Premier forum social mondial : les défenseurs du capitalisme se retrouvent aussi à Porto Alegre

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Après Seattle, Prague et Nice, nous avons déjà largement dénoncé dans notre presse 1 le piège des manifestations anti-mondialistes. Le premier "forum social mondial" de Porto Alegre qui s'est tenu au Brésil du 25 au 30 janvier a été présenté comme une nouvelle étape de ce type de rassemblements. Mais pour la première fois, ceux qui prétendent occuper le terrain d'un anti-capitalisme radical ont montré le plus crûment leur vrai visage, celui du réformisme le plus classique et le plus vulgaire. Porto Alegre a en effet tout pour dissiper les illusions de ceux qui voyaient encore dans ce genre de "lutte" des ferments de lutte anticapitaliste et des potentialités révolutionnaires.
Ce nouveau rendez-vous contestataire rassemblait plus de 12 000 participants représentant près d'un millier d'organisations les plus diverses et 120 pays face au sommet économique de Davos qui se tenait au même moment en Suisse. Mais la publicité médiatique faite autour de ce "forum social" n'a pas seulement été liée à une nouvelle contestation folklorique, carnavalesque et hétéroclite.

"Alternative au capitalisme" ou entreprise idéologique bourgeoise ?

On nous a présenté Porto Alegre et Davos comme étant directement opposés en racontant que Porto Alegre était un contrepoids par rapport à Davos. On nous a dit que l'un était un sommet économique des gouvernants et des plus grands patrons capitalistes de la planète, l'autre un forum social ouvert et démocratique. On nous a raconté que l'un n'était qu'un cénacle non représentatif, sinon de l'élite du monde, "du pognon" et des décideurs, alors que l'autre était l'expression d'un "nouveau mouvement social" représentant l'ensemble des citoyens du monde.
En réalité, quels ont été les animateurs de Porto Alegre censés être représentatifs de ce "nouveau mouvement social" ? Une majorité foisonnante de représentants des ONG à couverture "humanitaire" qui se font les meilleurs porte-paroles des "citoyens" de la "société civile", des syndicalistes bon teint, surtout paysans de la même mouvance que la Confédération paysanne de José Bové et des "personnalités" politiques des partis de gauche comme Chevènement 2 ou "Lula" 3. Ce qui s'est traduit aussi par la participation officielle de deux secrétaires d'Etat du gouvernement Jospin. On avait là en fait une belle brochette de partis de gouvernement, de vieux routiers du syndicalisme et de représentants de la social-démocratie la plus classique.
On a aussi clamé bien fort qu'à Porto Alegre, face aux effets destructeurs de la mondialisation, à la dictature des marchés, de la pensée unique et aux abus de la dictature libérale, ont été posées les bases majeures de la construction d'une alternative politique et d'un véritable contre-pouvoir planétaire des "citoyens".
Cependant, même un sociologue bourgeois patenté nommé Guy Groux interrogé sur ce "forum social" a dû le reconnaître dans une interview parue dans Libération du 26 janvier avec une certaine pertinence : "Les mouvements sociaux d'aujourd'hui ont l'apparence de la radicalité, mais au fond leur position ne l'est pas. Ce qu'ils veulent, c'est davantage de régulation. Ils ne demandent pas la mise à mort d'un modèle, mais son amendement. (...) Nous sommes passés d'un modèle d'utopie qui voulait changer la société à une pratique réaliste, qui ne prétend pas à une nouvelle société. C'est un réformisme radical ." C'est là le fond de la question car avec la mise en avant d'une fausse opposition entre libéralisme et régulation du marché mondial, les partisans réformistes de Porto Alegre tentent de faire croire que les inégalités sociales proviennent d'un manque de réglementation juridique pour encadrer la concurrence capitaliste. Ainsi une plus grande intervention législative des Etats serait au service du prolétariat et des exploités alors que cette régulation est bel et bien omniprésente et c'est même la raison d'être des organismes internationaux comme l'OMC ou les banques centrales, produits de la coopération entre Etats qui sont justement la cible favorite des antilibéraux. En fait, leur grande entreprise, derrière l'image anticapitaliste qu'ils cherchent à se donner, c'est uniquement de redorer le blason du réformisme et des partis sociaux-démocrates qui sont largement mouillés là dedans.
Le président d'Attac, Bernard Cassen, écrivait dans Le Monde Diplomatique de janvier 2001 : "Il appartiendra ensuite (après Porto Alegre) aux différents mouvements, syndicats et élus de décliner, pays par pays, et en fonction des rapports de forces locaux, la traduction de ces premières alternatives globales. C'est donc bien un nouvel internationalisme qui se met en place." Cette référence à l'internationalisme largement reprise par les médias et les participants à Porto Alegre qui parlent de la construction d'une "Internationale des citoyens du monde" signifie que la bourgeoisie ne peut plus se contenter aujourd'hui d'enfermer la population en général et les prolétaires en particulier avec l'idéologie de la seule défense du capital national. Elle a besoin d'occuper le terrain social avec un réformisme plus radical et un langage internationaliste parce qu'elle sait bien que c'est de cette voie de l'internationalisme que vient le danger de remise en cause de son système d'exploitation. Voilà pourquoi elle prétend construire une "nouvelle Internationale" social-démocrate gauchisante. Mais ce leurre édifié au nom du peuple, de la démocratie et des droits des citoyens à l'échelle de la planète ne peut pas revendiquer autre chose que le programme politique d'une révolution bourgeoise déjà réalisée depuis plus de deux siècles. C'est parce que cette idéologie "citoyenne" est précisément indissociable de la domination du capitalisme, que prétendre s'opposer au capitalisme par la citoyenneté est un complet non-sens. C'est une impasse pour les prolétaires et les exploités.
En fait d'alternative politique radicale, ce n'est pas pour rien que le gouvernement français avait un pied à Davos et l'autre à Porto Alegre et que Fabius déclarait depuis la Suisse : "Je suis frappé par le malentendu. J'entends des contestataires dire qu'à Davos, nous ne serions pas légitimes et représentatifs. Tout cela est de la caricature. La globalisation et les efforts nationaux vont dans le même sens" (Le Monde du 31 janvier) tandis qu'un représentant d'une ONG à Porto Alegre assurait de son côté : "Le ministre Laurent Fabius et moi-même parlons d'une même voix ... On peut dire oui aux bénéfices de l'échange et de l'ouverture commerciale mais en donnant à la mondialisation des règles" (Ibid.). Cette même voix dont ils parlent, c'est celle de la bourgeoisie.

"Nouveau laboratoire social" ou poursuite de l'exploitation capitaliste ?

On nous a aussi et surtout présenté Porto Alegre comme un "véritable laboratoire" contre les inégalités sociales engendrées par les excès du capitalisme. Ce modèle a été vanté avec un zèle extasié par un Ignacio Ramonet, rédacteur en chef du Monde Diplomatique dans son éditorial de janvier dernier : "Pourquoi précisément là ? Parce que Porto Alegre est devenue depuis quelques années, une cité emblématique (...) une sorte de laboratoire social que des observateurs internationaux regardent avec une certaine fascination. Gouvernée de manière originale, depuis douze ans , par une coalition de gauche conduite par le Parti des Travailleurs (PT), cette ville a connu dans maints domaines (...) un développement spectaculaire. Le secret de cette réussite ? Le budget participatif, soit la possibilité pour les habitants des différents quartiers de définir très concrètement et très démocratiquement l'affectation des fonds municipaux.(...) Aucun détournement de fonds, aucun abus n'est ainsi possible, et les investissements correspondent exactement aux souhaits majoritaires de la population des quartiers." Les habitants peuvent ainsi décider des priorités des investissements à réaliser par la municipalité et même suivre l'évolution des chantiers votés. Merveilleux, n'est-ce pas ? Sauf que cette "démocratie participative" n'est qu'une resucée des mystifications autogestionnaires dont les ouvriers ont rapidement fait l'expérience, aussi bien sous le régime de Tito dans l'ex-Yougoslavie qu'en Europe occidentale dans les luttes proposées un temps pour modèle dans les années 1973/74 (comme Lip en France) "pour sauver leur entreprise", que la seule gestion qu'ils avaient, c'était gérer leur propre exploitation. A Porto Alegre cela revient à une gestion de la misère et de la pénurie. La fixation de l'enveloppe budgétaire des crédits d'investissements (les seuls qui soient autogérés) reste, elle, bien sûr dans d'autres mains et ce budget disponible n'est évidemment pas augmenté d'un centime. On veut ainsi une nouvelle fois nous faire prendre des vessies capitalistes pour des lanternes socialistes. En fait, cela ne sert précisément que de cache-misère. Et c'est pour cela que 200 villes brésiliennes pratiquent aujourd'hui cette "démocratie participative" qui nous est présentée comme un nouveau modèle social. Mieux, ce sont des propositions de ce type ou d'autres recettes démagogiques plus ou moins réalisables à l'intérieur de l'exploitation capitaliste comme la taxation par l'Etat des transactions financières (la fameuse "taxe Tobin" qui, appliquée unilatéralement à tous ne changerait strictement rien aux rapports de concurrence entre capitalistes) 4 ou l'interdiction des "paradis fiscaux" qu'on nous présente comme les prémices de leur prétendue "Internationale citoyenne et démocratique". Celle-ci n'a rien à voir avec les intérêts de la classe ouvrière et elle n'a rien à voir avec l'internationalisme prolétarien. Elle est une véritable parodie qui, pour tenter d'exorciser le mouvement ouvrier, affiche de dérisoires prétentions à se substituer au terrain de classe, à l'internationalisme prolétarien en mettant en avant le ridicule modèle social de la "démocratie participative" du PT brésilien. En fait, cette nouvelle manoeuvre grossière de notre ennemi de classe n'est que de la poudre aux yeux balancée par la social-démocratie et ses alliés pour brouiller les pistes trop évidentes sur ses états de service purement capitalistes et tenter de ravaler sa façade politique à moindre frais.
CB


1 Voir notamment les articles "Mensonges autour du sommet de l'OMC à Seattle : on ne peut pas réformer le capitalisme, il faut le détruire" (RI n° 297, janvier 2000) et "De Seattle à Nice, le piège des mobilisations 'antimondialistes'" (RI n° 308, janvier 2001).

2 Présent comme emblématique président du Mouvement des Citoyens mais surtout célèbre en tant qu'ancien ministre de l'intérieur champion de l'expulsion des travailleurs sans-papiers.

3 Luis Ignacio Lula da Silva, dit "Lula", président du PT (parti de gauche rassemblant sociaux-démocrates, divers courants trotskisants, syndicalistes et "chrétiens de gauche") devenu une sorte de Walesa à la brésilienne qui s'est illustré au cours des grèves ouvrières au milieu des années 1970 pour avoir poussé le gouvernement à officialiser le syndicalisme alors illégal et qui a été depuis lors candidat à l'élection présidentielle à trois reprises.

4 Voir RI n° 293, sept. 1999, l'article "Taxe Tobin : une fausse réponse à la crise du capitalisme, une vraie mystification antiouvrière". Le milliardaire spéculateur Georges Soros a lui même récemment déclaré qu'il était favorable à l'institution de la taxe Tobin...

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