Soumis par Revue Internationale le
Les textes que nous publions ci-après sont des contributions à la discussion sur la Période de Transition, question toujours ouverte dans le mouvement ouvrier et sur laquelle les révolutionnaires doivent se pencher sans pour autant faire des "recettes pour les marmites de l 'avenir", simplifier une question aussi complexe ou encore définir des frontières de classe là où l'expérience de la classe elle-même n'a pas tranché par sa pratique.
Le débat au sein du C.C.I. sur cette question a commencé depuis que le C.C.I. existe, et les textes qui suivent s'inscrivent en continuité avec la discussion déjà amorcée dans le n° 1 de la Revue Internationale. Le débat se poursuit au sein du Courant et nous ne sommes pas encore arrivés à une homogénéité, en particulier sur la question de l'Etat de la Période de Transition dont traitent ces textes.
LA PERIODE DE TRANSITION
I – NATURE DES PERIODES DE TRANSITION
L'histoire humaine se compose de différentes sociétés stables liées à un mode de production et donc à des rapports sociaux stables. Ces sociétés sont basées sur des lois économiques dominantes inhérentes à celles-ci, se composent de couches sociales fixes, et s'appuient sur des superstructures appropriées (communisme primitif, mode de production asiatique, antique, féodal, capitaliste).
Tout mode de production possède une phase "ascendante", au cours de laquelle il développe des forces productives, et une phase de "décadence", où il devient un frein à ce développement, où s'accomplissent son épuisement et sa décomposition.
Après une période plus ou moins longue de décadence, peut s'instaurer une période de transition pendant laquelle se développent, au détriment de l'ancien, les germes du nouveau mode de production, permettant de résoudre et dépasser les contradictions anciennes, jusqu'au point de constituer le nouveau mode de production dominant. La période de transition n'a pas de mode de production propre mais un enchevêtrement de deux modes, l'ancien et le nouveau. Elle est une nécessité absolue, car le dépérissement de l'ancienne société n'est pas automatiquement maturation de la nouvelle, mais seulement condition de cette maturation. Ainsi, la tendance du capitalisme était la socialisation mondiale de la production (création d’une communauté matérielle), qui aurait directement fait perdre à l'échange sa raison d'être et directement posé la réalisation du communisme. Mais, avec la création du marché mondial qui met en place les limites définitives de l'accumulation, le capital a sapé les bases de la socialisation complète de l’humanité : il a démantelé les secteurs extra-capitalistes mais ne peut plus les intégrer dans la production.
II - LA SOCIETE COMMUNISTE
Toute période de transition relève de la nature même de la nouvelle société qui va surgir. Pour pouvoir faire ressortir la nature de la période de transition qui va du capitalisme au communisme et ce qui distingue cette période de toutes les précédentes, il faut donc d’abord mettre en relief ce que sera la société communiste, ou plutôt ce qui la distingue de toutes les autres sociétés :
- contrairement aux sociétés antérieures – à l’exception du communisme primitif - divisées en classes, basées sur la propriété et l'exploitation de l'homme par l'homme, le communisme est une société sans classes, sans aucun type de propriété, c'est la communauté humaine unifiée et harmonieuse.
- les autres sociétés de l'histoire ont pour fondement l'insuffisance du développement des forces productives par rapport aux besoins des hommes : ce sont des sociétés de pénurie, dominées par les forces naturelles et économico-sociales aveugles. Le communisme est le plein développement des forces productives par rapport aux besoins des hommes, l’abondance de la production capable de satisfaire les besoins humains : c'est le monde de la liberté, la libération de l'humanité de la domination de la nature et de l'économie.
- Toutes les sociétés traînent avec elles des vestiges anachroniques des systèmes économiques, des rapports sociaux, des idées et des préjugés des sociétés passées, parce qu'elles sont toutes fondées sur la propriété privée et l'exploitation du travail d'autrui. Par contre, rompant avec toutes ces caractéristiques, la société communiste ne peut supporter en son sein aucune survivance de la société antérieure.
- le faible développement des forces productives dans les sociétés antérieures, entraînait un développement inégal de l'évolution de la société enc es différents secteurs : en même temps que fondées sur la division en classes, ces sociétés étaient divisées en régions ou nations. Seules les forces productives développées par le capitalisme depuis son apogée permettent, pour la première fois dans l’histoire, une réelle interdépendance entre les différentes parties du monde. Le communisme, lui, est universel d'emblée ou il ne peut pas être ; il exige une même évolution, dans le temps, dans toutes les parties du monde à la fois.
- le communisme ne connaît ni l'échange, ni la loi de la valeur. Sa production est socialisée dans le plein sens du terme : elle est universellement planifiée selon les besoins des membres de la société et pour leur satisfaction. Une telle production que des valeurs d'usage dont la distribution directe et socialisée exclut l'échange, marché et argent.
- pour être des sociétés divisées en classes et en intérêts antagonistes toutes les sociétés antérieures (à l'exception du communisme primitif) ne peuvent exister et survivre que par la constitution d'un organe spécial, en apparence au dessus des classes, en fait imposant la domination de la classe dominante : l'Etat.
Le communisme, ne connaissant pas de divisions, n'a pas besoin d'Etat. Plus, en tant que communauté humaine, il ne pourrait supporter en son sein un organisme de gouvernement des hommes.
II - CARACTERISTIQUES DE LA PERIODE DE TRANSITION
Les périodes de transition ont eu, jusqu'à présent dans l'histoire, en commun leur déroulement au sein de l'ancienne société. La révolution politique de la nouvelle classe dominante n'était que le couronnement de sa domination économique qui se déroulait progressivement au sein de l'ancienne société. Cette situation provient de ce que la nouvelle, comme l'ancienne société, subit aveuglément les impératifs des lois basées sur la pénurie des forces productives, et donc de ce que la nouvelle classe dominante ne porte simplement une autre forme d'exploitation et de division en classes.
Le communisme, lui, constitue une rupture totale de toute exploitation et de toute division en classes, ainsi qu'une organisation consciente de la production que permet l'abondance des forces productives. C'est pourquoi la période de transition au communisme ne peut s’ouvrir qu'en dehors du capitalisme, après la défaite politique du capitalisme et le triomphe de la domination politique du prolétariat à l'échelle mondiale. La première préoccupation du prolétariat est donc la prise de pouvoir mondiale et la destruction totale des institutions capitalistes : l'Etat, la police, l'armée, la diplomatie...
La période de transition qui s’ouvre alors est un mouvement sans trêve de renversement révolutionnaire de rapports capitalistes en rapports communistes. La période de transition doit abolir tous les rapports capitalistes, car le capital est un procès dont chaque moment est inséparable des autres (vente de la force de travail, extraction et réalisation de la plus-value, capitalisation...) Disparaissent donc échange, marché et argent (donc salariat).
Il est important de voir que toute stagnation dans la transformation révolutionnaire de la société signifie danger de retour au capitalisme. En effet la totalité des rapports marchands ne disparaîtra définitivement que sous le communisme achevé, quand les classes auront cessé d'exister, quand la perpétuation des classes veut dire perpétuation de l’échange. Nous insistons également sur le fait qu'il n'y a pas de mode de production transitoire entre le capitalisme et le communisme. Au cours de la période de transition, "ce à quoi nous avons à faire, c’est une société communiste non pas telle qu’elle s'est développée sur des bases propres mais au contraire telle qu'elle vient de sortir de la société capitaliste. Ce qui veut dire qu'elle est encore à tous égards, économiquement, moralement et intellectuellement, marquée des empreintes de la société dont elle naît. " (Marx, Critique du Programme de Gotha)
IV - REALISATIONS ECONOMIQUES
Quoiqu'il soit difficile de dire précisément quelles seront les mesures économiques prises au cours de la période de transition, nous pouvons nous prononcer en faveur de mesures qui tendent directement à régir la production et la distribution en termes sociaux, collectifs, plutôt que de mesures qui nécessitent le calcul de la distribution de chacun au travail social.
Il faut critiquer le système des "bons de travail" qui perpétue la division de la classe ouvrière en une somme d'individus qui reçoivent de quoi vivre en fonction de leur travail individuel. Avec ce système, chaque travailleur reçoit, en échange d'une heure de travail, un bon représentant une heure de travail, avec lequel il peut puiser dans la masse des produits,' l'équivalent du temps qu'il a fourni. On a une "forme salariale" sans contenu salarial. Peu importe alors le travail concret créé, le temps réel, l'effort cristallisé dans un produit, seul compte le temps de travail abstrait, le temps nécessaire déterminé par la productivité globale de la société ; ce qui divise les ouvriers d'après leur productivité. Mais ce système est surtout irréalisable : en effet, il faut, pour calculer l'heure moyenne, que la productivité soit uniforme dans chaque branche de la production ; et si ceci pouvait être réalisé, il faudrait un calcul planifié mondialement qui suivrait de façon permanente les transformations de la productivité, qui seront continuelles au cours de la période de transition. Il faudrait encore une monstrueuse bureaucratie, inconnue jusqu'à présent dans l'histoire de l'humanité, pour empêcher chaque producteur ou unité de production de "tricher", de déclarer des heures inutiles, etc. Ce système risque aussi de dégénérer facilement en salaires-monnaie à un moment de reflux de la révolution.
L'orientation qui doit guider toutes les mesures prises doit être de tendre vers la production contrôlée collectivement en fonction de la satisfaction des besoins sociaux, en valeurs d'usage et en travail concret ; vers la réduction des heures de travail en assimilant d'autres couches dans le travail associé. Il faut, au plus vite, assurer la gratuité et la collectivisation de tous les biens de consommation nécessaires à la vie d’un homme, surtout dans les secteurs industrialisés où la socialisation peut aller plus vite.
V - LA GUERRE CIVILE REVOLUTIONNAIRE
La nature g1obale du prolétariat et de la bourgeoisie fait que la prise du pouvoir par les ouvriers d'un pays entraîne une guerre civile mondiale contre la bourgeoisie. Jusqu'à ce qu' elle soit victorieuse, jusqu'à ce que le prolétariat ait conquis le pouvoir mondialement, nous ne pouvons parler réellement d'une période de transition, ni d'une transformation communiste.
Pendant la guerre civile mondiale, tout est subordonné à celle-ci : la production n'est pas encore principalement axée sur les besoins humains, ce qui sera le saut de la production communiste, mais sur la nécessité impérieuse d'étendre et d'enraciner la révolution internationale. Même si le prolétariat peut faire disparaître bien des caractéristiques formelles du capitalisme, tout en s'armant et en produisant pour la guerre civile, on ne pourrait appeler communisme une économie orientée vers la guerre. Tant que le capitalisme existera quelque part dans le monde, ses lois continuent à déterminer le contenu réel des rapports de production partout ailleurs. Néanmoins, dès qu'il aura pris le pouvoir en un endroit le prolétariat devra entreprendre l'assaut des rapports capitalistes de production :
1 - parce que toute atteinte au capitalisme, dans un centre important, produira des effets profondément désintégrateurs, sur l'ensemble du capital mondial, ce qui approfondira la lutte de classes mondiale,
2 - pour faciliter la direction politique de la zone qu’il contrôle, car le pouvoir politique des ouvriers dépendra de leur capacité à simplifier et à rationaliser le processus de production et distribution, tâche impossible dans une économie totalement dominée par les rapports marchands.
3 - pour jeter les bases de la transformation sociale qui succèdera à la guerre civile.
De plus, il est important de noter que, si la transformation communiste de la société ne peut être entreprise pleinement qu’une fois assis le pouvoir politique mondial du prolétariat, qu'une fois achevée la guerre civile mondiale, néanmoins les organes de pouvoir du prolétariat sont déjà mis en place, dès la prise de pouvoir à un endroit du globe, avec, en cet endroit, les mêmes caractéristiques que pendant toute la période de transition : il en est ainsi des conseils ouvriers, mais aussi de l'Etat, qui est déjà l'Etat de la période de transition.
VI - ASPECTS PRINCIPAUX DE LA PERIODE DE TRANSITION
Nous ne pouvons nous étendre ici sur les tâches qu'aura à accomplir le prolétariat pendant la période de transition : elles sont gigantesques et multiples. C'est une société dans son intégralité qu'il faudra construire.
1 - La dictature du prolétariat :
Dans la période de transition existe encore plusieurs classes. Mais une seule est intéressée au communisme : le prolétariat. D'autres classes peuvent être entraînées dans la lutte que livre le prolétariat au capitalisme, mais elles ne peuvent jamais, en tant que classe, devenir porteuses du communisme. C'est pourquoi le prolétariat doit constamment se garder de se confondre ou de se dissoudre avec les autres classes. Il ne peut assurer la marche en avant vers la société sans classes uniquement en s'affirmant comme classe autonome et politiquement dominante de la société, car économiquement il reste exploité par le fait que le monde est encore dominé par la loi de la valeur. Il doit conserver entre ses mains toute la force politique et toute sa force armée : c'est la classe ouvrière dans son ensemble qui a le monopole des armes.
Si la classe ouvrière doit tenir compte des autres classes dans la vie économique et administrative, parce que ces classes constitueront au début la majorité de la société, elle ne devra pas leur laisser la possibilité d'une organisation autonome. Ces classes et couches nombreuses seront intégrées dans un système d'administration soviétique territoriale, en tant que citoyens et non en tant que classes. Ces classes seront progressivement dissoutes et intégrées dans la classe ouvrière.
Il s'agit bien sur des classes non exploiteuses; l’ensemble de la classe capitaliste et les anciens dirigeants de la société capitaliste seront directement exclus de la vie politique.
Le prolétariat, pour assurer sa dictature, se donne des structures organisées : les conseils ouvriers et le parti révolutionnaire.
Si, dans toute société divisée en classes, la classe dominante exerce ouvertement ou hypocritement sa dictature sur les autres, la dictature du prolétariat est différente des précédentes :
- à l'opposé des précédentes, elle est uniquement tournée contre les anciennes classes de la société. Elle ne porte pas de nouveaux privilèges, pas de nouvelles exploitations, mais supprime tous les privilèges et toute exploitation. Loin d'être gardienne du statu quo, elle vise une transformation ininterrompue de la société.
- pour cette raison, elle n’a nullement besoin, comme les autres classes, de cacher ses buts, de mystifier les classes opprimées en présentant sa dictature comme le règne de la Liberté, Egalité, Fraternité.
- elle s’applique à faire disparaître toutes les spécialisations et divisions hiérarchiques de la société. Il faudra garantir que la classe dans son ensemble ait le droit de grève, le droit de porter les armes, d’avoir une pleine liberté de réunion et d'expression, etc. Tout rapport de force, toute violence à l'intérieur du camp prolétarien doivent être rejetés.
2 - Les Conseils ouvriers :
Le Conseil Ouvrier est la forme historique de l’auto organisation du prolétariat dans la lutte révolutionnaire ; il est l'organisation autonome regroupant l'ensemble de la classe, le moyen approprié à la dictature du prolétariat. Les conseils sont des assemblées de délégués nommés et révocables à tout instant par les assemblées générales des travailleurs, exécutant les décisions prises par celle-ci.
Les conseils se centralisent mondialement, car ils doivent assurer la dictature mondiale du prolétariat, c'est à dire le pouvoir politique mondial et l'ensemble des transformations révolutionnaires de la société.
- Le pouvoir politique est donc exercé à travers les conseils ouvriers eux-mêmes et non au moyen d'un parti.
- les conseils sont l'organisation autonome de la classe ouvrière. Des deux dangers pouvant surgir dans la constitution des conseils, à savoir l'infiltration d'éléments bourgeois et l'enfermement des ouvriers dans le cadre strict de l'usine, le deuxième s'est révélé le plus grave :
- c'est au nom du danger d'infiltration d'éléments bourgeois que les sociaux démocrates allemands ont interdit à Rosa Luxemburg l'accès aux conseils. Le parti est une fraction de la classe et intervient donc librement dans les conseils.
- les conseils ne sont pas des organes d'autogestion. L'isolement des ouvriers dans des "conseils" composés de simples unités productives ne fait que maintenir les divisions imposées par le capitalisme et amène la défaite certaine de la classe. Les conseils sont avant tout des organes de pouvoir politique centralisé.
- les conseils ne sont pas une fin en soi : ils sont les moyens qu'emploie le prolétariat pour mener à bien la transformation communiste de la société. Si les conseils deviennent une fin en soi, cela veut simplement dire que le processus de révolution sociale s'arrête et qu'on assiste à un début de retour au capitalisme.
3 - Le Parti Révolutionnaire
Le parti révolutionnaire, formé par les fractions révolutionnaires au cours de la période révolutionnaire, est une fraction de la classe qui a la claire vision des buts communistes portés par le prolétariat. Sa seule tâche est la généralisation de la conscience révolutionnaire au sein de la classe. En aucun cas il ne prend le pouvoir "au nom de la classe", ni n’organise la classe.
Le parti aura un rôle actif à jouer au sein de la classe jusqu'au communisme, quand le "programme communiste" sera réalisé pratiquement. Tant que nous serons dans la période de transition, il se maintiendra l'hétérogénéité de la conscience au sein de la classe et continuera à se poser le problème de l'autonomie de la classe, donc se maintiendra la fonction du parti.
4 - L'Etat :
Pour empêcher que les antagonismes de classes qui travaillent la société n'explosent en luttes menaçant l'équilibre, et mettant en péril jusqu'à l'existence même de la société, la bourgeoisie, comme les classes qui l'ont précédée, a été amenée à créer des institutions et une superstructure, dont l'Etat est le couronnement et dont la fonction consiste essentiellement à maintenir ces luttes dans un cadre approprié, et de veiller à conserver et renforcer le cadre de l'organe social donné. C'est pourquoi l'Etat reste en règle générale l'organe par excellence de la classe dominante et s'identifie avec elle.
La Période de Transition est encore une société où subsiste la division en classes. Il surgira donc nécessairement cet organisme super structurel, ce fléau inévitable qu'est l'Etat, pour empêcher que les antagonismes de classes ne fassent voler cette société hybride en éclats. Le prolétariat, en tant que classe politiquement dominante, utilisera l'Etat pour maintenir son pouvoir et défendre les acquis de la transformation communiste. Cet Etat sera différent de tous les Etats du passé. Ce qui en fait un "demi-Etat". Pour la première fois, la classe « n’hérite » pas de l'ancienne machine d'Etat pour s'en servir à ses fins propres, mais renverse, détruit l'Etat bourgeois et construit ses propres organes de pouvoir. Car le prolétariat n'utilise pas l'Etat pour exploiter d'autres classes, mais pour défendre une transformation sociale qui anéantira à jamais l'exploitation, qui abolira tous les antagonismes sociaux, et conduit ainsi à l'extinction de l'Etat.
Mais, puisque le prolétariat continue à être la classe exploitée de la société, que la domination est uniquement politique et non économique, il ne peut pas s'identifier à l’Etat, organisme de conservation sociale qui exprime le frein que constituent les autres classes, vestiges du passé, et qui exprime la division de classes, c'est-à-dire l'exploitation se poursuivant. C'est parce que la fonction et les intérêts de l’Etat bourgeois se confondent avec ceux de la classe économiquement dominante, c’est-à-dire la conservation de l'Etat social existant, que l'Etat bourgeois peut et doit s’identifier avec celle-ci. Rien de tel donc pour le prolétariat, qui ne tend pas à conserver l'état de chose existant, mais à le bouleverser et à le transformer continuellement. C'est pourquoi sa dictature historique ne peut trouver dans une institution conservatrice par excellence, comme l'est l'Etat, son expression authentique. Il n’y a pas et ne peut y avoir d’Etat socialiste ou communiste. Etat et communisme s'excluent par définition, le communisme étant l'intérêt historique du prolétariat, sa substance en développement ; il n'y a pas identification entre l'un et l'autre. En conséquence, dans la mesure où on parle du prolétariat communiste, on ne parle pas "d'Etat ouvrier", d’Etat du prolétariat.
- Identifier le prolétariat à l'Etat, comme l’ont fait les Bolcheviks, amène à un moment de reflux, à la situation désastreuse où 1'Etat, en tant « qu’incarnation » de la classe ouvrière, peut tout se permettre pour maintenir son pouvoir, alors que la classe ouvrière toute entière reste sans défense.
- Le prolétariat n’est qu’une minorité de la population à l’échelle mondiale. La majorité de la population mondiale (paysannerie, artisans, principalement dans le Tiers-Monde), le prolétariat ne peut ni les intégrer dans les conseils ouvriers, ce qui ferait perdre au prolétariat son autonomie, ni les supprimer, ni les ignorer : il devra lui permettre (à l’exclusion de la bourgeoisie) de s'organiser et de former des conseils ouvriers. La violence envers les autres classes que la bourgeoisie, ne devra être employée qu’en dernière instance (exemple négatif de la révolution russe). Bien sûr tout comme ces autres couches ne seront intégrées au travail associé qu'en tant qu'individus, le prolétariat ne leur permet de s'exprimer qu’en tant qu'individus (et non en tant que classe) au sein de la société civile. Ceci implique que les organes représentatifs aux moyens desquels ils s'expriment, à la différence des conseils ouvriers, se fondent sur des unités et des formes d’organisations territoriale.
Tout ceci nous permet de dire que, tout en se servant de l'Etat, le prolétariat exprime sa dictature non pas par l’Etat mais sur l'Etat.
Afin de s’assurer la soumission de cet Etat, un certain nombre de mesures doivent être prises :
- les ouvriers organisés en conseils ont le pouvoir de décision sur toutes les mesures que prend l’Etat ; aucune mesure n'est prise sans leur consentement et leur participation active.
- les ouvriers ont le monopole des armes et sont prêts à s’en servir contre cet Etat si nécessaire.
- les ouvriers sont représentés dans l'Etat dans des proportions maximales (celles que les rapports de force permettent).
- tous les membres de l'Etat sont nommés et révocables à tout instant ; les représentants ouvriers rendent compte aux conseils de toutes les mesures et démarches qu’ils effectuent.
- les conseils décident des changements qui doivent être effectués au sein de l'Etat et de la société même, compte-tenu de l'évolution des rapports de force.
M. LAZARE. (TREIGNES 1975)
ETAT ET DICTATURE
Le texte qui suit a pour but d'énoncer une conception générale de l'Etat et de la dictature sans intention démonstrative. Ceci pour contribuer à la discussion en cours sur la période de transition qui pose la question fondamentale des formes et du contenu de la dictature prolétarienne. De plus amples explications, notamment sur les points d'achoppement feront l'objet d'une contribution ultérieure.
1 - Engels dans les pages désormais classiques de "Origines de la Famille, de la propriété privée et de l'Etat" dégage la signification et le rôle de l'Etat. Celui-ci est un produit de la société à un stade déterminé de son développement. Il est le résultat et la manifestation de contradictions de classes inconciliables. L'Etat surgit afin que les classes aux intérêts économiques opposés ne s'épuisent pas, et avec elles la société, dans une lutte stérile.
2 - Si l'Etat naît pour estomper les conflits de classes, les maintenir dans des limites déterminées, est-il une structure de dialogue entre classes, par l'intermédiaire de laquelle elles arrivent à des compromis ? Est-il un organisme neutre, extérieur à la société, qui arbitre des antagonismes ? Bien évidemment, non ! Encore une fois, l'Etat ne pourrait surgir, ni se maintenir, si la conciliation de classes était possible. On ne peut se demander dès lors quelle fonction, remplit exactement l'Etat ? Les classes opprimées de toutes les époques ont la réponse à cette question imprimée dans leur longue histoire de misère, d'exploitation et de déportation : l'Etat est donc, en règle générale ([1]), l'Etat de la classe la plus puissante, de celle qui s'est imposée politiquement et militairement dans le rapport de force historique. L'Etat est l'instrument que la classe dominante utilise en vue d'instaurer et garantir sa dictature.
3 - Un principe essentiel du marxisme est que le heurt des classes se décide non sur le terrain de droit, mais sur celui de la force. L'Etat est un organe spécial de répression : c'est l'exercice centralisé de la violence par une classe contre une autre. L'Etat politique, même et surtout démocratique et parlementaire, est un outil de domination violente. L'appareil d'Etat utilise en permanence des moyens coercitifs pour mater la classe dominée, même si apparemment ils consistent non dans l'usage implacable d'une force matérielle, policière ou autre, mais dans la simple menace de sanctions violentes, dans un simple article de loi (même non codifié), sans le fracas des armes et sans effusion de sang.
4 - Organe de violence, l'Etat se caractérise par l'institution d'une force publique. Cette force publique particulière est indispensable parce qu'une organisation armée de la population dans son ensemble est devenue impossible depuis la scission en classes. Chaque Etat, dès sa formation, crée une force de coercition, des "détachements spéciaux d'hommes armés" disposant de prisons, etc. Les diverses révolutions nous montrent comment la classe renversée s'efforce de reconstituer ses anciens organismes de domination (ou de les reconquérir) et la force armée lui était arrachée, et comment la classe nouvellement dominante se dote d'une nouvelle organisation de ce genre ou perfectionne l'ancienne afin d'empêcher toute restauration de la classe renversée et toute remise en cause des nouveaux rapports dominants.
5 - Pour synthétiser ce que nous venons de dire : dans toute société divisée en classes, la classe dominante exerce une dictature ouverte ou camouflée sur les autres classes de la société, en vue de préserver ses intérêts de classe et de garantir ou développer les rapports de production qui lui sont liés. Il est nécessaire de bien mettre en évidence le fondement de la dictature ; une classe déterminée domine par son intermédiaire et s'en sert pour défendre ses intérêts contre les intérêts antagoniques des autres classes (déterminisme économique), pour assurer l’extension, le développement, la conservation du rapport de production spécifique contre les dangers de restauration ou de destruction. Il est donc faux de considérer que tout Etat doit être haïs et constitue un "fléau dévastateur" (nous ne sommes pas des petit-bourgeois anarchistes). En effet, même l'Etat bourgeois est, à un moment historique donné, un instrument progressif aux yeux des marxistes : lorsqu'il représente la force organisée contre la réaction féodale intérieure et ses alliés de l'extérieur et favorise la mise en place de structures modernes sur les débris des sociétés pré-capitalistes. Il était non seulement utile mais indispensable que la bourgeoisie, au moyen de décrets étatiques et de l'usage de la violence, abattit les obstacles institutionnels qui retardaient l'apparition de grandes fabriques et d'une méthode plus moderne d'exploitation du sol. Si le marxisme a cette vision DIALECTIQUE de l'Etat, révolutionnaire à certaines époques, conservateur ou contre-révolutionnaire à d’autres, c'est qu'il en fait le PROLONGEMENT et l'INSTRUMENT des classes sociales qui prennent naissance, mûrissent et disparaissent. L'Etat est étroitement lié au cycle de la classe et s'avère donc PROGRESSIF ou CONTRE-REVOLUTIONNAIRE selon l'action historique de la classe sur le développement des forces productives de la société (selon qu'elle concourt à favoriser ou à freiner leur développement).
6 - Nous avons relié l'existence de l'Etat à la division en classes de la société. De la même façon que cette dernière n'est pas la caractéristique immanente des sociétés humaines, l'Etat n'existe pas de toute éternité. Il y eut des formes sociales sans classes et sans Etat, et le développement de la production, auquel l’existence des classes est devenue un obstacle, ôtera à l'Etat toute nécessité et le fera disparaître progressivement. Comme dit Engels: "La société qui réorganisera la production sur la base d'une association libre et égalitaire des producteurs relèguera toute la machine de l'Etat là où sera dorénavant sa place au musée des antiquités, à côté du rouet et de la hache de bronze."
Cependant avant la société sans classes et sans Etat, entre capitalisme et communisme s'insère une période de transition, une phase de transformation économique de la société. La société transitoire est encore une société divisée en classes et comme telle, elle fait surgir inévitablement un Etat et une dictature.
7 - L'Etat est l'organisation spéciale d'un pouvoir ; c'est l'organisation de la violence destinée à tenir en laisse une certaine classe. Le prolétariat a besoin de l'Etat pour réprimer la résistance de la bourgeoisie. Or, orienter cette répression, l'effectuer pratiquement, il n'y a que le prolétariat qui puisse le faire, en tant que seule classe révolutionnaire jusqu'au bout, seule classe capable d'unir sous le drapeau de la révolution tous les travailleurs et tous les exploités. L'intelligence de l'action révolutionnaire du prolétariat doit donc aller jusqu'à la reconnaissance de sa domination politique, de sa dictature, c'est-à-dire D'UN POUVOIR QU'IL NE PARTAGE AVEC PERSONNE et qui s'appuie directement sur la force armée de la classe elle-même. La bourgeoisie ne peut être balayée que si le prolétariat est transformé en classe dominante à même de noyer la résistance inévitable des classes possédantes, et d'organiser pour la transformation socialiste de l'économie toutes les masses travailleuses et exploitées. Le prolétariat A BESOIN d'un appareil d'Etat, d'une organisation centralisée de la violence, aussi bien pour REPRIMER la résistance désespérée de la bourgeoisie que pour DIRIGER la grande masse de la population - paysannerie, petite bourgeoisie, "nouvelles couches moyennes", semi-prolétaires - dans la mise en place du communisme.
8 - Si l'Etat est né parce que les contradictions de classes sont inconciliables, s'il est un pouvoir qui est devenu « de plus en plus étranger » à la société, il est clair que l'affranchissement de la classe opprimée est impossible, non seulement sans une révolution violente, mais aussi sans la suppression de l'appareil du pouvoir d'Etat, qui a été créé par la classe dominante et dans lequel est matérialisé ce caractère "étranger". Il en résulte ceci : la lutte prolétarienne n'est pas une lutte à l'intérieur de l'Etat et de ses organismes, mais une lutte extérieure à l'Etat, contre l'Etat, contre toutes ses manifestations et toutes ses formes. La révolution prolétarienne passe par l'anéantissement de l'Etat bourgeois. Cependant, une forme d’Etat politique est nécessaire après cette destruction. C'est une des formes nouvelles de la domination prolétarienne, nécessaire à la classe ouvrière placée devant la nécessité de diriger l'emploi de la violence pour extirper les privilèges de la bourgeoisie et organiser de manière nouvelle les forces de production libérées des entraves capitalistes. La révolution russe a démontré, contre les anarchistes qui, tout en ayant l'indéniable mérite de proposer la destruction de l'Etat bourgeois, s'imaginent pouvoir se passer après cette destruction de toute forme de pouvoir organisé, la nécessité d'un Etat politique, c'est-à-dire d’une structure de violence sociale. Comme la transformation communiste de la société est un processus de longue durée et non une réalisation immédiate, la suppression de la classe non travailleuse et l'intégration à la production socialisée de l'ensemble des classes et couches travailleuses non prolétariennes ne peuvent l'être non plus et on ne peut réaliser cette suppression et cette intégration par l'intermédiaire d'un massacre physique. Dès lors, pendant la période de transition, l'Etat révolutionnaire doit fonctionner, ce qui signifie, comme Lénine eut la franchise de dire aux pacifistes et autres petits bourgeois romantiques nostalgiques de la démocratie, avoir une armée, des forces de police et des prisons. Ce qui exclut bien évidement toute confusion quant à la caractérisation de l'Etat pendant la phase transitoire qui ne peut défendre les intérêts de plusieurs classes, mais d'UNE SEULE, et qui ne peut servir d'instrument à un agrégat indifférencié de classes et couches sociales, mais constitue un outil spécifique d'UNE SEULE CLASSE, de la classe dominante. C'est en ce sens qu'on peut et doit parler d’un Etat prolétarien, ce dernier étant l’UNE DES formes indispensable de la dictature du prolétariat. Avec la réduction progressive du domaine de l'économie privée et mercantile se réduit celui où il est nécessaire d'appliquer la contrainte politique et l'Etat prolétarien tend à disparaître progressivement.
9 - Il reste à examiner les formes déterminées de l'Etat prolétarien. Il se marque certains traits de similitudes entre l'Etat prolétarien et les Etats qui le précèdent dans la suite des époques historiques - traits qui permettent dans divers cas de parler d'Etat - et d'autre part, des traits qui le distinguent où se marque la transition vers la suppression de l'Etat. Nous avons vu que l'Etat prolétarien est l'instrument dont se dote le prolétariat en vue de réprimer la classe antagonique. L'Etat du prolétariat donne également à la société le cadre administratif adéquat dont elle ne peut se doter spontanément du fait de la division en classes. L'Etat révolutionnaire permet encore, d'une manière ou d'une autre qui n'en fasse pas une structure interclassiste, aux classes et couches prolétariennes de la société d'exprimer leurs intérêts immédiats, à l'exclusion de la bourgeoisie privée de tout droit et de tout moyen d'expression. Ces tâches qui supposent l'existence de détachements armés et de fonctionnaires identifient formellement les tâches de l'Etat prolétarien aux tâches des Etats précédents. Cependant, des différences SUBSTANTIELLES distinguent l'Etat du prolétariat des Etats des anciennes sociétés divisées en classes, différences qui résultent de l'action spécifique du prolétariat sur les rapports sociaux. Le prolétariat n’exerce pas sa dictature en vue de bâtir une nouvelle société d'oppression et d'exploitation, dans le but de préserver des privilèges économiques. Le prolétariat n'a pas de privilèges économiques et son seul intérêt de classe est la socialisation réelle de la production et l'avènement du communisme. Ces caractéristiques influent sur la forme et le contenu de l'Etat :
- l'absence d'appui économique dans la société fait du prolétariat "la classe de la conscience". Il est impossible que le prolétariat délègue la responsabilité de la dictature politique à un corps de spécialistes. La classe ouvrière dans son ensemble détient le pouvoir politique (et la puissance militaire: armement du prolétariat) au sein de ses propres organismes de classe, organes centralisés de domination politique : les conseils ouvriers. Le prolétariat exerce donc lui-même en tant que classe une partie des fonctions étatiques. En outre, il modèle son Etat à son image : il supprime tous les privilèges inhérents au fonctionnement des anciens Etats (nivellement des traitements, contrôle rigoureux des fonctionnaires : électivité complète et révocabilité à tout moment) ainsi que la séparation réalisée par le parlementarisme entre organismes représentatifs et exécutifs. Pour toutes les raisons que nous venons de mentionner, action étatique des conseils et contrôle absolu de l'Etat par la classe dans son ensemble, qui suppriment le caractère « étranger » de l'appareil d'Etat, nous pouvons parler de DEMI-ETAT prolétarien.
- dès le début de la période de transition, le prolétariat entame la transformation économique de la société. Il y a corrélation entre le développement du communisme et l'extinction de l'Etat. Engels dit de l'Etat : "Quand il finit par devenir effectivement le représentant de toute la société, il se rend lui-même superflu. Dès qu'il n'y a plus de classe sociale à tenir dans l'oppression, dès que, avec la domination de classe et la lutte pour l’existence individuelle motivée par l'anarchie antérieure de la production, sont éliminés également les collisions et les excès qui en résultent, il n'y a plus rien à réprimer qui rende nécessaire un pouvoir de répression, un Etat (…/…) L'intervention d'un pouvoir d'Etat dans les rapports sociaux devient superflue dans un domaine après l'autre, et entre alors naturellement en sommeil. Le gouvernement des personnes fait place à l'administration des choses et à la direction des opérations de production. "L'ETAT N'EST PAS ABOLI, IL S'ETEINT" ». C'est seulement dans la société communiste, lorsque la résistance des capitalistes est définitivement brisée, que les capitalistes. ont disparu et qu'il n'y a plus de classe (c'est-à-dire de distinctions entre les membres de la société quant à leurs rapports avec les moyens sociaux de production), c'est alors seulement que l'Etat cesse d'exister et qu'il devient possible de parler de liberté. Cependant, le processus d'extinction de l'Etat commence dès que le prolétariat entame l'intégration des autres couches sociales à la production socialisée et la "communisation des rapports sociaux". C'est pourquoi nous pouvons caractériser l'Etat prolétarien de demi-Etat qui s'éteint.
10 - Les cris d'alarme que poussent anarchistes et conseillistes dès qu'ils entendent le mot "Etat", en invoquant une prétendue impossibilité à freiner "l’appétit de pouvoir" et de nouveaux privilèges des fonctionnaires, présentés comme "nouvelle classe dominante", relèvent d'une incompréhension des mécanismes historiques et des phénomènes économiques et sociaux. La société et l'Etat ne sont pas autant d'entités abstraites. Le marxisme démonte magistralement la mystique bourgeoise de l"'essence éternelle" de 1'Etat en analysant cette forme sociale dans le cadre matériel des déterminations économiques et des transformations résultant des confrontations de classes. Ainsi, se dégage une conception dialectique de l'Etat révolutionnaire lorsque la classe qui l'utilise l'est également ; contre-révolutionnaire s'il est l'instrument de préservation d'une classe décadente. L'Etat prolétarien, par sa forme et son contenu, directement déterminés par les tâches et le programme du prolétariat, est essentiellement un organe de la classe dominante qui s'en sert en vue d'abolir les contradictions de classes, et par là l'Etat prolétarien lui-même. Il n'est pas un organisme de statu quo, pas plus qu'une structure visant à concilier des intérêts de classes antagoniques. Il est un instrument de violence sociale utilisé par le prolétariat contre la bourgeoisie et les rapports de production qu'elle personnifie. L'Etat prolétarien est également un organe dont le prolétariat se sert pour diriger l'ensemble des classes et couches exploitées de la société.
11 - Il reste à envisager l'éventuelle dégénérescence de l'Etat. Il est bien évident qu'en dernière instance, aucune mesure formelle ne peut contrer la dégénérescence de l'Etat, ni d'ailleurs de tout autre organe prolétarien. Mais la dégénérescence ne provient jamais de soi disant tares formelles intrinsèques à l'appareil étatique. Une telle conception métaphysique et subjectiviste de l'histoire est étrangère au marxisme. En ce qui concerne la révolution russe, avec les diverses substitutions qui se sont produites au cours d'un processus où s'entrecroisaient étroitement révolution et contre-révolution, les identifications parti-Etat, Etat prolétariat, ne sont pas à l'origine d'une dégénérescence de la révolution, MAIS EN CONSTITUENT LA CONSEQUENCE.
S'il est nécessaire de lutter avec énergie contre toutes les tendances substitutionnistes qui identifient diverses formes de la dictature du prolétariat (qui toutes remplissent des fonctions spécifiques), il serait illusoire de croire éviter par ce biais tout risque de dégénérescence. Le mécanisme des conseils lui-même peut tomber sous des influences contre-révolutionnaires. Il n'existe aucune immunisation formelle ou constitutionnelle contre ce danger, qui se trouve UNIQUEMENT déprendre du développement intérieur et MONDIAL du rapport des forces sociales. La décomposition interne de l'Etat prolétarien suppose qu'au préalable l'organisation centralisée du prolétariat ait commencé à se disloquer et à se vider du contenu révolutionnaire. Ainsi que le CCI le répète inlassablement, la SEULE garantie réelle contre les risques de recul réside dans la conscience de classe prolétarienne, liée aux progrès de la Révolution.
SAM.
CONTRIBUTION A L'ETUDE DE LA QUESTION DE L'ETAT.
Seule l'expérience historique du prolétariat constitue la base réelle sur laquelle les révolutionnaires entendent élaborer le programme communiste. Contre les philistins, les invariants en chambre et les alchimistes de la révolution, ils affirment l'unité fondamentale entre la pratique et la théorie de la classe ouvrière et c'est en se référant aux exemples concrets de la lutte de classe qu'ils peuvent tracer les perspectives plus lointaines du mouvement révolutionnaire, mettre le prolétariat en garde des nombreux pièges qui lui sont tendus, déblayer théoriquement les obstacles qui surgiront sans nul doute sur le chemin de la révolution.
Car si les révolutionnaires n’ont pas à trancher des questions dont le prolétariat n’a pas encore fait l'expérience concrète, ils peuvent néanmoins sur base de 1'acquis historique de la classe ouvrière tenter de jeter les premières bases théoriques dans la compréhension de certains problèmes fondamentaux. La question du programme communiste et des perspectives révolutionnaires, loin de se situer sur un plan mental et purement spéculatif, constitue un problème réel, lié à la prise de conscience du prolétariat - prise de conscience qui n'est que la destruction pratique et théorique des rapports sociaux capitalistes. – C’est pourquoi le travail de théorisation entrepris par les révolutionnaires s'enrichit sans cesse par l'action historique et présente du prolétariat ainsi que par son passé dont ils tirent de précieux enseignements en vue de tracer les perspectives générales, les prévisions du mouvement ouvrier.
« Prévoir n'est donc pas inventer mais dévoiler en allant au-delà des apparences phénoménales le contenu nouveau qui gît dans les entrailles de la vieille société. C'est seulement ainsi que la théorie peut devenir un facteur actif, un guide pour l'action et le socialisme une transformation révolutionnaire consciente de la société. » [Parti de Classe.]
C'est en tirant les leçons de l'expérience de l'insurrection de 1848 et plus encore de la Commune de Paris de 1871 que Marx et Engels ont été amenés à abandonner les perspectives élaborées dans le Manifeste Communiste, perspectives selon lesquelles le prolétariat devait s'emparer de l'Etat bourgeois. De la même manière les révolutionnaires aujourd'hui doivent se pencher sur la grande vague révolutionnaire de 1917-1923 - première tentative réelle du prolétariat de s'affirmer en classe révolutionnaire consciente de son rôle historique : la prise du pouvoir - afin d'en retenir tous les apports en ce qui concerne l'organisation et la prise du pouvoir du prolétariat.
La révolution Russe nous a enseigné la nécessité pour la classe ouvrière d'affirmer son autonomie et de s'organiser en conseils ouvriers. Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité les bases concrètes, objectives de la transformation consciente des rapports sociaux capitalistes par une classe révolutionnaire et exploitée étaient posées. Mais encore une fois, il ne suffit pas de se dire que les conditions économiques, matérielles liées à l'entrée du capitalisme dans sa période de déclin "permettent", "déterminent" la révolution prolétarienne.
"Pour accéder au communisme les prémisses économiques objectives sont insuffisantes car le communisme ne peut surgir indépendamment de la prise de conscience du prolétariat et apparaître comme le résultat d'un processus mécanique fatal s'opérant derrière son dos". [Parti de Classe]
La révolution communiste se présente d'emblée comme un processus dialectique conscient balayant les obstacles concrets empêchant le développement des forces productives. C'est pour cette raison que théorie et pratique sont indissociables. Affirmant depuis son apparition même son opposition brutale en tant que classe exploitée à l'existence du capitalisme le prolétariat éprouve depuis toujours la nécessité de se doter des instruments indispensables à sa prise de conscience. La révolution russe confirme d'une manière éclatante cette nécessité pour la classe ouvrière d'accéder à la conscience globale de la société et de sa situation ; Le rôle du Parti Bolchevik, son impossibilité à résoudre une série de problèmes non tranchés par la pratique du prolétariat, sa dégénérescence, sont autant d'éléments fondamentaux pour la compréhension et la clarté de l'engagement des révolutionnaires dans le processus de cette conscience.
Prétendre renouer avec les acquis de la révolution russe et nier le rôle déterminant du Parti Bolchevik dans celle-ci sous prétexte des tendances substitutionnistes et les nombreuses erreurs qu'il sera amené à commettre par la suite, c'est faire preuve d'un purisme inutile, cela revient à tomber dans la sociologie bourgeoise la plus plate. Les révolutionnaires n’ont pas à porter des jugements étiques sur les événements du passé, ni même à les refléter mécaniquement, l'objectivité sociologique n'est pas non plus de leur ressort. Ils théorisent les expériences passées en vue d'un but final ; c'est pour cette raison qu'ils constituent une organisation révolutionnaire intervenant dans le mouvement ouvrier et non pas un groupe de discussion.
« La tâche de la théorie n'est pas de refléter la réalité immédiate (ce qui suppose qu'elle arrive après coup et que donc, elle ne joue aucun rôle actif) mais de prévoir à partir de cette réalité les grandes tendances historiques qui s'en dégagent. » [Parti de Classe]
Seule la vision globale de la révolution russe et de sa dégénérescence vers le capitalisme d'Etat, dans toutes ses implications nous permet de tracer pour la période de transition quelques perspectives générales concernant la dictature du prolétariat et plus spécifiquement le problème de l'Etat. .
LA DICTATURE DU PROLETARIAT ET LE PROBLEME DE L'ETAT DANS LA PERIODE DE TRANSITION
LA DICTATURE DU PROLETARIAT
C'est un acquis fondamental aujourd'hui pour le mouvement révolutionnaire que la dictature du prolétariat doit se faire au travers des conseils ouvriers centralisés au niveau mondial. Déjà le mot d'ordre révolutionnaire "tout le pouvoir aux soviets" exprimait la compréhension des révolutionnaires face à la prise du pouvoir politique par le prolétariat et le refus de toute conciliation interclassiste ou toute forme de compromis avec la bourgeoisie. Mais la dictature du prolétariat ne représente pas une fin en soi, la réponse à tous les problèmes posés par le passage du mode de production capitaliste au mode de production communiste. La dictature prolétarienne représente en fait une condition indispensable à ce passage mais elle ne constitue pas une panacée ; l'action consciente de toute une classe en vue de la transformation des rapports sociaux périmés ne se résume pas à imposer un pouvoir politique face aux autres classes. La dictature du prolétariat ne constitue en fin de compte que la transition vers l'abolition de toutes les classes, l'instauration d'un mode de production sans classe. La mission historique du prolétariat ne saurait s’attacher à la simple domination politique de la société ; classe sociale à la fois révolutionnaire et exploitée sa mission consiste à faire faire à l’humanité le saut "du règne de la nécessité dans le règne de la liberté" et à libérer celle-ci de toute forme d'exploitation quelle qu'elle soit. La dictature du prolétariat ne saurait en elle-même constituer un garant de cette mission, elle ne constitue qu'un simple outil au service d'un processus complexe qui requiert l’intervention consciente de la classe ouvrière. C'est pourquoi la transition du capitalisme vers le socialisme après la prise du pouvoir par le prolétariat ne se fera pas par des décrets mais nécessitera une longue période transitoire pendant laquelle le prolétariat s'attaquera aux vestiges de l'ancienne société, intégrera les autres classes au procès de production, s'attachera à la construction d'une nouvelle société.
Cette période de transition s'échelonnant entre le capitalisme et le communisme lourde de la "tradition de toutes les générations de morts (qui) pèsent comme un cauchemar sur le cerveau des vivants" Marx, porte encore les traces de la société capitaliste. ; "Nous avons affaire, nous dit Marx, à une société non pas telle qu’elle s’est développée sur les bases qui lui sont propres, mais telle qu’elle vient au contraire de sortir de la société capitaliste ; par conséquent une société qui sous tous les rapports : économique, moral, intellectuel, porte encore les stigmates de l'ancienne société des flans de laquelle elle sort".
Ce qui signifie concrètement : subsistance des classes sociales et de leur antagonisme, subsistance de la loi de la valeur (bien qu’elle doive subir de profondes modifications de nature à la faire progressivement disparaître), existence de formes sociales intermédiaires destinées à disparaître mais rendues indispensables au maintien d'une certaine cohérence sociale… C'est ainsi que le prolétariat devra recourir à l'Etat, organisme de contrainte, "fléau dont le prolétariat hérite dans sa lutte pour arriver à sa domination de classe, mais dont il devra, comme l'a fait la Commune et dans la mesure du possible atténuer les plus fâcheux effets jusqu'au jour où une génération élevée dans une société d'hommes libres et égaux pourra se débarrasser de tout ce fatras gouvernemental" (Engels), mal nécessaire rendu inévitable par la subsistance des classes sociales.
L'existence de cet Etat ne doit pourtant en aucune manière représenter un frein à la dictature du prolétariat et plus encore à la transformation consciente de la société ; c'est pourquoi la dictature du prolétariat devra affirmer son autonomie par rapport aux autres classes et s’opposer à toute forme de dictature du Parti ou toute forme de substitution Parti-Etat, Classe-Etat, Parti-Classe. En refusant à une minorité de révolutionnaires « professionnels » d'exercer le pouvoir politique la classe ouvrière et les conseils où elle s'organise, confirment la nécessité à sa place pour la dictature prolétarienne d'être 1’action consciente de l'ensemble de la classe. Quant au Parti révolutionnaire, s’il continue à jouer un rô1e déterminant pendant la période de transition, il n'en reste pas moins distinct des conseils ([2]) et ne s'apprête nullement à exercer un pouvoir quelconque au sein de celle-ci.
« Le futur parti communiste n’aura pas d’autres armes que sa propre clarté théorique et son engagement politique envers le programme communiste. Il ne peut pas rechercher le pouvoir pour lui-même, mais doit lutter au sein de la classe pour l’application de programme communiste. En aucun cas, il ne peut forcer la classe dans son ensemble à mettre ce programme en pratique, pas plus que le mettre en pratique lui-même. Car le communisme n’est créé que par l’activité consciente de la classe dans son ensemble. » (WR, RINT n°1)
LE PROBLEME DE L'ETAT
Le prolétariat une fois victorieux et la révolution étendue à l'ensemble du monde la période de transition entre le capitalisme et le socialisme voit surgir un Etat foncièrement différent de l'Etat bourgeois (dont le prolétariat s'est débarrassé durant la guerre civile) mais qui n’en conserve pas moins le caractère coercitif de tout Etat. Mais comment expliquer dans ce cas la contradiction apparente entre l'existence d'un organe conservateur et la nécessité pour le prolétariat de procéder à la transformation radicale de la société ? La réponse est toute entière contenue dans la nature même de la période de transition et dans le caractère essentiellement ambigu de celle-ci (c'est pourquoi contre cette ambiguïté même le prolétariat n'aura que deux armes à opposer: le pouvoir des conseils ouvriers et sa conscience de classe).
1 - destruction de l’Etat bourgeois"
« Le prolétariat apparaît comme la première classe révolutionnaire dans l'histoire à qui incombe la nécessité d'anéantir la machine bureaucratique et policière, de plus en plus centralisée, dont toutes les classes exploiteuses s'étaient servies jusqu'ici pour écraser les masses exploitées. Dans son « 18 Brumaire », Marx souligna que "toutes les révolutions politiques n'ont fait que perfectionner cette machine au lieu de la briser". Le pouvoir centralisé de l'Etat remontait à la monarchie absolue, la Bourgeoisie naissante s'en servi pour lutter contre la féodalité, la Révolution française ne fit que le débarrasser des dernières entraves féodales et le Premier Empire paracheva l'Etat moderne. La société bourgeoise développée transforma le pouvoir central en une machine d’oppression du prolétariat » (Mitchell, Problèmes de 1a période de transition, in Bilan).
Le prolétariat, première classe révolutionnaire exploitée dans l'histoire, loin de s’attacher à conquérir l'Etat bourgeois devra s'efforcer au contraire de s'attaquer directement à lui, de le détruire entièrement et d'imposer son pouvoir au travers des conseils qui constitueront le prolétariat en armes (c'est la classe dans son ensemble qui sera armée et non une "armée rouge", un corps armé détaché d'elle). Mais cette destruction ne s’attachera pas uniquement à la disparition de l'Etat bourgeois, le prolétariat aura une seconde tâche : celle de détruire progressivement l'Etat rendu nécessaire pendant la période de transition et qui constitue un organe de statu quo par excellence ; la dictature du prolétariat ne consiste donc nullement à prendre en main l'Etat bourgeois ou à détruire celui-ci en vue de la mise en place d'un Etat prolétarien identifié à la classe. Fondamentalement, la révolution prolétarienne est d'ordre politique et affirme le pouvoir d'une classe révolutionnaire consciente dans son ensemble. Mais si la prise du pouvoir politique par le prolétariat ouvre la voie aux bouleversements des rapports sociaux capitalistes et à l'instauration de la société communiste, celle-ci ne surgira pas spontanément et automatiquement des entrailles de l'ancienne société.
"Oui, la classe ouvrière n'est pas séparée de la vieille société bourgeoise par un mur chinois. Lorsque la révolution éclate, les choses ne se passent pas comme à la mort d'un homme où l'on emporte et enterre son cadavre. Au moment où la vieille société périt, on ne peut pas clouer ses restes dans une bière et les mettre dans la tombe. Elle se décompose au milieu de nous, elle pourrit et sa pourriture nous gagne nous-mêmes. Aucune grande révolution au monde ne s'est accomplie autrement et il ne saurait en être autrement. C'est justement ce que nous devons combattre pour sauvegarder et développer les germes du nouveau au milieu de cette atmosphère empestée des miasmes du cadavre en décomposition". (La lutte pour le pain. Discours prononcé par Lénine au C.C.E.)
2 - nécessite d'un Etat pendant la période de transition
Ainsi que nous venons de le voir, les classes ne seront pas entièrement abolies après la prise du pouvoir par le prolétariat. Or, tant que les classes existent, existe, pour contenir les antagonismes de classes et empêcher que la société "ne vole en éclats", un Etat. Le prolétariat, loin d'utiliser cet Etat pour exploiter les autres classes, s'en servira dans le but d'amener petit à petit les autres parties de la société à intégrer le procès de production, il en possède donc le contrôle absolu et s'en sert pour "régulariser ses relations avec les autres classes" ; de là à dire que le prolétariat et l'Etat sont identiques ou que la dictature du prolétariat exercera aussi des fonctions étatiques, il y a un pas vite franchi, mais qu'il faut se garder de faire. Identifier l'Etat au prolétariat revient à mal poser le problème et ne fait qu'embrouiller les choses. Cette confusion classe-Etat révèle, en fait, une incompréhension du caractère profondément politique de la révolution prolétarienne et du moteur objectif essentiel qui l'anime.
La période de transition, nous l'avons vu, est toute entière contenue dans cette contradiction :
a - d'une part, le prolétariat possède le pouvoir politique par l'intermédiaire de ses conseils ouvriers en armes ;
b - d'autre part, les classes subsistent ainsi que la loi de la valeur et le prolétariat reste une classe exploitée, celle qui ne possède aucun pouvoir économique particulier au sein de la société.
C'est cette contradiction apparente qui encourage la dynamique révolutionnaire vers l'abolition des rapports marchands, la socialisation de la production, la mise en place progressive de nouveaux rapports sociaux. Or, cette transformation consciente ne se réalise que si le prolétariat intègre à lui l'ensemble de la société et ce processus se fait non seulement à l'extérieur de l'Etat mais encore lui est profondément "contraire" dans la mesure où il tend à détruire celui-ci, à le rendre de plus en plus inutile. Le prolétariat reste donc une classe exploitée pendant la période de transition et cette exploitation est inversement proportionnelle à la destruction de l'Etat et des classes sociales.
A 1’inverse des révolutions passées qui couronnaient politiquement un pouvoir économique déjà en place, la révolution prolétarienne et le passage du mode de production capitaliste au mode de production communiste implique une conscience globale de ce passage. Alors que l’Etat bourgeois était progressif dans l’histoire en brisant les rapports féodaux et en affirmant les rapports capitalistes, l'Etat dans la période de transition constitue de par sa nature même un mal conservateur mais nécessaire, qui ne met pas la dictature du prolétariat en question mais qui traduit la situation même de la période de transition : période charnière pendant laquelle le prolétariat détruit peu à peu le cadavre capitaliste, les derniers vestiges pourrissant des rapports de production marchands.
c – Le prolétariat doit donc rester autonome par rapport aux autres classes et transformer consciemment la société ; or l'Etat incarne précisément l'existence de classe, il est l'expression concrète d'une nécessité de régulation, d'échange entre le prolétariat et les autres classes subsistantes, il concrétise une nécessité coercitive face aux antagonismes de classe qui restent après la prise du pouvoir par le prolétariat ; dans une certaine mesure, il est la matérialisation super structurelle de l'existence de l'exploitation (liée à l'échange et à la division sociale du travail du prolétariat pendant la période de transition). C'est pourquoi, même si les négociations entre prolétariat et autres classes se feront toujours dans l'intérêt de la classe ouvrière et sous contrôle des conseils, les tâches étatiques pendant la période de transition et la transformation consciente des rapports sociaux bien que relevant d'un-même processus : la dictature du prolétariat représentent deux choses bien distinctes.
« Seul le prolétariat contient en lui-même les bases des rapports sociaux communistes, seul le prolétariat est capable d’entreprendre la transformation communiste. L'Etat peut au mieux aider à conserver les acquis de cette transformation (et au pire y faire obstacle) mais il ne peut en tant qu'Etat se charger de cette transformation. C'est le mouvement social du prolétariat tout entier, par son activité créatrice propre qui anéantira la domination du fétichisme de la marchandise et construira de nouveaux rapports entre les êtres humains. » (W.R, RINT n°1)
Nous nous devons de ne pas confondre l'outil avec celui qui s'en sert.
d - Il est indispensable, dans le processus même de la prise de conscience du prolétariat, que l’Etat soit distinct de la classe, dans la mesure où le prolétariat doit agir en vue de ses intérêts finaux, intérêts qui ne sont pas le maintien de l'exploitation et des classes sociales ni la dictature du prolétariat en elle-même mais qui résident dans l’abolition des classes par le changement conscient des rapports de production. Ces intérêts sont donc en contradiction avec la fonction même de l'Etat et sa nature conservatrice. Un vieux dicton populaire affirme qu’un ennemi connu vaut mieux que trop d’amis inconnus. Le prolétariat, en se distinguant nettement de l'Etat, prend conscience de l'existence de cet « ennemi » utile et sur lequel il peut exercer, un véritable contrôle (on ne contrôle effectivement que ce qui est séparé de soi, sans cela il ne s'agit plus d'un contrôle).
La seule garantie qu'il possède de bouleverser les rapports sociaux d'une manière consciente réside dans la vision globale qu'il doit avoir de ce qui est à détruire et de ce qui est à construire. Ainsi l'Etat constitue bien un organe nécessaire mais à détruire progressivement.
"Ce qui doit retenir notre attention, c’est que le postulat du dépérissement de l'Etat prolétarien est appelé à devenir en quelque sorte la pierre de touche du contenu des révolutions prolétariennes. Nous avons déjà indiqué que celles-ci surgissaient dans un milieu historique obligeant le prolétariat à supporter un Etat, bien que ce ne put être « qu'un Etat, en dépérissement, c'est-à-dire constitué de telle sorte qu'il commence sans délai à dépérir et qu’il ne puisse pas ne point dépérir » (Lénine). (Mitchell, Problèmes de la période de transition in Bilan),
Apparente contradiction entre le caractère essentiellement dynamique de la période de transition, c'est-à-dire de la dictature du prolétariat, et la nécessité de l'Etat maintien d'un statu quo, apparente contradiction entre l'existence de cet Etat et le but du prolétariat qui réside précisément dans la destruction de cet organe conservateur et l'abolition des classes… toutes ces ambiguïtés touchent la nature même de la période de transition et nous révèle le caractère foncièrement difficile et douloureux de cette période et les tâches immenses que la classe ouvrière aura à assumer, la condition sine qua non de sa conscience radicale de ses intérêts ainsi que le danger toujours présent d'un retour au capitalisme parce que les germes du communisme auront à se développer dans l'atmosphère empestée des miasmes du cadavre capitaliste en décomposition.
J.L.
[1] "Exceptionnellement, il se présente pourtant des périodes où les classes en lutte sont si près de s'équilibrer que le pouvoir de l'Etat, comme pseudo-médiateur, garde pour un temps une certaine indépendance vis-à-vis de l'une et de l'autre. (...) Telle la monarchie absolue des XVIIème et XVIIIème siècles, tel le bonapartisme du Premier et du Second Empire en France, tel Bismarck en Allemagne." ENGELS
[2] Et cela même si l’influence des révolutionnaires se fait de plus en plus efficacement ; même si pendant cette période l’unité entre la théorie et la pratique devient telle que le prolétariat reconnaît en l'organisation des révolutionnaires le porteur de ses intérêts finaux.