Après 21 jours de grève généralisée, après tant d’assauts démagogiques de la part des staliniens, promettant un bon Noël aux travailleurs en grève, après des manifestations rodomantesques du gouvernement Schumann mobilisant des classes, après avoir prudemment crié "les caisses sont vides" aux revendications ouvrières, après tant de burlesque dans les antichambres syndicales et ministérielles, après de tragiques heurts entre ouvriers égarés chacun sur une voie impérialiste, la CGT lance le mot d’ordre de reprise de travail.
Il était à espérer que les syndicats auraient, pour une fois, reconnu la défaite de la grève. Et bien non, les 1500 Frs de vie chère - que les Frachon et consorts considéraient comme un os à ronger que l'on jette aux travailleurs - devient un symbole de victoire âprement arraché à un gouvernement "réactionnaire et affameur".
Aujourd’hui on se rend compte, dans la classe ouvrière, que d'une part la grève ne paie plus, mais d'autre part on espère encore confusément en des arrangements pacifiques entre "représentants ouvriers" et gouvernement.
Ce chaos contradictoire dans la classe ouvrière, alimenté encore par la scission syndicale qui, si sur le plan de l'usine n’a apporté aucun changement, sur le plan de la lecture des journaux les ouvriers se demandent où se font ces prétendues adhésions spontanées et massives à l'une ou à l'autre Centrale syndicale.
Nous assistons réellement, en France, à une brisure assez nette entre les dirigeants PCF ou SFIO et la grande majorité des ouvriers. Cette brisure n'est pas le fait d'une prise de conscience, elle est le résultat d'une lassitude de trois années de promesses et d'action à objectif illusoire comme "arrêter la course salaire -prix."
Quand, pendant cette grève, nous avons assisté et avons vu la rudesse d'attitude des diverses tendances directoriales de la CGT, quand, après la grève, nous voyons des journaux tel "Combat", des ministres tel D. Mayer, conclure qu'il n'y a ni vainqueur ni vaincu, pourquoi alors faut-il voir des Fédérations entières (instituteurs ou métaux) quémander, telle une charité, une indemnisation des jours de grève.
Le gouvernement a beau jeu d’allouer 750 Frs à tout gréviste, les dirigeants syndicaux aussi, en présentant ces misérables deniers comme le résultat de leur action personnelle puisque la grève n'avait pu rien donner.
La classe ouvrière a perdu la grève, pas tellement en fonction de la politisation que les staliniens ont voulu lui donner mais parce que cette arme s'inscrit dans la panoplie de la bourgeoisie.
Les ouvriers ne le sentent pas encore mais du moins il ne faut plus leur parler de grève actuellement ; et le PCF, dans son bulletin militaire ultime édité par le Comité central de grève, peut toujours parler de grève en vue de nouvelles luttes à venir. Si des luttes à venir doivent arriver dans les conditions actuelles de la classe ouvrière, ces luttes seraient meurtrières surtout par la confusion qui règnerait dans la classe ouvrière. Mais là encore, le problème n’est plus du ressort de la participation ou non des travailleurs.
Les sabotages "spontanés" remplaceront les troupes défaillantes. Pour sauver "la liberté", des mesures gouvernementales répressives seront prises qui réduiront cette liberté "démocratique".
Cette situation d'attentat et de répression est celle adoptée par la Résistance et les nazis pour augmenter et durcir leur troupe, de part et d’autre ; et, comme la situation internationale influera encore plus sur chaque situation nationale, alors le chaos s'étendra et se développera dans la classe ouvrière, permettant à la bourgeoisie et aux États de mobiliser leurs partisans, car la nouvelle idéologie de la 3ème guerre mondiale aura éliminé toute velléité d’indépendance de la classe ouvrière.
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La grève est passée par là, semant le désarroi et la lassitude dans les rangs ouvriers ; mais, les infatigables trotskistes - gréviculteurs et paranoïaques de la révolution laquelle, pour eux, est toujours là où des antagonismes impérialistes se jouent et s’expriment -, nos infatigables trotskystes, en des réunions de masses groupant le tiers de leur effectif nominal, au travers de leur organe "La Vérité" qui doit surement être atteinte de strabisme, encore une fois nos infatigables trotskistes présentent cette grève comme un 1905, une sorte de répétition générale de vastes mouvements ouvriers. Ils ont découvert, dans les collectes que les syndicats effectuaient dans les campagnes, l'ossature du futur Ministère du Ravitaillement, du non moins futur Gouvernement ouvrier et paysan.
Ils pensent cependant avoir une récompense. Les mots d’ordre que depuis trois ans ils jettent à profusion sur le marché ouvrier, sont repris par leur frères ennemis, les staliniens. Mais ceux qui semblent en retirer les bénéfices, c’est le PCF et non le PCI.
Pourtant, les trotskistes qui présentaient d’une part la direction PCF comme contre-révolutionnaire et leurs mots d’ordre comme les étapes les plus progressives vers la Révolution, ces trotskistes seraient bien embarrassés d'expliquer la contradiction qui résulte d'une alliance d'un organe traitre et de mot d’ordre de classe. Nous savons déjà, depuis 3 ans, que "les masses staliniennes obligent les dirigeants staliniens à cette politique", prétendent les trotskystes, alors pourquoi hésiter ; que ces derniers entrent dans les rangs PCF pour grossir le flot des mécontents. Si la base du PCF peut obliger les dirigeants, à plus forte raison pourra-t-elle les renverser avec les trotskystes en son sein. Mais là encore l'opposition base-dirigeants, dans le PCF, est le fait d'une ivresse qui n'a même pas sa source dans une victoire quelconque du trotskisme.
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Et maintenant, après cet aperçu qui semble découler d’un pessimisme, il y a lieu de nous expliquer.
Il n'y a pas, dans toute l'histoire du mouvement ouvrier, une période aussi dépourvue de perspectives révolutionnaires que celle que nous traversons. Ceci n'est pas l'effet d’un pessimisme mais uniquement de l'analyse réelle et consciente de la situation qui a préludé en 1933 et qui dure.
Quand, au cours de la guerre 1939-45, une éclaircie s'est faite jour, nous avons été les premiers à essayer, non seulement d'alerter les ouvriers en France mais aussi de prendre nos responsabilités dans la lutte. Nous n'avons rencontré aucun écho parce que l'éclaircie fut rapide et brève, elle a surpris les ouvriers dans le monde ; et, quand ceux-ci ont essayé de prendre conscience, la situation était déjà ressaisie par les impérialismes en guerre.
Nous avons reconnu, à ce moment-là, que, si la conscience de classe ne précédait pas ou si elle ne s'exprimait pas si une situation semblable se renouvelait, le cours de la guerre, avec ou sans trêve, continuerait.
Après l'éclaircie italienne, la défaite allemande survint ; mais il n'y eut absolument rien du coté ouvrier.
À quoi attribuer ce silence, cette absence ? Nous avons cherché les causes plutôt que de proclamer, comme certains, la Révolution en Grèce, aux Indes, en Indochine et à Madagascar ; et faire de Abd-El-Krim un martyr révolutionnaire. Nous nous sommes refusés à voir dans le chauvinisme des masses, au lendemain de la guerre, une possibilité révolutionnaire. Nous avons dénoncé l'hystérie collective, de même nature que les atrocités nazies. Nous avons surtout lutté pour enlever aux masses, et devant nos faibles forces, à des militants, les illusions de la lutte syndicale et de ses possibilités révolutionnaires.
Nous avons participé à toutes les luttes où des ouvriers étaient engagés, non comme de vulgaires adjudants mais en dénonçant le caractère impérialiste de ces luttes. Nous avons été des empêcheurs de tourner en rond, des trouble-fêtes, car, forts de l'expérience révolutionnaire, nous savions que celle-ci n'est pas le fruit du Saint-Esprit mais le résultat d'un travail lent et ingrat de propagande plus que d'activisme. Et aujourd’hui encore, nous continuons dans cette voie car nous n'avons pas besoin de crier que la révolution est pour demain pour continuer notre travail, dont l'efficience est condition de la révolution.
D'aucuns ont préféré les solutions faciles du PCF ou l'activisme en vase-clos du PCI, d'autres se sont retirés dans la marxologie ou l'anti-marxisme psycho-pathologique.
Face à ces hommes, à ces militants déroutés, désaxés, reflétant en eux la même déroute de la classe ouvrière, nous proclamons que les pessimistes sont ceux qui ne peuvent supporter une période de reflux du mouvement ouvrier et tombent obligatoirement dans l’opportunisme.
Nous leur disons encore qu’une situation, quelle qu'elle soit, ne s'oriente pas par un afflux de solutions organisationnelles où se retrouvent toujours les mêmes loups, mais par une propagande et un travail idéologique. La révolution se sent et se comprend, elle n'est pas un jeu plus agrandi du colin-maillard.
Si la situation est noire, il faut le dire au prolétariat car, alors, il comprendra les tâches qui se présentent à lui. Il ne faut pas, de peur de l’effrayer, lui présenter une situation rose et, de peur de le voir aller ailleurs, lui présenter des actions qui l'y conduisent.
On ne triche pas avec la classe ouvrière et avec la révolution, car ceci se solde toujours par une victoire de la bourgeoisie.
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Et maintenant que la grève a par là, que faut-il faire ? Dans une situation désastreuse pour la classe ouvrière, entrainant celle-ci vers l'acceptation idéologique et la collaboration dans la 3ème guerre impérialiste, l’avant-garde ne peut que lutter contre le courant dans la classe ouvrière, même si cette lutte réduit à la plus simple expression l'influence qu'elle peut avoir momentanément sur classe ouvrière ; car, si les révolutionnaires essayaient de la suivre, cela équivaudrait à l'abandon de toute pensée révolutionnaire et à l'impossibilité du socialisme.
Il faut parler à la classe ouvrière pour lui faire comprendre la situation et lui montrer ce à quoi les impérialismes l’on réduit. Nous ne pouvons plus espérer qu'au travers d’un mouvement quelconque, "spontanément" organisé, nous puissions arriver à propager la pensée révolutionnaire, car les ouvriers ont de plus en plus tendance à s'obnubiler sur le but immédiat de la lutte et, devant son échec, crier à la trahison contre toute tentative de critique des buts et de la nature de la lutte, par ceux-là même qui y ont participé avec leur tête et leur corps.
La classe ouvrière a besoin essentiellement d’un réapprentissage de la pensée révolutionnaire. A l’avant-garde de la faire avec le prolétariat.
Sadi
Malgré les grandes difficultés de la vie ouvrière, le problème de la scission syndicale en 2 fractions CGT n'échappe pas à la vie de la classe ouvrière.
La raison peut nous en être donnée par le fait que cette scission suit de peu de temps un vaste mouvement gréviste. Bien que nous soyons d'accord pour reconnaître que ces grèves ne sont pas la manifestation directe de la classe ouvrière, qui rentre en lice contre l'État-patron, chien de garde du capitalisme. Bien que ces grèves servent uniquement le capitalisme russe, par le truchement du PCF luttant contre les intérêts du bloc occidental (plan Marshall), la classe ouvrière devait néanmoins suivre les évènements dans le seul but d'obtenir sa ration de famine. C'est sur le besoin du salaire journalier, sur ces manifestations du ventre que devait s'appuyer les fractions antagonistes, dans la CGT, pour ou contre le travail.
Prenant conscience du besoin de la classe ouvrière, les dirigeants minoritaires devaient s'affirmer et pouvoir parler en défenseurs des intérêts immédiats des travailleurs.
Ainsi les manœuvriers de la "troisième force" profitèrent de l’occasion pour se dégager au moment favorable, essayant de porter au maximum leurs coups contre les majoritaires.
Nous laisserons aux éternels rêveurs le soin de crier à la trahison des minoritaires et à l'incapacité des bureaucrates staliniens, parce qu'en fait, pour ceux qui raisonnent en marxistes, les phénomènes subjectifs n'expliquent rien. Il n'y a pas de trahison en soi. Il n'y a de trahison que pour autant qu'il y a insuffisance de programme, ou plutôt de théorie contenue dans ce programme, dans ce sens lorsqu'il y a insuffisance de délimitation dans les barrières de classe.
Nous nous attacherons à faire remarquer au lecteur que minoritaire, et majoritaire s’inspirent, dans leur fondement théorique, du même programme et qu'il se traduit, dans la pratique, par une super-démagogie de la défense du salariat dans le cadre bien fourni du régime capitaliste ; en fait, cette illusoire et nominale augmentation de salaire, se traduisant toujours par une hausse constante des prix, diminue chaque jour le pouvoir d’achat des masses en renforçant le régime capitaliste.
En suivant l'évolution du mouvement syndical dans le mouvement ouvrier lui-même, l'on s’aperçoit très facilement de la tendance à l'opportunisme que le syndicat et les luttes économiques engendrent dans le sein du mouvement ouvrier : les partis socialistes d’Europe, s’appuyant sur les luttes syndicales dans le but d’aiguiser "la lutte des classes", au lieu de dépasser le stade du syndicalisme et d'apporter la politisation des masses dans la lutte contre la guerre (phase permanente du capitalisme), les partis socialistes se trouvent, au contraire, après plusieurs déclarations subjectives contre la guerre, entraînés objectivement dans la guerre 1914-1918.
Il a fallu toute l’autorité d'un Lénine pour combattre la tendance économique qui rongeait la social-démocratie et pour orienter toute sa tactique politique contre la guerre - résultat inéluctable des marchandages capitalistes (voir : Que faire ? de Lénine).
Après le recul de l’histoire tenant compte de la période ascendante du capitalisme, on est en droit de déclarer aujourd’hui que la lutte de classe ne se manifeste qu'au travers des luttes politiques et non syndicales comme le prétendaient les anarchistes.
Nous avons également contesté qu'en Allemagne, au moment de la montée révolutionnaire, les syndicats sont entrés en lutte directement contre un prolétariat s’affirmant en tant que classe indépendante (Cf. La maladie infantile... de Lénine).
Comme la lutte syndicale ne contient pas, en tant que lutte économique, un devenir historique - c'est-à-dire la possibilité de déterminer la volonté consciente du prolétariat de renverser le régime -, il est très concevable que, dès sa formation en 1924 en France, la CGT devenait un outil dans les mains du PC qui considérait cette centrale syndicale comme un réservoir d'énergie au service de l'URSS.
Son évolution suivra donc celle du PC qui, lui-même, alignera sa politique sur l'URSS. Ce sont, en fait, toutes les erreurs et insuffisances des 4 premiers congrès de l’IC qui nous ont conduit à l'histoire de nos jours.
Pendant ce temps, la vieille CGT, avec un Jouhaux à sa tête, continuera à prêcher le chauvinisme, comme pendant toute la durée de la guerre 1914-18.
Aussi, l'unité syndicale, défendue par les derniers congrès de l'IC, devenait un fait accompli en 1934. La CGTU fusionnait avec la vielle CGT et nous donnera plus tard la grande Centrale syndicale que nous connaissons après les grèves de 1936.
La politique du Front populaire en France, soutenue par la CGT, était le reflet d'une situation internationale par rapport à laquelle, très provisoirement, l'homogénéité de la CGT pouvait s'affirmer. À ce moment, les intérêts convergents des 2 puissances impérialistes mondiales, la Russie et l'Amérique, se dressaient contre la puissance unifiée de l'Axe, entraînant avec eux les puissances économiques secondaires, en même temps que les idéologies ouvrières.
Se préparant physiquement en Espagne, ce cours devait amener à la guerre de 1939. Ce n'est que la diplomatie du Kremlin, dictée par une faiblesse relative face à l’Amérique, qui obligea l'URSS à signer le pacte Hitler-Staline.
Depuis cette date, la trêve du Front populaire se trouve rompue et les militants du PC mis dans l’illégalité ; de ce fait, les socialistes deviennent les maitres de la CGT, mais en même temps les minoritaires du lendemain.
La guerre Allemagne-URSS changeait la face des choses et devait faire des militants staliniens les plus acharnés "bouffeurs de boches", en même temps qu'elle préparait les cadres qui feront la résurrection de la CGT après la super-grève nationale de la "Libération bourgeoise".
Nous ne parlerons pas ici de la tendance Belin et consort qui suivit la politique de Vichy alors que la CGT devait disparaître pour renaître sous une forme corporatiste. Dans les faits, ici comme ailleurs, le syndicalisme se place à la queue des forces politiques en présence pour introduire les ouvriers dans l’arène politique des fractions de la bourgeoisie.
La récente conférence de Belgrade et les événements internationaux et coloniaux devaient également avoir leurs répercussions sur le plan des syndicats, État dans l'État de la bourgeoisie, ainsi avons-nous connu les récentes grèves Molotov (échec au plan Marshall).
Par contre, la fraction minoritaire de la CGT soutenait l'orientation américaine et devait inévitablement rompre avec la direction majoritaire qui était prisonnière du bloc russe ; il est important de souligner qu'une fois de plus et avec une précision mathématique, le syndicat minoritaire s’est aligné sur la politique américaine malgré les déclarations, toutes verbales, d’une troisième force indépendante.
Nous avons, quant à nous, affirmé et nous le répétons : il n'y a qu’une force au monde capable de sortir l’humanité du tombeau où le capitalisme l’entraîne ; cette seule force, c’est l’action consciente de la classe ouvrière, c’est le chemin tracé par les Lénine, les Luxemburg, les Zinoviev, les Kamenev.
Dans la situation présente, les trotskistes, les anarchistes et tout autre groupe syndical ont couramment pris l'habitude de pleurnicher sur le devenir historique du prolétariat ; et répètent à satiété que le prolétariat est toujours trahi, toujours battu et qu'il se trouve devant une difficulté historique. Aussi, n'en continuent-ils pas moins à dépenser leur activisme outrancier, sans comprendre la situation nouvelle qui s’est créé depuis l’époque où ils ont tiré les bases programmatiques de leur action.
Ni les anarchistes ni les trotskistes ne poseront la question, à savoir si nous sommes toujours dans la phase d’un capitalisme ascendant, ou bien si, au contraire, nous sommes dans la phase décadente du régime capitaliste ; ni les uns ni les autres ne se posent la question, à savoir si les syndicats sont des organismes de la classe ouvrière ou des organismes de la bourgeoisie. Le problème est d'autant plus important que nous sommes au tournant de l'histoire où la perspective de la guerre apparaît clair comme le jour et où le prolétariat se trouve engagé par son simple bulletin d’adhésion au syndicalisme.
La CGT minoritaire lutte avec l'Amérique contre le bloc russe ; la CGT majoritaire lutte contre l’Amérique ; les responsables de la guerre, ce sont tous ceux qui admettent un bloc contre un autre, y compris le programme transitoire des trotskistes et l'échelle mobile des anarchistes.
Le prolétariat n’a pas de choix à faire pour s'incorporer dans des organismes syndicaux, seul soutien actif de la bourgeoisie décadente, ce que cette dernière lui jette dans les jambes afin de mieux fourvoyer la conscience de classe ouvrière prenant naissance des contradictions d'un régime ignoble.
Il n'y a plus d’organisme unitaire de la classe dans le domaine économique ; ceux qui posent problème au prolétariat, les minoritaires CGT ou les majoritaires CGT, lui posent un faux problème. Les luttes économiques sont sans issue dans la période décadente du capitalisme.
Tous ceux qui prétendent garantir le pouvoir d’achat des travailleurs par une prétendue échelle des salaires, quand la monnaie en tant que telle n'a plus de valeur réelle, s'inscrivent dans le camp des ennemis du prolétariat, parce qu'ils entravent le processus de prise de conscience historique de la classe ouvrière ; le capitalisme ne peut plus rien donner, il faut le détruire.
En refusant de se laisser embrigader dans des organismes syndicaux et, de ce fait, contre-révolutionnaire, les ouvriers œuvreront, par cette action, en une position révolutionnaire.
GOUPIL
Il est devenu chose courante d'accuser les partis politiques adverses d'être antinationaux. Plus que tout autre, les staliniens ont contribué à populariser cette façon de voir. Leur cheval de bataille n'est-il pas depuis longtemps la défense de la nation et de la patrie qui, ajoutent-ils, se confondent avec la classe ouvrière, cellule vivante et élément fondamental de la nation ? Aussi, dans leur lutte contre les autres partis politiques, l'accusation la plus terrible lancée contre eux est d’être des partis anti-nationaux, à la solde de l’étranger. Hier, c’est sous le terme de “Munichois”, Goblentz, agent de Hitler, que les staliniens combattaient leurs adversaires ; aujourd’hui c'est sous la bannière de la lutte contre le parti américain qu'ils mènent leurs campagnes. En retour c’est sous la dénonciation d’être un parti russe, une cinquième colonne, que les autres combattent le parti stalinien.
Qu’y a a-t-il d'exact dans ces accusations réciproques ? Nous verrons cela plus loin. Mais ce qui nous apparaît plus important à souligner, c’est que la lutte se fait sur le terrain : qui défend les intérêts nationaux de la France et qui n’est que l'agent de l'étranger.
Nulle part ailleurs la destruction de la conscience de classe des ouvriers n'apparait avec autant d’évidence tragique que dans le fait qu'ils prennent fait et cause dans ce débat où ils déversent toute leur activité, toute leur combativité et toute la passion dont ils sont capables. En combattant et en se divisant sur ce terrain, du choix du plus authentique défenseur des intérêts de la nation, au lieu de se situer sur le terrain du dilemme historique : capitalisme-socialisme, qui dépasse le cadre de la nation, les ouvriers manifestent leur intégration politique dans le régime capitaliste et leur disparition en tant que classe historique aux objectifs révolutionnaires propres.
À quel point cette mentalité nationaliste bourgeoisie domine aujourd’hui les cerveaux, nous en voyons la preuve dans la manière de penser et de s’exprimer des militants ouvriers et des groupements qui se disent de l’avant-garde.
Pour les trotskistes, le problème est évidemment très compliqué et difficile du fait qu'ils considèrent la Russie comme étant toujours un système social fondé par la Révolution prolétarienne d'octobre 1917, partant une société transitoire fondamentalement anticapitaliste. Le régime politique qui existe en Russie n'étant, pour eux, qu'une excroissance bureaucratique, une dégénérescence, il ne saurait être confondu avec le régime capitaliste existant dans le reste du monde. Les partis staliniens, de leur côté, représenteraient les intérêts de la bureaucratie dirigeante russe. Aussi, les positions nationalistes des partis staliniens apparaissent aux trotskistes comme des erreurs politiques ou des manœuvres, mais sont étrangères, quant au fond, à leur vraie nature. Tôt ou tard, les staliniens seront forcés de les abandonner et de se cantonner uniquement dans la défense de l'État russe.
Arrivés à ce point de leur raisonnement, les trotskistes qui prétendent également défendre, sinon la superstructure politique stalinienne du moins la "structure socialiste" de la Russie, se trouvent en communauté d'intérêt avec les PC à qui ils offrent logiquement des fronts uniques pour la "défense de l’URSS" menacée par le capitalisme international. Les trotskistes reprochent donc avec d'autant plus de violence au PCF sa politique nationaliste et de faire "le jeu" du capitalisme mondial et français, qu'ils considèrent précisément le stalinisme comme un parti anti-capitaliste et anti-nationaliste.
Les anarchistes, eux, prennent exactement le contre-pied des positions trotskistes. C'est l’envers de la médaille. Si les trotskistes tendent vers une action commune avec les PC, parce que ces derniers seraient par définition adversaires de la bourgeoisie nationale, les anarchistes ne veulent pas entendre parler d’action commune avec les staliniens précisément parce que ceux-ci représentent le "bolchévisme russe" qui, pour les anarchistes, est synonyme de "l'éternelle trahison"[1].
"L'internationaliste", organe du groupe FFGC, ne se distingue pas par une pensée originale. Il écrit en effet : "Pour caractériser succinctement les différents partis communistes, nous pourrions dire : ce sont les 5èmes colonnes de l’impérialisme russe dans le camp ennemi.[2]". La trivialité d'une telle caractérisation ne se distingue vraiment en rien des journaux les plus obtus comme "L'époque" ou des discours de De Gaulle.
En quoi précisément les partis staliniens seraient-ils la cinquième colonne russe ? Parce qu'ils défendraient une orientation visant l’incorporation de la France dans le bloc oriental ? Mais, avec autant de raison, on pourrait taxer de cinquième colonne tous les autres partis qui préconisent l’incorporation de la France dans le bloc occidental, c'est-à-dire le bloc américain. Ainsi, on aboutira à faire disparaître la bourgeoisie proprement nationale qui, dans son entier, se serait volatilisée en ne laissant à sa place que deux cinquième colonnes de l'étranger.
Toute cette phraséologie sur la cinquième colonne peut servir d'excellente matière de bourrage de crâne pour les masses, mais ne permet en rien de comprendre la géographie politique, ni d'expliquer les luttes politiques qui se déroulent aussi bien en France que dans tous les pays du monde.
Une cinquième colonne signifie un groupement d'hommes vendus à un impérialisme étranger et agissant comme des mercenaires, uniquement pour l'intérêt de cet impérialisme. Mais, c'est une stupidité de parler de cinquième colonne là où il s'agit de millions d’individus et de pays entiers. De Franco soutenu par l’Allemagne et l’Italie, au gouvernement républicain de Azaña, qui était "l'agent de l'étranger ?" C'est là une question qui n’a pas de sens et que ne peuvent se poser sérieusement que des vieilles filles dans leurs commérages "politiques".
Vichy et Laval étaient sans conteste aussi bons patriotes et défenseurs de l'intérêt de la bourgeoisie française que Paul Raynaud et De Gaulle. Dimitrov est-il moins bon patriote bulgare que Petkov qu'il vient de faire exécuter. Qui de Tito ou de Mikhailovitch constitue la cinquième colonne en Yougoslavie ? C'est là une façon de raisonner aussi vulgaire que ridicule. Thorez et le parti stalinien n’ont cessé d’être des défenseurs de l'intérêt national français parce qu’ils sont contre la politique pro-américaine du gouvernement, que ce dernier n'est devenu l'agent américain que parce qu'il accepte le plan Marshall.
Il n’y a que des esprits bornés, imprégnés d'un nationalisme refoulé, pour maintenir une distinction entre partis politiques nationaux et antinationaux. La bourgeoisie a depuis longtemps, sous la pression de l'évolution, dépassé cette conception étroite de la défense de ses intérêts uniquement limitée au cadre géographique de ses frontières. La défense de l'intérêt national, dans l'époque de l'impérialisme, ne peut se faire que dans un cadre élargi de bloc impérialiste. Ce n'est pas en tant que cinquième colonne, en tant qu'agent de l'étranger, mais en fonction de ses intérêts immédiats ou lointains bien compris qu'une bourgeoisie nationale opte et adhère à un des blocs mondiaux qui se constituent. C'est autour de ce choix pour l’un ou l’autre bloc que se font la division et la lutte interne au sein de la bourgeoisie ; mais c'est toujours en partant d’un fond et d’un but commun : l’intérêt national, l’intérêt de la bourgeoisie nationale.
Il faut réapprendre aux ouvriers cette vérité première qu'il n'y a pas et ne peut y avoir d'anti-national que l'internationalisme du prolétariat luttant pour la révolution sociale mondiale.
Par contre, tous les bavardages sur partis staliniens = partis anti-nationaux et cinquième colonne, si ils n'expliquent rien quant à l’attitude de ces partis, contribuent par ailleurs à entretenir la confusion et à maintenir - peut-être sans le vouloir - les ouvriers dans une atmosphère de nationalisme.
Il est temps que les groupes qui se disent révolutionnaires en prennent conscience et en finissent.
Marco
Staline sauvé de l’inflation
Les serpents muent la saison chaude venue. Le rouble, lui, fait peau neuve en décembre. Stabilisé en 1924, dévalué en 1935, le voici maintenant revalorisé.
Présentée comme consécutive aux lourdes dépenses causées par la guerre, à l'émission par les nazis de force fausse-monnaie, cette mesure vient, en fait, pallier aux difficultés rencontrées en cours d'exécution du quatrième plan quinquennal, plan qu'une propagande orchestrée s'efforce déjà, air connu, de réduire à quatre ans.
Une fois de plus, la classe ouvrière est la première atteinte. En effet, les derniers ukases supprimant le rationnement alignent du même coup certains prix essentiels (lait, œufs, fruits, thé) à ceux du marché noir officiel. Sans doute, le prix du blé sera diminué de 12%, mais 1 kilo de pain n'équivaut-il pas en brut à une heure de travail stakhanovisé ? D'autre part, la ponction considérable opérée sur l'ensemble de la masse monétaire s’accompagne de décrets pris aux fins de convertir et consolider les emprunts émis lors des trois quinquennats passés. Cela, assure-t-on, pour frapper les spéculateurs. Mais l’épargne patriotique, constitué dans l'enthousiasme obligatoire, est rognée d'au moins 33% de son montant. Elle sera, il est vrai, fondée sur une monnaie saine, jusqu'à la prochaine opération de sauvetage ou renforcement du rouble. En attendant et de toute façon, l'ouvrier en Russie voit s’amenuiser encore un standard de vie minimum.
Cependant, rafle des billets en circulation et conversion des obligations semblent devoir atteindre plus particulièrement le paysannat. Aussi bien les mesures prises l'ont été après les derniers engrangements de céréales et coton dans les silos d'État, mais avant les emblavures de fin d'hiver. L'un de leur but parait être de remédier à la crise que connaît actuellement l'agriculture collectivisée. Des kolkhozes manquent de tracteurs, certes, mais aussi ils sont abandonnés lentement pour l'exploitation plus lucrative de lopins, voire de terres privées. Il faut donc organiser le retour aux kolkhozes des terres lui ayant échappé de par "initiative individuelle". Il faut "dékoulakiser". Mais, alors que la dévaluation de 1933 venait après la dékoulakisation, c'est au processus inverse que nous assistons aujourd’hui. Il appert probablement aux gouvernants russes que le dessert peut se prendre dès avant les plats de résistance, l'emploi de la contrainte, de la déportation. Quant aux "spéculateurs", aux détenteurs de "profits illicites", c'est-à-dire les millionnaires de village et les bureaucrates concessionnaires, ils peuvent continuer leur jeu fructueux. Bien sûr, leurs liquidités se trouvent amputées des deux tiers, mais il n'est profit sans risques. Et les notables ne sauraient décemment se plaindre, les prix du vin, de la vodka et autres produits de luxe restent inchangés.
Ces prix, tous les prix furent triplés l'an dernier ; pour les privilégiés ils ne font que subir, à nouveau, une hausse de même ordre. A part ça, tout va bien.
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Ainsi, des cataclysmes naturels, tels les dévastations occasionnées par les opérations militaires et la sécheresse de l'été passé, sont venus stimuler de leurs séquelles la nécessité de remplacement et élargissement du capital fixe (usure du matériel, ouverture de nouveaux marchés etc.). C'est dans cette situation que Marx situait la base matérielle des crises périodiques se répétant à intervalles décennaux. La dévalorisation du rouble, manifestation crue du caractère capitaliste de l'État stalinien, est un symptôme éclatant en même temps que le fruit des contradictions économiques dudit État. En les analysant, nous retrouverions les prémisses, désormais classiques, de ces crises périodiques : anarchie de la production confiée soit à des bureaucrates incapables, soit à des techniciens prévaricateurs ; rupture d'équilibre de la proportionnalité entre les différents éléments du capital social (dans le secteur surtout des objets de consommation) ; enfin la limitation du marché suivant celles du pouvoir d’achats conférés par les salaires ouvriers. Mais l'étendue restreinte de cette étude en réserve le soin à une autre occasion.
Cependant, les effets de la revalorisation du rouble ne seront pas seulement ressentis à l’intérieur de la Russie. L'aveu de défaite qu’elle constitue dans le domaine de la préparation à la 3ème guerre impérialiste a été soigneusement enregistré à Washington. Les américains durcissent leur attitude dans les conférences internationales (ONU, Londres) et resserrent leur étau stratégique enserrant leur prochain adversaire militaire (aide intérimaire, concours de plus en plus intensif accordé à Tchang-Kaï-Chek ). Et la Russie, pour renforcer des positions menacées, pour conserver sa fraction d'héritage du nazisme, se voit dans l'obligation d'exporter une part plus grande de sa production. Si minime que soit cette part en chiffres absolus, elle n'en pèse pas moins sur une infrastructure non relevée encore de l'effondrement de 1940-42. Pour se procurer l'outillage qui lui manque, la Russie exporte en Grande Bretagne son blé, aux États-Unis des matières premières indispensables, au premier rang desquelles les métaux rares nécessaires à la fabrication d'alliages spéciaux (tungstène, manganèse, vanadium, etc..). Nul doute que ces métaux lui reviennent sous forme de bombes et autres projectiles. Pour maintenir son sex-appeal économique vis-à-vis des pays centre-européens, Moscou doit, là aussi, exporter des matières indispensables à son propre relèvement. Quelques jours avant de dévaloriser, Moscou s'engageait à absorber 60% des exportations tchécoslovaques. Un peu partout dans les territoires encore occupés (Roumanie Allemagne Hongrie, Corée) ou non (Bulgarie, Finlande, Pologne), les Russes sont conduits à abandonner un nombre sans cesse plus grand d'avantages lointains (ainsi, la part de réparations à verser immédiatement augmente tandis que le montant global des réparations exigées diminue : pour l'Allemagne, Molotov doit fixer un chiffre etc.). Et Moscou n'a d'autre ressource maintenant que de raffermir sa bureaucratie chez ses satellites, en cassant les reins aux bourgeois indigènes ; puis, retirant ses troupes, la laisser se démerder seule (Bulgarie : le départ des troupes russes est précédé de la liquidation des bourgeois opposants et d’embrassades Dimitrov-Tito. La défaite économique, marquée par la revalorisation, ne manquera pas d'amener un durcissement encore accru de la politique russe dans les Balkans (expulsion des derniers capitalistes étrangers dans les pétroles roumains, centre–Europe et Allemagne – les dirigeants démocrates chrétiens sont saquée par les autorités russes).
Pour en terminer, on se souviendra que les nouveaux roubles seront de format considérablement agrandi. Ils pourront donc ainsi servir de mouchoir de poche. Qui sait ? Et l’hiver russe est si froid !
Un nouveau train de hausse est présenté à l’Assemblée nationale, avant même la hausse des salaires envisagée pour le courant de janvier.
Ce nouveau train de hausse est le deuxième en l'espace d'un mois.
Pourquoi les staliniens s'opposent à la fois à la hausse des prix et à la hausse des impôts sur la classe paysanne, la moins touchée par la dépression économique actuelle ?
Nous pensons que réduire la masse d'impôts engloutie par l'État et maintenir les subventions qui permettent aux prix de ne pas s'élever, cela crée une situation économique catastrophique pour le gouvernement et met le restant des dollars de l'aide Marshall dans un gouffre où ils seront vite absorbés. Manoeuvre classique qui, en partie, a réussi, car personne à l’Assemblée nationale ne veut s'aliéner la sympathie paysanne.
Le gouvernement Schumann pourtant doit opérer une saignée dans le bas de laine paysan pour que l'État bourgeois vivote encore, car la classe ouvrière est arrivée à ce degré de famine qu'il est difficile d'en extraire encore grand-chose. De cette nouvelle mesure économique, le prolétariat se voit encore rogner son pouvoir d'achat. Cela ne gêne personne à l'Assemblée où la bataille se joue entre les partisans du bloc impérialiste russe et ceux du bloc impérialiste américain.
G. Cousin.
Quelles sont les conceptions fondamentales de Marx sur les rapports économiques et sociaux essentiels ? On a eu très souvent le tort de considérer l'œuvre de Marx sous deux aspects dans le temps : avant et après le “Manifeste Communiste” (1848).
Si, dans la réalité, il y a une profonde évolution de la thèse de Marx sur Épicure et Démocrite à ses dernières œuvres se rattachant au "Capital" et à ses théories économiques, il n'en reste pas moins vrai qu'il y a une continuité presque absolue entre son œuvre philosophique et son œuvre économique. La méthode qui sert à Marx est la même, l'esprit dans lequel il l'entreprend et même les grandes idées maîtresses qui président à toute l’œuvre de sa vie, on peut dire que Marx les a eues avant 1848.
Si nous en croyons, en effet, les éditeurs allemands et français des Notes de Marx sur "Économie politique et Philosophie", ces Notes auraient été rédigées durant l’année 1844, de février à août.
Or, dans ces notes - qui n'ont été publiées qu'en 1931 - est contenue à l'état d'abstraction et de synthèse (dans le sens marxiste), toute la pensée de Marx qu'il ne fera que développer et étayer pendant le reste de sa vie ; et sa vie sera trop courte pour lui permettre de mettre le point final à l'œuvre gigantesque.
Jamais personne ne pourra mettre le point final à l'œuvre de Marx, car c'est le mouvement vers le socialisme qui pousse les communistes à étudier l'interaction des différents phénomènes de la société, dans tous les domaines de la connaissance humaine, et que ces domaines ne font que s'étendre à l’infini. Les prétentieux qui pensent terminer une œuvre alors que Marx, lui-même, n'a pu, génie et travailleur gigantesque, que tracer une large esquisse de la pensée socialiste, ne sont pas des marxistes et des révolutionnaires. Chacun contribue, dans la mesure de ses forces et de ses possibilités propres, à approfondir la pensée socialiste, contribuant ainsi à l'effort du prolétariat vers la révolution communiste.
On doit se repencher sur les enseignements du passé et essayer d’en tirer ce qui est encore valable, pour comprendre notre société actuelle. L'œuvre de Marx est pour cela inépuisable et on continuera, après la révolution à se pencher sur son œuvre et sa pensée.
Un problème central nous intéresse dès que nous voulons caractériser l'époque que nous vivons. Certains disent que la société actuelle, du moins dans certains pays, évolue vers le socialisme ; d’autres pensent que la société va vers la barbarie au travers de la venue au pouvoir d'une nouvelle classe sociale : la bureaucratie. Dans ces conditions, réexaminer les rapports de production et les rapports sociaux afin de démêler tout ce fatras idéologique était nécessaire. Rapports de production, rapports sociaux fondamentaux, caractères principaux de ces rapports, leur évolution historiques jusqu'à nos jours, cette étude doit nous permettre de mieux asseoir notre ligne de conduite dans le chaos formidable dans lequel la guerre capitaliste nous plonge.
Nous avons à. réexaminer l’ensemble de ces problèmes et confronter nos idées.
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Marx a passé la majeure partie de sa vie et de son œuvre à tenter d'interpréter les caractéristiques fondamentales de la propriété privée capitaliste et de la différence entre les modes de productions antérieurs et le mode capitaliste de production. Ses conceptions fondamentales sur les rapports économiques et sociaux essentiels sont déjà contenues à l'état de schéma dans "Économie Politique et Philosophie". Le développement de ces idées maîtresses ne se trouvent que par la suite, dans les derniers tomes du "Capital", rédigés par Engels d'après des notes de Marx, mais que Marx lui-même n'a jamais eu le temps de présenter sous forme achevée. C'est donc d'après de simples notes jetées sur le papier par Marx, d'après les réflexions qu'il pouvait faire sur les différents problèmes que lui suscitaient ses études critiques sur l'économie politique, de Quesnay à Ricardo et de Ricardo à Robertus, et dont le plan du "Capital" fait partie, travail colossal entrepris par Marx et dont le premier tome du "Capital" est la seule partie achevée ; toutes ces notes contiennent, non pas un système économique et philosophique, non pas l’aboutissement et la fin d’une pensée, la pensée socialiste, mais bien au contraire n'en constituent qu'une étincelle devant déterminer un incendie, depuis un siècle le feu ne faisant, pour ainsi dire, que couver sous la cendre. Nous jugerons d'autant plus du pouvoir incendiaire de l'étincelle de la pensée marxiste de Marx quand nous projetterons la lumière de la critique de l'économie politique marxiste, opérée sur un capitalisme naissant, sur notre société capitaliste décadente. C'est seulement avec cette guerre de 1939-45, c'est-à-dire presque un demi-siècle après la naissance de la scission fondamentale entre la voie réformiste et la voie révolutionnaire dans le mouvement socialiste, que le courant révolutionnaire arrive à tirer les ultimes conséquences de la scission opérée dans le mouvement socialiste ; et, s'il peut en tirer ces conséquences, c'est avec la méthode marxiste et la plus grande partie des matériaux fournis par Marx lui-même sur l'étude des rapports sociaux et économiques fondamentaux du système capitaliste. Aujourd’hui, la scission entre les deux voies prises par des courants se réclamant du socialisme s'opère d’une façon quasi obligatoire ; si elle n'avait pas existé antérieurement il aurait fallu la créer, la conséquence ultime du courant réformiste étant entièrement réalisée dans les faits, c'est-à-dire dans le soutien et la perpétuation du régime capitaliste, alors que l'heure de sa fin a sonné depuis longtemps.
L'évolution du capitalisme libéral au capitalisme d'État d’une part, et d’autre part l'évolution du réformisme dans le mouvement ouvrier à la pratique politique du gouvernement capitaliste d'État par tous les courants politiques réformistes (y compris le trotskisme) sont les deux phénomènes parallèles qui ont conduit le courant révolutionnaire à tirer les ultimes conséquences du mouvement vers la révolution socialiste passant par le reversement violent de l'État capitaliste par le prolétariat.
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Dans cette page de "Économie Politique et Philosophique", Marx fait d’abord une comparaison entre certains traits de caractères distinctifs des propriétaires fonciers et des capitalistes, des restes de la société antérieure et de sa médiocrité, et de sa nouvelle forme capitaliste qui se dresse, évolue et tend, dans son évolution, à bouleverser et à réduire toutes les formes antérieures de la société. Cette tendance du capitalisme le pousse jusqu'à acquérir la forme pure du capital, sans toutefois jamais y parvenir totalement de par les contradictions internes du système capitaliste, qui le poussent jusqu'à recréer un milieu retardataire par rapport à lui-même parce que c'est sa condition de vie.
Nous voulons commencer en citant cette page dans sa presque intégrité et, partant de là, rechercher, dans l'œuvre ultérieure de Marx, des formulations plus achevées.
Dans ce schéma, Marx part des éléments propriété privée, capital, travail et de leurs différents rapports, pour arriver, à la fin, à déclarer la disparition du capitaliste en tant qu'élément du capital et sa réapparition comme simple salarié du capital. Dans le "Capital" également, Marx se sert d'abstractions, ce qui fait croire qu'à chaque fois qu'il parle de "capital", il sous-entend toujours "les capitalistes individuels."
En réalité, Marx montre comment le capital devient un élément de la production, indépendant chaque jour davantage des individualités capitalistes elles-mêmes.
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Pour bien saisir l'ensemble de ces rapports :
Il est nécessaire de regarder plus attentivement la place qu'occupe, chez Marx, le capitalisme dans l’ensemble du procès historique :
L'appareil de production capitaliste apparaît donc, à l'échelle de l'histoire humaine, comme "une forme historiquement déterminée du procès de production sociale…", à la fois :
c'est-à-dire leur forme sociale et économique…
L'histoire humaine crée, à sa phase la plus simple, un rapport immédiat de l'homme à la nature. Ce rapport devient un rapport médiatisé de l'homme à la nature par l'intermédiaire de l'outil. Ce rapport extrêmement simple devient à son tour :
1. l'homme et ses rapports avec l'homme (rapports sociaux de propriété et par conséquent différentes fonctions dans la production),
2. les rapports des hommes entre eux déterminés par leurs rapports dans la production ; l’ensemble constituant le rapport médiatisé de l’homme (humanité) avec la nature.
L'histoire est donc le rapport du déroulement de la vie humaine dans ses relations avec la nature, par l’intermédiaire du déroulement de l'évolution de son système de production. Ce qui fait que, dans l’histoire, le capitalisme est lui-même une phase de ce rapport historico-naturel en sa qualité de mode de production de la vie humaine. Le capitalisme est à la fois, rapport de l'humanité avec la nature, mais aussi rapport social de l'homme avec lui, en tant que mode de production et rapport des hommes entre eux par son intermédiaire.
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Après avoir tenté, en empruntant uniquement à Marx et à Engels, de donner une idée de la situation historico-sociale du mode de production capitaliste, nous voulons maintenant leur emprunter leur conception sur ce qu'est effectivement le capitalisme et le CAPITAL.
Pour Marx, le CAPITAL est, dans la forme sociale-économique capitaliste, l’ensemble des moyens de production : pour Marx, les ouvriers sont du capital en tant qu’ils sont de la main d’œuvre exploitée ; les moyens de production sont du capital, les matières premières extraites du sol par les moyens de production capitalistes sont du capital en tant qu'elles sont investies dans la production ; la terre est du capital en tant qu’elle entre dans le cycle de production capitaliste. ( voir "Capital" - Mol. – XIV-122)
L'expression "propriété privée des moyens de production" exprime une tendance historique et non le fait que les individus possèdent effectivement d'une manière individuelle, absolue, leurs moyens de production. Cela exprime plutôt l'idée que, grâce au travail, les individus tirent des revenus et que leur tendance est, dans ce sens, individualiste mais dans ce sens seulement.
Les individus ne voient dans la production et dans le travail qu'un moyen de s'assurer une part de revenus en proportion du capital dont ils disposent, c'est-à-dire de leur situation dans cette production ; puisque, pour l’ouvrier, sa force de travail est son seul capital, il est obligé de placer ce capital et voit, en effet, là un placement qui lui rapporte sa journée de travail. Cette journée de travail a produit beaucoup plus que ce qu'il a reçu comme revenu et le fruit de ce travail, dont une partie lui est versée sous forme de revenu-salaire, lui est dans sa majeure partie extorqué ; et cette partie de travail non payé suit, dans la production capitaliste, le processus plus-value-profits. Ce processus est celui qui aboutit à aller verser des revenus aux capitalistes et aux propriétaires fonciers, sous forme d'intérêts et de rentes, revenus qui servent à entretenir une masse d'individus qui profitent de la distribution capitaliste de ces revenus.
Pour Marx, la propriété privée est fondée sur le produit du travail ; et la différence fondamentale du mode de production de la féodalité au capitalisme est que : le premier est une expression de la propriété privée fondée sur le travail personnel, sur un travail individuel ; le deuxième est une expression de la propriété privée fondée sur un mode de travail socialement organisé.
"(…) le système d’appropriation capitaliste découlant du mode de production capitaliste et, par suite, la propriété capitaliste constitue la première négation de la propriété privée individuelle fondée sur le travail personnel…" (Capital - Mol.-IV-274)
La propriété privée capitaliste est donc une propriété privée sociale, collective, de moyens de travail sociaux et collectifs et où les différentes classes sociales émargent au prorata de leur rôle dans la production :
La propriété privée capitaliste est donc, avant tout, une propriété de classe sociale et non simplement une propriété d'individus.
LES RAPPORTS DU CAPITAL ET DU TRAVAIL CONSTITUENT UNE PARTIE DES RAPPORTS ESSENTIELS SUR LESQUELS REPOSE LA PROPRIÉTÉ PRIVÉE CAPITALISTE.
(Ceci pour définir ce que Marx entend par travail : travail productif = l’homme, sa force de travail et ses outils)
La société humaine a fabriqué des outils pour ravir sa subsistance à la nature. Il lui a fallu lutter contre les différents fléaux, lutter contre le froid et la faim. De cette lutte, l'humanité a progressivement augmenté sa capacité de domination de la nature. De cet ensemble, au fur et à mesure que se développaient leurs capacités, que la lutte s'organisait, les hommes se sont développés en nombre. Les hommes se sont multipliés à chaque fois davantage quand ils faisaient un pas en avant dans leur sécurité dans la nature. Mais l’histoire voit peu à peu se compliquer les rapports sociaux.
Les rapports sociaux deviennent combinés en fonction :
Donc, le caractère des rapports du CAPITAL et du TRAVAIL, c’est que le TRAVAIL se présente au CAPITAL pieds et poings liés ; il apporte sa force de travail ; la fonction du capital dans la production est donc la production elle-même, sa direction, et la répartition capitaliste qui en découle.
La propriété privée des moyens de production capitaliste est donc une propriété privé sociale de CAPITAL opposé au TRAVAIL, sous sa forme sociale de force sociale de travail : le prolétariat.
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Nous en venons, toujours en nous appuyant uniquement sur des textes intégraux de Marx, à l'explication de la dernière partie du schéma de "Économie Politique et philosophie", déjà cité au début de ce chapitre.
Le capitaliste particulier, au début possesseur des moyens de production, s'appropriant lui-même directement la force de travail dans son usine, puis réalisant lui-même la plus-value, puis accumulant et réinvestissant, n'a jamais existé à l'état pur. La division du travail capitaliste s'applique à toutes les classes et à toutes les fonctions de cette société. Nous nous retrouvons donc avec des grandes subdivisions sociales :
Le capital constant est du travail humain accumulé sous forme de machines, d’usines etc., donc le capitaliste disparaît en tant que personnification du travail humain accumulé ; le CAPITAL devient un fait social duquel le capitaliste devient chaque jour un peu plus étranger. Le procès de production se fait, mû par des forces capitalistes, mais le capitaliste individuel n’est plus le moteur de ces forces ; il est lui-même mû par les fores productives que ses pères ont engendré ; le CAPITAL est donc indépendant du capitaliste. Le capitaliste disparaît d'une manière absolue pour réapparaître sous une autre forme capitaliste, en tant que le CAPITAL se divise en lui-même et les intérêts ; il (le capitaliste) apparait maintenant en encaisseur d'une forme de revenus appelés intérêts, d'une autre forme appelés bénéfices et d'une autre appelée rente foncière (il peut d’ailleurs cumuler sans que rien ne soit changé).
Tous les individus - qui, en tant qu'éléments du capital, participent à la production - font partie de la classe capitaliste et constituent, pour leur entretien, les frais dont il est question et qui représentent les profits. Toutes les tâches d'organisation, de direction, de rationalisation, d'administration, de répartition, sont des fonctions salariées du CAPITAL.
Il y a donc le travail dans la production en tant que salarié du TRAVAIL (capital variable) et le travail en tant que salarié du CAPITAL (profits : intérêts, bénéfices et rente foncière).
Le travail en tant qu'élément du CAPITAL n’est productif que de CAPITAL ; et cela par l'intermédiaire du travail salarié exploité.
(1er chapitre à suivre)
PHILIPPE
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Il est indiscutable, après la lecture du document de Harper sur Lénine, que nous nous trouvons devant une étude sérieuse et profonde sur l'œuvre philosophique de Lénine et devant une esquisse très claire et très nette de la dialectique marxiste que Harper oppose à la conception philosophique de Lénine.
Le problème pour Harper s'est posé de la façon suivante : plutôt que de séparer les conceptions du monde d'un Lénine de son activité politique, il est préférable, pour mieux voir et comprendre ce que le révolutionnaire a entrepris, de discuter et de saisir ses origines dialectiques. L'œuvre qui, pour Harper, caractérise le mieux Lénine, sa pensée, est "Matérialisme et Empiriocriticisme" où, partant à l’attaque d'un net idéalisme qui pointait dans l'intelligentsia russe avec la conception philosophique d'un Mach, Lénine essaie de revivifier un marxisme qui venait de subir des révisions, non seulement de la part de Bernstein mais également de la part de Mach.
Harper introduit le problème par une analyse très perspicace et approfondie de la dialectique chez Marx et Dietzgen. Bien mieux, tout au long de son étude, Harper tâchera de faire une discrimination profonde entre le Marx des premières études philosophiques et le Marx mûri par la lutte de classe et se dégageant de l'idéologie bourgeoisie. Au travers de cette discrimination, il dégage les fondements contradictoires du matérialisme bourgeois de l'époque prospère du capitalisme qu'il caractérise dans les sciences naturelles, et du matérialisme révolutionnaire concrétisé dans les sciences du développement et du devenir social. Harper s'efforcera de réfuter certaines assertions de Lénine qui, à son avis, ne correspondent pas à la pensée "machiste" mais sont uniquement du ressort de la polémique de la part de ce Lénine qui aurait cherché plus à résoudre l'unité du parti socialiste russe qu'à réfuter la vraie pensée de Mach.
Mais, si le travail de Harper présente un intérêt dans son étude sur la dialectique, ainsi que dans la correction de la pensée de Mach à la manière de Lénine, la partie la plus intéressante, parce que lourde de conséquences, est sans conteste l'analyse des sources du matérialisme chez Lénine et leur influence sur l'œuvre et l'action de ce dernier dans la discussion socialiste internationale et dans la révolution de 1917 en Russie.
La première phase de la critique commence par l'étude des ancêtres philosophiques de Lénine. De Holbach, en passant par certains matérialistes français tels Lamétrie, jusqu'à Avenarius, la pensée de Lénine s'y dessine noir sur blanc. Tout le problème réside dans la théorie de la connaissance. Même Plekhanov n'a pas échappé à cette embûche du matérialisme bourgeois. Marx est précédé par Feuerbach. Et ceci sera un lourd handicap dans la pensée sociale de tout le marxisme russe, Lénine en tête.
Harper, très justement, délimite, dans la théorie de la connaissance, les sources du matérialisme bourgeois qui sombrera par statisme, et du matérialisme révolutionnaire qui ne suit pas ou ne dépasse pas la dialectique bourgeoise, mais est de nature et d'orientation différente.
D’une part, la bourgeoisie considère la connaissance comme un phénomène purement réceptif (Engels - d'après Harper - sur ce point seulement partagera cette conception). Qui dit connaissance dit perception, sensation du monde extérieur, notre esprit se comportant comme un miroir reflétant plus ou moins fidèlement le monde extérieur. On comprend, à ce moment-là, que les sciences naturelles furent le cheval de bataille du monde bourgeois. La physique, la chimie, la biologie, dans leurs premières expressions, représentent plus un travail de traduction de phénomènes du monde extérieur qu'une tentative d'interprétation. La nature semble être un grand livre grâce auquel on transcrit en signes intelligibles des manifestations naturelles. Tout parait ordonné, rationnel, ne souffrant aucune exception, si ce n’est l’imperfection de nos moyens de réception. En conclusion, la science devient une photographie d'un monde dont les lois sont toujours les mêmes, indépendantes de l'espace et du temps, mais dépendantes de l'un et de l'autre pris séparément.
Cette tentative première des sciences doit naturellement prendre pour objet ce qui est extérieur à l'homme, car ce choix exprime une facilité plus grande à saisir le monde extérieur sensible que le monde humain plus enchevêtré et dont les lois se refusent aux signes équationnels à un seul sens des sciences naturelles. Mais aussi, doit-on voir là surtout un besoin pour la bourgeoisie dans son développement de saisir rapidement et empiriquement ce qui, extérieur à elle, peut servir le développement de sa force sociale de production. Rapidement car les assises de système économico-social ne sont pas encore solides, empiriquement car la genèse du capitalisme se déroule sur un terrain fertile qui, aux yeux des humains fait ressortir surtout les résultats et les conclusions, plutôt que le cheminement parcouru pour y arriver.
Les sciences naturelles, dans le matérialisme bourgeois, devaient influencer la connaissance des autres phénomènes et donner naissance aux sciences humaines, histoire, psychologie, sociologie, où les mêmes méthodes de connaissance étaient appliquées.
Et le premier objet de la connaissance humaine qui préoccupe les esprits se trouve être la religion, laquelle est étudiée comme un problème historique pour la première fois, et non comme un problème philosophique. Cela aussi exprime le besoin d'une bourgeoisie jeune à se débarrasser du fixisme religieux qui nie la rationalité naturelle du système capitaliste.
Cela s’exprime par l'éclosion d’une floraison de savants bourgeois comprenant Renan, Strauss, Feuerbach, etc. Mais, c'est toujours une dissection méthodologique qui s'opère - l'homme cherchant non à critiquer socialement un corps idéologique, telle la religion, mais plutôt à retrouver ses fondements humains - pour la réduire au niveau des sciences naturelles et, avec un scalpel, permettre la photographie des documents poussiéreux et des altérations subies dans le cours des siècles. Enfin, le matérialisme bourgeois normalise un état de fait, fixe pour l’éternité un mode immuable de développement. C'est regarder la nature comme une répétition indéfinie de causes rationnelles.
L'homme ramène la nature à un désir de statisme conservateur. Il sent qu'il domine la nature d'une certaine manière ; il ne voit pas que ses instruments de domination sont en train de se libérer de l'homme et de se retourner contre lui. Le matérialisme bourgeois est une étape progressive dans la connaissance humaine. Il devient conservateur jusqu’à être rejeté par la bourgeoisie elle-même quand le système capitaliste, à son apogée, dessine déjà sa chute.
De ce mode de penser qui se fait encore sentir dans l'œuvre de jeunesse de Marx, Harper voit dans la prise de conscience de la lutte de classe chez les masses travailleuses, au travers des premières contradictions importantes du régime capitaliste, le chemin qui conduit la pensée de Marx vers le matérialisme révolutionnaire.
Le matérialisme révolutionnaire, insiste Harper, n'est pas un produit rationnel ; si le matérialisme bourgeois éclot dans un milieu économico-social spécifique, le matérialisme révolutionnaire aura, lui aussi, besoin d'un milieu économico-social spécifique. Marx, à ces deux époques, prend conscience d'une existence qui se modifie. Mais là où la bourgeoisie n'a que rationalisme, répétition de cause à effet, Marx sent, dans le milieu économico-social évoluant, un élément nouveau qui s’introduit dans le domaine de la connaissance. Sa conscience n'est pas une photographie du monde extérieur ; son matérialisme est animé de tous les facteurs naturels, l'homme en premier lieu.
La bourgeoisie pouvait négliger la part de l'homme dans la connaissance, car son système, à ses débuts, se déroulait comme les lois astronomiques, avec une régularité précise ; de plus, son système économique laissait l’homme en dehors.
Cette négligence du système par rapport à l’homme commence, vers le milieu du XIX° siècle, à se faire sentir dans les rapports sociaux. La conscience révolutionnaire alors mûrit ; sa connaissance n'est pas seulement un miroir du monde extérieur, comme le prétend le matérialiste bourgeois ; l'homme entre dans la connaissance du monde comme un facteur réceptif et de plus comme un facteur agissant et modifiant.
La connaissance, pour Marx, devient alors le produit de la sensation du monde extérieur et de l'idée-action de l'homme facteur-moteur de la connaissance.
Les sciences du développement social et du devenir social sont nées, éliminant les vieilles sciences humaines et exprimant une progression et un déroulement senti et agi. Les sciences naturelles elles-mêmes sortent de leur cadre étroit. La science du XIX° siècle bourgeois s'écroule à cause de sa cécité.
C’est ce manque de praxis dans la connaissance qui spécifiera la nature idéologique de Lénine. Si Harper recherche les sources philosophiques de Lénine, il ne leur attribuera pas d’influence décisive dans l'action de Lénine.
L’existence social conditionne la conscience. Lénine est issu d'un milieu social retardé -la féodalité règne encore- où la bourgeoisie n'est pas une classe forte et capable révolutionnairement. Le phénomène capitaliste en Russie se présente à une période où la bourgeoisie développée et murie en Occident dessine déjà sa courbe décadente. La Russie devient un terrain capitaliste, non par le fait d'une bourgeoisie nationale s'opposant à l'absolutisme féodal du Tsar, mais par l'ingérence du capital étranger qui crée ainsi, de toutes pièces, l'appareil capitaliste en Russie. Parce que le matérialisme bourgeois s'enlise par le développement de son économie et de ses contradictions, l'intelligentsia russe ne trouve, pour lutter contre l’absolutisme impérial, que le matérialisme révolutionnaire. Mais l'objet de la lutte dirigera le matérialisme révolutionnaire contre la féodalité et non contre le capitalisme qui ne représente aucune force effective. Lénine fait partie de cette intelligentsia en ce que, puisant dans la seule classe révolutionnaire, le prolétariat, il tente de réaliser la transformation capitaliste retardée de la Russie féodale.
Cette énonciation n'est qu'une interprétation de Harper qui verra dans la révolution russe une maturité objective de la classe ouvrière et un contenu politique bourgeois exprimé par Lénine, lequel subit, dans sa conscience des tâches de l’heure en Russie, l'existence économico-sociale de ce pays se comportant, au point de vue du capital, comme une colonie dont la bourgeoisie nationale serait nulle et dont les deux forces en présence serait l’absolutisme et la classe ouvrière.
Le prolétariat s'exprime alors en fonction de ce retard qui est caractérisé par l’idéologie matérialiste bourgeoise d’un Lénine. Voilà la pensée d'un Harper sur Lénine et la révolution russe.
Une phrase de Harper : "(…) Cette philosophie matérialiste était précisément la doctrine qui convenait parfaitement à la nouvelle masse d’intellectuels russes qui, dans les sciences physiques et dans la technique, ont vite reconnu avec enthousiasme la possibilité de gérer la production ; et, comme nouvelle classe dominante d'un immense empire, ont vu s'ouvrir devant eux l'avenir avec la seule résistance de la vieille paysannerie religieuse." ("Lénine philosophe" – Harper – VIII)
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La méthode de Harper ainsi que son mode d'interprétation du problème de la connaissance sont dignes, avec "Lénine philosophe", de figurer parmi les meilleures œuvres du marxisme. Il nous entraîne cependant, quant à ces conclusions politiques, vers une telle confusion que nous nous trouvons obligés de l'examiner de près pour tenter de dissocier l'ensemble de sa formulation du problème de la connaissance d'avec ses conclusions politiques, qui nous paraissent erronées et ne pas même être en rapport avec le niveau général du travail.
Harper nous dit : "(…) Le matérialisme n'a dominé l'idéologie de la classe bourgeoise que pendant un temps très court." Ce qui lui permet de dire par la suite - après avoir prouvé que la philosophie de Lénine, dans "Matérialisme et Empiriocriticisme", était essentiellement matérialiste bourgeoise - que la révolution bolchevique d'octobre 1917 était une "révolution bourgeoise appuyée sur le prolétariat…"
Harper s'enferme ici dans sa propre dialectique et ne nous explique pas ce premier phénomène de sa pensée et de l'histoire : comment se fait-il que la révolution bourgeoise produise elle-même sa propre idéologie, cette idéologie étant, dans la période révolutionnaire, matérialiste ? Comment se fait-il qu'au moment où s'engage la crise la plus aiguë du capitalisme (entre 1914 et 1920), crise qui ne semble pas troubler Harper, comment se fait-il qu'à ce moment une révolution bourgeoise ait été propulsée exclusivement par la partie la plus consciente et l'avant-garde des ouvriers et des soldats russes avec qui se solidarisèrent des ouvriers et des soldats du monde entier et, principalement, du pays (l'Allemagne) où le capitalisme était le plus développé ? Comment se fait-il que justement, à cette époque, les marxistes, les dialecticiens les plus éprouvés, les meilleurs théoriciens du socialisme défendent aussi bien, sinon mieux que Lénine, la conception matérialiste de l’histoire ? Comment se fait-il que, par exemple, des Plekhanov et des Kautsky se trouvaient justement dans le camp de la bourgeoisie, contre les ouvriers et les soldats révolutionnaires du monde entier en général et contre Lénine et les bolcheviks en particulier ?
Harper ne pose même pas toutes ces questions. Comment pourrait-il y répondre ? Mais c'est justement le fait qu'il ne les ait pas posées qui nous étonne.
De plus, le long développement philosophique, quoique juste dans l'ensemble de son développement, comporte certaines affirmations qui en altèrent la portée. Harper tend à faire (parmi les théoriciens du marxisme) une séparation entre deux conceptions fondamentalement opposées, au sein de ce courant idéologique, quant au problème de la connaissance (à la manière de l’aborder). Cette séparation qui remonterait à l'œuvre et à la vie de Marx lui-même est quelque peu simpliste et schématique. Harper voit d'une part dans l’idéologie de Marx lui-même, deux périodes :
1. jusqu’à 1848, Marx matérialiste bourgeois progressiste : "La religion est l'opium du peuple…", phrase reprise ensuite par Lénine et que pas plus Staline que la bourgeoisie russe n'ont cru nécessaire d'enlever des monuments officiels, ni même en tant que but de propagande du parti ;
2. ensuite, Marx 2ème manière, matérialiste et dialecticien révolutionnaire, l'attaque contre Feuerbach, le "Manifeste Communiste" etc. ; "l'existence conditionne la conscience…"
Harper pense que ce n'est pas un hasard que l'œuvre de Lénine ("Matérialisme et Empiriocriticisme") soit essentiellement représentative du marxisme première manière ; et il en arrive, partant de là, à l'idée selon laquelle l'idéologie de Lénine était déterminée par le mouvement historique auquel il participait et dont la nature profonde apparaitrait, selon Harper, être fournie par la nature même, matérialiste bourgeoise, de l'idéologie de Lénine-(Harper ne s'en tenant qu'a "Matérialisme et Empiriocriticisme").
Cette explication mène à la conclusion de Harper selon laquelle l'"Empiriocriticisme" serait aujourd’hui la bible des intellectuels, techniciens et autres représentants de la nouvelle classe capitaliste d'État montante : la révolution russe, avec les bolcheviks en tête, aurait été une préfiguration d'un mouvement plus général d'évolution révolutionnaire, du capitalisme au capitalisme d'État, et de mutation révolutionnaire de la bourgeoisie libérale en bourgeoisie bureaucratique d'État, dont le stalinisme serait la forme la plus achevée.
Cette conception de Harper laisse ainsi penser que cette classe - qui prendrait partout pour bible "Empiriocriticisme" (que Staline et ses amis continueraient à défendre) - s'appuierait essentiellement sur le prolétariat pour faire sa révolution capitaliste d'État ; et, d'après Harper, ce serait la raison qui déterminerait cette nouvelle classe à s'appuyer sur le Marxisme dans cette révolution.
Cette explication tendrait donc à prouver, pour qui le voudrait bien, que le marxisme première manière conduit directement à Staline en passant par Lénine (ce que nous avons déjà entendu de la bouche de certains anarchistes, pour ce qui est du marxisme en général dont Staline serait l’aboutissement logique -la logique anarchiste !?) et qu'une nouvelle classe révolutionnaire capitaliste, appuyée sur le prolétariat, surgirait dans l’histoire justement au moment où le capitalisme lui-même entre dans une crise permanente, du fait d'un hyper-développement de ses forces productives, dans le cadre d'une société basée sur l'exploitation du travail humain (la plus-value).
Ces deux idées, que Harper tend à introduire dans son ouvrage "Lénine philosophe" qui date d'avant la guerre de 1939-45, sont elles-mêmes énoncés par d'autres que lui, venant de milieux sociaux et politiques différents que lui, et sont devenues très en vogue après cette guerre. Elles sont défendues actuellement, la première par de très nombreux anarchistes et la seconde par de très nombreux bourgeois réactionnaires dans le genre de James Burnham.
Que les anarchistes arrivent à de telles conceptions mécanistes et schématiques, selon lesquelles le marxisme serait à la base du stalinisme et de "l’idéologie capitaliste d'État", ou de la nouvelle classe “directoriale”, ceci n'est pas étonnant de leur part : ils n'ont jamais rien compris aux problèmes de la philosophie, comme les révolutionnaires l'entendent ; ils font découler Marx d'Auguste Comte, comparent cette assimilation à Lénine et font découler de là "l’idéologie bolcheviste-staliniste", et y rattachent tous les courants du marxisme sans exception, prenant pour leur, en tant que mode de pensée philosophique, tous les dadas à la mode, tous les idéalismes, de l'existentialisme au nietzschéisme ou de Tolstoï à Sartre.
Or, cette affirmation de Harper selon laquelle "l'Empiriocriticisme" de Lénine serait un ouvrage philosophique dont l'interprétation du problème de la connaissance n'y dépasserait pas la méthode d'interprétation matérialiste bourgeoise mécaniste et faisant découler de cette constatation la conclusion selon laquelle les bolcheviks, le bolchevisme et la révolution russe ne pouvaient pas dépasser le stade de la révolution bourgeoise, cette affirmation, comme nous le voyons, ne nous mène pas seulement aux conclusions des anarchistes et de bourgeois comme Burnham. Cette affirmation est avant tout en contradiction avec une autre affirmation de Harper qui est celle-là, en partie juste :
"Le matérialisme n’a dominé l’idéologie de la classe bourgeoise que pendant un temps très court.
Tant que celle-ci pouvait croire que la société, avec son droit à la propriété privé, sa liberté individuelle et sa libre concurrence, pouvait résoudre tous les problèmes vitaux de chacun, grâce au développement de la production, sous l’impulsion du progrès illimité de la science et de la technique, elle pouvait admettre que la science avait résolu les principaux problèmes théoriques et n'avaient plus besoin d'avoir recours aux forces spirituelles supra-naturelles. Mais le jour où la lutte de classe du prolétariat eu révélé le fait que le capitalisme n'était pas en mesure de résoudre le problème de l'existence des masses, sa philosophie optimiste et matérialiste du monde disparut. De nouveau, le monde apparut plein d'incertitudes et de contradictions insolubles, plein de puissances occultes et menaçantes…"
Nous reviendrons par la suite sur le fond de ces problèmes, mais nous sommes contraints de noter, sans vouloir faire de vaine polémique, les contradictions insolubles dans lesquelles Harper s'est mis lui-même, d'une part en attaquant le problème si complexe qu'il a attaqué d'une manière quelque peu simpliste et d'autre part les conclusions auxquelles il devait être amené quant au bolchevisme et au stalinisme.
Comment peut-on expliquer, répétons-nous, d'après les idées de Harper, le fait que, au moment où la lutte de classe du prolétariat apparut, la bourgeoisie devenait idéaliste et que c'est justement au moment où la lutte de classe se développe avec une ampleur inconnue jusque-là dans l'histoire que nait, de la bourgeoise, un courant matérialiste donnant naissance à une nouvelle classe bourgeoise capitaliste. Ici Harper introduit une idée selon laquelle, si la bourgeoisie devait devenir absolument idéaliste, -déceler un courant matérialiste bourgeois dans la philosophie de Lénine. Et si Lénine, selon Harper, "était obligé d'être matérialiste pour entraîner derrière lui les ouvriers", nous pouvons nous poser la question suivante : que ce soient les ouvriers qui aient adopté l'idéologie de Lénine ou Lénine qui se soit adapté aux besoins de la lutte de classe, selon les conclusions de Harper, il reste cette contradiction étonnante : ou bien le prolétariat suivait un courant bourgeois ou un mouvement ouvrier se promouvait en sécrétant une idéologie bourgeoise. Mais, de toute façon, le prolétariat ne nous apparaît pas ici avec une idéologie propre. Quel piètre matérialisme marxiste pourrait affirmer une telle chose : le prolétariat entre en action indépendante en produisant une idéologie bourgeoise. Et c'est là que nous mène Harper.
Du reste, il n'est pas entièrement exact que la bourgeoisie soit elle-même, à une certaine époque, totalement matérialiste et, à une certaine autre, totalement idéaliste. Dans la révolution bourgeoise de 1789 en France, le culte de la Raison n'a fait que remplacer celui de Dieu et était typique du double caractère des conceptions à la fois matérialiste et idéaliste de la bourgeoisie en lutte contre le féodalisme, la religion et le pouvoir de l'Église (sous la forme aiguë de persécutions des prêtres, des incendies d'églises etc.).
Nous reviendrons également sur ce double aspect permanent de l'idéologie bourgeoise ne dépassant pas, même aux heures les plus avancées de la "Grande Révolution" bourgeoise en France, le stade de "la religion est l’opium du peuple."
Cependant, nous n'avons pas tiré encore toutes les conclusions vers lesquelles Harper nous entraîne ; nous en tirerons quelques-unes et nous ferons quelques rappels historiques qui peuvent intéresser tous ceux qui "rejettent" la révolution d’Octobre dans le camp bourgeois.
Si ce premier regard jeté sur les conclusions et les théories philosophiques de Harper nous a entraîné vers certaines réflexions, qui seront l'objet de développements ultérieurs, il y a des faits que nous devons, pour le moins, relever immédiatement, car il s'agit de faits historiques que Harper semble n'avoir pas même voulu effleurer.
En effet, Harper nous parle, pendant des dizaines de pages, de la philosophie bourgeoise, de la philosophie de Lénine et arrive à des conclusions, pour le moins, osées et qui demandaient, tout au moins, un examen plus sérieux et approfondi. Or, quel matérialiste marxiste peut accuser un homme, un groupe politique ou un parti de ce dont Harper accuse Lénine, les bolcheviks et leur parti, d’avoir représenté un courant et une idéologie bourgeoise "s'appuyant sur le prolétariat…" (Harper), sans avoir auparavant examiné, au moins pour mémoire, le mouvement historique auquel ils ont été mêlé : ce courant, la Social-démocratie russe et internationale d'où est issue (au même titre que toutes les autres fractions de gauche de la Social-démocratie) la fraction des bolcheviks. Comment s'est formée cette fraction ? Quelles luttes a-t-elle été amenée à entreprendre sur le plan idéologique pour arriver à former un groupe à part, puis un parti, puis l'avant garde d'un mouvement international ?
De la lutte contre le menchevisme, de l'Iskra, de "Que Faire" de Lénine et de ses camarades ; de la révolution de 1905 et du rôle de Trotsky, de sa "Révolution Permanente" (qui devait l'amener à fusionner avec le mouvement bolchevik, entre février et octobre 1917) ; de la seconde révolution de février à octobre, (Sociaux-démocrates, Socialistes Révolutionnaires de droite etc. au pouvoir), des "Thèses d'avril" de Lénine, de la constitution des soviets et du pouvoir ouvrier ; de la position de Lénine dans la guerre impérialiste ; de tout cela Harper ne dit mot. On ne peut croire que cela soit un hasard.
(à suivre)
Mousso et Philippe
L'Europe reçut, hier, d'Amérique son plan Marshall, la France a aujourd'hui son plan Mayer. Qui douterait que celui-ci ne soit qu'une partie, qu'une application locale de celui-là ? C'est-à-dire un moyen qui s'inscrit, en France, dans l'élargissement mondial de l'exploitation du travail par l'État et le capital monopoliste fusionnés.
Il y a quelques mois l'impérialisme américain disait aux bourgeois d'Europe : "Faites l'inventaire de vos ressources, voyez lesquelles vous manquent et faites le moi savoir. Vous pourrez en passer la commande chez moi. Avec tout cela, vous tenterez de faire repartir votre production. Je vous prêterai l'argent nécessaire aux achats et au financement. Seulement j'y mets une condition et elle est bien naturelle : nous allons faire l'affaire à nous deux, exclusivement, et nous en partagerons l'avantage. Stabilisez votre monnaie afin de fixer le niveau de vos échanges que vous orienterez vers moi ; et payez-moi la part pour ma contribution."
Ces mois-ci, la bourgeoisie française prend donc ses dispositions en conséquence. Elle tente de stabiliser la monnaie en équilibrant le budget pour réduire l'inflation. Après avoir contraint, grâce à celle-ci, ses ouvriers et ses paysans à payer les frais de la guerre (c'est-à-dire la perte de ses positions financières sur le marché mondial, elle aménage les garanties financières des emprunts internationaux qu'elle contracte auprès des banques américaines. Et l'instrument de cette politique est une super-fiscalité.
***
Cette super-fiscalité présente une signification historique et elle va avoir des effets sociaux. Il importe de comprendre lesquels. Pour cela, il faut se référer successivement aux transformations fondamentales du capitalisme contemporain et à la situation créée en France par la guerre. Car le plan Mayer n'est que leur expression.
La deuxième guerre mondial (c'est-à-dire sa préparation, son exécution et sa liquidation) a présidé à la fusion progressive du capital monopoliste avec l'État. Cette fusion est le fruit des conditions propres à l'accumulation capitaliste, à la formation de la plus-value, et à leur conséquence fondamentale : la baisse tendancielle de taux de taux de profit moyen. Dès la fin du 19ème siècle, l'élargissement de la production faisait apparaître ce problème dans toute sa brutalité. Et la monopolisation du capital en fut l'expression. Sa fonction était de maintenir artificiellement un taux de profit suffisant dans les branches monopolisées et, en même temps, d'établir un frein au développement des forces de production, frein devenu inéluctable dans un système économique condamné par ses propres normes de rentabilité. Du capitalisme libéral, on passa au capitalisme des monopoles.
Ce système prévalut quelques décades ; et c'est lui qui détermina la première guerre mondiale. En gros, il subsista jusqu'à la grande crise organique de 1929. Cette crise prononça son effondrement. Elle condamna le capitalisme des monopoles privés à trouver sa fin avec la grande dépression.
L'économie, à cette époque, ne réussit, en effet, un redressement superficiel que par la conjoncture de guerre, c'est-à-dire par l’intervention directe de l'État, ce qui changea la structure du capitalisme ; intervention qui se fit d'abord par la monnaie et le crédit, puis par le contrôle bureaucratique de la production et des échanges, enfin par la remise directe des moyens de production-clé entre les mains de l'État, par voie de nationalisation, au cours de la guerre et depuis sa fin.
Quelle est la signification de cette tendance ? Elle prouve que l'État doit désormais se substituer aux monopoles, prenant sur lui d'assurer un taux de profit suffisant. Plus exactement, qu'il doit, dans le but de maintenir ce taux, prendre sur lui la formation du monopole et conduire la politique économique appropriée. L'État conduit alors une politique monopoliste synthétique (il devient au sens propre du mot, le "capitaliste collectif") et concentrée, permettant au capital financier d'user directement de la monnaie et de l’impôt, autrement dit : dans ce système, manipulation monétaire et politique fiscale deviennent la règle ordinaire de gestion de l'économie monopolisée, c’est dire, par extension de toute l'économie.
Tel est le cadre dans lequel les évènements du monde contemporain prennent leur sens, et en particulier les évènements français de ces dernières années. Tel est, par conséquent, celui dans lequel s'inscrit à son tour le plan Mayer. Cependant, ce dernier ne peut être compris pleinement que si, tenant compte de ces conditions très générales, (la transformation vers le capitalisme d'État à l'échelle mondiale), on leur ajoute les conditions particulières à l'impérialisme français.
Quelles sont-elles ? L'impérialisme français doit descendre à un niveau inférieur par rapport à l'avant-guerre. Il a perdu, en effet, la plupart de ses investissements à l'étranger et de ses marchés d'exportation, par suite de la montée de l'impérialisme américain au cours de la guerre. C'est là une circonstance qui, sans lui être particulière, présente ses caractères propres. Il faut donc voir dans quel sens elle joue.
La production est, en France, depuis un an comparable à ce qu'elle était en 1938. Mais, dans le même temps, le revenu réel des ouvriers s'établit au-dessous du niveau correspondant. Il y a une année, il se situait à 70% de celui de l'avant-guerre. Aujourd’hui, il est descendu entre 50 et 60%.
Que déduire de ces chiffres ? Tandis que la situation des salariés se dégradait, malgré (et sans doute à cause de) une lutte épuisante pour les salaires, et en dépit des hausses importantes des taux nominaux obtenus, la position sociale du capital se consolidait. On parle dans les milieux "officiels" "d’échelle mobile des profits". Car, si la répartition des biens de consommation s'est déplacée au détriment de la classe ouvrière au cours de la reprise relative observée depuis trois ans, c'est que l'accumulation en biens de production d'une part et la consommation capitaliste d'autre part (notamment les objets de luxe) ont absorbé la différence. Autrement dit, qu'à rendement comparable du travail, l'exploitation s'est encore accrue depuis 1938.
Cependant, ce renforcement du capital ne rend pas compte, à lui seul, de la situation. Il n'a pas, en effet, la même signification que s'il s'était produit sur les bases du passé. C'est que -précisément en fonction de la marche de l'économie vers le capitalisme d'État- la classe capitaliste a en même temps changé de structure.
Il est notoire, en effet, que la grande masse de la bourgeoisie s'est effondrée. Que nombre des couches sociales ou régionales, qui constituaient les épaisses classes moyennes françaises, sont aujourd’hui ruinées et réduites à un état semi-prolétarisé. En masse, des éléments appartenant à ces couches se sont réfugiées, pendant la guerre, dans la bureaucratie (spécialement la bureaucratie économique) qui fonctionna d'abord comme un fond de chômage à son usage, ensuite comme l'instrument de sa transformation sociale. Quant au reste de la bourgeoisie moyenne, elle vit comme elle peut, cramponné aux oripeaux qui lui laissent l'illusion d'être encore une classe possédante.
En bref, ce n'est donc pas à la "masse" de la bourgeoisie comme telle qu'a profité l'appauvrissement de la classe ouvrière mais à trois de ses éléments : les trafiquants du marché noir, l'oligarchie et la bureaucratie.
Un million de fonctionnaires en plus au cours de la guerre, cinq cent mille intermédiaires nouveaux depuis moins d’un an, tels sont les chiffres monstrueux qui montrent où en sont le trafic et la bureaucratisation... Encore que le trafic ne soit pas l'apanage exclusif des seuls intermédiaires. Les industriels bien placés sont sans doute ceux qui absorbent les plus gros chiffres.
On pressent, en tout cas, à quel renouvellement sont soumises les classes bourgeoises. Mais c'est un renouvellement qui n'a rien d'une sélection. Car il ne s’agit pas d'une accession à la bourgeoisie d'éléments plus vigoureux, extraits des autres classes, qui viendraient remplacer les oisifs et les moins bien armés. Il s'agit, au contraire, soit d'une racaille dénuée de mœurs et de scrupules, qui quitte les caractères d'une classe sans prendre ceux d'une autre, soit d'éléments encrassés de bureaucratisme.
Les uns et les autres s’installent dans la nation en parasites sociaux. Quant à la classe du capital monopoliste proprement dit, elle perd et gagne à la fois au changement. Elle perd comme couche autonome issue de ce capital, dans la proportion où ses placements à l’étranger et ses positions commerciales sont déplacés par le nouvel équilibre de forces issu de la guerre ; surtout, dans la mesure où les nationalisations ont fait passer, entre les mains de nouveaux hauts-fonctionnaires économiques, les moyens de production et d'échange qui lui appartenaient. Mais, si on la considère comme entité sociale, elle y gagne, évidemment. Elle y gagne précisément sous des formes nouvelles, pour autant que la position économique de l'État, avec lequel elle se fond désormais, s'est renforcée par rapport à la classe ouvrière ; pour autant qu'elle s’appuie sur une exploitation plus étendue du travail.
Pour résumer, la remise sur pied très relative intervenue depuis la "Libération" s'opère par une surexploitation du travail des ouvriers, surexploitation organisée dans le cadre de l'État, grâce à la force économique de répression dont celui-ci dispose par l’intermédiaire de la monnaie et des prix. Elle s'opère par concentration autour d'une minorité réduite en nombre, regroupée par l'appareil mais mieux placée à l’égard du prolétariat, grâce à la liquidation de larges couches bourgeoises. La nouvelle répartition des revenus, à laquelle cette transformation donne lieu, se manifeste ostensiblement dans la consommation courante. Le spectacle quotidien de la rue le montre au grand jour. Automobiles américaines, fourrures, nouvelles modes féminines etc., s'étalent au moment même où la misère des masses s'accentue continuellement.
Mais ce n'est pas tout. Car le secteur urbain, qui détermine le processus, n'est pas le seul à y participer. Parallèlement à la transformation structurelle et au bouleversement qui s'inscrit dans la répartition des produits de la zone industrielle, une évolution intervient dans l’agriculture. En l'occurrence, un déplacement relatif des valeurs vers le capital financier et une prédominance accrue du secteur capitaliste de l'agriculture sur le secteur familial. L'agriculture passe en même temps sous la coupe directe de l'État (en partie par l'intermédiaire du syndicalisme et de la coopération) puisque État et Capital tendant à fusionner.
En effet, il existe dans les campagnes un net divorce entre l'accumulation d'argent et le réinvestissement. Or, celui-ci est soumis aux répartitions autoritaires des matériaux par l'État. Ce dernier en profite pour interposer un obstacle entre les ressources paysannes et leur emploi.
On sait bien qu'au cours de l’a guerre le monopole paysan sur la production des denrées alimentaires permit aux agriculteurs de vendre à des prix "noirs" et d'accumuler d'importantes réserves d’argent. Cependant, une appréciation correcte de cette situation exige qu'on se demande ce qu'il advient des disponibilités ainsi réunies.
Or, ces disponibilités sont restées plus ou moins en l'air. Car, depuis la fin de l’occupation allemande, l'agriculture n'a reçu que de faibles quantités de matière. L'an dernier, 1,4% de la répartition du ciment, 5,2% de celle du fer (voir l'intervention du ministre Longchambon au Conseil de la République le 1er juillet 1947), et tout à l’avenant.
Autrement, l'agriculture reçoit peu en contrepartie des gains en argent réalisés au cours de la guerre. Ceux-ci n'ont donc pas, du point de vue d'une perspective sociale un peu vaste, le sens qu'on pourrait croire trop hâtivement. Ils restent en fait stérilisés dans les campagnes ; et le capital agricole va en se dégradant sous la pression de la répartition étatique des produits industriels. Cette stérilisation trouve d'ailleurs une raison d'être supplémentaire : le capital et l'État conduisant une politique d'abaissement du niveau de vie ouvrier, ils ne sauraient impulser en même temps une élévation décisive de la production agricole. Car la partie significative de cette dernière sert de fonds de subsistance pour les travailleurs industriels. Et il n'est pas question d'améliorer le sort de ceux-ci. La politique d'État à l’égard de l'agriculture correspond donc à un besoin organique du régime social ; non point à une "erreur" des pouvoirs publics.
Ajoutons enfin que le rééquipement partiel, correspondant aux faibles attributions reçues par l’agriculture - rééquipement qui se fait aujourd’hui par l'intermédiaire du plan d'État, de l'importation (réglée par l'État), de la Caisse (d'État) Nationale du Crédit Agricole -, s'oriente sur le secteur le "mieux placé" de la production. Celui-ci est, on s'en doute, le secteur industrialisé, le domaine de la grande culture. L’organisation professionnelle de l'agriculture (G.C.A.), qui est en fait un prolongement, autonome et déguisé, il est travail mais non moins certain de l'État, est l'instrument de cette dissociation en faveur des cultures industrielles. Car les "Associations Spécialisées" y dominent aujourd’hui officiellement depuis le congrès de novembre (elles avaient régné pendant la période de Vichy). Or, ces associations, qui groupent les producteurs des grands produits, sont précisément l'émanation du capital investi dans les grandes cultures.
Ainsi, la perte de substance subie par la production agricole affermit culture capitaliste et grande propriété, qui servent de relai à l'exploitation du prolétariat agricole et de la paysannerie familiale par l'État fusionné avec les monopoles.
Telle est, par conséquent, la situation en France ; situation qui présidera à l'application commencée de l'aide intérimaire et du plan Marshall pour le "redressement" économique. Le plan Mayer s'y inscrit. On peut maintenant en examiner les mesures.
***
Le plan se caractérise d'un côté par ses dispositions, de l’autre par ses procédés techniques. Les uns évidemment ne vont pas sans les autres. Tous concourent à un prélèvement facultatif se ramenant à un emprunt obligatoire.
Le texte gouvernemental compte deux ordres de dispositions : d'une part il frappe les bénéfices commerciaux, industriels et agricoles (ainsi que les revenus de professions libérales) d'un prélèvement violent allant de 20 à 50% pour les deux premières catégories et de 50 à 80% pour la dernière ; de l’autre, il exonère les salariés ayant perçu, en 1947, un revenu inférieur à 450.000 Frs.
Le prélèvement est donc conforme à la transformation structurelle qu'on a examinée ci-dessus. Il la prolonge et l'élargit. Car, d'un côté il renforce l'association du capital financier et de l'État par les taux dont il frappe le commerce et l’industrie (taux qui vont croissant avec le montant du bénéfice), de l’autre il frappe plus lourdement encore l’agriculture. Par-là, l'État approfondit l'intégration du capital agricole, tout en étendant la subordination. Il pousse à son terme maximum la stérilisation des réserves monétaires puisqu'il double la politique des répartitions maigres, d'une ponction pure et simple des disponibilités en argent. Cette politique accentue, par conséquent, l'exploitation des masses paysannes par le capitalisme d'État.
Enfin, le prélèvement laisse les ouvriers à l'écart. Et par là aussi, il est encore dans la logique de la transformation structurelle. Celle-ci implique que le compte des salariés soit réglé a travers la course prix-salaires et le mécanisme de la lutte revendicative. L'impôt n'est pas, dans de telles conditions, une arme appropriée à la répression économique de la classe ouvrière. Sa fonction principale est tout autre. Elle est de concentrer le capital entre les mains de l'appareil économique et de prolétariser une fraction de la bourgeoisie ou de l'amalgamer à la bureaucratie. L'impôt n'intervient donc qu'à titre secondaire contre la classe ouvrière, surtout par des voies indirectes, pour autant, en particulier, qu'il fournit à l'État le moyen de la politique financière qui réduit systématiquement son niveau de vie.
Cependant, bien que le prélèvement œuvre déjà puissamment dans le sens d'une association plus étroite du capital à l'État, il n'y parviendrait qu'imparfaitement si le plan s'en tenait là. L'association se limiterait alors à la forme d'un transfert dans la détention des fonds. Mais, c'est justement ici que les procédés techniques du plan font incidence à leur tour.
La loi prévoit, en effet, que les personnes physiques ou morales assujetties au prélèvement pourront s'y dérober, à la condition qu'elles souscrivent à un emprunt à 3% amortissable et soustrait aux charges fiscales. Bien sot qui, le pouvant, n'en ferait pas usage ! D'autant que la souscription acceptée doit s'élever simplement au montant de la somme due au titre du prélèvement.
C'est par ce chemin que l'opération revient, en réalité, à un emprunt obligatoire. Mais, par là aussi, elle revient à transformer une dette du capital envers l'État en une créance de celui-là sur celui-ci. Car, la part de leur contribution, et elle sera sans doute dominante, que les assujettis convertiront en souscription à l'emprunt, s'inscrira à la dette publique. Combien des cinquante milliards (cent pour le secteur urbain et cinquante pour le secteur rural) resteront prises dans les mailles du prélèvement proprement dit ? Grâce à ces procédés, État et capital seront demain encore plus étroitement associés.
Ajoutons une remarque concernant les délais prévus pour les versements : ils permettront, à leur tour, au haut capital de prévaloir sur le petit.
La loi stipule, en effet, que les versements s'effectueront en trois tranches échelonnées de janvier à mars 1948. Mais, elle admet en même temps que les contribuables qui souscriront immédiatement, ou avant le terme final pour le montant de la somme due, seront définitivement exonérés. Ces modalités favoriseront nécessairement ceux qui disposent de larges ressources, et laisseront peser la difficulté totale sur ceux qui souffrent d'une étroitesse de trésorerie.
***
Ainsi se présente le plan Mayer d'extension du capitalisme d'État. Doublé d'un projet en cours de réappréciation du franc par rapport au dollar et de dédoublement du change, il alignera la structure économique du capitalisme français sur les plans mondiaux de l'impérialisme américain. Les semaines à venir apporteront à cet égard des possibilité plus complètes d'appréciation.
Morel
I- Notre travail semble être sans réponse immédiate, par son côté destructif et négatif. Mais il importe avant tout de bien saisir que la tâche de la classe ouvrière réside dans une connaissance parfaite des démagogies bourgeoises et des erreurs tactiques de lutte de classe, connaissance entraînant le refus envers toute nouvelle comédie historique sur un thème déjà connu.
Marx, analysant le capitalisme dans son processus, entendait par là indiquer et montrer la seule voie à la négation du capitalisme : le socialisme ne pouvant être posé et résolu qu'une fois connus le capitalisme et ses éléments propres de négation.
De même, nous entendons emprunter cette méthode, seule valable, pour écarter du chemin de la classe tous les obstacles tendant à retarder et même à renvoyer en arrière le mouvement ouvrier de libération sociale.
Ayant déjà traité les aspects proprement économiques du capitalisme, nous ne parlerons dans notre analyse que de ses aspects sociaux, en entendant bien par-là ne pas leur donner la prédominance.
II- Après 100 ans de luttes ouvrières -dans un système capitaliste qui, lui, subit, du fait des conditions objectives évoluant, des transformations-, le problème spécifique de la lutte de classe ainsi que l'évolution du mouvement ouvrier n'ont subi aucune analyse ; et, par-là, la tactique dans la lutte et le problème de la révolution ont été conditionnés par l'empirisme le plus grossier. Cet état de chose n'a pu que fausser, dans l'esprit de la classe ouvrière et dans celui des militants, la nature des divers mouvements sociaux de la période actuelle.
Ainsi, en rapport avec des modifications survenues dans la structure économique du capitalisme, le XXème siècle devait entraîner des modifications dans la nature idéologique et la portée révolutionnaire des manifestations de la lutte de classe ouvrière.
III- Mais, le mouvement ouvrier ne devait pas seulement être sensible à ces modifications dans la structure économique du système. Il devait en plus subir le contre-coup de la nouvelle idéologie de la bourgeoisie qui, non seulement puisait des arguments et des forces dans la pensée révolutionnaire, mais s'attachait aussi à faire disparaître les contradictions apparentes de la classe : capitalistes-ouvriers. La bourgeoisie a réussi ainsi à s'approprier la plupart des slogans et des symboles révolutionnaires, et à les incorporer dans sa nouvelle formulation idéologique. Ne voyons-nous pas la IVème République fêter la Commune de Paris ? Le problème de la "gestion ouvrière" de l’industrie ainsi que le contrôle de la production ont été intégrés dans un système législatif dont la bourgeoisie n'a pas à se plaindre. La Commission des prix et salaires, la Commission de l'Économie nationale, les Comités tripartites d'usines, la nouvelle politique syndicale, demandant et obtenant son admission dans les discussions et l'exécution du plan Monnet, sont autant d'aspects de cette nouvelle idéologie bourgeoise qui va jusqu'à accepter la syndicalisation de sa police.
Mais l'acte le plus important réside dans les nationalisations opérées par l'État bourgeois. Ce qui paraît le plus grave, c'est que certaines tendances parmi les militants ouvriers ont applaudi à ces mesures qu'elles ont déclarées “progressives”. En présence des nationalisations et des réactions des restants de bourgeoisie libérale, ces mêmes tendances ont enterré la bourgeoisie en tant que classe. Qui pouvait alors empêcher l'État de proclamer, à son tour, que la lutte de classe n'avait plus de raison d’être ?
IV- La Révolution russe, par sa puissance et son influence énorme, loin de modifier les aspects sociaux et politiques de la lutte ouvrière, loin de clarifier ce qui, dans la lutte, était sujet à inversion (arme à double tranchant), la Révolution russe, disons-nous, n'a fait que se fier empiriquement aux anciennes manifestations des luttes ouvrières d'avant 1914.
Les différentes formes de la lutte, correspondant à un capitalisme en ascension, ont été reprises telles quelles à une époque où la Révolution russe, par son déclenchement et sa victoire, indiquait la décadence du régime capitaliste. Les vielles formules du parlementarisme et du syndicalisme, le vieux schéma révolutionnaire -qui consiste à poser la révolution en conclusion du démasquage des "trahisons" de la bourgeoisie et des partis réformistes-, tout cet attirail d'un programme correspondant à une période transition dans la lutte pour la révolution a été réintroduit dans la pensée et l’action révolutionnaires quand les réalités historiques qui se présentaient n'étaient pas celles d'une transition mais posaient la nécessité de l'affirmation de la Révolution et de la conquête du pouvoir.
V- le reflux de la vague révolutionnaire de 1917-21 et la dégénérescence de la Révolution russe qui a suivi devaient enliser encore plus le mouvement ouvrier dans des normes de lutte qui, non seulement étaient dépassées mais s’avéraient pouvant et devant servir d'arme anti-ouvrière. Par ailleurs, on a assisté, dans les pays capitalistes, à une volonté de maintenir artificiellement les institutions organisationnelles issues de la période révolutionnaire et de les copier, alors que cette période refluait ; en Russie, où la substance révolutionnaire disparaissait, restaient en place, malgré l’orientation capitaliste de ce pays, les organismes de la révolution vidés de leurs objectifs, de leurs contenus, de leur idéal.
Ce double processus, l'un de reflux révolutionnaire, l'autre de stabilisation et de propagation de formules organisationnelles, a permis à des États, comme l'Allemagne, de s'appeler socialiste et à la Russie de continuer à figurer comme pôle attractif des masses travailleuses.
Le prolétariat, soumis au nazisme, a cru dans le socialisme de ce régime parce qu'on lui avait appris que parti unique + électrification + planification = SOCIALISME dans un seul pays.
Et cette comédie continue pour le prolétariat en général quand il regarde la Russie ainsi que les divers pays du monde qui prennent le chemin des réformes structurelles qui ont eu lieu en Russie.
Drapeau rouge, Soviet, collectivisations étatiques ne devaient être pris, par la classe ouvrière, que comme des formules valables seulement en fonction du contexte idéologique révolutionnaire et non par leur seule existence. Ces formules ont prouvé qu'elles pouvaient servir hier la Révolution prolétarienne, aujourd’hui la guerre impérialiste.
VI- Dans tous les facteurs précités, qui ont contribué à la dégénérescence de la lutte de classe, à sa prostitution, il ne faut pas oublier que ces facteurs ont donné leur plein rendement grâce au développement technique des moyens de propagande, empruntés souvent à la publicité commerciale.
VII- Si l'on part de la période ascendante du capitalisme, au moment où ce dernier se débarrassant de la structure judiciaire, sociale et politique de la féodalité, détermine de nouveaux rapports de société et part à la conquête du monde (ce moment, en tenant compte de l'évolution du système, part du début du XIXème siècle jusqu'à la fin du XIXème), nous pouvons dire que l'expression individuelle de la bourgeoisie oppose ouvriers et patrons directement. Mais, même à ses débuts, la classe ouvrière ne se reconnaît pas comme classe indépendante tant sa condition économique n'est pas suffisante pour lui donner sa conscience de classe. Au contraire, elle se sent liée à toute la société capitaliste.
Ses premières manifestations sont confuses et aveugles : haine contre la machine considérée comme responsable du chômage et de la misère.
Petit à petit, sous l'action d'une avant-garde plus ou moins évoluée, elle prend conscience de l'existence des antagonismes de classes et de son rôle de classe politiquement indépendante. Mais, même à ce moment et dans les conditions de clarification et de vulgarisation de la pensée révolutionnaire, se crée une confusion. Au lieu de considérer sa place économique dans la société capitaliste comme antagonique à son rôle historique, la classe ouvrière tend malheureusement à conditionner sa fonction politique à sa lutte économique. Le processus s'opère en raison de l'apparente division de l'ouvrier à l'usine face au patron.
En effet, dans la conscience ouvrière se fait jour le raisonnement suivant : dans l'usine, le patron est un parasite, sa suppression n'empêcherait pas la continuation de la production. L'erreur consiste à croire que la suppression du patron donne au système de production une autre signification que celle de capitaliste.
Nous voyons aujourd’hui ce qu'une telle erreur a pu coûter de guerre impérialiste au prolétariat. L'avant-garde n'est pas tombée dans cette erreur, mais il semble qu'elle n'a pas mis l'accent sur ce point d'une façon suffisamment nette et claire. Elle a vu, dans cette opposition ouvrier-patron, la possibilité, à travers la lutte économique quotidienne placée au premier plan, le chemin permettant de propager et de vulgariser la pensée révolutionnaire.
Seulement, même à cette époque, cette méthode offrait un grand inconvénient qui s'est transformé imperceptiblement en un danger de première importance. Et, en effet, dans l'avant-garde naissaient des tendances qui s'éloignaient et devaient s'opposer de plus en plus.
La classe ouvrière était amenée à prendre de plus en plus en considération les avantages d'ordre économique que lui donnait son action quotidienne. Si, au début, la violence du choc patronat-ouvrier pouvait vulgariser la différenciation de classe et permettre la propagande révolutionnaire, petit à petit cette violence s'atténuait pour faire place à une meilleure compréhension de la situation par la bourgeoisie.
Le potentiel révolutionnaire de la lutte quotidienne revendicative et syndicale ne résidait pas dans les résultats économiques immédiatement acquis mais dans l'unification de la classe, dans la cimentation de sa solidarité révolutionnaire et dans la peur que ces luttes produisaient au sein de la bourgeoisie ; peur s'exprimant par la violence et cette violence était exploitée par les révolutionnaires à des fins politiques : a) pour renforcer la notion de solidarité entre salariés, b) pour introduire des méthodes d'organisation dans les manifestations de la lutte de classe.
Cette vérité est si réelle que, bien avant 1914, nous assistons à la rupture des deux tendances dans la Social-démocratie. L'une, la réformiste, augmentant en importance et influence parce que, de ces luttes quotidiennes, elle ne faisait plus que ressortir les avantages économiques immédiats. L'autre, la tendance révolutionnaire, qui se voyait rejetée hors des luttes quotidiennes, si elle voulait continuer à exprimer l'aspect politique de la lutte de classe.
Ce n'est pas aujourd’hui que les luttes quotidiennes présentent un danger pour la lutte de classe ; dès avant 1914, le danger était réel bien que camouflé par la situation générale.
VIII- De plus, tandis que la violence pouvait présenter une possibilité de propagande révolutionnaire avant 1914, cette violence venant à disparaître, du même coup l'utilisation des contradictions ouvriers-patrons sur le terrain économique perdait de sa virulence et de son potentiel révolutionnaire.
Dans le capitalisme de l’époque libérale, le patron refuse d'augmenter les salaires car il ne peut jouer aussi facilement sur la monnaie que l'État ne le fait actuellement. Chaque revendication devient alors une faiblesse pour le patron dans sa lutte concurrentielle et dans son profit. Aussi en appelle-t-il à l'État pour arbitrer. Et l'État, par le processus même de cet arbitrage ainsi que par cercle vicieux salaires-prix, a tendance à proposer non seulement des solutions d'apaisement ou de répression mais aussi des solutions de contrôle et de gestion.
L'État n'a pas une conscience de sa finalité historique ; mais, au travers d'une nécessité quotidienne, par une nécessité historique des lois même du système, l'État, disons-nous, remplace de plus en plus le patron de l'usine et, quand il prend conscience de sa nouvelle tâche, il agit auprès du patron comme celui-ci a agi auprès de l'artisan et du paysan : il l'exproprie.
Le capitalisme voit alors sa survie se prolonger par l'État au lieu d'être abrégé par ce dernier. La fonction capitaliste passe à l'État et, du même coup, le pouvoir politique et économique finissent dans une même main, terminant ainsi le cycle de la révolution bourgeoise.
IX- Le passage de la propriété individuelle à la propriété d'État est la nationalisation. Qu'elle se fasse avec ou sans indemnité, cette indemnité n'entre dans la comptabilité que sous forme de profits et pertes et, à un stade plus accéléré, sous forme d'emprunt. Pour celui qui la reçoit, elle perd son caractère de capital pour soit entrer dans la consommation, soit subir un retour à sa fonction de capital, en passant entre les mains de l'État qui en dispose, réduisant le capitalisme au rôle de propriétaire foncier. L'ouvrier, qui voit s'opérer cette transformation, perd ses points de repère dans la différenciation de classe. Sa lutte économique perd son potentiel révolutionnaire. Dépouillé de sa substance, la lutte entre dans le cadre du procès du capital.
Double aspect contradictoire des nationalisations :
a.Elles prouvent que le capitalisme n'est pas fonction du capitaliste. Le patron n'était qu'une phase primaire du capitalisme. D'avoir joué sur l’opposition patron-ouvrier, ceci semble avoir faussé la conscience ouvrière du sens et de la direction de la lutte.
b.Le paravent patron, qui semblait être la pierre angulaire de l'édifice tandis que l'État n'était qu'un appendice, tombe pour découvrir l'État comme agent nº 1 du capitalisme, entraînant ainsi une accélération du processus révolutionnaire.
Ce double aspect contradictoire entre une position objective clarifiée et une conscience obscurcie du prolétariat repose le problème de la nature et des possibilités révolutionnaires de la vielle méthode d'actions revendicatives du prolétariat.
X- Les groupes d'avant-garde emploient couramment l'argumentation suivante quand ils parlent et traitent des revendications économiques : "Nous savons que les revendications présentent un côté fortement réformiste. Ce côté, nous le contrebalançons par une politique appropriée. De plus, pour être en contact avec la classe ouvrière, nous devons prendre à cœur ses intérêts immédiats pour nous présenter comme son défenseur et celui qui lui indique le chemin. En d'autres termes, nous devenons les Antigone du prolétariat."
Pour la défense de cette thèse, on se réfère à Lénine et l'on se laisse prendre au piège des revendications économiques. Une grave erreur s'introduit qui, pensons-nous, va à l'encontre de la pensée de Lénine dans “Que faire” et qui ne se retrouve que dans la méthode de feue la IIIème Internationale, consistant à stimuler la volonté révolutionnaire du prolétariat par des apéritifs appropriés. Et moins les ouvriers trouvent les conditions de leur prise de conscience nécessaire à leur action révolutionnaire, plus on augmente la dose d'apéritifs par toutes sortes de revendications partielles économiques et contingentes.
Le résultat obtenu, loin d'être celui escompté, est que la pensée révolutionnaire des ouvriers se trouve être complètement noyée. Quant aux militants et groupes révolutionnaires, ils se transforment en vulgaires marchands de vin.
Les trotskistes en sont là. La FFGC les suit.
Une autre erreur consiste à pas voir que, si au XIXème siècle les revendications économiques pouvaient servir de base à la lutte de classe, c'était en en fonction du développement inachevé du capitalisme, explication que nous avons déjà donnée plus haut. De plus, l'antagonisme patron-ouvrier, qui s'exprimait violemment comme une contradiction économique à répercussion sociale, perd avec l'État son caractère social, grâce à la facilité étatique de jouer plus aisément sur la consommation de la force de travail. En effet, comme le démontrait Marx à l’époque du capitalisme dit libéral, l'État n’était encore qu'un instrument de répression et de coercition. Les salaires versés aux ouvriers représentaient l’intégralité du capital variable et contenaient, en conséquence, en le manifestant, son opposition à la plus-value, en d’autres termes l'opposition fondamentale : travail-capital. De plus, le conditionnement social des ouvriers, l'éducation de leurs enfants, l'entretien de leur famille, leur santé physique, les degrés de leur instruction et leur développement culturel, en un mot leur existence sociale assurée directement par eux-mêmes, se trouvait être contenue et assurée uniquement dans les limites et fonction de leur salaire. La lutte pour les "dix heures" de travail par jour était, comme le reste, une possibilité pour l'ouvrier de s'affirmer comme un être humain entendant bénéficier de cette qualification.
De nos jours, avec le développement de toutes les institutions d'État, comme la Sécurité Sociale, les hôpitaux, les congés payés, l'école obligatoire, le capital variable n'est plus représenté intégralement par les salaires. Le salaire devient une part de plus en plus petite du capital variable ; l'État lui a enlevé ses possibilités d’expression sociale en prenant sous son contrôle, au travers des impôts directs et indirects, toute l'activité sociale de l'ouvrier. Le salaire n'est plus qu'une expression économique de reproduction de la force de travail, car même l'entretien de la famille n'est plus dans salaire à proprement parler, mais dans les allocations familiales de l'État, partie des assurances sociales étatiques.
Donc, hier, l'antagonisme économique revêtait un aspect social qui se reflétait dans la lutte de classe. Aujourd’hui, cet antagonisme ne recèle plus qu'un caractère de catégorie économique.
La lutte revendicative ne devient plus qu'une lutte de catégorie économique ; et les révolutionnaires, au lieu de remonter franchement la pente du "réformisme" désormais sans réformes possibles pour la classe ouvrière, s'y engagent eux-mêmes et poussent de plus belle, dans cette direction, les masses ouvrières. On peut dire qu'entre les intentions des révolutionnaires et la traduction de leurs intentions dans leurs actions quotidiennes, se dresse toujours un obstacle : les conditions objectives et contingentes de la situation. Par les revendications économiques, l'ouvrier a déjà une tendance fortement marquée à faire passer les satisfactions immédiates de sa condition, en tant que catégorie économique, au premier plan. Cette tendance se trouve accentuée aujourd’hui avec le capitalisme décadent, où la famine s'est installée à demeure dans la société.
En recherchant la solution à la famine - qui hante les ouvriers sur le plan de la lutte pour les salaires - par un minimum vital, l'échelle mobile etc., on ne fait que transférer ce problème, fondamentalement social, du plan social sur le plan étroitement économique. Loin de servir de condition à une orientation révolutionnaire des luttes ouvrières, ce transfert ne fait qu'enfermer d'avantage les ouvriers dans leur condition de catégorie économique et renforcer puissamment leur tendance naturelle à la recherche des satisfactions partielles et immédiates, c'est-à-dire au réformisme. Mais, ce qui plus est, devant l’absence de toute possibilité, dans la période présente, d'obtenir des satisfactions mêmes minimes, ce transfert devient un facteur de désarroi dans la classe ouvrière, n'engendrant que lassitude et désespoir dans ses rangs. La famine devient alors une condition de démoralisation des ouvriers ; sa hantise pose de tout son poids sur eux, leur fait accepter des conditions de vie encore plus misérables et un surcroit d’exploitation.
L'ouvrier reste fixé sur les satisfactions immédiates. La perspective révolutionnaire s'évanouit. L'ouvrier arrive à accepter tout, avec la lassitude de celui qui se dit qu'autant de jours gagné sur la famine sont autant de victoires qui donnent le sens de sa vie et de sa lutte.
Ils arrivent, par-là, à rechercher et à accepter les solutions capitalistes en vue de ne pas crever de faim.
Dans l'esprit de la classe ouvrière, la lutte revendicative a cessé d'avoir un caractère lointain et révolutionnaire pour devenir une solution de désespoir. Ce désespoir devient un fait admis au lieu d'être une antithèse forçant la lutte à dépasser le cadre de lutte des catégories économiques.
XI- La lutte revendicative économique trouvait, dans la grève, sa forme appropriée la plus efficace, tout comme la lutte pour les revendications de réformes politiques (droit d'association, droits de presse et droit civique) trouvait son expression dans la participation aux campagnes électorales et dans le parlementarisme dit ouvrier. Avec la disparition des possibilités des réformes dans la cadre du capitalisme, les formes d'organisation et les méthodes d'action anciennes perdent leur signification et cessent de pouvoir exprimer les objectifs aussi bien immédiats qu'historiques de la lutte du prolétariat.
Dans les meilleurs cas, les grèves, qui éclatent dans la période présente, manifestent l'état arriéré du mouvement ouvrier, reproduisant une situation historiquement dépassée. Elles sont alors des impasses où s'épuisent la combativité et les forces de la classe ouvrière. Mais, pour la même raison, la plupart des grèves, dans la période présente, peuvent être uniquement le moyen d'expression d'une lutte fractionnelle inter-capitaliste et inter-impérialiste et de dévoiement du prolétariat. Il est vrai que, déjà avant 1914, les grèves pouvaient et étaient exploitées par des groupes capitalistes contre d'autres capitalistes. Mais ce n'était alors qu'un phénomène dans l'influence de la lutte. Aujourd’hui, il peut le caractériser.
Les révolutionnaires doivent se libérer d'un attachement sentimental à cette arme de lutte des ouvriers que fut la grève et réexaminer ce problème à lumière des expériences des dernières trente années. En effet, les grandes grèves d'Italie et d'Allemagne avant le fascisme, comme les grèves de 1936 en France, en Belgique, comme les récentes grèves aux États-Unis et en France, qu'elles aient été syndicales ou sauvages, avec ou sans occupation des usines, qu'elles aient été soutenues par les socialistes contre les ministres staliniens ou fomentées et dirigées par ces derniers, toutes ces grèves ont conditionné non un renforcement du prolétariat mais un renforcement de l'influence idéologique de l'appareil de l'État, une démoralisation de la classe ouvrière et son intégration dans le cours à la guerre impérialiste.
L'expérience de ces luttes prouve que les luttes revendicatives et les grèves ont cessé d'être le terrain de la mobilisation de la classe et que cette dernière est appelée, pour l’accomplissement de sa mission historique, à trouver de nouvelles expressions de méthodes et de luttes de classe.
XII- le syndicalisme n'a, à notre avis, jamais représenté une idéologie ouvrière dans le sens progressif. À toutes les théories syndicalistes et anarcho-syndicalistes, les révolutionnaires ont toujours répondu qu'entre ces théories et le système capitaliste il n'y a pas incompatibilité mais plutôt entente à plus ou moins brève échéance. Discuter de la valeur marchande de la force de travail ne contredit en rien le fonctionnement du système capitaliste. Fonder une théorie sociale qui n'élimine pas la théorie de la valeur mais, en fait, est plutôt l'axe du système syndicaliste ne fait que renforcer ce système ; et, à un désir utopique de coopérativisme anarchiste se dessine et se développe un coopérativisme étatique tendant à fondre et à amalgamer syndicat et État. Ceci s'est opéré en U.R.S.S., en Allemagne et en Italie ; dans les autres pays, nous assistons à ce même phénomène mais, encore, au premier stade de l'intégration ou de l'absorption syndicat-État.
La querelle entre ces deux forces, pour prendre un exemple en France, tourne autour de la plus ou moins grande incorporation des syndicats dans les organismes étatiques.
Nous savons pourtant que telles ne sont pas les idées que défendent les partis dits ouvriers PS, PC, Trotskistes.
Pour les deux premiers, attachés à saisir les rênes du gouvernement, leur influence sur les syndicats leur donne une force de manœuvre dans leur entreprise vers l'État bourgeois ; ils y réussissent admirablement car ils trouvent là un terrain tout préparé aux idées réformistes ou opportunistes.
Quant aux trotskistes, ils posent un problème qui semblerait différent car ils ont soin de l'énoncer avec tout un verbiage révolutionnaire. Œuvrer dans les syndicats, c'est œuvrer dans le seul lieu de rassemblement ouvrier, c'est trouver les organismes à participation ouvrière pouvant faire déborder la lutte du cadre économique au cadre politique.
Ces deux assertions, aujourd’hui, se sont révélées fausses, parce qu'elles ne tiennent pas plus compte de la composition physique des syndicats que de leur nature politique et de l'objet de leur existence. Les syndicats ont pu représenter un moment de l'organisation du prolétariat mais jamais l'organisation permanente de la lutte de classe. Toutes les révolutions du XXème siècle ont pu montrer le rôle contre-révolutionnaire, sinon rétrograde, des syndicats au moment de la lutte engagée, plutôt que le rôle d'organisation offensive des travailleurs. Jamais l'organisation du prolétariat, au sein du syndicat, n'a fait surgir une force offensive de classe ; mais, au contraire, nous avons assisté comment, grâce aux syndicats, la classe ouvrière a été amenée à soutenir les guerres diplomatiques, commerciales ou effectives de la bourgeoisie.
Aujourd'hui, les syndicats, non seulement en raison de leur amalgame avec l'Etat, mais surtout en raison de la nature de leur idéologie et de leur comportement social, deviennent un frein pour le mouvement de libération des travailleurs.
Et cette idée amène cet autre problème : y a-t-il place, dans la période actuelle, pour un organisme permanent regroupant la classe ouvrière quelle que soit la nature progressive de son idéologie ? Nous répondrons par la négative. La permanence d'un tel organisme n'est pas fonction d'une volonté mais d'une possibilité qu'offre la situation de se résoudre d'une façon révolutionnaire, sinon cette permanence devient cause de confusion et de désarmement du prolétariat. Aujourd'hui, un organisme regroupant la majorité des ouvriers doit exprimer une poussée offensive des travailleurs. Si cet organisme prétend être un instrument de défense des ouvriers, quel que soit le désir ou la volonté de ses dirigeants, cet organisme ne peut être qu'un appareil de conservation et se transforme en un organisme de collaboration de classe. Que reste-t-il à la classe ouvrière pour se regrouper et se défendre ?
Or, le point le plus important de ce problème réside dans l'objet des regroupements. La classe ouvrière ne s'organise pas pour s'organiser. L'organisation ne doit concrétiser, pour elle, que la possibilité de réaliser sa mission historique. En dehors de cette fin, l'organisation prend un sens d'encasernement. Dans la situation présente, une telle organisation ne peut exister car le prolétariat se laisse plutôt encaserner par ce qu'il espère dans l'unité organisationnelle et non dans la révolution. Dans les luttes à venir, pourront surgir des tendances organisationnelles nouvelles, mais elles ne seront que temporaires et ne tiendront nullement compte du problème syndical, c'est-à-dire que ces tendances actives ne se situeront pas par rapport au syndicat mais par rapport à l'État. Elles n'exprimeront une permanence que le jour où le problème de la dualité du pouvoir se posera dans la situation historique.
XIII- Pourtant, si le problème des luttes quotidiennes économiques, syndicales ou corporatistes est d'une grande importance dans l'orientation de l'idéologie de la classe ouvrière, il n'est qu'un aspect plus accessible de la lutte laquelle, tantôt sourde et affaiblie tantôt violente, est engagée, depuis la naissance du capitalisme, entre la société capitaliste et les contradictions économiques de son système.
Au travers de cette lutte, nous assistons à des alternatives historiques où la classe ouvrière, cessant d'être une classe pour la bourgeoisie, tend à devenir une classe et pour elle-même (Marx). Tant que le prolétariat demeure une classe pour la bourgeoisie, elle subit l'idéologie capitaliste avec toutes les contradictions et les virevoltes que comportent ou exigent les lois de la production capitaliste.
Dans la période ascendante du capitalisme, nous voyons la classe ouvrière des secteurs importants se laisser prendre à l’idéologie du colonialisme. Dans la période descendante du capitalisme, la classe ouvrière a et aura encore tendance à partager l'idéologie de la bourgeoisie. Voilà où réside la force organisatrice des syndicats, devenus instruments de l'équilibre social capitaliste.
C'est encore en raison de ce fait que l'idéologie ouvrière s'est laissée prendre à toutes les démagogies qui tendent à camoufler la guerre impérialiste, unique mode actuelle de vie de la société bourgeoise.
XIV- La guerre impérialiste, qui débute à la fin d’une époque ascensionnelle du capitalisme marquant, par-là, l'arrêt du développement de la société bourgeoise, pose, pour la bourgeoisie et pour le prolétariat, un problème de classe. Lénine semble l'avoir résumé d'une façon assez saisissante quand, en 1914, il déclare que la guerre impérialiste ouvre l'ère des guerres et des révolutions.
Pour la bourgeoisie, le problème pose l'alternative "guerre ou mort" et pour le prolétariat "révolution ou barbarie". Les données sont les mêmes ; les alternatives différentes en ce que le capitalisme, ayant terminé son rôle historique, ne peut offrir à la société que des guerres ou l’étouffement économique, tandis que le prolétariat - qui se présente comme donnant une solution sociale à l'alternative capitaliste - oppose, à une barbarie sociale découlant de la bourgeoisie, la révolution socialiste.
L'opposition historique de classe dépasse le cadre du simple problème de la guerre pour poser le problème de la destruction de la société capitaliste, dans toutes ses expressions, et la nécessité du socialisme.
Ainsi, tant que la classe ouvrière continue à suivre l'idéologie bourgeoise, nous voyons les travailleurs faire les frais du patriotisme de la libération nationale (résistance et maquis), de la démocratie bourgeoise ou du socialisme national (Allemagne U.R.S.S.). Même s'il indique, après la deuxième guerre impérialiste, une attitude anti-militariste et anti- guerrière, ce n'est même pas un pacifisme petit-bourgeois qu'il exprime, mais encore et toujours un attachement à la bourgeoisie par une collaboration de classe. L'armée n'est, pour lui, qu'une clique militaire ; l'armée de peuple devient un instrument de conquête ouvrière à ses yeux. La guerre cesse d'être de rapine pour devenir juste ; les marionnettes ont changé mais la pièce qui se joue reste la même. En ceci, la classe ouvrière continue à être une classe pour la bourgeoisie et, si des militants ou des organisations pseudo-révolutionnaires ont cru voir dans la libération nationale, dans le maquis ou les milices du peuple, des possibilités révolutionnaires, la moindre objectivité devait leur faire comprendre qu'au contraire ces expressions du moment n'ont réussi qu'à enchaîner encore plus le prolétariat et qu'ils n'ont jamais exprimé "le pouvoir dans la rue", comme le prétende les trotskistes.
Toute idéologie qui découle d'une situation de guerre est une participation directe à la guerre, c'est-à-dire à la perpétuation du capitalisme.
L'idéologie révolutionnaire ne se pose pas face à la guerre mais face à l'État capitaliste, à la société bourgeoise génératrice des guerres.
XV- Il n'est pas besoin d'être grand marxiste pour chercher des solutions constructives pour le prolétariat, dans la société capitaliste. Jusqu'à présent, toutes ces solutions sont aussi vieilles que l’humanitarisme capitaliste ou son réalisme borné. Rien de nouveau ni de constructif n'a été trouvé par les marxologues ou les néo-marxistes modernes.
Et, en effet, il n'y a aucune solution constructive du prolétariat en société capitaliste. Ne se lamentent, de ce fait, que les opportunistes et les réformistes.
Pour nous, c'est, au contraire, la confirmation de l'idée révolutionnaire. Hors la révolution, hors la destruction violente et brutale de l'État, il n'y a pas de chemin de classe. Refuser tout compromis, toute collaboration avec le capitalisme doit devenir la préoccupation constante de la classe et sa seule planche de salut vers la révolution.
La GCF
Autres traits de caractères prédominants du système de production capitaliste : une fonction de reproduction et une fonction de répartition :
"… On peut dire… que le capital (et la propriété foncière qu'il implique comme son contraire) présuppose déjà une répartition…"
"… Les conditions de répartition dont il est question… sont les fondements de fonction sociales qui, dans les conditions de la production, échoient à des agents déterminés par opposition aux producteurs immédiats. Elles donnent aux conditions de la production et à leurs représentants une propriété sociale spécifique. Elles déterminent tout le caractère et tout le mouvement de la production…"
"… Ce caractère… 1º) du produit en tant que marchandise et 2º) de la marchandise en tant que produit du capital, implique déjà toutes les conditions de la circulation, c'est-à-dire un procès social déterminé que les produits sont obligés de parcourir et où ils prennent des caractères sociaux déterminé ; il implique des rapports (sociaux) tout aussi déterminés entre les agents de production, par lesquels sont déterminées la mise en les valeur du produit et sa reconversion soit en subsistances soit en moyens de production…"
"… deux traits distinguent de prime abord le mode de production capitaliste.
Il produit ses produits comme marchandises. Ce qui le distingue des autres modes de production, ce n'est pas de produire des marchandises, c'est de produire un produit dont le caractère dominant et déterminant est d'être des marchandises…"
"… Nous n'avons pas besoin de démontrer à nouveau comment le rapport entre le capital et le travail salarié détermine tout le caractère du mode de production.
Les agents principaux de ce mode de production, le capitaliste et le salarié, sont, en cette qualité, de simples incarnations ou personnifications du capital ou du travail salarié, des caractères sociaux déterminés imprimés aux individus par le procès social de production, des produits de ces conditions sociales déterminées de la production…"
"… Ce qui caractérise spécialement le mode de production capitaliste, c'est que la production de la plus-value est le but direct et le motif déterminant de la production. Le capital produit essentiellement du capital, mais ne le fait qu'en produisant de la plus-value…"
"… Dans l'examen de la plus-value relative et de la transformation de la plus-value en profit, nous avons vu qu'il se (...) là-dessus un mode de production spécial à la période capitaliste, une forme particulière du développement des forces sociales productives du travail, ces forces constituant vis-à-vis de l'ouvrier les forces autonomes du capital et s'opposant donc directement au développement de l'ouvrier…" ( Capital - Mol. XIV-210-1-2-3-4)
Burnham est censé ignorer Marx ou feindre de l'ignorer ; sa littérature s'adresse à des détracteurs conscients qui n'ont aucun scrupule à fermer les yeux sur les enseignements élémentaires du marxisme. Ils font partie, ouvertement et consciemment, de ceux qui, quand le "Capital" est paru, ont feint d’ignorer et qui, ensuite, ont cherché à en étouffer les effets par tous les moyens. Mais que Bettelheim, qui se présente au public comme un "économiste marxiste" et qui, à l'envers de la médaille burnhamienne, ose reproduire de telles idées selon lesquelles "une couche de directeurs de trusts en Russie (couche ???) serait une couche PRIVILÉGIÉE de la CLASSE OUVRIERE…", et selon lesquelles l'État dépérira quand la couche "la moins privilégiée" (celle identique au prolétariat dans les pays capitalistes) aura compris que les différenciations sociales sont nécessaires pour la CONSTRUCTION DU SOCIALISME…
Tout ce fatras soi-disant "marxiste", comparé a Marx lui-même, fait bien triste figure.
Toutes les autres "critiques marxistes" -que, par exemple, les trotskistes peuvent adresser soit à Burnham soit à Bettelheim- sont forcément caduques parce qu'elles partent du même point de vue qu'eux : prouver que la Russie est un État "où n’existe tout de même pas le capitalisme".
Les rapports capital-travail, s'ils sont la trame structurelle des rapports entre la classe capitaliste et la classe ouvrière, les rapports capitalistes entre eux ont pour "âme" la nécessité vitale pour toute entité capitaliste, quelle qu'elle soit, de réaliser la part de plus-value accumulable. À leur tour, les différents rapports au sein de l'économie capitaliste et de la classe dirigeante entrent en égale importance, de façon déterminante, dans l'interaction des différents phénomènes capitalistes.
"Ce qui caractérise spécialement le mode de production capitaliste, c'est que la production de la plus-value est le but direct et le motif déterminant de la production. Le capital produit essentiellement du capital mais ne le fait qu'en produisant de la plus-value…" (Capital – Mol. XIV-212-3)
Le capital produit du capital en ne produisant que de la plus-value, par le processus capitaliste d'accumulation et de reproduction de capital : "Le procès de production capitaliste est essentiellement procès d’accumulation…" (X-131)
Ces deux notions sont inséparables : le capital produit essentiellement du capital mais ne la fait qu'en produisant de la plus-value, parce que ce processus est le procès même de l’accumulation.
Le capitalisme dans l'histoire est déjà le produit d'une accumulation historico-économique primitive (in Tome I du Capital - Mol. IV).
Ce procès d'accumulation est le procès même de la transformation de la propriété individuelle en propriété sociale, d'évolution de la propriété privée individuelle du capitaliste sur les moyens de production en la propriété privée social du CAPITAL, propriété privée collective et universelle d'une classe sociale exploitant une autre classe sociale.
Le capital est la première négation de la propriété privée individuelle des moyens de production ; le SOCIALISME en est la négation de la négation, la négation de la propriété privée sociale d'une classe sur les forces productives de la société.
Cette notion de la propriété privée a tellement peu été comprise que, par exemple, quand un trotskyste est à bout d'arguments pour expliquer qu'en URSS ce n'est "tout de même pas le capitalisme…", il affirme péremptoirement, comme la phrase du jugement dernier : "Mais la propriété privée individuelle sur les moyens de production n'existe plus en Russie."
Certainement que la propriété privée individuelle sur les moyens de production n'existe plus en Russie comme forme de propriété prédominante ; mais n'est-ce pas justement le rôle historique du capital de transformer la propriété privée individuelle sur les moyens de production (forme médiévale de l'artisan) en moyens de production sociaux, propriété d’une classe ? En Russie, en dehors de la révolution prolétarienne - dont nous parlons par ailleurs ("Politique et Philosophie de Harper à Lénine") -, nous assistons a un saut brusque, en dix ans de temps, du passage de la forme la plus arriérée à la forme la plus avancée de la concentration sociale des moyens de production. Mais, le fait que ces moyens de production soient propriété d'État, change-t-il quant à leur caractère de propriété privée ? Propriété privée d'un État qui personnifie le CAPITAL aux yeux du travail et qui joue vis-à-vis de celui-ci la même fonction capitaliste que partout ailleurs, avec cette différence, cependant, d'un pouvoir coercitif plus fort. Un État aussi policier que l'État russe n'est pas un phénomène abstrait et, "en soi", il personnifie un pouvoir de classe. Et, si le pouvoir de classe qu'il représente est celui "d’une couche privilégiée du prolétariat", comme Bettelheim veut nous le faire entendre, nous aboutissons à une notion du socialisme qui passe en réalité par la nécessité "réaliste" d’un capitalisme d'État, vieille conception et vieille trahison du socialisme réel, que Bettelheim nous ressert défraichie, avec une sauce pourrie puisée dans les arrière-cuisines du stalinisme.
Cette monstruosité stalinienne qui veut opposer une soi-disant “conception réaliste” du socialisme à ces conceptions qualifiées "d'utopistes”[1], mènent en réalité Bettelheim à défendre, comme la panacée universelle, un "socialisme réaliste" imposé à une couche "moins privilégiée" du prolétariat, par le pouvoir coercitif d'une couche privilégiée de cette même classe. Nous croyons, quant a nous, que si le socialisme doit être imposé au prolétariat par des procédés barbares (guépéouistes ou concentrationnaires)[2], nous pensons alors qu'il est vraiment une utopie et nous sommes profondément convaincus qu'il cache une tare profonde qui lui enlève quoi que ce soit qu'il pourrait avoir de commun avec le socialisme.
La propriété privée capitaliste a en dernier ressort, comme défenseur, l'État, parce que l'État personnifie économiquement et politiquement la classe capitaliste, quelles que soient les transformations que subisse en son sein la propriété privée capitaliste ; et ces transformations trouvent leur image dans la composition politique et sociale des partis au pouvoir, l'État reste, de toute manière, la personnification première et dernière du capital face au travail et sur le marché. (Chap. I, à suivre)
PHILIPPE
[1] En toutes lettres, dans l’article de Bettelheim où celui-ci qualifiant Burnham d'utopiste (alors que Burnham ne croit pas au socialisme mais bien au réalisme inverse du "réalisme stalinien", le réalisme américain), il vise surtout ici, d'une manière jésuitique, non pas Burnham mais ceux qui pourraient mettre en doute son raisonnement "réaliste", ce que nous ne manquons pas de faire."
[2] Cf. la célèbre formule stalinienne : "Aux barbares, doivent être appliqués des procédés barbares."
Burnham est censé ignorer Marx ou feindre de l'ignorer ; sa littérature s'adresse à des détracteurs conscients qui n'ont aucun scrupule à fermer les yeux sur les enseignements élémentaires du marxisme. Ils font partie, ouvertement et consciemment, de ceux qui, quand le "Capital" est paru, ont feint d’ignorer et qui, ensuite, ont cherché à en étouffer les effets par tous les moyens. Mais que Bettelheim, qui se présente au public comme un "économiste marxiste" et qui, à l'envers de la médaille burnhamienne, ose reproduire de telles idées selon lesquelles "une couche de directeurs de trusts en Russie (couche ???) serait une couche PRIVILÉGIÉE de la CLASSE OUVRIERE…", et selon lesquelles l'État dépérira quand la couche "la moins privilégiée" (celle identique au prolétariat dans les pays capitalistes) aura compris que les différenciations sociales sont nécessaires pour la CONSTRUCTION DU SOCIALISME…
Tout ce fatras soi-disant "marxiste", comparé a Marx lui-même, fait bien triste figure.
Toutes les autres "critiques marxistes" -que, par exemple, les trotskistes peuvent adresser soit à Burnham soit à Bettelheim- sont forcément caduques parce qu'elles partent du même point de vue qu'eux : prouver que la Russie est un État "où n’existe tout de même pas le capitalisme".
Les rapports capital-travail, s'ils sont la trame structurelle des rapports entre la classe capitaliste et la classe ouvrière, les rapports capitalistes entre eux ont pour "âme" la nécessité vitale pour toute entité capitaliste, quelle qu'elle soit, de réaliser la part de plus-value accumulable. À leur tour, les différents rapports au sein de l'économie capitaliste et de la classe dirigeante entrent en égale importance, de façon déterminante, dans l'interaction des différents phénomènes capitalistes.
Le capital produit du capital en ne produisant que de la plus-value, par le processus capitaliste d'accumulation et de reproduction de capital : "Le procès de production capitaliste est essentiellement procès d’accumulation…" (X-131)
Ces deux notions sont inséparables : le capital produit essentiellement du capital mais ne la fait qu'en produisant de la plus-value, parce que ce processus est le procès même de l’accumulation.
Le capitalisme dans l'histoire est déjà le produit d'une accumulation historico-économique primitive (in Tome I du Capital - Mol. IV).
Ce procès d'accumulation est le procès même de la transformation de la propriété individuelle en propriété sociale, d'évolution de la propriété privée individuelle du capitaliste sur les moyens de production en la propriété privée social du CAPITAL, propriété privée collective et universelle d'une classe sociale exploitant une autre classe sociale.
Le capital est la première négation de la propriété privée individuelle des moyens de production ; le SOCIALISME en est la négation de la négation, la négation de la propriété privée sociale d'une classe sur les forces productives de la société.
Cette notion de la propriété privée a tellement peu été comprise que, par exemple, quand un trotskyste est à bout d'arguments pour expliquer qu'en URSS ce n'est "tout de même pas le capitalisme…", il affirme péremptoirement, comme la phrase du jugement dernier : "Mais la propriété privée individuelle sur les moyens de production n'existe plus en Russie."
Certainement que la propriété privée individuelle sur les moyens de production n'existe plus en Russie comme forme de propriété prédominante ; mais n'est-ce pas justement le rôle historique du capital de transformer la propriété privée individuelle sur les moyens de production (forme médiévale de l'artisan) en moyens de production sociaux, propriété d’une classe ? En Russie, en dehors de la révolution prolétarienne - dont nous parlons par ailleurs ("Politique et Philosophie de Harper à Lénine") -, nous assistons a un saut brusque, en dix ans de temps, du passage de la forme la plus arriérée à la forme la plus avancée de la concentration sociale des moyens de production. Mais, le fait que ces moyens de production soient propriété d'État, change-t-il quant à leur caractère de propriété privée ? Propriété privée d'un État qui personnifie le CAPITAL aux yeux du travail et qui joue vis-à-vis de celui-ci la même fonction capitaliste que partout ailleurs, avec cette différence, cependant, d'un pouvoir coercitif plus fort. Un État aussi policier que l'État russe n'est pas un phénomène abstrait et, "en soi", il personnifie un pouvoir de classe. Et, si le pouvoir de classe qu'il représente est celui "d’une couche privilégiée du prolétariat", comme Bettelheim veut nous le faire entendre, nous aboutissons à une notion du socialisme qui passe en réalité par la nécessité "réaliste" d’un capitalisme d'État, vieille conception et vieille trahison du socialisme réel, que Bettelheim nous ressert défraichie, avec une sauce pourrie puisée dans les arrière-cuisines du stalinisme.
Cette monstruosité stalinienne qui veut opposer une soi-disant “conception réaliste” du socialisme à ces conceptions qualifiées "d'utopistes”1, mènent en réalité Bettelheim à défendre, comme la panacée universelle, un "socialisme réaliste" imposé à une couche "moins privilégiée" du prolétariat, par le pouvoir coercitif d'une couche privilégiée de cette même classe. Nous croyons, quant a nous, que si le socialisme doit être imposé au prolétariat par des procédés barbares (guépéouistes ou concentrationnaires)2, nous pensons alors qu'il est vraiment une utopie et nous sommes profondément convaincus qu'il cache une tare profonde qui lui enlève quoi que ce soit qu'il pourrait avoir de commun avec le socialisme.
La propriété privée capitaliste a en dernier ressort, comme défenseur, l'État, parce que l'État personnifie économiquement et politiquement la classe capitaliste, quelles que soient les transformations que subisse en son sein la propriété privée capitaliste ; et ces transformations trouvent leur image dans la composition politique et sociale des partis au pouvoir, l'État reste, de toute manière, la personnification première et dernière du capital face au travail et sur le marché. (Chap. I, à suivre)
PHILIPPE
Il existe un phénomène dans le procès de la connaissance en société bourgeoise et dont Harper n'a pas parlé. C'est d'une part celui de l'influence de la division du travail capitaliste sur la formation de la connaissance et la synthèse des sciences de la nature, d’autre part le procès de formation de la connaissance dans le mouvement ouvrier.
Harper dit, à un certain moment, que la bourgeoisie doit, à chaque révolution, apparaître différente de ce qu'elle était précédemment et de ce qu'elle est en réalité dans le moment même et cacher ainsi son but réel.
Ceci est vrai. Mais Harper, en ne nous parlant pas du processus de formation de la connaissance dans l’histoire et en ne posant pas le problème explicitement, le pose implicitement de la manière aussi mécaniste que celle qu'il reproche lui-même à Plekhanov et à Lénine.
Le processus de formation de la connaissance dépend des conditions de production des conceptions scientifiques et des idées en général, c'est dire aux applications pratiques.
La société bourgeoise, en se développant, développe -en même temps que ces conditions de production, c'est-à-dire que son mode d'existence économique- sa propre idéologie : ses conceptions scientifiques ainsi que ses conceptions du monde et sur le monde.
La science est une branche bien particulière dans la production des idées nécessaires à la vie de la société capitaliste ; c'est la continuation, l'évolution et la progression de sa propre production.
Le mode de production économique, de même qu'il applique pratiquement ce que la science élabore, a une grande influence sur la façon dont s'élaborent pratiquement les idées et les sciences. La division du travail capitaliste, de même qu'elle contraint à l'extrême spécialisation dans tous les domaines de la réalisation pratique de la production, contraint à l'extrême spécialisation et à l’ultime division du travail dans le domaine de la formation des idées et principalement dans domaine des sciences.
Les sciences et les savants confirment, par leur présence et leurs spécialisations, la division universelle du travail capitaliste ; ils sont aussi nécessaires que les généraux d'armées et la science militaire, ou les administrateurs et directeurs.
La bourgeoisie est parfaitement capable de faire la synthèse dans le domaine particulier des sciences qui ne touche pas directement à son mode d’exploitation. Aussitôt qu'elle touche à ce dernier domaine, elle tend inconsciemment à travestir la réalité : histoire, économie, sociologie et philosophie. Elle ne peut donc qu'arriver à des essais de synthèse incomplets.
La bourgeoisie se borne aux applications pratiques, aux investigations scientifiques et elle est, dans ce domaine, essentiellement matérialiste. Mais, comme elle ne peut arriver à une synthèse complète, comme elle est obligée inconsciemment de masquer le fait de sa propre existence contre les lois scientifiques du développement de la société -découvertes par les socialistes-, elle ne peut réaliser cette barrière psychologique de la réalité de son existence historico-sociale qu'au travers de l'idéalisme philosophique qui embue toute son idéologie. Ce travestissement nécessaire à la société bourgeoise en tant que mode d'existence sociale, elle est capable de l'élaborer elle-même au travers de sa propre philosophie (de ses différents systèmes) ; mais elle est également encline à prendre dans les anciennes philosophies et idéologies de l'existence sociale d'anciens modes d'exploitation, du fait qu'elles ne touchent pas sa propre existence, et peut, au contraire, continuer à la voiler ; et aussi, parce que toutes les classes dominantes dans l’histoire, en tant que classes conservatrices peuvent avoir besoin des anciens modes de conservation, il en est de même pour la bourgeoisie qui les arrange, bien entendu selon ses propres besoins, c'est-à-dire qu'elle les déforme à sa propre forme.
C'est pour cela que même les philosophes bourgeois, au début de l'histoire de la bourgeoisie, pouvaient être, dans une certaine mesure, matérialistes (dans la mesure où ils mettaient l'accent sur la nécessité du développement des sciences de la nature) ; mais, ils étaient foncièrement idéalistes aussitôt qu'ils essayaient de raisonner sur l'existence de la bourgeoisie elle-même et de la justifier. Ceux qui mettaient plus l'accent sur les premiers aspects de la pensée bourgeoise pouvaient apparaître plus matérialistes, ceux qui tentaient plus de justifier l'existence de la bourgeoisie étaient appelés à être plus idéalistes.
Seuls les socialistes scientifiques, à partir de Marx, sont capables de faire une synthèse des sciences et du développement social humain. Et même cette synthèse est nécessaire au préalable pour leur point de départ révolutionnaire. C’est ce que Marx a fait.
Dans la mesure où ils posaient des nouveaux problèmes scientifiques, les matérialistes de l'époque révolutionnaire de la bourgeoisie étaient tentés et contraints de faire la synthèse de leurs connaissances et de leurs conceptions du développement social, mais sans jamais toucher à l’existence de la bourgeoisie et, au contraire, en justifiant cette existence. C’est ainsi que des individualités ont pu surgir, qui tentèrent de faire cette synthèse, de Descartes à Hegel. Il est bien difficile, en toute honnêteté, de séparer le matérialisme de l'idéalisme dans la philosophie de Descartes ou de Hegel ; leur essai de synthèse a voulu être tellement complet, il a voulu embrasser, d'un regard dialectique, l'évolution et le mouvement du monde et des idées, qu'ils n'ont pu faire autrement que traduire, d'une manière totale et absolue, le comportement idéologique de la bourgeoisie sous son double aspect contradictoire. Mais, ils sont des exceptions.
Ce qui a contribué à pousser des individus vers cette activité reste encore dans l’ombre, la connaissance historique, sociale, économique et psychologique n'en étant qu'à un stade primaire. Nous ne pouvons que dire cette banalité : qu'ils obéissaient à des préoccupations de leur société en général.
Dans le capitalisme, et quoique tendant vers l'édification d'une nouvelle société, les socialistes d'une part et le prolétariat d'autre part sont contraints, par leur existence et leur développement au sein du capitalisme, d'obéir, dans le domaine de la connaissance, à ses propres lois.
La politique devient la spécialisation des militants communistes, quoique des connaissances et une vue de synthèse universelles leur seraient utiles.
C'est ce qui fait que la division s'opère, dans le mouvement ouvrier, entre les courants politiques d'une part et d'autre part, souvent même de la politique, d'avec les théoriciens dans les domaines scientifiques de l'histoire, de l’économie et de la philosophie. Le processus de formation des théoriciens du socialisme s'est opéré assez sensiblement de la même façon que celle des savants et des philosophes bourgeois de l'époque révolutionnaire.
L’influence ambiante de l'éducation et du milieu bourgeois restent toujours une forte influence dans le procès de la formation des idées dans le mouvement ouvrier. Le développement de la société elle-même d'une part et des sciences d’autre part sont des facteurs décisifs dans l'évolution du mouvement ouvrier. Cela peut apparaître comme une tautologie, et cependant on ne le répètera jamais assez.
C’est cette constante évolution parallèle à l’évolution du prolétariat et des socialistes qui est pour eux une lourde entrave.
Les restes des religions, c'est-à-dire des époques historiques pré-capitalistes, deviennent un atavisme de la bourgeoisie "réactionnaire" certes, mais surtout de la bourgeoisie en tant que dernière classe exploiteuse de l'histoire. Malgré cela, la religion n'est pas ce qu’il y a de plus dangereux dans l'idéologie des classes exploiteuses, mais cette idéologie dans son ensemble où voisinent, à côté des religions, du chauvinisme et de tous les idéalismes verbeux, un matérialisme sec, étriqué et statique. À l'aspect idéaliste de la pensée de la bourgeoisie, il est donc nécessaire d'y joindre son matérialisme des sciences de la nature qui fait partie intégrante de son idéologie. Ces différents aspects de l’idéologie bourgeoise, s'ils ne font pas partie d'un tout pour la bourgeoisie - qui tend a masquer l’unité de son existence sociale sous la pluralité de ses mythes -, doivent être conçus comme tels par les socialistes.
C’est ainsi que l’on s'aperçoit que le mouvement ouvrier a du mal à se dégager de l’idéologie bourgeoise dans son ensemble, de ses idéalismes comme de son matérialisme incomplet. Bergson n'a-t-il pas influencé la formation de courants dans le mouvement ouvrier en France ?
La grande difficulté consiste à faire de chaque nouvelle idéologie ou formulation d'idée l'objet d'une étude critique et non l'objet d'un dilemme adoption-rejet. Elle consiste également à concevoir tout progrès scientifique non comme un progrès réel mais comme un progrès, ou un enrichissement (dans le domaine de la connaissance), seulement en puissance dans la société, et dont, en dernier ressort, les possibilités réelles pratiques d'application sont soumises aux fluctuations de la vie économique du capitalisme.
Dans ce sens-là, les socialistes en arrivent donc uniquement à avoir une position critique permanente, faisant des idées l'objet d'une étude ; ils ont, face à la science, uniquement une position d'assimilation théorique de ses résultats, en en comprenant les applications pratiques comme ne pouvant servir l'humanité réellement pour ses besoins que dans une société évoluant vers le socialisme.
Le processus de la connaissance dans le mouvement ouvrier considère donc comme une acquisition sienne le développement théorique des sciences, mais il l'intègre dans un ensemble de connaissances dont l'axe est la réalisation pratique de la révolution sociale, axe de tout progrès réel de la société.
C'est ce qui fait que le mouvement ouvrier se trouve spécialisé, de par son existence sociale révolutionnaire, luttant au sein du capitalisme contre la bourgeoisie, dans le domaine strictement politique qui est jusqu'à l’insurrection (la prise de conscience), le point névralgique de la lutte de classe bourgeoisie-prolétariat.
C'est ce qui fait le double aspect du développement de la connaissance dans le mouvement ouvrier, différent et relié, se développant au fur et à mesure de la libération RÉELLE du prolétariat : politique d'une part (qui pose les problèmes immédiats et brûlants), théoriques et scientifiques (qui évoluent plus lentement), se poursuivant surtout (jusqu’à présent) dans les époques de recul du mouvement ouvrier et abordant des problèmes certes au moins aussi importants, certes interdépendants d'avec les problèmes politiques, mais d'une façon moins immédiate et brûlante.
Dans la politique, se marque, au fur et à mesure du développement de la société, la frontière immédiate de classe, au travers de la lutte politique du prolétariat. C'est donc dans le développement de la lutte politique du prolétariat que se suit pas à pas l'évolution de la lutte de classe et le processus de formation du mouvement ouvrier révolutionnaire en opposition à la bourgeoisie dont les formes de lutte politique évoluent en fonction de l'évolution constante de la société capitaliste.
La politique de classe du prolétariat varie donc au jour le jour et même, dans une certaine mesure, localement (nous verrons plus tard dans quelle mesure). C'est dans cette lutte au jour le jour, dans ces divergences de partis et de groupes politiques, dans la tactique du lieu et du moment que se traduisent immédiatement les frontières de classe. Viennent ensuite, d'une façon plus générale, moins immédiate, et posant les objectifs plus lointains, des buts de la lutte révolutionnaire du prolétariat qui sont contenus dans les grands principes directeurs des partis ou des groupes politiques.
C’est donc dans les programmes d'abord, puis dans l'application pratique, dans l'action journalière que se posent les divergences dans l'action politique, reflétant dans leur évolution, en même temps que l'évolution générale de la société, l'évolution des classes, de leurs méthodes de lutte, de leurs moyens et de leurs idéologies, de la théorie et de la pratique du mouvement, de leur lutte politique.
Au contraire, la synthèse de la dialectique scientifique, dans le domaine purement philosophique de la connaissance, se développe non pas à la manière dialectiquement immédiate de la lutte de classe pratique politique, mais bien d'une manière dialectique beaucoup plus lointaine, sporadique, sans lien apparent ni avec le milieu local ni avec le milieu social, à peu près comme le développement des sciences appliquées, sciences de la nature, de la fin du féodalisme et de la naissance du capitalisme.
Harper n'a pas fait ces différenciations, il n'a pas su nous montrer la connaissance, comme différentes manifestations de la pensée humaine, extrêmement divisée en spécialisations, dans le temps, dans les différents milieux sociaux au cours de leur évolution, etc.
La connaissance humaine se développe (grossièrement et vulgairement) en fonction des besoins auxquels les différents milieux sociaux ont à faire face et les différents domaines de la connaissance se développent en fonction du développement des applications pratiques envisagées. Plus le domaine de la connaissance touche immédiatement et de près l'application pratique, plus est sensible son évolution ; au contraire, plus nous avons affaire à une tentative de synthèse et moins il est possible de suivre cette évolution car la synthèse ne se fait que suivant les lois purement accidentelles du hasard, c'est-à-dire de lois tellement compliquées, découlant de facteurs tellement divers et complexes, qu'il est pratiquement impossible de nous plonger aujourd’hui dans de telles études.
De plus, la pratique englobe de grandes masses sociales, alors que la synthèse s'opère très souvent par des individualités. Le social tombe sous les lois générales, plus facilement et plus immédiatement contrôlables. L'individuel tombe sous l'angle de particularités quasi imperceptibles pour ce qui est de la science historique qui n'en est encore qu'à ses premiers pas.
C'est pour cette raison que nous relevons, en premier lieu, une grave erreur de ce côté chez Harper, d'avoir engagé une étude sur le problème de la connaissance en ne nous parlant que de la différence qui existe entre la manière bourgeoise d'aborder le problème et la manière socialiste et révolutionnaire, en laissant dans l'ombre le processus historique de formation des idées. En opérant de cette manière, la dialectique de Harper reste impuissante et vulgaire. D'un petit essai intéressant, critiquant la manière dont Lénine aborde la critique de l'empiriocriticisme et montrant ce qui est vrai (c'est-à-dire que c'est un mélange de mauvais goût dans la polémique, de vulgarités dans le domaine scientifique -ainsi d’ailleurs que de choses erronés-, de matérialisme bourgeois et de marxisme), Harper nous livre cet essai intéressant, plus des conclusions d'une platitude encore plus criante que la dialectique de Lénine dans "Matérialisme et Empiriocriticisme".
Le prolétariat se dégage révolutionnairement du milieu social capitaliste par un combat continuel ; cependant, il n'a acquis TOTALEMENT une idéologie indépendante, dans le plein sens du terme, que le jour de la réalisation pratique de l'insurrection généralisée, faisant de la révolution socialiste une réalité vivante et lui permettant de faire ses premiers pas. En même temps que le prolétariat arrive à une indépendance politique et idéologique totale, à la conscience de la seule solution révolutionnaire au marasme économico-social du capitalisme (la construction d'une société sans classe), au moment du développement généralisée de l'insurrection du prolétariat, à ce moment précis il n'existe déjà plus en tant que classe pour le capitalisme et, par la dualité de pouvoir acquise en sa faveur, il crée un milieu historico-social favorable à sa propre disparition en tant que classe.
La révolution socialiste comporte donc deux actions du prolétariat : avant et après l’insurrection.
Il n'arrive à développer totalement une idéologie indépendante que lorsqu'il crée le milieu favorable à sa disparition, c'est-à-dire après l'insurrection. Avant l'insurrection, son idéologie a surtout comme but d'arriver à réaliser pratiquement l’insurrection : la prise de conscience de la nécessité de réaliser cette insurrection, ainsi que de l'existence des possibilités et des moyens de la réaliser. Après l'insurrection, se posent, pratiquement de front, d'une part la gestion de la société, d'autre part la disparition des contradictions léguées par le capitalisme. Au premier rang de ces préoccupations, se pose donc, après l’insurrection, la nécessité d'évoluer vers le socialisme et le communisme, c'est-à-dire de résoudre ce que doit être pratiquement "la période transitoire". La conscience sociale, même celle du prolétariat, ne peut être totalement libérée de l'idéologie bourgeoise qu'à partir de cette période de l'insurrection généralisée. Jusqu'à cette période, jusqu'à cet acte de libération par la violence, toutes les idéologies bourgeoises, toute la culture bourgeoise, la science et l'art commandent aux socialistes, jusque dans la réaction de leur raisonnement. Ce n'est qu'avec lenteur qu'une synthèse socialiste se dégage de l'évolution du mouvement ouvrier et de son étude.
Dans l’histoire de l'évolution du mouvement ouvrier, on voit que, très souvent, il est arrivé que ceux qui ont été capables de raisonner et d'analyser profondément les choses de la lutte des classes et de l’évolution du capitalisme, ou sur un mouvement insurrectionnel, ont été, en dehors du mouvement réel lui-même, plus comme des observateurs que comme des acteurs. C'est le cas pour Harper comparé à Lénine.
De même, il peut arriver un décalage dans le mouvement de la connaissance du point de vue du socialisme, décalage qui fait que certaines études théoriques restent valables alors que les hommes qui les ont formulées pratiquent une politique qui n'est plus adéquate à la lutte du prolétariat. Il arrive également l'inverse.
Dans le mouvement qui a entraîné les classes russes dans trois révolutions successives en douze ans, les tâches pratiques de la lutte de classe furent tellement prenantes, les besoins de la pratique de la lutte, puis de la prise du pouvoir, puis du pouvoir lui-même appelaient beaucoup plus la formation de politiciens du prolétariat, comme Lénine et Trotsky, des hommes d’action, des tribuns et des polémistes que des philosophes et des économistes. Les hommes qui ont été des philosophes et des économistes, l'ont été dans la IIème et la IIIème Internationales, très souvent en dehors du mouvement pratique révolutionnaire et, en tous cas, dans des périodes de recul du cours révolutionnaire.
Lénine, entre 1900 et 1924, a été poussé par le flot de la révolution montante, toute son œuvre est palpitante de l'âpreté de cette lutte, de ses hauts et de ses bas, de toute sa tragédie historique et humaine avant tout. Son œuvre est surtout politique et polémique, de combat. Son œuvre essentielle, pour le mouvement ouvrier, est donc surtout cet aspect politique et non sa philosophie et ses études économiques d'une qualité plus douteuse parce que manquant de profondeur dans l'analyse, de connaissances scientifiques et de possibilités de synthèse théorique. À côté de cette houleuse situation historique de la Russie, la situation calme de la Hollande -en marge de la lutte de classe d'Allemagne- permet le développement idéologique d'un Harper, dans une période de reflux de la lutte de classe.
Harper attaque violemment Lénine dans son point faible, en laissant dans l'ombre la partie la plus importante et la plus vivante de son œuvre ; et il tombe en faux quand il veut en tirer des conclusions sur la pensée de Lénine et sur le sens de la portée de l’œuvre. D'incomplètes et erronées, quant à Lénine, les conclusions de Harper tombent dans des platitudes journalistiques quant à celles qu'il tend à tirer sur la Révolution russe dans son ensemble. Pour ce qui est de Lénine, cela prouve qu’il n'a rien compris à son œuvre principale, pour s'attacher à "Matérialisme et Empiriocriticisme" uniquement. Pour ce qui est de la Révolution russe, c'est beaucoup plus grave et nous y reviendrons. (à suivre)
PHILIPPE
[1] Pseudo d’Anton Pannekoek
Mayer n'a pas attendu pour élargir ses premières réformes. Un deuxième train de mesures les a suivies. Elles confirment ce que nous disions le mois dernier : l'objectif du plan gouvernemental est d'aligner le capitalisme français sur le plan Marshall d'expression américaine, de préparer les conditions d'application de ce plan dans la monnaie et dans les prix, de prolonger la concentration du capital autour de l'État et de ramener l'agriculture américaine au niveau de l'exploitation industrielle du travail. Tel est, en effet, le sens de la réforme monétaire récente. Elle comprend deux parties : l'une concerne la dévaluation et la création d'un double secteur de change, l'autre l'échange des coupures de 5.000 francs. Le sens de ces mesures, pour les rapports de l’Europe avec l’Amérique, pour le plan Marshall, s'est manifesté dans la démarche de Staford Crips à Bretton Wood et à Paris avant l'adoption du projet, et par le crack américain de ces dernières semaines, consécutivement à la création du marché libre de l'or en France. Ce sont toutes ces questions qu'il faut examiner.
***
L'échange des billets de 5.000 Francs s'inscrit dans la ligne du prélèvement décidé le mois dernier, plus particulièrement des disparitions qui frappent l'agriculture. On se souvient que les taux appliqués aux bénéfices agricoles étaient déjà plus élevés que ceux prévus pour les profits industriels et commerciaux. Ils peuvent atteindre 80%. En s'en prenant aux gros billets, Mayer prolonge cette politique. Car les coupures de 5.000 Francs jouent un rôle particulièrement important dans l'épargne agricole. Peut-être les plus grosses transactions soldées en billets de cette taille sont, elles, effectuées dans les villes, notamment sur le marché noir. Mais c'est dans les campagnes que leur rôle économique est le plus important. Car les paysans français se montrent réticents à déposer leurs fonds au Crédit agricole et traitent fréquemment leurs affaires en billets. Ceux-ci sont entassés dans les formes, mais l'usage auquel on les destine est un usage productif. On sait fort bien qu'il arrive à la plupart des agriculteurs de payer tracteurs, machines, semences etc. en argent comptant. Les billets bloqués par Mayer sont donc autant de moyens d'investissement retirés à l'agriculture. Qui plus est, dans une période de l'année où la trésorerie est étroite. Par conséquent, l'échange des gros billets qui aura, certes, des effets importants dans le secteur industriel et commercial (notamment dans ce dernier), effets d'autant plus accusés que les marchés seront "illégaux", aura une répercussion économique et sociale bien plus considérable en agriculture. À tel point qu'on peut se demander si les crédits en dollars du plan Marshall pourront trouver, après l'application des mesures de Mayer, une contre-partie suffisante en francs dans les campagnes. Autrement dit, si les importations destinées à l'agriculture trouveront à s'écouler, la destruction du capital agricole par le capitalisme d'État entre donc maintenant dans sa phase active.
Le dédoublement du change, la dévaluation (pour le taux officiel) et la liberté des marchés de l'or et du dollar s’inscrivent bien, eux aussi, dans le même plan d’ensemble (Marshall-Mayer). Mais, ils correspondent à un tout autre aspect de la situation.
Les dispositions arrêtées sont en effet les suivantes :
1° Le cours officiel du dollar est dévalué de 80%. Il passe de 119 à 214 frs. Ce taux de change est le seul admis pour les transactions commerciales. On importe, à ce taux, toutes les marchandises inscrites sur une liste établie par les pouvoirs publics.
2° Les exportateurs sont cependant autorisés à échanger sur un marché à cours libre du dollar, la moitié des devises américaines qu'ils ont obtenues, l'autre moitié étant échangée au cours officiel. Les importateurs obtiennent au même cours libre les dollars dont ils ont besoin pour les marchandises autres que celles inscrites sur la liste à change officiel. Soulignons que le cours variable, ainsi institué pour le dollar, n'implique pas un marché libre. Le marché lui-même reste réglementé, exportations et importations demeurant toujours soumises à licence.
3° Sur ce même marché à cours variable, les capitaux ne provenant pas d'exportations de marchandises peuvent être convertis en dollars. Réciproquement, les dollars détenus clandestinement peuvent être changés en France sous réserve d’une pénalité de 25%.
4° Parallèlement au marché à cours variable du dollar, est créé un marché intérieur libre de l’or. C'est-à-dire qu'on y peut vendre et acheter librement pièces et lingots. Mais l'importation et l'exportation restent interdites.
5° Les taux des monnaies autres que le dollar, notamment celui de la livre, restent soumis au change officiel. Il n'est pas créé de cours libre pour ces monnaies. Leur cours se trouve automatiquement relevé par la dévaluation effectuée par rapport au dollar.
En établissant ainsi un change variable pour le dollar et un cours libre intérieur pour l'or, le gouvernement donne au capital privé (qui reste la base nécessaire du capitalisme d'État) une contre-partie appréciable au prélèvement. Il lui permet d'obtenir librement du métal et des devises stables soustraites aux fluctuations des prix français. En agissant ainsi, le gouvernement tente un coup de poker, une pure spéculation. Il espère faire réapparaitre les capitaux français (acquis avant, pendant ou après l'occupation). Il leur donne, dans ce but, la faculté d'opérer au grand jour. Mais il espère en même temps que les capitaux étrangers vont eux aussi faire leur apparition. Qu'ils vont refluer sur Paris, attirés par les possibilités spéculatives du marché libre. Double espèce de capitaux étrangers : capitaux "flottants" qui, dans l’entre-deux guerres, ne trouvaient pas d'investissement sur un marché restreint par l'action des monopoles (ils dominèrent la finance mondiale à cette époque, bouleversant l'équilibre des balances des comptes en passant d'un pays à l'autre à la suite des dévaluations) ; et capitaux d'investissement (en fait américains) qui pourront trouver intérêt à acheter au capital français une partie de ses entreprises. Cet afflux de capitaux français et étrangers, s'il se produisait, donnerait, pense Mayer, la possibilité d'équilibrer la balance des comptes grâce aux importantes disponibilités en dollars qu’il procurerait. Ces disponibilités se trouveraient, d'autre part, accrues par le produit des exportations que la dévaluation stimulerait en même temps.
Donc, accroissement des exportations, rentrée des capitaux (c'est-à-dire dans les deux cas : arrivée de dollars sur le marché de Paris et rééquilibre de la balance des comptes), tels sont les effets attendus des mesures monétaires. Elles viennent donc bien compléter le prélèvement. Celui-ci tendait à stabiliser intérieurement la monnaie, tandis que celui-là cherche à la stabiliser extérieurement. C'est cette double stabilisation (dont les deux aspects sont interdépendants et complémentaires) que requiert l'application effective du plan Marshall. Qu'elle soit possible, c'est une autre affaire ; mais, du moins, la bourgeoisie se fait à ce sujet des illusions. En tout cas, le moment n'était pas mal choisi, en France, pour tenter l'opération. En effet, l'écueil auquel auraient pu, en principe, se heurter les mesures de Mayer aurait été que l’effet stimulant de la dévaluation sur les exportations serait compensé et, au-delà, par la hausse correspondante des prix d'importation. C'est-à-dire que les prix des matières importées (automatiquement relevés par le réajustement du change) ne provoquent, une fois celles-ci incorporées dans les produits fabriqués français, une hausse telle que ces produits ne soient à nouveau inexportables après un court délai. L'effet de la dévaluation et l'équilibre monétaire qu'on en pourrait attendre auraient alors été perdus ? Or, précisément, le gouvernement combine sa dévaluation, destinée à préparer l'entrée en vigueur du plan Marshall, avec le commencement même de son entrée en application. C'est à dire à la veille du jour où Washington met à la disposition de l'impérialisme français les crédits gratuits de l'aide intérimaire et les prêts du plan Marshall. Dans ces conditions, la charge que la dévaluation fera peser sur les importations sera réduite au minimum. Les avantages de la dévaluation et du dédoublement du change (la rentrée de dollars à travers l'exportation de marchandises et la rentrée des capitaux) ont donc des chances d'être supérieurs à ses inconvénients, au moins pour un temps.
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Les répercussions internationales de ces mesures financières, prises unilatéralement par le gouvernement français, ne pourraient tarder. La création du double secteur de change sur le dollar et du marché libre de l'or constituait une menace directe pour la livre sterling. Et la perspective de voir celle-ci suivre le franc dans sa chute, c'est à dire d'assister à l'effondrement des deux monnaies dominantes d'Europe, ne pouvait manquer d'avoir des répercussions sur les marchés américains.
Que la position du sterling soit mise en danger par le plan Mayer, cela n'a fait, parmi les gouvernements, aucun doute pour personne. La création d'un cours libre du dollar et d'un marché libre de l'or doit tendre, en effet, à accroitre le nombre des transactions faites à Paris sur ces monnaies, puisque les risques qu'impliquait jusqu'ici leur tractation illégale n'existeront plus. Nombre de capitaux se porteront dans cette direction et seront détournés des marchés noirs de la livre. Le cours noir de cette monnaie subira donc une chute. On peut s'attendre même -le gouvernement de Londres s'y attend pour sa part- à ce qu'il descende fortement au-dessous du cours officiel qui est le correspondant en franc de celui officiellement établi en dollar entre la Grande-Bretagne et les États Unis (ce phénomène s'est déjà produit en Italie, pour le cours de la livre en lire, après qu'intervint, l’année dernière, une réforme analogue à celle de Mayer. Le cours noir de la livre en lire y est tombé à la moitié du cours officiel correspondant au change fixé à Washington pour la livre, en dollar. Dans cette éventualité, il deviendra intéressant (notamment pour des américains) d'acheter des livres à bas prix en France, d'acquérir grâce à elles des marchandises en Angleterre et de les exporter aux États Unis où leur coût sera très inférieur aux coûts américains ; ultérieurement, de changer les dollars ainsi obtenus en France au cours libre. Dans une telle opération, le bénéfice obtenu en dollars par la différence de change entre les cours officiels et noirs de la livre à Paris ira dans la poche des non-britanniques qui s'y livreront. Autrement dit, tout se passera comme si une dévaluation de la livre était intervenue, le bénéfice en revenant non pas aux capitalistes anglais mais à ceux qui se livrent en France au trafic international. Ce seront autant de dollars perdus pour la balance des comptes du Royaume Uni. Cette situation explique toutes les démarches anglaises auprès du fonds monétaire international (auquel Mayer aurait dû demander l’autorisation d'agir, comme il l'a fait étant donné les accords monétaires antérieurement signés par le gouvernement de la Quatrième République) pour s’opposer au projet français. Elle explique également les voyages de Crips à Paris.
Ces démarches n'ayant pas réussi à fléchir Mayer, il ne restera au capitalisme anglais qu'une manière d'éviter cette disjonction défavorable des cours de la livre. Ce sera de dévaluer afin de bénéficier officiellement, pour lui-même, de ce que d'autres s’apprêtent à recueillir occultement à ses dépens. Mais la perte que cette mesure entraînera pour les positions financières de la Grande-Bretagne portera un coup tel à l'impérialisme britannique que celui-ci recule autant qu'il peut l'échéance. D'où les efforts de Crips pour retarder son ajustement monétaire et pour faire échec au plan français.
Quant aux répercussions de ce plan sur l'économie américaine, elles dérivent du désordre introduit dans les rapports monétaires de la France avec la Grande Bretagne. En accentuant l'instabilité monétaire et financière de l'Angleterre, instabilité que rendent évidente les réactions du gouvernement anglais, Mayer accentue la sensibilité des secteurs financiers américains directement impliqués dans les affaires d'Europe ; et, par-là, les États Unis tout entiers.
En effet, si l’évolution de l'Europe occidentale doit être telle qu'il vient d'être dit, de nouvelles complications interviendront dans le commerce international, qui est lui-même fonction des ressources en dollar des pays non-américains. La France et la Grande Bretagne pourront exporter davantage pour un temps (sous l’effet de leurs dévaluations respectives), concurrençant ainsi les États-Unis. La première resserrera sa pression impérialiste sur l'empire colonial, puisque les francs coloniaux étant dévalués en même temps que le franc métropolitain, les importations étrangères dans l'empire deviendront trop chères, l'industrie métropolitaine d'outillage mécanique et de biens de consommation pourra substituer et intensifier ses livraisons (il ne faut pas oublier que l'empire français produit essentiellement des matières brutes et des produits alimentaires dont les prix sont peu affectés par les prix d'importation et les coûts peu sensibles aux dévaluations. De ce point de vue, sinon du point de vue de ses placements en argent, l'impérialisme français gagne donc, en dévaluant, sur les deux tableaux). La Grande-Bretagne rendra plus étroits ses "liens impériaux" mais sur une autre base que la France, puisque l'équipement industriel des possessions britanniques est fort élevé, parfois même plus élevé que celui de la métropole.
Dans ces conditions, les producteurs et exportateurs des États-Unis ont craint un resserrement des expéditions américaines sur le continent malgré les crédits du plan Marshall. D'autant que celui-ci n'était pas encore accepté par le congrès de États-Unis jusqu'à ces derniers temps et qu'il n'est pas assuré non plus d'une pérennité à toute épreuve. La perspective de voir les stocks américains privés de leurs débouchés en Europe, par les bouleversements monétaires inaugurés par Mayer, a porté les détenteurs à des liquidations rapides. Les cours se sont effondrés. Cette tendance s'est évidemment marquée sur les marchandises, notamment celles impliquées dans "l’aide à l'Europe". Mais elle s'est étendue promptement au marché des valeurs.
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Tels sont les évènements. Concluons en disant qu'ils montrent comment les problèmes du capitalisme français passent par ceux du capitalisme mondial ; et ceux-ci par la consolidation de l'impérialisme américain sur l'univers. Les mesures arrêtées en France par l'homme de la banque Rothschild visaient en effet à une mise en ordre préalable, à un ajustement monétaire préparatoire, à l'entrée en scène du plan américain d'expansion impérialiste (le plan Marshall). À leur tour, dès leur entrée en vigueur, elles ont provoqué des secousses en Europe. Et ces secousses se sont fait sentir jusqu'aux États-Unis.
Ce serait, toutefois, prendre une vue fausse du problème, ce serait prendre les apparences pour le fond, que de s'en tenir aux incidents qui surviennent dans les cours, les changes et les prix. Ces incidents se produisent sur la scène où les gouvernements déploient leur activité. Or, ce n'est là que la façade. La réalité se situe, elle, ailleurs. Par derrière, en vérité. Dans le mécanisme mondial de l'accumulation capitaliste. Les incidents perceptibles en révèlent indirectement les rouages et les difficultés.
Le mécanisme pousse aujourd'hui à la fusion du capital monopoliste avec l'État. C'est ce qu'expriment des politiques comme celle de Mayer. C'est ce que l'avant-garde ouvrière ne doit pas oublier. C'est ce qu’elle doit répéter inlassablement.
Morel
Le Danube est désormais un fleuve russe ; et cela indique, dès l'abord, une certaine évolution dans le rapport de forces existant à ce jour en Europe. Ce rapport, en ces derniers mois, avait joué en faveur quasi exclusive des États-Unis et de leurs alliés, bourgeoisies anciennes d'Ouest-Europe. Ainsi, l'éviction des staliniens des gouvernements occidentaux, qui a précédé, prépara l'annonce publicitaire du plan Marshall, de ses prolongements financiers et autres, dans chacun des pays intéressés ; l’écrasement des grèves stalinisées, la remise en selle indonésienne de l'impérialisme néerlandais, la fusion des zones anglo-américaines d'Allemagne, autant d'avantages que la Maison-Blanche marquait sur le Kremlin, ce dernier se bornant à introniser de nouveaux gouvernements (Roumanie, Hongrie, Markos) et à "stabiliser" sa monnaie.
Washington se trouve cependant devant certaines difficultés intérieures. La plus sensible, une baisse importante des produits fermiers, aura pour conséquence immédiate d'accentuer l'opposition à Truman-Marshall. Les farmers progressistes, pro-Wallace, leur reprocheront la perte de millions de dollars en bénéfices provoquée, pensent-ils, par une mauvaise politique des achats gouvernementaux de céréales effectués au titre de l'aide intérimaire. Quant aux républicains, ils trouvent, dans le maintien des mesures de contrôle économique, ample provende d'arguments tout autant anti-dirigistes qu'anti-Truman. Les uns et les autres forment une opposition, sans cesse élargie, aux projets Marshall lesquels ne feront, selon eux, qu'attiser le feu inflationniste. Et Taft, vieux singe auquel on n'apprend plus la grimace Européenne, ressort les vieux slogans isolationnistes ; en substance, chacun chez soi et tout le monde content. Le tout dans un climat de foire pré-électorale où l'affaire tchèque, "atteinte à la démocratie fondée sur liberté", vient combler les vœux de Truman. D'autre part, le rôle de cavalier seul, dirigeant, que les bourgeoisies anciennes d'Ouest-Europe se sont vues obligées d'assumer afin de renverser l’emprise croissante des staliniens sur leur appareil de gouvernement, permet à ces derniers, passés à l'opposition, de dénoncer, dans leur langage, toutes les décisions de leurs adversaires comme d’inspiration américaine et belliciste. Les staliniens emploient, pour bisser cette opposition du verbe à la pratique, l'arme des grèves massives mais limités (Ruhr, Belgique, Italie). Cette tactique contrarie les tentatives bourgeoises de stabilisation sociale nécessaire à l'application de la panacée plan Marshall et autorise à rendre les "partis américains responsables de l'inefficacité des of sorts" consentis en faveur du relèvement de la production. En Russie même, Zverev, ministre des finances, a pu publier un bulletin de santé très satisfaisant : la dévaluation opérée en vase clos agit sur les prix dans un sens provisoirement heureux. Et la récolte des céréales est de 58% supérieure à celle de l'an passé, ce qui importe fort en un pays dont l'essentiel des forces est tourné vers la fabrication des moyens de production.
C’est l'ensemble de cette conjoncture qu'il faut rappeler avant de regarder, de plus près, les manœuvres russes aux ailes de son dispositif de défense.
La passation des pouvoirs, du Front National au Front National élargi, aura pour conséquence première l'intégration solide de la Tchécoslovaquie au bloc oriental. Ce faisant, la Russie dispose ouvertement de l'ensemble stratégique et économique tchèque; Et cela lui permet de peser sur la charnière du système américain en Europe : l'Autriche. Il ne faudrait pas en conclure néanmoins à l'aspect en quelque sorte opportuniste de l'opération. La passation des pouvoirs a pour cause efficiente les processus particuliers d'étatisation de l'économie tchèque. Le soi-disant coup d'État du 24 février n'est que l'entérinement, sur le plan politique, de l'ensemble de ces processus.
Avant la première guerre impérialiste, Bohème et Moravie dépendaient administrativement de l'Autriche, la Slovaquie de la Hongrie. Dès 1918, à la proclamation de la république Tchécoslovaque, l'élimination des capitaux allemands dirigeant alors en totalité l’économie, s'opère au profit du grand capital extérieur, du capital tchèque et du capital d'État qui obtient les tabacs, les chemins de fer et d'autres entreprises d'importance (verreries). Des entreprises d'État profitèrent de la crise de 1929 pour étendre leur champ d’activité. La concentration très poussée du capital tchèque, sans cesser de la rendre vulnérable aux dépressions prolongées de la conjoncture internationale, favorisait son renflouement par l'État. Tout de même l'État encouragea, sur son territoire, l'installation de filiales du grand capital extérieur. On jugera de l'importance de ces investissements, sachant que la seule firme britannique Lever, monopoleuse mondiale des matières grasses, réclamait en 1947 une indemnité de 44 millions de dollars en compensation de la nationalisation d'un consortium de margarine. A l'avenant, les investissements du capital extérieur en Tchécoslovaquie s'élevaient à plusieurs centaines de millions en dollars. Lors de la deuxième guerre impérialiste, à la faveur de leurs positions extraordinaires, l'État et le capital allemands reprirent l'ensemble de leurs avantages d'avant 1918. De sorte qu'en 1944, industries et banques tchèques étaient, au sens fort, propriétés allemandes.
L'expulsion faite de ses gérants allemands, celle aussi de la minorité sudète, expulsion qui rapporta près de quatorze milliards de dollars (chiffre d'experts allemands) à l'État Tchécoslovaque, l'économie se trouvait placée devant la suivante alternative : ou revenir à la forme antérieure à l'occupation où capital d'État et capitaux privée tchèques et anglo-saxons jouaient concurremment, ou bien pousser au maximum les processus d'étatisation du capital industriel et financier. Quoi qu'il en soit, concomitantes à des nationalisations étendues et à la participation au gouvernement des bourgeois anciens, une certaine s'affirmait qui tentait de diminuer l'emprise étatique des bourgeois nouveaux sur l’économie. Les capitalistes tchèques obtinrent (crurent obtenir) des garanties quant à la limitation du processus des nationalisations, à l'administration de leurs biens, aux modalités de rachat de leurs entreprises, etc… Notons, toutefois, qu'un grand nombre de ces capitalistes, classés collaborateurs, avaient disparu de la circulation. Une campagne fut orchestrée afin d'assurer "l'indépendance du pays par l'élimination de l'hypothèque étrangère sur la Nation". Cette campagne réjouissait l'oreille aux industriels et banquiers encore en place, menacés d'un retour de puissance anglo-saxon. Cependant, la tendance à l'étatisation, c'est-à-dire au maximum de concentration et de rationalisation du capital, que, en l’absence du capital extérieur, l'État seul pouvait opérer, cette tendance devait nécessairement l'emporter. Les nationalisations, promulguées à intervalles rapprochés en 1945-46, englobent 30% de l'ensemble de l'économie, soit plus de 10.000 firmes industrielles, bancaires, installations clefs, mines, énergie (gaz, électricité), en un mot TOUS les postes essentiels. Ajoutons que 60% du capital industriel furent nationalisés, le pourcentage étant plus fort encore dans l'industrie lourde. Les dirigeants staliniens profitèrent de la conjoncture politique favorable ("la Résistance au pouvoir !") afin de saisir la plupart des postes clefs dans les entreprises nationalisées (nominations par le sommet ou "délégués des comités d’usines").
Comme dans les autres pays du Centre-Est, la "révolution agraire" réalisée aux dépens des propriétaires, collaborateurs ou minoritaires (en l'occurrence, nobles magyars ou allemands, juifs spoliés par la Wehrmacht), cette redistribution des terres a pour effet de mettre en disponibilité tout un salariat rural ne trouvant plus à s'employer sur des parcelles de terre atteignant au maximum, et c'est rare, 50 ha de superficie. Simultanément, la redistribution instaure, au profit du paysan aisé, le droit bourgeois à la propriété du sol ; seul ce paysan pouvant affronter les risques et dépens d'une exploitation onéreuse. Ces mesures - qui, en principe, devraient attacher le nouveau propriétaire à la forme d'État par quoi il tient qualité - le conduisent, nous l'allons voir, au conservatisme social, alors que Bohème et Moravie ont évolué dans le sens d'une haute industrialisation, cela sous la poussée du capital extérieur en quête, fin XIXème siècle, d'un champ d'accumulation. La Slovaquie, pauvre en possibilités d'exploitation, restait au stade rural. Le paysan slovaque s'est toujours signalé par le fanatisme religieux et réactionnaire que lui imposait la forme féodale de la propriété foncière et l'état de misère en résultant. Aujourd’hui, les paysans slovaques, menés par un puissant clergé habitué depuis longtemps à tenir un rôle politique, entendent défendre leurs neuves possessions contre les messieurs de Prague, dont le rôle, en tant que capitalistes, est de réduire la marge bénéficiaire agricole (tel est du moins le schéma traditionnel dans la conscience paysanne). Enfin et surtout, les paysans entendent lutter contre les perspectives de travail en Kolkhoz, perspectives que l'installation du paradis des travailleurs en Ruthénie rend particulièrement sensible. Pour ce faire, les paysans se sont groupés dans leur parti démocrate, homologue du parti hongrois des petits propriétaires. Comme ce parti, le parti démocrate slovaque a subi une série d'amputations. Le coup du 24 février ne lui abandonne plus qu’une existence nominale ; de même, sans doute, qu'au conseil des ministres, organisme chargé, dans le cadre fédéral, des problèmes slovaques. Ce sort vient également en partage aux partis bourgeois anciens de Bohème et Moravie : social-démocrates identiques à eux-mêmes ; socialistes nationaux de Benes et de l'industrie légère ; catholiques enfin qui sont à Dieu et à ses intermédiaires. Ces dernières considérations nous amènent à examiner sommairement ce que le grotesque Malaparte appelait "la technique du coup d'État".
Le fondement politique d'un régime de capital d'État est le parti unique. Cela signifie que ce régime, directeur en totalité de l’infrastructure, doit régir en totalité l'appareil politico-social. Le parti unique permet d'embrigader les salariés comme masse de manœuvre, opposés, le cas échéant, aux prétentions des bourgeois anciens. Il permet aussi de briser ou d'intégrer aisément les "têtes pensantes" parmi les adversaires vaincus. Mais, sa fonction est avant tout de contrôler, quasi sur fiches, toutes les activités humaines d'un bloc d'immeubles, d'un quartier rural, d'un pays entier. Le parti unique du capital d'État, c’est la transformation du militant en policier. Son procès d'édification va d'un mixte de bourgeois libéraux, contraints par le cours d'étatisation, et de bourgeois nouveaux, installés aux postes de commande de l'État par une révolution bourgeoise (Vietnam), ou remplaçant les bourgeois anciens les moins adaptés (rôle de la Résistance en Europe Orientale) à la formation du pouvoir d'État aux mains d'une bureaucratie dirigeante.
L'évolution de la situation politique en Tchécoslovaquie comporta la fabrication d'un Front National, établi sur la base des accords de Kosice (1945), et auquel des élections ultérieures virent donner l'investiture démocratique. Ce front, les staliniens l'ont patiemment usé, modelé à leur image. Les démocrates slovaques furent accusés, charge très vraisemblable, de comploter contre la république et ses ministres : "alignement" pur et simple. Chez les social-démocrates, les staliniens utilisèrent une manière de précipitant, Flinglinger, leader d'une minorité regroupant 40% des effectifs ; ce dernier a forcé la main, point trop récalcitrante, de la majorité, en combinant appels à l'unité et menaces voilées. La pression des syndicats, aux mains des staliniens, a fait le reste. Pour les autres partis : cristallisation d'une minorité stalinisante et, au 24 février, les majoritaires seront comminatoirement invités à se soumettre ou à se démettre. Bien entendu, les "partis" subsistent nominalement, les élections étant prochaines et le parlementarisme tabou.
Pour ce qui est de l'affaire elle-même, Gottwald a magistralement démontré le programme transitoire des trotskistes : comités d'usines et comités d'action, appuyés sur les partisans de 1945, établissent une dualité de pouvoirs ; manifestations de masse et grèves attestent de la présence, sur la brèche, des syndicats ; l'interdiction est faite de cession de terrains, l’Église est spectaculairement expropriée (en Bohème). Et le front national élargi n'est autre que le fameux gouvernement PS-PC-C.G.T. Le tout, fonction du syllogisme PS-PC-CGT, représente l'ensemble des travailleurs. Ils sont au pouvoir, leur gouvernement est donc celui du peuple par le peuple. Et Gottwald n'a pas manqué de souligner ces points.
Les staliniens ont judicieusement choisi leur jour. Les capitalistes tchèques, en effet, appuyés par les américains très proches, montraient les dents. Des restitutions à leurs "propriétaires légitimes" s'effectuaient juridiquement ; les pourparlers d'indemnisations des anglo-saxons prenaient un tour somme toute acceptable pour ces derniers ; les socialistes nationaux cherchaient à nouer des relations avec l'Occident (traités commerciaux avec la Grande-Bretagne, la Hollande, etc…). Les staliniens y ont mis le holà et de belle manière, avec la police à eux acquise et l'armée. On dirait une chorégraphie, un chef d'oeuvre de minutage : la sortie des ministres "modérés" accompagne l'entrée des ambassadeurs, le président de la majorité social-démocrate s'effondre à point nommé, les manifestations d'étudiants réactionnaires précèdent la mise en place de la police casquée et l'organisation de contre-manifestations. Tout se passe comme si Prague était le décor gigantesque d'un opéra où ne manquent ni les éloquents silences, ni les chants patriotiques, ni les traîtres, ni les sauveurs, ni, dans la voix de Gottwald, un écho des triomphales trompettes d'Aïda.
EN RÉSUMÉ, la crise tchèque se résout en officialisation d'une situation de fait : tout le pouvoir au PC et à ses comités d'action. Celui-ci va préparer SES élections et ensuite faire voter SA constitution. Ainsi, sera bouclée la boucle, assurée l'intangibilité du capital d'État en Tchécoslovaquie. Une attitude "ferme" vis-à-vis des Occidentaux laissera, cependant, porte ouverte à un modus vivendi ultérieur, réglant la question de leurs avoirs. Une épuration systématique liquidera, en outre, les derniers éléments d'opposition politique et idéologique.
Tout laisse prévoir une évolution, identique quant aux grandes lignes, de la conjoncture politique en Finlande et en Hongrie. Après quoi, arrières assurés en Europe, la Russie pourrait bien s'intéresser de près à une certaine question autrichienne et allemande…
Enfin, il faut signaler qu'en tant que tel le prolétariat n'a joué AUCUN ROLE dans les journées de Prague. Cela signifie que le prolétariat comme classe, élément moteur du devenir socialiste, EST ABSENT en Tchécoslovaquie.
Le 16 février 1948, a été proclamée la République Populaire Démocratique de Corée. Le territoire de cette République aura pour limites celles de la zone russe (Corée du Nord).
Comme la Tchécoslovaquie fut propriété du capital allemand, la Corée fut celle de l'impérialisme nippon. L'élimination de ce dernier a été suivi d'un partage du pays entre russes et américains. Aux russes est allé le Nord, montagneux et pauvre mais boulevard stratégique de la république d'Extrême-Orient et de la province de l'Amour, ainsi que de la base russe de Daïren, proche de Port-Arthur et terminus du chemin de fer trans-mandchou. Dans leur zone, les russes ont réalisé une réforme agraire, constitué un Front démocratique, semblable à la formule élargie tchécoslovaque. Ils entendent faire de leur zone un pôle d'attraction politique sur le sud.
Les américains, héritiers de la zone sud -riche de cultures vivrières et industrielles (soja), d'arsenaux-, pratiquent une politique incertaine laissée à l'arbitraire des gouverneurs militaires. Ces derniers, après avoir favorisé les "démocrates", soutiennent les conservateurs, jugés plus aptes à maintenir la "pax americana". La décision russe les obligera à précipiter la date des élections (la Constitution !) qui, du fait des pressions et sollicitations officielles, renforceront probablement la droite. Le Nord a armé ses organisations démocratiques et le Sud fera venir des instructeurs américains pour former son armée. Et la Corée, presqu’île comme la Grèce, a comme celle-ci des voisins intéressés…[1]
En chine du Nord, l'armée "rouge" de Mao-Tsé-Toung concentre ses efforts sur la possession de la Mandchourie, progressant surtout au long du trans-mandchou. La Mandchourie fut, elle aussi, propriété des nippons. Ces derniers en ont fait une formidable usine dont le développement en dix années égale, toutes proportions gardées, celui de la Russie ou du Canada en vingt-cinq ans. Les armées russes ont consciencieusement déménagé, ce qui se pouvait et bien d’autres choses encore. Mais la Mandchourie n'en demeure pas moins pièce-maîtresse sur l'échiquier chinois. Mao-Tsé-Toung y a ordonné le partage des terres et les comités d'usines, réalisant un cocktail de révolution bourgeoise et de politique "social- réaliste".
Ces quelques notes afin de rappeler que c'est en Chine que russes et américains s'affrontent sans masque aucun, poussant devant eux des millions d'hommes faméliques, régulièrement décimés par les épidémies, la misère, les inondations, les combats. Il est systématique que là précisément fut la pierre d'achoppement de la IIIème Internationale. Où le réalisme "matérialiste" de Staline et Boukharine échoua dans le sang, celui "idéaliste" de Trotsky aurait, sans doute, connu le même sort. Et les problèmes chinois sont toujours délaissés par l'avant-garde révolutionnaire en Europe. La Chine cependant représente ce qu'il y a encore de plus potentiel en devenir socialiste.
Ainsi, en Tchécoslovaquie comme ailleurs, comme dans le monde entier, impérialistes russes et américains occuperont-ils bientôt des positions de tranchées. Des positions d'où le premier pas en avant signifiera l'ouverture de la troisième guerre. Momentanément, les États-Unis abandonnent l'initiative à la Russie. Mais, de ce fait, ils consolident leurs positions :
Enfin les techniciens du département d'État à la guerre (américain) n'oublient pas que l'armée russe est la plus forte SUR TERRE quant au vieux continent.
D'aucuns s'empressent à envisager un compromis qui, nouveau Munich, arrangerait tout. Mais Marx déjà que, si les évènements historiques pouvaient se répéter (Hegel), ils se produiraient "la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce" (18 brumaire de Louis Bonaparte).
Et, si la farce se joue sur les tripartites tréteaux de Londres, partout ailleurs les décors de la tragédie se montent inexorablement. Sans doute, caractériser la présente conjoncture comme s'intégrant dans un cours vers la guerre ne prétend nullement à rejeter toute possibilité d'un apaisement passager. Cependant, et quand bien même une pause se réaliserait, sa portée ne dépasserait pas, en signification réelle, celle d'un accident d'aviation sur l’ensemble du trafic aérien. La guerre est devenue l'état naturel du capitalisme ; la paix, pour lui, n’est qu'une pré-guerre.
Précisément, cela signifie que NOUS SOMMES ENTRÉS dans la troisième guerre impérialiste mondiale les jours même où les vainqueurs firent déposer les armes à l'Allemagne et au Japon. Plus tôt même, sans doute. Ce que le remaniement ministériel en Tchécoslovaquie rend patent, c’est la précipitation du rythme du cours vers la guerre. Un seul fait illustrera cette proposition : en Pologne et en Roumanie, les capitalistes extérieurs détenaient, avant 1939, 40% du capital de sociétés par actions. La mise au pas orientale de ces deux pays ne suscita, de la part des détenteurs de capital, de leurs représentants politiques, d'autres protestations que verbales. Au plus, lui fut-il accordé un caractère anecdotique (les tribulations de Mikolajczyk ou les fiançailles du roi Michel). Mieux, le pacte économique russo-hongrois (en octobre 1946) fit de la Hongrie une propriété russe ; en dépit du lèse-intérêt subi, les occidentaux ne soufflèrent mot. Conséquences de Yalta arguèrent certains. Mais, dites, que restait-il, économiquement parlant, en 1922, du "diktat" versaillais ? Prémisses de la dépression intérieure aux États-Unis, dépression les contraignant à l'inaction ? Ces prémisses n'auraient eu que de faibles incidences puisque nous avons pu énumérer plus haut quelques uns des avantages dont elle ne gêna pas l'obtention. En tout état de cause, par ailleurs, capital d'État et monopoles peuvent "réduire", colmater, une conjoncture dépressive (accentuation du dirigisme : direction totalitaire de l'infra-structure). Et cela aussi précipiterait le cours vers la guerre, fruit obligé d'une dépression économique d'envergure. Car la concentration du capital dans les mains de l'État le poussera à investir (diriger les investissements) dans la recherche et l'exploitation des sources d'énergies (houille, pétrole, électricité-la Tennessee Valley Authority et main mise sur le réseau électrique italien etc.-, force atomique enfin, dernière et non moindre) ; ces investissements afin de réduire l'hostilité croissante du secteur privé aux ambitions étatiques. Ainsi, tenu au ventre, le secteur privé sera contrôlé dans ses besoins comme il l'était dans ses profits (réduction des marges bénéficiaires par instauration du contrôle économique, mesure nécessaire à la direction des investissements précités). L'exploitation de l'énergie suppose le contrôle de ses sources d'extraction ; et, par exemple, il y a en Iran et Irak, du pétrole pour qui préfère garder ses propres ressources à portée de main ainsi qu'alimenter, au moindre coût, de très fidèles alliés.
Mais le pétrole n'est pas seul en Iran et Irak, il y a aussi des russes…
Le déclenchement ou non de la dépression, sa réduction le cas échéant n'aura donc qu'une importance chronologique. Et l'économique cède le pas au politique ; la guerre, selon le mot toujours et plus que jamais valable de Clausewitz, est la continuation de la politique mais par d'autres moyens.
L'affaire Finlandaise rend sensible, axée qu'elle est sur le plan politique, ces dernières : l'essentiel du commerce extérieur finlandais est dirigé, à titre gratuit (réparations) sur la Russie. Le reliquat exportable qui, en conséquence, représentera pour la Finlande la PART VITALE, la respiration de son économie, va vers les États-Unis. Renoncer à ces exportations, cela veut dire, en finlandais, consentir à l'asphyxie, soit, à bref délai, à la dépendance économique vis-à-vis de la Russie. Or, les exigences russes tendront, dans les faits, à obtenir cette renonciation. Conclure un pacte de coopération et d'assistance mutuelle, analogue à ceux conclus avec la Roumanie et la Hongrie, signifie, en termes clairs : renoncez à commercer avec les ennemis de la démocratie, les bellicistes États-Unis. Ceux-ci renonceront bien d'eux-mêmes d'ailleurs. Et Paasikivi, ses collèges et leurs partis devront bien sacrifier leurs prépuces politiques, social -démocrates et autres, en témoignage d'heureuse conversion au rite mahométo-stalinien ; en bref, s'aligner. Mais cela ne se passera pas comme ça, proclament les tenants américains dans leur porte-voix, Spaak ou Bidault. Ce qui était acceptable pour la Pologne, la Hongrie et la Roumanie ne l'est plus pour la Finlande et la Tchécoslovaquie (précipitation du rythme) ; car les russes touchent maintenant aux avancées du système américain en Europe. La presse est alertée, la radio, toutes les formes de la propagande entre en lice. Au resserrement du bloc oriental correspondra le resserrement du bloc occidental : aux pactes militaires et standardisation des armements suivront unions douanières et réajustement des économies (...) déjà préparé par les "seize" ; dans les formes classiques, tel pourrait être ce resserrement. Et les ministres scandinaves, rétifs jusqu'alors aux galantes invites de Bevin, pourraient commencer à "comprendre". D'autant que les dirigeants staliniens viennent, à Oslo, de tenir une conférence "secrète" type Kominform. Et les ministres scandinaves tiennent vivement à sauvegarder l'intégrité de leurs prépuces sociaux-démocrates.
Nous en avons terminé de l'analyse tchécoslovaque, de ses vraisemblables incidences politiques ainsi que des tendances, par elle, accusé. Il nous reste à examiner un certain point que cette épreuve a révélé, à savoir notre antérieure constatation selon laquelle le prolétariat comme classe était absent en Tchécoslovaquie. Ce phénomène ayant une signification générale quant aux pays passés sous la coupe du capital d'État, les observations relatives à la situation du mouvement ouvrier tchèque seront valables pour ces pays. Pendant la période de montée du capitalisme, la présence d'un prolétariat combatif et organisé était nécessaire en même temps que fonction de l'existence même du capitalisme. Les revendications économiques, aboutissant à des hausses de salaires, obligeaient le capitaliste que poussait déjà la concurrence (produire plus vite et moins cher). Les grèves, en frappant durement l'activité des entreprises les moins bien armées pour la lutte, les moins prêtes à tenir le coup, jetaient d'autre part ces entreprises aux mains des monopoles, précipitant le procès de concentration du capital. Dans les périodes de crises, la bourgeoisie ancienne pouvait pleurer misère, expliquer qu’elle n'en pouvait plus mais que les sacrifices devaient être égaux pour tous… et lancer Pinkerton et ses flics contre le prolétariat d'Amérique, Noske et ses chiens contre le prolétariat d'Allemagne. Le rôle historique de la social-démocratie et des syndicats fut d'aménager une certaine part de la plus-value produite à l'origine, par l'introduction de nouvelles machines à l'usine, au chantier, à la banque. Ses nouvelles machines, cela signifiait, pour le capitaliste, un sensible accroissement de la production et une sérieuse économie de main d'oeuvre, c'est-à-dire le chômage pour une partie toujours plus grande de la classe ouvrière. Ainsi, les revendications étaient-elles, pour le capital industriel qui les pouvait satisfaire, un stimulant ; pour le capital financier une source de profits, lui soumettant une foule de petites et moyennes entreprises. Ainsi, social-démocrates et syndicalistes s'intégraient-ils comme agents de répartition de la part supplémentaire de profits allant au capital variable (hauts salaires) et obtenue par la réduction de la main d’oeuvre ; l'accroissement de la production compensant, très grosso-modo, l'élévation du capital fixe (achat de nouvelles machines). Mais, quand la bourgeoisie ancienne toucha au déclin, lorsqu’il lui devint difficile d'augmenter les salaires sans entamer le capital fixe (conjoncture de crise), alors la bourgeoisie ancienne dut recourir à la coercition policière, puis aux tractations avec les chefs syndicalistes et le cas échéant sociaux-démocrates (dans des cas précis, elle utilisa le fascisme). Il va sans dire que ces schémas rapides ne prétendent pas épuiser la question de la montée et du déclin de la bourgeoisie ancienne mais en éclaircir, pour rappel, quelques aspects.
La bourgeoisie nouvelle, elle aussi, a besoin d'un prolétariat organisé. Mais ce prolétariat doit être un prolétariat soumis. Plus il participera directement à la "gestion de l’économie". La bourgeoisie nouvelle, la bourgeoisie d'État, opposée à la bourgeoisie de droit divin, se voit, dans sa lutte, obligée de s'appuyer sur une base de masse contrôlant, par sa seule présence, l'usine, la banque ou le service public. Ce combat achevé, gagné, les bourgeois nouveaux réduiront les avantages conquis par le prolétariat et le conduiront sur une voie de garage en sapant les bases mêmes de sa conscience de classe.
La Bohème d'avant 1914, pays hautement industrialisé, comptait, de ce fait, un prolétariat "combatif et organisé". Une social-démocratie "à l’allemande" le contrôlant de concert avec la CGT où elle garde aujourd’hui encore une large audience (ainsi Erban, le secrétaire général, est SD). Le Parti Communiste, fondé en 1920 (septembre), par scission d'avec la SD, devint un parti relativement important (avec la France et l'Allemagne, l'un des plus puissants de la IIIème Internationale). Les conditions objectives - l'importance des investissements du capital extérieur et l'hostilité provoquée à leur égard par la bourgeoisie tchèque, l'imposition du "joug allemand" pendant trois siècles [de 1620 (bataille de la Montagne Blanche) à 1918], puis l’occupation ont entretenu et entretiennent un esprit extrêmement chauvin chez les ouvriers tchèques. Les staliniens ont su faire jouer ce ressort, comme ils en ont utilisé d'autres. Le retrait de la Wehrmacht fut suivi de l'occupation des usines et de leur gérance ainsi que de l'armement de milices ouvrières. Les capitalistes furent purement et simplement expropriés. Se prévalant de leur rôle dans la résistance, arguant de leur expérience et des titres reçus dans les luttes passées, les staliniens se virent investis de la confiance des travailleurs, et cela d'une façon parfaitement démocratique. Et les russes, prudents, évitèrent un passage trop prolongé dans le pays. Bientôt, le retour, par Londres, des bourgeois anciens s'effectua. La pression extérieure des anglo-saxons, celle des bourgeois anciens non compromis dans la collaboration, conduisit les staliniens à composer, c'est-à-dire à "nationaliser" et à verser des indemnités. Nous avons vu plus haut ce qu’il en fût par la suite. Dès 1948, les staliniens se sont vus à la tête d'un demi- million de militants. L'illégalité, puis la légalité leur donna disposition de cadres fidèles, fidèles par force dans la "lutte souterraine" (mouiller les gars pour les tenir ensuite : si tu ne marches pas, je te donne !), fidèles par intérêt dans la "lutte contre les trusts" (marches ou sinon ta place…). Ce sont ces cadres, renforcés par un tri opéré chez les nouveaux venus, que les ouvriers tchèques ont démocratiquement élu aux postes dirigeants des soviets : conseils d'usines, conseils de fonctionnaires (comités nationaux) comptant 57% de leurs présidents, inscrits staliniens, et les autres vont vite à sympathiser après un "amical" avis. Durant les jours de crise de 1948, les staliniens ont encouragé leurs militants à pousser à l'occupation des entreprises non encore nationalisées, mettant ainsi les bourgeois anciens hors d'état de nuire. Puis le reflux s'opéra afin "de planifier la production". Bettelheim, dans "la Planification soviétique" (pages 152 à 168) propose un bon tableau des mesures qui seront, dès lors, utilisées afin d'obtenir un maximum de rendement : mesures psychologiques, psycho-économiques, psycho-physiques (service du travail déjà institué), rôle des syndicats, etc. La bourgeoisie nouvelle a poussé au plus haut degré l'art d'utiliser des mots d’ordre qui furent ceux de l'action révolutionnaire, mais ces mots d'ordre prennent car ils ne sont pas vides. Tout aussi bien, leur influence ne prendrait-elle pas si leurs promesses restaient vaines. Et l'ouvrier stalinien tchèque a l'impression de diriger SON usine, puisque SON délégué participe à SA gestion.
Seule la dénonciation obstinée des faux-semblants socialistes que sont les nationalisations d'usines et leurs cortèges de conseils et de comités. Seule la dénonciation acharnée de toutes les mesures par lesquelles la bourgeoisie, l'ancienne ou la nouvelle ou les deux combinées, entend maintenir son pouvoir. Seule cette dénonciation a aujourd’hui une portée révolutionnaire.
Et seule la transformation révolutionnaire du monde peut s'accompagner de grèves et de conseils d'ouvriers, de paysans et de soldats. Cette transformation révolutionnaire ne peut avoir pour cadre que celui d'une guerre impérialiste où les contradictions capitalistes, anciennes et nouvelles, arrivent à leur maximum de tension. Le refus de tout ce qui tend à renforcer l'appareil étatique en est la condition première.
Cousin.
[1] “Quatrième Internationale” (mars-avril 1947) signalait l'existence de quatre organisations marxistes révolutionnaires en Corée. Les trotskistes d'Extrême–Orient sont de singuliers révolutionnaires il est vrai ; et le "Monde" s'étonnait récemment de la modération des trotskistes et autres bolcheviks-parlementaires de Ceylan ! – Lire également dans "La Vérité" du 20-6-1947 "la lutte héroïque des trotskistes chinois" dans les armées "communistes dans la "lutte anti-japonaise".
La presse capitaliste est ce qu’elle est ; elle vaut ce qu’elle vaut. Mais elle est en tout cas instructive. Elle révèle quelle conscience la bourgeoise a des transformations sociales de l’époque. C'est-à-dire, en général, ce qu'elle pense d'elle-même, puisque son existence comme classe n'est pas mise actuellement en question. Dans cette presse, les journaux qui représentent les intérêts traditionnels de la bourgeoisie, ses principes politiques et historiques (c'est à dire ses principes parlementaires) ont un intérêt tout particulier. Témoin en est le "Monde" et la récente enquête qu'il vient de présenter sur la Hongrie et ses transformations "révolutionnaires". Il y a dans ces écrits davantage de sens historique et d'appréciation économique vraie que dans ce qu'impriment les feuilles prétendument inspirées d'une idéologie "ouvrière".
L'auteur de ces articles, Pierre Artigue, envoyé spécial du journal, a vu la Hongrie d'aujourd’hui avec ses lunettes de bourgeois, l'a examinée, l'a retournée dans tous les sens. Cette inspection terminée, il écrit pour rassurer ses semblables, en expliquant tout simplement que ce qui se passe dans ce pays n'a pas lieu d'effrayer les bonnes gens. Que rien ne sort des limites de la nécessité capitaliste. Tel est du moins le sens de ses papiers si l'on regarde le fond des choses. En particulier celui consacré à la réforme agraire.[1]
L’article examine les deux mesures générales qui ont suivi l'emprise du Kremlin sur ce pays : la nationalisation de l'industrie et la distribution des terres. Autrement dit, le passage simultané de la petite propriété à la grande dans l'industrie, et de la grande à la petite dans l'agriculture. Notons que cette particularité ne semble pas le surprendre, même ce pays prétendument sur la voie de socialisme. Mais on comprend fort bien qu'il ne réagisse pas étant donné son jugement et son interprétation. Il juge l’affaire en bloc et n'entre pas dans des discussions de principe.
Il décrit la réforme agraire, montre comment elle s'inscrit dans un programme d'industrialisation (?) ; aussi, comment l'État procède à des interventions exigées par la carence des capitalistes privés, c'est-à-dire, tout bonnement, comment tout se passe comme dans n'importe lequel des capitalistes ruinés.
Il écrit concernant la réforme agraire :
Tout cela est fort bien dit, car il est vrai que la réforme agraire hongroise ne dépasse pas le cadre capitaliste ; elle s'inscrit dans un procès de fusion du capital avec l'État, au cours duquel ce dernier prend en charge la fonction du capital. Le phénomène de l'agriculture fait pendant au phénomène industriel.
Un peu plus loin, nous en apprenons d'ailleurs davantage : où mène, en réalité, la réforme agraire.
L'article permet d'apprécier clairement que sa fonction n'est nullement de résoudre la question paysanne (comment la propriété parcellaire pourrait-elle résoudre quoi que ce soit dans les campagnes, à une étape du développement social où le capital industriel ne supporte même plus la propriété privée et l'élimine ?). Elle a pour but de consolider les classes exploiteuses en étayant la base sociale de l'État et de "libérer" -entendons bien, à l’usage sans doute, de "l’industrialisation", c'est-à-dire de la production de guerre- une masse misérable d’ouvriers agricoles.
"650.000 familles, écrit Artigue, ont obtenu des terres mais on n'a pas pris garde que les grandes propriétés utilisaient plus de main-d’œuvre que les familles paysannes, cultivant elles-mêmes leur champ, n'en exploiteront jamais. On a simplement omis que la distribution des terres allait immanquablement provoquer la mise à pied d'une masse considérable d'ouvriers agricoles : deux millions d'entre eux restent soumis aux hasards des récoltes et de l'embauche." (c'est l’auteur qui souligne).
Ainsi, des données examinées ici, ressort le rôle fondamental des "réformes agraires" sous le capitalisme d'État, qui est d'étayer une politique d'asservissement et d'expropriation. Certes, l'auteur fait montre de quelque naïveté lorsqu'il croit qu'on a simplement omis de tenir compte du caractère expropriateur de la réforme ! Mais enfin, son analyse est, pour l'essentiel, correcte. On peut lui en savoir gré.
Qu'est-ce que tout cela prouve ? Les indications fournies par l'enquête viennent confirmer ce que nous savions déjà : qu'il n'y a pas de différence entre les pays du glacis et ceux d'Occident. Pour autant que ces pays participent de la vie économique et sociale de l'URSS et la prolongent, cela confirme en même temps ce qu'avait déjà enseigné la guerre, c'est-à-dire qu’il n'y a pas de contradiction de classe entre l'Union soviétique et le capitalisme mondial car cette contradiction, si elle existait, se manifesterait en Hongrie. Ces conclusions, on ne peut évidemment demander au "Monde" de les tirer. La bourgeoisie n'a, en effet, pas d'intérêt à en dire trop sur ce chapitre… ; même lorsqu'elle parle net (ce qui est le cas ici). Il est tout à son avantage que la classe ouvrière continue à prendre l'Union soviétique pour un "État socialiste" et à croire à la "soviétisation" du glacis, car cette croyance la détourne des voies de la révolution.
À nous, par conséquent, de tirer les leçons de ce genre, les enseignements convenables.
M-L
[1] "le Monde" - 1er février 1948 - "Aspects de la réforme agraire et perspectives de l'industrie hongroise".
Nous commençons, avec ce numéro, une revue de presse ayant trait uniquement à des journaux d'avant-garde, publiés dans les divers pays du monde. Nous n'entendons pas faire une critique étendue ou une étude approfondie, qui ne cadrerait pas avec l'objet de cette rubrique. Notre but est de relever, autant que possible, le contenu général ainsi que les diverses positions prises sur des sujets importants dans la lutte de classe, de ces journaux.
Ce journal est l'organe du Parti Communiste Internationaliste d'Italie. Ce parti, dont nous avons déjà parlé plusieurs fois dans notre Revue, peut être considéré, rapport à sa faible influence en Italie, comme un groupe d'avant-garde. La grande erreur qui présida à sa naissance fut de croire que forcément l'après- guerre devait se résoudre dans une crise politique révolutionnaire.
Ainsi, dans son numéro du 16 décembre 1946, dans un article intitulé "Y aura-t-il une situation révolutionnaire dans l'après-guerre ?", il écrit, parlant des pays vaincus :
"La réduction du salaire devra (au futur et non au conditionnel) rencontrer la résistance du prolétariat qui pourra alors démasquer la trahison de certains chefs et devra les écraser pour paralyser leurs actions néfastes."
La réduction du salaire s'est opérée, la trahison de certains chefs s'est révélée mais, à aucun moment, le prolétariat n'a manifesté son détachement des mêmes chefs qui le trahissent. C'est les vieilles phrases de la IIIème Internationale prédisant l'élimination de la IIème Internationale par le démasquage des chefs traitres. Avec une telle argumentation dans la perspective du PCI d'Italie, il était normal qu'il crût un instant que son heure était sonnée.
Mais de parti, le PCI n'a que le nom et en continuant à croire dans la possibilité révolutionnaire des revendications économiques, il oriente son travail vers le syndicat en constituant une minorité active :
Ainsi, la fraction syndicale n'est pas un syndicat ; son action est politique. On se demande alors à quoi sert le parti puisque cette fraction demeure autonome des syndicats. C'est encore, nous pensons, une erreur fondamentale de croire que la constitution, pour chaque branche d'activité de classe, d'un organisme propre et autonome est utile, transformant le parti en un superviseur de tous ces organismes. La tactique, ici, devient aussi ridicule sinon plus que celle des différents partis staliniens. On forme des organismes multiples, pour des défenses multiples, pouvant attirer de multiples sympathisants. Le résultat le plus tangible est que ces organismes ne renferment aucun sympathisant et rien que des militants. Ces militants se transforment alors en Maître-Jacques comme dans "L'avare" de Molière.
Mais entrons dans le détail des fractions syndicales :
Dans les thèses syndicales parues dans "Battaglia Communista" du 18 février 1948, le PCI d'Italie réaffirme :
Prémisse de soviet ou fraction dans le syndicat ? Ni chèvre ni choux. Le PCI d'Italie demeure dans le brouillard. Voulant percer à tout prix, il ne se demande pas si cet après-guerre n'infirme pas sa perspective. Alors, il ne lui reste plus qu'à multiplier les organismes extra-parti où personne n'ira.
Si la situation est près-révolutionnaire, la permanence de ces organismes l'est en fonction de la situation, mais cette même permanence ne peut créer nullement une possibilité révolutionnaire :
On se demande si le sens du mot autonomie a une autre signification en Italie. D'une part non-appartenance au syndicat, d'autre part participation aux élections syndicales. Il y a contradiction. Le PCI d'Italie n'en a cure, puisqu'il doit participer à toutes les batailles ouvrières dont les élections syndicales en sont un aspect important.
Ainsi dans "Battaglia Communista", si le ton des articles est plutôt sérieux il n'en cache pas moins un activisme forcené qui, sur le plan tactique, le rapproche de la "Vérité" trotskiste en France.
La dénomination de parti est aussi le propre d'un minuscule groupe de trotskistes en Italie, lequel édite un journal "IVº Internazionale". Bien que l'influence de ce groupe soit nulle, cela n'empêche pas le journal de mettre des titres flambants et explosifs, à croire que la révolution est aux portes. Quelques titres :
Quelques chroniques internationales bien enfantines : Au parlement du dominion bengalais (Ceylan), les députés trotskistes sabotent la cérémonie d'entrée du Parlement, en se réunissant à part dans une salle du Parlement.
Mais, brusquement, dans quelques minuscules réduites de journal, une voix révolutionnaire sensée se fait entendre, tantôt pour critiquer la tendance trop directoriale du Comité Centrale du PCI d'Italie, tantôt pour répliquer aux anarchistes qui déforment certaines pensées de Bordiga, tantôt pour demander à ce que l'aventurisme et les ridicules appréciations de la situation de la IVº Internationale fassent place à une étude sérieuse et objective :
Plus loin :
Cette auto-critique sérieuse détonne d'avec le reste du journal. Un accident ?
Le PCI d'Italie a un groupement frère en Belgique (FBGCI) qui éditait, hier encore, le journal "L'Internationaliste" mais qui, aujourd’hui, devant une situation de plus en plus précaire de la classe ouvrière, devant son manque total d'influence sur le prolétariat belge, en rapport avec la situation actuelle tendant vers la troisième guerre impérialiste mondiale, n'édite plus, et d'une manière irrégulière, qu'un bulletin ronéotypé comme le nôtre.
À côté d'un article anodin sur le cas du roi Léopold, le bulletin du 20 janvier 1948 traitant des grèves en France, n'y voit pas du tout une expression aiguë de l'antagonisme Amérique-Russie. Ce n'est, pour lui, qu'un simple partage tacite de zones d'influence. Ainsi, suite aux événements de l'Europe orientale, Lucain écrit :
Plus loin :
Il est à espérer que les évènements actuels permettront à Lucain de se rendre compte que tous les évènements politiques, actuellement, militent en faveur non d'un partage tacite de zones d’influence mais d'une préparation active et propagandiste de guerre, à moins que l'opposition des staliniens, présentement en France, ne soit une comédie orchestrée par Washington et Moscou en toute fraternité. Au demeurant, félicitons Lucain pour la façon dont il interprète la dénonciation du traité commercial franco-russe.
Dans le même article Lucain écrit, d’une part : "Les ouvriers en France ont un niveau de vie quatre à cinq fois inférieur à ce qu'il était avant-guerre.”
D’autre part : "Le capitalisme a encore, en France comme en Italie, la possibilité d'améliorer progressivement le niveau de vie actuel… Mais, cela signifierait un affaiblissement de son effort pour rétablir ses positions impérialistes."
Si on peut considérer la perte de l'Indochine comme un effort impérialiste couteux pour la France, pour l'Italie ce problème colonial impérialiste n'existe plus pratiquement, à moins qu'une nouvelle campagne coloniale ne se prépare clandestinement. Alors, pourquoi le gouvernement de Gasperi ne s'attache pas les ouvriers en leur rendant leur niveau de vie de 1939. L'erreur grossière consiste à croire qu'en Europe le capitalisme peut encore se développer entrainant par là un accroissement du pouvoir d'achat des ouvriers. Quand on ne veut pas voir, on imagine.
Dans un autre article du bulletin, "Deux actes du capitalisme d'État", nous voyons la déflation russe présentée comme une volonté de concentration capitaliste et une accentuation de la concurrence face aux États-Unis. Et le parallèle est avec le plan Mayer en France. On se demande seulement comment va s'exprimer la concurrence française intégrée dans le bloc américain. Face à la Russie ?
Mais, là encore, on veut voir trop bien et d'après un schéma. C'est pourtant malheureux, pour Lucain, de voir qu'en Russie comme en France ce n'est pas une concentration qui s'est opérée mais un assèchement de la circulation fiduciaire, en regard non de la production mais de la consommation qui, dans les deux pays, devait être réduite à tout prix.
Le dernier article du bulletin traite d'une question théorique que nous jugeons devoir faire l'objet d'une critique plus profonde ne cadrant pas avec cette rubrique.
Au mois d'aout, le groupe Spartakusbund se scindait en deux. On sait que ce groupe a été fondé à la fin de la guerre par l'ancienne organisation de Sneevliet (le RSAP) et l'ancienne tendance des Communistes de Conseils, vieux groupe de la gauche qui s’est séparé de la IIIème Internationale en 1921-22 et qui avait pour leaders idéologiques Pannekoek et Gorter.
La scission dans le Spartakusbund avait pour fondement des divergences politiques qui sont restés dans l'obscurité, au moment de la fondation du groupe et n'ont jamais été précisées par une discussion suffisamment claire. Ces divergences portaient notamment sur la question syndicale et la notion du parti de classe. Dans ces conditions et dans une situation générale de recul de la lutte de classe, la scission était non seulement inévitable, mais encore souhaitable permettant, aux deux tendances, de développer pleinement leur pensée et leurs idées propres.
Il nous est difficile de donner une idée précise de l'activité et des écrits du Spartakusbund. Le journal du groupe qui parait deux fois par mois, régulièrement, est en flamand, ce qui, pour nous, est une difficulté quasi insurmontable. Il semble que ce groupe soit malheureusement par trop replié sur lui-même, se contentant d'une activité dans les frontières hollandaises et ne recherchant ni des contacts ni la discussion avec des groupes révolutionnaires sur le plan international.
Tout à l’opposé est le groupe des Communistes de Conseils. C'est sur leur initiative, quoique étant encore eux-mêmes dans le Spartakusbund, que s'est tenue la Conférence internationale de contacts au printemps 1947. Après leur scission, ils ont commencé la publication d'un Bulletin international de discussion en langue française, afin de permettre une plus large diffusion et une plus active collaboration des autres groupes.
Le numéro 1 de ce Bulletin est paru en novembre 1947. Il contient une lettre de la GCF et le début d'une étude sur les "Fondements de l'économie communiste". C'est un effort de recherche théorique de la plus haute importance, portant sur un problème que l'expérience russe a mis en évidence et que les groupes d'avant-garde ont passablement négligé. Nous invitons tous les camarades des groupes révolutionnaires à se procurer ce bulletin.
Le numéro 2 de ce Bulletin doit paraître ces jours-ci, contenant la suite de l'étude sur “Les Fondements de l'économie communiste", ainsi qu'un rapport sur "Le mouvement ouvrier actuel" présenté par la GCF.
Il est regrettable que les quelques groupes révolutionnaires, existant par-ci par-là, n'aient pas encore compris l'intérêt qu'il y a à soutenir cet effort de publication d'un Bulletin d'information et de discussion international qui, à l'heure actuelle, est le meilleur moyen permettant le développement de la pensée et de l'activité révolutionnaires.
Mousso
NDLR – Le manque de place nous empêche de publier la revue de presse de l'avant-garde en Angleterre, en Amérique et en France. Nous publierons la suite de cette revue de presse dans le prochain Internationalisme. Nous nous en excusons auprès de nos lecteurs. Pour la même raison, nous avons été obligés de reporter, au prochain numéro, la suite de l'article "Le marxisme et la guerre impérialiste".
Par la même occasion, nous annonçons la publication d'une brochure : "Cent ans de Manifeste Communiste".
Après les quelques critiques que nous avons pu adresser à la philosophie de Harper, nous voulons maintenant montrer comment le point de vue politique qu'il en dégage s'éloigne, dans les faits, des positions des révolutionnaires.
(Nous n'avons pas voulu, d'ailleurs, approfondir mais simplement bien montrer que toutes les critiques de Harper, faites à un matérialisme soi-disant mécaniste, partaient d'une exposition assez juste, quoique par trop schématique, du problème de la connaissance humaine et de la praxis marxiste et révolutionnaire, et aboutissaient, dans leur application politique pratique, à un point de vue mécaniste vulgaire.)
Pour Harper,
1) la Révolution russe, dans ses manifestations philosophiques (critiques de l'idéalisme), était uniquement une manifestation de pensée matérialiste bourgeoise… typiquement empreinte du milieu et des nécessités russes…
2) la Russie, du point de vue économique colonisée par le capital étranger, éprouve le besoin de s'allier avec la révolution du prolétariat, et même, dit-il "Lénine a été obligé de s'appuyer sur la classe ouvrière ; et, comme la lutte qu'il menait devait être poussée à l'extrême, sans ménagement, IL A AUSSI adopté la doctrine la plus radicalisée du prolétariat occidental[1] en lutte contre le capital mondial : le marxisme". Mais, ajoute-t-il, "comme la Révolution russe présentait un mélange des deux caractères du développement occidental : la révolution bourgeoise quant à sa tâche et la prolétarienne quant à sa force active, aussi la théorie bolchévique qui l'accompagnait était un mélange du matérialisme bourgeois quant à ses conceptions fondamentales et du matérialisme prolétarien quant à la doctrine de la lutte de classe…"
Et, de là, Harper de nommer les conceptions de Lénine et de ses amis de marxisme typiquement russe…"Seul, dit-il, Plekhanov est peut-être le marxiste le plus occidental, quoiqu’encore pas dégagé complètement du matérialisme bourgeois."
S'il est effectivement possible qu'un mouvement bourgeois puisse s'appuyer sur "un mouvement révolutionnaire du prolétariat en lutte contre le capitalisme mondial" (Harper) et que le résultat de cette lutte soit l'établissement d'une bureaucratie comme classe dominante qui a volé les fruits de la révolution prolétarienne internationale, alors la porte est ouverte à la conclusion de James Burnham, conclusion selon laquelle la techno-bureaucratie établit son pouvoir, dans une lutte contre l'ancienne forme capitaliste de la société, en s'appuyant sur un mouvement ouvrier, et selon laquelle le socialisme est une utopie.
Ce n'est pas par hasard que le point de vue de Harper rejoint celui de Burnham. La seule différence est que Harper "croit" au socialisme et que Burnham "croit" que le socialisme est une utopie. Mais où ils se rejoignent, c'est dans la méthode critique qui est tout à fait étrangère à une méthode révolutionnaire et à la fois objective.
Harper, qui a adhéré a la IIIème Internationale, qui a formé Parti Communiste hollandais, qui a participé à l'IC pendant les années cruciales de la révolution, qui a participé à entraîner le prolétariat de l'Europe à la participation de cet État russe contre-révolutionnaire, Harper s'explique là-dessus en disant :
On peut répondre à Harper que des marxistes "éclairés" avaient prédit et étaient arrivés aux mêmes conclusions que Harper sur la Révolution russe, et cela bien avant lui ; nous voulons parler de Karl Kautsky.
La position de Kautsky au sujet de la Révolution russe a été suffisamment rendue publique par le large débat qui eut lieu entre lui, Lénine et Rosa Luxemburg, pour qu’il ne soit nécessaire d'insister là-dessus.
[1918 – Lénine - "Contre le courant", "Le Socialisme et la Guerre", "L'impérialisme stade suprême du
- Kautsky - "La dictature du prolétariat"
1921 - Rosa Luxemburg - "La Révolution Russe"
1923 – Kautsky - "Rosa Luxemburg et le Bolchevisme"]
Dans la suite d’articles de Kautsky, "Rosa Luxemburg et le Bolchevisme" (Kampf de Vienne), publiés en brochure en français, en Belgique, en 1923, on peut très largement montrer comment, en plus d'un point, les conclusions de Harper peuvent lui être comparées.
"…Et cela ("La révolution Russe" de Rosa Luxemburg) nous (Kautsky) met dans cette posture paradoxale, d'avoir, ici ou là, d’avoir, à défendre les bolcheviks contre plus d'une accusation de Rosa Luxemburg…" (Kautsky - "Rosa Luxemburg et le Bolchevisme")
Cela, de la part de Kautsky, pour défendre les "erreurs" des bolcheviks (que Rosa critique dans sa brochure), comme des conséquences logiques de la révolution bourgeoise en Russie, et de bien montrer que les bolcheviks ne pouvaient pas faire autre chose que ce à quoi le milieu russe était destiné, à savoir la révolution bourgeoise.
Pour citer quelques exemples, disons que Rosa critique l'attitude des bolcheviks dans le mot d'ordre et dans la pratique de la prise individuelle de possession dans le partage des terres par les petits paysans, ce qui amènerait, pensait-elle, des difficultés inouïes ensuite à cause du morcellement de la propriété foncière ; elle préconisait, au contraire, la collectivisation immédiate des terres.
Kautsky :
On sait que la "puissante" vue de Kautsky a été totalement infirmée par cet autre "socialiste", Staline, qui a collectivisé les terres et "socialisé" l'industrie alors que la révolution était déjà totalement étouffée.
Et voici un long échantillon de Kautsky sur le développement du marxisme en Russie, qui se rapproche étrangement de la dialectique de Harper (voir "Lénine Philosophe" – chapitre "La Révolution Russe").
Harper reprend un a un, philosophiquement, les arguments de Kautsky ; Kautsky oppose deux conceptions du socialisme :
1) La première selon laquelle le socialisme n'est réalisable qu'à partir de bases capitalistes avancés… (La sienne et celle des mencheviks, valable pour la critique de la Révolution russe des sociaux-démocrates allemands parmi lesquels s'est trouvé un Noske…, conception qui conduisait réellement à faire la politique capitaliste d'État en s'appuyant sur "une partie de la masse populaire" contre le prolétariat révolutionnaire).
2) Une autre conception selon laquelle la lutte pour le pouvoir politique "par tous moyens, détachée de sa base matérielle" permettait, "même en Russie", de construire le socialisme… (ce qui aurait été, déformée à souhait, la position des bolcheviks).
En réalité, Lénine et Trotsky disaient : la révolution bourgeoise en Russie ne peut être faite QUE par l'insurrection du prolétariat - l'insurrection du prolétariat ayant une tendance objective à se développer sur une échelle internationale -, il nous est permis d'espérer, de par le degré de développement des forces productives MONDIALES, que cette insurrection russe provoque un mouvement général.
La révolution russe poussant à la révolution bourgeoise du point de vue du développement des forces productives en Russie, la réalisation du socialisme est très possible à condition d'un déclenchement mondial de la révolution. Lénine et Trotsky, de même que Rosa Luxemburg, pensaient que le niveau de développement des forces productives dans le monde entier, non seulement rendait le socialisme possible, mais encore le rendait nécessaire, ce niveau ayant atteint un stade qu'ils qualifiaient, en commun accord, "l'ère des guerres (mondiales) et des révolutions", en désaccord seulement sur les facteurs économiques de cette situation. Il fallait, pour que le socialisme fut possible, que la révolution russe ne restât pas isolée.
Kautsky répond, avec les mencheviks, que Lénine et Trotsky ne voyaient, dans la révolution, qu'un seul facteur "volontariste" de prise de pouvoir par un "putsch" bolchevik, allant même jusqu'à comparer le bolchevisme au blanquisme.
Tous ces marxistes et socialistes "éclairés" étaient justement ceux que Harper semble citer en exemple, ceux qui avaient "multipliés les avertissements", qui étaient contre "la direction du mouvement ouvrier international par les russes", comme Kautsky :
Comparé à toute la distinction savante de Kautsky entre Russie retardataire et Occident, entre "marxistes russes" et occidentaux, on retrouve ici toutes les critiques des marxistes "centristes" apparentés à Kautsky.
Ils reprochaient tous, Kautsky en tête, de ne pas avoir considéré le fait de l'état arriéré de l'économie russe, alors que Trotsky avait, depuis longtemps, et le premier dès 1905, répondu d'une façon magistrale, à tous ces "honnêtes pères de famille" (Lénine), comment l'état AVANCÉ de la concentration industrielle en Russie d'une part et, d'autre part, sa situation retardataire du point de vue social (retard dans la révolution bourgeoise), en faisait un pays prédisposé à un état révolutionnaire constant et où la révolution NE POUVAIT QU'ÊTRE PROLETARIENNE OU NE PAS ÊTRE.
Bâtissant sa théorie et sa critique philosophique sur la théorie et la critique historico-économique de Kautsky, Harper dit que, du fait de la situation arriérée de l'économie russe et du fait de l'inéluctabilité de la révolution bourgeoise en Russie, du point de vue économique, la philosophie de la révolution russe était obligée de prendre le marxisme Ière manière, c'est-à-dire révolutionnaire-démocrate-bourgeois-feuerbachien - "la religion est l'opium du peuple" (critique de la religion) -, et que c'était normal que Lénine et ses amis n'aient pas pris le marxisme 2ème manière, dialectique-révolutionnaire-prolétarien - "l’existence sociale conditionne la conscience" -. [Il oublie seulement de dire - et il est impossible que Harper ne sache pas cela - que la lutte essentielle des bolcheviks était axée contre tous les courants à leur droite dans la social-démocratie, gouvernementaux et centristes, avant 1918 ; et cela très largement, à travers toute la presse européenne et des brochures dans toutes les langues, alors que "Matérialisme et Empiriocriticisme" n'a été connu que très tard par un large public russe, traduit encore plus tard en allemand et encore plus tard en français, et presque pas lu en dehors de la Russie ; on est en droit de se demander si l’esprit de "Matérialisme et Empiriocriticisme" était contenu dans ces articles et brochures, choses que Harper n’a même pas tenté de démontrer et pour cause !]
Et il conclut de là, comme Kautsky, que "malgré" la conception volontariste de la lutte de classe de Lénine et Trotsky - qui voulaient "faire du prolétariat russe le chef d'orchestre de la révolution mondiale" - la révolution était fatalement vouée à être bourgeoise philosophiquement, du fait que Lénine et ses amis avaient émis un mode de pensée philosophique-critique-matérialiste-bourgeois-feuerbachien (Marx Ière manière).
Ce fait fait rejoindre, dans leur critique de la Révolution russe, Kautsky et Harper, quant au fond du problème mais aussi quant à la forme qu'ils donnent à leur pensée et à leur critique des bolcheviks, où ceux-ci sont accusés d'avoir voulu diriger la révolution mondiale du Kremlin.
Mais il y a mieux ; Harper démontre, dans son exposé philosophique, que Engels n'était pas un matérialiste dialecticien, mais encore profondément attaché, quant à ses conceptions dans le domaine de la connaissance, aux sciences de la nature et au matérialisme bourgeois. Cette théorie, pour être vérifiée, demanderait une exégèse que Harper n'a pas fournie au passif de Engels, alors que Mondolfo, dans un ouvrage important sur le matérialisme dialectique, semble vouloir démontrer le contraire, ce qui prouve que cette querelle n'existe pas d'aujourd’hui ; quoi qu'il en soit, je crois que les jeunes générations pourront voir, dans les générations qui les ont précédées, ce que nous pouvons constater chez Lénine ou chez Engels, qui faisaient une critique des philosophies de leur temps, en partant d'un même niveau de connaissance scientifique et parfois par trop schématisé, alors qu'on doit surtout étudier leur attitude générale non en tant que philosophes ; mais d’abord vérifier s'ils se situent sur le terrain de la praxis, des thèses de Marx sur Feuerbach, dans leur comportement générale.
Dans ce sens, on admettra comme se rapprochant beaucoup plus de la réalité ce que Sydney Hook dit de l'œuvre de Lénine dans "Pour comprendre Marx" :
Le témoignage vivant et l'expression la plus vraie de ce que dit Sydney Hook et qui rejette Harper du côté des Plekhanov–Kautsky est cette illustration de Trotsky ("Ma Vie"). Parlant de Plekhanov, il dit : "Ce qui le démolissait c'était précisément ce qui donnait des forces à Lénine : l'approche de la révolution. Plekhanov fut le propagandiste et le polémiste du marxisme, mais non pas le politique révolutionnaire du prolétariat. Plus la révolution devenait imminente, plus il sentait le sol lui glisser sous les pieds."
On voit donc que ce n'est pas tant la thèse philosophique de Harper qui est originale (elle est au contraire une mise au point après tant d’autres), mais surtout la conclusion qu'il en tire.
Cette conclusion est une conclusion fataliste du genre de celle de Kautsky. Kautsky, dans sa brochure "Rosa Luxemburg et le Bolchevisme", cite une phrase que Engels lui aurait écrite dans une lettre personnelle :
C'est ce que Kautsky veut démontrer dans sa brochure ; c'est ce que Harper arrive à démontrer (pour ceux qui veulent le suivre dans sa conclusion) dans "Lénine Philosophe" ; et, après avoir combattu le matérialisme bourgeois chez Lénine et chez Engels, il en arrive à une conclusion mécaniste des plus vulgaire de la révolution russe, "produit fatal", "fin véritable et non illusoire", "la révolution russe a produit ce qu'elle devait produire, c'était écrit dans "Empiriocriticisme..." et dans les conditions de développement économique russe", "le prolétariat mondial devait simplement lui servir de couverture idéologique marxiste..."
"(…) la nouvelle classe au pouvoir s'emparant tout naturellement de cette forme de penser du Léninisme, matérialiste bourgeoise, pour s'emparer du pouvoir et lutter contre les couches de la bourgeoisie capitaliste établie, qui sont philosophiquement retombées vers le crétinisme religieux, le mysticisme et l’idéalisme, en même temps qu’elles sont devenues conservateurs et réactionnaires ; ce vent frais, cette nouvelle philosophie, cette nouvelle classe capitaliste d'État, d'intellectuels et de techniciens, trouve sa raison d'être dans "Empiriocriticisme..." et dans le Stalinisme, et elle "monte" dans tous les pays, etc., etc."
Donc, en quelque sorte : Marx première manière=Lénine, Empiriocriticisme=Staline !!!
C'est ce que Burnham a très bien compris sans connaître Harper ; c'est ce que de nombreux anarchistes se plaisent à répéter sans en rien comprendre. Il est évident que Harper ne dit pas cela avec autant de brutalité, mais le fait qu'il ouvre la porte à toutes les conclusions des apologistes bourgeois et anarchistes de Burnham suffit à démontrer la tare constitutive de son "Lénine philosophe".
Ensuite, quand il est amené à tirer les enseignements "prolétariens purs" de la révolution russe (je fais remarquer qu'on dit toujours, dans le langage Harper-Kautsky, "la révolution russe" et rarement "la révolution d'Octobre", distinction qui doit leur écorcher la plume), quand il tire cet enseignement "prolétarien pur" en séparant l'action de la classe ouvrière russe et "l’influence bourgeoise des bolcheviks", il en arrive à dire que c'est surtout dans ses grèves généralisées et dans les soviets (ou conseils) "en soi" qu'a produits la révolution russe, qu'elle est un enseignement positif pour le prolétariat :
Le détachement "homme par homme" de l’idéologie bourgeoise, en plus que si il était réalisable remettrait le devenir du socialisme à la fin des siècles et ferait apparaître la doctrine de Marx comme une belle légende qu'on raconte aux enfants des prolétaires pour leur donner du courage à envisager la vie ; de plus, nous sommes dans une société bourgeoise dont le caractère social primordial est que chaque homme, pris homme par homme, dans le prolétariat lui-même, ne se détache pas homme par homme, mais pas du tout de l'idéologie dominante, ce qui fait de cette idée une "idée" qui garde éternellement sa qualité d'idée. Au contraire, la classe ouvrière, dans son ensemble, parvient à s'en détacher dans certaines conditions historiques où elle entre plus violemment en heurt avec le vieux système que dans d'autres. Il n'y a pas de socialisme réalisable "homme par homme", à la manière des vieux réformistes qui croyaient "qu’il fallait réformer d'abord l'homme avant de réformer la société", alors que les deux ne sont pas séparables ; la société change quand l'humanité entre en mouvement pour la faire changer, et le prolétariat entre en mouvement non "homme par homme", mais "comme un seul homme", quand il se trouve placé dans des conditions historiques spéciales.
Le fait que Harper répète, sous une forme apparemment nouvelle, les vielles sornettes réformistes, lui permet, sous un verbiage philosophico-dialectique, d'escamoter les problèmes principaux, axes de la révolution russe, et de les reléguer dans les oubliettes des "raisons d'État russes", qui ont tout de même un peu bon dos en ce moment. Il s'agit de la position de Lénine contre la guerre et de la théorie de Trotsky sur "la révolution permanente".
Eh bien oui, Messieurs Kautsky-Harper ! On peut toucher des points justes dans une critique purement négative des théories philosophies ou économiques de Lénine et de Trotsky. Mais, cela ne veut pas dire que vous ayez acquis pour cela une position révolutionnaire ; et, dans leurs positions politiques au cours de la révolution russe, dans la phase cruciale de l’insurrection, c'étaient Lénine et Trotsky qui étaient vraiment des révolutionnaires marxistes.
Philosophiquement, il ne suffit pas, vingt ans après la bataille et après y avoir participé soi-même parmi les chefs de file, de s'apercevoir que tout cela n'a eu pour résultat que l'État stalinien et de dire que ceci est le produit de cela. Il faut aussi se demander COMMENT Lénine et Trotsky pouvaient s'appuyer sur le mouvement ouvrier international et POURQUOI ; et nous dire franchement si c'est le stalinisme qui est le produit fatal de ce mouvement.
Cela, Harper est, avec Kautsky, incapable de nous le dire parce que, dans leurs positions politiques, face a la bourgeoisie, dans la guerre impérialiste ou dans une période révolutionnaire montante, ils n'ont pas de conceptions qui leur permettent d'aborder ces problèmes ; ils ne les connaissant pas. Ils connaissent ainsi Lénine "en tant que philosophe" ou en tant que "chef d'État", mais ils ne connaissent pas Lénine en tant que marxiste révolutionnaire, le vrai visage de Lénine face à la guerre impérialiste et celui de Trotsky face à la conception mécaniste du développement capitaliste "fatal" de la Russie. Ils ne connaissent pas le vrai visage d'Octobre, qui n'est pas celui des grèves de masses, et pas non plus uniquement celui des soviets, soviets auxquels Lénine n'était pas attaché d'une manière absolue (comme Harper) parce qu'il jugeait, lui, que les formes du pouvoir du prolétariat sortaient spontanément de sa lutte en même temps qu'elle. Et, en cela, je crois que Lénine était aussi plus marxiste parce qu'il n'était pas attaché aux soviets ni aux syndicats ni au parlementarisme (même s'il se trompait), d'une manière définitive, mais d'une manière appropriée à un moment de la lutte de classe, crée par et pour elle.
Tandis que l'attachement quasi théologique de Harper à ses conseils le fait aujourd’hui, de ce côté également, prendre une forme de cogestion des ouvriers dans le régime capitalisme, comme un apprentissage du socialisme. Ce n'est pas le rôle des révolutionnaires de perpétrer un apprentissage de ce genre ; avec celui de l'apprentissage "homme par homme" de la théorie du socialisme, l'humanité est condamnée à être l'esclave éternelle et éternellement aliénée, avec ou sans conseil, avec ou sans "raden-kommunisten" et leurs méthodes d'apprentissage du socialisme en régime capitaliste, vulgaire réformisme, l'envers de la médaille kautskysme.
Quant à la lutte de classe "propre", "par les moyens appropriés", la grève etc., on en a vu les résultats ; elle rejoint la théorie de la gréviculture des trotskistes actuels et des anarchistes, qui perpétuent actuellement la vielle tradition des "trade-unionistes" et des "économistes", que le "Que faire ?" de Lénine critiquait si violemment. Ce qui fait que la position anti-syndicale des “Raden-Kommunisten", pour être juste, pour nous, du point de vue purement négatif, n’en est pas moins fausse "en elle-même" parce que les syndicats sont remplacés par des petits frères, les soviets, et jouent le même rôle. On croit qu'il faut remplacer le nom pour changer le contenu. On n'appelle plus le parti, parti, les syndicats, syndicats. Mais, on les remplace par les mêmes organisations qui ont les mêmes fonctions et qui portent un autre nom. Qu'on appelle un chat "Raminagrobis", il aura, pour nous, la même anatomie et le même rôle sur la terre, sauf pour certains pour qui il sera devenu un mythe ; et c'est curieux que des philosophes, des matérialistes “dialecticiens” aient l'esprit aussi borné et les vues aussi étroites pour tenter de nous faire avaler, comme un monde nouveau, le monde de leurs constructions mythologiques, de "Raminagrobis" par rapport au monde des chats.
C’est dans le fond assez normal. Dans l'ancien monde, un Kautsky était un vulgaire réformiste ; dans le monde nouveau, trotskistes, anarchistes et raden-communistes sont des "révolutionnaires authentiques", alors qu'ils sont beaucoup plus grossièrement réformistes que le fin théoricien du réformisme, Kautsky.
Le fait que Harper reprenne des arguments classiques du réformisme bourgeois -mencheviks et kautskistes (et, plus récemment, la rencontre de ce point de vue et de celui de Burnham)- contre la révolution russe peut ne pas tellement étonner. Au lieu de chercher dans cette époque révolutionnaire à tirer des enseignements en marxiste (tel que Marx et Engels ont, par exemple, tiré des enseignements de la Commune de Paris), Harper veut condamner "en bloc" la révolution russe et le bolchevisme qui y est attaché, (tout autant que le blanquisme et le proudhonisme étaient attachés à la Commune de Paris).
Harper s'approche très près de la réalité et si, au lieu de chercher à condamner "les bolcheviks appropriés au milieu russe", il s'était demandé quel était le niveau de pensée de cette gauche de la social-démocratie, dont tous étaient issus, il aurait pu tirer de toutes autres conclusions dans son livre, parce qu'il aurait vu que ce niveau (même chez les plus développés du point de vue de la dialectique) ne permettait pas de résoudre certains problèmes auxquels se heurtait la révolution russe (dont le problème du Parti et de l'État), problèmes sur lesquels, à la veille de la révolution russe, aucun marxiste n'avait des idées précises (et pour cause).
Dans l'ensemble des connaissances philosophiques, économiques et politiques - nous l'affirmons et nous allons tenter de le démontrer -, ce sont les bolcheviks qui étaient, en 1917, parmi les plus avancés des révolutionnaires du monde entier et cela, en grande partie, grâce à la présence de Lénine et de Trotsky.
Si les évènements sont venus apparemment les contredire, ce n'est pas à cause de leur développement intellectuel approprié au "milieu russe", mais cela est dû au niveau général du mouvement ouvrier international, ce qui, également, pose des problèmes philosophiques que Harper n'a même pas voulu aborder. (à suivre)
PHILIPPE
[1] Voir plus loin les citations de Kautsky et "La doctrine du prolétariat occidental"
[2] Et ceci pour le "milieu spécifiquement russe" de Harper-Kautsky : "…la doctrine matérialiste, écrit Marx, affirmant que les hommes sont des produits de leur milieu et de leur éducation, et que les hommes différents sont les produits de milieux et d’éducation différents, oublie que le milieu lui-même a été transformé par l'homme et que l'éducateur doit à son tour être éduqué. C'est pourquoi elle sépare la société en deux parties, dont l'une est élevée au-dessus de l'ensemble. La simultanéité des changements parallèles dans le milieu et dans l’activité humaine ne peut être rationnellement comprise qu'en tant que pratique révolutionnaire…" (D’après Marx-Engels "Thèses sur Feuerbach" – Sydney Hook- "Pour comprendre Marx", p.76).
Le gouvernement Schumann poursuit son existence et la politique qu'il s'est fixées. Cela ne se fait naturellement pas sans accrocs. De temps en temps, quelques fractions parlementaires se payent le luxe de quelques obstructions, de quelques manœuvres, provoquant débats et assauts d'éloquence à l'Assemblée nationale. Mais invariablement, cela se termine par des votes de confiance répétés et tout rentre dans l'ordre. Les discours spectaculaires de De Gaulle n'impressionnent désormais plus aucun. La soi-disant menace d'un coup d'État s'est avérée, comme nous n'avons pas cessé de le dire, un épouvantail à moineaux. Seuls les socialistes et les staliniens (et immanquablement les trotskistes) trouvaient dans De Gaulle matière à exploiter, pour se poser en "défenseurs" des libertés démocratiques et des intérêts ouvriers "menacés" par celui-ci. En vérité, De Gaulle n'a pas d'autre programme que celui appliqué par les autres partis au gouvernement depuis des années. De Gaulle au pouvoir ne serait pas plus fasciste que Depreux et Moch n'ont été des "démocrates". Dans ce jeu d’intrigues entre diverses cliques se disputant les honneurs et privilèges gouvernementaux, le prolétariat n'a rien à gagner, n'a rien à sauvegarder ; il ne fait que se perdre et disparaître en tant que force indépendante ; il cesse d'exister pour lui-même.
À quel point les clameurs sur le "danger" De Gaulle n'étaient que duperie, on peut le voir par les tractations qui ont eu lieu récemment pour élargir le gouvernement, avec les hommes du RPF. Si ces tractations n’ont pas abouti, cela n’est pas dû à une incompatibilité ou à une opposition de principe, mais simplement au fait que, pour le moment, le MRP et la SFIO suffisent amplement à la besogne. Rien n'exclut cependant, et c'est même fort probable, que le RPF trouvera tout naturellement sa place dans la prochaine combinaison ministérielle, à l’échéance du gouvernement actuel. En attendant cette échéance, le gouvernement Schumann-Mayer se porte assez bien. Sur le plan de la politique extérieure, Bidault va de succès en succès et est en passe de devenir un grand homme d'État européen sous l'égide du grand Maître, les États-Unis.
Collaboration plus étroite avec les États-Unis et l'Angleterre, pacte économique et militaire de l'Europe occidentale, accord économique et douanier avec l'Italie, ouverture de la frontière et arrangement avec l'Espagne. À part les staliniens et le point de vue russe, on ne voit pas ce qu'on pourrait souhaiter et faire mieux en fait de politique active et constructive sur le plan extérieur.
La France a définitivement abandonné la politique de la Grandeur pour une grande politique de fidèle et obéissante vassalisation aux États-Unis. Non moins active et pleine de succès est la politique économico-financière du gouvernement. Schumann a non seulement résisté à la pression stalinienne mais, en acceptant l'épreuve de force qu'étaient les grèves de novembre 1947, il a porté des coups qui ont brisé pour longtemps la force stalinienne. Du même coup, le mouvement revendicatif des ouvriers a été liquidé pour un bon bout de temps. Les salaires sont bloqués et stabilisés au niveau souhaité par le gouvernement et compatibles avec les conditions difficiles dans lesquelles végète l'économie française. Mais la situation de l'économie française est telle qu'il ne suffit pas, pour l'améliorer, de réduire au minimum le niveau de vie des ouvriers, au point que le pouvoir d'achat des salaires représente aujourd’hui environ 50% de celui de 1938. Il ne suffit pas aussi de relever simplement le volume de la production. Certes, ce furent là les premières mesures urgentes à entreprendre, et elles furent accomplies par les staliniens et les socialistes à la tête gouvernement au lendemain de la "libération". Mais l'économie française et son appareil productif ont subi une telle dégradation au sortir de la guerre 1939-45 que leur relèvement, même partiel, exige des efforts bien plus considérables et qui dépasse absolument la capacité interne de l'économie française. Alors même que le niveau de vie dans ouvriers français est réduit de moitié et que l'exploitation a en conséquence augmenté de 100%, il reste encore que la différence de productivité entre les États-Unis et la France est dans un rapport de 1 à 3 au minimum, pour atteindre dans certaines branches 1 à 8. Cela est dû au développement de l'appareil productif aux États-Unis, alors que celui de la France est resté stationnaire. Pour avoir une idée complète, on doit encore ajouter que l'appareil productif français n'est pas seulement resté stationnaire, mais qu'une partie importante a été détruite tandis que la partie restée en activité a été dégradée à 80%, exigeant par là son renouvellement dans le plus bref délai.
Tous les sacrifices imposés aux ouvriers sont insuffisants pour combler cette disproportion. Sur le marché mondial, les prix des marchandises s'établissent en fonction de la valeur des produits du pays industriellement le plus avancé. Ainsi la majeure partie de la féroce surexploitation des ouvriers d'Europe est drainée, par le truchement du marché mondial, vers les États-Unis ; une infime partie seulement restant entre les mains des bourgeoisies nationales d'Europe. Si les États-Unis peuvent se parer du titre de "philanthropes du monde" et s'occuper de l'aide à l'Europe, c'est exactement dans la mesure où les ouvriers de l'Europe sont devenus les parias des États-Unis et les bourgeoisies nationales d'Europe, des intermédiaires, des agents assurant l’extraction de la plus-value aux ouvriers et son transfert outre-mer.
Aussi, l'augmentation de la production française, approchant le niveau de 1938, est loin de signifier que l'économie française a retrouvé sa place (déjà bien médiocre) de 1938. La fraction belge de la GCI montre son incompréhension totale de la situation française quand, pour nous confondre et pour nous démontrer la reconstruction de l’économie française, elle nous cite triomphalement l'indice récent de la production. C'est précisément en s'approchant de l'indice de 1938 que la production française a montré toute sa fragilité et toutes les difficultés qu'elle rencontre pour se poursuivre. On peut réussir à augmenter la production en soumettant les ouvriers à une surexploitation intensifiée ; mais, une fois produites, ces marchandises doivent encore trouver, sur le marché mondial, la possibilité d'être vendues afin que la production puisse recommencer. Or, le marché européen est inexistant, aucun pays de l'Europe exsangue ne peut se permettre d'acheter et, sur le marché des États-Unis, les produits français ne peuvent soutenir la concurrence, quel que soit le bas niveau des salaires. Aussi, la fin de l'année 1947, où l’indice de la production approche celui de 1938, est précisément le moment critique où l'exportation tombe d'une façon catastrophique. En décembre, nous assistons à des arrêts d'usines, à des licenciements d'ouvriers, à une apparition du chômage partiel et même total[1].
L'économie française est dans une impasse. Malgré des mesures sévères prises dans le second semestre de 1947 visant à reteindre au strict minimum les importations, celles-ci s'élèvent à 258 milliards de francs pour l'année 1947 pendant que les exportations n'accusent que 132 milliards, représentant un déficit visible de 51% de la balance commerciale. La maison sociale France dépense ainsi 2 fois plus qu'elle ne gagne. Cependant, les prix ne font qu'augmenter entraînant le stoppage de la vente des produits français qui devient alarmant. La statistique de janvier-février fait ressortir une baisse de 30% de l'exportation par rapport au dernier trimestre de 1947, montrant ainsi toute la gravité de la situation.
C’est dans ce sens-là que le plan Mayer se distingue de la politique antérieure. À la place de la devise "Produire-Produire", le plan Mayer substitue celui d'"Exporter-Exporter" et toutes les mesures viseront à atteindre cet objectif. Le plan Monnet mettait l'accent sur la production, le pan Mayer le corrigera en faisant tout dépendre de l'exportation. Avant tout, on lui soumettra non seulement les importations mais aussi, et cela d'une façon radicale, la consommation intérieure.
La dévaluation qui a accompagné le prélèvement et surtout le blocage des billets de 5.000 francs réalisent des coupes sombres sur le pouvoir d'achat intérieur. Ces mesures touchent à peine les masses ouvrières sur les ventres de qui on ne peut guère réaliser encore de substantielles économies mais visent et frappent directement les paysans, les commerçants et aussi les capitalistes individuels. C'est la réduction forcée de leur consommation qui doit fournir au gouvernement les moyens lui permettant d'aligner le prix des produits français aux prix mondiaux et d'assurer ainsi le minimum indispensable d'exportation, clé de voûte de toute la production.
Une telle opération n'est pas le fait des capitalistes individuels. Seul un organisme centralisé agissant avec un plan d'ensemble est en mesure d'entreprendre une telle opération. C'est là une des conditions fondamentales qui rendent nécessaire la transformation du capitalisme classique anarchique en un capitalisme dirigé, le capitalisme d'État. Et ce n'est pas le moins amusant de l’histoire que de voir Mayer, l'homme du parti radical, du parti du capitalisme classique qui ne cesse de protester contre l'étatisme et le dirigisme, de voir ce Mayer devenir l'homme des mesures pratiques les plus farouchement étatistes et autrement audacieuses que les fanfaronnades dirigistes et impuissantes du socialiste A. Phillip.
Nous avons, dans nos numéros précédents, examiné en détail les mesures du plan Mayer. Il est incontestable que, du point de vue capitaliste et dans l'immédiat, elles ont eu des résultats efficaces. Après tous ces restrictions et épongeages (rappelons que le seul blocage des billets de 5.000 a eu pour résultat de retirer de la circulation, c'est-à-dire de la consommation intérieure, 250 milliards de francs qui représentent environ le quart de toute la circulation monétaire en France) qui ont eu pour répercussion une hausse formidable du coût de la vie, le gouvernement peut se permettre aujourd’hui de parler de mesures de baisse de prix. La démagogie est de taille et vise surtout à rendre inefficace l'agitation revendicative à laquelle s'est préparé le parti stalinien et son annexe la CGT.
Est-ce à dire que la politique économique du gouvernement, Schumann-Mayer a réussi à sortir la France du marasme et à assurer un renouveau à l'économie nationale ? C'est là une question qui n'est du ressort d'aucun gouvernement mais est entièrement conditionnée par l'évolution générale du capitalisme mondial. Cette évolution n'est ni vers une reconstruction et encore moins vers un développement mais se poursuit dans un cours de guerre permanente qui est le mode de vie du capitalisme décadent. Personne chez les hommes d'État français n'est plus assez naïf pour se poser des buts chimériques de reconstruction, mais uniquement et plus réaliste de se maintenir afin de prendre une place moins mauvaise dans un cours mondial devant culbuter, dans une échéance plus ou moins proche, dans la guerre généralisée. Toute la vie politique française, comme d'ailleurs dans le monde entier, est imprégnée de cette perspective ; et le projet gouvernemental de porter le temps de service militaire d'un an à 18 mois est une indication suffisamment éloquente.
Les mouvements, regroupements et rassemblements de toutes sortes sont à nouveau à l'ordre du jour en France. Après la "libération", nous avons connu une profusion de ces groupements issus de la résistance qui, après une courte période de gloire bien éphémère, sont vite tombés en poussière et dans l’oubli. Seules subsistent les formations qui avaient derrière elles non seulement des masses mais qui possédaient également un minimum de programme et représentaient effectivement des catégories sociales : les partis politiques.
Les nouveaux rassemblements ont de commun avec les groupements de la période de la "libération", le vague, le confus, l'inconsistance de leur programme mais, en plus, ce qui les distingue en quelque sorte, c'est que les nouveaux rassemblements n'ont aucune masse derrière eux et, en fait, ne rassemblent personne hormis quelques intellectuels ou petits politiciens qui n’ont pas trouvé leur place dans la vie publique et, de ce fait, sont à la recherche d'un clou où accrocher leurs illustres noms afin de se tailler un peu de gloire.
Ce qu'il est convenu d'appeler la droite a un fond social suffisamment bien assis et, de ce fait, cette droite n'est pas trop sujette à la maladie d'un besoin perpétuel de nouveaux rassemblements. Il n'en est pas de même dans le camp de la "gauche". Là, trop d'éléments déclassés à la recherche d'une place au soleil, trop d'inquiétude et d'angoisse du lendemain pour ne pas donner naissance de temps en temps à des nouveaux rassemblements où des ambitions inassouvies cherchent leur revanche. Y en a-t-il de ces groupements pour les États-Unis d'Europe et des États-Unis "socialistes" d'Europe, de ces congrès pour la paix et autre troisième force démocratique, anti-impérialiste et tout le reste ?
Dans notre dernier numéro, nous avons publié la réponse de Malaquais se refusant à signer "L'Appel à l'opinion française" de M. Pivert, J.P. Sartre, D. Rousset et Cie. À peine notre encre séchée qu'un nouvel appel nous apprenait la naissance d'un nouveau rassemblement : le "Rassemblement Démocratique Révolutionnaire". On y trouve à nouveau, parmi les signataires, l'inévitable Sartre, décidément dans toutes les combinaisons, D. Rousset également inévitable, J. Rous et Boutbien, enfants terribles de la Gauche socialiste et membres du Comité directeur de la SFIO.
Le "Rassemblement" affiche naturellement un programme de "lutte" contre le capitalisme, pour la transformation sociale. Il ne craint même pas de prôner, au besoin, la voie révolutionnaire mais toutefois démocratique. Son but principal est de mobiliser les esprits contre l'idée "saugrenue" de l'inévitabilité de la guerre. "La guerre n'est pas inévitable. Il suffit que les hommes de bonne volonté se mobilisent pour proclamer et imposer la paix." Voilà les sornettes que clament ces révolutionnaires démocrates rassemblés. Ils prennent en somme toute la phraséologie des socialistes dont ils ne sont que l'appendice.
Sont-ils conscients du rôle d'endormeurs qu'ils jouent, ou se chloroforment-ils eux-mêmes afin de calmer leurs angoisses ?
Cela importe peu. Toute situation trouble de veille de guerre comporte l'éclosion de mouvements au travers desquels les esprits cultivés traduisent leur trouble et leur impuissance. Quelque charlatan ou arriviste trouvera, là, l'occasion de faire carrière politique et peut-être un tremplin vers un futur mandat au parlement. En attendant de marcher dans la guerre, parce qu’on aura découvert alors l’inévitable dans les faits concrets, et que, tout de même, la démocratie vaut mieux que le totalitarisme, ces messieurs peuvent librement se livrer à leurs bavardages et à leur grandiloquence, sous l'œil amusé et le sourire encourageant de la presse bien pensante.
Le journal "Combat" lance, lui, une pétition pour un "gouvernement fédératif de l'Europe occidentale", "pour un parlement inter-parlementaire" ; et c'est vraiment curieux de constater qu'au fur et à mesure que la guerre approche, la paix trouve des amants nombreux et passionnés. Ceci du côté "démocratique et socialiste".
Pour leur faire face, les staliniens appuient la petite équipe de "la Bataille socialiste" exclue, au début de l'année, de la SFIO. Cette tendance - politiciens corrompus et acharnement stalinisant - vient de fonder le MSUD (Mouvement Socialiste Unitaire Démocratique). Ils mènent une campagne violente contre le RDR, pour le soutien de la Russie "prolétarienne" et autres "républiques populaires", pour l'intégration de la France dans le bloc oriental ; il va de soi que cette équipe participe à toutes les manifestations staliniennes, établissant ainsi un Front Unique sauce stalinienne.
Plus à gauche encore, se poursuivent depuis quelque temps des tractations actives pour la fondation d'un nouveau parti révolutionnaire. Cela se fait autour de la tendance ASR qui, on s'en souvient, a quitté au début de l'année la SFIO. Cette tendance, qui se réclame de la lutte de classe révolutionnaire, dénonce la politique de "compromission" et de "trahison" des chefs socialistes, mais son programme radical ne va pas au-delà de l'ancien PSOP, ... d'avant la guerre. Les trotskistes fondaient beaucoup d'espoir sur cette tendance qu’ils espéraient gagner à leur parti, avec la fédération des JS. Le ASR aurait été le triomphe de la politique de souplesse, de noyautage et de la manœuvre tactique du parti trotskiste. Mais c'est exactement le contraire qui est arrivé aux trotskistes. Au lieu d'intégrer, comme ils l'espéraient, les tendances socialistes de gauche, c'est eux même qui se font désintégrer.
Après avoir péniblement noyauté dans la jeunesse et dans le parti socialiste, après avoir aidé au détachement de quelques petits groupes, les trotskistes les appelaient à une conférence d'unification d'où devait sortir un grand parti révolutionnaire. Récemment, une conférence a unifié le ASR et la JS, mais les trotskistes ont été écartés. Non seulement le travail "en souplesse" de tant de mois a été perdu, mais encore la formation de ces divers partis et rassemblements a été un pavé dans la mare aux grenouilles et l'organisation trotskiste a été profondément ébranlée. Tous les leaders de la tendance dite de droite du parti (qui groupait au dernier congrès 47% de mandats) viennent d’être exclus pour avoir adhéré à un quelconque des rassemblements en vogue. Comment cela s'explique ? La "Vérité" a beau essayer de minimiser le fait, de parler des hommes usés et ayant perdu la foi révolutionnaire, elle ne peut diminuer sa signification politique. Bien sûr qu'il y a aussi des raisons d'ordre personnel, des intrigues organisationnelles qui ont joué un rôle. Mais le fond politique l'emporte et doit représenter, pour les militants trotskistes, des enseignements graves. On trouvera une indication de ces débats dans la série d'articles publiée par la "Vérité" sur la question du front unique. Une fois de plus, on essaye d'expliquer cette fameuse tactique que la JC a mis 10 ans pour ne pas parvenir à expliquer et qui jalonne les étapes de la dégénérescence opportuniste.
Critiquant la politique de l’JC de 1923 qui recherchait l'alliance et l'appui des chefs des Trade-Unions anglais, ou des journaux Chinois, Trotsky lui a reproché de s'accrocher à des "planches pourries". Ce que Trotsky ne disait pas, c'est qu'on ne recherche des "planches pourries" que parce qu'on a, soi-même, une politique pourrie. Frank a beau vouloir apprendre à Craipeau la différence qu'il y a entre Front Unique et capitulation politique, qui serait l'adhésion organisationnelle – mais ce dernier pourra lui rappeler la "tradition" du trotskisme quand, sous l'instigation de Trotsky lui-même, ses adeptes avaient adhéré à la deuxième internationale, aux partis socialistes nationaux et plus tard au PSOP.
Quand on se revendique de la Résistance, quand on cite à son actif des lettres de renseignements à l'état-major de la Résistance, quand on se réclame des FFI ou des FTP, quand on acclame la libération des peuples par l'armée rouge, quand on rappelle PC, PS et CGT au pouvoir, quand on mobilise les ouvriers pour la défense de l’URSS dans la prochaine guerre, il n'y a vraiment pas à être étonné que, tout d’un coup, les "chefs" d’hier, lassés de faire de la "grande" politique dans une petite secte, lassés d'agiter les "masses" dans une arrière-salle de café, préfèrent un milieu plus large, plus adéquat à leurs ambitions et à leur politique.
Certains nouveaux dissidents caressent le secret espoir de faire carrière, tout comme l'on fait les Rous, les Rimbert, les Rousset et autre Fourrier. D'autres continueront à végéter et, après la liquidation des RDR, se regrouperont dans un nouveau groupement trotskiste. Dans un délai plus ou moins long, cela donnera une occasion à une nouvelle et périodique conférence d'unification trotskiste.
Unification, scissions, le mouvement trotskiste reste identique à lui-même. Il n'a rien perdu et il n'a rien appris dans ces quinze ans de son existence.
MARCO
[1] Le nombre des chômeurs secourus par le fond de chômage passe de 5.989 en novembre à 9.339 au 1er février ; les demandes d'emplois non satisfaites passent de 38.000 en septembre à 74.000 en février. Ces chiffres ne présentent évidemment de valeur qu'en tant qu'indication d'une tendance à l'arrêt de la production qui se fait jour.
Il s'agit du bulletin mensuel (20-25 pages), dans sa 14e année, du Parti socialiste ouvrier des États-Unis, un petit parti ayant son centre à Boston (Massachusetts), et qui adhère au programme commun des partis socialistes du Canada, de Grande-Bretagne, d'Australie et de Nouvelle-Zélande. Le parti proclame son adhésion de principe à la doctrine économique et politique marxiste, bien qu'il diffère des autres partis marxistes en affirmant que la révolution Russe était une révolution bourgeoise et que la lutte pour le socialisme est avant tout une tâche d'éducation et de conquête de la majorité électorale. Le Western Socialist (Le socialiste de l'Ouest) est composé en partie d'articles théoriques d'un niveau assez élémentaire et en partie de commentaires des événements, de comptes-rendus occasionnels de livres et d'autres articles d'intérêt général. Le numéro de novembre contient des articles sur le problème juif (rejetant le sionisme), sur la limitation de production pratiquée par les producteurs d'acier américains, sur le caractère capitaliste de l'URSS et un article de Pannekoek intitulé "propriété publique et propriété privée" avec lequel la Revue exprime, dans un chapitre, certaines divergences peu importantes d'ailleurs. Le numéro de décembre contient des articles sur la "phobie rouge" en Amérique, sur l'importance d'éduquer la classe ouvrière à utiliser son vote dans le sens du socialisme, sur une analyse du capitalisme soutenant que la raison principale du chaos économique est une insuffisance des marchés mondiaux, enfin une suite à la discussion sur le problème juif.
C'est une feuille mensuelle de quatre pages publiée par les Partis socialistes d'Australie et de Nouvelle-Zélande. Les numéros de septembre et novembre 1947 réunissent des articles sur la loi de "nationalisation" des Banques australiennes, dans lesquels la rédaction souligne que, bien que cette mesure ne doive pas avoir d'effet immédiat ni sur les capitalistes ni sur les ouvriers, elle aura des effets à long terme en ce qu'elle accentuera la tendance vers le capitalisme d'État. D'autres articles attaquent le système des primes de rendement et l'arbitrage obligatoire des conflits du travail.
Cette publication est une feuille mensuelle de 16 pages d'un groupe socialiste d'Australie qui adhère au programme des conseils ouvriers défendus par Pannekoek et au principe du "syndicat unique et fort" de l'IWW des États-Unis. Le numéro du 3 novembre 1947 déclare que "c'est seulement dans la révolte, dans les grèves spontanées de la base illégales que l'on trouvera la nécessité de penser, de raisonner selon une ligne de classe vers la liberté" (p. 3). Le même numéro donne un article intitulé "Socialisation et Nationalisation" qui souligne que les nationalisations, comme telles, sont simplement un instrument du capitalisme. D'autres articles contiennent une attaque contre le Parti socialiste d'Australie (accusé de défendre le capitalisme), des lettres de lecteurs, le commentaire des événements en Australie et les mouvements socialistes de l'étranger, spécialement sur la Gauche Communiste Internationale.
Il s’agit du journal (4 pages mensuelles) du Parti communiste révolutionnaire, section britannique de la IVème Internationale. Le numéro de décembre 1947 donne un compte-rendu de la défaite de la grève de l'hôtel Savoy à Londres qui se termina par la capitulation des dirigeants syndicaux et l'expulsion des dirigeants de la grève. D'autres articles rendent compte des attaques opérées par les socialistes d'Oxford contre une réunion trotskiste, de la résurrection du mouvement fasciste de Mosly, selon une nouvelle organisation du parti, des grèves en France, d'une attaque du plan des Nations-Unies pour le partage de la Palestine, d'un compte rendu du livre de Trotsky "STALINE" et de divers commentaires sur les nouvelles britanniques et internationales.
Le numéro de janvier contient des articles appelant au contrôle ouvrier sur les usines récemment nationalisées dans l'industrie des transports, une attaque contre la tendance du gouvernement travailliste à se porter contre le Parti communiste, un rapport sur la condition des prisonniers de guerre allemands en Égypte contenant une lettre des pasteurs allemands protestant contre leur état comme prisonniers de guerre, un article sur la dévaluation du rouble et une attaque contre la monarchie britannique comme institution.
Le numéro de février contient des articles sur la "démocratisation industrielle" appelant "au contrôle ouvrier sur la production", un rapport sur les profits des compagnies pour l'exercice 1947, des articles sur l'anniversaire du "Manifeste communiste", un rapport sur la défaite électorale du Parti travailliste aux élections municipales du 5 janvier à Coventry, un examen des gains électoraux du Parti trotskiste canadien dont les candidats, aux élections municipales de Toronto, réunirent 15.000 votes (11% du total des votes), enfin un article sur la dévaluation du franc.
C'est le premier numéro publié par les partisans américains de la Gauche Communiste Internationale, qui cherchent à organiser un groupe aux États-Unis. Le bulletin traite de la "situation des ouvriers américains", appelant les fractions des syndicats à une grève contre la loi du travail Taft-Hartley et pour une hausse des salaires avec diminution du temps du travail. Le bulletin rend compte de la première conférence de la Gauche Communiste Internationale et publie la déclaration inaugurale de la GCI. Également un article sur "la nature et la fonction de l'État Soviétique" considérées comme étant celles du capitalisme d'État.
Concluant notre dernier aperçu de la situation internationale, nous y notions la tendance de l'économique à céder le pas au politique, et ce sur un rythme accéléré. Ainsi, nous affirmions que la conjoncture économique en Tchécoslovaquie favorisait l'initiative russe. Non que cette initiative fût déterminée par des considérations purement économiques. Ce qui, par ailleurs, provoquait une accélération du rythme dans le cours vers la guerre, c'est que, si limité ce pouvoir fut-il, la bourgeoisie de la propriété dite privée n'en conservait pas une certaine autorité. Appuyée sur les promesses américaines, cette bourgeoisie devait tenter de contrecarrer, "saboter" la politique de planification nécessaire à l'organisation rationnelle de l'économie russe et de celles qui lui sont subordonnées ; pour ce faire, disputer activement le pouvoir aux staliniens. C'est pour parer à cette menace que Moscou dut brusquer les choses.
Ainsi que tout le laissait prévoir, cette initiative a suscité de violentes réactions américaines. Et Washington, elle aussi, a donné son coup de pouce aux évènements. Sans doute, la situation de l'Europe occidentale ne lui laisse, vis-à-vis de Washington, qu'une marge réduite d'indépendance. Mais cette marge, les Américains pouvaient la laisser subsister encore. Chose assurée, l'intégration de l'Ouest européen à son système pouvait se faire progressivement et sur un rythme plus lent. Une prolongation de l'aide intérimaire pouvait, par exemple, remédier quelque peu au délabrement européen. Ce sont là hypothèses, dira-t-on. Certes, mais non absolument gratuites. Telles méthodes ayant l'avantage de sauvegarder les apparences auraient favorisé les positions dites de la "troisième force" sans nuire à la pénétration yankee. Or, le coup de Prague a provoqué une accentuation du rythme dans l'assujettissement de l'Europe occidentale aux volontés impérialistes de Washington et de Wall Street conjuguées. Par-dessus les rapports et demandes des Seize, Washington a suggéré et approuvé le pacte des cinq. Dès avant d'éprouver les effets du Marshall ballon d'oxygène, les cinq organisent la tête de pont américaine en Europe et obtempèrent sans murmurer aux injonctions américaines.
Priés par Washington de dresser un tableau de leurs besoins, les Seize commencèrent par faire celui de leurs désastres. Leurs rapports d'experts constatent une ruine aux effets de quoi seul le bon cœur américain pourrait pallier. L'Europe des Seize a subi, du fait de la guerre, une importante diminution de son standing économique : destruction, disparition ou usure massive du matériel productif et de transports ; liquidation des investissements à l'étranger ; fermeture à ses produits de la plupart des marchés auparavant ouverts ; enfin, anéantissement du puissant fournisseur et client allemand. Passant aux solutions, les seize proposaient le rétablissement, au moins à son niveau de 1938, de leur capacité de production, rétablissement obtenu par un (...) indigène de production ; puis fixaient le montant de l'aide américaine, aide à laquelle les seize ne pouvaient offrir aucune contre-partie économique sérieuse. De plus, établissant le montant de leurs demandes, ils misaient sur des conditions aussi aléatoires que l'abaissement des prix américains, l'inexistence de conflits sociaux ou la récupération des marchés perdus pendant la guerre. Ils entendaient, leurs deux grands surtout, disposer de cette aide au mieux de leurs intérêts, éviter particulièrement un redressement quelconque de l'économie allemande.
Washington, dès l'abord, réduisit les chiffres proposés (de 29 à 17 milliards de dollars), puis posait ses conditions : la Maison-Blanche imposait son droit de regard et de contrôle économique et politique, fixait la quantité de marchandises concédée à ses vassaux, leur interdisant toute production jugée comme pouvant éventuellement concurrencer l'industrie américaine, et mettait pratiquement la main sur toute l'Allemagne occidentale, abandonnant, provisoirement peut-être, la Sarre à son client français.
On comprendra, sans dessin, que cette politique n'a pas l'agrément du Kremlin. Ce dernier réagit :
1º) en intégrant plus étroitement Est et Centre européens à son économie (mise au pas de la Tchécoslovaquie, éviction des derniers propriétaires étrangers en Roumanie, projet de nationalisation des ¾ de l'industrie hongroise, y échappant les sociétés à capital mixte hungaro-russes, "conversations" fino-russes) ;
2º) en utilisant la situation précaire des masses travailleuses en Europe occidentale, afin de fomenter des grèves sporadiques, troublant par-là "l'ordre social" et les bonnes résolutions des Seize quant à l'effort de production ;
3º) en représentant aux agriculteurs et commerçants que l'afflux des produits américains fera considérablement augmenter l'offre de marchandises et partant réduira leurs marges bénéficiaires, marges déjà compressées par la fiscalité excessive qu'engendre la nécessité de reconstruire l’appareil de production.
Enfin les Russes pousseront rigoureusement à la défense d'avancées stratégiques que les initiatives locales yankees pourraient bientôt menacer (Allemagne, Grèce, Chine du Nord).
Aux conditions américaines, aux réponses qu'entend lui opposer la Russie, chacun des Seize réagira selon sa situation propre. Voyons pour exemple les réactions de la France et de la Suisse. La Suisse vient de conclure un accord commercial avec la Russie, en conclusion de laborieuses négociations. "La collaboration industrielle de la Suisse, dit très bien "Le Monde" du 20/3/1948, est infiniment précieuse à la Russie ; et d'autre part nul n’ignore que la Confédération, menacée sur le marché mondial par la concurrence américaine, cherche à développer toujours davantage ses relations commerciales avec les pays de l'Est… L'industrie suisse va donc se trouver associée à la réalisation des plans économiques que l'Union Soviétique entend opposer au plan Marshall". La Suisse, relativement épargnée par la guerre, cherche encore un "équilibre". Mais, nous verrons plus loin où en est la politique de neutralité.
En France, Schumann-Mayer essaient de promouvoir une politique de baisse portant surtout sur les produits industriels "d’intérêt familial". Il s’agit surtout de mesures "psychologiques" promises à fournir à la CGT-FO et autres organisations menant le bon combat antistalinien.
***
Suivant les premières douleurs provoquées par le coup de Prague, le discours de Truman était attendu comme les cris d'une accouchée le sont d'une famille respectueuse ; ce discours est susceptible, comme tout autre phénomène, d'un assez grand nombre d’interprétations.
Voyons simplement s'en organiser deux thèmes :
1) accélérer le vote du plan Marshall, y rallier les hésitants. Il ne faut pas oublier en effet que la Grande-Bretagne peut, à bref délai, se trouver acculée aux dernières extrémités financières. La publication du Livre Blanc est un véritable appel au peuple. Le Livre Blanc note, en particulier, que la Grande-Bretagne n'a plus aucune réserve en dollars. Le prêt américain, devant courir sur une période de cinq ans, s'est trouvé résorbé en dix-huit mois : conséquence de l'augmentation des prix américains ainsi que de l'énorme déficit anglais en matières premières et en main d’œuvre. L'aide américaine arrive à expiration au 31 mars de cette année et seul l'apport de fonds américains peut éviter une banqueroute à la Grande-Bretagne. L'écroulement de l'économie anglaise signifierait celui de pans entiers de l'édifice capitaliste. Et, débitrice du monde entier, l'Angleterre utilise cette perspective comme un moyen de chantage. Quant à la France, sa situation est d'ores et déjà catastrophique et seul le plan Marshall, venant étayer le plan Mayer, peut, sous condition d'application immédiate, conjurer l'approche de la faillite. Notons au passage que, malgré sa dévaluation monétaire, la France a moins exporté en janvier-février 1948 que pendant la période correspondante de 1947, et que le volume des importations accuse une tendance à diminuer ; cette stagnation du commerce extérieur a pour accompagnatrice celle du commerce intérieur, favorisant l’écho petit-bourgeois…
(…) et paysan, soit aux sollicitations du PCF, soit aux discours fascisants de De Gaulle. Et l'Amérique impérialiste préfère les chauves généraux type Schumann, au général chevelu qui connaît le chemin de Moscou. Pour l’Italie, le discours, venant après les recommandations de Marshall et celles du pape, s'inscrit dans la ligne du "bien voter", après quoi, demain, l'on vous nourrira gratis.
2) rétablissement de la puissance militaire yankee : Truman demande l’adoption du service militaire obligatoire ainsi que la remise en vigueur d'un système de conscription partielle. Il faut voir, là, avec le souci de répondre à des nécessités d'ordre stratégique, de préparation à la guerre, la volonté de cultiver la psychose de guerre des masses américaines, de leur prouver que les démocrates et leur candidat–président (se donnant pour tel) sont résolus à ne reculer devant aucun sacrifice pour assurer la défense des "peuples libres" ; et la dernière opération russe vient à son heure, qui permet de dénoncer l'approche de l'homme au couteau entre les dents. Vu sous cet angle, l'anti-stalinisme de Truman est l'antifascisme de Roosevelt, le paravent derrière lequel se cache la volonté de "domination mondiale" des USA. L’établissement du service militaire pourrait enfin s'avérer être une mesure prophylactique dont l'emploi serait commandé par des perspectives de dépression économique (chômage). Et le vil et roublard baptiste approuve sans réserve le pacte à Cinq, déclarant que "la détermination des nations libres d’Europe de se défendre elles-mêmes aura pour contrepartie une détermination égale, de notre part, de les aider."
La pierre angulaire de la reconstruction européenne, comme dit Bidault, repose sur la recherche et l'étude accélérées des modalités d'union douanière entre les cosignataires ; y sera incluse "l’élimination de toute divergence dans leur politique économique", c'est-à-dire l'ébauche d'une planification, analogue à celle de l'Europe russe. Des mesures militaires ont été prévues à Bruxelles, en quelque sorte, in abstracto ; nul doute qu'elles feront l'objet de discussions plus concrètes entre les experts français, britanniques et bénéluxiens. Permission sera accordée aux Américains de coller l'oreille à la porte. Les Scandinaves sont avisés que leur présence au bas du pacte ne soulèverait aucune objection, bien au contraire (des liaisons militaires existent avec Londres de ce côté) ! Et l'Italie est amicalement prévenue que son association aux Cinq serait la marque de sa rentrée dans "le concert des puissances occidentales" ; on verra après les élections. Il faut signaler que les accords de Bruxelles mettent fin définitivement au mythe de la neutralité : il y a longtemps que les neutres n'existent plus, sinon "bienveillants" ; mais l'aspect juridique de cette neutralité en vient à s'évanouir sous la sollicitation du cours vers la guerre.
a) Les exportations des USA à destination de la sphère russe ont été dix fois moindres, au cours de l'année 1947, que celles destinées aux seize pays du plan Marshall. Mais, les administrateurs américains des services intéressés se sont aperçus "avec stupeur" que, parmi les produits exportés vers la Russie, figurait, pour une bonne part, du matériel de guerre. Là, c'est sûr, l'embargo sera mis. Cette mesure est d'autant plus significative que les États-Unis ont besoin de métaux rares d'origine russe (chrome, manganèse). L'impérialisme yankee tente donc, quoiqu'il lui en puisse coûter, d'asphyxier les Russes, adversaires impérialistes. Et puisqu'il y a du chrome en Turquie, il ira en Turquie ; il y est déjà.
b) en Palestine, Washington retourne entièrement ses positions. Rappelons rapidement quelques éléments de la situation palestinienne : l'arrivée de forts contingents d’émigrants juifs en Palestine y provoqua, en son temps, de forts investissements de capitaux détenus par leurs congénères de la Diaspora (nom générique des colonies juives dans le monde) ; il s'y fonda une industrie que la guerre et les besoins des fronts africain et birman ainsi que l'afflux de réfugiés, travailleurs spécialistes, ont contribué à rendre relativement importante sur le plan local. Le coût élevé de la production (voir plus bas à propos de l’Italie) met aujourd’hui les sionistes dans l'étroite dépendance du capital judéo-new-yorkais. Et ce dernier est, lui, solidaire du grand capital et de l'État américain. D'autre part, les féodaux arabes ont dû s’intégrer à la Ligue arabe, cela pour se défendre en tant que féodaux précisément. Les ficelles de cette Ligue étaient tenues à ce jour par la Grande-Bretagne ; mais celle-ci doit, volens nolens, en céder les commandes aux maîtres américains du grand capital.
Le partage de la Palestine s'expliquait, aux yeux de la Maison-Blanche, par des considérations électorales (importance sur ce plan de la minorité juive aux États-Unis) ainsi que par l'intérêt de posséder un pied-à-terre non loin des concessions anglaises de pétrole. Mais la faiblesse britannique a permis et permettra plus encore, aux Yankees, de s'emparer, plus vite qu'ils ne pensaient, des clefs de la situation dans les pays arabes. Et l'accentuation du rythme dont nous parlions plus haut a balayé les considérations électorales.
Truman sera ou non élu, mais les États-Unis renforcent leurs points névralgiques dans le Proche-Orient. Pendant que s'entre-égorgent ouvriers, paysans et petits-bourgeois juifs et arabes, il est opportun de se souvenir que la "Vérité" trotskiste considérait les gangsters juifs de l'Irgoun comme luttant objectivement contre l'impérialisme anglais ; Washington est assez de cet avis.
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Dans la conjoncture actuelle, les élections italiennes prennent une importance extraordinaire. De leur résultat dépend la confirmation de ce que l'Italie est pratiquement à l’heure actuelle : une colonie du capital américain. Mais cette confirmation n'est pas donnée à l’avance, comme l’était par exemple le résultat des élections roumaines, comme sera celui des élections tchèques. L'alliance stalino-réformiste aura d'autant plus de voix qu'elle recueillera celles de tous les opposants au régime américano-De Gaspéri. Toute spéculation, donc, quant aux résultats de ces élections relève de la structure mentale d'un habitué du PMU. Mais il n'est pas sans intérêt de revoir, sans trop s'y attarder, les particularités de la situation italienne au sein du monde capitaliste d'une part, dans le mouvement ouvrier de l'autre. Nous négligerons délibérément le phénomène fasciste.
L'industrie italienne manque, sur place, de matières premières en quantité suffisante pour vendre ses produits aux cours mondiaux - ces produits seront des produits chers - ; son marché intérieur est limité à l'extrême (absence d'une paysannerie et d'une petite bourgeoisie aisées) ; son marché extérieur, conséquence du coût élevé de production, n'existe qu'en fonction d'accords politiques. L'industrie italienne est donc une industrie parasitaire à laquelle prêtent vie commandes et subventions de l'État. La disparition de l'Allemagne est totale, et comme fournisseur (les exportations allemandes en produits finis couvraient avant-guerre 50% des besoins italiens) et comme client ; l'effort de guerre, les destructions militaires, l'occupation allemande puis anglo-saxonne, une inflation fantastique faisant accuser, en 1947, un coût de vie 50 fois supérieur à celui de 1938, ont rendu plus instables encore les positions du capital italien. Ce dernier est un capital hautement concentré : neuf sociétés par actions détiennent ensemble un tiers du capital total ; et, du fait même de son caractère parasitaire, le capital industriel a dû rechercher l'appui sans cesse élargi de l'État.
Le régime fasciste, durant le plus long temps de son règne, favorisa et accentua progressivement la mainmise des monopoleurs sur le capital d'État (création d’entreprises mixtes où le capital d'État minoritaire est utilisé, à ses fins propres, par le capital des monopoles). L'expérience néo-fasciste de 1943, où le capital d'État tendait à évincer le capital privé, ne fut qu'un accident sans conséquences historiques. On peut dire qu'en Italie le capital d'État est soumis aux oligarques monopoleurs. La situation désastreuse de l'économie italienne au lendemain de la guerre, la concentration extrêmement poussée du capital industriel et du capital financier qui lui est subordonné, la mainmise des monopoleurs sur le capital d'État -soit durant le fascisme, soit passé l’expulsion des représentants stalino-réformistes au gouvernement– sont autant de conditions qui rendaient aisée la subversion de cette économie aux capitalistes yankees. On verra, par exemple Dupont-De-Nemours "converser" un brin avec Montecatini (puissant trust de l'énergie chimique), des sociétés mixtes italo-américaines se fonder, les techniciens américains affluer et l'Italie devenir l'atelier de réparation du matériel américain en Europe. L'homme lige des trusts, le ministre démocrate-chrétien des finances, Einaudi, poussera encore à la ruine du moyen et du petit capital privés en instituant, au travers des banques, un régime de restrictions (politique dite de déflation). Enfin, un marché noir, de proportion inconnue ailleurs (sinon en Allemagne occidentale), le nombre important de chômeurs expliquent la présence, dans les mains bourgeoises, d'une masse de manœuvre tout à la fois armée de réserve du capital, matériel d'exportation et base nécessaire d'un pouvoir politique qui, le cas échéant, peut devenir un pouvoir fort.
Si le nord de l’Italie est une des régions les plus industrialisées d'Europe, le sud, lui, est un pays de grande propriété foncière où le paysan est, si l'on peut dire, attaché à la glèbe. Le salariat rural se caractérisera donc par un analphabétisme fréquent, de basses superstitions religieuses et d'un fanatisme réactionnaire. Les bourgeois y recrutent leurs flics et les utilisent comme une masse de manœuvre opposable aux ouvriers du nord. En Émilie-Romagne, ainsi qu’en Toscane, le régime traditionnel de la petite propriété artisanale ou foncière favorise un certain courant anarchiste, anticlérical, individualiste, aussi bien, d'ailleurs, que le courant contraire, religieux et patriote. En Sicile, coexistent les deux formes de propriété et, partant, les deux courants politiques ; les Siciliens louchent volontiers vers la solution séparatiste pour que la question sicilienne soit, à leurs maîtres, un utile instrument de pression.
Nous avons vu, à propos de la Tchécoslovaquie, comment le capital, aux mains d'une bureaucratie appuyée sur une base de masse, asseyait son pouvoir : le parti unique, les comités d'usine et d'action. Mais, en Italie, les conditions particulières de l'industrie, la présence d'une église formidablement étayée sur la grande propriété foncière, la misère populaire, la demeure des papes et de séculaires superstitions, l'exercice du parlementarisme bourgeois et la multiplicité des partis, conséquente à l'affaiblissement profond de la petite bourgeoisie ; tout cela mêlé aboutit à une super structure complexe au possible. Aujourd’hui, il semble que l'essentiel des forces de la bourgeoisie ancienne se trouve à l'intérieur du parti démocrate-chrétien. Cependant, une certaine fraction de cette bourgeoisie et une part très large de la classe ouvrière - auxquelles le poids très lourd de la domination américano-De Gaspéri est insupportable - forment un front unique derrière Togliatti-Nenni.
Le mouvement ouvrier italien a une très longue tradition de luttes. Et c'est dans cette tradition passée, celle "de toutes les générations passées qui pèse comme un cauchemar sur le cerveau des vivants", c’est dans cette tradition qu'il faut voir l'une des causes de sa faiblesse actuelle, de sa perméabilité aux mots d’ordre de Togliatti-Nenni. Les combats du prolétariat d'Italie ont été menés sur un plan revendicatif à l’intérieur même du cadre bourgeois. Ils ont eu, pour aboutissant dernier, une sanction officielle, le gouvernement du jour endossant les avantages acquis de haute lutte. Ainsi l'on put voir, en 1920, les métallos italiens lockoutés occuper et gérer leurs usines, instituer des conseils d’usines. Le conflit terminé à leur avantage, rapporte D. Guérin, ils obtinrent, au moins sur le papier, un droit de regard sur la gestion des entreprises, "le contrôle ouvrier". Autant en emporta le vent, les réformistes, refusant de sortir du cadre bourgeois des revendications économiques, laissèrent pourrir le fruit d'une victoire chèrement gagnée. En septembre 1920, le prolétariat, menant sa lutte sur le plan revendicatif, menaçait déjà toutes les positions capitalistes en Italie. Mais cette lutte, il ne sut la hisser au plan politique. Les prolétaires d'Italie étaient inhibés par des conceptions de lutte valables sans doute auparavant, ces luttes permettant l'obtention d'avantages réels pendant la période ascendante du capital. Ils ne comprirent pas, ne purent comprendre comment (et à regret bien sûr !) les capitalistes pouvaient leur accorder avantages verbaux sur avantages verbaux, augmentations nominales de salaires et promesses (sur papier) de contrôle ouvrier ; le tout sans laisser véritablement entamer leur armature. Les prolétaires furent incapables de prendre le pouvoir, non par "trahison" de dirigeants - qui à tout prendre en valaient bien d’autres -, mais parce qu'ils n'avaient pas une vision claire de la situation ; passer du plan de la lutte de classe revendicative à son plan politique et s’y maintenir désormais parce qu'ils n'eurent pas conscience de la nécessité de poser et de réaliser le mot d’ordre "Tout le pouvoir aux soviets" alors constitués. Et l'erreur d’appréciation de Bordiga, laissant dire au jour de la "marche sur Rome "que cette marche n'aurait jamais lieu, n'a qu'un intérêt de petite histoire. En 1920, dès la fin des grèves revendicatives -et toute grève économique a nécessairement une fin bourgeoise- les jeux sont faits, le fascisme pouvait s'emparer du pouvoir avec l'appui des monopoleurs. En 1920, la situation internationalement révolutionnaire était favorable à l'instauration du pouvoir soviétique ; dans le présent cours descendant de la révolution, le prolétariat, en tant que force organisée ayant ses objectifs propres, disparut, à l'exception toutefois de petits groupes d'avant-garde. Ne subsiste plus, dès lors, que le salariat comme catégorie économique dont la lutte est dépourvue de tout caractère communiste et internationaliste. Ce salariat obtiendra -et encore- des réajustements purement nominaux d'un pouvoir d'achat sans cesse diminuant ; quant à ses activités politiques, elles seront canalisées, utilisées par les dirigeants stalino-réformistes que lui impose la tradition et son corollaire, ce faux-semblant de Togliatti-Nenni arrachant aux patrons abhorrés "des améliorations progressives" du sort des travailleurs. Ces dirigeants n'ont pas le pouvoir de déloger les nouveaux propriétaires américains de l'Italie. Mais ils peuvent gêner l'exécution de leur plan en maintenant un certain état d'effervescence sociale ; et, pour l'heure, le Kremlin n'en demande pas plus.
La conjoncture politique italienne est dominée par l'approche des élections d'avril. Chacun des deux partis véritablement en présence, démocrate-chrétien et stalinien, cherche à mettre en son jeu le plus d'atouts possible. Un mot sur "la troisième force" : elle est en Italie plus carnavalesque et inexistante qu'ailleurs.
Une véritable course contre la montre s'est engagée pour savoir qui "rendra" Trieste à sa mère patrie. Et le tandem Bidault-Sforza a battu au sprint celui de Tito-Togliatti. Dans l'affaire de Trieste, l'intérêt politique prévaut, et de loin, sur les intérêts économiques et stratégiques en jeu. Trieste "irrédente" à des fins électorales le chauvinisme de l'un ou l'autre des partis donataires.
Quant au projet d’union douanière, formulé par le tandem étoilé, il ne prend de sens que dans le cadre du pacte des Cinq.
***
Cette analyse incomplète (Europe russe, Extrême-Orient) des faits résultant de la situation internationale en mars 1948 n'a de signification qu'en fonction d'une tendance générale.
Nous avons démontré en toutes occasions que, dès la "fin" de la dernière guerre impérialiste mondiale, s'ouvrait un cours vers une troisième guerre, cela étant la conséquence de l'irréductibilité des antagonismes impérialistes. Empruntant grossièrement au vocabulaire de la physique moderne, ce pronostic pourrait être qualifié de "probabilité statique". En un mot, tout ce qui se passe dans le mode capitaliste actuel prend son sens dans la perspective d'un cours général vers la guerre. Quant à fixer précisément le temps où se produira l'ouverture des hostilités à l'échelle mondiale, c'est affaire de journalistes et d'astrologues. L'ouverture des hostilités dépend de causes impondérables, rebelles à l'analyse et qui, tout compte fait, importent peu pour le déroulement global du processus d’évolution de la société humaine. Nous savons que le cours vers la guerre n'est réversible que par une action généralisée et concertée du prolétariat. Et que, dans la présente situation de cours vers la guerre et de confusion théorique, cette action ne se fera pas. La lutte des "antibessistes" sauce 3e force, celle des pacifistes du "barrage à la guerre" sont nécessairement vouées à l’échec. Plus, tendre à faire croire que la paix est possible au sein du régime capitaliste renforce-ce régime et contribue ainsi objectivement à la propagande belliciste.
L'avant-garde ouvrière, consciente de cette situation, doit, dès maintenant, se préoccuper de la transformation de la troisième guerre mondiale impérialiste en guerre civile de classe, sans bluff ni utopie.
COUSIN
Quelles sont les conceptions fondamentales de Marx sur les rapports économiques et sociaux essentiels (suite)1 ?
Voici, d'autre part, différents textes de Marx-Engels, où ceux-ci définissent le plus clairement leur conception dialectique de la transformation de caractère de la propriété privée, et sur lesquels nous nous appuierons pour la suite de notre mise au point critique :
Cette page est une des plus belles du CAPITAL. En même temps, elle exprime une vue des phénomènes historico-économiques remarquable. Marx, il y a un siècle, exprimait d'une façon claire la notion de propriété privée individuelle et de propriété privée sociale du CAPITAL. Quand Bettelheim et les trotskistes2 parlent de "la disparition de la propriété privée sur les moyens de production en URSS", ont-ils en vue le fait, certes sans précédent dans l’histoire, d'une expropriation de certaines individualités capitalistes, plus rapidement et plus immédiatement que partout ailleurs, au profit de l'État ?
Mais qui est derrière cet État ?
Et vis-à-vis de la classe ouvrière de toutes les Russies, les moyens de production ne sont-ils pas propriété d'État ? C'est-à-dire la propriété sociale qui les contraint à livrer leur force de travail à vil prix, à peine de quoi l'entretenir ?
Qu'est-ce que la différence entre la propriété privée antérieure au capitalisme et la propriété privée capitaliste ?
C'est un non-sens de dire qu'un quelconque capitaliste possède des moyens de production INDIVIDUELLEMENT. Il les possède dans un sens de classe parce que sa situation sociale lui permet de recevoir une partie des fruits de l'exploitation de la classe ouvrière, cela soit au prorata d'un capital action, soit selon une fonction sociale d'administration ou de direction de la production du CAPITAL.
"Dès que ce procès de transformation a suffisamment décomposé, pour le fond aussi bien que pour la forme, la vieille société ; dès que les ouvriers ont été changés en prolétaires et leurs conditions de travail en CAPITAL…"
La propriété individuelle pré-capitaliste est détruite par le capitalisme montant. La grande masse du peuple est expropriée de ses moyens de travail individuels et est transformée en prolétariat qui, de par l'évolution de sa situation sociale et de par l'évolution du capitalisme, devient travail exploité socialement. C'est la propriété privée capitaliste qui oppose le CAPITAL au TRAVAIL. La propriété privée capitaliste est donc la première négation de la propriété privée individuelle sur les moyens de production. Elle devient une propriété sociale d'un ensemble d'individus et, plus généralement, d'une classe sociale détenant l'ensemble des moyens de production et lui permettant d'avoir à sa merci une autre classe sociale qui se livre obligatoirement, comme travail salarié, à l’exploitation de la classe qui possède l'ensemble des moyens de production.
Mais le procès de production capitaliste produit lui-même les conditions de sa propre disparition : la révolution politique du prolétariat qui lui permet de s'emparer des moyens de production qui sont déjà, sous la forme de propriété privée sociale capitaliste, une propriété commune et collective d'une classe. La révolution socialiste constitue la double négation de la propriété privée individuelle sur les moyens de production. Négation de la propriété privée individuelle = propriété privée sociale d'une classe.
Négation de la propriété privée capitaliste = négation de toute propriété sur les moyens de production = négation de toutes contradictions économiques entre classes sociales.
La tendance historique du socialisme est donc à la réduction révolutionnaire des contradictions économiques entre privilégiés et exploités, exactement le contraire du "socialisme d'État" de Monsieur Charles Bettelheim. Lui voit ces contradictions se renforcer et l'État "dépérir au fur à mesure qu'"ils" (les exploités - "la couche la moins privilégiée du prolétariat") prennent l'habitude de leur exploitation" ! Un tel phénomène est unique dans l'histoire et n'existe qu'a l'état d'abstraction formelle dans les "couches" hautement socialisées de l'éminentissime cerveau qu'est Mr Ch. Bettelheim, économiste–sociologue distingué.
Si Marx emploie souvent, (dans le long texte cité plus haut) - (La fin de la première partie du capital, partie rédigée entièrement par Marx lui-même et publiée de son vivant, et où il renvoie intentionnellement au “Manifeste des communistes”, le tout adapté au nouveau de la lutte de classe avant 1870) -, des phrases telles que : "chaque capitaliste en tue beaucoup d'autres" ou "l'expropriation de beaucoup de capitalistes par quelques-uns", c'est parce que c'est effectivement le caractère dominant du capitalisme libéral et de la libre concurrence qui fleurissait du temps où Marx écrivait son capital et auquel la lutte de classe de l'époque devait s'adapter. C'est ce qui fait que ce passage du "Capital" renvoie au "Manifeste communiste", l'un et l'autre sont adaptés à l'un et à l'autre. Cela n'empêche pas Marx de voir beaucoup plus loin théoriquement, comme nous l’avons vu pour des écrits antérieurs même au Manifeste, comme Economie Poltique. Et Phil., et comme nous le verrons plus loin dans d'autres passages du CAPITAL.
La concentration capitaliste en cartels, monopoles et trusts, puis, à notre époque, le contrôle permanent de l'État et même la possession par l'État des principaux moyens de production sont les phénomènes qui ont surgi dans la société, depuis.
Ce qui est étonnant, c'est cette discussion autour de la bureaucratie "nouvelle classe", - (discussion avec variantes et du reste pas nouvelle, car ce n’est pas une invention burnhamienne mais trotskiste, mais qui a surtout aujourd’hui acquis les faveurs de ceux qui suivent "la mode littéraire" : un monde hétéroclite de lecteurs assidus de "digests", bourgeois américanophiles, certains "héros" de la gauche socialiste – tout penauds que le révérend-père Blum et consorts du MRP leur aient pris leur "3e force" – , certains trotskistes qui se doivent "d’être présent" partout et, enfin "en bloc", le dernier congrès anarchiste qui, comme tout congrès anarchiste, ne représente rien puisque tout le monde est d'accord pour dire qu'il est en désaccord…).
Ce phénomène (la bureaucratisation de la classe capitaliste) est un phénomène historique naturel et normal d'une classe et d'un mode de production qui contiennent en eux-mêmes des contradictions dont la principale est qu'ils se maintiennent contre l'état même de développement des forces productives.
Dans une mesure moindre - en faisant une comparaison historique et non absolue - la bureaucratisation de la noblesse, la concentration du pouvoir en monarchie absolue, tout en étant encore typiquement du féodalisme, sa forme la plus achevée présupposaient déjà une forme d'État bourgeois, c'est-à-dire la disparition du féodalisme. De même, l'État bourgeois-capitaliste, au point de bureaucratisation où il en est aujourd'hui, présuppose sa disparition. La bureaucratie n'est pas un phénomène historique unique, c'est une excroissance et une hypertrophie de la classe qui se maintient contre les lois historiques et économiques de son propre système et présuppose un bouleversement social proche ou en train de s'accomplir, et non une nouvelle classe. C'est la même classe atteinte d'une maladie chronique et incurable.
Jamais un seul instant, ni pour Marx ni pour Engels, le phénomène représenté par les différentes phases successives d'évolution de la centralisation de la propriété capitaliste, des mains de plusieurs dans les mains de quelques-uns, des mains de quelques-uns dans les associations de capitalistes, les cartels sous forme de monopoles ou de trusts, et enfin des cartels au capitalisme d'État, jamais ces phénomènes n'ont changé, pour eux, le caractère fondamental, prédominant, du mode de production capitaliste : opposer le CAPITAL et le TRAVAIL, être un mode de production qui produit et reproduit du capital par la reproduction et l'accumulation, et dont le but essentiel est de produire de la plus-value.
Dans le passage suivant du Capital, il est particulièrement caractéristique que, pour Marx et pour Engels, l'évolution du capitalisme pouvait très bien changer la forme organique de la classe capitaliste et de la concentration de la propriété industrielle entre les mains de grandes sociétés par actions ou de l'État, sans changer pour cela la structure économique fondamentale de la société ; cela prouve également que le capitalisme d'État n'est ni une "nouveauté" ni une invention de turbulents "gauchistes", si ce n'est une découverte de nombreux socialistes et dont les marxistes Marx et Engels ont fourni de nombreuses fois des tentatives d'interprétation scientifique.
Voici quelques grands passages de l'évolution et de la transformation du capitalisme chez Marx et Engels :
Cette belle époque des escroqueries boursières (qui marque surtout la fin du XIXème siècle et dont le début de ce siècle a vu encore de grands "scandales") est aujourd'hui devenue de l'histoire, sans que cela en ait fondamentalement modifié la structure et le fond de l’analyse de Marx.
La note de Engels ajoute, pour donner encore plus de force a l'idée fondamentale de la différence entre la forme et la structure du Capital :
Dans cette note, Engels explique clairement :
Dans l'Anti-Dühring, Engels est encore plus précis et plus net. Dans cette partie, il entend bien montrer le rôle réel des "socialisations", il entend bien pousser jusqu'au bout les possibilités et les nécessités de l'intervention de l'État dans les affaires de la bourgeoisie et il montre très bien, et cela à la fin du XIXème siècle, la signification du réformisme, qu'il se manifeste aujourd’hui sous l'étiquette trotskiste du "Programme" ou sous celle selon laquelle la "bureaucratie" est nécessaire à la "construction du socialisme" de Bettelheim.
D’abord, il fait ressortir que les contradictions et les crises du système capitaliste le poussent sans cesse à concentrer les moyens de production…
Engels ne parle pas ici des différentes façons dont ces étatisations ont été opérées, avec ou sans indemnités, mais cela ne semble pas le tracasser beaucoup ; en effet, ces étatisations sont, certes, un progrès (au XIXème siècle) mais il s'engage malgré cela, sur le chemin de la critique du réformisme. Aujourd’hui, l'étatisation et les "socialisations" sont devenues les mots d'ordre de guerre des partis représentants du capitalisme d'État, c'est-à-dire de l'aspect actuel de conservation de la société de classes, représentants dont le trotskisme est une petite "aile gauche" (si ce terme peut encore garder une signification aujourd’hui). Voulant faire de la tactique valable il y a un siècle la tactique "de lutte de classe révolutionnaire" d'aujourd’hui, ils ne font qu'aboutir dans la pratique journalière de leurs mots d’ordre revendicatifs, quand leur formulation a par un hasard extraordinaire un écho quelconque, au capitalisme d'État :
Pour Engels, il ne s'agit pas de questions secondaires ; et, si les forces extérieures des moyens de production changent, s'il y a évolution (et c'est normal qu'une société ne soit pas un schéma inflexible), ce qui compte pour déterminer si ces différentes phases de l'évolution restent dans le cadre général du mode de production capitaliste, c'est avant tout que les forces productives suivent le procès de production, d'accumulation et de répartition capitalistes, au sens le plus général que ces termes peuvent exprimer ; et que le "capital" soit toujours opposé sous cette forme au "travail". Toutes ces conditions sont indispensables à la poursuite du procès de production capitaliste.
Et qu'importe si cette propriété capitaliste est entre les mains de petits capitalistes, de grandes capitalistes, de sociétés par actions ou de l'État. Qu'importe du point, de vue "purement économique", du schéma de la reproduction capitaliste, mais non de la lutte de classe qui varie sensiblement et doit s'adapter à la nouvelle évolution de la société.
Mais revenons au développement de Engels :
Et que l'on ne vienne pas nous dire que c'est là une boutade de Engels. Dans la note qu'il ajoute, Engels explique pourquoi il emploie le terme "est obligé" quand il dit :
Ce qui revient à définir la dialectique du développement de la crise du capitalisme, qui crée lui-même les conditions favorables à sa propre disparition.
De Bismarck à Staline, ce sont toujours les mêmes "socialistes" ; les temps ont seulement changé, dans ce sens que ce sont eux qui sont chargés, un peu partout, de "faire" la politique "réactionnaire" que des Bismarck pratiquaient hier avec l'appui de certains. On comprend qu'il y ait des Bettelheim et des Martinet qui voient dans l'État stalinien une "étape constructive vers le socialisme (transitoire)", si hier des "socialistes" ont pu appeler "socialistes" les nationalisations de Bismarck ou de la IIIème République française. Des "socialistes" expansionnistes prussiens ou français, aux "communistes" impérialistes staliniens, la route est la même ; il s'agit de faire des ouvriers, avec une certaine démagogie, du bétail électoral et du bétail pour la boucherie impérialiste.
(1er chapitre, à suivre)
Philippe
Il y a trois façons de considérer la révolution russe :
a) la première est celle des "socialistes" de tout poil, droite, centre et gauche, révolutionnaires et (...) en Russie, indépendants et tutti quanti, ailleurs.
Avant la révolution, leur perspective était : la révolution russe sera une révolution bourgeoise démocratique, au sein de laquelle -démocratie bourgeoise- la classe ouvrière pourra lutter "démocratiquement" pour "ses droits et ses libertés".
Tous ces messieurs étaient, naturellement, en plus de "révolutionnaires démocrates sincères", de fervents défenseurs du "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes", et arrivaient à la défense de la nation par le détour d'un internationalisme à sens unique, partant du pacifisme et aboutissant à la lutte contre les agresseurs et les oppresseurs. Ces gens-là étaient des "moralistes" dans le plus pur sens du terme, défendant le "droit" et la "liberté" - avec un grand D et un grand L - des pauvres et des opprimés.
Bien entendu, quand la première révolution, celle de février, éclata, ce fut un torrent de larmes de joie et d'allégresse, la confirmation de la sainte perspective, enfin la sainte révolution tant attendue.
Ils avaient seulement oublié que le coup de pouce donné par l'insurrection générale de février ne faisait qu'ouvrir les portes à la vraie lutte des classes en présence.
Dans tous les pays du monde, le premier Mai 1948 va servir d'occasion et de prétexte pour mobiliser les masses ouvrières. Tous les États, officiellement ou officieusement, les partis politiques, les organisations syndicales vont rivaliser d'ardeur et montrer leur habileté dans le mouvement d'enveloppement et d'abrutissement universel de larges masses, et l’église elle-même viendra apporter sa bénédiction divine.
Le premier Mai a cessé d’être une journée de manifestation de l'unité internationale de prolétariat pour devenir une journée internationale de manifestation de son asservissement idéologique au capitalisme.
Et rien n'indique mieux cet asservissement que le fait de la pénétration au sein prolétariat des idées nationales, du bien-être, de la grandeur, de la libération ou de la défense nationale. De symbole de l'internationalisme prolétarien, le premier Mai est devenu un moyen supplémentaire extrêmement subtil et très efficace de pénétration idéologique par la classe ennemie.
Des groupements se disant révolutionnaires, comme les anarchistes et les trotskistes, prétendent redonner au premier mai son caractère de classe, son caractère révolutionnaire. Ils appellent les ouvriers à "reconquérir" le premier Mai. Ce faisant, ils montrent leur attachement infantile et superstitieux à l’enveloppe et non au contenu, à la phrase plus qu'à son essence.
Nous savons combien est fort l'enchaînement de la tradition ; c'est là un des secrets qui a toujours servi et permis aux classes conservatrices de maintenir leur domination sur les masses opprimées. La continuation de la lutte révolutionnaire et émancipatrice du prolétariat ne se fait pas par la fidélité aux rites traditionnels, aux symboles sacrés, aux images saintes ; au contraire, c'est en se libérant de tout ce fatras superstitieux et fétichiste que l'on peut poursuivre l'action révolutionnaire.
Le prolétariat n'a plus besoin d'une journée internationale de grève transformée, aujourd’hui, en fête nationale du travail. Le gréviste du premier Mai, aujourd’hui, ne marque en rien une conscience de classe par rapport au non-gréviste ; et souvent, c'est le contraire qui est vrai. Aussi, n'hésitons pas à nous désolidariser et à nous placer en dehors de toute l'agitation, en dehors de tous les appels à la grève. Entre l'affirmation de la lutte de classe qui est la nôtre et la grève-manifestation de ce premier de Mai, qui rassemble physiquement les ouvriers sur un fond de destruction de leur conscience révolutionnaire, il ne peut y avoir rien de commun mais, au contraire, opposition intransigeante, absolue.
En tant que journée de lutte de classe, le premier Mai appartient intégralement au passé, à l'histoire du mouvement ouvrier. Il exprime une étape historique de formation du prolétariat, de sa prise de conscience ; il est lié à cette période d'ascension du capitalisme pendant laquelle le prolétariat devait et ne pouvait lutter que pour des revendications immédiates, pour l'obtention, par sa lutte, de réformes économiques et politiques, dans l’intérêt de sa classe. La lutte pour le suffrage universel, pour le droit d'association, pour le droit syndical, pour la liberté de la presse, pour la journée de huit heures, voilà le contenu concret de la journée du premier Mai.
Avec la fin de cette période du capitalisme, c'est la fin des possibilités internes de réformes du régime, en même temps que la fin nécessaire de la lutte du prolétariat pour ces objectifs limités, désormais stériles.
Le déclin du capitalisme, faisant de la guerre permanente et des destructions catastrophiques le mode de vie de la société, donne à la mission historique du prolétariat un objectif concret, immédiat et pratique.
Sa lutte ne peut désormais avoir un caractère de classe que dans cet objectif : la lutte révolutionnaire permanente pour la destruction du régime et de l'État capitaliste.
La mobilisation du prolétariat sur la base des objectifs du passé, c'est son immobilisation dans le présent et l'interdiction d'une orientation vers l'avenir. Les objectifs passés et les traditions servent ainsi de voie d'accès largement ouverte à la pénétration corruptrice de l'idéologie capitaliste, en même temps qu'ils deviennent un barrage enrayant et contredisant la marche en avant de l'esprit révolutionnaire de la classe.
Ce n'est pas l'accaparement par les partis socialistes et staliniens - qui, en donnant aux manifestations du premier Mai des objectifs nationalistes, lui enlève son caractère de classe - qu'il importe de dénoncer ; ce qui plus important, c'est de comprendre que c'est la nature de cette journée, intimement et inséparablement liée à la lutte pour des objectifs aujourd’hui dépassés et périmés, qui permet l'utilisation et l'accaparement de cette manifestation traditionnelle par ces partis au profit du capitalisme.
Le capitalisme sait qu'en emprisonnant le prolétariat dans le passé, il lui interdit l'avenir et il s'y emploie de toutes ses forces. Surtout les socialistes et les staliniens, ces principales forces agissantes du capital au sein du prolétariat, prouvent, par leur exaltation de la tradition du premier Mai, avoir compris cela ; autant les anarchistes, trotskistes et autres groupes prouvent, en cette circonstance comme en tant d'autres, n'avoir rien compris ; et, sans se rendre compte et tout en bêlant, ils suivent le capitalisme, la corde (de la tradition) au cou.
Les révolutionnaires doivent une bonne fois pour toutes se libérer d'un sentimentalisme dissolvant et comprendre que la journée du premier Mai, en tant que manifestation de lutte de classe, appartient désormais à l'histoire du mouvement ouvrier.
La journée du premier Mai, en tant que manifestation du présent, ne peut contenir la lutte de classe ; elle est et ne peut être qu'une manifestation d'asservissement du prolétariat, une journée du capitalisme.
Internationalisme
Nous avions montré, dans un précédent article, comment les journaux bourgeois manifestaient à leur manière une certaine "compréhension" politique, et cité "Le Monde" et une de ses enquêtes en Hongrie. Nous revenons aujourd’hui au même journal, qui a su estimer correctement le sens des trois grands discours prononcés en France le 18 Avril.
C'était le jour des élections italiennes. De Gaulle à Marseille, Thorez à Paris et Schumann à Poitiers prenaient la parole. Les trois forces dominant la situation en France (le RPF, le parti stalinien et… la "troisième") firent connaître une nouvelle fois, par leur bouche, alors que se réglait en Italie l'équilibre des deux blocs qui dominent l’Europe, leur programme et leur politique intérieure. On disait partout que, dans les événements qui présidaient à cette journée, le sort du "communisme" était en jeu. Et l'on prévoyait qu'une opposition sociale séparait les partis dont les leaders prenaient la parole, que celle-ci allait éclater ouvertement pour apparaître à travers les discours. Leurs thèmes exprimeraient des contenues de classe différents et creuseraient un fossé entre les staliniens et leurs adversaires.
C’est du moins ce que pouvaient attendre staliniens et stalinisants de tous poils, en particulier les diverses variétés de trotskistes. Nous leur laisserons le soin, maintenant que les paroles ont été prononcées, de décanter le contenu "prolétarien" qu'à un titre ou à un autre ils croyaient trouver dans le discours de Thorez, et de nous dire en quoi les prises de positions que ce discours exposait marquent une délimitation de classe par rapport au RPF et au gouvernement. Pour nous qui estimions qu'aucune opposition sociale fondamentale (sinon une opposition séparant trois facteurs internes au capitalisme) n'existe plus entre les partis spécifiquement bourgeois et les partis ex-ouvriers, nous n'attendions rien d’autre que ce qui fut. Nous savions qu'aucune opposition essentielle n'apparaîtrait entre les trois discours du 18 avril. L'examen des textes ne laisse plus aujourd’hui aucun doute.
C'est sur ce point que "Le Monde", journal "authentiquement" bourgeois nous intéresse : il partage, après l'expérience, le même point de vue que nous. Et c'est une leçon qui a bien sa valeur parce que l'opinion bourgeoise traditionnelle reflète un pourrissement idéologique et politique moindre que celui des partis qui se parent indûment des oripeaux de la classe ouvrière. Son appréciation est donc à considérer, dans certaines limites naturellement. Elle éclaire utilement la situation pour les révolutionnaires, dans la mesure où elle reflète un sens de classe averti : celui de la classe capitaliste.
C’est le moment de se rappeler que Lénine commençait ainsi sa "Maladie infantile du communisme" :
"Je dédie cette brochure au très honorable Mr. Lloyd George en signe de reconnaissance pour le discours quasi marxiste – et en tout cas éminemment utile aux bolcheviks du monde entier - qu'il a prononcé le 18 Mars 1920."
Lénine estimait alors que l'homme d'État anglais avait pu donner une leçon aux ténors de la deuxième internationale parce qu'il s'était placé franchement et cyniquement du point de vue de sa classe, la bourgeoisie. "Le Monde", dans son commentaire des discours du 18 Avril, n'a pas fait autrement.
"Trois villes, trois hommes, trois discours…" écrit Mr Jacques Fauvet. À Marseille, le général de Gaulle a défini la charte politique de son rassemblement devant une foule qui continue de voir en lui quelqu’un de plus grand qu’un chef de parti. Le passé, la gloire sont ici mêlés au présent et l'histoire à la politique.
À Paris, Mr Maurice Thorez a développé le programme de son parti devant un rassemblement de jeunes et de femmes qu'il a convié à aller "au-devant de la vie". Car c'est l'avenir qui se trouve ici éclairer le présent, et la philosophie (?) éclairer la politique.
À Poitiers enfin, Mr Robert Schumann a fait démocratiquement un rapport de gestion devant des hommes débonnaires dont les réalités quotidiennes retiennent tous les soins. Car c'est ici le présent qui se suffit à lui-même.
On ne saurait ainsi imaginer d'auditoires, d'auditeurs et de thèmes plus différents. Mais tous, en même temps, se retrouvent pour souhaiter quelque rassemblement, chacun le voulant pour soi et autour de soi, chacun aussi pressentant que la réforme des chaires ne dispense point les hommes de réformer eux-mêmes. Le général de Gaulle veut restaurer la "moralité", Mr Maurice Thorez "le sens moral" et Mr Robert Schumann "l'homme en lui-même". Point de politique pure apparemment que tout cela". (Le Monde, 20 Avril 1948, p. 1, 2º colonne)
Ce n'est point un hasard si ce journaliste conclut, avec le verbiage agréable qui sied à un grand journal capitaliste, qu'il n'y a aucune "politique pure" dans les thèmes respectifs des trois discours. Également, si ce sont les belles phrases moralisantes, opiumantes ou autres qui lui sont apparues comme le point de contact ou de rupture des trois forces en présence. C'est simplement qu'avec une bonne foi estimable, il n'a trouvé dans les discours… que de la phrase. On sait bien qu'à d'autres époques les confrères de Mr Fauvet ne s'y trompaient pas et distinguaient fort correctement dans les luttes idéologiques, apparemment recouvertes d'un même vocabulaire, le bon grain bien-pensant de l'ivraie révolutionnaire. Le même sens de classe - qui faisait alors reconnaître dans les "utopies" communistes un réel danger social - se retrouve aujourd’hui sous la plume du journaliste du "Monde" lorsque celui-ci affirme avec bonhomie que les trois discours ne sont socialement qu'un duel du verbe.
Cette opinion n'est pas que celle de Mr. Fauvet. On la retrouve dans une autre colonne du même journal où est publié son article. Mr. Rémy Roure écrit, en effet, dans le même sens que son collègue :
"Nous n'avons entendu hier que des paroles d'apaisement, des appels à l'union de tous les français, des mots d'ordre de "rassemblement" pour le salut du pays. Partout, des mains ouvertes déversant des promesses. Il n'y aurait, semble-t-il, qu'une conclusion à tirer de tant d'éloquence fraternelle : un vote, demain, unanime pour le gouvernement de Mr Robert Schumann, une majorité qui comprendrait, au nom du pays, l'unanimité de l’assemblée." (id. colonne 4)
Cette unanimité des collaborateurs du "Monde" à ne voir dans les propos de Gaulle, Schumann et Thorez que l'expression d'un même contenu social, d'une "politique" qui reste inscrite dans un même cadre, celui de l'"unanimité", est donc édifiante pour nous. Rendons hommage : elle est parfaitement correcte.
Le point faible, évidemment (mais il faut bien qu’une pensée bourgeoise trouve quelque part son point faible…), c'est lorsqu’il s'agit d'expliquer pourquoi, malgré une substance identique, les discours des chefs des trois forces politiques en présence appellent néanmoins à la lutte. Rémy Roure note qu'à première vue la conclusion qu'on devrait tirer serait que le gouvernement Schumann trouvera demain un "vote unanime" ; mais il ajoute aussitôt qu'en réalité il n'en va pas ainsi : "Nous n’en sommes pas là. La main de Mr. Maurice Thorez ouverte à "tous les français" - catholiques, socialistes, républicains, "résistants" - se détourne de celle du président du conseil qui, d'ailleurs, pensons-nous, ne le regrette pas." (id.)
Pourquoi cette opposition de politiques en dépit de l'identité des phraséologies ou des programmes ? Évidemment, cela reste pour la bourgeoisie française et ses auxiliaires, un mystère qu'ils ne peuvent comprendre. La transformation structurelle que le capitalisme vit de nous jours, transformation conduisant au capitalisme d'État, lui échappe au moins dans son intégralité et dans sa signification.
Sans doute, comprend-elle bien que les conflits politiques intérieurs reflètent les antagonismes entre les deux États dominants sur la scène mondiale. Mais, même sur ce point, qui ne concerne cependant qu'un aspect partiel du problème, sa vision reste nécessairement indécise. Sa fraction de droite - celle que représente précisément "le Monde" - se rend bien compte des rapports qui unissent le stalinisme au Kremlin et elle est la première à "démasquer" cette situation. Mais, du même coup, elle en oublie que le RPF et la "troisième force" ne sont, malgré leur opposition, que les instruments communs de l'impérialisme américain. Par contre, sa faible fraction stalinienne a une réelle conscience de ce dernier phénomène, mais conscience qui s'assortit à son tour d'une "ignorance" des liens qui l'attachent elle-même à la bureaucratie de l'Est.
C’est en vérité le reste (le plus important !) que la bourgeoisie ne peut comprendre du tout, à quelque camp qu'elle appartienne. À savoir, quelles conditions internes, quels impératifs sociaux inhérents dictent avant tout en France, même de l'intérieur, le confit entre les trois forces en présence. Si l'affaire se tranche en définitive sur le plan du capitalisme mondial et si les rapports des blocs en sont une expression, il n'en est pas moins vrai que c'est par les conditions propres à la France que les rapports politiques prennent leur expression dans ce pays. Sur ce terrain, elle ne comprend pas ni le fait qu'elle reste fondamentalement divisée ni pourquoi. Elle poursuit toujours, en même temps que des luttes la déchirent, le mythe inaccessible de l'unanimité.
En réalité, le capitalisme se transforme en capitalisme d'État. En France (et ce serait vrai ailleurs), cette transformation entraîne un changement dans la situation des classes, notamment dans les rapports internes de la classe capitaliste, de la partie de la société qui est liée à l'exploitation du travail. Le capital monopoliste se fond avec l'État, ce qui tend à la destruction de la bourgeoisie monopoliste d'avant 1930 et au développement d'une bureaucratie économique. Celle-ci est puisée dans la bourgeoisie ruinée ou évincée de la propriété individuelle du capital, et dans les appareils politiques et syndicaux. La lutte pour la fusion du capital dans l'État oppose la bureaucratie à la bourgeoisie. Des formes structurelles diverses se développent, qui expriment les rapports de forces successifs entre le monopole privé et l'État : intervention, contrôle, plan, nationalisation. En même temps et en fonction des phases de cette lutte, les conflits restent ouverts pour la gestion de l'État, capitaliste universel qui absorbe la société : gestion autoritaire ou parlementaire. Une partie de la bureaucratie - la plus avide et la plus consciente d’elle-même - appuyée sur des masses plus larges, notamment les masses ouvrières aliénées, a trouvé son intérêt propre dans une étatisation totale. Une autre - moins "indépendante" et plus immédiatement liée aux intérêts privés de l'oligarchie monopoliste - s'en tient à un dirigisme qui laisse au capital une vie, soumise certes à l'État mais distincte de lui. La première constitue la gauche du capitalisme d'État, la seconde sa droite. Et une opposition d'intérêts les dresse l'une contre l'autre.
La France d'aujourd'hui laisse donc, malgré l'absence de prolétariat révolutionnaire, la place à des luttes politiques qui, pour ne pas dépasser les limites de l'exploitation du travail, n'en sont pas moins violentes à leur manière. Ces luttes développent, approfondissent le capitalisme d'État et, avec lui, la décomposition du capitalisme et le déclin de la civilisation. Par conséquent, n'en déplaise à Mrs Fauvet et Roure ainsi qu'à leur journal, il reste, sous le couvert d'une idéologie commune, suffisamment de place pour trois discours et même plus. Des discours qui expriment les forces d'un même régime social. Forces convergentes et divergentes à la fois : convergentes lorsqu'il s’agit de perpétuer l'exploitation capitaliste du travail, divergentes lorsqu'elles expriment les intérêts propres de fractions opposées de la bureaucratie et de la bourgeoisie.
L'ignorer, c'est se couper de tout moyen de comprendre l'histoire de la période. Si cela n'a pas d'importance pour les journalistes dont nous parlions et pour leur clientèle bourgeoise, ça en a une capitale pour nous. A bon entendeur salut !
MOREL
Nous sommes arrivés à un stade du développement des forces productrices où la guerre est devenue un état permanent de l'ordre social établi. En dehors de la presse au service de la finance, et qui ne trompe pas le prolétariat, la guerre est devenue le cheval de bataille des groupements dits "de l'avant-garde révolutionnaire", chacun se donnant pour tâche d'en dénoncer les horreurs sans pour autant s'attaquer à sa cause. Il est tout à fait courant, dans ces milieux, d'opposer constamment la révolution à la guerre. Tout se passe, en vérité, comme s'il en était d'une affaire de bon sens. Cette appréciation de la situation se retrouve également dans "la troisième force" et son satellite, le RDR. Cependant, à regarder de plus près, nous pouvons dire que, si effectivement la guerre est à l'ordre du jour, elle l'est avec la participation des travailleurs qui réalisent leur jonction avec les partis de la guerre ; et c'est cela qui nous éloigne des "canonniers" de l'agitation. Si nous voulons illustrer ce fait, il suffit de citer l'exemple des dockers de New York, lesquels se sont refusés de charger la marchandise à destination de la Russie. Il y a de l'autre côté de la barrière autant d'exemples à citer. Les grèves de novembre 1947 en France et en Italie sont des manifestations du même ordre dans le camp stalinien.
Comme on ne justifie pas la nature de classe d'un conflit en fonction de la violence de celui-ci, mais uniquement lorsqu’il oppose vraiment le prolétariat en tant que classe à la bourgeoisie, nous sommes obligés de reconnaître que le jeu de ces tendances opposés, en France par exemple, ne donne nullement lieu à une évolution reflétant les oppositions de classes antagonistes mais représente les contradictions qui se produisent au sein d'une même classe, laquelle a réalisé l'incorporation en son sein de l'ensemble de la société, les ouvriers y compris. Cette incorporation n'est possible qu'en fonction de la réalisation de l'objectif qu'elle comporte, c'est à dire la guerre. Que cette incorporation s'effectue sous l'étiquette de la démocratie ou sous celle du fascisme, cela ne peut avoir pour résultat pour la bourgeoisie que d'utiliser au mieux ces instruments à son service. Aussi, la lutte existant en France, entre le gouvernement Schumann, le RPF et le PCF exprime les contrastes du capitalisme dans le sillon qui l'oriente vers la guerre. Mais l'équilibre de la position capitaliste se traduit par un renforcement de la classe bourgeoise contre l'idéologie prolétarienne et c'est cela qui nous pousse à le souligner.
Si nous disons, par exemple, que Lénine a continué Marx, nous entendons par là qu'il a révisé la position contingente que Marx avait appliquée en 1848 vis-à-vis de la démocratie, devenue une force réactionnaire dans la nouvelle phase du capitalisme. Ceux qui continue la pensée révolutionnaire sont ceux qui, après une analyse réelle de la fonction des forces en présence, arriveront à une conclusion autre que celle préconisée dans les contingences antécédentes ; la lutte de prolétariat est toute dans l’avenir ; ses phases successives s'enchaînent non comme des anneaux similaires d'une chaîne mais comme des phases différentes de son ascension ; et cela vaut pour tous les mots d'ordre d'agitation lancés en pâture aux ouvriers. Celui-ci ne peut résoudre les problèmes politiques qui se pose à lui que pour autant qu'il les pose et qu'il cherche à les comprendre.
Le problème historique qui se pose à l'humanité, à l'époque de la guerre permanente, n'est pas dans l’affectivité de la lutte contre la guerre, comme aux plus beaux jours de la IIème Internationale. Il consiste à remettre en question les principes infirmés par le devenir historique et ayant conduit le prolétariat dans la situation de recul que nous traversons. La révolution de 1923 vaincue en Allemagne devait justifier les prémisses de la tactique préconisée par la gauche ; elle devait dès lors remettre sur la sellette les problèmes et la tactique de la révolution mondiale. En laissant au trotskisme le soin de rejeter toute la responsabilité de l'histoire sur les facteurs subjectifs - bureaucratie stalinienne -, le capitalisme devait trouver, dans le mouvement révolutionnaire d'hier, la possibilité de sa continuité et c'est ce qui précisément étouffa l'indépendance de la conscience révolutionnaire mondiale. Au lieu de considérer les expériences d'octobre 1917 comme une manifestation politique de la conscience révolutionnaire, qui pourtant n’était pas parvenue à son point culminant, on enchaîna cette conscience à l'adoration des normes économiques de "l'État ouvrier". Ainsi, de ce fait, tous les mots d'ordre employés par les Bolcheviks et qui correspondent à une période donnée devaient devenir des vérités définitives et éternelles du prolétariat mondial et se perpétuer dans les groupements actuels. La conception de la lutte contre la guerre des groupements de "l'avant-garde" reste une image stérile avec de pareils mots d'ordre. Aujourd'hui encore, on utilise le langage classique de la grève générale du congrès socialiste de 1892, époque du capitalisme libéral.
À ce congrès, Briand s'exclamait : "La révolution ne dépend pas de quelques bonnes volontés, sans cela il y a longtemps que vous l'auriez faite. La volonté humaine peut hâter les circonstances. Le prolétariat a pu être souvent enclin à la révolte sans aller à la révolution, faute de moyens. En lui offrant ce moyen, la grève générale a pour but précisément de dégager ces bonnes dispositions latentes." Quelle différence avec le programme transitoire des trotskistes et la grève générale révolutionnaire des anarcho-syndicalistes ? Le malheur est que nous sommes en 1948, époque du capitalisme étatique.
Nous avons déjà vu plus haut comment cette conception de la lutte sert les intérêts des fractions capitalistes, parce qu'au travers de ces grèves nous assistons à une pénétration toujours plus profonde de l'idéologie bourgeoise dans les rangs ouvriers. C'est précisément ce que n'avait pas compris la FFGC qui, pour ne pas rester passive devant les grèves de novembre 1947, a appuyé un tel mouvement.
Aujourd’hui, l'opposition historique de classe dépasse le cadre de revendication de la grève générale, pour poser le problème de la destruction de la société capitaliste dans toutes les expressions et la nécessité du socialisme.
Il en est du même en ce qui concerne les "guerres nationales et progressives" où cette formule du "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes" des laboratoires trotskistes. À l'époque de Marx, lorsque l'Europe était travaillée par les convulsions de la révolution bourgeoise, la guerre progressive pouvait permettre d'espérer la transformation de la révolution bourgeoise en une révolution prolétarienne. Marx la soutenait contre la Russie féodale, bastion de la réaction. Mais, actuellement, il est néfaste de s'engager sur une telle voie. Nous vivons à une époque où le capitalisme représente une force rétrograde sur l'échelle internationale. Il est totalement exclu qu'il puisse exister un État national et progressif, même dans les colonies. La nation est un concept propre au capitalisme dans la lutte pour la conquête de débouchés, à la mobilisation des exploités pour la guerre, et n'a rien à voir avec l'idéal international et révolutionnaire du prolétariat. Il est donc faux que les travailleurs puissent s'occuper de son sort puisque leur victoire signifie son anéantissement. Ce concept national revêt encore un plus grand danger dans la préparation à la guerre. Le trotskiste défend l’État progressif de la Russie et renforce ainsi un bloc contre l'autre dans la phase rétrograde du capitalisme. Il est l'altération de l'essence même du marxisme. Nous assistons au même dévoiement par la tactique de la défense des États démocratiques contre les États fascistes, ou encore dans l'alliance avec une fraction (démocratique) contre une autre à l’intérieur des pays. Cette théorie du moindre mal consiste, dans la pratique, à ce que le prolétariat s'impose un gouvernement exploiteur à la place d'un autre gouvernement exploiteur.
Cette tactique n'a d'autre résultat que de faire payer aux travailleurs les frais du patriotisme et des libérations nationales ; quand sa bourgeoisie est antifasciste, il s'agit de lutter avec celle-ci contre une autre, au nom de la liberté (la Résistance, le maquis). Tout cela exprime une collaboration de classe mal camouflée sous le masque de "l'armée du peuple" "pour les intérêts des masses travailleuses". En vérité, le problème n'est pas comme le voient les partisans du meilleur choix. Le prolétariat a sa solution propre aux problèmes de l'État. Que celui-ci soit démocratique ou fasciste, le prolétariat n'a aucune initiative à prendre en ce qui concerne les solutions que donnera le capitalisme à sa forme d'État. La solution du prolétariat, c'est la lutte pour la destruction de la structure du capitalisme mondiale, au travers de son indépendance totale vis-à-vis de toute fraction bourgeoise : fascisme ou antifascisme. C'est, du moins, ainsi que devraient poser le problème les groupements d'avant-garde.
Ainsi donc, la lutte contre la guerre, si elle est effectivement la préoccupation de l'"avant-garde révolutionnaire", les faits prouvent qu’elle n'est pas uniquement du ressort de la volonté révolutionnaire. L'histoire a ses conditions objectives et nous fournit en outre des exemples dont il faut dégager des enseignements. La transformation de la guerre impérialiste en guerre civile est une conception révolutionnaire valable aujourd’hui comme en 1914-18. Mais tandis que les uns, comme les trotskistes, croient apercevoir cette transformation dans des péripéties propres à la guerre impérialiste, indépendamment de l'existence et de la force d'une avant-garde révolutionnaire et du prolétariat organisé sur un programme de classe, la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile ne doit pas être une vue de l'esprit ou un processus spontané mais le résultat d'un long travail révolutionnaire, se délimitant à chaque instant des positions et des organisations de la bourgeoisie et tendant à donner au prolétariat son sens de classe par son indépendance idéologique conditionnant son indépendance organisationnelle. Alors que les trotskistes voyaient et misaient, lors de la deuxième guerre mondiale, sur des mouvements tels que la Résistance et les maquis, ils ne pouvaient pas apercevoir le travail moléculaire qui s'effectuait au sein du prolétariat européen contre la guerre. Cependant, certaines manifestations de classe ont eu lieu en Italie en 1943 ; mais, empêtrés dans la confusion de la guerre progressive antifasciste et la défense de l'URSS, les groupements dits d'avant-garde ne les ont pas compris et n'y ont pas apporté toute l'attention nécessaire. Les événements d'Italie de 1943, n'ayant pas trouvé d'écho dans le prolétariat international corrompu par la démagogie et la confusion politique, devaient être exploités et transformés au bénéfice du capitalisme.
Petit groupe compact, nous cheminons à travers une période noire pour le prolétariat ; et à l'encontre des groupements qui se parent des manteaux de gloire, lançant des mots d’ordre et des appels à l'action, nous nous refusons d'en faire de même. Nous pensons que la défense des intérêts du prolétariat et son avenir résident dans l'auto-critique des positions d'hier, dans la discussion autour de certains critères fondamentaux de classe, confirmés par l’histoire. Pendant que les travailleurs défileront sous la bannière des partis de la guerre, en ce 1er Mai 1948 et au son de la musique militaire, la pensée révolutionnaire poursuivra son chemin.
GOUPIL
Dans un article récent du 15 novembre 1947, nous mettions en garde des camarades du SDR sur la non-viabilité de leur syndicat autonome dans leur secteur, ainsi que toute autre organisation permanente dans une situation historique de recul des forces révolutionnaires. Nous leur disions que l'attitude adéquate à la révolution de demain n'était pas d'obtenir le plus grand nombre d'alliés mais, au contraire, de garantir la cohérence des principes de classe. La vérité est que le SDR -qui représentait, d'après l'aveu-même de ses dirigeants, 1800 à 2000 ouvriers- n'a pas réuni le nombre de voix suffisant pour contrecarrer la position de la CGT autrefois inexistante dans le secteur, et c'est le candidat de cette dernière qui vient d'être élu délégué.
La CGT reste toute puissante, d'autant plus que le SDR continue à injecter la confusion dans la classe ouvrière avec son agitation stérile autour de l'échelle mobile des salaires qui ne sert que les brigands staliniens. Quant à nous, nous continuons d'affirmer que, sur le terrain corporatif, la lutte pour la révolution restera négative. Combien était plein d’illusions le groupe de la FFGC, qui déclarait que la possibilité de la lutte révolutionnaire existe sur le terrain des salaires, par la formation des comités de lutte. Point n'était besoin de prendre une carte syndicale du SDR dans l'espoir de noyauter des éléments, comme l'espérait le camarade de chez Renault appartenant à cette fraction.
RG
La revue "La Révolution Prolétarienne" est l'organe des syndicalistes révolutionnaires en France, un groupe qui a eu le rare mérite d'être resté internationaliste durant la première et la deuxième guerre impérialistes mondiales. Ils ne sont pas nombreux les groupes et même les individualités révolutionnaires qui peuvent se revendiquer d'un tel palmarès. Bien sûr, il y a eu des défections ; tous les militants de la RP n'ont pas résisté, mais le noyau fondamental de l'équipe est resté fidèle et constant. Dans cette période, la plus tourmentée du mouvement ouvrier, qui va de 1910 à 1945, où nous avons assisté à l'effondrement de tant d'espoirs, à l'effondrement de la deuxième puis de la troisième Internationales, se vautrant dans la boue de la collaboration de classe et du chauvinisme enragé, la petite équipe de Monatte et de ses amis ont maintenu leur idéal du socialisme prolétarien et leur haine contre la guerre. C'est là leur honneur, et on ne saurait le répéter. Aussi, étions-nous parmi les premiers à exprimer publiquement notre satisfaction et à saluer sincèrement la réapparition de la RP au lendemain de la guerre.
Mais quel chemin parcouru depuis 1914. Quelle différence entre son dynamisme révolutionnaire au lendemain de la première guerre et son piétinement lamentable au lendemain de la deuxième guerre. Pour ceux qui ont connu son activité d'autrefois, la RP d'aujourd’hui leur parait être une triste caricature, un fantôme sans chair ni os.
Au lendemain de la première guerre, l'équipe de Monatte fait un pas en avant en adhérant à la troisième Internationale. Avec la crise dans l'IC, elle perd pied, trébuche sur la notion de parti et fait rapidement deux pas en arrière. Depuis, elle n'a cessé de reculer, se mouvant dans une confusion grandissante et se raccrochant désespérément à deux notions, comme à une bouée de sauvetage : l'unité syndicale et l'indépendance syndicale.
Il est courant que les groupes et les tendances finissent par avoir des dadas. Le dada de la RP, c'est la Charte d'Amiens. Mais quand la RP, pour répondre aux problèmes surgis dans une période aussi bouleversée et fondamentalement changée qui est la nôtre, où la société capitaliste est entrée dans sa phase de déclin, où la guerre est devenue l’état permanent et où le capitalisme a pris la forme nouvelle du capitalisme d'État, quand pour répondre aux problèmes d’une telle période, la RP ne sait se référer qu'à la pauvre Charte d'Amiens de... 1906, c'est plus qu'un dada. Cela indique que le syndicalisme révolutionnaire est définitivement frappé de sénilité.
La répétition à satiété : "le syndicalisme se suffit à lui-même et à tout" ne pouvait être qu'une bien piètre réponse à des événements qui modifiaient profondément l'histoire et les rapports entre les classes, tels que l'opposition et l'échec de la révolution prolétarienne, les transformations du capitalisme, l'apparition du stalinisme, du fascisme et de l'étatisme, la permanence de la guerre, le dirigisme économique, le rationnement et la sous-alimentation croissante, l'incorporation plus ou moins forcée des ouvriers dans les syndicats devenus des organismes étatiques de l'État capitaliste.
S'en être tenu à cette charte d’Amiens, à cette notion périmée du syndicalisme, d'une période révolue a interdit à la RP la compréhension de la nouvelle situation. La plus sévère punition, la RP vient de se l'infliger elle-même en étant amenée à nier ce qui représentait l'axe principal de ses conceptions : l'unité syndicale.
Pendant quinze ans, la RP a fait de l'unité syndical son cheval de bataille. Elle n'hésitait pas, pour cette campagne, à s’associer à ses plus vieux et plus acharnés adversaires, comme F. Dumoulins, pour former, en 1930-31, le fameux comité des 22 pour l'unité syndicale. C'était la moitié de sa raison d'être. Aujourd’hui, la RP, avec Monatte en tête, se félicite de la scission de la CGT, se félicite et emboîte le pas à Jouhaux et consort, et emploie toute son énergie et influence pour cette opération.
Ce n'est pas nous qui déplorerons la scission. Il y a belle lurette que nous sommes convaincus que les syndicats sont devenus des casernes pour la classe ouvrière. Depuis longtemps déjà que les unités ou scissions syndicales ne se font pas en fonction des intérêts des ouvriers et sous leurs pressions mais uniquement en fonction du capitalisme et des intérêts et intrigues de ses partis politiques. Mais, pour une tendance comme la RP, pour qui le syndicalisme fut l'unique et plus sûr moyen de l'émancipation du prolétariat, passer d'une position de l'unité à celle de la scission signifie la plus catégorique négation de soi-même.
Monatte et la RP n'enfourchent pas la scission pour des raisons intéressées. Loin de nous toute suspicion de ce genre. Mais là n'est pas le débat. Après tout, les raisons d'intérêts personnels, si elles existent, ne jouent cependant jamais, même chez des Jouhaux et des Frachon, le rôle prépondérant. Les scissions ou unifications syndicales obéissent à des raisons politiques supérieures, au-dessus des intérêts personnels.
En préconisant aujourd'hui la scission, la RP reconnaît implicitement la faillite de sa doctrine, du syndicat pouvant exister par lui-même et se suffisant à lui-même.
Chamberland, pour calmer les inquiétudes de ses amis qui ne peuvent concilier la politique de la scission avec la bible d'Amiens, explique dans la RP que la scission est un mal nécessaire mais salutaire. Elle s'impose aujourd'hui pour soustraire le mouvement syndical à la main-mise des staliniens. On peut être un fervent catholique, croire en Dieu le père devant l'apparition du diable, on a recours à la sorcellerie. Ne sait-on jamais… La crainte du stalinisme, une crainte de nature forcément politique, est plus forte que la foi catholique d'un syndicalisme unifié.
En somme, la RP sacrifie l'unité du mouvement syndical pour sauver, croit-elle, l'indépendance d'une partie du mouvement. Un chien vivant vaut mieux qu'un mort, raisonne-t-elle rationnellement.
En somme, la RP sacrifie l'unité du mouvement syndical pour sauver, croit-elle, l'indépendance d'une partie du mouvement. Un chien vivant vaut mieux qu'un lion mort, raisonne-t-elle rationnellement.
C'est là une consolation mensongère ; et nous hésitons à croire la RP aussi naïve pour prendre, pour de l'argent comptant, l'indépendance d'une organisation où Jouhaux et consort sont les maîtres. Le récent congrès constitutif de la CGT-FO a mis fin à de tels espoirs, même pour les plus naïfs. L'échec consommé, dans ce congrès, par la tendance autonomiste, les statuts renforçant l'autorité de la direction bureaucratique, la définition de l'orientation précisant la politique de la présence, c'est-à-dire la participation et la collaboration dans tous les organismes étatiques sur les plans national et international, est-ce là l'indépendance du syndicalisme pour laquelle la RP a sacrifié la moitié de sa plateforme : l’unité syndicale ?
Si la RP estimait vraiment indispensable de sacrifier l'unité pour l'indépendance, pourquoi alors n'a-t-elle pas rejoint plutôt la CNT ? La vérité, c'est qu'à son corps défendant la RP s'est vue forcer d'abandonner aussi bien l'unité que l'indépendance et, ombre d'elle-même, elle se traîne aujourd'hui dans l'ombre de Jouhaux et du réformisme.
Le syndicalisme révolutionnaire vient ainsi de prononcer son propre arrêt de mort. Il meurt sans grandeur. C'est là un prix, cher certes, mais qui était indispensable pour faire comprendre aux ouvriers que le syndicalisme aujourd'hui ne peut être ni révolutionnaire ni indépendant ; quant aux militants révolutionnaires, ils ne peuvent le rester qu'en abandonnant résolument et consciemment le syndicalisme.
Il est nécessaire de signaler encore un autre aspect qui indique la direction dans laquelle évolue la RP. Si, lors de la première guerre mondiale, l'attitude de Monatte et de ses amis a été celle d'un internationalisme prolétarien intransigeant, il n'en a pas été tout à fait de même dans la deuxième guerre. Le silence gardé pendant les années de la deuxième guerre n'était pas dû simplement aux conditions nouvelles de l'occupation et de la répression. Ce silence avait des motifs plus profonds, des motifs de désarçonnement politique interne.
La théorie corruptrice de l'antifascisme avait profondément mordu sur le corps doctrinal de la RP. Comme tant d'autres groupements ouvriers, la RP s'était vu, sinon substituer complètement, tout au moins établir une connexion entre la lutte de classe et la lutte antifasciste. L'opposition entre démocratie et fascisme, formes de la domination capitaliste, prenait une place et une importance égale à l'antagonisme historique de classe prolétariat-capitalisme. La lutte contre le capitalisme, disait-on, passait, dans les conditions présentes, par la lutte contre le fascisme, puis isolément en soi. On échafaudait toute une nouvelle théorie selon laquelle la lutte contre le fascisme, par l'alliance immédiate qu’elle nécessite avec des forces "démocratiques" de la bourgeoisie, disloque l'unité du bloc capitaliste, l'affaiblit en conséquence et, par-là, favorise la marche en avant du socialisme. De la lutte contre le fascisme aux alliances avec toutes les forces antifascistes, de l'alliance au soutien de la démocratie bourgeoise, le chemin était tout tracé à la participation dans la guerre aux côtés du bloc "démocratique" anglo-américain contre le bloc allemand. La répétition générale fut la guerre espagnole dans laquelle la RP, avec quelques réserves et critiques, prenait place dans un camp (républicain) de la bourgeoisie contre l'autre. Rien d'étonnant que la RP se trouvait complètement désorientée face à la guerre de 1939-45. D'une part son attachement aux souvenirs d'un passé internationaliste et antimilitariste qui lui interdisait de se faire le champion d'une guerre impérialiste, d'autre part la confusion, dans laquelle elle patauge depuis des années concernant la lutte antifasciste, qui l'incitait à voir dans l'Allemagne hitlérienne l'ennemi nº 1, l'ennemi commun, et dans la guerre 1939-45 quelque chose de plus qu'une guerre impérialiste : une guerre entre démocratie et fascisme. De là l'attitude peu nette et ambivalente de la RP ; son âme déchirée, et son refuge dans le silence. Si, les militants de la RP, individuellement, chacun pour son compte et selon sa conscience, ont été laissé libre de flirter avec la résistance, la RP dans son exemple, en tant que tendance, a préféré se saborder pour éviter la pénible obligation de définir une pension et de résoudre un conflit de conscience au-dessus de ses forces. Toutefois, il faut lui rendre cet hommage qu'elle a retrouvé ultérieurement, au lendemain de la libération, avoir eu assez de force et de courage pour dénoncer le chauvinisme outrancier des staliniens.
Mais voilà que plane à nouveau la menace de la guerre. L'antifascisme, au lieu de disloquer et d'affaiblir le monde capitaliste, n'a fait que détruire la conscience de classe du prolétariat et a conditionné la perspective de la guerre qui est le mode de vie du capitalisme décadent. À nouveau, l'humanité anxieuse se trouve devant la perspective imminente de la guerre généralisée, mais cette fois, non pas entre les classiques antagonistes, germaniques et anglo-saxon, mais entre les États-Unis et la Russie. L'antifascisme, qui a servi de plateforme de dévoiement du prolétariat et à son entrainement dans la deuxième guerre impérialiste, est quelque peu usé. Il demande à être rajeuni, rénové, mis au goût du jour pour pouvoir servir de moyen de mobilisation des masses ouvrières dans la prochaine boucherie. Du côté bloc russe, il est à peine modifié ; là, on ajoute à "l'antifascisme" la lutte contre la ploutocratie financière de l'impérialisme des États-Unis, termes directement puisés dans l'arsenal de propagande des Goebbels et consorts. Du côté bloc américain, on remplace l'antifascisme par l'anti-totalitarisme, l'anti-stalinisme.
De même que pour la deuxième guerre, c'est toujours aux mêmes charlatans, qui se disent "représentants" du prolétariat, qu'est confié la tâche d'assurer la propagande pour obtenir l'adhésion des ouvriers à la prochaine guerre. Derrière les politiciens corrompus, chefs des partis socialistes et des gouvernements démocratiques, toute une kyrielle d'hommes de cœur, écrivains, philosophes, militants syndicalistes et politiques, qui se disent de gauche, les uns ayant perdu leur tête et ne comprenant plus rien, mais désorientés, angoissés, troublés, tremblants et ne sachant à quel dieu ou diable se vouer, les autres ambitieux, cherchant à accrocher leurs illustres noms à un clou disponible ; tout un monde d'aventuriers, de canailles de la pire espèce aux pacifistes larmoyants et militants désespérés, de respecter et de dénoncer, sur tous les tons, le danger du totalitarisme stalinien. La psychose de pierre se nourrit, dans le pays du bloc américain, de ces dénonciations unilatérales du danger stalinien. Les "très" à gauche parlent bien, de temps en temps, du capitalisme américain, d'une terrible lutte contre la guerre, mais tout cela reste phrase creuse, en l'air.
C'est en concrétisant leur verbiage qu'apparaissent leurs oreilles d'âne. Avec un petit centimètre sentimental, à la mesure de leur grandeur d’âme, ils mesurent la gravité de la situation et la part de responsabilité de l'autre bloc. Et cette mesure infaillible leur indique aussi infailliblement la part prépondérante de la responsabilité russe dans la prochaine guerre.
Aujourd’hui, ils sont encore à mesurer et à se lamenter ; demain, ils retrouveront leur esprit pour dire et faire ce qu'ils ont dit et fait hier, et que A. Koestler a bien exprimé :
Avec cette seule différence que les mots "anglais" et "allemands" seront modernisés et remplacés par États-Unis et Russie et qu'à la place de fascisme il faudrait lire stalinisme. La troisième guerre pourra se dérouler dans d'aussi bonnes conditions que la précédente.
L'anti-stalinisme tout court est à la troisième guerre ce qu'a été l'antifascisme à la deuxième. La RP est encore plus anti-staliniste qu'elle n'a été antifasciste. Pour l'anti-stalinisme, elle a vendu son âme, sa charte d'Amiens, son unité syndicale, son indépendance syndicale. L'internationalisme lui a dicté sa lutte contre la première guerre ; l'antifascisme l'a rendu silencieuse dans la deuxième guerre, l'anti-stalinisme la fera marcher dans la troisième guerre.
Il suffit de lire les articles de la RP où l'on s'efforce de faire ressortir les différences substantielles pour le prolétariat entre les régimes démocratiques et staliniens pour être fixer sur l'orientation qu'est la sienne. Nous citons, pour l’illustrer, ces quelques lignes extraites d’un petit article intitulé "En marge de la grande histoire" paru dans la RP de janvier 1948. Rappelant le peu de cas que Moscou a fait de la volonté des pays qu'elle occupe, l'auteur de l'article met en parallèle la solution d'un conflit qui a opposé les États-Unis au Panama. Il s'agit de bases navales que les États-Unis occupaient au Panama ; il écrit :
Ce n'est pas mal, n'est-ce pas… Mais ce n'est là qu'un premier pas.
Mais on dit qu'il n'y a que le premier pas qui coute.
MARCO
L’article ci-dessous est d'un camarade du groupe "Communistes des Conseils" de Hollande. Ce groupe révolutionnaire s'est plus particulièrement penché sur le problème du fonctionnement de la production et de la répartition en société communiste. Il est regrettable que les travaux fort intéressants de ce groupe soient peu connus dans le mouvement international. On doit voir la cause de cette ignorance dans l'indifférence à toute recherche théorique qui est aujourd’hui le trait le plus caractéristique de la plupart des groupes et militants, préférant à l’effort fécond mais lent de l'étude et de la compréhension un activisme tapageur aux résultats immédiats mais finalement stériles.
En publiant cet article, dont nous ne partageons pas intégralement les idées et en nous réservant de les discuter ultérieurement, nous estimons contribuer au développement de la pensée révolutionnaire qui répugne au monolithisme et au monopole, et ne peut se faire que par l’information et la confrontation des idées des différents groupes.
La Rédaction
En 1921, "LE BONHEUR UNIVERSEL" ou “MON COMMUNISME” de Seb. Faure ; une deuxième édition, vient de sortir. Le livre est une fantaisie dont l'écrivain dit :
Mais 1921 est bien derrière nous. Et, quand nous le lisons en 1948, ce livre ne peut guère nous satisfaire concernant les questions fondamentales économiques d'une société communiste-libertaire ("Libertaire" en opposition avec communiste d'État = capitalisme d'État). Ce n'est pas un reproche au livre de 1921 car, en ce temps-là, notre connaissance des conditions économiques du communisme était encore très restreinte. Cependant, le développement du capitalisme d'État en Russie et du capitalisme, en général, dans le reste du monde ont permis de mieux discerner les problèmes du communisme. Quoiqu'il ne soit pas possible d'élaborer les principes économiques dans un ou plusieurs articles, il est possible de montrer de quels problèmes il s'agit.
Dans le livre de 1921, la fantaisie du déroulement de la révolution sociale est esquissée en quelques pages. Ce sont les syndicats qui jouent le rôle révolutionnaire et ils sont chargés de la gestion de la production et de la distribution. Pour 1948, ces idées sont très improbables parce que les syndicats sont devenus des instruments du capital d'État. Ils sont et resterons les ennemis-les plus féroces d'une révolution libertaire. Mais ce n'est pas le sujet de notre article.
Dans "MON COMMUNISME", la révolution est décrite comme victorieuse et nous voyons quelles mesures ÉCONOMIQUES sont immédiatement nécessaires.
"On décida de détruire tous les titres, valeurs et billets de banque français et de constituer avec les titres étrangers et le métal monnayé le Trésor commun” (p. 51).
Alors, on se décida à l'abolition de l'argent. Mais quelles sont les conséquences de cette mesure ? L'argent a deux fonctions : il est un moyen de distribuer les marchandises dans la société et il est un moyen pour compter en général. Pour la répartition des marchandises, on peut faire des bureaux, mais n’est-il pas nécessaire de remplacer la deuxième fonction ?
À l'époque de 1921, il était généralement admis, dans le mouvement, qu'un moyen pour compter en général est superflu dans l'économie communiste. C'était l'idée des sociaux-démocrates, bolcheviks et anarchistes. En voici quelques exemples :
Le calcul de la vie économique ne serait pas fait en argent ou quelque autre mesure générale, mais seulement en quantités de marchandises. On voulait compter seulement avec des mètres, des kilomètres, des tonnes etc. Bref : économie "en nature". Le social-démocrate Otto Neurath caractérise l'économie communiste ainsi :
C'est aussi le point de vue de "MON COMMUNISME". La seule différence consiste dans la vitesse de l'abolition de l'argent. "Mon Communisme" estime possible de retirer l'argent immédiatement, pendant que les sociaux-démocrates de droite et de gauche, eux, voulaient le faire progressivement. Mais il n'y a pas une différence à l'égard du calcul "en nature". Nous verrons que l'organisation de l'économie, qui s'édifie sur une économie sans dénominateur commun, est la même chez tous les courants politiques de la social-démocratie jusqu'à l'anarchisme. Le résultat est le capitalisme d'État.
Le "SYSTEME NEGATIF" - Le but du mouvement révolutionnaire est de remplacer le mode de production capitaliste par une production communiste. Mais, quand on voit ce que les différents protagonistes comprennent sous un mode production communiste, on est déçu. Les caractères du système communiste sont habituellement décrits ainsi : il n'y a pas d'argent, les marchandises n'ont pas de prix, il n'y a pas un marché. C'est pourquoi les écrivains bourgeois l'appellent quelquefois "un système négatif". Or ce n'est pas juste, parce que ces caractères négatifs sont annulés (pour les révolutionnaires) dans la production sans dénominateur général : la production "en nature". Pour eux, il ne s'agit pas d'un système négatif, mais positif. Il s'agit seulement d'organiser toutes les branches de la production-distribution comme un tout. C'est ainsi que le problème économique du communisme se change en un problème d'organisation. Et il va de soi que cette construction organisationnelle est déterminée par les conceptions qu'on se fait des bases économiques.
"MON COMMUNISME" décrit "l'organisation de la vie communiste par la dictature et l'épanouissement de cette vie par l'entente libre et fraternelle." (p. 6) (En italique dans l’original). Cet épanouissement est aussi une organisation de la vie, il ne sera pas une organisation par l'État et ses bureaux mais une organisation comme résultat de libre entente. Cependant, comme les bases économiques de "MON COMMUNISME" sont les mêmes que celles du communisme étatique (production en nature), la question est : dans quelle mesure, les principes d'organisation par libre entente sont compatibles avec les bases économiques. Parce que "dans une société libre comme la nôtre, il y a le principe et le fait et il y a souvent opposition entre l'un et l'autre." (p.227).
"L’INVENTAIRE DES BESOINS" - Maintenant, nous voulons voir de quelle manière la production est réglée dans "MON COMMUNISME". Comme nous l'avons dit, il n'y a pas un marché. Les besoins déterminent la production. Il faut donc avant tout fixer la somme de ces besoins :
Ainsi, on croit avoir une vue générale des besoins de tout le pays. Maintenant, on doit avoir une vue générale des possibilités de production. Et ce sont les communes qui font connaître ce qu'elles peuvent produire :
Les besoins des habitants et les possibilités de production établis, la tâche du Conseil Économique Suprême est de répartir les charges de production, les machines, les matières premières et les marchandises de consommation individuelle :
Nous n'avons pas réussi à découvrir la différence entre ce système libertaire et le système social-démocrate ou économie d'État, défini par R. Hilferding comme ci-dessous. Il est vrai que "MON COMMUNISME" dit "que toute cette vaste organisation a, pour base et principe vivificateur, la libre entente" (p. 202) ; mais, pour un système économique, nous exigeons des principes économiques. Quand un principe économique manque, tout le reste n'est que bavardage. Voici les bavardages de R. Hilferding :
Les tentatives russes pour créer un système sans argent ou sans quelque autre unité de compatibilité ont suscité une diatribe dans la presse ouvrière. De divers côtés, on montrait qu'il est impossible d'établir un plan de production, si on ne peut ramener les actes de travail à une mesure générale. De même, il est impossible de juger la rationalité du processus de travail des diverses branches.
En général, le résultat de cette discussion après 1921 fut qu'on était convaincu de la nécessité d'une unité de comptabilité. Mais la solution était trouvée dans deux directions. Les uns se résolurent à l'impossibilité de l'abolition de l'argent. Les autres se décidèrent à la suppression de l'argent, mais ils prirent l'heure de travail comme unité de comptabilité. Ce deuxième courant est représenté par Otto Leichter ("die Wirtschaftarechung in der sozialistischen gesellschaft" - Wien, 1923). Le premier courant est représenté par Karl Kautsky ("Die proletarische Revolution und ihr programm" - 1922).
Avant la révolution russe en 1917, il nous avait appris que :
Mais, en 1921, il nous apprend que la valeur ne disparait pas car "la compensation des comptes" sera exécutée sur la base de l'argent. L'argent est indispensable "comme mesure de la comptabilité et pour le calcul des relations d’échanges" et aussi comme "moyens de circulation". Il ignore la position de l'argent dans "la deuxième phase du communisme" parce que "maintenant, nous ne savons pas si celle-là ne sera plus qu'une illusion, le royaume de 1000 ans". (Kautsky : Die prol. Rév. etc… p.317…518).
La plus profonde étude sur l'économie communiste est parue en 1930 dans le livre intitulé "Les principes de base de la production et de la distribution communiste", écrit par le Groupe Communiste des Conseils de Hollande et édité par le AAUD (Union générale des travailleurs) en Allemagne. Hormis une critique sur l'économie sans mesure générale, on trouve ici l'heure de travail remplaçant la fonction de l'argent et étant le pivot de toute l’économie, c'est-à-dire dans la production, la consommation, le contrôle de toute la vie économique.
Pourtant, quoique ce livre étudie les bases économiques du communisme, le point de départ est plus politique qu'économique. Pour les ouvriers, il n'est pas facile de saisir le pouvoir politique-économique mais il est encore plus difficile de le garder. Or, dans les conceptions présentes du communisme ou socialisme on tend à concentrer tout le pouvoir de gestion dans peu de bureaux étatiques on "sociaux". Dans ce cas cette nuance n’est qu’un mot, ce n'est pas réel. Le conseil économique suprême distribue les appointements du peuple de même que les moyens de production, les matières premières et les marchandises de consommation. Ce conseil dispose du pouvoir réel économique et par là du pouvoir politique dans la société. C'est aussi le cas dans “Mon communisme”. Le conseil fixe et fait connaître aux habitants de quoi ils disposent et ce qu'ils ont à fournir.
Dans ces circonstances, les travailleurs deviennent politiquement et économiquement absolument impuissants, désarmés. Ce qui en résulte n'est pas une société communiste mais une concentration du pouvoir sur les travailleurs comme le monde n'en a jamais vu. C'est inévitable. On peut essayer de jeter un pont sur l’abîme, entre l’appareil de gestion et la population par la "démocratie", mais par là on ne fait que mettre en évidence le fait que la gestion de la société n’est pas entre les mains des travailleurs eux-mêmes. Aussi il va dans dire que cette démocratie ne peut pas “mourir”.
C’est pourquoi la grande question réside dans le problème : QUELLES MESURES SONT NÉCESSAIRES POUR QUE LA GESTION DES MOYENS DE PRODUCTION, DES MATIÈRES PREMIÈRES ET DES PRODUITS DE CONSOMMATION NE SOIT PAS LA TACHE D'UN BUREAU AU-DESSUS DES PRODUCTEURS ET DES CONSOMMATEURS ? Autrement dit : quelles mesures économiques sont nécessaires afin que la gestion du travail et de la consommation repose dans les mains des masses travailleuses ? Autrement dit : quels sont les moyens de soumettre le pouvoir économique-politique à la population travailleuse ?
D’abord, nous voulons poser que nous considérons le problème en tant que travailleurs salariés. Nous voulons la suppression de l'exploitation par la suppression du travail salarié. Cela signifie que nous voulons d’abord fixer le rapport existant entre les travailleurs et le fonds de consommation de la société.
Comme connu, dans le capitalisme libre ou étatique, notre part est déterminée par les frais de la vie, c’est-à-dire par le salaire. Mais nous ne voulons plus un salaire. Il faut que nous divisions ensemble ce que nous avons produit ? Or, dans un communisme qui est encore dans "l'enfance", il n'est pas encore possible de "prendre selon ses besoins". Aussi, dans "Mon communisme", le rationnement est envisagé comme nécessaire (p.205). La solution qui prévoit que ce soit le Conseil Économique Suprême qui nous "alloue" ce que nous devons consommer est-elle satisfaisante ? Non, car, dans ce cas, la répartition des biens est laissée à la bonne volonté des dirigeants. La répartition des biens est le sujet d'une lutte pour l'occupation des postes dans l'économie dirigée étatique. Bref : nos droits de consommateurs ne sont pas assurés, le salaire ne peut pas disparaître. C’est pourquoi une mesure fixe pour la distribution de marchandises de consommation est nécessaire tant que "à chacun selon ses besoins" n'est pas encore possible.
Cette mesure fixe ne peut être que l'heure de travail. Quand nous avons donné 40 heures de travail à la société, il faut que nous recevions 40 heures de travail sous la forme de “bons de travail” (en réalité, il faut défalquer de cette somme une partie pour les services sociaux, comme l’enseignement, l'hygiène etc. Le total des frais de ces services est une somme répartie sur toute la population travailleuse.)
Il faut qu’on comprenne bien la signification de cette mesure. Elle n'a rien à faire avec un soi-disant "juste partage" du produit social. Il est vrai qu'une mesure d'application générale contient toujours des iniquités, pour des cas distincts. Le droit égal se change ainsi souvent en droit inégal, en injustice. Ainsi, par exemple, une famille avec des enfants a plus à consomme qu'une famille de deux personnes qui travaillent toutes deux. Ce sont là des maladies "infantiles". On ne pourra parler de justice que dans une société où toute mesure devient superflue et où la distribution se fait selon le principe "à chacun selon ses besoins".
La signification de cette mesure est située dans la relation exacte entre le producteur et le produit social. Le travailleur de la ville ou de la campagne fixe automatiquement ses droits sur le produit social. Personne n'est dépendant de ce qu'un bureau de statistique ou d'économie lui "alloue". En même temps, il signifie qu'il n'existe plus un "salaire". On retient de la société la même quantité de produits qu'on a donné à la société par son travail. C'est pourquoi l'exploitation est en même temps supprimée.
Autrefois, nous nous sommes contentés d'un programme d'ordre tout général : suppression de l'exploitation et du travail salarié. Maintenant, nous savons que cela ne suffit plus. Nous savons le formuler avec plus de prévision et nous exigeons une relation exacte entre le travail et le produit social. Cette revendication doit devenir le début de la révolution prolétarienne.
Au demeurant cette revendication a des conséquences :
- première conséquence : si le travailleur reçoit des "bons de travail" ou des "bons de consommation" selon le temps de travail, il est nécessaire que tous les produits portent un "prix" selon leur temps de production. Par exemple, une paire de chaussure = 3 heures, un kg de sucre = 1/2 heure ;
- deuxième conséquence : pour compter le temps de production des marchandises, il est nécessaire que la mesure des moyens de production et des matières premières soit aussi exprimée en heures de travail. En un mot, l'argent a disparu et tous les comptes sont évalués en heures de travail.
La comptabilité d'une usine de chaussures, produisant annuellement 40.000 paires de chaussures, pourrait, par exemple, être présentée de la façon suivante (les chiffres sont entièrement arbitraires) :
Reçu de la société |
|
Rendu à la société |
Amortissements : |
1500 |
40000 paires de chaussures à 3,125 heures par paire = 125000 heures de travail |
Matières premières, etc. : |
61250 |
|
Bons de consommation : |
62250 |
40000 paires de chaussures c'est-à-dire 3,125 heures par paire |
= 125000 |
- Troisième conséquence : la comptabilité des temps de production est la fonction des usines-mêmes ; la gestion et la direction des usines sont la fonction des travailleurs eux-mêmes. L'État n'a rien à faire ni dans la production ni dans la consommation. L'organisation de la vie économique est une fonction qui s'exécute, dès la base, par la population laborieuse elle-même. Elle réalise la grande coopération des producteurs libres et égaux. Mais une production sur la base des heures de travail sera-t-elle possibilité ? Kautsky estime que ce n'est pas possible et dans son livre "La révolution prolétarienne et son programme", il dit :
Kautsky est d'avis que ceci n’est pas possible. Il estime impossible le calcul des temps de production des produits parce que le processus technique ne permet pas de fixer ce temps.
Mais nous touchons ici au problème fondamental de l'économie communiste. En effet, si le temps de travail ne peut pas servir de mesure de répartition, les produits doivent être alors répartis par une instance spéciale quelconque. Ces instances reçoivent alors le droit de disposition des produits sociaux et ceci n'est possible que si elles disposent aussi des moyens de production. Autrement dit, le capitalisme d'État est alors inévitable, car le pouvoir économique et par conséquent politique passe aux mains de l'État.
On peut en conclure qu'au moment des révolutions les ouvriers ne peuvent devenir les maîtres de la vie sociale que s'ils peuvent rendre superflues ces instances en établissant un rapport exact entre le producteur et le produit social. C'est-à-dire par la suppression immédiate de l'argent et du travail salarié, et par l’introduction de la comptabilité ouvrière dans toute l'économie. Nous ne pouvons pas développer ici ces pensées. Nous regrettons d'être obligés de renvoyer le lecteur de l'édition hollandaise ou allemande du livre "Les principes de base de production et de distribution communiste". Le circuit de l’économie y est exposé et toute la circulation de la production et de la consommation y est définie dans des termes exacts, mathématiques.
G.H.
(suite et fin)[1]
Nous pourrions, si nous voulions poursuivre un travail d'exégèse systématique des écrits économiques de Marx et de Engels, citer plus de cent endroits où il ressort clairement et explicitement que l'existence de la propriété privée capitaliste a ses fondements, ses racines dans ce qui caractérise fondamentalement le fonctionnement de sa production, qui oppose une classe qui possède et administre, dans son but de classe, les moyens de production sociaux à la classe des producteurs dépossédés. Le mode privé[2] d'appropriation des valeurs créées par la classe ouvrière repose donc sur cette opposition, mais l'inverse n'est pas vrai.
C'est sur cette contradiction principale que toutes les autres contradictions secondaires du système fondent leur existence. L'existence de cette contradiction principale est un produit du processus de l'histoire antérieure. Ce processus a été analysé d'une manière magistrale par Marx, mais cette analyse schématique n'en est pas pour cela complète, bien au contraire, et il serait nécessaire d’y revenir.
Cette contradiction fondamentale est tellement le caractère dominant du mode capitaliste de production qu'elle n’existe dans aucun système antérieur. Ce n'est pas en effet cette contradiction, cette opposition entre les possesseurs des moyens de production et les producteurs qui régit les rapports sociaux dans les sociétés antérieurs. Dans la société tribale, il semble (au niveau de nos connaissances actuelles) que les contradictions principales de cette période de l'histoire humaine reposent principalement sur un mode familial de hiérarchie dans le partage et l'appropriation de valeurs créés en commun, quelle que soit d'ailleurs l'organisation de cette hiérarchie familiale ; cette question est loin d'être tirée au clair et la discussion à ce sujet ne fait que s'amplifier au fur et à mesure que les connaissances scientifiques s'élargissent.
Dans la société esclavagiste, il se crée tout un système étatique sur l'une des formes de l'évolution de la société tribale, la forme patriarcale, où les esclaves servent de moyens de production mais (et quoique représentant déjà une contradiction entre eux et l'ensemble de la société), vivent en dehors de cette société et des contradictions fondamentales de son régime de propriété, de son organisation familiale, politique, etc… En un mot, les esclaves (aussi monstrueux que cela puisse paraître) -mais de par l'organisation de la société esclavagiste elle-même- sont en dehors de cette société et de ses contradictions politiques. Il n'en reste pas moins que leur existence représente une contradiction de plus entre la société et eux. Il y aurait d'ailleurs à revoir complètement toutes les opinions classiques, marxistes et autres, sur toute cette période de l'histoire qui va du néolithique à la chute de Rome, qui représentent quatre millénaires d'une richesse historique éblouissante et dont les caractéristiques principales, pour être étudiées à fond, doivent l'être à la lueur de la synthèse de plusieurs sciences qui, en un siècle, ont fait des progrès considérables.
Dans la société féodale, si l'on prend la dernière période à partir des environs du XIème et XIIème siècles, il est clair que, quoique la noblesse ecclésiastique et laïque qui dominait ait vécu sur l'appropriation de valeurs crées par le travail des serfs, la contradiction essentielle qui surgira au sein de cette société entre la noblesse et la bourgeoisie n'a pas son fondement sur l'opposition propriété des moyens de production–producteurs. Cette opposition ne constitue pas le rapport entre la domination de la noblesse et les serfs exploités, elle ne constitue pas non plus le rapport entre la noblesse et la bourgeoisie.
Dans la société féodale de la dernière période, c'est l’opposition historique fondamentale entre la bourgeoisie et la noblesse ; la noblesse ayant intérêt au maintien d'un mode archaïque de production dont la conséquence est la décentralisation, la propriété des moyens de production par les producteurs etc., conditions qui sont une entrave au développement capitaliste (et faut le dire, à tout développement quel qu'il soit) ; la bourgeoisie, fondant son pouvoir de classe sur l'expropriation progressive des producteurs individuels. La bourgeoisie se transformait progressivement en classe capitaliste possédant et administrant le capital social : les moyens de production, et le pouvoir de les opposer aux producteurs dépossédés et livrés à ses lois. L'opposition était celle entre un mode archaïque et un mode supérieur de production et d'exploitation.
La contradiction essentielle de la société féodale ne fut jamais celle entre serfs et nobles mais celle entre la noblesse et la bourgeoisie qui débute aux environs du XIIème siècle autour de la lutte pour les droits communaux ; contradiction essentielle sur laquelle la contradiction secondaire entre serfs et nobles viendra se greffer. Tant que les serfs luttent avec la bourgeoisie, leur lutte a un caractère et un sens historique : elle profite à la bourgeoisie, et par ricochet donne quelques droits et libertés aux serfs (au sens historique bourgeois étroit de ces termes). Quand les serfs luttent seuls dans des jacqueries sans autre fondement qu'une exaspération de leur misère épouvantable, ils sont voués à l'échec, ils doivent être massacrés ou rentrer chez eux et leurs chefs être torturés sur la place publique.
Le socialisme n'a donc de sens historique que par le fait que la société capitaliste oppose la classe qui possède et administre le capital social, c'est-à-dire les moyens de production, à la classe productrice, le prolétariat. Toute lutte existant au sein de la société capitaliste, pour juste qu'elle soit, pour louable qu'elle soit, qu'elle repose sur l'exaspération d'une misère ou d'une oppression quelconque, n'a aucun sens historique et est vouée au massacre, si elle n'est pas reliée à la lutte du prolétariat pour détruire (non pas physiquement, mais historiquement) l'existence d'une classe possédant les moyens de production.
Les moyens de production sociaux pouvant devenir la non-propriété de tous, par l'expulsion de l'arène politique, par la violence, des classes dirigeant la politique des États et dont les contradictions internes, politiques, économiques et autres n'ont de fondement, ne peuvent subsister que justement sur le maintien de la contradiction historique-économique essentielle entre classe capitaliste et prolétariat.
Le cadre de l'État, de la Nation, étant, comme nous le verrons au chapitre suivant, l'organisation juridique et politique interne de la classe capitaliste, toute modification économique au sein de cet État ne peut qu'intéresser la classe dont le maintien d'un État national (ou d'un système fédéral étatique d'organisation de plusieurs minorités nationales -produit d’évolution antérieure-) constitue le fondement de son maintien dans l'histoire en tant que classe dominante possédant les moyens de production sociaux et les faisant tourner dans le but de satisfaire ses besoins historiques (ou autres) propres de classe.
L'évolution des États capitalistes, au cours de leur histoire, est le produit, pas seulement des contradictions entre le prolétariat et la classe capitaliste, mais également de contradictions inhérentes au mode capitaliste de production. Cette évolution est le produit de l'évolution de la société toute entière, mais également de contradictions ayant surgi localement et dans des conditions historiques et économiques particulières, chaque État revêt fatalement un aspect particulier dans un moment donné de l'histoire. Il n'en reste pas moins que ces évolutions particulières sont dominées et déterminées par des conditions pouvant être généralisées :
On peut donc tirer de grandes caractéristiques générales d'évolution dans chaque cadre propre, ou ce que l'on appelle loi du point de vue scientifique et dont l'étude de chaque loi propre d'une part et de l'action réciproque de ces lois sur l’histoire de la société nous amèneront à considérer les développements particuliers de chaque État et Nation, et l’évolution de cette société. Nous devons revenir à l’abstraction, en partant du particulier au général pour revenir au particulier. Il ne faut cependant jamais se gargariser de formules et ne pas perdre de vue qu'une abstraction doit toujours être la meilleure formulation, la meilleure représentation de rapports concrets.
Bettelheim -dans un article "de fond" où il considère qu'il fait de l'analyse scientifique là où il fait la destruction systématique de la pensée marxiste réelle- attaque jésuitiquement Burnham (comme nous l'avons souligné dans "Internationalisme" nº 31 – pages 28-29-30-31) en visant, à travers lui, les révolutionnaires marxistes. L'article de Bettelheim, "Une mystification, la révolution directoriale" ("Revue Internationale" nº 16), pourfend, écrase, transforme en poussière Burnham et sa "révolution directoriale". Quand Bettelheim a terminé, que la poussière burnhamienne s'envole sous l'ouragan de sa dialectique "marxiste", "scientifique", "matérialiste" et autres…, il reste, bien en place, toujours la même chose avec une autre étiquette et un autre costume, socialiste ce coup-là : la Russie "soviétique", le grand "mystère" du siècle, le monstre du Loch Ness des économistes, la terreur des journalistes qui font de "l’analyse scientifique" comme Alexandre Dumas faisait de l'histoire. Le feuilleton et le roman se disputent le "Grand Mystère Russe". Dans le genre "économiste", Bettelheim a fait ce qu'il y a de mieux comme assaisonnement du marxisme à la sauce tartare. Il faudrait écrire des volumes pour réfuter la quantité fantastique d'énormités contenues dans ses articles de la "Revue Internationale", nous nous bornerons ici-là à un exemple.
Le sérieux de ces "docteurs" et "professeurs" en "économie", "histoire", "philosophie", "psychologie" et autres choses ressort de la concrétisation politique des fumées de leurs pensées "analytiques" et autres…, la transformation de leur pensée fumeuse en action, politique fumeuse que l'on pourrait appeler une praxis fumeuse : du néant au néant à travers le néant.
Voilà, dans la conclusion de Bettelheim (article cité), comment celui-ci pose le problème de Burnham et, par-là, le sien propre :
La première proposition, de "il s'est contenté d'opposer…" à "tourner le dos à cette image…", est valable pour tous ceux qui pensent qu'il y a opposition entre la société "soviétique" actuelle et "l'image" que l'on peut se faire d'une société socialiste, est donc valable également pour nous. La deuxième proposition à partir de "...et que, par conséquent…" laisse à entendre soit :
I) que tous ceux qui pensent cela (ceux qui opposent la Russie actuelle au socialisme "idéal") sont mis dans le même sac que Burnham ;
2) que ce que Burnham dit est également la conséquence de la première partie de la proposition.
C'est très astucieux. Cette simple phrase cependant contient cette idée "réaliste" et "matérialiste" essentielle : le socialisme existe "concrètement" en URSS. Tous ceux qui voudraient opposer à ce "socialisme concret" un autre socialisme lui opposerait fatalement un socialisme abstrait et, "donc", "par conséquent... idéal" et "donc" "...par conséquent..." ce sont des idéalistes.
Engels -qui critique déjà ce genre de "socialistes réalistes concrets" dans le passage de l'Anti-Dühring cité dans le nº précédent (nº 33, page 28)- était certes un idéaliste d'opposer un socialisme "idéal" aux capitalistes d'État qui fleurissaient à son époque. Aujourd’hui, les "socialistes réalistes concrets" ont fait des progrès énormes dans les "réalisations concrètes du socialisme" : Mussolini, Hitler, Staline, Attlee, etc., ce qui n'est, en réalité, que du capitalisme d'État.
Quelle est le "critère scientifique" de ce socialisme ? La suppression de la propriété privée (!!!), dans certains États, d'une façon lente et progressive et, dans d'autres, rapide et "violente". Apparemment, la querelle entre "socialistes concrets réalistes" (car ils sont loin d’être tous d'accord) semble planer dans les sphères philosophiques de "la violence" ou de "la non-violence", de "la fin" et "des moyens", semble être un problème : doit-on "réaliser le socialisme d'un seul coup ou bien "progressivement" ?
En "réalité", le problème se pose "concrètement" de la façon suivante : doit-on "réaliser le socialisme" à la manière "démocratique", dans le sens anglo-américain qu'a ce terme, ou bien doit-on le "réaliser" à la manière "démocratique" au sens russe de ce terme ?
La manière "démocratique" russe est dite totalitaire, fasciste, par les "socialistes-démocrates" anglo-saxons (3° force et satellites) ; la manière "démocratique" anglo-américaine est accusée de maintenir "encore trop" le capitalisme et, donc, "sous son allure démocratique, de voiler un totalitarisme etc."
En somme, "la querelle autour de la réalisation pratique et concrète du socialisme" -que les docteurs et professeurs posent- se résume à ceci : il y a deux forces "démocratiques" en présence, celui qui l'emportera aura raison ; en attendant, il s’agit de miser sur le bon tableau. Plus "l'action" concrète entre les deux formes de la démocratie se rapproche et plus nos philosophes perdent la boussole. Ils misent sur la démocratie russe, puis sur la démocratie américaine… Mais ne nous étonnons de rien. Dans le conflit qui s'ouvre, ceux qui font leur la profession "des choses de l’esprit" n'ont pas fini de changer cent fois de veste politique, gardant entière leur incommensurable bêtise prétentieuse.
Quand on pose, comme Bettelheim, le problème du socialisme à partir de la "suppression de la propriété privée", il eut été bon de définir explicitement ce que signifiait cette suppression. Et, si une telle explication avait été fournie, il ne lui aurait pas été permis de bavarder comme il le fait, avec un ton docte, sur des "problèmes du marxisme", à savoir si telle ou telle proposition de Marx était… mais laissons-lui la parole :
Très juste, monsieur le professeur ! Mais, depuis Jésus-Christ, tous les chrétiens se querellent pour savoir ce qui, dans les "saintes paroles", était implicitement contenu pour justifier par là ce qu'ils disaient eux. Ce qui nous importe, ce n'est pas tant de savoir si ,"dans ses prévisions", Marx s'est ou non trompé mais si certaines des idées qu'il a émises sont encore ou ne sont plus valables. Ce n'est donc pas sur Marx que nous discutons (parce que tout le monde se réclame de lui) mais de certaines de ses idées, que nous faisons nôtres aujourd’hui parce qu'elles servent notre but de classe.
Or, il est indiscutable, pour tout prolétaire qui a une conscience de ce que doit être le socialisme, que monsieur Bettelheim bavarde comme un concierge, (...) celui du stalinisme, quand il dit :
"… les mots d'ordre..." n'étaient pas des mots d'ordre mais le fondement même de l'idéologie révolutionnaire du marxisme élaborant une négation révolutionnaire de l'État bourgeois capitaliste, mais reconnaissant, contre les anarchistes, la nécessité d'une période de transition.
Pendant cette période transitoire, quoique la pratique révolutionnaire de Marx et Engels se bornait à la Commune de Paris, ceux-ci préconisaient, justement à la lueur de cette expérience, certaines mesures non en vue de résoudre le problème de l'État après la révolution mais de poser ce problème dans toute son acuité.
(2) "Ces mots d'ordre sont parfaitement conciliables avec les exigences d'une période d'insurrection et ils sont même nécessaires pendant une telle période. Mais il ne semble pas qu'ils puissent constituer les bases d'un programme conforme aux exigences de la construction du socialisme…"
(3) "Celle-ci exige, au contraire, une certaine stabilité du pouvoir et la possibilité, pour celui-ci, d'imposer aux couches les moins 'privilégiés' le respect des 'privilèges' des couches supérieures, ce qui n'est pas toujours conciliables avec l'élection directe de ceux dont la fonction est précisément de faire respecter ces 'privilèges'.
(4) "Le fait que les mots d'ordre de la phase insurrectionnelle ne peuvent pas servir de base à un programme de développement de la société prolétarienne est apparu très rapidement sur le plan de la gestion des entreprises. Très rapidement, il a fallu abandonner les mots d'ordre initiaux de gestion ouvrière et de contrôle ouvrier, et l'on sait que, dès 1921, Lénine s'est prononcé pour le principe de la direction unique, principe qui signifiait qu'à la tête de chaque entreprise devait se trouver un seul directeur nommé par les autorités centrales et responsable devant elles, et non pas élu et responsable devant les ouvriers de l'usine."
"les mots d'ordre", qui ne sont pas des mots d'ordre mais le fondement de l'existence de la pratique révolutionnaire élémentaire du prolétariat, coïncident naturellement avec une phase historique insurrectionnelle comme la période de la Commune de Paris (qui ne s'est pas bornée d'ailleurs à cela) et comme celle d'Octobre bolchevik. (2) à (3) passage historique d'une période "insurrectionnelle" à une période de "construction du socialisme". "… il ne semble qu'ils (les mots d'ordre) puissent constituer les bases d'un programme de "construction du socialisme". Le cadre de la "construction du socialisme" est donc admis "à priori" ici, comme celui de la Russie. C'est donc du socialisme stalinien dont il s'agit, c'est-à-dire des plans quinquennaux "socialistes réalistes". Comme on a fait le silence ici sur toute la phase historique de passage de (2) à (3), il est permis au bavard de bavarder. On a simplement oublié la défaite du prolétariat international de 1918 à 1933 et l'isolement progressif de la Russie Cela seulement.
Ce qui permet à Bettelheim de constater que, en Russie, ce qu'il appelle "la construction du socialisme" exige (3) ..."une certaine stabilité du pouvoir..." Avec la même facilité littéraire qu'il a sauté de (2) en (3), il saute de (3) en (4) La (2) en (3), il a sauté une phase historique sur laquelle il se tait prudemment ; de (3) en (4), il saute à pieds joints le problème du socialisme alors que, justement, le problème de la possibilité ou non de construction du socialisme était lié au premier saut historique qu'il a fait de (2) en (3). Comme le problème du socialisme est tout entier lié au "silence du professeur Bettelheim" sur la période de 1918 à 1933, il lui est permis de fonder sur son silence le point (4) "le fait que les 'mots d'ordre' etc." Si, en effet, le silence n'avait pas été fait sur cette période de défaite du prolétariat international, le saut de (3) en (4) ne se serait pas opéré dans le sens de la "construction du socialisme", mais dans le sens de "la construction" de quelque chose qui ne pouvait pas être le socialisme.
En passant, et pour faire le lien, on met Lénine dans le bain en lui faisant dire ce qu'il ne dit pas et en prêtant à son activité un sens différent de la réalité. "… en 1921, Lénine s'est prononcé pour le principe de la direction unique...", en spécifiant que la NEP (dont il s'agit ici implicitement) était un pas en arrière et qu'avant de vouloir faire du mauvais socialisme il valait mieux faire, en Russie, une bonne politique capitaliste d'État. À l'époque, "l'idée du socialisme" était encore liée, chez Lénine, malgré toutes les erreurs que nous lui reprochons, à l'idée de la victoire du prolétariat sur le capitalisme à l'échelle internationale : ce que nous appelons "les silences du professeur Bettelheim".
Ce qui permet au professeur de sauter en (5) "… le développement de la société prolétarienne fait donc... etc." et où il ne s'agit pas de "la société prolétarienne en général", mais d'une société "prolétarienne" spécifiquement stalinienne... Ce qui permet toujours au professeur de fonder, sur ses silences historiques et politiques, une théorie où il remplit le creux de son idéologie avec un verbiage de juriste, où il apparaît qu'il n'a pas compris, chez Marx, qu'un aspect juridique étroit lié, chez Marx, à un problème vaste du socialisme, sur lequel Bettelheim, lui, n'est capable que de faire... le silence.
(6) "Le problème s'est trouvé compliqué du fait que, selon la pensée de Marx et de Engels, il semble que l'on devait assister, à partir de la phase insurrectionnelle, au dépérissement de l'État."
"… le problème se trouve compliqué..." du fait : 1- des silences du professeur ; 2- que la "réalité" russe est en complète contradiction avec la façon dont Marx et Engels posaient le problème du socialisme.
(7) "En fait, l'évolution de la société soviétique ne nous montre, pour le moment, rien de semblable."
(8) "Mais, il n'y a pas là une infirmation du marxisme mais une infirmation d'une prévision trop hâtive et qui est, dans une large mesure, en contradiction avec les considérations de Marx relatives au maintien, pendant toute une période, de certaines des normes du droit bourgeois."
Ce qui lui permet de sauter de (6) en (7), puis de (7) en (8) : "… mais il n'y a pas là...", où le professeur fait contredire le Marx socialiste par le Marx juriste alors qu'ils sont intimement liés ; le problème du maintien de certaines normes du droit bourgeois, découlant du problème du socialisme et de la façon dont on pose ce dernier, et non l'inverse.
(9) "L'expérience semble montrer que c'est seulement après une période de renforcement de la nouvelle structure économique et sociale, après une période aussi où une idéologie nouvelle aura pu prendre naissance (idéologie qui fera apparaître que "les privilèges" des couches supérieures de la classe ouvrière ne sont nullement des violations de principe mais, au contraire, des nécessités inhérentes au développement de la société socialiste) que le maintien des contraintes d'État pourra aller en diminuant..." (Revue Internationale n° 16 – page 396-397)
Les silences du professeur et son verbalisme juriste dans un torrent destiné à nettoyer les écuries d'Augias de burnhamisme, rétablit en réalité celui-ci dans toute sa splendeur : "… l'expérience etc.", ici l'on revient de l'abstrait au concret, des silences à l'existence du stalinisme que Bettelheim et Burnham, chacun à sa manière, posent, à partir d'une conception vulgairement capitaliste d'État, de la suppression de "la propriété privée". (9) Traduire que : c'est lorsque, dans "la masse", commencera à disparaître l'idée de la suppression de la propriété privée et de la suppression des privilèges qui en découlent, que dépérira l'État. En somme, le problème du socialisme peut être résolu par la méthode du professeur Coué. C'est ce que le NKVD s'ingénie à appliquer au prolétariat russe, qui est trop bête pour comprendre qu'il est "en période de construction du socialisme, ce qui nécessite un renforcement du pouvoir étatique. Le renforcement du pouvoir d'État est lié tout simplement au manque d'imagination de la part des non-privilégiés. Bettelheim est mal venu de dire ensuite à Burnham : "… Burnham, quant à lui... s'est contenté d'opposer la société soviétique actuelle à l'image 'idéale' qu'il s'était fait de la société socialiste..."
Burnham voit, dans la contradiction qui existe entre les affirmations des marxistes de l'existence d'une société sans classes et la Russie stalinienne, la preuve de l'utopie du socialisme ; Bettelheim, au contraire, voit dans cette contradiction seulement une apparence, la différence entre la réalité concrète "socialiste russe" et le fruit de l'imagination "de certains utopistes."
Il y a, certes, une différence entre Bettelheim et Burnham mais, dans le fond, ils bâtissent tous deux leur théorie sur le fait qu'ils ne savent pas ce qu'est le socialisme ni le capitalisme, et qu'ils font des romans-feuilletons pour justifier l'existence de ce dernier et en tirer leurs moyens d'existence.
Pour Bettelheim, il y a un "progrès" de la NEP sur le communisme de guerre, du stalinisme sur la NEP etc., alors qu’il y aurait seulement à dire que, dans une période de défaite internationale du mouvement ouvrier révolutionnaire, la Russie de plus en plus isolée, devait organiser son économie. L'organisation de cette économie "en soi" -pour avoir été de progrès en progrès, de communisme de guerre à la NEP et de la NEP aux plans quinquennaux staliniens- n'en a pas moins coïncidé avec une régression constante du mouvement ouvrier révolutionnaire sur le plan international.
Bettelheim n'a pas répondu à la question posée par l’histoire, à savoir : sur quel plan se situe le progrès réel vers le socialisme ? Sur le plan économique des transformations en Russie seule ? Ou sur le plan international de la lutte de classe révolutionnaire du prolétariat mondial ?
Et, en fait, toute la question était là et les silences du professeur sont là aussi pour en faire foi.
C'est ce qui fait que le problème du socialisme qui, pour Bettelheim, est posé à l'échelle étroite de la Russie, non seulement se pose, pour nous, sur un plan géographiquement différent mais aussi idéologiquement différent. La conception de la suppression de la propriété privée de Bettelheim s'arrête là où elle commence pour nous. Pour lui, la suppression de la propriété privée est réalisable dans les limites de l'appropriation des moyens de production par l'État, (et il ne s’agit pas ici d'un État abstrait mais du seul État historique spécifique, russe, stalinien"), alors qu'elle n'est pour nous possible qu'à partir de là où elle finit pour Bettelheim, c'est-à-dire l'expropriation de la propriété privée de plusieurs États capitalistes par l’ensemble de la classe ouvrière du monde entier.
Nous savons que cela ne se fera pas, ni sans heurts ni du jour au lendemain, mais nous ne pensons pas être des "idéalistes" quand nous disons avec Marx :
(fin du chapitre premier)
Philippe
À une époque où le mouvement ouvrier subit une éclipse de près de vingt ans, il n'est pas étonnant de voir, dans les milieux d'avant-garde, les rangs s’éclairer.
Faiblesse, lassitude, révision, tous les facteurs, avec le maximum d'intensité, dans la débandade générale. Ceux que le travail lent et patient de remontée idéologique du cours révolutionnaire – condition d'un nouveau flux révolutionnaire – effraie ou bien indispose vont se précipiter dans le torrent d'activité et de fébrilité bourgeoise, s'imaginant participer ainsi à l'histoire, et voient leur rêve de brassage des masses se réaliser. Ceux-là iront là où les masses pourraient être d'un bloc impérialiste à un autre, indifféremment, selon les opportunités du moment, réussissant une synthèse de nuances et de cabrioles acrobatiques. Et l'illustration la plus frappante, la plus récente, nous est donnée par la crise du parti trotskiste, où la droite –qui constituait le pilier fondamental de la défense de la Russie dans la IVème Internationale– a quitté le parti pour courir à la recherche des masses au travers du RDR.
Hier anti-plan Marshall, les Delmas, les Demazière, par leur action et par la nature surtout du RDR, deviennent anti-stalinien et pro-Marshall (avec contrôle ouvrier s'entend).
Pour reprendre une des expressions de leur attirail trotskiste, ils sont devenus "objectivement" anti-russes avant de le devenir "subjectivement".
Un peu plus loin dans le passé récent de ces quelques années de l'après-guerre 1939-45, nous trouvons alors des camarades issus aussi du trotskisme et qui, au nom de Lénine et, hélas, seulement en son nom, quittent les rangs de la IVème Internationale pour former l'OCR, "juste retour" aux traditions "léninistes-bolcheviks". Seulement la lutte révolutionnaire se moque pas mal des traditions et n'accepte jamais une répétition verbeuse.
Ainsi, ces camarades, sur la pente du révisionnisme, après le rejet de la défense de la Russie, toujours obnubilés par le schéma trotskiste de la révolution (l'agitation mène à la révolution), essayent tour à tour tout l'arsenal des mots d’ordre léninistes et voient très vite l’inefficience actuelle de ce schéma.
Et la fièvre de révision les prend à rebours de toute méthode historique. Partant d'un postulat qu’ils élèvent à la hauteur de facteur déterminant en premier : le machiavélisme russe et son influence sur les masses, ils se posent, comme premier but et intention de lutte révolutionnaire, le développement de toute une idéologie anti-stalinienne et, de surenchère en surenchère, ils en arrivent à joindre leurs voix à toute la curée de l'impérialisme américain.
D'aucun d'entre eux se sont retirés de la lutte après avoir joué les juges dans l’histoire, faisant comme à Nuremberg le procès de l'histoire depuis la révolution russe. D'autres, que la fièvre d'activité démange un peu trop, sont tombés dans l'anarchisme et, à chaque fois, déversent des torrents d'insanité sur une des plus belles pages de l'histoire du mouvement révolutionnaire : Octobre 1917.
Ils sont devenus plus impérialistes que l'impérialisme américain qui, par souci de publicité efficiente, se garde d'éclabousser la révolution de 1917.
Mais ces deux catégories d'individus ne sont que du menu fretin dans le concert des luttes impérialistes. De plus, du côté russe, se retrouvent les mêmes individus, issus toujours du trotskisme – mais conséquents avec leur logique politique –, qui après un stage à la "Bataille socialiste", parlent de rentrer dans les rangs du PCF. Le processus de ces russifiés est d'origine identique à celui des américanisés, mais leur nature est différente, car ce ne sont que de doctes professeurs ou intellectuels en chômage de fonction.
D'une tout autre envergure sont les anciens militants du mouvement révolutionnaire qui ont eu le courage de faire l'autocritique de leur ancienne position trotskiste. Avec eux, nous retrouvons au moins un effort d'analyse et de recherche idéologiques. Rejetant les slogans et le verbalisme révolutionnaires, ils posent au moins, dans l’évolution historique, le problème de la croisée des chemins.
C'est un révisionnisme, mais qui tient compte de l'irréversibilité de l'histoire. Ils ne se posent pas en juges, mais essayent d'avoir une attitude de savant.
L’erreur fondamentale de leur analyse repose sur une factologie qui ne peut ni infirmer ni confirmer l'hypothèse marxiste de l'aboutissement des luttes de classes dans l'histoire.
Mais leur analyse n'en reste pas moins troublante. Marx a posé le problème de la révolution comme aboutissement de la crise du capitalisme, crise entraînant une viabilité historique du régime bourgeois.
Sans entrer dans les détails de la pensée de Marx, nous pouvons dire que, depuis la 1ère guerre mondiale, la crise du régime est ouverte. La révolution russe et la dégénérescence du mouvement ouvrier international qui a suivi entraînent le monde vers une nouvelle conflagration mondiale impérialiste.
Le mouvement ouvrier, au lieu de puiser des énergies et des forces dans la 2ème guerre, n'a manifesté qu'une apathie et on pourrait même dire une tendance à partager la politique de sa bourgeoisie.
Deux questions surgissent immédiatement :
Et la réponse la plus aisée vient à l’esprit : le capitalisme évolue vers une nouvelle forme de société qui semble éliminer les facteurs de mort. Pour s'en convaincre, on mesure la production en poids, on cite le régime russe, on montre la tendance étatique dans tous les pays du monde ; et on peut alors annoncer, après un jeu d’abstraction logique, que cette transformation du capitalisme est due à la disparition de la notion de valeur de la marchandise.
Pourquoi les guerres semblent se succéder à une allure plutôt rapide. Ici cesse l'analyse, et la morale intervient.
Quant au prolétariat, la réponse est aussi aisée. Les ouvriers ont montré (toujours la factologie comme s’il s’agissait de statistique) leur incapacité historique à lutter et à continuer vers le socialisme.
Pour le côté politique de la question, le "Que faire" en 1945, ces individus ne cachent plus leur ferveur démocratique et de ressortir les vieux arguments de la liberté.
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Si la perspective marxiste peut-être démontrée fausse, ce n'est pas en se référant aux conclusions immédiates, semblant être infirmées par les cent dernières années.
C’est toute la méthode qui est à réviser. Mais ceux qui révisent se gardent bien de s'attaquer à ce travail. Cela exigerait de leur part un effort lent et patient qui va à l'encontre soit de leur fièvre d'activisme soit de leur découragement.
La période noire pour le prolétariat se fait surtout sentir dans les rangs de l'avant-garde. Cette dernière ne peut survivre que par une volonté irréductible d'indépendance idéologique de tout courant bourgeois.
Ceux qui sont las de cette lutte sourde et terrible, ceux qui ne peuvent attendre, ceux qui considèrent leur vie comme un ratage, ceux-là perdent toute indépendance de pensée et de raison. D'avoir crié à la révolution tous les jours, d'avoir fait de n'importe quel mouvement une transition vers le "grand soir" peut faire voir la démocratie américaine comme une bouée de sauvetage. La Russie a trop massacré, trop réduit au silence et à l’abjection des révolutionnaires que les pires geôles n'avaient pu réduire. Et cette haine pour cette machine infernale conduit bon nombre dans les rets de l’impérialisme américain.
Mais rien ne justifie, en tant que révolutionnaire, cette politique ; aucune haine d'un régime policier comme le russe ne peut cacher la mort de toute société que fait pressentir la "démocratie" américaine.
Le choix ne peut se faire sur l'un ou l'autre des blocs ; pour les révolutionnaires, il constitue l'échec de la perspective de Marx, de la perspective socialiste, car pour reprendre l'expression de L. Trotski : “La révolution viendra au rendez-vous, mais les révolutionnaires seront absents."
Hier, dans l'avant-garde, on s'insurgeait contre l'attitude de certains militants rentrant tête baissée dans le PC, pour n'être plus utilisés que comme mouchards ; aujourd’hui, ceux qui par anti-stalinisme prêtent leur concours à l'impérialisme américain pour mobiliser les masses pour une nouvelle guerre, ceux-là seront les mouchards objectifs, dénonçant les révolutionnaires comme un "juste" retour des choses.
Le capitalisme engendre la guerre et, dans sa période de régression, il risque d'entrainer la société tout entière dans la barbarie. L'anti-démocratie populaire et l'anti-démocratie occidentale conduisent à la barbarie avec la même rapidité.
Hier, c'était le fascisme et l'antifascisme qui ont mobilisé les masses pour les grands massacres de 1939-45 ; aujourd’hui, l'anti-stalinisme comme le stalinisme essayent de reproduire l'hécatombe décuplée de 40 millions de morts.
Le choix même négatif d'un des 2 blocs impérialistes ne constitue pas 2 solutions, mais une seule qui est la guerre. La 2ème solution qui reste valable, la révolution socialiste, est à l'ordre du jour, si l'avant-garde délaissant les chemins faciles de l'activisme va contre le courant en développant le langage idéologique du prolétariat.
MOUSSO
Une fois de plus, les radios se mirent à braire et les éditions spéciales à fleurir les mains de lecteurs euphoriques. Molotov répondait à Bedell Smith et la paix s'avérait en vigueur un plan Marshall et du pacte à Cinq. Le monde suivait enfin les voies du cœur et de la raison. Ouais …
Il semble bien qu'en cette affaire les diplomates yankees ne se sont pas montrés à la hauteur. Leur intention probable était d'un alibi électoral fourni à l'Administration de Truman. Tout de même que de freiner la fièvre belliciste qui faisait palpiter les états-majors, journalistes et matrones américains. Pratiquement acquis le vote des crédits militaires, la Maison-Blanche se donnait de l'air. Mais elle négligeait ce fait que la situation intérieure de la Russie oblige cette dernière à lancer une offensive "psychologique" de haut style, une offensive pour la paix. L'occasion était belle, qui fut saisie à la note.
Sur la désastreuse conjoncture économique en Russie, la dévaluation de décembre n'a produit qu'un effet de cautère sur une jambe de bois. Et les mieux assis des avoirs privés se sont reconstitués – tel recteur d’académie pouvant, au dernier emprunt, souscrire la bagatelle de cent mille roubles – tandis que la plupart des travailleurs voient leur vie courante encombrée d'obstacles de plus en plus insurmontables. Les commentateurs assermentés près le Plan ont déclaré et répété : "Produisons d'abord des tracteurs, ensuite nous aurons du blé". Mais l’acuité du conflit entre les forces impérialistes, partant le cours vers la guerre, transforme les tracteurs en canons ; et, sans blé, le pain ne s'accumule pas dans les boulangeries. Alors les officiels – Pravda en tête, NKVD en queue – reprennent l'antienne de la gabegie, du manque de civisme de "certains" responsables, lesquels, élevés aux plus hauts postes, sont miraculeusement devenus incapables ou saboteurs. Mais ce refrain est sans doute usé. Lorsque Marshall fit quelques déclarations lénitives, Moscou tendit l’oreille, et l'agréable visite de Bedell Smith fit luire, au Kremlin, son chemin de Damas. Il témoignera publiquement de son amour pour la paix ; cette paix à l’établissement de quoi seule la volonté impérialiste des USA est entrave. Molotov le disait, bien entendu. Et pour imprévue qu'était, en ses termes, la réponse moscovite, ou plutôt l’interprétation qu'on y greffa, ne laissa pas Truman désarmé. Il opéra une réduction de l’international au national en reconnaissance de facto l'État d'Israël et incitant ses compères ou clients de l'ONU à la même opération. Changeant par-là les manchettes des journaux. À quoi, nouvelle mise en demeure de Staline à Maison-Blanche, le très complaisant Wallace comme entregent. Le Kremlin produit ses avantages. Dans le monde entier, et plus encore dans la sphère russe, il se donne comme chercheur de paix dénonçant les fauteurs de guerre : la politique de Truman Marshall. Et désigne les conditions d'une "vraie paix", lesquelles dans le programme électoral de Wallace, ce brave pote qui, du coup, bénéficiera de quelques centaines de milliers de voix.
Il ne faudrait pas négliger la mention de quelques éléments qui, sans expliquer nécessairement une tentative d’apurement les comptes entre M. et W. ont pu agir sur le cours des événements. Les États-Unis, on sait, ont mis l’embargo sur le matériel militaire en partance pour la Russie. De leur côté, les russes exportent aux E.U. plus grande quantité de pelleteries et moindre de minerais stratégiques. Intéressant, à ce sujet, est de relever, dans les déclarations du ministre du commerce yankee, les propos suivants : "Si les Soviets continuent d’expédier des fourrures et non du manganèse nous serons dans l’obligation de demander le contrôle des importations… les importations de minerais stratégiques en provenance de Russie représentant, à l'heure actuelle, 25 % du volume global des importations aux USA." Et le retour à la raison pourrait bien arranger ces petits différents. La paix assurée, n’est-ce pas, pourquoi donc ne pas échanger, entre soi, de quoi fabriquer force engins de massacres ?
En Chine également, quelque répit était prisé par les camps adverses. Le régime de Tchang-Kaï-Chek est acculé à la catastrophe militaire et économique. Les "rouges" progressent de tous côtés. Et Mao-Tsé-Tung est prêt à imiter son stalinien collègue Markos, à se proclamer chef du gouvernement. Quant au dollar chinois, il en faudra bientôt des millions pour acquérir un seul dollar américain. Cependant, Tchang pratique cette tactique d'occupation des places fortes et d'abandon du reste du territoire, à laquelle la Wehrmacht donna le nom de "hérisson". Cependant, une aide américaine est promise, qui ne saurait tarder. Un redressement de situation est possible encore pour les nationalistes. D'autre part, les staliniens qui n'ont guère à espérer, en fait, d’aide extérieure conséquente, les staliniens sentent peser sur leurs communications et arrières la menace que constituent des "nids" irréductibles. Un compromis peut donc se faire. Mais le conflit qu'il couvrirait ne saurait longtemps s'assoupir. Les américains ne peuvent négliger ce formidable champ d'accumulation que constitue la Chine du Nord. Ni les russes renoncer à neutraliser le bastion des EU au Japon et d’éventuels pied-à-terre à Canton, voir Shanghaï.
Il y a trois mois, après les événements de Prague, nous notions que "les impérialistes russes et américains occuperont bientôt des positions de tranchées" au sortir desquelles "le premier pas en avant signifiera l'ouverture de la troisième guerre mondiale". Envisageant la possibilité d'un compromis, nous ajoutions que "sa portée ne dépasserait pas, en signification réelle, la portée d'un accident d'aviation sur l'ensemble du trafic aérien". Nous voici arrivés aux positions de tranchées. À Berlin, provocations et coups de théâtre se succèdent sans, toutefois, qu'une solution viable puisse apparaître. Et pour cause. Elle ne pourrait signifier autre chose, dans le cadre actuel des débats et à une échéance relativement proche, que la mainmise russe sur l'Allemagne entière. C’est-à-dire la guerre. Mais, sans préjuger de la bonté ou non de leurs intentions, les gouvernements russes et américains se trouvent loin encore d'avoir à consommer l'irréparable. Ils peuvent converser, confronter des visées inconciliables à la longue. Nous sommes dans une période où il est bien présomptueux d'en fixer la durée, où une base d'accord provisoire peut se trouver. Le bluff, en l'occurrence, est de présenter une tentative de compromis condamné à rester passager, comme autre chose qu'une pause dans le cours vers la guerre. Combien significatif, à cet égard, est ce fait que la presse bourgeoise, malgré sa bonne volonté, n'a présenté l'apparent accord des américains et des russes à propos de la Palestine que comme une conjonction de leurs vues sur un plan banal.
***
La guerre en Palestine (et ses implications) donne son regain d'acuité au "problème juif". Comme toute "question" relative à l'une quelconque des minorités nationales éparses dans le monde, la "question juive" est un paravent commode à qui veut cacher derrière elle ses intérêts capitalistes ou la politique qui en découle. Remarquons, cependant, qu'à l'intérieur du monde capitaliste, les "questions raciales" soulèvent des mouvements émotionnels violents et qui, pour conditionnés par l’économique, lui restent irréductibles. La levée de ces mouvements n'apparaît pleinement réalisable que dans une société transitoire, en marche vers le socialisme. Laissant ces aspects de côté, notre présent propos sera de clarifier, un tant soit peu, les rapports de force jouant dans l’affaire palestinienne. D'en tirer quelques conclusions.
a) La politique britannique :
Sous la pression des USA, les dirigeants travaillistes de la GB ont abandonné le mandat par elle retenu sur la Palestine. Ils cherchent aujourd’hui à ressaisir une partie du "bien" perdu, rendant à Israël ce qui, de par la volonté américaine, est dû aux sionistes. Le plan de partage, en effet, laissait vacant le régime imposé à l'État arabe. Fidèle vassal, Abdallah leur paraît réunir toutes les conditions requises pour l’établissement d'une "Grande Jordanie", que d’éventuelles opérations pourraient faire s'épanouir en "Grande Syrie" pour se faire une large fenêtre sur la mer, serait souhaitable dont le plan de partage réserve le contrôle à Israël. Mais, et, surtout, il leur faut perdre barre sur les juifs, leur prouver par la force qu'ils ne peuvent en aucun cas gêner leurs intérêts et remettre aux trusts pétroliers d'outre-Atlantique le contrôle du pipe-line trans-palestinien ainsi que l'usage exclusif des installations portuaires. La "guerre sainte" a cet avantage aussi de poser l'Angleterre en seul champion de la cause arabe et d'exalter, afin de sauvegarder de très précieuses concessions, ce mythe de fraternité d'armes anglo-arabe et de l'omniprésence britannique, fondé sur les combinaisons et tripotage des Lawrence, Philby et autres Glubb pacha. Et, si des divergences viennent à s'affirmer entre les compétiteurs arabes, l'Angleterre pourra prendre ses airs médiateurs, tirant par-là, et au mieux, son apparente révérence.
b) Les américains accordent à Israël le meilleur de leur sollicitude. Dans notre numéro 33, nous en expliquions rapidement le pourquoi, l'importance stratégique et celle, relative, du capital engagé dans la "renaissance" d’une Palestine juive. Les experts yankees avaient sous-estimé la puissance des réactions anglo-arabes au projet d'établissement d'un État fédéral où, tôt ou tard, les sionistes seraient devenus l'élément prépondérant. Il leur a fallu revenir à la conception du partage, tout en incitant leurs clients à s'emparer des ports et raffineries de Jaffa. On sait que les bénéfices réalisés dans l'industrie du pétrole viennent non spécialement de son extraction, mais bien de ses raffinages et de son transport. Maintenant, pour Washington, l'affaire dépend plus des négociations diplomatiques que des combats en cours.
c) Pour une fois, Moscou fait chorus avec Truman en soutenant la cause sioniste. Il faut considérer que les États arabes sont des pays arriérés – au sens tout relatif de 1948 – et que leur structure semi-féodale les rend imperméables à toute propagande qui ne s'exprime pas dollars ou en matériels de guerre concédés à titre gracieux. Les sionistes, eux, représentent la "noble cause du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes". Les soutenir diplomatiquement, c'est s'assurer des droits à la reconnaissance et se poser en "progressiste". Le gang pro-russe, le groupe Stern, montre d'ailleurs le bout de l'oreille, de qui les mots d’ordre sont de remplacer les leaders réformistes de l’Agence Juive par des éléments "réalistes et militants", ainsi que d'obtenir une Palestine neutre dans un Proche-Orient neutre. La France, enfin, suit le train avec toutefois quelques appréhensions. Elle ne peut, en effet, que "froisser" ses sujets musulmans en reconnaissant et en accordant un appui officiel à Israël. Ni admettre une défaite sioniste dont les conséquences pourraient s’avérer dangereuses à son hégémonie nord-africaine.
Ainsi, un compromis solutionnera l’affaire de Palestine. Ce que décident les combats actuels, c’en sont les modalités. Faut-il répéter que l'évolution des événements montrera, tôt ou tard, la précarité d'un tel accord ?
La politique sioniste, en dépit de déclarations verbales parfois contraires, a toujours tendu à s'assurer le monopole du pouvoir en Palestine. L'organisation théo-fasciste Irgun exprime au plus fort cette volonté, écrivant, par exemple, en mai 1943 : "Nous devons combattre les arabes dans le but de les subjuguer et de diminuer leurs exigences ; nous devons les rejeter de l'arène politique." Les sionistes ont ainsi rejeté l'ensemble de la population arabe politiquement active en un bloc unitaire rassemblé autour de quelques féodaux. Cependant, la grande masse des fellahs palestiniens, abrutie par une oppression séculaire, demeure en dehors du conflit, n'y participant qu'à l'occasion d'un pillage. Les sionistes tirent argument de ce fait, en inférant qu'ils ont à jouer un rôle civilisateur dans le Proche-Orient. Rôle qui consiste très exactement à fonder un régime d'exploitation coloniale sur la sueur des autochtones.
Dans le camp sioniste, dominent les tendances social-réformistes. Un régime a été établi, qui réunit les apparences de la propriété collective au profit d'organisations étatiques et de trusts privés. Et, sur le vieux songe messianique –tout à la fois prison et évasion d'Israël au cours des âges– est venu s'étager un système de défrichement agraire et d'industrialisation forcenés à bon marché, réalisés sur le dos des "pionniers", réfugiés d'Europe centro-orientale. Aujourd’hui, face à un bloc arabe représentant à divers titres la volonté impérialiste de la Grande-Bretagne –et celle aussi de pétroliers américains–, les sionistes sont conduits à se soumettre à la férule politique des USA.
Le mouvement ouvrier sioniste est puissant et organisé à "l'allemande". Mais il ne contient aucune fraction véritablement internationaliste et révolutionnaire. C'est que la politique de l'Agence Juive l'a conduit devant le dilemme shakespearien : to be or not to be. Être, cela signifie, pour les ouvriers et paysans d'Israël, consolider le pouvoir oppressif de leur propre bourgeoisie. Être ou ne pas être. Et le salariat urbain ou rural lutte, naturellement, pour un État national. Sur le plan local où se situe son combat, il n'a pas d’autre choix.
L’expérience de Palestine confirme déjà ce fait, vrai déjà dans le 1936 espagnol, qu’il n'y a pas de possibilité désormais d'une émancipation des travailleurs au cours d'une guerre nationale. Comme cette guerre ne renforcera jamais que les assises du pouvoir d'une bourgeoisie elle-même inféodée à l'un ou l'autre des centres d'attraction impérialistes dans le monde. Mais et tout aussi bien, une guerre dite de libération nationale entrainerait nécessairement la participation active de la classe ouvrière à cette guerre. Cela sans possibilité aucune de dépassement interne, sans entraîner jamais la transformation d'une guerre civile impérialiste en guerre civile révolutionnaire. Il faut comprendre que, dans l'inextricable complexe d'intérêts impérialistes, seul moteur véritable aujourd’hui d'une telle guerre, la formule célèbre de Karl Liebknecht selon laquelle "le principal ennemi est dans notre propre pays" est dépassée par l’évolution du régime capitaliste. Seule une guerre impérialiste à l'échelle internationale, de par l'oppression intolérable, les contradictions ouvertes et surtout l'affaiblissement militaire dans chacun des camps antagonistes peut favoriser une montée révolutionnaire. Alors, le combat mené contre leur propre bourgeoisie par les ouvriers et paysans révolutionnaires rejoindra et renfoncera ceux qui se livreront ailleurs.
Dans une guerre nationale, pour des objectifs nationaux, le capital se répartit en producteurs d'armements et en chairs à canon pour bouchers impérialistes. Le devenir de la Révolution socialiste –s'il en est un– se situe au-dessus des frontières territoriales et ne peut s'en accommoder, serait-ce un instant, sans disparaître du même coup.
COUSIN
Le congrès du PC Internationaliste aurait pu ne pas être un congrès, car les problèmes traités l'ont été d'une manière plutôt étriquée, parce que, les interventions d'une certaine valeur se sont limitées entre deux ou trois éléments du parti et les délégués des Fractions française et belge, enfin la masse des délégués, une soixantaine, n'a eu comme seule fonction que de constituer un appareil scénique et chorégraphique. Une conférence restreinte à une dizaine d’éléments aurait eu la même efficacité et, peut-être, cette conférence aurait rendu la conférence plus nourrie et efficiente.
Le congrès a fait voir la plaie qui infecte le parti depuis la période de sa formation, une plaie qui est apparue dans toute sa purulence malgré les efforts multiples pour la cacher. Les divergences de doctrine qui se sont manifestées au cours de la discussion auraient déterminé une salutaire clarification, si une confusion sans précédent n'avait éliminé les motifs de discussion et si les éléments sains du parti n'avaient pas capitulé presque sans lutte.
Pour comprendre l'atmosphère de ce congrès, il faut connaître avant tout les bases de formation du parti. Trois courants ont constitué cette organisation. Les groupes du Sud qui, par le manque d'une idéologie saine et pour avoir été des forces ramassées, allèrent petit à petit se pulvériser. Les groupes du Nord, personnifiés par Damen, représentaient les restes du parti de Livourne et demeuraient ce qu'ils étaient il y a 25 ans sans avoir apporté quelques modifications des positions politiques qui l'ont créé. Enfin, un dernier groupe, celui de l’émigration qui se referait à un bagage idéologique acquis par les expériences françaises et belges, et qui exprimait un bagage idéologique acquis par les expériences françaises et belges et qui exprimait, avec plus de raison, la continuité du courant idéologique conséquent. Entre ces deux derniers courants, des divergences sont apparues au congrès, mais, au travers d'un patriotisme de parti, ces divergences furent étouffées sous le mythe de l'unité.
Damen, en ouvrant le congrès, a exposé la ligne politique du parti, en expliquant la genèse de formation du parti. Il polémiqua avec ceux qui critiquèrent sa constitution comme étant anti-historique. Aussi, expliqua-t-il que la tâche de la fraction consiste tout d'abord dans l’opposition et dans la résistance idéologique à l'opportunisme jusqu’au moment de la lutte ouverte qui peut seule être considéré par un organisme politique qui ait les caractéristiques et les tâches du parti. Sous cet aspect la fraction présuppose le parti.
Le parti, comme tel, peut dire son idéologie de classe pendant la guerre "de libération" et réussit à déterminer vers lui l'orientation de ces groupes qui, s'ils avaient trouvé une fraction à la place du parti, n'auraient pas pu trouver le moyen qui consistait dans la lutte des ouvriers en arme contre l’impérialisme de la bourgeoisie italienne. Pour avoir assuré cette tâche, la fraction était mûre pour sa transformation en parti. Les critiques qui peuvent être adressées au PC Internationaliste sont dues à des groupes qui reflètent l'activité de l'émigration politique et ne furent pas mêlés à l'expérience de formation du parti en Italie. De plus, ces groupes n'ont pas suivi les processus traditionnels de formation politique et se sont constitués à l'extérieur sans représenter le détachement d'une aile révolutionnaire pré-constituée au sein du Parti communiste. Ainsi, ces groupes tendent nécessairement à l'abstraction et à l'opportunisme. La réalité actuelle est concrétisée par le fait que le parti a réussi à mettre un coin dans la crise bourgeoisie et ceci est sa justification historique, car il possède déjà une tradition de lutte, existe comme une concrète entité politique et même, d’une manière minime, a réussi à effectuer une brisure de classe. Le parti représente, face à la volonté féroce de domination bourgeoise, la volonté encore plus aiguisée du prolétariat à annihiler la domination capitaliste. Cette antithèse nettement définie commence à être marquée par les prolétaires italiens qui sont politiquement plus sains, par rapport aux français et aux anglais, n'ayant jamais participé au partage du brigandage impérialiste de la bourgeoise italienne.
Sur la situation internationale du capitalisme, Damen affirme que la bourgeoisie a réussi à manifester une puissance et une vitalité exceptionnelles. Il a rétabli sa domination de classe sur le prolétariat, en prenant possession de ses organismes et de ses symboles. L'évolution du capitalisme vers la gestion de l'État sur la production a fait sa première intervention en Russie où les secousses subies par ce secteur déterminèrent son évolution vers de nouvelles formes d'organisation, vers une centralisation et un contrôle économique social, associés à une tentative originale d'autodiscipline par lequel il cherche à faire disparaître ses contradictions intimes. Depuis les destructions de la dernière guerre, ce secteur procède, à un rythme accéléré, à un nouveau processus d'accumulation qui pose de nouveau le problème de la guerre et l'élimination des contrastes impérialistes au travers de l'unification en une seule centrale de domination capitaliste. Mais, si la guerre signifie crise du capitalisme, par cela existent même les conditions pour une lutte féconde du parti de classe et ce parti a obligé Togliatti à le subir et à renoncer à le neutraliser par la violence.
Sur le problème syndical, il n'existe plus de doute sur la nature du syndicat comme instrument de conservation bourgeoise. On ne peut plus penser reconstituer le syndicat de classe, car, désormais, il est clair que le prolétariat, en prenant conscience, se refusera de s'organiser économiquement et abattra le vieux syndicat avec toute la structure économique. Les fractions syndicales que le parti a organisées, regroupant sur les lieux de travail les éléments qui se détacheront petit à petit des organisations opportunistes, ont comme seul but de procurer la base sociale au parti.
Face aux élections, Damen se prononce pour la participation et ceci sur la base du parlementarisme révolutionnaire. Si la bourgeoisie est contrainte d'adopter un moyen de lutte qui peut être exploité utilement par le parti de classe pour être retourné contre elle, l'avant-garde révolutionnaire ne peut renoncer à s'infiltrer dans la compétition électorale, avec la tâche de boycottage : le problème abstentionniste est désormais dépassé, car il n'avait de raison d’être que dans une période ou une précision de principe, face au courant parlementaire du vieux parti socialiste, était nécessaire. Aujourd'hui où il n'y a plus de doute possible sur le caractère nettement antiparlementaire du PC Int., celui-ci peut adopter cette méthode de lutte, comme il pourrait très bien la rejeter si les circonstances le réclament. En participant aux actuelles élections, le parti a pu pénétrer dans les grandes masses, porter la nouvelle parole, essayer de donner corps aux vagues aspirations de sortir vers des chemins battus, et le résultat a été que la liste internationaliste a eu quatre fois plus de voix qu'aux précédentes élections. Voilà toute l'interprétation des problèmes politiques du parti selon Damen.
Les plus importantes questions sont restées en souffrance ; un manque absolu d'autocritique, un optimisme exagéré et injustifié, un attachement à courte vue des positions les plus dépassées, un complet renoncement à ce que sont les vraies possibilités de reprise de la lutte de classe et de ce que sera l'évolution future du capitalisme, un manque de sensibilité politique qui lui permet de cultiver des illusions sur les possibilités du parti dans un avenir tout immédiat et cela dans une période tout ce qu'il y a de plus révolutionnaire, tels sont les côtés négatifs les plus saillants de son rapport.
Pourtant Vercesi est contre ce rapport. Selon lui, le parti manque complètement d'une analyse de l'évolution capitaliste qui procède vers des formes organisationnelles qui ne peuvent encore pas être nettement définitive, mais qui, de toute façon, peuvent être examinées dans leur développement embryonnaire. Il manque aussi l'analyse sur les capacités de renaissance de l'économie capitaliste au travers du système de la planification, de l'influence que cette planification exerce sur le prolétariat, de la disparition des crises cycliques et de la concurrence à l'intérieur des États. De telles divergences sont aggravées par l'illusion d'avoir opéré une brisure de classe qui, dans une période comme celle-ci, est (…[1]). L'interprétation que la guerre aurait ouvert un cycle révolutionnaire qui détermine ainsi la création du parti, s'est révélée complètement fausse et les (…) contrairement aux précisions, sont de plus en plus (…) la reconstruction capitaliste de l'après-guerre. La (…) du parti existe quand on se trouve dans une période qui prélude l'assaut insurrectionnel de la classe ouvrière, ou tout au moins un détachement de cette (…) capitalisme lequel, aujourd'hui la tient dans sa totale indépendance (…). Si l'hypothèse de Damen était vraie, le PC international d'Italie devrait être aujourd'hui, la tête d'un mouvement de reprise du prolétariat sur (…) mouvement qui n'existe seulement que dans son esprit et non dans la réalité.
Et il faut s'y rapporter si on veut expliquer l'affirmation (…) au parti stalinien, qui fut contraint de tolérer l'existence d'un mouvement révolutionnaire. Mais alors, comment expliquer l'attitude du prolétariat italien lequel, bien qu'il n'ait pas profité des avantages qui pourraient venir (…) bourgeoisie plus (…) que la sienne, n'a pas moins donné dans le panneau de la propagande électorale, manifestant ainsi son état d'infériorité et de dépendance à sa bourgeoisie nationale.
La tendance de sympathie envers le parti ne doit tromper personne, car il est limité dans une zone où il s'est fait plus d'activisme, et il est arbitraire de considérer ceci comme une brisure de classe qui ne peut, de toute façon, se vérifier que dans une lutte de classe généralisée et non par des compétitions électorales. Pour courir derrière la chimère, le travail d'éducation des militants, qui est dans un état déplorable, a été négligé ; il y a des délégués parlementaristes, d'autres favorables à une espèce de compromis avec le centrisme (…).
(…) mettre à nu tout ce qui, sous l'excuse de la défense des positions traditionnelles, cache l'opportunisme et empêche une claire élaboration idéologique et une conséquente assimilation de la part des militants.
Le problème syndical est traité par le rapporteur d'une manière à faire dormir debout, et la discussion qui suit est absolument non concluante. Et c'est encore à Damen de préciser : les problèmes syndicaux en eux-mêmes n'intéressent pas le parti qui ne se propose pas de créer des organes nouveaux pour remplacer le syndicat actuel ; la fraction syndicale doit servir de véhicule pour la pénétration des mots d'ordre politiques du parti dans les masses, mais n'a pas des tâches spécifiques en ce qui concerne le travail syndical proprement dit.
Le délégué français Raymond note au contraire que, par les interventions des ouvriers dans les usines, tendant à s'attarder sur les épisodes particuliers des postes de travail, il y a une tendance à considérer le problème syndical séparé du politique et la confusion qui en résulte est justifiée par le constant changement de position du parti, laquelle n'a jamais donné lieu à une quelconque explication.
Damélis affirme que la fraction syndicale est, dans les intentions de Damen, le point d'appui sur lequel s'élèveront de nouvelles formations à caractère syndical ; et l'existence de cette fraction n'aurait pas d'autre justification que celle de représenter le point de mire pour les masses qui se détacheraient du syndicat et voudraient former des organisations similaires. Peut-être, Damen n'a pas affirmé que la fraction présuppose un organisme plus complet et plus parfait, mais reflète fidèlement sa mentalité d'aller vers les masses. La vraie position du problème syndical est analogue, par exemple, à celle exprimée par le parti sur les CLN : dénoncer ces organismes comme contre-révolutionnaires, en expliquer les buts, mais ne pas prétendre vouloir les substituer par d'autres.
Sur les problèmes de la grève, à la position de Damen qui lui reconnaît un certain contenu de classe, Vercesi oppose la sienne : les grèves limitées au cadre national n'existent qu'en fonction des impérialismes en lutte. Elles sont dirigées dans quelques pays entrant dans l'orbite d'un des deux blocs par les agents du bloc impérialiste adverse. Il faudrait leur appliquer la tactique du défaitisme révolutionnaire. Ainsi, une grève qui éclaterait dans un pays du bloc occidental ne peut avoir un contenu de classe que si elle est réellement appuyée par la solidarité du prolétariat du bloc oriental et précisément du russe, et inversement.
***
Posés superficiellement les termes de quelques problèmes, personne pourtant ne s'est préoccupé de les résoudre ; et le congrès s'est terminé de cette façon aussi absurde. Deux tendances se sont délimitées, qui ne peuvent quand même se considérer comme telles, si on entendait par là qu'elles représentent de véritables courants dans le parti. Et ce n'est pas le cas, car ces tendances représentent des opinions particulières et pas des groupes. Aucun des militants qui se sont politiquement délimités ne sont allés plus loin que la simple énonciation de ses opinions. Même pas les représentants étrangers.
Damen a exposé résolument ses positions bien qu'il ait dû momentanément omettre de se présenter aux élections régionales. Vercesi au contraire, au terme du congrès, s'est en quelque sorte excusé d'avoir été un trouble-fête et d'avoir amené le trouble parmi les militants. Et, à ce devoir sacré, tous se sont alignés, depuis Maffi qui a déclaré à un moment rude du débat parlementariste : "Je savais que cette discussion aurait pu empoisonner le congrès ; c'est pour cela que je me suis abstenu de traiter tel problème", jusqu'à Damen qui a déclaré : "Il faut travailler avec le matériel humain que nous avons et le nôtre est le meilleur ; il faut donc l'éduquer petit à petit par un travail patient et lent."
Aussi, pour ne pas troubler les militants, il faut décider de discuter en chambre close le problème pro ou anti-parlementarisme, pour élaborer une position à laquelle s'aligneraient tous les membres du parti qui étaient venus au congrès pour en discuter.
Les conclusions ne sont pas consolantes : il est clair que dans le parti ne règne qu'une pauvreté idéologique, l'opportunisme, la confusion et même un manque de sérieux. On peut se demander ce que pourront rapporter les délégués dans leur groupe si aucune des questions controversées n'a été résolue. Quelles positions présenteront-ils sur le parti ? Celles de Damen ? Celles de Vercesi et Damélis ? Quelles positions présenteront-ils sur les perspectives, sur le problème syndical ?
Pour notre compte, nous avons entendu un ou deux délégués déclarer (…) ne pas savoir quoi rapporter à leurs camarades...
Le parti ainsi engagé ne pourra pas aller très loin. (…)
(…)
Tant que le parti demeurera entre les mains de Damen, tant que la peur d'être traité de liquidationniste paralysera les forces saines du parti, des militants sincèrement révolutionnaires, il n'y aura pas d'autre voie que (…) et la création d'un nouveau regroupement politique qui ait, comme tâche fondamentale, la recherche et la formulation des bases idéologiques pour la formation future du vrai parti de classe.
Et c'est sur cette voie que nous chercherons à diriger nos efforts.
BERNARD
[1] Les archives ont subi les dommages du temps et un certain nombre de parties ne peuvent être déchiffrées
Une expression extrême de la confusion dans laquelle se débat le prolétariat est donnée par ce qu'on pourrait appeler "les cas particuliers". Des militants – qui, d'ordinaire, se déclarent hostiles à la collaboration de classes, qui condamnent généralement la politique de soutien d'un bloc contre l'autre bloc sur l'échiquier mondial et ne se font pas d'illusion sur la nature impérialiste de la dernière guerre, comme de celle à venir, qui s'estiment être internationalistes en dénonçant aussi bien les USA que la Russie et leurs visées impérialistes-expansionnistes de domination du monde – oublient tout leur beau raisonnement aussitôt qu'ils sont amenés à le traduire politiquement dans des situations concrètes. Tant qu'il est question de généralités un peu lointaines dans le temps et, surtout, tant qu'il s'agit d'une prise de position qui ne touche pas directement leur activité immédiate pratique, ces militants et groupes peuvent faire croire aux autres et se donner à soi l'illusion d'exprimer une position de classe du prolétariat. Mais, dès qu'il surgit une situation concrète dans laquelle il faut traduire en pratiques ses proclamations générales, tout change et ces groupes et militants, par leur comportement réel, apparaissent sous un jour nouveau, bien différents de ce qu'ils affichaient, et croyaient être. En somme, ils sont révolutionnaires et internationalistes tant que cela n'engage pas leur activité réelle ; et, dès qu'il s'agit d'activité réelle, ils cessent d'être des révolutionnaires et des internationalistes.
Mais, il serait trop simpliste et, partant, erroné de vouloir expliquer ce divorce entre leurs paroles et leurs actes par le manque de sincérité, par la tromperie consciente.
En vérité, leur sincérité n'est pas en cause, pas plus que n'est en cause le fait qu'ils sont leurs propres dupes. Le passage entre ce qu'ils croient être et ce qu'ils sont réellement, entre leurs affirmations internationalistes verbales et leur pratique nationaliste réelle, s'effectue à la faveur de la théorie du "cas particulier".
En tant qu'internationaliste, on est bien sûr contre la guerre impérialiste EN GÉNÉRAL, mais l'existence du fascisme en Allemagne devient un "cas particulier" qui fait qu'on participe à la guerre contre l'Allemagne.
On est contre l'idée-nation et contre sa propre bourgeoisie, mais l'occupation étrangère est un "cas particulier" justifiant et exigeant la lutte en commun avec sa bourgeoisie pour la "libération nationale". C'est ainsi seulement qu'on peut comprendre qu'un grand nombre de militants, par ailleurs sincères, se soient trouvés entrainés à participer à la guerre et sous ses formes les plus abrutissantes qu'étaient les diverses organisations et activités de la résistance.
Les agents politiques du capitalisme, les socialistes et les staliniens ont su, à merveille, exploiter cet état de confusion des militants ouvriers se heurtant à des problèmes insolubles parce qu'ACCEPTANT DES ALTERNATIVES, se laissant enfermer dans des alternatives d'où ne pouvait surgir une solution de classe réellement révolutionnaire, c'est-à-dire susceptible d'engager un nouveau cours historique. La politique du moindre mal, comme celle du "cas particulier", est une notion dont la valeur n'a de cours que sur un plan capitaliste et comportant en elle-même la négation de l'opposition de classe, de la contradiction historique entre classes. On ne peut rechercher ni maintenir une orientation de classe sur un plan qui implique précisément l'effacement de la frontière et de la lutte de classes. Si le prolétariat et un grand nombre de ses militants se sont laissés entrainés à la remorque du capitalisme, ce n'est pas parce qu'ils ont renié, en bloc, leur foi socialiste, mais parce qu'ils ont cru admissible MOMENTANÉMENT des solutions contingentes, dans une période qui exige des solutions historiques.
Une montagne ne fait pas tomber ; on ne trébuche que sur des petits cailloux. Le capitalisme s'efforce de semer, en nombre croissant, ces petits cailloux sous les pas du prolétariat. Le chemin de la conscience de classe du prolétariat est largement pourvu de ces obstacles qui ont pour nom : le "cas particulier".
En Grèce, le massacre fait rage. Depuis la libération, la guerre impérialiste ne fait que se poursuivre sous d'autres formes et sous d'autres étiquettes. Gouvernement officiel d'Athènes, "réactionnaire fasciste", d'un côté et gouvernement dissident du général Markos, "républicain et populaire", de l'autre entretiennent une guerre, pour le compte des impérialismes russe et anglo-américain, dans laquelle se font massacrer journellement des centaines de prolétaires grecs. Tout récemment, le gouvernement officiel s'est payé le luxe d'exécutions (…) d'otages politiques, afin de prouver que ces bacchanales sanglantes ne sont pas le privilège uniquement réservé au régime de Hitler, et que les démocraties savent, le cas échéant, faire aussi bien que lui (bien entendu selon leurs moyens).
Au silence pudique des gouvernements anglais et américain et de leurs suppôts socialistes répond le battage du bloc russe et des staliniens. Tout cela n'est que fort naturel. Et des groupements confus, genre RDP, trotskistes et autres de prendre part dans cette campagne. Incapables de comprendre que, dans ce massacre ignoble, nous vivons un ÉPISODE de la guerre, qui des deux côtés ne fait qu'exprimer dans le sang le mode de vie du capitalisme décadent, ils appellent les ouvriers à combattre le gouvernement officiel en soutenant les forces des partisans et en se rangeant derrière elles.
Pour ces groupes, ce qui se passe en Grèce exige coûte que coûte une solution pratique immédiate ; ils n'ont que du mépris pour ces théoriciens en chambre et "révolutionnaires purs" que nous serions, et qui ne croient pas en des solutions possibles pour les ouvriers grecs en dehors du plan historique de la lutte pour la révolution socialiste à l'échelle mondiale. Pour ces groupes qui se disent réalistes, une telle position est une affirmation théorique générale, juste peut-être, mais qui ne saurait les contenter. Leur besoin d'apporter des remèdes immédiats vient de leur appréciation de la situation en Grèce, comme un "cas particulier" exigeant un comportement pratique adéquat à cette particularité.
Pour la Grèce donc, alliance du prolétariat avec le bloc impérialiste russe contre le bloc américain.
Les derniers événements nous ont gratifiés d'un nouvel État : l'État d'Israël. Nous n'avons pas l'intention, dans le cadre de cet article, de nous étendre sur le problème juif. À l'échelle de l'histoire, nous sommes ici en présence d'un de ces vestiges du passé de l'histoire humaine, qui trouvera sa solution dans le dépassement, par l'humanité, de sa division politique en races et en peuples. Le devenir du "peuple" juif ne consiste pas dans la réinstallation de son autonomie et de son droit national, mais dans la disparition de toute frontière et de toute notion d'autonomie et d'existence nationales. Les persécutions sanglantes des dernières années et de la dernière guerre contre les juifs, pour aussi tragiques qu'elles furent, signifient cependant moins un fait particulier que la barbarie de la société décadente, se débattant dans les convulsions de son agonie, et d'une humanité ne parvenant pas à trouver la voie de son salut : le socialisme.
Que les populations juives et arabes de Palestine servent de pions aux intrigues impérialistes internationales, cela ne fait de doute pour personne. Que, pour cela, les meneurs du jeu suscitent et exploitent à fond les sentiments et préjugés nationaux, arriérés et anachroniques, grandement renforcés dans les masses par les persécutions dont elles furent l'objet, cela non plus n'est pas fait pour étonner. C'est sur ce terrain que vient d'être ranimé un de ces incendies locaux : la guerre en Palestine, où les populations juives et arabes s'entretuent avec une frénésie chaque jour croissante et plus sanglante. Il se trouve des militants révolutionnaires bon teint, qui semblaient même garder leur tête dans la Deuxième Guerre mondiale, pour découvrir la tragédie palestinienne, pour manifester leur sympathie à la "lutte héroïque" du peuple juif. "Nous sommes, disent ces militants, contre la guerre ; nous savons aussi que la solution finale est dans le socialisme ; mais, en Palestine, les dés sont jetés et les pauvres juifs sont acculés à se laisser tuer ou à se défendre. Pour le peuple juif et la Palestine, c'est un cas particulier."
Aussi, au nom de ce "cas particulier" et en attendant le socialisme lointain, on prend position dans l'immédiat et on se félicite des victoires remportées par l'armée juive. On est "internationaliste" bien sûr, mais on est aussi réaliste et on ne lâche pas la proie pour l'ombre, même si la proie consiste à soutenir la fondation d'un nouvel État qui, comme tout État de nos jours, ne peut vivre que dans et par la guerre.
Le POUM, parti maximaliste espagnol, vient de tenir, le mois dernier, son congrès. C'est un parti qui se réclame du marxisme et de la révolution prolétarienne. Sa politique peu brillante lors des événements espagnols de 1936-38, politique qui l'a conduit à soutenir, de toutes ses forces, cette guerre du côté républicain, jusqu'à y participer dans le gouvernement de Catalogne, est assez connue. Depuis, le POUM semblait prendre une nouvelle orientation en éliminant sa fraction de droite et en remettant sa destinée à une direction composée des éléments les plus à gauche. Ce congrès "à gauche" présente donc un certain intérêt ; il nous permet de voir comment les déclarations révolutionnaires vagues et générales se transforment en leur contraire dans le concret et le précis.
Ce congrès se déclare contre la guerre en préparation. Il dénonce les blocs américain et russe et les considère également et solidairement comme les fauteurs de la prochaine guerre impérialiste, appelle les ouvriers à combattre l'un et l'autre bloc et à se mobiliser pour une action indépendante de classe. Mais voyons comment cette politique radicale se traduit sur le champ de l'activité pratique du POUM, c'est-à-dire pour l'Espagne. Pour l'Espagne, le congrès estime que l'ennemi n° 1 est le régime de Franco. Pour mener cette lutte, le congrès estime regrettable et préjudiciable la dispersion de la lutte du côté républicain, ce en quoi le POUM voit le secret de la résistance victorieuse de Franco jusqu'à ce jour. Aussi, le congrès préconise-t-il la coordination de la lutte par une entente entre toutes les forces anti-Franco, partant des anarchistes et du POUM jusque y compris les monarchistes, en passant par le gouvernement fantôme espagnol en exil et les pires réactionnaires de la tendance de Gil Robles. La victoire contre Franco exige, dit le congrès, la coordination et l'action combinée de toutes les formes de luttes : grèves ouvrières, maquis et guérillas, et l'intervention de la pression diplomatique auprès de gouvernements étrangers. Voilà le programme d'action réelle que le POUM justifie pour l'Espagne, vu la situation "spécifique" de ce pays, vu que l'Espagne est un "cas particulier".
Le plus cocasse de l'histoire est que le POUM – qui pousse son altruisme, pour la libération des ouvriers du régime de Franco, jusqu'à s'allier avec les monarchistes – repousse cependant la possibilité d'une action commune avec les staliniens qui, tout compte fait et pour des raisons politiques propres à eux, sont certainement les adversaires les plus acharnés de Franco. Le POUM explique cette position par sa répugnance envers le totalitarisme (!) et parce qu'une telle alliance ferait perdre la sympathie nécessaire et indispensable (!) des États-Unis.
On peut laisser de côté la question de savoir ce qui est le plus important, du soutien du gouvernement bourgeois national pour des raisons politiques internationales (démocratie contre fascisme ou totalitarisme) ou du soutien du capitalisme international pour les raisons de politique nationale (libération nationale, anti-fascisme etc.). Dans les deux cas, ce qui demeure c'est l'enchaînement du prolétariat et son immolation sur l'autel du capitalisme.
Toutes les trahisons du prolétariat et du socialisme se font au nom du "cas particulier". Chaque fois que nous entendons entonner la chanson du "cas particulier", nous pouvons être surs qu'on est en train de se fourvoyer soi-même et de fourvoyer dangereusement le prolétariat.
Nous avions mille fois raison quand, après la chute de Mussolini, nous combattions les camarades de la Fraction de Gauche Italienne qui prétendaient que le maquis en Italie n'était pas la même chose que le maquis en France ou, encore plus, que le prolétariat italien était différent des autres prolétariats. Ici aussi, il s'agissait d'un "cas particulier’’. Nous savons où cela a conduit ces camarades : à la collaboration politique avec toutes les organisations bourgeoises dans un Comité d'alliance anti-fasciste de Bruxelles en 1944-45.
Nous n'entendons pas qu'il ne peut exister aucune particularité propre dans des situations ou des pays différents. Mais, contrairement à ces groupes qui voient dans la particularité une chose "en soi", de laquelle il faut partir pour fonder sa politique et son activité, il faut partir de la situation générale mondiale pour fonder la politique et l'action de classe, s'appliquant et s'adaptant aux contingences et au pays malgré les particularités qu'ils peuvent présenter. La totalité de l'évolution historique n'est pas la somme des particularités des divers pays, mais au contraire les particularités des pays ne sont que des parties aliquotes du tout, de l'évolution historique générale. Ce n'est qu'en partant de ce TOUT qu'on peut comprendre les situations particulières et dégager la politique révolutionnaire du prolétariat. Toute autre méthode ne conduit qu'à des impasses parce qu'elle brise le tout historique en une poussière de cas particuliers, chacun servant séparément de fondement à une politique de négation du socialisme et de collaboration au capitalisme.
Quand Karl Liebknecht lançait son cri contre la guerre "L'ennemi est dans notre pays", il entendait surtout fermer la porte aux tentatives par trop faciles d'exploitation des particularités se présentant dans les différents pays. Le capitalisme, voilà l'ennemi. Son existence est le FAIT GÉNÉRAL ; et c'est uniquement lui, et non les particularités, qui dicte le devoir historique et le comportement constant du prolétariat.
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Le New-York Times du 14 février publiait, sous la signature de son correspondant C.L. Sulzberger, une dépêche datée de Paris intitulée : Le Mouvement anti-rouge en Europe inspire d'étranges liaisons. De nouvelles conditions sollicitent le support des gauches pour amener les ouvriers dans leur sein. Nous en traduisons les passages suivants :
Paris, février 13 – (Sous-titre : Un disciple de Trotsky est cité). En France, la coalition gouvernementale "Troisième Force" aussi bien que le mouvement gaulliste, lequel se situe à la droite du précédent, briguent constamment le support de la classe ouvrière. À ce propos, M. André Malraux, auteur célèbre et ci-devant homme de gauche en Espagne et en Chine, actuellement un des plus importants conseillers du général De Gaulle, a montré, à ce reporter, la copie d'une lettre qui lui a été adressée par Victor Serge peu avant la mort de celui-ci au Mexique. La lettre dit : "Je voudrais vous dire que je trouve vaillant et probablement raisonnable la position politique que vous avez adoptée. Si j'étais en France, je serais du nombre des socialistes partisans de la collaboration avec le mouvement auquel vous participez. Je considère la victoire électorale de votre mouvement comme un grand pas vers le salut immédiat de la France... Le salut, plus lointain, dépendra de la façon dont vous et tant d'autres saurez accomplir ce que j'appelle un double devoir : combattre les ennemis d'une renaissance européenne et maitriser les périls que tous nous portons en nous-mêmes." M. Malraux (continue le correspondant du N-Y. T.) dit et répète que, si Léon Trotsky l'avait emporté dans sa lutte contre Joseph Staline, il (Malraux) eut été aujourd'hui communiste-trotskiste. Aussi, n'est-il pas surprenant que M. Serge ait suivi le même chemin ? Victor Serge Tchilbatchich, mort à 52 ans, était le petit-fils du fameux Tchilbatchich, membre de la "Volonté du peuple" russe qui essaya d'assassiner le tsar Alexandre II. Au Mexique, il fut un grand ami de M. Trotsky jusqu'à l'assassinat de celui-ci. Du point de vue soviétique et communiste, le fait que M. Serge avait supporté M. Malraux est dans la logique des choses parce que, pour Moscou, trotskistes et fascistes sont tenus pour identiques. Il existe toutefois un segment de trotskistes français qui seraient enclins à miser gros sur cette lettre – d'un point de vue gauchiste.
Nous ne rendrons pas C.L. Sulzberger responsable du style et d’inexactitudes fantaisistes dont est ourlée sa dépêche. La charité demande qu'on n'accable pas les innocents et d'ailleurs l'on sait que les reporters font ce qu'ils peuvent. Notre correspondant n'aurait cependant pas dû se fier trop complaisamment à sa mémoire ou à celle de ses relations de café. Victor Serge ne s'appelait pas Tchibaltchich mais Kilbatchich ; il n'était pas le petit-fils, mais le neveu du terroriste russe ; ce n'est pas Alexandre II, mais III que la "Volonté du peuple" essaya d'assassiner, le deuxième du nom ayant été bel et bien occis en1881[1] et, dans plus d'un article, Léon Trotsky l'avait attaqué avec violence ; il n'a pas pu être "un grand ami de Trotsky au Mexique" pour la bonne raison qu'il y débarqua un an après la mort du vieux révolutionnaire. Sur un seul point toutefois, notre journaliste avait vu juste : il était "dans la logique des choses" que Victor Serge rejoignit Mrs Malraux, Burnham, Koestler et tutti quanti, - tous ci-devant "hommes de gauche" (…) démocratique. Quiconque avait fréquenté Victor Serge, dans les années qui précédèrent sa mort, ne saurait ignorer que sa haine (…) des régimes policiers l'avait mené à se faire un métier de l'anti-stalinisme. Loin de considérer le totalitarisme russe comme une forme particulière de domination de classe à l'intérieur du processus historique du capitalisme, il lui assignait une fonction diabolique per se, face à quoi tout front unique devenait souhaitable qui promettait de damer le pion au stalinisme. Mais laissons les morts à leur légende, les journalistes à leur innocence et demandons au conseiller du général De Gaulle : quel est votre jeu en vous réclamant du trotskisme, M. Malraux ?
C'est un phénomène familier à tout observateur qu'idéologues et politiques bourgeois ne (…) de s'approprier le vocabulaire révolutionnaire pour y développer leur camelote. L'indigence de leur pensée, désormais incapable de (…) le cercle d'une logique poussiéreuse, non seulement leur interdit toute pensée originale, mais leur fait substituer l'escroquerie (…) honnêteté. On sait quelles barbaries s'épanouissent sous le couvert des politiques des démocraties, quelles monstruosités prolifèrent sous le manteau du socialisme stalinien. Fraude et maquignonnage ont définitivement supplanté méthode et (…) intellectuelles. Mais jamais l'intelligentsia moderne (…), jamais elle ne déploie si ardemment ses dons de bateleurs que lorsqu'il s'agit d'ébaudir la classe ouvrière.
Comme il y a des mariages de convenance, il y a des nécrophages opportunistes : tirer à soi les morts est une vieille technique chez les saltimbanques, grands ou petits. Puisque les communistes s'approprient les fusillés de la résistance, puisque Himmler régnait sur un empire national-socialiste, puisque Mussolini gouvernait une nation prolétarienne, puisque Staline se proclame héritier de Lénine, M. Malraux aurait tort de se gêner... Reconnaissons cependant qu'en essayant de faire accourir les mânes de Trotsky au secours du gaullisme, M. Malraux péter plus haut que son derrière. Mais que rien ne soit négligé pour capter l'oreille de l'ouvrier ; pas même le risque de tomber sur la tête, si l'on manque son (…). Dès lors, qu'importe le franc aveu qu'il toujours politique de se réfugier sous l'aile du gagnant ! Si Trotsky avait occis Staline au lieu d'avoir été occis par celui-ci, et bien M. Malraux ne nous l'envoie pas dire, il eut été avec les vivants contre les morts. Ainsi, ce que M. Malraux entend par : "Si Trotsky l'avait emporté (…). Si la révolution l'avait emporté sur la contre-révolution, j'eusse été à l'heure présente du bon côté du manche, d'autant qu'une révolution (…) et que mon héroïsme se fut trouvé en mal (…) que, comme tout esprit que séduisent les destinées héroïques (…).
(…) un conflit Staline-Trotsky, comme cela ressort de ses déclarations à propos des procès de Moscou. En sorte que le vieux lion (…) à Mexico (…) tort d'accuser M. Malraux d'avoir toujours été un suppôt du stalinisme au moins aussi longtemps qu'il l'avait cru (…). Mais aujourd'hui, alors que le totalitarisme stalinien joue de malchance, alors que même M. Malraux peut se rendre compte que les moscovites risquent de se rompre le cou dans leur querelle avec les américains, il n'est plus du tout héroïque de jouer son Ulysse à bord d'une barque qui fait eau. Cela serait du pur idéalisme et M. Malraux n'est rien moins qu'un idéaliste.
Mais trotskiste, M. Malraux l'a-t-il jamais été ? Existe-t-il un seul texte de lui, une seule prise de position qui pourraient donner le change à quelque naïf ? Le trotskisme ne fut jamais qu'un mouvement fractionnel dont les perspectives historiques se sont révélées nulles. De plus, tout le monde sait qu'il n'y a pas de place dans les fractions extrémistes que pour une activité aussi obscure qu'a-héroïque. Le chapeau dont s'est coiffé ce mouvement : IVème Internationale, pour imposant qu'il soit, n'a pas changé les données du problème en ce qui concerne M. Malraux ; il n'y avait pas de masses à la clé, pas d'avions, pas de bombes, pas de métaphysique autour d'une carte d'état-major. Si cependant M. Malraux n'a laissé nulle trace de ses prétendues activités ou sympathies trotskistes, cent témoignages par contre certifient de son attitude hostile et, il faut bien le dire, plus qu'équivoque à l'endroit de celui dont il se réclame aujourd'hui. Or, quelles étaient les vues exprimées pas Trotsky sur le compte de M. Malraux ?
Au commencement de l'année 1937, M. Malraux fait une tournée de propagande aux États-Unis au bénéfice de l'Espagne républicaine. À Moscou à la même époque, c'est la deuxième fournée des procès de sinistre mémoire ; et, à New-York, l'idée prend corps d'un contre-procès – qui sera connu plus tard sous le nom de "Commission Dewey". Dans une déclaration à la presse de Coyoacan, datée du 8 mars, et reproduite dans The Nation (N-Y le 27 mars), Trotsky disait : New-York est actuellement le centre d'un mouvement pour la révision des procès de Moscou ; ce qui est, soit dit en passant, le seul moyen de prévenir de nouveaux assassinats judiciaires. Il faut expliquer à quel point ce mouvement inquiète les organisateurs des amalgames moscovites. Ils sont prêts à recourir à toutes les mesures pour arrêter ce mouvement. Le voyage de M. Malraux est une de ces mesures."
C'est qu'un incendie s'est produit peu avant. Un correspondant de Tass, Vladimir Romm, avait déposé au second procès qu'à la suite d'un arrangement secret il avait rencontré Léon Trotsky dans un parc de Paris, en juin 1933, afin de recevoir de celui-ci des instructions destinées aux conspirateurs qui travaillaient en URSS. Léon Trotsky fit immédiatement publier une déclaration (New-York Times, 16 février 1937) spécifiant qu'il était arrivé en France à la fin de juillet 1933 et qu'il avait passé les semaines suivantes à Royan, confiné dans sa chambre par suite du mauvais état de santé. Parmi ceux qui l'ont visité, il y eut plusieurs personnes bien connues qui auraient pu confirmer sa présence à Royan à l'époque incriminée. Entre autres, il nomma M. Malraux, lui demandant son témoignage. M. Malraux refusa, alléguant que la guerre d'Espagne était bien plus importante que les procès de Moscou et que, d'ailleurs, ceux-ci étaient une affaire personnelle entre Trotsky et Staline, affaire dans laquelle lui, Malraux, n'avait pas à prendre parti.
À la suite de cette "mise au point", Léon Trotsky moucha d'importance M. Malraux. Dans une dépêche transmise à New-York par la United Press, il dit entre autres : "En 1926, Malraux était en Chine au service du Comintern-Kuomintang et il est un de ceux qui portent la responsabilité de l'étranglement de la révolution chinoise... Malraux est organiquement incapable d'indépendance morale. Ses romans sont entièrement imprégnés d'héroïsme, mais lui-même ne possède pas la moindre trace de cette qualité. Il est officieux de naissance. À New-York, il lance un appel dans lequel il demande de tout oublier, sauf la révolution espagnole. La sollicitude pour la révolution espagnole n'a toutefois pas empêché Staline d'exterminer des douzaines de vieux révolutionnaires. Quant à M. Malraux, il a quitté l'Espagne avec l'objet de conduire aux États-Unis une campagne pour la défendre des travaux judiciaires de Staline-Vichinsky... Les défenseurs des coups judiciaires ourdis à Moscou se divisent en trois groupes : 1) du type perroquet, répétant les formules de l'accusation ; 2) du type sophiste, se livrant à une analyse purement juridique ; 3) dont c'est le rôle de dévier l'opinion publique... à l'aide d'invocations pathétiques. Tel est le rôle de M. Malraux et de ceux qui lui ressemblent... M. Malraux s'enorgueillit d'avoir toujours défendu les antifascistes. Non, non, pas toujours ! Seulement dans les occasions où cela coïncidait avec les intérêts de la bureaucratie soviétique. M. Malraux n'a jamais défendu les antifascistes italiens, bulgares, yougoslaves, allemands qui, réfugiés en URSS furent livrés à la Guépéou parce qu'ils ont critiqué le despotisme et les privilèges de la bureaucratie soviétique."
Ce coup de griffe n'était pas dû exclusivement à la peu glorieuse attitude de M. Malraux lors de son séjour à New-York. La piètre opinion dont M. Malraux jouissait dans l'esprit de Trotsky remonte au moins à 1931, comme cela ressort d'un article de celui-ci publié dans la Nouvelle Revue Française. Mais Léon Trotsky avait ignoré que M. Malraux eut une attitude qui en dit long sur son "détachement" des affaires russes. Lors d'une conférence qu'il donna à Columbia University, il réussit à créer l'impression qu'André Gide était sur le point de faire amende honorable quant à son voyage en URSS (Question : "Que pensez-vous du livre de Gide, Retour de l'URSS, M. Malraux ? – Réponse : "Je n'aurai qu'une chose à dire : juste avant de quitter la France, j'ai vu M. Gide ; il corrigeait les épreuves d'un nouveau livre qu'il venait d'écrire sur l'Union Soviétique ; le titre de ce livre était Retouches à mon retour de l'URSS). Grande joie parmi les auditeurs staliniens. Quant à Malraux "défenseur" d'antifascistes, voici comment il "défendit" l'un d'eux, Victor Serge précisément. Lors du Congrès des écrivains à Paris en 1935, M. Malraux, qui en était un des organisateurs, fut très irrité par la campagne que certains délégués menèrent en vue de la libération de Serge emprisonné en Russie. Il en parla avec amertume à Nicolas Calas présent au congrès. Il confia à Chiaromonte que, bien qu'il crût que Serge aurait dû être libéré et que lui, Malraux, essayerait de faire quelque chose en privé, c'était une erreur d'agiter le cas de Serge publiquement. En définitive, la signature de M. Malraux brilla par son absence au bas du document qui fut rédigé au congrès pour la défense de Victor Serge.
Encore une fois, quel est le jeu de M. Malraux, en essayant de prouver, "documents en mains", que sa présence à la tête du gaullisme bénéficie de l'investiture posthume du Trotsky – via la bénédiction, posthume également – de Serge ? Si, comme tout prête à le croire, M. Malraux est un honnête et loyal agent de De Gaulle, il ne saurait mieux servir son maître qu'en faisant accréditer l'idée que les procès de Moscou furent en tous points honorables puisqu'aussi les trotskistes s'avèrent capables de travailler la main dans la main avec le fascisme gaulliste pour la défaite de la contre-révolution stalinienne ; cela pourrait faire réfléchir tels ouvriers qui, écœurés par le stalinisme, seraient enclins à voir, dans le mouvement trotskiste, un parti révolutionnaire authentique. À remarquer que M. Churchill, dans ses Mémoires, délivre-lui aussi un certificat d'honorabilité aux faussaires moscovites. En second lieu, en faisant passer le gaullisme pour un mouvement de gauche dans lequel les ouvriers seraient chez eux – trotskistes en tête –, M. Malraux se livre à une manœuvre politique doublée d'escroquerie. Mais, comme à la publication que M. Malraux a donnée à la lettre de Victor Serge est en même temps une pure provocation en ce qu'elle livre à la machine stalinienne de nouvelles armes contre les militants révolutionnaires que la Guépéou amalgame sous le nom générique de "trotskistes", une question pour le moins troublante assaille l'esprit : est-il tout à fait exclu que M. Malraux joue le jeu des staliniens et qu'il soit, en tout bien tout honneur, une greffe stalinienne dans le noble giron du gaullisme ?
ANTOINE
[1] Serge n'était pas trotskiste, s'étant séparé de ce mouvement en 1937
(…[1])
(…), mais ayant le même défaut que l'anatomie. Son emploi, comme instrument de recherche et d'interprétation d'un problème d'économie politique, risque de nous donner l'image d'un moteur dont le fonctionnement serait oublié ou insoupçonné. Considérer le travail social, le problème de l'échange comme pures abstractions venues du concret, ne fait en rien comprendre le rôle de ces phénomènes dans un processus de production et surtout ne permet pas de les retrouver sous forme variable dans les transformations du processus même. Considérés la méthode d'abstraction, elle nous donne l'image idéale d'un phénomène sans nous permettre de connaître son processus.
Marx l'a employée dans sa magistrale étude, dans la 1ère partie, du procès du capital, mais nul ne prétend voir, dans cette partie, les fils conducteurs du procès du capital en tant que phénomène historique et non plus simplement économique. Pour cela, il est nécessaire de prendre l'œuvre de Marx dans son ensemble.
En tant que marxiste, la réalité semble plus proche quand le problème du capital est étudié en relation directe avec le phénomène historique de la société. Si Marx, dans la résolution du problème de l'accumulation élargie, se heurte à une impasse, dans la recherche des sources de réalisation de plus-value, si d'autre part il attribue à cet aspect du problème du capital une importance extrême, c'est que, d'après nous, là réside la contradiction économico-historique de la faillite du système. À un certain moment de l'histoire du capital, au travers des forces productives mises en branle par le jeu-même de la contradiction, relation de production-homme, il s'opère une divergence qui va en s'accentuant entre les producteurs exploiteur-exploité et la production. Il y a un phénomène de désadaptation entre la société et les moyens de production, le capital en tant qu'entité économique ne trouve plus le milieu historico-social à sa perpétuation.
Le problème essentiel de cette divergence ne réside plus dans la plus ou moins grande rentabilité du produit (le monopole et le capitalisme d'État répondent à la baisse tendancielle du taux de profit par un sur-profit). Elle réside dans l'essentiel de la production du système : pour qui produire.
Le jeu-même de la production pose cette question. Le capital ne travaille que pour échanger, cet échange n'est pas d'avance (…), car ses conditions de réalisation sont en dehors du circuit de production (introduction de la plus-value).
Par-là, le problème historique de la viabilité du capitalisme se heurte à celui de son échange.
Tout problème intérieur de la production perd son aspect déterminant et revêt un aspect technique.
Le problème intérieur de la production n'a pas uniquement un aspect technique. Il caractérise aussi un système de production. Le procès de production, le procès de circulation, le procès d'échange (et non le problème de l'échange) donnent les qualifications d'un mode donné de société.
Pour le capitalisme, ceci joue avec encore plus de clarté. La loi du fonctionnement du système de production est la loi de la valeur : la valeur d'un produit est mesurée par le nombre d'heures socialement nécessaires à sa production.
Aussi, un produit devient une marchandise quand on le mesure en heures sociales et non en utilité. Ceci n'enlève pourtant en rien la nécessité d'usage de la marchandise. Cette marchandise pourtant ne suffirait pas à caractériser le système économique.
Une autre loi intervient : celle de la valeur de la force de travail ; la force de travail à la propriété de produire plus de marchandises qu'il lui en faudrait consommer pour se reproduire.
Cette propriété pose immédiatement le problème du capital variable et de la plus-value. Le capital variable serait représenté par la valeur marchande de la force de travail – somme d'heures de travail nécessaires à sa reproduction –, la plus-value par l'excédent d'heures de travail de la force de travail. Les variations du taux d'exploitation répondent à une nécessité pour le système dans son développement. Il contient déjà un facteur historique, car il ne se heurte plus à une mécanique de production, mais à un développement plus ou moins viables de conditions historiques de son processus. Mais, là vient se poser le problème de la reproduction. Du point de vue strictement abstrait, la reproduction ne s'opère qu'en fonction d'une certaine somme de travail non (…) que nous appelons capital constant. C'est l'outil, la matière première, le lieu de production, les moyens de circulation.
Le système de production capitaliste s'exprimera donc en capital constant, en capital variable et en plus-value. Son mode de circulation va du producteur au consommateur, non de la valeur d'échange, mais de la valeur d'usage. Son échange se fait sur la base de l'égalité des marchandises vues sous l'angle heure de travail-loi de la valeur.
Mais, cette mécanique précise ne répond pas à la question : pour qui produire ?
Le problème n'est donc plus du ressort du procès du capital, mais des rapports historiques de la société.
Des hommes vendent et achètent. D'aucuns n'ont que leur force de travail à échanger : les ouvriers ; d'autres possèdent les moyens de production et la production à échanger : les capitalistes.
Du point de vue strictement mécanique, ces deux catégories d'individus sont des salariés du capital. En effet, la notion de propriété varie selon les sociétés. La propriété féodale n'est pas la propriété capitaliste. Pour éviter toute confusion, le terme d'appropriation serait plus juste.
Elle permet de comprendre que, dans l'évolution du capitalisme, le phénomène s'écarte de plus en plus de la propriété directe des moyens de production pour prendre sa forme vraiment capitaliste d'appropriation de travail. La propriété féodale est la propriété de la terre indépendamment du travail effectué. Cette terre n'est pas du travail humain accumulé. Les produits de cette terre n'ont pas la propriété de marchandise.
La propriété capitaliste, au contraire, est directement dépendante du travail ; sa forme abstraite est le capital, produit essentiellement humain. Le capital étant du travail accumulé, sa propriété est donc une appropriation du travail humain. Et cette propriété intervient dans le procès de production.
À ce niveau, nous trouvons d'une part des possesseurs de capital constant et d'autre part des possesseurs de force de travail. En tant que tels, ils remplissent une fonction dans le procès et reçoivent un salaire en échange.
Mais, le salaire du possesseur de capital peut très bien revenir à un délégué du possesseur. La propriété du capital n'est donc pas une nécessité économique, comme elle l'est pour la force de travail. Ici intervient le facteur historique. Ces deux catégories de salariés, remplissant des fonctions économiques données dans le procès de production, représentent socialement deux classes distinctes dans leur finalité.
Les salariés du capital agiront pour la perpétuation du système existant.
Les salariés force de travail, au risque de succomber avec la société, sont donc poussés à lutter contre le système existant avec la possibilité non seulement de changer les rapports de production en vigueur, mais d'instaurer de nouveaux rapports éliminant le salariat, donc leur position dans la société capitaliste.
La nature de la classe ne se définit donc plus par une fonction économique, mais par un devenir historique d'individus exerçant de telles fonctions économiques et non-possédant quelque chose.
C'est en ce sens que l'on peut comprendre que le capitalisme d'État élimine le capitalisme privé, mais non la classe capitaliste.
Le problème de la viabilité d'un système économique et celui de sa disparition sont résolus sur des terrains différents.
Le système capitaliste produit, accumule, élargit tant que son champ d'opération lui donne toujours son moteur de production : produire pour qui ? Car, il ne suffit pas de parler profit, bénéfice, et de voir là le moteur de la production quand ils ne sont que les buts.
"Produire pour qui" devient le problème essentiel autorisant une reproduction cyclique.
Du jour où cette question ne reçoit plus de réponse, la succession du système capitaliste dans l'histoire se pose et indépendamment des misères et atrocités pré et post-crise.
Le problème de la disparition du système ne se trouve pas, par-là, plus avancé, car il présuppose une conscience de la nécessité de la succession du capitalisme. Cette conscience c'est le socialisme.
Mais, cette conscience n'est pas un élément abstrait ; il se concrétise dans des individus : les révolutionnaires.
Enfin, cette conscience est action ; cette action s'exprime par la lutte de la classe ouvrière consciente et révolutionnaire.
MOUSSO
[1] parties indéchiffrables
Il y a 30 ans Rosa Luxembourg : écrivez : toutes les classes dominantes ont toujours défendu leur privilège jusqu'au bout avec l'énergie la plus acharnée. Les praticiens de Rome comme les barons féodaux du Moyen-Âge, les cavaliers anglais comme les marchands d'esclaves américains, les boyards Valaques comme les patrons de tissage lyonnais, tous ont versé des torrents de sang, tous ont marqué leur chemin par les cadavres des victimes et la cendre des incendies, tous ont provoqué la guerre civile et recourue à la haute trahison dans le seul but de maintenir leur privilège et leur pouvoir.
En faisant couler le sang des travailleurs de Clermont-Ferrand, par ces troupes mercenaires : « le socialiste » Jules Moch n'échappe pas à cette règle éprouve une fois de plus son dévouement à la cause du capital. Nous qui nous donnons pour tâche la destruction de ce régime ignoble par la guerre civile, nous ne nous laisserons pas emporter par le côté sentimental des événements politiques de Clermont-Ferrand.
S'il paraît exact que ce soit sur la base d'un réajustement du minimum vital à 12.900 francs et sur la revendication des 20 % présentée par la CGT que les travailleurs de chez Bergougnan sont entrés dans la grève, il n'en est pas moins vrai que dans cette conjoncture présente, ses revendications sont la poudre jetée aux yeux des travailleurs.
Mais je peux exister le minimum vital garanti par aucune espèce d'échelle mobile des salaires quand le cours de la monnaie nous indique une instabilité permanente. Cette méthode peut paraître fausse mais si nous prenons 1936 pour base de discussion nous verrons que depuis cette date les travailleurs ont toujours fait les frais de ces grèves pour des revendications économiques, même quand ces grèves se terminent par des soi-disant victoires présentées par des parties de la contre-révolution. En fait, le pouvoir d'achat des travailleurs est en diminution par rapport à 1936
L’État de siège et les grèves de Clermont-Ferrand ne se posent pas uniquement sur le terrain économique, ils sont un produit de la colère des travailleurs, devant la carence du gouvernement et de la cherté de la vie, subordonnés à l'agitation de la CGT.
Le fait même que la ville de Clermont-Ferrand soit en état de siège avec occupation des locaux administratifs, démontre le dépassement de la lutte économique pour le minimum vital par des modèles d'origine politique.
En ce qui concerne la CGT l'objectif est clair, la CGT et l'antichambre du Parti communiste français et le PCF a pour mot d'ordre : renversement du gouvernement Schuman, il s'agit pour lui de faire obstruction au plan Mayer, D'autant plus que les statistiques économiques indiquent une reprise de la production. Et c'est sur les mots d'ordre politique que dans la plus grande des confusions les travailleurs dans leur ensemble répondent au parti de Thorez. Il est facile de comprendre combien l'agitation des trotskistes et des anarchistes autour de l'échelle mobile du minimum vital s'inscrit en faux comme objectif révolutionnaire. Parfois parce qu'il est impossible de porter la moindre satisfaction immédiate dans la décadence du régime capitaliste, même quand il tend à stabiliser relativement son économie. Dans ces conditions, c'est une impasse, Clermont-Ferrand est un exemple.
Une seconde fois parce que la fraction capitaliste PCF bloque les travailleurs avec des mots d'ordre politique : « lutte contre le plan Marshall et luttes des gouvernements démocratiques contre le fascisme américain». Les mots d'ordre économiques sont utilisés comme monnaie d'échange et deviennent un moyen de dévoiement des ouvriers.
La grève de solidarité d'une heure du vendredi 18 et du samedi 19 par son caractère spectaculaire est beaucoup plus une démonstration de force au gouvernement actuel qu’une manifestation de solidarité aux grévistes ainsi qu'en témoigne la polémique entre le ministre de l'Intérieur et le journal du PCF à propos du pourcentage des grévistes.
Il est cependant très difficile de se prononcer sur l'éventualité d'une orientation de grève généralisée de la part des staliniens. Des travailleurs sont fatigués de ces grèves mais la cherté de la vie pousse en ce sens. Dans une situation aussi complexe, une baisse minimum des prix grossie par la démagogie des soutiens de Mayer : CGT-FO et CFTC prouvant l'habileté du gouvernement et les possibilités de la conjoncture économique internationale peut être un frein sur l'influence des partis staliniens. On peut toutefois penser que l'attitude du gouvernement vis-à-vis des grévistes de Clermont-Ferrand par rapport aux grèves de novembre, c'est-à-dire la répression sanglante actuelle, indique une certaine stabilité de l'orientation de la politique actuelle du gouvernement.
Que ce soit le PCF qui influence par son idéologie la classe ouvrière ou la bourgeoisie de Mayer subordonnée à la politique américaine, il n’en est pas moins vrai que la situation française reste, y compris les événements de Clermont-Ferrand, un produit de la situation internationale.
La division économique de l'Allemagne, le manque de lait aux enfants des prolétaires Allemands de la zone occidentale, ceci dit au démontage des voies de chemin de fer par les Russes, sont autant de facteurs qui poussent vers la 3e guerre mondiale et le minimum vital de la CGT proposé aux travailleurs de Clermont-Ferrand devient lui aussi un facteur de guerre, dans le camp opposé de la bourgeoisie américaine.
C’est donc en corrélation avec la politique extérieure que doit être interprétée la manifestation d'un caractère local. La lutte contre la troisième guerre mondiale s'inscrit dans la lutte contre les idéologies des parties du capitalisme d'État : « celui de Schuman comme celui de Thorez.»
Goupil.Le gouvernement attendait une échéance en juin. Il attend aujourd'hui pour juillet et toute sa politique tend à gagner du temps jusque-là.
Cette politique était censée depuis plusieurs mois sur la situation économique et sociale, point névralgique par où passe en France les rapports mondiaux. Elle se concrétise dans le plan Mayer. Asseoir une “stabilité” relative qui consacre définitivement la misère de la classe ouvrière (son niveau de vie a été réduit de près de 50 % au cours de la guerre, dans 20% depuis la “Libération”), les scènes de cette stabilité la base d'une participation au plan Marshall de préparation à la 3e guerre mondiale, tel était début poursuivi par le gouvernement. Aujourd'hui celui-ci s'attend à ses premiers succès, il signifierait pour le capital une reprise en mains plus ferme de la situation.
Pour la première fois, un renversement de la tendance inflationniste qui domine depuis 1939 est devenu possible. Les chiffres récents de la conjoncture et les prévisions officielles semblent au moins l'indiquer.
La balance commerciale accusé en septembre un déficit de 31,22 %, en novembre de 23,58%, et en janvier-février de 33,83%. Celui-ci est tombé vers Mars à 20, 73%. La pénurie de dollars qui dominait les échanges extérieurs depuis plusieurs mois va se trouver sérieusement réduite par l'entrée en scène des crédits Marshall. Ceux- ci s'élèveront pour les 12 mois à venir à 1,131 millions de dollars. Les paiements internationaux seront donc sensiblement améliorés.
La situation financière du gouvernement s'améliore elle aussi, puisque c'est rentré (impôts arriérés et prélèvements) ce sont accrues au point qu'il a pu rembourser 2,100 millions à la Banque de France, sur avance antérieurement consenti, entre le 20 et le 27 mai.
Le poids des facteurs monétaire (extérieur et gouvernementaux) sur l'économie et donc alléger, et l'effet s'en fait sentir sur la production et les prix qui manifestent des signes nets de redressement.
La production était répartie doucement en 1946 ; elle avait stagné pendant l'été 1947, puisque l'indice était le même à fin décembre au début janvier. Or depuis le début de l'année en cours, elle a brusquement démarré pour atteindre un accroissement d'environ 30%. L’indice c'est général est aujourd'hui à 112 par rapport à 1938. Il attend 122 pour l'acier, 135 pour les produits finis, 148 pour les pneus, 150 pour le ciment. Les stocks se reconstituent à la suite de cette poussée et s'il reste en dessous du niveau normal pour l'industrie, du moins gagnent -ils baissent pour les biens de consommation. Les Grands Magasins parisiens qui travaillaient encore en janvier sur un mois et demi de stock, dispose aujourd'hui d'approvisionnement pour trois mois et espacent les commandes. Les magasins de détails se garnissent, la clientèle commence à refuser les achats. On s'attend d'autre part à une récolte très supérieure à celle de 1947, voire une chute probable des prix alimentaires.
Quant aux prix, ils ont une tendance depuis plusieurs mois à plafonner. L'indice des prix de gros qui était par rapport à 1938 à 1217 en décembre, à 1463 en janvier et à 1537 en février redescend à 1535 en mars (dernier chiffre connu). Cette baisse de 2 points porte sur les produits alimentaires, et en particulier sur le porc, les œufs et les pommes de terre. Les hausses des produits industriels se poursuivent mais au ralenti : la chaux, le ciment, et les produits semi-ouvrés non ferreux augmentent de 1,77 pour cent.
Enfin, en signe d'une extrême importance, les conditions financières des affaires commencent à se renverser elle aussi. Alors que depuis la guerre non seulement le paiement content mais le paiement à l'avance était la règle pour toutes les transactions commerciales, depuis 2 mois le crédit (généralement 90 jours) réapparaît sur une certaine échelle. Aussi les nouveaux accroissements de la circulation monétaire n'ont-ils plus pour cause les sources anciennes de la pénurie, mais l'accroissement brusque d'un portefeuille commercial dans les banques qui reflètent l'amélioration générale, l'augmentation du nombre de marchandises. Ce portefeuille qui s'était réduit à 10,161 millions en mai 1945 pour passer à 117,902 millions au 31 décembre 1947 monte à 165.313 millions au 27 mai de cette même année. L'augmentation pour le mois de mai est de 16,013 millions et elle est en même temps de 2.895 pour les chèques postaux. Or, pratiquement, l'accroissement de circulation monétaire ainsi engendré par la nécessité devant laquelle se trouve les banques te faire des avances aux industrielles et commerçants, (escompte des traites) et temps parti compenser par le remboursement des avances antérieures auxquelles le gouvernement a procédé, ainsi que par l'augmentation des comptes créditeurs. L’inflation actuelle n'a par conséquent, plus du tout le même sens que par le passé.
Le bilan de cette situation et donc le suivant : reprise de la production, accroissement du nombre de marchandises, possibilité d'une chute subite de certains prix, ou du moins d'un maintien des prix.
Dans ces conditions va-t-on au-devant d'une crise ? il faut s'entendre. Si les prix tombaient brusquement, que cycle d'inflation s'arrête cela signifierait une vague de faillite, la paralysie partielle de l'économie, le chômage, le nouvel essor de la misère au milieu d'une production invendable.
À la vérité certains symptômes apparaissent déjà. Des stocks anciens (par exemple : des tissus de 1939) commencent à surgir sur le marché. Il existe pour certains articles (c'est surtout le cas du textile) une crise de méventes. Le chômage fait son apparition et gagne. Cependant le sens de CV de ses événements ne serait pas compris si on lui donnait le sens d'une crise classique.
Il y a crise en effet lorsque le développement de l'accumulation se trouve soudainement arrêté par ses lois mêmes. Telle est la nature des crises cycliques connues par le capitalisme au cours de son histoire. Or aujourd'hui la crise est devenue nécessaire pour l'accumulation elle-même elle correspondait à une stabilisation. Une chute subite des prix signifierait un dégonflement du système parasitaire édifier sur la base de la pénurie, un arrêt partiel et momentané, entretient de la bureaucratisation. Elle entraînerait l'élimination de toute une série d'entreprises, "assainissement", la reconstruction du système du crédit. C’est une crise que le capital appelle à la fois pour restaurer ses positions économiques, et pour freiner sa chute vers le capitalisme d'État.
Ce mouvement est-ce que c'est vers le plafonnement des prix de détails et vers la chute prochaine des prix des produits alimentaires et d'ailleurs qu'une tendance. C’est-à-dire que le cours inflationniste continue néanmoins. Les échanges extérieurs qui, pratiquement, domine la situation, ne peuvent en effet être rétabli étant donné la désorganisation du marché mondial. Malgré le plan Marshall, 400 millions de dollars manquerons dans l'année qui vient à l'équilibre de la balance française des paiements. D’autre part, les nouveaux prix industriels devront incorporer ceux des matières premières importées depuis la récente d'évaluation, c'est-à-dire plus cher que par le passé (jusqu'ici l'industrie travailler encore avec des matières incorporées avant l'alignement monétaire, dont aux anciens prix). Les prix montent aux États-Unis, stimuler par l'exécution du plan Marshall comme par la nouvelle conjoncture d'armement désormais engagé, et les importations les plus importantes proviendront de ce pays. En juillet Mayer devra relever certains prix industriels par trans successives. Il devra aussi relever celui du blé ce qui aura un grand effet sur les prix de revient industriels. Les nouvelles luttes syndicales se préparent de leur côté. C’est dire que les espoirs dont se nourrissent les forces capitalistes qui suivent Mayer, d'atteindre vers la décomposition du capitalisme continue, à plus long terme. Ce ne serait ni à la bourgeoisie ni à la bureaucratie d'État qu'il appartiendra de changer quoi que ce soit.
Cependant la nouvelle tendance déflationniste qui fait son apparition en France doit retenir l'attention de l'avant-garde. Le gouvernement joue cette carte, c'est son rôle. On sent qu'il cherche à gagner le temps nécessaire pour qu'une chute de certains prix se produisent. Il s'efforce d'éviter jusque-là une nouvelle offensive des ouvriers pour les salaires. Aussi le voit-on occupé le Parlement et l'opinion publique avec des problèmes qui ne mettent pas en question le cours de la conjoncture économique : usine nationalisée, laïcité problème extérieur. Toutes ces questions font en fait diversion, quel que soit leur importance propre. Mayer veut gagner une bataille des prix engagée depuis le début de l'année. La politique mondiale du bloc anti-soviétique a besoin de cette victoire. En cas d'échec, le stalinisme trouverait une nouvelle et sérieuse possibilité d'intervenir et de bouleverser l'exécution du plan Marshall, c'est-à-dire la préparation de la guerre contre le Kremlin. La stabilisation économique de l'Europe de l'Ouest et aujourd'hui nécessaire pour le camp de l'impérialisme américain. Elle commande la politique en Europe. Surtout le continent, la guerre des deux camps prend avant tout, au cours de ces mois d'été, la forme d'une guerre économique (réforme monétaire allemande, aide à l'Europe, trizone, etc.) c'est par là que passe actuellement la préparation effective de la guerre pour plus tard. Or la France est un point névralgique à cet égard.
Par conséquent ce que l'avant-garde révolutionnaire doit considérer, c'est la manière dont le cours vers la guerre pourrait passer au moins temporairement par de nouvelles voies. Jusqu’ici l'écrasement de la classe ouvrière se faisait par l'inflation ; aujourd'hui elle cherche à se réaliser par la déflation.
Les ouvriers doivent prendre conscience que dans l'un et l'autre cas il s'agit d'une politique de guerre de la préparation active au troisième carnage mondial. Une chute des prix si elle s'avérait possible demain servirait tout autant -et l'asservissement de la classe ouvrière, à l'État et sa soumission aux deux blocs mondiaux que ne le faisait hier la lutte bureaucratique pour les salaires. Le marché de consommation atteignant une certaine saturation avec la réduction du niveau de vie ouvrier, certaines entreprises se ferment, et certaines activités cessantes, ce serait autant de ressources disponibles pour l'armement. Les chômeurs créés par la chute des prix fourniraient de nouveaux ouvriers d'arsenaux. Par conséquent l'avant-garde doit mettre en garde la classe ouvrière contre l'”option tragique” entre l'un ou l'autre des cours économiques. Elle doit démasquer toutes les organisations syndicales, qu'elle fasse miroiter la baisse des prix ou la hausse des salaires. Elle doit à l'avance expliquer comment les nouvelles luttes sociales qui sont en vue -elles sont peut-être imminentes- n'auront pas pour objectif les aspirations de classe du prolétariat, mais la préparation de la guerre, l'épreuve de force économique et politique par laquelle les deux blocs mettent en place leur dispositif d'agression.
Face aux difficultés les efforts du capitalisme pour survivre économiquement, l'avant-garde doit continuer avant tout sa lutte révolutionnaire contre la guerre.
Morel
Nous nous proposons dans cet article, de faire un rapide tour d'horizon des différents groupements qui sont réclament en France du prolétariat ou agissent en son sein, et de leurs positions politiques respectives. Nous avons fait autrefois une telle étude détaillée[1]. Mais les événements se succèdent à un rythme si rapide à notre époque, que trois années suffisent à vérifier et à bouleverser les positions et prévisions des uns et des autres, et justifie une nouvelle est nécessaire remise à jour de la géographie politique.
Il faut en tout premier lieu souligner l'effondrement total des illusions sur la paix. La bourgeoisie, aussi bien que les ouvriers croyaient qu'une ère de paix suivrait la fin de la deuxième guerre mondiale. Cette croyance était fondée pour la bourgeoisie sur le fait de l'écrasement et de l'évincement du marché mondial des principales puissances impérialistes concurrentes qu’était l'Allemagne et le Japon. Pour les ouvriers, cette croyance s'appuyait sur "l'écrasement" du fascisme, qu'on lui avait enseigné être la principale, sinon l'unique source des guerres modernes. Même si on ne croyait pas que la victoire des Alliés mettait fin à jamais à la guerre, on s'accordait les uns et les autres, au moins pour une période assez longue, la guerre ferait place à une entente, à une collaboration et au règlement pacifique des conflits éventuels entre États. Cette illusion d'une période plus ou moins longue de paix fut si répandue, pendant les mois précédents et suivant la fin de la deuxième guerre, qu'elle fut partagée par la plupart des petits groupes révolutionnaires comme la F.F.G.C. l'expérience a fait table rase de ces illusions et a confondu ceux qui en avaient fait leur perspective et bâti toutes sortes de théories qui se sont effondrées comme des châteaux de cartes. Aujourd'hui, tout le monde sait que ce n'est point une période de paix, mais simplement la fin d'une phase de la guerre, celle qui avait pour antagonistes l'Allemagne et le Japon, et le commencement d'une nouvelle phase. Le cours de guerre continue. La production de guerre se poursuit, l'économie de guerre n'a pas été interrompue.
Incontestablement, le parti stalinien était et reste encore, le parti politique exerçant une influence prépondérante sur la classe ouvrière.
C’est cette influence qui faisait toute sa force, son rôle politique depuis la Libération et considérable.
Cependant, et cela était facile à prévoir, le stalinisme a perdu, et pour longtemps, sa place à la direction des affaires publiques en France, et de parti gouvernemental, sur le point de réclamer et d'espérer l'honneur de la présidence du conseil, il est aujourd'hui le parti de l'opposition.
Ce changement de position du parti stalinien face au gouvernement et du gouvernement face aux staliniens n'exprime pas comme ils le prétendent une rupture entre le gouvernement et le prolétariat une évolution réactionnaire anti-ouvrière de la politique gouvernementale. Et cela pour deux raisons : d'abord pas, parce que le gouvernement depuis la “Libération” n'a jamais eu comme politique sociale différente ni moins réactionnaire, ni plus pro-ouvrière ; ensuite parce que le parti stalinien ne personnifie pas, ni les intérêts immédiats, ni les aspirations générales du prolétariat. On ne peut rompre avec ce qui n’a jamais existé. Cette fable qui sert beaucoup à la campagne de démagogie des staliniens, n’est prise au sérieux que par les trotskistes. Pour ces derniers, le parti stalinien est un parti ouvrier hélas opportuniste, tout comme l’Etat russe est un état prolétarien mais dégénéré. Ce qu’il reproche et combattent dans le parti stalinien c’est son “opportunisme” mais il ne met pas un instant en doute “sa nature, son essence” prolétarienne[2].
Identifiant P.C. et classe ouvrière, ils réclament un gouvernement ouvrier, c'est-à-dire stalinien. De même, voient-ils dans l'écartement du P.C. du pouvoir, une défaite de la classe ouvrière, et le considèrent comme leur propre défaite. Mais les trotskystes qui sont si soucieux et si empressé de faire “faire l'expérience” aux ouvriers, ferait peut-être mieux de comprendre d'abord celle que nous avons vécu pendant les deux années où les staliniens étaient au gouvernement. Toute la politique anti-ouvrière de blocage des salaires, d'augmentation du rendement du travail, de la baisse du niveau de vie des masses et de leur surexploitation, a été dirigée par les P.C. au gouvernement avec une force et une maîtrise rarement égalée par les ministres plus réactionnaires. La presse bourgeoise, à l'époque, ne tarissait pas d'éloges “les hommes d'État” qu’étaient Thorez et ses amis, qui dans la défense des intérêts du capitalisme français se montraient au moins aussi fidèles et aussi énergiques que les socialistes.
Et pas plus que les l’évincement des staliniens de leur postes gouvernementaux ne signifie on ne sait quelle frustration des masses ouvrières de la victoire “commune” remportée sur le fascisme allemand, pas davantage leur participation au gouvernement ne reposait sur la pression ouvrière. Ces analyses, qui voulaient que le tripartisme ait été imposé à la bourgeoisie en fonction de la pression des masses ouvrières et de leur mécontentement, comme l'expliquèrent les trotskystes et la F.F.G.C. se sont avérés des schémas en l'air qui, à défaut d'expliquer la réalité, avait pour unique mérite de contenter ceux qui les professaient, de faire des efforts de compréhension de la réalité.
À aucun moment le capitalisme français n'a été menacé par ce mécontentement des ouvriers, à aucun moment il n'avait subi leur pression au point d'être obligé de composer avec ceux qui les auraient représentés. Tout cela n'existait que dans les cerveaux de la F.F.G.C qui voyaient la radicalisation des masses, et une prise de conscience révolutionnaire, précisément au moment où la conscience de classe ne faisait que s'éclipser et disparaître. Bien sûr que le P.C. a largement contribué à maintenir l'ordre et à soumettre les ouvriers à cet ordre, mais cela ne signifie nullement que cet ordre ait été menacé, ni que la présence du P.C. au pouvoir était indispensable pour y faire face. Si cependant le parti stalinien a trouvé sa place dans le tripartisme, c'est parce qu'il existait alors des conditions rendant possible et nécessaire l'unité du capitalisme français. Ces conditions étaient la défense de ses intérêts non pas face à des chimériques menaces venant du prolétariat, mais face aux autres États et la volonté du capitalisme français d'assurer la reconstruction de son économie nationale, et de prendre une part plus large possible dans le brigandage de l'impérialisme allemand vaincu. Sur ce plan, une unité complète existait entre le Parti national stalinien et les autres partis nationaux du capitalisme français. Cette unité existait encore sur la nécessité d'opérer des réformes de structure indispensable avec l'évolution générale du capitalisme vers la forme du capitalisme d'État.
Mais là s'arrête l'unité, et les divergences commencent sur la manière d'opérer ces transformations structurelles vers le capitalisme d'état, divergences qui met en opposition les intérêts des couches différentes cherchant à tirer pour elle le maximum de bénéfice des transformations à opérer.
Les nationalisations, c'est-à-dire la structure étatique de l'économie est une nécessité générale du capitalisme moderne. Cette transformation et le fondement structurel aussi bien des régimes staliniens, fascistes que démocratiques, aussi bien pour des pays riches comme les États-Unis et l'Angleterre, mais avec un rythme plus long que pour des pays pauvres “prolétaires” qu'étaient la Russie, l'Allemagne et l'Italie. Le capitalisme d'État à ceci de caractéristiques que les privilèges de classe ne reposent pas, du moins, sur la notion juridique de la possession privée du capital, mais sur la position fonctionnelle dans le procès du capital. L'élimination nécessaire du capitalisme privé anachronique au bénéfice du technicien et fonctionnaire du capital, peut se faire, soit lentement par son incorporation progressive et son assimilation dans la nouvelle structure, comme aux États-Unis et en Europe occidentale, soit brusquement par son expulsion brutale de ses positions privilégiées et la formation de la classe privilégiée par les individualités nouvelles comme en Russie et en Europe Orientale d'aucuns voient dans ce processus à la lumière de cette deuxième modalité un changement social fondamental, la disparition du capitalisme et l'avènement d'une nouvelle société : la société directoriale. C'est là une conception très vulgaire de la société capitaliste -qui est un système économique fondé sur l'existence du capital et sur les rapports entre capital et travail engendrant la classe salariée et la classe capitaliste- et qui voit au contraire dans l'existence des individualités privés capitalistes le fondement du système économique capitaliste. C'est une conception ou la réalité marche sur la tête et l'accessoire devient le principal[3]. On voit que l’unité de fond sur l’étatisation indispensable de l'économie peut cependant entraîner des divergences sérieuses sur les rythmes du processus. Les couches sociales les moins liées aux anciennes formes structurelles du capitalisme sont d'autant plus partisanes des rythmes accélérés que dans cette accélération elle voit l'occasion historique favorable à se substituer en groupe aux individualités capitalistes privés et à prendre leur place individuellement dans la classe privilégiée. C'est cela que représente le parti stalinien et son opposition aux autres vieux partis politiques qui bien plus que lui ont des attaches avec les anciennes formes et couches du capitalisme privé monopoliste.
C'est encore en cela que réside leur dynamisme et impatience et le secret de leur influence sur les ouvriers encore imbus des conceptions du passé. Et dans ce fait réside également la raison de la plus grande sympathie portée par les P.C. à la Russie dont les origines, la tradition et le langage idéologique sont les mêmes que les siens et font leur communauté. Mais cependant si le P.C. se fait le protagoniste l'incorporation de la France dans le bloc russe cela n'est pas parce qu'il représenterait face au bloc américain, une opposition de classe, (ni de la classe du prolétariat, ni de la classe fantaisiste “techno-bureaucratique” anticapitaliste[4]) pas plus que l'antagonisme Russo-américain ne représente une opposition de classe, pas plus que la guerre commune entre la Russie et les États-Unis contre l'Allemagne n'était une guerre de classe.
Les plans d'après lesquels se font les groupements de blocs internationaux dans d'autres bases que les intérêts capitalistes nationaux et les calculs plus ou moins bien fait pour les défendre. Aussi est-il stupide de représenter les P.C. comme une agence de l'étranger, une cinquième colonne. Cela a exactement autant de valeur que de présenter le R.P.F. ou les socialistes comme la cinquième colonne des États-Unis. L’acceptation ou le rejet du plan Marshall peut très bien se disputer sur un plan strictement économique, d'un point de vue de l'intérêt du capital national. Le développement du chômage en France comme dans d'autres pays de l'Europe occidentale et sa non existence dans les pays du bloc oriental peuvent insister bien des capitalistes à des réflexions d'un point de vue d'intérêt strictement national. La répugnance et même l'hostilité à accepter la soumission aux États-Unis, sans même parler de la soumission à l'Angleterre, ne sont d'ailleurs pas propre ou stalinien, elles sont partagées par bien des hommes politiques du capitalisme français point
L'intégration forcée de la France sous la pression des Etats-Unis, dans le bloc occidental, et la possibilité d'une évolution moins retarde vers le capitalisme d'État, on fait évincer le P.C. des postes de l'État et son rejet dans l'opposition. Chemin faisant, les positions solides acquises au lendemain de la guerre par le P.C. ont été sérieusement ébranlées. Il a perdu tous ses points d'appui dans les rouages de l'État et son influence dans les masses ouvrières a été profondément sapée après avoir été patiemment minée. La scission de la C.G.T. qu'il dominait, l’a sérieusement affaibli. Ces dernières tentatives d'usées et d'exploiter mais revendications économiques ont fait fiasco et ont montré que le P.C. a perdu suffisamment de force pour le rendre incapable de déclencher à volonté et de promouvoir des mouvements massifs de grève comme il l'avait fait dans le second semestre 1947.
Son influence et non seulement stopper mais va en décroissant et suivra probablement cette courbe jusqu'à la prochaine guerre mondiale.
Si la courbe du stalinisme marque nettement une tendance fléchissante, il en est tout autrement pour les socialistes, qui ont incontestablement renforcé leur position.
Il faut d'abord tenir compte de la différence de mesure qu'il y a à appliquer aux socialistes et aux staliniens. La force des premiers et dans leur nombre et dans leur dynamisme, pour les socialistes elle est au contraire dans la routine et dans l'”élite politique”, c'est-à-dire dans les postes étatiques occupés par personnel spécialisé et entraîné à cette besogne.
Dans ce domaine, les socialistes détiennent les positions clés et sans le centre de l'équilibre de la politique intérieure, extérieure et coloniale du capitalisme français.
Mais il y a mieux, le Parti socialiste a su s'organiser de façon à fournir des équipes spécialisées pour les fronts divers de son activité. Blum reste la conscience et le conseiller occulte du chef de l'état, de la présidence du conseil, et du Quai d'Orsay. Les élus parlementaires conseillé de la République et autres ont de leur côté la fonction d'assurer et de diriger l'appareil étatique et la vie politique active quant aux tâches de l'organisation du parti, de sa propagande et de ses rapports avec les masses, elles sont confiées à des militants plus jeunes, plus dynamiques, plus gauchiste. La force des staliniens et leur monolithisme, celles des socialistes c'est leur diversité. La tactique stalinienne consiste à frapper l'adversaire avec ensemble, comme un seul corps rigide, celle des socialistes au contraire et la souplesse et l'enveloppement patient de l'adversaire. Aussi comme étant une grave erreur en considérant les luttes de tendance, et même les petites crises organisationnelles au sein de la S.F.I.O. comme des signes de son affaiblissement. Les trotskistes qui ont toujours compté dessus et énoncé régulièrement l'effondrement de la S.F.I.O. en sont pour leur frais, ces espoirs déçus des trotskistes ne sont pas la moindre des causes de leur propre effondrement.
Les luttes de tendance au sein de la S.F.I.O. sont la plus sûre soupape de sûreté, et le moyen le meilleur d'utiliser le dévouement des militants ouvriers en entretenant et exploitant leur illusion naïve sur un éventuel changement de la politique du parti socialiste.
Quand, par hasard, des petites tendances gauchistes deviennent par trop turbulentes, le Parti socialiste sait s'en débarrasser et après les avoir usées à fond à l'intérieur, il les rejette vide de toute substance. Le Parti socialiste n'est pas un milieu de fermentation idéologique, mais le milieu spécifique où se fait l'évaporation inoffensive des aspirations socialistes. Aussi depuis 30 ans plus aucun courant révolutionnaire prolétarien n'a pu se former en son sein, ni en sortir. Par contre il a servi de vastes dépotoirs ou échouèrent par centaines et milliers des vieux militants venus de la 3e internationale où ils furent déjà à moitié brisés par le stalinisme. C'est dans ce marais stagnant et boueux, que viennent achever leur décomposition les militants venus du stalinisme et du trotskisme dont les dépôts formeront la gauche socialiste. C'est là que, surtout, seront puisés les éléments pour la constitution des cadres moyens du Parti socialiste. Il est frappant à première vue de constater le pourcentage énorme que constituent les transfuges du trotskisme et du stalinisme au sein des organismes dirigeants de la S.F.I.O. Les Roux, Robert, Ferrat, Barre, L’huillier, Pivert, etc.
Abandonnant la politique générale aux vieux parlementaires, à qui, de congrès en congrès on fait des semonces, la gauche a pris sur elle la redoutable tâche de disputer les ouvriers aux staliniens. Pour cette œuvre ils étaient largement favorisés par la conjoncture politique internationale ou souffle puissamment un vent hystérique d’anti-stalinisme.
L'exaspération de l'antagoniste États-Unis URSS et l'approche de la guerre, crée un climat psychologique extrêmement favorable dans les pays de l'Europe occidentale à la mobilisation contre le totalitarisme russe, et à l'anti-stalinisme enragé. Dans tous les milieux sociaux mais surtout dans la petite bourgeoisie intellectualisante qui était plutôt stalinisante à la fin de la guerre, on assiste à un renversement de tendance. Qui par panique ou par préférence, qui par désespoir ou par crainte, qui part ambition de faire carrière ou par rancune, pour raison du “moindre mal” ou au nom du “cas particulier” tout le monde, et surtout ceux qui aiment être toujours du côté du plus fort, ont enfourché le dada de la guerre sainte contre le stalinisme. En tête de cette armée avec la bénédiction du Pape à Rome, et le secours de Wall Street, vient le Parti socialiste.
Et ces succès sont certains. En alliance avec le syndicalisme réformiste de Jouhaux et avec la complicité du syndicalisme dit révolutionnaire de Monatte, les socialistes viennent de réussir un coup de maître en scissionnant la C.G.T. ayant constituant une nouvelle centrale syndicale dans la seule raison d'être et sa lutte contre le stalinisme.
La CGT-F.O. a fait d’incontestable progrès depuis sa constitution et on peut, sans hésiter, prédire son développement numérique ultérieure aux dépens de la centrale syndicale des staliniens. Déjà, sur le plan de la collaboration avec les organismes étatique et les commissions paritaires, la nouvelle centrale à évincer l'ancienne et s’est substituée à elle. Elle est en passe d'être reconnu, en fait, pour l'organisation syndicale la plus représentative.
Le Parti socialiste a pu, sans grand dommage, abandonné ses groupes socialistes d'usine, qui d'ailleurs ne rendait pas. La centrale syndicale F.O. est un levier autrement plus puissant pour l'action dans les masses, et présente encore cet autre avantage qu'il décharge les militants socialistes proprement dit du poids de ce travail. L’action stalinienne dans les usines se trouve freinée et souvent paralysée totalement par l’intervention des syndicats F.O., ce que les groupes socialistes d'usine ne pouvait faire. Le gouvernement et le ministre du Travail socialiste peuvent s'appuyer et utiliser avec grand succès la politique de baisse des prix préconisé par la F.O. pour contrecarrer la campagne pour la hausse des salaires, entreprise par la C.G.T. stalinienne. Et, bien que le pouvoir d'achat des salaires ne fait que diminuer, les tentatives staliniennes pour déclencher des moments de grève n'ont pas rencontré un écho favorable parmi les ouvriers. Un évènement tel que la lutte sanglante de Clermont-Ferrand, qui a mis en mémoire de large couche d'ouvriers dans tout le pays, s'est liquidé rapidement sans produire les effets escomptés par les staliniens. Peu importe alors, que le Parti socialiste perde des adhérents, cela est largement compensé par la réduction de la puissance et de l'influence des staliniens, et traduit d'autre part l'état amorphe générale des ouvriers.
On sait que le "populaire", organe central du parti socialiste, se trouve dans une situation financière particulièrement difficile et il a même été question de son changement de journal quotidien en journal bi-hebdomadaire. Mais il serait cependant erroné de vouloir tirer de ces faits la conclusion d'un affaiblissement de ses positions et de son influence. Bien plus significative est le fait que les socialistes aient pu organiser séparément des staliniens une manifestation commémorative au mur des fédérés -ce qu'ils n'ont pu faire depuis 1934- et que cette manifestation groupait des milliers d'ouvriers de Paris.
Par la troisième force qu'il anime le Parti socialiste reste l'axe de la politique française sur le plan parlementaire et gouvernemental. En même temps il se fait l'animateur de rassemblement populaire, appendice extra parlementaire de la troisième force. Ainsi s’est tenu récemment à Puteaux une conférence des États-Unis socialistes d'Europe et des peuples coloniaux sous la direction de Marceau Pivert et avec la participation spéculaire de Léon Blum. Cette conférence qui, cela va de soi, n’apporte rien, est destiné à disputer sur le plan européen et dans les colonies, l'influence aux Churchill et consort, autre moteur des États-Unis d'Europe, qui viennent de tenir une conférence à La Haye.
D'autre part et sur le plan national, les dirigeants gauchistes de la S.F.I.O. ont pris l'initiative de créer le fameux Rassemblement Démocratique Révolutionnaire, autre appendice dont nous parlerons plus loin.
Le congrès socialiste qui doit se tenir les jours prochains nous montrera, non pas une crise interne, comme certains le prévoient, mais au contraire une plus grande unité et stabilité de ce parti. La pression stalinienne qui existait au dernier congrès socialiste de Lyon a été liquidé par l'élimination de la tendance à la Bataille socialiste sans que cette élimination ait le moins du monde troubler la vie et l'influence du P.S. Depuis sa constitution en organisation autonome, cette tendance a d'ailleurs montré qu'elle ne représentait rien, n'ayant personne derrière elle, sinon une petite clique de quelques politiciens corrompus, et dont la seule raison d'exister et de servir de vis à vis au Staline pour la démagogie de front unique communiste socialiste.
Ceux qui prétendaient que les parties socialistes n'étaient que des survivants d'une période passée doivent revoir sérieusement leur analyse. En réalité les parties socialistes se regroupent sur le plan international (voir les conférences pour la reconstitution de la 2ème Internationale) et se renforce dans certains pays où dépend des staliniens et stalinisants (voir la victoire du parti de Saragat aux dernières élections en Italie). Cela n'est pas fait du hasard. Les partis socialistes remplissent une fonction importante pour la conservation et la transformation interne du capitalisme. Et en tant que tels ils ne disparaîtront de la scène politique qu'avec la destruction du régime capitaliste.
Avec les parties communistes et socialiste et leur succursale syndicale, nous avons vu les formations politiques qui, agissent exercent une influence réelle dans les brasses ouvrières.
O0O0O
Dans le prochain numéro nous poursuivrons notre examen de la géographie politique et verront plus spécialement les forces et les positions politiques respectives des groupements secondaires et petit groupe dans l'ensemble des influences et quasi nul, mais qui cependant pour se donner l'illusion d'agir sur les oreillers, s'agite et son de temps en temps secouer par les grandes tempêtes des petits verres d'eau.
Marc
[1] Voir « internationalisme » n° 3, d'avril 1945
[2] “...L'expérience dans les usines montrent que c'est précisément aux solutions fondamentales que les ouvriers prêtent l'oreille...
... là se trouve la base sociale de la croissance des partis staliniens. Les partis staliniens dans lesquels ce mouvement (de masse) se concrétisent ne sont pas des organisations politiques dans le vieux sens du terme. Derrière l'écran de fumée du parlementarisme démocratique en France et en Italie, ce sont des organisations sociales. Elles symbolisent la plus profonde révolte des masses que nous ayons jamais vu contre le capitalisme…”
Ces lignes ne sont pas, comme on pourrait le croire, des citations d'écrits staliniens, mais l'extrait d'une brochure de la tendance anti-défensiste de l'URSS dans le parti trotskiste américain de Cannon : “... la force motrice des partis communistes en Europe occidentale et centrer sur l'attaque du capitalisme...
[3] A la place d'expliquer le capitalisme par le capital, les protagonistes de cette théorie font découler le capital du capitalisme privé. Pas étonnant alors qu'il voit dans les modifications de position de la classe capitaliste et dans la recomposition individuelle nouvelle que subit cette classe la fin du système capitaliste lui-même.
[4] Un exemple entre mille : alors que l'organe du P.C. arborait à l'occasion du Premier mai la Marianne tricolore, l'organe du R.P.F. publiait pour la même circonstance, en première page un grand portrait de... Karl Marx. Des deux qui est l'Anti-capitaliste ?
La décadence du capitalisme a pris la forme du capitalisme d'État et celui-ci produit ses manifestations extrêmes dans les pays les plus ruinés par la guerre. Ce serait ne rien comprendre à ce nouveau changement structurel du régime que de croire les destructions militaires nécessaires pour qu'il s'affirme. La guerre est aujourd'hui le mode économique de vie du capitalisme mondial. Elle fournit l'orientation appropriée à l'usage d'une plus-value trop faible par rapport à la composition organique du capital, mais dont l'investissement est néanmoins limité par des restrictions monopolistes. C’est dans la loi de la valeur, dans ces conditions sociales, que le régime économique du capital trouve les fondements de sa transformation vers l'État et vers la guerre permanente.
Une nouvelle preuve vient d'être donnée qu'un pays éloigné des théâtres militaires s'oriente nécessairement, aujourd'hui, vers le capitalisme d'État. Cette preuve, c'est le changement de majorité opéré lors des récentes élections d'Afrique du Sud, et le programme pour lequel se battait la nouvelle majorité.
Malan est aujourd’hui élu à la tête d'une coalition de nationalistes et d'africanders. Smuts, le vieux militaire Boer qui devint, après avoir été défait par l'Angleterre, un pilier de l'Empire britannique, et contraint de se retirer. Il cède la place à un gouvernement plus réactionnaire encore que celui qu'il présidait, à des gens qui pendant la Deuxième guerre mondiale virent du meilleur œil l'entreprise idéologique et politique des nazis.
Or, quel est le programme social de ces nouveaux flux ? Il tient dans deux mots : racisme et nationalisation.
Le racisme a toujours sévi dans les mondes de peuplement jeune, en particulier anglo-saxon. Mais il l'a pris une extension et une signification historique que depuis l'impérialisme. En effet, même l'esclavage des anciennes colonies de l'époque commerciale ne comportait pas, à proprement parler, de racisme. On sait que les maîtres ne dédaignaient pas les peaux noires de leur cheptel féminin. Ce n'est qu'avec la substitution du salariat à l'esclavage et le malthusianisme monopoliste que le racisme s'installe sur la scène de l'histoire. Par exemple, ce n'est que bien après la guerre civile que le racisme apparut contre les nerfs aux États-Unis.
Ce phénomène suppose donc que la décadence capitaliste soit posée par le monopole. Mais les dernières années ont montré qu'il prend une ampleur mondiale lorsque cette décadence s'affirme et que le capital monopoliste commence à fusionner avec l'État. C’est en effet depuis la première guerre mondiale, surtout depuis 1933 parenthèses l'année de l'avènement d'Hitler (que le racisme s'est étendu universellement, en particulier sur la vieille Europe libérale. La deuxième guerre mondiale nous a livré d'assaut, Auschwitz, les chorus de travail forcé, les déportations de minorité ethniques ou nationale par les deux camps sur une échelle de masse (juif, polonais, Laura, on voit, caucasien, allemand de la Volga et des Sudètes, japonais des États-Unis, etc.…) bref, le capitalisme d'État a créé une société concentrationnaire fondé sur les discriminations ethniques.
C’est de cela dont il s'agit aujourd'hui en Afrique du Sud en pleine période de “paix”. Déjà, dans ce pays, 2,300,000 blancs voté seul à l'heure que 7,700,000 Bantous (les indigènes africains), 282,000 hindous et 900,000 métis n'avaient -parce que “colored people”, aucun droit politique. Le Bantous était relégué dans des réserves comptant pour 13 % du territoire alors qu'il représentait 77 % de la population. Il ne pouvait en sortir qu'après avoir conclu des contrats qui en faisaient des demi-esclaves, notamment dans les mines d’or et de diamants. Quand ils fuyaient, la police entreprenait la chasse à l'homme et ramenait les fugitifs dans les réserves. Or l'histoire voulut que cela ne suffise pas.
Smuts est tombé en partie pour avoir voulu “aménager” dans un sens “libéral” cette politique raciste que lui-même avait conduite au gouvernement. Les jours qui précédèrent l'élection via une explosion d'antisémitisme, parce que le vieux bureaucrate militaire avait reconnu le nouvel État d'Israël dont l'avènement n'était lui-même qu'une autre expression du racisme. Le gouvernement issu de l'élection entend aujourd'hui (tel est son projet avoué) rassembler tous les noirs dans une réserve, tous les métis dans une autre, et isoler les hindous. Rien que cela !
Cette politique, l'expérience dira si, tout en suivant la ligne d'une “nécessité” économique de l'impérialisme, elle ne se heurtera pas à son tour à des limites imposées par cette même nécessité. Toujours est-il que ces mesures sont prévues en même temps que le deuxième point du programme de Malan : les nationalisations.
La puissance essentielle du capital sud-africain siège dans ses mines d’or. En 60 ans, elles ont produit 15 milliards de dollars de métal, soit 40% du stock mondial actuel. Elles distribuent chaque année 38 millions de dollars de dividendes. Là ce fait l'essentiel de l'exploitation du travail sur laquelle se fonde l'oligarchie du Cap. Ce sont ces mines que le programme de Malan projeté formellement de nationaliser.
Après sa victoire, Malan a semblé revenir en partie sur ce programme. Mais ce fut pour dire au correspondant du “Financial Times” :
“il faut mettre un frein à l'épuisement (des mines) pour un gain économique temporaire d’une telle richesse nationale. Le parti nationaliste assujettira les monopoles et les cartels au contrôle de l'État, tout en reconnaissant les droits de la propriété et de l'entreprise privée”.
Par conséquent, s'il advenait -et ce n'est pas encore prouvé- que le nouveau gouvernement renonça à nationaliser les mines, ce serait de toute façon pour les faire passer sous le contrôle de l'État. Et cette mesure, pourtant limitée, prendrait tout son sens, puisque les nationalisations sont déjà étendues, les mines, les banques, transports, aciéries appartenant depuis plusieurs années à l'État.
Tel est le sort de l'Union sud-africaine. Bien qu'elle soit à l'autre bout de la terre, elle glisse tout comme les autres pays vers le capitalisme d'État. Là comme ailleurs, la guerre impérialiste mondial, à laquelle l'Union a participé, a été l'expression, et à son tour le prétexte apparent de ce glissement. Mais l'application profonde se trouve ailleurs : la rentabilité du travail minier a atteint son plafond. Malon l'exprime en parlant d'épuisement des gisements. Il invoque ainsi la chute des rendements physiques de l'entreprise au lieu de se référer à celle du rendement de l'exploitation du travail. La vérité est que le capital sud-africain a lui aussi atteint son niveau maximum d'expansion et qu'il se trouve désormais engagé dans la décadence économique mondiale.
Il est... disons “réconfortant” (?) de voir qu'un régime féroce et un gouvernement ultra-réactionnaire poursuit l'expropriation des capitalistes privés. C’est un soufflet (on peut douter d'ailleurs qu'il le comprennent) à ceux qui falsifient la conscience de la classe ouvrière en brandissant l'arme de la propriété d'État. Ils lui font croire que ces mesures ne peuvent être le fait que de gouvernements travaillistes et “socialistes”, ou de prétendu “démocratie populaire”, et qu'elles acquièrent pour notre époque une portée révolutionnaire. En réalité le capital universel fusionne avec l'État à une échelle mondiale, totale. Ce phénomène est l'avènement d'une barbarie sans précédent à laquelle seul à prolétariat révolutionnaire peut apporter la réponse. Voilà ce qu’on n’abusera jamais de répéter !
Morel
Sur la base de divers comptes-rendus, écrits et oraux, on peut se faire une idée assez précise de ce qu'a été le congrès du PCI d'Italie.
Nous avons d'abord celui publié dans notre dernier internationalisme, qui donne une idée assez complète des débats du Congrès.
Dans la "Battaglia Communista" organe du PCI d'Italie et dans “l'internationaliste” organe de la fraction belge nous trouvons des articles traitant des travaux du Congrès.
Enfin la réunion publique organisée par la fraction française.
L'impression générale qui se dégage est comme l'a écrit le camarade Bernard en tête de son article, que cela "AURAIT PU NE PAS ÊTRE UN CONGRÈS CAR LES PROBLÈMES TRAITÉS L'ONT ÉTÉ D'UNE MANIÈRE PLUTÔT ÉTRIQUÉE."
Pour s'en convaincre il suffit de lire la presse du PCI d'Italie, et de ces sections en Belgique et en France. La déléguée de France a dit dans son compte-rendu oral : "LE CONGRÈS N'A TRAITÉ D'AUCUN DES PROBLÈMES FONDAMENTAUX, N'A FAIT AUCUNE ANALYSE POUSSÉE DE L'ÉVOLUTION ACTUELLE DU CAPITALISME ET DE SES PERSPECTIVES, DE TOUT SON ORDRE DU JOUR IL N'A DISCUTÉ QUE LES POSSIBILITÉS D'ACTION DU PARTI DANS LA SITUATION PRÉSENTE.” De son côté, la fraction belge, dans son dernier bulletin, consacre au Congrès un article d'une petite page ronéotypé dans lequel elle se contente de donner "RÉSUMÉ GROSSO MODO, LES DEUX TENDANCES QUI SE RÉVÉLÈRENT AU CONGRÈS » et conclure que celui-ci a décidé "D'ENTREPRENDRE UNE DISCUSSION APPROFONDIE SUR L'ANALYSE DU CAPITALISME DANS SON STADE ACTUEL."
Que nous sommes loin des fanfaronnades qui accompagnèrent la formation du parti en 1945, des salutations enthousiastes et grandiloquentes sur la "RECONSTRUCTION DU PREMIER PARTI DE CLASSE DANS LE MONDE PAR LE PROLÉTARIAT ITALIEN," et de tout le bluff qui a continué pendant deux années autour de l'activité et des succès de masse de ce parti.
Aujourd'hui, le résultat de trois années d'activisme a ramené les camarades à plus de modestie et à des réflexions plutôt amères, malgré certains jeunes néophytes comme la déléguée française qui ne peut terminer son compte-rendu sans finir, comme c’est la tradition en Russie, par cette phrase : "ET NOUS DISONS MERCI AU PCI D'ITALIE".
Pendant la première période, le parti c'est laisser griser par son recrutement. À ce recrutement il a sacrifié la clarté des positions politiques, évitant de pousser trop à fond les problèmes pour ne pas "gênés" la campagne de recrutement, et à ne pas "troubler" les adhérents déjà acquis. Farouchement et catégoriquement il a tenu à ne pas porter, ni devant les ouvriers, ni devant les membres du parti, ni devant la conférence constitutive de fin 1945 la discussion sur la lamentable expérience de la participation d'une de ces sections et des camarades, futurs dirigeants du parti, au comité de coalition antifasciste italien de Bruxelles. Expérience qui a duré depuis la Libération jusqu'à la fin de la guerre et que ces camarades continuèrent à revendiquer comme politique juste et révolutionnaire. Toujours pour ne pas "gêner" le recrutement et peut-être aussi parce qu'on a soi-même partagé cette conception (ce qui serait encore plus grave) qui faisait partie de ses organismes militaires qui étaient les diverses formations armées de la Résistance. A leur sujet, la plateforme du parti adoptée à la conférence de 1945 dit :
"EN CE QUI CONCERNE LA LUTTE PARTISANE ET PATRIOTIQUE CONTRE LES ALLEMANDS ET LES FASCISTES, LE PARTI DENONCE LA MANŒUVRE DE LA BOURGEOISIE INTERNATIONALE ET NATIONALE QUI, AVEC SA PROPAGANDE POUR LA RENAISSANCE D'UN MILITARISME D'ÉTAT OFFICIEL (PROPAGANDE QU'ELLE SAIT VIDE DE SENS ?) VISE A DISSOUDRE ET A LIQUIDER LES ORGANISATIONS VOLONTAIRES DE CETTE LUTTE QUI DANS BEAUCOUP DE PAYS ONT DEJA ETE ATTAQUES PAR LA REPRESSION ARMEE."
Et tout en mettant en garde contre les illusions suscitées par ces organisations parmi les ouvriers, la plateforme les caractérise ainsi :
“CES MOUVEMENTS QUI N'ONT PAS UNE ORIENTATION POLITIQUE SUFFISANTE ( A PART D'ETRE PARTISANE ET PATRIOTIQUE, QUE FALLAIT-IL DONC DE PLUS AU PCI ?) EXPRIMENT TOUT AU PLUS LA TENDANCE DE GROUPES PROLETARIENS LOCAUX A S'ORGANISER ET A S'ARMER POUR CONQUERIR ET CONSERVER LE CONTROLE DES SITUATIONS LOCALES ET DONC DU POUVOIR.”
Ainsi pour ne pas risquer sa popularité et les possibilités de son recrutement, le parti s'est gardé de les dénoncer pour ce qu'elle était réellement, et pour le rôle qu'elle jouait, et a préféré flatter les ouvriers de “CES TENDANCES QUI CONSTITUENT UN FAIT HISTORIQUE DE PREMIER ORDRE.”
Tout aussi bien que sur cette question, le PCI n'a pas eu le souci de pousser plus à fond l'analyse de l'évolution du capitalisme moderne. Nous trouvons, bien sûr, et même très couramment l'affirmation que le capitalisme évolue vers une forme nouvelle, le capitalisme d'État, mais le parti n'avait pas pour autant une idée précise de ce qu'est exactement le capitalisme d'État, ce que signifie historiquement et de ce que cela comporte comme transformation profonde de structure du système capitaliste.
Dans le paragraphe 14 où est traité le problème du capitalisme d'État, la plateforme parle de ”REACCUMULATION DES RICHESSES ENTRE LES MAINS DES ENTREPRENEURS ET DES BUREAUCRATES D'ÉTAT QUI ONT LEURS INTERETS LIES A CES DERNIERS”. N'ayant vu dans le capitalisme d'État que l'unité de classe d’avec les entrepreneurs privés face au prolétariat, mais n'ayant pas vu ce qui les opposent et distinguent les premiers des seconds, la plateforme dénonce "LES MOTS D'ORDRE INEPTES DE SOCIALISATION DES MONOPOLES QUI NE SERVENT QU'A TRAVESTIR CE RENFORCEMENT”. Dans les nationalisations qui sont la structure économique du capitalisme d'État, la plateforme ne voit rien d'autre qu'une manœuvre “DES PUISSANTS MONOPOLES INDUSTRIELS ET BANCAIRES "QUI" FERONT PAYER A LA COLLECTIVITE LE PASSIF DE LA RECONSTRUCTION DE LEURS ENTREPRISES”.
Avec une telle analyse du capitalisme moderne et de ses tendances, qui n'allait pas plus loin que celle déjà énoncée en 1920, il était normal qu'on reprenne sur le plan de la politique, sans rien changer des positions essentielles de la 3e internationale il y a 25 ans : le parlementarisme révolutionnaire et la politique syndicale.
Quelles en étaient les résultats ? Après près de 3 ans, le parti enregistre la perte de la moitié de ses adhérents. Des groupes entiers de militants se sont détachés, les uns pour former le groupe trotskiste POI, les autres la Fédération autonome de Turin, la majorité dans l'indifférence et le dégoût de toute activité militante. Nous avons, en somme, la reproduction de ce qui s'est passé pour les partis trotskistes dans les autres pays. Le parti n'a pas renforcé ses positions parmi les ouvriers. La fuite de la recherche théorique, l'imprécision et l'équivoque de ses positions ne lui ont pas davantage fait garder les militants. Dans son objectif N° 1 qui était de recruter à tout prix, le renforcement numérique, le parti enregistre aujourd'hui un fiasco, un échec cuisant qu'il n'était pas difficile de prévoir et de lui prédire.
Mais il y a encore une chose plus grave que la défection de la moitié des membres, c'est le niveau idéologique extrêmement bas de la moitié des membres, c'est le niveau extrêmement bas des militants restants dans le parti. Bernard nous parle de ”FONCTION SCENIQUE” de la majorité des délégués au congrès, de leur non-participation au débat. Frédérique disait que les délégués ouvriers estimaient que les analyses théoriques générales les dépassaient et ne pouvaient être leur fait, que ce travail incombe aux intellectuels. Vercesi exprime cette vérité : ”POUR COURIR DERRIERE DES CHIMERES, LE TRAVAIL D'EDUCATION DES MILITANTS QUI EST DANS UN ETAT DEPLORABLE, A ETE NEGLIGE.” encore que Vercesi porte lui-même une bonne part de responsabilité pour cet état déplorable auquel il a contribué pendant trois années par son refus de porter publiquement la discussion de crainte de "troubler” les militants.
C'est le trait typique de toutes ces formations artificielles qui se proclame pompeusement parti, de ne pas comprendre que le fondement subjectif du nouveau parti ne se trouve pas dans le volontarisme mais dans l'assimilation véritable par les militants de l'expérience passée, et dans la solution des problèmes contre lesquels l'ancien parti s'est heurté et s'est brisé. Avoir voulu agir sur la base de la répétition d'anciennes formules et positions, fussent-elles celles des thèses de Rome sans tenir compte des changements fondamentaux apportés par les 20 dernières années, c'était accrocher l'action dans le vide, user en vain les énergies et gaspiller des forces et un temps précieux qui devait et pouvait utilement servir à la formation des cadres pour le parti et la lutte à venir.
L’absence des cadres et la négligence de leur formation, voilà le plus clair du bilan, révéler par le Congrès du PCI.
EXISTE-T-IL UN PARTI EN ITALIE ?
Numériquement très réduit par la perte de la moitié de ses membres, absence de cadres, "MANQUE COMPLET D’UNE ANALYSE DE L’ÉVOLUTION DU CAPITALISME MODERNE" (Vercesi), voilà pour ce qui est des conditions subjectives. Quant aux conditions objectives, période de concentration du capitalisme qui "A ÉTÉ CONDITIONNÉE PAR LA DÉFAITE INTERNATIONALE QUE LE PROLÉTARIAT A SUBI ET PAR LA DESTRUCTION DE CELUI-CI COMME CLASSE" (document de la C.E. à la suite du Congrès. Voir nos "directives de marche" dans la Battaglia Communista du 3-10 juillet). Que reste-t-il donc des conditions nécessaires justifiant la construction du Parti ? Rien, strictement rien, sinon le volontarisme et le bluff, familiers des trotskystes.
Au Congrès, le rapporteur Damen a essayé de justifier la proclamation du parti. Nous laissons de côté l’argument qui veut que les ouvriers italiens soient "POLITIQUEMENT PLUS SAINS" que ceux des autres pays. De tels argument ne montrent rien d’autre que la persistance des sentiments nationalistes même chez des militant très avancés. L’ouverture d’un cours révolutionnaire ne peut se faire que sur l’échelle internationale, de même la brisure avec l’idéologie capitaliste ne peut être une manifestation isolée d’un prolétariat en or d’un seul pays. Le patriotisme du prolétariat révolutionnaire d’Italie n’a pas plus de valeur que le patriotisme du socialisme dans un seul pays. Cet argument donc mis à part, Damen justifie la proclamation du Parti par le fait qu’une fraction n’aurait pu servir de pôle d’attraction pour les ouvriers, ce qui est vrai pour une période où les conditions pour la polarisation du prolétariat autour d’un programme révolutionnaire sont présentes mais qui absolument pas le cas en Italie, ni nulle part ailleurs. Finalement, Damen énonce que la Fraction n’a de raisons d’être que tant qu’il s’agit "D’OPPOSITION ET DE RÉSISTANCE IDÉOLOGIQUES À L’OPPORTUNISME DANS LE PARTI JUSQU’AU MOMENT DE LA LUTTE OUVERTE QUI NE PEUT ÊTRE MENÉE QUE SEULEMENT PAR UN ORGANISME POLITIQUE QUI AIT LES CARACTÉRISTIQUES ET LES TACHES DU PARTI." Le même thème, nous l’avons entendu développer dans la réunion de la FFGC. Que de chemin à rebours parcouru depuis le Congrès de la Fraction italienne de 1935 !
C’est là un argument type du trotskisme qui, pendant les années d’avant-guerre, soutenait contre nous la thèse qu’avec la mort de l’ancien parti ou son passage à l’ennemi de classe signifiait précisément l’absence de conditions pour l’existence du parti révolutionnaire. Ce parti étant conditionné par une orientation révolutionnaire se manifestant dans le prolétariat.
Quand les camarades Vercesi et Daniels, au Congrès, nient que le PCI puisse réellement jouer un rôle de parti, ils ne font que reprendre la thèse que nous avons développée depuis 1945 sur l’absence de conditions de constitution du parti, et du même coup ils reconnaissent implicitement que le PCI ne remplit pas davantage les tâches d’une fraction, c’est-à-dire l’élaboration programmatique et la formation de cadres. Nous n’avons ici rien d’autre que la traduction en italien des artifices et du comportement des trotskistes dans les autres pays.
Pour Damen le parti est un fait, "UN COIN ENFONCÉ DANS LA CRISE DU CAPITALISME". Si cela peut le consoler nous lui apprendrons toutefois que les trotskistes ne voient pas différemment leur parti dans les autres pays.
Pour Vercesi n’existent ni "LE COIN ENFONCÉ", ni "LA BRISURE, MÊME MINIME, DU CAPITALISME", ni le parti qui n’est qu’une fraction élargie.
Malheureusement, dirons-nous, il n’existe en Italie, ni parti ni fraction élargie, ni influence sur les masses, ni formation de cadres. L’activité menée par le PCI tendant à compromettre l’immédiat de l’un et l’avenir de l’autre.
Une orientation vers la fondation du parti pouvait avoir sa raison d’être dans la période de 1943 à 1945 qui s’ouvrait avec les évènements de juillet 43 en Italie, la chute de Mussolini, le mécontentement grandissant en Allemagne, et qui permettait aux militants révolutionnaires d’espérer un développement d’un cours de brisure avec la guerre impérialiste et la transformation de celle-ci en un vaste mouvement de crise sociale. L’erreur fondamentale des militants du PCI et surtout de ses sections en France et en Belgique fut de persister dans cette perspective après la fin des hostilités, alors que les impérialistes russes et américains sont parvenus à occuper l’Allemagne, à disperser à travers le monde et à encaserner dans des camps de prisonniers les millions d’ouvriers allemands, en un mot à contrôler et à étouffer ce foyer capital de révolte et centre de la révolution européenne.
Mais loin de comprendre que la cessation de la guerre sans mouvements de révolte signifiait une défaite consommée par le prolétariat, une nouvelle période de recul, ouvrant avec elle le cours vers la nouvelle guerre impérialiste, la GCI, au contraire, échafaudait des théories sur l’ouverture d’un cours de luttes de classes, voyait dans la fin de la guerre la condition de reprise de luttes révolutionnaires où comme elle l’écrivait en corrigeant Lénine "LA TRANSFORMATION DE LA GUERRE IMPÉRIALISTE EN GUERRE CIVILE COMMENCE APRÈS LA FIN DE LA GUERRE".
Toute l’orientation de la GCI était basée sur cette perspective, et tous les évènements étaient examinés sous cet angle. Ainsi on prenait les évènements sanglants d’Algérie, de Grèce, du Proche-Orient, pour des prémisses de la crise révolutionnaire, on saluait les grèves économiques comme les mouvements de radicalisation des masses, on soutenait à fond le mouvement, et l’action syndicale qu’on se donnait comme tâche de conquérir la direction, enfin, on préconisait comme tâche immédiate la construction dans tous les pays le Parti de classe. En même temps, on se faisait des gorges chaudes, on raillait ces "PESSIMISTES" que nous étions, ces "DOCTEURS ET THÉORICIENS EN CHAMBRE" pour qui on affichait un hautain mépris.
Aujourd'hui toute cette perspective est par terre. Et Vercesi est absolument dans le vrai, et ne fait que reprendre la critique que nous formulions contre le PCI, quand il déclare "L'INTERPRETATION QUE LA GUERRE AURAIT OUVERT UN CYCLE REVOLUTIONNAIRE S'EST REVELEE COMPLETEMENT FAUSSE".
Si l'activité révolutionnaire n'a de valeur que pour autant ou elle est fondée sur des prévisions basées sur une analyse exacte de la situation et du cours, la reconnaissance par le Congrès du non fondé de la perspective signifie la condamnation implicite et l'écroulement de toute la politique et l'activité passée du parti, basé sur cette perspective.
Toutefois nous devons mettre en garde contre l'orientation exprimée par la tendance de Vercesi postulant son analyse sur les "CAPACITES DE RENAISSANCE DE L'ECONOMIE CAPITALISTE AU TRAVERS DU SYSTEME DE PLANIFICATION, DE LA DISPARITION DE CRISE CYCLIQUE ET DE LA CONCURRENCE A L'INTERIEUR DES ETATS." cette conception n'est pas nouvelle : elle se rattache à la vieille théorie du renforcement économique du capitalisme, théorie dite de l'économie de guerre, et que nous avons à maintes reprises avant et pendant la guerre, l'occasion d'analyser et de combattre.
Aujourd'hui un nombre croissant de militants du PCI à ressenti et compris la stérilité d'un activisme en l'absence d'une analyse de la situation. bien que cela vienne avec un retard de 3 années, nous considérons ce fait comme le seul résultat positif qui s'est manifesté dans le Congrès. Nous souscrivons entièrement à l'idée de Daniels quand il déclare : "LES ARMES QUE POSSEDE LE MOUVEMENT SONT VIEILLIS DE 25 ANS ET TOUT EST EMOUSSEE. LE CAPITALISME A TRANSFORME ENTRE-TEMPS TOUTE SA STRUCTURE ET TOUTES CES METHODES DE LUTTE. LE PARTI DE CLASSE DOIT EN FAIRE AUTANT S'IL VEUT ETRE UN JOUR LE GUIDE DE LA CLASSE OUVRIERE, ET EN PREPARER LE REVEIL."
Nous avons, à plusieurs reprises, critiqué la tendance à la bureaucratisation dans le PCI d'Italie. Faisant allusion à cette critique, la déléguée française, dans son compte-rendu, de répliquer : "CEUX QUI N'ASSISTAIENT PAS AU CONGRES ET A SES DEBATS SOUVENT PASSIONNES, POUVAIENT SE RENDRE COMPTE DE LA DEMOCRATIE QUI REGNE DANS LE PARTI, ET DE LA GRATUITE DE L'ACCUSATION DE BUREAUCRATISATION." On pourrait avec autant de raisons citer en exemple les assises des partis trotskystes, et même des partis socialistes. Là aussi on discute “librement” et passionnément. Ce qui importe n'est pas la plus ou moins grande démocratie dans les congrès mais de savoir sur quoi est basé l'activité des militants, sur la trique de la "DISCIPLINE LIBREMENT CONSENTI" ou sur la conviction des positions et la plus grande conscience des militants ? la camarade de citer le cas où le PCI excluait des militants pour divergence politique, et elle ajoutait :i “comme tout parti qui se respecte”. En effet le nombre des exclusions prononcés par le PCI est frappant, mais il faut ajouter qu’au grand jamais ces exclusions ne sont faites après des discussions dans l'ensemble du parti, seule méthode qui aurait permis à ces crises d'être un moment de clarification des idées pour tous les militants, mais sont toujours prononcées par la direction.
Le congrès a par exemple révélé l'existence de divergence profonde dans le parti, mais en vain cherchera-t-on dans la presse du parti et cela même dans les semaines précédant le Congrès la moindre discussion et controverse. Cela aurait évidemment risqué de troubler les membres, et porter atteinte au prestige et partant à la discipline. On préfère non moins évidemment venir au Congrès pour constater, comme Vercesi : "IL Y A DES DELEGUES PARLEMENTARISTES, D'AUTRES FAVORABLES A UNE ESPECE DE COMPROMIS AVEC LE CENTRISME (stalinisme), LA MAJORITE EST SANS IDEE CLAIRE ET SUIT DES VOIES DIFFERENTES SUIVANT LES ZONES."
Plus catégorique et plus cinglant encore et Daniels, parlant pour ce qui concerne le congrès lui-même. Il constate : "IL Y A UNE TENDANCE AU CONGRES A PASSER SOUS SILENCE LES ERREURS DU PASSE ET A RENONCER A DISCUTER DES PROBLEMES QUI PEUVENT PROVOQUER D'AMPLEUR DES BAS, AU TRAVERS DESQUELS LE PARTI POURRAIT VRAIMENT RENAITRE A UNE VIE NOUVELLE ET METTRE A NU TOUT CE QUI, SOUS L'EXCUSE DE LA DEFENSE DES POSITIONS TRADITIONNELLES, CACHER D'OPPORTUNISME ET EMPECHE UNE CLAIRE ELABORATION IDEOLOGIQUE ET UNE CONSEQUENTE ASSIMILATION DE LA PART DES MILITANTS."
C'est ainsi qu'on doit comprendre la vie intérieure celle de l'organisation est fondée la force, l'efficacité de l'activité de chacun des membres sur la continuelle et plus ample confrontation des idées suscitée et entretenue par toute la vie du parti.
Par contre, quand Maffi, grand chef du parti , déclare s'être “ABSTENU DE TRAITER TEL PROBLEME” parce que “JE SAVAIS QUE CETTE DISCUSSION AURAIT PU EMPOISONNER LE PARTI”, nous disons que ce souci manifeste incontestablement et au plus haut point la tendance à l'ossification et à la bureaucratisation de la vie intérieure de l'organisation.
Et c'est parce que c’est cette dernière conception qui prévaut dans le PCI que nous avons pu assister à cette fin absurde du Congrès dont nous parle Bernard, où “VERCESI S’EST EN QUELQUE SORTE EXCUSE D'AVOIR ETE UN TROUBLE-FETE ET D'AVOIR AMENE LE TROUBLE PARMI LES MILITANTS”. Parce que, en fin de compte, les uns pas plus que les autres n'admettre l'existence des tendances et des fractions au sein du parti : pour les uns comme pour les autres le parti reste une organisation monolithique, homogène et monopoliste .
Une des questions qui a provoqué les débats les plus orageux fut celle de la participation aux élections. Bien sûr, personne ne préconise une politique de parlementarisme actif. Cela ressort moins d'une certitude de l'inutilité de l'action parlementaire que du fait que les forces présentes du parti ne lui donne aucune possibilité d'avoir réellement des élus. Aussi peut-on se permettre, d'économiser un débat qui, ne peut que “TROUBLER INUTILEMENT LE PARTI”. C'est pour la même raison que le parti aux dernières élections pouvait se payer à bon marché d'être révolutionnaire à l'extrême, au point d'inviter les électeurs à ne pas voter, même pour lui. Mais nous connaissons déjà le cas d'un élu au conseil municipal qui a finalement trouvé de bonnes raisons pour garder son mandat d'élus. Après tout, la justification définitive de tout parlementarisme se trouve dans ces arguments théoriques donnés par Damen, pour justifier la participation du PCI à la campagne électorale. Damen dit “SI LA BOURGEOISIE EST CONTRAINTE (?) D'ADOPTER UN MOYEN DE LUTTE QUI PEUT ETRE EXPLOITE UTILEMENT PAR LE PARTI DE CLASSE POUR ETRE RETOURNE CONTRE ELLE, L'AVANT-GARDE REVOLUTIONNAIRE NE PEUT RENONCER A L'UTILISER ET A S'INFILTRER DANS LA COMPETITION ELECTORALE”.
Aucun trotskyste ne manquerait de souscrire à cette argumentation. C’est du pur et du pire Lénine de la maladie infantile du communisme. La vérité est que le prolétariat ne peut utiliser pour sa lutte émancipatrice “ LE MOYEN DE LUTTE POLITIQUE” propre à la bourgeoisie et destiné à son asservissement. Il en était tout autrement, à une période antérieure d'avant 1914 quand le prolétariat ne pouvait pas encore poser comme objectif concret immédiat la transformation révolutionnaire de la société d'où découlait la nécessité de lutter sur le terrain même du capitalisme pour lui arracher le maximum de réformes. le parlementarisme révolutionnaire en tant qu'activité réelle n'a, en fait, jamais existé, pour la simple raison que l'action révolutionnaire du prolétariat quand elle se présente à lui suppose sa mobilisation de classe sur un plan extra capitaliste, et non la prise des positions à l'intérieur de la société capitaliste, ce que Damen appelle “L'UTILISATION” et “L'INFILTRATION” intérieure.
La politique du parlementarisme révolutionnaire a largement contribué à corrompre les parties de la Troisième Internationale et les fractions parlementaires ont servi de forteresse de l'opportunisme, aussi bien dans les parties de la troisième qu'autrefois dans les parties de la Deuxième Internationale. Mais le participe passionniste crois t'avoir trouvé un argument impressionnant en déclarant : “LE PHENOMENE ABSTENTIONNISTE EST DESORMAIS DEPASSE CAR IL N'AVAIT DE RAISON D'ETRE QUE DANS UNE PERIODE OU UNE PRECISION DE PRINCIPE, FACE AU COURANT PARLEMENTAIRE, DU VIEUX PARTI SOCIALISTE, ETAIT NECESSAIRE. AUJOURD’HUI, OU IL N'Y A PLUS DE DOUTE POSSIBLE SUR LE CARACTERE NETTEMENT ANTI PARLEMENTAIRE", du PCI, "CELUI-CI…PEUT ADOPTER CETTE METHODE DE LUTTE". Voilà un raisonnement pour le mois astucieux : dans le vieux parti parlementaire nous définissions être d’anti-parlementaires mais maintenant, puisque notre parti est anti-parlementaire, alors nous pouvons faire du parlementarisme. Nous ne doutons pas que cette argumentation puisse impressionner les patientes du parti qui passe à l'instant n'ose mettre en doute son infaillible révolutionnaire, garantie a priori et à jamais. Ceux par contre qui ont connu l’IC pour y avoir milité, ou simplement pour avoir étudié son histoire, seront probablement moins enclins à ouvrir un tel crédit à n'importe quel parti, fut-il même le parti de Damen et de Maffi. Croit-on vraiment que le Parti bolchevik et l’IC dans ses premières années, étaient moins sincèrement révolutionnaires que le PCI d'Italie ? ils offraient au moins autant de garanties, ne serait-ce que par le fait qu'ils exprimaient les positions programmatiques les plus avancées du prolétariat de l'époque alors que le PCI d’Italie, d'après ses propres aveux, retarde notablement. Cependant toutes les précautions prises par l’IC ( lire les thèses du deuxième congrès sur le parlementarisme révolutionnaire) non pas empêché cette politique de devenir un levier de l'opportunisme. C'est que la dégénérescence du parti n'est pas uniquement fonction de la situation générale et de rapport de force de classe mais est encore fonction de la politique pratiquée par le parti. Le prolétariat a trop payé durant ces dernières 25 années pour que les militants d'avant-garde oublient cette vérité première.
A quel point est savonneuse la pente participationniste nous le constatons par les résultats obtenus, auxquels on se réfère volontairement à chaque instant pour prouver la force et l’influence du parti. Le rapporteur au congrès n’a pas manqué de cite que dans telle région la liste du parti, aux dernières élections, a obtenu quatre fois plus de voix. Comme si on pouvait parler de force et d’influence du parti alors que la vente de la presse baisse, que l’organisation a perdu la moitié de ses membres et que le niveau idéologique des membres, de l’aveu même des responsables, est "LAMENTABLE". En entendant Damen parler des victoires du parti on ne peut manquer de penser qu’il y a des victoires qui sont les pires des défaites.
Peut-être ne serait-il pas inutile, pour calmer un peu la fièvre des participationnistes, de leur citer l’exemple du parti trotskiste en France qui en 1946 avait également obtenu un succès groupant sur ses listes près de 70,000 voix. Cela n’a pas empêché ce parti de voir la masse de ses électeurs fondre comme neige au soleil aux élections suivantes, et un an après avoir vu fondre ses propres rangs. Une bonne partie de ses militants poussant la logique à aller vers les masses à fond, a fini par aller au Rassemblement Démocratique Révolutionnaire où le nombre est plus grand et où leurs paroles peuvent avoir plus d’écho.
Car c’est exactement ainsi que raisonne le camarade Damen : "EN PARTICIPANT AUX ELECTIONS", dit-il, face aux anti-participationnistes, "LE PARTI A PU PENETRER DANS LES GRANDES MASSES, PORTER LA NOUVELLE PAROLE, ESSAYER DE DONNER CORPS AUX VAGUES ASPIRATIONS DE SORTIR DES CHEMINS BATTUS." Pris par un noble sentiment de semer la bonne parole, l’idée ne lui vient pas à l’esprit que pour lever, la semence doit être faite en terrain approprié, sinon ce n’est qu’un gaspillage de grains et d’énergies. Le révolutionnaire n’a pas à s’inspirer des missionnaires de l’Armée du Salut allant prêcher la parole divine dans les bordels. La conscience socialiste ne s’acquiert pas dans n’importe quelle condition, elle n’est pas le fait de l’action volontariste, mais présuppose une tendance de détachement des ouvriers d’avec l’idéologie bourgeoise, et ce n’est assurément pas les campagnes électorales, moment de choix de l’abrutissement des ouvriers qui offre cette condition.
Il y a longtemps qu’il a été mis en évidence que les racines psychologiques de l’opportunisme sont, aussi paradoxale que cela puisse paraître, son impatience d’agir, son incapacité d’accepter le temps de recul et d’attente. Il lui faut immédiatement « pénétrer dans les masses, porter la bonne parole ». Il ne prend pas le temps de regarder où il met les pieds. Il est impatient de planter le drapeau du socialisme oubliant dans sa précipitation que ce drapeau n’a de valeur que pour autant qu’il est planté sur un terrain de classe du prolétariat et non quand il est jeté sur le premier tas de fumier du capitalisme.
Malgré l’orthodoxie léniniste, la trique de la discipline et les succès enregistrés, la résistance de militants contre la politique de la participation augmentait sans cesse. Cela prouve que le PCI d’Italie repose sur des éléments de bas très sains. Mais malgré les vives critiques le congrès n’a pas résolu la question. Le compromis accepté de renoncer à la participation aux élections de novembre laisse cependant la question de principe ouverte. Le culte de l’unité et de "ne troublons les membres de base" ont prévalu sur la clarté et l’intransigeance des positions. Ce n’est qu’un recul pour mieux sauter. Les militants révolutionnaires ne sauraient se contenter longtemps de ces demi-mesures. Avec ou sans l’assentiment des chefs de file ils devront liquider ces "vieilles armes émoussées" ou se liquider eux-mêmes en tant que révolutionnaires.
C’est assurément la position prise sur le problème syndical qui présente le fait saillant de ce congrès.
Quelle était la position antérieure du PCI ? La plus platement orthodoxe, une copie conforme de thèses de l’IC.
"LE TRAVAIL AU SEIN DES ORGANISATIONS ÉCONOMIQUES SYNDICALES DES TRAVAILLEURS, EN VUE DE LEUR DÉVELOPPEMENT ET DE LEUR RENFORCEMENT EST UNE DES PREMIÈRES TÂCHES POLITIQUES DU PARTI".
"LE PARTI ASPIRE À LA RECONSTRUCTION D’UNE CONFÉDÉRATION SYNDICALE UNITAIRE, INDÉPENDANT DES COMMISSIONS D’ÉTAT ET AGISSANT AVEC LES MÉTHODES DE LA LUTTE DE CLASSE ET DE L’ACTION DIRECTE CONTRE LE PATRONAT, DEPUIS LES REVENDICATIONS LOCALES ET DE CATÉGORIES JUSQU’AUX REVENDICATIONS GÉNÉRALES DE CLASSE. LES COMMUNISTES NE PROPOSENT ET NE PROVOQUENT LA SCISSION DES SYNDICATS DU FAIT QUE LES ORGANISMES DE DIRECTIONS SERAIENT CONQUIS OU DÉTENUS PAR D’AUTRES PARTIS". (Plateforme politique du PCI 1946).
C’est sur cette base qu’a été fondé le travail dans les syndicats et allant jusqu’à la participation, là où cela a été possible, surtout en province et dans les petits syndicats, dans les commissions et directions syndicales. Il a soutenu sans réserve les luttes revendicatives économiques considérant ces luttes comme "UNE DES PREMIÈRES TÂCHES POLITIQUES DU PARTI".
Cette conception fut longtemps un principe pour la GCI. Une des raisons de l’hostilité de la GCI à notre égard était notre position antisyndicale. Nous ne pouvons donc qu’exprimer notre satisfaction de voir le PCI abandonner aujourd’hui la plus grande partie de ses vieilles positions concernant l’organisation syndicale, et les revendications économiques.
Nous ne pouvons que souscrire à cette définition : « le parti affirme catégoriquement que le syndicat actuel est un organisme fondamental de l’état capitaliste, ayant pour but d’emprisonner le prolétariat dans le mécanisme productif de la collectivité nationale. » ou encore : "LA CLASSE OUVRIÈRE, AU COURS DE SON ATTAQUE RÉVOLUTIONNAIRE, DEVRA DÉTRUIRE LE SYNDICAT COMME UN DES MÉCANISMES LES PLUS SENSIBLES DE LA DOMINATION DE CLASSE DU CAPITALISME". Nous souscrivons d’autant plus volontiers que nous là, non seulement les idées que nous avons défendues depuis longtemps, mais la reproduction jusqu’à nos propres termes et expressions .
Remarquons cependant que dans la question syndicale, comme dans bien d’autres questions, le PCI a laissé une fois de plus une petite fenêtre ouverte permettant à l’occasion la re pénétration de ses mêmes idées qu’on vient de rejeter par la porte.
Par exemple quand le PCI "DÉCLARE SON INDIFFÉRENCE CONCERNANT LA QUESTION FORMELLE DE L’ADHÉSION OU NON-ADHÉSION DU TRAVAILLEUR AU SYNDICAT" il ne fait que prendre une position passive qui cache mal son attachement affectif au syndicat. Dire que "CE SERAIT PÊCHER PAR ABSTRACTION QUE PROPAGER LE MOT D’ORDRE DE LA SORTIE DES SYNDICATS, MOT D’ORDRE CONVENABLE SEULEMENT QUAND LES SITUATIONS HISTORIQUES POSERONT LES CONDITIONS OBJECTIVES POUR LE SABOTAGE DU SYNDICAT", c’est chercher des prétextes sophistiqués pour ne pas choquer les sentiments arriérés de masses. Si on est convaincu que le syndicat est et ne peut désormais n'être qu’un organisme d’état capitaliste, avec la fonction d’emprisonner les ouvriers au service de la conservation du régime capitaliste, on peut rester "INDIFFÉRENT" au fait que l’ouvrier fait ou non partie organiquement, pas plus que nous ne restons indifférents que les ouvriers fassent ou non partie des maquis, des comités de libération nationale, des parties où toutes autres formations politiques du capitalisme.
Il n’est jamais venu à l’esprit d’un militant sérieux que l’abandon par les ouvriers des formations politiques du capitalisme dépend de ce qu’il lancera ou non le mot d’ordre ; il sait parfaitement que cela sera le résultat des conditions objectives ; Mais cependant cela ne l'empêche pas mais au contraire exige de lui de faire la propagande et d'appeler les ouvriers à déserter ses organisations de la bourgeoisie. La désertion des organisations du capitalisme n'est pas seulement une manifestation mais également une condition de la prise de conscience des ouvriers. Et cela reste valable aussi bien pour les organisations syndicales que pour les organisations politiques. De toute façon l'indifférence en matière de position politique n'est que le camouflage d'un acquiescement affectif et honteux.
Mais il y a mieux. Le PCI dénonce les syndicats mais préconise le rassemblement des ouvriers dans la fraction syndicale. Qu’est-ce donc que cette fraction syndicale ?
“C'EST", dit d'abord le document de la CE déjà cité, "LE RESEAU DES GROUPES D'USINE DU PARTI QUI AGISSANT SUR LA BASE UNITAIRE DE SON PROGRAMME… ETC. CONSTITUE LA FRACTION SYNDICALE”.
On serait tenté de croire à la première lecture qu'il s'agit tout simplement de cellules du parti, mais à examiner de plus de plus près on s'aperçoit qu'il s'agit de tout autre chose. Premièrement, on comprend difficilement pourquoi l'ensemble des cellules d'usine se constituerait en un organisme à part, ses parents et divisant l'unité du parti en deux d'un côté les ouvriers groupés à part dans les cellules d'usine et d'un autre côté les non ouvriers groupés on ne sait pas exactement où, mais également à part. Deuxièmement, la gauche italienne s'est toujours opposée dans l’IC À l'introduction de cette structure des cellules d'usine, voyant en elle une tendance vers l'ouvriérisme et un moyen bureaucratique d'étouffer la vie idéologique du parti . Il serait vraiment surprenant que le PCI rompe aujourd'hui avec cette position traditionnelle et plus que jamais valable. Troisièmement, quels peuvent donc être les tâches spécifiques des membres ouvriers du parti distincte des tâches de l'ensemble du parti, et finalement on ne comprend pas que cet organisme centralisé, unifier sur le plan de l'ensemble du pays, constituerait et porterait précisément le nom de… la fraction syndicale.
En vérité, la fraction syndicale n'est pas les cellules d'usine du parti, mais bien une organisation séparée distingue du parti créé par celui-ci et dirigé par lui. Certainement le parti ne se fait pas trop d'illusions sur l'ampleur que peut prendre cette organisation dans l'immédiat et ”DANS LA SITUATION ACTUELLE, C'EST LA REDUCTION DE LA FRACTION SYNDICALE AU SEUL MEMBRE DU PARTI ET A QUELQUES SYMPATHISANTS AGISSANT DANS L'USINE OU DANS LE SYNDICAT, QUI SE VERIFIERA LE PLUS SOUVENT”. Mais ce n'est pas pour cela que le parti créé cette organisation il la destine à une fonction bien plus importante : “IL NE DEPEND PAS D'UN EFFORT VOLONTARISME DU PARTI MAIS DE L'EVOLUTION DE LA SITUATION GENERALE ET DE LA DYNAMIQUE DES LUTTES SOCIALES QUE DES PROLETAIRES SYNDIQUES OU NON INSCRIT OU NON A D'AUTRES PARTIES SE RASSEMBLENT AUTOUR DE NOS GROUPES D'USINE”.
De ces textes il ressort clairement que la fraction syndicale a une double fonction. Dans l'immédiat, ”AGISSANT DANS L'USINE OU DANS LE SYNDICAT”, et de servir dès à présent de noyau autour desquels se rassembleront demain les ouvriers de toutes les tendances, de tous les partis en quelque sorte des embryons de Soviets.
Il est à remarquer que le PCI qui craint de ”PECHER PAR ABSTRACTION” et préconisant la désertion des syndicats en l'absence des conditions objectives nécessaires ne crains cependant pas le péché de bluff en constituant aujourd'hui les embryons de futurs Soviets.
D’une part le parti a renoncé à son action dans le syndicat et à l'illusion de pouvoir agir, actuellement dans les masses, Non directement mais par l'intermédiaire d'une organisation spéciale créée à cette fin : la fraction syndicale point aussi ne pourrait-on rien lui reprocher, chacun a son compte et tout le monde est content.
Ainsi le pas en avant fait dans la question a été immédiatement suivie de deux pas en arrière .
Finalement, l'erreur d'hier a été doublée d'une confusion d'aujourd'hui. En ajoutant la confusion nouvelle à l'erreur passée, ça ne fait toujours qu'une confusion dans l'erreur et on n'a pas avancé d'un iota.
Nous venons de faire l'examen des travaux du PCI. Si on ne peut pas parler de son apport dans la clarification des problèmes fondamentaux de l'époque, de la vie même de ses partisans, on peut constater que le plus clair de son travail consistait dans le bouleversement total qu'il a apporté dans les positions et l'orientation prise à sa conférence constitutive.
On trouverait difficilement un autre exemple dans les annales des groupes politiques, ou une plateforme constitutive se trouve être aussi profondément malmenée et infirmée, dans un laps de temps aussi court.
Notre époque peut avec raison être caractérisée par ces changements brusques et la rapidité de son cours. Mais on ne serait attribué à cela le vieillissement surprenant de la plateforme du PCI car elle était déjà hors du cours et frappé de sénilité à sa naissance.
Cette constatation faite par les délégués eux-mêmes au Congrès n'est pas le fait du hasard. Elle a ses racines, entre autres, dans la suffisance et la prétention de détenir seule la vérité révolutionnaire, au sens les épaules à la seule idée de pouvoir apprendre quelque chose dans la confrontation d'idées avec d'autres groupes révolutionnaires dans les divers pays.
2 ans et demi ont suffi pour ne laisser subsister intacte aucune des pages de la plateforme de décembre 1945. C'est une leçon sévère mais qui pourrait être salutaire si les camarades de la GCI comprennent et acceptent cette leçon à cette seule condition l'expérience pourrait ne pas avoir été vaine.
Pour finir, et dans la mesure où il nous est possible et permis de juger de loin et de formuler un avis, nous estimons prématuré la conclusion tirée par le camarade Bernard qui dit “POUR LES MILITANTS SINCEREMENT REVOLUTIONNAIRES IL N'Y A PAS D'AUTRE VOIE QUE LA SCISSION ET LA CREATION D'UN NOUVEAU REGROUPEMENT POLITIQUE QUI EST COMME TACHE FONDAMENTALE LA RECHERCHE ET LA FORMULATION DES BASES IDEOLOGIQUE POUR LA FORMATION AU FUTUR DU VRAI PARTIE DE CLASSE”. Nous ne méconnaissons pas les immenses difficultés auxquelles peuvent se heurter ses camarades dans l'atmosphère qui règne dans le PCI. Mais il est incontestable que le PCI d'Italie reste à ce jour la principale organisation révolutionnaire prolétarienne et probablement la plus avancée en Italie. Tout comme après la conférence de 1945 nous estimons qu'en son sein sont rassemblés à un grand nombre de militants révolutionnaires saints et de ce fait cette organisation ne peut être considérée comme perdue d'avance pour le prolétariat.
En 1945 nous écrivions que derrière le patriotisme et l'apparence d'unité existent des divergences réelles qui ne manqueront pas de se manifester et de se cristalliser en tendance opportuniste et révolutionnaire. Aider à cette cristallisation, contribuer à dégager les énergies révolutionnaires afin qu’elles puissent trouver leur maturation et leur expression la plus avancée, telle nous paraît être encore aujourd'hui la tâche la plus urgente révolutionnaire, sincère.
Marco
“Le quart de l'État, de la nation, étant l'organisation juridique et politique interne de la classe capitaliste, toute modification interne, politique ou économique, au sein de cet état ne peut qu'intéresser la classe dont le maintien d'un état à base nationale constitue le fondement du maintien dans l'histoire. Cette classe possède le privilège d'opposer les moyens de production socio au producteur, et de faire marcher la production dans le sens de ces intérêts et de ces buts propres de classe, immédiat ou lointain : proprement économique, mais aussi historique”. K. Marx.
Le système capitaliste un poire fondement économique l'opposition entre le capital (moyen de production) à faire à la main et le travail (qui les met en mouvement).C'est ce qui distingue donc le mode capitaliste de production des modes antérieurs. En effet, sa forme de propriété exclu la propriété individuelle, forme de la propriété privée antérieure. L’histoire du capitalisme, si on la partage en trois périodes : capitalisme libre-échangiste, des monopoles, d'État, vois l'introduction d'une nouvelle division du travail social qu'il est subsisté apparemment dans la première période la propriété capitaliste comme une propriété privée individuelle, mais dont les fondements contiennent en eux-mêmes la dynamique de la négation de cette forme arriérée de propriété. le passage rapide du capitalisme libre-échangiste aux grandes sociétés par action et au monopole, constitue, dans un temps historique très restreint, et sur des espaces géographique très étendue, l'évolution du capitalisme vers sa maturité, en même temps que la démonstration de sa réalité de propriété sociale des moyens de production : les grandes sociétés, les trusts ou autre forme, rassemble, centralise entre leurs mains, l'administration et la gestion du capitaux, d'usine, de moyens de transport, dirigeant une quantité énorme d'employés, d'ouvrier, de personnel de maîtrise et d'ingénieur, disséminé géographiquement, et parfois d'entreprise dont les filiales ne se connaissent pas Entre elles. Une partie des capitalistes, les plus gros porteurs, représenter par des hommes d'affaires au sein des conseils d'administration, ne gère qu'un directement leurs intérêts, ses capitaux de plus en plus sont gérés par les techniciens qui finissent par être les véritables capitalistes tout en étant en fait que des salariés du capital. Le capital lui-même, représenté par la masse des usines et des machines et de tous les moyens qui servent à la production, devient un corps étranger aux personnes qui possèdent, dans un coffre-fort, des actions représentant de ce capital. Le capital doit fournir un pourcentage d'intérêt donné au porteur d'action, fournir au technicien de l'administration et de la direction à, un salaire plus un pourcentage de bénéfices d'entrepreneurs, enfin, les propriétaires du soldeur lequel les usines sont bâties doivent toucher la rentre de cette propriété foncière.
La plus-value que les ouvriers produisent, devient du capital accumulable, une partie de la plus-value, celle réservée à verser l'intérêt aux capitalistes, les bénéfices d'entreprises et la rente du sol, ne constituant plus en quelque sorte que "les frais du capital", tout comme le capital variable représente les "frais du travail". La société conduite par toute une hiérarchie d'administrateur et de directeur des moyens de production sociaux qui oppose à la classe ouvrière démuni qui n'a comme source de revenus que la vente de sa force de travail, produit en vue de l'accumulation sans cesse élargie, conditions de vie du mode capitaliste de production. Comme on le voit, le caractère spécifique que prend la production capitaliste implique une forme particulière de la division sociale du travail, une forme particulière du droit, de l'état, de la morale et de la pensée en général, de la classe dirigeant la production.
“... dans la production capitaliste, la masse des producteurs directs trouve devant elle le caractère social de sa production sous forme d'une autorité méticuleuse et d'un mécanisme social complètement ordonné et hiérarchisé ; mais cette autorité n'appartient à ces détenteurs qu'en tant que personnification des conditions de travail vis-à-vis du travail…”
Marx insiste sans cesse particulièrement sur le fait que l'État, un directeur d’entreprise, un député, un directeur de banque, un commerçant, un ouvrier, un employé, etc., ne sont que des expressions directes et sensibles de fonction dans la production, fonction qui, dans le mode de production capitaliste, dérivant avant tout des caractères de cette production. En d'autres termes, si dans le mode de production du système féodal des représentants politiques ou théocratiques de l'autorité, était avant tout des “maîtres politiques et théocratique”, et qui ne faisait que représenter une autorité politique et théocratique et non des conditions de travail en face du travail d'une façon directe, le mode de production capitaliste produit des divisions sociales, une division du travail, que, et à partir de fonctions déterminées dans la production.
Voyons de quel ordre peuvent être ces fonctions. Le mode de production capitaliste repose avant toute chose sur l'opposition des conditions de travail et du travail. Nous avons donc d'un côté les détenteurs de ses moyens de production, des conditions de travail qui se trouve dans une situation sociale dominante, leur permettant, contre toutes les apparences de disposer de la force de travail. D’un autre côté nous avons les individus ne disposons que de leur force de travail. Ces deux classes sociales antagonistes constituent l'armature de la société capitaliste : D'un côté les détenteurs des moyens de production, de l'autre le détenteur de la force de travail. Mais du fait que cette société n'est pas n'est spontanément du néant, quel est le produit de condition historique et d'un processus historique nous devons d'abord partir de ce processus historique.
Ce processus historique Engels l'appel : "... la décomposition de connexions sociales antérieures..." (anti-Dühring - II - 153-)
“La décomposition de connexions sociales antérieures…” a donc amener progressivement la formation de la classe détentrice des moyens de production (genèse du capital et accumulation primitive) -d'une part, et de l'autre, la classe qui ne dispose que de sa force de travail. Mais ce procès historique s'est développé alors que les anciennes conditions sociales subsistaient. Nous avons donc, du point de vue historique une période où la bourgeoisie s'élève en tant que classe sociale indépendante dans le sein de ces ouvres les guillemets connexion sociale antérieure en est un produit et en subit donc encore toutes les influences prédominantes. Et nous avons le passage de ce milieu historico social économique un nouveau milieu, ou la bourgeoisie s'est établi en tant que place sociale prédominante, et où le mode de production capitaliste devient le mode de production prédominant dans la marche de l'histoire. Pendant toute la période historique ou le mode de production capitaliste et la bourgeoisie, lutte pour la prédominance, nous avons donc deux milieux : les connexions sociales antérieures existent encore, et la formation de nouvelles. Puis le mode de production capitaliste devient prédominant, et les milieux extra capitaliste subsiste, mais subissent l'influence sans cesse plus grande du nouveau mode de production. Ceci pour bien montrer que virgule dès sa genèse et jusqu'à ce qu'il devienne prédominant, le mode de production capitaliste, de par son développement propre, a vu se transformer :
1) les milieux sociaux au sein desquelles il a évolué ;
2) sa propre composition sociale.
Nous pouvons donc dire qu'à chaque période historique, et dans ces périodes historiques à chaque situation propre d'un pays sur le marché en général, correspond une différenciation dans la composition sociale des différentes fonctions que la division du travail du mode de production capitaliste détermine. Mais, pour être complet, il faut ajouter que la forme historique de l'état du capitalisme et la nation représentée par les parties, un parlement, un roi, un président, un chef.
Prenons comme exemple la France de 1789 à 1793, puis de Thermidor au 18 Brumaire et de Brumaire à Waterloo, prenons la sous Louis-Philippe ou sous Louis Bonaparte, la composition sociale de la classe dominante correspond effectivement à des nécessités devant lesquels cette Classe se trouve à placer du fait des nécessités créés par l'état général des forces productives et des moyens de production dont elle dispose.
La nécessité de la Révolution se fait sentir pour la bourgeoisie du fait que les forces productives dont elle dispose et tout dans le cadre trop étroit de l'État monarchique féodal (qui laisse le commerce anglais concurrencer en France même le commerce et la production française). La monarchie, en soi, ne gêne pas la bourgeoisie, à condition qu'elle devienne bourgeoise et reconnaisse les propres nécessités économiques de la bourgeoisie comme les nécessités nationales. La petite bourgeoisie et la paysannerie pousse et extériorise d'une façon extrêmement radicale les différentes expressions de la révolution (de la Terreur rouge à la Terreur blanche), ils ont aidé les nouvelles forces productives à se dégager des entraves de la société féodale, mais du jour où ils deviennent une entrave au développement de la bourgeoisie celle-ci les écrase à leur tour : c'est la préparation de Thermidor et son arrivée. À son tour la révolution bourgeoise française trouve sur son chemin l'Angleterre et ses alliés européens. Il lui faut rompre avec cette entrave. Le développement des forces productives la pousse à conquérir de nouvelles colonies pour tenter de compenser les pertes dues à la négligence de la monarchie absolue décadente. La bourgeoisie devient colonialiste dans le jeu de la concurrence internationale, les États se dressent sans cesse avec plus de violence les uns contre les autres, le militarisme de la bourgeoisie s'hypertrophie, etc….
Si nous voulons marquer la transition entre la société précapitaliste de la société capitaliste, nous dirons ceci deux points tant que le mode de production capitaliste ne sait pas établi d'une façon prédominante dans l'histoire, nous assistons à des évolutions extrêmement diverses et extrêmement lente dans les différents milieux humains. En Angleterre, le développement historique de la société féodale, ainsi que la situation géographique de l'Angleterre lui donne une situation extrêmement avancée du point de vue du développement social et économique. Par contre, en Amérique, à la même époque subsiste un développement social extrêmement arriéré, des hommes sortant à peine de la barbarie, alors qu'en Chine se perpétue un système féodal qui semble établi là pour l'éternité…
L'établissement du mode de production capitaliste et sa situation prédominante va bouleverser complètement les lois antérieures de développement, et faire obéir la marche du monde à ses propres lois, et cela dans une mesure croissante.
Si l'état de la bourgeoisie est le produit d'une certaine évolution historique de la propriété privée antérieure, ce n'est que dans la société bourgeoise qu'il trouve sa réelle signification dominante du point de vue historique et qu'il personnifie effectivement la classe dominante, autant du reste que cette classe se reconnaît en lui.
Avant la société bourgeoise, l'État est encore à un stade personnifié.
Le père dans la famille, l'évêque dans son évêché, le duc dans son bûcher, sont des expressions beaucoup plus immédiates de l'état réel. La monarchie absolue et la forme de l'État qui présuppose déjà l'établissement de la bourgeoisie, et s'il est à bourgeois en est la négation ce n'est que dans la mesure où le mythe de la production remplace celui d'un seul Dieu, dans la mesure où la religion passe des lois de Dieu aux lois de la production capitaliste, où l'homme n'est plus dominé par la nature mais par le mode de production. La transition historique passe à la domination de la nature par le mode de production capitaliste, ce mode de production dominant à son tour toute l'humanité ; l'État devient la religion en tant que personnification de la mystification du mode de production capitaliste.
si au début de son histoire la bourgeoisie a comme milieu de développement nécessaire la féodalité, si la décomposition des connexions sociales antérieures et la division du travail qui en résulte font ce qui crée le marché (Engels déjà cité) virgule l'ensemble des conditions de développement du mode de production capitaliste, et si ces connexions sociales antérieures et ce milieu social antérieur sont nécessairement un milieu et des connexions féodales, aussitôt que le mode de production capitaliste s'établit d'une façon prédominante dans l'histoire, il bouleverse tous les ordres sociaux, tous les développements particulier antérieur et modèle toute la société et son développement selon son développement propre. À partir de ce moment si dans deux secteurs particuliers, le développement propre à chaque nation garde une certaine empreinte et atavique de leur histoire particulière ce n'est plus qu'une enveloppe, une apparence, le développement du mode de production gardera ce qui lui est nécessaire et rejettera le reste. Plus l'évolution du mode de production capitaliste sera poussée plus après dominance sera assuré sur le marché mondial et plus les mouvements politiques qui se produiront à l'intérieur de chaque État seront le produit direct de l'influence des conditions générales du mode de production du capitalisme. Tant que le capitalisme n'est pas encore prédominant dans le monde, l'évolution de la bourgeoisie reste avant tout un produit de la décomposition des connexions sociales antérieures proprement national les garderont surtout se caractère typiquement national (Angleterre du 17e siècle et France 18e) tout en supposant déjà, dans ces différentes manifestations un développement et une tendance de développement universel.
Dès que la prédominance est atteinte, après 1848, ce sont les lois de la concurrence sur le marché mondial qui seront le facteur majeur des différents mouvements politiques de la bourgeoisie. Jusqu'en 1848, le prolétariat qui est né conjointement à la bourgeoisie, du développement même des forces productives du mode de production capitaliste, restera toujours plus ou moins politiquement à la remorque de la bourgeoisie. C’est le mouvement montant du nouveau mode de production qui prédomine tout autre préoccupation de la société. Le mouvement des ”Diggers” ou des “enragés” et des “égaux”, qu'on nous montre selon la théorie de la révolution permanente comme l'avant-garde de la révolution, comme une sorte de vague avancée du prolétariat par rapport à la bourgeoisie et à sa révolution, n'en sont au contraire que des excroissances. ce sont Cromwell et Bonaparte ils sont l'avant-garde : mais dès que le développement capitaliste a rompu toutes les anciennes murailles de Chine, dès que la lutte devient effectivement une lutte concurrentielle entre les différents groupes et nations capitalistes et que cette concurrence devient l'axe de la lutte de la bourgeoisie qui est maintenant la classe dominante, entre en jeu une nouvelle force historique qui agit pour son propre compte et dans le but de réaliser une nouvelle forme de société le prolétariat force agissante et pensante de la Commune de Paris et des révolutions russes et allemandes de 19917-19.
"Internationalisme" publie dans les pages qui suivent le préambule d'une brochure, en préparation, du camarade Morel, brochure destinée à porter le titre retenu pour le fragment inséré aujourd’hui.
Comme ce titre l’indique, c'est d'une "célébration" du centenaire du Manifeste communiste qu'il s'agit. Néanmoins, le problème traité dépasse largement le cadre d'une simple commémoration puisqu'il se rapporte aux fondements mêmes de la perspective socialiste de Marx, que l'auteur voit dans la "Théorie de la révolution permanente". Aussi, le centenaire n'est-il en fait qu'un prétexte à l'examen de problèmes posés par la Deuxième Guerre mondiale et le cours vers la troisième, problèmes cruciaux pour la réorientation révolutionnaire d'aujourd’hui.
Si nous publions le préambule de cette brochure, c'est afin de la faire connaître à l'avance, mais surtout d’ouvrir immédiatement une discussion sur les idées qui y sont présentées, car le texte résume l'essentiel de la thèse. Nous pensons en effet que le réexamen du matériel théorique du marxisme et la discussion ouverte pour ce réexamen font partie des tâches de l'heure. En publiant les pages ci-contre, nous appelons, par conséquent, à la critique de tous ceux qui croiront utile de l'exercer et à la discussion sur l'ensemble de ces problèmes.
La date mémorable de la publication du Manifeste Communiste (février 1848) rappelle notre entrée première et incontestable dans l'histoire. C'est à cette date que se réfèrent tous nos jugements et toutes nos appréciations sur les progrès que le prolétariat a faits dans les cinquante dernières années. C'est cette date qui marque le commencement de l'ère nouvelle.
Labriola "Essais sur la conception matérialiste de l'histoire". Marcel Giard. P.3
L'année en cours voit la célébration du centenaire du Manifeste communiste. La presse officielle elle-même s'empare de cet anniversaire et le commémore à sa manière, on sait laquelle. Quoi d'étonnant ? Le capitalisme survit aujourd'hui en usurpant les idées socialistes de la classe ouvrière et en faisant mine d'adopter le marxisme après l'avoir falsifié et vidé de sa substance. De la gauche à la droite, revues, journaux, ouvrages traitent abondamment du marxisme pour le faire plus ou moins leur. En France, on l'enseigne à ce qui fut jadis l'École des Sciences Politiques. Dans ces conditions, il est logique que le régime prétende s'emparer du Manifeste communiste comme du reste, puisqu'il fut le point de départ du mouvement ouvrier révolutionnaire.
Lorsque les journaux des partis "ouvriers", social-démocrate et stalinien (et aussi, pour leur part dérisoire, les feuilles trotskistes), disent leur mot à propos du centenaire, ils s'associent en réalité à l'œuvre de la consolidation capitaliste, leur rôle n'étant pas de préparer le prolétariat à la révolution mais d'axer la classe ouvrière dans l'idéologie du capitalisme d'État mondial. Ils ne font qu'œuvrer à l'annexion de la phraséologie socialiste par l'État. On le voit vendre à l'encan la substance d'un document qui, au siècle dernier, apporta à l'humanité le plus grand espoir qu'elle n’ait jamais connu.
Devant cette entreprise, aucune presse révolutionnaire n'est là pour apporter la réplique et donner au centenaire le sens qui lui conviendrait. Une telle presse ne saurait plus exister dans ces temps qui suivent la Deuxième Guerre mondiale. À la vérité, elle était déjà morte bien avant que n'éclate le conflit. Et ce ne sont pas les timides périodiques publiés aujourd’hui par quelques groupes qui peuvent prétendre la représenter, n'ayant ni écho dans la classe ouvrière ni influence sur le cours de l'Histoire ; ils ne constituent pas une pierre à proprement parler.
Ces circonstances pourraient décourager mais ce serait une erreur. Elles doivent, au contraire, inciter à examiner les problèmes à nouveau. Aussi, laissant là le romantisme des anniversaires et des louanges de circonstances, chercherons-nous modestement à examiner dans une brochure ce que le Manifeste peut encore signifier. Telle est en tout cas la seule attitude que Marx eut approuvée.
Il ne s’agit pas faire l'exégèse de ce document, car on sait ce qu'il contient. Mieux vaut laisser cette exégèse aux docteurs de la loi, aux amants des Écritures saintes. Un fait primordial compte avant tout : le Manifeste annonçait que les contradictions internes du capitalisme conduisaient "nécessairement" à l'avènement d’un ordre socialiste par la dictature du prolétariat. C'était le message qu’il lançait au monde. C’est lui que les ouvriers et même tous les hommes (y compris ceux qui prirent peur) retinrent. La méthode et la pensée de Marx se trouvent dans l'ensemble de ses œuvres, dans leur nombre, celles dont nous parlons ici. Mais ce qu'à juste titre on reconnaît comme spécifique au Manifeste communiste, c'est précisément cette annonce d'une perspective socialiste ouverte devant l'humanité.
Apprécier la valeur actuelle du Manifeste, c'est donc réexaminer cette perspective, profitant de ce qu'un centenaire tombé par hasard à un tournant décisif de l’histoire, en fournit le prétexte. Là est la vraie question à laquelle le marxisme doit faire face en urgence. Les dates successivement avancées, depuis un siècle, pour la chute du capitalisme sont, en effet, toutes passées, les unes après les autres. Le régime, loin de progresser et de laisser place à la dictature du prolétariat au cours de convulsions révolutionnaires, loin d'aboutir à l'avènement du socialisme, est entré, au contraire, dans un état de crise permanente. Décadent, plus barbare que jamais avec ses guerres, son totalitarisme, ses camps d'extermination, il s'est effondré sur lui-même, conduisant la civilisation bourgeoise à sa ruine.
En ce sens, on peut dire aussi qu'il est encore debout, survivant à la date qui apportait un terme à sa vie comme régime progressif, comme force de développement. Dans ces conditions, le socialisme reste-t-il une perspective possible alors que tous les espoirs passés semblent désormais enterrés, notamment depuis la Deuxième Guerre mondiale ?
C’est à cette question qu'il faut répondre. Il n'est pas sûr qu'on puisse le faire aujourd’hui. Faute de réponse claire et complète, il faut au moins tâcher d'en esquisser les éléments, sans cela la réorientation révolutionnaire exigée par la situation ne sera pas possible.
Mais pour faire cela, il faut se demander d'abord dans quelles conditions Marx s'était placé pour annoncer, par la voix du Manifeste, la transformation "nécessaire" du capitalisme en socialisme par la dictature révolutionnaire du prolétariat, puis retracer l'histoire réelle par rapport à l’histoire prévue, enfin faire le bilan d'une perspective nouvelle. Autrement dit, il faut commencer par resituer Marx et sa perspective par rapport à l'histoire, parce que le développement contemporain tend à masquer le sens véritable des conditions anciennes, puis envisager la perspective historique d'aujourd’hui. Ceci revient à partir de Marx et de sa doctrine comme éléments historiques. Car, s'il est clair que seules la méthode et la doctrine du grand révolutionnaire peuvent nous permettre de comprendre où va la société d'aujourd’hui (de même qu'elles lui permirent, à lui-même, de tracer une perspective légitime pour l'époque où il vivait), il n'empêche que cette méthode et cette doctrine sont, pour ce qui concerne le passé jusqu'à ce jour, désormais justifiables de la philosophie de l'histoire. Les idées de Marx, qui apparaissent dans la seconde moitié du 19ème siècle comme une vision géniale mais rationnelle de l'avenir, prennent pour nous, avec le recul, la valeur d'un fait social objectif appartenant au passé. Il en va pour elle comme des idées des penseurs bourgeois, Montesquieu, Saint-Simon ou tant d’autres. Elles ont guidé le mouvement ouvrier révolutionnaire du passé, donc agi et pesé sur l'histoire. Elles en font partie. Par exemple, telle idée restée alors purement générale chez Marx, telle conception limitée à sa valeur d'ensemble, prend rétrospectivement une signification historique précise, pas seulement en fonction de la pensée propre de Marx mais aussi des évènements postérieurs à leur formulation, voire même intervenus après que leur auteur eut disparu de ce monde. En d’autres termes, ce dont il s'agit, pour nous, c'est de savoir simultanément ce que Marx a dit et voulu dire de l'histoire, et ce que l'histoire a fait de Marx.
Cette tâche est-elle possible ? Il faut essayer de l'accomplir. Il faut reprendre les données de la perspective classique du socialisme.
Or, lorsqu'on examine cette perspective, on constate qu'elle s'est successivement renouvelée, soit avec Marx lui-même, soit depuis ; mais que ses lignes générales étant restées les mêmes, elle a donné naissance à une tradition qui domina constamment le mouvement révolutionnaire, tradition exprimée par une théorie connue sous le nom de "théorie de la révolution permanente".
C'est avec Trotsky que la théorie de la révolution permanente prit corps comme telle. Elle fut introduite et popularisée par lui aux environs de 1905, et l'appellation est également de cette époque. Elle soutenait qu'une révolution bourgeoise d'un pays arriéré du 20ème siècle ne pouvait être que l'œuvre de la dictature du prolétariat et devait nécessairement "trans-croitre" aussitôt en révolution socialiste. La théorie était liée par conséquent à une conception tout à fait déterminée, se rapportant aux relations entre pays arriérés et pays avancés dans l'impérialisme. Elle correspondait en principe à une phase du mouvement révolutionnaire et du marxisme bien postérieur à Marx. Elle était fonction de faits historiques inconnus de l'auteur du Manifeste. En ce sens, elle était étrangère à Marx.
Toutefois, lorsque Trotsky formula la théorie de la révolution permanente, il prétendit seulement adapter, à des circonstances nouvelles, ce qui constituait l'essence de la conception de Marx. Et, afin de montrer en quoi ses idées prolongeaient celles de son prédécesseur, le révolutionnaire russe, après être parti de sa théorie, remonta dans l'histoire afin de dégager quels éléments se trouvaient déjà chez Marx.
Si l'on reprend aujourd’hui cet ensemble, on constate, en effet, que malgré les différences historiques, il existe une unité de pensée entre Marx et Trotsky ou, pour mieux dire, entre les courants représentant le marxisme révolutionnaire du Manifeste communiste jusqu'à l'assassinat de l'ancien Commissaire du peuple. Comme on l'a déjà dit, les lignes générales sont restées les mêmes pendant ces cent années, fondant une perspective qui forme un tout homogène. Et c'est pourquoi, si l'on reconstitue aujourd’hui cette conception, en la considérant non plus seulement comme une vue sur la perspective de l'histoire mais comme un fait historique, on est amené à dire : avec et depuis Marx, la perspective marxiste du socialisme a toujours reposé sur une certaine conception de la révolution permanente et c'est pourquoi aussi on est fondé à s'y référer sous ce nom.
Cette théorie de la révolution permanente, prise en bloc sur cent ans d'histoire, reparait sur une double idée. La première était que la montée des forces productives, qui avait suscité l'avènement de la société capitaliste, ferait entrer ces forces en contradiction avec les rapports de production propres au régime. Au cours du bouleversement technique et économique réalisé par le capital, la société serait poussée, au-delà de l'ordre capitaliste, vers l'ordre socialiste. La seconde idée était que la substitution de cet ordre nouveau à l'ordre ancien ne pourrait se réaliser qu'au travers d'une révolution et par la dictature du prolétariat. Il faudrait pour cela que le prolétariat prenne conscience de la tâche qui lui était ainsi impartie. Cette "prise de conscience" ne serait évidemment pas le fruit d'une sorte d'intellection, l'histoire devait la susciter, la créer, la faire murir, la fortifier et l'élever au niveau requis pour qu'elle puisse opérer pleinement.
Puisqu'elle était "conscience", elle relèvera nécessairement des conditions subjectives de la société, c'est-à-dire de sa superstructure. Or, c'est dans la lutte de classes - la lutte idéologique et politique au cours de laquelle celles-ci ont une vie sociale dépassant les simples rapports économiques qui fondent leur existence - que cette conscience se formerait.
Pour qu'il en soit ainsi, il faudrait que cette lutte des classes amène le prolétariat à se former "en tant que classe", c'est-à-dire en parti politique[1]1. Précisément la révolution bourgeoise, fruit des luttes de classes par lesquelles s'étaient affirmés la domination et le développement de la société capitaliste, amenait la preuve qu'il en était bien ainsi. Elle créait les conditions sociales et le climat idéologique nécessaires. La révolution de 1848 l'avait indiqué et la Commune de Paris confirmé ; plus tard la révolution de 1917 le vérifiait.
Par révolution bourgeoise, il faut entendre, il est vrai, non pas seulement telle ou telle date précise, ou tels évènements déterminés au cours desquels les luttes de classes atteignent certains sommets (comme les crises de 1789, 1830, 1848, etc.), mais bien plutôt toute une période historique. En ce sens étendu, la révolution bourgeoise, qui s'était d’abord posée en Europe et en Amérique, avait commencé au 17ème siècle, dans les années précédant la révolution anglaise. Elle s'était prolongée, sur ces deux continents, pendant toute la période qui se termine avec la guerre de Sécession, la Commune de Paris et la naissance consécutive de l'impérialisme. Enfin, après avoir rebondi pour surgir à la fin du siècle dernier dans les États soumis à la pénétration impérialiste, elle se termine à son tour, dans ces pays, par les révolutions qui se situent autour des années 1905 et 1917.
Au cours de toute cette période, ce sont flux et reflux révolutionnaires successifs. Ces mouvements trouvent leur fondement économique dans les rythmes de progrès et de crises cycliques caractéristiques du développement capitaliste. La bourgeoisie, classe exploiteuse, était alors révolutionnaire ; elle faisait sa révolution, elle agissait par des méthodes insurrectionnelles et, grâce à ces conditions, le prolétariat, classe exploitée naissant dans les affres de la révolution bourgeoise, pouvait à son tour se frayer une voie vers sa propre conscience. En effet, devant l'exemple de la bourgeoisie, il passait à son tour à l'insurrection. Les idées dont il avait besoin se formaient et s'alimentaient aux sources de la pensée bourgeoise qui, alors, n’hésitait pas à hausser ses critiques de classe (dirigées contre le féodalisme, l'absolutisme, l'ancienne société) au niveau d'une critique de toute société et par la société capitaliste elle-même. Des penseurs de la bourgeoisie élaboraient les idées socialistes et certains pouvaient, en fonction de la logique même de leur position de révolutionnaires bourgeois, passer dans le camp de la classe ouvrière, contribuer alors à la formation de sa conscience, faire murir ses idées de classe, enfin l'élever, grâce à leurs recherches personnelles, à la connaissance et à la compréhension des buts historiques de la révolution. La classe ouvrière pouvait ainsi trouver un enrichissement en s'assimilant la seule culture disponible : la culture bourgeoise, dont elle-même était privée par sa position sociale.
C'est de cette façon que la révolution bourgeoise devait permettre au prolétariat d'acquérir sa conscience de classe développée jusqu'à sa forme supérieure : la "capacité" politique et historique. Celle-ci signifiait que le prolétariat serait capable non seulement de conduire la révolution - révolution faite au nom de la collectivité tout entière pour son salut et son épanouissement –, mais surtout d'organiser la société, une fois réalisée la transformation révolutionnaire. Cela impliquait notamment qu'elle soit capable de conserver le pouvoir après l'avoir conquis.
Des deux ordres de conditions ainsi considérées, les premières représentaient les conditions objectives de la révolution socialiste, les secondes les conditions subjectives. Toutes deux étaient nécessaires. La dictature du prolétariat, aboutissement de la révolution bourgeoise, serait la culmination, la trans-croissance de cette révolution.
Cette théorie avait représenté le fond même de la pensée de Marx, aussi bien sur la perspective que sur la révolution socialiste ; et si, après lui, elle prévalut aussi avec Lénine et Trotsky, c'est parce que ceux-ci la renouvelèrent, l'approfondirent, mais cette fois par rapport aux transformations du capitalisme concurrentiel en capitalisme des monopoles et au développement de l'impérialisme.
Il est vrai que certaines tendances marxistes posèrent les problèmes politiques de la révolution prolétarienne d'une manière qui pourrait faire croire, à première vue, qu'elles entendaient la perspective d'une façon différente. Tel fut le cas en particulier du courant de gauche - qu'attaqua Lénine - courant dont on peut tracer l’histoire depuis Rosa Luxemburg et la gauche allemande, les communistes de conseil de Hollande avec Gorter et Pannekoek, Amedeo Bordiga et la gauche du Parti Communiste italien, jusqu’à la Gauche Communiste Internationale d'avant la dernière guerre et aux tendances qui la prolongent jusqu'à aujourd’hui. Ces courants proclamèrent par exemple, dès 1918, que les luttes bourgeoises dans les pays opprimés par l'impérialisme avaient cessé de jouer comme facteur de la révolution socialiste. Cela ne voulait-il pas dire que, dans le langage qui était le leur, ils rejetaient la perspective classique telle qu'on la leur avait transmise, ils rejetaient la perspective classique telle qu'on l'a définie plus haut ?
En vérité, c'est le contraire qui est vrai ! Car, si ces courants préconisaient une politique révolutionnaire différente, parfois opposée à celle du courant marxiste dominant, du moins conservaient-ils la perspective de Marx. Et cela constituait une véritable contradiction.
En effet, il est exact, comme nous espérons que les chapitres qui suivent contribueront à le mettre en lumière, que du point de vue révolutionnaire le courant de gauche suivit, à partir d’une certaine époque, une politique plus juste que les autres tendances. Mais ceci est une autre question. Le fait est que les formations du courant de gauche concevaient elles aussi la révolution socialiste comme le terme naturel du développement du capitalisme et, dans l’ensemble, selon les conditions indiquées par Marx lui-même. On peut dire, alors, soit qu'ils ne tiraient pas de la perspective acceptée par eux les conclusions qui s'en déduisaient logiquement, soit que, jugeant correctement une situation historique et prenant des positions politiques opposées à celles héritées du mouvement traditionnel, ils n'allaient pas assez loin, s'abstenant de rejeter du même coup la perspective de Marx. L'insuffisance de recul historique explique, à notre sens, cette contradiction. Ces courants, qui aujourd'hui représentent les seules tendances marxistes révolutionnaires authentiques et sur lesquels repose présentement l'avenir du mouvement ouvrier révolutionnaire, se doivent d'en sortir rapidement.
La conclusion est donc bien que la perspective marxiste du socialisme, perspective fondée sur la théorie de la révolution permanente, a été universellement acceptée jusqu'à aujourd’hui, que ce soit tacitement ou ouvertement, implicitement ou au contraire, consciemment ou non, peu importe. D'ailleurs, même si certains courants minoritaires l'avaient rejetée, cela n'aurait pas d'importance ici. S'il s'agissait - ce qui doit être fait aussi - de rechercher une ligne politique proprement dite, alors cette question deviendrait primordiale, puisque, seule, elle permettrait de retracer comment a cheminé une position politique de classe au cours de toute une période. Mais, ce que nous tentons actuellement consiste seulement dans un essai de philosophie de l'histoire. Et, dans ce cas, un seul fait compte : la conception qui a prévalu a été effectivement celle de la révolution permanente. C'est elle qui a animé le courant dominant, c'est en fait par elle et en fonction d'elle que le prolétariat dans son immense majorité est intervenu dans l'histoire des derniers cent ans. Voilà le fait central : c'est de lui et seul que nous partons.
Il est clair que l'ensemble de ce qui se rapporte aux conditions subjectives de la révolution appartient désormais au musée de l'histoire, les conditions historiques comme la théorie et la perspective qui leur correspondaient. La révolution bourgeoise est en effet terminée à l'échelle mondiale, la "révolution permanente" ne peut donc plus opérer ; le capitalisme, loin de se développer, sombre dans la plus noire décadence, sans que, avant cette issue, le prolétariat soit venu, comme l'avait annoncé la perspective, relayer la bourgeoisie dans la tâche d’impulser la société en avant ? Le capitalisme des monopoles qui, après la mort de Marx, avait été la réalité pour plusieurs décades, disparaît à son tour. Il laisse la place au capitalisme d'État. Celui-ci est en pleine gestation à travers les guerres mondiales devenues le mode permanent d’existence du régime. Et de ce que l'on peut observer présentement, il apparaît que le prolétariat - asservi à l'État capitaliste devenu tout puissant par les syndicats et les anciens partis ouvriers - a disparu de la société comme classe indépendante douée d’aspirations révolutionnaires. Il est associé à des luttes qui n'ont en fait rien à voir avec des objectifs sociaux qui lui soient propres. Il devient un facteur actif de la survivance du capitalisme au travers d'une nouvelle forme structurelle. Dans ces conditions on ne peut se dérober à la question : ces événements ne sont-ils pas l'expression de son incapacité historique ?
Le travail qu'on s'est proposé plus haut d'entreprendre dans ce texte consistera à reprendre l'arsenal historique théorique du marxisme sur la révolution permanente (c'est-à-dire, en fait toute la théorie de la révolution sur laquelle il fondait sa perspective et son action) et à établir comment il a définitivement perdu toute valeur historique et pratique pour l'avenir au cours des événements que couronne la Deuxième guerre mondiale. On enregistrera donc son échec pour le passé. C'est seulement ensuite qu'on recherchera si toute perspective socialiste doit être abandonnée ou si, au contraire, les conditions du capitalisme d'État permettent une nouvelle perspective socialiste. Ce sera évidemment une perspective sans rapport avec celle admise jusqu’ici. Ainsi sera surmontée la contradiction dans laquelle le courant restait plongé dans l'entre-deux-guerres. Tel est, nous le croyons, le seul effort qu'on puisse entreprendre aujourd'hui, mais le seul aussi qui permet de célébrer à sa mesure le centenaire du Manifeste communiste.
MOREL
[1] Marx- Manifeste Communiste.
"La doctrine matérialiste de la modification des conditions et de l'éducation oublie que les conditions sont modifiées par les hommes et que l'éducateur doit être lui-même élevé. Elle doit donc diviser la société en deux parties dont l'une lui est supérieure. La coïncidence de la modification des circonstances et de la modification de l'activité humaine ou de la modification de soi-même ne peut être saisie et rationnellement comprise qu'en tant que pratique révolutionnaire." (Karl Marx - 3ème thèse sur Feuerbach)
La pensée humaine est le phénomène dont l'action a une influence maîtresse sur les autres. Du moment où l'on ne considère l’homme que comme une branche de la nature et dépendante d'elle, on est obligé de considérer l'histoire humaine comme un produit naturel au sens biblique du terme, c'est à dire déterminée par des facteurs naturels, indépendants, plus forts ou au-dessus d'elle-même.
Du jour où l’on considère l'histoire humaine non seulement comme ne dépendant pas de la nature, mais comme une tentative de domination des forces de la nature par l'homme et la mise en service des forces naturelles, dès ce moment on considère la connaissance sous un angle différent.
Dans le premier cas, la connaissance ne fait qu'enregistrer des phénomènes. Les discussions philosophiques et scientifiques n'auront qu’un sens interprétatif.
Dans le second cas, on est obligé de se rendre à l'évidence que la connaissance est active, c'est-à-dire qu'elle réfléchit sur les phénomènes dans le but de les transformer, et cela dans un sens qui cherche à atteindre sans cesse une plus grande perfection dans la satisfaction des besoins humains.
L'histoire, dans son évolution, a jusqu'à présent réalisé en partie cette tendance, au service de classes sociales dirigeant l'humanité et exploitant les fruits de son travail pour elles-mêmes. Il s'agit maintenant d'une phase toute nouvelle de l'histoire humaine fondée sur l'action révolutionnaire du prolétariat. Il s'agit de libérer l'humanité de la dernière classe dominante du monde, dont l'existence entrave son développement et l'entraîne dans le chaos causé par le maintien de cette classe à la direction de la société.
Nous entrons dans une crise dont l'issue est imprévisible. Seule la connaissance que nous avons des phénomènes historiques, économiques, sociaux et politiques nous permet de fonder une action dans le but de donner à cette crise une issue favorable à un développement ultérieur de l'humanité, sur la base du renversement du capitalisme par l'insurrection généralisée du prolétariat dans sens d'une révolution sociale, politique, économique et historique.
Dire seulement que la connaissance est active est cependant insuffisant. Toute classe sociale dominante fonde son existence sur une certaine connaissance du monde, connaissance dont la nature est en rapport avec les buts qu'elle s'assigne, avec le genre d'existence qu'elle tend à réaliser. Cette connaissance, qui tend à être imposée d'une manière ou d'une autre à l'ensemble des hommes, à deux aspects essentiels : 1) elle construit des systèmes scientifiques dans le but de satisfaire aux besoins qu'elle s'est donnée pour tâche de réaliser comme tels, 2) elle élabore des lois économiques, morales et politiques dans le but de conserver ce qu'elle a acquis pour ses enfants, contre les empiètements des autres classes de la société. Ces deux aspects de la connaissance sont développés indépendamment l'un de l'autre par la classe capitaliste. L'un sous le nom de sciences dites expérimentales se développe dans le but indiqué. L'autre sous le nom de sciences dites morales et politiques est développé uniquement dans le but de justifier en dernier ressort l'état de choses existant et de justifier, avec lui, la nécessité d'une classe dirigeante et d'un État national. Les connaissances sont alors transmises d'une génération à l'autre et les modifications qui y sont apportées sont déterminées en dernier ressort par les modifications opérées dans la société qui, comme le dit Marx "opèrent comme des lois naturelles."
La connaissance du prolétariat, partant d'autres préoccupations, voulant atteindre d'autres buts, procèdera d'une autre méthode.
La transformation à opérer dans la société est avant tout sociale et politique. Le prolétariat, moteur de la révolution, rejette l'apparente impartialité que tendent à revêtir certains "penseurs" ou "savants" "pour une partialité de classe basée sur une objectivité scientifique. La démarche du prolétariat est avant tout de prendre connaissance de la réalité sociale et politique pour fonder son action révolutionnaire sur cette réalité. La faculté que le prolétariat a, dans telle ou telle période historique, d'être plus réceptif à l'idéologie bourgeoise ou à l'idéologie révolutionnaire, est un phénomène qui n'a pas lieu d'être examiné ici mais qui s'explique du fait que la classe ouvrière est une catégorie économique pour le capital dans la société capitaliste et peut être empêchée momentanément d'envisager le devenir social ; elle obéit alors et est déterminée par les lois de cette société. Elle est par contre une classe historiquement révolutionnaire et peut être mise dans une situation historique où elle se trouve contrainte de se poser comme l'unique moteur du devenir humain.
Pour que la conscience et la connaissance que le prolétariat doit avoir de lui-même et du monde qu'il a à transformer se développent, il faut qu'il ait la faculté de développer en son sein une avant-garde. Le rôle des militants du parti révolutionnaire du prolétariat est de porter à la connaissance du prolétariat les conditions de son devenir révolutionnaire. Le prolétariat atteindra le plus haut point de sa maturité politique lorsque les problèmes qui font l'objet des discussions de l'avant-garde et du parti seront discutés largement dans sa presse et dans ses réunions politiques.
La condition de la révolution c'est donc non seulement que cette discussion ait lieu mais encore qu'elle s'y développe. Notre tâche est de favoriser son éclosion et son développement.
Nous n'avons pas à imposer une pensée mais à rechercher, dans la classe ouvrière et en commun avec elle, les moyens de faire la révolution. Nous ne pensons pas détenir seuls le monopole de la "pensée révolutionnaire", enfermée dans un tabernacle et qu'on sort devant les fidèles prosternés. Bien au contraire, nous pensons comme étant une des manifestations de la classe ouvrière de faire naître des groupes politiques. Notre tâche n'est pas autre chose que de participer à la vie de ces groupes politiques, expression de la classe, et de favoriser leur naissance et leur développement. C’est seulement par le développement de l'action révolutionnaire que les positions acquises peuvent se vérifier ; c'est seulement au travers de la vie de ces groupes que des positions sont acquises, renforcées et développées.
Ce qui est important pour la révolution, ce n'est pas que le parti compte un nombre d’adhérents suffisant mais que la conscience du prolétariat soit mure pour accomplir la tâche de diriger la société. Tout l'objectif à atteindre est là, il s'agit de faire que toute une classe, ses éléments les plus avancés du grand prolétariat industriel soient aptes à accomplir la tâche révolutionnaire la plus gigantesque de l'histoire.
Une méthode, vieille comme le mouvement ouvrier, consiste à créer des écoles pour apprendre aux ouvriers l'économie politique, les principes, etc. Cette méthode de la IIème et de la IIIème internationales, reprise par la IVème et par des groupes actuellement existants, a définitivement prouvé sa faillite ou du moins accompli, en son temps, une tâche pour laquelle elle avait été créée et qui est aujourd’hui dépassée. La méthode scolaire est à l'image de la faiblesse des professeurs es-révolution qui la pratiquent et la préconisent ; elle est la méthode, par excellence, d'étouffement de la pensée. On n'apprend pas aux ouvriers ce qu'est un syndicat, on discute avec ceux-ci de la nature du syndicat. On n'apprend pas aux ouvriers ce qu'est la bourgeoisie, on discute avec eux du patriotisme, du nationalisme ou de l'antisémitisme. On n'apprend pas aux ouvriers ce qu'est la plus-value quand on l'a plus ou moins bien compris soi-même mais ils sont incités à se plonger dans l'étude du capital - qui, rappelons-le, a été écrit par Marx pour les ouvriers révolutionnaires - lorsque, au cours des discussions, leur degré de maturité ayant augmenté, ils en éprouvent la nécessité. La véritable éducation révolutionnaire se fait au feu de la discussion. L'école, c'est la discussion. Chaque ouvrier, même ne sachant ni lire ni écrire est capable de participer à une discussion politique qui a trait à la vie de sa classe. La qualité de son argumentation varie avec son niveau d'éducation, sa maturité nécessite cette éducation, mais la nature de classe des arguments, aussi simples soient-ils, fournis en faveur d'une thèse ou d'une autre, ne varie pas. Tout ouvrier est capable de participer à des discussions à condition qu'il y manifeste de l'intérêt. Il est évident que les discussions sont en rapport avec le public auxquelles elles s’adressent. Si un large public ouvrier pouvait être réuni autour de la confrontation de plusieurs groupes, sur des questions politiques telles que : syndicats, parlementarisme, guerre, problèmes du regroupement de l'avant-garde, situation politique du moment, perspectives, etc., ce travail serait le plus fructueux et celui ayant, dans la classe ouvrière, les meilleurs résultats éducatifs.
La méthode scolaire - telle que la pratiquent par exemple Marc Paillet et ses amis - fatigue inutilement les ouvriers sans leur ouvrir de perspective révolutionnaire de classe. Elle conduit à l'étouffement de la pensée par éclectisme dilettante. On a ici substitué à l'activisme trotskiste un activisme éclectique de la pensée qui conduit partout sauf à une conscience militante, qui éloigne les camarades du prolétariat et des problèmes de la révolution.
La méthode scolaire - telle que la pratique la FFGC - exprime suffisamment son contenu. Un exemple : un camarade qui a lu la brochure "Salaires, prix et profits" est chargé de faire un exposé sur la plus-value et le problème de la valeur. L'exposé doit avoir un double but : former des conférenciers et éduquer en même temps les autres camarades. On oublie seulement que pour pouvoir exposer une matière il faut tout connaître à fond. La manière la meilleure pour la connaître étant d’ailleurs d'en discuter et de s'en instruire. Mais ici, on atteint le but inverse qu'on s’était assigné : le camarade ne connaît rien à la matière qu'il expose, il bégaie lamentablement, déformant, à chaque phrase nouvelle, les questions dont il parle. Il apprend aux autres et croit connaître des choses qu'il apprend de travers et ne connaît pas. Quant aux malheureux auditeurs, s'ils ne dorment pas tous au milieu de l'exposé, ils n'ont d'autre ressource que de penser à autre chose. Quand arrive la fin de l'exposé, on tape sur l'épaule des trois auditeurs péniblement attirés dans ce guet-apens pour leur demander s’ils n'ont pas quelques mots à dire qui pourrait tenir lieu de discussion. Et le camarade Gaspard, à qui est posée malencontreusement une question sur la loi de la valeur, répond en parlant des vaches à lait et de la rente foncière. Cette atmosphère de grotesque, pompeusement appelée "cercle d’étude" pour les ouvriers, sorte d’école du parti où école, professeurs et élèves sont à l'image du parti, est le milieu type d'abrutissement des ouvriers qui pourraient être intéressés par les idées révolutionnaires. On apporte un soporifique à des ouvriers qui ont besoin du stimulant de la discussion et de l'habitude de celle-ci, disparue depuis longtemps déjà du mouvement ouvrier.
Ceci est valable en tant que problème de la pensée dans le prolétariat, problème de la diffusion et de la confrontation des idées, problème de la connaissance active et révolutionnaire du prolétariat. Toute autre chose est le regroupement politique de l'avant-garde. Si une saine atmosphère de discussion loyale doit être créée dans le prolétariat, maintenant qu'ont passé social-démocratie, stalinisme, trotskisme et anarchisme avec leur méthode typiquement différente certes, mais pas meilleure, si cette méthode est la condition d'une prise de conscience révolutionnaire, le climat nécessaire pour rendre possible la diffusion des idées révolutionnaires et l'éducation politique du prolétariat, cela ne veut pas dire du tout que c'est là la méthode de regroupement de l'avant-garde. Cette méthode s'inspire de positions politiques principielles, tels les quatre points que nous avons énoncés comme critère de classe du prolétariat, à une étape donnée de l'histoire, actuellement.
Une chose est d'opposer les idées de groupes politiques devant un public ouvrier et autre chose est de former un organisme quelconque entre groupes en vue de n'importe quelle action, aussi limitée soit-elle.
Dans le premier cas, il s’agit d'un problème d'auto-éducation du prolétariat, dans le second cas d'un regroupement de nature politique.
Depuis la "Libération", nous n'avons fait que nous inspirer des mêmes méthodes, dans les deux cas :
- contre le sectarisme organisationnel des écoles et les monopoles de l'éducation, dans le premier ;
- pour une rigidité des principes politiques, dans le second.
Des camarades voient dans le fait que nous n'avons jamais réussi à créer l'atmosphère de discussion et de confrontation des idées préconisée, la faillite de la méthode. C'est seulement l'influence des évènements politiques et du développement d'un cours réactionnaire qui a, jusqu'à présent, empêché le prolétariat d’apporter, à la vie des groupes, des militants dans son avant-garde, un oxygène nécessaire et l'imposition de saines méthodes pour son éducation. Le prolétariat, définitivement embrigadé derrière les groupes politiques de la bourgeoisie en son sein, et cela depuis une quinzaine d’années, n'a jamais, même d'une façon réduite, pu apporter cet oxygène. On a assisté seulement à la naissance de groupes au cours et à la fin de la guerre, mais ils sont morts nés ou ne se sont pas développés. On a assisté à un processus continu de morcellement, de dissociation et de dislocation de l'avant-garde, dans une psychose de schizophrénie, à l’image de l'ambiance qui (...) capitalisme, du chaos dans lequel il est lui-même entraîné.
La méthode scolaire des sectes est l'aspect actuel de l'étouffement de ces groupes sur eux-mêmes. Notre réaction et nos méthodes ne peuvent donc pas avoir un très grand écho. C'est cependant autour de cette méthode et de son triomphe que doit être fondée une activité de groupe de militants révolutionnaires aujourd’hui. Le triomphe même partiel et momentané signifierait, même d'une façon partielle et momentanée, la reprise d'une vie de la pensée révolutionnaire dans la classe ouvrière et des possibilités de développement de cette pensée. Nous devons persister aussi longtemps qu'il le sera nécessaire ; la révolution est, en grande partie, à ce prix.
Depuis la "Libération", dans des discussions que nous avons tentées avec les CR-RKD, CR dissidents, UC etc. et avec des individualités éparses, nous avons échoué apparemment. En réalité, nous avons aidé ces groupes, en grande partie, à retrouver le néant d'où ils étaient sortis. Expérience certes négative. En réalité, nous avons aidé une crise à se développer. Si elle s'est développée en un sens négatif, c'est que ces groupes et camarades fondaient leur activité sur une perspective à rebours de la perspective réelle. Leurs aspirations, s'étant avérées en contradiction formelle avec les perspectives, ils se sont éteints pour le plus grand bien du prolétariat. Si leur crise s'était développée dans une voie différente, s'ils avaient fait un bilan et revu leurs perspectives et leurs positions, ils auraient pu continuer à vivre sinon à se développer. Le PCI d'Italie qui a réagi et ré-aligné ses positions, quoiqu’en retard et quoique seulement à la manière de compromis momentanés, a réussi de cette manière à prolonger sa vie ; il n'a cependant pas pu empêcher ses rangs de s'éclaircir. La FB vit une vie léthargique et hivernale de marmotte, attendant ainsi que le réveil lui soit apporté du dehors ; le réveil ou la mort, toute sa vie, comme celle de la FFGC, étant liée par l'intermédiaire d'un Bureau international, au parti d'Italie et non à la situation internationale du prolétariat. Quant à la FFGC, elle pense que, si elle emploie les méthodes de diffusion et de propagande du trotskisme, elle échappera au sort que ces méthodes ont donné comme résultat avec ce courant politique. C'est au repliement des groupes sur eux-mêmes, à la dissociation de la pensée d'avec le monde, qu'on assiste ; et l'activité de ces groupes est seulement l'expression de cette vérité. Le réveil de ces groupes sera pénible et seulement au prix du rejet des méthodes employées depuis leur naissance, ou sinon d'une mort sans gloire dans le grotesque, comme le groupe CR qui a publié son dernier numéro de "Pouvoir ouvrier" avec en gros titre "La révolution monte en Grèce, en Italie, en France, en Allemagne, etc."
Nous avons tenté, depuis la "Libération", de grouper le plus possible de groupes, d'individus et de sympathisants dans des cercles de discussion. Ces cercles n'ont, en général, pas groupé grand monde, chacun préférant faire sa petite cuisine pour soi. La discussion souvent n'a pas pris le caractère qui était nécessaire à éveiller l'intérêt de tous autour des problèmes qu'elle abordait. La faute n'en est encore pas à la méthode mais à l'immaturité des camarades qui menaient ces débats. Cependant, nous n'avons pas eu que du négatif dans notre besogne ; celle-ci nous a permis de contacter des camarades et surtout de diffuser nos bulletins. Mais, ce n'était pas là seulement le but poursuivi. Nous devrons tendre vers la réalisation de larges cercles d'ouvriers, où tout le monde discute les positions des groupes, et non des réunions entre groupes où des bonzes viennent s'affronter comme sur un ring oratoire.
Le camarade Marc a abordé ce problème dans une série d'articles intitulés "La tâche de l'heure". D'autre part, une résolution sur le parti parait en ce moment, qui expose nos positions fondamentales sur ce problème.
Nous avons toujours tenté de créer des organismes de contact entre les groupes révolutionnaires sur la base des autres points énoncés.
Quand le Bureau International des groupes de la GCI a été créé, nous nous sommes adressés à lui pour proposer notre concours. Voici les termes dans lesquels il nous a été répondu :
"Paris le 10 décembre 1946
Puisque votre lettre démontre une fois de plus la constante déformation des faits et des positions politiques prises, soit par les Fractions françaises et belges soit par le PCI, que vous ne constituez pas une organisation politique révolutionnaire et que votre activité se borne à jeter de la confusion et de la boue sur nos camarades, nous avons exclu, à l’unanimité, la possibilité d'accepter votre demande de participation à la réunion internationale des organisations de la GCI.
Pour le PCI, pour la FB, pour la FFGC"
Les camarades de la GCI n'ont certainement pas été mis au courant, et sont, en tous cas, placés devant le fait accompli. Il y a une révolution à faire contre de telles méthodes et nous nous sommes en grande partie unis pour en expurger le prolétariat. Nous n'aurons de cesse que le travail titanesque de la grande purge soit opéré, nous ou nos successeurs idéologiques.
Sur l'initiative des Communistes de Conseil, une conférence de contact a été tenue à Bruxelles, qui devait publier un bulletin international de discussion en plusieurs langues. Entre autres, les groupes de la FB, de la FFGC et du PCI ont été invités. Ils n'ont même pas daigné répondre. Sans doute, est-ce sous leur unique direction qu'ils désirent opérer le regroupement de l'avant-garde, ce qui est confirmé par les rapports qu'ils ont eus avec un groupe américain à qui ils conseillaient, entre autres, "de se méfier de certains individus". Cette méthode est celle qui a si bien réussi à la IIIème Internationale, puis à Trotsky, laquelle, en son temps, les camarades de la Fraction italienne ont dénoncé plus d’une fois. En plus des défaites que cette méthode a apportées au prolétariat quand il s'agissait d'organisations puissantes, cette méthode a aujourd’hui le privilège d'être profondément ridicule, vu la force de ceux qui veulent opérer ce regroupement dans un prolétariat international considérablement plus étendu et divers qu'antérieurement.
Pour manifester un amour-propre de secte, pour vouloir péter plus haut que son derrière, la GCI se retrouvera isolée et croupissante sans oxygène. Elle n'en portera pas moins une certaine responsabilité, car, en se contraignant elle-même au croupissement, c'est le développement de la pensée du prolétariat qu'elle entrave.
Nous gardons sur ces deux points nos positions solidement établies et nous continuerons à œuvrer en vue de la réalisation des buts révolutionnaires auxquels elles se rattachent. Nous ne pensons pas réaliser, en un jour, ces buts, même partiellement. Il faudra peut-être plusieurs années d'efforts, et peut-être d'autres secousses sociales graves et la mort de quelques groupes, pour que la renaissance de la pensée révolutionnaire soit possible. Notre action, elle, continue inlassablement.
La dernière expérience que nous avons faite cette année a prouvé, une fois de plus, le pourrissement des milieux se réclamant de la classe ouvrière, incapables de se situer sur un plan révolutionnaire. Le cercle auquel nous avons participé aurait pu, si tous les camarades l'avaient voulu, être un point de départ pour un élargissement des discussions. Au lieu de cela, on a eu affaire à la FFGC qui, pensant que le regroupement pour la révolution se fera autour d’elle et autour d'elle seulement, est venue à ce cercle pour en démontrer la non-viabilité en l'aidant à mourir. Ce cercle s'est éloigné des buts qu'il s'était assigné : de créer une atmosphère de discussion large où tout le monde pouvait assister, sous condition que les camarades seraient sûrs. Parmi les initiateurs de ce cercle, nombreux se sont dégonflés et n'y ont jamais paru, les autres ont tenté un cercle de discussion, un cercle d'étude dirigé par quelques-uns. À ce moment, nous avons pensé que si un tel organisme se créait, il ne pouvait pas faire moins que de se situer sur les quatre critères de classe fondamentaux, ou d’en faire, avant sa formation, l'objet d'une discussion approfondie. Puisqu'organisme il y avait, qui voulait se substituer à la discussion de l'ensemble des camarades et passer au-dessus d'eux, il fallait ces critères ou leur discussion afin que ne soit pas crée un organisme artificiel de plus, tendant à regrouper et à publier sans racines de classe. Cet organisme est mort-né. Tant mieux. Regrettons, une fois de plus, les méthodes de la FFGC. La FFGC étant politiquement le groupe plus proche de nous, il eut été normal que nous tendions nos efforts pour faire vivre sainement ce cercle et empêcher que se créât une tendance à la transformer en un vague organisme politique. Le jour où la FFGC comprendra, il sera sans doute trop tard pour elle.
Philippe
Notre groupe s'est donné comme tâche le réexamen des grands problèmes que pose la nécessité de reconstituer un nouveau mouvement ouvrier révolutionnaire. Il devait considérer l'évolution de la société capitaliste vers le capitalisme d'État, et ce qui subsiste de l'ancien mouvement ouvrier servant, depuis un certain temps, d'appui à la classe capitaliste pour entrainer le prolétariat derrière elle ; il devait aussi examiner ce qui, dans le mouvement ouvrier, restait acquis et ce qui était dépassé depuis le Manifeste communiste (ce qui est l'objet tout particulièrement de la brochure présentée dans notre dernier numéro).
Enfin, il était normal que nous tendions à étudier les problèmes posés par la révolution et par le socialisme. C'est dans ce but que nous avons présenté une étude sur l'État après la révolution et que nous présentons aujourd'hui à la discussion une étude sur le problème du Parti révolutionnaire du prolétariat.
Cette question est, rappelons-le, une des questions les plus importantes du mouvement ouvrier révolutionnaire. C'est elle qui opposera Marx et les marxistes aux anarchistes, à certaines tendances socialistes-démocratiques et ensuite aux tendances syndicalistes révolutionnaires. Elle est le centre des préoccupations de Marx qui a gardé surtout une attitude critique à l'égard des différents organismes qui se sont nommés : partis "ouvriers", "socialistes", Internationales et autres. Marx, quoique participant activement, dans des moments donnés, à la vie de certains de ces organismes, ne les considéra jamais que comme des groupes politiques au sein desquels, selon la phrase du Manifeste, les communistes peuvent se manifester comme "avant-garde du prolétariat". Le but des communistes était de pousser plus loin l'action de ces organismes et de garder en leur sein toute possibilité de critique et d'organisation autonome. Ensuite, c'est la scission au sein du Parti Ouvrier Social-Démocrate russe entre tendances menchevik et bolchevik sur l'idée développée par Lénine dans "Que faire ?". C'est le problème qui opposera, dans les groupes marxistes ayant rompu avec la social-démocratie, Raden-kommunisten et KAPD à la IIIème Internationale. C'est aussi dans cet ordre de pensée que s'inscrira la divergence entre le groupe de Bordiga et Lénine au sujet de la politique de "Front Unique" préconisée par Lénine et Trotsky et adoptée par l'IC. C'est enfin sur ce problème que subsistera une des divergences essentielles entre différents groupes au sein de l'opposition : entre "trotskistes", "bordiguistes" et fera l'objet des discussions de tous les groupes qui se manifestèrent à cette époque.
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Aujourd'hui, nous avons à refaire l'examen critique de toutes ces manifestations du mouvement ouvrier révolutionnaire. Nous devons dégager dans son évolution, c'est-à-dire dans la manifestation de différents courants d'idées à ce sujet, un courant qui, selon nous, exprime le mieux l'attitude révolutionnaire, et essayer de poser le problème pour le futur mouvement ouvrier révolutionnaire.
Nous devons également reconsidérer d'une façon critique les points de vue d'où l'on a abordé ce problème, voir ce qu'il y a de constant dans l'expression révolutionnaire du prolétariat, mais aussi ce qu'il y a de dépassé et les problèmes nouveaux qui se posent.
Or, il est bien évident qu'un tel travail ne peut porter des fruits que s'il constitue un objet de discussion entre groupes et au sein des groupes qui se proposent de reconstituer un nouveau mouvement ouvrier révolutionnaire.
L'étude présentée aujourd'hui constitue donc une participation à cette discussion ; elle s'inscrit dans cet ordre de préoccupations et n'a donc pas d'autre prétention, quoique présentée sous la forme de thèses. Elle a surtout comme but de susciter la discussion et la critique plus que d'apporter des solutions définitives. C'est un travail de recherche qui vise moins à l'approbation ou au rejet pur et simple qu'à susciter d'autres travaux de ce genre.
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Cette étude a comme objet de préoccupation essentielle "la manifestation de la conscience révolutionnaire" du prolétariat. Mais il y a nombre de questions qui s'inscrivent au programme de ce problème du parti et qui ne sont qu'effleurées :
Il convient donc que les militants, qui comprennent que la tâche de l'heure est l'examen de ces divers problèmes, interviennent activement dans cette discussion, soit au travers de leurs propres journaux ou bulletins, soit dans ce bulletin pour ceux qui ne disposent pas momentanément d'une telle possibilité d'expression.
INTERNATIONALISME
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NB – Cette étude se divise en 5 parties :
1 – L'idée de la nécessité d'organisme politique agissant du prolétariat, pour la révolution sociale, semblait être acquise dans le mouvement ouvrier socialiste.
Il est vrai que les anarchistes ont toujours protesté contre le terme "politique" donné à cet organisme. Mais la protestation anarchiste provenait du fait qu'ils entendaient le terme de l'action politiques dans un sens très étroit, synonyme pour eux d'une action pour des réformes législatives : participation aux élections et aux parlements bourgeois, etc. Mais, ni les anarchistes ni aucun autre courant dans le mouvement ouvrier ne nient la nécessité du regroupement des révolutionnaires socialistes dans des associations qui, par l'action et la propagande, se donne pour tâche d'intervenir et d'orienter la lutte des ouvriers. Or, tout groupement - qui se donne pour tâche d'orienter, dans une certaine direction, les luttes sociales - est un groupement politique.
Dans ce sens, la lutte d'idée autour du caractère politique ou non-politique donné à ces organisations n'est qu'un débat de mots cachant au fond, sous des phrases générales, des divergences concrètes sur l'orientation, sur le but à atteindre et les moyens pour y parvenir. En d'autres termes, des divergences précisément politiques.
Si, aujourd'hui, surgissent à nouveau des tendances qui remettent en question la nécessité d'un organisme politique pour le prolétariat, c'est en conséquence de la dégénérescence (et de leur passage au service du capitalisme) des partis qui furent autrefois des organisations du prolétariat : les partis socialistes et communistes. Les termes de la politique et de partis politiques subissent actuellement un discrédit même dans des milieux bourgeois. Cependant, ce qui a conduit à des faillites retentissantes n'est pas la politique en général, mais certaines politiques, la politique n'étant rien d'autre que l'orientation que se donnent les hommes dans l'organisation de leur vie sociale. Se détourner de cette action, c'est renoncer à vouloir orienter la vie sociale et, par conséquent, à vouloir la transformer, c'est subir et accepter la société présente.
2 - La notion de classe est une notion essentiellement historico-politique et non simplement une classification économique. Économiquement, tous les hommes font partie d'un même système de production dans une période historique donnée. La division, basée sur les positions distinctes que les hommes occupent dans un même système de production et de répartition et qui ne dépasse pas le cadre de ce système, ne peut devenir le postulat de la nécessité historique du dépassement. La division en catégories économiques n'est alors qu'un moment de la contradiction interne constante se développant avec le système mais restant circonscrite à l'intérieur des limites de celui-ci. L'opposition historique est en quelque sorte "extérieure" dans le sens qu'elle s'oppose à l'ensemble du système pris comme un tout ; et cette opposition se réalise dans la destruction du système social existant et son remplacement par un autre basé un nouveau mode de production. La classe est la personnification de cette opposition historique, en même temps qu'elle est la force socialo-humaine le réalisant.
Le prolétariat n'existe, en tant que classe dans le plein sens du terme, que dans l'orientation qu'il donne à ses luttes, non en vue de l'aménagement de ses conditions de vie à l'intérieur du système capitaliste mais dans son opposition contre l'ordre social existant. Le passage de la catégorie à la classe, de la lutte économique à la lutte politique n'est pas un procès évolutif, un développement continu immanent, de façon que l'opposition historique de classe émerge automatiquement et naturellement après avoir été longtemps contenue dans la position économique des ouvriers. De l'une à l'autre, il y a un bond dialectique qui s'effectue. Il consiste dans la prise de conscience de la nécessité historique de la disparition du système capitaliste. Cette nécessité historique coïncide avec l'aspiration du prolétariat à la libération de sa condition d'exploité et la contient.
3 – Toutes les transformations sociales dans l'histoire avaient pour condition fondamentale déterminante le développement des forces productives devenues incompatibles avec la structure par trop étroite de l'ancienne société. C'est aussi dans l'impossibilité de dominer plus longtemps les forces productives qu'il a développées que le capitalisme accuse sa propre fin et la raison de son effondrement, et apporte ainsi la condition et la justification historique de son dépassement par le socialisme.
Mais, hormis cette condition, les différences dans le déroulement entre les révolutions antérieures (y compris la révolution bourgeoise) et la révolution socialiste restent décisives et nécessitent une étude approfondie de la part de la classe révolutionnaire.
Pour la révolution bourgeoise par exemple, les forces de production incompatibles avec le féodalisme trouvent encore la condition de leur développement dans un système de propriété d'une classe possédante. De ce fait, le capitalisme développe économiquement ses bases lentement et longtemps à l'intérieur du monde féodal. La révolution politique suit le fait économique et le consacre. De ce fait également, la bourgeoisie n'a pas un besoin impérieux d'une conscience du mouvement économique et social. Son action est directement propulsée par la pression des lois du développement économique qui agissent sur elle comme des forces aveugles de la nature et déterminent sa volonté. La conscience demeure un facteur de second ordre. Elle retarde sur les faits. Elle est plus enregistrement qu'orientation. La révolution bourgeoise se situe dans cette préhistoire de l'humanité où les forces productives encore peu développées dominent les hommes.
Le socialisme, au contraire, est basé sur un développement des forces productives incompatibles avec toute propriété individuelle ou sociale d'une classe. De ce fait, le socialisme ne peut fonder des assises économiques au sein de la société capitaliste. La révolution politique est la première condition d'une orientation socialiste de l'économie et de la société. De ce fait également, le socialisme ne peut se réaliser qu'en tant que conscience des finalités du mouvement, conscience des moyens de leur réalisation et volonté consciente de l'action. La conscience socialiste précède et conditionne l'action révolutionnaire de la classe. La révolution socialiste est le début de l'histoire, où l'homme est appelé à dominer les forces productives qu'il a déjà fortement développées et cette domination est précisément l'objet que se pose la révolution socialiste.
4 – Pour cette raison, toutes les tentatives d'asseoir le socialisme sur des réalisations pratiquées au sein de la société capitaliste sont, par la nature même du socialisme, vouées à l'échec. Le socialisme exige dans le temps un développement avancé des forces productives, avec pour espace la terre entière et pour condition primordiale la volonté consciente des hommes. La démonstration expérimentale du socialisme au sein de la société capitaliste ne peut pas dépasser, dans le meilleur des cas, le niveau d'une utopie. Et la persistance dans cette voie mène de l'utopie à une position de conservation et de renforcement du capitalisme1. Le socialisme en régime capitaliste ne peut être qu'une démonstration théorique, sa matérialisation ne peut prendre que la forme d'une force idéologique et sa réalisation que la lutte révolutionnaire du prolétariat contre l'ordre social.
Et, puisque l'existence du socialisme ne peut se manifester d'abord que dans la conscience socialiste, la classe qui le porte et le personnifie n'a d'existence historique que par cette conscience. La formation du prolétariat en tant que classe historique n'est que la formation de sa conscience socialiste. Ce sont là deux aspects d'un même processus historique, inconcevables séparément parce qu'inexistants l'un sans l'autre.
La conscience socialiste ne découle pas de la position économique des ouvriers ; elle n'est pas un simple reflet de leur condition de salariés. Pour cette raison, la conscience socialiste ne se forge pas simultanément et spontanément dans les cerveaux de tous les ouvriers et uniquement dans leurs cerveaux. Le socialisme en tant qu'idéologie apparaît séparément et parallèlement aux luttes économiques des ouvriers, tous les deux ne s'engendrent pas l'un l'autre quoique s'influençant réciproquement et se conditionnant dans leur développement ; tous les deux trouvent leurs racines dans le développement historique de la société capitaliste.
5 – Si les ouvriers ne deviennent "classe par elle-même et pour elle-même" (selon l'expression de Marx et Engels) que par la prise de conscience socialiste, on peut dire que le processus de constitution de la classe s'identifie au processus de formation des groupes de militants révolutionnaires socialistes. Le parti du prolétariat n'est pas une sélection, pas davantage une "délégation" de la classe mais c'est le mode d'existence et de vie de la classe elle-même. Pas plus qu'on ne peut saisir la matière en dehors du mouvement, on ne peut saisir la classe en dehors de sa tendance à se constituer en organismes politiques. "L'organisation du prolétariat en classe, donc en parti politique" (Manifeste Communiste) n'est pas une formule du hasard, mais exprime la pensée profonde de Marx-Engels. Un siècle d'expérience a magistralement confirmé la validité de cette façon de concevoir la notion de classe.
6 – La conscience socialiste ne se produit pas par génération spontanée mais se reproduit sans cesse ; et une fois apparue, elle devient dans son opposition au monde capitaliste existant, le principe actif déterminant et accélérant, dans et par l'action, son propre développement. Toutefois, ce développement est conditionné et limité par le développement de contradictions du capitalisme. Dans ce sens, la thèse de Lénine de "la conscience socialiste injectée aux ouvriers" par le parti, en opposition à la thèse de Rosa de "la spontanéité" de la prise de conscience engendrée au cours d'un mouvement partant de la lutte économique pour aboutir à la lutte socialiste révolutionnaire, est certainement plus exacte. La thèse de "la spontanéité" aux apparences démocratiques a, quant au fond, une tendance mécaniste d'un déterminisme économique rigoureux. Elle part d'une relation de cause à effet où la conscience socialiste ne serait que la résultante, l'effet d'un mouvement premier, à savoir la lutte économique des ouvriers qui l'engendrerait. Elle serait en outre d'une nature fondamentalement passive par rapport aux luttes économiques qui seront l'élément actif. La conception de Lénine restitue à la conscience socialiste et au parti qui la matérialise leur caractère de facteur et de principe essentiellement actifs. Elle ne la détache pas mais l'inclut dans la vie et dans le mouvement.
7 – La difficulté fondamentale de la révolution socialiste réside dans cette situation complexe et contradictoire : d'une part la révolution ne peut se réaliser qu'en tant qu'action consciente de la grande majorité de la classe ouvrière, d'autre part cette prise de conscience se heurte aux conditions qui sont faites aux ouvriers dans la société capitaliste, conditions qui empêchent et détruisent sans cesse la prise de conscience par les ouvriers de leur mission historique révolutionnaire. Cette difficulté ne peut absolument pas être surmontée uniquement par la propagande théorique indépendamment de la conjoncture historique. Mais moins encore que dans la propagande pure, la difficulté ne saurait trouver la condition de sa solution par les luttes économiques des ouvriers. Laissées à leur propre développement interne, les luttes des ouvriers contre les conditions d'exploitation capitaliste peuvent mener tout au plus à des explosions de révolte, c'est-à-dire à des réactions négatives mais qui sont absolument insuffisantes pour leur action positive de transformation sociale, uniquement possible par la conscience des finalités du mouvement. Ce facteur ne peut être que cet élément politique de la classe qui tire sa substance théorique, non des contingences et du particularisme de la position économique des ouvriers mais du mouvement des possibilités et des nécessités historiques. Seule l'intervention de ce facteur permet à la classe de passer du plan de la réaction négative au plan de l'action positive, de la révolte à la révolution.
8 – Mais il serait absolument erroné de vouloir substituer ces organismes - manifestations de la conscience de la classe - à la classe elle-même et ne considérer la classe que comme une masse informe destinée à servir de matériaux à ces organismes politiques. Cela serait substituer une conception militariste à la conception révolutionnaire du rapport entre la conscience et l'être, entre le parti et la classe. La fonction historique du parti n'est pas d'être un état-major dirigeant l'action de la classe considérée comme une armée et, comme elle, ignorant le but final, les objectifs immédiats des opérations et le mouvement "d'ensemble" des manœuvres. La révolution socialiste n'est en rien comparable à l'action militaire. Sa réalisation est conditionnée par la conscience qu'ont les ouvriers eux-mêmes dictant leurs décisions et actions propres.
Le parti n'agit donc pas à la place de la classe. Il ne réclame pas la "confiance" dans le sens bourgeois du mot, c'est-à-dire d'être une délégation à qui est confié le sort et la destinée de la société. Il a uniquement pour fonction historique d'agir en vue de permettre à la classe d'acquérir elle-même la conscience de sa mission, de ses buts et des moyens qui sont les fondements de son action révolutionnaire.
9 – Avec la même vigueur que doit être combattue cette conception du parti/état-major, agissant pour le compte et à la place de la classe, doit être rejetée cette autre conception qui, partant du fait que "l'émancipation des travailleurs sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes" (Adresse inaugurale), prétend lier le rôle du militant et du parti révolutionnaire. Sous le prétexte très louable de ne pas imposer leur volonté aux ouvriers, ces militants s'esquivent de leur tâche, fuient leurs propres responsabilités et mettent les révolutionnaires à la queue du mouvement ouvrier.
Les premiers se mettent en dehors de la classe, en la niant et en se substituant à elle, les seconds se mettent non moins en dehors d'elle en niant la fonction propre à l'organisation de classe qu'est le parti, en se niant comme facteur révolutionnaire et en s'excluant par l'interdiction qu'ils jettent sur leur propre action.
10 – Une correcte conception des conditions de la révolution socialiste doit partir des éléments suivants et les englober :
A) Le socialisme n'est une nécessité que du fait que le développement atteint par les forces de production n'est plus compatible avec une société divisée en classes.
B) Cette nécessité ne peut devenir réalité que par la volonté et l'action consciente de la classe opprimée, dont la libération sociale se confond avec la libération de l'humanité de son aliénation aux forces de production auxquelles elle a été assujettie jusqu'à ce jour.
C) Le socialisme, étant à la fois nécessité objective et volonté subjective, ne peut s'exprimer que dans l'action révolutionnaire consciente de sa finalité.
D) L'action révolutionnaire est inconcevable en dehors d'un programme révolutionnaire. De même, l'élaboration du programme est inséparable de l'action. Et c'est parce que le parti révolutionnaire est "un corps de doctrine et une volonté d'action" (Bordiga) qu'il est la concrétisation la plus achevée de la conscience socialiste et l'élément fondamental de sa réalisation.
11 – La tendance à la constitution du parti du prolétariat se fait dès la naissance de la société capitaliste. Mais, tant que les conditions historiques pour le socialisme ne sont pas suffisamment développées, l'idéologie du prolétariat comme la constitution du parti ne peuvent que rester au stade embryonnaire. Ce n'est qu'avec la "Ligue des Communistes" qu'apparait, pour la première fois, un type achevé d'organisation politique du prolétariat.
Quand on examine de près le développement de constitution des partis de classe, il apparaît immédiatement le fait que l'organisation en parti ne suit pas une progression constante mais, au contraire, enregistre des périodes de grand développement alternant avec d'autres pendant lesquelles le parti disparaît. Ainsi, l'existence organique du parti ne semble pas dépendre uniquement de la volonté des individus qui le composent. Ce sont les situations objectives qui conditionnent son existence. Le parti, étant essentiellement un organisme d'action révolutionnaire de la classe, ne peut exister que dans des situations où l'action de la classe ouvrière se fait jour. En l'absence de conditions d'action de classe des ouvriers (stabilité économique et politique du capitalisme, ou à la suite des défaites profondes des luttes ouvrières), le parti ne peut subsister. Il se disloque organiquement ou bien il est obligé pour subsister, c'est-à-dire pour exercer une influence, de s'adapter aux conditions nouvelles qui nient l'action révolutionnaire, et alors le parti inévitablement se remplit d'un contenu nouveau. Il devient conformiste, c'est-à-dire qu'il cesse d'être le parti de la révolution.
Marx, mieux que tout autre, a compris le conditionnement de l'existence du parti. À deux reprises, il se fait l'artisan de la dissolution de la grande organisation : en 1851, au lendemain de la défaite de la révolution et du triomphe de la réaction en Europe, une seconde fois en 1873 après la défaite de la Commune de Paris, il se prononce franchement pour la dissolution, la première fois de la Ligue des Communistes et la seconde fois de la 1ère Internationale.
12 – L'expérience de la 2ème Internationale confirme l'impossibilité de maintenir au prolétariat son parti dans une période prolongée d'une situation non-révolutionnaire. La participation finale des partis de la 2ème Internationale à la guerre impérialiste en 1914 n'a fait que révéler la longue corruption de l'organisation. La perméabilité et la pénétrabilité, toujours possibles et valables de l'organisation politique du prolétariat par l'idéologie de la classe capitaliste régnante, prennent, dans des périodes prolongées de stagnation et de reflux de la lutte de classe, une ampleur telle que l'idéologie de la bourgeoisie finit par se substituer à celle du prolétariat, qu'inévitablement le parti se vide de son contenu de classe (…) pour devenir l'instrument de classe de l'ennemi.
L'histoire des partis communistes de la 3ème Internationale a de nouveau démontré l'impossibilité de sauvegarder le parti dans une période de reflux révolutionnaire et de sa dégénérescence dans une telle période.
13 – Pour ces raisons, la constitution des partis d'une Internationale par les trotskistes depuis 1935 et la constitution récente d'un Parti Communiste Internationaliste en Italie, tout en étant des formations artificielles, ne peuvent être que des entreprises de confusion et d'opportunisme. Au lieu d'être des moments de la constitution du futur parti de classe, ces formations sont des obstacles et le discréditent par la caricature qu'elles présentent. Loin d'exprimer une maturation de la conscience et un dépassement de l'ancien programme, elles ne font que reproduire l'ancien programme qu'elles transforment en dogmes. Rien d'étonnant que ces formations reprennent les positions arriérées et dépassées de l'ancien parti en les aggravant encore, comme la tactique du parlementarisme, du syndicalisme, etc.
14 – Mais la rupture de l'existence organisationnelle du parti ne signifie pas une rupture dans le développement de l'idéologie de la classe. Les reflux révolutionnaires signifient en premier lieu l'immaturité du programme révolutionnaire. La défaite est le signal de la nécessité de réexamen critique des positions programmatiques antérieures et l'obligation de son dépassement sur la base de l'expérience vivante de la lutte.
Cette œuvre critique positive d'élaboration programmatique poursuit à travers des organismes émanant de l'ancien parti. Ils constituent l'élément actif dans la période de recul pour la constitution du futur parti dans une période d'un nouveau flux révolutionnaire. Ces organismes, ce sont les groupes ou fractions de gauche issus du parti après sa dissolution organisationnelle ou son altération idéologique. Telles furent la fraction de Marx dans la période allant de la dissolution de la Ligue à la constitution de la 1ère Internationale, les courants de gauche dans la 2ème Internationale (pendant la 1ère guerre mondiale) et qui ont donné naissance aux nouveaux partis et Internationale en 1919 ; telles sont les fractions de gauche et les groupes qui poursuivent leur travail révolutionnaire depuis la dégénérescence de la 3ème Internationale. Leur existence et leur développement sont la condition de l'enrichissement du programme de la révolution et de la reconstruction du parti de demain.
15 – L'ancien parti, une fois happé et passé au service de la classe ennemie, cesse définitivement d'être un milieu où s'élabore et chemine la pensée révolutionnaire et où peuvent se former des militants du prolétariat. Aussi, c'est ignorer le fondement de la notion du parti que d'escompter, sur des courants venant de la social-démocratie ou du stalinisme, pour servir de matériaux de construction du nouveau parti de classe. Les trotskistes - adhérant aux partis de la 2ème Internationale où ils poursuivent l'hypocrite pratique du noyautage en direction de ces partis, afin de susciter, dans ces milieux anti-prolétariens, des courants "révolutionnaires" avec qui ils veulent constituer le nouveau parti du prolétariat - montrent par là qu'eux-mêmes ne sont qu'un courant mort, expression d'un (…) d'avenir.
Le nouveau parti de la révolution ne peut se constituer sur la base d'un programme dépassé par les événements ; de même, il ne peut se construire avec des éléments qui restent organiquement attachés à des organismes qui ont cessé à jamais d'être de la classe ouvrière.
16 – L'histoire du mouvement ouvrier n'a jamais connu de période plus sombre et un recul plus profond de la conscience révolutionnaire que la période présente. Si l'exploitation économique des ouvriers apparaît comme condition absolument insuffisante pour la prise de conscience de leur mission historique, il s'avère que cette prise conscience est infiniment plus difficile que ne le pensaient les militants révolutionnaires. Peut-être faut-il, pour que le prolétariat puisse se ressaisir, que l'humanité connaisse le cauchemar de la 3ème guerre mondiale et l'horreur d'un monde en chaos, et que le prolétariat trouve d'une façon (…) place dans le dilemme "mourir ou se sauver" (…) qu'il trouve la condition de son ressaisissement.
17 – Il ne nous appartient pas, dans le cadre de cette thèse, de rechercher quelles sont les conditions précises qui permettront la prise de conscience du prolétariat, ni quelles seront les données de groupement et d'organisation unitaire que se donnera le prolétariat pour son combat révolutionnaire. Ce que nous pouvons avancer à ce sujet et que l'expérience des 30 dernières années nous autorise à affirmer d'une façon catégorique, c'est que ni les revendications économiques, ni toute la gamme des revendications dites "démocratiques" (parlementarisme, droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, etc.) ne peuvent servir de fondement à l'action historique du prolétariat. Pour ce qui concerne la forme d'organisation, il apparaît, avec encore plus d'évidence, que ce ne pourront pas être les syndicats, avec leur structure verticale, professionnelle, corporatiste. Toutes ces formes d'organisation devront être reléguées au musée de l'histoire et appartiennent au passé du mouvement ouvrier. Mais, dans la pratique, elles doivent être absolument abandonnées et dépassées. Les nouvelles organisations devront être unitaires, c'est-à-dire englober la grande majorité des ouvriers et dépasser les cloisonnements particularistes des intérêts professionnels. Leur fondement sera le plan social, leur structure, la localité, les conseils ouvriers tels qu'ils ont surgi en 1917 en Russie, en 1918 en Allemagne, apparaissant comme le type nouveau d'organisation unitaire de la classe. C'est dans ce type de conseils ouvriers et non dans un rajeunissement des syndicats que les ouvriers trouveront la forme la plus appropriée de leur organisation.
Mais, quelles que soient les formes nouvelles d'organisation unitaire de la classe, elles ne changent en rien le problème de la nécessité de l'organisme politique qu'est le parti, ni le rôle décisif qu'il a à jouer. Le parti restera le facteur conscient de l'action de classe. Il est la force motrice idéologique indispensable à l'action révolutionnaire du prolétariat. Dans l'action sociale, il joue un rôle analogue à l'énergie dans la production. La reconstruction de cet organisme de classe est à la fois conditionnée par une tendance, se faisant jour dans la classe ouvrière, de rupture avec l'idéologie capitaliste et s'engageant pratiquement dans une lutte contre le régime existant, en même temps que cette reconstruction est une condition d'accélération et d'approfondissement de cette lutte et la condition déterminante de son triomphe.
18 – On ne saurait déduire du fait de l'inexistence, dans la période présente, des conditions requises pour la construction du parti, à l'inutilité ou à l'impossibilité de toute activité immédiate des militants révolutionnaires. Entre "l'activisme" creux des faiseurs de partis et l'isolement individuel, entre un aventurisme et un (…) impuissant, le militant ne saurait faire un choix mais les combattre comme étant également étrangers à l'esprit révolutionnaire et nuisibles à la cause. Rejetant également la conception volontariste de l'action militante qui se présente comme l'unique facteur déterminant le mouvement de la classe et la conception mécaniste du parti, simple reflet passif du mouvement, le militant doit considérer son action comme un des facteurs qui, dans l'interaction avec les autres facteurs, conditionne et détermine l'action de la classe. C'est en partant de cette conception que le militant trouve le fondement de la nécessité et de la valeur de son activité, en même temps que la limite de ses possibilités et de sa portée. Adapter son activité aux conditions de la conjoncture présente, c'est le seul moyen de la rendre efficiente et féconde.
19 – La volonté de construire, en toute hâte et à tout prix, le nouveau parti de classe, en dépit des conditions objectives défavorables et en les violentant, relève à la fois d'un volontarisme aventuriste et infantile et d'une fausse appréciation de la situation et de ses perspectives immédiates, et finalement d'une totale méconnaissance de la notion de parti et des rapports entre le parti et la classe. Aussi, toutes ces tentatives sont fatalement vouées à l'échec, ne réussissent, dans les meilleurs des cas, qu'à créer des groupements opportunistes se trainant dans les sillages des grands PARTIS de la 2ème et de la 3ème Internationales. La seule raison qui justifie alors leur existence n'est plus que le développement en leur sein d'un esprit de chapelle et de secte.
Ainsi, toutes ces organisations sont non seulement happées, dans leur positivité, par leur "activisme" immédiat dans l'engrenage de l'opportunisme mais encore produisent, dans leur négativité, un esprit borné propre à des sectes, un patriotisme de clocher, un attachement craintif et superstitieux à ses "chefs", à la reproduction caricaturale du (…) des grandes organisations, à la déification des règles d'organisation et à la soumission à une discipline "librement consentie", d'autant plus tyrannique et plus intolérable qu'elle est en proportion inverse au nombre.
Dans son double aboutissement, la construction artificielle et prématurée du parti conduit à la négation de la construction de l'organisme politique de la classe, à la destruction des cadres et à la perte, à une échéance plus ou moins brève mais certaine, du militant épuisé, dans le vide et complètement démoralisé.
20 – La disparition du parti, soit par son rétrécissement et sa dislocation organisationnelle comme ce fut le cas pour la 1ère Internationale, soit par son passage au service du capitalisme comme ce fut le cas pour les partis de la 2ème et de la 3ème Internationales, exprime dans l'un et l'autre cas la fin d'une période dans la lutte révolutionnaire du prolétariat. La disparition du parti est alors inévitable et aucun volontarisme ou la présence d'un chef plus ou moins génial ne saurait l'en empêcher.
Marx et Engels ont vu à deux reprises l'organisation du prolétariat, à la vie de laquelle ils ont pris part d'une façon prépondérante, se briser et mourir. Lénine et Luxemburg ont assisté impuissants à la trahison des grands partis sociaux-démocrates. Trotsky et Bordiga n'ont rien pu pour transformer la dégénérescence des partis communistes et leur transformation en une monstrueuse machine du capitalisme que nous connaissons depuis.
Ces exemples nous enseignent, non pas l'inanité du parti comme le prétend une analyse superficielle et fataliste, mais seulement que cette nécessité qu'est le parti de la classe n'a pas une existence d'après une ligne uniformément continue et ascendante, que son existence même n'est pas toujours possible, que son développement et son existence sont en correspondance et étroitement liés à la lutte de classe du prolétariat qui lui donne naissance et qu'il exprime. C'est pourquoi la lutte des militants révolutionnaires, au sein du parti, au cours de la période de sa dégénérescence et avant sa mort en tant que parti ouvrier, a un sens révolutionnaire, mais non celui, vulgaire, que lui ont donné les diverses oppositions trotskistes. Pour ces derniers, il s'agissait des redressements ; et pour redresser, il fallait avant tout que l'organisation et son unité ne soient pas mises en péril. Il s'agissait pour eux de maintenir l'organisation dans sa splendeur passée alors que, précisément, les conditions objectives ne le permettaient pas et que la splendeur de l'organisation ne pouvait se maintenir qu'au prix d'une altération constante et croissante de sa nature révolutionnaire et de classe. Ils cherchaient, dans des mesures organisationnelles, les remèdes pour sauver l'organisation, sans comprendre que l'effondrement organisationnel est toujours l'expression et le reflet d'une période de reflux révolutionnaire et souvent la solution de loin préférable à sa survivance (…), et qu'en tout cas ce que les révolutionnaires avaient à sauver, c'était non l'organisation mais l'idéologie de classe, risquant de sombrer dans l'effondrement de l'organisation.
Ne comprenant pas les causes objectives de l'inévitable perte de l'ancien parti, on ne pouvait comprendre la tâche des militants dans cette période. De l'échec de la sauvegarde de l'ancien parti à la classe, on concluait à la nécessité de construire dans l'immédiat un nouveau parti. L'incompréhension ne faisait que se doubler d'un aventurisme, le tout basé sur une conception volontariste du parti.
Une étude correcte de la réalité fait comprendre que la mort de l'ancien parti implique précisément l'impossibilité immédiate de construire un nouveau parti ; elle signifie l'inexistence, dans la période présente, des conditions nécessaires pour l'existence de tout parti, aussi bien ancien que nouveau.
Dans une telle période, seuls peuvent subsister de petits groupes révolutionnaires assurant une solution de continuité, moins organisationnelle qu'idéologique, condensant en leur sein l'expérience passée du mouvement et de la lutte de la classe, présentant le trait d'union entre le parti d'hier et celui de demain, entre le point culminant de la lutte et de la maturité de la conscience de classe dans la période de flux passé vers son dépassement dans la nouvelle période de flux dans l'avenir. Dans ces groupes, se poursuit la vie idéologique de la classe, l'auto-critique de ses luttes, le réexamen critique de ses idées antérieures, l'élaboration continue de son programme, la maturation de sa conscience et la formation de nouveaux cadres de militants pour la prochaine étape de son assaut révolutionnaire.
21 – La période présente que nous vivons est le produit d'une part de la défaite de la première grandiose vague révolutionnaire du prolétariat international qui a mis fin à la Première Guerre impérialiste et qui a atteint son point culminant dans la révolution d'octobre 1917 en Russie et dans le mouvement spartakiste de 1918-19, d'autre part par les transformations profondes opérées dans la structure économico-politique du capitalisme évoluant vers sa forme ultime et décadente : le capitalisme d'État. Au surplus, un rapport dialectique existe entre cette évolution du capitalisme et la défaite de la révolution.
Malgré leur combativité héroïque, malgré la crise permanente et insurmontable du système capitaliste et l'aggravation inouïe et croissante des conditions de vie des ouvriers, le prolétariat et son avant-garde ne purent tenir tête à la contre-offensive du capitalisme. Ils ne trouvèrent pas, face à eux, le capitalisme classique et furent surpris par ses transformations, posant des problèmes auxquels ils n'étaient pas préparés ni théoriquement ni politiquement. Le prolétariat et son avant-garde - qui, longtemps et couramment, avaient confondu capitalisme et possession privée de moyens de production, socialisme et étatisation - se sont trouvés déroutés et désemparés devant les tendances du capitalisme moderne à la concentration étatique de l'économie et à sa planification. Dans leur immense majorité, les ouvriers se sont laissés gagner à l'idée que cette évolution présentait un mode de transformation original de la société du capitalisme vers le socialisme. Ils se sont associés à cette œuvre, ils ont abandonné leur mission historique de classe et sont devenus les artisans les plus surs de la conservation de la société capitaliste.
Ce sont là les raisons historiques qui donnent au prolétariat sa physionomie actuelle. Tant que ces conditions prévaudront, tant que l'idéologie du capitalisme d'État dominera le cerveau des ouvriers, il ne saurait être question de reconstruction du parti de classe. Ce n'est que lorsqu'au travers des cataclysmes sanglants qui jalonnent la phase du capitalisme d'État, le prolétariat aura saisi tout l'abime qui sépare le socialisme libérateur du monstrueux régime étatique actuel, quand il se manifestera en son sein une tendance croissante à se détacher de cette idéologie qui l'emprisonne et l'annihile, que la voie sera à nouveau ouverte à "l'organisation du prolétariat en classe, donc en parti politique". Cette étape sera d'autant plus vite franchie et facilitée par le prolétariat que les noyaux révolutionnaires auront su faire l'effort théorique nécessaire pour répondre aux problèmes nouveaux posés par le capitalisme d'État et à aider le prolétariat à retrouver sa solution de classe et les moyens pour sa réalisation.
22 – Dans la période présente, les militants révolutionnaires ne peuvent subsister qu'en formant des petits groupes se livrant à un travail patient de propagande forcément limité dans son étendue, en même temps qu'à un effort acharné de recherches et de clarification théorique.
Ces groupes ne s'acquitteront de leur tâche que par la recherche des contacts avec d'autres groupes sur les plans national et international, sur la base des critères délimitatifs des frontières de classe. Seuls de tels contacts et leur multiplication en vue de la confrontation des positions et la clarification des problèmes permettront aux groupes et militants de résister physiquement et politiquement à la terrible pression du capitalisme dans la période présente et permettront à ce que tous les efforts soient une contribution réelle à la lutte émancipatrice du prolétariat.
23 – Le parti ne saurait être une simple reproduction de celui d'hier. Il ne pourrait être reconstruit sur un modèle idéal tiré du passé. Aussi bien que son programme, sa structure organique et le rapport qui s'établit entre lui et l'ensemble de la classe sont fondés sur une synthèse de l'expérience passée et des nouvelles conditions plus avancées de l'étape présente. Le parti suit l'évolution de la lutte de classe et à chaque étape de l'histoire de celle-ci correspond un type propre de l'organisme politique du prolétariat.
À l'aube du capitalisme moderne, dans la 1ère moitié du 19ème siècle, la classe ouvrière, encore dans sa phase de constitution menant des luttes locales et sporadiques, ne pouvait donner naissance qu'à des écoles doctrinaires[1], à des sectes conspiratives et à des ligues. La Ligue des Communistes était l'expression la plus avancée de cette période en même temps que son Manifeste et son appel de "Prolétaires de tous les pays, unissez-vous", elle annonçait la période suivante.
La 1ère Internationale correspond à l'entrée effective du prolétariat sur la scène des luttes sociales et politiques dans les principaux pays d'Europe. Aussi, groupe-t-elle toutes les forces organisées de la classe ouvrière, ses tendances idéologiques les plus diverses. La 1ère Internationale réunit à la fois tous les courants et tous les aspects de la lutte ouvrière contingents, économiques, éducatifs, politiques et théoriques. Elle est au plus haut point l'organisation unitaire de la classe ouvrière dans toute sa diversité.
La 2ème Internationale marque une étape de différenciation entre la lutte économique des salariés et la lutte politique sociale. Dans cette période de plein épanouissement de la société capitaliste, la 2ème Internationale est l'organisation de la lutte pour des réformes et des conquêtes politiques, l'affirmation politique du prolétariat, en même temps qu'elle marque une étape supérieure dans la délimitation idéologique au sein du prolétariat, en précisant et élaborant les fondements théoriques de sa mission historique révolutionnaire.
La 1ère guerre mondiale signifiait la crise historique de la société capitaliste et l'ouverture de sa phase de déclin. La révolution socialiste passa dès lors du plan de la théorie au plan de la démonstration pratique. Sous le feu des événements, le prolétariat se trouvait, en quelque sorte, forcé de construire hâtivement son organisation révolutionnaire de combat. L'apport programmatique monumental des premières années de la 3ème Internationale s'est avéré cependant insuffisant et inférieur à l'immensité des problèmes à résoudre, posés par cette phase ultime du capitalisme et de sa transition révolutionnaire. En même temps, l'expérience a vite démontré l'immaturité idéologique générale de l'ensemble de la classe. Devant ces deux écueils et sous la pression des nécessités surgies des événements et de leur rapidité, la 3ème Internationale était amenée à répondre par des mesures organisationnelles : la discipline de fer des militants, etc.
L'aspect organisationnel devant suppléer à l'inachèvement programmatique et le parti à l'immaturité de la classe aboutissaient à la substitution du parti à l'action de la classe elle-même et à l'altération de la notion du parti et des rapports de celui-ci avec la classe.
24 – Sur la base de cette expérience, le futur parti aura pour fondement le rétablissement de cette vérité que : la révolution, si elle contient un problème d'organisation, n'est cependant pas une question d'organisation. La révolution est avant tout un problème idéologique, de maturation de la conscience dans les larges masses du prolétariat.
Aucune organisation, aucun parti ne peut se substituer à la classe elle-même, car plus que jamais reste vrai que "l'émancipation des travailleurs sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes". Le parti, qui est la cristallisation de la conscience de classe n'est ni différent ni synonyme de la classe. Le parti reste nécessairement une petite minorité ; son ambition n'est pas la plus grande force numérique. À aucun moment, il ne peut ni se séparer ni remplacer l'action vivante de la classe. Sa fonction reste celle d'inspiration idéologique au cours du mouvement et de l'action de la classe.
25 – Au cours de la période insurrectionnelle de la révolution, le rôle du parti n'est pas de revendiquer le pouvoir, ni de demander aux masses de lui "faire confiance". Il intervient et développe son activité en vue de l'autre mobilisation de la classe, à l'intérieur de laquelle il tend à faire triompher les principes et les moyens d'action révolutionnaire.
La mobilisation de la classe autour du parti, à qui elle "confie" ou plutôt abandonne la direction, est une conception reflétant un état d'immaturité de la classe. L'expérience a montré que, dans de telles conditions, la révolution se trouve finalement dans l'impossibilité de triompher et doit rapidement dégénérer en entrainant un divorce entre la classe et le parti. Ce dernier se trouve rapidement dans l'obligation de recourir de plus en plus à des moyens de coercition pour s'imposer à la classe et devient ainsi un obstacle redoutable pour la marche en avant de la révolution.
Le parti n'est pas un organisme de direction et d'exécution. Ces fonctions appartiennent en propre à l'organisation unitaire de la classe. Si les militants du parti participent à ces fonctions, c'est en tant que membres de la grande communauté du prolétariat.
26 – Dans la période post-révolutionnaire, celle de la dictature du prolétariat, le parti n'est pas le parti unique, classique des régimes totalitaires. Ce dernier se caractérise par son identification et son assimilation avec le pouvoir étatique dont il détient le monopole. Au contraire, le parti de classe du prolétariat se caractérise en ce qu'il se distingue de l'État en face de qui il présente l'antithèse historique. Le parti unique, totalitaire tend à s'enfler et à incorporer des millions d'individus pour en faire l'élément physique de sa domination et de son oppression. Le parti du prolétariat au contraire, de par sa nature, reste une sélection idéologique sévère ; ses militants n'ont pas d'avantages à conquérir ou à défendre. Leur privilège est d'être seulement les combattants les plus clairvoyants, les plus dévoués de la cause révolutionnaire. Le parti ne vise donc pas à incorporer en son sein de larges masses, car, au fur et à mesure que son idéologie deviendra celle des larges masses, la nécessité de son existence tendra à disparaître et l'heure de sa dissolution commencera à sonner.
27 – Les problèmes - concernant les règles d'organisation, qui constituent le régime intérieur du parti - occupent une place aussi décisive que son contenu programmatique. L'expérience passée et, plus particulièrement, celle des partis de la 3ème Internationale ont montré que la conception du parti constitue un tout unitaire. Les règles organisationnelles sont un aspect et une manifestation de cette conception. Il n'y a pas une question d'organisation séparée de l'idée qu'on a sur le rôle et la fonction du parti et du rapport de celui-ci avec la classe. Aucune de ces questions n'existe en soi et toutes sont des éléments constitutifs et expressifs du tout.
Les partis de la 3ème Internationale avaient de telles règles ou tels régimes intérieurs parce qu'ils se sont constitués dans une période d'immaturité évidente de la classe, ce qui les a amenés à substituer le parti à la classe, l'organisation à la conscience, la discipline à la conviction.
Les règles organisationnelles du futur parti devront donc être en fonction d'une conception renversée du rôle du parti, dans une étape plus avancée de la lutte, reposant sur une maturité idéologique plus grande de la classe.
28 – Les questions du centralisme démocratique ou organique, qui occupèrent une place prépondérante dans la 3ème Internationale, perdront de leur acuité pour le futur parti. Quand l'action de la classe reposait sur l'action du parti, la question de l'efficacité pratique maximum de cette dernière devait nécessairement dominer le parti qui, d'ailleurs, ne pouvait comporter que des solutions fragmentaires.
L'efficacité de l'action du parti ne consiste pas dans son action pratique de direction et d'exécution, mais dans son action idéologique. La force du parti ne repose donc pas sur la soumission disciplinaire des militants mais sur leur connaissance, leur développement idéologique plus grand, leurs convictions plus sures.
Les règles de l'organisation ne découlent pas de notions abstraites, hissées à la hauteur de principes immanents et immuables : démocratie ou centralisme. De tels principes sont vides de sens. Si la règle de décisions prises à la majorité (démocratie) apparaît, à défaut d'une autre, plus appropriée, être la règle à maintenir, cela ne signifie nullement que, par définition, la majorité possède la vertu d'avoir le monopole de la vérité et des positions justes. Les positions justes découlent de la plus grande connaissance de l'objet, de la plus grande pénétration et du resserrement plus étroit de la réalité.
Aussi, les règles intérieures de l'organisation sont en fonction de l'objectif que se donne et qui est celui du parti. Quelle que soit l'importance de l'efficacité de son action pratique immédiate, que peut lui donner l'exercice d'une discipline plus grande, elle demeure toujours moins importante que l'épanouissement maximum de la pensée des militants et, en conséquence, lui est subordonnée.
Tant que le parti reste le creuset où s'élabore et s'approfondit l'idéologie de la classe, il a pour règle non seulement la liberté la plus grande des idées et des divergences, dans le cadre de ses principes programmatiques, mais a pour fondement le souci de favoriser et d'entretenir sans cesse la combustion de la pensée, en fournissant les moyens pour la discussion et la confrontation des idées et des tendances en son sein.
29 – Vu sous cet angle concernant la conception du parti, rien ne lui est aussi étranger que cette monstrueuse conception d'un parti homogène, monolithique et monopoliste.
L'existence de tendances et de fractions au sein du parti n'est pas une tolérance, un droit pouvant être accordé, donc sujet à discussion.
Au contraire, l'existence des courants dans le parti - dans le cadre des principes acquis et vérifiés - est une des manifestations d'une conception saine de la notion de parti.
Juin 1948
Marco
[1] C'est ce qu'est advenu de tous les courants du socialisme utopique qui, devenus des "écoles", ont perdu leur aspect révolutionnaire pour se transformer en forces conservatives actives. Voir le Proudhonisme, le Fouriérisme, le coopérativisme, le réformisme et le Socialisme d'État.
Il y a de nombreuses leçons à tirer de la relativement récente affaire yougoslave. Elle vient confirmer des thèses et hypothèses et détruire certaines théories. Les questions qui sont en jeu sont surtout celles-ci :
Voilà à peu près les grandes questions qui sont débattues et sur lesquelles la crise yougoslave donne une clarté nouvelle. Encore faut-il vouloir voir clair.
Nous allons examiner des tableaux comparatifs du commerce extérieur des pays d'Europe orientale depuis 1928 et essayer, au travers de ces comparaisons, de montrer que certaines affirmations purement théoriques –que nous avons faites dans ce bulletin et dans des exposés discussions et conférences– se relient à des expériences pratiques. Seulement, il y a des camarades qui portent des lunettes déformantes qui les empêchent de voir, dans les faits, ce qu'ils expriment. Si on n'est pas d’accord sur la portée essentielle d'un certain nombre de faits, aucune discussion n'est possible dans la théorie puisque l'on voit le monde différemment.
Entre 1928 et 1938, le commerce extérieur des pays d'Europe orientale et centrale a diminué de moitié. La guerre est venue. Après la guerre, les pays vainqueurs (à part les USA) sont presque aussi mal en point que les vaincus. Leur commerce extérieur n'atteint pas ou a du mal à atteindre le stade de 1938 ; et la situation déjà engagée en 1928 – dans le commerce extérieur de ces pays – n'a fait que s'aggraver dans des proportions considérables. Eh bien, le camarade Laroche, lui, continue, et cela depuis des années, à répéter que la guerre c'est la période d'euphorie progressive du capitalisme : "C'est, dit-il, justement à la faveur de la guerre et grâce à elle que le capitalisme se développe." (!!!)
On assiste à la fin de l'Europe. Pour que cette fin mette en branle le monde capitaliste tout entier, il faut que le mal dont elle souffre ne soit pas spécifiquement européen mais bien international. Et, en fait, la situation en Extrême-Orient, quoique revêtant des caractères différents, marque bien, dans l'orientation de sa tendance, le caractère de pourrissement général, de décomposition d'un mode économique de production, du maintien dans l'histoire d'une classe que marque la décadence générale du capitalisme. L'Europe est historiquement le vieux capitalisme ; et cela suffit, comme argumentation, pour tenter de faire d'un fait général un fait particulier à l'Europe. En Extrême-Orient, nous avons affaire à de jeunes pays capitalistes. Depuis la fin du premier grand conflit mondial, aucun n'a réussi à s’émanciper nationalement d'une façon réelle, comme ce fut le cas des pays nés même à la fin du XIXème siècle. Aucun pays ne peut se développer sans immédiatement rencontrer les frontières d'un conflit entre les deux grands impérialismes qui emplit le monde tout entier et les entraîne dans leur sillage plus ou moins direct. N'est-ce pas là l'expression la plus éclatante de la décadence du capitalisme ?
Faut-il encore s'entendre sur les termes que l'on emploie. Développement du capitalisme signifie, pour nous, quand existait une période historique où de grands pays capitalistes pouvaient se développer sans que pour cela les conflits locaux qui présidaient à ces développements deviennent immédiatement l'objet d'un conflit généralisé. Autrement dit, tant qu'un pays (ou des pays), cherchant à se développer, ne rencontrait comme obstacle que des obstacles locaux et non le monde capitaliste tout entier. Il semble que cela soit clair. C'est clair qu'un misérable peuple juif – qui combat pour se créer un État et se constituer en Nation, qui compte peut être deux millions d'individus – ne se heurte pas seulement aux Arabes, pas seulement, derrière eux, aux Anglais, pas seulement à de grands monopoles pétroliers, mais encore aux rivalités des russes et des américains au Moyen-Orient. Les grandes rivalités inter-impérialistes qui permirent, à une certaine époque, le développement considérable de l'industrie dans ces contrées, sur le dos – nous le savons – des indigènes, ne sont plus maîtresses des conflits qu'elles ont fomentés. Au début, ces conflits intestins étaient entretenus savamment selon la devise "diviser pour régner" ; aujourd’hui, les grands impérialismes sont incapables de dominer ces conflits intestins, ne pouvant solutionner les leurs propres. La situation se retourne alors contre eux ; la guerre, par son exacerbation, empêche le développement. Et partout, la situation du capitalisme offre cette image d'un monde qui se désintègre, du chaos d’un schisme universel.
Chine, Indochine, Indonésie, Inde sont, depuis la fin du conflit généralisé, entre les "démocraties" et le bloc de l’Axe, dans une situation perpétuelle de conflit larvé ou franchement ouvert. En chine, la guerre dure depuis 1927 ; la situation catastrophique est celle qui règne dans ce pays aujourd’hui, où tout le monde sait que la guerre entre la chine du Nord et la Chine "gouvernementale" ne peut que se continuer indéfiniment jusqu'à ce qu'une solution soit intervenue dans le conflit entre russes et américains. En Indochine et en Indonésie, la France et la Hollande préfèrent détruire leurs colonies plutôt que de leur donner leur indépendance nationale. Cela signifierait, pour ces pays, la perte effective de ces colonies qu'ils n'ont pas la puissance économique nécessaire pour continuer à les contrôler d'une manière "libérale". Les intérêts français en Indochine quitteront celle-ci avec les troupes françaises qui y combattent. La puissance économique américaine, celle pas encore totalement décrépie de l'Angleterre, certains intérêts Chinois, feraient loi. Aussitôt indépendante, l'Indochine serait investie par des capitaux étrangers et sa jeune bourgeoisie ne serait là que comme intermédiaire, comme gérante de son entreprise hypothéquée. C'est ce qui explique que n'importe quel parti français, y compris le Parti Communiste Français, aurait fait la guerre en Indochine malgré la démagogie qu'il a faite quand il s'est trouvé dans l'opposition. Il a voté les crédits militaires ; ses ministres sont responsables autant que les autres de l’état de fait actuel ; seuls des intérêts politiques momentanés d'oppositionnel lui permettent cette démagogie.
Aux Indes enfin, de temps à autre, la presse annonce que le conflit du Cachemire dure toujours.
Que l'on soit optimiste ou non sur l'avenir de la société humaine en général, il n'en reste pas moins que, pour le quart d’heure, nous vivons une sorte de prélude à l'Apocalypse. Et si telles sont les prémisses, il ne semble pas que, à chaque lendemain, l'avenir immédiat aille en s'améliorant, témoin ce qui se passe à Berlin.
Le prolétariat – partout absent en tant que classe indépendante, avec son idéologie propre, tendant à poser ses buts propres de classe – se trouve, au contraire, disséminé dans l'immense schisme universel, derrière tous ces chefs nationalistes qui fleurissent en Europe et dans le monde, comme des champignons de culture. Les ouvriers combattent derrière les uns et les autres comme des mercenaires. C'est la plus haute expression de la décadence de notre société que de voir des jeunes ouvriers allant combattre dans les troupes de mercenaires pour "s'évader", "se libérer". On connaît tous la raison d'être et la pathologie de cet état de la jeunesse moderne : la décomposition du capitalisme, le schisme dans la société et dans la pensée, qui se traduit par cet élan morbide vers une "libération" dans la destruction.
C’est cela –et ce sont aussi les immenses destructions qui se poursuivent, dont les bilans commencent à être connus– que certains appellent "la condition de développement euphorique du capitalisme". C'est à croire qu'atteint par le mal ambiant, le schisme de leur esprit tente de faire rentrer la réalité dans leurs schémas théoriques.
Mais, est-ce à dire que la société capitaliste s'effondrera en quelques années et que ce sera la fin du monde promise par les chrétiens ? La décadence de l'Empire romain a duré presque mille ans. Il faudra bien se pencher sur ce problème et commencer par reconnaître son existence, se rendre compte que nous vivons la décadence du capitalisme, décadence dont la guerre de 1914-18 a été le signal et la crise de 1929 la confirmation. Le propre des époques de décadence est justement que les hommes ne se rendent pas compte de ce qu'ils vivent, du moins c'est ce qu'affirme Sismondi dans son "Histoire de la chute de l'Empire romain" ; les hommes perdent contact avec la réalité du monde considéré dans son ensemble, pour s'attacher à des problèmes particuliers, à des fractions de problème. C'est la traduction de la désagrégation du monde et d'une société, dans la dissociation des idées.
Dans l'ambiance mondiale du capitalisme en décadence, l'Europe est particulièrement touchée ; c'est elle qui, pour l'instant, en supporte le fardeau le plus lourd ; et les nuages qui s’amoncellent chaque jour dans le ciel de Berlin nous laissent à penser que nous ne vivons que le prologue.
Dominant le monde à la fin du XIXème siècle, l'Europe voit son déclin s'engager très nettement dès la Première guerre mondiale. Ce n'est pas par hasard que la Révolution Russe n'est pas restée une révolution locale mais a atteint effectivement toute l'Europe centrale, ayant une portée et une signification internationales. Jusqu'en 1928-1929, cependant, la crise révolutionnaire ayant été circonscrite, la classe capitaliste espérait encore dans la SDN et des jours meilleurs. La crise de 1929 ne lui laissa pas d'illusions. C'est dans sa capacité de surmonter une crise que l'on peut voir la force d'un pays. L'Europe ne put surmonter la crise ; même dans l'effort de guerre, elle n'atteint que rarement, dans certains pays, le niveau de 1928. En 1938, à la veille de la guerre, en pleine course aux armements, l'Europe plafonne autour de la moitié du commerce extérieur de 1928. Aujourd'hui, alors qu'il s'agit encore de s'engager vers la production d'armements, la seule possible pour le capitalisme décadent, l'Europe a du mal à dépasser 1938 (voir les chiffres à la page suivante). Et le schisme politique, effet de l'amoindrissement de l'Europe, devient, à son tour, condition de son effondrement.
Les quelques tableaux du commerce extérieur des pays d’Europe orientale vont mieux nous mettre à même de situer concrètement ce dont il s'agit pour chacun de ces pays. Les commentaires de chaque pays seront complétés par la suite.
Les chiffres représentent des millions de dollars. Ces statistiques sont extraites de "L'inventaire de l'économie européenne" publié par l’INSEE (oct.-déc. 1947)
Tableau 1 : TOTAL GÉNÉRAL DU COMMERCE EXTÉRIEUR EUROPÉEN
Ces chiffres se passent de commentaires ; les exportations tombent comme une tendance fatale, seules les importations remontent dans le commerce extérieur européen. Dans ces conditions, il faudra bien trouver des moyens pour équilibrer la balance commerciale :
- des moyens économiques : faire travailler la classe ouvrière à plus vil prix et plus ;
- des moyens politiques : l'inféodation aux grands impérialismes.
Tableau nº 2 : POLOGNE
Une première remarque s'impose : en 1928, la Pologne achète plus qu'elle ne vend. En 1938, bien qu'elle ait vendu plus qu'elle a acheté, on se rend compte facilement que c'est à cause de circonstances exceptionnelles, car la tendance générale est à ce que la disproportion entre les importations et les exportations aille en s'accentuant dans le sens du renforcement des importations et de l'affaiblissement des exportations. Les pertes subies à cause de la guerre plus l'effort polonais actuel d'industrialisation tendent encore, après la guerre, à renforcer cette tendance. Un fait est ici particulièrement remarquable également, c'est la chute du commerce extérieur de 1928 à 1938, et la reprise de 1946 qui semble dépasser, du moins dans la valeur des importations, 1938. Enfin, fait qui se remarquera avec la même précision dans tous les pays d'Europe orientale, la Russie prend, dans le commerce extérieur de ces pays, la place que l'Allemagne y occupait avant sa défaite et, dans certains cas, tendra à supplanter l'Angleterre et les États-Unis.
Tableau Nº 3 : TCHÉCOSLOVAQUIE
Tableau 4 : ROUMANIE
La Roumanie sort très affaiblie de la guerre ; affaiblie à cause de sa participation aux côtés de l'Allemagne, affaiblie à cause des destructions de la guerre mais, aussi et surtout, par la perte de grandes portions de territoires qu'elle avait acquis à la fin de la guerre de 1914-18 et qui, pour la Bessarabie, fait retour à la Russie sous la forme suivante : la plus grande partie forme la RSS de Moldavie, une autre partie est annexée à l'Ukraine, ainsi que la Bukhovine. C'est une très grosse amputation pour la Roumanie.
Les Réparations, fixées par la Russie à la signature du traité de paix, se montent à 300 millions de dollars ; tous les avoirs allemands sont confisqués au profit de la Russie.
Dans ces conditions, on s'explique aisément qu'en 1946 le commerce extérieur roumain ne pouvait être brillant. Les importations des États-Unis doivent probablement comporter, à cette époque, une partie importante de machinerie nécessaire à la Roumanie pour la remise en marche de son industrie du pétrole qui est vitale pour elle. Un exemple intéressant montrera la nature des exportations roumaines et ce qu'elles peuvent rapporter :
- En 1945[1], la Roumanie produit 4.763.067 T. de pétrole ; Elle en exporte 3.320.000 T. dont 2.959.846 T. sont livrées à la Russie a titre de réparations et 191.134 T. seulement sont exportées en Russie, Hongrie, Bulgarie et Angleterre.
Tableau 5 : HONGRIE
La Hongrie qui sort également terriblement éprouvée de cette guerre a, en plus de ses destructions, 200 milliards de dollars de réparations à payer à la Russie. La crise interne, qui a suivi la guerre, a vu la Hongrie devenir un des pays en tête des pays inflationnistes du monde, après la chine. Ce qui montre tout au moins de réelles difficultés de réadaptation.
Tableau 6 : BULGARIE
La Bulgarie, elle, sort à peu près indemne de la guerre et sa situation se traduit immédiatement dans la situation de son commerce extérieur qui est sensiblement le même qu'en 1938. Seuls les avoirs allemands sont confisqués par la Russie au terme du traité de paix. Elle est nettement favorisée par rapport aux autres anciens alliés de l'Allemagne à tous points de vue ; nous verrons plus loin les raisons politiques de cet état de choses et ses conséquences.
La fédération yougoslave, affaiblie par la résistance acharnée que les groupes de partisans, formant une véritable armée, ont opposée à l'Allemagne, fait cependant bonne figure. Décidée à une industrialisation forcenée, la Yougoslavie importe du matériel d'équipement. Dans son commerce extérieur, la Russie n'a fait que remplacer l'Allemagne comme client, tandis que l'Angleterre et les États-Unis surtout deviennent ses principaux fournisseurs.
La récente crise yougoslave a révélé qu'alors que les autres pays d'Europe orientale tendaient à restreindre leur commerce direct avec les anglo- américains, la Yougoslavie, au contraire, tendait à accentuer l'état de fait actuel et antérieur, en demandant le déblocage de dollars et en traitant l'exportation de bois de mine et autres produits avec l'Angleterre, sans doute pour équilibrer la balance commerciale avec ce pays.
Que l'Europe a perdu la place qu'elle avait sur le marché mondial, qu'elle soit passée successivement de plus de la moitié des exportations à la place qu'elle occupe aujourd'hui où elle importe plus qu'elle n'exporte, et des produits fabriqués comme des moteurs et des machines, ce n'est pas la place ici de l'examiner dans le détail mais c'est surtout vrai pour l'Europe orientale d'une part et occidentale d'autre part.
Encore avant la guerre, l'Allemagne et l'Angleterre figuraient au premier plan du commerce extérieur, à l'intérieur de l'Europe orientale. La place a été occupée immédiatement par la Russie. L'Angleterre a tenté de reprendre la place qu'elle occupait avant la guerre. Les États-Unis ont essayé de s'y introduire pour devenir les principaux fournisseurs : prendre la place de l'Allemagne et évincer les autres pays. Tous les pays directement limitrophes de la Russie ont été intégrés par divers moyens au bloc russe et leur commerce extérieur se fait pour l'essentiel avec ce pays. Des importations de machinerie sont encore fournies par les États-Unis et cela parce que ces pays ne peuvent pas faire autrement. La Russie, elle-même, désirerait poursuivre avec les États-Unis des relations commerciales réduites pour ses approvisionnements en outillage. Mais, pour l’essentiel, la Russie devient la maîtresse incontestée du commerce extérieur de ces pays. Il n'y a pas là une question uniquement d'imposition brutale, par la force mais d'intérêts nationaux traditionnels du commerce de ces pays d'Europe qui, en l'absence de l'Allemagne se retournent naturellement vers la Russie : la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Hongrie, la Roumanie et même la Bulgarie. Ces pays font des échanges commerciaux traditionnellement au maximum à l'intérieur de l'Europe et avec leurs voisins, exportant très peu outre-mer. De toute façon, il n'y avait plus place en Europe pour les capitaux anglo-américains. L'Allemagne les avait expulsés par la violence ; la Russie les expulse également. Ceci est également le reflet d'une situation européenne où ces capitaux ne peuvent plus prendre place s'il y a une grande puissance européenne, comme le fut l'Allemagne en 1939 et comme est aujourd’hui la Russie. Il y va ici des intérêts nationaux des petits pays subalternes qui ont meilleur compte, dont les intérêts sont plus liés à la présence d'une grande puissance européenne continentale plutôt qu'a l’Angleterre, puissance décadente devant la montée américaine. Dans ces conditions, la classe capitaliste des pays de l'Europe orientale est naturellement tournée vers la participation à un bloc européen avec, comme centre, une grande puissance comme l'était l'Allemagne ou comme l'est aujourd’hui la Russie. Cependant, si les intérêts économiques sont tels, la politique voit plus loin. La politique de l'Allemagne en 1939 a besoin de brusquer, elle ne peut attendre de faire de la propagande pour "l'Europe-Unie" et pour organiser économiquement cette Europe. Elle est contrainte de faire la guerre sous peine de mourir d'asphyxie. Le fait qu'elle soit contrainte de brusquer les opérations est une marque de faiblesse, un expédient. La réalisation de l'unité européenne par la force rencontre la résistance des pays parce qu’ils ne croient pas à la victoire de l'Allemagne.
Aussitôt que celle-ci consolide ses victoires, elle rencontre une beaucoup plus grande audience. En tous les cas, la Roumanie, la Hongrie, la Bulgarie s’intègrent aux côtés de l'Allemagne plus facilement, comme ils trouveront un changement politique rapide en faveur de la Russie, parce que leurs intérêts sont plus immédiatement liés à ceux de la grande puissance européenne. La Pologne et la Tchécoslovaquie avaient besoin que la puissance de l'Angleterre et de la France en Europe soit beaucoup amoindrie pour tourner leur regard vers le pays grande puissance européenne. Il se trouve que c'est la Russie ; il aurait très bien pu se faire que ce soit l'Allemagne.
Mais les lendemains politiques ne sont rien moins que sûr. S'il y a une fraction de la classe capitaliste d'une Nation qui représente, au pouvoir de l'État, les intérêts immédiats de cet État, il n'en reste pas moins que plusieurs conjonctures peuvent être envisagées pour l'avenir de cet État. C'est uniquement sur ce fait que naissent, se développent et meurent les divergences politiques au sein d'une classe capitaliste et, bien entendu, ce sont les couches les plus défavorisées par la politique d'un quelconque État qui serviront à l'opposition comme terrain d'élaboration et comme masse de manœuvre, jusqu'au jour où le pouvoir de cet État tombera, pour une raison ou pour une autre, dans les mains de cette opposition. Alors, les mêmes mécontents serviront aux nouveaux oppositionnels.
Nous allons examiner plus loin, quelques cas concrets : la Bulgarie particulièrement. Nous ne parlerons pas ici de la Tchécoslovaquie dont un camarade a parlé en détail au moment de la prise du pouvoir par les staliniens.
Un fait d'ores et déjà important à souligner au sujet de la Yougoslavie. La Russie n'a fait que prendre la place de l'Allemagne dans son commerce extérieur mais, contre tous les autres pays de l'Europe orientale, elle est loin d'y occuper la première place. Ce sont les États-Unis et l'Angleterre qui occupent cette place. En tant que puissance danubienne, la Yougoslavie est politiquement aux côtés des pays centre-européens ; mais, en tant que puissance ayant un large débouché sur l'Adriatique et par là sur la Méditerranée, le problème se trouve différent. Surtout que la Yougoslavie vise, par l'importance de son commerce extérieur, par le plan quinquennal d'industrialisation, à une place très importante en Europe orientale, à la place maîtresse de la confédération balkanique. Mais elle rencontre ici un adversaire dans la Bulgarie qui brigue la place. Elle vise à la place maîtresse dans la confédération danubienne, mais rencontre un adversaire dans la Tchécoslovaquie, plus continentale qu'elle et dont l’appareil industriel est autrement puissamment assis. Enfin, elle trouve un adversaire dans la Russie. La Russie préfère s'appuyer, dans sa politique danubienne, sur la Tchécoslovaquie, pays qui, dans la conjoncture actuelle, est un allié plus sûr, d'abord parce que plus immédiatement proche, ensuite parce qu'ayant une puissance industrielle déjà constituée ; elle préfère s'appuyer sur la Bulgarie dans sa politique balkanique parce que la Bulgarie est une puissance de Nième ordre, qu'elle peut la tenir plus immédiatement sous sa main, qui a beaucoup à faire oublier et sera par là un allié plus servile. Dans ces conditions, la tendance de la montée de la puissance yougoslave se trouve entravée en Europe orientale ; il ne lui reste qu'à se soumettre ou à ruer dans les brancards.
C'est là la cause principale de la politique plus "dure" de la Yougoslavie, et c'est également là la cause essentielle de ses frottements sérieux avec le Kominform.
L’exemple de la Bulgarie illustrera de la meilleure façon l'adaptation d'un État à de nouvelles tâches politiques, cela en fonction de l'évolution de la situation générale (les évènements sont décrits dans le "Monde" du 30 mai 1945 sous le titre : "La Bulgarie depuis 1939") :
Il s'agit de la politique pro-Allemagne de Boris :
Dès sa naissance, la Résistance nationale est un organisme fondamentalement bourgeois qui se pose comme but l'organisation de la Nation après la défaite de l'Allemagne et du gouvernement qui pratique la politique pro-allemande. La Résistance prend également, dès sa naissance, le caractère des intérêts capitalistes en jeux. L'alliance des différentes démocraties contre l'Axe. Cependant, en Europe orientale, contrairement à ce qui se passe en Europe occidentale, les pro-russes sont ceux qui dominent les autres éléments du Front National. C'est que, à l’intérieur du "bloc démocratique", la géographie politique russo-américaine détermine l'orientation et la tendance des différentes bourgeoisies. En France, les FTP staliniens sont des alliés que l'on supporte, mais la haute main sur la Résistance est, au travers du CNR, entre les mains des groupes orientés vers les pays anglo-saxons parce que les intérêts de la France sont, en cas de défaite de l'Allemagne, plus immédiatement liés à ces puissances. Ce n'est toutefois pas par hasard si les staliniens sont, dès cette époque, les ultra- nationalistes : ils sont déjà, à l'époque, une représentation des éléments qui se plient le moins à l'asservissement de la France à l'Amérique et, plus naturellement, orientés vers une alliance avec la Russie pour une politique plus "dure" vis-à-vis de l'Allemagne et où la France participerait pour une grande part au dépècement du vaincu. D'un point de vue français, cette politique rencontre une très large audience et c’est ce qui explique la montée en flèche du PCF après la "libération". Mais en regard des intérêts généraux, le grand capitalisme français a, malgré l'avilissement de sa situation (réduit au rang de "petit vassal"), plus immédiatement besoin des États-Unis qui peuvent d'ailleurs aussi l'aider plus immédiatement. Dans ces conditions, l'élément dominant ne sera pas stalinien, quoique ce dernier aura une très forte influence. Par contre, en Europe orientale, les staliniens, même n'ayant pas une aussi grande influence au début dans certains pays, pourront acquérir rapidement cette influence à la faveur d'une conjoncture politique où la Russie devient le poids principal en Europe orientale à la chute de l'Allemagne. Et la preuve que dans ces pays, les intérêts de la bourgeoisie sont représentés et entendent y être tous défendus, c'est d'abord la participation dans les différents Fronts Nationaux de groupes politiques qui, après l'effondrement de l'Allemagne et quand l'antagonisme russo-américain aura pu se donner libre cours, devront disparaître. Ils prendront de nouveau le "maquis" (comme voulait le faire Michaïlevitch en Yougoslavie) ou s’expatrieront (comme Mikholaiczyck en Pologne), pour, en attendant le dénouement de la situation présente, représenter les intérêts nationaux en vue de la réadaptation de l’État aux situations qui pourront éventuellement se présenter.
En Bulgarie, la défaite allemande pose de nouveaux problèmes pour l’État capitaliste bulgare, "…la fortune changeait de camp, écrit le "Monde", … il s'agissait pour la Bulgarie, à l'heure de la débâcle allemande, de sortir du mauvais pas où elle s’était fourvoyée. Des cabinets se succédèrent dans un effort désespéré pour traiter avec les anglo-saxons à qui l'on a déclaré la guerre. Un cabinet Mouraviev, composé de démocrates et d’agrariens de droite, offre même une participation aux communistes. Comme si cela pouvait suffire, alors que les russes tout puissants déferlaient en Roumanie jusqu'à la frontière bulgare !
Les russes le firent tout de suite comprendre et rudement, en déclarant, le 5 septembre, la guerre à la Bulgarie.
Le 9 septembre, un coup d'État monté par l'actuel ministre de la guerre, le général Veltchev, membre du Zveno, réussissait grâce à l'appui du commandant en chef des troupes bulgares, le général Marino, et donnait enfin le pouvoir au Front démocratique de la Patrie. L'armistice était bientôt conclu …etc… etc.”
Et l'on peut ajouter que la Bulgarie, grâce à ce tour de passe-passe, grâce à cette adaptation ultra-rapide aux circonstances, sort indemne de la guerre. Le roi Boris, pro-allemand, en faisant la politique de Hitler, avait reçu en compensation un large territoire en Grèce et du territoire en Roumanie. Dimitrov sauve sa patrie en conservant, malgré l'échec de Hitler, le principal de l'acquis de Boris et la situation de la Bulgarie dans les Balkans acquise dès cette époque.
En Roumanie, l'adaptation fut plus dure parce que de larges intérêts capitalistes étaient traditionnellement rattachés à l'Angleterre. Plus dure encore celle de Tchécoslovaquie où les intérêts capitalistes liés au capitalisme anglo-saxon étaient encore plus forts. Cependant, l'adaptation a dû se faire devant la nouvelle orientation de la politique économique de l'Europe centrale autour de la Russie :
Si l'on comprend que le stalinisme représente, dans tous ces pays, une politique d'État capitaliste liée, pour des intérêts nationaux momentanés, à la grande puissance européenne du moment qu'est devenue la Russie, on comprendra aisément que les petits pays vaincus n'ont rien de mieux à faire, pour l'instant, que de s'aligner sur la politique de ce pays ; mais, on comprendra aisément aussi qu'un pays plus fort, moins proche immédiatement de la Russie, dans le camp des pays vainqueurs, comme la Yougoslavie, ait, sur des questions d'intérêts nationaux, des litiges ou des frictions qui se traduisent par des luttes politiques.
Le Parti Communiste Yougoslave, représentant de ces intérêts, les défend.
L’axe, pour comprendre la question yougoslave, est d'abord de comprendre que la politique des partis staliniens, où qu’ils soient, se pose comme voulant donner à l'État de la Nation une certaine orientation politique tendant à garantir l'indépendance et l'intégrité de la nation. Le nationalisme et le chauvinisme stalinien n'est pas de la démagogie ; il est lié, en tant que moyen au but, en tant que contenu idéologique, à la nature de classe du contenant. La forme de l'État stalinien, comme "démocratie" autoritaire, est un capitalisme d'État attachant la classe ouvrière à la politique nationale de ce capitalisme. L'organe essentiel de ce rattachement est le syndicat, le parti étant le milieu où sont formés et recrutés les cadres pour la direction de cet État en même temps que le "guide vigilant de la Nation", c'est-à-dire le soutien, partout et par tous les moyens, de cet État. Toute politique d'État cherche à établir un équilibre entre les classes qu'il entend gouverner ; la politique stalinienne entend réaliser cet équilibre en intégrant dans la Nation la classe ouvrière dont le capitalisme d'État a besoin pour réaliser ses plans économiques. Le fonctionnement de la "démocratie" dite "libérale" intègre la classe ouvrière dans la Nation en faisant participer les syndicats et les partis "ouvriers" à la machine étatique parlementaire, constamment remaniable selon les besoins du moment. Les syndicats sont des organismes consultatifs, les partis “ouvriers” participent honnêtement à la gestion de l'État. Quand le besoin s'en fait sentir plus immédiatement, on porte plus d'attention aux syndicats et aux partis ouvriers ou, au contraire, on fait une politique plus nettement "réactionnaire", comme le dit le vieux jargon politique.
Dans les pays de "démocratie" autoritaire, la classe ouvrière est intégrée à la Nation d'une façon beaucoup plus solide, plus cimentée. Les syndicats – qui, en "démocratie" parlementaire sont de simples rouages de l'État, des organismes consultatifs - deviennent entièrement intégrés à l'État en "démocratie" autoritaire de capitalisme d'État ; ils sont fondus dans l'État qui prend l'allure d'un organisme immensément hypertrophié et dépersonnalisé, où la classe ouvrière rencontre en face d'elle ses propres délégués syndicaux comme des agents salariés du capital en son propre sein. La police et la discipline du travail est directement le rôle du syndicat, rôle qui bien entendu est lié à toute une émulation du travail et du "rôle grandiose tenu par la classe ouvrière dans la Nation". La classe ouvrière - qui, traditionnellement, était habituée à réclamer pour qu'on lui porte attention et qu'on lui jette de temps en temps un os à ronger, qui avait traditionnellement l'habitude d'être considérée comme la dernière roue du carrosse capitaliste - devient, avec la montée du capitalisme d'État, une des roues principales et l'objet d’attentions toutes spéciales, elle est "instruite" et corrompue idéologiquement à l’aide de tout un matériel de propagande spécialement étudié à son intention par des spécialistes des "questions ouvrières", minée de mouchards syndicaux et politiques, soigneusement contrôlée, scrupuleusement dirigée sur le lieu même du travail. Et, quoique les staliniens ne soient pas les seuls à employer ces méthodes que tout capitalisme d'État emploie, ce sont eux qui ont poussé au maximum la participation ouvrière à l'État, l'enrégimentement idéologique et politique "de la grande masse du peuple".
La Yougoslavie est un complexus tout à fait original. Pays essentiellement agricole, composé d'une masse paysanne représentant à peu près de 80 % de la population, paysannerie extrêmement arriérée, elle désirait, à la chute des pays européens du bloc de l’axe, prendre, dans son coin, une importance que l'absence de l'Allemagne et de l'Italie lui donnait espoir d'acquérir. Elle s'engage dans un programme d'industrialisation à outrance sur le plan intérieur et, sur le plan extérieur, elle se prépare à jouer en Europe, grâce à Trieste qu'elle espère acquérir sur le dos de l'Italie vaincue et à un rôle dominant dans une fédération balkanique et danubienne ainsi qu'à l'alliance avec la Russie, le rôle de pont entre l'Orient et l'Occident. En même temps, grâce à son effort d'industrialisation, elle vise au rôle dominant dans la Fédération balkanique. La situation au lendemain de la "libération" pouvait lui laisser ces espoirs. Nous avons déjà signalé la situation particulière de son commerce extérieur, le seul pays d’Europe orientale gouverné par un parti communiste et ayant l'essentiel de ses fournitures venant des pays anglo-saxons, décidé d'ailleurs à poursuivre une politique économique que dans le sens d’échanges avec ces pays comme les évènements récents l’ont montré.
Cependant, la Russie a vendu Trieste pour des avantages politiques propres à elle ; elle a fait un marché, en son intérêt propre en Europe, qui tend à amadouer l'Italie dans l'espoir d'en déloger les américains un jour, et cela sur le dos de la Yougoslavie. Et, non seulement les Yougoslaves s'inquiètent du sort futur de Trieste - qu'ils étaient pour le moins capables de vendre eux-mêmes contre des avantages ou contre-parties dont ils auraient bénéficié -, non seulement ils pensaient avoir le droit, de par leur situation de vainqueurs, de disposer eux-mêmes de Trieste, mais encore ils s'inquiètent que la situation d'une Italie favorisée ne les amoindrisse en fait et n'entrave la réalisation de leur rêve de grande puissance méditerranéenne. D'autre part, la Yougoslavie, initiatrice pendant la guerre d'un projet de fédération balkanique et danubienne, se voit préférer la Bulgarie et Dimitrov dans le rôle dirigeant de cette entreprise, et voit ses projets de devenir une grande puissance économique dans le bloc russe d'Europe orientale annihilés par la rentrée triomphale de la Tchécoslovaquie qui devient immédiatement l'objet de soins tous spéciaux du Kremlin. Dans ces conditions, on s'explique très bien l'attitude du Parti Communiste Yougoslave en tant que représentant des intérêts nationaux du capitalisme de cette fédération de pays. Les accusations que Tito a reçues du Kremlin sont plus de nature à renforcer sa position à la tête de cet État. De telles accusations nuiraient beaucoup plus à un parti comme le parti stalinien français qui, en tant que parti d'opposition en France en verrait plutôt sa force amoindrie. Le parti stalinien français n'en a pas moins eu ses divergences avec Moscou sur la question de l'internationalisation de la Ruhr. Il n'est pas tellement certain que le Parti communiste Français, s'il se trouvait au pouvoir en France dans la conjoncture actuelle, serait aussi fermement, même en apparence, cimenté au Kominform ; Thorez n'a-t-il pas déclaré qu'il n’était pas contre le plan Marshall "en soi" mais seulement pour une meilleure utilisation qui laisse à la France une plus totale indépendance nationale.
Le monde capitaliste est une totalité d'entités capitalistes dont la science économique peut étudier l'évolution ou les rapports internes en le considérant comme une totalité. Mais totalité n'a jamais voulu dire unité. Chaque entité capitaliste constitue un antagonisme pour le voisin. La constitution d'unions entre entités capitalistes n'a jamais été autre chose que des unités entre des antagonismes qui s'effaçaient devant un antagonisme plus puissant, dominant sur le moment tous les antagonismes et les faisant passer au second plan. Cela ne veut donc pas dire, parce qu'il y a un bloc impérialiste ou la constitution d'un tel bloc, que nous assistons à l'unité de plus en plus grande du monde capitaliste. Cela veut dire, au contraire, qu'au-dessus des antagonismes traditionnels, qu'au-dessus des antagonismes entre les différentes entités capitalistes, d’autres antagonismes plus forts s'élèvent qui dominent le moment et qui font que l'attention générale est dominée par cet antagonisme ; mais tous les autres antagonismes subsistent et même le fait qu’ils sont étouffés momentanément implique qu'ils devront un jour éclater. Le monde capitaliste est constitué d'antagonismes fondamentaux et historiques : antagonisme entre le prolétariat et la classe capitaliste et antagonismes nationaux au sein de la classe capitaliste. Ce n’est pas parce que, à un moment dans l’histoire, le prolétariat prendra la première place en degré d’importance dans les antagonismes du monde capitaliste que les antagonismes inter-capitalistes disparaîtront ; ils pourront, peut-être, s'estomper momentanément et localement, mais ils ne disparaîtront qu'avec le capitalisme lui-même. Les antagonismes inter-impérialistes, quoique d'une nature de classe capitaliste, ne font pas disparaître les autres antagonismes de la société. Ils apparaissent quand l'antagonisme prolétariat-classe capitaliste est estompé. Ils estompent eux-mêmes momentanément les autres antagonismes inter-capitalistes mais les laissent subsister entiers et, à l'occasion, en suscitent de nouveaux. En conséquence, toute théorie qui consiste à voir le monde capitaliste comme une unité face au prolétariat et faisant la guerre en vue de le détruire consciemment, ou bien voyant la société actuelle comme étant constituée par un seul antagonisme entre deux grandes unités : le capitalisme d'une part et le stalinisme d'autre part (théorie qui conduit à poser le problème absurde du super-impérialisme après la suppression d'un des antagonistes), ces théories perdent le contact avec la réalité du monde capitaliste décadent dont la tendance est, malgré des antagonismes inter-impérialistes qui font apparaître le monde capitaliste comme momentanément formé de deux unités uniques aux prises ; au contraire, le monde capitaliste décadent va vers la désagrégation, la désintégration, la dissociation, la dislocation des unités. Et le capitalisme d'État -qui apparaît comme l'unité la plus absolue de la Nation, de la classe capitaliste- révèle, au contraire, des antagonismes en puissance au sein même du monde de la classe capitaliste, antagonismes inconciliables et qui vont en s'accentuant. C'est, dans la mesure où l'on comprend les antagonismes inter-impérialistes comme des super-antagonismes, que l'on peut comprendre qu'ils ne deviennent souvent que l'occasion ou le prétexte, dans certains cas particuliers, pour mettre de l'huile sur le feu sur des antagonismes déjà existants leur donnant une violence, une acuité qu'ils n'auraient peut-être pas pris dans d'autres périodes du capitalisme. Un nouveau regard sur la situation aux Indes ou en Palestine peut nous en convaincre. Un regard sur la situation en Grèce ou en Chine nous donne une image de l'acuité des antagonismes inter-capitalistes à l'époque du capitalisme d'État, au sein même de deux tendances profondément nationales de la classe capitaliste, et dont l'antagonisme actuel entre la Russie et les États-Unis n'est que le prétexte.
La tendance du capitalisme décadent au schisme de plus en plus grand, au chaos, c'est là que réside la nécessité essentielle du socialisme voulant réaliser le monde comme une unité. La lutte pour le socialisme commence par poser, comme principe premier, l'unité des prolétaires du monde entier en vue de réaliser un monde dont la réalisation par le prolétariat le niera en tant que classe, par la négation de tous les antagonismes entre les classes.
La phrase "Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !" garde tout son sens profondément révolutionnaire ; c'est de cette union seule que prendra fin la décadence du monde et la destruction de la société.
Philippe
[1] Extrait des “Cahiers de l’Economie Soviétique” nº II
La saison théâtrale, qui a pris fin au début de cet été, nous a valu, à Paris, deux œuvres dramatiques d'un grand intérêt pour la politique. L'une est le film "Les raisins de la colère", réalisé d'après l'œuvre de Steinbeck, l'autre la pièce de Sartre "Les mains sales". Cette dernière reste d'actualité et, par conséquent aussi, les quelques remarques qui vont lui être consacrées, puisqu'on annonce sa reprise pour l'automne.
Ce serait un lieu commun de redire qu'aucune œuvre littéraire n'est étrangère aux conditions historiques du moment où elle nait, et que ces conditions lui fournissent à la fois les idées qu'elle met en scène et l'auditoire à laquelle on la destine. Le "public", au sens spécifique qu'on doit entendre dans ce cas, "fait", en quelque sorte, la pièce, la porte et la justifie parce que ce sont précisément les idées mises en œuvre par le drame qu'il vient lui-même rechercher dans la salle de spectacle. L'œuvre d'art ne parle qu'à des convertis ; elle est création parce qu'elle correspond à une attente.
Est-ce à dire que toute œuvre dramatique intéresse la politique proprement dite ? Certes non. Tout d'abord, l'art en général est une des formes de la vie sociale et, à ce titre aussi l'art dramatique ; et c'est pourquoi, dans sa totalité, il pose un problème considérable pour le mouvement révolutionnaire. Il concerne un des aspects authentiques de la révolution. Mais il ne touche à la politique, moment et aspect particuliers des rapports et de la lutte des classes, que s'il évoque consciemment des idées immédiatement en rapport avec une appréciation de l'ordre social, soit pour le justifier, soit pour le critiquer et ce ne peut être de toute façon le cas que pour le seul art littéraire. Dans ce cas encore, la réciproque est également vraie, c'est-à-dire que la politique conditionne directement l'œuvre dramatique. Aussi, ne peut-on, à son tour, la comprendre que par rapport au cadre historique qui lui sert de référence. Tout bachelier sait fort bien que le théâtre de Corneille, par exemple, avec ses héros imbus d'honneur, était l'expression d'un féodalisme cherchant à se survivre à l'heure de la retraite assignée par l'histoire ; celui de Molière ou de Beaumarchais une traduction des aspirations de la bourgeoisie à s'assurer la domination de la société sous les derniers règnes de l'ancien régime. Le marxisme, pour sa part, va plus loin en disant que toute expression dramatique intéressant la politique est une expression de classe. Les deux exemples -fort plats d'ailleurs par leur aspect scolaire- que l'on vient de rappeler, disent suffisamment pourquoi.
Les deux œuvres auxquelles nous nous intéressons ici touchent à la politique puisqu'elles prétendent attaquer, par une critique sociale ou philosophique, les méfaits du capitalisme des monopoles. Elles sont donc l'expression d'une idéologique de classe. Du point de vue de la philosophie de l'histoire, nous savons qu'il n'en peut être autrement.
Mais, de quelle classe ? Voilà la question. Si l'on se fiait à une opinion commune, il s'agirait d'œuvres "révolutionnaires" par leur critique sociale et leur esprit philosophique, sinon au sens littéraire, ce qui, de toute façon, ne serait pas le cas. Par-là, cette opinion commune veut dire -en doutez-vous ?- qu'elles expriment les aspirations subversives du prolétariat.
C'est en réalité fort loin d'être le cas et nous espérons le montrer. "Les raisins de la colère" et "Les mains sales" ne se placent nullement au point de vue de la classe ouvrière, mais à celui de la bureaucratie omnipotente autour de laquelle s'édifie aujourd'hui le capitalisme d'État, phase du capitalisme succédant à celle des monopoles. Certes, ce ne sont point les bureaucrates que l'on voit sur scène mais des paysans, des ouvriers ou des intellectuels. Mais ce qui compte c'est que toute l'analyse, comme la succession dramatique, se présente dans ces œuvres non pas par rapport aux aspirations de classe propre à ces derniers mais aux idées qui traduisent l'existence et la lutte sociale spécifique de la bureaucratie. Or l'on sait que celle-ci exerce la répression idéologique sur laquelle se fonde son pouvoir social en trompant la conscience des masses par l'emploi d'un verbiage "révolutionnaire" dérobé à l'ancien mouvement ouvrier aujourd'hui disparu. C'est grâce à ce verbiage que la bureaucratie parvient à identifier l'État capitaliste avec le socialisme et à provoquer une nouvelle aliénation de la conscience universelle dans l'État. Le prétendu caractère "révolutionnaire" des deux œuvres, où la bureaucratie incarne le bien et le "bourgeois" le mal, est donc bien spécifique de l'idéologie de classe qu'elles reproduisent. Par conséquent, c'est lui aussi qu'il s'agit de démasquer.
Commençons par "Les raisins de la colère". C'est un film américain, d'ailleurs un chef-d'œuvre, dont le thème est le suivant : une famille de paysans pauvres est expropriée - de même que toutes les familles de la région - par une grosse société agricole, et se laisse allécher, tous ses biens étant perdus, par les racoleurs du capital agricole californien. Elle émigre donc vers la Californie dans l'espoir de bons salaires, sous la conduite de son élément le plus actif, jeune garçon énergique récemment libéré après plusieurs années de prison pour homicide au cours d'une rixe. En route, les vieux meurent d'épuisement dans la Ford antédiluvienne qui, sous l'amoncellement du mobilier, sert de roulotte. Le voyage est long, pénible, au milieu d'un monde hostile par sa richesse, sa technique, son rythme de vie. Presque au terme du voyage, sans un sou en poche, cette famille en loque mais joyeuse croit enfin trouver du travail. Or, c'est pour tomber dans le troupeau des émigrants misérables. Ils sont relégués, avec ses derniers, dans des camps sordides où le capital agricole puise une main-d'œuvre qu'il utilise à des salaires de famine sur ses cultures. Les nouveaux arrivants, prêts à accepter du travail pour n'importe quelle rémunération, sont utilisés pour faire concurrence à la main-d'œuvre en place et abaisser ses salaires déjà misérables. Les travailleurs, lorsqu'ils ne sont pas laissés livrés à eux-mêmes, sont parqués avec leur famille sur les exploitations, sous la surveillance brutale d''une police privée qui les mène matraque au poing. Des grèves éclatent ; elles sont manœuvrées par les patrons pour abaisser encore les salaires. Au cours des désordres, le jeune héros tue une nouvelle fois. La victime est un des garde-chiourmes qui s'apprêtait à le matraquer. La famille doit fuir encore. Elle tombe enfin sur un camp organisé, propre, disposant du confort le plus moderne, où elle trouve pour finir un travail bien payé dans la réfection des routes. Elle mène dès lors une vie décente, respectée, saine enfin. Hélas ! Les traiteurs de main-d'œuvre, stipendiés par les patrons locaux, interviennent pour semer désordre et rixes dans le camp. La police officielle, saisie du crime de notre héros, vient enquêter en silence ; et celui-ci comprenant que ses malheurs sont moins le produit de sa malchance que d'un système social qui réduit des millions d'hommes à la misère, laisse sa famille à sa nouvelle fortune et part dans la nuit pour échapper à la police et s'instruire sur les moyens de militer en faveur de sa classe et de contribuer à son organisation.
Trouverait-on un meilleur exemple de film révolutionnaire ? Je crois que la jeunesse parisienne honnête l'a pensé. Du côté stalinien, on a pavoisé : n'était-ce pas un exemple des méfaits du capitalisme américain, la démonstration de ses méthodes sordides ? "Timeo danaos et dona ferrentes", "je crains les grecs et leurs cadeaux"[1]. En vérité, si un concert unanime s'est formé dans le public d'"avant-garde" pour louer la portée sociale de ce film, c'est pour les raisons que nous avons dites : il représente en fait une apologie du capitalisme d'État.
Par conséquent, il a trouvé immédiatement écho et résonance auprès des milieux -notamment dans une certaine jeunesse- qui forment l'aile marchante des transformations du régime et qu'imprègne la phraséologie "révolutionnaire" et "communiste" escroquée au marxisme et au mouvement ouvrier.
En effet, le récit que nous avons donné plus haut représente ce qu'à première vue on retient du film. Tout autre est pourtant ce qu'on y comprend dès qu'on lit entre les images.
En vérité, le thème de l'oppression dont est victime la paysannerie, thème qui caractérise l'essence de drame, ressortit directement, dans le film tel qu'il est conçu, à la démagogie prétendument "pro-paysanne" qui caractérise toutes les réactions. La sympathie, ici développée en faveur de cette famille de fermiers, est en définitive destinée à prouver, non point l'horreur du système capitaliste et de l'exploitation du travail, mais les méfaits du progrès technique, le caractère "privilégié" du prolétariat industriel dans la société, la nécessité du salut par l'État et celle du corporatisme syndical qui le prolonge.
En effet, l'expropriation qui fut à l'origine de cette migration paysanne est présentée, non pas comme l'œuvre de la classe sociale formée par la grande propriété capitaliste de la terre et les compagnies agricoles, mais comme celle des tracteurs à chenilles ! Ceux-ci brisent les limites de la salutaire petite propriété exploitée en famille, avec de "bons" outils dont le manche tient bien en main, dans une bonne misère et (…) abrutissement. Il faut à ces machines de grands domaines, des mécaniciens ; elle exige la monoculture, bref tous les éléments du rendement du travail qui, comme l'on sait, font le malheur de l'homme et défigurent le paysage. Cette terre où nos ancêtres ont toujours vécu et où, par conséquent, il devient pour nous un "devoir" de vivre, va-t-on nous la prendre ? Tel est le dilemme tragique qui fait vibrer le cœur de ces paysans et, avec lui, le cœur de notre metteur en scène hollywoodien.
Cependant, voilà nos paysans en route sans moyens, sans argent. Les vexations quotidiennes se succèdent. Surprise : elles proviennent d'ouvriers. Voici, par exemple, qu'il faut acheter un morceau avec les derniers sous. On s'arrête, on entre dans une boutique (un "drugstore"). Des conducteurs de camion, solides, bien nourris, habillés de bons vêtements de travail sont attablés. Ils n'ont qu'un regard sans ménagement pour les intrus. En partant, ils laissent à la serveuse une dot en guise de pourboire. "Ah, ces camionneurs ! Toujours plein d'argent" dit-elle.
À un autre moment, on fait de l'essence. Les deux employés qui actionnent la pompe ironisent sur la Ford. Ce sont deux nègres. Ils sont tout de blanc vêtus, chemise repassée au pressing, plis impeccables, casquette d'amiral suisse. Quand les vagabonds repartent, ils échangent sur eux quelques remarques cyniques, sans même sourire. Ils s'offrent des cigarettes (…). Concluons : leur présence est aussi scandaleuse pour la misère paysanne que l'était celle des camionneurs.
Pourra-t-on dire que ces détails se trouvent là "par hasard" ? La démagogie anti-ouvrière est toujours le propre de cet esprit réactionnaire qui n'a que larmes d'attendrissement pour les paysans arriérés et abrutis par la société bourgeoise. Il oublie que le capital seul est responsable de cet abrutissement. "La civilisation, dit Trotsky, a fait du paysan un âne qui porte le bât ; à la fin des fins, la bourgeoisie n'a fait que changer la forme du bât." Et les millions d'ouvriers chômeurs qu'ont compté les États-Unis à l'époque où est sensé se passer ce film ? Et les nègres qui, au nombre de 13 millions, sont refoulés en marge de la société américaine ? Combien accèdent à des emplois bien payés et bien blanchis dans les garages, pour les millions qui, dans le sud ou ailleurs, vivent dans des trous, bêtes traquées qui risquent la mort lorsqu'ils osent montrer un réflexe d'homme libre ou de l'intérêt pour une femme blanche ? Faut-il les oublier sous prétexte que l'exploitation capitaliste a aussi ses misères dans les campagnes ? Dans tout le film, on ne voit pas un bourgeois véritable, pas un des capitalistes dans les griffes desquelles tombent nos paysans. Ils restent par derrière, dans l'ombre, telle la grande machine invisible d'oppression chez Kafka. Cela, certes, accroit la grandeur dramatique de l'œuvre. Mais, en même temps, la responsabilité des malheurs sociaux qu'elle stigmatise se trouve rejetée sur des classes qui, pourtant, sont en fait elles aussi des victimes.
Ce qui, précisément, montre qu'aucun de ces détails n'est accidentel, mais correspond bien à une conception idéologique : c'est le rôle de sauveur qui est dévolu à l'État. Ce camp si accueillant, si propre, si moral, dont les régisseurs (façonnés à l'image des visions douceâtres de l'optimisme puritain) sont des gentlemen pleins de tact et de délicatesse, ce camp où enfin, après toutes leurs tribulations, les expropriés trouvent le bonheur, il appartient au gouvernement. C'est un de ces chantiers d'État dans lequel l'armée des sans-travail, laissée pour compte par le capital privé, permet à la machine administrative de faire concurrence à celui-ci, d'entreprendre des travaux publics. Dans les camps des patrons privés, la famille errante avait pourri, sans nourriture, au milieu des bestioles ; elle avait reçu des coups de trique, peiné dur pour un gain dérisoire. Dans le camp du gouvernement, par contre, tout est paradisiaque, accueillant, du directeur aux WC. Ainsi, se dégage la vue manichéiste propre au haut-fonctionnaire de Washington, selon laquelle le méchant patron incarne Satan, tandis que l'État-patron représente le Bon-Dieu. Le film est donc, dans une perspective historique, à la gloire de l'encasernement des travailleurs américains. Le camp de travail n'est certes pas spécial à l'Amérique. Il a régné dans l'Allemagne hitlérienne, il ronge le régime de Staline, il existe sporadiquement dans toute l'Europe. Ce qui est particulier aux camps américains, c'est qu'aujourd'hui ils sont assortis d'un confort qui fait l'envie des ouvriers "libres" du monde entier, alors que partout ailleurs les camps évoquent le travail contraint, prolongé, militarisé et mal payé, parfois même l'extermination. Cette différence tient toutefois, simplement, à une autre : celle qui sépare le niveau économique des USA de celui du reste du monde ; différence écrasante en faveur des premiers, qui permet au capital américain de traiter l'esclave d'État avec la délicatesse qu'on emploie ailleurs pour les nourrissons. Mais, attendons un peu ! Le système des camps d'État est un système mondial, le produit nouveau mais inéluctable de la décadence du capitalisme et de sa chute dans la barbarie, et les plus fortes chances sont qu'une troisième guerre universelle (et elle est proche), si elle prenait fin comme la dernière, c'est-à-dire sans révolution, verrait les camps américains prendre une forme analogue à celle des camps d'Europe et d'URSS. Une nouvelle guerre signifierait, en effet, la ruine du capital monopoliste américain, la destruction par les bombes de richesses importantes sur le territoire de l'Union et, partant, une étatisation massive du capital à un niveau économique, beaucoup plus proche du marasme actuel de l'Europe. Les camps américains cesseraient d'avoir leur confort pour devenir des camps de travail forcé. "Les raisins de la colère ont donc entrepris de louer un système qui, demain, à la mesure d'une décadence plus vaste, fera des expropriés du capital monopoliste des esclaves du capital d'État, outil sur l'épaule, estomac vide et en colonne par quatre.
La "vocation" qui, à la fin, frappe subitement le héros du film, lui fait "découvrir" d'un seul coup, intuitivement, les voies de sa lutte sociale, est digne d'être remarquée. Elle correspond tout simplement au cadre que l'on vient de dégager. La découverte correspond à peu près à ceci : après tout, si l'État sait faire tant de choses, il vaut bien d'y penser. Et le garçon partira au petit matin, sur la grand-route, après sa vision d'une nuit, se sentant "responsable", "appelé", enfin comme il se doit dans l'entendement d'un metteur en scène qui partage l'idéologie protestante des bourgeois anglo-saxons. Mais qu'a-t-il assimilé au juste et que pourra-t-il faire. Il n'a participé à aucune lutte ; la grève des émigrants à laquelle il a pris part est passée par-dessus sa tête. Quelle idéologie, même rudimentaire, anime sa conscience renouvelée ? Aucune. Il n'a rien vu, en fait, et par conséquent qu'a-t-il pu comprendre ? C'est un travailleur, dira-t-on, que peut-il savoir ? Mensonge. Les matelots du cuirassé "Potemkine" et le marin Joukov d'"Au loin une voile" savaient où ils allaient. Qu'étaient-ils ? Des matelots, soit, mais aussi des révolutionnaires, et à côté d'eux les incultes, les ouvriers sans conscience politique (ils sont nombreux), pour aussi sympathiques qu'ils aient été, tenaient cependant une place secondaire. C'est ce qui faisait de ces deux films soviétiques des œuvres révolutionnaires. Ici, c'est le contraire qui se produit. Le jeune paysan américain qu'on nous montre est inculte idéologiquement. Pourtant, il s'apprête à lancer un "message" à ses frères, bien qu'il soit un être sans conscience développée : essentiellement un apolitique. Sa psychologie annonce donc le totalitarisme américain naissant.
Le sort qu'on lui réserve est par conséquent bien simple. Il partira rejoindre l'organisation de "masse", les rangs du syndicalisme ou de tout autre mouvement analogue. Autrement dit, il ira militer dans une organisation dont le rôle historique est aujourd'hui de développer le capitalisme d'État, de pousser au développement de la sécurité sociale, des nationalisations etc. (Roosevelt, dans son "New-Deal", avait favorisé, aidé, soutenu le syndicalisme ; il s'était appuyé sur lui - en particulier sur le CIO - contre le Parti républicain ; il l'avait transformé en rouage indirect de l'appareil d'État. En même temps, il avait ouvert ses usines "nationalisées" et ses confortables camps de travail).
Le héros des "Raisins de la colère", esclave d'État de demain, trouvera - soyons en sûr - la place qu'on lui assigne dans une lutte syndicale, apolitique et anti-révolutionnaire, génératrice de nouveaux et de "meilleurs" camps d'État.
(à suivre)
MOREL
[1] Phrase mise dans la bouche de Laocoon par Virgile dans l'Énéide (II, 49)
Un vent de rébellion a passé sur les plaines polonaises. Mais le souffle court est venu, en la personne de Gomulka, s'affaler dans un fauteuil, y confesser ses péchés nationalistes. Comparée à l'épuration sans à-coups du stalinisme roumain, celle menée dans les rangs staliniens en Pologne semble singulièrement plus animée. C'est qu'Anna Pauker, en ménagère avisée sait laver son linge sale en famille. C'est surtout que la situation intérieure de la Pologne ainsi d'ailleurs que l'attitude adoptée par Belgrade à l'encontre des semonces et représailles du Kremlin rendait pressante autant qu'inévitable une mise au pas des velléitaires du "déviationnisme".
En Pologne, à l'instar des autres pays européens sous la coupe du stalinisme moscovite, la politique des prébendes du capital d'État s'est axée sur un développement forcené de l'industrie, complétée par une "collectivisation" des terres. Les motifs en sont multiples. Historiques : la liquidation physique ou la fuite au cours de la guerre des grands propriétaires a donné mainmise, aux dirigeants du nouvel État polonais, sur l'essentiel du capital social existant encore en 1945-46. Ces dirigeants se trouvent face aux problèmes que pose la colonisation des territoires ex-allemands en même temps que la reconstruction d'un pays atrocement dévasté. On notera aussi qu'en Pologne les seules couches sociales où se peuvent recruter les agents directs de Capital d'État sont celles des techniciens et fonctionnaires du parti d'État s'appuyant sur les masses ouvrières et les contrôlant, et tenant les paysans en main par leur contrôle des stations de tracteurs ; distributions des semences, engrais, etc. Enfin, la Russie, qui a besoin de compléments à son industrie, s'est décidée -après pillage- à soutenir quelque peu la politique d'industrialisation par prêt et "remises" sur "réparations".
Cependant, la pénurie en outillage principalement a dû faire la Pologne se retourner vers l'ouest, vers les États-Unis et les pays marshalliens. Des accords ont été passés, des échanges effectués qui ont donné à réfléchir aux Gomulka et autres dirigeants de l'appareil étatique. Le lourd tribut prélevé par la Russie leur a paru disproportionné par rapport à l'aide effectivement fournie par elle. D'autant que la Russie a offert déjà tout ce qu'elle pouvait offrir : les grands territoires du nord et de l'ouest ou, si l'on peut dire, auquel manque un aval occidental.
D'autre part, Gomulka et ses sous-ordres du parti-État ou du ministère des territoires dits recouvrés se sont trouvés en tête d'une tendance visant au renforcement du caractère privé assez vaguement conféré à la propriété rurale lors de la réforme agraire ; lors aussi de la distribution des terres soustraites aux petits tenanciers ou hobereaux les 8.500.000 expulsés de manière ou d'autre. Gomulka et ses amis, ce faisant, traduisaient les désirs et les craintes conjugués de la paysannerie polonaise, soit 2/3 de la population polonaise. Leur politique, par un freinage dans l'organisation des kolkhozes ainsi que par un relâchement du contrôle étatique sur la production agricole, devait entraîner, à la campagne, une certaine extension du marché noir "accapareur de plus-value". D'où revendications sourdes et absentéisme dans la main-d’œuvre industrielle déjà rare à l'heure actuelle. Bierut et les sommités "dans la ligne" y ont mis le holà. L'opposition paysanne, latente, trouvera là quelque appoint ; la condition ouvrière n'en sera pas spécialement améliorée. En résumé, le limogeage, temporaire ou non, de Gomulka et de ses pareils clôt un débat entre bureaucrates avides. Les uns conscients des impératifs géographiques et des nécessités immédiates ont fait venir à résipiscence les autres, ceux qui, pour eux tout seuls, voulaient garder le gâteau polonais.
***
Aux yeux de Trotsky et selon qu'ils étaient ou non en grâce auprès de Staline, des personnages tels Zinoviev et Kamenev devenaient des "capitulards éhontés", des militants honnêtes et "non-carriéristes". Ses épigones ont-ils plus de suite dans le jugement ? Dans leurs fictions historiques, hier encore contées, Tito et sa clique représentaient "en potentiel... l'un des éléments de la dualité de pouvoir créée en partant de l'action de masses". Aujourd'hui, Tito rejette l'ultimatum du Kremlin et supervise, en conséquence, le congrès du parti d'État yougoslave. Que béni soit son nom ou, plus exactement, celui de la "révolution socialiste yougoslave" (sic !). C'est qu'il exprime "dans des conditions très particulières, la contradiction entre les aspirations révolutionnaires des masses et le rôle contre-révolutionnaire de la direction stalinienne". Pour tout dire, selon les trotskistes, ce serait les "masses ouvrières" de Yougoslavie qui auraient obligé Tito à "résister" au Kremlin.
Telle analyse en prend à son aise avec le déroulement des faits. Pour elle, "l'attirance du dollar est calomnie, au moins pour l'immédiat". Voire ! Il suffira, à ce propos, de consulter les chiffres cités dans le dernier numéro de notre bulletin. Ou bien, peut-être les trotskistes songent-ils à remplacer les exportations et investissements éventuels des anglo-saxons en Yougoslavie par des envois massifs d'épîtres à ce qu'ils appellent le PC yougoslave. Toujours est-il, les USA sont aujourd'hui les seuls dispensateurs de matériel d'équipement industriel et agricole, en même temps que les banquiers du monde.
Pour réaliser son plan d'industrialisation, la Yougoslavie a dû se tourner vers eux. Et bientôt, la vagissante "démocratie populaire" a vu trancher le cordon qui la liait au Kremlin. Intégrées qu'elles sont à l'État par le contrôle policier, par les syndicats, le parti unique, le rationnement alimentaire, etc., les masses ouvrières, en tant que luttant pour leurs objectifs de classe, n'ont en rien pesé sur le cours des événements. Lorsqu'une faction s'est dressée, qui entendait demeurer l'administrateur délégué du capital d'État russe dans les territoires yougoslaves, Tito et Rankovic, son grand maître de la police, l'ont mis à l'ombre.
Des "trahisons idéologiques" que le stalinisme de stricte observance dénonçait chez Tito, il les a, mutatis mutandis, retrouvées chez Gomulka. Mais moins fortement assise, la situation de ce dernier ne lui a pas permis de sauter le pas, d'entrebâiller la porte aux capitaux anglo-saxons. L'ex-Thorez polonais, bien sûr n'est pas plus trotskiste que le maréchal yougoslave. Mais, moins heureux que ce dernier, il ne recevra pas même une petite lettre du "SI" de la IV°. Honte, honte à ce capitulard et arriviste !
La bourgeoisie yougoslave a changé de tuteur. Et le trotskisme, illico, de rendre hommage "à ce parti de travailleurs révolutionnaires" qui, maintenant, va comprendre "la véritable signification des procès de Moscou" !!! Mais, il n'est pas exagéré d'affirmer la dernière évolution trotskiste annonce l'agonie de ce qui fut, en fin de compte, un courant de la pensée révolutionnaire. La guerre qui vient en rangeant, qu'il le veuille ou non, Tito dans "le camp américain" balaiera tout le fatras phraséologique qui va venir de la Rome du trotskisme. Mais, pour ceux de ses militants qui se refusent à opter pour l'un ou l'autre camp des impérialistes, le moment est encore d'assainir leurs cerveaux. Le temps presse !
Cousin
Après une crise ministérielle qui dura plus d'un mois, nous pouvons constater que les mêmes raisons, qui créèrent une situation d'instabilité gouvernementale, existent toujours. Ni la hausse du coût de la vie et les troubles afférents, ni les problèmes immédiats de l'économie française n'ont été résolus.
Le trouble qui s'opère dans les cerveaux des gens est explicable, car les ministres changent mais le verbiage gouvernemental reste le même. Pourtant, nous ne pensons pas que l'actuelle situation soit un produit d'incompétence étatique ou de mauvais établissement d'un plan économique. À quelque variante politique près, la même situation confuse -tant sur le plan social que sur le plan économique- règne dans la majeure partie des États vassaux des deux grands blocs impérialistes.
Ce fait ne peut être applicable qu'en fonction de la conjoncture mondiale. Pour nous, la situation internationale commande la situation française, ainsi que toutes les autres situations nationales. Cette idée maîtresse repose sur deux arguments essentiels.
Le premier part de l'état catastrophique de l'économie française qui, par le simple jeu de la concurrence capitaliste, devrait amener la chute du pays dans un chaos indescriptible. Et pourtant il n'en est rien. La France continue à produire avec un très haut prix de revient ; ceci la disqualifie sur le marché mondial et crée un déséquilibre dans sa balance commerciale qui l'oblige à inflationner et à faire des prêts de capitaux en dehors de ses importations courantes. Bien plus, l'inflation accroissant la dette extérieure, celle-ci n'est pas comptabilisée et se transforme, par la nécessité des choses, en aide presque gratuite.
Aussi, sans les capitaux étrangers, la France ne pourrait vivre. Mais il serait ridicule de supposer que l'aide intérimaire et le plan Marshall soient d'inspiration philanthropique.
Il est vrai que nous assistons de plus en plus à une introduction de capitaux américains dans des branches de l'industrie française, mais ce phénomène ne peut, en aucun cas, justifier les quelques centaines de millions de dollars donnés à la France.
Et c'est le deuxième argument, pensons-nous, qui répond. La France, comme tous les pays vassalisés économiquement, ne peut non seulement vivre en économie de paix mais avoir seulement une production de consommation. L'économie française ne tient que parce qu'elle entre dans le domaine des dépenses militaires américaines.
Hormis cette fonction, la France n'a plus aucun rôle à jouer sur le marché mondial. Aussi, voyons-nous, depuis la "libération", tous les plans économiques des divers gouvernements s'effondrer lamentablement. On ne peut leur reprocher de n'avoir pas été d'envergure ; la seule chose qui clochait était leur impossibilité d'application.
Nous avons bien le plan Monnet qui subit à chaque fois des remaniements importants ; il ne présente une courbe ascendante -qui correspond à la réalité- que dans la branche d'industrie lourde et matières premières. Cette indication n'est pas un hasard ; une industrie lourde est la base de la puissance militaire.
Nous pourrons donc résumer notre pensée en ceci : la situation internationale est une situation de guerre, qui commande chaque situation nationale et en particulier la France, dans le sens d'une politique de guerre tant sur le plan économique que sur le plan social. Examinons donc les répercussions de cette conjoncture de guerre sur les plans économique et social.
Depuis la "libération", tous les gouvernements qui se sont succédés, jusqu'à celui de Schumann en novembre 1947, ont essayé vainement de résoudre le problème de l'économie française de l'après-guerre. Au travers d'un dirigisme plus ou moins actif, c'est le capitalisme d'État qui s'installait. Au moyen des nationalisations et des contrôles de toutes les branches d'activités commerciales et industrielles, l'État tentait de donner une solution aux problèmes des prix et salaires. Si une seule partie de son plan flanchait, toute la politique économique aurait été remise en question. Le problème des capitaux et celui des salaires furent à la source de toutes les crises gouvernementales. Il y avait impossibilité de retarder la montée des prix ; le rendement industriel et la vieille technicité des méthodes engendraient le haut prix de revient. D'où la nécessité de bloquer les salaires en libérant les prix, d'assainir les finances publiques pour attirer les capitaux étrangers, seuls capables de rajeunir l'appareillage industriel, enfin faire cesser l'agitation sociale pour permettre un accroissement du rendement.
Le gouvernement Schuman de novembre 1947 est le premier à poser le problème en ce sens. Il ne s'agit plus de dresser un plan économique mais de pallier par des mesures exceptionnelles autant qu'aléatoires une situation inflationniste.
Et c'est ce que nous avons vu ; d'une part promesse de baisse, d'autre part blocage des salaires, rajustement des prix-hausse-prélèvement exceptionnel, retrait de la circulation des billets de cinq milles, collectage prématuré des impôts. Cette politique économique prétendait réduire le déficit budgétaire et diminuer de beaucoup la consommation intérieure.
L'échéance de juin était trop proche pour faire sentir les effets de cette politique économique. Et c'est une véritable dérobade du gouvernement devant les problèmes économiques en suspens. Schuman va jusqu'à démissionner, mais la relève doit se faire sans tenir les engagements de juin. La cascade de ministères qui s'en suivit ne fit que rendre plus urgent la nécessité d'appliquer la politique financière de Meyer-Reynaud. L'exemple du ministre des finances Pineau (soc.) en fut la confirmation. Le gouvernement qui succéda au deuxième gouvernement Schuman-Pineau devait revenir au plus vite à la politique Meyer-Reynaud.
Le gouvernement Queuille s'est donc posé comme tâche non de résoudre le problème économique français mais, vulgairement, un assainissement des finances publiques, une diminution de la consommation intérieure donc du pouvoir d'achat, pour donner des garanties viables à l'Amérique. De plus, une conjoncture internationale de guerre nécessite une finance publique en apparence saine, entrainant par là une possibilité de stabilisation sociale. Le geste de l'Amérique libérant 45 milliards de francs du plan Marshall, ainsi que la nouvelle de l'état-major occidental réclamant une dizaine de divisions blindées aux É-U pour la France, indiquent bien la nature politique des mesures financières du gouvernement Queuille. Si, aujourd'hui, on sent une réticence du côté américain, nul doute que les troubles sociaux actuels en sont la raison.
Cette raison, les staliniens la connaissent. Ils savent que la politique d'intégration de la France dans le bloc occidental peut se heurter à une situation déficitaire des finances publiques et de la monnaie, à une atmosphère de troubles sociaux pouvant transformer tout le dispositif militaire américain en Europe.
C'est sous cet angle que peut être interprétée la situation sociale française.
Nous savons que des mouvements sociaux ne peuvent exister que si une situation catastrophique de la classe ouvrière se trouve sous-jacente ; mais nous savons aussi combien il est facile de détourner la classe ouvrière pour servir la cause d'un impérialisme. Et les staliniens s'y emploient fort adroitement.
Le marasme économique, la hausse du coût de la vie, l'accroissement des impôts, devaient nécessairement créer une situation trouble. Les éléments petits-bourgeois, les commerçants manifestent dans la mesure de leurs moyens. Les boulangers, par exemple, décident de vendre le pain sans tickets. Le syndicat des moyennes et petites entreprises proteste véhémentement, on parle même d'une grève des impôts. Mais cette agitation n'est pas dangereuse, pourtant elle est symptomatique d'un état d'esprit.
La classe ouvrière voit son pouvoir d'achat diminuer tous les jours ; malgré la lassitude, elle ne peut rester indifférente. Ses mouvements, ses manifestations sont des réactions de désespoir, mais aussi de la confusion idéologique qui règne en son sein. Il est donc normal de voir les staliniens en profiter et même susciter les mouvements.
Pour le gouvernement, sa politique sociale sera à la mesure de sa politique financière. Une plus grande fermeté vis-à-vis des éléments troubles ou anti-occidentaux, une politique ouvrière de coercition et d'ordre bourgeois.
Pour les staliniens, au contraire, la tactique sera de profiter du mécontentement ouvrier pour créer le trouble au profit de l'impérialisme russe et, même si la classe ouvrière ne répond pas, créer des commandos de manifestants.
En conclusion, la situation semble dépendre du gouvernement ou des staliniens, elle représente bien la même configuration que sur le plan mondial où les impérialismes américain et russe se disputent la domination du monde.
La grande tragédie de cette époque réside essentiellement dans cette perspective, de voir la classe ouvrière servir de masse de manœuvre à l'un ou l'autre des impérialismes et cette situation se répercute dans les rangs de l'avant-garde révolutionnaire où la lassitude et le découragement éclaircissent les rangs.
Le problème, pensons-nous, n'est ni tactique ni principiel ; la confusion ouvrière, la dissémination des éléments d'avant-garde reposent sur un terrain idéologique qu'il nous faut rechercher.
Voilà la tâche des révolutionnaires dans cette période noire, tout le reste n'est qu'opportunisme menant dans l'un ou l'autre des camps impérialistes et pour finir à la guerre.
Mousso
Nous publions à partir de ce numéro une étude de A. Orso sur "Propriété et Capital" que nous empruntons à la revue "Prometeo".
Avec une formule simple, justifiée par les exigences de la propagande, on a toujours défini le socialisme comme l'abolition de la propriété privée -en ajoutant la précision : des moyens de production et des moyens d'échange. Même si une telle formule n'est ni complète ni adéquate, elle ne peut être rejetée. Mais, les vieilles et récentes substantielles questions sur la propriété personnelle, collective, nationale et sociale nous obligent à élucider le problème de la propriété en rapport avec l'antithèse théorique, non seulement historique mais aussi de lutte entre le capitalisme et le socialisme.
Tout rapport économique et social se projette en formulation juridique et, partant de telles positions, le Manifeste dit que les communistes mettent en avant, à toutes les étapes du mouvement, la "question de la propriété", étant donné qu'ils mettent en avant le problème de la production et, plus généralement que celui de la production, distribution, consommation, celui de l'économie. Dans une époque où la grande antithèse historique entre féodalisme et régime bourgeois était apparue d'abord comme un conflit idéologique et de droit, que comme rapports économiques et transformation des formes de production, on ne pouvait pas poser avec le maximum de relief, même dans une énonciation élémentaire, la forme juridique des revendications économiques et sociales du prolétariat.
Dans le passage fondamental de la préface à la "Critique de l'économie politique", Marx énonce la doctrine du contraste entre les forces productives et les formes de production, et il ajoute aussitôt "ou bien - et ceci est seulement une expression juridique - avec les rapports de propriétés, la juste acception de la formulation juridique ne peut se fonder que sur la juste présentation du rapport productif et économique que le socialisme postule d'instaurer."
En employant donc, en ce qu'il présente une utilité, le langage de la science courante du droit, il s'agit de rappeler les caractères discriminants du type capitaliste de production -qui seront définis en relation avec les types de production qui le précédèrent- et ultérieurement discriminer entre tels et tels caractères, ceux que le socialisme conserve et ceux au contraire qu'il devra dépasser et supprimer dans le processus révolutionnaire. Telle distinction doit être appliquée sur le terrain de l'analyse économique.
Capitalisme et propriété ne coïncident pas. Les diverses formes économico-sociales qui ont précédé le capitalisme avaient déterminé des institutions de la propriété. Nous verrons immédiatement qu'il a été utile au capitalisme de calquer sa structure juridique sur les formules et les canons dérivés directement des précédents régimes, bien que, en eux, les rapports d'appropriation fussent variés. Non moins élémentaire est la thèse qui, dans la perspective socialiste, présente le capitalisme comme la dernière économie fondée sur la forme juridique de la propriété puisque le socialisme, en abolissant le capitalisme, abolira aussi la propriété. Mais cette première abolition - et pour mieux dire, la succession violente et révolutionnaire - est un rapport purement dialectique et, ainsi, s'énonce avec plus de fidélité, en langage marxiste (notre thèse), que celle de l'abolition de la propriété, laquelle a une saveur un peu trop métaphysique et apocalyptique.
Revenons toutefois à la base de nos conceptions. La propriété est un rapport entre l'homme, la personne humaine, et les choses. Les juristes l'appellent la faculté de disposer d'une chose de la façon la plus étendue et la plus absolue, c'est-à-dire d'en user et d'en abuser. On sait que, pour nous marxistes, ces définitions éternelles ne plaisent pas et nous pourrions mieux donner une définition dialectique et scientifique du droit de propriété : elle est la faculté "d'empêcher" une personne humaine d'user d'une chose en regard d'une autre personne ou d'un groupe.
La variabilité historique du rapport émerge, par exemple, du fait que, pendant des siècles et des siècles, entre autres choses susceptibles d'être un objet de propriété, il y avait la personne humaine (esclavage). De plus, l'institution de la propriété ne peut prétendre aux prérogatives apologétiques d'être éternelle et naturelle ; nous l'avons prouvé plus d'une fois en nous référant à la société primitive dans laquelle la propriété n'existait pas, en ce que tout était acquis et usé en commun par les premiers groupes humains. Dans la relative première forme d'économie ou, pour mieux dire, dans la forme pré-économique, le rapport entre homme et chose était le plus simple.
Pour le nombre limité d'hommes et en raison de la gamme limitée des besoins – à peine supérieurs à ceux des animaux -, les choses nécessaires à la satisfaction des besoins mêmes - que le droit appela ensuite biens - sont mises par la nature à la disposition de tous ; et le seul acte productif consiste à les prendre quand on en a besoin. Les choses se réduisent aux fruits sauvages et, un peu plus tard, à la chasse et à la pêche. Il y avait des objets d'usage à profusion ; il n'y avait pas des objets issus même d'une embryonnaire intervention physique, technique ou travaillée de l'homme sur la matière offerte par la nature.
Avec le travail, la technique productive, l'augmentation de la population, la limitation de terres vierges libres où pouvoir s'étendre, surgissent les problèmes de distribution et il devient difficile de faire front à toutes les nécessités : la demande d'usage et de consommation des produits. Le contraste entre individus et individus, tributs et tributs nait. Il n'est pas utile de rappeler cette étape de l'origine de la propriété, ainsi que celle de l'appropriation pour la consommation, pour la formation des réserves, pour les débuts de l'échange permettant la satisfaction de toujours plus vastes exigences que le travail des hommes et des communautés a produit.
Au travers des processus variés apparaît le commerce, les objets qui n'avaient qu'une valeur d'usage deviennent marchandises ; à son tour, apparaît la monnaie et à la valeur d'usage se surajoute la valeur d'échange.
Parmi les divers peuples et au travers des diverses époques, nous devons comprendre quel fut l'événement de la technique productive en regard de la capacité d'intervention du travail d'homme sur les choses et la matière première ; quel fut le mécanisme de la production et de la distribution, des actes et des efforts productifs entre les membres de la société ; quel fut le jeu de la circulation des produits de main en main, de maison en maison, de pays en pays vers la consommation. Par tels faits, nous pourrons passer à la compréhension des formes juridiques correspondantes, lesquelles tendaient à coordonner les lois de tels processus, en attribuant à des organisations la discipline de ces processus et la possibilité de contraindre et de sanctionner ceux qui les transgressaient.
Pour les mêmes raisons énoncées qui font qu'on ne peut remonter à la primitive humanité pour ce qui est de la propriété des choses et des biens de consommation ainsi que de propriété d'esclaves, de même pour la propriété du sol et des biens immobiliers construits par l'homme. Une telle propriété, dans ses formes privées individuelles, vient en retard sur la propriété des biens mobiliers et des esclaves, en ce que, au début, la terre et les constructions immobilières sont ou bien en commun ou, au moins, attribués au chef du groupe familial, de tribu, de ville ou de région.
Même si on voulait contester que tous les peuples soient partis de cette première forme communautaire et ironiser sur une telle époque d'or, l'analyse qui nous intéresse sur la détermination des institutions juridiques par les stades de la technique n'en est pas infirmée.
En ramenant à un schéma les éléments connus de tous, il suffit de définir les lignes fondamentales des types historiques et successifs de société de classes, au travers des rapports de propriété de l'objet mobile et consommable ou utile de quelque façon, de l'homme esclave ou serf et de la terre. La propriété, dit le juriste, nait de l'occupation. Il le dit en pensant aux biens immobiliers, mais la formule est valable même pour la propriété de l'esclave et de l'objet-marchandise. En effet, "les objets mobiles appartiennent à leurs possesseurs". Le processus de la possession à la propriété se fait.
Si j'ai une quelconque chose en main, en général (même un autre homme ou un bout de terre), sans qu'un autre homme réussisse à se substituer à moi, je suis le possesseur. C'est une possession matérielle jusqu'ici. Mais la possession devient légitime et juridique, et s'élève jusqu'à devenir un droit de propriété quand j'ai la possibilité, contre un éventuel prétendant, de faire appel à la loi et à l'autorité et même à la force matérielle organisée par l'État qui, ainsi, me titularise dans ma propriété. Pour les objets mobiliers ou marchandises, la simple possession la propriété juridique jusqu'à ce que quelqu'un prouve que je lui ai soustrait l'objet par la force ou par la fraude. Pour l'esclave, dans les états bien ordonnés, il y avait un anagraphe domestique qui les enregistrait au patron. Pour les biens immobiliers -même actuellement la machine légale étant bien plus complexe-, la propriété dépend de titres de propriété enregistrés dans des registres publics et le contrôle du changement de propriété est plus complexe.
À la base donc de chaque régime de propriété, il y a un acte d'appropriation des biens en général. Les enfants d'esclave étaient propriété du patron ; s'ils s'enfuyaient, le patron pouvait les faire poursuivre par la loi qui les lui ramenait.
Dans le régime féodal, la production avec une main-d'œuvre d'esclaves semble en général abolie ainsi que la relative investiture de la loi qui discipline la propriété sur la personne humaine. Le fait de disposer de la terre se présente sous une forme plus complexe que celle du droit classique romain, en ce que, sur elle, s'appuie une hiérarchie de seigneurs qui culmine dans le souverain politique, lequel distribue à ses vassaux les terres, avec un régime juridique complexe. La base économique est le travail agricole non pas au travers d'esclaves mais de serfs de la glèbe, qui ne sont pas objets de propriété réelle et d'aliénation au patron mais, en fait, qui ne peuvent pas quitter la terre féodale sur laquelle ils travaillent avec leur famille. Les produits du travail sont appropriés pas qui ? Pour une certaine part, par le serf qui reçoit tout juste pour se nourrir lui et sa famille, tandis qu'il est astreint de travailler sur les vastes terres du seigneur qui s'approprie ainsi les produits. Dans les formes plus récentes, le serf se rapproche du colon, en ce que toute la terre du feudataire est divisée en petites fermes familiales mais où le patron prélève une part du produit de chacune de ces fermes familiales.
Dans ce régime, le travailleur a une parcelle de droit de s'approprier des produits de son travail pour les consommer comme il l'entend. Parcelle en ce que les produits appropriés par le travailleur contiennent le tribut en temps du travail ou en dîmes, dus au patron féodal, au clergé etc.
La production non agricole a un développement très faible, vu la technique arriérée, la faible urbanisation et les besoins primitifs dans la vie des populations. Mais les travailleurs des objets manufacturés sont des hommes libres, c'est-à-dire non liés au lieu de naissance et de travail. Ils sont les artisans renfermés dans les cadres d'organismes coopératifs mais économiquement autonomes. Dans la production artisanale du petit atelier et boutique, la propriété du travailleur s'exerce sur diverses espèces de biens : les instruments non compliqués du travail, les matières premières qu'il acquiert pour les transformer, les produits manufacturés qu'il vend. En mettant de côté les impôts de la coopérative et de la commune et certains droits féodaux sur les bourgs, l'artisan travaille seulement pour lui et jouit du fruit de tout son temps et de tout le résultat de son travail. La majeure partie des travailleurs agricoles consomme sur le lieu ce qu'il produit et vend très peu pour acheter les objets vestimentaires ou de quelque autre utilité. Les artisans et les marchands échangent avec les paysans et entre eux et, au plus, dans le cercle étroit de la cité, du village, de la campagne.
Peu à peu se dessinent les prémisses de la nouvelle ère capitaliste, avec les techniciens et les savants qui enrichissent et développent les procédés de manipulation des produits ; avec les découvertes géographiques et les inventions de nouveaux moyens de transport des personnes et des marchandises, qui élargissent continuellement le champ de circulation et les distances entre le lieu de fabrication et le lieu de consommation des produits.
Le processus de ces transformations est très varié et il connait d'étranges lenteurs et de rapides expansions. Tandis que, au début de l'ère moderne, nous voyons déjà des millions de consommateurs apprendre à connaître et adopter des objets et des marchandises ignorés et exotiques, créant ainsi de nouveaux besoins (café, tabac, etc.), il était encore possible au temps de la Première Guerre mondiale de voir une grande dame calabraise, grande propriétaire, dépenser, en un an, "un sou" pour le superflu, sa propriété lui fournissant le reste.
Étant arrivés à ce point, au travers de notre schématique mais juste rappel des périodes précédant le capitalisme, nous pourrons nous demander quelles sont les réelles caractéristiques différentielles de la nouvelle production et économie capitalistes et du régime bourgeois qui y puise ses bases.
Nous verrons immédiatement en quoi consistent les transformations que les nouveaux moyens techniques, les nouvelles forces de production mises à la disposition de l'homme, induisent après une longue et dure lutte dans les rapports de production, dans les possibilités et facultés d'appropriation des biens, en opposition à ce qui existait dans la précédente société, féodale et artisanale.
Nous commencerons ainsi à établir, de la manière la plus claire, les bases de notre interprétation ultérieure sur les relations effectives entre le système capitaliste et la forme d'appropriation des divers biens - marchandises à consommer, instruments de travail, terre, maisons - et l'étendre ainsi au processus de développement de l'ère capitaliste ainsi que sa fin.
ORSO
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