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Après des années d’atonie, le mouvement social contre la réforme des retraites montre un réveil de la combativité du prolétariat en France. Malgré toutes ses difficultés, la classe ouvrière a commencé à relever la tête. Alors qu’il y a un an, tout le terrain social était occupé par le mouvement inter-classiste des Gilets jaunes, aujourd’hui, les exploités de tous les secteurs et de toutes les générations ont profité des journées d’action organisées par les syndicats pour descendre dans la rue, déterminés à lutter sur leur propre terrain de classe contre cette attaque frontale et massive du gouvernement qui frappe l’ensemble des exploités.
Alors que depuis près de dix ans, les salariés demeuraient paralysés, totalement isolés chacun dans leur coin sur leur lieu de travail, ils sont parvenus ces dernières semaines à retrouver le chemin de la lutte collective.
Les aspirations à l’unité et à la solidarité dans la lutte montrent que les travailleurs en France commencent à se reconnaître de nouveau comme faisant partie d’une seule et même classe ayant les mêmes intérêts à défendre. Ainsi, dans plusieurs cortèges, et notamment à Marseille, on a pu entendre : “La classe ouvrière existe !” À Paris, des groupes de manifestants qui ne défilaient pas derrière les banderoles syndicales, chantaient : “On est là, on est là pour l’honneur des travailleurs et pour un monde meilleur”. Dans la manifestation du 9 janvier, même des badauds qui se promenaient sur les trottoirs, en marge du cortège syndical, ont entonné ce vieux chant du mouvement ouvrier : “L’Internationale”, tandis qu’étudiants et lycéens scandaient, derrière leurs propres banderoles : “Les jeunes dans la galère, les vieux dans la misère !”
Il est clair qu’en refusant de continuer à courber l’échine, la classe ouvrière en France est en train de retrouver sa dignité.
Un autre élément, très significatif d’un changement dans la situation sociale, a été l’attitude et l’état d’esprit des “usagers” dans la grève des transports. C’est la première fois, depuis le mouvement de décembre 1995, qu’une grève des transports n’est pas “impopulaire” malgré toutes les campagnes orchestrées par les médias sur la “galère” des “usagers” pour se rendre à leur travail, rentrer chez eux ou partir en vacances lors des fêtes de fin d’année. Nulle part, excepté dans les médias aux ordres, on n’a pu entendre que les cheminots de la SNCF ou de la RATP prenaient les usagers “en otage”. Sur les quais ou dans les trains et RER bondés, on attendait patiemment. Pour se déplacer dans la capitale, on se débrouillait sans râler contre les cheminots en grève ; covoiturages, vélos, trottinettes… Mais, plus encore, le soutien et l’estime envers les cheminots se sont concrétisés par les nombreux dons aux caisses de solidarité pour les grévistes qui ont fait le sacrifice de plus d’un mois de salaire (plus de trois millions d’euros ont été récoltés en quelques semaines !) en luttant non seulement pour eux-mêmes mais aussi pour les autres.
Cependant, après un mois et demi de grève, après des manifestations hebdomadaires rassemblant des centaines de milliers de personnes, ce mouvement n’est pas parvenu à faire reculer le gouvernement.
Depuis le début, la bourgeoisie, son gouvernement et ses “partenaires sociaux” avait orchestré une stratégie pour faire passer l’attaque sur les retraites. La question de l’ “âge pivot” était une carte qu’ils avaient gardée dans leur manche pour saboter la riposte de la classe ouvrière et faire passer la “réforme” grâce à la stratégie classique de division du “front syndical”.
De plus, la bourgeoisie blinde son État policier, au nom du maintien de l’ “ordre républicain”. Le gouvernement déploie, de façon hallucinante, ses forces de répression afin de nous intimider. Les flics ne cessent de gazer et tabasser aveuglément des travailleurs (y compris des femmes et des retraités) appuyés par les médias qui font l’amalgame entre la classe exploitée, les black blocs et autres “casseurs”. Afin d’empêcher les travailleurs de se regrouper à la fin des manifs pour discuter, les cohortes de CRS les dispersent, sur ordre de la Préfecture, à coups de grenades de “désencerclement”. Les violences policières ne sont nullement le fruit de simples “bavures” individuelles de quelques CRS excités et incontrôlables. Elles annoncent la répression impitoyable et féroce que la classe dominante n’hésitera pas à déchaîner contre les prolétaires, dans le futur (comme elle l’a fait dans le passé, par exemple, lors la “semaine sanglante” de la Commune de Paris en 1871).
Pour pouvoir s’affronter à la classe dominante et faire reculer le gouvernement, les travailleurs doivent prendre eux-mêmes leur lutte en main. Ils ne doivent pas la confier aux syndicats, à ces “partenaires sociaux” qui ont toujours négocié dans leur dos et dans le secret des cabinets ministériels.
Si nous continuons à demander aux syndicats de nous “représenter”, si nous continuons à attendre qu’ils organisent la lutte à notre place, alors oui, nous sommes “foutus” !
Pour pouvoir prendre notre lutte en main, pour l’élargir et l’unifier, il faut organiser nous-mêmes des assemblées générales massives, souveraines, et ouvertes à toute la classe ouvrière. C’est dans ces AG que nous pouvons discuter tous ensemble, décider collectivement des actions à mener, former des comités de grève avec des délégués élus et révocables à tout moment.
Les jeunes travailleurs qui ont participé au mouvement contre le “Contrat Première Embauche” au printemps 2006, lorsqu’ils étaient encore étudiants ou lycéens, doivent se souvenir et transmettre cette expérience à leurs camarades de travail, les plus jeunes ou les plus vieux. Comment ont-ils pu faire reculer le gouvernement Villepin en l’obligeant à retirer son “CPE” ? Grâce à leur capacité à organiser eux-mêmes leur lutte dans leurs assemblées générales massives dans toutes les universités, et sans aucun syndicat. Ces AG n’étaient pas verrouillées. Au contraire : les étudiants avaient appelé tous les travailleurs, actifs et retraités, à venir discuter avec eux dans leurs AG et à participer au mouvement en solidarité avec les jeunes générations confrontées au chômage et à la précarité. Le gouvernement Villepin a dû retirer le CPE sans qu’il y ait aucune “négociation”. Les étudiants, jeunes travailleurs précaires et futurs chômeurs n’étaient pas représentés par des “partenaires sociaux” et ils ont gagné.
Les cheminots qui ont été le fer de lance de cette mobilisation, ne peuvent pas poursuivre leur grève seuls sans que les autres secteurs n’engagent eux-mêmes la lutte avec eux. Malgré leur courage et leur détermination, ils ne peuvent pas lutter “à la place” de toute la classe ouvrière. Ce n’est pas la “grève par procuration” qui peut faire reculer le gouvernement, aussi déterminée soit-elle.
Aujourd’hui, la classe ouvrière n’est pas encore prête à s’engager massivement dans la lutte. Même si de nombreux travailleurs de tous les secteurs, de toutes les catégories professionnelles (essentiellement de la fonction publique), de toutes les générations étaient présents à battre le pavé dans les manifestations organisées par les syndicats depuis le 5 décembre. Ce dont nous avons besoin pour freiner les attaques de la bourgeoisie, c’est de développer la solidarité active dans la lutte et pas seulement en remplissant les caisses de solidarité pour permettre aux grévistes de “tenir”.
La reprise du travail qui a déjà commencé dans le secteur des transports (notamment à la SNCF) n’est pas une capitulation ! Faire une “pause” dans la lutte est aussi un moyen de ne pas s’épuiser dans une grève longue et isolée, qui ne peut déboucher que sur un sentiment d’impuissance et d’amertume.
La grande majorité des travailleurs mobilisés ont le sentiment que si on perd cette bataille, si on ne parvient pas à obliger le gouvernement à retirer sa réforme, nous sommes “foutus”. Ce n’est pas vrai ! La mobilisation actuelle,et le rejet massif de cette attaque ne sont qu’un début, une première bataille qui en annonce d’autres demain. Car la bourgeoisie, son gouvernement et son patronat vont continuer à nous exploiter, à attaquer notre pouvoir d’achat, à nous plonger dans une pauvreté et une misère croissantes. La colère ne peut que s’amplifier jusqu’à déboucher sur de nouvelles explosions, de nouveaux mouvements de lutte.
Même si la classe ouvrière perd cette première bataille, elle n’a pas perdu la guerre. Elle ne doit pas céder à la démoralisation !
La “guerre de classe” est faite d’avancées et de reculs, de moments de mobilisation et de pause pour pouvoir repartir de nouveau encore plus fort. Ce n’est jamais un combat en “ligne droite” où on gagne immédiatement du premier coup. Toute l’histoire du mouvement ouvrier a démontré que la lutte de la classe exploitée contre la bourgeoisie ne peut aboutir à la victoire qu’à la suite de toute une série de défaites.
Le seul moyen de renforcer la lutte, c’est de profiter des périodes de repli en bon ordre pour réfléchir et discuter ensemble, en se regroupant partout, sur nos lieux de travail, dans nos quartiers et tous les lieux publics.
Les travailleurs les plus combatifs et déterminés, qu’ils soient actifs ou chômeurs, retraités ou étudiants, doivent essayer de former des “comités de lutte” interprofessionnels ouverts à toutes les générations pour préparer les luttes futures. Il faudra tirer les leçons de ce mouvement, comprendre quelles ont été ses difficultés pour pouvoir les surmonter dans les prochains combats.
Ce mouvement social, malgré toutes ses limites, ses faiblesses et difficultés, est déjà une première victoire. Après des années de paralysie, de désarroi et d’atomisation, il a permis à des centaines de milliers de travailleurs de sortir dans la rue pour exprimer leur volonté de lutter contre les attaques du Capital. Cette mobilisation leur a permis d’exprimer leur besoin de solidarité et d’unité. Elle leur a permis aussi de faire l’expérience des manœuvres de la bourgeoisie pour faire passer cette attaque.
Ce n’est que par la lutte et dans la lutte que le prolétariat pourra prendre conscience qu’il est la seule force de la société capable d’abolir l’exploitation capitaliste pour construire un monde nouveau. Le chemin qui mène à la révolution prolétarienne mondiale, au renversement du capitalisme, sera long et difficile. Il sera parsemé d’embûches et de défaites, mais il n’y en a pas d’autre.
Plus que jamais, l’avenir appartient à la classe ouvrière !
Courant Communiste International, 13 janvier 2020
Depuis début décembre, venant de tous les secteurs et issus de toutes les générations, des centaines de milliers de manifestants descendent dans la rue contre la “réforme” des retraites. Dans les cortèges, la colère et la combativité sont évidentes. Depuis les luttes de 2003 et 2010 contre les précédentes “réformes” des retraites, nous n’avions pas vu en France un tel enthousiasme d’être aussi nombreux à se mobiliser tous ensemble contre cette attaque qui touche toute la classe des exploités : salariés du public et du privé, actifs et retraités, chômeurs, travailleurs précaires, étudiants. La solidarité dans la lutte se manifeste par une volonté de se battre non seulement pour nous-mêmes mais aussi pour les autres secteurs et pour les générations futures.
Néanmoins, ce mouvement connaît aussi d’importantes limites et difficultés en particulier dans la prise en main et l’organisation de la lutte par les prolétaires eux-mêmes. Il n’y a que très peu, ou pas, de réelles assemblées générales dans lesquelles les travailleurs peuvent débattre, prendre ensemble les décisions et la conduite de leur lutte. Contrairement, par exemple, à Mai 68.
Quelles leçons tirer du mouvement en cours ? Quelles sont ses forces et ses faiblesses ? Comment préparer au mieux les luttes futures ? Quel rôle jouent réellement les syndicats et les partis de “gauche” ? Ce sont de toutes ces questions, et bien d’autres encore, que nous proposons de discuter lors des réunions publiques à :
– Paris [3], le samedi 18 janvier 2020 à 15:00.
– Marseille [4], le samedi 18 janvier 2020 à 15:00.
– Toulouse [5], le samedi 18 janvier 2020 à 15:00.
– Lille [6], le samedi 8 février 2020 à 15:00.
– Nantes [7], le samedi 8 février 2020 à 15:00.
– Lyon [8], le samedi 8 février 2020 à 15:00.
Sur les réseaux sociaux, dans les partis de gauche et d’extrême-gauche, dans les médias, on cherche à nous effrayer en criant au loup fasciste ! Il est évident que le fascisme est l’une des expressions les plus brutales de la barbarie capitaliste, (1) il est clair également que Vox est un parti répugnant, qui affiche une attitude provocatrice et agressive, qui alimente la xénophobie contre les immigrés et défend le nationalisme espagnol le plus rance.
Cependant, ce serait tomber dans un piège très dangereux pour le prolétariat que de céder à la propagande qui présente Vox comme le Mal Absolu face à ses rivaux bourgeois de gauche (PSOE et Podemos) ou de droite (PP, Ciudadanos) qui représenteraient un moindre mal auquel il faudrait s’agripper coûte que coûte. L’histoire nous a montré que le piège qui consiste à choisir dans le menu empoisonné des fractions capitalistes a provoqué de terribles bains de sang : la boucherie de la Seconde Guerre mondiale (choisir entre le camp nazi et le camp démocratique), la Guerre d’Espagne de 1936 (choisir entre Franco et la République) ou le coup d’État de Pinochet (choisir entre l’ “Unité Populaire” d’Allende et les militaires).
Le prolétariat doit combattre le capitalisme et son État comme un tout et non de deux maux choisir le soi-disant moindre. Sous la domination du capitalisme, le prolétariat a seulement de faux amis et des ennemis déclarés. Entre les partis capitalistes, il n’y a pas de “meilleurs” ou de “pires” : tous représentent la pire alternative. Comme le disait Blanqui, un révolutionnaire du XIXe siècle, “pour les prolétaires qui se laissent amuser par des promenades ridicules dans les rues, par des plantations d’arbres de Liberté, par des phrases sonores d’avocat, il y aura de l’eau bénite d’abord, des injures ensuite, enfin, de la mitraille, de la misère toujours”.
Dans l’appareil politique du Capital il y a toute une mosaïque qui va de l’extrême-droite à l’extrême-gauche, passant par tous types de nationalismes, régionalismes jusqu’à des candidatures citoyennes du style Teruel Existe, un parti défendant les “intérêts” de la province de Teruel en Aragon (dans l’actuelle législature parlementaire espagnole, il y a 19 groupes différents !). Il y a entre eux des divergences, des nuances et surtout des intérêts opposés de fraction, de clique ou purement régionalistes ou localistes. Cependant, au-delà de leurs conflits d’intérêts et des querelles interminables auxquelles ils se livrent, ils sont tous unis pour :
– la défense du capital comme mode de production basé sur l’exploitation du prolétariat ;
– la défense de la nation (que celle-ci soit espagnole ou catalane) ;
– la défense de l’État ;
– la volonté de contrôler, diviser et écraser le prolétariat.
Ceci constitue une réalité qui s’applique à tous les pays du monde et qui, pour se limiter au cas de l’Espagne, peut se vérifier si nous analysons l’histoire de la Seconde République (1931-39) et de la restauration de la démocratie (depuis 1975).
Le premier gouvernement de la Seconde République (produit de la coalition entre républicains et socialistes de 1931 à 1933) assassina 1500 ouvriers lors de la brutale répression des grèves et des protestations des ouvriers agricoles. Il faut particulièrement souligner le massacre de Casas Viejas durant lequel le démocrate Azaña donna l’ordre de “tirer au ventre !”
Le gouvernement suivant, présidé par la droite (la CEDA), massacra l’insurrection ouvrière des Asturies (1934) qui fut suivie par l’emprisonnement de dizaines de milliers d’ouvriers et les tortures les plus sadiques. La répression se fit avec la collaboration de Esquerra Republicana de Cataluña (ERC ou Gauche républicaine de Catalogne, au pouvoir en Catalogne avec le parti indépendantiste de Puigdemont) et son corps d’Escamots qui se chargeaient de torturer les ouvriers combatifs, particulièrement les membres de la CNT.
En 1937, le parti “communiste” fut le principal artisan de la répression sauvage de l’insurrection ouvrière de Barcelone, avec, à nouveau, sa montagne de cadavres et son cortège de tortures et d’emprisonnements. (2)
Franco, avec son régime de terreur (1939-1975), acheva la besogne commencée par ses acolytes de gauche et de droite.
Le baptême du feu fut la répression de la grève de Vitoria (mars 1976, cinq morts). (3) L’UCD (1977-1981) imposa avec l’accord de tous les partis (depuis la droite de Alianza Popular jusqu’à la gauche du PCE), le Pacte de la Moncloa qui marqua les premiers pas dans la chute des conditions de vie des travailleurs. Le gouvernement du PSOE (1982-1996) détruisit un million d’emplois et entacha ses mains du sang des trois ouvriers tués pendant la répression des grèves (Gijón, Bilbao et Reinosa). Le gouvernement du PP (1996-2004) entreprit des attaques de grande envergure qui ont généralisé la précarité et ont rendu impossible l’accès au logement. Le gouvernement du PSOE (2004-2011) ouvrit la voie à des coupes brutales dans les prestations sociales, la santé, etc., que généralisera ensuite le gouvernement du PP (2011-2018) avec la complicité du gouvernement régional d’Artur Mas qui fera des travailleurs catalans, les cobayes d’un plan de coupes budgétaires qui s’étendra à toute l’Espagne.
Vox n’a pas eu l’occasion d’exercer le pouvoir (à peine a-t-il fait quelques timides premiers pas dans des coalitions pour des gouvernements autonomes) mais dans la pratique comme sur le fond, il coïncide pleinement avec ses rivaux du duo PP-PSOE. Vox est un autre ennemi des travailleurs
Pour comprendre pourquoi surgit Vox, nous devons partir de deux faits. Le premier, de nature espagnole, réside dans la dénommée “transition démocratique” des années 1970. Le second est lié à ce que nous appelons : la phase de décomposition capitaliste, de dimension mondiale et historique.
Un des accords les plus importants de la transition espagnole fut celui de charger l’ancien ministre de Franco, Manuel Fraga, et son parti, d’abord appelé Alianza Popular et rebaptisé ensuite Partido Popular, d’intégrer en son sein l’important secteur franquiste de la bourgeoisie. Ce dispositif fit du PP “le grand parti de la droite” qui englobait des tendances politiques allant de l’extrême-droite jusqu’aux factions libérales, voire avec certaines ayant des accents sociaux-démocrates. Avec cet assemblage, ils purent neutraliser durant quatre décennies des secteurs issus de l’ancien régime qui étaient devenus inadaptés pour affronter les nouvelles nécessités du capital espagnol, particulièrement face à la classe ouvrière qui, d’abord avec les grandes grèves des Asturies en 1962, puis avec les luttes importantes de la période 1971-1976 s’inscrivaient pleinement dans la réémergence générale du prolétariat mondial débutée avec Mai 68.
Cependant, le processus de décomposition capitaliste, un phénomène mondial que nous avons identifié, vint bouleverser ce dispositif bien huilé. Dans les “Thèses sur la décomposition [9]” (Thèse 9), nous signalions : “Parmi les caractéristiques majeures de la décomposition de la société capitaliste, il faut souligner la difficulté croissante de la bourgeoisie à contrôler l’évolution de la situation sur le plan politique. À la base de ce phénomène, on trouve évidemment la perte de contrôle toujours plus grande de la classe dominante sur son appareil économique, lequel constitue l’infrastructure de la société. L’impasse historique dans laquelle se trouve enfermé le mode de production capitaliste, les échecs successifs des différentes politiques menées par la bourgeoisie, la fuite en avant permanente dans l’endettement généralisé au moyen de laquelle se survit l’économie mondiale, tous ces éléments ne peuvent que se répercuter sur un appareil politique incapable, pour sa part, d’imposer à la société, et particulièrement à la classe ouvrière, la “discipline” et l’adhésion requises pour mobiliser toutes les forces et les énergies vers la guerre mondiale, seule “réponse” historique que la bourgeoisie puisse offrir. L’absence d’une perspective (exceptée celle de “sauver les meubles” de son économie au jour le jour) vers laquelle elle puisse se mobiliser comme classe, et alors que le prolétariat ne constitue pas encore une menace pour sa survie, détermine au sein de la classe dominante, et particulièrement de son appareil politique, une tendance croissante à l’indiscipline et au sauve-qui-peut”.
Cette tendance à l’indiscipline des différents secteurs de la bourgeoisie qui ne veulent pas être “les premiers à se sacrifier”, ni ne souhaitent être les derniers à “partager la part de gâteau” du pouvoir, et mettent en avant toutes sortes d’intérêts particuliers, localistes, régionaux, etc., amenant le secteur franquiste, qui durant des années était resté silencieux, à sortir à nouveau du bois.
Fondé en 2013, Vox fut durant les premières années un parti d’appoint. Cependant, le contentieux catalan lui a donné une forte impulsion. Le défi irrationnel et suicidaire de la fraction indépendantiste catalane a donné des ailes au nationalisme espagnol le plus extrémiste. Pour des raisons historiques, le capitalisme espagnol n’a jamais pu s’appuyer sur un nationalisme “démocratique”, capable d’unir toutes ses fractions et particulièrement les partis régionalistes. Au contraire, “la nation espagnole dût s’affirmer, depuis le XVIe siècle, à partir de la prédominance brutale de la féodalité avec ses prétentions impériales, son extrémisme catholique et sa pureté de sang, acquise à travers les expulsions massives de Maures et de Juifs ainsi que le sadisme de la “Sainte Inquisition”. Au XIXe siècle, durant l’apogée du capitalisme, le capital espagnol fut soumis à une succession interminable de convulsions (la perte des colonies, les guerres carlistes, l’instabilité gouvernementale chronique) qui l’obligèrent à s’affirmer comme Nation, pieds et poings liés à ses secteurs les plus réactionnaires. Le développement déséquilibré de l’industrie (principalement en Catalogne) et la mauvaise soudure du marché national, donna un pouvoir disproportionné aux militaires castillans qui, avec leurs violentes actions contre les luttes ouvrières, assuraient aux bourgeois catalans la “loi et l’ordre” et maintenaient d’une main de fer la cohésion nationale. Le résultat fut un nationalisme arrogant, excluant, répugnant pour les classes “populaires” et qui connut son apogée avec le régime franquiste. La transition démocratique de 1975 fut obligée de mettre de côté toute référence au nationalisme espagnol, cédant du terrain aux “Autonomies” et aux illusions d’une “Espagne pour tous”, chose que l’expérience de ces quarante dernières années a radicalement démentie. Désormais, face au défi de ses rivaux catalanistes, le capital espagnol se trouve privé d’un nationalisme “présentable” et doit recourir à “l’espagnolisme”, le nationalisme espagnol de toujours qui donne des ailes à un parti comme Vox”. (4)
Mais Vox possède une seconde composante, non moins importante que la première et qui le rapproche des partis populistes qui prolifèrent aujourd’hui dans les pays centraux (avec les Trump, Salvini, Le Pen ou Orban). Son fond de commerce émane également de la décomposition et spécifiquement de la décomposition idéologique du capitalisme.
La thèse 8 des “Thèses sur la décomposition” mentionnées précédemment, rappelle que les “manifestations de la putréfaction sociale qui aujourd’hui, à une échelle inconnue dans l’histoire, envahissent tous les pores de la société humaine, ne savent exprimer qu’une chose : non seulement la dislocation de la société bourgeoise, mais encore l’anéantissement de tout principe de vie collective au sein d’une société qui se trouve privée du moindre projet, de la moindre perspective, même à court terme, même la plus illusoire”. Cela provoque des tendances destructrices : “l’accroissement permanent de la criminalité, de l’insécurité, de la violence urbaine (…), le développement du nihilisme, du suicide des jeunes, du désespoir (…), de la haine et de la xénophobie (…) ; La profusion des sectes, le regain de l’esprit religieux, y compris dans certains pays avancés, le rejet d’une pensée rationnelle, cohérente, construite, du spectacle de la violence, de l’horreur, du sang, des massacres qui prend dans les médias une place prépondérante (…) ; le “chacun pour soi”, la marginalisation, l’atomisation des individus, la destruction des rapports familiaux, l’exclusion des personnes âgées, l’anéantissement de l’affectivité et son remplacement par la pornographie, le sport commercialisé et médiatisé”.
De ces matériaux pourris, Vox fait surgir ses mantras. Parmi ces derniers, il y a la nostalgie irrationnelle d’un “passé glorieux” qui, en réalité, n’a jamais existé ; comme le disait un présentateur de journal télévisé [10] : “La nostalgie franquiste de Vox n’éloigne pas pour autant ce parti du radicalisme anti-européen britannique : les deux mouvements expriment la nostalgie d’un paysage humain sans immigrés, uniforme (et hiérarchisé). Le regret d’un temps passé durant lequel leurs pays respectifs régnaient de manière effective (pour l’empire britannique) ou fantasmée (“l’unité de destin dans l’universel” de l’Espagne franquiste)”.
Si cette obstination peut sembler ridicule, il y a d’autres “thèmes” sinistres qui sèment la division dans les rangs ouvriers. L’un d’entre eux est la haine de Vox envers les immigrés, qu’il rend responsables de la pauvreté, des services de santé désastreux, du chômage, faisant d’eux des boucs émissaires que l’on accuse de tous les maux imaginables. Dans la même veine, se trouve son négationnisme réactionnaire du machisme envers les femmes, du désastre climatique, etc.
Dans un premier temps, le PSOE a gonflé Vox avec deux objectifs : d’un côté, diviser le vote de droite et, de l’autre, susciter un vote aveugle pour le “moindre mal” afin de “barrer la route au fascisme”. Cette ruse lui a plutôt souri lors des élections d’avril. Pour celles de novembre, il a voulu user du même stratagème, ce qui déboucha sur la mascarade du transfert des restes de Franco afin de mendier à nouveau des voix à gauche et d’alimenter autant que possible la “peur de Vox”.
Mais, cette fois-ci, la manœuvre n’a pas fonctionné. Les violents incidents de Barcelone, fomentés en coulisses par des fractions tant catalanistes qu’espagnolistes, ont propulsé Vox de façon spectaculaire sur le devant de la scène politique. D’un autre côté, les deux partis de la droite “civilisée”, le PP et Ciudadanos, ont payé cher leur stratégie de battre Vox dans la surenchère à l’espagnolisme et à la “loi et l’ordre”. Le résultat a été le naufrage de Ciudadanos.
Globalement, les deux partis fondamentaux de l’État espagnol (PP et PSOE) en sont sortis très affaiblis. Le PSOE a perdu des électeurs par rapport à avril et les gains du PP ont été faibles. La présence importante de Vox, que tous se sont chargés d’alimenter, a profondément altéré le jeu politique, le rendant très difficile à gérer. Le PP ne peut pas cautionner le PSOE en le rejoignant dans un gouvernement de “grande coalition” ou simplement s’abstenir comme le fit le PSOE en octobre 2016. Cela risquerait de renforcer encore plus Vox. Et le PSOE a besoin de “regarder à gauche” s’il ne veut pas ruiner une des armes idéologiques les plus importantes de la bourgeoisie espagnole contre la classe ouvrière : l’antifascisme.
Aussi bien l’ascension de Vox que l’irresponsabilité et les contradictions des “grands partis”, mettent clairement en évidence ce que nous disions au début de l’article : la perte de contrôle croissante de la part de la bourgeoisie de son jeu politique et particulièrement de son mécanisme électoral avec lequel elle dissimule sous les traits de la “volonté populaire” ses options politiques de gouvernement. Vox représente un facteur d’aggravation de cette crise, pas tant par l’ “intelligence tactique” de ses “leaders politiques”, mais essentiellement du fait de la déstabilisation et des contradictions croissantes de l’appareil politique dans les pays centraux.
Comme nous l’avons vu plus haut, la bourgeoisie a infligé au prolétariat les pires défaites et a entraîné l’humanité dans la guerre impérialiste, la faisant choisir entre fractions de la bourgeoisie, le fascisme ou l’antifascisme, la démocratie ou la dictature, etc. À travers cela, le prolétariat a perdu son identité de classe et son autonomie politique, se convertissant en chair à canon pour les intérêts du Capital, de ses plans de misères, de chômage et de guerre.
Guidé par cette expérience historique, le prolétariat doit rejeter les deux pôles qui, à travers une apparente opposition, renforcent et consolident la domination capitaliste :
– l’antifascisme de la gauche face au fascisme de Vox et la connivence du duo PP/Ciudadanos ;
– les politiques “civilisées et démocratiques” des PP, PSOE, Podemos, face à l’autoritarisme arrogant de Vox ;
– le paternalisme cynique et hypocrite du PSOE et de Podemos avec les immigrés, face à la xénophobie et le racisme de Vox ;
– la supposée “politique sociale” et le féminisme du couple PSOE/Podemos face au machisme et au traditionalisme aberrant de Vox ;
– l’étatisme et l’augmentation des impôts “pour les riches” du couple PSOE-Podemos face aux mesures “libérales” de réduction des impôts du trio de la droite (Vox, PP et Ciudadanos).
Face à ces élections qui le livrent pieds et poings liés à l’enfoncement inéluctable du capitalisme dans la misère, la destruction, la guerre et la barbarie, le prolétariat doit défendre :
– autochtone ou immigrée : une même classe ouvrière ;
– la réponse massive, unie et auto-organisée contre les mesures de licenciements, les baisses de salaires, la précarité, etc., que tous les gouvernements pratiquent ;
– la perspective de son unité internationale et la lutte pour une société sans exploitation, sans frontières, sans États, sans divisions en classes, la communauté humaine mondiale, le communisme.
S, 16 décembre 2019
1Voir : “Les Causes économiques, sociales et politiques du fascisme [11]”.
2Voir notre article en espagnol : “Franco y la República masacran al proletariado [12]”.
3Voir : “Il y a 40 ans, la démocratie espagnole naissante débutait avec des assassinats d’ouvriers à Vitoria [13]”.
4Voir notre article en espagnol : “Contra la campaña de Vox en medios obreros : ¡Los obreros no tenemos patria ! [14]”
Le capitalisme a de plus en plus de mal à gérer sa propre crise économique et cela se répercute dans tous les secteurs de l’économie mondiale : l’endettement s’accroît, le travail précaire est de plus en plus massif, les délocalisations d’usines vers des pays avec des coûts de production moindre augmentent, etc. En outre, la crise oblige la bourgeoisie à prendre de nouvelles mesures pour restructurer la production, mesures dont les ouvriers sont systématiquement les principales victimes.
La restructuration et la grève de General Motors (GM) ne peuvent à ce titre être comprises que dans le cadre de l’analyse de la crise mondiale et historique du capitalisme. Le 15 septembre 2019, après deux mois de négociations infructueuses entre l’entreprise automobile et les syndicats, 850 ouvriers de la zone de maintenance de cinq usines de GM aux États-Unis se mirent spontanément en grève. Le jour suivant, face à cette situation qui menaçait de devenir incontrôlable et à la pression émanant du reste de ses adhérents, le syndicat United Auto Workers (UAW) déclara la grève de près de 50 000 ouvriers. Bien que GM n’ait pas connu de grève aussi massive depuis 2007, les attaques contre les conditions de vie et de travail des ouvriers de cette entreprise ne sont pas sorties de nulle part et elles ont également eu lieu dans d’autres pays.
Auparavant, GM avait dû fermer une usine de moteurs au Mexique, une autre d’assemblage au Canada et autre dans l’Ohio. Dans ces deux dernières, fin septembre 2018, respectivement 3 200 et 500 ouvriers furent “temporairement” licenciés (ce que les patrons appellent “mise au chômage technique”) et en octobre, la société proposa à quelque 18 000 travailleurs des départs volontaires. En outre, le 26 novembre 2018, GM annonça un plan de “grande restructuration”, comprenant notamment le licenciement de 14 000 ouvriers, la fermeture de trois usines aux États-Unis en 2019, à Oshawa au Canada, et celle de Gunsan en Corée du Sud d’ici fin 2019-début 2020, entraînant le licenciement de plus de 6 000 ouvriers.
Les revendications des ouvriers du GM se situaient clairement sur le terrain de la classe ouvrière : la sécurité de l’emploi, empêcher la baisse des salaires, l’amélioration de la couverture médicale et des primes. Il est important de noter l’existence de revendications qui démontrent la solidarité et l’esprit d’unité des ouvriers : ils ont exigé des contrats fixes pour les intérimaires, la réouverture des usines inactives et le refus de nouvelles fermetures d’usines avec la perte d’emplois qui en résulte. Toutefois, le syndicat ne s’est pas focalisé sur la défense de ces revendications.
Selon les médias, le gouvernement et le patronat, les défenseurs des intérêts des travailleurs sont les syndicats. Pourtant, les ouvriers eux-mêmes, de par leur expérience quotidienne, ont compris que la réalité est différente. Cela s’est vérifié une fois de plus lors de la grève chez GM. Cette réalité est présente depuis déjà plus d’un siècle : “Le syndicalisme est apparu au XIXe siècle. Leur approche n’est pas de détruire le capitalisme mais d’obtenir, dans le cadre des rapports de production, les meilleures conditions de vie possible pour les travailleurs.
Lorsque le capitalisme ne s’était pas encore implanté dans tous les pays et toutes les sphères économiques (XIXe et début du XXe siècle), le syndicalisme pouvait encore jouer un rôle favorable pour les travailleurs. Mais avec l’entrée du capitalisme dans sa phase de décadence, le syndicat ne peut plus obtenir que de rares miettes et tombe dans les filets de l’État et dans la défense du capitalisme.
Le syndicalisme ne peut pas remettre en question les infrastructures de production de l’économie capitaliste que sont l’entreprise, l’industrie et la nation. Au contraire (à l’instar des partis de la gauche du capital), il figure parmi ses défenseurs les plus fidèles. D’après les syndicats, le développement de la nation serait bénéfique à l’ensemble de la population, puisque tout le monde aurait une plus grande part du gâteau. Marx, dans “Salaires, prix et profits”, a combattu ces fantaisies des syndicalistes anglais en prenant comme exemple une soupière : les syndicalistes disaient que si la soupière était plus grande, il y aurait plus de soupe à distribuer, Marx leur a réfuté que le problème n’était pas la taille de la soupière mais la taille de la cuillère avec laquelle les travailleurs mangeaient et que celle-ci avait tendance, historiquement, à devenir de plus en plus petite”. (1)
Le syndicat a mené les négociations avec l’entreprise à huis clos (2). Ceci est une nécessité pour les syndicats, car, dans ce type de négociation, ils examinent avec l’entreprise la façon dont préserver les profits qu’elle réalise au détriment des conditions de vie des ouvriers, en délaissant les revendications les plus importantes de ces derniers, en mesurant la capacité de réaction et la force que ceux-ci opposent, tout en convenant de la manière dont les épuiser. L’intérêt pour l’avenir de l’entreprise au détriment de l’avenir des travailleurs est à 100 % partagé par les syndicats. “Les dirigeants du syndicat UAW allèguent un manque d’intérêt des patrons pour le sort de leurs ouvriers, malgré le fait que l’année passée, l’entreprise a gagné plus de 8 000 millions de dollars” (3). Ainsi, d’après les syndicats, si l’entreprise réalise des bénéfices, elle devrait en laisser quelques miettes pour les ouvriers. Mais, que se passera-t-il si l’entreprise ne fait pas de bénéfices ? Pour les syndicats, les ouvriers doivent se sacrifier, renoncer à nourrir leurs familles pour sauver l’entreprise, comme il y a douze ans lors de la crise de 2008 pendant laquelle tous les syndicats de GM, dans divers pays, avaient demandé l’appui inconditionnel des travailleurs afin de pouvoir sauver l’entreprise : “L’UAW s’est plaint que les ouvriers, après avoir aidé General Motors des années durant à réaliser des millions de bénéfices, n’avaient pas reçu quoi que ce soit de plus pour subvenir au besoin de leurs familles. Terry Dittes, vice-président de l’UAW, a mis cette question au premier plan : il y a dix ans, pendant la crise financière, les dirigeants syndicaux ont accepté une diminution des avantages sociaux et un gel des salaires… Nous avons défendu GM quand elle avait le plus besoin de nous, maintenant nous sommes solidaires et unis pour nos membres, leurs familles et les communautés dans lesquelles nous vivons et travaillons”. (4) L’hypocrisie du syndicat s’est à nouveau révélée lors des nouveaux accords conclus avec l’entreprise où les revendications des ouvriers ont été tout simplement abandonnées.
De la même façon, le syndicat change les revendications des travailleurs par d’autres qui vont impacter certains d’entre eux : “Le syndicat réclame des augmentations de salaire par heure travaillée, ce que l’entreprise n’accepte pas. En outre, ils exigent une garantie que de nouveaux modèles [de véhicule] seront attribués aux usines américaines”. (5) L’exigence de “nouveaux modèles attribués aux usines américaines” est-elle une revendication de la classe ouvrière ? NON ! Cette approche est la même que celle de l’America First de Trump. De fait, Trump, dans le cadre de sa guerre commerciale, avait demandé à la présidente de GM, Mary Barra, de transférer la production du Mexique et celle de la Chine à Detroit. Les syndicats, fidèles serviteurs de la bourgeoisie nationale, ne cherchent qu’à détruire la solidarité entre les travailleurs de différents pays en leur inoculant le poison du nationalisme, en exigeant une production uniquement destinée aux Américains du Nord ; semant la division, ils veulent que les travailleurs se considèrent comme des citoyens américains avant tout et non comme des membres de la classe ouvrière internationale, les obligeant à se dissocier de ce qui arrive à leurs frères et sœurs de classe au Canada, en Chine, en Corée du Sud ou au Mexique, qui sont touchés par les mêmes licenciements, les mêmes conditions de vie. La solidarité et l’unité que les syndicats encouragent sont uniquement celles de l’entreprise et de la nation.
Certains grévistes ont dit qu’ils étaient prêts à se battre jusqu’au bout. Ils ont estimé que le moment était approprié pour défendre leurs revendications. Cependant, une des manœuvres des syndicats pour empêcher la victoire des mobilisations a été la prolongation de la grève, en maintenant les ouvriers enfermés sur eux-mêmes, dans leur secteur, afin que la grève ne prenne pas plus d’ampleur et que les travailleurs soient épuisés économiquement, physiquement, moralement et cèdent plus facilement. Ainsi, Jason Watson, leader de l’UAW, a par exemple déclaré : “J’ai environ 500 jeunes gens, avec une faible ancienneté salariale qui ont très, très peur”. (6) Leur objectif était non pas l’extension de la lutte mais la prolongation d’une grève isolée jusqu’à Noël : “En ce qui me concerne, la compagnie a fait marche arrière sur son offre et moi et mes membres sommes prêts à rester ici aussi longtemps que nécessaire”. (7)
Enfermés dans cet isolement total, les travailleurs ont été soumis à la pression morale de la bourgeoisie et des syndicats, qui les ont tenus pour responsables de tout ce qui était possible : de la défense de leurs “privilèges”, du retard de la sortie de la Corvette 2020, des pertes par millions des “pauvres employeurs” (près de deux milliards de dollars, soit 25 % de leurs juteux bénéfices, alors que les travailleurs en grève ont cessé de percevoir, pendant la grève, jusqu’à 75 % de leur salaire), de la fermeture d’usines dans d’autres branches et pays, de l’aggravation de la pollution pour éviter la reconversion vers la production de voitures électriques, du ralentissement de l’économie du Michigan, et même d’accélérer la récession dans le pays ! Il a s’agit de culpabiliser et de démoraliser d’une façon infâme. En effet, ces visions font croire aux ouvriers qu’ils sont des “citoyens de la nation”, occultant ce qu’ils sont en réalité : une classe sociale historique qui se bat pour ses intérêts et pour l’avenir de l’humanité. Lorsque les travailleurs luttent pour améliorer leurs salaires ou éviter les licenciements, cette lutte doit les amener à la conclusion qu’une société différente de celle que nous avons aujourd’hui peut exister. Dans la société actuelle, le profit, l’accumulation du capital et la guerre impérialiste sont primordiaux. Une société où les besoins de l’humanité toute entière sont satisfaits en premier lieu, voilà ce à quoi il faut aspirer. “(…) ils se doivent de protester contre la baisse de salaire et même contre la nécessité de la baisse, parce qu’ils doivent expliquer qu’eux, en tant qu’hommes, n’ont pas à se plier aux circonstances, mais que bien au contraire, les circonstances doivent se plier à eux, qui sont des êtres humains ; parce que leur silence équivaudrait à une acceptation de ces conditions de vie, une acceptation du droit de la bourgeoisie à les exploiter pendant les périodes économiques favorables et à les laisser mourir de faim dans les mauvaises périodes”. (8)
Les manœuvres du syndicat ne se limitent pas à entraver et à éroder les revendications des travailleurs. Leur principale préoccupation est d’isoler les ouvriers et de semer la division dans leurs rangs : par entreprise, par secteur, par région et par nation. Ainsi, par exemple, lorsque dans l’usine de Villa de Reyes (dans la municipalité de San Luis Potosi au Mexique) une des trois équipes de travail a été supprimée, un des leaders du syndicat canadien a déclaré : “c’est une bonne nouvelle pour nous, parce nous ne sommes pas les seuls à perdre cette fois-ci… puisque les ventes commençaient à baisser”. Autrement dit, pour les syndicats, il faut qu’il y ait de la concurrence entre les travailleurs, pas de la solidarité.
Voici un autre exemple, significatif, de la façon dont le syndicat empêche la solidarité : “Douze travailleurs mexicains de l’usine General Motors à Silao, Guanajuato, ont publié une déclaration en solidarité avec la grève de leurs pairs de l’autre côté de la frontière. (…) Ces douze ouvriers ont été licenciés de la manière la plus crapuleuse qui soit, l’un d’eux a été accusé d’être un toxicomane, bien qu’un test ait été négatif. (…) Ce n’était que le premier parmi les douze, tous ceux qui ont fait front face au syndicat mexicain et ont affiché leur soutien aux ouvriers de l’UAW avaient beaucoup d’ancienneté”. (9).
De la même façon, les syndicats nord-américains se sont plaints que “les pourparlers pour relancer l’emploi seraient entravés par les préoccupations des travailleurs, qui s’inquiètent de la production croissante de GM au Mexique”. Aux États-Unis comme au Canada, le message était le suivant : “les ouvriers mexicains volent notre travail parce qu’ils coûtent moins cher à l’entreprise et qu’ils acceptent de travailler dans de pires conditions”. Au Mexique, le message était à l’opposé : “les ouvriers des États-Unis, dans le but de maintenir leurs acquis, font grève et à cause de cela ils nous portent préjudice”. Autrement dit, les syndicats de part et d’autre de la frontière ont décidé de diviser et de monter les ouvriers les uns contre les autres.
Cette division et cette confrontation s’est étendue jusqu’aux ouvriers fabriquant les pièces pour l’industrie automobile. Les syndicats de GM ont oublié ces collègues dont le travail est indispensable à la production dans les usines de la multinationale. Les syndicats des entreprises sous-traitantes ont déclaré aux ouvriers qu’à cause de la grève, ils étaient moins bien payés, que c’est pour cette raison qu’ils se retrouvaient au chômage technique et qu’ils risquaient de perdre leur emploi. C’était un vil mensonge : aucune grève n’avait eu lieu depuis 2007. Pourtant GM, au Mexique, a décrété de nombreux chômages techniques en raison de la chute des commandes, de la fin d’anciens modèles, de la restructuration en vue de créer de nouveaux modèles, etc. Les ouvriers ne sont pas responsables des chômages techniques, c’est le Capital qui l’est.
Ces manœuvres syndicales visaient à briser la grève, et elles ont réussi. Le 25 octobre, près de dix jours après sa signature, le syndicat a ratifié la nouvelle convention collective de quatre ans avec à peine plus de 50 % des voix de ses membres, et 850 travailleurs d’Aramark qui n’en voulaient pas non plus. La société a accordé une augmentation dérisoire de 3 et 4 % pour les quatre prochaines années, un bonus qui couvre à peine ce que les ouvriers des 33 centres de production et des 22 centres de distribution de GM aux États-Unis ont perdu. Rien, en revanche, pour les milliers d’ouvriers au Canada, au Mexique et dans d’autres pays qui ont participé à quarante et même cinquante jours de grève durant lesquels ils ont été épuisés, trompés, divisés et démoralisés. De plus, il n’y a eu aucune amélioration du système de soins et trois usines aux États-Unis ont été fermées : l’usine d’assemblage de Lordstown, en Ohio, et deux usines au Michigan et au Maryland. Cela signifie la mise a pied immédiate de plus de 2 000 travailleurs, qui subissent des pressions pour prendre leur retraite ou bien démissionner. D’autre part, “le vice-président de l’UAW a remercié les employés de GM pour leur “sacrifice” durant cette grève de 50 jours, qui a fait perdre aux ouvriers des centaines de millions de dollars en salaire non perçu”. (10) De plus, il ajoute que “de nombreux points ont été négligés, notamment en ce qui concerne le système de santé, les salaires, la main-d’œuvre intérimaire, les emplois qualifiés et la sécurité de l’emploi, pour ne citer que ceux-là”. En réalité, toutes les revendications des ouvriers ! Les analystes bourgeois, quant à eux, font peu de cas des conséquences pour les ouvriers : “L’accord définitif n’est pas si catastrophique que ça pour les travailleurs, mais c’est loin d’être une victoire. “Personne ne va se précipiter pour reprendre le travail, enthousiaste à propos de ce qu’il a obtenu. Mais c’est quelque chose avec lequel tu peux vivre”. La grève est survenue après une décennie de frustration des employés envers l’entreprise, qui a sévèrement diminué les avantages sociaux et les salaires pendant la Grande Récession. Les employés se sont sentis abandonnés lorsque le constructeur automobile a commencé à réaliser d’importants bénéfices. Le nouvel accord ne change pas grand-chose à cette dynamique, mais il fait quelques pas dans la bonne direction”. (11)
Bien que la grève chez GM ait échoué, de nombreuses leçons sont à tirer de cette défaite, et c’est le plus important. Cette grève est un exemple récent des terribles coups qu’est en train d’asséner la bourgeoisie du monde entier :
– c’est la grève la plus massive de ces cinquante dernières années, et la première qui a eu lieu aux États-Unis en douze ans, après une période où la classe ouvrière ne s’est guère mobilisée au niveau international.
– Elle montre clairement, contrairement à ce que prétend la bourgeoisie, que la classe prolétarienne existe et qu’elle est prête à répondre sur son terrain de classe, même dans une situation globale de grande faiblesse et de confusion, exploitée par les entreprises et les syndicats.
– Elle montre à nouveau que les syndicats font partie intégrante de l’État capitaliste, avec comme rôle celui de contrôler les ouvriers et d’empêcher leur véritable lutte autonome.
– Elle montre comment les coups portés aux conditions de vie et de travail prennent de plus en plus un caractère international, et que cela augmente les raisons de l’extension de la lutte à d’autres secteurs et à d’autres pays.
Par ailleurs, les travailleurs de GM ont déclaré que la compagnie ne les formait plus et qu’ils ne pouvaient plus apprendre des ouvriers les plus anciens parce qu’ils ont pris leur retraite ou ont été licenciés. Tous les travailleurs devraient se rappeler que les “anciens” ont non seulement une expérience sur le lieu de travail, mais aussi dans la lutte contre l’exploitation capitaliste. En 1965-1967, d’importantes grèves chez GM ont eu lieu, comme dans d’autres entreprises automobiles de Detroit, dont un grand nombre hors des syndicats, où les ouvriers ont lutté de manière unie, faisant tomber les barrières de l’entreprise. À cette occasion, l’entreprise a cédé en quelques jours, contrairement à cette grève-ci, pourtant la plus longue du secteur automobile depuis cinquante ans. Cette expérience, comme celle que les travailleurs de GM ont désormais un demi-siècle plus tard, est précieuse pour la classe ouvrière. Elle est particulièrement utile pour comprendre ce qui s’est réellement passé lors de la grève des travailleurs de GM et pour savoir quoi faire lors des luttes futures, que la classe ouvrière finira sûrement par mener.
Dans ce sens, les ouvriers doivent se réapproprier les leçons des précédentes luttes pour éviter de nouvelles défaites comme celle-ci. Par exemple, il est à noter que le syndicat UAW comptait frapper sur une partie des ouvriers du secteur automobile pour les empêcher de se joindre à la lutte : “Le syndicat a annoncé qu’il se concentrera désormais sur l’obtention d’une nouvelle convention collective pour les ouvriers de Ford. Le syndicat avait mis en veilleuse les négociations avec Ford et Fiat Chrysler tout en cherchant à obtenir l’accord avec GM. (…) Le syndicat utilisera l’accord avec GM comme base de négociation avec les autres constructeurs automobiles de Detroit”. (12)
Deux leçons essentielles laissées par cette grève, et qui proviennent des grandes luttes de 1905 en Russie et dans d’autres pays (13) sont que :
1) la lutte doit être lancée, organisée et étendue par les ouvriers eux-mêmes, hors du contrôle syndical, au travers d’assemblées générales et des comités mandatés et révocables à tout moment ;
2) la lutte ne pourra aboutir si elle reste prisonnière des murs de l’entreprise, du secteur, ou de la nation. Au contraire, elle doit s’étendre, en abattant toutes les barrières que le capital impose et qui les relient à lui.
Revolución Mundial,
section du CCI au Mexique,
21 novembre 2019.
1 Voir sur notre site en espagnol l’article complet : “Lucha aislada lucha perdida [16]” (7 février 2013).
2 Jason Watson, président de la section 2164 de la UAW, a déclaré, se vantant que ses affiliés étaient impatients de connaître l’issue des négociations : “Étant moi-même quelqu’un qui, depuis quinze ans, a mené des négociations, je sais que c’est comme une partie de poker, et un bon joueur ne dévoile jamais ses cartes. Nos membres se montrent curieux des détails, mais ils comprennent pourquoi ceux-ci doivent rester confidentiels”. Face à des négociations secrètes où deux ou trois éléments du Capital et de son État conspirent contre les travailleurs (Gouvernement, patronat et syndicats), la première chose que la grève de masse de 1980 en Pologne a fait, portée par les assemblées générales, fût d’exiger que toutes les négociations entre les représentants des ouvriers et le gouvernement soient enregistrées et rendues publiques aux assemblées. Voir : “Un an de luttes ouvrières en Pologne [17]” Revue Internationale n° 27 (4e trimestre 1981).
3 Telesur (19 septembre 2019).
4 Idem.
5 Expansión (15 septembre 2019).
6 Detroit Free Press (08 octobre 2019).
7 Idem.
8 Engels, La situation de la classe laborieuse en Angleterre [18] (1845).
9 Humberto Juárez, économiste mexicain, dans un’article paru dans Sputnik (17 octobre 2019).
10 EFE (26 octobre 2019)
11 Vox (25 octobre 2019).
12 CNN (25 octobre 2019).
13 Voir sur notre site le premier article de la série : Le communisme n’est pas un bel idéal, il est à l’ordre du jour de l’histoire, intitulé : “1905 : la grève de masse ouvre la voie à la révolution prolétarienne [19]”. Revue Internationale n° 90 (3e trimestre 1997).
75 ans après, les chefs d’État et têtes couronnées du mode entier continuent de célébrer avec la même hypocrisie la libération de quelque 7000 survivants du camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz, le 27 janvier 1945, par l’armée russe. Le “grand alibi” (pour reprendre les mots de Bordiga) que fût la libération des camps nazis, permit au “camp démocratique” de masquer ses propres crimes, massacres, rapines et bombardements massifs. En cette occasion, tous les médias continuent de repasser en boucle les images insoutenables d’êtres humains réduits à l’état squelettique derrière des barbelés et de rappeler l’horreur de l’extermination impitoyable de millions de Juifs, Tziganes et autres "indésirables". Mais la bourgeoisie continue aussi de passer sous silence le fait avéré que les gouvernements alliés du camp “démocratique” étaient non seulement parfaitement au courant de l’exécution de la “solution finale” dès 1942, mais qu’en toute complicité, ils ont délibérément caché la réalité et laissé perpétrer le massacre, refusant même sciemment de sauver des dizaines, voire des centaines de milliers de vies. Une façon de masquer ou de faire oublier qu’ils restent eux-mêmes un produit du même système criminel qui a pu enfanter les nazis et les staliniens : le capitalisme.
C’est pourquoi nous remettons en avant un article tiré de notre brochure “Fascisme et démocratie, deux expressions de la dictature du capital [21]”, contre l’escroquerie de la propagande invitant toujours les prolétaires à se mobiliser sous la bannière de la défense de la “liberté” et de la “démocratie”, que ce soit au nom de “l’antifascisme” ou de “l’anti-populisme”.
– La coresponsabilité des alliés et des nazis dans l'holocauste [22]
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Après des années d’atonie, le mouvement social contre la réforme des retraites a montré un réveil de la combativité du prolétariat en France. Malgré toutes ses difficultés, la classe ouvrière a commencé à relever la tête. Alors qu’il y a un an, tout le terrain social était occupé par le mouvement interclassiste des gilets jaunes, aujourd’hui, les exploités de tous les secteurs, de toutes les générations ont profité des journées d’action organisées par les syndicats pour descendre dans la rue, déterminés à lutter sur leur propre terrain de classe contre cette attaque frontale et massive du gouvernement qui frappe l’ensemble des exploités.
Alors que depuis près de dix ans, les salariés demeuraient paralysés, totalement isolés chacun dans son coin sur son lieu de travail, ils sont parvenus ces dernières semaines à retrouver le chemin de la lutte collective.
Les aspirations à l’unité et à la solidarité dans la lutte montrent que les travailleurs en France commencent à se reconnaître de nouveau comme faisant partie d’une seule et même classe ayant les mêmes intérêts à défendre. Il est clair qu’en refusant de continuer à courber l’échine, la classe ouvrière en France est en train de retrouver sa dignité.
Cependant, après des manifestations hebdomadaires rassemblant des centaines de milliers de personnes, ce mouvement n’est pas parvenu à faire reculer le gouvernement.
Depuis le début, la bourgeoisie, son gouvernement et ses “partenaires sociaux” avait orchestré une stratégie pour faire passer l’attaque sur les retraites.
De plus, la bourgeoisie blinde son État policier, au nom du maintien de l’“ordre républicain”. Le gouvernement déploie, de façon hallucinante, ses forces de répression afin de nous intimider. Les flics ne cessent de gazer et tabasser aveuglément des travailleurs (y compris des femmes et des retraités) appuyés par les media qui font l’amalgame entre la classe exploitée, les black blocks et autres “casseurs”. Afin d’empêcher les travailleurs de se regrouper à la fin des manifs pour discuter, les cohortes de CRS les dispersent, sur ordre de la Préfecture. Les violences policières ne sont nullement le fruit de simples “bavures” individuelles de quelques CRS excités et incontrôlables. Elles annoncent la répression impitoyable et féroce que la classe dominante n’hésitera pas à déchaîner contre les prolétaires, dans le futur (comme elle l’a fait dans le passé, par exemple, dans la “semaine sanglante” de la Commune de Paris en 1871).
Aujourd’hui, alors que le mouvement reflue, les syndicats, et notamment la CGT, appellent à l’“extension”. Ils organisent des actions minoritaires complètement stériles comme les retraites aux flambeaux, et la grève des éboueurs pour rendre impopulaire notre mouvement. Les centrales syndicales les plus “radicales” et “jusqu’au boutistes” cherchent ainsi à épuiser notre combativité et à pourrir le mouvement pour nous conduire à la défaite. Les manifestations qu’ils continuent à organiser depuis que les cheminots ont repris le travail après presque 2 mois de grève, et alors que nous sommes de moins en moins nombreux dans la rue, visent justement à épuiser ceux qui veulent aller jusqu’au retrait de la réforme. Mais il ne faut pas se faire d’illusion : le gouvernement ne reculera pas et les dirigeants syndicaux (et autres “partenaires sociaux” du gouvernement) le savent pertinemment.
Pourquoi ? Parce que les syndicats se sont bien gardés d’appeler tous les travailleurs de toutes les entreprises et tous les secteurs à descendre massivement dans la rue (comme c’était le cas en Mai 1968 ou la grève massive de 9 millions de travailleurs avaient obligé le gouvernement à augmenter le SMIC de 20 %). Dans de nombreux secteurs et entreprises, les syndicats ont joué leur rôle habituel de “pompiers sociaux”. Malgré leurs discours “radicaux”, ils n’ont pas appelé tous les travailleurs du public et du privé à venir aux manifestations. Nous n’étions pas assez nombreux, même si au début du mouvement, il y avait plusieurs centaines de milliers de travailleurs, retraités, étudiants et lycéens en colère, et déterminés à lutter tous ensemble contre cette réforme des retraites qui touche toute la classe exploitée.
Maintenant que l’extension massive de la lutte a été bien sabotée, Martinez (dirigeant de la CGT) a annoncé que son syndicat va participer à la “conférence sur le financement des retraites” (alors qu’au début, il n’en n’était pas question). Ils vont tous s’asseoir à la table des négociations, dans le dos des travailleurs, pour empêcher que la colère ne débouche encore sur de nouvelles explosions quand cette réforme sera votée par l’Assemblée Nationale.
Les syndicats verrouillent et noyautent toutes les AG “interpro” ; ils poussent les travailleurs de telle ou telle entreprise à faire grève alors que le mouvement est entré dans sa phase de reflux. Même si la bourgeoisie a encore des difficultés à “faire rentrer le dentifrice dans le tube” (comme le disait, sur les plateaux télé, la directrice de la rédaction du journal Le Parisien) !
Maintenant on a droit à la campagne sur la mascarade électorale où tous les partis bourgeois se précipitent à la curée des Municipales ! Les médias aux ordres nous bassinent, jour après jour, sur les dégâts du “coronavirus” chinois, (de plus ils utilisent cette catastrophe sanitaire pour stigmatiser une partie de la population), avec cynisme sur la polémique malsaine autour des 12 jours de congé pour le deuil d’un enfant, etc. Ceci pour amuser la galerie et faire diversion.
Aujourd’hui, la classe ouvrière n’est pas encore prête à s’engager massivement dans la lutte. Même si de nombreux travailleurs de tous les secteurs, de toutes les catégories professionnelles (essentiellement de la fonction publique), de toutes les générations étaient présents à battre le pavé dans les manifestations organisées par les syndicats depuis le 5 décembre. Ce dont nous avons besoin pour freiner les attaques de la bourgeoisie, c’est de développer la solidarité active dans la lutte et pas seulement en remplissant les caisses de solidarité pour permettre aux grévistes de “tenir”.
Les cheminots qui ont été le fer de lance de cette mobilisation contre la réforme des retraites, ne pouvaient pas poursuivre leur grève seuls sans que les autres secteurs n’engagent eux-mêmes la lutte avec eux. Malgré leur courage et leur détermination, ils ne pouvaient pas lutter “à la place” de toute la classe ouvrière. Ce n’est pas la “grève par procuration” qui pouvait faire reculer le gouvernement, aussi déterminée soit-elle.
Pour pouvoir s’affronter à la classe dominante et faire reculer le gouvernement, les travailleurs doivent prendre eux-mêmes leur lutte en main. Ils ne doivent pas la confier aux syndicats, à ces “partenaires sociaux” qui ont toujours négocié dans leur dos et dans le secret des cabinets ministériels.
Si nous continuons à demander aux syndicats de nous “représenter”, si nous continuons à attendre qu’ils organisent la lutte à notre place, alors oui, “nous sommes foutus” !
Pour pouvoir prendre nous-mêmes notre lutte en main, pour l’élargir et l’unifier, il fallait nous organiser nous-mêmes ! C’est dans les AG que nous pouvons discuter tous ensemble, décider collectivement des actions à mener, former des comités de grève avec des délégués élus et révocables à tout moment.
Pour pouvoir construire un rapport de forces face à la bourgeoisie, son gouvernement et son patronat, il faut étendre la lutte immédiatement au début d’un mouvement, en envoyant des délégations massives entraîner dans la lutte les travailleurs des entreprises les plus proches sur une base géographique et non pas catégorielle, secteur par secteur. Il faut organiser des AG ouvertes à tous, où tous les travailleurs, actifs, précaires ou chômeurs, retraités et étudiants, peuvent participer, prendre la parole pour réfléchir ensemble, faire des propositions sans laisser les syndicats confisquer leur lutte.
Les travailleurs ont les moyens de faire reculer le gouvernement, de freiner les attaques si toute la classe exploitée prend confiance en elle, en sa propre force. Souvenons-nous de la grève de masse en Pologne en août 1980 qui était partie des chantiers navals de Gdansk et qui a pu s’étendre immédiatement comme une traînée de poudre aux quatre coins du pays. Les AG étaient souveraines et massives. Les négociations avec le gouvernement de Jaruzelski étaient publiques et non pas secrètes dans le dos des grévistes et dans les coulisses des cabinets ministériels. Tous les travailleurs réunis en Assemblées Générales pouvaient tout entendre !
Cette grève de masse a été défaite dès lors que le syndicat “libre” Solidarnosc (avec Lech Walesa à sa tête) a été créé avec l’aide des syndicats occidentaux (notamment la CFDT). C’est le sabotage de ce syndicat “libre” qui avait livré la classe ouvrière de Pologne pieds et poings liés à la répression !
Les jeunes travailleurs qui ont participé au mouvement contre le “Contrat Première Embauche” au printemps 2006, lorsqu’ils étaient encore étudiants ou lycéens doivent se souvenir et transmettre cette expérience à leurs camarades de travail. Comment ont-ils pu faire reculer le gouvernement Villepin en l’obligeant à retirer son “CPE” ? Grâce à leur capacité à organiser eux-mêmes leur lutte dans leurs Assemblées Générales massives dans toutes les universités, et sans aucun syndicat. Les étudiants avaient appelé tous les travailleurs, actifs et retraités, à venir discuter avec eux dans leurs AG et à participer au mouvement en solidarité avec les jeunes générations confrontées au chômage et à la précarité. Le gouvernement Villepin a dû retirer le CPE sans qu’il y ait eu aucune “négociation”.
La reprise du travail dans le secteur des transports n’est pas une capitulation ! Faire une “pause” dans la lutte est aussi un moyen de ne pas s’épuiser dans une grève longue, isolée, qui ne peut déboucher que sur un sentiment d’impuissance et d’amertume.
La grande majorité des travailleurs mobilisés ont le sentiment que si on perd cette bataille, si on ne parvient pas à obliger le gouvernement à retirer sa réforme, “on est foutus !” Ce n’est pas vrai ! La mobilisation contre la réforme des retraites, et le rejet massif de cette attaque, n’est qu’un début, une première bataille qui en annonce d’autres demain. Car la bourgeoisie, son gouvernement et son patronat vont continuer à nous exploiter, à attaquer notre pouvoir d’achat, à nous plonger dans une pauvreté et une misère croissantes. La colère ne peut que s’amplifier jusqu’à déboucher sur de nouvelles explosions, de nouveaux mouvements de lutte.
Même si la classe ouvrière perd cette première bataille, elle n’a pas perdu la guerre. Elle ne doit pas céder à la démoralisation !
La “guerre de classe” est faite d’avancées et de reculs, de moments de mobilisation et de pause pour pouvoir repartir de nouveau encore plus forts. Ce n’est jamais un combat en “ligne droite” où on gagne immédiatement du premier coup. Toute l’histoire du mouvement ouvrier a démontré que la lutte de la classe exploitée contre la bourgeoisie ne peut aboutir à la victoire qu’à la suite de toute une série de défaites.
Le seul moyen de renforcer la lutte, c’est de profiter des périodes de repli en bon ordre pour réfléchir et discuter ensemble, en se regroupant partout, sur nos lieux de travail, dans nos quartiers et tous les lieux publics.
Les travailleurs les plus combatifs et déterminés, qu’ils soient actifs ou chômeurs, retraités ou étudiants, doivent essayer de former des “comités de lutte” interprofessionnels ouverts à toutes les générations pour préparer les luttes futures. Il faudra tirer les leçons de ce mouvement, comprendre quelles ont été ses difficultés pour pouvoir les surmonter dans les prochains combats.
Ce mouvement social, malgré toutes ses limites, ses faiblesses et difficultés, est déjà une première victoire. Après des années de paralysie, de désarroi et d’atomisation, il a permis à des centaines de milliers de travailleurs de sortir dans la rue pour exprimer leur volonté de lutter contre les attaques du Capital. Cette mobilisation leur a permis d’exprimer leur besoin de solidarité et d’unité. Elle leur a permis aussi de faire l’expérience des manœuvres de la bourgeoisie pour faire passer cette attaque.
Le principal “gain” de la lutte, notre première “victoire” c’est la lutte elle-même, c’est notre capacité à relever la tête tous ensemble pour dire Non ! On ne se laissera pas faire ! Nous sommes déterminés à défendre nos conditions de vie, l’avenir de nos enfants et de toutes les générations futures ! Même si nous devons encaisser encore des défaites, nous irons jusqu’au bout !
Le prolétariat est la seule force de la société capable d’abolir l’exploitation capitaliste pour construire un monde nouveau. Le chemin qui mène à la révolution prolétarienne mondiale, au renversement du capitalisme, sera long et difficile. Il sera parsemé d’embûches et de défaites, mais il n’y en a pas d’autre.
Plus que jamais, l’avenir appartient à la classe ouvrière.
Courant Communiste International, 4 février 2020
S’il y a un objectif que le gouvernement Conte II ne peut manquer de poursuivre, c’est bien celui de durer le plus longtemps possible. Contrairement aux coalitions du passé, en effet, ce gouvernement n’est pas basé sur un projet commun, du moins en principe, mais sur la nécessité de ne pas aller aux élections en remettant le pays à la droite et en particulier à la Ligue de Salvini.
En effet, l’opposition de Salvini et de Meloni tente par tous les moyens d’utiliser les divisions gouvernementales pour faire sauter le gouvernement et conduire l’Italie à des élections anticipées qui, étant donné l’orientation politique actuelle des électeurs italiens, conduiraient à un parlement majoritairement de droite avec une influence populiste encore plus forte. Ce résultat produirait non seulement un gouvernement de droite dirigé par Salvini, mais aussi l’élection d’un président de la République convenant à la droite et surtout aux populistes. Le scénario qui s’ouvrirait serait alors vraiment catastrophique pour la bourgeoisie qui s’est jusqu’à présent accrochée aux interventions délicates et discrètes de personnages tels que les Présidents Napolitano et Mattarella. Avec la remise en selle d’un personnage comme Berlusconi, elle verrait sa marge de manœuvre encore plus réduite que ces dernières années.
Formé par nécessité, le gouvernement actuel n’a pas toutes les marges de manœuvre pour jouer son rôle dans la vie politique et économique italienne, étant donné qu’il ne peut même pas avoir un minimum de tranquillité stabilité en son sein. Dans les faits, les différents partis gouvernementaux s’opposent tour à tour sur des questions spécifiques. Un exemple : l’aciérie de Tarente, louée à Arcelor Mittal, qui voit le Mouvement 5 étoiles (M5S) divisées entre les partisans de la fermeture et ceux de la défense de l’emploi. Le Président du Conseil, Conte, s’est lui-même rendu à Tarente pour essayer de calmer la situation, tout en affirmant qu’il n’avait pas de solutions. Il semble au final qu’un compromis ait été trouvé entre fermetures de postes et investissements de fonds publics pour aider Arcelor à relancer le site industriel.
Tandis que les campagnes de propagande du gouvernement Di Maio-Salvini étaient centrées sur sa réforme des retraites (le “quota 100”), sur le revenu de citoyenneté et le rejet des migrants, celles du gouvernement actuel peinent à exister. Comme il n’y a pas de base commune, le gouvernement avance sans discernement pour disparaître ensuite de la scène politique. Il n’est plus question du débarquement des migrants, pourtant cheval de bataille de Salvini, du développement des infrastructures (TGV, réseau routier…), de la situation économique du pays (avec notamment la question de la compagnie aérienne Alitalia), (1) ni même du monde du travail et de sa précarité qui devait prétendument être abolie. Ce gouvernement qui se dit de gauche n’a rien à offrir aux travailleurs, si ce n’est une réduction d’impôts ridicule de 40 euros par mois qui ne concerne même pas l’ensemble de la population.
Sur le plan économique, l’élément le plus important des actions du gouvernement a été de stopper l’augmentation de la TVA. Il y est parvenu, mais au détriment des fonds nécessaires à l’adaptation des infrastructures nécessaires au développement du capital national. Face aux glissements et aux effondrements de terrain, aux inondations et aux crues, les interventions à grande échelle indispensables pour éviter le pire sont au point mort. Le gouvernement est seulement capable de se disputer sur ce qui devrait être fait.
Ces derniers jours, après une réunion au niveau européen, l’accord sur le MES (le mécanisme européen de stabilité) a porté le conflit entre le gouvernement et l’opposition à un niveau supérieur, Salvini et Meloni accusant Conte de trahir la nation. Ce dernier, montrant un caractère différent qu’à l’époque du premier gouvernement, a jeté au visage de Salvini son accord précédent sur le MES. Si Conte est sûr de l’appui du Président de la République et de secteurs importants de la bourgeoisie, il ne peut pas en dire autant de Di Maio, qui est tenté de le poignarder dans le dos.
Ce gouvernement semble concentrer en lui-même tous les problèmes de la période. En fait, c’est un gouvernement qui n’a pas les moyens de faire face à la crise actuelle, pas tellement à cause de son incompétence, cependant bien que réelle, mais parce que la situation est objectivement insoluble. Qui plus est, le pays est soumis aux attaques incessantes du populisme et se trouve au centre de l’une des crises industrielles les plus graves de ces dernières décennies. Le problème de la bourgeoisie italienne est donc de savoir comment reprendre le contrôle de l’électorat, et donc de la machine électorale, pour se concentrer sur des forces politiques plus responsables lors des prochaines élections.
Ce n’est pas une opération facile, mais des tentatives peuvent être constatées dans au moins deux domaines. Le premier est la création totalement artificielle de divers mouvements et manifestations écologistes, notamment impulsés par le “phénomène” Greta Tumberg. Tout ceci a déjà donné une nouvelle vie à divers partis Verts lors de plusieurs élections en Europe. L’autre, plus local, est le développement du “mouvement des sardines”, (2) un mouvement en premier lieu anti-populiste qui a déjà gagné la confiance de couches importantes de la population et dont l’intention est explicitement de contrer le populisme de Salvini et de produire une sorte d’anticorps politique dans le pays.
Il est presque impossible de prévoir l’évolution de cette situation, mais nous savons que l’issue de l’affrontement entre les différentes forces politiques dépendra du rythme de développement de la crise politique et économique, et certainement pas de son impossible résolution. Celle-ci, au contraire, ne dépend que de la reprise de la lutte de classe et de l’affirmation du prolétariat comme classe révolutionnaire dans cette société.
Rivoluzione Internazionale, section du CCI en Italie
Oblomov, 8 décembre 2019
1 La Ligue de Salvini a déclaré son opposition à une vente de l’entreprise aérienne. Début janvier, Salvini a ravivé les hostilités sur cette question en affirmant : “Même sur Alitalia, le gouvernement perd du temps et met en danger une entreprise stratégique pour le pays et l’avenir de 10 000 travailleurs”. (Source : ANSA.it)
2 Le mouvement est né avec la protestation de la Piazza Maggiore contre Matteo Salvini, qui a lancé la campagne électorale légaliste en vue des élections régionales en Émilie-Romagne.
Le Soudan est un pays ruiné par plus de 40 ans de guerres civiles dans lesquelles les grandes puissances impérialistes s’impliquent en permanence. Les différents conflits armés ont causé plus de 2 millions de morts (au Sud-Soudan et au Darfour) et provoqué misère et chaos sanglant, d’où réguliérement des révoltes et des émeutes de la faim contre les régimes militaires et islamistes qui se succèdent depuis “l’indépendance”.
À partir décembre 2018, le Soudan a était secoué par un puissant mouvement social avec des grèves et des manifestations massives que le pouvoir islamo-militaire a violemment réprimé, causant des centaines de morts, des milliers de prisonniers et de disparus. Le mouvement était au départ spontané avec la présence massive d’ouvriers et de personnes misérables : “Les gens veulent du pain (dont le prix a été multiplié par trois le 18 décembre), de l’essence, du “cash”, des médicaments. (…) Tant que la petite bourgeoisie qui ne s’intéressait pas à la politique pouvait prospérer ou du moins survivre, alors les frustrations des plus pauvres de la société ne pouvaient pas suffire à déclencher un grand mouvement de protestation. Mais la paralysie économique a obligé les cols blancs à frayer avec les ouvriers dans les files d’attente pour l’approvisionnement alimentaire” (1). En effet, des grèves massives à répétition ont éclaté, paralysant même à plusieurs reprises les rouages de l’économie et de l’administration, au point de pousser l’institution militaire et étatique à évincer son grand chef, Omar Al Bachir, en tentant ainsi d’amadouer “la rue”. Au départ, il s’agissait d’un mouvement emmené initié par la classe ouvrière qui, importante numériquement dans un pays où le secteur pétrolier représente une part significative de l’économie, est descendue dans la rue contre la dégradation des conditions de vie.
Cependant, une partie de la bourgeoisie a très rapidement su exploiter les faiblesses de ce mouvement. Dans un pays où le prolétariat reste très isolé, peu expérimenté et peu aguerri aux pièges qui lui sont tendus, la bourgeoisie n’a pas eu de difficulté à détourner ce mouvement sur le terrain des règlements de comptes entre factions en lutte pour la direction de l’État. Les forces “démocratiques” autour de l’Association des professionnels du Soudan (APS) ont ainsi canalisé et encadré le mouvement en appelant de leurs vœux “le transfert du pouvoir à un gouvernement civil de transition dans lequel l’armée participe”. Ce mouvement social s’est rapidement trouvé entre les mains des organisations bourgeoises dont le but premier est l’instauration d’un “gouvernement démocratique” en vue de gérer plus efficacement le capital national. “En octobre 2016, un noyau s’est formé à partir du groupement de trois entités : le Comité central des médecins, le Réseau de journalistes et l’Alliance démocratique des avocats. Progressivement, des comités d’ingénieurs, des pharmaciens ou encore de professeurs ont rejoint l’APS. Fin 2018, l’APS affiche l’union de quinze corps de métier qui soutiennent les manifestants descendus dans la rue le 19 décembre pour protester contre la cherté de la vie, au lendemain d’une décision faisant tripler le prix du pain. Rapidement, les revendications liées à la crise économique et à la baisse du pouvoir d’achat ont évolué pour réclamer la chute du régime” (2). Cette association a d’ailleurs entrepris de fédérer tous les partis d’opposition dans une coalition allant du Parti républicain aux staliniens en passant par les opposants islamistes et certains groupes armés.
Le mouvement social est ainsi devenu l’expression ouverte d’une orientation purement étatique et bourgeoise dont la classe ouvrière n’a pas tardé à faire les frais. En août dernier, un gouvernement technocrate de “transition” a été nommé sous l’égide d’un organe exécutif composé de six civils et de cinq militaires. Quand on sait que les chefs de l’armée qui avaient mené la sanglante répression contre les manifestants (entre 180 et 250 morts en moins de six mois) ont gardé les mêmes postes répressifs (défense et intérieur) dans ce nouveau gouvernement de “transition”, il n’y a décidément aucune illusion à se faire sur la fin de la misère et des tueries que subissent la classe ouvrière et les couches opprimées.
Quant à l’hypocrite concert d’applaudissements des médias et de de tous les grands requins qui ont salué le soi-disant "changement de régime », à l’instar de Macron qui s’est empressé d’annoncer à l’issue de la rencontre avec le nouveau président Abdalla Hamdok le 30 septembre dernier un « soutien inconditionnel à la transition démocratique », il ne doit pas davantage duper sur l’avenir de misère et de nouveaux massacres réservés aux populations.
D’ailleurs, Par ailleurs ce pays est sous influence de bon nombre de puissances impérialistes (notamment du Golfe) dont dépend le pouvoir soudanais pour sa survie : “Au Soudan, le chef du Conseil militaire de transition (CMT) a reçu le “feu vert” de l’Arabie Saoudite et de ses alliés régionaux pour lancer la répression contre les manifestants qui campaient depuis des semaines (le 6 avril) devant le siège de l’armée à Khartoum, souligne un expert militaire soudanais. D’après ce spécialiste qui tient à garder l’anonymat, la destruction (lundi 3 juin) du campement des manifestants avait fait l’objet de discussions lors de récentes visites du général Abdel Fattah Al Bourhan, chef du CMT, en Arabie Saoudite, aux Emirats arabes unis et en Égypte. (Selon un analyste algéro-soudanais, le 21 avril, Ryad et Abou Dhabi ont annoncé qu’ils verseraient 3 milliards de dollars au Soudan. Ils ne l’ont pas fait sans contrepartie. Ce qu’ils attendent en retour, ce n’est pas la démocratie (…), c’est la préservation de leurs intérêts économiques” (3).
Évidemment, il n’y pas que des intérêts purement économiques qui expliquent l’intervention de l’Arabie Saoudite et des Émirats du Golfe au Soudan, mais aussi, et surtout, leur volonté de puissance hégémonique face à leurs rivaux impérialistes. Le Soudan participe directement aux tueries perpétrées au Yémen avec ses 14 000 soldats à la disposition du régime assassin saoudien. Il faut également se rappeler que ce sont les mêmes coalitions d’assassins qui s’affrontent au Soudan, en Libye ou en Syrie pour les mêmes raisons, à savoir la préservation de leurs sordides intérêts capitalistes et impérialistes.
Si la classe ouvrière existe bel et bien au Soudan, elle est cependant récente et sans expérience de lutte significative. Elle est surtout bien encadrée par les syndicats (sous contrôle du Parti communiste stalinien soudanais considéré comme le plus important du monde arabe) qui ont pu immédiatement enterrer les revendications ouvrières sur le terrain pourri de la “lutte pour la démocratie”. La prétendue “révolution soudanaise” a une nouvelle fois fait la démonstration que le développement de la conscience politique est une arme indispensable. Face aux récupérations de mouvements sociaux sur le terrain des luttes sanglantes de la bourgeoisie, la classe ouvrière ne pourra, à l’avenir, n’opposer que l’unification internationale de ses luttes en s’appuyant particulièrement sur le prolétariat des pays de l’Europe occidentale qui a la plus vieille expérience des luttes et se trouve confronté depuis des décennies aux mystifications “démocratiques” et aux pièges syndicaux les plus sophistiqués.
Amina, novembre 2019
1Courrier international (6 février 2019).
2Courrier international (24 avril 2019).
3Courrier international (9 juin 2019).
La civilisation capitaliste, ce système mondial basé sur le travail salarié et la production pour le profit, est en train d’agoniser. Tout comme la société esclavagiste de la Rome antique ou le servage féodal, elle est condamnée à disparaître. Mais contrairement aux systèmes qui l’ont précédé, elle menace d’entraîner dans sa chute l’humanité tout entière.
Depuis plus de cent ans, les symptômes de son déclin sont devenus de plus en plus évidents. Deux guerres mondiales marquées par des niveaux sans précédents de destruction, suivies par des décennies de guerres par procuration entre les deux blocs impérialistes (États-Unis et URSS), conflits qui contenaient en eux-mêmes la menace d’une troisième et ultime Guerre mondiale. Depuis que le bloc de l’Est s’est dissout en 1989, nous n’avons pas vu la paix, mais des conflits locaux et régionaux toujours plus chaotiques, comme ceux qui ravagent actuellement le Moyen-Orient. Nous sommes passés par des convulsions économiques mondiales comme celles des années 1930, 1970 ou encore celle de 2008 qui ont fait basculer des millions de personnes dans le chômage et la précarité, qui accélèrent les conflits impérialistes entre les diverses puissances capitalistes.
Quand le capitalisme réussit à redynamiser l’accumulation (que ce soit au lendemain d’une destruction massive comme en 1945 ou en s’auto-dopant par l’endettement), nous savons désormais que la croissance même et l’expansion du capital ajoute une nouvelle menace pour l’humanité à travers la destruction de la nature elle-même.
Rosa Luxemburg en 1916, en réponse aux horreurs de la Première Guerre mondiale, a mis en lumière le choix auquel l’humanité doit faire face : “ou bien le triomphe de l’impérialisme et la décadence de toute civilisation, avec pour conséquences, comme dans la Rome antique, le dépeuplement, la désolation, la dégénérescence, un grand cimetière ; ou bien la victoire du socialisme c’est-à-dire de la lutte consciente du prolétariat international contre l’impérialisme et contre sa méthode d’action : la guerre. C’est là un dilemme de l’histoire du monde, un “ou bien – ou bien” encore indécis dont les plateaux balancent devant la décision du prolétariat conscient”. (La Brochure de Junius)
Contrairement au système esclavagiste qui a finalement ouvert la voie au féodalisme, ou le féodalisme, à son tour, qui a permis au capitalisme de se développer en son sein, le système actuel dans son agonie n’engendrera pas mécaniquement une nouvelle société basée sur de nouveaux rapports sociaux. Une nouvelle société peut seulement être construite à travers la “lutte active consciente du prolétariat international”, à travers l’union de tous les exploités du monde, se reconnaissant comme une seule et même classe partageant les mêmes intérêts dans chaque partie du globe.
C’est une tâche immense, rendue encore plus difficile par la perte de l’identité de classe ces dernières décennies : ceux qui sentent qu’il y a quelque chose qui ne va pas du tout dans le système actuel, éprouvent des difficultés à accepter que la classe ouvrière existe bel et bien, sans même parler de l’oubli qu’elle seule détient la capacité de changer le monde.
Pourtant la révolution prolétarienne demeure le seul espoir pour la planète car elle signifie la fin de toutes les sociétés dans lesquelles l’humanité est dominée par des forces économiques aveugles, l’avènement de la première société dans laquelle toute la production est consciemment planifiée pour satisfaire les besoins de l’humanité dans son interaction avec la nature. Cela est basé sur la possibilité et la nécessité pour les êtres humains de prendre en main leur vie sociale.
C’est la raison pour laquelle nous devons nous opposer aux slogans et aux méthodes de ceux qui organisent les protestations actuelles pour le climat, nous exhortant à exercer nos droits démocratiques pour manifester ou voter afin d’exercer une pression sur les gouvernements et les partis politiques pour les contraindre à réagir face à la crise écologique. C’est une duperie parce que le rôle de tous ces gouvernements et partis (qu’ils soient de droite ou de gauche) est de gérer et défendre le système même qui est à la racine des multiples dangers auxquels fait face la planète.
Les choix que nous offrent les politiciens de tous bords sont de faux choix. Une Grande-Bretagne en dehors de l’UE ou une Grande-Bretagne qui resterait dans l’UE ne protégera pas la classe ouvrière des tempêtes qui planent sur l’économie mondiale. Une Amérique gouvernée selon le slogan agressif “America First” de Trump ou par des politiques “multilatérales” plus traditionnelles menées par d’autres factions, sera toujours une puissance impérialiste obligée de défendre son statut contre d’autres puissances impérialistes. Des gouvernements qui nient la réalité du changement climatique ou des gouvernements qui parlent d’investir dans un “New Deal Vert” seront toujours obligés de maintenir une économie nationale rentable et par conséquent, seront obligés d’effectuer des attaques incessantes contre la classe ouvrière. Ils seront toujours pris dans la même spirale de l’accumulation, laquelle est en train de transformer la Terre en un désert.
Mais, nous dit-on, nous pouvons au moins voter pour une équipe différente et, dans les pays où ce “droit” même est dénié, nous pouvons exiger qu’on nous l’octroie.
En fait, l’illusion selon laquelle nous pourions avoir le contrôle sur la force destructrice du capitalisme en allant voter à intervalles réguliers fait partie intégrante de cette grande escroquerie qu’est la démocratie capitaliste. Le vote, l’isoloir, ne nous retient pas seulement prisonniers des fausses alternatives que l’on nous offre, il est aussi l’expression de notre impuissance, nous réduisant à des individus atomisés, des “citoyens” de tel ou tel État.
La lutte de classe du prolétariat a montré la véritable alternative à cette impuissance institutionnalisée. En 1917-19, la classe ouvrière s’est révoltée contre le carnage de la guerre, en formant des conseils ouvriers en Russie, en Allemagne, en Hongrie et dans d’autres pays, des conseils de délégués élus et révocables sur leurs lieux de travail ainsi que d’autres assemblées ouvertes à tous qui, pour la première fois, contenaient la potentialité d’un contrôle conscient de la vie politique et sociale. Ce soulèvement international massif a mis fin à la guerre, alors que, de leur côté, les dirigeants des camps belligérants ont uni leurs forces pour écraser la menace de la révolution.
L’humanité a chèrement payé la défaite qui s’en suivit : toute la barbarie des cent dernières années prend sa source dans l’échec de la première tentative de renversement du capital mondial. Ce coût sera encore plus lourd si la classe ouvrière ne récupère pas ses forces et n’effectue pas de nouvelle tentative pour partir à l’assaut du ciel.
Cela peut sembler une perspective lointaine mais, tant que le capitalisme existera, la lutte des classes continuera. Parce que le capitalisme, dans son agonie, n’a pas d’autre choix que d’accroître l’exploitation et la répression de ses esclaves salariés, le potentiel demeure pour ses derniers de passer de la défensive à l’offensive, de la défense de ses intérêts économiques à l’action directement politique, de la révolte instinctive au renversement organisé du capitalisme.
CCI, 16 novembre 2019.
Les campagnes médiatiques sur le changement climatique opposent souvent l’urgente nécessité de stopper l’émission des gaz à effet de serre aux intérêts particuliers des travailleurs, voire aux “personnes les moins éduquées”. En France, ces campagnes se sont particulièrement développées lorsque les “gilets jaunes” protestaient au départ contre la taxe carbone qui rend les coûts de l’essence prohibitifs là où il n’y a pas de transports publics adéquats ou aux États-Unis contre le slogan “Trump aime le charbon et travaille pour lui !”, quand le président américain prétendait défendre l’industrie du charbon et les travailleurs qui en dépendent. La campagne pour un New Deal Vert (appelé aussi : révolution industrielle verte) prétend résoudre tout à la fois les problèmes du changement climatique, du chômage et des inégalités. Par exemple : “Le New Deal Vert défendu par les activistes du mouvement Sunrise éliminerait, en 10 ans, les gaz à effet de serre issus de la production d’électricité, du transport, de l’industrie, de l’agriculture et d’autres secteurs. Il viserait également une production d’énergie 100 % renouvelable et incluerait un programme de garantie d’emploi pour “assurer un travail avec un salaire décent à toute personne le désirant”. Il viserait à “atténuer les inégalités de revenus et de richesses principalement fondées sur l’appartenance raciale, régionale et sexuelle”.” (1)
La nécessité de remédier à l’effet destructeur du capitalisme sur la nature, en particulier au danger avec lequel les gaz à effet de serre modifient le climat, est indéniable. Tout comme l’augmentation de l’inégalité intrinsèque au capitalisme et le fait que les économistes indiquent déjà que la hausse de l’endettement ainsi que l’intensification de la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine sont des signes annonciateurs d’une nouvelle récession. Tout cela ferait apparaître la prétendue solution du New Deal Vert comme une sorte d’évidence.
Ceux qui mettent en garde contre les arnaques disent souvent que si une proposition semble trop belle pour être vraie, c’est qu’elle cache probablement un piège. C’est pourquoi il faut examiner de plus près le New Deal Vert : d’abord du point de vue de sa référence directe aux mesures capitalistes d’État du New Deal de Roosevelt dans les années 1930. Ensuite, nous verrons l’incapacité de l’État-nation capitaliste à résoudre un problème global, en considérant les conséquences d’une telle politique pour l’environnement. Plus important encore, il s’agira de montrer que cette politique sert en fait à masquer la véritable nature du capitalisme et a pour fonction de saper le développement de la conscience et de la lutte du prolétariat.
Le New Deal Vert trouve son inspiration dans la politique capitaliste d’État menée dans les années 1930 afin de relancer la croissance suite à la Grande dépression. (2) Le New Deal s’est lui-même inspiré de la prise de contrôle par l’État de l’économie durant la Grande Guerre en 1917-18 : tout en réalisant des investissements dans des infrastructures indispensables, l’Administration des Travaux Publics (PWA) a “construit de nombreux navires de guerre dont deux porte-avions ; l’argent provenait de l’Agence de la PWA. L’Administration des Travaux Publics a également construit des avions de guerre alors que la WPA (Work Projects Administration) construisait des bases militaires et des terrains d’aviation”.3 En cela, il n’était pas différent des politiques en vigueur à cette époque en Allemagne, quand de nombreuses autoroutes étaient construites en préparation de la guerre à venir.
Le changement climatique est un problème global et il ne peut pas être traité nation par nation et pourtant le New Deal Vert propose justement ceci : “Un New Deal Vert pour le Royaume-Uni…”, “L’Écosse occupe une place unique, au vu de son abondance en ressources renouvelables…” (4), “visant à éliminer pratiquement la pollution des gaz à effet de serre aux États-Unis…” (5) Ceci est un non-sens : même la mesure de la production de gaz à effets de serre est frauduleuse ; par exemple, 40 % de la consommation par le Royaume-Uni de marchandises dont la production émet des gaz à effet de serre n’apparaissent pas dans les chiffres nationaux du fait qu’elles sont importées. Le capitalisme pollue la planète entière et cela s’étend jusqu’au plus profond des océans et même dans les parties les plus reculées de l’Arctique.
Les idées simplistes d’une nouvelle croissance basée sur l’énergie verte semblent promettre un soutien à l’économie en s’appuyant sur l’augmentation des dépenses publiques mais elles ne sont fondées sur aucune véritable considération globale des effets de la destruction environnementale et sur les gaz à effet de serre qu’elles provoqueront. Passer aux énergies renouvelables requiert de grandes quantités de métaux de terres rares, dont l’extraction minière produirait une gigantesque pollution en Chine, pays dans lequel 70 % de ces métaux sont extraits. La production du lithium dans le désert d’Atacama au Chili a déjà détruit les lacs d’eau salée nécessaires aux flamants roses et a accaparé toutes les réserves d’eau douce, détruisant l’agriculture de la région. Pendant ce temps, deux firmes, Albemarle et SQM s’accusent mutuellement de bafouer la réglementation. Le cobalt doit maintenant être extrait du sol océanique, sans tenir compte de l’impact écologique (que l’on connaît très mal) que cela aura sur une partie du monde. Comme cela est nécessaire pour le développement des énergies renouvelables, c’est supposé être une “solution pour sauver la planète”. Si nous devons acheter de nouvelles voitures électriques, cela va sans nul doute soutenir l’industrie automobile mais qui a comptabilisé les émissions de gaz à effet de serre découlant d’une telle production ?
Pour comprendre comment la civilisation capitaliste peut-être aussi prédatrice avec le monde dont nous dépendons tous, il est nécessaire de saisir la nature du capitalisme lui-même.
Le Green New Deal promet de surmonter la destruction de l’environnement par le capitalisme, en particulier le changement climatique, par le biais de l’État bourgeois, mais cela n’est pas possible. Le capitalisme n’est pas lié à telle ou telle gestion politique gouvernementale dont les diverses lois pourraient être choisies ou modifiées au gré d’un vote parlementaire ; il est le résultat des contradictions historiques entre le développement des forces productives et les rapports sociaux de production. Un pas important à cet égard fût la séparation des producteurs de leurs moyens de productions, par exemple lorsque les paysans furent chassés de leurs terres pour être remplacés par des moutons pour les besoins de la plus lucrative industrie de la laine.
Cela a créé un système de production généralisée de marchandises, de production pour le marché. À la place des paysans qui pouvaient produire presque tout ce dont ils avaient besoin à partir de la terre, il y avait des travailleurs salariés qui ne pouvaient faire autrement que tout acheter. Les capitalistes pour lesquels ils travaillent (que ce soit un entrepreneur individuel, une compagnie, une multinationale ou une industrie d’État) sont en compétition pour vendre à profit. Le New Deal Vert ne peut changer en rien la façon dont le capitalisme fonctionne.
Le Capital offre une certaine ressemblance avec la légende du roi Midas : tout ce qu’il produit doit se transformer en profit pour que le business survive, tout étant calculé pour rapporter plus, peu importe ce qui est produit. Mais pour le Capital, les ressources naturelles sont un cadeau, comme Marx l’a démontré : “Les éléments naturels jouant un rôle actif dans la production sans rien coûter (quel que ce soit ce rôle) n’y entrent pas comme composantes du capital, mais comme une ressource naturelle offerte gratuitement au capital, c’est-à-dire comme une force productive offerte par la nature au travail mais qui, sur la base de l’économie capitaliste, se présente, ainsi que toute autre force productive, comme productivité du capital”. (6) Dans le capitalisme, ce qui ne coûte rien n’a pas de valeur d’échange et peut donc être utilisé et pillé à volonté. Dans cette perspective, une forêt tropicale irremplaçable n’a aucune valeur. Un fermier qui abat les arbres d’une forêt tropicale pour produire de l’huile de palme, du soja ou tout autre culture est obligé de le faire parce qu’il peut gagner plus d’argent de cette manière, voire parce que c’est l’unique façon pour lui d’avoir juste de quoi vivre. Dans le capitalisme, la question d’une activité économique servant les besoins de la nature et de l’humanité ne peut pas être posée, sauf si elle est source de profit.
Au XIXe siècle, lorsque le capital a étendu sa domination sur l’ensemble du globe, il polluait et détruisait déjà la nature. La pollution issue de l’exploitation minière et de l’industrie est un fait bien connu, tout comme celui des eaux usées s’écoulant des grandes villes. L’effet sur le sol l’est bien moins. “Dans l’agriculture moderne, de même que dans l’industrie des villes, l’accroissement de productivité et le rendement supérieur du travail s’achètent au prix de la destruction et du tarissement de la force de travail. En outre, chaque progrès de l’agriculture capitaliste est un progrès non seulement dans l’art d’exploiter le travailleur mais encore dans l’art de dépouiller le sol ; chaque progrès dans l’art d’accroître sa fertilité pour un temps, un progrès dans la ruine de ses sources durables de fertilité. Plus un pays (…) se développe sur la base de la grande industrie plus ce procès de destruction s’accomplit rapidement. La production capitaliste ne développe donc la technique et la combinaison du procès de production sociale qu’en épuisant en même temps les deux sources d’où jaillit toute richesse : la terre et le travailleur”. (7) Ce que Marx a démontré pour le XIXe siècle n’a fait qu’empirer. À la fin de ce même siècle, Kautsky pouvait écrire : “Les engrais permettent d’éviter la diminution de la fertilité des sols mais la nécessité de l’utiliser en quantités toujours plus grandes ne fait qu’ajouter un fardeau supplémentaire à l’agriculture ; fardeau non pas imposé inévitablement par la nature mais qui est le résultat direct de l’organisation sociale actuelle. En dépassant l’antithèse entre la ville et la campagne (…) la production pourrait revenir à la normale”. (8) Depuis, l’agriculture, tout comme l’industrie, s’est énormément développée, ses rendements et sa productivité ont augmenté sur une très grande échelle et les engrais nécessaires pour les maintenir sont devenus une véritable menace pour le sol et les cours d’eau.
Aussi polluant, meurtrier et exploiteur qu’ait été le capitalisme alors qu’il s’étendait à travers le monde, la période qui s’est écoulée depuis la Première Guerre mondiale a été marquée par une spirale de destruction de la nature et de la vie humaine. La Première Guerre mondiale fut suivie par la Seconde et des conflits locaux soutenus par de plus grandes puissances impérialistes se sont multipliés depuis.
Les capitalistes et les États ont été contraints à une concurrence économique et militaire encore plus féroce. La destruction de l’environnement a atteint alors de nouveaux seuils. Les entreprises capitalistes, qu’elles soient privées ou publiques, ont augmenté la pollution et le pillage des ressources de la planète à des niveaux sans précédents. Ce à quoi il faut ajouter la pollution et la destruction occasionnées par le secteur militaire et les guerres. (9)
Les menaces qui pèsent sur l’environnement, sur le climat, en un mot : sur la nature, ne peuvent être surmontées sans le renversement du capitalisme. Le New Deal Vert ne sera pas plus efficace pour les enrayer que les droits d’émission qui tentaient de limiter les émissions de gaz à effet de serre par des mécanismes de marché. Pire encore, en fournissant une fausse “solution”, il peut que répandre davantage d’illusions au sein de la classe ouvrière, prolongeant par conséquent la vie de ce système et faisant augmenter le danger qu’il ne sombre dans une barbarie et une destruction environnementale irréversibles.
Alex
1 “What is the Green New Deal and is it technically possible ? [31]”, The Guardian (29 décembre 2018).
2 Voir : “90 ans après la crise de 1929, le capitalisme en décadence peine de plus en plus à endiguer la surproduction [32]”, Révolution Internationale n° 479 (nov.-déc. 2019).
3 Source Wikipedia
4 New Economics Foundation [33].
5 “What is the Green New Deal and is it technically possible ? [31]”, The Guardian (29 décembre 2018).
6 Marx, Le Capital, Livre III.
7 Marx, Le Capital Livre I.
8 Kautsky, La Question Agraire, cité dans le livre de John Bellamy : Marx écologiste.
9 Voir : “Ecological disaster : the poison of militarism [34]”, World Revolution n° 384 (Automne 2019).
Le 20 juillet 1969, deux hommes marchaient pour la première fois sur la Lune. Cet exploit concrétisait un des rêves les plus audacieux de l’humanité, un dessein sans égal déjà imaginé par Lucien de Samosate, au IIᵉ siècle, par le poète Cyrano de Bergerac, plus tard, ou encore par Jules Verne. Mais avec le capitalisme, tout exploit, toute conquête a son revers. La mission Apollo 11 charriait dans son sillage un esprit de compétition et une mentalité belliqueuse qui, à l’échelle des États, se nommaient : impérialisme et “suprématie spatiale”. La militarisation de l’espace est une vieille obsession des grandes puissances. La course à l’espace fut, en effet, un enjeu crucial de la guerre froide entre Américains et Russes. Il fallait arriver sur la Lune les premiers et, si possible, les seuls (1).
Ces programmes spatiaux avaient d’abord une utilité propagandiste : l’envoi du premier Spoutnik puis du premier homme dans l’espace, ont donné lieu à une communication triomphaliste de l’État soviétique. On peut du reste continuer à voir en Russie les restes du véritable culte voué à Youri Gagarine depuis son voyage autour de la Terre (2). L’envoi des trois astronautes d’Apollo 11 sur la Lune a évidemment été présenté comme le succès de l’avance technologique américaine.
Mais derrière la propagande, ces programmes spatiaux avaient une dimension militariste bien concrète. Le fait que tous les hommes destinés à partir dans l’espace étaient au départ des militaires (le premier civil à poser le pied sur la Lune sera Harrison Schmitt, en 1972… lors de l’ultime mission Apollo), la technologie des fusées utilisées aussi bien par les Américains que par les Russes était initialement celle des missiles intercontinentaux. La NASA fit appel à Wernher von Braun, que les Américains avaient débauché au Troisième Reich en 1945 suite au succès de sa V2 (3), pour concevoir la fusée américaine Saturn V utilisée pour aller sur la Lune. Les lanceurs soviétiques étaient également des copies peu à peu améliorées des V2 allemands. Le R-7, qui a placé Spoutnik 1 en orbite, n’était d’ailleurs rien d’autre qu’un missile intercontinental. Quant aux européennes, Anglais et Français ont aussi profité de la technologie allemande en procédant à des lancements de V2, puis, en ce qui concerne la France, au développement, sur cette base, de son propre lanceur, aboutissant à l’actuel : programme Ariane. Les États soviétique et américain ont donc d’abord construit des missiles permettant d’emporter des charges nucléaires avant de s’intéresser à l’exploration spatiale, rendue possible par l’existence des premiers.
D’ailleurs, les premiers satellites envoyés dans l’espace avaient une visée strictement militaire : les 144 satellites du programme américain Corona, débuté en 1959, avaient pour unique but d’espionner l’ennemi. En 1962, les États-Unis réalisent un premier essai nucléaire à 400 km d’altitude (Starfish Prime) tandis que les Russes, à partir de 1968, développeront leurs “satellites kamikazes” pour tenter d’éliminer les satellites espions américains. L’URSS réussira même à mettre en orbite deux stations spatiales secrètement armées de canons automatiques (Saliout 3 en 1974 et Saliout 5 en 1976).
Lors de la présidence Reagan, l’armée américaine promut “l’Initiative de Défense Stratégique” popularisée sous le nom de Star Wars. Le but de ce programme militaire était de pouvoir intercepter des missiles balistiques dont la trajectoire (comme le V2) sort de l’atmosphère terrestre. Des armes bien réelles ont ainsi été développées à cette époque, comme le missile anti-satellite ASM-135 ou le système antimissile Patriot, déployé notamment pendant la guerre du Golfe. Si l’URSS a tenté de suivre, elle a très vite renoncé, tant les moyens mis en place par les Américains étaient énormes : douze milliards de dollars sur cinq ans ont permis de faire travailler jusqu’à 30 000 scientifiques sur ces projets. L’avance technologique qui en a résulté a permis aux États-Unis de dominer de façon outrancière leurs rivaux impérialistes dans le domaine spatial. L’effort fourni à cette occasion par l’URSS n’a pas été pour rien dans sa ruine, ce qui a abouti à son effondrement économique et politique en 1990.
Aujourd’hui, divers signaux montrent que les principales puissances impérialistes s’intéressent de plus en plus à l’espace comme champs de bataille possible dans l’affrontement qui les oppose. On pourrait n’y voir qu’un simple enjeu technologique et scientifique, mais les acteurs de cette course, quand ils en parlent ouvertement, voient les choses beaucoup plus “stratégiquement” : “Et face aux querelles incessantes qui règnent dans le spatial européen et français, Tomasz Husak (…) a estimé que “vu les enjeux stratégiques, nous ne pouvons pas nous permettre d’avoir des divisions”. À bon entendeur… D’autant que les États-Unis et la Chine, au-delà des questions de souveraineté, participent à une véritable guerre commerciale en développant leurs capacités spatiales (lanceurs, applications…). L’Union européenne en a bien pris conscience en pariant fortement sur le spatial, avec un budget en hausse constante : cinq milliards d’euros en 2007, puis treize milliards en 2018 et enfin seize milliards en 2027”. (4)
Aujourd’hui, en plus des Russes, des Américains et des Européens, il y a d’autres acteurs nouvellement arrivés dans la compétition spatiale : l’Inde et la Chine ont montré leurs ambitions dans ce domaine… en démontrant leur capacité à détruire un satellite en orbite. En lançant un satellite capable de changer d’orbite pour se rapprocher d’autres satellites, la Russie a suffisamment inquiété certains autres États pour qu’ils réagissent, comme l’a fait la France en se dotant d’un commandement spatial autonome [35], dont le but avoué est de protéger les satellites tricolores : “On s’est aperçus, avec cette intrusion, qu’on était vulnérables, résume Stéphane Mazouffre. Et c’est d’autant plus vrai que l’Europe n’a pas développé de système de destruction de satellite depuis le sol. En mars 2019, c’est l’Inde qui est devenu le quatrième pays [36] à détruire, par missile, un de ses satellites en orbite basse”. (5)
Le général Friedling, qui dirige le commandement français interarmées de l’espace, a bien précisé lors d’une interview qu’il n’est pas illégal d’installer des armes dans l’espace “à des fins non-agressives” (6). Quand on sait que les États les plus développés dépendent pour 6 ou 7 % de leur PIB de la technologie de positionnement satellitaire américaine GPS, on comprend quel intérêt il y a pour eux à protéger leurs satellites et leurs communications spatiales !
Évidemment, quand la bourgeoisie développe une stratégie ouvertement agressive, surtout dans un domaine spatial qui n’apparaît pas stratégique au premier abord, elle développe aussi toute une propagande pour le masquer. En France, tel a été le rôle, conscient ou pas, du spationaute Thomas Pesquet, qui a servi de tête de gondole à toute une propagande étatique montrant le côté le plus “pacifique” de l’activité spatiale des grandes nations. Outre le fait que l’équipage de la Station spatiale internationale (ISS) a toujours été très international, les liaisons avec les écoles, les expériences scientifiques en direct et les nombreuses photos de la Terre prises par Thomas Pesquet ont donné une image très “pacifique” et “désintéressée” de l’activité spatiale actuelle. (7) L’implication du président Macron et l’accueil officiel qu’il a reçu lors de son retour illustrent néanmoins toute l’opération de communication de l’État derrière cet épisode. L’exploration de la Lune et de Mars pose beaucoup d’enjeux purement scientifiques, mais aussi des questions nettement plus prosaïques, notamment celle de la propriété du sol et des ressources que l’on pourrait éventuellement extraire des sols lunaire et martien.
On a vu depuis les années 2000 fleurir les projets plus ou moins fantaisistes de “tourisme de l’espace”, ainsi que d’exploitation pure et simple des ressources minières des astéroïdes, voire de la Lune et de Mars. Divers pays se sont même dotés, à tout hasard, d’une législation propre sur la propriété des objets célestes (8). Le but est d’établir un support juridique à l’éventuelle prospection minière dans l’espace. Un certain nombre d’entreprises et de milliardaires comme Richard Branson se sont proclamés intéressés par ces opportunités et par la création d’un tourisme spatial, mais un certain nombre d’éléments montrent qu’il ne s’agit en réalité que d’un mirage. La société Virgin Galactic, dont la fondation date quand même de 2004, est toujours incapable de réaliser concrètement ce pour quoi elle a été créée, à savoir envoyer des “touristes” en orbite terrestre. Si la création d’un “avion orbital” capable de suivre une trajectoire sortant de l’attraction terrestre est possible, expédier des touristes sur la Lune est une toute autre histoire : même la future fusée de la NASA ne pourra pas emporter plus de quatre passagers ! Pourtant, spatialement parlant, la Lune, ça n’est pas loin ! En fait, techniquement, rien n’est prêt.
Si un “tourisme spatial” apparaît chimérique, que dire d’une exploitation des ressources minières de l’espace ? Pour exploiter de chimériques ressources naturelles spatiales, il faudrait expédier des ouvriers en nombre dans l’espace, avec un matériel particulièrement sophistiqué et donc coûteux. La rentabilité d’une telle opération apparaît par conséquent totalement illusoire, d’autant que techniquement tout reste à inventer. Ce n’est de toute façon pas cette activité qui peut régler les problèmes du capitalisme : ce qui manque, ce ne sont pas les matières premières, mais les clients !
Enfin, un récent rapport indépendant, publié en février 2019, a conclu que dans les conditions actuelles, il n’y a ni but précis, ni capacité technique, ni financement prévu pour envoyer des hommes sur Mars d’ici… 2033 ! “Nous constatons que, même sans contraintes budgétaires, une mission orbitale Mars 2033 ne peut être planifiée de façon réaliste dans le cadre des plans actuels et théoriques de la NASA”(9). Quand on sait que ledit rapport chiffre à 217 milliards au bas mot le coût d’un programme spatial vers Mars, on comprend l’ampleur de l’effort demandé à l’économie américaine alors que les perspectives économiques mondiales s’assombrissent de jour en jour. Quant à la raison qui pousserait effectivement l’agence spatiale américaine à planifier une expédition martienne, le rapport conclut… qu’il n’y en a pas !
Il est du reste cocasse de constater que les problèmes de coûts n’épargnent aucunement l’industrie spatiale “pacifique” : le budget de la NASA, qui représentait 4,5 % du PIB américain en 1966, n’en représente plus que 0,5 %. L’Inde a lancé en septembre dernier un atterrisseur lunaire dont la principale caractéristique était son bas coût (six fois inférieur à un programme identique développé par la Chine). L’échec de l’alunissage, précédé par un nombre impressionnant de reports de lancement [37] dus à divers incidents, montre que faire beaucoup avec trop peu n’est pas vraiment une stratégie payante dans l’espace… Loin de doper l’économie, ces projets non seulement coûteraient une fortune sans rien rapporter, mais ils sont d’ores et déjà soumis au “low cost” qui gangrène toute l’économie capitaliste.
De tout cela, nous ne pouvons conclure qu’une chose : les perspectives scientifiques et “pacifiques” que les États développés nous font miroiter pour la conquête du système solaire ne sont que propagande ! Ce qui est par contre bien réel et mis en perspective, c’est tout l’intérêt de disposer d’un dispositif de satellites militaires dans le cadre d’un affrontement impérialiste.
De fait, l’espace est un enjeu essentiellement militaire et stratégique : espionnage, télécommunications, repérage GPS, communications militaires, tout concours à faire de l’espace le champ très actuel des opérations stratégiques des grands impérialismes. “L’espace est déjà militarisé, prévient Stéphane Mazouffre, directeur de recherche au laboratoire Icare du CNRS, à Orléans-La Source. Tous les pays ont des satellites espions, des satellites de télécommunication dédiés au militaire, qui utilise aussi les systèmes GPS… Un satellite en lui-même, c’est une arme. Pourquoi ? Pourquoi ? Parce que s’il peut se déplacer, il suffit de le rapprocher d’un satellite ennemi pour perturber l’orbite de ce dernier et le rendre inopérant. Le simple fait de pouvoir amener un satellite près d’un autre peut être considéré comme une possibilité d’attaque” (10). Tout le positionnement d’une armée, du simple soldat jusqu’aux bombardiers stratégiques, dépend du système GPS ou de son concurrent européen Galileo. Toutes les communications sécurisées passent par des satellites qu’il faut par conséquent protéger, au risque de se retrouver totalement désarmé face à l’adversaire. On comprend donc dans cette optique pourquoi tous les grands États se dotent d’une organisation militaire spécifiquement spatiale dotée d’un budget propre. L’effondrement de la politique de blocs et le développement du « chacun pour soi » ont largement favorisé le fait que de nouveaux acteurs cherchent constamment à mettre le pied dans ce domaine vital pour leurs propres ambitions impérialistes. Ces intentions sont très claires côté français qui bénéficie d’une expérience plus ancienne11: “La loi de programmation militaire française (LPM) 2019-2025 prévoit un budget de 3,6 milliards d’euros pour le spatial de défense. Il doit notamment permettre de financer le renouvellement des satellites français d’observation CSO et de communication (Syracuse), de lancer en orbite trois satellites d’écoute électromagnétique (Ceres) et de moderniser le radar de surveillance spatiale Graves”. (12)
Comme on le voit, et malgré les déclarations d’intention lénifiantes, l’espace est depuis longtemps le champ des rivalités entre grands requins impérialistes et il est aujourd’hui plus que jamais un élément-clé de l’affirmation de leur puissance militaire. Au-delà même des visées économiques étalées par la propagande bourgeoise et par certains opérateurs privés (tourisme spatial, extraction de minéraux sur des astéroïdes, exploration planétaire, retour pérenne sur la Lune), qui constituent en elles-mêmes une composante de l’impérialisme, il fait aussi l’objet d’une intense bataille pour la protection de l’avance technologique des grandes puissances vis-à-vis d’éventuels nouveaux concurrents. Mais par dessus tout cela, l’enjeu réel de la militarisation de l’espace ne peut être que la préparation de futurs conflits.
“Le capitalisme porte la guerre comme la nuée porte l’orage”, disait Jaurès. Il ne pouvait pas imaginer que le capital, loin de se contenter de la terre et du ciel, irait un siècle plus tard porter la guerre et le militarisme encore plus haut que les nuages, et que la nécessité de détruire ce système pour arrêter cette militarisation de l’univers ne s’en trouverait que plus urgente.
H. D. ,10 février 2020
1 Cf. “Apollo 11 et la conquête de l’espace : une aventure sans lendemain [38]”, Revue Internationale n° 139 (4ᵉ trimestre 2009).
2 Le culte voué à Gagarine par le complexe militaro-spatial russe est d’ailleurs moqué dans la bande dessinée de Marion Montaigne publiée en 2017 : Dans la combi de Thomas Pesquet, elle-même vouée, même si humoristiquement, à la personnalité du dernier spationaute français…
3 La V2 était un missile développé par l’Allemagne nazie durant la Seconde Guerre mondiale. L’avantage recherché par l’Allemagne lors de la création du V2 était le fait que ce missile sortait de la stratosphère au cours de sa trajectoire, ce qui rendait son interception impossible.
4 “L’espace, un enjeu stratégique et vital pour la compétitivité de l’Union européenne [39]”, La Tribune (27 juin 2018).
5 “Militarisation de l’espace : Un satellite, en lui-même, c’est une arme [40]”, France 3 Centre-Val de Loire (26 juillet 2019).
6 “La France pourrait envoyer des armes dans l’espace [41]”, Le Point (18 mars 2019).
7 C’est d’ailleurs ce qui est très explicitement développé dans la bande dessinée : Dans la combi de Thomas Pesquet, qui retrace tout son périple spatial.
8 Les États-Unis en 2015, le… Luxembourg en 2017 !
9 Cité par : “Independent report concludes 2033 human Mars mission is not feasible [42]”, Spacenews (18 avril 2019).
10 “Militarisation de l’espace : Un satellite, en lui-même, c’est une arme [40]”, France 3 Centre-Val de Loire (26 juillet 2019).
11 Depuis la politique gaulienne « d’auto-détermination » en matière de « force de dissuasion nucléaire » parallèle mais aussi en marge de l’OTAN. La creation du Centre National d’Etudes Spatiale (CNES) en 1961 en est illustration et, même si celui-ci s’est ensuite intégré dans un cadre européen dans les années 1970, la France est restée le membre le plus actif de l’Agence spatiale européenne.
12 “La France passe à l’offensive dans l’espace [35]”, Le Figaro (14 juillet 2019).
Extinction Rebellion (XR) organise régulièrement de brèves actions de «rébellion internationale», dans un certain nombre de villes du monde. Il peut s’agir de manifestations, d’occupation de carrefours routiers, de l’arrestation et, généralement, de monter des opérations spectaculaires dans des lieux publics pour faire connaître l’état critique dans lequel se trouve l’écologie à l’échelle mondiale.
Les réactions aux actions de XR ont été mitigées. Ainsi, les médias s’accordent à dire qu’Extinction Rebellion attire l’attention sur d’importants sujets, mais désapprouvent leur façon de faire. Extinction Rebellion bénéficie également d’un soutien sans faille de la part de célébrités et de gauchistes. Le Socialist Workers Party (trotskyste) encense "les personnes bravant les arrestations et les attaques médiatiques avec des démonstrations brillantes de créativité et de résistance". "Ils suscitent des demandes pour une transformation radicale de la société et créent un espace de luttes pour cela."
Leur publication Commun Sense paraît s’opposer en paroles à ce qu’il appelle « les réformistes » : «Ils offrent des solutions gradualistes qui, selon eux, fonctionneront... Ils cherchent donc à dévoyer l'opinion populaire et à détourner l’attention et l’énergie du public de la tâche à accomplir : entreprendre une action collective radicale contre le régime politique qui planifie notre suicide collectif. " Ainsi XR pense que toutes les autres questions sociales doivent être suspendues jusqu'à ce que le capitalisme s'engage à affronter directement «l'urgence climatique». La préoccupation centrale de XR est l'environnement et la possibilité que l'État capitaliste puisse empêcher l'éco-génocide par l’imposition de taxes et de tarifs ou encore le bannissement de technologies nuisibles. En théorie et en pratique, ils cherchent à polariser l'attention sur l'écologie en tant que problème particulier et occultent l’existence du capitalisme en tant que système mondial qui donne lieu à la guerre impérialiste aussi bien qu'à la déprédation écologique.
L'approche de XR envers l'appareil répressif de l'État capitaliste est un bon exemple de ce qu’il incarne dans la pratique. Selon Common Sense, «une approche ‘positive active’ envers la police est un moyen efficace de permettre une désobéissance civile de masse dans le contexte actuel. Cela consiste à rencontrer la police dès son arrivée sur les lieux en lui disant clairement deux choses : « il s'agit ici d'une action pacifique non violente » et "nous respectons le fait que vous devez faire votre travail ». Nous avons rapporté maintes fois des preuves que cela apaisait les policiers, ouvrant ainsi la voie à des échanges ultérieures y compris dans les commissariats. » XR se targue d'être raisonnable et coopératif´ : "Souvent, une rencontre directe avec la police est efficace car celle-ci est capable de comprendre que les personnes auxquelles elle a affaire sont des personnes raisonnables et avec lesquelles on peut communiquer." XR ne voit donc aucun problème dans la gestion des « événements XR » par la police : "Il vaut mieux que la police gère ainsi un épisode ordonné et peu coûteux qui est tout à fait compatible avec notre intérêt à ce qu'un grand nombre de personnes participent à un acte hautement symbolique et dramatique." Du point de vue de la classe dirigeante, les XR ne sont pas considérés comme une menace pour ceux qui sont au pouvoir, mais plutôt comme un obstacle occasionnel au trafic.
Certes, les dirigeants de XR ne voient pas non plus la police comme une menace ; au contraire, les forces de répression et les multiples arrestations sont utilisées afin de renforcer l'impact publicitaire de XR. L'expérience historique des exploités et des opprimés montre que la police, avec les tribunaux, les prisons, les services de sécurité et l'armée, font partie intégrante de l'appareil de répression de l'État capitaliste. Ils n'existent que pour défendre les institutions de la classe dirigeante, dans l'intérêt de la bourgeoisie exploiteuse. Tout ce qui menace l'ordre capitaliste sera combattu par la force de l'État, en particulier par la police.
XR prétend être le défenseur d'une sorte de « révolution », tout en mettant en avant qu ' « une poursuite dogmatique de modèles révolutionnaires discrédités peut être socialement ruineuse». Son cofondateur Hallam est si confiant que la «planification» de XR est la clé de voûte de « sa lutte » qu’il affirme que, sans elle, «nous nous retrouvons avec des soulèvements spontanés et incontrôlés (…) dont les expériences ont démontré qu’elles aboutissent généralement à des résultats autoritaires et à une guerre civile». Hallam répète un mantra capitaliste de base, l'idée selon laquelle les révolutions conduisent à des régimes autoritaires et / ou au chaos social. Contre cela, les marxistes ont toujours montré que la seule force révolutionnaire dans la société capitaliste est la classe ouvrière, et qu’une révolution prolétarienne est le seul processus qui puisse renverser l'État capitaliste. Common Sense a une toute autre vision du monde.
Il existe un certain nombre d'éléments différents qui font partie de la conception exprimée par XR sur « rébellion ». Hallam déclare que "Le dossier historique montre que les " épisodes de résistance civile réussis durent entre trois et six mois" ou encore que "l'acte le plus efficace de désobéissance civile de masse est d'avoir un nombre important de personnes (au moins 5 000 à 10 000 au départ) qui occupent des espaces publics dans une capitale de plusieurs jours à plusieurs semaines. » Tout cela va de pair avec l’idée qu’"1% de la population générale dirigera le soulèvement." L'un des 10 principes de base de XR se concentre sur "la mobilisation de 3,5% de la population pour réaliser un changement de système". En réalité, la société capitaliste a plongé l'humanité dans une impasse meurtrière et il n'y a pas d'autre issue qu’une mobilisation massive et radicale de la classe exploitée et le changement le plus gigantesque de la conscience qu’ait connu l'histoire humaine. Ne compter que sur une petite minorité pour mener à bien cette tâche se moque de l'énorme défi auquel est confrontée la classe ouvrière.
XR est totalement à l'aise avec les institutions de la domination bourgeoise. ils avaient en effet pris position lors des élections européennes de 2019. Bien évidemment, ils prétendaient ne pas être un parti politique, mais ils étaient ravis de se tenir aux côtés de tous les autres politiciens bourgeois vendant leurs marchandises idéologiques, avec la propagande sur le climat qui s’intégrait au nationalisme, au populisme, au racisme, au stalinisme et à toutes les autres mystifications bourgeoises. À différentes reprises, Common Sense a proposé effectivement divers organismes qui pourraient participer au «changement social». Par exemple, il y a l'idée d'une «Assemblée nationale des citoyens sélectionnée par tirage au sort pour élaborer le programme de mesures afin de faire face à la crise. Il est représentatif de la composition démographique du pays. » Une chose que le gouvernement conservateur du Royaume-Uni lui-même préconise. Des lettres ont été envoyées à 30 000 ménages à travers le Royaume-Uni invitant ces derniers à se regrouper en une assemblée de citoyens sur le changement climatique. Mais ces propositions ne sauraient constituer une base pour le «changement de la société» puisqu’elles sont parfaitement en harmonie avec les autres institutions de la démocratie bourgeoise. De telles assemblées inoffensives contrastent avec les assemblées et conseils créés par la classe ouvrière au cours de son histoire dans le but de défendre ses intérêts, et qui ont seuls, en définitive, la capacité de renverser le capitalisme.
Pour prendre des décisions responsables, nous n'avons pas besoin de délégués choisis de manière aléatoire dans l’ensemble de la population. Les prolétaires qui luttent contre ce système ont besoin de délégués qui ont des idées claires, qui sont une émanation de la conviction et de l’orientation à donner pour s'attaquer aux racines des mécanismes destructeurs du capitalisme. Nous ne pouvons pas remettre notre destin entre les mains d'une sélection de délégués tirés au sort : nous devons pouvoir faire confiance à des délegués élus et révocables à tout moment par les conseils pour défendre vraiment nos intérêts. En outre, comme ces délégués ne peuvent fonctionner que comme l'expression d'une classe en mouvement, de véritables conseils ouvriers peuvent créer un «rapport de force» qui repousse les attaques de la classe dirigeante et préparer le terrain pour son renversement.
Parmi les autres propositions de Hallam, figurent des assemblées populaires qui discuteront des questions écologiques. Contrairement à l'auto-organisation de la classe ouvrière et à la discussion au sein d'une classe associée, dans les assemblées de Hallam, "des experts du monde entier peuvent aider à former des facilitateurs et à produire des ordres du jour." Nous sommes ici en présence d’organes dirigés par des «experts», des « élites » pour former des «facilitateurs» et fixer des ordres du jour, sans intention de menacer l'ordre existant.
Alors que XR prétend vouloir changer la société, en réalité tout son projet reste dans les limites de ce système et vise à assurer sa préservation. Il ne veut pas renverser l'appareil de la démocratie capitaliste. Fondamentalement, la liste des éco-demandes de XR est tout à fait envisageable dans le cadre de l’Etat-nation et dans le système social actuel. Il s’agit seulement de faire avaler la mystification selon laquelle malgré la «corruption» du système politique, la «classe politique» est capable de négocier et de démanteler tout ce qui est nuisible à l'environnement.
Dans Common Sense, il y a beaucoup de conseils sur la façon d'aborder les médias. Implicitement, tout au long de sa brochure, émerge un sens des valeurs. Il y est affirmé que "des mots comme l'honneur, le devoir, la tradition, la nation et l'héritage doivent être utilisés à chaque occasion." Nous pouvons y lire comment utiliser "les discours de Martin Luther King comme un excellent exemple de la façon de récupérer les cadres de la fierté nationale." Depuis sa fondation en avril 2018, XR s'est propagé depuis Royaume-Uni jusqu’à un certain nombre d'autres pays. Mais bien qu'il ait une présence internationale, ses perspectives sont liées à l'État-nation, cadre du capitalisme, car XR ne voit aucun problème de revendiquer «une fierté nationale». Au contraire, il est pleinement favorable à la renaissance de valeurs telle que la fierté nationale, qui fait partie intégrante de l'idéologie bourgeoise.
Il y a une inquiétude généralisée, en particulier chez les jeunes, sur l'état de la planète, mais aussi une volonté de réagir contre le futur proposé par le capitalisme. Cependant XR fournit une idéologie et un calendrier de manifestations visant à récupérer ces préoccupations et les énergies militantes afin de les mener sur un terrain inoffensif pour le capitalisme et le déclin environnemental. Comme avec la propagande des partis verts au cours des 40 dernières années, ou comme les campagnes plus récentes autour de Greta Thunberg, c'est un mensonge dangereux de prétendre que le capitalisme peut s'attaquer à l'état de l'environnement.
Toutes les preuves montrent que, loin de réagir, le capitalisme montre des signes de plus en plus manifestes de sa propension à entraîner toute l’humanité dans la destruction. Les intérêts de la classe ouvrière sont antagonistes au capital et ne peuvent être satisfaits au sein de cette société. L'état de la planète Terre ne peut être amélioré que par le renversement du capitalisme par le prolétariat. Cela ne peut pas être accompli par une minorité, quelle que soit sa détermination. Cela nécessite une conscience politique qui dépasse largement la préoccupation des problèmes environnementaux. Le temps n'est pas du côté de la classe ouvrière, mais les actions de campagnes comme celles de XR prolongent activement la vie du système capitaliste.
Une réponse commune des écologistes radicaux à ceux qui insistent sur le fait que seule la révolution mondiale peut surmonter les problèmes posés par le capitalisme est : nous n'avons pas le temps pour cela. Mais l'idéologie de XR, comme d’autres mouvements «radicaux» similaires, agit précisément comme un moyen de canaliser les préoccupations concernant l'environnement dans des impasses bourgeoises, elle constitue en définitive un frein réel au développement de la conscience de classe et donc au potentiel d'une révolution authentiquement prolétarienne.
Barrow, janvier 2020
L’émergence de ce nouveau virus et la réaction de la bourgeoisie montrent à quel point le développement des forces productives se heurte à la mort et à la destruction causées par le capitalisme. Ainsi, alors que la Chine est devenue la deuxième puissance économique mondiale, elle a été lourdement frappée par une épidémie virale. Alors que la science médicale progresse, le capitalisme ne peut protéger sa population des maladies, pas plus qu’il ne peut le faire contre la crise économique, la guerre ou la pollution.
Le Covid-19 est l’une des nombreuses nouvelles maladies infectieuses qui ont fait leur apparition, en particulier au cours des cinquante dernières années, avec notamment le VIH (SIDA), Ebola, le SRAS, le MERS, la fièvre de Lassa, le Zika. Comme tant de nouvelles maladies liées aux changements provoqués par le capitalisme aujourd’hui, le Covid-19 est une infection virale d’origine animale qui a migré d’une espèce à l’autre, infectant les gens en se propageant très rapidement. Nous avons des chaînes d’approvisionnement et une urbanisation de plus en plus globales : pour la première fois dans l’histoire, la majorité de la population mondiale vit dans des villes, souvent entassée avec des infrastructures d’hygiène inadéquates. Comme en Chine, de nombreux travailleurs ne sont pas seulement concentrés dans les villes mais aussi dans des dortoirs d’usine surpeuplés, comme les travailleurs de Foxconn qui vivent à huit dans une pièce. Dans un tel contexte, l’utilisation de viande d’animaux sauvages, comme à Wuhan, où probablement un marché illégal de ces animaux sauvages a éte la source de la nouvelle infection, le risque s’avère très élevé. En outre, la destruction de l’environnement et les effets du changement climatique poussent de plus en plus d’animaux, à la recherche de nourriture, vers les villes. Ces dernières, déjà surpeuplées, sont un terrain propice aux épidémies, comme le montre l’exemple de Wuhan. De plus, le développement considérable des liens internationaux favorise la transmission à l’étranger.
Ces conditions sont bel et bien le résultat du capitalisme décadent qui est poussé à perturber et à polluer chaque coin de la planète pour faire face à sa crise de surproduction. L’impact destructeur de son expansion mondiale avait déjà été clairement démontrée lors de la Première Guerre mondiale, signe de son de déclin historique. Dès la fin de la guerre, la pandémie mortelle de grippe espagnole surgissait, infectant environ un tiers de la population mondiale, tuant plus de 50 millions de personnes en trois phases successives. Le taux de mortalité très élevé était lié aux conditions de la guerre impérialiste, notamment à cause de la faim, de la malnutrition, du manque d’hygiène et du déplacement des soldats malades dans les tranchées, ce qui a fait de ce virus un agent pathogène particulièrement mortel.
Plus récemment, le VIH a tué 32 millions de personnes, principalement en Afrique, et il est désormais devenu endémique. Malgré les progrès médicaux qui ont fait du VIH une maladie chronique au lieu d’une maladie mortelle, le SIDA a tué 770 000 personnes en 2018 [45] en raison du manque d’accès aux soins. De nombreuses autres maladies que la science médicale peut prévenir, continuent de provoquer des pathologies et des décès. Nous entendons parler des cas de rougeole aux États-Unis, peut-être à Samoa, et de l’importance de l’immunisation pour prévenir sa transmission. Mais les médias restent muets sur les quelque 300 000 cas de cette maladie en République démocratique du Congo, (RDC) où près de 6 000 enfants sont morts, et où des établissements de soins délabrés tentent également de faire face au virus Ebola. Ces décès ne présentent pas un grand intérêt pour la classe dirigeante car, contrairement à la pandémie de grippe porcine de 2009 ou à l’actuelle épidémie de Covid-19 en Chine, ils ne menacent pas sa production, ses échanges et ses profits dans la même mesure. Cependant, le capitalisme est responsable des conditions qui donnent naissance à ces épidémies : dans ce cas africain, celui d’une région instable, produit du découpage du continent par les puissances impérialistes européennes, constamment ravagé par des luttes pour ses ressources naturelles (or, diamants, pétrole et cobalt) et qui ont déjà fait des millions de morts, 50 % des exportations de la RDC sont destinées à la Chine. C’est un exemple particulièrement frappant de ce que nous entendons par la décomposition du capitalisme, période pendant laquelle la classe dirigeante n’a pas suffisamment de contrôle pour apporter autre chose aux populations, en plus d’une misère croissante, que des guerres toujours plus chaotiques. (1)
La persistance de la polio est également directement liée à la décomposition, lorsque les combats ou le fondamentalisme empêchent l’immunisation, les travailleurs de la santé étant assassinés par des djihadistes, comme par exemple au Pakistan. Toute médiatisation à ce sujet est totalement hypocrite. Les grandes puissances qui condamnent cela sont parfaitement disposées à utiliser des mercenaires et des terroristes – comme l’Occident a utilisé les moudjahidines en Afghanistan contre les Russes dans les années 1980 et depuis lors dans de nombreux autres conflits. En fait, la montée du terrorisme est une caractéristique des conflits impérialistes en période de décomposition.
En attendant, loin de pouvoir financer la santé ou l’éducation, les dépenses mondiales du capitalisme ne peuvent que se consacrer à la défense : en 2019 ces dépenses militaires ont augmenté de 4 % par rapport à 2018. Pour les États-Unis et la Chine, elles ont augmenté de plus de 6 % et pour l’Allemagne de plus de 9 %. Pour donner une idée des priorités effrayantes de la bourgeoisie, alors que le budget du CDC (en français, le Centre de Contrôle des Maladies) aux États-Unis a été réduit, passant de 10,8 milliards de dollars en 2010 à 6,6 milliards de dollars en 2020, les États-Unis viennent de voter un budget de réarmement de 738 milliards de dollars. Le budget annuel de la Chine pour la défense est estimé à 250 milliards de dollars. Le budget de l’OMS n’était que de 5,1 milliards de dollars en 2016-2017.
De nombreuses maladies causent actuellement plus de décès que le Covid-19, mais la bourgeoisie prend cette menace au sérieux, comme elle le fait pour chaque nouvelle maladie susceptible de devenir une pandémie et donc de menacer davantage sa productivité et ses profits, par exemple avec des absences accrues pour cause de maladie – ce que nous constatons avec ce nouveau virus en Chine – ainsi que par des menaces pour la santé et les vies humaines. De nombreux aspects de la maladie peuvent contribuer à son potentiel pandémique – l’infectiosité, la nature de la maladie. Il est significatif qu’elle soit apparue dans une grande ville de 11 millions d’habitants, dans un pays qui est désormais fortement connecté au niveau international pour le commerce et le tourisme, ce qui rend beaucoup plus difficile la maîtrise de la propagation du virus. Plus difficile à contenir que s’il était apparu, comme le virus Ebola, en Afrique avec beaucoup moins de possibilités de voyages à l’étranger, ou s’il était apparu en 2003, comme l’épidémie de SRAS, lorsque l’économie et les connexions de la Chine étaient plus réduites.
Une grande partie de la réponse initiale de l’État chinois à ce nouveau virus a été marquée par une négligence criminelle et un manque de scrupules. Alors qu’elles avaient déjà obtenu le 26 décembre des données génétiques préliminaires indiquant un virus de type SRAS, les autorités chinoises harcelaient le Dr Li Wenliang « coupable » d’avoir voulu avertir du danger encouru le 30 décembre. Dans le même temps, elles mettaient en garde l’OMS contre le virus. Néanmoins, les autorités de Wuhan ont continué à étouffer l’information sur l’épidémie, organisant un énorme repas communal et une danse du Nouvel An lunaire les 18 et 19 janvier, en prétendant qu’elle ne se transmettait pas de personne à personne, avant de fermer la ville le 23 janvier, alors que 5 millions de personnes, soit près de la moitié de la population, étaient déjà parties en voyage pour les vacances du Nouvel An.
Tout cela a suscité une énorme colère au sein de la population, exaspérée que le gouvernement cache les dangers de la maladie au public et fasse signer à un médecin de faux aveux pour avoir « répandu des rumeurs » en mettant en garde les autorités. Cela a engendré une campagne démocratique pour la liberté d’expression en Chine. Les médias et les politiciens des pays occidentaux se sont fait l’écho de cette campagne par des sermons sur les bienfaits de la démocratie et de la liberté d’expression. Cependant, nous ne devons pas penser un seul instant que notre propre classe dirigeante a de plus grands scrupules moraux à mentir et à dissimuler des informations quand cela l’arrange, même si cela met la vie humaine en danger. Les sociétés pharmaceutiques suppriment les essais cliniques qui mettent leurs profits en danger, même si cela signifie ne pas avertir que certains antidépresseurs présentent un risque de suicide accru pour les adolescents et les jeunes adultes (voir Bad Pharma de Ben Goldacre, un livre consacré à la dénociation de cette malhonnêteté). Et n’oublions pas par ailleurs que les gouvernements américain et britannique ont tristement menti sur les armes de destruction massive pour justifier l’invasion de l’Irak en 2003.
L’État chinois a cyniquement placé de sang-froid son souci de préserver son autorité bien au dessus de la préoccupation de la santé et de la vie de la population, cela, aggravé par la rigidité de sa bureaucratie stalinienne, l’a conduit à vouloir passer sous silence et étouffer au maximum à ses débuts l’information sur l’épidémie alors qu’il fallait agir à temps pour réduire et ralentir la propagation du virus. Cela montre la brutalité du régime qui ne tient guère compte de la vie humaine, mais aussi son irrationalité, car une action opportune en réponse à l’épidémie aurait non seulement permis de sauver des vies, mais même d’éviter une grande partie des pertes subies par son économie et une grande partie des dommages causés au prestige de la Chine en tant que puissance impérialiste mondiale montante avec son ambitieuse initiative des « routes de la soie ». Cette irrationalité du régime chinois dans sa réponse à l’épidémie est liée à sa paranoïa face à toute perte de pouvoir ou de contrôle, une paranoïa qui se manifeste dans ses grands camps de travail et de “rééducation” pour les Ouïgours et autres, par son penchant obsessionnel pour la technologie de reconnaissance faciale et son système de Crédit Social pour maintenir la population dans le « droit chemin ». Pour préserver son autorité, elle ose nier la reálité des faits eux-mêmes.
Mettre en quarantaine une ville de 11 millions d’habitants en bloquant tous les moyens de transport et en mettant en place des barrages routiers est une première. Le fait de le faire après que la moitié de la population ait été autorisée à partir aggrave la situation. La construction de deux nouveaux hôpitaux pour accueillir 2 600 patients supplémentaires en 10 jours est un impressionnant travail de propagande, et même une prouesse d’ingénierie préfabriquée (même s’ils n’étaient finalement pas prêts à temps). Mais l’équipement, les médecins et les infirmières nécessaires n’ont pas été fournis – même avec des médecins de l’armée et des volontaires d’autres régions. Les hôpitaux de Wuhan ont été débordés, tout comme les centres de quarantaine équipés de 10 000 lits. Les malades atteints de coronavirus ne peuvent pas entrer dans les centres de quarantaine et encore moins dans les hôpitaux. Les patients atteints d’autres maladies, notamment le cancer, ne peuvent pas être traités à l’hôpital, car tous les lits sont occupés. Les patients malades et mourants dans les centres de quarantaine ne bénéficient d’aucun soin infirmier. Les centres de quarantaine comptent des centaines de personnes entassées dans des lits ou sur des matelas à même le sol, portant des masques de protection en papier d’une efficacité plus que douteuse, avec des toilettes et des installations sanitaires inadéquates, parfois des toilettes et des douches portables à l’extérieur. Il est bien évident que toute personne entrant dans un centre de quarantaine sans Covid-19 l’attrapera rapidement. Les personnes soupçonnées d’être porteuses du virus ont été emmenées de force dans des centres de quarantaine – un garçon handicapé est mort de faim après que les parents sur lesquels il comptait ont été emmenés. Il s’agit là au moins autant d’une mesure de répression policière que d’une mesure sanitaire.
Rassembler les gens dans des centres de quarantaine qui ne peuvent que devenir des centres de transmission du virus rappelle les hôpitaux pour pauvres jusqu’au 19e siècle en Europe qui étaient également des sources d’infection (par exemple l’augmentation de la mortalité maternelle due à la fièvre puerpérale du 17e au 19e siècle avant que l’on comprenne la nécessité de l’hygiène).
Les équipements font défaut, notamment les vêtements de protection pour le personnel hospitalier ; les médecins et les infirmières travaillent de très longues heures, ce qui les rend plus vulnérables aux maladies. 1700 d’entre eux ont été infectés et 6 sont morts.
Dans ces circonstances, il est clair que de nombreux patients sur le point de mourir auraient pu être sauvés grâce à des soins médicaux adéquats. Il semble que le taux de mortalité du Covid-19 soit plus de deux fois supérieur à Wuhan qu’ailleurs pour cette raison. Cependant, que les autorités chinoises continuent ou non à mentir sur le nombre de personnes infectées, les chiffres sont suspects car tous les cas ne peuvent être confirmés. C’est pourquoi le nombre de cas signalés à Wuhan a atteint un sommet le 11 février, lorsque les cas diagnostiqués cliniquement – sans test – ont été inclus, portant le total des cas enregistrés à plus de 60 000.
Il n’y a pas qu’en Chine que les chiffres relatifs aux maladies sont susceptibles d’être imprécis. Contrairement à Singapour, un pays préparé à une épidémie depuis le SRAS en 2003, de nombreux autres pays plus pauvres ne sont pas préparés. « Tout pays qui a de nombreux voyages aller-retour avec la Chine et qui n’a pas trouvé de cas devrait s’inquiéter », déclare un professeur d’épidémiologie de Harvard. (2) L’Indonésie, par exemple, a évacué 238 citoyens de Wuhan et les a mis en quarantaine pendant deux semaines, mais n’a pas effectué de test pour la maladie parce que c’est trop cher. Qu’en est-il du commerce africain de la Chine et de ses clients pour la nouvelle route de la soie ? Il y aura de nombreux endroits qui ne disposeront pas des infrastructures sanitaires nécessaires pour diagnostiquer et soigner les patients atteints du virus.
Ce qui est impressionnant, c’est que le nouveau virus a été séquencé dès le 12 janvier. Dans la foulée, la Coalition pour l’Innovation en matière de Préparation aux Epidémies (CEPI en anglais), créée en 2017 après l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest, travaille à la mise au point d’un vaccin, dans l’espoir que celui-ci puisse être prêt si Covid-19 se répand, et en particulier s’il devient une maladie saisonnière comme la grippe. En fait, au moment où nous écrivons cet article, des travaux sur le vaccin sont en cours, utilisant une nouvelle méthode basée sur le séquençage des gènes, qui est plus sûre que de travailler avec un virus mortel, et a déjà accéléré la production de vaccins pour le Zika, Ebola, le SRAS et le MERS. Bien entendu, il faudra procéder à des tests de sécurité et d’efficacité avant de pouvoir l’utiliser, ce qui prendra du temps.
Cependant, ce potentiel impressionnant issu des forces productives n’est pas la fin de l’histoire. Il manque d’usines pour produire suffisamment de vaccins, et comme avec le risque de pandémie les gouvernements n’exporteront pas de vaccin tant qu’ils n’en auront pas stocké suffisamment pour leur propre usage « en invoquant la défense ou la sécurité nationale", (3) le CEPI doit prévoir de le fabriquer sur plusieurs sites.
L’économie de la Chine s’est arrêtée, car elle s’est refermée pour contenir le nouveau virus. En réaction, elle injecte de l’argent dans l’économie, le régulateur bancaire assouplit les règles sur les créances douteuses. Cependant, la Chine est désormais responsable de 16 % du PIB mondial, soit quatre fois plus qu’en 2003, au moment de l’épidémie de SRAS qui a amputé de 1 % de son PIB pour l’année. Son économie est beaucoup plus intégrée dans les chaînes d’approvisionnement mondiales qu’il y a 17 ans. Cela a déjà obligé Hyundai à fermer des usines automobiles en Corée du Sud, Nissan à en fermer une au Japon et Fiat-Chrysler à avertir qu’elle pourrait fermer une partie de sa production européenne. La production de smartphones pourrait baisser de 10 % cette année. Les textiles (la Chine produit 40 % des exportations mondiales), les meubles et les produits pharmaceutiques pourraient tous être touchés. Tout comme le tourisme. Et la Chine représente aujourd’hui près de 20 % des importations minières mondiales et tente d’annuler les livraisons de pétrole, de gaz et de charbon dont elle n’a pas besoin. Les actions des entreprises américaines fortement exposées aux ventes chinoises sont moins performantes de 5 %. La guerre commerciale avec les États-Unis n’étant pas résolue, le moment est mal venu – pour la Chine et l’économie mondiale.
À plus long terme, la Chine pourrait devenir un partenaire commercial moins fiable pour les multinationales qui souhaitent y investir. Cela la fait certainement passer pour un partenaire commercial et un bailleur de fonds impérialiste moins puissant pour ses clients sur la Nouvelle route de la soie. Cela peut dépendre de la rapidité avec laquelle elle peut ramener son économie à flots.
Quoi qu’il arrive avec ce nouveau virus du Covid-19, qu’il devienne une nouvelle pandémie, qu’il s’éteigne comme le SRAS, ou qu’il s’établisse comme un nouveau virus respiratoire saisonnier, cette nouvelle maladie est un nouvel avertissement que le capitalisme est devenu un danger pour l’humanité, et pour la vie sur cette planète. L’énorme capacité des forces productives, y compris la science médicale à nous protéger des maladies se heurte à la recherche meurtrière du profit, à l’entassement d’une proportion toujours plus grande de la population dans des villes immenses, avec tous les risques de nouvelles épidémies. La menace du capitalisme ne s’arrête pas là, il y a aussi les risques de pollution, de destruction écologique et de guerres impérialistes de plus en plus chaotiques.
Alex, 15 février 2020
1 Voir les “Thèses sur la décomposition [9]”.
2 D’après The Economist du 15 février 2020.
3 The Economist, 8 février 2020.
L’élection, à une large majorité, de Boris Johnson par le Parti conservateur (Tories) a mis fin à plusieurs mois d’impasse parlementaire et a entraîné le départ officiel du Royaume-Uni de l’Union Européenne (UE), le 31 janvier. Cet événement semble marquer une rupture décisive avec la crise politique qui a agité la classe dirigeante britannique ces dernières années. Un simple procédé a permis de mettre fin à cette paralysie politique : le parti travailliste (Labour) et les autres partis d’opposition ont accepté la tenue de nouvelles élections générales en décembre 2019 ; les conservateurs ont fait campagne avec un unique slogan : “Get Brexit Done” (“Que l’on fasse le Brexit et que l’on en finisse”) ; l’électorat s’est entassé dans les isoloirs et, lassé des années de disputes sur le Brexit, a dégagé une majorité sans équivoque pour les conservateurs, en dépit de l’austérité imposée durant la dernière décennie.
Le capital britannique a quitté l’UE mais les contradictions sociales qui ont engendré la profonde crise politique qui a secoué la classe dirigeante ces dernières années ne se sont pas évaporées. Au niveau international, l’approfondissement des contradictions et de la crise économique, depuis plus de 50 ans, a conduit à une situation de tensions économiques aiguës entre les principales puissances capitalistes. Les États-Unis, la Chine et l’UE sont tous engagés dans des guerres commerciales de plus en plus à couteaux tirés. Les États-Unis, confrontés à leurs concurrents et à leur propre manque de compétitivité, utilisent tous les moyens pour saper leurs rivaux. Au niveau impérialiste, l’effondrement du bloc de l’Est n’a pas conduit aux promesses d’un “nouvel ordre mondial”, mais à un chaos sanglant. L’impasse sociale engendrée par le blocage du rapport de force entre la bourgeoisie et le prolétariat signifie que les contradictions économiques, sociales et politiques d’un capitalisme moribond sont quotidiennement exacerbées. Avec l’approfondissement de ce phénomène de décomposition, la bourgeoisie a également de plus en plus de difficulté à contrôler son appareil politique.
Des entrailles de ce système en décomposition est né le populisme, expression du désespoir, de la frustration et de la colère générés par la crise du capitalisme, à laquelle les partis politiques traditionnels semblent ne pas avoir de réponse et que les populistes sont capables d’exploiter et de manipuler. Les politiciens populistes ont de mirifiques projets de dépenses non chiffrées pour l’économie nationale, mais ils cherchent surtout à jeter en pâture des boucs émissaires : les immigrants, l’Islam, l’Union européenne, tout comme l’ “élite” qui a ignoré les besoins de la population “autochtone”.
La victoire de Boris Johnson ne résoudra pas les problèmes du capitalisme britannique. Elle marque au contraire le point culminant d’un assaut idéologique contre la classe ouvrière où tout se réduit à la question de la sortie ou du maintien au sein de l’UE, d’un accord ou non, d’un Brexit dur ou modéré. Toutes ces questions ont été prétendument résolues par le référendum de 2016 ou définitivement résolues par les élections générales de 2019.
La bourgeoisie veut convaincre la classe ouvrière que le vote compte vraiment, qu’elle peut faire entendre sa “voix” dans la démocratie bourgeoise. L’opération de séduction que Johnson exerce à l’égard de certaines parties de la classe ouvrière dans les régions marquées par la désindustrialisation, comme le Nord de l’Angleterre et les Midlands, est censée renforcer cette illusion. La classe ouvrière semble être de nouveau à la mode aux yeux des principaux partis politiques, après avoir cherché pendant des années à faire croire qu’elle n’existait plus, tout en attaquant brutalement ses conditions de vies.
Le parti conservateur de Theresa May s’enlisait au Parlement et déclinait dans les sondages. Mais dès que Johnson a pris le relais, les sondages n’ont cessé de grimper jusqu’aux élections. L’élection n’a pas été remportée par les Tories mais par une combinaison de politiques à la fois contradictoires et incompréhensibles des travaillistes, et par le pragmatisme de Johnson et de son entourage, en particulier de Dominic Cummings, son principal conseiller. Sans Johnson, le parti conservateur n’aurait pas gagné. La bourgeoisie britannique en est réduite à compter sur un arriviste politique qui a flatté sans vergogne les sentiments populistes afin de favoriser son ascension au pouvoir. Aucun autre homme politique n’a eu l’absence de scrupules nécessaire pour mener une âpre lutte des factions au sein du parti conservateur, puis pendant la campagne électorale.
Johnson (que le collège d’Eton et l’université d’Oxford ont visiblement éduqué pour en faire la figure de proue du “peuple” !) et Cummings ont réduit le conflit politique à celui d’un “Parlement opposé au peuple”. La prorogation du Parlement, les batailles devant les tribunaux, les déclarations provocatrices de Johnson et de ses partisans, tout cela a créé une atmosphère de crise et de confrontation, de division entre les pro- et les anti-Brexit, entre la prétendue “élite” et les “laissés-pour-compte”.
Cette atmosphère s’est maintenue pendant les élections. Le parti conservateur a effrontément diffusé des vidéos manipulées, voire fausses de leurs adversaires, a mis en ligne de faux sites web, etc. L’impunité des mensonges de Johnson a atteint un tel niveau que, lors d’un débat télévisé, le public a ri lorsqu’il a parlé de “lui faire confiance”. Toutes ces tactiques ont été apprises lors de la campagne présidentielle de Trump et celles d’autres populistes.
Johnson, tout en utilisant les tactiques développées par Trump, n’est pas une simple copie britannique du président américain et n’a rien d’un nouveau venu au sein du parti conservateur. Il a grandi au sein de “l’establishment” mais, tout comme Trump, il n’a montré aucun scrupule et a chevauché la marée populiste. Comme Trump, il a utilisé un parti établi pour satisfaire des ambitions personnelles. Comme Trump, il comprend aussi que ses déclarations mensongères et provocatrices ne lui feront pas perdre de son influence auprès de certaines parties de la population.
Une autre similitude avec le président américain est sa tendance à faire peu de cas des traditions de longue date et à imposer une forme de gouvernement plus dictatoriale. Le remaniement ministériel de Johnson en février, qui a contraint le chancelier de l’Échiquier, Sajid Javid, à démissionner, a montré qu’avec la mainmise des conseillers spéciaux, Johnson et Cummings s’efforcent de garder un contrôle étroit sur l’exécutif, mais aussi qu’il n’y a plus de discipline budgétaire rigide de la part du Trésor. Cela ouvre la porte à une version populiste du keynésianisme dépensier, illustré par des programmes comme le projet de ligne à grande vitesse (HS2) entre Londres et le nord de l’Angleterre et d’autres régions plus défavorisées.
Cependant, Johnson n’est pas l’homme de main de Trump en Grande-Bretagne ( contrairement à Farage). Lui et son équipe sont conscients du prix amer que la bourgeoisie a dû payer pour s’être trop rapprochée de l’impérialisme américain au début des années 2000. Le différend entre Trump et Johnson sur l’implication de l’entreprise chinoise Huawei dans l’infrastructure technique britannique est un exemple des véritables divisions entre le Royaume-Uni et les États-Unis. D’autre part, les Américains sont conscients de la faiblesse du Royaume-Uni dans la recherche d’accords commerciaux, ce qui rend le capitalisme britannique vulnérable aux exigences américaines. Comme l’Union européenne se montre ferme dans ses négociations commerciales post-Brexit, il est toujours possible que la Grande-Bretagne soit confrontée aux conséquences d’une absence d’accord, ce qui affaiblirait encore davantage la position économique du pays face à une récession mondiale imminente.
L’unité territoriale du Royaume-Uni est remise en question par le fiasco du Brexit. Le Scottish National Party (SNP) domine le Parlement écossais depuis 2011 et les élections écossaises au Parlement britannique depuis 2015. Le SNP a pris des sièges aux conservateurs, aux travaillistes et aux libéraux-démocrates (LibDem) lors des élections de 2019. L’ampleur même de la victoire des Tories en Angleterre et au Pays de Galles a renforcé les ambitions du SNP qui prospère en dénonçant la domination de Johnson, présenté comme la caricature de l’anglais typique arrogant. Prévenir l’éclatement du Royaume-Uni dont l’unité est menacée par les velléités d’indépendance de l’Écosse, est un défi pour la bourgeoisie britannique. Vu le passif de Johnson, qui a toujours méprisé l’indépendantisme écossais, il est fort probable que le conflit entre Londres et Édimbourg s’intensifie.
Même avant l’élection, les tensions se sont accentuées en Irlande du Nord. Contrairement à May, Johnson n’avait pas conclu d’accord avec le parti unioniste démocrate (DUP). En effet, alors qu’il est défavorable au “filet de sécurité irlandais” (backstop) dans l’accord de retrait de l’UE (qui implique une frontière effective entre la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord), le DUP n’a pas seulement été ignoré, mais carrément balancé hors du train. Le DUP avait maintenu le parti conservateur au pouvoir après 2017, mais il a été écarté par Johnson afin d’obtenir un accord. L’Irlande du Nord se retrouve maintenant avec un statut ambigu, un pied à l’extérieur de l’Union européenne, un autre à l’intérieur. Cette situation ne fera qu’alimenter les tendances à l’éclatement du Royaume-Uni.
La dernière défaite électorale du parti travailliste a ouvert la perspective de sa fragmentation. Dans d’autres pays européens, les partis “socialistes” ont connu un déclin, mais en Grande-Bretagne, l’arrivée de Corbyn à la tête du Labour a entraîné une croissance du parti : lors des élections de 2017, le résultat a été meilleur que prévu. Mais désormais, la situation très précaire du parti travailliste pourrait commencer à le rendre inutile en tant que parti d’opposition. Sans perspective de retour au gouvernement, le risque d’un nouveau conflit au sein du parti s’accroît également. Le danger pour la classe dirigeante est que le parti travailliste se déchire alors qu’il est encore tenu de jouer un rôle dans la pantomime démocratique.
En attendant, compte tenu de la taille de la majorité conservatrice et du grand nombre de députés qui ne jouent aucun rôle au sein du gouvernement, la possibilité que les divisions au sein du Parti conservateur se transforment en de nouveaux conflits ne peut être écartée. La paralysie parlementaire a été débloquée, mais cela laisse la place à de nouvelles éruptions de divisions sous-jacentes. La probabilité d’un nouveau déclin économique de la Grande-Bretagne en dehors de l’UE signifie que l’appareil politique aura un rôle important à jouer contre toute réaction de la classe ouvrière.
En 2019, la classe ouvrière a été à nouveau entraînée dans la mascarade des élections parlementaires, toutes les parties affirmant qu’il s’agissait d’une élection cruciale, la plus importante d’une génération. Sur ce plan, les forces de la démocratie bourgeoise ont enregistré un véritable succès. Cependant, les tensions au sein de l’appareil politique montrent que les problèmes de la bourgeoisie pour contrôler la situation n’ont pas diminué. L’actuel Premier ministre britannique est un arriviste imprévisible dont la ligne de conduite ne peut être facilement cernée. Les principaux partis politiques sont toujours déchirés par des divisions. Le principal parti d’opposition est l’ombre de lui-même et l’éclatement du Royaume-Uni n’est plus un fantasme irréalisable. La Grande-Bretagne “tournée vers le monde” a de nombreux problèmes politiques devant elle.
Sam, 16 février 2020
Ceci est une déclaration de solidarité de la part des militants prolétariens des pays hispanophones, parce que la classe ouvrière est une classe internationale et une classe d’immigrés. Votre lutte est notre lutte, car ce n’est pas une lutte pour les retraites des ouvriers français, bien que cela ait été l’élément déclencheur de votre indignation, c’est une lutte de la classe ouvrière pour défendre nos conditions de vie et notre organisation en tant que classe.
Dans cet esprit de solidarité, nous autres, un groupe de camarades de différents pays du monde réuni suite à une réunion de contacts et de sympathisants du Courant Communiste International, voulons contribuer à donner une perspective à la lutte.
Il est nécessaire de se battre en tant que classe ouvrière. C’est-à-dire, non pas en tant qu’individus ou secteurs isolés ou agglomérés dans des manifestations syndicales, mais en tant que classe, en tant que classe ouvrière exploitée, partageant les mêmes nécessités que les travailleurs du monde entier, quels que soient les secteurs, n’ayant pas d’intérêts particuliers par rapport aux autres travailleurs, en dépit des pièges que nous tend la bourgeoisie pour nous faire entrer en concurrence les uns avec les autres, ou lutter en tant que secteurs isolés qui auraient des intérêts particuliers.
Il est nécessaire de retrouver la continuité avec notre lutte historique. Notre classe a une histoire et une expérience. La perspective demeure la grève de masse (qui est apparue en 1905 comme la méthode moderne de lutte de notre classe) et les conseils ouvriers dont le prélude sont les assemblées générales ouvertes à tous les prolétaires. Des assemblées dans lesquelles nous discutons collectivement de nos besoins et de nos perspectives, à l’image de l’expérience récente des grèves anti-CPE (2006) et des Indignés (2011). (1) Des assemblées contrôlées par la classe ouvrière et animées par des principes de camaraderie, pas en suivant [les directives des organes bourgeois d’encadrement que sont les syndicats] (NdT), où tout le monde peut prendre la parole et s’exprimer en tant qu’ouvriers, avec des délégués révocables à tout moment afin de centraliser la lutte.
La grève de type syndical est un piège ! Vous n’êtes pas dans la rue grâce à eux. Ils n’ont pour fonction que de prendre la direction du mouvement pour mieux le contrôler et le diviser. L’organisation de type syndical n’est en aucun cas une méthode de lutte mais un facteur d’isolement et de démoralisation. (2)
Que font les médias étrangers de notre lutte commune en France ? Ils la réduisent au silence, la banalisent, ne montrent que la perspective syndicale et surtout la rendent impopulaire en mentionnant surtout les problèmes qu’elle cause. Mais les problèmes qu’elle cause ne sont pas à mettre sur le compte des travailleurs en lutte mais bien sur celui de la bourgeoisie qui fait tout pour éviter que les ouvriers puissent se coordonner ! Les travailleurs du monde entier partagent vos inquiétudes et votre indignation. Mais ils sont isolés et enfermés dans le cadre de la nation et de problèmes spécifiques. Quand elle ne se tait pas, la bourgeoisie nous assène que vous êtes des privilégiés qui se plaignent de tout ou vous assimilent aux “gilets jaunes”, afin qu’à l’étranger nous ne puissions faire la distinction. Vous devez nous demander ouvertement de l’aide. Prolétaires du monde entier, unissons-nous ! Là est la perspective. C’est une perspective difficile mais en même temps la seule voie, dont la dynamique même fait progresser la conscience de classe, tout en étant parsemée de défaites sur le plan le plus tangible, le plus matériel. C’est pourquoi, tout en prolongeant la lutte dans tous les sens du terme, nous devons, dans cette dynamique, créer les meilleures conditions pour faire face à la défaite qui se profile.
Nous pouvons soit battre en retraite consciemment, soit tomber dans les pièges et les provocations démoralisantes des syndicats et du gouvernement. Toutes les mobilisations ne sont pas positives, car elles peuvent aussi nous épuiser. La question de comment se battre nécessite une réponse sur le long terme, autrement dit ce n’est pas seulement “comment se battre maintenant, en ce moment même”, bien que cela soit très important comme nous avons essayé de l’expliquer plus haut. La perspective de la lutte d’aujourd’hui et de l’avenir doit être un tout cohérent et unifié. Nous devons savoir quand et comment battre en retraite et quoi faire dans notre retraite, pour garder à l’esprit la perspective et la continuité de la lutte afin que les futures luttes soient plus fortes.
Il est nécessaire que les camarades qui veulent continuer à prendre part à la lutte n’insistent pas pour la suivre à tout prix, alors qu’une défaite partielle est déjà en vue. Il existe une alternative à cette lutte “sans issue”, à cette impasse dans laquelle mènent les syndicats : c’est de se regrouper en comités de lutte qui en tireront les leçons, uniront les forces et prépareront ainsi les luttes futures.
Ce n’est pas une lutte limitée a la question des retraites, c’est une lutte avant tout pour défendre nos conditions de vie en tant que classe ouvrière et plus généralement, une lutte pour défendre la perspective de la révolution prolétarienne, la révolution communiste mondiale. Il est essentiel de trouver cette continuité avec l’expérience historique accumulée par la classe ouvrière à travers ses organisations révolutionnaires.
Adopté lors d’une réunion de contacts du CCI avec des camarades de France, d’Espagne, du Mexique, du Chili, de Colombie, du Costa Rica et du Brésil, le 13 janvier 2020.
1Voir respectivement : Les “Thèses sur le mouvement des étudiants du printemps 2006 en France”, Revue Internationale n° 125 (2e trimestre 2006) et “2011 : de la indignación a la esperanza”, (sur le site web du CCI, avril 2012). (NdR)
2Sur la nature et la fonction des syndicats, voir notre brochure : Les syndicats contre la classe ouvrière et l’article : “Apuntes sobre la cuestión sindical”, (sur le site web du CCI, 2011). (NdR)
Alors que l’épidémie s’était déjà largement étendue en Europe et notamment en Italie, c’est avec beaucoup de retard que la bourgeoisie française a timidement commencé à prendre des mesures pour “protéger” la population. Il a fallu attendre que la situation soit catastrophique dans certaines régions comme la Picardie ou l’Alsace pour que le gouvernement Macron se réveille et prenne des décisions drastiques : confinement obligatoire, fermeture des frontières, contrôles policiers, mobilisation de l’armée pour venir à la rescousse des équipes soignantes, totalement débordées.
“Nous sommes en guerre !”, déclarait le Président Macron dans son discours du 16 mars. Les éléments de langages martiaux ont depuis fleuri dans la bouche de tous les ministres et des politiciens de tous bords : “l’ennemi est là” ! “union nationale” ! “guerre de position” ! “mobilisation générale” ! “effort de guerre” !… Le gouvernement a même ressorti de pauvres vieillards, “héros de la Seconde Guerre mondiale”, pour expliquer que “tousser dans son coude” relève de l’ “acte de Résistance”.
Si “l’ennemi” demeure “invisible” et “insaisissable”, la lutte contre cette pandémie a, en effet, tout d’une véritable guerre : le gouvernement multiplie les mensonges et les demi-vérités, il envoie des millions d’ouvriers risquer leur vie au front (économique, s’entend !), quand il ne sacrifie pas la piétaille, à l’assaut des élections municipales, dans des offensives aussi suicidaires qu’irresponsables !
“Nous sommes prêts et archi-prêts. La guerre dût-elle durer deux ans, il ne manquerait pas un masque, pas un flacon de gel hydro-alcoolique à nos soldats (en blouse blanche)”, aurait pu déclarer le général Macron ! Mais la réalité est à l’exact opposé : face à l’incurie de l’État et à l’amateurisme de Macron, le gouvernement navigue à vue et s’en remet désormais entièrement aux médecins pour “protéger” la population. Ainsi, pendant que le “chef de guerre” jupitérien et ses ministres jouent leur petit tour d’histrion, le personnel hospitalier se sacrifie pour sauver des vies en faisant son possible avec des moyens largement insuffisants.
Aujourd’hui, face au COVID-19, les horaires s’allongent de façon délirante dans tous les services et des soignants épuisés témoignent de journées de travail de plus de quatorze heures, accroissant davantage les risques d’erreur dramatique. Les soignants exténués crient leur colère jusque sur les plateaux de télévision ! En Alsace, face au nombre de décès et de patients en état de détresse respiratoire, l’État a dû improviser un “hôpital militaire de campagne”, dans un brouillard logistique inouï, pour soutenir les hôpitaux civils asphyxiés par le manque de lits et de moyens.
Quant aux stocks de masques, de solutions hydro-alcooliques, de charlottes, de blouses, de respirateurs : la pénurie est générale ! En 2005, l’État comptait sur un stock stratégique de 723 millions de masques (1,4 milliards en 2011 suite à la crise du H1N1). Mais en 2013, les restrictions budgétaires ont scellé le sort de ce stock tombé à 150 millions d’exemplaires. Face aux rationnements, aux recours à des masques périmés, voire à la réutilisation de masques usagés, le gouvernement vient seulement, après plusieurs semaines de crise, d’en puiser 12 millions dans les réserves déjà insuffisantes de l’État… pour 1,1 millions d’agents hospitaliers censés les jeter à la poubelle toutes les quatre heures. De quoi tenir quelques jours pour les hôpitaux qui ont la chance d’être livrés ! Quant aux services “non prioritaires” et aux laboratoires pratiquant des milliers de tests quotidiennement, c’est aussi la déroute. Plus de masques ! (1) Le personnel soignant, “en première ligne” (sic !), se trouve donc directement exposé à la maladie. Un médecin urgentiste de Compiègne vient de trouver la mort à cause du virus et d’autres le suivront probablement dans la tombe ! Comment Macron peut-il se regarder dans une glace quand il ose affirmer que la santé doit passer avant tout le reste ?
D’ailleurs, pour dissimuler sa responsabilité et la réalité de la situation, l'État, digne d'une république bananière, ment effrontément. Le nombre de malades est ainsi largement sous-estimé, le gouvernement et les Agences Régionales de Santé ayant tenté de passer sous silence, pendant plusieurs jours, le fait que les dépistages “ne sont plus systématiques”, selon l’admirable litote du Ministre de la Santé. De même, les autorités laissent entendre (de plus en plus difficilement) que la “saturation des hôpitaux” est localisée à quelques départements. Mensonge éhonté ! La presse et même les réseaux sociaux fourmillent de témoignages poignants de soignants parfois en pleurs, montrant l’ampleur de la catastrophe.
Il faut le dire clairement : ce chaos est le produit de la décadence du système capitaliste, des coupes budgétaires que l’État doit opérer depuis des décennies pour maintenir le capital national à flot !
Dès 2004, l’État a fait le choix de réduire drastiquement la recherche fondamentale sur le coronavirus pour des raisons budgétaires ! (2) La classe dominante savait parfaitement que ses hôpitaux, déjà exsangues face aux simples grippes saisonnières, ne tiendraient pas le choc face à une épidémie majeure ! (3) L’État bourgeois a délibérément choisi de laisser crever des ouvriers en masse pour “assainir” ses finances !
Avec un ton paternaliste insupportable, le général Macron loue donc aujourd’hui le courage et l’héroïsme des médecins, des aides-soignants, des infirmiers et des ambulanciers, oubliant bien opportunément qu’il a envoyé ses CRS les gazer pendant toute une année alors que les “soldats en blouse blanche” réclamaient plus de moyens et de personnels pour soigner les patients ! Pendant un an de grèves et de manifestations, la bourgeoisie n’a pas cessé de mépriser les urgentistes avec pour seules réponses un “plan hôpital” totalement insignifiant (4) et des insinuations écœurantes sur leurs prétendus privilèges de fonctionnaires. Macron peut bien leur passer la brosse à reluire en qualifiant les soignants de “héros”, leur salaire n’augmentera pas et leurs conditions de travail ne cesseront pas de se dégrader” !
Le système de santé en France, comme partout dans le monde, est en ruine, découpé à la hache sur l’autel de la “rigueur budgétaire” si chère au Ministre Darmanin, l’un des meilleurs sabreurs du général Macron. En une vingtaine d’années, le nombre de lits d’hôpitaux a diminué de 100 000 ! Le nombre d’hôpitaux et de cliniques est passé de 1 416 sites en 2014 à 1 356 en 2018. (5) Comme symbole de la destruction du système de soins, le gouvernement décidait, en 2014, de vendre l’hôpital militaire du Val de Grâce, le plus performant et le mieux équipé des hôpitaux français.
Logiquement, la France comptait déjà en 2017, 309 places en soins intensifs pour 100 000 habitants, contre 601 lits en Allemagne, (6) qui (Ô miracle !) connaît (pour le moment) un taux de mortalité lié au COVID-19 largement inférieur à celui de ses voisins. Dans certaines régions, comme dans l’Est de la France ou la Corse, les places et les moyens manquent cruellement et le “tri” des patients a déjà commencé. Une authentique “médecine de guerre” où les blessés les plus gravement atteints et estropiés (notamment les personnes âgées) sont laissés sur le carreau s’ils ne sont pas récupérables pour la rentabilité de l’économie nationale !
Tout cela s’accompagne évidemment d’un manque chronique de personnel, soumis à des cadences infernales, des heures supplémentaires par milliers et des salaires de misère. (7) Le démantèlement du système de soins s’est aussi traduit par la politique dite du numerus clausus, appliqué aux étudiants des écoles de médecine et d’infirmières. Pendant 50 ans, les médecins et les infirmiers ont été sélectionnés sur concours avec un nombre de lauréats fixé arbitrairement par arrêté ministériel, dans, on s’en doutera, la plus stricte logique de rigueur budgétaire. Cela a contraint la deuxième puissance économique européenne à littéralement “importer” des médecins et des infirmiers moins coûteux venus d’Espagne, du Maghreb ou des pays de l’Est.
Pour amortir l’impact de la crise sanitaire sur “l’appareil de production français”, l’État-major étatique a adopté une série de mesures d’urgence, au premier rang desquelles un semi-confinement bien tardif. Alors que l’épidémie a débuté en Europe au début du mois de février, il a fallu attendre le 16 mars pour que le général Macron annonce enfin des mesures de confinement. Jusqu’alors, sa priorité était de prendre des mesures d’austérité contre la classe ouvrière, et notamment le passage en force de sa réforme des retraites alors que l’épidémie continuait de progresser.
Pourtant, le gouvernement connaissait parfaitement le danger que représente le COVID-19. C’est l’ex-ministre de la santé, “l’ange blanc” Agnès Buzyn, qui a publiquement vendu la mèche en déclarant (sans doute aigrie par ses piètres résultats électoraux dans la course à la mairie de Paris) avoir averti très tôt le chef de l’État de l’imminence de la catastrophe : “Je savais que la vague du tsunami était devant nous”. “Le 30 janvier, j’ai averti [le premier ministre] Édouard Philippe que les élections ne pourraient sans doute pas se tenir”. “On aurait dû tout arrêter, c’était une mascarade”. (8)
La “mascarade” a bien eu lieu ! Le gouvernement a sciemment aggravé la propagation de l’épidémie en envoyant dans les bureaux de vote des millions de citoyens à la grande messe démocratique ! L’incapacité criante d’une des principales puissances mondiales à approvisionner la population en moyens de protection efficaces (masques, gants et solutions hydro-alcooliques), impose pourtant des mesures de confinement drastiques.
La “mascarade”, donc, ne se résume pas à l’organisation criminelle d’élections en pleine montée de l’épidémie et alors que dans le même discours du 16 mars, Macron demandait à ses “chers compatriotes” de ne pas sortir dans la rue… “sauf pour aller voter et faire des courses”. Face à cette injonction paradoxale (sortez de chez vous, mais ne sortez pas !), personne ne pouvait croire à la réalité et à la gravité de cette pandémie. Il n’était donc pas surprenant que de nombreux “citoyens” aient manqué de “civisme” et aient profité du beau temps pour aller se promener sur les bords de Seine et dans les jardins publics.
Le discours mi-chèvre mi-chou de Macron, de même que sa décision de maintenir le premier tour des élections Municipales, étaient encore une “boulette” qui n’a pas manqué d’être exploitée par Marine Le Pen pour les besoins de sa campagne électorale.
C’est sous la pression des cris d’alarme du corps médical que Macron et son ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner ont pris la décision d’exiger le confinement général. Une armée de 100 000 flics et de militaires a été déployée sur tout le territoire pour faire respecter le confinement et la multiplication des couvre-feux. Face à la gravité de la pandémie, la classe dominante n’a pas d’autre choix que d’utiliser la coercition pour éviter l’hécatombe.
Sur la Côte-d’Azur, un drone muni d’un haut-parleur survole même les communes de Nice et de Cannes en ordonnant aux passants de rester chez eux : “Rappel des consignes relatives à l’épidémie de Covid-19 : tous les déplacements hors du domicile sont interdits sauf dérogation. Veuillez respecter une distance de sécurité d’au moins un mètre entre chaque personne”, répète en boucle l’engin.
La police, avec le sens du discernement qu’on lui connaît, n’a pas hésité à appliquer les mesures gouvernementales en ciblant les plus démunis et sans abri : “plusieurs sans-domicile fixe ont été verbalisés par les forces de l’ordre en France, car ils ne respectaient pas le confinement. […] Des cas ont notamment été recensés à Paris, Lyon et Bayonne” ! (9) Les flics n’ont également pas hésité à verbaliser quatre personnes en deuil à la porte d’un cimetière pour “non respect des règles de confinement” en affirmant qu’un “enterrement n’a rien d’impératif” ! La bourgeoisie ne peut pas faire autrement que déployer ses forces de l’ordre, mais elle profite aussi de la situation pour habituer la population à la militarisation de la société quand “l’ennemi intérieur” ne sera plus le virus mais la classe ouvrière en lutte !
Sur tous les plateaux télé, chaque jour, des médecins mobilisés sur le “front” sont interviewés pour exhorter la population à respecter rigoureusement les mesures de confinement et de distanciation sociale. Car c’est (hélas) le seul moyen aujourd’hui de combattre les ravages du coronavirus et de limiter la contagion.
La “mascarade”, ce sont aussi les millions de personnes qu’on entasse chaque jour dans les transports en commun, ce sont les ateliers d’usines et les grandes surfaces dans lesquelles la bourgeoisie “confine” les ouvriers par centaines ! La “mascarade” criminelle de la bourgeoisie et son gouvernement, ce sont les milliers d’entreprises encore ouvertes dont la production n’a d’ “essentielle” que le nom. Alors que les ouvriers du bâtiment refusaient de s’exposer inutilement, la Ministre du Travail, Pénicaud, a osé parler de “défaitisme”. “Dans la guerre contre cette épidémie, le monde économique représente les forces arrières”, soulignait d’ailleurs le président du MEDEF.
Pour contraindre les prolétaires forcément rétifs à se déplacer sur leur lieu d’exploitation, le gouvernement a dégainé ses armes les plus redoutables : la répression et la propagande. L’État peut naturellement compter sur ses chiens de garde syndicaux pour assurer la discipline. Ces derniers ne cessent d’appeler à la mise en œuvre “des moyens indispensables à la protection de la santé et de la sécurité des salariés devant travailler” et “saluent l’engagement des agents des services publics et des salariés”. (10) Traduction : allez bosser, on s’occupe de votre protection grâce au “dialogue social” avec la direction et le patron ! Lorsque les travailleurs expriment trop ouvertement leur réticence, les syndicats s’empressent de faire jouer le “droit de retrait” chacun dans “son” entreprise.
“L’État d’urgence sanitaire” n’a pas empêché le gouvernement d’exhorter les travailleurs à ne pas respecter le confinement lorsque le télétravail n’est pas possible. Mais désormais, si les ouvriers refusent d’aller travailler, préférant préserver leur santé et celle de leurs proches, on enverra les flics réquisitionner les récalcitrants et faire pleuvoir les sanctions sur tout ce que l’État jugera entraver le bon fonctionnement de l’économie nationale ! Les congés pourront également être posés d’office par les employeurs pour “compenser” l’absentéisme. Même les fonctionnaires de certains centres des impôts sont contraints de ne pas déserter leur poste de travail ! Le confinement sélectif fait partie de la logique du capital : il ne faut pas que cette pandémie meurtrière entrave la “continuité” de l’économie nationale.
“Ma priorité est de sauver l’appareil de production français”, rappelait ainsi, sabre au clair, le Ministre-hussard de l’Économie, Bruno Le Maire. Comme le soulignait si joliment le journaliste d’Atlantico, Jean-Sébastien Ferjou, sur LCI : “la vraie question, […] c’est : est-ce qu’on préfère sacrifier nos vieux et les personnes affaiblies ou est-ce qu’on préfère sacrifier deux points de PIB ?” Le gouvernement a choisi : on sacrifiera les vieux !
En matière de propagande outrancière, la bourgeoisie française, à l’image de ses voisins, n’a pas lésiné sur les moyens ! En appelant à la “mobilisation générale” et à “l’unité nationale”, la bourgeoisie a déchaîné une campagne nationaliste des plus nauséabondes !
La bourgeoisie prépare déjà les esprits au “champ de ruines” économique qu’engendrera la “guerre sanitaire” ; et c’est la classe ouvrière qui paiera l’addition ! L’ “esprit de sacrifice” propre à une période de “reconstruction” est de mise. Déjà, les salariés les plus précaires commencent à perdre les quelques heures de travail qui leur permettaient de survivre ! Déjà, ceux qui sont au chômage technique ne toucheront finalement pas l’entièreté de leur salaire, contrairement aux promesses du gouvernement ! La propagande bat son plein pour faire entrer dans les crânes qu’à cause de l’épidémie, tout le monde devra à l’avenir se serrer la ceinture. Tout comme elle avait fait croire que les “banquiers véreux” et la “finance folle” étaient à l’origine de la crise économique de 2008, elle cherche aujourd’hui à faire croire que c’est le COVID-19 qui serait à l’origine de la crise économique. Mais la réalité est bien différente : non seulement, l’épidémie n’est qu’un catalyseur, un accélérateur de la crise du système capitaliste, mais elle est elle-même un pur produit de cette crise !
Dans la presse et sur les réseaux sociaux, à la télévision et sur YouTube, ceux qui font encore leur jogging en solitaire sont désignés comme des irresponsables, fautifs de la propagation de l’épidémie. N’est-il pas venu à l’esprit des journalistes et de leurs supplétifs “youtubeurs”, que ces imprudents promeneurs ont pu trouver parfaitement dérisoire l’interdiction de déambuler à l’air libre après s’être entassés par millions dans le RER, dans leurs open spaces ou dans leurs entrepôts, et, la veille, dans les bureaux de vote ? L’État déchaîne une campagne de culpabilisation individuelle pour mieux dissimuler sa propre incurie et son incapacité à endiguer la pandémie !
Mais là où la campagne idéologique de la bourgeoisie est la plus pernicieuse, c’est dans ses appels à ovationner le personnel soignant. Les chaînes de télévision passent en boucle les images de la Tour Eiffel illuminée et des beaux quartiers en liesse, applaudissant, tous les soirs à 20 heures, depuis les fenêtres et parfois même sur fond de Marseillaise, les médecins et les infirmiers. La bourgeoisie ne recule devant aucun cynisme ni aucune indécence en appelant la population à redoubler les applaudissements après le décès d’un premier médecin. Les “soldats morts pour la France” tombent au champ d’honneur sous la liesse populaire ! Il ne s’agit ni plus ni moins que d’un dévoiement de la solidarité prolétarienne faisant écho au discours martial du général Macron vantant l’ “héroïsme” des soignants. Bien que ces applaudissements leur mettent un peu de baume au cœur, les urgentistes n’ont pas besoin de médailles pour leurs bons et loyaux services rendus à la “Nation”. Ils ont besoin de personnels supplémentaires et de matériels, ils ont besoin de masques et de protection ! Ils ont besoin que la “reconnaissance” de leurs exploiteurs se manifeste par des augmentations de salaire (11) et d’effectifs afin de ne pas crouler sous le fardeau des cadences infernales !
Face à l’incurie de la bourgeoisie et la casse du système de santé rendant de plus en plus difficile la prise en charge des malades, la colère monte dans les rangs ouvriers. Le mépris de la classe dominante à l’égard de la vie humaine ulcère les exploités. Nombreux sont ceux qui ne supportent plus la volonté affichée du gouvernement de débusquer les tire-au-flanc, ni de devoir s’exposer alors que rien ne justifie leur présence indispensable au travail. Les livreurs de Deliveroo et Uber-eats, les ouvriers de l’usine SNF d’Andrézieux, ceux de La Redoute et de Saverglass dans l’Oise se sont ainsi mis en grève pour protester contre leurs dangereuses conditions de travail. Chez Amazon ou à La Poste, les salariés ont également débrayé. Partout ailleurs, de nombreux prolétaires n’ont pas tardé à exprimer leur solidarité à leur fenêtre en réclament des moyens pour les soignants, non pas en ovationnant les “héros de la Nation”, mais au cri de : “Du fric ! Du fric, pour l’hôpital public ! [47]”
Mais dans l’immédiat, ce qui domine c’est la peur et la sidération face à cette catastrophe sanitaire que la classe dominante ne parvient pas à maîtriser. L’impossibilité de se rassembler massivement, ne permet pas, aujourd’hui, à la classe ouvrière de reprendre le chemin de la lutte sur son propre terrain de classe.
Toutes ces expressions de colère démontrent néanmoins que la combativité est encore bien vivace, que les prolétaires ne sont pas résignés à accepter comme une fatalité l’incurie de ceux qui les exploitent. “On n’est pas de la chair à canon”, peut-on entendre parmi les personnels soignants.
Dès que cette crise sanitaire sera surmontée, l’État “protecteur” va dévoiler de nouveau son vrai visage. Les attaques contre toutes les conditions de vie des prolétaires, (aggravées par la plongée de l’économie dans l’abîme de la récession) ne pourront que déboucher, à terme, non pas sur l’union sacrée des exploités avec leurs exploiteurs, mais sur de nouvelles explosions de colère et d’indignation.
Cette catastrophe sanitaire mondiale ne peut que contribuer à la réflexion dans la classe ouvrière et à la prise de conscience que le capitalisme est un système complètement pourri, un véritable fléau menaçant la survie de l’espèce humaine.
EG, 22 mars 2020
1 Le général Macron peut au moins compter sur un corps expéditionnaire, la Croix-Rouge chinoise, qui vient de faire “don” au Vieux Continent de plusieurs millions de masques et de matériels pour ventiler et intuber les malades. Bien sûr les “dons” de Pékin, en plus d’être anecdotiques, n’ont rien d’un acte altruiste et désintéressé. Alors que les États sont incapables de coordonner un minimum leurs actions, les “largesses” de la Chine sont plutôt l’expression du chacun-pour-soi généralisé qui caractérise le capitalisme en putréfaction et dont la pandémie de COVID-19 est une spectaculaire illustration. Nous reviendrons sur ces questions dans un prochain article.
2 Cf. l’interview du professeur Bruno Canard, directeur de recherche au CNRS et spécialiste des coronavirus, parue dans Le Monde : “Face aux coronavirus, énormément de temps a été perdu pour trouver des médicaments [48]” (29 février 2020).
3 Le COVID-19 est d’ailleurs loin d’être la maladie la plus virulente qui ait jamais frappé l’humanité. On peut d’ores et déjà anticiper sans trop de difficulté l’impact apocalyptique d’une pandémie de MERS-CoV avec son taux de létalité à 30 % [49] !
4 On appréciera la plaisanterie en comparant cet “investissement très important” de 300 millions d’euros (dixit l’ex-ministre de la santé, Agnès Buzyn) au plan d’aide de quelques 750 milliards d’euros que vient de débloquer la BCE pour “sauver l’économie”.
5 Cf. le Panorama de la DRESS de 2019 [50] et un rapport de la DRESS publié la même année [50].
6 Cf. “Curative care beds in hospitals [51]”. Ces chiffres datent de 2017. Le doute sur la dégradation continue des moyens depuis deux ans est à peine permis.
7 L’État a d’ailleurs aggravé la misère en remplaçant des postes d’infirmiers par des aides-soignants payés au lance-pierre.
8 “Les regrets d’Agnès Buzyn [52]”, Le Monde (17 mars 2020).
9 “Coronavirus : des SDF verbalisés pour non-respect du confinement” AFP (20 mars 2020).
10 Communiqué intersyndical du 19 mars 2020 [53] signé, main dans la main, par les organisations salariales et patronales.
11 La promesse d’une prime de 1000 € aux soignants n’est même pas un 13e mois au SMIC ; ces miettes sont une véritable insulte.
Avec l'assassinat de Qassem Soleimani et de neuf autres associés, incluant des chefs de puissants groupes militaires iraniens, les Unités de Mobilisation Populaire et Kataeb Hezbollah le 3 janvier 2020, Trump a envoyé un signal, en pleine cohérence avec sa présidence, que toute "convention" passait à la trappe et que personne n'était à l'abri dans ce face-à-face tendu entre les Etats-Unis et l'Iran. Hassan Nasrallah, président du Hezbollah au Liban et fidèle allié de l'Iran, probablement un peu nerveux dans les heures qui ont suivi l'attaque, a pris l'antenne pour appeler Téhéran à ne pas agir précipitamment ainsi qu'au "départ des troupes américaines d'Irak". Le jour suivant, malgré le bruit émanant de quelques "partisans de la ligne dure" du régime qui furent rapidement réduits au silence, cela était [devenu] la position officielle de la République Islamique dont l'élite dirigeante communiquait les détails de leur "vengeance" aux Américains à travers des porte-paroles irakiens. Malgré tout le battage réalisé lors d'une grande campagne médiatique, il n'y avait pas de réelle possibilité de conflagration régionale de grande ampleur à travers un échange de missiles (l'usage des troupes américaines n'était pas non plus vraisemblable) et il y avait encore moins de possibilité d'une Troisième Guerre mondiale, malgré les gros titres sensationnels de certains journaux bourgeois. Nous reviendrons plus loin sur les raisons pour lesquelles nous pensons que cela n'était pas le cas et pourquoi cela ne signifie pas pour autant une atténuation de l'expansion de la barbarie militaire. Dans le même temps, la disparition de Soleimani a porté un coup à l'impérialisme iranien mais cela ne se résumant jamais à un seul homme, il reste à voir quelles seront les conséquences de ce coup pour la République Islamique: s'il va l'affaiblir encore plus suite aux récentes protestations (réprimées mais pas disparues) ou s'il va renforcer le nationalisme iranien et sa base.
Dans tous les cas, Soleimani, au fil des décennies, avait déjà beaucoup fait pour l'extension de l'impérialisme iranien au Moyen-Orient et en Afrique sub-saharienne.
La force Al-Qods ("Jerusalem") et les unités associées, créées sous l'impulsion de Soleimani à partir des années 80 et dont il prit la tête il y a environ une quinzaine d'années, furent responsables de la répression interne des protestations et des luttes des travailleurs iraniens entre autres en 1999, dix ans plus tard en 2009 et à nouveau une décennie plus tard en 2019/2020. Ils causèrent de nombreux morts chez les manifestants irakiens dernièrement et ce sont ces forces qui ont déchaîné une répression sans pitié contre les manifestants anti-Assad après 2012, sauvant pratiquement le boucher syrien et son régime chancelant. Soleimani n'était pas un fanatique Chiite mais un important représentant de l'impérialisme iranien. C'était un allié de la Russie mais il n'était pas pour autant le laquais de cette dernière. Il fut également, à différents moments, allié avec les Américains mais aussi avec les Kurdes, les Alaouites, les Maronites, les Sunnites, quiconque en fait pouvait faire avancer sa cause. Il a même utilisé Al-Qaida contre les Américains, ce pour quoi l'Iran a reçu son propre "retour de bâton". Ce n'est pas surprenant que Soleimani était tenu en si grande estime par un régime iranien miné par les luttes de factions [1] et c'est pourquoi il fut déclaré "martyr vivant" par le "guide suprême", Ali Khamenei.
L'Iran et particulièrement les éléments fidèles à Soleimani ne furent jamais les jouets ou les pions de la Russie, agissant sous les ordres de Moscou. Ce n'était pas le cas récemment et déjà après la chute du Shah, qui eut lieu en 1979 alors que les blocs existaient toujours, l'Iran a eu tendance à suivre sa propre voie. Le régime des mollahs était en quelque sorte un joker, présageant d'une certaine façon l'effondrement des blocs et le chacun pour soi impérialiste qui en découlerait. Cela étant, alors qu'il était responsable directement et indirectement de nombreux morts américains, Soleimani voulait continuer à travailler avec les Etats-Unis. Et il n'y a pas de doute que même après que le Président George W. Bush ait ciblé l'Iran comme faisant partie de l'"Axe du Mal" en 2002, les branches diplomatiques et militaires américaines ont joué un rôle significatif dans la construction et la consolidation des Al-Qods et des forces iraniennes associées en Irak. Même si les relations sont devenues plus compliquées par la suite, après la chute de Saddam, le conseil gouvernemental irakien était essentiellement constitué d'Américains et d'Iraniens, car les Etats-Unis n'avaient pas d'autre alternative que de tolérer la montée des partis Chiites après le renversement de Saddam.
Après l'horreur des Tours Jumelles en 2001 et une certaine "main tendue" par l'Iran, le diplomate de carrière et haut responsable du Département d'Etat, Ryan Crocker et son équipe, ont régulièrement rencontré [2] les officiels iraniens y compris Soleimani afin de discuter de leurs ennemis communs : Al Qaida et les Talibans. Même après que les diatribes d'inspiration néo-conservatrices de Bush avaient mis fin aux rencontres officielles (et au rapprochement officiel), les contacts irano-américains furent maintenus dans les années qui suivirent. Le jeu que Soleimani a mis au point était de poursuivre le dialogue avec les Américains, faisant des concessions par-ci, des faveurs par-là, tout en continuant à mettre la pression sur les Etats-Unis et harceler leurs troupes ainsi que celles de leurs alliés. Le dévoilement des échanges de messages diplomatiques par Wikileaks montre que Soleimani était en contact avec le général américain David Petraeus, commandant en chef des Forces américaines en Irak autour de 2008. C'est dans ce développement sans précédent de guerre asymétrique -un facteur général de la décomposition capitaliste qui inclut le terrorisme- que le général iranien a attiré les Etats-Unis dans un piège, en grande partie tendu grâce aux installations et au champ d’action fournis par les Américains eux-mêmes. A cette époque, il y avait plus de 100 000 soldats américains en Irak et chacun d'entre-eux était une cible. Les Iraniens les ont utilisés et ensuite soumis à une violence et à une pression psychologique constantes, facteurs qui ont contribué au retrait graduel des troupes américaines. Et bien que cela puisse avoir convenu ou arrangé les Russes, la force motrice derrière tout cela était l'impérialisme iranien.
Trump s'est récemment auto-proclamé vainqueur de Daech mais si un homme est responsable de la défaite de l'EI (aux côtés de la logistique américaine, de l'aviation russe et des troupes kurdes au sol), c'est bien Soleimani et ses milices.
Dans la bataille contre l'EI, les hauts commandements américains et iraniens ont collaboré étroitement, avec parfois l'Iran aux commandes.
La bataille d'Amerli, une ville turkmène chiite en Irak tenue par Daech, a vu la combinaison d'attaques aériennes et terrestres impliquant les deux pays et ce fut une défaite significative pour l'Etat Islamique et une victoire majeure pour la coalition irano-américaine. Dans ce contexte, Soleimani pouvait s'appuyer également sur les Russes et même, dans une certaine mesure, sur les Kurdes ; à nouveau, cela montre la relative indépendance de l'impérialisme iranien.
De tout l'éventail de réactions possibles de la part des Etats-Unis en réponse à l'agression continue de l'Iran, c'est la plus "extrême" qui fut choisie et la frappe contre l'Iran et Soleimani fut commanditée par Trump dans le plus pur style mafieux. Le Président, qui était calme et lucide durant tout l'épisode, a posé ses cartes sur la table et s’est déclaré ouvert à toutes les options ; les Iraniens, logiquement, se sont repliés. Il n'y avait pas d'intérêt à un échange de tirs de missiles, pas d'intérêt pour l'Iran de souffrir de plus lourdes pertes et pas le moindre intérêt pour Trump de s'engager dans une guerre plus étendue. De leur côté, la Chine et la Russie n'avaient pas non plus d'intérêt à s'engager dans une guerre au Moyen-Orient au sujet de l'Iran, guerre dont les conséquences néfastes étaient évidentes. Toutes les guerres impérialistes sont fondamentalement irrationnelles et un Iran blessé, potentiellement sans leader, serait devenu un terreau fertile pour tous les vautours impérialistes, créant un trou noir instable aspirant toutes sortes d'éléments (incluant un EI partiellement résurgent) et aggravant encore plus les tendances centrifuges actuellement à l'oeuvre.
Néanmoins, la politique générale des Etats-Unis de jeter de l'huile sur le feu en Iran générera très certainement plus d'instabilité dans la région. Même si le Conseiller à la Sécurité nationale, John Bolton, est parti, Trump est toujours entouré de « faucons » anti-Iraniens. La lettre adressée au gouvernement irakien par le général W.H Seely, commandant des opérations militaires en Irak, accédant à la requête du premier de retirer toutes les troupes américaines, montre la confusion qui règne dans les plus hauts échelons de l'armée américaine. Les Allemands et les Français ont ouvertement méprisé l'action et la Grande-Bretagne, qui a désespérément besoin de Trump à ses côtés, s'est jointe aux critiques de l'UE. Aucun d'entre eux n'a d'intérêt à ce que les Etats-Unis exacerbent encore plus le chaos au Moyen-Orient.
La relation entre la Russie et l'Iran, mise en lumière par les récents événements, mérite un bref examen plus approfondi, particulièrement par rapport à l'analyse générale du CCI de la décomposition et de la perspective soulevée par la Tendance Communiste Internationale (TCI), qui parle d'un potentiel d'une guerre mondiale entre blocs avec la Russie à sa tête, qui, selon la position de la TCI ne peut rester passive face aux assassinats des Etats-Unis, ne pouvant laisser l'Iran être attaqué "en toute impunité"[3]. Non seulement la Russie peut se le "permettre" en laissant faire les attaques contre les forces iraniennes en Syrie par Israël mais elle n'est pas non plus hostile à une éventuelle attaque de positions iraniennes en Syrie en utilisant ses propres forces. La tendance principale n'est pas vers la "cohérence" d'une guerre mondiale entre blocs mais vers le chacun contre tous et le développement de la barbarie militaire qui est aussi dangereuse pour la classe ouvrière et l'humanité, si ce n'est plus.
Dans ses commentaires après l'attaque américaine, Poutine n'a pas mentionné une seule fois le nom "Soleimani" et sa critique implicite de l'attaque a révélé la position du Kremlin comme un tout, laissant à ses médias le rôle de jouer sur la question de "l'agression de l'impérialisme américain". Les liens historiques de la Russie avec l'Iran ont laissé de profondes cicatrices et ses récentes relations ont été pour le moins ambigües. Cependant la mort de Soleimani donne à l'impérialisme russe une chance de renforcer plus encore sa mainmise sur la Syrie et potentiellement sur l'Irak.
Bien que ce rôle ait été quelque peu exagéré par Téhéran, Soleimani a travaillé étroitement en Syrie avec les Russes comme alliés. Mais nous avons vu qu'il a également collaboré de très près avec le haut commandement américain en Syrie comme en Irak
La stratégie récente de l'Iran et des Gardiens de la Révolution (Al-Qods et autres milices) a été de renforcer le rôle de l'Iran en Syrie afin d'étendre sa portée. À l'opposé, le but de la Russie est de renforcer le régime d'Assad et, ce faisant, sa propre position. Plutôt que de pousser à une confrontation plus grande suite aux attaques américaines sur l'Iran, il se peut que les Russes ne soient pas trop mécontents de l'issue de ces mêmes attaques ; et s'il y avait un leader qui aurait pu été informé préalablement par Trump des attaques de drones, c'est bien Poutine.
Sous le commandement de Soleimani, les Gardiens de la Révolution ont acheté, autour d'Homs et Damas, de vastes étendues de terres et de bâtments qui sont devenus des enclaves iraniennes. Il y a de claires tensions émanant de trois directions et la Russie ne partage pas l'opinion de l'Iran sur la question syrienne. La Russie aurait pu protéger les forces iraniennes en Syrie des attaques d'Israël simplement en gardant déployé son nouveau système de missiles S-300 mais, en collusion avec l'Etat hébreu, elle laisse régulièrement les avions israéliens violer l'espace aérien syrien pour utiliser ses armes contre les positions iraniennes et repartir ensuite. L'Iran a exprimé à la Russie sa colère à plusieurs reprises mais celle-ci l'a tout simplement ignoré. La Russie a également fait savoir à Israël que ce dernier pourrait être associé à la discussion sur la réduction des stocks d'armes iraniens présents à Damas, une carte que détient la Russie face à l'Iran et il n'hésitera pas à se confronter directement aux forces iraniennes dans le pays (comme ce fut le cas dans la province de Deraa lorsqu'il a mis en déroute la 4e division appuyée par l'Iran). Et tout comme Israël, la Russie a récemment noué des liens avec l'Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis, aucun n'étant allié de l'Iran.
Aucun de ces éléments ne fait ressortir une quelconque cohérence de bloc autour de la Russie, pas plus qu’il ne confirme l’hypothèse d’une riposte "nécessaire" de cette dernière aux attaques américaines envers les intérêts iraniens de la façon dont l'envisage la TCI. Et rien de tout cela n'empêche par ailleurs la Russie de se poser en "protecteur" de l'Iran et d'utiliser ses "avantages" qui se sont révélés très profitables en Syrie. Et avec la présence de la Turquie qui perturbe tout le monde avec sa campagne en faveur du dénommé "nouvel Empire ottoman" qui a récemment engendré des confrontations directes entre la Turquie et l'armée syrienne autour d'Idlib, on n'observe pas de tendance vers le développement de blocs militaires unifiés. On voit plutôt la guerre de chacun contre tous et la domination des tendances centrifuges. Sans aller plus loin dans les multiples divergences d’intérêts entre les différentes puissances sur les diverses régions, le "grand jeu" au Moyen-Orient ressemble désormais encore plus à la description faite par un diplomate britannique il y a quelques temps: "un jeu d'échec à neuf côtés sans aucune règle".
Du début des années 50 jusqu'à la fin des années 80, une Troisième Guerre mondiale était une possibilité envisageable. Les deux blocs impérialistes existaient, le monde était plus ou moins partagé entre eux et des tensions surgissaient partout, particulièrement autour de zones poudrières-clefs. Mais dans la période allant de 1968 à 1989, quand le retour de la crise économique mondiale impliquait "logiquement" une nouvelle marche vers la guerre, l'insistance opiniâtre du prolétariat à lutter pour ses intérêts de classe a empêché la mobilisation pour une conflagration impérialiste. Aujourd'hui pourtant, avec la complète absence de blocs impérialistes unifiés, l'absence de perspective de les voir surgir à l'horizon et, probablement, leur disparition pour de bon, la bourgeoisie n'est pas forcée de confronter et mobiliser le prolétariat dans ce sens. Et ceci résulte de l'incapacité du capitalisme à imposer la cohésion et la discipline nécessaire pour que de grands deux blocs s'affrontent dans un conflit mondial. Au lieu de cela, il y a toutes sortes de tendances centrifuges à l'oeuvre : le chacun pour soi, la fragmentation, la concurrence impérialiste du "nous d'abord, contre tous les autres" et l’instabilité. La formation des blocs n'est pas à la racine de l'impérialisme, bien au contraire et la conséquence de 1989 est que l'impérialisme désormais prend une forme différente mais non moins dangereuse, en accord avec la décadence générale et la décomposition du système capitaliste entier. Les blocs impérialistes s'affrontant à l'échelle mondiale sont une conséquence du capitalisme décadent mais la fragmentation de cette forme particulière et son élimination probable dans un 'avenir proche, est significatif de l'aggravation de la décomposition capitaliste et résulte de l'ouverture en 1989 d'une boîte de Pandore.
L'effondrement du bloc de l'Est en 1989 fut l'une des plus spectaculaires expressions en "temps de paix" de la crise et de la décomposition du système capitaliste tout entier. Du jour au lendemain, la guerre mondiale n'était plus à l'ordre du jour. L'implosion du bloc de l'Est et de toutes ses structures a eu ses répercussions à l'Ouest où, presque immédiatement, les liens de bloc se sont relâchés. Malgré les campagnes assourdissantes sur la "mort du communisme" et la "victoire du capitalisme", il n'a pas fallu longtemps -deux ans- pour que la réalité du "Nouvel ordre mondial" s'affirme. Peu de temps après la tentative vouée à l'échec des Etats-Unis de prévenir la fragmentation de son propre bloc via la coalition qui combattit durant la première Guerre du Golfe en 1991, la guerre a éclaté en Yougoslavie en 1992, la première guerre ouverte en Europe depuis 1945.
Ce fut un conflit brutal, bestial, ciblant les civils d'une façon rappelant la Seconde Guerre mondiale. Il fut attisé et instrumentalisé initialement par l'Allemagne, qui exprimait la tendance à l'indiscipline de bloc et ce fut ensuite la descente aux enfers avec presque toutes les grandes puissances appuyant chacune leur propre faction tout en y participant. Et depuis, cela est allé en s'empirant dans d'autres zones grandissantes de guerre et de militarisme, le Moyen-Orient et l'Afrique l'illustrant particulièrement.
Il est certain que depuis la chute de l'URSS, l'impérialisme russe s'est rationalisé et réarmé, émergeant de nouveau comme un acteur principal sur des acteurs principaux dans l'arène internationale.
Plus important encore, la Chine est apparue comme le principal concurrent de l'hégémonie américaine, montrant qu'une tendance vers une bipolarisation entre les Etats impérialistes les plus puissants existe toujours. En outre, c'est avant tout la montée en puissance de la Chine qui, déjà sous Obama, a conduit les Etats-Unis à déclarer l'Asie comme étant le nouveau pivot et le confinement de la Chine sa nouvelle priorité. Cela était la véritable signification derrière la politique d'Obama de désengagement envers de larges parties du Moyen-Orient que le régime de Trump a poussé encore plus en avant. Mais ni la rivalité croissante entre la Chine et les Etats-Unis ni les tensions entre ces derniers et la Russie ne devraient être confondues avec une formation de blocs à l'heure actuelle, laquelle est constamment minée par la tendance dominante à la fragmentation des conflits. Cette tendance a été illustrée très clairement non seulement par l'incroyable chaos militaire au Moyen- Orient mais également par les menaces planant sur l'unité de l'Union Européenne, de l'OMC, de l'OTAN et toute une foule ribambelle d'organisations "internationales" ainsi que par rapport aux protocoles et accords sur lesquels elles sont basées.
Rien de tout cela ne rend le combat de la classe ouvrière plus facile, au contraire. Mais cela le rend d'autant plus essentiel pour son avenir et le futur de l'humanité. Le prolétariat uni reste la seule force capable d'affronter et de mettre en échec l’effroyable perspective que le capitalisme nous réserve. Et de notre point de vue, cela importe peu si nous sommes soufflés par des bombes, empoisonnés à mort par les contaminations ou rôtis par le changement climatique. Dans le même temps, comme les récents développements dans la lutte de classe l'ont encore timidement indiqué, la classe ouvrière, comme classe exploitée, détient le potentiel de combattre, de s'auto-organiser, de mettre en place des assemblées pour consolider et étendre ses combats contre l'enfermement prêché par les syndicats, l'atomisation comme "citoyens" et le piège du corporatisme et des frontières nationales.
Ce serait mentir ou s’illusionner que de ne pas mentionner les difficiles et sérieuses épreuves auxquelles fait face la classe ouvrière par ces évolutions du capitalisme, évolutions qui ne peuvent que pousser le capitalisme à s’enfoncer davantage dans sa décadence et générer davantage de barbarie. Mais malgré le repli et la démoralisation des dernières décennies, la classe ouvrière a été historiquement et demeure l'unique force sociale capable d'offrir à l'humanité une sortie du cauchemar de ce capitalisme moribond.
Baboon, 4.2.20
[1] Voir : https://fr.internationalism.org/icconline/201801/9659/iran-lutte-entre-c... [56]
[2] Le commandant fantôme: https://www.newyorker.com/magazine/2013/09/30/the-shadow-commander [57]
[3] https://www.leftcom.org/en/articles/2020-01-04/the-us-attack-on-baghdad [58]
BRUMAIRE est le nom du deuxième mois du calendrier républicain français, le deuxième de la saison automnale, qui s’étend du 22, 23 ou 24 octobre jusqu’au 20, 21 ou 22 novembre. Le 18 Brumaire de l’an 1799 eut lieu le coup d’État de Napoléon Bonaparte, qui est considéré comme le point final de la Révolution française. Depuis lors, le 18 Brumaire symbolise la notion même de “coup d’État”. En 1851, Marx écrivait son ouvrage : Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, en référence au coup d’État du neveu de Napoléon, qui déclinait, sous la forme d’une comédie, la tragédie de l’oncle, en s’offrant son petit moment de gloire sans jamais donner d’alternative sur le plan politique. Pedro Sánchez n’a pas fait de coup d’État, mais la motion de censure qui l’a conduit au gouvernement provisoire (qui perdure encore) faisait figure d’assaut contre l’ancien gouvernement, bien qu’il n’ait pour l’instant pas été capable de gouverner. On peut également noter que les dernières élections générales en Espagne se sont déroulées en Brumaire, le 10 novembre.
L’imbroglio de la situation politique espagnole d’avant et après les dernières élections du 10 novembre ne fait pas office d’exception, mais est plutôt la règle parmi les États les plus importants. En commençant par la première puissance mondiale, les États-Unis, où le gouvernement Trump déclenche des tensions au sein des partis républicain et démocrate, tout comme l’un envers l’autre. Mais également en Europe, où la bourgeoisie britannique, une des plus expérimentées dans le jeu politique, se voit aspirée par le Brexit, sous l’impulsion des populistes ; ou en Italie, où la République vient juste de se débarrasser d’un gouvernement de coalition de deux partis populistes de tendance opposée (la Ligue de Salvini et le Mouvement 5 étoiles ou M5S) pour former à nouveau un gouvernement de coalition instable entre le Parti démocrate et le M5S. Aussi en Allemagne, où Merkel (véritable leader de l’UE ces dernières années) sera bientôt contrainte de quitter le gouvernement sans avoir pu contenir la montée du populisme ; ou en France, où La République en Marche de Macron n’a aucune alternative fiable au cas où son bras de fer contre Le Pen échouerait.
Cette augmentation quantitative des crises politiques représente, en réalité, un aspect qualitatif typique de la période historique actuelle : la tendance à la perte de contrôle par la bourgeoisie de son appareil politique. Dès 1990, nous l’annoncions déjà dans les Thèses sur la décomposition1, comme le souligne le point 4 de la résolution sur la situation internationale de notre dernier congrès2 : “Parmi les caractéristiques majeures de la décomposition de la société capitaliste, il faut souligner la difficulté croissante de la bourgeoisie à contrôler l’évolution de la situation sur le plan politique” (point 9). Un phénomène clairement énoncé dans le rapport du 22e congrès : “Ce qu’il faut souligner dans la situation actuelle, c’est la pleine confirmation de cet aspect que nous avions identifié il y 25 ans : la tendance à une perte de contrôle croissante par la classe dominante de son appareil politique”.
À leur manière, certains éléments de la bourgeoisie, comme Cebrián ou Felipe González en Espagne, n’ont pas d’autre choix que de le reconnaître : “Nous ne sommes pas confrontés à une crise du gouvernement, mais de l’État, et celle-ci s’inscrit à son tour dans une nouvelle ère dont les emblèmes sont la mondialisation technologique et financière ; la disparition du monde bipolaire qui a émergé après les guerres du siècle dernier ; la corruption de nombreux gouvernements ; la multiplication des inégalités et l’absence d’espoir dans leur avenir pour les nouvelles générations. Felipe González a décrit le phénomène comme étant la crise de la gouvernance de la démocratie représentative dans l’État-nation. Il s’agit de cela, mais pas seulement. Nous sommes confrontés à l’effondrement de l’ordre établi au milieu d’un chaos qui ne fait que commencer et qui nous accompagnera encore quelque temps…”.3
Mais la perte de contrôle par la bourgeoisie de son appareil politique est nettement différente des diverses crises politiques que celle-ci a connu dans les années 1960 et 1980. Avant les années 1990, les crises politiques de la bourgeoisie étaient liées soit à la nécessité d’affronter les luttes de la classe ouvrière, soit aux tensions impérialistes (la crise du canal de Suez pour la Grande-Bretagne et la France). De plus, elles étaient gérées au sein même de l’appareil politique bourgeois. Dans la présente crise, le prolétariat n’est pour l’instant pas au centre de la scène sociale. Ainsi, la crise actuelle réside dans la perte de contrôle de la bourgeoisie de son propre appareil politique. Les mouvements populistes se constituent autour de thèmes récurrents comme les réfugiés, la sécurité face au terrorisme, la rancœur des personnes ruinées par la crise… Mais ils se nourrissent également des tensions particulières au sein même des bourgeoisies nationales : de la désorientation de la bourgeoisie américaine face à l’affaiblissement de son leadership mondial, de l’ambiguïté de la bourgeoisie britannique face à l’Union européenne, des divisions entre fractions régionalistes et nationalistes au sein de la bourgeoisie espagnole ou belge, etc.
L’explication de l’impasse dans laquelle se trouve actuellement la bourgeoisie espagnole pour former un gouvernement se comprend dans ce cadre de référence historique et international et dans la façon dont cela s’est concrétisé dans le jeu politique de l’État national. Nous ne pouvons pas refaire ici un développement détaillé des analyses que nous avons faites des différents épisodes de l’expression de la crise de l’appareil politique de l’État espagnol ; bien qu’il ne soit pas non plus possible de parler de la situation actuelle sans les avoir à l’esprit.
Du bipartisme à l’ “Octo-Pedro”4
Des précédents
La bourgeoisie espagnole, grâce à la Constitution de 1978, s’était dotée d’un terrain de jeu consensuel pour gérer ses tensions politiques. Parmi les résultats les plus notables, citons le fait que le PSOE devienne le principal parti de l’État bourgeois et mène la transformation vers la démocratie ainsi que la restructuration industrielle ; qu’une droite démocratique se soit formée, balayant en les camouflant sous le tapis les vestiges du franquisme ; ou que les tensions nationalistes avec la Catalogne et le Pays basque aient été canalisées dans une lutte pour des avantages financiers et des élargissements de leur autonomie régionale.5 Mais cela n’a été possible que grâce à l’unité de tous pour faire face à la lutte du prolétariat et à la discipline du bloc impérialiste américain qui, par l’intermédiaire de l’Allemagne et de la France, a parrainé la transition démocratique. Aucun de ces deux facteurs n’est présent aujourd’hui et avec l’aggravation de la crise, le bateau prend l’eau de toutes parts.
Le bipartisme et l’alternance PP-PSOE sont, en Espagne, l’expression d’une tendance générale au parti unique, propre au totalitarisme étatique qui caractérise la décadence du capitalisme et qui, dans les pays démocratiques, prend la forme du bipartisme : deux partis (un plus à droite et l’autre plus à gauche) qui se répartissent le pouvoir d’une façon presque monopolistique. Aux États-Unis, on retrouve l’alternance Démocrates-Républicains ; en Allemagne, la CDU et le SPD ; en Grande-Bretagne, les Conservateurs et les Travaillistes, et en Espagne le duo PP–PSOE. L’usure de cette recette, due aux chocs de la crise économique qui dure depuis près d’un demi-siècle et à la décomposition, comme nous l’avons expliqué plus haut, s’est manifestée dans le cas espagnol au travers du PP dans lequel il n’y avait quasiment plus de hauts cadres qui ne soit pris dans des affaires de corruption ; tandis que le PSOE devenait un royaume de taïfas6 sous le commandement des “barons” et de la “vieille garde” au blason terni. Ceci a abouti en 2016 à la crise du PSOE, à un équilibre instable ainsi qu’à une lutte acharnée entre des apparatchiks et des arrivistes, ce qui est aujourd’hui la marque de fabrique de la maison social-démocrate. Le PP, en revanche, doit affronter la montée en puissance des dissidents de Vox, parti dont il a nourri l’idéologie. 7
La tentative d’une alternative au bipartisme fut celle de la “chronique d’une mort annoncée”. Comme nous l’énoncions en 2016 : “Le PSOE, parti gouvernemental par excellence, ne peut pas faire alliance avec la droite “moderne” et “renouvelée” que devait être Ciudadanos. Ce parti est viscéralement espagnoliste (plus encore que le PP) et il ne peut servir de canal de dialogue avec les nationalistes de droite. Mis à part sa démagogie anti-corruption, il n’offre rien de “centriste” qui pourrait séduire un électorat plus “moderne”. À commencer par son leader, l’immense majorité de ses cadres sent le snobinard à plein nez, de manière plus puante encore que ceux du PP. Malgré les gesticulations de monsieur Rivera, Ciudadanos ne peut pas être plus qu’une béquille boiteuse du PP. Ciudadanos n’a rien à voir avec les partis charnières qui existent en Allemagne (les libéraux, les Verts) et qui peuvent donner de la crédibilité aux partis du centre (CDU et SPD) qui prennent fermement position contre le populisme”.8
Et d’autre part : “(…) au niveau du gouvernement central, la coalition “front populiste” est dangereuse pour les intérêts du capital espagnol. Tout d’abord, Podemos est un conglomérat chaotique de tendances variées au sein duquel un groupuscule trotskiste joue un rôle non-négligeable (Izquierda Anticapitalista) et qui, quelle que soit l’ampleur des ambitions de ses leaders, et quel que soit leur degré de “modération”, sont clairement inaptes à la gestion d’un gouvernement. De plus, existe à Podemos le poids des nationalismes périphériques qui le poussent à la démagogie risquée du “droit des peuples à décider”, chose que la plupart des barons socialistes ne tolèrent pas. En bref, les partis nationalistes périphériques ne sont pas fiables étant donné la mauvaise soudure de l’unité nationale du capital espagnol et ils suscitent beaucoup de méfiance au sein de l’appareil socialiste. À tout cela, il faut ajouter le discrédit qu’engendrerait un “gouvernement progressiste”, non seulement pour le PSOE lui-même, ainsi qu’à Podemos, mais également pour toute la soi-disant “classe politique””.
Justement, la surenchère des nationalismes9 est l’autre grand facteur de chaos responsable de la situation actuelle. La promesse de Zapatero “d’approfondir” la question du “statut catalan”, ainsi que l’incompétence du PP, sont le déclencheur des récents événements. Bien que la cause soit mondiale, comme nous venons de le développer, la toile de fond est une escalade du radicalisme entre l’ERC10 et l’ex-CiU11 à des fins électorales.12 Le PP qui, en 2012, refusait de tenir sa promesse de revoir la question du statut d’autonomie et d’égaliser l’offre de transferts de compétence catalans avec celle du Pays basque, a fait déclarer à Mas, alors président de la Generalité, que “la Catalogne entrait en territoire inconnu”. Un territoire où, de facto, les fractions les plus radicales et les plus irresponsables du nationalisme, comme la CUP/CDR,13 se renforcent et s’engagent sur la voie unilatérale de l’indépendance qui a connu son heure de gloire grâce au référendum d’octobre 2017 et à la proclamation de la “République catalane”.14
Conséquences
Les secteurs les plus responsables de la bourgeoisie ont répondu à cette situation par la motion de censure qui a chassé Rajoy du pouvoir et a permis au PSOE de redevenir le pivot de la politique bourgeoise, après une période où il risquait d’être ostracisé (comme lorsqu’il a soutenu l’application de l’article 155 de la Constitution en Catalogne, sans que cet appui soit nécessaire). Cette motion de censure, notamment concoctée par Podemos, a rapidement été soutenue par le PNV15 et l’ERC (qui a été le premier groupe à parler ouvertement de la fin de la voie unilatérale vers l’indépendance). Cette opération a reçu la bénédiction de la majeure partie de la bourgeoisie, ce qui a donné un élan important au PSOE lors des élections du 27 avril dernier.
Pour quelle raison l’ERC et, dans une moindre mesure, Podemos ont-ils torpillé cette majorité en votant contre les budgets, et ce, juste avant les élections ? Pourquoi le PSOE, qui disposait de meilleurs atouts pour gouverner, n’a-t-il pas réussi à investir Pedro Sánchez après ces élections et a dû organiser les élections du 10 novembre dernier ? Il est difficile de donner une réponse, mais il semble que les plans des secteurs les plus responsables de la bourgeoisie aient été rapidement sabotés par les secteurs les plus imprévisibles.
En voici quelques exemples :
- le sabotage de la majorité de la motion de censure est essentiellement imputable à la fraction Puigdemont avec ses réunions à Pedralbes avec le gouvernement du PSOE en novembre 2018, qu’elle arrive presque à présenter comme une capitulation (puisque l’État aurait accepté de négocier “entre gouvernements”), ce qui laisse une marge de manœuvre à l’ERC ainsi qu’au PSOE lui-même ;
- celle qui a saboté le gouvernement PSOE en juillet est principalement la fraction Iglesias dans Podemos, qui voit dans le gouvernement de coalition l’unique façon de survivre à l’envenimement des querelles intestines au sein du groupe lui-même, mais aussi un secteur très important du PSOE, rebuté par une alliance avec Podemos.
-Alors que la sentence du “procès” était connue depuis des mois par tous les politiciens, les réactions qu’elle a provoquées, surtout sous la forme de mobilisations et d’affrontements de radicaux avec la police durant quinze nuits consécutives, ont laissé les principaux acteurs politiques “hors-jeu”. Les quinze nuits d’affrontements violents entre la police et les radicaux n’ont pas conduit à un affaiblissement du poids électoral des fractions les plus imprévisibles (en fait, celles qui ont le plus progressé lors des dernières élections, à part Vox, ont été Bildu, le CUP/CDR, les partisans de Puigdemont, etc), mais plutôt de celles qui sont les plus enclines à la négociation (ERC). Si, par cette manœuvre, le PSOE a cherché à associer la question de l’indépendance avec la violence afin d’obtenir un soutien international et ainsi assouplir davantage de secteurs indépendantistes, il faut dire que cela a été un échec relatif. Les tribunaux européens continuent de jouer les prolongations, tandis que des personnalités internationales font signer un manifeste pour que soit trouvée une solution “négociée” au “conflit catalan”. Ainsi, l’orientation des mobilisations en Catalogne est passée de l’indépendance à l’anti-répression, c’est pourquoi, contrairement à ce qui s’est passé en octobre 2017 par exemple, il y a eu des manifestations dans les principales villes espagnoles en solidarité contre les violences en Catalogne.
Les élections du 10 novembre n’ont rien donné et soulèvent les mêmes questions dans les mêmes termes. L’apparente coalition avec Podemos satisfait seulement sa fraction dirigeante (qui se réjouit à la perspective de “prendre la relève”) ; mais elle laisse les choses exactement comme elles étaient en ce qui concerne la question catalane et l’opposition dans et hors du PSOE.
Antifascisme et campagne démocratique : un cocktail explosif contre le prolétariat en Espagne
La transition vers la démocratie dans le but de se libérer du franquisme s’est appuyée sur deux grands piliers :
- Face au prolétariat, l’illusion sur les “syndicats ouvriers”, sur les “libertés démocratiques”, les partis de droite, la défense de la Démocratie ;
- Face au problème chronique de la mauvaise soudure de l’unité nationale du capital espagnol, la puissance des nationalismes périphériques (particulièrement basque et catalan) qui ont conduit à l’ “État des Autonomies” dans l’État.
Le nationalisme rance et “grand espagnol” du franquisme avec ses ridicules prétentions impérialistes et son catholicisme national condensé dans le slogan “pour l’empire jusqu’à Dieu” n’arrive plus à réintroduire le poison de la “défense de la nation” dans les rangs du prolétariat et s’avère contre-productif. La bourgeoisie a donc dû recourir au renforcement des micro-nationalismes, persécutés par le régime franquiste. Ainsi, la gauche et surtout le PSUC16 en Catalogne ont mené une intense campagne démocratico-nationaliste avec le fameux slogan “Llibertat, amnistia et Estatut d’autonomia” (Liberté, amnistie et Statut d’autonomie).
Cependant, ce qui a historiquement fait le plus de mal au prolétariat a été l’antifascisme et la défense de la démocratie. Telle a été la leçon fondamentale de la période de la République et de la guerre de 1936, lorsque la CNT a perdu tous les liens qu’elle avait encore avec la classe ouvrière, en raison de son adhésion inconditionnelle à la mystification antifasciste17 et la réponse initiale des ouvriers sur leur terrain de classe au coup d’État militaire de juillet 1936 qui a été détournée par le Front populaire, soutenu par la CNT-POUM,18 vers le terrain de la guerre impérialiste, celui de “la défense de la République contre le fascisme”. Les ultimes résistances du prolétariat furent écrasées par le Parti communiste d’Espagne en mai 1937 avec l’aide de l’ERC et de la CNT, son ministre Montseny appelant depuis la radio les ouvriers massacrés à “embrasser les gardes d’assaut”.19
Aujourd’hui, la CUP/CDR et d’autres “nationalistes de gauche” sont comme qui dirait des carcasses du PSUC et d’autres cliques de gauche.
La classe ouvrière, dans les principales concentrations de la Catalogne, fait partie des bataillons centraux du prolétariat en Espagne, avec une tradition notable de luttes, comme dans le Bajo Llobregat, à la SEAT, etc., qui a apporté des contributions précieuses à la mémoire historique du prolétariat. Et s’il est vrai qu’elle ne s’est pas laissée entraîner sur le terrain indépendantiste, l’ambiance de polarisation brutale entre le nationalisme espagnol et le nationalisme catalan crée une barrière difficile à surmonter dans l’effort que le prolétariat doit faire pour trouver son propre terrain de classe autonome et international, afin de lutter contre les attaques de plus en plus graves du capitalisme en crise et contre sa dérive vers la barbarie de la guerre, de la misère et de la destruction de l’environnement.
Hic Rodas/Pinto, 20 décembre 2019
[1] Voir sur notre site internet : “La décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste [9]”.
[2] Voir sur notre site internet : “Résolution sur la situation internationale (2019) : Conflits impérialistes, vie de la bourgeoisie, crise économique [61]”.
[3] Extrait d’un article paru sur El Pais, Opinión (25 novembre 2019).
[4] Déformation par les médias du mot “octoedro” (l’octaèdre) en octo-pedro pour désigner le gouvernement actuel, en référence au prénom de Pedro Sanchez. (NdT). Son gouvernement est en effet arrivé au pouvoir grâce au soutien d’au moins huit partis politiques. Il a également été surnommé le gouvernement Frankenstein.
[5] Toutefois, la violence des attentats n’a pas faibli (ETA pour les indépendantistes basques ou Terra Lliure, Hipercor pour les Catalans, etc.).
[6] Les taïfas étaient les 23 royaumes musulmans indépendants qui s’étaient formés après la dissolution du Califat de Cordoue en 1031. (NdT)
[7] Voir sur notre site Vox (Espagne) : Une “voix” clairement capitaliste [62].
[8] Voir l’article sur notre site web : “Espagne : qu’arrive-t-il au PSOE ? [63]”
[9] Bien qu’aujourd’hui le nationalisme en Catalogne ait pris le dessus, cela n’empêche pas le nationalisme basque (échaudé par l’échec du plan Ibarretxe) de faire profil bas et de prendre son mal en patience pendant qu’il se rend indispensable au gouvernement et joue ses cartes dans l’ombre, incitant à une plus grande autonomie/autodétermination.
[10] Esquerra Republicana de Catalunya, en français : Gauche Républicaine de Catalogne. (NdT)
[11] Convergència i Unió (Convergence et Union), aujourd’hui devenue Junts per Catalunya (Ensemble pour la Catalogne ou JxCat). (NdT)
[12] Après la mort de Franco et le retour de Tarradellas (ERC, ancien ministre de l’Intérieur de la Généralité, organisateur avec le Parti communiste de l’Union soviétique et d’autres de la répression de mai 1937), ce fut le parti créé par Pujol en 1974, qui, en réalité, était au cœur du nationalisme catalan, avec un “projet politique de secteurs de la bourgeoisie, de la petite bourgeoisie et de la classe moyenne à haut revenu, ainsi que de composantes importantes de l’Église en Catalogne, qui tente de mobiliser de larges secteurs de la société catalane…” Comme le dit un historien, c’est un parti à deux facettes : l’une “centriste”, désireuse de s’allier aux “partis de Madrid”, et l’autre déjà populiste, autour de la figure centrale de Pujol.
Ce parti, Convergència Democràtica de Catalunya (CDC), a commencé à perdre du poids suite au retrait de Pujol et des scandales de corruption de son clan familial. Dès lors, la facette ultra-nationaliste est apparue, brisant la coalition (CiU) avec les régionalistes marginaux de l’UDC et la partie moins catalaniste du CDC, tombant entre les mains de personnages au style aventurier comme Puigdemont, ou à des illuminés comme Torra, sans parler de son entourage. Ce parti est aujourd’hui l’expression même de la symbiose du populisme et du nationalisme, entérinée par les changements successifs d’ “en-tête” : PDCat, alors devenu JxCat. Ce parti du “seny” (bon sens, en catalan) bourgeois a fini entre les mains de personnes qui se sont alliées ou qui contrôlent les nationalistes de gauche du CUP, du CDR et autres Tsunamis démocratiques (TD), qui se sont formés avec le rebut de groupes gauchistes du paysage politique catalan (trotskystes de toutes tendances, altermondialistes “anticapitalistes”, voire anarchistes).
Ces sbires de la contre-révolution, qui pendant des décennies, n’ont cessé de soutenir toutes sortes de nationalismes plus ou moins exotiques, ont finalement pu mettre en pratique leurs politiques dans leur propre pays. Telle est la nouvelle coalition du parti centre-droit de Catalogne, avec ce magma nationalo-gauchiste.
[13] Candidatura d’Unitat Popular (Candidature d’unité populaire, en catalan) et Comitès de Defensa de la República (Les Comités de défense de la République). (NdT)
[14] Une annonce faite de mensonges, comme l’ont reconnu les “braves” dirigeants indépendantistes.
[15] Partido Nacionalista Vasco (Parti nationaliste basque). (NdT)
[16] Parti socialiste unifié de Catalogne. (NdT)
[17] Voir sur notre site web : “L’antifascisme, la voie de la trahison de la CNT (1934-1936) [64]”.
[18]Partido Obrero de Unificación Marxista (Parti ouvrier d’unification marxiste). (NdT)
[19] Voir notre brochure en espagnol : “Franco y la Republica masacran al proletariado”.
Quelques jours après la publication par le CCI à la fois en espagnol, en français, en anglais et en allemand (du moins, autant que je sache), cela en raison de l’importance et de la gravité de l’affaire, d’un appel à la responsabilité du milieu prolétarien pour assurer sa défense1 contre les agissements d’un élément ayant une activité très nocive et qui a toujours refusé de clarifier son comportement, le GIGC (ex-FICCI) a publié un communiqué pour défendre cet élément2 et surtout attaquer le CCI.3
En solidarité, je commenterai certains passages de la déclaration du GIGC :
“Il en va de même du seul reproche “politique” qu’il porte : Nuevo Curso n’a pas répondu aux critiques, dont les nôtres, portant sur sa revendication historique de l’Opposition de gauche trotskiste des années 1930. Mais quelle autorité peut avoir le CCI en la matière, lui qui se refuse obstinément à répondre publiquement à ceux, dont nous sommes aussi, qui relèvent ses abandons successifs et gravissimes des principes marxistes”.
C’est la logique même du : “œil pour œil, dent pour dent”. Selon le GIGC, le CCI n'était pas en droit d'attendre une réponse de Nuevo Curso car ce dernier ne répond pas publiquement aux critiques du GIGC. dont il mentionne même pas le nom. Pour commencer, c’est un grand mensonge de prétendre que le CCI n’a pas répondu au GIGC (et cela peut être vérifié sur le site internet lui-même).4 Et pour finir, cet “œil pour œil, dent pour dent” est un principe totalement étranger à la classe ouvrière. Il serait très important que certains éléments du milieu prolétarien appellent au débat sur certaines questions, même si dans la logique de leur démarche interne, ils refusent de répondre provisoirement à d’autres questions.
“Nous l’avions déjà signalé l’été dernier : “Le CCI lance aujourd’hui une véritable attaque parasitaire – pour reprendre ses propres termes – vis-à-vis de ces forces, en particulier vis-à-vis du Gulf Coast Communist Fraction, en essayant de les convaincre de débattre en priorité du parasitisme””. Le texte ajoute : “Peu importe pour le CCI que le GCCF ait affiché son opposition à cette position, le fait même de réussir à leur faire accepter une réunion sur ce thème en lieu et place des questions politiques liées à l’expérience et aux leçons programmatiques de la Gauche communiste, est déjà en soi un piège pour de nouvelles forces sans expérience ”.
Le CCI a cherché à discuter de cette question importante en priorité afin de clarifier une divergence importante avec la GCCF (sans pour autant laisser de côté “les questions politiques liées à l’expérience et aux leçons programmatiques de la Gauche communiste”, comme s’il y avait une contradiction entre les deux ! C’était précisément une des questions politiques soulevées par ce groupe !) et il pensait que son contact étroit avec le parasitisme constituait une menace à discuter d’urgence avec ce groupe. Le CCI cherche avant tout à encourager la discussion et la clarification, et si le GCCF a exprimé un désaccord, ce n’est pas quelque chose de négatif qui clôturait le débat une fois pour toutes. Le CCI n’a rien fait “accepter” à la GCCF, leurs membres ont décidé d’accepter cette discussion et ont finalement décidé de la clore. Le CCI n’a ni les moyens ni l’intention de faire accepter de force ses positions ni d’embrouiller le débat. Il a recherché au contraire la poursuite de ce débat pour le développer dans la plus grande clarté possible.5 Le GIGC traite les éléments du groupe GCCF comme s’ils n’étaient que des suivistes sans force de volonté ni sens des responsabilités pour défendre la cohérence de leurs positions. C’est ce traitement ambivalent auquel s’exposent ceux en contact étroit avec le parasitisme.
D’un autre côté, comment un groupe qui se présente comme “cohérent avec lui-même” peut-il utiliser et adopter des concepts avec lesquels il est en désaccord : “une attaque parasitaire – en utilisant les propres termes”. Ce ne peut être qu’une instrumentalisation puérile du “c’est celui qui le dit qui l’est !”. Cela s’inscrit dans la dynamique parasitaire typique d’accuser les autres de suivre leur propre logique, et de projeter sur d’autres ce qu’ils font eux-mêmes. Ils disent même cela de manière plus sophistiquée, pour pouvoir accuser le CCI en retour. Sans doute, certains éléments le font consciemment, mais d’autres s’enferment dans le cercle vicieux de la conception du “œil pour œil, dent pour dent”. Il est important de sortir de ce cercle des accusations faciles et disséminées à tort et à travers pour distinguer les allégations sérieuses et fondées pour défendre le milieu prolétarien de la calomnie. Dans tout ce rideau de fumée d’accusations, toutes peuvent sembler identiques. Le CCI, cependant, ne nie pas la nécessité de porter des accusations sérieuses, rigoureuses, fondées et courageuses, pour la défense du milieu prolétarien, et déclare qu’il s’agit d’une question grave qui ne doit pas être prise à la légère et qu’elle requiert discrétion et enquête approfondie. Ce n’est pas quelque chose de nouveau qui surgirait avec le CCI mais qui appartient à la tradition de la défense de la classe ouvrière (contre Vogt, Lassalle, Schweitzer, l’Alliance de Bakounine, etc.) et ce n’est pas un outil qui vise à enfoncer personnellement des individus, mais à clarifier et distinguer les comportements qui appartiennent à la classe ouvrière et ceux qui n’en font pas partie, sur la base d’une enquête sérieusement menée sur les éléments avec une attitude trouble, pour assurer la défense du milieu prolétarien. Le CCI cherche également à distinguer ce type de calomnie de la diffamation, deux choses qui ne relèvent pas d’une vague unité confuse mais sont bien distinctes.
Les éléments qui composent le milieu politique prolétarien doivent chercher à clarifier ce qui se cache derrière cette attaque du GIGC non pas en partant de préjugés, mais à partir d’une méthode d’analyse et de la recherche de la clarté. Non en sortant les mots de leur contexte, mais aussi clairement que possible en lisant attentivement leur texte qui s’oppose aux documents du CCI et à son activité générale. En plus, il importe de suivre le reste des textes publiés par le CCI sur le GIGC ou la FICCI, et de les comparer avec ceux publiés par le GIGC sur le CCI. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons faire face à la confusion et à l’embourbement du milieu prolétarien. La rigueur et le sérieux sont nécessaires. Cette rigueur méthodique et ce sérieux me conduisent à une dénonciation claire de ce type d’activité parasitaire, et à distinguer qui fait partie du milieu prolétarien et qui, même s’il prétend le contraire pour d’autres raisons, n’en fait pas partie. La recherche de la clarté est fondamentale, elle est une démarche essentielle pour la classe ouvrière. Le CCI ne cherche pas à dénaturer les propos des groupes parasites, ni de la bourgeoisie.
“On voit mal l’intérêt que le PS et l’État espagnol auraient à créer de toute pièce un groupe comme Nuevo Curso dont la dénonciation du caractère capitaliste du… PS lui-même est systématique. Et qui, d’autre part, a joué un rôle actif dans l’émergence et le regroupement international de nouvelles forces révolutionnaires et communistes, particulièrement sur le continent américain ”.
Le CCI n’a jamais dit que le PSOE avait créé Nuevo Curso. Quiconque lit l’article du CCI peut le constater. C’est donc un mensonge.6 Ce n’est pas que le GIGC soit confus ou incapable de distinguer les choses. Le GIGC n’a pas d’autre moyen pour maintenir son existence que d’attaquer le CCI. Ici, il fait passer l’idée que tout ce qui, apparemment, rassemble des forces révolutionnaires constitue une réalité dans ce sens. Il est contraire à la nature du GIGC de reconnaître l’existence de groupes qui dénoncent le système capitaliste, mais qui n’appartiennent pas à la classe ouvrière, même s’ils s’en revendiquent (comme l’Alliance de Bakounine ou comme eux-mêmes) et de rechercher la clarté à ce sujet. Donc ils fourrent tout dans le même sac, pour se camoufler. La superficialité avec laquelle ils défendent Nuevo Curso (bien que ce ne soit pas NC mais Gaizka l’axe principal des investigations du document du CCI) est la même que celle qui pourrait être utilisée pour défendre le gauchisme (bien que NC ne fasse même pas partie du gauchisme ni de la Gauche communiste). Que se passe-t-il alors ? Il ne se soucie pas du tout de savoir si l’honneur de cet individu est défendable ou non. Trouver des éléments pour enquêter et comprendre aiderait à éliminer le rideau de fumée derrière lequel se cache le GIGC. Le GIGC ajoute d’ailleurs, avec une grande hypocrisie, soit dit en passant, que parler d’individus spécifiques, c’est entrer dans la “psychologie des individus et des supposés comportements individuels” et qu’il s’agit d’un terrain “nauséabond et destructeur” où il est impossible de vérifier quoi que ce soit. Une fois de plus, le GIGC attaque la conscience de la classe ouvrière, en l’empêchant de reconnaître des comportements qui n’ont rien de prolétariens et en la rendant très craintive à l'idée de comprendre les comportements individuels.
En outre, le CCI met clairement en garde “les participants au blog de Nuevo Curso qui le font de bonne foi”. Le but du CCI est de faire revenir ces éléments dans le camp prolétarien avec la plus grande clarté et la meilleure qualité possible, et non de détruire, renverser ou démolir des organisations, comme l’exprime le GIGC. Dans sa dénonciation du parasitisme, le CCI offre une perspective positive.
Le CCI “N’a-t-il pas émis une résolution interne appelant à la destruction de la TCI (ex-BIPR) lors de son 16e congrès de 2005 ? Aujourd’hui c’est au tour de Nuevo Curso”.
Le GIGC ne met pas de liens web vers les textes du CCI, il ne cite que les éléments qui lui conviennent, hors de tout contexte. Ils veulent même y mêler le dernier Congrès du CCI7 mais, pour commencer, ils ont tout à fait tort de dire que le CCI renie la nécessité de la lutte des classes. Seulement, ils ne cherchent pas à comprendre la théorie du cours historique, ils l’utilisent simplement comme une arme pour lancer leurs attaques anti-CCI.
De plus, ils font allusion et déforment les débats internes du CCI en 2005 ! Mais le GIGC, anciennement FICCI a été exclu du CCI en 2003. Comment ont-ils fait pour se procurer ces documents ? Et ils osent affirmer péremptoirement que le CCI a demandé la destruction de la TCI !8 Dans ce contexte, je demande, en tant que sympathisant du CCI et de la Gauche communiste, à la TCI d’exprimer sa solidarité avec le CCI au nom de la défense du milieu prolétarien.
Je n’irai pas plus loin dans le commentaire de ce document du GIGC, qui doit être analysé plus en profondeur. Mon intention est seulement d’exprimer le plus rapidement possible ma solidarité avec le CCI.
Fraternellement
TV, 19 février 2020.
[1] “Qui est qui dans Nuevo Curso ?” sur notre site internet. (NdR)
[2] Plus qu’en défense de cet élément, le GIGC prétend défendre le groupe Nuevo Curso, cherchant à faire passer Gaizka pour un épouvantail agité par le CCI. Ensuite, ses accusations de “personnalisation de divergences politiques” signifient, en réalité, déguiser l’individu en le cachant derrière le groupe, et travestir, en les dénaturant, les arguments du CCI. Le GIGC, n’a évidemment aucun intérêt à théoriser une distinction entre, d’une part, l’enquête rigoureuse sur l’honneur d’individus suspectés d’être des aventuriers afin d’assurer la défense du milieu prolétarien et, d’autre part, les attaques personnelles. Cependant, il n’a eu aucun scrupule à faire contre le CCI ce qu’il prétend aujourd’hui dénoncer en révélant le nom de militants qu’il cherchait à discréditer : https://fr.internationalism.org/ri330/ficci.html [66] Le CCI a sérieusement enquêté sur cet individu en lui donnant l’occasion de s’expliquer à plusieurs reprises. S’il était honnête, il aurait considéré que l’enquête du CCI sur lui était injustifiée, il lui appartiendrait alors de clarifier son activité plus que suspecte, ainsi que de justifier son refus de s’en expliquer par le passé.
[4] Le CCI a répondu aux attaques du GIGC, bien qu’il ne soit bien sûr pas entré dans son jeu en l’incluant dans la Gauche communiste, en le traitant comme tel. Malgré cela, il s’est défendu contre ses attaques en répondant à ses calomnies et fausses déclarations depuis qu’il a constitué sa fausse fraction interne du CCI. Il suffit d’écrire “ficci”, “gigc”, “giic” ou “igcl” dans le moteur de recherche du site internet du CCI en espagnol, en anglais ou en français pour voir que le CCI n’a pas ignoré le GIGC, mais a recherché la plus grande clarté sur ses comportements.
[5] Le CCI, et l’on peut voir la maturité à cet égard dans les résolutions du 23e Congrès dernier, comprend que la lutte contre le parasitisme est l’une des luttes politiques fondamentales de cette période de décomposition. Ce phénomène, n’a rien d’extraordinaire dans la société bourgeoise, par rapport auquel il est loin d’être un corps étranger. Face à cela, il est nécessaire de lutter pour la défense de l’organisation contre des groupes qui prétendent faire partie du milieu politique prolétarien (aux origines diverses et hétérogènes) mais dont l’activité collective (malgré l’inclusion de positions contradictoires) vise à détruire les véritables organisations révolutionnaires, de la manière la plus voilée possible, pas nécessairement à travers des attaques frontales et continues qui leur feraient perdre leur apparence. Son origine n’est pas nécessairement la présence d’agents rémunérés par la bourgeoisie, car le GIGC a l’intention de déformer ce que dit le CCI pour fabriquer un épouvantail (bien que ce soit un bon terrain pour l’infiltration de tels éléments, mais aussi pour des aventuriers politiques et des ambitieux déclassés en mal de reconnaissance). Distinguer ces groupes des véritables organisations révolutionnaires est une question qui doit être abordée de manière méthodique et rigoureuse, en recherchant la clarté et la discussion avec des éléments en recherche qui ont du mal à aller au-delà des apparences. Il est important de distinguer, par exemple, le parasitisme du gauchisme, d’une part, et du marais, de l’autre, ou des éléments en recherche, car la confusion réelle en leur sein pourrait être confondue avec l’utilisation et la propagation de ces confusions à des fins propres. Les outils pour faire cette distinction sont fondamentaux et ne sont pas une invention du CCI.
[6] La déformation est très claire pour ceux qui ont lu les deux textes. Le CCI déclare qu’ “il est le principal animateur de Nuevo Curso” et “qu’aujourd’hui Gaizka prétende créer avec Nuevo Curso un lien “historique” avec une soi-disant Gauche communiste espagnole”, mais à aucun moment il ne dit que le PSOE a créé NC. Qu’un individu en contact régulier, bien qu’en alternance (avec la droite aussi), avec des hauts responsables de la bourgeoisie dans sa carrière alors qu’il était en contact avec le CCI, ait été le principal animateur de NC ne signifie pas nécessairement que la bourgeoisie a créé ce groupe.
[7] “en particulier celui de son dernier congrès liquidant le principe fondamental et central du marxisme de la lutte des classes comme moteur de l’histoire : « la dynamique générale de la société capitaliste (…) n’est plus déterminée par le rapport de forces entre les classes » (Résolution du 23e congrès du CCI) ?”
[8] Pour le CCI, le TCI est une organisation de la Gauche communiste ! Il y a peut-être eu alors un débat interne sur la TCI (mais sûrement pas dans les termes avancés par le GIGC !) mais si cela avait été une résolution du CCI, cela aurait été publié. Ou s’agit-il d’une contribution hors contexte ? Nous ne savons pas. Je ne connais pas cette discussion interne, fictive ou réelle, ni son contenu. Ce qui est clair, c’est la nature malveillante du GIGC, qui rend le document du CCI équivalent à une prétendue conspiration interne et secrète contre la TCI : pourquoi cherchent-ils à rompre la nécessaire solidarité entre les deux organisations ?
Nous publions ci-dessous un article réalisé par Acción Proletaria et Rivoluzione Internazionale, organes de presse du CCI en Espagne et en Italie, qui démontre que dans tous les pays, face à la pandémie, la bourgeoisie étale son incurie criminelle et son mépris pour la vie des travailleurs.
L’État capitaliste se présente aujourd’hui comme notre “sauveur”. C’est une arnaque de la pire espèce. Face à l’avancée de la pandémie, qu’ont-ils fait ? Le pire ! Partout, dans tous les pays, ils ont pris les mesures au dernier moment, contraints et forcés face à l’amoncellement de morts ; ils ont maintenu des millions de travailleurs sur leur lieu de travail, sans masque, sans gel, sans gants et entassés. Pourquoi ? Pour continuer de produire, coûte que coûte ! Ils espéraient ainsi gagner des parts de marché face à la concurrence de leurs rivaux en difficulté ! “La Chine est à terre ? Produisons !”, “L’Italie est à terre ? Produisons !”, et ainsi de suite. Même sous la vague de l’épidémie, lorsque le confinement est déclaré, la pression pour soutenir “la santé de l’économie” et les “entreprises qui souffrent” ne cessent pas ! Les déclarations de Trump ou de Bolsonaro sur “l’économie avant tout” ne sont que la caricature de la politique assassine des dirigeants de tous les gouvernements de la planète.
Ce faisant, chaque bourgeoisie nationale met en fait sa propre activité en danger en favorisant la propagation du virus. En riposte, un certain nombre de grèves sont apparues en Italie, en Espagne, en Belgique, en France, aux États-Unis, au Brésil, au Canada… Certes, ces luttes sont limitées, comment pourrait-il en être autrement avec le confinement et l’impossibilité de se rassembler ? Mais justement, leur existence dans plusieurs pays dans ces conditions extrêmement difficiles pour la lutte de classe démontre que, dans certaines parties de la classe ouvrière, existe une résistance au “sacrifice” exigé, à l’idée de servir de chair à canon pour les intérêts du capital. Nous ne pouvons pas nous en remettre à l’État capitaliste qui profite de son rôle de “coordinateur” dans la lutte contre la pandémie pour renforcer davantage son contrôle totalitaire, l’atomisation, l’individualisme et développer une idéologie d’union nationale et même de guerre.
Plus que jamais, cette pandémie nous offre une alternative claire : soit nous laisser emporter par la barbarie du capitalisme, soit contribuer patiemment et avec une vision d’avenir à la perspective de la révolution prolétarienne mondiale.
Aujourd’hui, les rues de Madrid offrent le spectacle du ballet ininterrompu d’ambulances hurlantes, du chaos des services de santé et de douleurs comparables à celle des attentats d’Atocha en 2004 (193 morts et plus de 1 400 blessés). Mais, cette fois, il s’agit d’une pandémie qui a déjà fait 2 300 morts et près de 35 000 personnes infectées en Espagne selon les chiffres officiels, une épidémie qui se propage à une vitesse supérieure à celle atteinte en Italie qui, il y a quelques jours, avait déjà battu tous les records en termes de décès quotidiens (651). Sa létalité (plus de 7 000 décès) fait d’ores et déjà considérer cette épidémie comme la pire catastrophe sanitaire dans les deux pays depuis la Seconde Guerre mondiale. Ces pays ne sont que les signes annonciateurs de ce qui attend probablement les populations des métropoles comme New York, Los Angeles, Londres, etc. Une réalité qui sera encore pire lorsque cette épidémie frappera plus durement l’Amérique latine, l’Afrique, et d’autres régions du monde où les systèmes de santé sont encore plus précaires ou carrément inexistants.
Mais auparavant, pendant des semaines, les dirigeants d’Espagne et d’Italie, – tout comme en France (comme nous l’avons montré dans l’article de notre publication en français)[1] et sans aucun doute d’autres puissances capitalistes, – pouvaient parfaitement imaginer les dégâts que cette épidémie allait causer. Pourtant, comme les autres États capitalistes (pas seulement le populiste Johnson en Grande-Bretagne ou Trump aux États-Unis), ils ont décidé de placer les besoins de l’économie capitaliste avant la santé de la population. Désormais, dans leurs discours histrioniques et hypocrites, ces dirigeants se disent prêts à tout pour protéger la santé de leurs citoyens, et ils accusent le “virus”, contre lequel ils prétendent avoir “déclaré la guerre”.
Mais la responsabilité des décès causées par la pandémie est entièrement imputable aux conditions sociales, à un mode de production qui, au lieu d’utiliser le développement des forces productives, des ressources naturelles, de l’avancement des connaissances pour favoriser la vie, immole la vie humaine et la nature sur l’autel de la loi du profit.
On nous martèle que cette pandémie affecte tout le monde sans distinguer les riches ou les pauvres. Ils diffusent les cas de certaines “célébrités” touchées ou même tuées par le Covid-19. Mais de telles anecdotes sont mises en avant pour cacher que ce sont les conditions d’exploitation des travailleurs qui expliquent la montée et la propagation de cette pandémie.
Premièrement, en raison des conditions de surpopulation des quartiers dans lesquels les exploités doivent vivre, qui sont un terreau propice à la propagation des épidémies. Ceci est facilement vérifiable vu l’incidence plus élevée de cette pandémie dans les régions industrielles à forte concentration humaine (Lombardie, Vénétie et Émilie-Romagne en Italie, Madrid, Catalogne et Pays basque en Espagne), que dans les régions moins peuplées (Sicile, Andalousie) à cause de ces mêmes besoins d’exploitation. L’aggravation du problème du logement des travailleurs accentue encore cette vulnérabilité. Dans le cas de Madrid, les hôpitaux qui souffrent de la plus grande saturation et dont les services s’effondrent, correspondent essentiellement à ceux qui desservent la population des villes industrielles du sud. Dans les logements vétustes et surpeuplés, il est également plus difficile de supporter la quarantaine décrétée par les autorités sanitaires. Dans les “chalets” de Somosierra ou les villas de la ville de Nice où Berlusconi se réfugie avec ses enfants, l’isolement est plus supportable. Les exploiteurs cherchent ainsi, et avec quel cynisme, à se vanter de “leur sens civique”.
Ne parlons pas des répercussions sur la population vivant d’emplois précaires qui doivent, en plus, s’occuper de jeunes enfants ou de personnes âgées qui sont entassées dans de tels types de logements. Le cas des personnes âgées est particulièrement scandaleux qui, après avoir été exploitées tout au long de leur vie, sont aujourd’hui contraintes de vivre seules, ou négligées dans des “résidences” régies par les seules lois du profit capitaliste. Avec un soignant pour 18 patients en moyenne, les maisons de retraite sont devenues l’une des principales sources de propagation de la pandémie, comme on l’a vu en Espagne non seulement parmi les prétendus “pensionnaires”, mais aussi parmi ceux qui y travaillent et qui, avec des contrats temporaires et des salaires de misère, ont été contraints de s’occuper de patients à risque, souvent sans [68]mesures [68]minimales d’autoprotection. La situation est identique en France, jusqu’à récemment présentée comme un modèle étatique de protection sociale. En Espagne, le comble a été atteint pour des patients hospitalisés, qui doivent rester isolés dans leurs chambres à côté des cadavres de leurs compagnons d’infortune décédés, car les services funéraires sont débordés ou manquent de mesures d’autoprotection qui ne suffisent pas à recueillir les dépouilles mortelles. De même, les transferts vers des hôpitaux totalement saturés sont retardés et l’avenir qui attend les malades est, dans de nombreux cas, d’être relégués comme patients de troisième ou quatrième catégorie, par les règles d’un “tri” déterminées en considération des ressources matérielles et personnelles et des critères du rapport coûts/bénéfices. Ces critères constituent de véritables atteintes à la dignité humaine et à la vie, aux instincts sociaux qui ont permis à l’humanité de se développer, et qui aujourd’hui sont mis en place, ouvertement, par les autorités italiennes, espagnoles, françaises, etc.
On peut ajouter à cela la surexploitation et la surexposition au virus désormais bien connues des travailleurs de la santé qui concentrent à eux-seuls entre 8 et 12 % des cas d’infections : plus de 5 000 seulement en Espagne. Même ces statistiques sont en fait largement tronquées, car une bonne partie de ces travailleurs n’ont pas pu être testés pour savoir s’ils sont infectés ou non par le coronavirus. Pourtant, ils sont obligés de travailler sans les gants, masques et blouses de protection nécessaires, qui ont été considérés comme des dépenses “superflues” pour les budgets de santé et le fonctionnement de l’économie capitaliste. Comme dans les hôpitaux, les lits de soins intensifs, les respirateurs, la recherche sur les coronavirus, les remèdes et les vaccins possibles,… tout cela a été sacrifié au nom de la rentabilité de l’exploitation. Aujourd’hui, les cahiers de doléances médiatisées, en particulier véhiculées par les personnalités politiques de “gauche”, tentent de détourner la colère de la population contre la “privatisation” du système des soins de santé. Mais quel que soit le propriétaire de l’hôpital, du laboratoire pharmaceutique ou de la maison de retraite, la vérité est que la santé de la population est soumise à la règle du profit que peut retirer une minorité exploiteuse au détriment de l’ensemble de la société.
La dictature des lois du capital sur les besoins humains s’est clairement révélée dans la mise en place des mesures de quarantaine et de confinement en Italie, en Espagne et en France, pays qui ont imposé des restrictions draconiennes pour faire les courses, supprimer les visites aux personnes âgées, isoler des enfants ou des patients en situation de handicap, mais qui ont néanmoins été totalement laxistes sur d’autres déplacements pour inciter la population à se rendre sur les chantiers de construction, pour charger les navires avec des conteneurs de toutes sortes de matériaux, pour maintenir coûte que coûte la production dans différentes usines (textile, appareils électroménager, chaînes d’automobiles, etc.). Et pour “sécuriser” ces conditions d’exploitation, tout en poursuivant quelques “joggers” ou ouvriers qui prennent la voiture en petits groupes pour se rendre au travail (et économiser une partie des frais de déplacement), l’utilisation du métro ou des transports en commun est autorisée jusque dans les banlieues pour que “la production nationale” se poursuive. De nombreux travailleurs sont scandalisés par le cynisme criminel de la bourgeoisie et expriment leur colère à travers les réseaux sociaux, car dans les conditions actuelles, il est impossible de le faire ensemble dans la rue ou dans les assemblées. Ainsi, face à la campagne assurée par les principaux médias avec le slogan “Restez chez vous !”, un hashtag tout aussi populaire a été lancé #Je-ne-peux pas-rester-à-la-maison à travers lequel s’expriment des livreurs (Deliveroo, Uber), des aides à domicile, des travailleurs du vaste secteur de l’économie souterraine, etc.
Des protestations et des grèves ont également éclaté contre le maintien du travail dans des conditions qui méprisent la vie et la sécurité des travailleurs. Comme il a été crié lors des manifestations en Italie : “Vos profits valent plus que notre santé !”
En Italie, cette colère a explosé depuis le 10 mars à l’usine FIAT de Pomigliano où 5 000 travailleurs sont présents quotidiennement. Les ouvriers se sont mis en grève pour protester contre les conditions précaires dans lesquelles ils ont été contraints de travailler. Dans d’autres usines du secteur de la métallurgie, à Brescia, par exemple, les ouvriers ont posé un ultimatum aux entreprises pour qu’elles adaptent la production aux besoins de la protection des travailleurs, en menaçant de se mettre en grève. Finalement, les entreprises ont décidé de fermer les usines. Et lorsque, plus récemment, le 23 mars, un décret ultérieur du Premier ministre Conte a donné le feu vert à la poursuite du travail dans des industries pas forcément essentielles, des grèves spontanées ont de nouveau éclaté, ce qui a conduit le syndicat CGIL à faire semblant d’appeler à une “grève générale”.
En Espagne, cela a commencé dans l’usine Mercedes de Vitoria, après l’apparition de cas d’infection par le Covid-19 lorsque les travailleurs ont décidé d’arrêter immédiatement le travail. La même chose s’est produite dans l’usine de produits électroménagers Balay à Saragosse (1 000 travailleurs) ou dans l’usine Renault de Valladolid. Il faut dire que, dans bien des cas, c’est l’entreprise elle-même qui a décidé un lock-out (comme à Airbus à Madrid, à la SEAT à Barcelone ou chez Ford à Valence dans la même période, puis chez PSA à Saragosse ou chez Michelin à Vitoria) pour que ce soient les caisses de l’État (autrement dit la plus-value extraite de la classe ouvrière dans son ensemble) qui assument le paiement d’une partie du salaire de ses travailleurs, alors qu’en réalité, avant la pandémie, il y avait déjà des plans de licenciement (dans les usines Ford ou chez Nissan à Barcelone).
Mais il y a aussi des manifestations ouvertes de combativité de classe comme la grève sauvage, c’est-à-dire en marge et contre les syndicats, qui a eu lieu dans les bus à Liège (Belgique) contre l’irresponsabilité de l’entreprise de faire travailler ses employés restant exposés à la contagion, alors que la Belgique avait été l’un des premiers pays à promulguer une fermeture du pays. Il en va de même, par exemple, du personnel de la boulangerie Neuhauser et des chantiers navals ou de la société SNF à Andrézieux (près de Lyon). En France, il y a eu des expressions très dures de protestation dans les chantiers navals de Saint-Nazaire. C’est ainsi qu’un travailleur de ces chantiers navals s’est exprimé à la télévision : “Je suis obligé de travailler dans des espaces confinés avec 2 ou 3 collègues dans des cabines de seulement 9 m² et sans aucune protection. Ensuite, je dois retourner chez moi où ma femme et mes enfants sont confinés. Et je me demande avec angoisse si je ne représente pas un danger pour eux. Je ne peux pas supporter cela”.
Au fur et à mesure que l’épidémie se propage avec ses effets désastreux sur les travailleurs, des foyers, même minoritaires, de protestations ouvrières naissent de cette imposition de la logique et des besoins de l’exploitation capitaliste : nous l’avons vu à la FIAT-Chrysler des usines de Tripton (dans l’Indiana) qui protestaient contre le fait de devoir se rendre au travail quand il est interdit de se réunir en dehors des usines. Des réactions similaires ont pu être observées dans les usines de Lear à Hammond, également dans l’Indiana, dans les usines FIAT de Windsor (Ontario au Canada), ou dans l’usine de camions Warren dans la périphérie de Détroit. Les chauffeurs de bus de la ville de Detroit ont également interrompu leur travail jusqu’à ce que l’entreprise leur assure un minimum de sécurité au travail. Il est très significatif que, dans ces luttes aux États-Unis, les travailleurs aient dû imposer leur décision de cesser de travailler contre la consigne donnée par le syndicat (en l’occurrence l’UAW) qui les a encouragés à continuer de travailler afin de ne pas nuire aux intérêts de l’entreprise.
Dans le port de Santos (Brésil), des travailleurs ont manifesté contre les obligations imposées par les autorités de se rendre au travail. Également dans ce pays, il y a une préoccupation croissante parmi les travailleurs des usines Volkswagen, Toyota, GM, etc. contre le fait de devoir poursuivre la production comme s’il n’y avait pas de pandémie.
Si limitées que soient ces protestations, elles constituent une part importante de la réponse de classe du prolétariat à la pandémie, qui a indubitablement un caractère de classe contre le capitalisme. Même sur un terrain purement défensif, les exploités refusent d’accepter d’être réduits à de la chair à canon pour les intérêts de leurs exploiteurs.
La bourgeoisie elle-même est consciente du potentiel de développement de la combativité et de la conscience du prolétariat que contient cette accumulation d’agitation, d’indignation et de sacrifices qui sont exigés des travailleurs. Désormais, même les principaux protagonistes de “l’austéricide”[2] (comme Merkel, ou Berlusconi, ou l’espagnol Luis de Guindos) sont plein la bouche de promesses d’aide sociale. Mais les armes de la classe exploiteuse restent les armes traditionnelles de toute l’histoire de la lutte des classes : tromperie et répression.
L’hypocrisie des campagnes d’applaudissements a été programmée et organisée partout en faveur des travailleurs du secteur sanitaire. Bien sûr, ces prolétaires méritent toute la reconnaissance et la solidarité car ce sont essentiellement eux qui, avec leurs efforts et leur soutien, essaient de maintenir les soins de santé à flot. Ils le font depuis des années contre les suppressions d’emplois et la détérioration des ressources matérielles. Ce qui est d’un cynisme répugnant, c’est de voir comment les autorités gouvernementales qui ont précisément créé ces conditions de surexploitation et d’impuissance de ces travailleurs, cherchent à associer leur prétendue “solidarité” avec l’idée que nous devrions tous nous sentir embarqués dans le même bateau, en chantant l’hymne national et en exaltant les valeurs nationalistes comme réponse à la propagation de la pandémie. Le nationalisme dégoûtant de ces “mobilisations” promues par les propres organes de l’État tente de cacher qu’il ne peut y avoir le moindre intérêt commun entre exploiteurs et exploités, entre capitalistes et personnes affectées par la dégradation des infrastructures sanitaires, entre ceux qui ne se préoccupent que du maintien de la production et de la compétitivité du capital national et ceux qui placent le respect de la vie et des besoins humains au premier plan. La “patrie” n’est qu’un énorme bobard pour les travailleurs, qu’elle soit mise en avant par des fractions populistes comme Salvini et Vox, ou par des chantres de la démocratie comme Podemos, Macron et autres Conte.
Au nom précisément de cette mensongère “solidarité nationale”, les citoyens sont appelés à dénoncer les personnes qui “outrepassent” la quarantaine, favorisant un climat de “chasse aux sorcières” envers des mères d’enfants autistes ou des couples âgés qui font du shopping ou même du personnel de santé se rendant dans les hôpitaux. Il est particulièrement cynique de blâmer quelques “contrevenants” pour la propagation de la pandémie, pour les décès causés par celle-ci ou pour le stress subi par le personnel soignant.
Il n’y a rien de plus antisocial (c’est-à-dire contraire à la communauté humaine) que l’État capitaliste qui défend précisément les intérêts de classe de la minorité exploiteuse, et qui le cache précisément avec la feuille de vigne de cette prétendue et fausse solidarité. De façon doublement hypocrite et criminelle, la bourgeoisie essaie d’utiliser le désastre causé par l’incurie de l’État capitaliste qui défend ses sordides intérêts de classe, comme un moyen d’opposer certains travailleurs à d’autres. Si les employés de l’hôpital refusent d’accepter de travailler sans moyens de protection, ils sont dénoncés comme étant “non solidaires” et menacés de sanctions, comme cela a été récemment le cas avec le licenciement du directeur médical de l’hôpital de Vigo (Galice) pour avoir osé dénoncer le “bla-bla” des politiciens bourgeois concernant les mesures de protection. Le gouvernement de Valence (les mêmes partis que la coalition “progressiste” qui gouverne l’Espagne) menace de censurer les images qui montrent l’état de santé [69]désastreux dans cette région, invoquant le droit à la “vie privée” des patients lorsqu’ils sont entassés dans les services d’urgence !
Si les travailleurs de la compagnie municipale de transports funéraires refusent de travailler sans protection avec les cadavres tués par le Covid-19, ils sont accusés d’être ceux qui empêchent la famille, les proches, les amis d’assister aux funérailles et de faire le deuil du défunt… Comme avec les conditions de logement ou comme lorsqu’ils nous font nous déplacer comme du bétail dans les transports en commun vers les lieux de travail, comme sur les lieux mêmes de travail où l’ergonomie est conçue en fonction de la productivité et non de la physiologie des travailleurs, ceux tués par le coronavirus sont aussi entassés dans des bâtiments transformés en morgues de masse improvisées comme le Palacio de Hielo (Palais de Glace) à Madrid.
Tout l’étalage de cette brutalité inhumaine nous est cependant présenté comme le summum de l’union de toute la société. Ce n’est pas un hasard si dans les conférences de presse du gouvernement espagnol, face aux questions angoissées qui sont posées (“quand arriveront les tests ? Et les masques ? Et les respirateurs ?”), on a invariablement la même réponse imperturbable et évasive du ministre de la Santé : “Dans les prochains jours…”) alors qu’à ses côtés apparaissent les généraux de l’armée, de la police, de la garde civile, bardés de toutes leurs médailles. Le but est d’imprégner les esprits de la population et la plonger dans une ambiance militariste bien connue : “Obéissez sans poser de questions”. La bourgeoisie profite également de l’occasion pour habituer la population à toutes sortes de restrictions aux dites “libertés civiles”, cela à la discrétion de l’Autorité gouvernementale, avec des effets hautement discutables, mais qui favorisent l’autodiscipline sociale et la délation comme nous l’avons vu précédemment et qui sont présentées comme le seul rempart contre les maladies et le chaos social. Ce n’est pas non plus par hasard que la bourgeoisie occidentale exprime aujourd’hui une fascination non dissimulée pour le contrôle que certains régimes totalitaires, comme celui du capitalisme chinois,[3] exercent sur la population. Si aujourd’hui le succès de “la mise en quarantaine” en Chine contre le coronavirus est autant salué, c’est aussi pour camoufler leur admiration pour les instruments de ce contrôle totalitaire de l’État (reconnaissance faciale, suivi des mouvements et rencontres de personnes, utilisation de ces informations pour classer la population en catégories selon leur niveau de “dangerosité sociale”), et pour être en mesure, à l’avenir, de présenter ces moyens d’un plus grand contrôle totalitaire de l’État exploiteur comme le moyen le plus efficace de “protéger la population” contre les épidémies et autres produits du chaos capitaliste.
Nous avons montré comment, face à une crise sociale, se révèle l’existence de deux classes antagonistes : le prolétariat et la bourgeoisie. Qui est en train d’organiser le meilleur des efforts de l’humanité pour essayer de limiter l’impact de l’épidémie ? C’est essentiellement le travail des services sanitaires, des chauffeurs des transports en commun, des ouvriers des supermarchés et de l’industrie alimentaire qui ont constitué la planche de salut à laquelle se cramponne l'État en pleine débâcle. Il a été démontré une fois de plus que le prolétariat est, au niveau mondial, la classe productrice de la richesse sociale, et que la bourgeoisie est une classe parasite qui profite de cette démonstration de ténacité, de créativité, de travail d’équipe dans le but de faire fructifier son capital. Chacune de ces classes antagonistes offre une perspective complètement différente par rapport au chaos mondial dans lequel le capitalisme a plongé l’humanité aujourd’hui : le régime d’exploitation capitaliste précipite l’humanité dans toujours plus de guerres, d’épidémies, de misère, de désastres écologiques ; la perspective révolutionnaire libère l’espèce humaine de sa soumission aux lois de l’appropriation privée par une minorité exploiteuse.
Mais les exploités ne peuvent échapper individuellement à cette dictature. Ils ne peuvent échapper par des actions particulières aux orientations chaotiques d’un État qui agit, en effet, au profit d’un mode de production qui domine le monde entier. Le sabotage ou la désobéissance individuelle est le rêve impossible de classes qui n’ont aucun avenir à offrir à l’humanité dans son ensemble. La classe ouvrière n’est pas une classe de victimes impuissantes. C’est une classe qui porte en elle la possibilité d’un monde nouveau libéré précisément de l’exploitation, des divisions entre classes et nations, de la sujétion des besoins humains aux lois de l’accumulation.
Un philosophe (Buyng Chul Han) très à la mode pour sa description du chaos provoqué par les relations sociales capitalistes actuelles a récemment déclaré que “nous ne pouvons pas laisser la révolution au virus”. C’est certain. Seule l’action consciente d’une classe mondiale pour éradiquer consciemment les racines de la société de classe peut constituer une véritable force révolutionnaire.
Valerio, 24 mars 2020
[2] C’est le nom sous lequel avaient été “popularisées” les mesures décrétées par l’Union européenne face à la crise de 2008 et qui impliquaient, entre autres, un démantèlement des structures de santé.
[3] Évidemment pour le communisme authentique, la Russie, la Chine, Cuba et leurs variantes ne sont que l’expression extrême du caractère totalitaire de la forme de domination universelle du capitalisme d’État dans la période de décadence du capitalisme.
Nous n'avons pas été en mesure d'envoyer le journal de mars-avril à nos abonnés (Révolution internationale n° 481 [71]). Dans la situation actuelle de confinement, notre imprimeur a du momentanément fermer ses portes et nous n'avons pas trouvé d'autres solutions pour imprimer ce numéro. Nous procéderons à son envoi dès que la situation le permettra.
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RI
Nous publions désormais dans cette rubrique l'ensemble de nos articles sur la pandémie de Covid-19.
– Confinement: l’État bourgeois montre toute sa brutalité [73] (New)
– Guerre des vaccins: Le capitalisme est un obstacle à la découverte d’un traitement [74]
– Les groupes gauchistes face à la pandémie, chiens de garde et rabatteurs du capitalisme [75]
– La réponse chaotique de la bourgeoisie américaine face à la pandémie [76]
– L’impact profond de la crise du Covid-19 en Grande-Bretagne [77]
– Déconfinement scolaire: École “sans contact” et appel à la délation [79]
– Covid-19: Malgré tous les obstacles, la lutte de classe forge son futur [80]
– Covid-19: L’instinct de puissance de la bourgeoisie allemande [81]
– L’État capitaliste, responsable de la catastrophe dans les hôpitaux! [84]
– Pandémie du Covid-19: contribution d’un camarade proche [85]
– Covid 19: Des réactions face à l'incurie de la bourgeoisie [86]
– Pandémie du Covid-19: À Guayaquil (Équateur), le capitalisme sème la mort et l’horreur [87]
– Guerre des masques: la bourgeoisie est une classe de voyous! [89]
– Pandémie de COVID-19 en France: L’incurie criminelle de la bourgeoisie! [70]
En Grande-Bretagne, la propagande permanente de la bourgeoisie sur la pandémie de Covid-19 a plusieurs thèmes, mais aucun n’est aussi répété et faux que le slogan : “Nous sommes tous ensemble face à la situation”, “Nous sommes tous dans le même bateau”. Le Premier ministre Boris Johnson est même allé jusqu’à remettre en cause une pierre angulaire du thatchérisme en affirmant : “Une chose que la crise du coronavirus a déjà prouvée, je pense, c’est qu’il faut considérer la question sociale”. En réalité, alors que n’importe qui peut contracter le virus, y compris Johnson, le ministre de la santé, le Chief Medical Officer et le prince Charles, la société de classes continue et la crise a des répercussions profondes mais différentes sur les services de santé, la vie politique de la bourgeoisie, l’économie et le prolétariat.
La pandémie est un désastre pour l’économie, elle risque d’aggraver la désorientation de la classe ouvrière et aggraver ses conditions d’existence, et elle a stimulé la propagande pour l’unité nationale, que la bourgeoise va essayer de faire fonctionner en rejetant toujours la faute sur le Covid-19. La seule chose à laquelle elle ne devrait pas échapper, c’est la responsabilité de la classe dirigeante d’avoir laissé le coronavirus se répandre dans la population. Il n’y a pas de statistiques fiables parce qu’il y a eu très peu de tests effectués, mais bien plus de personnes auront été touchées que ne le montrent les chiffres officiels. La responsabilité incombe à la bourgeoisie, car il existe déjà des prévisions selon lesquelles la Grande-Bretagne aura le plus grand nombre de décès en Europe, bien qu’elle ait été avertie lorsque le nombre de morts augmentait en Chine, en Iran, en Italie et en Espagne.
Le système de santé n’a pas été en mesure de faire face au développement de la crise. En janvier dernier, la revue médicale The Lancet déclarait : “Les plans de préparation doivent être prêts à être déployés à court terme, notamment en sécurisant les chaînes d’approvisionnement en produits pharmaceutiques, en équipements de protection individuelle, en fournitures hospitalières et en ressources humaines nécessaires pour faire face aux conséquences d’une épidémie mondiale de cette ampleur”. Cela n’a pas été fait et le rédacteur en chef de Lancet a dénoncé cet échec : “Cet échec est dû en partie au fait que les ministres n’ont pas suivi le conseil de l’OMS de "tester, tester, tester" chaque cas suspect. Ils n’ont pas isolé et mis en quarantaine. Ils n’ont pas tracé les contacts. Ces principes de base de la santé publique et du contrôle des maladies infectieuses ont été ignorés, pour des raisons qui restent opaques. Le résultat a été le chaos et la panique dans tout le NHS”. (1) Quant aux mesures mises en place, “ce plan, adopté beaucoup trop tard au cours de l’épidémie, a laissé le NHS totalement désemparé face à l’afflux de patients gravement malades qui ne tardera pas à arriver”.
Les défaillances du NHS ne sont pas nouvelles. Au cours des trente dernières années, le nombre de lits d’hôpitaux a été réduit de 299 000 à 142 000. L’Allemagne compte 621 lits d’hôpital pour 100 000 habitants, contre 228 pour 100 000 en Grande-Bretagne. L’Allemagne dispose de 28 000 lits de soins intensifs (qui devraient bientôt doubler) contre 4 100 pour la Grande-Bretagne. En Grande-Bretagne, un poste de soins infirmiers sur huit est vacant. Parmi les pays développés, la Grande-Bretagne se situe à l’avant-dernier rang pour le nombre de médecins et d’infirmières par habitant (2,8 et 7,9 pour 1000 habitants).
L’une des questions qui revient sans cesse est la suivante : Comment se fait-il que l’Allemagne puisse tester 500 000 personnes par semaine alors que le Royaume-Uni ne peut même pas en tester 10 000 par jour ? Cette question suscite une tempête de plus en plus vive, car il devient de plus en plus évident que le service de santé était mal préparé. De plus, la question des équipements de protection individuelle est devenue une préoccupation majeure pour les travailleurs de la santé et des services sociaux. Il ne s’agit pas seulement du manque d’équipement, mais aussi de l’obsolescence des équipements de protection individuelle (EPI) à porter lors des soins aux patients atteints de Covid. Au départ, le NHS utilisait des EPI recommandés par l’OMS, mais il a ensuite adopté ses propres critères, ce qui a suscité une méfiance généralisée. Il y a aussi le scandale des EPI qui ont été envoyés par la Grande-Bretagne en Chine au début de l’épidémie, alors que ces fournitures en Grande-Bretagne étaient sérieusement limitées.
La conversion de centres d’exposition à Londres et Birmingham en hôpitaux de fortune, le retour au travail de personnels de la santé à la retraite, ainsi que des volontaires qui effectueront des tâches non médicalisées, ne fait que souligner les carences criantes du NHS.
Le manque de préparation du NHS était connu bien à l’avance. En 2016, le gouvernement a organisé un exercice de trois jours (Exercice Cygnus) pour voir dans quelle mesure seraient prêts les hôpitaux, les autorités sanitaires et d’autres organismes gouvernementaux face à sept semaines d’une nouvelle pandémie de grippe respiratoire. Le NHS a échoué au test et le rapport n’a jamais été publié. Le Daily Telegraph du 28 mars 2020 a décrit les résultats de l’exercice : “Le pic de l’épidémie n’était pas encore arrivé, que les dispensaires, les centres locaux de thérapie, les hôpitaux et les morgues de tout le pays étaient déjà débordés. Il n’y avait pas assez d’équipements de protection individuelle (EPI) pour les médecins et les infirmières du pays. Le NHS était sur le point de “tomber” en raison d’une pénurie de ventilateurs et de lits de soins intensifs. Les morgues étaient sur le point de déborder, et il était devenu terriblement évident que les messages d’urgence du gouvernement n’étaient pas bien accueillis par le public”. Parmi les raisons invoquées pour ne pas publier le rapport, il y avait le fait que les résultats étaient “trop terrifiants” et qu’il y avait des préoccupations de “sécurité nationale”.
Parmi les lacunes identifiées, il y avait la pénurie de lits de soins intensifs et d’équipements de protection individuelle, mais les mesures d’austérité du gouvernement ont empêché toute action en ce domaine. Bien que le rapport n’ait pas été publié, un certain nombre de ses implications ont été prises en charge par d’autres instances. Par exemple, il semble avoir été prévu que si les cadres supérieurs du NHS n’étaient plus en mesure de prendre en charge la coordination du système de soins, l’armée serait amenée à le faire. Le NHS étant de plus en plus sollicité, l’appel à des militaires et à des bénévoles était déjà utilisé pour faire face à la situation.
Il faut également dire que ce n’est pas seulement le NHS qui est sous pression, c’est tout le système d’aide sociale qui est mis à rude épreuve. Le fait que le nombre de décès dans les maisons de soins ait été massivement sous-estimé nous rappelle que ce n’est pas seulement le NHS mais toute une série d’institutions qui sont au bord de la rupture.
Alors que la classe dirigeante de la plupart des pays a réagi de manière similaire au développement de la pandémie, en Grande-Bretagne, ce fut différent, bien qu’elle ne se soit pas tout à fait comportée comme Trump aux États-Unis ou Bolsonaro au Brésil. Comme l’indique un article de l’Observer du 15 mars 2020 : “Plutôt que d’apprendre des autres pays et de suivre les conseils de l’OMS, qui proviennent d’experts ayant des décennies d’expérience dans la lutte contre les épidémies dans le monde entier, le Royaume-Uni a décidé de suivre sa propre voie. Il semble accepter le fait que le virus est inéluctable et qu’il deviendra probablement une infection annuelle et saisonnière. Le plan, comme l’a expliqué le conseiller scientifique en chef, consiste à travailler à une “immunité collective”, c’est-à-dire à faire en sorte que la majorité de la population contracte le virus, développe des anticorps et devienne ensuite immunisée contre lui”. C’était l’idée, comme celle de “l’idéologie du Brexit”, que la Grande-Bretagne pouvait faire cavalier seul, avec ses propres experts, en ignorant les directives de l’OMS. En particulier, l’idée que combattre l’avancée du Covid-19 pourrait être laissé de côté et qu’une “immunité collective” se développerait parmi les survivants, au détriment de ceux qui devaient en mourir. Cette approche totalement cynique est censée protéger l’économie. Si beaucoup de retraités venaient à mourir, alors “tant pis”. Que ces deux derniers mots aient été prononcés ou non, ils résument certainement l’attitude des membres du gouvernement. Ce dernier, guidé par les experts qu’il avait choisis, avait une politique de survie du plus apte, qui n’est qu’une condamnation à mort des plus vulnérables, les personnes âgées, les personnes en surpoids et celles souffrant de maladies graves. En février, Johnson avait critiqué “la bizarre rhétorique autarcique” et défendu “le droit des populations de la Terre à acheter et à vendre librement entre elles”. Cependant, après qu’un rapport de l’Imperial College a pronostiqué que la politique du gouvernement engendrerait 250 000 morts, le gouvernement a reculé sur cette position. Le 16 mars, Johnson est apparu à la télévision en disant que tout contact non essentiel avec les autres devrait cesser et que les gens devraient désormais rester chez eux. Le fait que certains proches du gouvernement affirmaient alors que moins de 20 000 morts serait “un très bon résultat” pour le Royaume-Uni montre à quel point la bourgeoisie jouait encore avec la vie des gens comme si tout cela n’était qu’une compétition macabre.
Les critiques envers la politique du gouvernement ont attribué cette situation à la négligence propre des Tories (Parti conservateur), sans reconnaître que la réponse de la bourgeoisie totalement dépassée au niveau international a été inadéquate, indépendamment des louanges adressées à l’Allemagne, à la Corée du Sud, etc. Au fil du temps, la réponse de l’État britannique a fini par ressembler à celle d’autres pays. Cependant, le populisme a toujours son influence. Par exemple, le Royaume-Uni était en négociation avec l’Union européenne (UE) pour l’achat de 8 000 respirateurs, mais il a abandonné ce projet parce que (selon un porte-parole du Premier ministre) le pays n’est “plus membre” et “fait ses propres efforts”. Plus tard, l’UE a été accusée d’avoir eu un “problème de communication” lors de ce contrat. Les personnes âgées ou fragilisées par d’autres affections médicales, l’approche de la bourgeoisie, à la lumière du retard pris dans la production de respirateurs, sera de traiter les jeunes et d’abandonner les autres.
Nombre de ces mêmes critiques sur la responsabilité et l’arrogance incontestable du gouvernement pendant la crise actuelle, nous invitent à concentrer notre colère sur le gouvernement conservateur nouvellement élu, ainsi que sur ses prédécesseurs de droite. Cela revient à ignorer le rôle historique et continu de “l’Opposition loyale de Sa Majesté”, le Parti travailliste, dans la réduction des “services publics”, par exemple en élargissant considérablement le financement privé de la santé qui a drainé environ 80 milliards de livres sterling des ressources du NHS entre 1997 et 2010, ce qui représente jusqu’à un sixième des budgets des autorités sanitaires locales (dotation) et laisse des dettes à payer jusqu’en 2050.
Le slogan “Protéger le NHS” a été mis en avant par le gouvernement tout en blâmant les “égoïstes” qui stockent de la nourriture, du désinfectant pour les mains ou des rouleaux de papier toilette, ou qui vont travailler si ce n’est pas essentiel, ou qui vont trop loin pour faire de l’exercice. Dans l’esprit de la campagne guerrière menée contre le marché noir, les attaques contre les petits profits détourneront l’attention des véritables coupables : toute la classe capitaliste et le système qu’elle défend.
La bourgeoise britannique a néanmoins soutenu une “importation étrangère”, à savoir les applaudissements envers les travailleurs de la santé. Cette action a été prise en charge et institutionnalisée à 20 heures tous les jeudis. Elle ne coûte rien et s’ajoute à la campagne “Protéger le NHS”.
Mais en quoi le NHS est-il protégé ? Son insuffisance a été mise en évidence dès le début. Lorsque 750 000 personnes ont répondu à l’appel, la presse grand public a salué leur humanité : “l’armée d’un peuple vaillant”, “une nation de héros”, “une armée de cœur”. Les bénévoles avaient certainement le désir d’aider face au besoin. En pratique, la nécessité de faire appel aux ressources de l’armée et aux masses de bénévoles montre que c’est le mythe du NHS que la bourgeoisie tente de protéger. Il n’y a pas de héros, seulement une main-d’œuvre surexploitée qui est obligée de travailler dans des conditions désespérément inadéquates.
Alors que dans d’autres pays on a utilisé l’image de la guerre, en Grande-Bretagne, on évoque l’esprit du Blitz pendant la Seconde Guerre mondiale. Le Royaume-Uni est attaqué par un ennemi invisible et chacun est censé “faire sa part de devoir”. Que ce soit au sein du NHS, en faisant du bénévolat ou en effectuant d’autres travaux essentiels, ou simplement en restant chez soi, nous sommes tous censés nous rassembler… derrière la bourgeoise responsable de milliers de tragédies.
Avec l’arrêt de toutes les opérations non essentielles et l’obligation pour les personnes de rester chez elles, toutes sortes d’entreprises sont confrontées à la faillite, et les travailleurs sont confrontés au chômage et tentent de réclamer des allocations, de payer le loyer et de continuer à rembourser les dettes déjà accumulées. Les prévisions concernant l’augmentation du chômage, selon la holding financière Nomura, s’élèvent à 8 %, ce qui suggère 1,4 million de chômeurs supplémentaires : soit un total de 2,75 millions d’ici à juin.
Quant au PIB, Nomura suggère qu’il va s’effondrer de 13,5 %, d’autres prévoient une baisse de 15 %. Le gouvernement a alloué l’énorme somme de 266 milliards de livres cette année pour faire face à toutes les éventualités découlant du Covid-19. Cela pourrait signifier emprunter au moins 200 milliards de livres et que le niveau d’endettement du Royaume-Uni pourrait atteindre 2 000 milliards de livres dans les douze mois, ce que le budget du 11 mars n’avait pas prévu avant 2025. Ce niveau d’emprunt, équivalant à 9 % du PIB, effacerait presque toutes les réductions de dette de la dernière décennie d’austérité.
L’Office de la responsabilité budgétaire a émis l’hypothèse que l’économie britannique pourrait se contracter de 15 % ce printemps, avec un taux de chômage de 10 % et, avec des emprunts publics qui augmentent à un rythme jamais vu depuis la Seconde Guerre mondiale, une dette qui dépasserait les 100 % du PIB. On prévoit la plus grave récession depuis 1929. La Banque d’Angleterre a réduit les taux d’intérêt à deux reprises pour atteindre un taux marginal de 0,1 %. Son programme de relance, qui consiste essentiellement à imprimer de l’argent pour stimuler l’économie, a été étendu à 645 milliards de livres sterling. L’intervention de l’État dans l’économie n’est pas une sorte de “virage à gauche” tel que le réclament les gauchistes, mais la réponse inévitable du capitalisme à chaque secousse de la crise économique. Parmi les mesures prises on peut citer :
– le gouvernement couvrira 80 % de la masse salariale des employeurs afin de garder les employés, jusqu’à 2 500 £ par mois ;
– des dispositions similaires pour les indépendants ;
– le report de factures de TVA d’une valeur de 30 milliards de livres sterling ;
– une augmentation des prestations sociales de 7 milliards de livres
– une augmentation d’un milliard de livres de l’aide au logement pour aider les locataires ;
– une relance budgétaire de 30 milliards de livres, dont 2 milliards directement pour la lutte contre les coronavirus, avec plus de fonds pour le NHS ;
– des prêts garantis par le gouvernement pour une valeur de 330 milliards de livres, soit 15 % du PIB ;
– une enveloppe de 20 milliards de livres pour les entreprises, dont 12 mois de congé pour toutes les entreprises du secteur du commerce de détail, des loisirs et de l’hôtellerie, et des subventions en espèces pouvant atteindre 25 000 livres pour les petites entreprises ;
– une suspension de trois mois de versement hypothécaire pour les propriétaires ;
– une interdiction de trois mois d’expulsion de locataires.
Ce n’est qu’un début. Le gouvernement Johnson avait déjà mis en place un régime de dépenses qui n’avait pas été chiffré ; à présent, toute une série de mesures s’y ajoutent. L’économie est touchée de plein fouet, sans que l’on se préoccupe de savoir d’où viendra l’argent. Ce qui est sûr, c’est que la classe ouvrière devra payer la facture ! Quelle que soit la forme qu’elles prendront, les mesures d’austérité de ces dix dernières années sembleront insignifiantes en comparaison. Mais alors que les attaques précédentes pouvaient être imputées aux “banquiers” et au “néo-libéralisme”, les attaques futures seront mises exclusivement sur le compte de l’impact de la pandémie.
Il faut dire que le travail (et l’exploitation) n’a pas vraiment cessé en Grande-Bretagne. Les hôpitaux et les centres de soins sont confrontées, comme les usines, à l’accélération de la demande. Les chauffeurs de bus des transports publics ont été des victimes notables du virus et les transporteurs continuent pourtant à livrer leurs marchandises. Les centres de distribution de nourriture et de vêtements ont connu des protestations contre l’insuffisance de la protection. Les travailleurs dans le secteur de la défense nationale (sur la Clyde et ailleurs) ont été priés de retourner à leur poste de travail “désinfecté”, au nom de la “sécurité nationale”, avec seulement 2 mètres de distance de sécurité pour se protéger, tandis que les personnels des supermarchés ont été salués comme “des prolétaires, fiers et patriotiques” accomplissant leur devoir au service de la Reine et du pays.
Cependant, du point de vue de la survie immédiate, des millions d’autres travailleurs n’ont guère d’autre choix que de suivre l’instruction donnée à tous, à l’exception des “travailleurs essentiels”, de rester chez eux et, lorsqu’ils sont dehors, de pratiquer la “distanciation sociale”. Mais en même temps, ces conditions constituent une grande barrière au développement de toute résistance ouverte au système. Cette atomisation forcée pour des millions de personnes va de pair avec l’héroïsation de ceux qui travaillent dans le NHS. Alors que l’association fait partie de la condition de la classe ouvrière, actuellement une grande partie de la main-d’œuvre est coincée chez elle, soumise à la propagande médiatique 24 heures sur 24. On nous dit constamment que tout cela est la faute du coronavirus, et non pas du fait de la décomposition d’un mode de production en déclin depuis plus d’un siècle.
Les travailleurs sont susceptibles, à juste titre, d’être préoccupés par la défense de leurs intérêts immédiats. Dois-je prendre les moyens de transport ? Où puis-je me procurer de la nourriture ? Comment maintenir la distance entre moi et d’autres personnes qui pourraient être porteurs du virus ? Si je suis licencié, d’où viendra l’argent ?
On fait miroiter la possibilité de recours au “crédit universel” mais les demandes ont dépassé les moyens du Ministère du travail et des pensions (Department for Work and Pension ou DWP). En une quinzaine de jours, 950 000 travailleurs ont demandé ce “crédit universel”. Les travailleurs ont appelé le DWP une centaine de fois sans pouvoir parler à personne. Et pour ceux qui ont réussi à faire leur demande, il y a une attente d’au moins cinq semaines avant d’obtenir une réponse.
Dans les enquêtes, 1,5 million d’adultes disent ne pas pouvoir se nourrir suffisamment et 3 millions affirment avoir dû emprunter de l’argent en raison de la réduction de leurs revenus provoquée par la situation.
Tout ce qui découle de la fermeture des sites et de la distanciation sociale rend donc (pour l’instant) plus difficile pour les travailleurs l’élaboration d’une réponse collective. Cela ne peut qu’accroître le sentiment d’atomisation et créer un véritable obstacle au développement de l’identité de classe. Nous sommes ainsi transformés en une armée d’individus, demandeurs de crédits à l’État capitaliste.
Toutes ces préoccupations fondamentales des travailleurs passent probablement en premier, avant de réfléchir à la nature de la crise sociale ou à la nécessité de renverser le capitalisme. Et les gauchistes sont toujours là pour contribuer à la désorientation de la classe ouvrière. Le Socialist Workers Party (parti trotskiste britannique), par exemple, critique Corbyn, le Labour (Parti travailliste) et le Trades Union Congress (2) pour avoir exprimé leur accord avec les mesures gouvernementales tout en exigeant que l’État “reprenne les services essentiels des mains des patrons privés pour s’assurer que les gens obtiennent ce dont ils ont besoin”. Il y a aussi la tentative d’identifier des individus comme étant les seuls responsables, comme Alan Thornett (Socialist Resistance) qui a déclaré que “la profondeur et la gravité de la crise à laquelle nous allons faire face en Grande-Bretagne a été faite à Westminster par Boris Johnson et Dominic Cummings”. D’autres ont demandé la démission du ministre de la santé, Matt Hancock. Chercher un coupable parmi la classe dirigeante (comme si le remplacement de certains de ces responsables allait changer quelque chose) ne fait que détourner l’attention d’une réflexion sur la crise sous-jacente du capitalisme en tant que système mondial.
Le responsable en chef de la Croix-Rouge internationale a déclaré que, comme des millions de personnes ont vu leurs revenus baisser ou dépendent des allocations de l’État, les “troubles civils” ne devraient pas tarder. Il a déclaré que les troubles sont sur le point “d’exploser à tout moment”, car les plus grandes villes d’Europe sont aux prises avec des revenus faibles ou nuls en raison de la pandémie. “C’est une bombe sociale qui peut exploser à tout moment, car elles n’ont aucun moyen d’avoir un revenu. […] Dans les quartiers les plus difficiles des grandes villes, je crains que dans quelques semaines nous ayons des problèmes sociaux”. En Grande-Bretagne, il y a eu quelques conflits concernant la sécurité des travailleurs, notamment des actions des travailleurs postaux [92] préoccupés par la sécurité en Écosse et dans le nord et le sud de l’Angleterre, tandis que les éboueurs dans le Kent ont menacé de faire grève pour des raisons similaires. Mais à notre connaissance, ces actions ne sont pas de l’ampleur des grèves qui ont été observées en Italie, en Espagne ou aux États-Unis par exemple. Nous devons être conscients que les “troubles sociaux”, notamment en raison des caractéristiques de la période de décomposition sociale, peuvent prendre n’importe quelle forme, et pas nécessairement celle de la lutte des travailleurs sur un terrain de classe.
D’autre part, nous assistons à une certaine réflexion sur la situation. Alors que les querelles au sein de la bourgeoisie se poursuivent pour savoir qui est responsable des pénuries, de l’état de délabrement du NHS ou du changement de politique gouvernementale, il existe une minorité en recherche qui comprend que le capitalisme en tant que système est à la base de la pandémie et qui est ouverte à la discussion sur la nature du capitalisme et au-delà. La question de la pandémie est une chose qui ne peut être évitée car tous les aspects de la vie sociale ont été touchés et de profondes questions ont été soulevées sur la réalité de la société capitaliste. Et cette réflexion s’accompagne d’une grande colère face à la manière dont les travailleurs ont été traités, les personnes âgées abandonnées à la mort, les travailleurs de la santé laissés sans protection. Il y a la perspective que ces éléments puissent se combiner dans les luttes futures. Pour l’instant, la nécessité d’une discussion est primordiale, pour l’instant, pas en face à face, mais dans les forums et sur les réseaux sociaux. Le capitalisme se révèle crûment pour ce qu’il est, et tente de se couvrir par ses mensonges. Les travailleurs peuvent développer la capacité de voir à travers la propagande et réaliser que seule la classe ouvrière peut stopper l’anéantissement de la société en luttant contre le capitalisme afin de le détruire.
Barrow, 19 avril 2020
1 National Health Service, le système de la santé publique du Royaume-Uni.
2 Sorte de congrès intersyndical annuel, une instance importante pour les syndicats britanniques.
Nous publions ci-dessous la contribution envoyée par un camarade en Espagne proche du CCI afin de poursuivre la clarification sur la signification de la pandémie de Covid-19 et ses répercussions pour le prolétariat. Il nous parait extrêmement important dans les conditions actuelles de confinement et d’isolement physique (que les campagnes de la bourgeoisie prétendent convertir en isolement social, comme le souligne le camarade), soient prises toutes sortes d’initiatives afin d’élargir le débat et de dénoncer les fables de la bourgeoisie. Cela maintiendra un climat de solidarité de classe malgré l’impossibilité de nous rassembler physiquement. Nous espérons que l’initiative du camarade puisse servir d’exemple.
Nous partageons en outre une grande partie de ce que signale le camarade. Nous souhaitons préciser que dans notre analyse, et comme nous l’avons montré dans les articles publiés sur notre site internet (1), la motivation essentielle pour retarder la mise en œuvre des mesures de confinement est la résistance capitaliste à mettre un frein à la production et perdre des profits et, surtout, des avantages compétitifs face aux autres rivaux. (2) C’est pourquoi ce retard, comme le souligne également cette contribution, est fréquent dans les pays ayant un gouvernement de gauche ou de droite, qu’il soit “féministe” ou “ultra-chrétien”.
Nous voudrions cependant nuancer ce qui est dit dans le courrier quand le camarade évoque “la production des masques artisanaux qui s’avèrent être totalement inefficaces face au coronavirus”. Sur cette question,
même si la bourgeoise a clairement menti et a dit tout et son contraire, il nous semble quand même qu’un masque, même artisanal, soit un moindre mal même s’il ne garantit pas vraiment du risque de contagion. Cela ne retire rien à la dénonciation, pleinement valable, que fait le camarade de “l’effort national” en ce sens. La dénonciation que fait l’article de la campagne d’ “ovations” aux travailleurs de la santé, qui est effectivement une perversion organisée par toutes les instances de l’État bourgeois d’un sentiment de solidarité qui naît entre les ouvriers devant l’effort réalisé par leurs frères du secteur sanitaire. Cette perversion tire profit et utilise, à la convenance de l’État, l’expression individuelle (et individualiste) de la solidarité qui est totalement stérile et n’a rien à voir avec la solidarité de classe du prolétariat. Nous autres, ouvriers, nous devons dénoncer cette manipulation répugnante de la solidarité qui vise à la faire entrer sur le terrain de l’union nationale et de l’idéologie de guerre. Face à cela nous devons chercher des moyens pour exprimer la solidarité sur un terrain de classe. L’un d’entre eux consiste à écrire des contributions pour la presse révolutionnaire.
CCI
Le virus du Covid-19 a mis l’État espagnol dans une situation qu’il n’arrive pas à gérer, une situation qui fait ressortir de manière scandaleuse que la société capitaliste est l’ombre d’une société humaine, incapable même désormais de maintenir les exploités/travailleurs dans des conditions qui permettent leur exploitation de manière constante dans le temps. La tragédie humaine dans les hôpitaux fera pâle figure face à celle qui s’ensuivra, lorsque sera passée l’épidémie et que sera venu le moment de la “reconstruction” et des “sacrifices”. La classe ouvrière peut réagir, mais pour cela, il est nécessaire de comprendre ce qu’est en train de faire la bourgeoisie. Malgré les milliers de morts qu’il y a déjà eu et les milliers à venir à cause du virus, c’est en réalité le calme qui précède la tempête. Il faut garder les yeux bien ouverts.
Si l’on regarde ce qui s’est passé en Espagne ces dernières semaines, la plus grande question qui se pose est de savoir pourquoi toute la bourgeoisie, du gouvernement aux médias, a mis autant de temps à réagir. Ces jours-ci, plusieurs médias invoquent le “caractère rétrospectif”, argumentant qu’il est très facile de penser, avec le recul, qu’il était clair que la situation allait dégénérer de la sorte quand, en réalité, cela n’était pas si évident sur le moment. Dans ce cas précis, l’argument ne tient pas debout. L’unique information nécessaire pour pouvoir envisager cette situation est la présence d’un virus aussi contagieux que celui-là. Devant l’absence de mesures, comment est-il possible de penser qu’il ne va pas s’étendre ? Pourtant, c’est ce qui a été défendu non seulement par le gouvernement mais aussi par les médias et tous les partis politiques de la bourgeoisie. Il est probable que, dans le cas de l’Espagne, on ait souhaité attendre le 8 mars afin de ne pas détourner l’attention des médias de la pseudo-polémique entre féminisme et anti-féminisme (3) avec laquelle la bourgeoisie empoisonne notre esprit dernièrement. Il semblerait également que les considérations économiques aient joué un rôle important dans le retard de la bourgeoisie. Mais dans l’ensemble, c’est un sujet qui n’est pas du tout clair et qui s’est répété aussi bien avant qu’après dans d’autres pays. Nous devons être attentifs aux possibles intentions sounoises derrière un retard prémédité mais aussi au fait que ces attentes puissent être la conséquence de l’inaptitude d’une bourgeoisie décadente aux facultés amoindries.
Un autre aspect auquel les révolutionnaires doivent particulièrement prêter attention, est la gestion de la tension sociale durant cette situation de quarantaine généralisée. Les moyens avec lesquels compte aujourd’hui la bourgeoisie pour manipuler la conduite des travailleurs n’ont pas de précédent : en plus des moyens classiques, ces jours-ci, la majorité de la population maintient le contact social à travers les réseaux sociaux dans lesquels des algorithmes machiavéliques décident (et enregistrent) ce que voient ses usagers, quand et comment. Le nouveau rite qui consiste à applaudir le personnel soignant à 20h donne un bon exemple de la direction dans laquelle on nous pousse ; celle d’une masse stupide, ivre de nationalisme, admirant l’État et d’un grégarisme agressif.
Les dénonciations à la police et les insultes depuis les fenêtres envers ceux qui semblent passer outre la quarantaine témoignent du danger et de l’efficacité potentiels de cette stratégie de la bourgeoisie. Un élément particulièrement frappant de cette campagne d’ “unité nationale” est celui des masques faits maison : des dizaines d’articles de journaux et des centaines de publications sur les réseaux sociaux exaltent l’héroïsme stakhanoviste de ceux qui fabriquent à la main des masques de tissu “pour aider”. En dépit de l’obsession (supposée) des médias à “combattre les canulars”, ils font ressortir son côté positif et encouragent à participer à la production de ces masques qui s’avèrent être totalement inefficaces face au coronavirus. La ressemblance entre les articles qui louent cette activité inutile mais patriotique et la propagande de l’ère stalinienne est frappante.
Un autre facteur auquel il faut être très attentif, en plus de le dénoncer, est l’intervention accrue de l’armée. Les médias se concentrent sur l’Unité Militaire d’Urgence (UME), dont les activités sont plus faciles à justifier dans une perspective de “gestion de la crise”, par exemple des travaux de désinfection. Cependant le déploiement militaire va bien au-delà de l’UME et de ce type de travaux. La tâche principale des militaires est de patrouiller dans les rues, dans un mouvement clair d’intimidation. Divers corps militaires s’affichent dans les rues vides, augmentant notre sensation d’impuissance face à l’État, déjà accentuée par l’isolement dans son domicile. Il est difficile de savoir quelle est l’intention concrète de l’État à travers ce mouvement et il s’agit de rester en alerte. La bourgeoisie a démontré d’innombrables fois sa disposition à massacrer (activement) les travailleurs en cas de nécessité.
Pour terminer, une petite remarque sur la terminologie avec laquelle on ne cesse de nous abreuver : le terme de “distanciation sociale” interpelle particulièrement, car la distance nécessaire pour prévenir la contagion n’est pas sociale mais physique. Mais la bourgeoisie veut nous isoler socialement, réduire nos relations humaines à l’interaction avec leurs « réseaux sociaux » et aux rites d’extase nationalistes qu’ils dictent.
Le pire est à venir et il viendra après la quarantaine. Il est nécessaire d’être très vigilants quant à l’évolution de la situation, quels pièges et stratégies sont tendus par la bourgeoisie et comment nous pouvons les dénoncer et les combattre. Le prolétariat est en situation de faiblesse mais cela pourrait changer rapidement. Le capitalisme est en train de montrer de manière évidente sa véritable nature, de telle façon qu’il n’y a pas de moyen de propagande ni de technique de manipulation sociale qui puissent totalement l’occulter. Soyons en alerte.
Comunero, 3 avril 2020.
1 Voir principalement : “Covid 19 : Soit le prolétariat mondial met fin au capitalisme, soit le capitalisme met fin à l’humanité [91]” et “Pandémie de COVID-19 en France : L’incurie criminelle de la bourgeoisie ! [70]”
2 N’oublions pas que le monde est immergé dans une violente guerre commerciale et que celle-ci n’a pas disparu avec la pandémie. Ainsi, il y a des pays qui ne veulent pas vendre à d’autres du matériel sanitaire urgent ou augmentent de façon démesurée les prix de ces produits. Pour les nations comme pour les capitalistes individuels, seuls comptent le profit et l’accumulation !
3 Sur l’idéologie féministe voir : “Huelga feminista : contra las mujeres y contra la clase obrera [93]”.
Nous publions ci-dessous plusieurs réactions trouvées sur les réseaux sociaux, des cris et des expressions d’indignation de colère mais aussi de combativité face à la catastrophe sanitaire que vit l’humanité à l’heure actuelle et dont la bourgeoisie est la seule responsable.
La première est un coup de gueule d’un professionnel de santé [94] (publié sur Le VIF, 21 mars 2020) qui, en dépit de ses confusions sur la nature des élections, exprime un véritable cri de révolte qui permet, selon nous, de mettre en évidence deux choses :
– que les attaques contre le système de santé et la dégradation des conditions de travail ne sont pas une nouveauté mais le produit d’une politique de rentabilité, d’une planification purement comptable et donc froidement criminelle de la part de l’État bourgeois ;
– que les discours politiques de la classe dominante ne sont qu’une hypocrite mascarade destinée à justifier ou à masquer l’austérité, la pénurie et la souffrance des salariés, quels que soient les secteurs.
Depuis mercredi, les Belges sont appelés à applaudir, tous les soirs à 20 heures, le personnel soignant, (1) en première ligne dans la lutte contre la propagation du Coronavirus. Face à ce soutien populaire, un médecin urgentiste liégeois a voulu pousser un “coup de gueule” :
“Je pense que je suis aigri, en mode lendemain de garde (24h d’affilée en ayant peu dormi). Mais globalement, je ne supporte pas les gens qui applaudissent : les hôpitaux n’ont pas attendu le Covid-19 pour être dans la galère, en surbooking permanent. Les services d’urgences n’ont pas attendu non plus d’être surchargés, en manque de personnel (infirmier.es surtout), dans des locaux vétustes ou sous-dimensionnés. Que l’hôpital Saint-Pierre doive faire la manche pour avoir des respirateurs, c’est une honte totale !
On est où ? MSF va débarquer ? Une bonne partie des gens qui applaudissent, votent chaque année pour les connards qui diminuent les budgets, font des hashtags #keepsophie en soutien à la Premier ministre Sophie Wilmès en oubliant qu’elle a été ministre du Budget d’un gouvernement qui a retiré plusieurs milliards d’euros dans les soins de santé.
Et soi-disant, ils ont peur parce qu’on risque nos vies ?! Les gens qui font des pauses et des boulots stressants par manque de moyens ne meurent pas d’infection. Ils meurent de leur boulot aux cadences infernales en perdant 10-15-20 ans d’espérance de vie.
Donc merci quand même pour vos applaudissements, mais ça fait des années que le personnel hospitalier travaille dans des conditions de merde et se nique la santé en faisant son job du mieux possible.
La prochaine fois que vous voyez des manifestations pour refinancer les soins de santé, soutenez-nous !
Et quand vous retournerez glisser un bulletin dans l’urne, réfléchissez-y à deux fois !
Un médecin assistant aux urgences à Liège, cosigné par une infirmière SIAMU aux urgences à Bruxelles
PS : Si vous applaudissez à 20h, pensez aussi à tous les travailleurs de la grande distribution, les crèches, les éboueurs, eux ils n’avaient pas signé pour ça à la base et ils sont très mal payés.
La deuxième réaction, à lire ci-dessous, dénonce le chantage que l’État exerce sur les étudiants en travail social qui refusent de se porter “volontaires” comme personnels hospitaliers et ainsi servir de “chair à virus”. Une mobilisation à laquelle refuse de répondre cette étudiante qui dénonce ouvertement l’incurie et l’hypocrisie du gouvernement.
Réponse publique et anonyme d’une étudiante assistante de service social au “plan de mobilisation volontaire”
Le samedi 21 mars 2020, j’ai reçu un mail de mon centre de formation d’assistante de service social dont je tairai le nom. Il s’agit d’un courrier de la DRDJSCS à propos du “plan de mobilisation des étudiant-es en travail social”.
Ce message nous informe qu’en qualité d’étudiant-es assistant-es de service social, nous sommes désormais mobilisables “sur la base du volontariat”, dans le cadre de la gestion de crise du COVID-19 stade 3. Les missions sont larges : assurer l’accueil et notamment dans le domaine de l’hébergement, de la réinsertion, de l’asile, de l’aide alimentaire, de la protection des majeurs vulnérables, de la protection de l’enfance et de l’accueil de personnes âgées et handicapées. Le message nous assure que les consignes sanitaires seraient rappelées à nos employeurs, nous assurant ainsi une intervention en toute sécurité. Enfin, il est précisé que notre volontariat sera pris en compte pour “valoriser notre engagement” au moment de la certification.
J’ai décidé de répondre publiquement et anonymement à cet email. Je ne voudrais pas que cette déclaration vienne compromettre ma certification en juin 2020, car vous l’avez bien compromis, la DRDJSCS sera regardante et en évaluera ma dévotion de future professionnelle.
A cela je réponds : Cela fait 3 ans que je suis en formation d’assistante de service social, 3 ans que j’entends le même discours. Nos conditions de travail sont médiocres, mais nous avons choisi ce secteur par vocation… alors sacrifions nous ! Nous sommes constamment dans l’obligation d’adapter nos accompagnements au manque de financement, nous devons être flexibles, adaptables, discret-es et altruistes. Nous continuons à appliquer des dispositifs qui nous semblent injustes et contraires à notre déontologie : des conditions d’accueil et d’accompagnement difficiles dans les centres d’hébergement, dans les appartements éducatifs pour les mineurs, les MECS et les hôpitaux ; des consignes imposées par la Préfecture discriminantes et irrespectueuses envers les personnes migrantes ; les financements stables sont rarissimes et remplacés par des appels à projets éphémères, provoquant ainsi une grande insécurité chez les travailleurs sociaux et chez les personnes accompagnées ; et enfin, une évaluation de nos pratiques professionnelles en terme d’efficacité et non pas de relation d’aide.
Mes 3 ans de formation m’ont suffi à me décourager du secteur social, et pourtant je continue car je reste persuadée que l’entraide est primordiale dans notre société. Oui, nous avons choisi cette profession car nous sommes des personnes altruistes et empathiques. Mais personnellement, je l’ai également choisi par engagement, par conviction, pour lutter pour une société plus juste, où les travailleurs sociaux seraient inutiles car la solidarité serait l’affaire de tous et toutes. Une société qui arrêterait de créer de la misère et de l’entretenir.
Le gouvernement Macron a tourné le dos au secteur médical et social, et aujourd’hui, il nous demande d’aider la “Nation” car “nous sommes en guerre”.
Le gouvernement a maltraité les professionnel-les du soin, ainsi que les travailleurs-ses sociaux-les, et aujourd’hui c’est la population qui paye les pots cassés. Je suis en colère car il y a un mois de ça, nos manifestations et revendications étaient réprimées par les forces de l’ordre, par l’État. Nous demandions inlassablement des financements permettant de proposer un accueil digne des personnes en situation de vulnérabilité, que ce soit dans les structures médicales ou sociales. Nous avons tenté de prévenir le gouvernement. Et quelques semaines plus tard, nous sommes appelé-es à la dévotion pour sauver les structures qui, de plus, accompagnent ces personnes oubliées, discriminées, maltraitées et humiliées par l’État. Les personnes sans domicile fixe, les personnes migrantes, les personnes précaires, les personnes porteuses d’un handicap limitant leur autonomie (dans la société qui leur est proposée) et les personnes âgées ne font plus parties des priorités de notre gouvernement. Et nous, travailleurs sociaux et professionnels du soin, sommes quotidiennement témoin de la violence que cela induit sur elles. Nous sommes contraint-es de flirter constamment avec la maltraitance, du fait du manque de moyen, de temps et de personnel. Cela est insupportable.
Aujourd’hui, vous nous demandez de nous sacrifier pour ces personnes que vous avez vous-même mis en souffrance. Vous nous promettez des conditions de travail sécurisées, or nous sommes informé-es de la rupture de stock des masques, des gants et du gel hydroalcoolique dans les structures médicales et médico-sociales. Nous ne sommes pas dupes.
Je vous demande donc, face à quel choix nous mettez-vous ?
L’équipe de soin de l’hôpital Edouard Herriot a été entièrement contaminée à cause du manque de matériel de protection. L’État nous enverrait-il au casse-pipe ? L’État compte sur nous pour assurer l’accès aux soins pour tous et pour limiter les dégâts dans les structures sociales, mais une fois de plus il ne nous donne pas les moyens de faire notre travail dans de bonnes conditions. Si je refuse d’être volontaire, je serai égoïste et peut-être devrais-je me justifier de ce choix lors de ma certification. Si j’accepte, je sacrifie potentiellement ma santé et celle de mon entourage, mais je serai héroïque, telle un-e soldat au front ? Mourir pour mes idées d’accord, mais de mort lente !
Malgré les beaux discours et les applaudissements de 20h, l’État continue de fermer les yeux sur les réalités de nos professions.
Aujourd’hui, le gouvernement m’empêche de pouvoir aider les personnes dans le besoin, il m’empêche de répondre à mes missions d’assistante sociale et d’agir en accord avec mes convictions.
Je ne répondrai pas à cette mobilisation, et je refuse d’en porter la responsabilité.
Une étudiante assistante sociale
Face au manque de masques, de respirateurs, de lits dans les services de réanimation, de tests de dépistage, etc. ; résultat de décennies de démantèlement du système de santé dans le monde entier, nous pouvons voir que la colère ne cesse de croître dans les rangs de la classe ouvrière tout particulièrement dans le secteur hospitalier qui est en première ligne sans possibilité de se protéger de la contamination au Covid-19. D’où les mouvements de manifestations de la part des personnels hospitaliers dans plusieurs pays comme en France, dans la ville de Tourcoing, comme on peut le voir dans la vidéo suivante : ICI [95], mais aussi aux États-Unis comme l’illustrent les photographies ci-dessous :
Par ailleurs, malgré la campagne idéologique assourdissante de la part de la bourgeoisie appelant les exploités à faire corps avec leurs exploiteurs dans une grande “union nationale”, en orchestrant notamment “l’héroïsation” du personnel médical par l’appel à applaudir tous les soirs ces sacrifiés qui doivent assister et soigner les malades sans quasiment de moyens, les images ci-dessous montrent que la réflexion au sein de la classe ouvrière continue à s’opérer mettant en cause le seul responsable de cette pandémie : le capitalisme !
1Comme en France, en Espagne ou en Italie, notamment (NDLR).
Alors qu’à l’été 2019 l’Europe haletait sous la canicule, un autre pays la subissait aussi, avec des conséquences potentiellement bien plus ravageuses : le 30 juillet, la température sur la côte est du Groenland atteignait le record absolu de 25°. Des scientifiques du monde entier réagissaient avec indignation face à l’ampleur de la catastrophe : “Quand on regarde sur plusieurs décennies, il vaut mieux s’asseoir sur sa chaise avant de regarder les résultats, parce que ça fait un petit peu peur de voir à quelle vitesse ça change (…) C’est aussi quelque chose qui affecte les quatre coins du Groenland, pas juste les parties plus chaudes au Sud”. (1) Plus de la moitié de la calotte glaciaire groenlandaise était à ce moment réduite à de la neige fondue. Les conséquences étaient d’ores et déjà préoccupantes pour les autochtones, les rivières se gonflant tellement de la glace fondue qu’elles détruisirent plusieurs ponts. Dans l’avenir, cette situation tendra à devenir la norme, comme les prévisionnistes climatiques le pensent de plus en plus.
Les conséquences sont énormes, et pas qu’au niveau climatique ; le retrait de la banquise, qui devient permanent, permet à tous les pays riverains d’envisager d’exploiter la situation, à plusieurs niveaux : accès à de nouvelles ressources naturelles, à de nouvelles régions stratégiques, à de nouvelles routes commerciales. La bourgeoisie exploite ainsi les catastrophes que son système a engendrées, accroissant davantage les risques pour l’environnement.
L’Arctique est riche de différentes ressources naturelles qui étaient jusqu’à présent gelées par la banquise, par les difficultés d’exploitation et le relatif désintérêt des pays riverains pour cette région glacée et inhospitalière. Tout change évidemment avec le réchauffement climatique et la course effrénée des grandes puissances aux ressources minérales accessibles, dans un monde où elles pourraient devenir rares et où elles constituent un atout dans la guerre économique et industrielle : métaux comme le zinc, le cuivre, l’étain, le plomb, le nickel, l’or, l’uranium, diamants, terres rares, gaz ou pétrole, tout est présent en Arctique, pour celui qui aura les moyens et la puissance de s’en emparer. La Mer de Kara recèlerait autant de pétrole que l’Arabie Saoudite, et une étude américaine avance que 13 % des réserves pétrolières et 30 % des réserves gazières mondiales non exploitées se trouveraient dans la région.
Tous les discours des médias bourgeois sur la sauvegarde de l’environnement, la nécessaire modification de “nos modes de consommation” (mais pas de production !) et l’indispensable “examen de conscience” de chacun selon son “empreinte carbone” et sa “surconsommation” sont parfaitement hypocrites face à cette réalité : la bourgeoisie cherche son profit partout, dans la catastrophe climatique que nous avons sous les yeux comme dans tout le reste ! S’il lui est possible d’exploiter (voire de surexploiter) la fonte des glaces de l’Arctique de façon rentable, elle le fera, et ce n’est qu’une facette du problème : dès lors qu’il y a exploitation de ressources naturelles, les risques inhérents (pollution, accidents, destruction accentuée de l’environnement, acculturation et destruction des conditions de vie des groupes humains autochtones) ne peuvent que suivre, comme le redoute un représentant inuit : “Notre culture et notre mode de vie sont attaqués. Les animaux, les oiseaux et les poissons dont nous dépendons pour notre survie culturelle sont de plus en plus sous pression. Nous sommes inquiets pour notre sécurité alimentaire”. (2) Tout en culpabilisant les ouvriers pour leur “irresponsabilité” face à la catastrophe climatique, chaque bourgeoisie nationale s’organise pour en tirer parti, et mieux encore, pour en retirer des avantages stratégiques.
L’Arctique n’est pas seulement une source potentielle de matières premières, il est aussi convoité car la fonte des glaces permet également d’ouvrir de nouvelles routes maritimes, potentiellement plus courtes et par conséquent plus rentables que celles qui existent. Mike Pompeo lui-même, Secrétaire d’État américain et ancien directeur de la CIA, a remarqué que “le recul régulier de la banquise ouvre de nouvelles voies de passage et offre de nouvelles opportunités commerciales”. (3) Ainsi, tout en niant tout changement climatique, ce digne représentant de la bourgeoisie américaine avoue sans détour vouloir en profiter ! Et il n’est pas le seul requin à nager en eaux polaires : outre les six pays concernés directement (Canada, États-Unis, Russie, Danemark, Norvège et Islande), un certain nombre d’autres s’intéressent directement à la question.
Au premier rang, on trouve la Chine, observatrice du Conseil de l’Arctique qui a souligné son intérêt pour une route qui lui permettrait d’atteindre les ports atlantiques sans avoir à faire le tour de l’Afrique ou passer par Panama ; elle y aurait d’ailleurs investi quelque 90 milliards de dollars entre 2012 et 2017, selon Pompeo [96], et y a envoyé des navires spécialisés pour “tester” la nouvelle route. La Russie est évidemment intéressée au plus haut point par cette possibilité d’utiliser sans restriction ses ports arctiques qui présenteraient alors le grand intérêt d’être en eaux libres, au contraire de tous les ports qu’elle utilise habituellement (à part Mourmansk), et qui lui permettraient de surveiller très étroitement cette nouvelle voie maritime. La Norvège, le Canada, le Danemark qui sont directement concernés sont évidemment partie prenante de toutes les manœuvres concernant la région. Mais d’autres puissances cherchent également à mettre un pied dans la porte, par exemple la France qui a un statut d’observatrice au Conseil de l’Arctique, qui a institué un poste d’“ambassadeur des pôles” confié jusqu’à il y a peu à Ségolène Royal après l’avoir été à Michel Rocard, et qui prend régulièrement part à des exercices militaires dans le cadre de l’OTAN dans la région.
Cet intérêt de diverses puissances est affirmé dans une très martiale déclaration des États-Unis, toujours par la bouche de Mike Pompeo [97] : “Nous entrons dans une nouvelle ère d’engagement stratégique dans l’Arctique, avec de nouvelles menaces pour l’Arctique et ses ressources, et pour l’ensemble de nos intérêts dans cette région”. Selon lui [98], le passage par l’Arctique “pourrait réduire d’environ vingt jours le temps de trajet entre l’Asie et l’Occident”. Il souhaite que les routes de l’Arctique deviennent “les canaux de Suez et de Panama du XXIe siècle”. Quand on connaît le poids du canal de Panama pour l’impérialisme américain, l’intérêt porté au “passage du Nord-Ouest” prend une importance pratiquement historique. Et on comprend aussi pourquoi les États-Unis cherchent ouvertement à exclure la Chine du Conseil de l’Arctique !
Au-delà des routes maritimes, la possibilité ouverte par le réchauffement de rendre les routes terrestres praticables plus longtemps dans l’année ouvre la porte à l’installation d’infrastructures plus nombreuses et plus importantes, et par conséquent à la possibilité d’accéder plus facilement à ces régions normalement invivables les trois quarts de l’année, ce qui permettra une meilleure exploitation économique et un désenclavement de ces régions, tout en y abaissant le coût de la vie pour les résidents permanents. Le gouvernement canadien a par exemple lancé de tels projets depuis plusieurs années.
En toute bonne logique impérialiste, ces développements ne peuvent qu’entraîner une présence militaire accrue dans cette région où, depuis la fin de la Guerre froide, il n’y avait plus beaucoup de soldats, chaque puissance impliquée ayant à cœur de défendre ses intérêts bien compris en montrant ses crocs militaires. Pompeo a été clair [96] : “La région est devenue un espace de pouvoir mondial et de concurrence”, ce qui y a entraîné une présence accrue des armées de l’Oncle Sam, d’autant que “la Russie laisse déjà dans la neige des empreintes de bottes”. Dénonçant de multiples provocations militaires russes, brouillage du réseau GPS, incursions d’avions dans des espaces jusqu’ici inusités, manœuvres maritimes régulières, les pays de l’OTAN ont riposté : l’Islande a rouvert aux GI’s sa base de Keflavik, tandis que la Norvège a rendu son port de Grøtsund accessible aux sous-marins nucléaires américains et britanniques, et que l’aérodrome de Bodø est régulièrement utilisé par des avions de combat pour des exercices divers, auxquels la France participe…
De son côté, la Russie a réactivé ses bases sibériennes datant de la Guerre froide et depuis abandonnées, tout en rénovant sa flotte vieillissante de brise-glaces. L’expression de Pompeo n’est finalement pas dénuée de fondement…
Ces développements impérialistes ont aussi donné lieu à un événement plutôt cocasse. L’idée de Trump d’acheter le Groenland au Danemark, sous des dehors saugrenus, met en fait en lumière tous les appétits très voraces des puissances impérialistes. Bien que cette région vaste comme quatre fois la France et constamment recouverte du plus gros glacier du monde coûte fort cher à l’État danois, il est bien entendu inenvisageable pour Copenhague d’abandonner un avant-poste aussi potentiellement lucratif que le Groenland. Les États-Unis, qui ont toujours assuré la défense de cette grande île depuis la Seconde Guerre mondiale, ont déjà tenté de l’acheter en 1946 ; mais on se heurte ici à toute la logique impérialiste du capitalisme ; situé en Arctique, riche lui-même de nombreuses ressources naturelles inexploitées, stratégiquement bien placé par rapport à une route qui contournerait le continent américain par le Nord, si stratégique pour la sécurité américaine que les États-Unis l’ont occupé militairement dès 1940, le Groenland n’a d’un point de vue impérialiste que des qualités, et il faut en ajouter d’autres : non seulement le port de Thulé est en eaux profondes et peut donc accueillir les plus grands navires, civils ou militaires, mais la piste de l’aéroport permet de faire décoller n’importe quel appareil. Par ailleurs, la Zone Économique Exclusive du Groenland permet à son État de tutelle d’exploiter toute ressource qui se trouverait à l’intérieur de cette zone de 200 milles nautiques autour du territoire. En prime, le Groenland est associé à l’Union Européenne du fait de l’appartenance de son État de tutelle, le Danemark, à cette organisation, ce qui ne peut que multiplier les marques d’intérêt pour lui… L’intérêt de Trump pour ce territoire est loin d’être absurde dans une logique impérialiste, d’autant que le réchauffement climatique offre des perspectives inédites à tous ceux qui le contrôleront !
Le capitalisme nous a habitués à tirer profit de tout, c’est ce qui fait de lui le système de production le plus dynamique qui soit. Mais qu’il tire profit en l’aggravant d’une menace planétaire majeure sur l’écosystème, qu’il a lui-même provoquée et qui met en jeu l’avenir de l’humanité, au même titre que la déforestation criminelle des régions amazoniennes, montre à quel point ce système en décomposition n’a plus aucun avenir viable à proposer, et illustre pleinement ce que disait déjà le CCI en 1990 dans ses Thèses sur la décomposition [9] : “Toutes ces calamités économiques et sociales qui, si elles relèvent en général de la décadence elle-même, rendent compte, par leur accumulation et leur ampleur, de l’enfoncement dans une impasse complète d’un système qui n’a aucun avenir à proposer à la plus grande partie de la population mondiale, sinon celui d’une barbarie croissante dépassant l’imagination. Un système dont les politiques économiques, les recherches, les investissements, sont réalisés systématiquement au détriment du futur de l’humanité et, partant, au détriment du futur de ce système lui-même”. L’avenir tel que nous le montre le sort réservé à l’Arctique est celui que le capitalisme réserve à l’espèce humaine toute entière : surexploitation et transformation de l’environnement en enfer invivable, recherche du profit y compris en aliénant totalement l’avenir, barbarie militariste, tout y est ! L’alternative qui en résulte pour l’humanité est bien celle que la Troisième Internationale avait mise en avant il y a maintenant un siècle : socialisme ou barbarie, destruction de ce système capitaliste barbare et sans avenir ou lente destruction de l’Humanité.
H.D., 24 avril 2020
1“Le Groenland touché par une vague de chaleur, avec des températures qui devraient atteindre les 25 °C [99]”, Science et Avenir (1er août 2019).
2“Le climato-scepticisme américain chamboule la coopération régionale dans l’Arctique”, GEO (7 mai 2019).
3Idem.
Dans l’article ci-dessous, notre section au Pérou dénonce les ravages de la pandémie, mais surtout le cynisme et l’incurie de l’État démocratique qui n’a d’autre préoccupation que le profit et l’accumulation du capital, qui abandonne et sacrifie aussi bien les salariés de la santé que les malades. Des travailleurs de la santé à Lima et dans d’autres villes ont tenté d’organiser dans un premier temps des sit-in, des manifestations, demandant protection et moyens. L’État n’y a répondu que par la répression et des arrestations policières !
Déjà 20 jours de confinement sont passés, c’est la mesure la plus importante prise par une grande partie des États dans le monde afin d’isoler le virus Covid-19.
Au Pérou, l’état d’urgence s’accompagne d’un couvre-feu imposé par l’État démocratique, situation qui vient renforcer l’atomisation sociale. Cette pandémie mondiale a déjà provoqué des dizaines de milliers de victimes, selon les chiffres officiels. La rapide et brutale propagation du virus a mis en échec tous les États et économies du monde. Les bourgeoisies des différents pays continuent à ne pas coordonner leurs efforts pour contenir l’épidémie et faire face à cette menace qui rend de plus en plus aiguë la crise économique capitaliste.
Le FMI annonce déjà que l’économie internationale se trouve dans une récession égale à celle de 2008-2009, voire pire. Le Covid-19 a eu des conséquences économiques terribles au niveau international, conséquences dont la classe ouvrière supportera, encore une fois, le pire.
Au Pérou, la crise du Coronavirus a démontré la vulnérabilité d’une grande partie de la population, au-delà des enfants et des personnes âgées : les travailleurs. De larges secteurs et travailleurs du pays sont vulnérables du point de vue économique à cause du chômage forcé lié à la pandémie.
À Lima et dans d’autres villes du pays, le taux de chômage a été multiplié par trois dans les quinze premiers jours du confinement. (1) 30 % de la population est ruinée, sans travail ni économies puisque 70 % de la population vit de l’économie informelle, gagnant de l’argent au jour le jour pour subvenir aux besoins familiaux. Des millions de travailleurs au Pérou vivent avec moins de 5 dollars par jour.
Mais l’inquiétude croissante touche aussi le secteur privé formel à cause des 3,7 millions d’emplois qui seront touchés par cette crise. Les chaînes de paiement se sont interrompues complètement. Beaucoup de familles, du fait qu’elles ne touchent plus leurs salaires, sont face aux difficultés pour payer les loyers, acheter des vivres, des médicaments et autres. Cette situation a commencé à se répandre à tous les niveaux touchant directement les travailleurs et nourrissant la panique dans l’ensemble de la population. Cette situation a mis le gouvernement en alerte et l’a obligé à agir.
Le gouvernement Vizcarra a développé un plan économique pour tenter de désamorcer les conséquences du confinement. Ce plan a consisté, dans une première étape à libérer la CTS, (2) en deuxième lieu à donner des primes de 380 soles (115 dollars) renouvelables les deux premières quinzaines de confinement, et en troisième lieu, dans la même ligne, à libérer 25 % des fonds du Système privé de pensions (AFPs).
Mais ces mesures ne sont ni ne seront suffisantes pour affronter la crise économique, ne serait-ce que parce que 70 % de la population sont des travailleurs informels indépendants qui ne bénéficient ni de CTS, ni de AFPs ni d’aucun fonds de réserve.
D’autre part, la Cepal (3) annonce que la crise pourrait laisser 22 millions de personnes de plus dans une pauvreté extrême en Amérique latine, et annonce que nous sommes face au début d’une profonde récession.
“Nous sommes face à la chute de la croissance la plus forte jamais connue dans la région” a signalé Alicia Barcena, secrétaire de direction de la Commission Économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes.
Beaucoup d’entreprises locales profitent déjà de la situation : mise au chômage technique non payé, paiements en attente, licenciements, réduction du coût du travail, entre autres. Ce sont des manœuvres exécutées afin de ne pas voir une baisse de leurs profits au milieu de la tragédie. Selon Ricardo Herrera, avocat spécialisé en droit du travail, les entreprises peuvent prendre ces mesures parce que la Loi de Productivité et Compétitivité du travail le permet. Cette loi autorise les employeurs à ne plus rémunérer pendant 90 jours les travailleurs qui arrêtent leur activité. (4) La loi du profit condamne toujours la classe ouvrière à l’exploitation et à la misère.
L’arrivée du coronavirus a mis à nu le manque criminel de prévention et les coupes dans les budgets de la santé [91] de la part des États bourgeois : hôpitaux saturés, médecins et infirmiers sans matériel, sans équipements, travaillant sans sécurité sanitaire, etc.
La progression de la contagion semaine après semaine a mis à nu le fait que toutes les années de prospérité économique dont a joui la bourgeoisie péruvienne, produit des prix élevés des matières premières, des privatisations, des concessions minières, des recettes d’impôts et d’autres opérations, ont seulement servi à se remplir ses poches et que ce sont les travailleurs qui paieront les pots cassés. D’ailleurs, l’État bourgeois et patronal en appelle cyniquement à la responsabilité individuelle des citoyens en imposant le confinement par décret pour éviter la chute du système de santé publique, déjà saturé.
Le virus a provoqué une véritable crise sanitaire au niveau national et planétaire. Au Pérou, l’Assurance sociale de santé et le Ministère de la santé sont en train d’occulter les terribles conditions dans lesquelles travaillent des centaines de médecins et infirmières. Toute cette situation de précarité dans la sécurité sociale a été dénoncée par un groupe de travailleurs liés au Syndicat National de Médecine de l’Assurance Sociale du Pérou (Sinamssop), qui ont été par la suite arrêtés dans leur local syndical par la police nationale sous l’ordre de la présidente de ESSALUD, Fiorella Molinelli.
Au Pérou comme ailleurs, sur toute la planète, durant des décennies, la bourgeoisie s’est fichue éperdument de la santé publique, jamais il n’y a eu d’investissement durable. Au contraire, année après année, il n’y a eu que des coupes dans les budgets de santé. Par exemple, l’Espagne, qui présente l’une des pires infrastructures sanitaires en Europe, donne une idée de la précarité des moyens. Par comparaison, avec 33 millions d’habitants (presque 75 % de la population de l’Espagne), le Pérou compte environ à peine 350 lits dans les Unités de soins intensifs !
Aujourd’hui, au moment où l’urgence mondiale pour la santé explose, en pleine crise, on voit comment les autorités courent pour acheter des équipements et autre matériel. L’ordre de la bourgeoisie est d’arrêter la pandémie sans sacrifier l’exploitation et les profits. La première chose qu’il faut dénoncer est que nous sommes en face d’un effondrement annoncé du système de santé publique. Cela n’est pas dû à “l’irresponsabilité” des citoyens, mais aux coupes depuis des décennies dans les dépenses sanitaires, dans le personnel sanitaire et dans les budgets d’entretien des hôpitaux et de la recherche médicale [91].
Les médias excellent dans la diffusion de nombreux reportages sur le confinement : images de rues vides, de personnes qui ne respectent pas le couvre-feu, de la police et de l’armée remplissant leur tâche de contrôle de l’ordre et de répression ouvrière. En revanche, il n’y a aucun reportage, aucune image ou information qui montre les centres médicaux ou les hôpitaux publics qui prennent en charge les cas du coronavirus. Pourquoi ? Parce qu’ils ne veulent pas montrer la saturation du système de santé et ses installations. Chaque jour sur les réseaux sociaux, on voit de plus en plus de médecins et infirmières qui dénoncent les mauvaises conditions dans lesquelles ils travaillent quotidiennement.
L’effondrement ne se trouve pas seulement dans l’assistance médicale. Par exemple, à Sao Paolo, au Brésil, on prépare le plus grand cimetière du monde, puisque le nombre de morts ne cesse d’augmenter et que les morgues et cimetières de la ville sont saturés. À Guayaquil, en Équateur, où la misère a progressé brutalement ces 10 dernières années, les vagues de violence, les bandes, le trafic de drogue, les populations entassées, le manque d’infrastructures publiques et de services de base, sont quelques-uns des problèmes qui apparaissent plus clairement durant cette pandémie. Des morts sont brûlés dans la rue suite à la saturation des morgues et des cimetières. Beaucoup de familles gardent leurs morts devant leur domicile, certaines autorités commencent à remplir des bennes avec les cadavres. Ce sont de véritables scènes de guerre avec des morts partout.
L’État bourgeois du Président Martin Vizcarra a approuvé une loi qui permet aux forces de l’ordre de tirer pour “leur légitime défense” face aux possibles manifestations ou réactions de la classe ouvrière. La loi n° 31012, loi de protection policière donne à la police nationale du Pérou, dans le cadre de ses fonctions, le droit de faire usage de ses armes ou d’autres moyens de défense… Cette loi est une nouvelle arme contre le prolétariat. Elle montre la peur crainte de la bourgeoisie et du gouvernement des manifestations de travailleurs qui commencent déjà à se produire dans différentes parties du pays, à cause de l’insoutenable situation de misère dans laquelle les travailleurs sont poussés par l’accroissement de la crise économique avec le Covid-19.
La bourgeoisie montre ses griffes une fois de plus avec cette loi, que certains juristes eux-mêmes considèrent comme inconstitutionnelle.
Mais l’attaque idéologique de la bourgeoisie est présente aussi dans le message qui dit qu’aujourd’hui les gouvernements sont en train de faire “tout le nécessaire” pour sauver, non pas “les banques” en premier, comme lors de la “crise financière” de 2008, mais la population d’abord.
On l’entend dans des phrases comme “Pérou d’abord”, “tous contre le coronavirus”, “ensemble, nous le pouvons”, phrases qui sont répétées tous les jours en pleine crise. Nous devons dénoncer ici le nationalisme et la fausse communauté d’intérêts entre exploiteurs et exploités, qui est utilisée comme venin idéologique pour demander des sacrifices et diluer le prolétariat dans des luttes inter-classistes.
Nous l’avons déjà vu lors de révoltes populaires de l’automne dernier au Chili et en Équateur, où le prolétariat fut encadré et dévoyé sur un terrain interclassiste derrière la défense de l’indigénisme, de la démocratie, du gauchisme, des chansons patriotiques à la mode, de la bataille pour une nouvelle Assemblée constituante et autres pièges idéologiques de la bourgeoisie. (5)
Cette pandémie mondiale, qui s’ajoute aux vertigineux cas de malnutrition, tuberculose ou dengue avec d’innombrables morts chaque année, en plus de l’infinité des cas de contamination et de morts dans l’activité minière, est une nouvelle expression du fait que le capitalisme est entré dans une phase terminale, celle de la décomposition sociale [9] qui menace visiblement la survie de l’humanité.
Dans cette situation, il est possible d’affirmer que, quoi qu’il arrive avec le virus Covid-19, cette maladie alerte sur le fait que le capitalisme est devenu un danger pour l’humanité et pour la vie sur cette planète. Les énormes capacités des forces productives, la recherche médicale incluse, pour nous protéger contre les maladies se heurtent à la criminelle recherche de profit, avec l’entassement d’une grande partie de la population humaine dans des mégapoles invivables [100] (rien qu’à Lima il y a presque 9 millions d’habitants) et avec les risques de nouvelles épidémies que tout cela entraîne.
Des médecins et des infirmières de plusieurs hôpitaux de Lima et de quelques provinces ont manifesté et protesté contre le manque de sécurité sanitaire, le manque de matériel et contre la politique sanitaire du gouvernement. Beaucoup de médecins et d’infirmières ont fait des sit-in avec des pancartes et hauts-parleurs pour dénoncer les conditions de travail abominables qu’ils affrontent chaque jour, prenant des risques pour leur santé et celle de leurs familles.
Au Pérou, le gouvernement savait dès janvier ce qui allait arriver et pourtant il a ignoré les avertissements et a sous-estimé la pandémie. Quand le mal était fait, l’Assurance sociale de santé et le Ministère de la santé ont envoyé les ouvriers de la santé, médecins, infirmières, techniciens et même étudiants en médecine, “au front” pour traiter les cas sans aucune protection, comme des soldats réquisitionnés pour la guerre, ce qui a produit des contaminations et des morts à Lima et dans d’autres provinces.
Pour autant les travailleurs ne se sont pas tus. Par exemple, le 7 avril à l’hôpital de Ate-Vitarte, présenté pompeusement par Vizcarra comme “modèle de lutte contre le Covid-19”, les médecins et infirmières ont refusé de travailler et sont restés devant la porte pour protester contre le gouvernement face au manque de masques, de gants, de respirateurs et de normes de sécurité. (6) Beaucoup d’entre eux ont été licenciés, d’autres arrêtés.
De nombreux médecins et infirmières ont mené des actions sur les réseaux sociaux, filmant avec leurs portables les installations des hôpitaux et dénonçant la précarité dans laquelle ils travaillent.
Ceci est en train de se multiplier au niveau national ; et pourtant, les médias de masse à la télé cachent toutes ces informations sur ordre de la bourgeoisie et du gouvernement, pour que la misère dans laquelle les hôpitaux sont plongés ne soit pas révélée.
Dans d’autres parties du monde, on a vu aussi surgir des manifestations de travailleurs de la santé face à la crise de la pandémie, comme en France, Espagne et Italie où il y a eu des protestations contre la précarité au travail, contre le manque de sécurité, de brancards, de respirateurs, de gants et de masques. Partout on trouve le même scénario : la précarité des systèmes de santé publique due aux coupes budgétaires dans la santé.
Expliquer, par tous les moyens possibles, qu’il n’existe pas de sortie ni de solutions dans le capitalisme
La crise économique mondiale se développe de plus en plus, fait sentir ses effets sur la classe ouvrière et s’exprime principalement dans la précarité du travail et l’augmentation du chômage, SITUATION Aggravée MAINTENANT AVEC LA PANDÉMIE DU CORONAVIRUS ET LA CHUTE DE LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE. Cette perspective de nouvelles attaques plus brutales contre la classe ouvrière dans le monde entier ouvre la possibilité d’un développement des luttes du prolétariat sur son terrain de classe. Ce n’est pas le terrain de la rage interclassiste à la manière, par exemple, du mouvement des “gilet jaunes” en France (comme nous le dénonçons dans des articles sur notre site web [101]), mais plutôt le terrain des luttes qui ont eu lieu à la fin de l’année dernière en France avec le mouvement des travailleurs contre la réforme des retraites et où il a été mis sur la table la réflexion sur “comment la classe ouvrière doit lutter et s’organiser contre son ennemi historique”. Même si on a vu beaucoup de faiblesses dans ce mouvement des travailleurs, on doit en tirer des enseignements pour la classe ouvrière mondiale, situation qui démontre l’arrivée de nouvelles luttes avec un certain degré de maturation politique qui devra être développé.
Internacionalismo, section du CCI au Pérou (11 avril 2020).
1 Commentaires d’Oscar Dancourt, ex-président de la Banque centrale de réserve du Pérou, 3 avril 2020.
2 Compensation pour temps de Service, prime cumulable accordée aux travailleurs du secteur privé.
3 Cepal, Commission économique pour l’Amérique latine, une des cinq commissions régionales des Nations Unies, fondée pour contribuer au développement de l’Amérique latine.
4 Journal Diario Perú (4 avril 2020).
5 Voir nos interventions et articles sur le Chili et l’Equateur :
– “Mouvement social au Chili : l’alternative dictature ou démocratie est une impasse [102]”
– “Face à la plongée dans la crise économique mondiale et la misère, les « révoltes populaires » constituent une impasse [103]” et en espagnol :
6 LID (8 avril 2020).
Avant que le raz-de-marée de la crise de Covid-19 ne déferle sur la planète, les luttes de la classe ouvrière en France, en Finlande, aux États-Unis et ailleurs étaient le signe d’un nouvel état d’esprit au sein du prolétariat, d’une réticence à s’incliner devant les exigences imposées par une crise économique croissante. En France en particulier, nous avons pu discerner des signes de récupération de l’identité de classe érodée par des décennies de décomposition capitaliste, par la montée d’un courant populiste qui falsifie les véritables divisions de la société et qui est descendu dans la rue en France en portant un gilet jaune.
En ce sens, la pandémie de Covid-19 ne pouvait pas survenir à un pire moment pour la lutte du prolétariat : alors qu’il commençait à se retrouver dans les rues, à se rassembler dans des manifestations pour résister aux attaques économiques dont le lien avec la crise capitaliste est difficile à dissimuler, la majorité de la classe ouvrière n’a eu d’autre choix que de se replier dans le foyer individuel, d’éviter tout grand rassemblement, de “se confiner” sous l’œil d’un appareil d’État tout puissant qui a su lancer de forts appels à “l’unité nationale” face à un ennemi invisible qui, nous dit-on, ne fait pas de discrimination entre riches et pauvres, entre patrons et ouvriers.
Les difficultés auxquelles la classe ouvrière est confrontée sont réelles et profondes. Mais ce qui est d’une certaine manière remarquable, c’est le fait que, malgré la crainte omniprésente de la contagion, malgré l’apparente omnipotence de l’État capitaliste, les signes de combativité de classe qui se sont manifestés en hiver, ne se sont pas évaporés. Dans une première phase et face à la négligence et à l’impréparation choquantes de la bourgeoisie, nous avons vu des mouvements défensifs très étendus de la classe ouvrière. Les travailleurs du monde entier ont refusé d’aller comme des “agneaux à l’abattoir” mais ont mené une lutte déterminée pour défendre leur santé, leur vie même, en exigeant des mesures de protection adéquates ou la fermeture des entreprises qui ne sont pas engagées dans la production essentielle (comme les usines automobiles).
Les principales caractéristiques de ces luttes sont les suivantes :
– Elles ont eu lieu à l’échelle mondiale, étant donné la nature globale de la pandémie. Mais l’un des éléments les plus importants est qu’elles ont été plus évidentes dans les pays centraux du capitalisme, en particulier dans les pays qui ont été le plus durement touchés par la maladie : en Italie, par exemple, la Tendance communiste internationaliste mentionne des grèves spontanées [105] dans le Piémont, en Ligurie, en Lombardie, en Vénétie, dans l’Émilie-Romagne, en Toscane, dans l’Ombrie et les Pouilles. Ce sont surtout les ouvriers des usines italiennes qui ont été les premiers à lancer le slogan “nous ne sommes pas des moutons qu’on mène à l’abattoir”. En Espagne, il y a eu grèves chez Mercedes, à la FIAT, dans l’usine de produits électroménagers Balay à Saragosse ; les travailleurs de Telepizza se sont mis en grève contre les sanctions prises contre ceux qui ne voulaient pas risquer leur vie en livrant des pizzas, il y a eu d’autres protestations des livreurs à Madrid. Peut-être le plus important de tous, notamment parce qu’il remet en question l’image d’une classe ouvrière américaine qui s’est ralliée sans critique à la démagogie de Donald Trump, il y a eu des luttes généralisées aux États-Unis : grèves chez FIAT-Chrysler des usines de Tripton dans l’Indiana, dans l’usine de production de camions Warren dans la périphérie de Détroit, chez les chauffeurs de bus à Detroit et à Birmingham (en Alabama), dans les ports, les restaurants, dans la distribution alimentaire, dans le secteur du nettoyage et celui de la construction ; des grèves ont eu lieu chez Amazon (qui a également été touché par des grèves dans plusieurs autres pays), Whole Foods, Instacart, Walmart, FedEx, etc. Nous avons également assisté à un grand nombre de grèves des loyers aux États-Unis. C’est une forme de lutte qui, si elle n’implique pas automatiquement les prolétaires, n’est pas non plus étrangère aux traditions de la classe (on pourrait citer, par exemple, les grèves des loyers de Glasgow qui ont fait partie intégrante des luttes ouvrières pendant la Première Guerre mondiale, ou la grève de loyers du Merseyside en 1972 qui a accompagné la première vague internationale de luttes après 1968). Aux États-Unis en particulier, une menace réelle d’expulsion pèse sur de nombreux secteurs “bloqués” de la classe ouvrière.
En France et en Grande-Bretagne, de tels mouvements étaient moins répandus, mais nous avons vu des débrayages non officiels de la part des postiers et des ouvriers du bâtiment, des magasiniers et des ramasseurs de poubelles en Grande-Bretagne et, en France, des grèves sur les chantiers navals de Saint-Nazaire, chez Amazon à Lille et à Montélimar, à ID logistics… En Amérique latine, on peut citer le Chili (Coca-Cola), les travailleurs portuaires en Argentine et au Brésil ou d’emballage au Venezuela. Au Mexique, “des grèves se sont étendues à la ville mexicaine de Ciudad Juárez, à la lisière de la cité texane d’El Paso, impliquant des centaines de travailleurs des maquiladoras qui réclament la fermeture des usines non essentielles qui ont été maintenues ouvertes malgré le nombre croissant de décès dus à la pandémie de Covid-19, dont treize employés de l’usine de sièges automobiles Lear, propriété des États-Unis. Les grèves […] font suite à des actions similaires menées par les travailleurs des villes frontalières de Matamoros, Mexicali, Reynosa et Tijuana”. (1) En Turquie, des grèves de protestation se sont produites à l’usine textile de Sarar (contre l’avis des syndicats), au chantier naval de Galataport et par les travailleurs des postes et des télégraphes. En Australie, ont eu lieu des grèves des travailleurs des ports et dans le secteur de la distribution. La liste pourrait facilement être allongée.
– Un certain nombre de grèves ont été spontanées, comme en Italie, dans les usines automobiles américaines et les centres Amazon, et les syndicats ont été largement critiqués et parfois en opposition frontale contre leur collaboration ouverte avec la direction. Selon un article sur libcom.com [106], qui offre un large panorama des luttes récentes aux États-Unis : “Les travailleurs des usines d’assemblage de Fiat-Chrysler de Sterling Heights (SHAP) et Jefferson North (JNAP) dans la région de Detroit ont pris les choses en main hier soir et ce matin et ils ont décidé d’arrêter la production pour stopper la propagation du coronavirus. Les arrêts de travail ont commencé à Sterling Heights la nuit dernière, quelques heures seulement après que le United Auto Workers (2) et les constructeurs automobiles de Detroit ont conclu un accord pourri [107] pour maintenir les usines ouvertes et opérationnelles pendant la pandémie mondiale… Le même jour, des dizaines de travailleurs de l’usine Lear Seating à Hammond dans l’Indiana ont refusé de travailler, forçant la fermeture de l’usine de pièces détachées et de l’usine d’assemblage de Chicago située à proximité”. L’article contient également une interview d’un travailleur de l’automobile :
“L’UAW devrait en fait se battre pour que nous quittions le travail. Le syndicat et l’entreprise se soucient davantage de la fabrication des camions que de la santé de chacun. J’ai l’impression qu’ils ne feront rien si nous n’agissons pas. Nous devons nous regrouper. Ils ne peuvent pas tous nous virer”.
– Ces mouvements se situent sur un terrain de classe : autour des conditions de travail (demande d’équipements de protection adéquats) mais aussi des indemnités de maladie, des salaires impayés, contre les sanctions contre les travailleurs qui ont refusé de travailler dans des conditions dangereuses, etc. Ils témoignent d’un refus de sacrifice qui s’inscrit dans la continuité de la capacité de la classe à résister à la poussée vers la guerre, un facteur sous-jacent de la situation mondiale depuis la reprise des luttes de classes en 1968.
– Les travailleurs de la santé, s’ils ont fait preuve d’un extraordinaire sens des responsabilités qui est un élément de la solidarité prolétarienne, ont également exprimé leur mécontentement face à leurs conditions, leur colère face aux appels hypocrites et aux éloges des gouvernements, même si cela a surtout pris la forme de protestations et de déclarations individuelles ; (3) mais il y a eu des actions collectives, y compris des grèves, au Malawi, au Zimbabwe, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, comme des manifestations d’infirmières à New York.
Mais ce sens de la responsabilité du prolétariat, qui incite également des millions de personnes à suivre les règles de l’auto-isolement, montre que la majorité de la classe ouvrière accepte la réalité de cette maladie, même dans un pays comme les États-Unis qui est le “cœur” de diverses formes de déni de la pandémie. Ainsi, les luttes que nous avons vues se sont nécessairement limitées soit aux travailleurs dans les secteurs “essentiels” qui se battent pour des conditions de travail plus sûres (et ces catégories resteront forcément minoritaires, même si leur rôle est vital) soit à des travailleurs qui se sont très tôt interrogés sur la nécessité réelle de leur travail, comme les travailleurs de l’automobile en Italie et aux États-Unis ; et donc leur revendication centrale était d’être renvoyés chez eux (avec une rémunération de l’entreprise ou de l’État plutôt que d’être licenciés, comme beaucoup l’ont été). Mais cette revendication, aussi nécessaire soit-elle, ne pouvait qu’impliquer une sorte de recul tactique dans la lutte, plutôt que son intensification ou son extension. Il y a eu des tentatives (par exemple parmi les travailleurs d’Amazon aux États-Unis) de tenir des réunions de lutte en ligne, de faire des piquets de grève tout en observant les distances de sécurité, etc. mais on ne peut pas ignorer le fait que les conditions d’isolement et de confinement constituent un obstacle énorme à tout développement immédiat de la lutte.
Dans des conditions d’isolement, il est plus difficile de résister au gigantesque barrage de propagande et d’obscurcissement idéologique.
Des hymnes à l’unité nationale sont chantés chaque jour par les médias, basés sur l’idée que le virus est un ennemi qui ne discrimine personne : au Royaume-Uni, le fait que Boris Johnson et le Prince Charles aient été infectés par le virus en est présenté comme la preuve. (4) La référence à la guerre, l’esprit du “Blitz” pendant la Seconde Guerre mondiale (lui-même étant le produit d’un important exercice de propagande visant à dissimuler tout mécontentement social) est incessante au Royaume-Uni, notamment avec les applaudissements donnés à un vétéran centenaire de l’aviation qui a récolté des millions pour le NHS (5) en réalisant cent longueurs de son grand jardin. En France, Macron s’est également présenté comme un chef de guerre ; aux États-Unis, Trump s’est efforcé de définir le Covid-19 comme le “virus chinois”, détournant l’attention de la triste gestion de la crise par son administration et jouant sur le thème habituel de “America First” (l’Amérique d’abord). Partout (y compris dans l’espace Schengen de l’Union européenne), la fermeture des frontières a été mis en avant comme le meilleur moyen d’endiguer la contagion. Des gouvernements d’unité nationale ont été formés là où régnait autrefois une division apparemment insoluble (comme en Belgique), où des partis d’opposition deviennent plus que jamais “loyaux” à “l’effort de guerre” national.
L’appel au nationalisme va de pair avec la présentation de l’État comme la seule force capable de protéger les citoyens, que ce soit par l’application vigoureuse des fermetures ou sous sa forme plus douce de fournisseur d’aide aux personnes dans le besoin, que ce soit les milliers de milliards distribués pour maintenir les travailleurs licenciés ainsi que les indépendants dont les entreprises ont dû fermer, ou les services de santé administrés par l’État. En Grande-Bretagne, le National Health Service a longtemps été une icône sacrée de presque toute la bourgeoisie, mais surtout de la gauche qui l’a considéré comme sa réalisation particulière, puisqu’il a été introduit par le gouvernement travailliste d’après-guerre qui le présente comme étant en quelque sorte en dehors de la marchandisation capitaliste de l’existence, malgré les empiétements “maléfiques” des entrepreneurs privés. Cette vantardise autour du NHS et des institutions similaires est soutenue par les rituels hebdomadaires d’applaudissements et les louanges incessantes des travailleurs de la santé “héroïques”, surtout par les mêmes politiciens qui ont contribué à démanteler le système de santé au cours de la dernière décennie, voire depuis plus longtemps.
Selon Michael Foot, représentant de l’aile gauche du parti travailliste, la Grande-Bretagne n’a jamais été aussi proche du socialisme que pendant la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, alors que l’État doit mettre de côté les préoccupations de rentabilité immédiate pour maintenir la cohésion de la société, la vieille illusion selon laquelle “nous sommes tous socialistes aujourd’hui” (qui était une idée communément exprimée par la classe dirigeante pendant la vague révolutionnaire après 1917) a reçu un nouveau souffle grâce aux dépenses massives imposées aux gouvernements par la crise du Covid-19. L’influent philosophe de gauche Slavo Zizek, dans une interview sur Youtube intitulée “Communisme ou barbarie [108]”, semble impliquer que la bourgeoisie elle-même est maintenant obligée de traiter l’argent comme un simple mécanisme comptable, une sorte de bon de temps de travail, totalement détaché de la valeur actuelle. En somme, les barbares deviennent communistes. En réalité, la séparation croissante entre l’argent et la valeur est le signe de l’épuisement complet du rapport social capitaliste et donc de la nécessité du communisme, mais le mépris des lois du marché par l’État bourgeois est tout sauf un pas vers un mode de production supérieur : c’est le dernier rempart de cet ordre en déclin. Et c’est surtout la fonction de la gauche du capitalisme de le cacher à la classe ouvrière, de la détourner de sa propre voie qui exige de sortir de l’emprise de l’État et de préparer sa destruction révolutionnaire.
Mais à l’époque du populisme, la gauche n’a pas le monopole des fausses critiques du système. La réalité certaine que l’État va partout utiliser cette crise pour intensifier sa surveillance et son contrôle de la population (et donc la réalité d’une classe dirigeante qui “conspire” sans cesse pour maintenir sa domination de classe) donne lieu à un nouveau lot de “théories complotistes”, dans lesquelles le danger réel de Covid-19 est écarté ou nié catégoriquement : il s’agit d’une “Scamdémie” soutenue par une sinistre cabale de mondialistes pour imposer leur programme de “gouvernement mondial unique”. Et ces théories, qui sont particulièrement influentes aux États-Unis, ne se limitent pas au cyberespace. La faction Trump aux États-Unis a agité cet épouvantail, affirmant qu’il existe des preuves que le Covid-19 s’est échappé d’un laboratoire de Wuhan (même si les services de renseignements américains ont déjà écarté cette hypothèse). La Chine a répondu par des accusations similaires contre les États-Unis. Il y a également eu de grandes manifestations aux États-Unis pour exiger le retour au travail et la fin du confinement, encouragées par Trump et souvent inspirées par les théories ambiantes conspiratives (ainsi que par des fantasmes religieux : la maladie est réelle, mais nous pouvons la vaincre grâce au pouvoir de la prière). Il y a également eu quelques attaques racistes contre des personnes originaires d’Extrême-Orient, identifiées comme étant responsables du virus. Il ne fait aucun doute que de telles idéologies affectent certaines parties de la classe ouvrière, en particulier celles qui ne reçoivent aucune forme de soutien financier des employeurs ou de l’État, mais les manifestations pour le retour au travail aux États-Unis semblent avoir été menées principalement par des éléments de la petite-bourgeoisie soucieux de relancer leurs entreprises. Comme nous avons vu, de nombreux travailleurs ont lutté pour aller dans la direction opposée !
Cette vaste offensive idéologique renforce l’atomisation objective, imposée par le confinement, la peur que quiconque en dehors du foyer familial puisse être source de maladie et de mort. Et le fait que le “blocage” (lock-down, NDT) va probablement durer un certain temps, qu’il n’y aura pas de retour à la normale et qu’il pourrait y avoir d’autres périodes de confinement si la maladie passe par une deuxième vague, aura tendance à exacerber les difficultés de la classe ouvrière. Et nous ne pouvons pas nous permettre d’oublier que ces difficultés n’ont pas commencé avec le confinement, mais qu’elles ont une longue histoire derrière elles, surtout depuis le début de la période de décomposition après 1989, qui a vu un profond recul à la fois dans la combativité et la conscience, une perte croissante de l’identité de classe, une exacerbation de la tendance au “chacun pour soi” à tous les niveaux. Ainsi, la pandémie, en tant que produit évident du processus de décomposition, marque une nouvelle étape dans le processus, une intensification de tous ses éléments les plus caractéristiques. (6)
Néanmoins, la crise de Covid-19 a également attiré l’attention sur la dimension politique à un degré sans précédent : les conversations quotidiennes ainsi que le bavardage incessant des médias sont presque entièrement centrés sur la pandémie et le confinement, la réponse des gouvernements, la situation critique des travailleurs de la santé et autres travailleurs “essentiels” et les problèmes de survie quotidienne d’une grande partie de la population dans son ensemble. Il ne fait aucun doute que le marché des idées a été en grande partie accaparé par les différentes formes de l’idéologie dominante, mais il existe encore des endroits où une minorité importante peut poser des questions fondamentales sur la nature de cette société. La question de savoir ce qui est “essentiel” dans la vie sociale, de savoir qui fait le travail le plus vital et qui est pourtant si misérablement payé pour cela, la négligence des gouvernements, l’absurdité des divisions nationales et du chacun pour soi face à une pandémie mondiale, le genre de monde dans lequel nous vivrons après cette pandémie : ce sont là des questions qui ne peuvent être complètement cachées ou détournées. Et les gens ne sont pas entièrement atomisés : les gens confinés ont recours aux médias sociaux, aux forums Internet, aux vidéos ou audioconférences non seulement pour continuer le travail salarié ou rester en contact avec leur famille et leurs amis, mais aussi pour discuter de la situation et poser des questions sur sa véritable signification. La rencontre physique (si elle se fait à la distance sociale requise…) avec les résidents de l’immeuble ou du quartier peut également devenir un espace de discussion, même s’il ne faut pas confondre le rituel hebdomadaire des applaudissements avec la solidarité réelle ou les groupes locaux d’entraide avec la lutte contre le système.
En France, un slogan qui s’est popularisé est “le capitalisme est le virus, la révolution est le vaccin”. En d’autres termes, des minorités dans la classe amènent la discussion et la réflexion jusqu’à leur conclusion logique. “L’avant-garde” de ce processus est constituée par les éléments, dont certains très jeunes, qui ont clairement compris que le capitalisme est totalement en faillite et que la seule alternative pour l’humanité est la révolution prolétarienne mondiale (en d’autres termes, par ceux qui se dirigent vers des positions communistes, et donc la tradition de la Gauche communiste). L’apparition de cette génération de minorités “en recherche” pour le communisme confère aux groupes existants de la Gauche communiste une immense responsabilité dans le processus de construction d’une organisation communiste qui pourra jouer un rôle important dans les luttes futures du prolétariat.
Les luttes défensives que nous avons vues au début de la pandémie, le processus de réflexion qui s’est déroulé pendant le confinement, sont des indications du potentiel intact de la lutte des classes, qui peut aussi être “confinées” pendant une période considérable, mais qui à plus long terme pourrait mûrir au point de pouvoir s’exprimer ouvertement. L’incapacité à réintégrer un grand nombre de personnes licenciées au plus fort de la crise, la nécessité pour la bourgeoisie de récupérer les “cadeaux” qu’elle a distribués dans l’intérêt de la stabilité sociale, la nouvelle vague d’austérité que la classe dominante sera obligée d’imposer : telle sera certainement la réalité de la prochaine étape de l’histoire du Covid-19, qui est simultanément l’histoire de la crise économique historique du capitalisme et de sa décomposition progressive. C’est aussi l’histoire de l’aggravation des tensions impérialistes, alors que diverses puissances cherchent à utiliser la crise de Covid-19 pour perturber davantage l’ordre mondial : en particulier, il pourrait y avoir une nouvelle offensive du capitalisme chinois visant à défier les États-Unis en tant que première puissance mondiale. En tout état de cause, les tentatives de Trump de rejeter la responsabilité de la pandémie sur la Chine annoncent déjà une attitude de plus en plus agressive de la part des États-Unis. On demandera aux travailleurs de faire des sacrifices pour “reconstruire” le monde post-Covid, et pour défendre l’économie nationale contre la menace extérieure.
Une fois de plus, nous devons mettre en garde contre tout risque d’immédiatisme dans ce domaine. Un danger probable (étant donné le faible niveau actuel de conscience d’une identité de classe et la misère croissante qui touche toutes les couches de la population mondiale) sera que la réponse à de nouvelles attaques contre le niveau de vie prenne la forme de révoltes interclassistes, “populaires”, dans lesquelles les travailleurs n’apparaissent pas comme une classe distincte avec leurs propres méthodes de lutte et leurs revendications. Nous avons vu une vague de telles révoltes avant le confinement et, même pendant le confinement, elles ont déjà réapparu au Liban, au Chili et ailleurs, soulignant que ce type de réaction est un problème particulier dans les régions plus “périphériques” du système capitaliste. Un récent rapport de l’ONU [109] a averti que certaines régions du monde, en particulier l’Afrique et les pays ravagés par la guerre comme le Yémen et l’Afghanistan, connaîtront des famines aux “proportions bibliques” à la suite de la crise pandémique, ce qui tendra également à accroître le danger de réactions désespérées qui n’offrent aucune perspective.
Nous savons également que le chômage massif peut, dans un premier temps, tendre à paralyser la classe ouvrière : la bourgeoisie peut s’en servir pour discipliner les travailleurs et créer des divisions entre les employés et les chômeurs, et il est de toutes façons intrinsèquement plus difficile de lutter contre la fermeture d’entreprises que de résister aux attaques contre les salaires et les conditions de travail. Nous savons que, dans les périodes de crise économique ouverte, la bourgeoisie cherchera toujours des alibis pour tirer le système capitaliste d’affaire : au début des années 1970, c’était la “crise du pétrole” ; en 2008, “les banquiers avides”. Aujourd’hui, si on perd son emploi, c’est le virus qui sera désigné comme responsable. Mais ces alibis sont précisément nécessaires pour la bourgeoisie parce que la crise économique, et en particulier le chômage de masse, est une mise en accusation du mode de production capitaliste, dont les lois, en fin de compte, l’empêchent de nourrir ses esclaves.
Plus que jamais, les révolutionnaires doivent être patients. Comme dit le Manifeste du Parti communiste, les communistes se distinguent par leur capacité à comprendre “les conditions, la marche et les fins générales du mouvement prolétarien”. Les luttes massives de notre classe, leur généralisation et leur politisation, est un processus qui se développe sur une longue période et qui passe par de nombreuses avancées et reculs. Nous ne nous contentons pas de formuler des vœux lorsque nous insistons, comme nous le faisons à la fin de notre tract international [90] sur la pandémie, sur le fait que “l’avenir appartient à la lutte de classe”.
Amos, 12 mai 2020
1 “Workers strike across Ciudad Juárez, Mexico as COVID-19 death toll rises in factories [110]” World socialist web site (20 avril 2020).
2 UAW : un des principaux syndicats en Amérique du Nord. NdR
3 À propos des réactions des ouvriers de la santé en Belgique et en France, voir : “Covid 19 : Des réactions face à l’incurie de la bourgeoisie [86]”. La prise de position d’un médecin belge [111] est disponible en anglais sur notre forum.
4 Dans une certaine mesure, ce leitmotiv a été sapé par des preuves croissantes que les éléments les plus pauvres de la société, y compris les minorités ethniques, sont beaucoup plus durement touchés par le virus.
5 National Health Service, système de santé en Grande-Bretagne.
6 Nous avons examiné certaines de ces difficultés au sein de la classe dans différents textes récents, notamment : “Rapport sur la lutte de classe pour le 23e Congrès international du CCI (2019) : Formation, perte et reconquête de l’identité de classe prolétarienne [112]”.
Nous publions ci-dessous, la contribution de camarades d’un groupe de discussion dans la région d’Alicante, suivie de notre réponse.
DÉBATS SUR (ET CONTRE) LE VIRUS DU CAPITALISME
En ces jours étranges où l’anormal est devenu la norme, sans pour autant égratigner la surface du système de domination, mais plutôt comme continuation exacerbée de cette étouffante domination du capitalisme sur la vie quotidienne. Avec un État capitaliste de plus en plus puissant en tant qu’entité médiatrice de toute la vie sociale, nous, un groupe de camarades qui, depuis des années, continuons de partager le militantisme à travers diverses initiatives dans la ville d’Alicante et ses environs, nous nous sommes réunis pour lancer un débat sur la situation actuelle et historique. Notre militantisme, qui a pris un chemin différent au fil des ans, a retenu deux éléments selon une perspective de classe : l’affirmation du besoin réel de l’autonomie de la classe ouvrière (notre classe) et de l’internationalisme prolétarien. Par conséquent, même lorsqu’existent des divergences d’opinion sur certaines questions, nous nous reconnaissons dans le mouvement révolutionnaire historique et international du prolétariat.
LE CADRE GÉNÉRAL À PARTIR DUQUEL NOUS SOMMES PARTIS :
– Le besoin constant d’accumulation du capital détermine l’inévitable répétition de ses crises. La science historique de la classe ouvrière en est venue à établir un schéma temporel : tous les 10 à 15 ans, la crise est un phénomène imparable.
– La crise a été résolue par la destruction de personnes, de marchandises et de marchés ; la guerre est le phénomène prioritaire pour favoriser les destructions nécessaires imposées par la logique suicidaire du capital.
– La mondialisation du capitalisme (depuis le début du XXe siècle) et la disparition progressive des marchés précapitalistes, exacerbe les rivalités inter-bourgeoises et donne lieu à une situation de crise accumulée, où se développent des guerres impérialistes à grande échelle avec une puissance de destruction massive.
– La Seconde Guerre mondiale impérialiste et les terribles destructions qu’elle a engendrées (dans le sillage de la Première Guerre impérialiste), avec le consensus des ouvriers de tous les pays alliés à leurs bourgeoisies respectives sous les bannières du fascisme ou de la démocratie (deux faces complémentaires de la perversion du capital pervers), favorisent la reprise économique des soi-disant “30 glorieuses”, les années de reconstruction et de croissance accélérée. Un ballon d’oxygène pour un capital acculé par son propre développement.
– Depuis le retour de la crise (années 1970) et de la lutte prolétarienne, le capital a fait de nombreuses tentatives pour nous mobiliser de nouveau dans une grande guerre, et de nombreuses guerres locales ont été menées en passant sur nos corps et ceux de nos frères et sœurs de classe.
– Cependant, deux facteurs ont empêché le développement d’une guerre à grande échelle au sens classique du terme : l’humanité refuse d’être enrôlée dans de nouvelles guerres, il existe une conscience (pas encore de classe) qui refuse la logique de la guerre sous un angle pacifiste, pas révolutionnaire. Une tentative forcée du capital vers la guerre pourrait accélérer la prise de conscience, actuellement lente. D’autre part, la prolifération des armes nucléaires pourrait faire d’une dernière aventure guerrière, la dernière des guerres. La bourgeoisie, une classe sans scrupules qui n’a pas peur de verser le sang des autres, craint pour ses propres veines.
La crise actuelle du coronavirus soulève des questions qu’il convient d’évaluer et de clarifier.
Questions d’ordre général :
– Idéologiquement, cette crise exacerbe les éléments les plus brutaux de l’idéologie dominante, les piliers sur lesquels repose la fausse conscience de la réalité : le nationalisme, la défense de la nation et la lutte unie par-delà les divisions de la société en classes, contre le virus malfaisant, l’union des riches et des pauvres par-delà la réalité elle-même, l’appel constant (entre acclamations, applaudissements et chansons populaires) à la sacro-sainte unité nationale. L’atomisation, la stratégie de cloisonnement entre nos pairs et nous-mêmes, cristallisée à la perfection dans le confinement, l’interdiction du contact, de l’affection, de la solidarité.
– Politiquement, elle renouvelle les besoins du capitalisme d’État, le rôle supérieur et directeur de l’État en tant que garant et médiateur direct de toutes, absolument toutes, les relations humaines. Et n’oublions pas (comme le fait de manière si intéressée la gauche capitaliste) que l’État est l’organe de pouvoir de la bourgeoisie, ce n’est pas une entité neutre qui veille objectivement aux intérêts de la majorité, c’est l’état de pouvoir d’une minorité. La répression sous un prétexte virologique, la militarisation de la vie sociale, ne sont que quelques symptômes de cette maladie, et peut-être sont-ils là pour rester. On parle d’une économie de guerre, d’un état de guerre, et ils veulent tous nous transformer en petits soldats, dans cette logique militariste répugnante.
Sur le plan économique, nous avons examiné différentes options, que nous ne sommes pas en mesure de clarifier pour l’instant :
Eh bien, la vérité, c’est que ce qui se passe actuellement ne commencera à nous paraître plus ou moins clair qu’après un certain temps, cela va de soi.
Sur le plan économique, nous voyons comment la pandémie est en train d’affecter l’ensemble des pays dans une mesure plus ou moins grande, et il est difficile de dire quel “bloc impérialiste” en sortira vainqueur. Même s’il est vrai que la libre circulation des marchandises favorise l’accumulation, il n’en est pas moins vrai que, ces dernières années, la Chine, les États-Unis et l’Union européenne se livrent une guerre commerciale. Les politiques protectionnistes se sont accrues face à un gâteau (le monde) plus petit à se partager entre ces charognards. Il reste à évaluer les répercussions du coronavirus et la manière dont le capital en tirera parti, mais une hypothèse se dégage et s’imbrique dans la nécessité même de la guerre impérialiste :
Nous nous demandons si ce phénomène viral peut constituer un substitut à la guerre impérialiste classique, car cela pourrait finir par en égaler la faculté destructrice de main-d’œuvre, de marchandises et de marchés, en favorisant les processus cycliques de reconstruction. Si cette option est viable (cela ne dépend pas seulement de la volonté de la bourgeoisie), la répétition de ces situations, de ces états d’exception et de l’arrêt temporaire et partiel de certains secteurs économiques, deviendra cyclique et constante. De fait, ce type de situations se produit déjà dans certaines régions de la planète où ce qui est ici considéré comme exceptionnel, est quelque chose de normal dans les cycles de survie. Cela pourrait être une preuve de l’imparable décadence du système capitaliste, ou bien d’une des voies d’accumulation face à sa décadence inévitable. En d’autres termes, ce serait la forme que prendrait la guerre impérialiste à grande échelle dans un avenir immédiat.
Cependant, nous avons de sérieux doutes sur cette hypothèse, car pour qu’il en soit ainsi, il faudrait qu’elle provoque, outre la destruction des marchés et des marchandises (ce qui est possible en raison de l’effondrement économique), des millions de morts pour parvenir à détruire suffisamment de main-d’œuvre qui, autrement, resterait dans la misère. Cela ne semble pas être le cas, le nombre de morts, même si cela fait beaucoup de bruit, est loin d’être alarmant, il semble plutôt que ce que l’on veuille éviter, c’est l’effondrement des hôpitaux. La misère quotidienne à elle seule est déjà la cause de millions de décès dus à la faim, à la maladie ou à la pollution dans les pays industrialisés… Et même si cette hypothèse est envisageable, cela serait bien trop dangereux, y compris pour les élites, tout comme le serait une guerre nucléaire. En d’autres termes, une véritable pandémie virale d’envergure majeure affecterait à la fois les pauvres comme les riches, à moins que ces derniers ne disposent au préalable du vaccin.
Nous ne devons pas non plus ignorer les avertissements répétés concernant la destruction imminente de millions d’emplois dus à la robotisation, les migrations massives dues aux phénomènes météorologiques en raison du changement climatique et la surpopulation des villes transformées dans la plupart des cas en de gigantesques bidonvilles.
Cette “pandémie” servira peut-être de prétexte à une nouvelle réflexion sur les relations de travail, avec une précarité de plus en plus grande, etc. et à un nouvel ordre mondial, mais cela entrerait sur le terrainconspiratif, avec leur ordre capitaliste “international” capable de dicter les politiques que les États doivent respecter. Tous ? Même si, à vrai dire, les capitalistes ont leur propre ordre international, via différents organismes tels que la Banque mondiale, le FMI, le G7, l’OMS, etc.
Nous savons qu’une simulation d’épidémie virale a été menée en septembre et celle-ci a été révélée au grand jour.1
S’agirait-il d’un écran de fumée qui cacherait un effondrement “imminent” de l’économie mondiale et servirait à remettre le système à zéro… et déjà s’infiltrent pour une période indéterminée de nouveaux moyens de répression ?
La logique du capitalisme exige sans aucun doute la destruction de la main-d’œuvre, tout en la rendant moins chère, et pour différentes raisons (certaines participant de théories plus complotistes que d’autres), cela va de soi. La surpopulation est un problème de sécurité et un problème majeur pour tous les États.
On ne peut pas non plus exclure que ces pandémies soient en fait dues à des crises climatiques et à la relation nocive entre l’homme et les autres espèces, couplé à l’incapacité des États à les résoudre au-delà de la mise en œuvre de mesures policières/militaires… et en gagnant peut-être un peu d’argent au passage.
AUTRES CONSIDÉRATIONS NÉCESSAIRES :
– Les limites du capital ne se fondent pas seulement, ni principalement dans ses contradictions économiques, dans cette tendance mathématique à diminuer le taux de profit. En ce sens, le capital démontre sa capacité créative, avec l’ouverture de nouvelles voies d’accumulation, même si c’est dans un sens erroné, et de sa capacité à tirer maintenir la tête hors de la boue sanglante qui est son domaine.
– La vraie limite du capital, la seule qui puisse le renverser et transformer le monde en profondeur, pour instaurer la vraie Vie au lieu de la survie, c’est la révolution prolétarienne mondiale.
– Comme dans toute guerre impérialiste, la bourgeoisie concentre ses efforts sur le terrain idéologique, nous submergeant sous un torrent d’activités inutiles à réaliser durant le confinement, pour nous maintenir actifs et sans réfléchir (comme de bons zombies), tout en étendant avec férocité ses éléments idéologiques classiques : défense de l’économie nationale et rejet de “l’extérieur” (aujourd’hui synonyme de maladie dangereuse) et méfiance envers nos pairs. La solitude continuera à nous tuer, plus vite que n’importe quel virus.
– Il n’est pas nécessaire de nier l’existence du virus pour exiger le besoin de rejeter, dans les faits, la brutalité de la société existante. La logique militaire et guerrière du capital.
– Hier comme aujourd’hui, le mot d’ordre internationaliste et révolutionnaire du prolétariat sera d’affronter toutes les bourgeoisies et leurs États, pour reprendre l’expression, à savoir que, si nous avons le choix, nous choisissons notre autonomie de classe, parce que, et sans aucun doute, toutes les fractions de la bourgeoisie sont pires.
Notre intention est de continuer à discuter et à débattre, l’activité la plus subversive qui puisse être développée aujourd’hui est de récupérer les armes de la critique, et nous souhaitons ouvrir cette discussion à tous les camarades qui souhaitent en parler et partager leurs positions avec nous. Ce document n’est donc que le début de la mise en œuvre d’un outil de débat… (À suivre)…
Prolétaires de tous les pays, étreignons-nous !
Prolétaires de tous les pays, toussons avec force sur le bourgeois le plus proche !
Nous saluons l’initiative de se rassembler et de discuter. C’est une expression de l’effort de prise de conscience de la classe ouvrière et en même temps une contribution à son développement.
Les camarades ont pris comme point de départ leur adhésion à la classe ouvrière et à l’internationalisme. Ils y voient un cadre de discussion où s’expriment des divergences. D’autre part, ils conçoivent leurs réflexions comme quelque chose d’ouvert, d’évolutif, et déclarent leur intention de “continuer à discuter et à débattre, l’activité la plus subversive qui puisse être développée aujourd’hui est de récupérer les armes de la critique, et nous souhaitons ouvrir cette discussion à tous les camarades qui souhaitent en parler et partager leurs positions avec nous”.
Nous pensons que c’est la méthode adéquate dans le milieu prolétarien : partir de ce qui nous unit pour ensuite aborder ce qui peut nous diviser à travers un débat sain et ouvert.
C’est la méthode que nous allons suivre dans notre réponse afin d’encourager une discussion impliquant d’autres groupes ainsi que d’autres camarades.
Face à la crise pandémique et à la crise économique qui s’annonce, les camarades rejettent le fait que le capitalisme disparaîtra de lui-même, écrasé sous le poids de ses propres contradictions. Au contraire, ils affirment que “la vraie limite du capital, la seule qui puisse le renverser et transformer le monde en profondeur, pour instaurer la vraie Vie au lieu de la survie, c’est la révolution prolétarienne mondiale”. Par conséquent, “il n’est pas nécessaire de nier l’existence du virus pour exiger le besoin de rejeter, en pratique, la brutalité de la société existante. La logique militaire et guerrière du capital”, par ce qu’ “hier comme aujourd’hui, le mot d’ordre internationaliste et révolutionnaire du prolétariat sera d’affronter toutes les bourgeoisies et leurs États, pour reprendre l’expression, à savoir que, si nous avons le choix, nous choisissons notre autonomie de classe, parce que, et sans aucun doute, toutes les fractions de la bourgeoisie sont pires”.
Nous partageons pleinement ces positions, ainsi que la dénonciation de la manière dont le capital “gère” la crise pandémique : il profite du confinement pour imposer une idéologie de guerre et d’Union nationale qui favorise l’atomisation, l’individualisme, le chacun pour soi, le tous contre tous, la peur de “l’étranger” et qui, par conséquent, stimule insidieusement la xénophobie et le racisme. “La bourgeoisie concentre ses efforts sur le terrain idéologique, nous submergeant sous un torrent d’activités inutiles à réaliser durant le confinement, pour nous maintenir actifs et sans réfléchir (comme de bons zombies), tout en étendant avec férocité ses éléments idéologiques classiques : défense de l’économie nationale et rejet de “l’extérieur” (aujourd’hui synonyme de maladie dangereuse) et méfiance envers nos pairs. La solitude continuera à nous tuer, plus vite que n’importe quel virus”.
Partageant ce précieux terrain d’entente, nous voulons à présent analyser ce que nous ne trouvons pas valable dans les positions exprimées par les camarades.
Une partie du texte développe des spéculations sur la possibilité que la pandémie ait été provoquée par le capital, de sorte qu’en éliminant massivement des vies, elle jouerait le rôle d’une guerre impérialiste : liquider la force de travail et les marchandises pour reprendre l’accumulation du capital.2 Les camarades eux-mêmes affichent de sérieux doutes quant à ces idées.
La pandémie du Covid-19, déclencheur d’une crise sociale de dimension mondiale
Cependant, les camarades doutent un peu de la gravité de la pandémie : “le nombre de morts, même si cela fait beaucoup de bruit, est loin d’être alarmant, il semble plutôt que ce que l’on veuille éviter, c’est l’effondrement des hôpitaux. La misère quotidienne à elle seule est déjà la cause de millions de décès dus à la faim, à la maladie ou à la pollution dans les pays industrialisés…” Ce n’est pas la nature strictement virale de la maladie qui la rend si mortelle, mais une série de facteurs sociaux historiques de grande importance : l’effondrement des systèmes de santé dans le monde entier ; sa propagation rapide et vertigineuse liée à la gigantesque intensification de la production mondiale au cours des dernières décennies, la désorganisation et la paralysie sociale et économique qu’elle a provoqué et aggravé ; la réponse même des États qui révèle une incompétence évidente et une incurie scandaleuse. C’est cet ensemble de facteurs, associé à la phase historique de décomposition du capitalisme,3 qui fait du virus le catalyseur d’une crise sociale de dimension mondiale. Dans toute l’histoire de l’humanité, les grandes pandémies que l’on connaît ont été associées à des moments historiques de décadence d’un mode de production en particulier. La peste noire du XIVe siècle a éclaté lors de la décadence de la féodalité. La Première Guerre mondiale, qui marque l’entrée du capitalisme dans sa phase de décadence, s’accompagne de la terrible pandémie de grippe espagnole qui fera 50 millions de morts.
Pour nous, la pandémie du Covid-19 est une expression de la décadence du capitalisme et plus précisément de sa phase finale de décomposition. Elle doit se comprendre dans le cadre d’un système dont les contradictions provoquent d’énormes catastrophes comme : deux guerres mondiales et un enchaînement sans fin de guerres localisées plus dévastatrices encore ; les grands cataclysmes économiques qui se traduisent par un chômage chronique, par une aggravation de la précarité, un effondrement des salaires et un appauvrissement généralisé ; par l’altération du climat et la destruction environnementale qui conduisent également à des catastrophes qualifiées de “naturelles” ; par la détérioration générale de la santé ; et, non des moindres, par la désagrégation du tissu social avec une morale barbare et une décomposition idéologique qui favorise toutes sortes de dérives mystiques et irrationnelles.
Il est très positif que les camarades revendiquent la nécessité de la révolution prolétarienne mondiale comme seule réponse possible à cette escalade de la barbarie. Mais quelle est la base matérielle de cette revendication ? Pour nous, c’est la décadence du capitalisme, comme l’a déjà souligné la Plateforme de l’Internationale Communiste (1919) : “Une nouvelle époque est née. Époque de désagrégation du capitalisme, de son effondrement intérieur. Époque de la révolution communiste du prolétariat”.
Cette pandémie illustre le bien-fondé d’appliquer le concept marxiste de la décadence (lorsque le mode de production devient un frein aux forces productives qu’il a lui-même développées) à la situation du capitalisme actuel : l’existence des microbes était peu connue lors de la grande peste du XIVe siècle, de même qu’en 1918-1919, les virus n’avaient pas été découverts. Mais aujourd’hui ? Le virus du Covid 19 a été séquencé en quelques semaines. Ce qui est insupportable dans les décès dus au coronavirus n’est pas leur quantité, mais le fait qu’ils auraient tous pu être évités si la science et la technologie existantes n’étaient pas soumises aux lois du profit et de la concurrence.
Crises cycliques ou crise chronique et latente ?
Les camarades développent certaines idées qui relativisent la notion de décadence du capitalisme. Ainsi, ils affirment que “Le besoin constant d’accumulation du capital détermine l’inévitable répétition de ses crises. La science historique de la classe ouvrière en est venue à établir un schéma temporel : tous les 10 à 15 ans la crise est un phénomène imparable”.
Dans le capitalisme ascendant (dont l’apogée se situe au XIXe et au début du siècle suivant), les crises avaient un caractère cyclique car elles étaient “la manifestation que le marché antérieur se trouve saturé et nécessite un nouvel élargissement. Elles sont donc périodiques (tous les 7 à 10 ans) et trouvent leur solution dans l’ouverture de nouveaux marchés. Elles éclatent brusquement. Leur durée est courte et elles ne sont pas généralisées à tous les pays. Elles débouchent sur un nouvel essor industriel. Elles ne posent pas les conditions pour une crise politique du système”.4 Dans la période ascendante, les crises cycliques étaient l’expression du développement du capitalisme, chacune d’entre elles étant un déclencheur de nouvelles expansions dans le monde entier, pour la conquête des marchés et un développement spectaculaire des forces productives.
En revanche, dans la phase de décadence (depuis la deuxième décennie du XXe siècle), les crises “se développent progressivement dans le temps. Une fois qu’elles ont débuté, elles se caractérisent par leur longue durée. Ainsi, alors que le rapport récession/prospérité était d’environ 1 à 4 au XIXe siècle (2 années de crise sur un cycle de 10 ans), le rapport entre la durée du marasme et celle de la reprise passe à 2 au XXe siècle. En effet, entre 1914 et 1980, on compte 10 années de guerre généralisée (sans compter les guerres locales permanentes), 32 années de dépression (1918-22, 1929-39, 1945-50, 1967-80), soit au total 42 années de guerre et de crise, contre seulement 24 années de reconstruction (1922-29 et 1950-67). Alors qu’au XIXe siècle, la machine économique était relancée par ses propres forces à l’issue de chaque crise, les crises du XXe siècle n’ont, du point de vue capitaliste, d’autre issue que la guerre généralisée. Râles d’un système moribond, elles posent pour le prolétariat la nécessité et la possibilité de la révolution communiste. Le XXe siècle est bien “l’ère des guerres et des révolutions” comme l’indiquait, à sa fondation l’Internationale communiste”.
Depuis 1914, l’économie capitaliste ne fonctionne plus selon le schéma de crise (prospérité dans une dynamique ascendante mais qui tend vers une crise chronique) qui, malgré l’intervention massive des États (le capitalisme d’État), s’aggrave de plus en plus.
Les guerres dans le capitalisme décadent
Les camarades dénoncent clairement la nature impérialiste de la guerre et combattent fermement les drapeaux sous lesquels les forces du capital (de l’extrême-droite à l’extrême-gauche) entendent mobiliser les prolétaires : nation, fascisme, démocratie, etc.
Ceci est absolument juste et nous partageons ce point de vue. Cependant, ils considèrent que “deux facteurs ont empêché le développement d’une guerre à grande échelle au sens classique du terme : l’humanité refuse d’être enrôlée dans de nouvelles guerres, il existe une conscience (pas encore de classe) qui refuse la logique de la guerre sous un angle pacifiste, et non pas révolutionnaire. Une tentative forcée du capital vers la guerre pourrait accélérer la prise de conscience, actuellement lente. D’autre part, la prolifération des armes nucléaires pourrait faire d’une dernière aventure guerrière, la dernière des guerres. La bourgeoisie, une classe sans scrupules qui n’a pas peur de verser le sang des autres, craint pour ses propres veines”.
Nous sommes tout à fait d’accord sur le premier facteur. Si l’humanité n’a pas sombré dans une troisième guerre mondiale dans les années 1970-80, c’est grâce à la résistance du prolétariat dans les grandes concentrations industrielles à se faire enrôler dans la guerre. Cette résistance était plutôt passive et s’élevait au niveau individuel, ce qui a sérieusement limité sa force comme disent les camarades.
Or, le deuxième facteur qu’ils invoquent ne nous semble pas correct. La guerre impérialiste a une logique infernale qui, une fois déclenchée, se mue en un vortex de destruction et de barbarie qu’il est presque impossible d’arrêter.
Dans la période ascendante du capitalisme, “la guerre a pour fonction d’assurer à chaque nation capitaliste une unité et une extension territoriale nécessaires à son développement. En ce sens, malgré les calamités qu’elle entraîne, elle est un moment de la nature progressive du capital. Les guerres sont donc, par nature, limitées à 2 ou 3 pays généralement limitrophes et sont de courte durée, provoquent peu de destructions et déterminent, tant pour les vaincus que pour les vainqueurs un nouvel essor ”.
En revanche, les guerres de la décadence “ne relèvent plus des nécessités économiques du développement des forces productives de la société mais essentiellement de causes politiques. Elles ne sont plus des moments de l’expansion du mode de production capitaliste, mais l’expression de l’impossibilité de son expansion. Désormais un bloc de pays ne peut développer mais simplement maintenir la valorisation de son capital que directement aux dépens des pays du bloc adverse, avec, comme résultat final, la dégradation de la globalité du capital mondial. Les guerres sont des guerres généralisées à l’ensemble du monde et ont pour résultat d’énormes destructions de l’ensemble de l’économie mondiale menant à la barbarie généralisée. Nullement des “cures de jouvence”, les guerres du XXe siècle ne sont rien d’autre que les convulsions d’un système moribond à l’agonie”.
Les guerres impérialistes n’offrent aucune solution aux contradictions du capital ; au contraire, elles les aggravent. Même s’il est vrai que, comme le disent les camarades, “la Seconde Guerre mondiale impérialiste et les terribles destructions qu’elle engendre […], favorisent la reprise économique des soi-disant “30 glorieuses”, les années de reconstruction et de croissance accélérée. Un ballon d’oxygène pour un capital acculé au piège de son propre développement”, cette reconstruction est due au fait que, d’une part, les États-Unis n’ont subi aucune destruction sur leur sol, de sorte qu’ils ont pu s’ériger en facteur d’accumulation à l’échelle mondiale et, d’autre part, les zones non capitalistes qui existaient encore sur la planète ont permis au capitalisme ce ballon d’oxygène.
De ce point de vue, la guerre impérialiste est un engrenage irrationnel qui échappe au contrôle des différents impérialismes nationaux qui y participent. Il est possible que chacun “regrette” la ruine qui est en train d’être générée, mais le pari de chaque capital national est d’en sortir vainqueur et de faire payer à ses rivaux (et à sa propre classe ouvrière) les conséquences de la guerre. Ainsi, la prolifération actuelle des armes nucléaires ne constitue pas le moindre frein susceptible de rendre les capitalistes “rationnels” et leur éviter d’aller “trop loin”.
Le caractère de plus en plus incontrôlable et loin de toute rationalité du système lui-même, de ses contradictions, nous permet de comprendre la pandémie actuelle. De la même manière que les guerres impérialistes (surtout celles qui se mondialisent) deviennent un mécanisme imparable, les pandémies, comme celle que nous connaissons actuellement, sont un engrenage qui, une fois mis en marche, est très difficile à contrôler.
Cette irrationalité conduit à ce que les pays les plus “avancés” se volent les uns les autres le matériel nécessaire pour faire face à la pandémie, quitte à l’aggraver à l’échelle mondiale ! Et donc pour eux-mêmes à moyen terme. Comme nous l’avons souligné dans l’article sur la “guerre des masques”, [89] face à des problèmes d’envergure mondiale, la classe exploiteuse ne peut pas se départir de son morcellement en intérêts nationaux concurrents. La dynamique centrifuge irrationnelle s’exprime également dans la pandémie actuelle par le phénomène qui, au sein des États, voit les administrations régionales se faire concurrence et se voler mutuellement du matériel médical, comme nous avons pu le constater aux États-Unis, en Allemagne et en Espagne.
Nous constatons que la pandémie est l’expression d’une crise économique mondiale naissante qui prend enfin forme et tend à prendre des proportions que de nombreux analystes considèrent comme plus graves encore qu’en 2008.
Concentrons-nous sur le plan épidémiologique, la bourgeoisie nous dit de “faire avec la période de confinement” dans l’attente du “jour d’après”. Cependant, ce “jour d’après” tarde à venir et tend à se prolonger. Par ailleurs, il existe un consensus au sein de la communauté scientifique concernant d’éventuelles nouvelles vagues d’infection aux conséquences imprévisibles. Enfin, les systèmes de santé, déjà gravement détériorés avant même la pandémie : dans quelles conditions font-ils face à cette maladie et bien d’autres ? N’oublions pas que ces dernières années, les épidémies d’Ebola, de dengue, du sida, du choléra, de zika, etc. ont proliféré.
Par conséquent, nous pensons que la question essentielle n’est pas celle de la pandémie elle-même, mais les conditions historiques dans lesquelles elle se développe comme résultat et facteur d’accélération des graves contradictions dans lesquelles le capitalisme sombre après un siècle de décadence et plus de 30 ans de décomposition sociale et idéologique.
CCI, 20 avril 2020
1 En fait, il s’agissait d’une fake news (NDLR) .Cf. https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2020/02/06/coronavirus-la-f... [113]
2 Les idées “complotistes” ont un impact certain. Une enquête aux États-Unis montre que 33 % des sondés pensent que la pandémie a été provoquée artificiellement. Nous avons l’intention de faire un article à ce sujet.
4 “La lutte du prolétariat dans la décadence du capitalisme” [114]. Sauf mention contraire, les citations ultérieures proviendront de ce document.
Le monde entier est menacé par un nouveau genre de pandémie : le mastodonte chinois a au départ tenté de le dissimuler, mobilisant toute la puissance de sa machine capitaliste, dictatoriale et étatique ; puis, la pandémie a frappé le cœur historique du capitalisme : l’Italie, l’Espagne, la France et la Grande-Bretagne. La pandémie ne connaît aucune frontière et prend complètement par surprise des pays non préparés ; près de 200 000 personnes sont décédées (à l’heure où ces lignes sont écrites) (1) ; le système de soins est en train de s’effondrer dans de nombreuses régions. Actuellement, les États-Unis, puissance mondiale en déclin de l’époque révolue de la guerre froide, est ébranlée (2).
Et l’Allemagne ? Après avoir fait preuve d’un manque de préparation et d’une certaine hésitation lors de la première phase de l’épidémie, les autorités ont ensuite agi de manière plus rigoureuse et ont donné l’impression dans le monde entier qu’elles étaient plus efficaces pour combattre et gérer la pandémie et, qu’avec la Corée du Sud, elles constituaient presque une exception. La disponibilité et le taux de remplissage des lits en soins intensifs et le nombre de morts (qui venait d’atteindre 5 000 morts à l’heure où nous écrivons ces lignes) sont notamment cités comme indicateurs.
Pourquoi l’Allemagne parait-elle à peine ébranlée par une situation potentiellement catastrophique pour tous les pays ?
Tout comme en Italie, en Espagne, en France ou en Grande-Bretagne, le secteur des soins et de la santé en Allemagne a délibérément été restructuré ces dernières années, partiellement privatisé, avec des coûts de revient impitoyablement maintenus à la baisse. (3) Les hôpitaux par exemple, deviennent de pures “opportunités de placement” pour des fonds spéculatifs, dont on attend le meilleur rendement possible. En fait, l’Allemagne était pionnière dans ce type de restructuration. La restructuration simultanée (et par conséquent les coupes budgétaires) dans le secteur social (Agenda 2010, plan Hartz IV) mais aussi dans d’anciennes entreprises publiques (Deutsche Post, Telekom, Deutsche Bahn, etc.) a planté les jalons pour l’Allemagne, portée par sa puissance industrielle et sa capacité d’exportation, à réaliser des bénéfices substantiels selon les normes internationales au cours des quinze dernières années, inversant la tendance à l’aggravation de la crise.
À présent, si nous examinons de plus près le secteur des soins et de la santé, nous pouvons remarquer que 37 % des hôpitaux ont d’ores et déjà été privatisés. Mais le plus important est que la gestion des hôpitaux a été très fortement soumise aux lois de l’économie capitaliste, et ce de la part de tous les organismes de financement (y compris les autorités publiques et ecclésiastiques). Cela vaut, par exemple, pour la rationalisation des méthodes de travail, l’apurement des comptes avec les compagnies d’assurance maladie et la fermeture des hôpitaux. Alors qu’en 1998 l’Allemagne comptait 2 263 hôpitaux, ceux-ci ont été réduits à 2 087 en 2007, puis à 1 942 hôpitaux en 2017. Par conséquent, le nombre de lits d’hôpitaux a été réduit d’environ 10 000 unités en dix ans, passant de 506 954 lits (2007) à 497 200 lits (2017). Malgré une intensité de travail accrue, le personnel infirmier a été réduit depuis 1993. (4)
Un schéma similaire peut également être observé au sein des maisons de repos, avec un vieillissement simultané de la population. L’exploitation du personnel soignant et infirmier a massivement augmenté. Déjà en 2016, des prévisions établissaient qu’en 2025, il manquerait entre 100 000 et 200 000 soignants qualifiés, et dans le même temps, l’attrait pour la profession d’infirmier a diminué en raison des conditions de travail insupportables. La durée moyenne pendant laquelle les personnes exercent la profession d’infirmier auprès des personnes âgées est de 8 ans seulement. Les différentes tentatives de recrutement à l’échelle internationale ne parviennent pas à inciter le personnel à aller travailler dans le pays “où coulent le lait et le miel”. Autrement dit, les gens quittent et changent de profession dès que possible, notamment à cause du travail posté et des changements d’horaires de dernière minute et, en particulier, à cause de la confrontation à des conditions de travail inhumaines, qui sont des conditions que personne ne peut supporter bien longtemps.
La réalité capitaliste dans les “usines de la santé” était déjà structurellement inhumaine bien avant la pandémie en Allemagne. Les hôpitaux sont censés rafistoler les travailleurs malades pour qu’ils reprennent du service et se débarrasser d’eux le plus rapidement possible. Le personnel sous-payé, soumis à de dures conditions de travail, a dû être recruté dans les endroits où les salaires sont les plus bas.
Comme dans tout secteur de l’économie, où une proportion toujours plus importante de machines est utilisée (une part toujours plus grande de la composition organique du capital), la proportion d’appareils médicaux a également augmenté de façon constante dans le domaine de la médecine. La technologie médicale produit des appareils médicaux de plus en plus chers et techniquement complexes, qui sont utilisés dans les usines de la santé et qui doivent générer des profits, mais qui ne peuvent être exploités que par des spécialistes hautement qualifiés. Ces nouveaux appareils et nouvelles technologies représentent une avancée considérable dans le domaine du diagnostic et du traitement, mais en raison des coûts énormes d’acquisition, de maintenance et d’exploitation qu’ils impliquent, ils accentuent la nécessité de “canaliser” davantage de patients afin de rentabiliser au maximum les équipements, de payer le personnel et, au final, faire des bénéfices.
Dans le même temps, la médecine du XXIe siècle n’a pas réussi à se débarrasser du vieux fléau de la maladie (et de la mort) dans les hôpitaux en raison du manque d’hygiène, ce dont la plupart des patients dans les hôpitaux du XIXe siècle mouraient avant l’introduction des techniques modernes d’hygiène. L’Institut Robert-Koch estime que chaque année, 600 000 infections ont lieu en milieu hospitalier à cause des bactéries qui y prospèrent, et près de 20 000 personnes en décèdent.
En fin de compte, cela signifie que sur le marché des soins et de la santé, les patients sont uniquement considérés comme des “clients” à qui l’on tente de vendre le plus de “services” possible, et les employés sont pressés comme des citrons pour que l’accumulation de valeur dans le secteur médical atteigne le niveau le plus élevé possible. Le patient fait face au soignant, pour qui il devient une marchandise, la relation sociale devient un service, le mode de travail est soumis à une énorme compression et contrainte de temps. Cette perversion décrit très bien ce que Marx a analysé comme la réification, la déshumanisation et l’exploitation. Le véritable but de cette pratique (la valeur d’usage), le soin et/ou la guérison des personnes disparaît complètement. Le fait de reléguer les personnes négligées dans les maisons de retraite, la maltraitance générale qui découle entre autres, à cause du manque de personnel, des abus flagrants qui sont longtemps restés tus, (5) la remise en cause ou le refus de certaines opérations pour les personnes âgées, sont l’expression de ce caractère inhumain, qui n’est brisé que par la solidarité prolétarienne et le sacrifice individuel de soignants face à cette déshumanisation et cette réification quotidiennes et structurelles. Même avant l’arrivée de la pandémie, les contradictions sociales d’un système pourri étaient déjà apparues de façon très brutale dans les “usines de la santé”.
Des historiens de la médecine et des épidémiologistes signalent depuis longtemps que le danger des pandémies mondiales s’accroît. De plus, les conditions de vie sous le capitalisme aggravent les forces négatives et destructrices de telles pandémies : la destruction des habitats naturels des animaux sauvages, leur vente et leur consommation sans véritable contrôle vétérinaire, l’industrialisation de l’agriculture et en particulier les techniques d’élevage des animaux, l’urbanisation qui prend principalement la forme de “villes taudis”, de quartiers insalubres et déshérités, de bidonvilles, etc., tout ceci renforce la tendance des virus à franchir les frontières entre les espèces. (6)
En prévision de ces pandémies, des enquêtes, des simulations et des exercices d’urgence ont été réalisés dans le monde entier, y compris en Allemagne en 2012, où un simulacre de “scénario épidémique extraordinaire” a été mis en place : “Mesures anti-épidémiques, recommandations d’action par phases, communication de crise, mesures officielles, évaluation des effets sur la protection des objets précités, suivi de l’évolution de la propagation et du nombre de nouveaux cas de la maladie, etc.” Si nous observons les réactions à la crise lors des premières semaines, et si nous additionnons tous les éléments pointant un grave manque de disponibilité d’équipements de protection, des capacités des services d’urgences, de personnels, etc, nous ne pouvons qu’y voir une réaction irresponsable de la classe politique. Les lits d’hôpitaux, le personnel, les infrastructures, les équipements ont été réduits dans de nombreux secteurs au lieu d’être installés de manière préventive. Un infirmier berlinois fait ainsi état de l’utilisation de vêtements de protection “faits maison”, (7) plusieurs hôpitaux berlinois lancent des appels communs, l’association des hôpitaux berlinois demande à des volontaires de coudre des masques, les infirmières qui se plaignent sont confrontées à la répression…
En Allemagne également, nous pouvons observer la nature destructrice du capitalisme, qui tue déjà dans des circonstances normales et qui, maintenant, face à une pandémie mondiale, se refuse à faire ce qui est scientifiquement possible. Cela suscite l’indignation parmi les travailleurs qui sont en première ligne : beaucoup rejettent les faux éloges des politiciens et les applaudissements symboliques. À Mittelbaden, les premières infirmières à avoir quitté leur emploi l’auraient fait en raison du manque de protection. À Brandebourg, des tenues protectrices ont été demandées dans une lettre ouverte au début du mois d’avril et la situation a clairement été analysée : “Nos hôpitaux sont devenus des usines et la santé est devenue une marchandise”. (8) Il peut sembler surprenant alors que le taux de mortalité en Allemagne reste bien inférieur à celui de l’Italie, de l’Espagne ou celui de la France.
Plusieurs facteurs doivent être pris en compte dans l’évolution particulière de la pandémie en Allemagne. Par exemple, on peut même parler de circonstances heureuses, dans une certaine mesure, car les premiers cas ont pu être immédiatement localisés et donc rapidement isolés. En effet, la première vague a principalement touché de jeunes skieurs et des sportifs ; ensuite, la structure familiale en Allemagne est différente de celle de l’Italie et de l’Espagne, où de nombreux grands-parents vivent à proximité de leurs enfants et petits-enfants ; et enfin, malgré toutes les économies et les restructurations, le système de santé reste plus performant que dans les autres pays européens, (9) voire dans le monde entier.
Toutefois, le facteur décisif est la capacité de la bourgeoisie allemande à se mobiliser plus fortement et de manière plus cohérente que les autres pays après les premières semaines de désorientation. L’Allemagne, moteur de l’Union Européenne, a une économie qui reste stable. Sa classe politique n’est cependant pas épargnée par les tendances à la décomposition du monde capitaliste, ni par les comportements irresponsables, ce qui tend à se généraliser de plus en plus, (10) mais le populisme par exemple, et contrairement à tous les autres pays européens (et aux États-Unis aussi), n’a ici pas encore érodé l’appareil politique. Et, comme autre facteur clé de la capacité de la classe dirigeante à se mobiliser, il faut souligner le rôle particulièrement fort des syndicats en Allemagne. Bien que les difficultés dans les chaînes d’approvisionnement mondiales (en particulier les liaisons avec la Chine puis l’Italie) aient sensibilisé très tôt l’industrie automobile allemande aux effets du coronavirus, il a fallu un coup de semonce du président du comité d’entreprise, Bernd Osterloh, pour que les usines de Volkswagen ferment dès le 17 mars (soit avant la fermeture politique officielle par le gouvernement allemand !). (11) Volkswagen, grâce à ses rapports historiquement étroits avec l’État fédéral et le capital (la Volkswagen sous le régime nazi), est quasiment une entreprise de premier plan, presque un symbole de l’avant-garde du capitalisme d’État allemand.
Après la Seconde Guerre mondiale, ce rôle a été renforcé et davantage développé grâce à une implication étroite du syndicat IG-Metall (IGM). Alors que le 17 mars, les chaînes de montage tournaient encore chez BMW, Porsche, et que Daimler avait seulement prévu une pause de quelques jours (pour permettre de s’occuper des enfants), IGM, via Volkswagen, fixait le cap. Contrairement aux autres pays européens (et aux États-Unis) où le capital national, malgré les recommandations médicales, a ordonné aux ouvriers de se rendre sur les chaînes de montage, dans des conditions mettant leur vie en danger, la bourgeoisie allemande, avec l’aide des syndicats et en accord avec son appareil d’État, a fait preuve de son instinct de puissance. L’ingénieux “système de partenariat social” entre le capital et les syndicats pour contrôler la classe ouvrière, pour renforcer le capital national et le rôle mondial de l’Allemagne apparaît comme un jeu de concessions mutuelles. Les négociations collectives conflictuelles qui auraient été à l’ordre du jour dans la métallurgie et l’industrie électrique le 31 mars (avec de possibles grèves d’avertissement) ont été annulées face à la crise dans la circonscription de Rhénanie du Nord-Westphalie et un accord d’urgence sans augmentation de salaire (après des années de prospérité) a été instauré. (12) Cet accord d’urgence a immédiatement été adopté par les autres circonscriptions.
Après une courte phase d’incurie politique et un manque de planification, (13) la bourgeoisie a de nouveau démontré sa puissance économique et son instinct de pouvoir politique, bien qu’étant partiellement réduits. Cela a permis la prise de décisions politiques qui n’étaient nullement marquées par le souci de la santé des travailleurs en soi, mais plutôt par une stratégie à long terme de maintien du pouvoir et de continuité du processus de production capitaliste. Pour les capitalistes, c’est une question de calcul : soit se retrouver avec une main-d’œuvre contaminée par la pandémie et donc longtemps malade, avec une hausse des coûts reliés à la santé, soit tabler sur une réduction contrôlée de la production et la cessation des activités économiques, option “économiquement” plus rentable.
Tout d’abord, l’austère Angela Merkel a réuni autour d’elle une équipe scientifique de l’Institut Robert Koch pour élaborer une stratégie d’action, (14) qu’elle a annoncé le 18 mars dans un discours télévisé : confinement et distanciation sociale. L’Allemagne, premier exportateur mondial, a fermé la quasi-totalité de ses commerces ouverts au public (à l’exception des épiceries, des pharmacies, des drogueries, etc.). En étroite coordination avec les syndicats, l’ensemble de l’industrie automobile a été mise à l’arrêt, (15) ouvrant la voie à d’autres secteurs. Les écoles, les universités et les maternelles ont été fermées. Cette mesure choc a été accompagnée d’une intervention du bazooka monétaire de l’État capitaliste, avec en son centre le dispositif éprouvé du chômage partiel, (16) accompagné d’innombrables variantes locales et fédérales de fonds d’urgence. Le 20 mars, un budget supplémentaire de 150 milliards d’euros a été voté, auquel se sont ajouté plusieurs milliards d’euros provenant de fonds européens et nationaux. On estime qu’un total de 750 milliards d’euros sera dépensé dans le fonds d’urgence, et quotidiennement, on annonce de nouvelles subventions pour les industries en difficulté. Ce qui est aujourd’hui perçu comme une mesure directe visant à “sauver” les personnes menacées de licenciement, etc. conduira tôt ou tard aux attaques les plus violentes sous diverses formes, pour lesquelles la classe ouvrière, en particulier, devra payer. Nous reviendrons dans un article ultérieur sur les conséquences catastrophiques de cette montagne de dettes croissante.
L’armée est impliquée dans tout ceci : par exemple, un hôpital de 1 000 lits devait être construit à Berlin en un mois avec l’aide de l’armée allemande (Bundesrat) ; la Ministre de la Défense, Annegret Kramp-Karrenbauer fait état de requêtes croissantes pour une assistance administrative de l’armée, ce qui amène les réservistes mobilisés à rentrer en jeu. Cette mobilisation de l’armée ne peut en aucune façon être quantitativement comparée à celle de la France. En Allemagne, toute rhétorique de guerre était complètement absente ; néanmoins, le renforcement progressif de l’armée et sa mobilisation pour le secteur médical (17) est remarquable compte tenu du contexte de l’histoire allemande. Dans l’ensemble, les mesures devraient envoyer le signal : “nous ferons tout pour vous” et en même temps, l’Allemagne a renoncé aux couvre-feux draconiens et aux restrictions concernant les contacts comme c’est le cas par exemple en Espagne, en Italie ou en France, ralliant ainsi la population derrière son gouvernement. (18)
Ceci montre que la bourgeoisie allemande, en comparaison avec les autres principaux États du monde capitaliste, est toujours capable d’agir habilement et qu’elle n’a pas perdu son intelligence politique. C’est la seule explication au fait qu’une étude place l’Allemagne leader mondial en matière de gestion de crises (19) Cette intelligence politique de la bourgeoisie allemande repose sur sa réussite historique à repousser, bien qu’avec beaucoup de sang, l’assaut révolutionnaire de 1918-1919 en Allemagne. Les éléments contre-révolutionnaires actifs à cette époque, composés de syndicats, de la social-démocratie (majoritaire et indépendante), des corps francs et des grands capitalistes ont, cent ans plus tard, “grandi ensemble” pour former un bloc capitaliste d’État solide. Tel est le contexte historique de l’instinct de puissance prononcé de la bourgeoisie allemande.
Aujourd’hui, cela se traduit par une préoccupation apparemment plus grande pour la santé des travailleurs, qui ne repose cependant pas sur une plus grande “humanité”, mais entièrement sur le souci de la préservation de main-d’œuvre la meilleure et la plus rentable possible, et aussi sur la connaissance des conséquences dangereuses que pourrait avoir une mobilisation de la classe ouvrière en Allemagne. Nous avons déjà mentionné ailleurs que les forces centrifuges de la décomposition capitaliste, et particulièrement le populisme, n’ont pas épargné l’Allemagne et pourtant, l’appareil politique allemand reste nettement plus stable qu’en France, en Italie ou au Royaume-Uni et bien plus encore qu’aux États-Unis. On peut déjà constater que des éléments du populisme ont été partiellement absorbés et appliqués dans les mesures prises par la bourgeoisie au travers de la mobilisation de l’appareil d’État (il reste à voir si cela signifie le début d’une décomposition de l’appareil politique ou si le populisme sera ainsi plus aisément contrôlable) ; par conséquent, le parti populiste AfD est pour l’instant affaibli. La gestion de la crise montre que la bourgeoisie allemande a intégré dans son réservoir d’action un État fort, la fermeture des frontières, l’indifférence à la misère des réfugiés et l’égoïsme national et que pour le moment, l’AfD n’est qu’un gênant fauteur de troubles.
Compte tenu du caractère mondial de la pandémie et de la préparation tout à fait insuffisante à l’échelle mondiale, même la classe dirigeante en Allemagne n’a pas pu échapper à la pression du chacun pour soi. Dans la quête désespérée de masques, la réglementation du gouvernement allemand selon laquelle les équipements médicaux ne pouvaient être exportés que si les besoins vitaux de l’Allemagne étaient comblés a également été appliquée en Allemagne. Cette règle s’applique, même si le manque de protections dans d’autres pays met en danger des vies humaines. La défense des intérêts de la nation passe avant tout. Et dans sa tentative de ne pas laisser l’UE s’effondrer, et d’agir de façon aussi coordonnée que possible au niveau national dans ce chaos toujours croissant, le capital allemand a ouvert presque indéfiniment le robinet du crédit pour l’économie nationale. Parallèlement, la bourgeoisie allemande est restée largement intransigeante à l’égard de ses “partenaires” chancelants en Italie, en Espagne et de la demande de mise en place de corona bonds. Les conséquences que cela aura pour l’UE ne peuvent être prévues pour le moment.
De même, il est impossible de savoir aujourd’hui si cela sera en mesure de repousser l’impérialisme chinois, de plus en plus agressif, en Europe et partout ailleurs. La montagne de coûts engendrés par les mesures de sauvetage économique (20) décidées par les puissances mondiales conduira à une augmentation de la dette, (21) où la tendance au chacun pour soi deviendra de plus en plus dévastatrice. Au milieu de ce chaos, la bourgeoisie allemande a peut-être mieux réussi que ses rivaux jusqu’à présent, mais étant l’un des pays les plus dépendants des exportations et de la stabilité internationale, elle ne peut, malgré certains atouts, échapper aux chocs de la crise et au chaos qu’elle provoquera à long terme. Les défis que cela implique pour la classe ouvrière seront abordés dans un prochain article.
Gerald, 23 avril 2020
1 L’article a d’abord été publié par la section en Allemagne du CCI. Au moment où nous publions cette traduction, le chiffre est passé à plus de 300 000 !
2 Il n’est pas encore possible de prédire si le taux d’infection qui continue d’augmenter de manière exponentielle dans l’ancien bloc rival russe atteindra un niveau aussi dévastateur.
3 Ceci illustre très bien le concept de la “capitalisation”, qui se réfère à la logique économique de valorisation et d’accumulation du capital avec l’obligation de le faire fructifier (accumulation de capital) dans le but ultime de faire du profit.
4 “Lors de la conférence Usine ou Hôpital ? à Stuttgart, le 20 octobre 2018, il est fait état d’une diminution du chiffre réel de 1993 à 2016 de 289 000 à 277 000, soit 12 000 personnels soignants, malgré une augmentation du nombre de cas, une réduction de la durée de séjour et donc une augmentation de l’intensité de travail. Dans la fourchette cible calculée selon le règlement du personnel infirmier (PPR), en supposant une augmentation de 20 % des besoins en personnel en raison d’une augmentation des performances, il y a tout de même une différence de 143 000 infirmiers”. (Syndicat Verdi, avril 2018)
5 Au début des années 2000, une infirmière a tué dans le nord de l’Allemagne plus de cent patients sans que personne ne s’en aperçoive.
6 Voir également le livre en anglais de Mike Davis sur ce sujet, The Monster at Our Door : The Global Threat of Avian Flu (2005).
7 “Ils ont en fait acheté du film plastique au magasin de bricolage et en ont fait une sorte de bouclier qui s’étend sur les yeux et la bouche. Donc à présent, nous, les infirmières, nous devons nous procurer notre propre équipement parce que l’État n’avait pas de plan d’urgence viable en cas de pandémie !”
8 Le 7 avril, des docteurs, infirmiers ainsi que d’autres employés de plus de vingt hôpitaux à Brandebourg ont écrit dans une lettre ouverte au gouvernement fédéral en faisant la demande suivante : “Le Land de Brandebourg doit trouver un moyen de produire des masques, des blouses, des lunettes de protection et du désinfectant – tout de suite !”
9 “En janvier, il y avait en Allemagne environ 28 000 lits en soins intensifs, soit 34 pour 100 000 personnes. Par comparaison, en Italie il y en a douze et aux Pays-Bas, sept pour 100 000”.
10 “La montée du populisme constitue une expression, dans les circonstances actuelles, de la perte de contrôle croissante par la bourgeoisie des rouages de la société résultant fondamentalement de ce qui se trouve au cœur de la décomposition de celle-ci, l’incapacité des deux classes fondamentales de la société d’apporter une réponse à la crise insoluble dans laquelle s’enfonce l’économie capitaliste. En d’autres termes, la décomposition résulte fondamentalement d’une impuissance de la part de la classe régnante, d’une impuissance qui trouve sa source dans son incapacité à surmonter cette crise de son mode de production et qui tend de plus en plus à affecter son appareil politique”. (“Résolution sur la situation internationale : Conflits impérialistes, vie de la bourgeoisie, crise économique”, Revue Internationale n° 164)
11 “La décision a donc été précédée tôt mardi matin d’un débat houleux entre le conseil d’administration et les représentants des travailleurs de Wolfsburg, traditionnellement très influents, autour du président du comité d’entreprise, Bernd Osterloh. Le fait que la décision ait été prise au pied levé est également illustré par le fait qu’on ne sait pas encore très bien comment Volkswagen entend mettre en œuvre la fermeture en termes de droit du travail.”
12 “Dans l’industrie métallurgique et électrique, les partenaires de négociation ont conclu un accord pilote en Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Sous l’effet de la crise du coronavirus, IG Metall et les employeurs ont convenu de ne pas augmenter les salaires cette année”.
13 Le DAX a plongé de près de 14 000 points (mi-février) pour passer sous les 9 000 points. Le Land de Bavière parle d’une catastrophe dès le 16 mars.
14 Nous devons reprendre ailleurs cette tendance à la dictature “sans alternative” des experts, mais elle était déjà apparue avec le mouvement pour le climat, et la même idée avait été avancée par les experts (économiques) en réponse à la crise grecque de l’UE. Malgré l’intelligence politique de la majorité de la classe dirigeante, cela ne cache pas une certaine “lâcheté” politique de leur part, car c’est aussi une façon de cacher le caractère de classe des attaques derrière une science apparemment “neutre”, exempte d’idéologie.
15 Avec plus de 800 000 employés, l’industrie automobile représente une large part de l’industrie allemande.
16 Le 22 avril, il a même été décidé d’augmenter les indemnités de temps partiel de 60 à 80 % ou 67 à 87 %.
17 Le fait que de nouveaux avions de chasse aient été commandés ces jours-ci pour remplacer les avions Tornado “obsolètes” et qu’ils ne reculent pas devant les dépenses élevées n’est pas contradictoire mais va de pair.
18 Dans les sondages, c’est Merkel qui obtient la plus forte cote de satisfaction au cours de cette législature et la CDU a enregistré une forte progression, de sorte que des rumeurs sur un cinquième mandat se répandent déjà.
19 “Par rapport aux autres pays, l’Allemagne occupe actuellement la première place en Europe en matière de sécurité et de stabilité et est également l’une des meilleures nations au monde en termes de gestion des crises”, a déclaré Dimitry Kaminsky, fondateur de la DKG (Deep Knowledge Group). En outre, l’Allemagne a agi “avec une extrême efficacité”.
20 Le CCI étudiera la question dans d’autres analyses. Nous invitons nos lecteurs à suivre notre presse internationale et à participer au débat sur l’évaluation de la situation, ses perspectives et nos tâches.
21 Nous invitons tous les lecteurs à examiner plus en profondeur la résolution sur la situation internationale adoptée par le 23e Congrès international : “Non seulement les causes de la crise de 2007-2011 n’ont pas été résolues ou dépassées, mais la gravité et les contradictions de la crise sont passées à un stade supérieur : ce sont désormais les États eux-mêmes qui sont confrontés au poids écrasant de leur endettement (la “dette souveraine”) qui affecte encore plus leur capacité à intervenir pour relancer leurs économies nationales respectives. “L’endettement a constitué un moyen de suppléer à l’insuffisance des marchés solvables, mais celui-ci ne peut s’accroître indéfiniment, ce qu’a mis en évidence la crise financière à partir de 2007. Cependant, toutes les mesures qui peuvent être prises pour limiter l’endettement placent à nouveau le capitalisme devant sa crise de surproduction, et cela dans un contexte économique international qui limite de plus en plus sa marge de manœuvre.” (“Résolution sur la situation internationale : Conflits impérialistes, vie de la bourgeoisie, crise économique”, Revue Internationale n° 164).
Il y a 150 ans, le 22 avril 1870, naissait Vladimir Ilitch Oulianov, dit Lénine, qui allait jouer un rôle central dans le mouvement révolutionnaire prolétarien du début du XXe siècle.
Alors que la bourgeoisie a fait de lui le “père du totalitarisme”, les révolutionnaires d’aujourd’hui se doivent de mettre en évidence que toute sa vie fut consacrée à la lutte pour l’émancipation de la classe ouvrière et non à l’établissement sur celle-ci d’une des formes les plus barbares d’exploitation et d’oppression capitaliste comme l’a été le stalinisme. L’article ci-dessous, déjà paru dans notre presse, retrace la trajectoire de ce grand combattant de la classe ouvrière que fut Lénine.
– “Lénine : un combattant du prolétariat ; Staline : un agent du capitalisme [115]”, brochure Effondrement du Stalinisme.
La Libye est régulièrement sous le feu des médias depuis 2011, l’année de la liquidation par les puissances impérialistes de l’OTAN (France, Royaume-Uniet États-Unis) de Mouammar Kadhafi qui dirigea le pays d’une main de fer pendant quarante ans.
“Cette malheureuse Libye, que la guerre franco-britannique de 2011 a transformé en paradis pour les terroristes de Daech et d’Al-Qaïda, hérite donc aujourd’hui d’une guerre civile. Les trafiquants d’armes, de drogue ou de migrants y prolifèrent et entrent rarement en conflit avec les djihadistes. Normal, ils sont souvent cousins en affaires…”. (1))
Après le passage du “printemps arabe” en Libye qui vit une partie de la population se soulever contre le régime sanguinaire et corrompu de Kadhafi, les puissances occidentales (au nom de “la protection de la population civile” que l’ex-dictateur réprimait brutalement) déclaraient la guerre au dirigeant libyen. Après avoir écrasé la population sous les bombes et liquidé Kadhafi, elles laissaient le pays entre les mains de multiples groupes sanguinaires qui se disputent toujours le contrôle du moribond État libyen.
Aujourd’hui, parmi la dizaine de groupes et de milices qui écument le pays, les deux plus importantes factions en présence prétendent au statut d’interlocuteurs privilégiés auprès des grandes puissances et de l’ONU : il s’agit du “Gouvernement d’accord national” (GAN) siégeant à Tripoli et dirigé par Faïse Sarraj, et “l’Armée nationale libyenne” (ANL) dirigée par Khalifa Haftar qui gouverne la région cyrénaïque. Chacun de ces deux “petits” gangsters bénéficie d’un nombre de soutiens, de parrains impérialistes plus ou moins affichés.
“Au cœur de ce chaos de tribus et de cités États qu’est devenue la Libye, le Kremlin siège dans le même camp que les Émirats, l’Arabie Saoudite, l’Égypte et… la France, alors que l’Italie, le Qatar et surtout la Turquie portent à bout de bras le gouvernement de Fayez al-Sarraj. Un soutien multiforme puisque la Russie est allée jusqu’à imprimer des conteneurs entiers de dinars libyens pour le compte de son protégé, dont le rival contrôle la Banque centrale, en échange de cargaisons de pétrole. Dans cette guerre sans issue, où les drones de combats chinois et turcs à 2 millions de dollars pièce tirent sur des miliciens en tee-shirt, jeans et baskets, le Kremlin joue un jeu qui est tout sauf stabilisateur. Mais qui en dehors d’une Union africaine presque totalement marginalisée sur ce dossier, veut réellement voir la Libye renaître de ses cendres ?” (2)
Sur le papier, deux groupes s’affrontent formellement sur le sol libyen. Mais en réalité, le chacun pour soi domine.
Ce spectacle barbare dévoile l’attitude hypocrite et abjecte des grandes puissances en Libye qui jouent toutes un double jeu : “La résurgence du conflit en Libye a révélé de nombreuses manœuvres d’ingérence que certaines puissances, régionales ou mondiales, auraient préféré garder dans l’ombre”. (3) À l’instar du gouvernement français pris en flagrant délit de mensonge quand il a tenté de nier l’existence des missiles fournis par ses services secrets au maréchal Haftar tout en affirmant que “la France est en Libye pour combattre le terrorisme”.
Quant aux deux chefs de guerre libyens, leurs objectifs sont aussi crapuleux : “Ainsi dressés l’un face à l’autre, les deux camps n’oseront jamais avouer le véritable mobile de leur affrontement. Le recours emphatique à une rhétorique justificatrice à usage externe (‘révolution’ ou ‘antiterrorisme’) camoufle mal le caractère brut d’une rivalité autour de l’appropriation des ressources, laquelle prend un sens très particulier dans cet ancien eldorado pétrolier qu’est la Libye. En dépit des perturbations causées par le chaos post-2011, le pétrole libyen continue de générer 70 millions de dollars (62,5 millions d’euros) de revenus par jour. Aussi la maîtrise des circuits de distribution de cette rente pétrolière aiguise-t-elle bien des appétits”. (4)
Voilà un autre aspect du conflit dont personne ne parle dans les discours officiels des dirigeants du monde capitaliste ! Cette course au “butin” pétrolier, ouverte par le chaos engendré après 2011, oppose un grand nombre de petits et grands gangsters locaux et internationaux sur le sol libyen.
Non contents des atrocités perpétrées en Syrie, la Russie et la Turquie débarquent en Libye avec armes et bagages dans le but affiché de déloger les puissances rivales mafieuses en présence :
“Alors que les combats ravagent la périphérie de Tripoli depuis 2019, la Russie et la Turquie sont ces nouveaux acteurs se rêvant parrains d’une future solution politique en Libye. Édifiante, une scène a illustré ce grand retournement géopolitique en Méditerranée orientale : celles de retrouvailles, le 8 janvier, à Istanbul, entre le président turc, Recep Tayyip Erdogan, et le chef du Kremlin, Vladimir Poutine. Ce jour-là les deux hommes ont ostensiblement affiché leur complicité au moment d’annoncer le lancement de TurkS-tream, un gazoduc reliant la Russie à la Turquie via la mer noire. Plus important, ils ont lancé un appel conjoint à un cessez-le feu en Libye ‘à compter 12 janvier’ et, signe de leur influence croisant sur un terrain où ils étaient jusque-là discrets, la trêve a été relativement respectée par leurs affidés locaux. Dans la bataille en cours autour de Tripoli, Moscou soutient le Maréchal dissident Khalifa Haftar, patron de l’Armée nationale libyenne (ANL), surtout enracinée en Cyrénaïque (Est). De son côté, Ankara appuie le gouvernement d’accord national (GAN) de Faïz Sarraj, basé à Tripoli et formellement reconnu par la communauté internationale.
Neuf mois après l’assaut déclenché par Haftar contre la capitale libyenne, Russes et Turcs ont ainsi démontré qu’ils étaient maîtres du tempo sur ce front, capables d’alterner à leur guise escalades et accalmies”. (5)
Comme le souligne la presse, dans la nouvelle situation libyenne, l’Europe et les États-Unis ne sont plus que des figurants tandis que l’OTAN est totalement paralysée par ses propres divisions. Les dirigeants russe et turc peuvent ainsi occuper le terrain librement et s’affronter militairement (certes par affidés interposés) comme pour exporter en Libye les atrocités sanglantes qu’ils ont déjà perpétrés en Syrie. Certes ces deux pays sont des puissances émergentes aux capacités limitées. (6)
Mais les deux États sont bien décidés à avaler le “gâteau libyen”. Ils ont ainsi pu dépêcher leurs mercenaires respectifs (2 000 “Wagner” russes et 3 000 combattants syriens, des brigades à la solde d’Erdogan) en vue de fermement soutenir leurs champions locaux du moment. Chacun de ces monstres tente, d’ailleurs, de “légitimer” son intervention, comme lorsque Erdogan ose affirmer : “Nous sommes sur ces terres où nos ancêtres ont marqué l’histoire, parce que nous y avions été invités pour résoudre l’injustice”. Mais la véritable motivation du dirigeant turc en Libye se trouve dans les perspectives de contrats “alléchants” : Erdogan espère, par exemple, faire valoir les 25 milliards de dollars de contrats signés sous le régime de Kadhafi et se sont envolés en 2011. La Turquie affiche ses ambitions impérialistes non seulement envers ses voisins proches (Syrie, Liban, Israël, Grèce) mais elle essaie aussi de s’implanter en Afrique et dans le Golfe Persique. De fait, la Libye constitue un “gros gibier” pour les ambitions impérialistes turques.
Cependant, Erdogan allume des feux et sème le trouble partout où il peut en sachant que la Turquie n’a pas les moyens de sa politique aventureuse ni au plan militaire (l’OTAN ne veut pas le suivre dans sa confrontation avec la Russie) ni sur le plan financier. (7)
Quant à la Russie il faut se rappeler que l’URSS fut le premier État à reconnaître le régime du colonel Kadhafi après le coup d’État militaire de ce dernier en 1969. Elle resta son principal fournisseur d’armes jusqu’à l’assassinat du “dictateur libyen” en 2011. Poutine a, d’ailleurs, fortement insisté sur le fait que Moscou a effacé, en novembre 2019, 4,6 milliards de dollars de la dette libyenne remontant à l’époque soviétique (en matériels militaires) et qu’il entend récupérer son “bien” les armes à la main, c’est-à-dire avec ses discrets mercenaires Selon Le Monde du 26 janvier 2020 : “En 2017 le maréchal Haftar a commencé un appui russe, principalement l’envoi de mercenaires liés au ‘groupe Wagner’ créé au début du conflit ukrainien, en 2014, et qui, depuis, a opéré en Syrie, au Soudan, en Centrafrique ou encore au Mozambique […]. Cette connexion avec Wagner présente l’avantage de pouvoir être nié. ‘S’il y a des citoyens russes là-bas, ils ne représentent pas les intérêts de l’État russe et ne reçoivent pas d’argent de l’État russe’, assurait ainsi Vladimir Poutine, le 11 janvier”.
Poutine est d’un cynisme hors norme, s’exprimant comme un ex-membre du sinistre KGB surdoué en matière de mensonge et de falsification de l’histoire.
La Libye va donc demeurer longtemps encore un grand champ de bataille des vautours capitalistes, petits ou grands, pour qui tous les moyens sont bons pour défendre leurs sordides intérêts quitte à foncer à peine masqué dans l’accomplissement de leurs crimes.
“C’est un rapport de quatorze pages cosigné par un Ghasan Salamé [...]. Publié à la fin de janvier par la mission des Nations unies en Libye, cette autopsie d’un meurtre de masse commis il y a 6 mois à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Tripoli est de celle que l’on glisse aisément sous le tapis pour une raison simple : les victimes sont africaines, et le coupable a des relations si haut placées que l’enquête se contente de suggérer son identité, sans jamais la dévoiler. Nous sommes à Tadjourah, donc, bourgade de 50 000 habitants non loin de la frontière tunisienne, plus précisément au camp de détention de Daman. Gardé par une brigade de miliciens relevant du ministère de l’intérieur du Gouvernement de l’union nationale, de Fayez al-Sarraj, Daman est l’un des 34 centres d’enfermement du Nord-Ouest libyen où s’entassent quelque 10 000 migrants et réfugiés dont nul ne sait quoi faire. Le camp abrite un atelier de réparation de véhicules militaires et, distants d’une centaine de mètres, deux hangars aux toits de tôle où logent les détenus, femmes et hommes séparés. Ils sont 600 environ, africains dans leur grande majorité ; dont le rêve d’Europe s’est mué en un cauchemar quotidien fait de privations, d’humiliations et d’exactions.
La chaleur est étouffante en cette nuit du 2 au 3 juillet 2019, quand les habitants du camp entendent le bombardement d’un drone qui les survole à basse altitude. Les gardiens sont nerveux, les détenus inquiets. En mai, pareille apparition avait précédé le bref mitraillage de Daman par un petit appareil ennemi de l’armée nationale libyenne de Khalifa Haftar, le maréchal de Benghazi. On en avait été quitte pour quelques blessés et une belle frayeur. Mais à 23h30 cette nuit-là, c’est le hurlement du réacteur d’un chasseur bombardier qui précipite tout le monde au sol. Téléguidée avec précision, une bombe pulvérise l’atelier de réparation, vide d’occupants. Ce qui se passe alors, au cours des dix minutes qui suivent, est tragique. Paniqués, les migrants cherchent à fuir les hangars pour se mettre à l’abri hors du camp. Dirigés par un commandant surexcité, les miliciens de la brigade tirent en l’air à la kalachnikov pour les en empêcher. Puis dans le tas. Trois détenus s’effondrent, les autres refluent en désordre dans les entrepôts, où on les enferme. À 23h40, un second avion identique au premier lâche sur le hangar bondé des hommes une bombe de 300 kg qui transperce le toit et explose au sol, creusant un cratère de quatre mètres de large et profond de trois. C’est une boucherie. Les gardiens de Daman dénombrent à la va-vite au moins 57 corps déchiquetés, 96 disparus dont on ignore s’ils sont morts ou en fuite et 80 blessés graves. Tous anonymes. [...]
Dès le lendemain du carnage, le porte-parole de Khalifa Aftar revendique non sans forfanterie un raid des ‘forces aériennes de l’Armé nationale libyenne’ contre le camp de Daman, qualifié de ‘cible militaire’ dont les défenseurs utilisaient les migrants comme boucliers humains. L’annonce fait sourire les observateurs : chacun sait que la petite armée de l’air du maréchal ne possède ni les appareils ni les pilotes capables d’effectuer des pilonnages nocturnes avec des bombes à guidage laser/GPS. En revanche, relève avec une prudence toute diplomatique le rapport de l’ONU, ‘un État étranger’ parrain et allié du maréchal a positionné sur les bases de Jufra et d’Al-Khadim ‘un certain nombre d’avions’ tout à fait en mesure d’effectuer ce genre d’opération. Aux yeux des spécialistes, ces précautions sémantiques cachent un secret de polichinelle : l’État, ce sont les Emirats arabes unis du prince héritier Mohammed Ben Zayad (MBZ), et les avions, des Mirage 2000-9 vendus à Abou Dhabi par la France”. (8)
Autrement dit, c’est bien l’impérialisme français qui se cache derrière les auteurs de cet horrible massacre des migrants directement perpétré par les Émirats arabes unis , gros clients et alliés de Paris dans cette zone. La responsabilité criminelle de la France est tellement évidente que la presse bourgeoise parle ouvertement de crime de guerre impliquant le gouvernement français du fait qu’Abou Dhabi et Dassault Aviation ont signé un contrat de modernisation de la flotte des Mirage 2000-9 en novembre dernier, ce qui expose Paris à l’accusation de “complicité de crime de guerre, en vertu du traité sur le commerce des armes dont la France est signataire”. L’ONU n’est également pas étrangère à cet abominable carnage. Son rapport montre qu’elle connaît parfaitement l’identité des véritables assaillants des camps de réfugiés tout en se gardant bien de la dévoiler.
“Aux côtés des Émirats arabes unis, de l’Égypte et de l’Arabie Saoudite (les véritables alliés de l’ANL), la Russie a aujourd’hui pris la place de la France dans la liste des principaux protecteurs de Haftar, notamment au Conseil de sécurité de l’ONU. Mais en attendant la prise de Tripoli, l’appui français est toujours recherché par le clan de Benghazi”. (9) De fait, l’impérialisme français se trouve, en “bonne compagnie”, au cœur du sanglant chaos libyen. Mais sa responsabilité criminelle de la France ne s’arrête pas là : elle partage avec ses homologues européens la responsabilité de l’existence de monstrueux “camps d’accueil” pour migrants refoulés ou en escale en Libye dans l’attente d’un embarquement mortifère vers l’Europe.
En plus du chaos sanglant provoqué par les grandes puissances impérialistes, la Libye est devenue un véritable “marché” et un cimetière pour réfugiés dont l’Union européenne est directement responsable.
Le 14 novembre 2017, des images de marchés aux esclaves en Libye étaient diffusées par CNN où l’on pouvait voir des êtres humains vendus aux enchères comme du bétail. Il s’agit de migrants, dont le nombre varie entre 700 000 et 1 million, tombés dans le piège des réseaux et des trafiquants criminels avec la complicité active des États (européens et africains) : Selon un rapport publié par l’Unicef, “Les centres de détention dirigés par les milices ne sont rien d’autre que des camps de travail forcé, des prisons où l’on se fait tout voler sous la menace d’une arme. Pour des milliers de femmes et d’enfants, la vie dans ces prisons est faite de viols, de violences, d’exploitation sexuelle, de faim et d’abus répétés”.Tout cela illustre l’ampleur de la barbarie impliquant directement les puissances impérialistes qui par leur politique jettent les migrants dans les bras d’esclavagistes d’un autre âge.
L’Union européenne exige une “politique active” envers des États défaillants et terriblement corrompus (Niger, Nigéria, Libye, etc.) en les subventionnant pour construire des murs et des camps de mort. L’Union européenne encourage ainsi des pratiques mafieuses, des marchandages entre bandits en fournissant notamment les fonds et le matériel nécessaires aux gardes-côtes libyens qui se chargent d’intercepter les bateaux de migrants et de conduire ces derniers dans des “centres de rétention”. C’est une politique abominable et terriblement inhumaine que mènent les grandes démocraties européennes !
“Ils sont Tchadiens ou Soudanais et s’achètent pour une bouchée de pain au ‘grand bazar des mercenaires au rabais’ […]. La marchandise humaine vient ainsi s’exposer de bonne heure sur les trottoirs défoncés (des dizaines d’Africains qui attendent en chaussons, les pieds aussi poussiéreux que leur vie, leur avenir aussi noir que leur peau), et ceux qui défilent en pick-up s’arrêtent quelques minutes, examinent les ouvriers en solde, passent commande : Aujourd’hui il faut quelqu’un pour pousser la brouette, un autre capable de crépir un immeuble à la chaux, et un pour décharger les camions. À moins qu’ils ne recherchent quelqu’un pour faire la guerre : prendre les armes dans les milices s’il est bon ; rester à l’arrière s’il ne sait rien faire d’autre. Certains acceptent, car au moins, à 300 euros par moi, nourris, logés, le boulot rapporte. D’autres déclinent l’offre, refusant de payer de leur vie”. (10)
En Libye les migrants sont plus que jamais dans la même situation de misère, de détresse, au milieu des périls qui les conduisent par milliers à la mort en tentant de traverser la Méditerranée, comme le montre ce récit :“Sur la plage d’Aghir de l’île de Djerba, dans le nord de la Tunisie, il y a plus de cadavres que de baigneurs, en ce début de mois. Lundi 1er juillet, un canot a coulé au large. Une embarcation partie à l’aube de la ville libyenne de Zouara, à 120 kilomètres à l’ouest de Tripoli, avec 86 personnes à bord. Trois ont été repêchés vivants. La mer rend les autres, une à une.‘Moi, j’en peux plus. Là, c’est trop.’ Chemsedddine Marzog, le pêcheur qui, depuis des années, offre une dernière demeure aux corps que la mer rejette, dit son ras-le-bol. ‘J’ai enterré près de 400 cadavres et, là, des dizaines vont encore arriver dans les jours qui viennent. Ce n’est pas possible, c’est inhumain et nous ne pouvons pas gérer ça tout seuls’, se désespère le gardien du cimetière des migrants de Zarzis, ville située au sud-est de la Tunisie, près de la frontière avec la Libye”. (11)
Pendant ce temps les “démocraties occidentales” ferment les yeux et se bouchent le nez sur cette cruelle barbarie et poursuivent leur lutte pour la “sécurisation” (fermeture) de leurs frontières contre les “illégaux” tout en chantant sur tous les toits leur “humanisme universaliste”.
Mais il n’y a pas que les pays de l’UE qui mènent une politique barbare envers les migrants, il y a aussi leur “grand ami/client” saoudien. En effet Ryad matraque, emprisonne, expulse les “indésirables” migrants se trouvant sur son territoire. “10 000 Éthiopiens sont expulsés chaque moi d’Arabie Saoudite depuis 2017, date à laquelle les autorités de ce pays ont intensifié leur campagne sans merci pour renvoyer les migrants sans papiers. Environ 300 000 personnes sont rentrées depuis mars de cette année-là, selon les derniers chiffres de l’Organisation internationale pour les migrants (OIM), et des vols spéciaux chargés de déportés arrivent chaque semaine à l’aéroport d’Addis-Abéba. […] Des centaines de milliers d’Ethiopiens ont été déportés lors d’une précédente vague de répression chaotique menée entre 2013 et 2014”. (12)
Voilà l’œuvre d’un froid criminel, grand acheteur et fournisseur des pays européens et de la France en particulier, qui se trouve dans le même camp que Paris en Libye pour semer la terreur. À dire vrai on a affaire ici à une bande de “grands” et de “petits princes” du Golfe, nouveaux richissimes capitalistes (grâce à l’or noir), assoiffés de pouvoir et de sang, en quête permanente d’influence impérialiste. C’est ainsi qu’on les voit à l’œuvre en première ligne en Libye, en Syrie, au Yémen, etc., dans les zones de massacres de masse. Les États sanguinaires
Compte tenu de l’importance du “gâteau libyen” aucun des bandits capitalistes ne voudra laisser sa “part” à d‘autres. De ce fait la situation en Libye ressemble terriblement à celle de la Syrie avec son lot de tueries et destructions permanentes sans reconstruction possible.
Contre le chaos sanglant et la barbarie capitaliste en Libye et ailleurs, seule la lutte de classe internationale et unitaire portée par la fraction de la classe ouvrière la plus expérimentée peut tordre le bras meurtrier du capitalisme mondial.
D. 22 mars
1 Le Canard enchaîné (24 avril 2019).
2 Jeune Afrique (17-23 novembre 2019).
3 Courrier international (14-21 août 2019).
4 Le Monde (3 mai 2019).
5 Le Monde (26 janvier 2020).
6 Le PIB de la Russie est à peine égal à celui du Texas et les ressources de la Turquie sont encore plus limitées.
7 D’où son chantage avec l’Union européenne sur la question des réfugiés et plus particulièrement vis-à-vis du gouvernement grec en première ligne.
8 Jeune Afrique (9-15 février 2020).
9 Jeune Afrique (15-21 mars 2020).
10 CI (6-12 février 2020).
11 Le Monde, (10 juillet 2019).
12 The Guardian (août 2019)
De nombreux articles et programmes détaillent l’insuffisante préparation du National Health Service (NHS) face à la pandémie actuelle. Panorama (un documentaire de la BBC) nous dit que le stock d’équipement de protection personnelle (PPE) ne contenait pas de blouses, le Kings Fund (un groupe de réflexion sur le système de santé britannique) a mis en évidence le nombre peu élevé au Royaume-Uni de docteurs, infirmières, hôpitaux et lits en soins intensifs comparé aux autres pays développés, The Economist a révélé comment en avril les tests pour le coronavirus destinés au Royaume-Uni sont restés quelque part entre les États-Unis et l’Equateur.
Au même moment, nous sommes invités non seulement à applaudir le NHS une fois par semaine mais aussi à nous identifier à cette institution présentée comme un modèle pour tous les autres services de santé. Mais le NHS n’est rien d’autre qu’une institution de l’Etat capitaliste qui envoie ses employés s’occuper de patients infectés sans l’équipement de protection personnelle nécessaire et déporte les patients âgés des hôpitaux vers des maisons de retraite sans pratiquer de tests durant cette crise. Le véritable NHS, c’est celui qui, pendant des années nous a habitués a de longues attentes aux urgences et à d’interminables listes d’attente pour des opérations.
La pandémie de coronavirus a mis en évidence les faiblesses et les défaillances de tous les services de santé sous le système capitaliste. Malgré de véritables différences dans leurs ressources, ou manque de ressources, le degré d’organisation par l’Etat et le niveau de participation des entreprises privées, ils sont tous basés sur deux aspects essentiels du capitalisme : l’Etat-nation et le besoin d’extraire autant de bénéfices possible de ceux qui travaillent dans ce secteur tout en les rémunérant au salaire minimum avec lequel ils peuvent à peine s’en sortir.
A la mi-mars, les hôpitaux furent sommés d’évacuer 15 000 patients, âgés pour la plupart, soit en les renvoyant chez eux, soit en les parquant dans des maisons pour personnes âgées afin de libérer des lits pour ceux atteints du Covid-19. Le NHS a fait face à la situation aux dépens de ces patients ainsi que des résidents des maisons de retraite et de leur personnel soignant qui ont contracté le virus au contact de ceux qui parmi ces patients étaient infectés. Plusieurs milliers en sont morts [1]. Ce n’est pourtant pas comme si le monde n’avait pas été prévenu de la nécessité de se préparer à une pandémie ; l’OMS, les virologues et les épidémiologistes alertent à ce sujet depuis des décennies. Ce n’est pas comme si le gouvernement britannique n’avait pas été averti du niveau d’impréparation à une pandémie durant l’Exercice Cygnus en 2016 qui montrait que le NHS serait incapable d’y faire face. Les résultats n’ont jamais été publié car jugés trop effrayants. [2]
Tout au long de l’histoire du NHS, il y a eu une pression constante sur les ressources disponibles. En 1949, le NHS disposait de 10,2 lits pour 1000 habitants, essentiellement pris sur les hôpitaux bénévoles ou dispensaires ; en 1976, cette proportion était tombée à 8,3 pour 1000 [3]. A cette époque, l’usage des antibiotiques s’était largement répandus pour combler la différence et les vieux services contre les maladies coloniales tropicales ou la tuberculose (sanatoriums) pouvaient être largement supprimés. Cependant, le nombre de lits a continué de baisser jusqu’à atteindre seulement 2,5 pour 1000 en 2017, les lits pour hospitalisation de courte durée et pour les services de médecine générale ayant chuté de 34 % depuis 1987/88. Surtout, le taux d’occupation des lits est passé de 87,1 % en 2010/11 à 90,2 % en 2018/19 et dépasse régulièrement les 95 % durant l’hiver, ce qui représente un niveau dangereux comme le montre le rapport du Kings Fund : « Les hôpitaux du NHS n’ont sans doute jamais été autant mis à l’épreuve qu’aujourd’hui ». L’augmentation de la population, combinée avec une proportion croissante de personnes âgées qui nécessitent généralement plus de soins de santé, entraine une demande accrue du traitement hospitalier par le NHS. […] Le NHS arrive seulement à la limite d’une pression financière prolongée et se trouve en pleine crise d’effectifs. Les services de l’assistance sociale pour adultes sont soumis à une saturation des demandes qui continuent à augmenter et attendent toujours la réforme financière fondamentale dont ils ont urgemment besoin. Les niveaux actuels d’occupation signifient que l’hôpital moyen en Angleterre court le risque d’être incapable de prendre en charge efficacement le flux des patients, le laissant à la merci de la fluctuation de la demande » [4]. Un des résultats de cette austérité a été le nombre bien médiatisé de morts au-dessus de la moyenne pour cette période de l’année, qui à cette date a presque atteint les 60 000, particulièrement dans les hôpitaux et les maisons de type EHPAD durant la pandémie de Covid-19.
En comparaison avec d’autres pays, la Suède, avec un taux similaire de 2,2 lits d’hôpitaux pour 1000 habitants a pu protéger son système de santé aux dépens des EHPAD avec la moitié des décès chez les plus de 70 ans dans ces dernières.
Le système de santé allemand est mieux pourvu avec 8 lits pour 1000 habitants mais est toujours confronté à des mesures d’austérité. La baisse du nombre de lits d’hôpitaux est une tendance générale observable à l’échelle internationale.
Par exemple, « une enfant atteinte de leucémie nécessitait un traitement en soins intensifs et commencer une chimiothérapie […] L’hôpital s’est montré réticent à commencer la chimiothérapie jusqu’à ce que les fonds soient déposés sur son compte et par conséquent le traitement a été reporté. » Pour ceux qui atteignent l’âge de la retraite, particulièrement ceux qui ont travaillé dans les services de santé, c’est exactement le genre de choses dont on nous disait que cela ne pouvait pas arriver ici avec le NHS. C’était exactement comme ce qui se passait aux États-Unis avec le recours à la médecine privée. Continuons la lecture du document : " ce cas nécessitait d’être examiné par un centre spécialisé afin de déterminer les options de traitement possible mais on a refusé de recevoir cette enfant sous prétexte qu’elle « n’était pas en droit d’accéder aux soins du NHS »… » [5] Et ce ne sont pas seulement les enfants de familles récemment immigrées qui se sont vus refuser les traitements. Une partie du scandale Windrush [6] fut qu’on a refusé un traitement à un certain nombre de patients qui ne pouvaient pas prouver qu’ils y avaient droit même après avoir vécu dans le pays depuis l’enfance et même si leur vie était en danger.
On nous parle de plus en plus ces derniers temps du “besoin” de protéger le NHS du « tourisme de la santé ». Cette campagne xénophobe ne date pas seulement du populisme de Boris Johnson ni de « l’environnement hostile » pour les migrants sous le gouvernement de Theresa May : on trouve déjà les mêmes arguments mis en avant à l’époque du dernier gouvernement du Labour lorsque Jack Straw, le Secrétaire d’Etat à l’Intérieur, faisait la chasse aux « faux demandeurs d’asile » qui pourraient entrer sur le territoire et profiter de “nos” services publics.
Cependant la classe dominante connaît certaines difficultés avec sa propagande sur le besoin de protéger le NHS de ces prétendus « touristes de la santé » qui soi-disant « pilleraient continuellement les ressources du NHS » alors que beaucoup d’entre eux travaillent en fait dans le secteur de la santé ou de l’aide sociale et mettent leur vie en danger durant la pandémie en travaillant pour le NHS. La majoration de prélèvements sur les salaires pour l’accès aux soins des travailleurs immigrés devait passer de 400 £ à 600 £ en octobre et jusqu’au récent recul opéré par le gouvernement sur le sujet, il était prévu que les nombreux travailleurs de la santé et du secteur social issus de l’immigration à l’exception des médecins paient cette majoration. En fait le NHS, et l’Etat-Providence plus généralement, n’a jamais été un “cadeau” ni une réforme « gagnée par les travailleurs ». Son but était de garantir un revenu de subsistance sous condition de service et de contribution afin d’améliorer le rendement de leur exploitation et maintenir les prolétaires « en forme pour le service » pour reprendre les mots de Beveridge [7]. Il s’agissait de maintenir les travailleurs en meilleure forme pour le travail ou le service militaire.
Le capitalisme est basé sur l’Etat-nation et dans cette pandémie globale qui affecte le monde entier, chaque État, chaque service de santé national, doit se battre pour obtenir les équipements de protection, les ressources et les tests, dans un esprit de concurrence et de chacun pour soi. Les États-Unis menacent l’OMS de retirer leur contribution. Plusieurs pays ont accusé la Chine d’espionnage industriel sur un vaccin. Au lieu de la coopération nécessaire pour faire face à une menace globale et produire un vaccin, chaque nation protège son service de santé, ses profits, ses intérêts impérialistes. La coopération limitée qu’elles ont réussi à mettre en œuvre dans le passé laisse place désormais à l’égoïsme national débridé et cela au détriment de leur capacité à limiter le danger de cette pandémie.
Une étude menée par le Royal College of Nursing (école d’infirmières) a montré que la grande majorité des personnels infirmiers et des sage-femmes avaient la sensation qu’ils étaient, eux et leurs familles, en danger à cause de leur travail et que s’ils étaient “redéployés” vers d’autres hôpitaux pour s’occuper des patients victimes du Covid, ils ne seraient pas suffisamment formés entrainés. Plus de la moitié ont travaillé au-delà des heures réglementaires et la majorité ne s’attendait pas au attendent le paiement des heures supplémentaires [8]. Pendant ce temps, les porte-paroles du gouvernement mentaient sur la disponibilité des équipements de protection personnelle et des tests tout en appelant la population à applaudir tous les jeudis soirs et à accrocher des drapeaux (?) arc-en-ciels à ses fenêtres afin de soutenir le NHS. Le même NHS qui néglige la sécurité des infirmiers et des autres travailleurs face à une infection mortelle ! Comme des soldats au front, comme de la chair à canon ! La Belgique de son côté a menacé de réquisitionner les travailleurs de la santé, ce qui a suscité une vive indignation.
Ceci n’est pas juste une aberration durant la pandémie mais la manière dont les services de santé, comme n’importe quelle autre entreprise capitaliste, traitent leurs employés. Il y a eu une augmentation de l’intensité au travail dans les hôpitaux avec le nombre de lits réduits de moitié alors que le nombre de patients traités augmentait. Les postes non pourvus d’infirmiers sont en augmentation et cette lacune est comblée par du personnel de soutien comme les aides-soignants. Cela a empiré depuis 2016 avec une chute du nombre d’infirmiers européens venant s’intaller au Royaume-Uni. Dans ces circonstances, il y a toujours un chantage moral effectué sur les travailleurs de la santé pour « fournir un effort supplémentaire » dans le soin des patients. Tout cela s’additionne à un accroissement de l’exploitation, phénomène que nous pouvons observer dans tous les services de santé au niveau mondial comme dans tous les secteurs de l’économie.
La solidarité avec les travailleurs de la santé ne se fait pas à travers des applaudissements hebdomadaires pour leur employeur mais à travers la solidarité prolétarienne, la solidarité avec ces travailleurs exploités dont les intérêts sont en conflit avec le NHS et dont la lutte pour de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail est inévitablement une lutte contre leur employeur, l’Etat capitaliste.
La gauche de la bourgeoisie voudrait que nous nous opposions à la privatisation du NHS, affirmant même qu’un système de santé nationalisé serait d’une manière ou d’une autre « socialiste ". C’est la version de gauche du mensonge affirmant que c’est « notre NHS » parce qu’il est administré par l’Etat. Nous parlons d’une institution de l’Etat capitaliste : « Le salaire même est dépendant de l’Etat. La fixation, à sa valeur capitaliste, en est dévolue à des organismes étatiques. Une partie du salaire est enlevée à l’ouvrier et est administrée directement par l’Etat. Ainsi, l’Etat « prend en charge » la vie de l’ouvrier, il contrôle sa santé (lutte contre l’absentéisme), dirige ses loisirs (répression idéologique)" [9]. L’Etat prend donc en charge une partie du salaire pour maintenir la santé des travailleurs et éviter que les employeurs n’aient à payer une assurance santé, de la même façon que l’Etat paye une partie des salaires à travers le « crédit universel " et les allocations logement permettant ainsi aux capitalistes de payer des salaires plus bas. Dans le secteur public ou dans le secteur privé, les travailleurs de la santé sont exploités par le capital, que ce soit par l’Etat pour le bénéfice du capital national comme un tout, ou par une compagnie qui vend ses services à une assurance ou à l’Etat. C’est pourquoi tous les services de santé, qu’ils soient publics ou privés, appliquent la même politique et avant tout, la même politique d’exploitation.
Un des avantages du service de santé privatisé pour l’Etat est qu’il est directement sujet aux lois du marché et peut faire faillite, le gouvernement n’a pas à le renflouer. C’est pourquoi il y a eu partout des mesures pour faire en sorte que les hôpitaux et d’autres institutions de soins de santé respectent leurs budgets, tout en lançant des appels d’offres sur les services, particulièrement depuis les années 80 sous le gouvernement Thatcher et durant les années Blair. Parce que la bourgeoisie britannique compte tant sur l’idéologie du NHS, elle a beaucoup insisté sur le contrôle de l’Etat en matière de ce qui devrait être fait et également sur ce qui ne devrait pas être entrepris ou réalisé car non “rentable”.
Comme nous le disions dans un article sur la réponse apportée par le système de santé allemand : « le plus important est que la gestion des hôpitaux a été durement soumise aux lois de l’économie capitaliste pour tous les organismes de financement (autorités publiques et religieuses incluses). Ceci s’applique, par exemple, à la rationalisation des processus de travail… Les employés sont pressés comme des citrons afin de pousser le plus loin possible l’accumulation de la valeur dans l’industrie des soins de santé. Le patient se retrouve face au soignant dans une situation où il devient une marchandise, la relation sociale devient un service, le processus de travail est sujet à d’énormes pressions et contraintes temporelles. Cette perversion décrit très bien ce que Marx a analysé comme la réification, la déshumanisation et l’exploitation ».
Alex, 23.5.20
[1] https://en.internationalism.org/content/16848/british-governments-herd-i [120]…
[2] https://en.internationalism.org/content/16834/profound-impact-covid-19-c [121]…
[3] https://en.internationalism.org/wr/303/nhs-reforms [122]
[4] https://www.kingsfund.org.uk/publications/nhs-hospital-bed-numbers?gclid... [123]
[5] https://bmjpaedsopen.bmj.com/content/4/1/e000588 [124]
[6] Durant lequel beaucoup de ceux qui étaient arrivés, légalement, au Royaume-Uni lorsqu’ils étaient enfants, furent traités comme immigrés illégaux. voir : https://fr.internationalism.org/content/9988/scandale-windrush-nationali... [125]
[7] L’économiste et politicien libéral dont le rapport durant la Seconde Guerre Mondiale pour le gouvernement de coalition a formé les bases de « l’Etat-Providence » mis en place par le gouvernement Atlee après la guerre.
[8] https://www.cardiff.ac.uk/news/view/2326580-research-highlights-concerns [126]…
[9] 1952 Internationalisme : « L’évolution du capitalisme et la nouvelle perspective », https://fr ; [127] internationalism.org/rinte21/evolution.htm
“Si les gens crèvent et tombent aujourd’hui comme des mouches, au cœur même des pays les plus développés, c’est en premier lieu parce que les gouvernements, partout, ont réduit les budgets destinés à la recherche sur les nouvelles maladies. Ainsi, en mai 2018, Donald Trump a supprimé une unité spéciale du Conseil de Sécurité Nationale, composée d’éminents experts, chargée de lutter contre les pandémies”. (1)
Fin décembre 2019, des rapports indiquaient que la Chine était en train d’enquêter sur une épidémie de maladie respiratoire dans la ville de Wuhan. Entre le 6 et le 8 janvier de cette année, les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies publiaient une série d’avertissements et d’alertes tandis que le premier cas signalé de Covid-19 aux États-Unis était repéré le 21 janvier. Le jour suivant, le Président américain Donald Trump, déclarait que les États-Unis avaient le coronavirus “totalement sous contrôle. Il s’agit d’une personne qui revient de Chine, et nous avons la situation sous contrôle. Ça va très bien se passer”.
Au milieu du mois de mai, il était devenu évident que “la situation” ni n’était sous contrôle, ni ne se passait bien. Les statistiques ont montré que sur les 1,3 millions d’Américains infectés par le virus du Covid-19 (un tiers des cas mondiaux à l’époque), plus de 80 000 en sont officiellement morts ; le coronavirus a désormais tué plus d’Américains que la guerre du Vietnam qui, elle, a duré presque deux décennies ! (2)
Dans les grandes villes, des corps – victimes du virus – ont été exposés gisant en train de pourrir dans des camions de location devant des pompes funèbres débordées, ou stockés dans des fourgons réfrigérés, garés près d’établissements absurdement étiquetés “maisons de santé”. A la campagne : “Les régions rurales d’Amérique étaient déjà confrontées à une épidémie lorsque le virus a frappé… [dans des régions] dévastées en raison des décès dus à l’oxycontin, au fentanyl et à l’alcool – des “maladies du désespoir”… Parmi les 38 millions d’Américains qui vivent en dessous du seuil de pauvreté fédéral, nombre d’entre eux sont contraints de cumuler plusieurs emplois pour pouvoir survivre. Actuellement, plus de 27,5 millions n’ont pas d’assurance maladie – contre les 25,6 millions de personnes non assurées en 2017, avant que l’administration Trump ne commence ses attaques contre la Loi sur la Protection des Patients et les Soins Abordables (Obamacare) – et des millions d’autres ont un ticket modérateur et doivent payer des franchises élevés pour une faible couverture de soins. Les infections se propageront facilement parmi les détenus dans les conditions de promiscuité des prisons saturées et les plus de deux millions de personnes qui se trouvent dans les quartiers proches des prisons. Les agents et le personnel pénitentiaires sont également menacés, habitant souvent au sein de communautés pour lesquelles les prisons constituent la seule source de travail et où la “crise des opioïdes” a engorgé les prisons rurales. Quelque 10 millions d’immigrants sans papiers ont peur de se faire soigner par crainte d’attirer l’attention des services des douanes et de l’immigration…”. (3)
De plus, durant les six semaines précédant la fin du mois d’avril, plus de 30 millions de travailleurs américains (1 sur 5) a demandé à bénéficier de “l’allocation” chômage, témoignant d’un taux de chômage sans précédent atteignant entre 16 et 20 %. Les demandeurs n’ont pas tous bénéficié de l’ensemble ou même d’une partie des aides d’urgence de l’État fédéral.
A de nombreux égard, l’Amérique est toujours “la plus puissante nation sur terre”. Comme les bourses mondiales se sont effondrées du 24 au 28 février et que les demandes de crédit s’est accrue, c’est la Réserve fédérale des États-Unis qui a avancé des fonds aux principales institutions financières nationales et qui a permis aux banques centrales du monde entier d’échanger leurs propres devises contre des dollars grâce à des “accords de swap”. (4)
Ainsi, rien n’illustre mieux le blocage historique et mondial des rapports capitalistes que le contraste entre le potentiel d’innovation, technologique et productif des États-Unis, face à la détresse, la division et la mort dans les rues comme à huis clos dans le pays le plus avancé au monde ; entre la mise à disposition des meilleures ressources médicales au monde et l’accès socialement limité à de tels “avantages”.
En vérité, la réponse de l’administration Trump face à la crise du Covid-19 – dans les grandes lignes – a fortement ressemblé à celle de la plupart des grands États-nations : mensonge, déni, manœuvres dilatoires puis dénonciation avant d’être contrainte, à contrecœur, d’agir en interrompant partiellement l’activité économique dans la perspective d’un “retour à la normale” le plus tôt possible.
Mensonge : Trump a déclaré que l’Organisation Mondiale de la Santé n’avait pas émis d’avertissements clairs. En réalité, le dénigrement de l’administration Trump ainsi que sa menace de réduire les fonds alloués à l’OMS, (5) qui avait contribué à coordonner une réponse relativement centralisée et mondiale face à l’épidémie de SRAS en 2003, illustrent la manière dont le capitalisme va de l’avant – en abandonnant les structures internationales et les connaissances accumulées qu’il avait auparavant érigées précisément pour faire face à des situations comme celles de la pandémie actuelle. Ceci révèle un glissement général du multilatéralisme vers le bilatéralisme, associé à l’abandon de la politique de “gendarme du monde” que les États-Unis avaient tenté de maintenir depuis la fin de la guerre froide, en faveur d’une politique populiste de “l’America first”, une acceptation claire du fait qu’au niveau des affaires internationales comme de la politique intérieure, c’est le “chacun pour soi”. Cet épisode – ainsi que le vol de fournitures médicales destinées à d’autres pays – n’est qu’une preuve supplémentaire que l’ancien gendarme mondial tient désormais un rôle majeur dans la propagation du banditisme et du chaos mondial, et qu’il est un élément actif dans le démantèlement des institutions et des accords internationaux existants. De même, les confiscations de matériel et de fournitures médicales aux États-Unis, qui doivent être stockées par les autorités fédérales ou détournées vers des États soutenant la clique de Trump ou vers des États marginaux “hésitants” requérant des pots-de-vin, témoignent d’un niveau de corruption et de mépris des protocoles nationaux tel, que cela met mal à l’aise le clan Bush ou le parti républicain lui-même.
Déni : Après avoir nié la véracité de la crise du COVID19 (“c’est un canular”), ignoré la gravité de l’épidémie (“Ça va disparaître. Un jour, comme par miracle, ça disparaîtra”), puis colporté une tripotée de bobards et de remèdes de charlatan, en suggérant notamment que les injections de désinfectant pourraient être une bonne idée, le Président Trump a prétendu à plusieurs reprises qu’il avait hérité de l’administration Obama un “placard vide” en termes de kits de tests, que toute personne ayant besoin de tests et/ou d’équipement de protection individuelle (PPE) y avait accès, avant de dire que rien de tout cela ne relevait de sa responsabilité – tout dépendait des gouverneurs des États. D’où le spectacle ridicule des différents États fédéraux qui se disputent les masques, les blouses, les gants, faisant monter les prix à la grande joie des profiteurs et au grand désespoir des “travailleurs contraints de continuer à bosser dans les secteurs estimés essentiels de l’économie nationale” qui eux, en ont besoin. Ainsi, le chaos déclenché sur la planète par la décomposition des rapports sociaux capitalistes s’est reflété au sein-même de l’Amérique au fur et à mesure que la pandémie se développait.
Manœuvre dilatoire : La volonté de protéger l’économie et les profits au détriment des personnes, la dissimulation et la tromperie venant d’en haut, ont favorisé les retards dans l’acquisition de matériel PPE et de kits de dépistage ainsi que dans l’obtention de ventilateurs, de lits d’hôpitaux et de personnel médical spécialisé, faisant par conséquent augmenter les taux d’infection et de mortalité. Faire semblant d’abandonner la prise de décision aux États fédéraux a entraîné des approches diverses entre les différents États – et parfois au sein-même de chaque État, par exemple entre les villes et les zones rurales, ces divisions apparaissant souvent en fonction des clivages entre les partis. Cela s’apparente à une sinistre expérience en laboratoire grandeur nature, où l’on oppose une mise en quarantaine imposée de manière enthousiaste et une attitude de “laisser-faire” face à la distanciation sociale et au “confinement”. En réalité, aucune de ces deux approches ne peut ou ne pourrait concilier l’inconciliable du “profit avant les gens”. Et pour comprendre où réside le vrai pouvoir – Washington, le Pentagone et Wall Street – il suffit de se rappeler que c’est finalement l’état d’urgence national déclaré par Trump le 13 mars (avec effet rétroactif !) qui a ouvert la voie à l’émission d’un plan de sauvetage sans précédent de 2,3 milliards de dollars à destination des États fédéraux, des sociétés, des entreprises et des particuliers face au chômage de masse et à l’effondrement de l’économie. Et c’est Washington qui doit faire face à l’augmentation des prêts internationaux pour couvrir le déficit de 3 milliards de dollars qui en résulte…
Dénonciation : Louant initialement les efforts du président chinois Xi Jinping, l’administration Trump a rapidement décidé de faire pression sur son rival extrême-oriental en qualifiant l’épidémie de “virus de Wuhan” et en menaçant de nouvelles sanctions commerciales la Chine et ses partenaires. Elle a également pris part à des théories conspirationnistes naissantes, qui brouillent les pistes et la perception de la réalité en Amérique, en suggérant que le Covid-19 avait été produit dans un laboratoire chinois et que la Chine pourrait l’avoir délibérément diffusé dans le monde entier. En ce sens, au niveau des antagonismes inter-impérialistes, l’administration Trump poursuit clairement la politique de “pivot” asiatique d’Obama visant à contenir les intérêts économiques et impérialistes propres de la Chine. En cela, il est habilement soutenu par le présumé candidat démocrate à la présidence Joe Biden, qui reproche à Trump d’être “trop mou” avec la Chine. Au cours d’une catastrophe sanitaire sans précédent, les États-Unis cherchent ainsi à prendre l’avantage sur l’arène mondiale en recourant à la grandiloquence et à la force. Ils ont choisi ce moment (21 mars) pour annoncer le lancement réussi d’un prototype de missile hypersonique. La Chine n’a pas agi différemment : elle a tenté de se couvrir de la même manière que les États-Unis, et a essayé de gagner des points de propagande en se servant de son apparent succès dans la lutte contre la propagation du virus. Les deux grandes puissances économiques et militaires de la planète sont guidées par le même appât du gain et se comportent de la même manière. (6)
Le même chaos, qui a été déclenché par les États-Unis en réponse à la pandémie, a été reproduit alors qu’ils cherchaient à mettre fin aux mesures de quarantaine et à “déconfiner” l’économie.
À la fin de la première semaine du mois de mai :
Les ordres demandant de “rester chez soi” ou de “s’abriter sur place” ont été levés dans certains États et étendus dans d’autres. Trump a annoncé son intention de dissoudre le groupe de travail du gouvernement sur le coronavirus, mais il a semblé se rétracter après un tollé. En tout état de cause, alors que les infections et les décès continuent d’augmenter dans de nombreux États, l’administration Trump fait état de son impatience à “déconfiner” l’économie, “pas question de garder l’Amérique en quarantaine pendant cinq ans”. Le chef de file du groupe de travail, le Dr. Anthony Fauci, qui est le visage public de la “lutte contre le virus”, était l’un des trois membres du personnel de la Maison Blanche à se mettre en quarantaine après avoir été en contact avec des personnes infectées.
Le président a encouragé des manifestations (dont certaines armées) contre les ordres de confinement dans une douzaine d’États, a rejeté les recommandations de ses propres conseillers sur la manière dont devrait s’ouvrir très progressivement l’économie, mais n’a actuellement toujours pas pris de mesures positives pour légiférer en vue d’une reprise de l’activité économique (les paroles ne comptent pas).
Trump avait prévu de promulguer une loi, la Defence Production Act, pour obliger les travailleurs des usines de conditionnement de viande – zones à risque de transmission du virus – à retourner au travail face à la menace de pénurie alimentaire, mais bon nombre de ces établissements sont restés fermés.
Les détracteurs démocrates du président – dont Obama – ont accusé le gouvernement de présider le chaos. Ses partisans républicains ont déclaré que le maintien du confinement n’était pas une option et que cela nuisait autant que cela aidait. D’une certaine manière, ils ont tous raison : la classe dirigeante américaine n’a pas de solutions.
Robert Frank, 11 mai 2020
1Voir sur notre site COVID-19 : Barbarie capitaliste généralisée ou Révolution prolétarienne mondiale (Tract international) [90].
2Au moment où nous publions cette traduction, ce décompte macabre a dépassé 112 000, soit près de deux fois plus que les victimes américaines de la guerre au Vietnam (60 000).
3Voir l’article : When a Pandemic Strikes Americans Who Are Already Suffering [128] (New York Times-Opinion, 20/03/2020)
4Accords conclus entre banques centrales pour pouvoir échanger en liquides des devises entre elles.
5En réalité, Trump est depuis allé beaucoup plus loin puisqu’il a suspendu “indéfiniment” le versement des fonds américains (450 millions de dollars par an) à l’OMS le 19 mai en estimant que celle-ci “était une marionnette de la Chine” puis a décidé le 29 du même mois de rompre toute relation avec cet organisme.
6Voir l’article Hong Kong arrests and Taiwan flybys : China advances its interests during Covid-19 crisis (The Guardian, 26/04/2020)
"Il y a quarante ans, durant l’été 1980, la classe ouvrière en Pologne mettait le monde en haleine. Un gigantesque mouvement de grève s’étendait dans le pays : plusieurs centaines de milliers d’ouvriers se mettaient en grève sauvage dans différentes villes, faisant trembler la classe dominante en Pologne comme dans d’autres pays."[1] C'était il y a quarante ans, mais ce "gigantesque mouvement de grève" pointe un doigt vers l'avenir. Pour la classe ouvrière, pour les combats inévitables qu'elle devra mener, les leçons à tirer de cette grande expérience sont en effet innombrables et précieuses : prise en main des luttes, auto-organisation, élus révocables, extension du mouvement, solidarité ouvrière, assemblées générales, retransmission des débats sur haut-parleurs,… voilà ce qu'a été la lutte des ouvriers en Pologne. Une lutte contre les attaques de leurs conditions de vie, contre l'augmentation du prix de la viande, pour la revalorisation des salaires. L'organisation de ce mouvement de contestation montre de quoi est capable la classe ouvrière. Pologne 1980 est l'une des grandes expériences du mouvement ouvrier qui indique à notre classequ'elle peut et doit avoir confiance en elle-même, qu'unie et organisée elle est forte.
Ce mouvement montre aussi de quoi est capable la classe dominante, quels pièges sophistiqués elle peut dresser contre ceux qu'elle exploite, à quel point les bourgeoisies de tous bords sont prêtes à se serrer les coudes pour écraser la classe ouvrière. La gestion de cette lutte de classe est une nouvelle démonstration de la force et du machiavélisme des appareils bourgeois. À l'Est comme à l'Ouest, toutes les forces possibles ont été mises en œuvre pour éteindre ce feu dangereux et éviter qu'il ne se répande, notamment en Allemagne de l'Est.
Le mouvement de 1980 n'apparaît pas comme un éclair dans un ciel d'azur, au contraire. Le contexte international est marqué par la reprise des luttes, depuis Mai 1968 en France. Même si la présence du rideau de fer a limité l'influence réciproque entre les combats de la classe ouvrière à l'Ouest et à l'Est, la même dynamique était à l’œuvre. Ainsi, les années 1970 en Pologne sont caractérisées par un profond processus de développement de la combativité et de la réflexion.
Au cours des années 1970, contraint par la crise économique et la faiblesse de son capitalisme d’État, le gouvernement polonais attaque les conditions de vie de la classe : d'effroyables augmentations du prix des denrées accompagnent les pénuries alimentaires, alors que la Pologne continue d'exporter des pommes de terre vers la France. "L’hiver 1970-71, les ouvriers des chantiers navals de la Baltique entrent en grève contre des hausses de prix des denrées de première nécessité. Dans un premier temps, le régime stalinien réagit par une répression féroce des manifestations faisant plusieurs centaines de morts, notamment à Gdansk. Les grèves ne cessent pas pour autant. Finalement, le chef du parti, Gomulka, est limogé et remplacé par un personnage plus “sympathique”, Gierek. Ce dernier a dû discuter pendant 8 heures avec les ouvriers des chantiers navals de Szczecin avant de les convaincre de reprendre le travail. Évidemment, il a rapidement trahi les promesses qu’il leur a faites à ce moment-là. En 1976, de nouvelles attaques économiques brutales provoquent des grèves dans plusieurs villes, notamment à Radom et Ursus. La répression fait plusieurs dizaines de morts."
C'est dans ce contexte et face à l'aggravation de la crise économique que la bourgeoisie polonaise décide une nouvelle augmentation du prix de la viande de près de 60 % en juillet 1980. L'attaque est frontale, sans l'enrobage idéologique dont les bourgeoisies occidentales sont par exemple capables. Caractéristique des méthodes staliniennes brutales qui ne sont absolument pas adaptées face à un prolétariat combatif, les décisions de la bourgeoisie polonaise ne pouvaient qu'engendrer une riposte ouvrière. Forts de leur expérience des années 1970, "les ouvriers de Tczew près de Gdansk et d’Ursus dans la banlieue de Varsovie se mettent en grève. A Ursus, des assemblées générales se tiennent, un comité de grève est élu et des revendications communes sont mises en avant. Durant les jours suivants, les grèves continuent à s’étendre : Varsovie, Lodz, Gdansk, etc. Le gouvernement tente d’empêcher une plus grande extension du mouvement en faisant de rapides concessions telles des augmentations de salaires. Mi-juillet, les ouvriers de Lublin, un important carrefour ferroviaire, se mettent en grève. Lublin était située sur la ligne de train qui relie la Russie à l’Allemagne de l’Est. En 1980, c’était une ligne vitale pour le ravitaillement des troupes russes en Allemagne de l’Est. Les revendications des ouvriers sont les suivantes : pas de répression contre les ouvriers en grève, retrait de la police hors des usines, augmentation des salaires et élections libres de syndicats." Le mouvement s'étend, les tentatives pour l'arrêter et le diviser échouent : la grève de masse est en route. En deux mois, la Pologne est paralysée. Le gouvernement ne peut réprimer, la situation étant trop explosive. En outre, le danger n'est pas cantonné aux seules frontières polonaises. Dans la région charbonnière d’Ostrava en Tchécoslovaquie, et dans les régions minières roumaines, en Russie à Togliattigrad, les mineurs et ouvriers suivent le même chemin. "Dans les pays d’Europe de l’Ouest, s'il n’y a pas de grèves en solidarité directe avec les luttes des ouvriers polonais, les ouvriers de nombreux pays reprennent les mots d’ordre de leurs frères de classe de Pologne. A Turin, on entend en septembre 1980 les ouvriers scander : “Gdansk nous montre le chemin”."
Face à ce danger d'extension, les bourgeoisies travaillent de concert pour écraser le mouvement. Il faut d'un côté l'isoler et de l'autre le dénaturer. Les frontières avec l’Allemagne de l’Est, la Tchécoslovaquie et l’Union soviétique sont très rapidement fermées. Les bourgeoisies internationales vont œuvrer main dans la main à l'enfermement et l'isolement du mouvement : le gouvernement polonais feindra la radicalisation vis-à-vis de l'URSS, les soviétiques menaceront les ouvriers de leurs chars à la frontière, l'Europe de l'Ouest financera et conseillera le syndicat 'libre et indépendant' Solidarnosc, la propagande internationale mettra en avant le héros Solidarnosc et l'intérêt d'un 'vrai' syndicat démocratique libre et indépendant.
Cette alliance des différentes bourgeoisies occidentales avec la bourgeoisie polonaise sera fatale au mouvement de masse polonais. Et c'est d'ailleurs pour cette raison que, contrairement à la théorie du maillon le plus faible, la révolution ne pourra partir que des pays centraux: "Tant que les mouvements importants de la classe ne toucheront que des pays de la périphérie du capitalisme (comme ce fut le cas en Pologne) et même si la bourgeoisie locale est complètement débordée, la Sainte Alliance de toutes les bourgeoisies du monde, avec à leur tête les plus puissantes, sera en mesure d'établir un cordon sanitaire tant économique que politique, idéologique et même militaire autour des secteurs prolétariens concernés. Ce n'est qu'au moment où la lutte prolétarienne touchera le cœur économique et politique du dispositif capitaliste :
La principale arme de la bourgeoisie sera donc le syndicat Solidarnosc lui-même. Appelé à jouer le rôle de 'gauche' du capital, rôle qu'il continuera d'assumer même dans la 'clandestinité' à partir de 1982, il n'aura de cesse de dévoyer la lutte sur le terrain nationaliste et d'amener les ouvriers à la défaite et les livrer à la répression. Ce syndicat, issu du courant de pensée le KOR (comité de défense des ouvriers, constitué d'intellectuels de l’opposition démocratique, naît après les répressions de 1976 et milite pour la légalisation d’un syndicalisme indépendant), sera présent à travers 15 de ses membres au présidium du MKS (comité de grève inter-entreprises).
Alors qu'au début du mouvement de l'été 1980 "il n’y avait pas d’influence syndicale, les membres des "syndicats libres" s’appliquèrent à entraver la lutte. Tandis qu’initialement les négociations étaient menées de façon ouverte, il fut prétendu, au bout d’un certain temps, que des "experts" étaient nécessaires afin de mettre au point les détails des négociations avec le gouvernement. De façon croissante, les ouvriers ne pouvaient plus suivre les négociations, encore moins y participer, les haut-parleurs qui transmettaient celles-ci ne fonctionnaient plus à cause de problèmes "techniques".» Le travail de sabotage a commencé. Les revendications à l'origine d'ordre politique et économique (entre autre, revalorisation des salaires) se centrent sur les intérêts des syndicats plutôt que sur ceux des ouvriers : c'est la reconnaissance de syndicats indépendants qui est mise en avant. Le 31 août, les accords de Gdansk, en exploitant les illusions démocratiques et syndicales, signent le glas de la grève de masse. "Parce que les ouvriers avaient été clairs sur le fait que les syndicats officiels marchaient avec l’État, la plupart d’entre eux pensaient maintenant que le syndicat Solidarnosc nouvellement fondé, fort de dix millions d’ouvriers, n’était pas corrompu et défendrait leurs intérêts. Ils n’étaient pas passés par l’expérience des ouvriers à l’Ouest qui se sont confrontés pendant des décennies aux syndicats “libres”."
Solidarnosc assume parfaitement son rôle de pompier du capitalisme pour éteindre la combativité ouvrière. "Ce sont les illusions démocratiques qui furent le terreau sur lequel la bourgeoisie et son syndicat Solidarnosc purent mener leur politique anti-ouvrière et déchaîner la répression. […] À l’automne 1980, alors que les ouvriers repartent en grève à nouveau pour protester contre les accords de Gdansk, après avoir constaté que même avec un syndicat "libre" à leurs côtés, leur situation matérielle avait empiré, Solidarnosc commence déjà à montrer son vrai visage. Juste après la fin des grèves de masse, Walesa va ici et là dans un hélicoptère de l’armée pour appeler les ouvriers à cesser leurs grèves de toute urgence. "Nous n’avons plus besoin d’autres grèves car elles poussent notre pays vers l’abîme, il faut se calmer." [...] Chaque fois que possible, il s’empare de l’initiative des ouvriers, les empêchant de lancer de nouvelles grèves." Durant une année, Solidarnosc fait un travail de sape et prépare le terrain pour la répression.
Dans la nuit du 12 au 13 décembre 1981, le gouvernement polonais va 'rétablir l'ordre' et mettre en place "l’État de guerre" : ruptures de toutes communications, arrestations massives, tanks dans Varsovie, quadrillage militaire du pays. "Alors que pendant l’été 1980, aucun ouvrier n’avait été frappé ou tué grâce à l’auto-organisation et à l’extension des luttes, et parce qu’il n’y avait pas de syndicat pour encadrer les ouvriers, en décembre 1981, plus de 1200 ouvriers sont assassinés, des dizaines de milliers mis en prison ou conduits vers l’exil." Les conditions de vie qui vont s'en suivre seront pires que celles imposées début juillet 1980. Courant 1982, la combativité n'a pas disparue, mais elle sera achevée sous les coups de la répression féroce conjuguée aux sabotages incessants de Solidarnosc, laissant la classe ouvrière polonaise appauvrie, contrainte à s’exiler pour vendre sa force de travail.
Malgré cette défaite, l'expérience de ce mouvement ouvrier est inestimable. Ce fut le plus haut point d’une vague internationale de luttes. Elle a fourni une illustration du fait que la lutte de classe est la seule force qui peut contraindre la bourgeoisie à mettre de côté ses rivalités impérialistes alors que l'existence d'un prolétariat non défait dans la bloc de l'Est avait constitué un frein à l'effort de guerre de l'URSS en Afghanistan qu'elle avait envahi en 1979. Mais pas seulement. Elle a montré in-vivo ce qu'était la force de la classe ouvrière. Et c'est cela que nous devons nous réapproprier :
"À l'été 1980, les ouvriers prennent directement l’initiative de la lutte. N’attendant aucune instruction venant d’en-haut, ils marchent ensemble, tiennent des assemblées afin de décider eux-mêmes du lieu et du moment de leurs luttes. Des revendications communes sont mises en avant dans des assemblées de masse. Un comité de grève est formé. Au début, les revendications économiques sont au premier plan. Les ouvriers sont déterminés. Ils ne veulent pas une répétition de l’écrasement sanglant de la lutte comme en 1970 et 1976. Dans le centre industriel de Gdansk-Gdynia-Sopot, un comité de grève inter-usines (MKS) est constitué ; il est formé de 400 membres (deux délégués par entreprise). Durant la seconde moitié d’août, quelque 800 à 1000 délégués se réuniront. Chaque jour des assemblées générales se tiennent aux chantiers navals Lénine. Des haut-parleurs sont installés pour permettre à tous de suivre les discussions des comités de grève et les négociations avec les représentants du gouvernement. Puis, des micros sont mêmes installés en-dehors de la salle de réunion du MKS, afin que les ouvriers présents dans les assemblées générales puissent intervenir directement dans les discussions du MKS. Le soir, les délégués – la plupart pourvus de cassettes avec l’enregistrement des débats – rentrent sur leur lieu de travail et présentent les discussions et la situation dans "leur" assemblée générale d’usine, rendant leur mandat devant celle-ci. Tels sont les moyens grâce auxquels le plus grand nombre d’ouvriers peuvent participer à la lutte. Les délégués doivent rendre leur mandat, sont révocables à tout moment et les assemblées générales sont toujours souveraines. Toutes ces pratiques sont en opposition totale avec la pratique syndicale. Pendant ce temps, après que les ouvriers de Gdansk-Gdynia-Sopot se sont unis, le mouvement s’étend à d’autres villes. Pour saboter la communication entre les ouvriers, le gouvernement coupe les lignes téléphoniques le 16 août. Immédiatement, les ouvriers menacent d’étendre encore plus leur mouvement si le gouvernement ne les rétablit pas sur-le-champ. Ce dernier fait marche arrière. L’assemblée générale décide alors la mise sur pied d’une milice ouvrière. Alors que la consommation d’alcool est largement répandue, il est décidé collectivement de la prohiber. Les ouvriers savent qu’il leur faut avoir la tête claire dans leur confrontation contre le gouvernement. Lorsque le gouvernement menace de réprimer à Gdansk, les cheminots de Lublin déclarent : "Si les ouvriers de Gdansk sont physiquement attaqués et si un seul d’entre eux est touché, nous paralyserons la ligne de chemin de fer stratégiquement la plus importante entre la Russie et l’Allemagne de l’Est." Dans presque toutes les principales villes, les ouvriers sont mobilisés. Plus d’un demi-million d’entre eux comprennent qu’ils constituent la seule force décisive dans le pays capable de s’opposer au gouvernement. Ils sentent ce qui leur donnait cette force :
Et, en effet, l’extension du mouvement fut la meilleure arme de la solidarité ; les ouvriers ne se sont pas contentés de faire des déclarations, ils ont pris eux-mêmes l’initiative des luttes. Cette dynamique a rendu possible le développement d’un rapport de forces différent. Tant que les ouvriers luttaient de façon aussi massive et unie, le gouvernement ne pouvait mener aucune répression."
Pologne 1980 est l'une des grandes expériences historiques du mouvement ouvrier, une expérience que le prolétariat doit se réapproprier pour préparer ses luttes futures, pour avoir confiance en sa force, en ses capacités, pour savoir comment s'organiser, comment faire vivre sa solidarité, mais aussi avoir conscience des pièges qu'est capable de tendre la bourgeoisie, à commencer par ses syndicats.
C'est pour participer à ce processus de réappropriation par la classe ouvrière de sa propre histoire, que nous republions ci -dessous de nombreux articles du CCI, écrits pour une très grande partie au moment même des événements.
Pour faire face à la crise économique et, contraint par la faiblesse de son capitalisme d'État, le gouvernement polonais attaque férocement les conditions de vie de la classe, demandant toujours plus de sacrifices aux ouvriers. "À l'Est, les manifestations du capital en crise, c'est la quasi absence de produits de première nécessité (viande, sucre, …) ; à l'Ouest, c'est un chômage toujours plus massif et une inflation croissante. À l'Est comme à l'Ouest, la crise du capitalisme signifie pour les ouvriers la généralisation de la misère."[3] Les années 1970 en Pologne sont caractérisées par des augmentations de prix incessantes et indécentes, des pénuries alimentaires, du chômage déguisé dans une baisse des cadences, etc. En réponse, la classe ouvrière ne cessera de lutter, principalement en 1970 et 1976.
Sur la situation précise de la Pologne en 1976 :
Sur l'évolution de la maturation au sein de la classe ouvrière en Pologne durant les années 1970 :
Sur la situation dans les pays de l'Est (y inclus la Pologne) durant les années 1970 et 1980 :
2. Les années 1980 et 1981 : luttes massives et répression
A l'été 1980, le gouvernement polonais décide à nouveau de l'augmentation brutale du prix de la viande, entraînant une explosion de colère. De juillet à août 1980, c'est l'instauration de la grève de masse : extension du mouvement, mise en place de comités de lutte, élus révocables, discussions répercutées en direct sur haut-parleurs, solidarité de classe, auto-organisation des ouvriers... Fin août 1980, les accords de Gdansk signent la fin à la grève de masse et l'affaiblissement de la classe ouvrière dans son rapport de force Sface à la bourgeoisie. Malgré tout, la combativité et la colère vont perdurer jusqu'à la répression féroce de décembre 1981. Très tôt, les bourgeoisies prendront conscience du danger de ce mouvement. Et il faudra les efforts conjugués du POUP (gouvernement polonais), du KOR et de Solidarnosc (jouant le rôle d'opposition de 'gauche'), ainsi que l'aide précieuse des bourgeoisies de tout bord, Est et Ouest, pour venir à bout de ce mouvement et amener les ouvriers à la défaite.
Été 1980 et les premières leçons à tirer :
De l'été 1980 à la répression de décembre 1981 : les agissements de Solidarnosc et de l'ensemble des bourgeoisies :
1982 : l'état de guerre et la répression
Les luttes en Pologne ne sont pas "un exemple isolé du phénomène de la grève de masse, mais plutôt la plus haute expression d'une tendance internationale générale dans la lutte de classe prolétarienne".[4] "La grève de masse est un phénomène mouvant et ne suivant pas un schéma rigide et vide. Elle n'est pas un moyen inventé pour renforcer l'effet de la lutte prolétarienne, mais elle est le mouvement même de la masse prolétarienne dans des conditions historiques déterminées. C'est une mouvement spontané qui, par son extension, son auto-organisation, ses avancées, ses reculs, connaîtra une évolution, prendre une ampleur. [...] Une de ses caractéristiques est l'enchevêtrement des revendications économiques et politiques."[5]
Sur ce qu'est la grève de masse et en quoi le mouvement polonais de l'été 1980 en est une :
En 1968, le prolétariat reprenait le chemin de la lutte. En 1980, le mouvement en Pologne, à travers sa longévité et sa grève de masse, constituera la manifestation la plus importante de cette tendance à la reprise internationale de la lutte de classe. Tracer le bilan de ces luttes, en tirer les leçons, se réapproprier ses forces et faiblesses, comprendre comment les ouvriers se sont organisés concrètement, analyser les manœuvres des bourgeoisies, démasquer les syndicats, la gauche, etc... C'est tout cela qu'apporte le mouvement polonais à la classe ouvrière.
Sur les leçons et le bilan du mouvement de lutte en Pologne :
S'appuyant sur les illusions démocratiques de la classe ouvrière, la bourgeoisie polonaise fera éclore à l'été 1980 le syndicat libre Solidarnosc. Celui-là même qui fera passer en première place la revendication du droit d'avoir un syndicat libre plutôt que les augmentations de salaire. Celui qui signera les accords de Gdansk, qui sabotera les retransmissions des négociations par haut-parleurs, qui n'aura de cesse d'enfermer les luttes jusqu'à les mener à la répression. Solidarnosc sera LE moyen, en opposition aux conseils ouvriers, de mystifier la classe ouvrière, en faisant croire à un renouveau du syndicalisme : un syndicalisme indépendant, libre, autogéré, et en prenant le rôle de la 'gauche'. Malgré tout, Solidarnosc aura du mal à s'imposer totalement et les luttes en Pologne perdureront jusqu'en 1981, année où le syndicat le plus 'solidaire' au monde entraînera les ouvriers vers la répression. À partir de 1982, Solidarnosc, passé dans la clandestinité, continuera à servir les intérêts du capital dans son rôle d'opposition de gauche.
1980, le vrai visage de Solidarnosc :
1981, comment Solidarnosc a isolé pour mener à la défaite et a préparé le terrain pour dévoyer la combativité dans l'ensemble du bloc de l'Est :
L'extension géographique des luttes ouvrières à l'ensemble de la Pologne durant l'été 1980 a été une des forces du mouvement. L'extension, l'organisation et la solidarité prolétarienne. Et c'est l'isolement national qui aura raison de ce mouvement au cours de l'année 1981.
Conscientes du danger que représentait le mouvement et l'influence que cela pouvait avoir internationalement sur la classe ouvrière, toutes les bourgeoisies, de l'Est comme de l'Ouest, ont œuvré à son enfermement et son écrasement au sein de la nation polonaise. Toutes les bourgeoisies se sont unies pour mettre en œuvre toutes les stratégies connues pour détourner les ouvriers du chemin qu'ils avaient empruntés : fermeture des frontières, syndicalisme 'libre', mise en place d'une opposition de gauche, radicalisation vis-à-vis de l'URSS, menace d'intervention soviétique, propagande.
Sur le travail des bourgeoisies, à l'Est et à l'Ouest :
Sur l'enfermement national et l'isolement par secteurs :
Sur les manœuvres bourgeoises autour d'une opposition de gauche :
Au feu même des événements, le CCI a diffusé 3 tracts internationaux, dont 2 traduits en polonais :
Notre organisation a aussi mené le combat en publiant de nombreux articles dénonçant les pièges tendus (principalement le sabotage syndicat et l'isolement), en appelant à la solidarité et en faisant vivre les leçons de la grève de masse et en polémiquant avec d'autres groupes révolutionnaires :
Les tracts du CCI :
Sur le rôle des révolutionnaires :
Sur la propagande gauchiste :
Sur l'appel à la solidarité et à faire vivre les leçons de la lutte :
Sur la dénonciation de l'isolement national :
Sur les convergences et divergences avec les groupes du milieu politique prolétarien :
Polémique – Les révolutionnaires et la lutte de classe en Pologne - in journal Révolution Internationale n°80 (décembre 1980)
À propos de quelques tracts sur la situation en Pologne - in journal Révolution Internationale n°102 (octobre 1982)
[1] L'ensemble des citations sont issues de l'article : Pologne (août 1980): Il y a 40 ans, le prolétariat mondial refaisait l’expérience de la grève de masse [150] - in journal Révolution Internationale n°483 (juillet-août 2020)
[2] Le prolétariat d'Europe occidentale au centre de la généralisation de la lutte de classe [151] - in Revue Internationale n°31 (4°trimestre 1984).
[3] Introduction au recueil de textes Sur la Pologne.
[4] Introduction au recueil de textes Sur la Pologne
[5] Grève de masse - in journal Révolution Internationale n°81 (janvier 1981)
[6] Une délégation du CCI s'était à une autre occasion rendue en Pologne. Ses conclusions, suite à des discussions sur place, mettaient en évidence un niveau très d'important d'illusions au sein du prolétariat dans ce pays participant à créer des difficultés considérables pour faire face à la situation à laquelle il était confronté. Et cela alors que le milieu prolétarien à l'Ouest surestimait largement les possibilités, notamment la CWO avec son "Revolution now!".
Le but de cette polémique est de susciter un débat au sein du milieu politique prolétarien. Nous espérons que les critiques que nous adressons aux autres groupes donneront lieu à des réponses, car la Gauche Communiste ne peut qu’être renforcée par une confrontation ouverte de nos divergences.
Face à des bouleversements sociaux majeurs, le premier devoir des communistes est de défendre leurs principes avec la plus grande clarté, en offrant aux ouvriers les moyens de comprendre où résident leurs intérêts de classe. Les groupes de la Gauche Communiste se sont surtout distingués par leur fidélité à l'internationalisme lors des guerres entre les cliques, alliances et États bourgeois. Malgré des différences d'analyse sur la période historique dans laquelle nous vivons, les groupes existants de la Gauche Communiste - le CCI, la TCI (Tendance Communiste Internationaliste), les différentes organisations bordiguistes - ont globalement su dénoncer toutes les guerres entre les États comme étant impérialistes et appeler la classe ouvrière à refuser tout soutien à leurs protagonistes. Cela les distingue très nettement des pseudo-révolutionnaires comme les trotskistes, qui appliquent invariablement une version totalement falsifiée du marxisme pour justifier le soutien à telle ou telle faction bourgeoise.
La tâche de défendre les intérêts de la classe prolétarienne se pose bien sûr aussi lors de l’éruption de conflits sociaux majeurs - non seulement des mouvements qui sont clairement des expressions de la lutte prolétarienne, mais aussi d'importantes mobilisations qui impliquent un grand nombre de personnes manifestant dans la rue et qui souvent s'opposent aux forces de l'ordre bourgeois. Dans ce dernier cas, la présence d'ouvriers dans de tels mouvements, et même de revendications en lien avec les besoins de la classe ouvrière, peut rendre très difficile une analyse lucide de leur nature de classe. Tous ces éléments étaient présents, par exemple, lors du mouvement des “gilets jaunes” en France, et certains (comme le groupe Guerre de Classe) ont conclu qu'il s'agissait d'une nouvelle forme de la lutte de classe prolétarienne[1]. En revanche, nombre de groupes de la Gauche Communiste ont pu constater qu'il s'agissait d'un mouvement interclassiste, auquel les travailleurs participaient essentiellement en tant qu'individus derrière les slogans de la petite-bourgeoisie et même derrière des revendications et des symboles ouvertement bourgeois (démocratie citoyenne, drapeau tricolore, racisme anti-immigrés, etc.)[2]. Cela ne signifie pas que leurs analyses ne comportaient pas des points de confusion considérables. Le souhait de voir, malgré tout, un certain potentiel de la classe ouvrière dans un mouvement qui avait manifestement commencé puis continué sur un terrain réactionnaire pouvait encore être discerné chez certains groupes, comme nous le verrons ultérieurement.
Les manifestations de Black Lives Matter (BLM) posent un défi encore plus grand aux groupes révolutionnaires : il est indéniable qu'elles sont nées d'une authentique vague de colère face à une expression particulièrement écœurante de la brutalité et du racisme de la police. De plus, la colère ne se restreignait pas à la population noire et elle dépassait largement les frontières des États-Unis. Mais les accès de colère, d'indignation et d'opposition au racisme ne mènent pas automatiquement à la lutte de classe. En l'absence d'une véritable alternative prolétarienne, elles peuvent facilement être instrumentalisées par la bourgeoisie et son État. À notre avis, cela a été le cas avec les manifestations actuelles du BLM. Les communistes sont donc confrontés à la nécessité de montrer exactement comment toute une panoplie de forces bourgeoises – depuis le BLM sur le terrain au Parti démocrate aux États-Unis, en passant par certaines branches de l’industrie, les chefs de l'armée et de la police également - a dès le premier jour été présente afin de prendre en charge la colère légitime et l'utiliser pour ses propres intérêts.
Comment les communistes ont-ils réagi ? Nous ne traiterons pas ici de ces anarchistes qui pensent que les actes de vandalisme mesquin des Black Blocs dans le cadre de telles manifestations sont une expression de la violence de classe, ni des “communisateurs” qui pensent que le pillage est une forme de "shopping prolétarien", ou un coup porté à la forme marchandise. Nous pourrons revenir sur ces arguments dans de prochains articles. Nous nous limiterons aux déclarations faites par les groupes de la Gauche Communiste dans le sillage des premières émeutes et manifestations qui ont suivi l'assassinat de George Floyd par la police à Minneapolis.
Trois de ces groupes appartiennent au courant bordiguiste et ont chacun pour nom « Parti Communiste International ». Nous les différencierons donc grâce à leurs publications : Il comunista / Le Prolétaire ; Il Partito Comunista ; Il Programma Comunista / Cahiers Internationalistes. Le quatrième groupe est la Tendance Communiste Internationaliste (TCI).
Toutes les prises de position émises par ces groupes contiennent des éléments avec lesquels nous pouvons être d'accord : par exemple, la dénonciation intransigeante de la violence policière, le fait de reconnaître qu’une telle violence, comme le racisme en général, est le produit du capitalisme et qu'elle ne pourra disparaître que par la destruction de ce mode de production. La prise de position du Prolétaire est très claire à ce sujet :
Les slogans d'Il Partito sont sur la même ligne : “Ouvriers ! Votre seule défense est dans l'organisation et dans la lutte en tant que classe. La réponse au racisme est la révolution communiste ! ” [4]
Cependant, quand vient la question la plus difficile pour les révolutionnaires, tous ces groupes commettent, dans une mesure plus ou moins grande, la même erreur fondamentale : pour eux, les émeutes qui ont suivi le meurtre et les manifestations de Black Lives Matter s'inscrivent dans le mouvement de la classe ouvrière. Cahiers Internationalistes écrit :
Il Partito :
La TCI :
Bien entendu, tous les groupes ajoutent que le mouvement « ne va pas assez loin » :
Cahiers Internationalistes :
Il Partito :
La TCI :
Critiquer un mouvement parce qu'il ne va pas assez loin n'a de sens que s'il va d’abord dans la bonne direction. En d'autres termes, cela s'applique aux mouvements qui se trouvent sur un terrain de classe. De notre point de vue, ce n'était pas le cas avec les manifestations concernant l'assassinat de George Floyd.
Il ne fait aucun doute que nombre de participants aux manifestations, qu'ils soient noirs, blancs ou "autres", étaient et sont des ouvriers. Tout comme il ne fait également aucun doute qu'ils étaient et sont, à juste titre, indignés par le racisme vicieux des flics. Mais cela ne suffit pas à conférer un caractère prolétarien à ces manifestations.
Ce constat est valable, que les protestations aient pris la forme d'émeutes ou bien de marches pacifistes. L'émeute n'est pas une méthode de lutte prolétarienne, qui revêt nécessairement une forme organisée et collective. Une émeute - et par dessus tout, le pillage - est une réponse désorganisée d'une masse d'individus distincts, une pure expression de rage et de désespoir qui expose non seulement les pilleurs eux-mêmes, mais aussi tous ceux qui participent aux manifestations de rue, à une répression accrue par des forces de police militarisées bien mieux organisées qu'eux.
De nombreux manifestants ont constaté la futilité des émeutes, qui étaient souvent délibérément provoquées par les agressions bestiales de la police et laissaient libre cours à d’autres provocations de la part d'éléments louches parmi la foule. Mais l'alternative préconisée par BLM, immédiatement reprise par les médias et l'appareil politique existant, particulièrement le Parti démocrate, a été l'organisation de marches pacifiques ayant de vagues revendications de “justice” et “d'égalité” , ou bien des plus spécifiques comme celle de “cesser de financer la police ”. Ce sont toutes des revendications politiques bourgeoises.
Bien sûr, un véritable mouvement prolétarien peut contenir toutes sortes de revendications confuses, mais il est avant tout motivé par la nécessité de défendre les intérêts matériels de la classe et est donc le plus souvent axé - dans un premier temps - sur des revendications économiques visant à atténuer l'impact de l'exploitation capitaliste. Comme Rosa Luxemburg l'a montré dans son pamphlet sur la grève de masse, écrit après les luttes prolétariennes de 1905 qui ont fait date en Russie, il peut en effet y avoir une interaction constante entre les revendications économiques et politiques, et la lutte contre la répression policière peut effectivement faire partie de cette dernière. Mais il y a une grande différence entre un mouvement de la classe ouvrière qui exige, par exemple, le retrait de la police d'un lieu de travail ou la libération des grévistes emprisonnés, et un déferlement général de colère qui n'a aucun lien avec la résistance des ouvriers en tant qu'ouvriers et qui est immédiatement pris en main par les forces politiques “d’opposition” de la classe dirigeante.
Plus important encore : le fait que ces contestations portent avant tout sur la question de la race signifie qu'elles ne peuvent servir de moyen d'unification de la classe ouvrière. Indépendamment du fait que les manifestations dès le début étaient rejointes par de nombreuses personnes blanches, notamment des ouvriers ou des étudiants, la majorité d'entre eux étant des jeunes, les manifestations sont présentées par BLM et les autres organisateurs comme un mouvement de personnes noires que d'autres peuvent soutenir si elles le souhaitent. Tandis qu'une lutte de la classe ouvrière a un besoin organique de surmonter toutes les divisions, qu'elles soient raciales, sexuelles ou nationales, faute de quoi elle sera défaite. Nous pouvons à nouveau citer des exemples où la classe ouvrière s'est mobilisée contre les attaques racistes en utilisant ses propres méthodes : en Russie, en 1905, conscients que les pogroms contre les Juifs étaient utilisés par le régime en place pour saper le mouvement révolutionnaire dans son ensemble, les soviets ont posté des gardes armés pour défendre les quartiers juifs contre les pogromistes. Même lors d'une période de défaite et de guerre impérialiste, cette expérience n'a pas été perdue : en 1941, les dockers de la Hollande occupée se sont mis en grève contre la déportation des Juifs.
Ce n'est pas un hasard si les principales factions de la classe dirigeante ont été si empressées de s'identifier aux manifestations de BLM. Lorsque la pandémie de Covid-19 a commencé à frapper l'Amérique, nous avons été témoins de nombreuses réactions de la classe ouvrière face à l'irresponsabilité criminelle de la bourgeoisie, face à ses manœuvres pour contraindre des secteurs entiers de la classe à aller travailler sans mesures de sécurité et équipements adéquats. Il s'agissait alors d'une réaction mondiale de la classe ouvrière[7]. Et s'il est vrai que, derrière les protestations déclenchées par le meurtre de George Floyd, une des raisons de cette colère était le nombre disproportionné de victimes noires du virus, c'est avant tout le résultat de la position des Noirs et des autres minorités dans les couches les plus pauvres de la classe ouvrière - en d'autres termes, de leur position de classe dans la société. L'impact de la pandémie de Covid-19 offre la possibilité de mettre en évidence le caractère central de la question de classe, et la bourgeoisie ne s'est montrée que trop disposée à la reléguer au second plan.
Lorsqu'ils sont confrontés au développement d'un mouvement de la classe ouvrière, les révolutionnaires peuvent en effet intervenir dans la perspective d'appeler celle-ci à “aller plus loin” (par le développement de formes autonomes d'auto-organisation, l'extension à d'autres secteurs de la classe, etc). Mais qu'en est-il si de nombreuses personnes sont mobilisées sur un terrain interclassiste ou bourgeois ? Dans ce cas, il faut encore intervenir, mais les révolutionnaires doivent alors accepter le fait que leur intervention se fera “à contre-courant”, principalement dans le but d'influencer les minorités qui remettent en cause les objectifs et méthodes fondamentaux du mouvement.
Les groupes bordiguistes, étonnamment peut-être, n'ont pas beaucoup parlé du rôle du parti par rapport à ces événements, bien que Cahiers Internationalistes ait raison - dans l’abstrait - lorsqu'il écrit que :
Le problème reste entier : comment un tel parti peut-il voir le jour ? Comment passer du milieu dispersé actuel de petits groupes communistes à un véritable parti, un organe international capable de fournir une direction politique à la lutte de classe ?
Cette question reste sans réponse pour Cahiers Internationalistes, qui révèle alors la profondeur de son incompréhension du rôle du parti :
Le simple fait de déclarer que votre groupe est Le Parti ne suffit pas, surtout lorsqu'il y a au moins deux autres groupes qui prétendent chacun être le véritable Parti Communiste International. Il n'est pas non plus logique d'affirmer que l'ensemble du prolétariat peut s'organiser “dans le parti communiste”. De telles formulations expriment une incompréhension totale de la distinction entre l'organisation politique révolutionnaire - qui nécessairement ne regroupe qu'une minorité de la classe - et les organes regroupant l’ensemble de la classe tels que les conseils ouvriers. Tous deux sont des instruments essentiels de la révolution prolétarienne. Sur ce point, Il Partito est au moins plus conscient que la voie vers la révolution passe par l'émergence d’organes indépendants regroupant l’ensemble de la classe puisqu'il appelle à des assemblées ouvrières, même s'il affaiblit son argumentation en les appelant “sur chaque lieu de travail et au sein de chaque syndicat existant” - comme si de véritables assemblées ouvrières n'étaient pas essentiellement antagonistes à la forme même du syndicat. Mais Il Partito omet de faire une observation plus cruciale encore : il n’y a pas eu la moindre tendance au développement de véritables assemblées ouvrières au sein des manifestations BLM.
La TCI refuse de s'autoproclamer Le Parti. Elle dit qu’elle est pour le parti mais qu'elle n'est pas le parti[8]. Cependant, elle n'a jamais fait de critique réellement profonde des erreurs qui sont à la base du substitutionnisme bordiguiste - l'erreur, commise en 1943-45, de déclarer la formation du Parti Communiste Internationaliste dans un seul pays, l'Italie, dans les profondeurs de la contre-révolution. Tant les bordiguistes que la TCI trouvent leur origine dans le PCInt de 1943, et tous deux théorisent cette même erreur à leur manière : les bordiguistes avec la distinction métaphysique entre le parti « historique » et le parti « formel », la TCI avec son idée de “besoin permanent du parti”. Ces conceptions dissocient la tendance à l'émergence du parti à partir du mouvement réel de la classe et le rapport de forces effectif entre la bourgeoisie et le prolétariat. Toutes deux impliquent l'abandon de la distinction vitale faite par la Gauche Communiste italienne entre fraction et parti, qui visait à montrer précisément que le parti ne peut pas exister à n'importe quel moment, et donc à définir le rôle réel de l'organisation révolutionnaire lorsque la formation immédiate du parti n'est pas encore à l'ordre du jour.
La dernière partie du tract de la TCI met clairement en évidence cette incompréhension.
Le sous-titre de cette section du tract donne le ton : “7. La rébellion urbaine doit se convertir en révolution internationale ”.
Et cela continue :
Ce seul paragraphe contient tout un recueil d'erreurs, et ce dès le sous-titre : la révolte actuelle peut avancer en ligne droite vers la révolution mondiale, mais pour cela, il faut le parti mondial ; ce parti sera le moyen d'organisation et l'instrument pour transformer le plomb en or, les mouvements non-prolétariens en révolutions prolétariennes. Ce passage révèle à quel point la TCI voit le parti comme une sorte de deus ex machina, une puissance qui vient d'on ne sait où, non seulement pour permettre à la classe de s'organiser et de détruire l'État capitaliste, mais qui a la capacité plus surnaturelle encore de transformer les émeutes, ou les manifestations tombées aux mains de la bourgeoisie, en pas de géant vers la révolution.
Cette erreur n'est pas nouvelle. Par le passé, nous avions déjà critiqué l'illusion du PCInt en 1943-45 selon laquelle les groupes de partisans en Italie - entièrement alignés sur les Alliés dans la guerre impérialiste – pouvaient d'une manière ou d'une autre être ralliés à la révolution prolétarienne par la présence du PCInt dans leurs rangs[9]. Nous l'avons encore vu en 1989, lorsque Battaglia Comunista a non seulement pris le coup d'État des forces de sécurité qui a évincé Ceausescu en Roumanie pour une “insurrection populaire” mais aussi fait valoir qu'il ne manquait que le parti pour mener cette dernière sur la voie de la révolution prolétarienne[10].
Le même problème est apparu l'an dernier avec les “ gilets jaunes”. Quand bien même la TCI décrit le mouvement comme étant “interclassiste ”, elle nous raconte que :
Là encore, le parti est invoqué comme la panacée, une pierre philosophale anhistorique. Ce qui manque à ce scénario, c'est le développement du mouvement de classe dans son ensemble, la nécessité pour la classe ouvrière de retrouver la sensation de sa propre existence en tant que classe, et de renverser l'équilibre des forces existant par des luttes massives. L'expérience historique a montré que non seulement de tels changements historiques sont nécessaires pour permettre aux minorités communistes existantes de développer une réelle influence au sein de la classe ouvrière : mais ils sont également le seul point de départ possible pour transformer le caractère de classe des révoltes sociales et offrir une perspective à l'ensemble de la population opprimée par le capital. Un exemple frappant a été l'entrée massive des travailleurs de France dans les luttes de mai-juin 1968 : en lançant un énorme mouvement de grève en réponse à la répression policière exercée sur les manifestations étudiantes, la classe ouvrière a également changé la nature des manifestations, les intégrant dans un réveil général du prolétariat mondial.
Aujourd'hui, la possibilité de telles transformations semble lointaine, et en l'absence d'une sensation répandue d'identité de classe, la bourgeoisie a plus ou moins les coudées franches pour récupérer l'indignation provoquée par le déclin avancé de son système. Mais nous avons vu des signes, petits mais significatifs, d'un nouvel état d'esprit dans la classe ouvrière, d'une nouvelle sensation d'elle-même en tant que classe, et les révolutionnaires ont le devoir de cultiver ces jeunes pousses au mieux de leurs capacités. Mais cela signifie résister à la pression ambiante qui pousse à s'incliner devant les appels hypocrites de la bourgeoisie en faveur de la justice, de l'égalité et de la démocratie à l'intérieur des frontières de la société capitaliste.
Amos, Juillet 2020
[1] Le groupe semble être un genre de fusion entre l'anarchisme et le bordiguisme, plutôt dans le style du Groupe Communiste Internationaliste, mais sans ses pratiques les plus douteuses (menaces contre des groupes de la Gauche Communiste, un soutien à peine voilé aux actions des cliques nationalistes et islamistes, etc.).
[2] Voir sur notre site “Prise de position dans le camp révolutionnaire : Gilets jaunes : la nécessité de “réarmer“ le prolétariat [153]”.
[3] Voir l’article du Prolétaire n° 537, “Etats-Unis : Révoltes urbaines après le meurtre par la police de Minneapolis de l’Afro-américain George Floyd [154]”
[4] Voir l’article en anglais d'Il Partito, “Racism Protects the Capitalist System, Only the Working Class can Eradicate it [155]” (juin 2020)
[5] Voir l’article de Cahiers Internationalistes, “Après Minneapolis. Que la révolte des prolétaires américains soit un exemple pour les prolétaires de toutes les métropoles [156]” (28/05/2020)
[6] Voir l’article de la TCI, “Minneapolis : brutalité policière et lutte des classes [157]” (31/05/2020)
[7] Voir sur notre site l'article “Covid-19: Malgré tous les obstacles, la lutte de classe forge son futur [80]” dont voici un extrait : “Peut-être le plus important de tous, notamment parce qu’il remet en question l’image d’une classe ouvrière américaine qui s’est ralliée sans critique à la démagogie de Donald Trump, il y a eu des luttes généralisées aux États-Unis : grèves chez FIAT-Chrysler des usines de Tripton dans l’Indiana, dans l’usine de production de camions Warren dans la périphérie de Détroit, chez les chauffeurs de bus à Detroit et à Birmingham (en Alabama), dans les ports, les restaurants, dans la distribution alimentaire, dans le secteur du nettoyage et celui de la construction ; des grèves ont eu lieu chez Amazon (qui a également été touché par des grèves dans plusieurs autres pays), Whole Foods, Instacart, Walmart, FedEx, etc.”
[8] Même si, comme nous l’avons souvent signalé, la clarté sur ce point n’est pas facilitée par le fait que son affilié italien (qui publie Battaglia Comunista) tient toujours absolument à porter le nom de Parti Communiste Internationaliste.
[9] Voir sur notre site l’article “Les ambiguïtés sur les ‘partisans’ dans la constitution du Parti Communiste Internationaliste en Italie [158]”, Revue Internationale n°8
[10] Voir sur notre site nos articles “Polémique : Le vent d'est et la réponse des révolutionnaires [159]”, Revue Internationale n°61 et "Polémique : Face aux bouleversements à l'Est, une avant-garde en retard [160]", Revue Internationale n°62.
[11] Voir l’article en anglais sur le site de la TCI : “Some Further Thoughts on the Yellow Vests Movement [161]” (08/01/2019).
Sur le plan des tensions impérialistes, le début de l’année 2020 avait été caractérisé par une multiplication des conflits entre brigands de premier, deuxième et troisième ordre, qui avait illustré l’intensification du chacun pour soi dans la lutte entre puissances impérialistes et provoqué une extension de la barbarie guerrière et du chaos. Ainsi,
Ensuite, la pandémie survint. L’ampleur des infections et des décès dans les zones de conflits, tel le Moyen-Orient par exemple (deux millions d’infections et près de 60.000 morts officiels, dont 400.000 cas positifs et 25.000 morts en Iran), et les dangers d’infections dans les armées (cf. les équipages de navires de guerre US et français mis en quarantaine) appelaient à la circonspection. Aussi, l’intensité des opérations militaires s’étaient, dans un premier temps du moins, apparemment réduite et une trêve avait même été proclamée en Syrie et au Yémen. Cependant, dès le début de la pandémie, les tentatives initiales de la Chine de camoufler l’expansion du virus, la désignation du Covid-19 par Trump de « virus chinois », les refus de nombreux pays de « partager » leurs stocks de matériel sanitaire avec leurs voisins, ou encore les tentatives de Trump de réserver les premiers vaccins pour un usage exclusif aux USA indiquaient déjà que la pandémie n’allait pas mitiger les tensions impérialistes, bien au contraire. D’ailleurs, une série d’informations qui ont filtré pendant la période de confinement ces derniers mois ont confirmé que les tensions continuaient de s’accumuler : de « mystérieux actes de sabotage » contre différents bâtiments liés au programme nucléaire iranien, une confrontation entre navires de guerre turcs et des navires de l’OTAN (dont la Turquie fait par ailleurs partie), les premiers empêchant les seconds de contrôler la cargaison de navires se rendant vers le port libyen de Misratah, un clash violent entre soldats indiens et chinois dans le Ladakh, etc.
Dès lors, diverses interrogations légitimes surgissent quant à l’impact de la crise du Covid-19 sur l’évolution des rapports impérialistes.
La façon chaotique dont Trump a géré la pandémie, ainsi que les conséquences économiques dramatiques pour l’économie US et pour les conditions de vie de prolétaires, confrontés à l'absence de filet de sécurité sociale par rapport au chômage massif et aux coûts des hospitalisations, compromettent lourdement sa réélection, dans la mesure où il entendait fonder sa campagne sur la santé éclatante de l’économie américaine. Or, Trump est prêt à tout pour gagner les élections : saboter et déstabiliser le processus électoral, en semant le doute sur le vote par correspondance ou en dénonçant l’ingérence de toutes sortes de forces visant à manipuler le scrutin, forcer la main des labos pharmaceutiques pour obtenir en premier un vaccin, exercer un chantage contre d’autres pays pour obtenir ce qu'il veut, etc.
Plus spécifiquement, sur le plan intérieur, il n’hésite pas à jeter de l’huile sur le feu des manifs et émeutes qui secouent le pays pour pouvoir se présenter – paradoxe ahurissant- comme le seul rempart contre le chaos. Sur le plan extérieur, il avive systématiquement la guerre commerciale et technologique avec la Chine (Huawei, TikTok) et exploitera n’importe quel incident sur le plan international pour rassembler la population derrière celui qui se présente comme le seul garant de la grandeur américaine.
Cette volonté de jouer le tout pour le tout pour forcer sa réélection ne peut qu’accentuer l’imprédictibilité et la dangerosité de la politique américaine, car, même si la tendance au déclin du leadership US se confirme, le pays a encore de nombreux atouts économiques et financiers, mais surtout sa superpuissance militaire à faire valoir.
Tout le contraire est vrai. La crise de Covid 19 entraîne d'énormes problèmes pour la Chine :
En conséquence, la « nouvelle route de la soie » devient de plus en plus difficile à réaliser, ce qui est dû aux problèmes financiers liés à la crise économique mais aussi à une méfiance croissante de la part de nombreux pays et à la pression antichinoise des États-Unis. Aussi, il ne faut pas s’étonner qu’en 2020, il y a eu un effondrement de la valeur financière des investissements injectés dans le projet « Nouvelle route de la soie » (-64%).
Cette situation délicate doit être comprise dans le cadre des glissements qui ont lieu à Bejing depuis plusieurs années dans les rapports de force au sommet de l’Etat entre les différentes fractions au sein de la bourgeoisie chinoise : le « tournant à gauche », engagé par la fraction derrière le président Xi, a signifié moins de pragmatisme économique et plus d'idéologie nationaliste ; or, « La situation précaire de Pékin sur plusieurs fronts s’explique en partie par cette attitude cavalière du pouvoir central, le grand virage à gauche de Xi depuis 2013 (…) et par les résultats désastreux de la « diplomatie guerrière » menée par les diplomates chinois. Or, depuis la fin de la retraite de Beidaihe –mais aussi un peu avant– on remarque que Pékin et ses diplomates tentent de calmer le jeu et semble vouloir rouvrir le dialogue » (« Chine : à Beidaihe, "l'université d'été" du Parti, les tensions internes à fleur de peau », A. Payette, Asialyst, 06.09.20). En témoigne la déclaration spectaculaire récente de Xi que la Chine veut atteindre la neutralité carbone pour son économie en 2060.
Bref, une certaine instabilité transparaît ici aussi : d’une part, les dirigeants chinois lancent une politique plus nationaliste et agressive envers Hong Kong, Taiwan, l'Inde, la mer de Chine ; d’autre part, les oppositions internes au sein du parti et de l’Etat se manifestent plus nettement. Ainsi il y a « les tensions persistantes entre le premier ministre Li Keqiang et le président Xi Jinping sur la relance économique, tout comme la « nouvelle position » de la Chine sur la scène internationale ». (Chine : à Beidaihe, "l'université d'été" du Parti, les tensions internes à fleur de peau », A. Payette, Asialyst, 06.09.20).
Le Kremlin a en effet les capacités de jouer au fauteur de troubles sur la scène impérialiste (essentiellement du fait que l'armée russe est toujours considérée comme la deuxième armée la plus puissante du monde) et il l’a encore démontré récemment par ses tentatives particulièrement actives de déstabilisation au Mali et dans les pays du Sahel contre la France. Cependant, l’impact de la pandémie sur la Russie ne peut être sous-estimé, tant sur le plan économique que social. Ses revenus pétroliers et gaziers sont en forte baisse et son industrie se porte mal. Des milliers de salariés se sont réunis pour manifester contre les pertes d’emplois. Or, les succès économiques étaient le moteur de la popularité de Poutine et celle-ci atteint aujourd’hui des niveaux historiquement bas : 59% dans l’ensemble de la population et 12% seulement chez les moins de 25 ans.
La crise du Covid met plus clairement que jamais en lumière que, si la Russie est un facteur puissant de déstabilisation dans l’arène impérialiste, elle n'a pas les moyens économiques de consolider ses avancées impérialistes, comme par exemple en Syrie, où elle se voit forcée, pour entamer la reconstruction matérielle du pays (au moins de certaines infrastructures vitales), d’accepter la réintégration de Damas dans la « famille arabe », à travers en particulier la restauration des liens avec les Emirats Arabes Unis et le sultanat d’Oman (cf. « Syrie : retour feutré dans la famille arabe » titre le Monde diplomatique de Juin 2020), faute de fonds propres pour le faire.
De plus, Poutine subit à présent une pression importante sur son glacis immédiat à travers le « mouvement pour la démocratie » en Biélorussie, tandis que l’empoisonnement de l’opposant russe Navalny, recueilli en Allemagne, accentue les menaces de boycott économique par l’Allemagne et en particulier le blocage de la construction du pipeline sous la Baltique reliant la Russie à l’Europe de l’Ouest, ce qui aurait des conséquences catastrophiques pour l’économie russe.
Ces divers éléments illustrent la pression croissante sur la Russie : sa faiblesse structurelle fondamentale lui impose une agressivité perturbatrice croissante, de la Syrie au Mali, de la Libye à l’Ukraine. « La Russie s’accommode parfaitement des « conflits gelés ». Elle en a déjà fait la démonstration en Ukraine, en Géorgie ou en Moldavie. Ce dispositif peu coûteux lui procure une influence déstabilisatrice (…) » (Monde diplomatique, septembre 2020).
Plusieurs facettes sont à prendre en considération sur ce plan :
D’abord, les deux impérialismes majeurs, les USA et la Chine, subissent, comme nous l’avons montré ci-dessus, un lourd impact économique et social de la crise du Covid 19 et les fractions dirigeantes dans les deux pays tendent à accentuer face à cela (même si cela va de pair avec de fortes tensions au sein des bourgeoisies respectives) une politique de glorification nationaliste et d’affrontement économique et politique : « l’autosuffisance » de Xi ou le « tout ce qui compte, c’est l’Amérique » de Trump sont les slogans par excellence d’une politique du « chacun pour soi ».
Ensuite, la pandémie et ses conséquences économiques déstabilisent aussi divers acteurs impérialistes locaux importants et les poussent vers un jusqu’auboutisme impérialiste. En Inde, le gouvernement du populiste Modi cherche à détourner l’attention de sa politique de santé et de sa gestion de la crise défaillantes en aiguisant les tensions avec la Chine ou en accentuant sa politique antimusulmane ; Israël, confronté à d'importantes manifestations contre la politique de santé du gouvernement et à un nouveau confinement sanitaire, fait monter la tension avec l’Iran ; l’Iran même, face aux ravages destructeurs de la crise sur les plans sanitaire et économique, n’a d’autre perspective que d’intensifier la barbarie guerrière.
Cette tendance à la fuite en avant dans la confrontation impérialiste est particulièrement marquante aujourd’hui dans le cas de la Turquie. Comme le Monde diplomatique de septembre 2020 le souligne, Erdogan subit de plus en plus une pression économique et politique à l’intérieur même du pays : revers de son parti, l’AKP, lors des dernières élections municipales en mars 2019, où l’opposition a remporté les mairies d’Istanbul et d’Ankara, deux scissions au sein de l’AKP cette année, qui témoignent des dissensions au sein même de la formation présidentielle. Face à cela, il s’est lancé dans une surenchère impérialiste dans le but d’exacerber le nationalisme turc et de rallier la population derrière lui. « Les politiques intérieure et extérieure de la Turquie sont entremêlées. La politique étrangère sert de carburant à la politique intérieure » (Fehim Tastekin, journaliste turc, sur le site Daktilo 1984, 21.06.2020, cité par le Monde diplomatique, septembre 2020).
Après son intervention en Syrie, son engagement direct (armes, mercenaires, soldats d’élite) au côté du gouvernement de Tripoli en Libye et ses revendications unilatérales sur de larges zones de la Méditerranée orientale, riches en gaz et en pétrole, provoquent non seulement une exacerbation des tensions avec la Grèce mais aussi avec la Russie, la France, l’Egypte et Israël. Plus que jamais la Turquie est un vecteur majeur du « chacun pour soi » impérialiste (le principe fondateur de la politique extérieure turque est d’ailleurs depuis des décennies « le Turc n’a d’amis que le Turc » (Monde diplomatique, octobre 2019)).
Un dernier plan à considérer est le fait que la crise du Covid-19 annonce aussi de manière insistante la désagrégation d’alliances qui ont joué un rôle majeur depuis la seconde guerre mondiale.
L’incapacité patente du capitalisme en décomposition d’affronter de manière coordonnée la crise pandémique ne peut avoir pour corollaire qu’une accentuation massive de la tendance au chacun pour soi, à la fragmentation et au chaos sur tous les plans. Les données concernant le développement des tensions impérialistes confirment largement cette orientation générale. Pour l’ensemble de la population et pour la classe ouvrière en particulier, c’est plus que jamais la perspective d’une exacerbation de la barbarie guerrière et de massacres sanglants.
25.09.20 / R. Havanais
La CCI a récemment organisé quelques événements au Brésil impliquant des contacts et des sympathisants de notre organisation sur le sujet, "face à l'alternative fascisme - antifascisme, le prolétariat n'a pas de terrain à choisir". Nous rendons compte des débats et des questions qui ont été soulevés tout en ajoutant quelques commentaires et clarifications a posteriori de notre part.
Le thème de la situation au Brésil a été précédé par des aspects généraux concernant la pandémie du coronavirus que les médias du monde entier ont largement couverte avec une insistance toute particulière sur la situation aux États-Unis et surtout au Brésil, principalement en raison des agissements de Trump et Bolsonaro. Beaucoup plus explicitement que dans d'autres pays, ces personnages répugnants ont exprimé de manière cruelle et flagrante la véritable nature et la préoccupation réelle de la bourgeoisie mondiale face à la crise du coronavirus : sauvegarder à tout prix le profit généré par l'exploitation de la classe ouvrière, en obligeant les travailleurs à rester à leur poste avec un risque élevé de contamination, parfois sans protection. En réalité, la politique des autres fractions de la bourgeoisie mondiale démontre également le danger croissant que constitue le capitalisme mondial pour la survie de l'humanité, étant elles-mêmes dans l'incapacité de faire face à la pandémie de Covid-19, malgré le développement considérable des forces productives. Et si elles donnent tant d'importance au cas Bolsonaro, c'est pour essayer de dissimuler le fait qu'en réalité elles ne sont pas tellement différentes.
Si au-delà du Covid, le prolétariat brésilien doit faire face à la bêtise criminelle de Bolsonaro et à ses odieuses orientations politiques ouvertement antiouvrières et criminelles, qui trouvent un terreau fertile dans la prolifération des sectes, des gangs, le rejet du rationnel, du cohérent, ... il doit également faire face à un ennemi beaucoup plus insidieux et donc encore plus dangereux.
En effet, au nom de l'antifascisme, des forces principalement liées à la gauche ou à l'extrême-gauche du capital entendent se mobiliser contre le "diable fasciste" Bolsonaro. De plus, si le diable existait, il ne serait qu'une expression supplémentaire du capitalisme, aux côtés des autres comme la démocratie bourgeoise. Au fond, ils défendent tous l'ordre existant, le capitalisme, qui entraîne le monde dans une catastrophe fatale pour l'humanité.
La semaine précédente, nous avons observé une vague de réactions antifascistes sur les réseaux sociaux. De nombreuses personnes ont modifié les photos de leur profil, affichant différentes représentations de la bannière antifasciste. Cette vague a été alimentée par les tensions antérieures, mais semble avoir été déclenchée par une réaction de rejet face aux manifestations du groupe "Les 300 du Brésil" et, surtout, aux vidéos de Bolsonaro "buvant du lait". Les 300, menés par la bolsonariste Sara Winter, ont organisé une petite manifestation à Brasilia en défilant aux flambeaux, dans le style du Ku Klux Klan. Le groupe est accusé d'être une milice ayant pour but déclaré d'exterminer la gauche. D'autre part, l'action de boire du lait est un symbole des suprématistes blancs. Bien sûr, Bolsonaro nie avoir eu cette intention, mais la tension n'est pas dissipée, d'autant plus que cette affaire s'ajoute à celle de l'ancien secrétaire à la culture, Roberto Alvim, qui a prononcé un discours dont le texte paraphrasait Joseph Goebbels. Il semble y avoir de nombreux signes du fait que le gouvernement Bolsonaro flirte avec le fascisme. Face à cela, certaines questions se posent. Le gouvernement actuel est-il fasciste ? Même si ce n'est pas le cas, y a-t-il un risque que la situation évolue dans cette direction ? La progression de l'extrême-droite n'est pas un phénomène typiquement brésilien ! En fait, le phénomène semble être encore plus agressif dans d'autres parties du monde, en particulier en Europe. Depuis l'aggravation de la crise en 2010, certains pays européens sont poussés par une vague nationaliste qui s'est aggravée avec la crise de l'immigration. Au Brésil, l'antifascisme s'est déjà exprimé avec une certaine notoriété lors des dernières élections présidentielles avec le mouvement "Pas lui", lorsque même les groupes de gauche qui faisaient généralement campagne pour le "vote nul"[1] ont participé à la campagne de Haddad[2]. Cependant, contrairement à 2017, les récentes manifestations semblent avoir élargi leur spectre idéologique, impliquant des partis plus à droite. Même Celso de Mello, ministre du STF (Cour suprême de justice), a exprimé son inquiétude lorsqu'il a déclaré que "l'œuf de serpent semble être sur le point d'éclore au Brésil".
Malgré la situation de pandémie, certaines manifestations pour la défense de la démocratie ont lieu dans le pays. Sur Twitter, la substitution massive des photos de profil pour l'effigie de la bannière antifasciste a suscité de longs débats concernant sa signification. Certains staliniens ont critiqué sa massification, y compris son utilisation par des personnes connues pour être des libéraux. Ils ont affirmé que l'antifascisme est en même temps "anticapitaliste", de sorte que n'importe qui ne peut pas se prétendre comme tel. Cependant, cette réaction semble suivre les désirs staliniens de contrôler le mouvement, en essayant de ramener la bannière de l'antifascisme dans son domaine idéologique. En tout cas, la question demeure : l'antifascisme est-il incompatible avec le libéralisme ?
Les manifestations antifascistes provoquent déjà des réactions dans le camp de Bolsonaro. Le 1er juin, le membre du Congrès Daniel Silveira (PSL/RJ) a présenté un projet de loi qui propose un amendement à la loi antiterroriste n° 13.260 du 16 mars 2016, afin de qualifier les groupes antifascistes d'organisations terroristes. Quelques jours plus tard, un groupe néo-nazi de São Paulo a publié sur internet une liste des noms et données de personnes qu'il avait identifiées comme antifascistes. Ces données ont été partagées par les personnes elles-mêmes sur Internet.
Face à la menace de l'avancée de l'extrême-droite, il semble irrésistible de ne pas adhérer à la cause antifasciste, car le fascisme représente la face la plus perverse de l'État. Toutefois, avant d'agir de façon impulsive, nous devons nous livrer à un examen rationnel de la situation. Une face moins perverse signifie-t-elle une perversité moindre du corps de l'État ? Quels sont les résultats pratiques de l'adhésion à l'antifascisme ? La démocratie est-elle un moindre mal ? Est-ce l'opposé radical du fascisme ? Que sont le fascisme et la démocratie ? Pourquoi l'État prend-il parfois des formes politiques dictatoriales, parfois démocratiques ? Comment les communistes doivent-ils se positionner face à ce mouvement ? Comment la classe ouvrière doit-elle se positionner ?
Bien que l'antifascisme soit plus prononcé aujourd'hui qu'il y a 20 ans, ce n'est pas la première fois que des communistes sont séduits par ce drapeau. Dans le passé, lorsque le fascisme s'est manifesté pour la première fois entre les années 1920 et 1930, plusieurs groupes communistes et anarchistes ont rejoint la cause antifasciste. La Quatrième Internationale trotskyste a demandé à ses membres et ses partisans à rejoindre les rangs de la guerre contre l'Axe. Pendant la guerre civile espagnole, les anarchistes et les communistes ont soutenu la République en participant aux élections et en prenant les armes pour freiner l'avancée de l'extrême-droite en Espagne. Quelles sont les leçons historiques de ces expériences ?
D'autre part, tous les révolutionnaires n'ont pas adhéré à l'antifascisme. Bilan critiquait cette adhésion parce qu'il la considérait comme un facteur de confusion pour le prolétariat, en plus de contribuer à son adhésion au nationalisme. En Grèce, l'Union communiste internationaliste a refusé de soutenir les démocraties contre le fascisme pendant la Seconde Guerre mondiale. Quelles étaient ses préoccupations ? Ne considéraient-ils pas le fascisme comme une menace ? Ne l'ont-ils pas combattue ?
Comme nous l'avons souligné lors de la réunion, nous sommes d'accord avec cette introduction et la nécessité de fournir une base historique à tout débat politique. Et précisément dans ce sens, nous rappelons quelles analyses au sein du mouvement ouvrier ont participé à l'origine à la mystification antifasciste ultérieure du prolétariat et quelles autres, au contraire, ont jeté les bases d'une défense sans compromis de la lutte de classe contre la bourgeoisie et ses diverses expressions, fascistes ou démocratiques.
L'intransigeance de la Gauche Communiste italienne, qui a en fait dirigé le Parti communiste italien, s'est particulièrement exprimée, et de manière exemplaire, face à la montée du fascisme en Italie après la défaite des combats ouvriers en 1920. Sur le plan pratique, cette intransigeance se manifeste par un refus total de s'allier avec les partis bourgeois (libéraux ou "socialistes") face à la menace fasciste : le prolétariat ne peut combattre le fascisme que sur son propre terrain, la grève économique et l'organisation de milices pour l'autodéfense des travailleurs. Sur le plan théorique, Bordiga a été responsable de la première analyse sérieuse (et toujours valable) du phénomène fasciste, une analyse qu'il a présentée aux délégués du 4e Congrès de l'Internationale communiste en réfutation de l’analyse mise en avant dans ce Congrès :
- Le fascisme n'est pas le produit de la classe moyenne et de la bourgeoisie agraire. C'est la conséquence de la défaite du prolétariat, qui a jeté les couches petites bourgeoises indécises derrière la réaction fasciste.
- Le fascisme n'est pas une réaction féodale. Il est né dans de grandes concentrations industrielles comme Milan et a reçu le soutien de la bourgeoisie industrielle.
- Le fascisme n'est pas opposé à la démocratie. Les forces armées sont un complément indispensable lorsque "l'État ne suffit plus pour défendre le pouvoir de la bourgeoisie".
Y a-t-il un danger de fascisme au Brésil ? La popularité des mouvements "antifascistes" menés par la gauche, ainsi que par la droite démocratique, a été un sujet de préoccupation parmi nos contacts. Comme cela a été souligné, les actions chaotiques de Bolsonaro, très en phase avec les stupidités de Trump, où il apparaît en train de boire du lait, avec une posture clairement raciste, encourageant des groupes qui se disent "fascistes", tout cela alimente la préoccupation de nos contacts, surtout parce que la réaction antifasciste et son discours sont attrayants pour de nombreuses critiques du régime. Alors, est-il possible que le fascisme émerge au Brésil ? Bolsonaro est-il l'un de leurs premiers porte-paroles, comme le prétend le mouvement antifasciste ?
Le débat a débouché sur une conclusion très claire : malgré les actions chaotiques de Bolsonaro - dont certaines sont ouvertement racistes - elles ne sont pas l'expression de la montée du fascisme car le fascisme est le produit de conditions historiques très concrètes qui ne sont pas remplies aujourd'hui. En fait, le fascisme naît à une époque de défaite physique et idéologique de la classe ouvrière, comme dans les années 1930. Le prolétariat italien et allemand en particulier a été totalement écrasé l’un par le fascisme, l’autre d’abord par le parti social-democrate (SPD) au pouvoir puis par le régime nazi, le prolétariat russe par le stalinisme, et le prolétariat d'autres pays industrialisés démocratiques, gouvernés par l'antifascisme. Ce n'est pas seulement grâce au fascisme, mais aussi grâce aux courants de gauche - en particulier son aile trotskyste "critique" - qui ont conduit à la "lutte", d'abord de la classe ouvrière pour la défense du "moindre mal" de la République en Espagne, puis à l'enrôlement de la classe ouvrière dans la Deuxième Guerre mondiale du XXe siècle en défense des démocraties occidentales.
Le débat sur le "moindre mal" a remis en question le faux dualisme "fascisme contre démocratie". Comme on l'a dit, l'antifascisme est donc une impasse qui a des effets pernicieux sur l'unité de classe, car il entretient une série d'éléments, déjà signalés, qui cherchent à miner précisément son unité ; d'une part, faire croire que face au danger du "fascisme", il est nécessaire de s'organiser pour sauver les intérêts d'une nation ; en d'autres termes, il est impératif de défendre la "démocratie" qui est présentée comme "un moindre mal".
Non. Mussolini et Hitler sont arrivés au pouvoir précisément grâce à la démocratie bourgeoise et à ses institutions parlementaires. La démocratie était la base, la tribune, que le fascisme utilisait pour arriver au pouvoir et mettre en œuvre son projet.
Dans ce cas, l'arrivée démocratique de Trump et surtout de Bolsonaro ne tend-elle pas à prouver la réalité actuelle de ce danger du fascisme ? Nous insistons, les conditions historiques sont différentes de celles dans lesquelles le fascisme est arrivé au pouvoir démocratiquement en Allemagne. Aujourd'hui, le prolétariat n'a pas subi une défaite décisive comme ce fut le cas dans le monde entier avec la défaite de la première vague révolutionnaire mondiale de 1917-23. La confusion réside dans le fait que le capitalisme, dans sa phase actuelle de décomposition, produit des clowns ou des monstres comme Bolsonaro ou Trump, qui expriment de manière caricaturale la tendance au chaos et au déchaînement du chacun pour soi.
Le débat a été très clair à ce sujet. La démocratie n'est pas quelque chose d'opposé au fascisme, qui est une des formes de capitalisme d'État typiques de la période de décadence, correspondant (au début du XXe siècle) à une configuration totalement nouvelle de l'organisation de la bourgeoisie, où l'intervention de l'Etat dans l'économie est renforcée. Aux États-Unis, à cette même époque, à la suite de la crise capitaliste de 1929, le New Deal émerge ; dans une partie de l'Europe, c'est le fascisme ; en Russie, le stalinisme. Le capitalisme mondial, en réponse à la crise son système, cherche la protection de cette forme d'administration qui, d'ailleurs, dans les conditions actuelles de la pandémie mondiale, tend à se renforcer davantage.
Bien qu'il évoque des aspects qui pourraient être associés au fascisme, tels qu'un anticommunisme ouvert ou un discours clairement raciste, l'existence d'un régime fasciste à l'époque actuelle n'est pas viable pour la bourgeoisie. En particulier parce que seule la démocratie est capable de combiner mystifications démocratiques et répression pour faire face à un développement de la lutte des classes contenu dans la situation historique actuelle.
Mais une telle perspective est-elle encore inscrite dans l'avenir ? Elle dépend de l'évolution du rapport de forces entre le prolétariat et la bourgeoisie.
Certaines interventions ont exprimé un grand pessimisme à cet égard. Certains contacts soulignent qu'il n'existe pas de luttes autonomes au Brésil, que la gauche du capital est populaire - surtout face à la perspective antifasciste, que le discours de défense de la démocratie se renforce, que les idées de la Gauche communiste sont faibles, qu'elles ont peu d'influence au Brésil et en Amérique latine. Un regard fixé sur le seul Brésil et figé sur le présent ne peut que conduire à un tel pessimisme.
La lutte du prolétariat est internationale et sa dynamique l'est aussi. Contrairement à la période des années 1930 dont nous avons parlé dans la réunion, le prolétariat a quitté la période de la contre-révolution en 1968 avec les luttes en France qui ont été le déclencheur d'une dynamique internationale de lutte de classe, laquelle a culminé avec les luttes massives en Pologne en 1980. Malgré les grandes difficultés rencontrées par la lutte des classes depuis les années 1990, le prolétariat n'a pas subi une défaite comme celle qui a mis un terme à la première vague révolutionnaire mondiale. Une illustration de quelques pas faits par le prolétariat sur son terrain de classe : la situation fin 2019 - début 2020 a été marquée par des manifestations de combativité ouvrière au niveau international, notamment en Europe et en Amérique du Nord. En Europe : le mouvement en France contre la réforme des retraites, la grève de la poste et des transports en Finlande. Aux États-Unis : la grève la plus massive chez General Motors de ces cinquante dernières années, et la première aux États-Unis depuis 12 ans, après une période où la mobilisation internationale de la classe ouvrière était faible. La grève massive en janvier 2020 des 30 000 enseignants des écoles publiques de Los Angeles, la deuxième plus grande ville des États-Unis, la première en 30 ans. Il est vrai que les conditions données par la menace persistante de la pandémie constituent un véritable obstacle au développement de la lutte des classes, alors que les attaques économiques contre la classe ouvrière sont sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale. Mais nécessairement - nous ne savons pas encore comment et quand - la classe ouvrière reviendra sur le devant de la scène. Toutes les fractions mondiales du prolétariat sont confrontées à des difficultés, mais pas les mêmes. C'est dans le cœur du capitalisme, où les luttes historiques se sont davantage développées, que les conditions sont les plus favorables, précisément en raison de ces expériences et de cette tradition de lutte. Cependant, toute lutte du prolétariat dans le monde constitue une contribution à la lutte du prolétariat mondial. Ainsi, malgré les grandes difficultés qu'il rencontre actuellement, on ne peut ignorer les luttes passées du prolétariat brésilien. Notamment ses luttes massives en 1979, sa résistance et sa confrontation à la politique anti-ouvrière des gouvernements Lula et Dilma (rappelons-nous la mobilisation des contrôleurs aériens en février 2007 et sa répression par Lula).
Une vision immédiatiste de la lutte de classe contient le danger de quitter le terrain de la lutte de classe du prolétariat pour des mobilisations typiquement bourgeoises comme celles récentes autour de BLM (Black Lives Matter) avec un contenu clairement bourgeois, en exigeant un "capitalisme plus humain".
Un contact a demandé : comment mobiliser le prolétariat sans entrer dans ces fronts antifascistes ? Il ne faut pas penser qu'à tout moment le prolétariat peut entrer en lutte. Notamment, dans la situation actuelle de pandémie, les conditions d'une mobilisation de la classe ouvrière n'existent pas vraiment. Nous savons que le prolétariat a le défi de développer un combat à la hauteur des attaques économiques sans précédent dans le monde entier depuis la Seconde Guerre mondiale. Dans la situation présente, la responsabilité des révolutionnaires n'est pas de pousser les travailleurs à lutter à tout prix, mais de les inciter à discuter de ce qui est en jeu, à se regrouper pour en défendre la compréhension, même si c'est de façon très minoritaire.
Y a-t-il, dans la situation actuelle, un chemin entre l'anticapitalisme et le futur communisme ? Aucun. Cependant, de plus en plus de classes moyennes, de petits bourgeois ruinés par le capitalisme, se déclareront "anticapitalistes". Même des parties importantes de la classe ouvrière, ayant de grandes difficultés pour reconnaître leur propre perspective révolutionnaire, peuvent adopter ce slogan de l'anticapitalisme. Cela exprime alors une grande faiblesse. Mais lorsqu'il s'agit d'une organisation politique qui défend et prêche l'anticapitalisme, alors ce n'est plus une faiblesse mais une tromperie. Ce n'est pas par hasard, comme cela a été souligné, si de nombreux groupes antifascistes, liés à l'extrême-gauche du capitalisme comme le trotskysme, se disent "anticapitalistes". C'est le cas en France d'une organisation trotskyste affiliée à la Quatrième Internationale qui s'appelle le Nouveau Parti Anticapitaliste.
Alberto (juillet 2020)
«Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur être, mais, au contraire, leur être social qui détermine leur conscience» comme le disait Marx. Aujourd'hui, la réalité de «l’être» de la plupart des gens à travers le monde se détériore de manière dangereuse et déconcertante : guerres, difficultés économiques, dégradation de l'environnement, migrations forcées et, cette année, en plus, un nouveau virus. Ces conditions matérielles de chaos et de confusion croissants - ajouté à cela l'absence apparente d'une alternative crédible - sont le terreau qui nourrit la prolifération des «théories du complot».
Alors que des millions de personnes sont infectées et que des centaines de milliers de personnes meurent dans le monde entier à la suite de la pandémie du Covid-19, des myriades d'explications sur la cause de ce fléau sont proposées, dont beaucoup prennent la forme de théories du complot. Malgré les déclarations d'organismes tels que l'Organisation Mondiale de la Santé et les Nations Unies1, selon lesquelles les origines de ces maladies résident dans la destruction d’habitats naturels entraînant un mélange non contrôlé des espèces animales et humaines (auquel s'ajoute le traitement intensif et sans aucune mesure élémentaire d’hygiène des viandes d’animaux à l'échelle industrielle), une grande partie de la population pense que la pandémie a été déclenchée délibérément par des individus, des mytérieuses cabales ou des pays malveillants pour réaliser leurs propres projets machiavéliques.
Ces « théories » vont de l'accusation du président des États-Unis, Donald Trump, selon laquelle la Chine « communiste » aurait à la fois fabriqué et propagé le virus Covid, à l'idée largement répandue que la pandémie est utilisée par les États pour ficher et contrôler leurs citoyens, par une diabolique « élite mondiale » ou par des individus tels que l'investisseur George Soros ou le multimillionnaire Bill Gates fondateur de Microsoft pour favoriser leurs propres projets de domination sur le monde.
Ces mêmes «théories» ne restent pas au niveau purement idéologique mais se manifestent dans la vie quotidienne, à travers des actions, des protestations, le lobbying et la diffusion dans les médias sociaux qui influencent le comportement de millions de personnes - particulièrement (mais pas exclusivement) en Amérique. En témoigne, par exemple, la montée en puissance du mouvement «anti-vaxxer», qui s'oppose à l'utilisation rendue obligatoire par l'État de vaccins utilisés pour prévenir les maladies et qui, en 2019, aurait contribué à la pire épidémie de rougeole depuis une génération en Amérique. En mai de cette année, une enquête a montré que près d'un quart des citoyens américains ont déclaré qu'ils refuseraient un vaccin contre le Covid-19, même s'il était efficacement mis au point ! En Australie, ce chiffre était plus proche de 50 %.
Plus inquiétant encore est le développement d'un esprit de pogrom, qui se manifeste par des agressions physiques contre des personnes au faciès asiatique tenues pour responsables de la propagation du virus. Les chaînes d'information télévisée indiennes, déjà réputées pour leur haine des musulmans, ont accusé les missionnaires musulmans de diffuser « délibérément » le COVID-19, les accusant de déverser de « méchants virus » et d’utiliser des « bombes humaines » en Inde. La vague orchestrée de violence antimusulmane à New Delhi a fait au moins 53 morts et plus de 200 blessés.
Il est certain que le développement de sites internet mondiaux tels que Facebook et YouTube a favorisé la croissance de toutes sortes de vidéos, chaînes et succursales d’adeptes d’une vision conspirative mettant en scène des personnages tels que David Icke ou Alex Jones d'InfoWars, passés maîtres dans l'art de colporter des visions du monde dans lesquelles des Juifs, des banquiers, des fanatiques ou de mystérieuses sociétés secrètes «mondialistes» dirigent et manipulent le monde – au moment même où les organismes internationaux s'occupant de commerce mondial, de santé mondiale, de limitation des armements ou d'accords climatiques sont mis de côté par le repli sur eux mêmes des Etats-nations.
Sur Internet vivent et s'organisent les adeptes du «bien-être» individuel dont le corps est considéré comme un temple inviolable qu’aucun vaccin promu par l'État ne doit « contaminer »; leur aversion pour les «grands gouvernements» ou les «grandes entreprises pharmaceutiques» est partagée par les «libertaires» de gauche ou de droite qui sont convaincus que la propagation du Covid-19 est une politique délibérée des principaux États du monde afin de ficher et de contrôler leurs populations. Ceux qui brûlent les tours de télécommunication 5G se retrouvent ici aussi. En marge de ces mouvements, le bras armé de la petite-bourgeoisie frustrée, comme la fraternité Boogaloo qui adore les armes et qui promeut la «guerre raciale», crée (dans sa vision faussée) un espace pour son type particulier de chaos autogéré. Le mythe de l'individu robuste farouche défenseur du chacun maître chez lui si répandu dans la culture américaine - parmi eux les mask refusniks (ceux qui refusent de porter des masques de protection)- n'est que le reflet de la division extrême du travail exercée par le capital, dans laquelle chaque personne semble être réduite à un individu sans espoir et sans défense, ses moyens de subsistance étant séparés des produits de son travail.
Mais ce n'est pas le développement de la technologie qui est responsable de la résurgence et de la prolifération de ce type de sectes, le support de communication ne doit pas être incriminé pour le message qu’il émet. Le vrai responsable, c’est la décomposition du capitalisme lui-même. Et la classe dirigeante est parfaitement capable d'utiliser l’enfoncement dans sa propre putréfaction pour retourner ses effets contre la population et son ennemi de classe.
Nous avons déjà mentionné le fait que le président Trump a cité la Chine comme étant la responsable de la création et de la propagation du nouveau virus. Cela cadre parfaitement avec les intérêts impérialistes américains qui encouragent la diffamation et l'affaiblissement de leur principal rival. Trump est encouragé dans cette voie par le candidat démocrate à la présidence, Biden. Des partisans de Trump comme ceux de QAnon2 sont, quant à eux, heureux de présenter l'Amérique et le monde sous l'emprise d'une bande de gangsters et de traîtres (qui comprend de nombreux anciens présidents américains, mais exclut curieusement Reagan et Kennedy) où Trump et «quelques hommes courageux» sont les seuls véritables patriotes...3. Pour cette clique au pouvoir, les théories conspiratives sont un écran de fumée utile afin d’abuser les plus naïfs : le Covid-19 est un « canular », une fausse nouvelle, tout comme les allégations de primes russes pour le meurtre de soldats américains. Les démocrates qui proposent un large éventail de solutions «alternatives» à la pandémie et à la crise économique - utilisent également des théories du complot pour présenter la clique de Trump comme la seule cause du déclin de l'Amérique dans le monde, Trump étant la marionnette de Poutine en Russie. Des groupes « rationalistes » tels que l'Alliance pour la science démystifient les anti-vaxxers et leurs conspirations... tout en encourageant la production à but lucratif de denrées alimentaires génétiquement modifiées.
Dans le passé, en périodes de fléaux, bien que se manifestait aussi une certaine solidarité sociale face à la tragédie, on a tenté à plusieurs reprises de chercher des boucs émissaires. «La peste noire de 1347-1351, la maladie la plus meurtrière et la plus dévastatrice d'Europe, a déclenché des violences de masse : le meurtre de Catalans en Sicile, de religieux et de mendiants à Narbonne et dans d'autres régions, et surtout les pogroms contre les Juifs, avec plus d'un millier de communautés en Rhénanie, en Espagne et en France, et à l'Est sur de vastes étendues de l'Europe les membres de leur communauté étaient enfermés dans des synagogues ou rassemblés sur des îles fluviales et brûlés vifs - hommes, femmes et enfants».4 En Italie, les Flagellants avaient accusé les Juifs ainsi qu'une hiérarchie ecclésiastique corrompue d'avoir provoqué la colère de Dieu. Pour éviter de leur donner des armes pour se défendre, le pape Clément VI a absous les Juifs (mais aussi Dieu et l'Église, bien sûr) et a désigné comme responsable un mauvais alignement des planètes...
Ainsi, en plus de cibler les «étrangers», «l'autre» ou les minorités, la responsabilité des maladies mortelles pouvait également être imputée à la classe dirigeante : Périclès a eu honte de mener les Athéniens affaiblis par le virus contre leurs rivaux spartiates pendant la Peste d'Athènes, entre 430 et 426 avant J.-C., et pendant la Pandémie Antonine (il y avait beaucoup de ces maladies mortelles répandues dans l'Empire romain) de 165 à 190 après J.-C., puis entre 170 et 300, des matrones aristocrates ont été "jugées" et exécutées pour avoir "empoisonné" des membres masculins de la classe dirigeante qui avaient été victimes de la peste. Cette attaque impuissante contre les «élites» est un aspect important qui dicte la forme et la fonction des théories du complot à l'époque actuelle de décomposition et de populisme politique.5
Malgré les connaissances limitées de l'Antiquité (par exemple avec l'intuition de l'historien Thucydide selon laquelle la peste athénienne «était causée par l'entassement des paysans dans d’étroites habitations et des baraques étouffantes»), il était impossible autrefois d'avoir une compréhension scientifique de l'origine et de la transmission des fléaux. D'où la chasse aux boucs-émissaires et la prolifération des explications irrationnelles.
Aujourd'hui, l'humanité comprend davantage -du moins en théorie- ce qui se passe. Le génome Covid-19 (l'ensemble complet des gènes ou du matériel génétique présents dans une cellule ou un organisme) a été cartographié quelques semaines après sa découverte officielle au début de l'année. L'acceptation généralisée de théories complotistes sur l'origine de la pandémie et face aux tentatives de la soigner semble donc encore plus anormale, même si l'on tient compte du fait qu'il s'agit d'un nouveau virus dont nombre de facteurs de propagation sont pour l'instant encore inconnus.
Cependant, les fléaux et les pandémies sont le résultat de conditions sociales spécifiques et leur impact dépend également du contexte historique particulier dans lequel se trouve une société donnée. La crise de Covid-19 est le produit de la profonde décadence du capitalisme et de ses immenses contradictions, résultant de la juxtaposition d'avancées stupéfiantes dans toutes les branches de la technologie et de l'apparition de pandémies, de sécheresses, d'incendies, de la fonte des calottes glaciaires et du brouillard de pollution urbain. Tout cela trouve son expression au niveau idéologique, tout comme les disparités manifestes entre une paupérisation et un chômage croissants d'une grande partie de la population de la planète et l'enrichissement d'une minorité d'exploiteurs.
Les théories du complot rivalisent aujourd'hui avec les religions dans leur tentative de décrire et d'expliquer la réalité complexe : comme la religion, elles offrent des certitudes dans un monde incertain. Les différents mouvements prétendant dévoiler la «vérité» mettent en oeuvre les processus cachés et impersonnels du grippage de l'accumulation capitaliste en braquant les projecteurs sur des individus ou des cliques mystérieuses et interconnectées. Ils semblent convaincants dans la mesure où leurs «critiques» contiennent souvent quelques vérités fondamentales, par exemple que l'État est déterminé à collecter, rassembler et stocker toujours plus de données sur ses citoyens, ou qu'il existe un "une face cachée de l'Etat" (avec ses "hommes de l'ombre") qui agit et dirige derrière la façade de la démocratie.
Mais les théories du complot placent ces évidences mal digérées dans des cadres totalement faux, comme l'idée qu'il serait possible d'éviter le regard froid de la surveillance étatique (en se coupant des réseaux) sans détruire l'appareil d'État lui-même ou, dans le cas de «l'État profond», qu'il est le produit d'une cabale coopérant internationalement dans l’ombre, plutôt que l'expression de la domination du capitalisme d'État et de son évolution, une expression directe de la nature compétitive du capitalisme, dictée par la volonté de dominer ou de détruire des États rivaux dans une série de guerres de plus en plus barbares que chacun mène contre tous. Les théories du complot deviennent ainsi non seulement une mauvaise interprétation du monde mais aussi un blocage contre le développement de la conscience nécessaire pour le changer.6
Issu de la même méfiance profonde à l'égard des « élites » dirigeantes qui a conduit au phénomène populiste de ces dernières années, le goût pour les explications irrationnelles de la réalité s'est accompagné d'un rejet croissant de la science. D'où la frustration du Dr Anthony Fauci, l’autorité médicale reconnue par Donald Trump : « Il y a un sentiment général d'anti-science, d'anti-autorité, d'anti-vaccins chez certaines personnes dans ce pays qui touche de façon alarmante un pourcentage relativement élevé de personnes », a déclaré le principal porte-parole médical des États-Unis au sein de la Task Force de la Maison Blanche sur les coronavirus. Cet aveu vient d’une personnalité qui donne cependant une caution scientifique à l'administration Trump, pourvoyeuse de théories de complot par excellence ! En Grande-Bretagne, une commission de la Chambre des Lords (eh oui, il subsiste encore des Lords pour administrer ce Royaume !) enquêtant sur le pouvoir des médias numériques a été informée d'une "pandémie de mésinformation et de désinformation ... Si on les laisse prospérer, ces vérités contrefaites entraîneront l'effondrement de la confiance du public, et sans confiance, la démocratie telle que nous la connaissons déclinera et perdra tout simplement sa signification. La situation est grave à ce point ".
Mais si la classe dirigeante utilise et instrumentalise la science pour donner de la crédibilité à ses politiques - comme nous l'avons vu clairement au Royaume-Uni, où le gouvernement a d'abord joué avec une version à moitié vérifiée de la théorie de «l'immunité collective» pour justifier sa réaction totalement désinvolte à la pandémie - il n'est pas surprenant que la science elle-même perde de plus en plus de sa crédibilité. Et si la montée des «fausses vérités» conduit également, comme le craint le rapport de la Chambre des Lords, à une perte de conviction dans l'idée de démocratie, cela pose des difficultés encore plus grandes pour la capacité de la classe dirigeante à maintenir le contrôle de la société grâce à un appareil politique largement accepté par la majorité de la population.
Mais la perte de contrôle par la bourgeoisie ne contient pas en soi le potentiel d'un changement social positif. Sans le développement d'une alternative sérieuse à la domination bourgeoise, elle ne conduit qu'au nihilisme, à l'irrationalité et au chaos.
La cacophonie croissante des théories du complot - la prévalence de dénégations absurdes d'une réalité choquante et effrayante - ne repose pas seulement sur la perte de contrôle de la classe dominante sur son système économique et son propre appareil politique. Elle résulte avant tout d'un vide social, d'une absence. C'est l'absence de perspective - une vision alternative et dynamisante pour l'avenir mais ancrée dans le présent - découlant du relatif recul des luttes et de la conscience prolétarienne depuis une trentaine d'années qui contribue à la confusion sociale actuelle. En 1917, au milieu d'une guerre mondiale apparemment sans fin et expression de l'impasse dans lequel la société capitaliste plonge l’humanité, tuant des millions de personnes et détruisant des décennies de civilisation humaine accumulée, c'est la révolution russe, organisée et réalisée par la classe ouvrière elle-même, qui a inspiré une vague de mouvements révolutionnaires dans le monde entier, forçant la classe dirigeante à mettre fin à la guerre et offrant la possibilité d'une autre façon d'organiser le monde, fondée sur le besoin humain. L'humanité a payé au prix fort l'échec de l'extension du pouvoir soviétique né en Russie à travers le monde, le condamnant ainsi à la dégénérescence interne et à la contre-révolution.
Du point de vue de la classe dominante, la révolution prolétarienne n'est elle-même possible qu'à la suite d'une conspiration : la Première Internationale a été dénoncée comme la main cachée derrière toute expression de mécontentement de la classe ouvrière dans l'Europe du XIXe siècle ; l'insurrection d'Octobre n'était qu'un coup d'État de Lénine et des bolcheviks. Mais si les idées communistes ne sont la plupart du temps avancées que par une minorité du prolétariat, la théorie révolutionnaire peut à certains moments devenir évidente pour un grand nombre de personnes dès lors qu'elle commence à sortir de la torpeur où la maintient l'idéologie dominante, et se transforme ainsi en «force matérielle». Des changements aussi profonds dans la conscience des masses peuvent être encore très loin devant nous, mais la capacité de la classe ouvrière à résister aux attaques du capitalisme laisse également entrevoir cette possibilité dans le futur... Nous l'avons vu de manière embryonnaire au début de la pandémie, lorsque les travailleurs ont refusé d'aller «comme des agneaux à l'abattoir» dans des usines et des hôpitaux, sans protection au nom des profits du capitalisme. Et si les conditions actuelles de la maladie et l’orchestration de campagnes idéologiques bourgeoises comme celles du mouvement Black Lives Matter entravent la capacité du prolétariat international à s'unir, les terribles privations qui se déroulent actuellement - taux d'exploitation croissants pour les travailleurs, développement du chômage de masse dans le monde entier - l'obligeront à affronter toutes les fausses visions qui nuisent à sa conscience de ce qui doit être fait.
Robert Frank, 7 juillet 2020
1 Les pandémies résultent de la destruction de la nature, selon l'ONU et l'OMS, The Guardian, 17 juin 2020. [166]
2 NdT. Groupe composé de partisans de Donald Trump répandant la théorie selon laquelle existerait une conspiration secrète contre le président actuel des Etats-Unis d’Amérique.
3 Voir par exemple les vidéos de l'organisation QAnon, dont Le Plan pour sauver le monde.
4 Pandémies : vagues de maladie, vagues de haine de la peste d'Athènes au SIDA par Samuel K. Cohn. [167] L'auteur soutient de façon controversée que, malgré les boucs émissaires et les meurtres de masse de Juifs à l'époque de la peste médiévale et d'autres exemples cités par lui-même, cette «culture de la haine de l’autre» n'a pas encore fait pencher le fléau de la balance du côté négatif par rapport aux démonstrations de solidarité sociale face aux catastrophes provoquées par la maladie. Voir également les Epidémies de Cohn : Haine et compassion de la peste d'Athènes au SIDA, Oxford University Press
5 Voir notre article "L’élection de Trump et le délitement de l’ordre capitaliste mondial", Revue Internationale no 158, printemps 2017 [168]
6 Voir notre article en anglais « Marxism and conspirative theories » [169]
Un proche sympathisant du CCI lance un appel aux organisations du milieu prolétarien afin qu'elles prennent leur responsabilité en réponse aux dangereuses manoeuvres d'un aventurier.
Je voudrais exprimer mon soutien total au texte sur Gaizka publié par le CCI.[1] Avant toute chose, il faut souligner que le CCI n'a pas publié l'article sur Gaizka dans la perspective d'une attaque contre cette personne (son vrai nom a été soigneusement omis) mais comme l'identification d'un élément opportuniste et aventurier qui est en mesure de faire dérailler le milieu. Plus largement, l'article du CCI vise à mettre le doigt dans la plaie au regard de la faiblesse programmatique et organisationnelle du milieu dont l'acceptation de Nuevo Curso (NC) en son sein est une expression. Le dernier article, de pair avec celui sur l'histoire de la dénommée "Gauche Communiste Espagnole"[2], dévoile la nature frauduleuse de la politique de Nuevo Curso. Ses ouvertures au Trotskysme historique ont été critiquées de manière pertinente comme étant contraire aux positions programmatiques de la gauche communiste. Alors pourquoi publier un article sur l'élément moteur dans Nuevo Curso ? L'existence de NC démontre combien il est facile que le milieu soit séduit par des éléments aventuriers. Dans ce qui suit je veux mettre en évidence certaines des questions que la montée de Gaizka pose pour le milieu.
La nature des éléments aventuriers.
Notre but ici n'est pas de répéter ce qui a déjà été confirmé au regard de la nature de cet élément particulier en Espagne. Mais il me semble que la nature de ces éléments aventuriers doit être comprise dans une perspective historique. L'histoire du prolétariat et l'histoire de ses organisations politiques a été entachée par l'apparition de "grands leaders" qui ont essayé d'utiliser ces mouvements pour leur propre gloire personnelle. L'un des principaux exemples fut Lassale mais il y en a eu d'autres. Mais l'aventurisme doit trouver un terrain fertile pour pouvoir couver. Nous devons considérer les raisons pour lesquelles certains éléments éparpillés et faiblement politisés sont en mesure de créer un autre groupuscule se réclamant de la "Gauche Communiste" pouvant tout aussi bien se regrouper sous la direction de n'importe quel autre groupe appartenant au milieu. Et pourquoi d'autres groupes sont enclins à accepter l'existence de tendances qui sont clairement en contradiction avec leur propre programme ?
Historiquement, comme les textes publiés par le CCI sur l'aventurisme l'ont montré, la prédominance des éléments aventuriers est avant tout basée sur la faiblesse du milieu prolétarien à un moment historique donné. Cela ne veut pas dire que les organisations sont impuissantes à agir dans un moment historique difficile pour les communistes, mais il faut une solidité organisationnelle et théorique forte pour pouvoir aller contre le courant.
En d'autres termes, il est impératif que le milieu soit en mesure de faire face à une attaque sur les principes théoriques. Il devrait y avoir une réflexion globale sur pourquoi et comment nous sommes actuellement hantés par des éléments qui cherchent à s'écarter de la tradition de la Gauche Communiste. Globalement, le problème semble résider dans la faiblesse du milieu. Mais avant d'aller plus loin sur ce sujet, il pourrait être intéressant de comprendre comment une nouvelle organisation peut légitimement devenir partie intégrante du milieu. Ce faisant, nous défendons le concept de milieu, précisément parce qu'il nous empêche de mettre notre héritage entre parenthèses chaque fois qu'un nouveau groupe apparait et parce que cela délimite ce qui peut être légitimement retenu pour être considéré comme "communiste". Par ailleurs, cela permet d'exclure ce qui, sur les bases de l'expérience historique, ne pourra jamais être une position de la classe ouvrière.
Et pourtant, il est possible de faire partie du milieu avec de nouvelles idées et de le rejoindre ou comme nouveau groupe, ou au sein de groupes déjà existants, avec des positions qui peuvent sembler déranger l’opinion commune. De fait, c'est précisément le combat féroce contre le dogme de la Seconde Internationale qui a permis aux Fractions de Gauche de rompre sur une base claire avec la vieille organisation et de maintenir le noyau prolétarien. Cependant, il ne peut y avoir de théorie qui ne se développe sans confrontation avec la réalité ni à travers le débat avec les autres groupes politiques déjà existants. Et nous ne pouvons pas ignorer ce qui a déjà été maintes fois prouvé par l'Histoire, par exemple le rôle réactionnaire des syndicats. Pour nous communistes, il ne peut y avoir de réinvention de la roue : à l'heure actuelle, au vu de la fragilité de notre courant politique et de la distribution démographique de nos militants et, plus important encore, le difficile moment politique dans lequel nous nous trouvons (avec les frontières, le populisme, les politiques de culpabilisation, etc...), tout germe de doute politique portant sur les principes de base est quasi-suicidaire. En défendant le milieu et les (non reconnus) points de consensus qu'il représente, il serait complètement impensable qu'un groupe représente à la fois une organisation communiste et une organisation bourgeoise.
Bien sûr, il est impossible de vivre et travailler sous le capitalisme sans en subir l’influence, mais il y a une différence notable avec le fait de travailler comme conseiller pour une personnalité politique en supportant activement un parti bourgeois et son idéologie. Si une telle double représentation des causes bourgeoise et communiste était acceptée, cela obscurcirait la signification du communisme et brouillerait la voie vers laquelle la classe ouvrière doit diriger son attention.
Comme cela a été dit précédemment, la rupture est nécessaire. Aucune de ces deux conditions, pourtant élémentaires, n'a été garantie par la figure dominante de Nuevo Curso. Nulle explication sur les oscillations politiques de Gaizka n'a été fournie et son organisation n'a pas non plus défini fondamentalement ses différences en relation avec les autres groupes. Et, devrions-nous noter, elle n'a pas fourni non plus une véritable défense de l'existence de la dénommée Gauche Espagnole. La clarté de la théorie communiste doit être assurée par le débat, en développant ouvertement un ensemble de positions partagées qui définissent la politique communiste. Malheureusement, le milieu semble incapable de cela.
Cela nous place dans une position politique particulièrement difficile, dans laquelle les éléments aventuriers sont en mesure de grandir de façon désinhibée et de gagner une légitimité non méritée. Il serait ridicule de dénier la possibilité de différences légitimes sur des points programmatiques entre groupes communistes. Mais il est d'une importance vitale de ne pas laisser les portes ouvertes aux manoeuvres des aventuriers et des positions gauchistes, ce qui ne semble guère acquis si nous laissons rentrer sans entraves des éléments tels que Nuevo Curso. Les groupes parasites comme le dénommé Groupe International de la Gauche Communiste (GIGC) persistera, sans aucun doute, à défendre l'exact opposé de la position du CCI en saluant l'apparition d'un nouveau courant parmi d'autres dans la mesure où cela sert leur objectif de faire imploser le milieu pour leurs propres buts qui sont de liquider la théorie et l'organisation. Cela démontre encore davantage leur objectif ultime et leur haine sous-jacente de la clarification, leur amour du "choix", c'est à dire la démocratie et leur incapacité à engager des discussions sans considérer leurs opinions comme leur propre propriété personnelle. Cette erreur les conduit à déformer les critiques actuelles à l’encontre de Nuevo Curso en les assimilant à de la diffamation et comme cela est leur propre modus operandi, ils sont de fait incapables d'envisager les choses sous un autre angle.
Nous ne pouvons contester le fait que de nouveaux arguments ou des théories révisées ne pourraient pas être valides dans le débat politique entre groupes. L'invocation d'une soi-disante "Gauche Espagnole" est à la fois la conséquence et le symptôme d'un refus de débattre au sein du milieu, c'est à dire de tracer ce qui devrait légitimement subsister et cela est, par conséquent, un obstacle à la capacité du milieu d'avancer vers une plate-forme commune. La création d'une nouvelle tradition communiste revient à esquiver le débat et est l'expression de la nature fondamentalement parasitaire de ce groupe. Nous devons donc nous demander : qu'a fait le milieu jusque maintenant ? De manière générale, il a accepté l'existence de nouveaux éléments et a failli à engager la critique en partant de ses positions. Les textes traduits qui émanent de Nuevo Curso sont présentés par d'autres groupes avec peu ou pas de commentaires sur ses déviations politiques. Apparemment, pour certains éléments du milieu, la révérence envers le "miracle" de l'émergence de nouveaux éléments les conduit à adopter une attitude presque dévote envers tout nouveau élément qui apparait.
La période semble duper la plupart des groupes politiques actuels. Certains jeunes éléments, guidés par leur propre venue aux positions communistes, tendent à croire que le parti serait sur le point d'être fondé dans un futur (très) proche. L'erreur fondamentale est de penser que même si nous étions capables de regrouper la Gauche Communiste en une seule organisation, celle-ci deviendrait instantanément le "parti".
Ce ne peut être un parti car il n'a actuellement aucun impact sur la classe ouvrière : ce serait juste encore un autre parti, impossible à discerner de tous les autres petits partis gauchistes au contenu vide. Ce serait absurde de se "regrouper" juste pour se regrouper. Au contraire, ce qui est nécessaire pour le moment est une discussion théorique vigoureuse pour qu'à l'avenir un tel regroupement sur une solide base organisationnelle et théorique soit possible.
Je salue le travail effectué par le CCI pour identifier d'un point de vue théorique les racines de Nuevo Curso et pour détailler de quelle manière un aventurier tel que Gaizka a été capable, sous couvert d'une "nouvelle théorie", d'entrainer des éléments en recherche dans le marais entre le communisme et le gauchisme. Je peux seulement souhaiter de tout coeur que le milieu sera en mesure de surmonter ses faiblesses pour pouvoir commencer à réinitier les débats qui sont indispensables afin de commencer un processus de nécessaire solidification programmatique, et par conséquent, d'exclure des éléments qui ne se rapprochent pas activement de ces positions.
Merwe, 10-07-2020
Les défaites sont toujours douloureuses pour le prolétariat. Cependant, en tant que classe exploitée et révolutionnaire à la fois, elle n'a pas d'autre école que de tirer les leçons de ses défaites. Ces leçons arment sa conscience, la renforcent et finissent par nourrir sa détermination et sa combativité. Comme l'a dit Rosa Luxemburg, pour le prolétariat, "Ses erreurs sont aussi gigantesques que ses tâches. Il n'y a pas de schéma préalable, valable une fois pour toutes, pas de guide infaillible pour lui montrer le chemin à parcourir. Il n'a d'autre maître que l'expérience historique. Le chemin pénible de sa libération n'est pas pavé seulement de souffrances sans bornes, mais aussi d'erreurs innombrables. Son but, sa libération, il l'atteindra s'il sait s'instruire de ses propres erreurs ».[1] La lutte chez Nissan a été une défaite : en échange de compensations et d'une vague promesse de "plans de réindustrialisation", 2500 travailleurs de l'usine de la Zone Franche de Barcelone perdent leur emploi et 20 000 travailleurs des entreprises sous traitantes voient leur emploi pratiquement supprimé. D'un coup de plume, le Capital a imposé 23 000 licenciements. C'est la dure réalité.
Les syndicats sont des appareils qui travaillent main dans la main avec les entreprises et les gouvernements pour imposer l'ordre capitaliste au travail. Cependant, leur fonction principale est de saboter de l'intérieur la lutte des travailleurs et ils le font en verrouillant le combat au sein de l'entreprise ou du secteur. De cette façon, les travailleurs sont isolés et tous les instruments de l'État capitaliste sont abattus sur eux, imposant finalement la démoralisation et la défaite. Chez Nissan, ils ont empêché les travailleurs de se tourner vers leurs camarades d'autres entreprises et ont détourné les actions vers le cassage des vitrines des concessionnaires Nissan ou vers une voie épuisante à Corrales de Buelna où l'entreprise avait auparavant promis de maintenir la production en opposant les travailleurs de cette usine à leurs camarades de Barcelone"[2]. Lorsqu'ils font taire la réaction des travailleurs, les syndicats signent ce que veulent les patrons, mais ils enjolivent leurs accords de miettes et de vagues promesses. Souvenons-nous que Sony, Delphi et bien d'autres entreprises ont promis de "nouveaux emplois" dans de "nouvelles entreprises" qui n'ont jamais été ouvertes[3].
Les syndicats ont célébré bruyamment "l'accord" de 23 000 licenciements. Le CCOO (syndicat Commissions Ouvrières) proclame qu'il "donne la priorité à la réindustrialisation des usines pour éviter les licenciements traumatisants et garantir un maximum d'emplois", l’UGT promet que "tous ceux qui le souhaitent auront un emploi", et que "les indemnités seront énormes, substantielles, au même niveau que les préretraites". La CGT, syndicat "radical", y voit la "première phase de la réindustrialisation de nos usines". Pour les anticapitalistes "critiques" de Podemos, l'accord "donne le temps de mettre en place un plan de reconversion durable pour assurer les 25 000 emplois". Ces démarches sont, d'une part, une promesse qui ne sera jamais tenue, mais, d'autre part, elles tendent un piège au prolétariat en l'attachant pieds et poings liés au char du capital.
Ils parlent de "futures entreprises", de "réindustrialisation". Ils veulent ainsi nous convaincre que notre vie dépend de l'accumulation, des investissements, des gains en capital et de l'économie nationale. Ils veulent que nous nous appropriions les besoins du capital, et ils ont le culot de se présenter comme des "anticapitalistes" et des "combattants du socialisme" ! Ils cachent la vérité : la vérité est que le capitalisme est en pleine crise brutale, peut-être la pire depuis 1929, et qu'avec la COVID 19 il menace nos vies, et dans ces conditions l'"horizon" de l'"industrialisation" et de la "création de nouvelles entreprises" est une utopie réactionnaire qui nous enchaîne à ce qui intéresse le capital, c'est-à-dire "être compétitif" dans la jungle du marché mondial. Etre "compétitif" signifie moins d'emploi, moins de salaire, moins de retraite, la dégradation des conditions de vie. Il n'y a pas d'autre moyen pour l'économie nationale et les entreprises de maintenir leurs profits et leurs positions sur le marché mondial ! Et ils cachent ce dont nous avons réellement besoin en tant que classe ouvrière : lutter pour nos besoins humains de manger, de vivre, de donner un avenir à nos enfants, défendre nos conditions de vie, ce qui nous amène nécessairement à affronter le capital et son État, à rechercher notre unité en tant que classe internationale et à développer la perspective de la révolution prolétarienne mondiale.
Dans l'appareil politique du capital, il y a un arc-en-ciel qui va de l'extrême droite à l'extrême gauche, en passant par toutes les couleurs intermédiaires comme le vert des écologistes. Du côté de l'extrême gauche, il y a des groupes comme Courant Rouge qui reconnaissent certaines vérités, mais au bout du compte, leur méthode finit par être le moyen de continuer à défendre le Capital parce qu'il ne faut pas oublier que le pire mensonge est une demi-vérité.[4] Dans un texte paru dans Kaosenlared[5], intitulé "Nissan : le pire dans une grande défaite est de la présenter comme une grande victoire", il dénonce qu'avec des promesses et des compensations, les syndicats nous ont fait avaler 23.000 licenciements. Il dénonce également le Front commun que les syndicats ont organisé contre les travailleurs de Nissan, l’ "indépendantiste" Torra, le ministre Reyes Maroto, le maire de Barcelone, Ada Colau et l'organisation patronale Fomento del Trabajo. Tous se sont unis contre la classe ouvrière. Il prévient que la défaite chez Nissan "laisse les patrons libres de procéder à des licenciements, des restructurations et à une dégradation générale des conditions de salaire et de travail. D'autant plus que les patrons ont vu la passivité complice avec Nissan du gouvernement du PSOE-UP et de la Generalitat de Torra et Aragon". Il dénonce le fait que les travailleurs des entreprises sous-traitantes vont descendre dans la rue dans des conditions bien pires que celles de leurs collègues de la société mère Nissan. Nous voulons ici dénoncer une pratique généralisée du Capital au cours des trente dernières années visant, entre autres, à nous DIVISER : dans les grandes usines de production, par exemple dans l'industrie automobile, oeuvrent non seulement les travailleurs du personnel de la grande entreprise (Nissan, Ford, GM etc.), mais aussi de nombreux autres travailleurs qui appartiennent à des centaines de petites entreprises. Mais en même temps, dans les parcs industriels voisins ou même dans d'autres pays, il existe un énorme réseau d'entreprises sous traitantes qui fabriquent des pièces automobiles. Tous ces travailleurs ont des conditions de travail bien pires que celles de leurs frères et sœurs de l’entreprise mère et, en cas de licenciement, leurs indemnités sont plus que misérables.
Cependant, les travailleurs des sociétés mères ne sont pas "privilégiés". La compensation, comme le dit Courant Rouge, est "du pain pour aujourd'hui et la faim pour demain" car les emplois détruits ne seront jamais remplacés ou s'ils le sont, c'est dans des conditions bien pires de rémunération, de travail, de retraite, de précarité, etc. Depuis 40 ans, nous assistons à une chute globale et permanente des conditions de travail et de vie de l'ensemble de la classe ouvrière mondiale, même si en cours de route tel ou tel travailleur individuel a "bénéficié" de compensations plus ou moins « juteuses »[6].
Tout ce que Courant Rouge dénonce est vrai, mais son piège, en premier lieu, réside dans l'"explication" qu'il donne des raisons pour lesquelles les syndicats ont vendu les travailleurs. A tout moment, il ne parle pas des syndicats mais de "directions syndicales". Il dénonce la "stratégie syndicale pour organiser la défaite" en disant qu'il s'agit d'une "stratégie des directions syndicales dirigée depuis le début pour organiser la défaite et sauver la face, un art dans lequel elles sont des spécialistes". Afin de redorer le blason des syndicats et de maintenir la confiance des travailleurs en eux, Courant rouge, les trotskystes, etc... parlent d'une "division" entre la "base" et la "direction". La base serait "ouvrière" et donnerait aux syndicats le caractère d'"organes prolétariens", tandis que la direction serait "bourgeoise", "traîtresse", "vendue", etc... Ce faisant, ils cachent le fait que les syndicats ont été intégrés à l'État dès la Première Guerre mondiale, devenant des appareils au service du Capital.[7] Ces derniers sont une prison où les travailleurs qui y entrent ne sont là que pour obtenir certains avantages individualistes (maisons de vacances, services juridiques, etc.) ou bien, s'ils veulent défendre leur classe, ils sont obligés de suivre une ligne directrice qui va à l'encontre et contre leurs intérêts de classe. La "base" ne fait pas du syndicat un organe ouvrier mais est la chair à canon, la masse de manœuvre, que le syndicat utilise pour soumettre les travailleurs au Capital et saboter leurs luttes.
Les directions syndicales sont la structure hiérarchique dont l'appareil syndical a besoin pour s'intégrer au service du Capital et de son État. C'est pourquoi les dirigeants seront toujours anti-ouvriers ! Les trotskystes, les gauchistes, présentent régulièrement des "candidats combatifs" qui entendent "renouveler le leadership" et le "mettre au service de la base". Il en résulte que certains élus deviennent encore plus bureaucratiques que les dirigeants syndicaux ou sont comme un embellissement "radical" de la politique syndicale. La preuve de la fausseté des "explications" de Courant Rouge sur la "direction perfide" est donnée par le fait que la CGT s'est comportée comme le grand syndicat "officiel" : "La CGT a eu une magnifique occasion de montrer qu'elle était un syndicat de classe et militant contre l'officialité. Mais ce que nous avons vu, c'est sa faillite en tant que syndicat alternatif" puisque "Au nom de l'"unité" d'en haut avec les bureaucrates, la CGT a signé tous les communiqués des comités d'entreprise, n'a pas organisé la lutte des ouvriers des entreprises sous-traitantes, n'a pas travaillé à l'organisation d'une grande manifestation centrale, ni au blocage de la zone franche, ni à la promotion d'une grève générale. Au contraire, dans le communiqué final, elle apporte son soutien à l'accord de fermeture.
Les syndicats ne pourront jamais être reconquis par la classe ouvrière ! C'est une autre illusion démoralisante vendue par Courant rouge, les trotskystes et autres gauchistes. Syndicats "officiels", syndicats "alternatifs", syndicats "d'assemblée", syndicats "anarchistes"... tous sont des syndicats et donc des appareils d'État au service du capital[8].
Le second mensonge de Courant Rouge, qui le place dans la même veine que les syndicats, le patronat, le gouvernement central et le gouvernement "pro-indépendance", est qu'il présente la lutte de Nissan comme la lutte "de toute l'industrie automobile et de toute la classe ouvrière catalane". Leur lutte a été un signal pour toute la classe ouvrière, les patrons et les gouvernements, et leur sort a été décisif pour l'avenir de l'automobile et de l'industrie. Courant Rouge dit la même chose que ses "critiques" : l'avenir de l'automobile et de l'industrie, l'avenir de la classe ouvrière "catalane". En d'autres termes, il enferme les travailleurs dans la prison des intérêts des secteurs productifs, de la nation catalane, de l'accumulation du capital. Courant Rouge ne parle pas du tout de l'avenir du prolétariat, de l'avenir terrible que le capitalisme en crise et en décomposition contient, ni de la défense des conditions de vie et de travail des travailleurs, de leur solidarité, de leur auto-organisation, de leur unité internationale... Tout cela est un langage que Courant Rouge ne veut pas que les travailleurs utilisent, de sorte qu'ils ne parlent que de "l'industrie", de "l'automobile", de la Catalogne... c'est-à-dire le langage du capital. Courant Rouge ne s'intéresse pas à l'intérêt de la classe ouvrière (qui est historiquement l'avenir de l'humanité) mais seulement au Capital espagnol, et cela se révèle lorsqu'il regrette que l'accord avec Nissan "laisse les mains libres au gouvernement Sanchez pour aller de l'avant avec un "plan de reconstruction" adapté aux besoins des entreprises de Ibex et des multinationales étrangères. Comme ceux de l'industrie automobile, qui condamnent les usines espagnoles à assembler des voitures à combustion, tout en réservant les activités de plus grande valeur technologique et la production de la voiture électrique à leurs pays d'origine". Il accuse le gouvernement Sanchez de ne pas être "très espagnol" et de laisser les "voitures à combustion" à l'Espagne. Courant Rouge est aussi espagnol que Vox !
La "solution" proposée par Courant Rouge est que "seule la nationalisation a permis non seulement de sauver tous les emplois menacés, mais aussi d'avoir une grande entreprise publique qui, sous le contrôle des travailleurs eux-mêmes, prendrait la tête de la tâche de reconversion écologique du secteur automobile et sauverait les emplois".
Qu'elle soit publique ou privée, la classe ouvrière continue à être exploitée, à être soumise au travail salarié, à produire de la plus-value, c'est-à-dire qu'elle continue à être soumise aux lois du capital. Dans l'article susmentionné sur les luttes en Espagne (voir note de bas de page n°2), nous avons exposé le piège des nationalisations faites par nos prédécesseurs de la Gauche communiste mexicaine. Les nationalisations sont un instrument du capitalisme d'État, une tendance universelle du capitalisme décadent pour affronter la crise et la classe ouvrière.
La confusion sophistiquée faite par les gauchistes et, en général, la gauche du capital, entre nationalisation et socialisme, repose d'abord sur la négation du caractère international de la révolution prolétarienne et de la monstruosité du "socialisme dans un seul pays". Avec le sophisme "nationalisation = socialisme", ils nous ont mis en tête que le socialisme défendrait la nation. Cette falsification est basée sur une erreur qui s'est répandue dans le mouvement ouvrier de la Deuxième Internationale et que la Troisième Internationale n'a pas réussi à combattre avec suffisamment de force : l'identification du capitalisme avec la propriété privée. Engels a déjà combattu cette grave erreur en soulignant que "l'État moderne, quelle que soit sa forme, est une machine essentiellement capitaliste, c'est l'État des capitalistes, le capitaliste collectif idéal. Et plus elle assume de forces productives dans la propriété, plus elle devient un capitaliste collectif et plus elle exploite ses citoyens. Les travailleurs sont toujours des ouvriers salariés, des prolétaires. Le rapport capitaliste, loin d'être aboli par ces mesures, est aiguisé"[9]. Si, contrairement à l'analyse d'Engels partagée par Marx[10], on part de cette identification que la propriété privée = le capitalisme, on finit par conclure que "toute modification visant à limiter cette propriété privée signifierait limiter le capitalisme, le modifier dans un sens non capitaliste, par opposition au capitalisme, anticapitaliste" comme le dit très clairement notre ancêtre de la Gauche Communiste de France[11] qui dénonce que "Tous les protagonistes "socialistes" des nationalisations, du dirigisme économique, et tous les faiseurs de "plans" et surtout les trotskystes pour qui "les nationalisations sont, en tout cas, un affaiblissement de la propriété privée capitaliste, pointent du doigt cette théorie de l'Etat capitaliste anti-capitaliste. Bien qu'ils ne les appellent pas - comme le font les staliniens et les socialistes - "îlots de socialisme" sous le régime capitaliste, ils sont néanmoins convaincus qu'ils sont "progressistes".
La classe ouvrière ne doit pas compter sur les nationalisations, les promesses d'investissement, les "plans d'État", elle doit compter uniquement sur sa lutte en tant que classe, pour les revendications des travailleurs, auto-organisés en Assemblées générales en dehors et contre les syndicats et autres serviteurs du capital, des luttes qui doivent chercher leur extension, construire l'unité de la classe ouvrière dans la perspective de la révolution prolétarienne mondiale, seule voie de sortie de la crise et de la barbarie du capitalisme.
Smolnys, Accion Proletaria (section du CCI en Espagne).
31-8-20
[1] Rosa Luxemburg, La crise de la Social Démocratie.
[2] Voir notre article en espagnol : « Luttes ouvrières en Espagne » [172].
[3] Sur la lutte ouvrière à Delphi voir nos tracts “Delphi: la force des travailleurs est la solidarité » [173] et « Fermeture de Delphi: Seule la lutte massive et solidaire est notre force » [174]
[4] Pour savoir qui est Courant rouge et ses procédures de tromperie "radicales", lisez notre article en espagnol "Courant rouge : un chat pour un lièvre". [175]
[5] [176]"Nissan : le pire dans une grande défaite est de la présenter comme une grande victoire" [176]
[6] Nous devons signaler que ces indemnisations ne sont nullement un cadeau. Ils viennent de la bourse énorme qu’est la plus-value qui est globalement volée aux ouvriers, même dans la majorité des cas si elles sont ’ils sont plus« généreuses » en c’est en tant qu’arme politique pour mieux diviser les ouvriers, mettre fin à leurs luttes ou pour éviter qu’elles aillent beaucoup plus loin.
[7] Voir notre série Les syndicats contre la classe ouvrière. [177] Ainsi que, en espagnol, les "Notes sur la question syndicale [178]".
[8] Voir notre article en espagnol : « Un nouveau syndicalisme est-il possible ? » [179]
[9] Voir F. Engels, Du socialisme utopique au socialisme scientifique.
[10] Voir Karl Marx, Critique du programme de Gotha ainsi que « Communisme contre le socialisme d’Etat » [180] dans notre série sur le communisme, Revue internationale n°78, 3e trimestre 1994.
Nous publions ci-dessous un autre article du CCI, traduit de l'anglais, sur la tragédie des migrants du camp de Moria.
Dans la nuit du mercredi 9 septembre, le camp de réfugiés de Moria à Lesbos a brûlé. Près de 13 000 réfugiés, dont un tiers de mineurs et environ la moitié d'enfants de moins de douze ans, ont dû fuir les flammes - désormais exposés à la nature et plus ou moins abandonnés à eux-mêmes. Le camp de réfugiés, qui a été conçu pour 2 900 détenus, a accueilli environ 13 000 réfugiés. Lorsque la nouvelle de l'infection au Coronavirus de certains détenus s'est répandue et qu'une quarantaine a été ordonnée par les autorités, l'incendie a éclaté peu après. Les autorités ont accusé les réfugiés qui ne voulaient pas être mis en quarantaine d'avoir provoqué l'incendie. Les politiciens parlent d'une catastrophe humanitaire, mais en réalité, ce sont eux qui ont jeté de l’huile sur le feu.
Le fait est que depuis des années, l'UE mène une politique de fermeture des frontières aux réfugiés en leur bloquant la route des Balkans, en les confinant dans des camps, en rapatriant ceux appréhendés illégalement, en dissuadant ceux qui veulent prendre les bateaux sur la Méditerranée, en n'acceptant pas ou en retardant l'accueil des rescapés etc. Cette politique de construction de murs, de bouclage et d'expulsions ne se limite pas à l'UE. Elle est menée par les États-Unis - bien avant que Trump ne promette son " mur" - ainsi que par d'innombrables autres pays. Selon les chiffres officiels, 80 millions de personnes dans le monde sont en fuite, à la recherche désespérée d'un endroit où vivre et d'un avenir. Entre-temps, les gigantesques camps de réfugiés permanents des Rohingyas au Bangladesh, les réfugiés somaliens au Kenya (Dadaab), au Soudan, en Libye, ou les camps de fortune plus petits, par exemple sur la côte française en face de l'Angleterre, sont devenus une réalité quotidienne - en plus des innombrables personnes qui ont fui en raison du chaos politique et économique croissant, comme au Venezuela, ou de la destruction de l'environnement et du désastre écologique, et qui contribuent à la croissance rapide des bidonvilles dans les mégapoles d'Afrique, d'Amérique du Sud et d'Asie. Les camps de réfugiés et les bidonvilles des métropoles sont les deux faces d'une spirale de destruction, de guerres, de barbarie. En outre, le règne de la terreur (par exemple contre les Ouïgours, les Kurdes, etc.) et les pogroms dans de nombreuses régions font de la vie un enfer pour de plus en plus de gens.
Seule une petite partie de cette masse de personnes déplacées a atteint les côtes de la Méditerranée ou les frontières des États-Unis, où elles espèrent trouver un moyen de rejoindre les pays industrialisés, presque toujours au péril de leur vie. Mais la classe dirigeante a fermé les frontières. Fini le temps où les esclaves étaient volés en Afrique et exploités sans limites dans les plantations aux États-Unis, fini le temps où ils payaient des primes pour la main-d'œuvre bon marché de la Méditerranée, comme dans les années 1950 et 1960. Aujourd'hui, l'économie mondiale gémit sous le poids de sa crise - et pas seulement depuis la pandémie de la Covid-19, où tout s'est à nouveau détérioré de façon spectaculaire. Aujourd'hui, ce sont surtout les travailleurs bien formés qui sont recrutés de manière très sélective... les autres sont censés survivre ou périr.
Parce que la combinaison de différents facteurs (guerre, destruction de l'environnement, crise économique, répression, catastrophes de toutes sortes) pousse de plus en plus de personnes à fuir, et qu'un nombre considérable d'entre elles se dirigeront vers les centres industriels, les niveaux de dissuasion les plus élevés possibles ont été établis. Ainsi, le conseiller du gouvernement allemand Gerald Knaus de l'Initiative européenne pour la stabilité a déclaré le 10 septembre sur la radio d'État allemande Deutschlandfunk : "Le ministre grec des réfugiés Notis Mitarakis dit que les gens devraient rester à Moria ou à Lesbos. Le camp a brûlé, les gens n'ont pas d'abri, ils sont assis dans la rue, c'est la perte totale de contrôle. (...) Et pourtant, le gouvernement grec n'exige pas de soutien extérieur. Pourquoi ? La réponse est évidente. Ces mauvaises conditions sont délibérées. Il s'agit d'une politique de dissuasion. Sur l'île, les tensions sont énormes. Les nationalistes grecs ont attaqué les organisations d'aide humanitaire. Il y a des groupes radicaux qui s'attaquent aussi aux demandeurs d'asile. (...) Faire partir les gens rapidement est dans l'intérêt de l'île, dans l'intérêt des migrants. Pourquoi y sont-ils détenus alors qu'ils savent (...) qu'aucune de ces personnes ne sera renvoyée en Turquie. (...) Il n'y a pratiquement plus d'expulsions en raison des restrictions de la Covid. (...) Cela signifie que nous avons beaucoup, beaucoup de personnes qui ont besoin de protection et beaucoup, beaucoup de migrants en situation irrégulière (...) qui sont détenus pour une seule raison : pour être dissuadés". La fermeture de la route des Balkans vise à "empêcher les gens de quitter la Grèce par la frontière nord, ce qui n'a de sens que si l'on dit ensuite que les gens en Grèce devraient y connaître des conditions si mauvaises que l'afflux en Grèce, c'est-à-dire dans l'UE, s'arrête". Ceci a une conséquence évidente : des conditions insupportables non seulement dans les camps de réfugiés, mais aussi pour les habitants locaux, dont certains attaquent ensuite violemment les réfugiés. Les réfugiés sont alors confrontés aux fils barbelés, au pouvoir armé de l'État et à la violence des bandes nationalistes... La même politique est également menée au large des côtes italiennes, où les réfugiés sauvés de bateaux en mauvais état en Méditerranée doivent être empêchés d'atteindre le continent européen le plus longtemps possible.
Cette tactique de dissuasion est d'ailleurs présentée aux réfugiés potentiels dans les médias sociaux par les institutions gouvernementales allemandes et européennes en Afrique et dans d'autres centres de rétention des réfugiés. Le message est le suivant : "Nous vous détiendrons aussi longtemps que possible, aussi brutalement, aussi inhumainement que des prisonniers et vous laisserons mourir misérablement dans des camps de réfugiés encore pires qu'en Afrique et en Asie, entourés de fils barbelés et de fortifications ; restez où vous êtes, même si vous n'avez plus de maison". Lorsque les politiciens parlent de "catastrophe humanitaire" dans cette situation, ils dissimulent le fait que ces personnes sont en réalité les otages de la politique de ce système, qui est défendu par la classe dirigeante par tous les moyens et dans tous les pays.
La Méditerranée orientale est également un foyer des tendances destructrices du capitalisme : il y a un siècle, la Turquie et la Grèce se sont affrontées dans une guerre qui a vu la première "purification ethnique" organisée ; aujourd'hui, les deux rivaux impérialistes se font à nouveau face à propos du différend sur les ressources en gaz et en pétrole de la région. Mais en plus de la menace de guerre locale, le capitalisme menace également les populations par la crise économique et les explosions comme celles de Beyrouth, des facteurs qui pousseront encore davantage de personnes à fuir.
L'infamie dans l'attitude de la classe dirigeante n'est pas atténuée par la prétention de faire preuve d'un peu de "pitié" envers les "plus faibles" parmi les réfugiés. Ce n'est qu'après que certaines forces issues des propres rangs des partis bourgeois, préoccupées par la perte de prestige des démocraties occidentales, ont exercé des pressions, et après que les administrations locales ont montré leur volonté d'accepter un contingent limité, que la France et l'Allemagne ont demandé que 400 jeunes "non accompagnés" soient autorisés à entrer. Et après presque une semaine de manœuvres dilatoires, 1500 enfants et leurs familles seront autorisés à entrer en Allemagne. Les 10 000 restants de Moria languiront en Grèce - sans parler des nombreux autres milliers bloqués dans d'autres camps de réfugiés sur les îles grecques. Les dirigeants se cachent derrière leur peur des populistes ou des chefs d'État en Hongrie, en Pologne, aux Pays-Bas et en Autriche, qui ne sont pas disposés à accepter des réfugiés. Aucun pays ne veut assumer seul le sort des réfugiés - et sous ce prétexte, ils insistent sur une approche européenne uniforme.
En fait, ils ne veulent pas attirer une nouvelle vague de réfugiés comme en 2015, et ils ne veulent pas permettre aux populistes de continuer leur ascension. Le gouvernement grec préfère enfermer les réfugiés qui survivent actuellement en plein air dans des camps nouvellement construits plutôt que de les laisser entrer sur le continent, d'où les détenus des camps pourraient alors continuer à fuir. Les dirigeants de l'Union européenne se sont inspirés de tous les manuels sur la construction des camps de Guantanamo, de Sibérie, des camps spéciaux de la RDA ou du Xinjiang. Prévenir la fuite à tout prix, dissuader par tous les moyens ! Leurs actions ne sont pas guidées par la nécessité de protéger les miséreux, mais par leur besoin de s'accrocher au pouvoir. Et ils défendent cette règle par tous les moyens, que ce soit par la construction de frontières infranchissables et de camps de prisonniers, ou par les belles phrases de la démocratie et de l'humanitarisme. La répression des manifestants en Biélorussie, les escadrons d'assassins de Poutine ou les camps de prisonniers ouïgours du Xinjiang sont dénoncés par les Européens, mais ceux-ci coopèrent eux-mêmes avec ces régimes depuis des années, même si parfois la coopération - notamment les contrats d'armement - est reportée, voire annulée.
Aux États-Unis, les démocrates et les républicains main dans la main condamnent les méthodes dictatoriales de la Chine, qui à Hong Kong utilise des commandos masqués contre les manifestants, mais Washington envoie la Garde nationale assistée elle aussi par des escadrons masqués de la police américaine, qui enlèvent également les manifestants dans des voitures banalisées. Que ce soit Loukachenko en Biélorussie, Poutine en Russie, Erdogan en Turquie, Duterte aux Philippines, Mohammed ben Salman en Arabie Saoudite, Xi Jinping en Chine, Trump aux États-Unis, etc. - ils défendent tous le même système et leur pouvoir sans pitié et avec des moyens souvent identiques.
Il est vain de compter sur la pitié des dirigeants, et c'est au mieux une dangereuse illusion de croire que les problèmes auxquels le capitalisme nous confronte peuvent être éradiqués par des opérations de sauvetage humanitaires.
La demande "Pas de frontières, pas de nation" est une préoccupation réelle, mais elle ne peut être réalisée que par une lutte révolutionnaire qui abolira tous les États. Il ne suffit donc pas de s'indigner des conditions barbares auxquelles sont confrontés les réfugiés. La première étape doit être de reconnaître d'où vient le mal, puis de le dénoncer. Ce n'est qu'alors que nous pourrons aller à la racine du problème, ce qui signifie qu'il faut s'attaquer au capitalisme comme un tout.
Toubkal, 15.09.2020
Le capitalisme, le système de production qui domine la planète et tous les pays qui s’y trouvent, est en train de sombrer dans un état avancé de décomposition. Un siècle de déclin lui fait atteindre les dernières marches, menaçant la survie de l’humanité, dans une spirale de guerres insensées, de dépression économique, de désastres écologiques et de pandémies dévastatrices.
Chaque État-nation sur Terre s’est engagé à maintenir ce système mourant. Chaque gouvernement, qu’il soit revêtu des habits démocratiques ou dictatoriaux, qu’il soit ouvertement pro-capitaliste ou faussement socialiste, trouve sa raison d’être dans la défense des véritables objectifs du capital : le développement du profit aux dépens du seul futur possible pour notre espèce, une communauté mondiale dans laquelle la production aura un seul but : la satisfaction des besoins humains.
C’est pourquoi le choix du parti ou du président qui devrait se saisir des rênes du gouvernement est un faux choix, qui ne peut empêcher la civilisation capitaliste d’aller droit à la catastrophe. Cela vaut autant pour les élections à venir aux États-Unis que pour n’importe quel autre cirque électoral.
Il est acquis pour beaucoup de personnes que Trump est un défenseur déclaré de tout ce qui est pourri dans le capitalisme : depuis ses dénégations sur la réalité de Covid 19 et du changement climatique, jusqu’aux justifications des brutalités policières qu’il a mises en avant au nom de la défense de la loi et l’ordre, en passant par ses tweets pour mobiliser les meutes d’extrême droite et encourager le racisme, ou encore le traitement dégradant qu’il réserve aux femmes qui l’approchent. Mais le fait qu’il soit, selon les termes de son ancien “tueur à gages” attitré, Michael Cohen, “un menteur, un escroc et un raciste” n’empêche pas une fraction importante de la classe capitaliste de le soutenir, parce que sa défense d’une économie ouvertement nationaliste et d’une dérégulation des services environnementaux et de la santé servent à accroître leurs profits.
Lors des dernières élections, Trump a convaincu beaucoup d’ouvriers américains que le protectionnisme au non de l’America first, sauverait leurs emplois et relancerait les industries traditionnelles. Mais, même avant la crise de Covid, l’économie mondiale (y compris la Chine) allait déjà vers une nouvelle récession que les conséquences de la pandémie vont rendre encore plus brutale. Le protectionnisme est une illusion car aucune économie ne peut se couper des lois impitoyables du marché mondial et les promesses de Trump aux travailleurs se sont déjà révélées trompeuses bien avant le début de la récession de 2019.
Selon Trump, Joe Biden menace de transformer l’Amérique en “utopie socialiste”, parce qu’il ne serait qu’une simple marionnette entre les mains de la “gauche radicale” personnifiée par les proches de Bernie Sanders et l’équipe (le squad) autour de Alexandria Ocasio-Cortez, Ilhan Omar et compagnie. (1)
En réalité, Biden a été choisi comme candidat démocrate car il représente la continuité dans le courant dominant de la politique Démocrate d’Obama et Clinton, qui a beaucoup à voir avec celle de Trump : le “pivot vers l’Est”, pour affronter l’impérialisme chinois, a été initié sous Obama, qui était aussi connu comme “l’expulseur en chef”, en raison du traitement impitoyable qu’il réservait aux immigrants “illégaux”. Bien sûr, les Démocrates ont des différences avec Trump : ils sont plus étroitement liés aux institutions militaires et sécuritaires, qui se méfient énormément de l’approche courtisane de Trump à l’égard de la Russie de Poutine ; ces institutions sont également gênées par les ruptures imprudentes des alliances et traités internationaux qui minent la crédibilité diplomatique des États-Unis. Mais ce sont des différences qui concernent le choix de la stratégie la plus adaptées pour l’impérialisme américain. De même, ils s’opposent au peu de respect de Trump pour les normes de la “démocratie” parce qu’ils savent à quel point la mystification démocratique est importante pour la préservation de l’ordre social.
Le parti Démocrate n’a jamais été autre chose qu’un parti d’alternance pour le capitalisme américain. Il est vrai qu’au cours des dernières années, il y a eu une croissance des groupes de pression interne comme l’Alliance socialiste démocratique, et des partisans du Green New Deal, Black Lives Matter et diverses formes de politiques identitaires au sein ou autour du parti officiel. Mais cette “gauche radicale” n’offre qu’une version plus à gauche du capitalisme d’État, auquel, dans un monde ravagé par la crise et la guerre, toutes les factions de la classe dirigeante (y compris la droite et les fanatiques de la libre entreprise) sont obligées d’adhérer. Aucune des politiques de gauche ne remet en question l’existence de l’État-nation, la production pour le profit, le salariat, qui sont l’essence de l’exploitation capitaliste et la source de ses contradictions insolubles.
Aucun politicien ou parti capitaliste ne peut offrir une issue à la crise de leur système. L’avenir du monde est entre les mains du prolétariat, de la classe qui produit tout ce dont nous avons besoin pour vivre, qui est exploitée dans tous les pays et qui a partout les mêmes intérêts : s’unir pour défendre ses conditions de travail et de vie, développer l’auto-organisation et la conscience nécessaires pour affronter le système capitaliste et proposer sa solution perspective historique : le socialisme authentique, ou, comme Marx a préféré l’appeler, le communisme, où l’humanité sera enfin libérée de l’État, des frontières nationales et de l’esclavage salarié.
Cela peut sembler une perspective très lointaine. Dans son existence quotidienne, la classe ouvrière est divisée de mille manières différentes : dans la compétition pour l’emploi, par les frontières nationales, par “sexe” et par “race”, surtout dans un pays comme les États-Unis avec son héritage empoisonné d’esclavage et de racisme.
Mais la classe ouvrière est aussi la classe du travail associé, qui est obligée de produire collectivement. Lorsqu’elle relève la tête, elle a tendance à surmonter les divisions dans ses rangs, car elle n’a pas le choix si elle veut éviter la défaite. Le racisme et le nationalisme sont certainement des outils puissants pour diviser les travailleurs, mais ils peuvent et doivent être surmontés pour faire avancer la lutte de classe. Lorsque la pandémie de Covid-19 a frappé pour la première fois, les travailleurs américains ont protesté contre le fait d’être contraints de travailler sans protection dans les usines automobiles, les hôpitaux, les supermarchés ou les entrepôts ; et les travailleurs, “blanc”, “noir”, “latino” ou autre, se tenaient côte à côte sur les lignes des piquets de grève.
De tels moments d’unité vont directement à l’encontre des expressions “classiques” de la division raciale : la suprématie blanche et les mouvements fascistes qui suintent du corps pourri du capitalisme. Mais ils vont aussi dans une autre direction que le mouvement Black Lives Matter (BLM) qui, plaçant la race au-dessus de la classe, se situe ouvertement sur le terrain bourgeois et se voit donc complètement instrumentalisé par les Démocrates, par des intérêts commerciaux dominants comme Mac Donald ou Apple, par les syndicats. En somme par une partie importante de l’État lui-même. Les luttes fondées sur la race ne peuvent pas conduire à l’unification de la classe ouvrière : des parties de la classe dirigeante sont heureuses de “s’agenouiller” et de donner leur bénédiction au mouvement BLM parce qu’elles savent que cela peut être utilisé pour cacher la réalité fondamentale du capitalisme, société reposant sur l’exploitation d’une classe par une autre.
La classe ouvrière aux États-Unis est confrontée à un énorme assaut idéologique à l’approche des élections, avec des politiciens et des superstars des médias qui proclament haut et fort que son seul espoir réside dans le vote, alors que son véritable pouvoir ne se trouve pas dans l’isoloir mais dans la lutte sur le lieu de travail et dans la rue. Elle est également confrontée au danger réel d’être entraînée dans des conflits violents entre milices armées, noires et blanches, comme nous l’avons vu dans certaines manifestations récentes de BLM. La société américaine est plus divisée que jamais depuis la guerre du Vietnam entre les deux grands partis de la bourgeoisie. Le danger d’une guerre civile sur un terrain complètement bourgeois pourrait s’accentuer encore à la suite des élections, surtout si Trump refuse de reconnaître le résultat sorti des urnes, ce qu’il a déjà laissé entendre. Cela ne fait que souligner la nécessité pour les travailleurs de refuser les appels des sirènes de droite et de gauche, de rejeter les faux choix du supermarché démocratique et de se rassembler autour de leurs propres intérêts de classe en menant un combat déterminé pour la destruction du capitalisme.
Amos, 26 septembre 2020.
1 Voir l’article en anglais “Trump contre The Squad” (groupe de quatre femmes parlementaires démocrates anti-Trump, NDT) : la détérioration de l’appareil politique aux États-Unis”, World Revolution n° 384, (automne 2019).
Le Groupe Communiste Anarchiste rejette les politiques identitaires mais “accepte” un État d’Israël démocratique et laïque
Depuis que nous avons écrit sur les éléments qui allaient fonder le Groupe Communiste Anarchiste (ACG) en février 20181, cette organisation est passée par un processus de définition de son parcours et de détermination de son programme. Son principal objectif était de se détourner de la domination de la politique identitaire, telle qu’elle s’était développée dans la Fédération anarchiste et dans le milieu anarchiste en général, et de revenir à la lutte de classe comme base fondamentale de ses activités.
Après sa fondation, ce groupe a fait quelques pas, comme il l’a dit, « pour rompre avec le marais de l’anarchisme traditionnel"2 et dans la direction des positions de classe.
En juin 2018, il a pris l’initiative de lancer une campagne derrière le slogan « Pas de guerre, mais la guerre de classe » (NWBCW).
D’autres participants à cette initiative étaient également le Guildford Solidarity Group et une organisation de la Gauche Communiste : la CWO. Lors de l’inauguration de cette campagne, ces trois groupes ont organisé une réunion commune à Londres. L’année suivante, l’ACG a organisé différentes réunions publiques sur le sujet, dont certaines ont été organisées avec le CWO, comme en janvier et avril 2019.3
En différentes occasions, il a défendu la lutte de classe comme seule solution pour la libération de tous ceux qui sont soumis à l’oppression par le capitalisme, comme ce fut le cas lorsqu’un membre de l’ACG a fait une présentation dans une réunion du Rebel City Collective à l’Anti-University à Londres en juin 2018 : « Bien que la lutte contre les oppressions puisse être prioritaire pour les opprimés à différents moments, en fin de compte, elle ne parviendra à une libération totale des femmes de la classe ouvrière ou des personnes de couleur que lorsque les classes seront abolies"4.
Ceci dit, nous devons également établir que les tentatives du groupe de quitter le marais anarchiste n’ont pas vraiment réussi, car il y a trop de points sur lesquels il n’a pas pu faire de progrès significatifs vers des positions communistes. Un des exemples frappants est la façon dont il veut résoudre le problème de l’antisionisme dans l’article « Politique identitaire et antisémitisme à gauche"5.
La gauche et l’antisionisme
Depuis de nombreuses années, une campagne intense est menée en Grande-Bretagne contre les groupes et les individus gauchistes qui défendent une position antisioniste. La campagne a été dirigée en particulier contre l’aile gauche du parti travailliste qui a été ouvertement accusée d’antisémitisme. En réponse à cette campagne, certains anarchistes ont décidé de prendre le parti du parti travailliste.
En 2016, « Winter Oak », un groupe anarchiste particulièrement soucieux de l’écologie, n’a pas encore pris ouvertement parti pour le parti travailliste, mais a mis en garde contre « une nouvelle arme idéologique toxique [qui] a été déclenchée par le système capitaliste (…) : l’accusation d’ “antisémitisme” dans le cadre de la chasse aux sorcières. Ce phénomène a atteint son paroxysme au Royaume-Uni ces dernières semaines avec des accusations fébriles d'“antisémitisme” au sein du parti travailliste de Jeremy Corbyn, qui semble être considéré comme dangereusement radical ».6
David Graeber a cependant ouvertement défendu le parti travailliste contre cette campagne de diffamation. En décembre 2019, il a posté plusieurs messages sur Twitter, ciblant le reportage du Guardian sur l’antisémitisme institutionnalisé au sein du parti travailliste. « Si vous additionnez ce qui est faux et trompeur, 90 % de nouveaux articles du Guardian sur la controverse de l’IHRA7 ont été conçus pour tromper le lecteur en lui faisant croire à tort que le Labour était institutionnellement antisémite. C’était un crime historique contre la vérité. Qui étaient les rédacteurs ? Il faut leur faire honte pour cela"8.
Bien qu’il s’agisse d’une véritable campagne idéologique menée par diverses fractions bourgeoises, cela ne signifie pas que l’antisémitisme n’existe pas au sein du Parti travailliste. Corbyn et les trotskystes ont en effet fait et font encore cause commune avec les bandes islamistes les plus extrêmes comme le Hamas et le Hezbollah, et ce faisant, ils agissent comme « un véhicule non seulement d’un antisémitisme plus honteux, mais aussi de ses manifestations les plus ouvertes"9. L’ACG est capable de faire face à cette réalité lorsqu’il écrit que « beaucoup de ceux qui soutiennent la cause palestinienne (…) semblent véritablement incapables de faire la distinction entre critiquer Israël et semer la haine contre un peuple » et que « les idées de l’aile gauche sur l’antisionisme sont de plus en plus colonisées par des formes d’antisémitisme"10.
En raison de l’intensité de cette campagne, en Grande-Bretagne (et ailleurs), il est en effet devenu de plus en plus difficile de critiquer l’État d’Israël sans être accusé d’antisémitisme. Et tout élément ou groupe qui se considère comme faisant partie de la gauche en général – contrairement à la Gauche communiste révolutionnaire – est confronté à ce dilemme. Afin de contourner ce dilemme, l’ACG a donc décidé de ne plus parler d’antisionisme. Au lieu de cela, il affirme « qu’il est beaucoup plus sûr d’utiliser des expressions plus précises et sans ambiguïté comme s’opposer à l’État israélien, à ses polices ou à ses actions"11.
Selon l’ACG, « un problème se pose lorsque nous voyons les identités avant de voir les relations"12, en d’autres termes : avant de voir les classes. Si les classes étaient placées en premier et les identités en second, on serait, semble-t-il, libéré du problème de l’identification de l’antisionisme avec l’antisémitisme. Le problème de l’identification des deux a-t-il vraiment été résolu par cela ? Nous ne le pensons pas. La politique identitaire, qui est un piège pour la lutte de la classe ouvrière, comme l’AGC le reconnait à juste titre, est persistante et plus difficile à combattre que ne le pense l’ACG.
C’est ce que montre très clairement l’article de l’ACG dans lequel il lance un appel pour aider « le mouvement antiraciste dans ce pays et dans le monde » avec l’argument suivant : « le racisme, les autres préjugés et les systèmes d’oppression sont si étroitement liés qu’en luttant contre l’un d’entre eux, nous luttons aussi contre les autres"13. Ici, l’ACG fait à nouveau passer la race avant les classes puisqu’il part du principe que combattre le racisme signifie automatiquement combattre le capitalisme.
« Le racisme divise la classe ouvrière contre elle-même"14, écrit l’ACG, et c’est bien sûr vrai, mais il oublie que son soutien à l’antiracisme divise tout autant la classe ouvrière. Et la photo de l’article, avec sa publicité pour Black Lives Matter, une campagne qui place la race au-dessus de la classe, ne fait que le souligner.
Mais revenons à la question de l’antisionisme. Dans sa tentative d’éviter l’utilisation de ce mot, un autre problème est apparu : celui de l’acceptation de l’État d’Israël seulement s’il était « un État laïque, non discriminatoire et démocratique », puisque « les États existent, et nous devons travailler dans le cadre de la réalité que nous avons devant nous"15. Quel est le sens de cette déclaration, qui est indissociable des programmes de la gauche antisioniste ? Les anarchistes n’ont-ils pas toujours essayé de rejeter et de combattre l’État bourgeois en tant qu’organe répressif au service de la classe dominante ?
Dans les écrits plus généraux de l’ACG, il ne semble pas y avoir de confusion sur ce point. « L’État est le moyen par lequel la classe dirigeante conserve et renforce son pouvoir"16. « Tout système économique basé sur le travail salarié et la propriété privée nécessitera un appareil d’État coercitif pour faire respecter les droits de propriété et pour maintenir les relations économiques inégales qui en découleront inévitablement"17. Mais, si c’est vraiment la conception que l’ACG se fait de l’État, il doit au moins expliquer comment il concilie sa position anti-étatique avec la phrase selon laquelle, dans le cas d’Israël, « un État laïque, non discriminatoire et démocratique » est “acceptable” ?
La question de la politique identitaire ne peut être résolue en la rejetant par la porte pour la laisser entrer par la fenêtre. Même au-dessus de l’article, dans lequel l’ACG dit qu’il préfère ne plus utiliser le mot “sionisme”, il y a une image affichant le slogan : « Confrontez le sionisme, boycottez Israël », signé par le Réseau international juif antisioniste. Toute cette astuce avec le mot “sionisme” ne rapproche pas le groupe de la position internationaliste qu’il prétend défendre. Au contraire, il est toujours submergé dans la campagne internationale qui oblige chacun à soutenir ou à rejeter la “légitimité” de l’État sioniste.
Le chemin difficile de l’internationalisme
Il y a dix ans, nous avons écrit sur l’anarchisme internationaliste. Et nous avons défendu les tendances internationalistes au sein de l’anarchisme comme une expression de l’internationalisme prolétarien. Aujourd’hui, nous pensons qu’un groupe comme l’ACG défend globalement les positions internationalistes. Mais cette position n’est pas clairement et solidement établie et ne repose pas sur une approche de classe : sur le prolétariat en tant que classe qui ne peut s’émanciper lui-même qu’en émancipant l’ensemble de la population mondiale non exploitante du fléau de l’exploitation et de la répression au moyen d’une révolution mondiale.
C’est pourquoi nous avons également souligné que « Le mouvement anarchiste (…) reste un milieu très hétérogène. Tout au long de son histoire, une partie de ce milieu a sincèrement aspiré à la révolution et au socialisme, exprimant une réelle volonté d’en finir avec le capitalisme et l’exploitation. Ces militants se sont effectivement placés sur le terrain de la classe ouvrière lorsqu’ils ont affirmé leur internationalisme et se sont consacrés eux-mêmes à rejoindre son combat révolutionnaire ». Mais « privés de la boussole de la lutte de classe du prolétariat et de l’oxygène de la discussion et du débat avec les minorités révolutionnaires qui en émanent, des éléments qui tentent de défendre les principes de classe se sont souvent trouvés piégés dans les contradictions intrinsèques de l’anarchisme"18.
Et c’est exactement ce que nous voyons aujourd’hui avec l’ACG. Il n’est pas capable de défendre une position internationaliste consistante. Nous pouvons le voir avec leur position “acceptant” un Israël laïque et démocratique. Mais on le voit aussi, par exemple, dans sa déclaration concernant l’invasion de l’armée turque et la situation autour de l’Afrique : « Une position internationaliste ».
La déclaration commence par une dénonciation claire des différentes fractions bourgeoises dans le conflit impérialiste. « En tant que communistes anarchistes, nous ne soutenons aucune fraction dans une guerre inter-impérialiste (…). Nous ne soutenons pas non plus les partis politiques nationalistes qui ont pour but d’établir de nouveaux États, quelle que soit la rhétorique libertaire. Il peut y avoir des exemples d’auto-organisation dans les régions de Rojava mais (…) il ne s’agit pas d’un mouvement vers une véritable auto-organisation si vous êtes capable de le faire parce que le grand leader a dit que c’est ce que vous devriez faire"19.
Jusqu’à présent, tout va bien, mais l’ACG sort un lapin de son chapeau en terminant cette déclaration par ces mots : « la situation est très compliquée et (…) nous ne soutenons pas sans réserve les partis nationalistes tels que le YPD, qui ont pris la tête de la résistance"20, ce qui semble au moins impliquer qu’il apporte son soutien “critique” aux partis nationalistes tels que le YPD ; bien qu’il caractérise également ce parti dans le même article comme « l’un des partis politiques hautement disciplinaires et autoritaires"21.
Le soutien au « moindre mal » conduit à l’abandon de l’internationalisme
Pour l’ACG, il n’existe soi-disant pas de « moindre mal" : « Aucune fraction de la classe capitaliste ne mérite d’être soutenue et aucune n’est « un moindre mal »!22. Mais, d’après notre expérience, nous savons que l’anarchisme finit très souvent par choisir le « moindre mal ». Si les Kurdes sont attaqués par Saddam, il y a des anarchistes qui considèrent la cause des Kurdes comme un moindre mal et qui les soutiennent – surtout s’ils font la publicité d’une idéologie de « confédéralisme démocratique » et parlent d’une « révolution de Rojava ». Si les Catalans se soulèvent contre le régime autoritaire de Madrid en 2017, il y a des anarchistes qui considèrent la cause des Catalans comme un moindre mal et qui ont tendance à les soutenir.
Un exemple clair de cette politique du « moindre mal » est donné par l’article, récemment publié par un groupe aux Philippines sur le site web de l’ACG sans aucune critique, intitulé « Philippines : appel à la solidarité internationale ». Cet article se termine par un slogan qui dit : « Luttez pour la justice sociale ! Combattez le fascisme et le terrorisme d’État !"23. De plus, au-dessus de l’article, il y a une photo sur laquelle on peut lire « Détruisez le fascisme ». L’ACG prétend défendre la lutte du prolétariat sur son propre terrain de classe, mais ce slogan n’a rien à voir avec la lutte de la classe ouvrière et ne fait que détourner les travailleurs de leur terrain de classe. Les slogans appellent à la lutte pour la démocratie en général qui, en fin de compte, ne signifie rien d’autre que la démocratie bourgeoise. C’est un piège pour l’anarchisme qui remonte à sa politique des années 1930.
L’ACG ne considère pas les ministres de la CNT-FAI en 1936-1937 comme de véritables anarchistes et écrit que leur politique antifasciste « a ouvert la voie à la Seconde Guerre mondiale ».24. Mais comment l’ACG explique-t-il alors ce qui s’est passé après le 6 octobre 1934, lorsque Luís Companys avait déclaré un État catalan libre dans une République fédérale espagnole ? Car après la suppression de cette proclamation par l’armée espagnole et l’arrestation du gouvernement catalan, la CNT a publié un Manifeste dans lequel elle se présente elle-même « comme le meilleur rempart contre le fascisme et insiste sur son droit de contribuer à la lutte antifasciste. Contre toute la tradition de la CNT et contre la volonté de nombreux militants anarchistes, elle a abandonné le terrain de la solidarité ouvrière pour embrasser le terrain de l’antifascisme et du soutien “critique” au nationalisme catalan ».25
Pendant la Seconde Guerre mondiale, ce même antifascisme a attiré les anarchistes dans l’orbite des pays alliés. Les anarchistes ont formé des groupes de combat antifascistes dans toute l’Italie pour défendre le « moindre mal » contre le régime de Mussolini, même en hommage à Malatesta qui n’avait, lui, jamais trahi l’internationalisme : « À Gênes, les groupes de combat anarchistes opéraient sous les noms de la brigade “Pisacane”, de la formation “Malatesta”, de la SAP-FCL, de la Sestri Ponente SAP-FCL et des Escadrons d’action anarchiste d’Arenzano. (…) Les anarchistes ont fondé les brigades “Malatesta” et “Bruzzi”, qui comptaient 1300 partisans : elles opéraient sous l’égide de la formation “Matteotti” et ont joué un rôle de premier plan dans la libération de Milan"26.
Les exemples ci-dessus montrent clairement que, dans la pratique de la lutte quotidienne, il n’est pas si facile pour une organisation anarchiste de maintenir sa position internationaliste. Et la raison principale de cet échec est que l’anarchisme, et même le communisme anarchiste, n’ont pas une compréhension claire de ce qu’est le prolétariat ni une méthode historique pour clarifier ses tâches à des époques particulières. Sans une telle méthode, il est impossible d’élaborer un programme politique solide, universel et cohérent, tel qu’il a été élaboré notamment par les organisations de la Gauche communiste. Nous y reviendrons dans un autre article.
Dennis, juillet 2020
3Le groupe NWBCW semble avoir cessé d’exister. L’année dernière, il n’y a pas eu d’activité commune, en dehors de l’article de la Tendance Communiste internationale.
4« La classe est-elle toujours pertinente ? Une perspective communiste anarchiste »; ACG, 24 juin 2018. [186]
528 mai 2020 ; ACG. [187]
6« Chasse aux sorcières : la diffamation de l’antisémitisme est une guerre idéologique" ; Winter Oak ; avril 2016.
7Cette controverse portait sur le fait que le parti travailliste avait initialement refusé d’accepter la définition de l’antisémitisme élaborée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste.
11Ibid.
12Ibid.
14Ibid.
16« La classe est-elle toujours pertinente ? Une perspective anarchiste communiste" ; ACG, 24 juin 2018. [186]
17Le communisme anarchiste – une introduction ; ACG, 13 novembre 2017.
18« Les anarchistes et la guerre » (partie 2) : la participation anarchiste à la Seconde Guerre mondiale » [191]; Révolution Internationale n° 326.
20Ibid.
21Ibid.
23ACG, 10 juin 2020. [194]
24« La dernière tentative de réaffirmer les intérêts des masses ouvrières a eu lieu pendant les journées de mai de 1937. La CNT et la FAI, avec ses ministres “anarchistes” en tête, ont mis fin à l’escalade de la guerre de classes et la révolution espagnole est morte. Les militants dissidents de la CNT-FAI, les Amis de Durutti, ont résumé la situation en disant que « c’est la démocratie qui a vaincu le peuple espagnol, pas le fascisme ». L’Espagne antifasciste avait détruit la révolution espagnole et ouvert la voie à la Seconde Guerre mondiale ». (in « La tradition : d’où vient notre politique ? » ; ACG, 14 novembre 2017)
25« L’échec de l’anarchisme pour empêcher l’intégration de la CNT à l’Etat bourgeois (1931-34)" [195]; Revue internationale n° 132 – 1er trimestre 2008.
26« Les anarchistes et la guerre » (partie 2) : la participation anarchiste à la Seconde Guerre mondiale » [191]; Révolution Internationale n° 326.
Après le meurtre atroce du professeur Samuel Paty et, dix jours plus tard, de trois personnes dans l’église de Nice, la bourgeoisie française a bondi sur l’occasion pour tenter de récupérer ces crimes en appelant les « citoyens » à se mobiliser, comme ce fut le cas le dimanche 18 octobre, pour défendre la Démocratie, la République et ses « valeurs » telles que la « laïcité » et la « liberté d’expression ». Une nouvelle fois, la classe dominante joue la carte de « l’union nationale » qui tendrait à faire croire que, malgré les différences de conditions de vie, bourgeois et prolétaires appartiendraient à la même « communauté » et auraient tout à gagner à défendre, main dans la main, la patrie, le régime républicain et la démocratie. Il n’y a rien de plus faux ! Très loin de permettre aux exploités de s’émanciper, la démocratie et le régime républicain demeurent les formes politiques les plus subtiles de la domination capitaliste et de la bourgeoisie sur le reste de la société. Les lecteurs pourront trouver ci-dessous des articles déjà parus dans notre presse qui font échos aux évènements tragiques de ces deux dernières semaines :
“ [196]La liberté d’expression” et “de la presse” : l’illusion entretenue par le capital [196]
La laïcité, une arme idéologique contre la classe ouvrière (partie I) [197]
La laïcité, une arme idéologique contre la classe ouvrière (partie II) [198]
Attentats à Paris : À bas le terrorisme ! À bas la guerre ! À bas le capitalisme ! [199]
D’autre part, nous publions ci-dessous deux extraits de textes classiques du mouvement ouvrier : l’un tiré de l’ouvrage de Friedrich Engels L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État, l’autre tiré de L’État et la révolution de Lénine. Tous deux démontrant la vraie nature de la République démocratique et de l’Etat bourgeois.
Friedrich Engels, L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat, chapitre IX : « Barbarie et civilisation ».
« Comme l'État est né du besoin de refréner des oppositions de classes, mais comme il est né, en même temps, au milieu du conflit de ces classes, il est, dans la règle, l'État de la classe la plus puissante, de celle qui domine au point de vue économique et qui, grâce à lui, devient aussi classe politiquement dominante et acquiert ainsi de nouveaux moyens pour mater et exploiter la classe opprimée. C'est ainsi que l'État antique était avant tout l'État des propriétaires d'esclaves pour mater les esclaves, comme l'État féodal fut l'organe de la noblesse pour mater les paysans serfs et corvéables, et comme l'État représentatif moderne est l'instrument de l'exploitation du travail salarié par le capital. [...]
Dans la plupart des États que connaît l'histoire, les droits accordés aux citoyens sont en outre gradués selon leur fortune et, de ce fait, il est expressément déclaré que l'État est une organisation de la classe possédante, pour la protéger contre la classe non possédante. C'était déjà le cas pour les classes d'Athènes et de Rome établies selon la richesse. C'était le cas aussi dans l'État féodal du Moyen Age, où le pouvoir politique se hiérarchise selon la propriété foncière. C'est le cas dans le cens électoral des États représentatifs modernes. Pourtant, cette reconnaissance politique de la différence de fortune n'est pas du tout essentielle. Au contraire, elle dénote un degré inférieur du développement de l'État. La forme d'État la plus élevée, la république démocratique, qui devient de plus en plus une nécessité inéluctable dans nos conditions sociales modernes, et qui est la forme d'État sous laquelle peut seule être livrée jusqu'au bout l'ultime bataille décisive entre prolétariat et bourgeoisie, la république démocratique ne reconnaît plus officiellement, les différences de fortune. La richesse y exerce son pouvoir d'une façon indirecte, mais d'autant plus sûre. D'une part, sous forme de corruption directe des fonctionnaires, ce dont l'Amérique offre un exemple classique, d'autre part, sous forme d'alliance entre le gouvernement et la Bourse ; cette alliance se réalise d'autant plus facilement que les dettes de l'État augmentent davantage et que les sociétés par actions concentrent de plus en plus entre leurs mains non seulement le transport, mais aussi la production elle-même, et trouvent à leur tour leur point central dans la Bourse. En dehors de l'Amérique, la toute récente République française en offre un exemple frappant, et la brave Suisse, elle non plus, ne reste pas en arrière, sur ce terrain-là. Mais qu'une république démocratique ne soit pas indispensable à cette fraternelle alliance entre le gouvernement et la Bourse, c'est ce que prouve, à part l'Angleterre, le nouvel Empire allemand, où l'on ne saurait dire qui le suffrage universel a élevé plus haut, de Bismarck ou de Bleichröder1. Et enfin, la classe possédante règne directement au moyen du suffrage universel. Tant que la classe opprimée, c'est-à-dire, en l'occurrence, le prolétariat, ne sera pas encore assez mûr pour se libérer lui-même, il considérera dans sa majorité le régime social existant comme le seul possible et formera, politiquement parlant, la queue de la classe capitaliste, son aile gauche extrême. Mais, dans la mesure où il devient plus capable de s'émanciper lui-même, il se constitue en parti distinct, élit ses propres représentants et non ceux des capitalistes. Le suffrage universel est donc l'index qui permet de mesurer la maturité de la classe ouvrière. Il ne peut être rien de plus, il ne sera jamais rien de plus dans l'État actuel; mais cela suffit. Le jour où le thermomètre du suffrage universel indiquera pour les travailleurs le point d'ébullition, ils sauront, aussi bien que les capitalistes, ce qu'il leur reste à faire.
L'État n'existe donc pas de toute éternité. Il y a eu des sociétés qui se sont tirées d'affaire sans lui, qui n'avaient aucune idée de l'État et du pouvoir d'État. A un certain stade du développement économique, qui était nécessairement lié à la division de la société en classes, cette division fit de l'État une nécessité. Nous nous rapprochons maintenant à pas rapides d'un stade de développement de la production dans lequel l'existence de ces classes a non seulement cessé d'être une nécessité, mais devient un obstacle positif à la production. Ces classes tomberont aussi inévitablement qu'elles ont surgi autrefois. L'État tombe inévitablement avec elles. La société, qui réorganisera la production sur la base d'une association libre et égalitaire des producteurs, reléguera toute la machine de l'État là où sera dorénavant sa place: au musée des antiquités, à côté du rouet et de la hache de bronze. »
***
Lénine, L’État et la révolution, chapitre IV. « Explications complémentaires d’Engels ».
« Dans les considérations habituelles sur l'État, on commet constamment l'erreur contre laquelle Engels met ici en garde et que nous avons signalée plus haut en passant; on oublie constamment que la suppression de l'État est aussi la suppression de la démocratie, que l'extinction de l'État est l'extinction de la démocratie.
Une telle assertion paraît, à première vue, des plus étranges et inintelligibles; peut-être même certains craindront-ils que nous souhaitions l'avènement d'un ordre social où ne serait pas observé le principe de la soumission de la minorité à la majorité; car, enfin, la démocratie n'est-elle pas la reconnaissance de ce principe ?
Non. La démocratie et la soumission de la minorité à la majorité ne sont pas des choses identiques. La démocratie, c'est un Etat reconnaissant la soumission de la minorité à la majorité ; autrement dit, c'est une organisation destinée à assurer l'exercice systématique de la violence par une classe contre une autre, par une partie de la population contre l'autre partie.
Nous nous assignons comme but final la suppression de l'État, c'est-à-dire de toute violence organisée et systématique, de toute violence exercée sur les hommes, en général. Nous n'attendons pas l'avènement d'un ordre social où le principe de la soumission de la minorité à la majorité ne serait pas observé. Mais, aspirant au socialisme, nous sommes convaincus que dans son évolution il aboutira au communisme et que, par suite, disparaîtra toute nécessité de recourir en général à la violence contre les hommes, toute nécessité de la soumission d'un homme à un autre, d'une partie de la population à une autre; car les hommes s'habitueront à observer les conditions élémentaires de la vie en société, sans violence et sans soumission.
C'est pour souligner cet élément d'accoutumance qu'Engels parle de la nouvelle génération "grandie dans des conditions sociales nouvelles et libres" et qui sera "en état de se défaire de tout ce bric-à-brac de l'État", de tout État, y compris celui de la république démocratique. »
1 Le directeur de la banque berlinoise qui portait son nom.
Le 8 août dernier et les week-ends suivants, nous avons vu des milliers de travailleurs de la santé britanniques descendre dans les rues des grandes villes pour protester avec colère contre les bas salaires, les frais de scolarité élevés, l'augmentation sans fin de la charge de travail et des horaires décalés, le manque d'équipements de protection individuelle (EPI) contre la propagation de Covid-19, le sous-financement chronique du secteur et la présentation par le gouvernement de leur "sacrifice héroïque" comme un fardeau mortel qu'ils porteraient avec enthousiasme.
Au cours des périodes précédentes, de telles expressions de combativité de la part de groupes de travailleurs tentant de défendre leurs conditions de vie et de travail pouvaient sembler chose courante. Cependant, dans la mesure où elles s’inscrivent dans un contexte particulier où les travailleurs montrent les premiers signes d’une reprise des luttes après un recul global de la combativité et de la conscience au cours des dernières décennies1 - et en particulier, en se produisant sur fond d'"unité nationale" exigée par les gouvernements face à la crise de Covid - ces expressions de lutte de classe sont remarquables.
Largement organisée au niveau local par les infirmières, les travailleurs des maisons de soins et d'autres personnels du secteur de la santé, mais coordonnée et encadrée par des comités syndicaux et des groupes en marge du Parti Travailliste, cette lutte a été menée à travers des dizaines de manifestations, notamment à Leeds, Liverpool, Manchester et Glasgow. Ces mobilisations visaient à dénoncer le stress provoqué par la mort de collègues et de patients (plus de 540 membres du personnel de santé avaient alors péri) et le fait de ne pas savoir s'ils étaient eux-mêmes infectés ou s'ils transmettaient des maladies à leurs familles. Mais également la lutte pour survivre devant les dettes contractées au cours de leurs études, où les sommes peuvent atteindre 60 000, voire 90 000 livres. Ou encore la nécessité de vivre avec des salaires réels qui, dans de nombreux cas, ont chuté de 20 % au cours des dix dernières années, malgré les grèves de 50 000 médecins en formation en 2016 et un "accord" de rémunération de trois ans pour les autres membres du personnel en 2018.
Surtout, les travailleurs étaient et restent furieux d'avoir été exclus des "compensations" salariales accordées en juillet par le gouvernement à quelque 900 000 travailleurs "clés" du secteur public, dont des membres des forces armées, des fonctionnaires, des éléments du système judiciaire et des médecins en chef pour leur participation à la "bataille" contre Covid, mais en ignorant les infirmières et les soignants. Nous reviendrons sur cet aspect plus loin.
La nature ad hoc des protestations - le fait que les travailleurs n'ont pas attendu que "leurs" syndicats expriment leur colère évidente - a été encore renforcée dans les cortèges des manifestants par des pancartes, en grande partie faites maison, portant des slogans tels que : "Héros à 0%", "Les applaudissements ne paient pas les factures", "Payez au NHS un salaire équitable - vous nous le devez" (NHS : National Health Service), "Certaines blessures ne guérissent pas", "Arrêtez d'applaudir et agissez" et "Une infirmière, c'est pour la vie, pas seulement pour Covid-19". Les manifestations (100 travailleurs à Cambridge, 100 à Bournemouth, 2000 à Londres et d’autres similaires dans tout le pays) ont attiré surtout des jeunes travailleurs qui n'avaient jamais manifesté ou entamé une lutte prolétarienne auparavant, ainsi que quelques "vieux", arrivant à la fin de leur service, qui voulaient montrer leur solidarité avec des collègues confrontés à des pressions de plus en plus intolérables. Ils ont surtout utilisé les médias sociaux tels que les groupes Facebook de travailleurs de la santé, qui revendique 80 000 membres sur ce site, avec des titres comme « Les travailleurs du NHS disent NON à l'inégalité salariale dans le secteur public ! », « le NHS doit payer les 15 % qui nous sont dûs » (un appel repris lors d'une manifestation du 26 août par les travailleurs des hôpitaux Guy et St. Thomas de Londres), et « Infirmières toutes unies », afin de rallier des soutiens. Les banderoles syndicales ont été largement remarquées par leur absence, bien que les groupes politiques "radicaux" ne manquaient pas, arguant que les manifestants devraient avoir pour objectif de rendre les syndicats "plus combatifs". De telles idées semblent avoir un écho car, à notre connaissance, aucun des groupes de manifestants n'a directement remis en cause les syndicats ou le syndicalisme.
Pendant des mois, les travailleurs de la santé ont été abreuvés de discours sur leur participation à un "effort national" - y compris les unités de l'armée et le recrutement de milliers de "bénévoles" (à une époque où les contrats "zéro heure sup’" payée se multiplient et où le spectre du chômage massif se profile à l'horizon !) - en mettant leur vie en "première ligne" de la "guerre contre Covid", en faisant "tout le nécessaire". Il semble qu'ils aient fait d’interminables heures supplémentaires, renoncé aux vacances et aux instructions concernant les EPI (ou l'absence d'EPI) qui changeaient de jour en jour. Les manifestations de colère, bien qu'à petite échelle et limitées, ont donc montré une réelle résistance à la pression exercée par l'État pour travailler plus longtemps sans être payés davantage, "pour le bien et l’intérêt de la Nation". Elles ont atténué la tentative d'invoquer "l'esprit guerrier" et la militarisation des campagnes idéologiques du "nous sommes tous dans le même bateau". Ce faisant, les travailleurs de la santé se sont fait l'écho des luttes de millions d'autres personnes dans le monde qui tentent de s'opposer collectivement à l'exploitation croissante - et souvent à la répression - exigée par le capital. En voici quelques exemples :
En effet, « Dans au moins 31 des pays étudiés par Amnesty International, les chercheurs et chercheuses ont constaté que le personnel de santé et des autres secteurs essentiels s’était mis en grève, avait menacé de faire grève ou avait manifesté à cause de ses conditions de travail dangereuses. Dans de nombreux pays, ce type d’actions a donné lieu à des représailles des autorités. »5 ;
Mais les représailles et la répression ne sont pas les principaux moyens utilisés par la classe dirigeante pour imposer son "état d'urgence" à la classe ouvrière. Dans les anciens centres du capitalisme - en Europe, aux États-Unis et ailleurs - la tendance générale est à un jeu politique de division et de domination, visant d'une manière ou d'une autre à faire des travailleurs de la santé un "cas particulier", à semer la division entre eux et à les séparer de leurs frères et sœurs de classe des autres industries.
En Belgique, le "décret sur les pouvoirs d'urgence n° 14" prévoyait d'obliger les employés des secteurs privé et public de la santé et d'autres secteurs à effectuer des heures supplémentaires non rémunérées, sans possibilité de congé compensatoire. Ces clauses ont été abandonnées après l'opposition de travailleurs en colère, mais ce sont les syndicats qui se sont renforcés en récupérant la lutte, menaçant de grèves qui ne se sont jamais concrétisées, alors que toutes les autres conditions de travail continuaient à se détériorer ;
En France, le plan du "Ségur de la Santé", récemment annoncé à grands cris pour "récompenser" les travailleurs du secteur de la santé, sépare en fait le personnel privé du personnel public, prévoit une diminution des temps de repos entre les équipes et constitue une nouvelle étape dans le démantèlement des responsabilités assumées par l'État en matière de santé.6
Au Royaume-Uni, la récompense mentionnée plus haut a été un coup dans les dents évident pour les infirmières, mais elle a également eu l'effet escompté de diviser les médecins débutants des médecins confirmés, des infirmières, des autres travailleurs du secteur public, etc.
La tendance à considérer le secteur de la santé comme "le tout et l’aboutissement" de la lutte - la malédiction du corporatisme qui a paralysé les grèves des mineurs et de la métallurgie au Royaume-Uni dans les années 1980 - est une véritable faiblesse exprimée par les manifestations du mois d'août au Royaume-Uni, même si un rassemblement a entonné un chant du type « les pompiers méritent aussi une augmentation de salaire ». Une autre tendance est celle consistant à incriminer le parti conservateur (les tories) pour la "privatisation des services de santé", alors qu'en fait tous les partis du monde entier ont réduit au minimum, pendant des décennies, les services de santé fournis pour assurer la reproduction élargie du capital et de la force de travail nécessaire à cette fin. C'est l'adoption et l'expansion de l'initiative de financement privé par le dernier gouvernement travailliste qui a véritablement mis le "NHS en pièces" et a érodé les conditions de vie des travailleurs.
La combativité exprimée au Royaume-Uni7 et ailleurs au cours de l'été contraste fortement avec l'atmosphère de peur et d'incertitude générée par la crise Covid et les licenciements et fermetures massives qui en ont découlé, facteurs qui ont renforcé le manque de confiance préexistant dans la classe. Ces luttes ont rappelé que la classe ouvrière n'a pas été écrasée par l'épuisement ni par les chants des sirènes de l'abnégation. La nécessaire politisation de cette lutte - la reconnaissance de ce qu'est historiquement la classe ouvrière et de ce qu'elle peut et doit devenir - reste une perspective ouverte à l’avenir pour l’ensemble du prolétariat.
RF, 10/09/2020
1 Voir le « Rapport sur la lutte de classe pour le 23e Congrès international du CCI (2019) : Formation, perte et reconquête de l’identité de classe prolétarienne [112] », Revue Internatonale no 164.
2 World Socialist Web Site, de juillet 2020 [206].
3 Workers World du 13 août [207].
4 San Francisco Chronicle du 20 juillet.
5 Site d’Amnesty international [208].
6 Voir « Ségur de la Santé : un nouveau coup porté à la classe ouvrière » [209], Révolution Internationale n° 484.
7 Parmi les autres secteurs en lutte au cours du printemps et de l'été, citons les professeurs d'université et les manifestations amères des employés de British Airways, dont des milliers ont été licenciés et d'autres réembauchés à des salaires et des conditions de travail inférieurs. Pour plus d'informations sur les grèves des travailleurs et la résistance au début de la pandémie, voir notre article "Malgré tous les obstacles, la lutte des classes forge son futur". [80]
Pendant toute la durée de la pandémie de Covid 19, le CCI continuera à tenir des permanences en ligne régulières au rythme d’une fois par mois. Ces permanences sont des lieux de débat ouverts à tous ceux qui souhaitent rencontrer et discuter avec le CCI. Nous invitons vivement tous nos lecteurs, contacts et sympathisants à venir y débattre, afin de rompre l’isolement imposé par la pandémie, poursuivre la réflexion sur la situation historique actuelle et confronter les points de vue.
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La prochaine permanence du CCI en langue française se tiendra le samedi 21 novembre de 15h à 18h.
Au cours du 23e congrès, j’ai présenté un certain nombre d’amendements à la résolution sur la situation internationale. Cette contribution va se concentrer sur ceux de mes amendements qui ont été rejetés par le congrès et qui gravitent autour des deux principales divergences que j’ai avec les positions du congrès : sur les tensions impérialistes et sur le rapport de force global entre les classes, entre le prolétariat et la bourgeoisie. Il existe un fil conducteur entre ces désaccords et il tourne autour de la question de la décomposition. Bien que toute l’organisation partage la même analyse de la décomposition en tant que phase ultime du capitalisme décadent, appliquer ce cadre à la situation présente met en lumière des différences d’interprétation. Ce sur quoi nous sommes tous d’accord est que cette phase terminale non seulement a été initiée par, mais qu’elle a ses racines les plus profondes dans l’incapacité des deux classes principales de la société capitaliste à imposer leurs solutions antagoniques face à la crise du capitalisme décadent : la guerre généralisée (pour la bourgeoisie) ou la révolution mondiale (pour le prolétariat). Mais du point de vue de l’actuelle position de l’organisation, il pourrait exister une seconde cause essentielle et caractéristique de cette phase terminale, qui est la tendance au chacun-contre-tous : entre les États, au sein de la classe dominante, au sein de la société bourgeoise au sens large. Sur cette base, en ce qui concerne l’impérialisme, le CCI aujourd’hui tend à sous-estimer la tendance à la bipolarisation (et aussi à une éventuelle reconstitution des blocs impérialistes), et au danger grandissant de confrontations militaires entre les grandes nations elles-mêmes. Sur cette même base, le CCI aujourd’hui, sur la question du rapport de force entre les classes, tend à sous-estimer l’importance de la perte actuelle de la perspective révolutionnaire par le prolétariat, ce qui nous mène à penser qu’il peut recouvrer son identité de classe et commencer à reconquérir une perspective révolutionnaire, essentiellement à travers ses luttes ouvrières défensives.
Pour ma part, bien qu’étant d’accord avec l’idée que le chacun-contre-tous bourgeois est une très importante caractéristique de la décomposition (et a joué un rôle énorme dans l’ouverture de cette phase terminale lors de la désintégration de l’ordre impérialiste mondial de l’après-Seconde Guerre mondiale), je ne suis pas d’accord que ce soit l’une de ses causes principales. Au contraire, je reste convaincu que l’impasse entre les deux principales classes causée par leur incapacité à imposer leur propre perspective de classe en est la cause essentielle – et pas le chacun-contre-tous. Pour moi, le CCI s’éloigne de sa position originelle sur la décomposition en donnant au “chacun-contre-tous” une importance occasionnelle similaire à l’absence de perspective. Comme je le comprends, l’organisation évolue vers la position que, avec la décomposition, il y a un nouveau facteur qui n’existait pas dans les phases précédentes du capitalisme décadent. Ce facteur est la prédominance du chacun-contre-tous, des forces centrifuges, alors qu’avant la décomposition, la tendance à la discipline de bloc, les forces centripètes, tendaient à prendre le dessus. Pour moi, et en opposition à cela, il n’y a pas de tendance majeure dans la phase de décomposition qui n’existait pas déjà dans la phase de décadence. La qualité nouvelle de la phase de décomposition consiste en ce que les contradictions déjà existantes sont exacerbées. Il en est ainsi pour la tendance au chacun-contre-tous, qui est exacerbée dans la décomposition. Mais la tendance à la guerre entre puissances dominantes est également exacerbée, tout comme le sont toutes les tensions autour des manœuvres vers de nouveaux blocs, des tentatives des États-Unis pour supprimer tout nouveau concurrent, etc.
C’est pourquoi j’ai soumis l’amendement suivant au point 15 de la résolution, rappelant la persistance de la bipolarisation impérialiste (le développement d’une rivalité principale entre deux grandes puissances) et les dangers que cela représente pour le futur de l’humanité :
“Pendant la période des blocs militaires après 1945, deux types de guerre étaient principalement à l’ordre du jour :
– une éventuelle Troisième Guerre mondiale, qui aurait probablement conduit à l’anéantissement de l’humanité ;
– […] des guerres locales plus ou moins bien contrôlées par les deux chefs de file de bloc.
Actuellement, bien que la Troisième Guerre mondiale ne soit pas à l’ordre du jour, cela ne signifie pas que la tendance à la bipolarité des antagonismes impérialistes ait disparu. La montée et l’expansion de la Chine, qui pourrait éventuellement défier les États-Unis, est actuellement la principale expression de cette tendance (pour l’instant encore clairement secondaire) à la formation de nouveaux blocs.
Quant au phénomène des guerres locales, elles se sont bien sûr poursuivies sans relâche en l’absence de blocs, mais ont une tendance beaucoup plus forte à échapper à tout contrôle, étant donné le nombre de puissances régionales et de grandes puissances impliquées, et le degré et l’étendue des destructions et du chaos qu’elles provoquent. Dans ce contexte, le danger de l’utilisation de bombes atomiques et d’autres armes de destruction massive est plus grand qu’auparavant, ainsi que le risque d’affrontements militaires directs y compris entre les grandes puissances elles-mêmes”.
Le rejet de cet amendement par le congrès est parlant. Nous tournons le dos à ce qui est probablement le plus important danger de guerre entre les grandes puissances dans les années à venir : que les États-Unis utilisent leur supériorité militaire encore existante contre la Chine pour tenter de stopper l’ascension de cette dernière. En d’autres termes, le danger actuel n’est effectivement pas celui d’une Guerre mondiale entre deux blocs impérialistes, mais celui d’aventures militaires visant soit à obtenir, soit à empêcher une remise en cause du statu quo impérialiste existant, et qui serait susceptible de devenir une conflagration mondiale incontrôlable très différente des deux guerres mondiales du XXe siècle. La rivalité sino-américaine actuelle ressemble à celle qui existait à l’époque de la Première Guerre mondiale entre l’Allemagne, qui était un nouveau challenger, et la Grande-Bretagne, puissance mondiale installée. Ce dernier conflit a entraîné le déclin des deux pays. Mais cela se passait à l’échelle européenne, alors qu’aujourd’hui, cela se passe à l’échelle mondiale, de sorte qu’il n’y a plus de tierce partie (comme l’Amérique pendant les deux guerres mondiales) attendant d’intervenir de l’extérieur pour en récolter les fruits. Aujourd’hui, le no future concerne très probablement tout le monde. Loin d’être exclus par notre théorie de la décomposition, les conflits contemporains ouverts entre les grandes puissances la confirment.
Dans une réponse sur notre site internet à une critique de cette partie de la Résolution du 23e congrès par un sympathisant du CCI (Mark Hayes), après avoir affirmé que “le militarisme et la guerre impérialiste sont toujours des caractéristiques fondamentales de cette phase finale de la décadence”, nous ajoutons “même si les blocs impérialistes ont disparu et ne vont probablement pas se reformer”. Dans la même réponse, nous affirmons : “La perspective est celle de guerres locales et régionales, leur propagation vers les centres mêmes du capitalisme par la prolifération du terrorisme, ainsi que le désastre écologique croissant, et la putrification générale”. Les guerres régionales, la prolifération du terrorisme, les catastrophes écologiques : oui ! Mais pourquoi excluons-nous si soigneusement de cette perspective le danger d’affrontements militaires entre les grandes puissances ? Et pourquoi affirmons-nous que les blocs impérialistes ne vont probablement pas se reformer ? En fait, ce que nous avons tendance à oublier, c’est que le “chacun pour soi” n’est qu’un des pôles d’une contradiction, dont l’autre pôle est la tendance à la bipolarité et aux blocs impérialistes.
La tendance au “chacun pour soi” et la tendance à la bipolarité existent toutes deux de façon permanente et simultanée dans le capitalisme décadent. La tendance générale est que l’une prenne le dessus sur l’autre, de sorte que l’une est primordiale et l’autre secondaire. Mais aucune des deux ne disparaît jamais. Même au plus fort de la guerre froide (lorsque le monde étit divisé en deux blocs qui sont restés stables pendant des décennies), la tendance au “chacun pour soi” n’a jamais complètement disparu (il y avait des deux côtés des confrontations militaires entre les membres d’un même bloc). Même à l’apogée du “chacun pour soi” et de la supériorité écrasante des États-Unis (après 1989), la tendance à la formation de blocs n’a jamais complètement disparu (comme le montre la politique de l’Allemagne dans les Balkans et en Europe de l’Est après sa réunification). De plus, la domination d’une tendance peut rapidement passer à l’autre, car elles ne s’excluent pas mutuellement. L’impérialisme du “chacun pour soi” des années 1920, par exemple (atténué seulement par la peur de la révolution prolétarienne) s’est transformé en la constellation de blocs de la Seconde Guerre mondiale. La bipolarité de l’après-guerre s’est rapidement transformée en un affrontement sans précédent de chacun contre tous en 1989. Tout cela n’est pas nouveau. C’est la position que le CCI a toujours défendue.
Le principal obstacle à la tendance à la bipolarité impérialiste dans le capitalisme décadent n’est pas le “chacun pour soi”, mais l’absence d’un candidat suffisamment fort pour lancer un défi mondial à la puissance dominante. C’était déjà le cas après 1989. Le renforcement de la tendance bipolaire ces dernières années est donc avant tout le résultat de la montée en puissance de la Chine.
À ce niveau, nous avons un problème d’assimilation de notre propre position. Si nous pensons que le “chacun pour soi” est une cause majeure de décomposition, l’idée même que le pôle opposé, celui de la bipolarité, est en train de se renforcer et pourrait même prendre le dessus un jour, apparaît nécessairement comme une “remise en cause de notre position sur la décomposition”. Il est vrai que, en 1989, c’est l’effondrement du bloc de l’Est (rendant son homologue occidental superflu) qui a inauguré la phase de décomposition, déclenchant la plus grande explosion du “chacun pour soi” de l’histoire moderne. Mais ce “chacun pour soi” était le résultat, et non la cause, de développements plus profonds : l’impasse entre les classes. Au cœur de ces développements, il y a eu la perte de perspective, le no future qui prévaut et qui caractérise cette phase terminale. Plus récemment, la vague actuelle de populisme politique est une autre manifestation de ce manque fondamental de perspective de la part de toute la classe dirigeante. C’est pourquoi j’ai proposé l’amendement suivant au point 4 de la Résolution :
“Le populisme contemporain est un autre signe clair d’une société qui se dirige vers la guerre :
– la montée du populisme lui-même n’est pas le moindre des produits de l’agressivité croissante et des pulsions de destruction générées par la société bourgeoise actuelle ;
– mais comme cette agressivité “spontanée” ne suffit pas à mobiliser la société pour la guerre, la classe dirigeante a besoin aujourd’hui de mouvements populistes à cette fin.
En d’autres termes, ils sont à la fois un symptôme et un facteur actif de la poussée vers la guerre”.
Cet amendement a également été rejeté par le congrès. Selon les termes de la commission d’amendement :
“Nous ne sommes pas en désaccord avec le fait que le populisme s’inscrit dans un climat de violence croissante dans la société, mais nous pensons qu’il y a une différence de conception sur la marche vers la guerre qui ne correspond pas à l’approche générale de la résolution”. C’est tout à fait exact. L’intention de l’amendement était de modifier, voire de corriger, la Résolution sur ce point. (La commission d’amendement a d’ailleurs donné le même argument pour son rejet de l’amendement au point 15, voir ci-dessus). Il voulait non seulement tirer la sonnette d’alarme par rapport au danger croissant de guerre, mais aussi montrer que l’irrationalité particulière du populisme n’est qu’une partie de l’irrationalité de la classe bourgeoise dans son ensemble. Cette irrationalité est déjà une caractéristique majeure du capitalisme décadent, bien avant sa décomposition : la tendance d’une partie croissante de la classe dirigeante à agir d’une manière préjudiciable à ses propres intérêts. Ainsi, toutes les grandes puissances européennes sont sorties affaiblies de la Première Guerre mondiale. Et le défi lancé au reste du monde par l’Allemagne et le Japon lors de la Seconde Guerre mondiale avait déjà quelque chose de suicidaire. Mais cette tendance n’était pas encore totalement dominante. En particulier, les États-Unis ont profité économiquement et militairement de leur participation aux deux guerres mondiales. Et l’on pourrait même dire que, pour le bloc occidental, la guerre froide s’est avérée avoir une certaine rationalité, puisque sa politique d’endiguement militaire et d’étranglement économique a contribué à l’effondrement de son homologue oriental sans Guerre mondiale. En revanche, dans la phase de décomposition, c’est la première puissance mondiale elle-même, les États-Unis, qui est à l’avant-garde de la création du chaos, de la fureur incontrôlable, et il est difficile de voir comment qui que ce soit pourrait tirer profit de guerres entre les États-Unis et la Chine. L’irrationalité et le no future sont les deux faces d’une même médaille, une tendance majeure du capitalisme décadent. Dans ce contexte, lorsque certains des courants populistes d’Europe occidentale continentale préconisent désormais de faire des affaires à l’avenir avec la Russie ou la Chine et sont prêts à rompre avec leurs ennemis “anglo-saxons” préférés (les États-Unis et la Grande-Bretagne), il s’agit clairement d’une expression de no future. Mais, en s’opposant à eux, la rationalité des gens comme Angela Merkel consiste à reconnaître que, si la polarisation entre l’Amérique et la Chine continue à s’accentuer comme à l’heure actuelle, l’Allemagne n’aurait d’autre choix que de prendre le parti des États-Unis, sachant qu’elle ne permettrait en aucun cas à l’Europe de tomber sous la domination “asiatique”.
Si l’on passe à la Résolution sur la lutte des classes, on constate fondamentalement la même divergence sur l’application du concept de décomposition. Une partie essentielle de la Résolution est le point 5, puisqu’elle traite des problèmes de la lutte des classes dans les années 1980, la décennie à la fin de laquelle la phase de décomposition commence. Résumant les leçons de cette décennie, elle conclut comme suit :
“Mais pire encore, avec cette stratégie de division des travailleurs et d’encouragement du “chacun pour soi”, la bourgeoisie et ses syndicats ont pu présenter les défaites de la classe ouvrière comme des victoires.
Les révolutionnaires ne doivent pas sous-estimer le machiavélisme de la bourgeoisie dans l’évolution de l’équilibre des forces de classe. Ce machiavélisme ne peut que se poursuivre avec l’aggravation des attaques contre la classe exploitée. La stagnation de la lutte de classe, puis son recul à la fin des années 1980, résultent de la capacité de la classe dominante à retourner contre la classe ouvrière certaines manifestations de la décomposition de la société bourgeoise, notamment la tendance au “chacun pour soi”.”
Le point 5 souligne à juste titre l’importance de l’impact négatif du “chacun pour soi” sur les luttes des travailleurs aujourd’hui. Il est également juste de souligner le machiavélisme de la classe dominante dans la promotion de cette mentalité. Ce qui est frappant, cependant, c’est que le problème du manque de perspective est absent de cette analyse des difficultés de la lutte des classes. Ce qui est d’autant plus remarquable que les années 1980 sont entrées dans l’histoire comme la décennie du no future. C’est la même approche que nous avons déjà rencontrée concernant l’impérialisme. Les événements sont analysés avant tout du point de vue du “chacun pour soi”, au détriment du problème du manque de perspective. Afin de corriger cela, j’ai proposé l’amendement suivant, à ajouter à la fin du point :
“Toutefois, ces confrontations avec les syndicats n’ont en rien inversé, ni même stoppé, la régression au niveau de la perspective révolutionnaire. Cela a été encore plus le cas dans les années 1980 que dans les années 1970. Les deux luttes ouvrières les plus importantes et les plus massives de la décennie (Pologne 1980, mineurs britanniques) ont eu pour résultat un prestige accru des syndicats impliqués”.
Le congrès a rejeté cet amendement. L’argument invoqué par la commission d’amendement (CA) était le suivant :
“La régression dans la perspective révolutionnaire a commencé avec la chute des régimes staliniens en 1989. La Pologne de 1980 n’a pas eu les mêmes caractéristiques que la lutte des mineurs en Grande-Bretagne en 1984-1985. En Pologne, il y a eu une dynamique de grève de masse, avec l’extension géographique du mouvement et l’auto-organisation en assemblées générales souveraines (MKS) dans un pays stalinien, avant la fondation du syndicat Solidarnosc. La Pologne de 1980 a été le dernier mouvement de la deuxième vague de luttes. En raison de la perte de certains de nos acquis, nous devons relire nos analyses de la troisième vague de luttes”.
Cela a au moins le mérite d’être clair : avant 1989, il n’y a pas eu de régression dans la perspective révolutionnaire. Mais quelle est la corrélation avec notre analyse de la décomposition ? Selon cette analyse, c’est l’incapacité des deux classes principales à avancer leurs propres solutions qui a provoqué et conduit à la phase de décomposition. Si cette dernière commence en 1989, ce qui l’a provoquée doit déjà avoir existé auparavant : l’absence de perspective, que ce soit de la part de la bourgeoisie ou du prolétariat. La commission d’amendement, mais aussi le point 5 de la Résolution elle-même, citent la Pologne comme preuve qu’il n’y a pas eu de régression dans la perspective avant 1989. Mais la Pologne prouve le contraire. La première vague de luttes d’une nouvelle génération invaincue du prolétariat, qui a débuté en 1968 en France et en 1969 en Italie, a produit une nouvelle génération de minorités révolutionnaires. Le CCI lui-même est un produit de ce processus. En revanche, la vague de luttes de la fin des années 1970, qui a culminé avec la grève de masse de 1980 en Pologne, n’a rien produit de tel. Et ce qui a suivi, dans les années 1980, a été une crise qui a touché l’ensemble du milieu politique prolétarien existant. Aucune des grandes luttes ouvrières des années 1980 n’a produit ni un élan politique dans l’ensemble de la classe, ni un élan révolutionnaire parmi ses minorités révolutionnaires, comme celui de la décennie précédente. Ignorant cela, la Résolution présente les choses comme si chacune d’entre elles était la principale faiblesse, soigneusement séparée de la question de la perspective. Cette approche du congrès est également soulignée dans le rejet d’un autre amendement que j’ai formulé et qui disait que “déjà avant les événements historiques mondiaux de 1989, la lutte des classes était en train de “piétiner” au niveau de la combativité et de régresser par rapport à la perspective révolutionnaire”. L’argument de la commission d’amendement était : “Cet amendement introduit l’idée qu’il y avait une continuité entre les difficultés de la lutte des classes dans les années 1980 (piétinement) et la rupture provoquée par l’effondrement du bloc de l’Est”. Donc, il n’y a pas de “continuité” ? On peut bien sûr argumenter en ce sens. Mais cela a-t-il un rapport avec notre analyse de l’impasse dans laquelle se trouvent les classes, qui est à l’origine de la décomposition ? L’année 1989 a effectivement été une rupture, mais avec une préhistoire de la lutte des classes, ainsi que de la lutte impérialiste. Bien que cette idée du “chacun pour soi” comme étant au centre de la décomposition, au même titre que l’absence de perspective, ne soit pas (ou pas encore ?) la position officielle de l’organisation, je dirais qu’elle est au moins implicite dans l’argumentation de cette Résolution.
Au point 6 de la Résolution, les événements autour de 1989, et leur lien avec la lutte des classes, sont traités comme ceci :
“Alors que la troisième vague de luttes commençait à s’épuiser à la fin des années 1980, un événement majeur de la situation internationale, l’effondrement spectaculaire du bloc de l’Est et des régimes staliniens en 1989, a porté un coup brutal à la dynamique de la lutte des classes, modifiant ainsi de façon majeure l’équilibre des forces entre le prolétariat et la bourgeoisie au profit de cette dernière. Cet événement a annoncé haut et fort l’entrée du capitalisme dans la phase finale de sa décadence : celle de la décomposition. Lorsque le stalinisme s’est effondré, il a rendu un dernier service à la bourgeoisie. Il a permis à la classe dominante de mettre fin à la dynamique de lutte des classes qui, avec des avancées et des reculs, s’était développée pendant deux décennies.
En effet, dans la mesure où ce n’est pas la lutte du prolétariat mais la pourriture de la société capitaliste sur ses pieds qui a mis fin au stalinisme, la bourgeoisie a pu exploiter cet événement pour déclencher une gigantesque campagne idéologique visant à perpétuer le plus grand mensonge de l’histoire : l’identification du communisme avec le stalinisme. Ce faisant, la classe dominante a porté un coup extrêmement violent à la conscience du prolétariat. Les campagnes assourdissantes de la bourgeoisie sur la soi-disant “faillite du communisme” ont conduit à une régression du prolétariat dans sa marche vers sa perspective historique de renversement du capitalisme. Elles ont porté un coup majeur à son identité de classe”.
Ici les événements dramatiques de 1989 semblent n’avoir rien à voir avec l’équilibre global des forces de classe. Cette hypothèse est cependant en contradiction, non seulement avec notre théorie de la décomposition, mais aussi avec notre théorie du cours historique. Selon le CCI, c’est le bloc de l’Est, après 1968, qui, parce qu’il prenait de plus en plus de retard sur tous les plans, a dû chercher une solution militaire à la guerre froide. Attaquant en Europe avec des moyens de guerre “conventionnels” (où l’équilibre des forces ne lui était pas si défavorable), le Pacte de Varsovie devait placer ses espoirs dans le fait que son ennemi occidental (par peur de la MAD, “destruction mutuelle assurée”) n’oserait pas riposter au niveau nucléaire. Mais, dans les années 1979 et 1980, le bloc de l’Est n’a pas pu jouer cette carte, et l’une des raisons principales est qu’il ne pouvait pas compter sur l’immobilité de sa “propre” classe ouvrière. Cela était pourtant essentiel pour une guerre d’une telle ampleur. À ce niveau, la grève de masse de 1980 en Pologne a été une justification massive de notre analyse. Les troupes soviétiques, mobilisées à l’époque près de la frontière en préparation d’une invasion de la Pologne, se sont mutinées, les soldats refusant de marcher contre leurs sœurs et frères de classe en Pologne. Mais la Pologne 1980 a démontré non seulement que le prolétariat était un obstacle à la Guerre mondiale, mais aussi qu’il était incapable d’aller plus loin que ce blocage de son ennemi de classe pour faire avancer sa propre alternative révolutionnaire. La classe ouvrière à l’Ouest aurait dû s’engouffrer dans la brèche. Mais dans les années 1980, elle n’a pas pu le faire. Le décor était donc planté pour l’impasse qui allait déboucher sur la phase de décomposition de la fin de la décennie. La Résolution est tout à fait juste, l’effondrement du stalinisme en 1989, et l’utilisation maximale qui en a été faite par la propagande bourgeoise, a été le coup principal porté à la combativité, à l’identité de classe, à la conscience de classe du prolétariat. Ce que je conteste, c’est l’affirmation que cela n’avait pas été préparé auparavant par l’impasse entre les classes, et en particulier par l’affaiblissement de la présence de la perspective du côté du prolétariat. Apparemment sans s’en rendre compte, la Résolution elle-même admet l’existence de ce lien entre 1989 et avant quand elle écrit (point 6) que la bourgeoisie a pu exploiter cet événement “dans la mesure où ce n’est pas la lutte du prolétariat mais la pourriture de la société capitaliste sur ses pieds qui a mis fin au stalinisme”.
Les luttes ouvrières de la fin des années 1960 ont mis fin à la contre-révolution, non seulement parce qu’elles étaient massives, spontanées et souvent auto-organisées, mais aussi parce qu’elles ont permis de sortir de l’emprise idéologique de la guerre froide selon laquelle il fallait être du côté du “communisme” (le bloc de l’Est) ou de la “démocratie” (le bloc de l’Ouest). Avec le combat ouvrier des années 1960 est apparue l’idée d’une lutte contre la classe dominante à l’Est et à l’Ouest, du marxisme contre le stalinisme, d’une révolution par le biais de conseils ouvriers menant au communisme réel. Cette première politisation (comme le souligne la Résolution) a été contrée avec succès par la classe dominante au cours des années 1970. Face à la dépolitisation qui s’ensuivit, on espérait dans les années 1980 que les luttes économiques, en particulier la confrontation avec les syndicats, pourraient devenir le creuset d’une repolitisation, peut-être même à un niveau supérieur. Mais bien qu’il y ait eu des luttes massives dans les années 1980, bien qu’il y ait eu des confrontations avec les syndicats, et même avec le syndicalisme de base radical, principalement à l’Ouest, mais aussi, par exemple, en Pologne contre le nouveau syndicat “libre”, elles n’ont pas produit la politisation espérée. Cet échec est déjà reconnu par notre théorie de la décomposition, puisqu’elle définit la nouvelle phase comme une phase sans perspective, et cette absence de perspective comme la cause de l’impasse. La politisation prolétarienne est toujours politique par rapport à un objectif qui dépasse le capitalisme. En raison de la centralité de l’idée d’une sorte d’impasse entre les deux classes principales dans notre théorie de la décomposition, les différences d’évaluation des luttes des années 1980 sont particulièrement pertinentes pour l’estimation de la lutte des classes jusqu’à ce jour. Selon la Résolution, le combat prolétarien, malgré tous les problèmes auxquels il se heurtait, se développait fondamentalement de manière positive jusqu’à ce qu’en 1989, il soit arrêté dans sa course par un événement historique mondial qui lui était fondamentalement extérieur. Comme les effets de ces événements, même les plus accablants, sont voués à s’estomper avec le temps, nous devrions être assez confiants dans la capacité de la classe à reprendre son voyage interrompu sur le même chemin. Ce chemin est celui de sa radicalisation politique à travers ses luttes économiques. De plus, ce processus sera accéléré par l’aggravation de la crise économique, qui oblige les travailleurs à lutter et leur fait perdre leurs illusions, en leur ouvrant les yeux sur la réalité du capitalisme. C’est pourquoi la Résolution préconise le modèle des années 1980 comme la voie à suivre. En se référant à la grève de masse de 1980, elle dit :
“Cette lutte gigantesque de la classe ouvrière en Pologne a révélé que c’est dans la lutte massive contre les attaques économiques que le prolétariat peut prendre conscience de sa propre force, affirmer son identité de classe qui est antagonique au Capital, et développer sa confiance en soi”.
La Résolution pense peut-être à ces luttes économiques lorsqu’elle conclut le point 13 par une citation de nos Thèses sur la décomposition :
“Aujourd’hui, la perspective historique reste complètement ouverte. Malgré le coup que l’effondrement du bloc de l’Est a porté à la conscience prolétarienne, la classe n’a pas subi de défaites majeures sur le terrain de sa lutte. […] De plus, et c’est l’élément qui déterminera en dernière analyse l’issue de la situation mondiale, l’aggravation inexorable de la crise capitaliste constitue le stimulant essentiel de la lutte de classe et du développement de la conscience, la condition préalable de sa capacité à résister au poison distillé par la pourriture sociale. Car si l’unification de la classe dans les luttes partielles contre les effets de la décomposition n’est pas possible, sa lutte contre les effets directs de la crise constitue néanmoins la base du développement de sa force et de son unité de classe”.
C’est tout à fait vrai. Mais la lutte du prolétariat contre les effets de la crise capitaliste a une dimension non seulement économique, mais aussi politique et théorique. La dimension économique est indispensable : une classe incapable de défendre ses intérêts immédiats ne sera jamais en mesure de faire une révolution. Mais les deux autres dimensions ne sont pas moins indispensables. Cela est d’autant plus vrai aujourd’hui, alors que le problème central est le manque de perspective. Déjà dans les années 1980, la principale faiblesse de la classe ne se situait pas au niveau de ses luttes économiques, mais au niveau politique et théorique. Sans un développement qualitatif à ces deux niveaux, les luttes économiques défensives auront de plus en plus de difficultés à rester sur un terrain prolétarien de solidarité de classe. Ceci est d’autant plus vrai aujourd’hui que nous sommes arrivés à un stade où la dépolitisation, qui était déjà une caractéristique majeure dans les années 1980, est remplacée par différentes versions de la politisation putride telles que le populisme et l’anti-populisme, l’antimondialisation, les causes identitaires et les révoltes interclassistes. C’est sur la base de l’avancée de toutes ces politisations putrides au cours des dernières années que j’ai présenté au congrès l’analyse suivante de l’équilibre actuel des forces de classe :
“Cependant, ces premières réactions prolétariennes n’ont pas réussi à inverser le reflux mondial de la combativité, de l’identité de classe et de la conscience de classe depuis 1989. Au contraire, ce que nous vivons actuellement n’est pas seulement la prolongation, c’est même l’approfondissement de ce reflux. Au niveau de l’identité de classe, la modification du discours de la classe dominante est l’indication la plus claire de cette régression. Après des années de propagande sur la prétendue disparition de l’identité de classe prolétarienne dans les anciens foyers capitalistes, c’est aujourd’hui la droite populiste qui a “redécouvert” et “réhabilité” la classe ouvrière comme le “vrai cœur de la nation” (Trump)”.
Et :
“Au niveau de la perspective révolutionnaire, la manière dont même les représentants institutionnels classiques de l’ordre dominant (comme le Fonds monétaire international) rendent le capitalisme responsable du changement climatique, de la destruction de l’environnement ou du fossé croissant entre les revenus des riches et des pauvres, montre à quel point la bourgeoisie, en tant que classe dirigeante, est, pour l’instant, assise en sécurité et en confiance sur sa selle. Tant que le capitalisme est considéré comme faisant partie (de la forme contemporaine, pour ainsi dire) de la “nature humaine”, ce discours anticapitaliste, loin d’être l’indice d’une maturation, est le signe d’un nouveau recul de la conscience au sein de la classe”.
Le congrès a rejeté cette analyse de l’approfondissement du recul depuis 1989. Il n’a pas non plus partagé mon souci de rappeler que les luttes défensives, en elles-mêmes, sont tout sauf une garantie que la cause prolétarienne est sur la bonne voie :
“Cependant, la mesure dans laquelle la crise économique peut être l’alliée de la révolution prolétarienne et le stimulant de l’identité de classe dépend d’une série de facteurs, dont le plus important est le contexte politique. Au cours des années 1930, même les luttes défensives les plus militantes, les plus radicales et les plus massives (occupations d’usines en Pologne, manifestations de chômeurs aux Pays-Bas, grèves générales en Belgique et en France, grèves sauvages en Grande-Bretagne (même pendant la guerre) et aux États-Unis, et même un mouvement prenant une forme insurrectionnelle (Espagne) n’ont pas réussi à inverser la régression de la conscience de classe. Dans la phase actuelle, des défaites partielles de la classe, y compris au niveau de sa conscience de classe, sont tout sauf exclues. Elles entraveraient à leur tour le rôle de la crise en tant qu’alliée de la lutte de la classe.
Mais contrairement aux années 1920/1930, de telles défaites ne conduiraient pas à une contre-révolution, puisqu’elles n’ont été précédées d’aucune révolution. Le prolétariat serait encore capable de se remettre de telles défaites, qui auraient beaucoup moins de chances d’avoir un caractère définitif”. (amendement rejeté, fin du point 13).
Cette question de savoir s’il y a ou non un nouvel affaiblissement du prolétariat au niveau de l’équilibre actuel des forces de classe était l’une des deux divergences majeures du congrès concernant la lutte de classe. L’autre concernait la maturation souterraine qui, selon la résolution, se produit actuellement au sein de la classe. Il s’agit d’une maturation souterraine de la conscience, non encore visible, la fameuse “vieille taupe” dont parle Marx. La divergence au congrès ne portait pas sur la validité générale de ce concept de Marx, que nous partageons tous. Il ne s’agissait pas non plus de savoir si un tel processus peut ou non avoir lieu même lorsque les luttes ouvrières sont en recul, nous affirmons tous qu’il le peut. La question débattue était de savoir si un tel processus a lieu ou non en ce moment même. Le problème ici est que la Résolution ne peut fournir aucune preuve empirique à l’appui de cette affirmation. Soit son postulat est le fruit de vœux pieux, soit il relève d’une logique purement déductive, selon laquelle ce qui devrait se produire (d’après notre analyse) peut être supposé se produire. Les preuves fournies sont sans fondement : la persistance d’organisations révolutionnaires, l’existence de contacts de ces organisations. Bien que la vieille taupe s’enfouisse dans le sol, elle laisse des traces de sa présence à la surface. Je critique l’inadéquation des indications données dans la résolution :
“En ce sens, le développement qualitatif de la conscience de classe par les minorités révolutionnaires ne nous donne pas, en soi, une indication de ce qui se passe momentanément au niveau de la maturation souterraine au sein de la classe dans son ensemble – puisque cela peut avoir lieu aussi bien pendant une phase révolutionnaire que contre-révolutionnaire, aussi bien pendant les phases de développement que de reflux de la classe dans son ensemble. De même, l’émergence de petites minorités et de jeunes éléments à la recherche d’une perspective de classe et de positions communistes de gauche est également possible même pendant les heures les plus sombres de la contre-révolution, puisqu’elles sont avant tout l’expression de la nature révolutionnaire du prolétariat (qui ne disparaît jamais tant que la classe ouvrière existe). Il en serait autrement si toute une nouvelle génération de militants révolutionnaires commençait à apparaître. Mais il est encore trop tôt pour porter un jugement sur cette possibilité maintenant”. (amendement rejeté).
Et j’ai proposé les critères suivants :
“Il n’est, par définition, pas facile de détecter une maturation souterraine en dehors des périodes de lutte ouverte : difficile, mais pas impossible. Il y a deux indicateurs des activités souterraines de la vieille taupe auxquels nous devons particulièrement veiller :
a) la politisation de secteurs plus larges des éléments en recherche de la classe, comme nous l’avons vu dans les années 1960-1970 ;
b) le développement d’une culture de la théorie et d’une culture du débat (telles qu’elles ont commencé à s’exprimer avec naïveté depuis l’anti-CPE jusqu’aux Indignados) en tant que manifestations fondamentales du prolétariat, en tant que classe de la conscience et de l’association. Sur la base de ces deux critères, il est très probable que nous traversons actuellement une phase de “régression souterraine” (où la vieille taupe a fait une pause temporaire), caractérisée par un nouveau renforcement de la suspicion à l’égard des organisations politiques, par l’attraction inhérente à la petite bourgeoisie politique et par un affaiblissement de l’effort théorique et de la culture du débat”.
Sans son objectif au-delà du capitalisme, le mouvement ouvrier ne peut pas défendre efficacement ses intérêts de classe. Les luttes économiques en elles-mêmes (aussi indispensables soient-elles) ne peuvent pas non plus suffire pour retrouver la conscience de classe révolutionnaire (y compris sa dimension d’identité de classe). En fait, au cours du quart de siècle qui a suivi 1989, le facteur unique le plus important de la lutte de classe prolétarienne n’était pas celui des luttes de défense économique, mais le travail théorique et analytique des minorités révolutionnaires, surtout pour développer une compréhension profonde de la situation historique existante, et une réhabilitation profonde et convaincante de la réputation du communisme. Cette évaluation peut sembler étrange, étant donné que les minorités révolutionnaires ne sont qu’une poignée de militants, comparées aux plusieurs milliards qui composent le prolétariat mondial dans son ensemble. Cependant, au cours de l’histoire, de minuscules minorités ont régulièrement développé, sans aucune participation des masses, des idées capables de révolutionner le monde, capables de “conquérir les masses” à terme. Une des principales faiblesses du prolétariat dans les deux décennies qui ont suivi 1989 a été en fait l’incapacité de ses minorités à accomplir ce travail. Les groupes historiques de la Gauche communiste ont une responsabilité particulière dans cet échec. Le résultat a été que, lorsqu’une nouvelle génération de prolétaires politisés a commencé à apparaître (comme les Indignados en Espagne ou les différents mouvements “d’occupation” à la suite des crises “financière” et de l’ “Euro” après 2008), le milieu politique prolétarien existant n’a pas été en mesure de les armer suffisamment avec les armes politiques et théoriques dont ils auraient eu besoin pour s’orienter et se sentir inspirés pour faire face à la tâche d’inaugurer le début de la fin du reflux prolétarien.
Steinklopfer, 24 mai 2020
Les textes de discussion que nous publions ici sont le produit d’un débat interne au sein du CCI sur la signification et la direction de la phase historique de la vie du capitalisme décadent qui s’est définitivement ouverte suite à l’effondrement du bloc impérialiste russe en 1989 : la phase de décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste. L’une des idées centrales du texte d’orientation que nous avons publié en 1991, les Thèses sur la décomposition [9], est que l’histoire n’est jamais figée : tout comme la période de décadence capitaliste a sa propre histoire, la phase de décomposition a la sienne, et il est essentiel pour les révolutionnaires d’analyser les changements les plus importants survenus en son sein. C’est la motivation que l’on trouve derrière le texte du camarade Steinkopfler, dont le point de départ est la reconnaissance (pour l’instant uniquement par le CCI) que nous vivons effectivement dans la phase de décomposition, et que ses racines se trouvent dans l’impasse sociale entre les deux principales classes de la société, la bourgeoisie et le prolétariat, dont aucune des deux, face à la crise économique permanente, n’a été capable d’imposer sa perspective à la société : pour la bourgeoisie, la guerre impérialiste, pour le prolétariat, la révolution communiste mondiale. Mais au cours du débat sur la décomposition, qui englobe l’évolution des rivalités impérialistes et l’équilibre des forces entre les classes, des divergences sont apparues qui, pensons-nous, sont maintenant suffisamment mûres pour que l’on puisse les publier vers l’extérieur de l’organisation. De notre point de vue, les positions actuelles du camarade Steinkopfler tendent à affaiblir notre compréhension de la signification de la décomposition, mais c’est quelque chose que nous devons démontrer à travers une confrontation franche des idées.
La contribution du camarade commence par avancer que (de façon implicite au moins, comme il le dit plus tard) le CCI révise sa position sur les causes de la décomposition ; qu’au même niveau que l’impasse sociale, une des causes fondamentales de la décomposition est la tendance grandissante au “chacun pour soi” : “du point de vue de l’actuelle position de l’organisation, il semble apparaître une seconde cause essentielle et caractéristique de cette phase terminale, la tendance au chacun-contre-tous : entre les États, au sein de la classe dominante, au sein de la société bourgeoise au sens large”.
La conséquence de l’ajout de cette seconde cause est ainsi résumée : “Sur cette base, en ce qui concerne l’impérialisme, le CCI tend aujourd’hui à sous-estimer la tendance à la bipolarisation (et ainsi à l’éventuelle reconstitution de blocs impérialistes), et avec cela le danger grandissant de confrontations militaires entre les grandes puissances elles-mêmes. Sur la même base, le CCI aujourd’hui, concernant le rapport de force entre les classes, tend à sous-estimer l’importance de l’actuelle perte de perspective révolutionnaire du prolétariat, ce qui nous amène à penser qu’il peut recouvrer son identité de classe et commencer à reconquérir une perspective révolutionnaire essentiellement à travers les luttes défensives ouvrières”.
Le camarade Steinkopfler semble donc penser qu’il est seul à considérer qu’ “il n’y a aucune tendance majeure dans la phase de décomposition qui n’existait déjà auparavant dans la phase de décadence. La qualité nouvelle de la phase de décomposition consiste dans le fait que toutes les contradictions qui existaient déjà sont exacerbées à un niveau jamais atteint”.
Avant de répondre à la critique du camarade de notre position sur les conflits impérialistes ou sur l’état de la lutte de classe, nous pensons nécessaire de dire qu’aucune de ses descriptions de la compréhension générale qu’a l’organisation de la décomposition n’est exacte.
Les Thèses sur la décomposition ont déjà présenté cette phase comme “la conclusion, la synthèse de toutes les contradictions successives et expressions de la décadence capitaliste” : nous pouvons ajouter qu’elle est aussi la “conclusion” de certaines caractéristiques-clé de l’existence du capitalisme depuis sa naissance, comme la tendance à l’atomisation sociale qu’Engels, par exemple, avait déjà pointée dans sa Situation de la classe laborieuse en Angleterre en 1844.
Déjà en 1919, lors de son premier congrès, l’Internationale communiste le notait également [214] : “L’humanité, dont toute la culture a été dévastée, est menacée de destruction. Il n’est plus qu’une force capable de la sauver, et cette force, c’est le prolétariat. L’ancien “ordre” capitaliste n’est plus. Il ne peut plus exister. Le résultat final des procédés capitalistes de production est le chaos, et ce chaos ne peut être vaincu que par la plus grande classe productrice, la classe ouvrière”.
Et bien entendu ce jugement a été entièrement validé lorsque nous considérons l’état des pays centraux du capitalisme au lendemain de la Première Guerre mondiale : des millions de cadavres, de réfugiés, l’effondrement économique et la famine (et une pandémie mortelle). Un cauchemar similaire a hanté l’Europe et une grande partie du globe au lendemain de la Seconde Guerre impérialiste. Mais si nous regardons la situation du capitalisme sur la plus grande partie de la période entre 1914 et 1989, nous pouvons voir que la tendance vers le chaos total a été dans une large mesure maîtrisée (même si, comme le reconnaît le camarade Steinkopfler, elle n’a jamais complètement disparu) par la capacité de la classe dominante à imposer ses solutions et perspectives à la société : le cours à la guerre dans les années 1930, le partage du monde après 1945 et la formation des blocs, une longue période de reconstruction économique. Avec la crise économique prolongée depuis la fin des années 1960 et l’impasse de plus en plus totale entre les classes, la tendance à la fragmentation et au chaos à tous les niveaux s’est déchaînée au point qu’elle prend aujourd’hui une qualité nouvelle. Au contraire de l’assertion du camarade Steinkopfler, nous n’en concluons pas qu’elle serait devenue une “cause” de la décomposition, mais elle est certainement devenue un facteur actif de son accélération. C’est cette compréhension du changement qualitatif qui s’opère dans la phase de décomposition qui manque selon nous dans le texte du camarade Steinkopfler.
Nous voulons qu’il soit clair que, tout comme les signes de la décadence étaient déjà de plus en plus apparents avant la Première Guerre mondiale (capitalisme d’État, corruption des syndicats, course aux armements entre grandes puissances…), le CCI a noté les signes de la décomposition dès avant 1989 : la victoire des mollahs en Iran en 1979, l’attaque terroriste à Paris en 1986, la guerre au Liban, les difficultés rencontrées par la lutte de classe et d’autres encore. Aussi l’effondrement du bloc de l’Est n’a en aucun cas été un éclair dans un ciel d’azur, mais le produit d’un long développement qui l’a précédé.
Si on regarde les différences concrètes au niveau des antagonismes impérialistes, nous sommes certainement en retard dans la compréhension de la signification de l’émergence de la Chine, mais ces dernières années nous avons clairement intégré ce facteur dans nos analyses des rivalités impérialistes générales et de l’évolution de la crise économique mondiale. Nous ne rejetons pas l’idée que même dans un monde dominé au niveau impérialiste par le “chacun pour soi”, on peut voir une tendance définie à la “bipolarisation”, c’est-à-dire que les rivalités entre les deux États les plus puissants deviennent un facteur majeur dans la situation mondiale. En fait, cela a toujours été notre position, comme on peut le voir dans notre texte d’orientation Militarisme et décomposition, écrit lors de l’ouverture de la nouvelle phase, où nous affirmions que “la situation actuelle implique, sous la pression de la crise et des tensions militaires, une tendance à la reformation de deux nouveaux blocs impérialistes”. (1) Nous avons donc envisagé la possibilité que d’autres puissances (Allemagne, Russie, Japon…) se posent en rivales des États-Unis et deviennent candidates au rôle de nouvelle tête de bloc. De notre point de vue, à ce stade, aucun de ces prétendants n’a les “qualifications” nécessaires pour jouer ce rôle, et nous en avons conclu qu’il est très probable qu’aucun nouveau bloc impérialiste ne se reformera jamais, tout en insistant que cela ne signifie aucunement une atténuation des conflits impérialistes. Au contraire, ces conflits devraient prendre la forme d’un “chacun pour soi” de plus en plus chaotique, une menace, par bien des aspects, beaucoup plus dangereuse pour l’humanité que la période précédente, où les conflits nationaux et régionaux étaient à un certain niveau limités par la discipline de blocs. Nous pensons que ce pronostic a été largement confirmé, comme nous pouvons le voir de façon évidente dans les actuels conflits à multiples facettes en Syrie et en Libye.
Bien sûr, à ce niveau, comme nous l’avons dit, nous avons sous-estimé la possibilité pour la Chine d’émerger en tant que puissance mondiale majeure et comme sérieux rival des États-Unis. Mais l’émergence de la Chine elle-même est un produit de la phase de décomposition (2) et alors qu’elle doit fournir une preuve définitive de la tendance à la bipolarisation, il existe une grande différence entre le développement de cette tendance et un processus concret menant à la formation de nouveaux blocs. Si nous regardons les deux pôles majeurs, les attitudes de plus en plus agressives de chacun d’entre eux tendent à saper ce processus plutôt qu’à le renforcer. La Chine fait l’objet d’une profonde méfiance de la part de tous ses voisins, notamment de la Russie qui souvent ne s’aligne sur la Chine que pour défendre ses intérêts immédiats (comme elle le fait en Syrie), mais est terrifiée à l’idée de se retrouver subordonnée à la Chine en raison de la puissance économique de cette dernière, et reste l’un des plus féroces opposants au projet de Pékin de “route de la soie”. L’Amérique entre-temps s’est activement employée à démanteler pratiquement toutes les structures de l’ancien bloc qu’elle avait auparavant utilisées pour préserver son “nouvel ordre mondial” et qui permettaient de résister aux glissements des relations internationales vers le “chacun pour soi”. Elle traite de plus en plus ses alliés de l’OTAN en ennemis, et en général (comme le camarade Steinkopfler lui-même l’affirme clairement) elle est devenue l’un des facteurs principaux d’aggravation du caractère chaotique des relations impérialistes actuelles.
Dans cette situation, le danger de guerre reflète ce processus de fragmentation. Nous ne pouvons évidemment pas exclure la possibilité de confrontations militaires entre les États-Unis et la Chine, mais nous ne pouvons pas non plus ignorer les conflits de plus en plus irrationnels entre l’Inde et le Pakistan, entre Israël et l’Iran, entre l’Iran et l’Arabie Saoudite, etc. Mais c’est précisément la signification, et la terrible menace, du “chacun pour soi” en tant que facteur d’aggravation de la décomposition et mettant en danger le futur de l’humanité. Nous continuons à penser que cette tendance non seulement est en avance sur la tendance à la reformation de blocs, mais qu’elle entre directement en conflit avec elle.
Comme nous l’avons vu, le camarade Steinkopfler suggère que la résolution sur le rapport de forces entre les classes du 23e congrès ne s’intéresse plus au problème de la perspective révolutionnaire, et que ce facteur a disparu de notre compréhension des causes (et conséquences) de la décomposition. En fait, la question de la politisation de la lutte de classe et des efforts de la bourgeoisie pour empêcher son développement est au cœur de la résolution. Le ton est donné dès le premier point de la résolution, lequel parle du renouveau de la lutte de classe à la fin des années 1960 et de la réapparition d’une nouvelle génération de révolutionnaires : “Confrontée à la dynamique vers la politisation des luttes ouvrières, la bourgeoisie (qui avait été surprise par le mouvement de Mai 68) a immédiatement déployé une contre-offensive sur une large échelle et à long terme pour empêcher la classe ouvrière d’apporter sa propre réponse à la crise historique de l’économie capitaliste : la révolution prolétarienne”. En d’autres termes : pour la classe ouvrière, la politisation signifie essentiellement poser la question de la révolution : c’est exactement la même question que la “perspective révolutionnaire”. Et la résolution poursuit en montrant comment, confrontée aux vagues de lutte de classe sur la période entre 1968 et 1989, la classe dominante a utilisé toutes ses ressources et mystifications pour empêcher la classe ouvrière de développer cette perspective.
En ce qui concerne la question des luttes en Pologne, qui joue un rôle central dans l’argumentation du camarade Steinkopfler : il n’y a aucun désaccord entre nous sur le fait que la Pologne de 1980 a été un moment-clé dans l’évolution du rapport de forces entre les classes sur la période ouverte par les événements de Mai 68 en France. Le camarade a raison d’affirmer que, contrairement à Mai 68 et à la vague internationale de mouvements de classe qui l’a suivi, dont l’épicentre a été l’Europe de l’Ouest, les luttes en Pologne n’ont pas fait émerger une nouvelle génération d’éléments politisés, dont une partie (à partir de 1968) avait trouvé le chemin des positions de la Gauche communiste. Mais elle a néanmoins posé un profond défi à la classe ouvrière mondiale : la question de la grève de masse, de l’organisation autonome et de l’unification des ouvriers pour former une force dans la société. Les ouvriers polonais se sont élevés eux-mêmes à ce niveau, même s’ils ont été incapables de résister aux chants des sirènes du syndicalisme et de la démocratie au niveau politique. Comme nous l’avons dit à l’époque, et pour paraphraser Rosa Luxemburg à propos de la Révolution russe, la question en Pologne ne pouvait être que posée. Elle ne pouvait être résolue qu’internationalement, et avant tout par les bataillons politiquement les plus avancés de la classe en Europe de l’Ouest. Les ouvriers de l’Ouest allaient-ils relever le gant et développer à la fois une auto-organisation et une unification afin d’offrir une perspective de nouvelle société ? Le CCI a contribué par de nombreux textes au début des années 1980 à évaluer ce potentiel. (3)
Plus spécifiquement, la nouvelle vague de luttes qui a commencé en Belgique en 1983 sera-t-elle capable de relever le défi ? Alors que le CCI notait d’importantes avancées au sein de cette vague de luttes (les tendances à l’auto-organisation et à la confrontation au syndicalisme de base en France et en Italie, par exemple), cette vitale étape de la politisation n’a pas été franchie, et la troisième vague a commencé à rencontrer des difficultés. Lors du 8e congrès du CCI en 1988, il y a eu un débat animé entre les camarades qui trouvaient que la troisième vague de luttes avançait inexorablement, et ce qui était alors une minorité qui mettait en avant que la classe ouvrière souffrait déjà de l’impact de la décomposition du fait de l’atomisation, de la perte de son identité de classe, de l’idéologie du “chacun pour soi” sous la forme du corporatisme, etc., tout cela étant le résultat de l’incapacité de la classe de développer une perspective pour le futur de la société. Ainsi, et ici nous devons nous opposer à une formulation utilisée par la commission d’amendements de la résolution sur la lutte de classe du 23e congrès, à laquelle le camarade Steinkopfler fait référence dans son texte, il y a bien entendu une continuité entre les difficultés de la classe dans les années 1980 et le recul de la période post-1989. Mais à notre avis, ici aussi, le camarade Steinkopfler sous-estime le changement qualitatif induit par les événements de 1989, qui ont l’apparence de descendre du ciel sur la classe ouvrière, même si en réalité ils fermentaient depuis longtemps au sein de la société bourgeoise. Ils ont entraîné un recul de la conscience de classe et de la combativité qui a été plus profond et a duré plus longtemps que nous le soupçonnions, même si nous avons été capables de le prévoir au lendemain de l’effondrement du mur de Berlin.
Il n’y a aucun désaccord sur le fait que la classe ouvrière est entrée au cours des dernières décennies dans un long processus de déboussolement, caractérisé par la perte de son identité de classe et de sa perspective pour le futur. Nous sommes d’accord avec l’idée que certains mouvements qui ont eu lieu au cours de cette période de recul général ont montré la possibilité d’un renouveau de la lutte, en même temps qu’un niveau de combativité et qu’une conscience de l’impasse de la société capitaliste : ainsi que le dit le camarade Steinkopfler, nous avons vu dans ces mouvements “le développement d’une culture de la théorie et d’une culture du débat (tels qu’ils ont commencé à s’exprimer avec naïveté dans le mouvement anti-CPE et chez les Indignados) en tant que manifestations fondamentales du prolétariat en tant que classe consciente et associée”.
Cependant, nous sommes totalement en désaccord avec deux des conclusions du camarade sur les difficultés actuelles de la classe :
– que l’émergence du populisme est l’expression d’une société qui se tourne vers la guerre,
– que nous assistons aujourd’hui non pas à une maturation souterraine de la conscience, mais à une véritable “régression souterraine”.
Pour commencer, nous ne pensons pas que le populisme soit le produit de l’expression d’une claire course vers la guerre de la classe dominante des principaux pays capitalistes. Il s’agit certainement du produit d’un nationalisme aggravé et du militarisme, de la violence nihiliste et du racisme qui émanent de la décomposition de ce système. En ce sens, bien sûr, il a beaucoup de similitudes avec le fascisme des années 1930. Mais le fascisme était le produit d’une véritable contre-révolution, une défaite historique de la classe ouvrière, et il exprimait directement la capacité de la classe dominante à mobiliser le prolétariat pour une nouvelle guerre impérialiste à l’échelle mondiale. D’un autre côté, le populisme est le résultat du blocage entre les classes, lequel implique une absence de perspective non seulement pour une partie de la classe ouvrière, mais aussi pour la bourgeoisie elle-même. Il exprime une perte de contrôle de plus en plus importante de la bourgeoisie sur son appareil politique, une fragmentation grandissante à la fois au sein de chaque État national et au niveau des relations internationales. Si l’émergence du populisme signifiait réellement que la bourgeoisie a retrouvé la possibilité de mener la classe ouvrière vers la guerre, nous devrions en conclure que le concept de décomposition que nous avons défini n’est absolument plus valable. Cela impliquerait que la bourgeoisie a maintenant une “perspective” à offrir à la société, même si elle est totalement irrationnelle et suicidaire.
Le camarade Steinkopfler nous dit que “le populisme contemporain est un autre clair signe que la société évolue vers la guerre :
– l’émergence du populisme en elle-même n’est pas le moindre des produits de l’agressivité croissante et des pulsions destructrices générées par la société bourgeoise actuelle ;
– cependant cette agressivité “spontanée” n’est pas en elle-même suffisante pour mobiliser la société autour de la guerre, les mouvements populistes actuels sont nécessaires à cette fin à la classe dominante.
En d’autres termes, ils sont en premier lieu un symptôme et un facteur actif de la course à la guerre”.
Autrement dit, des phénomènes comme le Brexit en Grande-Bretagne ou comme le trumpisme aux États-Unis ne sont pas, d’abord et avant tout, le résultat d’une perte de contrôle de la bourgeoisie sur son appareil politique (et, de plus en plus, économique), une expression concentrée du court terme et de la fragmentation de la classe dominante. Au contraire : les factions populistes seraient les meilleurs représentants de la bourgeoisie, complètement unie derrière la mobilisation pour la guerre.
Compte tenu de sa vision du cours des événements, il n’est pas surprenant que le camarade Steinkopfler se méprenne en diagnostiquant une orientation de la bourgeoisie vers la guerre ou en soulignant de manière contradictoire les expressions de nature prolétariennes en 2006 et 2011, signes d’une maturation de la conscience et qui témoignent au contraire du fait que la bourgeoisie n’a pas en main toutes les cartes en sa faveur pour conduire la classe ouvrière à la guerre.
Certainement, comme le camarade nous le rappelle, nous avons toujours avancé que la conscience prolétarienne peut se développer en profondeur (largement, mais pas entièrement, du fait du nécessaire travail des organisations révolutionnaires en ce sens) même au cours d’une période de contre-révolution, alors qu’elle est sévèrement limitée en étendue, comme on l’a vu avec le travail des Fractions italienne et française de la Gauche communiste dans les années 1930 et 1940. Mais si elle se poursuit même au cours de telles périodes, que signifie le terme “régression souterraine” ? Cela n’implique-t-il pas que la situation aujourd’hui serait encore pire que celle des années 1930 ? Le texte du camarade ne nous dit pas clairement depuis combien de temps ce processus de régression souterraine dure : si nous voyons un développement de la conscience au sein de la jeune génération en 2006 et 2011, il est logique de dire que ces mouvements ont été précédés par un processus “souterrain” de maturation. En tout cas, nous sommes d’accord que sur le plan des luttes ouvertes et de l’étendue de la conscience de classe, ces avancées ont été, comme pour pratiquement chaque mouvement ascendant de la classe, suivis par une phase de recul : par exemple, quelques années après le mouvement des Indignés qui a été particulièrement fort à Barcelone, une partie des jeunes qui, en 2011, ont pris part aux assemblées et manifestations, qui ont mis en avant de véritables slogans internationalistes, sont maintenant tombés dans l’impasse absolue du nationalisme catalan.
Mais ça ne prouve pas que la Vieille Taupe aurait décidé elle-même de prendre des vacances, que ce soit en 2012 ou plus tôt. La période 2006/2011 a été accompagnée par l’émergence d’une minorité politisée qui s’est montrée très prometteuse, mais a en grande partie échoué dans le marais anarchiste ou moderniste, de sorte que leur contribution nette au développement réel du milieu révolutionnaire a été extrêmement limitée. Les minorités en recherche qui se sont développées ces dernières années, malgré leur jeunesse et de leur inexpérience, semblent démarrer à un niveau plus élevé que celles qui avaient émergé une décennie auparavant : en particulier, elles sont plus conscientes de la nature terminale du système capitaliste et de la nécessité de renouer avec la tradition de la Gauche communiste. De notre point de vue, de telles avancées sont précisément le produit d’une maturation souterraine.
D’après le camarade Steinkopfler, le fait que les récents mouvements qui se sont situés sur le terrain de “réformer” la société bourgeoise, comme les manifestations sur la question climatique, clament souvent avoir identifié le problème au niveau du système, de la société capitaliste elle-même, n’expriment rien moins que la confiance de la classe dominante, qui peut se permettre d’attiser le besoin d’aller au-delà du capitalisme précisément parce qu’elle ne craint aucunement que la classe ouvrière s’empare sérieusement d’un tel discours. Mais il n’est pas moins plausible que ce discours anti-capitaliste est un anticorps typique de la société bourgeoise, laquelle ressent un profond besoin de dévoyer tout questionnement naissant. En d’autres termes : alors que la nature apocalyptique de ce système devient toujours plus évidente, il devient de plus en plus nécessaire pour l’idéologie bourgeoise d’empêcher une véritable compréhension de ses racines et de sa véritable alternative.
À la fin du texte du camarade Steinkopfler, il est difficile de voir d’où pourrait venir le renouveau de l’identité de classe et de la perspective révolutionnaire, et nous restons sur l’impression qu’il est tombé dans un noir pessimisme. Le camarade n’a pas tort de mettre en avant que les luttes économiques, la résistance immédiate aux attaques des conditions de vie, ne sont pas suffisantes en soi pour générer une claire conscience de classe révolutionnaire, mais elles n’en sont pas moins absolument vitales si la classe ouvrière veut recouvrer la compréhension qu’elle est elle-même une force sociale distincte, surtout dans une période où l’agitation croissante de l’état de la société capitaliste est poussée vers une foule de mobilisations interclassistes et ouvertement bourgeoises. Dans les années 1930, au milieu de tout le battage autour des conquêtes révolutionnaires des travailleurs espagnols, les camarades de la revue Bilan se sont retrouvés presque seuls à affirmer que dans de telles conditions la plus petite grève autour de revendications économiques (avant tout dans les industries de guerre contrôlées par la CNT !) serait un premier pas de la classe ouvrière retrouvant son propre terrain. Les récentes grèves autour de la question des retraites en France, et dans de nombreux pays dans le secteur de la santé et de la sécurité au travail au début de la pandémie de Covid-19, ont été moins “médiatiques” que les “vendredi pour le climat” ou les marches de Black Lives Matter, mais elles ont apporté une véritable contribution à une future récupération de l’identité de classe, alors que ces marches ne peuvent que s’y opposer.
Nous sommes bien entendu d’accord avec le camarade Steinkopfler sur le fait que retrouver son identité de classe et développer une conscience révolutionnaire sont inséparables : pour que la classe ouvrière comprenne vraiment ce qu’elle est, elle doit aussi comprendre ce qu’elle doit être historiquement, comme l’a dit Marx : le porteur d’une nouvelle société. Et nous sommes également d’accord avec l’idée que les organisations de la Gauche communiste ont un rôle indispensable dans ce processus dynamique. Le camarade donne un jugement très sévère sur le rôle que ces organisations ont joué ces dix dernières années, et plus :
“Au cours de l’histoire, de minuscules minorités ont régulièrement développé, sans aucune participation des masses, des idées capables de révolutionner le monde, capables de “conquérir les masses” à terme. Une des principales faiblesses du prolétariat dans les deux décennies qui ont suivi 1989 a été en fait l’incapacité de ses minorités à accomplir ce travail. Les groupes historiques de la Gauche communiste ont une responsabilité particulière dans cet échec. Le résultat a été que, lorsqu’une nouvelle génération de prolétaires politisés a commencé à apparaître (comme les Indignados en Espagne ou les différents mouvements “d’occupation” à la suite des crises “financières” et de l’ “Euro” après 2008), le milieu politique prolétarien existant n’a pas été en mesure de les armer suffisamment avec les armes politiques et théoriques dont ils auraient eu besoin pour s’orienter et se sentir inspirés pour faire face à la tâche d’inaugurer le début de la fin du reflux prolétarien”.
Tout ceci n’est pas très clair sur comment, et avec quelles contributions théoriques, les organisations de la Gauche communiste auraient pu armer la nouvelle génération au point qu’elles auraient pu empêcher le recul qui a suivi les mouvements de 2011.
Mais il semble y avoir un problème méthodologique derrière ce jugement. Les organisations de la Gauche communiste peuvent très certainement critiquer très sévèrement les erreurs qu’elles ont commises face à la “nouvelle génération de prolétaires politisés”, erreurs avant tout de nature opportuniste. Cette critique est nécessaire parce qu’elle se place dans un ensemble d’enjeux sur lesquels les petits groupes révolutionnaires peuvent avoir une réelle influence : le regroupement de révolutionnaires, les étapes nécessaires pour construire un milieu révolutionnaire dynamique et responsable et ainsi de poser les fondations d’un parti du futur. Mais il semblerait que l’on frise le substitutionnisme4 en suggérant que nos efforts théoriques et politiques auraient pu, à eux seuls, stopper le reflux qui a suivi 2011, lequel a essentiellement été la poursuite d’un processus qui s’est vigoureusement développé depuis 1989. De futures discussions détermineront s’il s’agit ici d’une véritable divergence sur la question de l’organisation.
CCI
1 Revue internationale n° 64.
2 Voir en particulier les points 10 à 13 de la “Résolution sur la situation internationale, les conflits impérialistes, la vie de la bourgeoisie, la crise économique [61]”.
3 Voir, par exemple : “Grève de masse en Pologne : une nouvelle brèche s’est ouverte” [135], Revue internationale n° 26 (1981).
4 C’est-à-dire, l’idée selon laquelle l’organisation des révolutionnaires pourrait se substituer aux tâches révolutionnaires de la classe dans son ensemble.
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/files/fr/tract_13.01.2020.pdf
[2] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/lutte-classe-france
[3] https://fr.internationalism.org/content/10009/paris
[4] https://fr.internationalism.org/content/10014/marseille
[5] https://fr.internationalism.org/content/10017/toulouse
[6] https://fr.internationalism.org/content/10015/lille
[7] https://fr.internationalism.org/content/10016/nantes
[8] https://fr.internationalism.org/content/10025/lyon
[9] https://fr.internationalism.org/french/rint/107_decomposition.htm
[10] https://www.lavanguardia.com/opinion/20191202/471997488421/abandonarse-a-la-caida.html?utm_source=newsletters&utm_medium=email&utm_campaign=claves-del-dia&utm_term=20191202&utm_content=el-mundo-afronta-la-hora-de-la-verdad-en-la-cumbre-del-clima-de-madrid-lee-aqui-esta-y-las-principales-noticias-de-la-manana
[11] https://fr.internationalism.org/rinte3/fascisme.htm
[12] https://es.internationalism.org/cci/200602/539/espana-1936-franco-y-la-republica-masacran-al-proletariado
[13] https://fr.internationalism.org/content/9383/1976-2016-il-y-a-40-ans-democratie-espagnole-naissante-debutait-des-assassinats
[14] https://es.internationalism.org/content/4370/contra-la-campana-de-vox-en-medios-obreros-los-obreros-no-tenemos-patria
[15] https://fr.internationalism.org/tag/5/41/espagne
[16] https://es.internationalism.org/cci-online/201302/3622/lucha-aislada-lucha-perdida
[17] https://fr.internationalism.org/rinte27/pologne.htm
[18] https://www.marxists.org/francais/engels/works/1845/03/fe_18450315_8.htm
[19] https://fr.internationalism.org/rinte90/communisme.htm
[20] https://fr.internationalism.org/tag/5/53/mexique
[21] https://fr.internationalism.org/content/fascisme-democratie-deux-expressions-dictature-du-capital
[22] https://fr.internationalism.org/french/brochures/holocauste.htm
[23] https://fr.internationalism.org/tag/5/35/europe
[24] https://fr.internationalism.org/tag/evenements-historiques/deuxieme-guerre-mondiale
[25] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/guerre
[26] https://fr.internationalism.org/files/fr/tract4fevrier2020reformedesretraites.pdf
[27] https://fr.internationalism.org/tag/5/42/italie
[28] https://fr.internationalism.org/tag/4/491/populisme
[29] https://fr.internationalism.org/tag/geographique/afrique
[30] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/ecologie
[31] https://www.theguardian.com/environment/2018/dec/29/green-new-deal-plans-proposal-ocasio-cortez-sunrise-movement
[32] https://fr.internationalism.org/search/node/90%E2%80%A0%20ans%201929
[33] https://neweconomics.org/
[34] https://en.internationalism.org/content/16734/ecological-disaster-poison-militarism
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[36] https://www.lesechos.fr/industrie-services/air-defense/destruction-dun-satellite-par-linde-un-acte-strategique-aux-consequences-imprevisibles-1004218
[37] https://www.lemonde.fr/sciences/article/2019/09/06/suivez-en-video-l-atterrissage-de-la-mission-indienne-chandrayaan-2-sur-la-lune_5507466_1650684.html
[38] https://fr.internationalism.org/rint/2009/139/apollo-11-alunissage
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[40] https://france3-regions.francetvinfo.fr/centre-val-de-loire/loiret/orleans/militarisation-espace-satellite-lui-meme-c-est-arme-1704402.html
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[42] https://spacenews.com/independent-report-concludes-2033-human-mars-mission-is-not-feasible/
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[46] https://fr.internationalism.org/tag/5/37/grande-bretagne
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[81] https://fr.internationalism.org/content/10133/covid-19-linstinct-puissance-bourgeoisie-allemande
[82] https://fr.internationalism.org/content/10116/covid-19-au-perou-capitalisme-cest-toujours-plus-morts-misere-et-dattaques-contre
[83] https://fr.internationalism.org/content/10115/pandemie-revele-et-accelere-decadence-et-decomposition-du-capitalisme-texte-camarades
[84] https://fr.internationalism.org/content/10110/letat-capitaliste-responsable-catastrophe-hopitaux
[85] https://fr.internationalism.org/content/10108/pandemie-du-covid-19-contribution-dun-camarade-proche
[86] https://fr.internationalism.org/content/10107/covid-19-des-reactions-face-a-lincurie-bourgeoisie
[87] https://fr.internationalism.org/content/10106/pandemie-du-covid-19-a-guayaquil-equateur-capitalisme-seme-mort-et-lhorreur
[88] https://fr.internationalism.org/content/10101/instabilite-politique-belgique-et-covid-19-proletaires-ne-doivent-pas-payer
[89] https://fr.internationalism.org/content/10096/guerre-des-masques-bourgeoisie-classe-voyous
[90] https://fr.internationalism.org/content/10095/pandemie-covid-19-barbarie-capitaliste-generalisee-ou-revolution-proletarienne
[91] https://fr.internationalism.org/content/10093/covid-19-soit-proletariat-mondial-met-fin-au-capitalisme-soit-capitalisme-met-fin-a
[92] https://www.anarchistcommunism.org/wp-content/uploads/2020/04/Going-Postal-spring-2020.pdf
[93] https://es.internationalism.org/accion-proletaria/201804/4291/huelga-feminista-contra-las-mujeres-y-contra-la-clase-obrera
[94] https://www.levif.be/actualite/belgique/un-medecin-urgentiste-je-ne-supporte-pas-les-gens-qui-applaudissent-les-soignants/article-opinion-1267195.html?cookie_check=1584801585&fbclid=IwAR0EIoyh-rhB4f4wMDZ75bU-XfHZ-FVvxzHgk8De9fE5Gc0MgxvSyFusdwI
[95] https://twitter.com/CerveauxNon/status/1245725640663486465
[96] https://www.lepoint.fr/monde/washington-veut-contrecarrer-l-attitude-agressive-de-pekin-et-moscou-dans-l-arctique-06-05-2019-2311112_24.php#xtmc=pekin-arctique&xtnp=1&xtcr=2
[97] https://alencontre.org/ameriques/americnord/usa/le-rechauffement-climatique-la-politique-de-mike-pompeo-et-les-bouleversements-en-perspective.html
[98] https://www.courrierinternational.com/article/verbatim-la-fonte-des-glaces-de-nouvelles-opportunites-commerciales
[99] https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/climat/le-groenland-egalement-touche-par-la-vague-de-chaleur_136045
[100] https://fr.internationalism.org/content/10076/epidemie-du-coronavirus-preuve-supplementaire-du-danger-du-capitalisme-lhumanite
[101] https://fr.internationalism.org/content/10081/mouvement-contre-reforme-des-retraites-partie-1-tirer-lecons-preparer-luttes-futures
[102] https://fr.internationalism.org/content/9987/mouvement-social-au-chili-lalternative-dictature-ou-democratie-impasse
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[210] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/manifestations
[211] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/national-health-service-nhs
[212] mailto:[email protected]
[213] https://fr.internationalism.org/contact
[214] http://classiques.uqac.ca/classiques/Internationale_communiste/Quatre_premiers_congres_IC/Quatre_premiers_congres_IC.html