Instabilité politique en Belgique et COVID-19: Les prolétaires ne doivent pas payer pour le pourrissement croissant du système

Afficher une version adaptée à l'édition sur imprimante

Près d'un an après les élections du 26 mai 2019, les partis politiques continuent de se chamailler à propos de la formation d'une coalition gouvernementale et laissent la gestion des problèmes à un gouvernement « d’affaires courantes ». Entre-temps, le budget et les finances publiques dérapent et la pandémie de Covid-19 sévit. Quelle est la cause de cette dérive politique et quelles en sont les implications pour la gestion de la crise sanitaire et de la catastrophe économique qui l’accompagne ?

1. La crise des partis politiques traditionnels

A côté du vote protestataire massif et de la montée des courants populistes, l’autre résultat significatif des élections du 26 mai 2019 a été le recul important des familles politiques traditionnelles, qui dominent le jeu parlementaire au sein de l'appareil d'État bourgeois depuis près de 200 ans.

Depuis la création de la Belgique, le Parti catholique et le Parti libéral occupent une place centrale dans l’appareil politique de la bourgeoisie et, depuis la première guerre mondiale, cela a également été le cas pour le Parti socialiste. Tout au long du XXe siècle, ces partis ont continué à jouer un rôle capital dans le jeu politique et dans la gestion de l'appareil d'État. Ce n'est que pendant l’entre-deux-guerres que les partis flamingants et fascistes (principalement le VNV et Rex) perturbent temporairement l’agencement des forces politiques et à partir des années 1970, c'est à nouveau le cas avec l’avènement de partis linguistiques régionalistes (le Rassemblement Wallon, le Front des Francophones, la Volksunie et plus tard la NVA).

Au début des années 2000, il devient cependant de plus en plus difficile pour ces familles traditionnelles de contrôler le jeu électoral. Cela était déjà évident après les élections de 2007, menant à de difficiles négociations gouvernementales pendant194 jours, et surtout après les élections de 2010, où il a fallu 541 jours avant qu'un nouveau gouvernement de coalition puisse être formé. Ces difficultés se sont fortement intensifiées après les élections de mai 2019. Certes, le parti nationaliste flamand, la NVA, le plus grand parti de Flandre, a aussi fort reculé, ce qui a également conduit à des tensions internes, mais ce sont principalement les 3 familles traditionnelles qui subissent des pertes électorales sévères :

  • pour les chrétiens-démocrates flamands (CD&V), le résultat constitue un creux historique en Flandre, alors que la famille démocrate-chrétienne est devenue quasi inexistante en Wallonie;
  • la famille socialiste reste la plus importante de Wallonie, mais avec le score le plus bas jamais enregistré; en Flandre, les socialistes obtiennent encore un maigre 10% des voix;
  • la famille libérale a également été sanctionnée: elle a reculé en Wallonie et encore plus clairement en Flandre.

Les résultats désastreux ont conduit à des tensions diverses au sein de ces partis traditionnels. Au sein de la famille libérale, un conflit ouvert a éclaté chez les libéraux flamands (VLD) entre l'aile libérale de gauche autour de Bart Somers et Mathias De Clercq et leurs concurrents libéraux de droite autour d'Egbert Lachaert et Vincent Van Quickenborne. Parmi les libéraux francophones (MR), des politiciens inconnus et inexpérimentés, comme Pierre-Yves Bouchez et Sophie Wilmès, ont été mis à la tête du parti et même du gouvernement «d’affaires courantes» après la «fuite» vers des postes très lucratifs au sein de l’UE de l’ex Premier ministre Charles Michel et du ministre des Affaires étrangères Didier Reynders. Chez les chrétiens-démocrates flamands, l'élection d'un nouveau président de parti a mené à un parti divisé : le candidat de «l'establishment» (Coens) a gagné difficilement contre le candidat des «rénovateurs» (Mahdi). Enfin, chez les socialistes flamands décimés du SP.a, aucune figure de proue du parti n’a osé se présenter à la présidence, abandonnant la tâche à un illustre inconnu : Conner Rousseau, 26 ans.

2. Une expression de la perte de contrôle croissante de la bourgeoisie sur son jeu politique

La perte de crédibilité des partis politiques classiques et les manœuvres politiciennes affligeantes qui en découlent ne se limitent pas à la Belgique. C'est une tendance qui apparaît également dans plusieurs autres pays d'Europe occidentale :

  • «les années écoulées sont plutôt caractérisées par une tendance irréversible au déclin des partis socialistes.» (...) «le parti socialiste a disparu en Italie, est menacé de disparition en France, en Hollande ou en Grèce, est en crise profonde en Allemagne, en Espagne ou en Belgique»[1] ;
  • Les partis à la droite du spectre politique ont également subi un recul électoral important. Les Républicains (à droite) en France, la CDU en Allemagne et le CDA aux Pays-Bas ont vu le nombre de leurs électeurs diminuer progressivement, tandis que les chrétiens-démocrates en Italie ont pratiquement disparu de la scène politique.

Le déclin des partis traditionnels s'est accompagné d'une forte émergence de mouvements, de partis ou de personnalités populistes dans la plupart des pays européens et aux États-Unis, alimentant une contestation profonde des élites politiques établies. Ce sentiment «anti-gestionnaire» est également fortement présent en Belgique et ne se limite pas à des partis populistes comme le Vlaams Belang. Une étude réalisée par des politologues de cinq universités belges a conclu que l'aversion pour l'establishment politique, l'une des caractéristiques essentielles du populisme, augmente dans la société et qu'un climat général anti-politique se développe même parmi les électeurs. Les Belges considèrent majoritairement leurs politiciens comme des incapables et près de 60% pensent que les politiciens ne comprennent pas ce qui se passe dans la société.

Cette aversion et cette colère envers les «élites politiques» établies se reflètent d'une part dans l’ascension rapide de mouvements et de leaders populistes. D’autre part, cela conduit aussi à l'affaiblissement électoral et à la déstabilisation politique des partis traditionnels, comme nous le vivons en Belgique. Ces deux phénomènes, l'émergence de mouvements et de figures populistes et l'érosion des partis politiques traditionnels, sont des manifestations claires de l'une des expressions les plus caractéristiques de la période actuelle de décomposition du capitalisme: la perte de contrôle croissante par la classe dirigeante de la machine politique. L'élection de Trump, en 2016, l’illustrait déjà de manière évidente : «Pour ceux d'entre eux qui ont perdu espoir de devenir "grands" à nouveau, leur soutien à Trump était avant tout une sorte de vandalisme politique, une vengeance aveugle contre l'élite dirigeante ».[2] La présidence de Trump depuis 2017 symbolise la folie d'un système dont les possibilités s'épuisent. La victoire électorale [en 2018] des populistes du «Mouvement 5 étoiles» de Di Maio et de la «Lega Nord» de Salvini en Italie le montre aussi clairement: «La présence du phénomène populiste et le discrédit des partis historiques expliquent aussi la difficulté croissante pour la bourgeoisie internationale et, en particulier en Italie, de contrôler le cirque électoral et de prédire son issue.».[3]

Le déclin électoral des partis traditionnels en Belgique et les dérives politiques qui en résultent ne sont donc rien d'autre qu'une expression locale de cette tendance générale à la perte de contrôle de l’appareil politique, à laquelle est confrontée la bourgeoisie dans tous les pays. Quelles en sont les conséquences en période de violentes secousses comme nous les subissons aujourd'hui?

3. Manoeuvres politiciennes et crise du covid-19 : la facture est présentée aux travailleurs

Du fait de cette instabilité politique, l'État est «dirigé» depuis un an par un gouvernement «d’affaires courantes», que tous les poids lourds politiques ont quitté, et qui se caractérise par un immobilisme et une absence de gestion à long terme. Les conséquences de ce cirque cynique au sein de la classe dirigeante sont incalculables pour la population et surtout pour la classe ouvrière.

Des perspectives économiques médiocres et le dérapage des finances publiques trahissaient déjà en février un État en situation financière et économique précaire. Selon les prévisions de la Commission européenne à l'époque, l'économie belge était l'un des élèves les plus faibles d'une classe européenne aux performances globales peu brillantes, et cela en partie en raison du déficit budgétaire et de l'endettement persistants du pays, ce qui a eu pour conséquence que des mesures n’ont pu être prises pour constituer des réserves. Au contraire, il s'est avéré que l'inaction et les tergiversations du gouvernement d’affaires courantes ont eu pour conséquence que le déficit budgétaire, qui s'élevait à 9 milliards d'euros en 2019, augmenterait à 12 milliards d'euros en 2020. C'est dans cette situation de faiblesse que l’ouragan Corona a fondu sur l'économie belge, qui se voit confrontée dès à présent à 1.250.000 «chômeurs techniques», à des pertes économiques d’au moins 40 milliards d'euros et à une baisse du PNB, provisoirement estimée à environ 7%.

Le bras de fer pathétique entre partis bourgeois a atteint un sommet cynique au début de la crise du covid-19. Alors que les travailleurs du secteur de la santé se préparaient au raz de marée de la pandémie, les efforts pour former un gouvernement d'urgence avec les principaux partis politiques pour faire face aux répercussions de la crise sur les soins de santé et l'économie se sont transformés en un cirque politicien répugnant. Les tentatives ont échoué en fin de compte parce que les deux principaux partis (le PS wallon et la NVA flamande) ont tous deux exigé le poste de Premier ministre pour exploiter politiquement la crise. De fait, à travers ce poste, ils espéraient tirer un avantage politique et personnel de la gestion de la crise du Covid-19. Finalement, il a été décidé de laisser cette responsabilité au gouvernement d’affaires courantes, dirigé par des politiciens de second ordre, qui a reçu certains «pouvoirs spéciaux». Cette irresponsabilité politique ne faisait que préfigurer l’irresponsabilité sur le plan sanitaire.

Comme pour d'autres pays européens, il est vite apparu que la bourgeoisie belge, pour des raisons d’économies budgétaires et parce qu’elle était plus occupée par les escarmouches politiques entre partis, est entrée dans la pandémie sans préparation et sans coordination: les réserves stratégiques de matériel médical (masques, combinaisons de sécurité, protections oculaires, matériel de test ...) avaient été démantelées, la coordination entre les actions du gouvernement fédéral et des gouvernements régionaux était lacunaire. Tandis que le gouvernement dans sa communication de crise se cache hypocritement derrière les recommandations des scientifiques, le personnel des hôpitaux, des maisons de repos, des soins à domicile, ou dans le secteur alimentaire est souvent exposé au virus sans protection adéquate. Dans les maisons de soins et de repos plus particulièrement, une tragédie se déroule : des dizaines de milliers de personnes âgées infectées par le virus sont isolées dans ces institutions et des milliers y meurent. Les réactions indignées de nombreux travailleurs de la santé et les grèves dans les transports publics ou les supermarchés pour exiger d’appliquer des mesures de protection adéquates montrent que la classe ouvrière n’est pas dupe de l'hypocrisie et du cynisme du gouvernement et des partis politiques.

L'instabilité de l'appareil politique bourgeois et les tensions croissantes au sein et entre les fractions politiques de la bourgeoisie sont, tout comme d’ailleurs la prise en charge par la bourgeoisie de la crise du covid-19, des expressions de la tendance croissante au «chacun pour soi», qui caractérise la phase actuelle de décomposition du système capitaliste. Pour les travailleurs, cela ne fera que rendre la note de la crise encore plus salée. Car une chose est certaine : cette note sera présentée à la classe ouvrière, sur ce point, il n'y a pas de désaccord entre les partis politiques qui se chamaillent! Un comité fédéral présidé par un virologue et le gouverneur de la Banque nationale est déjà en train de doser le rapport entre risques sanitaires et dommages économiques afin de relancer l'économie nationale dans les plus brefs délais. Et il va de soi que des sacrifices seront demandés aux travailleurs sur le plan sanitaire, mais aussi et surtout sur le plan économique et salarial, «en compensation des sacrifices que l'État a consentis pour ses citoyens», comme les porte-paroles de la bourgeoisie l’expriment de manière particulièrement cynique.

Dennis & Jan/ 11.04.20

Situations territoriales: 

Récent et en cours: 

Rubrique: 

Coronavirus