Lutte de classe en Europe de l'est (1970-1980)

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La première partie  de cet article est parue dans la REVUE INTERNATIONALE n°27. Cette deuxième partie reprend 1'évolution de la lutte de classes dans les pays de 1'Est à partir de la reprise mondiale de la fin des années 1960, et jusqu'aux événements de la fin des années 1970, notamment les événements de 1976 en Pologne. La dernière partie, qui  paraîtra dans le prochain n° de cette revue traitera de la reprise mondiale de la lutte inaugurée par les événements de Pologne de 1980.

L'importance de la vague révolutionnaire de 1917-23, et même de la vague de lutte de classe qui  a parcouru l'Europe de l'Est en 1953-56, a montré le potentiel  qui existait pour l'internationalisation de la lutte prolétarienne,  pour la constitution véritable de la classe ouvrière en force révolutionnaire unique,  unifiée à l'échelle mondiale. Mais comme nous  l'avons vu dans la première partie de cet article (voir Revue Internationale n° 27), ce potentiel  n'a pas  pu se réaliser à cette époque.  Ces mouvements de classe de millions d'ouvriers ont été brisés par leur isolement à l'échelle mondiale. Comme nous l'avons vu, l'histoire des grands soulèvements de l'Europe de l'Est et du centre, des années  1920 aux années 50, est avant tout l'histoire de leur isolement du reste du prolétariat. Ce fut le résultat, en plus des obstacles permanents que le capitalisme impose à la classe ouvrière (usines, branches d'industrie, nations, etc.)  d'un changement global   du rapport de forces entre les classes en faveur de la bourgeoisie, qui  a déterminé l'ensemble du développement de la lutte de classe durant six décennies. Le moment décisif de ce processus fut l'incapacité du prolétariat à empêcher l'explosion de la première guerre mondiale. Le résultat de cette défaite sans précédent que fut août 1914,  fut de laisser le champ libre à la barbarie du capitalisme décadent, à la guerre impérialiste qui  divisa le prolétariat en plein milieu. La tendance du capitalisme dans cette période de déclin n'est pas seulement de renforcer l'unité de chaque capital  national  autour de l'Etat, mais aussi  de diviser le monde en deux grands  camps guerriers impérialistes. Le résultat,  pour le prolétariat, qui ne fut pas assez fort pour affronter et détruire ce système avant que celui-ci  ne s'effondre dans la barbarie,  fut que les organisations,  les leçons politiques,  les traditions de lutte de la classe ouvrière furent noyées dans un océan de sang et de misère.

Comme nous l'avons vu dans la première partie, la vague révolutionnaire fut principalement limitée aux pays défaits de la première guerre mondiale, tandis que les luttes des années 50 émergeant du massacre de 1939-45 restèrent au sein du bloc russe, qui  dut concentrer brutalement ses forces et attaquer frontalement le prolétariat pour tenter de maintenir la paix avec le bloc américain, et ainsi  bénéficier péniblement du boom de la reconstruction d'après-guerre, Les conséquences de cet isolement international de parties combatives du prolétariat, imposé par les divisions mêmes  de l'impérialisme, sont extrêmement graves :

- il  devient impossible pour le prolétariat comme un tout de simplement commencer à s'attaquer aux racines du système d'exploitation contre lequel  il  combat, car ceci  ne peut se faire qu'à 1'échelle mondiale ;

-    la puissance de la bourgeoisie mondiale reste intacte, elle est dirigée contre le prolétariat de façon unifiée et coordonnée   ;

-    la classe ouvrière est entravée dans sa pleine compréhension des tâches de la période, car une conscience révolutionnaire est précisément basée sur la compréhension que les expériences quotidiennes de lutte (les défaites organisées par les syndicats,  la réalité brutale derrière le masque de la démocratie, etc...),  font partie des mêmes conditions des ouvriers, partout, son indissolublement liées et convergent vers la nécessité de détruire le système à l'échelle mondiale. Cette perspective profonde ne peut  être le produit que des luttes des ouvriers à l'échelle mondiale, qui se trouvent dans les mêmes conditions, avec les mêmes tâches, et le même ennemi  partout. C'est au creuset de la généralisation mondiale des luttes que l'unité internationale du prolétariat se forgera.

Dans cette deuxième partie de cet article, nous examinerons  le développement de la lutte prolétarienne dans les années  70 jusqu'aux années 80. C'est la fin de la contre-révolution, le commencement d'un resurgissement international  du combat prolétarien. C'est la fin de l'isolement des ouvriers de l'Est. C'est la période du redressement du rapport de forces global entre les classes, qui  depuis plus d'un demi-siècle, était resté en faveur du capitalisme.  Pour la première fois,  la période qui  s'ouvre est une période de généralisation simultanée de la crise économique, et de la résistance prolétarienne dans toute la planète. La réponse internationale du prolétariat a forcé la bourgeoisie mondiale à unifier ses forces, à se préparer à affronter et à défaire les ouvriers pour ouvrir la voie à sa propre "solution" à la crise, la guerre mondiale.  Dans ce sens, en bloquant la voie à la guerre impérialiste, en faisant surgir le spectre de la révolution prolétarienne, la classe ouvrière a progressivement repoussé et résorbé la division dans ses rangs, imposée par deux guerres impérialistes. La dernière décade a montré que les conditions de la lutte des ouvriers, et la réponse de la bourgeoisie, s'unifient de plus en plus. C'est un monde qui  se dirige, non vers la guerre, mais vers la guerre de classe mondiale.

LES CONDITIONS  DE LA CLASSE OUVRIERE DANS LES   "PARADIS SOCIALISTES"

Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, la vie quotidienne pour les ouvriers en Europe de l'Est ressemble à un monde en état de guerre permanente. La croyance naïve de la classe ouvrière d'Europe de    l'Est dans la possibilité d'une vie meilleure sous le capitalisme est un bon exemple du fait que, â l'époque du capitalisme mondial, les conditions qui  prévalent au niveau global, sont plus importantes pour déterminer l'état de conscience de la classe dans n'importe quelle région du globe que ne le sont les conditions spécifiques prévalant dans la région.  Il  n'y avait rien dans la vie quotidienne des ouvriers de l’Est pour nourrir des illusions sur la nature progressiste de "leur" régime. Ils devaient souffrir de faim pour qu'on puisse construire des tanks.  Ils devaient faire la queue des heures durant pour les choses les plus élémentaires. Toute protestation, toute résistance de classe, était considérée comme une mutinerie et traitée comme telle.  Dans un monde encore dominé par l'antagonisme entre blocs impérialistes rivaux, et non par la bataille entre classes, les illusions des ouvriers -particulièrement à l'Est- portaient par dessus tout sur les conditions dans 1'AUTRE bloc. Les  illusions à l'Ouest dans la nature progressiste de l'Est "socialiste" et les illusions à l'Est sur la nature paradisiaque et permanente de la reconstruction occidentale d'après-guerre, avec l'espoir pour les ouvriers que "leur" bourgeoisie y arriverait tôt ou tard, étaient les deux faces d'une même pièce. C'était une période où les conditions de lutte dans les deux blocs étaient radicalement différentes, ce qui  accréditait le mythe que deux systèmes sociaux opposés étaient à l'œuvre à l'Est et à l'Ouest. A l'Ouest, on déclarait que la lutte de classe était dépassée. A l'Est, où elle était supposée ne plus exister non plus, c'était plus difficile à cacher. Les luttes y étaient explosives mais isolées, et pouvaient  être présentées aux ouvriers à l'Ouest comme des mouvements  de libération nationale ou comme des  réactions aux imperfections d'un socialisme authentique.  Pour l'Est comme pour l'Ouest, la crise du bloc russe était devenue si  lourde et si  permanente qu'il était possible pour la bourgeoisie mondiale de déclarer : "Ce n'est pas la crise, c'est le socialisme" !

L'AUTARCIE ET L'ECONOMIE DE GUERRE

C'est seulement par une sévère autarcie que les pays du bloc russe ont pu empêcher de tomber eux-mêmes sous le contrôle du bloc américain. Ce contrôle direct et illimité de l'économie et du commerce extérieur exercé par l'Etat dans ces pays, les restrictions dans l'investissement direct de capital  de l'Ouest,  dans le commerce Est-Ouest,  dans le mouvement de main-d’œuvre, etc. ne sont pas du tout des preuves de la nature non-capitaliste du COMECON, comme le prétendent les trotskysmes.  Elles servent exclusivement à la préservation du bloc russe contre la domination occidentale.

En étant contraints de s'isoler eux-mêmes des principaux centres du capitalisme mondial,  les capitaux nationaux de l'Est,  déjà non compétitifs, ont accentué leur retard technologique par rapport à l'Ouest. Leur perte progressive de compétitivité signifie qu'ils ne peuvent réaliser qu'une partie de leur capital  investi  sur le "marché mondial". La plus grande partie des marchandises produites par la COMECON est vendue à l'intérieur de ses frontières. Comme pour tout capitaliste individuel qui  doit acheter ses propres produits parce qu'il  ne trouve personne d'autre pour les prendre, les lois du capitalisme dictent au bloc russe d'entrer tôt ou tard sur le marché. Au niveau du capital  national  et des blocs impérialistes,  le verdict de faillite ne tombe qu'avec le surgissement de la guerre mondiale impérialiste.

Pour éviter ce verdict de l'histoire, la bourgeoisie d'Europe de l'Est doit essayer de faire face à l'Ouest sur le niveau MILITAIRE. Pour ce faire, elle doit investir une beaucoup plus forte proportion de sa richesse dans le secteur militaire que la bourgeoisie de l'Ouest. En se basant pendant des années sur l'autarcie derrière les lignes tracées à Yalta et Potsdam, les  "pays socialistes" ont été capables de réaliser des taux de croissance spectaculaires pendant les années 1950 et 1960. Mais à part dans le domaine militaire,  il  n'y a eu que peu de croissance réelle, juste une pléthore de biens industriels souvent inutilisables qui à l'Ouest ne trouveraient un marché qu'au rebut.

Dans les années  1970, le COMECON a commencé à s'ouvrir un peu plus vers l'Ouest. Ce ne fut pas, comme le disent les trotskystes, pour élever le niveau de vie des ouvriers.  Ce ne fut pas non plus, comme beaucoup de politiciens occidentaux l'ont cru à l'époque,  une capitulation du Kremlin face à l'argent occidental. L'ouverture était sensée bannir le danger d'une guerre mondiale, et ouvrir une nouvelle ère d'expansion économique. Pour les ouvriers de l'Est, cette modernisation signifia un accroissement temporaire de la fourniture de biens de consommation, et augmenta les possibilités de visiter ou même de travailler à l'Ouest. La Pologne, qui  possédait et qui  possède encore de grandes réserves de charbon,  une ouverture maritime non prise par les glaces et de larges réserves de force de travail  bon marché sous-employées dans l'agriculture,  fut spécialement choisie par le Kremlin pour devenir la force motrice de cette modernisation. C'est pourquoi  la Pologne devint le point central  de la contradiction entre les fausses illusions nourries par, d'un côté,  la modernisation, et,  d'un autre côté, l'accélération de l'économie de guerre. Elle devint ainsi  le centre le plus important du développement de la lutte de classe pendant plus d'une décade.

Les années  1970 ont vu apparaître les premières brèches dans les illusions concernant l'Ouest, à cause de l'accroissement de la crise et de la lutte de classe. Néanmoins, cette décade a été caractérisée avant tout par la chute des conditions de vie des ouvriers accompagnée d'un renforcement des illusions sur un futur de paix et de prospérité. Cette contradiction explosive entre illusion et réalité surgit à la surface après le tournant de l'économie mondiale de la fin des années  1970. Les premiers fruits dans les années 80, les années de vérité, ont été les grèves de masse en Pologne et l'écho mondial  que ces luttes ont rencontré.

LES "ACQUIS D'OCTOBRE"

Que ce soit à l'Est comme à l'Ouest,  il  ne manque pas de défenseurs des  "acquis de la révolution d'Octobre" dont sont supposés jouir les ouvriers du bloc russe. Nous examinerons quelques uns de ces  "acquis".  Par exemple,  la soi-disant élévation des    salaires réels et baisse des heures  de travail.  En se basant sur les chiffres officiels et sur des sources telles que les  propres mémoires de Nikita Kroutchev, Schwendtke et Ksikarlieff, qui  viennent de cercles  dissidents  russes,  calculent ceci   :

"En un mot, que ce soit selon l'URSS ou l'information étrangère,  le revenu moyen des ouvriers  industriels en Russie avant la 1ère guerre mondiale peut être établi  à 60  - 70 roubles par mois.  Ceci  signifie que les gains actuels, correspondant à la valeur nominale en roubles, sont deux fois plus hauts qu'avant la révolution, et ceci  face aux prix qui  sont 5 à 6 fois supérieurs,  et donc,  qu'aujourd'hui les ouvriers en URSS vivent deux fois et demie à trois fois moins bien qu'avant la révolution. Le nombre de jours de travail  dans l'année, malgré l'introduction de la    semaine de cinq jours, est plus  fort qu'avant la révolution, et résulte des nombreuses  fêtes  religieuses qui  étaient observées dans  l'ancienne période. Alors qu'aujour­d'hui,  il y a huit jours  fériés  par an et que le nombre total  de jours travaillés est de 252,  l'année de travail  avant la révolution n'était que de 237 jours,  ce qui  revient en fait à une semaine de travail  moyenne de 4 jours 1/2... Si  nous  divisons le revenu mensuel   -150 roubles soviétiques contre 70 roubles tsaristes- par le nombre de jours travaillés dans le mois  (21 jours en URSS, 19,75 en Russie), nous obtenons un revenu quotidien de  7,14 roubles  pour l'URSS et 3,54 pour la Russie. Voici  maintenant les prix des plus importantes denrées alimentaires   :

 

"Un guide des statistique du travail de l'URSS de 1967 montrait que plus  de 20 % des ouvriers employés  dans le secteur le mieux payé, l'industrie de la construction,  se trouvaient au-dessous  du seuil  de pauvreté, et que plus  de 60 % de ceux des industries les moins payées des industries textile et alimentaire se trouvaient au-dessous de ce seuil de pauvreté" ("The Soviet Working Class, Discon­tent and Opposition" Holubenko dans Critique).

Dans le bloc russe, les femmes travaillent presque toutes. L'Allemagne de l'Est par exemple a le plus haut taux de femmes employées dans l'industrie dans le monde. Elles jouent un rôle semblable à celui  des ouvriers immigrés à l'Ouest,

en percevant en moyenne la moitié d'un salaire d'homme. Elles sont employées non seulement dans les usines, mais aussi  sur les chantiers,  dans la construction des routes et des chemins de fer, par exemple en Sibérie, etc. "Récemment,  la route de Revda à Sverdlovsk a été élargie par la construction d'une deuxième voie. Ce travail  physique extrêmement dur a été fourni  à 90 % par des femmes. Elles ont travaillé à la pioche, à la pelle et à la barre à mine. En fait,  les  femmes des minorités nationales prédominent (Mordva, Tachunaschi, Marejer). Si  à l'Ouest il  est parfois possible de prendre un jeune homme pour une fille, à cause des vêtements et du style de coiffure, en Russie c'est le contraire,  du fait des vêtements de travail  sales, des mains, de la manière de marcher,  de courir et de boire"  (Schwendtke, P.62).

A notre avis, ces rapports sur la misère des conditions des ouvriers dans les  "pays socialistes" tendent malgré tout à SOUS-ESTIMER la situation. Par exemple,  les données  de la journée de travail ci-dessus ignorent l'accroissement constant des heures supplémentaires  -souvent NON PAYEES- obligatoires. En 1970,  les ouvriers  des docks Warskin à Stettin disaient avoir à effectuer plus  de 80 heures supplémentaires  par mois  (voir "Rote Fahne liber Polen"). Et même si  le niveau de vie est beaucoup plus bas en URSS,  particulièrement dans les régions asiatiques, qu'en Europe de l'Est,  les conséquences  de l'austérité permanente    n'ont pas épargné les ouvriers   des pays satellites non plus   :

"Une étude de la révolution et de ses causes publiée clandestinement en Hongrie au début de 1957 sous le pseudonyme de Hungaricus, montre à partir des statistiques hongroises officielles que le niveau des salaires  réels est tombé de 20 %  pendant les années de la construction socialiste de  1949 à  1953. Le salaire mensuel  moyen était inférieur au prix d'un costume neuf, et la paye journalière d'un travailleur de ferme d'Etat était insuffisante pour acheter un kilo de viande. Bien sûr,  la brochure d'Hungaricus ne prend en compte que 15 % des familles hongroises, qui  vivaient sous le régime déclaré "niveau de vie minimum", avec 30 % qui  l'atteignaient et 55 % qui  vivaient au-dessous  de ce niveau. Ceci signifiait que parmi les 15 % de familles de la classe ouvrière, tous les membres n'avaient pas  de couverture pour dormir et 20 % des ouvriers n'avaient même pas de manteau d'hiver. Ce furent ces sans-manteaux,  suggère Hungaricus, qui fournirent le gros des troupes qui  affrontèrent les  tanks  russes en octobre  1956"  (Comax, "The working class in the Hungarian Révolution of 1956). Il n'y a pas à chercher plus  loin la cause principale de la vague de lutte de classe de 1953-56 !

Si on considère la fameuse "disparition du chômage" dans le bloc russe, on peut citer l'oppositionnel "Osteuropa" n°4, "Unterbeschafbigung un Arbeitslosigkeit in der Sowjetunion" :

"Avec le début des  plans quinquennaux staliniens, les échanges de main d'œuvre furent terminés. Ceux qui  voulaient travailler étaient envoyés dans  les chantiers de construction socialiste dans les  régions  les plus éloignées... En déclarant le chômage aboli, et en arrêtant le paiement d'indemnités de chômage, le gouvernement condamna des mil liions de gens à la misère et à la faim. Staline utilisa aussi  les camps de concentration dans sa  "lutte contre le chômage", ce qui  fit disparaître la force de travail  en surplus dans  les régions les plus peuplées. Selon le calcul  de l'expert de la BBC, Pospelowski,  2 % à 3 % de la population laborieuse était inemployée en 1960, ce qui veut dire 3 à 4 millions de gens. Dans ce calcul  ne sont pas inclus ceux qui sortent de l'école,  les gens qui pour des raisons technologiques sont inutilisés et en attente de travail, les saisonniers,  les paysans  kolkhoziens et ouvriers des sovkhozes. Si on les compte pour 1 % de la population, le calcul  se monte à plus de chômage que durant la récession de 1967-69 en Allemagne de l'Ouest et en chiffres absolus à plus de chômeurs que dans les années d'après-guerre aux USA. Pospelowski ajoute que c'est le tableau général du chômage complet selon les chiffres de 1957. Il considère que,  si  on inclut le chômage partiel, on atteint un chiffre de 5 % de la population laborieuse sans emploi... avec un nombre de chômeurs complets qui s'est considérablement accru."

C'est une manifestation claire de l'anarchie du mode de production capitaliste que le chômage soit un problème pour des pays où la bourgeoisie doit compenser une faible composition organique du capital et un faible niveau technologique par une utilisation accrue de main-d’œuvre, et qui  fait que le chômage s'accroît en même temps que s'accroît la pénurie de main-d’œuvre.

Depuis  1967, les bureaux de chômage ont rouvert dans toutes les grandes villes de Russie. Ils envoient les chômeurs dans  le grand nord et en Extrême-Orient. Le résultat des  "rationalisations" de l'économie russe pendant le plan quinquennal de 1971-75,  a été que 20 millions  d'ouvriers ont perdu leur travail. En plus,  il  faut compter plus de    10 millions de travailleurs saisonniers.  Depuis le début des années  70,  les camps de travail  et les  "colonies de pionniers" de Sibérie sont devenus une fois de plus une soupape pour l'explosion du chômage et pour l'exode  rural.

Malgré le silence discret de la gauche prorusse à l'Ouest, l'existence du chômage à l'Est est connue depuis des années. Nous mentionnerons comme exemple  une lettre de lecteur au journal des enseignants russes "Utschiteskaja Gazeta",  du 18 janvier 1965 :

"Comment peut-on se réconcilier avec de telles circonstances honteuses, quand dans une ville de taille moyenne il y a encore des jeunes gens qui n'ont jamais travaillé et qui  ne vont plus à l'école depuis  des années. Livrés à eux-mêmes, ils traînent dans les  rues pendant des années, font les pickpocket,  vendent des objets, et se saoulent à la gare"  (Schwendtke p.  75). En plus du chômage direct -le gouvernement po­lonais menace actuellement de licencier 2 millions d'ouvriers- l'industrie est affaiblie par les arrêts dus au manque d'approvisionnement en pétrole, en pièces de rechange, matières premières ou services d'entretien.

En 1979,  le KOR déclarait que près d'un tiers de l'industrie polonaise était inutilisée à un moment donné pour ces mêmes raisons, ce qui  doit être encore plus vrai  aujourd'hui.  Pour les ouvriers qui  travaillent à la pièce, cela signifie une chute encore plus brutale de leur paye. L'industrie est aussi  affaiblie par des taux astronomiques de rotation de main-d’œuvre, car les ouvriers affamés cherchent désespérément de meilleurs contacts. Aujourd’hui, la bourgeoisie russe est obligée de permettre aux ouvriers de changer de travail  deux fois par an, pour éviter des explosions sociales. "La rotation de la main-d’œuvre est la principale plaie du système économique soviétique. La perte d'heures de travail  due à la rotation en URSS est beaucoup plus grande que la perte due aux grèves aux USA.  Par exemple,  dans une usine où j'ai  travaillé, avec une équipe de 560 personnes, plus de 500 employés quittèrent pendant l'année 1973 (Nikolaï Dragosch, fondateur d'"Unification démocratique de l'URSS"  "Wir mussen die Angst uberwinden").

Face à l'impérieuse nécessité de survivre,  les ouvriers vivent du pillage des usines  dans  lesquelles ils travaillent. Ces actions sont une expression de 1'atomisation extrême de la classe ouvrière en dehors des périodes de lutte, mais elles  révèlent aussi  l'absence de toute identification avec les profits de  "leur" compagnie ou avec les objectifs du plan quinquennal.

"L'usine d'automobiles de Gorki  maintient à ses frais un secteur criminel   de la milice d'environ 40 personnes, qui  confisquent aux ouvriers au cours de contrôles quotidiens l'équivalent de 20 000 roubles en outils et pièces détachées. Le désespoir chez les ouvriers va si  loin qu'ils coupent des carrosseries de Volga en plusieurs morceaux au chalumeau,  les jettent par dessus les murs, les ressoudent et   les vendent". (Cité de Lomax, p. 32)

Face aux réalités crues de  la crise économique permanente,  le contrôle policier et la répression ouverte ont été longtemps les principaux moyens de tenir en échec le prolétariat. Nous allons voir comment une petite terreur d'Etat a réussi  à paralyser un prolétariat conduit à se révolter face à la détérioration de la situation,  une rareté croissante des biens de consommation, des prix élevés, particulièrement sur le marché noir,  l'accroissement des cadences  dans les usines,  l'effondrement des services sociaux,  la plus forte suppression de logements  depuis  1954,  l'humiliation constante de la part de la police et de l'administration. Les ouvriers ont commencé à se poser des questions sur tous les aspects  du contrôle capitaliste,  des syndicats à la police jusqu'à la bouteille de vodka.

LE SURGISSEMENT DE LA LUTTE DE CLASSE EN URSS

"Les journalistes estiment que jusqu'au milieu des années 70, des actions spontanées des ouvriers, pas plus de 10 % ont été connues publiquement ou par les gens à l'Ouest (Schwendtke,  p.148). Holubenko commente dans le même sens :

"... le samizdat n'a fait connaître que très peu sur la question de l'opposition de la classe ouvrière; le samizdat dont aujourd'hui 1 000 documents par an parviennent à l'Ouest, est écrit principalement par l'aile libérale ou de droite de l'intelligentsia, et reflète les préoccupations de cette intelligentsia" (  Holubenko, ibid, p. 5).

Mais le problème va plus loin que çà. Les services d'espionnage occidentaux sont extrêmement bien informés de ce que fait la classe ouvrière dans le bloc russe, tout comme les services de radio qui transmettent vers l'Est (Radio Liberty, BBC, Deutscher Welle, etc.) qui  collaborent étroitement avec ceux-ci. Ce que nous avons ici, c'est un black-out massif sur les nouvelles de la lutte de classe de la part du  "monde libre". Cette censure concerne d'abord l'information fournie aux ouvriers de l'Est, pour enrayer le danger de généralisation. Un des exemples les plus connus est la décision de Radio Free Europe de Munich de refuser de transmettre une série de lettres envoyées par les mineurs roumains en grève pour informer les autres roumains et les ouvriers d'Europe de l'Est de leurs actions. Ensuite, ceci concerne l'information qu'on laisse passer vers les ouvriers à l'Ouest. Par exemple, les grèves russes de Kaliningrad, Wor et d'autres villes en Biélorussie qui éclatèrent en solidarité avec le soulèvement polonais de 1970,  sont bien connues en Pologne, mais n'ont été apportées à l'Ouest qu'en 1974, et encore, à travers le service de presse Hsinhua de Pékin  (9.1.1974).

La bourgeoisie occidentale a de bonnes raisons de collaborer avec sa contrepartie russe en cachant les activités des ouvriers particulièrement en Russie par le silence. Les ouvriers à l'Ouest doivent continuer à croire que "les Russes" sont sur le point de "nous" envahir plutôt que de savoir que le prolétariat russe est engagé dans une lutte presque permanente avec sa propre bourgeoisie. D'un autre côté, cela donnerait au prolétariat mondial un plus grand sentiment de force et d'unité de savoir qu'un des plus forts de ses détachements a repris le chemin de la guerre de classe. Dans la première partie de cet article, nous avons traité de la reprise de la lutte de classe en URSS dans les années 1950 et 60. Dans cette première partie, écrite en novembre 1980, et traitant de la vague de grèves du début des années 60, avec son point culminant à Novocherkask en 1962, nous disions -à tort, il semble- qu'il y avait eu une absence de comités de grève et autres moyens d'organiser et de coordonner la lutte après les premières explosions. Un reportage dit comment : "Les insurgés de la région du Donbass considéraient les manifestations de Novotcherkask comme un échec parce qu'ils s'étaient rebellés là-bas sans l'as­sentiment des bureaux d'organisation de grève de Rostov, Urgansk, Tagourog et d'autres villes. Ceci confirmerait les rumeurs et les rapports concernant un quartier général  d'une opposition organisée dans le Donbass" (Cornelia Gersten-maïer, "Voices of the Silent").

La vague de grèves de 1962 fut provoquée par l'annonce de l'augmentation du prix de la viande et des produits quotidiens.  "Grèves sur le tas, manifestations de masse de protestation dans  les usines, manifestations de rue, et dans beaucoup de parties de l'URSS, des émeutes de grande échelle se produisirent. De source sure, on parle de tels événements à Grosny, Krasnovar, Donetsk, Yaroslav,  Idanov, Gorki et même à Moscou où il  semble qu'un meeting de masse ait eu lieu à l'usine d'automobiles Morkvitch"  (Holubenko, p.12). Holubenko, en se basant sur les reportages d'un stalinien canadien nommé Kolasky, qui  passa deux ans en URSS, mentionne aussi  une grève des ouvriers du port d'Odessa contre le rationnement de nourriture, et une grève dans une usine de motos à Kiev. Le texte de Chanvier ("La classe ouvrière et les syndicats dans les compagnies soviétiques") parle d'une grève à Vladivostok contre le rationnement de nourriture, qui  déboucha sur un soulèvement sanglant. Jusqu'en 1969,  un calme relatif est revenu sur le front des grèves. La nouvelle direction Brejnev-Kossyguine a commencé par faire plus de compromis sur les salaires. Depuis 1969 cependant,  les salaires ont fortement baissé en dessous même de ceux de l'ère Kroutchev.  Déjà alerté par les grandes grèves du bassin du Donetz et à Kharkov en 1967, les forces de répression ont été renforcées.

Depuis 1965, et particulièrement depuis  1967, beaucoup de nouvelles organisations ont été établies pou renforcer les secteurs de la police et des agents spéciaux. Le pouvoir de la police s'est élargi, le nombre de policiers et d'officiers  de sécurité professionnels s'est beaucoup accru, des postes de police de nuit et des unités de police motorisées ont été mises en place.  De plus, une série de nouvelles lois a été établie pour "renforcer l'ordre social  dans tous les domaines de la loi". Des ordonnances, des décrets et des lois tels que la loi votée en 1969 qui  insistait sur la suppression des opposants politiques dangereux, des émeutes de masse, des meurtres de policiers,  révèlent une nouvelle insistance- sur la  "loi et l'ordre". Il y a aussi la promotion sans précédent de chefs du KGB à des postes dans les bureaux politiques centraux". (Holubenko, p.18).

La vague de grèves de 1969-73 en URSS fut une des plus importante, quoique moins bien connue, de la reprise internationale du prolétariat mondial en réponse à la rentrée du système capitaliste dans une crise internationale ouverte. Partout, les ouvriers de l'Union soviétique  commencèrent à protester contre le rationnement de nourriture, la hausse des prix et les mauvaises conditions de logement. Quelques grèves de 1969 que nous connaissons   :

-  "Mi-mai 1969, des ouvriers de l'usine hydro-électrique de Kiev dans le village de Beujozka se rencontrèrent pour discuter du problème du logement. Beaucoup d'entre eux étaient encore logés dans des baraques préfabriquées et des wagons de chemin de fer malgré les promesses des autorités de fournir des logements. Les ouvriers déclarèrent qu'ils ne croyaient plus les autorités locales, et décidèrent d'écrire au Comité central du parti  communiste. Après leur meeting, les ouvriers manifestèrent avec des banderoles telles que "tout le pouvoir aux soviets""  (Reddaway,"Uncensored Russia") Le reportage provient d'un journal  clandestin oppositionnel "chronique des événements récents".

-    Un mouvement de grève éclata à Sverdlovsk contre une chute de 25 % des salaires avec l'introduction de la semaine de 5 jours et de nouvelles normes de sa­laires. Concentration autour d'une grosse usine de caoutchouc, la grève, selon Schwendtke, prit des formes semi-insurrectionnelles. La milice de guerre civile ("B0M" et  "MWD")  dut être retirée et les revendications des ouvriers accordées.

-    A Krasnovar,  Kuban,  les ouvriers refusèrent d'aller à l'usine jusqu'à ce que l'approvisionnement en nourriture soit correct dans les magasins.

-    A Gorki, les femmes travaillant dans une usine d'armements lourds  "quittèrent le travail  en déclarant qu'elles allaient acheter de la viande et qu'elles ne reprendraient pas le travail  tant qu'elles n'en auraient pas assez acheté" (Holubenko, p.16).

-    En 1970, un mouvement de grève éclata dans plusieurs usines à Wladimir.

-    En 1971, dans la plus grande usine d'équipements d'URSS, l'usine de Kirov à Kopeyske, la grève se termina par l'arrestation des militants de la grève par le KGB.

''Les plus importants désordres dans cette période eurent lieu à Dniepropetrovsk et Dniprozerzkinsk dans une région d'industrie lourde du sud de l'Ukraine. En septembre  1972, à Dniepropetrovsk, des milliers d'ouvriers partirent en grève,  réclamant des salaires plus hauts et une amélioration générale du niveau de vie. Les grèves englobèrent plus d'une usine et furent réprimées au prix de nombreux morts et blessés. Cependant,  un mois plus tard, en octobre 1972,  des émeutes éclatèrent à nouveau dans la même ville. Les revendications: un meilleur approvisionnement, une amélioration des conditions de vie, le droit de choisir un travail  au lieu qu'il  soit imposé... Par chance, à cause de l'existence d'un document récent du Samizdat, on a plus d'informations sur les émeutes qui se produisirent à Dnipropetrovsk, ville de 270 000 habitants, à plusieurs kilomètres de Dniepropetrovsk. En particulier, la milice arrêta un petit nombre de gens saouls à un mariage, les emmena dans la voiture de police qui explosa. La foule assemblée marcha en colère sur l'immeuble de la milice centrale de "la ville et le mit à sac, brûlant les  fichiers de police et causant d'autres dégâts. La foule marcha ensuite sur le quartier général  du Parti  où la personne de service ordonna à la foule, avec des menaces, de se disperser, et où deux bataillons de la milice ouvrirent le feu.  Il y eut dix morts, dont deux miliciens tués par la foule. L'émeute est un exemple de la tension des  rapports sociaux en Union Soviétique -un exemple de comment un petit incident apparemment peut être l'étincelle d'un événement qui  dépasse de loin l'importance de l'incident lui-même (Holubenko, la source du Samizdat est Ukrain'ska Slovo) (Le Douban ukrainien a été depuis longtemps un centre de résistance prolétarienne et participa déjà à la vague de grèves de 1956 qui  secoua l'Europe de l'Est. La vague de 1956 dans le Douban est mentionné par Holubenko aussi  bien que par 1'"Oppo­sition Socialiste tchèque" dans sa publication en Allemagne de l'Ouest  "Listy Blàtter", septembre 1976.  "Listy" mentionne aussi "des manifestations de masse du prolétariat à Krasnodar,  Naltschy, Krivyj  Rik" et le soulèvement populaire de Tachkent en 1968).

Pour 1'année 1973, le point final de la deuxième vague de grèves de l'après-guerre en URSS, nous pouvons mentionner les actions importantes suivantes   :

-      Une grève dans  la plus grande usine de Kytebsk, contre une chute de 20 % des salaires. Le KGB essaya sans succès de traquer les  "meneurs".

-"En mai   1973,  des milliers d'ouvriers de l'usine de construction de machines du Brest-Litovsk Chausee à Kiev partirent en grève à 11 heures en demandant des augmentations de salaires. Le directeur téléphona immédiatement au comité central   du PC d'Ukraine. A 15 heures,  les ouvriers étaient informés que leurs salaires seraient augmentés et la plupart des grands administrateurs de l'usine furent démis. Il  est important de noter que, selon cette information, la population locale attribua le succès de cette grève au fait qu'elle avait un caractère organisé et que le régime avait peur que la grève ne s'étende au  "Stettin ukrainien"  (Holubenko,  source "Sucharnist", Munich).

-      Le soulèvement populaire de Karina en Lituanie en 1973 qui  déboucha sur des combats de rue et la construction de barricades, et qui  fut réprimé de façon sanglante (mentionné par "Listy"). Cette explosion de rage populaire, provoquée par la détérioration de la situation économique et par l'accroissement de la répression policière, eut  une lourde résonnance nationaliste. Une révolte similaire eut lieu à Tiflis en Géorgie le 1er mai  1974, qui  se développa hors de la manifestation officielle du 1er mai.

-      Finalement, au cours de l'hiver 1973,  la vague de grève atteignit les métropoles occidentales de Moscou et Leningrad avec des  records d'arrêts de travail  sur les chantiers de construction qui  ont été rapportés.

L'INTERLUDE POLONAIS 1970-76

La réapparition du combat prolétarien dans les années 70 a été internationale dans ses dimensions. Mais elle n'a cependant pas été généralisée. En URSS, les luttes ont été nombreuses et violentes, mais elles sont restées isolées et souvent inorganisées. Elles eurent lieu principalement en dehors des centres industriels de la Russie même. Ceci ne signifie pas que ce ne fut pas de grandes masses d'ouvriers qui s'y trouvèrent engagées. Il y a des concentrations énormes du prolétariat, particulièrement dans des endroits de l'Ukraine et de la Sibérie occidentale. Mais ces ouvriers sont plus isolés les uns des autres ainsi que des principales concentrations industrielles du prolétariat mondial. Plus important encore, ces luttes peuvent être limitées au travers de l'utilisation des mystifications nationale, régionale et linguistique (le "soviet" du prolétariat parle plus de 100 langues) qui présente le combat comme étant contre les "russes". En assurant des approvisionnements plus favorables en denrées alimentaires et en biens de consommation d'un côté, et un formidable déploiement des forces de répression de l'autre, l'Etat a été capable de maintenir son contrôle social à Moscou et à Leningrad, là où le prolétariat a été le plus décimé par la défaite de la vague révolutionnaire des années 20, et par la guerre et la terreur d'Etat qui s'en suivirent, que dans n'importe quel autre endroit du monde. Ce contrôle sur la Russie soviétique est décisif.

Dans les années 70, la Pologne est devenue le principal centre dans le bloc russe, de la reprise mondiale de la lutte de classe.

Le prolétariat en Hongrie et en Allemagne de l'Est était encore sous le coup de la double défaite des années 20 et 50, les ouvriers tchécoslovaques avaient, de plus, à se remettre du coup de la défaite de 1968-69. Ce sont précisément les principaux pays du bloc dans la perspective de l'extension de la révolution mondiale, hautement industrialisés, avec des concentrations significatives d'ouvriers riches en tradition de lutte, proches d'autres cœurs industriels, ceux de l'Europe de l'ouest, dont le plus important, l'Allemagne de l'ouest.

Comme pour la Pologne qui a appartenu autrefois à la "ceinture agricole" avec la Roumanie et la Bulgarie, mais qui entreprit une industrialisation importante après la guerre, son rôle historique consiste à devenir une courroie de transmission révolutionnaire entre le front des pays industrialisés du bloc à l'Ouest, et l'URSS à l'Est. Parce que les ouvriers de l'Europe de l'Est et du centre doivent porter le plus lourd fardeau de la contre-révolution des années 20 aux années 50, la réponse du prolétariat à la réapparition de la crise mondiale ouverte du système capitaliste, y a été PLUS HESITANTE ET INEGALE qu'à l'Ouest. Comme résultat, la courroie de transmission polonaise est apparue bien AVANT l'extension des grèves de masse à l'Est ou à l'Ouest qu'elle pourrait relier les unes aux autres. C'est la véritable base de toutes les illusions sur la Pologne-Exception -ou la notion que la Pologne est le centre du monde- qui continue à attacher les ouvriers aux "solutions" nationales, au capital national polonais, quelle que soit par ailleurs la haine que ceux-ci portent au capitalisme et à son Etat, jusqu'à ce que les grèves de masse explosent ailleurs. Les ouvriers polonais n'étaient pas seuls dans cette période que ce soit au niveau mondial ou à l'Est. Nous avons déjà mentionné la grève-solidarité en URSS avec la révolte polonaise de 1970. Cette explosion était précédée d'une importante grève de mineurs roumains et par la grande vague de grèves en URSS qui avait commencé 18 mois plus tôt. La bourgeoisie de l'ensemble du bloc fut surprise par ce Soulèvement. "Partout les plans  quinquennaux étaient corrigés en faveur de  1'approvisionnement en biens de consommation et  en nourriture. En Bulgarie, les augmentations de prix qui étaient prévues pour le 1/1/71 furent supprimées, en URSS en mars, on fit grand cas de 1'effondrement de certains prix. En RDA, les événements  en Pologne accélérèrent 1'explosion  d'une  crise politique latente qui fut marquée par le remplacement  de Walter Ulbricht par Honecker. Le SED baissa les prix des textiles et autres produits  industriels, après qu'il y eut des troubles sur les hausses de prix cachées, et l'augmentation des pensions" (Koenen, Kuhn, "Freiheit, Unabhàugigkeit und Brot").

En novembre 1972, après un gel des prix pendant deux ans en Pologne imposé à Gierek par les ouvriers de Lodz en février 1971 et qui doit se terminer, les dockers de Gdansk et Stettin se mettent en grève, juste au moment où le Congrès des Syndicats réuni à Varsovie devait voir comment se prononcer contre la prolongation du gel des prix. Gierek se rendit à Gdansk pour calmer les ouvriers. En son absence, les ouvriers du textile de Lodz et les mineurs de Katowice partirent en grève. Le président Jaroszewicz dut passer à la télévision pour annoncer la poursuite du blocage des prix (voir Green dans "Die Internationale", n°13, p.26). Les ouvriers défendirent leur niveau de vie sans hésitation. Dans les chantiers navals de la Baltique en 1974, par exemple, une nouvelle norme de productivité provoqua une grève de protestation massive. Des récits d'incidents similaires viennent de beaucoup d'endroits du pays. En mars 1975, il n'y avait plus de viande dans les magasins. Pour empêcher une explosion prolétarienne, les réserves de viande du l'armée furent envoyées rapidement dans les ports de la Baltique et dans les mines de Silésie. Immédiatement, des ouvriers du textile de Lodz se mirent en grève. Il y eut des émeutes de la faim à Varsovie. A Radom, les ouvriers des Cartoucheries imposèrent la libération de 150 femmes qui avaient été arrêtées après une grève (rapporté dans "Der Spiegel, 15 mars 1975).

En juin 1976, une tentative fut faite d'augmenter le prix de la nourriture de 60%. La réaction fut immédiate. A Radom, une manifestation des ouvriers des Cartoucheries appela tous les ouvriers de la ville à sortir. Le Quartier général du parti fut incendié et 7 ouvriers furent tués en combattant sur les barricades. Une vague de répression s'ensuivit : 2 000 ouvriers furent arrêtés. Au même moment, dans l'immense usine de tracteurs d'Ursus près de Varsovie, 15 000 ouvriers lâchèrent les outils et coupèrent les lignes de chemin de fer Paris-Moscou, prenant en otage le train. La police arrêta 600 ouvriers, et mille autres furent renvoyés immédiatement. A Plock, les ouvriers marchèrent sur le siège du parti, en chantant l'Inter nationale, et sur les casernes pour fraterniser avec les soldats. Là encore, 100 ouvriers furent arrêtés. Cet usage de la répression massive dans des centres industriels secondaires n'a pas pu arrêter le mouvement, parce que les dockers de la Baltique, les ouvriers de l'automobile de Varsovie, les ouvriers de Lodz, Poznan, etc., débrayèrent. Il semble que ce fut qu'une question d'heures qu'ils ne soient rejoints par les mineurs de Silésie. Gierek fut contraint d'annuler immédiatement les hausses de prix. Mais cette concession fut suivie d'une vague d'arrestations massives, de tortures, d'atrocités policières Les augmentations de prix furent faites plus lentement, moins ouvertement, mais sûrement. Face à cette contre-attaque féroce de la bourgeoisie, et du fait que le niveau de vie se détériorait encore malgré les grèves même les plus résolues, le prolétariat en Pologne entra dans une période de repli et de réflexion.

La période de 1976-80 a été un calme relatif sur le front des grèves en Pologne. Pour ceux qui ne voient que la surface des événements, ça a pu paraître une période de défaite. Mais l'approfondissement de la lutte de classe internationalement, la maturation lente mais sûre de la seconde vague mondiale de résistance prolétarienne depuis 1968, qui a déjà dans cette période de 1976-81 atteint un niveau qualitativement supérieur, va révéler le mûrissement des conditions d'une future VAGUE REVOLUTIONNAIRE qui court sous la surface.

Krespel

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