La pandémie révèle et accélère la décadence et la décomposition du capitalisme (Texte de camarades d’un groupe de discussion dans la région d’Alicante)

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Nous publions ci-dessous, la contribution de camarades d’un groupe de discussion dans la région d’Alicante, suivie de notre réponse.

DÉBATS SUR (ET CONTRE) LE VIRUS DU CAPITALISME

 

En ces jours étranges où l’anormal est devenu la norme, sans pour autant égratigner la surface du système de domination, mais plutôt comme continuation exacerbée de cette étouffante domination du capitalisme sur la vie quotidienne. Avec un État capitaliste de plus en plus puissant en tant qu’entité médiatrice de toute la vie sociale, nous, un groupe de camarades qui, depuis des années, continuons de partager le militantisme à travers diverses initiatives dans la ville d’Alicante et ses environs, nous nous sommes réunis pour lancer un débat sur la situation actuelle et historique. Notre militantisme, qui a pris un chemin différent au fil des ans, a retenu deux éléments selon une perspective de classe : l’affirmation du besoin réel de l’autonomie de la classe ouvrière (notre classe) et de l’internationalisme prolétarien. Par conséquent, même lorsqu’existent des divergences d’opinion sur certaines questions, nous nous reconnaissons dans le mouvement révolutionnaire historique et international du prolétariat.

 

LE CADRE GÉNÉRAL À PARTIR DUQUEL NOUS SOMMES PARTIS :

– Le besoin constant d’accumulation du capital détermine l’inévitable répétition de ses crises. La science historique de la classe ouvrière en est venue à établir un schéma temporel : tous les 10 à 15 ans, la crise est un phénomène imparable.

– La crise a été résolue par la destruction de personnes, de marchandises et de marchés ; la guerre est le phénomène prioritaire pour favoriser les destructions nécessaires imposées par la logique suicidaire du capital.

– La mondialisation du capitalisme (depuis le début du XXe siècle) et la disparition progressive des marchés précapitalistes, exacerbe les rivalités inter-bourgeoises et donne lieu à une situation de crise accumulée, où se développent des guerres impérialistes à grande échelle avec une puissance de destruction massive.

– La Seconde Guerre mondiale impérialiste et les terribles destructions qu’elle a engendrées (dans le sillage de la Première Guerre impérialiste), avec le consensus des ouvriers de tous les pays alliés à leurs bourgeoisies respectives sous les bannières du fascisme ou de la démocratie (deux faces complémentaires de la perversion du capital pervers), favorisent la reprise économique des soi-disant “30 glorieuses”, les années de reconstruction et de croissance accélérée. Un ballon d’oxygène pour un capital acculé par son propre développement.

– Depuis le retour de la crise (années 1970) et de la lutte prolétarienne, le capital a fait de nombreuses tentatives pour nous mobiliser de nouveau dans une grande guerre, et de nombreuses guerres locales ont été menées en passant sur nos corps et ceux de nos frères et sœurs de classe.

– Cependant, deux facteurs ont empêché le développement d’une guerre à grande échelle au sens classique du terme : l’humanité refuse d’être enrôlée dans de nouvelles guerres, il existe une conscience (pas encore de classe) qui refuse la logique de la guerre sous un angle pacifiste, pas révolutionnaire. Une tentative forcée du capital vers la guerre pourrait accélérer la prise de conscience, actuellement lente. D’autre part, la prolifération des armes nucléaires pourrait faire d’une dernière aventure guerrière, la dernière des guerres. La bourgeoisie, une classe sans scrupules qui n’a pas peur de verser le sang des autres, craint pour ses propres veines.

La crise actuelle du coronavirus soulève des questions qu’il convient d’évaluer et de clarifier.

 

Questions d’ordre général :

– Idéologiquement, cette crise exacerbe les éléments les plus brutaux de l’idéologie dominante, les piliers sur lesquels repose la fausse conscience de la réalité : le nationalisme, la défense de la nation et la lutte unie par-delà les divisions de la société en classes, contre le virus malfaisant, l’union des riches et des pauvres par-delà la réalité elle-même, l’appel constant (entre acclamations, applaudissements et chansons populaires) à la sacro-sainte unité nationale. L’atomisation, la stratégie de cloisonnement entre nos pairs et nous-mêmes, cristallisée à la perfection dans le confinement, l’interdiction du contact, de l’affection, de la solidarité.

– Politiquement, elle renouvelle les besoins du capitalisme d’État, le rôle supérieur et directeur de l’État en tant que garant et médiateur direct de toutes, absolument toutes, les relations humaines. Et n’oublions pas (comme le fait de manière si intéressée la gauche capitaliste) que l’État est l’organe de pouvoir de la bourgeoisie, ce n’est pas une entité neutre qui veille objectivement aux intérêts de la majorité, c’est l’état de pouvoir d’une minorité. La répression sous un prétexte virologique, la militarisation de la vie sociale, ne sont que quelques symptômes de cette maladie, et peut-être sont-ils là pour rester. On parle d’une économie de guerre, d’un état de guerre, et ils veulent tous nous transformer en petits soldats, dans cette logique militariste répugnante.

 

Sur le plan économique, nous avons examiné différentes options, que nous ne sommes pas en mesure de clarifier pour l’instant :

Eh bien, la vérité, c’est que ce qui se passe actuellement ne commencera à nous paraître plus ou moins clair qu’après un certain temps, cela va de soi.

Sur le plan économique, nous voyons comment la pandémie est en train d’affecter l’ensemble des pays dans une mesure plus ou moins grande, et il est difficile de dire quel “bloc impérialiste” en sortira vainqueur. Même s’il est vrai que la libre circulation des marchandises favorise l’accumulation, il n’en est pas moins vrai que, ces dernières années, la Chine, les États-Unis et l’Union européenne se livrent une guerre commerciale. Les politiques protectionnistes se sont accrues face à un gâteau (le monde) plus petit à se partager entre ces charognards. Il reste à évaluer les répercussions du coronavirus et la manière dont le capital en tirera parti, mais une hypothèse se dégage et s’imbrique dans la nécessité même de la guerre impérialiste :

Nous nous demandons si ce phénomène viral peut constituer un substitut à la guerre impérialiste classique, car cela pourrait finir par en égaler la faculté destructrice de main-d’œuvre, de marchandises et de marchés, en favorisant les processus cycliques de reconstruction. Si cette option est viable (cela ne dépend pas seulement de la volonté de la bourgeoisie), la répétition de ces situations, de ces états d’exception et de l’arrêt temporaire et partiel de certains secteurs économiques, deviendra cyclique et constante. De fait, ce type de situations se produit déjà dans certaines régions de la planète où ce qui est ici considéré comme exceptionnel, est quelque chose de normal dans les cycles de survie. Cela pourrait être une preuve de l’imparable décadence du système capitaliste, ou bien d’une des voies d’accumulation face à sa décadence inévitable. En d’autres termes, ce serait la forme que prendrait la guerre impérialiste à grande échelle dans un avenir immédiat.

Cependant, nous avons de sérieux doutes sur cette hypothèse, car pour qu’il en soit ainsi, il faudrait qu’elle provoque, outre la destruction des marchés et des marchandises (ce qui est possible en raison de l’effondrement économique), des millions de morts pour parvenir à détruire suffisamment de main-d’œuvre qui, autrement, resterait dans la misère. Cela ne semble pas être le cas, le nombre de morts, même si cela fait beaucoup de bruit, est loin d’être alarmant, il semble plutôt que ce que l’on veuille éviter, c’est l’effondrement des hôpitaux. La misère quotidienne à elle seule est déjà la cause de millions de décès dus à la faim, à la maladie ou à la pollution dans les pays industrialisés… Et même si cette hypothèse est envisageable, cela serait bien trop dangereux, y compris pour les élites, tout comme le serait une guerre nucléaire. En d’autres termes, une véritable pandémie virale d’envergure majeure affecterait à la fois les pauvres comme les riches, à moins que ces derniers ne disposent au préalable du vaccin.

Nous ne devons pas non plus ignorer les avertissements répétés concernant la destruction imminente de millions d’emplois dus à la robotisation, les migrations massives dues aux phénomènes météorologiques en raison du changement climatique et la surpopulation des villes transformées dans la plupart des cas en de gigantesques bidonvilles.

Cette “pandémie” servira peut-être de prétexte à une nouvelle réflexion sur les relations de travail, avec une précarité de plus en plus grande, etc. et à un nouvel ordre mondial, mais cela entrerait sur le terrainconspiratif, avec leur ordre capitaliste “international” capable de dicter les politiques que les États doivent respecter. Tous ? Même si, à vrai dire, les capitalistes ont leur propre ordre international, via différents organismes tels que la Banque mondiale, le FMI, le G7, l’OMS, etc.

Nous savons qu’une simulation d’épidémie virale a été menée en septembre et celle-ci a été révélée au grand jour.1

S’agirait-il d’un écran de fumée qui cacherait un effondrement “imminent” de l’économie mondiale et servirait à remettre le système à zéro… et déjà s’infiltrent pour une période indéterminée de nouveaux moyens de répression ?

La logique du capitalisme exige sans aucun doute la destruction de la main-d’œuvre, tout en la rendant moins chère, et pour différentes raisons (certaines participant de théories plus complotistes que d’autres), cela va de soi. La surpopulation est un problème de sécurité et un problème majeur pour tous les États.

On ne peut pas non plus exclure que ces pandémies soient en fait dues à des crises climatiques et à la relation nocive entre l’homme et les autres espèces, couplé à l’incapacité des États à les résoudre au-delà de la mise en œuvre de mesures policières/militaires… et en gagnant peut-être un peu d’argent au passage.

 

AUTRES CONSIDÉRATIONS NÉCESSAIRES :

– Les limites du capital ne se fondent pas seulement, ni principalement dans ses contradictions économiques, dans cette tendance mathématique à diminuer le taux de profit. En ce sens, le capital démontre sa capacité créative, avec l’ouverture de nouvelles voies d’accumulation, même si c’est dans un sens erroné, et de sa capacité à tirer maintenir la tête hors de la boue sanglante qui est son domaine.

– La vraie limite du capital, la seule qui puisse le renverser et transformer le monde en profondeur, pour instaurer la vraie Vie au lieu de la survie, c’est la révolution prolétarienne mondiale.

– Comme dans toute guerre impérialiste, la bourgeoisie concentre ses efforts sur le terrain idéologique, nous submergeant sous un torrent d’activités inutiles à réaliser durant le confinement, pour nous maintenir actifs et sans réfléchir (comme de bons zombies), tout en étendant avec férocité ses éléments idéologiques classiques : défense de l’économie nationale et rejet de “l’extérieur” (aujourd’hui synonyme de maladie dangereuse) et méfiance envers nos pairs. La solitude continuera à nous tuer, plus vite que n’importe quel virus.

– Il n’est pas nécessaire de nier l’existence du virus pour exiger le besoin de rejeter, dans les faits, la brutalité de la société existante. La logique militaire et guerrière du capital.

– Hier comme aujourd’hui, le mot d’ordre internationaliste et révolutionnaire du prolétariat sera d’affronter toutes les bourgeoisies et leurs États, pour reprendre l’expression, à savoir que, si nous avons le choix, nous choisissons notre autonomie de classe, parce que, et sans aucun doute, toutes les fractions de la bourgeoisie sont pires.

Notre intention est de continuer à discuter et à débattre, l’activité la plus subversive qui puisse être développée aujourd’hui est de récupérer les armes de la critique, et nous souhaitons ouvrir cette discussion à tous les camarades qui souhaitent en parler et partager leurs positions avec nous. Ce document n’est donc que le début de la mise en œuvre d’un outil de débat… (À suivre)

Prolétaires de tous les pays, étreignons-nous !

Prolétaires de tous les pays, toussons avec force sur le bourgeois le plus proche !


Réponse du CCI

Nous saluons l’initiative de se rassembler et de discuter. C’est une expression de l’effort de prise de conscience de la classe ouvrière et en même temps une contribution à son développement.

Les camarades ont pris comme point de départ leur adhésion à la classe ouvrière et à l’internationalisme. Ils y voient un cadre de discussion où s’expriment des divergences. D’autre part, ils conçoivent leurs réflexions comme quelque chose d’ouvert, d’évolutif, et déclarent leur intention de “continuer à discuter et à débattre, l’activité la plus subversive qui puisse être développée aujourd’hui est de récupérer les armes de la critique, et nous souhaitons ouvrir cette discussion à tous les camarades qui souhaitent en parler et partager leurs positions avec nous”.

Nous pensons que c’est la méthode adéquate dans le milieu prolétarien : partir de ce qui nous unit pour ensuite aborder ce qui peut nous diviser à travers un débat sain et ouvert.

C’est la méthode que nous allons suivre dans notre réponse afin d’encourager une discussion impliquant d’autres groupes ainsi que d’autres camarades.

Face à la crise pandémique et à la crise économique qui s’annonce, les camarades rejettent le fait que le capitalisme disparaîtra de lui-même, écrasé sous le poids de ses propres contradictions. Au contraire, ils affirment que “la vraie limite du capital, la seule qui puisse le renverser et transformer le monde en profondeur, pour instaurer la vraie Vie au lieu de la survie, c’est la révolution prolétarienne mondiale”. Par conséquent, “il n’est pas nécessaire de nier l’existence du virus pour exiger le besoin de rejeter, en pratique, la brutalité de la société existante. La logique militaire et guerrière du capital”, par ce qu’ “hier comme aujourd’hui, le mot d’ordre internationaliste et révolutionnaire du prolétariat sera d’affronter toutes les bourgeoisies et leurs États, pour reprendre l’expression, à savoir que, si nous avons le choix, nous choisissons notre autonomie de classe, parce que, et sans aucun doute, toutes les fractions de la bourgeoisie sont pires”.

Nous partageons pleinement ces positions, ainsi que la dénonciation de la manière dont le capital “gère” la crise pandémique : il profite du confinement pour imposer une idéologie de guerre et d’Union nationale qui favorise l’atomisation, l’individualisme, le chacun pour soi, le tous contre tous, la peur de “l’étranger” et qui, par conséquent, stimule insidieusement la xénophobie et le racisme. “La bourgeoisie concentre ses efforts sur le terrain idéologique, nous submergeant sous un torrent d’activités inutiles à réaliser durant le confinement, pour nous maintenir actifs et sans réfléchir (comme de bons zombies), tout en étendant avec férocité ses éléments idéologiques classiques : défense de l’économie nationale et rejet de “l’extérieur” (aujourd’hui synonyme de maladie dangereuse) et méfiance envers nos pairs. La solitude continuera à nous tuer, plus vite que n’importe quel virus”.

Partageant ce précieux terrain d’entente, nous voulons à présent analyser ce que nous ne trouvons pas valable dans les positions exprimées par les camarades.

Une partie du texte développe des spéculations sur la possibilité que la pandémie ait été provoquée par le capital, de sorte qu’en éliminant massivement des vies, elle jouerait le rôle d’une guerre impérialiste : liquider la force de travail et les marchandises pour reprendre l’accumulation du capital.2 Les camarades eux-mêmes affichent de sérieux doutes quant à ces idées.

La pandémie du Covid-19, déclencheur d’une crise sociale de dimension mondiale

Cependant, les camarades doutent un peu de la gravité de la pandémie : “le nombre de morts, même si cela fait beaucoup de bruit, est loin d’être alarmant, il semble plutôt que ce que l’on veuille éviter, c’est l’effondrement des hôpitaux. La misère quotidienne à elle seule est déjà la cause de millions de décès dus à la faim, à la maladie ou à la pollution dans les pays industrialisés…” Ce n’est pas la nature strictement virale de la maladie qui la rend si mortelle, mais une série de facteurs sociaux historiques de grande importance : l’effondrement des systèmes de santé dans le monde entier ; sa propagation rapide et vertigineuse liée à la gigantesque intensification de la production mondiale au cours des dernières décennies, la désorganisation et la paralysie sociale et économique qu’elle a provoqué et aggravé ; la réponse même des États qui révèle une incompétence évidente et une incurie scandaleuse. C’est cet ensemble de facteurs, associé à la phase historique de décomposition du capitalisme,3 qui fait du virus le catalyseur d’une crise sociale de dimension mondiale.
Dans toute l’histoire de l’humanité, les grandes pandémies que l’on connaît ont été associées à des moments historiques de décadence d’un mode de production en particulier. La peste noire du XIVe siècle a éclaté lors de la décadence de la féodalité. La Première Guerre mondiale, qui marque l’entrée du capitalisme dans sa phase de décadence, s’accompagne de la terrible pandémie de grippe espagnole qui fera 50 millions de morts.

Pour nous, la pandémie du Covid-19 est une expression de la décadence du capitalisme et plus précisément de sa phase finale de décomposition. Elle doit se comprendre dans le cadre d’un système dont les contradictions provoquent d’énormes catastrophes comme : deux guerres mondiales et un enchaînement sans fin de guerres localisées plus dévastatrices encore ; les grands cataclysmes économiques qui se traduisent par un chômage chronique, par une aggravation de la précarité, un effondrement des salaires et un appauvrissement généralisé ; par l’altération du climat et la destruction environnementale qui conduisent également à des catastrophes qualifiées de “naturelles” ; par la détérioration générale de la santé ; et, non des moindres, par la désagrégation du tissu social avec une morale barbare et une décomposition idéologique qui favorise toutes sortes de dérives mystiques et irrationnelles.

Il est très positif que les camarades revendiquent la nécessité de la révolution prolétarienne mondiale comme seule réponse possible à cette escalade de la barbarie. Mais quelle est la base matérielle de cette revendication ? Pour nous, c’est la décadence du capitalisme, comme l’a déjà souligné la Plateforme de l’Internationale Communiste (1919) : “Une nouvelle époque est née. Époque de désagrégation du capitalisme, de son effondrement intérieur. Époque de la révolution communiste du prolétariat”.

Cette pandémie illustre le bien-fondé d’appliquer le concept marxiste de la décadence (lorsque le mode de production devient un frein aux forces productives qu’il a lui-même développées) à la situation du capitalisme actuel : l’existence des microbes était peu connue lors de la grande peste du XIVe siècle, de même qu’en 1918-1919, les virus n’avaient pas été découverts. Mais aujourd’hui ? Le virus du Covid 19 a été séquencé en quelques semaines. Ce qui est insupportable dans les décès dus au coronavirus n’est pas leur quantité, mais le fait qu’ils auraient tous pu être évités si la science et la technologie existantes n’étaient pas soumises aux lois du profit et de la concurrence.

Crises cycliques ou crise chronique et latente ?

Les camarades développent certaines idées qui relativisent la notion de décadence du capitalisme. Ainsi, ils affirment que “Le besoin constant d’accumulation du capital détermine l’inévitable répétition de ses crises. La science historique de la classe ouvrière en est venue à établir un schéma temporel : tous les 10 à 15 ans la crise est un phénomène imparable”.

Dans le capitalisme ascendant (dont l’apogée se situe au XIXe et au début du siècle suivant), les crises avaient un caractère cyclique car elles étaient “la manifestation que le marché antérieur se trouve saturé et nécessite un nouvel élargissement. Elles sont donc périodiques (tous les 7 à 10 ans) et trouvent leur solution dans l’ouverture de nouveaux marchés. Elles éclatent brusquement. Leur durée est courte et elles ne sont pas généralisées à tous les pays. Elles débouchent sur un nouvel essor industriel. Elles ne posent pas les conditions pour une crise politique du système”.4 Dans la période ascendante, les crises cycliques étaient l’expression du développement du capitalisme, chacune d’entre elles étant un déclencheur de nouvelles expansions dans le monde entier, pour la conquête des marchés et un développement spectaculaire des forces productives.

En revanche, dans la phase de décadence (depuis la deuxième décennie du XXe siècle), les crises “se développent progressivement dans le temps. Une fois qu’elles ont débuté, elles se caractérisent par leur longue durée. Ainsi, alors que le rapport récession/prospérité était d’environ 1 à 4 au XIXe siècle (2 années de crise sur un cycle de 10 ans), le rapport entre la durée du marasme et celle de la reprise passe à 2 au XXe siècle. En effet, entre 1914 et 1980, on compte 10 années de guerre généralisée (sans compter les guerres locales permanentes), 32 années de dépression (1918-22, 1929-39, 1945-50, 1967-80), soit au total 42 années de guerre et de crise, contre seulement 24 années de reconstruction (1922-29 et 1950-67). Alors qu’au XIXe siècle, la machine économique était relancée par ses propres forces à l’issue de chaque crise, les crises du XXe siècle n’ont, du point de vue capitaliste, d’autre issue que la guerre généralisée. Râles d’un système moribond, elles posent pour le prolétariat la nécessité et la possibilité de la révolution communiste. Le XXe siècle est bien “l’ère des guerres et des révolutions” comme l’indiquait, à sa fondation l’Internationale communiste”.

Depuis 1914, l’économie capitaliste ne fonctionne plus selon le schéma de crise (prospérité dans une dynamique ascendante mais qui tend vers une crise chronique) qui, malgré l’intervention massive des États (le capitalisme d’État), s’aggrave de plus en plus.

Les guerres dans le capitalisme décadent

Les camarades dénoncent clairement la nature impérialiste de la guerre et combattent fermement les drapeaux sous lesquels les forces du capital (de l’extrême-droite à l’extrême-gauche) entendent mobiliser les prolétaires : nation, fascisme, démocratie, etc.

Ceci est absolument juste et nous partageons ce point de vue. Cependant, ils considèrent que “deux facteurs ont empêché le développement d’une guerre à grande échelle au sens classique du terme : l’humanité refuse d’être enrôlée dans de nouvelles guerres, il existe une conscience (pas encore de classe) qui refuse la logique de la guerre sous un angle pacifiste, et non pas révolutionnaire. Une tentative forcée du capital vers la guerre pourrait accélérer la prise de conscience, actuellement lente. D’autre part, la prolifération des armes nucléaires pourrait faire d’une dernière aventure guerrière, la dernière des guerres. La bourgeoisie, une classe sans scrupules qui n’a pas peur de verser le sang des autres, craint pour ses propres veines”.

Nous sommes tout à fait d’accord sur le premier facteur. Si l’humanité n’a pas sombré dans une troisième guerre mondiale dans les années 1970-80, c’est grâce à la résistance du prolétariat dans les grandes concentrations industrielles à se faire enrôler dans la guerre. Cette résistance était plutôt passive et s’élevait au niveau individuel, ce qui a sérieusement limité sa force comme disent les camarades.

Or, le deuxième facteur qu’ils invoquent ne nous semble pas correct. La guerre impérialiste a une logique infernale qui, une fois déclenchée, se mue en un vortex de destruction et de barbarie qu’il est presque impossible d’arrêter.

Dans la période ascendante du capitalisme, “la guerre a pour fonction d’assurer à chaque nation capitaliste une unité et une extension territoriale nécessaires à son développement. En ce sens, malgré les calamités qu’elle entraîne, elle est un moment de la nature progressive du capital. Les guerres sont donc, par nature, limitées à 2 ou 3 pays généralement limitrophes et sont de courte durée, provoquent peu de destructions et déterminent, tant pour les vaincus que pour les vainqueurs un nouvel essor ”.

En revanche, les guerres de la décadence “ne relèvent plus des nécessités économiques du développement des forces productives de la société mais essentiellement de causes politiques. Elles ne sont plus des moments de l’expansion du mode de production capitaliste, mais l’expression de l’impossibilité de son expansion. Désormais un bloc de pays ne peut développer mais simplement maintenir la valorisation de son capital que directement aux dépens des pays du bloc adverse, avec, comme résultat final, la dégradation de la globalité du capital mondial. Les guerres sont des guerres généralisées à l’ensemble du monde et ont pour résultat d’énormes destructions de l’ensemble de l’économie mondiale menant à la barbarie généralisée. Nullement des “cures de jouvence”, les guerres du XXe siècle ne sont rien d’autre que les convulsions d’un système moribond à l’agonie”.

Les guerres impérialistes n’offrent aucune solution aux contradictions du capital ; au contraire, elles les aggravent. Même s’il est vrai que, comme le disent les camarades, “la Seconde Guerre mondiale impérialiste et les terribles destructions qu’elle engendre […], favorisent la reprise économique des soi-disant “30 glorieuses”, les années de reconstruction et de croissance accélérée. Un ballon d’oxygène pour un capital acculé au piège de son propre développement”, cette reconstruction est due au fait que, d’une part, les États-Unis n’ont subi aucune destruction sur leur sol, de sorte qu’ils ont pu s’ériger en facteur d’accumulation à l’échelle mondiale et, d’autre part, les zones non capitalistes qui existaient encore sur la planète ont permis au capitalisme ce ballon d’oxygène.

De ce point de vue, la guerre impérialiste est un engrenage irrationnel qui échappe au contrôle des différents impérialismes nationaux qui y participent. Il est possible que chacun “regrette” la ruine qui est en train d’être générée, mais le pari de chaque capital national est d’en sortir vainqueur et de faire payer à ses rivaux (et à sa propre classe ouvrière) les conséquences de la guerre. Ainsi, la prolifération actuelle des armes nucléaires ne constitue pas le moindre frein susceptible de rendre les capitalistes “rationnels” et leur éviter d’aller “trop loin”.

Le caractère de plus en plus incontrôlable et loin de toute rationalité du système lui-même, de ses contradictions, nous permet de comprendre la pandémie actuelle. De la même manière que les guerres impérialistes (surtout celles qui se mondialisent) deviennent un mécanisme imparable, les pandémies, comme celle que nous connaissons actuellement, sont un engrenage qui, une fois mis en marche, est très difficile à contrôler.

Cette irrationalité conduit à ce que les pays les plus “avancés” se volent les uns les autres le matériel nécessaire pour faire face à la pandémie, quitte à l’aggraver à l’échelle mondiale ! Et donc pour eux-mêmes à moyen terme. Comme nous l’avons souligné dans l’article sur la “guerre des masques”, face à des problèmes d’envergure mondiale, la classe exploiteuse ne peut pas se départir de son morcellement en intérêts nationaux concurrents. La dynamique centrifuge irrationnelle s’exprime également dans la pandémie actuelle par le phénomène qui, au sein des États, voit les administrations régionales se faire concurrence et se voler mutuellement du matériel médical, comme nous avons pu le constater aux États-Unis, en Allemagne et en Espagne.

Nous constatons que la pandémie est l’expression d’une crise économique mondiale naissante qui prend enfin forme et tend à prendre des proportions que de nombreux analystes considèrent comme plus graves encore qu’en 2008.

Concentrons-nous sur le plan épidémiologique, la bourgeoisie nous dit de “faire avec la période de confinement” dans l’attente du “jour d’après”. Cependant, ce “jour d’après” tarde à venir et tend à se prolonger. Par ailleurs, il existe un consensus au sein de la communauté scientifique concernant d’éventuelles nouvelles vagues d’infection aux conséquences imprévisibles. Enfin, les systèmes de santé, déjà gravement détériorés avant même la pandémie : dans quelles conditions font-ils face à cette maladie et bien d’autres ? N’oublions pas que ces dernières années, les épidémies d’Ebola, de dengue, du sida, du choléra, de zika, etc. ont proliféré.

Par conséquent, nous pensons que la question essentielle n’est pas celle de la pandémie elle-même, mais les conditions historiques dans lesquelles elle se développe comme résultat et facteur d’accélération des graves contradictions dans lesquelles le capitalisme sombre après un siècle de décadence et plus de 30 ans de décomposition sociale et idéologique.

 

CCI, 20 avril 2020

1 En fait, il s’agissait d’une fake news (NDLR) .Cf. https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2020/02/06/coronavirus-la-f...

2 Les idées “complotistes” ont un impact certain. Une enquête aux États-Unis montre que 33 % des sondés pensent que la pandémie a été provoquée artificiellement. Nous avons l’intention de faire un article à ce sujet.

4La lutte du prolétariat dans la décadence du capitalisme”. Sauf mention contraire, les citations ultérieures proviendront de ce document.

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