L’État capitaliste, responsable de la catastrophe dans les hôpitaux!

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Avec la crise du coronavirus, la machine idéologique de la bourgeoisie a poursuivi son œuvre avec, notamment, un des vieux chevaux de bataille de la propagande officielle : nous faire croire que le rôle de l’État capitaliste consiste à “protéger la population”. Le mythe de “l’État providence” et de ses prétendus “bienfaits” n’est qu’un mensonge. L’objectif des États capitalistes a toujours été de faire régner l’ordre afin d’exploiter au maximum la force de travail.

Avec la crise sanitaire du Covid-19 l’objectif reste le même ! La saturation des hôpitaux et le manque flagrant de moyens (respirateurs, masques, gel, blouses…) ont révélé l’incurie des États qui, partout dans le monde, pressurent et surexploitent à outrance le personnel de santé sur le dos des malades. L’État “protecteur”, en réalité, est une mascarade ! (1)

Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, si les États les plus riches se sont organisés pour mettre en place les conditions sanitaires devant permettre l’amélioration de la santé des prolétaires (ce qu’ils ont en partie démantelé, aujourd’hui), ce ne fut nullement dans le but de “protéger” mais de reconstruire l’appareil productif pour assurer l’exploitation maximum des ouvriers.

Le mythe de “l’État providence”

En 1945, les idéologues de la classe dominante, notamment ceux des pays européens durement touchés par la guerre, se sont fait les chantres du “progrès”. Après six ans de destructions et de privations effroyables, la situation sanitaire des populations était catastrophique. Non seulement la population active était en partie décimée, mais aussi très affaiblie physio­logiquement. Le rationnement devait d’ailleurs persister encore plusieurs années. En France, des tickets de ration­nement pour le lait ou le pain étaient encore en vigueur au début des années 1950. Pour reconstruire le tissu industriel au plus vite et pour relancer la production par l’exploitation féroce de la force de travail, on ne pouvait se passer d’une prise en charge systématique des soins élémentaires pour que les travailleurs soient au moins capables d’aller travailler. Ces exigences impératives, allaient conduire les États à planifier sur le long terme une orientation politique pilotée par leurs administrations et toute une caste de technocrates, plus ou moins convertis au keynésianisme. Cela, pour permettre de régénérer une force de travail affaiblie, devant supporter les nouvelles cadences du taylorisme.

Suite aux ravages de “la grande Dépression” de 1929, les États-Unis de Roosevelt avaient été les précurseurs de ce type de politique, inaugurant le Social Security Act en 1935. Pour autant, le système de sécurité sociale sanitaire sera très tardivement mis en place aux États-Unis, et à minima, pour une raison bien simple : ce territoire n’avait pas subi les destructions et les dévastations de la guerre comme en Europe. Il faudra attendre 1966 pour voir la mise en place de l’assurance santé Medicare.

Les États capitalistes concurrents en Europe adoptaient, par obligation, une politique plus précoce et plus offensive en matière de santé. Ainsi, la guerre à peine finie, l’objectif de reconstruction en Grande-Bretagne prenait appui sur les discours enrobés de William Beveridge, souhaitant “donner du travail pour tous dans une société libre”. Autrement dit : relancer l’industrie en mobilisant et en sur­exploitant la main-d’œuvre ouvrière. Ce prosaïque objectif imposera dans les faits la création du système de santé public (NHS) en 1948 par le gouvernement travailliste de Clement Attlee. Le “modèle britannique” sera globalement repris partout ailleurs, avec son système de “santé de masse” déshumanisé et des campagnes de vaccination nécessaires, mais où les populations sont traitées comme des bestiaux. Cette “sécurité sociale”, nouvel impôt mo­dernisé et déguisé, ponctionné sur le dos des ouvriers, permettra un véritable encadrement du prolétariat. En France, où il fallait “gagner la bataille du charbon” sous l’égide du grand parrain américain (grâce au plan Marshall), le mythe frauduleux du “socialisme” par les nationalisations et la promesse d’un modèle de santé permettaient de mobiliser les exploités, de les fliquer en tentant de garantir la “paix so­ciale”. (2) On s’inspira aussi de la tradition allemande de Bismarck et c’est ainsi que le projet, censé incarner la modernité et le “progrès”, formulé à grands traits, sous le Régime de Vichy, par le haut fonctionnaire Pierre Laroque, sera repris par le programme du Conseil national de la Résistance. L’État s’appropriait donc directement par le biais de sa police syndicale, ce qui autrefois relevait des différentes caisses de secours et mutuelles ouvrières : en vidant de leur contenu politique originel et en dénaturant la notion même de solidarité ouvrière.

Dès lors, avec une classe ouvrière en meilleure santé, la bourgeoisie pouvait exercer une exploitation plus forte et féroce, à marches forcées, dans les mines et les usines. À tel point que le rendement exigé, avec l’appui crapuleux des staliniens du PCF et des syndicalistes de la CGT, rendait les conditions de travail pires que sous l’Occupation. La production indus­trielle allait augmenter de 40 % entre 1946 et 1949 ! La militarisation de la production et les cadences infernales allaient engendrer de nombreuses grèves face à l’épuisement au travail, à la misère persistante et à la répression. (3)

Contrairement à ce qu’on veut nous faire croire, la mise en place de “l’État providence” et des services de santé, payés par la sueur des travailleurs, n’avait nullement pour vocation le “bien-être” des populations. Elle permet encore aujourd’hui à l’État de mieux contrôler les individus, remplaçant avantageusement le livret individuel des ouvriers du XIXe siècle, fliquant les travailleurs pour le compte du capital afin d’alimenter en muscles les bagnes industriels.

La crise et le démantèlement du système de santé

Avec la fin de la reconstruction et le retour de la crise économique ouverte au début des années 1970, le chômage de masse allait sonner le glas des “politiques sociales” et de santé. Progressivement les États n’ont plus eu les moyens d’investir et de planifier leur politique de santé à long terme, comme ils avaient pu le faire durant le “boom économique” des années 1950-1960. La “découverte” par Macron que la santé “ne pouvait être soumise aux lois du marché” n’est qu’une farce hypocrite. Depuis plus de trente ans, l’État n’a fait que baisser le coût de la force de travail (donc l’accès aux soins et à la santé) et cherché à réduire la dette (donc geler les investissements pour la santé).

À cet égard, l’exemple de l’État français est emblématique. Le “luxe” de la santé et des services sociaux est devenu trop coûteux pour l’État et le capital. Faute de cotisants : les dépenses de santé augmentaient plus vite que le PIB, conduisant au fameux “trou de la sécurité sociale”. Des années 1980 à aujourd’hui, les gouvernements de gauche comme de droite vont courir après la réduction du déficit “de la sécurité sociale” en multipliant les taxes, les impôts (comme la CSG), en réduisant les taux de remboursement de médicaments (voire en les supprimant avec une liste toujours plus longue de produits pharmaceutiques jugés non nécessaires ou pas assez efficaces) faisant toujours plus les poches des travailleurs pour des prestations au rabais. En 1982, une gauche prétendument “généreuse” (dirigée par le ministre de l’Économie Jacques Delors) augmentait les cotisations et baissait le montant des remboursements. En 1983, le stalinien Jack Ralite instaurait le forfait hospi­talier (à payer par chaque patient par journée d’hospitalisation). (4)

L’obsession des coupes budgétaires conduisait même à des pratiques ouvertement criminelles, comme en 1985 où des milliers de malades étaient infectés par du sang contaminé par le VIH suite à des transfusions scanda­leuses. Pour de sordides intérêts, l’État avait retardé le dépistage des donneurs à cause d’une “guerre des tests”. Alors que les techniques d’inactivation du virus par chauffage étaient maîtrisées depuis octobre 1984, la bourgeoisie inoculait délibérément aux hémophiles du sang contaminé pour liqui­der ses stocks et éviter les dépenses !

De telles pratiques se sont accompa­gnées d’une expansion énorme et sans précédent d’un marché industriel médical de plus en plus lucratif. La médecine est devenue une véritable source de profits avec des investissements colossaux de laboratoires sans scrupule, de compagnies pharmacologiques, de fabricants de matériel médical, d’établissements de santé où tout est accessible… seulement si l’on peut payer ! Alors que le secteur médical est devenu gigantesque où s’exerce toute la férocité de la concurrence dans la guerre commerciale (environ 10 % des employés travaillent dans ce secteur), une partie croissante de la population et la plupart des prolétaires en particulier se retrouvent exclus de l’accès à des soins aujourd’hui au-dessus de leurs moyens. Le capitalisme n’est tout simplement plus capable d’offrir ce qu’il a pu développer sur le plan technologique. Ainsi, le fossé entre ce qui devient possible pour la santé et la réalité marchande que nous impose le capitalisme ne fait que se creuser et s’élargir.

En plus d’économies drastiques et de pratiques commerciales douteuses, l’État a organisé le démantèlement systématique du système de santé qu’il avait mis en place, avec des mesures toujours plus marquées par une vision à court terme. À la fin des années 1990, la création, par un gouvernement de gauche, de la Couverture mutuelle universelle était présentée comme une “avancée sociale” vis-à-vis des démunis. Elle était, en réalité, destinée à masquer la poursuite du démantèlement du système de santé en rognant sur les prestations sociales et sur les frais de fonctionnement des hôpitaux. Le personnel allait lui aussi payer le prix des politiques d’austérité par des conditions de travail dégradées, un manque croissant de personnel et de moyens. Pendant des années, l’État a ainsi instauré des quotas d’élèves infirmiers et imposé la fermeture des instituts de formation. Un numerus clausus pour les médecins a progressivement permis de réduire leur nombre et d’augmenter le recrutement “d’immigrés”, venus d’Afrique du Nord, du Moyen-Orient, d’Amérique latine ou de l’Europe de l’Est, payés au rabais et contraint d’accepter de travailler 50 à 60 h par semaines, tout comme des infirmières espagnoles recrutées à bas prix ! Afin de masquer le manque de moyens, l’État n’a pas cessé de culpabiliser le personnel et les malades accusés de “profiter du système”, tout en multi­pliant les mensonges. En 2003, face au grand nombre de morts de la canicule, le manque de moyens criant des EHPAD était ainsi officiellement balayé par l’explication “hautement scientifique” d’une météo “exceptionnelle”. Comble du cynisme, nos aînés étaient cou­pables “d’oublier les consignes sanitaires” ! (5) Plus récemment, lors d’un déclenchement du “plan blanc” face aux épidémies saisonnières comme la grippe, la gastro ou la bronchiolite, engendrant aussitôt la saturation des urgences, l’État incri­minait les “35 heures” ! Aujourd’hui, selon lui et ses médias, la saturation des hôpitaux serait de la “faute” de “ceux qui ne respectent pas le confinement et les gestes barrières” et/ou du Covid-19 “imprévisible”. Le manque de moyen­s ? Leur politique de ren­tabilité et de destruction de l’emploi ? Le profit avant la vie humaine ? Jamais…

Mais les faits sont têtus. En 1980, la France comptait 11,1 lits d’hôpitaux pour 1 000 habitants. En 2013, il n’en reste plus que 6,5 ! Dès 2005, l’État et ses “managers” amorçaient un tournant pour développer “l’ambulatoire”. En 2016, la loi de modernisation du système de santé consacrait cette politique en “repensant les parcours de soins” (loi portée par Marisol Touraine, ministre sous le vénérable gouvernement de gauche de François Hollande). En 20 ans : 100 000 lits ont été supprimés ; une maternité sur trois a été fermée pour “rendre l’accouchement plus sûr” (sic !) ; 95 établissements publics et 21 cliniques ont été fermées. Les recherches d’un vaccin contre les coronavirus, jugées trop onéreuses, pas assez rentables ou dangereuses, ont été stoppées en 2004. La même année, la logique marchande imposait la tarification à l’activité comme source de financement des hôpitaux publics. Après la crise boursière de 2008 “la contrainte budgétaire publique a porté essentiellement sur l’hôpital public, auquel on a imposé, en dix ans, 8 milliards d’euros d’économies et auquel on demande encore, pour 2020, 600 millions d’économies. La crise de l’épidémie de bronchiolite à l’automne 2019, pendant laquelle les réanimateurs pédiatriques durent transférer des nourrissons à plus de deux cents kilomètres de leur domicile parisien faute de lits et de personnel, annonçait la catastrophe. Mais elle n’ébranla point les responsables politiques accrochés à leur vision financière de la santé publique”. (6) L’État, dans une vision à de plus en plus court terme, allait même calquer à la santé les logiques managériales des entreprises. C’est une des raisons qui explique la pénurie régulière de médicaments depuis plusieurs années. En 2010, l’État s’est ainsi désengagé auprès de toutes les entreprises de fabrications de masques françaises entraînant la fermeture de nombre d’entre elles. Des millions de stocks de masques gouvernementaux étaient revendus sans renouvellement, laissant vaguement cette responsabi­lité aux employeurs et aux collectivités territoriales. Pour baisser les coûts, l’idée était de fonctionner à flux tendu, grâces aux importations.

Une partie croissante des prolétaires et du système de santé ont donc été sacrifiés pour maintenir à bas coût l’achat de la force de travail. De la santé et de la protection des prolétaires, l’État capitaliste s’en fiche comme d’une guigne. Il méprise la vie humaine comme il le montre en laissant des franges entières de la population vivre dans des taudis ou dans la rue, comme il l’a montré dans les nombreuses guerres impérialistes ou, aujourd’hui, en exploitant la “chair à virus” et en laissant mourir les personnes âgées et fragiles ! La santé, malgré le récent déni de Macron, est devenue une “charge” pour le capital.

L’évolution catastrophique du système de santé en place depuis 1945 n’est pas un problème de “mauvaise gestion” ou d’ “absence de régulation”. Elle n’est ni la faute des “35 heures”, ni celle des “abus des patients” ni celle du “coronavirus”. Elle ne fait qu’exprimer de façon caricaturale et mortifère la faillite du système capitaliste !

WH, 19 avril 2020

 

1) Le confinement, rendu nécessaire et inévitable à cause des conditions sanitaires déplorables, a été mis à profit pour renforcer l’État policier. On peut notamment mentionner le flicage via la promotion du tracking sur les téléphones portables, tout cela hypocritement présenté comme une sorte de servitude citoyenne “librement consentie”.

2) En 1945, la situation sanitaire des travailleurs était dégradée et alarmante. Les privations et l’occupation avaient terriblement affaibli les organismes. L’hiver rigoureux de cette même année, sans chauffage, enregistrait un pic de mortalité infantile effrayant : 11,5 % contre 6,3 % avant-guerre.

3) Voir sur notre site Internet : “Grèves de 1947-1948 en France : la bourgeoisie démocratique renforce son État policier contre la classe ouvrière”.

4) Passé de l’équivalent de 3 euros à sa création à 20 euros aujourd’hui !

5) Jamais à court d’imagination, la bourgeoisie française a prôné la “solidarité avec les seniors” en… supprimant aux travailleurs un jour chômé et payé par an.

6) “L’Hôpital, le jour d’après”, Le Monde diplomatique (avril 2020).

 

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