La bourgeoisie présente à sa façon l'avenir qu’elle nous prépare à l’orée de ce nouveau siècle. Elle affirme que de grands défis attendent l'humanité. Elle prétend qu’une nouvelle ère de prospérité du capitalisme s’est ouverte avec les valeurs de la nouvelle économie, qu’une nouvelle "révolution post-industrielle" est en marche grâce à l'essor et au développement des technologies nouvelles, que l’Internet mis à la portée du grand public préfigure un changement radical des comportements sociaux. Ces promesses s’accompagnent de bobards sur le futur retour au plein-emploi, la résorption du chômage, l’accroissement du temps libre. Bref, ça ira mieux demain. Ce tableau d’un futur presque idyllique ne correspond nullement à la réalité que vivent quotidiennement dans leur chair les ouvriers.
La classe dominante et ses médias nous assurent également que le vingtième siècle a été marqué par la faillite du communisme, qui ne peut être au mieux qu'un idéal utopique et dans la plupart des cas que le masque du pire des totalitarismes. C’est pourquoi elle nous raconte que la classe ouvrière est maintenant devenue une force sociale rétrograde, voire une espèce en voie de disparition et que la lutte de classe est une notion inopérante, ringarde ringarde et dépassée. Elle met donc en avant que le seul facteur porteur d’un progrès social ne pourrait venir que de la défense de la démocratie, de la montée en puissance des revendications et des mobilisations citoyennes, qu’elle nous présente comme un recours contre les excès et les dérives de la "mondialisation".
Tout cela n’est qu'un tissu de mensonges ! Cette propagande n’est qu’une arme que se donne la bourgeoisie pour tenter d’éloigner le prolétariat de la prise de conscience de la force révolutionnaire qu’il représente et le détourner des véritables enjeux de la situation.
Au tournant de ce siècle, les contradictions fondamentales entre le capital et le travail dans les rapports de production, l'antagonisme entre les intérêts de ce système d’exploitation et ceux de la classe ouvrière non seulement sont toujours là mais ne cessent de s’exacerber. Partout, dans le monde, c’est la même paupérisation croissante des prolétaires, sous la pression des attaques frontales, massives, incessantes de la bourgeoisie : productivité accrue, détérioration accélérée des conditions de vie et de travail, blocage ou diminution des salaires, poursuite des licenciements massifs, généralisation de la précarité, attaques contre la protection sociale (retraites, santé).
Non seulement le capitalisme réduit aujourd’hui à la misère une partie de plus en plus large de la population mondiale, mais il constitue une menace pour la survie de toute l’humanité.
C'est une évidence : le monde capitaliste se vautre déjà dans la barbarie. La multiplication des guerres et des foyers de massacres condamne la population de régions entières du globe à être les victimes de la folie meurtrière de l’impérialisme des nations, des plus grandes puissances aux plus petites alors que la sophistication technologique est entièrement mise au service du perfectionnement d’engins de mort toujours plus meurtriers et ravageurs.
C'est la course effrénée aux profits capitalistes qui génère des catastrophes écologiques, des maladies nouvelles ou des empoisonnements de la nourriture de plus en plus nombreux et dont les effets polluants ou toxiques sont irrémédiables. Tous ces éléments sont révélateurs de la faillite du système capitaliste sous toutes ses formes. Il ne peut rien apporter demain que davantage de misère, de guerres, de décomposition sociale. Il porte déjà en lui, à terme, la destruction, la disparition convulsive de l’humanité.
Face à cela, la bourgeoisie cherche à masquer qu'il existe une force sociale porteuse d’un autre avenir pour l'humanité. Seule la classe ouvrière, même si elle n’en a pas clairement conscience aujourd’hui, est capable de s’opposer à cette issue fatale, non pas par la force d’une croyance idéologique, mais parce qu'elle est d’un point de vue historique, la première et la seule classe exploitée qui constitue en même temps une force révolutionnaire. Comme classe exploitée et opprimée et de par la place spécifique qu'elle occupe dans les rapports sociaux de production, elle a les moyens de s’affirmer comme classe révolutionnaire et de renverser le capitalisme. Elle est la productrice essentielle de l’accumulation de la richesse sociale dont le niveau déjà atteint au sein du capitalisme permettrait la redistribution sociale communiste selon le principe de "à chacun selon ses besoins". Seule la classe ouvrière a les moyens d'abolir toutes les formes de propriété, de privilèges et d’exploitation et de réaliser le communisme. Produisant cette richesse de manière associée et collective, étant entièrement dépossédée des moyens de production, elle est contrainte de vendre sa force de travail, elle n’a donc aucun moyen comme classe exploitée de devenir à son tour une classe dominante et exploiteuse sur le terrain économique parce qu’elle n’a aucun intérêt économique particulier à défendre au sein de l’ancienne société. Ses seules forces reposent sur l’existence de l’unité de ses intérêts à l’échelle internationale et sur l’affirmation de sa conscience politique. Elle n’a "à perdre que ses chaînes et un monde à gagner", comme l'affirmait déjà Marx dans Le Manifeste Communiste de 1848.
Aujourd’hui comme au 19e ou au 20e siècle, la classe ouvrière n'a rien à attendre du capitalisme mais elle est nécessairement amenée à se battre de façon unitaire au-delà d’intérêts corporatistes contre les coups que lui porte la bourgeoisie. C’est dans cette lutte qu’elle forgera sa confiance en ses propres forces, en ses propres capacités révolutionnaires. Elle en a les moyens et elle n'a pas d’autre choix. De l'issue de ces combats qui seront le véritable enjeu majeur du 21e siècle dépendent l'avenir et la survie de l'humanité toute entière.
Le sommet de l’Union Européenne à Nice aurait pu passer quasiment inaperçu sans que personne ne s’en inquiète. Ce type de réunions technocratiques autour de thématiques totalement éloignées des préoccupations quotidiennes n’a rien qui puisse en faire l’événement à la une des médias. Ce ne fut pourtant cette fois-ci vraiment pas le cas.
Le mercredi 6 décembre, à la veille du sommet, ce sont déjà environ 70 000 personnes qui se sont retrouvées dans la rue, dont 60 000 derrière les banderoles de la CES (confédération européenne des syndicats, à laquelle appartiennent en France la CFDT et plus récemment la CGT). Sur la base de revendications "constructives" axées sur "l’Europe Sociale", le cortège s’est résumé à une démonstration de force dans le plus grand calme. Les 10 000 manifestants restants, en queue de cortège et membres de syndicats dits "radicaux" et d’organisations "antimondialistes" diverses, attendaient leur heure.
Car c’est en effet le lendemain que les choses se sont gâtées. Pourtant, ce qui impressionne en premier n’est pas le nombre de manifestants (2500 à 3000) mais celui des organisations présentes : "syndicalistes de SUD et de la CGT espagnole (anarcho-syndicaliste), membres d’Attac (…), du DAL (…), de Droits Devant !, de la LCR ou d’Alternative Libertaire, "invisibles" italiens, trotskistes grecs, autonomes allemands, ainsi qu’une kyrielle d’anarchistes et d’écologistes d’obédience diverse auxquels se sont joints de jeunes basques radicaux" (Le Monde du 9 décembre). Tout ce petit monde, qui souvent d’ailleurs ne demande que cela, n’a pas tardé à goûter aux provocations de la police : lacrymogènes sans retenue avant même que le cortège ne se mette en branle, plusieurs dizaines d'arrestations, quelques condamnations sommaires, l’impossibilité de réserver des salles pour les réunions ou l’hébergement, et surtout l’épisode le plus relaté, le blocage à la frontière du train affrété par les "invisibles" italiens, qui s’est soldé par plusieurs échauffourées et quelques blessés. D’autres ont retrouvé leurs voitures renversées à deux pas des cordons de police… Même le Front National a été réveillé afin d’aller manifester face aux gauchistes !
Bref, toute "l’internationale citoyenne" issue des manifestations de Seattle lors du sommet de l’OMC il y a un an s’est retrouvée pour rejouer la même scène. Et, comme à Seattle, elle a été plus que probablement "aidée" par la présence de provocateurs de la police infiltrés dans les manifestations, histoire que le show soit plus spectaculaire. Voilà comment l’eurosommet a servi de prétexte pour faire mousser à nouveau ce mouvement "antimondialisation" qui, de Seattle à Millau et Prague, fait décidément beaucoup parler de lui, de manière largement encouragée par la machine médiatique et étatique.
C'est ainsi que les médiatisations des événements de Nice ne se sont pas privées d'opposer la première manifestation, pacifique procession appelée par les grandes centrales syndicales et dont la massivité n'a ému personne, à la seconde, tellement plus radicale et prête à en découdre avec les forces de l'ordre qui a tout de même réussi à perturber quelque peu la tenue du sommet. Dès les premiers heurts de la seconde, les déclarations affluaient. Lionel Jospin d’abord opérait une distinction entre "les démonstrations des organisations syndicales pacifiques" et l’action "de petits groupes violents qui défigurent les causes qu’ils prétendent défendre" (Le Monde du 9 décembre). Un politologue dira plus tard : "Même s’il y avait 2% de radicaux violents, ils ne peuvent occulter les 98% qui travaillent sur le fond" (Libération de 9 et 10 décembre). Les dirigeants "radicaux" s’y mettent aussi : la Confédération Paysanne de Bové parlera de "minorité minoritaire", SUD de "mômes, âgés de 16 à 20 ans maxi, au discours plutôt minimaliste" (ibid).
D’un côté, on nous présente donc des syndicats organisés, puissants et pacifiques, qui manifestent derrière des revendications "constructives" dans des défilés bien encadrés. De l’autre, des mobilisations de "citoyens", apparemment plus "subversives", incluant des actions moins contrôlables et plus "sauvages", sur un thème faussement radical et fédérateur : "l'anti-mondialisation".
L'agitation antimondialiste passe ainsi pour une "alternative" radicale aux défilés ronronnants et parfaitement institutionnalisés des syndicats. Elle se présente, et on la présente, comme une voie à suivre pour tous ceux qui cherchent à se battre sur un terrain anticapitaliste. Mais cela n'est qu'un leurre, une illusion et un piège.
Nous avons déjà montré comment la focalisation sur la prétendue nouveauté que serait la "mondialisation" est une mystification qui cherche à détourner toute véritable dénonciation du capitalisme. Elle ne fait que masquer l’aggravation de la crise du capitalisme et l’exacerbation de la concurrence entre Etats (dans un marché déjà mondial depuis près d'un siècle !) et partant, des attaques toujours plus dures sur les conditions de vie du prolétariat 1 [2].
Les tenants de l'anti-mondialisation et leurs mobilisations "citoyennes" développent, en vérité, derrière un discours d'apparence radicale, une propagande profondément nationaliste et fondamentalement bourgeoise : la défense de "l'intérêt national" et de l'Etat contre les différents organismes internationaux mis en place par les Etats eux-mêmes, qu'ils aient nom OMC, Union européenne ou FMI. Elles participent pleinement de toutes les assourdissantes campagnes médiatiques à la gloire de la démocratie bourgeoise, en occupant, en leur sein, le créneau de "la base" et des "citoyens", par opposition à celui des partis politiques et du jeu électoral, particulièrement discrédités. Mais elles jouent le même rôle : celui de masquer les antagonismes de classe de la société et de renforcer l'illusion que l'Etat bourgeois pourrait être "au service du peuple", pour peu que les "citoyens" s'en mêlent. Exit la lutte de classe donc au profit de celle de "citoyens" qui, bourgeois et prolétaires confondus, devraient s'unir pour défendre les prérogatives de l'intérêt national (qui ne peut être que l'intérêt du capital national !) et de l'Etat contre tout ce qui peut le "menacer".
En canalisant ceux qui rejettent les syndicats et leur rôle de saboteurs et de tampons sociaux vers la défense de causes aussi étrangères à la classe ouvrière que la défense de la production nationale ou régionale, la revendications d'échanges commerciaux "plus respectueux des intérêts nationaux" ou le respect des prétendues "libertés démocratiques", la bourgeoisie cherche surtout à éviter tout débordement de la combativité ouvrière sur un terrain de classe. S'en remettre aux syndicats ou se placer sur le terrain interclassiste du "combat citoyen", voilà le faux choix qu'on propose aux prolétaires à la recherche d'une perspective. Et la bourgeoisie sait bien que, tant que la réponse ouvrière aux coups de plus en plus durs que la crise du capitalisme impose à ses conditions de vie sera enfermée dans de tels faux choix, elle pourra dormir sur ses deux oreilles.
H (15 décembre 2000)
1 [3] Voir la Revue Internationale n°86, "Derrière la ‘mondialisation’ de l’économie, l’aggravation de la crise du capitalisme [4]" et RI n° 297 et 304.
Et rebelote ! L'agitation qui oppose le MEDEF aux
syndicats sur les modalités du financement des retraites
complémentaires dans le secteur privé a un goût
de déjà vu. On se rappelle il y a quelques mois des
négociations sur l'assurance-chômage qui ont donné
lieu au Plan d'Aide au Retour à l'Emploi (PARE).
"L'intransigeance" du patronat, les "protestations"
syndicales et les hauts cris du gouvernement qui avait prétendu
pendant des mois que le PARE était "inacceptable",
n'auront servi qu'à préparer le terrain à
l'accouchement d'une violente attaque contre les ouvriers au
chômage et contre les conditions de travail de tous les
salariés.
On assiste au même scénario aujourd'hui avec l'attaque sur les retraites. Comme à chaque fois qu'il faut attaquer la classe ouvrière, chacun des partenaires sociaux est appelé à jouer son rôle. Au MEDEF d'annoncer la couleur : il faut en finir avec la retraite à 60 ans dans le secteur privé et il s'agit désormais de se rapprocher d'un régime d'assurance privée qui prendrait en compte l'espérance de vie moyenne des salariés et entraînerait à terme une durée des cotisations sur 45 ans. En outre, pour justifier sa réputation de méchant, le patronat mettait le "couteau sous la gorge" des syndicats et du gouvernement en menaçant de ne plus lever les cotisations pour l'ASF (Association pour la Structure Financière) dès le mois de janvier, paralysant ainsi le fonctionnement de l'organe de financement des retraites complémentaires. Devant une telle "intransigeance", le gouvernement s'est posé, une fois de plus, comme le "garant des acquis sociaux" et il n'a eu de cesse de vouloir rassurer les ouvriers en jurant qu'il maintiendra, coûte que coûte, la retraite à 60 ans. Quant aux syndicats, ils dénoncent de façon radicale, le "chantage" du patronat et ont lancé un appel à manifester derrière la bannière unitaire de tous les syndicats du privé comme du public, à l'occasion de la journée d'action du 25 janvier, contre la remise en cause de la retraite à 60 ans.
Cela n'a pas loupé : au lendemain des manifestations massives de ce fameux 25 janvier, on a eu droit aux gros titres : "Le Medef fléchit face à la rue" et aux interviews du Seillière de service qui, "frappé par le caractère imposant des cortèges" s'est dit ouvert à "réouvrir les négociations". Ce à quoi le Thibault de service, au nom de la CGT, a répondu à la télévision que les syndicats ont "des pistes" à proposer pour la suite des discussions. C'est clair, on va nous concocter un nouvel accord, juste un peu moins violent que celui annoncé d'emblée par le patronat et qu'on nous fera passer pour une "victoire" de la mobilisation syndicale. Quant au gouvernement, il n'attend bien sûr que cela pour, dans la foulée du nouveau sort réservé aux ouvriers du privé, faire accepter un "alignement progressif" du secteur public sur celui-ci.
Une fois de plus, lorque le gouvernement et les syndicats se présentent comme les défenseurs de la classe ouvrière, contre la "logique libérale" du patronat, ce n'est que pour mieux faire accepter aux prolétaires de nouvelles attaques, en leur faisant croire que l'initiative en serait venue du seul MEDEF. Car il est clair que l'attaque contre les retraites qui a déjà commencé à se mettre en place sous diverses formes ces dernières années, sous les divers gouvernements de droite comme de gauche, est depuis longtemps dans les cartons de la classe dominante et de l'Etat. Comme le souligne la presse bourgeoise, "l’enjeu n’est d’ailleurs pas de savoir si la retraite à 60 ans sera remise en cause, il est de choisir comment elle va disparaître". (Libération du 21 décembre 2000).
Pour les ouvriers du privé c'est depuis 1993, sous le gouvernement Balladur, que la disparition de la retraite à 60 ans est programmée, et le gouvernement de gauche n'est jamais revenu sur cette attaque. D'ici 2003, l'allongement de la durée de cotisation passe de 37 ans et demi à 40 ans et d'ici 2008, la retraite sera calculée sur les 25 meilleures années au lieu de 10 précédemment. En sachant qu'on entre dans la qu'on entre dans la vie active de plus en plus tard, compte tenu du chômage ou des études de plus en plus longues, il faudra souvent trimer jusqu'à 64 ans pour avoir son compte d'annuités. Par ailleurs, l'augmentation du nombre d'années à prendre en compte pour calculer le montant des pensions va amputer sérieusement celles-ci à la baisse, compte tenu de l'augmentation de la précarité, des périodes de plus en plus fréquentes de chômage, sans parler des ouvriers qui vivent l'imposition du temps partiel ou des petits boulots, qui ne font plus partie des sordides prévisions des spécialistes bourgeois.
Pour les ouvriers du public, dans la continuité des gouvernements de droite, la gauche plurielle démontre toute sa duplicité, et les syndicats sont pertinemment au courant que "le 21 décembre 2000, le gouvernement a transmis à Bruxelles le programme pluriannuel de finances publiques 2002-2004, dans lequel figure l’objectif d’aligner progressivement la durée de cotisation des fonctionnaires pour une retraite au taux plein (37,5 ans) sur celle des salariés du secteur privé (40 annuités) " (Le Monde du 5 janvier 2001)
Voilà ce qui nous attend pour les régimes de base, et du soi-disant droit à la retraite à 60 ans. Quant aux retraites complémentaires, la gauche et les syndicats nous ont vanté pendant des années les louanges des mutuelles qui font du "social", à l'opposé des fonds de pension que prône le patronat. Outre le fait que le choix entre les deux formules n'en est pas vraiment un car, de toutes façons, vu les misérables versements des régimes de base, les ouvriers sont bel et bien obligés d'amputer leurs salaires de nouvelles ponctions pour se constituer des retraites complémentaires, les mutuelles sont capables des mêmes pratiques malhonnêtes que les fonds de pensions des assurances privées.
Ainsi, la gauche et les syndicats se sont bien gardés de faire du bruit et, encore moins d'appeler à la mobilisation, quand la MRFP (Mutuelle retraite de la fonction publique, gérée directement par les syndicats !) a décidé de baisser de 16,7% au 1er janvier 2001 le montant des retraites complémentaires auxquelles auront droit les 450 000 cotisants au CREF (Complément Retraite Epargne Fonction Publique). Et ce n'est qu'une moyenne, puisque la baisse ira jusqu'à 25% pour ceux qui ont opté pour un contrat ne comprenant aucune capitalisation. Le tout ne s'appliquant évidemment pas seulement aux contrats à venir, mais aussi aux contrats en cours. Ainsi les salariés qui ont souscrit un contrat avec une retraite complémentaire soi-disant garantie et qui, pendant des années, ont cotisé sont bel et bien escroqués. Cela représente une baisse de 43 à 383 francs par mois, soit pour un couple de fonctionnaires, une perte de près de 7000 francs sur l'année. Le tout, alors que depuis plusieurs années déjà, le prétexte du "vieillissement de la population" a été utilisé pour augmenter régulièrement les cotisations des différentes mutuelles. Et comme si cela ne suffisait pas, Maurice Duranton, le président de la mutualité fonction publique, se fait le porte-parole de l'ensemble des mutuelles en annonçant que "tout le monde doit participer à l’effort de solidarité, comme demain on devra le faire dans le domaine de la santé" (Le Monde du 30 janvier 2000), ce qui veut dire que les ouvriers qui ont une mutuelle complémentaire à la sécurité sociale, doivent s'attendre à des baisses de remboursement des soins et des médicaments. Voilà la solidarité que nous proposent la gauche et les syndicats, voilà la réalité du "social" que pratiquent leurs mutuelles, elles n'ont rien à envier aux fonds de pension du patronat !
Oui mais quand même, pourrait-on nous rétorquer,
il faut prendre en compte la dégradation du rapport
cotisants-retraités. La commission européenne
n'a-t-elle pas remis en avril dernier, un rapport aux quinze, qui
prévoit que, si rien n'est fait, le ratio actifs/retraités
s'inversera vers 2050, d'où ses recommandations pour un
relèvement général de l'âge de départ
à la retraite ?
Effectivement, ce ne sont pas les seuls ouvriers de France qui sont concernés par ses attaques mais l'ensemble des ouvriers européens. Le fait qu'il n'y aurait plus assez d'actifs pour payer, financer les retraites, dû au vieillissement de la population et à l'allongement de l'espérance de vie sont un problème de gestion pour le capitalisme. Comment faire avec tous ces "vieux salariés" qui visiblement vivent trop longtemps, -au goût du capitalisme. Après avoir exploité leur force de travail tout au long de leur vie de salarié et ponctionné leurs salaires : pour des retraites de base, puis complémentaires, des assurances-vie, des mutuelles, des fonds de pension, le capitalisme se plaint encore d'avoir à les nourrir une fois qu'ils ne sont plus productifs !
Mais le cynisme de la bourgeoisie et le caractère totalement déshumanisé de son système ne s'arrêtent pas là. Si la société ne compte "plus assez d’actifs" en termes capitalistes, comment croire sérieusement qu'il s'agit d'un simple problème démographique alors que tous les chômeurs, les précaires et autres types d'exclus des rangs des "actifs" ne demanderaient pas mieux que d'être complètement intégrés au monde du travail. La véritable cause de la pénurie de "salariés actifs" c'est la crise et le chômage, que le capitalisme engendre, dont il est responsable.
Ouvriers du privé, ouvriers du public, nous devons lutter contre les attaques que sont en train de préparer danréparer dans notre dos, les patrons, le gouvernement de gauche et les syndicats sur les retraites. N'oublions pas que c'est en nous promettant du temps libre, pour notre bien, qu'ils nous ont imposé les 35 heures, dont on mesure partout les bienfaits : à savoir une généralisation de la flexibilité, l'intensification des cadences de travail, le blocage des salaires. Pour les retraites, c'est au nom de la solidarité entre générations de prolétaires dont ils se moquent bien qu'ils vont encore nous demander de faire des sacrifices. C'est tous ensemble et unis que nous serons capables de faire reculer les attaques à venir.
Dan (21 janvier 2001)Une nouvelle vague de privatisations s'annonce au niveau européen avec la dénationalisation du contrôle aérien en Grande-Bretagne, la mise sur le marché, en Allemagne, de 29% de la Deutsche Post et la perspective, en France, d'un changement de statut de La Poste pour l'après 2002. Les ouvriers savent d'expérience que les privatisations sont synonymes d'attaques nouvelles, sous diverses formes, de leurs conditions de vie. Mais ce que beaucoup d'entre eux n'ont pas connu ou ont oublié, c'est que les nationalisations ou le travail dans le secteur nationalisé ne mettent en rien à l'abri d'attaques également sévères. En fait, les nationalisations comme les privatisations sont toutes deux des moyens pour le capital national de s'adapter, dans des conditions historiques différentes, aux nécessités du marché et du contexte politique mondial. Et c'est toujours la classe ouvrière qui en fait les frais.
La contribution de la gauche à la mise en œuvre du programme de privatisations de Balladur en 1993 est plus qu'honorable : CIC, Thomson-CSF et Multimédia, le GAN, Eramet, CNP assurances, Crédit Lyonnais, Aérospatiale et la Banque Hervet est en cours. Le PS avait beau inscrire dans sa plate-forme électorale de 1997 qu'en cas de victoire, il refuserait "la privatisation des services publics et leur transformation en objet de profit", c'est bien la gauche plurielle qui a ouvert partiellement le capital de France Télécom. Et nos staliniens à la mode Hue, qui ont viré casaque sur cette question, ne sont pas en reste.
Cette réalité n'empêche néanmoins pas la mise en avant, par des secteurs de gauche de la bourgeoisie, de cette idée fausse selon laquelle l'exploitation dans les entreprises sous contrôle de l'Etat serait, par nature, plus humaine, différente de celle pratiquée dans le secteur privé.
Rien n'est plus faux parce que l'Etat patron est le représentant, le garant et le défenseur du capital national. Depuis que le capitalisme s'est imposé comme mode de production dominant dans la société, l'Etat n'a cessé de développer son influence et ce rôle de représentant suprême des intérêts de la classe capitaliste dans son ensemble. C'est déjà ce qu'Engels mettait en évidence au 19e siècle, alors que le capitalisme était encore en pleine expansion, dans sa phase d'ascendance : "Ni la transformation en sociétés par actions, ni la transformation en propriété d'Etat, ne supprime la qualité de capital des forces productives (…) L'Etat moderne n'est à son tour que l'organisation que la société bourgeoise se donne pour maintenir les conditions extérieures générales du mode de production capitaliste contre des empiètements venant des ouvriers comme des capitalistes isolés. L'Etat moderne, quelle qu'en soit la forme, est une machine essentiellement capitaliste : l'Etat des capitalistes, le capitaliste collectif en idée. Plus il fait passer de forces productives dans sa propriété, plus il devient capitaliste collectif. En fait, plus il exploite les citoyens. Les ouvriers restent des salariés, des prolétaires. Le rapport capitaliste n'est pas supprimé, il est au contraire poussé à son comble" (Anti-Dühring).
L'entrée fracassante du capitalisme dans sa période de décadence, avec l'irruption de la Première Guerre mondiale, s'accompagne d'un développement considérable du rôle de l'Etat dans la société.
Dans le capitalisme décadent, c'est pour éviter la dislocation de la société que s'impose le renforcement du rôle de l'Etat :
- il doit contrôler plus étroitement l'économie nationale, au détriment de la liberté d'action des capitalistes individuels et parfois de leur existence même, en vue d'affronter plus efficacement la guerre économique mondiale ;
- le système se trouvant désormais dans l'incapacité d'accorder des réformes durables à la classe ouvrière, l'Etat doit mettre en place les structures d'encadrement (syndicats …) destinées à empêcher que la lutte de classe, alimentée par l'aggravation de l'exploitation, ne remette en cause les fondements du système ;
- et enfin, l'Etat doit mobiliser toutes les forces de la société au service du développement du militarisme qui n'est autre que la forme que prend la fuite en avant face à l'impasse économique.
Si la tendance au capitalisme d'Etat est une donnée historique universelle, elle n'affecte cependant pas de façon identique tous les pays. Dans les pays économiquement développés à la fin du 19e siècle, là où il existe une vieille bourgeoisie industrielle et financière, cette tendance se manifeste en général par une imbrication progressive des secteurs "privés" et des secteurs étatisés. Dans un tel système, la bourgeoisie n'est pas dépossédée de son capital et elle conserve l'essentiel de ses privilèges.
En revanche, dans les régimes dits socialistes de l'ex-bloc de l'Est et de la Chine, il n'existe pas de bourgeoisie "privée", l'essentiel des moyens de production étant pris en charge directement par l'Etat. Cette particularité ne change rien à la nature capitaliste de ces pays où le but de la production demeure l'extraction de la plus-value, obtenue au prix d'une exploitation féroce de la classe ouvrière, et accaparée par le classe bourgeoise constituée par la bureaucratie de l'appareil d'Etat 1 [10].
C'est en fonction des impératifs de la préparation à la Seconde Guerre mondiale qu'est effectuée, en 1937, en France, la nationalisation des industries d'armement par le Front populaire en vue de favoriser leur développement accéléré.
A partir de 1943, intervient une vague de nationalisations dans un certain nombre de pays européens. Celles-ci concernent, en France et après la guerre, des secteurs clés comme Renault, les transports aériens, le gaz, l'électricité, les assurances, les charbonnages. Elles sont conçues comme étant directement au service de l'effort de reconstruction des économies ravagées par la guerre : "C'est donc devant l'ampleur de la tâche que le capitalisme individuel est obligé de céder le pas à l'Etat capitaliste. Cette mesure de concentration du capital entraîne infailliblement d'autres conséquences, telle la réduction des frais de production, des liaisons plus étroites entre toutes les industries" 2 [11]. L'organisation de la société qui accompagne le mouvement de nationalisations est orientée essentiellement au service d'une exploitation accrue et systématique de la classe ouvrière : "Par une série d'impôts directs et indirects, par la réglementation des salaires et des prix, par des dévaluations successives, l'Etat peut rogner de plus en plus sur le capital variable national et sur l'épargne. Par une réglementation du ravitaillement général, il peut réduire la production de consommation au profit de production des moyens de production, et permettre de masquer les diminutions constantes de salaire et l'état de famine qui s'ensuit" 3 [12].
Il ne faut pas que l'ordre social soit troublé, en particulier dans les secteurs stratégiques de la production. C'est pourquoi les ouvriers qu'ils emploient sont étroitement encadrés par les syndicats et la gauche du capital. Dans ce rôle anti-ouvrier, le PCF se distingue particulièrement puisque le ministre du travail de De Gaulle n'est autre que Thorez, le secrétaire général de ce parti. Celui-ci s'était particulièrement illustré comme l'artisan d'une véritable militarisation du travail en temps de paix, comme en témoignent, par exemple, ses paroles en direction des mineurs : "Si des mineurs doivent mourir à la tâche, leurs femmes les remplaceront." La classe ouvrière, malgré des réactions significatives comme la grande grève à Renault en 1947, pour des augmentations de salaire et de meilleures conditions de vie, ne réussira pas à desserrer l'étau de la double férule gaulliste et stalinienne. Laminée idéologiquement et écrasée physiquement dans ses principaux bastions (Allemagne), la classe ouvrière était particulièrement vulnérable à la propagande de gauche qui présentait les nationalisations comme des mesures sociales et progressistes : "Au nom du peuple, l'Etat prend en mains les industries-clés, pour l'intérêt général. Aux gaspillages particuliers dûs à l'anarchie du mode d'échange capitaliste, les nationalisations vont mettre un frein et de l'ordre (…) Du travail pour tout le monde, puisque les usines appartiennent à la Nation qui a chargé l'Etat de gérer la production. Ce caractère démagogique d'une mesure essentiellement bourgeoise est, d'après ses meilleurs défenseurs et bénéficiaires, le moyen par lequel la société se transformera" 4 [13].
Cette vague de nationalisations constitue le moyen obligé de la défense et du renforcement des positions des capitaux nationaux sur l'arène internationale : "Aujourd'hui, l'Etat bourgeois, par la concentration capitaliste, tend de plus en plus à se substituer au capitaliste individuel. Cette nécessité, causée par la crise du système, exige de transférer la libre disposition des moyens de production. Ce transfert, par lui-même, ne change rien à la nature du système capitaliste, puisque l'accumulation toujours croissante de la plus-value se fait aussi (…) Sur le marché mondial, les Etats se présenteront à la place des anciens capitalistes privés (…) Aujourd'hui, ce que les capitalistes privés ne peuvent pas trouver sur le marché mondial, l'Etat le peut, car il est capable de donner comme garantie l'ensemble de la richesse de la nation" 5 [14].
Les nationalisations ont aussi leur revers de médaille : elles induisent "aussi une irresponsabilité plus grande dans la direction et certains gaspillages bureaucratiques" 6 [15].
En effet, dans les pays avancés, la présence d'un fort secteur étatisé tend à se convertir en handicap pour l'économie nationale à mesure que s'aggrave la crise mondiale. Dans le secteur étatisé, le mode de gestion des entreprises, leurs structures d'organisation du travail et de la main d'œuvre, limitent bien souvent leur adaptation à la nécessaire augmentation de la compétitivité. En effet, leurs différentes couches de dirigeants, se sachant protégées par leur statut, sont insuffisamment enclines à remettre en jeu aussi souvent que l'exigerait l'évolution du marché, l'orientation de la production et l'organisation du travail.
Dans la grande vague de privatisations qui affecte, depuis les années 80, la plupart des pays occidentaux les plus développés 7 [16], il faut voir, bien sûr, un moyen de limiter l'étendue des conflits de classe. En effet, le remplacement d'un patron unique, l'Etat, par une multitude de patrons, constitue pour la bourgeoisie un moyen de morceler et diviser la lutte. Mais, comme nous l'avons évoqué, c'est aussi un moyen de renforcer la compétitivité de l'appareil productif à travers une plus grande souplesse dans l'exploitation que ne le permet le secteur nationalisé.
C'est pourquoi, tout gouvernement, qu'il soit de droite ou de gauche, ne peut se soustraire à cet impératif de défense du capital national.
Loin de signifier un amoindrissement du rôle de l'Etat dans la vie économique et de son contrôle de la société, les privatisations sont au contraire rendues possibles parce que l'Etat a développé un ensemble d'instruments budgétaires, financiers, monétaires et réglementaires qui lui permettent à tout moment d'orienter les grands choix économiques sans pour cela remettre en cause les mécanismes du marché.
La classe ouvrière n'a évidemment pas à prendre parti au sein d'un combat pour choisir son exploiteur. Cela ne la mènerait qu'à la défaite et la démoralisation. Ainsi, lorsqu'on tentera de la rabattre sur ce terrain pourri, il faudra qu'elle se souvienne des "bagnes publics" édifiés après la guerre mais aussi des centaines de milliers d'emplois supprimés dans le secteur nationalisé à Renault (50 000 depuis la moitié des années 70), dans les charbonnages et la sidérurgie (dont une bonne partie sous le gouvernement de gauche PC-PS en 84), etc. A ceux qui invoqueront les conséquences dramatiques des privatisations "sauvages" qui démantèlent les services publics, comme par exemple les accidents ferroviaires en Grande-Bretagne (Paddington en 1999, 31 morts ; Hatfield en 2000, 4 morts) ou encore la récente panne qui a privé la Californie d'électricité pendant plusieurs jours, ils devront opposer que ce ne sont pas les privatisations qui engendrent des catastrophes mais le capitalisme en crise. C'est contre celui-là qu'il faut se battre.
B (16 janvier)
1 [17] Pour davantage d'explications sur cette question, consulter les "Thèses sur la crise économique et politique en URSS et dans les pays de l'Est [18]" dans la Revue Internationale n° 60 et dans notre brochure "Effondrement du Stalinisme".
2 [19] Extrait de l'article "A chaque époque, sa farce démagogique" publié le 8 mars 1946 par Internationalisme, organe de la Gauche Communiste de France. La GCF est une des composantes du courant de la Gauche communiste laquelle, pendant la seconde guerre mondiale, n'a pas, contrairement au trotskisme, trahi le camp prolétarien par le soutien à un camp impérialiste. Voir à ce sujet nos brochures [20] "La Gauche communiste d'Italie" et "La Gauche hollandaise".
3 [21]Ibid.
4 [22]Ibid.
5 [23]Ibid.
6 [24]Ibid.
7 [25] Les nationalisations du début des années 80 en France n'ont pas la même signification que celles de l'après-guerre. En fait, elles interviennent à contre-courant, au moment où l'heure a sonné pour le mouvement inverse. La raison en est qu'elles faisaient partie du programme de gouvernement de la gauche avant qu'elle n'arrive, par accident et à sa surprise, au gouvernement en 1981. Elles ont constitué une des seules promesses électorales, en apparence sociales, que la gauche au gouvernement ait été en mesure de tenir quelque temps, puisqu'en matière de progression du chômage et de dégradation du pouvoir d'achat, celle-ci a encore amélioré les scores des équipes de droite précédentes.
Le vraquier aux cales chargées de pauvres hères entassés comme du bétail depuis plus d'une semaine s'était à peine échoué sur la Côte d'Azur, que le cri du coeur du très humaniste parti socialiste français ne s'est pas fait attendre : "on n'en veut pas !". Aux déclarations de François Hollande "il faut accueillir humainement ces exilés, mais ne pas leur donner l'illusion et l'espoir d'une intégration dans notre pays", enchérissait un Bertrand Delanoë : "le meilleur moyen de lutter contre ces trafics de personnes, c'est de ne pas considérer, à priori, que tout le monde pourra rester sur le territoire français". Quant au gouvernement de la gauche plurielle, il n'avait, de toutes façons, pas attendu les déclarations de ces dignes représentants du PS, pour prendre immédiatement des mesures coercitives conformes à de tels états d'âme : le parquage policier des 910 Kurdes dans une "zone d'attente", créée à la hâte sur une base militaire, dont le rôle consiste, comme pour celles qui existent dans tous les aéroports, à faciliter le "retour à l'envoyeur", avant qu'ils n'aient foulé le territoire français, des exilés dont la demande d'asile est jugée "manifestement infondée".
Cette réaction "réaliste" était encore appuyée par le bon "French doctor" Kouchner qui, en spécialiste reconnu de la misère du monde, déclarait à son tour doctement "Tant que les problèmes politiques du peuple kurde ne sont pas réglés, nous devons, nous les Européens, continuer à faire la différence entre les réfugiés politiques -et c'est peut-être leur cas- et les migrants économiques qui ne risquent, en rentrant chez eux, que de reprendre leur vie misérable", avant de renvoyer à une "mondialisation de la réponse qui viendra autant de ceux qui ont été à Davos que de ceux qui ont été à Porto Alegre".
Période électorale oblige, la droite, une fois n'est pas coutume, en a profité pour essayer de "doubler" le PS sur le terrain de l'humanitarisme, Devedjian appelant à "accueillir naturellement ces réfugiés qui ont été rejetés par les pays où ils vivent" et Seguin, ajoutant à son tour "nous n'allons pas nous mettre au niveau des négriers en renvoyant tout ce petit monde à Saddam Hussein".
Pour ne pas être en reste -et pour des motifs bien entendu tout aussi intéressés que les susdits- le gouvernement s'est du coup senti obligé de faire machine arrière. Cela l'aurait fichu trop mal à quelques semaines des élections de renvoyer directement, ne serait-ce qu'une partie des familles, en Irak. Alors on a décidé d'ouvrir les grilles de la zone d'attente de Frejus et d'envoyer les réfugiés, munis d'un sauf-conduit de huit jours, tenter individuellement leur chance dans la longue procédure de "demande d'asile politique".
L'exploitation des réfugiés à des fins électorales, voilà qui est déjà pas mal dans le domaine du cynisme. Mais ce n'est pas tout. Car le droit qui leur a été royalement accordé d'aller déposer "librement" une demande d'asile est tout aussi cynique. Chacun d'eux va pouvoir faire l'expérience de ce que veut dire l'hypocrite règle de la fameuse "convention de Genève" dont se réclame la prétendue "terre d'asile" qu'est la France. Celle-ci exige qu'on n'octroie pas d'asile aux membres de groupes de réfugiés tant que chacun n'apporte pas la preuve :
La différence, sur le fond, entre ce geste "généreux" et le discours du premier jour est donc bien mince : il n'est pas question de donner à ces près de mille réfugiés la possibilité de s'installer en France. Les mieux lotis, auront peut-être un jour les fameux papiers de "réfugiés politiques". Les autres sont condamnés à rester dans l'illégalité, sans statut ni possibilité de travailler décemment. Il leur restera à choisir entre se terrer pour échapper aux contrôles policiers et à la menace permanente d'expulsion, ou tenter à nouveau leur chance pour se glisser dans d'autres pays d'Europe en confiant à nouveau leur sort aux filières clandestines de passeurs.
Quant aux justifications qui consistent à marquer du sceau de l'infamie ceux qui ne sont que de vulgaires "réfugiés économiques", elles sont vraiment à vomir. D'abord, dans le cas de l'Irak, elles font semblant d'ignorer que ce que fuient principalement les boat people, c'est la misère effroyable qui règne dans toutes les régions de ce pays, qu'ils s'agisse aussi bien de la région kurdophone du nord que de celle de Bagdad, misère dont les conséquences de la guerre du Golfe puis l'embargo imposé à l'Irak depuis dix ans sont les premières responsables. On nous dira que, justement, la France s'oppose depuis quelques années à la poursuite de cet embargo (pour le très bon motif des intérêts commerciaux et impérialistes bien compris du capital français n'en doutons pas), mais on négligera de nous rappeler que la France n'avait pas autant d'états d'âme pour la population d'Irak quand elle participait au déluge de fer et de feu qui s'est abattu sur elle il y a dix ans.
Autre hypocrisie : les grands discours "anti-négriers" qui déclarent la chasse ouverte aux filières d'immigration clandestine. C'est le comble du cynisme de la part de tous les gouvernements de droite comme de gauche de s'offusquer à bon compte de ce que "le trafic d'êtres humains est un des secteurs en développement de la criminalité organisée" (Libération du 20 février) ! Et pour cause. Non seulement les grandes puissances occidentales portent une lourde responsabilité dans l'enfer grandissant que vivent les populations du tiers monde, mais une des raisons, et non des moindres, du caractère particulièrement lucratif, pour les mafias, du trafic d'émigrants, c'est la quasi-interdiction de l'immigration légale pour les prolétaires des pays pauvres. Ceux-ci n'ont donc guère le choix que de s'en remettre aux trafiquants de chair humaine illégaux qui les entassent dans des cales de navire ou dans des containers (comme les 58 chinois trouvés morts asphyxiés dans un container à Douvres l'été dernier).
Mais l'hypocrisie va plus loin. Tout d'abord, les Etats ferment volontiers les yeux sur les filières de passeurs, ne serait-ce que lorsque celles-ci agissent au sein des frontières de l'Europe et qu'elles sont un moyen, bien commode, de "laisser filer" les réfugiés atterris sur leur sol vers les pays voisins (par exemple, la Grande-Bretagne protestait récemment contre la mauvaise volonté mise par l'Etat français pour mettre fin aux filières de Calais qui font passer régulièrement des clandestins vers l'Angleterre).
Par ailleurs, le fameux distinguo entre réfugiés "politiques" et "économiques" prend racine dans la profonde nature des rapports capitalistes. Ceux qui ont une chance d'être classés dans la première catégorie, opposants aux régimes en place qui les pourchassent, sont le plus souvent des intellectuels issus de l'élite locale, bref la bourgeoisie occidentale sait y reconnaître sa propre classe. Les autres, qui affluent vers les pays riches dans l'espoir d'y trouver les moyens de vivre, ne sont "que" de la main-d'oeuvre, à la recherche d'un acheteur de leur force de travail, ce sont des membres du prolétariat, cette classe dépossédée de tout moyen de production et de toute "terre" et qui, de tous temps a dû s'exiler, émigrer "ailleurs", pour trouver un capital qui l'emploie. A ce titre, ils ne sont qu'une marchandise, la marchandise force de travail. Avant les trafiquants de chair humaine dénoncés ces jours-ci dans les médias, c'est d'abord le capital qui a toujours considéré les prolétaires comme une marchandise. Et, la force de travail étant une marchandise, la classe bourgeoise la traite comme tel, c'est-à-dire qu'elle se donne les moyens d'en "contrôler" le marché, comme on contrôle, par des quotas ou droits de douane, celui des céréales ou de l'acier.
Malgré les airs "dégoûtés" affichés par les gouvernements pour les "migrants économiques", ils savent très bien qu'aujourd'hui, comme hier, l'immigration constitue une des conditions de la bonne marche du capitalisme. Ces derniers temps notamment, les "experts" les plus sérieux des milieux patronaux ou de l'OMC, n'arrêtent pas de dire que les pays avancés, et notamment ceux d'Europe occidentale, auraient besoin qu'on "ouvre" un peu plus la porte à l'immigration venue des pays les plus pauvres. La main-d'oeuvre immigrée est en effet très avantageuse, justement parce qu'elle fournit une armée de réserve pour des emplois temporaires et précaires, et chose qu'on dit moins ouvertement, parce qu'elle est prête à travailler pour des salaires que les ouvriers de souche n'accepteraient pas.
Le subtil dosage entre le taux d'immigration "légale" et la "tolérance" de fait des Etats pour l'immigration clandestine, fait partie de la bonne gestion de la marchandise force de travail pour les besoins du capital. Les immigrés clandestins sont encore plus corvéables à merci que les "réguliers". Dépourvus de tout recours auprès des autorités contre les abus de leur patron, obligés de rester enfermés la plupart du temps pour éviter de se faire prendre par la police, n'ayant absolument aucune couverture sociale, les travailleurs clandestins sont réduits à une condition proche de l'esclavage et comparable à la condition ouvrière des premiers temps du capitalisme. C'est là une classe ouvrière comme l'aiment non seulement les patrons qui l'exploitent, mais l'ensemble de la bourgeoisie nationale de chaque pays puisque les très bas salaires qui lui sont versés permettent de réduire les coûts de l'ensemble de la production nationale face à la concurrence des autres pays.
C'est pour cela que les gouvernements, s'ils ne cessent de persécuter les immigrés clandestins, ne font pas grand chose pour lutter contre les patrons qui les emploient ni contre les mafias qui contrôlent les filières d'immigration. N'en doutons pas, les négriers qui emploient la main-d'oeuvre clandestine, les mafias et les Etats ont partie liée ; ils se partagent le travail au bénéfice du capitalisme.
P. (25 février)Après Seattle, Prague et Nice, nous avons déjà
largement dénoncé dans notre presse 1 [28]
le piège des manifestations anti-mondialistes. Le premier
"forum social mondial" de Porto Alegre qui s'est tenu au
Brésil du 25 au 30 janvier a été présenté
comme une nouvelle étape de ce type de rassemblements. Mais
pour la première fois, ceux qui prétendent occuper le
terrain d'un anti-capitalisme radical ont montré le plus
crûment leur vrai visage, celui du réformisme le plus
classique et le plus vulgaire. Porto Alegre a en effet tout pour
dissiper les illusions de ceux qui voyaient encore dans ce genre de
"lutte" des ferments de lutte anticapitaliste et des
potentialités révolutionnaires.
Ce nouveau
rendez-vous contestataire rassemblait plus de 12 000 participants
représentant près d'un millier d'organisations les plus
diverses et 120 pays face au sommet économique de Davos qui se
tenait au même moment en Suisse. Mais la publicité
médiatique faite autour de ce "forum social" n'a pas
seulement été liée à une nouvelle
contestation folklorique, carnavalesque et hétéroclite.
On nous a présenté
Porto Alegre et Davos comme étant directement opposés
en racontant que Porto Alegre était un contrepoids par rapport
à Davos. On nous a dit que l'un était un sommet
économique des gouvernants et des plus grands patrons
capitalistes de la planète, l'autre un forum social ouvert et
démocratique. On nous a raconté que l'un n'était
qu'un cénacle non représentatif, sinon de l'élite
du monde, "du pognon" et des décideurs, alors que
l'autre était l'expression d'un "nouveau mouvement
social" représentant l'ensemble des citoyens du monde.
En
réalité, quels ont été les animateurs de
Porto Alegre censés être représentatifs de ce
"nouveau mouvement social" ? Une majorité
foisonnante de représentants des ONG à couverture
"humanitaire" qui se font les meilleurs porte-paroles des
"citoyens" de la "société civile",
des syndicalistes bon teint, surtout paysans de la même
mouvance que la Confédération paysanne de José
Bové et des "personnalités" politiques des
partis de gauche comme Chevènement 2 [29]
ou "Lula" 3 [30].
Ce qui s'est traduit aussi par la participation officielle de deux
secrétaires d'Etat du gouvernement Jospin. On avait là
en fait une belle brochette de partis de gouvernement, de vieux
routiers du syndicalisme et de représentants de la
social-démocratie la plus classique.
On a aussi clamé
bien fort qu'à Porto Alegre, face aux effets destructeurs de
la mondialisation, à la dictature des marchés, de la
pensée unique et aux abus de la dictature libérale, ont
été posées les bases majeures de la construction
d'une alternative politique et d'un véritable contre-pouvoir
planétaire des "citoyens".
Cependant, même
un sociologue bourgeois patenté nommé Guy Groux
interrogé sur ce "forum social" a dû le
reconnaître dans une interview parue dans Libération
du 26 janvier avec une certaine pertinence : "Les mouvements
sociaux d'aujourd'hui ont l'apparence de la radicalité, mais
au fond leur position ne l'est pas. Ce qu'ils veulent, c'est
davantage de régulation. Ils ne demandent pas la mise à
mort d'un modèle, mais son amendement. (...) Nous sommes
passés d'un modèle d'utopie qui voulait changer la
société à une pratique réaliste, qui ne
prétend pas à une nouvelle société. C'est
un réformisme radical ." C'est là le fond de
la question car avec la mise en avant d'une fausse opposition entre
libéralisme et régulation du marché mondial, les
partisans réformistes de Porto Alegre tentent de faire croire
que les inégalités sociales proviennent d'un manque de
réglementation juridique pour encadrer la concurrence
capitaliste. Ainsi une plus grande intervention législative
des Etats serait au service du prolétariat et des exploités
alors que cette régulation est bel et bien omniprésente
et c'est même la raison d'être des organismes
internationaux comme l'OMC ou les banques centrales, produits de la
coopération entre Etats qui sont justement la cible favorite
des antilibéraux. En fait, leur grande entreprise, derrière
l'image anticapitaliste qu'ils cherchent à se donner, c'est
uniquement de redorer le blason du réformisme et des partis
sociaux-démocrates qui sont largement mouillés là
dedans.
Le président d'Attac, Bernard Cassen, écrivait
dans Le Monde Diplomatique de janvier 2001 : "Il
appartiendra ensuite (après Porto Alegre) aux différents
mouvements, syndicats et élus de décliner, pays par
pays, et en fonction des rapports de forces locaux, la traduction de
ces premières alternatives globales. C'est donc bien un nouvel
internationalisme qui se met en place." Cette référence
à l'internationalisme largement reprise par les médias
et les participants à Porto Alegre qui parlent de la
construction d'une "Internationale des citoyens du monde"
signifie que la bourgeoisie ne peut plus se contenter aujourd'hui
d'enfermer la population en général et les prolétaires
en particulier avec l'idéologie de la seule défense du
capital national. Elle a besoin d'occuper le terrain social avec un
réformisme plus radical et un langage internationaliste parce
qu'elle sait bien que c'est de cette voie de l'internationalisme que
vient le danger de remise en cause de son système
d'exploitation. Voilà pourquoi elle prétend construire
une "nouvelle Internationale" social-démocrate
gauchisante. Mais ce leurre édifié au nom du peuple, de
la démocratie et des droits des citoyens à l'échelle
de la planète ne peut pas revendiquer autre chose que le
programme politique d'une révolution bourgeoise déjà
réalisée depuis plus de deux siècles. C'est
parce que cette idéologie "citoyenne" est
précisément indissociable de la domination du
capitalisme, que prétendre s'opposer au capitalisme par la
citoyenneté est un complet non-sens. C'est une impasse pour
les prolétaires et les exploités.
En fait
d'alternative politique radicale, ce n'est pas pour rien que le
gouvernement français avait un pied à Davos et l'autre
à Porto Alegre et que Fabius déclarait depuis la Suisse
: "Je suis frappé par le malentendu. J'entends des
contestataires dire qu'à Davos, nous ne serions pas légitimes
et représentatifs. Tout cela est de la caricature. La
globalisation et les efforts nationaux vont dans le même sens"
(Le Monde du 31 janvier) tandis qu'un représentant
d'une ONG à Porto Alegre assurait de son côté :
"Le ministre Laurent Fabius et moi-même parlons d'une
même voix ... On peut dire oui aux bénéfices de
l'échange et de l'ouverture commerciale mais en donnant à
la mondialisation des règles" (Ibid.). Cette même
voix dont ils parlent, c'est celle de la bourgeoisie.
On nous a aussi et surtout présenté Porto
Alegre comme un "véritable laboratoire" contre les
inégalités sociales engendrées par les excès
du capitalisme. Ce modèle a été vanté
avec un zèle extasié par un Ignacio Ramonet, rédacteur
en chef du Monde Diplomatique dans son éditorial de
janvier dernier : "Pourquoi précisément là
? Parce que Porto Alegre est devenue depuis quelques années,
une cité emblématique (...) une sorte de laboratoire
social que des observateurs internationaux regardent avec une
certaine fascination. Gouvernée de manière originale,
depuis douze ans , par une coalition de gauche conduite par le Parti
des Travailleurs (PT), cette ville a connu dans maints domaines (...)
un développement spectaculaire. Le secret de cette réussite
? Le budget participatif, soit la possibilité pour les
habitants des différents quartiers de définir très
concrètement et très démocratiquement
l'affectation des fonds municipaux.(...) Aucun détournement de
fonds, aucun abus n'est ainsi possible, et les investissements
correspondent exactement aux souhaits majoritaires de la population
des quartiers." Les habitants peuvent ainsi décider
des priorités des investissements à réaliser par
la municipalité et même suivre l'évolution des
chantiers votés. Merveilleux, n'est-ce pas ? Sauf que cette
"démocratie participative" n'est qu'une resucée
des mystifications autogestionnaires dont les ouvriers ont rapidement
fait l'expérience, aussi bien sous le régime de Tito
dans l'ex-Yougoslavie qu'en Europe occidentale dans les luttes
proposées un temps pour modèle dans les années
1973/74 (comme Lip en France) "pour sauver leur entreprise",
que la seule gestion qu'ils avaient, c'était gérer leur
propre exploitation. A Porto Alegre cela revient à une gestion
de la misère et de la pénurie. La fixation de
l'enveloppe budgétaire des crédits d'investissements
(les seuls qui soient autogérés) reste, elle, bien sûr
dans d'autres mains et ce budget disponible n'est évidemment
pas augmenté d'un centime. On veut ainsi une nouvelle fois
nous faire prendre des vessies capitalistes pour des lanternes
socialistes. En fait, cela ne sert précisément que de
cache-misère. Et c'est pour cela que 200 villes brésiliennes
pratiquent aujourd'hui cette "démocratie participative"
qui nous est présentée comme un nouveau modèle
social. Mieux, ce sont des propositions de ce type ou d'autres
recettes démagogiques plus ou moins réalisables à
l'intérieur de l'exploitation capitaliste comme la taxation
par l'Etat des transactions financières (la fameuse "taxe
Tobin" qui, appliquée unilatéralement à
tous ne changerait strictement rien aux rapports de concurrence entre
capitalistes) 4 [31]
ou l'interdiction des "paradis fiscaux" qu'on nous présente
comme les prémices de leur prétendue "Internationale
citoyenne et démocratique". Celle-ci n'a rien à
voir avec les intérêts de la classe ouvrière et
elle n'a rien à voir avec l'internationalisme prolétarien.
Elle est une véritable parodie qui, pour tenter d'exorciser le
mouvement ouvrier, affiche de dérisoires prétentions à
se substituer au terrain de classe, à l'internationalisme
prolétarien en mettant en avant le ridicule modèle
social de la "démocratie participative" du PT
brésilien. En fait, cette nouvelle manoeuvre grossière
de notre ennemi de classe n'est que de la poudre aux yeux balancée
par la social-démocratie et ses alliés pour brouiller
les pistes trop évidentes sur ses états de service
purement capitalistes et tenter de ravaler sa façade politique
à moindre frais.
CB
1 [32] Voir notamment les articles "Mensonges autour du sommet de l'OMC à Seattle : on ne peut pas réformer le capitalisme, il faut le détruire" (RI n° 297, janvier 2000) et "De Seattle à Nice, le piège des mobilisations 'antimondialistes'" (RI n° 308, janvier 2001).
2 [33] Présent comme emblématique président du Mouvement des Citoyens mais surtout célèbre en tant qu'ancien ministre de l'intérieur champion de l'expulsion des travailleurs sans-papiers.
3 [34] Luis Ignacio Lula da Silva, dit "Lula", président du PT (parti de gauche rassemblant sociaux-démocrates, divers courants trotskisants, syndicalistes et "chrétiens de gauche") devenu une sorte de Walesa à la brésilienne qui s'est illustré au cours des grèves ouvrières au milieu des années 1970 pour avoir poussé le gouvernement à officialiser le syndicalisme alors illégal et qui a été depuis lors candidat à l'élection présidentielle à trois reprises.
4 [35] Voir RI n° 293, sept. 1999, l'article "Taxe Tobin : une fausse réponse à la crise du capitalisme, une vraie mystification antiouvrière". Le milliardaire spéculateur Georges Soros a lui même récemment déclaré qu'il était favorable à l'institution de la taxe Tobin...
Il y a 80 ans, en mars 1921, moins de quatre ans après la
prise du pouvoir par la classe ouvrière lors de la révolution
d'octobre 1917 en Russie, le parti bolchevik met fin par la force à
l'insurrection de la garnison de Kronstadt sur la petite île de
Kotline dans le Golfe de Finlande, à 30 kilomètres de
Petrograd.
La Russie des soviets avait dû mener durant
plusieurs années un combat sanglant dans la guerre civile
contre les menées contre-révolutionnaires des armées
blanches soutenues par les armées étrangères.
Mais la révolte de la garnison de Kronstadt ne fait pas partie
de ces tentatives contre-révolutionnaires : c'est une révolte
au sein même des partisans ouvriers du régime des
soviets qui avaient été à l'avant garde de la
révolution d'Octobre. Ces ouvriers mettent en avant des
revendications en vue de corriger les nombreux abus et les déviations
intolérables du nouveau pouvoir. Et sa répression
sanglante a constitué une tragédie pour le mouvement
ouvrier dans son ensemble.
Octobre 1917 en Russie a été
une révolution prolétarienne, le premier épisode
victorieux dans le déroulement de la révolution
prolétarienne mondiale qui était la réponse de
la classe ouvrière internationale à la guerre
impérialiste de 1914-18. L'insurrection d'Octobre faisait
partie d'un processus de destruction de l'Etat bourgeois et
d'établissement de la dictature du prolétariat et,
comme les bolcheviks l'ont passionnément défendu, sa
signification profonde était qu'elle devait marquer le premier
moment décisif de la révolution prolétarienne
mondiale, de la guerre de classe du prolétariat mondial contre
la bourgeoisie.
La
révolution commencée en Russie 1917 n'a pas réussi
à s'étendre internationalement malgré les
nombreuses tentatives de la classe ouvrière dans toute
l'Europe.
La Russie elle-même avait été
déchirée par une longue et sanglante guerre civile qui
avait dévasté l'économie et fragmenté le
prolétariat industriel, colonne vertébrale du pouvoir
des soviets.
L'élimination des comités d'usine, la
subordination progressive des soviets à l'appareil d'Etat, le
démantèlement des milices ouvrières, la
militarisation croissante de la vie sociale, résultats des
périodes de tension durant la guerre civile, la création
de commissions bureaucratiques, étaient toutes des
manifestations extrêmement significatives du processus de
dégénérescence de la révolution en
Russie. Bien que certains de ces faits datent d'avant même la
période de guerre civile, c'est cette dernière qui voit
le plein épanouissement de ce processus. De plus en plus, la
direction du Parti-Etat développait des arguments montrant que
l'auto-organisation de la classe ouvrière était
excellente en principe, mais que, dans l'instant présent, tout
devait être subordonné à la lutte militaire. Une
doctrine de "l'efficacité" commençait à
saper les principes essentiels de la démocratie prolétarienne.
Sous le couvert de cette doctrine, l'Etat commença à
instituer une militarisation du travail, qui soumettait les ouvriers
à des méthodes de surveillance et d'exploitation
extrêmement sévères. Ayant émasculé
les comités d'usine, la voie était libre pour que
l'Etat introduise la "direction d'un seul" et le système
de Taylor d'exploitation sur les lieux de production, le même
système que Lénine lui-même avait dénoncé
comme l'asservissement de l'homme à la machine. Les ravages de
l'économie de guerre et le blocus mettaient le pays tout
entier au bord de la famine, et les travailleurs devaient se
contenter des rations les plus maigres, souvent distribuées
très irrégulièrement. De larges secteurs de
l'industrie cessèrent de fonctionner, et des milliers
d'ouvriers furent contraints à la débrouille
individuelle pour survivre. La réaction naturelle de beaucoup
d'entre eux fut de quitter complètement les villes et de
chercher quelques moyens de subsistance à la campagne.
Tant
que durait la guerre civile, l'Etat des soviets conservait l'appui de
la majorité de la population car il était identifié
au combat contre les anciennes classes possédantes. Les
privations très dures de la guerre civile avaient été
supportées avec une bonne volonté relative par les
travailleurs, les ouvriers et les petits paysans. Mais après
la défaite des armées blanches, beaucoup commençaient
à espérer que les conditions de vie seraient moins
sévères et que le régime relâcherait un
peu son emprise sur la vie économique et sociale. La direction
bolchevique, toutefois, confrontée aux ravages de la
production causés par la guerre, était assez réticente
à permettre quelque relâchement dans le contrôle
étatique sur la vie sociale.
A la fin de 1920, des soulèvements paysans
s'étendent à travers la province de Tambov, la moyenne
Volga, l'Ukraine, la Sibérie occidentale et d'autres régions.
La démobilisation rapide de l'Armée Rouge met de
l'huile sur le feu avec le retour dans leurs villages des paysans en
uniforme. La revendication centrale de ces révoltes porte sur
l'arrêt des réquisitions de blé et sur le droit
des paysans à disposer de leurs produits. Au début de
1921, l'esprit de révolte s'est étendu aux ouvriers des
villes qui avaient été l'avant-garde de l'insurrection
d'Octobre : Petrograd, Moscou et Kronstadt.
Petrograd connut une
série de grèves spontanées importantes. Aux
assemblées d'usine et dans les manifestations, des résolutions
qui réclamaient une augmentation des rations de nourriture et
de vêtements, étaient adoptées, car la plupart
des ouvriers avaient faim et froid. Allant de pair avec ces
revendications économiques, d'autres plus politiques,
apparaissaient aussi : les ouvriers voulaient la fin des restrictions
sur les déplacements en dehors des villes, la libération
des prisonniers de la classe ouvrière, la liberté
d'expression, etc. Sans aucun doute, quelques éléments
contre-révolutionnaires comme les mencheviks ou les
socialistes-révolutionnaires (SR) jouaient un rôle dans
ces événements, mais le mouvement de grève de
Pétrograd était essentiellement une réponse
prolétarienne spontanée aux conditions de vie
intolérables. Les autorités bolchéviques,
cependant , ne pouvaient admettre que les ouvriers puissent se mettre
en grève contre l'Etat post-insurrectionnel qualifié
"d'Etat ouvrier", et taxaient les grévistes de
provocateurs, de paresseux et d'individualistes.
Ce sont les
troubles sociaux en Russie, et surtout à Pétrograd, qui
vont servir de détonateur à la révolte des
marins de Kronstadt. Avant que n'éclatent les grèves de
Pétrograd, les marins de Kronstadt (que Trotsky qualifiait
comme étant la "gloire et l'honneur de la révolution")
avaient déjà entamé une lutte de résistance
contre les tendances bureaucratiques et le renforcement de la
discipline militaire au sein de la Flotte Rouge, mais quand arrivent
les nouvelles de Pétrograd et de la déclaration de la
loi martiale, immédiatement les marins se mobilisent et
envoient le 28 février une délégation aux usines
de Pétrograd. Le même jour, l'équipage du
croiseur Petropavlovsk se réunit et vote une résolution
qui va devenir le programme des insurgés de Kronstadt. Cette
résolution met en avant des revendications économiques
et politiques, réclamant notamment la fin des mesures
draconniennes du "communisme de guerre" et la régénération
du pouvoir des soviets avec liberté d'expression, liberté
de la presse, droit d'expression de tous les partis politiques.
Le
1er mars, deux délégués du parti bolchévik
rencontrent l'équipage du Petropavlovsk et dénoncent
cette résolution en brandissant immédiatement la menace
de répression si les marins ne reculent pas. Cette attitude
arrogante et provocatrice des autorités bolchéviques va
mettre le feu aux poudres et galvaniser la colère des
matelots. Le 2 mars, jour de la réélection du soviet de
Kronstadt, la résolution du Petropavlovsk est votée par
300 délégués qui adoptent une motion pour la
"reconstitution pacifique du régime des soviets".
Les délégués forment un "Comité
Révolutionnaire Provisoire" (CRP) chargé de
l'administration de la ville et d'organiser sa défense contre
toute intervention armée du gouvernement. A partir de ce jour
est née la commune de Kronstadt qui publie ses propres
Izvestia dont le premier numéro déclarait : "Le
parti communiste, maître de cet Etat, s'est déclaré
incapable de sortir le pays du chaos. D'innombrables incidents se
sont produits récemment à Moscou et à Pétrograd,
qui montrent clairement que le parti a perdu la confiance des masses
ouvrières. Le parti néglige les besoins de la classe
ouvrière parce qu'il croit que ces revendications sont le
fruit d'activités contre-révolutionnaires. En cela, le
parti commet une profonde erreur."
Cependant, la révolte
de la Commune de Kronstadt est restée totalement isolée.
L'appel des insurgés à l'extension de ce qu'ils
appelaient la "Troisième révolution" est
restée sans écho. A Pétrograd, malgré
l'envoi d'une délégation aux usines, malgré la
diffusion de tracts et de la résolution du Pétropavlovsk,
l'appel de la Flotte Rouge n'a pas réussi à mobiliser
la classe ouvrière de toute la Russie qui pourtant se
reconnaissait entièrement dans le programme des insurgés
et soutenait pleinement la révolte. Les ouvriers de Pétrograd
ont mis fin à leurs mouvements de grèves et ont repris
le travail soumis à la loi martiale car la classe ouvrière
en Russie avait été brisée, démoralisée,
éparpillée par la guerre civile.
La réponse immédiate du
gouvernement bolchevik à la rébellion a été
de la dénoncer comme une partie de la conspiration
contre-révolutionnaire contre le pouvoir des soviets. Bien
sûr, tous les charognards de la contre-révolution,
depuis les gardes blancs jusqu'aux SR tentèrent de récupérer
la rébellion et lui offrirent leur appui. Mais excepté
l'aide humanitaire par le canal de la Croix-Rouge russe contrôlée
par les émigrés, le CRP rejeta toutes les avances
faites par les forces de la réaction. Il proclamait qu'il ne
luttait pas pour le retour de l'autocratie, ou de l'Assemblée
Constituante (où s'étaient rassemblés, début
1918, les ennemis de la révolution) mais pour une régénération
du pouvoir des soviets libéré de la domination
bureaucratique : "Ce sont les soviets et non l'assemblée
constituante qui sont le rempart des travailleurs" déclaraient
les Izvestia de Kronstadt. "A Kronstadt, le pouvoir est entre
les mains des marins, des soldats rouges et des travailleurs
révolutionnaires. Il n'est pas dans les mains des gardes
blancs commandés par le général Kozlovsky, comme
l'affirme mensongèrement radio Moscou"
On ne peut pas
nier qu'il y ait eu des éléments petits-bourgeois dans
le programme et l'idéologie des insurgés et dans le
personnel de la flotte et des armées. En fait, c'était
l'occasion pour ces éléments, qui étaient
hostiles au parti bolchévik parce qu'il avait été
à la tête de la révolution de 1917, de manifester
cette hostilité. Mais la présence de ces éléments
ne changeait absolument pas la nature du mouvement lui-même.
La
direction bolchevique a réagi avec une extrême fermeté
à la rébellion de Kronstadt. Son attitude
intransigeante élimina rapidement toute possibilité de
compromis ou de discussion. Pendant l'assaut militaire lui-même
de la forteresse, les unités de l'Armée Rouge envoyées
pour écraser la rébellion étaient constamment au
bord de la démoralisation. Quelques unes fraternisèrent
même avec les insurgés. Pour s'assurer de la loyauté
de l'armée, d'éminents dirigeants bolcheviks furent
envoyés du 10e congrès du parti, alors en session à
Moscou. En même temps, les fusils de la Tcheka étaient
braqués sur le dos des soldats pour s'assurer doublement
qu'aucune démoralisation ne pouvait se propager. Quand la
forteresse tomba enfin, des centaines d'insurgés furent
massacrés, exécutés sommairement ou rapidement
condamnés à mort par la Tcheka. Les autres furent
envoyés en camp de concentration. La répression fut
systématique et sans merci.
Au moment des événements,
c'est la peur accablante du danger que les gardes blancs n'exploitent
la révolte de Kronstadt pour régler leur compte aux
bolcheviks, qui a amené bien des voix les plus critiques du
pouvoir bolchevik à soutenir la répression.
En effet, s'il est une
chose que les antiléninistes de tous poils se sont efforcés
en permanence de masquer, c'est que cette erreur du parti bolchévik
a été partagée par l'ensemble du mouvement
ouvrier de l'époque, y compris par les fractions et courants
de la gauche communistes qui avaient été exclus de
l'Internationale.
Ainsi, l'Opposition Ouvrière, fraction
critique à la direction bolchévique, a apporté
son plein soutien à la répression et Alexandra
Kollontaï (qui était à la tête de cette
fraction oppositionnelle) ira même jusqu'à affirmer que
les membres de son Opposition seraient les premiers à se
porter volontaires pour écraser la rébellion.
Les
fractions de la Gauche germano-hollandaise, bien qu'elles se soient
clairement démarquées de la position jusqu'au-boutiste
de Kollontaï, n'ont pas condamné ni même critiqué
la politique du parti bolchévik. Ainsi, le KAPD 1 [36],
au moment des événements, avait défendu la thèse
suivant laquelle la révolte de Kronstadt était un
complot contre-révolutionnaire contre la Russie des soviets,
ce qui l'a conduit à ne pas condamner la répression.
Görter,
au sein de la Gauche hollandaise, a affirmé que les mesures
prises par les bolchéviks étaient "nécessaires"
face à la révolte de Kronstadt car il fallait écraser
cette insurrection contre-révolutionnaire dont il estimait
qu'elle venait de la paysannerie.
Au sein-même du parti
bolchévik, Victor Serge, bien qu'ayant affirmé son
refus de prendre les armes contre les marins de la Flotte Rouge, n'a
pas protesté contre la répression par fidélité
au parti.
Ainsi, il est clair que cette erreur tragique n'a pas
été commise par le seul parti bolchévik et
encore moins par sa seule direction. En réalité, les
bolchéviks ont été les acteurs d'une erreur et
des incompréhensions de tout le mouvement ouvrier de l'époque
qui n'a pas vu que la contre-révolution pouvait venir de
l'intérieur de l'Etat post-insurrectionnel, non pas parce que
le "ver était déjà dans le fruit" dès
1917 (selon la thèse des anarchistes pour qui l'existence d'un
parti de classe est un danger pour le prolétariat), mais parce
que, du fait de l'isolement international de la révolution
russe, le parti bolchévik a été absorbé
par l'Etat, s'est identifié à cet appareil d'Etat
contre la classe ouvrière. L'erreur de l'ensemble du mouvement
ouvrier était contenue dans les confusions générales
sur l'idée suivant laquelle l'Etat qui a surgi après la
révolution d'Octobre 17 était un "Etat
prolétarien".
B et C
1 [37] Parti Communiste Ouvrier d'Allemagne exclu en 1920 de l'Internationale Communiste à cause de ses positions critiques, notamment contre la politique de «Front unique» de l'IC.
Le seul courant qui, tout en défendant la révolution
d'Octobre, ait rejeté et condamné la répression
de la forteresse de Kronstadt était le courant anarchiste, au
sein duquel il convient d'ailleurs de distinguer les différentes
composantes. Certains anarchistes, notamment les anarchistes immigrés
tels Emma Goldman et Alexandre Berkman étaient très
proches du parti bolchévik (et leur avaient apporté
leur plein soutien en octobre 17 contrairement à d'autres
anarchistes appartenant à l'intelligentsia ou aux éléments
déclassés et dont l'anti-bolchévisme exprimaient
clairement les conceptions de la petite-bourgeoisie
réactionnaire).
Il ne fait aucun doute que de nombreux
anarchistes avaient raison dans leurs critiques envers la Tcheka (le
police politique du parti) et l'écrasement de Kronstadt. Le
problème, c'est que l'anarchisme n'offre aucun cadre pour
comprendre la signification historique de tels événements,
comme en témoigne l'analyse de Voline :
"Kronstadt
est un phare lumineux qui éclaire la bonne route (?) Une fois
l'entière liberté de discussion, d'organisation et
d'action définitivement acquise par les masses laborieuses
elles-mêmes, une fois le vrai chemin de l'activité
populaire indépendante entrepris, le reste viendra s'enchaîner
automatiquement." (Voline, La Révolution
inconnue.)
Ainsi, selon Voline, il suffisait que la révolte
de Kronstadt ait été victorieuse pour que le reste
vienne "s'enchaîner automatiquement". Or, même
si la révolte s'était étendue à toute le
Russie, même si Kronstadt avait gagné, cela n'aurait en
rien résolu le problème crucial de l'époque :
celui de l'isolement international du bastion soviétique (mais
il est vrai que dans la logique des anarchistes, comme on a pu le
voir par la suite dans leur analyse de la "révolution
prolétarienne" en Espagne en 1936, l'analyse marxiste
suivant laquelle le communisme ne peut s'établir qu'à
l'échelle internationale est tout à fait secondaire).
Une telle sous-estimation des difficultés et de la nécessité
de l'extension rapide du processus révolutionnaire est un
véritable poison pour la conscience du prolétariat qui
lui masque le premier des enseignements de Kronstadt, à savoir
que toute révolution qui reste isolée dans un seul pays
est irrémédiablement vouée à l'échec.
La révolution prolétarienne peut seulement
réussir à l'échelle mondiale. Il est impossible
d'abolir le capitalisme ou de "construire le socialisme"
dans un seul pays, mais seulement par l'extension du pouvoir
politique prolétarien sur toute la planète. Sans cette
extension, la dégénérescence de la révolution
est inévitable, quels que soient les changements apportés
dans l'économie. C'est justement ce que Lénine avait
clairement mis en avant lorsqu'il affirmait dès 1918 que le
prolétariat russe attend avec impatience l'extension de la
révolution en Europe, car si le prolétariat d'Europe
occidentale ne venait pas rapidement au secours de la Russie des
soviets (qui commençait à être asphyxiée
par le blocus économique de toute la bourgeoise mondiale),
celle-ci était condamnée.
Pour les anarchistes, les
bolcheviks ont fini par écraser les ouvriers et les marins
parce qu'ils étaient, selon les termes de Voline, "marxistes,
autoritaires et étatistes". En réalité, ce
que Voline et tout le courant anarchiste n'ont jamais compris, c'est
que la disparition de la démocratie ouvrière qui a vidé
les soviets de toute vie prolétarienne est la conséquence
directe de l'impasse tragique dans laquelle se trouvait la révolution
russe. Et c'est à partir de cette incompréhension du
mouvement réel et de la dynamique générale du
prolétariat mondial que les anarchistes ont pu réécrire
et interpréter l'histoire à leur façon avec
comme seul "cadre théorique" la vieille thèse
libertaire anti-marxiste, anti-parti et "anti-autoritaire".
Ce faisant, l'idéologie des anarchistes apporte aujourd'hui
encore de l'eau au moulin des campagnes anti-communistes de la
bourgeoisie, lesquelles ont pour objectif de perpétuer l'idée
mensongère consistant à faire croire aux prolétaires
qu'il existerait une prétendue "continuité
théorique, pratique et historique" entre Lénine et
Staline, entre la révolution d'Octobre 1917 et la
contre-révolution stalinienne.
Parce que le marxisme défend
la formation d'un parti politique prolétarien, appelle à
la centralisation des forces du prolétariat et reconnaît
l'inévitabilité de l'Etat de la période de
transition vers le communisme, il est condamné, selon les
anarchistes, à finir comme exécuteur des masses. De
telles "vérités éternelles" n'ont
aucune utilité pour la compréhension des processus
historiques réels et pour en tirer des leçons sur
lesquelles devra s'appuyer le futur mouvement
révolutionnaire.
Quelles sont les véritables leçons
de la tragédie de Kronstadt que la Gauche communiste a su
tirer ? 1 [39]
La
violence révolutionnaire est une arme que le prolétariat
est forcé d'utiliser dans son combat contre la classe
capitaliste. A l'intérieur même du prolétariat,
elle ne doit avoir aucune place car elle ne peut alors que détruire
son unité, sa solidarité, sa cohésion et
engendrer la démoralisation, le désespoir.
Sous
aucun prétexte la violence ne saurait servir de critère
ni d'instrument au sein de la classe ouvrière parce qu'elle
n'est pas un moyen de sa prise de conscience. Cette prise de
conscience, le prolétariat ne peut l'acquérir que par
sa propre expérience et l'examen critique constant de cette
expérience. C'est pourquoi la violence au sein de la classe
ouvrière, quelle que soit sa motivation immédiate, ne
peut qu'empêcher l'activité propre des masses et
finalement être la plus grande entrave à sa prise de
conscience qui est la condition indispensable au triomphe du
communisme.
En ce sens, même si des fractions de la classe
ouvrière ont manifestement tort, la "ligne juste" ne
peut pas leur être imposée par la force des armes par
une autre fraction, qu'elle soit majoritaire ou non. Le soulèvement
de Kronstadt a constitué un affaiblissement du bastion
prolétarien, sur le plan de sa cohésion. Sa répression
a constitué un affaiblissement encore plus important en hâtant
la dégénérescence de la révolution.
La
tragédie de la révolution russe, et en particulier le
massacre de Kronstadt, a été que l'ensemble du
mouvement ouvrier de l'époque n'était pas clair sur le
rôle du parti dans l'exercice du pouvoir prolétarien. En
effet, au sein du mouvement ouvrier existait encore l'idée
que, comme dans la révolution bourgeoise, c'est le parti qui
devait exercer la dictature du prolétariat au nom de la classe
ouvrière. Contrairement aux autres révolutions dans
l'histoire, la révolution prolétarienne exige la
participation active et constante de toute la classe ouvrière.
Ce qui signifie qu'à aucun moment, elle ne doit tolérer,
sous peine d'ouvrir immédiatement un cours de dégénérescence,
ni la "délégation" du pouvoir à un
parti, ni la substitution d'un corps spécialisé ou
d'une fraction de la classe ouvrière, aussi révolutionnaires
soient-ils, à l'ensemble du prolétariat. C'est
également pour cette raison que, quand l'Etat se dresse contre
la classe ouvrière, comme ce fut le cas à Kronstadt, le
rôle du parti, en tant qu'émanation et avant-garde du
prolétariat, n'est pas de défendre l'Etat contre la
classe ouvrière, mais de mener le combat aux côtés
de celle-ci contre l'Etat.
Au moment de la révolution russe, il
existait une confusion générale dans le mouvement
ouvrier, qui identifiait la dictature du prolétariat à
l'Etat apparu après le renversement du régime tsariste,
c'est-à-dire le congrès des délégués
de toutes les Russies des Soviets, des travailleurs, soldats et
paysans. Le pouvoir prolétarien, au lieu de se manifester par
le canal des organes spécifiques de la classe ouvrière
(assemblées d'usines et conseils ouvriers), a été
identifié à l'appareil d'Etat (soviets territoriaux,
émanation de toutes les couches non exploiteuses).
Or,
comme l'a clairement mis en avant la Gauche communiste d'Italie à
la fin des années 30 et la Gauche communiste de France par la
suite, tirant les leçons de la dégénérescence
de la révolution russe, l'autonomie du prolétariat
signifie que, sous aucun prétexte, les organisations unitaires
et politiques de la classe ouvrière ne doivent se subordonner
aux institutions étatiques, car cela reviendrait à
dissoudre ces organismes du prolétariat et amènerait
celui-ci à abdiquer de son programme communiste dont lui seul
est l'unique sujet. Compte tenu des conceptions qui existaient à
l'époque dans le mouvement ouvrier (l'idée d'un Etat
"prolétarien"), toute résistance à
l'Etat de la part des travailleurs ne pouvait être considéré
que comme contre-révolutionnaire. A aucun moment, la vigilance
du prolétariat vis-à-vis de l'appareil d'Etat ne peut
se relâcher, parce que l'expérience russe et les
événements de Kronstadt en particulier, ont montré
que la contre-révolution peut très bien se manifester
par le canal de l'Etat post-insurrectionnel et pas seulement à
travers une agression bourgeoise "extérieure".
Pour
tragiques qu'aient été les erreurs commises par les
bolcheviks, ce ne sont pas elles mais bien l'isolement de la
révolution russe qui est à la base de sa
dégénérescence. Si la révolution s'était
étendue, en particulier à travers une insurrection
victorieuse en Allemagne, il est fort probable que ces erreurs
auraient pu être corrigées au cours-même du
processus révolutionnaire en développement, comme en
témoigne les positions défendues par Lénine dans
le débat en 1920-1921 qui l'avait opposé à
Trotsky sur la question des syndicats (débat qui s'est
également mené au 10e congrès du parti qui s'est
tenu au moment-même où se déroulaient les
événements de Kronstadt). Ainsi, alors que Trotsky
défendait l'idée que les syndicats devaient constituer
un appareil d'encadrement par l'Etat "prolétarien"
de la classe ouvrière, Lénine, en désaccord avec
cette analyse, avait mis en avant que les ouvriers doivent se
défendre eux-mêmes contre "leur" Etat,
particulièrement dans la mesure où le régime des
soviets était, selon lui, non plus un Etat prolétarien
mais un "Etat des ouvriers et des payans" avec de
"profondes déformations bureaucratiques".
Par
ailleurs, en 1922, dans un rapport présenté au comité
central du parti, c'est en ces termes que Lénine commence à
percevoir que la contre-révolution s'est installée en
Russie-même et que l'appareil du parti bureaucratisé ne
va pas dans le sens des intérêts du prolétariat :
"La machine est en train d'échapper des mains de ceux
qui la conduisent : en fait, on dirait qu'il y a quelqu'un aux
commandes qui dirige cette machine, mais celle-ci suit une autre
direction que celle qui est voulue, conduite par une main cachée
(...) Dieu seul sait à qui elle appartient, peut-être à
un spéculateur ou à un capitaliste privé, ou aux
deux à la fois. Le fait est que la machine ne va pas dans la
direction voulue par ceux qui sont censés la conduire et,
quelquefois, elle prend tout à fait la direction opposée."
B et C
Interrompue depuis la fin janvier pour cause de trève électorale, la valse des journées d'action syndicales à répétition a repris dès le lendemain du second tour des municipales : le 22 mars avec les manifestations appelées par sept fédérations de fonctionnaires pour "faire pression sur les négociations salariales dans la fonction publique", le 29 mars où ce sont les syndicats de la SNCF qui appelent à une journée de grève nationale réservée aux cheminots, le 31 mars ensuite où trois syndicats, CGT, FO et CGC appellent à manifester pour les retraites et contre l'accord signé en février entre la CFDT et le patronat. Que vise cette nouvelle série de processions syndicales, après les défilés des 18, 25 et 30 janvier dernier ? Elles ont beau se succéder, elles apparaissent bel et bien comme autant de défouloirs sans lendemain, qui ne font pas reculer d'un pouce les coups qui s'abattent sur la classe ouvrière.
Si les journées d'action sont effectivement sans lendemain et ne finissent qu'à renvoyer à la classe ouvrière un sentiment d'impuissance, ce n'est pas tant, en soi, parce qu'elles ne durent qu'un jour. Il n'est bien sûr pas toujours facile en ce moment de se mobiliser au-delà d'une journée. C'est surtout qu'elles se succèdent, sans lien entre elles, convoquant un jour telle catégorie (les fonctionnaires), un autre telle entreprise publique (la SNCF), un troisième les salariés du ministère des Finances. Le tout entrelardé d'actions plus dures lancées corporation par corporation, comme dans les hôpitaux où les infirmiers anesthésistes, puis les sages-femmes ont été invités successivement à des actions séparées pour leurs revendications particulières. Quand une journée d'action prétend mobiliser autour des préoccupations sur les retraites, elle s'adresse aux ouvriers du privé et prend pour cible "l'offensive du MEDEF", tandis que la journée d'action suivante appelle à la grève pour les salaires, mais, attention, uniquement pour les ouvriers de la fonction publique, et si elle prétend s'attaquer cette fois au gouvernement, c'est au nom des seuls fonctionnaires. Tout cela en évitant soigneusement de relier entre elles les deux questions. Comme si l'offensive qui se prépare sur les retraites n'était pas l'oeuvre concertée des complices que sont le MEDEF et le gouvernement de Jospin. Et comme si la colère contre les bas salaires n'était pas générale dans toutes les parties de la classe ouvrière, du privé comme du public. Comme si également, la protestation contre la mise en place des fameuses 35 heures dans la fonction publique ne rejoignait pas profondément les raisons de la colère sur les mêmes conséquences de cette loi Aubry dans les grandes entreprises privées ou publiques, en termes de blocage des salaires et d'aggravation des rythmes de travail. Comme si, aux baisses d'effectifs dans la fonction et le secteur publics, ne répondaient pas les suppressions d'emplois en masse et les fermetures de sites dans toute une série d'entreprises.
Car l'arbre de tous ces défilés syndicaux cache surtout la forêt du foisonnement de luttes ouvrières qui, depuis plusieurs mois, montrent l'existence, un peu partout, d'une combativité montante et d'une détermination à ne plus subir en silence l'aggravation de nos conditions d'existence.
Ainsi la grève des traminots de Rouen en décembre, et en même temps qu'eux (on en a moins parlé dans les médias nationaux !) celle des travailleurs des transports publics de beaucoup d'autres grandes villes, comme Bordeaux, Grenoble ou Nancy. Les grèves à Pizza Hut, à Mac Do, et tout récemment encore à Auchan, autant d'entreprises qui n'avaient jamais connu jusqu'à présent d'actions de grèves ouvrières. Raisons de la colère dans tous ces cas : les salaires, les effectifs, les conditions de travail. On peut encore y ajouter les grèves, toujours sur les salaires, chez Peugeot, à la caisse d'Epargne, au crédit industriel d'Alsace, à la société d'embouteillage SED en Gironde, mais aussi les grèves perlées à Air France Industrie contre le blocage des salaires qui après avoir été cantonnées pendant 3 mois par les syndicats à une heure de débrayage par jour dans la seule divison des Moteurs d'Orly s'est élargie à d'autres secteurs de l'entreprise. Il faut y ajouter la lutte des ouvriers de LU soumis à un plan de licenciements massifs, ceux de Job à Toulouse, confrontés à la même situation. Et bien d'autres...
Si les journées d'action syndicales échouent à être des moments pour faire converger toute cette colère et combativité dans un front ouvrier uni capable d'imposer un rapport de force contre les attaques patronales et gouvernementales, ce n'est pas par hasard : ce n'est tout simplement pas leur but. Il ne faut pas se leurrer, les syndicats n'orchestrent ces journées d'action à répétition que pour lâcher un peu de vapeur du mécontentement et pour, en même temps, mieux renforcer leur emprise sur les luttes. Et s'ils font mine d'organiser, sinon l'unité entre secteurs, au moins la mobilisation en masse derrière une "unité entre centrales syndicales" (à géométrie variable d'ailleurs) ce n'est que pour donner une fausse réponse à un vrai besoin d'unité et de solidarité ouvrière. Et comme, évidemment, toutes ces mobilisations restent sans effet et sans lendemain, c'est la volonté de rechercher cette unité, de rompre l'isolement corporatiste et l'atomisation des luttes qu'ils cherchent à décourager.
Tant que les prolétaires hésiteront à briser l'isolement corporatiste et à rechercher l'unité avec leurs frères de classes attaqués comme eux, ils seront impuissants à faire reculer les attaques du capital. Mais, également, tant qu'ils attendront que viennent des syndicats des consignes toutes faites pour réaliser l'unité des luttes et la création d'un réel rapport de force, la classe dominante pourra tout autant dormir sur ses deux oreilles.
Par contre, ce qui est à l'ordre du jour, c'est que lorsque nous nous mobilisons, pour les salaires, contre les conséquences de la mise en place des 35h, contre les menaces sur les retraites ou contre les licenciements, cela soit autant d'occasions pour rompre réellement l'atomisation et l'isolement qui marquent les luttes actuelles. Ne laissons pas les syndicats décider pour nous : tenons des AG, discutons entre nous des moyens d'élargir la lutte, privilégions dans nos revendications ce qui nous unit avec les travailleurs des autres secteurs, envoyons des délégations vers d'autres entreprises avec des tracts appelant à se mobiliser sur ce qui nous unit. Préparons ensemble les manifestations, non pas pour défiler chacun derrière "sa" banderole, mais pour prendre contact avec d'autres prolétaires. Refusons, aussi bien le saucissonnage corporatiste au nom des "acquis de la profession" que celui qui sépare soigneusement les attaques venues du MEDEF de celles mises en place par l'Etat.
Prenons les syndicats, les partis de gauche et le gouvernement pour ce qu'ils sont : des ennemis. Ne comptons que sur nos propres forces.
PE ( 25 mars)
Avec la Macédoine, c'est une nouvelle partie des Balkans qui est à son tour au bord de l'implosion et du chaos. Après la Croatie, la Bosnie et le Kosovo, ce nouveau foyer de guerre risque de déstabiliser et d'embraser une fois de plus cette région mise à feu et à sang depuis dix ans. Et une fois de plus, les populations locales sont exposées aux massacres et à la barbarie guerrière à travers le déchaînement des affrontements de cliques nationalistes.
Le conflit oppose la police et l'armée macédoniennes à la guérilla séparatiste et nationaliste de l'UCK, nouveau bras armé de la même mafia albanaise qui sévissait déjà au Kosovo avant d'être officiellement dissout.
La Serbie s'est également mise sur pied de guerre contre d'autres milices pro-albanaises, après un an d'escarmouches sporadiques qui menaçaient le sud de la Serbie dans la vallée de Presevo et à Tanusevci, village frontalier entre la Macédoine et le Kosovo. L'OTAN et en premier lieu la Maison Blanche a même autorisé l'armée serbe à faire une incursion à l'intérieur de la zone de sécurité (zone d'exclusion terrestre) mise en place depuis juin 1999 autour de la frontière kosovare. Cette concession vise à empêcher les miliciens pro-albanais d'agir directement contre la Serbie. En contrepartie, la Serbie a présenté une "plate-forme" de négociations qui s'est conclue par un accord de cessez-le-feu sous l'égide de l'OTAN le 12 mars avec une autre fraction de la guérilla pro-albanaise (l'UCPMB). La zone de combats s'est alors déplacée et concentrée sur la Macédoine autour de Tetovo, la deuxième ville du pays, proche du Kosovo abritant une population à 80% albanophone (alors que la population d'origine albanaise compose près d'un tiers de la population de la Macédoine).
Dix ans après la proclamation de son indépendance en 1991, suite à l'éclatement de la Yougoslavie, la Macédoine se retrouve au coeur des conflits dans les Balkans alors qu'elle avait déjà été à l'origine de la plupart des guerres bal-kaniques au tournant du 19e et du 20e siècles. Elle fut d'abord le théâtre d'un soulèvement des peuples de la région contre la domination ottomane, provoquant la guerre entre la Grèce et la Turquie en 1897. Puis, après sa "libération" qui signait une étape décisive dans la désagrégation et le dépeçage de l'empire ottoman à l'issue de la première guerre balkanique en 1912, la question du partage de la Macédoine fut l'enjeu impérialiste majeur d'un second conflit meurtrier qui opposa notamment la Serbie et la Grèce à la Bulgarie. Ce fut l'un des prémices de la première boucherie mondiale. Les mêmes antagonismes que par le passé sont prêts à resurgir à la première occasion, non seulement la vieille rivalité entre Serbes et Albanais, ravivée par la guerre au Kosovo, mais le territoire macédonien est également revendiqué par la Bulgarie et par la Grèce.
Face à la récente évolution de la situation, on a assisté à un revirement spectaculaire des positions de la plupart des grandes puissances par rapport à la Serbie. Depuis le départ de Milosevic et son remplacement par Kostunica, cet Etat est devenu beaucoup plus "présentable" pour les démocraties occidentales qui ont entrepris la "normalisation" progressive de leurs relations avec la Serbie. On essaie de nous faire croire que les grandes puissances au sein de l'OTAN (avec le mandat et la présence de 42 000 soldats de la KFOR) agiraient en garants de la paix et de la démocratie et en gendarmes du monde comme grands défenseurs de la civilisation contre les déchaînements nationalistes et les abus des "méchants" quels qu'ils soient. Hier, c'étaient les Serbes qui auraient été sous l'emprise d'un dictateur accusé de vouloir restaurer une "grande Serbie", aujourd'hui ce sont les Serbes et les populations slaves de Macédoine que l'on prétend protéger et les Albanais qu'on montre du doigt en soupçonnant leur gouvernement de vouloir constituer une "grande Albanie". La "communauté internationale" prétendait pourtant il y a deux ans à peine défendre la population albanophone du Kosovo et voler à son secours. Ce prétexte humanitaire était même la justification essentielle de l'intervention meurtrière de l'OTAN. Ce prétexte n'était que pur mensonge. En déclenchant leurs opérations militaires, les forces alliées savaient très bien qu'elles poussaient ainsi Milosevic à intensifier et généraliser sa politique de déportation massive de populations locales. De plus, les bombardements au Kosovo ont transformé la région en un véritable champ de ruines. Et la partition sectorielle du Kosovo sous le contrôle de l'OTAN qui était censée porter un coup d'arrêt à l'épuration ethnique de Milosevic n'a fait que parquer les populations locales vivant toujours dans la même misère dans des ghettos barbelés en entretenant en permanence un climat de haine interethnique.
Comme dans tous les conflits balkaniques depuis dix ans, ce n'est nullement pour les raisons qu'elles avancent que les grandes puissances se mêlent de la situation et s'interposent aujourd'hui en Macédoine mais pour défendre chacune leurs propres intérêts et leurs propres positions impérialistes dans la région. Le même appétit impérialiste anime tous les Etats, des plus petits aux plus grands. Actuellement, les grandes puissances soutiennent pour l'instant toutes ouvertement le gouvernement macédonien et l'OTAN a demandé l'envoi de renforts de troupes pour faire face aux mouvements de maquisards pro-albanais entre les frontières serbes et macédoniennes. Mais, derrière l'unité de façade des grandes puissances, se dissimulent les mêmes clivages et les mêmes intérêts impérialistes particuliers qui se sont déjà affirmés dans les différents conflits qui se sont succédés depuis dix ans dans les Balkans. Chacune d'entre elles s'appuie sur des cliques et des gangs nationalistes locaux. Comme en Croatie, en Bosnie ou au Kosovo, les intérêts des grandes puissances divergent profondément et si tous apparaissent soucieux de ne pas jeter ouvertement d'huile sur le feu, au sein de la KFOR, chacun entend tirer profit de la situation au mieux de ses intérêts stratégiques. Et si l'occasion s'en présente, ces divergences d'intérêts ne manqueront pas de s'affirmer également par rapport à la Macédoine.
Ainsi, la France, après avoir été contrainte l'an dernier de participer en première ligne aux bombardements de l'OTAN sur la Serbie pour pouvoir maintenir sa présence dans les Balkans (sous la forme de troupes d'occupation d'une partie du Kosovo au sein de la KFOR), retrouve ici l'occasion de pouvoir rejouer à fond sa carte d'alliances plus traditionnelles, d'une part en se rapprochant à nouveau de son ex-alliée, la Serbie, d'autre part en apportant son soutien empressé à la Macédoine. Elle se retrouve d'ailleurs comme par le passé associée à la Grande-Bretagne dans cette entreprise. Au début des affrontements, c'est à Paris qu'a accouru le président macédonien pour réclamer de l'aide et huit jours après, le ministre des affaires étrangères faisait escale à Skopje pour annoncer : "Nous ne voulons pas laisser des groupes terroristes remettre en cause la stabilité de la Macédoine et de toute la région" tandis qu'un autre porte-parole du Quai d'Orsay déclarait "nous soutenons la politique de modération et de retenue du gouvernement macédonien".
Quant à l'Allemagne qui a poussé activement il y a dix ans la Croatie et la Slovénie vers l'indépendance encourageant ainsi dès l'origine l'éclatement de l'ex-Yougoslavie et qui a soutenu déjà activement l'UCK kosovar, son objectif ne peut qu'être toujours le même dans les Balkans : celui d'accroître l'isolement de la Serbie et surtout de tisser autour de cette dernière un réseau d'Etats germanophiles dont elle compte tirer profit ultérieurement. Car l'objectif impérialiste majeur de l'Allemagne est plus lointain, il est de déposséder la Serbie d'un accès à la Méditerranée en provoquant la sécession du Monténégro.
Le principal intérêt des Etats-Unis est de préserver au maximum l'ordre et le statu quo sur le terrain comme à la tête des forces de l'OTAN pour contenir les initiatives intéressées des autres puissances européennes et rester les maîtres du jeu dans les Balkans qu'ils ont de plus en plus de mal à contrôler.
Enfin, la Russie, en réclamant à cor et à cri une intervention militaire musclée contre les " terroristes albanais ", vise toujours à se poser en parrain impérialiste le plus sûr de la Serbie.
C'est pourquoi compter sur la "communauté internationale" et sur l'OTAN pour éviter la spirale du chaos dans les Balkans comme le mettent en avant tous les gouvernements et tous les médias relève d'une illusion complète. Déjà, les uns et les autres cherchent à tirer profit d'affrontements limités pour jouer chacun leurs propres cartes. Mais c'est aussi jouer avec le feu. Il est évident que l'extension du conflit à toute la Macédoine et son risque d'éclatement pousseraient d'autres Etats directement intéressés à son sort comme la Bulgarie ou la Grèce à intervenir plus activement. Ce serait alors une nouvelle étape dans l'escalade guerrière, le conflit débordant pour la première fois depuis 1991 des frontières de l'ex-Yougoslavie. La conscience des dangers d'un tel dérapage possible ressortait d'ailleurs dans un article du Monde daté des 18 et 19 mars : "Si la flambée de violence s'étendait à l'ensemble de la communauté albanaise et si l'intégrité de la Macédoine était menacée, il serait alors bien difficile de contenir les appétits des uns et des autres et surtout d'empêcher que (...) ne se déclenchent des réactions en chaîne." Pourquoi ? Parce que l'enfoncement inexorable du capitalisme dans la spirale de la barbarie guerrière ne connaît pas de limites. C'est une des manifestations de la faillite de ce système pour toute l'humanité. Mais cela, la presse bourgeoise ne le dira jamais.
CB (20 mars)
Non content de nous écorcher copieusement les oreilles avec leur chanson "Motivés", remake du très stalinien "Chant des Partisans", diffusé en boucle dans toutes les manifs syndicales, le groupe toulousain Zebda s'est cru autorisé à s'ériger en guide spirituel de tous ceux qui veulent "rester motivé-e-s" et faire de la politique "autrement" à l'occasion des élections municipales. A cette fin, il a parrainé la liste "Motivé-e-s" montée par l'association Tactikollectif à Toulouse. Tous au départ sont proches de la LCR trotskiste, avec qui ils avaient pensé présenter une liste commune, mais cela aurait nui à la dimension citoyenne et prétendument a-politique des "Motivé-e-s" et donc à leur capacité de rabattage vers les urnes. Car il ne faut pas chercher plus loin la fonction n°1 de ces listes "alternatives" qui à Toulouse, mais aussi à Lyon, Nantes, Rennes, Dreux, prétendent apporter aux attentes des "citoyens" une solution radicale, hors du cadre de la classe politique traditionnelle.
On sait que ces élections municipales sont particulièrement chéries par la bourgeoisie pour vanter les mérites de la "démocratie de proximité". A tous ceux, toujours plus nombreux, qui sentent qu'ils n'ont plus aucune prise sur l'évolution du monde, de la crise et des attaques qu'elle leur fait subir, la bourgeoisie aime à présenter ces élections comme le moyen pour malgré tout changer sa vie au quotidien, essayer de mieux vivre. C'est finalement l'autre face de la médaille de l'idéologie anti-mondialiste : se réfugier dans la démocratie locale, faire bouger les choses "à la base". C'est dans cette porte - ô combien étroite ! - que s'engouffrent les listes alternatives comme "Motivé-e-s".
Les ouvriers, et plus encore les jeunes ouvriers, tendent de plus en plus à déserter massivement les urnes (pour ceux qui sont encore inscrits sur les listes électorales !) et à se défier du PCF (dont l'influence électorale est en chute libre), comme nous avons pu le vérifier lors de ces élections dans les quartiers dits "populaires" des grands centres urbains, à Marseille, dans la couronne parisienne, etc. Face à ce rejet, les "Motivé-e-s", tout comme leurs grands frères trotskistes de LO et de la LCR, présentent les élections comme une arme pour la classe ouvrière (Zebda est allé chanter pour soutenir les ouvriers de Job en grève), pour le " petit peuple ", pour les quartiers, pour telle ou telle cité (en s'appuyant sur leur implantation locale comme association " sociale "), n'hésitant pas à faire preuve du plus lamentable esprit de clocher, comme dans la présentation de leur tête de liste, Salah Amokrane : "Né en 1964 à Bordeaux, il n'en demeure pas moins, et quoi qu'on en dise, un Toulousain. Il n'y a en tout cas pas que fait ses études commes d'autres candidats à la mairie" 1 [45]. Ces groupes qui éclosent comme par miracle sont là pour entretenir le cirque électoral, en semant l'illusion que leur participation au conseil municipal changera radicalement la vie des "citoyens", alors même que la situation économique générale se dégrade significativement. Ce faisant, ils détournent les ouvriers du combat de classe, de la lutte contre les attaques économiques, contre l'Etat, pour les enfermer dans le cadre mesquin de l'isoloir et de la gestion locale. Car derrière leurs litanies sur la "démocratie participative", sur la nécessité d'un "budget participatif" 2 [46], c'est bien cela qu'ils nous concoctent : faire gérer la misère par ceux qui la subissent ! Voici le budget pour le mois, débrouillez-vous entre vous pour vivre avec ça ! Car si, de leurs fonts baptismaux trotskistes, les "motivé-es" restent très marqués par le gauchisme 3 [47], c'est beaucoup plus dans la mouvance associative anti-mondialiste, sauce Bové et ATTAC, que s'inscrit ce mouvement dont le programme annonçait que "Toulouse préparera, bien sûr, le Forum Social Mondial de Porto Allegre en 2002", ville dont ils ne cessent de chanter les louanges 4 [48].
Quant à la politique "autrement" des "Motivé-e-s", on a vu ce qu'elle voulait dire lorsqu'ils se sont hâtés de fusionner, le soir du premier tour, avec la gauche plurielle PS-PCF-Verts, avec pour objectif de "battre la droite". Rabatteurs, non seulement vers le cirque électoral mais tant qu'à faire vers la gauche plurielle et sa politique antiouvrière au gouvernement.
Le soir des résultats du second tour, les bastons place du Capitole 5 [49], où Douste-Blazy a été chaudement pris à parti, sont la preuve que cette liste n'a pas rameuté que des petits bourges (les "bobos" dont parlait Chevènement) en mal de radicalisme, mais aussi des jeunes des cités qui n'ont pas compris de ne pas avoir "gagné"? puisqu'ils avaient voté.
C'est vrai que la classe ouvrière vit une situation de plus en plus misérable. C'est vrai qu'il n'y a pas de perspective pour les jeunes, qui pour la plupart n'ont toujours pas eu leur premier boulot. C'est vrai que la présence et l'attitude des flics sont insupportables. C'est vrai qu'il est tout à fait légitime de vouloir des transports gratuits, des logements décents, de meilleures chances d'éducation pour les gamins, une culture plus collective qui ne soit pas réservée à une coterie, etc. C'est vrai qu'il y a de quoi vomir cette société tous les jours. Mais s'attacher à la remorque de la démocratie bourgeoise est le plus sûr moyen que tout continue comme avant ! Changer pour de gentils élus ne changera rien quant à l'exploitation capitaliste qui est à la racine de la pauvreté, de la dégradation des conditions de vie, et du caractère de plus en plus inhumain de la vie sociale. S'engager dans le combat de classe en rejetant tout compromis avec l'électoralisme, voilà la seule perspective vraiment radicale.
BTS (22 mars)
1 [50] Le Journal n°4
2 [51]Ibid.
3 [52] Mairie de Toulouse
4 [53]Le Journal n°4
5 [54] Mairie de Toulouse
Si
le mois de mars a été celui des élections municipales, celui d'avril
a montré quels étaient la préocupation principale des prolétaires et
leur véritable centre d'intérêt : la défense de leurs
conditions de vie et de travail contre la violence des attaques
capitalistes. Les journées d'action syndicales organisées en janvier
puis, au lendemain des élections municipales, dès la fin mars n'ont
pas suffi à enrayer la montée de la combativité. Comme la presse
bourgeoise l'a souligné à plusieurs reprises, c'est le "réveil
du social" qui est de plus en plus clairement au coeur de
l'actualité. Finis les discours sur le "tout-va-bien" ouvrant
un avenir radieux au capitalisme et aux ouvriers, enfoncés les bla-bla
affirmant que les problèmes sociaux ne concernaient que quelques
"exclus de la croissance" et balayés encore les mensonges sur
la fin de la classe ouvrière : le développement actuel de ses
luttes, en dépit de leurs limites, vient porter un coup brutal à toute
cette propagande mensongère.
Pas un secteur n'est épargné par cette riposte ouvrière, sur fond de revendications répondant à toutes les attaques du patronat, qu'il s'agisse de celles du patronat privé comme de l'Etat-patron. Et il y a de quoi !
Alors que la bourgeoisie française ne cesse de s'enorgueillir des bons résultats de son économie et d'une prétendue baisse du chômage, les licenciements tombent sans répit (voir article page 2). Quant au budget annoncé par Jospin dans toute la fonction publique, c'est-à-dire des augmentations de salaires de 0,5% -largement au-dessous de l'augmentation réelle du coût de la vie- et un niveau d'embauches dérisoire dans la perspective du passage aux 35 heures, il prépare une aggravation de la charge de travail chez tous ces "nantis" de fonctionnaires.
Tout cela n'empêche pas les statistiques gouvernementales de se prévaloir d'un million de chômeurs en moins et de la création de 888.000 emplois entre 1998 et 2000. En réalité, le travail précaire n'a jamais autant augmenté, "malgré la croissance" comme le dit la presse aux ordres. Alors que les emplois dits stables ont augmenté de moins de 2%, les CDD ont connu une croissance de 65%, le travail par intérim de 130%, les stages et autres contrats-aidés (CES par exemple) de 65%. Et, parmi ce petit 2% d'emplois stables, 40% sont rémunérés à peine un tiers au-dessus du SMIC. Chez les jeunes, qui sont deux fois plus nombreux à être au chômage que le reste de la population, si l'embauche en contrat court concerne 30,7% d'entre eux en 1997, le pourcentage était en 2000 de 36,3% ; tandis que la majorité des 50-59 ans qui trouve du travail effectuent des CDD. Pour clôre ces résultats pharamineux de la politique sociale et plurielle de gauche, et malgré les innombrables traficotages des chiffres auxquels elle s'exerce, le taux de pauvreté n'a pas bougé d'un pouce entre 1997 et 2000.
C'est à cet enfoncement dans la misère et l'exploitation aggravées que la classe ouvrière réagit aujourd'hui de façon ouverte, sur le terrain de la lutte. Et l'expression de cette volonté de ne plus se laisser attaquer sans réagir n'est pas limitée à quelques-uns, comme dans la période passée, mais c'est simultanément dans tous les secteurs qu'elle apparaît clairement, qu'il s'agisse du public comme du privé. Ces divers éléments marquent indéniablement un changement de la situation dans laquelle se trouve l'ensemble de la classe ouvrière en France.
Et, bien que les syndicats fassent leur possible pour bloquer la poussée ouvrière dans certains secteurs en organisant des journées d'action comme ils l'ont fait dans l'armement dans l'Ouest de la France, à l'ANPE en avril, ou des grèves-bidon d'une heure ici et là, ce changement les contraint à adopter un profil plus combatif pour ne pas risquer d'être débordés. Ainsi, aux mouvements les plus médiatisés des conducteurs de train de la SNCF, des sages-femmes, de Danone-Lu et de Marks & Spencer, il faut ajouter les grèves à répétition dans les transports publics de province (avec la grève de trois semaines des traminots à Rennes), celles à La Poste (comme celle du 19e arrondissement parisien), à Moulinex, à l'URSSAF de Toulon, dans les musées nationaux, chez les internes de Franche-Comté, chez Rivoire et Carret, dans les cliniques privées du Sud-Est après celle nationale du mois de mars, ou encore chez Fauchon, etc. Toutes ces luttes ont été et restent marquées d'emblée par une détermination à entrer en grève, non pas pour quelques heures ou une journée, pour "marquer le coup", mais de façon illimitée, avec pour objectif de reconduire la grève en fonction de l'évolution des négociations.
La simultanéité des attaques qui tombent et celle des luttes ouvrières, qu'il s'agisse des salaires, des licenciements ou des conditions de travail, est en train de créer une situation nouvelle. Dans cette situation, les ouvriers doivent se dire qu'ils ne sont plus seuls à se battre. Et c'est là que la faiblesse principale qui sévit dans les rangs ouvriers, celle du corporatisme, est exploitée avec force par la bourgeoisie. Cela a été évident lors de la grève à la SNCF qui, alors qu'elle avait démarré de manière unitaire, s'est prolongée dans une grève dure et de plus en plus isolée des seuls agents de conduite (voir notre article sur le sujet page 3) comme dans le déroulement de la grève des sages-femmes complètement séparées des autres catégories du personnel hospitalier. Ainsi, alors que leurs revendications initiales pour les salaires et le manque d'effectifs étaient une base pour offrir un front commun avec l'ensemble des autres catégories hospitalières (dont beaucoup sont actuellement en lutte), les sages-femmes ont vu leurs revendications dévoyées vers la fausse question de la reconnaissance de leur statut particulier.
L'enfermement et l'épuisement dans des grèves longues et isolées auxquelles conduit le corporatisme sont des dangers qui grèvent l'avenir des luttes ouvrières. L'enjeu n'est pas de se lancer dans des grèves qui durent en étant de plus en plus minoritaires avec la perspective illusoire d'avoir le patron ou l'Etat "à l'usure", mais au contraire de faire de l'élargissement de la lutte la condition de sa prolongation. Les conditions pour le faire sont présentes aujourd'hui. Mieux vaut arrêter une grève avec la conscience claire qu'on est pour le moment trop isolés et qu'on ne pourra pas gagner mais en sachant qu'on pourra bientôt reprendre la lutte dans de meilleures conditions permettant d'instaurer un rapport de forces plus favorable. De même, la mise en place d'une réelle solidarité en vue de l'établissement d'un tel rapport de forces ne se trouve pas dans la pseudo-solidarité du boycott des produits du méchant patron comme à Danone-Lu et autres pétitions populaires comme chez Marks & Spencer. Elle se trouve dans la mise en commun des revendications avec d'autres secteurs, de façon à réaliser l'extension de la lutte avec ces derniers et à former l'unité la plus large, sur le terrain de la classe ouvrière.
Le développement de l'unité et de l'extension ouvrières les plus larges nécessitent encore de ne pas laisser la maîtrise du combat aux mains des prétendus spécialistes de la lutte que sont les syndicats. Les ouvriers doivent tout au contraire nécessairement organiser et diriger eux-mêmes leur lutte à tous les niveaux à travers des assemblées générales souveraines qui prennent toutes les décisions en élisant leurs propres délégués, révocables, et leurs propres comités de grève.
Et il faut encore ouvrir les assemblées générales et toutes les réunions à tous les autres ouvriers, actifs et chômeurs, poussant à l'entrée en lutte du maximum de secteurs, orientant ainsi toute leur activité vers l'extension de cette lutte. C'est la seule façon de créer un rapport de forces en faveur de l'ensemble de la classe ouvrière.
KW (27 avril)
Avec une précipitation des plus suspectes, toutes les composantes de la gauche plurielle se sont empressées de lancer des protestations "de principe" dès l'annonce, coup sur coup, des licenciements et fermetures de sites chez Marks & Spencer et chez Danone. Dame ! Le gouvernement voulait surtout ne pas avoir l'air d'être complice des licencieurs et tâchait de sauvegarder son image de soi-disant défenseur de la justice sociale contre les "abus" du patronat, du "libéralisme" et autres "multinationales". On se rappelle qu'il y a deux ans, au moment des licenciements chez Michelin, la prétention de la gauche à faire croire que son gouvernement serait au service de la défense des conditions d'existence des prolétaires contre les attaques capitalistes, avait eu un peu de mal à être crédible, après que Jospin ait lancé que "il ne faut pas tout attendre de l'Etat". Il avait alors fallu tous les efforts de la "gauche de la gauche" pour redonner un peu de crédibilité au mythe d'un Etat "au dessus des classes", dont le rôle serait de rendre justice aux salariés contre leurs patrons "abusifs". En octobre 1999, le PC et les gauchistes de la LCR et de LO se fendaient d'une belle manifestation sur le thème de "l'interdiction des licenciements aux entreprises qui font des bénéfices", manifestation qui n'était qu'un plébiscite à la gauche plurielle au gouvernement, et le tout avait débouché sur l'annonce par la ministre Aubry d'un "plan de modernisation sociale", grâce auquel les patrons licencieurs allaient voir ce qu'ils allaient voir. On a vu en effet ... les licenciements continuer à tomber un peu partout.
Avec l'accélération que connaît aujourd'hui cette offensive anti-ouvrière (c'est presque chaque semaine depuis un mois qu'une nouvelle série de "plans sociaux" est annoncée), et ce au lendemain d'élections municipales qui ont révélé la profonde (et saine) désillusion vis-à-vis de la gauche dans les rangs ouvriers, le PS et le PC, chacun à leur manière, ont décidé de prendre les devants. "Oui, l'Etat peut et va faire quelque chose", a vite clamé le PS, histoire de faire oublier sa responsabilité dans les suppressions de postes et autres attaques dans le secteur public, où le ministre Sapin vient de refuser les augmentations de salaires aux fonctionnaires. Quant au PC, pendant que le "camarade ministre" Gayssot dénonce et condamne la grève à la SNCF, il prétend aujourd'hui "retrouver des accents de la lutte de classe" (comme l'écrit le journal Le Monde) en prenant la tête d'une "offensive citoyenne" contre Danone. Non seulement ces gens-là ne font rien d'autre qu'essayer de sauver leur image auprès des prolétaires, mais leur investissement sur le terrain de la protestation contre les plans de licenciements est un véritable poison. En effet, le "'soutien" qu'ils apportent aux ouvriers licenciés sert surtout à entraîner ceux-ci en dehors de leur terrain de classe, sur un terrain où ils sont certains de se retrouver isolés et défaits.
Pour commencer, ce n'était pas tant contre les licenciements qu'il fallait, parait-il, se battre, mais contre la "manière brutale" avec lesquels ils ont été annoncés et le fait, en particulier chez Marks & Spencer, qu'ils ne l'avaient pas été selon la "procédure légale" en vigueur en France. En gros, c'est le licencieur "étranger" qui était condamnable pour n'avoir pas licencié.. à la française. Heureusement, grâce à l'intervention du gouvernement qui a finalement condamné l'entreprise pour "délit d'entrave", les salariés de Marks & Spencer sont désormais soumis non plus à une "décision définitive" mais à un "projet" de plan social Dans la mesure où M.& S. a immédiatement fait savoir qu'il n'avait pas l'intention de revenir sur ses intentions de fermer ses magasins en Europe, on ne voit pas très bien ce que cela va changer pour eux. Comme la colère explosait chez Danone et que de nouveaux licenciements tombaient à leur tour chez Valeo, AOM et autres Moulinex, il en fallait plus pour espérer éteindre le feu social. Alors les pompiers sociaux de la gauche et des syndicats ont trouvé autre chose : ok, Danone a respecté la loi, mais ce qui est, dans son cas, "insupportable" c'est qu'une entreprise licencie alors qu'elle est bénéfiaire et qu'elle affiche des profits. On nous refait donc le coup de Michelin. Le PCF et les trosktystes ont donc vite sauté à nouveau sur la formule magique réclamant "'l'interdiction des licenciements dans les boîtes qui font des bénéfices", pendant que Jospin et Guigou, plus modérés (il faut bien se partager le travail), enfourchaient le cheval de bataille de "rendre les suppressions d'emplois plus coûteuses dans de tels cas"[1] [56]. Une nouvelle loi a donc été annoncée qui devrait augmenter les indemnités de licenciements secs et imposer des "reclassements" et autres "obligations de formation" pour les salariés jetés à la rue. Sauf que ce genre "d'amortisseurs" étaient déjà contenus dans le "plan social" Danone et que cela ne change rien à la brutalité et à la violence que celui-ci représente pour les prolétaires concernés qui se retrouvent devant le "choix" suivant : quitter la région où ils vivent, s'ils le peuvent, pour garder un hypothétique emploi au risque de condamner leur conjoint au chômage ou bien aller directement pointer eux-mêmes à l'ANPE. Mais ce qu'il y a de plus pourri dans le terrain de lutte qui est proposé aux victimes des licenciements actuels, c'est bien le discours et les mots d'ordre qui opposent les licenciements à la rentabilité de l'entreprise. Ainsi le caractère plus ou moins "scandaleux" des plans sociaux est jugé à l'aune des profits ou des pertes affichés par la société. Selon ce principe, les prolétaires d'AOM/Air Liberté ou ceux de Job par exemple sont censés accepter sans moufter les licenciements, au nom probablement d'on ne sait quelle solidarité que devraient avoir les salariés avec leur patron quand "les affaires vont mal". Tandis que ceux de Danone auraient raison de se battre et ont droit au "soutien"" empoisonné de tous les pompiers sociaux de la gauche en tout genre, au nom cette fois du fait que le patron de Danone aurait manqué de "solidarité" avec ses employés en leur préférant ses actionnaires. A la tête de ce discours on trouve le PCF et la CGT, appuyés à fond par la LCR et LO qui protestent tous en choeur contre "le libéralisme qui traite les travailleurs comme des Kleenex et qui les jette pour le profit des actionnaires" et qui fustigent la fameuse mondialisation, comme étant responsable du scandale des licenciements. Ce que ces gens cachent au fond, c'est le conflit fondamentalement irrréconciliable entre le capital et le travail. Car lorsque le patron de Danone rétorque que, s'il licencie aujourd'hui, c'est pour préserver la rentabilité actuelle de la boîte menacée par la concurrence, il dit effectivement la vérité. C'est-à-dire que c'est la logique concurrentielle de la production capitaliste qui, dans tous les cas, qu'il y ait des bénéfices ou non, est à la base des licenciements, chez Job comme chez Danone. Le capitalisme, en général, qu'il s'agisse de grandes multinationales ou de petites boîtes autochtones, n'a jamais exploité la force de travail, c'est-à-dire "créé des emplois", par altruisme, mais il l'a toujours fait uniquement et dans la mesure où cela lui permet d'extorquer un profit et d'accumuler encore du capital. De même, il se fiche comme d'une guigne de la valeur d'usage ou de la "qualité" des marchandises produites dans ses usines, seule compte pour lui leur valeur d'échange et la question de savoir s'il pourra les vendre sur le marché en faisant des bénéfices. La crise de surproduction générale que connaît le capitalisme, du point de vue du marché solvable, et la concurrence mortelle qui se joue entre les entreprises capitalistes dans ce cadre, conduit effectivement celles-ci à chercher les moyens de payer des salaires les plus bas possibles et à couper radicalement des branches entières quand l'exige la rentabilité. capitaliste. Voilà la véritable cause des licenciements, elle est contenue dans le principe même du capitalisme qui régit l'ensemble de la société et non pas dans on ne sait quelle mythique "mondialisation". C'est cette réalité qu'occultent les mobilisations orchestrées par le PCF et ses complices, comme à Calais le 21 avril, sur le thème de "la lutte citoyenne contre la mondialisation".
Le dernier thème enfin par lequel la lutte contre les licenciements est dévoyée de son terrain de classe par la gauche et les syndicats, CGT en tête, c'est celui de l'appel à la "solidarité des consommateurs". Les mêmes "consommateurs" (population indéfinie des mangeurs de yaourt) qu'on a invités début avril à aller faire des courses chez Marks & Spencer pour "prouver" à la société britannique que ses boutiques européennes sont viables, ont été ensuite priés de faire l'inverse pour ce qui concerne Danone ! La campagne pour le boycott des produits Danone, lancée par la CGT et le PC avec les soutien du couple LO-LCR et de toutes sortes d'associations, est venue depuis occuper tout le terrain de la situation, escamotant dans les médias la réalité des grèves en France. D'autant plus qu'une grande polémique a été lancée entre fractions de la gauche et entre centrales syndicales sur la question de savoir si le boycott pourrait être une "arme à double tranchant". Pendant que les uns en font la formule toute trouvée pour "obliger Danone à reculer", les autres mettent en garde contre une action qui risquerait de se retourner contre les salariés du groupe en donnant lieu à de nouveaux plans de licenciements, dans le yaourt ou les eaux minérales, en sus de ceux dans le biscuit, au nom des pertes subies par Danone sur le marché. Evidemment, l'argument des seconds voudrait , une fois de plus, nous faire croire qu'il y a une compatibilité d'intérêts entre le travail et le capital. A ce compte là, il faudrait plus encore dénoncer la grève elle-même comme "pouvant se retourner contre les ouvriers", puisque, par définition, les grèves et toute résistance ouvrière à l'aggravation des conditions d'exploitation viennent s'opposer à la compétitivité et aux critères de rentabilité du capital. Pour autant, cela ne donne aucune légitimité ouvrière aux orchestrateurs de cette campagne de boycott. Au contraire, car, au delà du fait que le boycott n'aura guère d'effet sur Danone, ni dans un sens ni dans un autre, cette campagne sert, en réalité et avant tout, à occuper le terrain du réflexe de solidarité envers les prolétaires licenciés avant que la classe ouvière ne s'en empare sur son véritable terrain de classe. L'appel aux "citoyens" ou aux "consommateurs" est comme l'appel aux élus et au gouvernement, il invite les ouvriers en lutte à chercher l'appui de divers lobbies puissants, de préférence à celui de leurs frères de classes en butte à des attaques similaires. Il font du cas Danone un cas à part, assez grave pour "concerner toute la société", mais qui n'aurait rien à voir avec les autres coups qui tombent sur la classe ouvrière. Et face à toutes ces attaques qui s'abattent massivement sur elle, la classe ouvrière doit savoir qu'elle est seule. Les soutiens empoisonnés de la gauche, des syndicats et des élus et des associations de tout poil sont autant de pièges contre elle. Mais si la classe ouvrière est seule et ne peut compter que sur ses propres forces pour se battre, elle doit savoir que ces forces là sont immenses. Les ouvriers de Danone, de Moulinex, de Marks et Spencer, d'AOM et d'ailleurs qui font face aux licenciements, les cheminots, les traminots, les postiers, et les hospitaliers, tous ceux aujourd'hui en lutte pour les salaires, les effectifs et contre l'aggravation de leurs conditions de travail, sont tous engagés dans un même combat, non pas contre tel ou tel patron particulier, ou contre telle ou telle mesure gouvernementale, mais contre le capital. C'est dans le développement et l'unité de leurs luttes que réside le seul terrain où puisse se développer réellement la solidarité ouvrière, contre les pièges dressés par la gauche et les syndicats.
PE (29 avril)[1] [57] Concernant Danone, il faut constater que ce sont pratiquement TOUTES les fractions de la bourgeoisie qui se sont cru obligées d'afficher de la compassion et de la compréhension pour les "petits LU". Même un Madelin y est allé de son couplet, pour épingler lui aussi la "brutalité" d'une annonce "indigne d'une grande entreprise comme Danone". Enfin, il n'a pas trop insisté, parce qu'à trop empiéter sur le terrain occupé par la gauche, il deviendrait vite évident que la gauche et les libéraux sont, au fond, du même bord et que seule l'hypocrisie les anime, les uns comme les autres.
Dans
le numéro 304 de RI (septembre 2000), nous avons pris position sur la campagne
qui avait agité les médias durant l'été autour des luttes à Cellatex et dans
d'autres entreprises (Adelshoffen, Forgeval...). Dans notre article, intitulé
"Un exemple à ne pas suivre", nous avons montré comment et pourquoi
les moyens utilisés dans ces luttes (le déversement d'acide sulfurique dans une
rivière dans le cas de Cellatex, la menace de faire sauter l'usine à
Adelshoffen...) ne pouvaient pas représenter une avancée pour la classe
ouvrière dans son ensemble. Nous avons notamment développé que ce n'est pas par
hasard si justement ces méthodes avaient eu droit à de grands coups de
projecteurs de la part des médias bourgeois et si le gouvernement n'avait pas
hésité à encourager leur exemple en concédant des avantages substantiels,
notamment aux grévistes de Cellatex.
En réaction à notre article, Le Prolétaire n° 455[1] [58], nous adresse une polémique acerbe, dans laquelle nous sommes accusés d'avoir voulu "calomnier cette lutte", soupçonnés de nous ranger "aux côtés des adversaires de la lutte ouvrière" et finalement traités de "pacifistes" qui "craignent en réalité le retour de cette lutte de classe qui ne pourra pas ne pas s'accompagner d'explosions brutales de luttes, d'affrontements violents". Pourquoi ? Parce que nous aurions "violemment condamné" des luttes qui, au contraire pour le PCI, auraient "donné au prolétariat la leçon que seule la lutte véritable peut payer". Pour Le Prolétaire, elles ont constitué un exemple à suivre en ce qu'elle ont été "une contribution de première importance à la rupture avec la collaboration de classe et son pacifisme, son légalisme, ses méthodes bien sages et bien responsables (...), une contribution à la reprise du chemin de la lutte de classe ouverte." C'est bien cette appréciation que nous ne pouvons pas partager avec les camarades du PCI.
Fidèles au Manifeste Communiste qui proclame : "De temps à autre les travailleurs sont victorieux, mais leur triomphe est éphémère. Le vrai résultat de leurs luttes, ce n'est pas le succès immédiat, mais l'union grandissante des travailleurs", nous pensons que ce n'est pas à l'aune du succès immédiat obtenu que les révolutionnaires peuvent apprécier le vrai résultat des luttes ouvrières. Ce que les révolutionnaires encouragent, là où ils voient un réel renforcement et une "contribution à la reprise du chemin de la lutte de classe ouverte" pour le reste de la classe, c'est notamment ce qui, bien au delà du caractère éphémère des gains obtenus, contribue à l'union grandissante des travailleurs.
Or ce qui a "distingué" Cellatex et Adelshoffen, par rapport à d'autres luttes contre des licenciements qui sont restées aussi isolées qu'elles, est-il quelque chose qui, franchement, contribue à cette union grandissante et qui montrerait le chemin pour briser l'isolement ? Quelle que soit la détermination, bien réelle, des prolétaires de Cellatex à ne pas accepter passivement les licenciements et la reprise de la combativité que ces luttes ont exprimé, il faut répondre pourtant non. Nous persistons et signons pour dire que la "violence" qui les a caractérisées et qui excitent tellement le PCI, n'en font pas pour autant un exemple à suivre. Parce que justement elles ne pouvaient pas apporter une réponse au besoin de rompre l'isolement et d'aller chercher la solidarité de classe effective des autres fractions de la classe ouvrière.
Nous sommes certes d'accord avec Le Prolétaire pour dénoncer "l’écœurante idéologie démocratique omniprésente", qui présente l'environnement comme "notre bien à tous", "alors que cet environnement malsain est saccagé en permanence par les ravages du capitalisme". Mais quand le PCI crie que les ouvriers de Cellatex, en versant de l'acide sulfurique dans un affluent de la Meuse, "ont même osé s'attaquer à l'environnement et ils ont eu raison !", on peut se demander si ce ne sont pas les camarades qui ont justement perdu la raison. D'un côté, Le Prolétaire nous dit très justement que "les premières victimes (de la pollution) sont les prolétaires contraints de travailler et de vivre en permanence dans ces environnements désastreux" (ils en sont généralement conscients, d'ailleurs), et que la majorité de la classe ouvrière reste encore hésitante à entrer en lutte. D'un autre côté, les camarades nous assènent que "ce n'est pas vrai que l'utilisation de méthodes de luttes radicales ne peuvent qu'isoler, diviser les travailleurs, les désolidariser les uns des autres". Sauf que, dans le cas qui nous occupe, ils ne voient pas tout ce que la violence de ces "méthodes radicales" avait de désespéré, en quoi elle était moins dirigée contre leurs exploiteurs (qui se fichent pas mal de l'environnement) que contre eux-mêmes. "Tout prolétaire combatif sera à leurs côtés" lance le PCI, et probablement, veut-il dire que tout prolétaire combatif sera encouragé à faire la même chose de son côté, puisque "cela a payé à Cellatex". Mais cela ne fera pas avancer d'un pouce le développement d'une véritable solidarité de classe et encore moins décidera la masse des hésitants à entrer en lutte. Poussons l'argument du PCI plus loin. Si demain, les ouvriers de l'Etang de Berre se trouvent face à la fermeture, et font sauter les immenses complexes pétroliers à côté de Marseille, Le Prolétaire criera-t-il toujours "ils ont osé, ils ont eu raison" ? Et si, après-demain, on fermait une centrale nucléaire ?.. Comme nous a écrit un de nos lecteurs, "Le PCI traite les ouvriers comme des demeurés, ils apprécieront".
En fait, et plus généralement, ce qui fait s'emballer les camarades du Prolétaire, là où ils voient une "contribution à la reprise du chemin de la lutte", c'est dans ce qui, en apparence, rompt avec "la collaboration de classe et son pacifisme, son légalisme, ses méthodes bien sages...". Nous pouvons rassurer les camarades, notre propos n'est nullement de nier le caractère nécessairement violent de la lutte de classe, ni de sombrer dans un quelconque pacifisme. Il est exact, par exemple, que le sacro-saint "respect de l'outil de travail", fait partie traditionnellement de l'arsenal idéologique de l'encadrement syndical. Et ce n'est pas par hasard : les syndicats le font justement pour mieux attacher les prolétaires à LEUR entreprise et les enfermer dans l'illusion que leur combat serait un combat pour revendiquer une partie de la propriété du capital particulier qui exploite leur force de travail (au même titre que le font les idéologies et les pratiques autogestionnaires chères aux anarcho-syndicalistes par exemple). Pour autant cela ne veut pas dire que, pour dépasser l'enfermement syndical, il suffit de prendre le contre-pied de cette idéologie du respect de l'outil de travail en faisant du sabotage de celui-ci une panacée. La radicalité violente de l'action ne contient pas en soi la perspective de briser le cadre étroit de l'usine, de la défense de la région ou de la nation. Toutes les opérations "coup de poing" dont la CGT s'est fait le spécialiste, notamment dans les années 70 et 80 sont là pour le montrer. Les opérations pneus brûlés, les blocages d'autoroute ou de chemin de fer ont été largement prônées et mises en oeuvre à ne plus en finir par les "syndicats collaborationnistes". Et qu'en est-il des leçons de Longwy-Denain en 1979, quand la CGT organisait le renversement des wagons de minerai de fer venant d'Allemagne (méthodes "illégales" et "radicales" s'il en est), afin de détourner la lutte des sidérurgistes vers la défense patriotarde de l'industrie française ? Beaucoup de ces formes d'actions, en soi, auxquelles on peut ajouter la séquestration de dirigeants, font effectivement partie de l'océan de phénomènes de la lutte de classe et de son caractère nécessairement violent, mais la plus ou moins grande violence n'est nullement en soi une garantie de radicalisation sur le fond : c'est-à-dire dans le sens de l'élargissement des moyens et des buts du combat.
Près de la moitié de l'article du Prolétaire est consacrée à des assertions ironiques sur l'idée que "la bourgeoisie (ait) machiavéliquement élaboré un plan diabolique, heureusement percé à jour par le CCI". Il s'amuse notamment à relever des prétendues contradictions dans ce que nous avons écrit sur le rôle joué par les médias et par la politique du gouvernement dans ces événements. "Il faudrait savoir,", ironise-t-il, "ou bien la bourgeoisie s'est montrée 'compréhensive' pour ces méthodes ou bien elle les a dénoncées comme destructrices". Chers camarades, elle a fait effectivement fait les deux, et il n'y a là de "contradictions insolubles" que pour ceux qui ne veulent pas voir.
A n'en pas douter, le PCI lui-même s'est laissé piégé : pour lui, la place accordée par les médias à la grève de Cellatex apporte d'abord la preuve que c'est la force de cette lutte qui aurait contraint la bourgeoisie à s'en faire l'écho et à concéder des résultats appréciables aux grévistes. Ensuite, le fait que la propagande bourgeoise l'ait assimilée au terrorisme et à la destruction de "notre environnement à tous" suffit pour le PCI à démontrer qu'elle voulait empêcher que l'exemple soit repris ailleurs.
"Malgré cela, malgré des situations qui paraissent sans espoir", nous dit le PCI, "les ouvriers de Cellatex et d'ailleurs ont montre à tous leurs frères de classe qu'il est possible de résister et qu'il est possible de remporter des concessions non négligeables". Mais il ne voit pas que ce sont les médias bourgeois qui se sont servis des ouvriers de Cellatex pour "montrer" à leurs frères de classe qu'on peut gagner des concessions par une lutte isolée, à condition de recourir à des moyens désespérés. Encourager l'idée que ces méthodes sont le seul moyen de gagner, tout en dénonçant ce qu'elles ont de destructeur est effectivement ce que voulait faire la bourgeoisie : jeter en pâture ce prétendu "seul moyen" aux prolétaires confrontés aujourd'hui à des plans de licenciements similaires, tout en décourageant la possibilité de solidarité de la part de leurs frères de classe, en comptant bien sur le fait qu'ils ne puissent pas se reconnaître dans ces fameuses "méthodes".
En passant, Le Prolétaire cautionne complètement l'illusion, très présente dans ces luttes, que ce serait parce que les ouvriers de Cellatex "ont osé s'attaquer à l'environnement" qu'ils ont attiré l'attention des médias sur leur sort et réussi à faire connaître à "l'opinion publique" la violence du plan de licenciements dont ils étaient victimes. Or, les révolutionnaires ont le devoir d’expliquer en quoi ceci est une illusion : que les médias ne sont rien d’autre qu’une partie de l’appareil de l’Etat garant de l’ordre social ; et que les ouvriers en lutte ne peuvent attendre aucune aide ni des médias, ni de cette mythique "opinion publique", qui en est la créature.
Mais pourquoi donc les grands médias nationaux ont-ils fait tant de barouf sur Cellatex et Adelshoffen, alors qu'ils ont en général l'habitude d'être très discrets sur les luttes locales et isolées de ce genre ? Parce que la classe dominante aurait réellement craint la menace sur "notre environnement à tous" ou bien parce qu'il était dans son intérêt de leur faire de la publicité ?
Ce n'est sûrement pas Le Prolétaire qui se fait des illusions sur "l'objectivité" et "l'impartialité" des médias bourgeois. C'est le PCI des années 70, rappelons-nous, qui utilisait très justement l'expression "démocratie blindée" pour décrire le pouvoir de coercition idéologique de l'État bourgeois dans les pays occidentaux développés. Un Etat qui, derrière des apparences démocratiques, exerce un contrôle totalitaire sur l'ensemble de la vie sociale et plus particulièrement sur tout ce qui concerne la lutte de classe et la propagande anti-ouvrière. Nous ne croyons pas que les camarades du Prolétaire aient le moindre doute là-dessus : malheureusement, ils n'en tirent aucune conclusion.
C'est ainsi qu'ils n'ont pas vu que la première leçon que la bourgeoisie a voulu faire passer, c'est un des mensonges les plus dangereux des syndicats, staliniens, sociaux-démocrates, gauchistes, et tutti quanti -mais aussi une des illusions les plus dangereuses dans les têtes des ouvriers eux-mêmes. C'est l'idée que la lutte peut être victorieuse en s'enfermant dans l'usine. Cette illusion est en partie responsable de toute une série de grandes défaites de la classe ouvrière : le mouvement des occupations d'usine en Italie dans les années 20 ; la grève massive de 1968 en France, quand les ouvriers ont suivi les consignes d'occupation de la CGT -pour ne pas parler d'une foule de défaites de moindre portée depuis. Par contre, c'est l'ouverture, l'extension vers d'autres ouvriers, qui a permis aux ouvriers polonais (malgré toutes les faiblesses du mouvement que nous avons analysées par ailleurs) de tenir tête à l'Etat et faire trembler la bourgeoisie internationale.
L'intérêt de la bourgeoisie à accréditer cette idée de la possibilité de victoire dans une lutte isolée est tel que l'État a même été prêt à payer de sa poche le supplément de primes octroyé aux ouvriers de Cellatex. Contrairement à ce que la propagande bourgeoise veut nous faire croire, il ne s'agit pas ici d'une lutte offensive qui a réussi à arracher des concessions aux patrons grâce à des méthodes de lutte radicales ; il s'agit d'une lutte défensive que l'appareil de la propagande étatique a su détourner à son profit, au prix (dérisoire par rapport au budget de l'État) de quelques primes.
Pourquoi la bourgeoisie française se donne tant de peine -et de frais, même petits- pour une telle campagne ? Bien sûr, nous ne croyons pas, comme nous fait dire le PCI, que "la classe ouvrière a une belle et pure conscience, au point qu'elle serait sans doute sur le point d'entrer en lutte massivement, voire de faire la révolution, mais patatras, la bourgeoisie n'arrête pas de lui pourrir la conscience, de la déboussoler, de la troubler par des pièges les plus abracadabrantesques (les mêmes pièges que les ouvriers "ont énormément de difficulté à éviter" comme vous le dîtes, camarades ?)". Par contre, nous sommes profondément convaincus que la crise de l'économie bourgeoise va en s'empirant, que les conditions de vie de la classe ouvrière ne cessent de se dégrader, et que c'est la nécessité matérielle qui poussera les ouvriers, y compris ceux qui sont aujourd'hui "encore apathiques, encore hésitants", à entrer en lutte. Nous sommes convaincus que les conditions de la lutte, et -soulignons-le- l'intervention déterminée des communistes, pousseront les ouvriers à chercher les moyens qui permettront à la lutte d'avancer et de gagner en force. Ces moyens s'appellent : solidarité, extension, organisation, envers et contre la légalité, la propagande, et le terrorisme de l'État bourgeois de la "démocratie blindée". Finalement, et peut-être c'est ici que Le Prolétaire ne nous suit pas, nous sommes également convaincus que la classe bourgeoise en est consciente -du moins partiellement- et qu'elle se prémunit dès aujourd'hui contre une telle éventualité. Elle le fait déjà en saucissonnant par tous les moyens les tentatives de luttes, en élevant en "exemple à suivre" des luttes isolées comme celles de Cellatex et Adelshoffen.
D'ailleurs, est-ce que Le Prolétaire ne suggère pas la même chose, quand il parle de "l'action étouffante de toute l'innombrable bande des pompiers sociaux (...) jusqu'aux différentes bonzeries syndicaux (sans oublier les résidus de gauche)..." ? S'il n'y a rien à étouffer, alors pourquoi cette "action étouffante" ?
L'élémentaire solidarité des révolutionnaires avec les prolétaires en grève, ne doit pas les dispenser d'assumer leur devoir de critique à l'égard des faiblesses de la lutte. C’est un devoir que Le Prolétaire échoue lamentablement à remplir, obnubilé qu'il est par un radicalisme de surface et un certain moralisme anarchisant.
Car, le PCI a beau dire que les révolutionnaires "ne cherchent pas à cacher les faiblesses" des luttes, avec leur cri "ils ont eu raison", ils ne font rien d'autre. Et, de ce fait, ils abandonnent complètement le rôle critique des organisations politiques prolétariennes auprès de leur classe. Ils ne font que lui courir derrière.
Le PCI cherche à ridiculiser notre point de vue en prétendant que la seule proposition que nous soyons capable d'opposer à "l'exemple de Cellatex" serait "la perspective fantastique de déclencher, on ne sait comment, un mouvement de l'ampleur de celui de 1980 en Pologne". Il nous explique que, dans le contexte actuel, avec toutes les difficultés liées à l'isolement, avec leurs frères de classe encore hésitants à rentrer en lutte, les ouvriers de Cellatex ont eu le mérite "d'utiliser les seules armes qu'ils avaient sous la main" et qu'on ne peut pas leur reprocher à eux l'apathie des autres prolétaires.
Autrement dit, Le Prolétaire reprend à son compte le message même que la bourgeoisie a adressé à la classe ouvrière à propos de ces événements, c'est-à-dire, en substance : "Les actions désespérées telles que le déversement d'acide sulfurique dans une rivière sont les seuls moyens qui restent aux exclus de la croissance en butte aux licenciements". Le Prolétaire n'a pas plus à dire que la bourgeoisie : dans la période actuelle, la seule arme qu'on ait sous la main, c'est la violence désespérée et isolée, enfermée sur l'usine.
Nous persistons et signons pour dire que ce n'est pas vrai. L'envoi de délégations à d'autres entreprises, la distribution de tracts mettant en avant les objectifs communs avec les autres prolétaires, la recherche d'une solidarité DE CLASSE (et non pas des "citoyens"), sont des perspectives d'actions concrètes que les révolutionnaires doivent défendre DES AUJOURD'HUI dans les luttes défensives actuelles. S'ils ne le font pas, au nom du fait que la grève de masse n'est pas immédiatement à l'ordre du jour, ils ne remplissent pas leur rôle de révolutionnaires. Ils sont de simples observateurs de l'agitation sociale.
A/P[1] [59] Le Prolétaire, organe du Parti Communiste International- Editions Progamme, 3 Rue Basse Combalot 69007 Lyon.
Le ramassis d’assassins qui compose
l’Etat algérien a encore laissé libre cours à sa folie meurtrière. En réprimant
sauvagement les manifestations qua connues la Kabylie entre le 22 avril et le 6
mai, le pouvoir algérien manifeste cet amour si cher de "l’ordre" qui
caractérise la classe bourgeoise dans tous les pays du monde. C’est près de 60
personnes tuées, des jeunes, des enfants encore pour la plupart, et plus de 600
autres blessées, parfois mutilées, pour avoir été tirées comme des lapins par
les unités anti-émeutes de la gendarmerie. Celle-ci a fait feu à balles réelles
sous le prétexte à peine croyable qu’il n’y avait plus de balles en
caoutchouc !
Quelles étaient les causes et les motivations de ces manifestations massives qui ont rapidement pris l’allure d’émeutes et de guerre de rues, d’attaques en règle des bâtiments publics et de gendarmeries notamment ? Les causes immédiates sont simples et brutales : un lycéen s’est fait lyncher dans un commissariat le 18 avril, et l’arrestation musclée de 3 autres lycéens dans la région de Béjaïa le 22 avril pouvait laisser penser qu’ils subiraient le même sort. Ce type de comportement des forces de "sécurité" a rapidement fait penser qu’il pouvait s’agir dune nouvelle provocation de la part des clans qui se partagent l’Etat, d’autant que "depuis trois semaines, la région était chauffée à blanc par de nombreux incidents" (Libération 30 avril 2001). De la même façon, le journal Le Monde du 30 avril faisait état que "la rumeur qui court en Kabylie, c’est qu’il s’agit dune provocation délibérée dune partie du pouvoir qui veut jeter de l’huile sur le feu dans la région, pour trancher des conflits internes en son sein".
De telles provocations ne sont pas impossibles et correspondent effectivement au mode de fonctionnement habituel de l’Etat algérien, dominé par les rivalités entre fractions de l’armée qui détient la réalité du pouvoir, de la sécurité militaire ou de la gendarmerie. En particulier les difficultés actuelles du président Bouteflika, pourtant mis en place par l’armée en remplacement de Zéroual en 1999, montrent qu’il na plus le soutien total de celle-ci. Par exemple, à la différence d’octobre 1988 où c’est l’armée qui avait noyé dans le sang les émeutes, faisant des centaines de victimes, cette fois, elle a laissé les forces de gendarmerie de l’Etat accomplir la sinistre besogne du maintien de l’ordre, tandis que des journaux contrôlés par les militaires n’hésitaient pas à accabler le président.
Par ailleurs, le projet de Bouteflika de "concorde civile" pour en finir avec une guerre civile qui a fait plus de 200 000 morts ces dix dernières années, est un lamentable échec. Tout au plus a-t-il permis à quelques leaders islamistes, assassins notoires, de reprendre place parmi leurs pairs dans le cadre "légal" de l’Etat, tout en aggravant les tensions avec l’armée qui ne veut pas être le dindon de cette farce réconciliatrice. On assiste ainsi ces derniers mois à une augmentation des tueries quotidiennes qui terrorisent la population civile, sans qu’il soit vraiment possible de savoir précisément qui, des GIA, de l’AIS ou de l’armée, se trouve derrière ces massacres.
Il est donc très probable que l’armée prépare déjà l’après-Bouteflika en le discréditant largement dans la population. Ce serait un régime de faveur en comparaison au traitement réservé au président Mohamed Boudiaf, purement et simplement liquidé le 29 juin 1992, alors que c’est l’armée elle-même qui lavait tiré de son exil pour le mettre à la tête du Haut Comité d'Etat, à la suite du coup d’Etat de janvier 1992 qui, en voulant empêcher la victoire du FIS aux élections législatives, a été le déclencheur de la guerre civile.
Si on ne peut écarter que des fractions de la bourgeoisie militaire algérienne aient joué un rôle dans les évènements récents, ce n’est pas pour autant la cause fondamentale du caractère massif et déterminé des manifestations. C’est bel et bien l’effroyable état de décomposition économique et sociale de l’Algérie qui pousse à la révolte des populations de plus en plus désespérées.
Si dans un premier temps, la grande presse algérienne et française (surtout Le Monde et Marianne) a mis en avant la spécificité culturelle berbère, il lui a bien vite fallu reconnaître que "les demandes économiques et sociales ont pris le pas sur la revendication identitaire" (Le Monde 30 avril 2001), revendication identitaire qui existait surtout dans la tête de journalistes toujours plus prompts à évoquer la poésie ancestrale du "peuple berbère" que les misérables conditions de vie que connaissent les ouvriers et leurs familles aujourd’hui, beaucoup plus à l’aise avec les intellectuels qui s’étaient affirmés dans le "printemps berbère" de 1980 qu’avec ces masses anonymes et violentes. Pourtant, déjà en 1980, le mouvement de protestation qui était effectivement parti sur la base identitaire donnée par les étudiants berbères n’avait trouvé sa force réelle que par le soutien du "personnel de l'hôpital de Tizi-Ouzou" et des " ouvriers de la Sonelec (usine de matériel électrique) et de l'usine de textile proche de Dra Ben Khedda" (Le Monde Diplomatique, décembre 1980).
La situation matérielle et morale des ouvriers algériens s’est constamment dégradée ces vingt dernières années : "près de 40% des 30 millions d’algériens vivent aujourd’hui au dessous du seuil de pauvreté" (Le Monde du 13 mars 2001) et "un actif sur trois est au chômage, le revenu par habitant s’est effondré de 3600 dollars à 1600 dollars en dix ans" (Le Nouvel Observateur du 10 au 16 mai 2001) tandis qu "en matière de santé [] on observe un retour en arrière de trente ans dans l’accès aux soins. Le taux de mortalité infantile grimpe en flèche. Et nous avons un million d’enfants mal nourris" (Djillali Hadjadj, auteur de Corruption et démocratie en Algérie, interrogé dans Marianne n° 211). Cela n’empêche pas la classe dominante d’augmenter de 25% le 15 février dernier le lait, aliment de base pour les enfants.
Sans aucun espoir de travail ou de vie sociale acceptable, subissant une pression politique (corruption généralisée, brutalité policière, actes terroristes) et morale étouffantes (dans leur sexualité par exemple et dont le pendant est le développement de la prostitution, y compris la prostitution institutionnelle qu’est le mariage forcé), les jeunes sont atteints de plein fouet par l’idéologie du "no-future", de ce pessimisme propre à la bourgeoisie en décomposition, quelle communique à l’ensemble de la société et qui se traduit par une recrudescence importante des suicides. En même temps qu’ils réclamaient du travail et des logements, beaucoup de jeunes criaient "nous sommes déjà morts" dans les manifestations de Tizi-Ouzou.
Les jeunes générations n’ont d’autre choix que l’exil vers un hypothétique Eldorado économique qu’ils situent quelque part en Europe, ou bien rester et se résigner au chômage, aux expédients et à la contrebande pour survivre, pour ceux qui auront la force de résister aux sirènes islamistes. Et pour ceux qui protesteraient, l’Etat leur expliquera à coup de balles explosives en pleine tête, quelle est la voix du salut d’Allah.
Les partis d’opposition, quant à eux, attendent de l’extérieur des solutions miracles. En cela ils confirment, si besoin était, qu’ils ne défendent en rien les intérêts de la classe ouvrière, dont la force est en elle-même, dans son unité. Le sauveur est évidemment Dieu pour le Front Islamique du Salut qui entend lutter contre "l’aliénation de l’Islam" (déclaration du 30 avril). Pour le Front des Forces Socialistes (FFS) de Hocine Aït-Ahmed, c’est de la communauté internationale que viendra la lumière. Il a donc multiplié les appels aux dignes représentants de la paix que sont l’ONU, Georges W. Bush et l’OTAN. Quant au Parti des Travailleurs (PT), adorateur trotskiste du capitalisme d’Etat, il s’oppose au "démantèlement des bases matérielles de la nation" et lance de vibrantes suppliques au président Bouteflika : "le président de la République est le premier responsable devant le nation. Il doit prendre des mesures politiques d’urgence à même d’éviter le pire, ordonner l’arrêt immédiat de la répression, décréter le tamazight langue nationale. Les président doit exercer ses pouvoirs constitutionnels avant qu’il ne soit trop tard."
L’élément le plus positif est sans doute le surgissement de comités de quartiers, expression confuse de la volonté de la population de prendre ses affaires en main. C’est la réunion générale des délégués de ces assemblées, tenue à Iloula le 17 mai, qui est à l’origine des nouvelles manifestations de ces derniers jours (le 20 mai et la "marche noire" du 21 mai). Il ne faut pas se faire d’illusion sur le niveau de conscience immédiat qui pourrait se manifester dans ces assemblées, très marquées par le poids des traditions. En même temps, la possibilité de jonction entre ces assemblées et les ouvriers qui entrent sporadiquement en grève générale (comme le 19 mai dans la région de Béjaïa) serait de toute évidence un élément favorisant la réflexion dans la classe ouvrière, condition nécessaire pour dépasser le stade dune révolte aveugle vouée à la répression armée ou à la récupération par les partis bourgeois.
Bien sûr les chausse-trappes seront nombreuses, mais comment pourrait-il en être autrement, compte tenu des conditions extrêmement défavorables dans lesquelles la classe ouvrière devra mener la lutte en Algérie ? Le poids de l’illusion démocratique, en particulier, sera un obstacle important dans cette prise de conscience. En faisant de la corruption la cause de la misère, les partis démocratiques, en Algérie, comme en France, masquent que c’est la crise du capitalisme, en poussant jusqu’à l’extrême l’économie de pénurie, qui génère bureaucratisme et corruption (on sait que l’économie algérienne repose essentiellement sur la rente pétrolière qui représente 97% de ses exportations et qu’en retour elle importe à plus de 90% des produits alimentaires de subsistance). Les ouvriers en France ont une responsabilité particulière vis-à-vis de leurs frères de classe de l’autre côté de la Méditerranée, en dénonçant la corruption qui règne largement ici aussi ; en faisant preuve de la plus grande solidarité dans les luttes entre tous les ouvriers, qu’ils soient "d’origine" française ou des pays du Maghreb ; en montrant que les enfants des ouvriers algériens dont la bourgeoisie s’était abondamment servie lors de la reconstruction d’après-guerre connaissent ici aussi chômage et exclusion. Si en France la gendarmerie et les forces spéciales n’interviennent pas systématiquement de façon violente, c’est que dans l’immédiat les forces d’encadrement social que sont les syndicats, les associations, les partis, et tout le cirque démocratique se révèlent bien plus efficaces pour maintenir la domination de classe. Mais sur le fond, bourgeoisies française et algérienne sont de même nature et défendent les mêmes intérêts, comme l’épisode de l’organisation de la fuite du général tortionnaire Khaled Nezzar la récemment illustré[1] [63]. A nous, ouvriers, de prendre en main nos grèves, de renforcer notre unité, de regrouper nos forces, pour redonner une perspective politique seule à même de saper le pouvoir de ces Etats criminels bien plus sûrement que ne pourront jamais le faire les émeutes du désespoir.
BTD (23/05/2001)[1] [64] Lors de sa visite en France le 25 avril dernier, Le Canard Enchaîné du 2 mai 2001 a noté que le ministre français des Affaires Etrangères, Hubert Védrine, a été particulièrement "soft" avec le régime algérien que la France tient à bout de bras : "l’histoire entre la France et l’Algérie ne prédispose pas la France à distribuer des bons et des mauvais points, à dire ce qu’il faut faire, à donner des leçons, à condamner" (déclaration du 29 avril Le Monde 30/04/2001)
Face au déchaînement des massacres impérialistes, comme ceux qui se déroulent aujourd'hui encore au Moyen-Orient, les révolutionnaires ont toujours dénoncé le poison nationaliste inoculé par tous ceux qui, au nom d'une prétendue "juste cause", appellent les prolétaires à soutenir un camp belligérant contre un autre.
Parmi ceux-là, et à côté des organisations de l'extrême-gauche trotskiste, on trouve des prétendus "révolutionnaires" du milieu anarchiste, tel le groupe "Alternative Libertaire" qui vient aujourd'hui apporter sa petite contribution à la mystification nationaliste et à l'embrigadement de la classe ouvrière derrière les drapeaux de la bourgeoisie palestinienne.
Alors que le fonds de commerce du courant anarchiste a toujours été celui de l'antimilitarisme et de l'appel radical à la destruction de l'Etat, voilà ce qu'on peut lire dans un article intitulé "Le sionisme n'a pas d'avenir" du numéro 91 d'Alternative Libertaire : "Nous ne serons pas de ceux qui renvoient dos à dos Etat israélien et Autorité palestinienne" parce qu'"en Palestine il y a un Etat qui occupe militairement les 'territoires occupés' et il y a une population qui subit cette occupation (...) En ce sens, nous soutenons la revendication du peuple palestinien à un Etat indépendant sur l'ensemble des territoires occupés, y compris les colonies de peuplement et Jérusalem Est" (souligné par nous).
Ainsi, une chose sont les principes affichés par les anarchistes, autre chose est la position réelle qu'ils adoptent face à la guerre. Cette position ne souffre d'aucune ambiguïté. C'est celle défendue depuis la première boucherie impérialiste de 1914-18 par tous les va-t'en-guerre qui, au nom de la défense nationale contre l'envahisseur, au nom de la résistance contre l'occupation des armées ennemies, ont appelé les prolétaires à prendre les armes et à se faire massacrer sur les champs de bataille pour une cause qui n'est pas la leur : celle de la défense de l'Etat national, c'est-à-dire de l'Etat capitaliste.
La vieille marchandise frelatée de la lutte des peuples opprimés contre un impérialisme oppresseur que nous servent les gauchistes de tous bords depuis des décennies, on la retrouve aujourd'hui chez les anarchistes. Mais cette position n'est pas un scoop.
C'est justement parce que les anarchistes ne se situent pas du point de vue des intérêts de la classe ouvrière qu'ils sont incapables de comprendre qu'en Palestine comme en Israël, il existe deux classes aux intérêts antagoniques. Dans la société divisée en classes, le prolétariat doit refuser de faire cause commune avec sa propre bourgeoisie nationale qu'elle soit palestinienne ou israélienne. Les prolétaires d'Israël ou de Palestine ne sont utilisés que comme chair à canon pour la défense des intérêts impérialistes de leurs propres exploiteurs.
Tout appel à la "défense nationale" est une position nationaliste bourgeoise. Ainsi, le prétendu "antimilitarisme" d'Alternative Libertaire se révèle aujourd'hui pour ce qu'il est réellement : une mystification anti-ouvrière, un pur mensonge. La prise de position d'Alternative Libertaire sur la guerre au Moyen-Orient révèle que ce groupe du courant anarchiste est un va-t'en-guerre au même titre que tous les autres groupes "radicaux" de l'extrême gauche capitaliste.
Quant à sa revendication d'un Etat palestinien "indépendant", elle révèle que la position classique des anarchistes appelant à la destruction de l'Etat, n'est là aussi qu'une simple position... de principe.
Pour justifier son grand écart, A. L. est contraint de faire une petite contorsion rhétorique en affirmant que "sans nous faire d'illusion, ni sur le fait qu'un tel Etat ne sera sans doute pas synonyme de justice sociale, et qu'il sera difficilement autre chose qu'un satellite économique des puissances occidentales et des intérêts capitalistes d'Israël. Mais, à court terme, quelle autre solution politique pourrait permettre une réconciliation entre les habitants actuels de la Palestine ?".
Pour les vrais révolutionnaires dont le seul drapeau est celui de l'internationalisme prolétarien, la question ne se pose pas en terme de "réconciliation entre les habitants actuels de la Palestine".
La notion d'"habitants" de tel ou tel territoire national est une notion interclassiste qui ne sert qu'à dissoudre la classe ouvrière dans la masse du "peuple national" où se confondent toutes les classes de la société. Encore une fois, en Palestine, comme dans tous les pays, les "habitants" sont divisés en bourgeois et prolétaires, appartenant à deux classes ennemies aux intérêts irréconciliables. Toute volonté de réconcilier ces deux classes est une pure illusion qui ne peut conduire qu'à l'union sacrée, à l'union nationale entre exploiteurs et exploités et à la défense de la paix sociale, c'est-à-dire à enchaîner les prolétaires au char du capital national.
La seule "identité" que les prolétaires de Palestine et de tous les pays ont à défendre, ce n'est pas une quelconque identité nationale, mais leur identité de classe.
La seule "autonomie" qu'ils doivent revendiquer, ce n'est pas celle d'un Etat "indépendant", mais leur autonomie de classe en refusant de se laisser diluer dans le "peuple" ou les "habitants" de Palestine.
La seule "réconciliation" pour laquelle ils doivent se battre sur leur propre terrain contre leur propre bourgeoisie nationale, c'est celle de la fraternisation avec les prolétaires du camp impérialiste ennemi en refusant de prendre les armes contre leurs frères de classe.
La seule "unité" pour laquelle ils doivent se mobiliser, ce n'est pas l'unité de tel ou tel "peuple" derrière des frontières et un quelconque drapeau national, mais celle de leur unité et de leur solidarité de classe internationale qui, contrairement à la bourgeoisie, n'a pas d'intérêts particuliers, nationaux, à défendre. Contre l'unité nationale, que préconisent toutes les cliques bourgeoises et leurs valets gauchistes et anarchistes, les prolétaires de Palestine, d'Israël et de toutes les nations du monde doivent faire leur le mot d'ordre du Manifeste communiste, seul capable de mettre fin à la guerre et aux massacres : "Prolétaires de tous les pays, unissez-vous!".
Mais le développement de l'unité du prolétariat mondial dont dépend la perspective de renversement du capitalisme, de l'abolition des frontières nationales et de la destruction de tous les Etats ne peut se réaliser à court terme. Parce que le prolétariat est une classe historique, la dernière classe exploitée et révolutionnaire de l'histoire, son émancipation ne peut se réaliser que sur le long terme, à travers des avancées et des reculs, des victoires éphémères et des défaites sanglantes.
C'est justement cette vision historique et à long terme qui manque aux anarchistes.
Or, tant que le prolétariat mondial, et notamment ses bataillons les plus expérimentés de la vieille Europe occidentale, n'aura pas développé ses luttes révolutionnaires et renversé le capitalisme, les guerres et les massacres continueront à se déchaîner au Moyen-Orient comme dans d'autres régions de la planète. Tant que survivra la domination bourgeoise, il n'y a pas de solution ni "à court terme", ni locale à la barbarie guerrière. La paix dans le capitalisme ne peut être que la paix des tombes.
Mais les anarchistes d'Alternative Libertaire ne s'en tiennent pas là.
Ils sèment l'illusion qu'il serait possible aujourd'hui, au terme d'un siècle de décadence du capitalisme, de construire un Etat national en Palestine, un Etat qui ne serait pas impérialiste au même titre que l'Etat d'Israël. Ainsi, dans un article d'Alternative Libertaire n°93 (janvier 2001), signé de l'illustre Alain Bihr[1] [66] affirmant que : "Tous ceux qui luttent pour l'émancipation humaine en général ne peuvent que se déclarer hostiles à tout principe national, à la division de l'humanité en Etats-Nations." et qu'ils "se garderont toujours d'épouser la cause de quelque nationalisme que ce soit". Mais immédiatement après cette belle déclaration de principe, Monsieur Bihr, qui n'est pas à une contradiction près, réintroduit brillamment par la fenêtre le poison du nationalisme qu'il a rejeté par la porte. Qu'on en juge : "Est-ce à dire que, dans le conflit israélo-palestinien, il faille renvoyer les deux camps dos à dos, tenir la balance égale entre les deux ? Oui... si toutefois la balance était égale entre eux. Or, elle ne l'est pas : de ces deux principes nationaux et nationalistes qui s'affrontent, l'un est oppresseur et l'autre opprimé".
Ainsi, il existerait un "bon" et un "mauvais" nationalisme, un nationalisme "oppresseur" et un nationalisme "opprimé" que le prolétariat devrait défendre. Ce type d'argument suranné, c'est celui que nous ont servi pendant des décennies les fractions de l'extrême gauche du capital, trotskistes, maoïstes et autres guérilleristes du "tiers-monde", lorsqu'à l'époque de la guerre froide ils envoyaient les prolétaires à l'abattoir au nom des prétendues "luttes de libération nationale" dont le seul objectif consistait à ramener les "pays opprimés" par l'impérialisme américain sous la tutelle du bloc impérialiste russe.
Cette position nationaliste bourgeoise dont se revendique Alternative Libertaire sous la plume de Monsieur Bihr, tourne le dos à la position qu'ont toujours défendue les révolutionnaires depuis le début du siècle. Comme l'affirmait Rosa Luxembourg dans sa brochure La crise de la social-démocratie, dans le capitalisme décadent, "La politique impérialiste n'est plus l'essence d'un pays ou d'un groupe de pays. Elle est le produit de l'évolution mondiale du capitalisme à un moment donné de sa maturation. C'est un phénomène international, un tout inséparable qu'on ne peut comprendre que dans ses rapports réciproques et auquel aucun Etat ne saurait se soustraire."
Ainsi, depuis la Première Guerre mondiale, dans tous les conflits inter impérialistes qui ravagent la planète, les vrais révolutionnaires n'ont aucun camp, aucune nation, aucun Etat à défendre. A l'aube de ce nouveau siècle où le capitalisme étale la barbarie sanglante dans laquelle il continue à enfoncer l'humanité, où des secteurs du prolétariat sont poussés à s'entretuer derrière la folie meurtrière et les appétits impérialistes de leur bourgeoisie nationale, toute organisation politique qui adopte une autre position que celle de la défense intransigeante de ce principe internationaliste se rend complice des crimes perpétrés par le capitalisme et démasque son appartenance au camp bourgeois des massacreurs du prolétariat, quelles que soient ses justifications idéologiques.
En ce sens, un groupe comme Alternative Libertaire est bien de la même veine que les groupes trotskistes. Sa nature bourgeoise ne doit faire aucun doute pour quiconque se situe du point de vue des intérêts de la classe ouvrière.
Camille
[1] [67] Alain Bihr est un universitaire, docteur en sociologie, qui, tout en se présentant comme un révolutionnaire et un défenseur de la classe ouvrière, s’est distingué par la contribution qu’il a apporté (dans ses ouvrages et ses articles publiés dans Le Monde Diplomatique) aux campagnes menées par la bourgeoisie occidentale sur la fin de la classe ouvrière après l’effondrement des régimes dits socialistes d’Europe de l’Est (voir à ce sujet notre article Le prolétariat est toujours la classe révolutionnaire dans la Revue Internationale n° 74).
Après
la parution de nos deux livres "La Gauche communiste d'Italie"
et "La Gauche hollandaise", le CCI vient de publier une
nouvelle brochure de contribution à l'histoire de la gauche communiste :
"La Gauche communiste de France".
Avec
cette brochure, le CCI entend poursuivre le travail de réappropriation
par les nouvelles générations de révolutionnaires de l'histoire dont
elles sont issues.
Au
cours de la période de contre-révolution qui a suivi la première
vague révolutionnaire de 1917-23, les fractions de gauche qui, dans les
différents pays, ont tenté de préserver les acquis prolétariens face
à la dégénérescence de l'Internationale et à la trahison des partis
communistes, se sont inspirées mutuellement. La terrible contre-révolution,
qui s'est abattue sur le prolétariat mondial à partir de la fin des
années 20, a provoqué une dispersion tragique des forces qui ont tenté
de maintenir le cap de la perspective communiste. Mais même dans une
telle situation, c'est le mérite de la Gauche italienne d'avoir conçu
son effort comme un effort du prolétariat international et d'avoir su
reprendre à son compte les apports des autres secteurs nationaux du
prolétariat. Cet effort s'est particulièrement concrétisé en France
où le surgissement des courants de gauche devait bien peu aux courants
politiques issus du Parti communiste lui-même et beaucoup plus à la présence,
comme réfugiés politiques, d'éléments provenant d'autres pays. La
Gauche communiste qui s'est développée en France à partir de 1944,
tout en se considérant comme un courant de la Gauche communiste
internationale impulsée par la Gauche italienne, a poursuivi l'effort
de cette dernière, s'est inspirée de sa méthode, pour intégrer
pleinement les acquis des différents courants de la Gauche communiste
issue de la Troisième internationale. Ce travail de synthèse a été
critiqué par certaines organisations qui se revendiquaient
exclusivement de tel ou tel courant de la Gauche communiste (Gauche
italienne ou Gauche germano-hollandaise). En qualifiant "d'éclectique"
la méthode de la Gauche communiste de France, dont est issu le CCI, ces
organisations faisaient surtout la preuve qu'elles avaient oublié une
des leçons fondamentales de l'histoire du mouvement ouvrier : la
participation de l'ensemble des secteurs nationaux du prolétariat (et
non d'un seul d'entre eux) à l'élaboration de ses positions politiques
et de son programme. C'est en se basant sur l'ensemble des acquis
historiques du mouvement ouvrier, et non seulement sur certains d'entre
eux, que pourra se constituer le futur parti mondial du prolétariat.
En
ce sens, la publication de cette nouvelle brochure s'inscrit dans un
double objectif :
Enfin, on ne peut clore cette courte présentation sans évoquer le nom de Marc Chirik qui fut présent aux différents moments de l'histoire du mouvement ouvrier retracés dans cette brochure. Dans cette période historique qui fut celle de la pire contre-révolution de l'histoire, très peu d'individus ont eu la force de résister, de se maintenir sur les positions de classe pour transmettre les acquis révolutionnaires aux nouvelles générations ouvrières. Ceux qui y sont parvenus ne sont qu'une poignée. Marc Chirik fut de ceux-là. C'est même durant ces années d'épreuves qu'il a forgé et renforcé ses positions politiques en combattant d'abord au sein du PCF, puis dans l'Opposition trotskiste et enfin dans la Gauche italienne. Pendant la guerre, c'est sous son impulsion que se forme le Noyau français de la Gauche communiste qui deviendra, à la fin de 1944, la Fraction française de la Gauche communiste et finalement la Gauche communiste de France dont les publications sont L'Etincelle et Internationalisme. Toute sa vie, Marc Chirik a poussé à la discussion politique et théorique entre les groupes révolutionnaires en vue de leur rapprochement et de leur regroupement.
A
travers le CCI, dont il est l'un des principaux fondateurs, Marc
restera, jusqu'au bout, fidèle à cette ligne politique.
C'est
pour cette raison que, dix ans après sa disparition, nous lui dédions
cette brochure.
Depuis le mois de janvier, les bobards racontés par la classe dominante
sur la "bonne santé de l'économie" et le "bon moral
des Français" n'ont cessé d'être ouvertement contredits
par les faits. Des faits criants de vérité : le capitalisme est
bel et bien en crise et les bourgeois sont bien obligés aujourd'hui de
le reconnaître. La seule chose que ce système capitaliste soit
capable de faire, ce n'est pas d'apporter de plus en plus de "prospérité"
à l'espèce humaine -comme on essaie encore de nous le faire croire-,
mais au contraire toujours plus de misère et de chômage, toujours
plus de barbarie guerrière. Et, pour ceux qui se révoltent, la
répression la plus bestiale, comme en Algérie où les récents
événements nous donnent aujourd'hui un avant-goût de ce
qui arrivera ici lorsque le prolétariat se soulèvera face à
l'Etat bourgeois. Voilà le vrai visage du capitalisme.
Et le seul moyen qu'ait ce système de "gérer" sa crise, c'est de taper toujours plus fort sur ceux qu'il exploite : les salariés, les prolétaires, ceux qui travaillent pour un toujours plus maigre salaire et dont c'est pourtant le travail qui fournit l'essentiel de la richesse sociale. Derrière leurs discours hypocrites, l'Etat et son gouvernement sont, dans tous les pays, les principaux orchestrateurs de ces attaques anti-ouvrières. En France, sous couvert de "réduction du temps de travail", le gouvernement de la gauche plurielle a réussi à imposer partout une aggravation des conditions de travail et des pressions toujours plus fortes sur les salaires. C'est encore lui, en parfaite complicité avec le patronat, qui organise les réductions de remboursements de sécurité sociale, l'attaque contre les chômeurs, les menaces de plus en plus précises sur les retraites, etc.
Jusqu'à présent, c'est par petits paquets que la bourgeoisie et
son Etat ont réussi à faire passer leurs attaques contre les conditions
d'existence des prolétaires. Ainsi, la mise en place des accords de RTT
et leur cortège d'aggravation des conditions de vie s'est faite, non
seulement branche par branche mais même boîte par boîte. Dans
une entreprise "publique" comme la Poste, c'est ville par ville et
même bureau par bureau qu'on a mis en oeuvre les "réorganisations"
liées aux 35 heures. Ce qui fait que la riposte, malgré le fait
qu'elle n'a épargné aucun secteur, privé comme public,
s'est trouvée d'entrée éparpillée, saucissonnée
et donc impuissante. Ceci avec l'active complicité des syndicats qui
ont tout fait pour maintenir ces luttes dans l'isolement.
Mais aujourd'hui la nouvelle plongée dans la crise économique
ne permet plus à la classe dominante de déguiser ses attaques
derrière de prétendues "mesures sociales", ni de les
présenter comme quelque chose de spécifique, s'attaquant à
tel ou tel "corporatisme" ou "privilège" (!) particulier,
ni même de les étaler dans le temps. Non. Les annonces à
répétition de "plans sociaux" (hypocrite vocable pour
désigner les charrettes de licenciements) de ces derniers mois, à
Danone, AOM-Air Liberté, Marks & Spencer, Pechiney, Motorola, Valeo,
Moulinex, Bosch, Alsthom, et derniers en date Philips et Alcatel, ne sont plus
des attaques isolées contre telle ou telle catégorie ouvrière.
C'est une offensive directe, frontale, avouée, contre la classe ouvrière
toute entière. Et cela ne se passe pas seulement en France mais en même
temps, dans tous les pays, et notamment dans tous les pays les plus développés
de la planète. Plus encore, aujourd'hui, chaque prolétaire peut
d'ores et déjà se douter, même si aucun "plan social"
n'est encore annoncé dans "sa" boîte, qu'elle risque
d'être la prochaine à faire la Une des journaux avec en face un
chiffre : combien d'usines à fermer, combien de milliers d'emplois à
supprimer.
La bourgeoisie n'est pas en train d'attaquer des "postiers", des "sages-femmes", des "Pechiney", des "cheminots" ou des "Lu", elle s'attaque à la classe ouvrière toute entière. Et cela pose au prolétariat la question d'une riposte ouvrière à la hauteur de la massivité de cette offensive. La nécessité de rompre avec l'isolement, de se battre ensemble sur notre terrain de classe est contrainte, qu'on le veuille ou non, de commencer à faire son chemin dans les têtes. C'est bien pourquoi toute la bourgeoisie de gauche bien pensante, les représentants de l'Etat, et avec eux les syndicats, n'ont eu de cesse d'essayer de contrer ce besoin et, quand il ne peuvent plus le contrer, de tout faire pour le dévoyer vers des impasses.
Ainsi, le premier souci de la classe dominante quand elle cogne sur les ouvriers, c'est d'épargner l'Etat de la colère ouvrière et de toute critique de son rôle de garant de l'ordre bourgeois. C'est pourquoi tout est fait pour nous dire que les plans de licenciements sont le fait de patrons particuliers, de la "cupidité" des actionnaires et du "libéralisme sauvage", tandis que l'Etat, lui, n'y est pour rien. Non seulement il n'y est pour rien, nous dit-on, mais... il est contre ! La preuve, le gouvernement vient de nous pondre une "loi de modernisation sociale" qui est censée empêcher ce fameux "libéralisme sauvage" de frapper trop "sauvagement". Tu parles !
En fait d'intervention de l'Etat sur la réglementation des licenciements, la "loi Guigou" n'est déjà dans sa forme initiale qu'un bla-bla juridique autour de la procédure qui va accompagner et légaliser les licenciements dans les entreprises. Là-dessus, on assiste à un grand barouf du PCF qui lui reproche "de ne pas aller assez loin" dans la protection sociale des salariés licenciés. Le PC menace alors de mettre le gouvernement en minorité en votant contre l'adoption de cette loi au parlement. Ce qui permet au PCF de lancer un appel national à tous les ouvriers menacés par les plans de licenciements pour descendre dans la rue le 9 juin. Et c'est Arlette Laguiller et ses bataillons de LO qu'on a vu défiler une nouvelle fois au coude-à-coude avec Robert Hue. Mieux, outre le PCF et les gauchistes, ce sont presque tous les syndicats mais aussi les Verts, la plupart des mouvements associatifs et citoyens, et jusqu'au Club de la Gauche Socialiste (courant de la gauche du PS) qui ont appelé à se mobiliser "tous ensemble". Pour réclamer quoi ? Une loi plus sociale du gouvernement. Contre quoi ? "Les abus du libéralisme" et les "licenciements boursiers". Ainsi, la Gauche Socialiste pouvait déclarer dans un tract : "Se mobiliser aux côtés des salariés dont l'emploi est menacé sans véritable motif économique, ce n'est pas seulement manifester de la solidarité, c'est protester contre le libéralisme à tout crin, c'est défendre l'intervention de l'Etat en matière de régulation du marché". Nous y voilà !
Ainsi, on nous a présenté le 9 juin comme "un grand moment
de mobilisation unitaire contre les plans sociaux", alors qu'on a poussé
à l'inverse les ouvriers à se rassembler derrière la défense
d'un "vrai gouvernement de gauche" et donc derrière l'Etat
bourgeois. Tout cela pour voir finalement le PCF voter le 13 juin la loi Jospin-Guigou
assortie d'amendements parfaitement bidons. Ces amendements nous ont pourtant
été présentées comme "une victoire de la mobilisation
de la rue", selon la propagande du PCF. Or, ce qui s'est passé,
c'est tout, sauf une riposte de la classe ouvrière sur son terrain de
lutte. C'est en fait une mesure de la bourgeoisie uniquement destinée
à renforcer ses amortisseurs sociaux au moment où l'accélération
de la crise économique la contraint à des plans de licenciements
massifs contre la classe ouvrière.
D'ailleurs, depuis que la loi Jospin-Guigou
est passée, des nouveaux licenciements ont été annoncés
chez Philips ou Alcatel, sans que cela change quoi que ce soit pour les ouvriers
concernés. En fait, la "mobilisation exemplaire" du 9 juin
ne visait pas autre chose qu'à donner une fausse réponse à
un besoin d'unité et de politisation bel et bien présent dans
les rangs de la classe ouvrière. Mais ce besoin d'unité et de
politisation n'a de sens que dans la seule perspective possible d'un point de
vue prolétarien : le renversement du capitalisme. En aucun cas, ce ne
peut être pour réclamer ou attendre des lois de la part du gouvernement
et de l'Etat.
Cela signifie que pour atteindre cette unité et cette politisation
dans le développement de ses luttes, la classe ouvrière doit prendre
conscience que ceux qui prétendent la défendre sont des ennemis
de classe qui l'entraînent systématiquement dans des impasses stériles.
Les ouvriers doivent assimiler peu à peu l'idée qu'ils ne peuvent
compter que sur leurs propres forces, qu'ils ont besoin de prendre en charge
eux-mêmes leurs luttes à travers des assemblées générales
souveraines, des délégués de grève élus et
révocables en permanence, assurant l'extension vitale de la lutte à
d'autres entreprises, à d'autres secteurs, contre toutes les forces d'encadrement
que sont les partis de gauche et les syndicats. Voilà quels sont les
véritables besoins d'unité et de politisation de la lutte ressenties
au sein de la classe ouvrière.
Loin de lui permettre de circonscrire le mouvement de protestation qui secoue le pays depuis deux mois maintenant, la brutalité de la répression policière dont a fait preuve l'Etat algérien, a servi de catalyseur à la révolte[1] [69]. Ce mécontentement a culminé avec la manifestation monstre du jeudi 14 juin. Celle-ci a réuni plus d'un million de manifestants dans les rues d'Alger, venus d'un peu partout, surtout des régions de l'Est de l'Algérie, et pas seulement de Kabylie. Jamais une telle manifestation ne s'était produite en Algérie depuis 1962. De nouveaux affrontements avec les forces de l'ordre ont alors fait plusieurs morts et des centaines de blessés. Les unités de police anti-émeutes ont chargé avec du gaz et des canons à eau mais surtout elles ont tiré avec des grenades explosives et des balles réelles.
Entre avril et mai, il y eût 52 morts et 1300 blessés, certains d'entre eux arrachés des hôpitaux par la police pour parachever la répression. Depuis, la révolte a pris la forme d'un mouvement tellurique secouant toute la société algérienne, alternant émeutes et manifestations massives, surgissant dans la moindre faille du dispositif policier, d'un bout à l'autre du pays, débordant largement le cadre de la revendication berbérophone dans lequel les médias bourgeois, français notamment, aimaient à nous décrire les événements.
C'est la mort d'un lycéen tué par balles dans une caserne de gendarmerie en Kabylie qui avait mis le feu aux poudres le 18 avril. On peut d'ailleurs se demander si la "raison politique" de cette provocation policière ne réside pas une nouvelle fois dans les luttes intestines des fractions de la bourgeoisie algérienne qui ravagent les coulisses de l'Etat depuis des lustres. Quoi qu'il en soit, si cette explosion de colère a trouvé son détonateur dans une répression aussi absurde que barbare, elle se nourrit essentiellement d'une exaspération sociale qui est à son comble. C'est avec cette phrase terrible que les jeunes décrivent leur existence : "nous sommes déjà morts", dans un pays où plus de 70% de la population a moins de 35 ans et le chômage dépasse largement les 30% !
"Du travail !" a été la première des revendications des manifestants : "Parmi les revendications..., l'accès à un emploi figurait en tête de liste. Ils sont de plus en plus nombreux à réclamer ce droit. C'est le motif de leur colère actuelle contre le système". Ce fléau touche près du tiers de la population : "En hausse de 4 % entre 1997 et 2000, selon le BIT (Bureau International du Travail), le taux de chômage est passé de 26,41 à 30,49 %" (El Watan 26 juin).
"A bas la misère!" la seconde grande revendication avec une pénurie qui hante les régions et s'abat sur les familles à tout moment : rationnements d'eau potable, coupures d'électricité, pénuries de denrées alimentaires de base, abandon des services de santé, caractérisent la vie quotidienne en Algérie où des milliers de pauvres sont transformés en mendiants jour après jour. En 1988, il y eût "la révolte de la semoule" à cause d'une brutale augmentation de prix des denrées de base. Cette révolte, réprimée par l'armée, fit plus de 500 morts. Depuis, la population algérienne non-exploiteuse n'a jamais pu connaître un semblant d'espoir de voir son sort s'améliorer. Le PNB par habitant est passé en dix ans de 3700 à 1600 dollars. Les couches non-exploiteuses d'Algérie sont en train de vivre un processus accéléré de paupérisation.
"A bas la Hogra !", aura été le troisième grand cri des manifestants qui, après deux années d'exercice du "providentiel" Bouteflika, ont vu la corruption se répandre avec toujours plus de mépris pour les besoins les plus élémentaires de la population.
"A bas la répression !" aura été enfin, le dernier grand cri du ras le bol de la société algérienne qui n'en peut plus d'étouffer sous la botte de l'appareil militaire et policier, véritable squelette de l'Etat capitaliste et embrassant dans une mortelle étreinte la moindre respiration de la vie sociale.
Malgré ces légitimes revendications un sentiment de détresse déchire tous les coeurs. Car, malheureusement, après deux mois d'explosion, nous ne voyons pas pointer dans ce mouvement ne serait- ce que l'embryon d'une affirmation prolétarienne indépendante, en termes de conscience et d'organisation, seule force qui pourrait donner à la colère de la rue un sens et une perspective.
Le régime algérien s'assimile à bien des égards aux Etats néo-staliniens qui fleurirent aux quatre coins de la planète dans la deuxième moitié du 20e siècle et dont la maison mère, l'URSS, se vautra à la fin des années 80 dans un océan de décomposition, d'anarchie politique, de corruption, de misère sociale, sans que le prolétariat n'ait pu trouver la force d'intervenir sur son terrain de manière indépendante.
Aujourd'hui, douze ans après, la situation n'a fait qu'empirer. Des années d'une guerre non déclarée entre le pouvoir militaire et les islamistes, faisant plus de 100.000 morts et des milliers de disparus, a terrorisé une population prise en otage entre deux blocs armés, utilisant une sauvagerie inouïe et bien programmée.
L'armée, véritable ossature du pouvoir, après avoir fait taire momentanément ses divisions[2] [70], laisse Bouteflika assumer la responsabilité de la répression et de l'anarchie. Celui-ci, énième pantin de l'Etat capitaliste algérien, après quinze jours d'un pesant silence, n'a eu d'autre position que celle d'un zélé serviteur de la bourgeoisie qu'il est : Appels au calme, à l'unité nationale, etc.
C'est aussi le cas de tous les politiciens embusqués derrière le bois, attendant le moment propice pour récupérer le mécontentement en faveur d'un "projet démocratique" susceptible d'alimenter le crédit politique de l'Etat, même si ce ne sera que pour quelques mois de plus.
On ne voit guère plus les islamistes, d'ailleurs bien intégrés dans les arcanes du pouvoir officiel. C'est bien une preuve de plus que cette manifestation particulièrement rétrograde du niveau de décomposition atteint par la société bourgeoise, n’était qu'une fausse réponse, fabriquée de toutes pièces[3] [71], à la terrible dégradation des conditions de vie de la classe ouvrière et des couches non-exploiteuses ces 12 dernières années.
En avril, on a beaucoup insisté sur les revendications régionalistes berbères : ce serait un mouvement pour la langue et la culture. Cela a obligé même un parti politique, le Rassemblement Culturel Berbère, à quitter le gouvernement Bouteflika pour avoir les mains libres pour " dénoncer la répression ". Quant à l'autre parti bourgeois "démocrate", le Front de Forces Socialistes, il soutient le mouvement pour mieux tenter de le récupérer pour le compte d'un programme de "sauvetage de l'Algérie" qui n'est jamais qu'un programme de défense de l'Etat bourgeois et du capital algérien. Comme les autres forces bourgeoises en présence, il ne fait que disputer au régime militaire le contrôle de l'économie et notamment des rentrées de devises de la rente du gaz et du pétrole algériens.
L'image des politiciens bourgeois d'opposition, qu'ils soient démocrates, ou qu'ils soient islamistes, est presque aussi dégradée que ceux qui occupent le pouvoir, civil ou militaire, qui sont littéralement vomis. Ainsi, il est très peu probable que les "forces d'opposition démocratique", malgré le soutien diplomatique et idéologique que leur apporte l'Etat français, représentent vraiment une alternative à la crise et au régime militaire du FLN, compte tenu de l'arriération des structures algériennes dans un contexte de crise économique mondiale. La seule chose dont la bourgeoisie algérienne sera capable, c'est encore l'utilisation de ces révoltes pour renforcer son pouvoir répressif. A l'heure actuelle, le pouvoir algérien fait tout et va tout faire pour circonscrire cette révolte dans un cadre régional kabyle ou démocratique national, en multipliant les provocations, en accentuant les divisions entre "arabes" et "kabyles" et autres faux choix. A tel point que la seule institution qui parvient à encadrer un tant soit peu la colère de la population en Kabylie sont les "comités des villages", organismes qui sont des vestiges d'un monde révolu et qu'on remet en service -en coordination avec diverses "associations" d'intellectuels du monde éducatif-, pour essayer d'enfermer cette colère dans l'étau de l'identité culturelle berbère d'un côté et de la revendication démocratique de l'autre. Voilà comment la classe dominante algérienne essaye de compenser l'incapacité chronique de son Etat de se doter des oripeaux d'une démocratie bourgeoise à l'occidentale.
Ces comités prônent de fait la paix sociale : "Les membres de la coordination des archs et des comités de daïras et de communes souhaitent, par ailleurs, l'arrêt des émeutes. Le mouvement de contestation doit se poursuivre, de leur avis, dans un pacifisme total afin d'éviter que l'état d'exception ne soit décrété, et par conséquent gêner leurs actions futures." (El Watan 2 juin).
A tout cela s'ajoute la pression des grandes puissances, en premier lieu de la France, mais aussi des Etats-Unis, pour qui l'Algérie est un pays de la plus grande importance stratégique dans l'échiquier impérialiste. Elles aussi participent activement à la prise en otage de la population, dans leur rivalité pour le contrôle de la rive Sud de la Méditerranée, par fractions bourgeoises locales interposées.
Que fait la classe ouvrière dans les événements récents ? Il y a douze ans encore, on a pu voir, du moins au début de la révolte, une classe ouvrière qui exprimait de timides tentatives, à travers ses grèves, d'affirmer son existence. Aujourd'hui, le moins qu'on puisse dire c'est que la mobilisation ouvrière n'apparaît pas de façon claire dans les événements. Même si les émeutes impliquent un grand nombre de jeunes ouvriers et chômeurs, ceux-ci sont mêlés dans une masse plus informe qui inclut aussi bien les petits commerçants et paysans locaux. Et surtout, même si des grèves sont déclenchées de ci de là, elles sont noyées dans le mouvement populaire et restent dans l'ensemble soumises aux mots d'ordres des diverses coordinations de "citoyens" ou des syndicats.
Ceci ne veut pas dire que la bourgeoisie algérienne, au premier chef l'armée, ignore le danger potentiel que représenterait une réelle mobilisation de la classe ouvrière des centres industriels sur son terrain de classe, c'est-à-dire de l'extension de grèves sur la base de revendications élaborées de manière indépendante par des assemblées ouvrières. On a pu voir en mars dernier, un mois avant l'explosion de la révolte, à l'occasion de grèves dans le secteur du gaz et pétrole, que cette préoccupation était tout à fait réelle, puisque syndicats et gouvernement ont été d'une très grande prudence : "La direction de la centrale syndicale, qui, jusque-là, a pratiqué une politique de modération sociale, s'est abstenu de désavouer le mouvement de contestation sociale." (L’Humanité, 14/04/2001).
Mais il faut être lucide, c'est actuellement la révolte de la jeunesse qui tient le haut du pavé. En cela, et bien qu'il exprime des revendications qui concernent le prolétariat (contre la répression, contre le chômage, etc.), ce mouvement -tant que n'émergera pas une réelle mobilisation ouvrière indépendante- ne peut que s'épuiser et finir par servir de masse de manoeuvre aux affrontements entre cliques bourgeoises. Il en est de l'Algérie comme de beaucoup d'émeutes de la misère qui, de plus en plus nombreuses, dans un contexte de crise et de décomposition, explosent de par le monde. La seule force qui puisse leur présenter une perspective, un espoir et empêcher leur récupération sur un terrain bourgeois, c'est la classe ouvrière, dans son combat sur son propre terrain contre l'exploitation capitaliste. C'est pourquoi, pour les prolétaires algériens, il ne s'agit pas de soutenir les émeutiers en venant simplement grossir leurs rangs. Il s'agit d'abord d'affirmer leurs propres revendications, d'affirmer leur autonomie de classe en s'organisant de manière distincte, en dehors de toutes les sirènes syndicales classiques (qui sont les piliers sociaux du régime de capitalisme d'Etat du FLN) comme de toutes les sirènes démocratiques, identitaires ou islamistes. Toutes ces sirènes-là, au delà de leurs luttes intestines, en appellent toutes au même objectif, parfaitement bourgeois : celui de "sauver l'Algérie", c'est-à-dire de défendre l'intérêt du capital algérien. Cet intérêt du capital national qui est, comme partout ailleurs, antagonique à celui du prolétariat. Rompre avec tout objectif national, se battre comme une partie de la classe ouvrière internationale, relier consciemment son combat à tous les combats prolétariens contre l'exploitation capitaliste et son cortège de licenciements, de chômage et d'austérité de part le monde, voilà la tâche de la classe ouvrière en Algérie, comme elle est celle de la classe ouvrière en France, au Japon ou aux Etats-Unis.
Certes dans l'immédiat, cette partie du prolétariat international en Algérie est bien faible. Dans les centres industriels, elle est encore largement prisonnière du carcan syndical qui l'enferme notamment dans l'illusoire "privilège" que serait le fait d'avoir un emploi et un salaire. Cela dit, comme partout ailleurs, elle a potentiellement les moyens de se mobiliser pour ses intérêts immédiats et l'aggravation de la crise économique ne peut que venir alimenter ces potentialités de lutte. Cependant, c'est, bien au delà, la question de la capacité du prolétariat d'affirmer à terme son projet politique propre qui est posée et que viennent nous rappeler les tragiques événements d'Algérie. Alors, à ce niveau, il faut être clair : cette question n'a pas sa réponse en Algérie même, mais d'abord dans le développement du combat ouvrier dans les pays centraux.
Ainsi, dans les pays développés, et notamment en France, la classe ouvrière n'a qu'une manière d'affirmer sa solidarité avec ses frères de classes de l'autre côté de la Méditerranée et de s'opposer à la sauvagerie de la répression qui s'abat sur les manifestants en Algérie. C'est d'abord de ne pas mêler sa voix à celle des bourgeois hypocrites qui réclament du gouvernement français "qu'il aide l'Algérie à se doter d'un régime vraiment démocratique", c'est de refuser tout autant d'aller défiler derrière des drapeaux algériens ou kabyles comme le 17 juin dernier à Paris. C'est ensuite, tout naturellement, de développer ses luttes ici, contre les licenciements, le chômage, les bas salaires, luttes qui seront un puissant révélateur de la réalité internationale du prolétariat. Notamment ce sont ces luttes qui pourront dissiper les illusions sur l'Etat bourgeois démocratique qui pèsent si lourdement à la périphérie[4] [72]. Enfin, sur le plan politique, un travail est à l'ordre du jour : celui de regrouper internationalement la petite minorité d'éléments prolétariens conscients qui peut émerger à l'occasion de la crise sociale en Algérie (comme dans d'autres régions du monde), notamment en s'appuyant sur les liens organiques et historiques forts qui existent entre ces deux parties du prolétariat international de part et d'autre de la Méditerranée. Ceci, d'ores et déjà, constitue la tâche des révolutionnaires. Sans elle, la classe ouvrière mondiale ne pourra pas accomplir sa tâche historique de destruction de l'Etat bourgeois et de renversement des rapports de production capitaliste à l'échelle internationale.
PBP (1er juillet)
[2] [75] Sur le consensus entre les onze généraux qui chapeautent l'Etat algérien, voir l'interview de Hichem Aboud, ancien chef de cabinet du patron de la sécurité militaire algérienne dans Le Nouvel Observateur du 14 juin 2001.
[3] [76] Soit par l'Etat dans la période Chadli pour le FIS, soit par des impérialistes concurrents dans le cas des GIA (Arabie Saoudite et Etat-Unis par exemple).
[4] [77] Cet Etat bourgeois des pays développés dispose d'un arsenal impressionnant d'amortisseurs sociaux qui suffisent pour le moment à maintenir une relative paix sociale. Mais le même Etat n'aura demain pas plus d'états d'âme que la clique de Bouteflika pour réprimer la classe ouvrière des pays centraux quand, ayant brisé ces digues, elle se dressera contre l'ordre capitaliste.
Comme pour toute organisation dans le mouvement ouvrier, le congrès constitue l'instance suprême du CCI. C'est l'occasion par excellence pour tirer un bilan du travail effectué depuis le précédent congrès et tracer les perspectives de celui à entreprendre pour la période qui vient.
Ce bilan et ces perspectives ne sont pas établis en "vase clos". Ils dépendent étroitement des conditions dans lesquelles l'organisation est amenée à faire face à ses responsabilités, et en premier lieu, évidemment, du contexte historique général.
Il appartient donc au Congrès de faire une analyse du monde actuel, des principaux enjeux des événements qui affectent la vie de la société sur le plan de la situation économique (dont les marxistes savent qu'elle détermine en dernière instance tous les autres aspects), de la vie politique de la classe dominante, et donc des conflits qui opposent les différents secteurs de celle-ci, et enfin sur le plan de la vie de la classe qui seule est en mesure de renverser l'ordre existant, le prolétariat.
Dans l'examen de la situation de ce dernier, il appartient aux communistes de se pencher sur l'état et les perspectives des luttes de classe à l'heure actuelle, du degré de conscience dans les masses ouvrières des enjeux de ces luttes, mais il leur appartient de se pencher également sur l'état et l'activité des forces communistes existantes qui sont une partie du prolétariat.
Enfin, et dans ce dernier contexte, le Congrès se doit d'examiner l'activité de notre propre organisation et de mettre en avant des perspectives lui permettant de faire face à ses responsabilités au sein de la classe.
Ce sont ces différents points qui seront abordés dans cet article de présentation de notre 14e congrès international.
Nous avons commencé dans le dernier numéro de notre journal la publication de la résolution sur la situation internationale qui a été adoptée par le congrès et qui synthétisait les différents rapports qui lui ont été présentés ainsi que la discussion menée sur ces rapports. En ce sens, il est inutile de revenir sur chacun des aspects de la discussion qui s'est menée sur la situation internationale. Nous nous contenterons de rappeler le début de cette résolution qui établit le cadre des enjeux du monde actuel :
"L'alternative à laquelle l'humanité est confrontée en ce début du 21ème siècle est la même qu'au début du 20ème : la chute dans la barbarie ou le renouveau de la société par la révolution communiste. Les marxistes révolutionnaires, qui, durant la période tumultueuse de 1914-1923, insistèrent sur ce dilemme incontournable, auraient pu à peine imaginer que leurs héritiers politiques soient encore obligés d'y insister au début du nouveau millénaire.
En fait, même la génération des révolutionnaires "post 68" qui a surgi de la reprise des luttes prolétariennes après la longue période de contre-révolution commencée durant les années 20, ne s'attendait pas vraiment à ce que le capitalisme en déclin fût si habile à survivre à ses propres contradictions, comme il l'a prouvé depuis les années 60.
Pour la bourgeoisie, tout ceci est une preuve de plus que le capitalisme est l'ultime et maintenant la seule forme de société humaine et que le projet communiste n'a jamais été rien de plus qu'un rêve utopique. La chute du bloc " communiste " en 1989-91 a apporté une apparence de vérification historique à cette notion, pierre angulaire nécessaire de toute l'idéologie bourgeoise. (...) (Point 1)
Les générations futures regarderont sûrement avec le plus grand mépris les fausses justifications avancées par la bourgeoisie au cours de cette décennie; elles verront certainement cette période comme une période de cécité, stupidité, horreur et souffrance sans précédent. (...)
Aujourd'hui, ce à quoi l'humanité doit faire face n'est pas simplement la perspective de la barbarie : la descente a déjà commencé et elle porte en elle le danger de saper toute tentative de future régénération sociale. Mais la révolution communiste, logiquement le point culminant de la lutte de la classe ouvrière contre l'exploitation capitaliste, n'est pas une utopie, contrairement aux campagnes de propagande de la classe dominante. Cette révolution demeure une nécessité requise par l'agonie mortelle du mode de production actuel, et en même temps représente une possibilité concrète, étant donné que la classe ouvrière n'a ni disparu ni été vaincue de façon décisive." (Point 2)
En fait, une grande partie de chacun des documents présentés, discutés et adoptés pendant le Congrès[1] [78] est consacrée à une réfutation des mensonges que la bourgeoisie déverse aujourd'hui autant pour se rassurer elle-même que pour justifier aux yeux des masses exploitées la survie de son système. Il en est ainsi parce que les analyses et les discussions des révolutionnaires sur la situation à laquelle ils sont confrontés n'ont pas pour autre objectif que d'aiguiser le mieux possible les armes du combat de la classe ouvrière contre le capitalisme. Le mouvement ouvrier a appris depuis longtemps que la plus grande force du prolétariat est, outre son organisation, sa conscience, une conscience qui s'appuie nécessairement sur une profonde connaissance du monde qu'il s'agit de transformer et de l'ennemi qu'il faut abattre. C'est pour cela que le caractère combattant des documents soumis au congrès et de ses discussions ne signifie nullement que notre organisation soit tombée dans la tentation de se contenter de l'affirmation de simples slogans dénonçant les mensonges bourgeois, au contraire. La profondeur avec laquelle les révolutionnaires abordent les questions est partie intégrante du combat qu'ils mènent. C'est une constante dans le mouvement ouvrier depuis plus d'un siècle et demi mais qui revêt à l'heure actuelle une importance encore plus fondamentale. Dans une société entrée en décadence depuis la première guerre mondiale et qui aujourd'hui est en train de pourrir sur pied, la classe dominante est incapable d'engendrer la moindre pensée sociale cohérente ou rationnelle, encore moins dotée d'une quelconque profondeur. Tout ce qu'elle sait faire c'est de produire une multitude de gadgets idéologiques plus superficiels les uns que les autres, qu'elle présente évidemment comme des "vérités profondes" (la "victoire définitive du capitalisme sur le communisme", la Démocratie comme "valeur suprême", la "mondialisation, etc.) et qui n'ont même pas l'avantage de l'originalité puisque leur prétendue "nouveauté" se résume à des habillages différents de vieilles platitudes éculées. Mais aussi nulle que soit la "pensée" bourgeoise d'aujourd'hui, elle parvient encore, à grands renforts de médias, à bourrer le crâne des prolétaires, à coloniser leur esprit. En ce sens, l'effort des communistes pour aller à la racine des choses n'est pas seulement un moyen pour comprendre du mieux possible le monde actuel, il constitue un contrepoison indispensable face à la tendance à la destruction de la pensée qui est une des manifestations de la décomposition dans laquelle s'enfonce la société d'aujourd'hui. C'est pour cela qu'une des caractéristique majeures des rapports préparés pour le congrès, et qui correspondait à une décision de l'organisation, était qu'ils ne se contentaient d'analyser les trois aspects essentiels de la situation mondiale -la crise économique, les conflits impérialistes, le rapport de forces entre prolétariat et bourgeoisie, et donc la perspective de la lutte prolétarienne- mais qu'ils se penchaient sur la façon dont le mouvement ouvrier avait posé ces questions par le passé.
Une telle démarche était d'autant plus importante, à l'heure où commence un nouveau siècle, que toute une série de caractéristiques de la situation mondiale ont été bouleversée au cours de la dernière décennie du siècle passé.
A la fin de 1989, le bloc de l'Est s'est effondré comme un château de cartes provoquant non seulement une remise en cause complète des alignements impérialistes qui étaient sortis de Yalta en 1945 mais aussi un profond recul de la classe ouvrière confrontée aux formidables campagnes sur "la faillite du communisme". De tels bouleversements exigeaient évidemment de la part des révolutionnaires une actualisation de leurs analyses, et c'est ce que notre organisation a fait au fur et à mesure que se produisaient ces événements. Cependant, nous avons jugé utile de revenir encore sur les implications des formidables événements qui se sont déroulés à la fin de 1989, et particulièrement sur deux aspects :
La plus grande clarté sur ces questions était d'autant plus indispensable qu'il existe aujourd'hui sur elles pas mal de confusion parmi les organisations de la Gauche communiste. C'est aussi à ce type de confusions, qui sont en fait des concessions aux thèmes idéologiques de la bourgeoisie, que répondaient les rapports et la résolution adoptés par le congrès. En particulier, ces différents documents :
En fait, cette préoccupation d'examiner en détail, et éventuellement de critiquer, les analyses de la situation historique présente existant au sein du milieu politique prolétarien fait partie de l'effort permanent de notre organisation pour définir et préciser les responsabilités des groupes révolutionnaires à l'heure actuelle, des responsabilités qui vont évidemment au delà de l'analyse de la situation.
Les rapports, résolution et discussions du congrès ont mis en évidence qu'il existe aujourd'hui, après une décennie de grandes difficultés dans le développement de la conscience dans la classe ouvrière, une certaine maturation souterraine de celle-ci.
"La maturation souterraine de la conscience de classe dans le contexte d'un maintien du cours historique aux affrontements de classe, exprimant un processus de réflexion qui - tout en étant toujours minoritaire - touche de plus grands secteurs de la classe et va plus profond que dans la phase qui a suivi 1989. Les expressions visibles de cette maturation comprennent :
Une telle situation confère aux groupes qui se réclament de la Gauche communiste des responsabilités nouvelles. Le congrès a donc consacré une part importante de ses travaux à examiner l'évolution de ces groupes. Il a mis en évidence une difficulté de ces groupes à faire face à ces responsabilités. D'une part, avec l'interruption de la publication de "Daad en Gedachte" aux Pays-Bas, il n'existe plus de manifestation organisée de la branche germano-hollandaise de la Gauche communiste (le courant "conseilliste"). D'autre part, les courants qui se réclament de la Gauche italienne (les différents groupes de la tradition "bordiguiste" qui s'intitulent tous "Parti communiste international", de même que le Bureau international pour le Parti révolutionnaire) restent grandement enfermés ou se replient de façon croissante dans le sectarisme, comme nous l'avions déjà mis en évidence il y a deux ans suite à leur refus d'une prise de position commune face à la guerre du Kosovo (voir Révolution internationale n°291).
Pourtant, avec l'apparition actuelle de nouveaux éléments qui se tournent vers la Gauche communiste, il est important que celle-ci retrouve pleinement sa tradition dans laquelle elle associait étroitement la plus grande rigueur au niveau des positions politiques à une attitude d'ouverture de chacun de ses groupes à la discussion avec les autres groupes. C'est la condition pour que ces organisations soient réellement partie prenante du processus qui s'annonce d'un nouveau développement de la conscience dans le prolétariat.
C'est pour cela que notre résolution sur la situation internationale inclut les responsabilités spécifiques de notre propre organisation dans celles de l'ensemble du courant révolutionnaire aujourd'hui :
"Les responsabilités auxquelles fait face la classe ouvrière sont immenses : rien moins que le sort de l'humanité entre ses mains. Ceci en conséquence confère d'immenses responsabilité à la minorité révolutionnaire, dont la tâche essentielle dans la période à venir sera :
"Le cours historique vers l'affrontement de classe fournit le contexte pour la formation du parti communiste mondial. Le milieu prolétarien constitue la matrice du futur parti, mais il n'y a aucune garantie qu'effectivement il l'engendrera. Sans une préparation rigoureuse et responsable par les révolutionnaires d'aujourd'hui, le parti sera mort-né, et les conflits massifs de classe vers lesquels nous nous dirigeons ne franchiront pas ce pas essentiel : de la révolte à la révolution." (Point 15)
Le congrès a estimé que, pour sa part, notre organisation pouvait tirer un bilan positif dans l'accomplissement de ces responsabilités au cours de la période passée. Cependant, il a conclu que le CCI, conscient qu'il est soumis, à l'image de l'ensemble de la classe, à la pression délétère de la décomposition croissante de la société, devait maintenir toute sa vigilance face aux différentes manifestations de cette pression, tant au plan de ses efforts dans le domaine de l'élaboration de ses analyses et positions politiques que de sa vie organisationnelle. Plus qu'à toutes les autres périodes du passé, le combat pour la construction de l'organisation communiste, instrument indispensable de la lutte révolutionnaire du prolétariat, est un combat permanent et de tous les jours.
La crise économique
frappe avec une violence redoublée à la porte des grands pays
capitalistes. Personne ne l'a conviée et pourtant elle s'invite partout.
Hier encore, tous les "experts" de la bourgeoisie levaient leur verre
à la bonne santé du plus dynamique des modes de production. La
dernière convive, la "nouvelle économie", était
célébrée sur tous les tons. Le régime idéal
avait été trouvé : une croissance constante sans inflation.
Mais tous ces beaux discours ont dû s'éclipser discrètement
pour laisser la place à celle qui, loin des salons d'apparat, des réceptions
"d'écoptimistes" et des mensonges électoraux, n'avait
jamais cessé son travail de sape. Nous avons toujours affirmé
que, derrière les falsifications des chiffres du chômage, se cachait
la liquidation de pans entiers de l'économie mondiale, que, derrière
la "croissance", se dissimulait, outre l'enfoncement dans une misère
indicible des trois quarts de la planète, un endettement astronomique
porteur de banqueroutes de pays entiers, comme aujourd'hui en Argentine. C'est
l'économie mondiale toute entière qui souffre d'un mal incurable
dont les causes sont dans le mode de production capitaliste lui-même.
Mais un autre mensonge, une autre falsification est aujourd'hui répandue,
destinée à faire croire aux prolétaires qu'il existe des
solutions à cette crise économique et sociale dans le cadre du
capitalisme. Ce sont les discours réformistes des tenants de "l'antimondialisation"
qui prétendent que le mal vient d'un "libéralisme trop sauvage"
et qu'il suffirait de plus de régulation par les Etats-nations pour en
sortir. Toutes ces bonnes âmes "citoyennes" -et leur sillage
de manifestants "globe-trotter" plus ou moins excités- ne font
qu'amuser la galerie pour mieux masquer la seule alternative à la faillite
du capitalisme : celle du renversement de ce système par le prolétariat
international. Seule la classe ouvrière, créatrice de l'essentiel
de la richesse sociale, peut remettre en cause la logique de l'exploitation
capitaliste qu'elle est la première à vivre dans sa chair et en
finir avec ce mode de production, c'est à dire avec le règne de
la marchandise et du salariat, véritable cause des crises, de la misère
et des guerres qui ravagent la planète. Seul le développement
des luttes ouvrières, sur leur terrain de classe, peuvent préparer
la voie à la destruction révolutionnaire de l'Etat bourgeois et
des rapports marchands capitalistes, que ce soit sous leur forme "libérale"
ou "étatisée". Aujourd'hui que c'est par charrettes
de 10.000 ou 20.000 ouvriers que les grands groupes annoncent leurs licenciements,
la question de la riposte de la classe ouvrière revient se poser plus
ouvertement, même si chaque prolétaire n'en a pas encore clairement
conscience. Les révolutionnaires ne peuvent que saluer la crise, car
avec elle, c'est la perspective d'affrontements décisifs entre les classes
qui vient se réaffirmer avec force.
Les conflits meurtriers
continuent à ravager la planète. Les belles promesses sur un "monde
de paix" faites en 1990, à la suite de l'effondrement du bloc de
l'Est, sont bien loin de correspondre à la réalité. Au
contraire, l'humanité s'enfonce dans une barbarie guerrière permanente.
L'actualité nous le démontre jour après jour :
Sans compter les victimes de la guerre larvée qui se poursuit en Tchétchénie ou les massacres qui se perpétuent à travers les luttes entre factions rivales au sein de l'Etat en Algérie...
Dans tous les coins du monde, des hommes, des femmes, des enfants meurent tous
les jours parce que leur bourgeoisie veut conquérir ou défendre
un bout de terre ou de pouvoir, au nom des intérêts de la patrie,
de la religion, de l'indépendance nationale. Des centaines de milliers
de prolétaires sous l'uniforme ou en civil sont sacrifiés pour
des intérêts qui ne sont pas les leurs. Comment arrêter ces
tueries absurdes, comment y mettre fin ?
Ainsi, le Moyen-Orient renvoie à nouveau depuis un an l'image même
de la fuite en avant dans cette folie meurtrière. Et, depuis un an, jour
après jour, la liste des morts et des blessés s'allonge en Israël
comme dans les territoires occupés.
On assiste d'un côté
à la réactivation du terrorisme de l'Etat israélien avec
une série d'attentats ciblés contre les leaders palestiniens du
Fatah, du FPLP ou du Hamas, de l'autre à la multiplication des attentats-suicides
faisant un maximum de victimes (comme à l'entrée d'une discothèque
le 1er juin puis dans une pizzeria en plein centre de Tel Aviv le 9 août).
Tout cela à côté de la poursuite de raids et de bombardements
à coups de missiles sur les cités palestiniennes, dans un climat
d'affrontements et de provocations endémiques sur l'esplanade des mosquées
à Jérusalem qui pousse les populations dans chaque camp vers un
déferlement de haine raciale. Non seulement le gouvernement Sharon pousse
à la colonisation des territoires occupés, mais il encourage les
colons à détruire au passage de façon provocatrice les
habitations des Palestiniens.
Dans cette partie du monde qui a déjà connu cinq guerres ouvertes
depuis la fin de la seconde boucherie mondiale (sans compter les opérations
militaires en temps de "paix"), ce sixième conflit est une
véritable escalade dans la terreur permanente pour les populations, et
se traduit par des massacres aveugles, l'entraînement de jeunes adolescents
dans la pire des hystéries nationalistes et le pire fanatisme religieux.
Aujourd'hui, face à la guerre du Moyen-Orient, de chaque côté, les cliques dirigeantes appellent les ouvriers à "défendre la patrie", qu'elle soit juive ou palestinienne. Des deux côtés, le sang des prolétaires continue à couler. Pour les intérêts exclusifs de leurs exploiteurs.
Mais, des deux côtés coulent également de façon répugnante
les flots de propagande nationaliste, une propagande abrutissante destinée
à transformer des êtres humains en bêtes féroces.
Les bourgeoisies israélienne et arabes n'ont cessé de l'attiser
depuis plus d'un demi-siècle. Aux ouvriers israéliens et arabes,
on n'a cessé de répéter qu'ils devraient défendre
la terre de leurs ancêtres. Chez les premiers, on a développé,
à travers une militarisation systématique de la société,
une psychose d'encerclement afin d'en faire de "bons soldats". Chez
les seconds, on a ancré le désir d'en découdre avec Israël
afin de retrouver un foyer, une nation. Et pour ce faire, les dirigeants des
pays arabes dans lesquels ils étaient réfugiés les ont
maintenus pendant des dizaines d'années dans des camps de concentration,
avec des conditions de vie insupportables, au lieu de les laisser s'intégrer
dans la société de ces pays.
Le nationalisme est une des pires idéologies que la bourgeoisie ait inventées.
C'est l'idéologie qui lui permet de masquer l'antagonisme entre exploiteurs
et exploités, de les rassembler tous derrière un même drapeau
pour lequel les exploités vont se faire tuer au service des exploiteurs,
pour la défense des intérêts de classe et des privilèges
de ces derniers.
Pour couronner le tout, il s'y ajoute le poison de la propagande religieuse, cet "opium du peuple" comme ont toujours dit les révolutionnaires, qui permet de susciter les fanatismes les plus déments, ceux des actuels "kamikaze" palestiniens porteurs de bombes sur le sol israélien.
Malgré toutes les "poignées de mains historiques", les
conférences de "paix" sous patronage américain, les
promesses de renouer les négociations, le ballet incessant des voyages
diplomatiques, la situation n'a fait qu'empirer. Le ministre israélien
de la Défense déclarait le 7 août : "il n'y a pas de
solution militaire au conflit". D'autres responsables politiques israéliens
avouent en privé que cette guerre est une impasse parce qu'il n'y a aucun
moyen qu'elle débouche sur une victoire militaire d'Israël. En fait,
s'il n'y pas de solution sur le terrain militaire pas plus que sur le terrain
diplomatique bourgeois, c'est que toutes les guerres sont des impasses ; des
impasses qui sont inscrites dans la nature même du capitalisme. Les grandes
puissances continuent à faire croire qu'elles veulent la paix. En fait,
elles utilisent ou attisent les affrontements pour la défense de leurs
sordides intérêts impérialistes concurrents. Suivant le
pays et la couleur des gouvernements, on nous engage à prendre fait et
cause pour l'un ou l'autre camp en présence, en particulier en France
où la forte implantation des deux communautés avive les passions.
En même temps, en
particulier en Israël, s'est développé ces derniers mois
un ras-le-bol, une lassitude, voire un écoeurement face à la guerre
qui traduisent un réel rejet de la politique militariste du gouvernement
"d'union nationale". Ce rejet s'appuie avant tout sur la dégradation
croissante, accélérée par la guerre, des conditions de
vie des populations et des prolétaires en particulier. L'aggravation
de la crise économique dans ce pays est spectaculaire : le taux de chômage,
qui touche officiellement plus de 10% de la population, a bondi de près
de 4% en un mois, il est le plus élevé depuis la création
de l'Etat hébreu. Un tiers des entreprises de haute technologie a disparu
en moins d'un an. Le taux de croissance, qui était de 6,2 % en 2000,
a chuté à moins de 1%. Et surtout, au sein d'une société
déjà entièrement militarisée, les budgets de l'armée
et de la police viennent encore d'être revus à la hausse, au détriment,
évidemment, des budgets sociaux. Une fraction de la bourgeoisie israélienne
s'est récemment appuyée sur le mécontentement provoqué
par la politique militariste du gouvernement pour dévoyer ce sentiment
d'exaspération et animer une reprise des mouvements et des manifestations
pacifistes, notamment une marche aux flambeaux, le 5 août dernier, rassemblant
de 5 à 10.000 personnes au centre de Tel Aviv. Le terrain du pacifisme
n'a jamais été une réponse à la guerre car il est
totalement illusoire. Il consiste à mobiliser les populations pour "faire
pression sur les dirigeants", afin de leur demander et les convaincre de
"faire la paix". Ce qui ne sera jamais possible car, si ces dirigeants
se font la guerre, c'est précisément parce qu'ils expriment des
réels intérêts impérialistes concurrents et antagoniques.
Déjà aujourd'hui, chaque nouvel attentat contre les populations
civiles en Israël vient démontrer l'inanité du mouvement
pacifiste, le pulvérise, le replonge dans son inconsistance et transforme
ses anciens partisans en nouveaux apôtres de la croisade belliciste contre
"la férocité de l'ennemi". Dans l'histoire, tout ceux
qui ont emboîté le pas à la démarche du pacifisme
se retrouvent toujours au bout du compte dans un camp contre l'autre, au nom
de la défense de "l'agressé" contre "l'agresseur",
de la défense du "plus faible" contre le "plus fort",
de la défense du "bon qui veut la paix" contre le "mauvais
qui veut la guerre" comme ce fut le cas dans les deux conflits mondiaux.
Et finalement, les pacifistes se sont retrouvés aux côtés
des pires chauvins sous le drapeau de la "défense de l'intérêt
national". C'est pourquoi le pacifisme a toujours été le
meilleur auxiliaire idéologique et le sergent recruteur le plus efficace
de la politique belliciste de la bourgeoisie.
Mais là dedans où se trouvent les intérêts de la
classe ouvrière, celle d'Israël, juive ou arabe, celle de Palestine,
celle des autres pays du monde ? Nulle part.
Ce n'est pas ainsi qu'on peut arrêter la guerre. La seule façon
de se battre contre la guerre, c'est de se battre contre le système qui
l'engendre, contre le capitalisme.
Les prolétaires n'ont pas de patrie. Ils n'ont pas à se mobiliser sur le terrain du nationalisme, de la religion ou du pacifisme, mais leur combat contre la guerre et l'exploitation passe par la lutte de classe, là-bas comme ici. Les ouvriers juifs qui, en Israël, sont exploités par des capitalistes juifs doivent se mobiliser et se battre contre eux. Les ouvriers palestiniens qui sont exploités par des capitalistes juifs ou par des capitalistes arabes doivent se battre contre leurs exploiteurs.
Les ouvriers des "grandes démocraties", dont les dirigeants
ont toujours les mots de "paix" et de "droits de l'homme"
à la bouche, doivent refuser de prendre partie pour un camp bourgeois
ou pour l'autre. En particulier, ils doivent refuser de se laisser berner par
les discours des partis qui se réclament de la classe ouvrière,
les partis de gauche et d'extrême-gauche qui leur demandent d'aller manifester
"leur solidarité avec les masses palestiniennes" en quête
de leur "droit à une patrie". La patrie palestinienne ne sera
jamais qu'un Etat bourgeois au service de la classe exploiteuse et opprimant
ces mêmes masses, comme c'est déjà le cas aujourd'hui à
travers les Arafat et consorts, avec des flics et des prisons. La solidarité
des ouvriers des pays capitalistes les plus avancés ne va pas aux "Palestiniens"
comme elle ne va pas aux "Israéliens", parmi lesquels se mélangent
exploiteurs et exploités. Elle va aux ouvriers et chômeurs d'Israël
et de Palestine, qui d'ailleurs mènent déjà la lutte contre
leurs exploiteurs malgré tout le bourrage de crâne dont ils sont
victimes, comme elle va aux ouvriers de tous les autres pays du monde. Et la
meilleure solidarité qu'ils puissent leur apporter ne consiste certainement
pas à encourager leurs illusions nationalistes. Cette solidarité
passe nécessairement avant tout par le développement de leur combat
contre le système capitaliste responsable de toutes les guerres, un combat
contre leur propre bourgeoisie.
Au Moyen-Orient, comme dans beaucoup d'autres régions du monde ravagées
aujourd'hui par la guerre, il n'y a pas de "juste paix" possible dans
le capitalisme. Pour mettre fin à la guerre, il faut renverser et abolir
le capitalisme, il n'y a pas d'autre voie. La paix, la classe ouvrière
devra la conquérir en renversant le capitalisme à l'échelle
mondiale, ce qui passe aujourd'hui même par le développement de
ses luttes sur son terrain de classe, contre les attaques économiques
de plus en plus dures que lui assène un système plongé
dans une crise insurmontable.
Contre le nationalisme, contre les guerres dans lesquelles veulent vous entraîner
vos exploiteurs,
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !
A Gènes,
pendant la réunion du G8 en juillet, Carlo Giuliani est mort sauvagement
assassiné, après avoir reçu une balle à bout portant
des forces de répression de l'Etat italien et s'être fait écrasé
par une voiture de police. A Göteborg, au sommet de l'Union Européenne
en juillet, la police suédoise -pour la première fois depuis
1931- avait déjà fait usage de balles réelles contre des
manifestants. La mort de Giuliani aura été la première
dans les manifestations "anti-mondialisation" qui se succèdent
de par le monde depuis deux ans, mais cette escalade dans la violence répressive
contre des manifestations de rue montre que la répression étatique
n'est pas l'apanage des "dictatures" du tiers-monde. C'est aujourd'hui
dans les pays "démocratiques", "civilisés"
et développés du cœur du capitalisme, là où,
parait-il, règnent les "droits de l'homme", que l'Etat bourgeois
montre son vrai visage.
Comme prévu, l'Etat italien s'était préparé à réprimer sauvagement, en déployant des milliers de policiers anti-émeutes, des carabinieri para-militaires, des francs-tireurs, une surveillance par satellite, un système de défense anti-missile, des hélicoptères, des avions, des bateaux (y compris au moins un sous-marin), des gaz lacrymogènes, des canons à eau et 200 "body bags", sans parler d'autres armes et tactiques non rendues publiques. Au manifestant tué, il faut ajouter au moins 500 blessés et beaucoup d'hospitalisés. Lors du raid policier contre le Genoa Social Forum, plus de 60 personnes furent blessées. Des dizaines de manifestants arrêtés ont été tabassés et torturés.
Dans les divers milieux organisant les mobilisations antimondialistes, on a entendu toutes sortes d'analyses quant aux événements. Beaucoup de trotskistes ont avancé que la police avait laissé libre cours aux anarchistes des "black blocks", que certains d'entre eux ont été filmés en discussion avec des flics, et qu'au moins pour une partie, il s'agissait de purs et simples agents provocateurs aux ordres de l'appareil répressif. D'autres courants gauchistes s'en sont pris aux "Tute Bianchi", leur reprochant leur discours non violent et leur comportement de clowns. A Göteborg, les staliniens ont semé le doute sur la crédibilité du groupe "Action antifasciste". A Gènes, la gauche "classique" a critiqué sévèrement les manifestants "anticapitalistes". De leur côté, beaucoup d'anarchistes accusent la gauche d'essayer de prendre le train en marche pour récupérer le mouvement, ou lui reproche en général son "autoritarisme". Beaucoup de ces remarques sont fondées. Par exemple, le rôle du "black bloc" paraît en effet plus que louche, et il semble fort possible qu'ils aient eu des liens avec l'Etat. A un autre niveau, l'activité des pacifistes, comme les "Tute Bianchi" en Italie ou les "Wombles" en Grande-Bretagne, est futile face à la répression étatique. Quant aux gauchistes, il n'est guère surprenant de les voir participer dans les actions "antimondialisation". Comme d'habitude, ils sont préoccupés de récupérer les énergies militantes et de les diriger vers des voies sans issue et notamment dans la défense de la démocratie bourgeoise.
Les médias bourgeois ont dit que les confrontations entre manifestants et forces de l'ordre étaient prévisibles et pas du tout spontanées. Ce n'est pas parce que la bourgeoisie préférerait voir des luttes imprévisibles et spontanées, loin de là. Elle cherche à accréditer l'idée que derrière chaque manifestation, il y a une conspiration, et surtout elle tient à faire savoir que les manifestations qui ne rentrent pas dans le cadre classique de l'encadrement syndical sont ennemies des sacro-saintes règles de la démocratie bourgeoise. La leçon sous-jacente est évidemment d'avertir tout un chacun que "cela ne change rien de jeter des pierres - quand vous serez plus vieux, vous vous rendrez compte que le changement ne vient que des urnes". A Gênes, tandis que les chefs d'Etat comme Tony Blair, Chirac et Cie se faisaient forts d'insister sur le fait que les participants à la conférence de Gênes étaient élus démocratiquement, à l'extérieur de la conférence, les antimondialistes se disputaient sur la question de savoir si on pouvait encore considérer les forces de l'Etat comme démocratiques, comme si les événements de Gênes et de Göteborg étaient une nouvelle tendance, alors qu'ils ne font qu'être l'expression typique des attaques de l'Etat bourgeois.
Pour comprendre réellement ce qui se passe avec les manifestations "antimondialistes",
il faut, comme pour toute autre question dans la société de classe,
regarder quelles sont les forces sociales, les classes et les idéologies
qui y sont impliquées. En tant que telle, une manifestation n'a pas de
nature de classe. Les ouvriers peuvent manifester afin de se joindre à
leurs frères de classe, ou pour protester contre les attaques répressives
et sociales de l'Etat capitaliste ; les manifestations peuvent aussi être
un moyen de lutte pour les chômeurs qui n'ont plus les moyens de lutter
sur le lieu de travail. Par contre, les manifestations du Countryside Alliance,
du British National Party (équivalent du FN), ou des campagnes nationalistes
diverses, nous montrent que n'importe quelle mouvance bourgeoise peut monter
une manifestation si elle le veut.
Pour ceux qui ont participé aux escarmouches répétées
à l'occasion des différents sommets, quelles que soient leurs
motivations ou leur origine sociale, les bagarres spectaculaires avec la police
ont été des confrontations futiles, dont l'effet est de stériliser
tout désir de réfléchir sérieusement sur la nature
de la société de classe, et sur comment cette dernière
peut être renversée. Cet effet est même célébré
par Roger Burbach, un prosélyte du "carnaval de la vie" contre
"le monde grotesque et opulent qui nous a été imposé
par les nouveaux seigneurs-voleurs des grandes entreprises", quand il écrit
: "Le plus important, c'est que les anarchistes et les manifestations antimondialisation
offrent une échappatoire aux frustrations et au sentiment d'aliénation
de la nouvelle génération" (in Anti-capitalism : a guide
to the movement). C'est grossier, mais au moins c'est honnête. Quand une
"nouvelle génération" se sent "frustrée"
et "aliénée", alors les échappatoires sont de
grande valeur pour la classe dominante. Et quand on ne se préoccupe que
de la prochaine campagne, la prochaine manifestation, la prochaine bagarre avec
les flics, alors la réflexion politique, les contributions au mouvement
historique de la classe ouvrière, l'analyse de la situation actuelle
et du développement de la conscience de classe ne sont guère des
priorités.
Chaque manifestation "anticapitaliste" offre une gamme importante de thèmes. L'environnement, le changement climatique, le libre-commerce, le rôle des grandes entreprises, les privatisations, la dette du Tiers-Monde, la politique économique du G8, le rôle de l'Organisation Mondiale du Commerce, les programmes de réajustement du FMI et de la Banque Mondiale - tous sont des cibles pour les gauchistes, les anarchistes, les verts, les groupes religieux et les Organisations non gouvernementales qui se mobilisent dans les manifestations "antimondialisation".
On peut prendre n'importe quel thème au programme de ce mouvement, on
ne va y trouver ni diagnostic ni solution qui mettent le capitalisme en question.
Un exemple connu, c'est que sur les 100 entités économiques les
plus importantes au monde, 49 sont de grandes entreprises tandis que 51 sont
des économies nationales. On cherche à suggérer que si
les grandes entreprises étaient moins grandes, alors nous pourrions tous
bénéficier d'une exploitation exclusive de la part des Etats-nations
oppresseurs. Beaucoup disent même que la misère est le résultat
de la privatisation, alors qu'ils passent sous silence la réalité
des programmes d'austérité imposés par l'Etat. Quand les
ouvriers luttent, le statut formel de leur patron ne les intéresse pas
- les ouvriers polonais en 1980-81 engagèrent des grèves massives
contre toutes sortes d'entreprises nationalisées, les mineurs anglais
en 1984-85 se battirent contre le Coal Board nationalisé et, aujourd'hui,
quand les postiers se mettent en lutte, ce n'est pas contre la privatisation
mais contre les conditions imposées par la poste étatisée.
La campagne contre les grandes entreprises est un des exemples les plus frappants,
mais toutes les autres questions posent également le problème
de la nature du capitalisme, de ses crises, de la concurrence et de l'incapacité
à satisfaire les besoins de l'humanité. Alors que certains commencent
à faire le lien entre les différents aspects de la société
capitaliste, le "mouvement antiglobalisation" réduit toutes
les préoccupations à des campagnes pour des changements au sein
du capitalisme.
Dans les manifestations
comme celles de Gênes ou de Göteborg, les groupes religieux, les
organisations caritatives et non gouvernementales ne prétendent pas être
anti-capitalistes. Leurs actions visent à faire pression sur la classe
dominante pour faire en sorte que le système d'exploitation fonctionne
au bénéfice de ses victimes. Toute "concession" accordée
à de tels groupes ne sera que de la propagande.
Cependant, la prétention d'être "anticapitaliste" ne
s'applique pas plus aux gauchistes ni à la plupart des anarchistes. Les
trotskistes (et les résidus du stalinisme) sont des défenseurs
du capitalisme d'Etat. Avec les anarchistes, il y a diverses idéologies
(certaines qui ne se distinguent pas du gauchisme) mais ce qu'ils ont en commun
c'est l'engagement dans la contestation en soi. Ils n'ont pas de perspective,
et certainement pas la reconnaissance que la classe ouvrière est la seule
force capable de renverser la dictature du capital. Aux manifestations du 1er
mai 2001 à Londres, on pouvait lire sur une banderole : "Renverser
le capitalisme et le remplacer avec quelque chose de plus sympa." Une autre
devise est "Notre monde n'est pas à vendre", ce qui absolument
faux, car tout dans ce monde, à commencer par la force de travail, est
devenu une marchandise avec un prix, et ce monde n'est clairement pas le "nôtre",
puisqu'il est soumis à la classe dominante capitaliste. A Gènes,
un slogan à la mode était "un autre monde est possible".
Contre le flou artistique de tels mots d'ordre futiles, le marxisme a toujours
fait une critique claire ancrée dans la réalité matérielle.
Prenons le concept de "mondialisation". Le 23 juillet, avant les évènements
de Gènes, Time magazine a cité en les approuvant ces phrases tirées
du Manifeste Communiste de 1848 : "La grande industrie a créé
le marché mondial (...) Les vieilles industries nationales ont été
détruites et le sont encore chaque jour. Elles sont supplantées
par de nouvelles industries, dont l'adoption devient une question de vie ou
de mort pour toutes les nations civilisées, industries qui n'emploient
plus des matières premières indigènes, mais des matières
premières venues des régions les plus lointaines, et dont les
produits se consomment dans le pays même, mais aussi dans toutes les parties
du globe. A la place des anciens besoins, satisfaits par les produits nationaux,
naissent des besoins nouveaux, réclamant pour leur satisfaction les produits
des contrées et des climats les plus lointains. (...) Tous les rapports
sociaux, figés et couverts de rouille, avec leur cortège de conceptions
et d'idées antiques et vénérables, se dissolvent ; ceux
qui les remplacent vieillissent avant d'avoir pu s'ossifier. Tout ce qui avait
solidité et permanence s'en va en fumée (...)" Le journaliste
de Time prend ceci pour une description valable de la nature du capitalisme
depuis 150 ans. En fait, Marx et Engels voyaient dans l'élimination par
la bourgeoisie des anciens modes de production, féodal et autres, et
dans la création d'une économie mondiale, la tâche historique
du capitalisme. Avec cette réalisation, la révolution internationale
de la classe ouvrière devenait possible. Mais, sans une révolution
prolétarienne et dans un monde entièrement inféodé
au capitalisme, depuis environ 100 ans, l'économie bourgeoise n'a plus
été un système dynamique qui échangeait simplement
des marchandises. Tout au contraire, le capitalisme est devenu depuis longtemps
un obstacle au véritable développement des forces productives,
ce qui est la vraie raison de toutes les guerres et des catastrophes qui ont
décimé l'humanité depuis le début du 20e siècle.
L'économie capitaliste mondiale a été un pas en avant par
rapport à la production pré-capitaliste, parce qu'elle a créé
les bases pour une révolution internationale de la classe ouvrière
et la création d'une société communiste ; mais, si cette
possibilité ne se réalise pas, la survie du capitalisme ne peut
amener l'humanité qu'au désastre.
George Monbiot,
un des principaux défenseurs de "l'antimondialisation" a dit
que "en termes numériques [cette dernière] est le plus important
mouvement de protestation dans l'histoire du monde". (Guardian, 24 juillet
2001) Il arrive à cette conclusion en affimant que "presque tout
le monde est d'accord que le monde serait meilleur" sans les activités
des grandes entreprises et que "la plupart des gens (...) seraient heureux
de voir les sièges de Balfour Beatty ou de Monsanto démantelés
par l'action non-violente". Le "mouvement de protestation" dans
l'esprit de Monbiot est "important" seulement parce qu'il comprend
tous ceux qui sont déçus par un aspect quelconque de la vie moderne.
Cela inclut tout le monde, depuis ceux qui s'inquiètent de la "globalisation",
jusqu'à ceux qui donnent pour l'aide humanitaire, en passant par les
gauchistes qui souhaitent un renforcement du rôle de l'Etat dans le capitalisme,
mais cela inclut aussi ceux qui commencent à ressentir que le seul véritable
"anticapitalisme" est celui qui entraîne la mobilisation de
millions de prolétaires contre la domination de l'Etat bourgeois.
Quant au titre de "plus important mouvement de protestation de l'histoire,
les meilleurs candidats appartiennent à l'histoire du mouvement ouvrier.
Chaque lutte ouvrière est une protestation contre les conditions de l'existence
prolétarienne. Entre 1917 et 1923, par exemple, la classe ouvrière
a pris le pouvoir en Russie, s'est engagée dans des insurrections massives
en Allemagne, a secoué l'Italie, la Hongrie et l'Autriche de fond en
comble, et a mené des luttes acharnées en Grande-Bretagne, en
Espagne, aux Etats-Unis, en Argentine et au Brésil. Plus récemment,
entre 1983 et 1989, il y a eu des luttes ouvrières importantes dans les
pays d'Europe occidentale et aux Etats-Unis, mais aussi en Amérique latine,
en Asie, en Europe de l'Est et en Afrique. Plus importantes en nombre que le
"mouvement de protestation" de Monbiot, la signification réelle
des vagues internationales de luttes ouvrières est bien plus grande encore
parce que la classe ouvrière - au coeur de l'économie capitaliste
- a la capacité de détruire le capitalisme et de construire une
société basée sur des rapports de solidarité. La
lutte de la classe ouvrière a pour perspective ultime l'établissement
d'une commmunauté humaine mondiale. Parce que l'organisation et la conscience
sont les seules armes que détient la classe ouvrière, les luttes
et les discussions d'aujourd'hui sont déjà des pas importants
pour faire de cette perspective une réalité.
La catastrophe économique et sociale actuelle en Argentine n'a rien d'un
phénomène exotique. Elle n'est qu'une expression avancée de la faillite
générale du capitalisme mondial. Mais au delà de la banqueroute générale de
l'économie et de la misère sociale qu'elle engendre, la situation en Argentine
vient rappeler qu'y vit un prolétariat traditionnellement combatif qui, comme
partout ailleurs, cherche à retrouver le chemin d'une perspective de classe.
Ce mois d'août de cet hiver austral, le
gouvernement argentin vient de négocier avec le FMI un nouveau prêt de 9
milliards de dollars. Le FMI, avec d'autres banques étrangères, avait déjà
octroyé un crédit de 40 milliards de dollars en décembre 2000. Mais les
réserves de ce pays sont à nouveau vides, avec une dette publique de… 128
milliards de dollars, soit plus de 44% du PIB !
Cette demande de prêt de l'État argentin s'est accompagné de plongeons à
répétition de la Bourse, une onde de choc qui a des répercussions importantes
dans d'autres pays, comme l'Espagne, le Brésil ou le Chili, avec la crainte de
l'effet domino qu'on a pu voir en d'autres occasions pendant les années 90
(Mexique, crise asiatique, Russie, et en 2000-2001, à côté de l'Argentine, la
Turquie ou le Brésil).
L'Argentine est en récession ouverte depuis trois ans, avec un taux de chômage
d'environ 17 % de la population active (deux millions et demi de personnes).
Mais la situation s'est encore aggravée depuis le début de cette année. Ce mois
de juillet a connu un niveau record de licenciements : ceux-ci ont triplé par
rapport au mois de juillet 2000. À côté de ce 17 % de chômage, il y a plus de
trois millions de personnes qui ne travaillent que quelques heures par semaine
et un Argentin sur trois vit dans la pauvreté.
Durant les années 70-80, l'économie
argentine avait pu profiter, à l'époque de la dictature militaire, du boycott
des céréales soviétiques par l'administration Carter, pour relancer ses
exportations. Les militaires s'occupant des sales besognes, ils avaient mis à
la tête de l'économie un "Chicago-boy", Martínez de la Hoz. La
dictature militaire, visiblement plus à l'aise sur le front de la torture que
sur le front de la guerre, sombra dans la débâcle du conflit des Malouines qui
opposa l'Argentine à la Grande-Bretagne en 1982. La bourgeoisie comprend alors
que le temps est venu de mettre fin au régime de junte militaire : c'est le
retour à la "démocratie" à partir de 1983 et ses chants de sirènes
sur un avenir radieux. Mais la réalité de la crise se charge de dissiper
rapidement toute fausse espérance : c'est l'explosion de la dette et de
l'hyper-inflation. Les illusions véhiculées par la "démocratisation"
se perdent dans les soupes populaires, dans l'ombre des coupures d'électricité
à répétition, dans l'épuisement de la recherche d'un emploi ou dans un
pluri-emploi qui ne donne rien. Même les "classes moyennes" de cet
ancien Eldorado s'appauvrissent à toute vitesse: l'ancien pays d'accueil de
l'immigration devient un pays d'où on partirait si on le pouvait. Avec
l'arrivée au pouvoir du parti péroniste[1] [88]
et de Menem, ancien parti "étatiste", devenu ultra-libéral, la
bourgeoisie argentine essaye de juguler l'hyper-inflation et de désencombrer
l'État.
Mais le processus de privatisations, poursuivi tout au long des années 90 pour
éponger une partie de la dette, pas plus qu'ailleurs, n'a été un remède
miracle. Encore plus qu'ailleurs, ce ne fut qu'une foire d'empoigne où se sont
engouffrés des capitaux extérieurs à la recherche d'une rentabilité rapide.
Face à une inflation à quatre chiffres, le plan de convertibilité (la
"dollarisation" qui impose un peso argentin égal à un dollar
américain) amena une certaine amélioration, sur fond de croissance américaine
artificielle et d'une corruption généralisée, à commencer par celle du
président Menem. Mais cet équilibre très instable n'a pas résisté à la
"crise asiatique" puis "russe" et l'Argentine connaît une
récession ouverte en 1999, avec, à la clé, encore plus de dettes, encore plus
de faillites, et pour la classe ouvrière encore plus de chômage et encore plus
de misère. Dans ce sens, l'Argentine est un raccourci de ce qu'est la crise du
capitalisme : entre le "plus d'Etat" et le "moins d'Etat",
on est toujours de plus en plus bas. C'est toujours sur le dos de la classe
ouvrière que le capitalisme essaie de se dédommager de ses déboires.
En fait, les années 90 ont confirmé la tendance irréversible de la
paupérisation de la classe ouvrière et des couches non-exploiteuses. Le pouvoir
actuel du président De la Rua a changé de ministre de l'Economie deux fois en
un seul mois (mars), pour finalement ressortir Domingo Cavallo, le même qui, il
y a 8 ans, avait mis en place le plan de "dollarisation". Ce super
pompier a été rappelé pour essayer de faire un "nouveau miracle". Le
nouveau plan veut atteindre le "déficit budgétaire zéro". Ce
"plan de réajustement" drastique est présenté comme celui de la
dernière chance face à une banqueroute annoncée. Il est vrai que la situation
est telle, le "crédit pays", comme disent les économistes bourgeois,
est tellement bas, que la banqueroute est le seul avenir. Le catastrophisme
n'est pas seulement une figure de style de la bourgeoisie pour faire avaler ses
recettes et ses plans à répétition. La situation est réellement catastrophique,
la bourgeoisie du pays et ses semblables des pays dominants l'ont très bien
compris. C'est pour cela qu'après quelques tergiversations et quelques
réticences, le FMI vient d'octroyer les 9 milliards.
Quel est donc ce nouveau plan miraculeux de la dernière chance ? Pour
économiser 16 milliards de francs en deux ans, l'État argentin impose la
réduction de 10 % des salaires des employés publics et des pensions de
retraités dépassant 3500 francs par mois ! Déjà très mal en point, la Sécurité
Sociale va réduire ses dépenses, ainsi que l'Éducation. On peut imaginer ce que
cela veut dire dans la vie de tous les jours, en plus des licenciements dans
l'automobile, dans les transports, dans les banques. Avec la menace que s'il n'y
a pas de rentrée d'argent suffisante, l'Etat diminuera encore plus les
salaires.
Un exercice très prisé des intellectuels
argentins est de se torturer les méninges pour comprendre comment se fait-il
qu'un pays qui a été "si riche" ait pu devenir à ce point "si
pauvre". Et de rappeler dans une espèce de tango déchirant que l'Argentine
fut la 8ème, puis la 12ème puissance économique de la planète. Il
est vrai qu'on peut rester perplexe face à la déchéance d'un pays développé,
récepteur d'immigration, d'une grande tradition culturelle et scientifique. La
question qu'on doit se poser c'est : quelle est la situation du capitalisme en
général pour que de telles situations de catastrophe économique arrivent à se
produire ? La situation actuelle de l'Argentine fait suite à une série des
secousses qui ont émaillé la décennie passée et qui ont touché des régions ou
des pays plus ou moins périphériques du capitalisme. Depuis la crise mexicaine
jusqu'à celle de la Russie, en passant par l'Asie du Sud-Est et le Brésil,
toutes ces crises ont quelque chose en commun : la dette et l'impossibilité de
la rembourser. Nous avons développé à maintes reprises les caractéristiques de
la crise actuelle du capitalisme décadent qui essaye de compenser l'absence de
marchés solvables par une accumulation irrationnelle de dettes. Le cas de
l'Argentine, au-delà de certaines spécificités de ce pays, n'est pas une
exception mais la caricature de la règle.
Compte tenu de la crainte d'une récession ouverte dans le monde industrialisé,
le capitalisme ne peut pas se permettre de laisser un pays comme l'Argentine
complètement à la dérive. Mais cette même situation inquiétante nourrit les
réticentes à injecter encore des capitaux dans un pays qui paraît être un
gouffre aussi profond que la pampa est étendue.
En fait de "pays émergent", l'Argentine, pourtant désigné comme le
meilleur élève de la classe du FMI, est un pays s'enfonçant dans le
sous-développement, de la même façon que les pays dits "en voie de
développement" n'ont jamais vu se développer que de la misère.
Depuis un an et demi, cinq grèves
générales ont exprimé l'exaspération de la classe ouvrière argentine. Que les
syndicats se mettent en avant de telles grèves, ce n'est guère étonnant. Qu'il
s'agisse des grandes centrales "péronistes"[2] [89]
avec leurs campagnes nationalistes contre les "capitalistes
étrangers" ou les syndicats radicaux comme la CGT-Rebelle, ils remplissent
leur rôle de flics et de saboteurs des luttes. Ce qui est par contre réellement
significatif, c'est l'ampleur, la radicalisation et la combativité des luttes
ouvrières qui se mènent en Argentine, illustration, si besoin était, que face à
l'écroulement de l'économie capitaliste et aux attaques contre ses conditions
de vie, le prolétariat sera toujours poussé à engager la lutte. Aujourd'hui,
comme hier, et encore plus demain, la crise est et sera l'allié objectif du
prolétariat, même si de façon immédiate, c'est la misère qui impose partout son
visage de désolation. Nous avons vu la relative importance passée de
l'Argentine dans l'économie mondiale, et plus particulièrement à l'échelle de
l'Amérique latine. Parallèlement au formidable développement du capitalisme à
la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle, s'est également
développée en Argentine une forte classe ouvrière, éduquée, concentrée, en lien
avec les traditions prolétariennes de l'Europe, bénéficiant notamment de
l'immigration de nombreux ouvriers italiens et espagnols qui amenaient avec eux
leurs traditions politiques, socialistes et anarchistes. On a ainsi pu voir,
pendant la Première Guerre mondiale, en 1917, alors que les Etats-Unis faisaient
une forte pression pour que l'Argentine rejoigne la boucherie impérialiste, la
classe ouvrière entrer massivement en lutte contre la guerre. Les grèves des
cheminots notamment furent nombreuses, s'affrontant avec l'armée, faisant
sauter les ponts, etc. Il est évident que cette mobilisation ouvrière a
fortement pesé sur le maintien de la neutralité de l'Argentine tout au long du
conflit. Même si, depuis 1945, la classe ouvrière a toujours été prise entre
l'enclume péroniste et le marteau de la dictature militaire, elle n'en a pas
moins été capable de s'affirmer de façon autonome à plusieurs reprises, comme
en 1951, où des grèves dans les chemins de fer accompagnées d'occupations et de
manifestations firent l'expérience de la répression péroniste avec plusieurs
morts et 3000 arrestations. Ce furent aussi les évènements de Cordoba en mai
1969 que nous avons toujours salué comme étant un moment fort de la reprise
internationale de la lutte de classe à partir de 1968 : "La grève générale
décrétée le 29 mai à la suite d'émeutes à Corrientes, Tucuman, La Plata, San
Juan et Salta, se transforma rapidement en insurrection à Cordoba même où sous
l'impulsion des ouvriers d'IKA-Renault, les manifestants contrôlèrent tous les
quartiers et le centre de la ville. La police étant débordée, l'armée et
l'aviation intervinrent : pendant 48 heures, elles ratissèrent les rues à la
mitraillette et au bazooka. Les ouvriers résistant avec des tireurs isolés sur
les toits, et par des contre-attaques en masse, eurent plusieurs dizaines de
morts et plus d'une centaine de blessés. A la suite de cette féroce répression,
toute la fin de l'année 69 fut marquée par des mouvements de grève encore
spontanés face auxquels les syndicats et partis traditionnels étaient
dépassés"[3] [90]. Dans
la continuité de cette vague de luttes, "en mars 72, la classe ouvrière de
Mendoza protestant contre la hausse des tarifs d'électricité, s'est heurtée de
nouveau à l'armée. Son combat de plusieurs jours au prix de dizaines de morts a
montré la voie révolutionnaire contre les illusions sur le retour aux
institutions démocratiques"[4] [91].
Aujourd'hui, cette combativité continue de s'exprimer contre les baisses de
salaires[5] [92],
contre la liquidation de la Sécurité Sociale et du système éducatif (un jeune
sur deux ne va plus à l'école), mais surtout face à la véritable
caractéristique de la crise historique du capitalisme : le chômage endémique et
le sous-emploi permanent. Les premières ripostes des ouvriers argentins sont
donc contre les vagues de licenciements qui viennent sans cesse grossir la
masse des 4 millions d'ouvriers au chômage complet ou partiel. Des grèves
éclatent contre les licenciements, comme, par exemple, à Salta ou dans la
province de Córdoba contre les licenciements chez Fiat, ou chez "Aerolineas
argentinas", la compagnie aérienne argentine détenue par l'Etat espagnol
(ce qui encourage les campagnes nationalistes des dirigeants syndicaux qui
appellent au boycott des capitaux espagnols). Ces grèves et ces actions,
massivement suivies, souvent très combatives, restent majoritairement
contrôlées par les centrales syndicales péronistes ou leurs nombreux avatars.
Ils peuvent notamment jouer du radicalisme contre les mesures
"antisyndicales" du gouvernement de De la Rua pour compenser le discrédit
des dirigeants syndicaux, qui ont toujours mangé à tous les râteliers.
Mais ce qui domine "l'actualité sociale" argentine (pour ce que veut
bien en laisser transparaître la presse bourgeoise, à défaut d'une présence
révolutionnaire sur place), c'est le mouvement dit des piqueteros, des groupes
de prolétaires sans travail ou menacés de licenciements. Ces piqueteros,
poussés par le désespoir, regroupés par milliers, bloquent par des barricades
(d'où leur nom) les principaux axes routiers entre provinces argentines ou vers
les pays voisins. C'est souvent au cœur des régions les plus industrialisées et
les plus touchées par la crise, comme La Matanza, où maintenant 40% de la
population vit sous le seuil de pauvreté, que se situent les groupes les plus
importants. Leur dénuement extrême est à l'image de leur volonté d'en découdre.
Nombreux sont ceux qui n'ont plus d'allocations chômage, soit que leurs
"droits" aient pris - rapidement - fin, soit que leur ancien travail
au noir leur interdise toute indemnisation. Couchés dans des tentes de fortune,
dans des cartons, sous-alimentés, frigorifiés, ils doivent néanmoins
régulièrement s'affronter avec la police, comme le 17 juin dans la région de
Salta, au Nord-Est du pays, où il y eu au moins 2 morts et des dizaines de blessés,
avant que les piqueteros et des détachements ouvriers armés[6] [93]
ne se retranchent dans la ville de General Mosconi.
Malgré les tentatives de fédération de ce mouvement de piqueteros sous l'égide
des syndicats ou partis gauchistes en vue d'en faire un "mouvement de
masse national" (Juan Carlos Alderete, dirigeant du Courant de la Classe
Combative et leader piquetero à La Matanza) ou le fait que leurs assemblées
soient un champ de manœuvre pour les groupes trotskistes[7] [94],
nous saluons dans ces grèves à répétition, dans ces barricades qui se dressent,
l'affirmation de la classe ouvrière, la seule classe capable de riposter aux
coups de boutoirs de la crise, ce qui se traduit notamment par la mise en avant
de revendications nettement prolétariennes (augmentation des salaires,
extension des indemnités chômage, emplois). Bien sûr, ce n'est pas du jour au
lendemain que la classe ouvrière se débarrassera de la démagogie péroniste et
de ses sbires syndicaux, des illusions que portent tous les déclassés de la petite
bourgeoisie qui rejoignent ses rangs par pleines vagues. Mais il n'est pas
d'autre chemin que celui de la lutte. Et une des conditions pour le
développement de ces luttes en Argentine sera la capacité des ouvriers à ne pas
se replier sur une forme de lutte mais à assurer l'unité des grèves, des
manifestations, des piquets. De la même façon, le fait de barrer les routes, ne
doit pas se retourner contre les ouvriers en devenant un facteur d'isolement
régionaliste, mais permettre au contraire l'extension des grèves. Quand le
président De La Rua, après l'obtention de la dernière rallonge du FMI, affirme
qu'"il y avait pour la région un intérêt à ce que l'Argentine ne propage
pas sa contagion au reste du monde", il parle bien sûr des risques (déjà
largement vérifiés) de déstabilisation monétaire et économique, mais il est
tout aussi clair que la bourgeoisie est consciente de la nécessité de
circonscrire localement toute combativité ouvrière pour éviter que la
"contagion" ne devienne un facteur de prise de conscience de l'unité
des intérêts de classe des ouvriers argentins, chiliens ou brésiliens.
C'est à l'échelle internationale que la crise frappe les ouvriers. C'est à
l'échelle internationale que la riposte ouvrière doit s'imposer. La combativité
de nos frères de classe en Argentine, leur capacité à s'affronter à l'Etat
comme garant de l'ordre social et gestionnaire de la crise, participent
pleinement de la lente et difficile reprise de l'affirmation d'une perspective
prolétarienne face à la profondeur de la crise économique. La crise va
continuer de s'aggraver, donnant chaque jour un peu plus de raison d'entrer en
lutte, en même temps que chaque jour la bourgeoisie mettra entre les pattes de
la classe ouvrière une nouvelle "sortie du tunnel" dans 6 mois ou un an,
un nouveau syndicat "vraiment ouvrier" pour mieux attaquer toute
expression de conscience de classe. Enfin la bourgeoisie, même
"démocratique" comme en Argentine, n'hésitera pas non plus à recourir
à la répression armée si besoin est. La lutte de classe est un véritable
combat, et dans ce combat les révolutionnaires cherchent à développer l'unité
internationale du prolétariat, ce qui passe également par le regroupement des
forces révolutionnaires qui pourraient surgir des luttes que mène la classe en Argentine.
La classe ouvrière argentine a besoin de ses frères de classe du monde entier,
de la même façon que le prolétariat international a besoin de sa fraction
australe.
[1] [95] Le régime de Péron (1945-55) a été un mélange de populisme social et
syndical, soutenu tant par des fractions de l'armée que par les partis,
socialistes, communistes et trotskistes. A partir de la chute de Péron en 1955,
les Etats-Unis ont largement investi dans l'industrie argentineet les
"Marines" ont régulièrement débarqué en Argentine pour faire régner
l'ordre social, confortant les discours des trotskistes ou des guérilleros
castristes dans les années 1960.
[2] [96] La CGT en particulier était syndicat unique sous Péron, et est
toujours restée un des piliers de la fraction péroniste de la bourgeoisie
argentine.
[3] [97] RI n°2, nouvelle série, février 1973.
[4] [98] Idem, RI n°2, …
[5] [99] Pour ceux qui sont encore payés : 180 000 fonctionnaires n'ont pas
touché de salaire depuis 2 mois. D'autres sont payés en monnaie de singe, les
fameux "patacones" de la province de Buenos Aires, sorte de peso au
rabais, qui ne sont plus convertibles en dollar et dont "personne ne sait
quelle est la valeur exacte" (Le Monde du 22 août).
[6] [100] Il semblerait que la plupart des armes proviennent d'un précédent
soulèvement de piqueteros en novembre 2000 et de l'occupation d'un poste de
police.
[7] [101] La "Liga Obrera Internacionalista" (4e Internationale)
semble avoir joué un certain rôle dans des assemblées ouvrières de Salta.
Plus de
6.000 morts. La terreur qui a envahi le monde depuis les attentats-kamikaze
du 11 septembre qui se sont attaqués pour la première fois depuis
la Seconde Guerre mondiale aux Etats-Unis sur leur territoire et au coeur des
métropoles d'un pays développé ne s'est pas dissipée.
Et les frappes américaines qui se préparent en Afghanistan comme
ailleurs ne peuvent que rajouter de nouvelles monstruosités dans ce déchaînement
de barbarie guerrière. Déjà, l'opération d'abord
baptisée "Justice sans limites" puis "Liberté immuable"
recouvre le déploiement militaire le plus impressionnant depuis plus
d'un demi-siècle. A un crime abominable vont s'ajouter d'autres tueries
contre des populations civiles sans défense. On nous désigne comme
coupables une nébuleuse ou un réseau d'islamistes intégristes
fanatisés aux ordres du milliardaire Ben Laden, ex-agent de la CIA au
temps de la guerre contre le bloc soviétique, aujourd'hui reconverti
en "ennemi public n°1" des Etats-Unis. Derrière "l'ogre"
Ben Laden et ses sanguinaires hommes de main, comme derrière l'histrion
George Bush Junior, ses généraux, ses espions et leurs semblables
européens, derrière chaque Etat et leurs cliques de dirigeants
va-t-en guerre, il y a la classe dominante capitaliste.
Le véritable responsable de la barbarie guerrière, celle qui a
frappé aux Etats-Unis comme celle qui se prépare en Afghanistan
et ailleurs, c'est le capitalisme mondial, un système en décadence
déjà responsable de deux boucheries impérialistes et dont
la survie, gangrène mortelle pour l'humanité, ne fait qu'attiser
toujours plus cette barbarie (voir article page 5 ou ci-après [104]).
Comme lors des bombardements de Londres, de Dresde et de Hambourg. Comme à
Hiroshima et à Nagasaki. Comme l'enfer qui s'est abattu sur la Corée,
le Vietnam ou le Cambodge. Le déluge de bombes sur l'Irak et le Koweït.
Sur la Serbie, le Monténégro et le Kosovo. Comme les massacres
en Algérie, au Rwanda, en Tchétchénie, au Moyen-Orient.
Comme dans tous les conflits impérialistes qui n'ont jamais cessé
depuis la fin de la seconde boucherie mondiale. Avec son lot de populations
prises en otage qui, par dizaines de milliers, cherchent à fuir, à
s'exiler et se retrouvent parquées dans des camps, crevant de faim et
soumises à des conditions d'existence elles aussi effroyables, les plus
inhumaines. On voudrait nous faire croire que les attentats du 11 septembre
sont une attaque "contre la civilisation" et que la riposte qui s'annonce
est "une défense de la civilisation contre la barbarie". Mensonges
!
L'un comme l'autre sont le produit même de la civilisation bourgeoise et de son degré de barbarie. C'est l'oeuvre d'un capitalisme aux abois, aux prises avec une crise économique sans issue, pourrissant sur pied, suintant la guerre sous toutes ses formes, la pollution mortelle, semant la mort et la décomposition et menaçant d'entraîner l'humanité vers son auto-destruction. C'est le capitalisme qui tue et répand la terreur à New-York, comme en Afghanistan, comme à Toulouse. Comme ailleurs. Une nouvelle étape de la guerre impérialiste est née depuis le 11 septembre. Une menace permanente de l'horreur, de la terreur capitaliste. Et comme dans tous les actes de guerre, la classe ouvrière est la principale victime de ces sanglants règlements de compte entre fractions de la bourgeoisie qui prétendent aujourd'hui encore défendre une "juste cause", qu'elle soit la croisade de la "défense de la démocratie, de la justice, de la liberté et de la civilisation" ou la "guerre sainte" pour la "défense de la vraie foi", sur le terrain nationaliste et impérialiste. Dans les attentats contre le World Trade Center, la plupart des victimes étaient des secrétaires, des employés de bureau, des balayeurs, des pompiers. Des prolétaires, des nôtres. Non seulement, le prolétariat est victime de la guerre dans sa chair mais aussi dans sa conscience. Alors que seule la classe ouvrière a la capacité de mettre fin au système responsable de la guerre, la bourgeoisie se sert de celle-ci, encore et toujours, pour appeler à l'union sacrée. L'union sacrée des victimes du capitalisme avec leurs exploiteurs, avec ceux qui en tirent leur domination de classe. La bourgeoisie profite de la situation pour imposer l'unité nationale contre "la terreur venue de l'extérieur". Bush exalte "la grandeur de la nation américaine" et exhorte "le peuple de ce pays" à défendre sa fierté. Le drapeau américain est partout arboré comme signe de défi. C'est la manifestation de la plus écoeurante hystérie chauvine que déploie la bourgeoisie pour sa mobilisation guerrière, pour tenter de mobiliser le prolétariat derrière elle. Comme dans toutes les guerres impérialistes.
En dehors des Etats-Unis, la bourgeoisie profite de l'événement pour nous dire que "nous sommes tous des Américains". On cherche à nous persuader qu'exploiteurs et exploités confondus, nous serions face à la même menace, nous aurions le même ennemi, les mêmes intérêts dans la "défense de la liberté et de la démocratie", ces valeurs présentées comme éternelles que la bourgeoisie exhibe à chaque fois qu'il s'agit de convaincre les ouvriers de défendre des intérêts qui ne sont nullement les leurs. En Europe, les gouvernements profitent de la psychose de guerre pour renforcer les efforts déjà en marche pour constituer des "forces de réaction rapide" capables d'agir indépendamment des Etats-Unis. Tout cela va coûter très cher, et cette note aussi, la classe ouvrière va devoir la payer. Comme ils ont profité de la psychose des attentats pour renforcer la militarisation de la société, conditionner -à travers la réactivation du plan "Vigipirate" en France par exemple- les populations à une surveillance et des contrôles policiers permanents tout en renforçant la coopération des polices au-delà des frontières, ce qui demain pourra être utilisé à son tour contre les luttes ouvrières et les organisations révolutionnaires.
Et dans les pays du Tiers-Monde, où la pseudo-"mondialisation" sous visage américain (FMI, etc.) est rendue responsable de la misère engendrée par le capitalisme, on répand l'idée (reprise aussi en substance en France par l'organisation trotskiste "Lutte Ouvrière) que "les Américains" n'ont eu que ce qu'ils méritaient. C'est encore un moyen de saper au sein de la classe ouvrière la conscience de son unité et de son identité de classe au-delà des frontières, de l'entraîner hors de la défense de l'internationalisme prolétarien, principe intangible de la sauvegarde de ses intérêts de classe.
Aujourd'hui, et particulièrement dans le plus puissant des pays capitalistes, les ouvriers sont soumis à la terreur et à la propagande bourgeoise. La peur que leur a inspiré les attentats de New-York et Washington ne fait que renforcer leur sentiment d'impuissance qui est exploité pour leur faire entrer dans la tête qu'ils doivent s'en remettre à leur Etat, ses flics et ses militaires, pour assurer leur sécurité. La colère qu'ils ressentent depuis ces attentats est détournée contre "l'ennemi extérieur", les terroristes et les "Etats-voyous" qui les couvrent. La solidarité qu'ils ont voulu manifester envers leurs frères de classe victimes des massacres est dévoyée en "solidarité nationale" entre exploités et exploiteurs.
Face à ces appels à resserrer les rangs derrière leurs exploiteurs, les prolétaires d'Europe et d'Amérique doivent refuser de se vautrer dans l'hystérie nationaliste et belliciste de la "civilisation" capitaliste. C'est d'abord en refusant de faire cause commune avec la classe bourgeoise et ses gouvernants, leurs véritables ennemis, en refusant de se ranger derrière les drapeaux de l'union sacrée, que les prolétaires du monde entier pourront trouver la force d'affirmer la véritable solidarité envers leurs frères de classe aux Etats-Unis comme dans les autres pays où ils sont victimes du déchaînement de la barbarie guerrière.
Cette solidarité de classe, ce n'est pas la solidarité "humanitaire" organisée sous les auspices des hommes de bonne volonté de la bourgeoisie. C'est celle qui consiste à mener le combat contre le capitalisme, seul responsable des massacres et de la barbarie. Ce système qui sème la mort, c'est aussi celui qui est responsable de l'aggravation de l'exploitation, de la misère, du chômage. C'est justement pour cela que les prolétaires du monde entier ne peuvent développer leurs solidarité avec leurs frères de classe, victimes de la barbarie guerrière qu'en menant le combat sur leur propre terrain de classe exploitée face à l'aggravation d'une crise économique sans issue qui est à l'origine de la misère et du déchaînement des conflits guerriers.
Ce n'est qu'en engageant et en développant le combat contre leurs exploiteurs et contre les attaques que le capitalisme en crise ne cessera de leur porter que les ouvriers seront capables de surmonter leur sentiment d'impuissance, qu'ils pourront identifier clairement leur véritable ennemi, le capitalisme, qu'ils pourront retrouver et faire vivre la seule solidarité qui soit une force pour eux, la solidarité prolétarienne, sur le terrain de classe de la lutte contre l'exploitation et la misère capitalistes. C'est à cette condition seulement que les ouvriers du monde entier, et particulièrement ceux des pays capitalistes les plus développés et les plus puissants, pourront avancer sur le chemin qui conduit au renversement de ce système barbare avant que celui-ci ne détruise l'espèce humaine.
Le prolétariat est la seule force sociale qui, en s'opposant directement
au capitalisme par ses combats de classe, puisse en même temps s'opposer
au déchaînement de la guerre impérialiste :
Dans la situation présente, comme à la veille de la première guerre mondiale, l'alternative historique à laquelle se trouve confrontée la société en ce début du 21e siècle est exactement la même que celle posée par les révolutionnaires du siècle dernier, de Rosa Luxembourg à la 3e Internationale : victoire du socialisme, de la révolution prolétarienne mondiale ou enfoncement définitif du capitalisme dans la barbarie.
Face à la gravité de la situation actuelle marquée par
l'enfoncement de l'humanité dans un chaos de plus en plus sanglant, plus
que jamais, les révolutionnaires doivent unir leurs forces pour faire
entendre la voix internationaliste. Plus que jamais, ils doivent, par leur intervention,
rappeler le prolétariat à ses responsabilités en lui permettant
de faire le lien entre la crise économique et la guerre, entre l'aggravation
de ses conditions d'exploitation et le déchaînement de la barbarie
guerrière.
21 septembre 2001, 10h15 : une explosion d'une violence
inouïe se fait entendre dans toute la ville et jusqu'à des dizaines de
kilomètres à la ronde. Dans le climat d'après New-York, on pense à "des
bombes un peu partout ". En fait, une seule origine : l'explosion d'un
stock de nitrate d'ammonium de l'usine AZF (ex-Onia). Suivie de près par la
montée dans les cieux de la Ville Rose d'un inquiétant nuage plutôt orange dont
on a craint qu'il ne soit toxique.
Il est bien loin le temps où ces catastrophes se
produisaient, presque par définition, dans un Tiers-Monde où les capitalistes
n'avaient que du mépris pour les populations locales, comme ce fut le cas à
Bhopal, en Inde, quand l'usine de la Union Carbide, où aucune mesure de
sécurité n'existait[1] [105],
lâcha sa "brume étrange" en tuant des milliers de personnes. Ce n'est
plus l'URSS et son appareil industriel rouillé, avec son Tchernobyl. En fait,
l'accident de la dioxine de Seveso de 1976, au nord de l'Italie, qu'on pensait
être un "reste" des temps révolus dans une Europe devenue si policée
et protectrice, ne fut que le signe avant-coureur de ce qui nous attendait.
Depuis quelques années, les accidents sanitaires (le sang
contaminé), les intoxications alimentaires massives (vache folle, dioxines),
les accidents des transports des personnes (accidents à répétition dans les
chemins de fer anglais ; Paddington, 1999, 100 morts) ou des marchandises
("marée noire" de l'Erika, où, déjà, Total-Fina était impliquée) se
sont multipliés dans le cœur du capitalisme.
C'est maintenant au cœur d'une grande ville française que la
catastrophe du capitalisme décadent s'est abattue. Tous ces accidents, ces
catastrophes ont un trait commun, qui en est la raison principale : la
dégradation constante des conditions de travail, de la sécurité, la montée
imparable des accidents, et tout cela à cause de l'implacable loi de la
concurrence capitaliste qui rogne sans relâche tout ce qui paraît inutile à la
réalisation d'une plus-value de plus en plus difficile. Maintenant les
"rassureurs" publics vont encore nous jouer le violon des
"nouvelles mesures". En réalité, la catastrophe de Toulouse est un
pas de plus dans l'horreur d'un capitalisme de plus en plus décadent et
destructeur.
Déjà 29 morts et plus de deux mille blessés. Des
prolétaires, de l'usine même ou des entreprises proches. Un élève du lycée
professionnel Gallieni mort, des enfants très gravement blessés dans les
écoles. Des centaines de blessés hospitalisés, dont plusieurs dizaines très
gravement. Des vies brisées, des enfants traumatisés, tous marqués à vie. Des
milliers de personnes sans logement ou avec un logement ravagé qui connaîtront
des conditions précaires pour des mois. Cinq établissements scolaires seront
purement et simplement rasés. Des constructions faites à l'économie. Une
université, récente et déjà vieille et ruinée, reçoit le coup fatal. De la
faculté à la maternelle, des dizaines de milliers de jeunes dont la scolarité
sera lourdement perturbée. Et encore, faudrait-il s'estimer heureux, puisque ce
serait un vrai miracle qu'il n'y ait pas eu propagation de l'explosion aux
autres stocks de nitrates et d'acides du même site, où à la SNPE (Société
Nationale de Poudrerie et Explosifs) toute proche, ou même une pollution
chimique bien plus importante que celle qui a eu lieu. Mais si le bilan n'est
pas de plusieurs milliers de morts, on ne le doit certes pas à la "bonne
volonté " affichée de la Mairie, de l'Etat et de Total-Fina, propriétaire
de l'usine AZF, tous, comme Chirac, Jospin, Douste et Desmarets, obséquieux
représentants du capital, qui tels des vautours flairant l'odeur du sang chaud,
sont accourus sur les lieux du drame pour étaler leur "solidarité"
toute médiatique.
On peut faire de longs débats sur comment explosent les nitrates. Mais ce qui est clair, c'est que le stockage était fait sans le moindre conditionnement. Des granulés en vrac à même le sol, hautement instables, voilà comment était stocké le produit qui a explosé. Un produit "inerte" certes, mais hautement explosif en présence d'autres produits, parfois quelques gouttes d'huile. On sait qu'il y a déjà eu des explosions de ce type. Ainsi, l'histoire du "scénario pas prévu " est un mensonge criminel. Et il reste 1.000 tonnes entreposées dans les mêmes conditions. Sans compter que derrière l'AZF, dans la SNPE (entreprise de poudrerie), était entreposé un gaz de combat (phosgène), variante du gaz moutarde de sinistre mémoire.
Quelle que soit la cause immédiate de l'explosion, loin
d'être un "accident" comme le proclame le procureur de Toulouse,
c'est bel et bien d'un acte criminel qu'il s'agit. Un acte criminel dicté par
la seule logique que connaisse le capitalisme : celui de la productivité à tout
crin, du profit et de l'accumulation. Et il ne s'agit pas seulement de la
responsabilité de Total-Fina, avec qui la bourgeoisie voudrait bien limiter les
dégâts en le présentant comme seul responsable. On a vu ces crapules, en
commençant par le maire de Toulouse qui se donne des airs de Giulani (le maire
de New York), insinuant sans cesse que "c'est la faute à d'autres" et
qu'il "l'avait déjà dit", etc. En fait, qui a signé les autorisations
successives des agrandissements de l'usine, en sachant pertinemment que le
danger devenait de plus en plus grand ? Il s'agit d'une logique que les Chirac,
Douste, Desmarets, Jospin et ses écolos de service essayent de masquer sous des
dehors très vertueux, poussant l'obscénité charitable jusqu'à faire l'obole
chacun de 10 millions de francs. Leur argent pue la mort. Si les intérêts de
leur classe le commandent, tous signeront demain, le sourire aux lèvres,
l'autorisation d'exploitation d'usines tout aussi dangereuses, tout en parlant
"sécurité", "environnement", "ISO 14001",
"directives Seveso" et autres foutaises !
Qui plus est, depuis de longues années, les pouvoirs publics
ont fomenté une urbanisation autour de l'usine, pour loger les ouvriers de la
reconstruction des années 50-70. En effet, ce sont les quartiers parmi les plus
populaires et les plus denses de Toulouse qui ont été touchés. Une urbanisation
menée par le Conseil général de gauche ou par la Mairie de droite. Ainsi, comme
à Enschede (Pays-Bas) en mai 2000[2] [106], aux
prolétaires morts dans l'accident, s'ajoutent les destructions qui ont dévasté
les quartiers ouvriers du sud de Toulouse. Depuis les effondrements d'Empalot
jusqu'aux trous béants du Mirail, c'est tout l'arc d'habitations ouvrières qui
a été en grande partie ravagé. Ils peuvent se pointer ces politicards dans
leurs hélicoptères, la gueule enfarinée, la larme à l'œil, venir pleurnicher et
offrir des millions pour la "reconstruction". C'est, comme toujours,
la classe ouvrière qui paye le prix fort de l'irresponsabilité meurtrière du
capitalisme. Ce n'est pas vraiment un choix que de vivre à proximité de ces
usines dans des quartiers parfois construits avec du toc, passablement pourris,
parfumées aux arômes de l'Onia, comme par exemple, le quartier Empalot
construit sur l'ancienne décharge de Toulouse.
L'Onia (AZF) avait 3.000 emplois dans les années 70. Il y en
a aujourd'hui 450. Et pourtant, la direction de l'usine et la bourgeoisie
régionale ont joué en permanence sur le chantage à l'emploi devant les
inquiétudes de plus en plus fortes face à un tel danger. Plus il y a avait des
extensions et plus on licenciait. Et les économies se sont aussi faites sur la
sécurité, avec tout ce que cela veut dire de perte de vigilance et de
surveillance de la production ou du stockage. Avec la crise de surproduction,
il faut produire au moindre coût. Le choix imposé aux ouvriers est alors :
accepter le danger permanent (jusqu'à une mort atroce) ou le chômage… Un choix
éminemment "démocratique". D'ailleurs, les ouvriers de l'AZF toujours
vivants sont dramatiquement partagés aujourd'hui entre la défense de "l'
honneur" des camarades morts et le fait qu'ils savent parfaitement que la
direction de l'usine a fait des économies, malgré de prétendues surveillances
ultra sophistiquées, sur tout ce qui concerne la sécurité, surtout humaine. Ils
savent très bien dans quelles conditions se faisaient les transports, ils
savent comment était stocké le nitrate sans la moindre surveillance, comment,
dernièrement, face à une accélération des cadences, les conditions de sécurité
se sont encore détériorées. Les ouvriers de l'AZF ont été ulcérés du fait qu'on
ait pu penser à une "mauvaise manipulation" de l'un de leurs
camarades, comme on a voulu le faire croire au début. Aujourd'hui il faut qu'ils
comprennent qu'il ne s'agit pas de leur "honneur", de leur
"savoir-faire", il s'agit de comprendre pour eux et pour le
prolétariat en général, qu'ils sont victimes d'un capitalisme décadent et
criminel.
Les exemples de catastrophes industrielles à répétition ne
manquent pas. Ils sont le signe, non pas de la nécessité de prendre des risques
pour satisfaire des besoins vitaux de l'humanité, mais des risques pris
délibérément au nom de la productivité et de la concurrence. Finalement, tous
ces morts, blessés et mutilés ne pèsent pas plus lourds qu'une ou deux lignes
de la rubrique "pertes et profits" du macabre livre de compte de la
bourgeoisie. Elle y intègre tout aussi facilement les "faux frais"
que représentent les monceaux de directives du style "Seveso", bel
exemple de la façon dont la bourgeoisie tire des "leçons" des
précédentes catastrophes : quelques vagues "informations" pour
prévenir la panique des populations. Quels mensonges ! Dans le cas présent, les
entrepôts n'avaient pas été inspectés, aucune mesure face à la dangerosité
avérée des nitrates, même pas un plan de l'usine disponible, de prétendus
exercices… qui n'ont jamais existé que sur le papier, pour ne pas parler de ces
mesures de confinement, grotesques, quand on n'a plus un carreau debout, quand
vos portes et vos fenêtres sont soufflées. Au milieu de la tragédie, ces
"conseils" de la mairie apparaissaient comme une sinistre moquerie.
Jamais nous ne pourrons nous réfugier derrière des directives, des normes, des inspections de sécurité, instituées par ceux là même qui gèrent la production, de la même façon que les discours de paix de tous les Etats ne sont que des préparatifs pour de nouvelles boucheries militaires. La seule garantie de sécurité pour l'humanité réside dans la constitution d'une communauté internationale véritablement humaine, c'est-à-dire une société où l'homme et son environnement sont le point de départ et d'arrivée de toutes les préoccupations. Pour cela, il faudra d'abord balayer les décombres de cette société pourrie et meurtrière. C'est le programme révolutionnaire de la classe ouvrière. C'est notre programme, notre combat.
RS (25 septembre)[1] [107] En tout et pour tout en termes de "sécurité" : des affiches rédigées en anglais, langue qu'aucun ouvrier indien ne connaissait.
[2] [108] Un entrepôt de feux d'artifice se trouvait en plein milieu d'un quartier ouvrier de cette ville industrielle de l'est de la Hollande : 20 morts, 700 blessés, des centaines de maisons détruites. Malgré les vieilles inquiétudes, l'usine avait un permis en règle.
Prises de position de nos camarades d'Internationalism, section du CCI aux Etats-Unis,
suite aux tragiques événements du 11 septembre.
Aujourd'hui, chacun de par le monde est au courant des événements tragiques qui ont coûté des milliers de vies et causé de terribles destructions à la ville de New York, la soi-disant "capitale du monde", et au Pentagone, quartier général des forces armées américaines à Washington et symbole de la puissance du capitalisme américain. Ces milliers de morts pour rien (la plupart des ouvriers), les destructions matérielles, ce mépris total pour la vie humaine, la folie de ceux qui ont perpétré ces actes les conduisant eux-mêmes vers la mort, tout cela est l'expression de l'impasse d'un système social qui chaque jour entraîne l'humanité dans la spirale sans fin de la barbarie et s'enfonce de plus en plus dans la décomposition. Jamais auparavant la population américaine n'avait fait l'expérience d'une catastrophe de cette importance, provoquée par des hommes, sur son propre territoire. La guerre et la destruction, c'était toujours pour les "autres", spécialement quand l'impérialisme américain était responsable de la destruction de pays et de leurs populations.
C'est pourquoi, à la suite de ces événements, il règne parmi la classe ouvrière américaine et la population dans son ensemble, un véritable sentiment de terreur, d'impuissance et de désespoir, mêlé à un sentiment de solidarité envers les victimes directes de ces événements barbares. Cependant, l'ambiance qui domine de plus en plus la société aujourd'hui, c'est la manipulation par la classe dominante de la situation créée par cette tragédie, pour réactiver la haine et le patriotisme, pour inciter aux sentiments nationalistes les plus vils, dans le but d'unir les citoyens derrière l'Etat, et donc de faire en sorte que la population accepte la militarisation de la société et les sacrifices requis par les aventures impérialistes américaines dans le monde.
Il ne fait aucun doute que la classe dominante remporte un succès immédiat en tournant cette tragédie à son avantage. La xénophobie la plus écoeurante et les attitudes vengeresses et sanguinaires ont été exprimées par tous les secteurs de la population. Le sentiment d'unité nationale, l'identification de la population avec l'Etat, n'ont jamais été si importants au cours de cette génération. Il y a un grand danger d'accélération et d'escalade dans toutes ces expressions de la barbarie sociale. Dans ce contexte, la classe ouvrière -seule force sociale capable de mettre fin à la folie du capitalisme mondial- doit faire face aujourd'hui à d'énormes responsabilités. Il lui faut comprendre la situation actuelle à partir de sa propre perspective de classe.
Les révolutionnaires ont toujours condamné le terrorisme comme
étranger aux méthodes de lutte de la classe ouvrière contre
le capitalisme. Ils ont toujours dénoncé le terrorisme -quand
il n'est pas lui-même le produit de la manipulation des hauts dirigeants
de l'appareil d'Etat- comme étant au mieux un acte de désespoir
de couches de la société sans avenir, qui n'ont rien de positif
à offrir à la société dans son ensemble, et à
la classe ouvrière en particulier. En dernière analyse, les actes
terroristes ne font que renforcer l'Etat, spécialement son contrôle
sur la société et son appareil répressif, ce que les actes
terroristes étaient supposés attaquer en premier lieu.
Les actions terroristes ont toujours été utilisées par
la classe dominante pour renforcer sa domination sur la société.
D'une part, l'Etat accentue inévitablement sa répression sous
prétexte de lutter contre le terrorisme, entraînant alors une militarisation
de la société, caractéristique du capitalisme décadent.
D'autre part, au niveau idéologique, l'Etat utilise la peur, l'angoisse
et la terreur causées par l'action terroriste comme moyen de rallier
la population autour de la défense de l'Etat national, en s'appuyant
lourdement sur ses "mass media" dans ce but.
Ces vieilles leçons sont confirmées par les récents événements.
Qui tire bénéfice de ce récent carnage, sinon l'Etat américain
?
Dans sa course à la guerre, la classe dominante veut se poser en représentant de la civilisation contre la barbarie, comme une nation pacifique, mue par les plus beaux principes de "démocratie", de "liberté", et autres merveilles du capitalisme. En même temps, elle veut que sa population, et en particulier la classe ouvrière qui va payer de sa personne les sacrifices imposés par la guerre, voit l'"ennemi" comme étant des barbares poussés par le "mal", le "fanatisme" et la folie. La classe ouvrière n'a rien à gagner à choisir un camp contre l'autre. Le capitalisme est mal placé pour se poser en personnification de la civilisation, surtout pas après avoir, pendant un siècle, plongé l'humanité dans des massacres et des destructions en masse, incluant deux guerres mondiales et de nombreux conflits qui ont coûté la vie à plus de cent millions de personnes, et provoqué l'accélération de la décomposition de la société ainsi que la destruction de l'environnement.
En vérité, c'est le capitalisme lui-même qui nourrit et manipule le terrorisme. Il n'y a pas de différence de nature entre, d'un côté les destructions et les morts causées par les actions terroristes des groupes et des Etats islamistes ou de l'IRA en Irlande, et d'un autre côté les destructions rayant des pays entiers de la carte, commises par les démocraties civilisées. Elles sont toutes les deux l'évidence que le capitalisme conduit le monde vers une impasse. De ce point de vue, la tragédie de New York et de Washington, touchant deux endroits situés au centre même du système capitaliste mondial, à qui jusqu'à présent avaient été épargnés les pires effets de la décomposition du capitalisme, signifie en réalité que nous nous enfonçons encore plus profondément dans la spirale de la barbarie capitaliste. A partir de maintenant, il n'y aura plus de "havre protégé", les centres mêmes du capitalisme vont faire l'expérience du chaos et de la folie qui, depuis des décennies, apportent la souffrance aux pays de la périphérie.
L'hypocrisie des démocraties "anti-terroristes" assoiffées de sang, qui en ce moment se préparent à la guerre contre l'Afghanistan, pays frappé par la plus extrême pauvreté, sous le prétexte qu'il abrite Oussama Ben Laden et ses partisans, se révèle par le fait que c'est l'impérialisme américain à travers la CIA, qui a entraîné et financé Ben Laden et les Talibans pour les faire se battre à sa place contre l'impérialisme russe en Afghanistan dans les années 1970-80. Inévitablement, les vraies victimes de cette guerre contre le terrorisme ne seront pas les terroristes eux-mêmes, mais les milliers de paysans innocents et de miséreux dont les morts ne seront considérés que comme "dommages collatéraux". Ces morts, causés par l'impérialisme occidental, ne serviront qu'à justifier plus de terrorisme dans les métropoles, ce qui accélérera encore plus la chute de l'humanité dans la barbarie, sous les auspices du capitalisme mondial.
Les ouvriers du monde entier n'ont ni Etat ni pays à défendre. Contre les cris de guerre de nos exploiteurs, contre leurs tentatives sordides de dénaturer les tendances naturelles vers la solidarité humaine en un nationalisme le plus chauvin et le plus méprisable, notre seul intérêt est de faire revivre la guerre de classe contre l'exploitation et de mettre enfin un terme à cette prétendue "civilisation capitaliste" qui entraîne l'humanité vers la barbarie et sa propre destruction.
Internationalism, organe du CCI aux Etats-Unis (16 septembre)
Le terrible bain de sang du 11 septembre à New-York n'est pas un coup de main inattendu du "fanatisme islamique" surgissant tel l'éclair dans un ciel d'azur. C'est au contraire un nouveau maillon, qualitativement plus grave, de la longue chaîne des guerres, des actes de destruction, du développement du militarisme et des armements, qui ravagent le monde.
Il y a dix ans, le père de l'actuel président américain promettait un "nouvel ordre mondial". L'effondrement de ce que son prédécesseur, Ronald Reagan, avait appelé "l'Empire du Mal", amènerait avec lui le triomphe de la "démocratie" et du capitalisme "libéral", et cela devait permettre une société dont les facteurs de conflit disparaîtraient progressivement et dans laquelle toutes les nations respecteraient le Droit, la Loi et la Justice, avec des majuscules.
Dès que sont apparues les premières convulsions graves de l'ancien bloc soviétique, nous avons annoncé que la perspective serait tout le contraire. "Loin de signifier la paix, l'implosion des blocs issus de Yalta est porteuse, comme la décomposition du système capitaliste qui en est à l'origine, de toujours plus de tensions et de conflits. Les appétits de sous-impérialismes, jusque là déterminés surtout par la division mondiale entre deux camps principaux, que les têtes de blocs ne dominent plus aujourd'hui comme auparavant, vont se développer" ("Présentation des thèses sur la crise économique et politique en URSS et dans les pays de l'Est [112]", Revue Internationale n° 60). Nous n'allions pas vers un "nouvel ordre mondial", mais vers un "monde de désordre meurtrier, de chaos sanglant dans lequel le gendarme américain tentera de faire régner un minimum d'ordre par l'emploi de plus en plus massif et brutal de sa puissance militaire" ("Militarisme et décomposition [113]", Revue Internationale n° 64).
La guerre du Golfe en 1991 a été le premier épisode, puis il y a eu la Yougoslavie, le Moyen-Orient, le Rwanda, la Somalie, le Soudan, la Sierra Leone, le Congo, l'Algérie, l'Angola, l'Afghanistan, le Timor, la Tchétchénie, la Colombie, la Birmanie, le Cachemire... Cette succession de convulsions violentes fait partie de la dynamique qui a conduit à cet attentat terrible sur les Twin Towers : une explosion, sans précédent dans l'histoire, des appétits impérialistes de chaque Etat, petit ou grand (contenus pendant de nombreuses années par la discipline de fer des blocs mais violemment aiguisés par l'aggravation de la crise économique) a déterminé dix ans d'affrontements chaotiques, sans ordre ni concertation, sans perspective ni stratégie ; une explosion qui, si le prolétariat mondial ne réagit pas, finira par déboucher sur la destruction de l'humanité.
Pourquoi cette dynamique ? N'y aurait-il pas un point d'équilibre possible qui permettrait de canaliser les tensions en leur donnant un cadre de négociation ? Les différentes fractions de la classe dominante prêchent évidemment cette idée. Le discours officiel des gouvernants occidentaux nous dit que les grandes puissances "démocratiques" s'évertuent à établir des règles justes permettant un "nouvel ordre mondial", mais que cet effort louable est torpillé par toutes sortes de forces obscures : les dictateurs du genre Saddam Hussein ou Milosevic, le terrorisme international qui possède de terribles armes secrètes, les Etats "voyous" (Corée du Nord, Afghanistan, Libye, etc.). Et pour atteindre avec succès ce "nouveau monde" tant de fois promis, il faudrait se mobiliser dans les croisades guerrières contre ces "nouvelles menaces", contre ces "nouvelles formes de guerre".
Pas moins inconsistantes, mais plus insidieuses, sont les explications données par les partis de gauche de la bourgeoisie. Bien sûr, elles considèrent comme nécessaire de "combattre le terrorisme" et les "nouvelles formes de guerre" et sont, de loin, les plus enthousiastes pour la mobilisation guerrière mais, en même temps, elles ajoutent leur grain de sel "critique" en revendiquant de mettre un terme aux "excès" du "néolibéralisme" et de la "mondialisation" qui empêcheraient un ordre "plus juste".
Enfin, malgré leurs propositions incendiaires, les fractions qui soutiennent les Etats "voyous" et le "terrorisme international" tiennent un discours pas moins répugnant que celui de leurs opposants "civilisés" : elles justifient des actes comme l'attaque sur le World Trade Center comme un "assaut des peuples opprimés contre l'impérialisme" et se réjouissent de façon revancharde que les souffrances que subissent les masses palestiniennes et arabes soient infligées aux populations des métropoles opulentes.
Tous ces courants politiques sont l'expression, dans leurs différentes fractions, du système capitaliste qui conduit l'humanité à la barbarie. Leurs diverses allégations stupides non seulement n'expliquent rien mais visent en plus à enchaîner le prolétariat et la majorité de la population au joug du capitalisme et de l'impérialisme, en rivalisant dans l'excitation des plus bas instincts, de la haine, de la vengeance et du massacre.
Seule la méthode historique du marxisme, comme expression la plus avancée de la conscience de classe du prolétariat, peut donner une explication cohérente du désordre meurtrier qui règne dans le monde et mettre en avant la seule solution possible : la destruction du capitalisme dans tous les pays.
En 1989, face à l'effondrement du stalinisme et plus globalement du bloc impérialiste organisé autour de la Russie, nous avions mis en évidence que ces événements signaient l'entrée du capitalisme dans une nouvelle phase, ultime et terminale, de sa décadence : la phase de la décomposition.
Dans le texte "La décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste [114]", que nous avons publié dans la Revue Internationale n° 62, nous avons situé sa racine dans une caractéristique inédite de la période historique ouverte en 1968 : d'une part, le prolétariat a repris ses luttes de classe mais à aucun moment celles-ci n'ont réussi à dépasser un niveau simplement défensif. Cela a empêché la bourgeoisie d'imposer sa réponse, la guerre impérialiste généralisée, à la crise sans issue de son système. Et cela a plongé la société mondiale dans un bourbier : "Alors que les contradictions du capitalisme en crise ne font que s'aggraver, l'incapacité de la bourgeoisie à offrir la moindre perspective pour l'ensemble de la société et l'incapacité du prolétariat à affirmer ouvertement la sienne dans l'immédiat ne peuvent que déboucher sur un phénomène de décomposition généralisée, de pourrissement sur pied de la société".
Ce bourbier a marqué profondément l'évolution du capitalisme dans tous les aspects de son existence : "Dans la mesure où les contradictions et les manifestations de la décadence du capitalisme qui, successivement, marquent les différents moments de cette décadence, ne disparaissent pas avec le temps mais se maintiennent, et même s'approfondissent, la phase de décomposition apparaît comme celle résultant de l'accumulation de toutes ces caractéristiques d'un système moribond, celle qui parachève et chapeaute trois-quarts de siècle d'agonie d'un mode de production condamné par l'histoire." (Ibid.)
Sur le plan de l'évolution des conflits impérialistes, la scène mondiale est dominée par une série d'éléments particulièrement graves et destructeurs :
Tout cela a aggravé le chaos dans les conflits impérialistes car, comme nous l'affirmons dans la Résolution sur la situation internationale de notre 14e Congrès, en mai 2001 "La caractéristique des guerres dans la phase actuelle de la décomposition du capitalisme est qu'elles ne sont pas moins impérialistes que les guerres dans les précédentes phases de sa décadence, mais elles sont devenues plus étendues, plus incontrôlables et plus difficiles à arrêter même temporairement". (Revue Internationale n° 106)
Les Etats-Unis sont les grands perdants de cette situation. Leurs intérêts nationaux s'identifient avec le maintien d'un ordre mondial construit à leur propre avantage. Cependant l'évolution du capitalisme en décomposition démolit tous les piliers qui permettent à cet ordre de se maintenir :
Face à ce conglomérat sanglant d'influences croisées, de forces qui tirent dans tous les sens, les Etats-Unis, le "shérif" mondial, se voient obligés de continuer et de répéter des coups de force, d'authentiques coups de poing sur la table, comme nous l'avons vu dans le Golfe ou au Kosovo. Ces exhibitions de leur puissance militaire époustouflante obligent leurs rivaux à baisser la tête et à s'aligner sur le grand caïd. Cependant, quand cesse l'effet d'intimidation, tous reviennent à leurs agissements antérieurs.
Il est difficile de déterminer avec exactitude qui est derrière l'attaque sanglante du 11 septembre. Ce qui est certain cependant, c'est qu'immédiatement, avec des milliers de cadavres encore chauds, l'Etat américain, à l'unanimité de toutes ses fractions, a fait entendre bruyamment ses tambours de guerre. Profitant du terrible impact émotionnel que le massacre a provoqué dans la population américaine, il a entraîné celle-ci dans une violente hystérie patriotique, dans une mobilisation guerrière sans précédent.
Simultanément, les pays de l'OTAN ont tenu à se montrer fermes et, non seulement cela, mais ils ont dû avaler la couleuvre d'appuyer solennellement l'article 5 du traité qui oblige à la "solidarité" avec tout pays membre qui est attaqué. Les Etats-Unis l'ont dit clairement par la bouche d'un diplomate de haut rang : "celui qui ne rejoint pas la coalition sera considéré comme un ennemi".
Mais il y a une différence notable entre le nouveau déploiement militaire que les Etats-Unis préparent actuellement et celui qu'ils ont réalisé dans le Golfe en 1991. Lors de l'opération "Tempête du désert", il s'agissait fondamentalement d'une démonstration de force alors qu'aujourd'hui, comme l'a précisé Bush : "il ne s'agit pas d'une vengeance, ni d'une réaction symbolique mais de gagner une guerre contre les comportements barbares. "C'est pour cela qu'il a affirmé lors de sa harangue télévisée: "On vous demandera de la patience parce que le conflit ne sera pas bref. On vous demandera de la ténacité parce que le conflit ne sera pas facile. On vous demandera toute votre force parce que le chemin de la victoire sera long".
Ce qui se profile pour les prochaines semaines, c'est une campagne militaire d'envergure qui va impliquer plusieurs théâtres d'opérations. Le choix de l'Afghanistan comme première cible n'est pas un hasard et n'a rien à voir avec Ben Laden. Ce pays a une importance stratégique fondamentale. Il est situé au carrefour entre la Russie, la Chine, l'Inde et, pour ce qui le concerne, ses immenses montagnes sont comme un observatoire et une plate-forme de pression sur le Proche-Orient -Palestine et Israël, Emirats Arabes, Arabie, etc.- qui est un noeud crucial pour le contrôle de l'Europe. Les Etats-Unis, en même temps qu'ils obligent tous les Etats et particulièrement leurs anciens alliés à se rallier à leurs objectifs, cherchent des positions plus stables et solides qui leur permettent un contrôle bien plus grand de la scène mondiale.
L'aggravation de la situation impérialiste mondiale a connu une accélération considérable et particulièrement dramatique :
Le pas qualitatif dans les conflits impérialistes est plus qu'évident. Nous ne sommes pas à la veille d'une troisième guerre mondiale comme l'ont crié certaines proclamations alarmistes. Cependant, cela n'est en rien une consolation car ce que confirment dramatiquement les événements est la tendance que prend la guerre dans la période de décomposition du capitalisme.
Une tendance qui peut conduire à la destruction de l'humanité si le prolétariat ne parvient pas à renverser le capitalisme avant qu'il n'anéantisse la planète.
RI
Au nom de la "liberté des peuples", un déluge de bombes et de feu s'abat depuis plusieurs semaines sur les populations civiles d'Afghanistan, obligeant des dizaines de milliers d'êtres humains, hommes, femmes, enfants, vieillards à fuir l'horreur, à s'entasser comme du bétail dans les camps de réfugiés aux frontières du Pakistan, dans l'espoir d'échapper à une mort effroyable. Ce qui les attend, au bout du voyage, ce sont les épidémies, le froid et la faim qui vont les condamner à une mort lente, non moins effroyable.
Voilà encore une fois mis à nu le vrai visage des expéditions "humanitaires" des grandes puissances dont la barbarie n'a vraiment rien à envier à celle des petits gangsters impérialistes du réseau Ben Laden.
Ceux qui déchaînent aujourd'hui le fer et le feu prétendent encore une fois défendre la loi. Leur loi, c'est celle du capitalisme mondial qui consiste depuis près d'un siècle à faire la guerre au nom de la paix, avec des moyens "propres", "efficaces", et bien "ciblés". Il s'agirait de démanteler le réseau terroriste sans toucher à la population civile. Pour preuve, en même temps que l'aviation américaine et britannique largue ses bombes, des sacs de vivres sont parachutés à l'aveuglette pour donner à cette guerre un visage "humain" et "civilisé". Quand on sait que ces vivres sont réquisitionnées par les militaires talibans et qu'elles sont revendues au marché noir, on mesure tout le mépris des grandes puissances pour les populations civiles. Quant à l'aide humanitaire" des organisations caritatives et autres ONG, elle ne peut être acheminée à cause, nous dit-on, des... difficultés du relief ou de la fermeture des frontières entre l'Afghanistan et le Pakistan. Aujourd'hui, alors que l'offensive américaine et britannique s'intensifie jour après jour, après plus de trois semaines de bombardements intensifs, on nous annonce encore que le terroriste Ben Laden est... "incapturable" !
Jamais le cynisme et l'hypocrisie de la "civilisation" bourgeoise
n'avaient atteint un tel degré !
Cette guerre apparaît aujourd'hui lointaine, exotique, presque irréelle.
Alors que la phase terrestre de l'opération "Liberté Immuable"
a déjà commencé depuis plusieurs semaines, les médias
restent très discrets sur la réalité des massacres. Pas
de sang, pas de morts, pas d'image de combats. On nous parle de quelques "dommages
collatéraux", mais la guerre du Golfe nous a appris ce que cela
signifiait : comme toujours, ce sont les civils qui sont les principales victimes,
et en grand nombre, des "frappes chirurgicales" et des "bombes
intelligentes". La bourgeoisie occidentale, au nom du "secret défense",
a organisé un tel black out de la réalité du bain de sang
que la guerre est aujourd'hui banalisée, noyée au milieu des autres
catastrophes "accidentelles", comme celle de l'explosion de l'usine
AZF à Toulouse, ou celle du tunnel du Gothard en Suisse.
Mais surtout, ce qui fait aujourd'hui la Une de l'actualité, c'est tout le barouf organisé autour du bioterrorisme. Chaque jour, on nous annonce de nouveaux cas d'anthrax, de nouvelles alertes à la mystérieuse "poudre blanche", pour nous faire oublier le pilonnage des villes d'Afghanistan soumises au terrorisme meurtrier des Etats-Unis et de leurs complices européens. Cette campagne hypermédiatisée n'a pas d'autre objectif que de terroriser la classe ouvrière d'Europe et d'Amérique, de lui faire croire qu'elle est quotidiennement attaquée, menacée sur ses lieux de travail par les méthodes sournoises des réseaux terroristes. Etant la principale victime de ces "faits de guerre", elle n'aurait donc pas d'autre choix que d'apporter son soutien à cette guerre "juste" contre le terrorisme.
Voilà comment la bourgeoisie et ses médias aux ordres s'efforcent aujourd'hui de brouiller la conscience des prolétaires : en cherchant à leur faire croire que cette guerre est aussi la leur. Au lendemain du terrible attentat du World Trate Center, ne nous a-t-elle pas dit que nous devions tous "nous sentir américains" ?
Prolétaires, cette guerre n'est pas la nôtre ! C'est celle à laquelle se livrent tous les requins impérialistes, petits et grands, pour des intérêts qui ne sont pas les nôtres. Ceux qui nous exploitent, nous licencient, nous plongent dans une misère croissante sont les mêmes que ceux qui bombardent, ou soutiennent les massacres. Les Bush, Blair, Chirac, Schröder et consorts appartiennent à la même classe d'assassins que Ben Laden. Et c'est toujours sur le dos des exploités et des populations civiles prises en otage que se font leurs sordides règlements de compte. Le capitalisme mondial est le seul responsable du terrorisme et de la folie meurtrière dans laquelle s'enfonce toujours plus l'humanité.
Prolétaires, ne nous faisons aucune illusion ! Le capitalisme, asphyxié par une crise économique insurmontable, ne peut que continuer à mettre la planète à feu et à sang. La prétendue "bonne volonté" des grands de ce monde ne pourra jamais stopper la spirale infernale de la barbarie guerrière. Les opérations de police des Etats-Unis et de leurs alliés européens ne peuvent que continuer à se multiplier. Après la guerre du Golfe de 1991 censée libérer le peuple irakien du "boucher de Bagdad", on a eu droit à la croisade anti-Milosévic au Kosovo. Aujourd'hui, l'homme à abattre, c'est "l'incapturable" Ben Laden. Et on peut être sûr qu'une fois cette guerre terminée, une autre plus meurtrière encore sera en préparation sous un autre prétexte.
Le "nouvel ordre mondial", cette "ère de paix" que le vieux Bush nous avait promise au lendemain de l'effondrement du bloc de l'Est, n'est qu'un pur mensonge. La paix est impossible dans le capitalisme.
La seule issue, la seule perspective d'avenir pour l'espèce humaine, c'est la destruction de ce système avant qu'il ne détruise toute la planète morceau par morceau. Et cette perspective, seule la classe exploitée, qui est la première et principale victime de la guerre, la détient entre ses mains. Pour cela, elle doit refuser de faire cause commune avec ses propres exploiteurs et de s'en remettre aux lois barbares des gouvernements qui prétendent la protéger du terrorisme. Elle doit au contraire rester sur son propre terrain de classe, développer ses luttes contre la dégradation de ses conditions de vie, ne pas se laisser intimider et paralyser par la terreur que la bourgeoisie cherche à semer dans ses rangs, que ce soit par le renforcement du quadrillage policier de toute la vie sociale son couvert de plan "Vigipirate", ou la psychose des attentats renforcée par la campagne sur la maladie du charbon.
C'est avec une rapidité extraordinaire que la police et les services
secrets américains ont montré du doigt les coupables des attentats du 11
septembre : Oussama Ben Laden et son réseau terroriste Al-Qaida. Ils
désignaient du même coup l'objet des représailles guerrières : le régime
taliban et le pays qui servait de base aux terroristes : l'Afghanistan.
Les USA ont donc réagi en incriminant la responsabilité des "Etats-voyous". Pourtant, si une puissance a pu retirer des bénéfices impérialistes des attentats du 11 septembre, c'est bien les Etats-Unis.
Les attentats terroristes auront permis à la bourgeoisie américaine de réaliser un gigantesque coup de force dans l'arène mondiale au nom de l'anti-terrorisme. Ils auront fourni un prétexte rêvé pour prendre pied aux portes de l'Asie en occupant militairement l'Afghanistan et les pays limitrophes, c'est-à-dire les anciennes places fortes de son grand rival impérialiste d'il y a vingt ans, l'URSS. C'est là une spectaculaire percée stratégique américaine vers les terres et les mers chaudes d'Asie. Pour la première fois, l'impérialisme américain est à même d'investir toute l'Asie Centrale et ne se limite plus à chercher à conserver et renforcer un contrôle direct de la Méditerranée, à partir du Proche et du Moyen-Orient. Les Etats-Unis en annonçant une "guerre longue et dure" entendent légitimer le renforcement de leur présence militaire permanente dans la région (déjà assurée dans le Golfe par la présence de leur bases à Dharan en Arabie), au détriment direct de leurs rivaux déclarés ou potentiels et en forçant leur consentement.
En occupant militairement l'Ouzbékistan et le Tadjikistan, deux ex-républiques de l'empire éclaté de l'URSS, les Etats-Unis supplantent la Russie dans ses anciennes chasses gardées moyennant un "deal" qu'ils lui imposent désormais pieds et poings liés en mettant en avant des intérêts communs pour agir contre le "terrorisme intégriste".
Les Etats-Unis coupent ainsi en même temps l'herbe sous le pied des ambitions nouvelles de la Chine d'étendre son influence sur l'Asie Centrale. Du même coup, ils barrent désormais la route aux avancées impérialistes réalisées par l'Allemagne vers l'Est ces dernières années, que ce soit dans les Balkans et dans la zone faisant partie de l'ancien glacis russe ou par le jeu d'alliances que la bourgeoisie germanique cherche à s'aménager au Proche ou au Moyen-Orient, de la Turquie à l'Iran, indispensable pour prétendre se poser en futur rival principal des Etats-Unis.
Ils ont également démontré aux yeux de toutes les autres puissances leur
capacité à intervenir militairement en n'importe quel point de la planète.
Il n'est pas à écarter que la menace terroriste ait été délibérément ignorée et
que les "négligences incompréhensibles" des services de renseignement
américain face au danger d'actes terroristes aient été voulues[1] [118].
De toutes façons, ce qui est clair, c'est que l'ancien espion Ben Laden formé et recruté par la CIA en 1979 dans le conflit contre l'URSS continue à rendre de fieffés services aux Etats-Unis. Il joue pratiquement le même rôle de bouc émissaire que le dictateur Saddam Hussein qui avait permis aux Etats-Unis de monter leur opération militaire dans le Golfe visant en fait à remettre au pas ses anciens alliés après la dislocation du bloc occidental.
La guerre du Golfe avait pour vocation de faire taire les velléités de contestation de l'hégémonie américaine qui s'étaient manifestées après l'éclatement du bloc russe, en particulier de la part de la France et de l'Allemagne. Et c'est pour préserver leur rôle de gendarme du monde que les Etats-Unis avaient effectué cette spectaculaire opération militaire.
Depuis, il y a eu l'éclatement de l'ex-Yougoslavie sous la pression de l'Allemagne poussant la Slovénie et la Croatie à proclamer leur indépendance qui a permis à l'impérialisme germanique de marquer des points dans sa poussée vers l'Est et la Méditerranée aux dépens de la Serbie. Puis dans l'extension du conflit des Balkans en Bosnie, au Kosovo, en Macédoine, les "seconds couteaux" britanniques et français se sont démarqués de la tutelle américaine pour défendre leurs intérêts propres en se retrouvant également opposés à l'Allemagne.
Ce développement de la contestation généralisée envers les Etats-Unis oblige ces derniers à utiliser toujours davantage leur force brute et leur suprématie militaire écrasante pour préserver leur statut de gendarme du monde. C'est pourquoi si l'opération guerrière "Liberté immuable" menée sous la bannière de la croisade anti-terroriste a vu battre le rappel des "alliés" de la guerre du Golfe, contrairement à cette époque où "l'alliance" incorpora les forces militaires de plusieurs Etats européens et arabes (notamment l'Arabie Saoudite et la Syrie), ils affichent leur détermination à assumer leurs responsabilités militaires essentielles sans l'aide de la plupart des puissances européennes (à l'exception de la Grande-Bretagne). Ils ne peuvent bien entendu qu'obliger ces dernières à les soutenir mais la France et l'Allemagne notamment se retrouvent écartées du coeur des opérations militaires. Pour maintenir leur présence sur le terrain, elles sont contraintes d'accepter de se voir reléguées à des rôles subalternes de services de renseignements ou des actions secondaires de commando. Les Etats-Unis leur signifient clairement qu'ils ne supporteront aucune entrave à leur action armée.
D'ailleurs, le positionnement actuel des autres grandes puissances vis-à-vis de l'intervention des Etats-Unis en Afghanistan sont aujourd'hui tout aussi révélatrices des prétentions impérialistes de chacune d'entre elles.
Aujourd'hui comme lors de la guerre du Golfe, la bourgeoisie britannique a tout intérêt à se positionner comme le meilleur lieutenant des Etats-Unis, se retrouvant même aux avant-postes au niveau militaire avec 25.000 hommes directement engagés dans les combats. Ce rapprochement avec les Etats-Unis s'explique par une connivence d'intérêts impérialistes et aussi par la rivalité d'intérêts directement antagoniques avec ceux de la France dans la région. Comme lors de la guerre du Golfe, la région de l'Afghanistan, de même que l'Irak, fait partie de la zone de domination traditionnelle de l'impérialisme anglais. Grâce à sa vieille expérience colonisatrice, la Grande-Bretagne connaît très bien la région et les cliques en présence. Elle sait que les Etats-Unis ont besoin d'elle et qu'elle a un rôle majeur à jouer. Pour les opérations terrestres, elle dispose des meilleures troupes spécialisées au sol et connaît parfaitement les régions difficiles concernées, contrairement aux Américains. Elle estime avoir davantage d'atouts pour préserver sa part de gâteau que lors de la guerre du Golfe où son aide aux Etats-Unis ne lui avait rien apporté et ce ressentiment avait largement contribué à opérer sa nette démarcation par rapport aux Etats-Unis dans les années suivantes. Mais la lucidité remarquable de la bourgeoisie britannique lui permet de comprendre qu'aujourd'hui son intérêt exige une coopération fidèle avec la bourgeoisie américaine.
L'impérialisme français a des intérêts diamétralement opposés. Il tente de reprendre pied au Liban dont il a été évincé par les Etats-Unis depuis les années 1980. Il entretient des liens avec la Syrie et montre sa constante sollicitude et sa "préoccupation" envers "le sort du peuple palestinien". Aujourd'hui, l'impérialisme français n'a pas d'autre choix pour pouvoir garder un pied au Moyen-Orient que de proposer ses services sur le terrain de l'antiterrorisme. Un de ses atouts majeurs était précisément l'Afghanistan où la France a été en pointe pour appuyer à fond le francophile commandant Massoud avant son assassinat en septembre dernier. Celui-ci avait d'ailleurs été reçu avec les honneurs dus à un chef d'Etat en avril dernier à Paris et la bourgeoisie française l'avait même à cette occasion imposée au parlement européen de Strasbourg. Donc la carte de la France est avant tout celle de l'Alliance du Nord, même si Védrine s'est déclaré partisan d'une mise en place d'une coalition gouvernementale plus large sous l'égide du vieux roi Zaher.
La Russie de Poutine a également assorti son aval humiliant à l'entreprise militaire des Etats-Unis d'un soutien déclaré à l'Alliance du Nord qui fut pourtant l'ennemi le plus irréductible et le plus ancien de l'ex-URSS depuis l'invasion de l'Afghanistan en 1979.
L'Allemagne, derrière ses offres de service (la mobilisation de 35.000 hommes), entend profiter de l'occasion pour développer une nouvelle intervention de la Bundeswehr à l'extérieur de ses frontières et elle mise sur cette présence sur le terrain pour renforcer sa coopération avec des pays comme la Turquie d'un côté, l'Iran de l'autre. Mais on l'a vu, la percée de l'Allemagne va s'avérer plus délicate dans le contexte de l'occupation militaire américaine. Dans cette région, la bourgeoisie germanique ne peut que jouer le même rôle que la France : tenter de déstabiliser plus ou moins ouvertement la mainmise américaine.
Tout cela augure déjà des futures dissensions au sein de la vaste coalition actuelle.
Pour s'opposer à la dynamique de "chacun pour soi", les Etats-Unis sont obligés de s'impliquer de plus en plus sur le terrain directement militaire. Ainsi, ils sont également contraints de taper à chaque fois de plus en plus fort, sous peine de perte de leur leadership, devenant ainsi les premiers responsables d'une constante fuite en avant dans la logique guerrière du capitalisme.
Sur place, les Etats-Unis sont contraints de miser avant tout sur l'aide du Pakistan, qui ne veut à aucun prix une arrivée au pouvoir de l'Alliance du Nord en Afghanistan. Il est clair aujourd'hui que les Etats-Unis n'apportent aucune aide à cette dernière pour percer le front des talibans mais au contraire paralysent au maximum ses combattants dans leur réduit pour les empêcher de s'emparer de Kaboul. Ils ne misent ainsi nullement sur la principale "force de résistance" du pays. A l'inverse, leurs laborieuses tractations diplomatiques visent à installer au pouvoir un vieux roi fantoche et à instaurer une coalition gouvernementale allant jusqu'à inclure des " talibans modérés ". Ce plan qui passera certainement par un écrasement au moins partiel (ou un affaiblissement considérable) des forces de l'Alliance du Nord n'est pas sans rappeler dans son cynisme la guerre du Golfe lorsque les Etats-Unis avaient laissé intacte une partie de l'armée irakienne pour qu'elle puisse écraser au nord et au sud du pays les rébellions des minorités kurdes et chiites (qu'ils avaient auparavant exhorté à se soulever) parce que leur intérêt était d'assurer la stabilité politique future du pays.
Cette nouvelle donne dans les rapports de force inter-impérialites ne peut qu'aviver partout les tensions guerrières. Et cette accélération du chaos est déjà perceptible actuellement.
Le soutien de la Maison Blanche au régime pakistanais a suscité la colère de l'Inde qui craint de se voir lésée dans leur conflit sur le Cachemire. En réponse a cela, l'Inde a déclenché à nouveau des bombardements en territoire pakistanais.
La situation au Moyen-Orient se dégrade à toute vitesse, comme une traînée de poudre. Les Etats-Unis pensaient profiter de leur intervention pour imposer la relance d'un processus de paix entre Palestiniens et Israéliens au Moyen-Orient appuyé par Blair qui venait d'assurer publiquement devant Arafat "la légitimité d'un Etat palestinien viable dans la région". Au contraire, alors qu'Israël manifestait quelques velléités conciliatrices, provoquant le départ de la coalition gouvernementale de deux fractions d'extrême-droite, l'assassinat du ministre du tourisme israélien (en réponse au " meurtre ciblé et commandité" d'un chef du FPLP) déclenchait une nouvelle vague de violences dans les territoires autonomes (la plus meurtrière depuis les accords d'Oslo), avec l'occupation par Tsahal de Bethléem et le blocus de Jénine.
L'intervention militaire en Afghanistan ne peut apporter ni la paix, ni la liberté, ni la justice, ni la moindre stabilité, pas plus que la "fin du terrorisme" mais au contraire ne peut qu'entraîner un surcroît de guerre, de barbarie et de misère en aspirant les populations dans un tourbillon insensé de désespoir, de vengeance et de haine. Elle prépare en même temps une rivalité plus directe des Etats-Unis avec les autres Etats européens dans la région.
Les différentes bourgeoisies nationales aux prises en Afghanistan démontrent à quel point leur prétendue croisade anti-terroriste est une foutaise, un répugnant mensonge idéologique. Elles démontrent quotidiennement qu'elles se fichent éperdument des victimes du terrorisme comme des morts de la guerre et du sort des populations locales bombardées. Les 6.000 morts des Twin Towers sont cyniquement exploités à seule fin de propagande guerrière. Comme les "body bags" annoncés de la soldatesque en action, ils font partie de la dette de sang de plus en plus lourde d'un système d'exploitation inhumain en pleine putréfaction. Derrière la défense de leurs sordides intérêts de vautours impérialistes qui anime chaque bourgeoisie nationale, il y a le capitalisme qui, en précipitant la planète dans un chaos sanglant, est le véritable responsable de ce déchaînement de barbarie. Cette exacerbation du chaos est bien le seul avenir que nous réserve le capitalisme.
CB[1] [119] Ce ne serait pas la première fois dans l'histoire des Etats-Unis. Le 8 décembre 1941, le projet d'attaque de la base américaine de Pearl Harbour à Hawaï où était regroupée la majorité des forces américaines par les forces aéronavales japonaises étaient connues par les services secrets qui en avaient informé les plus hautes autorités politiques du pays et celles-ci avaient laissé faire en n'en informant pas l'état-major militaire. Le "choc" de cette attaque et les pertes provoquées avaient permis de justifier l'entrée des Etats-Unis dans la Seconde Guerre mondiale et d'obtenir l'adhésion de la population américaine et de tous les secteurs de la bourgeoisie nationale.
Bien que la guerre tende de plus en plus à être banalisée, à devenir une "habitude" et une fatalité à laquelle chacun est appelé à se résigner, elle suscite une inquiétude bien réelle dans la population, et notamment parmi la classe ouvrière.
Livré à sa propre dynamique, le capitalisme ne peut échapper à la guerre impérialiste. Tous les bavardages sur la paix, toute la prétendue "bonne volonté" de ceux qui nous gouvernent n'y peuvent rien et les périodes de "paix" ne sont que les moments où la bourgeoisie se prépare pour des affrontements encore plus destructeurs et barbares.
Depuis l'entrée du capitalisme dans sa période historique de décadence,
avec l'éclatement de la Première Guerre mondiale, les révolutionnaires
ont toujours dénoncé la guerre comme étant le mode de vie
permanent de ce système qui ne peut engendrer que des destructions de
plus en plus massives. A la suite de l'Internationale Communiste, le CCI a toujours
affirmé qu'avec la décadence du capitalisme s'était ouverte
"l'ère des guerres impérialistes et des révolutions
prolétariennes". La guerre impérialiste est, en ce sens,
la manifestation la plus significative de la faillite historique du mode de
production capitaliste. Elle met en évidence la nécessité
et même l'urgence du dépassement de ce mode de production avant
qu'il n'entraîne l'humanité dans l'abîme ou la destruction
définitive.
Contrairement au 19e siècle où la guerre, notamment les conquêtes coloniales, était le moyen indispensable au capitalisme lui ouvrant des possibilités de développement ultérieur, les guerres de la période de décadence du capitalisme sont l'expression du fait que ce mode de production a épuisé toutes ses possibilités d'expansion. La conquête de nouveaux marchés et des positions stratégiques par les grandes puissances ne peut qu'engouffrer dans l'abîme les forces productives et accumuler à un rythme accéléré ruines sur ruines. Contrairement aux guerres de la période ascendante du capitalisme qui ne touchaient que des zones limitées du globe et ne déterminaient pas toute la vie sociale de chaque pays, la guerre impérialiste du capitalisme décadent implique une extension mondiale et une soumission de toute la société à ses exigences, et en premier lieu évidemment de la classe productrice de l'essentiel de la richesse sociale : le prolétariat. C'est bien ce qu'ont tragiquement illustré les deux guerres mondiales du 20e siècle qui n'ont pu avoir lieu que grâce à l'embrigadement massif de la classe ouvrière comme chair à canon derrière les drapeaux nationaux.
C'est justement parce que la classe ouvrière est en première ligne des sacrifices imposés par la guerre impérialiste qu'elle porte en elle la fin de toutes les guerres et le seul avenir possible pour la société, le communisme. Exclu de toute propriété, n'ayant aucune patrie et aucun intérêt économique national à défendre, le prolétariat est la seule classe réellement internationale de la société. C'est la seule classe qui puisse donc offrir une perspective d'avenir à toute l'humanité en s'opposant à la tendance inéluctable du capitalisme vers la guerre, seule réponse que la bourgeoisie puisse apporter à l'aggravation de la crise de son système, une crise permanente et sans issue.
Ainsi, c'est la crise économique, et la capacité du prolétariat à y apporter sa propre réponse qui détermine l'évolution du cours historique. De sa capacité à réagir sur son propre terrain de classe aux attaques imposées par la crise du capitalisme, dépend l'alternative historique mise en évidence par les révolutionnaires depuis près d'un siècle : socialisme ou barbarie, révolution prolétarienne mondiale ou destruction de l'humanité.
Les deux holocaustes du siècle dernier ont révélé que la préparation de la guerre impérialiste suppose pour le capitalisme le développement d'une économie de guerre dont le prolétariat, évidemment, a supporté le plus lourd fardeau. Ainsi, c'est en luttant déjà contre les mesures d'austérité imposées par la bourgeoisie qu'il entrave ces préparatifs guerriers et qu'il fait la démonstration de son refus des sacrifices encore plus terribles exigés lors d'une guerre impérialiste. Pratiquement la lutte de classe, même pour des objectifs limités, représente pour le prolétariat, une rupture de la solidarité avec "sa" bourgeoisie nationale, solidarité que celle-ci lui demande justement dans la guerre. Les luttes ouvrières expriment également une tendance à la rupture avec les idéaux bourgeois comme la "légalité", la "patrie", "l'Etat démocratique", le faux "socialisme" pour la défense desquels la classe dominante a appelé les ouvriers dans le passé à se faire massacrer et à massacrer leurs frères de classe. La lutte de classe, contre l'austérité et l'exploitation capitalistes, permet enfin au prolétariat de se confronter aux ennemis dans ses rangs, les syndicats, afin de développer son unité qui constitue la condition indispensable de sa capacité à s'opposer, à l'échelle internationale, aux règlements de compte entre gangsters impérialistes.
A l'issue de la période de reconstruction qui a suivi le second après-guerre, la classe ouvrière a repris le chemin de sa lutte contre le capitalisme dès les premiers signes du retour de la crise économique. Ainsi, la formidable grève générale de mai 68 en France et toute la vague de luttes ouvrières internationales qui l'ont suivie a montré que, après quatre décennies de contre-révolution triomphante, le géant prolétarien avait relevé la tête et avait montré sa détermination à résister à la dégradation de ses conditions de vie. La bourgeoisie n'avait plus les mains libres désormais pour déclencher une nouvelle guerre mondiale. En effet, dès la fin du deuxième conflit mondial, le partage du gâteau impérialiste entre les deux principales puissances militaires, l'URSS et les Etats-Unis n'était qu'une étape vers la préparation d'une troisième guerre mondiale. C'est bien ce qu'ont révélé tant le développement faramineux de la course aux armements que les tensions opposant les deux blocs impérialistes rivaux, celui de l'URSS et des Etats-Unis, à travers la multiplication des conflits guerriers en Asie, en Afrique et en Amérique latine. La "guerre froide" n'était rien d'autre qu'une étape vers une nouvelle guerre impérialiste généralisée. Les "trente glorieuses" résultant de la période de reconstruction qui a suivi la Seconde Guerre mondiale n'étaient qu'une pause éphémère dans la descente inexorable du capitalisme dans l'abîme. Avec la fin de cette période de relative "prospérité", la dynamique même du capitalisme ne pouvait que pousser la bourgeoisie vers une nouvelle guerre mondiale, à bouleverser l'ordre des accords de Yalta à travers l'affrontement armé entre le bloc russe et le bloc occidental.
Et si cette 3e guerre mondiale n'a pas eu lieu, c'est bien parce que, suite au resurgissement de la lutte de classe à la fin des années 60, notamment dans les grandes métropoles d'Europe occidentale, la bourgeoisie n'a pas été en mesure d'imposer au prolétariat sa propre réponse au retour de la crise économique.
Dans le passé, le terrain principal sur lequel s'est décidé le cours historique était l'Europe (notamment ses grandes concentrations industrielles d'Allemagne, d'Angleterre, de France, d'Italie). C'est l'Europe qui a été le théâtre du déclenchement des deux guerres mondiales. C'est ce continent qui a constitué l'enjeu essentiel de l'affrontement entre les deux blocs impérialistes rivaux après 1945. C'est de l'extension de la révolution prolétarienne en Europe (et notamment en Allemagne) que dépendait l'avenir de la révolution d'Octobre 1917 en Russie. C'est donc le rapport de forces entre bourgeoisie et prolétariat en Europe qui détermine l'alternative historique : guerre mondiale ou victoire de la révolution prolétarienne.
La reprise de la lutte de classe dans la vieille Europe occidentale a ainsi
ouvert un nouveau cours historique, un cours aux affrontements de classe, radicalement
opposé et faisant obstacle à la dynamique du capitalisme vers
une nouvelle guerre mondiale. En effet, le fait que, grâce à sa
capacité à reprendre le chemin de ses combats de classe, le prolétariat
ait clairement manifesté sa capacité à refuser la logique
du capitalisme en crise (notamment les baisses de salaires et la perspective
d'un retour du chômage à la fin des années 60) signifiait
qu'il était encore moins disposé à accepter le sacrifice
ultime, celui de verser son sang sur les champs de bataille du capital. Par
ailleurs, si la bourgeoisie n'a pu embrigader la classe ouvrière dans
une troisième guerre mondiale, c'est parce qu'elle n'a pas été
en mesure d'infliger au préalable à la nouvelle génération
de prolétaires, qui n'a pas connu la période noire de la contre-révolution,
une profonde défaite idéologique et physique comme ce fut le cas
lors des deux guerres mondiales. Au contraire, aux cours des trois grandes vagues
de luttes ouvrières qui se sont déroulées pendant deux
décennies depuis Mai 68, non seulement la classe ouvrière des
pays centraux du capitalisme n'a pas manifesté une adhésion enthousiaste
aux idéaux bourgeois (tels la défense de "l'Etat démocratique",
"l'anti-fascisme" ou le mythe de la "patrie socialiste"
à l'Est), mais elle a eu tendance, au contraire, à se détourner
de ces mystifications qui avaient permis son embrigadement dans les deux guerres
mondiales :
Avec la fin de la reconstruction du second après-guerre, la bourgeoisie
ne disposait donc plus de cet atout considérable pour entraîner
le prolétariat derrière la défense du drapeau national.
Ainsi, du fait de l'usure des mystifications bourgeoises qui avaient permis
l'embrigadement de dizaines de millions d'ouvriers dans la guerre en 1914 et
1939, le prolétariat, en développant ses luttes de résistance
à la crise ouverte du capitalisme à la fin des années 60,
a constitué le seul et unique obstacle au déclenchement d'une
3e guerre mondiale.
Si, tout au long des années 70 et 80 la classe ouvrière, grâce
aux développement de ses luttes, a pu empêcher la bourgeoisie de
déchaîner une nouvelle guerre mondiale (laquelle aurait probablement
signifié la fin de l'humanité compte tenu de la puissance de destruction
des armements modernes), elle n'a pas trouvé la force d'affirmer sa propre
alternative historique : le renversement du capitalisme et l'instauration d'une
nouvelle société basée non sur l'exploitation et la recherche
du profit mais sur la satisfaction des besoins de l'humanité. Cette difficulté
résulte de plusieurs facteurs :
Malgré cette gigantesque contre-offensive de la bourgeoisie mondiale, celle-ci n'est pas parvenue à inverser le cours historique aux affrontements de classe ouvert à la fin des années 60. Ainsi, les années 80 ont véritablement été les "années de vérité" venant confirmer l'incapacité de la bourgeoisie à apporter sa propre réponse à la crise. Des années de vérité parce que l'alternative historique - guerre généralisée ou révolution mondiale -non seulement est devenue plus claire mais était en un sens décidée par les événements de la décennie qui s'ouvrait. Et effectivement, les événements inaugurant cette décennie l'ont montré concrètement : d'un côté l'invasion russe en Afghanistan a mis cruellement en lumière la "réponse" de la bourgeoisie à la crise et ouvrait une période de tensions militaires aiguës entres les deux blocs impérialistes rivaux, d'un autre côté, la grève de masse des ouvriers de Pologne en août 80 faisait clairement entrevoir la réponse prolétarienne. Le mouvement des ouvriers de Pologne a montré comment le prolétariat pouvait se poser en force sociale unifiée capable non seulement de résister aux attaques du capital mais aussi de montrer la perspective du pouvoir ouvrier, un danger bien réel identifié par la bourgeoisie qui a mis de côté ses rivalités impérialistes pour étouffer le mouvement, en particulier par la mise en place du syndicat Solidarnosc. Cette grève de masse a apporté ainsi la preuve définitive que la lutte de classe est la seule force qui puisse constituer un frein à la guerre. En particulier, elle a montré que le bloc russe était incapable de répondre à la crise économique croissante par une politique d'expansion militaire. Il était clair que les ouvriers de l'ex-bloc de l'Est ne pouvaient absolument pas être enrôlés comme chair à canon dans une quelconque guerre future pour la gloire du "socialisme". Ainsi, la grève de masse en Pologne est venu confirmer la perspective historique ouverte par la grève générale de mai 68, celle de la confrontation entre les deux classes fondamentales de la société, la bourgeoisie et le prolétariat, dont dépend l'avenir de l'humanité.
Confrontée à l'approfondissement de la crise économique, la lutte de classe, bien qu'elle ait continué à avancer tout au long des années 80 dans les pays centraux du capitalisme, malgré la défaite et la répression des ouvriers de Pologne, n'a pas réussi à se hisser au niveau requis pour que le prolétariat puisse s'affirmer en tant que force révolutionnaire. Bien que les combats de la classe ouvrière aient constitué un frein à la guerre, ils ne sont pas parvenus à dépasser le niveau de simples luttes défensives, de résistance aux attaques capitalistes. Cette situation où, face à une crise sans cesse plus profonde, ni la bourgeoisie, ni le prolétariat n'ont été en mesure d'apporter leur propre réponse aux convulsions du capitalisme, s'est traduite par un blocage de l'alternative historique "guerre mondiale ou révolution prolétarienne". Après 20 ans de crise ouverte, ce blocage a donné naissance au phénomène de décomposition, de pourrissement sur pied du capitalisme que nous avons mis en évidence à la fin des années 80. Cette décomposition a culminé dans les gigantesques événements de 1989 qui ont marqué l'ouverture définitive d'une nouvelle phase dans la longue chute du capitalisme en faillite, une phase durant laquelle tout l'édifice social a commencé à craquer, trembler et s'écrouler.
L'effondrement du bloc de l'Est et des régimes staliniens a donné
un coup d'arrêt à la dynamique générale de la lutte
de classe ouverte depuis mai 68. Il a permis à la bourgeoisie de développer
toute une série de campagnes autour du thème de la "mort
du communisme" et de la "fin de la lutte de classe" qui ont profondément
affecté la capacité de la classe ouvrière à développer
ses luttes dans la perspective de la construction d'une nouvelle société,
à se présenter en force autonome et antagonique au capital, ayant
ses propres intérêts à défendre. Le fait que la lutte
de classe n'ait joué aucun rôle dans l'effondrement du stalinisme
a profondément entamé la confiance en soi du prolétariat.
Sa combativité et sa conscience ont toutes deux subi un recul considérable,
permettant à la bourgeoisie de regagner du terrain. Ainsi, la classe
dominante des pays centraux du capitalisme a pu profiter de ces événements
pour développer ses campagnes sur les "bienfaits" du capitalisme
démocratique à l'occidentale présenté comme la seule
alternative possible à la terreur stalinienne. Sur le terrain de la lutte
de classe, elle a pu de nouveau profiter de la perte de confiance en soi de
la classe ouvrière pour remettre en selle ses syndicats (et, plus généralement,
l'idéologie syndicaliste) qui ont pu faire un retour triomphal (notamment
lors des grèves de l'automne 95 en France -cf. notre brochure Luttes
dans la fonction publique de décembre 95) comme "seuls et véritables
défenseurs des intérêts ouvriers".
Néanmoins, le profond recul que le prolétariat a subi avec les
campagnes sur la "faillite du communisme", n'a nullement remis en
cause le cours historique aux affrontements de classe ouvert à la fin
des années 60.
Et si aujourd'hui la bourgeoisie des grandes puissances "démocratiques" s'engage, derrière le gendarme américain, dans des guerres toujours plus sanglantes, comme on l'a vu avec celle du Golfe, au Kosovo et maintenant en Afghanistan, ce n'est pas parce qu'elle aurait emporté l'adhésion enthousiaste des grandes masses ouvrières d'Europe occidentale. Le fait que ce ne soient pas des ouvriers en uniformes, enrôlés derrière les drapeaux nationaux, mais des troupes professionnelles qui sont mobilisées dans ces nouveaux massacres, signifie que le prolétariat n'a pas capitulé devant la logique barbare du capital et qu'il n'est pas disposé à verser son sang pour servir les croisades "humanitaires" de "sa" bourgeoisie nationale au nom du "droit international" ou de "la lutte contre le terrorisme". Bien qu'il ne soit pas en mesure aujourd'hui de freiner le déchaînement des massacres et qu'il assiste, impuissant, à cette orgie des hyènes impérialistes, il détient toujours la clef de la situation historique. L'avenir de l'humanité est toujours entre ses mains.
Malgré toutes les difficultés auxquelles elle a été confrontée pour développer ses luttes depuis l'effondrement du bloc de l'Est et le profond recul qu'elle a subi dans sa conscience, la classe ouvrière n'est pas défaite. De plus, toutes les mystifications que la bourgeoisie a mises en avant depuis dix ans ont été rapidement balayées une par une par l'accélération de la crise économique et la multiplication de conflits guerriers. Il en est ainsi du mensonge du "nouvel ordre mondial", de "l'ère de paix et de prospérité" que le capitalisme à l'occidental était censé offrir à l'humanité après l'effondrement de "l'Empire du Mal". Il en est ainsi également du mythe des "guerres propres" et "humanitaires" que les Etats-Unis et leurs acolytes européens ont essayé de nous faire avaler depuis la guerre du Golfe. Aujourd'hui, la croisade "humanitaire" pour libérer le monde du terrorisme montre encore plus ouvertement le vrai visage de la "civilisation" bourgeoise. Elle met de plus en plus clairement en lumière le cynisme sans nom de ces grandes puissances démocratiques qui, au nom de la "paix" et de la "liberté des peuples", massacrent les populations civiles, les terrorisent, les condamnent à l'exode massif en les livrant à la famine et aux épidémies. A tel point que les médias eux-mêmes sont obligés aujourd'hui de reconnaître que les représailles de l'Oncle Sam en Afghanistan vont se solder par une véritable "catastrophe humanitaire".
Plus la bourgeoisie est poussée à s'engager dans des aventures
militaires de plus en plus sanglantes, plus elle dévoilera aux yeux du
prolétariat la barbarie sans fin du capitalisme.
Ainsi, l'aggravation de la crise économique et la multiplication des
croisades militaires des grandes démocraties d'Europe et d'Amérique
ne pourront que continuer à révéler au grand jour la faillite
irrémédiable du capitalisme et constituer pour le prolétariat
un facteur de prise de conscience de la nécessité d'en finir avec
ce système.
Avec le recul de sa conscience résultant des campagnes anticommunistes qui ont suivi l'effondrement du bloc de l'Est, le prolétariat a pris un retard considérable. Alors que le capitalisme s'enfonce chaque jour plus dans le chaos et la barbarie, le prolétariat n'a pas encore retrouvé le chemin de sa perspective révolutionnaire. Mais ce profond recul ne signifie nullement que le cours aux affrontements de classe soit remis en cause. En effet, la gravité de la situation historique ouverte avec l'effondrement du stalinisme a suscité au sein d'une minorité de la classe ouvrière une réflexion en profondeur qui a conduit un certain nombre d'éléments en recherche à se rapprocher des positions révolutionnaires, et même à y adhérer. Cela confirme que la situation actuelle contient aussi des potentialités pour une prise de conscience de la faillite du capitalisme et de la nécessité de la révolution communiste, même si cette prise de conscience est aujourd'hui encore très minoritaire.
De plus, avec l'aggravation des attaques contre ses conditions de vie, avec les vagues de licenciements massifs qui vont accompagner la récession, le prolétariat dans son ensemble n'aura pas d'autre alternative que de développer ses luttes. Ce n'est que dans et par la lutte qu'il pourra retrouver son identité de classe, reprendre confiance en lui-même, en ses propres forces, et dans la perspective historique que portent ses combats. La crise reste, aujourd'hui plus que jamais, la meilleure alliée du prolétariat.
CF
Avec la "libération" de Kaboul, la bourgeoisie tente aujourd'hui de donner un autre visage à la guerre en Afghanistan. Grâce aux bombardements de l'aviation américaine, qui ont permis la prise de la capitale par les troupes de l'Alliance du Nord, le régime des talibans s'est effondré.
Avec cette victoire de l'opération "Liberté Immuable", on cherche aujourd'hui à nous faire croire que les massacres et les bombardements massifs auraient été le prix que la population afghane devait payer pour un avenir meilleur. La preuve : les femmes afghanes, enfin libérées du joug du régime islamiste, vont enfin pouvoir enlever le voile ! Comme si cette formidable "victoire" de la civilisation pouvait les empêcher de pleurer leurs morts, leur faire oublier l'atrocité des massacres, des bombardements, de l'exode et de la misère sans nom que femmes, hommes et enfants vont continuer à subir quelle que soit la clique bourgeoise qui va succéder aux talibans. On veut nous faire croire que ce pays va enfin pouvoir connaître la paix après plus de vingt ans de guerre permanente. On nous présente le régime honni des mollahs, qui aurait fait le lit du terrorisme, comme le seul responsable de la barbarie et de l'oppression de cette population exsangue.
Mensonges ! En Afghanistan, comme au Moyen-Orient, comme au Kosovo et dans toutes les expéditions militaires menées au nom des droits de l'homme, les populations civiles ont toujours été les otages des conflits impérialistes entres les différents Etats et fractions bourgeoises. C'est le capitalisme mondial qui est le vrai responsable de la barbarie guerrière.
La chute des talibans ne parviendra pas à nous faire oublier l'enfer du pilonnage des villes afghanes, la fuite éperdue de dizaines de milliers d'êtres humains qui s'entassent comme du bétail dans des camps de réfugiés, le blocage de l'aide humanitaire aux frontières, les massacres de civils par les bandes armées des différentes cliques rivales. Cette victoire ne porte avec elle aucune perpective de paix ni à court ni à long terme. Au contraire, les conflits ethniques vont continuer à s'accentuer, aggraver la déstabilisation du pays et de toute la région. Avec la libération de Kaboul, c'est déjà à un chaos inextricable que l'on assiste et qui ne peut que continuer à se développer quelles que soient les "solutions" négociées sous l'égide de l'ONU ou sous la houlette des grands requins impérialistes qui ont pris pied dans la région sous le prétexte hypocrite de l'aide "humanitaire".
La guerre au nom de la paix, ce n'est pas nouveau. C'est un refrain que la classe dominante nous a servi maintes fois tout au long du 20e siècle.
Lors des deux guerres mondiales qui ont ensanglanté le 20e siècle, la coalition des grands vainqueurs avait justifié l'holocauste au nom de la démocratie contre le fascisme, de la civilisation contre la barbarie. Bilan : plus de 60 millions de morts, des villes ouvrières comme Dresde et Hambourg entièrement rasées sous les bombardements des "libérateurs" anti-nazi, deux bombes atomiques larguées sur Hiroshima et Nagasaki faisant près de 100 000 morts.
Aujourd'hui, c'est encore au nom d'une soi-disant "juste cause", la lutte contre le terrorisme, que la civilisation capitaliste prétend avoir libéré le peuple afghan de l'oppression des talibans dont le pouvoir a été mis en place en 1996 par les Etats-Unis eux-mêmes pour y défendre leurs propres intérêts dans la région contre les autres cliques locales (notamment l'Alliance du Nord de Massoud devenue pro-russe après le retrait de l'URSS du bourbier afghan).
Les massacres des populations civiles, les destructions provoquées par les bombardements intensifs nous montrent le vrai visage de cette "civilisation" et de cette "démocratie" qui ont toujours déchaîné la guerre au nom de la paix, au nom de la libération des peuples opprimés par les "forces du mal".
En Afghanistan comme au Moyen-Orient, la seule paix que peut apporter cette nouvelle opération de police de l'oncle Sam, c'est la paix des tombes. Quant aux intentions "humanitaires" des grandes puissances européennes, elles ne sont rien d'autre que celles de charognards qui cherchent à empêcher le shérif américain de s'emparer à lui tout seul de cette zone stratégique située aux portes de l'Asie.
La curée impérialiste à laquelle se livrent aujourd'hui les grandes puissances montre que l'après-talibans ne sera pas synonyme de "paix". Au contraire, la seule perspective, c'est celle de nouveaux conflits armés et de l'enfoncement de toute la région dans un chaos sanglant.
La paix est impossible dans le capitalisme décadent. La guerre est devenue depuis près d'un siècle le mode de vie permanent de ce système moribond et les périodes de "paix" n'ont jamais servi qu'à préparer de nouvelles guerres toujours plus meurtrières.
Depuis la Première Guerre mondiale, le capitalisme à révélé qu'il avait épuisé toutes ses possibillités d'expansion sur la planète. En entrant dans sa crise permanente de surproduction, il ne peut engendrer que la guerre qui est le théâtre des rivalités entre les différentes nations, petites ou grandes.
Et plus le capitalisme s'enfonce dans cette crise sans issue, plus les guerres se multiplient et révèlent la faillite de ce système qui n'a plus rien à offrir à l'humanité qu'une misère et une barbarie croissantes.
Le seul moyen de mettre fin à cette spirale infernale, c'est de détruire le capitalisme avant qu'il ne détruise toute la planète. Seule la classe ouvrière, en développant ses luttes contre les effets de la crise économique, contre la misère, le chômage, l'intensification de l'exploitation et en affirmant sa propre perspective révolutionnaire, peut mettre un terme aux bains de sang. Seule l'instauration d'une nouvelle société sans classes, sans frontières et sans nations, une société basée sur la satisfaction des besoins humains et non sur l'expoitation et la recherche du profit, pourra apporter une paix réelle et durable sur toute la planète.
RI (23 novembre)
Le monde capitaliste sombre jour après jour dans un chaos plus terrifiant. Les manifestations de la barbarie de ce système décadent qui se sont illustrées récemment par les attentats du 11 septembre aux Etats-Unis et par la guerre en Afghanistan traduisent l'impasse d'une société en train de courir à sa perte. Aux guerres et aux massacres viennent s'ajouter d'autres manifestations de la décomposition de ce système dont l'agonie prolongée ne peut engendrer que destructions sur destructions.
Plus d'un millier de victimes (735 morts officiels et entre 200 et 500 " disparus " à ce jour) ensevelies ou emportées par un océan de boue qui a dévasté le 10 novembre le coeur des quartiers populaires d'Alger et du nord du pays. En apparence, une nouvelle catastrophe " naturelle " provoquée par les pluies torrentielles qui se sont abattues sur la région. En réalité, une nouvelle horreur dont le capitalisme est responsable.
Les pouvoirs publics ont depuis des années laissé s'édifier, dans les quartiers algérois de Bab-el-Oued, de Oued Koriche, de Frais Vallon ou de Beau Fraisier, des dizaines de milliers d'habitations précaires, de taudis, voire de véritables bidonvilles sur des terrains en pente non constructibles, objets d'une véritable frénésie spéculative face à la pénurie endémique de logements dans la capitale. De surcroît, des routes et des habitations ont été édifiées à même le lit de rivières asséchées. Une déforestation anarchique, permettant d'élargir cette zone sur les hauteurs de la ville, a détruit les digues naturelles des arbres sur les hauteurs au niveau d'anciens cours d'eau ou de canalisations. Des torrents de boue se sont formés et ont dévalé des collines entourant la ville, charriant et emportant tout sur leur passage. Alors que des bulletins météo annonçant des vents à plus 90 km/h et des pluies exceptionnelles avec les risques de tempête que cela comportait avaient été communiqués à tous les ministères trois jours auparavant, les autorités ont négligé de prévenir les populations des risques encourus et de prendre la moindre mesure de prévention. De plus, le gouvernement avait fait boucher depuis 1997 les sorties d'égouts et bétonner des galeries souterraines de ce secteur afin d'empêcher les groupes islamistes armés de se réfugier dans les sous-sols de la capitale. La classe dominante, non contente de chercher à se dédouaner de ce drame dont elle est pleinement responsable, y ajoute le mépris le plus écoeurant.
Le président Bouteflika -se présentant d'ordinaire comme un champion de la laïcité- n'a prononcé une allocution télévisée que trois jours après le drame et n'a rien trouvé de mieux que de déclarer : " Ce n'est ni le gouvernement ni un parti qui est responsable de ce qui est arrivé. C'est une épreuve envoyée par Dieu, ceux qui ne l'acceptent pas ne sont pas de bons musulmans. " Pour couronner le tout, des dizaines de milliers de familles se retrouvant sans abri sont privées de toute aide des pouvoirs publics et du gouvernement qui les traitent avec le plus souverain mépris. Leur hypothétique relogement s'effectue au compte-gouttes sous le prétexte "de filtrer et d'écarter les profiteurs qui cherchent à obtenir un nouveau logement". Dans un pays où le bakchich et la corruption sont rois, c'est le comble du cynisme de la bourgeoisie et du gouvernement. Il est d'ailleurs estimé que 7 millions de logements seraient à construire dans le pays pour faire face à l'insalubrité des habitations et au surpeuplement, alors que le taux de chômage atteint 35% et que 40% de la population vit avec moins de deux dollars par jour.
Pour une bonne partie de la population, il est clair aujourd'hui que l'attentat du 20 novembre à la gare routière d'Alger qui a fait 30 blessés à l'heure où elle était la plus fréquentée (au moment où les ouvriers se rendaient à leur travail et au moment du passage des bus scolaires) a été une opération de diversion du gouvernement pour détourner la colère des populations et des prolétaires en particulier envers les autorités vers la piste terroriste.
Ce mépris et ce cynisme, sont les mêmes que ceux qui se manifestent après l'explosion de l'usine AZF à Toulouse le 21 septembre qui a fait 30 morts et qui privent encore 15.000 familles ouvrières de foyer décent à l'entrée de l'hiver (voir article dans ce même n°).
Le "crash" de l'Airbus A-300 d'American Airlines sur un quartier résidentiel de New York le 12 novembre qui a provoqué la mort de 265 personnes est tout aussi significatif. L'enquête issue de l'analyse des boîtes noires n'a pu avancer que deux éléments d'explication. D'une part, le crash serait dû à un "effet de sillage", au décollage de l'avion trop rapproché du précédent (105 secondes seulement) qui aurait déstabilisé l'appareil. D'autre part, la rupture brutale de la dérive en carbone, lors de sa mise en action ne peut s'expliquer vraisemblablement que par une fissure imputable à un défaut de fabrication. D'un côté, cela met en cause la gestion aberrante par le capitalisme de l'intensité du trafic aérien. De l'autre, la fragilité de la chaîne et les difficultés de contrôle des infrastructures de plus en plus sophistiquée des moyens de transport soumis aux lois de la rentabilité. Ce nouveau choc psychologique et traumatique énorme survenait deux mois après l'écroulement des Twin Towers, surtout auprès de la population américaine et particulièrement new-yorkaise. La couverture médiatique de l'événement a cependant été vite étouffée, dès que la piste d'un nouvel attentat pour expliquer l'accident a été écartée. On le comprend d'autant mieux que cette catastrophe n'est nullement de nature à rehausser le prestige de la première puissance mondiale alors qu'elle se produit en pleine démonstration de force avec l'intervention militaire américaine en Afghanistan. La classe dominante aux Etats-Unis démontre qu'elle n'est pas capable de maîtriser ses infrastructures et renvoie l'image d'un espace intérieur aérien peu sûr et peu fiable. Là encore, la responsabilité de l'accident repose entièrement sur la course effrénée au profit capitaliste qui s'avère de plus en plus incapable d'en gérer et d'en contrôler les conséquences. Qu'il s'agisse d'accidents ou de cataclysmes naturels, l'ampleur des dégâts matériels et surtout le bilan humain de ces catastrophes résultent entièrement de la loi du profit capitaliste le plus rapide et au coût le plus bas au mépris des vies humaines. Non seulement le capitalisme produit des forces technologiques avant tout canalisées et exploitées pour fabriquer les armes monstrueuses susceptibles d'anéantir la planète, développe de façon incontrôlée des sources d'énergie qui détruisent l'environnement souvent de manière irréversible[1] [121], mais il condamne des populations entières à la mort parce que sa loi du profit maximum le pousse à réduire et même à détruire toute protection contre les catastrophes, naturelles ou pas. Ce n'est donc pas le produit d'une quelconque fatalité, d'une "loi des séries" ou autre "erreur humaine" si souvent invoquées lors des "accidents" ou "catastrophes" du même genre de plus en plus fréquents sur la planète. Toutes ces tragédies de plus en plus nombreuses qui font la "une" macabre de l'actualité sont la manifestation de la faillite totale du mode de production capitaliste. Elles sont l'expression criante d'un système qui entraîne aveuglément l'humanité vers des catastrophes toujours plus tragiques et meurtrières. Elles ont les mêmes causes : la décomposition générale qui gangrène l'ensemble du corps de la société capitaliste. Et c'est la survie du capitalisme qui est devenu une menace permanente pour la survie de l'humanité.
CB (25 novembre)[1] [122] Tous les aspects de la décomposition se trouvent de plus en plus mêlés aujourd'hui : on se souvient du crash du Boeing 747 le 4 octobre 1992 sur des immeubles d'une cité près d'Amsterdam, comparable à celui du Queens. Il y a quelques mois, on apprenait que des habitants du quartier avaient été touchés par le "syndrome du Golfe" et que le fuselage était lesté avec de l'uranium appauvri, servant de contrepoids pour équilibrer les gouvernes des appareils. Au passage, on apprenait aussi qu'en février 2001, près de 7 tonnes d'uranium appauvri servaient encore de lest à 60 % des avions de ligne de la compagnie Air France. De la même façon, les ruines de Twin Towers révélaient que les tours étaient bourrées d'amiante.
Aujourd'hui, le régime des Talibans a basculé dans la défaite. C'est à peine en trois jours que les adeptes du mollah Omar et de Oussama Ben Laden se sont vus refoulés irrésistiblement de Mazar-I-Charif jusqu'au-delà de Kaboul. Pourtant, on nous avait annoncé que la bataille allait être longue et rude entre l'Alliance du Nord et les Talibans, en particulier pour la prise de la capitale afghane. Les Talibans ont reflué sans affrontement réel, écrasés sous les bombardements américains, tandis que les derniers combattants ont poursuivi une résistance sans trop d'espoir à Kunduz au nord et dans la région de Kandahar au sud.
Devant la rapidité des événements apparemment inattendue de la part des puissances occidentales, les ministres des affaires étrangères des pays membres de l'ONU déjà assemblés à New-York se réunissaient le 12 novembre en urgence pour "ralentir" l'action militaire et "accélérer" l'action politique ; tandis que parallèlement la pression américaine se faisait de plus en plus forte pour au contraire "aller vite, vite, vite" selon un diplomate américain. Et, devant la situation d'anarchie qui se profile, au lieu de voir la satisfaction s'étaler de la part de tous ces requins "vainqueurs" d'un des principaux foyers du terrorisme international, c'est un appel inquiet en direction de l'Alliance du Nord et des autres forces d'opposition antitalibanes qui émergeait du Conseil de Sécurité de l'ONU leur demandant de se mettre "devant leurs responsabilités en ce qui concerne le respect des droits de l'homme" et d'exercer le pouvoir "dans le respect des personnes et (de façon) à y assurer la paix civile". On ne peut que souligner une fois de plus ici l'hypocrisie écoeurante de ces criminels prêts à faire la leçon aux petits gangsters sanglants et autres cliques qu'ils excitent et soutiennent pour leurs propres intérêts, alors que ce sont eux les principaux fauteurs de guerre et que leurs rivalités sont les responsables directes des plus grands massacres de l'histoire.
Ce qui s'exprime une fois encore autour de la situation dramatique de l'Afghanistan, c'est la foire d'empoigne entre les grandes puissances. Il n'existe nul consensus entre elles pour éradiquer le terrorisme islamiste international, qui n'est pas de toutes façons le véritable enjeu, pas plus qu'elles ne sont intéressées à faire de "l'humanitaire", infâme prétexte pour venir régler leurs comptes sur le dos de populations de plus en plus exsangues.
L'attentat contre les Twin Towers a été le prétexte rêvé (voir RI n° 317 [124]) pour appliquer une politique militaire dont les termes définis dès cet été par le secrétaire à la défense, Donald Rumsfeld, consiste à présent à porter les priorités stratégiques "sur l'Asie, et non plus sur l'Europe et le Bassin méditerranéen" (citation du International Herald Tribune par Courrier International n°564 du 23 au 29 août 2001). Afin d'affirmer clairement leur autorité dans cette région du monde en faisant une démonstration de force, les Etats-Unis ont décidé seuls d'aller casser du Taliban en Afghanistan, avec leurs propres méthodes, ne laissant qu'un maigre strapontin à sa meilleure alliée, la Grande-Bretagne, et écartant les pays comme la France qui piaffait d'impatience pour prêter la main à l'Amérique, en fait pour placer leurs propres pions. Depuis le 11 septembre, Bush n'a pas cessé de répéter que cette guerre allait être longue, pas seulement contre les Talibans en Afghanistan mais dans le monde entier qui devient le théâtre véritable de la chasse aux terroristes : "Nous avons eu un bon début en Afghanisatan, mais beaucoup reste à faire (...) nous les traquerons jusqu'à la fin." a-t-il déclaré une semaine après la prise Kaboul. Les Etats-Unis peuvent aujourd'hui se vanter d'avoir acquis certains avantages, même s'ils ne sont que momentanés. Par la rapide victoire des "anti-Talibans", ils ont par exemple cloué le bec à ceux des pays européens, France en tête, qui critiquaient la validité des frappes aériennes et donc au-delà l'ensemble de la stratégie américaine. Par la même occasion, ils ont engrangé un certain succès auprès de leur propre "opinion publique" par la conduite d'une politique de "zéro mort" débouchant sur la défaite de "l'ennemi" taliban. Ceci permet à Washington de mieux justifier l'envoi de 3200 commandos de marine en plus des 500 hommes des "forces spéciales" officiellement sur place ainsi qu'une véritable armada militaire hautement sophistiquée et destructrice.
Cependant, tout est loin d'être joué pour la Maison blanche. Contrairement à la guerre du Golfe où la puissance américaine avait pu imposer sa loi à l'Arabie Saoudite et faire rentrer dans le rang les puissances occidentales hostiles à cette intervention, les Etats-Unis ont visiblement décidés de n'agir que pour leur propre compte. Si l'on regarde les différentes démonstrations de force qu'ils ont effectuées depuis la guere du Golfe, qu'il s'agisse de la défaite spectaculaire qu'ils ont essuyée en Somalie en 1992, de leur tentative de faire régner l'ordre américain dans l'ex-Yougoslavie ou encore de la guerre massive menée contre la Serbie en 1999, au nom de la défense du peuple kosovar, ils se sont trouvés systématiquement en butte dans leurs tentatives d'avancées à l'opposition de la part de leurs anciens alliés du bloc de l'Ouest. C'est donc à l'égard de ces premiers bien plus encore que des forces "d'anarchie" afghanes qu'ils montrent une défiance active.
Dans un tel contexte, il est certain que dans la percée actuelle qu'ils font en Afghanistan, leur politique est de faire cavalier seul et de s'en donner les moyens. C'est dans le but de bloquer la poussée de ses "alliés" que l'on voit ainsi le gouvernement américain apporter un soutien momentané à l'Alliance du Nord jusqu'ici plutôt soutenue par la Russie, et que Washington n'avait à dessein pas armé, car non fiable, au bénéfice d'un appui plus important donné aux factions pachtounes plus proches du Pakistan.
Ainsi, alors que Bush avait officiellement demandé à l'Alliance du Nord le 10 novembre de ne pas entrer dans Kaboul, le secrétaire à la défense Rumsfeld lui disait de façon pernicieuse dans le même temps de faire ce qu'elle voulait, mais "sans commettre d'exactions" ! En clair, contre les rivales qui s'annoncent, l'Amérique jette de l'huile sur le feu d'une situation déjà ouverte sur un chaos difficilement contrôlable.
La bourgeoisie la plus empressée de toutes, la bourgeoisie française, s'était déjà vue évincée par le vote de la première résolution de l'ONU, et c'est après tout un forcing lors du 12 novembre à New-York qu'elle a pu justifier sa venue en Ouzbekistan, au nom de l'humanitaire. Ce n'est donc pas un hasard si Paris développe toute une campagne dans sa presse sur le danger d'anarchie, comme entre 1992 et 1996, que représente le retour au pouvoir des seigneurs de la guerre afghans. Védrine ne s'est pas gêné pour adresser une menace à "ceux qui vont exercer le pouvoir en Afghanistan", "désormais sous le regard vigilant de la communauté internationale". Et les médias français, comme d'ailleurs les médias de la plupart des pays occidentaux qui hier encore n'avaient pas assez de mots pour les dénoncer, de trouver soudainement des vertus bénéfiques aux Talibans qui avaient "au moins" su établir un Etat et une situation sociale stables. Encore un exemple de la crapulerie de cette classe bourgeoise dont les vérités varient en fonction de ses intérêts immédiats.
L'armée française, actuellement isolée et laissée pour compte par le meneur de jeu américain, se retrouve donc impuissante, gros jean comme devant, aux frontières de l'Ouzbekistan dont le chef d'Etat, soutenu par les Etats-Unis, fait traîner les choses en attendant de monnayer sa part du gâteau afghan.
Les perspectives tant d'apaisement de la situation dans le pays que de possible consensus entre les grandes puissances sont tellement incertaines que la Grande-Bretagne elle-même, pourtant en première ligne dès le premier jour du conflit, a décidé de ne pas "mettre des forces en place sans l'accord des Etats-Unis et d'une entente claire de ce que nos troupes feront dans le cadre de la coalition militaire", prévoyant carrément de retirer rapidement les troupes déjà en place. En fait, la bourgeoisie anglaise n'apprécie pas du tout que Bush ait clairement mis Blair de côté, malgré ses déclarations d'allégeance, dans toutes les décisions prises par rapport à l'Afghanistan depuis deux mois.
La déconvenue de la France et de la Grande-Bretagne est significative de la politique des Etats-Unis dans ce conflit : susciter la "solidarité" de ses anc iens alliés du temps de la guerre froide autour de ses propres visées stratégiques mais les priver de toute contrepartie qu"ils pourraient espérer de cette solidarité. Il est clair que les puissances européennes qui ont annoncé leur soutien à l'opération "Liberté immuable" ne l'ont pas fait pour les beaux yeux de Bush mais parce que c'était le seul moyen de ne pas être écartées du partage du gâteau le moment venu. La petite part de ce gâteau qu'espérait Blair ou Chirac, c'est de pouvoir disposer certaines de leurs troupes ssur place pour ne pas laisser au parrain américain le moopole d'une présence militaire dans cette partie du monde qui lui laisserait les mains entièrement libres pour mener sa politique en conformité avec ses intérêts exclusifs. Et c'est même ces quelques miettes que Bush ne paraît pas décidé à leur accorder : la seule "solidarité" que le brigand américain apprécie de la part de ses seconds couteaux, c'est l'obéissance.
Voilà qui en dit long sur la volonté de tous de venir à la rescousse des populations affamées et victimes de la guerre, qu'il s'agisse de celle qui s'achève comme de celle à bien plus long terme qui se prépare.
La conférence de Bonn prévue le 26 novembre entre l'Europe et les différentes factions afghanes pour chercher à établir un régime "multi-ethnique représentatif de la diversité du pays", ne va être qu'un épisode de la foire d'empoigne qui s'annonce en Afghanistan. Par exemple, les Pachtounes n'en font pas partie, refusant catégoriquement toute "ingérence étrangère" et menaçant de protéger les derniers Talibans comme moyen de chantage pour leurs propres intérêts. Mais cette conférence va surtout être un moment de l'affrontement et du chacun pour soi des grandes puissances qui prétendent "régler" le problème et apporter une solution politique en Afghanistan. Les clivages vont apparaître de plus en plus au grand jour, derrière les grands discours sur l'humanitaire, et montrer le vrai visage de ces crapules aux prises les uns avec les autres.
Il est d'ailleurs significatif que cette conférence s etienne en Allemagne et non pas en Grande-Bretagne ou en France qui ont jusqu'à présent été plus active dans l'opération militaire (même si modestement). En laissant à l'Allemagne le prestige diplomatique de l'organisation de cette conférence, la puissance essaie d'enfoncer un coin dans la "solidarité" des différents pays européens.
Aussi, non seulement la poudrière afghane devient une des nouvelles zones d'affrontement entre les grandes puissances, un enjeu majeur du rapport des forces impérialistes dans la période à venir, mais elle ccontient au-delà d'elle-même l'extension du chaos capitaliste plus loin vers l'Orient. Car si l'Afghanistan a toujours représenté une région clé entre le Moyen et l'Extrême-Orient, de même qu'entrte trois grands pays, la Russie, la Chine et l'Inde, une région qui a toujours été un enjeu entre les blocs de l'Est et de l'Ouest à l'époque de la guerre froide, la bataille qui s'y mène est pleine de conflits qui vont se déporter vers les région savoisinantes. Ainsi, les pays du nord du pays, Ouzbekistan et Tadjikistan qui vont chercher à tirer leur épingle du jeu, en jouant par exemple les différents entre la Russie et les Etats-Unis. Ainsi la Russie qui ne pourra pas voir s'installer ces derniers sans leur mettre des bâtons dans les roues. Mais il s'agit encore du Pakistan dont les fractions rivales, déjà fortement aiguisées dans la période précédent l'intervention américaine, vont se déchirer plus violemment que jamais. Et, derrière l'instabilité du Pakistan pris entre les pressions des Etats-Unis mais aussi de la Chine qui lui a fourni généreusement l'arme atomique, se joue également celle de l'Inde dont les prétentions impérialistes ne pourront que la pousser à s'opposer à une présence américaine directe dans une région où elle prétend être une des puissances prépondérantes.
L'avenir qui s'annonce avec l'arrivée de tous ces rapaces qui se déchirent avant même de se trouver les uns en face des autres sur le terrain est bien sombre. Une fois de plus, ils vont semer la mort et le chaos, au nom de la paix, au nom de l'humanitaire, de la civilisation, etc., pour le compte du capitalisme décadent et moribond.
KW (24 novembre)
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[81] https://fr.internationalism.org/revue-internationale/200110/20/revue-internationale-no-107-4e-trimestre-2001
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[94] https://fr.internationalism.org/ri315/Argentine_lutte_de_classe#_ftn7
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[109] https://fr.internationalism.org/tag/5/50/etats-unis
[110] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/11-septembre-2001
[111] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/terrorisme
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[116] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/afghanistan
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[118] https://fr.internationalism.org/ri317/croisade_terrorisme.htm#_ftn1
[119] https://fr.internationalism.org/ri317/croisade_terrorisme.htm#_ftnref1
[120] https://fr.internationalism.org/tag/5/121/afghanistan
[121] https://fr.internationalism.org/ri318/catastrophe_innondation.htm#_ftn1
[122] https://fr.internationalism.org/ri318/catastrophe_innondation.htm#_ftnref1
[123] https://fr.internationalism.org/tag/geographique/afrique
[124] https://fr.internationalism.org/content/revolution-internationale-ndeg-317-novembre-2001