Grande-Bretagne : Solidarité avec les travailleurs de la santé contre leur employeur, le NHS capitaliste

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De nombreux articles et programmes détaillent l’insuffisante préparation du National Health Service (NHS) face à la pandémie actuelle. Panorama (un documentaire de la BBC) nous dit que le stock d’équipement de protection personnelle (PPE) ne contenait pas de blouses, le Kings Fund (un groupe de réflexion sur le système de santé britannique) a mis en évidence le nombre peu élevé au Royaume-Uni de docteurs, infirmières, hôpitaux et lits en soins intensifs comparé aux autres pays développés, The Economist a révélé comment en avril les tests pour le coronavirus destinés au Royaume-Uni sont restés quelque part entre les États-Unis et l’Equateur.

Au même moment, nous sommes invités non seulement à applaudir le NHS une fois par semaine mais aussi à nous identifier à cette institution présentée comme un modèle pour tous les autres services de santé. Mais le NHS n’est rien d’autre qu’une institution de l’Etat capitaliste qui envoie ses employés s’occuper de patients infectés sans l’équipement de protection personnelle nécessaire et déporte les patients âgés des hôpitaux vers des maisons de retraite sans pratiquer de tests durant cette crise. Le véritable NHS, c’est celui qui, pendant des années nous a habitués a de longues attentes aux urgences et à d’interminables listes d’attente pour des opérations.

La pandémie de coronavirus a mis en évidence les faiblesses et les défaillances de tous les services de santé sous le système capitaliste. Malgré de véritables différences dans leurs ressources, ou manque de ressources, le degré d’organisation par l’Etat et le niveau de participation des entreprises privées, ils sont tous basés sur deux aspects essentiels du capitalisme : l’Etat-nation et le besoin d’extraire autant de bénéfices possible de ceux qui travaillent dans ce secteur tout en les rémunérant au salaire minimum avec lequel ils peuvent à peine s’en sortir.

« Protéger le NHS »… des patients !

A la mi-mars, les hôpitaux furent sommés d’évacuer 15 000 patients, âgés pour la plupart, soit en les renvoyant chez eux, soit en les parquant dans des maisons pour personnes âgées afin de libérer des lits pour ceux atteints du Covid-19. Le NHS a fait face à la situation aux dépens de ces patients ainsi que des résidents des maisons de retraite et de leur personnel soignant qui ont contracté le virus au contact de ceux qui parmi ces patients étaient infectés. Plusieurs milliers en sont morts [1]. Ce n’est pourtant pas comme si le monde n’avait pas été prévenu de la nécessité de se préparer à une pandémie ; l’OMS, les virologues et les épidémiologistes alertent à ce sujet depuis des décennies. Ce n’est pas comme si le gouvernement britannique n’avait pas été averti du niveau d’impréparation à une pandémie durant l’Exercice Cygnus en 2016 qui montrait que le NHS serait incapable d’y faire face. Les résultats n’ont jamais été publié car jugés trop effrayants. [2]

Tout au long de l’histoire du NHS, il y a eu une pression constante sur les ressources disponibles. En 1949, le NHS disposait de 10,2 lits pour 1000 habitants, essentiellement pris sur les hôpitaux bénévoles ou dispensaires ; en 1976, cette proportion était tombée à 8,3 pour 1000 [3]. A cette époque, l’usage des antibiotiques s’était largement répandus pour combler la différence et les vieux services contre les maladies coloniales tropicales ou la tuberculose (sanatoriums) pouvaient être largement supprimés. Cependant, le nombre de lits a continué de baisser jusqu’à atteindre seulement 2,5 pour 1000 en 2017, les lits pour hospitalisation de courte durée et pour les services de médecine générale ayant chuté de 34 % depuis 1987/88. Surtout, le taux d’occupation des lits est passé de 87,1 % en 2010/11 à 90,2 % en 2018/19 et dépasse régulièrement les 95 % durant l’hiver, ce qui représente un niveau dangereux comme le montre le rapport du Kings Fund : « Les hôpitaux du NHS n’ont sans doute jamais été autant mis à l’épreuve qu’aujourd’hui ». L’augmentation de la population, combinée avec une proportion croissante de personnes âgées qui nécessitent généralement plus de soins de santé, entraine une demande accrue du traitement hospitalier par le NHS. […] Le NHS arrive seulement à la limite d’une pression financière prolongée et se trouve en pleine crise d’effectifs. Les services de l’assistance sociale pour adultes sont soumis à une saturation des demandes qui continuent à augmenter et attendent toujours la réforme financière fondamentale dont ils ont urgemment besoin. Les niveaux actuels d’occupation signifient que l’hôpital moyen en Angleterre court le risque d’être incapable de prendre en charge efficacement le flux des patients, le laissant à la merci de la fluctuation de la demande » [4]. Un des résultats de cette austérité a été le nombre bien médiatisé de morts au-dessus de la moyenne pour cette période de l’année, qui à cette date a presque atteint les 60 000, particulièrement dans les hôpitaux et les maisons de type EHPAD durant la pandémie de Covid-19.

En comparaison avec d’autres pays, la Suède, avec un taux similaire de 2,2 lits d’hôpitaux pour 1000 habitants a pu protéger son système de santé aux dépens des EHPAD avec la moitié des décès chez les plus de 70 ans dans ces dernières.

Le système de santé allemand est mieux pourvu avec 8 lits pour 1000 habitants mais est toujours confronté à des mesures d’austérité. La baisse du nombre de lits d’hôpitaux est une tendance générale observable à l’échelle internationale.

Protéger le NHS »… des “étrangers” !

Par exemple, « une enfant atteinte de leucémie nécessitait un traitement en soins intensifs et commencer une chimiothérapie […] L’hôpital s’est montré réticent à commencer la chimiothérapie jusqu’à ce que les fonds soient déposés sur son compte et par conséquent le traitement a été reporté. » Pour ceux qui atteignent l’âge de la retraite, particulièrement ceux qui ont travaillé dans les services de santé, c’est exactement le genre de choses dont on nous disait que cela ne pouvait pas arriver ici avec le NHS. C’était exactement comme ce qui se passait aux États-Unis avec le recours à la médecine privée. Continuons la lecture du document : " ce cas nécessitait d’être examiné par un centre spécialisé afin de déterminer les options de traitement possible mais on a refusé de recevoir cette enfant sous prétexte qu’elle « n’était pas en droit d’accéder aux soins du NHS »… » [5] Et ce ne sont pas seulement les enfants de familles récemment immigrées qui se sont vus refuser les traitements. Une partie du scandale Windrush [6] fut qu’on a refusé un traitement à un certain nombre de patients qui ne pouvaient pas prouver qu’ils y avaient droit même après avoir vécu dans le pays depuis l’enfance et même si leur vie était en danger.

On nous parle de plus en plus ces derniers temps du “besoin” de protéger le NHS du « tourisme de la santé ». Cette campagne xénophobe ne date pas seulement du populisme de Boris Johnson ni de « l’environnement hostile » pour les migrants sous le gouvernement de Theresa May : on trouve déjà les mêmes arguments mis en avant à l’époque du dernier gouvernement du Labour lorsque Jack Straw, le Secrétaire d’Etat à l’Intérieur, faisait la chasse aux « faux demandeurs d’asile » qui pourraient entrer sur le territoire et profiter de “nos” services publics.

Cependant la classe dominante connaît certaines difficultés avec sa propagande sur le besoin de protéger le NHS de ces prétendus « touristes de la santé » qui soi-disant « pilleraient continuellement les ressources du NHS » alors que beaucoup d’entre eux travaillent en fait dans le secteur de la santé ou de l’aide sociale et mettent leur vie en danger durant la pandémie en travaillant pour le NHS. La majoration de prélèvements sur les salaires pour l’accès aux soins des travailleurs immigrés devait passer de 400 £ à 600 £ en octobre et jusqu’au récent recul opéré par le gouvernement sur le sujet, il était prévu que les nombreux travailleurs de la santé et du secteur social issus de l’immigration à l’exception des médecins paient cette majoration. En fait le NHS, et l’Etat-Providence plus généralement, n’a jamais été un “cadeau” ni une réforme « gagnée par les travailleurs ». Son but était de garantir un revenu de subsistance sous condition de service et de contribution afin d’améliorer le rendement de leur exploitation et maintenir les prolétaires « en forme pour le service » pour reprendre les mots de Beveridge [7]. Il s’agissait de maintenir les travailleurs en meilleure forme pour le travail ou le service militaire.

Le capitalisme est basé sur l’Etat-nation et dans cette pandémie globale qui affecte le monde entier, chaque État, chaque service de santé national, doit se battre pour obtenir les équipements de protection, les ressources et les tests, dans un esprit de concurrence et de chacun pour soi. Les États-Unis menacent l’OMS de retirer leur contribution. Plusieurs pays ont accusé la Chine d’espionnage industriel sur un vaccin. Au lieu de la coopération nécessaire pour faire face à une menace globale et produire un vaccin, chaque nation protège son service de santé, ses profits, ses intérêts impérialistes. La coopération limitée qu’elles ont réussi à mettre en œuvre dans le passé laisse place désormais à l’égoïsme national débridé et cela au détriment de leur capacité à limiter le danger de cette pandémie.

« Protéger le NHS »… au détriment des travailleurs de la santé et du secteur social

Une étude menée par le Royal College of Nursing (école d’infirmières) a montré que la grande majorité des personnels infirmiers et des sage-femmes avaient la sensation qu’ils étaient, eux et leurs familles, en danger à cause de leur travail et que s’ils étaient “redéployés” vers d’autres hôpitaux pour s’occuper des patients victimes du Covid, ils ne seraient pas suffisamment formés entrainés. Plus de la moitié ont travaillé au-delà des heures réglementaires et la majorité ne s’attendait pas au attendent le paiement des heures supplémentaires [8]. Pendant ce temps, les porte-paroles du gouvernement mentaient sur la disponibilité des équipements de protection personnelle et des tests tout en appelant la population à applaudir tous les jeudis soirs et à accrocher des drapeaux (?) arc-en-ciels à ses fenêtres afin de soutenir le NHS. Le même NHS qui néglige la sécurité des infirmiers et des autres travailleurs face à une infection mortelle ! Comme des soldats au front, comme de la chair à canon ! La Belgique de son côté a menacé de réquisitionner les travailleurs de la santé, ce qui a suscité une vive indignation.

Ceci n’est pas juste une aberration durant la pandémie mais la manière dont les services de santé, comme n’importe quelle autre entreprise capitaliste, traitent leurs employés. Il y a eu une augmentation de l’intensité au travail dans les hôpitaux avec le nombre de lits réduits de moitié alors que le nombre de patients traités augmentait. Les postes non pourvus d’infirmiers sont en augmentation et cette lacune est comblée par du personnel de soutien comme les aides-soignants. Cela a empiré depuis 2016 avec une chute du nombre d’infirmiers européens venant s’intaller au Royaume-Uni. Dans ces circonstances, il y a toujours un chantage moral effectué sur les travailleurs de la santé pour « fournir un effort supplémentaire » dans le soin des patients. Tout cela s’additionne à un accroissement de l’exploitation, phénomène que nous pouvons observer dans tous les services de santé au niveau mondial comme dans tous les secteurs de l’économie.

La solidarité avec les travailleurs de la santé ne se fait pas à travers des applaudissements hebdomadaires pour leur employeur mais à travers la solidarité prolétarienne, la solidarité avec ces travailleurs exploités dont les intérêts sont en conflit avec le NHS et dont la lutte pour de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail est inévitablement une lutte contre leur employeur, l’Etat capitaliste.

Nationalisé ou privatisé, le NHS demeure une institution capitaliste.

La gauche de la bourgeoisie voudrait que nous nous opposions à la privatisation du NHS, affirmant même qu’un système de santé nationalisé serait d’une manière ou d’une autre « socialiste ". C’est la version de gauche du mensonge affirmant que c’est « notre NHS » parce qu’il est administré par l’Etat. Nous parlons d’une institution de l’Etat capitaliste : « Le salaire même est dépendant de l’Etat. La fixation, à sa valeur capitaliste, en est dévolue à des organismes étatiques. Une partie du salaire est enlevée à l’ouvrier et est administrée directement par l’Etat. Ainsi, l’Etat « prend en charge » la vie de l’ouvrier, il contrôle sa santé (lutte contre l’absentéisme), dirige ses loisirs (répression idéologique)" [9]. L’Etat prend donc en charge une partie du salaire pour maintenir la santé des travailleurs et éviter que les employeurs n’aient à payer une assurance santé, de la même façon que l’Etat paye une partie des salaires à travers le « crédit universel " et les allocations logement permettant ainsi aux capitalistes de payer des salaires plus bas. Dans le secteur public ou dans le secteur privé, les travailleurs de la santé sont exploités par le capital, que ce soit par l’Etat pour le bénéfice du capital national comme un tout, ou par une compagnie qui vend ses services à une assurance ou à l’Etat. C’est pourquoi tous les services de santé, qu’ils soient publics ou privés, appliquent la même politique et avant tout, la même politique d’exploitation.

Un des avantages du service de santé privatisé pour l’Etat est qu’il est directement sujet aux lois du marché et peut faire faillite, le gouvernement n’a pas à le renflouer. C’est pourquoi il y a eu partout des mesures pour faire en sorte que les hôpitaux et d’autres institutions de soins de santé respectent leurs budgets, tout en lançant des appels d’offres sur les services, particulièrement depuis les années 80 sous le gouvernement Thatcher et durant les années Blair. Parce que la bourgeoisie britannique compte tant sur l’idéologie du NHS, elle a beaucoup insisté sur le contrôle de l’Etat en matière de ce qui devrait être fait et également sur ce qui ne devrait pas être entrepris ou réalisé car non “rentable”.

Comme nous le disions dans un article sur la réponse apportée par le système de santé allemand : « le plus important est que la gestion des hôpitaux a été durement soumise aux lois de l’économie capitaliste pour tous les organismes de financement (autorités publiques et religieuses incluses). Ceci s’applique, par exemple, à la rationalisation des processus de travail… Les employés sont pressés comme des citrons afin de pousser le plus loin possible l’accumulation de la valeur dans l’industrie des soins de santé. Le patient se retrouve face au soignant dans une situation où il devient une marchandise, la relation sociale devient un service, le processus de travail est sujet à d’énormes pressions et contraintes temporelles. Cette perversion décrit très bien ce que Marx a analysé comme la réification, la déshumanisation et l’exploitation ».

Alex, 23.5.20

 

[1] https://en.internationalism.org/content/16848/british-governments-herd-i

[2] https://en.internationalism.org/content/16834/profound-impact-covid-19-c

[3] https://en.internationalism.org/wr/303/nhs-reforms

[4] https://www.kingsfund.org.uk/publications/nhs-hospital-bed-numbers?gclid...

[5] https://bmjpaedsopen.bmj.com/content/4/1/e000588

[6] Durant lequel beaucoup de ceux qui étaient arrivés, légalement, au Royaume-Uni lorsqu’ils étaient enfants, furent traités comme immigrés illégaux. voir : https://fr.internationalism.org/content/9988/scandale-windrush-nationali...

[7] L’économiste et politicien libéral dont le rapport durant la Seconde Guerre Mondiale pour le gouvernement de coalition a formé les bases de « l’Etat-Providence » mis en place par le gouvernement Atlee après la guerre.

[8] https://www.cardiff.ac.uk/news/view/2326580-research-highlights-concerns

[9] 1952 Internationalisme : « L’évolution du capitalisme et la nouvelle perspective », https://fr ; internationalism.org/rinte21/evolution.htm

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