le prolétariat, les illusions tombent peu à peu :
- les syndicats liés au PC et au PS ont signé avec le patronat et l'Etat les accords qui acceptent que les ouvriers licenciés pour cause de faillite de l'entreprise, ne touchent plus 90 % de leurs salaires (ils n'étaient déjà pas très nombreux à le toucher !), mais seulement 65 % avec une diminution des allocations chômage. "Une grande victoire" clame la CGT et la CFDT !
- le gouvernement Barre, en dépit de la combativité ouvrière s'efforce de ne pas revenir sur les licenciements prévus. La bourgeoisie est prisonnière des exigences économiques. Elle espère gagner du temps et compte surtout sur l'arrogance et la répression, habituée depuis plusieurs années à une classe ouvrière contrôlée par les syndicats et chloroformée par le programme commun. Du point de vue économique, la bourgeoisie n'a pas de choix : ses choix lui sont imposés par la crise qui, loin de permettre une souplesse politique entraîne plus de rigidité.
Face à la bourgeoisie qui n'est pas prête à céder et face au PS par la voie de Rocard, qui justifie les mesures d'austérité, le prolétariat n'a pas d'autre choix que de répondre coup par coup à ce qui se poursuit. Onze mille licenciements dans l'industrie du téléphone, du chômage prévu dans l'automobile, trente mille postes d'enseignants supprimés, telle est la réalité des promesses de reclassement faites aux sidérurgistes !
Le prolétariat en France est à la croisée des chemins. Ce n'est pas sa combativité qui a surpris la bourgeoisie depuis 68, celle-ci a appris à trembler devant la facilité avec laquelle les ouvriers sont capables de lutter massivement. Ce qui l'inquiète, c'est de voir non seulement des ouvriers s'affronter résolument à l'Etat, mais surtout le débordement des syndicats. Cela ne s'était pas produit même en 1968.
"Il y a un vide politique" s'écrient toutes les fractions de la bourgeoisie. "Il y a un vide syndical" répondent en coeur les trotskystes, qui s'inquiètent "d'une désaffection envers les organisations syndicales puisque 50 % des adhérents cégétistes de la métallurgie de la Moselle n'avaient pas repris leur carte syndicale en mars 1973 et 20 % pour les adhérents de la CFDT". ([3] [484])
Ce "vide"" dont la bourgeoisie s'inquiète, c'est l'érosion des illusions chez le prolétariat. Cette désillusion, c'est l'espoir. Et le prolétariat l'a bien montré par son énergie farouche à résister à l'offensive bourgeoise, par sa joie enfin à Longwy et à Denain de voir qu'il peut faire reculer la bourgeoisie. Un prolétariat qui peut croire en sa force n'est pas une classe qui s'avoue vaincue. Il sait que maintenant il faut aller plus loin, qu'il n'est pas possible de reculer. Se sacrifier pour sa bourgeoisie nationale sur le terrain de sa guerre économique aujourd'hui, c'est se sacrifier pour sa guerre tout court demain !
Certes, le chemin de la lutte de classe est lent, avec de brusques avancées, suivies de retombées brutales. Mais le prolétariat apprend par son expérience et ne connait pas d'autre école que la lutte elle-même !
1) la lutte paye
2) plus la lutte trouve ses propres instruments et ses propres objectifs, plus elle paye.
Le stade supérieur de la lutte ne se trouve pas dans la multiplication des actions ponctuelles et isolées des syndicats mais dans l'extension d'actions massives organisées indépendamment de tous les appareils syndicaux et politiques de la bourgeoisie.
Dans ce but, les ouvriers doivent prendre la parole dans les assemblées générales, aller chercher eux-mêmes la solidarité là où luttent d'autres ouvriers, là où se trouvent les chômeurs. La classe ouvrière doit prendre confiance en elle-même, doit prendre conscience que "l'émancipation des travailleurs sera l'oeuvre des travailleurs eux-mêmes".
La classe ouvrière hésite encore, tout étonnée de sa propre audace. Elle doit maintenant encore, redoubler d'audace !
Chardin
[1] [485] Caen, ville normande qui avait annoncé Mai 68 par toute une journée d'affrontements avec les CRS en janvier 1968
[2] [486] Après la manifestation du 23 mars, il y a eu un procès (pour juger les « casseurs »), procès où notamment les anarchistes se sont désolidarisés des actes de violences commis pendant la manifestation.
[3] [487] Imprecor : revue théorique de la « Ligue Communiste Révolutionnaire », un des plus important groupe trotskiste en France. N° du 15/03/79.
Fin 1978 s'est tenue une Conférence Internationale des groupes se réclamant de la gauche communiste. Cette Conférence, appelée par la Conférence de Milan de mai 1977 organisée par le Partito Comunista Internazionalista (Battaglia Comunista) à laquelle avait participé le Courant Communiste International, avait à son ordre du jour : 1) la croise actuelle et les perspectives, 2) la question des luttes de libération nationale et 3) la question du parti. Deux brochures sont en cours de parution qui contiennent la correspondance entre les groupes, les textes préparatoires à la Conférence et le compte-rendu des débats. A cette Conférence, le pas le plus important qui a été franchi a été l'élargissement de la participation ; ainsi, en plus du PCI(BC) et du CCI, ont participé : la Comunist Workers'Organisation de Grande-Bretagne, le Nucleo Comunista Internazionalista d'Italie, le Marxist Study Group (For Kormnmismen) de Suède. Deux autres groupes ont donné leur accord pour participer mais n'ont pas pu assister à la Conférence pour diverses raisons : l'Organisation Communiste Révolutionnaire Internationaliste d'Algérie (Travailleurs Immigrés en lutte) et Il Leninista d'Italie. Ce dernier groupe a fait parvenir des contributions qui paraîtront dans la brochure de la Conférence. Le Ferment Ouvrier Révolutionnaire de France et d'Espagne a quitté la Conférence dès l'ouverture et n'a donc pas pris part aux débats ; d'autres groupes invités ont refusé de participer (voir à ce sujet l'article paru dans la Revue Internationale n° 16).
Nous publions ici un article qui fait suite à l'article précédent du n°16 de la Revue Internationale essentiellement consacré aux groupes qui ont rejeté l'invitation. Cet article répond à certains points des articles de la CWO (Revolutionnary Perspectives n°12) et du PCI (Battaglia Comunista 1978-16) consacrés à la Conférence et introduit les résolutions du CCI qui ont été refusées par la Conférence en rappelant les points essentiels des interventions du CCI. Nous publions également en annexe une RESOLUTION SUR LE PROCESSUS DE REGROUPEMENT DES REVOLUTIONNAIRES prise par le CCI et qui synthétise nos orientations sur cette question.
Dans l'article consacré à la deuxième Conférence Internationale (Revue Internationale n°16), nous avons expliqué la place que nous accordons à ce travail de discussions entre les groupes révolutionnaires et réfuté les arguments de ceux qui ont refusé de participer. Nous avons particulièrement Insisté sur le fait que ces groupes manifestent fondamentalement une attitude sectaire. Pour le CCI, cette attitude est en elle-même un obstacle à la clarification politique Indispensable au mouvement ouvrier, parce que, sans confrontation des positions, il n'existe pas de possibilité de clarification.
Nous reviendrons sur cette question pour rectifier certaines affirmations contenues dans les prises de position du Partito Comunista Internationalista, Battaglia Comunista (BC) et de la Communist Workers Organisation (CWO) ([1] [488]) sur la participation a la Conférence, prises de position qui qualifient allègrement le CCI d’"opportuniste" et qui nient qu'il existe un problème de sectarisme. Il est donc nécessaire de faire une mise au point. Nous donnerons ensuite brièvement notre point de vue sur le contenu des discussions pour souligner l'Importance que nous accordons au débat politique face à nos détracteurs qui affirment que nous le reléguons au second plan. Enfin, nous expliquerons pourquoi nous avons proposé à la Conférence des résolutions sur les différents points à l'ordre du jour, résolutions que nous publions à la fin de cet article.
D'où vient le sectarisme?
BC nous prête "la volonté opportuniste d'estomper d'importantes divergences de principes pour rassembler n'importe comment des groupes qui sont par ailleurs distants entre eux". BC nous prête l'intention de nous cacher derrière une critique de l’"esprit de chapelle" pour gommer les divergences politiques. Répétons-le, nous ne cachons pas les divergences politiques et si nous insistons sur la nécessité de combattre le refus de discuter, nous qualifions précisément ce refus, de refus de discuter les divergences et de peur de confronter les positions politiques en se cachant derrière l'auto-proclamation de la détention de la vérité. Nous ne détenons pas la vérité et nous défendons une plate-forme politique que nous confrontons le plus possible à la réalité de la situation dans nos interventions, dans la confrontation avec les groupes et éléments qui se réclament de la révolution communiste.
Etrange purisme que celui de BC qui nous accuse de cacher les divergences par opportunisme. Faut-il rappeler la convocation de la première Conférence Internationale par BC ? BC, partant d'une analyse de "1'euro-communisme" émettait trois hypothèses pour les perspectives de la situation d'une part, et face à la gravité de la situation appelait à une Conférence internationale en mettant en avant trois "armes efficaces du point de vue de la théorie et de la pratique politiques" :
a) avant tout, sortir de l'état d'Infériorité et d'impuissance où l'ont menée (la Gauche Communiste) le provincialisme de querelles culturelles empreintes de dilettantisme, l'infatuation incohérente qui ont pris la place de la modestie révolutionnaire, et surtout l'affaiblissement du concept de militantisme compris comme sacrifice dur et désintéressé ;
b) établir une base programmatique historiquement valable, laquelle est, pour notre parti, l'expérience théorico-pratique qui s'est incarnée dans la Révolution d'Octobre et, sur le plan international l'acceptation critique des thèses du deuxième congrès de l’I.C. ;
c) reconnaître que l'on ne parvient ni à une politique de classe ni à la création du parti mondial de la révolution, ni d'autant moins à une stratégie révolutionnaire si l'on ne décide pas d'abord de faire fonctionner, dès à présent, un Centre International de liaison et d'information qui soit une anticipation et une synthèse de ce que sera la future Internationale, comme Zimmerwald et plus encore Kienthal furent l'ébauche de la Troisième Internationale. ([2] [489])
BC donnait donc trois points pour cadre de la convocation, en d'autres termes : 1) rompre l’isolement, 2) des critères politiques, 3) des implications organisationnelles. A cette convocation, le CCI a répondu positivement et a d'une part réclamé des critères politiques plus précis et d'autre part jugé prématurée la possibilité immédiate d'un Centre International de liaison et d'Information :
"Nous ne pensons évidemment pas qu'une telle Conférence puisse se dérouler sans qu'il y ait au moins une base minimale d'accord entre les groupes participants, et sans toucher aux questions principielles les plus fondamentales du mouvement prolétarien d'aujourd'hui, afin d'éviter tout malentendu et donner un cadre solide pour un déroulement fructueux des débats.(...) Nous ne pensons pas qu'il soit nécessaire de nous prononcer maintenant sur votre seconde proposition de création d'un centre de liaison international qui ne pourrait être que la conclusion de la Conférence internationale. (2)
BC disait hier qu'il faut surmonter le "provincialisme", nous étions d'accord, nous le sommes toujours.
C'est pourquoi nous revenons sur cet aspect et nous répondrons aux critiques d'opportunisme qui nous sont adressées par BC ainsi qu'aux critiques de la CWO qui vont dans le même sens. Dans l'incompréhension et la critique au CCI sur son attitude décidée à condamner le refus de la confrontation politique comme tel au delà des divergences politiques qui servent de "noble" prétexte à cette attitude, il y a la persistance d'un réflexe d'isolement et d'auto-protection. Ce réflexe, hérité de la période de reflux des luttes ouvrières, de la contre-révolution, quand il s'agissait alors de rester ferme, même seul sur les positions de classe, se change en une entrave à l'heure où l'ouverture du débat, dans un contexte de montée de la lutte de classe, peut se faire, peut s'élargir sans pour autant impliquer de renoncer à sa plate-forme politique, à son programme.
C'est là le premier point fondamental qui sous-tend la prise de position du CCI envers les groupes qui se refusent à la discussion : il ne s'agit pas d'écarter les divergences politiques pour regrouper n'importe qui n'importe comment mais, sur la base d'une analyse de la période actuelle à la remontée des luttes et à l'accroissement des capacités révolutionnaires du prolétariat, il s'agit de comprendre que le terrain est favorable à la confrontation des divergences tracé par la lutte de classe aujourd'hui, une montée, une généralisation de la lutte et des débats qu'elle fait surgir. L'attitude du CCI sur la question de la participation se fonde sur une position politique précise qu'il ne cache pas : la fin de la contre-révolution, la perspective d'affrontements de classe généralisés. Ce changement de période implique un changement dans la façon qu'ont les révolutionnaires d'envisager la confrontation : il ne s'agit plus de se protéger des dangers de contamination de la dégénérescence des organisations ou de résister à la démoralisation du prolétariat, mais, avec le prolétariat qui a rouvert une brèche dans la domination bourgeoise, d'oeuvrer à l'élaboration des positions communistes les plus claires et les plus cohérentes possibles.
Pour cela, il faut d'abord être capable de faire la distinction entre incompréhension et malentendu d'une part, divergences politiques réelles d'autre part. Les incompréhensions ou les malentendus sur ce que chaque groupe veut dire sont inévitables : ils sont le tribut que les révolutionnaires payent à cinquante ans de contre-révolution. Pendant cette période, les organisations révolutionnaires se disloquent, les groupes se replient, tout comme le prolétariat : c'est là le véritable triomphe de la bourgeoisie. Les révolutionnaires subsistent tant bien que mal en infimes minorités, isolées entre elles. Ceci crée des habitudes qui pèsent à l'heure de la reprise. A l'image du prolétariat, ce géant endormi, les révolutionnaires resurgissent engourdis par cinquante ans de dispersion et d'isolement. Soit les vieilles habitudes pèsent à l'heure où la période change, soit l'inexpérience et la méconnaissance de l'histoire du mouvement ouvrier des nouveaux groupes qui surgissent du réveil de la classe ouvrière, font qu'au premier reflux temporaire de la lutte, ceux-ci disparaissent, sombrent dans l'activisme, se disloquent en de multiples mini-fractions, et se retrouvent avec des habitudes où l'arrogance de l'ignorance devient le credo, où l'on refait l'histoire au gré de sa fantaisie. L'isolement, la dispersion, l'inexpérience des révolutionnaires sont des problèmes réels qu'aucune organisation ne peut ignorer. Ne pas voir qu'il existe un problème de sectarisme, c'est-à-dire la théorisation de la dispersion, c'est ignorer ces problèmes.
BC et la CWO ne volent pas l'existence d'un problème de sectarisme et d'esprit de chapelle, problème inventé par le CCI par opportunisme selon BC. Il n'y a pas si longtemps pourtant, BC semblait consciente de ce problème. Aujourd'hui, BC ne prétend voir dans l'attitude des groupes comme Programma Comunista, le PIC ou le FOR ([3] [490]) que des questions de divergences politiques. Mais les divergences politiques existent entre les groupes participants à la Conférence, parfois plus profonds sur certains points qu'avec des groupes qui se refusent à participer. Il n'y a pas un lien direct et immédiat permettant d'expliquer toute l'attitude par la seule divergence politique. C'est trop facile et c'est oublier une des plus violentes conséquences de la contre-révolution, l'atomisation du prolétariat, l’émiettement des révolutionnaires dont les formulations des positions politiques se maintiennent en vase clos, sans confrontation permanente.
Dans la période de reflux, dans les années 30, dans les années 50, la clarification ne pouvait se faire véritablement qu'en sachant ne pas se laisser emporter, en sachant rester seul s'il le faut, à contre-courant. Dans une période de montée, la clarification ne peut se faire que par la participation active à tous les débats qui surgissent par et dans la lutte. Aujourd'hui, l'attitude des révolutionnaires vis-à-vis de la clarification politique doit être celle qui a toujours guidé l'attitude des révolutionnaires par le passé dans de tels moments.
Lorsque les Eisenachiens font des concessions aux Lassaliens, Marx critique très fermement les concessions des marxistes aux Lassaliens qu'il juge inutiles. Pour autant, et en fonction de la période, il insiste sur un point : "Tout pas fait en avant, toute progression réelle importe plus qu'une douzaine de programmes." ([4] [491]) Marx était-il opportuniste ? Le sectarisme existe et est un problème en lui-même qui n'est pas "normalement" lié aux positions politiques. Lénine combat le sectarisme pour pousser à la création du POSDR ([5] [492]) tout en critiquant fermement les positions politiques et sans pour autant faire des concessions.
Cette attitude de pousser à la discussion est d'autant plus valable que même dans les périodes d'isolement, où les conditions rendent difficiles les possibilités de contact, la volonté constante de discussions subsiste toujours chez les révolutionnaires les plus conséquents (Bilan) ([6] [493]).
Par un curieux renversement dont seule BC a le secret, on nous donne aujourd'hui une leçon d'intransigeance politique après avoir à plusieurs reprises, et sans aucun critère, appelé à des rencontres comme il y a quelques années avec Lotta Comunista et Programma Comunista pour aboutir à un constat de divergences, comme au début des années 60 avec News and Letters de R.Dunayevskaya et le FOR de Munis, après avoir entretenu des contacts avec Lutte Ouvrière, groupe trotskyste en France, il n'y a pas si longtemps encore. Faut-il croire que lorsque BC initie des rencontres de ce type et entretient de tels contacts, c'est la juste position et que lorsque le CCI défend la nécessité de la confrontation entre groupes réellement révolutionnaires sur la base de critères politiques, c'est de l'opportunisme ?
De même, par un tout aussi curieux renversement, l'attitude de la CWO qui, il n’y a pas si longtemps, rejetait le CCI dans le camp de la contre-révolution, a aujourd'hui changé. Faut-il croire que les positions politiques de la CWO ont si profondément changé qu'elle daigne aujourd'hui participer activement aux Conférences Internationales (première Conférence de Milan, Conférence d'Oslo, deuxième Conférence de Paris) ; ou faut-il plutôt y voir un changement d'attitude, la reconnaissance qu'il ne sert à rien de se proclamer le seul détenteur de la vérité, qu'il est nécessaire de débattre des divergences politiques et de ne pas chercher des prétextes à éviter le débat, la reconnaissance implicite qu'il y a donc un problème d'attitude des groupes révolutionnaires.
Pour terminer sur ce premier point, signalons simplement l'incohérence qui consiste à inviter des groupes à se joindre à la Conférence internationale, à réclamer des contributions sur les questions à l'ordre du jour, pour ensuite considérer "normal" leur refus de participer, puisque de tels groupes, par les positions qu'ils développent, "n'ont pas leur place dans de telles conférences". Alors pourquoi les inviter ? Par souci "démocratique" ? Si de tels groupes ont raison de ne pas venir, il faudrait se rendre à l'évidence et constater que nous avons fait une erreur en les invitant. Nous ne le pensons pas. Quelles que soient les aberrations politiques que de tels groupes défendent, ils se situent au sein du camp prolétarien, et la confrontation directe et publique est le meilleur moyen à notre avis de balayer ces aberrations qui subsistent encore aujourd'hui dans le mouvement ouvrier.
Les positions
politiques erronées, sclérosées ou confuses sont à combattre par les
organisations révolutionnaires dignes de ce nom. Nous ne reconnaissons à aucun
groupe politique un "droit à
l'erreur" en soi, nous ne "respectons"
pas les positions politiques qui ne font que jeter un peu plus de fatras dans
un mouvement qui a déjà eu bien du mal à se dégager des conséquences de la
contre-révolution. Nous ne "respectons"
pas le refus de discuter au nom des divergences, car ce serait reconnaître
implicitement une validité et une cohérence politiques des positions défendues
par chacun des groupes : chacun défend ses positions et tout est pour le mieux
dans le meilleur des mondes révolutionnaire ! Nous appelons au contraire tous
les groupes du camp prolétarien comme l'ensemble de la classe ouvrière à
prendre la parole dans la confrontation publique, ouverte et internationale,
dans les Interventions et les actions de classe, à défendre leurs positions.
Les travaux de la conférence
C'est dans cet esprit que le CCI a défendu la nécessité de se prononcer clairement sur les questions à l'ordre du jour, questions qui ne sont pas des problèmes académiques, mais qui impliquent des orientations vitales de plus en plus urgentes dans la lutte de la classe ouvrière. Pour pousser à se prononcer clairement, pour cerner accords et désaccords, le CCI a proposé, en plus des textes préparatoires, de courtes résolutions synthétiques! Sur la crise actuelle et la perspective, sur la question nationale, et sur l'organisation des révolutionnaires. Le principe de proposer des résolutions a été rejeté.
Nous rappelons ici les axes essentiels de nos interventions au cours des débats à la Conférence.
1 - Sur le premier point, CRISE ET PERSPECTIVE DE LA PERIODE ACTUELLE, le CCI a insisté sur la nécessité de dégager une perspective claire, étayée par une analyse solide, concrétisée par la situation qui se déroule sous nos yeux : allons-nous vers des affrontements de classe généralisés ou des affrontements inter-impérialistes se généralisant ?? En tant qu'organisations révolutionnaires intervenant dans la classe ouvrière, qui prétendent défendre des orientations politiques -une direction politique-, nous avons à nous prononcer sur le sens général de la lutte de classe aujourd'hui. Les révolutionnaires par le passé ont pu se tromper sur la période, mais ils se sont toujours prononcés.
Sur cette question, BC a défendu la position suivante :
"En 1976, nous avions formulé trois hypothèses possibles :
•1) que le capitalisme dépasserait temporairement sa crise économique ;
•2) que l'ultérieure aggravation de la crise créerait une situation subjective de peur généralisée telle qu'elle conduirait à une solution de force et à la troisième guerre mondiale ;
•3) l'anneau le plus faible de la chaîne se briserait, d'où la réouverture de la phase révolutionnaire du prolétariat, continuité historique de l'Octobre bolchévik. {...) Deux ans après, nous pouvons affirmer que la situation actuelle a pris les contours et les lignes de notre deuxième hypothèse" ([7] [494])
La CWO quant à elle ne se prononce pas clairement : les deux possibilités sont ouvertes, la guerre ou la révolution. Cette réponse "peut-être bien que oui, peut-être bien que non" s'infléchit cependant dans le sens d'une insistance de la CWO sur la passivité, le reflux de la lutte de classe actuelle.
Pour le CCI, depuis dix années de crise ouverte du système capitaliste, les conditions ont été â nouveau réunies du point de vue des contradictions Internes du système pour des affrontements impérialistes tendant à se généraliser. Les points forts de cette évolution sont les suivants : l'Europe et le Japon reconstruits se retrouvent à nouveau en concurrence directe avec les Etats-Unis ; la crise impose un resserrement des blocs Impérialistes: le bloc occidental impose la "pax americana" au Moyen-Orient et redéploie sa stratégie en Asie du sud-est pour intégrer définitivement la Chine à son orbite ; etc. Du point de vue des antagonismes inter-impérialistes, aux plans économique, politique et stratégico-militaire, la question qui se pose n'est pas : "à quel moment la guerre impérialiste va-t-elle se généraliser ? ", mais plutôt pourquoi la guerre ne s'est-elle pas généralisée.
Pour la CWO, la courbe "magique" de la baisse tendancielle du taux de profit n'est pas encore assez infléchie: il reste au capitalisme nombre de possibilités -des mesures d'austérité (?)-avant que ne soient réunies les conditions d'une guerre généralisée : "le prolétariat a encore le temps et l'opportunité de détruire le capitalisme avant qu'il ne détruise la civilisation." ([8] [495])
Que sont les interventions militaires croissantes des puissances capitalistes dès que s'ouvrent des possibilités guerrières : Zaïre, Angola, Vietnam-Cambodge, Chine-Viêtnam ? Que sont les campagnes sur les "droits de l'homme" et autres battages idéologiques ? Qu'est-ce que cet accroissement accéléré et pléthorique de l'industrie de guerre ? La CWO répond très justement que ce sont des préparatifs de guerre. Pour autant, selon la CWO, ce n'est pas la lutte de classe qui entrave la généralisation, "scénario absurde du CCI". Pour la CWO, les luttes de la classe ouvrière sont "sectorielles, avec une faible possibilité de généralisation à des batailles de l'ensemble de la classe". Conclusion "logique" de la CWO : "la crise n'est pas encore assez profonde pour rendre la guerre un pas nécessaire pour la bourgeoisie". Ceci n'est qu'une tautologie et revient à dire : si la guerre n'est pas là, c'est que les conditions ne sont pas réunies (!). D'accord, mais nous sommes alors revenus à la question de départ : quelles conditions ? Ne pas saisir une argumentation théorique peut se comprendre, mais ne pas s'inquiéter lorsque les faits eux-mêmes restent inexpliqués est difficile à admettre. Les événements tels que l'assassinat d'un archiduc à Sarajevo ont servi de prétexte au déclenchement d'un conflit mondial ; aujourd'hui, des événements autrement plus importants -guerres de 1967 et 1973 au Moyen-Orient, Viêt-nam, Chypre, Chine Viêtnam, etc..- n'ont pas ouvert un tel conflit. Pourquoi ? Pourquoi l'URSS n'est-elle pas intervenue directement au Viêt-nam ? Pourquoi les Etats-Unis ne sont-ils pas intervenus en Angola ou en Ethiopie ? Les dialecticiens nous répondent que les conditions objectives ne sont pas réunies. Nous sommes d'accord mais pour le CCI la condition majeure qui fait aujourd'hui défaut est l'adhésion, l'embrigadement de la population et au premier rang du prolétariat, derrière la défense des intérêts de la nation capitaliste.
Pour les autres conditions déterminant la possibilité d'un conflit généralisé, l'existence de blocs impérialistes constitués, la crise ouverte du système capitaliste, elles sont globalement réunies. Si la CWO et BC ne le pensent pas, leur thermomètre de la baisse tendancielle du taux de profit ne leur permet pas d'argumenter, sinon de dire que les blocs ne sont pas "assez" renforcés ou que la crise n'est pas "assez" profonde. Peut-être que "le scénario du CCI" est "absurde" (CWO), mais alors il faut le démontrer. Par contre, les implications politiques de la vision de BC d'une "situation subjective de peur généralisée" ou de la CWO d'un "prolétariat confus, désorienté et pessimiste quant â la lutte" sont, elles, assez incroyables.
A un prolétariat
combatif qui, depuis dix ans, a repris
le chemin de la lutte, à un prolétariat qui, nulle part dans le monde n'adhère
aux idéaux bourgeois
de défense de la "patrie
démocratique" ou "socialiste",
aux justifications de l’austérité, les
révolutionnaires vont dire : les dés sont jetés ! ? Nous ne sommes plus dans
les années 30, les conditions ne sont pas les mêmes aujourd'hui. Tout cela est
négligeable pour la CWO qui ne volt pas la reprise des luttes actuelles mais
toujours un reflux ou pour BC pour qui, par exemple, les récentes grèves
anti-syndicales des hospitaliers en Italie sont négligeables, ou pour qui il
ne s'est rien passé ou presque en 1969 sinon un vague mouvement sans
signification profonde pour la classe ouvrière... Tout simplement parce que BC
n'était pas là. Le CCI non plus, mais pour nous, l'histoire existait avant nous
! Dans l'analyse de la période actuelle et ses implications dans la mise en
avant d'une orientation claire, ce n'est pas sur la querelle académique
-théorie de la baisse tendancielle du taux de profit "contre" saturation des marchés, dans laquelle la CWO comme BC
veulent fourvoyer les débats que nous nous battrons. Pour nous, la théorie de
la saturation du marché mondial constitue un cadre cohérent permettant de comprendre
toute la période depuis la première guerre mondiale et la crise actuelle, cadre
qui inclut la théorie de la baisse tendancielle du taux de profit et qui ne
1'exclut pas. Ce qui nous importe dans ce débat sur la crise d'aujourd'hui, ce
sont ses implications pour notre intervention. Il y a une énorme faiblesse
dans l'analyse économique de la CWO et de BC au plan théorique, mais
fondamentalement la faiblesse principale réside dans la sous-estimation du
niveau de la lutte de classe aujourd'hui, dans l'incapacité de dégager de ce
qui se déroule sous nos yeux, les éléments embryonnaires qui portent
concrètement la perspective d'affrontements de classe,comme préalables à la
possibilité d'une explosion généralisée des contradictions capitalistes en un
nouvel holocauste mondial.
2 - La seconde question abordée à la Conférence a été LA QUESTION NATIONALE. Sur ce point, si pour tous les groupes présents, à l'exception du Nucleo Comunista Internazionalista (NCI), le prolétariat ne peut pas soutenir aujourd'hui les luttes de libération nationale, beaucoup de nuances et divergences d'analyses séparent encore les groupes de la Conférence.
Le NCI pour sa part, a repris à la lettre la position défendue par TIC, le soutien aux libérations nationales vues comme un affaiblissement de l'impérialisme et donc un facteur positif pour l'aide a la lutte du prolétariat destiné à en prendre la tête. Que, depuis 50 ans, cela ne se soit pas produit, que, depuis 10 ans, chaque fois l'entrée en lutte de la classe ouvrière dans tous les pays ait rejeté jusqu'à les affronter tous les courants politiques de la "libération nationale", cela n'ébranle guère le NCI qui n'y voit là aucune "démonstration" de l'invalidité d'une telle théorie .Le NCI nous ressert intelligemment rajeunie, la théorie de la "soudure" entre mouvement social des aires sous-développées et mouvement prolétarien des pays avancés. Sans comprendre que la "soudure" ne peut être que souder les rangs du prolétariat mondial, quelles que soient les "aires" faibles ou fortes du capitalisme, le NCI n'a pas encore entièrement ôté les lunettes déformantes du bordiguisme : il voit encore une continuité entre l'embrigadement des masses dans les luttes nationales et la mobilisation prolétarienne -et toute l'expérience de ce siècle le confirme-, il ne peut y avoir que rupture sans concession aucune avec le terrain national de la part du prolétariat, où qu'il se trouve, quelle que soit sa force numérique au sein de l'Etat national qui l'exploite.
La condamnation par le CCI de toutes les luttes nationales n'est en rien indifférence, abstraction ou mépris de la révolte populaire au sein de laquelle se trouve aussi souvent le prolétariat, mais au contraire dénonciation de ceux qui la manoeuvrent à des fins impérialistes ou nationalistes, c'est-à-dire toutes les fractions qui reconnaissent un quelconque pas en avant possible au niveau national. Ce sont les luttes ouvrières et elles seules qui peuvent donner un sens à la révolte ; en leur absence, il n'y a pas d'autre issue que misère, massacres, et guerres. Et qu'on ne nous dise pas qu'en l'absence du parti cette rupture est impossible ! Sans parti, les ouvriers sont déjà capables aujourd'hui par 1eurs grèves d'enrayer les ardeurs nationalistes comme cela s'est produit en Angola, en Israël, en Egypte, en Algérie, au Maroc. La rupture avec la "libération nationale" n'est pas une abstraction que défend le CCI mais la réalité d'aujourd'hui.
Plus subtile est l'ambiguïté qui subsiste sur cette question dans un groupe comme BC qui, tout en qualifiant les guerres de "libération nationale" de moments de la guerre impérialiste, trace comme perspective au prolétariat mondial -donc aussi à celui de ces pays- de "dresser les mouvements de libération nationale1 en révolution prolétarienne", par la construction de la future Internationale Communiste. Autant la position du NCI a une cohérence sur la question, autant celle de BC est pour le moins "le cul entre deux chaises". Il faut choisir. Ou bien les "luttes de libération nationale ont achevé complètement leur fonction historique" (BC, souligné par BC) et il faut en tirer les conséquences : elles sont inutilisables pour le prolétariat qui, lui, a une mission historique. Pour un parti de classe a fortiori, son rôle n'est pas de les transformer en quoique ce soit mais appeler à abattre toutes les agences d'embrigadement dans la guerre impérialiste. Ou bien, il est possible de les "dresser en révolution prolétarienne" et il faut alors leur reconnaître une fonction historique au sein de la tâche historique du prolétariat. Il faut dire alors qu'elles ne contiennent pas seulement des caractéristiques impérialistes.
Il ne s'agit pas de transformer la libération nationale en révolution prolétarienne, mais de dresser le prolétariat contre tout mouvement national. BC nous répondra probablement une fois de plus que le CCI est bien peu "dialectique". Encore une fois, le CCI peut avoir tort, mais ce n'est pas avec la "dialectique" à toutes les sauces, à 1'instar du médecin qui, pour toute maladie, répond "c'est une allergie", que la discussion avancera d'un pouce sur la question. Le parti est pour BC la réponse à toutes ces contradictions qui restent inexpliquées. Mais pour que le parti de classe agisse encore faut-il qu'il existe. Et d'où va-t-il surgir ? Des luttes nationales ? Certainement pas. Il grossira ses rangs des éléments ayant rompu définitivement avec toutes les politiques nationalistes quelles qu'elles soient. Et d'où surgiront ces éléments ? Des mouvements de classe dans tous les pays, y compris ceux qui sont soumis aujourd'hui au déluge de fer et de sang de l'impérialisme mondial que leur imposent les "mouvements de libération nationale".
La compréhension claire, pratique et théorique par le prolétariat mondial, qu'il ne peut se battre que sur son terrain, le terrain internationaliste, qu'il n'y a aucune possibilité d'utiliser un mouvement, surgi des intérêts impérialistes antagoniques locaux et mondiaux, dans lequel les masses ne servent que de chair à canon, est une condition fondamentale de sa capacité à lutter.
Des révolutionnaires qui tergiversent encore aujourd'hui sur cette question, ne font que participer à la confusion ambiante sur le nationalisme qui existe aujourd'hui dans la classe ouvrière et accréditer cette idée bourgeoise que le nationalisme a un tout petit quelque chose de révolutionnaire. Par quelle casuistique expliquer aux ouvriers, qui appréhendent dans leur pratique quotidienne que la lutte est la même dans tous les pays, qu'elle est la même mais qu'elle n'est pas tout à fait la même,ou que par stratégie, le prolétariat peut se glisser dans les rangs nationalistes pour les dresser contre le nationalisme. Autant demander d'entrer dans la police pour lutter contre la police.
Quant à la CWO, très soucieuse au départ de se démarquer du soutien aux mouvements nationaux, qui voulait faire de cette question un critère d'exclusion de la discussion, elle n'a rien argumenté contre la position de TIC défendue par le NCI, mais a surtout insisté sur l'idée que tous les pays n'étaient pas impérialistes, ou plutôt pas tous "vraiment" impérialistes, que l'impérialisme était une politique des seules principales puissances capitalistes.
Nous n'entrerons pas dans le détail de cette question, mais nous relèverons simplement la simplification de la question par la CWO. Dans l'article de Reyolutionary Perspectives (RP) ([9] [496]) sur la Conférence, la CWO pose une question : "comment peut-on argumenter que, par exemple, Israël est une puissance impérialiste indépendante ?" N'est pire sourd que celui qui ne veut entendre. On ne peut pas en effet. prétendre qu'aucun pays n'échappe aujourd'hui â l'impérialisme; le fait que tous les pays du monde soient aujourd'hui impérialistes signifie précisément qu'il n'y a plus d'indépendance nationale possible. Les plus puissants disposent d'une marge de manoeuvre plus grande, non parce qu'ils seraient impérialistes et que les plus faibles ne le seraient pas, mais simplement parce qu'ils sont les plus compétitifs sur le marché mondial et/ou les plus puissants sur le champ de bataille international. Que tous les pays soient aujourd'hui impérialistes signifie précisément qu'aucune bourgeoisie nationale ne peut défendre ses intérêts sans se heurter aux limites objectives d'un marché mondial qui a envahi la planète jusqu'en ces derniers recoins. Nous répondrons à la question de la CWO : Israël est un Etat impérialiste, mais n'est pas un Etat Indépendant.
Mais le plus important réside dans les implications politiques d'une telle vision de la CWO. Si seules les grandes puissances ont les moyens de mener une politique impérialiste, et si les pays de second ordre ne les ont pas, il faut être cohérent et affirmer que les gouvernements nationaux de ces derniers ne sont que de simples "agents" de l'impérialisme des plus grands ou, pour utiliser la terminologie gauchiste, des "valets" des Etats-Unis, des grandes puissances, de l'URSS. C'est certes vrai mais c'est insuffisant. La condamnation des luttes nationales n'est pas une question morale, une dénonciation des fractions nationalistes comme de simples "vendus" à l'impérialisme, mais elle se fonde sur une réalité sociale : il n'y a pas de possibilité pour qui que ce soit de défendre la nation hors des nécessités impérialistes.
3. Dans la troisième partie, au cours de la discussion sur LA QUESTION DU PARTI, le CCI a insisté particulièrement sur un point : le parti doit-il prendre le pouvoir ? A cette question, le groupe For Kommunismen a répondu non et le FOR, quoi qu'absent de la Conférence a contribué par son texte de façon claire à ce que le CCI estime être une des leçons essentielles de la révolution en Russie. Le rôle du parti n'est pas de prendre le pouvoir ; la prise du pouvoir est l'oeuvre des conseils ouvriers qui sont les organes unitaires de la dictature du prolétariat au sein de laquelle les partis constituent l'avant-garde communiste de la classe, regroupant les éléments les plus clairs et les plus conscients sur la marche vers le communisme, le dépérissement de l'Etat, la disparition des classes, la libération totale de l'humanité.
Le NCI a défendu la position de la prise du pouvoir par le parti en se revendiquant de la critique de Lénine aux communistes de gauche dans "La Maladie infantile du communisme", en ne comprenant pas que la critique de l'erreur de TIC sur cette question ne doit rien à la démocratie bourgeoise .Elle s'appuie sur l'expérience du prolétariat en Russie, sur les bolcheviks, sur Lénine capable, malgré les théorisations fausses qu'il a pu développer, de fulgurante clarté lorsqu'il exprime les plus hauts moments de la lutte prolétarienne sur "la nécessité de faire passer immédiatement tout le pouvoir aux mains de la démocratie révolutionnaire guidée par le prolétariat révo1ut1onnaire"(soul1gné par Lénine).
S'il est une question restée en débat avec la défaite de la révolution mondiale des années 1917-23, c'est bien celle du pouvoir qui surgit de la révolution. L'erreur de TIC sur cette question s'est avérée être un facteur accélérateur de la contre-révolution à partir du moment où, isolé, le pouvoir en Russie assimilait chacun des reculs que lui imposait la situation à un acquis pour le prolétariat et où ce pouvoir s'autonomisait chaque fois plus de l'organisation générale de la classe, jusqu'à la tragédie de Kronstadt qui vit s'affronter les armes à la main l'Etat et le Parti bolchevik à sa tête, aux ouvriers. La conception de la prise du pouvoir par le parti est une position immature des révolutionnaires du début du siècle, encore imprégnés d'une période où le schéma bourgeois restait la référence de base pour l'appréhension du processus révolutionnaire.
La CWO reconnaît les fondements du pouvoir du prolétariat dans les conseils ouvriers mais remet à jour la vieille conception gradualiste du parlementarisme révolutionnaire et la transpose dans les conseils. Pour la CWO, la prise du pouvoir signifie la conquête de la majorité des conseils aux positions révolutionnaires, et, puisque ces positions sont portées par le parti, c'est donc le parti qui s'empare "en pratique" du pouvoir une fois qu'il est majoritaire dans les conseils. Le tour est joué. La classe ouvrière ne s'exprime selon la CWO lorsqu'elle s'empare du pouvoir qu'en singeant le parlementarisme bourgeois, ses majorités et ses minorités, et la lutte prolétarienne devient une lutte de "partis" où chacun essaie de conquérir à ses positions la majorité pour assumer le pouvoir.
Ni la Commune de Paris, ni la révolution de 1917 ne nous montrent un tel processus numérique parlementaire mais l'évolution d'un rapport de forces profond entre classes sociales qui n'a rien de la simple sanction parlementaire d'une domination déjà existante, figée dans des rapports de production précis. Ceci est le propre de la bourgeoisie. Pour le prolétariat, la prise du pouvoir relève de l'action consciente et organisée d'une classe en devenir.
BC affirme justement dans son texte préparatoire à la Conférence que "sans parti, il n'y a pas de révolution et de dictature du prolétariat, comme il n'y a pas de dictature prolétarienne et d'Etat ouvrier sans les conseils ouvriers" (quoique nous réfutions la formulation d'"Etat ouvrier" pour qualifier l'Etat qui surgit au sortir de la révolution). BC prétend par ailleurs se démarquer du "super partidisme" des bordiguistes pour qui le parti est tout et l'organisation en conseils de la classe ouvrière une simple forme à laquelle seul le parti donne un contenu révolutionnaire. Mais sur la question de la prise du pouvoir, en dernier ressort, pour BC aussi, c'est le parti qui prend le pouvoir ! La dialectique si chère à BC du rapport parti-classe se simplifie considérablement et tous les beaux discours sur les conseils ouvriers et la dictature du prolétariat, les méchantes critiques aux bordiguistes et à leur "super partidisme" tombent. Il faut être clair : il y a deux organismes essentiels dans la révolution, conseils et partis. Si le pouvoir revient au parti, quel est le rôle des conseils ? Où est la différence de conception avec ceux qui volent le pouvoir du prolétariat comme celui de l'adhésion de la base (les conseils) à un sommet (le parti) qui assume en fait ce pouvoir ? La question du pouvoir est une fois encore vue comme le pouvoir d'une partie de l'ensemble au nom de l'ensemble. Ceci n'est pas possible pour le prolétariat. Sa seule force réside précisément dans sa capacité collective à détenir le pouvoir politique. Ou le prolétariat prend le pouvoir collectivement, ou il ne peut pas le prendre, et personne à sa place. Lorsque le parti bolchevik prend le pouvoir, c'est avec pour mot d'ordre "tout le pouvoir aux soviets" et non "tout le pouvoir au parti". Que dans l'esprit de Lénine et des bolcheviks la distinction soit loin d'être claire est compréhensible. Les bolcheviks étaient les premiers surpris de leur propre audience auprès de la classe ouvrière et c'est l'initiative des masses qui pousse le parti bolchevik sur la question de l'insurrection, sur la question de la prise de pouvoir, alors que Lénine lui-même était réticent à être Président du Conseil des Commissaires du Peuple.
C'est ultérieurement, avec le reflux de la révolution que devait tragiquement se révéler l'impossibilité pour le parti de se substituer à un pouvoir de la classe déclinant sous les coups de l'isolement international, de l'épuisement. Si la classe ouvrière mobilisée peut faire surgir la plus grande clarté au sein de son parti, y faire s'exprimer la plus grande fermeté révolutionnaire, la meilleure fermeté révolutionnaire du meilleur des partis ne peut maintenir le pouvoir prolétarien d'une classe démobilisée. Pourquoi ? Fondamentalement parce que la nature du pouvoir du prolétariat découle de sa nature de classe exploitée qui ne possède comme force que sa force collective. La question de la prise du pouvoir est complexe et ce n'est pas la mégalomanie de tous les groupes politiques qui l'éludent en réclamant le pouvoir qui la résoudra. Le pouvoir du parti ne sera jamais une garantie ; la seule garantie se trouve dans la classe ouvrière elle-même et c'est le rôle du ou des partis révolutionnaires de défendre cette seule garantie contre toute démobilisation, démobilisation qui ne peut être qu'accentuée par ceux qui disent et diront au prolétariat "donnez-nous le pouvoir, nous vous ferons la révolution".
Remarques sur la conclusion
Le pas le plus important qui a été fait par la Conférence Internationale est l'élargissement du débat à de nouveaux groupes qui n'avaient pas participé à la 1ère Conférence de Milan : la confrontation directe des positions des différents groupes, la clarification des divergences qui les séparent, les précisions de formulation qu'impose une telle confrontation sont vitales pour des organisations qui Interviennent dans la lutte de classe.
C'est pourquoi le CCI a insisté tout au long de la Conférence comme après sur la question du sectarisme. Dans ce sens également, deux points sont à notre avis à déplorer dans les conclusions Si les groupes ont pu se mettre d'accord pour poursuivre un tel travail, la Conférence ne s'est pas prononcée comme telle et n'a pas été capable d'une déclaration commune officielle sur ce travail. En ce sens, la Conférence est restée muette comme corps et n'a pas été capable de tracer collectivement les accords et les désaccords des différents groupes sur les questions à l'ordre du jour.
C'est le principe même de résolutions issues d'une telle Conférence qui a été rejeté. En proposant les résolutions de dessous, il ne s'est agi pour le CCI, ni de forcer l'accord de quiconque, ni d'altérer ses propres positions politiques. Il faut savoir si nous sommes des bavards ou des militants révolutionnaires. Nous ne participons pas aux Conférences Internationales pour la seule satisfaction d'une publication commune issue d'une rencontre où chacun vient exprimer ses positions et s'en retourner à son travail comme si de rien n'était. Les textes préparatoires et les débats sont des moments qui doivent permettre de clarifier des points d'accord et de désaccord ; ceci doit se traduire par une capacité à mettre noir sur blanc publiquement non seulement une simple juxtaposition des positions et déclarations des uns et des autres mais également une rédaction commune si cela est possible.
Cela n'a pas été possible et c'est une faiblesse de la Conférence. Paradoxalement, cette volonté de rester muet en tant que Conférence en refusant d'envisager une déclaration commune, s'est accompagnée d'un souci de rajouter des critères, envisages comme critères de "sélection" pour BC et d'"exclusion" pour la CWO, pour la tenue de prochaines Conférences. Nous nous retrouvons à la fois en présence de propositions s'orientant vers une sorte de plateforme minimum au lieu d'un souci de cadre de discussion et à la fois en présence d'un refus de se prononcer en commun sur quoi que ce soit. Comprenne qui pourra. Même les décisions prises telles que la préparation d'une prochaine Conférence restent "dans l'air": au bon soin du lecteur de la brochure d'interpréter les implications pratiques du travail fourni.
M.G.
RESOLUTION SUR LA CRISE
1) Y compris pour les secteurs les moins lucides de la classe dominante, la crise mondiale du capitalisme est devenue aujourd'hui une évidence indiscutable. Mais si les économistes, ces apologistes appointés du mode de production capitaliste, commencent à renoncer â attribuer les difficultés présentes de l'économie à la hausse du prix du pétrole ou au dérèglement du système monétaire international institué en 1944, ils n'en sont pas pour autant capables, compte tenu de leurs préjugés de classe de comprendre la signification réelle de ces difficultés.
2) Cette signification, seul le marxisme permet de l'appréhender. Il enseigne, comme l'a mis en évidence l'Internationale Communiste que, depuis la première guerre impérialiste, le système capitaliste est entré dans sa phase de décadence. Aux crises cycliques du siècle dernier, qui étaient comme les pulsations d'un corps en pleine santé, a succédé une crise permanente où le système ne se survit plus qu'à travers un cycle infernal -véritables râles de son agonie- de crises aiguës, guerres, reconstruction, nouvelles crises aiguës..,
3) Sont ainsi à rejeter les théories -y compris celles se réclamant du marxisme- qui font de la crise présente une simple crise "cyclique", ou de "restructuration", ou "d'adaptation", ou de "modernisation". Le capitalisme est absolument incapable de surmonter la crise présente et tous ses plans, qu'ils soient destines à limiter l'inflation ou à relancer la production, ne peuvent aboutir finalement qu'à des échecs. La seule "issue" à laquelle le capitalisme, livré à ses propres lois, puisse aboutir, est une nouvelle guerre impérialiste mondiale.
4) Si la seule perspective que le capitalisme offre à l'humanité est la guerre généralisée, l'histoire a montré notamment en 1917 en Russie et en 1918 en Allemagne qu'il existe dans la société une force capable de s'opposer, de faire reculer et d'anéantir une telle perspective : la lutte révolutionnaire du prolétariat. L'alternative que pose l'aggravation inexorable des contradictions économiques du capitalisme, est donc : guerre impérialiste ou surgissement révolutionnaire de la classe ouvrière ; l'issue qui finalement l'emportera étant la traduction des rapports de forces entre les deux classes principales de la société : bourgeoisie et prolétariat.
5) Par deux fois, la bourgeoisie a réussi à imposer sa "solution" aux contradictions de son économie : en 1914, grâce à la gangrène opportuniste et à la trahison des grands partis ouvriers ; en 1939, grâce à une terrible défaite imposée au prolétariat dans les années 20, parachevée par la trahison de ses partis communistes et par la chape de plomb du fascisme et des mystifications anti-fascistes et démocratiques. Mais tout autre la situation présente :
• L’encadrement du prolétariat par les partis de gauche PC et PS est incomparablement moins efficace que ne l’était celui des partis sociaux-démocrates en 1914 ;
• les mythes démocratiques ou anti-fascistes -même s'ils sont fréquemment agités-, la puissance mystificatrice du soi-disant "Etat ouvrier", sont passablement usés et émoussés.
6) Ainsi la perspective ouverte par l'aggravation des contradictions capitalistes à la fin des années 60 n'est pas guerre impérialiste généralisée mais guerre de classe généralisée : ce n'est qu'après avoir imposé une cuisante défaite au prolétariat que le capitalisme pourrait se laisser aller à une troisième guerre mondiale ; c'est ce qu'a démontré la réaction prolétarienne de 68 en France 69 en Italie, 70 en Pologne et dans beaucoup d'autres pays à la même période. Et si la bourgeoisie a pu, grâce à une contre-offensive politique et idéologique, principalement animée par les partis de gauche, faire taire momentanément les luttes, les réserves de combativité du prolétariat sont loin d'être épuisées. Avec l'aggravation de la crise, de l'austérité et du chômage, et contrairement à ce qu'espère la bourgeoisie, cette combativité ne manquera pas de s'exprimer à nouveau en de formidables combats contre le capitalisme.
RESOLUTION SUR QUESTION NATIONALE
1) A la base de la constitution de l'Internationale Communiste résidait la reconnaissance du fait que le capitalisme était entré dans sa phase de décadence, mettant à l'ordre du jour la révolution prolétarienne. Comme elle l'écrivait, avec la première guerre mondiale, "s'est ouverte l'ère des guerres impérialistes et des révolutions". Aujourd'hui, toute formulation cohérente des positions de classe prolétarienne repose sur la reconnaissance de cette caractéristique essentielle de la vie de la société.
2) Depuis le "Manifeste Communiste", le marxisme a toujours reconnu la tendance du mode de production capitaliste à unifier les lois de l'économie mondiale, de la bourgeoisie "à créer un monde à son image". En ce sens, il est étranger au marxisme de considérer qu'il puisse exister, alors que la révolution prolétarienne est à Tordre du jour, des aires géographiques données échappant à l'évolution d'ensemble du capitalisme où des "révolutions démocratiques bourgeoises" ou bien des "luttes de libération nationale" seraient à 1'ordre du jour.
3) L'expérience de plus d'un demi-siècle a démontré que ces prétendues "luttes nationales" ne sont pas autre chose que des moments des différents conflits inter-impérialistes qui culminent dans la guerre mondiale et que tout le battage qui tente d'entraîner les prolétaires dans la participation à ces luttes ou dans leur soutien n'ont d'autre résultat que le dévoiement des véritables luttes du prolétariat et participe de la préparation à la guerre impérialiste mondiale.
RESOLUTION SUR L'ORGANISATION DES REVOLUTIONNAIRES
1) Depuis qu'il existe, le mouvement ouvrier a reconnu dans l'organisation et la conscience les deux armes essentielles de la lutte de classe prolétarienne. Au même titre que toute activité humaine et notamment les révolutions du passé, la révolution communiste est un acte conscient mais à un degré considérablement plus élevé. C'est tout au long de son expérience comme classe que le prolétariat se forge la conscience de son être, de ses buts et des moyens pour y parvenir. C'est là un processus douloureux, heurté, hétérogène, dans lequel la classe secrète des organisations politiques regroupant ses éléments les plus conscients, ceux qui "ont sur le reste de la masse prolétarienne l'avantage de comprendre les conditions, la marche et les résultats généraux du mouvement" (le "Manifeste"), organisations qui ont pour tâche de participer activement à cette prise de conscience, à sa généralisation et donc aux combats de la classe.
2) L'organisation des révolutionnaires constitue un organe essentiel de la lutte du prolétariat tant avant qu'après l'insurrection et la prise du pouvoir : sans elle, sans le parti prolétarien et, parce que cela exprimerait une immaturité de sa prise de conscience, la classe ouvrière ne peut réaliser sa tâche historique : détruire le système capitaliste et édifier le communisme.
3) Avant la révolution et comme préparation de celle-ci, les communistes interviennent activement dans les luttes de la classe et encouragent, stimulent toutes les manifestations et possibilités qui se font jour en son sein, exprimant sa tendance vers l’auto-organisation et le développement de sa conscience : assemblées générales, comités de grève, comités de lutte ou d'action, comités de chômeurs, cercles de discussion ou noyaux ouvriers... par contre, sous peine de contribuer à la confusion et à la mystification entretenues par la bourgeoisie, les communistes doivent interdire toute participation à la vie de ces organes du capitalisme que sont devenus aujourd'hui et de façon définitive les syndicats.
4) Pendant et après la révolution, le parti prolétarien participe activement à la vie de l’ensemble de la classe regroupée dans son organisation unitaire, les conseils ouvriers, afin de l'orienter vers la destruction de l'Etat capitaliste, la prise du pouvoir politique, la destruction des rapports de production capitalistes et l'instauration de rapports sociaux communistes. Cependant, et même si son action est indispensable, le parti, contrairement au schéma qui prévaut dans la révolution bourgeoise, ne peut se substituer à l'ensemble de la classe pour la prise du pouvoir et l'accomplissement de sa tâche historique. En aucun cas, il ne peut constituer une délégation de la classe ; la nature du but à teindre, le communisme, est telle que seule la prise du pouvoir par l'ensemble de la classe, son activité et son expérience peuvent y conduire.
5) Après la plus profonde contre-révolution de l'histoire du mouvement ouvrier, une des tâches les plus importantes qui revient aux révolutionnaires est de contribuer activement à la reconstitution de cet organe essentiel de la lutte révolutionnaire : le parti prolétarien. Si le surgissement de celui-ci est conditionné par le développement et l'approfondissement de la lutte de classe, par l'éclosion d'un cours vers la révolution communiste, un tel surgissement n'est pas un produit fatal et mécanique ; il ne peut en aucune façon être improvise. Sa préparation passe aujourd'hui par :
- la réappropriation des acquis fondamentaux des expériences passées de la classe ;
- l'actualisation de ces acquis à là lumière des nouvelles données de la vie du capitalisme et de la lutte de classe ;
- l'effort de discussion entre les différents groupes communistes, de confrontation et d'éclaircissement de leurs positions respectives, seules conditions pour l'établissement de bases programmatiques claires et cohérentes qui doivent nécessairement présider à la fondation du parti mondial prolétarien.
RESOLUTION SUR LE PROCESSUS DE REGROUPEMENT
1) Depuis le début du mouvement ouvrier, l'unité des révolutionnaires a constitué pour ceux-ci une préoccupation fondamentale. Cette exigence fondamentale de l'unité entre les éléments les plus avancés de la classe est une manifestation de l'unité profonde des intérêts immédiats et historiques de celle-ci et constitue un facteur décisif dans le processus qui conduit à son unification mondiale, à la conquête de son propre être. Que ce soit dans la tentative de constitution en 1850 d'une "Ligue Mondiale des Révolutionnaires Communistes", regroupant la "Ligue des Communistes", les "Blanquistes" et les "Chartistes" de gauche, dans la fondation de l’AIT en 1864, celle de la Deuxième Internationale en 1889 ou de l'Internationale Communiste en 1919, chaque étape importante du mouvement ouvrier a été ponctuée par cette recherche du regroupement mondial des révolutionnaires.
2) Bien que répondant à une exigence fondamentale de la lutte de classe, cette tendance vers l'unité des révolutionnaires -au même titre que celle vers l'unité de la classe dans son ensemble- a constamment été entravée par toute une série de facteurs comme :
- les vestiges du cadre ancien où s'est développé le capitalisme lui-même avec ses diversités régionales, nationales, culturelles et évidemment économiques, cadre que ce système tend à bouleverser mais ne peut réellement dépasser et qui pèse sur la lutte et la conscience de la classe ;
- l'immaturité politique des révolutionnaires eux-mêmes, leurs incompréhensions, les insuffisances de leurs analyses, leurs difficultés à se dégager du sectarisme, de l'esprit de chapelle et de toutes autres sortes d'influence des idéologies petites-bourgeoises et bourgeoises en leur propre sein.
3) La capacité de cette tendance vers l'unité des révolutionnaires à surmonter ces obstacles est en général une traduction assez fidèle du rapport de forces entre les deux classes fondamentales de la société : la bourgeoisie et le prolétariat,
Si aux périodes de reflux de la lutte de classe, correspond généralement un mouvement de dispersion et d'isolement mutuel des courants et éléments révolutionnaires, aux périodes de montée prolétarienne est associée la concrétisation de la tendance fondamentale vers l'unité des révolutionnaires. Ce phénomène se manifeste de façon particulièrement nette lors de la formation des partis du prolétariat, formation qui prend place dans le cadre d'un développement qualitatif de la lutte de classe et qui résulte en général du regroupement de différentes tendances politiques de la classe comme ce fut le cas notamment :
- lors de la fondation de la Social-Démocratie Allemande en 1875 à Gotha ("lassaliens" et "marxistes");
- lors de la constitution du Parti communiste en Russie en 1917 (bolcheviks et autres courants comme le groupe de Trotsky et celui de Bogdanov)
- lors de la fondation du Parti communiste en Allemagne en 1919 (Spartakistes, "gauches radicales", etc) ;
- lors de la fondation du Parti communiste en Italie en 1921 (courant Bordiga et courant Gramsci) .
Quelles que soient les faiblesses de certains de ces courants constitutifs et bien, qu'en général, l'unification se soit faite autour d'un courant politiquement plus solide que les autres, le fait demeure que la fondation du parti n'est pas le fait d'une proclamation unilatérale mais le produit d'un processus organique de regroupement des éléments les plus avancés de la classe.
4) L'existence d'un tel processus de regroupement aux moments de développement historique de la lutte de classe s'explique :
- par la dynamique unitaire qui s'empare de la classe et se répercute sur les révolutionnaires eux-mêmes les poussant à dépasser leurs divisions artificielles et sectaires ;
- par la responsabilité accrue qui repose sur les révolutionnaires comme facteurs actifs et influents des luttes immédiates et dont la prise en charge impose une concentration des forces et des moyens ;
- par la clarification des problèmes, par le dépassement des divisions portant sur des questions que la pratique de la classe se charge de trancher.
5) La situation présente du milieu révolutionnaire se caractérise par son extrême division, par l’existence de divergences importantes sur des questions fondamentales, par l'isolement de ses différentes composantes, par le poids du sectarisme, de l'esprit de chapelle, de la sclérose de certains courants et de l'inexpérience de certains autres, toutes manifestations de la terrible pression exercée par un demi-siècle de contre-révolution.
6) Une approche statique de cette situation peut induire l'idée, notamment défendue par le FOR (Fomento Obrero Revolucionario) qu'il n'existe aucune possibilité, ni présente, ni future de rapprochement entre les différentes positions et analyses existant à l'heure actuelle, rapprochement qui seul peut permettre l'acquisition d'une cohérence et d'une clarté communes, bases indispensables de toute plateforme pour la constitution d'une organisation unifiée. Une telle approche ignore deux éléments essentiels :
- la capacité de la discussion, de la confrontation des positions et analyses à clarifier les questions ne serait-ce que parce qu'elles permettent une meilleure compréhension des positions respectives et l'élimination des fausses divergences ;
- l'importance de l'expérience pratique de la classe comme facteur de dépassement des incompréhensions et divergences.
7) Aujourd'hui, la plongée du capitalisme dans la crise aigue et le resurgissement mondial du prolétariat mettent à l'ordre du jour de façon pressante le regroupement des forces révolutionnaires. L'ensemble des problèmes auxquels la classe sera confrontée dans la pratique, les enseignements qu'avec elle les révolutionnaires seront conduits à tirer de son expérience concrète :
- constitue un terrain favorable à un tel processus de regroupement,
- permettra une clarification sur les questions essentielles qui divisent aujourd'hui l'avant-garde du prolétariat, comme les perspectives du capitalisme, la nature des syndicats et l'attitude des communistes à leur égard, la nature des luttes nationales, la fonction du parti prolétarien, etc..
Mais la mise à l'ordre du jour et l'exigence de l'unité et en dernier lieu l'ouverture de débats entre révolutionnaires, s'ils constituent une nécessité absolue, ne se traduisent pas mécaniquement en une réalité s'ils ne s'accompagnent pas d'une prise de conscience de cette nécessité et d'une volonté militante d'en assumer la prise en charge. Ceux des groupes qui, à l'heure actuelle, n'ont pas pris conscience de cette nécessité et refusent de participer au processus de discussion et de regroupement sont condamnés, s'ils ne révisent pas leurs positions, à devenir des entraves au mouvement et à disparaître comme expressions du prolétariat.
8) C'est l'ensemble de ces considérations qui anime la participation du CCI aux débats développés dans le cadre de la conférence de Milan en mai 1977 et celle de Paris en novembre 1978. C'est fondamentalement parce qu'il analyse la période actuelle comme celle d'une reprise historique de la classe ouvrière que le CCI attache une telle importance à cet effort, qu'il condamne avec fermeté l'attitude des groupes qui négligent ou rejettent un tel effort et considère que cette attitude sectaire constitue une position politique en soi et dont les implications sont au moins aussi importantes que les autres positions erronées qui peuvent peser sur le courant communiste. Il estime donc que ces discussions sont un élément très important dans le processus de regroupement des forces révolutionnaires devant conduire à leur unification au sein du parti mondial du prolétariat -arme essentielle de son combat révolutionnaire.
[1] [497] Revolutionnary Perspectives n°12, Battaglia Comunista 1978-16
[2] [498] Textes et compte-cendu de la Conférence Internationale de Milan (mai 1977)
[3] [499] Parti Communiste International (Programma Comunista en Italie, Programme Communiste en France) Pour une Intervention Communiste (Jeune Taupe) en France
[4] [500] Marx, Lettre de K.Marx à W.Bracke, 5 mai 1875, Avant-Propos à la Critique du Programme de Gotha, Ed.Sociales.
[5] [501] POSDR : Parti Ouvrier Social-Démocrate Russe
[6] [502] Bilan n°l
[7] [503] Textes et Compte-Rendu de la Conférence Internationale de Paris (novembre 1978)
[8] [504] Idem.
[9] [505] Revolutionnary Perspectives n°12
Dans le jeune mouvement révolutionnaire, engendré par la résurgence de la lutte de classe à la fin des années 60, le premier et le plus persistant obstacle à la reconstruction d'une organisation de révolutionnaires, était ce que l'on peut généralement appeler : le conseillisme. Traumatisée par la dégénérescence "du parti bolchevik et l'expérience désastreuse du stalinisme et du trotskysme, la majorité de ces nouveaux courants révolutionnaires proclamaient que la classe ouvrière n'a pas besoin de parti révolutionnaire, que les organes unitaires de la classe, les conseils ouvriers, étaient seuls nécessaires à l'accomplissement de la révolution communiste. D'après ce point de vue, les révolutionnaires devaient éviter de s'organiser et d'agir comme avant-garde dans la lutte de classe ; certains courants allaient même jusqu'à rejeter toute forme de groupe révolutionnaire comme rien de moins qu'un "racket" dicté par les besoins du capital et non par ceux de la classe ouvrière.
Depuis le début de son existence, notre Courant International a rejeté clairement ces aberrations et est intervenu activement pour les combattre -par exemple à la Conférence Internationale appelée par le groupe français "Informations Correspondances Ouvrières" en 1969. Nous avons toujours insisté sur le fait que la répudiation de 'l'héritage contre-révolutionnaire du stalinisme et du trotskysme et la nécessaire critique des erreurs des anciens partis prolétariens ne devraient pas conduire à nier le besoin d'une organisation unifiée des révolutionnaires aujourd'hui, à nier le rôle indispensable du parti communiste dans la révolution prolétarienne. Si cette défense intransigeante du besoin de l'organisation est dénoncée comme du "léninisme" par des conseillistes et divers libertaires, et bien, grand bien leur fasse! Le CCI s'est toujours réclamé de la contribution historique de Lénine et du parti bolchevik comme partie de notre propre héritage.
L'idéologie conseilliste qui met tout l'accent sur son interprétation particulière de la "spontanéité de masse" de la classe ouvrière, peut parfois fleurir dans les périodes d'activité montante de la classe, quand la créativité de la classe atteint un haut niveau et laisse les minorités révolutionnaires dans son sillage. Ainsi, Mai 68 en France vit l'épanouissement d'innombrables tendances conseillistes : de l'Internationale Situationniste au GLAT. Mais de telles tendances n'allèrent plus si bien quand l'explosion de la lutte de classe entra dans une phase de reflux. Après la retombée de la vague de lutte de 68-72 dans les capitalismes avancés, la grande majorité de ces tendances, basées comme elles l'étaient sur une conception immédiatiste et activiste du travail révolutionnaire, éclatèrent ou devinrent des sectes académiques stériles. La liste de l'hécatombe est longue : l'Internationale Situationniste, la Gauche Marxiste, Pouvoir Ouvrier, Noir et Rouge, le GLAT, Combate (Portugal), et les diverses tendances modernistes anti-organisationnelles : Invariance, le Mouvement Communiste, Kommunismen (Danemark), Internationell Arbeitarkampf (Suède), Négation, For Ourselves (USA)...
Dans l'atmosphère difficile et parfois démoralisante des quelques dernières années, pendant lesquelles s'est développé un décalage entre l'approfondissement de la crise et le niveau de la lutte de classe, les seuls groupes communistes qui ont survécu ou qui se sont développés ont été ceux qui, d'une manière ou d'une autre, ont mis en évidence la nécessité de l'organisation : le CCI, Battaglia Comunista, et malgré sa dégénérescence politique, le Parti Communiste International (bordiguiste). De même qu'à un niveau historique plus grand, la clarté de la Gauche italienne sur la question de l'organisation lui permit de mieux survivre à la période de contre-révolution (plus sûrement) que d'autres fractions communistes de Gauche, aussi ces groupes furent mieux équipés pour faire face aux effets de la période actuelle de relatif calme social.
Mais, si les déviations conseil listes et anti-organisationnelles peuvent fleurir pendant les périodes d'activité croissante de la classe, les déviations opposées tendent à prendre le dessus dans les périodes de défaite ou de calme de la classe, quand les révolutionnaires perdent souvent leurs convictions dans la capacité du prolétariat à lutter de façon autonome et à réaliser sa nature révolutionnaire. La caricature substitutionniste qui apparaît dans le "Que Faire" de Lénine fut en grande partie un produit de la période de "paix sociale" internationale dans la dernière partie du 19ème siècle. Dans le réveil de 1905 et surtout dans les révolutions de 1917, Lénine fut capable de critiquer ces exagérations et de lier ses propres positions politiques à l'activité autonome de masse de la classe. Le déclin de la vague révolutionnaire de l'après-guerre conduisit cependant Lénine et les bolcheviks à reprendre sur de nombreux points les distorsions socio-démocrates. De même le prix payé par la Gauche italienne pour son maintien sur des positions de classe pendant les longues années de la contre-révolution, fut, surtout après la seconde guerre mondiale, une importance croissante accordée au rôle du parti, culminant dans le Parti mégalomane des bordiguistes.
Dans la conjoncture présente, à cause du désarroi de la majorité des conseillistes, leur banqueroute prouvée par leur propre désintégration, le CCI est de plus en plus confronté à la déviation inverse : le substitutionnisme, la sous-estimation de l'importance de l'auto-activité des masses, et la surestimation du rôle du parti, au point que le parti est chargé des tâches que seule la classe dans son ensemble peut mener à bien, en particulier, la prise et'1'exercice du pouvoir politique. Après avoir été dénoncés comme léninistes par les conseillistes, le CCI est maintenant dénoncé comme conseilliste par les léninistes... Non seulement cela, mais des organisations qui avaient, à 1'origine,une claire compréhension des relations entre classe et parti, comme la CWO, ont commencé à régresser vers des positions ouvertement substitutionnistes. Ainsi en 1975, la plateforme de "Revolutionary Perspectives" établissait que l'organisation des révolutionnaires :
"Ne peut pas agir "au nom de" la classe,, mais seulement comme partie de celle-ci, reconnaissant clairement que la principale leçon de 1917 en Russie et en Allemagne est que l'exercice du pouvoir politique pendant la dictature du prolétariat et la construction du communisme sont des tâches de la classe elle-même et de ses organisations unitaires (conseils, milices d'usine, milices armées)."
Aujourd'hui, la CWO affirme que le parti "dirige et organise" la lutte pour le pouvoir (souligné par nous, texte de la CWO pour la Conférence de Paris) et que :
"Au moment victorieux, l'insurrection sera transformée en révolution, et un soutien majoritaire pour le communisme se manifestera dans la classe -via le parti dans les conseils tenant le pouvoir".
Au sein du CCI lui-même, des idées similaires ont été développées, menant des camarades de France et d'Italie dans les dogmes rassurants du bordiguisme. Demain, quand le prolétariat resurgira de façon décisive sur la scène, nous pourrions bien être confrontés à une seconde vague de conseillistes, d'ouvriéristes et d'autonomes de toutes sortes. La résolution "le rôle du parti dans la révolution prolétarienne" qui fut adoptée au troisième Congrès de WR (World Révolution) est une tentative de contrer à la fois les deux sortes de déviation et fournit un cadre général pour le développement d'une analyse détaillée et plus précise du rôle du parti -analyse qui restera nécessairement incomplète jusqu'à ce que la future lutte révolutionnaire de la classe réponde aux questions non encore résolues. Si nous centrons cette contribution sur la question du substitutionnisme, c'est que nous pensons que la persistance de cette idéologie dans le mouvement ouvrier d'aujourd'hui est une barrière au développement d'une réelle compréhension des tâches positives du parti révolutionnaire. Le substitutionnisme est pour nous quelque chose que l'expérience historique a déjà clarifié. Si l'avant-garde révolutionnaire veut assumer ses tâches dans les batailles de classe de demain, elle doit carrément rompre avec tout le bois mort du passé.
LE SUBSTITUTIONNISME: EXISTE-T-IL?
D'après certains, le "substitutionnisme" n'est pas un problème. On a recours à des profondeurs philosophiques telles que : "comment le parti qui représente l'intérêt historique du prolétariat, pourrait-il se substituer à la classe ?" Bien sûr, l'intérêt historique de la classe ne peut se substituer à la classe mais, le problème est que les partis prolétariens ne sont pas des entités métaphysiques mais des produits du monde réel de la lutte de classe. Quel que soit le degré de clarté théorique atteint à un moment donné, ils ne sont pas immunisés complètement contre l'idéologie bourgeoise ni automatiquement protégés des pressions bien réelles du vieux monde, des dangers du conservatisme, de la bureaucratie et de la trahison. Assez de partis ont dégénéré ou trahi pour que cela nous semble évident. Et même quand les partis sont loin d'avoir trahi, il est toujours possible qu'ils agissent contre l'intérêt historique de la classe. Nous n'avons qu'à voir la réponse initiale du parti bolchevik à la révolution de Février pour le comprendre. Il n'y a pas de garantie absolue que les actions et les positions du parti prolétarien coïncident invariablement avec les intérêts historiques du prolétariat. Les actions que les révolutionnaires croient être du plus grand intérêt pour la classe peuvent avoir l'effet le plus désastreux à la fois pour la classe et pour le parti.
Mais un groupe comme la CWO a un argument beaucoup plus convaincant contre la notion de substitutionnisme. Ils admettent que le substitutionnisme pourrait signifier " qu'une minorité de la classe tente de remplir les tâches de toute la classe" ("Quelques Questions au CCI, Revue Internationale n°12). Pour eux, ce serait une critique juste de l'idée blanquiste de la prise du pouvoir par une minorité sans le soutien actif et la participation de la majorité de la classe; ou alors c'est une description pure et simple de la situation objective dans laquelle les bolcheviks se trouvèrent du fait de l'isolement de la révolution russe. Ils ne trouvent rien de substitutionniste dans la "prise du pouvoir" par le parti, s'il a gagné le soutien de la majorité de la classe. De même, ils ne voient aucun lien entre la conception bolchevik du rôle du parti en 1917 et les affrontements qui ont suivi avec la classe, notamment à Kronstadt. Mais cela laisse trop de questions sans réponses. Le problème aujourd'hui n'est pas de rejeter les théories de Blanqui ; le marxisme l'a fait depuis longtemps, et même les bordiguistes admettront que les putschs et les complots ne peuvent mener au communisme. Ce que nous voulons mettre en avant, c'est que la notion même de parti prenant le pouvoir -même s'il est démocratiquement élu pour le faire- est une variété de substitutionnisme puisqu'elle signifie qu'une "minorité de la classe tente de mener à bien les tâches de toute la classe". Et ainsi que nous essaierons de le démontrer, la confusion des bolcheviks sur cette question fut un facteur de sa dégénérescence ultérieure. Pour nous le problème du substitutionnisme n'est pas une pure invention du CCI mais une question essentielle, prenant racine dans tout l'histoire du mouvement ouvrier.
CONTEXTE HISTORIQUE DE L'IDEOLOGIE SUBSTITUTIONNISTE
Contrairement à ceux qui s'imaginent que le programme communiste et le parti de classe existent dans les sphères de l'abstraction invariante, le programme et le parti de la classe ne sont rien d'autre que des produits historiques de l'expérience de la classe. Cette expérience est donnée par les conditions objectives du développement capitaliste à un moment donné, et par le niveau général de lutte et d'activités de la classe qui ont lieu dans le cadre de ce développement. Ainsi, si Marx et Engels étaient capables d'avoir une vision générale claire de la nature de la révolution prolétarienne et des tâches des communistes dès 1848, il leur était objectivement impossible d'avoir une compréhension précise de la façon dont le prolétariat viendrait au pouvoir, de la nature du parti communiste et de son rôle dans la dictature du prolétariat. Leurs illusions sur la possibilité pour la classe ouvrière de se saisir de l'Etat bourgeois existant, ne pouvaient être dissipées que par l'expérience pratique de la Commune (et même de façon partielle). De la même façon, leur imprécision sur la nature et le rôle du parti ne sera dépassée que par le développement du mouvement ouvrier.
Nous voudrions rappeler que le marxisme surgit dans une période où, même les partis politiques bourgeois ne faisaient que commencer à se donner la forme unifiée et relativement cohérente qu'ils ont aujourd'hui -développement déterminé par la montée du suffrage universel qui rendit les vieilles coalitions parlementaires caduques dans un tel contexte. A cette époque, le mouvement prolétarien n'avait même pas une claire conception de ce qu'il entendait par le terme parti. De là vient l'extrême imprécision chez Marx dans l'utilisation du terme qui servait indirectement pour désigner quelques individus unis par un point de vue commun, ou la classe entière agissant dans un combat politique commun, ou encore une organisation de l'avant-garde communiste, ou enfin une association de différents courants et tendances. Aussi, la fameuse phrase du "Manifeste Communiste" : "l'organisation des prolétaires en classe et donc en parti politique...", est à la fois un jugement profond de la nature politique de la lutte de classe et du besoin du parti politique prolétarien, et aussi une expression de l'immaturité du mouvement qui n'était pas encore arrivé à une claire définition du parti comme étant une partie de la classe. Le même manque de clarté a inévitablement embrouillé la compréhension marxiste des tâches du parti dans la révolution prolétarienne :
"Bien que les révolutionnaires dans la période d'avant la première guerre mondiale aient repris le mot d'ordre de la 1ère Internationale "l'émancipation des travailleurs sera l'oeuvre des travailleurs eux-mêmes", ils avaient tendance à considérer la prise du pouvoir par le prolétariat comme la prise du pouvoir par le parti du prolétariat. Les seuls exemples de révolution qu'ils pouvaient analyser étaient des révolutions bourgeoises, révolutions dans lesquelles le pouvoir pouvait être délégué à des partis politiques. Tant que la classe ouvrière n'avait pas fait sa propre expérience de la lutte pour le pouvoir, les révolutionnaires ne pouvaient pas être très clairs sur cette question." "Les Tâches présentes des révolutionnaires" (Révolution Internationale n°27)
L'héritage idéologique de la révolution bourgeoise était renforcé par le contexte dans lequel la lutte de classe se menait dans la seconde moitié du 19ème siècle. A la suite de la défaite des combats insurrectionnels des années 1840 (qui permirent à Marx de voir la nature communiste de la classe ouvrière et le lien profond entre ses luttes "économiques" et "politiques"), le mouvement ouvrier entra dans la longue période des luttes pour les réformes au sein du système capitaliste. Cette période institutionnalisa plus ou moins la séparation entre les aspects économiques et politiques de la lutte de classe. En particulier, dans la période de la IIème Internationale, cette séparation fut codifiée par les différentes organisations de masse de la classe : les syndicats étaient définis comme des organes de la lutte économique et le parti comme organe de la lutte politique, que cette lutte politique soit à court terme pour l'obtention des droits démocratiques pour la classe ouvrière ou à long terme pour la prise du pouvoir politique, elle se plaçait sur le terrain parlementaire, le terrain de la politique bourgeoise, par excellence. Les partis ouvriers qui luttaient sur ce terrain étaient inévitablement imprégnés de ses prémisses et de ses méthodes.
La démocratie parlementaire signifie la remise de l'autorité dans les mains d'un corps de spécialistes dans l'art de gouverner, de partis dont la raison d'être est de rechercher le pouvoir pour eux-mêmes. Dans la société bourgeoise, la société des "hommes égoïstes", des hommes séparés des autres hommes et de la communauté" (Marx "Sur la Question Juive"), le pouvoir politique ne peut que prendre la forme d'un pouvoir au-dessus et sur l'individu et la communauté, de même que "l'Etat est l'intermédiaire entre l'homme et sa liberté" (ibid), dans une telle société, il doit y avoir un intermédiaire entre "les gens" et leur propre dirigeant. Les masses atomisées, qui vont ensemble à la mascarade des élections bourgeoises, ne peuvent trouver un semblant d'intérêt et de direction collectifs qu'à travers un parti politique qui les représente. Précisément parce qu'elles ne peuvent se représenter elles-mêmes. Bien qu'incapable d'en tirer toutes les conséquences pour sa propre pratique, le Parti Communiste Internationaliste d'Italie exprime très bien la réalité de la représentation bourgeoise. L'Etat démocratique bourgeois était basé sur :
"Cette caractéristique fictive et trompeuse d'une délégation de pouvoir, d'une représentation par l'intermédiaire d'un député, d'un bulletin de vote ou d'un parti. La délégation signifie, en fait, renoncer à la possibilité de l'action directe. La prétendue "souveraineté11 des droits démocratiques n'est rien d'autre qu'une abdication,et dans la plupart des cas, une abdication en faveur d'une canaille." ("Dictature du prolétariat et parti de classe", Battaglia Comunista n°3, 4, 5, 1951)
La révolution prolétarienne met fin à ce genre de délégation de pouvoir qui est en réalité une forme d'abdication. La révolution d'une classe qui est organiquement unie par des intérêts de classe indivisibles, offre la possibilité à l'homme de reconnaître et d'organiser "ses propres forces comme forces sociales, ainsi cette force n'est plus séparée de lui sous forme de force politique (Marx "Sur la Question Juive). La praxis de la lutte prolétarienne, tend à se débarrasser de la séparation entre pensée et action, dirigeant et exécutant, forces sociales et pouvoir politique. La révolution prolétarienne n'a, de ce fait, aucun besoin d'une élite spécialisée et permanente qui"représente" les masses amorphes et accomplit leurs tâches à leur place. La Commune de Paris, premier exemple d'une dictature prolétarienne, commença à éclairer ce fait, en prenant des mesures pratiques pour éliminer la séparation entre les masses et le pouvoir politique : abolition de la séparation parlementaire entre le législatif et l'exécutif, exigence que tous les délégués soient élus et révocables à chaque instant, liquidation de la police et de l'armée permanente, etc.. Mais l'expérience de la Commune fut prématurée et trop brève pour éliminer complètement les conceptions démocratiques bourgeoises de l'Etat et du rôle du parti, du programme du mouvement ouvrier. Ce que la Commune montra, cependant, c'est que, même sans parti communiste à sa tête la classe ouvrière peut aller jusqu'à la prise du pouvoir politique ; mais les hésitations des partis prolétariens et petits-bourgeois qui se trouvèrent à la tête du soulèvement, confirment aussi que, sans la présence active d'un véritable parti communiste, la révolution prolétarienne est handicapée dès le début. Quant au rapport exact entre un tel parti et l'Etat-Commune, cette question ne sera pas encore résolue par 1'histoire.
Plus important encore peut-être, c'est le fait que l'expérience de la Commune ne mit pas fin aux illusions des révolutionnaires sur la république démocratique. En 1917, Lénine comprenait que la Commune était le résultat de l'écrasement du vieil Etat bourgeois par la révolution, de la base au sommet. Mais dans la dernière partie du 19ème siècle, et au début du 20ème, les marxistes tendaient à voir la Commune comme un modèle pour les ouvriers dans leur lutte pour prendre le contrôle de la république démocratique ; "se débarrasser" de ces plus mauvais aspects, et la convertir en instrument du pouvoir prolétarien.
"Le socialisme international considère que la république est la seule forme possible de l'émancipation socialiste, à la condition que le prolétariat l'arrache aux mains de la bourgeoisie et le transforme, d'"une machine pour l'oppression d'une classe par une autre", en une arme pour l'émancipation socialiste de l'humanité". (Trotski "Trente-cinq ans après 1871-1906)
Et, sous divers aspects, la Commune, basée sur la représentation territoriale, le suffrage universel, gardait beaucoup de faiblesses de l'Etat démocratique bourgeois. En ce sens, elle ne permit pas réellement au mouvement ouvrier de dépasser l'idée selon laquelle le pouvoir prolétarien est exercé par un parti. Ce ne fut qu'avec le surgissement des conseils ouvriers à la fin de a période d'ascendance du capitalisme, que ce problème commença à être résolu. Dans les conseils, la classe était organisée comme classe ; elle était capable d'unifier ses tâches économiques, politiques et militaires, de décider et d'agir consciemment, sans intermédiaire. L'émergence des conseils permit aux révolutionnaires de rompre définitivement avec l'idée que la république démocratique est une forme d'Etat qui pourrait de quelque façon être utilisée par le prolétariat ; en fait, c'était la dernière barrière, et la plus insidieuse à la révolution prolétarienne. Mais, si en 1917, les révolutionnaires pouvaient se débarrasser de toutes les illusions parlementaires sur la question de l'Etat, la persistance de vieilles habitudes de pensée pesait encore lourdement sur leur conception du parti.
Nous avons vu que, dans la vision social-démocrate, les luttes économiques de la classe sont menées par les syndicats, les luttes politiques, jusqu'à la prise du pouvoir, par le parti. Précisément parce qu'il était question de 1a "conquête" du pouvoir d'Etat bourgeois, l'idée d'organes politiques de masse de la classe n'existait pas ; le seul organe politique du prolétariat, c'était le parti L'Etat ne prenait une fonction prolétarienne que dans la mesure où il était contrôlé par le parti prolétarien. Ainsi, il était inévitable que l'insurrection et la prise du pouvoir soit organisées par le parti; aucun autre organe ne pouvant unifier la classe au niveau politique ; en théorie, cependant le parti devait devenir un parti de masse, une armée disciplinée et nombreuse afin d'accomplir ses tâches révolutionnaires. Le modèle social-démocrate de la révolution ne fut jamais, et ne put jamais, être mis en pratique. Mais son importance réside dans l'héritage qu'il laissa aux révolutionnaires qui passèrent par l'école de la social-démocratie. Et cet héritage ne pouvait être que le substitutionnisme. Même si la révolution était conduite par un parti de masse, c'était encore une conception qui attribuait au parti les tâches qui ne peuvent revenir qu'à l'ensemble de la classe.
Il est certain que ces conceptions ne jaillissent pas d'une faiblesse morale de la part de la social-démocratie. L'idée d'un parti agissant au nom de la classe était le produit de la pratique du mouvement ouvrier dans le capitalisme ascendant, et elle était profondément ancrée dans l'ensemble de la classe. Dans cette période, les luttes quotidiennes pour les réformes, au niveau économique et politique, pouvaient en grande partie être confiées à des représentants permanents : négociateurs syndicaux et porte-paroles parlementaires spécialisés. Mais les pratiques et les conceptions qui étaient possibles pendant l'époque ascendante, devinrent impossibles et réactionnaires au moment où la décadence capitaliste mit fin à la période des luttes pour les réformes. Les tâches révolutionnaires qu'affrontait le prolétariat impliquaient des méthodes de lutte très différentes.
Au début du 20ème siècle, des révolutionnaires comme Lénine, Trotski, Pannekoek et Luxembourg, tentèrent de clarifier les relations entre parti et classe à la lumière des nouvelles conditions historiques, et des luttes de masse que ces conditions provoquaient, spécialement en Russie. Si nous retenons les aspects les plus profonds de leurs contributions, riches mais souvent contradictoires, nous pouvons discerner une prise de conscience sur le fait que le parti social-démocrate de masse ne valait que pour la période des luttes pour les réformes. Lénine fut le plus apte à comprendre que le parti révolutionnaire ne pouvait être qu'une avant-garde communiste peu nombreuse et strictement sélectionnée ; et Luxembourg,en particulier, fut capable de voir que la tâche du parti n'était pas d'"organiser" la lutte de la classe. L'expérience avait montré que la lutte éclate spontanément et contraint la classe à passer des luttes partielles aux luttes générales. L'organisation de la lutte jaillit de la lutte elle-même et embrase toute la classe. Le rôle de l’avant-garde communiste dans ses luttes de masse, n'était pas un rôle d'organisation, dans le sens de donner à la classe une structure préexistante pour organiser sa lutte.
"Plutôt que de se casser la tête sur l'aspect technique, sur le mécanisme de la grève de masse les sociaux-démocrates sont appelés à assumer la direction politique dans le feu de la période révolutionnaire". (Luxembourg :"La Grève de masse")
Autrement dit, la tâche du parti était de participer activement à ces mouvement spontanés afin de les rendre aussi conscients et organisés que possible , afin d'indiquer les tâches que la classe dans son ensemble, organisée dans ses organes unitaires, serait amenée à assumer.
Mais, il aurait été impossible que tout cela soit clair d'emblée, pour les révolutionnaires de cette époque. Et là nous revenons au problème du substitutionnisme. La persistance de conceptions sociales-démocrates, pas seulement dans l'ensemble de la classe, mais aussi dans l'esprit de ses meilleurs éléments révolutionnaires,le manque de toute expérience réelle de ce que cela signifie pour la classe de détenir le pouvoir, devaient peser très lourdement sur la classe quand elle allait se lancer dans les combats révolutionnaires de 1917-23.
Les séquelles de l'idéologie social-démocrate se voient, par exemple, dans la position officielle de l'Internationale Communiste sur les syndicats. A la différence de la Gauche allemande, qui commençait à voir que la forme syndicale de lutte, était impossible dans l'époque de décadence, l'Internationale Communiste (IC) restait encore attachée à l'idée du parti organisant les luttes défensives de la classe et les syndicats étaient considérés comme le pont entre parti et classe. Ainsi l’IC ne fut pas capable de tirer la signification des organes autonomes que les masses créaient dans le feu de la lutte, en dehors et contre les syndicats.
Plus importante, dans ce contexte, est la façon dont les vieux schémas de pensée dominaient dans l’IC par rapport aux relations entre parti et conseils. Bien qu'à son premier congrès, les "thèses sur la démocratie bourgeoise et la dictature du prolétariat" de Lénine, aient, comme "L'Etat et la Révolution", mis l’accent sur les soviets comme organes du pouvoir prolétarien direct, au second congrès, les effets des défaites que la classe avait subies en 1919, leur faisaient déjà perdre cette idée. L'accent était mis sur le parti, non plus sur les soviets. Les "thèses sur le rôle du parti communiste dans la révolution prolétarienne" de l’IC, établissaient clairement que "le pouvoir politique ne pouvait être pris, organisé et dirigé, que par un parti politique, et d'aucune autre façon"
D'une façon ou d'une autre, cette vision était partagée par tous les courants du mouvement ouvrier jusqu'à 1920. Tous, même Luxembourg qui critiquait l'idée de "la dictature du parti", gardaient une vision à demi-parlementaire des soviets élisant un parti au pouvoir. Seule la Gauche allemande commença à rompre avec cette idée, mais elle ne développa qu'une critique partielle qui dégénéra rapidement en une position conseilliste. Mais dire que le pouvoir politique du prolétariat ne peut s'exprimer que par un parti, c'est dire que les soviets ne sont pas capables eux-mêmes d'être ce pouvoir. C'est substituer le parti aux soviets dans leurs tâches les plus essentielles et ainsi les vider de leur contenu réel.
En 1917, ces questions ne furent pas particulièrement urgentes. Quand la classe est en mouvement à une grande échelle, le problème du substitutionnisme n'est pas posé. Dans de tels moments, il est impossible au parti de prétendre "organiser" la lutte. La lutte est là, les organisations de la lutte sont là. Le problème du parti est de savoir comment établir une réelle présence au sein de ces organisations et avoir une influence directe sur elles. Ainsi, ceux qui se posent la question : "le parti bolchevik s'est-il substitué à la classe en Octobre 1917" tombent à côté de la plaque. Non ! Il n'y a pas eu de substitutionnisme dans l'insurrection d'Octobre. L'insurrection ne fut pas organisée et exécutée par le parti bolchevik mais par le Comité Militaire Révolutionnaire du Soviet de Petrograd, sous la direction politique du parti bolchevik. Ceux qui pensent qu'il s'agit d'une distinction purement formelle devraient se référer à "L'Histoire de la Révolution Russe" de Trotski, où il souligne l'importance politique que les bolcheviks attachaient au fait que Tin-surrection soit menée au nom du Soviet -organe unitaire de la classe- et non en celui de l'avant-garde communiste. Il est vrai que quand la classe va de l'avant, les relations entre le parti et les organisations de masse tendent à être très étroites et harmonieuses. Mais ce n'est pas une raison pour masquer la distinction entre parti et organes unitaires ; en vérité, une telle confusion des rôles ne peut qu'avoir des conséquences fatales, plus tard, si le mouvement de classe entre dans une période de reflux provisoire ou long. Ainsi, dans la révolution russe, le problème du substitutionnisme surgira dans toute son ampleur après la prise du pouvoir, dans l'organisation de l'Etat des Soviets et à cause des difficultés posées par la guerre civile et l'isolement de la révolution. Mais quoique les difficultés objectives que rencontrèrent les bolcheviks et la révolution russe constituent une explication sous-jacente de pourquoi les bolcheviks finirent par" se"substituer" aux conseils ouvriers et terminèrent du côté de la contre-révolution, ce n'est pas une explication suffisante. Autrement, il n'y aurait pas de leçons a tirer de l'expérience russe, hormis le fait évident que la contre-révolution est causée par la.contre-révolution. Si les révolutionnaires veulent éviter de rejeter les erreurs du passé, ils doivent analyser comment les confusions politiques du parti bolchevik ont accéléré le processus de la dégénérescence de la révolution et leur propre passage dans le camp du capital. En particulier, nous devons montrer en quoi les confusions des bolcheviks sur le rapport entre parti et classe et Etat ont conduit à une situation où :
• le parti bolchevik entra en conflit avec les organes unitaires de la classe presque immédiatement après qu'il est devenu un parti de gouvernement et bien avant que la masse des ouvriers aient été décimés par la guerre civile ou que la vague révolutionnaire internationale ait reculé.
• ce fut le parti, l'expression la plus avancée du prolétariat russe qui devint l'avant-garde de la contre-révolution ; cela détruisit le parti de l'intérieur et causa la naissance du monstre stalinien, une trahison historique qui fit plus pour désorienter le mouvement prolétarien que toute autre trahison d'organisation prolétarienne.
Si nous voulons éviter d'expliquer ces faits en ayant recours aux naïves théories libertaires ("les bolcheviks ont fait tout cela parce qu'ils étaient autoritaires", "tous les partis cherchent le pouvoir pour eux-mêmes", "le pouvoir corrompu"...), nous devons regarder de plus près le problème du parti, des conseils et de l'Etat dans la révolution prolétarienne.
PARTI ET CONSEILS
Pour certains courants conseillistes, l'opposition d'intérêts est si grande entre les organisations politiques révolutionnaires d'une part et les organes unitaires de la classe d'autre part qu'ils préconisent la dissolution de tous les groupes politiques dès qu'apparaissent les conseils ou alors ils ont peur de parler de l'existence d'un ou plusieurs partis au sein des conseils, hantés qu'ils sont par la vision bourgeoise du parti, comme rien d'autre qu'un corps de spécialistes dont la seule fonction est de manoeuvrer pour prendre le pouvoir. Pour ces courants, il y a dans les groupes politiques et les partis un "péché originel" qui les conduit ; inévitablement à trahir la classe et à essayer j de supplanter et "noyauter" ses organes unitaires. N'insistons pas sur l'infantilisme de cette vision, il faut surtout se rendre compte qu'en réalité elle va à rencontre de l'autonomie de la classe. La tragique expérience de la] révolution allemande amena l’IC à conclure très justement que :
"L'existence d'un parti communiste fort est nécessaire pour vendre les soviets capables de remplir leurs tâches historiques un parti qui ne "s'adapte" pas aux soviets mais qui est capable de les amener à "ne pas s'adapter" à la bourgeoisie et à la garde blanche social-démocrate". ("Thèses sur le rôle du parti communiste" 2ème congrès de l’IC)
Mais l'insistance sur la nécessité pour le parti d'intervenir dans les conseils pour contribuer à une orientation politique claire ne doit pas conduire à ignorer l'expérience du passé (particulièrement sur la révolution russe), et prétendre qu'il n’y a pas de problème dans les relations entre parti et conseils, que le danger de substitutionnisme du parti aux conseils n'est que le produit d'une névrose conseilliste. En fait, les aberrations du conseillisme ont pu avoir tant d'écho parce qu'elles furent une fausse solution à un vrai problème.
Après tous les débats passionnés qui ont eu lieu dans le mouvement révolutionnaire durant ces cinquante dernières années, il est plutôt triste de voir un groupe comme la CWO édulcorer tout le problème avec une argumentation purement sophistique. D' après la CWO :
"Pour qu'il prisse y avoir une conquête révolutionnaire du pouvoir, le parti doit avoir une majorité de délégués dans les conseils ouvriers. Sinon, cela revient à dire que "la révolution pourrait vaincre alors que la majorité de la classe n'est pas consciente du besoin du communisme ou que la majorité des délégués aux conseils ne sont pas communistes". (Revue Internationale n°12
Dans la mesure où le parti a une majorité de délégués, il est effectivement au pouvoir.
Voilà! La logique est impeccable, mais basée sur des prémisses complètement fausses. Pour commencer, elle révèle une vue absurdement formaliste et démocratiste de la conscience de classe. Indubitablement, le développement de la présence et de l'influence des militants révolutionnaires au sein des conseils est une condition nécessaire au succès de la révolution. Mais, définir cette influence exclusivement en termes de majorité statique de délégués est absurde : un conseil pouvait très bien être gagné aux positions révolutionnaires alors que seule une minorité de ses délégués était militants du parti. La CWO, de toute façon, semble considérer que seuls les membres du partis sont capables de pensée et d'action révolutionnaires. Les autres délégués, qu'ils soient membres d'autres courants politiques prolétariens, ou ouvriers "indépendants", sont présentés comme entièrement inconscients, complètement dominés par l'idéologie bourgeoise. Dans la réalité, la conscience de classe ne se développe pas selon ce schéma stérile. Le développement de la conscience révolutionnaire dans la classe ne signifie pas qu'un parti conscient dirige une masse inconsciente, il signifie au contraire que toute la classe, à travers ses luttes, à travers des actions de masse, se dirige vers les positions communistes, le parti indiquant la direction que l'ensemble de la classe commence déjà à prendre. Dans une situation révolutionnaire la conscience se développe à une allure très rapide, et la dynamique du mouvement conduit beaucoup d'ouvriers à prendre des positions bien plus avancées indépendamment de leur "affiliation formelle au parti". En fait, la formation même des conseils, quoique insuffisante en soi à faire aboutir tout le processus révolutionnaire montre déjà qu'un haut niveau d'activité révolutionnaire s'impose à la classe. Comme le KAPD l'exprimait dans ses "Thèses sur le rôle du parti dans la révolution prolétarienne" (1921) :
"Les conseils ouvriers politiques (soviets) sont la forme unitaire, historiquement déterminée, du pouvoir et de l'administration prolétarienne à tout moment, ils dépassent les points particuliers de la lutte de classe et posent la question du pouvoir total".
Dans le mouvement ouvrier, il ne peut y avoir de séparation entre conscience et organisation, un certain niveau d'auto-organisation suppose un certain niveau de conscience de classe. Les conseils ne sont pas de pures formes dans lesquelles un contenu révolutionnaire est injecté par le parti ; ils sont eux-mêmes des produits d'une conscience révolutionnaire naissante dans la classe. Le parti n'y injecte pas la conscience, il aide à son développement et à sa généralisation jusqu'au point le plus haut.
Reconnaissant la complexité et la richesse du processus par lequel la classe devient consciente, l'avant-garde révolutionnaire (que ce soit le parti ou l'avant-garde plus large des délégués aux organes centraux des soviets), ne peut jamais mesurer la profondeur du mouvement communiste des masses par des moyens purement statistiques. Comme le disait Luxembourg dans sa brochure sur la "Révolution russe" :
"...Les bolcheviks ont résolu le fameux problème de "gagner la majorité du peuple", problème qui a toujours pesé sur la social-démocratie allemande comme un cauchemar. Nourris dans le berceau du crétinisme parlementaire, ces sociaux-démocrates appliquent simplement à la révolution le dicton : "Pour faire passer quelque chose, il faut avoir la majorité !". De même dans la révolution : "devenons d'abord majoritaires". La véritable dialectique de la révolution retourne ce précepte ,1e "taupe" parlementaire, non pas par la "majorité vers la tactique révolutionnaire" mais par la "tactique révolutionnaire vers la majorité".
La seconde fausse prémisse de l'argumentation de la CWO est la suivante : si le parti gagne la majorité des délégués aux conseils, ceci équivaut à l'installation du parti au pouvoir. Ceci était la grosse confusion du mouvement ouvrier à l'époque de la révolution russe et devait avoir les conséquences les plus pernicieuses. Aujourd'hui, une telle vision n'est plus excusable. Comme l'écrivait RI en 1969 :
"Il est possible et même probable qu'à certains moments de la lutte un ou plusieurs conseils seront en complet accord avec les positions de telle ou telle organisation révolutionnaire. Cela signifie simplement qu'à un moment donné le groupe en question correspond exactement au niveau de conscience du prolétariat; en aucune façon cela ne signifie que les conseils doivent abandonner leur pouvoir au "Comité Central" de ce groupe. Il est même possible que les délégués élus par les conseils soient tous des membres de ce groupe. Cela n'est pas important et n'implique pas que le conseil soit dans un état de subordination à l'égard de ce groupe, aussi longtemps que le conseil garde son pouvoir de révoquer ses délégués".
Ce n'est pas là du formalisme démocratique, mais une question de principe vitale à laquelle le schéma de la CWO ne répond pas, La question réelle est ceci : qui prend les décisions? Qui les fait respecter? Les délégués aux conseils sont-ils révocables à tout moment, ou seulement jusqu'à la"conquête du pouvoir par le parti"? L'élection et le rappel des délégués ne seraient que des moyens pour le parti de venir au pouvoir -après quoi ils peuvent être abandonnés-ou bien correspondent-ils aux besoins les plus profonds du prolétariat? Une autre question ignorée par la CWO mais évidente aux bordiguistes qui ne font même pas semblant de dire qu'ils se soumettrait au mécanisme démocratique des conseils : si le parti est un parti mondial, comme il le sera dans la prochaine vague révolutionnaire, alors l'exercice du pouvoir par le parti#même dans un seul pays, signifie que le pouvoir doit être dans les mains de l'organe central du parti mondial. Et comment peuvent faire les ouvriers dans un bastion pour maintenir leur contrôle sur un organe qui est organisé au niveau mondial?
La vérité, en l'occurrence, est qu'on ne peut être simultanément pour le pouvoir du parti et pour le pouvoir des conseils. Comme nous l'avons vu auparavant, la délégation de pouvoir au parti est inévitable dans les parlements bourgeois où les électeurs "choisissent" un appareil pour les gouverner pour une période donnée. Mais un tel schéma est en complète contradiction avec le fonctionnement des conseils qui cherche à rompre la séparation entre les masses et leur pouvoir politique, entre décision et exécution, entre les "dirigeants" et les "dirigés". La structure de classe collective des conseils, leur mécanisme d'élection et de révocation, fait que le pouvoir de prendre et d'appliquer des décisions reste entre les mains des masses à tout moment. Les délégués des conseils, membres du parti ne cacheront pas leur appartenance politique; en fait ils défendront activement les positions de leurs organisations mais cela ne change pas le fait qu'ils sont élus par des assemblées, par des conseils pour appliquer les décisions de ces assemblées ou conseils, et seront révoqués s'ils ne le font pas. Même quand il y a une étroite harmonie entre les positions du parti et les décisions des conseils, cela ne signifie pas que le pouvoir ait été délégué au parti. La délégation de pouvoir veut dire en réalité la délégation de la capacité de prendre et d'imposer des décisions à un appareil qui ne coïncide pas avec les conseils, et qui ne peut pas par conséquent, rester sous leur contrôle. Une fois qu'on en arrive là, l'élection et la révocabilité perdent tout leur sens; des postes de la plus haute responsabilité peuvent être désignés par le parti, des décisions des plus cruciales peuvent être prises sans se référer aux conseils. Graduellement, les conseils cessent d'être le foyer de vie de la révolution et se transforment en simples tampons pour les décisions du parti.
Il est important d'insister sur ce point, non pas que nous fassions un fétiche de la forme démocratique -comme nous l'avons dit, la conscience de classe ne peut pas être mesurée seulement par des votes. Mais cela ne change pas le fait que, si les conseils ne conservent pas leurs mécanismes "démocratiques" (élections et révocations, prises de décisions collectives) ils seront incapables de remplir leur rôle politique essentiel comme centres vivants de la clarification et de l'action pour l'ensemble de la classe. Les formes démocratiques sont indispensables parce qu'elles rendent la classe capable d'apprendre comment penser, décider et agir pour elle-même. Si le socialisme est le contrôle conscient des producteurs sur leur propre produit, alors, seule une classe ouvrière auto-agissante et auto- consciente peut réaliser le projet socialiste.
Certains peuvent objecter que la démocratie prolétarienne des conseils n'est pas une garantie que les conseils agiront de manière révolutionnaire. C'est évident qu'il n'y a pas de garantie. En fait, cette ouverture laisse les conseils "ouverts" à l'influence des organisations bourgeoises et de leur idéologie. Mais de telles influences ne peuvent être éliminées par des décrets de parti : le parti ne peut les contrer que par une dénonciation politique face à la classe, en démontrant comment ils obstruent les réels besoins de la lutte. Si la majeure partie des ouvriers doivent comprendre pleinement la différence entre les positions des révolutionnaires et les positions des contre-révolutionnaires, ils ne peuvent le comprendre que par la pratique, en voyant les conséquences de leurs actions et décisions. Le maintien du pouvoir de décision dans les conseils est une précaution nécessaire bien qu’en étant pas une garantie suffisante pour le développe) ment de la conscience communiste. D'autre part, comme la confirmé l'expérience russe, le contrôle sur un système de soviets passif et dompté par le meilleur parti du monde ne peut agir que contre le développement d'une telle conscience.
Maintenant, contrairement à ce que clament les conseillistes, le processus par lequel le pouvoir de décision passa des conseils aux bolcheviks ne fut pas fait en une nuit et ne fut certainement pas le résultat d'un effort systématique des bolcheviks pour saper, le pouvoir des conseils. La théorisation de la "dictature du parti" par des éléments comme Zinoviev et Trotski ne vient qu'après la guerre civile et les massacres du blocus impérialiste qui décimèrent la classe ouvrière et sapa les bases matérielles de l'auto activité des soviets. Avant I cela (et en fait jusqu'à la fin de sa vie)
Lénine insistait perpétuellement sur la nécessite de régénérer les soviets, de les remettre à la place centrale qu'ils avaient occupée au début de la révolution. Mais ce serait faux de penser que les positions erronées défendues par les bolcheviks ne jouèrent aucun rôle dans le procès par lequel le parti se substitua aux conseils, que la perte de pouvoir et d'influence des conseils fut le résultat purement automatique de l'isolement de la révolution. En réalité, la transformation du parti bolchevik en parti de gouvernement, la délégation du pouvoir au parti, commença immédiatement à affaiblir le pouvoir effectif des soviets, A partir de 1917, de plus en plus de postes exécutifs et de commissions furent institués par le parti avec de moins en moins de références aux assemblées du soviet; les délégués au soviet étaient mis en place ou déplacés par le parti "par en haut" plutôt que par les organes du soviet eux-mêmes. Les organes unitaires comme les comités de fabrique furent absorbés par les syndicats, organes du parti/Etat; la combativité ouvrière fut dissoute dans l'Armée Rouge de la môme façon Et cela commença avant que la grosse concentration ouvrière ait commencé a être brisée par la guerre civile. Notre but n'est pas de faire ici un catalogue des erreurs des bolcheviks sur cette question, mais de montrer comment leurs positions politiques, leur conception du parti, accéléra la tendance à la subordination des organes unitaires à l'appareil administratif et répressif de l'Etat. La justification politique de ce processus peut être trouvée dans une déclaration de Trotski en 1920 :
"Aujourd'hui nous recevons des propositions de paix du gouvernement polonais. Qui décide sur cette question ? Nous avons un Sovnarkom mais il doit être l'objet d'un certain contrôle. Quel contrôle ? Le contrôle de la classe ouvrière comme masse informe et chaotique ? Non, le comité central du Parti a été rassemblé pour discuter la proposition et décider s'il fallait répondre. La même chose vaut pour la question agraire, la question du ravitaillement et toutes les autres questions. "
Discours au 2ème Congrès de TIC
L'idée qui sous-tend cette attitude est celle de la social-démocratie, pour qui, une fois que le parti prolétarien a pris le pouvoir, l'Etat est automatiquement dirigé dans l'intérêt du prolétariat. La classe "charge" le parti de son pouvoir, et le besoin pour les soviets de prendre réellement les décisions s'en va avec. En fait, cela ne pourrait être L qu'une abdication de responsabilité par les soviets, les rendant de moins en moins capables de résister à la tendance à la bureaucratisation qui se développe de façon chronique pendant la guerre civile.
Afin d'éviter toute incompréhension, reprécisons ce point. Nous ne disons pas que le parti ne doit pas chercher un soutien ou une représentation dans le soviet. Au contraire, il est essentiel pour le parti d'essayer d'obtenir une influence décisive dans les conseils. Mais cette influence, ce rôle ne peut être que politique. Le parti ne peut intervenir dans les prises de décisions qu'en convaincant les conseils de la justesse de ses positions. Au lieu de s'arroger la «responsabilité du pouvoir de décision, il doit insister encore et toujours pour que toutes les décisions majeures affectant le cours de la révolution soient discutées, comprises et mises en acte au sein des conseils. Et c'est pourquoi, il est profondément faux de parler de parti "prenant le pouvoir", avec ou sans la majorité formelle dans les conseils. Le parti ne peut être "au pouvoir" que s'il a la capacité d'imposer ses positions à la classe, aux conseils. Cela implique que le parti doit avoir un appareil de pouvoir qui est séparé des conseils. Les partis, eux-mêmes ne possèdent généralement pas un tel appareil, et le parti bolchevik ne fait pas exception. En fait, le seul mode par lequel le parti bolchevik pouvait réellement être au pouvoir était de "s'identifier à l'Etat". C'est pourquoi, il est impossible de comprendre le problème du substitutionnisme sans comprendre le problème de l'Etat post-révolutionnaire
PARTI ET ETAT
Certains courants politiques, y inclus la CWO et par ailleurs divers conseillistes, ne voient pas de problème au sujet de l'Etat dans la période de transition. L'Etat, c'est les Conseils ouvriers, un point c'est tout î Partant, toute discussion sur de possibles conflits entre les organes unitaires de la classe, et l'Etat transitoire est un pur non-sens. Malheureusement, c'est une vision idéaliste de la révolution. En tant que marxistes, nous devons baser nos conceptions de la révolution, non pas sur ce que nous aimerions voir arriver, mais sur ce que la nécessité historique a impliqué dans le passé et ce qu' elle impliquera dans l'avenir. Le seul exemple réel de la classe ouvrière prenant le pouvoir -la révolution russe- nous oblige à admettre qu'une société en révolution fait naître obligatoirement des formes d'organisation d'Etat qui ne sont pas seulement distinctes des organes unitaires de la classe, mais qui peuvent entrer en contradiction profonde et même violente avec elle. La nécessité d'organiser une Armée Rouge, une police d'Etat, un appareil administratif, une forme de participation politique pour toutes les classes et couches non exploiteuses, ces nécessités matérielles sont ce qui donne naissance à une machine d'Etat qui ne peut -qu'on lui donne ou non l'étiquette de "prolétarien"- être assimilée aux conseils ouvriers. Contrairement à ce que disent certains conseillistes, les Bolcheviks n'ont pas créé cette machine ex-nihilo pour servir leurs fins machiavéliques. Bien que nous devions comprendre comment les conceptions bolcheviques de leur rôle en tant que parti de gouvernement accéléra la tendance de cette machine à échapper au contrôle des soviets ouvriers, ils ne faisaient que mouler et adapter un organe d'Etat qui avait déjà commencé à émerger avant la révolution d'Octobre. Les congrès des soviets d'ouvriers et de paysans et de soldats évoluaient vers une nouvelle forme d'Etat avant même le renversement du régime Kerensky. La nécessité de donner à la société post-insurrectionnelle une forme organisée, consolida ce processus en Etat des soviets. Comme Marx l'écrivait dans "Notes critiques "Le toi de Prusse et la réforme sociale" : "Du point de vue politique, l'Etat et l'organisation de la société ne sont pas deux choses différentes. L'Etat, c'est l'organisation de la société."
Si la révolution russe a quelque chose à nous apprendre à propos de cet Etat, c'est que l'isolement de la révolution, l'affaiblissement des conseils ouvriers tendront à renforcer l'appareil d'Etat au détriment du prolétariat. Ils commenceront à transformer cet Etat en instrument d'oppression et d'exploitation contre la classe. L'Etat est le point le plus vulnérable aux forces de la contre-révolution. C'est l'organisme par lequel le pouvoir impersonnel du capital pourrait s'exprimer, transformant une révolution prolétarienne en un cauchemar bureaucratique de capitalisme d'Etat. Ceux qui prétendent que ce danger n'existe pas désarment la classe devant ses futures batailles.
Certaines tendances, en particulier celles qui ont eu connaissance de la contribution de la Gauche Italienne sur cette question, comprennent qu'il y a un problème. Ainsi"Battaglia Communista" en même temps qu'il déclare à la récente conférence internationale de Paris que le parti doit vraiment prendre le pouvoir, dit dans sa plate-forme que le parti doit "tenir l'Etat sur la voie de la continuité révolutionnaire" mais ne "doit en aucune façon être confondu avec l'Etat et y être intégré". Comme "Bilan" dans les années 1930, ces tendances veulent que le parti prenne le pouvoir, exerce la dictature du prolétariat, et contrôle l'appareil d'Etat -mais ne fusionne pas avec l'Etat comme le fit le parti bolchevik, dans la mesure où ils reconnaissent que la confusion entre le parti bolchevik et l'appareil d'Etat contribua à la dégénérescence du parti et de la révolution. Mais cette position était contradictoire. Pour "Bilan", cette contradiction était fertile, dans la mesure où il était engagé dans un mouvement de clarification des relations entre parti et classe, mouvement qui fut à notre avis, continué et avancé par le travail de la Gauche Communiste de France après la guerre, et par le CCI aujourd'hui. Mais en revenir aujourd'hui aux contradictions de "Bilan" ne peut être qu'une régression.
Cette position est contradictoire parce que le parti ne peut pas "contrôler" l'Etat sans avoir des moyens d'imposer ce contrôle. Pour cela, soit le parti doit avoir ses propres organes de coercition pour s'assurer que 1'Etat suit ses directives, soit, comme c'est plus probable, et comme cela est arrivé en Russie, le parti doit s'identifier de plus en plus avec les sommets dirigeants de l'Etat, avec les mécanismes de l'administration et de la répression. Dans tous les cas, le Parti devient un organe d'Etat. Prétendre que le parti peut l'éviter, soit par sa simple clarté programmatique, soit par des mesures organisationnelles comme la mise en place d'un sous-comité spécial pour diriger l'Etat, supervisée par le comité central, c'est ne pas comprendre que ce qui est arrivé en Russie était le résultat d'énormes forces sociales. On ne peut éviter sa répétition que par l'intervention de forces sociales encore plus grandes, et pas seulement par des mesures idéologiques et organisationnelles.
L’Etat transitoire, bien qu’absolument nécessaire pour la défense de la révolution, ne peut pas être un facteur dynamique du mouvement vers le communisme. C'est au mieux, un instrument que la classe utilise pour protéger et codifier les avances faites par le mouvement social communiste. Mais le mouvement lui-même est conduit par les organes unitaires de la classe, qui expriment réellement la vie et les besoins de la classe, et le parti communiste qui met sans cesse en avant les buts généraux du mouvement. Les organes unitaires de la classe ne peuvent être soumis au poids du fonctionnement au jour le jour de l'Etat. Ils ne peuvent remplir leur rôle qu'en créant un bouleversement permanent, brisant incessamment les limites étroites des constitutions des lois et des routines administratives qui, de toute façon sont l'essence de l'Etat. Ce n'est que de cette manière qu'ils pourront répondre de façon créative aux immenses problèmes posés par la construction du communisme et forcer la ma chine d'Etat à obéir aux besoins globaux de la révolution. C'est la même chose pour le parti, qui aussi bien avant qu'après la conquête du pouvoir, doit s'enraciner dans les masses et leurs organes de lutte, les poussant infatigablement de l'avant, critiquant leurs hésitations. La fusion entre le parti et l'Etat sapera, comme ce fut le cas pour les bolcheviks, ce rôle dynamique et transformera le parti en force conservatrice, préoccupé avant tout par les besoins immédiats de l'économie et par des fonctions purement administratives. Le parti perdrait alors sa fonction primordiale qui est de donner une direction politique, à laquelle toutes les tâches administratives doivent être subordonnées.
Le parti interviendra certainement dans tous les organes représentatifs de l'Etat, mais organisationnellement il maintiendra une séparation complète avec la machine étatique. La direction qu'il sera capable de donner à l'Etat dépendra de sa capacité à convaincre politiquement les dé1élégués des soviets territoriaux, des comités de soldats, des masses de petits paysans, des paysans sans terre...etc., de la validité de ses positions. Mais il ne peut pas "diriger" l'Etat sans devenir lui-même un organe d'Etat. Seuls les conseils ouvriers peuvent réellement contrôler l'Etat, dans la mesure où ils restent armés durant le processus révolutionnaire et peuvent imposer leurs directives à l'Etat à travers des actions de masse. Et "l'arène" primordiale de l'intervention du parti est les conseils ouvriers où il fera une agitation continuelle pour assurer que le contrôle vigilant des conseils sur l'ensemble des organes d'Etat ne vacille pas un moment.
PARTI ET CLASSE
Tôt ou tard, tous les groupes du camp révolutionnaire devront mettre un terme aux ambiguïtés et contradictions de leurs positions sur le parti. Il y a un certain côté rassurant à dire que le parti doit prendre le pouvoir, et, à notre avis l'exposé le plus logique de cette position revient dans le camp prolétarien aux bordiguistes.
"L'Etat prolétarien ne peut être "animé" que par un parti unique; et il serait un non-sens de vouloir que ce parti organise dans ses rangs une majorité statistique et qu’il soit soutenu par une telle majorité dans des "élections populaires" -ce vieux piège bourgeois le parti communiste dirigera seul, et n'abandonnera pas le pouvoir sans lutte physique. Cette audacieuse déclaration de ne pas céder aux apparences toujours trompeuses des chiffres et de n'en pas faire usage, aidera la lutte contre la dégénérescence de la révolution".
"Dictature du prolétariat et Parti de classe"
Comparé au formalisme démocratique de la CWO, cette position est rafraîchissante de clarté. Le parti communiste qui défend invariablement "les intérêts historiques de la classe ouvrière" n'utilise les mécanismes démocratiques des conseils que pour prendre le pouvoir. Une fois au pouvoir, il utilise l’Etat pour imposer ses décisions aux masses. Si les masses agissent contre ce que le parti juge être ses propres intérêts historiques, il usera de violence, la fameuse terreur rouge, pour obliger la classe à rester dans la ligne de "ses propres intérêts historiques". Ceux qui veulent que le parti prenne le pouvoir mais hésitent à suivre cette logique, tombent à côté de la réalité historique. Mais l'impitoyable façon dont cette logique s'impose fut démontré de manière caricaturale par la CWO à la récente conférence de Paris, où ils affirmèrent très explicitement que, une fois au pouvoir, le parti ne devrait pas hésiter à user de la violence contre les expressions "retardataires" ou "contre-révolutionnaires" de la classe.
Il est vraiment ironique que la CWO, qui a si longtemps insisté sur le fait que le massacre de Kronstadt marque le passage du parti bolchevik dans le camp bourgeois, qui même dénonçait le CCI comme "apologiste" du massacre parce qu'il considère que 1921 n'est pas la fin des bolcheviks comme parti prolétarien, puisse maintenant préparer idéologiquement la voie à de nouveaux Kronstadt. Nous ne devons pas oublier que Kronstadt n'est que le point culminant d'un processus dans lequel le parti eut de plus en plus recours aux mesures de coercition contre la classe. La leçon de l'ensemble de ce processus, tragiquement illustré par le désastre de Kronstadt, c'est qu'un parti prolétarien -avec ou sans le soutien de la majorité de la classe- ne peut utiliser la répression physique contre un secteur de la classe sans affaiblir la révolution et pervertir sa propre essence. Cela fut exprimé très clairement par la Gauche Italienne en 1938 :
"La question à laquelle nous sommes confrontés est la suivante : des circonstances peuvent exister dans lesquelles un secteur du prolétariat -et nous admettrons toujours qu'il puisse être la victime inconsciente de l'ennemi -entre en lutte contre l'Etat prolétarien. Que faire dans une telle situation ? NOUS DEVONS COMMENCER PAR LE PRINCIPE QUE LE SOCIALISME NE PEUT PAS ETRE IMPOSE A LA CLASSE PAR LA FORCE ET LA VIOLENCE. Il aurait été préférable de perdra Kronstadt si le conserver du point de vue géographique ne pouvait avoir qu'un résultat : une distorsion dans la substance même de l'activité du prolétariat. Nous connaissons l'objection à cela; la perte de Kronstadt aurait été une perte décisive pour la révolution, peut-être même la perte de la révolution elle-même. Nous prenons là la question par le petit bout. Quels critères sont utilisés dans cette analyse ? Ceux qui dérivent des principes de classe, ou d'autres qui dérivent simplement d'une situation donnée ? Partons-nous de l'axiome qu'il est meilleur pour les ouvriers de faire des erreurs même fatales ou de l'idée que nous devrions suspendre nos principes, parce que, par la suite, les ouvriers nous seront reconnaissants de les avoir défendus, même par la violence ?
Chaque situation donne naissance à deux séries opposées de critères, qui conduisent à deux conclusions tactiques opposées. Si nous basons notre analyse sur de pures formes, nous arriverons à la conclusion qui dérive de la proposition suivante : tel et tel organe est prolétarien, et nous devons le défendre comme tel même si cela signifie l'écrasement d'un mouvement ouvrier. Pourtant, si nous basons notre analyse sur des questions de substance, nous arriverons à une conclusion très différente; un mouvement prolétarien manipulé par l'ennemi contient en son sein une contradiction organique entre le prolétariat et son ennemi de classe. Afin d'amener cette contradiction à la surface, il est nécessaire de faire de la propagande parmi les ouvriers qui, dans le cours des événements, retrouveront leur force de classe et seront capables de déjouer les plans de l'ennemi. Mais si par hasard il était vrai que tel ou tel événement pouvait signifier la défaite de la révolution, alors il est certain qu'une victoire ne serait pas seulement une distorsion de la réalité (les événements historiques comme la révolution -russe ne peuvent réellement dépendre d'un seul épisode et seul un esprit superficiel pourrait croire que l'écrasement de Kronstadt aurait pu sauver la révolution), mais fournirait aussi les conditions de la perte de la révolution. Le bradage des principes ne resterait pas localisé mais s'étendrait inévitablement à toutes les activités de l'Etat prolétarien. "
("La question de l’Etat" Octobre-1938)
Même si "Octobre" continuait à défendre la dictature du parti, pour la Gauche Communiste de France et pour nous aujourd'hui, la seule façon d'aller jusqu'au bout de cette analyse, c'est d'affirmer que le parti prolétarien ne cherche pas le pouvoir, ne cherche pas à devenir un organe d'Etat. Autrement, on compte seulement sur la volonté ou les bonnes intentions du parti pour le prémunir contre les risques de conflits violents avec la classe, mais, une fois qu'il est devenu un organe d'Etat, la meilleure volonté du meilleur parti communiste du monde n'est pas suffisante pour l'immuniser contre l'inexorable pression de l'Etat. C'est pourquoi la Gauche Communiste de France concluait en 1948 :
"Pendant la période insurrectionnelle de la révolution, le rôle du parti n'est pas de demander le pouvoir pour lui-même, ni de demander aux masses de lui faire confiance. Son intervention et son activité visent à stimuler l'auto-mobilisation de la classe pour la victoire des principes révolutionnaires.
La mobilisation de la classe autour du parti auquel elle se confie, ou plutôt abandonne sa direction, est une conception qui reflète un état d9immaturité dans la classe. L'expérience a montré que dans de telles conditions, la révolution ne peut pas vaincre et cette conception mène finalement à la dégénérescence du parti et au divorce entre parti et classe. Le parti serait bientôt forcé d'avoir recours de plus en plus aux méthodes de coercition pour s 'imposer à la classe, et deviendrait ainsi un formidable obstacle à la révolution". (Sur la nature et la fonction du parti politique du prolétariat. Bulletin d'Etudes et de Discussions n°6)
Les révolutionnaires sont confrontés aujourd'hui à un choix. D'un côté, ils peuvent adopter des positions qui mènent au bordiguisme, à l'apologie d'une théorisation de la dégénérescence du parti bolchevik, au substitutionnisme dans sa forme la plus développée. Mais, ils découvriront que le substitutionnisme est, en effet exclu et impossible pour le mouvement prolétarien, parce qu'il conduit à des pratiques et à des positions qui sont directement contre-révolutionnaires. Ou bien ils peuvent reprendre l'esprit profondément révolutionnaire qui conduisait Lénine à dire dans son appel à "la population" quelques jours après l'insurrection :
"Camarades ouvriers ! Souvenez-vous que vous administrez vous-mêmes l'Etat maintenant. Personne ne vous aidera si vous ne vous unissez pas et ne prenez pas toutes les affaires de l'Etat dans vos propres mains. Vos soviets sont désormais les organes du pouvoir d'Etat, des organes avec tous les pouvoirs des organes de décision."
C'est dans cet esprit, aidé par la compréhension du rapport entre parti-classe-Etat, léguée par l'expérience russe, que nous devons chercher un guide aujourd'hui. C'est un esprit en accord profond avec les buts et la méthode de la révolution communiste, de la nature révolutionnaire de la classe ouvrière. Si nous devons le dire un millier de fois, nous le ferons. Le communisme ne pourra être créé que par l'activité consciente du prolétariat, e t l’avant-garde communiste ne peut jamais agir dans un sens qui va à l'encontre de cette réalité fondamentale. Le parti révolutionnaire ne peut en aucun cas utiliser le manque d'homogénéité dans la classe, le poids de l'idéologie bourgeoise, ou les menaces de la contre-révolution, pour justifier l'usage de la force pour "contraindre" la classe à être révolutionnaire. C'est une contradiction dans les termes et cela exprime le poids de l'idéologie bourgeoise sur le parti. La classe ouvrière ne peut se débarrasser du poids de l'idéologie bourgeoise que par sa propre activité de masse, par son expérience. A certains moments, il peut paraître plus simple de confier ces tâches, les plus cruciales, à l'organisation des révolutionnaires, mais quels que soient les "gains" apparents à court terme que cela semble donner, les effets à long terme ne peuvent être que l'affaiblissement de la classe. Il ne peut pas y avoir d'arrêt dans la révolution prolétarienne ; "ceux qui font les révolutions à moitié, creusent leur propre tombe" (Saint-Just). Pour la classe ouvrière, cela signifie lutter incessamment pour dépasser toutes les tendances passives et conservatrices dans ses propres rangs tendances qui sont les fruits amers des siècles de la domination de l'idéologie bourgeoise. Cela signifie un développement et une extension infatigable de son auto organisation et son auto-conscience, avant, pendant et après la prise du pouvoir politique. Les polémiques de Pannekoek contre les tactiques parlementaires de l’IC peuvent aussi bien être appliquées à ceux qui voient un rôle essentiellement parlementaire du parti dans les soviets
"La révolution exige quelque chose de plus, que l'acte combatif des masses qui abat un système de gouvernement et dont nous savons qu'il n'est pas déterminé par les chefs, qu'il ne peut jaillir que de la poussée profonde des masses. La révolution exige que l'on affronte les grandes questions de la reconstruction sociale, que l'on prenne les graves décisions, que tout le prolétariat soit lancé dans un mouvement créateur -et cela n'est possible que si l'avant-garde d'abord, et puis une masse toujours plus grande prend entre ses mains toutes les questions, sache en prendre la responsabilité, cherche, fasse de la propagande, lutte, réfléchisse, ose, agisse et exécute. Mais tout cela est difficile, et pénible. Aussi, dès que la classe ouvrière croira apercevoir un chemin plus facile, en laissant les autres agir pour son compte, conduisant l'agitation d'une tribune élevée, donnant les signaux de l'action, faisant les lois -la masse hésitera et demeurera passive sous l'influence des vieilles habitudes mentales et des faiblesses anciennes.(la Révolution Mondiale et les Tactiques Communistes)
Il y a beaucoup de gens qui veulent être les dirigeants de la classe ouvrière. Mais la plupart "confonde la conception bourgeoise de direction et la façon dont le prolétariat se donne sa propre direction. Ceux qui, au nom de la direction appellent la classe à abandonner ses tâches les plus cruciales à une minorité ne dirigent pas la classe vers le communisme, mais renforcent lai vieille idéologie bourgeoise dans la classe. Idéologie qui, du berceau à la tombe, essaie de convaincre les ouvriers qu'ils ne sont pas capables de s'organiser eux-mêmes, qu'ils doivent laisser à d'autres la tâche de les organiser. Le parti révolutionnaire n'aidera le prolétariat à aller vers le communisme qu'en stimulant et généralisant la conscience, qui d'elle-même, va à l’encontre de 1'idéologie bourgeoise, une conscience de l'inépuisable capacité de la classe à s'organiser et à prendre conscience d'elle, comme sujet de l'histoire. Les communistes, sécrétés par une classe qui ne contient pas de nouvelles relations d'exploitation en son sein, sont uniques dans l'histoire des partis révolutionnaires du fait qu'ils font tout ce qu'ils peuvent pour rendre la fonction du parti inutile au fur et à mesure de l'homogénéisation et de la généralisation de la conscience de classe Plus le prolétariat ira sur le chemin du communisme, plus l'ensemble de la classe deviendra l'expression vivante de 1'auto-connaissance positive de l'homme", d'une communauté humaine libérée et consciente.
CD WARD
L'analyse de la situation sociale à un moment donné -au niveau international comme national -ne peut jamais être une simple photographie. Les événements ponctuels ne sont que des moments dans un rapport de forces dynamique qui se développe graduellement Nos analyses précédentes de la situation en Grande-Bretagne se sont limitées à examiner essentiellement la période depuis 1967, année de la dévaluation de la livre-sterling, qui a annoncé le début de l'actuelle crise ouverte du système capitaliste mondial. Ce texte tente de donner une perspective plus large de la situation en Grande-Bretagne en examinant l'évolution depuis la seconde guerre mondiale.
SIGNIFICATION GENERALE DE LA PERIODE POUR LA GRANDE-BRETAGNE
1 - La signification générale de cette période peut être résumée par les points suivants :
• la capacité de la Grande-Bretagne à rester un pouvoir impérialiste dominant, a été brisée par les efforts systématiques des USA pendant et après la seconde guerre mondiale". Les USA ont fait en sorte d'amener la Grande-Bretagne à une position de dépendance économique et militaire totale au sein du bloc occidental constitué après la guerre.
• la charge de "parti naturel de gouvernement" s'est irréversiblement transmise des conservateurs au parti travailliste. Cette aptitude du parti travailliste à répondre globalement aux besoins du capital britannique n'est pas le simple produit des circonstances conjoncturelles de ces dernières années mais est bien la caractéristique fondamentale de toute la période depuis la seconde guerre. En effet, ce qui est le produit de circonstances conjoncturelles spécifiques, ce sont les périodes pendant lesquelles les conservateurs étaient appelés au gouvernement.
• le rapport de forces entre la bourgeoisie et le prolétariat a subi un changement historique. Si la deuxième guerre mondiale a marqué l'apogée de la bourgeoisie et le creux du prolétariat, aujourd'hui le prolétariat s'est renforcé à tel point que non seulement il constitue un frein à la troisième guerre mondiale, mais aussi qu'il peut aller plus loin afin d'imposer sa solution révolutionnaire à la crise historique du capitalisme. Bien que ce changement du rapport de forces se situe au niveau international, sa manifestation en Grande-Bretagne a eu un effet profond sur la situation locale. Tels sont les principaux thèmes de ce texte.
LA G.B. ET LA FORMATION DU BLOC U.S.
2 - La deuxième guerre mondiale a changé la physionomie du système impérialiste mondial du capitalisme. Elle a transformé la situation avant 1939, caractérisée par plusieurs "mini-blocs" rivaux en deux grands blocs mondiaux, chacun sous l'hégémonie d'une bourgeoisie nationale dominante, les USA et la Russie. La guerre ne s'est pas uniquement poursuivie militairement entre "Alliés" et pays de l'Axe mais économiquement entre les "Alliés" eux-mêmes -ou plutôt entre les USA et chacun des autres pays. Pour la Grande-Bretagne, sa "guerre" avec les USA a été l'élément décisif pour sa position après-guerre.
3 - Dans les années 30, la pierre angulaire de l'économie britannique est toujours restée son empire, c'est-à-dire ses colonies officielles (telle que l'Inde) et les demi colonies (telles que la Chine et l'Argentine). On peut se rendre compte aisément du rôle primordial, irremplaçable, de l'empire en tant que source principale des richesses pour son économie. Sur une base 100 en 1924, l'indice du revenu national global s'élève à 114 en 1934 tandis que l'indice du revenu national venant d'outre-mer s'élève à 140. En 1930, les investissements de la Grande-Bretagne à l'étranger dépassent ceux de tout autre pays au monde; ces investissements apportent 18 % de toute la richesse nationale. Pendant toute cette période, la Grande-Bretagne domine, par rapport aux autres pays, la plus grande partie du commerce mondial : 15,4 % en 1936.
En termes absolus et relatifs, les investissements de la Grande-Bretagne dépassent largement ceux des USA. Par exemple, en 1930 (à la veille de la grande crise), l'investissement de la Grande-Bretagne à l'étranger s'élève à 80-85 milliards de marks, celui des USA à 60-65 milliards de marks- En 1929, le revenu de la Grande-Bretagne venant des investissements à long terme à l'étranger se chiffre à 1219 millions de dollars-or tandis que pour les USA, le chiffre est de 876 millions de dollars-or. Cependant, l'énorme économie des USA (dont la richesse nationale était de 1760 milliards de marks en 1930 par rapport à 450 milliards de marks pour la Grande-Bretagne) s'est développée beaucoup plus rapidement que celle de la Grande-Bretagne et le besoin de marchés étrangers devenait de plus en plus urgent pour les USA comme on peut le voir par exemple, en comparant la croissance respective des investissements du capital à l'étranger. Le capital britannique investi à l'étranger en 1902 est de 62 milliards de francs (à la parité d'avant-guerre), il s'élève à 94 milliards en 1930; les chiffres pour les USA sont de 2,6 milliards de francs en 1900 et 81 milliards en 1930. Il est évident qu'avec un tel appétit pour les marchés étrangers, les USA ne pouvaient que désirer ardemment l'empire auquel s'accrochait désespérément la bourgeoisie britannique à cause de ses marchés et matières premières.
Avec la concurrence de plus en plus acharnée (surtout des USA et de l'Allemagne), la perte de l'empire aurait été une catastrophe. Mais en même temps, maintenir un tel empire est très coûteux. Des menaces venaient de tous côtés : l'extension militaire japonaise et allemande, les bourgeoisies coloniales luttant pour élargir leurs propres positions aux dépens de la Grande-Bretagne, la pression » surtout celle des USA, pour mettre fin aux privilèges économiques dans l'empire et pour ouvrir les marchés à leur propre expansion économique. Certaines fractions de la bourgeoisie britannique se battaient depuis longtemps pour essayer de trouver une façon moins onéreuse de maintenir les avantages de la Grande-Bretagne mais elles s'étaient heurtées à des intérêts très enracinés. C'est pourquoi, jusqu'au commencement de la guerre et même durant la première année, la bourgeoisie britannique restait très divisée sur la meilleure voie à suivre.
Le choix essentiel était : aller à la guerre ou l'éviter. Parmi ceux qui désiraient la guerre, se trouvaient une petite fraction pro-allemande dans le Parti conservateur, mais des fractions beaucoup plus larges de la bourgeoisie voyaient un plus grand intérêt à vaincre l'Allemagne. Celles-ci comprenaient l'aile gauche du Parti Travailliste et la fraction du Parti conservateur conduite par Churchill. Cependant, d'autres fractions bourgeoises comprenaient que, quel que soit le camp choisi par la Grande-Bretagne, la guerre conduirait forcément au démembrement de l'empire au profit soit de l'Allemagne, soit des USA. Ce point de vue était celui du gouvernement Chamberlain -d'où la politique d'apaisement qui a abouti à l'accord de Munich en 1938. C était seulement en esquivant la guerre que la Grande-Bretagne pouvait éviter de devenir dépendante soit de l'Allemagne,soit des USA. Cependant, pour des raisons objectives générales, la guerre était inévitable et la seule question réelle était : avec qui la Grande-Bretagne va-t-elle s'allier et contre qui ? En essayant d'éviter la guerre, Chamberlain a tenu le rôle ridicule d'un canut et depuis lors le reste de la bourgeoisie l'a profondément méprisé.
4 - Dans les faits, l'intervention de l'Allemagne en Autriche, en Tchécoslovaquie et Pologne associée au pacte de non-agression entre Hitler et Staline signifiait que la prochaine extension allemande se ferait vers l'Ouest. La menace envers le littoral britannique était claire et Chamberlain déclara la guerre à l'Allemagne. Il s'ensuivit cependant une période d'indécision pendant laquelle la bourgeoisie anglaise fut dirigée par ceux qui avaient voulu éviter la guerre; pendant ce temps, la bourgeoisie allemande espérait que la situation se tasserait à l'Ouest de façon à ce qu'elle puisse s'étendre à l'Est aux dépens de la Russie. Cette période fut celle de la "drôle de guerre". Elle se termina par l'avancée de l'armée allemande à travers les Ardennes et la capitulation de la France en Mai 1940. Ces événements précipitèrent la chute de Chamberlain et la montée au pouvoir de la coalition des forces rassemblées autour de Churchill, qui s'engagea coûte que coûte à trouver une solution aux problèmes du capital britannique, par la défaite de l'expansionnisme allemand. Comme il était clair que la capacité productive de la Grande-Bretagne était insuffisante pour assumer les exigences de la guerre, la bourgeoisie britannique fut forcée de demander de l'aide aux USA.
5 - Les objectifs de la politique de la bourgeoisie américaine à l'égard de la guerre était :
• de vaincre l'Allemagne et le Japon
• d'empêcher la montée de la Russie en Europe
• de réduire la Grande-Bretagne et son empire à une dépendance des USA.
En poursuivant ces buts, la politique de la bourgeoisie américaine était faite de manoeuvres; pour assurer la victoire au coût le moins cher possible. Cela signifiait saigner les alliés autant que possible pour les paiements du matériel de guerre sans toutefois porter atteinte à leur engagement dans l'effort de guerre; utiliser l'énorme marché crée par la guerre pour stimuler l'économie américaine et absorber le chômage dans le processus de production; minimiser le mécontentement face à la guerre en s'assurant que la plus grande partie des massacres sur les champs de bataille serait encaissée par les armées alliées.
Dans les premières phases de la guerre, l'application de cette politique frappa l'économie I britannique plus fortement que l'aviation allemande. A cause du système du "cash and carry" I (1), les réserves financières britanniques s'épuisèrent de plus en plus pour payer le matériel de guerre, l'essence et la nourriture dont une importante partie n'atteignit de toute façon jamais la Grande-Bretagne à cause des na-1 vires coulés dans l'Atlantique Nord. La bourgeoisie américaine pouvait donc affaiblir systématiquement la capacité de la bourgeoisie britannique à résister aux conditions économiques et militaires imposées dans ces arrangements. Et ainsi, lorsqu'en 1941, les accords pour le "lend lease" ([1] [506]) vinrent remplacer le système du "cash and carry" ([2] [507]) (qui avait couté au capital britannique près de 3,6 milliards de dollars), la Grande-Bretagne ne possédait plus que 12 millions de dollars en réserve.
Dans les principaux accords du "lend lease", les USA commencèrent tout un programme "d'arrangement" afin d'obliger la Grande-Bretagne à se défaire de ses privilèges dans l'empire après la guerre : en fait à le démanteler. Et pour s'assurer que la Grande-Bretagne ne pourrait pas différer les remboursements jusqu'à la fin de la guerre, le remboursement du "lend lease" fut prévu pour l'été 1943. Il était exigé payable en nature, en matières premières, en denrées alimentaires, en équipement militaire et en soutien à l'armée américaine dans le théâtre des opérations en Europe. De plus, des évaluations régulières des réserves britanniques étaient faites et lorsque le gouvernement des USA considérait qu'elles étaient "trop volumineuses", des paiements en espèces étaient exigés selon les accords du "lend lease". Les avantages gagnés par les USA aux dépens de la Grande-Bretagne pendant la guerre furent poursuivis et renforcés dès la fin de la guerre. Le jour de la victoire contre le Japon, le "lend lease" prit fin, avec une évaluation s'élevant à 6 milliards de dollars dus aux USA par la Grande-Bretagne. Bien que les USA en aient déduit une proportion substantielle, la somme qui restait à payer était suffisamment élevée pour assurer une domination sur l'ensemble de l'économie britannique. Cette somme résiduelle était de 650 millions de dollars, ce qui était supérieur aux réserves britanniques en devises étrangères. En plus, les USA refusèrent de prendre part au soutien de la livre-sterling (près de 14 milliards de dollars) nécessaire à cause des dettes accumulées pendant l'effort de guerre.
A la fin de la guerre, les USA avaient quasiment réalisé leurs objectifs de guerre par rapport à la Grande-Bretagne et à son empire. Mais il leur fallut quelques années encore pour les réaliser entièrement. Ces objectifs se mêlèrent au besoin de construire et de consolider le bloc occidental face à celui de la Russie. A la fin des années 40, les possibilités d'une troisième guerre mondiale étaient réunies.
6 - Les USA n'ont pas essayé de répéter la politique suivie après la première guerre mondiale, à savoir : acculer l'Europe à la faillite en la forçant à payer ses dettes de guerre et en relevant les tarifs douaniers. Les principaux objectifs des USA étaient d'appliquer des mesures financières visant à la reconstruction des pays du bloc dans le but de favoriser et de stimuler l'économie américaine. La reconstruction de l'Europe et du Japon fourniraient ainsi des marchés pour l'industrie et l'agriculture des USA, en même temps, la reconstruction permettrait à ces pays de contribuer à la capacité militaire du bloc.
Ces plans furent mis en place avant la fin même de la guerre -de façon nette dans les accords de Bretton Woods (Fonds Monétaire International et Banque Mondiale). Cependant, dans le contexte de cette stratégie d'ensemble, les USA choisirent pour la Grande-Bretagne un"traitement" spécial. Puisque les actions d'arrière garde de Churchill résistaient aux efforts des USA pour "libérer" l'empire de l'étreinte de la bourgeoisie britannique, les USA maintinrent une pression constante sur l'économie britannique. En retour des 3,75 milliards de dollars prêtés pour aider -vu les difficultés de la liquidation du "lend lease"-, le gouvernement britannique devait accepter d'aider les USA à imposer le plan Bretton Woods au reste du bloc. Il devait rendre aussi la livre sterling convertible au milieu de l'année 1947, ce que voulaient les USA, afin de rendre la Grande-Bretagne plus vulnérable et l'obliger à faire appel à ses réserves (et en effet ceci réussit trop bien : quand la Grande-Bretagne perdit 150 millions de dollars-or et de dollars de réserve en un mois, les USA permirent une suspension de la convertibilité).
Lorsque la rivalité entre les USA et la Russie devint plus intense, les USA sentirent le besoin d'accélérer le processus de reconstruction et d'accroître la dépense militaire européenne. Le Plan Marshall fournit les fonds entre 1948-1951 et l'OTAN fut crée en 1949. La pression sur la bourgeoisie britannique fut maintenue pendant toutes les années autour de 1940 afin d.'obtenir une contribution élevée à cette force militaire. Tandis que les USA démobilisaient assez rapidement, la Grande-Bretagne devait fournir des forces considérables en Europe (en 1948, la Grande-Bretagne avait encore 1 million d'hommes en armes). En 1950, les USA engagèrent dans la guerre de Corée, d'abord leurs troupes, puis les troupes alliées (celles de la Grande-Bretagne inclus). Ils demandèrent aussi un accroissement énorme du budget militaire britannique -4,7 billions de livres en 1950. Avec le réarmement de l'Allemagne en 1950, la facture de l'armée d'occupation britannique fut retirée à la bourgeoisie allemande et soumise à la bourgeoisie britannique.
D'autres mesures furent prises pour maintenir la pression économique sur le capital britannique : par exemple, lorsque les USA donnèrent le "feu vert" aux Japonais pour réarmer en 1957, ils abrogèrent alors les réparations du Japon à la Grande Bretagne; et lorsque la Grande-Bretagne essaya de laisser ses propres dettes à ses colonies (par le non-paiement des matériaux et des services), les USA s'y opposèrent.
7 - Avec plus ou moins de succès, les gouvernements britanniques successifs essayèrent de défendre l'économie des attaques de la bourgeoisie américaine contre leur marché national et leurs marchés coloniaux. Ils essayèrent aussi de maintenir la position britannique comme pouvoir impérialiste à part entière. Mais à cause des USA, qui cyniquement se posèrent en champion de 1'anti-colonialisme et de 1'indépendance nationale, la Grande-Bretagne, épuisée par la guerre fut complètement incapable de maintenir son système colonial anachronique. La guerre avait donné une immense impulsion aux mouvements nationaux dans les colonies -des mouvements soutenus par la Russie et les USA, qui tous deux avaient intérêt à démanteler l'empire britannique. Les retraits britanniques en Inde et en Palestine ont été les moments les plus spectaculaires de la démolition de l'empire et le "fiasco" de Suez en 1956 a mis fin à toute illusion que la Grande-Bretagne était encore "une puissance mondiale de premier ordre". Les USA ont clairement démontré qu'ils ne toléraient pas les actions indépendantes ne correspondant pas à leurs intérêts. Le gouvernement britannique était désemparé devant cette situation et n'avait qu'à capituler, et en le faisant, il se montrait incapable de défendre ses marchés et ses colonies.
Le démantèlement de l'empire s'est accéléré et les années 60 ont vu un cortège continu de colonies revendiquer leur "indépendance". Le dernier retrait des forces britanniques de "l'est de Suez" en 1964 pendant le gouvernement Wilson venait clore - par une dernière formalité- un processus qui avait commencé bien des années auparavant.
8 - Les principales conclusions que nous pouvons tirer du processus de la formation du bloc US et en particulier de la place de la Grande-Bretagne, peuvent être résumées comme suit :
• la bourgeoisie américaine s'est employée à réduire la nation britannique à l'état de puissance économique et militaire secondaire. L'objectif essentiel des USA était de démolir l'empire britannique, considéré comme le principal obstacle à l'expansion américaine. En développant une politique appropriée et en utilisant son énorme pouvoir économique et politique, ils ont réalisé leurs buts pendant la guerre et la reconstruction ensuite.
• le "cash and carry" et le "lend lease" ont été utilisés pour obtenir des droits sur les concessions britanniques et pour avoir accès aux matières premières. Cela signifiait que le contrôle des dépôts de matériaux stratégiques tel que le pétrole, le caoutchouc, les minerais passait des mains de la bourgeoisie britannique à la bourgeoisie américaine. Un endettement financier permanent était instauré et maintenu.
• l'aide d'après-guerre était canalisée en Europe de façon à stimuler à la fois l'économie américaine et à accroître les capacités militaires du bloc occidental. Ainsi, la politique économique de la Grande-Bretagne était dictée essentiellement par les besoins d'une économie de guerre permanente à l'ouest contrôlée par la bourgeoisie américaine.
• bien que la reconstruction ait apporté un boom provisoire à l'économie occidentale, les bénéfices de l'économie britannique ont été considérablement atténués par les USA, au nom de ses propres intérêts. La perte de l'empire et le début de la 'crise économique mondiale dans les années 60 trouvèrent le capital britannique en position de faiblesse, moins capable que d'au très économies (telles que l'Allemagne, le Japon, la France) de faire face à la crise.
• le "rapport particulier" liant la bourgeoisie américaine à la bourgeoisie britannique si souvent revendiqué, est simplement une relation de complète hégémonie de la part des USA. Dans le cadre du renforcement du bloc occidental qui s'est effectué ces dernières années, comme résultat de l'approfondissement des antagonismes inter-impérialistes, la Grande-Bretagne a donc été le plus obéissant des principaux alliés des USA.
C.Marlowe
[1] [508] "Lend and lease" : relâchement de la part des USA pour le paiement des factures de la Grande-Bretagne. Retour à un système de crédit.
[2] [509] "Cash and carry" : littéralement : payer comptant une fois les marchandises reçues. Système d'échange qui contraignait la Grande-Bretagne à payer comptant les marchandises qu'elle recevait. Aucun crédit n'était accordé.
Dans cette partie, nous tenterons de montrer que la préoccupation de former une avant-garde du prolétariat basée sur des positions communistes claires, ayant pour tâche de défendre activement ces positions dans la lutte, a toujours été celle de la Gauche Hollandaise. On ne peut vraiment comprendre la position de la Gauche Hollandaise sur le Parti que si on s'abstient de faire des jeux de mots comme les conseillistes actuels et autres "spécialistes" de l'histoire. Il faut, par contre, chercher à comprendre vraiment le débat qui avait lieu chez les révolutionnaires des années 20, 30 et 40, ces longues années de contre-révolution qui ont suivi la vague révolutionnaire de 1917-23.
LE CADRE DU DEBAT SUR LE PARTI
Les organisations révolutionnaires qui se sont regroupées dans l'Internationale Communiste, tout en ayant eu une approche différente, se trouvaient toutes confrontées au problème de comprendre les conséquences de la nouvelle période, cette "ère de guerres et de révolutions" -la décadence du capitalisme- sur la question du parti.
Dans la période ascendante du capitalisme, le parti était une organisation unitaire de la classe qui luttait pour des réformes parlementaires et au sein de laquelle les révolutionnaires étaient actifs dans la défense du programme de la révolution prolétarienne. A côté du parti politique, le mouvement syndical était constitué par des organismes unitaires au niveau économique. Ces deux types d'organisations unitaires pouvaient exister de façon permanente au sein de la société car le capitalisme pouvait encore accorder des réformes à la classe ouvrière qui, en conséquence, luttait dans le cadre du système capitaliste au niveau politique parlementaire et au niveau économique, de façon distincte et séparée. Avant la première guerre mondiale, Pannekoek, en accord avec Rosa Luxembourg, considérait déjà la grève de masse comme pouvant mettre en oeuvre une action politique par les organismes de masse du prolétariat. Dans une telle action, les buts différents du mouvement politique et du mouvement syndical étaient confondus et unis dans des buts politiques. Les grèves de masse n'exigeraient plus les seules capacités des représentants et des porte-paroles de la classe, mais la force, la conscience de la classe et la discipline des masses. Loin de nier la nécessité du parti, la Gauche Hollandaise partageait la conception de toute la Gauche de la Deuxième Internationale : le parti de masse (à l'exemple du parti allemand) serait l'instrument de l'émancipation du prolétariat dans la révolution. Telle était l'idée de Lénine, de Luxembourg, de Gorter, de Pannekoek. La Gauche Hollandaise et Allemande se distinguait déjà à l'époque des bolcheviks, par son insistance sur la nécessité de développer les forces créatives, "spontanées" des masses prolétariennes sans lesquelles la victoire de la révolution serait impossible. Les bolcheviks, eux, ont apporté leur contribution sur un autre aspect de la question du parti. Dans les circonstances particulières de la Russie tsariste, Lénine était forcé de bâtir une organisation des révolutionnaires pour préparer un parti de masse social-démocrate. Une telle organisation des éléments les plus conscients de la classe était bien adaptée au changement de période dans la vie du capitalisme. Avec la fin de la possibilité des réformes au sein du système, les syndicats et les partis parlementaires n'ont pu sauver leur existence en tant qu'organisations permanentes, qu'en quittant le camp de la classe ouvrière pour s'intégrer dans l'Etat bourgeois en 1914. Par contre, des actions révolutionnaires de masse ont surgi les nouvelles organisations unitaires du prolétariat : les assemblées générales, les comités de grève, les conseils ouvriers. Comme avant 1914, les révolutionnaires étaient des éléments actifs au sein de ces organismes unitaires. Mais tandis que ce nouveau type d'organisation de par la nature du but qu'elle se donnait, un but révolutionnaire, ne pouvait plus exister qu'en période de lutte et pendant la lutte , les révolutionnaires eux s'organisaient comme minorité de la classe en se donnant pour objectif de contribuer à la clarification du but et des moyens de la lutte. De telles organisations révolutionnaires, tout en s'appelant des "partis", n'étaient pas identiques aux partis de la période ascendante du capitalisme : la classe ouvrière fermement unie sur la base de la conscience du programme communiste.
Ce sont surtout les Gauches allemande et hollandaise qui ont compris que le caractère nécessairement minoritaire de l'organisation des révolutionnaires, du parti, ne permettait pas d'identifier parti et classe à moins de tomber dans des formes de substitutionnisme. C'est surtout par la conscience qu'elles avaient de la nécessité de la spontanéité de masse que les Gauches allemande et hollandaise ont défendu l'organisation des révolutionnaires sans tomber dans le substitutionnisme, Par contre, les Gauches allemande et hollandaise avaient aussi des faiblesses dans la conception du parti ; elles étaient le résultat d'une incompréhension que dans la période nouvellement ouverte de décadence du capitalisme, les organisations unitaires de la classe ne pouvaient exister que pendant la lutte, et l'organisation des révolutionnaires ne pouvait avoir une influence réelle dans la classe -être le parti- que dans une vague révolutionnaire.
C'est sur le premier problème que le KAPD s'est séparé en diverses fractions pendant la remontée de la lutte de classe. Sur ce même problème, la Gauche hollandaise a apporté des contributions importantes et a finalement résolu le problème.
Sur le deuxième (le parti), bien que la Gauche hollandaise n'ait pas atteint la clarté de la Gauche italienne en exil (surtout Bilan et Internationalisme ), elle a su assumer les tâches qui reviennent aux révolutionnaires dans une phase de reflux (dans les années 20 et 30) et a travaillé à préparer à nouveau le futur parti dans la perspective d'une reprise révolutionnaire après la seconde guerre mondiale. Sur la question du parti, les conseillistes actuels sont en régression sur la Gauche hollandaise ; ils défendent la position anti-parti de Ruhle, que n'ont jamais partagée Gorter, Pannekoek, Hempel ou Canne Mayer.
Bien que le KAP hollandais n'ait pas créé d'AAU (Union Générale des Ouvriers), il était divisé en deux tendances comme le parti allemand (KAPD). Gorter représentait la tendance d'Essen du KAP tandis que Pannekoek n'a pas pris position mais a publié des textes sur le sujet du débat. Nous verrons qu'en fait les positions de Pannekoek contenaient déjà les données de la solution du problème qui fut résolu après la mort de Gorter en 1927,
LES SCISSIONS DANS LE KAPD HOLLANDAIS SUR LE A.A.U.
Les débats qui ont finalement mené à l'éclatement dans le parti avaient lieu surtout sur la question du rapport entre le parti et l'AAU. TAAUD prétendait être la synthèse des organisations d'usine nées de la révolution allemande. Le programme du KAPD considérait les organisations d'usine comme des"organisations de lutte purement prolétariennes" qui avaient la double tâche de contribuer à la dénonciation et à la destruction de l'esprit contre-révolutionnaire des syndicats et de préparer la construction de la société communiste. Dans les organisations d'usine, les masses devaient s'unifier par la conscience de leur solidarité de classe. L'AAUD définissait ainsi cette seconde tâche :
"Dans la phase de prise du pouvoir politique l'organisation d'usine devient elle-même une partie de ta dictature prolétarienne, pratiquée dans l'usine par les conseils d'usine qui se structurent sur la base de l'organisation d'usine. L'organisation d'usine est une garantie pour que le pouvoir politique soit toujours entre les mains du comité exécutif des conseils".
Programme de l’AAUD (décembre 1920)
Selon le KAPD, l'organisation d'usine en tant qu'organisme unitaire de combat, était une garantie pour la conquête du pouvoir par le prolétariat et non par "quelques leaders de parti et leur clique" (Programme du KAPD). La tâche du parti, du KAPD. n'était pas la prise du pouvoir mais "le recoupement des éléments les plus conscients de la classe ouvrière sur la base du programme du parti . Le KAP doit intervenir dans les organisations d'usine et y mener une propagande infatigable" mais ce qu'on attendait n'eut pas lieu. Les tâches assignées aux organisations d'usine qui devaient s'organiser entre elles dans l'AAUD et regrouper bientôt tout le prolétariat allemand, ne furent pas remplies. Très tôt déjà, Pannekoek avertissait -dans une lettre datée du 5 juillet 1920- qu'il pensait fausse l'idée de deux organisations des ouvriers les plus conscients, qui toutes deux "se trouvaient être des minorités au sein des grandes masses qui n'étaient pas encore actives et restaient encore dans les syndicats". A long terme, une telle double organisation serait inutile puisqu'en fait elles regroupaient et recouvraient les mêmes personnes. La démocratie prolétarienne doit se baser sur tous ceux qui travaillent dans l'entreprise et "qui au travers de leurs représentants, de leurs conseils d'usines, prennent en mains la direction politique et sociale". Selon Pannekoek, les communistes étaient une minorité plus consciente qui avaient pour tâche de diffuser les positions de classe et de donner une orientation et un but à la lutte. Une deuxième organisation, les Unions est inutile pour la révolution. D'après lui, donc, il fallait abandonner l'AAUD pour le parti, bien qu'il dît que l'organisation en Union était peut-être nécessaire quand même dans la situation spécifique en Allemagne.
OTTO RULHE ET LE A.A.U.
La scission d'Otto Ruhle et de son groupe s'es faite sur l'idée exactement opposée à celle de Pannekoek. Ruhle abandonnait le parti en faveur de d'union qu'il considérait comme la véritable organisation unitaire qui supprimait la nécessité du parti, Ruhle voyait le parti comme un énorme appareil qui voulait diriger les luttes d'en haut, jusque dans les moindres détails ; c'est une conception du parti que Rosa Luxembourg avait reproché à Lénine. Mais le KAPD considérait sa tâche comme une contribution au "développement de la conscience de soi du prolétariat allemand" (Programme du KAPD). Dans son texte de rupture avec le KAPD ("Grundfrogen der Organisation"), Ruhle laissait de côté cette tâche de clarification que se donnait le parti. Mais déjà dans le Programme de l'AAU (E) (E = "Einheits organisation" ou organisation unitaire ; le E distingue l’AAU de Rhuhle de l’AAUD du KAPD), on retrouve les tâches propagandistes bien que l’organisation fédéraliste qu’était l’AAU (E)) se trouve dans l’impossibilité de remplir ces tâches, vu la multitude de mic mac de positions qu’elle avait. Comme toutes ces positions existaient en son sein sans être discutées, l’AAU (E) n’a pratiquement pas contribué au "développement de la conscience de soi" de la classe ouvrière qui constituait pourtant l’un des points de son programme. Et malgré la conception anti-parti de Ruhle,, il n’a pas pu empêcher qu’en 1921 un groupe politique sorte de l’organisation unitaire", un groupe qui s’appelait « Gruppe de Ratekommnisten" (Groupe des Communistes de Conseils).
La majorité du KAPD défendait le centralisme à la base, contre le fédéralisme de Riihle : "le fédéralisme devient un non-sens s'il équivaut à séparer les entreprises ou les districts alors qu'ils représentent un tout" (Karl Schroder : "Vom Werden einer neuen Gesellschaft"). Dans la brochure "Die Klassenkampf - Organisation des Prolétariats " ("l'organisation de la lutte du de classe du prolétariat"), Gorter défendait l'idée de l'existence distincte du KAPD par rapport à l’"Union".
Il est clair qu'on ne peut identifier les positions de Gorter et Pannekoek avec celles de Ruhle. Au début des années 20, Gorter et Ruhle étaient opposés sur la question du parti alors que tous deux croyaient encore que l'Union" pourrait croître jusqu'à devenir une organisation vraiment unitaire. A ce moment-là, Pannekoek soulignait déjà le caractère minoritaire de l'Union et suggérait la suppression de l'AAU. La fin tragique du KAPD, conséquence directe de la défaite de la révolution mondiale, a fait que ce n'est pas dans le parti mais dans les restes des Unions que s'est fait sentir la nécessité du regroupement des rares éléments restés fidèles à la révolution. Ce regroupement a donné le "Kommunistische Arbeiter-Union" (Union des Ouvriers Communistes), résultat d'une fusion des restes de TAAU (E) et de l'AAU (D), fraction de Berlin en 1931. La Gauche hollandaise a eu une grande influence sur ce regroupement. Dans un texte de la fin des années 40, Henk Canne Meyer se souvient :
"Ce nouveau nom (KAU) était en fait l'expression de la conscience d'une évolution graduelle dans les conceptions du mouvement pour l'organisation d'usine. Et cette évolution portait notamment sur ce qu'était la classe organisée. Auparavant, l'AAU avait pensé qu'elle organiserait la classe ouvrière et que les millions d'ouvriers adhéreraient tous à cette organisation. Mais au cours des années, l'AAU avait toujours défendu l'idée que les ouvriers eux-mêmes devraient organiser leurs mouvements de grève et leur lutte m mettant en relation tous les comités d'action, 'ri faisant cela, ils agissaient aussi comme classe organisée tout en n'étant pas membres de 'AAU. En d'autres termes, la lutte comme classe organisée n'était plus considérée comme dépendante de la construction préalable d'une organisation déjà créée (...). Le rôle de l'AAU, ou plus tard du KAU, c'était de faire de la propagande communiste au sein des masses en lutte ; sa signification, c'était de contribuer à la lutte en indiquant le chemin conscient à parcourir vers le but poursuivi". ("De Economische Grondslagen van de Radenmaatschappy")
DU PARTI A LA FRACTION: LE GIC
Vers la fin des années 20 et au début des années 30, il était clair que les révolutionnaires avaient perdu toute influence réelle dans la lutte de classes. En conséquence, le parti tendait à se diviser en tendances qui défendaient différentes positions sur la défaite de la révolution mondiale. Henk Canne Meyer qui avait été un représentant de la tendance de Berlin dans le KAP hollandais, quittait le parti en 1924 avec la déclaration suivante :
"Le KAP (durant presque toute son existence) n'a pas été autre chose qu'une fondrière qui produisait toujours plus de nouvelle boue. Toutes les puanteurs qui se sont ainsi développées sont connues de vous. On ne peut plus rien faire en son sein et de nouvelles forces fraîches réussiront certainement à se garder du marais l'.
En 1927, se tint une série de réunions de discussions entre membres du KAP hollandais, d'ex-membres et des révolutionnaires allemands sur les problèmes de la période de transition. Hempel avait commencé le plan d'un texte, basé sur les voyages qu'il avait faits en Union Soviétique, en tant que délégué du KAPD, sur le Capital et la Critique du Programme de Gotha de Marx. Pendant la première de ces discussions, Pannekoek était présent et s'était opposé à ce plan, en se référant à 1'Etat et la Révolution de Lénine. Le 15 septembre 1927, Gorter mourait et avec lui, disparaissait la dernière force de cohésion du KAP hollandais. De ces réunions de discussions sur la période de transition, est né le "Groupe des Communistes Internationalistes" (GIC), sans doute le groupe le plus fructueux des groupes communistes de conseils hollandais. Beaucoup d'ex-membres du KAPD se trouvaient alors en exil en Hollande, dans leur fuite de la contre-révolution en marche. Le GIC publiait le "Persmateriaal du GIC" (hollandais), "Ratekorrespondenz" (allemand) et "Klasbatalo" (espéranto); il était en contact étroit avec "Council Correspondance" (de l'émigré allemand Paul Mattick) aux Etats-Unis et avec le reste du KAPD en Allemagne. A côté de son activité de propagande en direction des chômeurs et des ouvriers, le GIC voulait élaborer les expériences des années révolutionnaires passées. Dans ce cadre, le GIC a développé le plan du texte de Hempel de manière collective et a publié en 1930-31 "De Grundbegrinselen des Communistische Productie en Distributie" (Principes Fondamentaux de la Production et de la Distribution Communistes"). Ce texte est une intéressante contribution aux questions économiques de la période de transition, bien qu'on puisse critiquer ses faiblesses et ses lacunes sur les aspects politiques de la période de transition au communisme, aspects qu’il faut clarifier avant de trancher sur les aspects économiques. H.Wagner, ex-membre de la tendance "Essen" du KAPD développait alors la fausse Idée que la révolution en Russie avait été à la fois prolétarienne et bourgeoise, idée qu'on peut déjà trouver dans le programme du "Kommunistische Arbeiter-Internationale" ([1] [510]), dans les "Thèses sur le Bolchévisme". Pannekoek, après de longues années de passivité quasi-totale, était en contact étroit avec le GIC. En 1938, il publiait "Lénine Philosophe'1, critique philosophique du bolchévisme basée sur les Thèses de Wagner ([2] [511]).
En ce qui concerne la question du parti à laquelle nous nous limiterons ici, le texte de Canne Meyer "Naar een nieuwe arbeidersbewegung" ("Pour un nouveau mouvement ouvrier") est intéressant comme contribution publiée à l'époque en hollandais, allemand et anglais. Face à l'avancée de la contre-révolution et à l'impuissance de la classe ouvrière, le GIC proposait une nouvelle..."synthèse organisations lie des ouvriers relativement peu nombreux pour qui la lutte pour le mouvement autonome de notre classe est devenue une raison de vivre", synthèse qui de/ait se faire dans des "groupes de travail". Canne Meyer croyait qu'un regroupement de ces "groupes de travail" était impossible pour le moment car "l'écroulement du vieux (mouvement) n' a pas encore permis de produire suffisamment de convergence de positions" ("Naar een nieuwe arbeidersbewegung, 1935).
Le GIC a mis définitivement fin aux confusions du KAP sur l'organisation unitaire. Bien que le GIC fût pour la création de "noyaux révolutionnaires d'usine" orientés dans le même sens que les "groupes de travail" : des organisations propagandistes dans les usines, il distinguait clairement cette organisation d'usine de l'organisation des révolutionnaires :
"L'organisation d'usine> en tant qu'expression de l'unité de la classe ouvrière à un moment donné, disparaîtra toujours avant la révolution et sera seulement la forme d'organisation permanente des ouvriers aux moments décisifs de bouleversement des rapports de force". (Nelbingen omtrent révolutionnaire bedrigjfshernen" Amsterdam 1935)
La position de PANNEKOEK dans les années 30-40
Pour les conseillistes actuels, il est :
"Évident que Pannekoek ne pense pas seulement que le parti bolchevik était l'opposé d'une organisation prolétarienne3 mais encore tout parti de quelque type que ce soit. Sa critique de la conception du parti de Lénine est aussi une critique de la conception du parti en général.." (Cajo Brendel "Anton Pannekoek, theoritikus von Ret Socialisme", p.99/100)
Quelques lignes plus loin, Brendel dit après quelle sorte de parti il en a : le KAP. Très correctement, Brendel montre la position de Pannekoek en 192a, selon laquelle un parti prolétarien est nécessaire avant et pendant la révolution prolétarienne. Mais Brendel a tort lorsqu'il veut prouver, par toute une série de citations de Pannekoek, que :
"... la pratique -de ce type de partis et surtout de la lutte ouvrière- montre à Pannekoek non pas qu'à chaque type de révolution correspond un type propre de parti, mais que le parti quelle que soit sa forme est un phénomène limité à la révolution bourgeoise et à la société bourgeoise. La frontière ne se situe pas entre parti bourgeois et parti prolétarien mais entre le parti bourgeois et l'organisation de la lutte prolétarienne'' (ibid, p.100):
Mais toutes les citations de Pannekoek que donne Brendel dans son livre de Lénine Philosophe, des Conseils ouvriers (1945), des Cinq Thèses sur la Lutte de Classe (1946) ne font que souligner la critique à la conception substitutionniste des bolcheviks et la nécessité de l'activité clarificatrice de l'organisation des révolutionnaires. Brendel a complètement oublié de noter que c'est seulement le Pannekoek de la fin des années 20 qui parle du "parti" au sens des partis sociaux-démocrates, bolchevik ou des vieux partis bourgeois. Ce n'est pas surprenant car le KAP avait alors disparu comme parti prolétarien ayant une influence réelle. Mais Brendel est obligé de noter que Pannekoek utilise "un ton un peu différent" (ibid, p.105) dans les thèses de 1946. Ce n'est pas un autre ton. C'est que Brendel a une surdité politique pour des termes comme "clarification politique". Selon Brendel, ce ton "un peu différent" de Pannekoek trouve son explication dans le texte du "Spartacusbond" : "Taak en wezen van de nieuwe partij" ("Tâches et nature du nouveau parti"), que Brendel considère comme un compromis opportuniste entre les positions du GIC et celles du groupe de Sneevliet qui se sont regroupés à la fin de la seconde guerre mondiale. Bien que ce texte contienne beaucoup de confusions, c'était l'un des derniers signes de vie de la Gauche hollandaise qui, après la guerre, espérait une reprise de la lutte de classe ouvrière et se préparait à former le parti de classe, en tant qu'instrument indispensable de la révolution mondiale. Hélas, la Gauche hollandaise s'était affaiblie pendant la guerre et n'a pas survécu à la période de reconstruction qui a permis *u capitalisme de continuer la contre-révolution. En 1947, Canne Meyer quittait le "Spartacusbond" qui était dominé par une tendance activiste voulant reconstruire une sorte d'AAU. Le texte "Economische Grondslagen van de Radenmaatschappy" fut publié par Canne Meyer dans "Radencommunisme" après qu'il a quitté, ainsi que les autres membres du GIC, le "Spartacusbond". Ceci n'a pas fait hésiter "Spartacusbond à répondre aux critiques du CCI (Revue Internationale n°12 ) en se cachant derrière ce texte pour éviter toute discussion avec le milieu révolutionnaire existant actuellement et qui se réclame du KAPD. Canne Meyer, Hempel et d'autres anciens membres du GIC, par contre, n'ont jamais rompu le contact avec "Internationalisme" des années 40 dont le CCI se réclame directement.
Mais pourquoi Brendel suggère-t-il dans son livre sur Pannekoek que le regroupement entre le Snevliet et le GIC était opportuniste ? Parce que lui-même n’a rejoint le "Spartacusbond" qu’après 1947 ? Quelle fut son attitude à l'égard des positions du GIC ? Dans les années 30, Brendel était membre d'une tendance communiste de Conseils dont le GIC disait qu’elle voit le chemin du mouvement de masse dans la simple provocation des conflits de classe"(PIC 1932, n°19). Le GIC pensait au contraire "que la simple provocation de conflits de classe mène à vider de son énergie la partie révolutionnaire du prolétariat, mène de défaites en défaites sans contribuer à la formation d'un front de classe réel" (ibidem) Et justement contre cela, le GIC préconisait que "dans le choix de la résistance, il fallait directement faire de la propagande pour le front de classe "(ibid).
Le groupe de Brendel critiquait le texte du GIC sur Je "nouveau mouvement ouvrier" car "la classe ouvrière ferait son apprentissage dans la pratique, complètement indépendamment des groupes d'étude" (Brendel, in "Jahrbuch Arbeiterbe-wegung"). Aujourd'hui, il essaie d'élaborer des formules théoriques pour un nouveau mouvement ouvrier et pense que "le GIC se distinguait de façon principielle du vieux mouvement ouvrier mais n'était pas le nouveau mouvement ouvrier et ne pouvait pas 1'être parce que sa formation ne pouvait être comprise que comme un long processus" (ibid). Pauvre Brendel qui tombe maintenant dans le même piège que dans les années 30 ; il voit la classe dans son ensemble d'un côté et les révolutionnaires de l'autre, complètement séparés. Pour le GIC, la classe dans son ensemble constituait le mouvement des ouvriers et l'organisation des révolutionnaires était le (nouveau) mouvement ouvrier ([3] [512]). Alors que le GIC était en faveur d'un nouveau mouvement ouvrier, "Daad en Gedachte", groupe actuel de Brendel, non seulement ne voit pas le mouvement des ouvriers, mais s'oppose à tout mouvement ouvrier, le vieux et aussi le nouveau qui se développe maintenant dans la discussion et le processus de regroupement des révolutionnaires. Telle est la fin tragique de la Gauche hollandaise. Les activistes d'hier ne subsistent que pour dénaturer toutes les contributions positives du communisme des conseils et les transformer en des absurdités conseil listes.
F.K
ABREVIATIONS :
AAU : Union Générale Ouvrière
AAUD : Union Générale Ouvrière d'Allemagne
AAUE : Union Générale Ouvrière d'Allemagne (Organisation Unitaire)
GIC : Groupe des Communistes Internationalistes
KAI : Internationale Communiste Ouvrière
KAPD : Parti Communiste Ouvrier d'Allemagne
KAP Hollandais: Parti Communiste Ouvrier de Hollande
KAU : Union Ouvrière Communiste
Sneevliet : Nom d'un groupe formé autour de Sneevliet, trotskyste hollandais.
[1] [513] La KAI (Internationale Communiste Ouvrière) correspondait à une tentative des tendances "Essen" des deux KAP de regrouper la Gauche communiste Internationale. A part le KAPD et le KAP hollandais, elle se réduisait à la Gauche bulgare, la Gauche anglaise et la Gauche russe.
[2] [514] On trouve la critique de ces thèses dans "Octobre 1917 : début de la révolution mondiale" (Revue Internationale n°12)
[3] [515] "Daad en Gedachte" a toujours été confus dans ses définitions du mouvement ouvrier et du mouvement des ouvriers. Dans le n°1976-4, il est dit qu’Otto Rhule était l’un des pionniers du nouveau mouvement ouvrier. Dans le n°1978-10, il est dit que Marx et Gorter étaient des membres du mouvement ouvrier qui était distinct du mouvement des ouvriers. Il semble que dans sa sympathie pour l'AAU (E) de Ruhle, "Daad en Gedachte" confonde parfois le nouveau mouvement ouvrier avec le mouvement des ouvriers.
Les organisations politiques du prolétariat ont le leur source de vie dans la pratique historique et vivante de leur classe. Le CCI n'échappe pas à cette loi et le 3ème Congrès a été, dans tous ses aspects, traversé des problèmes qui se posent aujourd'hui dans les combats de la classe ouvrière. Le Congrès a commencé par le bilan de deux ans d'activités dans la lutte de classe ; en ce domaine, avec trois an et demi d'existence comme organisation internationale centralisée, le CCI dispose d'une petite expérience, néanmoins déjà riche de quelques enseignements importants. Le premier enseignement est qu'à cette inexpérience organisationnelle correspond une faiblesse théorique quant à la capacité à approfondir les questions posées dans le mouvement ouvrier du passé. Dans le processus constant d'approfondissement de la compréhension de la réalité sociale, historique et actuelle, le CCI balbutie encore tout comme l'ensemble des organisations révolutionnaires, expressions de la lutte de la classe ouvrière. Le deuxième enseignement est la difficulté, mais également la nécessité et la possibilité de vivre avec des divergences politiques. L'amélioration de la capacité à poser les questions surgies de la lutte de classe présuppose un débat constant comportant inévitablement des divergences politiques, des différentes appréciations, qu'il faut être capable de résoudre au sein de la même organisation. Le troisième enseignement est la nécessaire adéquation et modulation de l'intervention en fonction de la période dans laquelle on se trouve. Tous ces aspects de réactivité d'une organisation révolutionnaire, approfondissement théorique et politique, développement de l'organisation et regroupement des révolutionnaires, intervention active dans les luttes de la classe ouvrière- ont plus qu'auparavant été examinés comme formant un tout, un ensemble cohérent de plus en plus lié directement à la pratique de la classe ouvrière elle-même, et une insistance particulière a été portée sur la question des publications de l'organisation.
C'est pourquoi les travaux du Congrès ont consisté principalement en un bilan de la situation internationale.
Lors du deuxième Congrès, nous avions pu constater la confirmation de ce qui était déjà notre analyse avant même la constitution officielle du CCI, à savoir : la fin de la période de reconstruction et l'entrée du système capitaliste dans une nouvelle phase de la crise permanente historique du système. Nous avions pu également mettre en évidence le développement lent de la crise et dégager les raisons de cette lenteur. Contrairement aux apologistes intéressés ou encore aux chercheurs confus, à qui le rythme lent de la crise inspirait des théories fallacieuses et de vains espoirs sur de possibles issues de la crise (restructuration de l'appareil productif, ouverture du marché chinois ou de celui du bloc de l'Est, et autres fantaisies), nous énoncions, sur la base d'une analyse marxiste, son caractère permanent, historique et non contingent, son aggravation inéluctable, ce qui n’ouvre dans le capitalisme décadent et dans le cadre de ses lois immanentes qu’une seule issue : la marche vers la guerre généralisée.
Cette analyse, comme le démontre le rapport CRISE ET ANTAGONISMES INTERIMPERIALISTES est pleinement confirmée par l'évolution de la crise de ces deux dernières années. Partant de l'évolution de la crise et d'un examen correct de la condition où se trouve la classe ouvrière dans la période actuelle, nous avons mis en évidence l'inéluctabilité du resurgissement de la lutte de classe du prolétariat, sa capacité énorme et intacte à affronter la politique d'austérité que le capitalisme tend à lui imposer. Cette perspective de reprise du combat du prolétariat, également dégagée au deuxième Congrès, se trouve pleinement vérifiée et confirmée.
Il est vrai que nous avons parfois commis des erreurs d'appréciation et des exagérations sur des luttes ponctuelles et momentanées, que nous n'avons pas toujours perçu immédiatement le mouvement en dents de scie de la lutte du prolétariat. Mais ces erreurs, corrigées plus ou moins rapidement, n'ont jamais infirmé le fond de la perspective tracée. C'est pour répondre à toutes les tendances au pessimisme qui se manifestent jusque dans nos rangs chaque fois que la lutte ouvrière se trouve momentanément dans le creux du mouvement en dents de scie, c'est pour nous prémunir à l'avenir contre ces tendances au scepticisme à qui l'arbre cache la forêt, c'est pour répondre jusque dans le détail à des objections déjà entendues et toujours susceptibles de se renouveler, c'est pour fonder une bonne fois solidement la perspective, qu'il a été jugé nécessaire de présenter un rapport sur L'EVOLUTION DE LA LUTTE DE CLASSE long et détaillé, mais essentiel pour la compréhension de cette perspective et de 1'orientation de l'activité pratique.
Il en est de même en ce qui concerne le cours historique qui se dégage de la situation actuelle. Il est absolument nécessaire de rejeter
la théorie absurde de deux cours parallèles, l'un vers la guerre, l'autre vers la révolution, qui ne font que se poursuivre à l'infini sans jamais se rencontrer, sans agir et réagir l'un sur l'autre. Une telle "théorie" relève d'une démarche normande : "Peut-être ben qu'oui, peut-être ben qu' non". Une classe révolutionnaire ne saurait se contenter d'une théorie de constat de fatalité, de "qui vivra verra". Il est mille fois préférable l'investigation avec tous les risques d'erreur que l’absence de toute investigation. L'investigation à laquelle le CCI s'est livré montre d'abord la validité de la démarche et permet ensuite de répondre non pas à la question "quelles sont les forces qui poussent à la guerre ?", mais à la question "comment et par qui ces forces de la guerre sont entravées et leur aboutissement empêché ?". C'est à cela que répond le rapport sur le COURS HISTORIQUE, dont l'argumentation repose sur l'analyse générale de la période et de l'évolution de la crise et dont elle est une partie intégrante.
Toutefois, il n'en est pas de même pour ce qui est de l'analyse de la. CRISE POLITIQUE de la bourgeoisie et de la nécessaire arrivée de la gauche au pouvoir qui a constitué durant des années et notamment au deuxième Congres, l'axe des conclusions politiques à court terme. Une contribution spécifique sur cette question complète les rapports sur le changement intervenu dans la situation et ses implications pour l'intervention.
Une RESOLUTION SUR LA SITUATION INTERNATIONALE a été adoptée qui fait la synthèse des trois rapports généraux sur la situation
Une autre partie des travaux du Congrès a consisté en l'adoption de la RESOLUTION SUR L'ETAT DANS LA PERIODE DE TRANSITION, concrétisation de plusieurs années de discussions sur la question, question qui fera l'objet d'une brochure dans laquelle seront publiés les débats qui se déroulent au sein du CCI. Complément indispensable des activités et des analyses de la situation, les questions théoriques de la période de transition, du contenu du socialisme, des "buts généraux du mouvement", restent un souci constant dans les orientations du CCI.
Enfin, nous tenons à saluer la présence à ce Congrès de délégations de la Communist Workers'Organisation, du Nucleo Comunista Internizionalista, d'Il Leninista et d'un élément participant des Conférences Communistes de Scandinavie. Les débats du CCI sont des débats dans le mouvement ouvrier et n'ont rien de confidentiel et les invitations des groupes aux travaux ne peuvent que contribuer à une meilleure connaissance de vivo des positions du CCI et donc à la clarification politique au sein du milieu révolutionnaire.
L'évolution de la situation mondiale est déterminée par le rapport complexe entre deux tendances historiques : le cours de la crise économique du capitalisme et le cours de la lutte prolétarienne. Le cours de la crise économique, devenue permanente à l'époque de la décadence du capitalisme, est fondamentalement dicté parles lois aveugles qui régissent le processus de l'accumulation capitaliste. Ces lois condamnent le capitalisme à survivre uniquement à travers un cycle de crise-guerre-reconstruction-crise; inexorablement, elles poussent la bourgeoisie vers la guerre impérialiste mondiale, comme seule réponse capitaliste à la crise ouverte de surproduction généralisée. D'autre part, le cours de la lutte de classe prolétarienne, quoiqu'étroitement liée au déroulement de la crise économique n'en est pas un produit mécanique. Il est aussi déterminé par toute une série de facteurs super structurels. Par conséquent, si le cours de la crise économique en provoquant une dépression mondiale constante est un facteur puissant qui pousse la classe ouvrière dans la lutte contre la dégradation de ses conditions de vie et de travail, la capacité du prolétariat à généraliser et à politiser sa lutte est déterminée en fin de compte par le développement de sa conscience de classe, par son organisation autonome, par la contribution de ses minorités révolutionnaires et par le poids plus ou moins grand de l'idéologie bourgeoise (le nationalisme, "le légalisme", l'électoralisme, 1'antifascisme, le "communisme national", etc.) en son sein.
Le cours de la lutte de classe prolétarienne lui-même devient un facteur important qui influe sur le cours même de la crise économique. En empêchant le fonctionnement des palliatifs capitalistes (la déflation, la politique des revenus, les pactes sociaux, les licenciements, les "rationalisations", la militarisation du travail, etc.), la combativité de la classe ouvrière aggrave et intensifie la crise, plongeant la bourgeoisie dans le désarroi. Si le cours de la lutte de classe refluait définitivement, lors d'une période de crise mondiale, le chemin serait ouvert à la "solution" capitaliste, la guerre mondiale, mais si la lutte de classa monte, avec un approfondissement de la lutte de classe et le développement des organes unitaires et politiques de la classe, elle peut transformer la crise économique en crise révolutionnaire, en début d'une transformation communiste de la société.
C'est sur la base d'une compréhension de cette interaction complexe entre la crise et l'activité du prolétariat -compréhension qui constitue l'essence du marxisme- que les révolutionnaires peuvent déterminer si la perspective historique est aujourd'hui vers la guerre impérialiste ou vers la montée de la lutte de classe. De cette compréhension dépend la forme de l'intervention de l'organisation des révolutionnaires dans la lutte.
Dans ce rapport sur la situation internationale, nous analyserons d'abord le déroulement de la crise économique ainsi que l'aggravation considérable des antagonismes inter-impérialistes que la dépression mondiale a provoquée et aussi la crise politique dans laquelle les difficultés économique croissantes ont plongé la bourgeoisie de chaque nation. Nous tracerons ensuite le cours de la lutte de classe prolétarienne, son impact sur le déroulement de la crise économique et sur les tendances qui poussent la bourgeoisie vers la guerre mondiale. Enfin, sur la base de notre étude de l'interaction entre le cours de la crise économique et celui de la lutte de classe, du rapport de forces entre la bourgeoisie et la classe ouvrière, nous montrerons quelle est la perspective historique aujourd'hui et les facteurs qui peuvent influer sur elle.
CRISE ET CONFLITS INTERIMPERIALISTES
LA CRISE ECONOMIQUE
Douze ans après que les pays ravagés par la deuxième guerre mondiale (Europe et Japon) ont atteint des balances commerciales favorables et devenus donc capables de concurrencer les USA sur le marché mondial, signalant ainsi la fin de la reconstruction d'après-guerre; huit ans après que l'effondrement du système monétaire mondial établi à Bretton Woods a inauguré une période de chaos monétaire incessant; quatre ans après le plus fort déclin de la production et du commerce mondial depuis les années 30, l'économie mondiale en 1979 est au bord d'une nouvelle catastrophe économique encore plus dévastatrice.
Dans les pays industrialisés du bloc américain (OCDE) dont la production s'est accrue de 60 % entre 1963 et 73, l'accroissement a été de moins de 13 % entre 1973 et 78, soit 2/5 du taux réalisé précédemment. Le ralentissement drastique de la croissance de la production industrielle -maintenant au bord de la stagnation- est le triste témoignage de la saturation du marché mondial et de la crise ouverte de surproduction qui affecte les géants industriels du bloc.
Une des manifestations les plus claires de la crise de surproduction est la sous-utilisation de la capacité productive, les usines qui ne tournent pas. Les USA, même au prix d'une inflation galopante, destructrice (les prix augmentent de 14 % par an) qui, si elle n'est pas rapidement maîtrisée, amènera à la ruine économique , n'ont pas été capables de reproduire leur réussite des booms des années 50 et 60, quand l'industrie fonctionnait à plein rendement : en 1978, les industries de transformation tournaient seulement à 83 % de leur capacité, et dans une industrie clé comme l'acier, la production était tombée de 7 % par rapport au niveau déjà bas de 1974. Mais ce sont les alliés des Etats-Unis qui sont aujourd'hui les plus dévastés par le fléau d'une capacité productive excédentaire, qui, dans nombre d'industries vitales a atteint des proportions épidémiques. Cela suscite une série de plans d'urgence pour essayer d'éliminer cette capacité excédentaire de façon coordonnée au niveau du bloc, pour prévenir ainsi le danger des guerres commerciales intestines.
La contraction de la production d'acier a déjà atteint des proportions monumentales : entre 1974 et 1978, la production a baissé de 9,4 % en Grande-Bretagne, 12 % au Japon, 18 % en France, 20,5 % en RFA,'22 % en Hollande, 26,2 % en Belgique, et 26,6 % au Luxembourg, et ce n'est pas fini ! En Belgique, l'industrie de l'acier ne tourne qu'à 57 % de sa capacité, tandis qu'au Japon 20 % des hauts-fourneaux sont éteints. L'évidence de l'engorgement de l'acier se manifeste de façon éclatante : a Tokyo, dans les nouveaux hauts-fourneaux (trois millions de tonnes par an) que le propriétaire Nippon Kekan, hésite à mettre en route, car ceux-ci ne feraient qu'ajouter à la capacité excédentaire existante; dans la nouvelle aciérie de Lorraine en France, qui va se rouiller avant même d'avoir produit de l'acier.
La situation dans la construction navale est encore plus catastrophique. Les commandes mondiales qui se maintenaient à 74 millions de tonnes brut enregistrées en 1973 sont tombées à 11 millions en 1977 (même pas de quoi permettre aux chantiers navals japonais de se maintenir en activité, sans parler de ceux de l'ensemble du bloc); qui plus est les commandes sont tombées de 30 % depuis 1977 ! Ce sont les pays du bloc américain qui ont été le plus durement touchés par cette crise actuelle de l'industrie navale. En France, par exemple, les nouvelles commandes n'apporteront pas plus qu'un quart de la capacité de production. Le Japon -qui construit la moitié des navires du monde- prévoit d'éliminer au moins 35 % de sa capacité de construction navale, tandis que la CEE prévoit d'éliminer presque la moitié de sa capacité productive.
Dans l'industrie chimique, l'industrie de l'Allemagne de l'Ouest-qui domine le marché mondial de même que ses compagnies dominent la scène industrielle allemande ne fonctionne qu'à 70 % de sa capacité. Dans la pétrochimie, il y a 30 % de capacité excédentaire dans le marché mondial et cela augmente. Dans les secteurs des fibres synthétiques, les usines de la CEE ne marchent aujourd'hui qu'à 66 % de leur capacité productive et un plan pour trois ans de "désinvestissement" est prévu pour réduire la capacité de 20 % ; dans le même temps, le Ministre du Commerce International et de l'Industrie du Japon dit que le secteur des fibres synthétiques doit être réduit définitivement de 25 % de sa capacité productive.
Dans les industries comme la navigation ou l'automobile, le tableau est également sombre pour le capital : dans les pays où le secteur de la navigation est le pilier de l'économie, un certain nombre de flottes les plus actives sont déjà réduites : en Grèce 11 %, en Norvège 23 %, en Suède 27 %. Dans l'industrie automobile, alors que la production dans la CEE tourne aujourd'hui à environ 10,6 millions d'automobiles par an (les usines sont capables de tourner à 12 millions d'automobiles par an) d'après les pronostics actuels, la capacité industrielle ne dépassera pas les 13 millions d'automobiles par an en 1982. Une contraction planifiée et coordonnée (comme dans l'acier, les constructions navales et les fibres), une vague de faillites ou du protectionnisme sont les seules alternatives également pour ces industries-clé. Une lenteur de l'investissement dans les nouvelles usines vient s'ajouter à une capacité excédentaire persistante et en fait croissante de la production dans les principales industries. Autrement dit, les obstacles croissants à la réalisation de la plus-value ont provoqué par leur apparition un ralentissement du taux d'accumulation. Dans un monde courbé sous le poids d'une capacité de production inutilisée, les investissements dans de nouvelles usines ne peuvent que stagner et ensuite décliner. Et cela, comme nous le verrons lorsque nous tracerons les perspectives économiques pour les années 80 n'est qu'un signe avant-coureur d'une chute nouvelle et violente de la production!
Les banquiers et les technocrates, qui cherchent vainement à coordonner la politique économique du bloc américain -malgré l'impuissance de leur "science économique"- ont au moins été capables de reconnaître le problème. Ainsi, les savants de l'OCDE signalent " (. ..) la lenteur dans l'expansion de l'investissement fixe des entreprises observée ces dernières années dans pratiquement tous les pays membres (..}; même dans les pays où la somme totale de dépense de capital a augmenté jusqu'à ce jour à un taux relativement haut, a été telle que le niveau de l'investissement fixe des entreprises est resté faible par rapport à ces maximums antérieurs." La Banque des Règlements Internationaux signale également"(...)la faiblesse persistante des dépenses en capital fixe des entreprises"- ( 1ère citation : "Perspectives économiques de l'OCDE, 23 Juillet 78; 2ème citation : "Banque des Règlements Internationaux", Rapport annuel N°47, Bâle 1977). L'importance du problème peut se voir clairement dans le cas de l'Allemagne de l'Ouest où le taux de croissance annuel moyen de la capacité de production est passée de 6,1% pour la période 1960-1965 (dernière phase de la reconstruction d'après-guerre) à 3,9% pour 1966-70 (début de la crise ouverte) et ensuite à 1,8% en 1975, à 1,5% en 1976 et à 1% en 1977. Cette chute catastrophique du taux d'accumulation en Allemagne de 1'Ouest avec ses surplus commerciaux encore importants illustre le désastre économique que traverse l'économie mondiale. En étant incapable de saisir ni les causes fondamentales, ni les causes immédiates de la crise économique mondiale, la bourgeoisie formule parfois son dilemme (d'une part, un capital inutilisé et d'autre part, l'inutilité de nouveaux investissements) en constatant: "Si les USA devaient investir approximativement 20% de leur PNB dans de nouvelles capacités, il n'y aurait pas assez d'entrepôts pour stocker toutes les marchandises invendues ni assez d'ordinateurs pour comptabiliser les allocations chômage" (Business Week, janvier 77).
On peut aussi voir les dimensions de la crise économique actuelle dans l'immense et toujours croissante masse de chômeurs. Il y a actuellement 18 millions de chômeurs dans les pays industrialisés du bloc américain! La légion des chômeurs ne constitue pas simplement une armée de réserve industrielle permettant d'exercer une pression sur les salaires comme ce fut le cas pendant la période ascendante du capitalisme au siècle dernier. Les chômeurs ne sont pas non plus un simple sous-produit de l'offensive bourgeoise contre le prolétariat, le fruit d'un effort de "rationnaliser" la production et d'extraire plus de plus-value de moins d'ouvriers. Bien que ces deux tendances s'exercent sans aucun doute, les chômeurs par leur nombre massif aujourd'hui, loin d'être un bien fait pour le capitalisme, sont devenus un incroyable fardeau pour la rentabilité du capital global que la bourgeoisie est incapable de contrôler. Aujourd'hui, le chômage est une manifestation supplémentaire des contradictions insurmontables du mode de production capitaliste; il est d'abord et avant tout la matérialisation de la sous production chronique de la marchandise force de travail.
On doit ajouter à la surproduction du capital constant qui se manifeste par une capacité de production excédentaire et des usines fermées, la surproduction du capital variable qui se traduit par une explosion massive du chômage. On doit ajouter au volume croissant de capital monétaire inutilisé pour lequel aucun investissement productif n'est possible, une génération inemployée de jeunes ouvriers (en France, par exemple, 1 ouvrier sur 7 de moins de 25 ans est au chômage) dont la force de travail ne peut plus accroître le capital. L'agonie du capitalisme mourant a confirmé la prédiction de Marx et Engels d'un mode de production capitaliste qui "... ne peut plus assurer l'existence de l'esclave à l'intérieur même de son esclavage : il est forcé de le laisser déchoir si bas qu'il doit le nourrir au lieu d'être nourri par lui". (Manifeste Communiste)
La crise économique mondiale du capitalisme, contrairement à l'insistance des trotskystes selon laquelle les pays du bloc russe sont des Etats ouvriers (sic!), n'a pas épargné les dix nations qui composent le COMECON ([1] [516]). Les violentes ondes de choc de la crise de surproduction ouverte ont aussi secoué le bloc russe et ont entraîné le même ralentissement drastique de la croissance de la production industrielle et la même chute du taux d'accumulation qui afflige le reste du monde capitaliste.
En Russie, le taux de croissance annuel de la production industrielle, qui tournait autour de 10% en 1950-60, est tombé à environ 7% entre 60 et 70 et, avec le dernier plan quinquennal (1971-76) il est tombé à un taux anémique de 4,5% -juste un peu au-dessus du taux annuel moyen de croissance de tous les pays de l'OCDE pendant la même période. De plus, les planificateurs russes ont déjà dû admettre que les objectifs de croissance industrielle de leur plan quinquennal actuel (1976-80) ne seront pas atteints. Dans tous les satellites de la Russie en Europe de l'Est, la croissance de la production industrielle en 1978 n'a pas atteint ses objectifs. Et en Allemagne de l'Est où le PNB a crû à un taux proche de 4% en 1978 (au lieu des 5,2% estimé) l'espoir d'atteindre les objectifs est vain.
Les pays du bloc russe souffrent aussi d'une chute dans le taux d'accumulation. Ainsi, en Bulgarie, la croissance de l'investissement s'est ralentie : de 6% en 1977 à seulement 4,4% en 1978. En Hongrie, les investissements seront pratiquement gelés en 1979 (on prévoit une hausse de seulement un peu plus de 1%) et on ne commencera aucun grand projet d'investissement cette année.
Un certain nombre d'industries clé dans le bloc russe sont déjà touchées par la surproduction et les limites du marché mondial saturé. Des industries qui produisent en grande partie pour le marché mondial tel que les chantiers navals de Pologne, les immenses nouvelles industries d'automobiles en Pologne et en Russie qui fournissent les Polski et les Lada, les usines d'engineering comme la Raba de Hongrie qui exportent un quart de sa production (430 Millions de dollars par an) à l'Ouest, sont toutes confrontées à la même amère alternative: une capacité de production inemployée ou un dumping systématique. Le dumping, qui a été adopté par ces industries n'est qu'une autre manifestation de la crise de surproduction et ses effets se feront sentir dans l'économie de tout le bloc russe puisque la vente de marchandises en dessous de leur coût de production dans une branche de production doit être compensée par des coûts plus élevés dans d'autres secteurs.
Cependant, le gros de l'industrie du bloc russe n'a pas encore été directement confronté aux limites du marché saturé. En effet, la Russie et ses satellites souffrent d'une pénurie chronique de capital, ce qui apparemment est l'opposé de la crise qui frappe les métropoles du bloc américain. Cependant, le capital inutilisé dans le bloc américain et la pénurie de capital dans le bloc russe, la capacité de production excédentaire dans le bloc américain ET la capacité productive insuffisante du bloc russe, sont les différentes manifestations de la MEME crise globale de surproduction qu'entraîne la saturation du marché mondial.
Les manifestations spécifiques de cette crise dans les pays du bloc russe -effet de la pénurie de capital- sont le résultat de l'arriération relative de leur économie. Le PNB de tous les satellites russes en Europe de l'Est n'égale pas le PNB de la France seule; le PNB de la Russie même n'atteint pas les PNB de la Grande-Bretagne, de la France et de l'Italie ensemble (dont on ne peut pas dire qu'ils sont les géants industriels du bloc américain). Cette arriération est manifeste dans tous les secteurs-clé qui déterminent la compétitivité d'une économie sur le marché mondial. Malgré l'étatisation presque complète de l'industrie du COMECON, la concentration du capital dans les entreprises de grande échelle est beaucoup plus avancée dans le bloc américain : les 50 plus grandes compagnies fournissent près d'un tiers de la production industrielle américaine; en Russie, il faut rassembler les 660 plus grandes entreprises pour atteindre cette même proportion. La composition organique du capital est beaucoup plus élevée dans le bloc américain que dans le bloc russe (l'industrie tchécoslovaque -une des plus avancées technologiquement du COMECON- utilise un quart de plus d'ouvriers que la moyenne dans la CEE ([2] [517])) ce qui permet au bloc américain de s'approprier une part disproportionnée de la plus-value globale. La productivité du travail est aussi beaucoup plus grande dans le bloc américain que dans le bloc russe (les ouvriers spécialisés russes sont un quart moins productifs que les ouvriers spécialisés américains). Enfin, le bloc russe subit le poids d'une agriculture arriérée dont la main d'œuvre est très élevée (25 à 40% de la population active des pays du C0MEC0N vivent de l'exploitation de la terre alors que dans pratiquement tous les pays industrialisés du bloc américain, la proportion correspondante est inférieure à 10%).
Le fait que le capitalisme russe n'ait commencé sa course pour le pouvoir mondial qu'une fois le mode de production capitaliste déjà entré en crise permanente, implique qu'il ne pouvait pas égaler les puissances économiques dominantes -devenues impérialistes- qui avaient réalisé une formidable accumulation de capital quand le marché mondial était encore en expansion. La saturation du marché mondial, la crise globale de surproduction, a limité sévèrement le développement des industries d'exportation russes, sa capacité à réaliser la plus-value par-delà ses frontières, malgré le recours à un dumping systématique pendant la crise ouverte des années 30 et aujourd'hui); la capacité à importer la technologie avancée nécessaire pour dépasser son arriération relative s'est donc trouvée extrêmement restreinte. Malgré une capitalisation forcée, et la tentative de compenser la pénurie de capital par une étatisation presque totale (et par le pillage du stock de capital des pays conquis pendant la seconde guerre mondiale), la Russie impérialiste n'a pas été capable de supprimer l'écart qui la sépare du bloc américain rival. L'approfondissement de l'actuelle crise ouverte de surproduction mondiale n'a fait qu'accentuer l'arriération économique de la Russie, et son incapacité à produire à la même échelle que ses concurrents. Cela se manifeste à l'Est de l'Elbe sous la forme d'une pénurie chronique de capital dans le gros de l'industrie (et de l'agriculture), et d'un dumping sans lequel la production de certaines industries d'exportation clé serait invendable. Ainsi, la même crise économique globale, entraînée par la saturation du marché mondial, avec des manifestations différentes a déjà conduit à un ralentissement persistant et croissant de la croissance de la production industrielle et à un ralentissement du taux d'accumulation des deux blocs.
Dans les pays sous-développés, où vit la plus grande partie de la population-mondiale, la crise ouverte mondiale de surproduction a énormément accentué la dépendance et l'arriération auquel ces nations "indépendantes" sont irrémédiablement condamnées par la décadence du capitalisme. La petite poignée de pays parmi ceux des pays sous-développés, où l'industrialisation a atteint un poids considérable dans l'économie nationale est en train de subir sur une échelle de plus en plus grande les mêmes ralentissements dans la croissance de la production industrielle, la même chute dans le taux d'accumulation et le même chômage massif que les géants industriels. Ceci malgré un protectionnisme croissant destiné à écarter la concurrence des géants industriels tel que les USA, la RFA, le Japon et le dumping pratiqué par l'industrie russe.
En Argentine, la production industrielle globale a chuté de 6% en 1978 et tous les secteurs de l'industrie lourde -automobile (Gênerais Motors a fermé toutes ses usines), machine agricole, acier, chimie, pétrochimie- ont le dos au mur. Au Brésil, la croissance anticipée de 5% du PNB cette année (qui est déjà, devenu problématique face à la compression de crédits résultant d'un taux d'inflation galopante de plus de 60% par an) est égale seulement à la moitié du taux annuel réalisé durant le "miracle" économique d'il y a 10 ans, et il est beaucoup trop bas pour permettre la création d11.250 000 nouveaux emplois chaque année sans lesquels le chômage ne cessera de croître. Au Mexique, où le PNB réel s'est accru de 6-8% par an entre 1958-73, la croissance du PNB n'était que de 2,5% en 1977. L'investissement qui a augmenté à un taux annuel de 23,1% entre 1965 et 1970 s'est ralenti à un taux annuel de 17,8% entre 1971 et 1978. De plus, alors que l'Etat ne participait que pour 1/3 de cet investissement en 1965-70, le taux encore élevé d'investissement entre 1971 et 1978 ne fut possible que parce que l'Etat, à l'aide d'emprunts très lourds aux banques étrangères fournissait presque 90% de celui-ci - produisant non pas une accumulation de capital mais une accumulation massive de dettes. A tout ceci doit s'ajouter le fait que le chômage total ou partiel est déjà le lot de 52% de la population active ! En Afrique du Sud, la croissance économique s'est ralentie l'an dernier au faible taux de 2,5%, beaucoup trop bas pour empêcher un accroissement du chômage qui touche déjà environ 2 millions de travailleurs.
Dans la plupart des pays sous-développés, l'économie nationale tourne presque exclusivement autour de l'extraction de matières premières ou de la production agricole (généralement une ou deux récoltes entièrement exportées). La crise ouverte a exacerbé à un degré extrême les tendances qui avaient caractérisé ces économies depuis le tout début de la décadence capitaliste il y a plus de 70 ans: crise agricole permanente et dépendance absolue des denrées alimentaires importées dans ces économies à prédominance agraire ; la croissance énorme d'un sous-prolétariat coupé des villages ruraux dont le capital l'a séparé et condamné à une existence sans travail dans les immenses périphéries des villes et bidonvilles qui ont grandi autour des centres urbains, commerciaux et politiques; en deux mots, misère et famine.
L'impossibilité pour les pays sous-développés de dépasser leur arriération et leur dépendance n'est que trop claire : en supposant une croissance zéro dans les pays industriels du bloc américain, il faudrait 65 ans de croissance au taux de 1970-76 aux pays sous-développés qui ont déjà une base industrielle (Argentine, Brésil, Mexique, Afrique du Sud, etc.) pour atteindre le PNB par tête des pays industrialisés ; pour la plus grande partie des pays sous-développés - en supposant les mêmes conditions - cela prendrait 746 ans! Cependant de même que la crise conduit inexorablement les pays industrialisés à la stagnation et même au déclin de la production industrielle, elle condamne encore plus sûrement les pays sous-développés à l'effondrement économique. Et il est absolument certain que l'énorme écart qui existe déjà entre les géants industriels et ces pays ne va aller qu'en s'agrandissant dans les années à venir.
Le ralentissement global de la croissance de la production et du taux d'accumulation a entraîné un ralentissement de la croissance du commerce mondial. Après la forte chute d'environ 10% du commerce des pays de l'OCDE dans la première moitié de 1975, le commerce extérieur de ces pays n'est remonté en 1976 que pour stagner l'année suivante ; après un autre bond en 1978 - bien que beaucoup plus faible qu'en 1976 - et largement dû à la reflation américaine, leur commerce extérieur est à nouveau aujourd’hui pratiquement stagnant. Le tableau qui suit montre la croissance du volume des importations et des exportations des 7 principaux pays de l'OCDE (USA, Japon, RFA, France, Grande-Bretagne, Canada, Italie) qui comprend la majeure partie du commerce mondial et illustre clairement la stagnation qui caractérise cet élément vital de la santé de l'économie capitaliste globale : le commerce international.
Cependant, l'incapacité du commerce mondial de se développer est minimisée et considérablement cachée par les statistiques que l'OCDE, la Banque Mondiale, le FMI et d'autres agences et institutions capitalistes utilisent pour contrôler les conditions du commerce international ([3] [518]). La bourgeoisie n'arrive pas à comprendre que 70% du commerce extérieur des pays de 1'OCDE se passe entre eux - et que c'est ce commerce interne au bloc qui compte pour la plus grande part de la croissance qu'indiquent les statistiques ([4] [519]). Lorsque le commerce mondial a chuté de façon extrêmement rapide et catastrophique dans la crise ouverte des années 30, six parmi les sept principaux pays dans le commerce d'aujourd'hui (à l'exception du Canada) étaient alors des rivaux impérialistes. Aujourd'hui ces sept pays se trouvent eux-mêmes fermement au sein du même bloc impérialiste et le commerce entre aux indique autant la nature de la division complexe du travail et l'interpénétration économique que les USA ont imposé sur leur bloc qu'une véritable croissance dans ce qui a été traditionnellement le commerce international. On peut dire la même chose pour le COMECON : 56% du commerce de ces pays se fait entre eux et c'est cette composante qui s'accroît le plus rapidement dans le commerce de chaque pays.
De plus, en analysant la très faible croissance du commerce mondial de ces cinq dernières années, la bourgeoisie est incapable de saisir la signification de la composition de ce commerce. A peu près 25 % de la valeur du commerce mondial en 1977 est venu des voyages à l'étranger, des dividendes des investissements et autres faux frais qui en aucune façon ne constituent une véritable expansion du commerce. De la même manière, une part considérable de la valeur et du volume du commerce mondial consiste directement en armement (43,7 milliards de Dollars entre 1971 et 1975 dont 76 % avec les pays sous-développés) qui, du point de vue du capital global, représente non pas une croissance mais une stérilisation des valeurs, non pas une expansion mais une destruction du capital global ([5] [520]). Le développement fantastique des dépenses improductives - spécificité de la décadence capitaliste dont un des aspects est l'accroissement du commerce des armes- est obscurci par le fait qu'une partie très considérable du commerce mondial pour des buts militaires est cachée dans les chiffres sur la croissance du commerce des matières premières comme le pétrole brut, le cuivre, le nickel, le zinc, le plomb, le molybdène, l'étain, etc. dont environ 10% au moins est pour l'armement, et du commerce en équipements électroniques et en ,machinerie lourde dont la plupart est pour la production militaire (réacteurs nucléaires par exemple).
Finalement, une part énorme de la croissance du commerce mondial - particulièrement ces cinq dernières années - a sa contrepartie de déficits commerciaux croissant rapidement et une hausse astronomique des dettes des pays sous-développés. Le déficit commercial annuel d'ensemble des pays sous-développés est passé de 7,5 milliards de Dollars en 1973 à 34 milliards de Dollars en 1978; la dette extérieure de ces mêmes pays est passée de 74,1 milliards de Dollars en 1973 à 244 milliards de Dollars en 1978, et est l'élément essentiel dans le financement de ces déficits commerciaux croissants. Cette dette énorme indique que la croissance du commerce mondial que les économistes bourgeois ont enregistrée cache en réalité le fait qu'il n'y a pas eu de véritable expansion du marché mondial. En fait, comme nous le verrons, la demande effective à l'échelle mondiale se rétrécit à un taux que l'expansion du crédit mondial ne peut plus compenser.
La stagnation du capital mondial au cours de ces quatre dernières années - qui a brisé les espoirs que la bourgeoisie entretenait sur une reprise après la chute brutale de 1974-75 - menace maintenant de laisser la place à une autre chute beaucoup plus dévastatrice de la production, de l'investissement et du commerce mondial avec l'approfondissement incessant de la crise de surproduction.
Après la chute économique qui a frappé les pays du bloc américain en 1970-71, pratiquement tous les gouvernements ont fait une politique de relance (et l'expansion du crédit ? nourri l'inflation galopante qui s'en est suivie). Avec le retour d'une chute beaucoup plus sévère en 1974-75 - qui a secoué les deux blocs simultanément - seuls les USA ont fait une politique de relance et il leur est revenu la charge de soutenir le reste du bloc pendant les quelques années qui ont suivi. Pendant ce temps, l'Allemagne de l'Ouest et le Japon se sont lancés dans une offensive exportatrice qui a grossi leurs surplus commerciaux et leurs profits alors que le marché intérieur stagnait. En 1978, cependant, la compétitivité déclinante des marchandises américaines sur le marché mondial, les déficits commerciaux astronomiques et la chute du Dollar des USA, ont signifié que Washington aussi devait effectuer un freinage économique. Le sommet économique de Bonn en juillet dernier fut décidé en vue de faire pression sur l'Allemagne de l'Ouest et le Japon pour qu'ils contrôlent leurs exportations et qu'ils relancent leurs économies pour soulager par là la pression sur les USA et pour éviter une nouvelle chute de l'économie mondiale.
Les mois qui ont suivi le sommet économique ont démontré que les USA ont réussi à un degré considérable à imposer leurs diktats sur leurs alliés résistants. Le Japon a prévu un déficit budgétaire de 80 milliards de Dollars (40% de son budget total et beaucoup plus que celui des USA) pour cette année fiscale ; et les importations du Japon se sont accrues à un taux deux fois plus rapide que celui des exportations. L'Allemagne de l'Ouest a adopté un budget qui devrait injecter 15,5 milliards de DM supplémentaires dans son économie (1% de son PNB). Un des résultats de la politique monétaire plus restrictive aux USA, et de la relance allemande et japonaise, a été une hausse importante du Dollar : entre novembre 1978 et avril 1979, le Dollar a pris plus de 10% par rapport au DM et 22% par rapport au Yen.
Cependant, même les prévisions les plus optimistes de la bourgeoisie (l'OCDE par exemple) ont montré que l'expansion allemande et japonaise en 1979 ne compenserait pas le ralentissement de la croissance du PNB américain. Par conséquent, une estimation réaliste des tendances économiques ne peut amener qu'à la conclusion que la stagnation de ces dernières années devrait donner lieu à une chute en 1979. La réalité a été même plus brutale dans les premiers mois de 1979. Le PNB aux USA n'a augmenté que de 0,7% (moins de la moitié du taux prévu par l'OCDE en décembre) et est maintenant réellement en baisse. L'inflation galopante qui fait rage aujourd'hui aux USA empêche tout stimulant véritable par une politique monétaire et fiscale pour enrayer le déclin. Dans le même temps, les politiques monétaires stimulantes et les budgets déficitaires de relance de l'Allemagne de l'Ouest et du Japon ont rapidement rallumé les feux de l'inflation dans ces pays (le taux annuel d'inflation était de 10% en Allemagne de l'Ouest en mars et de 11% au Japon en février) ; ceci a maintenant provoqué une compression du crédit et l'échec des politiques de relance, ce qui a fait voler en éclats les espoirs d'accroissement substantiel des PNB pour enrayer même partiellement la chute en Amérique. Le cauchemar qui a hanté les technocrates et les banquiers de l'OCDE et du FMI devient une réalité : pratiquement tous lies pays industrialisés du bloc américain vont ralentir leur économie simultanément !
La capacité de production inutilisée et la récession dans le bloc américain ne peuvent être compensées par une nouvelle expansion du commerce avec le bloc russe ou avec les pays sous-développés. L'énorme dette des pays du bloc russe envers le bloc américain s'est élevée de 32-35 milliards de Dollars en 1976 à environ 50 aujourd'hui. La Pologne - qui doit environ 15 milliards de Dollars -est déjà au bord de la banqueroute. Les banquiers occidentaux, qui essaient de récupérer leurs investissements antérieurs, ne sont pas en mesure de fournir les nom/eaux crédits énormes qui seuls rendraient possible le financement des déficits commerciaux croissants du bloc russe vis-à-vis de l'Ouest, déficits commerciaux qui sont passés de 4,9 milliards de Dollars en 1977 à 6 en 1978. De plus, les bureaucrates des pays du bloc russe sont aujourd'hui occupés à limiter leurs importations de l'Ouest - même s'ils s'engagent vers un dumping massif de leurs propres marchandises sur les marchés occidentaux - pour réduire leurs déficits commerciaux vertigineux.
Vis-à-vis des pays sous-développés, les pays du bloc américain sont confrontés au même dilemme. Avec 244 milliards de Dollars de dette extérieure, les pays sous-développés sont actuellement en faillite et réduits à réclamer des moratoires. Dans de pays comme l'Algérie, la Zambie et le Zaïre, la dette extérieure atteint plus de la moitié du PNB annuel. Les 5 milliards de Dollars payés sur la dette extérieure du Brésil en 1978 équivalaient à presque 55% de la valeur totale de ses exportation pour l'année; le Mexique a dépensé 6 milliards de Dollars pour rembourser sa dette extérieure en 197 alors que ses énormes ressources de pétrole n'avaient permis que 1,7 milliards de Dollars d'exportation. Face à l'immensité évidente de telles dettes et la difficulté croissante à les rembourser, de nouveaux prêts - que l'Ouest est de plus en plu hésitant à fournir - loin d'étendre le commerce seront utilisés d'abord pour assurer les remboursements des dettes antérieures et pour empêcher la débâcle financière des banques occidentales.
Alors que l'énorme expansion du crédit dans le bloc américain, vis-à-vis du bloc russe et des pays sous-développés, avait, au cours de la décade passée, masqué, dans une certaine mesure, le resserrement de la demande effective à une échelle globale Ile résultat de l'inflation galopante et des dettes non payables - une masse de papier - est pratiquement de mettre fin au recours à de tels palliatifs aujourd'hui.
Le marché chinois, qui il y a seulement un an soulevait de tels espoirs dans les cercles d'affaires du bloc américain, ne peut pas fournir de débouchés suffisants pour les usines sous-utilisées dans les principales industries. Le besoin de la Chine d'importation massive de technologie et de machinisme n'est pas équilibré par des ressources pour payer ses importations. Après les plans ambitieux annoncés en mars 1978, la Chine a dû geler les commandes de 30 importations d'usines importantes avec le Japon en février, la bureaucratie de Pékin y regardant à deux fois sur les conséquences de ces plans initiaux de "modernisation". La Chine va certainement s'accroître comme marché pour le bloc américain (en particulier pour les armements), mais pas aussi vite que le pensait l'Ouest il y a un an. La Chine ne compensera pas non plus la stagnation et la chute imminente du commerce mondial en particulier par le fait que dans la compétition acharnée entre pays occidentaux pour le marché chinois, il y aura plus de perdants que de gagnants. De plus, la Chine va essayer d'inonder les marchés occidentaux saturés avec les textiles, les chaussures, etc., ce qui compliquera la surproduction globale qui caractérise déjà les industries de biens de consommation pour lesquelles le capitalisme chinois est dès maintenant compétitif.
Pour l'Allemagne de l'Ouest et le Japon - les pays du bloc américain dont les économies sont les plus compétitives sur le marché mondial - la fin de la relance chez eux et les limites sévères à l'extension de larges crédits signifient qu'une offensive exportatrice effrénée aux dépens de leurs rivaux commerciaux apparaît comme le moyen le plus viable pour essayer d' enrayer les difficultés économiques croissantes. Une telle orientation des bourgeoisies japonaise et allemande ne peut manquer de rallumer les tendances protectionnistes dans les économies plus faibles du bloc américain (Grande-Bretagne, Italie, France) et même aux USA.
La réponse possible sous la forme de dévaluations compétitives et de contrôle des importations, qui bouleverseraient le Système Monétaire Européen et feraient échouer le "Tokyo Round" orchestré par l'impérialisme américain, tout juste conclu, en accélérant la chute du commerce mondial et en provoquant une poussée vers l'autarcie, ouvre des questions à prendre en compte pour comprendre la crise politique de la bourgeoisie. Pour le moment il est suffisant de montrer qu'une nouvelle offensive exportatrice de l'Allemagne et du Japon ne peut qu'approfondir la crise mondiale.
L'approfondissement inexorable de la crise de surproduction, et l'échec des nombreux palliatifs avec lesquels la bourgeoisie a vainement visé à contenir les ravages des lois aveugles qui déterminent le cours de la crise économique, ont ainsi amené le capital mondial au bord d'un autre déclin de la production, de l'investissement et du commerce - plus aigu que les chutes de 1971-74 - pour le début des années 80. ([6] [521]).
LES ANTAGONISMES INTER IMPERIALISTES
Il n'y a qu'un seul secteur de l'économie mondiale qui va se développer dans les prochaines années : l'industrie d'armement, la production de guerre. Le cas de la Syrie, où les dépenses militaires constituent 57,2% du budget de l'Etat, alors que le secteur productif de l'économie s'écroule, est caractéristique de la production des pays sous-développés aujourd'hui. Les pays sous-développés qui ont un important secteur industriel, comme l'Afrique du Sud, Israël, l'Argentine ou le Brésil, dépensent des milliards de Dollars pour construire des bombes nucléaires et des systèmes de lancement, tandis qu'une inflation galopante et une énorme dette extérieure sapent leur base économique. Même les pays où l'industrie reste confinée à quelques pitoyables îlots, comme l'Inde ou le Pakistan, dans un océan d'agriculture arriérée et d'industrie artisanale, épuisent leurs maigres réserves de devises étrangères pour créer ou développer leur capacité à mener la guerre nucléaire. Dans les métropoles impérialistes, la production d'armement va monter en flèche, tandis que le reste de l'économie va se contracter dans les années à venir. Le bloc russe déploie ses nouveaux missiles nucléaires 5520 qui sont capables de détruire toutes les villes principales de l'Europe de l'Ouest. Il développe ses armées de terre afin d'être capable d'atteindre la côte atlantique en quelques jours. A cela, il faut ajouter le prodigieux développement de la marine russe, avec laquelle le Kremlin voudrait détruire l'hégémonie américaine sur les mers. Les pays du bloc américain développent aussi de façon significative leurs budgets militaires, même s'ils réduisent par ailleurs d'autres dépenses (le budget militaire de la France s'est accru cette année de 5% alors que le plan Barre demande la réduction de secteurs entiers de l'économie). L'OTAN est en train de planifier l'introduction d'un nouveau système de missiles nucléaires capables de détruire des cibles à objectifs précis en Russie depuis l'Europe occidentale et de développer largement toute l'infrastructure des ports, aéroports, dépôts d'essence, facilités de stockage, etc. afin de faciliter le transport rapide des troupes américaines et d'équipements sur le front européen en cas de guerre.
Pendant ce temps, les USA sont déjà en train de réexaminer leurs décisions de ne pas produire la bombe à neutrons et se préparent à construire un système de missiles balistiques intercontinentaux complètement nouveau : le MX. Et enfin, le bloc amé ricain s'est joint de façon enthousiaste à Pékin dans son programme massif et coûteux de modernisation de toutes les branches des forces armées chinoises.
L'économie de guerre, c'est-à-dire la production des moyens de destruction comme centre et axe de la production industrielle, n'est pas un phénomène nouveau. L'éclatement de la Première Guerre Mondiale en 1914, qui a clairement marqué, 1'entrée du système capitaliste dans sa phase de décadence, avait pour corollaire le développement de l'économie de guerre. Tout comme la crise historique du capitalisme est une crise permanente, chaque capital national est caractérisé par une économie de guerre permanente à l'époque de la décadence capitaliste. Cependant, tout comme la crise permanente est marquée par un cycle de crise-guerre-reconstruction, cycle durant lequel il y a des répits après les ravages de la crise ouverte et les dévastations de la guerre mondiale, l'économie de guerre permanente est aussi marquée par un mouvement de zigzags durant lequel il y a parfois des courtes périodes où a lieu un déclin de la production de guerre (Europe et USA pendant la période de reconstruction des années 20 et aussi USA entre la fin de la 2ème Guerre Mondiale et l'éclatement de la Guerre de Corée en 1946-50). Néanmoins, tout comme la crise historique elle-même, l'économie de guerre a été une caractéristique constante du capitalisme depuis 1914. La phase actuelle de dépression mondiale amène dans son sillage un renforcement incroyable de l'économie de guerre - pas simplement à l'échelle nationale, mais dictée, coordonnée et organisée par un capitalisme d'Etat continental gigantesque, les USA et le Russie qui dominent chacun les deux blocs impérialistes qui s'affrontent.
La phase actuelle de croissance monstrueuse de l'économie de guerre n'est ni un palliatif à la crise économique ni un facteur qui peut présenter ne serait-ce qu'une façade momentanée de "prospérité" Quelles que soient les conditions, la production de guerre par 1'hyper développement du secteur improductif de l'économie, draine la plus-value des îlots restant de l'activité rentable. Dans toutes les circonstances, l'économie de guerre veut dire une attaque contre le prolétariat : "... La production de guerre est réalisée aux dépens des masses travailleuses dont l'Etat par diverses opérations financières : impôts, emprunts, conversion, inflation et autres mesures, draine des valeurs avec lesquelles il constitue un pouvoir d'achat supplémentaire et nouveau" (Rapport sur la situation internationale, Conférence Nationale de la Gauche Communiste de France, juillet 1947). Si les programmes de réarmement d'Hitler, Blum et Roosevelt dans les années 30 ont pu stimuler momentanément leurs économies et même amener des éléments de la Gauche Communiste à penser que l'économie de guerre pourrait ouvrir une période d'expansion économique et ainsi amener une hausse du niveau de vie de la classe ouvrière ([7] [522]), la brièveté de vie de ce stimulant économique comme les illusions qu'il a engendrées, étaient dues aux dettes massives contractées par l'Etat et aux politiques inflationnistes menées par les gouvernements capitalistes. Aujourd'hui, le renforcement de l'économie de guerre a lieu alors qu'il y a déjà un niveau intolérable de dettes d'Etat et une inflation galopante (elles-mêmes étant en large part la rançon que le capital a payée pour 40 ans de croissance quasi ininterrompue de la production de guerre), et donc le recours à la dette et à l'inflation comme moyens spécifiques pour faire payer à la classe ouvrière l'économie de guerre est impossible. Au contraire, la phase actuelle de croissance de la production de guerre va s'accompagner de déflation, de coupes dans tous les budgets qui ne concernent pas la partie militaire, et de programmes draconiens d'austérité empêchant par là ne serait-ce qu'un effet momentanément stimulateur sur l'ensemble de l'économie. En fait, à cause de l'énorme gaspillage représenté par la plus-value cristallisée dans les armements dont la réalisation intensifie la spirale inflationniste, et qui ne peut entrer à nouveau dans le processus productif - devenant ainsi une perte sèche pour le capital global, l'économie de guerre ne peut qu'exacerber le déclin économique et accélérer la baisse du niveau de vie du prolétariat.
Néanmoins, la production de guerre continuera de croître vertigineusement aux dépens de toutes les autres activités économiques, absorbant l'ensemble des secteurs de l'industrie (construction navale, électronique, construction, etc.), tout comme les activités non militaires ralentissent inexorablement. Le renforcement de l'économie de guerre est une nécessité absolue pour le capital, bien que "la production de guerre n'ait pas pour objectif la solution d'un problème économique" ([8] [523]). L'économie de guerre est vitale pour le capitalisme seulement de par 1'inévitabilité de la guerre mondiale si le prolétariat ne détruit pas l'ordre bourgeois. La production de guerre comme axe de l'économie, voilà la réponse de la bourgeoisie aux lois aveugles qui, en condamnant le capitalisme à un approfondissement inexorable de la crise économique, aiguisent les antagonismes inter impérialistes jusqu'au point de rupture. La seule fonction de l'économie de guerre, c'est...la guerre!
Dans la phase décadente, la guerre impérialiste mondiale est devenue la condition même de la survie du capitalisme :
"Plus se rétrécit le marché, plus devient âpre la lutte pour la possession des sources de matières premières et la maîtrise du marché mondial. La lutte économique entre divers groupes capitalistes se concentre de plus en plus, prenant la forme la plus achevée : des luttes entre Etats. La lutte économique exaspérée entre Etats ne peut finalement se résoudre que par la force militaire. La guerre devient le seul moyen par lequel chaque impérialisme national tend à se dégager des difficultés auxquelles il doit faire face, aux dépens des Etats impérialistes rivaux"([9] [524])
Alors que c'est la crise économique qui dicte la nécessité pour la bourgeoisie de faire la guerre mondiale, la capacité de la bourgeoisie à imposer sa "solution" qu'est la guerre impérialiste est STRICTEMENT DETERMINEE par le rapport de forces entre la bourgeoisie et le prolétariat. C'est à cette question que nous reviendrons dans le rapport sur le cours historique.
Avant d'examiner les stratégies des blocs impérialistes et ce qui se passe dans les zones d'affronte ment inter impérialiste, il y a quelques commentaires généraux à faire sur la physionomie du capitalisme dans l'époque impérialiste, d'autant plus que des confusions se sont exprimées et persistent sur un nombre de caractéristiques du capitalisme à l'époque où il est traversé de convulsions permanentes (qui s'expriment dans la guerre impérialiste latente ou ouverte) au sein du mouvement révolutionnaire.
Le processus de concentration et de centralisation du capital qui est l'une des marques de "fabrique" du mode de production bourgeois a été transposé par certains révolutionnaires sur le plan de l'échiquier impérialiste où il est vu comme un processus pratiquement téléologique menant irréversiblement à une unité mondiale finale du capital, marquant l'aboutissement du processus de concentration dans l'époque impérialiste :
"Il faut voir dans les guerres de l'époque impérialiste les moments décisifs dans le processus de concentration mondiale du capital et du pouvoir, non pas simplement des luttes pour de nouveaux partages du monde, mais l'acheminement vers la domination universelle d'un seul groupe exploiteur. et la limite de ce processus si la révolution prolétarienne n'intervient pas, est nécessairement la domination du monde par un seul Etat impérialiste". (Pierre Chaulieu, "Situation de l'Impérialisme et Perspectives du prolétariat", Socialisme ou Barbarie n°14).
Cette vision des guerres impérialistes qui mènent à l'unité mondiale du capital -qui est une nouvelle version de la théorie de Kautsky sur le super impérialisme- réalisée cette fois-ci non de façon pacifique mais au travers de boucheries impérialistes "...perd le contact avec la réalité du monde capitaliste décadent dont la tendance est, malgré les antagonismes inter-impérialistes qui font apparaître le monde capitaliste comme momentanément deux unités uniques aux prises. Au contraire, le monde capitaliste décadent va vers la désagrégation, la désintégration, la dissociation, la dislocation des unités... La tendance du capitalisme décadent au schisme de plus en plus, au chaos, c'est là que réside la nécessité essentielle du socialisme voulant réaliser le monde comme une unité" (Internationalisme, n°37 -1948-). A /travers le capitalisme d'Etat, les luttes de libération nationale et les guerres mondiales, le capital tend, dans sa phase de décadence, à détruire le degré limité d'unité qu'il a lui-même développé ! dans sa phase ascendante avec la création du marché mondial et la division internationale du travail. A la place, le capitalisme décadent emprisonne les forces productives dans les limites étroites d'une véritable pléthore d'Etats nationaux séparés. ([10] [525]). A côté de la stérilisation de la valeur à travers la production de guerre et de l'énorme destruction des guerres impérialistes, la formation de nouveaux Etats nationaux est l'une des manifestations de l'incapacité du capitalisme décadent à développer les forces productives.
La formation de deux blocs impérialistes gigantesques dominés par la Russie et les USA a amené certains révolutionnaires à voir la classe dominante de chaque Etat national comme un simple pion, une cinquième colonne de Moscou ou de Washington. Ainsi, pour les bordiguistes de la fin des années 40, les partis staliniens qui rivalisaient alors pour le pouvoir en Europe occidentale, ne pouvaient qu'être les instruments purs et simples de la classe dominante russe : "Pour caractériser de façon succincte les différents partis communistes, nous pourrions dire : "Ce sont les cinquièmes de l'impérialisme russe dans le camp ennemi" (Chazé, "L'impérialisme russe contre-attaque", L'Internationaliste, nov.1947). Un tel point de vue ne permet pas du tout de comprendre le fait que la constitution des deux grands blocs n'est pas seulement fonction des intérêts impérialistes de Moscou et de Washington mais est aussi fonction des nécessités pour chaque bourgeoisie locale de mettre en avant et de défendre ses propres intérêts nationaux et impérialistes le plus qu'elle peut : "La défense de l'intérêt national dans l'époque de l'impérialisme ne peut se faire que dans un cadre élargi de blocs impérialistes. Ce n'est pas en tant que cinquième colonne, en tant qu'agent de l'étranger mais en fonction de ses intérêts immédiats ou lointains bien compris qu'une bourgeoisie nationale opte et adhère à un des blocs mondiaux qui se constitue. C'est autour de ce choix pour l'un ou l'autre bloc que se font la division et la lutte interne au sein de la bourgeoisie, mais c'est toujours en partant d'un fond et d'un but commun : l'intérêt national, l'intérêt de la bourgeoisie nationale" (Internationalisme n°30 -1948-).
Le point de vue de la CWO est aussi étroitement lié à l'incapacité de voir les intérêts vitaux de chaque bourgeoisie nationale dans la constitution de blocs impérialistes rivaux et dans le choix de l'un d'entre eux. Selon la CWO, à l'époque actuelle, bien que d'autres pays puissent aspirer à devenir impérialistes, seules la Russie et l'Amérique sont des Etats impérialistes : "...L'impérialisme est une politique des principales puissances capitalistes L'idée que tous les pays seraient impérialistes sous-entend l'idée de blocs impérialistes. Comment peut-on expliquer alors, avec une telle vision, pourquoi Israël est une puissance impérialiste indépendante ? " (Revolutionary Perspectives, n°12).
C'est sur qu'Israël n'est pas une puissance "indépendante" quelle que soit la signification exacte que la CWO veut mettre sous ce terme. L'Etat juif est forcé par les réalités du capitalisme décadent d'essayer de satisfaire ses appétits impérialistes très réels et voraces (le Grand Israël, tout l'ancien mandat palestinien, le sud de la rivière Litani au Liban, le Golan syrien, une partie du Sinaï, presque toute la Jordanie) et de défendre ses non moins réels -quoique plus modestes- acquisitions récentes, dans le cadre d'un bloc impérialiste. Les marxistes révolutionnaires ont compris que, dans le capitalisme décadent, tout Etat national est impérialiste. Déjà Rosa Luxemburg avait compris que durant la première guerre mondiale un Etat comme la petite Serbie "cherchait à conquérir la côte adriatique où elle avait engagé un véritable conflit impérialiste avec l'Italie sur le dos des albanais" (Brochure de Junius). Et le CCI reconnaît aujourd'hui que les affrontements récents entre le Vietnam et le Cambodge qui se sont transformés en une invasion à grande échelle par Hanoï sont..."la conséquence des intérêts impérialistes propres des deux pays, et particulièrement du Vietnam dont la supériorité militaire écrasante lui permet d'envisager de façon réalisme une 'fédération indochinoise' placée sous sa domination" (Internationalisme n°29 -février 1979). Ce n'est qu'en partant de cette conception –tout Etat national est impérialiste- que l'interaction complexe entre les intérêts nationaux d'une bourgeoisie locale et les besoins globaux du bloc impérialiste auquel elle est liée peut-être cernée et qu'on peut comprendre la nature réelle des guerres inter-impérialistes localisées et des luttes de libération nationale.
Certains révolutionnaires défendent aussi l'idée que le fondement des, antagonismes entre les Etats -et donc la composition d'un bloc impérialiste-est seulement déterminé par le commerce dominant ou par les rivalités commerciales sur le marché mondial. C'est le point de vue du PCI (Programma Comunista) qui, dans son analyse des antagonismes inter-impérialistes en Afrique, s'est fixé sur les rivalités entre les USA, l'Allemagne de l'Ouest, la France, la Grande-Bretagne et l'Italie qui sont aujourd'hui le résultat de la guerre commerciale, et a pratiquement exclu et laissé de côté les luttes titanesques entre les blocs américain et russe pour lesquels des nécessités géopolitiques, militaires et stratégiques strictement liées aux intérêts économiques globaux de chacun- sont des facteurs déterminants. Mais c'est chez le PIC que ce point de vue, qui réduit de façon erronée les intérêts économiques à un seul et unique facteur : l'origine des importations d'un pays et la destination de ces exportations, est devenu le fondement d'une "nouvelle" théorie qui s'avère incapable de rendre compte du développement des antagonismes inter-impérialistes aujourd'hui. Puisque l'Allemagne de l'Ouest et le Japon sont les principaux rivaux commerciaux des Etats-Unis, le PIC a mis 1'accent pendant des années sur la perspective de l'effritement du bloc américain; puisque le commerce entre l'Allemagne de l'Ouest et les satellites Est-européens de la Russie s'est développé de façon vertigineuse, le PIC a mis en évidence M'effritement du bloc russe. Tout cela,, avec en plus l'idée que les intérêts strictement commerciaux des USA et de la Russie seraient complémentaires (les Russes ont besoin delà technologie américaine et les américains ont besoin des matières premières russes), a amené le PIC à développer la théorie de l'émergence d'un nouveau bloc : l'URSS et les USA dans le même bloc, l'Europe dominée par l'Allemagne, le Japon et la Chine dans un autre .
Ni la constitution de blocs impérialistes, ni l'éclatement de guerres impérialistes ne s'expliquent exclusivement par les stricts intérêts commerciaux des différents Etats. Si, comme semble le croire le PIC, ce sont les stricts intérêts commerciaux qui en constituent le facteur déterminant, alors, dans les années 30, c'est entre les USA et la Grande-Bretagne qu'aurait du éclater la guerre impérialiste (et non pas, comme ce fut le cas, entre l'impérialisme anglo-américain et l'impérialisme allemand). Les Etats-Unis étaient de loin le plus dangereux rival commercial pour la Grande-Bretagne sur les marchés où les surplus commerciaux et les paiements de l'Empire Britannique étaient cruciaux (Inde, Chine, Asie Australe, Canada, Amérique du Sud) alors que l'Allemagne n'avait rivalisé avec la domination britannique que dans les marchés est-européens d'importance secondaire. En dernière instance, c'est la considération géopolitique et stratégico-militaire selon laquelle une Europe dominée par l'Allemagne serait une menace fatale pour l'empire britannique (dépendant comme il l'était de la Méditerranée comme clé de sa survie économique) et mènerait à son extinction économique, c'est cette considération qui a déterminé la configuration des blocs impérialistes. De même pour ce qui est des intérêts commerciaux des Etats-Unis dans les années 30, Washington aurait infiniment préféré le Japon (qui était un excellent partenaire commercial) à la Chine (avec qui les possibilités de commerce étaient loin d'être aussi bonnes). Aussi, ce n'est pas le commerce au sens strict mais la question géopolitique de la domination militaire -et donc économique au sens large- du Pacifique qui a dicté le cours des événements qui menèrent à l'éclatement d'une guerre impérialiste entre l'Amérique et le Japon.
Aujourd'hui, la supériorité écrasante de l'Amérique sur son bloc (le Dollar qui est la monnaie de réserve dominante, le rôle du FMI, le Tokyo Round, etc.) et la dépendance absolue sur le plan stratégique et militaire de l'Europe occidentale et du Japon à l'égard de l'impérialisme américain (pétrole, matières premières, protection des voies maritimes) d'un côté, et de l'autre côté la supériorité militaire de l'impérialisme russe sur son glacis (Pacte de Varsovie) démontrent de façon concluante que la tendance dominante est celle de la consolidation et du renforcement des blocs américain et russe existants. La consolidation de l'économie de guerre à l'échelle intercontinentale des blocs et les foyers de guerres inter impérialistes localisées, tout démontre que les blocs sont déjà constitués pour une troisième boucherie impérialiste. La troisième guerre mondiale à laquelle mènent irrésistiblement les lois aveugles du capitalisme et le cours de la crise économique -à laquelle seule la lutte de classe du prolétariat barre aujourd'hui la route- ne peut être qu'un conflit titanesque entre l'impérialisme russe et l'impérialisme américain pour la domination du monde ([11] [526]).
Le fondement de la stratégie des impérialismes russe et américain est déterminé par leur poids économique relatif sur le marché mondial. De par sa faible compétitivité et son arriération technique, l’avenir de l'impérialisme russe est étroitement lié à l'acquisition d'une infrastructure industrielle et d'une technologie avancée, ce qui, à l'époque présente, dépend de sa capacité à dominer militairement les centres industriels de l'Europe de l'Ouest et/ou du Japon. Le PNB de la Russie en 1976 était de moins de la moitié du PNB des USA. Si Ton y ajoute l'infrastructure industrielle japonaise, le bloc russe atteindrait la capacité industrielle américaine; si l'on y ajoute le poids industriel de l'Europe occidentale, l'impérialisme russe dépasserait facilement son rival américain dans la capacité productive, et concurrencerait sérieusement son potentiel militaire. C'est pour cette raison que le réel objectif de l'impérialisme russe, ce sont les centres industriels gigantesques d'Europe et d'Extrême-Orient, et qu'un défi direct envers l'autre conduirait immédiatement à l'explosion des hostilités entre les USA et l'URSS. De toute façon, la stratégie de l'impérialisme russe n'est pas l'attaque frontale, mais tend à priver l'Europe et le Japon de leurs sources d'énergie et de matières premières vitales au Moyen-Orient et en Afrique, à couper les route commerciales dont dépend leur économie et ainsi à exercer une énorme pression sur leurs classes dirigeantes pour qu'elles envisagent la préservation de leurs intérêts nationaux et impérialistes par une réorientation vers le bloc russe. En ce sens, l'effort soutenu de Moscou pour déstabiliser le Moyen-Orient et l'Afrique -via les luttes de "libération nationale"- et pour obtenir des bases militaires sûres dans ces régimes, a pour objectif réel le potentiel industriel de 1'Europe et du Japon. Les pays sous-développés de l'hémisphère Sud sont le maillon faible par lequel l'impérialisme russe cherche à atteindre son objectif d'ensemble le changement décisif de l'équilibre entre les blocs.
Si l'un des éléments essentiels de la stratégie de l'impérialisme américain est la protection de la vaste zone qu'il a accaparée lors des deux précédentes boucheries impérialistes, cela ne veut pas dire que la position américaine soit simplement défensive. Les 2/3 du monde que l'impérialisme américain domine déjà, ne sont plus suffisants pour préserver son équilibre économique. Le souffle dévastateur de la crise économique oblige les USA à lutter pour une part plus grande encore de la production mondiale, de la plus-value globale, donc pour le contrôle d'un nombre d'ouvriers plus important et encore plus de ressources mondiales de matières premières et de capacités industrielles. La profondeur de la crise est telle que seul un contrôle total sur l'ensemble du marché mondial peut permettre aux USA ne serait-ce qu'un très court répit qui est la seule chose possible dans le capitalisme décadent. Et déjà la nature même du capitalisme à l'époque impérialiste avec ses tendances dominantes vers la division et la désintégration empêche une telle évolution.
Les années passées ont vu un renforcement considérable de l'impérialisme américain et un affaiblissement de son rival russe. L'intégration de la Chine dans le bloc américain et la participation au réarmement de Pékin signifient que le Kremlin rencontrera une force de plus en plus puissante sur sa frontière Est -une force qui barrera fermement la route vers les bases industrielles japonaises. Même les efforts de l'impérialisme russe pour chasser la Chine de la péninsule indochinoise ne peuvent compenser cette victoire de l'impérialisme américain en Extrême-Orient. Par ailleurs la vaste ceinture islamique qui s'étend à travers l'Asie -de l'Inde à la Turquie- malgré la domination russe en Afghanistan et la chute du Shah d'Iran, est loin d'être tombée dans les mains du Kremlin. La perspective de la désintégration de l'Iran et le développement des luttes de libération nationale en Azerbaïdjan, au Kurdistan, au Turkménistan peuvent bénéficier aux USA et non à l'URSS. Le soutien américain à l'opposition islamique au régime de Kaboul laisse prévoir une défaite pour la Russie en Afghanistan. Au Moyen-Orient, tandis que la "pax americana" est loin d'être achevée et que l'abcès palestinien continue à s'envenimer donnant à l'impérialisme russe une base importante pour déstabiliser la région, l'opposition des régimes arabes pro-russes comme l'Irak à l'invasion inspirée par les russes du nord Yémen par le sud Yémen montre les difficultés de l'impérialisme russe dans cette zone cruciale. Enfin, en Afrique, le poids économique des USA et l'intervention militaire française (et bientôt égyptienne) sont et seront un obstacle important à de nouvelles initiatives russes. En Afrique, les points d'appui du Kremlin sont loin d'être surs où que ce soit. Tandis que les quelques prochaines années verront de nouveaux et sanglants affrontements en Asie, au Moyen-Orient et en Afrique, la réponse de l'impérialisme américain à l'attaque russe a été, jusqu'à présent et de loin, couronnée de succès.
La crise politique
L'effondrement économique vis-à-vis duquel tous les palliatifs utilisés se sont avérés sans efficacité, l'incroyable exacerbation des antagonismes inter impérialistes et la combativité croissante du prolétariat ont provoqué une crise au sein de la bourgeoisie et exacerbé les divergences dans ses rangs. La bourgeoisie est incapable de réaliser une unité et une cohérence en tant que classe : elle est non seulement divisée en une multitude de fractions nationales aux intérêts irréconciliables, mais encore en un grand nombre de différentes fractions en compétition au sein même de chaque Etat national. Dans la phase ascendante du capitalisme, les divisions au sein de chaque bourgeoisie nationale correspondaient aux différents types de capital engagé dans le processus d'accumulation (capital industriel, capital commercial, capital bancaire, propriétaires fonciers, etc.), aux différents types de marchandises produites (industrie lourde, industrie légère, mines, etc.) ou à la taille du capital (grands, moyens et petits capitalistes). Dans le capitalisme décadent, quand le capitalisme d'Etat est devenu une tendance universelle, la bourgeoisie en tant que propriétaire individuel d'un quantum spécifique de capital national global, est soit expropriée par l'Etat, soit, à travers la fusion graduelle du grand capital et de l'Etat, il se fond et s'intègre à la bureaucratie d'Etat. Le résultat est que le bourgeois individuel- en particulier dans les couches supérieures - n'est plus seulement ni même en premier lieu intéressé par les profits d'une compagnie particulière ou par la valorisation de son capital personnel, mais bien plutôt les intérêts de chaque bourgeois sont liés de façon croissante aux intérêts et à la rentabilité du capital national global, et à sa personnification, 1'Etat capitaliste.
Cependant, le fait que la bourgeoisie de chaque Etat national développe une homogénéisation croissante de ses intérêts autour des besoins du capital national global - ce qui s'exprime dans le pouvoir croissant de l'appareil d'Etat capitaliste - n'élimine pas les divergences et les fractions au sein de la classe dominante. Des divisions se produisent dans la bourgeoisie sur les questions de l'interprétation des besoins du capital national, du programme et des orientations qui expriment le mieux ces besoins, du chemin précis pour assurer la stabilité de l'Etat. Aussi, à l'heure actuelle, des divisions ont lieu dans pratiquement toutes les fractions nationales de la bourgeoisie sur :
- le degré d'étatisation (avec les secteurs les plus anachroniques qui essaient vainement de résister à l'avancée du capitalisme d'Etat) ;
- les politiques économiques à poursuivre face à la crise (inflation ou déflation, protectionnisme ou "libre échange") ;
- quel bloc impérialiste offre le meilleur cadre pour la défense du capital national ou le degré d'intégration dans le bloc auquel chaque capital est lié;
- à quelles couches ou classes de la population il faut faire appel afin de constituer un soutien massif aux besoins du capital national, quelles mystifications sont le plus appropriées (nationalisme, religion, populisme, "démocratie", racisme, "socialisme").
Alors que les débats font rage autour de ces questions dans les cercles les plus élevés de la bureaucratie, de l'armée et des grandes entités économiques et financières de chaque Etat national, nous entrons dans les années 80 avec le début du resurgissement mondial de la lutte de classe, et c'est l'encadrement du prolétariat qui préoccupe le plus la bourgeoisie aujourd'hui dans tous les pays. Dans les pays industrialisés du bloc américain, alors que la gauche au pouvoir durant ces dernières années a été le meilleur véhicule des mesures capitalistes d'Etat que l'approfondissement de la crise économique rend nécessaires, et pour une intégration plus grande dans le bloc américain que dicte le renforcement des antagonismes inter impérialistes, la droite au pouvoir est aussi capable de mettre en place de telles politiques. Cependant, seule la gauche a une chance réelle d'encadrer un prolétariat non défait. Et ce fut la tâche essentielle de la gauche quand elle vint au pouvoir, partagea le pouvoir ou se prépara à l'assumer pays après pays, au moment de la poussée la plus forte de la vague de luttes prolétariennes qui a commencé en 1968 et duré jusqu'en 72-74. Au Portugal, en Grande-Bretagne, en Italie par exemple où la violence de la classe ouvrière ébranla la bourgeoisie jusqu'à ses fondements, la gauche au pouvoir (ou apportant son soutien indispensable au gouvernement dans le cas de l'Italie), réussit très bien sa tâche dans ces dernières années en renversant de façon drastique l'équilibre entre les profits et les salaires au bénéfice du capital, en imposant des mesures draconiennes d'austérité au prolétariat, et en brisant la première réponse violente de la classe ouvrière à la crise ouverte.
Cependant, comme l'a clairement démontré la vague de grèves de l'hiver dernier qui, en Grande-Bretagne, a fait éclater le contrat social, la gauche au pouvoir ou encore modérant sa "rhétorique" prolétarienne quand elle est en marche vers le pouvoir, a maintenant aliéné sa base ouvrière et perdu sa faible emprise idéologique sur le prolétariat qui s'était brièvement renforcée entre 1972 et 1978. Une cure d'opposition durant laquelle la gauche pourra "radicaliser" son langage et à nouveau faire appel aux ouvriers combatifs au nom du "socialisme" et de la "révolution prolétarienne" est maintenant vitale si la gauche veut avoir une chance de remplir son rôle indispensable d'encadrement de la lutte de classe.
Il est aujourd'hui impératif pour la bourgeoisie que la reprise de la lutte de classe trouve la gauche non au pouvoir, mais dans l'opposition. Ce sera lors du plus haut point de cette nouvelle vague de luttes qu'une gauche plus "extrémiste" viendra au pouvoir comme dernier rempart du capital.
Le surgissement du prolétariat et les préparatifs de la bourgeoisie pour y faire face avec la gauche dans l'opposition démontrent de façon irréfutable la vérité de la compréhension marxiste selon laquelle la lutte de classes est le moteur de l'histoire.
[1] [527] Cet autre soi-disant Etat ouvrier, la Chine, plie aussi sous le poids de la même crise économique et c'est l'approfondissement de cette crise qui constitue la base matérielle de l'extrême exacerbation des antagonismes qui poussent la Russie et la Chine à la guerre et dont nous parlerons plus loin.
[2] [528] La nécessité de compenser la très faible composition organique du capital par une mobilisation par l'Etat de toutes les réserves de force de travail pour essayer d'égaler la production du bloc américain est la principale raison pour laquelle le bloc russe n'est pas autant frappé parle chômage massif.
[3] [529] Dans pratiquement tous les cas, la manière qu'ont les économistes bourgeois de décrire l'économie mondiale, les catégories qu'ils utilisent, sont en contradiction avec les catégories marxiennes qui seules permettent de saisir les véritables lois du mouvement du mode de production capitaliste et le cours actuel de la crise économique. Comme avec toute idéologie, l'économie bourgeoise déforme et voile les conditions réelles qu'elle se propose d'étudier.
[4] [530] A l'exception des importations de pétrole.
[5] [531] Bien sûr, ceci est vrai aussi pour la production beaucoup plus vaste d'armements par chaque pays qui n'est pas commercialisée.
[6] [532] Bien que le gouvernement américain stimulera presque à coup sûr l'économie pendant la campagne présidentielle de 1980, les effets seront extrêmement courts, et ne changeront que .très peu la perspective économique que nous avons tracée.
[7] [533] C'était le point de vue de la tendance Vercesi de la Gauche Communiste Internationale.
[8] [534] C'était le point de vue de la tendance Vercesi de la Gauche Communiste Internationale.
[9] [535] C'était le point de vue de la tendance Vercesi de la Gauche Communiste Internationale.
[10] [536] Cette tendance à la désintégration n'est que partiellement contrecarrée par la formation de deux blocs impérialistes géants et par la coordination économique imposée par les Etats-Unis et la Russie aux pays industrialisés de leur bloc respectif.
[11] [537] Bien qu'il faille rappeler que les tendances dés intégratrices et centrifuges qui prévalent dans le capitalisme décadent, rendent l'unité mondiale du capital autour d'un seul pôle d'accumulation impossible.
La deuxième Conférence Internationale des groupes de la Gauche Communiste (novembre 1978) a mis en évidence la confusion extrême qui règne à l'heure actuelle dans les rangs révolutionnaires sur le problème de la période historique présente et plus précisément :
Plus généralement, les incompréhensions portent :
C'est à l'ensemble de ces questions que tente de répondre ce texte.
La nature même de toute activité humaine suppose la prévision, le projet. Par exemple, Marx écrit : "... l'abeille confond par la structure de ses cellules de cire l'habileté de plus d'un architecte. Mais ce qui distingue dès l'abord le plus mauvais architecte de l'abeille la plus experte, c'est qu'il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche". Chaque acte de l'homme procède d'une telle démarche : de fait, cette capacité à prévoir, à projeter est une composante essentielle de la conscience humaine. Et cela est d'autant plus vrai dans la démarche scientifique. C'est de façon constante que celle-ci utilise la prévision : c'est uniquement en transformant en prévisions les hypothèses formulées à partir d'une première série d'expériences et en confrontant ces prévisions à de nouvelles expériences que le chercheur peut vérifier (ou démentir) le bien-fondé de ces hypothèses et avancer dans la connaissance.
Se basant sur une approche scientifique de la réalité sociale, la pensée révolutionnaire du prolétariat adopte nécessairement une telle démarche à la seule différence que, contrairement aux chercheurs, les révolutionnaires ne peuvent créer en laboratoire les conditions de nouvelles expérimentations. C'est la pratique sociale qui, en confirmant ou en infirmant les perspectives qu'ils ont définies, vient valider ou invalider leur théorie. De fait, ce sont tous les aspects du mouvement historique de la classe ouvrière qui s'appuient sur la prévision : elle permet d'adapter les formes de lutte à chaque époque de la vie du capitalisme mais, surtout, c'est sur elle et notamment sur la perspective d'une faillite du capitalisme que se base le projet communiste. Comme la cellule de l'architecte, le communisme est d'abord conçu -évidemment à grands traits- dans la tête des hommes avant que d'être édifié dans la réalité.
Contrairement donc à ce que pense par exemple Paul Mattick, pour qui l'étude des phénomènes économiques ne peut déboucher sur aucune prévision utilisable pour l'activité des révolutionnaires, la définition de perspectives, la prévision sont une partie intégrante et très importante de cette activité.
La question qui peut se poser alors est la suivante :"quel est le champ d'application de la prévision pour les révolutionnaires ?"
La question peut alors se poser plus précisément : "dans le cadre de prévisions à moyen terme, peut-on et doit-on prévoir l'évolution du rapport de forces entre bourgeoisie et prolétariat ?", ce qui suppose qu'on admette la possibilité d'une telle évolution et qu'on ait donc répondu à la question préliminaire :
Il peut sembler curieux qu'on soit conduit à se poser des questions aussi élémentaires. Dans le passé, elles ne venaient même pas à l'esprit des révolutionnaires tant leur réponse paraissait évidente. S'il se posait une question, ce n'était pas : "existe-t-il un cours de la lutte de classe ?" ou "est-il possible et nécessaire de l'analyser ?", mais uniquement "quelle est la nature du cours ?". Et c'est là-dessus que portaient les débats entre révolutionnaires. Dès 1852, Marx pouvait décrire le cours particulièrement heurté de la lutte de la classe ouvrière : "les révolutions prolétariennes se critiquent elles-mêmes constamment, interrompent à chaque instant leur propre cours, reviennent sur ce qui semble déjà être accompli pour le recommencer à nouveau..., paraissent n'abattre leur adversaire que pour lui permettre de puiser de nouvelles forces de la terre et de se redresser à nouveau formidable en face d'elles, reculent constamment à nouveau devant l'immensité infinie de leurs propres buts." (18 Brumaire). Il y a plus d'un siècle, la question paraissait donc claire. Mais force est de constater que la terrible contre-révolution dont nous sortons a introduit une telle confusion dans le milieu révolutionnaire (cf. la lettre du FOR -Fomento Obrero Revolucionario- à RI publiée dans Révolution Internationale n°56 et 57) qu'il est aujourd'hui nécessaire de reposer ce type de questions.
En général, les confusions dans ce domaine s'appuient sur une ignorance de l'histoire du mouvement ouvrier (mais, comme disait Marx "l'ignorance n'est pas une excuse"). L'étude de celle-ci nous permet de constater la vérification de ce qu'avait signalé Marx, c'est-à-dire l'alternance des poussées, souvent très vives et fulgurantes de la lutte prolétarienne (1848-49, 1864-71, 1917-23) et de reculs de celle-ci (à partir de 1850, 1872 et 1923) qui d'ailleurs, à chaque fois, ont conduit à la disparition ou à la dégénérescence des organisations politiques que la classe s'était données dans la période de montée des luttes :
C'est probablement la durée extrêmement longue (un demi-siècle) de la contre-révolution qui suit la vague révolutionnaire culminant en 1917 et durant laquelle la classe ouvrière reste de façon pratiquement uniforme en position de faiblesse, qui permet d'expliquer qu'il y ait aujourd'hui des révolutionnaires incapables de comprendre qu'il puisse exister une telle alternance entre périodes d'avancées et périodes de recul de la lutte de classe. L'étude sans préjugés (mais c'est tellement plus confortable de ne pas étudier et de ne pas se remettre en cause !) de l'histoire du mouvement ouvrier et des analyses marxistes aurait permis à ces révolutionnaires de surmonter le poids de la contre-révolution ; elle leur aurait également permis de savoir que les poussées de la lutte de classe accompagnent les périodes de crise de la société capitaliste (crise économique : 1848 ou guerre : 1871, 1905, 1917) du fait :
L'histoire nous montre que les révolutionnaires peuvent commettre des erreurs considérables dans ce domaine. Les exemples ne manquent pas :
Cependant, l'histoire a également mis en évidence que les révolutionnaires avaient les moyens d'analyser correctement le cours et de faire des prévisions justes sur le devenir des luttes de classe :
L'expérience a également montré, qu'en général, ces prévisions justes n'étaient pas le fait du hasard mais étaient basées sur une étude très sérieuse de la réalité sociale englobant à la fois une analyse du capitalisme lui-même, et en premier lieu de la situation économique, mais aussi une évaluation de la dynamique des luttes sociales tant sur le plan de la combativité que de la conscience. C'est ainsi que :
Mais, condition nécessaire pour une reprise ouvrière, la crise du capitalisme n'est pas suffisante, contrairement à ce que pensait Trotski à la suite de la crise de 1929. De même, la combativité ouvrière n'est pas un indice suffisant de la reprise réelle et durable si elle ne s'accompagne pas d'une tendance à la rupture avec les mystifications capitalistes : c'est ce que méconnait la minorité de la Fraction Communiste Italienne qui voit dans la mobilisation et l'armement des ouvriers espagnols en juillet 1936 le début d'une révolution alors que ceux-ci sont en fait désarmés politiquement par "l'antifascisme" et, partant, incapables de s'attaquer réellement au capitalisme. On peut donc constater qu'il est possible aux révolutionnaires de faire des prévisions sur l'évolution du rapport de forces entre bourgeoisie et prolétariat et que, loin d'aborder cette tâche comme une loterie, ils disposent de critères tirés de l'expérience qui, sans être infaillibles, leur permettent de ne pas marcher à l'aveuglette. Mais une autre objection surgit chez certains révolutionnaires : "Même s'il est possible de faire des prévisions sur le cours historique, elles ne présentent aucun intérêt pour la lutte de classe et ne conditionnent en rien l'activité des communistes. Tout cela est de la spéculation intellectuelle sans impact sur la pratique". C'est à ces arguments qu'il s'agit de répondre.
Pour répondre à cette question, on pourrait presque dire que les faits parlent d'eux-mêmes mais la contre-révolution a fait de tels ravages dans certains groupes révolutionnaires que, soit ils ignorent carrément ces faits, soit ils ne sont plus capables de les lire. Il suffit d'évoquer le sort tragique de la Gauche Allemande -complètement désorientée, disloquée et finalement détruite à la suite de son erreur sur le cours de la lutte de classe, et malgré la valeur de toutes ses positions programmatiques- pour se convaincre de la nécessité pour l'organisation des révolutionnaires d'une analyse correcte de la perspective historique. On se souviendra aussi de la triste errance de la minorité de la Fraction Italienne s'enrôlant dans les milices antifascistes, du sort non moins pitoyable de l'Union Communiste pratiquant pendant des années une politique de "soutien critique" aux socialistes de gauche du POUM en espérant qu'il en sortirait une avant-garde communiste capable de prendre la tête de la "révolution espagnole", pour constater l'impact désastreux que peut avoir sur les révolutionnaires une incompréhension du problème du cours.
De fait, l'analyse du cours de la lutte de classe conditionne directement le type d'organisation et d'intervention des révolutionnaires. De même que, pour remonter le courant d'une rivière, on nage sur le bord et que pour le descendre on nage au milieu, de même les rapports que les révolutionnaires établissent avec leur classe sont différents suivant qu'ils se portent à la tête de son mouvement quand il va vers la révolution ou qu'ils luttent à contre-courant d'un mouvement qui entraîne le prolétariat vers l'abîme de la contre-révolution.
Dans le premier cas, leur préoccupation essentielle sera de ne pas se couper de la classe, de suivre attentivement chacun de ses pas et chacune de ses luttes afin d'en faire épanouir le plus possible les potentialités. Sans jamais négliger le travail théorique, le travail de participation directe aux luttes de la classe sera donc privilégié. Sur le plan organisationnel, les révolutionnaires auront une attitude confiante et ouverte à l'égard des autres courants pouvant surgir dans la classe. Tout en restant, comme en toutes circonstances fermes sur les principes, ils miseront sur une évolution positive de ces courants, sur les possibilités de convergence de leurs positions respectives et porteront un maximum d'attention et d'efforts à la tâche du regroupement.
Tout autre sera la démarche des révolutionnaires dans une période de reflux historique des luttes. Il s'agira alors, en premier lieu, de permettre à l'organisation de résister à ce reflux et donc de préserver ses principes de l'influence délétère des mystifications capitalistes tendant à submerger toute la classe, en second lieu, de préparer les futurs resurgissements de celle-ci, en consacrant l'essentiel de ses maigres forces à un travail théorique d'examen et de bilan des expériences passées et notamment des causes de la défaite. Il est clair qu'une telle démarche tend à couper les révolutionnaires du reste de la classe, mais ils doivent assumer une telle conséquence à partir du moment où ils ont constaté que la bourgeoisie est pour l'heure victorieuse et que le prolétariat se laisse entraîner sur son terrain, sinon ils risquent d'être entraînés eux aussi. De même, sur le plan du regroupement des révolutionnaires, et sans jamais tourner le dos à cet effort, il serait vain en de telles périodes de miser sur des perspectives très positives, la tendance étant plutôt à un repliement jaloux de l'organisation autour de ses positions, au maintien de désaccords dont le dépassement se heurte à l'absence d'expérience vivante de la classe. On voit donc que l'analyse du cours a un impact sur le mode d'activité et d'organisation des révolutionnaires et qu'il ne s'agit nullement de "spéculations académiques". De fait, de même qu'une armée a besoin, à tout moment, de connaître la nature précise du rapport de forces avec l'armée ennemi afin de savoir si elle doit attaquer ou se replier en bon ordre, de même, la classe ouvrière a besoin d'apprécier correctement le rapport de forces avec son ennemi : la bourgeoisie. Et il appartient aux révolutionnaires, comme éléments les plus avancés de la classe, de lui fournir le maximum d'éléments pour une telle appréciation. C'est là une de leurs raisons essentielles d'exister. Cette responsabilité, les révolutionnaires l'ont, avec plus ou moins de réussite, toujours assumée dans le passé mais l'analyse du cours historique prend une importance encore bien plus grande avec l'entrée du capitalisme dans sa phase de décadence dans la mesure où l'enjeu lui-même de la lutte de classe acquiert une dimension plus considérable.
À la suite de l'Internationale Communiste, le CCI a toujours affirmé qu'avec la décadence du capitalisme s'était ouverte "l'ère des guerres impérialistes et des révolutions prolétariennes". La guerre n'est pas une spécificité du capitalisme décadent, comme d'ailleurs elle n'est pas une spécificité du capitalisme lui-même. Mais la fonction et la forme de la guerre changent suivant que ce système est progressif ou qu'il est devenu une entrave au développement des forces productives de la société :
"À l'époque du capitalisme ascendant, les guerres (nationales, coloniales et de conquêtes impérialistes) exprimèrent la marche ascendante de fermentation, de renforcement et d'élargissement du système économique capitaliste. La production capitaliste trouvait dans la guerre la continuation de sa politique économique par d'autres moyens. Chaque guerre se justifiait et payait ses frais en ouvrant un nouveau champ d'une plus grande expansion, assurant le développement d'une plus grande production capitaliste.
À l'époque du capitalisme décadent, la guerre au même titre que la paix exprime cette décadence et concourt puissamment à l'accélérer.
Il serait erroné de voir dans la guerre un phénomène propre, négatif par définition, destructeur et entrave au développement de la société, en opposition à la paix qui, elle, sera présentée comme le cours normal positif du développement continu de la production et de la société. Ce serait introduire un concept moral dans un cours objectif, économiquement déterminé.
La guerre fut le moyen indispensable au capitalisme lui ouvrant des possibilités de développement ultérieur, à l'époque où ces possibilités existaient et ne pouvaient être ouvertes que par le moyen de la violence. De même, le croulement du monde capitaliste ayant épuisé historiquement toutes les possibilités de développement, trouve dans la guerre moderne, la guerre impérialiste, l'expression de ce croulement qui, sans ouvrir aucune possibilité de développement ultérieur pour la production, ne fait qu'engouffrer dans l'abîme les forces productives et accumuler à un rythme accéléré ruines sur ruines.
Il n'existe pas une opposition fondamentale en régime capitaliste entre guerre et paix, mais il existe une différence entre les deux phases ascendante et décadente de la société capitaliste et partant une différence de fonction de la guerre (dans le rapport de la guerre et de la paix) dans les deux phases respectives. Si dans la première phase, la guerre a pour fonction d'assurer un élargissement du marché, en vue d'une plus grande production de biens de consommation, dans la seconde phase, la production est essentiellement axée sur la production de moyens de destruction, c'est-à-dire en vue de la guerre. La décadence de la société capitaliste trouve son expression éclatante dans le fait que des guerres en vue du développement économique (période ascendante), l'activité économique se restreint essentiellement en vue de la guerre (période décadente).
Cela ne signifie pas que la guerre soit devenue le but de la production capitaliste, le but restant toujours pour le capitalisme la production de la plus-value mais cela signifie que la guerre, prenant un caractère de permanence, est devenue le mode de vie du capitalisme décadent."
(Rapport à la Conférence de juillet 1945 de la Gauche Communiste de France)
De cette analyse des rapports entre capitalisme décadent et guerre impérialiste, on peut tirer trois conclusions :
C'est pour cela que, classe qui porte en elle la fin de toutes les guerres et le seul devenir possible de la société, le socialisme, mais aussi classe qui est en première ligne des sacrifices imposés par la guerre impérialiste et qui, exclue de toute propriété, soit la seule à ne pas avoir de patrie, à être réellement internationaliste, le prolétariat tient entre ses mains le sort de toute l'humanité. Et plus directement de sa capacité à réagir sur son terrain de classe à la crise historique du capitalisme, dépend la possibilité ou non de ce système d'y apporter sa propre réponse -la guerre impérialiste- et de l'imposer à la société.
Avec l'entrée du capitalisme dans sa phase de décadence, les implications de la nature du cours historique sont donc presque sans commune mesure avec ce qu'elles pouvaient être au siècle dernier. Au 20ème siècle, la victoire capitaliste signifie la barbarie sans nom de la guerre impérialiste et la menace d'une disparition de l'espèce humaine ; la victoire prolétarienne, par contre signifie la possibilité d'une régénération de la société, la "fin de la préhistoire humaine et le début de son histoire véritable", la "sortie du règne de la nécessité et l'entrée dans celui de la liberté". Tel est l'enjeu que les révolutionnaires doivent avoir en vue quand ils examinent la question du cours. Mais tel n'est pas le cas chez tous les révolutionnaires notamment chez ceux qui se refusent à parler d'alternative historique (ou, s'ils en parlent, qui ne savent pas de quoi il s'agit), pour qui la guerre impérialiste et le surgissement prolétarien sont simultanés ou même complémentaires.
À la veille de la seconde guerre mondiale, s'est développée, dans la Gauche Italienne, la thèse que la guerre impérialiste ne serait plus le produit de la division du capitalisme entre États et puissances antagoniques luttant chacune pour l'hégémonie mondiale. Au contraire, ce système ne recourrait à cette extrémité que dans le but de massacrer le prolétariat et d'entraver la montée de la révolution. C'est à cette argumentation que répondait la Gauche Communiste de France en écrivant :
"L'ère des guerres et des révolutions ne signifie pas qu'au développement du cours de la révolution répond un développement du cours de la guerre. Ces deux cours ayant leur source dans une même situation historique de crise permanente du régime capitaliste, sont toutefois d'essence différente n'ayant pas des rapports de réciprocité directe. Si le déroulement de la guerre devient un facteur direct précipitant les convulsions révolutionnaires, il n'en est pas de même en ce qui concerne le cours de la révolution qui n'est jamais un facteur de la guerre impérialiste. La guerre impérialiste ne se développe pas en réponse au flux de la révolution, mais c'est exactement le contraire qui est vrai, c'est le reflux de la révolution qui suit la défaite de la lutte révolutionnaire, c'est l'évincement momentané de la menace de la révolution qui permettent à la société capitaliste d'évoluer vers le déclenchement de la guerre engendrée par les contradictions et les déchirements internes du système capitaliste".
D'autres théories ont également surgi plus récemment suivant lesquelles "avec l'aggravation de la crise du capitalisme, ce sont les deux termes de la contradiction qui se renforcent en même temps : guerre et révolution ne s'excluraient pas mutuellement mais avanceraient de façon simultanée et parallèle sans qu'on puisse savoir laquelle arriverait à son terme avant l'autre". L'erreur majeure d'une telle conception est qu'elle néglige totalement le facteur lutte de classe dans la vie de la société. La conception développée par la Gauche Italienne pêchait par une surestimation de l'impact de ce facteur. Partant de la phrase du "Manifeste Communiste" suivant : laquelle "l'histoire de toute société jusqu'à nos jours est l'histoire de la lutte de classes", elle en faisait une application mécanique à l'analyse du problème de la guerre impérialiste en considérant celle-ci comme une réponse à la lutte de classe, sans voir au contraire qu'elle ne pouvait avoir lieu qu'en l'absence de celle-ci ou grâce à sa faiblesse. Mais pour fausse qu'elle fût, cette conception se basait sur un schéma correct, l'erreur provenant d'une délimitation incorrecte de son champ d'application. Par contre, la thèse du "parallélisme et de la simultanéité du cours vers la guerre et du cours à révolution" fait carrément fi de ce schéma de base du marxisme car elle suppose que les deux principales classes antagonistes de la société puissent préparer leurs réponses respectives à la crise du système -la guerre impérialiste pour l'une et la révolution pour l'autre- de façon complètement indépendante l'une de 'autre, du rapport entre leurs forces respectives, de leurs affrontements. S'il ne peut même pas s'appliquer à ce qui détermine toute l'alternative historique de la vie de la société, le schéma du "Manifeste Communiste" n'a plus de raison d'exister et on peut ranger tout le marxisme dans un musée au rayon des inventions farfelues de l'imagination humaine. En réalité, l'histoire se charge de démontrer l'erreur d'une telle conception du "parallélisme". En effet, contrairement au prolétariat qui ne connait pas d'intérêts contradictoires, la bourgeoisie est une classe profondément divisée de par l'antagonisme existant entre les intérêts économiques de ses différents secteurs : dans une économie où règne sans partage la marchandise, la concurrence entre fractions de la classe dominante est en général insurmontable ; là réside la cause profonde des crises politiques qui s'abattent sur cette classe, de même que des tensions entre pays et entre blocs qui toutes s'exacerbent au fur et à mesure qu'avec la crise, s'aggrave la concurrence. Le niveau le plus élevé où le capital peut se donner une certaine unité est le niveau national, c'est d'ailleurs un des attributs essentiel de l'État capitaliste que d'imposer cette discipline entre secteurs du capital national. à la limite on peut considérer l'existence d'une certaine "solidarité" entre nations d'un même bloc impérialiste : c'est la traduction du fait que, seul contre tous les autres, un capital national ne peut rien et qu'il est obligé d'abandonner une part de son indépendance pour pouvoir mieux défendre ses intérêts globaux, mais cela n'élimine pas :
Le seul moment où la bourgeoisie peut se redonner une unité à l'échelle mondiale, où elle peut faire taire ses rivalités impérialistes, c'est lorsqu'elle est menacée dans sa survie même par son ennemi mortel : le prolétariat. Mais alors, et l'histoire l’a amplement démontré, elle est capable de faire preuve de cette solidarité qui lui fait défaut dans les autres circonstances. C'est ce qu'illustre :
C'est donc de façon non pas parallèle et indépendante mais bien antagonique et se déterminant mutuellement que se développent le cours historique vers la guerre et celui vers la révolution.
De plus, ce n'est pas seulement sur le plan du devenir de la société que guerre impérialiste et révolution s'excluent mutuellement comme réponses de deux classes historiquement antagonistes, c'est également de façon quotidienne dans leurs préparatifs respectifs que se manifeste leur opposition.
La préparation de la guerre impérialiste suppose pour le capitalisme le développement d'une économie de guerre dont le prolétariat, évidemment, supporte le plus lourd du fardeau. Ainsi, c'est déjà en luttant contre l'austérité qu'il entrave ces préparatifs et qu'il fait la démonstration qu'il n'est pas prêt à supporter les sacrifices encore plus terribles que lui demanderait la bourgeoisie lors d'une guerre impérialiste. Pratiquement, la lutte de classe, même pour des objectifs limités, représente, pour le prolétariat, une rupture de la solidarité avec "son" capital national, solidarité qu'on lui demande justement de manifester dans la guerre. Elle exprime également une tendance à la rupture avec les idéaux bourgeois comme la "démocratie", la "légalité", la "patrie", le faux "socialisme", pour la défense desquels on appellera les ouvriers à se faire massacrer et à massacrer leurs frères de classe. Elle permet enfin que se développe son unité, condition indispensable de sa capacité à s'opposer, à l'échelle internationale, aux règlements de comptes entre brigands impérialistes.
L'entrée du capitalisme, au milieu des années 60, dans une phase de crise économique aiguë signifie l'imminence de la perspective définie par l'IC : "guerre impérialiste et révolution prolétarienne", comme réponses spécifiques de chacune des deux principales classes de la société à une telle crise. Mais cela ne signifie pas que les deux termes de cette perspective vont se développer de façon simultanée. C'est sous forme d'alternative, c'est-à-dire d'exclusion réciproque que ces deux termes se présentent :
La nature du cours présent, vers la guerre impérialiste ou vers la guerre de classe, est donc la traduction de l'évolution du rapport de forces entre bourgeoisie et prolétariat. Comme l'ont déjà fait avant nous la plupart des révolutionnaires, et notamment Marx, ce sont ces rapports de forces qu'il s'agit d'étudier. Mais cela suppose qu'on dispose de critères pour une telle évaluation qui ne sont pas nécessairement identiques à ceux utilisés par le passé. La définition de tels critères suppose donc à la fois la connaissance de ceux du passé, la distinction parmi ceux-ci entre ceux qui sont encore valables et ceux qui sont devenus caducs compte-tenu de l’évolution de la situation historique, ainsi que la prise en compte des nouveaux critères éventuels imposés par cette évolution. En particulier, il ne saurait être question d'appliquer mécaniquement les schémas du passé bien qu'il soit nécessaire de partir de l'étude de celui-ci et notamment des conditions qui ont permis l'éclatement de la guerre impérialiste en 1914 et en 1939.
"C’est l’arrêt de la lutte de classe, ou plus exactement la destruction de la puissance de classe du prolétariat, la destruction de sa conscience, la déviation de ses luttes, que la bourgeoisie parvient à opérer par l'entremise de ses agents dons le prolétariat, en vidant ses luttes de leur contenu révolutionnaire et les engageant sur les rails du réformisme et du nationalisme, qui est la condition ultime et décisive de l’éclatement de la guerre impérialiste.
Ceci doit être compris non d'un point de vue étroit et limité d'un secteur national isolé, mais internationalement.
Ainsi, la reprise partielle, la recrudescence de luttes et de mouvements de grèves constatés en 1913 en Russie ne diminue en rien notre affirmation. à regarder les choses de plus près, nous verrons que la puissance du prolétariat international à la veille de 1914,les victoires électorales, les grands partis sociaux-démocrates et les organisations syndicales de masse, gloire et fierté de la IIème Internationale, n'étaient qu'une apparence, une façade cachant sous son vernis le profond délabrement idéologique. Le mouvement ouvrier miné et pourri par l'opportunisme régnant en maître devait s'écrouler comme un château de cartes devant le premier souffle de guerre.
La réalité ne se traduit pas dans la photographie chronologique des événements. Pour la comprendre, il faut saisir le mouvement sous-jacent, interne, les modifications profondes qui se sont produites avant qu'elles n'apparaissent à la surface et soient enregistrées par des dates. On commettrait une grave erreur en voulant rester fidèle à l'ordre chronologique de l'histoire et présenter la guerre de 1914 comme la cause de l'effondrement de la IIème Internationale, quand, en réalité, l'éclatement de la guerre fut directement conditionné par la dégénérescence opportuniste préalable du mouvement ouvrier international. Les fanfaronnades de la phrase internationaliste se faisaient sentir d'autant plus extérieurement qu'intérieurement triomphait et dominait la tendance nationaliste. La guerre de 1914 n'a fait que mettre en évidence, au grand jour, l'embourgeoisement des partis de la IIème Internationale, la substitution à leur programme révolutionnaire initial, par l'idéologie de l'ennemi de classe, leur rattachement aux intérêts de la bourgeoisie nationale.
Ce processus interne de la destruction de la conscience de classe a manifesté son achèvement ouvertement dans l'éclatement de la guerre de 1914 qu'il a conditionné.
L'éclatement de la seconde guerre mondiale était soumis aux mêmes conditions.
On peut distinguer trois étapes nécessaires et se succédant entre les deux guerres impérialistes.
La première s'achève avec l'épuisement de la grande vague révolutionnaire de l'après-1917 et consiste dans une suite de défaites de la révolution dans plusieurs pays, dans la défaite de la Gauche exclue de l'IC où triomphe le centrisme et l'engagement de l'URSS dans une évolution vers le capitalisme au travers de la théorie et de la pratique du "socialisme dans un seul pays".
La deuxième étape est celle de l'offensive générale du capitalisme international parvenant à liquider les convulsions sociales dans le centre décisif où se joue l'alternative historique du capitalisme/socialisme : l'Allemagne, par l'écrasement physique du prolétariat et l'instauration du régime hitlérien jouant le rôle de gendarme en Europe. à cette étape correspond la mort définitive de l'IC et la faillite de l'opposition de Gauche de Trotski qui, incapable de regrouper les énergies révolutionnaires, s'engage par la coalition et la fusion avec des groupements et des courants opportunistes de la gauche socialiste, s'oriente vers des pratiques de bluff et d'aventurisme en proclamant la formation de la IVème Internationale.
La troisième étape fut celle du dévoiement total du mouvement ouvrier des pays "démocratiques". Sous le masque de défense des "libertés" et des "conquêtes" ouvrières menacées par le fascisme, on a en réalité cherché à faire adhérer le prolétariat à la défense de la démocratie, c'est-à-dire de la bourgeoisie nationale, de sa patrie capitaliste. L 'antifascisme était la plate-forme, l'idéologie moderne du capitalisme que les partis traîtres au prolétariat employaient pour envelopper la marchandise putréfiée de la défense nationale.
Dans cette troisième étape s'opère le passage définitif des partis dits communistes au service de leur capitalisme respectif, la destruction de la conscience de classe par l'empoisonnement des masses, par l'idéologie antifasciste, l'adhésion des masses à la future guerre impérialiste au travers de leur mobilisation dans les "fronts populaires", les grèves dénaturées et déviées de 1936.
La guerre antifasciste espagnole, la victoire définitive du capitalisme d'État en Russie se manifestant entre autres par la répression féroce et le massacre physique de toute velléité de réaction révolutionnaire, son adhésion à la SDN ; son intégration dans un bloc impérialiste et l'instauration de l'économie de guerre en vue de la guerre impérialiste se précipitant. Cette période enregistre également la liquidation de nombreux groupes révolutionnaires et des communistes de Gauche surgis par la crise de l'IC et qui, au travers de l'adhésion à l'idéologie antifasciste, à la "défense de l'État ouvrier" en Russie, sont happés dans l'engrenage du capitalisme et définitivement perdus en tant qu'expression de la vie de la classe. Jamais l'histoire n'a encore enregistré pareil divorce entre la classe et les groupes qui expriment ses intérêts et sa mission. L'avant-garde se trouve dans un état d'absolu isolement et réduite quantitativement à de petits ilots négligeables.
L'immense vague de la révolution jaillie à la fin de la première guerre impérialiste a jeté le capitalisme international dans une telle crainte qu'il a fallu cette longue période de désarticulation des bases du prolétariat pour que la condition soit requise pour le déchaînement de la nouvelle guerre impérialiste mondiale." (Idem)
À ces lignes lumineuses, on peut encore ajouter les éléments suivants :
De l'analyse des conditions qui ont permis le déclenchement des deux guerres impérialistes, on peut tirer les enseignements communs suivants :
a) qu'ils aient un semblant de réalité (possibilité d'un développement infini et sans heurt du capitalisme et de la "démocratie", origine ouvrière du régime qui s'est établi en URSS) ;
b) qu'ils soient associés d'une façon ou d'une autre à la défense d'intérêts prolétariens ;
c) qu'une telle association soit défendue parmi les travailleurs par des organismes qui aient leur confiance pour avoir été dans le passé des défenseurs de leurs intérêts, en d'autres termes que les idéaux bourgeois aient comme avocat des organisations anciennement prolétariennes ayant trahi.
Telles sont, à grands traits, les conditions qui ont permis par le passé le déclenchement des guerres impérialistes. Il n'est pas dit a priori qu'une éventuelle guerre impérialiste à venir ait besoin de conditions identiques, mais dans la mesure où la bourgeoisie a pris conscience du danger que pouvait représenter pour elle un déclenchement prématuré des hostilités (malgré tous ces préparatifs préalables, même la seconde guerre mondiale provoque une riposte des ouvriers en 1943 en Italie et en 1944/45 en Allemagne), on ne s'avance pas trop en considérant qu'elle ne se lancera dans un affrontement généralisé que si elle a conscience de contrôler aussi bien la situation qu'en 1939 ou au moins qu'en 1914. En d'autres termes, pour que la guerre impérialiste soit de nouveau possible, il faut qu'il existe au moins les conditions énumérées plus haut et si tel n'est pas le cas, qu'il en existe d'autres en mesure de compenser celles faisant défaut.
Dans le passé, le terrain principal sur lequel s'est décidé le cours historique était l'Europe, notamment ses trois pays les plus puissants, l'Allemagne, l'Angleterre et la France et accessoirement des pays secondaires comme l'Espagne ou l'Italie. Aujourd'hui, cette situation reste partiellement semblable dans la mesure où c'est ce continent qui est encore l'enjeu essentiel de l'affrontement entre les deux blocs impérialistes. Toute évaluation du cours passe donc par l'examen de la situation de la lutte de classe dans ces pays mais en même temps, ne saurait être complète si elle ne prenait pas en considération la situation en URSS aux USA et en Chine.
Si on examine l'ensemble de ces pays, on peut constater que nulle part, depuis plusieurs décennies, le prolétariat n'a subi de défaite physique ; la dernière en date des défaites de cet ordre a touché un pays aussi marginal que le Chili. De même, on ne peut relever dans aucun de ces pays de défaite idéologique comparable à celle de 1914, c'est-à-dire permettant une adhésion enthousiaste des prolétaires au capital national :
Comme on peut donc le voir, aucune des conditions qui avaient permis l'embrigadement dans les conflits impérialistes du passé n'existe aujourd'hui, et on ne voit pas quelle nouvelle mystification pourrait dans l'immédiat prendre la relève de celles qui ont failli. C'est une telle analyse qui était déjà à la base de la prise de position des camarades d'Internacionalismo quand ils saluaient début 68 l'année qui venait comme étant riche de promesses de luttes de classe face à la crise qui se développait. C'est cette même analyse qui permettait à Révolution Internationale d'écrire en 68, avant donc l'automne chaud italien de 69, l'insurrection polonaise de 70 et toute la vague de luttes qui va jusqu'en 1974 :
"Le capitalisme dispose de moins en moins de thèmes de mystifications capables de mobiliser les masses et de les jeter dans le massacre... Dans ces conditions, la crise apparaît dès ses premières manifestations pour ce qu'elle est : dès ses premiers symptômes, elle verra surgir dans tous les pays des réactions de plus en plus violentes des masses... Mai 68 apparait dans toute sa signification pour avoir été une des premières et une des plus importantes réaction de la masse des travailleurs contre une situation économique mondiale allant en se détériorant." (Révolution Internationale n°2, ancienne série)
C'est cette analyse, se basant sur les positions classiques du marxisme (caractère inéluctable de la crise et provocation par celle-ci d'affrontements de classe), ainsi que sur l'expérience de plus d'un demi-siècle, qui a donc permis à notre courant, alors que beaucoup d'autres groupes ne parlaient que de contre-révolution et ne voyaient rien venir, de prévoir la reprise historique de la classe à partir de 1968, de même que la remontée présente, suite à un recul temporaire entre 1974 et 1978.
Mais il est des révolutionnaires qui, plus de 10 ans après 1968 n'ont pas encore compris sa signification et pronostiquent le cours vers une troisième guerre impérialiste. Voyons leurs arguments :
Certains révolutionnaires ont parfaitement compris que derrière les prétendues luttes de libération nationale se dissimulent (de plus en plus mal, il est vrai, au point que même un courant aussi myope que le bordiguisme est quelquefois obligé de le reconnaître) des conflits inter-impérialistes. De la persistance pendant des décennies de tels conflits, ils n'ont pas, à raison, conclu à une "montée de la révolution" suivant l'expression trotskiste. Nous les suivons sur ce point. Mais ils vont plus loin et concluent que la simple existence de tels conflits et leur intensification récente signifie que la classe est battue mondialement et ne pourra pas s'opposer à une nouvelle guerre impérialiste. La question qu'ils ne se posent pas, démontrant ainsi le caractère erroné de leur démarche, est : "pourquoi la multiplication et l'aggravation des conflits locaux n'ont-elles pas déjà dégénéré en un conflit généralisé ?" à cette question, certains, comme la CWO (Communist Worker's Organisation) (cf. la Conférence de novembre 78) répondent : "parce que la crise n'est pas encore assez profonde", ou bien "les préparatifs militaires et stratégiques ne sont pas encore achevés". L'histoire apporte elle-même un démenti à ces interprétations :
De fait, les conditions sont plus que mûres pour une nouvelle guerre impérialiste, la seule donnée militaire manquante est l'adhésion du prolétariat... mais ce n'est pas la moindre.
Pour certains, emboîtant le pas à ceux qui avaient dans le passé déclaré la guerre impossible à cause des gaz asphyxiants ou de l'aviation, l'existence de l'arsenal atomique interdit désormais le recours à une nouvelle guerre généralisée qui signifierait la menace d'une destruction totale de la société. Nous avons déjà dénoncé les illusions pacifistes contenues dans une telle conception. Par contre, d'autres estiment que le développement de la technologie interdit toute possibilité pour le prolétariat d'intervenir dans une guerre moderne du fait que celle-ci utilise surtout des armes très sophistiquées maniées par des spécialistes et très peu de masses de soldats. La bourgeoisie aurait ainsi les mains libres pour mener sa guerre atomique sans craindre aucune menace de mutinerie comme ce fut le cas en 1917-18. Ce qu'ignore une telle analyse, c'est que :
Il y a dans le processus de généralisation d'un conflit impérialiste un aspect d'engrenage involontaire échappant à tout contrôle de quelque gouvernement que ce soit. Un tel phénomène fait dire à certains que, quel que soit le niveau de la lutte de classes, le capitalisme peut plonger l'humanité dans la guerre généralisée "par accident", suite à une telle perte de contrôle de la situation. Il n'y a évidemment pas de garantie absolue que le capitalisme ne nous servira jamais un tel menu, mais l'histoire a démontré que ce système se laisse d'autant moins aller à ce type de "penchants naturels" qu'il se sent menacé par le prolétariat.
Certains groupes, tel "Battaglia Communiste", estiment que la riposte prolétarienne à la crise est insuffisante pour constituer un obstacle au cours vers la guerre impérialiste ; ils estiment que les luttes devraient être de "nature révolutionnaire" pour qu'elles puissent contrecarrer réellement ce cours et basent leur argumentation sur le fait qu'en 1917-18, c'est la révolution seule qui a mis fin à la guerre impérialiste. En fait, ils commettent une erreur en essayant de transposer un schéma en soi juste sur une situation qui n'y rentre pas. Effectivement, un surgissement du prolétariat dans et contre la guerre prend d'emblée la forme d'une révolution :
Mais tout autre est la situation quand la guerre ne s'est pas encore déclarée.
Dans ces circonstances, toute tendance, même limitée à la montée des luttes sur un terrain de classe suffit à enrayer l'engrenage dans la mesure où :
Ainsi, alors que les menaces de guerre impérialiste généralisée ne cessent de se profiler au début du 20ème siècle, que les occasions de son déclenchement ne manquent pas (guerre russo-japonaise, heurts franco-allemands à propos du Maroc, conflit dans les Balkans, invasion de la Tripolitaine par l'Italie), le fait que jusqu'en 1912 la classe ouvrière (manifestations de masse) et l'Internationale (motions spéciales aux Congrès de 1907 et 1910, Congrès Extraordinaire en 1912 sur la question de la guerre) se mobilisent lors de chaque conflit local n'est pas étranger à la non-généralisation de ces conflits. Et ce n'est qu'au moment où la classe ouvrière, endormie par les discours des opportunistes, cesse de se mobiliser face à la menace de guerre (entre 1912 et 1914) que le capitalisme peut déchaîner la guerre impérialiste à partir d'un incident (l'attentat de Sarajevo) en apparence bénin par rapport aux précédents.
À l'heure actuelle, point n'est besoin que la révolution frappe déjà à la porte pour que soit barré le cours vers la guerre impérialiste.
Le constat que, jusqu'à présent, les grandes vagues révolutionnaires du prolétariat (la Commune de 1871, Révolutions de 1905 et 1917-18) ont surgi à la suite de guerres, a conduit certains courants, dont la Gauche Communiste de France, à considérer que c'était uniquement d'une nouvelle guerre que pouvait surgir une nouvelle révolution. Si cette approche, bien que fausse, était défendable en 1950, son maintien aujourd'hui relève d'un attachement fétichiste et non critique au schéma du passé. Le rôle des révolutionnaires n'est pas de réciter des catéchismes bien appris dans les livres d'histoire en considérant que celle-ci se répète de façon immuable. En général, l'histoire ne se répète pas et s'il est nécessaire de bien la connaître pour comprendre le présent, l'étude de ce présent, avec toutes ses spécificités, est encore plus nécessaire. Un tel schéma de la révolution surgissant uniquement de la guerre impérialiste est aujourd'hui doublement erroné :
Enfin, une telle analyse risque d'avoir des implications désastreuses pour la lutte comme nous allons le voir.
Les erreurs sur l'analyse du cours ont toujours eu, comme on l'a vu, des conséquences graves. Mais le niveau de cette gravité est différent suivant que le cours est vers la remontée de la lutte de classe ou vers la guerre impérialiste. Se tromper lorsque la classe recule peut-être catastrophique pour les révolutionnaires eux-mêmes (exemple du KAPD) mais a peu d'impact sur la classe elle-même auprès de laquelle, de toute façon, ils ont peu d'audience. Par contre, une erreur lors d'une reprise de la lutte de classe, au moment où l'influence des révolutionnaires augmente en son sein, peut avoir des conséquences tragiques pour l'ensemble de la classe. Au lieu de la pousser à la lutte, d'encourager ses initiatives, de permettre le développement de ses potentialités, un langage de "docteurs tant-pis" agira à ce moment-là comme un facteur de démoralisation et deviendra un obstacle à la poursuite du mouvement.
C'est pour cela qu'en l'absence de critères décisifs démontrant la réalité d'un recul, les révolutionnaires ont toujours misé sur le terme positif de l'alternative, sur la perspective d'une montée des luttes et non sur celle d'une défaite : l'erreur du médecin qui abandonne les soins d'un malade ayant encore une chance même minime de survie est bien pire que celle du médecin qui s'acharne à soigner un malade qui n'en a aucune.
C'est pour cela aussi qu'aujourd'hui ce n'est pas tellement aux révolutionnaires, qui prévoient un cours de reprise, d'apporter la preuve irréfutable de leur analyse, mais bien à ceux qui annoncent un cours vers la guerre.
À l'heure actuelle, dire à la classe ouvrière, alors qu'on n'en est pas parfaitement sûr, que la perspective qu'elle a devant elle est celle d'une nouvelle guerre impérialiste au cours de laquelle peut-être, elle pourra surgir, relève de l'irresponsabilité. S'il existe une chance, même la plus minime, que ses combats puissent empêcher l'éclatement d'un nouvel holocauste impérialiste, le rôle des révolutionnaires est de miser de toutes leurs forces sur cette chance et d'encourager au maximum les luttes de la classe en faisant ressortir l'enjeu pour elle et pour l'humanité.
Notre perspective ne prévoit pas l'inéluctabilité de la révolution. Nous ne sommes pas des charlatans et nous savons trop bien, à l'inverse de certains révolutionnaires fatalistes que la révolution communiste n'est pas "aussi certaine que si elle avait déjà eu lieu". Mais, quelle que soit l'issue définitive de ces combats, que la bourgeoisie essaiera d'échelonner afin d'infliger à la classe une série de défaites partielles préludes à sa défaite définitive, le capitalisme ne peut plus, d'ores et déjà, imposer sa propre réponse à la crise de ses rapports de production sans s'affronter directement au prolétariat.
C'est en partie de la capacité des révolutionnaires à être à la hauteur de leurs tâches, et notamment à définir les perspectives correctes pour le mouvement de la classe, qu'il dépend que ces combats soient victorieux et qu'ils débouchent sur la révolution et sur le communisme.
Il suffit de jeter un bref coup d'œil pour constater que, si la crise politique de la bourgeoisie s'est effectivement approfondie, l'arrivée de la gauche au pouvoir ne s'est pas vérifiée, mieux encore, la gauche été cette dernière année systématiquement écartée du pouvoir dans la majeure partie des pays de l'Europe. Il suffit de citer-le Portugal, l'Italie, l'Espagne, les pays scandinaves, la France, la Belgique, la Hollande, l'Angleterre ainsi qu'Israël pour le constater. Il ne reste pratiquement que deux pays en Europe où la gauche reste au pouvoir : l'Allemagne et l'Autriche.
Ceci pose d'emblée une première question : le CCI s'est-il trompé durant des années dans l'analyse de la situation internationale et ses perspectives, notamment celle de la gauche au pouvoir ? Nous pouvons répondre catégoriquement : non. Car pour ce qui concerne l'analyse générale, les données actuelles, comme le font ressortir les rapports, ne font que la confirmer amplement. Pour ce qui est de "la gauche au pouvoir", la réponse est plus complexe mais également : non.
Suite à l'apparition de la crise et aux premières manifestations de la lutte ouvrière, la gauche au pouvoir était la réponse la plus adéquate du capitalisme durant les premières années de la gauche dans les gouvernements, tout comme la gauche posant sa candidature au gouvernement remplissait efficacement sa fonction d'encadrement du prolétariat, le démobilisant et le paralysant par ses mystifications du "changement" et de l'électoralisme.
La gauche devait rester et est restée dans cette position tant que cette position lui permettait de remplir sa fonction. Il ne s'agit donc pas d'une erreur que nous aurions commise dans le passé mais de quelque chose de différent et de plus substantiel, d'un changement qui est intervenu dans l'alignement des forces politiques de la bourgeoisie. Ce serait une grave erreur de ne pas reconnaître à temps ce changement et de continuer à répéter dans le vide sur le "danger de la gauche au pouvoir". Avant de poursuivre l'examen du pourquoi de ce changement et de sa signification, il faut insister tout particulièrement sur le fait qu'il ne s'agit pas là d'un phénomène circonstanciel et limité à tel ou tel pays, mais d'un phénomène général, valable à court et peut-être à moyen terme pour l'ensemble des pays du monde occidental. Cette reconnaissance préalable est nécessaire pour permettre l'examen et la compréhension du changement intervenu et les implications que cela apporte et notamment la rectification de "tir" politique nécessaire dans le proche avenir.
Après avoir efficacement réalisé sa tâche d'immobilisation de la classe ouvrière durant ces dernières années, la gauche au pouvoir ou en marche vers le pouvoir ne peut plus assumer cette fonction qu'en se plaçant aujourd'hui dans l'opposition. Les raisons de ce changement sont multiples; elles relèvent notamment de conditions particulières spécifiques aux divers pays, mais ce sont là des raisons secondaires; les principales raisons résident dans l'usure subie par la gauche et le lent dégagement des mystifications de la gauche de la part des masses ouvrières. La récente reprise des luttes ouvrières et leur radicalisation en sont le témoignage évident.
Rappelons les trois critères dégagés lors des analyses et discussions antérieures pour la gauche au pouvoir :
La gauche réunissait le mieux et le plus efficacement ces trois conditions, et les USA, leader du bloc, appuyaient plus volontiers son arrivée au pouvoir avec des réserves toutefois pour ce qui concerne les PC. C'est à ces réserves que répondait l'inauguration de la politique dite "eurocommunisme" des PC en Espagne, en Italie et en France, politique cherchant à donner des garanties de loyauté au bloc occidental. Mais si les USA restaient quand même méfiants pour ce qui concerne les PC, leur soutien au maintien ou à l'arrivée des socialistes au pouvoir, partout où cela était possible, était total.
Ce serait une erreur de croire que la raison de l'écartement de la gauche du pouvoir résiderait dans la méfiance à l'égard des PC, même si cette raison avait une importance dans certains pays comme la France et l'Italie. L'écartement des socialistes des gouvernements comme au Portugal, en Israël, en Angleterre et ailleurs, prouve qu'il s'agit d'un phénomène qui dépasse la simple méfiance à l'égard des PC et dont les raisons doivent être cherchées ailleurs.
Revenons aux critères pour la gauche au pouvoir. En les examinant de plus près, nous voyons que même si la gauche les représente le mieux, ils ne sont pas tous le patrimoine exclusif de la gauche. Les deux premiers, les mesures de capitalisme d'Etat et l'intégration dans le bloc peuvent parfaitement être accomplis, si la situation l'exige, par d'autres forces politiques de la bourgeoisie comme les partis du centre ou même carrément de la droite. L'histoire récente abonde en exemples pour qu'il ne soit pas nécessaire d'insister plus là-dessus. Par contre, le troisième critère, l'encadrement de la classe ouvrière, est l'apanage propre et exclusif de la gauche. C'est sa fonction spécifique, sa raison d'être.
Cette fonction, la gauche ne l'accomplit pas uniquement, et même pas généralement au pouvoir. La plupart du temps, elle 1'accomplit plutôt en étant dans 1'opposition parce qu'il est généralement plus facile de 1'accomplir en étant dans l'opposition qu'au pouvoir. En règle générale, la participation de la gauche au pouvoir n'est absolument nécessaire que dans deux situations précises :
En dehors de ces deux situations extrêmes, dans lesquelles la gauche ne peut pas ne pas s'exposer ouvertement comme défenseur inconditionnel du régime bourgeois en affrontant ouvertement et violemment la classe ouvrière, la gauche doit toujours veiller à ne pas trop dévoiler sa véritable identité et sa fonction capitaliste et à maintenir la mystification que sa politique vise la défense des intérêts de la classe ouvrière.
Tout parti bourgeois est mû par des intérêts propres de clique politique et de clientèle électorale en concurrence avec les autres partis, pour aller au pouvoir. Mais aucun parti ne peut échapper aux impératifs de sa fonction de classe qui prédominent sur ses intérêts immédiats de clique, au risque de disparaître. Ceci est également vrai pour les partis de gauche qui doivent avant tout exécuter les impératifs de leur fonction. Ainsi, même si la gauche comme tout autre parti bourgeois aspire "légitimement" à accéder au pouvoir étatique, on doit cependant noter une différence qui distingue ces partis des autres partis de la bourgeoisie pour ce qui concerne leur présence au pouvoir. C'est que ces partis de la gauche prétendent être des partis "ouvriers" et comme tels ils sont obligés de se présenter devant les ouvriers avec un masque, une phraséologie "anticapitaliste" de loups vêtus de peau de mouton. Leur séjour au pouvoir les met dans une situation ambivalente plus difficile que pour tout autre parti franchement bourgeois. Un parti ouvertement bourgeois exécute au pouvoir ce qu'il disait être, la défense du capital, et ne se trouve nullement discrédité en faisant une politique anti-ouvrière. Il est exactement le même dans l'opposition que dans le gouvernement. C'est tout le contraire en ce qui concerne les partis dits "ouvriers". Ils doivent avoir une phraséologie ouvrière et une pratique capitaliste, un langage dans l'opposition et une pratique absolument opposée dans le gouvernement.
Tous les partis ouvertement bourgeois trompent sans vergogne les masses populaires. Les masses ouvrières ne sont cependant pas leur clientèle. A leur égard, les ouvriers savent à quoi s'en tenir, se font peu d'illusions. Mais ces mêmes masses ouvrières sont la clientèle de prédilection des partis de gauche dont la fonction première consiste à les mystifier, à les tromper, à les fourvoyer. Dans l'opposition, ces partis de gauche disent ce qu'ils ne font pas et ne feront jamais. Une fois au gouvernement, ils sont amenés à faire ce qu'ils n’ont jamais dit, jamais osé avouer.
Ils ne peuvent remplir leur fonction bourgeoise que dans ces conditions contradictoires. Dans des situations "normales" du capitalisme, leur présence au gouvernement est toujours aléatoire et ils occupent de préférence des places secondaires dans une coalition plutôt que d'en assumer la direction. Leur présence au gouvernement les rend plus vulnérables, leur usure au pouvoir plus grande et leur crédibilité se trouve plus rapidement mise en question. Dans une situation d'instabilité, cette tendance est encore accélérée. Or, la baisse de leur crédibilité les rend inaptes pour assurer leur fonction d'immobilisation de la classe ouvrière et rend donc ainsi également superflue leur présence au gouvernement. Leur position incommode peut se résumer dans : être au pouvoir sans y être tout en y étant. C'est pourquoi leur séjour au gouvernement ne peut être de trop longue durée, et comme "certaines espèces qui doivent remonter constamment à la surface de l'eau pour respirer, la gauche éprouve un besoin impérieux de faire constamment des cures d'opposition. Il ne s'agit nullement de voir en cela un esprit machiavélique qui guiderait la bourgeoisie. Il s'agit d'une nécessité qui s'impose à elle restant que classe exploiteuse, et d'une division du travail et des fonctions en son sein indispensables pour assurer sa domination sur la société. Classe exploiteuse et dominante, la bourgeoisie doit occuper toute l'aire sociale; elle ne peut laisser échapper aucun espace, aucune couche, à aucun niveau, à son contrôle et surtout pas la classe ouvrière. Si un parti "ouvrier" compromet pour une raison ou pour une autre son aptitude à assurer sa fonction de dévoiement de la classe de sa lutte, alors la bourgeoisie doit faire surgir au plus vite un autre parti plus apte à assurer cette fonction. En général, elle engendre -tout comme la ruche des abeilles produit toujours plusieurs reines de rechange- plusieurs partis, les uns plus à gauche que les autres (voir PS, socialistes de gauche, PC, gauchistes et ainsi de suite). Cette fonction est tellement importante qu'elle ne saurait souffrir d'aucun arrêt de continuité. Ainsi l'avantage que possèdent les partis de gauche d'être aussi efficaces au gouvernement que ceux de la droite dans certaines situations extrêmes, devient leur talon d'Achille dans des situations "normales", et il faut alors qu'ils reprennent normalement leur place dans l'opposition, où ils sont infiniment plus efficaces que les partis de la droite.
Nous nous trouvons aujourd'hui dans cette situation. Après une première explosion de mécontentement et de convulsions sociales qui avait surpris la bourgeoisie, et n’a été neutralisée que par la "gauche au pouvoir", la continuation de la crise qui s'aggrave, les illusions de la gauche au pouvoir qui se dissipent, la reprise de la lutte qui s'annonce, il devenait urgent que la gauche retrouve sa place dans l'opposition et radicalise sa phraséologie pour pouvoir contrôler cette reprise des luttes qui se fait jour. Evidemment cela ne peut être un absolu définitif, mais c'est actuelle ment et pour le proche avenir un fait général. Il est caractéristique que les pays où la gauche reste au pouvoir comme l'Allemagne et l'Autriche sont précisément les pays où la lutte ouvrière est la plus faible. Non seulement la gauche s'écarte du pouvoir, mais doit encore donner une impression de se radicaliser. Cela est évident pour les PC, comme en Italie où le PCI rompt avec "le compromis historique" ou en France où le PCF a provoqué la rupture de l'Union de la gauche et du Programme Commun à la veille des élections; ce dernier parle maintenant de l'union à la base, met en sourdine le slogan de l'union du peuple de France et lui préfère la "défense des travailleurs" et un parti de lutte de classe. Son 23ème Congrès retrouve "un bilan globalement positif" du socialisme de l'Est après un 22ème Congrès qui avait abandonné la dictature du prolétariat et s'était livré à une critique violente du manque de démocratie dans les pays "socialistes" et à un rejet du modèle russe [2] [539].
Ce durcissement des PC oblige les PS -dans les pays où les PC sont forts et où ils sont directement en concurrence- à une égale radicalisation de la phraséologie pour ne pas perdre leur emprise sur les ouvriers. Tel est le cas par exemple en France, où dans le dernier Congrès on a vu la direction Mitterrand rompre avec le courant Rocard pour se rapprocher de celui du CERES. On a même pu1 voir le PS s'associer à la manifestation du 23 mars, en opposition à la CFDT. Mais cela est également évident dans les pays où une telle concurrence d'un PC fort n'existe pas. C'est le cas en Angleterre où les travaillistes provoquent les élections, mettent fin au "contrat social"; au Portugal où Soares élimine une tendance par trop droitière, ou encore plus récemment, où l'ancienne direction de Gonzales est écartée au Congrès par une grande majorité lui reprochant le "consensus", au nom d'un parti voulant se revendiquer du "marxisme". La fin de la politique de la gauche au pouvoir, une fois constatée on doit se demander quel impact aura ce retour de la gauche dans l'opposition ? La gauche politique et syndicale va tendre à redorer son blason, faire oublier ce qu'elle a fait hier, coller le plus possible aux masses, et à la place de sa politique d'hier d'opposition aux luttes, elle va aujourd'hui tendre à les "radicaliser" à sa manière, les multiplier en les dispersant afin de mieux les saboter de l'intérieur, se gauchisant afin d'éviter son débordement. En somme, au lieu de conduire le train sur des voies de garage en étant dans la locomotive, elle va de façon pernicieuse tenter de le faire dérailler. Ainsi, cette gauche se présente plus dangereuse en tant que "défenseur de la classe ouvrière" qu'en tant qu'accusateur. C'est ce danger qu'aura à affronter la classe ouvrière, et il sera plus difficile de le combattre. Dans cette nouvelle situation, les gauchistes risquent de perdre un peu leur identité d'extrême-gauche. Après avoir été les champions de "PC, PS au pouvoir", ils mettront l'accent sur le "front unique", sur des "comités à la base" sur l'initiative et l'égide des partis et des syndicats réunis.
Il ne faut pas se faire d'illusions. La capacité de récupération et de manipulation de la gauche et des gauchistes est énorme. Il y aura à les combattre dans des conditions nouvelles. Hier lorsqu'ils tenaient fermement le gouvernail conduisant allègrement le train ouvrier sur des rails capitalistes, il fallait rester sur les bords du parcours appelant les ouvriers à quitter le train. Aujourd'hui lorsque le train ouvrier s'engage lentement sur les rails de classe, la tâche est d'être dedans, partie prenante et active de la lutte, renforcer la voie et veiller à ce qu'il n'y ait pas d'acte de sabotage de la part des agents du capitalisme.
C'est au sein de la lutte, au cours de son développement qu'il faut dénoncer concrètement les agissements de la gauche et lui arracher son masque "radical". C'est là une tache difficile d'autant plus que manque l'expérience d'une telle situation. Il ne s'agit pas de faire une surenchère de radicalisme, mais savoir pratiquement, concrètement en tout te occasion montrer ce que cache le "radicalisme" de la gauche. Cette vision s'imbrique parfaitement dans l'analyse générale de la situation internationale et de la reprise de la lutte ouvrière. Elle constitue une pièce qui lui a manqué, et notamment en ce qui concerne le cours historique, car un cours vers la guerre ne rend pas nécessaire une radicalisation de la gauche dans l'opposition. Au contraire, la classe ouvrière atomisée et apathique laisse à la gauche sa liberté et rend possible et nécessaire son association au gouvernement.
C'est à cette nouvelle situation qu'il faut adapte» l'activité et l'intervention -une situation pleine d'embûches, mais également pleine de promesses.
[1] [540] Encore faut-il remarquer une différence de comportement des partis "ouvriers" dans ces deux situations. En temps de guerre ils s'intègrent ou soutiennent un gouvernement d'Union nationale sous la direction des représentants officiels de la bourgeoisie, alors que dans une période révolutionnaire c'est généralement la grande bourgeoisie qui s'abrite derrière un "gouvernement de "gauche ou ouvrier". C'est à la gauche que revient l'honneur et la tâche d'assassiner la révolution prolétarienne au nom de la "démocratie", du "socialisme" et de "la bonne marche de la révolution" comme le montre l'histoire des menchéviks en Russie et de la social-démocratie en Allemagne.
[2] [541] Ainsi prend fin le fameux "eurocommunisme" qui a tant inquiété des groupes comme Battaglia Comunista qui voulait voir en lui on ne sait quel changement fondamental et définitif des PC et de leur nature stalinienne. Ce qui n'était qu'une apparence et un tournant tactique devenait pour ces groupes la "social-démocratisation" des PC. Comme on peut le constater aujourd'hui, il n'en est rien.
1 - A l'exception de quelques révolutionnaires particulièrement bornés, plus personne ne songe aujourd'hui à nier la réalité de la crise mondiale du capitalisme. Malgré les différences de forme avec celle de 1929, sur lesquelles se basent ceux qui essayent d'en minimiser la gravité, la crise actuelle révèle toute son ampleur :
- par une sous-utilisassions massive et croissante des moyens de production et de la force de travail notamment dans les grands pays industriels du bloc US où des secteurs aussi significatifs que l'acier, la construction navale ou la chimie sont en pleine débandade;
- par une incapacité de plus en plus nette des pays du bloc de l'Est de réaliser des plans économiques pourtant de moins en moins ambitieux et qui accentue le manque de compétitivité de leurs marchandises sur le marché mondial ;
- par la catastrophe qui secoue les pays sous-développés où les "miracles" à la brésilienne ont fait long feu pour laisser la place à une inflation débridée et à un endettement colossal;
- par la chute constante du taux de croissance du commerce mondial.
Si les chiffres officiels font apparaître les difficultés présentes de l'économie mondiale et révèlent qu'elles trouvent leurs causes dans un engorgement généralisé du marché, ils masquent souvent la gravité de celles-ci en négligeant le poids énorme des productions et des ventes d'armements qui constituent le pire gaspillage de forces productives puisque, ni comme capital variable, ni comme capital constant ces armements n'entrent dans un cycle productif ultérieur.
Après plus d'une décennie de dégradation lente mais inéluctable de son économie et d'échec de tous les "plans de sauvetage" mis en œuvre, le capitalisme a administré la preuve de ce que les marxistes n'ont cessé d'affirmer depuis longtemps : ce système est entré dans sa phase de déclin historique et il est absolument incapable de surmonter les contradictions économiques qui l'assaillent aujourd'hui.
Dans la période qui vient, nous allons assister à un nouvel approfondissement de la crise mondiale du capitalisme sous forme notamment d'une nouvelle flambée d'inflation et d'un ralentissement sensible de la production qui risque de faire oublier celui de 1974-75 et provoquera une aggravation brutale du chômage.
2 - L'effondrement de l'infrastructure économique se répercute sur l'ensemble de la société et, en premier lieu, par une exacerbation des tensions inter-impérialistes. Au fur et à mesure de l'aggravation de ces conflits se révèle notamment l'absurdité de la théorie de "l'effritement des blocs impérialistes" : en réalité, le corollaire de cette aggravation est la nécessaire intégration chaque jour plus forte de chaque pays au sein d'un des blocs, ce qu'illustre par exemple :
- la prise en charge croissante par la France des tâches du bloc américain particulièrement comme gendarme de l'Afrique;
- l'insertion complète du Vietnam dans le bloc russe;
- l'insertion plus grande de la Chine dans le bloc américain.
Plus encore que sur le plan économique, le renforcement des blocs impérialistes sur le plan militaire est une réalité qui s'inscrit dans la préparation de la seule "issue" que le capitalisme puisse donner à sa crise : la guerre impérialiste généralisée.
De même, il serait faux de considérer, comme certains le font, qu'on s'achemine vers une réorganisation des alliances fondamentales existant aujourd'hui, qui serait la condition indispensable pour qu'une guerre généralisée puisse avoir lieu. D'une part, l'expérience a montré que les changements d'alliance peuvent intervenir après le déclenchement de la guerre. D'autre part, l'ampleur des liens économiques, politiques et militaires qui unissent les principales puissances constituant les blocs ne permettent pas une redistribution brutale des cartes conduisant, par exemple, à la reconstitution des blocs de la deuxième guerre. Une telle redistribution des cartes ne peut, à l'heure actuelle, toucher que les pays périphériques, notamment ceux du tiers-monde, qui justement continuent à être le terrain privilégié des règlements de comptes entre brigands impérialistes.
Si l'année 1978 a vu le continent africain en pre. mi ère ligne de ces affrontements, la relative stabilisation de la situation dans cette zone, liée essentiellement au repli de l'URSS, n'a pas signifié pour autant la fin des conflits ou même une pause dans ceux-ci : sitôt contenue en un endroit, l'incendie impérialiste se ranimait en Extrême-' Orient mettant à mal le mythe de la libération nationale et de la "solidarité entre pays socialistes". Les affrontements entre la Chine et le Vietnam, parce qu'ils ont mis directement aux prises les deux principales puissances militaires de la région, parce qu'ils ont jeté sur les champs de bataille des centaines de milliers d'hommes et provoqué en quelques jours des dizaines de milliers de morts constituent un moment important de l'aggravation des tensions impérialistes et présentent aux prolétaires du monde entier le visage hideux de ce qui attend toute la société s'ils laissent les mains libres au capitalisme.
3 - La crise de son économie ne provoque pas seulement une aggravation des déchirements entre fractions nationales de la bourgeoisie. Elle se répercute également à l'intérieur de chaque pays sous forme de crise politique. Celle-ci touche toutes les parties du monde mais connait ses formes les plus violentes dans les pays arriérés. L'exemple de l'Iran où le départ du Shah n'a pas réussi à stabiliser la situation et où l'unanimité qui s'était faite contre lui a laissé place à des affrontements chaotiques, est à cet égard significatif. Mais cette crise politique frappe également le pays les plus développés et a connu, en particulier ces derniers mois, des soubresauts importants en Europe.
Une crise politique résulte en général des difficultés d'adaptation de la classe capitaliste aux nécessités contradictoires qui trouvent leur origine dans les contradictions de l'infrastructure économique. Dans les années passées cette adaptation avait en Europe, pour axe un renforcement de la gauche, en particulier la social-démocratie, comme alternative gouvernementale. Cette orientation correspondait à la fois à des préoccupations de politique internationale (fidélité de la social-démocratie au bloc américain) et à des préoccupations de politique intérieure (renforcement des mesures de capitalisme d'Etat et dévoiement du mécontentement ouvrier). Mais aujourd'hui se manifeste une tendance à un rejet dans l'opposition des forces de gauche qui répond, non pas à la fin de la fonction essentielle de ces forces dans la défense du capitalisme contre la classe ouvrière, mais à une meilleure adaptation à l'accomplissement de cette fonction liée :
- au discrédit subi par les partis de gauche, quand ils ont effectivement dirigé les gouvernements comme l'illustre de façon éclatante la situation en Grande-Bretagne;
- à l'épuisement de la mystification de "l'alternative de gauche" quand elle n'a pu finalement se réaliser comme ce fut notamment le cas en France;
- à la nécessité de saboter "de l'intérieur" les luttes ouvrières qui tendent à réapparaître après I les avoir contenues et dévoyées par des alternatives illusoires.
Ainsi, après avoir eu pendant des années comme principal ennemi la gauche au pouvoir ou en marche vers le pouvoir, la classe ouvrière dans la période qui vient retrouvera de façon quasi générale le même ennemi dans l'opposition n'hésitant pas à radicaliser son langage pour pouvoir mieux saboter ses luttes.
4 - Les données présentes de la crise de l'appareil politique de la bourgeoisie font donc apparaître le poids croissant de la lutte de classe dans la vie de la société. C'est là la traduction du fait qu'a près une période de relatif recul des luttes couvrant le milieu des années 70, la classe ouvrière tend à renouer aujourd'hui avec une combativité qui s'était manifestée de façon généralisée et souvent spectaculaire à partir de 1968. Cette vague de combativité prolétarienne, qu'un nombre important de courants révolutionnaires (comme le FOR et Battaglia Comunista) n'a pas su reconnaître, constituait la première réponse de la classe révolutionnaire à l'aggravation de la crise du capitalisme qui suivait la fin de la reconstruction. Elle révélait qu'avait pris fin la terrible contre-révolution qui s'est abattue sur le prolétariat au cours des années 20. Après un premier temps de surprise, la bourgeoisie a mené une contre-offensive en règle avec comme fer de lance la gauche qui, s'appuyant sur les faiblesses tout à fait normales d'un mouvement à ses débuts, a réussi à canaliser et étouffer les luttes à travers :
- la mystification démocratique ;
- la perspective de la gauche au pouvoir ;
- les "solutions nationales" à la crise.
Cet étouffement et encadrement idéologique des ouvriers a été complété par un renforcement considérable des préparatifs de la terreur étatique notamment au moment des "affaires" Baader en Allemagne et Moro en Italie, ce qui démontre que, si certains révolutionnaires ont été incapables de comprendre la reprise prolétarienne, la bourgeoisie, elle, sur ce point a été beaucoup plus lucide
La tendance actuelle au développement des luttes (mineurs américains des Appalaches, sidérurgistes allemands, hospitaliers italiens, camionneurs et travailleurs du secteur public en Grande-Bretagne, ouvriers espagnols et travailleurs du téléphone au Portugal, ouvriers de la sidérurgie en France, etc.) marque l'épuisement de cette contre-offensive de la bourgeoisie et, loin de se résumer à un simple feu de paille, constitue l'annonce d'une reprise générale du prolétariat qui viendra combler le décalage qui s'était développé dans les années passées entre le niveau de gravité atteint par la crise et le niveau de la riposte ouvrière au détriment du second. Par la détérioration inéluctable qu'elle continuera à provoquer sur les conditions de vie des ouvriers, la crise obligera même les plus hésitants à reprendre le chemin de la lutte.
Bien qu'elle n'apparaisse pas immédiatement en pleine lumière, une des caractéristiques essentielles de cette nouvelle vague de luttes sera de redémarrer au niveau qualitatif le plus élevé atteint par la vague précédente. Cette caractéristique se manifestera essentiellement par une tendance plus marquée que par le passé à un débordement des syndicats à l'élargissement des combats au delà des limites catégorielles et professionnelles, à une conscience plus claire du caractère international de la lutte de classe. Par ailleurs, un élément tendra à devenir décisif dans ces luttes : le développement du chômage. Après avoir, dans un premier temps, lors de son apparition massive après 1974, contribué à paralyser le prolétariat, cet élément tend aujourd'hui à devenir un des facteurs les plus explosifs de mobilisation prolétarienne poussant d'emblée les ouvriers à dépasser les différentes divisions catégorielles. C'est ce qu'a d'ailleurs bien compris la bourgeoisie européenne et qui explique sa campagne présente sur les 35 heures.
5 - Si d'un côté donc, l'aggravation de la crise pousse ce système de façon inexorable vers la guerre impérialiste, d'un autre côté, elle pousse la classe ouvrière vers des combats de plus en plus acharnés contre lui. Ainsi se trouve de nouveau posée l'alternative historique définie par l'Internationale Communiste pour la période de décadence du capitalisme : guerre impérialiste ou révolution prolétarienne. La question qui se pose aux révolutionnaires et à laquelle ils donnent aujourd'hui les réponses les plus contradictoires est donc : le capitalisme a-t-il les mains libres pour imposer sa "solution" à la crise : la guerre généralisée, ou au contraire, la montée prolétarienne interdit-elle pour le moment un tel aboutissement ?
Une réponse correcte à cette question suppose qu'o se la pose correctement et notamment qu'on rejette l'idée de l'existence de deux cours simultanés, parallèles et indépendants vers la guerre impérialiste et vers la guerre de classe. En fait, comme réponses des deux classes irrémédiablement antagoniques, ces deux issues sont elles-mêmes antagonique et s'excluent mutuellement. L'histoire a démontré que, classe divisée en multiples fractions aux intérêts contradictoires, notamment entre fractions nationales, la bourgeoisie n'est capable d'une unité que face à une offensive de la classe ouvrière. C'est pour cela que les révolutionnaires ont affirmé depuis le début du siècle que la lutte de classe constituait le seul obstacle véritable à la guerre impérialiste.
La question à laquelle il faut donc répondre est bien : "le niveau actuel de la combativité ouvrière est-il suffisant pour barrer la route à la guerre mondiale ?" Certains révolutionnaires, se basant sur le fait que seule une révolution met fin en 1917 pour la Russie, en 1918 pour l'Allemagne, à la guerre impérialiste, estiment qu'aujourd'hui seules des luttes révolutionnaires pourraient empêcher un nouveau conflit et que celles-ci n'existant pas encore, la voie est libre pour le capitalisme. En réalité, le problème se pose en termes différents suivant que la guerre généralisée a déjà éclaté ou qu'elle est seulement en cours de préparation. Dans le premier cas, l'histoire a effectivement montré que des luttes à caractère révolutionnaire étaient nécessaires pour mettre fin à la guerre ; dans le deuxième cas, elle a fait apparaître, notamment au cours des longs préparatifs pour la deuxième guerre mondiale, que le capitalisme ne pouvait se lancer dans une telle aventure que lorsqu’il avait embrigadé la classe ouvrière derrière le capital national. La comparaison entre les situations qui prévalent en 1974 et 1939 et la situation présente démontrent que le capitalisme n'a pas réuni aujourd'hui les conditions lui permettant d'apporter à la crise sa propre réponse : la guerre impérialiste généralisée. Bien que sur le plan de la gravité de la crise, les préparatifs militaires et stratégiques, les conditions d'un nouvel holocauste soient mûres depuis longtemps, la combativité présente de la classe ouvrière constitue un obstacle décisif sur la voie d'un tel holocauste.
6 - Dans la mesure où le capitalisme ne peut éventuellement imposer sa propre réponse à la crise qu'après avoir brisé la combativité ouvrière, la perspective présente n'est donc pas celle d'un affrontement impérialiste généralisé mais celle d'un affrontement de classe. C'est à cet affrontement décisif, puisque de son issue dépend le sort de toi te la société, que préparent les combats présents de la classe. Le rôle des révolutionnaires est donc d'intervenir dans ces combats pour en faire ressortir l'importance et l'enjeu. Toute attitude ou conception de leur part qui tend à sous-estimer cet enjeu, à négliger le rôle essentiel de ces combats comme obstacle à la guerre impérialiste ou à démoraliser les ouvriers en annonçant - à tort - l'inéluctabilité d'une telle issue, conduit à un affaiblissement de ces combats et favorise donc la victoire finale du capitalisme.
Aujourd'hui, seule une attitude résolue des révolutionnaires tendant à démontrer l'importance cruciale de ces combats, non pour les paralyser mais pour les stimuler, favorise l'issue positive de l'affrontement qui se prépare : la révolution prolétarienne, le communisme.
L'existence, dans la période de transition, d'une division de la société en classe, aux intérêts antagoniques fait surgir au sein de celle-ci un Etat. Un tel Etat devra avoir pour tâche de garantir les acquis de la société transitoire, d'une part contre toute tentative intérieure et extérieure de restauration du pouvoir des anciennes classes exploiteuses et, d'autre part pour maintenir la cohésion contre le danger de déchirement résultant des oppositions entre les différentes classes non exploiteuses qui subsistent en son sein.
L'Etat de la période de transition comporte un certain nombre de différences d'avec celui des sociétés antérieures :
- pour la première fois de l'histoire, c'est un Etat non pas au service d'une minorité exploiteuse pour l'oppression de la majorité mais au contraire au service de la majorité comprenant les classes et couches exploitées ainsi que celles non exploiteuses contre la minorité des anciennes classes dominantes déchues;
- il n'est pas l'émanation d'une société et de rapports de production stables mais au contraire d'une société dont la caractéristique permanente est le constant bouleversement dans lequel s'opèrent les plus grandes transformations que l'histoire ait connues;
- il ne peut s'identifier à aucune classe économiquement dominante dans la mesure où il n'existe aucune classe de ce type dans société de la période de transition;
- contrairement à l'Etat des sociétés passées, celui de la société transitoire n'a plus le monopole des armes. C'est pour l'ensemble de ces raisons et de leurs implications que les marxistes ont pu parler de "demi-Etat" au sujet de l'organe surgissant dans la période de transition.
Par contre, cet Etat conserve un certain nombre de caractéristiques de ceux du passé. Il reste en particulier l'organe du statuquo, chargé de codifier, légaliser un état économique déjà existant, de le sanctionner, de lui donner force de loi et dont l'acceptation est obligatoire pour tous les membres de la société. Dans la période de transition, l'Etat tendra à conserver l'état économique existant, et, de ce fait, l'Etat reste un organe fondamentalement conservateur tendant :
- non à favoriser la transformation sociale mais à s'opposer à celle-ci,
- à maintenir en vie les conditions qui le font vivre la division de la société en classes,
- à se détacher de la société, à s'imposer à elle et perpétuer sa propre existence et à développer ses propres prérogatives,
- à lier son existence à la coercition, à la violence qu'il utilise nécessairement pendant la période de transition et à tenter de maintenir et renforcer ce type de régulation des rapports sociaux,
- à être un bouillon de culture pour la formation d'une bureaucratie, offrant ainsi un lieu de rassemblement aux éléments transfuges des anciennes classes et cadres que la révolution avait détruits.
C'est pour cela que l'Etat de la période de transition a été depuis le début considéré par les marxistes comme un "fléau", "un mal nécessaire" dont il s'agit de "limiter les effets les plus fâcheux" (Engels). Pour l'ensemble de ces raisons, et contrairement à ce qui s'est produit dans le passé, la classe révolutionnaire ne peut s'identifier avec l'Etat de la période de transition.
D'une part, le prolétariat n'est pas une classe économiquement dominante. Il ne l'est ni dans la société capitaliste ni dans la société transitoire. Dans celle-ci, il ne possède aucune économie, aucune propriété même collective mais lutte pour la disparition de l'économie, de la propriété. D'autre part, le prolétariat, classe porteuse du communisme, agent du bouleversement des conditions économiques et sociales de la société transitoire, se heurte nécessairement à l'organe tendant, lui à perpétuer ces conditions. C'est pour cela qu'on ne peut parler ni "d'Etat socialiste" ni "d'Etat ouvrier" ni "d'Etat prolétarien" durant la période de transition.
Cet antagonisme entre prolétariat et Etat se manifeste tant sur le plan immédiat que sur le plan historique.
Sur le terrain immédiat, le prolétariat devra s'opposer aux empiétements et à la pression de l'Etat en tant que manifestation d'une société dans laquelle subsistent des classes aux intérêts antagoniques aux siens. Sur le terrain historique, la nécessaire extinction de l'Etat dans le communisme, déjà mise en évidence par le marxisme, ne sera pas le résultat de sa dynamique propre mais le fruit d'une pression soutenue de la part du prolétariat, conséquence de son mouvement en avant, qui le privera progressivement de tous ses attributs au fur et à mesure de l'évolution vers la société sans classe.
Pour ces raisons, si le prolétariat doit se servir de l'Etat de la période de transition, il doit conserver sa complète indépendance à l'égard de cet organe. En ce sens, la dictature du prolétariat ne se confond pas avec l'Etat. Entre les deux, existe un rapport de forces constant que le prolétariat devra maintenir en sa faveur : la dictature du prolétariat s'exerce par la classe ouvrière au travers de son organisation générale, unitaire, indépendante et armée : les conseils ouvriers qui, comme tels, participent dans les soviets territoriaux (où est représenté l'ensemble de la population non-exploiteuse, et d'où émane la structure étatique), sans s'y confondre, afin d'assurer son hégémonie de classe sur toutes les structures de la société de la période de transition.
1. INTRODUCTION
Personne ne peut nier que la situation actuelle de la lutte de classe est très différente de celle de 1977-78. A cette époque, surtout dans les pays européens, l'apathie et la désorientation régnaient parmi les ouvriers. Des nuages noirs s'amoncelaient à l'horizon : plans d'austérité, licenciements massifs, aggravation dangereuse des guerres impérialistes... Le capitalisme pouvait imposer tout cela sans susciter de riposte particulière de la part de la classe ouvrière. Il n'en est pas de même aujourd'hui : avec l'expérience du mouvement de lutte qui a démarré avec les grèves aux Etats-Unis et en Allemagne au début de 1978, et qui a culminé avec les formidables combats de Longwy et Denain en France au printemps 1979, c'est toute l'Europe qui a été touchée ; on peut affirmer que, face à la crise capitaliste et à sa marche funèbre vers l'holocauste se lève à nouveau le géant prolétarien pour transformer la crise actuelle en une crise révolutionnaire qui ouvre les portes à l'émancipation communiste de toute l'humanité.
Bien sûr, il existe encore beaucoup de doutes, d'hésitations, de méfiance dans les rangs prolétariens ; les ouvriers combatifs eux-mêmes ne sont pas toujours conscients dp l'ampleur et de la portée des luttes qu'ils ont vécues. Les prolétaires n'ont pas encore retrouvé l'enthousiasme et la détermination de la dernière vague révolutionnaire et on peut souvent constater une apathie apparente une certaine désorientation -ce qui est normal aux débuts d'une nouvelle vague révolutionnaire. Comme disait Rosa Luxembourg :
"L'inconscient précède le conscient et la logique du processus historique objectif précède la logique subjective de ses protagonistes"'. ("Marxisme contre Dictature")
Ce rapport, qui exprime la discussion qui a eu lieu dans notre IIIème Congrès International sur l'état actuel de la lutte de classe a un clair objectif pratique et militant : rendre conscients les prolétaires combatifs de la "logique du processus historique", c'est-à-dire, des conditions globales -économiques, politiques, sociales- des luttes vécues, de leur portée et de leurs perspectives. C'est seulement en possédant cette "logique du processus historique" ou, comme disait le "Manifeste Communiste" : "une claire vision des conditions, de la marche et des résultats généraux du mouvement prolétarien", que notre classe pourra renforcer sa confiance en elle-même, renforcer sa détermination et annihiler la puissance de la classe ennemie.
Cependant, il y a encore dans le mouvement révolutionnaire actuel trop d'aveugles qui ne veulent pas ou ne savent pas voir. Tel est le cas du F.O.R. (Ferment Ouvrier Révolutionnaire), P.CI. (Battaglia Comunista) ou PCI (Programa Comunista). Ces groupes s'obstinent à ne pas voir "le pain et le sel" des luttes ouvrières actuelles. Et ce n'est pas de maintenant : ces groupes méprisent les grands combats ouvriers qui ont secoué les cinq continents dans les années 60 et les considèrent comme des escarmouches sans importance.
Précisément, ce rapport nous sert a réaffirmer les axes essentiels qui caractérisent la période historique actuelle face à 1'évidente cécité de ces camarades :
1) Les luttes des années 60 (mai 68, Pologne, Italie) représentent la fin de la période de contre-révolution qu'a subie la classe ouvrière à partir des années 20, ouvrent la perspective d'une nouvelle période révolutionnaire.
2) Le reflux relatif qui a dominé le prolétariat européen à partir de l°73-74 est dû aux faiblesses qui caractérisent la vague des années 60 et à la contre-attaque de la bourgeoisie.
3) Ce reflux n'est en aucune façon une défaite et, par conséquent, il ne remet pas en question le cours révolutionnaire des années 60.
4) Les luttes qui, depuis l'automne 78, se sont succédées dans un grand nombre de pays, et principalement dans les métropoles capitalistes, annoncent la fin du calme précédent et la maturation d'une nouvelle offensive prolétarienne.
Programa Comunista et Battaqlia Comunista commencent à entrevoir quelque chose, tant bien que mal et avec des analyses à contresens, ils commencent à reconnaître l'importance des luttes, mais le FOR continue mordicus dans son aveuglement, dans son mépris olympien des luttes actuelles ; pour lui, ce qui s'est passé en Iran n'est qu'une simple manipulation des Ayatollah et les événements de Longwy et Denain sont complètement récupérés par les syndicats.
Le FOR révèle au grand jour la logique extrême et caricaturale de tous les groupes et militants révolutionnaires qui ne comprennent pas la dynamique les conditions et les caractéristiques de la lutte de classe, qui n'ont pas et n'essaient même pas <' de trouver une perspective concrète du cours historique actuel.
Ne pas voir les perspectives qui se dégagent des "pauvres" et "petites" grèves actuelles, c'est, camarades du FOR, nier "la logique du processus historique", c'est laisser les militants prolétariens au stade inconscient, c'est mettre des obstacles au pas nécessaire vers la conscience. Le FOR défend l'essentiel des positions de classe, mais, à l'heure de la vérité, à l'heure de comprendre la réalité, l'évolution de la lutte de classe, il ne les met pas en pratique. Parce que les positions de classe ne sont pas une bande magnétique qu'on répète comme un perroquet jusqu'à ce qu'elles entrent dans les têtes, parce qu'elles ne sont pas un beau sermon pour convertir les consciences, parce qu'elles ne sont pas un bourrage de crâne pour prosélytes mais sont avant tout et surtout un cadre global pour comprendre la lut-,te de classe, pour voir où on va et comment, par le biais de quel processus et de quelles perspectives ; elles sont 1'instrument pour comprendre la logique du processus historique et agir de façon active et consciente dans sa direction. Défendre de manière générale les positions de classe mais en même temps ne pas voir "le pain et le sel" des luttes actuelles et manquer de toute perspective concrète sur la période présente, comme le font le les camarades du FOR, c'est jeter par dessus bord le précieux trésor qu'elles contiennent pour comprendre la réalité de la lutte de classe et participer en son sein à une direction révolutionnaire, c'est les réduire à une pure idéologie.
Le texte présent, contenant nos conclusions sur :
- les conditions qui ont déterminé le reflux relatif de 1973-78 ;
- les conditions de l'évolution de la crise, de l'approfondissement de la crise politique de la bourgeoisie et de son rapport de force avec lé prolétariat, qui déterminent la fin de ce reflux ;
- le bilan et les perspectives concrètes des luttes vécues depuis novembre 1978, est un appel militant à tout le mouvement révolutionnaire actuel pour un effort pour se donner une compréhension globale du mouvement prolétarien des étapes qu'il a franchies et qu'il devra franchir et être à tout moment conscient d'où nous sommes et vers où nous allons dans le mouvement prolétarien actuel.
2 LE POURQUOI DU REFLUX
Depuis 1973-74, la grande vague de luttes des années 60 a presque disparu des pays du centre du capitalisme, pour laisser la place à un calme social. Pourquoi ce reflux ?
Dans le rapport sur la situation internationale qu'a élaboré notre organisation au début de 1978 (voir R.INT. n°13), il y a une explication générale de pourquoi le mouvement de la classe ouvrière n'a jamais suivi une ligne droite mais une suite de flux et de reflux. Sa caractéristique d'être en dents de scie, d'avancer par à-coups, s'aggrave dans la période de décadence du capitalisme, à cause :
- du totalitarisme étatique qui empêche, soit par la répression, soit par l'intégration -ou souvent la combinaison des deux- l'existence de toute organisation permanente de masse de la classe ouvrière ;
- de l'impossibilité d'obtenir des améliorations et des réformes durables, ce qui empêche toute lutte stable et structurée.
Il faut comprendre le reflux qui a suivi les luttes des années 60 dans le cadre des caractéristiques générales de la lutte prolétarienne, celles-ci étant le produit immédiat :
- des faiblesses de la vague de luttes des années 60,
- de la contre-offensive idéologique et politique de la bourgeoisie.
En ce qui concerne le premier point, on ne va pas faire ici un bilan complet de cette vague de lut tes; il a déjà été fait dans plusieurs textes de notre organisation (voir RI ancienne série, les textes d'AP : "Perspectives mondiales de la lutte de classe" n° 12 et 13 et "Sur l'était actuel de le lutte de classe" n° 18 ; et le texte de la R.INT "Mai 68", n° 14). Ici, nous nous bornerons à :
- rappeler schématiquement les faiblesses essentielles du mouvement des années 60 (illusions sur un économisme radical, rupture fréquente avec la forme syndicale mais pas avec le contenu, relatif isolement des luttes, manque de perspectives) ;
- voir les conditions générales qu'a trouvées cet te vague (niveau encore limité de la crise, rythme lent et inégal de celle-ci, expérience limitée du prolétariat qui part à zéro après cinquante ans d< contre-révolution) pour expliquer à la lumière de celles-ci les racines de ces faiblesses ;
- et, finalement, les comprendre comme partie intégrante de la première étape d'une nouvelle époque révolutionnaire, laquelle, logiquement, à côté d'un formidable potentiel révolutionnaire, traîne beaucoup d'immaturité et de points, faibles.
Il est important de comprendre -et nous abordons par là le second point- que la bourgeoisie a profité consciemment des limitations et des points faibles des luttes de 68 pour passer à une vaste contre-offensive politique et idéologique qui visait à freiner et à tenter de défaire la poussée prolétarienne,
C'est à partir des conditions générales où se trouvent les luttes que la bourgeoisie établit se mystifications et son offensive anti-ouvrière.
Les luttes de mai 68 s'inscrivent dans les premiers stades d'approfondissement de la crise capitaliste (récession de 66-67 et 70-71) qui ne permettent pas encore de deviner la profondeur de l'écroulement du capitalisme sénile et qui, y coït pris lors du mini-boom de 72 (de nombreux pays battirent les records de production d'après-guerre) sont pour ainsi dire le "chant du cygne" de la fameuse "prospérité'.'.
C'est ce contexte de :
- développement lent de la crise,
- rythme différent de ce développement selon les pays, régions et entreprises,
- une tendance générale aiguë au capitalisme d'Etat qui permet, dans un premier temps et pour éviter tout choc frontal avec les ouvriers, de dévie partiellement les effets de la crise vers des secteurs non-prolétariens ou des fractions faibles de celui-ci. Ceci a entravé le développement des lui tes, a constitué le bouillon de culture à la formation de toutes sortes d'illusions dans les rangs ouvriers et a permis la contre-offensive bourgeoise. En effet, le rythme lent de la crise a pour conséquence dans la conscience du prolétariat :
- la difficulté à comprendre la crise du capita1isme,
- les illusions sur les garanties légales, syndicales ou réformistes contre la dégradation des conditions de vie. L'autogestion et le-"pouvoir ouvrier" sont l'expression la plus radicale de c illusions,
- l'illusion selon laquelle, grâce à des pactes sociaux de négociation, la participation à l'administration de la société, on peut pallier à la situation et trouver une issue favorable aux travailleurs,
- une surestimation de la stabilité et de la cohérence du capitalisme. Idée entretenue selon la- quelle la classe dominante peut gouverner éternellement.
Le rythme inégal selon les entreprises, les régions ou les pays a facilité :
- l'illusion d'une solution nationale a la crise, entraînant l'idée de collaboration décelasse et de "sacrifice pour tous",
- la confiance dans des revendications d’entreprises, de secteurs ou de catégories, et la croyance dans des solutions d'entreprises, secteurs, régions...
Enfin, l'accentuation de la tendance au capitalisme d'Etat qui se renforce dès les premiers signes de la crise entretient diverses illusions :
- identifier capitalisme d'Etat et socialisme et présenter les interventions de l'Etat et les nationalisations comme autant de pas vers le socialisme,
- faire passer les mesures indirectes de concentration du capital et de répercussion de la crise sur les couches moyennes et les secteurs anachroniques comme la preuve du caractère "justicier , "social" et "progressiste" de l'Etat,
- donner aux principaux représentants de ces mesures -la gauche et son appareil syndical- une image "ouvrière", et "combative", en présentant les mythes d'un "gouvernement ouvrier" et de 1 union de la gauche" comme "une solution à la crise favorable aux travailleurs".
Cet ensemble de bases matérielles donnent le cadre général du renforcement politique et idéologique de la bourgeoisie gui lui permet de passer à la contre-offensive.
Les faits principaux de cette contre-attaque destinée â freiner les luttes et démobiliser les ouvriers sont :
1) la mystification démocratique qui se présente dans les moments d'agitation sociale à travers "la démocratie directe" et le "pouvoir populaire" et qui redeviennent, lorsque les luttes commencent à diminuer, la "démocratie classique" ;
2) la montée de la gauche au pouvoir présentée comme le "grand changement" pacifique, légal, quoique radical, qui doit solutionner tous les problèmes,
3) la solution nationale à la crise qui exige, au travers de pactes, plans de restructurations, etc. "la solidarité nationale des classes", ce qui justifie le sacrifice des ouvriers.
Facteur actif de ce réarmement idéologique et politique de la bourgeoisie, on a vu la réadaptation de ses appareils syndicaux et de gauche qui, à partir des années 60 (vers la fin des années 60) :
- se "démocratisent" et se "débureaucratisent",
- se "radicalisent" dans leur attitude et intègrent toute la "lutte moderne" : autogestion, "changer la vie",
- proposent de "nouveaux programmes de "changement social" qui associent lutte avec "légalité".
Les gauchistes furent précisément les anticorps sécrétés par la société bourgeoise, chargés dans un premier temps d'immobiliser les luttes et de crédibiliser cette "rénovation" des syndicats et des partis de gauche.
L'Etat bourgeois sclérosé par des années de calme social et trop préoccupé par tous les problèmes de la période de reconstruction dut subir une rapide réadaptation qui lui permit de renforcer son image "d'organe neutre" entre les classes, instrument démocratique pour la participation de tous les citoyens, bref, tout un arsenal qui devait permettre à la bourgeoisie de faire face au renouveau prolétarien.
On vérifie le processus de cette offensive idéologique et politique contre le prolétariat à travers plusieurs faits :
"Dans un grand nombre de pays, particulièrement là où la classe ouvrière a manifesté le plus de combativité est mise en place toute une mystification tendant à démontrer :
- que la lutte ne paie pas,
- qu'il faut un "changement pour faire face à la crise,
- suivant les pays, ce changement prend la forme :
. en Grande-Bretagne, de l'accession des travaillistes au pouvoir à la suite des grandes grèves de l'hiver 1972-73,
. en Italie, "du compromis historique", destiné avec la venue du PCI au gouvernement à "moraliser" la vie politique,
. en Espagne, de la "rupture démocratique" avec le régime franquiste,
. au Portugal, de la "démocratie" d'abord, du "pouvoir populaire" ensuite,
. en France, du "programme commun" et de l'union de la gauche" qui doivent mettre fin à 20 ans de politique de "grand capital". (R.INT. n° 13, "Rapport sur la situation mondiale").
Ce processus de réarmement permit dans un premier temps â l'Etat bourgeois d'isoler les luttes les plus dangereuses pour ensuite liquider l'agitation générale. L'étape suivante devait conduire les luttes dans des impasses, sur des faux terrains, et aboutir à la démoralisation des ouvriers. Ceci a permis aux syndicats de devancer et reprendre en main les luttes en avançant des "simulacres" de luttes pour finir de démobiliser les ouvriers.
A la confiance dans leur force s'est substituée la confiance dans toutes sortes d'actions légales, d'union interclassiste, de programme de gouvernement, etc.
Ceci s'est confirmé en France. Parvenue à dépasser le moment difficile de mai 68, la bourgeoisie a isolé les luttes les plus fortes -par exemple, la grève SNCF de 69- et a laissé pourrir les grèves radicales et isolées de 71 et 72, pour lancer, en 72, 73, 74 -via les syndicats- les fameux "nouveaux mai", moyen de conjuration pour empêcher qu'une telle situation ne se reproduise.
Depuis 75, on a vu une période de calme maximum, durant laquelle toute perspective fut ramenée au sinistre programme commun de la gauche. Les mystifications syndicales et démocratiques ont affaibli et épuisé momentanément le premier cycle de luttes ouvert dans les années 60. Le grave approfondissement de la crise en 74-75, premier signe clair du caractère décisif et mortel de 1'actuelle dépression économique a trompe complètement les ouvriers démobilisés en produisant une phénomène d'aggravation du reflux de la lutte de classe. "La forte aggravation de la crise à partir de 74 essentiellement marquée par l'explosion du chômage, n'a pas provoqué immédiatement une réponse de la classe. Au contraire, dans la mesure où elle a frappé celle-ci au moment du ressac de la vague précédente, elle a plutôt une tendance à engendrer momentanément un plus grand désarroi et une plus grande apathie". (R.INT. n°13, "Rapport sur la situation mondiale").
L'année 77 a marqué un moment des plus durs du prolétariat. Cette offensive capitaliste a eu d'importantes conséquences anti-ouvrières tant sur le terrain économique que sur le terrain répressif.
1)-Sur le terrain économique, si, jusqu'à 75-76, la bourgeoisie fut extrêmement prudente, lente et progressive dans son attaque économique contre la classe ouvrière, une fois celle-ci relativement démobilisée, la bourgeoisie est passée à une offensive brutale, surtout depuis 77 et 78. Aujourd'hui, on peut faire un bilan qui nous montre une chute significative de la situation de la classe ouvrière :
- les salaires qui, jusqu'à 74, avaient, non sans peine, rattrapé l'inflation, ont brutalement chuté et le phénomène d'une diminution absolue s'est généralisé ;
- le chômage a non seulement pris des proportions quantitativement monstrueuses, mais qualitativement, il touche de plus en plus les grandes concentrations de la production,;
- les cadences qui avaient augmenté d'une manière ininterrompue depuis les années 50 se sont subitement accélérées depuis 3 ans ;
- la journée de travail a augmenté de façon constante sous différentes formes : suppression de certaines fêtes, augmentation des horaires. Les revendications syndicales des "35 heures" sont une manœuvre tactique et temporaire qui n'entrave pas ce processus.;
- une diminution sensible des services de la Sécurité Sociale au niveau qualitatif et quantitatif (augmentation des versements, réduction des remboursements) ;
- les pensions de retraite sont diminuées ;
- les fameuses promesses à propos de l'enseignement gratuit, des logements sociaux, etc. ont disparu.
2) Sur le terrain répressif, la sinistre idéologie "anti-terroriste" déployée jusqu'au paroxysme par la bourgeoisie allemande à propos de la "bande à Baader", par la bourgeoisie italienne à propos du cas "Moro" et espagnole à propos de 1"'ETA", a servi pour :
- renforcer l'appareil de répression policier et juridique,
- créer un climat de terreur et d'insécurité.
Le premier a été destiné à prévenir les affrontements de classe inévitables en dotant l'Etat d'un arsenal gigantesque de répression physique et militaire.
Le deuxième cherchait la terreur et la paralysie au sein des ouvriers.
D'une manière générale, ce renforcement de l'Etat par le biais de 1'"anti-terrorisme" a servi à ce que :
"Avant même que la classe ouvrière, à l'exception d'une toute petite minorité, ait compris l'inéluctabilité de l'affrontement de classes violent avec la bourgeoisie, celle-ci a déjà mis en branle tout un dispo&itif pour y faire face". (Revue Internationale N°13. Page 5)
3-CONDITIONS DE LA REPRISE PROLETARIENNE
Les luttes en Allemagne et aux USA au début de 78, la courte mais néanmoins violente succession de luttes de mai-juin en France, le grand mouvement de classe en Iran, la grève des hôpitaux en Italie la lutte dans la sidérurgie en Allemagne, les grèves en Espagne depuis 79 et les grandes luttes de Longwy-Denain en France, la grève du téléphone au Portugal, tout cet ensemble de mouvements de classe peut-il être interprété comme une éprise effective de la lutte de classe ? Peut-on le voir comme un nouveau jalon dans l'époque révolutionnaire ouverte par les grèves de 68 ?
La prudence est nécessaire. On ne peut se lancer dans une évaluation prématurée. Mais il serait équivoque de se laisser paralyser dans l'indéfini et le possibilisme. Il est nécessaire de prendre position et dire avec clarté dans quel contexte s'inscrivent ces luttes et quelles perspectives elles ouvrent. Mieux vaut une position erronée que la sécurité de positions vagues, éclectiques et attentistes-.
La prise de position claire et décidée comporte des risques mais elle est obligatoire afin que les révolutionnaires accomplissent leurs tâches de facteur actif dans la lutte de classe.
La grande crainte qui peut nous assaillir est : ces mouvements de grève ne sont-ils pas les dernières flammes de la résistance prolétarienne ?
Ce serait du pessimisme que de s'incliner devant cette théorie. La faiblesse qu'ont manifesté ces luttes -leur difficulté très grande encore à s'étendre (sauf la Grande-Bretagne, l'Iran et la France), l'apparent contrôle syndical, le manque, en général, d'apparition de formes d'auto-organisation ... tout cela est utilisé par les pessimistes de tout bord pour nous dire "il n'y a pas de reprise, ce sont simplement les derniers soubresauts".
Pour répondre à cette question, il est nécessaire de rappeler clairement un point théorique général la direction que prend la lutte du prolétariat ne peut se mesurer à travers ses formes de combats e d'organisation en soi.
Le critère est erroné qui dit : pour leur extension, les grèves actuelles présentent des formes d'organisation et de combat d'un niveau plus bas que celles de 68 ; donc, nous assistons à un recul.
C'est certain qu'au niveau tant qualitatif que quantitatif, les grèves actuelles sont plus faibles que celles de 68, mais il est faux d'en conclure à un recul. L'expérience montre que, quand surgit une avalanche de luttes prolétariennes, elles mettent un certain temps à renouer avec les formes de combat, le contenu et l'organisation maximum des luttes antérieures.
Pour cela, le plus important à voir est le contexte général et social des luttes qui comprend l'évolution de la crise et l'évolution du rapport de forces entre les classes.
L'erreur des autonomes et autres courants qui considèrent les luttes ouvrières en elles-mêmes comme si elles étaient indépendantes de la réalité sociale, oublient que le prolétariat n'est pas dans le capitalisme un être en soi, mais que son action naît d'un ensemble de conditions engendrées par le mouvement général du capitalisme. Son autonomie de classe ne réside pas dans le fait qu'elle serait une classe indépendante des conditions imposées par le capitalisme, mais qu'à l'intérieur de celui-ci, elle s'oppose et se constitue en une force révolutionnaire pour le détruire.
C'est pour cela que nous ne pouvons répondre à la question que nous nous sommes posés dans ce chapitre.que de la façon suivante :
1) en considérant que le reflux de 1973-78 a été un reflux relatif qui n'a pas signifié une défaite décisive du prolétariat mais une phase de calme et de repli laissant présager de nouveaux assauts prolétariens ;
2) en analysant les conditions globales qu'affrontent les luttes (développement de la crise, impact des armes politiques et idéologiques de la bourgeoisie) ;
3) en dressant un bilan des luttes vécues depuis novembre 1978 dans toute l'Europe qui marquent de façon de plus en plus claire la reprise du prolétariat.
Nous allons développer ici le premier et le deuxième point, le troisième fera l'objet du prochain chapitre.
1) Dans AP n° 18, nous expliquions pourquoi le calme social ne pouvait être identifié à une défaite du mouvement :
"Que signifie ce repli? Marque-t-il une défaite définitive du prolétariat ? Y a-t-il changement du cours qui élimine tout espoir de révolution? Une analyse globale et mondiale de la lutte de classe nous permet d’affirmer que nous nous trouvons dans une phase de repli temporaire du prolétariat, mais non face à une défaite décisive qui mettrait fin à la perspective révolutionnaire ouverte dans les années 60 :
1) Le prolétariat n'a subi aucune défaite décisive dans aucun pays. Y compris les défaites partielles les plus importantes comme celles du Chili, de l'Argentine ou du Portugal n'ont pas écrasé les luttes qui devaient ré émerger avec force en 77, surtout en Argentine.
2) La bourgeoisie ne peut se lancer dans une attaque totale et définitive contre le prolétariat, en premier lieu parce que la crise économique n'a pas atteint le niveau extrême qui l'obligerait à imposer une économie de guerre basée sur une austérité draconienne. En second lieu parce que la bourgeoisie s’est davantage efforcée ces dernières années à préparer son attaque, plutôt qu'à la lancer de manière définitive. Pour cela, il n'a toujours pas été livré de bataille décisive entre bourgeoisie et prolétariat.
3) Malgré le reflux dans les pays du centre du capitalisme, la lutte prolétarienne s'est développée avec force dans les pays périphériques. Malgré leurs faiblesses, ces luttes sont d'une grande importance pour le prolétariat mondial :
- en démontrant que, dans les pays où l'exploitation a atteint des limites extrêmes, le prolétariat est loin de tout accepter et de se sacrifier ;
- en Algérie, au Maroc, Egypte ou Israël, les grèves ont momentanément freiné la guerre impérialiste ;
- enfin, elles ont contribué à la prise de conscience des bases objectives de l'unité mondiale de la classe ;
4) Même en Europe, malgré le contexte général de calme, de fortes luttes ont surgi "quoique isolées" et sporadiques, chacune est importante comme celles d'Espagne et de Pologne 76... Les grèves qui ont commencé en Allemagne et celles des USA (mineurs) ont également une valeur". (Accion Proletaria N°18)
Un des signes qui montre de manière concluante le caractère relatif du reflux prolétarien est le résultat limité et les faibles impacts qu'ont eu les forces de gauche au sein du prolétariat. Si 1 'on compare avec les années 30, on ne peut que constater des différences absidales. A cette époque, et de manière pratiquement majoritaire, la gauche et les syndicats sont parvenus à mobiliser l'enthousiasme et l'adhésion volontaire des ouvriers derrière la politique criminelle de l'an-ti-fascisme, le front populaire, la défense de la démocratie, etc.
Aujourd'hui, de tels cauchemars paraissent être exclus de l'histoire. La gauche et les syndicats se sont imposés non avec l'enthousiasme et l'adhésion consciente des prolétaires, mais par manque de perspectives et parce qu'ils n'ont rien d'autre en vue. Cela signifie deux choses :
a) une base très précaire pour le contrôle de la gauche et des syndicats sur le prolétariat,
b) que nous sommes loin d'une période de défaite du prolétariat qui est la base matérielle de l'atomisation et de la "débandade" dont la conséquence est l'adhésion désespérée au programme de la bourgeoisie.
D'une manière générale, on peut dire que la classe suit les propositions syndicales et de gauche sans grande confiance, sans trop se faire d'illusions et comme un moindre mal.
Ceci est positif à condition de se transformer ensuite en un progrès de la lutte et de la prise de conscience. A ce propos, on peut voir que le grand "lavage de cerveau" qu'ont constitué les élections en France en mars 78, loin d'avoir intimidé, a impulsé les explosions de luttes de mai-juin 78. Avec la prudence nécessaire, on peut dire que le grand mythe de l'union de la gauche et du programme commun est mort plus vite que prévu.
Parallèlement à ce qui précède, il faut noter que, dans une période de reflux, la lente maturation de la conscience de classe se poursuit. On n'a pas vu disparaître les noyaux ouvriers, les cercles de discussions, les groupes d'action; quoique dispersés et très confus, ils ont exprimé un effort de conscience du prolétariat. De la même manière, les relativement fréquentes "crises des militants à la base" de plusieurs groupes gauchistes et même des centrales syndicales ont révélé une tendance contradictoire mais réelle à 1'éloignement de fractions du prolétariat du contrôle idéologique de la bourgeoisie. Y compris dans certains groupes gauchistes s'est développée une crise idéologique à l'issue de laquelle de petites fractions sont sorties, avec plus ou moins de résultats pour tenter de rejoindre des positions révolutionnaires.
Enfin, les groupes révolutionnaires, expression la plus avancée de la conscience de classe, se sont développés, ont retrouvé leurs forces, ont fortifié leurs positions programmatiques et ont étendu le terrain et l'impact de leur intervention. Quoiqu'ils manifestent encore de grandes faiblesses et quoiqu'ils soient encore ultra-minoritaires, leur progression est un témoignage clair des progrès de la conscience de classe.
Comme Marx l'a dit, la conscience de classe est comme une taupe qui, lentement, dans le sous-sol de la société, ronge les fondements politiques et idéologiques de la bourgeoisie, on perçoit son souffle mais elle tarde à sortir en plein jour. Son existence n'en est pas moins indiscutable. Dans les périodes de calme social, il y a une sombre apparence de passivité, d'apathie, d'hésitation dans les rangs ouvriers. La bourgeoisie, classe basée sur l'échange, et, par conséquent, spectatrice et active par nature, donne une impression de domination, de contrôle de la société, ce qui ne correspond pas à la réalité. A la base, chez les exploités, les doutes, le manque de confiance et les intuitions sont toujours présents.
Des événements plus significatifs, des luttes ouvrières plus décidées et l'activité des révolutionnaires vont transformer ces entraves en certitudes, conclusions, programmes d'action. Tôt ou tard, l'édifice monolithique de l'ordre bourgeois vacillera sous une nouvelle avalanche de luttes prolétariennes.
Voilà un début de réponse à la première question que nous nous posions. Une conclusion se dessine : le reflux est momentané. Les embryons de lutte et de conscience qui lui ont répondu permettent de supposer sa disparition et un nouvel assaut prolétarien.
2) Répondons maintenant à la deuxième question.
Nous avons assisté depuis 1974-75 à une aggravation importante de la crise capitaliste. Les illusions de la soi-disant reprise de 75 ont donné lieu à une augmentation explosive du chômage et à une dégradation générale du niveau de vie des ouvriers, le chômage a atteint des branches clés de la production, la sidérurgie, les arsenaux, le textile, la métallurgie... et a entraîné les pays principaux Allemagne, France, USA. Il a cessé d'être réservé à des secteurs marginaux ou périphériques de la classe ouvrière -ce qui empêchait celle-ci de prendre conscience de sa gravité- pour attaquer les grandes concentrations du prolétariat, les centres vitaux de la classe.
Cette avance de la crise est un des facteurs fondamentaux de la lutte de classe. Elle ouvre les yeux à la nécessité de se défendre, et mine le fondement des promesses, programmes et solutions que nous assène continuellement la classe dominante
Mais, est-ce la crise, en elle-même, qui est la condition suffisante pour 1 'explosion de la lutte de classe ?
Non ! La crise détermine un ensemble de convulsions de tout l'ordre bourgeois et la révolte de la classe ouvrière, mais il est nécessaire de savoir à quel niveau est arrivée cette convulsion de l'ordre social et quel est le degré d'autonomie du prolétariat.
Une deuxième condition pour la lutte de classe est la crise politique de la classe dominante. Par principe général, la bourgeoisie n'est pas et ne sera jamais une classe avec des intérêts unitaires ; son intérêt d'ensemble -l'exploitation de l'ouvrier- engendre une lutte constante pour la répartition de la plus-value : la bourgeoisie est divisée en mille intérêts particuliers, déchirée par des heurts entre ses diverses fractions. La tendance générale vers le capitalisme d'Etat propre à la période décadente du système n'a pas unifié, ni homogénéisé la bourgeoisie, éliminé ses conflits internes, au contraire, elle les a amplifiés, elle leur a donné une caisse de résonance plus vaste avec des implications dans tous les domaines de l'activité sociale de l'Etat.
En réalité, les conflits internes, du capital pouvaient être atténués et limités pendant que le système était en expansion vers des aires non capitalistes, développant ses tendances innées vers la socialisation, et l'universalisation des marchandises. Mais, quand ce processus atteint les limites objectives -début du 20ème siècle, décadence- et quand les conflits internes de la bourgeoisie se multiplient et se radicalisent, le capitalisme d'Etat apparaît dans ce contexte comme une tentative désespérée pour les limiter, à travers une concentration nationale forcée du capital, qui, loin d'y arriver, même s'il y arrive momentanément- les amplifie, ou les retarde uniquement pour les aggraver.
Le développement accentué des conflits internes de la bourgeoisie s'exprime dans ses constantes crises politiques qui convulsionnent son appareil gouvernemental, ce qui signifie :
1) l'affaiblissement de la force et de la cohésion de l'Etat qui voit diminuer son autorité, surtout sur les exploités;
2) la désunion et la dispersion de la bourgeoisie, mettant en évidence les divisions et contradictions qui la désagrègent;
3) la viabilité et la cohérence des programmes et alternatives du gouvernement de la bourgeoisie restent enfermées dans des compromis et arrangements visant la conciliation de divergences de plus en plus insurmontables ;
4) l'impact des mystifications anti-prolétariennes est ébranlé à sa base par les intérêts en conflit, les manœuvres, les sales combines qui annulent leur crédibilité. La crise politique de la bourgeoisie, conséquence générale de la crise historique du capital, facilite le surgissement de la lutte de classe, étant donné qu'elle :
- démontre l'incapacité de la bourgeoisie de "gouverner comme avant",
- rompt la peur et la passivité des ouvriers,
- prouve la faiblesse et le manque d'autorité de la bourgeoisie, et anime, pour autant, la lutte contre elle.
La deuxième condition de la lutte de classe, la crise politique du capital, est un facteur nécessaire mais non suffisant, il manque la troisième condition : le propre développement préalable de la lutte prolétarienne, son rapport de force avec la bourgeoisie.
Si le prolétariat est préalablement défait et est complètement atomisé et aplati, ni le développement de la crise économique, ni la crise politique de la bourgeoisie ne peuvent aider à la lutte de classe ; au contraire, ils se convertissent en un moyen de dévoiement et d'annihilation de la lutte.
Un prolétariat écrasé et atomisé reçoit la crise économique comme un mobile de plus de démoralisation et de déroute. La crise se convertit en un facteur aggravant de sa dégradation et de sa désagrégation comme cela s'est passé pendant la crise de 29.
Par contre, un prolétariat en développement, qui n'a pas été défait, et dont les expériences sont récentes, reçoit la crise comme un élément d'indignation et de compréhension de la misère de l'ordre bourgeois, de détermination à la lutte. La crise se transforme en un facteur de mobilisation et de combat, comme cela s'est passé, jusqu'à un certain point, dans la crise révolutionnaire de 17. De la même façon, si le prolétariat se présente défait et atomisé, les crises politiques du capital, loin de réveiller sa conscience, sont utilisées par la classe dominante pour 1'encadrer et le mystifier par une des fractions du capital en conflit. Les années 30 ont vu comment le prolétariat était transformé en chair à canon dans les luttes internes de la bourgeoisie a travers les "fronts populaires", le "socialisme dans un seul pays" ou la "défense de la démocratie contre le fascisme". C'est précisément cet encadrement complet du prolétariat qui a permis la limitation des conflits entre les diverses fractions bourgeoises. Mais, au contraire, les tendances non écrasées du prolétariat vers son indépendance politique et son unité de classe qui peuvent être en recul, et pouvaient donner l'impression d'avoir disparu, s'accentuent devant la crise politique de la bourgeoisie, se transformant en un facteur de révolte et de désobéissance, d'absence de prestige de la classe dominante, d'animation de la lutte et de recherche des alternatives prolétariennes.
Nous disions que trois grandes mystifications ont réussi à immobiliser le prolétariat et à freiner son offensive de lutte dans les années 68. Ces mystifications sont :
- la gauche au pouvoir,
- la solution nationale à la crise,
- l'idéologie démocratique et anti-terroriste.
Aujourd'hui, nous pouvons voir que tous les aspects combinés de la crise, des convulsions politiques de la bourgeoisie et la non-défaite du prolétariat, font que le poids de ces mystifications va en se réduisant, et lentement apparaissent les conditions pour que le prolétariat s'en 1ibère.
Dans toute une série de pays, la solution "gouvernement de gauche", comme formule d'encadrement et de mystifications du prolétariat est, au moins, momentanément très usée. Nous ne doutons pas que. la bourgeoisie peut la revivifier sous de nouveaux habits, et dans les pays où il y avait peu d'expérience d'une telle solution (en Espagne par ex.) où ceux où la gauche réalise une ample "cure d'opposition" (au Portugal par ex.), elle peut encore être ressortie avec un certain succès. Mais ce qui est hors de doute, est que "l'union de la gauche" a perdu beaucoup de crédibilité à travers toute une série d'échecs :
- En France : l'échec du programme, commun a porté un très fort coup aux illusions sur 1'électoralisme, et sur son caractère "ouvrier" et "progressiste" qui se maintenait dans la classe. Nous ne croyons pas que, au moins immédiatement, la cure d'opposition du PCF sur des bases ultranationalistes puisse avoir une force de mobilisation.
- En Angleterre : deux gouvernements travaillistes en douze ans liés à de durs blocages de salaire et à des mesures anti-ouvrières de tous types, commencent à détériorer la confiance dans le travaillisme. La solution de rechange -la gauche travailliste- n'offre pas, au moins pour le moment, une perspective claire.
" En Allemagne : dix ans de social-démocratie ont déprécié, lentement mais effectivement, les alternatives de gauche ; ses mesures "anti-terroristes" ses attaques de la condition ouvrière et l'impact des luttes ouvrières de 1^78 et 79, sont allées en affaiblissant son influence sociale.
De façon globale, deux grands faits minent la crédibilité des alternatives de gauche vis-à-vis de la classe ouvrière :
a) le discrédit progressif des cirques électoraux,
b) les besoins qu'impose à la gauche la crise politique générale de la bourgeoisie.
Le parlement et les élections ont récupéré leur attraction de façon relative entre 72 et 78. Devant un développement non encore décisif de la crise, devant la nécessité d'alternatives globales et politiques, il y eut une certaine renaissance de la confiance dans 1'électoralisme chez les ouvriers. L'expression la plus claire de cela était le programme commun de la gauche française. Son écroulement rapide et son échec ultérieur sont précisément les signes d'un changement de tendance et du développement au sein de la classe ouvrière de la compréhension du caractère mystificateur et anti prolétarien du parlementarisme et de l'électoralisme. Nous pouvons voir une certaine confirmation encore non absolue, de cette tendance dans le développement des abstentions enregistrées dans les élections espagnoles.
Il y a un deuxième facteur qui a miné le prestige de la gauche dans les rangs ouvriers : c'est la politique qu'elle s'est vue obligée de mener devant le développement des conflits internes de la bourgeoisie, tant /au niveau mondial qu'à l'intérieur de chaque pays.
Au niveau mondial, l'alignement inévitable des pays centraux du capitalisme à l'intérieur du bloc occidental a privé les PC d'un puissant mobile de mystification de la classe ouvrière : le mythe de "pays socialistes" et son corollaire, le "socialisme dans un seul pays" qui a fait tant de mal à la classe ouvrière.
Le fameux "eurocommunisme" qui s'était cristallisé dans l'abandon de la "dictature du prolétariat", de "1’internationalisme prolétarien" et autres paravents idéologiques, s'est retrouvé, comme nous l'avons montré dans d1autres textes du CCI, par le fait que les PC sont les représentants les plus fidèles du capital national comme un tout, devant la nécessité -l'unique option possible à moyen terme étant, dans la majorité des pays du centre, le bloc américain- de prendre plus ou moins fortement leurs distances avec le bloc russe. Tout cela les a obligés à un changement de langage! Mais ce changement de langage avait des conséquences de plus en plus importantes en ce qui concerne l'encadrement du prolétariat, vu que les nouveaux thèmes qui remplacent les anciens manque de force combative et de contenu concret. "Socialisme dans la liberté", "consolidation et approfondissement de la démocratie", "union nationale" ont un poids mystificateur très inférieur à "socialisme dans un seul pays", "dictature du prolétariat" ou "internationalisme prolétarien", face à l'avance de la crise et au développement de la lutte de classe.
Au niveau des conflits internes de la bourgeoisie de chaque pays, les obligations de maintenir à tout prix la cohésion du capital national ont contrainte la gauche à faire des "concessions" aux secteurs plus retardés ou plus liés aux intérêts particuliers du capital national. Ces concessions ont impliqué dans la gauche un langage plus "conciliateur" et moins de "luttes de classe", et a débilité ses vieux slogans mystificateurs ("capitalisme d'Etat = socialisme", "droite = capitalisme") et a amené, de plus, la gauche à améliorer ses relations avec l'Eglise, l'armée, les "fascistes" et toutes sortes de fractions et institutions du capitalisme plus ouvertement contre-révolutionnaires. Tout cela prive la gauche de son langage "retentissant" et de "dénonciation", perdant lentement la cohérence et la solidité de ses vieux engrenages mystificateurs.
On commence à observer un changement, avant tout au niveau des positions qui lui permet de se donner un langage "ouvrier combatif", essentiellement destiné à encadrer et mobiliser idéologiquement le prolétariat. Cependant, il n'y a pas lieu d'exagérer les possibilités de succès de ce mouvement/ malgré l'énorme "enthousiasme" avec lequel le reçoivent les gauchistes. La gauche se voit déchirée entre :
- d'un côté, son poids, chaque fois plus important au sein du capital national, dû essentiellement au développement de la crise, et la tendance au capitalisme d'Etat, ce qui l'oblige à de plus grands compromis, directs ou non, avec le gouvernement du capital national qui, nécessairement, la pousse à une politique "modérée", "conciliatrice", "eurocommuniste" ou. de "solidarité nationale" ;
- mais, d'un autre côté, la nécessité d'encadrer et de mystifier le prolétariat les oblige à une cure d'opposition et à un langage combatif, tout cela dans le contexte général d'une très forte usure de tous ces vieux thèmes de mystifications des années 30.
Les équilibres et les virages auxquels se voient contraints les partis de gauche rendent de plus en plus difficile leur impact mystificateur dans la classe, et plus encore, si la lutte de classe tend à se développer.
Il est démontré que toute mystification ne se fait pas dans le vide, n'est pas comme une drogue qui s'administre à volonté ; au contraire, pour s'imposer dans la classe ouvrière, la mystification doit se fonder sur des nécessités et des problèmes réels auxquels elle donne une interprétation, une version, une alternative totalement idéaliste, dans le cadre du camp bourgeois. Ce sont précisément toutes les analyses faites précédemment qui nous permettent de voir que peu à peu vont s'écroulant les bases matérielles des mythes "gouvernements de gauche", "union des partis ouvriers" qui sont d'importantes colonnes de l'ordre bourgeois contre la classe ouvrière.
Le grand mythe de la possibilité d'une solution nationale à la crise a été l'arme la plus forte pour :
- empêcher la lutte indépendante du prolétariat,
- inculquer dans ses rangs la nécessité du sacrifice et de l'austérité.
La base matérielle d'une telle mystification, nous l'avons vue dans le chapitre antérieur : le rythme lent et inégal de la crise selon les pays. Cependant, ce rythme lent et inégal de la crise est en train de disparaître. L'importante accélération de 74/75 a cédé le pas à un effondrement pur et simple sans perspective visible de récupération alors même que se développent les conditions de nouvelle aggravation de la crise.
En premier lieu, ces accélérations et cet effondrement pur et simple effacent les illusions et les espoirs potentiels que beaucoup d'ouvriers peuvent avoir ; devant eux, l'horizon est toujours plus noir, et ils comprennent de plus en plus que l'unique perspective qu'offre le capitalisme est une réédition, en pire, des temps de la 2ème guerre mondiale et de 1'après-guerre de nos aines, à qui on avait justement dit que ces maux étaient la promesse d'une éternelle prospérité.
En deuxième lieu, les ouvriers des pays, régions ou entreprises les plus prospères voient tomber leur niveau de vie au même niveau, ou presque, que celui de leurs camarades moins fortunés. Nous avançons vers une égalisation de la misère des ouvriers de tous les pays, entreprises et régions. C'est une tendance qui s'affirme de plus en plus et qui enlève toute base réelle aux mystifications de solutions nationales, régionales, techniques, d'étatisation, etc. Au contraire, se développent les conditions générales pour l'unification et l'internationalisation des luttes.
L'internationalisation effective des luttes est un des faits les plus marquants de la vague de combativité ouvrière dans les pays du centre -vague encore faible et limitée- que nous analyserons dans le chapitre IV.
Troisième grand axe de l'offensive idéologique du capital contre le prolétariat, la mystification démocratique et anti-terroriste perd lentement de son impact anti-prolétarien. C'est en Allemagne, en 77, que se sont produits les moments les plus historiques de la campagne anti-terroriste du capital, et où celle-ci est passée de l'intoxication idéologique à la mobilisation politique concrète des ouvriers. Il y a eu des grèves en signal de deuil pour la mort du patron Schleyer. Les grèves devaient être réduites à des actions symboliques d'une à cinq minutes par les ouvriers; comme l'ont signalé nos camarades allemands, les ouvriers en ont profité pour bavarder ou fumer une cigarette. Quelques mois plus tard, se sont produites les grèves de janvier-avril 78 qui ont révélé que les "poisons" anti-terroristes avaient eu un impact bien moindre que ce qu'on attendait. En Italie, les moments les plus intenses de la campagne anti-terroriste ; se situent pendant la séquestration d'Aldo Moro en avril 78. Les camarades italiens ont signalé le même phénomène : passivité des ouvriers devant les appels à la grève et aux manifestations, développement de la conscience de classe, sous la forme de cercles ouvriers qui prennent leurs distances aussi bien vis-à-vis de l'idéologie anti-terroriste que du mythe "ouvrier combatif" = "ouvrier armé", etc. La grande grève des hôpitaux d'octobre 78 a justement été un signe prometteur de reprise prolétarienne en Italie. En Espagne, la gigantesque campagne anti-terroriste déployée par tout l'Etat bourgeois, racine des prouesses de l'ETA, a enregistré une retentissante banqueroute politique, annoncé la faillite du référendum constitutionnel et des élections législatives. Ainsi, la manifestation convoquée après une campagne hystérique par les CO, 1'UGT, etc. eut une faible participation, et il n'y eut pas moyen d'organiser des grèves, des assemblées... L'échec relatif, au moins momentanément, de l'idéologie démocratique et anti-terroriste n'est rien d'autre que le fruit de l'évidente décomposition de l'idéologie bourgeoise et, par suite, du caractère gangster et de racket que prennent tous les affrontements internes à la bourgeoisie. Les luttes intestines ne peuvent plus, ainsi, se présenter aussi facilement qu'avant sous les habits d'un grand idéal moral capable de mobiliser le prolétariat et l'ensemble de la population.
En ce qui concerne ce troisième point, l'emploi de nouvelles mystifications partielles aura une importance capitale comme nous venons de le voir, en combinant mystification et répression. Un des plus importants problèmes qu'affronte la bourgeoisie est la recrudescence du choc prolétariat-syndicats.
Après avoir récupéré l'initiative entre 1972-78, le bastion syndical de la bourgeoisie parait entrer de nouveau dans une période d'usure et d'affrontement violent avec les ouvriers. Les indices visibles dans la grève des hôpitaux en Italie, commencent à se retrouver, encore très partiellement et très faiblement en France, en Angleterre, en Espagne, etc. Les syndicats ont-ils des bases nouvelles pour s'affronter idéologiquement au prolétariat ?
Comme en général ses mères-partis, les syndicats réalisent des cures d'opposition dans un grand nombre de pays. De telles cures d'opposition leur permettent de récupérer leur image de marque "combative" et "ouvrière", laquelle va leur donner durant un certain temps une capacité pour prendre la tête des mouvements de grèves et les utiliser, avec plus ou moins de succès. Même s'ils ne peuvent rompre les mouvements les plus radicaux, ils tenteront, au moins, et par tous les moyens, de maintenir l'idée que les syndicats sont à la queue des luttes, mais qu'ils sont avec elles. Un mythe oui peut, prendre force est que syndicats et assemblées ou conseils ouvriers ne sont pas incompatibles.
Une autre tendance qui commence à se dégager est la distance qu'ils prennent par rapport aux partis et à la politique. Les courants du syndicalisme "révolutionnaire" et de 1'"anarcho-syndicalisme" peuvent reprendre une certaine splendeur, comme dernier effort de l'appareil syndical, pour récupérer son ancienne force. La renaissance de la CNT ou de la USI en Italie n'est nullement un mouvement vers des positions prolétariennes du syndicalisme, mais un replâtrage de l'édifice syndical du capital pour mieux affronter le prolétariat.
Finalement, les tendances vers un syndicat unique sont aujourd'hui un autre élément qui, bien que très usé, commencent à se présenter comme "garantie" d'un syndicalisme "efficace" et "combatif".
Aussi pouvons-nous dire que nous assistons non seulement à la déroute des mystifications bourgeoises qui ont coupé momentanément la renaissance prolétarienne de 1965-72, mais encore, à un niveau historique, que nous assistons à un début d'effondrement de tous les mythes de 50 années de contre-révolution ; nous ne pouvons pas dire que le poids de tant de campagnes de tromperies peut disparaître sans laisser de traces du jour au lendemain. Au contraire, leurs effets pernicieux vont se maintenir encore au sein du prolétariat. Les idéologies et les mystifications naissent de relations capitalistes de production, aussi, -provenant de ces dernières-, elles se convertissent en un facteur actif de conservation et de défense du régime de telle sorte qu'elles acquièrent un certain degré d'autonomie relative, laquelle leur permet de survivre durant un certain temps et à des niveaux déterminés, à l'ébranlement des conditions sociales qui les ont engendrées et les ont rendues possibles.
De là le poids de l'intense "lavage de cerveau" de ces dernières années d'offensive idéologique de la bourgeoisie et tous les reflets théoriques et idéologiques liés aux 50 années de contre-révolutions qui vont être encore très forts et mineront la base, la puissance de beaucoup de luttes ouvrières:
"Les hommes font leur propre histoire mais ils ne la font pas arbitrairement dans les conditions choisies par eux, mais dans les conditions directement données et héritées du passé. La tradition de toutes les générations mortes pèse d'un poids très lourd sur les cerveaux des vivants. Et même quand ils semblent occupés à se transformer, eux et les choses, à créer quelque-chose de tout-à-fait nouveau, c'est précisément à ces époques de crise révolutionnaire qu'ils évoquent craintivement les esprits du passé, qu'ils leur empruntent leurs noms, leurs mots d'ordre, leur contenu, pour apparaître sur la nouvelle scène de l'histoire sous ce déguisement respectable et avec ce langage emprunté". (Marx, "Le 18 Brumaire")
Les effets de ces "générations mortes" vont être considérables et vont peser très lourdement dans le renouvellement prolétarien, effets qui s'usent aujourd'hui très lentement :
- pendant un certain temps, le décalage entre la gravité de la crise et la force de la réponse prolétarienne continuera,
- il y aura encore un puissant décalage entre la force objective du 'mouvement et la conscience de cette force,
- le décalage plus grand que par le passé entre les dimensions et la force des organisations révolutionnaires et la maturation des conditions pour la révolution continuera également.
Mais nous ne devons pas perdre de vue que toutes les contre-tendances que nous venons de signaler n'annulent pas le cours général vers une nouvelle tentative de révolution prolétarienne mondiale ouverte dans les années 60. Plus encore, la reconnaissance consciente et globale de tous les dangers, risques et faiblesses, qu'affronte notre classe doit être la base matérielle pour les affronter et les éliminer.
Une autre conséquence à tirer du constat du poids des "générations mortes" est que, non seulement nous le souffrirons jusqu'au bout dans les tentatives du renouement prolétarien qui mûrit aujourd'hui mais surtout qu'il sera un facteur puissant et négatif dans une période d'insurrection et de révolution. Ce poids des "générations du passé" fondera la base matérielle de toutes les forces qui tenteront de dévier, diviser, miner et affaiblir la révolution prolétarienne. Ces forces constitueront la 5ême colonne du capital contre le prolétariat révolutionnaire.
De là, la chute lente que nous voyons aujourd'hui de l'idéologie et des mystifications bourgeoises, ne rend pas inutile et superflu sa dénonciation la plus intransigeante, patiente, tenace et détaillée ; aujourd'hui, comme hier, 1'arme de la critique continue d'être la préparation nécessaire pour la critique par les armes du criminel ordre capitaliste.
4-BILAN DES DERNIERES LUTTES
Avant de définir les perspectives qui ressortent de l'ensemble des conditions analysées, il serait nécessaire de faire un bilan des vagues prolétariennes d'Octobre-Novembre 1978 et de Janvier-Mars 1979 qui motivent sa considération comme indices d'un renouement général de la lutte de classe. Ce bilan ne peut-être que provisoire et limité étant donné qu'il nous manque un recul suffisant et que beaucoup de ces luttes ne sont pas encore terminées. Les leçons les plus importantes à tirer sont :
1) La première et principale : 1'internationalisation objective des luttes.
Grèves d'importance relative, bien sûr, mais dont certaines, comme celle d'Angleterre, ont secoué simultanément les pays centraux du capitalisme : Angleterre, France, Allemagne, Espagne, Italie, USA. D'autre part, la réémergence du prolétariat des pays centraux s'est vue accompagnée par la continuation des luttes dans des pays périphériques : Iran, Maroc, Mexique, Arabie Saoudite, Zaïre, Polynésie, Jamaïque... qui sont les exemples les plus récents. Cristallisant la reconnaissance de cette internationalisation par la classe, nous voyons comment en Belgique et au Luxembourg, eurent lieu des grèves de solidarité avec les sidérurgistes en Lorraine. Sans être la manifestation la plus adéquate de la solidarité internationale du prolétariat, elle en est pour le moins une tentative très importante. Il y a une leçon générale .de cette internationalisation : l'agitation internationaliste, la défense de l'internationalisme vont reposer chaque fois plus sur des expériences et des faits concrets relativement immédiats, cessant d'être des questions "théoriques" ou lointaines comme elles apparaissaient jusqu'à présent.
Nous disions dans le rapport sur la situation mondiale de Janvier 1978 qu'une des manifestations du prochain resurgissement prolétarien devrait être : "Une plus ample conscience du caractère international de la lutte qui pourrait se traduire dans la pratique par des mouvements de solidarité internationale, de l'envoi de délégations d'ouvriers en lutte d'un pays à un autre (et non des délégations syndicales)".(Revue Internationale N°13.) Jusqu'à un certain point et encore avec beaucoup de limites, cette tendance commence à se dessiner à l'horizon.
2) Reprise de l'affrontement ouvert prolétariat-syndicats
L'appareil syndical très fustigé par les coups de la première vague prolétarienne des années 60, a pu refaire son image de marque, profitant avec adresse des faiblesses de cette vague prolétarienne et restaurer un contrôle assez fort sur les ouvriers à partir de 1972.
Des dernières luttes, nous pouvons dire : petites mais pleines de promesses.
- des luttes extra-syndicales apparaissent.
- l'initiative autonome des ouvriers réapparaît sans attendre l'invitation syndicale.
- des chocs frontaux commencent à apparaître entre prolétariat et syndicats.
Ces trois tendances, évidemment liées entre elles, sont minoritaires dans l'ensemble des luttes, mais /par l'exemple qu'elles supposent, par la force ; qu'elles ont prises et par la dynamique qu'elles M paraissent ouvrir, leur poids qualitatif est très supérieur à leur faible poids numérique, La rupture et l'affrontement du prolétariat avec les syndicats vont être un processus très pénible et, jusqu'à un certain point et durant toute une période vont se convertir en l'axe central de la bataille de classe.
Nous disions que ce processus va être pénible parce que les syndicats sont, comme on le sait, le principal bastion de l'ordre bourgeois contre la classe ouvrière, et leurs armes de tromperie et contrôle tendent à être des plus raffinées, de telle sorte que les syndicats qu'affronte aujourd'hui la classe ouvrière ne sont pas les mêmes que ceux des années 50. Leur arsenal de mystifications et leur machinerie de contrôle sont de loin supérieurs et beaucoup plus rôdas. Pour cela, la rupture sera beaucoup plus difficile et pénible mais aussi beaucoup plus décisive parce qu'elle aura un caractère complètement politique et révolutionnaire sans les ambiguïtés et paliers du passé. Si dans les luttes des années 60, le potentiel politique de la rupture avec le syndicalisme a pu être camouflé et dévié par les mythes de la "dé bureaucratisation" ou de "l'unité syndicale", aujourd'hui ces mythes commencent à se rompre et il devient beaucoup plus difficile d'enrober le choc frontal de la classe. Si dans les luttes les plus radicales et avancées, la rupture totale, absolue et sans ambiguïtés entre les grévistes et les syndicats est vitale, il ne faut pas prendre seulement le fait formel de cette rupture comme thermomètre pour mesurer la force et la répercussion de chaque lutte concrète.
Dans la majorité des cas, la rupture tendra à se donner une corrélation des forces prolétariat-syndicats qui se cristallisant de diverses manières au niveau formel, représentera le devenir et les 1imites de la lutte. Dans le pire des cas, ce sera les organismes syndicaux qui s'imposeront, ce qui signifierait l'effondrement de toute perspective immédiate de la lutte; dans le meilleur des cas, ce sera le triomphe des Comités de grèves ouvriers, ce qui ouvrira une dynamique de la radicalisation de la lutte.
Les révolutionnaires devront se battre dès le début pour que la grève s'organise dans des Assemblées, pour qu’elles soient réellement souveraines et pour qu'il y ait aucune ambiguïté dans la rupture et l'affrontement avec les syndicats. Cela ne veut pas dire que la dimension, conséquences et perspectives d'une lutte ait à se mesurer exclusivement par la forme concrète dans laquelle elle a cristallisé à un moment donné la relation de force prolétariat-syndicats.
Le danger de la simple revendication des formes, sans se fonder suffisamment avec son lien, du contenu, peut donner une base à une nouvelle tromperie bourgeoise que nous pourrons apercevoir dans le futur :"création de Comités antisyndicaux" basés sur des "Assemblées" mais avec des fonctions identiques aux syndicats. En réalité, avec ces mythes, on essaiera non seulement de s'opposer aux luttes, mais encore et surtout, de limiter leur portée, de bloquer leur développement et de dévier leur contenu en posant des formes extra-syndicales en soi.
Dans le rapport sur la situation mondiale, nous avons vu une deuxième condition de la future reprise prolétarienne en:
"Un débordement des syndicats beaucoup plus clair que dans le passé et son corollaire: la tendance vers une plus ample auto-organisation de la classe ouvrière (Assemblées générales souveraines, instauration de Comités de grève élus et révocables, coordination de ceux-ci entre les entreprises de la même ville, région, etc...)".(Revue Internationale N°13.)Avec cela, nous avons commencé et il reste encore beaucoup de travail sur la planche et beaucoup de mystifications à affronter.
3) Toutes les luttes ont constitué un affrontement du prolétariat au plan d'austérité du capital,-base matérielle de leur internationalisme objectif.
Pour cela ces luttes sont un début prometteur de la résistance prolétarienne contre les tendances à l'austérité et à la guerre impérialiste que porte en lui le capitalisme et posent déjà les bases de la transformation de l'actuelle aggravation de la crise capitaliste en une crise révolutionnaire.
Il reste démontré une chose que les années de calme social ont quelque peu estompé, c'est que la lutte prolétarienne contre l'austérité est possible, qu'elle peut donner des fruits même s'ils sont temporaires et que le remède prolétarien à la crise n'est pas d'accepter des sacrifices ni de limiter les revendications pour "réduire le chômage" sinon la lutte de classe.
4) Certaines luttes vécues ces derniers temps ont posé le fait que le prolétariat est le candidat historique à l'émancipation de toute l'humanité.
L'Iran a démontré que la lutte prolétarienne donne un biais complètement distinct, incontrôlable à la révolte sans perspective des marginaux, paysans pauvres et petite bourgeoisie paupérisés. L'Iran a posé une possibilité, un potentiel qu'enferme le prolétariat, indépendamment du fait qu'en Iran, cela ne pouvait être complètement obtenu. Ce vieux principe du mouvement ouvrier -le prolétariat est l'unique classe capable de s'émanciper et émanciper toute l'humanité- prend une réalité et devient un problème concret maintenant. Après 50 ans de contre-révolution cette fameuse phrase de Lénine redevient réalité :
"La force du prolétariat dans un pays capitaliste est infiniment supérieure à sa valeur numérique dans la population'.' Et c'est ainsi, parce que le prolétariat occupe une position clé dans le cœur de l'économie capitaliste et aussi, parce qu'il exprime dans le domaine économique et politique, les intérêts réels de l'immense majorité de la population laborieuse sous la domination capitaliste. Durant la grève des hôpitaux en Italie, les travailleurs portaient une pancarte qui disait : "Nous n'allons pas contre les malades, nous allons contre les syndicats, le patronat et le gouvernement"(souligné par nous). Cette préoccupation du prolétariat de gagner ou faire valoir sa lutte auprès de l'ensemble des couches opprimées et non exploiteuses est un indice prometteur de la maturation générale de la conscience de la classe. C'est même plus que cela, c'est la prise de conscience d'un problème qui va se poser en se répétant dans le futur. La bourgeoisie est consciente que le mouvement du prolétariat peut, se convertir en un détonateur du mécontentement des diverses couches de la population; elle est consciente que l'intervention du prolétariat peut donner un caractère incontestable aux protestations des couches opprimées; elle est consciente en définitive, que le mécontentement des couche opprimées peut être gagné au bénéfice de la révolution par le prolétariat. Pour tout cela, un des axes essentiels de la bourgeoisie est, et sera de neutraliser ces couches marginales, les isoler, les séparer politiquement du prolétariat et, si c'est possible, les lancer contre lui.
En Angleterre, la bourgeoisie a monté une campagne hystérique autour des grèves des camionneurs et des services publics. Elle a. monté des manifestations de ménagères et a organisé des piquets de "citoyens" contre les piquets de grève des ouvriers, "but l'axe de la campagne a été de réveiller les sentiments petit-bourgeois, les paranoïas de ces couches pour les utiliser contre le prolétariat. Les erreurs qui se sont fait jour, parfois dans les groupes révolutionnaires, de voir ces couches uniquement comme des ennemies du prolétariat, doivent être éliminées. En soi, ces couches sont vacillantes, elles tendent à la décomposition et à la prolétarisation; en soi, ces couches n'ont pas de volonté propre. Si la bourgeoisie parvient à utiliser les caractères réactionnaires et le devenir de leurs conditions derrière des programmes loufoques, de capitalismes "non monopolistes" etc.. alors elles seront canalisées contre le prolétariat. Mais si le prolétariat, sans céder un pouce à des programmes au "bénéfice" de la petite bourgeoisie lutte de façon autonome en leur faisant voir concrètement l'absence d'alternative à leur situation sans devenir et vouée à la décomposition, alors, il pourra les gagner dans une lutte contre le capital.
Cette perspective n'enlève rien à l'autonomie de classe du prolétariat et c'est la solution concrète contre les mystifications que la bourgeoisie lancera très souvent dans le futur :
- le prolétariat ne doit pas dans sa lutte porter "préjudice" au peuple.
- le prolétariat doit lutter pour le triomphe du peuple en général.
- le mouvement du prolétariat et celui du "peuple" sont identiques.
Comprendre la nécessité pour le prolétariat de gagner à lui les couches marginales et opprimées ne signifie pas :
- rabaisser le programme maxima du prolétariat ou quelconque revendication immédiate et historique.
- appuyer les programmes illusoires et réactionnaires qui découlent de la position sociale de la petite bourgeoisie.
- dissoudre le prolétariat comme partie du "mouvement populaire".
5) La violence de classe et la lutte contre la répression.
Comme nous l'avons affirmé auparavant, la répression sera chaque fois plus ouverte, massive et systématique. Le problème de la lutte contre la répression et la violence de classe va se poser d'une façon aiguë. Sur ce point, et partant des expériences vivantes de ces derniers temps, on peut dégager des leçons très claires :
- la fameuse position du "terrorisme ouvrier" que certains camarades a l'intérieur du CCI, le PCI (Programa) et les gens de "1'Autonomia" en Italie, préconisaient comme un moyen efficace pour préparer les luttes ou pour réveiller la conscience ouvrière, s'est dissoute comme le sucre dans l'eau, devant les récentes expériences. En Iran, les grèves et les révoltes ont brisé la répression d'une des plus puissantes armées du monde, elles ont aggravé les convulsions internes et ont permis qu'une partie importante de son armement ultramoderne soit tombée en des "mains incontrôlées". En France, quelle était la meilleure défense des ouvriers d'une usine occupée devant le siège en règle de la police et des milices patronales ? C'était précisément la grande Manifestation des ouvriers des autres usines qui ont entouré les attaquants. Nos théoriciens du "terrorisme ouvrier" ont pu constater que leurs "groupes de combat" ne sont apparus d'aucun côté, et que la violence de classe, ce qu'ils appelaient "une originalité abstraite et mystificatrice" s'est manifestée d'une façon claire et concrète.
- contre les mystifications que sans aucun doute, la bourgeoisie d'opposition lancera, la meilleure défense contre la répression n'est et ne sera jamais les garanties légales et juridiques du "droit de grève" mais la lutte propre du prolétariat. Ce ne sera pas une police "démocratique", "nationale" et "fille du peuple" comme le clame aux quatre vents le PCF, mais les assauts ouvriers de masse contre les commissariats, pour arracher les détenus des griffes policières; ce ne sera pas un gouvernement de gauche qui sera "moins répressif" qu'un gouvernement de droite, mais le débordement dans la lutte de tous les carcans syndicaux légaux et de gauche.
6) Le prolétariat comme frein à la guerre impérialiste.
L'Iran a pu confirmer une tendance qui s'est manifestée encore faible et embryonnaire, dans le prolétariat international, à savoir : IL EST L'UNIQUE FORCE MONDIALE CAPABLE DE S'OPPOSER A LA GUERRE IMPERIALISTE. En Iran, un dispositif ultrasophistiqué et moderne d'armements est resté totalement désorganisé devant l'impact des affrontements de classe. On ne peut pas dire que ce dispositif abandonné par les USA soit passé au bloc russe, étant donné que ce dernier a pris garde, au moins pour le moment, de se mettre dans l'aventure de contrôler une 'ruche’. En Egypte et en Israël, un des facteurs qui les a poussés à rechercher une "paix" à tout prix, était les luttes prolétariennes dans les deux pays. Le contentieux Maroc-Algérie a marqué un temps d'arrêt non seulement par le tour qu'a pris les manœuvres inter-impérialistes, mais aussi' à cause des grèves dures qui ont eu lieu en Algérie en Mai-Juin 1978 et de l'actuelle vague au Maroc. Cuba n'a pas aujourd'hui les mains aussi libres pour faire le pion de l'impérialisme russe à cause des grèves et des convulsions sociales qui se sont produites en avril 1978. La grève dans les arsenaux français en juin 1978 a eu un impact direct sur l'industrie de guerre comme l'ont démontré postérieurement les grèves dans les chantiers navals anglais de sous-marins atomiques. Il reste à voir quelle sera la réponse des prolétaires de Russie, de Chine et du Vietnam contre les préparatifs de guerre. Mais le chemin de la résistance prolétarienne a commencé à se dessiner.
7) Perspectives et intervention des révolutionnaires
La perspective qui surgit est une nouvelle offensive du prolétariat mondial. Comme nous avons pu le voir tout au long de ce rapport, nous sommes en présence de quelques indices puissants mais nous ne pouvons perdre de vue que la perspective n'est pas immédiate, et que le chemin dans cette direction est hérissé de très sérieuses difficultés. Sans oublier la fragilité de cette nouvelle impulsion prolétarienne, nous devons mettre en évidence que cette perspective a des répercussions bien plus grandes que n'importe quelle vision immédiatiste pourrait donner à entendre. Nous sommes dans le début de la fin de l'époque de la contre-révolution. Toutes les conditions historiques qui avaient permis 50 ans de contre-révolution commencent à se défaire effectivement devant les impulsions de la crise capitaliste et la lente reprise des luttes ouvrières. Les combats des années 60 ont été des escarmouches qui avaient ouvert la première brèche dans le monolithe de la contre-révolution et préparèrent sa future dislocation. Ceci exige des révolutionnaires :
1) d'éviter les fausses querelles comme l'avait souligné le premier congrès du CCI et d'approfondir l'effort de discussion et de regroupement dans la perspective de concentrer et donner un cadre le plus unitaire possible aux énergies révolutionnaires qui mûrissent sans cesse dans la classe.
2) de renforcer le cadre programmatique à tous les niveaux et en conséquence, leur intervention.
3) de devenir un facteur actif et positif dans les luttes de classe, dépassant l'étape antérieure de réappropriation des positions de classe et la reconstruction programmatique et organique.
5- PERSPECTIVES
Les luttes que nous venons de mentionner prépareront, mûriront une nouvelle offensive du prolétariat mondial pour laquelle nous pouvons dresser les perspectives suivantes :
1) Généralisation internationale de la lutte prolétarienne
Nous voulons insister sur ce point que nous avons clairement dégagé dans le chapitre antérieur, mettant en évidence que, si le centre des luttes s'est déplacé de nouveau vers les grandes concentrations ouvrières d'Europe et des Etats-Unis, ceci ne veut pas dire qu'il y ait un repli de la lutte prolétarienne dans le Tiers-Monde, mais au contraire, un renforcement de celle-ci.
Le Brésil, importante concentration prolétarienne de la périphérie, a été bouleversé par les importantes grèves de mai 1978 et, surtout, de mars 79, où la grève générale par solidarité s'est imposée dans la région de Sao Paulo, avec des assemblées générales massives de 50.000 et 70.000 ouvriers contre la répression policière. En Iran, la grève des dockers de Korramanshar-Abadan ainsi que les mouvements de chômeurs démontrent que les tentatives de Khomeiny et sa clique n'ont pas réussi à mettre fin à la lutte prolétarienne. En Amérique du Sud, des grèves combatives ont eu lieu au Mexique, au Pérou, au Salvador, en Bolivie, en Argentine, en Colombie et en Jamaïque. En Afrique, le prolétariat marocain a mené une grande vague de grèves en dehors des syndicats et de l'Union Nationale de la bourgeoisie. Il faut également souligner les combats et révoltes ouvrières au Libéria, au Zaïre, dans l'Empire Centrafricain et en Ouganda avant et après la chute d'Amin Dada. En Asie, il faut souligner les grèves en Inde, la grande grève dans les champs pétroliers de Dehrram en Arabie Saoudite et les révoltes en Chine. Dans les pays de l'Est, malgré le rideau de fer qui bloque l'information, des nouvelles de grèves en RDA, en Pologne, en Roumanie, en Yougoslavie ont filtré l'année dernière.
La réponse simultanée du prolétariat dans les cinq continents est la meilleure condition pour l'affirmation de son unité internationale et la maturation de son alternative révolutionnaire.
2) Développement lent du mouvement de classe
On peut se sentir déçu à cause de la lenteur et la difficulté avec laquelle s'avance l'offensive prolétarienne. Mais cette lenteur n'est pas nécessairement un signe de faiblesse mais 1'évidence de la profondeur et de l'ampleur des affrontements de classe qui se préparent. On n'est plus, comme dans les luttes des années 60, face à un ennemi relativement surpris par le réveil subi du prolétariat après des années de contre-révolution mais face à un capitalisme armé jusqu'aux dents et qui met en place contre les luttes ouvrières toute sa machine idéologique, politique et répressive. Du côté prolétaire, les flambées spectaculaires mais courtes des années 60 ont ouvert le chemin -comme l'ont montré récemment les combats de Longwy et Denain-à un combat tenace où les constantes tentatives des syndicats, de la police et du gouvernement pour enterrer les luttes échouent les unes près les autres, en laissant la voie libre à une agitation intermittente et très difficile à décourager. Il est important que reste clair que la lenteur du mouvement de la classe ne favorise nullement une voie gradualiste ou de "petits pas". On assiste à une infatigable accumulation de luttes, à des ripostes coup-pour-coup, ce qui prépare les conditions à de grandes explosions prolétariennes sur des bases profondes et radicales.
3) La réponse capitaliste contre les luttes
Elle va s'accentuer de plus en plus sur l'axe de la répression. L'Italie reflète cela : arrestations massives de militants ouvriers antisyndicaux dans les usines organisées par toutes les forces du "compromis historique" : patrons, police, syndicats, Parti Communiste et Démocratie Chrétienne. En France, on a pu voir non seulement la répression brutale des luttes avec le déploiement des armées de CRS, mais également les procès contre les combattants ouvriers arrêtés lors de la Marche du 23 mars sur Paris ou après les combats de Longwy-Denain. Mais il ne faut pas oublier que la répression ira main dans la main avec un renforcement de la mystification représentée par la "cure d'opposition" que vont faire la gauche et les syndicats, ce qui tendra à leur redonner une nouvelle image de "combativité ouvrière" et "d'ouvriérisme" afin de mieux détruire les luttes ouvrières de l'intérieur, en essayant non pas de freiner ou de dévier le train prolétarien vers une voie morte, mais de le faire dérailler en pleine action. Cependant, il ne faut pas oublier les limites objectives de cette tendance, limites imposées par l'approfondissement des conflits internes de la bourgeoisie et par le rythme effréné de la crise, auxquels la gauche doit aussi faire face, ce qui rendra beaucoup plus difficile sa tâche de mystification. Dans le camp de la bourgeoisie, minée par ses contradictions qui, avec la montée de la crise, éclatent à tous les niveaux de la vie sociale, la tendance va être vers un dépouillement progressif des vêtements idéologiques de l'Etat, et à un durcissement de la répression qui sera soutenue par sa "cinquième colonne" dans le mouvement ouvrier : la gauche, les gauchistes et les syndicats.
4) L'affirmation de plus en plus cl aire de l'alternative prolétarienne contre la crise historique du capital :
Si 1979 a montré quelque chose, c'est bien le spectacle sans fards de la barbarie inexorable du capital : les centrales nucléaires, les réfugiés indochinois, le Skylab, les horribles massacres au Nicaragua, le spectacle "instructif" de la "révolution islamique" en Iran...Tout cela a mis en évidence l'irrémédiable décadence du système, l'effondrement dans des bains de sang de sa civilisation. Et face à cela, les cache-sexe que la bourgeoisie a utilisé pendant des années pour cacher sa barbarie et les utiliser politiquement contre le prolétariat, éclatent irréversiblement en mille morceaux : le "socialisme dans un seul pays", la "libération nationale", la "démocratie", les "droits de l'homme"... Dans cette atmosphère pourrie qui étouffe et empoisonne toute l'humanité, face à tous les déshérités de la terre, des paysans pauvres, des marginalisés, le prolétariat tend à s'affirmer comme la seule force révolutionnaire, comme la seule alternative de libération contre la barbarie du capital:
- parce que ses "modestes" et "humbles" luttes revendicatives, si méprisées par tous, y compris par beaucoup de groupes révolutionnaires, démontrent qu'il est possible de faire reculer le capital, qu'il est possible de riposter coup-pour-coup aux attaques du capital, et minent de façon définitive les lois aveugles du capital.
- parce que, avec ses luttes pratiques, avec ses formidables exemples de solidarité et de violence de classe, le prolétariat apparaît, dans les faits, comme la seule réponse à la répression, les guerres et tous les phénomènes concentrés dans la barbarie capitaliste qui affectent toute l'humanité.
CONCLUSION
Toutes les forces idéologiques et politiques de la bourgeoisie (mass-média, partis de gauche et de droite, syndicats...) nous matraquent le cerveau avec l'image du prolétariat comme une masse de citoyens amorphes et définitivement passifs. Mais la force de la crise, l'effort de conscience réveillée de nouveau à partir des luttes des années 60, la position même de notre classe au centre de toute la société, le poids de deux siècles de luttes prolétariennes héroïques, tout cela pousse les prolétaires à réagir contre ce tissu de passivité et d'impuissance et à ouvrir clairement la brèche vers la révolution mondiale.
Le chemin va être plus difficile que jamais; on va trouver des moments amers d'hésitation et de défaite momentanée, mais il faut le: parcourir, parce que c'est une question de vie ou de mort, parce que c'est la seule voie pour sortir du cauchemar capitaliste.
COMMUNISME OU BARBARIE ! PROLETAIRES, VOUS AVEZ L A PAROLE !
La hausse du prix du pétrole constitue depuis la fin de 1973 le principal argument avec lequel les gouvernements et les économistes expliquent dans le monde occidental la crise économique et ses conséquences : le chômage et l'inflation. Quand une entreprise ferme ses portes, les travailleurs jetés dans la rue s'entendent dire : "c'est la faute au pétrole11. Lorsque les travailleurs voient leur salaire réel diminuer sous le poids de la hausse des prix, les mass-médias leur expliquent : "c'est à cause de la crise du pétrole". La "crise du pétrole" est devenue l'alibi, le prétexte avec lequel la bourgeoisie en crise entend tout faire gober aux exploités. Elle est devenue dans la propagande des classes dominantes une sorte de cataclysme naturel contre lequel les hommes ne pourraient rien, sinon subir impuissants toutes ces calamités qui ont nom : chômage et inflation.
Et pourtant qu'y-a-t-il de "naturel" dans le fait que des marchands de pétrole vendent plus cher leur produit à d'autres marchands. La hausse du pétrole est une péripétie, non pas de la nature, mais du commerce capitaliste. La classe capitaliste, comme toutes les classes exploiteuses dans l'histoire attribuent ses privilèges aux volontés de la nature. Les lois économiques qui font d'eux les maîtres de la société sont dans leurs imaginations aussi naturelles et immuables que la loi de la pesanteur, lorsque la subsistance de ces lois -devenues avec le temps inadaptées- provoque des crises qui plongent la société dans la misère et la désolation, les nantis attribuant toujours la raison aux imperfections de la "nature" : la nature est trop pauvre ou les hommes sont trop nombreux. Jamais leur esprit ne parvient à concevoir que ce puisse être le système économique existant qui soit devenu anachronique, obsolète.
A la fin du moyen-âge, dans la décadence du XIV° siècle, des moines annonçaient la fin du monde à cause de l'épuisement de terres fertiles. Aujourd'hui on nous assène 10 fois par jour que si tout va mal, c'est à cause de l'épuisement du pétrole.
Y A-T-IL VRAIMENT EPUISEMENT DU PETROLE DANS LA NATURE ?
En mars 1979, les pays producteurs de pétrole de l'OPEP se réunissaient pour proclamer solennellement qu'ils allaient réduire leur production, une fois de plus. Ils réduisent leur production pour maintenir le prix réel, tout comme des paysans détruisent des excédents de fruits pour empêcher que leur prix ne s’effondre.
L'Europe risque de manquer de pétrole en 1980 nous annonce-t-on. Peut-être, mais qui croira encore qu'il s'agit d'une pénurie naturelle, physique ?
Les pays de l'OPEP ne produisent pas à pleine capacité, loin de là. Depuis quelques années, des gisements nouveaux et importants ont été mis en service en Alaska, en Mer du Nord, au Mexique. Chaque semaine, on découvre quelque part dans le monde de nouveaux gisements. Par ailleurs, on nous dit que des réserves de pétrole sous la forme de schistes bitumeux, relativement plus chers à exploiter, sont énormes par rapport aux réserves de pétrole connues actuellement. Comment dans ces conditions peut-on parler de pénurie physique de pétrole ? On peut concevoir qu'un jour un minerai servant de matière première arrive à être épuisé dans la planète à cause d'une exploitation sans limites de l'homme. Mais cela n'a rien à voir avec le fait que des marchands décident de réduire leurs ventes afin de préserver leur profit. Dans le premier cas, il s'agirait effectivement d'un épuisement dans la nature, dans le second, il s'agit d'une vulgaire opération de spéculation marchande.
Si la situation économique mondiale était par ailleurs "saine" dans tous ses aspects, si le seul problème existant actuellement était celui d'un épuisement physique et imprévu du pétrole dans la nature, nous assisterions non pas à un ralentissement de la croissance- du commerce et des investissements comme c'est le cas actuellement, mais au contraire à un boom économique mondial extraordinaire : la réadaptation du monde à de nouvelles formes d'énergie se traduirait par une véritable nouvelle révolution industrielle. Il y aurait certes des crises de restructuration ici et là dans certains secteurs avec des fermetures d'entreprises et des licenciements, mais ces fermetures et ces licenciements seraient immédiatement compensés par l'ouverture de nouvelles entreprises et la multiplication de nouveaux postes de travail.
Or, nous assistons à quelque chose de complètement différent : les pays qui produisent le pétrole le plus rentable réduisent leur production; les entreprises qui ferment ne sont pas remplacées par d'autres; les travailleurs licenciés ne trouvent pas de travail ailleurs; les investissements dans la recherche de nouvelles formes d'énergie restent insignifiants dans la plupart des puissances.
La thèse de l'épuisement physique du pétrole dans la nature est utilisée par les médias et les économistes pour expliquer la hausse vertigineuse du prix du pétrole en 1974 et en 1979. Mais comment explique-t-on alors les hausses spectaculaires de l'ensemble des produits de base, autres que le pétrole, sur le marché mondial en 1974 ou en 1977 ? Comment explique-t-on les accès de fièvre qu'ont connu les prix des métaux de base tel le cuivre, le plomb, l'étain au début de 1979 ? A suivre les "experts" de la bourgeoisie, il faudrait croire qu'il n'y a pas que le pétrole qui est en train de s'épuiser dans la nature, mais aussi la plupart des métaux, et même les denrées alimentaires. En effet, entre 1972 et 1974, l'indice des prix des minéraux et des métaux exportés dans le monde, autres que le pétrole a plus que doublé, celui des denrées alimentaires a lui, presque triplé. Au deuxième trimestre de 1977, ces mêmes denrées coûtaient encore sur le marché mondial trois fois plus qu'en 1972. Nous serions donc en train d'assister au tarissement de la nature non seulement en pétrole mais dans tous les domaines. Ce qui est une pure absurdité.
La théorie de l'épuisement physique de la nature parvient difficilement à expliquer la hausse des prix du pétrole; mais elle est en plus grande difficulté encore lorsqu'il s'agit d'expliquer pourquoi le prix réel du pétrole, payé par les pays importateurs industrialisés, c'est à dire le prix payé compte tenu de l'évolution de l'ensemble de l'inflation mondiale et de l'évolution de la valeur du dollar US ([1] [544]), a régulièrement diminué avant 1973-1974 et après jusqu'en 1978. Entre 1960 et 1972, le prix réel du pétrole brut importé a diminué de 11% pour le Japon, de 14% pour la France, de 30% pour l'Allemagne! En 1978, ce même prix avait diminué par rapport aux niveaux de 1974 ou 1975 de 14% au Japon, de 6% en France, de 11% en Allemagne.
Comment le prix de matières en cours d'épuisement définitif dans la nature pourrait-il diminuer au point de contraindre les producteurs à réduire leur production artificiellement afin d'éviter l'effondrement des cours ?
Si l'on veut comprendre les actuelles hausses et baisses des cours des matières premières, ce n'est pas vers la plus ou moins grande générosité de la mère nature qu'il faut tourner ses regards, mais vers le monde en décomposition du commerce capitaliste.
Nous sommes en présence non pas de la découverte soudaine de certaines pauvretés grotesques de la nature, mais de gigantesques opérations de spéculations marchandes sur les matières premières. Ce n'est pas là un phénomène nouveau; toutes les crises économiques importantes du capitalisme sont accompagnées de fièvres spéculatives sur des matières premières.
LA SPECULATION : UNE CARACTERISTIQUE TYPIGUF DES CRISES ECONOMIQUES DU CAPITALISME
La source réelle de tous les profits capitalistes réside dans l'exploitation des prolétaires au cours du processus de production. Le profit, la plus-value, c'est du surtravail extirpé aux salariés. Lorsque les affaires des capitalistes vont bien, c'est à dire lorsque tout ce qui est produit parvient à être vendu avec des taux de profit suffisants, les capitalistes réinvestissent les profits ainsi obtenus dans le processus de production. L'accumulation du capital, c'est ce processus qui consiste à transformer le surtravail des ouvriers en capital, c'est à dire en nouvelles machines, nouvelles matières premières, nouveaux salaires pour exploiter de nouvelles quantités de travail vivant.
C'est ainsi que les capitalistes font ce qu'ils appellent "travailler l'argent". Mais lorsque les affaires vont mal, l’orque la production ne rapporte plus par manque de débouchés, ces masses de capitaux sous forme monétaire qui cherchent à s'investir tendent à se réfugier dans des opérations spéculatives.
Ce n'est pas qu'ils raffolent de ce genre d'opérations avec des risques aussi élevés où l'on peut se retrouver ruiné du jour au lendemain. Ils lui préfèrent mille fois mieux la paisible exploitation par la production. Mais, lorsqu'il n'y a plus de placement rentable dans la production, que faire ? Garder l'argent dans un coffre, c'est le voir perdre tous les jours de la valeur sous l'effet de l'érosion monétaire. La spéculation constitue alors un placement risqué certes, mais qui peut rapporter très gros en très peu de temps.
C'est ainsi que lors de chaque crise économique capitaliste, on a assisté à des phénomènes de spéculation d'une ampleur extraordinaire. La loi interdit la spéculation mais ceux qui spéculent ne sont autres que ceux qui ont fait les lois. Très souvent cette spéculation s'est polarisée sur une matière première. Ainsi, par exemple, lors de la crise économique de 1836, le directeur de la Banque des Etats-Unis, un certain BEAGLE, avait profité du fait que la demande de la Grande-Bretagne était encore forte pour s'emparer de toute la récolte de coton et la vendre à prix d'or aux anglais plus tard. Malheureusement pour lui, sous le coup de la crise, la demande de coton s'effondra en 1839 et les stocks soigneusement cumulés dans la folie spéculative devinrent invendables. Les cours de coton s'effondrèrent sur le marché mondial. Ce qui vint faire croître le nombre déjà élevé de faillites (1000 banques en banqueroute aux USA).
La crise économique, après avoir provoqué la hausse des prix des matières premières de manière spectaculaires, fait s'effondrer celles-ci par manque de demande.
Ces montées subites du prix d'une matière première suivie d'un effondrement vertigineux sont typiques de la spéculation en temps de crise. Ces phénomènes se produisent de façon particulièrement nettes lors des crises de 1825, 1836 et 1867 sur le coton ou sur la laine; lors des crises de 1847 et de 1857 sur le blé; en 1873, 1900 et 1912 c'est sur l'acier et sur la fonte; en 1907, c'est sur le cuivre; en 1929, c'est sur presque tous les métaux.
La spéculation est l'œuvre non pas de quelques individus épars, assez troubles, travaillant dans l'illégalité ou de petits "détenteurs" comme le laisse entendre la presse. Les spéculateurs, ce sont les gouvernements, les Etats, les banques grandes et petites, les grands industriels, bref, les détenteurs de l'essentiel de la masse monétaire qui cherche à se rentabiliser, à faire des profits.
La spéculation n'est pas non plus "une tentation" à laquelle les capitalistes peuvent échapper en temps de crise économique. Le banquier qui a la responsabilité de faire rapporter des milliers de comptes d'épargne n'a pas le choix. Lorsque le profit se fait de plus en plus rare, il faut le prendre quel qu'il soit et où qu'il soit. Les scrupules hypocrites des temps de prospérité où l'on promulgue des lois "interdisant la spéculation" disparaissent, et les plus respectables institutions financières se jettent tête baissée dans la tourmente spéculative. Dans la jungle capitaliste, seul celui qui fait du profit survit. Les autres sont dévorés. Lorsque la spéculation devient le seul moyen de faire des profits, la loi devient : celui qui ne spécule pas ou qui spécule mal est dévoré.
Ce qu'on a coutume d'appeler "la crise du pétrole" constitue en fait une gigantesque opération spéculative au niveau de la planète.
POURQUOI LE PETROLE ?
Le pétrole n'a pas été au cours des dernières années le seul objet de spéculation. Depuis la dévaluation de la Livre Sterling en 1967, la spéculation n'a cessé de se développer dans le monde entier s'attaquant à une liste toujours plus longue de produits : les monnaies, l'immobilier, les matières premières, végétales ou minérales, l'or, etc. Mais la spéculation sur le pétrole marque pour son importance financière. Elle a provoqué des mouvements de capitaux d'une ampleur et d'une rapidité probablement sans précédent dans l'histoire. En quelques mois, un flot gigantesque de dollars s'est mis à couler vers les grands pays exportateurs de pétrole, à partir de l'Europe et du Japon. Pourquoi en se portant sur le pétrole, la spéculation a-t-elle réussi de tels profits ? Premièrement^ parce que toute l'industrie moderne repose sur l'électricité et l'électricité, elle repose pour l'essentiel sur le pétrole. Aucun pays ne peut produire aujourd'hui sans pétrole. Le chantage spéculatif à la pénurie de pétrole est un chantage qui a l'atout de la force économique. Mais le pétrole n'est pas seulement un moyen indispensable pour produire et construire. Il est tout aussi indispensable pour détruire et faire la guerre.
L'essentiel de l'armement moderne, des chars aux bombardiers, des porte-avions aux camions et aux jeeps, tout cela fonctionne avec du pétrole. S'armer, c'est non seulement produire des armes mais aussi se procurer les moyens pour les faire fonctionner aussi longtemps que nécessaire. La course aux armements est aussi une course au pétrole. La spéculation sur le pétrole touche donc à un produit dont l'importance économique et militaire est de premier ordre. Et c'est cela une des raisons de son succès au moins momentané. Mais elle n'est pas la seule.
LA BENEDICTION DU CAPITAL AMERICAIN
Un des thèmes favoris du bla-bla-bla des commentateurs des médias sur le pétrole est celui de la "revanche des pays sous-développés sur les pays riches". Par leur simple décision de réduire la production et d'augmenter le prix du pétrole,, des pays qui font partie du peloton des nations du tiers-monde, condamnées depuis des décennies à produire et vendre à bon marché des matières premières pour les pays industrialisés, ont réussi à prendre à la gorge les principales puissances industrielles. C'est le David et Goliath des temps modernes.
La réalité est tout autre. Derrière la "crise du pétrole" il y a le capital américain. Il suffirait pour s'en convaincre de prendre en considération deux facteurs simples et évidents :
1) les pays les plus puissants de l'OPEP se comptent en même temps parmi les plus inconditionnellement soumis à l'impérialisme US. Les gouvernements de l'Arabie Saoudite, premier exportateur de pétrole mondial, de l'Iran du Shah ou du Venezuela, pour ne prendre que quelques exemples, ne prennent aucune décision importante sans l'accord explicite de leur puissant "protecteur";
2) la quasi totalité du commerce mondial du pétrole se trouve sous le contrôle des grandes compagnies pétrolières américaines: les profits réalisés par ceux-ci grâce aux variations des prix du pétrole sont si gigantesques que le gouvernement US a dû organiser une parodie de procès à la télévision pour tenter de canaliser sur les "7 big sisters" -les "7 grandes sœurs"- la colère de la population américaine qui se voit imposer des plans d'austérité au nom de la "crise pétrolière".
Mais au cas où cela ne suffirait pas pour se convaincre du rôle déterminant joué par les USA dans la "hausse du prix du pétrole", rappelons quelques uns des avantages qu'a tiré la première puissance économique mondiale de la "crise pétrolière":
1) Sur le marché international, le pétrole est payé en dollars US. Concrètement, cela veut dire que les USA peuvent se procurer du pétrole en faisant simplement fonctionner leur planche à billets alors que tous les autres pays doivent se procurer des dollars ([2] [545]);
2) les Etats-Unis ne dépendent du pétrole importé que pour 50% de leurs besoins nationaux. Leurs concurrents directs sur le marché mondial -l'Europe et le Japon- par contre, doivent importer la quasi totalité de leur pétrole. Toute augmentation du prix du pétrole se répercute donc de façon beaucoup plus puissante sur les coûts de production des marchandises européennes et japonaises. La compétitivité des marchandises US s'en trouve augmentée automatiquement d'autant. Ce n'est pas par hasard si les exportations US connaissent
des progressions spectaculaires au détriment de celles de leurs concurrentes au lendemain de chaque hausse du pétrole.
3) Mais c'est certainement sur le plan militaire que les USA ont tiré les plus grands avantages de la "crise pétrolière".
Comme on l'a vu, le pétrole demeure un instrument majeur de la guerre. La hausse du prix du pétrole a permis la rentabilisation de nouveaux gisements à proximité du territoire US (Alaska, Mexique, ainsi qu'au sein même des USA). De ce fait, le potentiel militaire américain se trouve moins dépendant des sources de pétrole du Moyen-Orient, trop distantes de Washington et trop proches de l'URSS. D'autre part, les énormes revenus pétroliers ont permis le financement de la "Pax Americana" au Moyen-Orient par l'Arabie Saoudite interposée. En effet, le passage de l'Egypte dans le bloc US a été payé à prix d'or, en partie par les aides financières de l'Arabie Saoudite au nom de la fraternité arabe. L'Arabie Saoudite a influencé directement la politique de pays tels que l'Egypte, l'Irak, le Syrie (pendant le conflit du Liban) moyennant de substantielles "aides" payées avec les revenus pétroliers. L'actuel rapprochement de l'O.L.P. du bloc américain n'est pas complètement étranger à l'aide financière que l'Arabie Saoudite fournit à 1'O.L.P.
L'impérialisme américain s'est ainsi payé le luxe de faire financer sa politique internationale par ses concurrents et alliés européens et japonais.
Ainsi, pour des raisons aussi bien économiques que militaires, les USA ont eu tout intérêt à laisser se développer, voire à encourager, la hausse du prix du pétrole.
L'attitude du gouvernement Carter lors de la fièvre spéculative déclenchée par l'interruption des livraisons de pétrole de l'Iran est éloquente à cet égard. Au moment même où l'Allemagne et la France cherchaient à juguler les hausses spéculatives qui se développaient au premier semestre de 1979 sur le "marché libre" de Rotterdam, le gouvernement US a cyniquement annoncé qu'il était prêt à acheter toute quantité de pétrole à un cours supérieur aux plus élevés atteints dans le port hollandais. Malgré l'envoi de délégués spéciaux de Bonn et de Paris à Washington pour "protester énergiquement" contre ce "coup de poignard dans le dos", la Maison Blanche n'est pas revenue sur son offre.
Quelle que soit la raison de cette hausse, une question demeure : quels ont été ses effets sur l'économie mondiale. La propagande officielle a-t-elle raison lorsqu'elle affirme que c'est la hausse des prix du pétrole qui a engendré la crise économique ?
LES EFFETS DE LA HAUSSE DU PRIX DU PETROLE
Il ne fait aucun doute que la hausse du prix d'une matière première constitue une entrave à la rentabilité d'une entreprise capitaliste. Pour le capital industriel, les matières premières constituent en frais de production, une dépense. Si ses frais augmentent, sa marge de profit tend à se réduire d'autant. Pour lutter contre les effets de cette réduction de sa rentabilité, il ne dispose que de deux moyens :
- réduire les autres frais de production, en particulier les frais en main-d’œuvre;
- répercuter l'augmentation de ses frais dans le prix de vente.
Les capitalistes se servent généralement des deux moyens en même temps. Ils s'appliquent à réduire leurs frais de production en imposant des politiques d'austérité sur les salariés ; ils cherchent à maintenir leurs profits en alimentant l'inflation. Il est donc certain que la hausse des prix du pétrole est un facteur qui impose à chaque capital national de nouveaux efforts de rentabilisation : élimination des secteurs les moins productifs, réduction des salaires, concentration du capital. Tout comme il est vrai que la hausse du pétrole est en partie responsable de l'inflation.
La hausse du prix du pétrole a effectivement constitué un facteur aggravant de la crise. Mais, contrairement à ce que prétend la propagande des médias, elle n'a été que cela : un facteur aggravant et non la cause, ni même une cause importante de la crise économique.
Il suffit pour s'en convaincre de constater que la crise économique n'a pas commencé avec la hausse du pétrole. La spéculation pétrolière n'a été qu'une des conséquences de la série de bouleversements économiques qui ont secoué le capitalisme mondial dès la fin des années 60.
A entendre "les experts" de la bourgeoisie, on croirait qu'avant la date fatidique du second semestre 1973, tout allait pour le mieux dans l'économie mondiale.
Pour mieux justifier leur politique d'austérité, ces messieurs oublient, ou feignent d'oublier, qu'au début de 1973, avant les premières grandes hausses du prix du pétrole, le taux d'inflation avait, en moins d'un an, doublé aux USA, triplé au Japon; ils prétendent oublier que de 1967 à 1973, le capitalisme avait déjà connu deux récessions importantes : une en 1967 (le taux de croissance annuel de la production diminua de moitié aux USA -1,8 % au premier semestre 1967- et tomba au dessous de zéro en Allemagne) ; l'autre en 1970-71 : aux USA, la production recule de façon absolue. Ils oublient ou cachent que le nombre officiel de chômeurs dans la zone de l'O.C.D.E. (les 24 pays industrialisés du bloc US) avait presque doublé en six ans, passant de 6 millions et demi en 1966 à plus de 10 millions en 1972. Ils font semblant d'ignorer qu'au début de 1973, après six ans d'instabilité monétaire commencée avec la dévaluation de la livre sterling de 1967, le système monétaire international s'était définitivement effondré avec la seconde dévaluation du dollar en moins de deux ans.
La spéculation pétrolière n'éclate pas dans un climat de sereine prospérité économique. Elle apparaît au contraire comme une nouvelle convulsion du capitalisme, secoué depuis six ans par la crise la plus profonde qu'il ait connue depuis la 2ème guerre mondiale.
A moins de vouloir expliquer les bouleversements de la période 1967-1973 par les hausses pétrolières de 1974, il est absurde d'affirmer que l'augmentation du prix du pétrole est la cause de la crise économique du capitalisme.
La spéculation sur le pétrole a porté un coup à l'économie mondiale, mais il n'était ni le premier ni le plus grave. La relativité du coup porté par la hausse du pétrole peut être mesurée "en négatif" en observant la situation d'un pays industrialisé qui a réussi à éliminer le problème du pétrole grâce à l'exploitation de gisements propres. Tel est le cas de la Grande-Bretagne qui n'a plus besoin d'importer du pétrole grâce à ses gisements de la Mer du Nord. En 1979, le taux de chômage en Grande-Bretagne est deux fois supérieur à celui de l'Allemagne, trois fois supérieur à celui du Japon, deux pays qui pourtant continuent d'importer la quasi totalité de leur pétrole. Quant à l'inflation des prix à la consommation, elle y est le double qu'en Allemagne et neuf fois plus importante qu'au Japon. Enfin, quant au taux de croissance de la production, il est le plus faible des sept grandes puissances économiques occidentales (au premier semestre de 1979, la production brute n'a pas augmenté : elle a même diminué de 1 % en taux annuel).
Les causes de l'actuelle crise du capitalisme sont autrement plus profondes que les péripéties de la spéculation sur le pétrole.
Depuis le milieu des années 60, le capitalisme vit dans une permanente fuite en avant pour tenter de retarder les conséquences de la fin de la période de reconstruction. Depuis plus de dix ans, les régions industrielles détruites pendant la seconde guerre mondiale ont non seulement été reconstruites -faisant disparaître ce qui avait constitué le débouché principal des exportations américaines-mais sont devenues de puissants concurrents des USA sur le marché mondial. Les Etats-Unis sont devenus un pays qui exporte moins qu'il n'importe et qui doit, pour financer son déficit, inonder la planète de papier monnaie sans couverture. Depuis dix ans, avec la fin de la reconstruction, la croissance mondiale repose essentiellement sur les ventes à crédit aux pays sous-développés et sur la capacité des USA à maintenir son déficit. Or, aussi bien les uns que les autres sont au bord de la banqueroute financière. L'endettement des pays du tiers-monde a atteint des proportions insoutenables (l'équivalent du revenu annuel d'un milliard d'hommes dans ces régions). Quant aux USA, ils sont actuellement contraints de se jeter dans une nouvelle récession pour parvenir à réduire leurs importations et la croissance de leur endettement. La récession qui commence aux USA annonce inévitablement une nouvelle récession majeure au niveau mondial. Une récession qui, suivant le déclin engagé en 1967, sera plus profonde que les trois précédentes.
Les spéculations sur le prix du pétrole ne sont qu'un aspect secondaire d'une réalité autrement plus importante : l'inadaptation définitive des rapports de production capitalistes aux possibilités et aux nécessités de l'humanité.
Après près de quatre siècles de domination sur le monde, les lois capitalistes ont fait leur temps. Après avoir été des forces de progrès, elles sont devenues des entraves à la survie même de l'humanité.
Ce ne sont pas quelques pétroliers venus du désert qui ont mis à genoux la production capitaliste. Le capitalisme s'effondre économiquement de lui-même parce qu'il est de plus en plus rongé par ses contradictions internes, et, en premier lieu, par son incapacité à créer des débouchés suffisants pour écouler sa production avec profit. Nous vivons la fin d'un nouveau tour du cycle crise-guerre-reconstruction, que le capitalisme impose à l'humanité depuis plus de soixante ans.
Pour l'humanité, l'issue n'est ni dans des baisses des prix de vente du pétrole, ni dans des baisses de salaires, mais dans l'élimination de la vente et du salariat, dans l'élimination du capitalisme comme système à l'Est comme à l'Ouest.
Seule une nouvelle organisation de la société mondiale, suivant des principes réellement communistes, peut lui permettre d'échapper à l'holocauste sans fin que lui promet le capitalisme en crise.
R. VICTOR
[1] [546] Constater que le prix courant du pétrole augmente ne veut en soi rien dire puisque l'inflation mondiale touche tous les produits et revenus. Pour un pays importateur de pétrole, la vraie question c'est de savoir si les prix du pétrole augmentent plus vite ou plus lentement que celui de ses exportations. Pour un pays importateur de pétrole, la hausse des prix du pétrole n'a de conséquence négative qu'à partir du moment où elle est plus rapide que celle des prix des marchandises qu'il exporte lui-même, c'est-à-dire, la source de ses revenus sur le marché mondial. Que lui importe de payer le pétrole 20 % plus cher s'il peut simultanément augmenter le prix de ses propres exportations d'autant.
[2] [547] De ce fait, le danger de nouvelles pressions vers la dévaluation du dollar, du fait des nouvelles masses de dollars-papier introduites par les USA sur le marché mondialise trouve relativement limité par l'accroissement de la demande de dollars provoqué par la hausse du prix du pétrole.
MARXISME ET IMPERIALISME
Avec toute la prolifération des luttes de "libération nationale" à travers toute la planète; avec le nombre croissant de guerres locales entre Etats capitalistes; avec l'accélération des préparatifs des deux grands blocs impérialistes en vue d'un ultime affrontement -tous ces phénomènes exprimant la décomposition irréversible de l'économie capitaliste mondiale- il devient de plus en plus important pour les révolutionnaires de développer une compréhension claire de la signification de l'impérialisme. Depuis les sept dernières décades, les marxistes ont reconnu que nous vivons 1'époque de la décadence impérialiste, et ont tenté d'en tirer toutes les conséquences pour la lutte de classe du prolétariat.
Mais -particulièrement avec la contre-révolution qui s'est abattue sur le prolétariat dans les années 20- la tâche historique de définition et de compréhension de l'impérialisme a été durement entravée par le triomphe presque total de l'idéologie bourgeoise sous toutes ses formes. Ainsi, la signification véritable du mot impérialisme a été déformée et vidée de son contenu. Le travail de mystification a été mené sur plusieurs fronts : par les idéologues bourgeois traditionnels qui proclament que l'impérialisme a pris fin avec la transformation de 1'"Empire" britannique en "Commonwealth" ou avec l'abandon de leurs colonies par les grandes puissances; par des légions de sociologues, économistes et autres académiciens qui rivalisent à coup de tonnes de littérature illisible sur le "Tiers-Monde", d'"études sur le développement" ou le "réveil nationaliste dans les colonies", etc. ; et par dessus tout par les pseudo-marxistes de la gauche capitaliste qui conspuent bruyamment les crimes de l'impérialisme américain tout en prétendant que la Russie ou la Chine sont des puissances anti-impérialistes et même anticapitalistes. Ce tir de barrage abrutissant n'a pas épargné le mouvement révolutionnaire.
Certains révolutionnaires, ébranlés par les "découvertes" des académiciens bourgeois ont abandonné toute référence aux menées impérialistes du capitalisme et considèrent l'impérialisme comme un phénomène démodé, dépassé dans l'histoire du capitalisme. D'autres, dans leurs efforts de résistance aux pièges de l'idéologie bourgeoise, n'ont fait que transformer les écrits des marxistes antérieurs en écriture sainte. C'est le cas des bordiguistes par exemple, qui appliquent mécaniquement les "cinq caractéristiques fondamentales de l'impérialisme" de Lénine au monde moderne et ignorent toute l'évolution qui s'est produite ces soixante dernières années.
Mais les marxistes ne peuvent, ni ignorer la tradition théorique d'où ils sont issus, ni la transformer en dogme. La question est d'assimiler de façon critique les classiques du marxisme et d'appliquer les contributions les plus importantes à une analyse de la réalité actuelle. Le but de ce texte est de mettre en lumière la signification réelle et contemporaine de la formulation élémentaire : l'impérialisme domine la planète toute entière à notre époque; d'expliquer le contenu de 1'affirmation exprimée dans la plate-forme du CCI : "l'impérialisme (...) est devenu le moyen de subsistance de toute nation, grande ou petite"; de montrer que, dans le capitalisme moderne, toutes les guerres ont une nature impérialiste, sauf une : la guerre civile du prolétariat contre la bourgeoisie. Mais pour cela, il est d'abord nécessaire de revenir aux premiers débats sur l'impérialisme à l'intérieur du mouvement ouvrier.
MARXISME CONTRE REVISIONISME
Dans la période qui a mené à la première guerre mondiale, la question "théorique" de l'impérialisme a constitué une frontière séparant l'aile révolutionnaire -internationaliste de la social-démocratie- de tous les éléments réformistes et révisionnistes du mouvement ouvrier. Une fois la guerre ouverte, la position sur l'impérialisme déterminait de quel côté de la barricade on se trouvait. C'était une question éminemment pratique, puisque, c'est d'elle que dépendait toute l'attitude envers la guerre impérialiste et envers les convulsions révolutionnaires que la guerre avait provoquées.
Il y avait certains points cardinaux de cette question sur lesquels tous les marxistes révolutionnaires étaient d'accord. Ces points demeurent la base de toute définition marxiste de l'impérialisme aujourd’hui.
1) Les marxistes, pour qui l’impérialisme était défini comme un produit spécifique de la société capitaliste, attaquaient vigoureusement les idéologies bourgeoises les plus ouvertement réactionnaires qui parlaient de l'impérialisme comme d'un besoin biologique, une expression du désir de l'homme de territoires et de conquêtes (cette sorte de théorie qui refleurit aujourd'hui dans la notion d’"impératif territorial" colportée par les zoologistes sociaux du genre de Robert Ardrey et Desmond Monis). Les marxistes se battaient avec une tout aussi grande fermeté contre les thèmes racistes sur la "tâche civilisatrice de l'Homme Blanc et contre tous les amalgames confus de toutes les politiques de conquête et d'annexion de toutes sortes de formations sociales. Comme le disait Boukharine, cette :
"(..)dernière "théorie" largement répandue de l'impérialisme définit celui-ci comme une politique de conquête en général. De ce point de vue3 on peut en dire autant de l'impérialisme d'Alexandre de Macédoine et des conquérants espagnols> de Carthage et de Jean III, de l'ancienne Rome et de l'Amérique moderne, de Napoléon et de Hindenburg.
Quelle que soit sa simplicité3 cette théorie n'en n'est pas moins absolument fausse. Elle est fausse parce qu'elle "explique" tout c'est à dire juste rien.
(….) Il est évident que l'on peut en dire autant de la guerre. La guerre est un moyen de reproduction de certains rapports de production. La guerre de conquête est un moyen de reproduction élargie de ces rapports. Or, donner à la guerre la simple définition de guerre de conquête, c'est tout à fait insuffisant3 pour la bonne raison que l1essentiel n'est pas indiqué, à savoir, quels sont les rapports de production que cette guerre affermit et étend, et quelle est la base qu'une "politique de rapine" donnée est appelée à élargir". N. BOUKHARINE. L'économie mondiale et l'impérialisme". Ed.anthropos, 1969, p.110-111)
Bien que Lénine dise que "la politique coloniale et l'impérialisme existaient avant ce dernier stade du capitalisme, et même avant le capitalisme ; Rome, fondée sur l'esclavage, poursuivait une politique coloniale et pratiquait l'impérialisme" ; il rejoint Boukharine lorsqu'il ajoute :
"Mais les raisonnements "d'ordre général" sur l'impérialisme, qui négligent ou relèguent à l'arrière plan la différence essentielle des formations économiques et sociales, dégénèrent infailliblement en banalités creuses ou en rodomontades". LENINE. L'Impérialisme, stade suprême du capitalisme". Œuvres choisies, Ed. du Progrès, p.720)
2) Deuxièmement les marxistes définissaient l'impérialisme comme une nécessité pour le capitalisme, comme le résultat direct du processus de l'accumulation, des lois inhérentes du capital. A un stade donné du développement du capital, c'était le seul moyen qui permette au système de prolonger son existence. Il était donc irréversible. Bien que l'explication de l'impérialisme comme expression de l'accumulation du capital est plus claire chez certains marxistes que chez d'autres (point sur lequel nous reviendrons), tous les marxistes rejetaient les thèses de Hobson, Kautsky et d'autres qui considéraient l'impérialisme comme une simple "politique" choisie par le capitalisme ou plutôt par des fractions particulières du capitalisme. Ces thèses s'accompagnaient logiquement de l'idée qu'on pouvait prouver que l'impérialisme était une politique mauvaise, coûteuse et à courte-vue, et qu'on pouvait au moins convaincre les secteurs les plus éclairés de la bourgeoisie qu'elles avaient avantage à une politique généreuse, non impérialiste. Tout cela ouvrait clairement la voie à toutes sortes de recettes réformistes, pacifistes, visant à rendre le capitalisme moins brutal et moins agressif. Kautsky développa même l'idée que le capitalisme évoluait graduellement et pacifiquement vers une phase d’"ultra-impérialisme", fusionnant en un seul grand trust sans antagonismes, où les guerres appartiendraient au passé. Contre cette vision utopiste (qui trouva écho durant le boom qui suivit la 2ème guerre mondiale chez Paul Cardan et ses semblables), les marxistes insistaient sur le fait que, loin de représenter un dépassement des antagonismes capitalistes, l'impérialisme exprimait l’exacerbation des antagonismes à leur plus haut degré. L'époque impérialiste était inévitablement une époque de crise mondiale, de despotisme politique et de guerre mondiale; confronté à cette perspective catastrophique, le prolétariat ne pouvait répondre que par la destruction révolutionnaire du capitalisme.
3) L'impérialisme était ainsi, considéré comme une phase spécifique de l'existence du capital.
Sa phase ultime et finale. Bien qu'on puisse parler d'impérialisme britannique et français dans la première partie du 19ème siècle, la phase impérialiste du capital en tant que système mondial ne commence pas vraiment avant les années 1870, moment où plusieurs capitaux nationaux hautement centralisés et concentrés commencent à entrer en concurrence pour les possessions coloniales, les sphères d'influence et la domination du marché mondial. Comme l'a dit Lénine :
"un des traits essentiels de l'impérialisme est la rivalité entre plusieurs grandes puissances à la poursuite de l'hégémonie". (Impérialisme, chap. 7, p. 109) L'impérialisme est donc essentiellement une relation de concurrence entre les Etats capitalistes à un certain stade de l'évolution du capital mondial. Pour aller plus loin; l'évolution de cette relation peut elle-même être séparée en deux phases distinctes qui sont directement liées aux changements du milieu global dans lequel prend place la compétition impérialiste.
"La première période de l'impérialisme se situa dans le dernier quart du 19ème siècle et fit suite à l'époque des guerres nationales par lesquelles s 'était cimentée la constitution des grands Etats nationaux et dont la guerre franco j-allemande marqua à peu près le terme extrême. Si la longue période de dépression économique qui succéda à la crise de 1873 portait déjà en germe La décadence du capitalisme, celui-ci put encore utiliser les courtes reprises qui jalonnèrent cette dépression pour, en quelque sorte, parachever l'exploitation des territoires et des peuples retardataires. Le capitalisme, à la recherche aride et fiévreuse de matières premières et d'acheteurs qui ne fussent ni capitalistes, ni salariés, vola, décima et assassina les populations coloniales, Ce fut l'époque de la pénétration et de l'extension de l'Angleterre en Egypte et en Afrique du Sud, de la France au Maroc, à Tunis et au Tonkin, de l'Italie dans l'Est Africain, sur les frontières de l'Abyssinie, de la Russie tsariste en Asie Centrale et en Mandchourie, de l'Allemagne en Afrique et en Asie, des USA aux Philippines et à Cuba, enfin du Japon sur le continent asiatique.
Mais une fois terminé le partage entre ces grands regroupements capitalistes, de toutes les bonnes terres, de toutes les richesses exploitables, de toutes les zones d'influence, bref de tous les coins du monde où peut être volé du travail qui, transformé en or, allait s 'entasser dans les banques nationales des métropoles, alors se trouva terminée aussi la mission progressive du capitalisme... il est certain qu'alors devrait s'ouvrir la crise générale du capitalisme". (Le problème de la guerre. 1935. Par JEHAN, un militant de la gauche communiste en Belgique)
La phase initiale de l'impérialisme, tout en donnant un avant-goût de la décadence du capitalisme, apportant misère et massacres aux populations des régions coloniales, avait encore un aspect progressif, en ce qu'il établissait la domination du capital à l'échelle mondiale, condition préalable à la révolution communiste. Mais une fois cette domination du monde accomplie, le capitalisme cesse d'être un système progressif, et les fléaux qu'il avait fait subir aux peuples coloniaux rebondissent alors au cœur du système, ce que confirme l'éclatement de la première guerre mondiale.
" Lrimpérialisme actuel n’est pas le prélude à l'expansion capitaliste. Il est la dernière étape de son processus historique d'expansion : la période de la concurrence mondiale accentuée et généralisée des Etats capitalistes autour des derniers restes de territoires non capitalistes du globe. Dans cette phase finale, la catastrophe économique et politique constitue l'élément vital, le mode normal d'existence du capital, autant qu'elle l'avait été dans sa phase initiale, celle de l''accumulation primitive. La découverte de l'Amérique et de la voie maritime pour l'Inde n'était pas seulement un exploit théorique de l'esprit et de la civilisation humaine, comme le veut la légende libérale, mais avait entraîné une suite de massacres collectifs de populations primitives du Nouveau Monde et introduit un trafic d'esclaves sur une grande échelle avec les peuples d'Asie et d'Afrique. De même, dans la phase finale de l'impérialisme, l'expansion économique du capital est indissolublement liée à la série de conquêtes coloniales et de guerres mondiales que nous connaissons. Le trait caractéristique de l'impérialisme en tant que lutte concurrentielle suprême pour l'hégémonie mondiale capitaliste n'est pas seulement l'énergie et l'universalité de l'exportation -signe significatif que la boucle de l'évolution commence à se refermer- mais le fait que la lutte décisive pour l'expansion rebondit des régions qui étaient sa convoitise, aux métropoles. Ainsi l'impérialisme ramène sa catastrophe de la périphérie de son champ d'action à son point de départ. Après avoir livré pendant quatre siècles l'existence et la civilisation de tous les peuples non-capitalistes d'Afrique, d'Asie, d’Amérique et d'Australie à des convulsions incessantes et au dépérissement en masse, l'expansion capitaliste précipite aujourd’hui les peuples civilisés de l'Europe elle-même dans une suite de catastrophes dont le résultat final ne peut être que la ruine de la civilisation ou l'avènement de la production socialiste". Rosa Luxemburg, ("Critique des critiques ou : ce que les épigones ont fait de la théorie marxiste", V., Petite Collection Maspéro 48, 1969, p.222, in "L'accumulation du capital")
Le capitalisme dans sa phase impérialiste finale entre dans "l'ère des guerres et des révolutions" comme l'affirma l'Internationale Communiste, une ère ou l'humanité est confrontée au strict choix : socialisme ou barbarie. Pour la classe ouvrière, cette époque signifie l'érosion de toutes les réformes gagnées au 19ème siècle et une attaque grandissante de son niveau de vie par l'austérité et la guerre. Politiquement, elle signifie la destruction ou la récupération de ses organisations antérieures et l'oppression impitoyable de l'Etat-Léviathan impérialiste, Etat astreint par la logique de la concurrence impérialiste et par la décomposition de l'édifice social à prendre en charge tous les aspects de la vie sociale, économique et politique. C'est pourquoi, confrontée au désastre de la 1ère guerre mondiale, la gauche révolutionnaire tira la conclusion que le capitalisme avait définitivement achevé son rôle historique, et que la tâche immédiate de la classe ouvrière internationale était de transformer la guerre impérialiste en guerre civile, de renverser le capitalisme en attaquant la racine du mal :
- le système capitaliste mondial. Naturellement, cela signifiait une rupture totale avec les traîtres de la Social-Démocratie qui, comme Scheideman, Millerand et d'autres, étaient devenus ouvertement les avocats chauvins de la guerre impérialiste, ou avec les "Social-pacifistes", comme Kautsky, qui continuaient à répandre l'illusion que le capitalisme pouvait exister sans impérialisme, sans dictature, terreur ou guerre.
- Jusque là, il ne pouvait y avoir de désaccord entre les marxistes, et en fait, ces points de base étaient suffisants pour le regroupement de l'avant- garde révolutionnaire dans l'Internationale Communiste. Mais les désaccords qui existaient alors et qui existent encore aujourd'hui dans le mouvement révolutionnaire surgirent lorsque les marxistes tentèrent de faire une analyse plus précise des forces motrices de l'impérialisme et de ses manifestations concrètes, et quand ils tirèrent les conséquences politiques de cette analyse. Ces désaccords tendaient à correspondre aux différentes théories de la crise du capitalisme et du déclin historique du système, puisque l'impérialisme était une tentative du capital pour surmonter ses contradictions mortelles, ce sur quoi tous s'accordaient. Ainsi, Boukharine et Luxemburg par exemple, insistèrent sur des contradictions différentes dans leurs théories des crises, et donc rendaient compte différemment de la force motrice de l'expansion impérialiste. Ce débat fut encore compliqué du fait que le gros du travail de Marx sur les questions économiques avait été écrit avant que l'impérialisme ne soit vraiment établi, et ce trou dans son travail donna lieu à différentes interprétations sur la façon dont les écrits de Marx pouvaient être appliqués à l'analyse de l'impérialisme. Il n'est pas possible dans ce texte de revenir sur tous ces débats sur la crise et l'impérialisme dont la plupart ne sont pas encore résolus aujourd'hui; ce que nous voulons faire, c'est examiner brièvement les deux grandes définitions de l'impérialisme développées à l'époque - thèse de LENINE/BOUKHARINE et thèse de LUXEMBURG - et voir comment s'adaptent les deux définitions à la fois à l'époque d'alors et à l'époque actuelle. Ce faisant, nous tenterons de préciser notre propre conception de l'impérialisme aujourd'hui.
LA CONCEPTION DE L' IMPERIALISME DE LENINE
Pour Lénine, les traits caractéristiques de l'impérialisme étaient :
1. Concentration de la production et du capital parvenue à un degré de développement si élevé qu'elle a créé des monopoles dont le rôle est décisif dans la vie économique.
2. Fusion du capital bancaire et du capital industriel, et création, sur la base de ce 'capital financier1, d'une oligarchie financière.
3. L'exportation des capitaux, à la différence de l'exportation des marchandises, prend une importance toute particulière.
4. Formation d'unions internationales monopolistes de capitalistes se partageant le monde.
5. Fin du partage territorial du globe entre les grandes puissances capitalistes.
("L'impérialisme, stade suprême du capitalisme", VII Ed. du Progrès, Moscou 1971, p.726)
Bien que la définition de l'impérialisme de Lénine contienne un nombre d'indications importantes, sa principale faiblesse est d'être plus une description de certains effets de l'impérialisme qu'une analyse des racines de l'impérialisme dans le processus d'accumulation. L'évolution organique ou intensive du capital vers des unités de plus en plus concentrées, et le développement géographique ou extensif du champ d'activité du capital (la recherche de colonies, la division territoriale du globe) sont fondamentalement des expressions de son processus interne d'accumulation. C'est la composition organique croissante du capital, avec la baisse tendancielle du taux de profit et le rétrécissement du marché intérieur qui contraignent le capital à chercher des débouchés nouveaux, rentables pour l'investissement de capital et à étendre continuellement le marché pour ses marchandises.
Mais bien que la dynamique profonde de l'impérialisme ne change pas, les manifestations extérieures de cette dynamique sont soumises à des modifications, de telle sorte que de nombreux aspects de la définition de Lénine de l'impérialisme sont inadéquats aujourd'hui, et même au temps où il les avait élaborés. C'est ainsi que la période où le capital semblait être dominé par une oligarchie du "capital financier" et par des "groupements de monopoles internationaux" ouvrait déjà la voie à une nouvelle phase pendant la 1ère guerre mondiale; l'ère du capitalisme d'Etat, de l'économie de guerre permanente. A l'époque des rivalités inter-impérialistes chroniques sur le marché mondial, le capital tout entier tend à se concentrer autour de l'appareil d'Etat qui subordonne et discipline toutes les fractions particulières du capital aux besoins de survie militaire/économique. La reconnaissance du fait que le capitalisme était entré dans une phase de luttes violentes entre les "trusts capitalistes d'Etat" nationaux était beaucoup plus claire chez Boukharine que chez Lénine (voir "L'économie mondiale et l'impérialisme" Ed.Anthropos, 1969), bien que Boukharine soit encore prisonnier du rapport impérialisme-capital financier, ce qui fait que son "trust capitaliste d'Etat" est en grande partie présenté comme un instrument de l'oligarchie financière, alors que l'Etat est en réalité l'organe dirigeant suprême à notre époque. Plus encore, comme le soulignait Bilan :
"Définir l'impérialisme comme 'produit du capital financier' comme le fait Boukharine, c'est établir une fausse filiation et surtout c'est perdre de vue l'origine commune de ces deux aspects du processus capitaliste : la production de plus-value." (Bilan n°ll, p.387)
L'échec de Lénine à comprendre la signification du capitalisme d'Etat devait avoir de graves conséquences politiques dans un certain nombre de domaines : les illusions sur la nature progressive de certains aspects du capitalisme d'Etat qui ont été appliqués, avec des conséquences désastreuses, par les bolcheviks dans la révolution russe ; l'incapacité à voir l'intégration des anciennes organisations ouvrières à l'Etat, et la théorie confuse de 1'"aristocratie ouvrière", des "partis ouvriers-bourgeois" et des "syndicats réactionnaires" mais toutefois distincts de la machine étatique (le problème avec ces organisations n'était alors plus qu'un des dirigeants traîtres avait été corrompu par les "superprofits impérialistes", mais que l'appareil tout entier était incorporé au colosse qu'est l'appareil d'Etat). Les conclusions tactiques tirées de ces théories erronées sont bien connues : front unique, travail syndical, etc. De même, l'insistance de Lénine sur le fait que les possessions coloniales étaient un trait distinctif et même indispensable de l'impérialisme n'a pas tenu l'épreuve du temps. Malgré la prévision que la perte des colonies, précipitée par les révoltes nationales dans ces régions, ébranlerait le système impérialiste jusque dans ses fondements, l'impérialisme s'est adapté tout à fait facilement à la "décolonisation". La décolonisation n'a fait qu'exprimer le déclin des anciennes puissances impérialistes et le triomphe des géants impérialistes qui n'étaient pas entravés par un grand nombre de colonies au moment de la 1ère guerre mondiale. C'est ainsi que les Etats-Unis et l'URSS purent développer une politique cynique "anticoloniale" pour mener à bien leurs propres objectifs impérialistes, pour s'appuyer sur les mouvements nationaux et les transformer immédiatement en guerres inter-impérialistes par "peuples" interposés.
La théorie de l'impérialisme de Lénine devint la position officielle des bolcheviks et de l'Internationale Communiste, en particulier en liaison avec la question nationale et coloniale, et c'est là que les manques de la théorie devaient avoir les conséquences les plus sérieuses. Si l'impérialisme est essentiellement défini par des caractéristiques superstructurelles, il devient facile de diviser le monde en nations impérialistes, oppresseuses, et en nations non-impérialistes, opprimées, et même pour certaines puissances impérialistes de "cesser" tout d'un coup d'être impérialistes, lorsqu'elles perdent une ou plusieurs de ces caractéristiques. En même temps s'est développée une tendance à noyer les différences de classe dans les "nations opprimées" et à défendre que le prolétariat -comme champion national de tous les opprimés- devait rallier les nations opprimées sous sa bannière révolutionnaire. Cette position s'appliquait principalement aux colonies, mais Lénine, dans sa critique à la "brochure de Junius", défend l'idée que même les pays capitalistes développés de l'Europe moderne, pourraient, dans certaines circonstances, combattre dans une guerre légitime pour l'indépendance nationale. Pendant la première guerre mondiale, cette idée ambiguë n'eut pas de conséquence, grâce à l'évaluation correcte de Lénine, selon laquelle le contexte impérialiste global de la guerre ne permettait pas au prolétariat de soutenir une politique d'indépendance nationale de quelque belligérant que ce soit. Mais les faiblesses de cette théorie furent démontrées de façon éclatante après la guerre : avant tout, avec le déclin de la vague révolutionnaire et l'isolement de l'Etat russe. L'idée d'un caractère "anti-impérialiste" des "nations opprimées" fut démentie par les faits en Finlande, en Europe de l'Est, en Perse, en Turquie et en Chine, où les tentatives de mener des politiques d'"autodétermination nationale" et de "fronts uniques anti-impérialistes" furent impuissantes à empêcher les bourgeoisies locales de s'allier aux puissances impérialistes et d'écraser toute initiative en faveur de la révolution communiste ([1] [548]). La plus grotesque application des idées avancées par Lénine dans son "à propos de la brochure de Junius" fut peut-être l'expérience "nationale bolchevik" en Allemagne en 1923 : selon ce concept sans fondement, l'Allemagne aurait soudain cessé d'être une puissance impérialiste avec la perte de ses colonies, et le pillage que l'Entente lui avait fait subir. Une alliance anti-impérialiste avec certains secteurs de la bourgeoisie allemande était donc à Tordre du jour. Bien sur, il n'y a pas une ligne directe qui relie les faiblesses théoriques de Lénine à ces trahisons totales. Entre les deux, il y a tout un processus de dégénérescence. Néanmoins il est important que les communistes démontrent que c'est précisément les erreurs des révolutionnaires du passé qui peuvent servir aux partis en dégénérescence ou contre-révolutionnaires pour justifier leur trahison. Ce n'est pas un hasard si la contre-révolution, sous ses formes stalinienne , maoïste ou trotskyste, fait abondamment référence aux théories de Lénine sur l'impérialisme et la libération nationale, pour "prouver" que la Russie ou la Chine ne sont pas impérialistes (voir le truc typique des gauchistes : "où sont les monopoles et les oligarchies financières en URSS ?"); ou aussi pour "prouver" que de nombreuses cliques bourgeoises des pays sous-développés doivent être soutenues dans leur lutte "anti-impérialiste". Il est vrai qu'ils déforment et corrompent nombre d'aspects de la théorie de Lénine, mais les communistes ne devraient pas avoir peur d'admettre qu'il y a de nombreux éléments dans la conception de Lénine qui peuvent être repris plus ou moins "tels quels" par ces forces bourgeoises. Ce sont précisément ces éléments que nous devons être capables de critiquer et de dépasser.
L'IMPERIALISME ET LA BAISSE TENDANCIELLE DU TAUX DE PROFIT
Dans Lénine, il est pratiquement implicite que l'expansion impérialiste puise ses racines dans le processus d'accumulation dans la nécessité de surmonter la baisse tendancielle du taux de profit en cherchant de la main d'œuvre bon marché et des matières premières dans les régions coloniales. Cet élément est plus explicitement mis en évidence par Boukharine, et ce n'est peut-être pas par hasard si l'analyse plus rigoureuse de l'impérialisme par Boukharine était, du moins au début, accompagnée d'une position plus claire sur la question nationale -(pendant la première guerre mondiale et les premières années de la révolution russe, Boukharine a combattu la position de Lénine sur l'auto-détermination nationale. Plus tard, il changea de position : ce fut la position de Luxemburg sur la question nationale -intimement liée à sa théorie de l'impérialisme ([2] [549])- qui s'est avérée la plus consistante.)- Sans aucun doute, la nécessité de contrecarrer la baisse tendancielle du taux de profit fut un élément primordial de l'impérialisme, puisque l'impérialisme commence précisément au stade où un grand nombre de capitaux nationaux à haute composition organique arrivent sur le terrain du marché mondial. Mais, bien que nous ne puissions pas traiter davantage la question ici ([3] [550]), nous considérons que les explications de l'impérialisme qui se réfèrent plus ou moins exclusivement à la baisse tendancielle du taux de profit souffrent de deux faiblesses majeures.
1) De telles explications tentent de dépeindre l'impérialisme comme le fait des seuls pays hautement développés -pays a forte composition organique du capital, obligés d'exporter le capital pour surmonter la baisse tendancielle du taux de profit.
Cette idée a atteint un niveau caricatural avec la CWO ([4] [551]) qui assimile l'impérialisme à l'indépendance économique et politique et conclue qu'il n'y a aujourd'hui que deux puissances impérialistes dans le monde - les USA et l'URSS, parce qu'ils sont les seuls à être vraiment "indépendants" (les autres pays n'ont que des tendances impérialistes qui ne peuvent jamais être réalisées). C'est la conséquence logique du fait de voir le problème du point de vue des capitaux individuels plutôt que du capital global. Comme le soulignait Rosa Luxemburg :
"La politique impérialiste n'est pas l'œuvre d'un pays ou d'un groupe de pays. Elle est le produit de l'évolution mondiale du capitalisme à un moment donné de sa maturation. C'est un phénomène international par nature, un tout inséparable qu'on ne peut comprendre que dans ses rapports réciproques et auquel aucun Etat ne saurait se soustraire." ("La crise de la Social-Démocratie" (Brochure de Junius) - Edition la Taupe, 1970 p.177)
Ceci ne veut pas dire que la conclusion de la CWO es la conséquence inévitable du fait d'expliquer l'impérialisme uniquement en se référant à la baisse tendancielle du taux de profit. Si on prend le point de vue du capital global, il devient clair que si c'est le taux de profit des pays les plus développés qui détermine le taux de profit global, les menées impérialistes des pays avancés qui en découlent ont aussi un écho dans les capitaux les plus faibles. Mais dès l'instant où on considère réellement le problème du point de vue du capital global, une autre contradiction du cycle de l'accumulation apparaît -l'incapacité du capital global à réaliser toute la plus-value à l'intérieur de ses propres rapports de production. Ce problème, posé par Luxemburg dans L'Accumulation du Capital fut nié par Lénine, Boukharine et leurs successeurs, qui l'ont considérée comme un abandon du marxisme. Il n'est pourtant pas difficile de montrer que Marx était préoccupé par le même problème ([5] [552]):
"Plus la production capitaliste se développe, plus elle est forcée de produire à une échelle qui n'a rien à voir avec la demande immédiate mais qui dépend d'une expansion constante du marché mondial. Ricardo recourt à l'affirmation rebattue de Say selon laquelle les capitalistes ne produisent pas dans le but du profit, de la plus-value, mais qu'ils produisent des valeurs d'usage directement pour la consommation -pour leur propre consommation. Il ne tient pas compte du fait que la marchandise doit être convertie en argent. La consommation des ouvriers ne suffit pas, puisque le profit provient précisément du fait que la consommation des ouvriers est inférieure à la valeur de leur produit et qu'il (le profit) est d'autant plus grand que la consommation est, relativement, petite. La consommation des capitalistes eux-mêmes est également insuffisante." (Théories sur la plus-value, 2ème partie, chap. XVI "La théorie de Ricardo sur le profit" - traduit de 1'anglais par nous)
Ainsi, toute analyse sérieuse de l'impérialisme doit prendre en compte cette nécessité d'une "expansion constante du marché mondial". Une théorie qui ignore ce problème est incapable d'expliquer pourquoi ce fut précisément au moment où le marché mondial devint incapable de poursuivre son expansion -avec l'intégration des secteurs les plus importants de l'économie précapitaliste dans l'économie capitaliste mondiale aux débuts du 20ème siècle- que le capitalisme est jeté dans la crise permanente de sa période impérialiste finale. La simultanéité historique de ces deux phénomènes peut-elle être rejetée comme une simple coïncidence ? Alors que toutes les analyses marxistes de l'impérialisme ont vu que la chasse aux matières premières et à la force de travail, toutes deux à bon marché, a été un aspect central de la conquête coloniale, seule celle de Rosa Luxemburg comprend 1'importance décisive des marchés précapitalistes des colonies et des semi-colonies, puisqu’ils fournissent le terrain pour une "expansion constante du marché mondial" jusqu'aux premières années du 20ème siècle. Et c'est précisément cet élément qui est la "variable" dans l'analyse. Le capital peut toujours trouver la force de travail pas chère et les matières premières bon marché dans les régions sous-développées : ceci est vrai à la fois avant et après l'incorporation des colonies et semi-colonies dans l'économie capitaliste mondiale, à la fois dans les phases ascendante et décadente du capital.
Mais d'une part la demande globale de ces régions cesse d'être "extra-capitaliste" et d'autre part le gros de cette demande est intégré dans les rapports de production capitalistes; le capital global n'a pas de nouveaux débouchés pour la réalisation de cette fraction de la plus-value destinée à l'accumulation, il a perdu sa capacité d'étendre continuellement le marché mondial. Maintenant les "régions coloniales" sont-elles mêmes productrices de plus-value, concurrentes des métropoles. La force de travail et les matières premières dans ces régions peuvent rester encore bon marché, elles peuvent rester des aires d'investissement profitables, mais elles ne peuvent plus aider le capital mondial à résoudre les problèmes de réalisation : elles sont devenues parties prenantes du problème. De plus, cette incapacité à étendre le marché mondial des quelques degrés requis par la productivité du capital prive aussi la bourgeoisie d'une des principales contre-tendances à la baisse du taux de profit : l'accroissement de la masse de profit par la production et la vente d'une somme croissante de marchandises. Ainsi se trouvent confirmées les prévisions du Manifeste Communiste :
"Les institutions bourgeoises sont devenues trop étroites pour contenir la richesse qu'elles ont créé. Comment la bourgeoisie surmonte-t-elle ces crises ? D'une part, en imposant la destruction d'une masse de forces productives ; d'autre part, en s'emparant de marchés nouveaux et en exploitant mieux les anciens. Qu'est-ce à dire ? Elle prépare des crises plus générales et plus profondes, tout en réduisant les moyens de les prévenir". MARX. ("Manifeste du Parti Communiste.")
C'est la théorie de l'impérialisme de Rosa Luxemburg qui est la meilleure continuation de la pensée de Marx sur cette question.
LA CONCEPTION DE LUXEMBURG SUR L'IMPERIALISME ET SES CRITIQUES
"L'impérialisme est l'expression politique du processus de l'accumulation capitaliste se manifestant par la concurrence entre les capitalismes nationaux autour des derniers territoires non capitalistes encore libres du monde. Géographiquement, ce milieu représente aujourd'hui encore la plus grande partie du globe. Cependant le champ d'expansion offert à l'impérialisme apparaît comme minime, comparé au niveau élevé atteint par le développement des forces de production capitalistes. Il faut tenir compte en effet de la masse énorme de capital déjà accumulé dans les vieux pays capitalistes et qui lutte pour écouler un surproduit et pour capitaliser sa plus-value et, en outre, de la rapidité avec laquelle les pays précapitalistes se transforment en pays capitalistes.
Sur la scène internationale, le capital doit donc procéder par des méthodes appropriées. Avec le degré d'évolution élevé atteint par les pays capitalistes et l'exaspération de la concurrence des pays capitalistes pour la conquête des territoires non-capitalistes, la poussée impérialiste, aussi bien dans son agression contre le monde non-capitaliste que dans les conflits plus aigus entre les pays capitalistes concurrents, augmente d'énergie et de violence. Mais plus s'accroissent la violence et l'énergie avec lesquelles le capital procède à la destruction des civilisations non-capitalistes, plus il rétrécit sa base d'accumulation. L'impérialisme est à la fois une méthode historique pour prolonger les jours du capital et le moyen le plus sûr et le plus rapide d'y mettre objectivement un terme. Cela ne signifie pas que le point final ait besoin d'être atteint à la lettre. La seule tendance vers ce but de l'évolution capitaliste se manifeste déjà par des phénomènes qui font de la phase finale du capitalisme une période de catastrophes." R.LUXEMBURG.("L'accumulation du capital." Ed. Maspéro. Page 111. Ch.31)
Comme on peut le voir dans ce passage, la définition luxemburgiste de l'impérialisme se concentre sur les bases du problème, c'est à dire le processus d'accumulation, et en particulier la phase du processus qui concerne la réalisation, plus que les ramifications superstructurelles de l'impérialisme. Par ailleurs, cependant, elle montre que le corollaire politique de l'expansion impérialiste est la militarisation de la société et le renforcement de l'Etat : l'essoufflement de la démocratie bourgeoise et le développement de formes ouvertement despotiques de la domination capitaliste, la brutale dégradation du niveau de vie des ouvriers pour maintenir le secteur militaire hypertrophié de l'économie. Bien que "1'Accumulation du Capital" contienne des idées contradictoires sur le militarisme vu comme un "département de l'accumulation", Luxemburg avait fondamentalement raison de voir l'économie de guerre comme une caractéristique indispensable du capitalisme impérialiste décadent. Mais l'analyse fondamentale de la force motrice de l'impérialisme de Luxemburg a été l'objet de nombreuses critiques. La plus importante fut écrite par Boukharine dans son ".L’impérialisme et Accumulation du Capital" (1924). Le gros de ses arguments contre la théorie de Luxemburg a trouvé récemment un écho dans la Communist Workers'Organisation (voir leur revue Revolutionary Perspectives n°6 :"1'Accumulation des contradictions"). Nous répondrons ici aux deux plus importantes critiques émises par Boukharine :
1) Selon Boukharine, la théorie de Luxemburg, selon laquelle le moteur de l'impérialisme réside dans la recherche de nouveaux marchés, rend l'époque impérialiste indifférenciée des autres périodes du capital :
" Le capitalisme commercial et le mercantilisme, le capitalisme industriel et le libéralisme, le capitalisme financier et l'impérialisme -toutes ces phases du développement capitaliste disparaissent et se fondent dans le capitalisme en tant que tel". (Boukharine, "Impérialisme et Accumulation", Ed.EDI, Ch.IV, p.l2l) "
Et pour la CWO :
" (...) et son analyse de l'impérialisme basée sur la "saturation des marchés" est extrêmement faible et inadéquate. Si comme l'admettait Luxemburg... les métropoles capitalistes contenaient encore des enclaves précapitalistes (serfs, paysans), pourquoi le capitalisme a-t-il besoin de s'étendre à l'extérieur, loin des métropoles capitalistes depuis le tout début de son existence ? Pourquoi n'a-t-il pas d'abord intégré ces couches dans le rapport capital-travail salarié s'il cherchait uniquement de nouveaux marchés? L'explication réside non dans le besoin de Mouvaux marchés, mais dans la recherche des matières premières et du profit maximum. Deuxièmement, la théorie de Luxemburg implique que l'impérialisme est une caractéristique permanente du capitalisme. Comme le capitalisme, pour Luxemburg, a toujours cherché à étendre le marché pour accumuler , sa théorie ne peut faire la distinction entre l'expansion originelle des économies de commerce et d'argent à l'aube du capitalisme en Europe et son expansion impérialiste ultérieure...le capital mercantile était nécessaire à l'accumulation originelle, mais c'est un phénomène qualitativement différent de la façon dont le capitalisme accumule une fois qu'il s'est établi comme mode de production dominant."
("Revolutionary Perspectives" n°6, P.18-19)
Dans ce passage; la virulence de la CWO contre le "luxemburgisme" surpasse même la polémique acérée de Boukharine. Un certain nombre de points doivent être établis avant de poursuivre. D'abord, Luxemburg n'a jamais dit que l'expansion impérialiste était due uniquement à la recherche de nouveaux marchés : elle a clairement décrit sa quête planétaire à la recherche de main d'œuvre bon marché et de matières premières, comme la CWO le note à la même page de Revolutionary Perspectives n°6. Deuxièmement, il est étonnant de présenter le besoin du capitalisme "d'étendre ses marchés pour accumuler" comme une découverte de Luxemburg, alors que c'est une position fondamentale défendue par Marx contre Say et Ricardo, comme nous l'avons déjà vue. Boukharine lui-même, n'a en aucune manière nié que l'impérialisme recherchait de nouveaux marchés, en fait, il considère ce fait comme une des trois forces motrices de l'expansion impérialiste :
" Nous avons mis à nu trois mobiles fondamentaux de la politique de conquête des Etats capitalistes modernes. Une compétition accrue sur le marché de la vente, sur le marché des matières premières et pour la sphère d'investissement du capital...Ces trois racines de la politique du capital financier, toutefois, représentent en substance seulement trois facettes d'un même phénomène, qui n'est autre que le conflit entre l'accroissement des forces productives et les limites "nationales" de l'organisation de la production".
BOUKHARINE. ("L'économie mondiale et l'impérialisme." Ch. 4. P. 101-102)
Néanmoins, l'opposition demeure : pour Lénine, Boukharine et autres, c'est "1'exportation des capitaux" et non celles des "marchandises" qui distinguent la phase impérialiste du capital de sa phase précédente. Est-ce que la théorie de Luxemburg ignore cette distinction et donc implique que l'impérialisme était une caractéristique du capital dès le début ?
Si nous nous référons aux passages de Luxemburg cités dans le texte, particulièrement à la longue citation de la "Critique des critiques", nous pouvons voir que Luxemburg faisait elle-même clairement une distinction entre la phase d'accumulation primitive et la phase impérialiste, qui est indubitablement présentée comme une phase déterminée dans le développement du capital. Est-ce que ce sont des mots creux ou est-ce qu'ils correspondent à la substance de la théorie de Luxemburg ?
En fait, il n'y a pas là de contradiction dans l'analyse de Luxemburg. L'impérialisme à proprement parler débute après les années 1870, lorsque le capitalisme mondial arrive à une nouvelle configuration significative : la période où la constitution des Etats nationaux d'Europe et d'Amérique du Nord est achevée, et où, au lieu d'une Grande-Bretagne "usine du monde", nous avons plusieurs "usines" capitalistes nationales développées en concurrence pour la domination du marché mondial -en concurrence non seulement pour l'obtention des marchés intérieurs des autres mais aussi pour le marché colonial . C'est cette situation qui provoque la dépression des années 1870 -"germes de la décadence capitaliste" justement parce que le déclin du système est synonyme de la division du marché mondial entre capitaux concurrents- avec la transformation du capitalisme en un "système fermé" dans lequel le problème de la réalisation devient insoluble. Mais, bien sûr, dans les années 70, la possibilité de briser le cercle fermé existait encore, et cela explique en grande partie la course désespérée de l'expansion impérialiste à cette époque.
Il est vrai, comme le souligne la CWO, que le capital a toujours recherché des marchés coloniaux, mais il n'y a pas de mystère à cela -les capitalistes chercheront toujours des zones d'exploitation rentables et des bonnes ventes, même si les marchés disponibles "chez soi" ne sont pas totalement saturés. Il serait absurde de s'attendre à ce que le capitalisme suive un cours de développement régulier -comme si les capitalistes s'étaient rencontrés pour dire ensemble : "d'abord nous allons épuiser tous les secteurs précapitalistes en Europe, ensuite nous nous étendrons à l'Asie, ensuite à 1'Afrique, etc ..."
Néanmoins, derrière le développement chaotique du capitalisme, on peut voir une caractéristique bien déterminée : le pillage des colonies par le capitalisme naissant; l'utilisation de ce pillage pour accélérer la révolution industrielle dans la métropole; ensuite, sur la base du capitalisme industriel, une nouvelle poussée dans les régions coloniales. Bien sûr, la première période de l'expansion coloniale n'était pas une réponse à une surproduction intérieure, mais correspondait aux nécessités de l'accumulation primitive. Nous ne pouvons commencer à parler d'impérialisme que 1orque l'expansion coloniale devient une réponse aux contradictions d'une production capitaliste pleinement développée. Dans cette mesure, nous pouvons situer les débuts de l'impérialisme à l'époque où les crises commerciales du milieu du 19ème siècle agissent comme aiguillon de l'expansion du capital britannique vers les colonies et semi-colonies. Mais, comme nous l'avons dit, l'impérialisme dans le plein sens du terme implique une relation de concurrents entre Etats capitalistes; et c'est lorsque le marché des métropoles a été partagé de façon décisive entre plusieurs géants capitalistes que l'expansion impérialiste devient une nécessité inévitable pour le capital. C'est ce qui explique la transformation rapide de la politique coloniale britannique dans la dernière partie du 19ème siècle. Avant la dépression des années 1870, avant l'accroissement de la concurrence des USA et de l'Allemagne, les capitalistes britanniques se demandaient si les colonies existantes valaient les dépenses qu'elles entraînaient et étaient hésitants à s'emparer de nouvelles colonies; ils furent à cette époque convaincus de la nécessité pour la Grande-Bretagne de maintenir et d'étendre sa politique coloniale. La course aux colonies de la fin du 19èmé siècle ne fut pas le résultat d'une soudaine vague de folie de la part de la bourgeoisie ou d'une recherche orgueilleuse de prestige national, mais était une réponse à une contradiction fondamentale du cycle d'accumulation : la concentration grandissante du capital et le partage du marché dans les métropoles, aggravant simultanément la baisse tendancielle du taux de profit, et le fossé entre la productivité et les marchés solvables, c'est à dire le problème de la réalisation.
L'idée que l'orientation vers l'ouverture de nouveaux marchés fut un élément de l'expansion impérialiste n'est pas, contrairement à ce que proclame la CWO dans RP n°6 (P.19) contredit par le fait que le gros du commerce mondial à cette époque était constitué par le commerce des métropoles capitalistes entre elles. Le phénomène avait été souligné par Luxemburg elle-même :
" (...) Avec le développement international du capitalisme, la capitalisation de la plus-value devient de plus en plus urgente et précaire. Il élargit d1rautre part la base dû capital constant et du capital variable en tant que masse, aussi bien dans l'absolu que par rapport à la plus value. De là le phénomène contradictoire que les anciens pays capitalistes, tout en constituant les uns pour les autres un marché toujours plus large et en pouvant de moins en moins se passer les uns des autres, entrent en même temps dans une concurrence toujours plus acharnée pour les relations avec les pays non capitalistes". R.LUXEMBURG ("L'Accumulation du Capital" Ch.26, p.39)
Les marchés "extérieurs" étaient pour le capital global un espace d'air frais dans une prison plus forte et plus peuplée. Plus l'espace d'air frais se rétrécit par rapport à la surpopulation de la prison, et plus les prisonniers se jetaient désespérément dessus.
Le fait que durant cette période, il y eut un net accroissement des exportations de capital ne signifie pas non plus que l'expansion impérialiste n'ait rien à voir avec un problème de marchés. L'exportation de capital vers les régions coloniales était nécessaire non seulement parce qu'elle permettait au capitalisme de produire dans des zones où la force de travail était bon marché et donc d'augmenter le taux de profit, mais encore parce qu'elle étendait le marché mondial :
a) parce que l'exportation de capitaux inclut l'exportation de biens de production qui sont eux-mêmes des marchandises qui doivent être vendues;
b) parce que l'exportation de capital -que ce soit sous la forme de capital monétaire pour l'investissement ou de biens de production- servait à étendre 1'ensemble du marché pour la production capitaliste en l'implantant dans de nouvelles régions et en amenant de plus en plus d'acheteurs solvables dans son orbite. L'exemple le plus évident est la construction de chemins de fer, qui ont servi à étendre la vente des marchandises capitalistes à des millions et des millions de nouveaux acheteurs.
Le problème du "marché" peut aider à expliquer une des caractéristiques les plus nettes de la façon dont l'impérialisme a étendu la production capitaliste à travers le monde : la "création" du sous-développement. Parce que les impérialistes voulaient un marché soumis -un marché d'acheteurs qui ne deviendraient pas des concurrents des métropoles en devenant producteurs capitalistes eux-mêmes. Il en découle le phénomène contradictoire par lequel l'impérialisme a exporté le mode de production capitaliste et a détruit systématiquement les formations économiques précapitalistes, tout en freinant simultanément le développement de capital indigène en pillant impitoyablement les économies coloniales, en subordonnant leur développement industriel aux besoins spécifiques de l'économie des métropoles et en appuyant les éléments les plus réactionnaires et les plus soumis des classes dominantes indigènes. C'est pourquoi, contrairement aux prévisions de Marx, le capitalisme n'a pas crée une image réfléchie de lui-même dans les régions coloniales. Dans les colonies et les semi-colonies, il ne devait pas naître de capitaux nationaux indépendants -pleinement formés avec leur propre révolution bourgeoise et leur base industrielle saine- mais plutôt des caricatures grossières des capitaux des métropoles, affaiblies par le poids des vestiges en décomposition des modes de production antérieurs, industrialisées au rabais pour servir les intérêts étrangers, avec des bourgeoisies faibles, nées séniles, à la fois au niveau économique et politique. L'impérialisme avait ainsi crée le sous-développement et ne serait plus jamais capable de l'abolir; en même temps, il s'assurait qu'il ne pourrait pas y avoir de révolutions bourgeoises dans les zones arriérées.
En grande partie, les répercussions profondes du développement impérialiste, répercussions qui ne sont que trop évidentes aujourd'hui où le "Tiers-Monde" sombre dans la barbarie, ont leurs origines dans la tentative impérialiste d'utiliser les colonies et les semi-colonies pour résoudre les problèmes des marchés.
Selon Boukharine, la définition de l'impérialisme par Luxemburg signifie que l'impérialisme cesse d'exister lorsqu'il n'y a plus de vestige du milieu non-capitaliste à se disputer :
" (...) Il suit de cette définition que la lutte pour des territoires DEJA capitalistes n'est pas de l’'impérialisme, ce qui est absurde ... il suit de la même définition que la lutte pour des territoires qui sont déjà "occupés" n1est pas non plus de l'impérialisme. La fausseté de ce moment de la définition saute aux yeux lui aussi... Citons un exemple typique qui permettra d'illustrer le caractère insoutenable de la conception luxemburgienne de l'impérialisme. Nous songeons à l'occupation de la Ruhr par les français (1923).
Du point de vue de la définition de Rosa Luxemburg, il n'y a ici aucun impérialisme, car :
1) il manque ici les "derniers territoires"
2) il n'existe ici aucun "territoire non-capitaliste"
3) le territoire de la Ruhr possédait déjà avant l'occupation un propriétaire impérialiste.".
("Impérialisme et Accumulation", p.121-122)
Cet argument a été repris dans la question naïve posée par la CWO à la 2ème Conférence Internationale à Paris : "Où sont les marchés précapitalistes ou autres dans la guerre entre Ethiopie et Somalie pour le désert de l'Ogaden ?" Une telle question trahit une compréhension bien faible de ce que dit Luxemburg, ainsi qu'une tendance regrettable à voir l'impérialisme, non comme "un phénomène international par nature, un tout inséparable" mais comme "l'œuvre d'un pays ou d'un groupe de pays"; en d'autres termes, une tendance à voir le problème du point de vue partiel et individuel des capitaux nationaux.
Si Boukharine s'est soucié de citer plus que la première phrase du passage de "L'Accumulation du capital" dé Luxemburg que nous avons cité entièrement TpTl3), il aurait montré que pour Luxemburg, l'épuisement grandissant du milieu non-capitaliste ne signifiait pas la fin de l'impérialisme, mais l'intensification des antagonismes impérialistes entre les Etats capitalistes eux-mêmes. C'est ce que voulait dire Luxemburg quand elle écrivait que : "l'impérialisme ramène sa catastrophe de la périphérie de son champ d'action à son point de départ" ("Critique des critiques"). Dans la phase finale de l'impérialisme, le capital est plongé dans une horrible série de guerres où chaque capital ou bloc de capitaux, incapable de s'étendre "pacifiquement" à de nouvelles zones, est contraint de s'emparer des marchés et des territoires de ses rivaux. La guerre devient le mode de survie de tout le système.
Bien sûr Luxemburg pensait que la révolution mettrait fin au capitalisme bien avant que le milieu non capitaliste n'en soit réduit à l'insignifiant facteur qu'il est aujourd'hui. L'explication de la façon dont le capitalisme décadent a prolongé son existence en l'absence de fait de ce milieu n'est pas l'objet de ce texte ([6] [553]). Mais tant qu'on considère l'impérialisme comme un "produit de l'évolution mondiale du capitalisme à un moment donné de sa maturation", "un phénomène international par nature, un tout inséparable", nous pouvons voir la validité de la définition de Luxemburg. Elle nécessite seulement d'être modifiée dans la mesure où aujourd'hui, les politiques impérialistes de conquête et de domination sont déterminées par la quasi complète disparition d'un marché extérieur, au lieu d'être une lutte directe pour des vestiges précapitalistes. Il est importait de souligner un changement global dans l'évolution du capitalisme mondial -l'épuisement des marchés extérieurs- qui pousse chaque fraction particulière du capital à se comporter de façon impérialiste.
Revenons aux objections de Boukharine : il n'est pas nécessaire de chercher des "milieux non-capitalistes" dans chaque conflit impérialiste, parce que c'est le capital comme un tout, le capital global, qui nécessite un marché extérieur pour son expansion. Pour le capitaliste individuel, les capitalistes et les ouvriers offrent un marché parfaitement valable pour ses marchandises : de même, pour un capital national, une nation capitaliste rivale peut être utilisée pour absorber sa plus-value. Tout marché que se disputent les Etats impérialistes n'a pas toujours été précapitaliste, et c'est de moins en moins le cas au fur et à mesure que ces marchés s'intègrent au capital mondial. Chaque lutte inter-impérialiste n'est pas non plus une lutte directe pour des marchés, loin de là. Dans la situation actuelle, la rivalité globale entre les USA et l'URSS est conditionnée par l'impossibilité d'étendre progressivement le marché mondial. Mais beaucoup, et peut-être la plupart des aspects spécifiques des politiques étrangères des USA et de l'URSS sont dirigés vers la consolidation d'avantages stratégico-militaires sur l'autre bloc. Par exemple, Israël n'est pas plus un marché pour les USA que Cuba pour l'URSS. Ces positions sont entretenues principalement pour leur valeur stratégico-politique, au prix de considérables dépenses de la part de leurs souteneurs. A une plus petite échelle, le pillage par le Vietnam des champs de riz cambodgiens n'est que cela, un pillage. Le Cambodge n'en constitue pas pour autant un "marché" pour l'industrie vietnamienne. Mais le Vietnam est contraint de piller les champs de riz cambodgiens parce que la stagnation industrielle de son secteur agricole ne lui permet pas de produire suffisamment pour nourrir la population vietnamienne. Et sa stagnation industrielle est déterminée par le fait que le marché mondial ne peut pas s'étendre, est déjà partagé, et n'admettrait pas de nouveaux arrivants. Une fois encore, ces
questions ne trouvent leur sens qu'en partant du point de vue global .
CONCLUSIONS POLITIQUES : L’IMPERIALISME ET L'IMPOSSIBILITE DES GUERRES NATIONALES
Les implications politiques du débat théorique sur l'impérialisme ont toujours été centrées sur une question : l'époque de l'impérialisme a-t-elle rendu plus probables les guerres nationales révolutionnaires comme l'affirmait Lénine, ou les a-t-elle rendues impossibles, comme l'affirmait Luxemburg ? Pour nous 1'histoire a de façon irréfutable confirmé l'affirmation de Luxemburg selon laquelle :
"La tendance générale de la politique capitaliste actuelle domine la politique des Etats particuliers comme une loi aveugle et toute puissante, tout comme les lois de la concurrence économique déterminent rigoureusement les conditions de production pour chaque entrepreneur particulier". ("Brochure de Junius", p.178)
Et en conséquence :
"A l'époque de cet impérialisme déchaîné, il ne peut plus y avoir de guerres nationales. Les intérêts nationaux ne sont qu'une mystification qui a pour but de mettre les masses populaires laborieuses au service de leur ennemi mortel : l'impérialisme."
(Idem, p.220)
La première citation a les applications concrètes suivantes à cette époque -qui vérifient toutes deux de façon éclatante la seconde citation :
a) Toute nation, toute bourgeoisie en puissance, est contrainte de s'aligner derrière un des blocs impérialistes dominants, et donc de se conformer et de se plier aux impératifs du capitalisme mondial. Encore une fois, selon les mots de Luxemburg :
"Les petites nations, dont les classes dirigeantes sont les jouets et les complices de leurs camarades de classe des grands Etats, ne sont que des pions dans le jeu impérialiste des grandes puissances et tout comme les masses, ouvrières des grandes puissances, elles sont utilisées comme instruments pendant la guerre pour être sacrifiées après la guerre aux intérêts capitalistes". ("La crise de la Social-Démocratie" (Brochure de Junius) p.221)
Contrairement à l'espoir de Lénine que les révoltes des "nations opprimées" affaibliraient l'impérialisme, toutes les luttes nationales à notre époque ont été transformées en guerres impérialistes par l’irréversible domination des grandes puissances; comme le reconnaissait Lénine lui-même, l'impérialisme signifie que le monde entier est divisé entre les grands Etats capitalistes : "de telle sorte que dans l'avenir seul un repartage est possible, c'est à aire que les territoires ne peuvent que passer d'un "propriétaire" à un autre, au lieu de passer du stade de territoire libre à celui de "propriétaire". ("L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme")
L'expérience des 60 dernières années a montré que ce que Lénine appliquait aux "territoires" peut être appliqué aussi à toutes les nations. Aucune ne peut échapper à l'étau impérialiste. C'est particulièrement évident aujourd'hui où le monde a été partagé, depuis 1945, en 2 blocs impérialistes constitués de façon permanente. Alors que la crise s'approfondit et que les blocs se renforcent, il devient clair que même les géants capitalistes comme le Japon et la Chine doivent se soumettre humblement aux diktats de leur maître, les USA. Dans une telle situation, comment peut-on encore avoir des illusions sur la possibilité d'indépendance nationale" des pays chroniquement faibles que sont les anciennes colonies ?
b) Toute nation ([7] [554]) est contrainte d'agir de façon impérialiste par rapport à ses concurrents. Même en étant subordonnée à un bloc dominant, toute nation est obligée de tenter d'en soumettre d'autres, plus petites, à son hégémonie. Luxemburg a noté ce phénomène pendant la première guerre mondiale, par rapport à la Serbie :
" Formellement, la Serbie mène sans aucun doute une guerre de défense nationale. Mais sa monarchie et ses classes dominantes sont bourrées de velléités expansionnistes comme le sont les classes dominantes de tous les Etats modernes... Ainsi, la Serbie avance aujourd'hui vers les côtes adriatiques où elle mène un véritable conflit impérialiste avec l'Italie sur le dos des Albanais." ("Brochure de Junius". p.181.182)
L'état d'asphyxie du marché mondial fait de la décadence l'époque de la guerre de chacun contre tous. Loin de pouvoir échapper à cette réalité, les petites nations sont contraintes de s'adapter totalement. La militarisation extrême des capitaux les plus arriérés, les fréquentes guerres locales entre les Etats des régions sous-développées, sont les manifestations chroniques du fait qu'"aucune nation ne peut rester à l'écart" de la politique impérialiste aujourd'hui.
Selon la CWO, "l'idée que tous les pays sont impérialistes contredit l'idée des blocs impérialistes". (Revolutionary Perspectives.n°12. p.25). Mais cela n'est vrai que si on limite la discussion à l'avance en affirmant que seules les puissances "indépendantes" sont impérialistes. Il est vrai que toute nation doit s'inscrire dans l'un ou l'autre bloc impérialiste, mais elle le fait seulement parce que c'est la seule façon de défendre ses propres intérêts impérialistes. Les conflits et les conflagrations à l'intérieur de chaque bloc n'en sont pas éliminés pour autant (et ils peuvent même prendre la forme de guerres ouvertes comme entre la Grèce et la Turquie en 1974) : ils sont seulement subordonnés à un conflit qui prévaut sur tous les autres. Les blocs impérialistes, comme toutes les alliances bourgeoises, ne peuvent être réellement unifiés ou harmonieux. Les voir ainsi, ou du moins considérer les nations faibles d'un bloc seulement comme des pantins dans les mains des puissances dominantes, rend impossible à comprendre les contradictions réelles et les conflits qui surgissent au sein du bloc, non seulement entre les nations faibles elles-mêmes, mais entre les besoins des nations les plus faibles et ceux de la puissance dominante. Le fait que ces conflits se règlent presque toujours en faveur de l'Etat dominant, ne les rend pas moins réels. De même, ignorer les menées impérialistes des petites nations rend pratiquement impossible à expliquer les guerres entre ces Etats. Le fait que ces menées soient invariablement utilisées pour les intérêts des blocs ne signifie pas qu'elles soient purement produites par les décisions secrètes de Moscou ou de Washington. Elles proviennent des tensions et des difficultés réelles au niveau local, difficultés qui donnent inévitablement lieu à une réponse impérialiste de la part des Etats locaux. Il ne tient pas debout de dire que les plus petites nations ont seulement des tendances impérialistes lorsqu'on voit par exemple le Vietnam envahir le Cambodge, renverser son gouvernement, installer un régime qui lui est soumis, piller son économie, et faire des appels pour la formation d'une "Fédération Indochinoise" sous l'hégémonie Vietnamienne. Le Vietnam n'a pas seulement des appétits impérialistes; il les satisfait concrètement en gobant ses voisins.
Si nous rejetons l'idée que cette politique est l'expression d'un Etat ouvrier livrant une guerre révolutionnaire, si nous ne considérons pas le clan dominant au Vietnam comme le protagoniste d'une lutte bourgeoise historiquement progressive pour l'indépendance nationale, il n'y a qu'un seul mot pour une politique et des actes de cet acabit : impérialisme.
GUERRE IMPERIALISTE OU REVOLUTION PROLETARIENNE
Si toutes les "luttes nationales" servent les intérêts d'Etats impérialistes grands ou petits, alors il est impossible de parler de guerre de défense nationale, de libération nationale, ou de mouvements révolutionnaires nationaux à cette époque. Il est nécessaire de rejeter toute tentative de réintroduire la position de l'Internationale Communiste sur la question nationale et coloniale. Ainsi par exemple, le Nucleo Comunista Internazionalista ([8] [555]) suggère qu'il serait possible d'appliquer les thèses de l'IC aux régions sous-développées si un vrai parti communiste existait :
"(...) dans les zones extra-métropolitaines, la mission d'un parti communiste passe, obligatoirement par l'accomplissement de tâches qui ne sont pas ''siennes" (en termes immédiats), même 'démocraties-bourgeoises' (constitution d'un Etat national indépendant, unification territoriale et économique, réforme agraire, nationalisation, "
(Notes pour une orientation sur la question nationale et coloniale. Textes préparatoires, vol.I, 2ème Conférence Internationale. Paris. Nov.78). La préoccupation du NCI est que le prolétariat et son avant-garde ne peuvent être indifférents aux mouvements sociaux des masses opprimées dans ces régions, doivent prendre la tête de leurs révoltes, les rattacher à la révolution communiste mondiale : ceci est parfaitement correct. Mais pour cela, le prolétariat doit aussi reconnaître que l'élément "national" ne vient pas des masses opprimées et exploitées, mais de leurs oppresseurs et exploiteurs. Dès 1'instant où ces révoltes sont entraînées dans une lutte pour des tâches "nationales", elles sont déviées sur le terrain de la bourgeoisie. Dans le contexte actuel national implique impérialisme :
"Depuis lors, l'impérialisme a complètement enterré le vieux programme bourgeois démocratique : l'expansion au-delà des frontières nationales (quelles que soient les conditions nationales des pays annexés) est devenue la plate-forme de la bourgeoisie de tous les pays. Certes la phrase nationale est demeurée, mais son contenu réel et sa fonction se sont mués en leur contraire. Elle ne sert plus qu'à masquer tant bien que mal les aspirations impérialistes, à moins qu'elle ne soit utilisée comme cri de guerre, dans les conflits impérialistes, seul et ultime moyen idéologique de capter l'adhésion des masses populaires et de leur faire jouer le rôle de chair à canon dans les guerres impérialistes." ("Brochure de Junius", p.178)
Cette vérité a été confirmée par tous les soi- disant mouvements de "libération nationale" du Vietnam à l'Angola, du Liban au Nicaragua. Avant et après leur accession au pouvoir, les forces bourgeoises de libération nationale agissent invariable ment comme agents de Tune ou l'autre des grandes puissances impérialistes. Dès le moment où elles s'emparent de l'Etat, elles commencent à poursuivre leurs propres buts impérialistes. Donc, la question n'est pas de diriger la révolte des masses "opprimées dans un "moment" de la lutte nationale démocratique bourgeoise, mais de les conduire hors du terrain national bourgeois, sur le terrain prolétarien de la guerre de classe. "Transformer la guerre impérialiste en guerre civile" est le cri de |ralliement du prolétariat dans toutes les parties du monde aujourd'hui.
Le caractère impérialiste actuel de toutes les fractions de la bourgeoisie et de tous leurs projets politiques ne peut pas être inversé, pas même momentanément, pas même par le meilleur parti communiste du monde. C'est une réalité historique profonde, basée sur une évolution sociale objectivement déterminée.
"L'ère des guerres impérialistes et des révolutions prolétariennes n'oppose plus des Etats réactionnaires et des Etats progressistes dans des guerres où se forge, avec le concours des masses populaires, l'unité nationale de la Bourgeoisie, où s'édifie la base géographique et politique servant de tremplin aux forces productives.
Elle n'oppose plus davantage la Bourgeoisie aux classes dominantes des colonies dans des guerres coloniales fournissant air et espace aux forces capitalistes de production déjà puissamment développées.
Mais cette époque oppose des Etats impérialistes, entités économiques se partageant et se repartageant le monde, incapables cependant de comprimer les contrastes de classe et les contradictions économiques autrement qu'en opérant, par la guerre, une gigantesque destruction de forces productives inactives et d'innombrables prolétaires répétés de la production.
DU POINT DE VUE DE L'EXPERIENCE HISTORIQUE, ON PEUT AFFIRMER QUE LE CARACTERE DES GUERRES QUI EBRANLENT PERIODIQUEMENT LA SOCIETE CAPITALISTE, AINSI QUE LA POLITIQUE PROLETARIENNE CORRESPONDANTE, DOIVENT ETRE DETERMINES NON PAR L'ASPECT PARTICULIER ET SOUVENT EQUIVOQUE - SOUS LEQUEL CES GUERRES PEUVENT APPARAITRE, MAIS PAR LEUR AMBIANCE HISTORIQUE ISSUE DU DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE ET DU DEGRE DE MATURITE DES ANTAGONISMES DE CLASSE."(Souligné par nous) (Le problème de la guerre. 1935. Jehan.)
Quand nous concluons que dans le contexte historique actuel, toutes les guerres, toutes les politiques de conquête, toutes les relations concurrentes entre Etats capitalistes, ont une nature impérialiste, nous ne sommes pas en contradiction avec ce qu'affirmait avec raison Boukharine, qu'il fallait juger du caractère d'une politique des guerres et des conquêtes à partir de la question : "Quels rapports de production sont renforcés ou étendus par la guerre." Nous n'affaiblissons pas la précision du terme "impérialisme" en élargissant son emploi. Car, si les marxistes identifiaient les guerres nationales à des guerres au service d'une fonction progressive par l'extension des rapports de production à l'époque où ceux-ci servaient encore de base pour le développement des forces productives, ils opposaient les guerres de ce type aux guerres impérialistes - guerres historiquement réactionnaires en ce qu'elles servent à maintenir les rapports capitalistes alors qu'ils sont devenus une entrave à tout développement ultérieur. Aujourd'hui, toutes les guerres de la bourgeoisie et toutes les politiques extérieures visent à préserver un mode de production décadent, pourri : on peut donc toutes les qualifier à juste raison d'impérialistes. En effet, un des traits les plus caractéristiques de la décadence du capitalisme est que, alors que dans sa phase ascendante, "la guerre a pour fonction d’assurer un élargissement du marché, en vue d'une plus grande production de moyens de consommation, dans la phase (décadente) la production est essentiellement axée sur la production de moyens de destruction, c'est-à-dire en vue de la guerre. La décadence de la société capitaliste trouve son expression éclatante dans le fait que des guerres en vue du développement économique (période ascendante), l'activité économique se restreint essentiellement en vue de la guerre." (Gauche Communiste de France, "Rapport sur la situation internationale", 1945)
Bien que le but de la production capitaliste reste la production de plus-value, la subordination croissante de toute l'activité économique aux nécessités de la guerre représente une tendance du capital à se nier lui-même. La guerre impérialiste née de la course aux profits de la bourgeoisie assume une dynamique au cours de laquelle les lois de la rentabilité et de l'échange sont de plus en plus balayées. Les calculs des profits et des pertes, les rapports normaux de vente et d'achat sont laissés en marge de la course folle du capital vers son autodestruction. Aujourd'hui, la "solution" qu'offre le capital à l'humanité logique de son auto cannibalisme, est un holocauste nucléaire qui pourrait détruire la race humaine toute entière. Cette tendance à 1'auto-négation du capital dans la guerre s'accompagne d'une militarisation universelle de la société : un processus qui apparaît dans toute son ampleur dans le tiers-monde et dans les régimes staliniens mais qui, si la bourgeoisie a la voie libre, deviendra bientôt une réalité pour les ouvriers des "démocraties" occidentales également. La subordination totale de la vie économique, politique et sociale aux besoins de la guerre : telle est la terrible réalité de l'impérialisme dans tous les pays aujourd'hui. Plus que jamais, la classe ouvrière mondiale se trouve devant 1'alternative mise en avant par Rosa Luxemburg en 1915 :
"Soit le triomphe de l'impérialisme et la destruction de toute culture comme dans la Rome ancienne, le dépeuplement, la désolation, la dégénérescence, un immense cimetière soit la victoire du socialisme, c'est-à-dire la lutte consciente du prolétariat international contre l'impérialisme."
("Brochure de Junius", traduit de l'anglais par nous)
C.D.Ward
[1] [556] Voir la brochure du CCI "Nation ou Classe" pour une argumentation plus détaillée.
[2] [557] Ici nous devons corriger une mauvaise compréhension de la CWO lorsqu'elle rejette l’idée que "la vision de Luxemburg sur la question nationale a pour base sa vision économique : la première précède la seconde de plus de 10 ans." (Revolutionary Perspectives n°12, p.25). De toute évidence, la CWO n'est pas au courant de ce passage écrit par Luxemburg en 1898 et publié dans la première édition de "Réforme ou Révolution" :
"Quand nous examinons la situation économique actuelle, nous devons certainement admettre que nous ne sommes pas encore entrés dans la phase de pleine maturité capitaliste qui est prévue par la théorie de Marx des crises périodiques. Le marché mondial est encore dans une phase d'expansion. Donc, bien que nous n'en soyons plus au stade de ces soudains surgissements de nouvelles zones d'ouverture à l'économie qui avaient lieu de temps en temps jusque dans les années 1870, et avec eux, des premières crises pour ainsi dire de 'jeunesse' du capitalisme, nous n'en sommes pas encore à ce degré de développement, de pleine expansion du marché mondial, qui produira des collisions périodiques entre les forces productives et les limites du marché, ou, en d'autres termes, les crises réelles d'un capitalisme pleinement développé...Une fois que le marché mondial est plus ou moins pleinement étendu, de telle sorte qu'il ne peut plus y avoir d'ouverture brutale de marchés, la croissance incessante de la productivité du travail produit tôt ou tard ces collisions périodiques entre les forces productives et les limites du marché qui deviennent de plus en plus violentes et aiguës avec leur répétition."
(cité par Sternberg, "Capitalisme et Socialisme", traduit de l'anglais par nous).
[3] [558] Voir "Théories économiques et lutte pour le socialisme", Revue Internationale n°16.
[4] [559] Communist Workers' Organisation qui publie Revolutionary Perspectives : c/o 21 Durham St. Pelaw,Gateshead, Tyne and Wear, NE10 OXS, GB.
[5] [560] Voir "Marxisme et théories des crises", Revue Internationale n°13.
[6] [561] Voir la brochure à paraître sur "La décadence du capitalisme".
[7] [562] Quand nous disons "toute nation est impérialiste", il est clair que nous faisons une généralisation et que, comme dans toute généralisation, des exceptions peuvent être trouvées, des exemples de tel ou tel Etat qui n'est jamais apparu commettre des crimes impérialistes ; mais, de telles exceptions ne démentent pas l’ensemble. Pas plus que le problème ne peut être évité par des questions stupides du genre "Où est l1impérialisme des Seychelles, de Monaco, de San Remo ?" Ce qui nous intéresse, ce ne sont pas les paradis de la finance ou des tours joués par l'histoire, mais des capitaux nationaux qui, bien qu'ils ne soient pas indépendants, ont une existence palpable et une activité sur le marché mondial !
[8] [563] Partito e Clase : c/o P.Turco Stretta Matteoti 6, 33043 Cividale, Italie.
LE PARTI TRAVAILLISTE : EQUIPE GOUVERNEMENTALE ET OPPOSITION LOYALE
9. Le parti de la bourgeoisie qui correspond le mieux aux besoins globaux du capital national britannique - pas seulement dans la crise conjoncturelle actuelle mais dans toute la période de décadence — est le Parti Travailliste. Sa structure spécifique et son orientation sont celles qui correspondent le mieux pour répondre aux exigences du capital britannique, en particulier depuis la 2ème guerre mondiale, par rapport aux nécessités de :
- l'étatisation de l'économie,
- le soutien au bloc occidental,
- contenir la classe ouvrière.
Bien qu'il serait erroné de ne pas reconnaître la souplesse du Parti Conservateur, produit de sa maturité en tant que parti le plus expérimenté de la plus vieille nation capitaliste, l'expérience de ces derniers temps n'a fait que souligner le rôle du Parti Travailliste. En effet, ces derniers dix ans ont vu une crise économique profonde, une intensification des rivalités inter-impérialistes et une combativité ouvrière comme on n'en n'avait pas vue depuis la dernière vague révolutionnaire. A première vue, cet argument peut ne pas paraître si évident : depuis la fin de la guerre, les deux partis ont été au pouvoir environ 17 ans chacun. Cette statistique cache en fait deux facteurs importants:
- La plus longue période de gouvernement conservateur, de 1951 à 1964, avait comme objectif principal d'essayer de maintenir l'unité de l'Empire Commonwealth comme marché de réserve au capital britannique. Son effort n'a pas réussi et une telle situation exigeant un gouvernement semblable ne se reproduira plus.
- Depuis le début de la crise ouverte, les deux occasions où le Parti Travailliste a été chassé du pouvoir ont été produites par des poussées de luttes de classe qui ont considérablement usé la capacité du Parti Travailliste et des syndicats à contenir le prolétariat, usure accentuée par les périodes où le parti de gauche au gouvernement avait attaqué le niveau de vie des ouvriers. Pendant ces périodes, le Parti Travailliste et les syndicats ont traversé des phases d'"opposition" pendant lesquelles ils ont essayé de regrouper leurs forces le plus efficacement possible pour pouvoir répondre aux exigences de la combativité ouvrière. Mais, même dans l'opposition, le rôle de dévoiement de la lutte de la classe ouvrière demeure de manière prédominante et propre à cette fraction de la bourgeoisie.
Ainsi, on peut voir, lorsqu'on étudie l'évolution de la situation depuis 1945, que le défenseur le plus efficace du capital national est le Parti Travailliste. Il est par conséquent l'ennemi le plus dangereux de la lutte du prolétariat.
10. Lorsque nous examinons les manœuvres des partis dans cette période et que nous les relions aux questions qu'affronte la bourgeoisie, on doit se rappeler que :
- Si les différences entre Parti Travailliste et Parti Conservateur ne sont pas aussi grandes que leur propagande essaye de le faire croire, elles correspondent néanmoins à des visions différentes du programme nécessaire au capital britannique. Par exemple, le Parti Travailliste est de loin le plus engagé dans le contrôle de l'Etat sur l'économie que les Conservateurs qui gardent une loyauté plus grande envers les intérêts particuliers de la société ; les Travaillistes sont plus fortement liés à l'appareil syndical, ce que les Conservateurs ne peuvent faire.
- Les programmes défendus par chacun de ces partis ne sont pas figés, mais changent en fonction de la pression imposée au capital national et en fonction des options présentées dans une période donnée. Cette pression provient des circonstances immédiates aussi bien que des effets à long terme de la crise permanente du capitalisme. Par exemple, par rapport à l'accroissement de l'étatisation (qui est maintenant une nécessité historique pour tout capital national), les Conservateurs ont glissé vers une position beaucoup plus à gauche que celle prise, disons il y a environ 10 ans.
- Chaque parti possède plusieurs courants ou fractions en son sein qui reflètent différents programmes pour traiter les problèmes du capital national. Qu'un parti bourgeois puisse tenter de paraître monolithique, il n'empêche que des fractions internes se combattent continuellement. Les changements dans les politiques du parti peuvent ainsi s'effectuer par l'affirmation d'une fraction aux dépends d'une autre.
- Les Travaillistes et les Conservateurs sont tous deux contraints par la structure parlementaire et par le système électoral qui l'exige, d'avoir "recours" à différents secteurs de l'électorat ; ceci est un fardeau sur la capacité de la bourgeoisie à mettre en place la fraction gouvernante qu'elle souhaite, bien que dans le cas de la Grande-Bretagne, le parlementarisme ait constitué une source importante de mystification contre la classe ouvrière. Cependant, la bourgeoisie a la volonté et  la capacité d'interrompre la mascarade électorale lorsque le besoin s'en fait sentir, comme elle l'a fait par exemple entre 1939 et 1945 avec la formation de la coalition nationale.
11. Au début de la 2ème guerre mondiale, la bourgeoisie britannique était gouvernée par la fraction du Parti Conservateur qui avait essayé d'éviter la guerre. Cette fraction tomba à la fin de la "drôle de guerre" et fut remplacée par une alliance de ces secteurs de la bourgeoisie qui considéraient que leur tâche première était d'arrêter l'expansionnisme allemand. Le gouvernement de coalition a conduit par Churchill incluait une représentation substantielle du Parti Travailliste pour deux raisons principales :
- Le Parti Travailliste possédait la capacité nécessaire pour organiser et imposer la domination de l'Etat sur tous les aspects de l'économie et I pour subordonner l'économie aux besoins de la production de guerre.
- Seul le Parti Travailliste était capable de mobiliser la classe ouvrière par d'une part l'austérité et des taux élevés d'exploitation exigés pour lai production de guerre, et d'autre part pour la conscription dans l'armée. Malgré la majorité des Conservateurs dans le gouvernement, le poids réel de l'organisation de la société pour la guerre était assumé par le Parti Travailliste et les syndicats. Et en fait, même la chute de Chamberlain et le choix des Conservateurs de le remplacer par Churchill étaient dus en grande partie aux efforts du Parti Travailliste.
La guerre s'est poursuivie sur plusieurs objectifs dont la plupart étaient partagés par les USA : la défaite de l'Allemagne et du Japon et la résistance à la menace russe en Europe. Cependant, le gouvernement de coalition résista à la menace que représentaient les USA sur l'économie britannique et sur ses colonies. La bourgeoisie britannique ne voulait pas devenir une dépendance des USA. Pour donner une idée de cette résistance, on peut mentionner le fait que, malgré tous les efforts de la bourgeoisie US, ce n'est qu'avec la crise du Canal de Suez en 1955 que la Grande-Bretagne a finalement et ouvertement perdu sa place de puissance mondiale.
Le rôle important qu'a joué le Parti Travailliste dans la coalition a permis à la bourgeoisie de voir plus facilement la nécessité de mettre en place un programme adapté à la période de l'après-guerre qui permettrait de désamorcer toute lutte ouvrière potentielle ; la bourgeoisie avait tiré les leçons des conséquences de la fin non planifiée de la 1ère guerre mondiale. Le rapport Beveridge fut ainsi décrété pour poursuivre et pousser plus loin l'étatisation tout en ayant l'apparence d'offrir des palliatifs consacrés spécifiquement à la classe ouvrière.
12. Le gouvernement Travailliste sous Attlee, élu en 1945, correspondait à la situation de l'immédiat après-guerre. Confronté à une dislocation profonde de l'économie, il maintint beaucoup de mesures prises en temps de guerre pour continuer à répartir ouvriers et matières premières entre les industries. Il mit en œuvre un programme de nationalisation massive qui incluait la Banque d'Angleterre, le charbon, le gaz, l'électricité, le fer et l'acier ainsi que des secteurs de beaucoup d'autres industries. En politique extérieure, le gouvernement reconnût qu'il ne pouvait pas y avoir de renversement du nouvel ordre mondial -les USA étaient les maîtres de ce bloc- et que les jours de l'Empire britannique étaient comptés, puisque le coût économique et militaire pour le préserver ne pouvait plus être soutenu. La concession de l'indépendance à l'Inde ne fut pas par conséquent un coup aussi rude qu'il l'aurait été pour des secteurs du Parti Conservateur. Bien qu'il ait essayé de minimiser les pires des mesures économiques américaines contre la Grande-Bretagne, le Parti Travailliste était mieux adapté à réaliser les mesures d'austérité réclamées par les USA. En travaillant avec l'appareil syndical, il était capable d'enfoncer le niveau des ouvriers pendant des années. Devant les ouvriers, il se présentait avant tout comme le parti du "plein emploi".
- Le Parti Travailliste n'est revenu au pouvoir qu'en 1950 et tomba lors des élections de l'année suivante. Ce tournant électoral vers la droite était le résultat de plusieurs facteurs :
- La reconstruction avait aidé à stimuler l'économie et tendait à renforcer la résistance des secteurs de la bourgeoisie aux projets de nationalisation accrue et de pertes possibles d'autres colonies.
- L'encadrement des travailleurs réussi par le gouvernement Travailliste avait dissipé la crainte de la part de la bourgeoisie dans son ensemble d'un soulèvement social important.
- La résistance aux politiques économiques des USA envers la Grande-Bretagne s'accroissait. Ceci joua contre l'administration Attlee qui était associée à leur mise en œuvre.
13. Les 13 années pendant lesquelles le Parti Conservateur resta au pouvoir ont correspondu aux années de profit économique important dû à la reconstruction d'après-guerre, bien qu'une succession de mesures d'inflation et de déflation ont été nécessaires pour maintenir l'équilibre économique. De plus, il y avait une inertie générale du prolétariat : la lutte de classe était étouffée par la capacité retrouvée de la bourgeoisie à trouver des palliatifs issus de la santé relative de l'économie. Les politiques des Conservateurs du point de vue économique étaient devenues plus appropriées à la période du fait du changement dans le parti vers une acceptation plus réaliste d'un plus haut niveau de capitalisme d'Etat, qui fut entériné par l'adoption de la "Charte Industrielle" de 1947. Les secteurs du parti qui ont ratifié ce document étaient à ce moment-là majoritaires, d'abord sous Churchill, puis sous Eden, et finalement sous Macmillan qui représentait le plus clairement la tendance capitaliste d'Etat dans le parti depuis les années 30.
Macmillan représentait aussi dans le parti la tendance qui voyait que l'Empire britannique ne pourrait pas se maintenir comme avant et il avait soutenu une reconsidération des mesures nécessaires du maintien des anciennes colonies sous la domination économique britannique. Cette tendance fut par conséquent portée au pouvoir après que l'intervention sur Suez d'Eden ait démontré l'impossibilité de maintenir les colonies. L'une de ses principales tâches fut d'établir un programme pour l'indépendance coloniale et ce but fut souligné par Macmillan en 1961 dans le discours de CapTown sur le "vent de changement" soufflant sur l'Afrique.
Sur la question "Europe ou Commonwealth", la bourgeoisie essaya encore de miser sur les deux voies, tenter d'avoir accès aux marchés constitués en Europe tout en maintenant le système des privilèges du Commonwealth. Bien que le gouvernement Conservateur ait favorisé la tenue à l'écart de la Grande-Bretagne lors de la formation de la CEE en 1957, dans les années 60, il y eut des négociations ouvertes pour rejoindre la CEE, puisque les bénéfices du vieux commerce du Commonwealth s'évaporaient devant ses yeux. Mais ce ne fut pas avant les années 70 que les principales fractions de la bourgeoisie sentirent l'affaiblissement de la position économique de la Grande-Bretagne et la nécessité de rejoindre la CEE, outil essentiel pour l'organisation d'une partie importante de l'activité économique du bloc occidental.
Dès les années 60, il était clair que les Conservateurs n'avaient pas d'autre solution politique pour stimuler l'économie et la rendre plus productive, ce qui devenait de plus en plus urgent face à l'accroissement de la compétition allemande et japonaise Il y a eu aussi, lors de la seconde moitié des années 50, une résistance croissante de la part des ouvriers, aux tentatives du gouvernement d'imposer des "restrictions de salaire" et d'accroître l'exploitation. Bien que le niveau de lutte de classe ait été en général bien plus bas qu'à la fin des années 60 ou qu'au début des années 70, la bourgeoisie s'alarma de l'accroissement des grèves illégales.
14. Pour s'occuper de ces problèmes, le gouvernement Travailliste de Wilson fut porté au pouvoir. Il visait à entreprendre une intervention étatique dans l'économie encore plus poussée que celle du gouvernement Conservateur. Il avait des buts limités en matière de nationalisation officielle (principalement une renationalisation de la sidérurgie) ; il s'engageait davantage dans la voie de la planification étatique globale des ressources économiques afin de développer la productivité du capital britannique. Il visait aussi à renforcer le contrôle sur la masse salariale en attirant les organisations patronales et syndicales sous le parapluie de la planification étatique, et à contrôler la vague montante de grèves sauvages en votant des lois sur les syndicats. Afin d'alléger l'économie du fardeau des charges militaires, Wilson retira de l'Est du canal de Suez la plus grande partie du potentiel militaire anglais. De même que le gouvernement précédent d'Attlee, Wilson avait une politique favorable aux USA comme le montre son soutien à l'intervention américaine dans le Sud-est asiatique.
le Parti Travailliste parlementaire, et depuis le début des années 70, entre le gouvernement et le TUC par l'intermédiaire d'un comité de liaison (une partie importante des membres du Parti Travailliste est en fait parrainée par les syndicats). Au niveau idéologique, on peut en gros distinguer deux groupes principaux dans le Parti Travailliste -la gauche et la droite- bien qu'en réalité aucune d'elles ne soit homogène. Quoi que sujettes à des variations, les principales différences d'orientation entre ; ces deux tendances sont :
- En ce qui concerne l'économie, la gauche tend à passer dans le sens d'une plus grande étatisation directe par le biais des nationalisations totales et des contrôles physiques directs. La droite, elle, insiste plus sur le mélange des composantes étatiques et privées de l'économie avec un contrôle étatique moins direct.
Cependant, les plans grandioses de cette administration pour régénérer l'économie britannique s'écroulèrent face à deux problèmes primordiaux :
- La ruée sur la Livre Sterling qui était un trait habituel de l'économie anglaise depuis la guerre, culmina en une attaque massive que la bourgeoisie ne put soutenir. Il s'ensuivit la dévaluation de la Livre Sterling en 1967 qui non seulement marquait la fin du rôle de la Livre en tant que monnaie de réserve internationale, mais en fait annonçait la nouvelle période de crise ouverte du capital mondial.
- L'éruption d'une vague de lutte prolétarienne jamais vue depuis 40 ans et qui signifiait un changement qualitatif dans la nature de la période. Dans les années qui suivirent, une profonde rupture apparut dans le gouvernement Travailliste, au sein du Parti Travailliste, entre le gouvernement et les syndicats, etc. La bourgeoisie était donc en plein désarroi au moment même où elle avait le plus besoin d'un appareil politique uni pour faire face à l'accroissement des luttes ouvrières. Le gouvernement Travailliste tomba en 1970 mais pour être remplacé par l'administration Heath encore plus inadaptée. Pour expliquer le pourquoi de ce désarroi et comment le Parti Travailliste et les syndicats regroupèrent leurs forces entre 1970 et 1974 afin d'affronter la classe, il est nécessaire d'examiner les principales tendances dans le parti et l'appareil syndical.
- Bien que le parti travailliste dans son ensemble accepte la domination américaine sur le bloc occidental, l'aile droite a toujours été plus complaisante que la gauche qui s'est prononcée pour une ligne plus "indépendante" -immédiatement après guerre, une fraction de la gauche s'opposa résolument à la politique américaine et plaida pour la création d'une "3ème force" afin de contrer à la fois la Russie et la domination US sur la Grande-Bretagne.
- Par rapport aux ouvriers la gauche a beaucoup plus insisté sur la nature de classe de la société que la droite. Par exemple, elle a beaucoup plus défendu la "démocratie industrielle" et le "contrôle ouvrier", idée que la droite tendait à laisser tomber.
Ces courants idéologiques se répartissent dans tout le Parti Travailliste et dans l'appareil syndical en des forces et concentrations qui dépendent de plusieurs facteurs, entre autres :
- en général, la situation objective de l'économie et les problèmes militaires qu'affronte le capital britannique; la pression de la classe ouvrière;
- la proximité relative de ces différents secteurs du centre de l'appareil d'Etat ;
- les fonctions spécifiques remplies par ces différentes fractions de l'appareil ; par exemple, les sections de base des circonscriptions électorales et les syndicats, quoiqu'étant tous deux au service du capital britannique, remplissent des tâches différentes;
- la fragilité de ces différentes fractions de l'appareil face aux pressions électorales.
15. A cause de ses origines historiques, le "système" du Parti Travailliste est un amalgame complexe d'institutions reliées à différents niveaux et avec des liens plus ou moins forts. A la Conférence annuelle, les principales organisations représentées sont les sections de base des circonscriptions électorales et les syndicats qui siègent, avec le Parti Travailliste parlementaire, au Comité National Exécutif. En dehors de cette structure, dans le Parlement, les membres du Parti Travailliste élisent le chef de file et quelques autres, la composition du cabinet ou "Shadow Cabinet" (cabinet fantôme) est déterminée par ce chef de file. Il existe aussi des liens directs entre le Comité National Exécutif et
Avec ces différences entre les principaux courants idéologiques qui existent dans tout l'appareil, on peut comprendre pourquoi différentes " fractions ont dominé le parti et les syndicats en diverses occasions, et ce que leurs rivalités ont signifié.
16. La composition du gouvernement Travailliste d'après-guerre fut déterminée par la nécessité de se conformer aux diktats économique et militaire des USA, par le maintien d'un contrôle étatique solide sur l'économie et par l'imposition d'un programme d'austérité à la classe ouvrière. Le parti et les syndicats étaient dominés par l'aile droite pour la bonne raison que la bourgeoisie anglaise dominait une classe ouvrière qui a été écrasée pendant les années 30 et la guerre.
L'administration Attlee correspondait donc bien à la situation :
- Elle consolida le contrôle étatique commencé dans les années de guerre en évitant une trop grande résistance des fractions de la bourgeoisie privée encore puissantes. A cet égard le gouvernement dut aussi restreindre le programme de nationalisations à une limite tolérable pour les USA. La bourgeoisie US a imposé des restrictions au processus de nationalisations à travers les conditions qu'elle dicta à la Grande-Bretagne moyennant l'aide du plan Marshall ; les USA voyaient en effet dans ce processus de nationalisation de l'Etat britannique, une menace possible contre son propre programme d'exportation.
- Dans cette période de rivalité aiguë avec l'URSS, le gouvernement Attlee était d'accord pour maintenir un potentiel militaire puissant en Europe, et particulièrement en Allemagne.
- Même si le rapport de forces était bien en faveur de la bourgeoisie, le gouvernement voyait encore la nécessité de mystifier les ouvriers, de faire accepter l'austérité avec l'idée que le pays devait être reconstruit dans le but évident d'élever le niveau de vie des ouvriers. Pour gérer le "Welfare State", un représentant de la gauche, Bevan, fut désigné comme Ministre de la Santé; cette utilisation de la gauche fut encore renforcée quelques années plus tard lorsque ce même Bevan, un de ses principaux porte-parole, devint Ministre du Travail.
17. Durant la période où le Parti Travailliste passe dans l'opposition, des années 50 au début des années 60, une redistribution des forces intervient dans le Parti Travailliste et l'appareil syndical. Au début des années 50, il y a un renforcement de la gauche dans les sections des circonscriptions électorales à propos des questions de politique étrangère et de réarmement. Comme la menace d'une troisième guerre mondiale recule, la gauche se bat contre des dépenses militaires élevées (et accrues par la réduction du soutien de l'Allemagne aux forces britanniques basées dans le pays) et contre les conséquences de la politique militaire américaine en Extrême-Orient. Les dépenses étant trop importantes, la résistance de la gauche aux exigences américaines grandit. Néanmoins, la droite reste forte à la tête de l'appareil syndical car le faible niveau de la lutte de classe ne favorise pas le développement de la gauche.
A partir du milieu des années 50 le tableau commence à changer. L'amélioration progressive de la situation économique provoque une poussée électorale vers la droite, ce qui fit pression sur le Parti Travailliste parlementaire pour suivre le mouvement pour conserver son corps électoral. La fraction Gaitskill fut celle qui exprima le mieux la réponse du Parti à ces pressions lorsqu’elle demanda de revoir le programme du Parti à la Conférence Travailliste de 1960. Elle proposait l'abandon de l'engagement théorique sur la voie des nationalisations de l'ensemble des moyens de production. Ceci se heurta à une forte opposition de la gauche non seulement dans la base électorale mais aussi dans les syndicats au sein desquels se dessinait une évolution vers la gauche dès la seconde moitié des années 50. La lutte de classe se développait. Elle s'exprimait par une augmentation considérable des grèves non officielles contre lesquelles l'aile droite des syndicats n'a pas tenu longtemps. Le premier pas significatif d'une avancée de la gauche fut l'élection de Cousins à la tête du TGWU en 1956 après la mort de Deakin. Cette évolution se poursuivit dans les années 60 avec Lowther et Williamson remplacés par Scanlon, Jones et d'autres.
La fin des années 50 et le début des années 60 fut une période d'agitation intense dans le Parti Travailliste; la gauche avait suffisamment de force dans le Parti et les syndicats pour vaincre les tentatives de Gaitskill d'abandonner la voie des nationalisations. A cette même Conférence, la gauche parvint à faire passer une résolution appelant au désarmement nucléaire unilatéral britannique (bien que cette décision fut renversée dans les années qui suivirent). Alors que la droite dominait encore le Parti, la gauche avait nettement renforcé sa position; ce fut avec ce mélange de forces agissantes au sein du Parti Travailliste que Wilson (qui prit la succession de Gaitskill à sa mort) vint au pouvoir en 1964.
18. Nous avons déjà présenté dans ce texte les buts généraux de l'administration de Wilson, y compris ceux qui visaient la classe ouvrière. Ce gouvernement s'est trouvé presque immédiatement confronté à des difficultés économiques, surtout en ce qui concerne la faiblesse de la Livre Sterling et a donc été obligé de mettre en place un programme contre la classe ouvrière. Ce qui devait être réalisé par l'imposition d'une politique concertée pour contrôler les salaires et par des lois tendant à contrôler les grèves sauvages. L'espoir était de mieux contrôler les grèves par un rapprochement légal entre syndicats et le gouvernement. A cette fin, la commission Donovan fut créée en 1965 pour préparer le terrain aux mesures qui allaient apparaître plus clairement dans le document "à la place des luttes" ("in place of strife") en 1969. Cette approche reflétait directement la forte présence de la fraction de Gaitskill dans le gouvernement et mettait en évidence le décalage grandissant entre cette administration et les syndicats qui devaient faire face directement aux luttes ouvrières. Par conséquent, plutôt que la grève des marins de 1966 soit comprise comme une mise en garde, pour une attitude plus souple envers les syndicats, elle a tout bonnement durci la détermination du gouvernement à agir d'une manière plus rigide et inflexible envers eux. Sous la pression combative des ouvriers, une rupture s'est opérée au niveau idéologique entre les syndicats et le gouvernement. A cette occasion, le gouvernement a été obligé de reculer et d'accepter une politique de salaires décidée "volontairement" par les syndicats. Incapable de venir à bout des luttes ouvrières et divisé par le conflit avec les syndicats, le gouvernement devait tomber avec les élections de 1970.
19. Le principal souci de toute la bourgeoisie pendant la période suivante du gouvernement de Heath (Parti Conservateur) fut la lutte ouvrière. La capacité de ce gouvernement à maîtriser la situation n'était pas meilleure que celle de la précédente équipe travailliste. Le Parti Conservateur appliquait la politique de son aile gauche et c'était ce qu'il pouvait faire de mieux. Il fit les mêmes erreurs que le gouvernement Travailliste qui le précédait et fit passer une loi sur les rapports sociaux dans l'industrie (The Industrial Relations Act) que les syndicats ont combattue.
Dans l'opposition le Parti Travailliste et l'appareil syndical ont regroupé leurs forces avec deux aboutissements essentiels :
- un renforcement significatif de l'aile gauche;
- la création de liens organisationnels entre le TUC et le Parti Travailliste à travers un comité de liaison afin d'éviter les erreurs des années précédentes où ils n'opéraient pas de façon concertée.
La chute de Heath devant la ferme combativité des mineurs en 1974 a ramené les Travaillistes, par une petite majorité, au pouvoir. Pendant les élections, les syndicats et le Parti Travailliste ont pu fonctionner ensemble et entraîner les ouvriers aux urnes.
20. Sous le nouveau gouvernement Travailliste, la consolidation du travail des années précédentes s'est poursuivie et a produit :
- un gouvernement avec une plus forte représentation de la gauche ;
- un "Contrat Social" qui a permis au gouvernement et aux syndicats d'affronter ensemble les ouvriers pour imposer l'austérité et la discipline dont l'économie en crise avait besoin.
A cause de l'inexpérience de la classe ouvrière et malgré une forte combativité, les perspectives de luttes ouvrières restaient très limitées. De plus les ouvriers avaient devant eux le Parti Travailliste au gouvernement et les syndicats, tous deux de nouveau réunis contre les luttes ouvrières. Il s'en est suivi que les luttes ouvrières ont reflué comme elles avaient commencé à refluer dans les autres pays avancés. Dans la phase qui suit le reflux des luttes ouvrières, l'austérité a été de plus en plus durement imposée.
Malgré le mouvement vers la gauche sous le nouveau gouvernement de Wilson et, encore plus sous Callaghan, cette tendance a été freinée par le besoin de faire attention aux intérêts de l'ensemble de la bourgeoisie qui redoutait une évolution trop poussée vers la gauche et par le besoin de calmer la bourgeoisie américaine. En définitive, l'accélération du mouvement vers la gauche devenait de moins en moins nécessaire au fur et à mesure que refluait la lutte de classe. Cependant, dans le contexte de resurgissement des luttes de classe depuis la fin de 1978, de nouvelles pressions se sont fait sentir imposant un nouveau virage à gauche de la politique et des membres du Parti Travailliste. Chassé du pouvoir en mai 1979 à cause de son incapacité à imposer son programme d'austérité à une classe de plus en plus combative, le Parti Travailliste se retrouve une fois de plus dans le rôle de parti d'opposition et, une fois de plus secoué par des luttes de fractions, tentatives pour le rendre apte à affronter la future tourmente.
21. Les conclusions principales qu'on peut tirer du rôle des Partis Travailliste et Conservateur :
- Le Parti Travailliste est le plus approprié à la défense globale des intérêts du capital national britannique, non seulement pour la situation présente, mais aussi dans cette période historique. Ceci est souligné par le fait que, chaque fois que les Conservateurs viennent au pouvoir, ils ne peuvent changer de façon significative la politique des Travaillistes.
- Les manœuvres du Parti Travailliste face au problème du capital britannique doivent être considérées en rapport avec celles des syndicats. Nous pouvons constater que pendant les deux dernières décennies, les liens idéologiques et organisationnels indispensables entre les différentes fractions du mouvement Travailliste se sont considérablement renforcés.
Le cadre parlementaire dans lequel la bourgeoisie britannique a évolué ces dernières années a eu une grande influence sur la manière dont le Parti Travailliste et les syndicats accomplissent leur tâche. Il s'ensuit qu'ils n'ont pas une position permanente dans le gouvernement et leur attaque du prolétariat est différente selon qu'ils se trouvent au pouvoir ou dans l'opposition. Ce passé de l'appareil d'Etat est très dangereux pour les ouvriers parce qu'il a évolué avec la reconnaissance que le prolétariat est le fossoyeur du capital.
LE RAPPORT DE FORCES ENTRE LES CLASSES
22. L'évolution dans le rapport de forces des deux principales classes de la société depuis la 2ème guerre mondiale a pris une dimension historique. La période de la guerre était marquée par l'apogée du pouvoir de la bourgeoisie et le plus bas niveau de la force du prolétariat. Mais aujourd'hui, le prolétariat n'est pas seulement un frein à la guerre mais il montre à travers son défi et sa résistance à l'austérité que le cours historique est de nou veau vers la révolution. Le fait que la 2ème guerre mondiale n'ait pas été immédiatement suivie par une 3ème guerre entre l'URSS et les USA est dû à la re construction contrôlée de l'économie mondiale qui a suffisamment atténué les rivalités inter-impérialistes pour créer une pause dans la tendance vers la guerre de l'époque de décadence du capitalisme. Parce que la reconstruction de l'économie s'est faite à un niveau global et mondial, il y a eu une période de stimulation économique plus longue que celle qui a suivi la 1ère guerre. Cette période prolongée qui a duré plus d'une génération, a permis à la classe ouvrière de se débarrasser des effets accablants de la longue période de contre-révolution qui a débuté à la fin des années 20. Bien que ces évaluations du cours historique viennent d'une perspective globale des rapports de forces entre les classes, il est néanmoins possible et nécessaire d'analyser les expressions de ce changement de cours dans des pays spécifiques.
23. Pendant toute la période de la contre-révolution, les ouvriers n'ont jamais cessé de lutter. Avec toute sa faiblesse, la classe n'a jamais complètement perdu sa combativité même pendant la guerre. En Grande- Bretagne, malgré le fait que toutes les grèves étaient déclarées illégales selon le "Décret 1305", il y a eu plusieurs grèves sauvages surtout parmi les mineurs et les métallurgistes, catégories qui étaient parmi les plus brutalement exploitées pendant la guerre. Une propagande féroce a été dirigée contre eux à la veille de la grève des apprentis- métallos et ils ont été menacés d'un envoi immédiat; au front s'ils ne reprenaient pas le travail. Les mineurs de Betteshanger ont été emprisonnés, mais la grève a été si combative que les bureaucrates de l'Etat ont dû poursuivre les négociations avec les grévistes emprisonnés. Cependant, le rapport de forces était, bien sûr, largement en faveur de la bourgeoisie qui a réussi une mobilisation totale de la population pour l'effort de guerre, surtout au niveau de la production où l'appareil syndical et les shop-stewards ont réussi à imposer des niveaux d'exploitation que le reste de la bourgeoisie enviait.
Dans la période d'après-guerre -sous le gouvernement travailliste- les conditions d'austérité brutale ont été maintenues (le rationnement par exemple n'a pris fin que vers le milieu des années 50). La résistance des ouvriers n'était encore que fragmentaire, mais il y avait des poches de forte résistance chez les mineurs et les dockers. Pendant leur grève, des ouvriers ont été jetés en prison et persécutés par le gouvernement en utilisant des lois du temps de guerre. Le poids de la bourgeoisie était encore d'une force énorme. Au début des années 50, le niveau de la lutte de classe tendait à baisser ; les mesures d'austérité se sont relâchées peu à peu et les ouvriers ont gagné pas mal d'avantages, dont le plein emploi. Les syndicats continuaient néanmoins à appuyer la politique de "restriction des salaires" des gouvernements travailliste et conservateur. C'est seulement en 1956 que le TUC a retiré son appui formel à cette politique, reconnaissant ainsi la résistance grandissante qui se développait parmi les ouvriers.
24. La fin des années 50 a été caractérisée par une reprise importante des luttes, ce qui a particulièrement préoccupé la bourgeoisie, dans la mesure où les luttes ont surgi dans des secteurs-clé, dockers, électriciens et ouvriers de l'industrie automobile en tête. La bourgeoisie a utilisé plusieurs tactiques pour faire face aux revendications salariales et aux grèves :
- prolonger les "négociations" entre le syndicat et le patronnât afin de retarder les grèves pour des revendications salariales ;
- dévoyer les luttes sur le terrain des rivalités entre les différents syndicats : des luttes pour déterminer "la compétence" d'un syndicat par rapport à un autre, étaient courantes à la fin des années 50 (et ceci relié au processus de concentration au sein de l'appareil syndical à ce moment-là) ;
- la concession d'augmentations salariales : dans la mesure où l'expansion de l'économie pouvait le permettre, la bourgeoisie accordait des augmentations de salaire (qui, avec le taux d'inflation relativement faible de l'époque, ne subissaient qu'une érosion lente).
Pendant les années 60, la pression des ouvriers n'a cessé d'augmenter et les palliatifs ne pouvaient être trouvés que dans un accroissement de productivité, ce qui accélérait le taux d'exploitation vers des niveaux explosifs pour plus tard. En même temps, plusieurs industries ont procédé à des licenciements massifs à cause de l'introduction de nouvelles technologies telles que l'automation. Dans ces industries a surgi le plus haut niveau de combativité : mines, industrie automobile, docks, chemins de fer, sidérurgie, etc. Au milieu des années 60, juste avant de la crise ouverte, certaines conditions allaient influer sur le déroulement des luttes à venir entre les deux principales classes de la société.
La classe ouvrière a eu le temps, pendant toute la période de reconstruction, de se remettre des défaites passées, mais elle n'a connu que des expériences de lutte à un faible niveau qui pouvaient être contenues dans le cadre de l'expansion économique.
La bourgeoisie avait également peu d'expérience récente de luttes très combatives et, en plus, son principal appareil politique pour contrôler et mystifier les ouvriers -Parti Travailliste plus appareil syndical- n'était pas complètement "synchronisé" et connaissait en son sein des différends idéologiques prononcés.
25. Avec l'ouverture de la crise et l'intensification de la lutte de classe, l'équilibre économique, politique et social a été détruit. La première vague de combativité prolétarienne en Grande-Bretagne se caractérise par plusieurs aspects importants:
- elle a duré longtemps -68-74- avec des phases de montée et de reflux avec une évolution relativement lente;
- elle a entrainé, à un niveau ou un autre, toute la classe ouvrière et dans ce sens elle se distingue nettement des luttes des années 40, 50 et début 60;
- Malgré les convulsions dans lesquelles la société se trouvait à cause de ces grèves, la lutte n'a jamais pris une dimension explicitement politique.
La réaction de la bourgeoisie a été d'abord de reculer, de regrouper ses forces les plus puissantes et puis quand la lutte a commencé à refluer, elle est passée à la contre-offensive.
Le "recul" a été un pas en arrière devant le danger de confrontations directes avec les ouvriers tant que la montée continuait. En reconnaissant ces dangers, la bourgeoisie a limité l'emploi des armes répressives de l'Etat contre les ouvriers. Les dirigeants syndicaux, eux aussi, ont dû reculer dans la mesure où, dans un premier temps, ils étaient incapables de contenir les ouvriers. L'exemple le plus dramatique de cela a eu lieu en 1970, lorsque les mineurs ont manifesté devant le siège du syndicat national des mineurs (NUM), furieux contre les dirigeants syndicaux qui avaient essayé de briser la grève sauvage et en affrontant la police qui protégeait le bâtiment syndical. De telles menaces étaient claires et les syndicats furent forcés de laisser faire la classe pendant un temps. C'est à cette période que le gouvernement de Wilson a été renversé.
Le gouvernement de Heath a reconnu ces dangers, mais pas aussi clairement que la gauche de la bourgeoisie; il s'est laissé entraîner dans la voie de l'affrontement; on l'a considéré ainsi comme "l'incarnation de la force anti-ouvrière dans la société" pour le plus grand profit du Parti Travailliste et des syndicats qui du coup arrivaient à "organiser" la plus grande mobilisation des ouvriers depuis les années 20 dans la lutte contre 1'"Industrial Relations Act". C'est au cours de cette période que s'est fait le rapprochement et le regroupement des forces entre le Parti Travailliste et les syndicats que nous avons analysés plus haut. Entretemps, les shop-stewards ont pris la relève avec la tactique de "coller" à la classe pour pouvoir plus tard reprendre les rênes et freiner les luttes. Ils ont concentré leurs forces pour isoler les grèves les unes des autres, entre elles, et avec les autres fractions de la classe qui n'étaient pas en grève : cette stratégie a été éprouvée pendant les grèves avec occupation d'usines en 71 et 72. L'utilisation de la semaine de trois jours, ainsi que les élections de février 74 pour briser la grève des mineurs, ont permis à un nouveau gouvernement travailliste, renforcé par cette épreuve, de faire face à la classe. La contre-offensive a commencé juste après les élections contre une vague de combativité déjà en déclin. Travaillant ensemble d'une façon plus concertée qu'ils n'avaient pu le faire dans les années 60, le gouvernement travailliste et les syndicats ont construit progressivement toute une campagne pour le "Contrat Social", jusqu'à le sceller en 1975. Après avoir cédé pendant un moment des augmentations de salaire relativement fortes, le gouvernement travailliste reprenait une fois de plus son rôle naturel : en se cachant derrière le sacro-saint principe de l'intérêt national, il redevenait encore le parti de 1'austérité. 26. Les mesures d'austérité durent depuis longtemps en Grande-Bretagne et ont été un modèle pour toute la bourgeoisie occidentale. A mesure que le reflux s'est précisé, l'austérité s'est renforcée. En 1977, après deux ans de Contrat Social, les syndicats ont fait semblant de ne pas vouloir le poursuivre. Le Contrat Social a encore duré; l'austérité a continué, mais les syndicats ont essayé de diminuer en apparence leur part de responsabilité directe dans les mesures d'austérité. Malgré cette mise en scène, le plan d'austérité a érodé la crédibilité des syndicats et de la gauche. Par conséquent, la bourgeoisie s'est trouvée devant un problème majeur, à savoir, que l'utilisation de son visage de gauche aujourd'hui diminue sa crédibilité. C'est ce qu'on a vu tout au long de l'année 1979, avec les défis lancés à l'autorité des syndicats et des shop-stewards et dans l'indifférence totale des ouvriers par rapport aux manœuvres du Parti Travailliste.
27. La récente vague de grèves montre que la classe ouvrière a commencé à sortir de la période de reflux et à s'affirmer sur son propre terrain de classe.
Et si la principale fraction de gauche de la bourgeoisie, le Parti Travailliste, est passé à une position d'"opposition loyale" pour se remettre à neuf, ce n'est pas à cause d'un renforcement, mais d'un affaiblissement de la classe dominante, pour affronter un prolétariat de plus en plus combatif. La lutte ouvrière devient un facteur de la crise politique de la classe dominante et redevient l'axe essentiel de toute la situation sociale.
Ce texte n'a fait que tracer les lignes générales de l'évolution de la situation en Grande-Bretagne depuis la deuxième guerre mondiale. Il a couvert une période dans laquelle le rapport de forces a été de manière prédominante en faveur de la bourgeoisie, et il a souligné le contexte général à partir duquel surgiront las mouvements titanesques futurs du prolétariat. La façon spécifique dont se développe cette deuxième vague de luttes actuelle depuis la crise ouverte de 1968 est décrite dans le Rapport sur la situation en Grande-Bretagne paru dans World Révolution n° 26.
Marlowe
Dans le n° 10 de la REVUE INTERNATIONALE (juin-août 1977), nous avons présenté le "Groupe des Travailleurs Marxistes" du Mexique, groupe surgi dans les années les plus sombres du mouvement ouvrier international. Son surgi s sèment dans les années 1937-39 ne pouvait signifier l’annonce d'une reprise du mouvement mais l'expression d'un dernier sursaut de conscience communiste de la classe face au cynisme sanglant du capitalisme triomphant qui se préparait à fêter ce triomphe dans l'ivresse de la deuxième guerre mondiale.
L'évolution vers le capitalisme d'Etat accéléré par la crise et les préparatifs de la guerre, trouvait son expression majeure dans la campagne pour les nationalisations. De DE MAN à BLUM, de la CGT aux Partis Staliniens, des Travaillistes anglais aux Fronts Populaires, les nationalisations étaient devenues la plateforme par excellence de la gauche du capital et présentées par elle aux ouvriers comme la marche vers le socialisme. Les Trotskistes, et Trotski en personne, comme d'autres extrême-gauche, n'ont pas su échapper à cette idéologie. Ils sont tombés dans le panneau et ont embouché le même clairon. A les entendre, les nationalisations, si elles n'étaient pas encore du socialisme, étaient cependant un pas très progressif que la classe ouvrière devait soutenir de toutes ses forces.
Aujourd'hui, comme dans les années 30, les nationalisations continuent à servir de programme économique de la gauche, comme le montre encore récemment feu le "Programme Commun" en France ; et l'ampleur des nationalisations préconisées sert de signe de "radicalité" et de certificat d'authenticité prolétarienne avec lesquels ces partis cachent leur nature capitaliste. Aujourd'hui, comme hier, trotskystes, maoïstes, anarchistes et autres gauchistes cachent la vérité que les nationalisations ne font que renforcer l'Etat capitaliste et s'efforcent de convaincre les ouvriers que ces mesures affaiblissent le capital. Aujourd'hui comme hier, les révolutionnaires doivent dénoncer cette démagogie, démontrer théoriquement et dans le concret le véritable contenu capitaliste et anti-ouvrier des nationalisations. C'est pour contribuer à cela que nous publions cette étude de la gauche mexicaine, parue dans le premier numéro de La revue "COMMUNISME" en 1938.
AVEC LA NATIONALISATION DES INDUSTRIES, LA BOURGEOISIE SE PROTEGE CONTRE LA REVOLUTION PROLETARIENNE
F.Engels disait en 1878 :
"Mais ni la transformation en sociétés par actions, ni la transformation en propriété d'Etat ne supprime la qualité de capital des forces productives. Pour les sociétés par actions, cela est évident. Et l'Etat moderne n'est à son tour que l'organisation que la société bourgeoise se donne pour maintenir les conditions extérieures générales du mode de production capitaliste contre des empiétements venant des ouvriers comme des capitalistes isolés. L'Etat moderne, quelle qu'en soit la forme, est une machine essentiellement capitaliste : l'Etat des capitalistes, le capitaliste collectif idéal. Plus il fait passer de forces productives dans sa propriété, et plus il devient capitaliste collectif en fait, plus il exploite de citoyens. Les ouvriers restent des salariés, des prolétaires. Le rapport capitaliste n'est pas supprimé, il est au contraire poussé à son comble. Mais, arrivé à ce comble, il se renverse. La propriété d'Etat sur les forces productives n'est pas la solution du conflit, mais elle renferme en elle le moyen formel, la façon d'accrocher la solution : (...) la prise du pouvoir d'Etat par le prolétariat."
(F.Engels, "L'Anti-Duhring", Ed.Sociales 1963, p.318)
Ces simples et claires paroles du compagnon de K.Marx, prononcées il y a 60 ans, s'appliquent expressément à la récente transformation de l'industrie pétrolière et de chemin de fer en propriété de l'Etat des capitalistes mexicains. Il est d'une importance primordiale, pour le prolétariat du Mexique, de comprendre la vérité fondamentale contenue dans ces phrases : "l'Etat moderne n'est qu'une organisation que se donne la société bourgeoise pour défendre les conditions matérielles du système capitaliste de production contre les attaques des ouvriers comme des capitalistes individuels. L'Etat moderne, quel que soit sa forme, est une machine essentiellement capitaliste; c'est l'Etat des capitalistes; c'est le capitaliste collectif idéal." Combien sont-ils aujourd'hui, parmi ceux qui se disent "marxistes", qui connaissent la vérité de ces affirmations d'un des fondateurs du marxisme ? Combien sont-ils qui admettent que ces affirmations s'appliquent à tous les Etats capitalistes, quelle que soit leur forme, c'est à dire également aux Etats capitalistes qui se disent "ouvriéristes"? Combien se risquent à dire que ces Etats "ouvriéristes" exploitent les ouvriers, et que cette exploitation s'étend chaque fois que de nouvelles forces productives deviennent sa propriété ? Combien se risquent à dire que dans chaque nouvelle "nationalisation", les relations capitalistes entre possesseurs et producteurs (c'est à dire entre capitalistes et prolétariat), loin d'être abolies par de telles mesures, sont aiguisées et accrues ? Qui se risque, aujourd'hui, au Mexique, à dire que toutes ces affirmations s'appliquent aussi aux récentes "nationalisations" de l'industrie pétrolière et des chemins de fer ? Pourquoi les "marxistes" du Mexique n'appliquent-ils pas les enseignements du marxisme aux problèmes actuels ?
Pourquoi, en premier lieu, ne pas expliquer que "nationalisation" ne signifie en aucune manière "propriété de la'nation'", mais uniquement, exclusivement propriété de 1'Etat, c'est à dire propriété d'une partie de la "nation" : la bourgeoisie, dont l'Etat est l'instrument ? En d'autres termes, pourquoi ne pas expliquer qu'avec la "nationalisation", la propriété passe simplement des capitalistes individuels ou des compagnies capitalistes au, "capitalisme collectif" (pour employer la formule d'Engels) c'est à dire l'Etat des capitalistes ?
Pourquoi ne pas dire tout cela ? Nous le savons très bien : en le disant, comme devrait le faire celui qui s'appelle "marxiste", on ne peut rester le serviteur loyal de la bourgeoisie "progressiste" du Mexique, on perd sa popularité, peut-être sa liberté, et sa vie ... Mieux vaut ne pas appliquer les enseignements du marxisme aux problèmes du jour! Il est utile de s'appeler "marxiste", mais être marxiste est trop dangereux pour ces messieurs qui s'intitulent "leaders ouvriers".
LA VERITABLE SIGNIFICATION DE LA NATIONALISATION DU PETROLE ET DES CHEMINS DE FER
Quelles sont alors, d'après le marxisme, la portée et la signification de "l'expropriation" de la propriété des compagnies pétrolières? Cela signifie tout simplement que cette propriété est passée des mains d'un groupe d'exploiteurs (les compagnies pétrolières) aux mains d'un autre groupe : l'Etat mexicain. Ni plus, ni moins. La nature de cette propriété n'a, en rien, était modifiée, elle reste capitaliste comme auparavant. Les travailleurs restent dans la même situation de prolétaires obligés de vendre leur force de travail aux propriétaires des instruments de production, à savoir au maître des champs pétrolifères, des installations de l'appareillage de distribution, et le propriétaire (aujourd'hui l'Etat mexicain) conserve la plus-value produite par les travailleurs, c'est à dire les exploite,.
En d'autres termes, l'industrie pétrolière mexicaine s'est convertie en une seule et gigantesque "Pétrolex" avec des directeurs et techniciens "nationaux" au lieu d'étrangers, et la tâche principale de cette grande "pétromex" est exactement la même qu'auparavant celle de la petite "pétromex" (le gouvernement mexicain était, avant les "nationalisations" récentes, propriétaire d'une compagnie pétrolière) : empêcher ou briser les grèves, comme ce fut le cas pour la grève des protestations de 1'année dernière.
Dans l'industrie pétrolière du Mexique, depuis la dite expropriation, précisément comme avant, s'opposent les deux classes fondamentales de la société capitaliste : capitalistes et prolétaires, exploiteurs et exploités. L'industrie pétrolière reste ce qu'elle était auparavant : le bastion du système capitaliste au Mexique, d'autant plus que ce bastion est actuellement plus fort qu'auparavant, parce qu'au lieu d'avoir à faire à plusieurs compagnie étrangères seulement protégées par l'Etat mexicain, les travailleurs ont, aujourd'hui, en face d'eux, directement cet Etat, avec sa démagogie "ouvriériste", ses comités de conciliation, sa police, ses prisons, son armée. La lutte des travailleurs de l'industrie du pétrole est aujourd'hui mille fois plus difficile qu'avant. L'Etat protégeait la propriété capitaliste parce que telle est sa fonction fondamentale, aujourd'hui cette protection a changé de forme : pour être plus efficace et pour mettre l'industrie pétrolière à l'abri des attaques des travailleurs, l'Etat a déclaré comme sa propriété celle qui a besoin de protection : la propriété des capitalistes américains et anglais.
L'ETAT "OUVRIERISTE" DEFEND LE SYSTEME CAPITALISTE CONTRE LA REVOLUTION PROLETARIENNE
Selon les enseignements du marxisme, l'Etat est une institution née de la division de la société en classes ayant des intérêts irréconciliables, et sa fonction est de perpétuer cette division et avec elle "le droit de la classe possédante d'exploiter celle qui ne possède rien, et la domination de la première sur la seconde" (Engels). L'Etat moderne est l'organisation que se donne la bourgeoisie pour défendre ses intérêts collectifs, ses intérêts de classe, contre les attaques des ouvriers d'une part et des capitalistes individuels d'autre part (en premier lieu contre ceux des capitalistes et compagnies qui ne veulent pas abandonner une partie de leurs intérêts individuels en faveur de la défense des intérêts collectifs de la classe bourgeoise contre les travailleurs). Toute l'activité de la classe capitaliste, bien qu'il se dise "ouvriériste", ne sert qu'à une seule fin : le renforcement du régime capitaliste. Dans la phase de l'expansion du capitalisme, le renforcement de celui-ci avait un caractère progressif, en dépit de l'oppression constante qui en résultait, parce qu'en ce temps-la l'histoire n'avait pas encore posé la révolution prolétarienne à l'ordre du jour. L'unique progrès possible était le capitalisme. Aujourd'hui, dans sa phase de décomposition, c'est à dire dans la phase impérialiste que nous vivons, le renforcement ou la "réforme" du capitalisme prend un caractère extrêmement réactionnaire et contre-révolutionnaire, parce qu'aujourd'hui la destruction du capitalisme seulement peut sauver l'humanité de la barbarie. Le rôle actuel de l'Etat est de défendre le capitalisme contre la révolution prolétarienne. Dans la phase impérialiste, l'Etat capitaliste, quelle que soit sa forme, est la véritable incarnation de la réaction et de la contre-révolution. Aujourd'hui, il n'y a, et ne peut y avoir, un Etat capitaliste progressif. Tous sont réactionnaires et contre-révolutionnaires. Renforcer l'Etat équivaut donc à prolonger la vie du barbare système capitaliste. Seuls ceux qui luttent pour la destruction de l'Etat capitaliste sont au côté du prolétariat et de tous les exploités et opprimés luttant avec eux pour leur émancipation par la révolution prolétarienne.
QUAND LA NATIONALISATION EST PROGRESSIVE ?
Les paroles déjà citées, d'Engels au sujet de la signification de la conversion de la propriété des capitalistes individuels en propriété des compagnies anonymes, et concernant la transformation de celles-ci en propriété de l'Etat capitaliste, s'appliquent à la phase ascendante du capitalisme, à la phase de son expansion, lorsque le système capitaliste constituait un progrès. Dans cette phase, la concentration des forces de production dans les mains de groupes de capitalistes signifiait un important pas en avant, dans le sens de la socialisation croissante de la production, laquelle, pour sa part, posait devant 1'humanité la tâche de la socialisation de la propriété de ces forces de production. Citons une autre fois Engels :
La période de haute pression industrielle avec son crédit enflé sans limites, aussi bien que le krach lui-même par la ruine de grands établissements capitalistes, poussent à la socialisation de masses considérables de moyens de production; et cette socialisation s'opère sous la forme des diverses espèces de sociétés par action. Beaucoup de ces moyens de production et de communication sont dès l'abord si colossal qu'ils excluent toute autre forme d'exploitation capitaliste : c'est le cas par exemple des chemins de fer. Mais à un certain degré de développement, cette forme même n'est plus suffisante; le représentant officiel de la société capitaliste, l'Etat, est contraint de prendre la direction de ces moyens de production et de communication. La nécessité de les transformer en propriété de l'Etat apparaît d'abord pour les grands établissements servant aux communications (postes, télégraphes, chemins de fer)."
Mais ajoutait Engels, "c'est seulement au cas où les moyens de production et de consommation échappent réellement à la direction des sociétés par action, c'est seulement lorsque l'étatisation est devenue économiquement inévitable, c'est seulement alors que, même réalisée par l'Etat actuel, elle marque un progrès économique, un stade préliminaire à la prise de possession de toutes les forces productives par la société même. Mais il est né récemment, depuis que Bismarck s'est mis à étatiser, un faux socialisme qui, dégénérant même ça et là en complaisance servile, déclare socialisme dés l'abord toute étatisation, même celle de Bismarck. Mais si l'étatisation du tabac était socialiste, Napoléon et Metternich compteraient parmi les fondateurs du socialisme. Quand l'Etat belge, pour des raisons politiques et financières tout à fait banales, construit lui-même ses principales lignes de chemin de fer, quand Bismarck, en dehors de toute nécessité économique, étatise les principales lignes de Prusse, tout simplement pour pouvoir mieux les organiser et les utiliser en vue de la guerre, pour faire des employés de chemins due fer un troupeau d'électeurs dociles, et surtout pour se procurer une nouvelle source de revenus indépendante des décisions du Parlement, ce ne sont là à aucun degré, ni directement ni indirectement, ni consciemment ni inconsciemment, des mesures socialistes. Sans cela, le commerce maritime royal, la manufacture de porcelaine royale, et même le tailleur de la compagnie dans l'armée seraient des institutions socialistes. "
F.Engels. ("L'Anti-Dühring", Ed. Sociales, 1963, p.316-317)
Personne ne dira que la nationalisation de l'industrie pétrolière du Mexique fut économiquement inévitable, parce que son administration, depuis le moment de la production, avait débordé le cadre des compagnies. Et personne ne verra un progrès économique dans la transformation de la propriété des grandes compagnies internationales, mille fois mieux organisées et plus puissantes que l'Etat mexicain, en propriété de ce dernier. En réalité, des paroles d'Engels que nous venons de citer, les seules qui conviennent, dans le cas des récentes nationalisations au Mexique, ce sont celles qui parlent des "raisons politiques et financières" et de l'intérêt de l'Etat à créer une "nouvelle source de profit" et à transformer le personnel des chemins de fer en "troupeaux d'électeurs dociles".
Une telle nationalisation, dit Engels, ne représente aucun progrès.
LE CARACTERE REACTIONNAIRE DES NATIONALISATIONS DANS LA PHASE IMPERIALISTE DU CAPITALISME
C'est seulement en analysant les récentes nationalisations au Mexique comme faisant partie du processus de décomposition du capitalisme que nous pouvons comprendre leur véritable signification historique.
Dans la phase ascendante du capitalisme, existait la possibilité de nationalisations progressives bien que beaucoup d'entre elles, comme nous venons de le voir par les exemples cités par Engels, n'avaient pas un tel caractère. Aujourd'hui dans la phase de décomposition du système capitaliste, il n'y a pas la possibilité de nationalisation de caractère progressif, de même qu'il n'y a pas une seule mesure progressive de la part de la société capitaliste en décomposition et de son représentant officiel, l'Etat capitaliste. Dans la phase ascendante du capitalisme, les signes de l'expansion de la production et de la concentration de la propriété étaient, en principe, l'Etat national unifié, dont la formation constituait un progrès en comparaison avec les entités féodales dispersées. Mais, rapidement, l'expansion de la production et la concentration de la propriété débordèrent les limites des Etats nationaux. Les grandes compagnies anonymes prirent de plus en plus un caractère international, créant à leur manière une division internationale du travail, et cela, en dépit de son caractère contradictoire, constituant une des contributions les plus importantes du capitalisme au progrès de l'humanité.
Le caractère, de plus en plus international de la production, commence alors a se heurter avec la division du monde en Etats nationaux. "L'Etat national", affirme le 1er Congrès de l'Internationale Communiste en 1919, "après avoir donné un élan vigoureux au développement capitaliste est amené à être trop étroit pour l'expansion des forces productives".
Durant la phase pendant laquelle l'Etat national constituait un facteur progressif, c'est à dire dans la phase ascendante du capitalisme (et seulement à elles s’appliquent les citations d'Engels concernant le caractère progressif de certaines nationalisations), la conversion de la propriété des compagnies anonymes - lesquelles, dans le même temps ne débordaient pas encore des limites de l'Etat national- en propriété de celui-ci, était progressive.
Mais, au moment de convertir les sociétés anonymes en organismes qui embrassaient déjà plusieurs Etats, les nationalisations commencèrent a changer de signification : dirigées chaque fois davantage contre la croissante division internationale du travail, elles constituèrent par conséquent, au lieu d'un progrès, une régression. L'unique progrès possible est aujourd'hui la transformation de la propriété des grandes compagnies anonymes et de l'Etat capitaliste en propriété de l'Etat prolétarien qui surgira de la révolution communiste^ Surtout les nationalisations faites pendant et depuis la guerre mondiale montrèrent, dans tout le monde capitaliste, cet aspect réactionnaire en une forme chaque fois plus accentuée. Leur objet n'étant déjà plus 1'expansion de la production mais sa restriction... avec une exception significative: les industries de guerre. Restreindre la production des objets de consommation et organiser la production des instruments pour la destruction des produits et des propres producteurs, cela est une des fins primordiales des nationalisations pendant la guerre mondiale de 1914-1918 et pendant les récentes guerres en Ethiopie, en Espagne et en Chine. Et ceci s'applique, non seulement aux pays qui entrèrent directement en guerre, mais à tous, que les gouvernements soient fascistes ou démocratiques. Voir les nationalisations des deux côtés en Espagne, et la récente nationalisation des chemins de fer et industries de guerre en France. Destruction et non construction, voilà le grand actif de la société capitaliste dans ses heures d'agonie.
Tandis que les nationalisations dans le passé étaient l'expression de la croissance et de l'expansion du capitalisme, actuellement, elles sont, au contraire, l'expression de la régression et de la décomposition chaque fois plus violente du système capitaliste. Avant de disparaître de la scène historique, le capitalisme détruit une grande part de ce qu'il a crée lui-même : son magnifique appareil de production, le prolétariat moderne et la division internationale du travail, enchaînant chaque fois davantage les forces de production dans les limites des Etats nationaux.
Le prolétariat, au contraire, quand sonnera son heure historique, "libérera les forces productives de tous les pays des chaînes des Etats nationaux, unifiant les peuples en étroite collaboration économique" (Manifeste du premier congrès de TIC).
Ce sont des paroles claires, en opposition irréductible avec les idées de ceux qui veulent combiner les mots d'ordre de la révolution prolétarienne, laquelle a un caractère international, et ceux aits de "l'émancipation nationale".
L'unique possibilité de libérer les peuples opprimés réside dans la destruction des Etats nationaux par la révolution prolétarienne triomphante et dans 1'unification du monde entier en une étroite coopération fraternelle.
LE TRIOMPHE DU "BON VOISIN"
Ce qui vient d'être dit d'une façon générale, concernant la signification des nationalisations dans la phase de décomposition du capitalisme nécessitent certains compléments et modifications dans le cas des pays semi-coloniaux, comme le Mexique. Tout d'abord, s'il fût possible de placer une partie de la propriété des grandes compagnies internationales sous le contrôle effectif d'un petit Etat national, il est clair qu'une telle nationalisation n'accroîtra pas la division internationale du travail, crée par le capitalisme, mais au contraire, la minera et la détruira, révélant ainsi son caractère réactionnaire, plus encore que dans le cas des grands Etats impérialistes.
Mais en réalité, une nationalisation effective de la part des petits Etats est impossible, surtout quand elle s'applique à la propriété des grandes compagnies internationales, parce que ce sont les Etats impérialistes et leurs gouvernements qui contrôlent complètement la gestion économique et politique des petits Etats. Seuls, les Etats impérialistes peuvent aujourd'hui nationaliser, soit au dedans de leur domaine politique direct, soit dans les petits Etats contrôlés par eux. Les "nationalisations" effectuées par eux ne sont, par conséquent, rien de plus qu'une farce, un changement d'étiquette. Celui qui "nationalise " est en réalité, non le petit Etat "libre" et "anti-impérialiste", mais son propre maître impérialiste. L'unique changement possible, c'est que le petit Etat, comme dans notre cas, le Mexique, passe du contrôle de quelques compagnies impérialistes et de leur Etat, au contrôle d'autres compagnies et de leur Etat.
Et c'est précisément ce qui s'est passe dans le cas de la récente "nationalisation" du pétrole au Mexique : les grandes sociétés nord-américaines (la Huestee Standart Oil et la Gulf) et leur Etat ne pouvaient, jusqu'à maintenant, que partager le contrôle de la richesse pétrolière, et de tous les destins du Mexique, avec la société anglaise El Aguila (Royal Dutch Shell) et avec l'Etat anglais; avec la dite "nationalisation", ce contrôle est passé aux mains des maîtres exclusifs de ce que la bourgeoisie mexicaine appelle "notre patrie". Ce qui s'est passé dans ce cas est uniquement ce qui peut se passer dans la phase impérialiste du capitalisme. Toutes les fondamentales "rédemptions nationales" signifient inévitablement le triomphe de l'un ou l'autre impérialisme. Dans le cas du Mexique, celui qui a triomphé est " le fameux" " voisin".
La bourgeoisie internationale admet cela en toute franchise, comme le montre l'opinion ou Bulletin du service des Archives de Genève (nous citons seulement les dernières notes du 7 juin : "Dorénavant, les Etats-Unis sont les maîtres indiscutables dans tous les domaines au Mexique. La dernière forteresse anglaise (en Amérique Latine) a été démolie jusque dans ses fondations ... Les Etats-Unis ont adopté l'unique moyen de chasser l'Angleterre du Mexique sans tirer un coup de fusil..."
Ce fut Cardenas, insinue le bulletin, "qui finalement a aidé les Etats-Unis à expulser les Britanniques. Apparemment, tout fut très simple. Quand précisément les Anglais étaient heureux de posséder 60% du pétrole mexicain contre les 40% qu'avaient les Etats-Unis, Cardenas s'est approprié le tout. Mais, alors que Londres déchaînait une tempête contre les expropriations, Washington accueillait la chose avec un calme extraordinaire...
Que vient-il alors à l'esprit ?" Le Bulletin penche pour une entente entre Washington et Mexico, par laquelle tout le pétrole devient américain, "démolissant ainsi définitivement la dernière forteresse britannique dans cet hémisphère". Ceci nous est dit par un périodique bourgeois de Suisse... (texte traduit de l'espagnol, faute de posséder l'original).
"El Nacional", organe du gouvernement du Mexique, donna la même interprétation quand il annonça la rupture des relations diplomatiques avec le gouvernement anglais par les deux titres suivants : "Le Mexique rompt avec l'Angleterre" et "Les conversations avec les Compagnies américaines sont en bonne voie".
Il n'est pas meilleure illustration de la transformation du Mexique en une colonie exclusivement nord-américaine que l'adulation pour l'impérialisme yankee qui apparaît dans chaque numéro de "El Nacional" et dans tous les discours des autres mandataires mexicains. Selon eux, l'impérialisme nord-américain est aujourd'hui, en réalité, "anti-impérialiste", seul l'impérialisme anglais est impérialiste.
... Et le grand maître, Léon Trotski, les appuie dans cette propagande, avec ses lettres ouvertes dans lesquelles également "impérialisme" équivaut à "impérialisme anglais", cependant que l'auteur de ces lettres ne dit pas une seule parole sur l'impérialisme américain...
"L'ADMINISTRATION OUVRIERE" DOIT SAUVER LA PROPRIETE DES CAPITALISTES
Le système capitaliste se trouve dans une situation sans issue. Sa destruction par le prolétariat révolutionnaire est historiquement inévitable.
Mais, actuellement, le prolétariat affaibli et désorienté par tant de défaites et trahisons, au lieu de lutter contre le capitalisme, avec le but de l'abattre et de construire sur les ruines une nouvelle société, est, au contraire, en train de le défendre. Appuyée par tous les prétendus "leaders ouvriers", la bourgeoisie est parvenue à dévier les travailleurs de la lutte de classes et à les lier aux intérêts du capitalisme par le canal de l'Etat.
Aveuglés par les idées de démocratie et de patrie, les prolétaires défendent ce qu'ils devraient détruire; ce que nous voyons en Espagne, en Chine, au Mexique, dans le monde entier.
Au lieu de profiter de la crise mortelle du système capitaliste pour le détruire, les travailleurs, ne croyant pas au triomphe de leur propre cause, se sont temporairement transformés en ses meilleurs défenseurs. Exactement, comme au temps de la guerre mondiale, quand ils sacrifièrent leurs conquêtes économiques et leurs vies en luttes fratricides, sous le commandement de leurs ennemis de classe. Bien entendu, aujourd'hui, comme alors, la responsabilité n'en revient pas aux travailleurs, mais à ces "marxistes" qui, par leurs capitulations devant les fétiches de la démocratie et de la patrie ont trahi le marxisme et la cause de la révolution prolétarienne. Et il est également inutile d'insister sur le fait que la situation actuelle ne peut durer toujours et que, tôt ou tard, le prolétariat prendra le chemin de la révolution. Historiquement, la révolution prolétarienne reste inévitable et invincible.
En Espagne, et surtout en Catalogne, nous avons vu, dans ces dernières années, comment la bourgeoisie parvient à conjurer le danger de la révolution prolétarienne au moyen de l'armement des travailleurs et de la "socialisation" des industries, avec leur "livraison" aux travailleurs. Ceux-ci, sous l'illusion d'être alors les maîtres du pays, renoncèrent à l'attaque contre les institutions capitalistes et commencèrent à défendre, au prix de sacrifices inouïs, ce qui, maigre certains changements d'étiquette, continuait d'être la propriété capitaliste et l'Etat capitaliste. A la faveur du massacre quotidien sur les champs de bataille en Espagne, le capitalisme s'est renforce politiquement, remplissant ses objectifs avec le sang des exploités qui luttaient des deux côtés.
Suivant l'exemple de la bourgeoisie espagnole, la bourgeoisie mexicaine et son bon "voisin" nord-américain tentent de conjurer le danger de révolution prolétarienne au Mexique par la "livraison" des industries aux ouvriers. Une fois que celles-ci seront "aux mains" des travailleurs, l'ennemi mortel du système capitaliste se transformera en son meilleur défenseur ... ainsi calcule la bourgeoisie au Mexique et à Washington.
La bourgeoisie mexicaine et américaine connaissait la haine des masses travailleuses du Mexique et de toute l'Amérique Latine contre les grandes compagnies étrangères. Une attaque du prolétariat contre celles-ci équivaudrait à une attaque contre le cœur du système capitaliste. Ce serait le commencement de la fin de la domination impérialiste au Mexique et dans tous les pays coloniaux et semi-coloniaux... et la bourgeoisie de ces pays, en premier lieu celle du Mexique, sait fort bien que, ce qui, uniquement, la maintient et la protège contre "ses" ouvriers et paysans, c'est précisément la domination impérialiste. On comprend pourquoi elle considère la bourgeoisie nord-américaine comme sa "bonne voisine".
Face à l'accroissement quotidien de la colère des masses contre les compagnies impérialistes, il fallait éviter à tout prix une attaque frontale des travailleurs contre elles. Cette tâche revenait bien entendu au gouvernement du Mexique. Ce qui se passe avec les gouvernements semi-coloniaux, quand ils ne peuvent accomplir de telles tâches, est bien connu de tous : ils disparaissent, comme ont disparu tant de gouvernements au Mexique, à Cuba et autres pays latino-américains, au moment où ils se montrent incapables de dévier l'attaque des ouvriers contre la sacro-sainte propriété impérialiste. Le "bon voisin" a besoin de serviteurs efficaces, et il est démontré que le serviteur le plus efficace est un gouvernement "ouvriériste" .
Pour un gouvernement capitaliste "ouvriériste", il ne fut pas difficile de trouver la solution du problème. Les faux "marxistes" du type staliniens et trotskystes l'avaient proposée depuis longtemps : le front unique contre le prolétariat et la bourgeoisie. Contre qui ? Et bien, contre 1'impérialisme, quoique vous ne le croyiez pas!
En Espagne et en Chine, ce front unique entre exploiteurs et exploités a déjà été réalisé, avec des résultats magnifiques pour les exploiteurs, qu'ils soient fascistes ou antifascistes, impérialistes ou anti-impérialistes, et avec des résultats funestes pour les exploités des deux côtés. Au Mexique, quelque chose de très ressemblant se développait depuis quelques années. A la fin, cela prit une forme définitive, quand commença la farce de la prétendue "rédemption nationale". Simulant une lutte implacable contre l'impérialisme (en paroles), la bourgeoisie américaine et son gouvernement purent livrer (en fait) le contrôle chaque fois plus absolu des désunis de la prétendue "patrie mexicaine".
En même temps, simulant la remise de l'industrie pétrolière et des chemins de fer aux travailleurs, elle pourra tirer d'eux les sacrifices les plus inouïs.
Plein triomphe sur toute la ligne! Sous la forme de la "nationalisation", la bourgeoisie et son gouvernement purent remettre l'industrie la plus importante du pays au contrôle exclusif de l'impérialisme yankee; dans cette transaction, le gouvernement de la bourgeoisie mexicaine contracte une dette d'"honneur" avec la bourgeoisie nord-américaine et anglaise, dette que paieront bien entendu les travailleurs; et c'est non seulement eux qui seront tenus de supporter ce sacrifice ("volontairement", comme l'affirment leurs leaders traîtres), mais qui devront offrir sur l'autel de la patrie, bien entendu toujours "volontairement", les 50 millions demandés par les Compagnies il y a deux ans! Suivant un communiqué du Comité Exécutif du Syndicat des Travailleurs du Pétrole, publié dans la presse du 28 avril 1938, ce syndicat :
" était parfaitement d'accord avec son gouvernement, au moment où cela était nécessaire pour la Nation, et acceptait, par considération patriotique, que les bénéfices qui découlent de la décision des juntes de conciliation et d'arbitrage, groupe 7, malgré le sacrifice que représentent pour les travailleurs du pétrole (évidemment pas pour leurs leaders !) les longues années de lutte pour obtenir une vie plus humaine dans les champs pétrolifères ne s 'appliquent pas pendant que prévaudra la situation actuelle; en outre les travailleurs de cette industrie remettront à divers organismes pour un total approximatif de 140 millions de pesos; indépendamment de cela, nos diverses sections, conscientes de leur devoir comme mexicains, remettront une journée de salaire mensuel, pour un temps indéfini, afin de contribuer à résoudre la dépression économique de la nation, ce qui équivaut à une somme mensuelle de plus de 150.000 pesos" .
En additionnant ces quantités, la fameuse "rédemption nationale" coûte aux travailleurs du pétrole la respectable somme de plus de 190 millions de pesos, (pour ne parler que de ces travailleurs ), sans considérer les autres millions perdus pendant ces deux dernières années, pour s'être confiés aux juntes de conciliation au lieu d'obliger les compagnies, au moyen de la grève, à payer de plus hauts salaires. Au lieu d'obtenir que, sur les 50.millions qui étaient demandés aux Compagnies, il leur soit payé au moins les 20 millions que la décision "favorable" des juntes leur promettait, ils sont obligés de payer aux compagnies impérialistes, par le canal du gouvernement "anti-impérialiste" du Mexique, une somme cinq fois plus grande. Au lieu de recevoir 20 millions, ils sont obligés de payer plus de 190 millions, comme contribution à la prétendue "dette d'honneur".
Il serait difficile de trouver, dans toute l'histoire de la bourgeoisie mondiale, un autre exemple d'une tromperie si parfaitement exécutée. Dans le chœur des palabres patriotiques au sujet de la "libération économique du Mexique", se cache le vol le plus gigantesque que connaisse l'histoire. Les ouvriers sentent instinctivement qu'en réalité il ne s'agit de rien d'autre que d'un vol, mais, aveuglés par l'idée de la "patrie en danger", ils ne parvenaient pas à percer la vérité. Puisse notre faible voix permettre à certains de comprendre la véritable situation et les aider à se débarrasser de leurs songes et illusions!
LA TACHE DU PROLETARIAT FACE AUX RECENTES NATIONALISATIONS
Si aux faux "leaders marxistes" du Mexique, il manquait la valeur pour caractériser la véritable signification de la "nationalisation" du pétrole et des chemins de fer, il était tout de même moins risqué de parler de la tâche du prolétariat face à ces nationalisations faites par la bourgeoisie et au bénéfice de la bourgeoisie.
Engels parlait en toute clarté et franchise de cette tâche. Lui, bien entendu, ne voulait rien savoir de "l'appui au gouvernement" que préconisaient les traîtres à leur classe. Au contraire, l'unique chemin qu'il signalait, face aux nationalisations de la bourgeoisie, c'est la prise du pouvoir d'Etat par le prolétariat, et la transformation de la propriété des capitalistes, y compris la propriété" de l’Etat capitaliste, en propriété de l'Etat prolétarien
Il indiquait clairement quelle était l'unique leçon que les travailleurs devaient tirer de la transformation de la propriété des capitalistes individuels et des compagnies capitalistes en propriété de l'Eta-c capitaliste :
" Le régime capitaliste de production ... en poussant progressivement à transformer les grands moyens de production en propriété de l'Etat, indique lui-même les moyens d'accomplir cette révolution : le prolétariat s'empare du pouvoir d'Etat et transforme les moyens de production en propriété de l'Etat ...
F. ENGELS. (L'Anti-Dühring p.319)
La tâche du prolétariat mexicain est, alors, non de se sacrifier pour que l'industrie pétrolière et les chemins de fer soient profitables pour les capitalistes impérialistes et nationaux, ni d'accepter la farce de la "remise" des industries à une prétendue "administration ouvrière" mais de les conquérir, c'est à dire, de les arracher à la bourgeoisie au moyen de la révolution prolétarienne.
Telle est l'unique leçon que nous devons tirer des récentes nationalisations.
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