Ségur de la Santé: un nouveau coup porté à la classe ouvrière

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“Un effort historique […], une reconnaissance considérable à l’égard de celles et ceux qui ont été en première ligne dans la lutte contre cette épidémie”. C’est en ces termes hypocrites que le 13 juillet dernier, le Premier ministre fraîchement nommé, Jean Castex, qualifiait la signature du fameux “Ségur de la Santé”. (1) En réalité, les “mesures choc” annoncées au terme de cette concertation étalée sur près de deux mois ne sont que de la poudre aux yeux. Leur présentation tapageuse à grand renfort de publicité médiatique n’a pas d’autre but que de désarmer la mobilisation des travailleurs hospitaliers en les divisant et tenter de masquer les nouvelles attaques d’envergure. Cela en toute complicité avec les syndicats, contre toute la classe ouvrière : les mesures préconisées s’inscrivent dans la politique de démantèlement du système de santé, en continuité du projet “Ma santé 2022”. Par ailleurs, elles tendent à isoler le personnel du secteur de la santé de celui des autres secteurs économiques, tout en le divisant lui-même au maximum. Les annonces tonitruantes telles que revalorisation des salaires, augmentation du nombre de lits, enveloppe de huit milliards d’euros ne sont que des leurres et des provocations visant à monter les personnels soignants les uns contre les autres, et ainsi éviter toute solidarité avec le reste de la classe. Après les avoir hissés au rang de “héros nationaux”, leur avoir octroyé une prime au mérite ridicule pour avoir été en “première ligne”, la bourgeoisie poursuit sa tentative d’isolement en présentant le Ségur comme une sorte de reconnaissance des personnels soignants à travers “une revalorisation historique des salaires” et une amélioration du fonctionnement de l’hôpital. Pur mensonge ! En fait, les principales mesures mises sur pied à l’issue du Ségur de la Santé forgent de nouvelles armes pour la poursuite de la démolition du système de santé, jugé trop coûteux pour l’État. Mais surtout, elles visent à porter un coup à la classe ouvrière, alors que celle-ci a montré, lors du mouvement social contre la réforme des retraites, des signes de combativité et de réflexion prometteurs pour les luttes futures. Ce n’est pas non plus un hasard si la bourgeoisie s’en prend particulièrement à un secteur animé par une profonde colère et qui a su manifester une forte combativité mais sur lequel pèse un fort conditionnement corporatiste comme l’avait déjà mis en évidence la lutte des infirmières en 1988 et comme on a pu le vérifier lors des luttes du printemps 2019. (2) Ce corporatisme est souvent renforcé par une tendance à se faire piéger par une vision idéologique élitiste poussant ce secteur à se considérer comme un monde à part, dévoué à sauver des vies de manière altruiste. Ceci constitue un frein supplémentaire à la prise de conscience que le personnel médical est constitué de prolétaires comme les autres, soumis fondamentalement aux mêmes conditions d’exploitation que l’ensemble de leurs frères et sœurs de classe. La bourgeoisie tente donc de porter un énième coup aux exploités du secteur médical, profitant au maximum de l’effet de sidération produit pas la pandémie de Covid-19. Ce faisant, c’est toute la classe ouvrière qui est visée et voit son aspiration à l’unité battue en brèche par de mauvais coups.

Des mesures pour masquer une surexploitation accrue

L’annonce de l’augmentation de salaire a fait les choux gras des médias durant quelques jours. En réalité, cette mesure, basée sur la distinction des plus “méritants”, des plus “exposés” ou des plus “qualifiés” est une arme redoutable de division contre le personnel de santé. Un véritable saucissonnage en règle qui ne fait qu’accroître la concurrence entre les salariés sans manquer non plus d’exploiter la traditionnelle ficelle du clivage entre le public et le privé. Les salaires des hospitaliers titulaires ou contractuels, paramédicaux, administratifs, techniques et ouvriers augmenteront de 183 euros net par mois, en deux fois (septembre prochain et mars 2021). Ces miettes sont très loin de ce qui était demandé (300 euros) et ne permettront pas de compenser le gel et la perte de salaire précédente.

Dans le secteur public, une augmentation supplémentaire symbolique ne concernera que les soignants, les personnels médico-techniques et de rééducation, sous la forme d’un passage à la catégorie supérieure dans les grilles salariales d’ici 2022.

Par ailleurs, cette “revalorisation salariale de la profession” contient une contrepartie : l’augmentation de la productivité des agents hospitaliers non-médecins par l’annualisation du temps de travail, le recours facilité aux heures supplémentaires, la réduction d’une heure de la durée de repos quotidien (qui passerait de 12 à 11 heures). Autrement dit, il est demandé à ces agents épuisés par des décennies de dégradation de conditions de travail, de pénurie chronique (la cure d’austérité s’étant fortement intensifiée sous la présidence Hollande lorsque le PS était au pouvoir) et par le choc provoqué par l’intensification de la crise sanitaire avec la pandémie du Covid-19… de travailler plus et de se reposer moins ! Sans doute un privilège accordé par le gouvernement aux prétendus “héros de la nation” !

Mais la mesure la plus emblématique demeure l’ouverture “à la demande” de 4 000 lits supplémentaires en fonction des pics d’activité. “Sauf que la grande nouvelle n’en est pas une : ces ouvertures ponctuelles existent déjà. Chaque hiver, pour les grippes saisonnières, les hôpitaux ouvrent des places pour quelques semaines. Dans quelle proportion les 4 000 lits, annoncés avec trompettes et flonflons, améliorent-ils la situation ? Mystère et boule de gomme ! […] En attendant, rien ne dit que la promesse de Véran représente vraiment un progrès : “4 000 lits sur cent départements, ça fait 40 lits par département, soit de 8 à 10 lits par hôpital… Bah… à mon avis c’est ce qu’on avait déjà avant”, calcule et conclut un directeur d’hôpital un brin désabusé”. (3)

Cela ne compense donc en rien les récentes suppressions de lits d’hospitalisation (4 200, rien que sur l’année 2018), comme les 69 000 supprimés depuis près de quinze ans. Les 4 000 lits “supplémentaires” ne sont donc qu’une goutte d’eau dans un océan de pénurie. Par conséquent, la saturation des services hospitaliers et les dégâts humains qu’elle occasionne sont indéniablement devant nous.

La poursuite du démantèlement du système de santé

Comme nous l’avons mis en évidence plus haut, la prétendue revalorisation des salaires masque un approfondissement de la flexibilité du travail et de l’exploitation de la main d’œuvre hospitalière par l’accroissement du temps de travail et l’élasticité des salaires. Selon le ministre de la Santé, les réglementations à ce sujet sont à l’heure actuelle “des carcans qui empêchent ceux qui le souhaitent de travailler davantage”. Mais les employés du médical, soumis déjà à des cadences de travail infernales, seront-ils prêts à se porter volontaires afin de se faire exploiter davantage ?

Le Ségur prévoit également de poursuivre les “réformes” déjà en cours tout en les perfectionnant. Par exemple, la tarification à l’activité prévoyant de fixer les ressources des hôpitaux en fonction des soins prodigués équivaut à privilégier le volume au détriment de certains soins. Les hôpitaux vont devenir systématiquement des énormes usines, industrialisées et travaillant à la chaîne, hyper spécialisées, reflet d’un mode de production de soins déshumanisé, mues par le seul objectif de la productivité, du profit (4) et, de fait, beaucoup plus rentables après s’être séparés des soins les plus coûteux et les moins lucratifs.

Le fossé entre l’hôpital public et les cliniques privées ne cesse de s’approfondir aussi bien dans la prise en charge des patients que dans les conditions de travail et de rémunération des personnels. On voit se renforcer un système de santé publique à plusieurs vitesses, où les hôpitaux de haut standing, high tech, cohabitent avec des établissements low cost livrés à eux-mêmes, prétendu “modèle” où la classe ouvrière paupérisée aura de plus en plus de mal à accéder aux soins, même les plus élémentaires.

Après cela, le gouvernement ose affirmer que cette “nouvelle organisation” est “centrée sur le patient” et “sur son parcours”. Foutaises ! Dans le capitalisme agonisant, ne prévaut que la logique du “marche ou crève”. La course à la rentabilité et aux profits pousse même de plus en plus la classe dominante à se désintéresser de la santé globale de sa source de richesse : le producteur salarié.

La numérisation du système médical ne fera qu’accroître cette tendance. En effet, le Ségur prévoit également d’accélérer le système de télé-santé. Or, ces plateformes médicales sont des machines à fric permettant de faire exploser les coûts des soins médicaux engagés par les malades au détriment de la qualité des soins.

Alors que 400 millions de consultations médicales sont réalisées chaque année en France, seules 1 à 2 % se font aujourd’hui à distance. Pourtant, selon la Caisse d’assurance maladie, près de trois médecins sur quatre estiment que la télé-médecine fera partie de leur quotidien en 2030. D’ores et déjà, de nombreuses entreprises de l’e-santé convoitent ce marché. Une quarantaine de plateformes tentent de séduire patients et médecins. Cette évolution permettra probablement d’alléger les charges et les domaines de compétence de l’hôpital au profit de la médecine générale, réduisant ainsi les coûts d’activité du budget de l’État et accroissant le fossé entre la médecine de ville et les zones rurales qui verront encore des hôpitaux disparaître. Les zones déjà qualifiées de déserts médicaux s’étendront considérablement et l’accès à la santé deviendra un long chemin de croix pour obtenir des soins de qualité.

En définitive, le “Ségur” n’ouvre en rien une nouvelle ère. Au contraire, il permet à la bourgeoisie française de franchir un pas supplémentaire dans la marchandisation de la santé et l’allégement du “poids” qu’elle fait peser sur le budget de l’État.

L’unité du prolétariat dans ses luttes demeure le seul salut

Ce faisant, les travailleurs de la santé ne sont pas dupes. “Ségur, imposture”, pouvait-on entendre dans les manifestations de ces dernières semaines, alors que le “retour à l’anormal” de la situation ayant mené les hôpitaux au bord de l’effondrement est palpable depuis le déconfinement. Épuisés physiquement et moralement, leur colère, leur ras-le-bol sont immenses. Toutefois, nous avons pu constater, une fois encore, une tendance à lutter chacun dans son coin, par hôpital ou centre de soins, par catégories, par niveau de qualification… Or, le sort des soignants est globalement identique à celui de tous les exploités. Les mesures prises à l’issue du Ségur de la Santé, ne sont pas seulement une offensive directe et une entreprise de division corporatiste contre les salariés du secteur, mais une attaque contre l’ensemble de la classe ouvrière. Car, en cherchant à donner une place à part aux fameux “héros de la nation”, la bourgeoisie veut semer l’isolement, le cloisonnement, la division dans les rangs de la classe ouvrière et altérer la capacité de celle-ci à se défendre de manière unitaire. Comme nous pouvons d’ores et déjà le constater, la classe dominante impose la baisse de salaires, l’allongement du temps de travail, la suppression ou le report des congés à tous les salariés quel que soit le secteur. Les personnels de santé ne sont donc pas les seuls à subir une plus forte exploitation, il en est de même pour les autres parties de la classe ouvrière.

Dans la période à venir, l’exacerbation de la crise historique du capitalisme va plonger davantage de larges parties de la classe ouvrière dans une paupérisation extrême. L’exploitation salariale et les conditions d’existence se dégraderont considérablement. Plus que jamais, la lutte de la classe ouvrière en vue de mettre un terme au capitalisme à l’agonie demeure une nécessité. La classe ouvrière ne sera pas en mesure de s’affronter à cette tâche abyssale si elle ne parvient pas à prendre conscience que, quelle que soit la corporation, malgré les variations de salaires et de conditions, les travailleurs salariés appartiennent tous à une seule et même classe. Tous vendent leur force de travail pour subvenir à leurs besoins vitaux. Ce n’est qu’unis dans la lutte, en étant capable de dépasser les divisions, les faux clivages corporatistes et nationaux, que la classe ouvrière sera en mesure de combattre l’exploitation et renverser le capitalisme.

François, 21 août 2020

(1) Ce nom est lié à l’adresse du siège des négociations, au ministère de la Santé, avenue de Ségur à Paris, par analogie avec “le Grenelle” (les accords de Grenelle signés avec les syndicats) du ministère du Travail en mai 1968.

(2) Cf. “Grève dans les urgences : le piège de l’isolement !”, Révolution internationale n° 479, (juillet-août 2019).

(3) Le Canard enchaîné (29 juillet 2020).

(4) Cf. “Des hôpitaux aux usines à soins. Un réel progrès ?”, Management et Avenir Santé n° 3 (2018).

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