Pandémie du Covid-19: contribution d’un camarade proche

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Nous publions ci-dessous la contribution envoyée par un camarade en Espagne proche du CCI afin de poursuivre la clarification sur la signification de la pandémie de Covid-19 et ses répercussions pour le prolétariat. Il nous parait extrêmement important dans les conditions actuelles de confinement et d’isolement physique (que les campagnes de la bourgeoisie prétendent convertir en isolement social, comme le souligne le camarade), soient prises toutes sortes d’initiatives afin d’élargir le débat et de dénoncer les fables de la bourgeoisie. Cela maintiendra un climat de solidarité de classe malgré l’impossibilité de nous rassembler physiquement. Nous espérons que l’initiative du camarade puisse servir d’exemple.

Nous partageons en outre une grande partie de ce que signale le camarade. Nous souhaitons préciser que dans notre analyse, et comme nous l’avons montré dans les articles publiés sur notre site internet (1), la motivation essentielle pour retarder la mise en œuvre des mesures de confinement est la résistance capitaliste à mettre un frein à la production et perdre des profits et, surtout, des avantages compétitifs face aux autres rivaux. (2) C’est pourquoi ce retard, comme le souligne également cette contribution, est fréquent dans les pays ayant un gouvernement de gauche ou de droite, qu’il soit “féministe” ou “ultra-chrétien”.

Nous voudrions cependant nuancer ce qui est dit dans le courrier quand le camarade évoque la production des masques artisanaux qui s’avèrent être totalement inefficaces face au coronavirus. Sur cette question,
même si la bourgeoise a clairement menti et a dit tout et son contraire, il nous semble quand même qu’un masque, même artisanal, soit un moindre mal même s’il ne garantit pas vraiment du risque de contagion. Cela ne retire rien à la dénonciation, pleinement valable, que fait le camarade de l’effort national en ce sens. La dénonciation que fait l’article de la campagne d’ “ovations” aux travailleurs de la santé, qui est effectivement une perversion organisée par toutes les instances de l’État bourgeois d’un sentiment de solidarité qui naît entre les ouvriers devant l’effort réalisé par leurs frères du secteur sanitaire. Cette perversion tire profit et utilise, à la convenance de l’État, l’expression individuelle (et individualiste) de la solidarité qui est totalement stérile et n’a rien à voir avec la solidarité de classe du prolétariat. Nous autres, ouvriers, nous devons dénoncer cette manipulation répugnante de la solidarité qui vise à la faire entrer sur le terrain de l’union nationale et de l’idéologie de guerre. Face à cela nous devons chercher des moyens pour exprimer la solidarité sur un terrain de classe. L’un d’entre eux consiste à écrire des contributions pour la presse révolutionnaire.

CCI


Le virus du Covid-19 a mis l’État espagnol dans une situation qu’il n’arrive pas à gérer, une situation qui fait ressortir de manière scandaleuse que la société capitaliste est l’ombre d’une société humaine, incapable même désormais de maintenir les exploités/travailleurs dans des conditions qui permettent leur exploitation de manière constante dans le temps. La tragédie humaine dans les hôpitaux fera pâle figure face à celle qui s’ensuivra, lorsque sera passée l’épidémie et que sera venu le moment de la “reconstruction” et des “sacrifices”. La classe ouvrière peut réagir, mais pour cela, il est nécessaire de comprendre ce qu’est en train de faire la bourgeoisie. Malgré les milliers de morts qu’il y a déjà eu et les milliers à venir à cause du virus, c’est en réalité le calme qui précède la tempête. Il faut garder les yeux bien ouverts.

Si l’on regarde ce qui s’est passé en Espagne ces dernières semaines, la plus grande question qui se pose est de savoir pourquoi toute la bourgeoisie, du gouvernement aux médias, a mis autant de temps à réagir. Ces jours-ci, plusieurs médias invoquent le “caractère rétrospectif”, argumentant qu’il est très facile de penser, avec le recul, qu’il était clair que la situation allait dégénérer de la sorte quand, en réalité, cela n’était pas si évident sur le moment. Dans ce cas précis, l’argument ne tient pas debout. L’unique information nécessaire pour pouvoir envisager cette situation est la présence d’un virus aussi contagieux que celui-là. Devant l’absence de mesures, comment est-il possible de penser qu’il ne va pas s’étendre ? Pourtant, c’est ce qui a été défendu non seulement par le gouvernement mais aussi par les médias et tous les partis politiques de la bourgeoisie. Il est probable que, dans le cas de l’Espagne, on ait souhaité attendre le 8 mars afin de ne pas détourner l’attention des médias de la pseudo-polémique entre féminisme et anti-féminisme (3) avec laquelle la bourgeoisie empoisonne notre esprit dernièrement. Il semblerait également que les considérations économiques aient joué un rôle important dans le retard de la bourgeoisie. Mais dans l’ensemble, c’est un sujet qui n’est pas du tout clair et qui s’est répété aussi bien avant qu’après dans d’autres pays. Nous devons être attentifs aux possibles intentions sounoises derrière un retard prémédité mais aussi au fait que ces attentes puissent être la conséquence de l’inaptitude d’une bourgeoisie décadente aux facultés amoindries.

Un autre aspect auquel les révolutionnaires doivent particulièrement prêter attention, est la gestion de la tension sociale durant cette situation de quarantaine généralisée. Les moyens avec lesquels compte aujourd’hui la bourgeoisie pour manipuler la conduite des travailleurs n’ont pas de précédent : en plus des moyens classiques, ces jours-ci, la majorité de la population maintient le contact social à travers les réseaux sociaux dans lesquels des algorithmes machiavéliques décident (et enregistrent) ce que voient ses usagers, quand et comment. Le nouveau rite qui consiste à applaudir le personnel soignant à 20h donne un bon exemple de la direction dans laquelle on nous pousse ; celle d’une masse stupide, ivre de nationalisme, admirant l’État et d’un grégarisme agressif.

Les dénonciations à la police et les insultes depuis les fenêtres envers ceux qui semblent passer outre la quarantaine témoignent du danger et de l’efficacité potentiels de cette stratégie de la bourgeoisie. Un élément particulièrement frappant de cette campagne d’ “unité nationale” est celui des masques faits maison : des dizaines d’articles de journaux et des centaines de publications sur les réseaux sociaux exaltent l’héroïsme stakhanoviste de ceux qui fabriquent à la main des masques de tissu “pour aider”. En dépit de l’obsession (supposée) des médias à “combattre les canulars”, ils font ressortir son côté positif et encouragent à participer à la production de ces masques qui s’avèrent être totalement inefficaces face au coronavirus. La ressemblance entre les articles qui louent cette activité inutile mais patriotique et la propagande de l’ère stalinienne est frappante.

Un autre facteur auquel il faut être très attentif, en plus de le dénoncer, est l’intervention accrue de l’armée. Les médias se concentrent sur l’Unité Militaire d’Urgence (UME), dont les activités sont plus faciles à justifier dans une perspective de “gestion de la crise”, par exemple des travaux de désinfection. Cependant le déploiement militaire va bien au-delà de l’UME et de ce type de travaux. La tâche principale des militaires est de patrouiller dans les rues, dans un mouvement clair d’intimidation. Divers corps militaires s’affichent dans les rues vides, augmentant notre sensation d’impuissance face à l’État, déjà accentuée par l’isolement dans son domicile. Il est difficile de savoir quelle est l’intention concrète de l’État à travers ce mouvement et il s’agit de rester en alerte. La bourgeoisie a démontré d’innombrables fois sa disposition à massacrer (activement) les travailleurs en cas de nécessité.

Pour terminer, une petite remarque sur la terminologie avec laquelle on ne cesse de nous abreuver : le terme de “distanciation sociale” interpelle particulièrement, car la distance nécessaire pour prévenir la contagion n’est pas sociale mais physique. Mais la bourgeoisie veut nous isoler socialement, réduire nos relations humaines à l’interaction avec leurs « réseaux sociaux » et aux rites d’extase nationalistes qu’ils dictent.

Le pire est à venir et il viendra après la quarantaine. Il est nécessaire d’être très vigilants quant à l’évolution de la situation, quels pièges et stratégies sont tendus par la bourgeoisie et comment nous pouvons les dénoncer et les combattre. Le prolétariat est en situation de faiblesse mais cela pourrait changer rapidement. Le capitalisme est en train de montrer de manière évidente sa véritable nature, de telle façon qu’il n’y a pas de moyen de propagande ni de technique de manipulation sociale qui puissent totalement l’occulter. Soyons en alerte.

Comunero, 3 avril 2020.

2 N’oublions pas que le monde est immergé dans une violente guerre commerciale et que celle-ci n’a pas disparu avec la pandémie. Ainsi, il y a des pays qui ne veulent pas vendre à d’autres du matériel sanitaire urgent ou augmentent de façon démesurée les prix de ces produits. Pour les nations comme pour les capitalistes individuels, seuls comptent le profit et l’accumulation !

3 Sur l’idéologie féministe voir : “Huelga feminista : contra las mujeres y contra la clase obrera”.

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