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Révolution Internationale 2021 - n° 486 - 491

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Révolution internationale n°486 - janvier février 2021

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Assaut du Capitole à Washington: Les États-Unis au cœur de la décomposition mondiale du capitalisme

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“C’est ainsi que les résultats sont contestés dans les républiques bananières”. Cette déclaration faisait suite à l’intrusion au sein du Capitole de plusieurs centaines de partisans de Donald Trump venus interrompre la certification de la victoire de Joe Biden le 6 janvier. On aurait pu penser qu’un jugement aussi sévère sur la situation politique aux États-Unis émanerait d’un individu viscéralement hostile à ce pays, ou bien d’un “gauchiste” américain. Rien de tout cela : c’est l’ex-Président George W. Bush, qui plus est membre du même parti que Trump, qui en a été l’auteur. C’est dire la gravité de ce qui s’est passé ce jour-là à Washington. Quelques heures plus tôt, au pied de la Maison-Blanche, le Président vaincu, tel un démagogue du Tiers monde, avait chauffé à blanc la foule de ses partisans : “Nous n’abandonnerons jamais ! Nous ne concéderons jamais cette défaite ! […] Nous ne reprendrons jamais notre pays en étant faibles ! […] Je sais que tout le monde ici marchera bientôt vers le Capitole, pour pacifiquement, patriotiquement faire entendre vos voix”. Suite à cet appel à peine voilé à l’émeute, la foule vengeresse, dirigée par les hordes trumpistes fascisantes (comme les Proud Boys) n’avait plus qu’à remonter à pied le National Mall en direction du Capitole et prendre d’assaut le bâtiment, sous l’œil des forces de l’ordre totalement dépassées. Comment se fait-il que les cordons de flics chargés de protéger l’accès au Capitole aient pu laisser passer les assaillants alors que le dispositif de sécurité impressionnant lors des manifestations Black Lives Matter devant ce même bâtiment avait empêché tout débordement ? Ces images effarantes ne pouvaient que susciter la théorie selon laquelle l’assaut contre cet emblème de la démocratie américaine était un “11-septembre politique”.

Face au chaos, les autorités n’ont cependant pas tardé à réagir : les troupes antiémeutes et la Garde nationale sont déployées, des coups de feu retentissent provoquant cinq morts, un couvre-feu est instauré tandis que l’armée patrouille dans les rues de Washington… Ces images, totalement hallucinantes, rappellent en effet les nuits post-électorales des “républiques bananières” de pays du tiers-monde déchirés par les rivalités sanguinaires de cliques mafieuses. Mais ces événements qui ont fait la Une de l’actualité internationale, ne sont pas le fait d’un exotique général mégalomane. Ils se sont déroulés au cœur de la première puissance planétaire, au sein de la “plus grande démocratie du monde”.

La première puissance mondiale au centre d’un chaos planétaire grandissant

La “profanation du temple de la démocratie américaine” par une foule composite de suprémacistes blancs armés de perches à selfie, de milices armées fanatiques et détraquées, ou d’un complotiste coiffé d’un casque à cornes, est l’expression flagrante de la violence et de l’irrationalité croissantes qui gangrènent la société aux États-Unis. Les fractures au sein de son appareil politique, l’explosion du populisme depuis l’élection de Trump, illustrent de façon éloquente le pourrissement sur pied de la société capitaliste. En fait, comme nous l’avons souligné depuis la fin des années 1980, (1) le système capitaliste, entré en décadence avec la Première Guerre mondiale, s’enfonce depuis plusieurs décennies dans la phase ultime de cette décadence, celle de la décomposition. La manifestation la plus spectaculaire de cette situation avait été l’effondrement, il y a trois décennies, du bloc de l’Est. Cet événement considérable n’était pas le simple révélateur de la fragilité des régimes qui dirigeaient les pays de ce bloc. Il exprimait un phénomène historique qui affectait l’ensemble de la société capitaliste à l’échelle mondiale et qui, depuis, est allé en s’aggravant. Jusqu’à présent, les signes les plus évidents de la décomposition ont été observés dans les pays “périphériques” déjà fragilisés (l) : les foules en colère servant de chair à canon pour les intérêts de telle ou telle clique bourgeoise, l’ultra violence au quotidien, la misère la plus noire s’affichant à chaque coin de rue, la déstabilisation d’États, voire de régions entières… Tout cela semblait en effet n’être l’apanage que de “républiques bananières”.

Depuis quelques années, cette tendance générale touche de plus en plus explicitement les pays “centraux”. Bien sûr, tous les États ne sont pas atteints de la même façon, mais il est clair que la décomposition vient à présent frapper de plein fouet les pays les plus puissants : multiplication des attaques terroristes en Europe, victoires surprises d’individus aussi irresponsables que Trump ou Boris Johnson, explosion des idéologies irrationnelles et, surtout, gestion désastreuse de la pandémie de coronavirus qui, à elle seule, exprime l’accélération sans précédent de la décomposition… Tout le capitalisme mondial, y compris ses parties les plus “civilisées” évolue inexorablement vers la barbarie avec des convulsions de plus en plus aiguës.

Si les États-Unis sont aujourd’hui, parmi les pays développés, celui qui est le plus touché par ce pourrissement sur pied, ils représentent aussi un des foyers majeurs d’instabilité. L’incapacité de la bourgeoisie à empêcher l’accès à la présidence d’un guignol milliardaire et populiste issu de la télé-réalité, exprimait déjà un chaos croissant dans l’appareil politique américain. Durant son mandat, Trump n’a pas cessé d’aggraver les “fractures” de la société américaine, notamment raciales, et d’alimenter le chaos partout sur la planète, à force de déclarations à l’emporte-pièce et de coups fumeux qu’il présentait fièrement comme de subtiles manœuvres de businessman. On se souviendra de ses déboires avec l’état-major américain qui l’avait empêché, à la dernière minute, de bombarder l’Iran ou de sa “rencontre historique” avec Kim Jong-un qu’il surnommait si finement “rocket man” quelques semaines plus tôt.

Lorsque la pandémie de Covid-19 a surgi, après des décennies de rabotage permanent des systèmes de santé, tous les États ont fait preuve d’une incurie criminelle. Mais, là encore, l’État américain dirigé par Donald Trump a été aux avant-postes du désastre, tant sur le plan national avec un nombre record de contagion et de décès, (2) qu’au niveau international, en déstabilisant une institution de “coopération” mondiale comme l’OMS.

L’assaut contre le Capitole par les bandes de trumpistes fanatisées s’inscrit entièrement dans cette dynamique d’explosion du chaos à tous les niveaux de la société. Cet événement est une manifestation des affrontements croissants totalement irrationnels et de plus en plus violents entre différentes parties de la population (les “blancs” contre les “noirs”, les “élites” contre le “peuple”, les hommes contre les femmes, les hétérosexuels contre les homosexuels, etc.), dont l’émergence de milices racistes surarmées et de complotistes totalement délirants est l’expression caricaturale.

Mais ces “fractures” sont surtout le reflet de l’affrontement ouvert entre les fractions de la bourgeoisie américaine, avec d’un côté les populistes autour de Trump et, de l’autre, les fractions plus soucieuses des intérêts à long terme du capital national : au sein du Parti démocrate et parmi le Parti républicain, dans les rouages de l’appareil d’État et de l’armée, à l’antenne des grandes chaînes d’information ou à la tribune des cérémonies hollywoodiennes, les campagnes, les résistances et les coups bas contre les gesticulations du président populiste, ont été constantes et parfois très virulentes.

Ces affrontements entre différents secteurs de la bourgeoisie ne sont pas choses nouvelles. Mais dans une “démocratie” comme les États-Unis, et contrairement à ce qui advient dans les pays du Tiers monde, ils s’exprimaient dans le cadre des institutions, dans le “respect de l’ordre”. Que ces affrontements prennent aujourd’hui cette forme chaotique et violente dans cette “démocratie modèle” témoigne d’une aggravation spectaculaire du chaos au sein même de l’appareil politique de la classe dominante, un pas significatif dans l’enfoncement du capitalisme dans la décomposition.

En excitant ses partisans, Trump a franchi une nouvelle étape dans sa politique de la “terre brûlée” après sa défaite aux dernières présidentielles qu’il refuse toujours de reconnaître. Le coup de force contre le Capitole, instance du pouvoir législatif et symbole de la démocratie américaine, a provoqué une scission au sein du parti républicain, sa fraction la plus “modérée” ne pouvait en effet que dénoncer ce “coup d’État” contre la démocratie et se démarquer de Trump pour tenter de sauver le parti d’Abraham Lincoln. Quant à la partie adverse, celle des Démocrates, elle ne pouvait que monter au créneau, dénonçant à hue et à dia l’irresponsabilité et la conduite criminelle de Trump galvanisant ses troupes les plus excitées.

Pour tenter de restaurer l’image de l’Amérique, face à la sidération de la bourgeoisie mondiale, et contenir l’explosion du chaos dans “le pays de la Liberté et de la Démocratie”, Joe Biden et sa clique, se sont immédiatement engagés dans un combat à mort contre Trump. Ils se sont empressés de dénoncer les agissements irresponsables de ce chef d’État à l’esprit dérangé ne permettant plus son maintien au pouvoir pendant les treize jours précédant l’investiture définitive du Président sorti des urnes.

Les démissions en chaîne des ministres Républicains, les appels à la démission de Trump ou à sa destitution, de même que les recommandations faites au Pentagone de surveiller de près ses agissements pour qu’il n’appuie pas sur le bouton de l’arme nucléaire, témoignent de la volonté d’éliminer du jeu politique celui qui est encore Président. Au lendemain de l’assaut contre le Capitole, cette crise politique s’est soldée par le lâchage de Trump par la moitié de son électorat, l’autre moitié continuant à soutenir et justifier l’attaque. La carrière politique de Trump semble gravement compromise. En particulier, tout est mis en place pour qu’il ne soit plus éligible et ne puisse pas se représenter en 2024. Aujourd’hui, le Président déchu n’a plus qu’un seul objectif : sauver sa peau face à la menace de poursuites judiciaires pour ses appels à l’insurrection. Après avoir appelé ses troupes, sans toutefois condamner leurs actes, à “rentrer pacifiquement à la maison” le soir-même de leur assaut contre le Capitole, Trump a mangé le reste de son chapeau deux jours après : il a qualifié “d’odieux” cet assaut et s’est dit “scandalisé par cette violence”. Et continuant à faire profil bas, il a fini par reconnaître du bout des lèvres sa défaite électorale et a déclaré qu’il laissera le “trône” à Biden tout en affirmant qu’il ne sera pas présent à la cérémonie de passation des pouvoirs le 20 janvier.

Il est possible que Trump soit définitivement éliminé du jeu politique mais ce n’est pas le cas du populisme ! Cette idéologie réactionnaire et obscurantiste est une lame de fond qui ne peut que monter avec le phénomène mondial d’aggravation de la décomposition sociale, dont les États-Unis sont aujourd’hui l’épicentre. La société américaine est plus que jamais divisée, fracturée. La montée de la violence va continuer avec le danger permanent d’affrontements (y compris armés) da de la population. La rhétorique de Biden sur la “réconciliation du peuple américain” montre une compréhension de la gravité de la situation, mais au-delà de tel ou tel succès partiel ou temporaire, elle ne pourra pas arrêter la tendance sous-jacente à la confrontation et à la dislocation sociale dans la première puissance mondiale.

Le plus grand danger pour le prolétariat aux États-Unis serait de se laisser entraîner dans la confrontation entre les différentes fractions de la bourgeoisie. Une bonne partie de l’électorat de Trump est constituée d’ouvriers rejetant les élites et à la recherche d’un “homme providentiel”. La politique de Trump de relance de l’industrie avait permis de rallier derrière lui de nombreux prolétaires de la “ceinture de la rouille” qui avaient perdu leur emploi. Le risque existe d’affrontements entre ouvriers pro-Trump et ouvriers pro-Biden. Par ailleurs, l’enfoncement de la société dans la décomposition risque d’aggraver encore le clivage racial, endémique aux États-Unis, entre les blancs et les noirs, en propulsant les idéologies identitaires.

La gigantesque campagne démocratique est un piège pour la classe ouvrière !

La tendance à la perte de contrôle de la bourgeoisie sur son jeu politique, comme on l’a vu avec l’arrivée de Trump à la présidence, ne signifie pas que la classe ouvrière peut tirer profit de la décomposition du capitalisme. Bien au contraire, la classe dominante ne cesse de retourner les effets de la décomposition contre la classe ouvrière. Déjà en 1989, alors que l’effondrement du bloc de l’Est était une manifestation spectaculaire de cette décomposition du capitalisme, la bourgeoisie des principaux pays avait utilisé cet événement pour déchaîner une gigantesque campagne démocratique mondiale au moyen d’un bourrage de crâne intensif, destinée à tirer un trait d’égalité entre la barbarie des régimes staliniens et la véritable société communiste. Les discours mensongers sur “la mort de la perspective révolutionnaire” et “la disparition de la classe ouvrière” avaient déboussolé le prolétariat, en provoquant un profond recul de sa conscience et de sa combativité. Aujourd’hui, la bourgeoisie instrumentalise les événements du Capitole en déployant une nouvelle campagne internationale à la gloire de la démocratie bourgeoise.

Alors que les “insurgés” occupaient encore le Capitole, Biden déclarait immédiatement : “Je suis choqué et attristé par le fait que notre nation, pendant très longtemps une lueur d’espoir pour la démocratie, soit confrontée à un moment si sombre. […] Le travail d’aujourd’hui et des quatre années à venir consistera à restaurer la démocratie”, suivi par une cascade de déclarations allant dans le même sens, y compris au sein du Parti républicain. Même son de cloche à l’étranger, particulièrement de la part des dirigeants des grands pays d’Europe occidentale : “Ces images m’ont mise en colère et attristée. Mais je suis sûre que la démocratie américaine se révélera beaucoup plus forte que les agresseurs et les émeutiers”, déclarait Angela Merkel. “Nous ne céderons rien à la violence de quelques-uns qui veulent remettre en cause [la démocratie]”, lançait Emmanuel Macron. Et Boris Johnson d’ajouter : “Toute ma vie, l’Amérique a représenté des choses très importantes : une idée de la liberté et une idée de la démocratie”. Après la mobilisation autour de l’élection présidentielle, qui a connu un record de participation, et le mouvement Black Lives Matter revendiquant une police “propre” et plus “juste”, de larges secteurs de la bourgeoisie mondiale cherchent à entraîner le prolétariat derrière la défense de l’État démocratique contre le “populisme”. Le prolétariat est appelé à se ranger derrière la clique “démocrate” contre le “dictateur” Trump. Ce faux “choix” n’est que pure mystification et un véritable piège pour la classe ouvrière !

À rebours du chaos international que Trump n’a cessé d’alimenter, le “démocrate” Biden imposera-t-il un “ordre mondial plus juste” ? Sûrement pas ! Le prix Nobel de la “Paix”, Barack Obama, et son ex-vice-président, Joe Biden, ont connu huit années de guerres ininterrompues ! Les tensions avec la Chine, la Russie, l’Iran et tous les autres requins impérialistes ne disparaîtront pas miraculeusement.

Biden réservera-t-il un sort plus humain aux migrants ? Pour se faire une idée, il suffit de voir avec quelle cruauté tous ses prédécesseurs comme toutes les “grandes démocraties” traitent ces “indésirables” ! Il faut rappeler que durant les huit ans de la présidence d’Obama (dont Biden était le vice-président), il y a eu plus d’expulsions d’immigrés que pendant les huit ans de présidence du Républicain George W. Bush. Les mesures contre les immigrés de l’administration Obama n’ont fait qu’ouvrir la voie à l’escalade anti-immigration de Trump

Les attaques économiques contre la classe ouvrière vont-elles cesser avec le prétendu “retour de la démocratie” ? Certainement pas ! La plongée de l’économie mondiale dans une crise sans issue encore aggravée par la pandémie du Covid-19, se traduira par une explosion du chômage, par plus de misère, plus d’attaques contre les conditions de vie et de travail des exploités dans tous les pays centraux dirigés par des gouvernements “démocratiques”. Et si Joe Biden parvient à “nettoyer” la police, les forces de répression de l’État “démocratique”, aux États-Unis comme dans tous les pays, continueront à se déchaîner contre tout mouvement de la classe ouvrière et réprimant toutes ses tentatives de lutter pour la défense de ses conditions de vie et ses besoins les plus élémentaires.

Il n’y a donc rien à attendre d’un “retour de la démocratie américaine”. La classe ouvrière ne doit pas se laisser endormir et piéger par les chants de sirènes des fractions “démocratiques” de l’État bourgeois. Elle ne doit pas oublier que c’est au nom de la défense de la “démocratie” contre le fascisme que la classe dominante avait réussi à embrigader des dizaines de millions de prolétaires dans la Deuxième Guerre mondiale, sous l’égide de ses fractions de gauche et des fronts populaires. La démocratie bourgeoise n’est que la face la plus sournoise et hypocrite de la dictature du capital !

L’attaque contre le Capitole est le symptôme supplémentaire d’un système à l’agonie qui entraîne l’humanité dans sa lente descente aux enfers. Face au pourrissement sur pied de la société bourgeoise, seule la classe ouvrière mondiale, en développant ses combats sur son propre terrain de classe contre les effets de la crise économique, peut renverser le capitalisme et mettre un terme à la menace de destruction de la planète et de l’espèce humaine dans un chaos de plus en plus violent.

CCI, 10 janvier 2021

 

1) Voir nos “Thèses sur la décomposition”, Revue internationale n° 107 et le “Rapport sur la décomposition aujourd’hui”, Revue internationale n° 164.

2) Au moment où nous écrivons cet article, il y a eu officiellement 363 581 décès aux États-Unis et près de 22 millions de personnes contaminées.

Géographique: 

  • Etats-Unis [2]

Personnages: 

  • Donald Trump [3]
  • Joe Biden [4]

Récent et en cours: 

  • Assaut du Capitole [5]

Rubrique: 

Assaut du Capitole

Hordes trumpistes et “gilets jaunes”: Un amalgame pour criminaliser toute révolte contre la misère !

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En France, dès les premières minutes de l’invasion du Capitole aux États-Unis par les nervis trumpistes, un mensonge éhonté s’est répandu dans les médias et sur les réseaux sociaux. Ces insurgés néo-fascistes ne seraient que la version américaine des “gilets jaunes” : “Le danger pour la démocratie, c’est tous ceux qui encouragent les séditieux et la violence. Qu’ils se nomment “gilets jaunes”, qu’ils soient supporters de Trump, d’extrême-droite ou anarchistes”, “Factieux trumpistes aujourd’hui, “gilets jaunes” hier”, “Moi, quand je regardais hier les images que nous avons tous regardées, j’ai pensé aux “gilets jaunes”, évidemment”. (1) C’est bien entendu l’éditorialiste-vedette de l’hebdomadaire de droite Le Point, Franz-Olivier Giesbert, toujours en pointe quand il s’agit d’exploiter une situation pour développer une campagne idéologique qui avait ouvert le bal de cet amalgame sur les chaînes d’informations.

Cette comparaison fallacieuse poursuit trois buts :

  • dénaturer le mouvement des “gilets jaunes” qui était une explosion sociale contre la paupérisation ;
  • criminaliser ce mouvement et ainsi légitimer le renforcement continu de l’appareil répressif de l’État bourgeois ;
  • masquer et minimiser la signification profonde de l’assaut du Capitole : l’accélération de la décomposition de la société capitaliste.

La foule soutenant Trump était constituée de suprémacistes blancs et de rednecks. Elle brandissait une forêt de drapeaux des États confédérés, symboles nostalgiques de la grandeur des États du Sud esclavagistes. L’un de ses leaders, vêtu d’une peau de bison et d’un casque à cornes, se fait appeler Q-Shaman et exhibe son corps parsemé de tatouages nazis. Ces trumpistes, armés jusqu’aux dents, incarnent la haine de l’autre, de “l’étranger” et la poussée de la pensée irrationnelle qui gangrènent de plus en plus toute la société. Tous ces obscurantistes arriérés sont convaincus que la défaite de Trump aux élections est le fruit d’un complot, tout comme ils rejettent la théorie de l’évolution des espèces de Darwin. Ils croient que le monde ne remonte qu’à 6000 ans et certains restent persuadés que la terre est plate ! C’est là la quintessence du populisme.

Le mouvement des “gilets jaunes” en France, malgré certaines similitudes apparentes, n’a pas de commune mesure avec l’assaut du Capitole par les bandes armées de trumpistes fanatisés. Ce mouvement populaire était une révolte du désespoir portant les stigmates de la décomposition de la société capitaliste. Il a certes lui aussi été marqué partiellement par l’influence du populisme, notamment par le rejet de l’establishment et des élites, le nationalisme exacerbé. Au début du mouvement, et de façon minoritaire, une partie des “gilets jaunes” ont exprimé leur xénophobie, agressant verbalement des immigrés à plusieurs reprises et réclamant un durcissement du contrôle aux frontières. Ce mouvement a également été marqué par le chaos social, avec des scènes de guérillas urbaines, des saccages dans les beaux quartiers de Paris et une volonté, parmi les plus “radicaux” des “gilets jaunes”, de partir à l’assaut de l’Élysée (ce qui ne pouvait être qu’un fiasco : le palais présidentiel était autrement mieux protégé que le Capitole américain !).

La décomposition sociale a marqué indéniablement de son sceau le mouvement des “gilets jaunes”. Mais il n’y a pas de trait d’égalité avec le coup de force des “factieux trumpistes”, ces nervis nazillons, avec leurs milices armées qui ont pris d’assaut le Capitole. Le mouvement des “gilets jaunes” n’était pas une flambée de haine populiste, animée par les idéologies de l’extrême-droite et visant à maintenir à la tête de l’État un aventurier mégalomane complètement irresponsable. Ce mouvement était une révolte illusoirement “citoyenne” contre la paupérisation dans lequel se sont retrouvées toutes les couches sociales protestant contre la politique économique de Macron, le “Président des riches”. Il s’agissait d’un mouvement interclassiste (et non pas populiste) du fait que les revendications des secteurs les plus pauvres du prolétariat (les ouvriers des zones rurales et péri-urbaines) s’étaient mêlées à celle des petits patrons et artisans. Dans le mouvement des “gilets jaunes”, de très nombreux retraités et ouvriers pauvres n’arrivant plus à joindre les deux bouts, ont défilé pacifiquement dans les manifestations contre la misère, la précarité et le chômage. La nature interclassiste de ce mouvement social s’est illustrée par un amas hétéroclite de revendications souvent contradictoires entre elles. Derrière l’explosion de colère contre l’augmentation des taxes sur le carburant qui frappait aussi bien les petits patrons que les ouvriers des zones rurales contraints de prendre leur voiture pour se déplacer et se rendre à leur travail, se cachaient en réalité des intérêts antagoniques. Face à l’augmentation du coût de la vie, la composante ouvrière des “gilets jaunes” revendiquait une augmentation du salaire minimum, alors que les petits patrons (et petits exploiteurs) mettaient plutôt en avant une baisse des taxes mais aussi une baisse des salaires de leurs employés pour maintenir leur entreprise à flot. Ce mouvement interclassiste où les revendications ouvrières se sont mêlées à celle de la petite-bourgeoisie ne pouvait conduire qu’à diluer les secteurs les plus fragiles et marginalisés du prolétariat dans “le peuple”, sans aucune distinction de classe. C’est pour cela que le mouvement des “gilets jaunes” a été immanquablement marqué par l’idéologie et les méthodes de la petite-bourgeoisie victime de déclassement, de la paupérisation liée aux ravages de la crise économique et portée par le sentiment de frustration et de revanche sociale, avec une forte polarisation contre la personne de Macron.

Néanmoins, l’hétérogénéité des “gilets jaunes” a débouché sur une relative décantation. Alors qu’à son début, ce mouvement social avait été soutenu par Marine Le Pen et les partis de droite, c’est La France Insoumise, le parti de Mélenchon, et les gauchistes (notamment le NPA) qui ont pris le relais, à mesure que la composante ouvrière des “gilets jaunes” s’est détachée en faisant prévaloir ses propres revendications concentrées sur la question des salaires et du pouvoir d’achat. Cette décantation a été rendue plus visible lors des manifestations contre la réforme des retraites : des centaines de “gilets jaunes” regroupés sous le drapeau tricolore et entonnant La Marseillaise ont été rejetés des cortèges, alors que d’autres choisissaient de s’intégrer, individuellement ou par petits groupes dans le mouvement général de la classe ouvrière contre la réforme des retraites (où dans certains cortèges, de nombreux travailleurs en lutte chantaient L’Internationale à tue-tête pour couvrir la voix nationaliste des “gilets jaunes” “radicaux”.

En faisant un amalgame tendancieusement superficiel et caricatural entre les “gilets jaunes” et les troupes de choc para-militaires de Trump, les médias bourgeois et autres journalistes ou politiciens invités sur les plateaux de télévision, se focalisent sur les scènes de violences, en évacuant délibérément les actes de vandalisme des bandes black blocs (entièrement manipulés par la police) ! Une telle falsification de la réalité vise essentiellement cet objectif : criminaliser tout mouvement de révolte contre la misère et la pauvreté. On peut donc être sûr que la bourgeoisie n’hésitera pas dans l’avenir à déployer ses forces de répression face à tout mouvement révolutionnaire de la classe exploitée. Elle n’hésitera pas (et se prépare déjà) à le dénoncer comme un coup d’État fomenté par des hordes de terroristes semant la violence, le chaos et le désordre contre l’ordre “démocratique” républicain et sa “paix sociale”.

Gilles, 11 janvier 2021

 

1“Gilets jaunes et manifestants pro-Trump ayant envahi le Capitole : une comparaison qui fait débat [6]”, RT France (8 janvier 2021).

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  • Donald Trump [3]
  • Joe Biden [4]

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Assaut du Capitole

Bilan de l’année 2020: Quelle perspective pour l’humanité?

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L’année 2020 a une nouvelle fois révélé toute la barbarie dans laquelle le capitalisme plonge de plus en plus l’humanité.

Le bilan de la pandémie de Covid-19 est effroyable : presque deux millions de morts sur la planète, des personnes “âgées” (parfois à peine 60 ans) refusées dans les hôpitaux parce qu’il n’y a plus de lits (Italie), des terrains vagues transformés en cimetières improvisés (Brésil), des camions frigorifiques stationnés dans la rue pour stocker le surplus de cadavres (New-York), des agents hospitaliers en manque de masques, de gants, de blouses (France), des centaines de millions de personnes cloîtrées chez elles, interdites de vie sociale, des vieux mourant dans l’isolement, sans même une main tenant la leur pour les rassurer, des jeunes pointés du doigt et traités comme des égoïstes, des irresponsables, voire des assassins en puissance.

Ce n’est pas un hasard si cette situation renvoie nos imaginaires aux épidémies de peste qui frappèrent la société médiévale quand elle sombrait dans son propre déclin. Le capitalisme est désormais lui aussi un système décadent, il n’a plus aucun avenir à offrir à l’humanité, si ce n’est toujours plus de souffrances. Selon l’OMS, cette pandémie n’est d’ailleurs qu’une “sonnette d’alarme” car il faut “nous préparer à l’avenir à quelque chose qui sera peut-être encore pire”.

“Nous” préparer ? Mais qui est ce “nous” ? Les États qui, partout et depuis des décennies, détruisent les systèmes de soins, réduisent les effectifs de médecins et d’infirmiers et ferment les hôpitaux ? Les États qui militarisent la société, qui élèvent le personnel de santé sacrifié au rang de “héros de guerre” à coups de médailles, qui proclament “l’urgence sanitaire” pour mieux contrôler et réprimer ? “Moi, je fais la guerre le matin, le midi, le soir et la nuit. Et j’attends de tous le même engagement”, a ainsi déclaré le président français Emmanuel Macron. Ce “nous” ne prépare à l’humanité que des lendemains encore plus sombres. Les États ont tous à leur niveau participé à la propagation du virus en poursuivant leur concurrence morbide, en étant incapables de se coordonner pour limiter les déplacements internationaux ; ils sont allés jusqu’à se livrer une pathétique “guerre des masques”, à se voler les uns les autres. Cette incapacité à contenir l’épidémie révèle que la gangrène atteint les plus hauts sommets des États et commence même à nuire à la gestion de l’économie mondiale, à aggraver la crise historique du capitalisme. La récession mondiale qui s’est ouverte en 2019 s’est ainsi trouvée être considérablement empirée par l’effet du chacun pour soi, contrairement à 2008 où, sous la forme des G7, G8 ou G20, les États étaient parvenus à se coordonner a minima afin de limiter et ralentir les effets de la crise dite des subprimes.

Incapable de proposer la moindre perspective à l’humanité, le capitalisme est un système qui pourrit sur pied. Dans toutes les couches de la société, le no future pèse sur les pensées et engendre une montée des peurs, de l’irrationnel et du chacun pour soi.

Les magouilles des laboratoires et leur recherche du profit à tout prix, conséquence de la nature de ce système d’exploitation, engendrent un rejet des vaccins et de la science. L’incapacité des États à contrôler l’épidémie, l’incohérence des mesures prises et les mensonges gouvernementaux, au lieu d’être compris comme le produit de ce capitalisme en déclin, sont attribués à d’obscures volontés d’une poignée d’individus manipulateurs. Le complotisme se développe, hors de toute cohérence de pensée. La réelle responsabilité, celle du système et de sa classe dominante, la bourgeoisie, est niée.

Préparer les luttes futures

Mais l’année 2020 est aussi source d’espoir. En janvier, en France, il y a un an, finissait le mouvement contre la réforme des retraites. Pendant plusieurs mois, des centaines de milliers de manifestants avaient battu le pavé, heureux de se retrouver ensemble dans la rue et dans la lutte, de se serrer les coudes, de ressentir ce sentiment de solidarité entre les générations, entre les secteurs, qui les animait tous. Les cheminots de plus de 50 ans qui ont fait grève semaine après semaine, n’avaient eux rien à gagner, ils n’étaient pas concernés directement par la réforme. Non, ils se battaient pour les générations suivantes, pour les plus jeunes, pour l’avenir.

Évidemment, ce mouvement a révélé aussi de grandes faiblesses. Les cheminots sont restés trop isolés, les salariés du privé n’ont participé à la grève que par procuration. Il n’y a pas eu de véritables assemblées générales permettant à tous les travailleurs, retraités, chômeurs et étudiants précaires de débattre, d’élaborer ensemble une réflexion politique, de s’organiser, de prendre en main la lutte. Cette marche reste à franchir et elle est haute. Mais ce mouvement est une lueur, une promesse : la classe ouvrière en France a montré qu’elle était à nouveau combative et porteuse de solidarité. Quel contraste avec le monde mortifère constitué d’individus en concurrence que nous impose la bourgeoisie !

D’autres manifestations ont eu lieu en 2020, celles contre les violences policières puis contre la loi “sécurité globale”, interdisant notamment de filmer la police en train de tabasser tranquillement le quidam. La répression étatique est à l’évidence révoltante, tout comme les lois qui la légitime. Seulement, réclamer une police moins brutale et une justice plus équitable, c’est se leurrer sur la possibilité d’un capitalisme humain et d’une démocratie servant l’intérêt commun. Ce n’est pas un hasard si chaque fois une grande partie de la bourgeoisie, celle de gauche, enfourche elle aussi ce destrier, galope pour revendiquer haut et fort un État plus juste. C’est là une impasse qui, en réalité, renforce l’illusion que l’amélioration de la société capitaliste est possible.

Avec l’atomisation et la sidération liées à l’épidémie, avec l’aggravation de la crise économique qui frappe les travailleurs paquet par paquet, boite par boite, sous la forme de licenciements, lutter massivement est dans l’immédiat extrêmement difficile. Mais l’avenir appartient bel et bien à la lutte de classe ! Il n’y a pas d’autre chemin.

Seule la lutte massive et unie incarne une perspective. La solidarité entre les générations qui s’est exprimée dans les cortèges début 2020 prouve une nouvelle fois que le combat de la classe ouvrière porte en lui les germes d’une communauté humaine unie. Aujourd’hui, c’est en discutant avec tous ceux qui ne supportent plus cette société en putréfaction que cet avenir de lutte peut se préparer. Débattre des mobilisations sur un terrain de classe les plus massives et unitaires de ces dernières années face aux attaques, celle contre la réforme des retraites, celle contre le CPE en 2006, celle des enseignants en 2003, pour tirer les leçons des forces et des faiblesses de ces mouvements, demeure une nécessité. Tout comme se replonger dans l’histoire du mouvement ouvrier et de ses grandes luttes montre ce dont est capable notre classe quand elle prend massivement ses luttes en main.

“Nous serons victorieux seulement si nous n’avons pas oublié comment apprendre” (Rosa Luxemburg).

Pawel, 4 janvier 2020

 

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Éditorial

L’ordre de l’État “démocratique” règne!

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“Souillée, déshonorée, pataugeant dans le sang, couverte de crasse : voilà comment se présente la société bourgeoise, voilà ce qu’elle est. Ce n’est pas lorsque, bien léchée et bien honnête, elle se donne les dehors de la culture et de la philosophie, de la morale et de l’ordre, de la paix et du droit, c’est quand elle ressemble à une bête fauve, quand elle danse le sabbat de l’anarchie, quand elle souffle la peste sur la civilisation et l’humanité qu’elle se montre toute nue, telle qu’elle est vraiment”. Rosa Luxemburg, Brochure de Junius (1915).


Un tabassage d’une brutalité inouïe contre le producteur de musique Michel Zecler a remis la violence policière sous les feux des projecteurs médiatiques, quelques jours après l’évacuation très musclée de migrants campant place de la République à Paris. S’agissait-il d’une intervention pour non port du masque anti-Covid ? Foutaises ! Ces flics se sont acharnés sur une personne noire en libérant toute leur hargne raciste, ce qu’ils imaginaient, encore une fois, pouvoir réaliser en toute impunité. Cette nouvelle exaction raciste s’est comme d’habitude conclue par un procès-verbal à charge contre Michel Zecler, immédiatement déposé sur le bureau d’un juge qui s’est empressé d’ouvrir une enquête pour : “violences sur personne dépositaire de l’autorité publique”. Les flics ont encore une fois toujours raison !

Mais les images de vidéosurveillance du studio de musique, où le producteur de musique s’était réfugié, ne souffrent aucune ambiguïté : les flics se sont défoulés pendant de longues minutes, sans aucun état d’âme, sur un homme esseulé appelant à l’aide, puis sur les personnes qui tentaient de s’interposer pour mettre un terme à l’agression. Face à ces cogneurs, la horde de leurs collègues assistant à la scène a laissé faire... car force doit rester à la Loi !

Les réactions de colère et d’indignation dans la population ont été immédiates et tout à fait légitimes. Comment accepter une telle violence de la part des forces de l’ordre sans réagir et protester ? La Loi “sécurité globale” du Ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, avec son lot de mesures ultra-répressives, avait déjà commencé à mettre le feu aux poudres, une loi couvrant, notamment, les violences et bavures policières puisqu’il s’agit d’interdire aux journalistes comme à tout “citoyen” de filmer les visages des flics tabasseurs. Ces films et ces photos pourraient, paraît-il, mettre en danger les policiers accomplissant leur “devoir” dans l’exercice de leur fonction. Tout contrevenant sera condamné à 45 000 euros et un an de prison ! Les flics auront donc davantage le champ libre pour cogner à tour de bras, en toute impunité et avec la bénédiction du gouvernement Macron et son Ministre Darmanin !

Les dernières violences policières ont été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Le 28 novembre, d’importantes manifestations, dans toutes les villes du territoire français, ont été organisées par tous les défenseurs de la “démocratie” pour protester contre la Loi “sécurité globale”.

Le vrai visage de l’État démocratique

Ces épisodes de violences policières ne sont en rien une exception. Les contrôles et interpellations de la police républicaine, particulièrement contre les jeunes ou les immigrés, ne font jamais dans la dentelle : le mépris, les insultes racistes et les humiliations en tout genre sont quotidiens. En janvier 2020, c’est le livreur Cédric Chauviat qui meurt étouffé par un flic lors d’une interpellation à Paris. C’est Adama Traoré qui tombait lui aussi sous les coups de la police en 2016. C’est le jeune Théo qui était violemment agressé et mutilé lors d’une interpellation en 2017. Nous pourrions multiplier les exemples… Une telle sauvagerie n’est plus épisodique : elle témoigne de la banalisation des répressions musclées, provoquant un accroissement des tensions sociales avec l’État.

Ces exactions, ces actes barbares, quand ils ne sont pas simplement niés, passés sous silence ou transformés en actes de “légitime défense” de flics “victimes”, deviennent des bavures, des dérapages d’une “minorité de flics délinquants” et racistes qui “décrédibilisent l’institution policière”. La police républicaine, aux dires de la classe dominante et son gouvernement, ferait un travail remarquable au service de la protection des citoyens comme l’affirme Darmanin : “ceux qui déconnent sont sanctionnés, mais je me refuse à sanctionner l’intégralité des policiers de France”.

Ce travail “remarquable”, ce service public républicain, nous l’avons vu à l’œuvre à l’occasion du mouvement des “gilets jaunes” et ses 4 000 blessés, ses centaines d’éborgnés ou estropiés par des tirs de flash-ball et de grenades de “désencerclement”. Le 8 décembre 2018, par exemple, à Paris, la répression fut particulièrement violente : le commandement des CRS s’adressait à ses troupes en ces termes : “Si vous vous demandez pourquoi vous êtes entrés dans la police, c’est pour un jour comme celui-ci !… Vous pouvez y aller franchement, allez-y franchement, n’hésitez pas à percuter ceux qui sont à votre contact, à proximité… Ça fera réfléchir les suivants”. (1)

C’est le même “ordre démocratique” qui fut invoqué lors des interventions musclées des flics dans les universités et dans les lycées au printemps 2020 ou lors du mouvement contre la réforme des retraites. La pandémie de Covid-19 a également été l’occasion pour le gouvernement de prononcer de grands discours sur le contrôle “nécessaire” des règles sanitaires par une police attachée soi-disant à défendre la vie de tous les “citoyens” et de tous les travailleurs exploités. En réalité, la bourgeoisie a profité de la pandémie pour faire un pas supplémentaire dans la répression, dans les quartiers, dans la rue, dans les transports, dans les manifestations. L’État démocratique montre donc de plus en plus son vrai visage en dépit des déclarations hypocrites de Macron, comme lors du “grand débat” suite au mouvement des “gilets jaunes” : “Ne parlez pas de “répression” ou de “violences policières”, ces mots sont inacceptables dans un État de droit”. Seules les dictatures militaires, staliniennes ou fascistes auraient le monopole de la répression ? Il n’en est rien ! Au contraire, l’État démocratique n’a rien à envier à ces dictatures en matière de maintien de l’ordre. Elle l’exerce d’ailleurs avec d’autant plus de cynisme et d’hypocrisie !

La police “républicaine” contre la classe ouvrière

La barbarie des forces de l’ordre “républicain” s’est toujours déchaînée contre la classe ouvrière. Souvenons-nous de la répression ignoble de la Commune de Paris en 1871, lors de la “semaine sanglante”, par les troupes versaillaises aux ordres de la IIIe République.

Souvenons-nous encore que, dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, en 1944, les Compagnies républicaines de sécurité (CRS) ont été créées en prévision des luttes que les exigences de productivité (imposées par la reconstruction) imposaient aux ouvriers. Les CRS connaîtront leur véritable baptême du feu lors de la répression implacable des grèves et des émeutes de 1947 à Renault, dans la fonction publique, dans les mines, sous la houlette du ministre de l’Intérieur “socialiste” Jules Moch et avec la contribution du PCF lui-même… C’est dans ce contexte que le slogan “CRS=SS” a été tagué par les “gueules noires” sur les murs des corons de mineurs. À leurs yeux, les CRS aux ordres de Jules Moch faisaient en effet le même sale travail que la dictature nazie dans la période de l’occupation. La “démocratie” de la “France libre” n’avait ainsi rien à envier à cette dernière ! (2)

Souvenons-nous encore qu’en octobre 1961, une manifestation pacifique d’Algériens avait été réprimée par le préfet Papon, fidèle serviteur du “socialiste” François Mitterrand, comme du régime gaulliste : trois morts reconnus officiellement ; près de 300 dans les faits !

Souvenons-nous également qu’en février 1962, la répression de la manifestation contre la guerre d’Algérie au métro Charonne à Paris causait neuf morts…

Et la liste est encore longue ! En Allemagne, c’était aussi la république démocratique de Weimar, gouvernée par les “socialistes”, qui avait écrasé dans le sang la révolution de 1918-1923. C’est cet État “démocratique” qui avait assassiné sauvagement Rosa Luxemburg, Karl Liebknecht et bon nombre de leurs camarades spartakistes. Contre tous ceux qui en appellent à une véritable police républicaine pour rétablir la confiance entre la population et les forces de l’ordre, Lénine écrivait : “l’État, c’est l’organisation de la violence destinée à mater une certaine classe”, la classe ouvrière. (3)

La bourgeoisie se prépare à réprimer les luttes ouvrières

Il n’y a rien à attendre du rétropédalage du gouvernement qui, suite aux manifestations “populaires” contre la “fascisation” de la police, s’est engagé à réécrire l’article 24 de sa Loi “d’insécurité” globale. Ne nous faisons aucune illusion : un nouvel article mieux ficelé sera rédigé pour renforcer l’appareil de répression de l’État ! Les autres articles de cette Loi ultra-répressive ne disparaîtront pas. La militarisation de la société se révèle d’ailleurs clairement par l’armement des polices municipales, la multiplication des caméras de vidéosurveillance dans les lieux publics, l’effort de modernisation de tout l’arsenal répressif : armes, blindés, renseignements…

Il s’agit clairement d’une adaptation de la bourgeoisie et de son État à la répression future des luttes de la classe ouvrière. Avec l’aggravation de la crise économique, de la misère et du chômage, le prolétariat et ses jeunes générations ne pourront que développer leur lutte pour défendre bec et ongles leurs conditions de vie. On peut être sûr que dans les futures manifestations ouvrières, la classe exploitée trouvera devant elle, encore une fois, tout l’arsenal policier de l’État démocratique.

La gauche monte au créneau dans une nouvelle campagne anti-fasciste

Les manifestations du 28 novembre dans toute la France exprimaient certes la colère face aux violences policières, mais aussi toutes les illusions sur la possibilité d’un État “vraiment démocratique” et d’une police plus “humaine”. Ces dizaines de milliers de “citoyens” indignés se sont donc retrouvés à battre le pavé aux côtés de tous les partis de gauche et d’extrême-gauche, aux côtés de la Ligue des Droits de l’Homme et d’Amnesty International.

L’appel à l’abrogation immédiate de cette Loi “scandaleuse et liberticide”, tel que le clame Mélenchon, n’est que la feuille de vigne derrière laquelle se cache une tentative d’embrigadement de la classe ouvrière derrière la défense de la démocratie bourgeoise. Toutes les gesticulations de la gauche dénonçant la “dictature” de l’État policier sous le gouvernement Macron, réclamant le rétablissement de la liberté d’expression pour les journalistes, sèment l’illusion d’une police non répressive ! Mais l’application de la gauche à réprimer la classe ouvrière dans le passé comme aujourd’hui ne laisse plus aucun doute. D’ailleurs, à l’image de son leader charismatique Mélenchon, la France insoumise ne s’en cache même pas : “on ne peut pas s’apprêter à diriger la France et avoir des lacunes sur cette question. Nous sommes pour l’autorité. Il n’y a aucune contradiction avec les idéaux de gauche”, “l’ordre républicain est un tout. Oui, il y a besoin de policiers, de répression. Il ne faut pas accepter la banalisation du crime”. (4) On ne peut être plus clair ! De gauche comme de droite, démocratique ou ouvertement dictatorial, la bourgeoisie continuera de réprimer son ennemie de classe !

En définitive, les cris d’orfraie de toutes les fractions de gauche et d’extrême-gauche de la classe dominante (comme le NPA), dénonçant l’autoritarisme du gouvernement Macron ou encore le danger d’une dérive fasciste, ne visent qu’à rabattre la classe ouvrière (particulièrement ses jeunes générations de lycéens, d’étudiants, de jeunes travailleurs…) derrière la défense de l’État démocratique. C’est à une échelle réduite, une resucée des campagnes antifascistes des années 1930 qui avaient permis au Front populaire d’embrigader la classe ouvrière dans la Seconde Guerre mondiale. Cette gauche “radicale” qui veut une police “propre”, cherche à encadrer, saboter la colère et la réflexion de la jeune génération prolétarienne, en lui tendant une fausse alternative sous deux variantes en réalité complémentaires :

– soit former un front “antifasciste” et affronter à chaque occasion les forces de l’ordre. Cette violence anti-flics de minorités anarchisantes (ou des bandes de black blocs faisant le jeu de l’appareil policier) n’a rien à voir avec le combat de la classe ouvrière contre le capitalisme. Les provocations, castagnes avec les flics et actes de vandalisme ne peuvent que justifier le renforcement de l’État policier.

– soit choisir ce qu’elle présente comme un “moindre mal”, celui de la résistance citoyenne pour la défense du “droit” républicain, face aux fractions les plus rétrogrades, autoritaires ou populistes de la bourgeoisie. Il faut dire que le gouvernement Macron est apparu comme étant à la botte du syndicat de flics “Alliance” dont la grande majorité des membres font partie de l’électorat de Marine Le Pen.

Seule la révolution prolétarienne peut mettre fin à la répression !

Les mobilisations “citoyennes” ne sont pas le terrain de la classe ouvrière. Pour pouvoir lutter contre la répression, le prolétariat ne doit pas se laisser noyer dans le “peuple”, toutes classes confondues. Il doit défendre son autonomie de classe et ne pas se laisser embarquer derrière tous les partis de gauche et les syndicats qui prônent hypocritement une “bonne” police. La seule arme de la classe ouvrière contre l’État bourgeois, c’est la lutte sur son propre terrain de classe : par la grève contre toutes les attaques du capital, par les manifestations discutées et décidées dans des assemblées générales massives, souveraines, ouvertes à tous les exploités (travailleurs actifs, chômeurs, retraités ou étudiants). Ce n’est que dans un vaste mouvement de masse que la classe ouvrière pourra trouver la force d’affronter l’État et ses sbires policiers. La répression et les violences policières ne cesseront pas tant que le prolétariat n’aura pas pris le pouvoir pour renverser le capitalisme. La “violence” de la classe ouvrière doit s’exercer avant tout dans sa mobilisation la plus massive et la plus consciente pour résister aux attaques du capital dont celles des flics ne sont qu’une facette.

Stopio, 7 décembre 2020

 

1) ““Allez-y franchement, n’hésitez pas à percuter. Ça fera réfléchir les suivants” : le jour où la doctrine du maintien de l’ordre a basculé”, Le Monde (7 décembre 2020).

2) Cf. “Grèves de 1947-1948 en France : la bourgeoisie “démocratique” renforce son État policier contre la classe ouvrière” (mars 2019).

3) Lénine, L’État et la révolution (1917).

4) “Souvent accusée de laxisme, la gauche a durci son discours sur les questions de sécurité”, Le Monde (4 décembre 2020).

Situations territoriales: 

  • Situation sociale en France [7]

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Loi “sécurité globale” et violences policières

Guerre des vaccins: Pour le capitalisme, la santé n’est qu’une marchandise

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Quand l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) déclara en mai 2020 que le vaccin contre le SARS-CoV-2 devait être un “bien public mondial”, seuls ont pu y croire ceux qui conservent encore des illusions dans la capacité du monde capitaliste à jouer un rôle progressiste pour l’humanité, qui plus est, en pleine crise mondiale inédite. De la même façon, les appels à recourir à la “licence obligatoire” (1) ne pouvaient relever que d’une candide utopie.

En effet, rien ne pouvait laisser penser que le vaccin contre Covid-19 échapperait aux lois du capitalisme et leurs conséquences : concurrence, course aux marchés, espionnage, vol de technologie, même quand il s’agit de sauver des millions de vies humaines. Et pour cause, la crise sanitaire actuelle intervient dans un monde en proie à la décomposition.

Dès l’apparition de la maladie, la communauté scientifique savait que seul un vaccin pouvait permettre d’en venir à bout. Les industries pharmaceutiques se mirent donc en ordre de marche, chacun de son côté, pour être les premiers à délivrer le précieux vaccin. Mais au-delà de l’enjeu commercial considérable pour les labos de recherche et les groupes pharmaceutiques, il y a un enjeu politique évident pour les États en mesure d’y accéder.

La santé humaine est un marché…

Dès les premières heures de la pandémie, la guerre des vaccins commença, comme ce fut le cas lors de précédentes épidémies. Les exemples sont nombreux. Par exemple, la bataille contre le SIDA (2) débuta dès la découverte de l’agent responsable de cette maladie inédite. Les équipes de Luc Montagnier à l’Institut Pasteur, étaient talonnées par celles de Robert Gallo au National Cancer Institute aux États-Unis. Le leitmotiv de ces équipes n’était évidemment pas d’identifier rapidement l’agent pour commencer à le combattre, mais d’être les premiers à pouvoir en récupérer la propriété et prendre ainsi une avance sur les futurs traitements et vaccins.

C’est finalement l’équipe française qui, en janvier 1983, s’imposera d’une courte tête. Mais la guerre ne faisait que commencer, et elle fera véritablement rage sur le terrain des tests où cette fois-ci les Américains tiendront leur revanche. C’est le laboratoire Abott qui se positionnera très largement sur ce marché prometteur, offrant potentiellement la possibilité d’écouler des milliards de tests susceptibles d’être réalisés en quelques années à travers le monde.

Vint ensuite la guerre des traitements, où le plus grand mépris pour la vie humaine éclatera au grand jour, la France ayant une revanche à prendre après sa défaite dans la guerre des tests. Sitôt les premiers espoirs annoncés autour de la Ciclosporine, la ministre de la santé de l’époque, Georgina Dufoix, lui attribua publiquement le “label France”, avant de voir ces espoirs finalement douchés par les premiers essais menés sur la molécule. De l’autre côté de l’Atlantique, le Secrétaire général adjoint de la santé annonça la solution miracle de l’AZT alors même que les essais en cours n’avaient encore livré aucun résultat.

Ces annonces scandaleuses, incarnant les froids intérêts de deux États en concurrence, témoignaient en outre du désintérêt le plus total à l’égard des milliers de malades ne pouvant placer leurs espoirs que dans un traitement rapide pour les sauver d’une mort assurée. Mais pour chaque État, seule comptait la nécessité d’être les premiers à la face du monde.

Le scandale du “sang contaminé” en France dans les années 1980-90 a révélé que l’État avait retardé pendant au moins six mois le dépistage du VIH et de l’hépatite C sur les donneurs de sang, alors que la technique était maîtrisée depuis octobre 1984, comme le prouvait une étude américaine. La “guerre des tests” et l’obsession des coupes budgétaires l’avaient conduit à maintenir des pratiques délibérément criminelles de transfusions sanguines contaminées à des hémophiles et à d’autres patients pour liquider ses stocks et faire des économies à tout prix, provoquant le décès de milliers de malades entre 1984 et 1985.

Aujourd’hui, la guerre autour du vaccin contre le virus du SIDA continue même si, faute d’être aussi rentable qu’un traitement au long cours (toute la vie, de fait), la recherche se fait beaucoup plus lente, du fait des plans d’austérité amenant les États à racler les fonds de tiroir et à réduire considérablement les budgets dans la recherche fondamentale.

En 2019 en Afrique, la situation fut à peu près similaire autour de l’épidémie d’Ebola (3) dans un climat d’accusations de détournement de fonds, de favoritisme envers les dirigeants congolais mais aussi de l’OMS vis-à-vis du choix d’un vaccin plutôt qu’un autre, etc. Alors que le laboratoire allemand Merck avait proposé un vaccin efficace mais en quantités insuffisantes, le laboratoire américain Johnson & Johnson proposa un autre vaccin, annoncé comme complémentaire mais jamais testé sur l’homme ! La bataille s’engagea pour introduire ce nouveau venu avec opérations de lobbying et autres moyens de pression.

La situation actuelle reprend les mêmes schémas. Alors que les grands discours se multiplient autour de la coopération internationale pour créer un vaccin, alors que le “bon sens commun” pourrait laisser penser que l’union des forces de la recherche pharmaceutique déboucherait sur des résultats plus rapides et efficaces, en novembre dernier on comptait 259 candidats-vaccins dans le monde, dont dix en phase 3 (la dernière avant la procédure d’autorisation de mise sur le “marché”). 259 équipes qui travaillent donc chacune de leur côté, guettant les avancées des autres pour ne pas se faire doubler, cherchant non pas l’efficacité mais l’exclusivité du procédé. Les premiers à dégainer, Pfizer et BioNTech, annoncèrent une efficacité de leur vaccin à 90 %. Quelques jours plus tard, les Russes annonçaient une efficacité à… 92 %. Moderna pointait alors son nez et annonçait 94 % d’efficacité. Qu’à cela ne tienne, Pfizer déclare avoir revu ses calculs et annonce une efficacité finalement à 95 % ! Qui dit mieux ?

Cette surenchère cynique, glaçante et effroyable dans le marketing pour promouvoir et vendre son produit alors qu’est en jeu ici la vie de dizaines de millions de victimes résume le fonctionnement mortifère de cette société pourrissante.

… et un enjeu de guerre entre les États

Nombreux sont ceux qui dénoncent cette course à la manne financière que représente le futur vaccin, mais ils se trompent quand ils renvoient la faute à “Big Pharma”, ces quelques laboratoires géants qui se battent sur le marché de la santé. Ils se trompent aussi quand ils exigent de la puissance publique qu’elle régule la situation et “contraigne” les industriels à “coopérer” pour le bien public. Car ce qui est en jeu ici, n’est pas la cupidité de quelques actionnaires, mais une logique qui embrasse toute la planète, toute l’activité humaine : la logique capitaliste. La recherche scientifique n’échappe pas aux lois du capitalisme, elle a besoin d’argent pour avancer et l’argent ne va que là où les profits peuvent être attendus : on ne prête qu’aux riches !

Doit-on attendre des États qu’ils apportent de la régulation dans cette grande foire d’empoigne ? Bien au contraire, les États capitalistes sont au cœur de la bataille et sont les premiers à orienter les recherches par leurs financements. Dans un monde en proie aux rivalités impérialistes, c’est bien sûr dans le domaine de la défense et de l’armement que la recherche est la plus financée. Mais le domaine de la santé n’en est pas exempt ! Après les attentats du 11 septembre 2001, les autorités américaines ont revu leur stratégie sur la recherche vaccinale jusqu’alors plutôt laissée de côté, pour financer des recherches sur des vaccins dits “à large spectre”, capables d’immuniser contre plusieurs virus, dans un souci de combattre une menace jugée grandissante de bio-terrorisme. Dans un autre ordre d’idée, la politique très active de la Chine en matière de santé ces dernières décennies en Afrique est animée uniquement par ses intérêts impérialistes. Tout est bon pour prendre pied et peser de toute son influence sur la planète. La Chine accroît depuis longtemps sa présence en Afrique à coups d’investissements, d’implantations économiques, de soutiens politiques, militaires, humanitaires et donc… sanitaires.

Aujourd’hui tous les États sont derrière leurs propres laboratoires et tous défendent leurs propres intérêts sans la moindre préoccupation pour une quelconque équité. Avec un mépris constant pour les conséquences meurtrières de la maladie, les États se battent pour capter le maximum de vaccins, sachant que dans cette bataille, seuls les plus riches tireront leur épingle du jeu et que, de ce fait, la plus grande partie de l’humanité n’accèdera pas aux vaccins, ou très tardivement. En avril dernier se crée la plateforme COVAX, une plateforme multilatérale dédiée à l’achat et à la distribution des futurs vaccins et promettant un accès équitable pour tous. Tous les chefs d’État se sont félicités de cette coopération. Mais en sous-main, chacun passait des accords bilatéraux avec les laboratoires pour réserver des doses. Alors que l’industrie prévoit de produire trois à quatre milliards de doses d’ici la fin de 2021, les réservations réalisées en douce se montent à 5 milliards, uniquement destinées à quelques pays : les États-Unis, la Russie, la Chine, l’Union européenne et quelques pays moins riches essayant de sortir du lot, comme le Brésil.

Aujourd’hui il ne reste plus à COVAX que le vaccin britannique Oxford-AstraZeneca, à coût nettement plus faible que ses concurrents, mais dont l’efficacité prouvée à ce jour ne dépasse pas les 62 %. (4) Les pays les plus pauvres, dénués notamment des équipements nécessaires à la conservation et au transport des vaccins Pfizer ou Moderna, devront s’en contenter, en puisant dans ce que le Royaume-Uni aura laissé des stocks.

Une logique de mort

Pendant ce temps, des gens meurent. Pendant ce temps, la bourgeoisie continue d’être dépassée par les événements, continue de réagir au jour le jour, avec la même incurie, les mêmes pénuries de moyens hospitaliers et logistiques. Au cœur même des plus grandes puissances industrielles, la campagne de vaccination est lourdement entravée par des déficiences de la logistique dans les pays membres de l’UE, comme en Allemagne où l’acheminement et la diffusion du vaccin ont été perturbés dans plusieurs villes à la suite de doutes sur le respect de la chaîne de froid lors du transport d’un millier de doses. Aux États. Unis, malgré une mobilisation logistique impressionnante sous le contrôle de l’armée, “il y eu des ratées”, selon l’aveu du célèbre Docteur Fauci. Seules un peu plus de 4,2 millions de personnes ont reçu la première dose d’un des deux vaccins autorisés dans le pays (Pfizer et Moderna), bien loin de la promesse du gouvernement de vacciner 20 millions de personnes, alors que la pandémie franchit des records journaliers de contaminations et de décès dans des hôpitaux saturés (près de 21,5 millions de cas et plus de 360 000 morts au 4 janvier), au point que le responsable du programme a évoqué afin d’accélérer le rythme de la campagne, la possibilité d’administrer la vaccin par… demi-doses ! La décision britannique de repousser de plusieurs semaines l’administration de la deuxième dose de vaccin, afin que le maximum de personnes reçoivent une première dose est, d’un point de vue immunologique, tout aussi irrationnelle… Les procédures vaccinales sont excessivement lentes et totalement inadaptées à l’urgence et aux besoins les plus criants. En France par exemple, de manière caricaturale, la dernière semaine de décembre a fait l’objet d’une pathétique opération médiatique avec la vaccination devant les caméras de quelques mamies vedettes pendant que des dizaines de milliers d’autres attendront sans doute la fin du mois de janvier pour recevoir leur première injection, avec, en prime, des excuses invraisemblables du type “cela prend beaucoup de temps pour vacciner les vieux”. Mais il n’est même pas caché dans ce pays que, si ce sont les résidents d’EHPAD qui ont été priorisés par rapport aux professionnels de santé, c’est parce qu’il n’y avait pas de doses disponibles suffisantes pour ces derniers !

Derrière ces nouveaux “scandales sanitaires” qui ne font que révéler une fois encore l’incapacité du capitalisme à réagir autrement que pour la défense de ses intérêts à court terme, dans l’impréparation et l’improvisation totale, on observe des situations, comme en France, où la logistique finit par reposer sur le bonne volonté de pharmaciens et de médecins libéraux confrontés à la limitation des coûts au strict minimum : la pénurie de super-congélateurs dans les pharmacies hospitalières a contraint l’État à centraliser le stockage des vaccins dans des pharmacies de ville qui doivent s’organiser pour ensuite répartir les flacons dans les hôpitaux. Dans ces conditions, nous ne sommes pas au bout de cette crise sanitaire.

Mais l’aspect le plus frauduleux de la situation, c’est que la vaccination ne nous est pas seulement présentée comme la panacée de la crise sanitaire ; l’ensemble de la bourgeoisie nous la présente aussi comme l’unique moyen de sortir de la crise économique et de la détérioration accélérée des conditions de vie qui s’aggrave partout en cherchant à masquer l’impasse et les contradictions insurmontables de son mode de production. Car ce qui frappe actuellement l’humanité n’est pas le fruit d’un malheureux hasard. Il est le produit d’un système en bout de course, qui se décompose en entraînant tout dans sa chute. Par conséquent, l’incurie de la bourgeoisie n’est pas causée par l’incompétence de quelques dirigeants, mais par l’incapacité croissante de la classe dominante à contenir les effets du pourrissement de son système. Tant que cette logique sera à l’œuvre, l’humanité ne pourra échapper aux fléaux qui en découlent.

GD, 6 janvier 2021

 

1) Procédé obligeant les inventeurs d’un médicament, d’un traitement ou d’un vaccin à permettre la fabrication de génériques, permettant un accès plus rapide, répandu et à moindre coût.

2) Voir par exemple “SIDA : la guerre des laboratoires”, Le Monde (7 février 1987).

3) Voir “RDC : la guerre des vaccins trouble la lutte contre Ebola”, Le Soir (2 août 2019).

4) “Covid-19 : Pourquoi le vaccin d’Oxford-AstraZeneca, autorisé par le Royaume-Uni, pourrait changer la donne ?” The Conversation (4 janvier 2021).

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Compte-rendu de la permanence de Révolution Internationale de novembre 2020

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En cette fin d’année 2020, la crise sanitaire se poursuit inexorablement. Comme nous l’avons déjà affirmé, notre organisation se doit de poursuivre son intervention en direction du prolétariat et de ses minorités les plus politisées. En effet, il faut lutter contre l’isolement et l’atomisation que nous impose la bourgeoisie avec les mesures de confinement et de couvre-feu. Nous avons donc tenu le 21 novembre 2020 une nouvelle permanence en ligne, après celle qui s’était déroulée le 17 octobre 2020. Il faut se rappeler qu’il y avait quatorze personnes présentes à celle-ci, qui avaient manifesté en fin de permanence, une très forte volonté de poursuivre la discussion. Le 21 novembre, ce n’est pas moins de 22 personnes qui étaient présentes et ont participé au débat. La volonté de discuter avec le CCI, de clarifier et de comprendre l’évolution de la situation mondiale et historique trouve ainsi confirmation dans le nombre croissant de participants. La dynamique de la discussion allait fortement concrétiser cette première constatation.

Les questions, les interrogations et analyses et points de vue des participants ne sont pas, sur le fond, très différentes de celles soulevées dans la permanence du 17 octobre. Cependant, les interventions ont montré que celles-ci étaient abordées de manière plus profonde, plus argumentées que lors de la précédente permanence.

Un début de discussion très dynamique

La discussion a commencé par deux interventions sur le Ségur de la santé et le confinement, un camarade avançant l’idée qu’un tiers des Français seulement le soutienne. Le même camarade a également émis l’idée que la classe ouvrière n’aurait peut-être pas intérêt à soutenir le confinement car il ne diminue pas la misère : “Le confinement rend pauvre. Il permet le renforcement de l’État policier. Et enfin il n’y aurait pas de possibilité de voir la corrélation entre le nombre de décès et le confinement”. Des participants ont alors répondu que l’ensemble des bourgeoisies nationales ont été obligées d’avoir recours au reconfinement, qui correspond à des mesures face à l’épidémie, dignes du Moyen Âge. L’incurie, l’irresponsabilité croissante, une incapacité à gérer (plutôt mal d’ailleurs) la situation immédiate de la part des États furent autant d’éléments que plusieurs participants ont alors commencé à mettre en avant.

Le CCI est ensuite intervenu pour affirmer que la situation mondiale a connu une accélération de la décomposition sociale et de la crise économique d’une très grande gravité et portée historique. Nous avons réaffirmé que la pandémie et le confinement sont des conséquences de la décomposition qui s’est approfondie brutalement et violemment. C’est toute la société qui est ainsi considérablement affectée sur le plan de la crise économique, de la vie de la bourgeoisie et de la dynamique de la lutte de classe.

Par conséquent, une première partie de la discussion s’est centrée sur ce qu’est la phase de décomposition du capitalisme. Beaucoup d’intervenants ont soutenu l’analyse de fond du CCI pour caractériser la période historique ouverte depuis plus de trente ans. Certains camarades voulaient savoir pourquoi les sociétés de classes dans l’histoire avaient connu également des éléments de décomposition, et non pas une phase de décomposition comme dans le capitalisme. Ces questions fondamentales de la décadence et de la décomposition du capitalisme sont extrêmement importantes pour l’avenir de l’humanité et la lutte historique du prolétariat. Comprendre pourquoi cette phase de décomposition s’est ainsi imposée au cœur de la société capitaliste en décadence a donc fait partie intégrante de la discussion. Ces effets délétères et destructeurs sur la société ont été abordés à partir du développement de la pandémie et des réponses apportées par la bourgeoisie pour faire face à la crise sanitaire mondiale et à la crise économique majeure qui s’ouvre devant nous. Plusieurs interventions ont montré l’irrationalité grandissante qui frappe la classe bourgeoise, notamment sur le plan sanitaire. Mais aussi la montée en puissance du “chacun pour soi” dans la guerre économique et commerciale qui se profile.

Les questions centrales posées au cours de cette permanence

Cette question de la montée spectaculaire du “chacun pour soi” a alors entraîné des questionnements et des interventions centrées de manière sérieuse sur les thèmes suivants :

  • Le capitalisme peut-il dépasser le cadre national ?
  • Que signifie la remise en cause du multilatéralisme ?
  • Quel rôle joue le populisme dans la tendance au repli sur soi visible notamment sur le plan économique  ?
  • La perte croissante de contrôle par les États capitalistes signifie-t-il un affaiblissement du capitalisme d’État ?
  • À quoi renvoie le renforcement de la répression des États capitalistes ?
  • Quel niveau de crise économique va-t-on connaître ? Comment va-t-elle affecter la vie et la lutte du prolétariat ?

Ces interrogations et interventions des participants sur ces sujets dans le cadre de la phase de décomposition du capitalisme étaient totalement en prise avec les efforts des révolutionnaires pour comprendre l’évolution de la situation historique. Nous avons soutenu clairement ces types de préoccupations politiques. En effet, toutes les interventions étaient préoccupées par la gravité de l’évolution de la situation mondiale. Et en premier lieu sur les conséquences de cette aggravation sur la lutte de classe. Face aux conséquences de l’aggravation des effets délétères de la décomposition, de la précarisation et du chômage de masse qui se profilent à l’horizon, comment le prolétariat va-t-il pouvoir réagir ? Le CCI n’a pas eu le temps de répondre à toutes ces questions au cours de la permanence. Cependant, nous avons commencé à favoriser et développer dans nos interventions, une réflexion en profondeur sur ces sujets, dans la continuité de la permanence du 20 octobre dernier. Sur le capitalisme d’État, nous avons mis en avant que celui-ci ne s’est pas développé dans la période ascendante du capitalisme, mais uniquement dans sa période de décadence. Cette tendance au développement du capitalisme d’État s’est imposée à toute la classe bourgeoise partout dans le monde. Comprendre pourquoi et sous quelles formes cette tendance ne pouvait que se renforcer tout au long de la décadence du capitalisme est une question très importante pour l’avenir de la lutte de classe, de ses minorités et ses organisations révolutionnaires. L’État capitaliste est le moyen par excellence permettant de préserver la domination de la classe bourgeoise sur l’ensemble des couches sociales de la société et en premier lieu sur la classe ouvrière. L’entrée du capitalisme dans sa période de décadence devient une entrave au développement possible, nécessaire et harmonieux de la civilisation humaine. L’État doit alors inéluctablement prendre en main toute la vie de la société de manière de plus en plus totalitaire. Il en va de la survie du capitalisme lui-même. Par exemple, comme l’ont montré les crises du capitalisme au XXe siècle, c’est l’État qui a mis en œuvre les moyens pour que le capitalisme ne se paralyse pas. De même, l’État capitaliste est en dernière instance le rempart permanent mais aussi ultime contre toute tentative de remise en cause révolutionnaire de la société capitaliste. En ce sens, l’exemple dans la situation historique actuelle du renforcement des moyens de coercition et de répression par les États a été mis en avant. Un camarade est intervenu pour montrer notamment que, face à l’épidémie et à la crise économique, “on laisse le pouvoir à l’État sur nos vies… il faut essayer de réveiller les gens… la dangerosité du virus est très faible… On nous cache quelque chose”. Ce qui faisait écho à une autre intervention qui mettait en avant que le pouvoir est aux mains des grands laboratoires pharmaceutiques. Il est vrai que la classe bourgeoise est une classe de menteurs. Marx avait souligné qu’une partie de l’idéologie dominante véhiculée par la classe bourgeoise et ses États n’a comme objectifs que le maintien de sa domination de classe. La bourgeoisie est sans aucun doute la classe la plus machiavélique de toutes les classes dominantes de l’histoire. Mais, selon nous, ces interventions nécessitent un approfondissement des questions suivantes : qu’est-ce que le capitalisme ? Qu’est-ce que l’État bourgeois ? Qu’est-ce que le capitalisme d’État ? Il est normal que les jeunes éléments en recherche des positions prolétariennes aient besoin de s’approprier ces questions fondamentales inscrites dans le patrimoine du mouvement ouvrier. Le CCI est intervenu pour expliquer que les institutions dont s’est doté progressivement le capitalisme après la fin de la Deuxième Guerre mondiale et pendant la période appelée de “mondialisation” a permis à la bourgeoisie de différer le développement des contradictions internes à l’économie capitaliste. Mais la bourgeoisie n’a pas pu supprimer une barrière infranchissable pour le capitalisme : la barrière de l’État-nation. Les coopérations internationales et autres institutions dont s’est doté le capitalisme après la Seconde Guerre mondiale pour limiter autant que possible la concurrence acharnée et la guerre économique permanente ont certes jusqu’à aujourd’hui pu freiner leurs effets les plus destructeurs. Mais les effets de la brutale accélération de la décomposition et de la crise économique mondiale viennent maintenant remettre en cause cette capacité avec tous les effets que cela va avoir sur les conditions de vie de la classe ouvrière.

Un autre participant a affirmé que : “les ouvriers pouvaient refuser le confinement”. Un autre lui a répondu que “la classe ouvrière n’avait pas le choix. S’ils avaient le choix, ils n’iraient pas dans les bus, les métros, sources de virus… C’est l’État qui a intérêt à ce que les prolétaires aillent travailler, même dans ces conditions. Les prolétaires eux sont tout simplement obligés d’y aller pour vivre”. La classe ouvrière vit dans des conditions qui lui sont imposées par la classe exploiteuse et ses États. C’est uniquement sur son terrain de classe, par des luttes défendant ses propres intérêts et s’orientant vers la perspective de la révolution communiste que le prolétariat peut s’opposer à la bourgeoisie.

Comment la classe ouvrière se défend-elle en tant que classe exploitée ? Comment peut-elle s’affirmer concrètement comme classe révolutionnaire dont dépend le futur de l’humanité ? Il sera nécessaire dans nos prochaines réunions publiques de revenir sur les grandes luttes historiques du mouvement ouvrier tel que la Commune de Paris en 1871, la révolution en Russie en 1917 ou, plus près de nous, la plus grande grève ouvrière en France en Mai 1968.

De manière plus immédiate, plusieurs interventions ont posé la question : où en est la lutte de classe ? Une participante a mis en avant que, malgré l’aggravation de la pandémie, “la classe ouvrière n’a pas été bernée”. Pour une autre participante, “la CGT a joué son rôle de détournement des intérêts de la classe ouvrière par rapport au Ségur de la santé”. Enfin, une autre intervention a souligné que “le 18 novembre dernier, il y avait une grève à l’Éducation nationale. Dans le secteur hospitalier aussi des grèves ont eu lieu”. Pour cette camarade, des mouvements ont surgi mais ils ne peuvent pas se développer actuellement. Sur la dynamique actuelle de la lutte de classe, malgré les préoccupations présentes dans la discussion, cet aspect très important n’a pas pu être suffisamment développé, faute de temps. Il apparaît nécessaire de revenir sur ces questions dans nos discussions ultérieures. Nous pouvons d’ores et déjà appeler tous ceux qui le souhaitent à lire nos nombreux articles dans notre presse internet et papier. Il est évident que nous ne devons pas sous-estimer l’impact profond de l’accélération de la décomposition sur la classe ouvrière. De même, il est essentiel de pouvoir analyser et comprendre la dynamique générale de la lutte de classe dans la période historique actuelle. Autant de préoccupations et de confrontations de points de vue que nous nous proposons de discuter dans nos prochaines permanences.

Cette nouvelle permanence a développé une discussion très riche avec une dynamique collective de débat, malgré le fait qu’elle s’est déroulée en ligne. Il faut souligner la volonté et la capacité des participants à s’écouter et se répondre mutuellement, avec sérieux et responsabilité. Dans notre tour de table, à la fin de la permanence, les participants ont affirmé avoir été très satisfaits de la discussion. Tous ont exprimé leur volonté de la poursuivre.

Un certain nombre de camarades ont souhaité explicitement que le débat se développe sur les thèmes suivants :

  • Comment peut-on distinguer la période de décadence du capitalisme de sa phase ultime qui est celle de la décomposition ?
  • Pourquoi les nations utilisent-elles le capitalisme d’État ?
  • Le capitalisme peut-il dépasser le cadre national ?
  • Comment comprendre la tendance au renforcement du totalitarisme étatique et le processus de perte de contrôle de la classe bourgeoise ?
  • Quelle gravité peut atteindre la crise économique mondiale aujourd’hui et ses répercussions sur la vie de la classe ouvrière ?
  • Dans quelle mesure l’accélération brutale de la décomposition du capitalisme affecte-t-elle la classe ouvrière ?

Le CCI salue à nouveau les préoccupations des participants pendant la permanence. Nous avons commencé à développer les analyses du CCI sur les questions centrales abordées. Mais comme l’ont demandé les participants, le CCI fera en sorte de poursuivre la discussion sur ces thèmes lors de nos prochaines permanences.

Nous encourageons également tous nos lecteurs à nous envoyer des courriers exprimant leurs questionnements, analyses, interrogations sur tous les sujets qui les préoccupent. Nous publierons ces courriers de lecteurs accompagnés si besoin de notre réponse, afin que le débat puisse aussi se poursuivre par voie de presse.

Le CCI remercie chaleureusement tous les participants qui ont animé cette permanence et informera publiquement de la date de la prochaine.

Albin, 28 décembre 2020

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Discussion dans le camp prolétarien

Décès de Diego Maradona: Icône d’un monde capitaliste sans avenir

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Le 25 novembre dernier, la nouvelle du décès de Maradona faisait le tour du monde et plongeait l’Argentine dans un “deuil” surmédiatisé. Le parcours de ce “gamin en or”, sorti des bidonvilles de la banlieue de Buenos Aires, a fait rêver plus d’une génération de fils d’ouvriers, particulièrement dans les quartiers déshérités. Issu d’une famille très pauvre, Diego Maradona s’est rapidement forgé un nom, par son habileté légendaire ballon aux pieds, comme par sa pugnacité, son franc-parler et ses revendications de “liberté” et de vie sans entraves. Mais la vie de ce personnage haut en couleurs a très vite sombré dans une spirale destructrice, happée par un milieu à l’image de la société actuelle : sport-spectacle, business, mafia, drogue et scandales.

Né en pleine guerre froide entre l’URSS et les États-Unis, il nourrit toute sa vie un fort sentiment anti-américain et une sympathie marquée envers les régimes staliniens d’Amérique centrale et du Sud. (1) En 2005, après une rencontre avec le président vénézuélien, il déclarait : “Moi, j’aime les femmes, mais je suis sorti complètement amoureux [du déjeuner] parce que j’ai connu Fidel Castro, Mouammar Kadhafi et, maintenant, je connais un géant comme Chavez”. Le joueur “en or” était donc devenu l’ambassadeur “en or” des dirigeants staliniens qui ne manquèrent pas de l’utiliser et de s’afficher à ses côtés pour soigner leur popularité. Au début des années 2000, il s’installa à Cuba (entre autres pour y suivre, sans succès, une cure de désintoxication) et resta proche de Fidel Castro. En Argentine, les Videla, Kirchner et consorts profitèrent également du soutien du célèbre footballeur.

Ce faisant, ils exploitaient aussi un autre poids lourd idéologique que le sport alimente largement : le patriotisme et le nationalisme. Si Maradona disait avoir deux rêves d’enfant : “participer à la Coupe du monde, et la gagner avec l’Argentine”, il était loin d’avoir conscience que ses exploits sportifs allaient largement alimenter la ferveur nationaliste, allant même jusqu’à servir les intérêts impérialistes de l’Argentine comme lors de la Coupe du monde de 1986 au Mexique et du quart de finale face à l’Angleterre, quatre ans à peine après la guerre entre ces deux États pour la souveraineté des îles Malouines, de la Géorgie du Sud et des îles Sandwich du Sud. L’échec militaire de l’Argentine dans ce conflit emplissait d’une atmosphère de revanche le stade Azteca de Mexico : “Tout un peuple attend une victoire argentine sur “l’impérialisme” britannique et mise évidemment sur Maradona pour y parvenir”. (2) C’est durant ce match et à l’abri du regard de l’arbitre que Maradona marquera son célèbre but de la main : “la main de Dieu”, commentera-t-il par la suite. Ce geste réflexe, largement médiatisé jusqu’à aujourd’hui, fut à la fois l’expression d’une volonté de gloire superstitieuse et d’un nationalisme revanchard.

Ce n’était pas la première fois que le sport servait de vecteur à ce type d’idéologie nauséabonde pour alimenter des conflits et de vives tensions entre États : “En 1969, le match de football opposant le Honduras au Salvador pour la qualification en Coupe du monde l’année suivante fut un prélude à la guerre qui ne tarda pas à éclater entre ces deux pays. On peut également rappeler le match qui opposa le Dynamo de Zagreb au Red Star de Belgrade en 1990 débouchant sur une bataille rangée qui fit des centaines de blessés et plusieurs morts, contribuant à envenimer les tensions nationalistes déjà existantes qui allaient déboucher sur la guerre en ex-Yougoslavie. Parmi les supporters serbes les plus radicaux, on remarquait le chef de guerre Arkan, spécialiste de “l’épuration ethnique”, nationaliste recherché plus tard par l’ONU pour “crime contre l’humanité” !” (3) On pourrait multiplier les histoires de ce type pour lesquelles le sport est un terreau fertile.

Un tel embrigadement idéologique ne pourrait fonctionner sans le battage médiatique assourdissant qui accompagne chaque rencontre “importante” de “l’équipe nationale”. Qu’il s’agisse de football, de rugby ou de bien d’autres sports populaires, chaque évènement prend des allures de cérémonie religieuse, avec ses protocoles, ses hymnes et ses fidèles fanatisés. Dans un monde à bout de souffle, étouffé par ses propres contradictions et en pleine décomposition, cela permet à des millions d’ouvriers exploités de trouver un exutoire dans des aventures à vivre par procuration. Face aux difficultés du quotidien, au manque de perspective et à l’atomisation des individus, les événements sportifs créent une fausse impression d’unité, ou, pourrait-on dire, de “communion” derrière “son” équipe et “son” drapeau. Cette solennité quasi-religieuse et nationaliste est un véritable poison pour la classe ouvrière !

Tout au long de sa carrière sportive et jusqu’à la fin de sa vie, Maradona n’incarna pas seulement la “grandeur nationale” de l’Argentine, il fut également l’objet d’un fanatisme porté à son paroxysme. Un véritable “dieu” vivant dont le culte sans limite s’exprimait à travers des images, des chapelles mais également lors des cérémonies de mariage. Cette idolâtrie s’étant encore exprimée lors de ses funérailles, est la marque on ne peut plus éclatante d’une société sans perspective et sans avenir cherchant espoir et réconfort dans les exploits d’un footballeur talentueux et charismatique.

Si le mythe forgé autour de la figure de Maradona est le symptôme d’un monde en manque de futur, sa vie extra-sportive, marquée par les excès du star-système le menant petit à petit à une véritable déchéance personnelle, l’est tout autant : “Si j’avais été narcotrafiquant, je serais mort de faim”, déclarait Maradona avec ironie, reconnaissant par là son addiction à la cocaïne.

Le monde du sport hyper médiatisé est un véritable repaire de mafieux où la corruption est la règle. (4) Au début des années 1990, alors qu’il joue pour le club italien de Naples, il est impliqué dans une affaire de trafic de drogue entre la France et l’Italie du Sud. “Des écoutes téléphoniques révèlent qu’il réclamait “de la marchandise et des femmes” à des truands locaux. Ses relations avec Luigi Giuliano, le parrain d’un clan camorriste réputé violent, s’étalent dans les journaux”. (5) De là découle son addiction à la drogue puis à l’alcool face à laquelle il essaiera de lutter jusqu’à la fin de sa vie.

Marius, 23 décembre 2020

 

1) Il arborait notamment à son épaule un imposant tatouage à l’effigie de Che Guevara, une des figures emblématique et sanguinaire du stalinisme.

2) “Diego Maradona, “dieu” du football, est mort”, Le Monde (25 novembre 2020).

3) “Le sport, un concentré de nationalisme”, Révolution internationale n° 413 (juin 2010).

4) Dernier exemple en date : l’enquête autour du vote de Platini pour l’attribution du Mondial de 2022 au Qatar, au profit de l’embauche de son fils…

5) “Diego Maradona, “dieu” du football, est mort”, Le Monde (25 novembre 2020).

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Funérailles de Maradona

Il y a 100 ans, le Congrès de Tours: Un anniversaire dévoyé!

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Il y a un siècle, se déroulait le Congrès de Tours (25 au 30 décembre 1920). La bourgeoisie ne saurait oublier l’anniversaire de cet événement qui vit la formation de la Section française de l’Internationale communiste (SFIC) qui deviendra par la suite le Parti communiste français (PCF) et qui, avec la dégénérescence de la vague révolutionnaire des années 1920, passera dans le camp de la bourgeoisie et deviendra l’un des principaux agents de la contre-révolution. (1) Il n’est donc pas surprenant que la bourgeoisie se soit mobilisée pour couvrir ce centenaire afin de travestir complètement les leçons historiques de ce congrès et ses conséquences. Toute la presse et les médias télévisés se sont fait l’écho des cent ans du congrès de Tours en menant l’offensive sur deux aspects. D’une part, comme le plumitif populiste Éric Zemmour se plaît à le souligner dans Le Figaro,  que “en un siècle, le socialisme n’a pas changé”, (2) en référence aux “mises en garde” de Léon Blum qui avait annoncé au Congrès de Tours la “dictature” que le PCF allait exercer sur la classe ouvrière à partir des années 1930. Dans le même sens, Stéphane Courtois (3) qualifie le PCF de “grand parti populiste à orientation totalitaire”, (4) confondant allègrement la SFIC avec, en son sein, la possibilité de débats de fond entre militants, et un PC stalinisé où toute divergence, réelle ou supposée, était un arrêt de mort. Le Congrès de Tours aurait donc préfiguré la mainmise stalinienne sur la classe ouvrière en France comme l’insinue, par exemple, Libération en soulignant que la formation de la SFIC traduisait “la soumission totale aux ordres de la Troisième Internationale, c’est-à-dire de Moscou”. (5) Sous entendant par là que, dès sa naissance, la SFIC aurait été la courroie de transmission d’un pouvoir totalitaire mis en place par Lénine et les bolcheviks.

D’autre part, comme se plaît à l’écrire Libération, “voilà un siècle que le congrès de Tours imprime sa marque sur la gauche française. Un siècle que le clivage entre révolutionnaires et réformistes, puisque c’est in fine de cela qu’il s’agit, impose à la gauche sa cadence : désunion, conquêtes communes du pouvoir, divisions, compromis, intransigeance tribunicienne, progrès, oppositions stériles, conquêtes sociales”. (6) Autrement dit, le Congrès de Tours appartiendrait à l’héritage et l’histoire des organisations de la gauche du capital qui, comme nous n’avons de cesse de le dénoncer, ont toujours agi contre les intérêts de la classe ouvrière.

Il n’est donc pas difficile de constater que la bourgeoisie, à travers ses médias et son intelligentsia, cherche une nouvelle fois à travestir l’histoire de la classe ouvrière en dévoyant la signification et la portée d’un épisode singulier, celui du congrès de Tours qui, contrairement à ce qu’assènent journaux, émissions radiophoniques ou télévisuelles, appartient bel et bien à l’histoire et à l’héritage du mouvement révolutionnaire et n’a rien à voir avec les querelles intestines de deux grandes forces de la gauche du capital.

La SFIO et la trahison de 1914

Le Congrès de Tours est en fait le 18e de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO), née en 1905 sous les auspices de la Seconde Internationale inquiète de constater l’incapacité des différents socialistes à s’organiser pour créer un parti unifié. (7) Ce parti est donc né de l’improbable union du Parti ouvrier français de Guesde et Lafargue (qui se reconnaît marxiste), du Parti socialiste révolutionnaire d’Édouard Vaillant, héritier du blanquisme, des Possibilistes de Brousse qui sont clairement réformistes, tout comme le groupe de Jean Allemane, et des Socialistes indépendants, au nombre desquels Jaurès, appartenant à l’aile des républicains démocrates. Ce premier parti socialiste unifié est donc le fruit d’une tentative d’union hétéroclite qui politiquement va des démocrates de gauche à une aile marxiste fragile, mais déterminée et fidèle au prolétariat.

Cet assemblage connaît une crise aiguë pendant la Première Guerre mondiale. Le poids du réformisme dans la direction de la SFIO, tout comme l’absence d’une véritable aile gauche marxiste en son sein, se font durement sentir après la déclaration de guerre : la quasi-totalité de la SFIO participe à l’ “union sacrée”, et c’est dans la centrale syndicale CGT qu’apparurent les premières oppositions à la guerre, soutenues par Trotsky qui était alors en France (et s’en fera expulser en 1916).

La trahison de l’internationalisme prolétarien par l’aile droite de la SFIO est consommée par l’intronisation du second gouvernement de guerre mené par René Viviani, d’août 1914 à octobre 1915 ; ce gouvernement, outre Viviani qui a fondé L’Humanité avec Jaurès, et Alexandre Millerand, ex-membre de la SFIO, comprend deux ministres SFIO (Jules Guesde et Marcel Sembat) et un secrétaire d’État (Albert Thomas). Cette trahison politique de la direction de la SFIO s’est doublée d’une répression des opposants à la guerre, envoyés au front, empêchés de participer aux conférences pour la paix, isolés de la révolution russe, calomniés, insultés par la presse pro-gouvernementale, censurés… Dans ces circonstances, il apparait évident à la fin de la guerre que la cohabitation dans le même parti entre ceux qui ont trahi l’internationalisme et soutenu la politique impérialiste de l’État capitaliste français, et ceux qui s’y sont opposés et ont été réprimés par les premiers, n’est plus possible.

Après la sidération de voir non seulement la SFIO, mais aussi la Social-Démocratie allemande et toute la Seconde Internationale passer avec armes et bagages dans la défense nationale, des militants se remettent à s’organiser, à lutter clandestinement, à rétablir des liens internationaux. Les fédérations où se trouvent les opposants reprennent contact, établissent des liens avec les fédérations syndicales opposées à la guerre, comme celle des Métaux ou de la Tonnellerie. Trotsky fait le lien entre les premiers opposants français à la guerre et les internationalistes présents en Suisse, pays neutre, ce qui aboutira à la présence de deux syndicalistes français (Merrheim et Bourderon) à la conférence internationaliste de Zimmerwald.

Mais si l’opposition à la guerre monte alors peu à peu au sein du Parti, contre une majorité dont les chefs comme Marcel Cachin se compromirent gravement avec le gouvernement français dans le soutien à l’ “union sacrée” (Cachin ayant négocié pour le compte du gouvernement français l’entrée en guerre de l’Italie contre l’Allemagne), elle est lente à s’organiser et à se définir politiquement. Ce n’est qu’en 1920 que la rupture apparaît inévitable ; le Congrès de Strasbourg (février 1920) n’avait pas réussi à établir une démarcation nette, un engagement décidé, en ne votant qu’un retrait de la Seconde Internationale. Rien que pour l’année 1919, la CGT a doublé ses effectifs, montrant le retard qui existe entre le développement d’une volonté de lutte dans le prolétariat, et un parti socialiste gangrené par l’opportunisme peinant à faire émerger une direction politique révolutionnaire. La décision du congrès de Strasbourg d’envoyer Marcel Cachin et de Ludovic-Oscar Frossard, deux des principaux dirigeants de l’aile réformiste de la SFIO, en délégation à Moscou montre également à la fois retard, faiblesses et confusions extrêmes. Même s’ils reviennent enthousiastes vis-à-vis de la révolution russe, le fait qu’ils obtiennent par la suite de grandes responsabilités au sein du nouveau parti révolutionnaire français n’est pas de bon augure pour l’évolution de ce dernier…

L’évolution du rapport de force au sein de la SFIO

Le Congrès nécessitant clarification, significativement, se tient à Tours du fait que cette ville, où les cheminots sont nombreux, est le siège d’une section de la SFIO particulièrement radicale qui s’est prononcée sans ambages pour l’adhésion à la Troisième Internationale et le soutien à la révolution russe, et aussi parce que l’aile droite réformiste, hostile à l’IC et qui dirige toujours le Parti, ne veut pas d’un Congrès situé à Paris, dont la puissante fédération lui est très hostile. Suite à la grande grève des cheminots de mai 1920, qui a pour la première fois paralysé le réseau ferroviaire français, ce soutien local à Tours se comprend comme une volonté nationale de changer la “vieille maison” socialiste pour un édifice nouveau.

La scission est devenue inévitable dans un parti où cohabitent encore une aile droite menée par Pierre Renaudel, Jules Guesde et Léon Blum, qui ont activement soutenu l’engagement militaire français dans la Première Guerre mondiale, un “centre” composé d’une mosaïque de pacifistes dont la figure principale est Jean Longuet, le petit-fils de Marx, et une aile gauche révolutionnaire opposée à la guerre et soutien de la révolution russe. Or, outre les questions de la participation à la défense nationale et du soutien à la révolution russe, l’enjeu est la révolution en Allemagne, pourtant pratiquement déjà brisée, mais principal espoir des bolcheviks pour étendre une révolution qui s’étouffe déjà dans les frontières de la Russie. “Tout pour la révolution allemande” (8) est le cri lancé par les bolcheviks et Lénine, et dans ce cadre, la création d’un Parti communiste soutenant la révolution russe en France, voisine et vainqueur de l’Allemagne, est vitale. Le gouvernement français ne s’y trompe pas : outre une propagande anti-bolchevique qui ne craint pas de flirter avec l’antisémitisme, la bourgeoisie déclenche une répression physique qui se traduit par l’arrestation des animateurs du Comité pour la Troisième Internationale, Fernand Loriot, Boris Souvarine et Pierre Monatte, et d’une vingtaine de militants, sous l’inculpation fantaisiste (et jamais évoquée par le juge lors des interrogatoires) de “complot contre la sûreté de l’État”.

Le prestige de la révolution russe, son retentissement mondial, la politique internationaliste des bolcheviks ont des conséquences en France où une nouvelle génération de militants, écœurés par la guerre, se rapproche des positions communistes. Au sein de la SFIO, la direction réformiste sent le sol se dérober sous ses pieds ; Renaudel perd la direction de L’Humanité au profit de Cachin en octobre 1918, enjeu décisif vu le prestige au sein de la classe ouvrière du quotidien fondé par Jaurès ; les principales fédérations du Parti, celles de la Seine (un quart des délégués au Congrès), du Nord et du Pas-de-Calais sont favorables à l’adhésion, et pèsent de tout leur poids dans cette direction. Le 1er mars 1920 paraît le premier numéro du Bulletin communiste, dirigé par Souvarine et financé par les fonds de la Troisième Internationale ; le premier article de ce numéro est un “Salut à l’Internationale communiste” signé par Souvarine, Monatte et Loriot, et il comprend également deux articles de Zinoviev dont un en hommage à Jaurès, et un article d’Henriette Roland-Holst en hommage à Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht. Cette revue est de fait l’organe de presse de la Gauche internationaliste de la SFIO, favorable à l’adhésion à la Troisième Internationale.

Le Congrès de Tours et les 21 conditions

Devant une telle situation, le Congrès de Tours ne pouvait clairement que se terminer par une scission. Le but avoué de la Troisième Internationale est d’ailleurs de la provoquer afin de faire en sorte que le regroupement des forces révolutionnaires s’effectue sur des principes et des bases programmatiques clairs. C’est pour cela que le second Congrès de l’Internationale (juillet 1920) adopte les 21 conditions d’adhésion. Ces conditions déterminent les différentes positions dans la SFIO autour de trois lignes fondamentales :

– du fait de sa politique de soutien à l’État français, qui aligne à l’époque des troupes en soutien des “Blancs” en Russie, notamment en réorganisant la jeune armée polonaise, et de son opposition claire aux 21 conditions, la “Droite” refuse toute adhésion à la Troisième Internationale ;

– le “Centre” pacifiste accepterait une adhésion, mais pas aux 21 conditions, refusant notamment l’application obligatoire des décisions de l’Internationale et la prise de pouvoir par une révolution armée ;

– la Gauche zimmerwaldienne est d’accord pour adhérer à la Troisième Internationale, mais les 21 conditions n’étant publiées qu’en octobre, la base de l’adhésion est pour elle seulement les 9 conditions publiées et présentées par Cachin et Frossard au retour de leur voyage à Moscou en août. Plusieurs conditions, comme l’application obligatoire des décisions de l’Internationale par le futur parti (plaçant l’intérêt supérieur du prolétariat international au premier plan), ou la création d’une structure illégale et clandestine, posent problème à nombre de militants marqués par l’opportunisme, y compris de la Gauche. De fait, arrivées trop tard, les 21 conditions ne furent pas la base de l’adhésion de la nouvelle SFIC à l’Internationale communiste.

L’intervention de la Troisième Internationale au cours du congrès, par un message de Zinoviev d’abord, puis par l’intervention dans le Congrès de Clara Zetkin, entrée illégalement en France, cristallise encore plus si besoin était les positions des uns et des autres : l’Internationale refuse de compter Jean Longuet, dans le nouveau parti, du fait de ses positions opportunistes et de son pacifisme. Le “Centre” est donc rejeté dans le même camp que la “Droite”, le vote qui suit réunit 3 208 voix pour l’adhésion à la Troisième Internationale, et 1 022 contre. La rupture est consommée. Une motion tardive demandant de refuser les exclusions demandées par Zinoviev et proposée par Paul Mistral est repoussée par 30 voix contre 3 247. Les minoritaires autour de Léon Blum et de Paul Faure quittent la salle.

Un nouveau parti né d’une construction opportuniste

Contrairement au souhait de l’Internationale, la majorité vota pour l’adhésion sans se prononcer réellement sur les 21 conditions. L’Internationale accepta ce vote car une première étape avait été franchie : la fondation d’une section de l’Internationale communiste en France. Mais la clarté politique mise en avant par les 21 conditions fut sacrifiée au résultat. Le fait que l’Internationale accepte la fondation du PCF sur des bases aussi floues politiquement montre la montée de l’opportunisme dans l’Internationale ; 1920 est l’année de l’endiguement de la révolution russe ; la “Terreur blanche” fait rage en Russie ; en Allemagne, le putsch de Kapp est suivi d’une insurrection ouvrière isolée qui se transforme en carnage dans la Ruhr, lorsque la Reischswehr aux ordres des Sociaux-Démocrates la réprime durement. En France même, l’échec total de la grande grève des cheminots en mai 1920 aboutit à la révocation de 18 000 cheminots, et Clémenceau a l’habileté de désarmer partiellement la contestation ouvrière (notamment au sein des syndicats) en accordant la journée de 8 heures, vieille revendication ouvrière en France. Face à ces échecs, l’Internationale s’efforce d’accélérer la construction partout dans le monde de nouvelles sections et de nouveaux partis, ce que l’on verra en sens inverse en Italie, quand le nouveau Parti communiste italien sera contraint d’accepter les centristes de l’ancien Parti socialiste en son sein.

Les 21 Conditions d’admission ne sont finalement pas utilisées pour décider de l’adhésion du futur PCF à la Troisième Internationale : une motion, celle de la fraction révolutionnaire, acceptant inconditionnellement les 21 conditions, ne recueille que 44 mandats, 1 % du total ! Même si la majorité du Parti accepte l’entrée dans la Troisième Internationale, c’est avec des réserves par rapport aux conditions ; par exemple, si le Parti français s’engage à respecter les décisions de l’Internationale conformément aux 21 conditions, il ajoute qu’il reste meilleur juge de la situation politique française. Cette position fédéraliste, héritage des faiblesses de la Seconde Internationale, était évidemment en contradiction avec la volonté de l’IC d’être un organe centralisé, avec des partis nationaux qui en seraient les sections nationales. Dès lors, la tentative des bolcheviks de créer avec l’Internationale une sorte de parti international constitué partout sur les mêmes bases politiques n’est plus vraiment possible : de programme vital permettant l’unité internationale des communistes, les 21 conditions deviennent une base de discussion, et peuvent être amendées et interprétées au gré des “situations locales”. Même si les 21 conditions contiennent, avec le recul historique, des éléments erronés, voire profondément opportunistes, comme le travail dans les syndicats, au Parlement ou le soutien aux mouvements d’émancipation nationales, elles n’en constituaient pas moins une base permettant la création d’une Internationale réellement capable de mener une politique unifiée et appliquée partout de la même façon. Ces 21 conditions n’incarnaient pas “l’autoritarisme” des bolcheviks, prémices de la dictature stalinienne comme les médias n’ont eu de cesse de le marteler à l’occasion de ce centenaire. Bien au contraire, elles étaient un réel progrès par rapport à la situation de la Seconde Internationale, où les partis adhérents considéraient les prises de position des Congrès internationaux comme adaptables à la “situation locale” - voire ne les appliquaient pas du tout ! (9) Le fédéralisme de la Seconde Internationale, déjà dénoncé avant la guerre par la Gauche en son sein, que l’on pensait expulsé de la maison, rentrait ainsi par la fenêtre…

L’autre conséquence du recul politique de l’Internationale est que ce sont les ex-socialistes de gouvernement, Frossard et Cachin (ayant soutenu l’effort de guerre de l’État français) qui sont nommés respectivement secrétaire général et président du nouveau parti, ceux que Trotsky appellera les “planches pourries”. Frossard par exemple, refuse de subordonner le travail syndical au contrôle du Parti et de construire une structure politique clandestine, comme le réclament les 21 conditions. Si Frossard partira vite du fait de son appartenance à la Franc-Maçonnerie, (10) et de son refus d’en démissionner, (11) Cachin accompagnera toute sa vie les vicissitudes et trahisons diverses du PCF.

L’intégration de la SFIC à l’IC a été une illustration d’opportunisme politique de la part de l’Internationale, (12) ce qui aura de nombreuses conséquences par la suite ; la très rapide exclusion des principaux militants de la Gauche (dès 1924, Monatte, Souvarine, Rosmer sont exclus, Loriot démissionne en 1926) du fait de la “bolchevisation” du Parti, la transformation très rapide dès le début des années 1930 de ce Parti communiste en outil de surveillance et de répression de la classe ouvrière et des révolutionnaires, en même temps qu’en parti de gouvernement, en sera finalement facilitée. Le PCF a été très rapidement un agent actif et particulièrement efficace de la contre-révolution stalinienne. Son histoire montre ce qu’une politique opportuniste peut représenter de pertes et de dangers pour le prolétariat et pour une organisation politique prolétarienne, ce que le PCF a réellement été à sa fondation. Et si la bourgeoisie nous rappelle aujourd’hui qu’il y a un siècle naissait le PCF, c’est surtout pour nous montrer la monstruosité qu’il est ensuite devenu. Mais malgré son rôle ultérieur d’agent zélé du stalinisme, le Parti né au Congrès de Tours a été et restera pour la classe ouvrière un effort, imparfait peut-être, mais réel, de construire l’outil de son émancipation et de la destruction du capitalisme.

HD, 30 décembre 2020

 

1) Voir notre brochure : “Comment le PCF est passé au service du capital”.

2) “En un siècle, le socialisme n’a pas changé”, Le Figaro (16 décembre 2020).

3) Le principal maître d’œuvre du grand mensonge assimilant le stalinisme au communisme dans Le livre noir du communisme en 1997.

4) “Le congrès de Tours en 1920 : naissance du PCF et de la contre-société communiste”, Le Figaro (21 décembre 2020).

5) “Congrès de Tours : il y a cent ans, la séparation des gauches”, Libération (25 décembre 2020)

6) “Le contexte actuel est favorable à une vraie renaissance de la gauche”, Libération (29 décembre 2020).

7) Il est à ce sujet d’autant plus cocasse d’entendre différents auteurs bourgeois dénoncer le fait que le PCF aurait été une création pure et simple des bolcheviks. Si l’impulsion de la Troisième Internationale a réellement été décisive dans la création du PCF, la SFIO doit quant à elle sa naissance à la Seconde Internationale, donc à la Social-Démocratie allemande qui en était le parti dominant et dictatorial, si on suit la logique des plumitifs de la bourgeoisie…

8) Cité par Victor Serge dans L’an I de la Révolution russe (1930).

9) C’est parce que Jaurès voulait appliquer les décisions des Congrès internationaux de 1908 et de 1912 demandant d’appeler à la grève générale en cas de menace de guerre qu’il a été assassiné, et dans les faits désavoué par le reste de la direction de la SFIO.

10) Parfois appelée la “22e condition”, l’incompatibilité de l’appartenance à la fois au PC et à la Franc-Maçonnerie est proclamée par l’IC en 1922. Le fait que plusieurs dirigeants de la jeune SFIC étaient alors toujours francs-maçons montre tout l’opportunisme d’une partie des dirigeants de la SFIO, la Franc-Maçonnerie ayant toujours été un vaste réseau de réflexion et de défense des intérêts nationaux de la classe exploiteuse.

11) Il finira sa vie politique en votant les pleins pouvoirs à Pétain et siégera au Conseil national de l’État français.

12) “100 ans après la fondation de l’Internationale Communiste, quelles leçons pour les combats du futur ? (3e partie)”, Revue internationale n° 166.

Evènements historiques: 

  • Congrès de Tours [12]

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Histoire du mouvement ouvrier

Samuel Paty, “simple prof” tué par la barbarie capitaliste

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Nous publions ci-dessous une contribution d’une de nos lectrices au sujet de l’article sur la mort de Samuel Paty paru dans Révolution internationale n° 485 : “Derrière tous les terroristes, c’est le capitalisme qui nous tue !” Nous saluons l’effort de réflexion de la camarade qui met en évidence l’ignominie de l’État démocratique dans l’instrumentalisation du meurtre de ce professeur et exhorte les enseignants à ne pas se fourvoyer dans la défense des valeurs républicaines et des idéaux de la Révolution française de 1789 qui n’appartiennent qu’à la classe qui les a engendrés : la bourgeoisie et son État.


Comme l’article du dernier RI le rappelle, ce crime s’inscrit dans une série de “faits divers” qui ont bouleversé la population. Et, bien évidemment, on ne peut qu’être horrifié, voire traumatisé par de tels actes de barbarie. Bien évidemment, ces actes criminels odieux ne sont rendus possibles que parce que le système capitaliste connaît une crise sans précédent et illustre l’avancée de la décomposition du monde. L’article décrit parfaitement en quoi les fanatismes religieux engendrent des monstres à la Coulibaly, Kouachi, etc. Ce dernier assassinat m’a fait m’interroger sur le point suivant : comment les enseignants vont-ils, après la mort de Samuel Paty, planifier et animer ces fameuses séances d’initiation à la citoyenneté et plus particulièrement sous l’aspect de la laïcité et de la liberté d’expression ? Lors de l’hommage national, l’État par l’allocution de Macron, en a fait des tonnes sur le courage des professeurs, “véritables héros de la République”, et a encouragé tous les enseignants à ne rien lâcher et à défendre l’école de la République… La question, c’est jusqu’où les enseignants sont-ils prêts à devenir des héros, voire des héros morts ? La mort tragique de Samuel nous montre le cynisme de l’État. Il n’y a qu’à écouter Blanquer, toujours droit dans ses bottes (petit rappel : le ministre de l’Éducation nationale est dans les arcanes du pouvoir depuis très longtemps et déjà depuis 2010 a officié à l’éducation au sein de différents cabinets de droite comme de gauche). Face à l’ampleur médiatique prise par “l’affaire Paty”, il ne doute de rien et déclare : “Il faut que la protection des enseignants soit accentuée et il est indispensable de signaler et de se faire aider dès qu’on se sent en difficulté.” On est rassuré : de tels propos en disent long sur le cynisme du pouvoir quand on connaît la chronologie de la tragédie où, quoiqu’il en dise, tout le collège était sous pression et en grande difficulté depuis les menaces proférées et réitérées contre Samuel. Le rapport de l’administration sur le déroulé de la tragédie estime “nécessaire de faire monter en puissance les cellules de veille des réseaux sociaux”. C’est à vomir !!!

Blanquer est un homme de pouvoir, entouré par une ribambelle de technocrates fidèles et peu enclins à la contradiction “la galaxie Blanquer” ainsi que l’a décrit Le Monde dans son numéro du 5 décembre. C’est un bel exemple, s’il en était besoin, de la démocratie.

Son dossier en cours sur l’EMI (Éducation aux médias et à l’information) devrait résoudre tous les problèmes, sauf que ni les enseignants ni les chefs d’établissements ne sont en mesure de mettre en pratique cet enseignement “salvateur de la république” ! Pour l’instant, à écouter les sirènes de la bourgeoisie, les profs seraient soit des héros comme dit précédemment (quitte à le payer de sa vie), soit des lâches qui capitulent devant le terrorisme et la barbarie. Il faut être clair : ce clivage est abject et les profs ne doivent pas être dupes et bien comprendre qu’ils sont sur un terrain pourri s’ils tombent dans le panneau et pensent pouvoir infléchir la donne et lutter contre le terrorisme avec leur petit tableau noir ou numérique. Alors, maintenant on assiste à de profonds débats sur : comment faire ? Le silence n’est-il pas plus dangereux que la parole, même si celle-ci heurte ? Doit-on aller jusqu’à signaler des enfants de moins de 10 ans qui “expriment leur solidarité” avec le terroriste lors de la minute de silence organisée par l’éducation nationale en hommage à Samuel ? Près de 800 signalements ont été rédigés ! Est-ce qu’il faut en déduire qu’il y a un péril scolaire de terro­risme en herbe et qu’il faudrait frapper fort ? Une fois de plus, la bourgeoisie a su utiliser la peur (bien légitime) pour que des profs “sonnés par l’horreur du crime” et, du coup, “trop résignés” fassent remonter tous ces signalements. Comment expliquer un tel nombre de remontées de signalements ? Je précise que j’ai fait toute ma carrière d’enseignante en lycée professionnel et, de fait, je pense être assez légitime pour, d’une part évoquer le désarroi des profs et, d’autre part, m’inquiéter sur la tournure qu’ont pris les événements. Tous les profs ont connu des séances où le cours tout d’un coup bascule sur un terrain “pourri” et, à cet instant, il faut savoir faire le choix entre écouter l’inaudible pour pouvoir y revenir dès que la tension sera redescendue ou sauter sur l’occasion pour faire parler les élèves. S’il fallait signaler à chaque fois qu’on entend des horreurs, on en serait à plusieurs milliers de signalements par an. En fait, ce qui pose problème, ce n’est pas tant les expressions des élèves que le fait qu’aujourd’hui, l’école n’est plus un sanctuaire et qu’elle fait partie intégrante de la vie sociale. Les enfants sont eux-mêmes victimes de leurs parents et des entourages extrémistes de tous poils, ne l’oublions pas ! Les grands débats sur comment doit s’exprimer la liberté d’expression au sein de la communauté scolaire est en fait un faux débat. Les profs sont coincés, d’une part dans leur rôle de fonctionnaires et, d’autre part, leur rôle d’éducateurs-pédagogues. Ouvrons les yeux : dans le système capitaliste, la cohabitation des deux objectifs est irréalisable. Alors, que faire ? Ce que font la plupart d’entre eux, le mieux possible au jour le jour dans des conditions parfois très difficiles pour accompagner leurs élèves bien au-delà des contraintes administratives (et même si, certains jours, on n’est pas très fiers d’arrondir le dos et d’espérer tout simplement que la journée va bien se passer). Visiblement, Samuel n’a pas eu l’occasion de finir sa journée et partir en vacances. Un décérébré a pu aller jusqu’au bout de sa trajectoire meurtrière. L’assassinat de Samuel nous rappelle que la seule bonne volonté et toute l’humanité mise au service de son travail (et ce prof n’en manquait pas !) ne suffisent pas à combattre la barbarie créée par le capitalisme. Pour conclure, je ferai le parallèle avec l’hommage rendu aux soignants au moment de la 1ère vague et, plus outrageusement encore, lors de la cérémonie du 14 juillet : pas de mots assez forts pour reconnaître leur dévouement, leur rôle essentiel, etc., les mettre en scène avec leurs bourreaux sous les feux des médias… mais dans le même temps, comme dirait Macron, aucune ou si peu de mesures prises pour les protéger contre le virus et leur permettre de soigner les milliers de malades. En direct avec le virus sans réelle protection, comme s’ils étaient eux aussi devenus des héros appelés à mourir sur le front. C’est vrai qu’on était “en guerre” et en temps de guerre, il y a des morts, beaucoup de morts… Silence, on tue !!!

Rosalie, le 20 décembre 2020

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Courrier de lecteur

Révolution internationale n°487 - mars avril 2021

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La bourgeoisie profite de la pandémie de Covid-19 pour attaquer la classe ouvrière!

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Plus de 2,5 millions de morts à ce jour, une deuxième vague presque trois fois plus meurtrière que la première. Ce bilan morbide suffit pour révéler l’incapacité de la bourgeoisie à juguler les effets désastreux de la pandémie de Covid-19. Alors que les gouvernements, censés avoir tiré les leçons de la vague du printemps dernier, “promettaient” de “tout faire” pour éviter une deuxième vague, il n’en est rien. La bourgeoisie continue à faire face à la pandémie avec toute l’hypocrisie et le cynisme qui la caractérisent. En France, comme partout ailleurs, le gouvernement n’a pris aucune disposition pour accroître la capacité de prise en charge des hôpitaux, aucune augmentation de lits de réanimation, aucune augmentation des effectifs de soignants. L’incurie se poursuit, rendant les États incapables de soigner à peine plus de quelques milliers de malades. Dans ces conditions lamentables, la vaccination demeure à ce jour la seule porte de sortie. Or, là aussi, la logique de la concurrence capitaliste et du chacun pour soi entre chaque État et entre chaque laboratoire pharmaceutique aboutit à un fiasco de la campagne vaccinale puisqu’on assiste à une véritable pénurie de doses, laissant les populations toujours aussi vulnérables. En Europe, à peine quelques dizaines de millions de personnes ont été vaccinées. En France, où la pénurie est particulièrement caricaturale, il n’y a même pas suffisamment de doses pour vacciner les personnes de plus de 75 ans.

Les autorités politiques et scientifiques se dédouanent en dénonçant l’avidité des laboratoires pharmaceutiques ou bien en nous demandant encore de la patience : les livraisons conséquentes devraient arriver pour le mois d’avril ! Mais tous se gardent bien de prôner la levée des brevets déposés sur les vaccins qui permettrait une vaccination massive et beaucoup plus rapide. En effet, Pfizer et consorts ne veulent en aucun cas fournir la recette de la potion magique à leurs principaux concurrents afin de garder le monopole du marché et engranger le maximum de profits. C’est donc la logique pure des lois du capitalisme qui s’impose froidement au détriment de dizaines de millions de vies humaines. D’ailleurs, la bourgeoisie française se garde bien de protester contre le maintien de ces monopoles : elle sait pertinemment que ses poulains, Sanofi et l’Institut Pasteur, agiront de la même manière que leurs rivaux s’ils sont en mesure de sortir un vaccin. Chacun pour soi et Dieu pour tous, telle est la logique du système, de tous les États et de leurs labos. C’est bien le capitalisme mondial et sa classe dominante qui sont les seuls responsables de la poursuite de la pandémie.

La bourgeoisie poursuit donc son incurie qu’elle masque en cherchant à nous culpabiliser, en nous faisant porter le chapeau des contaminations, de l’épuisement des soignants victimes des “comportements irresponsables” des individus. Chaque jour, toute une kyrielle d’hommes politiques et de scientifiques défilent sur les plateaux télé en nous exhortant “à tenir bon”, à faire preuve de patience et à accepter les “sacrifices”. L’État nous impose le couvre-feu dès 18 heures ou des confinements le week-end, alors qu’on laisse ouvertement les prolétaires se contaminer sur les lieux de travail ou dans des transports en commun toujours aussi bondés aux heures de pointe.

C’est donc à la population de supporter, sous la contrainte, les “efforts” imposés par la classe dominante qui se moque royalement de la préservation des vies humaines et de la santé des travailleurs malgré ses beaux discours. Mais le cynisme de l’État “protecteur” ne s’arrête pas là ! La bourgeoisie et son gouvernement profitent encore de la situation pour poursuivre et renforcer ses attaques contre la classe ouvrière. En France, le gouvernent, avec la complicité des syndicats et de tous les partis de gauche, utilise l’état d’urgence sanitaire pour adopter en catimini la réforme de l’assurance-chômage qui prévoit notamment la réduction drastique des indemnisations des demandeurs d’emploi et l’augmentation de la durée des cotisations. Alors que la misère et la précarité explosent sous l’effet de la crise et de la pandémie, que des vagues de licenciements massifs vont déferler dans de nombreux secteurs et entreprises, la bourgeoisie n’a aucun scrupule à plonger les chômeurs dans une misère encore plus noire. Les promesses de Macron de ne laisser personne sur le carreau “quoi qu’il en coûte” ont fait long feu…

Bien sûr, officiellement, les syndicats se sont opposés à cette réforme, mais ce rejet est animé uniquement par l’objectif de ne pas se discréditer trop ouvertement auprès des salariés. En réalité, leur frilosité à protester contre cette nouvelle attaque contre la classe ouvrière correspond à ce qu’ils sont réellement : des organes de l’État capitaliste dans les rangs ouvriers. Ils ne crient à hue et à dia et ne tiennent un discours “radical” que quand ils sentent que le classe ouvrière risque de faire exploser sa colère et sa combativité par des grèves spontanées, des assemblées générales, des manifestations, en dehors de leurs consignes et de leur contrôle.

Aujourd’hui, ces saboteurs patentés des luttes ne cherchent nullement à pousser les prolétaires à riposter et mettent à profit les difficultés des travailleurs à se mobiliser du fait de la crise sanitaire et des mesures de distanciation sociale. Gouvernements, syndicats et patronats sont tous complices, main dans la main pour faire passer les attaques contre les chômeurs et contre l’ensemble de la classe ouvrière.

La crise sanitaire, encore loin d’être derrière nous, va continuer à aggraver les conditions de travail et d’existence de la classe exploitée en France, comme partout dans le monde. Avec l’aggravation de la crise économique, c’est encore et toujours la classe ouvrière qui va devoir payer la note. Face à la misère croissante que nous promet le capitalisme, nous n’aurons pas d’autre choix que de lutter tous ensemble et massivement en développant notre unité et solidarité face à la bourgeoisie et aux chiens de garde du capital que sont les syndicats.

Aujourd’hui, les travailleurs sont paralysés par la crise sanitaire, obligés de marcher au pas cadencé derrière les mesures drastiques de limitation de la vie sociale. L’État “protecteur” et son gouvernement ont le vent en poupe. Mais dès que la pandémie sera derrière nous, il faudra de nouveau occuper la rue, occuper tous les espaces publics pour discuter des moyens de la lutte et résister aux plans d’austérité que la classe dominante va chercher à nous imposer. Si la classe ouvrière hésite à se mobiliser sur son propre terrain de classe pour défendre ses conditions d’existence, si elle courbe l’échine, si elle fait confiance aux syndicats pour déclencher, organiser et diriger ses luttes, elle laissera les mains libres à la bourgeoisie pour cogner encore plus fort !

Dans ce monde pourri qui mène l’humanité vers le néant, le seul avenir de la société est entre les mains de la classe ouvrière, de ses combats contre le capitalisme et tous les fléaux qu’il engendre.

Vincent, 4 mars 2021

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Covid-19

Mobilisation des étudiants: Confrontée à la misère, la jeunesse ne se résigne pas!

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Le 21 janvier dernier, des centaines d’étudiants sont descendus dans la rue partout en France pour exprimer leur exaspération et leur colère. Depuis maintenant un an, pour faire face à la pandémie, le gouvernement a régulièrement stoppé les cours en présentiel dans les universités, laissant les étudiants sans autre perspective qu’un tête à tête avec un écran d’ordinateur. Macron a eu beau claironner haut et fort qu’il était hors de question de confiner uniquement les vieux et les jeunes, c’est pourtant bien un des axes de la politique menée dans la gestion de la pandémie. Par conséquent, les cours se résument à des vidéoconférences pour les plus chanceux ou de simples fichiers PDF pour les autres. Quant aux enseignants en arrêt, ils ne sont pas remplacés et les étudiants doivent se débrouiller pour trouver seuls sur Internet le contenu de leurs cours. À cette situation d’isolement, s’ajoute la précarité financière faisant de la jeunesse une des victimes privilégiées de l’accroissement de la misère. En temps normal, 40 % des étudiants travaillent pour boucler leurs fins de mois… mais les jobs étudiants ont quasiment tous disparu, laissant une grande frange de cette population appauvrie et dans la détresse. 75 % d’entre eux affirment avoir des difficultés financières. Beaucoup n’ont plus de quoi payer leur loyer ou même de quoi se nourrir à partir du 15 du mois, ce qui amène un nombre croissant de cette frange de la population à gonfler les rangs de ceux qui sont réduits à la “soupe populaire” ou à recourir aux “banques alimentaires”.

Et ce n’est pas les quelques miettes jetées par le gouvernement Macron pour “calmer les esprits” qui changera quelque chose. Un chèque-santé pour aller voir un psychologue ?… Quand on sait que dans cette profession, ils sont au nombre de 1 pour 30 000 étudiants sur les campus ! Deux repas à 1 euro par jour pour tous ?… Cela a conduit certains restaurants universitaires à fortement diminuer les portions et la qualité des repas !

Moins d’argent, quasiment plus de vie sociale, aucune perspective, tel est le sort que la société “offre” aux jeunes générations : “Un jeune sur six a arrêté ses études, 30 % a renoncé à l’accès aux soins, et plus de la moitié est inquiète pour sa santé mentale”. (1) Les troubles psychologiques explosent, touchant 30 % des étudiants contre 20 %, il y a 4 ans. (2) L’isolement extrême lié à la pandémie et l’atomisation de la société capitaliste semblent avoir raison de toute une génération. Face à une situation aussi insoutenable, les tentatives de suicides se sont multipliées ces derniers mois, (3) marque supplémentaire du désespoir et de l’absence de futur auprès d’une frange toujours plus grande la population.

“Entre la fatigue, le flou, la colère et la solitude, on fait quoi ?” (4)

Si les étudiants se définissent eux-mêmes comme “une génération sacrifiée”, ils ne sont pas prêts pour autant à baisser les bras et à se laisser piétiner par le capitalisme pourrissant. “La vie d’un étudiant ne doit pas finir au cimetière” ! (5)

Ainsi, malgré le risque sanitaire, les plus combatifs ont repris le chemin de la rue pour dénoncer leurs conditions d’existence mais aussi pour tous ceux qui restent isolés : “c’est pour cela qu’on est là aussi, c’est pour s’exprimer pour eux aussi”, (6) témoignait un étudiant en manifestation.

Mais cela fait des années, voire des décennies que le malaise étudiant existe. Déjà, en 2017, 20 % des étudiants vivaient en dessous du seuil de pauvreté, 46 % travaillaient pour vivre. Des chiffres édifiants tandis que depuis 2009, le coût de la vie étudiante ne cessait d’augmenter. (7) En septembre 2019, symbole de cette dégradation sans fin, un étudiant s’immolait par le feu devant le CROUS (8) de l’Université de Lyon. Il accompagnait son geste d’un message sur Facebook où il dénonçait les conditions de vie étudiantes et “les politiques menées depuis plusieurs années” par les différentes fractions de la bourgeoisie au pouvoir, “Macron, Hollande, Sarkozy notamment”. (9) Et déjà, en réaction, les étudiants descendaient dans la rue pour revendiquer le droit d’étudier dignement : “la précarité tue !” “conditions de vie décentes pour tout.te.s les étudiant.e.s”, (10) pouvait-on lire à cette époque d’avant Covid.

Aujourd’hui, si la pandémie a certes renforcé l’isolement et l’atomisation, elle n’a été au final qu’un catalyseur de la dégradation incessante et continue des conditions de vie étudiantes, et cela pas seulement en France mais dans toute l’Union européene ou en Grande-Bretagne où se sont généralisées une détérioration et une précarisation accélérées des conditions de vie totalement similaires. (11) Une partie de la nouvelle génération de prolétaires le ressent. La colère n’est pas seulement dirigée contre les effets délétères de la crise du Covid comme l’atomisation et l’enfermement imposé par l’État. Comme on a pu le constater dans les cortèges, les préoccupations demeuraient bien plus larges : “étudiants révoltés : contre l’État et la précarité”, “étudiant.e.s : nous isoler est leur arme, la solidarité était, est et sera notre riposte”, “au lycée, à la fac, à l’usine et partout, combattons la précarité et la misère”. (12) Derrière ces revendications, se cache un leitmotiv sous-jacent : Comment lutter contre cette société ? Comment envisager un autre avenir ?

Les manifestations étudiantes de ce mois de janvier en France se placent donc dans la continuité des luttes de l’automne 2019 et de l’hiver 2020. La stupeur et la sidération provoquées par le surgissement de la pandémie n’ont pas totalement brisé la volonté de se battre, de lutter ensemble, de discuter et d’échanger même si le chemin vers le développement de luttes plus massives est encore long.

En effet, ces mobilisations sont demeurées très furtives du fait du contexte sanitaire et de la capacité de la bourgeoisie à désamorcer très rapidement la mobilisation en écartant “la crainte” d’un nouveau confinement et par le travail de division des syndicats. Ceux-ci ont fait tout leur possible pour empêcher la participation des étudiants à la journée de mobilisation interprofessionnelle du 6 février en organisant des rassemblements alternatifs et des assemblées générales isolées et stériles à l’intérieur même des universités ou encore en mettant en avant des mots d’ordres spécifiques tels que “jeunesse oubliée : nous ne paierons pas la crise” !

Pourtant, malgré ces tentatives d’opposer cette jeunesse que l’on “sacrifie pour la santé des plus vieux”, la mayonnaise a des difficultés à prendre. “70 % des 18-30 ans pensent en effet que c’est choquant de dire qu’on a sacrifié leur génération pour sauver les plus âgés”. (13)

Non : il n’y a pas opposition entre les générations d’une même classe ! C’est dans la solidarité et les leçons des luttes passées que les jeunes prolétaires doivent puiser leur force. Le capitalisme n’a rien à offrir à aucune génération de prolétaire. Ainsi le slogan forgé lors du mouvement contre le Contrat Premier embauche (CPE) en 2006 reste pleinement d’actualité : “Vieux croûtons, jeunes lardons : tous la même salade !” (14)

 

Élise, 18 février 2021

1) “Covid-19 en France : les étudiants en détresse”, France 24 (26 janvier 2021).

2) “Le nombre d’étudiants souffrant de fragilités psychologiques est passé de 20 % à 30 % en 4 ans”, Le Journal du dimanche (27 janvier 2021).

3) “La crise sanitaire pèse sur la santé mentale des étudiants”, Le Monde (28 décembre 2020).

4) “Mobilisation étudiante : “Entre la fatigue, le flou, la colère et la solitude, on fait quoi ?”, Le Monde (21 janvier 2021).

5) “On se sent abandonnés” : face à la crise sanitaire, des étudiants manifestent leur détresse”, Le Parisien (20 janvier 2021).

6) Ibid.

7) “Précarité : près de 20 % des étudiants vivent en dessous du seuil de pauvreté”, Le Monde (14 novembre 2019).

8) Centre régional des oeuvres universitaires et scolaires.

9) “Que disent les chiffres sur la précarité étudiante ?”, Le Journal du Dimanche (13 novembre 2019).

10) Ibid.

11) En Allemagne, par exemple, 40 % des étudiants avouaient en 2019 (avant le Covid) de très grosses difficultés financières pour survivre, alors qu’à Londres, où les frais d’inscription universitaires sont exorbitants, il leur est quasiment impossible de trouver un logment à moins de 800 euros.

12) Ibid.

13) “Coronavirus : 81 % des 18-30 ne se reconnaissent pas dans l’appellation génération Covid”, 20 minutes (10 juin 2020).

14) En 2006, les étudiants et jeunes précaires qui luttaient contre le CPE ont été rejoints et soutenus par toutes les générations de prolétaires.

Situations territoriales: 

  • Situation sociale en France [7]

Rubrique: 

Crise économique

Bilan des réunions publiques du 23 janvier 2021

  • 75 lectures

Fin janvier, la section du CCI en France a organisé des réunions publiques en ligne sur le thème : “Pandémie de Covid-19, assaut du Capitole à Washington : deux expressions de l’intensification de la décomposition du capitalisme”. Nos réunions publiques, comme nos permanences, (1) sont ouvertes à tous les camarades intéressés par le combat pour l’émancipation de la classe ouvrière et pour le communisme. Tous les individus, groupes et organisations politiques révolutionnaires sont les bienvenus pour débattre des positions, analyses et principes défendus par le CCI, y compris en cas de désaccords. Notre vision s’inspire de la culture du débat, telle qu’elle a toujours été défendue dans l’histoire du mouvement ouvrier, c’est-à-dire avec le souci de confronter les idées, avec une volonté d’écoute et le souci de convaincre.

Afin de lancer le débat, l’exposé introductif présenté par le CCI a commencé par donner un tableau de la gravité de la situation actuelle marquée par une accélération de la décomposition qui vient maintenant frapper de plein fouet les pays les plus industrialisés, et notamment la première puissance mondiale, les États-Unis. En voici de larges extraits : (2)

“La décomposition du capitalisme est due au fait qu’aucune des deux classes fondamentales de la société, ni la bourgeoisie ni le prolétariat, n’a pu apporter sa propre réponse à la crise économique : soit une nouvelle guerre mondiale (comme c’était le cas avec la crise des années 1930), soit la révolution prolétarienne. La bourgeoisie n’a pas réussi à embrigader le prolétariat derrière les drapeaux nationaux pour l’envoyer se faire massacrer sur les champs de bataille. Mais le prolétariat, de son côté, n’a pas pu développer des luttes révolutionnaires pour renverser le capitalisme. C’est cette absence de perspective qui a provoqué le pourrissement sur pied de la société capitaliste depuis la fin des années 1980. Depuis 30 ans, cette décomposition s’est manifestée par toutes sortes de calamités meurtrières : la multiplication des massacres y compris en Europe avec la guerre dans l’ex-Yougoslavie, le développement des attentats terroristes aussi en Europe, les vagues de réfugiés qui cherchent désespérément un asile dans les pays de l’espace Schengen, les catastrophes dites naturelles à répétition, les catastrophes nucléaires comme celles de Tchernobyl en 1986 en Russie et celle de Fukushima en 2011 au Japon. Et plus récemment, la catastrophe qui a complètement détruit le port de Beyrouth au Liban, le 4 août 2020”. Nous pourrions rajouter à cela le développement continu du chacun pour soi, du no future et de l’irrationnel.

Et sur tous ces plans, la pandémie comme l’assaut du Capitole révèlent l’aggravation de la décomposition de la société capitaliste : “La crise sanitaire que nous vivons aujourd’hui est l’événement le plus grave depuis l’effondrement du bloc de l’Est. Contrairement aux épidémies d’origine animale du passé (comme la peste introduite au Moyen Âge par les rats), cette pandémie est due essentiellement à l’état de délabrement de la planète : le réchauffement climatique, la déforestation, la destruction des territoires naturels des animaux sauvages, de même que la prolifération des bidonvilles dans les pays sous-développés,… La pandémie de Covid-19 n’est donc pas une catastrophe imprévisible qui répondrait aux lois obscures du hasard et de la nature ! Le responsable de cette catastrophe planétaire, de ces millions de morts, c’est le capitalisme lui-même. Un système basé non pas sur la satisfaction des besoins humains, mais sur la recherche du profit, de la rentabilité par l’exploitation féroce de la classe ouvrière. Un système basé sur la concurrence effrénée entre les entreprises et entre les États. Une concurrence qui empêche toute coordination et coopération internationale pour éradiquer cette pandémie. C’est ce qu’on voit aujourd’hui avec la “guerre des vaccins”, après la “guerre des masques” au début de la pandémie. Jusqu’à présent, c’étaient les pays les plus pauvres et sous-développés qui étaient régulièrement frappés par des épidémies. Maintenant, ce sont les pays les plus développés qui sont ébranlés par la pandémie de Covid-19, c’est le cœur même du système capitaliste qui est attaqué. Il faut dire que face à l’aggravation de la crise économique, dans tous les pays, les gouvernements de droite comme de gauche, n’ont cessé depuis des décennies de réduire les budgets sociaux, les budgets de la santé et de la recherche. Le système de santé n’étant pas rentable, ils ont supprimé des lits, fermé des services hospitaliers, supprimé des postes de médecins, aggravé les conditions de travail des soignants. En France, le laboratoire Sanofi (lié à l’Institut Pasteur) a supprimé 500 postes de chercheurs depuis 2007. Toutes les recherches scientifiques et technologiques de pointe aux États-Unis ont été consacrées essentiellement au secteur militaire, avec y compris la recherche d’armes bactériologiques. Cette pandémie mondiale incontrôlable confirme que le capitalisme est devenu, depuis le cataclysme de la Première Guerre mondiale, un système décadent qui met en jeu la survie de l’humanité. Après un siècle d’enfoncement dans la décadence, ce système est entré dans la phase ultime de cette décadence : celle de la décomposition”. L’assaut du Capitole souligne que ce pourrissement touche jusqu’à la première puissance mondiale : “L’arrivée de Trump au pouvoir, puis le refus d’admettre sa défaite électorale aux dernières présidentielles, a provoqué une explosion effarante du populisme. À Washington, ses troupes de choc avec leurs commandos, leurs milices armées complètement fanatisées, ont pris d’assaut le Capitole le 6 janvier dernier, sans que les forces de sécurité, censées protéger ce bâtiment, n’aient pu les en empêcher. Le pays de la Démocratie et de Liberté est ainsi apparu comme une vulgaire république bananière du Tiers-Monde (comme le reconnaissait l’ex-président George Bush lui-même) avec le risque d’affrontements armés dans la population civile. La montée de la violence sociale, de la criminalité, la fragmentation de la société américaine, les violences racistes contre les noirs, tout cela montre que les États-Unis sont devenus un concentré et le miroir de la pourriture sociale”.

La décomposition, phase ultime de la décadence du capitalisme

Suite à cette introduction, l’un des participants a affirmé que, pour lui, la pandémie comme l’assaut du Capitole étaient des symboles de la décadence du capitalisme et, donc, qu’il n’y avait pas “besoin d’utiliser la notion de décomposition” pour comprendre ces événements. Il est effectivement impossible de comprendre la situation actuelle sans se référer à la période de décadence. Mais cette période de décadence a elle-même une histoire.Pour comprendre l’ampleur de l’irrationalité, du chacun pour soi, de l’incurie, de la courte-vue de toutes les politiques menées partout par la bourgeoisie, il faut comprendre l’étape actuelle de la décadence : la décomposition, qui concentre en elle toutes les caractéristiques de la décadence. (3) En fait, de même que le capitalisme connaît différentes périodes dans son parcours historique (naissance, ascendance, décadence), chacune de ces périodes contient elle aussi un certain nombre de phases distinctes et différentes. Par exemple, la période d’ascendance comportait les phases successives du libre marché, de la société par actions, du monopole, du capital financier, des conquêtes coloniales, de l’établissement du marché mondial. De même, la période de décadence a aussi son histoire : impérialisme, guerres mondiales, capitalisme d’État, crise permanente et, aujourd’hui, décomposition. Dans la mesure où les contradictions et manifestations de la décadence du capitalisme, qui, successivement, marquent les différents moments de cette décadence, ne disparaissent pas avec le temps, mais se maintiennent, et même s’approfondissent, la phase de décomposition apparaît comme celle résultant de l’accumulation de toute ces caractéristiques d’un système moribond, celle-ci parachève et chapeaute trois quarts de siècle d’agonie d’un mode de production condamné par l’histoire. Concrètement, non seulement la nature impérialiste de tous les États, la multiplication des guerres et massacres, l’absorption de la société civile par le Moloch étatique, la crise permanente de l’économie capitaliste, se maintiennent dans la phase de décomposition, mais cette dernière se présente encore comme la conséquence ultime, la synthèse achevée de tous ces éléments.

La décomposition, une période historique inédite

Pourquoi le CCI parle-t-il d’une phase spécifique de décomposition alors que de nombreux phénomènes de décomposition se sont manifestés régulièrement dans toute l’histoire des sociétés de classe ? Ainsi, une camarade se demandait : “En quoi la décadence actuelle est-elle différente de celle des autres systèmes ? Est-ce que la décomposition du capitalisme est unique historiquement ?”

Face à cette question, le CCI a avancé les arguments suivants. Il existe une différence cruciale entre la décadence du capitalisme et la décadence des autres modes de production l’ayant précédé. Pour ne donner que l’exemple de la décadence du féodalisme, celle-ci était limitée par l’émergence “en parallèle” des rapports sociaux capitalistes et l’ascension de façon graduelle et partielle de la classe bourgeoise. La société féodale en déclin pouvait donc se projeter dans le futur avec l’émergence en son sein d’un autre mode de production. Si la société féodale a connu des éléments de décomposition sociale, (4) ces derniers ont pu être atténués ou annihilés par l’ascension du nouveau mode de production capitaliste, celui-ci parvenant même à en instrumentaliser certains (même si ce n’était pas nécessairement avec une réelle conscience) pour défendre ses propres intérêts.

On peut en donner une illustration : la monarchie absolue a participé dans certains pays, comme en France au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, au développement économique du capital contribuant à former un marché national et à voir s’affirmer la bourgeoisie sur les plans économique et politique au détriment de la noblesse. C’est pour cela que, dans la décadence du féodalisme, il pouvait exister des manifestations de décomposition sociale plus ou moins poussées, mais il ne pouvait pas exister une période historique spécifique de décomposition. Dans l’histoire humaine, certaines civilisations très isolées ont pu finir dans une complète décomposition conduisant à leur disparition, tel que l’exemple bien connu de l’île de Pâques.

Cependant, seul le capitalisme peut avoir dans sa décadence une période globale de décomposition, comme phénomène historique et mondial. Comme le CCI l’a souligné dans la discussion, le communisme ne peut pas coexister avec le capitalisme décadent, ni même commencer à s’instaurer, sans que la nouvelle classe révolutionnaire, le prolétariat, ait auparavant exécuté la sanction de l’histoire en ayant préalablement pris le pouvoir politique en renversant celui de la bourgeoisie pour donner un avenir à toute la société. Le prolétariat commence sa révolution sociale là où les précédentes révolutions la terminaient en transformant d’abord les bases économiques de l’ancienne société qui n’était plus en mesure de développer les forces productives. Le communisme n’est pas l’œuvre d’une classe exploiteuse qui pourrait, comme par le passé, partager le pouvoir avec l’ancienne classe dominante. Classe exploitée, le prolétariat ne peut s’émanciper qu’en détruisant de fond en comble le pouvoir de la bourgeoisie. Il n’y a aucune possibilité pour que les prémices de nouveaux rapports de production, puissent venir alléger, limiter les effets de la décadence capitaliste.

Du fait que le prolétariat n’ait pas été en mesure jusqu’à présent d’affirmer son projet révolutionnaire face à l’impasse du capitalisme, la société se trouve confrontée à une absence totale de perspective, à un avenir qui semble bouché. C’est ce qui explique le pourrissement sur pied du système capitaliste. La morbidité de la décadence capitaliste s’impose à tous comme une voie sans issue ; le no future et la fuite en avant dans le chacun pour soi et l’irrationnel rongent toute la société qui tend de plus en plus à se disloquer, à se décomposer.

La décomposition et la perspective révolutionnaire

La phase de décomposition signifie-t-elle que la perspective communiste est devenue hors d’atteinte ou en tout cas fort compromise ? Une participante a ainsi résumé le pessimisme grandement partagé par l’assemblée : “L’alternative reste toujours la même : socialisme ou barbarie. Mais le prolétariat est dans une situation de plus en plus précaire. Sa conscience va en prendre un coup : le quotidien est de plus en plus difficile à gérer : pandémie et décomposition. La perspective révolutionnaire s’éloigne”. Il est vrai que cette situation de chaos généralisé donne une vision apocalyptique du monde. Mais l’avenir est-il complètement bouché ? Comme nous l’avons mis en avant dans notre exposé, notre réponse est : Non ! “Au fond du gouffre de la décomposition, il existe une force sociale capable de renverser le capitalisme pour construire un monde nouveau, une véritable société humaine unifiée. Cette force sociale, c’est la classe ouvrière. C’est elle qui produit l’essentiel des richesses du monde. Mais c’est elle aussi qui est la principale victime de toutes les catastrophes engendrées par le capitalisme. C’est elle qui va encore faire les frais de l’aggravation de la crise économique mondiale. La crise sanitaire ne peut qu’aggraver encore plus la crise économique. Et on le voit déjà avec les faillites d’entreprises, les charrettes de licenciements depuis le début de cette pandémie. Face à l’aggravation de la misère, à la dégradation de toutes ses conditions de vie dans tous les pays, la classe ouvrière n’aura pas d’autre choix que de lutter contre les attaques de la bourgeoisie. Même si, aujourd’hui, elle subit le choc de cette pandémie, même si la décomposition sociale rend beaucoup plus difficile le développement de ses luttes, elle n’aura pas d’autre choix que de se battre pour survivre. Avec l’explosion du chômage dans les pays les plus développés, lutter ou crever, voilà la seule alternative qui va se poser aux masses croissantes de prolétaires et aux jeunes générations ! C’est dans ses combats futurs, sur son propre terrain de classe et au milieu des miasmes de la décomposition sociale, que le prolétariat va devoir se frayer un chemin, pour retrouver et affirmer sa perspective révolutionnaire”.

Quels sont ces dangers qu’il faut aujourd’hui prévenir ? Un camarade dans l’assistance a commencé à répondre à cette question : “La crise économique fait tomber dans la pauvreté beaucoup de couches sociales. On en voit les prémices au travers des luttes interclassistes. Le prolétariat est embrigadé par des couches sociales qui n’expriment pas une perspective pour l’humanité. La situation la plus difficile, c’est d’être englué dans ces couches sociales, en particulier la petite bourgeoisie. Renouer avec une identité de classe, se reconnaître comme classe, porteur d’un projet social.”

Tout au long de son existence, le CCI a mis en garde la classe contre les émeutes et les luttes des couches sociales non-exploiteuses, qui par leurs objectifs et leurs méthodes de lutte risquent de dévoyer certaines fractions du prolétariat vers des luttes interclassistes où le prolétariat perd son autonomie de classe en se dissolvant dans la population en général, dans le “peuple” au milieu de couches intermédiaires telles que la petite bourgeoisie confrontée à une paupérisation croissante. Il risque aussi de se mobiliser sur le terrain de luttes “parcellaires” en se focalisant sur un aspect partiel de la domination capitaliste (contre le racisme, l’oppression des femmes ou le réchauffement climatique). Il risque même de se laisser entraîner sur un terrain bourgeois, comme la revendication d’une police “propre” et “démocratique”, se disant au “service du peuple” alors que les forces de répression ne servent qu’à maintenir l’ordre du capital. La phase historique de la décomposition multiplie ces risques, sans oublier le poids des visions complotistes, nihilistes, du fondamentalisme religieux que porte une petite bourgeoisie étranglée par la crise et tous les éléments déclassés qui viennent en prophètes promettre le paradis sur terre ou l’apocalypse. Face à cette situation pleine de dangers pour la lutte de classe, la tâche de l’heure pour les révolutionnaires est de défendre la solidarité prolétarienne et l’affirmation de l’autonomie de classe du prolétariat.

Le poids de l’isolement et du sentiment d’impuissance liée à la pandémie est indéniable, comme l’a très bien fait remarquer une intervention : “Je reviens sur le défaitisme : quand je discute avec des copains, le défaitisme est difficile à dépasser. Oui, individuellement, tu ne peux rien faire. Comment dépasser cela ? [...] En ce moment, il est difficile de lutter contre le défaitisme ambiant”. C’est aussi pour cela que les réunions organisées par le CCI, comme toutes les réunions des organisations révolutionnaires, sont des moments importants pour la classe ouvrière : en débattant, en cherchant à confronter nos positions et à les clarifier, nous faisons aussi vivre ce qu’est l’âme du prolétariat, son activité consciente collective, sa solidarité dans la lutte et dans le développement de sa conscience révolutionnaire.

Malgré toutes les souffrances qu’elle engendre, la crise économique reste, aujourd’hui encore, la meilleure alliée du prolétariat. Il ne faut donc pas voir dans la misère que la misère, mais aussi les conditions du dépassement de cette misère. L’avenir de l’humanité appartient toujours à la classe exploitée.

RI, 28 février 2021

1) Les dates des réunions sont indiquées sur notre site internet (rubrique “agenda”).

2) La version complète est disponible sur notre site internet.

3) Voir : “La décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste”, Revue internationale n° 107.

4) Par exemple, la dislocation du corps social dans certaines parties de l’Europe au cours des XIVe et XVe siècles à travers les effets de la guerre de Cent Ans ou de la peste noire.

Vie du CCI: 

  • Réunions publiques [14]

Récent et en cours: 

  • Coronavirus [8]
  • COVID-19 [9]

Rubrique: 

Réunions publiques du CCI

Coup d’état en Birmanie: Démocratie ou junte militaire, la même dictature capitaliste

  • 57 lectures

Avec le dernier coup d’État militaire en Birmanie, l’armée reprend officiellement le pouvoir. Mais l’avait-elle vraiment quitté ? L’armée birmane, institution majeure de l’État et puissance mafieuse historique en chef, impose sa dictature et tire le maximum de bénéfices de sa position, depuis des décennies. Elle est, en effet, la seule force encore en mesure de maintenir l’ordre, la stabilité et l’unité d’un pays où les divisions et les confrontations ethniques (il existe plus de 130 ethnies différentes) sont légions. C’est donc aussi autour de l’armée que se jouent les appétits impérialistes des différentes puissances comme la Chine, la Russie, les États-Unis ou l’Inde qui ne font qu’aviver les confrontations dans cette région hautement stratégique d’Asie. L’armée birmane a généralement fait valoir ses intérêts par la force, avec un appui ouvert des impérialismes chinois et russe.

En dépit du passage de témoin à un gouvernement démocratique de façade, élu en 2015, une première depuis 1961, le coup d’État, ce 1er février, s’inscrit dans la logique d’une domination militaire permanente par une armée toute puissante qui n’a jamais cessé, depuis l’indépendance de 1948, d’être un État dans l’État. La Birmanie aura été sans interruption placée sous le joug de généraux comme le propre père d’Aung San Suu Kyi, assassiné par ses pairs en 1948, déjà. L’icone démocrate, soi-disant égérie de la paix est renversée aujourd’hui par une soldatesque qui l’avait arrêtée, puis emprisonnée de nombreuses années, pour finalement la porter au pouvoir en 2015. La “dame de Rangoon” avait su composer sans état d’âme avec ces mêmes militaires, appuyant sans scrupule la répression sanglante des Rohingyas en 2017. De fait, les forces armées birmanes n’ont jamais cédé le pouvoir : s’octroyant les ministères clés et un pourcentage conséquent des sièges au parlement.

Une expression de l’enfoncement dans la décomposition…

Le 22 décembre 2020, le patron de la Tatmadaw (1) avait réaffirmé que les forces armées doivent être aussi les figures de proue de la défense “des politiques nationales, de la sasana [religion bouddhiste], des traditions, des coutumes et de la culture”.

Il aurait d’ailleurs pu rajouter que la puissance de l’armée birmane n’est pas seulement militaire ou “culturelle” (sic), elle est aussi économique. Dès 1962, l’armée a fait main basse sur l’économie du pays. Elle dispose, officiellement aujourd’hui, de 14 % du budget national, beaucoup plus en réalité, avec une corruption et des financements largement opaques. Outre son implication dans les mines de jade, l’industrie du bois de teck, les pierres précieuses et, cerise sur le gâteau, le très rentable trafic de drogue, les militaires birmans peuvent profiter des dividendes engrangés par un conglomérat lui appartenant, la Myanmar Economic Holding Public Company Ltd (MEHL), l’une des organisations les plus puissantes et corrompues du pays. La MEHL a désormais étendu son influence dans pratiquement chaque secteur économique, des brasseries de bière au tabac en passant par l’exploitation minière et les manufactures textiles.

Historiquement, pour les États, c’est souvent l’armée qui assure, en dernier recours, la cohésion nationale et la défense des intérêts bourgeois dans des situations de division et de confrontation internes. La Birmanie n’y fait certes pas exception mais en est un exemple caricatural. Si l’armée a assuré une certaine unité du pays dans un contexte de divisions ethniques, son intérêt reste de “diviser pour régner”, garantir ses profits, entretenir les dissensions des différentes factions bourgeoises pour maintenir sa domination.

Le coup d’État de la junte dirigée par le général Ming Aung Hliang est le dernier avatar de ce processus de chaos et de décomposition grandissant où il est parfois difficile de retrouver ses petits dans un tel maelstrom de confrontations, de violences, d’épurations ethniques et de barbarie… Et toutes les manifestations de rue de la population en défense de la clique bourgeoise d’Aung San Suu Kyi, cette foi dans les illusions démocratiques, tout cela n’augure que toujours plus de chaos et de repression. Chaque situation de crise en Birmanie comme en 1988 ou en 2007 a concrètement débouché sur une répression sanglante avec chaque fois des milliers de morts. C’est aujourd’hui encore une éventualité avec les tirs à balles réelles des forces de répression qui ont déjà fait leurs premières victimes. Alors, pourquoi un coup d’État maintenant ?

Beaucoup de commentateurs bourgeois estiment que ce coup d’État est inattendu, incompréhensible, au vu de la domination militaire qui ne s’est jamais démentie, y compris ces dernières années avec l’ouverture démocratique sous contrôle militaire, et l’arrivée au pouvoir d’Aung San Suu Kyi en avril 2016.

Des hypothèses sont avancées dans les médias : le chef de l’armée, Min Aung Hlaing, bientôt retraité, aurait pu être rattrapé par la Cour internationale des droits de l’homme pour ses crimes humanitaires… Autre explication : la toute dernière victoire écrasante du parti d’Aung San Suu Kyi aux élections législatives aurait constitué un revers cinglant pour la junte militaire qui ne l’aurait pas supporté…

Tous ces éléments, aussi plausibles soient-ils, expriment surtout l’exacerbation des luttes entre les différentes fractions de la bourgeoisie au sein de l’appareil d’État birman, tout cela au détriment de la stabilité et de la gestion rationnelle de l’État lui-même. Autrement dit, les intérêts respectifs de chaque clique, qu’elle soit habillée en uniforme militaire ou à la mode démocratique, prime sur les intérêts globaux du capital national, alimentant toujours plus la corruption au sommet de l’État comme à tous les niveaux du fonctionnement de la société birmane.

La situation économique déjà précaire du Myanmar s’est dramatiquement aggravée avec la pandémie.En plus de l’accroissement du chômage, déjà traditionnellement élevé et de la paupérisation de la population et alors que le PIB a chuté vertigineusement ces dernières années dans un des pays déjà parmi les plus pauvres du monde, selon le FMI, une crise humanitaire et sanitaire alarmante est en train de voir le jour, ce qui a déjà provoqué l’émigration de centaines de milliers de personnes vers le Bangladesh ou la Thaïlande.

En définitive, les événements en Birmanie sont l’expression de cette même décomposition qui transpire de tous les pores de la société bourgeoise, de l’assaut du Capitole aux États-Unis à la crise sanitaire planétaire.

… et de l’aiguisement des tensions impérialistes

Mais ces querelles de cliques ne suffisent pas à comprendre pleinement la situation. C’est surtout au niveau des rivalités et des pressions impérialistes que se nouent les principaux enjeux. Les principales puissances occidentales, à commencer par les États-Unis, ont, elles, unanimement condamné cette opération des militaires. Juste après le coup d’État, les États-Unis, encore sous l’administration sortante de Trump, ont demandé à l’ONU une résolution en ce sens et réclamé un embargo envers ce pays. Cette résolution n’a pas été adoptée en raison du veto de la Russie et de la Chine. Dans le contexte de confrontation grandissante entre la Chine et les États-Unis, la Birmanie reste une zone stratégique de premier ordre. L’enjeu n’est autre que le contrôle de la mer de Chine méridionale, de l’île de Taïwan et du golfe du Bengale. L’impérialisme chinois n’a absolument pas intérêt à permettre une “stabilisation”, à prétention démocratique qui plus est, qui profiterait avant tout aux États-Unis. Entretenir le bourbier birman est un choix stratégique chinois en Asie, les débouchés sur le golfe du Bengale, étant un objectif majeur de la Chine, comme de l’Inde également. La Chine a donc intérêt à maintenir la déstabilisation en soutenant par exemple des guérillas dans le Nord, comme dans l’État d’Arakan, tout en caressant dans le sens du poil les militaires, en qualifiant notamment ce dernier coup d’État de “remaniement ministériel” ! Un des objectifs de Pékin est d’achever le corridor économique Chine-Myanmar (CMEC) permettant d’accéder à l’océan Indien, en contournant le détroit de Malacca qui a toujours été contrôlé par la marine américaine. Sa volonté est de maintenir l’équilibre des relations commerciales et politiques avec le Myanmar. Et surtout, il s’agit d’un pion stratégique majeur pour son projet de “route de la soie”, le long de laquelle Pékin a besoin de s’assurer des points d’appui, notamment sous la forme de futures bases militaires ou sur le terrain des alliances diplomatiques. Après le soutien affiché par Pékin au Pakistan, l’appui résolu dans la région au régime militaire du Myanmar est une opportunité de défendre ses intérêts tout en contrecarrant les propositions d’embargo et de sanction du régime militaire birman réclamés par les États-Unis.

Quant au Kremlin, il a en sous-main cautionné le coup d’État des militaires : “Une semaine avant le coup d’État, le ministre russe de la défense, Sergei Shoigu, s’est rendu au Myanmar pour finaliser un accord sur la fourniture de systèmes de missiles sol-air, de drones de surveillance et d’équipements radar, selon le Nikkei Asia Magazine. La Russie a également signé un accord sur la sécurité des vols avec le général Ming, qui se serait rendu six fois en Russie au cours de la dernière décennie”. L’Inde se retrouve dans une situation plus délicate : alors qu’elle s’était opposée résolument au putsch du régime militaire birman il y a 30 ans, elle n’a cessé de tisser depuis des liens de coopération avec le régime birman, tant avec la junte qu’avec la fraction d’Aung San Suu Kyi. Aujourd’hui, le gouvernement de Modi est tenté de maintenir une relation de dialogue avec son voisin même s’il veut éviter à tout prix de céder le moindre pouce de terrain à la Chine.

Le piège de la défense de la démocratie

Face à ce troisième coup d’État, et dans un contexte de crise où 60 % de la population vit dans l’extrême pauvreté, l’ensemble de la population, et surtout la nouvelle génération birmane ont réagi. De multiples manifestations de rue, et même des grèves se sont développées. Ce mouvement de “désobéissance civile” où sont privilégiés les actes de sabotage dans les transports, dans les télécommunications, dans l’informatique, avec l’objectif de “renouer avec la démocratie”, ne pourront pas mettre un terme à cette situation de chaos et de violence.

Même s’il est sûr que l’armée a sous-estimé la résistance civile en provoquant un mouvement de rejet sans précédent, particulièrement dans la jeunesse, le mouvement social qui se développe sur le terrain purement bourgeois de revendications démocratiques, ne contient en aucune façon les germes d’un avenir meilleur. La jeunesse est encore bourrée d’illusions à l’égard de la démocratie bourgeoise à laquelle elle a goûté ces dernières années. Mais le terrain de la défense d’un État démocratique, la défense du parti d’Aung San Suu Kyi, complice des crimes perpétrés par l’armée à l’encontre des populations rohingyas, est un piège qui ne peut que lui apporter de graves désillusions. Malgré le bilan économique décevant de quatre ans au pouvoir de la “conseillère d’État” Aung San Suu Kyi, celle-ci reste plébiscitée par une population marquée par les années de la dictature (1962-2011). Or, le parti démocratique et la junte militaire sont deux faces de la même médaille, celle de l’État bourgeois. Celui-ci est un organe ayant pour vocation de maintenir l’ordre social et le statu quo social afin de préserver les intérêts de la classe dominante et non pas pour améliorer le sort des exploités et des opprimés. Par conséquent, les centaines de milliers de jeunes et de travailleurs participant à ces manifestations sont prisonniers d’un mouvement qui ne fait que renforcer l’ordre capitaliste. Le terrain de la défense de la démocratie demeure un leurre et une véritable impasse. Pire : lutter sur ce terrain ne peut qu’aboutir à l’impuissance et aux sacrifices sanglants pour la classe ouvrière comme pour l’ensemble de la population.

Stopio, 27 février 2021

1) Autre dénomination de l’armée birmane.

Géographique: 

  • Asie [15]

Personnages: 

  • Aung San Suu Kyi [16]

Récent et en cours: 

  • Birmanie [17]

Rubrique: 

Tensions impérialistes

“Tous contre Amazon !”: Une impasse de la gauche du capital

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Des salariés précaires payés au lance-pierre, une armée de livreurs “auto-entrepreneurs” travaillant à des cadences délirantes, des milliers d’emplois détruits dans le “petit commerce”, le travail de nuit systématique, les licenciements abusifs pour ceux qui “ne font pas l’affaire”, une logistique ubuesque en totale contradiction avec les prétendues velléités écologiques des gouvernements… Amazon, l’une des entreprises les plus puissantes du monde, est à l’image du système capitaliste dans lequel elle s’est développée : un ogre d’exploitation ! Suite aux nouvelles implantations d’entrepôts en France, un certain nombre de partis de gauche et d’ONG sont partis en guerre contre le mastodonte du e-commerce pour alerter sur les dangers du “monde selon Amazon” : “Amazon est devenu l’acteur incontournable de la vente en ligne : symbole de notre société de consommation, rien ne semble pouvoir arrêter le développement du géant américain, et ce au détriment de l’emploi, de l’environnement et du climat. Mais c’est sans compter la détermination des citoyen.nes à changer nos modèles de consommation…” (1) C’est ainsi qu’ATTAC, suivi par Les Amis de la Terre, EELV, La France insoumise, les gauchistes du NPA et de LO, notamment, occupent le terrain médiatique et prétendent mener un grand combat contre la société de consommation et la précarité. Qu’en est-il exactement ?

Les partis et les associations de gauche se sont fait une spécialité de dénoncer les “dérives” de tel ou tel exploiteur, particulièrement quand ils ne sont pas “nationaux” et surtout s’ils sont américains (les vieux réflexes de la défense de la “patrie du stalinisme” contre l’adversaire américain ont la vie dure !). En 2008, alors que la crise économique s’approfondissait davantage, les mêmes organisations expliquaient que les fautifs n’étaient autres que les traders, la finance folle ou les paradis fiscaux. Aujourd’hui, Amazon incarne à leurs yeux la précarité et la destruction des “emplois français”, à la différence du “commerce traditionnel” (parce qu’il n’y a pas d’exploitation chez Carrefour ou à la supérette du coin, comme chacun sait !). Pour remédier à ces “dérives”, il faudrait fermer les frontières nationales aux requins étrangers, pour les uns, ou mieux distribuer la richesse, pour les autres. En une phrase : rendre le capitalisme plus juste, ce qui passe bien entendu par la défense du capital national… pardon : des “emplois français” ! Il ne s’agit ni plus ni moins que de détourner les exploités de la lutte de classes contre le capitalisme, par une haine ciblée contre des personnes ou acteurs qu’il suffirait de mieux contrôler pour rendre, comme ils disent, la société plus “soutenable”. C’est dans cette perspective que ces cliques politiques bourgeoises tentent de remplacer les revendications ouvrières par la lutte de classes au profit de luttes “citoyennes”…

Pour s’en convaincre, il suffit de lister les quelques solutions qu’ils entendent apporter aux dérives d’Amazon.

À propos de l’impact écologique des entrepôts et de la logistique d’Amazon, après nous avoir expliqué comment la firme américaine utilise sa position dominante, écrasant tous ses concurrents sur son passage, les Amis de la Terre concluent “énergiquement” par cette formule : “nous aspirons à un changement de société profond, empêcher le développement du modèle Amazon est un impératif”. Quelle audace ! Comment les Amis de la Terre comptent-ils appliquer cet ambitieux programme ? En formulant des “demandes”, bien entendu ! La première est adressée au gouvernement : “le gouvernement doit stopper l’implantation de nouveaux entrepôts d’Amazon”. Rappelons que 19 projets sont actuellement en chantier… mais ça ne coûte rien de “demander” !

Les articles des Amis de la Terre dénoncent également le million de camionnettes de livraison qui circulent chaque jour et le fret aérien d’Amazon. Pour lutter contre ce fiasco écologique, ils ont là encore une demande citoyenne à formuler au gouvernement : “limiter le fret aérien des marchandises en arrêtant de louer des Boeing 767 pour les livraisons”. Et si Amazon fait son business avec l’avionneur européen Airbus, ça passe ? En réalité, la “demande” de ces (faux) Amis n’est qu’un vœu pieux ridicule : Amazon renoncerait à son profit en acceptant (on ne sait ni pourquoi ni comment) de ne pas développer sa propre flotte aérienne ? Et qu’en est-il des autres grosses firmes et de celles qui dévastent tout autant la planète ? Mais soyons rassurés car même le ministre français de l’économie a entendu la supplique des Amis de la Terre : il veut lui aussi lutter contre la trop grande influence des GAFAM ! Mais que le lecteur sur-consomateur qui à l’outrecuidance de commander ses chaussettes en ligne se rassure : le champion national du e-commerce, Cdiscount, pourra continuer à exploiter sa main-d’œuvre et construire ses entrepôts avec la bénédiction des Amis de la Terre et du gouvernement français.

Avec en tête les futures échéances électorales, les partis de gauche et organisations gauchistes ne sont pas en reste. Ils ont bruyamment apporté leur soutien à l’initiative “Stop au monde d’Amazon !” lancée par ATTAC (2) et eux aussi “demandent” une politique “volontariste” pour “faire payer les riches” ou en finir avec “la domination des trusts capitalistes” !

Ce que tous ces gauchistes ne disent pas, c’est que les entreprises privées et notamment les gros mastodontes que sont les firmes “transnationales” ne peuvent pas se développer si l’État ne leur prépare pas le terrain en amont sur le plan de la recherche fondamentale comme des infrastructures, qu’elles ne peuvent non plus exister sans les armes de la guerre économique que les États fourbissent pour défendre leurs entreprises nationales. Inversement, pour l’État, les grandes multinationales qui lui sont liées représentent bien souvent un secteur stratégique de l’économie nationale. Donc, en appeler à l’État et à sa “législation” revient quasiment à formuler une demande au bon vouloir des patrons eux-mêmes. Le prolétariat n’a rien à attendre d’une quelconque réglementation autour d’Amazon. Le capitalisme n’est pas réformable : il doit être détruit. C’est donc une imposture que de prétendre inverser le cours de la spirale infernale dans laquelle le capitalisme décadent s’enfonce par la simple bonne volonté de l’État qui n’est rien de moins qu’un “comité de direction” de la bourgeoisie.

À la recherche frénétique de rentabilité et de “rationalisation” de la production, plus le capitalisme s’enfonce dans la crise, plus il engendre des mastodontes comme Amazon, comme il sème de plus en plus le chômage, la précarité et la pauvreté. Toute la dégradation des conditions de vie du prolétariat n’est pas en soi le fait de l’existence ou non des monstres industriels et autres GAFAM. Les gauchistes déplorent les mauvaises conditions de travail chez Amazon. Quelle trouvaille ! Amazon exploite en effet sans vergogne ses salariés : bien évidemment, puisque l’économie capitaliste est fondée sur l’exploitation et la recherche de profit. Il en va de même pour toutes les entreprises, des plus petites aux plus grandes, y compris de l’État lui-même qui s’avère bien souvent le pire des patrons.

Derrière l’idée d’une prétendue moralisation du capitalisme au moyen de la lutte contre les GAFAM (que les mêmes appelaient les “multinationales” hier) se cache un double objectif non avouable :

– le soutien indéfectible à l’État capitaliste qui est le garant de l’exploitation ;

– la volonté de masquer ce que réserve ce système en crise : l’inévitable poursuite de la détérioration des conditions de vie de tous les prolétaires et un chômage massif.

Tant que le capitalisme régnera, l’exploitation et ses conséquences destructrices persisteront.

Ian, 25 février 2021

1) “Stop au monde d’Amazon !” sur le site internet Les Amis de la Terre.

2) “La contribution d’ATTAC aux pièges idéologiques de la bourgeoisie”, Révolution internationale n° 370 (Juillet – Août 2006).

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Campagne idéologique

G5 Sahel: L’impérialisme français dans l’étau du chaos guerrier

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Le 15 février dernier, Emmanuel Macron organisait une conférence avec le “G5 Sahel” (Mauritanie, Mali, Niger, Burkina Faso, Tchad) afin de faire le point sur la situation dans cette région d’Afrique touchée par une déstabilisation toujours plus grave. Le président français y déclarait : “Des évolutions sans doute significatives seront apportées à notre dispositif militaire au Sahel en temps voulu, mais elles n’interviendront pas dans l’immédiat. Un retrait français, retirer massivement les hommes, qui est un schéma que j’ai étudié, serait une erreur”. Cela signifie que la mission militaire Barkhane mise en place depuis 2014 restera sur place et que la France se pose de plus en plus la question de savoir comment sortir de ce qui est clairement un bourbier militaire (55 soldats français ont déjà été tués ces dernières années.)

Il y a un an, la pression des insurgés locaux faisait peser un risque de déstabilisation de tout l’édifice politique et économique du Sahel, entraînant un sommet improvisé à Pau entre chefs d’État du G5 pour sauver la situation ; la France annonçait à cette occasion l’envoi de 500 soldats supplémentaires ; le sommet du 15 février dernier tirait en fait le bilan de cette action depuis un an, et si ce bilan peut superficiellement paraître “positif” du point de vue de la bourgeoisie française, nombre d’acteurs tirent la sonnette d’alarme.

La France dans le bourbier malien

Les militaires français sont, par exemple, tout sauf optimistes sur la suite des opérations, d’autant que la véritable menace n’est pas uniquement celle des groupes armés affrontés au Sahel : “Dès 2018, le chef d’état-major des armées avait bien pris les devants à l’Assemblée nationale : “Je ne pense pas qu’il soit possible de régler le problème au Mali en moins de dix à quinze ans, si tant est que nous le puissions. Mais, aujourd’hui, d’autres contingences sont venues complexifier cette projection. À commencer par des inquiétudes diplomatiques et stratégiques, en raison, notamment, des manœuvres de la Russie et de la Turquie en Méditerranée orientale””. (1) Autrement dit, le vrai problème, ce sont les rivaux impérialistes de la France, principalement la Chine, la Russie et la Turquie.

Tout le problème de la gestion de “l’après-Barkhane” se trouve là ! Et si le gouvernement français se pose bien une question, c’est : comment se retirer du Mali sans laisser la place à d’autres ? En réalité, la réponse ne peut pas être militaire, comme le reconnaît par exemple le porte-parole officieux du Quai d’Orsay, le journal Le Monde : “L’absence de résultats décisifs obtenus par l’opération Barkhane, ainsi que les pertes humaines et son coût financier, sont soulignés de toutes parts. La négation de la dimension politique de la lutte insurrectionnelle menée par les groupes djihadistes qu’elle affronte (réduits à leur seul mode de combat à travers l’utilisation du vocable de terroriste, y compris lorsque leurs principales cibles sont des unités combattantes) a compromis la formulation d’objectifs politiques au service desquels mobiliser l’instrument militaire français”. Comme l’ex-otage Sophie Pétronin l’avait souligné lors de sa libération, au grand scandale du chef d’état-major de l’armée française, (2) la plupart des groupes que l’armée française combat au Mali sont autochtones et produit de rivalités locales entre tribus, entre pasteurs et agriculteurs, entre groupes ethniques, pour le contrôle des terres arables, des points d’eau, des zones d’influence.

Une situation locale fort préoccupante pour l’impérialisme français

Le problème qu’affronte l’impérialisme français est donc bien plus la fragmentation des sociétés locales, l’impuissance politique des États locaux et l’incapacité à apporter des solutions économiques et politiques, que la simple présence de quelques groupes armés dispersés sur un espace grand comme cinq fois la France. L’état des alliés de la France dans la région est significatif : le Burkina ne contrôle plus le nord de son territoire, devenu un repaire de “djihadistes” contre lequel l’armée française lance régulièrement des opérations ; le Tchad voit une des parties les plus importantes du pays, le lac Tchad, lui échapper, sous la coupe du groupe Boko Haram, et si Idriss Déby entend bien faire un sixième mandat de président, c’est en enfermant préventivement ses opposants qu’il organise les élections ! Les troupes tchadiennes ont la réputation d’être les meilleures de la région, et le principal pilier sur lequel l’armée française s’appuie, mais cette armée a dernièrement subi ses plus lourdes pertes (une centaine de morts) lors de l’attaque d’une de ses bases. (3) Le Niger, un des pays les plus importants de la région pour la France, à cause de ses mines d’uranium exploitées par Orano (ex-Areva), est à son tour touché dans la “zone des trois frontières”, où Barkhane a concentré son action militaire récente. Au Mali, enfin, épicentre du conflit, l’État en pleine déréliction ne tient que grâce au soutien français, ne contrôle pas de grandes parties de son territoire et a été le théâtre récent d’un coup d’État militaire qui a éliminé le président démocratiquement élu Ibrahim Boubacar Keita pour cause d’incurie face aux groupes armés. La seule institution qui tient encore dans le pays reste l’armée malienne, et cela ne fait pas un programme politique…

Le recul de l’influence française

Si la France dépense 900 millions d’euros pour entretenir Barkhane, alors que l’aide au développement qu’elle fournit en même temps n’atteint que le dixième de cette somme, c’est d’abord pour tenir une position impérialiste en péril face à des rivaux nettement plus dangereux que les Peuls ou les Touaregs ; de fait, la lutte contre les “terroristes” au Sahel est un écran de fumée et un alibi permettant de dissimuler l’enjeu fondamental de l’affaire : le recul de l’influence française dans la région face à la Chine, la Russie et même la Turquie. Les alliés de la France dans la région sont affaiblis, minés par la corruption, par la faiblesse des États locaux, par les luttes intestines dont les groupes armés locaux ne sont que la traduction la plus visible. La solution au problème n’est donc pas militaire, mais politique. Et politiquement autant que militairement, les alliés de la France montrent leur dramatique faiblesse ; l’armée française porte l’effort militaire à bout de bras, les gouvernements locaux sont incapables de répondre aux nécessités de la situation (le coup d’État récent au Mali le montre suffisamment) et tout le monde commence à parler ouvertement de “discuter” avec des groupes armés infréquentables.

Malgré la présence militaire française, l’extension des troubles et une véritable guerre civile semble se profiler dans toute la région : “La présence des groupes djihadistes, leur enracinement dans les communautés villageoises, où ils imposent leur “protection” et leur loi dans les conflits entre agriculteurs et éleveurs, se confirment dans un contexte où les États n’assurent ni la sécurité ni la justice. Il ne se passe pratiquement pas un jour sans une attaque armée, l’explosion d’une mine artisanale ou des exactions contre les civils. La région compte déjà plus de deux millions de personnes déplacées. L’armée française ne se risque même pas au centre du Mali, là où le chaos est à son comble. Paris redoute en outre l’extension de la nébuleuse terroriste vers les pays du golfe de Guinée, faisant courir le risque de l’entraînement dans un conflit régional”. De fait, comme des observateurs bourgeois le soulignent, la situation de la France dans la région ressemble furieusement à celle des Américains en Afghanistan ou en Irak, où elle est amenée, comme les États-Unis, à discuter d’une sortie de crise avec ceux-là même qu’elle combat depuis si longtemps… Dans le cadre d’une situation où la décomposition du système capitaliste détruit peu à peu le tissu social, fragmente la société toute entière, détruit toute vision globale au profit du chacun-pour-soi, met les États totalement à nu en montrant leur impuissance à contrôler leurs territoires, la volonté de la France de préserver ses intérêts en confortant des soutiens locaux en faillite et jouant de plus en plus leur propre carte dans la situation est fondamentalement une impasse.

Emmanuel Macron, au-delà des rodomontades sur la présence militaire française et sur le “sursaut civil” qu’il appelle de ses vœux dans la région, cherche bien entendu à se désengager militairement du Sahel, en essayant d’impliquer les autres pays de l’Union européenne dans la lutte militaire, et en soutenant les États locaux, notamment en formant et équipant leurs armées.

“Sur les modalités de cet éventuel retrait, le chef d’état-major des armées se montre d’ailleurs prudent : “je ne sais pas à quel rythme, ni sous quels procédés [se fera cette évolution], mais ce sera durable. Il faut le faire intelligemment pour ne pas, notamment, que les Russes ou les Chinois viennent occuper le vide qu’on aura laissé”, prévient-il. Une décision qui dépend en partie des signaux que pourrait envoyer, à partir de janvier 2021, le nouveau président américain Joe Biden vis-à-vis des engagements militaires de son pays en Afrique”. (4) Comme on le voit, la France est dans une position de plus en plus intenable, et, comme les États-Unis en Irak et en Afghanistan, ne cherche sur le fond qu’à se retirer du bourbier sahélien. Avec les mêmes difficultés que les Américains : aucune victoire militaire ne peut garantir la stabilité politique de régimes locaux faibles, pauvres, corrompus et incompétents. Et la véritable menace est parfaitement identifiée : encore une fois, ce sont les rivaux impérialistes qui déjà frappent à la porte.

Si la France compte sur l’engagement américain dans la région pour pallier en partie son retrait, elle compte surtout sur un soutien européen. Et ce soutien se fait attendre, car les autres pays européens, non seulement n’ont pas grand intérêt dans la région, mais n’ont aucune envie de se mouiller pour défendre les intérêts de la France, surtout dans l’inextricable situation où a mené l’intervention militaire française, confortant une fois de plus la dynamique politique générale du “chacun pour soi”. La création d’une task force européenne Takuba, claironnée triomphalement au sommet de Pau début 2020 a toutes les peines à se déployer au Mali dans la zone des trois frontières : jusqu’ici, elle se limite à de maigres “renforts” de militaires tchèques, estoniens et suédois. L’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Espagne ont catégoriquement refusé d’y participer. L’argument principal du gouvernement français, c’est-à-dire la menace terroriste que feraient peser les groupes djihadistes sahéliens sur l’Europe, s’avère pour l’instant totalement creux : aucun attentat en Europe ne peut être imputé à la nébuleuse djihadiste sahélienne.

Bien sûr, la France ne va pas retirer ses troupes brutalement, mais la question montre que le problème est clairement sur la table. Le problème est de savoir comment réaliser ce retrait.

La décomposition de toute la société bourgeoise prend un tour particulièrement aigu dans des pays africains dont les États en faillite ont montré depuis longtemps qu’ils n’avaient qu’une très faible capacité à contrôler leurs territoires ; l’intervention militaire française, au lieu de stabiliser la situation, ne pouvait que prolonger et accentuer le chaos local, l’étendre à une région toujours plus vaste, exacerber toujours plus les oppositions entre groupes locaux et rivaux impérialistes. La France se heurte ici à des rivaux nombreux et avides, et sa perte d’influence dans cette région, centrale pour elle, confirme que les grandes puissances ne peuvent que générer toujours plus de chaos et de guerres partout où elles interviennent.

HD, 2 mars 2021

1) “On a fait le tour du cadran : la France cherche une stratégie de sortie pour l’opération “Barkhane” au Sahel”, [20]Le Monde (17 décembre 2020). [20]

2) “Le général Lecointre fait part de “l’indignation” suscitée par les propos de Sophie Pétronin”, [21]Le Monde (15 octobre 2020). [21]

3) “Au Sahel, cinq États en première ligne face au défi du jihad”, Libération (15 février 2021).

4) “On a fait le tour du cadran : la France cherche une stratégie de sortie pour l’opération “Barkhane” au Sahel”, [20] Le Monde (17 décembre 2020). [20]

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Tensions impérialistes

Covid-19 en Afrique: Du vain espoir de 2020 à la dure réalité de 2021

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En 2020, avec l’expansion fulgurante du Covid-19 dans le monde, le continent africain paraissait relativement épargné, un continent où, dans de nombreux pays, une épidémie en chasse une autre, avec des services sanitaires très dégradés, voire inexistants, où la corruption règne en maître, où on se demande si la fosse insondable de la misère a une fin. Mais, en 2020, l’Afrique paraissait échapper à cette nouvelle calamité, à l’exception de l’Afrique du Sud où le taux de mortalité officiel reste élevé depuis le printemps dernier. Pourtant, rien qu’en regardant la situation de ce pays, le seul de l’Afrique subsaharienne doté d’un système sanitaire plus ou moins correct, on pouvait déjà imaginer ce qui allait se passer dans le reste du continent, si le Covid-19 se propageait davantage. Avec le nouveau variant dit “sud-africain”, la menace se concrétise.

Certes, il y a les “aléas” du virus, mais il y a surtout la certitude que la plupart des États d’Afrique sont gouvernés par des bourgeoisies nationales cleptomanes, clanistes et parasitaires, une classe dominante “jeune” mais déjà bien décomposée.

Des populations victimes de l’incurie des États

Pendant l’année 2020 et pour justifier l’inaction des États, toute une série de mythes, de mensonges et d’approximations ont circulé en Afrique, (1) relayés par les différents pouvoirs : le Covid-19 éviterait l’Afrique parce que la population y est majoritairement jeune, parce que le climat ne lui est pas favorable, parce qu’il y a une moindre interaction avec les autres continents, voire qu’il s’agit d’une “maladie de Blancs”, tout cela assaisonné par des croyances plus ou moins ancestrales. La bourgeoisie et ses États utilisent ces croyances pour rendre les populations africaines encore plus soumises et résignées, ces populations qui souffrent déjà des ravages des épidémies à répétition. Pendant ce temps, le virus continuait à se répandre, mais, dans certains pays, cela se voyait surtout dans les cimetières, jouant le rôle morbide des statistiques tandis que les fossoyeurs jouaient celui des comptables. (2)

Certaines affabulations sont même arrivées à auto-mystifier plusieurs dirigeants : “Au Zimbabwe, le sommet de l’État décimé par l’épidémie”, titrait le journal français Le Monde, (janvier 2021) : “Depuis décembre 2020, plusieurs membres du gouvernement prenaient la pose bras dessus, bras dessous, visages découverts, des ministres [en particulier celui qui a détrôné Robert Mugabe], des “héros nationaux” victimes du Covid : ils semblaient convaincus d’être immunisés grâce à leurs privilèges”. Il y a trois semaines, le vice-président de ce pays affirmait que les témoignages assurant que les hôpitaux étaient saturés, c’était de “belles histoires écrites par des mercenaires armés de stylo”. Début février, “alors qu’il enterrait trois de ses camarades, le ton avait changé : “[Le virus] ne fait pas la différence entre les puissants et les faibles, les privilégiés et les défavorisés, ceux qui ont tout et ceux qui n’ont rien”. On ne va pas plaindre la bourgeoisie responsable de l’hécatombe qui s’annonçait alors. On plaint surtout les populations africaines otages d’une telle engeance. 

En Tanzanie, les autorités assurent que le pays est victime d’une simple pneumonie : “Jusqu’à la fin de l’année dernière, le gouvernement de Tanzanie a essayé de convaincre les habitants et le monde entier qu’on guérissait du Covid par la prière, tout en refusant de prendre des mesures pour enrayer sa propagation, jusqu’à ce que la multiplication de décès par “pneumonie” et jusqu’à ce qu’un homme politique de Zanzibar ait admis avoir contracté le virus”. (3)  Tous ces mensonges pour tenter de sauvegarder le tourisme de safari !

Depuis le mois de décembre, les populations subissent de plein fouet les conséquences de l’incurie, de l’insupportable arrogance d’une classe dominante aussi vaniteuse que décomposée. “La deuxième vague de l’épidémie de Covid-19 se révèle plus meurtrière en Afrique”, selon le Centre de contrôle et de prévention des maladies (CDC), qui dépend de l’Union Africaine. Déjà, officiellement, beaucoup des pays dépassent les taux moyens de létalité. Au Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique, les autorités sanitaires rapportent devoir “choisir quels patients prendre en charge et auxquels refuser les soins”, selon le CDC. Il manque des lits partout, de l’oxygène, des équipes de protection. Au Ghana, ce sont les jeunes qui sont infectés. Et tout cela face au variant “sud-africain” qui serait 50 % plus contagieux que le premier Covid-19.

Afrique du Sud : “l’exemple” macabre

Pendant des années, l’Afrique du Sud a été célébré comme un exemple pour le continent, autant du point de vue économique que social, tout en vantant une “démocratie multiraciale” après les temps sinistres de l’apartheid. (4) Mais une fois l’euphorie retombée, la “nouvelle” bourgeoisie post-apartheid n’a pas fait dans le détail : répression brutale des luttes ouvrières, (5) corruption à tous les étages de l’État, destruction systématique des services de santé et comme résultat une gestion clownesque et criminelle de l’épidémie du SIDA. La misère des townships n’a fait qu’augmenter et de sinistres tueries racistes contre des immigrés ont même été perpétrées à Soweto.

C’est dans un tel contexte que la pandémie est arrivée dans ce pays. Et le désastre s’est ajouté au désastre. Comme nous l’avons souligné, le taux d’infection en Afrique du Sud a été le plus élevé depuis la première vague : officiellement, 36 000 décés ; mais sans doute autour de 80 000 en tenant compte de l’évolution du nombre des morts naturelles. Une situation que révèle le journal Le Monde et que la bourgeoisie ne pouvait plus vraiment cacher : “Des soignants, les pieds dans l’eau après des pluies intenses, s’occupant de malades du Covid-19 abrités par une simple structure métallique sur un parking. Publiées sur un compte Instagram supprimé depuis, les images sont devenues le symbole de la nouvelle crise sanitaire qui frappe l’Afrique du Sud. Submergé par un nombre record de patients gravement atteints, l’hôpital Steve-Biko, à Pretoria, n’a d’autre choix que de prendre en charge les nouveaux cas dans des tentes initialement destinées au triage des arrivées”. (6) Tout cela avec le poids du nouveau variant qui tue davantage que le premier. La seule chose que le pouvoir fait dans les hôpitaux, c’est interdire au personnel soignant de faire des déclarations pour exprimer leur désarroi face à des conditions de travail hallucinantes.

Vacciner l’Afrique : la Chine à l’affût dans la foire d’empoigne mondiale

L’Union Africaine a promis au moins 600 000 doses du vaccin pour 2021-22 à ajouter à celles de l’OMS (et son dispositif “équitable”, Covax). Les puissances étatiques, surtout européennes, ont plus ou moins compris que si l’Afrique devenait un foyer incontrôlable pour le coronavirus, cela ne ferait qu’ajouter un peu plus de chaos au désordre. Alors, on va prétendument “aider l’Afrique” avec une quantité de doses ridicule pour un continent qui aurait besoin d’environ 2,6 milliards de doses. Dans le contexte actuel, malgré toutes les promesses des uns et des autres, personne n’est capable de dire quand et comment des vaccins pourront être distribués convenablement dans le continent, (7) exceptés quatre ou cinq pays qui disposent de “super congélateurs” et, surtout, de moyens financiers.

Mais c’est surtout la Chine qui va trouver, avec le vaccin, un moyen supplémentaire d’accroître son influence impérialiste en Afrique : la “diplomatie sanitaire” inaugurée l’an dernier avec les masques, le matériel médical ou encore l’annulation de prêts à certains pays comme la République Démocratique du Congo, pays touché autant par le Covid que par la résurgence d’Ebola.

Après la guerre des masques, celle des respirateurs, on assiste maintenant au niveau mondial à la foire d’empoigne autour des vaccins dans une danse macabre entre États, entre ceux-ci et les industries pharmaceutiques, tous contre tous et cela malgré l’urgence, mettant pleinement en exergue le chacun pour soi effréné qui rythme la politique des États. C’est ainsi que la Chine profite de la pandémie pour accélérer sa diplomatie du soft power ou comme sa bourgeoisie mao-stalinienne l’affirme la main sur le cœur : pour une “communauté de destin sino-africaine plus forte” en faisant des pays africains des otages-débiteurs à perpétuité. Elle se présente en Afrique comme l’antithèse des anciennes puissances coloniales avec un discours mielleux de puissance “amie”.

Grâce au Covid, la Chine fait de grands pas dans sa mainmise sur l’Afrique. Sa présence “soft” ne va pas arranger les choses, ne va pas sortir de la misère les populations, elle fera la même chose que les autres puissances avec lesquelles, dans un monde de plus en plus chaotique, elle finira par s’affronter.

Après quelques années où l’on entendait parler du “miracle africain”, il faut bien constater les choses : ni les “pays émergents”, ni les nouveaux pays pétroliers ne s’en sortent. Sans rentrer ici dans le détail, l’avenir de beaucoup de pays d’Afrique paraît aller plutôt vers la “somalisation” que vers la stabilité. La pandémie n’est pas seulement venue s’ajouter aux malheurs des populations africaines : accentuation des famines, violences inter-ethniques, actions criminelles des sectes (comme les kidnappings de masse au Nigeria), déplacements violents de populations (comme dans les pays du Sahel) ainsi que, bien entendu, les affrontements inter-impérialistes tous azimuts. Et la pandémie ne fera que les amplifier de manière dramatique.

Dans ce contexte, que peuvent dire les révolutionnaires ? Nous ne sommes pas des prophètes du malheur, nous ne nous réjouissons pas des maux qui frappent le prolétariat et les populations exploitées de ces pays : cela, on le laisse aux vautours de cette classe d’exploiteurs qui tentent de profiter de la situation dans un monde capitaliste en pleine putréfaction et qui attendent leur heure pour remplacer les hyènes en place.

C’est la lutte du prolétariat autant africain que mondial qui pourra nous sortir de l’enfer du capitalisme décadent. Face aux mystifications et aux balivernes de toutes sortes propagées par les “libérateurs” nationaux, ethniques ou religieux, les exploités doivent prendre conscience qu’ils forment une seule et même classe dont la lutte internationale contient les germes d’une nouvelle société.

Fajar, 5 février 2021

1) On ne peut que rappeler ici les affirmations criminelles de l’ancien président de l’Afrique du Sud minimisant le fléau du SIDA, contribuant ainsi à l’expansion de la maladie.

2) “Normalement, Moussa Aboubakar creusait deux ou trois tombes par jour dans le cimetière principal de la ville de Kano, dans le nord du Nigeria. Du jour au lendemain, ce chiffre est monté à 75. ‘‘Je n’avais jamais vu autant de morts qu’aujourd’hui”, dit cet homme de 75 ans, dont le caftan blanc est souillé par la saleté de son travail au cimetière d’Abbatuwa, où il travaille depuis 60 ans. L’information du fait que les décès avaient augmenté de 600 en une semaine a créé l’alarme dans cette deuxième ville du pays et le pays tout entier. Mais les autorités ont nié que ce soit dû au coronavirus en affirmant qu’on exagérait. Mais, entretemps, les fossoyeurs d’Abbattawa avaient de moins en moins d’espace” (El País, du 23 mai 2020). En fait, les États et les bourgeoisies africaines, pour ne pas compter spécifiquement les morts du Covid-19, comptent surtout sur le désespoir et la résignation des populations face à un destin fait de calamités à répétition. Il faut dire que, même dans les pays développés, où la bourgeoisie a intérêt à faire des statistiques plus ou moins exactes, elle les tripatouille à sa convenance, comme en Espagne, en ne comptant pas les morts par Covid des EHPAD, en se disant sans doute qu’après tout, ils allaient mourir bientôt, à leur âge !

3) El País (13 février 2021).

4) Voir : “Contribution à l’histoire du mouvement ouvrier en Afrique du Sud (II) : De la Seconde Guerre mondiale au milieu des années 1970 [25]”, Revue internationale n° 155 (été 2015).

Voir également : “Contribution à l’histoire du mouvement ouvrier en Afrique du Sud (III) [26]”, Revue internationale n° 163 (2e semestre 2019).

5) Voir notre article sur le massacre des mineurs en grève à Marikana par la police sud-africaine, le 16 août 2012 (RI n° 435, septembre 2012) ainsi que l’article de notre section en Belgique (Internationalisme n° 356, décembre 2012) qui traite également de la vague de répression des luttes ouvrières qui ont suivi ce massacre.

6) “Covid-19 : l’Afrique du Sud confrontée à une deuxième vague brutale [27]”, Le Monde (18 janvier 2021).

7) Tout récemment les gouvernements ont accueilli en grandes pompes et avec force battage médiatique les premiers vaccins Covax qui ont atterri en Côte d’Ivoire. N’empêche que “très vite le chacun pour soi et le “nationalisme vaccinal” ont repris le dessus […]. L’Afrique a alors vu ses “amis” chinois, russes et indiens, prêts à lui venir en aide” (Jeune Afrique de février 2021).

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Révolution internationale n°488 - mai juin 2021

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Un an d’incurie face au Covid: Le capitalisme tue!

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Depuis le début du mois d’avril, le Covid-19 se propage à grande vitesse au quatre coins de la planète. Si la situation semble quelque peu se stabiliser en Europe et régresser aux États-Unis après une énorme flambée de contaminations, l’Amérique latine et le sous-continent indien sont désormais dans la tourmente. Des pays comme le Chili, dont la population avait été massivement traitée par les vaccins chinois, (1) sont touchés par une explosion des contaminations. La situation est si grave qu’au sein même des autorités chinoises, des voix ont été obligées de reconnaître l’efficacité “insuffisante” des vaccins. Officiellement, la pandémie a coûté la vie à plus de 3,2 millions de personnes dans le monde, et sans doute beaucoup plus, compte tenu des chiffres parfois éhontément mensongers de pays comme la Chine.

Si une année de recherche a permis de mieux connaître le virus, de mieux comprendre comment il se propage et comment lutter contre lui, l’incurie persistante de tous les États et l’irresponsabilité de la bourgeoisie ne permettent absolument pas la mise en œuvre de mesures cohérentes et efficaces pour limiter la prolifération du virus à l’échelle internationale. Les États, empêtrés dans une logique de concurrence, n’ont même pas été capables de se coordonner un minimum dans la politique vaccinale.

Face à cette absence de coordination, chaque État a dû mettre en place des mesures sanitaires à courte vue, avec des allers et retours sur les confinements, les semi-confinements, les états d’alerte ou les couvre-feux, en ouvrant ceci et en fermant cela. Sans moyens appropriés pour lutter contre la pandémie après des décennies de coupes budgétaires dans les systèmes de santé imposées par la crise, préoccupés par “l’économie” et le risque de se faire distancer par les concurrents, les États ont fini par s’accommoder des morts quotidiens et n’ont cessé d’ajuster leurs mesures sanitaires afin d’éviter une situation de chaos dans les hôpitaux et les cimetières (avec plus ou moins de réussite). C’est ce que la classe dominante appelle cyniquement : “vivre avec le virus”. Résultat : si certains États ont vacciné rapidement et à tout-va, on a laissé le virus se propager ailleurs en favorisant ainsi l’émergence de variants du Covid-19 plus résistant aux vaccins.

Inde, Brésil… une vision prémonitoire de l’avenir

Mais dans cette danse macabre, c’est probablement en Inde et au Brésil qu’on a pu voir les pires scènes de catastrophe. Au Brésil, “l’épidémie est hors de contrôle”, aux dires d’un scientifique brésilien : de nouveaux cimetières sont ouverts à tout-va, on transporte les cadavres en bus, la maladie emporte plusieurs milliers de victimes par jour. Bientôt le chiffre de morts atteindra le demi-million, dépassant les États-Unis dans cette course au record macabre. Les hôpitaux sont pleins, les gens crèvent dans leur brancard en attente d’un lit. Et tout cela en pleine avancée du nouveau variant originaire de Manaus, la grande ville amazonienne où, fin 2020, on avait cru au mirage de l’immunité collective, au moment même où une deuxième vague se répandait au Brésil dans un maelstrom apocalyptique. Pendant ce temps, Bolsonaro, le président du pays, celui qui prétendait qu’on avait à faire à une “gripezinha”, a continué à répéter “qu’il faut reprendre le travail et cesser de se plaindre”, tout en changeant de ministres comme de chemise dans une sinistre noria gouvernementale.

Au Brésil, le trafic d’animaux amazoniens et la déforestation massive exposent les êtres humains à des virus jusque-là “sous cloche”. D’après le biologiste Lucas Ferrante, chercheur à Manaus : “C’est en Amazonie qu’il y a le plus grand risque de voir surgir un nouveau virus, et ce risque est infiniment plus important que ce que l’on a vu à Wuhan”. (2) La destruction de la forêt amazonienne a pris les dernières années des dimensions catastrophiques. La bourgeoisie brésilienne, qui tire de juteux bénéfices de l’exploitation de la forêt amazonienne, n’est pas prête de stopper la destruction.

Mais depuis 15 jours, c’est la situation en Inde qui fait la Une de la presse. Il est difficile de décrire avec des mots l’horreur de la catastrophe sanitaire dans ce pays. L’Inde est aujourd’hui le pays le plus peuplé du monde. Malgré son développement économique, les services sanitaires étaient déjà sous-développés avant la pandémie. La santé n’était pas une priorité pour l’État. Le président indien, Narendra Modi, une espèce d’alter ego messianique de Bolsonaro, se vantait en février “d’avoir vaincu la pandémie” et que le pays “était un exemple pour le monde”. Modi s’était même permis de faire un peu comme la Chine et les autres grandes puissances possédant un vaccin : l’utiliser pour son rayonnement impérialiste. Désormais, on en interdit l’exportation.

Depuis janvier, ce gouvernement, très fortement marqué par l’hindouisme fondamentaliste, a délibérément encouragé un pèlerinage (la Kumbh Mela) de foules immenses venant des quatre coins du pays. Pendant les deux premières semaines d’avril, 2,8 millions d’Hindous se sont immergés les uns contre les autres sans masque, ni distanciation, ni contrôle de température, ni test préalable, dans les eaux du Gange infestées par les crémations rituelles de cadavres infectés. De véritables bombes à virus, sans oublier les meetings de campagne électorale !

Le retour de bâton de tant d’arrogance et de mépris ne s’est pas fait attendre. Les chiffres de la contagion et du taux de mortalité sont montés en flèche : 4 000 décès et autour de 4 millions de contagions par jour, “des statistiques très inférieures à la réalité”, disent les journaux, confirmées par le spectacle affligeant du manque d’oxygène, des lits occupés par plusieurs personnes, des queues devant les hôpitaux où les gens meurent sur les civières, dans le side-car de leur moto ou par terre !

Tout cela est un comble dans un pays qui, comme le Brésil, prétend devenir un géant économique. En Inde, à la place des images de familles à la recherche de terrain vague ou de parcs pour enterrer leurs proches, les bûchers alignés sur des centaines de mètres ont fleuri un peu partout pour incinérer les cadavres qui s’entassent et leur rendre un dernier hommage, misérable et indigne. Comme au Brésil et ailleurs, ce sont les plus démunis, c’est le prolétariat et les couches non exploitées qui payent le prix fort de telles incuries et des traumatismes qu’elles engendrent.

Quand on pense que ces deux pays, avec l’Afrique du Sud (3) avaient été classés comme ayant un potentiel de développement semblable à celui de la Chine, présentés quelque part comme l’expression du dynamisme d’un capitalisme éternel !

Le capitalisme s’enfonce dans la décomposition

Le Covid, comme les autres pandémies et fléaux qui menacent l’espèce humaine, est non seulement un produit mais aussi un puissant accélérateur de la décomposition sociale à l’échelle planétaire. L’Inde de Modi et le Brésil de Bolsonaro, mêmes s’ils sont dirigés par des gouvernements populistes qui les exposent à des décisions particulièrement stupides et irrationnelles, ne sont que deux expressions parmi les plus extrêmes, de l’impasse que représente le capitalisme pour l’avenir de l’humanité.

Il ne faut pas s’y tromper : Modi, Bolsonaro, Trump et bien d’autres représentants de la montée en puissance du populisme, à côté de leur administration erratique et bornée, restent, malgré leurs discours “anti-élites”, des défenseurs acharnés du capital national et les relais des besoins du capitalisme mondial : l’exploitation brutale et le saccage de la forêt amazonienne ainsi que l’extraction d’or sont encouragés par les pays importateurs de soja. Et du côté de Modi, les lois sur la fin de l’agriculture “protégée” ont été mises en œuvre afin d’ouvrir encore plus les campagnes aux besoins du capital. Malgré la victoire de Biden sur Trump aux États-Unis, la tendance à l’autodestruction et au chacun pour soi au sein de la classe dominante est inhérente au monde dans lequel nous vivons désormais.

Comme nous le mettions en avant dans notre “Rapport sur la pandémie de Covid-19 et la période de décomposition capitaliste” (juillet 2020) : “La pandémie de Covid […] est devenue un emblème incontestable de toute cette période de décomposition en rassemblant une série de facteurs de chaos qui expriment la putréfaction généralisée du système capitaliste, notamment :

– la prolongation de la crise économique à long terme qui a débuté en 1967 et l’accumulation et l’intensification des mesures d’austérité qui en ont résulté, ont précipité une réponse inadéquate et chaotique de la bourgeoisie à la pandémie, ce qui a obligé la classe dirigeante à aggraver massivement la crise économique en interrompant la production pendant une période significative ;

– les origines de la pandémie résident clairement dans la destruction accélérée de l’environnement créée par la persistance de la crise capitaliste chronique de surproduction ;

– la rivalité désorganisée des puissances impérialistes, notamment parmi les anciens alliés, a transformé la réaction de la bourgeoisie mondiale à la pandémie en un fiasco mondial ;

– l’ineptie de la réponse de la classe dominante à la crise sanitaire a révélé la tendance croissante à la perte de contrôle politique de la bourgeoisie et de son État sur la société au sein de chaque nation ;

– le déclin de la compétence politique et sociale de la classe dominante et de son État s’est accompagné de façon étonnante d’une putréfaction idéologique : les dirigeants des nations capitalistes les plus puissantes débitent des mensonges ridicules et des absurdités superstitieuses pour justifier leur inaptitude.

Covid-19 a ainsi rassemblé de manière plus claire qu’auparavant les principaux domaines de la vie de la société capitaliste tous impactés par la décomposition : économique, impérialiste, politique, idéologique et social. La catastrophe sanitaire actuelle révèle avant tout une perte de contrôle croissante de la classe capitaliste sur son système et sa perte de perspective croissante pour la société humaine dans son ensemble. […] La tendance fondamentale à l’autodestruction qui est la caractéristique commune à toutes les périodes de décadence a changé de forme dominante dans la période de décomposition capitaliste, passant de la guerre mondiale à un chaos mondial qui ne fait qu’accroître la menace du capitalisme pour la société et l’humanité dans son ensemble”.

Si le surgissement de la pandémie a mis un coup d’arrêt au développement des luttes ouvrières dans le monde, il n’a pas altéré la réflexion sur le caractère chaotique dans lequel baigne la société capitaliste. La pandémie offre une preuve supplémentaire de la nécessité de la révolution prolétarienne. Mais cette issue historique dépendra d’abord et avant tout de la capacité de la classe ouvrière, seule force révolutionnaire, de retrouver la conscience d’elle-même, de son existence, et de ses capacités révolutionnaires. Car seul le prolétariat, mobilisé et organisé autour de la lutte pour la défense de ses intérêts et de son autonomie de classe, a le pouvoir de mettre fin au joug tyrannique et mortifère des lois du capital et enfanter une autre société.

Inigo, 6 mai 2021

 

1) La Chine et la Russie ont sauté sur l’occasion pour inonder de vaccins les pays africains ou d’Amérique latine à des fins ouvertement impérialistes.

2) “Amazonie : point de départ d’une nouvelle pandémie  [30]?”, France Culture (19 avril 2021).

3) Voir : “Covid-19 en Afrique : Du vain espoir de 2020 à la dure réalité de 2021 [31]”, Révolution internationale n° 487 (mars-avril 2021).

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Violences du 1er-Mai contre la CGT: Une provocation au bénéfice de la police et des syndicats

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L’agression de militants de la CGT lors de la dernière manifestation du 1er mai à Paris est venue bousculer la routine traditionnelle des défilés syndicaux pour la fête du travail. Même si ces dernières années, les violences et affrontements entre les “éléments inorganisés”, les autonomes, les black-blocs et les forces de l’ordre sont devenus récurrentes, cette agression de la CGT sort de l’ordinaire et n’est nullement anodine.

Des méthodes de petits voyous étrangères à la classe ouvrière

À ce jour, le doute reste entier sur le pedigree des éléments ayant eu l’affront de venir chatouiller les “flics sociaux” qui, bombes lacrymogène et matraques à la main, avaient d’ailleurs aisément de quoi répliquer. Qui a osé s’en prendre à un syndicat prétendument engagé pour la lutte et la défense des revendications ouvrière, le traitant de “collabo”, l’accusant de collusion avec le pouvoir ?

Plusieurs médias comme Marianne ou des leaders politiques comme Xavier Bertrand à droite, ciblent la mouvance des black-blocs et sa possible alliance avec des éléments radicaux issus des “gilets jaunes”. La CGT, quant à elle, fustige “des individus clairement et dans leur grande majorité issus de l’extrême-droite… Nous affirmons que cette attaque est bel et bien de type fasciste. En témoignent la haine, les insultes proférées, les armes utilisées, le déchaînement sur les réseaux sociaux”. Philippe Martinez, leader de la CGT, estime carrément que “la tension émanait des forces de l’ordre à l’encontre des organisations syndicales”, suivi d’ailleurs par les trotskistes de LO affirmant que “ces forces de police étaient donc complices puisqu’elles ont bloqué les véhicules de la CGT, les empêchant d’échapper à l’agression”. De quoi laisser penser que le scénario était écrit d’avance par la Préfecture de police contre un “syndicat ouvrier”…

Pour en découdre avec le service d’ordre de la CGT, qui n’a jamais fait dans la dentelle, toutes les compétences en matière de coups de poing peuvent effectivement converger dans une union sacrée de groupuscules qui tous, sans exception, n’ont jamais rien eu à voir, ni de près ni de loin, avec la classe ouvrière, son terrain de lutte et ses objectifs.

Mais, contrairement aux apparences, tous ces groupes sont choyés par la bourgeoisie et son appareil répressif qui sait parfaitement les utiliser contre la classe ouvrière, n’hésitant d’ailleurs pas à les infiltrer pour mieux les manipuler. Le saccage des commerces et des édifices publics, souvent avec la bénédiction des forces de répression, le caillassage et les agressions physiques contre les flics et, aujourd’hui, les syndicats, sont du pain béni pour l’État en vue de renforcer ses moyens de répression policière et justifier l’amplification de violence et la “riposte légitime” au cours des manifestations.

Nous affirmions déjà en 2018 au sujet des violences des black-blocs : “Ce mode d’action, ces aventures “grisantes” se veulent “héroïques et exemplaires”, méprisant les formes de lutte collectives du prolétariat… Elles ne sont pas dirigées contre le système capitaliste mondial mais seulement contre des formes et des symboles les plus grossiers de ce système, en prenant l’aspect d’un règlement de comptes, de la vengeance de petites minorités frustrées et non celui d’un affrontement révolutionnaire d’une classe contre une autre”. (1) Les méthodes stériles de ces groupes et la publicité qu’en fait la bourgeoisie pour entretenir la terreur à longueur de temps sont un véritable poison à l’encontre de la classe ouvrière qui peine encore à retrouver son identité et ses méthodes de lutte.

La CGT profite de cette agression pour redorer son blason

La CGT et toutes les autres officines bourgeoises ont tout de suite lancé des cris d’indignation pour condamner cette agression contre des militants cégétistes n’ayant rien demandé à personne. Il s’en est suivi toute une campagne de victimisation de la part de la vieille centrale syndicale, relayée par les médias et soutenue bien sûr par ses confrères syndicaux et les organisations gauchistes. La CGT, comme l’ensemble des centrales syndicales françaises, est largement discréditée aux yeux des ouvriers après des décennies de sabotage des luttes : Mai 68 et les accords de Grenelle où les syndicats négocient la paix sociale avec le pouvoir gaulliste, la défaite des grèves dans la sidérurgie en 1979, le soutien de Solidarnosc en Pologne menant à la répression, le sabotage des luttes à la SNCF en 1986 en jouant sur le corporatisme, ou les dernières luttes contre la réforme des retraites menées dans l’isolement et le jusqu’auboutisme… les syndicats se livrent à un véritable travail de sape au service de l’État pour la poursuite de l’exploitation, du flicage au sein des entreprises des éléments ouvriers les plus offensifs pour les intimider ou même les réprimer (souvent en sous-main, en toute complicité avec la hiérarchie). Ce travail systématique contre les besoins de la lutte ouvrière a abouti à une désyndicalisation massive dans l’ensemble des pays industrialisés, exceptionnelle pour ce qui concerne la France : le taux de syndicalisation en France est l’un des plus bas d’Europe avec à peu près 10 % de salariés syndiqués, même 8,4 % pour le secteur privé, et une syndicalisation quasi nulle pour les travailleurs en intérim.

Dans la perspective des luttes à venir pour répondre à toutes les attaques contre les conditions de vie ouvrières, le syndicalisme et la CGT en particulier essaient de faire peau neuve en utilisant tous les moyens, en instrumentalisant toutes les occasions. Se parer d’un nouveau vernis radical et se poser en victime aussi bien de la répression étatique comme de la violence petite-bourgeoise des groupuscules les plus “radicaux” est une opportunité que la CGT ne pouvait que saisir.

La bourgeoisie cherche à discréditer les organisations révolutionnaires

Une chose est sûre, ces violences permettent à la bourgeoisie de jeter le soupçon sur tous ceux qui critiquent ou dénoncent le rôle que jouent les syndicats contre la classe ouvrière afin de mieux préparer leur répression. Plusieurs médias ont ainsi tout de suite pointé leurs doigts vers “l’ultra-gauche”. Ce réflexe habile des médias bourgeois, dans un contexte où des propagandistes comme Christophe Bourseiller mènent sur le même thème une véritable offensive contre les organisations révolutionnaires, (2) permet une fois de plus d’entretenir l’amalgame entre, d’une part, les groupuscules bourgeois hyper-radicalisés tels que les autonomes ou les black-blocs, adeptes de la violence aveugle propre à la petite bourgeoisie exaspérée et aux couches déclassées, et, d’autre part, les organisations révolutionnaires soucieuses de défendre les méthodes de luttes de la classe ouvrière et n’ayant absolument rien à voir avec les mœurs nihilistes et délinquantes des premiers.

Un autre amalgame, assimilant une frange de l’extrême-droite qu’on trouvait notamment dans certaines manifs des “gilets jaunes” et des autonomes a été régulièrement dénoncé ces dernières années, accréditant la théorie de la collusion rouge/brun de tous les “extrémismes politiques anti-démocratiques”.

La classe ouvrière doit défendre sa propre critique des syndicats

La CGT, comme toute autre organisation syndicale, n’est plus au service de la lutte ouvrière mais bien au service de l’État bourgeois dont elle est devenue un rouage essentiel parfaitement institutionnalisé. La classe ouvrière a développé depuis plus d’un siècle toute une expérience de luttes contre les syndicats en dénonçant la sale besogne de ces organes de l’État de manière politique à travers les discussions dans des assemblées générales et en rejetant leur participation dans le déroulement des luttes par des tentatives de prise en main et d’extension par les ouvriers eux-mêmes. L’attaque de camions de militants syndicaux et, de manière plus générale, toutes les actions violentes stériles et minoritaires animées par la haine ou la vengeance ne constituent en rien des méthodes de lutte de la classe ouvrière qui ne se bat pas contre des personnes ou des organismes mais contre le mode de production capitaliste dans son ensemble. Ce n’est qu’en étant en mesure de développer son combat en s’auto-organisant au sein des assemblées générales et de façon unitaire, au-delà des corporations et des frontières, que le prolétariat sera en mesure de repousser véritablement le sale travail de division et de sabotage des luttes qu’assument en permanence ses faux-amis que sont les syndicats.

Stopio, 7 mai 2021

 

1) “Black blocs : la lutte prolétarienne n’a pas besoin de masque [32]”, Révolution internationale n° 471 (juillet-août 2018).

2) Voir dans ce numéro : “Nouvelles attaques contre la Gauche communiste (Partie 1)”.

Situations territoriales: 

  • Vie de la bourgeoisie en France [33]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La question syndicale [34]

Rubrique: 

Les syndicats contre la classe ouvrière

“Appel des généraux”: Une initiative instrumentalisée par la démocratie bourgeoise!

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La publication sur le site de Valeurs actuelles d’un “Appel des généraux”, soutenu par des militaires pour la plupart en retraite, a fait l’objet d’un véritable emballement médiatique. L’auteur de la lettre, Jean-Pierre Fabre-Bernadac, un ex-capitaine de gendarmerie proche du RN, voulait selon ses dires : “libérer la parole” de l’armée face à ce qu’il qualifie de “délitement qui, avec l’islamisme et les hordes de banlieue, entraîne le détachement de multiples parcelles de la nation pour les transformer en territoires soumis à des dogmes contraires à notre Constitution”. Macron et son gouvernement, considérant Marine Le Pen “bien molle”, a beau s’engager dans une politique du “tout sécuritaire”, avec des discours inspirés par l’extrême droite et une inflation de lois “antiterroristes”, rien n’y fait : le miasme des idéologies nauséabondes s’exprime inexorablement tel une hydre des profondeurs. Pour tenter de juguler le discrédit du gouvernement après un an d’incurie et de bévues dans la gestion de la crise sanitaire, LREM multiplie les sorties sur le terrain de l’extrême droite, espérant ainsi raffermir son “autorité”. La date de publication de “l’Appel”, soixante ans jour pour jour après le putsch d’Alger, (1) témoigne d’ailleurs symboliquement de cette défiance rampante vis-à-vis de l’exécutif. Une défiance incarnée par l’épisode tragi-comique de cette lettre, agrémentée de propos non moins hilarants de Philippe de Villiers qui en “appelle a l’insurrection”… et à son frère, haut gradé mécontent, démissionné de l’état-major et qui ferait un “bon président” pour 2022 !

Après gêne, tergiversations et hésitations, le gouvernement a finalement dû réagir par la voix de sa ministre des Armées, Florence Parly, réaffirmant le principe de “neutralité” et de “loyauté” de la Grande muette en annonçant des “sanctions” pour les frondeurs. Le gouvernement en a profité pour renvoyer dans les cordes le RN et sa tentative de récupération outrancière, Marine Le Pen ayant engagé les signataires à “rejoindre son action”.

Tout ce tintamarre, au-delà du contexte de la campagne électorale qui s’amorce, est un signe révélateur de l’accélération de la décomposition du système capitaliste. Dans cet épisode grotesque, deux aspects sont particulièrement significatifs de cette dynamique :

– le premier, c’est que “l’Appel” exprime une réaction irrationnelle et ridicule de la part de hauts gradés de l’armée. Même si ce sont des généraux retraités, ceci n’est pas anodin et souligne bien la réalité de la tendance croissante à l’indiscipline et au sauve-qui-peut au sein de l’appareil politique de la bourgeoisie. En appeler à une “guerre civile” ou à une “insurrection” est une pure expression de la perte progressive de crédibilité de l’État.

– le deuxième aspect est le fait que cet événement ne peut que contribuer à fragiliser l’exécutif, à alimenter davantage le phénomène du populisme et du rejet des “élites” en place jugées responsables d’une insécurité surmédiatisée, des violences urbaines…

Bien entendu, si Marine Le Pen a cherché à instrumentaliser l’événement à des fins électoralistes par son soutien sans faille aux militaires réfractaires, toutes les formations aux prises ont joué leur partition politicienne pour l’occasion : le gouvernement et LREM en prônant des “sanctions” ; une partie de la droite en n’osant prendre à rebrousse-poil les généraux, préférant souligner “un appel au secours” à “prendre en compte” (Henri Leroy, sénateur LR) pour qualifier la rebuffade des verts kaki.

Mais le pompon revient aux formations d’une gauche toujours en recherche d’unité, aux écologistes, aux socialistes, à La France Insoumise, tous “scandalisés” à la fois par l’attentisme présumé du gouvernement et par ce qu’ils qualifient de “menace pour la démocratie”. Ce que révèle cette mascarade granguignolesque de nos généraux retraités, c’est que l’État capitaliste et la République bourgeoise peuvent compter sur des défenseurs et des chiens de garde aguerris : ceux des partis de la gauche du capital ! Dès que la démocratie bourgeoise semble menacée, ces zélés patriotes surgissent en justicier pour défendre bec et ongles les institutions. Dans un remake entre factions bourgeoises de Règlements de comptes à O.K. Corral, ces messieurs ont déjà saisi le procureur de la République, à l’instar de Mélanchon, qui sur Twitter demande des “sanctions” contre “les factieux”.

Aujourd’hui, les défenseurs de la démocratie bourgeoise prennent de grands airs contre des généraux un peu séniles. Si ces derniers ne comprennent visiblement rien à l’importance de la démocratie pour assurer la domination de la bourgeoisie, ils ne menacent en rien l’ordre capitaliste. Mais tous les thuriféraires de la République, ces vendus au capital, les Mélenchon, les Hamon, les Jadot, etc., le moment venu, sauront parfaitement dénoncer les ouvriers et les révolutionnaires en lutte contre l’ordre établi, contre la République bourgeoise.

Au-delà des putschistes de pacotille, se cachent d’autres ennemis des ouvriers, bien plus dangereux et pernicieux que les ringards de l’extrême droite : les ayatollahs de gauche tout aussi réactionnaire qui défendent l’État bourgeois et, le moment venu, réprimeront sans vergogne la classe ouvrière !

WH, 30 avril 2021

 

1) Tentative de coup d’État fomentée par une partie de l’armée française à Alger, le 21 avril 1961. Elle fut conduite par quatre généraux (Maurice Challe, Edmond Jouhaud, Raoul Salan et André Zeller) en réaction à la politique de Charles de Gaulle, considérée comme un abandon de l’Algérie française.

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Vie de la bourgeoisie

Nouvelles attaques contre la Gauche communiste: Bourseiller réinvente “la complexe histoire des Gauches communistes” (Partie 1)

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En 2003, Christophe Bourseiller, avec des prétentions d’historien, avait écrit une Histoire générale de l’ultra-gauche qui se résumait à des amalgames et des diffamations destinées à ternir la réputation de la Gauche communiste. Il réitère cette opération aujourd’hui avec un nouveau livre intitulé, Nouvelle histoire de l’ultra-gauche, tout aussi calomniateur. (1)

On peut lire à la page 363 de ce nouveau livre le passage suivant : “Lorsque la ministre de l’Intérieur Michèle Alliot-Marie fait référence dans ses interventions à une menace émanant de la “mouvance anarcho-autonome” et de “l’ultra-gauche”, elle ignore sans doute la complexe histoire des gauches communistes. Pourtant, les activistes néoruraux et post-situationnistes de Tarnac s’inscrivent bel et bien dans le destin complexe du courant ultra-gauche”. Bourseiller regrette cette ignorance de l’ex-ministre chargée de la répression de la classe ouvrière et il entend bien y remédier. Après 18 ans de loyaux services, il poursuit donc son travail d’instruction à l’usage de la police. C’est probablement un travail très utile qui vient apporter un minimum de connaissance indispensable à ceux qui sont chargés de la surveillance et de la répression des petits groupes révolutionnaires qui, malgré leur audience pratiquement négligeable actuellement, représentent l’avenir, c’est-à-dire le soulèvement et l’organisation des masses ouvrières du monde entier pour conquérir leur émancipation et libérer l’humanité du fléau que constitue le capitalisme. Ce travail de renseignement et de compilation ne pouvant que servir la police est une constante dans l’histoire de la société bourgeoise comme le montre le fameux livre de Victor Serge : Ce que tout révolutionnaire devrait savoir sur la répression.

Bourseiller fait le jeu de la police

Après l’insurrection victorieuse d’Octobre 1917 et l’ouverture des archives de la police politique du tsar, l’Okhrana, le parti bolchevik chargea Victor Serge de faire une recension des principaux documents qu’on pourrait y trouver. Victor Serge synthétisa son travail dans un livre remarquable. On peut y lire : “De volumineux traités sont écrits sur le mouvement révolutionnaire pour servir à l’instruction des jeunes générations de gendarmes. On y trouve pour chaque parti, son histoire (origine et développement), un résumé de ses idées et de son programme, une série de figures accompagnées de textes explicatifs donnant le schéma de son organisation, les résolutions de ses dernières assemblées et des notices sur ses militants les plus en vue. Bref, une monographie concise et complète. […] À l’attention du tsar, [le département de la police] confectionnait en un exemplaire unique une sorte de revue manuscrite paraissant dix à quinze fois par an, où les moindres incidents du mouvement révolutionnaire (arrestations isolées, perquisitions fructueuses, répressions, troubles) étaient enregistrés. Nicolas II savait tout”. (2) C’est bien la tâche que s’est fixée Bourseiller : on le voit, scrupuleux comme un bon fonctionnaire du ministère, dresser la liste des noms au moment de la constitution puis de la dissolution des différents groupes politiques, la liste de ceux qui furent présents à telle ou telle réunion.

Mais il arrive souvent que ces employés maîtrisent mal leur sujet. C’est ce qui arrive à Bourseiller qui multiplie les erreurs. Quelques exemples :

– Typique d’une lecture superficielle, il confond Arturo Labriola (1873-1959), un temps syndicaliste révolutionnaire avant de devenir réformiste, et Antonio Labriola (1843-1904), l’ami d’Engels et celui qui a contribué à introduire le marxisme en France et en Italie (p. 64).

– Il confond la position de la Gauche communiste de France (GCF) et du CCI avec celle de Trotsky pour qui, dans la période de décadence du capitalisme, les forces productives ont cessé de croître : “[…] “La Gauche communiste de France” développe du même coup une vision catastrophique et place ses militants dans la perspective des “derniers temps”. Les forces productives ont cessé de croître. L’heure est à la révolution” (p. 129).

– Jean Malaquais ou Maximilien Rubel n’ont jamais été membres de la Gauche communiste de France (p. 151).

À côté des erreurs, il y a inévitablement plusieurs stupidités des plus comiques, comme celle-ci : “Plus de dix ans après son exil volontaire [au Venezuela], le voici de retour sur la scène politique. Aux yeux des adolescents qui l’entourent, [Marc Chirik] prend volontiers le visage d’un second “père” et se complaît dans ce rôle de guide” (p. 137).

Chroniqueur à France Inter, enseignant à Sciences Po. Lille, (3) Bourseiller parade dans les salons de la classe dominante, sur les plateaux de télévision et sur les campus, et il est bien incapable d’accomplir une œuvre d’historien aussi sérieusement que certains fonctionnaires de l’Okhrana, comme l’avait relevé Victor Serge. Il oriente ainsi son travail du côté de la presse à sensation, de la presse people, cherche à faire frissonner les bourgeois avec les excentricités des situationnistes ou les violences des autonomes, et tourne complètement le dos à une recherche scientifique sur “la complexe histoire des gauches communistes”.

Les multiples campagnes idéologiques de mensonges et de calomnies

On pourrait aussi signaler une erreur qui n’en est pas une puisqu’elle est au cœur de son entreprise de confusion et d’amalgame. “Le groupe de Cornelius Castoriadis demeure incontournable. Jamais sans doute l’étiquette de “cherchant” n’aura aussi bien collé à un collectif. Socialisme ou Barbarie s’inscrit de manière éclatante dans le prolongement de l’école germano-hollandaise (GIC, Union communiste Spartacus)” (p. 159). Il n’y a aucune convergence entre Socialisme ou Barbarie et la Gauche germano-hollandaise. Les lecteurs intéressés pourront retrouver la véritable trajectoire de Socialisme ou Barbarie dans notre article, “Castoriadis, Munis et le problème de la rupture avec le trotskisme [35]”, dans la Revue internationale nos 161 et 162.

Ainsi Bourseiller veut rendre de bons services à la police et ses informations ne sont pas fiables. Mais il rend surtout un immense service à la classe dominante en attaquant la Gauche communiste, en essayant de la discréditer auprès de ceux qui recherchent les positions révolutionnaires et les moyens permettant de dépasser, de se débarrasser du système capitaliste. Expression politique secrétée par la classe ouvrière, le courant de la Gauche communiste est régulièrement la cible d’attaques et de calomnies diverses :

– Comme elle se réfère à la tradition du bolchevisme et s’inscrit dans le combat historique pour le communisme, elle est mise dans le même sac que le stalinisme et donc accusée de tous les maux dont la classe ouvrière elle-même eut à souffrir : le KGB, le stakhanovisme, la Grande Terreur, le Goulag.

– Pour ses prises de position contre la Seconde Guerre impérialiste mondiale, responsable de 60 millions de morts, dont Auschwitz et tous les camps d’extermination, les bombardements de Dresde, Hambourg, Hiroshima et Nagasaki, la Gauche communiste est présentée comme négationniste, c’est-à-dire rejetant la réalité du génocide des Juifs d’Europe comme l’avaient fait Faurisson et Rassinier en leur temps. C’est ce que lui vaut sa dénonciation de l’idéologie antifasciste qui fut précisément la condition qui a rendu possible cette guerre et tous les massacres qu’elle engendra.

– Bourseiller, qui reprend cette accusation de négationnisme, est par ailleurs l’initiateur d’une nouvelle campagne de discrédit consistant à jeter pêle-mêle la Gauche communiste dans le même chaudron que les situationnistes, les anarchistes, les autonomes et autres black blocs. Ce chaudron inventé par lui, il le nomme “ultra-gauche” et peut alors lancer ses flèches assassines : “Ainsi l’ultra-gauche s’est fondue dans les troubles du siècle nouveau. Ennemi ultime du capital, ce serpent de mer ne cesse aujourd’hui de ressurgir. De nos jours, les enfants de l’ultra-gauche agissent dans les ZAD. On les observe dans les “blocs autonomes” ou “black blocs” qui perturbent les manifestations” (p. 7). “Ce sont eux les “infiltrés”, les “provocateurs”, les “casseurs” qui, au sein des manifestations, affrontent les policiers, vandalisent les commerces, dégradent les monuments” (quatrième de couverture).

L’accusation de négationnisme

Bourseiller feint de croire que les révolutionnaires “ignorent les persécutions raciales” (p. 97) des nazis et leur reproche de ne pas s’impliquer “dans la résistance antinazie” (p. 113). Il se reconnaît ainsi dans la politique d’Union sacrée défendue par les social-chauvins de 1914 et de 1939 et dissimule en fait la réalité de l’engagement des révolutionnaires (souvent au prix de leur vie) contre les guerres impérialistes et toutes les formes d’exploitation et d’oppression, depuis la république démocratique qui massacra les ouvriers révolutionnaires à Paris en juin 1848 et en mai 1871 pendant la semaine sanglante de la Commune, et à Berlin en janvier 1919, (4) jusqu’au totalitarisme stalinien et nazi qui les extermina dans les camps de concentration et autres massacres de masse. L’un des exemples de cette position intransigeante du marxisme révolutionnaire a été la position internationaliste de Lénine en 1914 dénonçant la guerre impérialiste : “Les socialistes ont toujours condamné les guerres entre les peuples comme une entreprise barbare et bestiale. […] Les social-chauvins reprennent à leur compte la mystification du peuple par la bourgeoisie, selon laquelle la guerre serait menée pour la défense de la liberté et de l’existence des nations, et se rangent ainsi aux côtés de la bourgeoisie contre le prolétariat”. (5)

Trente ans plus tard, l’échec et l’écrasement de la révolution prolétarienne ont laissé les mains libres à la classe dominante pour déclencher une nouvelle guerre impérialiste encore plus meurtrière. Après Lénine, la Gauche communiste a brandi encore le drapeau de l’internationalisme, dénoncé la guerre et l’idéologie de l’antifascisme dans un Manifeste adressé aux ouvriers et aux soldats en juin 1944 : “Dans chaque pays, on vous a mobilisé sur des idéologies différentes mais ayant le même but, le même résultat, vous jeter dans le carnage les uns contre les autres, frères contre frères de misère, ouvriers contre ouvriers. Le fascisme, le national-socialisme revendiquent l’espace vital pour leurs masses exploitées, ne faisant que cacher leur volonté farouche de s’arracher eux-mêmes de la crise profonde qui les minait par la base. Le bloc des anglo-russes-américains voulait, parait-il, vous libérer du fascisme pour vous rendre vos libertés, vos droits. Mais ces promesses n’étaient que l’appât pour vous faire participer à la guerre, pour éliminer, après l’avoir enfanté, le grand concurrent impérialiste : le fascisme, périmé en tant que mode de la domination et de vie du capitalisme”. (6)

Nous avons déjà répondu à ces infamies sur le prétendu négationnisme de la Gauche communiste, en particulier dans notre brochure, Fascisme et démocratie : deux expressions de la dictature du capital [36]. (7) À une certaine époque la Guépéou traquait les révolutionnaires et les dénonçait comme “hitléro-trotskistes”, aujourd’hui les idéologues de la bourgeoisie les dénoncent comme “négationnistes”. Tout est fait pour discréditer la Gauche communiste avec des accusations tout autant délirantes aujourd’hui qu’hier. Les menaces de ces gendarmes idéologiques paraissent futiles, mais ils connaissent les effets destructeurs de la calomnie et ils comptent bien s’appuyer demain sur la force policière de l’État lorsque commencera la confrontation révolutionnaire entre les classes. (8)

Avrom E., 30 avril 2021


Dans la seconde partie de cet article [37], nous verrons comment Bourseiller s’emploie à amalgamer l’extrême gauche de l’appareil politique bourgeois et la Gauche communiste pour mieux la discréditer.


 

1) Christophe Bourseiller, Histoire générale de l’ultra-gauche, Paris, éd. Denoël, 2003 et Nouvelle Histoire de l’ultra-gauche. Voir notre dénonciation dans Révolution internationale n° 344 : “À propos du livre de Bourseiller “Histoire générale de l’ultra-gauche” [38]” (mars 2004).

2) Victor Serge, Les Coulisses d’une sûreté générale. Ce que tout révolutionnaire devrait savoir sur la répression, dans Mémoires d’un révolutionnaire et autres écrits politiques, (1908-1947).

3) Son cours s’intitule : “Approche des extrémismes en politique”.

4) C’est encore la république démocratique qui, avec le gouvernement provisoire de Kérensky, regroupant notamment les socialistes-révolutionnaires et les mencheviks, tenta de massacrer les ouvriers russes en juillet 1917. Cette tentative échoua car le parti bolchevik mit en garde les ouvriers contre le piège qui leur était tendu. C’est aussi la république démocratique qui, avec le gouvernement espagnol regroupant les socialistes, les staliniens et les anarchistes de la CNT, réprima les ouvriers révolutionnaires à Barcelone en mai 1937 avant de les sacrifier sur les fronts militaires antifascistes, répétition générale de la Seconde Guerre impérialiste mondiale.

5) Lénine, Le socialisme et la guerre (1915).

6) “Manifeste de la Gauche communiste aux prolétaires d’Europe”. Reproduit dans le livre du CCI, La Gauche communiste d’Italie.

7) Voir notamment le chapitre VI : “Depuis 68, la bourgeoisie agite le danger fasciste pour affaiblir la classe ouvrière [39]”.

8) Pour une dénonciation des campagnes sur le négationnisme, voir : “Campagnes contre le “négationnisme” : la coresponsabilité des “allies” et des “nazis” dans l’“holocauste” [40]”, Revue internationale n° 89

Conscience et organisation: 

  • La Gauche Communiste de France [41]

Personnages: 

  • Bourseiller [42]

Récent et en cours: 

  • Nouvelle histoire de l’ultra-gauche [43]
  • Histoire de l’ultra-gauche [44]

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [45]

Rubrique: 

Défense de la Gauche communiste

Bandes, rixes, lynchages… La jeunesse victime du pourrissement de la société capitaliste

  • 181 lectures

Depuis février, les faits divers de violence parmi la jeunesse se sont multipliés. Rixes, agressions, assassinats… l’horreur touche la jeune génération de plein fouet.

Le 15 février à Paris, Yuriy, 15 ans, se fait rouer de coups et fracasser le crâne à coups de marteau par onze jeunes âgés de 15 à 18 ans. Même inerte, au sol, ils continueront de le frapper. Le 22 février en Essonne, une jeune fille de 14 ans succombe à un coup de couteau dans le ventre lors d’une rixe entre deux bandes. Six mineurs de 13 à 16 ans sont interpellés. Le lendemain, le 23 février, toujours en Essonne, deux bandes s’affrontent : les “grands” (16-17 ans) “supervisent” la bagarre entre “petits” (12-15 ans)… jusqu’à ce que l’un d’eux, encerclé, sorte un couteau… Un collégien de 14 ans décède, un autre de 13 ans est hospitalisé en état grave, blessé à la gorge. Le 26 février à Bondy, Aymen, jeune boxeur de 15 ans, meurt assassiné par arme à feu. Les coupables : deux frères de 17 et 27 ans. Le 8 mars à Argenteuil, Alisha, 14 ans, tombe dans un guet-apens fomenté par un couple âgé de 15 ans : elle est rouée de coups puis jetée à peine consciente dans la Seine. Le contraste entre la jeunesse des protagonistes et la barbarie des actes commis est saisissant.

La presse et les politiques se sont tous repus de ces tragédies. Sont accusés pêle-mêle les “familles démissionnaires”, les “immigrés primitifs”, les “musulmans”, le “laxisme de la Justice”, le “manque de moyens de la police”… et tous de proposer comme solution de punir les parents, d’expulser étrangers, d’augmenter le nombre de policiers et de durcir la loi à l’encontre des mineurs. C’est d’ailleurs cette carte répressive que le gouvernement va jouer avec une réforme de la justice des mineurs qui va induire des jugements expéditifs et des peines plus lourdes. Autrement dit, tous nous préparent une société encore plus violente et inhumaine.

En réalité, la jeunesse paie le prix du pourrissement sur pied de l’ensemble du corps social : le no futur est une gangrène qui gagne peu à peu tout son organisme. Alors que la bourgeoisie n’est plus capable de mobiliser la société derrière une quelconque perspective, et tandis que le prolétariat ne parvient pas à défendre sa propre perspective révolutionnaire, la société se décompose sur pied (1) et les rapports sociaux se délitent : l’individualisme exacerbé, le nihilisme, la destruction des liens familiaux, le chacun pour soi, la peur de l’autre se répandent ; la violence aveugle, la haine, l’esprit de vengeance et l’auto-destruction deviennent la norme (à la télévision, dans les films, par la musique, les jeux). Ce déferlement de barbarie entre gamins pour des raisons totalement futiles et irrationnelles est l’expression d’une société sans avenir, qui se décompose, nous oppresse et nous asphyxie. Dans des régions de plus en plus larges du monde, cette violence entre jeunes est devenue quotidienne, qu’elle prenne la forme de rivalités entre gangs ou de fusillade dans les établissements scolaires.

Aujourd’hui, la bourgeoisie n’a aucun avenir à offrir à l’humanité. Seule la lutte de classe peut mettre fin à cette dynamique. Seule la solidarité de classe, toute génération confondue, peut éclairer le chemin vers la perspective révolutionnaire et mettre un terme à ce capitalisme inhumain et mortifère.

Ginette, le 24 mars 2021

1Pour aller plus loin sur ce que le CCI nomme la “phase de décomposition” de la société capitaliste, nous invitons nos lecteurs à lire les thèses : “La décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste [46]”, ainsi que les nombreux articles et polémiques que nous avons publiés sur le sujet.

Géographique: 

  • France [47]

Rubrique: 

Barbarie du capitalisme

Réunion publique en ligne du 27 mars 2021: Le prolétariat demeure l’ennemi et le fossoyeur du capital

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Le 27 mars, le CCI a tenu une nouvelle réunion publique (RP) virtuelle sur le thème : “Face à la pandémie et à la crise économique : quelle réponse de la classe ouvrière ?” Un bon nombre de camarades ont participé à cette réunion, où s’est exprimée une forte volonté de discuter, de se clarifier, d’approfondir. Après 4 heures de discussion, nous avons proposé d’arrêter la réunion, tout en sachant que le sujet était loin d’être épuisé. Des camarades sont d’ailleurs intervenus afin d’encourager la poursuite de ces rencontres et, éventuellement, d’augmenter leur fréquence.

Nous ne reviendrons pas dans ce bilan sur toutes les questions soulevées au cours de la RP. Nous souhaitons plutôt développer un sujet particulier qui traversait les interventions de plusieurs participants : la nature et la composition de la classe ouvrière.

Plusieurs intervenants ont exprimé des interrogations au sujet du poids de la classe ouvrière dans la société capitaliste, du type : les ouvriers sont-ils majoritaires ou minoritaires ? Selon le CCI, la réponse à cette question ne peut s’effectuer sur un plan quantitatif mais sous l’angle de la place et du rôle des producteurs salariés dans les rapports sociaux de production capitalistes.

D’autre part, des doutes se sont exprimés sur la capacité de la classe ouvrière à rester une alternative à la barbarie capitaliste. Mais ce qui frappe également, ce sont les difficultés chez certains camarades à apporter une réponse convaincante à ces interrogations. Quelle est la racine de ces difficultés et comment y répondre ? C’est la question que nous voulons reprendre dans cet article.

Un long recul depuis l’effondrement du bloc de l’Est

De notre point de vue, les difficultés à s’appuyer sur la force historique du prolétariat sont à relier au contexte difficile que traverse la classe ouvrière elle-même. L’impact de la pandémie, alors que le prolétariat subit depuis trois décennies un recul de sa conscience suite à l’effondrement du bloc de l’Est en 1989, au point d’avoir perdu son identité de classe, le conduit à ne plus se considérer comme une véritable classe sociale ayant un projet historique. Tout ceci n’est pas sans produire d’effets néfastes sur l’ensemble des ouvriers, même pour les minorités les plus conscientes.

Au moment même où le mur de Berlin s’effondrait, et plus encore lors de la dislocation rapide du bloc soviétique, une propagande terrible sur la prétendue “faillite du communisme”, assimilé mensongèrement au stalinisme, portait un immense coup de massue sur la conscience des ouvriers. À cela s’ajoutait tout un discours officiel sur la prétendue “disparition de la classe ouvrière”. Selon les historiens et sociologues bourgeois, il ne restait désormais plus que de simples catégories étudiées de manière purement quantitative : “cols bleus”, “col blancs”, “employés”, “femmes/hommes”, “jeunes/vieux”, “immigrés”, etc. : un saucissonnage permettant de faire disparaître toute une classe dans son ensemble ! Si on reconnaissait parfois du bout des lèvres la présence des ouvriers, c’était pour davantage les diluer dans tout un tas de spécificités et d’identités diverses, mais plus du tout comme “classe”. Un discours d’autant plus pernicieux que les apparences ont semblé donner raison à la classe dominante. La disparition dans les pays industriels des secteurs traditionnels comme les mines, la sidérurgie, etc., et les délocalisations durant les années 1990-2000, pouvaient en effet donner l’illusion que la classe ouvrière avait effectivement disparu ou qu’elle ne se trouvait plus qu’en Chine ou dans d’autres pays “émergents”.

Avec la pandémie de Covid-19, la “redécouverte” des prolétaires au cœur des pays centraux n’a eu pour objet que de nous mettre encore davantage la tête sous l’eau : en divisant encore, par exemple, les blouses blanches reconnues comme “héroïques” du fait de leur “sacrifice pour la nation” et les autres prolétaires qualifiés d’ “invisibles”. Et parce qu’ “invisibles”, forcément, sans identité, inexistants ! Certes, en “première ligne”, mais comme “chair à virus”, donnant une image d’impuissance et d’écrasement total. D’autre part, une propagande incessante s’abat contre la classe ouvrière dans laquelle les médias présentent les miasmes de la société capitaliste à l’agonie (l’atomisation, le “tous contre tous”, la pensée mystique et irrationnelle) comme le propre de la “nature humaine”. Le but étant de présenter l’action collective et la solidarité comme illusoires et ainsi pousser les exploités à se résigner et abandonner le combat pour un autre avenir. Des soignants aux personnels d’entretien, des ouvriers d’usine aux livreurs, des caissières aux forçats de l’agroalimentaire, etc., toute la classe ouvrière se retrouve exposée face à cette industrie du mensonge.

Le prolétariat est une classe exploitée et révolutionnaire

Ce qu’a cherché la bourgeoisie, c’est faire oublier aux prolétaires qu’ils sont une classe fondamentale au cœur de la production et qu’ils sont, selon le mot de Marx, les véritables “fossoyeurs du capitalisme”. Par la place qu’ils occupent au cœur des rapports de production, et non du fait de leur sexe, de leur couleur de peau ou de la couleur du col de leur vêtement, les prolétaires, comme producteurs associés, vendent leur force de travail à ceux qui détiennent les moyens de production. Ils s’opposent frontalement par leurs intérêts divergents, incompatibles avec ceux de leurs exploiteurs et de la machine capitaliste. Dans la tradition du mouvement ouvrier, l’opposition fondamentale des classes, aujourd’hui encore, reste bien celle-ci : travail contre capital.

Pourtant, cette opposition est occultée, de même que toute l’expérience du mouvement ouvrier qui se retrouve en même temps falsifiée. Le socialisme ne serait plus qu’un idéal du passé, une utopie du XIXe siècle totalement obsolète, une idée en faillite et “dangereuse pour la démocratie”. Il n’y aurait donc plus rien à tirer de l’expérience de la lutte du prolétariat dont la place ne serait plus que dans les salles de musée.

La réalité est toute autre ! Non seulement la classe ouvrière existe (y compris d’ailleurs sous sa forme “classique” de travailleurs industriels) mais reste une classe historique, c’est-à-dire porteuse d’une autre société et de nouveaux rapports sociaux visant à abolir l’exploitation.

Contrairement aux couches intermédiaires de la petite bourgeoisie, comme les commerçants et les artisans ou également les paysans pauvres, la classe ouvrière détient une spécificité, celle d’être contrainte de vendre sa force de travail et de ne rien posséder, d’être une classe exploitée. Quelle est la source de cette exploitation ? Comme l’a démontré Marx, le salaire que reçoit chaque jour l’ouvrier est inférieur à la valeur de ce qu’il a produit. Voilà la base de l’exploitation capitaliste. Le salaire de l’ouvrier correspond uniquement à la partie de la valeur lui permettant de subvenir à ses besoins afin de pouvoir reproduire sa force de travail. La valeur restante n’est pas payée à l’ouvrier, elle est accaparée par le patron. Marx a appelé ce montant “la plus-value”. Par exemple, Si l’ouvrier travaille pendant 8 heures, il reçoit l’équivalent de 4 heures (1) et les 4 autres heures sont appropriées par le patron. (2)

Bien entendu, tous les salariés ne sont pas exploités : les dirigeants des grandes entreprises sont souvent des salariés mais avec leurs salaires de plusieurs millions d’euros par an, il est clair qu’ils ne sont pas exploités et qu’ils vivent eux-mêmes de la plus-value extraite à la sueur du front des prolétaires. C’est la même chose pour les hauts fonctionnaires. Appartenir à la classe ouvrière suppose également ne pas avoir une fonction dans la défense du capitalisme contre la classe ouvrière. Le clergé ou les flics ne sont pas propriétaires de leurs moyens de production (l’église ou le “panier à salade” de la répression étatique) et sont également salariés. Cependant, ils n’ont pas un rôle de producteurs de richesses mais de défenseurs des privilèges des exploiteurs et de maintien en place de l’ordre existant. Il en va de même pour les managers ou le petit chef dans un atelier qui jouent un rôle de flic au service du patron. Par contre, même s’ils ne produisent pas directement de la plus-value, les infirmiers ou les enseignants, par exemple, font partie de la classe ouvrière de par leur rôle vis-à-vis de la force de travail à réparer ou à former pour le capital, et de par leurs conditions d’exploitation sociale même.

En plus d’être une classe exploitée, la classe ouvrière a aussi et surtout la spécificité d’être une classe révolutionnaire, ce que nous appelons une “classe historique”. Produisant tout et ne possédant rien, elle n’a, à la différence des petits producteurs indépendants, par exemple, aucun intérêt à vouloir maintenir la société capitaliste. Au contraire, en tant que classe exploitée, elle subit de plein fouet la crise inéluctable et généralisée du système capitaliste. Elle doit donc se battre pour réduire les effets de l’exploitation, mais comme classe révolutionnaire il lui faut conquérir son émancipation et détruire les causes de l’exploitation. Son véritable intérêt, sa seule perspective, c’est la destruction du capitalisme. Et parce qu’elle se trouve, à l’échelle internationale, au cœur de la production, elle a non seulement l’intérêt mais aussi les moyens matériels de renverser le capitalisme. En effet, sa place comme producteur associé dans le travail, sur la base d’une solidarité commune face à l’exploitation capitaliste, en fait une classe dotée d’une conscience et d’une mémoire historique sans barrières, sans patrie ni frontière. Sa force se construit sur la base de l’expérience historique d’un mouvement qui prend nécessairement une dimension internationale du fait que “les prolétaires n’ont pas de patrie”, selon les mots du Manifeste du Parti communiste. Ne possédant que son unité et sa conscience, le prolétariat reste aujourd’hui encore, et cela tant que durera le capitalisme, une classe révolutionnaire.

Contrairement à l’idée que sa force pourrait en soi être liée à son nombre par rapport au reste de la population, c’est avant tout sa nature de classe solidaire et opposée au capital qui en fait toujours le sujet de la révolution et de l’histoire. Par exemple, lors de la révolution prolétarienne d’Octobre 1917 en Russie, la classe ouvrière était nettement minoritaire sur le plan quantitatif mais elle était la seule capable de donner une orientation révolutionnaire à la société.

Aujourd’hui encore, malgré les doutes, le poids réel des difficultés, la classe ouvrière conserve intacte ses forces révolutionnaires face à l’État bourgeois. Son projet révolutionnaire n’est ni une belle idée qui viendrait de l’extérieur ou de quelques cerveaux de génie, mais de sa propre expérience et de la nécessité de son combat de classe. Alors que la crise du système capitaliste, croulant sous le poids de ses propres contradictions ne peut offrir que la crise chronique et un cortège d’attaques incessantes contre leurs conditions de vie, les prolétaires n’auront d’autre choix que de lutter. Leurs luttes revendicatives, formeront la base permettant d’affirmer à terme une véritable perspective révolutionnaire. En lien avec sa mémoire collective, son expérience et sa conscience de classe, l’avenir révolutionnaire appartient toujours au prolétariat.

WH, 10 avril 2021

 

1) Si la valeur de 4 heures de travail correspond à la reproduction de sa force de travail.

2) En réalité, il s’agit d’une valeur moyenne. Marx montre que cette valeur du salaire oscille autour de cette moyenne et dépend du rapport de force entre les classes.

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Le Marxisme : la theorie de la révolution [48]
  • La lutte Proletarienne [49]
  • Conscience de classe [50]

Rubrique: 

Réunions publiques et permanences du CCI

Génocide des Tutsis au Rwanda: La bourgeoisie française solde hypocritement sa responsabilité et celle du capitalisme

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27 ans après le génocide d’au moins 800 000 Tutsis du Rwanda en 1994, deux rapports (dont l’un a été commandé par l’Élysée) ont récemment reconnu les “responsabilités lourdes et accablantes” de la France et de son président socialiste d’alors, François Mitterrand. D’anciens ministres sont évidemment tombés des nues face à ces “accusations infamantes”, mais l’État français ouvre bien la porte à la reconnaissance officielle de son indiscutable soutien aux génocidaires. Seulement, à travers cette reconnaissance, il s’agit surtout de solder idéologiquement un secret de polichinelle. Si la bourgeoisie française reconnaît sa responsabilité en misant sur l’oubli et la distance du passé, c’est aussi pour mieux mouiller la clique autour de Mitterrand et se dédouaner dans son ensemble ! Les ministres de droite de l’époque se sont bien sûr répandus dans la presse pour expliquer à quel point, eux, n’y sont pour rien : il n’y a qu’un seul coupable, c’est l’ancien président de la République ! L’ancien Premier Ministre, Édouard Balladur, fraîchement lavé de tout soupçon dans les attentats de Karachi, a ainsi déclaré : “Tous ceux qui prônaient une intervention de l’armée française étaient en fait favorables au gouvernement hutu […]. J’étais extrêmement hostile à cette solution, car cela aurait pris les allures d’une expédition coloniale […]. Ça aurait fait de nous des acolytes de ce début de génocide”. En réalité, le massacre abominable des Tutsis n’a représenté qu’un “dommage collatéral” dans les conflits impérialistes incessants que se livrent les États, puissants ou faibles. Le véritable coupable, c’est l’impérialisme, c’est le capitalisme et la concurrence effrénée que toutes les bourgeoisies doivent se livrer pour conquérir des marchés, assurer des approvisionnements, empêcher l’implantation des rivaux et/ou garder une influence sur des territoires… Pour comprendre la nature réelle du “dernier génocide du XXe siècle”, nous renvoyons nos lecteurs à un article paru en 1994 dans la Revue internationale n° 78 :

– “Rwanda, Yémen, Bosnie, Corée : derrière les mensonges de paix, la barbarie capitaliste [51]”.

Géographique: 

  • Afrique [22]

Personnages: 

  • Mitterrand [52]

Evènements historiques: 

  • Génocide des Tutsis au Rwanda [53]

Rubrique: 

Situation en Afrique

40 ans après l’arrivée du PS au pouvoir en 1981: La gauche est un ennemi mortel du prolétariat

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Il y a 40 ans, le Parti socialiste (PS), avec François Mitterrand à sa tête, arrivait au pouvoir. À l’époque, tout le “peuple de gauche” avait été appelé à sabrer le champagne pour fêter l’arrivée inespérée d’un président avec qui la société française allait prétendument “changer”. 40 ans après, la gauche est très loin de faire rêver les masses ouvrières.

En 1981, la “force tranquille” incarnée par la gauche et la figure de son leader, devait, parait-il, transformer la vie et redonner du baume au cœur à la classe ouvrière qui avait subi la crise et de nombreuses attaques durant les années 1970 : entre la crise de la sidérurgie, l’inflation galopante et le “choc pétrolier” de 1973, la classe ouvrière avait pris de plein fouet les attaques contre ses conditions de vie et avait répondu par des luttes assez dures comme à Longwy et Denain. Mais de la relance de la consommation à la disparition du chômage, en passant par la semaine de 35 heures (sans diminution de salaire), l’élimination des inégalités sociales et l’abolition de la peine de mort, les promesses du PS étaient nombreuses, pleines d’un espoir illusoire.

Pour autant, la victoire de la gauche est demeurée à l’époque accidentelle. Elle était totalement à contre-courant de la tendance générale en Europe de maintenir la gauche dans l’opposition pour mener des attaques frontales et encadrer les luttes en sabotant la combativité ouvrière. Les dissensions de la bourgeoisie de droite ont très largement contribué à torpiller la candidature de Valéry Giscard d’Estaing. Comme nous l’écrivions dès juin 1981 : “Pour les présidentielles françaises, le PS avait tout fait pour que son candidat soit battu : il avait choisi Mitterrand alors que Rocard paraissait à l’époque le mieux placé pour battre Giscard ; sitôt désigné, le candidat Mitterrand était parti en voyage en Afrique et en Chine, comme si l’élection présidentielle ne l’intéressait pas. De son côté, le PCF, jusqu’au premier tour, avait également fait tout son possible pour que Giscard rempile. La gauche dans son ensemble avait donc, comme en 1978, “joué le jeu”, celui qui devait lui permettre de rester dans l’opposition. En l’occurrence, c’est la droite qui n’a pas joué le sien… l’effet “Chirac” est allé au-delà des espérances [de la bourgeoisie]. Le mécontentement des couches petite-bourgeoises capitalisé et amplifié par le chef du RPR a finalement privé au second tour Giscard d’une partie de son électorat habituel… Ce ne sont donc pas Mitterrand et la gauche qui ont gagné l’élection mais bien Giscard et la droite qui l’ont perdue”. (1)

La politique bourgeoise du PS et du PC

Si pendant quelques mois, l’augmentation des minima sociaux a pu faire illusion, le gouvernement PS/PC/radicaux de gauche allait rapidement montrer son vrai visage : augmentation des prix en cascade dans les transports, pour l’électricité et le gaz, répression directe face aux révoltes sociales dans la banlieue lyonnaise.

Les conséquences des premières mesures de François Mitterrand ne se font pas attendre. Tous les voyants sont au rouge. Dès 1982, les difficultés économiques et monétaires amènent le gouvernement à bloquer les salaires et aboutir au fameux “tournant de la rigueur” de 1983 sous le troisième gouvernement Mauroy, une expression aujourd’hui consacrée.

Autre promesse médiatisée à l’extrême, le symbole de l’abolition de la peine de mort est enfin adopté. La barbarie n’a, parait-il plus sa place en France. La belle affaire ! Si la guillotine disparaît, la mort sous les coups de la répression s’aggrave : de la mort de Malik Oussekine en 1986 à celle des indépendantistes kanaks de la grotte d’Ouvéa en 1988, la violence barbare de l’État sous la gauche n’a strictement rien à envier à la moindre dictature policière.

Déjà à l’époque nous écrivions : “Le gouvernement socialiste, gestionnaire responsable du capital français, troisième marchand d’armes de la planète qui naguère a été, avec son ancêtre SFIO responsable de la guerre en Algérie, qui aujourd’hui accélère son programme militaire à coups de sous-marins atomiques, de missiles nucléaires et de bombes à neutrons, se pose en moraliste. Tartuffe est au pouvoir !” (2)

La France s’arme “non pour faire la guerre mais pour qu’il n’y ait plus de guerre… uniquement parce que la supériorité militaire de l’URSS et le déséquilibre de la terreur est source de conflit” (Charles Hernu, ministre PS de la défense à l’époque). En effet, le PS au discours “pacifiste” multipliait les expériences nucléaires dans le Pacifique et n’hésitait pas à faire donner les barbouzes de l’État pour couler le Rainbow Warrior de Greenpeace en 1985. En Afrique, les croisades impérialistes se multipliaient : l’opération Manta au Tchad se mettait en place dès 1983-84 ; l’opération Épervier allait suivre dès 1986. S’agissait-il d’apporter la solidarité aux peuples africains plongés dans la guerre et le chaos ? Non évidemment, il s’agissait plutôt de garantir la défense du pré carré de la Françafrique. Si la “solidarité” s’exerce, c’est au profit du bloc impérialiste atlantique, en soutenant l’installation des fusées Pershing en Allemagne par exemple : “le pacifisme est à l’ouest, les euromissiles à l’est” (Charles Hernu en 1983). En engageant la France dans la guerre du Golfe aux côtés des États-Unis en 1991, la France poursuivait son œuvre guerrière au service d’une barbarie croissante.

Nous pourrions poursuivre à l’envi tout ce qui concerne les promesses faites à la classe ouvrière…

– Les 39 heures puis les 35 heures, la cinquième semaine de congés payés ? Il suffit de regarder la situation aujourd’hui et se rappeler que dès 1986, la loi sur la flexibilité du travail venait balayer l’illusion de la baisse du temps de travail et imposait une intensification des rendements, de la productivité, une exploitation accrue pour la classe ouvrière, une augmentation exponentielle du chômage de masse et de la précarité.

– La loi Auroux de défense des intérêts ouvriers dans l’entreprise ? Elle instaure de nouveaux droits pour les organisations syndicales, les délégués du personnel, les comités d’entreprise. Là encore, l’objectif majeur est de redynamiser la production en confortant la paix sociale, renforcer l’encadrement des syndicats.

– Sans parler de l’institution du forfait hospitalier promue par le ministre stalinien Ralite, la Contribution sociale généralisée (CSG), créée en 1990 pour abonder les caisses de sécurité sociale, a constamment augmenté (passant d’une taxation de 1,1 % à 9,20 % aujourd’hui) et s’applique aussi aux indemnités chômage et retraite.

Mitterrand, tremplin pour le FN

Face à la montée en flèche de l’extrême droite en France depuis des années, à ses conceptions populistes, xénophobes et racistes, il est bon de rappeler combien Mitterrand a su utiliser la carte du Front National (FN) pour son jeu politicien contre la droite, l’utiliser également pour crédibiliser tout un discours démocratique antifasciste. Même s’il n’évitera pas la défaite électorale de la gauche aux législatives de 1986, le rétablissement du scrutin proportionnel lors de ces élections avait permis à l’extrême droite de faire élire 35 députés FN. Elle avait ainsi obtenu droit de cité dans la vie politique française, institutionnalisée comme une force politique à part entière.

Loin d’être une bourde politique, ce tremplin offert au Front national se confirmera par la suite via l’ineffable Bernard Tapie, alors ministre de la ville, “invitant” divers responsables FN sur son yacht afin de sceller en sous-main des alliances électorales implicites pour faire barrage à la droite.

Même si l’évolution du populisme est ce qu’elle est aujourd’hui, même si le FN (RN maintenant) a fait du chemin sur la scène politique française au détriment de la gauche et du PS, n’oublions pas que c’est Mitterrand qui lui délivra le label de “parti politiquement correct”.

Le soutien indéfectible des organisations trotskistes à la victoire de Mitterrand

Tous ces rappels ne sont en rien une simple évocation de souvenirs du passé. Ils sont l’expression de leçons toujours actuelles et brûlantes : la bourgeoisie de gauche, tout comme celle de droite ou d’extrême droite, reste l’ennemie mortelle du prolétariat. Derrière les sirènes de la démocratie, de la défense des intérêts ouvriers, de la défense des “valeurs de gauche”, la bourgeoisie, du PS jusqu’à l’extrême gauche, n’ont jamais hésité à s’affubler des masques les plus hypocrites pour duper et attaquer la classe ouvrière, que ce soit en l’appelant à participer au cirque électoral, en l’appelant à faire barrage à l’extrême droite (comme elle s’apprête à le faire encore dans plusieurs mois).

La bourgeoisie peut compter sur le soutien de rabatteurs de premier plan, les organisations trotskistes de LO ou du NPA, pour faire valoir la défense démocratique de l’État et de la nation, pour faire valoir le “barrage au fascisme” danger suprême qui vaudrait toutes les unions sacrées, même conditionnelles. Ainsi, rappelons qu’en mai 1981, LO, le soi-disant “parti des travailleurs”, avec à sa tête Arlette Laguiller, avait su titrer son journal : “Pas de chèque en blanc… mais votez Mitterrand” et par conséquent soutenir sans complexe l’arrivée au pouvoir de la gauche. Cette organisation prouvait une fois de plus qu’elle ne se situait absolument pas dans le camp du prolétariat mais bel et bien à l’extrême gauche du capital, assumant pleinement son sale travail de dévoiement des luttes ouvrières sur le terrain bourgeois des élections et son propre rôle de rabatteur de la gauche. Depuis, les organisations gauchistes comme LO ont poursuivi leurs basses œuvres et nul doute que ces organisations seront encore à la manœuvre pour illusionner la classe ouvrière dans les prochains mois, saboter sa réflexion alors qu’elle tente péniblement de retrouver conscience et identité de classe.

Stopio, 5 mai 2021

 

1) “La crise politique de la bourgeoisie française”, Révolution Internationale n° 86 (Juin 1981).

2) “La gauche à l’œuvre”, Révolution Internationale n° 90 (octobre 1981).

Personnages: 

  • Mitterrand [52]

Rubrique: 

La gauche au pouvoir

La Semaine sanglante de mai 1871: La sauvagerie de la répression bourgeoise

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Le 150e anniversaire de la Commune a une fois de plus permis à la bourgeoisie de nous présenter les communards comme des “fauteurs de troubles” sanguinaires et des destructeurs nihilistes : n’ont-ils pas abattu des otages ? N’ont-ils pas failli détruire tout Paris par le feu ? Il est toujours intéressant de voir que, à un siècle et demi de distance, la bourgeoisie tremble toujours face à l’exemple de la Commune. Et tant pis si les exécutions de quelques dizaines d’otages ne répondaient qu’à des milliers d’exécutions sommaires, si au sein de la Commune, la prise d’otage était très loin de faire l’unanimité, si la libération des ecclésiastiques capturés par la Commune, comme l’archevêque Darboy, a de fait été refusée par les Versaillais, préférant laisser tomber des centaines de prisonniers et d’otages plutôt que de libérer le seul Auguste Blanqui, dont le chef versaillais, Adolphe Thiers, savait la popularité et l’influence dans le prolétariat français.

Une répression pire qu’en 1848

La répression des Journées de Juin 1848 était encore dans toutes les mémoires ; le général Galliffet en gardait un tel souvenir qu’il a choisi préférentiellement les prisonniers communards âgés, qui avaient pu y participer. En 1871, la bourgeoisie française déchaîna une puissance de feu bien plus grande puisque la soldatesque bombarda Paris, sans se soucier des dégâts et des victimes que cela provoquerait. Des quartiers entiers furent livrés au canon, et si les communards incendièrent effectivement des immeubles et des symboles du pouvoir bourgeois, comme le Palais des Tuileries, ce fut pour couvrir leur retraite et ralentir l’avancée des hordes versaillaises ! Les assassinats et exécutions sommaires atteignirent des sommets inimaginables lors de l’épisode final de la Commune, la fameuse “Semaine sanglante”, se déroulant entre le 21 et le 28 mai 1871, au cours de laquelle les troupes versaillaises se livrèrent à une répression sauvage, exécutant sans discontinuer hommes, femmes et enfants, dont le seul tort fut de s’être révoltés contre leur condition d’exploités. Au moins 15 000 personnes furent passées par les armes en quelques jours à peine.

L’isolement tragique de la Commune de Paris

Marx avait, dès le début de l’insurrection, mis en garde les communards contre l’isolement de Paris vis-à-vis du reste de la France ; la piteuse tentative aventuriste de Bakounine à Lyon, les quelques insurrections rapidement matées à Marseille ou à Toulouse en solidarité avec Paris sont rapidement écrasées par le gouvernement. D’autres mouvements prolétariens surgissent à Narbonne, Béziers, Perpignan, Sète, Limoges (dont les ouvriers porcelainiers tenteront de bloquer les trains amenant des renforts versaillais), Rouen, le Havre, Grenoble, Nîmes, Périgueux, dans la Nièvre, le Cher et l’Ariège. Les ouvriers provinciaux tentent de venir en aide à la Commune en entravant les mouvements de troupes, d’armes, de vivres destinés à Versailles, mais, ainsi que l’écrit Lissagaray, “les révoltes des villes s’éteignaient ainsi une à une comme les cratères latéraux des volcans épuisés”.

La bourgeoisie allemande et son gouvernement social-démocrate montrera la même sauvagerie lors de l’insurrection de Berlin en janvier 1919 : soulevés par une provocation de la social-démocratie au pouvoir, les ouvriers de Berlin vont mener, seuls, une insurrection face à l’armée du régime républicain de Weimar. Tout aussi isolés du reste du pays que les communards parisiens, les spartakistes affrontèrent une impitoyable répression qui culmina par les assassinats expéditifs de Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, mais aussi de milliers de spartakistes et de sympathisants ouvriers entre le 5 et le 12 janvier 1919. À Paris comme à Berlin, ces massacres de masse furent perpétrés par les régimes les plus “démocratiques” de leur époque rappelant par là qu’ils demeuraient les défenseurs de l’ordre social capitaliste.

À Paris comme à Berlin, la crainte que firent peser les masses ouvrières sur l’ordre social capitaliste provoqua “l’union sacrée” de la bourgeoisie mondiale. Ainsi les dirigeants bourgeois français comme allemands mirent en sourdine leurs rivalités guerrières et impérialistes et firent front commun pour se retourner avec la même haine de classe et sauvagerie contre leur ennemi principal : le prolétariat !

H. G., 8 mai 2021

Histoire du mouvement ouvrier: 

  • Commune de Paris - 1871 [54]

Rubrique: 

150 ans de la Commune de Paris

Émeutes au Sénégal: la démocratie bourgeoise reste l’ennemi de la classe ouvrière

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L’hebdomadaire Courrier International (1) a très bien résumé la situation qui prévaut au Sénégal depuis le début du mois de mars : “Cela faisait près de dix ans que le Sénégal, réputé si tranquille, n’avait connu pareilles scènes : des manifestants révoltés, des rues parsemées de pierres, des magasins vandalisés. “Le chaos”: en un mot, plusieurs quotidiens résumaient l’état du pays le 3 mars. […] L’arrestation d’Ousmane Soko, un des plus populaires opposants au président Macky Sall, a plongé le pays dans la tourmente”. Si l’on en croit la presse, l’arrestation du candidat à la présidence du Sénégal Ousmane Sonko a mis le pays à feu et à sang, dans des proportions jamais vues.

Le Sénégal, pays “réputé si tranquille”, a donc basculé dans des émeutes a priori politiques, dont le mot d’ordre “Libérez Sonko” peine cependant à expliquer pourquoi il y a eu des pillages, notamment de chaînes de magasins français comme Auchan dont quatorze supermarchés ont été attaqués (et dix pillés), rien qu’à Dakar. Dans le même temps, le quotidien Le Soleil et la radio RFM, jugés proches du pouvoir, ont également subi la fureur des émeutiers.

La réponse du pouvoir a été quant à elle sans ambiguïté : après avoir envoyé les forces anti-émeutes qui ont tué entre cinq et huit personnes, (2) procédé à de nombreuses arrestations et jonché les rues de grenades lacrymogènes, les autorités ont stationné des blindés autour de la présidence, suspendu deux télévisions d’opposition et perturbé les réseaux sociaux en ralentissant le réseau internet. Le gouvernement d’une des démocraties africaines montrées en exemple s’est donc comporté comme n’importe quelle “dictature” : il a muselé les oppositions et lancé une impitoyable répression.

Mais pareille explosion de violence peut-elle s’expliquer uniquement par l’arrestation d’un candidat d’opposition à la présidence pour une affaire de mœurs ? (3) Comme l’écrit Le Figaro, il faut chercher les causes un peu plus loin : “Cette arrestation a non seulement provoqué la colère de ses partisans, mais aussi, disent de nombreux Sénégalais, porté à son comble l’exaspération accumulée dans ce pays pauvre face à la dureté de la vie depuis au moins un an et la pandémie de Covid-19”. (4) Car une partie de la population a tout simplement faim ; la crise du Covid n’a fait qu’exacerber une situation économique et sociale terrible : le taux de chômage annoncé par l’Organisation internationale du travail s’établit à 48 %, l’économie informelle (97 % de l’activité économique du pays) qui fait survivre la plus grande partie de la population s’est effondrée suite aux mesures prises pour lutter contre la pandémie, il n’y a plus de touristes alors qu’ils faisaient vivre certains secteurs de l’économie, le couvre-feu empêche nombre de travailleurs d’exercer leur métier, notamment dans le secteur informel et dans la pêche. (5) Le système de santé est insuffisant, surtout en dehors de Dakar, et la crise du Covid est en train de l’achever. (6) De précaire, la situation de nombreux Sénégalais est devenue invivable.

La jeunesse étudiante s’est notamment mobilisée, car elle est particulièrement sensible à deux problèmes : trouver un emploi et se construire un futur. Même le porte-parole de la présidence le reconnaît : “Ousmane Sonko a été le déclencheur, mais il n’est pas le mobilisateur. Ce qui a mobilisé, c’est le mal de vivre d’une jeunesse face à un avenir en pointillé et un quotidien sans relief”. Cette jeunesse (les moins de 25 ans représentent presque la moitié de la population sénégalaise) tend d’ailleurs à soutenir le candidat Sonko qui lui promet monts et merveilles comme rien de moins que “la transparence économique et l’assainissement des dépenses publiques”. (7) Elle a donc pris l’arrestation de son “champion” comme une provocation. L’attaque de nombreux magasins sous enseignes françaises (Auchan notamment), au-delà de la rhétorique “anti-impérialiste” de Sonko, montre que le soutien de la France au régime de Macky Sall est de plus en plus dénoncé par une partie de la population, en même temps que le pillage de ces magasins alimentaires est symbolique de la faim qui taraude les Sénégalais les plus pauvres. Et du fait de la pandémie mondiale et de la fermeture des frontières, la soupape que constituait l’émigration vers l’Europe ne fonctionne plus, ce qui rend encore plus insupportable l’impasse sociale du pays. Cependant, la question n’est pas la politique menée par tel ou tel politicien bourgeois ; Sall autant que Sonko ne sont rien d’autre que deux figures incarnant l’affrontement entre deux fractions de l’appareil politique de la bourgeoisie sénégalaise. L’un comme l’autre seront incapables de régler la situation engendrée par la crise mondiale dont le Covid est une manifestation particulièrement significative. Et ce n’est pas le discours populiste de Sonko ou encore l’appel à des élections “libres” et “démocratiques” qui pourront masquer l’impuissance de toute la bourgeoisie face à la désintégration de son système économique et social et la spirale infernale dans laquelle le capitalisme entraîne toute l’humanité.

Les phénomènes classiques de la période de décomposition sociale actuelle touchent caricaturalement les pays pauvres, et le Sénégal n’échappe pas à la règle : délitement des structures sociales, notamment de l’infrastructure sanitaire incapable de faire face à la pandémie de Covid ; chômage de masse et absence de perspective pour la plus grande partie de la population, y compris pour les plus diplômés. D’ailleurs l’ascension d’un politicien populiste particulièrement réactionnaire et xénophobe comme Ousmane Sonko, sont les signes les plus patents d’un phénomène qui touche tous les pays du monde. Mais la classe ouvrière sénégalaise, n’a pour l’heure pas les forces ni l’expérience pour être le moteur d’un mouvement social pour affirmer des revendications de classe en déployant ses propres méthodes de lutte. Les prolétaires ont au contraire tout à perdre en se laissant entraîner derrière le piège des illusions démocratiques tendu par la bourgeoisie. Si des revendications ouvrières comme l’accès à l’emploi, l’amélioration des salaires, le rejet de la précarité, la dénonciation des conditions désastreuses régnant dans les écoles et les universités, ou encore l’absence de toute perspective d’avoir une vie sociale ont été exprimées, la classe ouvrière au Sénégal demeure bel et bien prisonnière de ce mouvement relevant purement et simplement du règlement de comptes entre deux fractions de l’appareil politique sénégalais. Aussi, les revendications ouvrières déjà très diluées ont été totalement noyées et submergées par la marée des mots d’ordre nationalistes (avec la présence de nombre de drapeaux nationaux dans les manifestations), les revendications démocratiques autour de la liberté des élections et le rejet des privilèges de la caste dirigeante qui n’entend de toute façon pas les partager. “Élargir et continuer le combat contre toutes les injustices” (8) restant le mot d’ordre fédérateur de ce mouvement. Tout cela sur fond de xénophobie “anti-impérialiste” essentiellement dirigée contre la France et son soutien au pouvoir en place.

La société capitaliste en décomposition n’a pas de perspective à offrir à la classe ouvrière et à sa jeunesse, pas plus qu’à l’humanité toute entière. Mais les mouvements d’émeutes comme ceux qui se sont produits au Sénégal ne peuvent rien apporter de positif pour le prolétariat et le développement de ses luttes. Ils sont non seulement le reflet désespéré d’un monde sans perspective mais surtout, ils sont immédiatement exploités, manipulés voire suscités par la bourgeoisie dans ses rivalités de cliques. En ce sens, ils constituent un danger de premier ordre partout dans le monde et un obstacle supplémentraire pour que le prolétariat se fraye un chemin pour ses luttes dans la période actuelle ! Tant que la classe ouvrière n’aura pas imposé ses mots d’ordre et son organisation au sein d’un mouvement qui lui est propre, elle restera impuissante face à l’État et à la bourgeoisie. Et ce à plus forte raison dans les pays périphériques du capitalisme comme le Sénégal où le prolétariat reste largement inexpérimenté et vulnérable face aux multiples pièges que peut lui tendre la classe dominante. Par conséquent, sans l’action des masses ouvrières des pays centraux du capitalisme, ayant accumulé déjà une longue expérience de luttes face à l’État bourgeois démocratique, l’issue victorieuse de la révolution et l’émancipation de l’humanité resteront impossibles.

HD, 23 mars 2021

1Courrier International, (11 au 17 mars 2021).

2Libération, (9 mars 2021).

3Ousmane Sonko est accusé de viol et menaces de mort par une masseuse.

4Le Figaro (5 mars 2021).

5Libération (1er mars 2021).

6“Les invisibles du système de santé au Sénégal” [55], The conversation [55] (7 juin 2020). [55]

7Libération (1er mars 2021) ; le programme du candidat à la présidentielle Sonko se caractérise politiquement par un populisme xénophobe, “anti-système” et anti-français, par un soutien à la bigoterie islamique, et par des propos particulièrement agressifs vis-à-vis de ses opposants politiques.

8“À Saint Louis du Sénégal, le malaise de la jeunesse”, Le Monde, (17 mars 2021).

Géographique: 

  • Afrique [22]

Rubrique: 

Situation en Afrique

Le marxisme, défenseur de la Commune

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Il n’a échappé à personne que le cent-cinquantième anniversaire de la Commune de Paris a donné lieu à une large couverture médiatique : livres, émissions radio, documentaires télé, articles de presse, etc. La bourgeoisie n’a pas hésité à se saisir d’une telle occasion pour travestir une nouvelle fois l’histoire de la Commune en multipliant les mensonges et les déformations, faisant passer le premier assaut révolutionnaire du prolétariat pour un vulgaire soulèvement du “peuple” de Paris en faveur d’une République “sociale” et”universelle” à l’image de ce qu’est censée être aujourd’hui la république bourgeoise. Bref, une expérience réduite qui n’aurait qu’un périmètre strictement hexagonal.

Comme à son habitude, la bourgeoisie s’appuie sur les apparences pour diffuser ses mensonges. Il en est ainsi du documentaire animé diffusé sur Arte intitulé “Les damnés de la Commune” qui relaie ces falsifications en s’appuyant sur le récit objectif de la communarde et membre de l’AIT, Victorine Brocher, une ouvrière combative et courageuse mais drainant également les illusions du prolétariat de l’époque sur le caractère universel des idéaux de 1789. Si effectivement la “République sociale et universelle” demeurait encore en 1871 un idéal présent au sein du prolétariat, le véritable esprit de la Commune de Paris allait bien au-delà. En faisant vaciller pour la première fois dans l’histoire le pouvoir de la bourgeoisie, les Communards incarnèrent la possibilité d’un autre avenir. Ainsi, derrière l’apparence de la “République sociale” se cachaient les jalons d’une société sans classes sociales et sans État. Par conséquent, et contrairement à ce que tentent d’insinuer bon nombre de journalistes et d’universitaires, les Communards ne sont pas les héritiers des sans-culottes de 1792-1794 mais ceux du prolétariat parisien des journées de juin 1848 qui fut, lui aussi, massacré au cours de la répression sanguinaire de la bourgeoisie. Alors que la révolution prolétarienne mondiale n’était pas encore à l’ordre du jour, la Commune annonçait la direction dans laquelle allaient s’engager les futurs combats prolétariens à l’échelle mondiale. C’est bien cela que la bourgeoisie tente de cacher. Elle mobilise tous ses canaux idéologiques afin de réduire la Commune à un simple événement de l’histoire de France et ainsi nier sa véritable nature prolétarienne comme expérience internationale. Mais la Commune appartient bien à l’histoire de la classe ouvrière ! Elle fut une expérience inestimable ayant permis au prolétariat de tirer des leçons déterminantes sur le processus révolutionnaire et la prise du pouvoir. Face aux dénigrements, aux dévoiements, aux édulcorations dont elle fait aujourd’hui l’objet de la part de la classe dominante, les organisations révolutionnaires doivent défendre et transmettre les acquis de cette “lutte héroïque”. C’est ce que nous nous efforçons de faire en publiant ci-dessous des extraits de livres considérés comme des “classiques” du mouvement ouvrier et du marxisme sur cet épisode.

Prosper-Olivier Lissagaray et L’Histoire de la Commune de Paris

Dès le lendemain du massacre, le mouvement ouvrier a dû faire face aux calomnies et aux mensonges de la bourgeoisie, encore enivrée de sa macabre victoire. Certains communards ayant échappé aux tueries ou au bagne se firent les plus fervents défenseurs de la Commune. Prosper-Olivier Lissagaray fut de ceux-là. Son Histoire de la Commune de Paris de 1871 fut un fabuleux acte de défense du caractère prolétarien de la Commune et une dénonciation ouverte de la sauvagerie des Versaillais. Ce récit d’une grande rigueur historique, animé par une quête de vérité sans faille vaut de loin mieux que toutes les “Histoires” de journalistes ou universitaires que l’on trouve actuellement sur les tables des librairies qui, pour la plupart, volontairement ou non, falsifient ou dénaturent la véritable signification de cette “plus haute marée du siècle” comme l’affirmait Lissagaray.

Comme nous pouvons le constater dans la préface de la première édition publiée ci-dessous, cette histoire est donc l’œuvre d’un militant animée par un seul et même but : défendre l’honneur du prolétariat parisien souillé par les tombereaux de calomnies déversés par les maîtres à penser de la classe bourgeoise de l’époque : journalistes, hommes politiques, écrivains, universitaires…

Préface de la première édition (1876)

“L’histoire du quatrième État de 1789 devait être le prologue de cette histoire. Mais le temps presse ; les victimes glissent dans la tombe ; les perfidies libérales menacent de surpasser les calomnies usées des monarchistes ; je me limite aujourd’hui à l’introduction strictement nécessaire.

Qui a fait le 18 mars ? Qu’a fait le Comité central ? Quelle a été la Commune ? Comment cent mille Français manquent-ils à leur pays ? Où sont les responsabilités ? Des légions de témoins vont le dire.

C’est un proscrit qui tient la plume, sans doute : mais un proscrit qui n’a été ni membre, ni officier, ni fonctionnaire de la Commune ; qui pendant cinq années, a vanné les témoignages ; qui a voulu sept preuves avant d’écrire ; qui voit le vainqueur guettant la moindre inexactitude pour nier tout le reste ; qui ne sait pas de plaidoyer meilleur pour les vaincus que le simple et sincère récit de leur histoire.

Cette histoire d’ailleurs, elle est due à leurs fils, à tous les travailleurs de la terre. L’enfant a le droit de connaître le pourquoi des défaites paternelles ; le parti socialiste, les campagnes de son drapeau dans tous les pays. Celui qui fait au peuple de fausses légendes révolutionnaires, celui qui l’amuse d’histoires chantantes, est aussi criminel que le géographe qui dresserait des cartes menteuses pour les navigateurs.

Londres, Novembre 1876.”

A l’heure actuelle, alors que les ouvriers du monde entier éprouvent les pires difficultés à se reconnaître appartenir à une seule et même classe, nous les invitons à se plonger dans ce formidable récit qui n’est rien d’autre que histoire de leur propre classe.

Karl Marx et les leçons politiques de la Commune

Dès le déclenchement de la guerre franco-prussienne en juillet 1870, l’Association internationale des Travailleurs a réagi vigoureusement pour dénoncer la fureur guerrière dans laquelle la bourgeoisie européenne entraînait le prolétariat. Les deux Adresses du Conseil général de l’Association internationale des travailleurs sur la guerre franco-allemande, rédigées par Karl Marx, sont une défense implacable de l’internationalisme prolétarien. La Troisième Adresse, plus connue sous le titre de La guerre civile en France, rédigée également par Marx, toujours au nom du conseil général de l’AIT, forme l’analyse la plus profonde et la plus riche que le mouvement ouvrier a pu produire sur cet épisode. Nous publions ci-dessous un des extraits les plus significatifs dans lequel Marx dévoile l’essence prolétarienne et révolutionnaire de l’événement. Bien loin d’entretenir les illusions sur un prétendu mouvement républicain et démocratique dans la droite ligne de la Révolution française, Marx défend ici le caractère inédit et original de la Commune à l’échelle de l’histoire.

Karl Marx, La guerre civile en France, chapitre III, 1871.

“C’est le sort ordinaire des créations historiques entièrement nouvelles d’être prises par erreur pour la contre-partie de formes anciennes ou même disparues de la vie sociale avec lesquelles elles ont quelques points de ressemblance. Les uns ont vu dans cette Commune nouvelle, qui brise la puissance de l’État moderne, une reproduction des Communes du Moyen-âge qui d’abord précédèrent le pouvoir central et plus tard en devinrent la base. D’autres ont pris la Constitution communale pour une tentative de fractionner en une fédération de petits États, idéal de Montesquieu et des Girondins, cette unité de grandes nations qui, engendrée jadis par la force politique, est devenue aujourd’hui un puissant coefficient de la production sociale. L’antagonisme de la Commune contre l’État a été interprété comme une forme excessive de l’ancien combat contre la centralisation à outrance. […] La multiplicité des interprétations auxquelles la Commune a donné lieu et la multiplicité des intérêts qui se réclamaient d’elle montrent que c’était une forme de gouvernement tout à fait expansive, tandis que toutes les formes antérieures étaient essentiellement répressives. Son vrai secret le voici. La Commune était essentiellement le gouvernement de la classe ouvrière, le résultat de la lutte contre la classe qui produit et qui exploite, la forme politique enfin découverte grâce à laquelle on arrivera à l’émancipation du travail. […] Oui, messieurs, la Commune prétendait abolir cette propriété à une classe qui fait du travail de tous la fortune de quelques-uns ! Elle voulait exproprier les expropriateurs, elle voulait faire de la propriété individuelle une vérité par la transformation des moyens de production, la terre et le capital, aujourd’hui instruments tout-puissants d’asservissement et d’exploitation du travailleur, en de simples instruments de travail libre et associé. Mais c’est là du communisme, du communisme “impossible”. Eh quoi ! Est-ce que les membres des classes dominantes qui sont assez intelligents pour voir que le système actuel n’est pas durable – et ils sont nombreux – ne sont pas devenus les malencontreux et bruyants apôtres de la production coopérative ? Si la production coopérative ne doit pas pas rester une chimère et un piège, si elle doit remplacer le système capitaliste, si les sociétés coopératives réunies doivent régler la production nationale sur un plan commun en la plaçant sous leur propre contrôle et mettre fin à l’anarchie constante et aux convulsions périodiques, conséquences fatales de la production capitaliste, que serait-ce, messieurs, sinon du communisme, du communisme “possible” ?”

La Commune de Paris annonçait la force révolutionnaire du prolétariat mondial

Comme l’indiquait Marx dans les dernières lignes de La guerre civile en France, “le Paris des travailleurs avec sa Commune sera à tout jamais célébré comme le glorieux précurseur d’une société nouvelle.” La vague révolutionnaire mondiale qui se leva après la prise du pouvoir par le prolétariat en Octobre 1917 en Russie donna raison aux prospectives de Marx 45 ans plus tôt. Les prolétaires de Russie, se plaçant dans les pas des Communards, portèrent l’expérience révolutionnaire bien plus loin. Comme les ouvriers parisiens de 1871, le prolétariat de Russie, en parvenant à s’emparer du pouvoir, devait s’affronter à la question de l’État. C’est pour cette raison pratique que Lénine éprouva la nécessité de se replonger dans les acquis théoriques produits par le mouvement marxiste et en particulier les leçons tirées par l’Association internationale des travailleurs, sous la plume de Marx, dans les différentes Adresses mentionnées plus haut. La brochure de Lénine, intitulée L’État et la révolution, attribue une place significative aux leçons de la Commune, preuve supplémentaire du legs inestimable laissé par l’assaut révolutionnaire parisien de 1871. Contrairement à ce que prétendent bon nombre d’historiens et d’intellectuels, la Commune n’était en rien “la dernière révolution du XIXe siècle” mais un mouvement annonciateur de la force révolutionnaire qu’allait déployer le prolétariat dès lors que les conditions historiques seraient favorables pour la victoire de la révolution mondiale. Par conséquent, comme le montre l’extrait ci-dessous, l’avant-garde révolutionnaire s’appuya sur l’expérience des combats passés pour faire face aux défis auxquels la classe ouvrière était confrontée.

Lénine, L’État et la révolution, “chapitre III : L’expérience de la Commune de Paris (1871). Analyse de Marx”, 1917

“1. En quoi la tentative des communards est-elle héroïque ?

On sait que, quelques mois avant la Commune, au cours de l’automne 1870, Marx avait adressé une mise en garde aux ouvriers parisiens, s’attachant à leur démontrer que toute tentative de renverser le gouvernement serait une sottise inspirée par le désespoir. Mais lorsque, en mars 1871, la bataille décisive fut imposée aux ouvriers et que, ceux-ci l’ayant acceptée, l’insurrection devint un fait, Marx, en dépit des conditions défavorables, salua avec le plus vif enthousiasme la révolution prolétarienne. Il ne s’entêta point à condamner par pédantisme un mouvement, comme le fit le tristement célèbre renégat russe du marxisme, Plékhanov, dont les écrits de novembre 1905 constituaient un encouragement à la lutte des ouvriers et des paysans, mais qui, après décembre 1905, clamait avec les libéraux : « II ne fallait pas prendre les armes. »

Marx ne se contenta d’ailleurs pas d’admirer l’héroïsme des communards « montant à l’assaut du ciel », selon son expression. Dans le mouvement révolutionnaire des masses, bien que celui-ci n’eût pas atteint son but, il voyait une expérience historique d’une portée immense, un certain pas en avant de la révolution prolétarienne universelle, un pas réel bien plus important que des centaines de programmes et de raisonnements. Analyser cette expérience, y puiser des leçons de tactique, s’en servir pour passer au crible sa théorie : telle est la tâche que Marx se fixa. La seule “correction” que Marx ait jugée nécessaire d’apporter au Manifeste communiste, il la fit en s’inspirant de l’expérience révolutionnaire des communards parisiens. La dernière préface à une nouvelle édition allemande du Manifeste communiste, signée de ses deux auteurs, est datée du 24 juin 1872. Karl Marx et Friedrich Engels y déclarent que le programme du Manifeste communiste « est aujourd’hui vieilli sur certains points ».

« La Commune, notamment, a démontré, poursuivent-ils, que la « classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre la machine de l’État toute prête et de la faire fonctionner pour son propre compte.""…

Les derniers mots de cette citation, mis entre guillemets, sont empruntés par les auteurs à l’ouvrage de Marx La Guerre civile en France. Ainsi, Marx et Engels attribuaient à l’une des leçons principales, fondamentales, de la Commune de Paris une portée si grande qu’ils l’ont introduite, comme une correction essentielle, dans le Manifeste communiste. Chose extrêmement caractéristique : c’est précisément cette correction essentielle qui a été dénaturée par les opportunistes, et les neuf dixièmes, sinon les quatre-vingt-dix-neuf centièmes des lecteurs du Manifeste communiste, en ignorant certainement le sens. Nous parlerons en détail de cette déformation un peu plus loin, dans un chapitre spécialement consacré aux déformations. Qu’il nous suffise, pour l’instant, de marquer que l'“interprétation” courante, vulgaire, de la fameuse formule de Marx citée par nous est que celui-ci aurait souligné l’idée d’une évolution lente, par opposition à la prise du pouvoir, etc.

En réalité, c’est exactement le contraire. L’idée de Marx est que la classe ouvrière doit briser, démolir la « machine de l’État toute prête », et ne pas se borner à en prendre possession.

Le 12 avril 1871, c’est-à-dire justement pendant la Commune, Marx écrivait à Kugelmann :

« Dans le dernier chapitre de mon 18-Brumaire, je remarque, comme tu le verras si tu le relis, que la prochaine tentative de la révolution en France devra consister non plus à faire passer la machine bureaucratique et militaire en d’autres mains, comme ce fut le cas jusqu’ici, mais à la briser. (Souligné par Marx ; dans l’original, le mot est zerbrechen). C’est la condition première de toute révolution véritablement populaire sur le continent. C’est aussi ce qu’ont tenté nos héroïques camarades de Paris » (Neue Zeit, XX, 1, 1901-1902, p. 709). Les lettres de Marx à Kugelmann comptent au moins deux éditions russes, dont une rédigée et préfacée par moi. »

« Briser la machine bureaucratique et militaire" : en ces quelques mots se trouve brièvement exprimée la principale leçon du marxisme sur les tâches du prolétariat à l’égard de l’État au cours de la révolution.”

 

Histoire du mouvement ouvrier: 

  • Commune de Paris - 1871 [54]

Rubrique: 

150 ans de la Commune de Paris

Supplément du Révolution internationale n°488 - mai juin 2021

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Après un an de pandémie: L’incurie criminelle de la bourgeoisie se poursuit

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Après plus d’un an de pandémie mondiale, des milliers de personnes perdent encore chaque jour la vie. Alors que la situation demeure préoccupante en Europe, une nouvelle “vague” submerge déjà l’Amérique latine et le sous-continent indien. Officiellement, le Covid-19 aura, à ce jour, coûté la vie à plus de 3 millions de personnes, mais il est de notoriété publique que certains États, comme la Chine ou de nombreux pays d’Afrique, ont considérablement sous-évalué le nombre de décès et que les “dommages collatéraux” (dus aux reports d’opération ou aux patients renonçant à se faire soigner, par exemple) n’ont pas été intégrés aux statistiques officielles des grandes démocraties.

Quant aux campagnes de vaccination, elles demeurent empêtrées dans un chaos logistique effarant : entre les conflits totalement irrationnels entre États pour mettre la main sur les stocks disponibles et les vaccins douteux (comme ceux des laboratoires chinois), le “bout du tunnel”, comme se plaît à le répéter le gouvernement français, est encore loin. Si la production de vaccins commence lentement à s’accélérer dans les pays centraux du capitalisme, beaucoup de zones périphériques en seront privées encore longtemps, augmentant encore le risque de voir émerger de nouveaux variants meurtriers et de nouvelles “vagues” résistantes aux vaccins actuellement déployés. La flambée de contaminations au Brésil, en Europe ou en Inde, et la multiplication consécutive des variants font, d’ailleurs, craindre la pire des catastrophes.

À la gestion lamentable de la pandémie s’ajoute l’ombre de la crise. Les mesures de “confinement” n’ont bien sûr pas cessé, plongeant des millions de personnes dans une détresse économique, sociale et psychologique d’une rare intensité. La récession économique est sans commune mesure depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale : le PIB mondial a chuté de 3,4 % en 2020 selon l’OCDE. Trois fois plus qu’après la crise de 2008 ! Inévitablement, les licenciements se multiplient et le chômage explose. Les populations les plus fragiles (les chômeurs, les précaires, les personnes âgées sans ressource, les sans-papiers, les étudiants…) sont non seulement les plus touchées par la pandémie, mais voient aussi leurs conditions d’existence déjà difficiles se dégrader davantage.

Les mesures économiques d’urgence d’une ampleur exceptionnelle (les États-Unis ont décidé d’injecter plus de 4,000 milliards dans l’économie) ont, pour le moment, permis de freiner quelque peu la catastrophe dans les pays les plus riches. Mais, déjà, sans prendre en compte le risque de voir se répandre un nouveau variant incontrôlable ou de voir les États répondre à nouveau aux crises sanitaire et économique sans aucune concertation, (1) la “reprise” s’annonce poussive, particulièrement en Europe et en Amérique latine. La crise, avec son cortège de chômage de masse, d’attaques et de misère, est encore devant nous !

L’ensemble des États se sont révélés incapables de faire face à la situation et se sont vautrés dans le chacun-pour-soi le plus irrationnel. Alors que chaque pays cherchait à mettre en place sa politique sanitaire, en espérant limiter la casse sur le plan économique par rapport aux concurrents, les institutions internationales comme l’OMS, censée “rationaliser” un tant soit peu les rapports entre nations concurrentes pour éviter une telle situation de chaos, ont été mises de côté sans ménagement. Alors que les laboratoires pharmaceutiques auraient au moins dû mutualiser leurs moyens pour développer un vaccin le plus rapidement possible, (2) nous avons assisté à une déplorable guerre entre États à la fois dans la “course au vaccin” mais également dans la distribution : quand le Royaume-Uni, par exemple, faisait son maximum pour retenir ses vaccins sur son territoire, la Chine ou la Russie inondaient les pays pauvres avec leur potion magique douteuse à des fins ouvertement impérialistes.

L’incurie de la bourgeoisie française

La France, qui s’enorgueillissait, au début des années 2000, de posséder le “meilleur système de santé du monde” et des laboratoires parmi les plus prestigieux, s’est révélée être l’un des pays les plus en difficulté. Mais, contrairement à la propagande concentrant les critiques sur la gestion à coups de menton du président de la République, et bien que le gouvernement ait parfois fait preuve d’un amateurisme déconcertant, il est clair que la bourgeoisie française, comme dans l’ensemble des États, est surtout empêtrée dans les contradictions du système capitaliste.

La capacité de la bourgeoisie à faire face à ce type de crise est de plus en plus réduite. Dans la concurrence acharnée que se livre chaque nation, les gouvernements successifs ont dû opérer partout des coupes budgétaires pour maintenir la compétitivité de l’appareil productif national, pour diminuer les charges des entreprises privées ou accroître la rentabilité des entreprises publiques. Le secteur de la santé n’a pas été épargné : en une vingtaine d’années, le nombre de lits d’hôpitaux a diminué de 100,000 (3) alors que la population augmentait de plus de 5 millions sur la même période ! Les coupes budgétaires dans la recherche et la diminution du personnel médical n’ont jamais cessé. Même les stocks de masques ont fait l’objet d’économies drastiques, obligeant le gouvernement à des contorsions grotesques pendant de nombreux mois afin de dissimuler le fait que l’État n’était plus en mesure de protéger la population. La bourgeoisie a ainsi dû affronter une pénurie, non seulement de masques, mais aussi de tests, de respirateurs et même de seringues au début de la campagne de vaccination !

Cette dernière s’est d’ailleurs révélée être une véritable catastrophe. Alors que l’Union européenne comptait en partie sur les vaccins français et que le gouvernement avait tout misé sur leur production, l’État français s’est trouvé impuissant dans la “course au vaccin”. Tandis que la recherche recule, les “cerveaux” (dans le secteur pharmaceutique mais dans bien d’autres également) fuient depuis de nombreuses années à l’étranger en quête de meilleures rémunérations et de meilleures conditions de travail, rendant des fleurons, comme l’Institut Pasteur, incapables de rivaliser avec les grands laboratoires étrangers. Cet échec illustre à quel point la France tend désormais à être reléguée au second rang parmi les grandes puissances.

La campagne de vaccination, affaiblie par l’absence de vaccins français, s’est empêtrée dans un incroyable chaos logistique. Entre la pénurie de doses, de super-congélateurs, de personnels et de seringues, la bureaucratie française a fait la démonstration de sa lourdeur et de sa lenteur proverbiale. Nous avons ainsi assisté à une véritable guérilla entre les différents échelons de l’administration : les Régions, les Départements, voire les communes se sont écharpés pour mettre la main sur quelques doses. Même au sommet de l’État, les différents ministères sont régulièrement en concurrence pour obtenir des vaccins supplémentaires.

Cette cacophonie, le gouvernement n’a cessé de l’alimenter. N’ayant à sa disposition que la méthode moyenâgeuse du confinement pour lutter contre la pandémie, Macron et sa fine équipe se sont trouvés coincés entre, d’un côté, la nécessité de “faire tourner l’économie”, limiter les dégâts psychologiques de l’arrêt de la vie sociale et, de l’autre, éviter l’implosion du système de santé. La bourgeoisie a ainsi dû naviguer à vue et s’est prise plusieurs fois les pieds dans le tapis en annonçant des confinements qui n’en avaient que le nom et des mesures de contrôle ubuesques avant de rétropédaler à la dernière minute. C’est ce que le gouvernement appelle une “politique pragmatique”. Il a fini par se contenter de mesures visant à “vivre avec la pandémie” en acceptant cyniquement des centaines de morts par jour, tout en cherchant à éviter l’explosion des cas et la saturation des hôpitaux.

Mais le pari de Macron, fin janvier, qui s’est obstiné, contre l’avis de tous les spécialistes et contrairement à la grande majorité des pays voisins, à ne pas confiner, s’est transformé en véritable fiasco : face à une nouvelle explosion des contaminations, les services de réanimation ont à nouveau étés saturés ! À ce jour, plus de 30,000 personnes sont hospitalisées.

Ce faisant, le président français, chantre de la “lutte contre le populisme”, a fini par apporter sa petite contribution à la remise en cause de la science et ne s’est pas privé de lancer publiquement des fake news éhontées pour tenter de justifier sa politique et freiner son discrédit.

La classe ouvrière paie le prix de la crise

Macron et ses ministres répètent néanmoins à longueur de journée qu’ils ont “tiré les leçons de cette douloureuse expérience”, que “rien ne sera comme avant”. Quel mensonge ! Alors que la pandémie fait encore rage, les lits d’hôpitaux ne cessent encore d’être supprimés. Les conditions de travail du personnel médical demeurent épouvantables : même les internes sont parfois contraint de travailler jusqu’à 90 h par semaine. Les démissions, les burn out et les suicides à l’hôpital ont explosé !

Mais le personnel soignant n’est pas la seule victime de la gestion calamiteuse de la pandémie : tandis que les étudiants ou les personnes âgées croupissent dans la solitude et bien souvent la misère, la bourgeoisie exerce une énorme pression sur les salariés afin d’accroître les cadences de travail et les contraindre à prendre tous les risques pour aller travailler. Le gouvernement s’est ainsi refusé pendant plusieurs mois à fermer les établissements scolaires au nom de “l’égalité des chances” et de la “lutte contre le décrochage scolaire”. Bien sûr, la bourgeoisie a besoin de former un minimum sa main d’œuvre, mais il n’a échappé à personne que le “décrochage scolaire” n’était qu’un prétexte mensonger pour envoyer les parents au turbin.

La bourgeoisie sait parfaitement que les conditions qui ont contribué à la gestion désastreuse de la pandémie n’ont pas disparu et se sont même considérablement renforcées ces derniers mois. Elle sait aussi que face à la crise et aux attaques, la classe ouvrière finira tôt ou tard par réagir. C’est pour cette raison qu’elle ne cesse de diviser les prolétaires en opposant les jeunes “irresponsables” aux vieux “égoïstes”, les travailleurs “en première ligne” aux télétravailleurs “privilégiés”… Pour lutter contre le capitalisme à bout de souffle, devenu une entrave même à la sécurité sanitaire de l’humanité, la classe ouvrière devra au contraire cultiver sa solidarité et son unité !

EG, 17 avril 2021


1 ) Même si, ponctuellement, on a pu voir l’Union européenne tenter une approche plus collective dans la réponse à la crise économique.

2 ) À défaut d’avoir effectué les recherches en amont. Rappelons que la France avait, dès 2004, presque abandonné les recherches sur les coronavirus jugées trop peu rentables. (Cf. “Face aux coronavirus, énormément de temps a été perdu pour trouver des médicaments [57]”, Le Monde du 29 février 2020).

3 ) Cf. le Panorama de la DRESS de 2019 [58] et un rapport de la DRESS publié la même année [58].

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Isolement, surexploitation, souffrances psychiques… Le capitalisme est une torture pour l’humanité

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Après des mois de blackout, le gouvernement, par la bouche du président Macron, a dû officiellement reconnaître l’ampleur de la détresse psychologique d’une grande partie de la population lors d’une visite, le 14 avril, à l’hôpital de Reims. La réalité, c’est une augmentation considérable de la consommation d’antidépresseurs (au point d’engendrer des ruptures de stock), des hospitalisations en psychiatrie et même des suicides.

Serge Hefez, responsable dans le service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris, a ainsi affirmé le 31 janvier aux micros de France Info : “On est dans une vague en psychiatrie”, n’hésitant pas à parler d’une population traumatisée. Concrètement, le recours aux urgences psychiatriques a augmenté de 40 % en 2020, et la tendance est encore pire pour 2021.

Tel est le lourd tribut payé par toutes les couches de la société suite aux mesures prises par la bourgeoisie incapable d’endiguer la propagation du Covid-19 autrement que par l’enfermement et l’isolement. Cette situation est d’autant plus dramatique que tout le secteur de la santé mentale, particulièrement l’hôpital psychiatrique, a été sacrifié depuis des décennies sur l’autel des “économies nécessaires”. Les services de psychiatrie ressemblent aujourd’hui à des hospices du tiers-monde : manque de personnel criant et infrastructures délabrées. Ainsi, à Reims, lors de la visite du chef de l’État, la responsable du service de pédopsychiatrie a affirmé devant les caméras : “Il faudrait doubler, voire tripler les effectifs”, précisant que les consultations avaient doublé depuis septembre ! Dans ce service, il faut huit mois d’attente pour obtenir un rendez-vous… pour un enfant en souffrance !

L’aumône de 100 euros accordé par le chef de l’État, sous le nom de “chèques psy”, aux étudiants les plus en détresse, au prix de démarches administratives infernales, est en fait une insulte au regard de la destruction de tout le système de soin qui se poursuit et de la paupérisation en cours des nouvelles générations précarisées. La jeunesse est effectivement brutalement et particulièrement frappée par la situation. Le confinement, les couvre-feux successifs et la fermeture des universités, engendrent une atomisation insupportable. Ajouter à cela, la disparition des “jobs étudiants”, accroissant la précarité et mettant une bonne partie de la jeunesse devant des difficultés économiques insurmontables. Autant d’éléments qui affermissent la peur d’un avenir de plus en plus sombre.

L’isolement a également signifié, pour des dizaines de milliers de personnes âgées, mourir dans la solitude. L’interdiction d’accompagner ses proches en fin de vie est un traumatisme pour d’innombrables familles. C’est la funeste conséquence de l’absence de moyens humains et matériels dans les maisons de retraite délaissées depuis des décennies également. Il faut se rappeler des grèves menées par le personnel des EHPAD durant de très longs mois en 2018 parce qu’ils n’avaient pas la capacité de s’occuper dignement des pensionnaires. Ces milliers de morts dans la solitude sont la négation de ce qui a fondé l’humanité : accompagner vers le trépas, enterrer et honorer les défunts. Rien de tout cela aujourd’hui : on meurt seul et on enterre en catimini. Le capitalisme prouve une nouvelle fois qu’il est l’antithèse de ce que sont l’humanité et ses besoins.

Quant à ceux qui balancent entre deux âges et qui ont un emploi, ils ont subi une autre forme de torture : devoir monter dans des transports en commun bondés, protégés par le seul discours mensonger de l’État (“Dans les transports, vous ne craignez rien”) ; être obligés de travailler deux fois plus pour compenser le manque de personnels jusqu’à l’épuisement (dans les hôpitaux, les écoles, les bureaux, les supermarchés, partout…) ; voir sa vie réduite au plus strict “boulot-métro-dodo”, le couvre-feu arrivant souvent avant la fin même de la journée de travail…

Le plus inacceptable est sans doute l’irrationalité et les contradictions des mesures adoptées par le gouvernement. Ne portez pas de masques / Portez un masque ! Les enfants ne sont pas contaminants / Les contaminations explosent, on ferme les écoles ! Cas contact : restez chez vous / Cas contact : impossible de se faire reconnaître comme tel par l’employeur ! Faites-vous vacciner / Il n’y a pas de vaccin ! On ne confinera plus jamais / On reconfine !, etc., etc.

Cette incurie, cette politique au jour le jour (“pragmatique”, prétendent-ils) engendre une insécurité et une incertitude permanentes particulièrement insupportables psychologiquement.

Cette incurie de la bourgeoisie, qui n’a aucun intérêt à engendrer ce chaos, elle le produit tout de même parce que son système est de plus en plus ingérable, révèle une nouvelle fois avec force que le capitalisme est décadent, qu’il n’a plus aucune perspective à offrir à l’humanité. Car au fond, c’est bien cette absence de perspective, ce no future, qui est le plus insupportable et effrayant.

L’idée grandit qu’après cette pandémie, ce sera une autre plaie : une nouvelle épidémie, l’accélération de la crise économique, la destruction accélérée de la planète, une catastrophe industrielle liée aux délabrements des infrastructures…

Il n’y a qu’un avenir possible pour mettre fin aux souffrances croissantes engendrées par ce système d’exploitation inhumain et obsolète : le développement de la lutte de classe, une lutte porteuse de solidarité, de liens sociaux et d’espoirs.

Jacques, 17 avril 2021

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La bourgeoisie toujours plus vulnérable face au populisme

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Comme partout, depuis l’irruption du Covid-19, la pandémie conditionne la vie politique de la bourgeoisie en la rendant plus difficilement gérable pour les gouvernants et pour les différents appareils politiques nationaux qui subissent de plein fouet le poids de la décomposition du capitalisme. Ceci est particulièrement vrai en France où, depuis le début de la pandémie, s’étale, sans discontinuer, l’incurie du gouvernement Macron. Sa gestion de la crise est ouvertement jugée calamiteuse par la presse bourgeoise et dénoncée comme un fiasco, voire un scandale d’État, par le grand public. Les partis traditionnels ont perdu leurs “recettes idéologiques” et leur attractivité d’antan qui leur permettaient de mystifier facilement les électeurs et les militants en leur promettant plus de “démocratie”, d’ “égalité”, de “prospérité”, etc. Aujourd’hui, ces slogans, dans la bouche de partis qui n’ont cessé d’accompagner la crise et dégrader les conditions de vie des exploités, n’ont plus aucune crédibilité.

Il leur reste cependant l’arme des gros mensonges et des “coups” (de communication) pour tenter d’accéder ou se maintenir au pouvoir. De fait, la vie des partis bourgeois ressemble de plus en plus à celle des mafieux défendant des intérêts claniques et des carrières personnelles. Ce n’est pas par hasard si Hollande a qualifié de “hold up” l’élection de Macron en 2017, car cela correspond à la mentalité de gangs du milieu politique de la classe dominante.

Les tendances au chacun-pour-soi se sont également renforcées avec la pandémie. Après quelques semaines d’ “union nationale”, les partis d’opposition ne pouvaient pas abandonner “l’espace médiatique” à Marcon et ont tiré à boulets rouges sur le gouvernement à des fins strictement électoralistes, discréditant davantage son action. On a ainsi pu voir des barons locaux (présidents de Région, de Département…) s’opposer ouvertement aux mesures sanitaires du gouvernement, voire lui mettre des bâtons dans les roues, ajoutant ainsi à la cacophonie et au chaos logistique ambiant.

C’est avec le même état d’esprit que les partis s’agitent aujourd’hui dans la perspective de la présidentielle de 2022 et ce, alors que la bourgeoisie se retrouve encore plus fragilisée qu’il y a cinq ans face au danger que fait peser sur les intérêts globaux du capital français, l’arrivée au pouvoir du Rassemblement national (RN), représentant des fractions les plus arriérées de la bourgeoisie française. En cela, les élections départementales et les régionales de juin 2021, alors que le risque épidémique est encore très élevé, visent à fourbir les armes pour tenter de repousser une nouvelle percée populiste dans le paysage politique de la bourgeoisie. Dès lors, les grandes manœuvres en vue des prochaines échéances électorales ont déjà commencé !

Quatre ans après sa victoire, le macronisme fragilisé

La bourgeoisie française avait su repousser le danger populiste avec la victoire de Macron et son mouvement La République en Marche (LREM). Mais le retour de bâton ne s’est pas fait attendre puisque cette fraction de l’appareil politique, très inexpérimentée, fait preuve d’un amateurisme effarant, enchaînant les erreurs politiques et les couacs avec des dissensions fréquentes à l’intérieur même du gouvernement. Des ministres s’écharpent jusque dans la presse sur des sujets aussi sensibles que la politique sanitaire ou les orientations économiques face à la crise, obligeant Macron a de sévères “recadrages” afin d’asseoir une autorité qu’il a encore du mal à imposer.

D’autre part, cette formation souffre d’un cruel manque d’implantation sur le territoire national, comme le soulignent les résultats des dernières municipales. Au niveau du parti, c’est l’effritement régulier des effectifs, y compris au parlement où pas moins de 45 députés ont quitté LREM en entraînant la perte de sa majorité absolue à l’Assemblée. Là encore, son allié du Modem a profité de l’occasion pour avancer ses pions et négocier des postes, comme son chef, François Bayrou, nommé Haut-commissaire au plan alors qu’il est encore sous le coup d’une mise en examen pour “complicité de détournement de fonds publics”…

En somme, il y a bien un affaiblissement du camp Macron, ce qui ne va pas sans conséquences sur les perspectives électorales et la capacité de la bourgeoisie à maintenir au sommet de l’État les fractions les plus clairvoyantes de l’appareil politique qui sont confrontées à la tendance dominante au “dégagisme”, au mécontentement et au désarroi des électeurs.

Le RN de Marine Le Pen à l’affût

Le RN, parti populiste notoire, s’est justement nourri du mécontentement suscité par la gestion de la pandémie, en particulier auprès de la petite bourgeoisie comme les commerçants, artisans et certaines professions libérales dont les activités subissent les effets négatifs des restrictions sanitaires (confinement, couvre-feu, perte de clientèle et de bénéfices…). Aussi, Marine Le Pen affine sa stratégie pour l’élection présidentielle, à commencer par gommer les aspects les moins “vendables” de son programme de 2017. Son nouveau discours s’en éloigne donc à plusieurs niveaux : par exemple pour les “accords de Schengen”, Marine Le Pen dit maintenant “réfléchir dans le cadre d’un esprit européen” ; pour la dette publique, elle est désormais pour son remboursement au nom de la responsabilité de l’État, et bien sûr, il n’est plus question d’abandonner la monnaie unique européenne. En clair, le RN vise à élargir son électorat en ciblant la droite “modérée”.

Il faut dire que Macron est devenu lui-même un facteur actif de la montée en puissance du populisme. Dans son chemin de croix pour se maintenir au pouvoir, Macron n’hésite plus à reprendre les ficelles démagogiques de sa concurrente : “islamo-gauchisme”, “séparatisme”, “reconquête républicaine face à la délinquance”, LREM reprend sans vergogne toutes les thématiques anti-immigrés du RN. Le sinistre ministre de l’Intérieur, Darmanin (qui en connaît un rayon en matière de délinquance, lui qui doit répondre de plusieurs plaintes pour viol et harcèlement), a même pu lancer nonchalamment à Le Pen : “je vous trouve molle, un peu branlante”.

Macron et son gouvernement multiplient également les fakes news les plus éhontées. LREM n’a ainsi pas hésité à colporter une étude complètement bidon plaçant la France au quatrième rang des pays les plus respectueux de l’environnement. Récemment encore, Macron affirmait mensongèrement que les épidémiologistes s’étaient trompés dans leur projection, alors que lui avait comme prédit l’avenir. Et que dire des statistiques arrangées comme il faut et des graphiques trompeurs que les ministres présentent chaque jour à la télévision pour donner à leur improvisation permanente une image “pragmatique” et “scientifique”. Ce faisant, c’est au sommet de l’État qu’on alimente la méfiance à l’égard de la science très prégnante dans l’électorat du RN.

La bourgeoisie en panne d’alternative crédible

Si Macron n’est pas encore écarté de la course à la présidentielle, son affaiblissement représente un réel danger de voir Marine Le Pen entrer à l’Élysée, ce à quoi la plupart des fractions de la bourgeoisie se refusent, d’autant que l’exemple de Trump est encore dans tous les esprits. Mais la bourgeoisie a de plus en plus de mal à faire émerger un candidat alternatif pour contrer le populisme.

Les Républicains (LR) demeurent très fragilisés et courent après un leader rassembleur, mais personne n’arrive à faire consensus, à tel point que certains rêvaient d’un retour de l’ex-grand chef Sarkozy, jusqu’au 1er mars dernier, date du verdict du tribunal correctionnel le condamnant à trois ans d’emprisonnement, dont un an ferme, pour délits de “corruption active et de trafic d’influence”. Cette condamnation s’est immédiatement traduite par une recrudescence de la concurrence acharnée chez les prétendants de la droite à la présidentielle (que sont Bertrand, Retailleau, Wauquiez, Pécresse ou encore Barnier). Largement concurrencé par la politique mise en place par LREM, ce parti d’opposition file tout droit sur le terrain traditionnel du RN avec un discours de plus en plus sécuritaire, anti-immigrés, antimusulmans, etc. LR se trouve ainsi coincé entre l’enclume macroniste et le marteau lepeniste.

Face aux perspectives électorales annonçant une nouvelle débâcle pour les partis de gauche, PS, EELV et les autres esquissent une nouvelle alliance pour tenter de sortir du coma dans lequel ils sont plongés depuis quatre ans. Dans ce contexte, un élément d’actualité a semblé accélérer le processus de l’union à gauche : le débat entre Darmanin et Le Pen se concluant par une “dédiabolisation” concrète de cette dernière par le ministre de l’Intérieur. Du coup, toute la gauche en tire argument pour affirmer que désormais Macron n’est plus un obstacle à l’arrivée du RN au pouvoir mais qu’il lui offre un boulevard. Depuis lors, divers sondages indiquent qu’une majorité des électeurs de gauche qui avaient voté Macron au deuxième tour en 2017 disent aujourd’hui qu’ils n’iront pas voter pour lui afin de faire barrage à Le Pen. De fait, la gauche semble avoir trouvé là un petit tremplin de circonstance pour tenter de se reconstruire. D’où la réunion organisée samedi 17 avril à Paris avec la participation d’une vingtaine d’organisations dont les résultats sont jugés “très positifs” par les porte-parole. L’issue de cette tentative d’union reste cependant incertaine tant les rancunes, les conflits d’ego et les ambitions sont également très tenaces à gauche.

En dernier recours, la bourgeoisie n’exclut pas, non plus, un scénario à l’italienne avec la construction d’attelages hétérogènes ou l’émergence d’une personnalité plus ou moins charismatique (comme Édouard Philippe) réunissant autour d’elle divers composantes de l’appareil politique. Mais la bourgeoisie est consciente qu’une telle solution ne ferait qu’accelerer les tendances à la perte de contrôle du jeu politique.

Ce branle-bas de combat démontre bien que la bourgeoisie tente de mettre toutes les cartes de son côté pour éviter une victoire de l’extrême droite, ce qui provoquerait une très forte instabilité politique et un approfondissement du chaos dans un des pays les plus développés d’Europe.

Fabien, 22 avril 2021

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Vie de la bourgeoisie

Non au poison de la division entre les générations ouvrières!

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Les jeunes sont “responsables de la propagation du Covid-19”, voilà ce qu’affirmait, en août 2020, l’OMS et, derrière elle, toutes les bourgeoisies et tous les médias de la planète. En France aussi donc, et sans honte, Macron & co. ont dénoncé le prétendu égoïsme des jeunes, braquant tous les projecteurs sur le moindre rassemblement festif. Évidemment, il y a là une grosse ficelle, celle de tenter de masquer les vraies causes de l’hécatombe : la gestion anarchique de la pandémie au niveau international, chaque nation agissant en solo, à l’image de la guerre des masques et des vaccins, la destruction des systèmes de soin depuis des décennies engendrant une insuffisance du nombre de lits, de médecins, d’infirmiers, d’aide-soignants, etc. Mais cette mise en accusation de la jeunesse cache aussi une attaque idéologique plus sournoise et plus profonde. Par son discours, la bourgeoisie tente de distiller dans les veines de la classe ouvrière le poison de la division.

Parallèlement, la classe dominante a mis en avant son hypocrite préoccupation pour la “génération sacrifiée”, pour, cette fois, dresser les jeunes contre les vieux. Selon cette façon de voir, les vieux devraient être les seuls à devoir se confiner puisqu’ils courent le plus de risque de mourir. Des débats à la télévision ont même eu lieu sur le thème : “est-il normal que toute la société se fige alors qu’il suffirait d’isoler les vieux ?”

À l’image de son système, voilà ce que la bourgeoisie a à offrir : la division et la concurrence, la guerre de tous contre tous, le chacun-pour-soi ! Et le capitalisme n’a donc rien de plus en horreur que la solidarité ouvrière. La bourgeoisie saisit chaque occasion pour tenter d’enfoncer des coins, diviser et diviser encore, rejouant à l’écœurement la guerre des générations, afin d’amoindrir ce qui fait la force de notre classe, la capacité à se serrer les coudes, à lutter les uns pour les autres.

En 2006, le gouvernement Villepin fait voter une loi contenant un nouveau contrat de travail, le “contrat première embauche” (CPE) qui s’adresse en particulier aux jeunes entrant sur le marché du travail et offrant à l’employeur la possibilité de rompre le contrat pendant les deux premières années, sans indemnité ni droit au chômage. Cette profonde précarisation des jeunes travailleurs soulève un mouvement de colère parmi notamment les étudiants qui, pour beaucoup, goûtent déjà à l’exploitation capitaliste à travers leurs “petits boulots”. Rapidement, le mouvement étudiant se voit rallié par les générations de travailleurs aussi bien en activité, qu’au chômage ou à la retraite, tous refusant de voir les jeunes soumis à des conditions de vie aussi précaires et angoissantes. C’est cette solidarité entre les générations de prolétaires qui va donner une dynamique particulière à la lutte et conduire le gouvernement à retirer cette disposition de la loi “Égalité des chances” (sic).

C’est aussi cette solidarité entre les générations qui s’est exprimée au cours d’une grève de trois jours à New York pendant la période de Noël 2005. Des employés du métro se sont dressés contre le projet de la direction d’attaquer le système de retraite en mettant en avant qu’ils se battaient avant tout pour ne pas “trahir ceux qui ne sont pas encore nés” et pour défendre l’avenir des futures générations de prolétaires.

Plus récemment, en France, à la rentrée 2019, un projet de loi de réforme des retraites produit un fort mouvement de rejet dans les rangs de la classe ouvrière, conduisant les syndicats à organiser, en décembre, une première journée de manifestations, qui sera suivie par plusieurs autres jusqu’au début de l’année 2020. Ces manifestations ont vu une fréquentation bien plus large que celle qui aurait pu être attendue. En effet, au-delà des travailleurs concernés par la réforme (en fait, les générations les plus jeunes), beaucoup d’ouvriers plus âgés, “échappant” à la réforme, mais aussi beaucoup de retraités, sont venus manifester leur colère et leur refus de voir les jeunes générations sacrifiées sur l’autel de la crise capitaliste.

Pour l’ensemble de l’humanité, la jeunesse symbolise le futur, la continuité de notre espèce et de la civilisation. Pour la classe ouvrière, porteuse d’une tâche historique révolutionnaire, c’est bien plus que cela. Les conditions subies et promises aux jeunes prolétaires sont un marqueur palpable de la dégradation des conditions de vie de la classe ouvrière. Les vieux travailleurs qui ont sué toute une vie pour en retirer juste de quoi faire vivre leur famille refusent que les jeunes générations aient à subir des conditions encore pires. Pour la classe ouvrière, la jeunesse représente l’espoir de pouvoir transformer ce monde et quand on s’attaque à elle, on s’attaque à cet avenir. La solidarité entre les générations de prolétaires est alors capable d’orienter les luttes non pas seulement contre le présent et ses attaques immédiates, mais aussi pour le futur en vue de construire une autre société, lui donner une dynamique de transformation en profondeur du monde d’aujourd’hui pour construire celui de demain.

Il faut donc rejeter le poison de la division entre les générations distillé par la bourgeoisie, il faut développer les liens et la solidarité entre tous les secteurs et toutes les générations de la classe ouvrière. Particulièrement, la génération qui a signé le retour de la classe ouvrière à l’avant-scène de l’histoire en 1968 (après 50 ans de contre-révolution) et qui a accumulé dans les luttes des années 1970 et 1980 une précieuse expérience, doit en tirer des leçons indispensables et les transmettre aux nouvelles générations pour poursuivre le combat révolutionnaire de la classe ouvrière.

GD, 16 avril 2021

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Pandémie dans les écoles, symbole de l’hypocrisie de la bourgeoisie

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“N’oublions pas ce qui marche et fait notre fierté : aucun pays de l’Union européenne n’a autant laissé les écoles ouvertes que la France”, (1) claironnait fièrement Clément Beaune, secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Effectivement, selon l’UNESCO, la France n’a fermé ses écoles que pendant 9,7 semaines au total contre 23,6 pour l’Allemagne, 25,9 pour le Royaume-Uni, 30 pour l’Italie ! “Comme je le dis depuis le début de cette crise, l’école n’est pas une variable d’ajustement, elle est fondamentale pour les enfants. […] On voit les dégâts que cela fait quand ils n’ont pas école. Pour le monde, cette crise sanitaire peut être une catastrophe éducative, j’essaie d’épargner ça à la France. […] Ça devient une exception française !” (2) J.M. Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, ne cesse de s’enorgueillir du souci du gouvernement pour le bien-être de la jeunesse. Tout serait donc fait pour que les enfants et les adolescents subissent le moins possible les affres de la pandémie.

Évidemment, il y a derrière ces déclarations, une claire volonté, à peine dissimulée, de maintenir les parents au travail. Mais pour autant, l’inquiétude de la bourgeoisie face à la déscolarisation et aux souffrances qui l’accompagnent, est bien réelle. D’abord, parce que le désœuvrement est source de potentiel chaos social, particulièrement pour les jeunes les plus en difficultés, à l’image des rixes entre bandes qui se sont multipliées ces derniers mois. Ensuite, parce que la baisse du niveau scolaire signifie aussi une future génération moins apte au travail et donc moins compétitive pour le capital. Enfin, parce que la hausse des souffrances psychiques représente un coût à venir pour l’État.

Le paradoxe, c’est que, malgré cette volonté affichée de préserver les jeunes, toutes les décisions prises depuis le début de la pandémie, hormis le seul fait de maintenir les écoles ouvertes, n’ont été que dans le sens d’accentuer le mal-être et l’isolement. L’État est bien incapable de prendre des décisions rationnelles, d’anticiper, de se donner les moyens pour que l’Éducation nationale soit à la hauteur des enjeux de la pandémie.

Concrètement, depuis la rentrée de septembre, le protocole sanitaire est plus que léger et les moyens alloués pour cela, inexistants :

– Pas de recrutements supplémentaires, que ce soit pour encadrer les élèves aux intercours ou pour remplacer les professionnels malades et absents. Conséquences : des lycées et collèges fonctionnent sans vie scolaire ou avec des salles de permanence pleines, faute de profs remplaçants ; des écoles qui restent ouvertes avec la moitié de l’effectif enseignant absent et non remplacé. Les élèves sont dispatchés dans les classes restantes déjà surchargées.

– Pas de moyens supplémentaires pour assurer le nettoyage et la désinfection des locaux, ni produits, ni moyens humains. Conséquence : les salles de classe ou encore les toilettes ne sont nettoyées parfois qu’une fois tous les deux jours, avec des classes qui changent de salles toutes les heures !

– Peu, voire parfois pas de gel hydro-alcoolique. Peu, voire pas de savons, ce qui était déjà le cas avant la pandémie. Accessibilité réduite, voire inexistante aux lavabos. Conséquence : le lavage régulier des mains devient très aléatoire, surtout dans les collèges et les lycées où les infrastructures ne sont pas du tout adaptées et le personnel manquant pour surveiller ces points d’eaux et les nettoyer.

– Une aération des locaux (prévue réglementairement toutes les 2 heures) très aléatoire, certaines salles n’ont d’ailleurs même pas d’ouverture possible.

– Absence totale de distanciation physique dans les cantines, alors que les restaurants sont fermés et les restaurants d’entreprises doivent prévoir 8 m2 par personne déjeunant dans leurs locaux !

– Non-application des mesures de base d’isolement. Si à la télévision, le ministre affirme la rigueur des protocoles, sur le terrain, les pressions sont très fortes pour taire les cas de Covid dans les classes, pour nier l’existence des cas contacts, etc. Parce que l’école doit rester ouverte, coûte que coûte.

Le résultat de cette absence totale de moyens et de mesures sérieuses a été l’explosion des contaminations dans toutes les écoles dès février 2021, à tel point que le gouvernement, après avoir maintenu durant des mois et contre toute vraisemblance que les enfants n’étaient pas contaminants, a dû se résoudre à fermer les établissements et mettre en place les cours à distance. D’ailleurs, cette “école virtuelle” a été, à elle seule, le symbole de l’incurie de la bourgeoisie. Le gouvernement a eu un an pour préparer son système scolaire et au premier jour de cours… tout a planté lamentablement ! Serveurs saturés, absence d’ordinateurs pour les enseignants (3) et les élèves, consignes inexistantes… mêmes les simples boites mails ne fonctionnaient pas ! Face à ce fiasco ridicule, le ministre de l’Éducation nationale a osé invoquer une cyberattaque criminelle russe, confinant ainsi au grotesque.

Mais cette situation chaotique et désastreuse n’est pas le seul fruit de la politique actuelle de Macron et de son gouvernement. Elle résulte de 40 ans de plans d’austérité et d’attaques successives et de dégradations continues des conditions de vie et de travail, sous les gouvernements de droite comme de gauche, à l’Éducation nationale comme partout ailleurs. Et demain, les mêmes attaques se poursuivront.

La justification martelée par le gouvernement, les partis d’oppositions, les syndicats, etc., selon laquelle l’ouverture des écoles “à tout prix” limiterait les “inégalités sociales” relève de la pure hypocrisie. Le système éducatif au sein de la société capitaliste est justement le creuset de la reproduction des inégalités et de l’exploitation entre les classes sociales. (4) Les salles surchargées, des journées oscillant entre 6 et 8 heures de cours quotidiens pour les élèves, le manque de personnel et de moyens de toute sorte, la logique de la concurrence et de la performance, voilà la réalité de “l’école de la République”. Une école qui ne vise qu’une seule chose : former des travailleurs adaptés aux rythmes industriels effrénés et des “citoyens” dociles et sans danger pour la pérennité de l’ordre social garant de l’exploitation. Comme l’affirmait l’un des fondateurs de l’école bourgeoise en France, Jules Ferry, dix ans après l’écrasement de la Commune de Paris dont il fût l’un des principaux acteurs, l’école doit avant toute chose inculquer une “morale d’État”. Le système éducatif écrase donc la jeunesse comme le lieu de travail écrase les salariés. Il n’est en rien le lieu de “l’esprit critique” et de la diffusion épanouissante du savoir mais l’atelier de formatage de la domination capitaliste.

Ginette, 19 avril 2021

 

1 ) “Écoles ouvertes par temps de Covid, “une exception française” controversée”, France 24, (17 mars 2021).

2 ) “Jean-Michel Blanquer : les écoles ouvertes, “une exception française dont il y a tout lieu d’être fiers””, France Inter (2 mars 2021).

3 ) Les enseignants ont reçu une prime dérisoire de 150 euros pour s’acheter le matériel nécessaire pour leur travail à la maison !

4 ) “Éducation : un conditionnement de la pensée au service du capital et de l’État”, Révolution internationale n° 466, (septembre-octobre 2017).

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Un an de Covid: La destruction du système de soins continue

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Il y a un an, Emmanuel Macron promettait pour l’hôpital “un plan massif d’investissement et de revalorisation de l’ensemble des carrières”, assurant apporter une réponse “profonde et dans la durée”. Alors, que s’est-il passé depuis ?

– Au Centre Hospitalier d’Aix-en-Provence, 60 lits de médecine et de chirurgie ont été fermés.

– Au Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Grenoble au 30 mars 2020, 43 lits de réanimation et 37 lits de soins critiques ont disparu. Des fermetures sont en cours de discussion à Voiron et à l’Hôpital Sud.

– À Lyon, à l’hôpital Edouard-Herriot, ont été fermés 59 lits de chirurgie, 15 lits de gériatrie, 47 lits de médecine.

– Au Centre Hospitalier Vinatier dans le Rhône, 151 lits ont été fermés.

– En région parisienne, la fusion des trois établissements hospitaliers de Juvisy, Longjumeau et Orsay va entraîner la fermeture 600 lits d’hospitalisations.

– À Paris, la fusion des hôpitaux Bichat (18e arrondissement) et Beaujon (Clichy) dans un hôpital unique à Saint-Ouen signifie de fait la fermeture de ces deux hôpitaux parisiens, après celles du Val-de-Grâce et de l’Hôtel-Dieu. Concrètement, cela va induire la suppression de 400 lits et de 1000 postes de travail !

– À Privas, la maternité a fermé.

– Au CHU de Reims, la fermeture de 184 lits est en cours.

– Au CHU de Nancy, 78 lits ont déjà été fermés et 204 postes de travail, tous grades confondus, ont déjà été supprimés sur l’objectif de 179 lits fermés et 598 postes supprimés d’ici 2024.

– Au CHU de Tours, la fermeture de 360 lits est programmée d’ici à 2026. (1)

À cette hécatombe s’ajoutent les conséquences désastreuses de la réforme de l’enseignement supérieur (Parcours sup) et de la réforme du premier cycle : le nombre de médecins en formation est en chute libre. Et que dire de la “nouvelle médecine” peu à peu mise en place : développement de la téléconsultation, notamment par la mise en place de télécabines dans les pharmacies ; explosion de l’hospitalisation à domicile ou en ambulatoire ; développement des droits d’exercice des pharmaciens et des infirmiers… sans formation ni rémunération supplémentaire.

Heureusement, cet été, les soignants ont tous reçu une belle médaille !

Le piège du corporatisme et de l’isolement

La colère des soignants est forcément immense face à cette incurie, ce mépris pour la vie, ces conditions de travail indignes auxquels ils sont quotidiennement confrontés. En pleine pandémie, l’ensemble de ces mesures sont tout simplement assassines.

Tout le secteur de la santé est dans un état de délabrement avancé. “L’uberisation de la médecine”, portée aujourd’hui par Macron, s’inscrit dans la continuité des plans d’économie menés par tous les gouvernements précédents, de droite comme de gauche, depuis quarante ans. Les hôpitaux psychiatriques sont, par exemple, devenus des établissements dignes du tiers-monde. Ce mépris pour la vie reflète la nature profonde de ce système : le capitalisme fonctionne pour le profit et par l’exploitation, et non pour satisfaire les besoins humains. Il ne s’agit donc pas d’un problème spécifique du secteur de la santé. Tous les travailleurs, du public comme du privé, de toutes les corporations, les chômeurs, les retraités, les étudiants précarisés sont frappés de plein fouet par la dégradation continue des conditions de vie. La lutte concerne toute la classe ouvrière. Ce n’est pas en se battant pour le statut de “sa” profession (infirmier, aide-soignant ou médecin,), pour “son” hôpital, pour “son” secteur d’activité que le prolétariat pourra établir un rapport de force permettant de freiner les attaques.

Ce poison de la division, ce piège classique tendu par la bourgeoisie pour mieux régner, les infirmières en ont déjà été victimes en 1988 et l’ont payé alors très cher, elles et toute la classe ouvrière impactée par cette défaite. C’est pour se souvenir de cet épisode de la lutte de classe en France, pour en tirer les leçons et préparer les futures luttes inévitables, que nous republions ici un extrait de notre brochure : Octobre 1988 : bilan de la lutte des infirmières [59].

Pawel, 20 mars 2021


Que s’est-il passé en octobre 88 ?

Jamais, depuis de nombreuses années, “rentrée sociale” en France n’avait été aussi explosive que celle de l’automne 1988. Depuis le printemps, il était clair que d’importants affrontements de classe se préparaient. Les luttes qui s’étaient déroulées entre mars et mai 88 dans les entreprises “Chausson” (construction de camions) et SNECMA (moteurs d’avions) avaient fait la preuve que la période de relative passivité ouvrière qui avait suivi la défaite de la grève dans les chemins de fer en décembre 86 et janvier 87 était bien terminée. Le fait que ces mouvements aient éclaté et se soient développés alors que se déroulaient les élections présidentielles et législatives (pas moins de 4 élections en deux mois) était particulièrement significatif dans un pays où, traditionnellement, ce type de période est synonyme de calme social. Et cette fois-ci, le Parti socialiste revenu au pouvoir ne pouvait espérer aucun “état de grâce” comme en 1981. D’une part, les ouvriers avaient déjà appris entre 81 et 86 que l’austérité “de gauche” ne vaut pas mieux que celle de “droite”. D’autre part, dès son installation, le nouveau gouvernement avait clairement mis les points sur les “i” : il était hors de question de remettre en cause la politique économique appliquée par la droite durant les deux années précédentes. Et elle avait mis à profit les mois d’été pour aggraver cette politique.

C’est pour cela que la combativité ouvrière, que le cirque électoral du printemps avait partiellement paralysée, ne pouvait manquer d’exploser dès l’automne en des luttes massives, en particulier dans le secteur public où les salaires avaient baissé de près de 10 % en quelques années. La situation était d’autant plus menaçante pour la bourgeoisie que depuis les années du gouvernement PS-PC (81-84), les syndicats avaient subi un discrédit considérable et n’étaient plus en mesure dans beaucoup de secteurs de contrôler à eux seuls les explosions de colère ouvrière”. (Revue Internationale n° 56, p. 1).

Déjà, dans les hôpitaux la situation était très tendue du fait que, dans ce secteur, plus que dans tout autre secteur, les travailleurs y avaient subi les années de restrictions budgétaires exigées par le déficit croissant de la Sécurité sociale : réduction des effectifs rendant aujourd’hui insoutenables les cadences de travail, blocage des salaires, mobilité et flexibilité de l’emploi autorisant l’administration à “réquisitionner” les travailleurs même pendant les jours de congé, etc.

C’est pour se préparer à faire face à ces menaces d’explosion sociale que la bourgeoisie a cherché à renforcer ses forces d’encadrement traditionnelles : c’était le sens des changements importants intervenus à la direction de la CFDT, à la direction de la CGT avec l’élimination de dirigeants jugés “trop mous” comme Sainjon.

C’est pour la même raison que, surtout, elle a mis en place un dispositif destiné, au moment choisi par elle, à disperser et à émietter les combats de classe. Au sein de ce dispositif, les syndicats avaient évidemment leur place, mais le premier rôle devait être tenu, pendant toute la phase initiale de sa mise en œuvre, par des organes “nouveaux”, présentés comme “non syndicaux”, “vraiment démocratiques” : LES COORDINATIONS. C’est ainsi que dès le mois de mars est née la coordination infirmière, créée de toute pièce par des membres de la CFDT. C’est ainsi que, le 14 juin, cette coordination auto-proclamée élabore une plateforme revendicative et fixe la date de la première manifestation des infirmières au 29 septembre. Tous ces préparatifs se déroulent avec la complicité du parti socialiste et le soutien actif et matériel de la CFDT. Début juillet, Mitterrand, Rocard et Evin, le ministre de la santé, sont officiellement avertis du projet. Ils lui donnent leur aval et le très médiatique Schwarzenberg lui donne sa bénédiction.

Fin septembre : la mise en place du piège

La fin septembre voyait éclater une série de conflits : grèves dans l’audiovisuel, dans les usines Renault du Mans, grève à la poste du Louvre (la plus grande de France). Cette dernière, partie spontanément, est l’objet des efforts décidés de la bourgeoisie pour y mettre rapidement un terme, alors que dans quelques jours doit intervenir à Paris la première manifestation infirmière du 29 septembre. À cette fin, le gouvernement cède en partie sur les revendications et fait intervenir l’ensemble des forces d’encadrement de gauche et d’extrême-gauche, y compris des organes se prétendant extra-syndicaux, dont le “comité pour l’unité de Paris R.P. (recette principale)”.

Le 29 septembre, 30 000 travailleurs de la santé (et pas seulement des infirmières) se retrouvent dans la rue à Paris et des milliers en province. Plusieurs catégories de personnels se mobilisent dés le premier jour.

Dans la manifestation parisienne, où les syndicats sont relégués à la queue du cortège, la “coordination” placée en tête du mouvement essaie de canaliser toute la combativité derrière ses mots d’ordre démagogiques : “2 000 francs tout de suite”, car irréalistes eu égard au rapport de force face à la bourgeoisie, et élitistes : “Bac + 3 = nous voulons un statut”.

L’assemblée générale appelée par la coordination à la suite de la manifestation confirme la très grande combativité qui s’était exprimée dans la manifestation : ce sont plus de 3 000 personnes qui vont se presser dans une salle trop petite et beaucoup qui n’ont pu entrer ne peuvent suivre le débat que par haut-parleurs. La salle est survoltée, les questions fusent à l’adresse des “organisateurs”: “qui êtes vous ?", “d’où venez vous ?”, “on veut des AG”… Après s’être présentés comme étant une coordination issue d’une lutte du printemps, le présidium et les organisateurs du mouvement (pour beaucoup membres de la Ligue Communiste Révolutionnaire2) parviennent à tromper les ouvriers présents sur leurs objectifs, soi-disant “en rupture totale”, voire en opposition avec les méthodes de lutte syndicales. Cette reprise en main de l’assemblée effectuée, commence immédiatement le travail de sabotage :

– par la division : le personnel non infirmier (essentiellement les aides soignant(e)s) est “invité” à quitter la salle pour se rassembler à 500 mètres de là, autour d’une coordination qui vient d’être constituée à son intention. Il s’agit en fait de la future “coordination inter-catégorielle” du personnel hospitalier (dont la plupart des organisateurs sont des membres de Lutte Ouvrière) ;

– en cassant la dynamique du mouvement : dans la confusion la plus totale, étouffant la voix et les propositions de ceux qui réclament une véritable assemblée générale souveraine, le présidium fait “passer” la suspension de la grève jusqu’à la semaine suivante.

Dans les quarante-huit heures qui suivent cette première journée de mobilisation, c’est à une véritable entreprise d’éclatement du mouvement que se livrent les gauchistes et autres syndicalistes de base ; surgissent alors pas moins de cinq coordinations différentes : celle des infirmières, celle dite inter-catégorielle, celle des infirmiers psychiatriques, celle des infirmières anesthésistes, celle des kinésithérapeutes. La CGT, mise à l’écart de la manœuvre, se permet le “luxe” de vilipender le “corporatisme” des coordinations !

Le 6 octobre : le piège se referme

Malgré une semaine d’inaction, la combativité ouvrière ne se dément pas et la deuxième manifestation des personnels de santé se déroule le 6 octobre, dans un climat où la montée du mécontentement s’exprime dans différents foyers de grève (Renault, employés de la tour Effel, Kléber-Colombes, grogne aux PTT, dans le secteur des banques, etc.)

Appelée par les coordinations, la manifestation va réunir deux fois plus de personnes que le 29 septembre. Dans toute la France, ce sont quasiment tous les hôpitaux qui sont mobilisés. Dans la manifestation à Paris, c’est la coordination infirmière à sa tête qui donne le ton du corporatisme et sectorialisme les plus arriérés, avec ses mots d’ordre désormais familiers, car largement répercutés sur les ondes et dans la presse : “bac + 3 = un statut”. Vient ensuite la coordination inter-catégorielle qui, avec ses mots d’ordre “2 000 francs pour tout le personnel hospitalier”, a en charge d’encadrer tout le personnel non hospitalier, et ceux des infirmier(e)s qui ne se reconnaissent pas dans l’élitisme et le corporatisme de la coordination infirmière. La CGT est aussi présente. Ses mots d’ordre appellent à “l’unité de toute la classe ouvrière”. Émanant d’elle, non seulement ils ne pouvaient être repris, mais ils s’en trouvent d’autant discrédités. Mais son rôle essentiel est alors d’assurer le service d’ordre de la manifestation. Elle tentera ainsi d’éloigner les “empêcheurs de tourner en rond”, en particulier les diffuseurs de tracts du “Comité pour l’extension des luttes”.

Le soir même, le ministre de la santé reçoit la coordination infirmière et, après plusieurs heures de négociations, “cède”: un milliard (déjà prévu dans le budget) est débloqué… pour les infirmières uniquement ! Cela signifié pour elles environ 350 f. d’augmentation. Si cette proposition ne va pas dans le sens de calmer la colère, elle permet par contre de renforcer l’emprise de la coordination sur le mouvement. En effet, en acceptant de la recevoir, le ministre renforce l’idée que la coordination est réellement représentative du mouvement. De plus, en refusant la proposition du ministre, la coordination accroît son prestige auprès des infirmier(e)s et fait tomber les dernières réserves qui pouvaient encore s’exprimer à son encontre.

Le 8 octobre, les deux coordinations vont cette fois s’auto-proclamer “coordinations nationales”. Pour ce faire, les Assemblées Générales des hôpitaux de toute la France devaient nommer des délégués qui ne savaient pas dans quelle coordination se rendre, et qui allaient se retrouver dans des structures toutes prêtes : bureaux, comité de liaison inter-coordinations, etc. Elles entérinent ainsi leur légitimité, tout en se donnant le maximum de moyens de contrôle sur les AG de délégués qu’elles convoquent pour ce jour. Le contrôle est renforcé aux portes même des A.G. Pour être admis à celle de la coordination infirmière il faut être mandaté par une AG composée uniquement d’infirmières. L’autre, celle de la coordination inter-catégorielle est moins stricte. Il faut cependant y décliner nom, profession et hôpital pour y être admis. De plus, dans l’une et l’autre, le contrôle s’exerce également au niveau du déroulement des discussions. Aucune motion, autre que celles émanant des bureaux auto-désignés, ne sera soumise au vote des assemblées. Fait significatif, c’est à 500 mètres l’une de l’autre que siégeront les deux coordinations, celle des infirmières se tenant à la Sorbonne dans des locaux loués par l’UNEF-ID, syndicat étudiant d’obédience PS.

A partir de ce moment, l’encadrement du mouvement par les coordinations est total.

Dans le même temps, dans d’autres secteurs comme les centres PTT de la région parisienne, les poussées combatives sont non seulement freinées par les syndicats et les gauchistes, mais guère encouragées par la tournure élitiste et sectorisaliste que prend la grève des infirmières.

Le 13 octobre : le triomphe des coordinations

La coordination infirmière appelle ce jour à une nouvelle manifestation nationale à Paris qui rassemble plus de 100 000 personnes. Dans ce cortège, les syndicats sont beaucoup plus présents et la CGT, qui participe massivement, se distingue par son “radicalisme” et a beau jeu de réclamer, à travers ses mots d’ordre, “l’extension et l’unité du mouvement à tout le secteur public”, alors que la majorité des ouvriers sont déboussolés par la tournure que prend le mouvement dans les hôpitaux.

Le soir même, le gouvernement, Rocard en tête, négocie une rallonge de 400 millions supplémentaires uniquement pour les infirmières, accroissant ainsi la division du mouvement et encourageant encore un peu plus le sentiment corporatiste dans tous les secteurs.

Le 14 octobre, les syndicats (à l’exception de la CGT) veulent signer un accord avec le gouvernement, alors que la coordination infirmière continue d’appeler à la lutte, mais chacun dans le cadre de “son” hôpital, dans “sa” ville… et à manifester le 22 octobre avec les “usagers de la santé” !

Ce jour là, la coordination “inter-catégorielle” va interdire l’entrée de sa réunion à tout personnel “étranger” au secteur, et exclure manu militari des travailleurs de la santé et d’autres secteurs qui insistent pour que les AG soient ouvertes à tous les travailleurs.

La semaine du 16 au 22 octobre, syndicats et coordinations unis pour enterrer le mouvement dans la santé et disperser la combativité générale

Alors qu’au début du mouvement, dans les autres secteurs, syndicats et gauchistes avaient fait leur possible pour que d’autres mouvements n’éclatent pas, dès le 14, dans les PTT en particulier, la CGT et des “coordinations” surgies “spontanément” du néant appellent à la grève. Les syndicats, revenus au premier plan notamment à travers leur présence aux négociations dans la santé, appellent à des journées d’action nationales dans tout le secteur public : la CGT le 18, la CFDT et FO le 20. Ces journées d’action, soi-disant pour l’unité et l’extension, en plein reflux de la grève des infirmières, offriront surtout le spectacle de la victoire de la bourgeoisie par le retour en force des syndicats.

A partir de ce moment, les syndicats, CGT en tête, vont tout faire pour étendre la dispersion ouvrière en généralisant à la région parisienne ce qu’ils avaient déjà entrepris en province : ils vont appeler systématiquement à la grève dans différents secteurs de la fonction publique : camionneurs des PTT, Sécurité sociale, EDF/GDF, RATP. Toute cette période verra des grèves très isolées, pouvant durer plus d’un mois, mal vécues par la population ouvrière et qui n’obtiendront rien, sinon les augmentations plus ou moins déjà prévues, et des belles promesses !

Le 22 octobre, la dernière manifestation des infirmières, dans ce climat d’émiettement et de reprise en mains par les syndicats, ne réunira que peu de monde… et la coordination infirmière, réunie à huis clos, pourra enfin appeler à “continuer la lutte sous d’autres formes”, autrement dit à reprendre le travail.

CCI

 

1 Source : syndicat des médecins hospitaliers Force Ouvrière.

2 Aujourd’hui, Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA).

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Révolution internationale n°489 - juillet août 2021

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Face au cauchemar capitaliste, le prolétariat doit mener son combat de classe!

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Alors que le monde connaît un répit précaire et fragile du point de vue sanitaire, la bourgeoisie et ses médias aux ordres profitent de la situation pour mettre en place une vaste campagne idéologique visant à faire croire que la pandémie mondiale dans laquelle le monde est plongé depuis plus d’un an va permettre, en quelque sorte, au capitalisme de se régénérer. Le « monde d’après », prétendument plus social, affichant le faux espoir d’une gouvernance politique plus « vertueuse » et « responsable », comme se plaisent à le dire ceux qui voient par exemple en Joe Biden l’artisan d’un monde meilleur et l’incarnation même de cette sorte de « new deal vert ». Bobards et mensonges ! Ce « monde d’après » sera et ne pourra être que dans la continuité de celui « d’avant »… en bien pire !

De fait, la réalité du cauchemar capitaliste vient se charger de tempérer ces chantres ridicules, même si l’on ne peut pour le moment les empêcher d’entretenir ces illusions grotesques.

D’abord parce que la pandémie n’est pas derrière nous : on est en passe d’atteindre les 4 millions de morts dans le monde ! Le Covid-19 poursuit donc son œuvre dans des conditions sanitaires toujours aussi dégradées. En effet, les retards de la vaccination, en France comme ailleurs, les clusters persistants et la progression du variant Delta dans de nombreux pays en Europe et dans le monde engendrent déjà de nouvelles restrictions, comme c’est le cas, par exemple, au Portugal qui a dû reconfiner certaines villes, mais aussi en Afrique, en Indonésie, etc. Les manques criants de personnels et de matériel, les carences au niveau des politiques sanitaires, aggravant même la pénurie dans des hôpitaux exsangues, tout cela ne fait qu’exprimer la réalité d’une crise bien plus longue et même bien plus grave que prévue et que la propagande des États tente de masquer. Pour autant, une « quatrième vague » de contamination ne semble pas être à exclure pour cet automne !

De fait, le contexte de décomposition dans lequel s’inscrit la pandémie de Covid-19 n’a pas disparu et ne fait au contraire que s’amplifier.

Ainsi, les bonnes résolutions des Sommets réunissant les grands États et celles des COP successives ne sont que de la poudre aux yeux, tout comme la politique de « développement durable » initiée, par exemple, en France, notamment sous couvert de la Convention citoyenne, une vitrine bidon donnant un alibi pour des « mesurettes » ridicules qui ne trompent personne. Cela, au moment même où un projet de rapport du GIEC, très alarmant, souligne déjà qu’un réchauffement global limité à 2° C aurait des conséquences « cataclysmiques d’ici à 2050 ».

La situation alimentaire mondiale s’est également considérablement aggravée puisque près de 60 millions de personnes supplémentaires ont souffert de la faim ces cinq dernières années selon un récent rapport de l’UNICEF. Une hausse constante depuis 2014 !

De même, la situation impérialiste est marquée par une extension du chaos guerrier à l’image de l’exacerbation des tensions au Moyen-Orient avec la relance du conflit israélo-palestinien ou encore en Afrique où la fin éventuelle de l’opération Barkhane de l’impérialisme français, pourrait déstabiliser davantage la situation dans cette région et ouvrir la voie à davantage de barbarie guerrière.

Aucune illusion, non plus, à avoir avec l’« embellie » de l’économie soulignée par les médias, du fait du rebond en effet enregistré après la chute vertigineuse du PIB mondial au printemps 2020. Derrière l’euphorie momentanée autour des différents « plans de relance », se profilent les inquiétudes face à une paupérisation grandissante et de nouveaux licenciements. L’imminence de la facture salée à payer pour le « quoi qu’il en coûte » annoncé par Macron en France, ne peut qu’engendrer d’inévitables faillites et un cortège de nouveaux laissés-pour-compte.

Toute la situation mondiale, sur différents plans, vient confirmer le fait que la pandémie a bien généré une accélération du pourrissement sur pied du capitalisme. Et tôt ou tard, la bourgeoisie n’aura pas d’autre possibilité que de faire encore payer sa crise aux travailleurs en leur portant des attaques toujours plus douloureuses. C’est tout le sens du nouveau « ballon d’essai » du gouvernement français sur la réforme des retraites et l’allongement de l’âge de départ pour recevoir une pension à taux plein, de même que sur celle de l’assurance-chômage rognant et limitant fortement les droits des ouvriers.

Si les résistances du prolétariat aujourd’hui restent modestes, dispersées, isolées, enfermées dans le corporatisme et très difficiles au vu du contexte, on peut percevoir néanmoins un fort mécontentement et la potentialité toujours réelle de s’affronter au capitalisme, comme le montrent les luttes qui se déploient actuellement. C’est le cas, par exemple, des luttes à Roissy et Orly pour les personnels des aéroports, à la SNCF sur le réseau transilien, mais aussi en Grèce dans le secteur des transports et des services publics, contre la nouvelle « loi travail ». On a vu en Allemagne, au mois de mars, 60 000 métallurgistes se battre pour des augmentations de salaire. Plus récemment, un conflit chez Amazon et une grève sauvage chez les coursiers de Gorilla se sont déclenchés.

Face aux nouvelles attaques programmées qui vont finir par pleuvoir, le prolétariat devra se battre en allant rechercher la solidarité des salariés d’autres entreprises ou d’autres secteurs et ainsi étendre la lutte et pousser à l’organisation d’assemblées au sein desquelles les exploités auraient enfin la possibilité de discuter de leurs conditions de vie et de travail, de remettre en cause la société dans laquelle ils vivent et de s’unir pour la combattre.

Cette lutte du prolétariat sur son propre terrain est indispensable pour permettre à terme d’ouvrir une perspective révolutionnaire et afin de relever le défi d’un impératif majeur pour sortir de l’impasse totale que réserve ce système agonisant : celui de détruire de fond en comble la société capitalisme et ouvrir la voie au plein épanouissement de la civilisation humaine où l’exploitation de l’homme par l’homme serait reléguée au musée des antiquités.

WH, 2 juillet 2021

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Quel “monde d’après” ?

Contre le poison nationaliste, solidarité internationale de tous les travailleurs !

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La puissance de frappe militaire d’Israël pour répondre au Hamas et ses bombardements soi-disant ciblés sur la prison à ciel ouvert qu’est la bande de Gaza, ont fait réagir des centaines de milliers de personnes dans le monde dans des manifestations massives dénonçant encore une fois le déluge de feu de l’État « colonialiste oppresseur » hébreu sur des « masses palestiniennes opprimées ». Ces manifestations se sont déroulées dans la plupart des pays européens, aux États-Unis comme au Canada mais aussi en Turquie, en Tunisie, en Libye et même en Irak, comme au Bangladesh, au Kenya, en Jordanie ou encore au Japon.

Cette mobilisation exprime clairement une indignation face à la barbarie. Mais elle est manipulée de la manière la plus éhontée par la bourgeoisie dans des manifestations qui appellent à une fausse solidarité sur un terrain qui n’est pas le terrain prolétarien internationaliste mais celui du nationalisme bourgeois qui alimente toutes les confrontations impérialistes.

La solidarité prolétarienne ne passe pas par la défense d’un camp bourgeois !

Pour l’ensemble des gouvernements occidentaux, États-Unis en tête, même si la dénonciation ampoulée de la guerre ou des bombardements est clamée à l’envi, appelant Israël à la « retenue », la défense de l’État d’Israël reste une constante face au Hamas et ses roquettes frappant à l’aveugle le territoire israélien. Ce sont comme toujours les mêmes larmes de crocodile face aux atrocités d’un conflit qui dure depuis la création de l’État d’Israël en 1948 et ses multiples confrontations ayant coûté la vie à des dizaines de milliers de personnes, particulièrement dans les territoires palestiniens.

Pour l’ensemble des forces de gauche ayant appelé aux manifestations partout dans le monde, le « Non au massacre ! » est surtout l’occasion, encore une fois, d’un appel à soutenir la « juste cause palestinienne contre les exactions israéliennes » ! En clair, derrière cette « détermination » à dénoncer la guerre, partout dans le monde, toute la gauche et l’extrême gauche appellent les exploités à rejoindre un camp, celui du nationalisme palestinien, contre l’oppression des masses palestiniennes par l’impérialisme hébreu. Ce terrain est celui du capital, celui de la confrontation entre puissances impérialistes : israélienne, palestinienne, européenne, iranienne, américaine… Toutes ces confrontations, issues des coulisses de la diplomatie ou d’offensives militaires, n’ont fait qu’entraîner les prolétaires palestiniens comme israéliens à payer le prix du sang au Moloch impérialiste.

Le Hamas, une organisation bourgeoise…

Qu’Israël soit une puissance bourgeoise guerrière de premier plan, sans états d’âme dans sa domination de territoires occupés depuis des décennies, méprisant et provoquant en permanence une population palestinienne sous le joug, c’est, hélas, une évidence. En imposant une colonisation systématique et expulsant sans vergogne des familles palestiniennes, comme tout dernièrement à Jérusalem-Est, ce qui a mis le feu aux poudres, ou en Cisjordanie, l’État hébreu fait encore une fois la démonstration de sa barbarie criminelle et de sa politique sans scrupule vis-à-vis des Palestiniens comme vis-à-vis de ses propres ressortissants arabes israéliens.

Mais qu’en est-il des factions bourgeoises palestiniennes de l’OLP, du Fatah, du Hezbollah ou du Hamas ? Qu’en est-il de la foire d’empoigne entre ces différentes factions pour regagner une légitimité politique et se présenter comme l’interlocuteur incontournable avec lequel Israël doit traiter ? Les experts bourgeois les plus policés constatent eux-mêmes que la stratégie du Hamas consistant à tirer des roquettes sur Israël, alimentant ainsi la riposte de Tsahal, est clairement une tactique en vue de discussions et négociations avec Israël pour des intérêts vulgairement impérialistes.

… tout comme les organisations gauchistes !

Mais pour l’extrême gauche du capital, les trotskistes de Lutte Ouvrière (LO) par exemple, l’analyse est beaucoup plus spécieuse. Ainsi, même si LO, usant comme toujours d’un langage faussement radical, affirme que « les dirigeants israéliens et palestiniens conduisent leurs peuples dans une impasse sanglante, avec la complicité des puissances impérialistes », elle s’empresse, pour amener à justifier insidieusement à soutenir un camp (le plus « faible » face au plus « fort »), d’ajouter cette perfidie : « Renvoyer les deux camps dos à dos, alors qu’un État prétendument démocratique et surarmé s’acharne à détruire un territoire déjà dévasté, c’est accepter la loi du plus fort. Et c’est surtout tourner le dos à la révolte mille fois légitime des Palestiniens ! […] Si les Palestiniens ont pour ennemi l’État israélien, ils ont le Hamas pour adversaire ».

Les organisations libertaires ne sont pas en reste et en rajoutent une couche. Pour l’Organisation Communiste Libertaire (OCL), « Face au déchaînement de violence orchestré par un régime israélien en pleine crise politique, porté par un Netanyahou à bout de souffle et prêt à sacrifier les Palestiniens pour assurer sa pérennité au pouvoir, les condamnations timorées (ou pire, les déclarations renvoyant Israéliens et Palestiniens dos à dos) ne suffisent pas. Le droit international doit être appliqué ». On ne saurait être plus clair !

Ce genre de pirouettes appelant au « droit international », terrain du panier de crabes bourgeois par excellence, considérant l’un des camps barbares comme « ennemi » et l’autre comme « adversaire » ou même « ami », sont l’expression même de leur contribution ouverte à la défense d’un camp impérialiste contre un autre, un appel à la confrontation sur le terrain bourgeois le plus pourri qui soit. Cette logique nationaliste de tous les partis gauchistes ne s’exprime pas seulement dans leurs appels à une fausse solidarité lors des manifestations, elle se poursuit en appelant carrément la classe ouvrière à lutter, faire grève, « exiger ensemble la fin de l’impérialisme et le droit à l’auto-détermination des Palestiniens », c’est-à-dire détourner l’arme de la lutte contre la classe ouvrière elle-même. On a ainsi pu voir les dockers italiens du port de Livourne refuser l’embarquement d’un bateau chargé d’armes et explosifs à destination d’Israël.

Si cette action peut paraître relever de ce que la classe ouvrière devrait faire face à la guerre, en réalité les syndicats et la gauche ont entièrement piloté cette action dans le but avoué de soutenir la « cause palestinienne ». (1)

Les prolétaires n’ont pas de patrie !

L’idéologie nationaliste est l’antithèse même du terrain prolétarien, de la défense intransigeante de l’internationalisme faisant valoir la solidarité de tous les exploités du monde entier. Ce fut exactement la même logique lorsque la social-démocratie trahit la classe ouvrière en 1914 : rejet de l’internationalisme prolétarien et appel chauvin à la participation du prolétariat à la Première Guerre mondiale contre « le militarisme allemand » pour les uns, ou « l’autocratie russe » pour les autres. Le XXe siècle a ainsi été un siècle des guerres les plus atroces de l’histoire humaine. Jamais aucune d’entre elles n’a servi les intérêts des ouvriers. Toujours, ces derniers ont été appelés à se faire tuer par millions pour les intérêts de leurs exploiteurs, au nom de la défense de « la patrie », de « la civilisation », de « la démocratie », voire de « la patrie socialiste » (comme certains présentaient l’URSS de Staline et du goulag).

Depuis lors, tous les trotskistes et anarchistes officiels ont persisté et signé : lors de la guerre d’Espagne, de la Seconde Guerre mondiale, lors de la guerre d’Algérie, du Vietnam, et bien d’autres encore… En l’occurrence, lors des multiples conflits qui ont ravagé le Moyen-Orient depuis plus de 50 ans, ils ont appelé systématiquement les prolétaires à se battre pour la « satisfaction de l’ensemble des droits nationaux et démocratiques des Palestiniens » et permettre une « solution juste » au conflit ! Comme si la décomposition du monde capitaliste, son chaos grandissant tous les jours, sa barbarie guerrière à tous les niveaux, le militarisme grandissant des grandes puissances et des seconds couteaux régionaux, tous impérialistes, pouvaient déboucher sur une « solution juste » ! Dans cette région du monde rongée par la guerre depuis des décennies, comme dans chaque épisode guerrier partout dans le monde, il ne peut y avoir de solution dans le cadre du capitalisme !

Où se trouvent donc les intérêts de la classe ouvrière, celle en Israël, juive ou arabe, celle en Palestine, celle des autres pays du monde ? Les ouvriers juifs exploités en Israël par des patrons juifs, les ouvriers palestiniens exploités par des patrons juifs ou arabes vivent les mêmes conditions de travail et ont chacun le même ennemi : le capitalisme. Tout comme les ouvriers du monde entier !

Face à la folie guerrière subie depuis des décennies par les ouvriers israéliens et palestiniens, le prolétariat des « grandes démocraties » ne doit prendre le parti d’aucun camp contre un autre. La meilleure solidarité qu’ils puissent leur apporter ne consiste certainement pas à encourager leurs illusions nationalistes mais à développer le combat contre le système capitaliste responsable de toutes les guerres. Face au chaos grandissant à l’heure actuelle dans tout le Proche-Orient, la classe ouvrière ne pourra conquérir la paix qu’en renversant le capitalisme à travers la lutte internationale du prolétariat.

Contre le nationalisme, contre les guerres dans lesquelles veulent vous entraîner vos exploiteurs : Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !

Alfred, 7 juin 2021

1) Solidarité Ouvrière internationaliste (14 mai 2021).

 

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Conflits impérialistes

Élections régionales: Le vote ou l’abstention ne sont pas des expressions de la conscience ouvrière

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Les dernières élections régionales en France ont vu un niveau d’abstention record à près de 70 % et même plus de 80 % dans certaines banlieues de grandes métropoles comme à Vaulx-en-Velin (Rhône) avec 88 % d’abstention, à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) ou à Roubaix (Nord), etc. Un record depuis le début de la Ve République. Ce niveau d’abstention s’est d’ailleurs maintenu entre le premier et le deuxième tour, malgré les appels culpabilisants à plus de « responsabilité » de la part des électeurs.

Certes, ce type d’élection n’a jamais vraiment fait recette dans les urnes ni mobilisé les foules. Mais un tel niveau d’absention est clairement l’expression d’une indifférence de l’ensemble de la population, et particulièrement de la classe ouvrière vis-à-vis des principales forces politiques de la bourgeoisie, doutant très fortement de la capacité de ces élections à changer quoi que ce soit aux conditions de vie des exploités. Après plus d’un an de crise sanitaire mondiale, de forte aggravation de la situation économique avec de lourdes conséquences, notamment sur l’emploi et la précarité accrue, la perspective de voir telle ou telle clique politicienne bourgeoise tenir les rênes des régions n’était pas un stimulant suffisant pour retrouver les isoloirs. C’est une confirmation de plus d’un processus de désaffection électorale qui se vérifie globalement depuis la fin des années 1960.

Déjà, Mai 68 avait vu émerger le slogan « élections piège à cons », sans pour autant décrédibiliser tout le jeu électoral lors des décennies suivantes. En mai 1981, l’élection de Mitterrand avait redonné du tonus à l’illusion de la « transformation » de la société par les urnes. Il n’avait pas fallu longtemps pour que la réalité de la rigueur et des attaques contre la classe ouvrière reprennent leur droit. L’alternance entre la gauche et la droite a l’avantage pour la bourgeoisie de simuler un enjeu pour les échéances électorales, mais elle a aussi l’inconvénient de montrer, sur le terrain, que droite et gauche gèrent peu ou prou les affaires de la même façon. De fait, depuis trente ans que la gauche et la droite se succèdent au pouvoir ou y cohabitent, la condition ouvrière n’a fait que se dégrader toujours plus. L’érosion du processus électoral s’est ainsi poursuivie pour aboutir à cette abstention record d’aujourd’hui.

C’est un signe clair d’une fragilisation de la bourgeoisie, de ses partis et de son jeu politique. Pendant très longtemps, et plus particulièrement depuis la fin des années 1960 et le retour de la classe ouvrière sur la scène de l’histoire, les élections, partout dans le monde, ont permis à la classe dominante d’éviter que le capitalisme soit mis en accusation. Pourtant, la désaffection des urnes ne signifie pas pour la classe ouvrière une plus grande conscience de la nature de la démocratie bourgeoise.

La persistance du mythe démocratique

S’il y a un plus grand désaveu électoral aujourd’hui, ce serait une grave erreur de faire dire à cette abstention ce qu’elle ne dit pas. Qu’elle soit l’expression d’une déconnexion entre la classe politique, les institutions démocratiques, d’une part, et la classe exploitée, d’autre part, c’est un fait, mais elle n’est pas, en soi, une preuve de plus grande maturité et conscience politique de la classe ouvrière. L’écœurement généralisé face aux attaques, mensonges, magouilles et tractations politiciennes de toutes les cliques bourgeoises, amène à l’érosion et la désaffection du processus électoral mais ne signifie en rien une remise en cause de l’idéologie démocratique qui reste encore aujourd’hui extrêmement forte.

Au-delà de la compréhension croissante de la futilité et de la stérilité du processus électoral, la classe ouvrière doit prendre conscience que c’est avant tout la question de la démocratie bourgeoise comme système de défense du capitalisme qui constitue un obstacle de premier ordre contre la pleine expression de sa force politique révolutionnaire. Toute la vie sociale dans le capitalisme est organisée par la bourgeoisie autour du mythe de l’État protecteur sous sa forme « démocratique ». Ce mythe est fondé sur l’idée mensongère suivant laquelle tous les citoyens sont « égaux » et « libres » de « choisir », par leur vote, les représentants politiques qu’ils désirent. Le parlement est présenté comme le reflet de la « volonté populaire », présenté comme un acquis de haute lutte par la classe ouvrière elle-même. C’est ainsi que la bourgeoisie s’appuie sur l’histoire de mouvement ouvrier en rappelant les luttes héroïques du prolétariat pour conquérir un droit qui, à l’époque du capitalisme ascendant, représentait un progrès favorisant des réformes durables, mais qui, dans sa phase de déclin, est devenu un instrument mystificateur et réactionnaire aux mains de l’État bourgeois.

La puissance de cette idéologie démocratique se confirme aujourd’hui dans le fait qu’une majeure partie des abstentionnistes eux-mêmes considère encore le droit de vote comme un recours de premier plan contre la « dictature », le « fascisme » et, paradoxalement, qu’il faut préserver cette liberté d’expression par les urnes.

Aussi, tout est déjà sur la table des officines bourgeoises pour tenter de régénérer l’institution électorale, recrédibiliser cette mystification démocratique. L’extrême gauche trotskiste et le milieu anarchiste qui n’ont généralement pas de mots assez forts pour critiquer le cirque électoral et la « politique politicienne » de la bourgeoisie et de son État, participent cependant pleinement à ce concert pour essayer de renforcer l’illusion démocratique ;

– l’organisation trotskiste Lutte Ouvrière (LO) se targue encore une fois d’un score « honorable », se faisant forte de comptabiliser des « voix révolutionnaires ». LO a, une nouvelle fois, apporté sa pierre au maintien de l’édifice démocratique cher à l’État bourgeois.

– Les anarchistes, quant à eux, prônent l’abstention et en font un prétendu « tremplin » pour les luttes puisqu’ « il semblerait que le slogan “Élection, piège à cons”, soit de moins en moins d’actualité […] parce que l’abstention est devenue un phénomène viral et on peut s’en féliciter ». Ainsi, « le dégoût des politiciens traduit par cette abstention doit maintenant se transformer en colère et en luttes sociales ». (1)

L’extrême gauche, trotskiste ou anarchiste, confirme bien là, sa place active dans l’arsenal des forces politiques de la bourgeoisie et sa contribution à maintenir vivante l’idée que le principe électoral n’est pas mort, qu’il est même le meilleur reflet des positions politiques de la population et que l’on peut le faire parler comme un « mètre-étalon » de la conscience ouvrière.

Quelle conséquence pour la bourgeoisie française ?

La bourgeoisie ne peut que constater le pourrissement de son propre système sur tous les plans, qui n’a fait que s’aggraver au fil des ans, favorisant une tendance à la perte de contrôle de son jeu politique. Les dissensions entre ses partis et personnalités politiques, dans les rangs du gouvernement comme de la droite, de la gauche, de la mouvance écologiste ou de l’extrême droite, ont progressé au point de dresser aujourd’hui le tableau d’une véritable foire d’empoigne. Les leaders politiques, déclarés ou non, pour les élections présidentielles de 2022 sont en piste dans une guerre des chefs qui s’annonce déjà à couteaux tirés !

– Le parti d’Emmanuel Macron, La République en marche, qui avait en 2017 la prétention de « révolutionner » la vie politique en régénérant notamment les dirigeants politiques et en mettant fin aux pratiques politiciennes de « l’ancien monde », a clairement démontré qu’il ne se démarquait en rien des autres fractions de l’appareil politique de l’État. Pire, ce mouvement composé en partie d’individus de la société civile, novices en politique, ou de jeunes hauts-fonctionnaires n’ayant aucune expérience du terrain et de l’arène politique, a fait preuve à plusieurs reprises, comme lors de la crise sanitaire, de tergiversations, de manque de discernement et de sens politique, jouant un rôle dans le discrédit déjà important de cette nouvelle force politique, discrédit déjà entamé après des attaques importantes contre la classe ouvrière, en particulier dans les deux premières années de pouvoir, et toutes sortes d’affaires (Benalla, Ferrand, etc.).

– À gauche, les multiples officines social-démocrates, staliniennes ou écologistes tentent de survivre pour les uns ou faire valoir leurs spécificités pour les autres, dans une débauche de listes concurrentes, d’appels ou de tribunes où le chacun pour soi est de mise. Si la candidature commune semble la seule configuration permettant à la gauche de prétendre reprendre la direction de l’exécutif, celle-ci est loin d’être acquise tant les divisions entre le Parti socialiste, l’EELV et le PCF demeurent fortes à l’échelle nationale.

– Si la droite est parvenue à faire bonne figure en remportant sept régions, à l’image de leurs principaux chefs de file tels que Valérie Pécresse, Laurent Wauquiez et Xavier Bertrand, le plus dur reste à faire tant cette fraction reste également gangrénée par des luttes intestines qui avaient déjà handicapé Les Républicains lors des dernières élections présidentielles. La « droite la plus bête du monde » ne pourra pas jouer un rôle majeur en vue des prochaines élections présidentielles si elle n’est pas en mesure de mettre un terme à cette guerre d’ego en faisant émerger un candidat crédible ayant le soutien de l’ensemble du « parti de l’ordre ».

– A l’extrême droite, la dédiabolisation de Marine Le Pen n’a pas eu l’effet escompté sur son électorat qui attendait un positionnement plus cinglant et identitaire. Cet échec électoral d’un parti aux ambitions clairement affichées va aiguiser des confrontations déjà violentes au sein même de la direction du parti. L’éventuelle candidature d’Éric Zemmour est une expression de ces dissensions et il y a fort à parier que les parties les plus éclairées de la classe dominante poussent la « star » des plateaux de la chaîne CNews à présenter sa candidature afin de disperser l’électorat populiste et ainsi affaiblir Marine Le Pen et le Rassemblement national.

Ce sont très clairement ces rivalités d’intérêts et non de convictions, cette décomposition idéologique, ce déballage politicien, déconnecté de la vie réelle des exploités, à mille lieues de la satisfaction de leurs besoins, mais au contraire intéressés à leur faire payer davantage l’aggravation de la crise, qui est une raison majeure de la désaffection électorale actuelle et qui, au lieu de les pousser à combattre le capitalisme, tend au contraire à les inciter au repli, au rejet, au chacun pour soi. Par conséquent, ces élections régionales confirment la difficulté accrue de la bourgeoisie pour imposer la fraction politique la mieux à même de participer à la gestion du capital national et, de manière plus générale, de la société. Cependant, si dans un contexte de fortes dérives populistes, l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir ne peut être écartée, et ce malgré les scores relativement faibles du RN lors de ces élections, il ne faut pas sous-estimer la capacité de la bourgeoisie à mettre en œuvre des stratégies lui permettant de laisser l’exécutif entre les mains des fractions les plus intelligentes. L’alliance entre le candidat Les Républicains, Renaud Muselier et LREM en région PACA en est un exemple.

D’autre part, l’abstention ne signifie nullement que le prolétariat puisse tirer profit de la situation et donner une autre orientation politique que celle imposée par la bourgeoisie. Au contraire, dans un premier temps, contrairement à ce que veulent nous faire croire libertaires et autres gauchistes, la bourgeoisie va utiliser cette situation pour tenter de remobiliser sur le terrain électoral des prochaines présidentielles, avec la remise en avant d’un « enjeu » autrement plus conséquent que l’élection de conseillers régionaux. Mais le résultat sera le même et c’est un constat que chaque prolétaire peut faire de sa propre expérience de participation à la mascarade électorale ; depuis la fin des années 1920 et jusqu’à aujourd’hui, quel que soit le résultat des élections, c’est finalement toujours la même politique anti-ouvrière qui est menée.

En définitive, à l’opposé des élections bourgeoises, quelles qu’elles soient, le terrain de la lutte prolétarienne est la seule possibilité pour faire émerger la conscience ouvrière, pour permettre une véritable confrontation avec la classe dominante, pour en finir avec un système capitaliste qui mène l’humanité à la barbarie.

Fro. D, 3 juillet 2021.

1) Alternative libértaire (juillet 2021).

 

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Vie politique de la bourgeoisie

Que signifie le phénomène de “l’uberisation” des travailleurs?

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Lors de nos deux dernières permanences en France, celles des 27 mars et 12 juin derniers, un des thèmes centraux portait sur la nature révolutionnaire du prolétariat. Outre l’article bilan qui avait permis de rendre compte de ces débats, (1) nous nous étions engagés à traiter d’un questionnement plus particulier soulevé par les participants et par des contributions écrites. (2) L’article ci-dessous reprend et prolonge toute une réflexion en cours d’élaboration en intégrant bon nombre d’éléments apportés par la discussion à propos du phénomène de l’ « uberisation ». Outre les éclairages apportés, s’appuyant en partie sur les apports des débats, l’article ci-dessous s’efforce de replacer les problématiques dans un cadre historique en s’appuyant sur les bases du marxisme et l’expérience du mouvement ouvrier. De notre point de vue, cet effort doit permettre d’aider à donner un cadre politique afin de poursuivre la réflexion et la clarification. De ce fait, l’article est à nos yeux davantage une contribution qu’une réponse définitive aux questions soulevées.


Dans les années 2000 apparaît une nouvelle forme d’entreprise aux États-Unis, portée notamment par la plateforme de réservation de voitures avec chauffeurs : Uber. Rapidement, d’autres entreprises naissent ou se transforment sur la base de ce modèle, formant un phénomène qui sera rapidement appelé « uberisation ». Certains y voient la capacité du capitalisme à évoluer pour s’adapter aux nouvelles technologies et en tirer le meilleur, d’autres s’alarment de la destruction que le modèle opère sur la relation de travail contractuelle, autrement dit, sur le salariat.

Pour le CCI, il ne fait aucun doute que ce modèle est une tentative de générer de nouvelles activités fructueuses en utilisant judicieusement les moyens apportés par Internet et en recherchant par ce biais une flexibilité toujours plus grande du travail et un coût le plus bas possible. Aujourd’hui en effet, nous croisons tous les jours ces « nouveaux » travailleurs, livreurs à vélo, chauffeurs « VTC », etc.

Pour autant, ces travailleurs ne sont pas stricto sensu des salariés. Ils possèdent au moins en partie leur outil de travail (le vélo, la voiture, etc.), ils ne sont pas liés à leur plateforme par un contrat de travail mais lui vendent une prestation. En France, ils ont en général le statut d’ « entrepreneur indépendant ». Cela soulève des questions fondamentales : ces travailleurs, quelle que soit leur condition économique, font-ils partie de la classe ouvrière ? Leurs luttes peuvent-elles contribuer à l’effort de la classe pour combattre et résister à l’exploitation ?

Les travailleurs uberisés font partie de la classe ouvrière

D’un premier abord, le caractère prolétarien de ces travailleurs est protéiforme. D’un côté, les jeunes livreurs à vélo n’ont souvent que cette activité pour survivre. D’un autre côté, certains chauffeurs de VTC arborent fièrement leurs grosses cylindrées et se rêvent ouvertement comme « leur propre patron ». Le fait est que nous ne sommes pas face à un secteur « homogène » comme pourraient l’être celles des cheminots, des enseignants, des ouvriers du textile, etc. Au-delà de cette hétérogénéité réelle, nous savons bien que « ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur être ; c’est inversement leur être social qui détermine leur conscience ». (3) Le fait qu’un « VTC » se rêve en patron ne fait pas de lui un bourgeois ou un petit-bourgeois. En revanche, le fait qu’il le soit matériellement, oui.

Les travailleurs indépendants des plateformes sont-ils donc matériellement des patrons ? Nous pourrions, pour répondre à cette question, nous baser sur les rapports juridiques qui les lient à leur plateforme. Comme nous l’avons exposé, ces travailleurs ne sont pas salariés, ils vendent une prestation comme n’importe quel artisan le fait à ses clients. La seule différence ici est que cette vente s’inscrit dans une relation triangulaire entre un prestataire, un vendeur et un acheteur, relation qu’on retrouve par ailleurs dans les secteurs du transport (agences de voyage), le courtage, etc.

Le travailleur n’a donc pas de dépendance juridique vis-à-vis de la plateforme. Il est juridiquement libre. Cependant, les rapports juridiques ne suffisent pas à analyser ce type de relation. Dans son examen de la naissance et du développement du capitalisme, Marx souligne la nécessité de tenir compte des rapports de production dans la relation entre le capital et le travail. Dans ce cadre, il identifie sur un plan historique deux phases : la domination formelle du capital, puis sa domination réelle. (4)

Dans la domination formelle, nous retrouvons les premières concentrations capitalistiques, les manufactures, qui précèdent l’ère industrielle, dans le domaine du textile particulièrement. Dans cette première évolution des rapports de production du capitalisme, les travailleurs restent plus ou moins dépendants du capital. Ils gardent encore, pour bon nombre d’entre eux, leur outil de travail et, à partir de la matière première fournie par le capitaliste, réalisent un produit qu’ils vendent au même capitaliste. Le cas le plus connu concerne le secteur du textile, comme celui des tisserands de Silésie évoqué par Marx en 1844, ou les premiers canuts lyonnais. Ces derniers sont détenteurs de leur propre métier à tisser et produisent des pièces de soie pour le compte d’un fabricant. Ils travaillent donc « à la pièce » ou « à la commande ».

Cette relation de travail « pré-capitaliste » s’apparente aujourd’hui, par analogie, à la relation entre le travailleur indépendant et sa plateforme de commande : le travailleur n’est juridiquement pas dépendant du capitaliste, mais reste dépendant de lui économiquement. Marx expose deux caractéristiques de ce rapport : « 1. un rapport économique de domination et de subordination, du fait que le capitaliste consomme désormais la force de travail, donc la surveille et la dirige ; 2. une grande continuité et une intensité accrue du travail ». (5)

Dans ce cadre également, les premiers travailleurs du textile étaient obligés eux-mêmes de s’imposer des horaires prolongés pour faire face à la concurrence d’autres ouvriers exploités dans de plus grandes concentrations. Comment ne pas voir certaines de ces caractéristiques chez le chauffeur ou le livreur Uber ou autres ? Celui-ci n’a pas d’autre moyen pour travailler que d’attendre les commandes de sa plateforme. Pas d’autre moyen d’augmenter ses revenus que d’augmenter toujours plus son temps de travail (par exemple, pour un livreur de pizzas en multipliant ses courses journalières). La plateforme est donc l’unique ordonnateur, contrairement à ce qui se passe pour un artisan ou une entreprise de transport, qui peut générer de l’activité en dehors des agences ou des courtiers. Qui plus est, la dépendance économique est totale quand on sait que la plateforme fait reposer ses commandes sur des algorithmes favorisant les travailleurs les plus disponibles, les plus rapides et peut de son propre chef « désactiver » un travailleur ne donnant pas satisfaction. Cela, en poussant au paroxysme la concurrence au mépris de la santé des travailleurs. Enfin, c’est la plateforme qui s’octroie la plus grande partie de la plus-value générée par l’activité. Le travailleur perçoit un paiement fixe pour chaque commande.

Nous voyons donc que si la soumission du travailleur à la plateforme ne repose pas sur un lien juridique tangible, cette soumission en prend néanmoins toutes les formes sur le plan économique. Il n’est donc pas contestable que ces travailleurs fassent partie de la classe ouvrière, bien que leur exploitation ne soit pas consacrée par un contrat salarial.

Les travailleurs uberisés sont-ils les nouveaux fers de lance de la lutte de classe ouvrière ?

Le statut de ces travailleurs leur confère, par ailleurs, une grande précarité et les soumet à une sur-exploitation. Ils font sans doute partie, avec les chômeurs, des prolétaires les plus touchés par les effets de la crise du capitalisme. Il serait donc tentant de penser que cette situation infligée par le capital est à même de développer chez eux une combativité plus grande par rapport à celle d’autres fractions du prolétariat dont le statut serait plus « protecteur ». Par ailleurs, cette confrontation brutale aux effets de la crise économique pourrait les amener à comprendre plus rapidement que les autres secteurs du prolétariat, que le capitalisme n’a pas d’issue à offrir à l’humanité. Après tout, leurs prédécesseurs canuts ou tisserands de Silésie n’ont-ils pas mené ce qu’on considère comme les premières luttes « anticapitalistes » de l’histoire ?

Cependant, si beaucoup de choses rapprochent les travailleurs indépendants d’aujourd’hui de ceux du XIXe siècle, beaucoup de choses les séparent également. Au XIXe siècle, cette forme de relation entre le capital et le travail préfigurait la relation qui allait dominer la production capitaliste, c’est-à-dire le salariat porté par le développement du machinisme et de l’industrie. Aujourd’hui, l’uberisation résulte de l’impasse de la crise économique et de la nécessité de trouver de « nouvelles » formes d’exploitation du travail. Au XIXe siècle, les canuts, par exemple, étaient parmi les travailleurs les plus qualifiés et donc les mieux rémunérés au sein des manufactures. Aujourd’hui, les travailleurs des plateformes numériques sont parmi les plus précaires des prolétaires.

Par ailleurs, le développement du mode de production capitaliste a conduit à une division du travail extrême au sein des fabriques, rendue à la fois possible et nécessaire par le développement du machinisme et de la technologie. Cette division du travail provoque une « socialisation en masse du travail par le capitalisme ». (6) Comme le dit Marx, « le caractère coopératif du procès du travail devient donc maintenant une nécessité technique dictée par la nature du moyen de travail lui-même ». (7)

Ainsi, le capitalisme n’a eu de cesse depuis deux siècles de développer une production basée sur le travail associé, détruisant progressivement les rapports de production basés sur la domination formelle du capital sur le travail. L’uberisation opère une dynamique inverse, atomisant les travailleurs les uns par rapport aux autres, les mettant en concurrence brutale pour la vente d’une prestation de service.

Or, le caractère associé du travail dans le capitalisme est un élément fondamental de l’identité de la classe ouvrière, un caractère permettant aux prolétaires de prendre conscience qu’ils subissent les mêmes conditions d’exploitation et ont donc le même intérêt à le combattre. En d’autres termes, le travail associé est un déterminant essentiel du développement de la conscience de classe et ce déterminant manque cruellement parmi les travailleurs indépendants.

La bourgeoisie tente de valoriser ce modèle en présentant le statut de « travailleur indépendant » comme un statut beaucoup plus « libre » par rapport au salariat et offrant beaucoup plus de perspectives de développer sa propre « affaire ». Cette souplesse a, en effet, permis que le modèle se développe beaucoup aux États-Unis, car il permettait aux nombreux ouvriers ayant besoin d’un deuxième emploi pour subvenir à leurs besoins, d’articuler plus « librement » leur emploi principal avec cette activité annexe. Les illusions de pouvoir s’en sortir par ses propres moyens conduisent à ce que l’idéologie individualiste petite-bourgeoise s’installe durablement parmi ces prolétaires. Cette idéologie s’exprime également à travers les tentatives de créer des entreprises autogérées de livreurs comme Coopcycle, qui se veulent être une alternative « anarcho-communiste » face à la domination sur le marché de grands groupes tels que Deliveroo, Uber Eats et autres.

La grande précarité n’a jamais été un facteur favorable au développement de la combativité et de la conscience ouvrières. Cette précarité s’accompagne d’une extrême insécurité et d’une exacerbation de la concurrence entre travailleurs.

De plus, du fait de l’atomisation dans laquelle ces travailleurs se trouvent au sein de la sphère de production et de leur inexpérience de la lutte de classes, leurs combats demeurent très isolés. Ce qui constitue également un lourd handicap pour se rattacher aux luttes des autres secteurs et s’appuyer sur les acquis historiques de la lutte de la classe ouvrière.

Le CCI a toujours défendu que l’avant-garde du prolétariat se situait au sein des pays où celui-ci a connu le plus grand développement, acquis une expérience du travail associé, des luttes et de leur organisation collective, de ses défaites et des leçons qui peuvent en être tirées. En cela, ce secteur des « travailleurs uberisés » ne peut jouer un rôle moteur pour la lutte générale de la classe ouvrière contre le système capitaliste. Pour autant, ces travailleurs ne sont nullement perdus pour la lutte de classe. Ce rôle ne pourra cependant prendre place que dans un mouvement initié par les fractions les plus avancées et expérimentées du prolétariat qui, par le développement de leur lutte consciente, parviendront à rallier à leur combat l’ensemble de la classe, jusqu’à ses parties les plus faibles.

Il est important que les révolutionnaires aient une analyse lucide de l’état de la classe ouvrière et ne cherchent pas à se consoler des faiblesses actuelles du prolétariat à travers l’espoir de voir le prolétariat dépasser rapidement les difficultés qui pèsent sur sa combativité et sa conscience. La décomposition du système capitaliste ne fait qu’accentuer les difficultés de la classe ouvrière pour reconquérir son identité et renouer avec son projet historique. Toute la classe ouvrière subit le poids de la décomposition, mais il est clair que ses parties les plus faibles restent beaucoup plus vulnérables.

Si les fractions les plus précaires et isolées du prolétariat peuvent faire preuve d’une grande combativité, elles ne présentent pas, par elles-mêmes, une menace réelle pour le capital. Rien dans la situation actuelle ne favorise une quelconque inflexion de cette réalité, au contraire. C’est clairement dans ces fractions que nous devons aujourd’hui classer les travailleurs des plateformes numériques de transport ou de livraison. L’émergence de cette fraction du prolétariat ne saurait déplacer la responsabilité historique qui continue d’être confiée aux fractions les plus expérimentées du prolétariat mondial.

RI, 29 juin 2021

 

1) « Le prolétariat demeure l’ennemi et le fossoyeur du capital » [64], Révolution internationale n° 488 (mai juin 2021).

2) « Les « travailleurs ubérisés » font-ils partie de la classe ouvrière ? » [65], disponible sur le site internet du CCI.

3) Marx, Avant-propos à la Critique de l’économie politique (1859).

4) Nous analysons ces concepts en réponse aux interprétations erronées du milieu politique prolétarien dans notre série d’articles : « Comprendre la décadence du capitalisme », Revue internationale n° 60, (1er trimestre 1990).

5) Marx, Le Capital, Livre 1, chapitre 6 (1867).

6) Lénine, Le développement du capitalisme en Russie (1899).

7) Marx, Le Capital, livre 1, chapitre 13.

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Courriers des lecteurs

Tribune des généraux, manifestation de flics, marche citoyenne… Toutes les forces de la bourgeoisie derrière l’état et sa police

  • 42 lectures

La pandémie et le confinement ont considérablement accentué les tendances à l’œuvre au sein de la société : accroissement de l’atomisation des individus, exacerbation de la peur de l’autre, absence d’avenir et incapacité accrue à se projeter dans le futur. Tous ces facteurs accentuent le délitement du tissu social et par là même l’exacerbation de la violence : de plus en plus d’enfants battus, d’épouses assassinées, de crimes crapuleux, de lynchage entre bandes de gamins de 15 ans… Les médias font d’ailleurs leurs choux gras de la multiplication de ces faits divers tous plus barbares les uns que les autres.

Face à ce processus mortifère, la réaction au printemps de toutes les forces politiques françaises, de l’extrême droite à l’extrême gauche, a été particulièrement éclairante sur la nature de tous ces partis et sur le seul avenir qu’ils sont capables d’offrir : toujours plus de répression.

L’affaire commence par une tribune fracassante signée par vingt généraux et publiée par la revue Valeurs actuelles le 24 avril : « L’heure est grave, la France est en péril, plusieurs dangers mortels la menacent. […] Aujourd’hui, certains parlent de racialisme, d’indigénisme et de théories décoloniales, […] ils méprisent notre pays, ses traditions, sa culture, et veulent le voir se dissoudre en lui arrachant son passé et son histoire. […] Délitement qui, avec l’islamisme et les hordes de banlieue, entraîne le détachement de multiples parcelles de la nation pour les transformer en territoires soumis à des dogmes contraires à notre constitution. […] Si rien n’est entrepris, le laxisme continuera à se répandre inexorablement dans la société ».

Tous ces généraux en appellent à frapper dur, à réprimer sec, les « hordes de banlieue », pour « l’honneur du drapeau tricolore ». Il ne peut y avoir de relents plus nauséabonds. Seul le Rassemblement national a donc soutenu cette tribune, tous les autres dénonçant la puanteur de la missive, le gouvernement menaçant même de sanction. Cette fracture publique entre une partie du haut commandement militaire et le gouvernement marque à quel point la division grignote les structures étatiques. La bourgeoisie française, comme toute bourgeoisie nationale, est divisée en fractions concurrentes, mais un minimum de cohésion est nécessaire, et c’est cette unité qu’organise l’État. Que des généraux se permettent une telle sortie signifie que cette unité menace en partie de se fissurer.

Et la réaction de toutes les forces politiques le confirme encore. Car qu’ont-elles fait après avoir dénoncé les généraux « factieux » ? Elles se sont lancées dans la course à l’échalote, pour se prétendre chacune plus républicaine et amie de la police que sa voisine.

Ainsi, le 19 mai, toutes ont participé à la « marche citoyenne pour la police » aux côtés de 35 000 policiers, jusque devant l’Assemblée nationale, pour dénoncer l’augmentation des violences, le laxisme de la Justice et surtout, demander une réponse pénale plus ferme à l’encontre de leurs agresseurs… Droite, gauche, écologistes sont donc venus réclamer une justice toujours plus répressive en soutien au bras armé de l’État.

Tous ? Non ! Mélenchon et la France Insoumise ont catégoriquement refusé de participer à cette marche, dénonçant le côté « factieux » des revendications qui opposent une partie de l’État à une autre, qui oppose ministère de l’Intérieur et ministère de la Justice. Et d’organiser une autre marche citoyenne et « alternative ». Pourquoi ? Il suffit de lire : « Nous voulons réformer la police nationale de la cave au grenier et ne cesserons pas de faire des propositions en ce sens : police de proximité pour recréer les liens police population, suppression de l’IGPN et création d’un organe de contrôle indépendant, dissolution des BAC et renforcement de la police judiciaire pour démanteler les réseaux, paiement des heures supplémentaires dues, limitation des contrôles d’identité et mise en place d’un récépissé, plan de rénovation des commissariats, création de nouvelles écoles de police et passage de la formation à deux ans, valorisation des agents administratifs et scientifiques, mise en œuvre de la désescalade dans la gestion du maintien de l’ordre, etc. Rien de tout cela n’est à l’ordre du jour de cette manifestation. Nous n’irons donc pas puisque nous sommes pour une véritable police nationale républicaine de proximité au service de l’intérêt général et du peuple français ». La France Insoumise joue là parfaitement sa partition d’unité, de solidarité et de luttes communes en soutien au… capital ! À l’image de la social-démocratie qui a écrasé dans le sang la révolution allemande en 1919, assassinant des milliers d’ouvriers, dont Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg, le programme sécuritaire de la France Insoumise à de quoi rassurer la classe dominante. La gauche du capital saura diriger les forces de l’ordre « de pro­ximité » et ordonner la répression la plus violente si cette force politique est amenée à diriger un jour l’appareil d’État. La France Insoumise, comme les autres fractions de gauche, sauront garantir l’ordre social bourgeois. N’ayons aucune illusion, elles sont et demeurent les chiens de garde du capital !

Le capitalisme n’a pas de solution à apporter au pourrissement de sa société, si ce n’est plus de flics, plus de répression, plus de division pour toujours plus de violence et de terreur. La seule voie possible pour lutter contre la violence de la société capitaliste, sous toutes ses formes, c’est la solidarité de classe, dans la lutte, prémices d’une autre société enfin humaine.

Sabine, 24 juin 2021

Situations territoriales: 

  • Vie de la bourgeoisie en France [33]

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Vie politique de la bourgeoisie

Conflits au Sahel: L’impérialisme français condamné à la débandade ou à l’enlisement

  • 38 lectures

La situation au Sahel est marquée par deux événements d’actualité rappelant brutalement les difficultés colossales dans lesquelles baigne l’impérialisme français : d’un côté, au Mali où deux coups d’État se sont produits à neuf mois d’intervalle au nez et à la barbe des forces de l’opération Barkhane déployées sur place ; d’un autre côté, la mort subite (« au combat ») d’Idriss Déby, tyran tchadien dont le pays constitue le pilier principal du dispositif militaire français en Afrique. Ces deux événements sont arrivés au moment où la France est face à un dilemme : l’enlisement jusqu’au cou ou la débandade humiliante.

Face à cette situation, le président Macron tergiverse et se noie dans ses incohérences habituelles en politique africaine : devant les médias il décrète « la fin de l’opération Barkhane » tout en prétendant vouloir en créer une autre appelée « Takuba » en y associant ses « partenaires » européens et africains, alors que ce « machin » existe déjà depuis 2018. La versatilité de Macron a été sévèrement jugée au sein même de l’armée française comme le prouve la réaction de ce général cité par la presse : « On peut difficilement demander à nos partenaires européens de nous venir en aide au Mali et, en même temps, donner le signal que la France retire ses billes ».

Mais plus ouvertement encore, c’est la presse de l’Afrique occidentale qui se moque de l’attitude du président français : « En attendant un enterrement de première classe, ou d’une inhumation dans l’intimité familiale, la force Barkhane vient, après une lente agonie, de pousser son dernier soupir (cette opération militaire a remplacé en 2014 l’opération Serval, lancée deux ans plutôt au Mali pour combattre les groupes terroristes). […] La force française, forte de 5 100 hommes, dont 50 ont été avalés par le sable chaud du Sahel, aura affronté le danger des canons des djihadistes au quotidien, mais aura surtout souffert de ce sentiment anti-français qui ne cesse d’enfler, au point de constituer un gros caillou dans les rangers des “Macron boys”. Mais la force Barkhane a pris un autre plomb dans l’aile : la majorité des Français la désavoue, parce que budgétivore et dévoreuse des “enfants de la patrie”, à des milliers de kilomètres de la France ». (1)

« Agacé par l’idée de la perte du verrou malien et, au-delà, de tout l’espace sahélien, et constatant son impuissance à influencer sur les événements, Emmanuel Macron en vient à proférer des menaces ». (2)

Toutes ces réactions mettent le doigt sur l’impuissance et le désarroi de la bourgeoisie française dans sa politique militaire et dans ses orientations politiques où elle perd de plus en plus le contrôle de la situation.

C’est ainsi que, lassée de la persistance sans fin du chaos et du blocage du pays à tous les niveaux (militaire, économique, politique), une partie de l’armée malienne, dirigée par le colonel Assimi Goïta, a renversé le gouvernement civil en octobre dernier en promettant d’instaurer un nouveau gouvernement civil au bout d’une période de transition (de 18 mois). Au bout de 9 mois de palabres et l’annonce de la composition du futur gouvernement, le même colonel a repris les choses en main, le 24 mai (deuxième coup d’État), sous prétexte que ses proches y étaient mal représentés. Et ayant eu satisfaction avec la nomination du premier ministre de son choix, le colonel putschiste s’est réengagé dans le processus de transition en obtenant au bout du compte l’agrément des pays voisins regroupés au sein du G5 Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad), mais pas celui de la France dont pas un seul dirigeant ou diplomate n’a soutenu publiquement ses orientations pour l’avenir du Mali. Voilà une expression du profond discrédit de l’autorité de l’impérialisme français dans ces pays qu’il prétend défendre contre le terrorisme islamique depuis plus de 8 années.

Face à l’échec flagrant de sa politique interventionniste au Mali, Macron et son gouvernement tâtonnent quant à la ligne à suivre dans la « lutte anti-djihadiste ».

L’impérialisme français assoiffé de sang

Pour tenter de jouer son rôle de « gendarme » dans un Sahel déjà à feu et à sang depuis l’intervention de la France au Mali en 2013, les interventions militaires françaises sont de plus en plus orientées vers des pratiques d’assassinats ciblés, en utilisant des drones tueurs, des avions de chasse ou des commandos spécialisés en la matière.

Mais ces interventions visant à « liquider » les chefs des groupes terroristes font surtout de sanglantes « bavures » au sein de la population civile. Ainsi en janvier 2021, au Mali, une centaine de personnes s’étaient rassemblées dans un village pour célébrer un mariage et le banquet allait être servi lorsque des avions de chasse français ont surgi et lâché leurs bombes dans la foule, massacrant 22 personnes et mutilant de nombreuses autres victimes. Les témoignages des familles des victimes glacent le sang : « Les gens ramassaient les bras, les jambes et les têtes arrachés, ils les jetaient dans un trou et les enterraient » ;  « Ce n’étaient pas des djihadistes. Personne n’avait d’arme, même pas un couteau » ; « Nous étions en train de célébrer un mariage. Ils sont venus en avion puis nous ont bombardés ». (3)

L’État français a eu beau arguer que ce raid aérien avait touché uniquement des « terroristes » (ce qui a été formellement contredit par une enquête de l’ONU), il ne fait aucun doute que l’affaiblissement de son influence dans l’un de ses anciens pré-carrés le pousse à commettre les crimes les plus abjects et odieux pour maintenir sa présence impérialiste, commerciale et militaire.

En fait, l’armée française a commencé ses sales « bavures » dès le début de son intervention au Mali. Officiellement, on dénombre quelque 8 000 victimes civiles dans cette boucherie à laquelle participe activement l’ancienne puissance coloniale. Mais, après 8 ans de guerre, les islamistes sont loin d’être vaincus. Bien au contraire ! Les odieuses attaques des criminels djihadistes se développent de plus en plus au Mali, au Burkina, au Niger et dans la moitié des pays de la région, où des milliers d’écoles sont fermées du fait que les enseignants et les élèves sont pris pour cibles et risquent leur vie dans leurs salles de classe.

Dans ce contexte, il n’est même plus question de « chasser les groupes islamistes », pas plus que de « réinstaurer l’État de droit » ou de « sécuriser la population », comme le prétendait mensongèrement le président Hollande. Il s’agit désormais de négocier avec les djiadistes « les moins sanguinaires ». En réalité, l’impérialisme français se soucie comme d’une guigne des populations civiles ; il cherche d’abord et toujours à défendre ses sordides intérêts de puissance dans la région, quitte à perpétrer cyniquement et tenter de justifier d’autres crimes et tueries, tels le bombardement de populations civiles.

On appréciera ainsi les piteuses tentatives de justification, d’une hypocrisie des plus consommées, lorsque l’actuel président français déclare avec un aplomb presque touchant : « la France n’a aucun intérêt au Mali, aucun calcul politique ou économique » !

Le poids de la décomposition sur l’appareil politique français

L’enlisement de l’impérialisme français au Sahel s’explique d’abord et avant tout dans le cadre de la décomposition du capitalisme, dont l’une des manifestations frappantes est le caractère de plus en plus irrationnel des politiques menées par les représentants de la bourgeoisie à la tête de l’État.

Barkhane est une intervention très coûteuse économiquement (un milliard d’euros par an) et humainement (l’extension du conflit et des victimes et la généralisation de la misère) qui se poursuit sans objectif visible et sans fin. Pourquoi alors un tel aveuglement des gouvernements français successifs dans leur politique au Sahel ?

Une des réponses crédibles à cette question se trouve dans la thèse de l’un des anciens stratèges de l’impérialisme français, Dominique de Villepin, (4) selon laquelle, au sein de la bourgeoisie française, persiste ce courant délirant pour qui déclarer la guerre donne l’illusion de mettre à distance l’ennemi djihadiste, alors que, face au terrorisme, la puissance militaire hégémonique de la France est totalement dans l’impasse : quand elle avance, elle s’expose et cristallise tous les ressentiments contre elle ; quand elle se retire, elle aiguise les appétits de ses concurrents.

Mais si l’échec de sa politique « antiterroriste » au Sahel est flagrant, en revanche la bourgeoisie française s’en sert efficacement sur son territoire. Ainsi, la politique contre le terrorisme islamique sert de plus en plus ouvertement à justifier une politique ultra-sécuritaire et répressive, c’est-à-dire susciter la peur pour pousser la population derrière l’État « protecteur » et ses flics, en particulier quand les attentats terroristes se produisent en métropole. Ce sont là les agissements d’un État policier s’orientant de plus en plus vers le renforcement de la militarisation de la société.

Que la France quitte honteusement le Sahel ou s’y embourbe durablement, le chaos et la barbarie guerrière ne cesseront pas. Les morts continueront à être « avalés par le sable chaud du Sahel ». En Afrique comme ailleurs, les effets mortifères de l’impérialisme ne peuvent trouver de remèdes si ce n’est dans la destruction même de ce qui constitue sa logique même : le capitalisme décadent !

Amina, 24 juin 2021

 

1) « La fin de l’opération Barkhane au Sahel, c’est “la fin d’un leurre”», Courrier international, (17-23 juin 2021).

2) « Concernant le Sahel, Macron perd la raison », Courrier international, (3-9 juin 2021).

3) « Au Mali, la France piégée dans une guerre sans fin », Courrier international, (10-16 juin 2021).

4) Dominique de Villepin : Mémoire de paix pour temps de guerre (2016). Villepin est un ancien ministre des affaires étrangères et premier ministre, un pur produit de la bourgeoisie française.

 

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Conflits impérialistes

Mort du président tchadien Idriss Déby: l’impérialisme français a perdu son meilleur “compagnon d’armes”

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Le Tchad, considéré comme l’incontournable allié de l’opération Barkhane au Sahel, vient de perdre son grand dictateur en chef, le feu Maréchal Déby suite à sa supposée implication dans un combat contre un groupe armé tchadien (FACT). Il a été aussitôt remplacé par un de ses fils, Mahamat Idriss Déby Itno (déjà général quatre étoiles à 37 ans !), aussitôt adoubé par le gouvernement Macron.

Idriss Déby était un militaire bien formé par ses parrains impérialistes : un tyran, stratège politique, doté d’une grande culture militaire et connaissant parfaitement le terrain. Bref, un pion de premier ordre pour servir les intérêts et la stratégie de l’impérialisme français qui n’a pas hésité à investir massivement pour acheter les faveurs du grand dictateur sanguinaire en lui fournissant tout ce qu’il désirait (argent, armements, etc.) et en fermant les yeux sur ses crimes, sur les pillages et la confiscation de biens au profit de sa clique familiale, laissant la population au bord de la famine.

Le défunt criminel gagna peu à peu ses galons de « tyran fonctionnel idéal » auprès de l’État français en devenant notamment l’élément central et le pivot du dispositif « Barkhane » au Mali et au Sahel en général. Au point que l’armée française n’a jamais hésité à intervenir directement et à plusieurs reprises pour le protéger de ses opposants armés, en utilisant chars et avions de chasse. Sa perte suscite ainsi une grande inquiétude au sein des autorités françaises, en particulier chez les partisans d’une politique interventionniste.

En clair, avec la mort de Déby, c’est l’accélération de l’effondrement du dispositif militaro-politique de la France pour la défense de ses intérêts en Afrique. Et ce n’est pas le remplacement illico du père par le fils qui peut changer la donne, car le contexte avait profondément changé, bien avant la liquidation du tyran Idriss. Le fait même que l’armée française sur place n’a pu voir venir le coup en dit long sur l’état de déliquescence du dispositif de l’impérialisme français au Sahel. De même, Macron ne se fait aucune illusion sur la capacité du nouveau dictateur tchadien à préserver les intérêts français car on assiste déjà dans son entourage à des luttes claniques et familiales souterraines qui ne peuvent que saper l’espoir de voir le fils jouer le même rôle que tenait son père auprès de l’ancienne puissance coloniale.

 

Amina, 24 juin 2021.

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Conflits impérialistes

Euro de football: Terrain de la fièvre patriotique et nationaliste!

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En 1958, le président de la Fédération italienne de football s’opposait à la création du championnat d’Europe des nations de crainte qu’il « n’excite les passions nationalistes » treize ans seulement après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ses confrères, beaucoup moins candides, lui objectèrent que c’était là tout l’intérêt de la compétition ! (1) La première édition eut donc lieu en France en 1960 et suscita très tôt des tensions politiques entre nations comme les compétitions sportives internationales en ont souvent fait l’objet à des fins impérialistes.

L’Euro se déroulant, en ce moment même, dans plusieurs villes d’Europe, ne fait pas exception et illustre même le regain des tensions entre États et le repli nationaliste caractéristique de la décomposition du capitalisme. Lors du match opposant l’Autriche à la Macédoine du Nord, l’attaquant autrichien, d’origine serbe, « célébra » son but en insultant deux de ses adversaires d’origine albanaise : « Je b**** ta mère albanaise » !

Au début de la compétition, la présentation du nouveau maillot ukrainien, floqué d’une carte de l’Ukraine (Crimée comprise), assorti des slogans « Gloire à l’Ukraine ! » et « Gloire aux héros ! », suscita « l’indignation » de la Russie criant à la « provocation politique ».

Mais la palme du patriotisme exacerbé revient très probablement au journal sportif français L’Équipe titrant, en Une de son numéro, au lendemain de la victoire de la France sur l’Allemagne, « COMME EN 18 », allusion à peine voilée à l’hystérie chauvine et la « victoire » revancharde de la France sur l’Allemagne lors de la boucherie que fut la Première Guerre mondiale.

Si le journal s’est défendu hypocritement en objectant qu’il s’agissait d’une référence à la victoire de la France lors de la Coupe du monde 2018, cette métaphore guerrière odieuse démontre une fois de plus à quel point le sport forme un vecteur du nationalisme et un bouillon de culture des rivalités impérialistes. Au fond, pour caricaturer une formule célèbre, on pourrait dire que le sport n’est rien d’autre que la continuation de la guerre par un autre moyen !

La dimension fortement spectaculaire des compétitions sportives ne manque d’ailleurs pas d’emprisonner (comme d’empoisonner) les esprits dans les codes et les symboles nationaux. Ces moments « d’unions sacrées » sont une véritable gangrène pour la classe ouvrière puisque l’antagonisme de classe est nié au profit de la communion du peuple. En particulier quand vient le moment des hymnes nationaux entonnés par les spectateurs, les yeux rivés sur le drapeau national ou l’équipe qui le représente.

Les mises en scène de la victoire, à l’image de la Une de L’Équipe, avec ses manifestations d’hystérie collective, infestées de symboles nationaux, ne font qu’entretenir des sentiments aussi nauséabonds que le chauvinisme, la xénophobie, les haines ethniques ou nationalistes, tout comme durant les conflits militaires. Comme l’exprimait déjà Rosa Luxemburg il y a un peu plus d’un siècle : « Les intérêts nationaux ne sont qu’une mystification qui a pour but de mettre les masses populaires laborieuses au service de leur ennemi mortel : l’impérialisme ».

Les pratiques physiques ont toujours reflété l’éthique et l’idéologie de la société les ayant engendrées. Le sport moderne ne fait absolument pas exception. Il est une expression parmi d’autres de la concurrence et des rivalités entre États-nations caractéristiques de la société capitaliste. Ce faisant, il forme un puissant vecteur de division et de mystification au sein de la classe ouvrière qui n’a pas d’autre patrie que celle de l’internationalisme !

Vincent, 28 juin 2021

 

1) « L’Euro 2021, arène d’un continent hanté par “les tensions secrètes et nauséabondes”», Courrier international (26 juin 2021).

 

Récent et en cours: 

  • Euro de football 2021 [73]

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Nation ou classe?

Il y a 150 ans paraissait… “La Filiation de l’homme” de Charles Darwin

  • 93 lectures

Nous avons commémoré cette année le 150e anniversaire de la Commune de Paris. Il nous faut aussi fêter le 150e anniversaire du livre de Charles Darwin, La Filiation de l’homme. En effet, la première édition de ce livre paraît à Londres le 24 février 1871, quelques jours avant que la population ouvrière de Paris ne transporte sur les hauteurs de Montmartre, des Buttes-Chaumont et de Belleville les canons qu’Adolphe Thiers voulait lui confisquer.

Révolution scientifique et révolution prolétarienne

Le rapprochement de ces deux commémorations est beaucoup plus politique que chronologique. En cette deuxième moitié du XIXe siècle, le capitalisme était en pleine expansion et révolutionnait la société sur tous les plans, industriel, technologique, social et scientifique. Son œuvre de progrès était bien réelle mais elle n’était ni linéaire ni harmonieuse. Le capitalisme avait permis de maîtriser la vapeur et l’électricité, mais il condamnait le prolétariat à des souffrances atroces, il massacrait à tour de bras dans les colonies et poussait à bout la séparation de l’homme avec lui-même. Le capitalisme restait bien une société de pénurie fondée entièrement sur l’exploitation de l’homme par l’homme, mais il permit un gigantesque développement des forces productives. Dans une telle société, du moins à ses débuts, la science fait des bonds gigantesques, elle contribue à l’accumulation des connaissances et au développement de la culture humaine, mais elle est aussi, bien souvent, l’otage impuissante de la bourgeoisie qui capte ses découvertes en les orientant, non pas vers la satisfaction des besoins humains mais vers le profit et la guerre, la destruction et la mort. C’est quelque chose qui est devenu évident aujourd’hui, puisque la plupart des progrès scientifiques (la conquête spatiale, Internet, l’intelligence artificielle, par exemple) n’ont été possibles qu’en fonction des impératifs militaires. Au fur et à mesure que le capitalisme s’est acheminé vers la fin de sa mission historique, le prolétariat est devenu le gardien du patrimoine culturel et scientifique accumulé par l’espèce humaine. Rosa Luxemburg écrivait à ce propos : « Le socialisme, qui relie les intérêts des ouvriers en tant que classe au développement et à l’avenir de l’humanité en tant que grande fraternité culturelle, produit une affinité particulière entre la lutte prolétarienne et les intérêts de la culture dans son ensemble et engendre le phénomène apparemment contradictoire et paradoxal qui fait du prolétariat conscient d’aujourd’hui dans tous les pays le porte-parole le plus ardent et le plus idéaliste du savoir et de l’art, de cette même culture bourgeoise dont il est aujourd’hui le bâtard déshérité ». (1)

Certes le marxisme n’est pas une science, mais il est une théorie scientifique et militante qui contribue au développement du matérialisme et intègre progressivement les avancées scientifiques acquises dans les différents domaines. La raison en est simple. Ne possédant aucun appui, aucune propriété au sein de la société capitaliste (contrairement à la bourgeoisie au sein du féodalisme), le prolétariat est obligé de développer au plus haut point sa conscience et sa théorie. C’est uniquement parce qu’il est potentiellement armé de sa conscience de classe, de sa théorie révolutionnaire (le marxisme), de son unité, de son organisation propre et de son Parti révolutionnaire mondial qu’il pourra s’émanciper et du même coup délivrer l’humanité de la prison des classes sociales.

C’est pourquoi les découvertes de Darwin, et de la science en général, sont si importantes. En s’attaquant à la rédaction de The Descent of Man le 4 février 1868, (2) Darwin passe au deuxième épisode de la nouvelle révolution copernicienne qu’il est en train de réaliser. Le premier avait commencé au retour de son voyage autour du monde sur le H.M.S. Beagle (1831-1836), lorsqu’il prit ses premières notes dans son Carnet sur la transmutation des espèces (1837). Cet intense travail de réflexion, de mise en ordre de toutes les observations faites au cours de son voyage, de lecture des ouvrages de référence devait aboutir à la publication de L’Origine des espèces en 1859.

À l’aide d’une démarche scientifique rigoureuse, il démontre dans cet ouvrage qu’il existe une généalogie du monde vivant tout au long de laquelle les générations d’organismes se succèdent en se diversifiant. Il découvre ainsi « la descendance avec modification » et le moteur de celle-ci, « la sélection naturelle ». Tous les organismes présentent des variations totalement aléatoires. Lorsqu’il faut se déplacer et changer de milieu ou lorsque le milieu lui-même change, les variations avantageuses sont sélectionnées, ce qui entraîne une descendance plus nombreuse pour certains individus et une élimination progressive pour les autres. À terme, ce processus aboutit à l’émergence d’une nouvelle espèce qui correspond à une nouvelle phase de relative stabilité.

La théorie de la sélection naturelle donna un coup de fouet aux conceptions transformistes qui, depuis Lamarck, s’étaient fourvoyées dans l’impasse représentée par la théorie de la transmission des caractères acquis. Il était désormais possible de comprendre comment chaque espèce, à partir de l’analyse de son histoire (sa phylogénie), était le produit d’une espèce antérieure. Il était possible de remonter, en retrouvant les ancêtres communs à plusieurs espèces, jusqu’aux origines de la vie sur la Terre.

Le premier pas a donc été de donner une base scientifique solide au transformisme. Mais le deuxième épisode de cette révolution copernicienne a été encore plus important. Depuis L’Origine des espèces, le transformisme était, bon an mal an, devenu admissible, on savait que, grosso modo, « l’homme descendait du singe » (ou, plus rigoureusement, que l’homme et les grands singes sont issus d’un ancêtre commun). Avec La Filiation de l’homme et la Sélection liée au sexe, Darwin apportait deux nouveaux résultats scientifiques majeurs :

– L’homme appartient à la série animale certes, mais son émergence s’effectue sans rupture. Entre l’animal et l’homme, il n’y a qu’une différence de degré, et non de nature. Il n’y a pas « surgissement » mais processus, émergence.

– Avec l’émergence de l’humanité, la sélection des plus aptes et l’élimination des plus faibles tendent à s’estomper au profit de la protection des plus faibles et des plus démunis. La lutte pour l’existence est remplacée par le développement progressif de la sympathie, la reconnaissance de l’autre comme semblable. La sélection naturelle produit la civilisation qui se confond avec l’émergence de l’espèce humaine. Elle se caractérise par le développement de conduites solidaires, de la rationalité communautaire et des sentiments moraux. (3) Cette évolution conjointe des sentiments affectifs et de la rationalité aboutit à une institutionnalisation croissante de l’altruisme, marque significative du progrès de la civilisation.

L’effet réversif de l’évolution

Ces deux résultats indissociables s’expliquent par le fait que, tout comme les variations biologiques, les instincts sociaux, les comportements et les capacités rationnelles sont également transmis à la descendance. Pour Darwin, nous assistons bien à un passage de la nature à la civilisation, mais sans rupture puisque la sélection naturelle, caractérisée par l’élimination des plus faibles, favorise les instincts sociaux qui vont conduire à la protection des moins aptes. Il y a élimination de l’élimination. Pour rendre compte de ce renversement sans rupture, Patrick Tort parle d’un « effet réversif de l’évolution ». (4) Il permet effectivement de comprendre que la suppression de l’élimination est bien une conséquence de la sélection naturelle elle-même : la civilisation a été sélectionnée comme avantageuse par une sélection éliminatoire. (5)

Lorsque parut L’Origine des espèces, les protestations de la classe dominante, des sommités religieuses et scientifiques furent bien entendu extrêmement violentes. Cependant l’époque était propice à une acceptation de la théorie de l’évolution. Il y avait l’exemple de la sélection artificielle des cultivateurs et des éleveurs, il paraissait évident que la ressemblance entre certaines espèces, tout comme celle entre les enfants et les parents, provenait d’une parenté, même si l’action de la sélection naturelle et ses conséquences ne furent pas réellement comprises immédiatement.

Marx et Engels accueillirent avec enthousiasme la nouvelle théorie. Le 19 décembre 1860, Marx écrit à Engels : « C’est dans ce livre que se trouve le fondement historico-naturel de notre conception ». Une fois de plus, le prolétariat trouvait un allié au sein des sciences naturelles dans son combat pour dépasser le matérialisme mécaniste, empirique. Après la publication du Manifeste du Parti communiste en 1848, L’Origine des espèces, en 1859, démontrait à nouveau que le matérialisme moderne était en mesure d’expliquer bien plus profondément les processus de transformation du vivant comme de la société humaine.

Cependant, cet accueil favorable céda bientôt la place, chez Marx et Engels, à un certain scepticisme puis à un rejet complet. Le 18 juin 1862, Marx écrit à Engels : « Il est remarquable de voir comment Darwin reconnaît chez les animaux et les plantes sa propre société anglaise, avec sa division du travail, sa concurrence, ses ouvertures de nouveaux marchés, ses inventions et sa malthusienne lutte pour la vie ». Ce quiproquo, ce rendez-vous manqué entre Marx et Darwin aura des conséquences néfastes sur le développement théorique du marxisme. Témoignant de cet aveuglement prolongé, Plekhanov écrivait encore en 1907 : « Beaucoup de gens confondent la dialectique avec la doctrine de l’évolution. La dialectique est, en effet, une doctrine de l’évolution. Mais elle diffère essentiellement de la vulgaire “théorie de l’évolution”, qui repose essentiellement sur ce principe que ni la nature, ni l’histoire ne font de bonds, et que tous les changements ne s’opèrent dans le monde que graduellement. Déjà Hegel avait démontré que, comprise ainsi, la doctrine de l’évolution était inconsistante et ridicule ». (6) Les conséquences de cette mauvaise interprétation de Darwin se manifesteront par un rejet du continuisme et une conception spéculative du « bond qualitatif ».

Marxisme et darwinisme

La principale cause de cette bévue est le rapide essor, dès 1859, du « darwinisme social » en Allemagne et dans le monde. Darwin attendit dix ans avant de publier La Filiation de l’homme dans laquelle il appliquait enfin à l’homme sa théorie de l’évolution. Il savait que l’exposé de son anthropologie ferait l’effet d’une bombe et il passa tout ce temps à répondre aux critiques, à affûter ses arguments, à surveiller les nombreuses rééditions revues et complétées de L’Origine des espèces. Spencer en profita pour créer sa philosophie synthétique de l’évolution, un nouveau système inspiré du libéralisme qui appliquait à l’homme le principe de la lutte pour l’existence, de l’élimination des plus faibles alors que Darwin avait clairement circonscrit ce principe aux végétaux et aux animaux. Darwin fut contraint de se démarquer de Spencer et de Malthus, mais il était trop tard et la frauduleuse théorie du « darwinisme social » s’imposa partout. L’un de ses plus ardents défenseurs était Carl Vogt, l’agent de Napoléon III qui avait calomnié Marx et qui se chargea de la préface de la traduction française de The Descent of Man. (7)

Progressivement, tout au long des années 1980, puis en 2009 à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Darwin, nous avons assisté à une (re) découverte de sa véritable anthropologie. La précarité des couches sociales les plus défavorisées au sein du capitalisme, la concurrence et la guerre, les multiples comportements de prédateur chez les hommes, tout laissait croire que la sélection des variations avantageuses, l’élimination des moins aptes et la lutte pour l’existence étaient encore le facteur dominant dans la société humaine. C’était là le fondement du succès du darwinisme social et celui-ci nous invitait à accepter le capitalisme comme une fatalité naturelle et bénéfique : en laissant les forts s’imposer au détriment des individus plus faibles, le peuple et la nation pouvaient progresser et s’imposer, c’est-à-dire, en dernière instance, vaincre dans la compétition militaire et économique, augmenter le taux d’exploitation du prolétariat.

Socialisme ou barbarie

Mais dans la réalité, les choses se passent tout autrement. La civilisation se développe au fil d’un renversement. Comme nous l’avons vu en expliquant l’effet réversif de l’évolution, il y a à la fois continuité et discontinuité. Si on décrit le processus qui va de la sélection naturelle éliminatoire jusqu’à la tendance anti-éliminatoire de la solidarité affective et sociale qui est censée prévaloir dans toute société « civilisée », alors on doit en conclure, comme l’explique Patrick Tort, qu’il s’agit bien d’un effet de rupture et non d’une rupture effective. Pour la première fois, une espèce n’est pas contrainte de s’adapter à son milieu (sélection des plus aptes) mais est capable d’adapter son milieu, de le transformer en produisant ses moyens d’existence.

Contrairement aux stupidités répétées par les écologistes, ce n’est pas l’espèce humaine en soi qui détruit la nature, elle la domine, ce qui veut dire tout simplement qu’elle ne trouve pas directement dans la nature de quoi se nourrir mais qu’elle produit ses moyens d’existence. Ce qui détruit la nature, ce n’est pas l’espèce humaine mais un mode de production spécifique, le capitalisme, qui attaque la biodiversité et brise l’équilibre organique entre les hommes et la nature.

Les marxistes s’étaient jusque-là fourvoyés en croyant trouver dans la fabrication des outils un critère distinctif pour l’homme. Mais les recherches scientifiques montraient au contraire que plusieurs espèces animales étaient parfaitement capables de fabriquer des outils et que ce qui change fondamentalement avec l’humanité, c’est la production.

La réconciliation entre Darwin et Marx était enfin devenue possible, et la première intuition de ce dernier était la bonne. Cette conception découverte par le premier était bien inscrite au cœur de l’œuvre de Marx. On trouve par exemple dans L’Idéologie allemande, rédigée par Marx et Engels en 1846, un passage reprenant la même description des processus que Darwin : « On peut distinguer les hommes des animaux par la conscience, par la religion ou par tout ce que l’on voudra. Eux-mêmes commencent à se distinguer des animaux dès qu’ils se mettent à produire leurs moyens d’existence : ils font là un pas qui leur est dicté par leur organisation physique. En produisant leurs moyens d’existence les hommes produisent indirectement leur vie matérielle elle-même ».

Le continuisme est en particulier parfaitement reconnu à travers la formule, « ils font là un pas qui leur est dicté par leur organisation physique ». À travers la notion d’effet de rupture, la continuité et le « bond qualitatif » sont également réunifiés dans une version matérialiste et dialectique.

En créant la civilisation, l’espèce humaine ne s’est pas débarrassée de la nature et de la biologie. Il est certain que, dans les phases de régression intense, le barbare et l’élimination des plus faibles réapparaissent nettement. Mais ce n’est pas là le fondement de l’histoire humaine. La civilisation a pris la forme d’une succession de modes de production jusqu’à aboutir au capitalisme où la perte de maîtrise des forces sociales créées par l’homme apparaît dans toute son ampleur dramatique en se retournant contre lui, contre ses racines biologiques et naturelles. Dans ces conditions, seule la révolution prolétarienne peut rétablir cette maîtrise du devenir humain en renversant le pouvoir de la bourgeoisie et en créant une société qui sera en mesure d’affronter les nouveaux problèmes biologiques, épidémiologiques, écologiques que l’humanité va immanquablement rencontrer dans la poursuite de son voyage à bord du vaisseau spatial, la planète Terre.

Théorie contre nihilisme

L’anthropologie darwinienne, dont on a vu le lien indissoluble avec la théorie de la descendance modifiée par le moyen de la sélection naturelle, a été tout à la fois falsifiée, ignorée et attaquée de toutes parts, en particulier par ceux qui ne pouvaient accepter que l’homme puisse perdre son statut transcendantal. Elle continue aujourd’hui d’être attaquée, non seulement par les créationnistes et les fondamentalistes religieux mais aussi par tous les idéalistes qui décrètent une séparation entre L’Origine des espèces, dont on concède la valeur scientifique, et La Filiation de l’homme qui est présentée comme une œuvre philosophique, instituant par là une prétendue coupure chez Darwin entre la science et l’idéologie.

Dans la période actuelle où le prolétariat (et sa perspective révolutionnaire) est absent momentanément de la scène sociale, la voie est ouverte au rejet de la science et de toute théorie scientifique.

Au XVIIe siècle, James Ussher, archevêque d’Armagh en Irlande, avait décrété que la création avait eu lieu au début de la nuit précédant le 23 octobre de l’an 4004 avant J.C. Au XIXe siècle, une majorité de scientifiques défendait encore la légende biblique de la création au sixième jour de l’Homme et des animaux domestiques « selon leur espèce ».

Aujourd’hui, les théories complotistes, les croyances absurdes et le scepticisme envers la science reflètent l’absence de perspective offerte par la société existante et apparaissent comme un retour aux temps obscurs. Le combat de la classe ouvrière contre l’exploitation et l’affirmation progressive de sa perspective révolutionnaire seront au contraire accompagnés d’un développement libérateur de la conscience et de la démarche rationnelle, cohérente et scientifique.

A. Elberg, 29 juin 2021

 

1) Rosa Luxemburg, La question nationale et l’autonomie.

2) Nous disposons enfin d’une traduction française rigoureusement scientifique. Il s’agit de l’édition dirigée par Patrick Tort : Charles Darwin, La Filiation de l’homme et la Sélection liée au sexe (2013).

3) Voir notre article : « À propos du livre “L’effet Darwin : une conception matérialiste des origines de la morale et de la civilisation”», Révolution internationale n° 400 (avril 2009).

4) Patrick Tort, L’effet Darwin (2008).

5) Voir le passage explicite mais pendant longtemps occulté du chapitre XXI de La Filiation, op.cit., p. 939-940. : « Si importante qu’ait été, et soit encore…»

6) Plekhanov, Les Questions fondamentales du marxisme (1910).

7) Anton Pannekoek, Patrick Tort, Darwinisme et marxisme (2011).

Personnages: 

  • Darwin [74]

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Science et conscience de classe

Élections au Pérou: Seule la lutte autonome, unie et internationale du prolétariat pourra sortir l’humanité du chaos capitaliste

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Nous publions ci-dessous de larges extraits d’un article d’Internacionalismo, section au Pérou du CCI, paru pendant la campagne pour les élections présidentielles marquées par le contexte de la pandémie de Covid-19.


Une fois de plus, la bourgeoisie péruvienne a mis en marche un processus électoral. Un processus marqué par le conflit social et politique de l’année dernière, qui s’est terminé par de violentes protestations de la population à Lima, après que le Congrès a approuvé la vacance de Martin Vizcarra, suivie de la démission de son successeur, Manuel Merino (qui n’a pas tenu plus d’une semaine au pouvoir). Ces luttes étaient des luttes interclassistes sur le terrain mystificateur des « revendications citoyennes ». Mais, à la fin, il y a eu les manifestations de travailleurs du secteur agro-industriel, qui, elles, se situaient sur un terrain de classe.

Ces événements ont eu pour cadre général l’aggravation de la pandémie, qui a renforcé la perception dans la société de l’incapacité de la classe dirigeante, non seulement à gérer de manière responsable la pandémie, mais aussi à organiser ses propres forces politiques. […]

Alors que les fractions de la bourgeoisie se préparent pour le deuxième tour, le nombre de morts de Covid-19 ne fait qu’augmenter. Comme d’autres bourgeoisies dans le monde, la bourgeoisie péruvienne ne cache pas son véritable intérêt : tenter d’assurer les conditions politiques minimales nécessaires au bon fonctionnement de la production et du capital.

Pendant ce temps, le nombre de décès causés par le Covid-19 dans le pays s’élève à 165 608 personnes à cette date. (1) Il ne faut pas oublier qu’en août de l’année dernière, le Pérou est devenu l’un des pays du monde où le nombre de décès par million d’habitants est le plus élevé.

Mais cette situation est-elle seulement le résultat de la négligence de la bourgeoisie péruvienne ? Dans notre « Rapport sur la pandémie de Covid-19 et la période de décomposition capitaliste » de juillet 2020, nous avons clairement indiqué que cette pandémie représente non seulement la crise la plus importante depuis que le système est entré dans sa dernière phase de déclin historique, celle de la décomposition sociale, inaugurée par l’effondrement du bloc de l’Est en 1989, mais qu’elle traduit « toute une série d’éléments de chaos qui représentent la putréfaction généralisée du système capitaliste ». […]

En ce sens, les crises politiques récurrentes qu’a connues le pays, notamment dans le contexte de la pandémie, le manque de coordination institutionnelle allant jusqu’à l’utilisation des effets de la pandémie comme arme de confrontation entre les fractions de la bourgeoisie, chacune cherchant à affaiblir ou à discréditer l’adversaire, le faible investissement dans la santé depuis des décennies, un système de santé déficitaire en médecins et en lits, entre autres aspects, ont retardé ou rendu inefficaces les mesures nécessaires pour combattre le virus.

Le chaos que le monde, et particulièrement le Pérou, connaissent aujourd’hui avec la pandémie est le résultat d’un abandon progressif de la population, en particulier sur le plan sanitaire, exprimant un aspect caractéristique de la décomposition capitaliste, qui est « la perte croissante de contrôle des moyens que la bourgeoisie elle-même s’était donnés jusqu’à aujourd’hui pour limiter et canaliser les effets du déclin historique de son mode de production ». Il est clair que ce n’est pas la bourgeoisie d’un pays ou d’un autre, ou une certaine fraction de celle-ci, mais le capitalisme, en tant que système politique et social qui fait passer ses intérêts économiques, sa volonté de se perpétuer et d’accumuler pour le profit, bien avant les conditions de vie de la population.

Fuerza Popular et Perú Libre sont tous deux les gardiens du capital contre les travailleurs. (2) Malgré le taux d’abstention le plus élevé de ces vingt dernières années (selon l’Office National des processus électoraux, 7,1 millions de personnes ne sont pas allés voter), la bourgeoisie péruvienne marque un point, puisqu’elle a réussi à mobiliser plus de 18 millions d’électeurs. Elle a réussi à éteindre momentanément le conflit social et même à mettre la question de la pandémie au second plan, afin de concentrer tout son appareil de communication pour alimenter sa propagande autour des attentes électorales parmi la population.

Cela ne signifie pas pour autant qu’elle a réussi à inverser les confrontations en son sein, l’érosion de ses forces et le rejet par la population de ses anciennes forces politiques. C’est dans ce contexte que la candidature de Pedro Castillo, issu d’un parti socialiste de gauche, surfe sur la vague du discrédit des vieux partis et du chaos provoqué par la pandémie. Ce candidat a réussi à capitaliser politiquement de situations telles que la pauvreté, qui, en 2020, a atteint 30,1 %, c’est-à-dire le niveau d’il y a une décennie. Il a ainsi accru son audience dans certaines provinces du pays et dans le secteur de l’éducation, étant l’un des principaux leaders syndicaux de la grève des enseignants de 2017. Il a relié à lui d’autres personnalités, comme Vladimir Cerrón, fondateur du parti Perú Libre, se définissant comme « marxiste-léniniste-mariatéguiste », (3) qui a été accusé par d’autres fractions de la bourgeoisie d’avoir des liens avec Sentier lumineux […]. En 2019, il a participé à l’événement « Rencontre latino-américaine des gouvernements locaux et de la démocratie participative », à l’invitation de Nicolás Maduro, au cours de laquelle il a déclaré : « Les États-Unis veulent briser l’unité latino-américaine, la démocratie, nous sommes ici pour coordonner les efforts et l’en empêcher […]». La campagne de Castillo s’est attachée à le présenter comme un candidat contre la corruption, dont l’objectif principal est de fermer la voie au retour du Fujimorisme, en plus de réaliser les grandes revendications des enseignants et des paysans : contrôler les importations « pour arrêter la concurrence déloyale des importations qui affectent l’industrie nationale », une nouvelle réforme agraire, discuter d’une nouvelle réforme politique, rediscuter les conditions dans lesquelles les entreprises étrangères opèrent dans le secteur minier, convoquer un référendum pour élaborer une nouvelle Constitution, car il considère que l’actuelle est une « Constitution de la dictature » qui a « une matrice coloniale et ignore les institutions politiques et culturelles des peuples indigènes et des communautés paysannes », et inclure dans le système politique la révocation du président et des parlementaires. Il a également critiqué les médias, tout cela indique qu’il cherche à être perçu comme quelqu’un qui accordera à la population les avantages économiques et sociaux historiquement refusés.

De l’autre côté, il y a la candidate du parti Fuerza Popular, Keiko Fujimori, fille de l’ancien président Alberto Fujimori, lequel purge une peine de 25 ans de prison pour corruption et violation des droits de l’homme. Cette candidate est accusée de crimes liés à l’affaire « Lava Jato » pour avoir reçu des pots-de-vin lors de ses précédentes campagnes présidentielles, pour lesquelles le procureur général de l’affaire a demandé 30 ans de prison à son encontre. Ce parti-là est un parti de droite, continuateur de l’idéologie fujimoriste, « anti-communiste » et conservateur.

Voilà les forces politiques qui s’affrontent et qui représentent le pire du passé politique du Pérou, où règnent en maître la corruption et la violence, un résultat évident de la décomposition croissante du système, et, plus particulièrement, de la façon dont cette phase historique affecte les forces de la bourgeoisie comme classe dominante, caractérisée par la tendance croissante à perdre le contrôle politique de ses propres forces, devenue une tendance dominante de l’évolution sociale et politique. (4) Le fait que la bourgeoisie se trouve prise dans un réseau interminable et inextricable de corruption, de pots-de-vin et de chantage, qui a pris corps dans toutes ses institutions, l’oblige à manipuler jusqu’à l’absurde les lois mêmes qu’elle a créées pour réglementer son système politique, ce qui rend plus difficile l’établissement de conditions garantissant un certain niveau de gouvernabilité et de stabilité politique.

C’est un réel danger pour le prolétariat péruvien d’être entraîné dans la pourriture représentée par ces fractions en guerre, c’est-à-dire de devenir la proie de la bipolarisation dans la confrontation entre factions bourgeoises que les deux parties tentent de creuser, en présentant les choses comme une lutte entre « démocratie et communisme », en disant qu’il faut protéger les « acquis de la démocratie et de l’économie » face à « l’autoritarisme communiste », alors que les deux côtés ne représentent que les intérêts de la classe exploiteuse. Ces deux candidats, une fois élu président, développeront la même répression contre la classe ouvrière. L’un comme l’autre ouvriront un nouveau chapitre de violence politique et sociale, parce que ni l’un ni l’autre ne peuvent échapper à la tendance, ouverte avec l’entrée du capitalisme dans sa phase de décadence, au développement des formes d’État totalitaires, à semer un climat de haine, de règlements de compte et de chaos dans la population, dont ces mêmes factions sont porteuses, et qui frappe aussi au sein des couches les plus appauvries de la population et d’une classe moyenne en ruine.

Nous, travailleurs, ne devons pas tomber dans le piège tendu de cette confrontation, ni prendre parti pour l’une ou l’autre des fractions bourgeoises participant à ce cirque électoral. Défendre les institutions bourgeoises, leur idéologie et leurs mécanismes politiques, c’est défendre nos exploiteurs et nos bourreaux. La position marxiste que nous, militants de la Gauche communiste, défendons, s’est ainsi concrétisée dans la plateforme de notre organisation : « Au moment où la tâche fondamentale du prolétariat est de détruire les institutions étatiques bourgeoises et donc le parlement, où il doit établir sa propre dictature sur les ruines du suffrage universel et autres vestiges de la société capitaliste ; sa participation aux institutions parlementaires et électorales conduit, quelles que soient les intentions de ceux qui la préconisent, à maquiller avec une apparence de vitalité ces institutions moribondes ». […] Que ce soit par la « démocratie directe », par une « plus grande participation des citoyens aux décisions politiques », toutes ont abouti à des formules qui ont servi à imposer aux travailleurs tout le poids de la crise économique, en exigeant les plus grands sacrifices, comme c’est le cas aujourd’hui avec la pandémie. Bien qu’à l’heure actuelle, nous ne soyons pas confrontés à d’importantes mobilisations de notre classe, et qu’un moment décisif de la lutte des classes ne soit pas proche, depuis des décennies, les conditions sont réunies pour que le prolétariat réalise une véritable révolution, qui détruise à la racine l’exploitation capitaliste. Tel est le véritable objectif du mouvement ouvrier, et non de servir sur un plateau d’argent à la bourgeoisie ce qui nous a tellement coûté de construire, en participant à leurs processus électoraux. La voie à suivre est celle des luttes contre la dégradation de nos conditions de vie, pour donner le sens politique que ces luttes contiennent, pour renforcer notre autonomie et notre identité de classe, en défendant nos intérêts de travailleurs au niveau international.

Internacionalismo, section au Pérou du CCI (3 juin 2021)

 

1) Un mois plus tard, ce chiffre s’éléve à plus de 193 000 morts alors que la bourgeoisie parle de décrue depuis 15 jours.

2) Le 11 avril a eu lieu le premier tour de l’élection présidentielle au Pérou. Deux candidats sont restés en lice : l’une d’extrême droite, Keiko Fujimori, (Fuerza Popular) et l’autre d’extrême gauche, Pedro Castillo, (Pérou Libre). Ce dernier l’a finalement emporté, à l’issue d’un second tour serré (Note du traducteur).

3) José Carlos Mariátegui (1894-1930), un des fondateurs du parti socialiste péruvien devenu plus tard parti communiste et théoricien d’un « socialisme adapté au monde latino-américain », mêlant indigénisme et production nationale basée sur l’agriculture, en particulier à la société péruvienne qui pourrait passer notamment directement d’un mode féodal au « socialisme » à partir du collectivisme traditionnel comme le pratiquaient les Amérindiens (Note du traducteur).

4) Lire nos “Thèses sur la décomposition, phase ultime de la décadence du capitalisme”, Revue internationale n° 107 (4e trimestre 2011).

Géographique: 

  • Pérou [75]

Rubrique: 

Vie politique de la bourgeoisie

Nouvelles attaques contre la Gauche communiste: Bourseiller invente une seconde fois “la complexe histoire des gauches communistes” (Partie 2)

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La première partie de cet article [76] dénonçait le rôle de médiocre petit flic et de calomniateur de Bourseiller. Cette seconde partie montrera comment l’auteur de la Nouvelle Histoire de l’ultra-gauche cherche à amalgamer la Gauche communiste à l’extrême gauche de l’appareil politique bourgeois pour mieux la discréditer.


Ce qui distingue la Gauche communiste du gauchisme

En 2003, Bourseiller avait conclu son Histoire générale de l’ultra-gauche par la prophétie d’une désintégration définitive de l’ultra-gauche. « Née en 1920, lorsque les “gauchistes” de la IIIe Internationale prirent le large et s’affranchirent de la tutelle bolchevik, [l’ultra-gauche] s’est désagrégée dans le siècle finissant. Comme un mirage d’été, s’abolissant au fil de la route ». (1) Il ne s’était pas rendu compte que l’ultra-gauche n’a jamais été autre chose qu’un mirage. Mais il a finalement changé de prophétie : « Je me trompais. Nous assistons actuellement, contre toute attente, au retour de flamme d’un mouvement en pleine effervescence » (p. 7). Pensez-donc  ! L’occasion était trop belle d’attaquer une nouvelle fois la réputation de la Gauche communiste  ! Sa technique consistait hier à créer tout un brouillard destiné à confondre le marxisme, l’anarchisme et le modernisme  ; aujourd’hui, il voudrait bien qu’on confonde la Gauche communiste et la violence nihiliste des zadistes et des black blocs.

Bourseiller divulgue déjà un gros mensonge dans ses interviews, lorsqu’il affirme que c’est Lénine qui a créé la notion d’ultra-gauche. Dans son ouvrage, La Maladie infantile du communisme  : le gauchisme, Lénine ne parle jamais d’ultra-gauche. Il polémique fraternellement contre une tendance apparue au sein du mouvement communiste, tendance qu’il appelle « les gauches », « le gauchisme » ou « les communistes de gauche » et qui se caractérise comme une réaction prolétarienne face à la dégénérescence de la révolution en Russie et aux positions opportunistes apparues au sein de l’Internationale communiste à partir de son deuxième congrès en 1920. Bourseiller se garde bien de citer un passage de l’ouvrage de Lénine qui est révélateur de la continuité politique entre les bolcheviks et la Gauche communiste : « L’erreur représentée par le doctrinarisme de gauche dans le mouvement communiste est, à l’heure présente, mille fois moins dangereuse et moins grave que l’erreur représentée par le doctrinarisme de droite ». (2)

Le terme « gauchisme » a finalement été consacré par l’usage dans les années 1970 pour désigner des organisations qui se placent à l’extrême gauche de l’échiquier politique bourgeois. Les trotskistes et une partie des maoïstes défendent la voie parlementaire et nationale pour aller au communisme et se donnent comme objectif une vague République sociale construite à l’aide d’une alliance (le Front unique) avec les partis de la gauche officielle. Cette frange du gauchisme est un peu la Greta Thunberg du terrain social, car elle se traîne à genoux dans la poussière, sans aucune pudeur, en suppliant les partis de gauche et les syndicats de s’unir et de lancer des mots d’ordre de lutte, des appels à la grève générale. Ce sont très clairement des rabatteurs qui cherchent à empêcher les ouvriers de prendre conscience de qui sont leurs ennemis. Les autres maoïstes et les anarchistes (3) se placent sur le terrain de l’action directe, du sabotage, de la grève générale censée abattre d’un seul coup le régime bourgeois au profit du fédéralisme et de l’autogestion. Leur objectif, fortement influencé par l’idéologie de la petite bourgeoisie, est la création, sur la base de l’usine ou du village, de communautés autonomes, conception illusoire et dangereuse qui cherche à détourner le prolétariat de sa tâche politique propre : la prise du pouvoir et l’internationalisation de la révolution.

Finalement, la tendance qui était la cible de Lénine a donc repris son vrai nom, la Gauche communiste, et se caractérise par son attachement au marxisme, à l’internationalisme, à la perspective de la révolution prolétarienne et de son but final, le communisme. Les moyens qu’elle prône pour atteindre ce but sont la grève de masse, l’internationalisation des luttes, la destruction des États dans chaque nation et la dictature du prolétariat sous la forme du pouvoir international des conseils ouvriers. Elle se conçoit comme un pont reliant l’ancien parti qui a trahi et le futur parti mondial qui, le moment venu, pourra jouer tout son rôle d’orientation politique et militante au sein de la classe ouvrière. Tout comme la Gauche marxiste avait mené le combat contre l’opportunisme au sein de la IIe Internationale, la Gauche communiste a repris la lutte contre l’opportunisme qui est à nouveau apparu dans la IIIe Internationale. En ce sens, elle représente la continuité du mouvement ouvrier puisqu’elle s’inscrit dans la tradition de la lutte de Lénine (lui-même fondateur d’une Fraction de gauche au sein du Parti ouvrier social-démocrate de Russie, la Fraction bolchevique) et de Rosa Luxemburg contre le révisionnisme et le réformisme.

Le marécage de l’ultra-gauche

Il est vrai que le terme « ultra-gauche » a été parfois utilisé par Trotsky durant les années 1930 pour masquer sa dérive opportuniste et déconsidérer ses critiques intransigeants, en particulier la Fraction de la gauche italienne qui publiait Prometeo et Bilan. Mais ce terme a été surtout employé durant les années 1970 lorsque le courant de la Gauche communiste est réapparu en critiquant le volontarisme et la confusion qui régnaient alors du fait de l’agitation des éléments de la petite bourgeoisie. Une partie du milieu politique de l’époque se définissait donc comme ultra-gauche pour se placer à la gauche du gauchisme, exactement comme le gauchisme se positionnait à la gauche des partis soi-disant communistes. Clairement distincte de cette confusion ambiante, la Gauche communiste se plaçait sur le terrain de classe et dénonçait tous les organismes, de gauche ou d’extrême gauche, appartenant à l’appareil politique du capital.

Le magma informe appelé « ultra-gauche » n’a rien à voir avec les organisations du milieu politique prolétarien qui défendent un marxisme vivant et le but communiste qui verra la disparition des classes et de l’État. Rassemblement hétéroclite d’intellectuels divers au radicalisme anarchisant, sans réelle filiation historique et sans tradition organisationnelle, il a toujours été le lieu de passage de toutes sortes de relectures modernistes du marxisme, typiques de l’impatience de la petite bourgeoisie déçue par la classe ouvrière. Fait de personnalités beaucoup plus intéressées à faire parler d’elles qu’à défendre des positions de classe, il est aussi le lieu de tous les aventurismes.

Bourseiller dénonce les « pauvres utopies sociales » incarnées par la Gauche communiste et tente de donner une consistance à cette fiction de l’ultra-gauche. Il la définit comme un courant marxiste anti-autoritaire. Il s’agit là d’un amalgame grossier et en fait d’une véritable œuvre de falsification  ! Le but est de discréditer la Gauche communiste en effaçant les frontières qui la distingue de l’anarchisme et du modernisme qui, comme l’Internationale situationniste, a jeté aux poubelles de l’histoire aussi bien le marxisme que la classe ouvrière comme classe révolutionnaire.

Dans la continuité de la social-démocratie révolutionnaire, la Gauche communiste s’est toujours nettement démarquée de l’anarchisme et de ses théories anti-autoritaires. Elle a clairement dénoncé la guerre d’Espagne en 1936 comme une préparation à la Seconde Guerre mondiale, elle est restée internationaliste au cours de celle-ci. Anton Pannekoek écrivait encore en 1948 : « Il semble d’ailleurs qu’à l’heure actuelle, on ait parfois tendance à se rapprocher de l’idée des conseils au sein de l’anarchisme, en particulier dans les cas où celui-ci comprend des groupes ouvriers. Mais la vieille doctrine anarchiste à l’état pur est trop étroite, trop restreinte, pour être utile aujourd’hui à la lutte de la classe ouvrière ». (4)

Quant au modernisme, toujours à la mode chez les petits-bourgeois, elle l’a combattu sans relâche comme une arme de destruction de la perspective prolétarienne et du militantisme ouvrier. Héritier de l’École de Francfort et du groupe Socialisme ou Barbarie, le modernisme a constaté l’échec des révolutions prolétariennes et en a conclu que cette option pouvait être abandonnée pour retourner chez Stirner, Proudhon et Marcuse. (5) Fieffés imbéciles  ! N’ayant aucun appui, ni propriété, ni pouvoir, ni patrie dans la société bourgeoise, c’est précisément dans les leçons qu’il tire de ses tragiques défaites que le prolétariat pourra puiser une conscience plus aiguë, une plus grande unité de ses forces. Déçus par la classe ouvrière qui n’a pas balayé le système capitaliste assez vite à leur goût, les modernistes se réfugièrent dans les discours ampoulés à la Hegel. Ils sont ainsi dénoncés à l’avance par Marx et Engels dans le Manifeste du Parti communiste : « De cette façon, on émascula complètement la littérature socialiste et communiste française. Et, parce qu’elle cessa entre les mains des Allemands d’être l’expression de la lutte d’une classe contre une autre, ceux-ci se félicitèrent de s’être élevés au-dessus de l’étroitesse française et d’avoir défendu non pas de vrais besoins, mais le “besoin du vrai”  ; d’avoir défendu non pas les intérêts du prolétaire, mais les intérêts de l’être humain, de l’homme en général, de l’homme qui n’appartient à aucune classe ni à aucune réalité et qui n’existe que dans le ciel embrumé de la fantaisie philosophique ». (6)

Ceux qui étaient proches de positions révolutionnaires dans les années 1970, se rappelleront comment l’arrogance des modernistes combinait l’état d’esprit de l’intellectuel petit-bourgeois et celui du lumpenprolétariat. L’ultra-gauche est bien une chimère où Bourseiller mélange délibérément les situationnistes, les communistes libertaires et la Gauche communiste pour compromettre celle-ci.

Théories de la violence

Mais le sommet de toute cette manipulation, sa motivation principale, consiste à ruiner la réputation de la Gauche communiste en lui trouvant des points communs avec les zadistes et les black blocs. Il y a ici tout un art dans la calomnie. La Gauche communiste n’a cessé de condamner en termes marxistes la violence minoritaire, le terrorisme et l’acte exemplaire des anarchistes censé réveiller ou agiter les masses. (7) Tant pis, Bourseiller la déclare coupable de cette violence nihiliste consistant à briser des vitrines, des abribus, à s’affronter aux flics, tout cela justifié par la guerre de classe et les attaques contre la marchandise. Le prolétariat n’a rien à voir avec cette violence gratuite et cette idéologie nihiliste du no future, avec la révolte populiste. C’est le terrain béni des manipulations orchestrées par les aventuriers ou les provocateurs de la police. (8)

Quant aux zadistes, qui défendent eux-mêmes leur théorie de la violence, ils idéalisent la nature sans rien comprendre à la façon dont le capitalisme altère les rapports entre les hommes et celle-ci. (9) Proches des mouvements citoyens ou des courants autogestionnaires, ils finissent toujours dans la défense de la petite propriété et dans un individualisme débridé. Le véritable objectif politique de leur action n’est pas l’abolition des classes mais l’auto-exploitation de la classe ouvrière.

Ce que défend le courant de la Gauche communiste, ce n’est pas un retour en arrière illusoire de l’histoire mais un combat pour le futur où la dissolution des classes et de la loi de la valeur (l’esclavage salarié) permettra une accélération de la socialisation internationale et une production orientée vers la satisfaction des besoins humains, un dépassement de l’aliénation humaine. Seule la révolution prolétarienne internationale rendra possible ce saut du règne de la nécessité dans le règne de la liberté.

Comme les bolcheviks en Russie, la Fraction de Bordiga mena le combat au sein du Parti socialiste et se trouva à la tête du Parti communiste d’Italie fondé à Livourne en 1921. En 1959, Bordiga se moquait encore de ces « piteuses parodies » du programme communiste authentique qui clamaient ces « formules, la terre aux paysans et les usines aux ouvriers ». (10) C’est bien là la tradition de la Gauche communiste défendant les principes du marxisme contre les théories farfelues du zadisme.

Régulièrement au cours de son histoire, le prolétariat a dû défendre son autonomie de classe contre l’interclassisme alors que les couches sociales intermédiaires sont menacées elles-mêmes par la crise du capitalisme. Avant d’être assez fort pour entraîner ces couches sociales derrière lui, il devra défendre ses revendications, ses méthodes de lutte propres et critiquer en actes tous ceux qui récusent sa nature révolutionnaire, ceux qui, récupérateurs, manipulateurs et aventuriers, prétendent se mettre en travers de sa route, tous ceux, justement, qui trouvent grâce aux yeux de Bourseiller : « La révolte des banlieues apparaît en fin de compte comme la préfiguration d’une insurrection populaire globale. Quant aux catégories issues du marxisme, telle la classe prolétarienne, elles appartiennent à un temps révolu. Guy Debord à la fin de sa vie mettait d’ailleurs en exergue, non plus la classe ouvrière, mais “les classes dangereuses”, un ensemble incluant les affranchis de toutes sortes, qu’ils soient délinquants, chômeurs, voyous ou… déclassés » (p. 359).

Cette campagne menée tambour battant par Bourseiller trouve son parallèle et révèle son secret dans l’évolution totalitaire de la démocratie bourgeoise. Avec, par exemple, la loi « sécurité globale » et celle contre le séparatisme adoptées en France, elle renforce son arsenal juridique après avoir surarmé ses forces de répression. C’est ainsi que la bourgeoisie se prépare à affronter son ennemi de classe, en le matraquant dans les rues, en le traînant en justice pour propos « antisystème », en le matraquant de ses calomnies.

Bourseiller utilise l’histoire de manière abusive et tortionnaire. (11) Ce genre de personnage insiste pour apporter sa petite pierre aux entreprises idéologiques pour le maintien de l’ordre existant et finit toujours par travailler pour la police, qu’il en ait conscience ou pas. C’est ce qui faisait dire à Joseph Conrad : « L’impudence affichée de ces opérations, qui jouent de façon insidieuse sur la sottise et la crédulité humaines, le boniment qui crânement, sans vergogne, révèle la fraude tout en insistant sur la régularité du jeu, provoque écœurement et dégoût ». (12)

Et notre conclusion sera celle-ci : cette intense préparation de la bourgeoisie aux futures confrontations de classe est déjà une preuve en soi que la Commune de Paris, de Munich, de Budapest et de Petrograd n’est pas morte. Elle renaîtra plus grande et plus forte dans tous les pays et, comme hier, on pourra lire demain sur ses banderoles déployées : Abolition du travail salarié  ! Abolition de la propriété privée  !

Avrom E., 30 avril 2021

 

1) Christophe Bourseiller, Histoire générale de l’ultra-gauche (2003). Voir notre dénonciation dans Révolution internationale n° 344 (mars 2004) : « À propos du livre de Bourseiller  : “Histoire générale de l’ultra-gauche [38]”».

2) Lénine, La Maladie infantile du communisme  : le gauchisme (1920).

3) Il subsiste malgré tout un courant anarchiste internationaliste qui a refusé la trahison lors des deux Guerres mondiales et qui est resté fidèle au combat de classe.

4) Cité dans Pannekoek et les conseils ouvriers de Serge Bricianer (1977).

5) Stirner et Proudhon sont deux théoriciens de l’anarchisme. Marcuse, issu de l’école de Francfort, prônait dans les années 1970 la fin du rôle révolutionnaire que devait jouer le prolétariat au sein du capitalisme.

6) Karl Marx et Friedrich Engels, Le Manifeste du Parti communiste, Chapitre III, « Littérature socialiste et communiste » (1848).

7) Pannekoek dénonce ces théories fumeuses dans deux articles datant de 1933, « L’acte personnel » et « La destruction comme moyen de lutte », traduits en français dans la revue Échanges, n° 90 (printemps été 1999).

8) Voir notre article : « Black blocs : la lutte prolétarienne n’a pas besoin de masque [32] », Révolution internationale n° 471 (juillet août 2018).

9) Voir notre article en ligne : « Pas de solution à la catastrophe écologique sans l’émancipation du travail de l’exploitation capitaliste [77] ».

10) Amadeo Bordiga, « Tables immuables de la théorie communiste de parti », dans Bordiga et la passion du communisme, (1974). En soutien à Bordiga, nous écrivions dans nos commentaires à ce texte : « Dans le communisme, l’entreprise individuelle doit être abolie en tant que telle. Si l’entreprise continue à être la propriété de ceux qui y travaillent, ou même de la communauté locale autour d’elle, elle n’a pas été vraiment socialisée, et les relations entre les différentes entreprises autogérées doivent nécessairement être fondées sur l’échange de marchandises ». (« Damen, Bordiga et la passion du communisme », Revue internationale n° 158).

11) Pour les lecteurs qui veulent découvrir l’histoire véritable et les positions défendues par la Gauche communiste, nous recommandons les deux livres édités par le CCI, La Gauche communiste d’Italie et La Gauche gérmano-hollandaise.

12) Joseph Conrad, Souvenirs personnels (2012).

Personnages: 

  • Bourseiller [42]

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [45]

Rubrique: 

Défense de la Gauche communiste

Révolution internationale n°490 - septembre octobre 2021

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Covid, catastrophes climatiques, chaos en Afghanistan… La crise historique du capitalisme s’accélère inexorablement!

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La pandémie mondiale de Covid-19 continue, devant l’incapacité de tous les États à coordonner leurs efforts, d’exercer ses ravages sur tous les continents. Et les principaux événements des deux derniers mois confirment la dynamique mortifère dans laquelle le capitalisme plonge la civilisation.

Des cataclysmes climatiques à répétition

Sur le plan climatique, l’été 2021, le plus chaud jamais enregistré, a été rythmé par la multiplication et l’accumulation de catastrophes aux quatre coins de la planète : méga-feux en recrudescence dans plusieurs régions du globe, pluies diluviennes en Chine et en Inde, inondations dans le Nord-Ouest de l’Europe, coulées de boue au Japon, ouragans et inondations elles aussi meurtrières, canicules et sécheresses extrêmes aux États-Unis, dôme de chaleur au Canada…

L’ampleur, la fréquence et la simultanéité des effets extrêmes du réchauffement climatique ont atteint ces derniers mois des niveaux inégalés, ravageant littéralement des zones entières, causant la plupart du temps des centaines de morts (y compris dans des pays aussi développés que les États-Unis, l’Allemagne ou la Belgique) et plongeant des millions de personnes dans le chaos et la désolation. Au milieu de ce théâtre cataclysmique, le nouveau rapport du GIEC, publié début août 2021, alertant une nouvelle fois sur l’accélération du dérèglement climatique et l’amplification sans précédent des phénomènes météorologiques extrêmes, tombait comme une évidence.

Si les médias ont largement relayé les conclusions effroyables du GIEC, ils se sont très vite empressés de les atténuer, indiquant que la situation n’était pas désespérée, le prétendu salut de la planète résidant selon ce rapport dans la mise en place d’une « économie verte » et la généralisation de comportements individuels « éco-responsables ». Autant de mensonges ne visant qu’à une seule et même chose : masquer la responsabilité du mode de production capitaliste dans le carnage environnemental et l’incapacité de la bourgeoisie à faire face à la situation tant « les États et les services de secours, sous le poids de décennies de coupes budgétaires, sont de plus en plus désorganisés et défaillants ». (1)

Mais les catastrophes en chaîne de ces dernières semaines ne sont qu’un petit aperçu de ce qui attend l’humanité dans les années et décennies à venir si la spirale infernale dans laquelle le capitalisme en décomposition plonge l’humanité n’est pas stoppée. D’autant plus que d’autres événements, eux aussi facteurs aggravant de ce chaos sans fin, se sont juxtaposés.

Le chaos afghan

Le départ en bande désorganisée de l’armée américaine d’Afghanistan, après 20 ans de présence, et le retour au pouvoir des talibans est une marque supplémentaire de l’incapacité des grandes puissances à garantir la stabilité mondiale, en particulier dans les zones où les tensions et les rivalités entre États font rage. Comme on peut d’ores et déjà le constater, le retour à la tête de l’État afghan d’une fraction aussi réactionnaire et délirante que les talibans, ne fait qu’aggraver le désordre mondial et l’instabilité sur tous les plans. Là encore, les médias aux ordres ont polarisé l’attention sur ce fameux retour au pouvoir des sanguinaires talibans. Pour autant, la cruauté et la terreur que va exercer sur les populations cette clique aux idées moyenâgeuses et obscurantistes rivalise largement avec les crimes dont se sont rendus coupables les pays « démocratiques » et leurs alliés depuis des décennies, en Afghanistan et ailleurs.

La misère se répand davantage

À ces deux manifestations majeures du pourrissement sur pied de la société capitaliste, s’ajoute bien évidemment l’aggravation significative de la crise économique, d’autant que la pandémie de Covid-19 a eu dans ce domaine une conséquence majeure : « le fait que les effets de la décomposition, l’accentuation du chacun pour soi et la perte de maîtrise, qui touchaient jusqu’alors essentiellement la superstructure du système capitaliste, tendent aujourd’hui à impacter directement la base économique du système, sa capacité à gérer les secousses économiques dans l’enfoncement dans sa crise historique ». (2) Derrière les annonces mensongères d’une « reprise économique florissante », des millions de personnes sont licenciées, expulsées de leurs logements ou incapables de « finir le mois ». Les jeunes générations de la classe ouvrière sont de plus en plus victimes d’une situation de précarité abominable, beaucoup étant contraints de faire la queue pour obtenir un secours alimentaire. La famine a également explosé en Afrique particulièrement, mais désormais, même aux États-Unis, un nombre record d’Américains ne mangent pas à leur faim…

Qui peut offrir une perspective à l’humanité ?

La barbarie guerrière, le désastre écologique, les épidémies et les multiples calamités économiques et sociales ne sont pas de simples phénomènes détachés les uns des autres. Ils forment, par leur accumulation, leur simultanéité, leur imbrication et leur ampleur, un ensemble significatif de « l’enfoncement dans une impasse complète d’un système qui n’a aucun avenir à proposer à la plus grande partie de la population mondiale, sinon celui d’une barbarie croissante dépassant l’imagination ». (3)

Si la bourgeoisie ne cesse d’exploiter toutes les atrocités et les abominations de cette période, visant ainsi à terroriser et paralyser la classe ouvrière en sapant sa confiance dans un autre avenir, il ne faut cependant pas en conclure que « les carottes sont cuites ». Certes, la classe ouvrière n’a pas fini de dépasser le profond recul de sa conscience qu’elle a subi depuis près de trois décennies. Pour autant, elle demeure objectivement la seule classe révolutionnaire au sein de la société capitaliste. Autrement dit, la seule force sociale capable d’orienter l’humanité sur un autre chemin que celui de l’enfer capitaliste. Durant ces trois décennies, le prolétariat a montré à de nombreuses reprises sa capacité à s’affronter à l’État bourgeois en refusant la dégradation de ses conditions de travail et d’existence. Bien que ces luttes aient connu un développement limité, elles n’en constituent pas moins une expérience précieuse pour le futur. La révolution prolétarienne n’est pas une belle idée qui tombera du ciel par l’opération du Saint-Esprit. Au contraire, c’est un combat concret, long et sinueux à travers lequel la classe ouvrière prend conscience de son potentiel révolutionnaire à travers l’expérience et les leçons de ses défaites.

De fait, les luttes contre les attaques sur les conditions de travail forment le terrain privilégié à travers lequel la classe ouvrière pourra s’organiser avec ses propres méthodes et ainsi développer sa solidarité internationale. Dans le capitalisme agonisant, plus que jamais, l’avenir appartient à la classe ouvrière !

Vincent, 2 septembre 2021

 

1) « Inondations, sécheresses, incendies… Le capitalisme conduit l’humanité vers un cataclysme planétaire ! » (juillet 2021), disponible sur le site web du CCI.

2) « Rapport sur la pandémie et le développement de la décomposition » (juillet 2021) disponible sur le site web du CCI.

3) « Thèses sur la décomposition », Revue internationale n° 107, (4e trimestre 2001).

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Édito

Derrière le déclin des États-Unis, le déclin du monde capitaliste

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Le retrait précipité des forces américaines et occidentales d’Afghanistan est une manifestation éclatante de l’incapacité du capitalisme à offrir autre chose qu’une barbarie croissante. L’été 2021 avait déjà vu une accumulation d’événements interdépendants montrant que la planète entière est déjà dans une grave situation de crise : l’apparition de canicules et d’incendies incontrôlables de la côte ouest des États-Unis à la Sibérie, les inondations, les ravages continus de la pandémie de Covid-19 et la dislocation économique qu’elle a causée. Tout ceci est « une révélation du niveau de putréfaction atteint au cours des trente dernières années ». (1) En tant que marxistes, notre rôle n’est pas simplement de commenter ce chaos croissant mais d’analyser ses racines, qui se trouvent dans la crise historique du capitalisme, et de montrer les perspectives pour la classe ouvrière et l’humanité entière.

Le contexte historique des événements en Afghanistan

Les talibans sont présentés comme les ennemis de la civilisation, un danger pour les droits de l’homme et ceux des femmes, en particulier. Ils sont certes brutaux et animés d’une vision qui renvoie aux pires aspects du Moyen Âge. Cependant, ils ne sont pas une exception à l’époque dans laquelle nous vivons. Ils sont le produit d’un système social réactionnaire : le capitalisme décadent. En particulier, leur essor est une manifestation de la décomposition, stade final de la décadence du capitalisme.

La seconde moitié des années 1970 a vu une escalade de la guerre froide entre les blocs impérialistes américain et russe, les États-Unis installant des missiles de croisière en Europe occidentale et forçant l’URSS à s’engager dans une course aux armements qu’elle pouvait de moins en moins se permettre. Cependant, en 1979, l’un des piliers du bloc occidental au Moyen-Orient, l’Iran, s’est effondré dans le chaos. Toutes les tentatives des fractions les plus responsables de la bourgeoisie iranienne pour imposer l’ordre ont échoué et les éléments les plus arriérés du clergé ont profité de ce chaos pour prendre le pouvoir. Le nouveau régime a rompu avec le bloc occidental mais a également refusé de rejoindre le bloc russe. L’Iran a une longue frontière avec la Russie et avait donc joué un rôle clé dans la stratégie occidentale d’encerclement de l’URSS. Suite à cet effondrement, l’Iran est devenu un électron libre dans la région. Ce nouveau désordre a encouragé l’URSS à envahir l’Afghanistan lorsque l’Occident a tenté de renverser le régime pro-russe qu’elle avait réussi à installer à Kaboul en 1978. En envahissant l’Afghanistan, la Russie espérait pouvoir, à un stade ultérieur, accéder à l’océan Indien.

En Afghanistan, nous avons assisté à une terrible explosion de barbarie militaire. L’URSS a déchaîné toute la puissance de son arsenal sur les moudjahidines (« combattants de la liberté ») et la population en général. De l’autre côté, le bloc américain a armé, financé et entraîné les moudjahidines et les chefs de guerre afghans opposés aux Russes. Parmi eux figuraient de nombreux fondamentalistes islamiques ainsi qu’un afflux croissant de djihadistes venus du monde entier. Les États-Unis et leurs alliés ont enseigné à ces « combattants de la liberté » tous les arts de la terreur et de la guerre. Cette guerre pour la « liberté » a tué entre 500 000 et 2 millions de personnes et a laissé le pays dévasté. Elle a également été le berceau d’une forme plus globale de terrorisme islamique, caractérisée par l’ascension de Ben Laden et d’Al-Qaida.

Dans le même temps, les États-Unis ont poussé l’Irak dans une guerre de huit ans contre l’Iran, au cours de laquelle environ 1,4 million de personnes ont été massacrées. Alors que la Russie s’épuisait en Afghanistan, ce qui a fortement contribué à l’effondrement du bloc russe en 1989, et que l’Iran et l’Irak étaient entraînés dans la spirale de la guerre, la dynamique dans la région a montré que la transformation de l’Iran en un État « voyou » était l’une des premières indications que les contradictions croissantes du capitalisme commençaient à saper la capacité des grandes puissances à imposer leur autorité dans différentes régions de la planète. Derrière cette tendance se cachait quelque chose de plus profond : l’incapacité de la classe dirigeante à imposer sa « solution » à la crise du système (une autre guerre mondiale) à une classe ouvrière mondiale qui avait montré son refus de se sacrifier au nom du capitalisme dans une série de luttes entre 1968 et la fin des années 1980, sans toutefois être capable de proposer une alternative révolutionnaire au capitalisme. En somme, l’impasse entre les deux grandes classes a déterminé l’entrée du capitalisme dans sa phase finale, celle de la décomposition, caractérisée, au niveau impérialiste, par la fin du système des deux blocs et l’accélération du « chacun pour soi » .

L’Afghanistan au cœur du chacun pour soi impérialiste

Dans les années 1990, après le départ des Russes d’Afghanistan, les seigneurs de guerre victorieux se sont retournés les uns contre les autres, utilisant toutes les armes et les connaissances de la guerre que l’Occident leur avait données pour contrôler les ruines. Les massacres, les destructions et les viols massifs ont détruit le peu de cohésion sociale que la guerre avait laissé.

L’impact social de cette guerre ne s’est pas limité à l’Afghanistan. Le fléau de l’héroïnomanie qui a explosé à partir des années 1980, apportant misère et mort dans le monde entier, est l’une des conséquences directes de la guerre. Pour financer la guerre de l’opposition aux talibans, l’Occident l’a encouragée à cultiver l’opium. L’impitoyable fanatisme religieux des talibans est donc le fruit de décennies de barbarie. Ils ont également été manipulés par le Pakistan, ce pays essayant d’imposer un certain ordre à ses portes.

L’invasion américaine de 2001, lancée sous le prétexte de se débarrasser d’Al-Quida et des talibans, ainsi que l’invasion de l’Irak en 2003, ont été des tentatives de l’impérialisme américain d’imposer son autorité face aux conséquences de son déclin. Ce dernier a tenté d’amener les autres puissances, notamment les Européens, à agir en réponse à l’attaque contre l’un de ses membres. À l’exception du Royaume-Uni, toutes les autres puissances se sont alors montrées réservées face à ce projet. En effet, l’Allemagne s’était déjà engagée dans une nouvelle voie « indépendante » au début des années 1990, en soutenant la sécession de la Croatie qui, à son tour, avait provoqué l’horrible massacre des Balkans. Au cours des deux décennies suivantes, les rivaux de l’Amérique se sont enhardis en voyant les États-Unis s’embourber dans des guerres ingagnables en Afghanistan, en Irak et en Syrie.

La Realpolitik de Biden dans la continuité de celle de Trump

La politique de retrait d’Afghanistan est un exemple clair de realpolitik. Les États-Unis doivent, en effet, se libérer de ces guerres coûteuses et débilitantes afin de concentrer leurs ressources sur le renforcement des efforts pour contenir et miner la Chine et la Russie. L’administration Biden s’est montrée non moins cynique que Trump dans la poursuite des ambitions américaines.

En même temps, les conditions du retrait américain ont fait que le message de l’administration Biden « America is Back » (les États-Unis sont de retour), selon lequel l’Amérique restait un allié fiable, a reçu un sérieux coup à sa crédibilité. À long terme, l’administration compte probablement sur la peur de la Chine pour forcer des pays comme le Japon, la Corée du Sud et l’Australie à coopérer avec le « virage à l’Est » des États-Unis, qui vise à contenir la Chine en mer de Chine méridionale et ailleurs dans la région.

Ce serait une erreur d’en conclure que les États-Unis se sont tout simplement retirés du Moyen-Orient et de l’Asie centrale. Biden a clairement indiqué que les États-Unis poursuivront une politique contre les menaces terroristes dans quelque partie du monde que ce soit. Cela signifie qu’ils utiliseront leurs bases militaires dans le monde entier, leur marine et leur aviation pour infliger des destructions aux États de ces régions s’ils mettent en danger les États-Unis. Cette menace est également liée à la situation de plus en plus chaotique en Afrique, où des États en déliquescence comme la Somalie pourraient être rejoints par l’Éthiopie, ravagée par la guerre civile, ses voisins soutenant l’un ou l’autre camp. Cette liste s’allongera à mesure que les groupes terroristes islamiques au Nigeria, au Tchad et ailleurs seront encouragés par la victoire des talibans à intensifier leurs campagnes.

Si le retrait d’Afghanistan est motivé par la nécessité de se concentrer sur le danger posé par la montée de la Chine et le renouveau de la Russie en tant que puissances mondiales, les limites de l’entreprise sont évidentes alors qu’il offre à la Chine et à la Russie un moyen d’entrer en Afghanistan. La Chine a déjà investi massivement dans son projet de nouvelle route de la soie en Afghanistan et les deux États ont entamé des relations diplomatiques avec les talibans. Mais aucun de ces États ne peut s’élever au-dessus d’un désordre mondial de plus en plus contradictoire. La vague d’instabilité qui se propage en Afrique, au Moyen-Orient (l’effondrement de l’économie libanaise étant le plus récent), en Asie centrale et en Extrême-Orient (Myanmar, en particulier) représente un danger pour la Chine et la Russie autant que pour les États-Unis. Ils sont parfaitement conscients que l’Afghanistan n’est pas pourvu d’un véritable État opérationnel et que les talibans ne seront pas en mesure d’en construire un. La menace que représentent les seigneurs de la guerre pour le nouveau gouvernement est bien connue. Certaines parties de l’Alliance du Nord ont déjà déclaré qu’elles n’accepteraient pas le gouvernement, et Daesh, qui a également été impliqué en Afghanistan, considère les talibans comme des apostats parce qu’ils sont prêts à conclure des accords avec l’Occident infidèle. Certaines parties de l’ancienne classe dirigeante afghane peuvent chercher à travailler avec les talibans, et de nombreux gouvernements étrangers ouvrent des canaux à cette fin, mais c’est parce qu’ils sont terrifiés à l’idée que le pays retombe dans les mains des seigneurs de guerre et sombre à nouveau dans le chaos, ce qui se répercuterait dans toute la région.

La victoire des talibans ne peut qu’encourager les terroristes islamiques ouïghours qui sont actifs en Chine, même si les talibans ne les ont pas encore soutenus. L’impérialisme russe connaît le coût amer de la situation inextricable en Afghanistan et voit que la victoire des talibans donnera un nouvel élan aux groupes fondamentalistes en Ouzbékistan, au Turkménistan et au Tadjikistan, États qui forment un tampon entre les deux pays. La Russie va tenter de mettre à profit cette menace pour renforcer son influence militaire sur ces États mais, en même temps, elle a bien conscience, que sans le soutien suffisant d’autres États, même la puissance de la machine de guerre américaine ne pourra pas écraser une telle insurrection.

Les États-Unis n’ont pas réussi à vaincre les talibans et à établir un État stable. Ils se sont retirés en sachant que, s’ils ont dû subir une véritable humiliation, ils ont laissé dans leur sillage une bombe à retardement d’instabilité. La Russie et la Chine vont maintenant chercher à contenir ce chaos mais toute idée que le capitalisme puisse apporter la stabilité et une certaine forme d’avenir à cette région est une pure illusion.

La barbarie sous un visage humanitaire

Les États-Unis, la Grande-Bretagne et toutes les autres puissances ont utilisé le croque-mitaine taliban pour cacher la terreur et la destruction qu’ils ont infligées à la population afghane au cours des quarante dernières années. Les moudjahidines soutenus par les États-Unis ont massacré, violé, torturé et pillé autant que les Russes. Comme les talibans, ils ont mené des campagnes de terreur dans les centres urbains contrôlés par les Russes. Cependant, l’Occident a soigneusement caché cette situation. Il en a été de même au cours des vingt dernières années. La terrible brutalité des talibans a été soulignée dans les médias occidentaux, tandis que les nouvelles concernant les décès, les meurtres, les viols et les tortures infligés par le gouvernement « démocratique » et ses partisans ont été cyniquement poussés sous le tapis. D’une certaine manière, le fait que des jeunes et des vieux, des femmes et des hommes aient été déchiquetés par les obus, les bombes et les balles du gouvernement soutenu par les États-Unis et le Royaume-Uni, pays « démocratiques » et respectueux des « droits de l’homme », ne mérite pas d’être mentionné. En fait, même l’étendue de la terreur infligée par les talibans n’a pas été rapportée. On considère que cela ne mérite pas d’être signalé dans les médias, sauf si cela peut contribuer à justifier la guerre.

Les parlements européens se sont fait l’écho des politiciens américains et britanniques en déplorant le terrible sort réservé aux femmes et à d’autres personnes en Afghanistan sous le régime des talibans. Ces mêmes politiciens ont imposé des lois sur l’immigration qui ont conduit des milliers de réfugiés désespérés, dont de nombreux Afghans, à risquer leur vie pour tenter de traverser la Méditerranée ou la Manche. Où sont leurs lamentations pour les milliers de personnes qui se sont noyées en Méditerranée ces dernières années ? Quelle inquiétude manifestent-ils pour ces réfugiés contraints de vivre dans des camps de concentration en Turquie ou en Jordanie (financés par l’UE et la Grande-Bretagne) ou vendus sur les marchés aux esclaves de Libye ? Ces porte-paroles bourgeois qui condamnent les talibans pour leur inhumanité encouragent la construction d’un mur d’acier et de béton autour de l’Europe de l’Est pour arrêter le mouvement des réfugiés. La puanteur de leur hypocrisie est vraiment à vomir !

Le prolétariat est la seule force capable de mettre fin à cet enfer

La perspective de la guerre, de la pandémie, de la crise économique et du changement climatique est en effet effrayante. C’est pourquoi la classe dirigeante en remplit ses médias. Elle veut que le prolétariat soit soumis, qu’il se recroqueville dans la peur de la sinistre réalité de ce système social pourri. Elle veut que nous soyons comme des enfants qui s’accrochent aux basques de la classe dominante et de son État. Les grandes difficultés rencontrées par le prolétariat dans la lutte pour la défense de ses intérêts au cours des trente dernières années permettent à cette peur de s’installer davantage. L’idée que le prolétariat est la seule force capable d’offrir un avenir, une société entièrement nouvelle, peut paraître incongrue à certains. Mais le prolétariat est la classe révolutionnaire et trois décennies de recul ne l’ont pas éradiqué, même si la longueur et la profondeur de ce recul rendent plus difficile pour la classe ouvrière internationale de reprendre confiance dans sa capacité à résister aux attaques croissantes contre ses conditions de vie. Mais ce n’est que par ces luttes que la classe ouvrière peut redévelopper sa force. Comme le disait Rosa Luxemburg, le prolétariat est la seule classe qui développe sa conscience à travers l’expérience des défaites. Il n’y a aucune garantie que le prolétariat sera capable d’assumer sa responsabilité historique d’offrir un avenir au reste de l’humanité. Cela ne se produira certainement pas si le prolétariat et ses minorités révolutionnaires succombent à l’atmosphère écrasante de désespoir et d’impuissance propagée par notre ennemi de classe. Le prolétariat ne peut remplir son rôle révolutionnaire qu’en regardant en face la sombre réalité du capitalisme en décomposition et en refusant d’accepter les attaques contre ses conditions économiques et sociales, en remplaçant l’isolement et l’impuissance par la solidarité, l’organisation et une conscience de classe croissante.

CCI, 22 août 2021

 

1) « Rapport sur la pandémie et le développement de la décomposition », Revue internationale n° 167.

Géographique: 

  • Afghanistan [79]

Personnages: 

  • Biden [81]
  • Trump [82]

Rubrique: 

Afghanistan

Manifestations contre le pass sanitaire: La défense de la démocratie n’est pas un vaccin contre le capitalisme, c’est un virus mortel pour le prolétariat

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Depuis plus d’un mois, se multiplient les manifestations, largement montées en épingle par les médias, où s’expriment de manière anarchique et contradictoire les revendications anti-vaccins et celles contre un pass sanitaire jugé « liberticide ». Tout cela dans un front anti-Macron généralisé où se côtoient pêle-mêle des partis politiques allant de l’extrême gauche du capital à l’extrême droite, un melting-pot d’individus ou de familles indignés par telle ou telle déclaration ou décision gouvernementales, des prolétaires isolés, des manifestants se réclamant du mouvement des gilets jaunes. Difficile de retrouver sa boussole dans un tel magma informe.

Ces manifestations ne sont en rien l’expression de lutte du prolétariat. Bien au contraire, s’y exprime un élan primaire de nationalisme, avec la présence de nombreux drapeaux tricolores dans les rangs des protestataires, la confusion extrême, l’aveu d’impuissance, le désarroi, l’irrationalité dominante face à une situation de crise sanitaire et sociale qui touche l’ensemble du monde capitaliste. Cette cristallisation autour de revendications multiformes, agrégeant la méfiance envers la science aux appels à la défense des « libertés individuelles », fait effectivement les choux gras de l’actualité médiatique où les intérêts contradictoires, divergents, parfois farfelus, sont mis en balance avec les mesures gouvernementales présentées mensongèrement comme l’expression de la défense de l’intérêt général et du bien commun face à la pandémie de Covid-19 et l’envolée d’une quatrième vague d’infection. Comme d’habitude, chacun est appelé à se positionner comme « citoyen », à choisir son camp face à tel ou tel problème sanitaire, politique et social, pris isolément, occultant ainsi la responsabilité du système capitaliste comme un tout et son obsolescence.

Même si une minorité de prolétaires, ulcérés par l’attitude et les mensonges du pouvoir, participent à ces manifestations, elles expriment avant tout un sentiment de frustration, de colère impuissante propre aux couches petites-bourgeoises, et l’absence de perspective. Ainsi, les syndicats, ces organes bourgeois d’encadrement des luttes, en particulier ceux qui se présentent comme les plus « radicaux », tels SUD-Santé ou certaines fédérations de la CGT, ont saisi l’occasion pour lancer une série de préavis de grèves dans différentes villes comme Marseille, Lyon, Toulouse, Bastia ou des régions (Hauts-de-France) pour appeler les personnels de santé à se mobiliser contre le vaccin obligatoire et réclamer l’abrogation du pass sanitaire. Même chez les pompiers, où les mêmes mesures contraignantes ont été décrétées, le syndicat autonome « maison » a emboîté le pas. Tout cela au nom de la défense de la « liberté de choix », c’est-à-dire sur le terrain du droit bourgeois qui constitue un véritable poison pour la classe ouvrière et sa perspective révolutionnaire.

Les organisations d’extrême gauche en profitent également pour désorienter davantage la classe ouvrière en alimentant la confusion entre les revendications ouvrières et la défense des « droits des citoyens », en présentant mensongèrement ce mouvement comme « un tremplin pour les luttes ouvrières à venir ». La bourgeoisie et ses différentes officines politiques, particulièrement celles de gauche et d’extrême gauche, savent faire flèche de tout bois pour pourrir la réflexion ouvrière face à la crise, au chaos ambiant, à l’incurie des mois précédents, utilisant à plein la décomposition de tout le système capitaliste, expliquant, avec de faux airs de respectabilité, comment l’État bourgeois devrait organiser la gestion de la crise.

En réalité, l’aggravation de la situation est une nouvelle expression, non seulement de l’incurie de la bourgeoisie, mais surtout de l’impuissance généralisée depuis près de deux ans de tous les États, incapables de mettre en commun les avancées, les compétences et les moyens de lutter contre la pandémie. Nous avons assisté à la concurrence effrénée de tous les laboratoires et à l’utilisation des vaccins comme une arme impérialiste par tous les États, sous le poids de la loi universelle du profit capitaliste.

Pourquoi une telle méfiance à l’égard des vaccins ?

Comment une partie de la population ne pourrait-elle pas avoir peur d’un scandale sanitaire après bientôt deux ans de mensonges quotidiens des autorités ? C’est de manière totalement éhontée que le gouvernement se pare lui-même des atouts d’une vision rationnelle et scientifique alors qu’il a su à de multiples occasions passer outre les insistances des scientifiques au beau milieu des premières vagues de la pandémie, valoriser médiatiquement les plus opportunistes d’entre eux, justifier l’injustifiable pour l’utilisation des masques, des protections sanitaires au travail, dans les transports, relativisant sa propre incurie dans des comparaisons infectes avec des situations plus catastrophiques. Tous ces mensonges, ces innombrables demi-vérités et justifications foireuses du gouvernement ont évidemment créé un climat de suspicion dans la population.

Mais au-delà des doutes et des préjugés, la pandémie a été l’occasion d’un foisonnement de théories fumeuses et d’affirmations délirantes, non seulement sur les réseaux sociaux où les complotistes sont le plus actifs, mais également de la part des médias et des politiciens eux-mêmes. Alors que des milliards de personnes ont été vaccinées depuis les premiers tests, les rares “cas” d’effets secondaires dramatiques suspectés (et rarement confirmés) sont montés en épingle, par de pseudo-experts, au mépris de toute démarche scientifique, quand ils ne sont simplement pas inventés de toutes pièces.

Le Covid-19 a pourtant tué plus de quatre millions de personnes dans le monde, sans doute plus… pas les vaccins ! Le Covid-19 continue de muter, d’infecter et de tuer, particulièrement dans les parties du monde privées de campagne vaccinale d’envergure. Il continue également d’infecter et de fragiliser une population de plus en plus jeune, non vaccinée, dans les pays centraux. Certains, pourtant, doutent encore de l’efficacité vaccinale, dénoncent un prétendu « manque de recul » face aux « nouvelles techniques » (qui en fait ne sont pas nouvelles). Le doute et le scepticisme sont des vertus scientifiques, pas la méfiance irrationnelle !

Les inquiétudes irrationnelles que l’on retrouve peu ou prou dans les affirmations de tous les opposants aux vaccins ne sont pas une nouveauté ! La réticence superstitieuse face à la recherche scientifique s’exprimait déjà à la fin du XVIIIe siècle alors qu’émergeaient les premières pratiques vaccinales contre la variole. Pasteur lui-même, lorsqu’il découvre le vaccin contre la rage en 1885, a dû faire face à ces discours “antivax”. Il est alors accusé de maltraiter les animaux et de n’inventer des vaccins que pour se remplir les poches ! Près d’un siècle et demi plus tard, en dépit des progrès inouïs de la science et de la médecine, la méfiance demeure dans les secteurs les plus rétrogrades de la classe dominante et les plus arriérés de la population. Aujourd’hui, l’irrationalité complotiste va même jusqu’à imaginer une possible modification génétique par la technique de l’ARN ou une manipulation politique et médicale pour un contrôle de la population par les États via l’inoculation de la 5G lors de la vaccination (sic) !

Si ces différents discours obscurantistes résistent aux démonstrations scientifiques, c’est bien parce qu’ils s’adaptent à chaque époque et à chaque contexte. Mais aujourd’hui, la dynamique du processus de décomposition idéologique de la société capitaliste, le sentiment d’impuissance face à la crise, au chaos à l’œuvre, impactent une population davantage éduquée et ne fait que pourrir toute la capacité de raisonnement logique, scientifique et politique dans un magma de conceptions et visions réactionnaires parfois délirantes.

La bourgeoisie n’est pas étrangère à ce processus : non seulement, on a vu des politiciens, issus de l’extrême droite et même des rangs de la droite traditionnelle, véhiculer des idées totalement délirantes, mais ces errements se sont manifestés jusqu’au plus haut sommet de l’État, Macron et sa clique ayant ouvertement dénigré les scientifiques ou déformé leurs propos pour tenter de justifier leur politique à courte vue, comme lorsque le chef de l’État a affirmé avoir eu raison seul contre les épidémiologistes.

La seule liberté, sous le capitalisme, est celle d’exploiter

Dans les manifestations, les moins caricaturaux des participants ne remettent pas en cause la vaccination mais sont opposés au pass sanitaire, imposé dans un premier temps aux soignants sous peine de licenciement, et refusent son obligation déguisée pour vaquer aux activités les plus quotidiennes comme aller au supermarché, dans un bar, à un concert ou au cinéma.

Pourtant, ces deux réalités anti-vaccination et anti-pass sanitaire cohabitent avec des frontières très poreuses dans des manifestations communes où prédomine la même logique individualiste de défiance, avec une absence de souci collectif face à la poursuite de la pandémie, à ses ravages encore actuels et ceux à venir. Cela au nom de l’atteinte aux « libertés individuelles », un terrain totalement bourgeois.

Ce slogan pour la défense des libertés démocratiques est le cache-sexe le plus grossier de la défense de l’État bourgeois, le terrain le plus anti-ouvrier qui soit. Le mouvement ouvrier a dénoncé à de multiples reprises ce piège et affirmé que « tant que l’État existe, il n’y aura pas de liberté ; quand régnera la liberté, il n’y aura plus d’État ». (1)

La perspective révolutionnaire est la seule alternative

Le gouvernement profite de la situation pour monter les gens les uns contre les autres, attisant les tensions et les rancœurs. En multipliant les campagnes de propagande, en faisant plus ou moins ouvertement passer tous les individus qui doutent et ont peur pour des « complotistes antivax » totalement délirants, la bourgeoisie a poussé une partie des vaccinés à voir dans les opposants aux vaccins des boucs émissaires faciles à l’origine des nouvelles vagues de contamination, dédouanant à moindres frais le capitalisme, l’État et son irresponsabilité qui ont conduit à la situation dramatique d’aujourd’hui. Pour les anti-vaccins, leur mobilisation contre la « dictature » Macron est un gage de responsabilité pour faire vivre et défendre la démocratie, en dénonçant et interpelant les « moutons » serviles subissant les lois « liberticides » d’une vaccination forcée. Ces divisions s’inscrivent dans une logique de confrontation désastreuse où les véritables enjeux pour en finir avec le chaos capitaliste disparaissent sous un fatras de confusions et d’impuissance.

L’exaspération qui s’exprime dans les manifestations et dans la population en général a en effet pris la forme d’un désarroi et du sentiment de subir les diktats d’un gouvernement arrogant qui a multiplié les incohérences face à la pandémie, imposant confinements à répétition, soufflant le chaud et le froid sur une population qui ne voit toujours pas le bout du tunnel, se targuant d’une démarche scientifique à la petite semaine alors que l’incurie bourgeoise était à l’œuvre. Mais cette colère ne peut en aucune façon déboucher sur une prise de conscience du prolétariat de l’effondrement grandissant et de l’impasse irrémédiable du système capitaliste quand cette opposition, ce rejet se cristallisent de manière épidermique, sans recul ni réflexion dans une colère impuissante contre un gouvernement et un président ressentis comme sources de tous les maux et perçus comme des mauvais gestionnaires, incompétents et inefficaces, de ce système.

Face à un tel bourbier social et idéologique que la bourgeoisie alimente et attise quotidiennement, il ne sera pas facile au prolétariat de réagir sur son terrain de classe solidaire pour contrer les véritables attaques frontales à venir, de ses conditions de travail et de vie. Son terrain de classe n’est pas celui de la défense de l’État, de la défense de l’économie nationale et du drapeau tricolore. Son autonomie de classe pour l’affirmation de sa lutte, l’organisation de ses combats, il devra la défendre contre toutes les forces vives de l’État, au pouvoir ou non, indépendamment des mouvements interclassistes où des faux amis, généralement de gauche, qui tenteront de dévoyer sa colère. Le prolétariat a besoin de lucidité et de confiance en ses propres forces pour déjouer tous ces pièges et cela est déjà un enjeu immédiat.

Stopio, 13 août 2021

 

1) Lénine, L’État et la Révolution (1917).

 

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Covid-19

Covid aux Antilles: La population est victime du pourrissement du capitalisme

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Près de deux ans après les débuts de la pandémie de Covid-19, la situation en Martinique et en Guadeloupe laisse pantois : taux d’incidence démesurés, services de réanimation sursaturés, morgues littéralement débordées, armée à la rescousse, matériel envoyé en masse par les hôpitaux de la métropole, patients transférés en métropole par avion, quand ils peuvent tenir le temps du voyage… Le tableau relève plus d’une médecine de guerre au fin fond du tiers-monde que d’une gestion digne d’un des pays les plus avancés du monde. Comment expliquer un tel désastre ?

Si, il y a encore 18 mois, la fulgurance de la pandémie pouvait rendre vraisemblable l’argument d’une impréparation des services de santé et celui de mesures d’urgence décidées sur la base d’une connaissance scientifique très lacunaire, aujourd’hui ces arguments, qui ne tenaient déjà pas beaucoup à l’époque, ne tiennent plus du tout la route !

Les scientifiques alertent depuis de nombreux mois sur le danger représenté par le variant Delta et sur le risque contenu dans l’allègement des mesures à l’approche de l’été, décidé de façon à ne pas compromettre la « saison touristique ». Par ailleurs, il est maintenant clairement établi que la vaccination permet de ralentir significativement la circulation du virus, y compris ses variants actuels, et représente le seul rempart efficace dans la durée contre les formes les plus graves de la maladie, et donc contre les hospitalisations, les admissions en réanimation et la recrudescence des décès.

Les Antilles présentent le tableau idéal pour une inévitable catastrophe : à l’heure où les voyages à l’étranger sont compliqués par les mesures de quarantaine et/ou la présentation de tests PCR négatifs, les amateurs de chaleur tropicale avaient plus de facilités pour se rendre aux Antilles sans quitter le territoire français. De fait, la saison estivale s’annonçait aussi florissante que celle des fêtes de fin d’année, avec un bon niveau de réservations, avant que la situation sanitaire puis les mesures de confinement ne viennent briser la dynamique. Alors que face au danger annoncé l’État aurait dû prendre des mesures de restriction pour éviter un afflux touristique en été, au contraire, tout a été fait pour promouvoir ces destinations et soutenir l’industrie du tourisme.

En effet, les Antilles présentent un taux de vaccination très inférieur à celui de la métropole : fin juillet, il était autour de 16 % en Guadeloupe, Martinique et Guyane, contre 60 % en métropole. Une raison de plus pour ne pas rajouter un risque exogène dans des zones où, de toute évidence, le variant Delta n’allait trouver aucun obstacle à sa dissémination catastrophique !

Au contraire, la bourgeoisie a fait la sourde oreille et, une fois la catastrophe constatée, elle a sans le moindre scrupule montré du doigt la population locale, désignée comme seule responsable selon elle, en raison de son manque d’enthousiasme pour la vaccination, de la situation désastreuse dans ces trois régions. Au point de stigmatiser la population locale comme étant hostile à la science, embrigadée dans les croyances en la médecine traditionnelle, etc.

Mais la réalité est bien plus complexe que cela ! Certes, la décomposition du système renforce les tendances irrationnelles et le refuge dans les pratiques ancestrales, d’un temps où, finalement, les choses avaient l’air d’aller mieux. La bourgeoisie est la première à être marquée par cette tendance, elle qui est restée sourde aux alertes des scientifiques. Mais s’arrêter là serait trop simple. Les idées irrationnelles et complotistes se développent et trouvent un écho d’autant plus favorable que le terrain y est propice. Ce terrain, c’est celui de la méfiance généralisée envers la « parole officielle ».

Les Antilles françaises ont été parmi les plus rapides à contester les mesures d’État au début de la pandémie. La méfiance envers les discours de l’État est de nature identique, mais bien plus importante que celle répandue dans la population en métropole. Les Antillais n’ont pas oublié le scandale du chlordécone, par exemple, un puissant pesticide reconnu comme très nocif, interdit dès 1976 aux États-Unis, mais qui a continué à être utilisé dans les Antilles jusqu’en 1993, après son interdiction en métropole.

Comme le résume bien la sociologue Stéphanie Mulot, « des affaires comme celle du chlordécone ont montré que l’État et la justice n’avaient pas été capables de protéger la population ». (1) Vincent Tacita, statisticien, rajoute : « à partir du moment où des pouvoirs publics ont autorisé cela, vous imaginez très bien que toute parole provenant de l’État est maintenant écoutée avec moins de recul ». (2)

A cela s’ajoute bien sûr l’incompréhension face à l’afflux de touristes et de locaux revenant de métropole pour les vacances, alors que tout démontre que, partout dans le monde, chaque fois que les aéroports rouvrent, les taux d’incidence augmentent prodigieusement.

Les décisions venant « de Paris » sont encore moins comprises et acceptées qu’elles ne le sont en métropole, dans des régions où le poids de la colonisation pèse encore dans les esprits, entretenu d’ailleurs essentiellement par les fractions bourgeoises locales qui réclament plus d’autonomie de décision face à l’État central.

Aujourd’hui cette situation catastrophique n’est fondamentalement pas due à une population locale méfiante et arriérée mais à l’incapacité de la bourgeoisie d’apprendre de ses erreurs et d’anticiper. Pour le capitalisme, la prévention coûte cher et ne rapporte rien immédiatement, elle n’a donc aucune place dans ce système. Au lieu de renforcer par avance les moyens humains et matériels devant une envolée épidémique dont on pouvait savoir qu’elle ne s’arrêterait pas miraculeusement d’elle-même du jour au lendemain, l’État a laissé s’enliser les hôpitaux, a laissé les soignants s’épuiser physiquement et moralement, a laissé les morts s’entasser dans les morgues puis, faute de place, dans les familles elles-mêmes… Un an et demi après, les mêmes causes produisent les mêmes effets, rien n’a changé !

La bourgeoisie se permet même de vanter hypocritement sa préoccupation en affichant dans toute la presse, à la télé et à la radio, la « solidarité » des hôpitaux de métropole déjà à genoux, qui envoient des lits de réanimation en urgence pour que leurs confrères, là-bas, subissent moins de pression pour choisir entre qui sauver et qui laisser mourir, faute du matériel suffisant.

Cette attitude répugnante ne peut que confirmer qu’il n’y a aucune confiance à accorder à cette classe de menteurs et d’incapables, empêtrés dans les contradictions de leur système pourrissant, décomposé, qui affectent tout sauf leur cynisme et leur mépris de la vie humaine.

GD, 2 septembre 2021

 

1) « Comment expliquer le faible taux de vaccination dans les Antilles ? », FranceInfo.fr (5 août 2021).

2) Idem.

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Grève des enseignants de l’UNAM (Mexique): Se réapproprier les leçons des luttes passées

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Personne ne doute de l’augmentation du nombre de chômeurs dans le monde en raison du ralentissement de l’activité économique et de l’aggravation de la crise, accélérée encore par le Covid-19. Au Mexique, selon les données officielles, le nombre de chômeurs a augmenté de 117 % après la pandémie, ce qui représente 2,43 millions de travailleurs, dont près de 57 000 sont sans emploi depuis plus d’un an. Les travailleurs se sont retrouvés dans une situation plus fragile avec la pandémie en raison du danger quotidien d’être exposés à l’infection dans les transports et sur le lieu de travail, de l’incertitude de perdre leur emploi en raison du risque de faillites et de fermetures d’entreprises, ou encore de l’effort supplémentaire qu’ils doivent désormais fournir avec le télétravail, car il implique de couvrir des dépenses supplémentaires pour effectuer leur travail. Toutefois, dans ces circonstances, la situation actuelle rend plus difficile pour les travailleurs de protester pour de meilleures conditions de vie et de travail. Nous avons vu, par exemple, comment les protestations des travailleurs de la santé se sont multipliées au Mexique dans de nombreux hôpitaux, mais ceux-ci étaient très minoritaires et isolés en raison des exigences de la pandémie elle-même, qui n’a pas laissé aux infirmières, médecins, aides-soignants, etc. suffisamment de repos pour répondre à leurs besoins vitaux (parmi eux, il y a également eu de nombreux décès). (1)

Ainsi, il est important de souligner que la grève à l’UNAM montre clairement que le prolétariat n’est pas vaincu, qu’il fait preuve de combativité et qu’il a conservé intactes ses capacités de lutte pour la défense de ses conditions de vie et de travail, malgré les nombreuses difficultés et obstacles de la situation actuelle. L’UNAM est l’université la plus importante du Mexique, avec environ 40 000 enseignants aux niveaux secondaire, supérieur et post universitaire. La plupart d’entre eux n’ont pas de contrat de base, leurs contrats sont donc renouvelés chaque année, voire chaque semestre.

Depuis la pandémie, les activités de recherche ont été réduites, mais les cours n’ont pas été arrêtés, ils ont été repris en ligne avec les ressources des enseignants eux-mêmes, travaillant depuis leur domicile, et bien sûr avec une augmentation considérable de la charge de travail pour préparer le matériel de cours et l’évaluation en ligne.

En plus de l’augmentation de la charge de travail due au télétravail, des centaines de professeurs ont subi des retards dans le paiement de leur salaire, accumulant un retard pouvant aller jusqu’à un an, si bien qu’en février 2021, des réunions de professeurs ont été organisées pour discuter de leur situation, ce qui a conduit à un arrêt de travail de trois jours à partir du 16 mars à l’appel des professeurs de la Faculté des sciences. La grève s’est étendue à partir du 16 mars à différentes facultés, écoles et collèges des différents niveaux de l’UNAM, et au cours de la grève, elle a pris la forme d’une grève illimitée. Dès le 3 mai, certaines facultés et écoles ont repris partiellement les cours, mais le 5 mai, au moins 22 facultés étaient toujours en grève, et l’usure, la lassitude et le désespoir étaient déjà présents.

Première grève des travailleurs avec travail par internet

La particularité de cette mobilisation est que la plupart des arrêts de travail et des protestations ont été organisés par le biais d’assemblées qui ont été réalisées à travers le réseau « zoom » et rassemblant des étudiants comme des professeurs. Cependant, les rassemblements et les manifestations présentiels qui ont eu lieu en personne ont eu une très faible participation, comme celle du 25 mars qui a rassemblé environ 500 manifestants et celle du 11 mai, dans laquelle il y avait encore moins de participants. Cette grève s’est d’abord organisée en dehors du contrôle syndical, si bien que des organisations d’enseignants ont commencé à se créer, dans lesquelles ils ont défini une liste de revendications qui exprimaient leurs besoins et leur reconnaissance en tant qu’exploités : « Nous réclamons des salaires équitables pour les enseignants, un salaire complet, la restitution d’une partie du salaire non payé depuis des années, contre la précarité de l’emploi, la fixation d’un salaire minimum pour l’enseignement des diverses matières, pour la dignité du travail éducatif ».

Malgré les progrès réalisés dans leur reconnaissance en tant que travailleurs exploités, il faut souligner que ces groupes de professeurs qui ont émergé, sont restés dès le début isolés, chacun enfermé dans sa propre faculté, sans établir de relation et de connexion avec les autres facultés et écoles de l’UNAM elle-même et encore moins avec les autres universités qui présentent des problèmes identiques. Cela a été le cas lors de l’ « Assemblée générale des professeurs et assistants de l’UNAM », qui s’est tenue le 24 mars 2021, lorsqu’un professeur d’une autre université publique (UACM) a fait état de problèmes similaires subis par les travailleurs de l’éducation sur ces campus, son intervention a été interrompue par la personne faisant office de président de séance, avec l’argument : « nous devons nous limiter seulement aux problèmes dans l’UNAM, je comprends que ce problème semble être assez important ailleurs, dans l’IPN, l’UACM, l’UAM, mais maintenant nous devons nous en tenir aux questions relatives à l’UNAM ». Lorsqu’un professeur assistant a protesté contre ce type d’argumentation, la réponse a été une fois de plus confirmée de manière catégorique : « Depuis l’assemblée de samedi dernier, nous sommes d’accord sur ce point […] nous ne pouvons pas rejoindre la lutte à l’IPN […] Quiconque ne veut pas participer à l’assemblée dans ces conditions peut partir maintenant ». Les membres des divers groupements faisant partie de l’appareil de gauche ou gauchistes de la bourgeoisie qui étaient présents (trotskystes, féministes…) et d’autres, présumés “radicaux”, n’ont pas dit un seul mot et ont poursuivi imperturbablement leur participation à l’assemblée.

C’est pourquoi ces protestations n’ont pas réussi à effrayer le rectorat, qui a commencé à verser les arriérés au compte-gouttes, en les calculant de manière erronée et en maintenant les arriérés de paiement, mais aussi en ignorant les autres revendications telles que les augmentations de salaire et la fixation d’un salaire de base, en prétendant que pour ces revendications, le seul interlocuteur reconnu était le syndicat AAPAUNAM, puisqu’il était le signataire de la convention collective. Cela montre que, si les trois syndicats qui sont en train de prendre le relais de la domination sur la grève des travailleurs de l’UNAM ont fait profil bas, c’est parce qu’ils attendaient le moment le plus opportun pour se montrer et justifier leur place dans le sabotage de la grève en le rendant plus efficace dans ce partage des tâches : soit comme porte-parole directs du rectorat (l’AAPAUNAM reprenant là son rôle conciliateur traditionnel), soit comme expressions prétendument “critiques” et “alternatives”.

Profitant de l’isolement dans lequel se déroulent les discussions, l’idéologie du gauchisme (2) en profite également pour détourner les discussions hors du terrain des revendications salariales en défense de leurs conditions de vie et de travail en introduisant le slogan de la « démocratisation de l’université » ou pour demander le renvoi de certaines personnalités en haut de la hiérarchie de la structure universitaire. Même la campagne idéologique déclenchée autour du changement supposé que représente le gouvernement « 4T » (de la 4e transformation) (3) remplit son objectif d’étendre et d’approfondir la confusion. Par exemple, un groupe de professeurs a fait appel à l’État en essayant à plusieurs reprises de présenter leurs revendications lors de l’une des conférences de presse “matinales” quotidiennes du président de la nation jusqu’à ce que, le 30 mars, ils y parviennent, en recevant la réponse que c’était une question qui pouvait seulement être réglée par les autorités de l’UNAM.

Bien sûr, il s’agissait d’une mobilisation qui a surgi sur le terrain de la classe ouvrière. La mobilisation a été déclenchée par des attaques directes sur les salaires des enseignants qui les ont affectés immédiatement, et elle est importante en raison de la situation difficile pour la mobilisation imposée par la pandémie. Elle est également importante parce que c’est l’un des premiers arrêts de travail virtuels, ou peut-être un des premiers au monde. Le mouvement est resté combatif pendant quelques semaines, se concentrant sur les revendications économiques, mais a décliné progressivement en raison de son isolement. Cela a permis aux autorités de répondre par une agression directe à la fin du semestre, en licenciant des dizaines de professeurs des facultés et des écoles.

Les faiblesses du mouvement

La grève des enseignants n’a pas surmonté bon nombre des obstacles auxquels sont confrontées les mobilisations prolétariennes et a donc présenté de nombreuses faiblesses, certaines découlant des difficultés particulières de longue date du prolétariat au Mexique et d’autres causées par la situation elle-même résultant de la pandémie.

La grève a été très corporatiste, il n’y a pas eu d’unité des enseignants, il n’y a pas eu assez d’élan de solidarité pour briser les barrières administratives que la bourgeoisie impose parmi les travailleurs et pour assurer l’unité des enseignants indépendamment de leur « catégorie ». Il n’y avait pas non plus de véritable unité entre les enseignants des différents niveaux de collèges, écoles et facultés ; chaque entité avait ses propres assemblées et, par conséquent, les revendications et les actions étaient dispersées et émiettées dans d’innombrables divisions. Le mouvement n’a pas non plus cherché activement à obtenir le soutien d’enseignants d’autres établissements et encore moins d’autres types de travailleurs. S’il n’y a pas de dynamique vers l’unité et l’extension du mouvement, celui-ci s’effondrera inévitablement dans la défaite. En outre, il y avait un manque d’assemblées générales de masse et d’assemblées générales conjointes pour assurer le contrôle du développement du mouvement. Cette division se manifeste également dans les décisions relatives à la levée de la grève. Chaque unité décidant du moment où elle le ferait, accélérant la dissipation de la solidarité naissante et de l’unité prolétarienne obtenue, tout en créant une plus grande division et un ressentiment de certains travailleurs contre d’autres. Par conséquent, l’État et l’ensemble de la bourgeoisie font très attention à ce que les grèves soient menées de manière sectorielle afin d’éviter l’unité des travailleurs, qui est l’une de leurs principales forces et qui est essentielle pour obtenir des victoires significatives.

La prolongation de la grève, qui dans certaines écoles dure maintenant depuis trois mois (dans ces circonstances de manque d’unité et d’extension) a conduit à l’impuissance et à la fatigue, ce qui les a obligés à envisager la reprise du travail également de manière dispersée, dans un climat qui favorise l’entrée de la structure syndicale (qu’elle soit estampillée pro-gouvernementale, « critique » ou « indépendante ») pour consolider le contrôle et la confusion, ouvrant la porte à la répression (avec des licenciements, comme c’est déjà le cas, on l’a vu plus haut) et aux mobilisations de minorités désespérées, consommant la défaite du mouvement.

Deux leçons fondamentales sont à tirer qui proviennent déjà des grandes luttes de 1905 en Russie et dans d’autres pays comme de l’ensemble de l’expérience historique du mouvement ouvrier. (4) Ce sont les suivantes :

1) La lutte doit être menée, organisée et étendue par les travailleurs eux-mêmes, en dehors du contrôle syndical, par le biais d’assemblées générales et de comités élus et révocables à tout moment.

2) La lutte est perdue si elle reste confinée à l’entreprise, au secteur ou à la nation ; au contraire, elle doit s’étendre en brisant toutes les barrières que le capital impose et qui la lient au capital.

La voie de la lutte prolétarienne, qui commence par des revendications économiques visant à l’unité toujours plus étendue de la classe ouvrière, est la seule qui puisse conduire à une transformation politique et sociale radicale, à la communauté humaine mondiale. Nous devons continuer à avancer sur ce chemin long et difficile, mais c’est le seul qui puisse empêcher la destruction de l’humanité dont la pandémie de Covid-19 donne un signal d’alerte avant-coureur.

Revolucion Mundial, organe du CCI au Mexique (5 juin 2021)

 

1) Pour un bilan des luttes ouvrières dans le monde au plus fort de la pandémie, voir : « Covid-19 : Malgré tous les obstacles, la lutte des classes forge son futur », disponible sur le site web du CCI. 

2) Nous faisons référence aux divers groupements staliniens, anarchistes, féministes, etc. qui mettent en avant un projet bourgeois en se présentant comme défenseurs des travailleurs et qui sont largement présents dans l’UNAM. Pour comprendre les méthodes anti-ouvrières de ce type d’organisations, voir la série : « Le legs dissimulé de la gauche du capital », disponible sur le site web du CCI.

3) Programme de réformes de l’État promises par le président Lopez-Obrador

4) Voir « Il y a 100 ans, la révolution de 1905 en Russie (III) - Le surgissement des soviets ouvre une nouvelle période historique », Revue internationale n° 123.

 

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  • Mexique [83]

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Luttes de classe

À propos du livre "Flic, un journaliste a infiltré la police" de Valentin Gendrot: Les violences policières sont celles de l’État bourgeois!

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À la rentrée 2020, alors que les manifestations contre les violences policières se multipliaient à travers le monde, à la suite de plusieurs meurtres ignobles de Noirs et de violences racistes, sortait un ouvrage qui a fait l’événement : Flic : Un journaliste a infiltré la police.

Le poids des idéologies d’extrême droite dans la police

Au fil des chapitres, Valentin Gendrot, journaliste d’investigation, y narre son parcours en tant qu’adjoint de sécurité au sein de la Police nationale : sa formation express de trois mois, son passage à la controversée Infirmerie psychiatrique de la Préfecture de Police de Paris, puis son infiltration glaçante dans le commissariat du 19e arrondissement. L’auteur livre un témoignage saisissant sur le quotidien des forces de l’ordre, tant sur leur « mal-être » palpable, conduisant de nombreux policiers à se donner la mort, que sur l’ambiance particulièrement brutale et glauque des commissariats.

Mais ce qui frappe le plus, à chaque étape de son récit, c’est la banalisation écœurante du racisme dans les rangs de la police, tant dans les propos orduriers et quotidiens qu’à travers les actes parfois odieux de policiers dont certains n’hésitent pas à tabasser les « petits bâtards » (c’est-à-dire, les immigrés) ou à couvrir de façon totalement éhontée les actes écœurants de leurs collègues. Les scènes de passage à tabac et d’humiliation sont, en effet, insoutenables. Comment ne pas être sidéré par le niveau effarant de bêtise et de méchanceté de certains flics ?

Si l’auteur adopte toutes sortes de précautions rhétoriques, ne voulant pas généraliser son expérience, il constate tout de même, sur la base de travaux de sociologues et d’enquêtes de journalistes, que « la démarche la plus prudente aboutit à cette constatation : 85 % des morts suite à une situation impliquant des gendarmes et/ou des policiers (sans que l’on puisse dire s’il s’agit de bavures ou non) sont des personnes issues de minorités visibles ».

Les innombrables bavures visant systématiquement des Noirs ou des Maghrébins (issus des classes populaires, le plus souvent), les témoignages poignants de familles des « cités », victimes du comportement de petits voyous des forces de l’ordre ou la brutalité inhumaine à l’égard des migrants, laissaient déjà peu de doute sur les « motivations » de nombreux flics : casser du « petit bâtard » ! En janvier 2020, le livreur Cédric Chouviat trouvait ainsi la mort à Paris étouffé par des policiers. En décembre de la même année, d’autres libéraient leur hargne raciste sur le Martiniquais Michel Zecler. En 2017, le jeune Théo était également sauvagement agressé et mutilé lors d’une interpellation. En 2016, Adama Traoré décédait sous les coups de la police. Et tout cela n’est qu’un panel des affaires les plus médiatisées ! Combien de bavures passées sous silence ? Combien d’agressions transformées en actes de « légitime défense » de policiers « victimes » de prétendus voyous ?

La police républicaine contre la classe ouvrière

Si l’ouvrage de Valentin Gendrot dénonce de façon saisissante la réalité du racisme dans la police, l’auteur a aussi médiatiquement contribué à alimenter le mensonge d’une « police démocratique », « au service du peuple ». Il s’emploie ainsi à démontrer que la formation des flics est trop courte, trop sommaire, que le contrôle hiérarchique est défaillant, que les moyens matériels et humains sont insuffisants. Il suffirait finalement de mettre un peu d’ordre dans ce capharnaüm.

Son récit et ses analyses passent ainsi totalement à côté de la nature politique de ce « détachement spécial d’hommes en arme ». (1) Pourtant, ce qui caractérise les « bavures » à l’égard des « minorités visibles », c’est qu’elles touchent presque systématiquement des personnes issues de la classe ouvrière ou des couches populaires. La police est toujours très prévenante avec les puissants et leurs intérêts, qu’importe la couleur de leur peau. Car la violence policière est en réalité celle de l’État bourgeois, un État qui impose l’ordre capitaliste derrière le masque hypocrite de la démocratie. S’il y a tant de sympathie pour l’extrême droite dans la police, c’est que la bourgeoisie, face au renforcement des contradictions du capitalisme et de la crise, a besoin d’une force idéologiquement fiable et moralement abrutie, moins susceptible d’être retournée par la classe ouvrière et prête à obéir aux ordres les plus barbares.

Sous un apparent discours « humaniste », que signifie une police mieux formée et mieux équipée ? Rien d’autre que plus de répression ! Car l’État et sa police (comme ses magistrats, ses partis de gauche et ses syndicats) sont le produit des antagonismes de classes inconciliables et l’instrument de l’exploitation des opprimés au service exclusif de la bourgeoisie : « Pour que les antagonistes, les classes aux intérêts économiques opposés, ne se consument pas en une lutte stérile, le besoin s’impose d’un pouvoir qui, placé en apparence au-dessus de la société, doit estomper le conflit, le maintenir dans les limites de l’ “ordre” ; et ce pouvoir, né de la société mais qui se place au-dessus d’elle et lui devient de plus en plus étranger, c’est l’État ». (2) Mais « ce pouvoir, en quoi consiste-t-il principalement ? En des détachements spéciaux d’hommes armés, disposant de prisons, etc. […] L’armée permanente et la police sont les principaux instruments de la force du pouvoir d’État ». (3)

Les violences policières ne sont ni un accident de l’Histoire, ni de simples dérapages d’une minorité de flics racistes. Elle est au contraire l’expression de la nature oppressive de l’État. D’ailleurs, compte tenu de l’exacerbation des violences de toutes sortes générées par la phase de décomposition, la brutalité des forces de répression ne fait que s’accentuer sans que celles-ci soient en mesure de les contrecarrer. Bien au contraire ! La répression de plus en plus féroce de la police ne faisant qu’accentuer la tendance au chaos social.

Mais surtout, la bourgeoisie a toujours été d’une férocité sans limites face à toute remise en cause de son ordre social, comme lorsqu’elle déchaînait, il y a 150 ans, ses armées versaillaises contre la Commune de Paris, sur les pavés-même où elle matraque aujourd’hui la classe ouvrière et les « petits bâtards » ! Le même « ordre démocratique » fut invoqué lors de la répression de la semaine sanglante de Berlin en 1919, comme au moment de la répression implacable des grèves et des émeutes de 1947 en France.

La « police de la République » n’a d’ailleurs jamais hésité à faire appel à la racaille d’extrême droite pour mater des manifestants indociles. L’État a toujours encouragé en sous-main l’action de ces groupes qui forment régulièrement une force d’appoint dans la répression des mouvements sociaux. En 1968, par exemple, la police avait laissé les gros bras du groupe néofasciste Occident semer la terreur dans le Quartier latin. C’est dans ce même quartier, en 2006, que la police, assiégeant la Sorbonne, avait laissé passer une horde d’extrême droite pour malmener les étudiants en lutte contre le « Contrat Première Embauche » (CPE). On peut encore citer, parmi d’innombrables exemples, l’évacuation musclée de la faculté de Montpellier, en mars 2018, par des nervis armés de bâtons que la police avait alors raccompagné aimablement à l’extérieur des bâtiments sans les interpeller, ni même s’inquiéter de leur identité.

Parce que Valentin Gendrot est incapable de comprendre la nature historique de la violence policière, son ouvrage passe totalement sous silence la répression de la classe ouvrière en général, une violence pourtant massive et visible aux yeux de tous. Il contribue ainsi à rabattre l’indignation légitime face aux violences racistes de la police sur le terrain du droit bourgeois et des luttes parcellaires.

EG, 18 août 2021

 

1) Lénine, L’État et la révolution (1917).

2) Engels, L’origine de la famille, de la propriété et de l’État (1884).

3) Lénine, L’État et la révolution (1917).

 

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Qu'est-ce que la police?

Quelle méthode pour comprendre la nature d’un groupe se réclamant de la Gauche communiste?

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Nous publions ici un courrier d’un proche sympathisant qui exprime sa solidarité avec la lutte du CCI contre le parasitisme et l’aventurisme et pour la défense de la Gauche communiste. Le plus important dans cette lettre est qu’elle indique la méthode matérialiste historique pour aborder les questions de comportement, de calomnies et de manœuvres, qui font tant de mal au milieu politique prolétarien.


En tirant les leçons de l’histoire de la lutte du mouvement ouvrier, le CCI a pu systématiser la manière de distinguer la vraie Gauche communiste de la fausse « Gauche communiste », qui est essentiellement composée de groupes parasites et d’éléments aventuriers.

Contrairement à d’autres questions, ce n’est pas quelque chose qui peut être résolu par simple intuition, par le bon sens ou comme une affaire privée, ou en se laissant contaminer naïvement par l’idéologie bourgeoise ambiante. La Gauche communiste doit retrouver, maintenir et développer la continuité historique et l’expérience d’un comportement communiste cohérent, d’une cohérence communiste dans les relations entre militants et avec l’organisation dans son ensemble. Ceci afin de pouvoir s’armer pour combattre les dangers de la duplicité, ainsi que les dangers plus indirects et moins apparents pour l’organisation de l’avant-garde politique de la classe ouvrière. Des dangers qui, avec l’avancée de la décomposition du capitalisme, deviennent de plus en plus aigus.

Un principe de la méthode de pensée au cœur de la méthode marxiste est que, pour citer Marx : « on ne juge pas un individu par ce qu’il pense de lui-même ». (1) « Dans la vie courante, n’importe quel boutiquier sait fort bien faire la distinction entre ce que chacun prétend être et ce qu’il est réellement ; mais notre histoire n’en est pas encore réduite à cette connaissance vulgaire ». (2) C’est-à-dire que nous ne pouvons pas faire confiance à quelqu’un, ou à un groupe, simplement en raison de ce qu’il prétend être (c’est-à-dire qu’il fait partie de la Gauche communiste). Les marxistes ne peuvent pas s’appuyer sur cette méthode, typique de la bourgeoisie, qui attend de la classe ouvrière qu’elle croie mot pour mot les promesses et les apparences qu’on lui présente, en se laissant prendre aux pièges de l’idéalisme.

Pour les marxistes, au contraire, « cette conscience doit être expliquée à partir des contradictions de la vie matérielle, du conflit existant entre les forces sociales de production et les rapports de production ». (3) En d’autres termes, seule une méthode de pensée historique et matérialiste peut dépasser et surmonter ce stade des apparences.

Nous devons donc nous poser les questions suivantes : d’où vient la pratique d’un groupe ou d’un individu ? Quels sont les origines et le développement de ce comportement dans l’histoire ? Sous l’influence de quelle tendance sociale et de quelle classe est-elle historiquement apparue ? Nous devons discuter des leçons et des expériences passées du mouvement ouvrier dans de telles situations, lorsque nous voyons des comportements, tels que des accusations et calomnies de lutter pour le pouvoir, des dénigrements, des ambiguïtés, la recherche d’alliances, des appels à l’aide, le fait de se présenter comme victime d’abus, etc. Si l’on reste à la surface d’une situation où le Groupe International de la Gauche communiste (GIGC) accuse le CCI d’employer des méthodes staliniennes, et où le CCI dénonce une tentative de détruire la Gauche communiste de la part du GIGC (et qu’à ce propos, le GIGC lance aussi une accusation similaire !). Si on la regarde en face, la question ressemble à un casse-tête et à un imbroglio procédurier, à peine digne d’un tribunal bourgeois. Cela ne profite qu’aux parasites, aux aventuriers et à tout le milieu de la fausse « Gauche communiste » qui reproduit l’idéologie bourgeoise des apparences !

Pour empêcher l’imaginaire dévoyé et l’affinitarisme de dominer la réalité, il faut procéder tout autrement :

– en s’appropriant l’expérience de la classe ouvrière dans des situations historiques similaires. Par exemple, dans la lutte de la Première Internationale contre la soi-disant « Alliance internationale de la démocratie socialiste » (Alliance de Bakounine) ou dans la lutte contre les personnalités de Lassalle ou Schweitzer, pour comprendre le comportement de ces groupes et éléments et à quoi ils correspondent.

– Procéder à une enquête approfondie pour distinguer la réalité historique des événements du passé et rétablir la vérité des faits dans la Gauche communiste, sur la base des leçons que chaque organisation révolutionnaire du milieu peut en tirer. Le fait que toute la Gauche communiste se batte pour cela est la force qui empêche la vérité des faits de se perdre comme Trotsky disparaissant de la révolution prolétarienne dans l’historiographie stalinienne.

– Analyser la pratique historique de ceux qui se réclament de la Gauche communiste, sa réputation et ses origines, en ne regardant pas chaque petite dispute ou désaccord de manière immédiatiste, où les textes produits sont analysés dans l’abstrait, ou à travers l’utilisation de témoignages dans lesquels le seul objectif serait finalement de désigner un coupable pour le moindre litige.

La plus grande difficulté pour démasquer le parasitisme est que certaines de ses actions les plus puissantes sont :

– Attaquer et accuser dans l’esprit de sa propre logique. Par exemple, lorsque l’Alliance de Bakounine a échoué dans sa lutte pour le pouvoir au sein de la Première Internationale, elle a projeté sa propre logique sur une Internationale supposée autoritaire et dictatoriale. Ainsi, les parasites du GIGC disent aussi, bien qu’ils aient rejeté la théorie du parasitisme comme un supposé « poison pour la Gauche communiste » que « le CCI lance maintenant une véritable attaque parasitaire (pour utiliser ses propres mots) sur ces forces, en particulier sur la Fraction communiste de la côte du Golfe, en essayant de les convaincre de discuter du parasitisme en priorité ». De plus, le CCI aurait un soi-disant allié « satellite du parasitisme, Internationalist Voice ». Et, pour couronner le tout, « si la notion de parasitisme avait une quelconque valeur politique, alors le CCI du 21e siècle, et particulièrement d’aujourd’hui, en serait l’expression et l’incarnation la plus dangereuse ». (4) Bref, pour le GIGC, la notion de parasitisme n’a aucune valeur politique et n’est qu’un poison pour la Gauche communiste, mais en même temps le CCI est présenté comme le parasite le plus dangereux.

– Le camouflage constant dans l’ambiguïté, la confusion, où tous les acteurs semblent tourner le même film.

– Le réveil des fantômes du passé : exploiter misérablement les traumatismes de la contre-révolution stalinienne de manière sentimentale.

L’histoire du GIGC, tout comme celle de Nuevo Curso et de l’aventurier Gaizka, est rangée dans un endroit que « personne n’a besoin de connaître » et qui « n’est pas trop important », elle n’a pas besoin d’être clarifiée ou débattue. Nous devrions faire aveuglément confiance à ce qu’ils disent. Le cas du blog Nuevo Curso, qui prend la forme d’un journal bourgeois, est particulièrement illustratif : il a connu tant de changements d’image que sans le suivi de son évolution par le CCI, sa véritable histoire trouble semblerait inaccessible (nous ne parlons pas ici de l’histoire créée après coup). Que dire de l’aventurier Gaizka, qui est revenu à une réunion publique du CCI à Madrid comme si ses relations et son comportement aventuristes n’avaient pas été découverts dans le passé par le CCI. Gaizka connaît vraiment son passé, il ne l’a pas oublié, et il n’a aucun intérêt à l’exposer : il ne peut pas le nettoyer, car les mêmes méthodes qu’il a toujours utilisée lui servent encore dans le présent.

Le GIGC fuit à tout prix les « divergences fondamentales » qui l’ont fait s’ériger en fausse fraction (nous ne parlons pas ici non plus des « divergences » dont il se serait rendu compte après coup).

Conformément à ce qui a été dit plus haut sur la méthode historique, nous devons nous armer de la nécessité de principes éthiques et des principes d’organisation prolétariens, qui vont au-delà des principes politiques abstraits qui peuvent facilement devenir de simples apparences. Nous devons trouver cette éthique dans l’histoire de notre classe et nous l’approprier afin de lutter contre l’ambiguïté et la duplicité. Nous devons lutter contre la superficialité des évidences, mais partir du fait indéniable que les nouveaux éléments qui s’approchent des positions de la Gauche communiste ne distinguent pas très bien les divergences de fond entre différents groupes et peuvent percevoir la même odeur de pourriture de la politique bourgeoise (ce qui s’est produit lors de la démoralisation des membres du Nucleo Comunista Internacional en 2005, par exemple). La fonction de la fausse « Gauche communiste » pour le capitalisme est qu’ici aussi, il n’y a pas de distinction claire d’un point de vue de la morale prolétarienne entre le bon, le mauvais et le déloyal.

En ce qui concerne l’éthique prolétarienne, nous avons également une série de faits qui, dans l’ensemble de son histoire, caractérisent le GIGC comme un groupe totalement étranger à la classe ouvrière. Certains de ces comportements, qui sont des faits :

Lorsqu’ils étaient une « organisation dans l’organisation » :

– le refus de payer les cotisations ;

– le refus de défendre leur comportement lorsqu’il était critiqué ;

– la tenue de réunions secrètes.

Avant et après leur exclusion, ils se comportaient comme des mouchards :

– à l’intérieur, ils faisaient circuler des rumeurs selon lesquelles un camarade était un agent infiltré de la police.

Après leur exclusion, ils ont indirectement laissé entendre qu’il y avait une taupe au sein du CCI, car des informations internes au CCI leur sont parvenues comme par magie (ils n’ont jamais dit comment), qu’ils ont rendues publiques, y compris des relations familiales entre militants et les véritables initiales de certains militants :

– ils ont rendu publique la date d’une conférence du CCI au Mexique ;

– ils ont fait circuler de fausses rumeurs ou des informations non pertinentes telles que « le CCI loue une chambre de luxe » qui ne peut avoir pour but que d’attaquer le CCI en disant « regardez, le CCI est riche et dilapide l’argent des militants » ;

– ils ont volé des documents ;

– ils ont parlé de Marc Chirik comme s’il était un gourou ou un roi avec des « héritiers » ;

– ils ont proclamé qu’un individu particulier dirigeait en sous-main le CCI ;

– ils ont dit que la tradition de la Gauche communiste de rechercher la vérité des faits ne fait que « répandre la méfiance » ;

– ils ont eu une attitude de chercher à fourguer en douce leur camelote et de recourir à l’intimidation : pendant un temps, ils se sont obstinés à envoyer leur bulletin malgré les protestations, tant à des militants du CCI qu’aux contacts dont ils avaient volé l’adresse. À quoi cela leur servait-il ? Entre autres, à faire fuir les contacts loin de cette atmosphère putride et intimidante.

– ils ont inventé des mensonges ridicules, par exemple, celui que le CCI « cherche à cacher ses problèmes internes ». Alors qu’il est clair que c’est la seule organisation qui tire actuellement ouvertement les leçons de ces problèmes.

La solution aux graves problèmes auxquels est confrontée la Gauche communiste, aggravés par le manque de clarté face au parasitisme et à l’aventurisme, ne peut être de cacher le linge sale sous le lit, de creuser une tombe pour le passé, mais de comprendre pourquoi la saleté s’était introduite et d’aérer les lieux par un débat sur les principes éthiques prolétariens, de nettoyer la vérité pour la débarrasser de la boue qui la recouvre. Non pas en oubliant, mais en développant des leçons claires pour la lutte. Les falsifications et l’ambiguïté sur l’histoire commencent par une première étape consistant à cacher le linge sale comme s’il s’agissait d’une chose dont on doit avoir honte (l’autre côté de la logique de la honte serait de présenter les erreurs comme si elles étaient une gêne… et ainsi entrer dans le cercle vicieux de sentiments étrangers à l’éthique prolétarienne : la honte, l’envie et la vengeance).

Cette attitude opportuniste a été démontrée par la TCI, (5) une organisation de la vraie Gauche communiste, qui risque d’entraîner progressivement la Gauche communiste sur un terrain où il est difficile de distinguer la confusion et les erreurs réelles des actes délibérés de confusionnisme dans lesquels prolifèrent des éléments et des groupes aux intérêts étrangers à la classe ouvrière. Par exemple, si la TCI ne lutte pas clairement pour la vérité des faits, des éléments étrangers à la classe peuvent s’avancer sur un terrain peu clair et où il ne serait pas nécessaire de clarifier de telles choses.

Par cette lettre, je veux exprimer ma solidarité avec le combat du CCI et sa lutte pour la vérité des faits, la clarté de la tradition de la Gauche communiste et l’éthique prolétarienne. Je le fais en réponse aux deux derniers textes que vous m’avez envoyés pour discussion.

Fraternellement,

Teivos, 10 avril 2021

 

1) Marx, Préface à Une Contribution à la critique de l’économie politique.

2) Marx, L’Idéologie allemande.

3) Marx, Préface à Une Contribution à la critique de l’économie politique.

4) « Bilan et perspectives du 23e Congrès du CCI : introduire le poison de la théorie opportuniste et destructrice du parasitisme parmi les nouvelles forces révolutionnaires » (texte du GIGC de juillet 2019).

5) « La vérité est révolutionnaire – Pour une histoire factuelle de la Gauche communiste » (Correspondance avec la TCI).

Courants politiques: 

  • Aventurisme, parasitisme politiques [84]
  • FICCI - GIGC/IGCL [85]

Rubrique: 

Courriers des lecteurs

Face à la décomposition capitaliste, la bourgeoisie garde-t-elle le contrôle sur la classe ouvrière?

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Nous publions ci-dessous de larges extraits d’un courrier adressé par un de nos lecteurs ainsi que notre réponse.

 

Chers Camarades,

[…] Je voudrais aborder un point de l’intervention du camarade F. quand il répondait à P. […]. Il s’agit de la perte de contrôle de la bourgeoisie analysée en tant que telle suite à la montée du populisme (si j’ai bien compris).

Même si je suis d’accord avec le fait que ce soit « l’exacerbation des autres phénomènes caractérisant la décomposition, tels le terrorisme, le chacun pour soi, [qui] attise les flammes et stimule l’extension populiste à tous les aspects de la société capitaliste ». (extrait du Rapport sur l’impact de la décomposition sur la vie politique de la bourgeoisie de 2019), et qui entraînerait cette perte de contrôle, peut-on malgré tout, parler de perte de contrôle politique en tant que telle, sachant que :

– le contrôle politique englobe, je crois, tous les aspects de la vie politique dont le contrôle de la bourgeoisie sur le prolétariat

– or dans le contexte actuel que nous connaissons, le prolétariat n’exerce pour l’instant pas de rapport de force significatif sur la bourgeoisie, ce qui laisse donc supposer un contrôle conséquent de celle-ci sur son ennemi de classe.

S’il y a bien un contrôle que la bourgeoisie tient absolument à ne pas perdre, c’est bien celui sur son ennemi de classe juré qu’est le prolétariat. Et ceci, je crois, sera à n’importe quel prix et le sera de plus en plus, au fur et à mesure de l’aggravation de la décomposition et aux dépens de tout le reste dont elle a certainement (je suis d’accord) déjà perdu le contrôle.

D’ailleurs je crois que le contrôle sur le prolétariat n’est pas évoqué dans le texte cité plus haut.

Et je complète mon intervention et évoquant les deux extraits ci-dessous du « Rapport sur la pandémie Covid-19 et la période de décomposition capitaliste » : « l’ineptie de la réponse de la classe dominante à la crise sanitaire a révélé la tendance croissante à la perte de contrôle politique de la bourgeoisie et de son État sur la société au sein de chaque nation » […] « Le confinement de masse décrété par les États impérialistes s’accompagne certes aujourd’hui de la présence accrue de la militarisation dans la vie quotidienne et de son utilisation pour lancer des exhortations guerrières. Mais l’immobilisation forcée de la population est motivée dans une large mesure par la crainte ressentie par l’État face à la menace de désordre social à une époque où la classe ouvrière, bien que tranquille, reste invaincue ».

Il me semble que le premier passage de ce deuxième texte (qui je crois, évoque lui aussi la perte de contrôle de la bourgeoisie comme dans le passage du premier texte cité plus haut), soit contradictoire avec ce deuxième passage qui montre que malgré « la crainte ressentie par l’État », celui-ci contrôle encore le prolétariat par « l’immobilisation forcée de la population » (entre autres).

Ce qui en conclusion, me fait de nouveau revenir sur le fait que (oui je suis d’accord), la bourgeoisie perd le contrôle politique sauf celui sur le prolétariat qui est encore une fois je crois, aussi un des aspects de la vie politique. […].

L



Réponse du CCI

La question que soulève le courrier du camarade pose le problème suivant : il y aurait une contradiction dans notre démarche entre le fait d’affirmer d’un côté qu’il existe une « tendance à la perte de contrôle sur la société » et de l’autre dire que « le confinement de masse décrété par les États impérialistes s’accompagne certes aujourd’hui de la présence accrue de la militarisation dans la vie quotidienne et de son utilisation pour lancer des exhortations guerrières. Mais l’immobilisation forcée de la population est motivée dans une large mesure par la crainte ressentie par l’État face à la menace de désordre social à une époque où la classe ouvrière, bien que tranquille, reste invaincue ». En fin de compte, pour le camarade, « la bourgeoisie perd le contrôle politique sauf celui sur le prolétariat qui est encore une fois je crois, aussi un des aspects de la vie politique ».

En premier lieu, il convient de souligner que nous parlons d’une tendance croissante et non d’une perte absolue de contrôle de la part de la bourgeoisie sur la société. Cette tendance s’est, de notre point de vue, accentuée avec l’accélération des effets du poids de la décomposition depuis les débuts de la pandémie. Toute cette analyse, le camarade la partage. Le fond du problème serait que cette tendance à la perte de contrôle est certes observable, « sauf sur le prolétariat ». Bien que cela puisse paraître paradoxal, nous partageons en réalité pleinement cette idée qui, de notre point de vue, n’est pas en contradiction avec le fait d’affirmer que le processus affecte l’ensemble de la société.

En effet, notre démarche part de la caractérisation du prolétariat comme étant la seule classe, au sein de la société capitaliste, étant à la fois exploitée et révolutionnaire. Dans le rapport capital/travail, le prolétariat est non seulement dépossédé et séparé des moyens de production, mais il est aussi de ce fait totalement étranger lui-même au travail et à ce qu’il produit. Il doit affirmer son existence propre comme classe révolutionnaire par sa conscience politique et sa capacité d’organisation. Deux exigences du combat prolétarien qui s’opposent radicalement au mode de production capitaliste, c’est-à-dire à la fois aux rapports de production et aux superstructures idéologiques. C’est pourquoi Marx a mis en évidence que la classe ouvrière est une “classe étrangère” à l’intérieur de la société capitaliste. Mais par sa condition forcée et sa vie de forçat la classe ouvrière « se sent anéantie dans cette aliénation, y voit son impuissance et la réalité d’une existence inhumaine ». (1) Nous pouvons donc dire que la bourgeoisie tend bien d’un côté à perdre le contrôle sur la société en décomposition et en même temps, qu’elle garde aujourd’hui toute sa maîtrise sur le prolétariat, sans que cela puisse être contradictoire.

De ce fait, la bourgeoise ne peut qu’exercer sa domination et par là même avoir un contrôle en permanence sur la classe ouvrière, son véritable ennemi historique. Seule une situation révolutionnaire planétaire pourrait modifier une telle donne et aboutir, dans ces conditions, à une tendance à la perte de contrôle sur le prolétariat. Lors de la vague révolutionnaire de 1917-1923, on peut dire que la bourgeoisie tendait à perdre le contrôle de sa domination sur la classe ouvrière. Cela ne s’est jamais traduit de manière absolue, même en Russie finalement, puisque si les ouvriers avaient pu prendre les rênes du pouvoir et exercer leur dictature politique dans ce pays, leur avenir politique restait suspendu au rapport de force mondial entre les classes. La bourgeoisie mondiale a fini par s’imposer victorieusement avec la contre-révolution stalinienne. Même dans les débuts de l’effervescence révolutionnaire en Allemagne, de 1917 à 1923, la bourgeoisie n’a jamais perdu totalement son contrôle sur la classe exploitée. Grâce aux sociaux-démocrates transformés en « chiens sanglants » et aux syndicats, devenus des gardes chiourmes au service de l’État, remparts ultimes du capital, elle avait pu casser les reins du prolétariat et le noyer dans le sang dès la Commune de Berlin en janvier 1919, assurant pour la suite la pérennité de sa domination brutale.

Aujourd’hui, a fortiori dans un contexte de décomposition de la société bourgeoise et de recul de la conscience ouvrière, le prolétariat éprouve toutes les difficultés pour mener son combat, restant largement isolé et dispersé, peu confiant en ses propres forces, oubliant même sa mémoire et son identité de classe. Il se trouve donc d’autant plus oppressé par l’ordre bourgeois dont le contrôle est relayé par des organes étatiques puissants, comme les syndicats, les gauchistes ou autres partis politiques, piliers de l’ordre capitaliste. Toutes ces forces politiques l’encadrent de manière très efficace à la fois par les discours idéologiques, la propagande et par une présence physique quotidienne sur le terrain, monopolisant globalement tout l’espace public pour lui faire obstacle et saboter son combat de classe. Nous sommes donc d’accord sur ce plan avec le camarade, la bourgeoisie, en effet, ne perd pas le contrôle sur son ennemi mortel et veille sur lui comme du lait sur le feu. Nous l’avons d’ailleurs bien vu au moment de la lutte contre la réforme des retraites de l’hiver 2019-2020, jamais les syndicats n’ont été pris en défaut et ont toujours su garder un contrôle de A à Z sur le mouvement, même s’ils ont dû s’adapter en même temps pour faire face à une forte combativité qui s’est étalée dans le temps.

En revanche, sur les autres composantes de la société capitaliste, la situation est toute autre et la situation se complique davantage. Sur ce plan, le camarade est complètement d’accord. Au niveau économique, par exemple, alors qu’avec la réalité concurrentielle de la mondialisation la bourgeoisie avait pu développer ses capacités de coopération pour faire face à la crise, aujourd’hui, le chacun pour soi prend clairement le dessus et chaque État s’enferme sur ses propres initiatives, de manière plus unilatérale que par le passé, afin de défendre quasi seul ses intérêts nationaux vitaux. Cela s’est traduit de manière caricaturale, par exemple, lors de la pitoyable « guerre des masques » et des « vaccins », traduisant une sorte de panique et de « sauve qui peut ». On peut donc dire que cela a bien exprimé une tendance à la perte de contrôle.

La bourgeoisie n’a pas de prise sur les effets de la décomposition : elle peut certes les utiliser, mais absolument pas les contrôler. Des phénomènes comme ceux de la violence croissante au sein de la société ne peuvent être éradiqués, de même que la tendance à ne pouvoir contrôler son jeu politique du fait du chacun pour soi qui tend de plus en plus à prendre le pas sur le sens des responsabilités et de l’État. Cela ne signifie pas pour autant que la bourgeoisie ne puisse plus agir sur le plan politique, ni gouverner, que tout lui échappe, mais seulement qu’elle a de plus en plus de mal et de difficultés à contrôler son jeu politique, à faire face aux luttes de fractions et aux querelles d’égos croissantes, à éviter l’instabilité, la fragilisation et les contradictions qui favorisent de nouvelles difficultés ou crises politiques.

La bourgeoisie sait bien qu’elle va devoir porter des attaques de plus en plus dures, que la paupérisation va s’accroître et que le prolétariat va forcément devoir résister par ses luttes. La maturation politique qui s’opère dans les entrailles du prolétariat, la colère, les forces centrifuges qui animent le corps social, les forces destructrices de la société capitaliste qui agissent telle une boite de Pandore, tout cela va pousser la bourgeoisie à renforcer son obsession du « maintien de l’ordre ». Mais tant que le prolétariat ne sera pas en position d’affirmer ouvertement sa perspective révolutionnaire et n’aura pas renversé la classe dominante, il sera en effet sous le joug implacable de la dictature du capital.

WH, 7 juillet 2021

 

1) Marx, Engels, La sainte famille (1845).

Vie du CCI: 

  • Courrier des lecteurs [66]

Questions théoriques: 

  • Décomposition [86]

Rubrique: 

Courriers des lecteurs

Les caractéristiques historiques de la lutte des classes en France (partie 1)

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Le mouvement de lutte contre la réforme des retraites en France durant l’hiver 2019-2020 a vu le prolétariat de nouveau relever la tête avec dignité. Durant le mois de juillet 2018, alors que la grève à la SNCF polarisait l’attention des médias, des statistiques soulignaient que la France demeurait la « championne du monde de la grève ». (1) Tout ceci n’est pas le fruit du hasard. Le prolétariat en France conserve en Europe et dans le monde une réputation de combattant qui reste gravée dans la mémoire collective, en particulier depuis les événements de Mai 1968. Mais suite à l’effondrement du bloc de l’est et à la propagande sur la prétendue « mort du communisme », les mensonges sur la « disparition du prolétariat », l’expérience et la tradition du mouvement ouvrier ont systématiquement été attaquées par l’idéologie bourgeoise dominante. L’expérience historique des luttes en France, en apparence singulière, reste donc un des enjeux importants pour permettre au prolétariat de renouer avec son passé et son identité de classe sociale révolutionnaire. En permettant de mieux comprendre le singulier climat social en France, souvent révélateur du rapport de force qui existe au niveau international entre la bourgeoise et prolétariat, il s’agit de s’approprier de manière consciente l’esprit de combat des générations d’ouvriers qui ont préparé la voie de la révolution par des combats souvent héroïques.

Bien qu’à des époques historiques totalement différentes, la bourgeoisie en Europe aura été traumatisée par au moins deux événements majeurs de l’histoire du mouvement ouvrier en France : la Commune de Paris en 1871 et Mai 1968. Si aujourd’hui le monde a souvent les yeux fixés sur la situation sociale en France, c’est certes en lien avec le passé de la Commune et le souvenir des barricades, mais aussi et surtout, de l’impact des événements massifs et spectaculaires de Mai 1968. (2) Indéniablement, le prolétariat en France a joué un rôle politique très important sur un plan historique. Le souvenir de Mai 68, notamment, crispe toujours la bourgeoisie, particulièrement en France, comme le reconnaissait ouvertement l’ex-président Sarkozy qui ne cessait de dire qu’il fallait « en finir avec l’esprit de mai 1968 ».

Mai 1968 en France : le réveil du prolétariat mondial

Avec l’échec de la vague révolutionnaire internationale débutée en 1917, son isolement tragique donnant suite à un processus de dégénérescence, la Russie bolchevique devenait le symbole d’une terrible répression. La classe ouvrière s’étouffait dans une défaite sanglante signant le triomphe de la contre-révolution et du stalinisme au niveau international. Battue physiquement et embrigadée plus tard dans la Seconde Guerre mondiale, la classe ouvrière se retrouvait plongée dans une « longue nuit », écrasée sous le joug de la réaction. Un cauchemar qui allait durer près d’une cinquantaine d’années. Ce n’est qu’à la fin des années soixante que le prolétariat allait enfin retrouver le chemin de ses luttes, son « réveil » se manifestant partout dans les grands foyers industriels du monde et notamment dans les vieux pays de l’Europe occidentale. C’est en France que ses luttes furent les plus spectaculaires et les plus impressionnantes. La classe ouvrière allait se propulser ainsi aux avants postes de cette sortie de la contre-révolution par une explosion spontanée de colère, de contestations et de grèves, par des manifestations massives. Un épisode ouvrant la voie à l’émergence de multiples mouvements de grèves et de luttes dans le monde, s’insérant dans la même dynamique et ayant la même signification politique de fond. Ce mouvement en France allait devenir la plus grande grève de l’histoire : « Le 22 mai, il y a 8 millions de travailleurs en grève illimitée. C’est la plus grande grève de l’histoire du mouvement ouvrier international. Elle est beaucoup plus massive que les deux références précédentes : la “grève générale” de mai 1926 en Grande-Bretagne (qui a duré une semaine) et les grèves de mai-juin 1936 en France ». (3) L’émergence de minorités en recherche des positions de classe, cherchant à renouer de manière consciente avec l’expérience révolutionnaire du passé, afin de lutter de manière organisée, allaient former un milieu politique, favorisant un contexte de regroupement international. Du fait de l’inexpérience de ces minorités et de leurs faiblesses, de la rupture de la continuité avec les pratiques politiques et organisationnelles des organisations du passé, qui avaient été largement décimées ou avait trahies du fait de la profonde défaite des années 1920, ces nouvelles minorités allaient tenter de se réapproprier les positions de classe oubliées, enfouies sous les décombres de la contre-révolution. Un chemin difficile, semé d’embûches, pour mener vers une réappropriation et clarification sur les bases d’une filiation politique qui avait été maintenue par d’infimes minorités révolutionnaires durant les années 1930, qui avaient su se regrouper et résister en menant un travail de fraction, c’est-à-dire de lutte au sein du cadre de la IIIe Internationale, par un travail critique et d’élaboration théorique. Elles seules ont été capables de tirer les leçons de la défaite et mener une activité politique jusqu’au resurgissement des luttes à la fin des années 1960. Ainsi, la Gauche communiste (4) allait pouvoir transmettre un riche bagage politique à ceux qui allaient se confronter et se regrouper dans de nouvelles forces politiques. C’est aussi sur ces bases et dans la continuité de la Gauche Communiste de France et du groupe Internationalisme, lui-même en continuité avec la Gauche italienne et Bilan, juste après la guerre, animé par notre camarade Marc Chirik, qu’une dynamique allait faire fructifier l’expérience la plus riche et rigoureuse dans le sillage de Mai 1968. Ceci allait permettre, entre autres, la création en France du groupe Révolution internationale en 1972, puis en 1975, la création du Courant communiste international. Ainsi, Mai 1968 allait prendre de l’importance à deux niveaux :

– en renouant et reliant le nouveau milieu révolutionnaire émergent au fil historique de la Gauche communiste, à ses apports politiques, à la rigueur et à l’intransigeance de sa méthode : deux des trois conférences internationales de la Gauche communiste, dans les années 1980, se tenant par la suite à Paris (la première à Milan en 1976) allaient, malgré leur échec pour mener plus loin la clarification, permettre une décantation politique et tirer des leçons politiques importantes ; (5)

– en réveillant le géant prolétarien, ce qui fût le point de départ de toute une expérience au travers de vagues de luttes internationales qui se poursuivirent dans les années 1980, ponctuées par la grève de masse en Pologne, jusqu’à l’effondrement du bloc de l’Est.

Mai 68 montrait l’importance de la massivité du prolétariat pour la lutte, son expression spontanée, avec ses propres méthodes de lutte : les assemblées générales ouvrières, le débat politique ouvert, centré sur les besoins politiques de la lutte et sur une perspective de classe, la capacité de prendre en main la lutte de manière autonome, la solidarité et la réflexion collective. Ce n’est pas un hasard si lors du mouvement contre la réforme des retraites de l’hiver 2019-20, des manifestants affirmaient : « Ce qu’il faut faire, c’est une grève générale. Il nous faut un nouveau Mai 68 ! »

Mai 1968, c’est aussi et surtout des forces politiques révolutionnaires qui surgissent, capables de palier une faiblesse chronique : celle d’une implantation insuffisante et difficile du marxisme en France. Alors que le prolétariat allemand avait été l’épicentre et un phare de la théorie marxiste durant le XIXe et le début du XXe siècle, sa profonde défaite durant les années 1920, notamment après l’écrasement de la Commune de Berlin en 1919, rendait difficile son retour futur au cœur de la lutte et de la résurgence du prolétariat sur le devant de la scène. C’est en France que le prolétariat allait plus nettement reprendre tout cet héritage par un véritable travail international de synthèse, en intégrant celui de ses propres traditions et l’expérience des gauches issues de la IIIe Internationale.

Une tradition d’explosivité des luttes en France

Avec la Commune et Mai 1968, on retrouvait ainsi toutes les caractéristiques d’une vieille tradition de combat en France, faite d’irruptions de grèves spontanées et solidaires, de massivité dans la lutte et de vive fermentation politique. Si l’enfance du mouvement ouvrier et les premiers pas dans le combat de classe se sont déroulés dans l’Angleterre de la première révolution industrielle, le prolétariat a commencé peu après, bien que de manière très embryonnaire et ultra minoritaire, à se manifester aussi en France dans les nombreux soulèvements révolutionnaires urbains : notamment après les premières décennies du XIXe siècle, gardant en mémoire la révolution bourgeoise de 1789. Malgré la loi Le Chapelier de 1791 qui interdisait les grèves et s’attaquait aux premières formes de coalitions et d’associations ouvrières (Marx parlant à ce sujet de « coup d’État des bourgeois »), (6) des confrontations souvent violentes se multipliaient entre les ouvriers, formant peu à peu une classe compacte, solidaire et progressivement autonome, avec ses propres moyens de luttes face aux patrons et à la bourgeoisie. Contrairement à la Grande-Bretagne, où les luttes ouvrières seront marquées par le poids d’idées réformistes, la France verra surgir davantage le principe des organisations de masse et de classe, même si la plupart du temps, « les ouvriers ne disposent que d’une formation très sommaire » et sont seulement « capables d’explosions de colère ». (7) En ce sens, pour un pays où la société rurale était restée très marquée au XIXe siècle et où les ouvriers étaient fraîchement déracinés des campagnes, on assistait souvent à des scènes où « la classe ouvrière n’hésite pas à descendre dans les rues et à prendre les armes pour une cause qui n’est en réalité pas la sienne : la République ». (8) Dans les années 1830, au moment de la monarchie de juillet, les soulèvements parisiens des Trois Glorieuses rappellent encore les heures de gloire populaire de la révolution de 1789. Une singularité historique qui aura un immense poids sur la classe ouvrière. Mais dans la préface à la troisième édition du 18-Brumaire de Louis Bonaparte, Engels écrivait que « la France est le pays où les luttes de classes ont été menées chaque fois, plus que partout ailleurs, jusqu’à la décision complète, et où, par conséquent, les formes politiques changeantes, à l’intérieur desquelles elles se meuvent et dans lesquelles se résument leurs résultats, prennent les contours les plus nets. […] la lutte du prolétariat qui s’éveille contre la bourgeoisie régnante y revêt des formes aiguës, inconnues ailleurs ».

Aux côtés d’une population mécontente, bon nombre d’ouvriers saisonniers et une masse déjà politisée de prolétaires participent très tôt aux barricades avec détermination. Mais c’est dans un tout autre contexte, à Lyon, en 1831, qu’éclatera une de ces « formes aiguës », le soulèvement des canuts, première véritable grande grève du prolétariat, même si elle demeure très localisée. Suite à des baisses de salaires, les métiers à tisser seront arrêtés. De manière spontanée, des dizaines de milliers d’ouvriers dévaleront les pentes des collines de la Croix-Rousse et les armureries seront mises à sac. On s’emparera de fusils et les barricades seront aussitôt dressées. Sur le drapeau des canuts, on lira la devise : « Vivre en travaillant ou mourir en combattant » ! Les autorités, effrayées, quitteront la ville. Le maréchal Soult et ses 20 000 hommes ne rétabliront l’ordre qu’au prix d’une terrible répression. Cette tendance à l’affirmation d’une très forte combativité et solidarité du prolétariat dans la lutte de classe, après l’expérience des canuts de 1831 puis de 1834, se renforcera par la suite. De nombreux débats ouvriers vont se mener dans les premiers foyers industriels, notamment et au sein de la Fédération des Justes, créée à Paris, qui avait été fortement éprouvée par la défaite de l’insurrection des blanquistes du 12 mai 1839 dans la capitale (provoquant une répression sévère et exil de ses membres à Londres). Cette fermentation parisienne continuelle allait contribuer ultérieurement à gagner le jeune Karl Marx au combat de classe. Tout une maturation allait ainsi se poursuivre, notamment avec des travaux de correspondance internationale et de centralisation, menés surtout par Marx et Engels eux-mêmes au cours de leurs exils. En 1846, par exemple, Engels organisait à Paris un comité de correspondants très actifs, comprenant plusieurs ouvriers. Toute cette vie politique allait contribuer à alimenter une réflexion internationale permettant au congrès de la Ligue des communistes de mandater Marx pour rédiger le célèbre Manifeste du parti communiste. La même année, en 1847, Marx aiguisait sa brillante polémique non moins célèbre face à l’anarchiste Proudhon, répondant à la Philosophie de la Misère par sa Misère de la Philosophie.

1848 et l’affirmation du prolétariat comme classe

En février de l’année suivante, malgré les débats intenses et la progression des idées communistes, le mouvement de la classe ouvrière restera encore fortement marqué par l’idée d’une république sociale et la revendication du suffrage universel. Mais grâce à toute la maturation politique et aux débats qui ont précédé, tant à Paris qu’au niveau européen, la classe ouvrière jouera dès le départ un rôle moteur vers la confrontation : « c’est les armes à la main que la bourgeoisie devait refuser les revendications du prolétariat ». (9) Avec l’insurrection de juin, directement face à la République bourgeoise, le clivage de classe et la force autonome de la classe ouvrière apparaîtra alors de manière très nette aux yeux de Marx : « fut livrée la première grande bataille entre les deux classes qui divisent la société moderne ». (10) Les 22 et 23 juin, sur la place du Panthéon, des cris spontanés dans la foule scandaient « du pain ou du plomb », « la liberté ou la mort » et aussi « aux armes ! ». Dans tout l’est parisien, des barricades s’élevèrent, majoritairement composée d’ouvriers et d’officiers de la garde nationale. Face à ces ouvriers en lutte, les forces de répression se situaient principalement à l’ouest de Paris, notamment la garde nationale des quartiers ouest, la garde mobile et, bien entendu, les troupes commandées par le général Cavaignac. Ainsi, la République se dressait, les armes à la main, directement face aux prolétaires. La bourgeoisie affichait sa prétendue volonté de « conciliation » face à ce qu’elle jugeait être « une sauvagerie » (rappelant ainsi la mésaventure de Mgr. Affre, archevêque de Paris, qui s’était rendu avec de « bonnes intentions » sur une des barricades place de la Bastille pour y être mortellement blessé). Mais les événements qui allaient suivre montrèrent où se situait la véritable « sauvagerie ». Les insurgés furent écrasés dans un véritable bain de sang. Il y eut plusieurs milliers de morts et 25 000 combattants des barricades furent arrêtés et 4 000 prisonniers déportés en Algérie. Dès le 24 juin, l’état de siège donna légalement au général Cavaignac le loisir vengeur de rétablir l’ordre « démocratique » et « républicain ». En plus de la répression physique, on vit la dissolution des ateliers nationaux, la censure et la suppression de journaux, la fermeture de clubs, la suppression de « légions » de la garde nationale. L’ordre pouvait ainsi de nouveau régner sur Paris ! La lutte héroïque des ouvriers parisiens entre février et juin 1848 fut là aussi grande d’enseignements pour l’avant-garde du prolétariat : « En imposant la République au Gouvernement provisoire, et, par ce dernier, à toute la France, le prolétariat se mettait immédiatement au premier plan en tant que parti indépendant ; mais du même coup, il jetait un défi à toute la France bourgeoise. Ce qu’il avait conquis, c’était le terrain en vue de la lutte pour son émancipation révolutionnaire, mais non cette émancipation elle-même ». (11) En fin de compte, « le 25 février 1848 octroya la République à la France, le 25 juin lui imposa la révolution : après juin, révolution voulait dire : renversement de la société bourgeoise, alors qu’avant février, le mot signifiait renversement de la forme de l’État ». (12)

L’héritage de la Commune de 1871

Si Mai 1968 a éclaté en France, ce n’est pas sans rapport avec les journées de juin 1848 évoquées précédemment et le lointain passé de la Commune. Un passé toujours présent dans la mémoire et évoqué parfois dans les assemblées ouvrières. Le prolétariat, indocile, s’est quelques fois remis à parler de cette expérience, de « la révolution ». En 1968 bien sûr, mais plus récemment lors du mouvement de la jeunesse contre le CPE, en 2006, ou on pouvait entendre dans les AG des allusions à Mai 68 et voir refleurir sur des banderoles ce vieux slogan « Vive la commune ! ». Le caractère insurrectionnel et hautement politique de la Commune de Paris en 1871 s’avéra d’une expérience historique des plus élevées, inestimable et de portée internationale, servant déjà de source d’inspiration pour les bolcheviks et de référence lors de la vague révolutionnaire des années 1920. Avec le massacre de plus de 20 000 ouvriers lors de la Semaine sanglante, la bourgeoisie et les troupes du général Galliffet mettaient fin à la première grande expérience révolutionnaire du prolétariat. Malgré l’immaturité des conditions historiques de la révolution mondiale, le prolétariat se montrait déjà la seule force capable de remettre en cause l’ordre capitaliste. Le prolétariat avait mûrit et depuis 1864, date de naissance de la Ier Internationale, il continuait son œuvre pour se constituer en classe et les débats animés autour des idées de Blanqui et de Proudhon se poursuivaient dans les milieux ouvriers. Au sein de l’Internationale la confrontation politique permettait progressivement au prolétariat en France de tirer des leçons et d’avancer dans une unité croissante. Pour la première fois de l’histoire, avec la Commune, les ouvriers montraient qu’ils pouvaient s’emparer du pouvoir. Le Comité central de la garde nationale et des « émeutiers » s’installa à l’Hôtel de ville et adopta le drapeau rouge. Deux jours après sa proclamation, la Commune s’attaquait immédiatement à l’appareil d’État à travers l’adoption de toute une série de mesures politiques : suppression de la police des mœurs, de l’armée permanente et de la conscription (la seule force armée reconnue étant la Garde nationale), suppression de toutes les administrations d’État, confiscation des biens du clergé, déclarés propriété publique, destruction de la guillotine, école gratuite et obligatoire, etc. Le principe de la révocabilité permanente des élus était la condition pour qu’aucune instance de pouvoir ne s’impose au-dessus de la société. Seule une classe qui vise à l’abolition de toute domination d’une minorité d’oppresseurs sur l’ensemble de la société pouvait prendre en charge cette forme d’exercice du pouvoir. Ce mode d’organisation de la vie sociale allait donc dans le sens non de la « démocratisation » de l’État bourgeois, mais de sa destruction. Le prolétariat en France permit ainsi, par sa pratique, de tirer une leçon fondamentale que Marx signalait déjà en 1852 dans Le 18-Brumaire de Louis Bonaparte : « Toutes les révolutions politiques jusqu’à présent n’ont fait que perfectionner la machine d’État au lieu de la briser ». Cette dernière révolution du XIXe siècle annonçait déjà les mouvements révolutionnaires du XXe siècle : elle montrait dans la pratique que « la classe ouvrière ne peut se contenter de prendre telle quelle la machine d’État et la faire fonctionner pour son propre compte. Car l’instrument politique de son asservissement ne peut servir d’instrument politique de son émancipation ». (13) Cette leçon était réaffirmée vingt ans après par Engels : « le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il [l’État] est un mal dont hérite le prolétariat vainqueur dans la lutte pour la domination de classe et dont, tout comme la Commune, il ne pourra s’empêcher de rogner aussitôt au maximum les côtés les plus nuisibles, jusqu’à ce qu’une génération grandie dans des conditions sociales nouvelles et libres soit en état de se défaire de tout ce bric-à-brac de l’État. Le philistin social-démocrate a été récemment saisi d’une terreur en entendant prononcer le mot de dictature du prolétariat. Eh bien, messieurs, voulez-vous savoir de quoi cette dictature a l’air ? Regardez la Commune de Paris. C’était la dictature du prolétariat ». (14) Si cet épisode restera une expérience fondamentale dans la mémoire collective, ses leçons politiques essentielles demeurent encore assez méconnues. Elles font partie du patrimoine ouvrier et constituent bel et bien une part de son identité politique.

Le poids d’une énorme défaite et de faiblesses jusqu’à 1968

Après la défaite terrible de la Commune de Paris, un coup d’arrêt allait marquer le mouvement ouvrier en France. En fin de compte, jamais il n’allait complètement se remettre de la réaction qui allait s’abattre par la suite. On peut même dire que jusqu’aux lointains événements de Mai 1968, il allait rester divisé et profondément affaibli politiquement. Cela, malgré les efforts effectués pour promouvoir la lutte révolutionnaire et la théorie marxiste, comme ce fut le cas avec le combat de Jules Guesde et la fondation du Parti ouvrier en 1882, devenu Parti Ouvrier Français jusqu’en 1902. Mais de grandes luttes particulièrement longues et très dures allaient encore suivre malgré tout et marquer les esprits près d’une décennie plus tard. On peut citer l’exemple de Decazeville en 1886 où une grève très dure se prolongea 109 jours et où l’ingénieur Watrin fut lynché par des mineurs exaspérés. De même, en 1891, une grève très tendue à Carmaux, soutenue par Jaurès, allait durer près de trois mois. De nombreuses luttes et grèves se poursuivirent aussi avant le premier conflit mondial, contre la guerre, ponctuées par l’assassinat de Jaurès. (15) Des mutineries de 1917 au combat de Monatte et Rosmer, aux grèves à « l’arrière » durant la guerre, en passant par la vague révolutionnaire des années 1920, la solidarité et une forte combativité furent les caractéristiques majeures dont le prolétariat en France a hérité, faisant désormais partie de son ADN. C’est également une des leçons que nous devons retenir pour les luttes du futur.

Ce que nous pouvons conclure pour ce premier article, en dépit du terrible coup porté de manière durable par la défaite de la Commune, c’est que le prolétariat en France est depuis longtemps et malgré tout, l’un des plus combatifs et politisés au monde. Comme nous l’écrivions dans notre « Résolution sur la situation en France » au 23e congrès de notre section en France : « C’est une des spécificités de la classe ouvrière en France, relevée déjà par les marxistes au XIXe siècle, suite à la révolution de 1848 et de la Commune de Paris, le caractère explosif et hautement politique de ses luttes. Ainsi, on pouvait lire sous la plume de Kautsky, lorsqu’il était encore révolutionnaire : “Si en Angleterre, dans la première moitié du XIXe siècle, c’était la science économique qui était la plus avancée, en France c’était la pensée politique ; si l’Angleterre était régie par l’esprit de compromis, la France l’était par celui du radicalisme ; si en Angleterre le travail de détail de la lente construction organique prédominait, en France c’était celui que nécessite l’ardeur révolutionnaire” ». En dépit des difficultés de la classe ouvrière aujourd’hui, cette appréciation de Kautsky reste pleinement valable. Alors que la bourgeoisie entretient l’amnésie en attaquant en permanence la mémoire ouvrière, il est nécessaire de se réapproprier toute cette expérience des luttes en France qui possède une dimension largement universelle.

WH, 19 décembre 2020

1) « La France, championne du monde de la grève », Statista (6 juillet 2018).

2) Lire notre brochure : Mai 68 et la perspective révolutionnaire.

3) « Mai 69 : Le réveil de la classe ouvrière (partie III) », Révolution internationale n° 390 (mars 2008).

4) C’est-à-dire des minorités qui avaient su mener le combat contre la dégénérescence de la révolution au sein, puis en dehors des anciens partis de l’Internationale communiste, passés ensuite dans le camp de la bourgeoisie. Citons en particuliers le combat mené par la Gauche italienne des années 1930, issue du groupe Bilan.

5) Voir notre article : « Les conférences internationales de la Gauche Communiste (1976-1980) – Leçons d’une expérience pour le milieu prolétarien ».

6) Extraits de la loi Le Chapelier : « Tous attroupements composés d’artisans, ouvriers, compagnons, journaliers, ou excités par eux contre le libre exercice de l’industrie et du travail […], ou contre l’action de la police et l’exécution des jugements rendus en cette matière […] seront tenus pour attroupements séditieux, et, comme tels, ils seront dissipés par les dépositaires de la force publique, sur les réquisitions légales qui leur en seront faites, et punis selon toute la rigueur des lois sur les auteurs, instigateurs et chefs desdits attroupements, et sur tous ceux qui auront commis des voies de fait et des actes de violence ».

7) Gérard Adam, Histoire des grèves (1981).

8) Idem.

9) Marx, Les luttes de classe en France  (1850).

10) Idem.

11) Idem.

12) Idem.

13) Marx, La Guerre civile en France (1871).

14) Engels, Introduction à La Guerre civile en France (1891).

15) « Jean Jaurès et le mouvement ouvrier », Révolution internationale n° 448 (septembre-octobre 2014).

Histoire du mouvement ouvrier: 

  • 1848 [87]
  • Commune de Paris - 1871 [54]
  • Mai 1968 [88]

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Histoire du mouvement ouvrier

Révolution internationale n°491 - novembre décembre 2021

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Luttes aux États-Unis, en Iran, en Italie, en Corée… Ni la pandémie ni la crise économique n’ont brisé la combativité du prolétariat!

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Aujourd’hui, une série de grèves aux États-Unis, portée par des ouvriers excédés, secoue de grandes parties du pays. Ce mouvement baptisé « striketober » (contraction de « strike » et « october ») mobilise des milliers de salariés qui dénoncent des conditions de travail insupportables, la fatigue tant physique que psychologique, l’augmentation outrancière des profits réalisés par les employeurs de groupes industriels comme Kellog’s, John Deere, PepsiCo ou dans le secteur de la santé et des cliniques privées, comme à New York, par exemple. Difficile de comptabiliser précisément le nombre de grèves car l’État fédéral ne dénombre que celles qui impliquent plus de mille salariés. Le fait que la classe ouvrière puisse réagir et faire preuve de combativité dans un pays désormais au centre du processus mondial de décomposition est un signe que le prolétariat n’est pas défait.

Depuis près de deux ans, partout dans le monde, une chape de plomb s’était abattue sur la classe ouvrière avec le surgissement de la pandémie de Covid-19, les épisodes de confinement à répétition, les hospitalisations d’urgence et les millions de morts. Partout dans le monde, la classe ouvrière comptait les victimes de l’incurie généralisée de la bourgeoisie, du délabrement des services de santé débordés et toujours soumis aux exigences de rentabilité. La vie au jour le jour et la peur du lendemain renforçaient un sentiment d’expectative déjà très fort dans les rangs ouvriers, accentuant davantage le repli sur soi. Après le regain de combativité qui s’était exprimé dans plusieurs pays au cours de l’année 2019 et au début de l’année 2020, la confrontation sociale subissait un coup d’arrêt brutal. Si le mouvement de lutte contre la réforme des retraites en France avait manifesté un nouveau dynamisme dans la confrontation sociale, la pandémie de Covid-19 s’est révélée constituer un puissant étouffoir.

Mais en pleine pandémie, des luttes sur le terrain de la classe ouvrière ont malgré tout pu émerger ici ou là, en Espagne, en Italie, en France, à travers des mouvements sporadiques exprimant déjà une relative capacité à réagir face à des conditions de travail insupportables, particulièrement face à l’exploitation accrue et au cynisme de la bourgeoisie dans des secteurs comme la santé, les transports ou le commerce. L’isolement imposé par le virus mortel et le climat de terreur véhiculé par la bourgeoisie rendaient néanmoins ces luttes impuissantes à affirmer une véritable alternative à la palpable dégradation sanitaire, économique et sociale.

Pire, ces expressions de mécontentement face à des conditions de travail infernales et dangereuses pour la santé, les refus (minoritaires) d’aller travailler sans masque et sans protection, étaient présentés par la bourgeoisie comme des exigences égoïstes, irresponsables et, surtout, coupables de porter atteinte à l’unité sociale et économique de chaque nation dans sa lutte contre la crise sanitaire.

Un réveil fragile mais réel de la combativité ouvrière

Alors que depuis des années, la population américaine est sommée de s’en remettre à l’État tout-puissant, imposant sa logique sanitaire, économique et sociale, abreuvée, comme partout ailleurs, des mensonges populistes d’un Donald Trump, qui se voulait le champion du plein emploi, et du baratin du « nouveau Roosevelt », Joe Biden, des milliers d’ouvriers créent petit à petit les conditions pour retrouver une force collective qu’ils avaient un temps oubliée. Ils redécouvrent lentement une confiance dans leurs propres forces et leurs capacités à refuser l’ignoble « two-tier pay system », (1) manifestant ainsi une solidarité entre les générations où des ouvriers majoritairement expérimentés et « protégés » se battent aux côtés des jeunes collègues les plus précarisés.

Cette solidarité entre les générations s’était déjà manifestée, en France, en 2014, lors de luttes à la SNCF et à Air France, face à des réformes identiques. Elle s’était également exprimée en Espagne, lors du mouvement des Indignados, en 2011, ou en France, en 2006, lors de la lutte contre le CPE. Cette solidarité entre les générations représente une grande potentialité pour le développement des luttes futures, c’est la marque d’une quête d’unité dans les rangs de la classe ouvrière alors que la bourgeoisie ne cesse de diviser les « vieux profiteurs » et les « jeunes fainéants », comme on peut le voir dans le mouvement « Youth for climate », par exemple, réactivé à l’occasion de la COP 26.

Même si ces grèves sont très bien encadrées par les syndicats (ce qui a, d’ailleurs, permis à la bourgeoisie de présenter ces mobilisations comme le « grand retour » des syndicats aux États-Unis), on a pu voir certains signes de remise en cause d’accords signés par différents syndicats. Cette contestation est embryonnaire et la classe ouvrière est encore loin d’une confrontation directe et consciente avec ces chiens de garde de l’État bourgeois. Mais il s’agit d’un signe bien réel de combativité.

D’aucuns pourraient imaginer que ces luttes aux États-Unis sont l’exception qui confirme la règle : il n’en est rien ! D’autres luttes ont vu le jour ces dernières semaines et ces derniers mois :

– en Iran, cet été, des grèves dans le secteur pétrolier contre les bas salaires et la cherté de la vie ont vu des ouvriers de plus de 70 sites participer au mouvement. Du jamais vu depuis 42 ans et l’avènement de la république islamique. D’autres secteurs ont d’ailleurs apporté leur soutien aux grévistes ;

– en Corée, une grève générale a dû être organisée par les syndicats en octobre pour la protection sociale, contre la précarité et les inégalités ;

– en Italie, il y a eu en septembre et en octobre dernier, de nombreuses journées d’action, de grève, d’appel à la grève générale contre les licenciements, également contre les discussions entre la Confédération générale italienne du travail, le gouvernement et le patronat pour un « pacte social » de sortie du Covid. En clair : pour des licenciements plus faciles et la suppression du salaire minimum ;

– en Allemagne, le syndicat des services publics, « ver.di », se sent obligé de brandir la menace de grèves pour tenter d’obtenir l’augmentation des salaires.

L’inflation va aggraver les conditions de vie

Si l’on écoute les économistes bourgeois, l’actuelle inflation qui fait monter tous les prix de l’énergie et des biens de première nécessité, ponctionnant d’autant le pouvoir d’achat, aux États-Unis, en France, au Royaume-Uni ou en Allemagne, n’est qu’un produit conjoncturel de la « reprise économique ». Liée à des « aspects spécifiques », comme des goulots d’étranglement dans les transports maritimes ou routiers, à la « surchauffe » de la production industrielle, particulièrement dans l’augmentation spectaculaire des prix des carburants et du gaz, elle ne serait qu’un mauvais moment à passer avant une régulation, un équilibre dans la production de marchandises. Tout est bon pour rassurer et justifier un processus inflationniste « nécessaire »… qui risque, malgré tout, de durer.

L’argent « hélicoptère », ces centaines de milliards de dollars, d’euros, de yens ou de yuans que les États ont imprimé et déversé sans compter, pendant des mois, pour faire face aux conséquences économiques et sociales de la pandémie et éviter le chaos généralisé, n’a fait que fragiliser la valeur des monnaies et pousse à un processus inflationniste chronique. Il va falloir payer et la classe ouvrière est aux premières loges pour subir ces attaques.

Même s’il n’y a pas encore eu de réaction directe et massive contre cette attaque, l’inflation peut servir de puissant facteur de développement et d’unification des luttes : l’augmentation des prix des produits de première nécessité, du gaz, du pain, de l’électricité, etc., ne peut que dégrader directement les conditions de vie de tous les ouvriers, qu’ils travaillent dans le secteur public ou le secteur privé, qu’ils soient en activité, au chômage ou à la retraite.

Les gouvernements ne s’y trompent, d’ailleurs, pas. S’ils n’ont pas encore imposé de programmes d’austérité formalisés et, au contraire, ont massivement injecté des millions et des millions de dollars, de yuans et d’euros, ils savent qu’il faut absolument relancer l’activité et qu’une bombe sociale existe. Alors que les gouvernements pensaient en finir rapidement avec toutes les mesures de soutien liées au Covid et « normaliser » au plus tôt les comptes, Biden (pour éviter la catastrophe sociale) a ainsi mis en place un « plan historique » d’intervention qui « créera des millions d’emplois, fera croître l’économie, investira dans notre nation et notre peuple ». (2) On croit rêver ! Il en est de même en Espagne où le socialiste Pedro Sanchez met en œuvre un plan massif de 248 milliards d’euros de dépenses sociales tous azimuts au grand dam d’une partie de la bourgeoisie qui ne sait pas comment sera payée la note. En France, également, derrière tout le fatras et les discours électoralistes pour l’élection présidentielle de 2022, le gouvernement tente d’anticiper la grogne et le mécontentement social avec des « chèques énergie » et une « indemnité inflation » pour des millions de contribuables sans que cela ne règle pour autant le problème.

Des difficultés et des pièges à surmonter

Mais reconnaître et mettre en lumière la capacité du prolétariat à réagir ne doit pas faire tomber dans l’euphorie et l’illusion qu’une voie royale s’ouvre pour la lutte ouvrière. Du fait de la difficulté de la classe ouvrière à se reconnaître en tant que classe exploitée et à prendre conscience de son rôle révolutionnaire, le chemin des luttes significatives permettant d’ouvrir la voie vers une période révolutionnaire est encore loin.

Dans ces conditions, la confrontation reste fragile, peu organisée, largement encadrée par les syndicats, ces organes d’État spécialisés dans le sabotage des luttes et qui jouent tant et plus le corporatisme et la division. En Italie, par exemple, les revendications initiales et la combativité des dernières luttes ont été dévoyées par les syndicats et les gauchistes italiens vers une dangereuse impasse : le mot d’ordre pourri de « première grève industrielle massive en Europe contre le pass sanitaire » que le gouvernement italien a imposé à tous les travailleurs.

De même, tandis que certains secteurs sont fortement touchés par la crise, les fermetures, les restructurations et l’augmentation des cadences, d’autres secteurs sont confrontés à un manque de main d’œuvre et/ou un boom ponctuel de production (comme dans le transport de marchandises où il manque des centaines de milliers de chauffeurs en Europe). Cette situation contient un danger de division au sein de la classe à travers des revendications catégorielles que les syndicats n’hésiteront ni à exploiter ni à susciter.

Rajoutons à cela les appels de la gauche « radicale » du capital à se mobiliser également sur le terrain bourgeois : contre l’extrême-droite et les « fascistes » ou en faveur des « marches citoyennes » pour le climat… Ceci est une expression de plus de la vulnérabilité des prolétaires à l’égard des discours de la gauche « radicale », capable de faire flèche de tout bois pour dévoyer la lutte sur un terrain non prolétarien, notamment celui de l’interclassisme.

De même, si l’inflation peut agir comme un facteur d’unification des luttes, elle touche aussi la petite-bourgeoisie, avec l’augmentation du prix de l’essence et des taxes, éléments qui avaient, d’ailleurs, donné lieu à l’émergence du mouvement interclassiste des « gilets jaunes » en France. Le contexte actuel reste, en effet, propice à la survenue de révoltes « populaires » dans lesquelles les revendications prolétariennes demeurent enfouies dans les préoccupations stériles et réactionnaires des petits patrons eux-mêmes frappés de plein fouet par la crise. C’est, par exemple, le cas en Chine où l’effondrement du géant de l’immobilier Evergrande symbolise de façon très spectaculaire la réalité d’une Chine surendettée, fragilisée, mais qui amène à la protestation des petits propriétaires spoliés et qui réagissent comme tels.

Les luttes interclassistes sont un véritable piège et ne permettent absolument pas à la classe ouvrière de faire valoir ses propres revendications, sa propre combativité, sa propre autonomie pour une perspective révolutionnaire. Le pourrissement de la société capitaliste, accrue par la pandémie, pèse et va continuer de peser sur la classe ouvrière soumise encore à de grandes difficultés.

Seule la lutte unie de tous les prolétaires peut offrir une perspective

L’absentéisme au travail, les démissions en chaîne dans les entreprises, le refus de reprendre un travail souvent pénible pour de très faibles salaires, ne cessent pas de s’amplifier ces derniers mois. Mais ce sont des réactions individuelles témoignant davantage d’une tentative (illusoire) d’échapper à l’exploitation capitaliste plutôt que d’y faire face par un combat collectif avec ses camarades de classe. La bourgeoisie n’hésite pas à exploiter cette faiblesse afin de dénigrer et culpabiliser ces « démissionnaires », ces salariés « exigeants », en les rendant directement « responsables » du manque de personnel dans les hôpitaux ou la restauration, par exemple.Autrement dit, semer davantage la division dans les rangs ouvriers !

Malgré toutes les difficultés et les chausse-trappes, cette dernière période a ouvert une brèche et confirme clairement que la classe ouvrière est bien capable de s’affirmer sur son propre terrain de lutte. Le développement de sa conscience passe par ce renouveau de combativité et c’est un chemin encore long et semé d’embûches. À leur niveau, les révolutionnaires doivent saluer et accompagner ces luttes, mais leur responsabilité première est de lutter du mieux qu’ils peuvent à leur extension, à leur politisation nécessaire pour faire vivre la perspective révolutionnaire, tout en étant capables de reconnaître leurs limites et leurs faiblesses en dénonçant fermement les pièges que leur tend la bourgeoisie et les illusions qui les menacent d’où qu’ils viennent.

Stopio, 3 novembre 2021

 

1) Système de rémunération inférieure pour les nouveaux embauchés, dite « clause du grand-père » que beaucoup de syndicats avaient signé des deux mains.

2) Ce programme typique du capitalisme d’État est aussi destiné à moderniser l’économie américaine pour mieux faire face à ses concurrents, notamment la Chine.

Géographique: 

  • Etats-Unis [2]
  • Corée du Sud [90]
  • France [47]
  • Italie [91]

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Luttes de classe

Derrière le discours “protecteur” de l’État, les attaques se poursuivent!

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Depuis la rentrée, nous assistons à tout un battage idéologique censé nous convaincre d’une formidable reprise économique : « forte demande », « croissance de l’emploi », « pénurie de main d’œuvre »… Bref, une sorte de « boom inattendu » laissant entendre que le capitalisme aurait retrouvé sa vitalité après le sommeil dans lequel la pandémie de Covid-19 avait plongé l’économie mondiale.

Que cache cette “reprise” ?

Mais derrière l’euphorie véhiculée et entretenue par les médias se cache, en réalité, une situation extrêmement dégradée. D’abord, parce que les signes de la maladie chronique du capitalisme décadent et son endettement massif transparaissent de nouveau à travers plusieurs symptômes alarmants venant détériorer fortement les conditions de vie des exploités. Ainsi, loin d’être une simple conséquence du Covid, comme voudrait le faire croire la bourgeoisie, la crise s’exprime, malgré « l’effet rebond », dans la continuité de la spirale récessionniste qui s’annonçait début 2019, juste avant le confinement et les mesures gouvernementales de soutien destinées à limiter la casse. Aujourd’hui, l’inflation semble faire son retour de façon globale : « En France, comme ailleurs en Europe, les prix grimpent tous les mois un peu plus. Déjà en hausse de 2,2 % en septembre, les prix à la consommation ont augmenté de 2,6 % sur un an en octobre dans l’Hexagone ». (1) On assiste notamment à une flambée des prix de l’énergie (gaz, essence, électricité…) au point de redouter des situations catastrophiques au cours de l’hiver prochain : « Les 12  millions de Français en situation de précarité énergétique, vont avoir encore plus de mal à payer cette année leur facture ». (2) Aussi, la prétendue protection des plus démunis n’est, en réalité, qu’un vernis politicien, voire un petit geste électoraliste, comme l’est le lissage de la hausse des prix de l’énergie par le gouvernement avec son fameux « chèque pouvoir d’achat ». Mais les 100  euros supplémentaires ne pourront en rien compenser toutes les augmentations !

Ensuite, parce que la prétendue « baisse du chômage » est un trompe l’œil : « Si l’on s’intéresse à l’ensemble des demandeurs d’emploi, en activité ou non (catégories A, B et C), leur nombre reflue un peu depuis cet été, mais reste plus important qu’avant l’épidémie, à 5,87  millions, ce qui est massif ». (3) Un même emploi peut, par exemple, être enregistré des dizaines de fois pour gonfler les statistiques, du simple fait qu’il apparaît sur plusieurs plateformes et donc recomptabilisé comme autant d’emplois supplémentaires. De même, par une pression accrue engagée depuis des années pour inciter et forcer au travail précaire et au turn over, l’État fait disparaître de vrais chômeurs pour les transformer, grâce à un tour de passe-passe bureaucratique, en « actifs ». Cela, sans compter tous les non inscrits, dits en « marge », qui ne sont plus dans les radars de Pôle emploi ! Si les mesures d’urgence du gouvernement ont évité bien des faillites et des licenciements, il n’empêche que ce véritable travail de faussaire est destiné à masquer une situation réellement dégradée marquant l’approfondissement de la crise du capitalisme.

Mais surtout, tous ces discours triomphalistes cherchent à cacher le million de personnes qui a basculé dans la pauvreté depuis la pandémie. Un chiffre qui ne s’est absolument pas résorbé. D’ailleurs, l’aide alimentaire explose et devient une réalité pour un nombre croissant de prolétaires, notamment les jeunes. Pour ne prendre qu’un exemple local, mais qu’on pourrait aisément généraliser : « Au Secours populaire de Saint-Brieuc, la distribution alimentaire est assurée quotidiennement. Ici, sont venus 4 000  personnes en 2019 et déjà plus de 6 000 en 2021 ». (4)

En réalité, malgré la « reprise de la croissance », les attaques brutales ne cessent de pleuvoir, à commencer par la poursuite des licenciements dans les PME et les suppressions de postes dans les grands groupes : SFR prévoit jusqu’à 2 000  suppressions de postes cette année, pour Ariane Groupe, c’est 600 en France et en Allemagne pour 2022, Air France a déroulé un plan de 7 500  suppressions de postes. Danone prévoit sur cette année et pour l’an prochain 450  suppressions d’emplois, SANOFI 1 700 en Europe dont un millier en France, Michelin planifie 2 300  suppressions en France entre 2021 et 2024… La liste est encore très longue !

Le gouvernement, dans cette même logique et en complémentarité, attaque fortement les chômeurs avec sa réforme de l’assurance-chômage. Ainsi, avec la modification du calcul du salaire journalier de référence, 38 % des allocataires auront une indemnisation diminuée de plus de 20 % en moyenne à ce qu’ils touchaient avant la réforme ! Pour l’ouverture des droits au chômage, il faudra désormais travailler 6  mois sur les 24  derniers mois et non plus 4  mois (durée hors confinement). Cela, pour plus d’un million et demi de chômeurs qui seront impactés, qui bien souvent touchent déjà péniblement à peine 900 euros mensuels ! (5) L’objectif est double : faire des économies et forcer à accepter la généralisation de travaux pénibles et sous-payés en affamant les chômeurs.

Mais les grandes œuvres charitables du gouvernement Macron ne s’arrêtent pas là ! Les retraites du secteur privé vont, quant à elles, être réindexées en dessous du seuil de l’inflation. Dans la même logique, les attaques contre le secteur public se poursuivent (suppression de postes, suppression de lits dans les hôpitaux, gel des salaires, etc.). La loi de transformation de la fonction publique, qui entrera en vigueur le premier janvier 2022, imposera, par l’application stricte des 1 607  heures annuelles de travail, la fin des régimes dérogatoires pour gagner en productivité. Comme dans tous les secteurs d’activités, le miracle de ces réformes aura une conséquence similaire à celle qui touche tous les salariés : travailler plus pour gagner moins ! Accroître considérablement l’exploitation des salariés !

La nécessité de lutter de manière unie

Face à toutes ces attaques, les ouvriers ne restent pourtant pas sans riposter. On a pu le constater dernièrement avec la grève des éboueurs à Marseille, mais aussi à Paris ou à Lyon, par des luttes dans les transports, les bus et tramways, à Avignon ou Nancy, à Montpellier, mais aussi à la SNCF…

Dans bon nombre de petites PME, un peu partout en France, de nombreuses luttes existent plus ou moins isolées, voir dans l’anonymat. On peut prendre pour exemple celle des sages-femmes de la maternité du centre hospitalier de la Seine-Saint-Denis, celle des salariés de l’usine FerroPem, aux Clavaux à Livet-et-Gavet (Isère), contre la suppression de postes, la mobilisation des AESH (accompagnants d’élèves en situation de handicap) pour défendre leurs conditions de travail, celle de l’hôpital de Chinon, en Indre-et-loire, où le personnel proteste contre l’alternance du travail de jour et de nuit, etc.

Toutes ces grèves, témoignant d’une grande colère et du refus de se résigner, sont cependant lancées (et pilotées) par les syndicats de manière totalement dispersées, de sorte qu’elles s’épuisent d’elles mêmes par asphyxie. Le résultat de ce travail de sape, poussant à la démoralisation, exploitant les difficultés et fragilités de la classe ouvrière, s’est vérifié lors de la grève et les manifestations du 5  octobre dernier par une forte démobilisation : peu de monde, des cortèges atones exprimant une réelle difficulté à développer une réflexion politique et ce malgré une grande colère qui persiste.

Face à cette situation difficile et de sabotage, le prolétariat ne doit pas se laisser abuser par les mystifications à propos des prétendues conséquences vertueuses de la « croissance économique » et le piège des élections présidentielles de 2022 qui occupe déjà les chaînes d’informations du matin au soir. Face à la dégradation de la situation et à l’accélération de la décomposition du mode de production capitaliste, le prolétariat n’a pas d’autre choix que de lutter par ses propres moyens. Mais il ne peut le faire que s’il refuse l’isolement en étant lui-même à l’initiative pour rechercher la solidarité. Même si la situation rend très difficile ce combat, il n’est pas d’autre issue. Seule l’unité des travailleurs en lutte pourra ouvrir une perspective.

WH, 2 novembre 2021

 

1) « L’inflation bondit à 2,6 % en octobre en France », Les  Échos (29 octobre 2021).

2) « Précarité énergétique : les associations demandent un geste du gouvernement pour aider à payer les factures », France  Inter (22  mars 2021).

3) « En France, moins de chômage, mais plus de précarité au troisième trimestre », Le  Monde (27 octobre 2021).

4) « La précarité alimentaire est grandissante dans les Côtes-d’Armor », Ouest  France (25  septembre 2021).

5) Certaines personnes passeront à 650  euros par mois, sachant que le seuil de pauvreté est officielement fixé en France à 1060  euros pour une personne seule !

Situations territoriales: 

  • Situation sociale en France [7]

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  • Macron [92]

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  • Présidentielle 2022 [93]

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Situation sociale en France

Procès des attentats du 13 novembre 2015: Aucun tribunal ne fera le procès du vrai coupable: le capitalisme!

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Il y a six ans, toute une nuit, Paris est devenu le théâtre d’un massacre d’une horreur indicible. D’abord, une série d’explosions secoue l’entrée du stade de Saint-Denis où se déroule un match de football. Le président de la République d’alors, François Hollande, est évacué en urgence. Trois terroristes fauchent une vie et blessent une dizaine de personnes en se faisant exploser. S’ensuit une seconde série d’attaques, dans les rues de Paris. À l’intérieur du théâtre du Bataclan, où se tenait un concert de rock, les spectateurs sont froidement exécutés à la kalachnikov. Dans les cafés avoisinants, les badauds en terrasse essuient aussi les rafales de balles. Les hôpitaux parisiens se transforment en hôpitaux de guerre. Cette « nuit rouge » fera 130 tués, 350 blessés et scellera l’attentat terroriste le plus meurtrier qu’ait jamais connu la France.

Ce 8 septembre 2021 s’est ouvert le procès « hors-norme » des attentats du 13 novembre 2015.

Les terroristes sont le produit du capitalisme en décomposition

Six ans après, les survivants sont encore traumatisés et des centaines de familles toujours brisées. Nombreux sont ceux qui, tout naturellement, se raccrochent à ce procès, pour tenter de se reconstruire un peu. Il va durer neuf mois.

Mais, n’hésitant pas à instrumentaliser la douleur des victimes comme la peur entretenue dans la population, ce procès est surtout l’occasion pour l’État français d’une immense propagande :

– « Ce qui doit rester de ce procès, c’est la force de l’État de droit et de la démocratie ». (1)

– « Ce procès se doit d’être exemplaire. La seule façon de répondre à la barbarie, c’est par l’expression de la démocratie ». (2)

– « Ce qui fait la différence entre la civilisation et la barbarie, c’est la règle de droit ». (3)

Mensonges ! Comme l’écrivait Rosa Luxemburg en 1915 face à la boucherie impérialiste de la Première Guerre mondiale : « Souillée, déshonorée, pataugeant dans le sang, couverte de crasse : voilà comment se présente la société bourgeoise, voilà ce qu’elle est. Ce n’est pas lorsque, bien léchée et bien honnête, elle se donne les dehors de la culture et de la philosophie, de la morale et de l’ordre, de la paix et du droit, c’est quand elle ressemble à une bête fauve, quand elle danse le sabbat de l’anarchie, quand elle souffle la peste sur la civilisation et l’humanité qu’elle se montre toute nue, telle qu’elle est vraiment ». (4)

Ainsi, la sauvagerie terroriste ne puise pas ses racines hors-sol ou dans un autre monde. Non, elle pousse et éclot sur le sol capitaliste, sur la barbarie de ce système d’exploitation inhumain. Les kamikazes, que la « société bourgeoise, bien léchée et bien honnête » nous présente aujourd’hui comme des « monstres », sont en réalité un condensé de tout ce que cette même société porte de pire en elle : la haine et le mépris pour la vie, celle des autres comme la sienne propre. Tous ces terroristes suicidaires sont des êtres broyés, humiliés, désespérés, totalement irrationnels, emportés par une idéologie nauséabonde qui leur promet la reconnaissance qu’ils n’ont jamais eue et leur procure l’illusion de donner enfin un sens à une vie qui n’en a aucun.

Démocratie, impérialisme et terrorisme

Au-delà des individus, les groupes terroristes islamistes eux-mêmes trouvent leur origine dans les affrontements impérialistes des « États de droit », dans la barbarie guerrière des démocraties. Ainsi, l’intervention américaine en Irak en 2003, au-delà des 500 000 morts qu’elle a engendrés, a mis à bas le gouvernement sunnite de Saddam Hussein (5) et créé un chaos permanent. Ce sont sur ces ruines, sur le vide laissé par la déliquescence de l’État irakien qu’est né Daesh en 2006. La déstabilisation de la Syrie en 2012 va être l’occasion d’un nouveau développement de l’État islamique. Le 9 avril 2013, il devient « l’État islamique en Irak et au Levant ». Ainsi, chaque nouveau conflit impérialiste, dans lequel les grandes puissances démocratiques, fortes de leurs « États de droit », jouent toutes un rôle incontournable, va chaque fois être l’occasion pour Daesh d’étendre son emprise en poussant sur le terreau pour lui fertile de la haine et de l’esprit de vengeance. Vont ainsi lui prêter allégeance plusieurs groupes djihadistes, tels Boko Haram dans le Nord-Est du Nigeria, Ansar Maqdis Chouras Chabab al-Islamn en Lybie, Jund al-Khalifa en Algérie et Ansar Dawlat al-Islammiyya au Yémen. Indéniablement, la guerre impérialiste a nourri l’État islamique.

Mais la responsabilité des grandes puissances et des « États de droit » ne s’arrête pas là. Elles sont aussi bien souvent directement à l’origine de la création de toutes ces cliques meurtrières et obscurantistes qu’elles ont cherchées à instrumentaliser. L’État islamique est composé des fractions les plus radicales du sunnisme et a donc pour ennemi premier la grande nation du chiisme : l’Iran. C’est pourquoi les ennemis de l’Iran (l’Arabie saoudite, les États-Unis, (6) Israël, le Qatar, le Koweït…) ont tous soutenu politiquement, financièrement et parfois militairement Daesh.

En menant toutes ces guerres, en semant la mort et la désolation, en imposant la terreur des bombes et en attisant la haine au nom de la « légitime défense », en soutenant tel ou tel régime assassin, selon les circonstances, en ne proposant aucun autre avenir que toujours plus de conflits, et tout cela pour défendre leurs sordides intérêts impérialistes, les grandes puissances sont les premières responsables de la barbarie mondiale, y compris celle de Daesh. En cela, lorsque ce prétendu « État islamique » a pour sainte trinité le viol, le vol et la répression sanglante, lorsqu’il détruit toute culture, lorsqu’il vend des femmes et des enfants, parfois pour leurs organes, lorsqu’il massacre à la kalachnikov dans les rues de Bagdad, Kaboul ou Paris, il n’est rien d’autre qu’une forme particulièrement caricaturale, sans artifice ni fard, de la barbarie capitaliste dont sont capables tous les États du monde, toutes les nations, petites ou grandes, dictatoriales ou démocratiques. Telle est la réelle signification des attentats du 13 novembre à Paris qu’aucun procès n’établira jamais !

« Cette folie, cet enfer sanglant cesseront le jour où les ouvriers […] se tendront une main fraternelle, couvrant à la fois le chœur bestial des fauteurs de guerre impérialistes et le rauque hurlement des hyènes capitalistes en poussant le vieil et puissant cri de guerre du travail : prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » (7)

Pawel, 26 septembre 2021

 

1) « 13 novembre : Ce qui doit rester de ce procès, c’est la force de l’État de droit et de la démocratie », Public sénat (8 septembre 2021).

2) Marie-Claude Desjeux, présidente de la Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs (Fenvac).

3) Le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti.

4) La crise de la social-démocratie (1915).

5) Rappelons que ce sont ces mêmes États-Unis qui avaient largement contribué à l’arrivée au pouvoir de Saddam Hussein en 1979 en Irak, en tant qu’allié contre l’Iran.

6) « Daesh dispose d’un véritable “trésor de guerre” (2 milliards de dollars selon la CIA), de revenus massifs et autonomes, sans comparaison avec ceux dont disposait Al-Qaïda. Daesh dispose d’équipements militaires nombreux, rustiques mais aussi lourds et sophistiqués. Plus que d’une mouvance terroriste, nous sommes confrontés à une véritable armée encadrée par des militaires professionnels. Quel est le docteur Frankenstein qui a créé ce monstre ? Affirmons-le clairement, parce que cela a des conséquences : ce sont les États-Unis. Par intérêt politique à court terme, d’autres acteurs (dont certains s’affichent en amis de l’Occident), d’autres acteurs donc, par complaisance ou par volonté délibérée, ont contribué à cette construction et à son renforcement. Mais les premiers responsables sont les États-Unis » (propos tenus par le général Vincent Desportes, professeur associé à Sciences Po. Paris lors de son audition par le Sénat français au sujet de l’opération « Chammal » en Irak et disponible sur le site web du Sénat).

7) Rosa Luxemburg, La crise de la social-démocratie (1915).

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Barbarie du capitalisme

40 ans de l’abolition de la peine de mort en France: La bourgeoisie est toujours une classe d’assassins

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En 1981, sous la présidence du « socialiste » François Mitterrand, la France, dernier pays d’Europe occidentale à l’appliquer, abolissait la peine de mort. La loi portée par Robert Badinter, ministre de la Justice, permettait à la gauche récemment arrivée au pouvoir de faire d’une pierre deux coups. D’un côté, elle permettait à l’État français de se débarrasser d’un archaïsme judiciaire devenu de plus en plus encombrant dans la « patrie des Droits de l’homme », au point que, depuis plusieurs décennies déjà, les condamnés à mort étaient guillotinés en catimini avant l’aube, dans l’enceinte des prisons et à l’abri des regards. De l’autre, elle permettait à la bourgeoisie de gauche de redorer son blason en inscrivant dans la loi une vieille revendication ouvrière.

En effet, à deux reprises dans son histoire, lors de la Commune de Paris de 1871 et de la Révolution russe de 1917, la classe ouvrière avait initialement mit un terme à la peine de mort, avant d’y recourir à nouveau dans un contexte de guerre civile où se déchaînait la barbarie contre-révolutionnaire de la bourgeoisie (lors de la semaine sanglante à Paris en mai 1871, face à la terreur blanche en Russie en 1917-22). Mais depuis la trahison de la social-démocratie en 1914 et le passage des partis « socialistes » dans le camp du capital, ces derniers n’ont jamais hésité à user du meurtre pour servir les intérêts de la bourgeoisie, que ce soit contre la classe ouvrière, comme l’illustre le rôle de fer de lance de la contre-révolution joué par le SPD (sociaux démocrates) lors de la Révolution allemande de 1918-23, ou contre ses rivaux impérialistes, comme l’illustre la politique menée par le gouvernement de gauche présidé par le « socialiste » Guy Mollet en 1956-57 durant la guerre d’Algérie, gouvernement dont le ministre de la Justice à partir du 2 février 1956 était un certain… François Mitterrand. « Le 17 mars 1956 sont publiées au Journal officiel les lois 56-268 et 56-269, qui permettent de condamner à mort les membres du FLN pris les armes à la main, sans instruction préalable. […] Le 7 janvier 1957, un autre pas est franchi par le gouvernement auquel appartient François Mitterrand : il donne tous pouvoirs au général Massu et à sa 10e division parachutiste pour briser le FLN d’Alger. Les militaires gagneront la “bataille d’Alger”, mais on sait à quel prix : torture systématique et plus de 3 000 exécutions sommaires. La guillotine, elle, s’emballe : “Chiffre jamais atteint jusqu’ici, seize exécutions capitales ont eu lieu en Algérie du 3 au 12 février”, écrit France-Observateur. […] Quand il quitte son bureau de la place Vendôme, le 21 mai 1957, le gouvernement de Guy Mollet cédant la place à celui de Maurice Bourgès-Maunoury, 45 condamnés à mort ont été exécutés en seize mois. […] Sur la peine de mort elle-même, François Mitterrand restera aussi très silencieux durant les années qui le séparent de la présidence. […] Ce n’est qu’à quelques semaines de l’élection présidentielle, le 16 mars 1981, que François Mitterrand se prononce enfin sur le sujet : “Je ne suis pas favorable à la peine de mort […] ma disposition est celle d’un homme qui ne ferait pas procéder à des exécutions capitales” ». (1) Une illustration supplémentaire de l’hypocrisie éhontée, du machiavélisme et la violence sanguinaire de la social-démocratie !

Mais l’année 1981 a-t-elle représenté un « tournant moral » de la part de la bourgeoisie française en général et de la gauche en particulier ? Que nenni ! Sur le plan judiciaire, depuis l’abolition de la peine de mort, le taux de détention en France n’a cessé de croître, passant sur la période 1990-2020 de 78 à 105,4 détenus pour 100 000 habitants, chiffre inégalé depuis le XIXe siècle : la pénalisation d’un nombre de plus en plus important de comportements, le développement de procédures de jugement rapide comme la comparution immédiate, l’allongement de la durée des peines et l’augmentation récente de la détention provisoire ont ainsi abouti à la situation actuelle et persistante de surpopulation carcérale, (2) dans laquelle les détenus vivent dans la promiscuité, l’insalubrité, la souffrance psychique, dans des prisons qui sont des incubateurs notoires de violence.

Mais cette hypocrisie morale est aussi flagrante sur le terrain de l’impérialisme, où les exécutions extra-judiciaires, dont les « opérations Homo » (pour « homicides ») des services secrets, sont monnaie courante. Ainsi, selon le journaliste d’investigation français, Vincent Nouzille, « le nombre de HVT [cibles de haute valeur] “neutralisés” par nos forces armées, ou par nos alliés sur la base de nos renseignements et avec notre aval, atteint la centaine depuis 2013. Soit un rythme soutenu d’au moins une élimination par mois. Sans compter les opérations Homo, menées par des tueurs de la DGSE, par définition difficiles à recenser. Face à des menaces jugées grandissantes, François Hollande, et maintenant Emmanuel Macron, n’ont pas lésiné sur l’usage de la force ». (3) Aujourd’hui encore sous la présidence d’Emmanuel Macron, « la DGSE est autorisée par l’Élysée, dans quelques cas, à pratiquer des opérations Homo contre des “ennemis présumés” hors des lieux d’affrontements directs, de manière clandestine, de façon à ce que ces décès, d’apparence accidentelle, ne puissent être attribués à la France ».

Comme l’histoire le montre, jamais un État bourgeois, y compris sous un démocratique gouvernement de gauche, n’hésitera à prendre les mesures les plus brutales et les plus meurtrières dès lors que les sordides intérêts de la bourgeoisie seront menacés, notamment face à la seule classe ayant la capacité de la renverser en mettant, par là même, fin à sa domination barbare : la classe ouvrière.

DM, 9 octobre 2021

 

1) « Les guillotinés de Mitterrand », Le Point (31 août 2001).

2) « Comment expliquer la surpopulation des prisons françaises ? », paru sur le site web de l’Observatoire international des prisons (18 février 2021).

3) Vincent Nouzille, Les tueurs de la République (2020).

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  • Badinter [98]

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  • Peine de mort [100]

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Peine de mort

Phénomène Zemmour: Une sinistre marionnette au service du jeu électoral

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Depuis quelques années et dans de nombreux pays, face au discrédit croissant des politiciens et des partis politiques traditionnels, surgissent au moment des élections, comme pour l’actuelle campagne présidentielle, des personnalités au profil d’outsider, non encartées dans un parti politique. Comme sortis du chapeau d’un magicien, ces derniers prennent généralement leur envol en surfant sur une popularité soudaine, entretenue et gonflée par les médias, les réseaux sociaux et par leurs discours politiques atypiques.

Le phénomène Zemmour en France et sa popularité soudaine s’inscrivent dans cette tendance qui est propre à une situation où l’accélération de la décomposition du capitalisme favorise l’émergence de ce type de personnalité populiste. Au-delà du contexte et des différences importantes, ce fut le cas d’un Trump aux États-Unis, d’un Bolsonaro au Brésil ou d’un Boris Johnson en Grande-Bretagne  : des personnalités perturbant totalement l’équilibre du jeu politique classique.

Échaudée par l’expérience de sa lutte obligée contre le populisme, la bourgeoisie française ne reste pas sans réagir. D’ailleurs, bien avant la lancée de Zemmour, la bourgeoisie en France était préoccupée par le danger que représentait depuis longtemps le Rassemblement national de Marine Le  Pen. Si ce polémiste raciste a pu décoller dans les sondages, cela signifie que ce substrat propre au populisme n’a toujours pas disparu en France et qu’il est parfaitement enkysté.

Pour expliquer cette ascension, outre le contexte de décomposition et son talent d’orateur, il faut mentionner aussi quelque chose qui est totalement absent chez les autres candidats : sa conviction ! À l’inverse de la logique des jeux politiciens, des faux semblants et de la langue de bois, du formatage de communiquant laissant transparaître, pour seule motivation, la défense de leurs petits intérêts, Zemmour tranche par ses convictions, croit profondément en ses âneries et n’hésite pas à user d’un langage totalement décomplexé : « Je me fous de la diabolisation » dit-il assez souvent.

Cependant, aussi convaincu soit-il, Zemmour n’aurait certainement pas pu être propulsé de la sorte sans un puissant levier médiatique. À qui profite donc cette ascension si soudaine ? Incontestablement, poser la question est presque déjà apporter une réponse : au futur candidat Macron ! En effet, la première victime de cette ascension est le RN de Marine Le  Pen, adversaire potentiel au deuxième tour du futur candidat Macron, meurtri par la défaite de 2017 et usé par une « normalisation » rendant son électorat de plus en plus déçu et sceptique. Un tel torpillage du RN arrange donc tout le reste de la bourgeoisie bien décidée à se débarrasser du danger que représente ce parti populiste.

Mais une telle situation, pour autant, ne profite nullement au parti Les Républicains (LR), lui aussi adversaire de Macron. Au contraire, cette formation en miettes est siphonnée, elle aussi, par Zemmour : bon nombre de ses membres étant séduits et rassurés par sa vision libérale de l’économie et sa capacité à surfer sur les thèmes populaires. Même si on ne sait pas encore si Zemmour va pouvoir se déclarer candidat, tout cela arrange donc parfaitement le camp de Macron, appuyé majoritairement par les fractions bourgeoises dominantes et par les grands médias.

Omniprésent sur la chaîne Cnews de Bolloré et invité en permanence sur différents plateaux de télévision, apparaissant régulièrement à la Une des grands quotidiens et dans les émissions de radio, Zemmour est parfaitement instrumentalisé contre les adversaires de la présidence sortante, encore une fois, principalement contre Marine Le  Pen qui était déjà en perte de vitesse et contestée dans ses propres rangs.

Plus « présentable », faisant référence à l’histoire, Zemmour sait donc attirer à la fois les plus radicaux des milieux d’extrême-droite et les moins regardants de la droite classique, grâce à un savant habillage de ses discours, usant des thèmes les plus répugnants contre les immigrés, avec des propos ouvertement xénophobes, contre les musulmans qu’il érige en boucs émissaires, ses diatribes aux relents ouvertement pétainistes mais toujours drapés d’une apparence de culture et d’histoire, et bien sûr son nationalisme ! (1)

Quelle que soit l’issue de la trajectoire de Zemmour, ce dernier permet déjà de saboter le RN et met davantage en difficulté les candidats concurrents du parti LR opposés à Macron. C’est à ce prix, jouant avec le feu de ce nouveau candidat potentiel, pour les intérêts d’un jeu politique qu’elle a de plus en plus de mal à maîtriser, que la bourgeoisie française et son président en viennent à faire la promotion dans l’espace public, directement ou indirectement, de discours aussi répugnants et irrationnels. De telles pratiques, banalisées, en disent long sur la dynamique putride du capitalisme en décomposition et sur le cynisme des politiciens de tous poils, à commencer par ceux qui se situent naturellement à la tête de l’État. La bourgeoisie est une classe prête à tout pour garantir son ordre politique et assurer la bonne marche de ses affaires, pour ses propres intérêts de classe, avec les conditions permettant de gérer au mieux l’exploitation capitaliste.

WH, 4 novembre 2021

 

1 )  Les discours de Zemmour sont du pain béni pour les gauchistes et l’ensemble de la gauche du capital en mal d’existence.

Situations territoriales: 

  • Vie de la bourgeoisie en France [33]

Evènements historiques: 

  • Zemmour [101]
  • Macron [102]
  • Le Pen [103]

Récent et en cours: 

  • Présidentielle 2022 [93]

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Cirque éléctoral

Affaire des sous-marins australiens, opération Barkhane... L’irréversible déclin de l’impérialisme français

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La rupture du « contrat du siècle » pour la vente de sous-marins conventionnels français à l’Australie n’est pas que la perte de quelques milliards d’Euros par l’industrie d’armement tricolore. Alors que la politique impérialiste de la France dans le bassin Indo-Pacifique consistait à s’affirmer comme un recours entre la Chine et les États-Unis, en s’appuyant sur des alliances politico-militaire avec l’Inde et l’Australie, « les États-Unis et l’Australie ont signifié que Paris n’était pas à leurs yeux un acteur majeur de la sécurité dans la région ». (1) Les États-Unis, engagés dans une lutte de plus en plus ouverte avec leur rival chinois, montrent ici clairement le peu de cas qu’ils font de leur allié français et de ses prétentions dans la région. Quant à l’Australie, il ne fait aucun doute qu’échanger des sous-marins à propulsion classique, avec une autonomie et des capacités offensives limitées, contre une technologie nucléaire qu’elle ne possède pas et une alliance avec un acteur bien plus puissant que la France est une très bonne affaire.

Au-delà de l’indignation de toutes les factions politiques hexagonales et de leurs pirateries sur une prétendue éthique dans les relations entre États capitalistes, ce qui frappe immédiatement est l’impuissance de la bourgeoisie française face à un coup majeur contre ses ambitions dans la région Indo-Pacifique, et qu’elle n’a absolument pas vu venir. Appuyée sur l’Inde et l’Australie, la politique française vient brutalement et sans avertissement de perdre un de ses piliers, ce qui du même coup affaiblit considérablement le poids de cette politique vis-à-vis de ses alliés comme de ses adversaires. Pour la France, la dimension de ce théâtre d’opération, qui va de l’île de la Réunion jusqu’à la Nouvelle-Calédonie, est telle qu’elle ne peut se concevoir sans alliance solide, et l’Australie était évidemment pour elle un partenaire stratégique idéal : par sa position géographique, son statut de puissance régionale et le besoin de se défendre contre les appétits chinois. Et la voilà qui change d’allégeance ! La France se retrouve isolée et renvoyée à son statut de puissance moyenne, écartée du théâtre impérialiste asiatique.

Un affaiblissement continu de l’impérialisme français

Ce coup n’est que le dernier en date d’une série qui marque un affaiblissement global de l’impérialisme français dans l’arène mondiale. La France est engagée sur beaucoup de fronts et se retrouve pratiquement partout dans une situation de recul ou de repli pur et simple.

L’intervention de l’armée française au Mali et dans la région sahélienne tourne au casse-tête insoluble. Le retrait des forces françaises est inévitable à terme, en laissant la place à d’autres : les mercenaires russes de Wagner, à l’initiative du président malien en exercice, sont déjà en train de s’installer au Mali alors que la force Barkhane réduit sa présence et abandonne clairement certaines zones du pays. L’ours russe n’est pas la seule puissance à s’inviter au festin : la Chine a installé un réseau politico-financier qui enserre de plus en plus d’États africains dans une infernale spirale d’endettement, et elle soutient d’ores et déjà certaines factions locales contre les anciennes puissances coloniales. Dans un autre registre, le récent coup d’État en Guinée s’est fait au détriment du président Alpha Condé, un obligé de l’impérialisme français, ce qui a contraint la France à condamner sans appel ce putsch militaire. Les émeutes qui ont touché le Sénégal au printemps avaient, quant à elles, une forte tonalité anti-française, qui s’est traduite par le pillage de supermarchés de la chaîne Auchan. La politique même menée par les forces françaises au Sahel y a généré dans la population une hostilité qui devient un problème pour l’autorité de la France sur place.

En fait, ce ne sont pas seulement les capacités de l’impérialisme français à intervenir en Afrique qui sont affaiblies, c’est toute son influence qui décline, du fait d’un changement d’orientation d’une partie significative des bourgeoisies locales. Qui plus est, la bourgeoisie française se retrouve très isolée sur cette question vis-à-vis de ses partenaires de l’Union européenne (UE) : « Beaucoup, en Europe, sont désespérés du peu de progrès accomplis depuis dix ans au Sahel […]. Dans le même temps, la menace jihadiste ne cesse de s’étendre. Même si personne ne croit à un départ total des Français, il y a une prise de conscience collective des limites du modèle actuel ». (2) Autrement dit, les bourgeoisies locales s’éloignent peu à peu du parrain français, en même temps que celui-ci n’a jamais réussi à obtenir le soutien qu’il attendait de la part de ses partenaires européens, peu soucieux de s’investir dans ce bourbier sans issue.

Même si les situations ne sont pas comparables, la France s’est également retrouvée très menacée dans ses positions au Proche-Orient. Après plusieurs années de conflit, l’influence française en Syrie est maintenant absolument nulle. Le retrait inopiné des États-Unis de Syrie a mis en évidence l’incapacité de la France de mener seule une campagne militaire lointaine, dépendante qu’elle est de la logistique américaine pour le ravitaillement de ses troupes, y compris, d’ailleurs, pour leur évacuation. Le matériel de l’armée française est, en effet, vieillissant : les véhicules de l’opération Barkhane ont été pour une partie d’entre eux mis en service dans les années 1980, beaucoup de navires ont une trentaine d’années, l’aviation vole aussi sur des appareils souvent âgés.

De même, la tentative de Macron de profiter du désastre causé par l’explosion dans le port de Beyrouth, il y a un an, pour se réimposer en parrain et arbitre au Liban, a tourné à la farce tant la bourgeoisie locale n’a aucune intention de se plier aux diktats de l’ancienne puissance tutélaire. La paralysie actuelle du gouvernement libanais, écartelé entre les différentes factions qui divisent profondément la classe dominante du pays, montre suffisamment l’échec français à réformer un système politique clientéliste, corrompu et incompétent.

Même dans ses bastions les plus proches, l’influence française est battue en brèche : après le camouflet infligé à la France par Trump et Israël au Maroc, la France se trouve maintenant en conflit ouvert avec l’Algérie suite à ses critiques portées contre l’État algérien et à la réduction du nombre de visas offerts aux ressortissants de ce pays. La réponse a été claire : le gouvernement algérien a sorti les crocs en interdisant le passage d’avions militaires français dans son espace aérien, menaçant le ravitaillement en carburant des véhicules de l’opération Barkhane dans le nord du Mali. En Libye, le choix de la France de soutenir le maréchal Haftar se trouve confronté aux ambitions turques, et il semble clair que l’impérialisme français a misé sur le mauvais cheval : non seulement l’offensive de l’hiver de l’Armée nationale libyenne (ANL) d’Haftar contre le Gouvernement d’accord national (GAN) a échoué, mais c’est même le GAN qui regagne du terrain, et Haftar s’avère être un allié particulièrement peu fiable pour Paris.

Pire, la France qui se veut un des moteurs de l’UE est absolument incapable d’y trouver des alliés fiables. La menace que fait peser la Russie sur les frontières orientales de l’UE (sans parler de l’Ukraine directement engagée dans des combats) pousse la plupart des pays d’Europe de l’Est sous le parapluie de l’OTAN, et donc américain ; les bonnes relations qu’entretenaient les gouvernements polonais, hongrois et tchèque avec l’administration Trump ont encore renforcé ce partenariat, alors que Macron a annoncé la « mort cérébrale » de l’Alliance Atlantique. L’Allemagne n’a montré que peu d’empressement à soutenir la France dans ses aventures africaines ou proche-orientales, d’autant que la Turquie, vieil adversaire de la France, est aussi le principal partenaire de l’Allemagne dans la région. L’OTAN cherche par ailleurs à « adapter l’Alliance aux nouveaux défis » posés par la Chine et la Russie. Il s’agit en fait de resserrer les rangs des pays membres derrière les États-Unis contre la Russie et la Chine. Or ce cadre ne convient guère aux besoins français, notamment en Afrique et dans le Pacifique.

L’impérialisme français se débat pour tenter de tenir son rang

En même temps, les alliés de la France sont sous pression partout dans le monde. La Grèce qui est un bon client de l’armement français (et on sait à quel point ce genre de transaction ne peut se faire que sur la base d’un accord politique impérialiste) fait face à l’agressivité de la Turquie en Méditerranée. La France maintient dans cette zone une présence militaire, qui s’est traduite par l’incident du 10  juin 2020, lorsqu’une frégate française voulant contrôler un navire turc soupçonné de contrebande d’armes à destination de la Libye a été prise pour cible par un navire de guerre turc. Mais cette présence française est totalement isolée : face aux ambitions de plus en plus visibles de la Russie, de la Turquie et de l’Iran dans cette zone, « on se sent un peu seuls », comme le dit le commandant de la frégate française Aconit, qui surveille les mouvements de navires en face des côtes syriennes. Si la France a volé au secours de la Grèce suite à divers incidents au cours de l’été 2020, la dispersion de ses moyens militaires, engagés en Méditerranée, en Afrique, en Syrie, dans l’Océan Indien et dans le Pacifique met en évidence des moyens financiers et militaires totalement insuffisants pour courir autant de lièvres à la fois.

Imposante dans l’UE où elle possède les moyens militaires les plus importants, surtout depuis le retrait de la Grande-Bretagne, la France ne peut espérer s’imposer au sein de l’OTAN où elle dispose de bien moins de leviers et d’un poids comparativement bien inférieur. Ceci explique les efforts de longue date de la France de doter l’UE d’une force armée autonome où elle aurait évidemment un rôle prééminent, et d’une « autonomie stratégique en matière économique, industrielle, technologique, de valeur militaire ». (3) Mais l’Allemagne, poids lourd et principal pilier de l’UE, n’y voit que des désavantages : elle devrait suivre la France dans diverses aventures incertaines pour y défendre des intérêts qui ne sont pas les siens, elle briderait son propre développement militaire dans le cadre des exigences françaises, et elle devrait se passer au moins en partie du parapluie de l’OTAN qui l’arrange bien puisqu’il lui permet de ne pas se soucier d’augmenter massivement ses dépenses militaires et d’affronter sur ce point un prolétariat très sensible à un potentiel réarmement.

Mais la France, dont l’industrie d’armement dépend beaucoup des exportations pour compenser une demande « domestique » insuffisante, a besoin non seulement de trouver des alliés capables de lui acheter sa production, mais aussi de partenaires comme l’Allemagne dont les capacités techniques et de production l’aideraient à la fois à produire et à vendre ses armes : l’industrie française d’armement dépend déjà de l’Allemagne pour ses armes d’infanterie. Une des préoccupations centrales du gouvernement français est de limiter, voire si possible d’inverser le déclin industriel et économique du pays, qui handicape lourdement sa capacité à défendre ses intérêts partout dans le monde. Si le Brexit arrange en partie les affaires françaises en lui offrant plus de poids au sein de l’UE, il prive aussi le pays d’un potentiel partenaire pour développer des programmes militaires communs.

L’affaiblissement de la France est caractéristique de la période de décomposition, à la fois sur le plan diplomatique, industriel, militaire et culturel : incapable de peser à la mesure de ses ambitions, son industrie nationale lourdement touchée par la crise économique, l’impérialisme français est condamné, comme les États-Unis, à utiliser principalement son outil militaire pour faire valoir ses ambitions dans l’arène impérialiste.Mais ce faisant, il est de plus en plus seul, ses principaux alliés rechignant franchement à soutenir ses intérêts impérialistes propres. Cette évolution semble irréversible. La liste des reculs et déconvenues subies par la France est fort longue et guère compensée par des succès équivalents. Cette fuite en avant ne peut que générer plus de chaos, de misère et de barbarie partout où elle s’exercera : les exemples de la Syrie, de l’Afghanistan, du Sahel et de la Libye étant suffisamment parlants. Loin de porter « la paix et la démocratie » comme elle le prétend, la classe dominante française est un facteur actif de la désintégration progressive du monde capitaliste et de la généralisation de la barbarie sur toute la planète.

HD, 16 octobre 2021

 

1) « Après la crise des sous-marins, la stratégie “Indo-Pacifique” de la France dans l’inconnu [104] », Le Monde (29 septembre 2021).

2) « De l’Afghanistan au Sahel, le temps du repli pour l’Occident [105] », Libération (23  septembre 2021).

3) « L’Amérique de retour ? “Assurément”, dit Emmanuel Macron [106] », Libération (12  juin 2021).

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Tensions impérialistes

Alliance militaire AUKUS: L’exacerbation chaotique des rivalités impérialistes

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Après dix-huit mois de négociations secrètes, l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis officialisaient, le 15 septembre, la création d’un pacte militaire du nom d’AUKUS, un dispositif stratégique dans la région Indo-Pacifique permettant aux États-Unis de renforcer leur position face à la Chine.

Le chaos impérialiste s’accélère

Alors que la puissance américaine ne cesse de s’affaiblir sur l’arène mondiale, l’AUKUS a été conçu dans le but explicite d’endiguer l’expansion de la Chine dans la région. Tandis que la « République populaire » militarise des îlots en mer de Chine méridionale et sort des fournées entières de navires de guerre de ses chantiers navals, les États-Unis déversent sans discontinuer des quantités d’armes sur ses alliés et montrent régulièrement les muscles lors de spectaculaires manœuvres militaires conjointes. L’AUKUS est à ce titre une claire confirmation que la rivalité entre l’Amérique et la Chine ne cesse de s’exacerber et tend à occuper le devant de la scène internationale, obligeant les États-Unis à réorganiser leurs forces au niveau mondial (comme en témoigne le retrait d’Afghanistan) et à recentrer leur présence militaire dans le Pacifique sud.

Avec cette alliance sous égide américaine, limitée à trois pays, sans aucune participation de l’Europe, les États-Unis ont clairement décidé d’accentuer leur démonstration de force. Sous Donald Trump, la zone Indo-Pacifique était officiellement devenue « l’axe principal de la stratégie nationale américaine ». Ce n’était, bien sûr, pas une complète nouveauté dans la mesure où Obama avait déjà annoncé faire « pivoter » le gros des forces militaires américaines de l’Atlantique vers le Pacifique. Mais si d’aucuns pensaient, avec l’arrivée au pouvoir du « sage » Joe Biden, que la politique provocatrice et va-t’en-guerre de Donald Trump avait pris fin au profit d’une approche plus diplomatique, il n’en est rien : Biden, sous une forme peut-être plus policée, persiste, signe et aggrave la perspective guerrière face à la Chine, déstabilise toute la situation impérialiste mondiale.

Mais cette situation ne peut qu’exacerber les tensions et pousser la Chine à réagir. Depuis l’effondrement du bloc de l’Est, la Chine s’est imposée comme le principal rival des États-Unis, menaçant même sa toute puissance économique. La « République populaire » revendique une ribambelle de territoires, allant de simples récifs jusqu’à Taïwan, en passant par des « droits historiques » sur la totalité de la mer de Chine méridionale. La Chine souhaite bouter les Américains hors de cette région, qui connaît une présence américaine importante depuis un certain temps, particulièrement depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Pékin s’efforce donc d’affaiblir et de dénouer les alliances militaires des États-Unis, en s’imposant comme un partenaire incontournable, un « grand frère » asiatique bienveillant et aux poches pleines. Dans l’océan Indien, la Chine avance ses pions et trace ses « routes de la soie » par le biais de concessions portuaires, mais aussi d’infrastructures de transport et de télécommunication. Dans le golfe d’Aden, elle a profité d’opérations anti-piraterie pour entraîner sa marine encore peu expérimentée. En 2017, elle a même installé une base à Djibouti.

Les initiatives dans la région Indo-Pacifique se sont encore accélérées avec la pandémie de Covid-19, en multipliant les manœuvres militaires autour de Taïwan, entre Taïwan et les Philippines, ainsi que dans l’Himalaya. Les affrontements militaires dans la région du Ladakh, entre l’Inde et la Chine ont d’ailleurs montré à quel point les tensions pouvaient aboutir concrètement à des affrontements armés !

Avec les futurs sous-marins atomiques américains, l’Australie va ainsi se doter d’armes et de technologies autrement plus puissantes que les sous-marins diesel français. Avec un approvisionnement en uranium militaire enrichi, les États-Unis fournissent ainsi potentiellement à l’Australie les moyens de fabriquer une bombe atomique avec tous les risques de prolifération nucléaire dans la région et de chaos supplémentaire. L’Inde s’est également dite intéressée par les sous-marins nucléaires français et le renforcement de sa flotte aérienne par des avions Rafale…

La reconstitution des blocs n’est pas à l’ordre du jour

Certains voient les États-Unis et la Chine s’engager vers la formation de nouveaux blocs militaires en vue d’une Troisième Guerre mondiale. Ce n’est clairement pas le cas : ce partenariat stratégique, susceptible de dérapages guerriers, n’est nullement l’expression d’une tendance à la reconstitution de blocs. Il s’agit, en effet, le plus souvent, de liens ou d’alliances circonstancielles (comme c’est le cas, par exemple, entre le Japon et la Corée du Sud), voire éphémères et ponctuelles pour d’autres, essentiellement militaires dans le cas de l’alliance AUKUS, mais qui ne vont pas dans le sens d’une alliance solide propre à la formation de deux blocs, comme ce fut le cas au cours de la guerre froide.

Contrairement à ce que pourrait laisser penser le choix australien, la nouvelle confrontation impérialiste dans cette région Indo-Pacifique ne se borne pas à alimenter une confrontation entre la Chine et les États-Unis. Au contraire, l’intensification de la confrontation sino-américaine a grossi les rangs d’opposants réfractaires ou méfiants. On ne crée pas de blocs en écartant ou en humiliant ses alliés potentiels : l’Allemagne avec les entraves constantes et les sanctions économiques imposées depuis 2017 par les États-Unis aux pays européens face au gazoduc Nord Stream 2, reliant la Russie à l’Allemagne via la mer Baltique, par exemple, ou la France humiliée aujourd’hui dans l’affaire des sous-marins.

La France continue de se revendiquer comme une « puissance du Pacifique » en s’appuyant jusqu’alors principalement sur sa coopération avec l’Australie et l’Inde. L’État français avait même fait de ses ventes d’équipements militaires un pilier de sa stratégie en Asie-Pacifique. Celles-ci lui permettaient d’atteindre simultanément deux objectifs : l’un, évident, consistant à glaner des débouchés commerciaux et industriels ; l’autre visant à peser dans la tentative de contrer l’influence de la Chine. La France essayait donc de jouer les équilibristes en adoptant une attitude « conciliante » à l’égard de la Chine, tout en voulant affirmer ses intérêts dans la région à travers l’alliance économico-militaire avec l’Australie. Or, en annonçant l’alliance AUKUS et en infligeant un camouflet à la France, les États-Unis et l’Australie ont signifié que Paris n’était pas à leurs yeux un acteur majeur de la sécurité dans la région. La politique quasi unilatérale des États-Unis vis-à-vis de ses alliés constitue en elle-même la négation d’une perspective de création de bloc. La rupture de contrat de l’Australie vient d’ailleurs paradoxalement renforcer l’intérêt d’une coopération de seconds ou troisièmes couteaux impérialistes en dehors du giron américain. C’est en particulier le cas pour l’Indonésie et, bien sûr, pour la France prête à renforcer ses liens avec l’Inde.

Dans le même temps, dans une région qui a vu naître le principe du soi-disant « non-alignement », les velléités d’autonomie stratégique d’autres requins impérialistes régionaux restent importantes. L’Indonésie et la Malaisie, notamment, ont froidement accueilli ce partenariat AUKUS qui vient bousculer leurs intérêts boutiquiers. Il en est de même de la Nouvelle-Zélande qui a immédiatement affirmé son refus de voir les sous-marins australiens dans ses eaux territoriales.

Quant à la perspective d’un possible bloc impérialiste autour de la Chine, les puissances intéressées ne se bousculent pas au portillon. Même si elle a davantage de liens, en particulier commerciaux, avec des pays lointains qu’avec ses voisins, l’isolement de la Chine sur ce plan est presque total. Même la Russie sait le danger d’un partenariat majeur avec la Chine qui pourrait, à terme, venir parasiter son retour sur la scène impérialiste mondiale. Seule la Corée du Nord serait un client potentiel. C’est dire ! Le « bloc chinois » n’est donc pas en route non plus ! La dynamique des forces centrifuges et le chacun pour soi dans les rivalités impérialistes s’affirment plus que jamais dans l’évolution de cette situation.

Face à cette situation impérialiste chaotique, qui agglomère un nombre croissant d’acteurs de plus en plus armés, tous les dangers pèsent sur l’avenir. Comme une illustration de ces tensions palpables, des responsables américains, sous l’administration Trump, avaient déclaré qu’on n’arriverait pas en 2030 sans un affrontement direct entre la Chine et les États-Unis ! Et même si la France a perdu le marché des sous-marins australiens, six corvettes seront livrées à partir de 2023 à la Malaisie, des missiles Aster le sont déjà pour Singapour, des hélicoptères pour de nombreux pays comme le Vietnam, la Thaïlande, la Corée du Sud, Singapour, le Pakistan, la Nouvelle-Zélande, la Malaisie, l’Indonésie ou encore l’Inde. Cela sans compter les divers autres marchés de ventes d’armes américaines, russes, israéliennes, allemandes, chinoises, suédoises… et on en passe !

Voilà la réalité du monde capitaliste en pleine putréfaction où le chaos n’engendre que toujours plus de tensions et de barbarie !

Stopio, 9 octobre 2021

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Tensions impérialistes

La théorie du “maillon faible” et la responsabilité du prolétariat des “pays centraux”

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Le 18 septembre dernier s’est tenu une nouvelle permanence du CCI. Cette rencontre en ligne a permis aux participants d’aborder de nombreux sujets afin de mieux comprendre une situation internationale de plus en plus complexe et mouvante. Si les questions d’actualité, comme le retrait des États-Unis d’Afghanistan, le camouflet de la France autour de la vente de sous-marins ou la question des migrants ont été abordés, un point plus particulier de la situation nous a amené à débattre d’une notion élaborée au moment de la révolution russe de 1917 : la théorie du « maillon faible ».

C’est en abordant la question sociale, en lien avec les difficultés actuelles du prolétariat à mener son combat, qu’a été posée cette question théorique du « maillon faible ». Il s’agit d’une : « thèse ébauchée par Lénine et développée par ses épigones, suivant laquelle la révolution communiste débuterait, non dans les grands bastions du monde bourgeois, mais dans des pays moins développés : la “chaîne capitaliste” devait se briser à son “maillon le plus faible” ». Trois positions se sont dégagées dans la discussion :

– la première, défendue par quelques camarades, reprenait à son compte cette théorie développée par Lénine. Par exemple, une intervention avançait ceci : « l’idée de Lénine d’attaquer la révolution dans un pays où la bourgeoisie est la plus faible me semble valable. […] Il est difficile de faire la révolution dans les pays centraux car la bourgeoisie est très implantée et maîtrise la situation ». Une autre intervention, allant dans le même sens, évoquait la « force numérique du prolétariat en Chine », sous-entendant que ce pays pouvait être un possible « maillon faible » pour le futur, du fait du grand nombre d’ouvriers : « la Chine a su développer, avec des moyens capitalistes, une classe ouvrière dont on ne parle jamais. Mais on ne sait jamais ce qui se passe en son sein, alors qu’elle a une histoire ».

– la seconde position, défendue par quelques camarades, consistait à dire que la théorie du « maillon faible » n’avait au fond plus lieu d’être, eu égard à la faiblesse actuelle du prolétariat : « Il n’y a pas de maillon faible. C’est le prolétariat dans son ensemble qui est dans une situation de faiblesse ».

– Enfin, le troisième positionnement, celui du CCI, rejetait la théorie du « maillon faible ».

La question du “maillon faible” se pose-t-elle encore aujourd’hui ?

Avant de revenir sur les différents points de vue qui se sont exprimés, nous voudrions apporter une réponse à la seconde position défendue dans le débat, celle selon laquelle la théorie du « maillon faible » est en quelque sorte devenue sans objet. Nous pensons, au contraire, que déterminer comment « briser la chaîne capitaliste » reste une question que doivent se poser en permanence les révolutionnaires, même si, naturellement, cet objectif lié au but final, le communisme, n’est pas réalisable à tout moment. En effet, derrière une telle question est posée celle du projet communiste lui-même. En faisant dépendre la question que pose la théorie du « maillon faible » des luttes immédiates du prolétariat ou d’un rapport de force sanctionnant les faiblesses immédiates de la classe, cette approche se base sur une vision photographique du mouvement ouvrier. Il s’agit d’une démarche contraire à la façon dont la classe développe sa conscience sur un plan historique. En réalité, la pertinence d’une critique de la théorie du « maillon faible » ne dépend pas du rapport de force immédiat entre les classes, ni des conditions de la lutte dans tel ou tel endroit du globe à l’instant t, mais exprime une des grandes leçons historiques du mouvement ouvrier permettant de saisir le processus conscient, réel et concret de la lutte de classe.

La révolution de 1917 confirme-t-elle la validité de la théorie du “maillon faible” ?

Comme nous l’avons souligné dans nos réponses, si les conditions historiques très particulières liées à la Première Guerre mondiale ont permis l’éclatement de la révolution en Russie et la prise du pouvoir par les ouvriers dans un bastion où la bourgeoisie était effectivement « faible », cet événement ne valide pas pour autant le point de vue de Lénine et le fait qu’il faudrait faire de cette exception une règle.

Tout au contraire, malgré la tentative héroïque et l’extraordinaire expérience de la prise du pouvoir par les soviets, l’échec de la vague révolutionnaire mondiale apporte déjà la réponse. En effet, si la classe ouvrière en Russie a pu bénéficier de l’apport exceptionnel des bolcheviks et, particulièrement, de Lénine, il faut en premier lieu rappeler que cet apport est avant tout celui d’un combat du prolétariat international.

Par ailleurs, si la classe ouvrière a pu prendre le pouvoir en Russie du fait de la guerre qui s’éternisait et du fait d’une bourgeoisie peu préparée, surprise et divisée, le capitalisme mondial, qui semblait vaciller sur son « point faible », a très rapidement repris du poil de la bête. En effet, après la prise du pouvoir d’Octobre 1917, la bourgeoisie a su rapidement tirer des enseignements et faire bloc contre la révolution : tant pour écraser le prolétariat en Allemagne que pour isoler la Russie rouge. Ainsi, comme au moment de la Commune en 1871, les ennemis impérialistes se sont rapidement coalisés contre leur ennemi de classe. La guerre étant un facteur de radicalisation et de prise de conscience révolutionnaire, les bourgeoisies des deux camps (de l’Entente et de la triple Alliance) ont rapidement signé un armistice. Elles ont ensuite coopéré pour étouffer dans le sang et par la famine le bastion russe excentré et écraser la révolution mondiale.

C’est une coopération certes différente, mais de même nature, que nous avons pu observer bien plus tard en 1980 lors de la grève de masse en Pologne. Au moment où le prolétariat exprimait sa lutte de manière autonome dans le bloc de l’Est, les bourgeoisies occidentales, par le biais de « conseillers » syndicaux (notamment de la CFDT), prêtaient main forte aux dirigeants staliniens et syndicalistes afin de contenir et briser le mouvement. Cela, en accentuant les préjugés liés à l’idéologie démocratique par une propagande destinée à enfermer les ouvriers dans l’étau syndical, celui de l’organisation Solidarnosc. La bourgeoisie a cherché, en effet, à briser la force du mouvement qui s’exprimait dans un processus de grève de masse qui rencontrait un énorme écho dans la classe ouvrière de nombreux pays. Il fallait donc à tout prix casser cette dynamique en enfermant le mouvement dans une logique syndicale, privant la classe de la maîtrise de sa lutte, en la livrant pieds et poings liés à la répression féroce du général Jaruzeslki, à la force brutale de l’État.

La Chine, nouveau “maillon faible“ ?

Un pays comme la Chine, au développement industriel spectaculaire, au prolétariat très nombreux et à la bourgeoisie « faible » (si on considère ses archaïsmes et rigidités héritées du modèle stalinien) n’est-il pas le nouveau « maillon faible » en faveur d’une future révolution ? S’il est vrai que le prolétariat en Chine a bien une histoire, comme l’a souligné une camarade, s’il est effectivement nombreux et concentré dans de grandes usines et villes gigantesques, il ne possède cependant pas la même expérience ni le même poids politique que dans les pays centraux du capitalisme. D’abord, parce qu’il a été totalement écrasé par la contre-révolution stalinienne des années 1920, notamment dans les métropoles comme Shanghaï ou Canton. Ensuite, parce qu’il a été laminé par des décennies de maoïsme, de bourrage de crâne nationaliste, noyé dans les archaïsmes eux-mêmes utilisés et exploités afin d’abrutir des masses longtemps restées incultes et sous le joug du parti-État.

Après les traumatismes des guerres, la pénurie chronique, les famines et ensuite la « révolution culturelle », l’ère ouverte plus tardivement par Deng Xiaoping n’a fait que renforcer l’illusion d’un « nouveau modèle » ultra-nationaliste. Ce rouleau compresseur n’a laissé que peu d’espace au prolétariat en Chine, notamment celui fraîchement déraciné des campagnes, complètement isolé du reste du monde, pour l’instant un des plus perméables à la mystification démocratique, comme on a pu le constater déjà en 1989 lors du soulèvement de la place Tian’anmen et plus récemment lors des mouvements pro-démocratie à Hong Kong.

La responsabilité du prolétariat des pays centraux

La position de Lénine sur la théorie du « maillon faible », erronée au moment où il l’avait formulée, est d’autant plus invalidée aujourd’hui qu’elle est devenue une idée très dangereuse pour la classe ouvrière. Elle tend non seulement à sous-estimer la force de la bourgeoisie au niveau mondial, mais aussi à développer une conception biaisée de la lutte de classe et de la situation réelle du prolétariat. Penser que dans la périphérie du capitalisme, l’état de la conscience, la colère et la combativité pourraient déboucher sur un mouvement révolutionnaire, susceptible d’orienter le prolétariat mondial est un leurre. Aujourd’hui, le poids de la contre-révolution, celui des campagnes idéologiques de masse et les mystifications démocratiques et nationalistes, dans un contexte où les effets de la décomposition se sont renforcés, pèseront plus fortement dans les pays de la périphérie où le prolétariat est généralement moins nombreux, moins concentré et surtout moins expérimenté.

Le prolétariat n’est pas un bloc monolithique où toutes les parties seraient homogènes. Le prolétariat a bien une histoire, une expérience, une avant-garde révolutionnaire, mais qui restent liées à l’histoire même du capitalisme et aux conditions variées de son développement dans des nations différentes. Marx et Engels insistaient sur le fait que si le prolétariat était bien une force politique internationale, si les prolétaires de tous les pays devaient s’unir, le cœur de la révolution mondiale, pour les raisons invoquées, était situé au centre de la vieille Europe industrielle. C’était aussi le point de vue de Rosa Luxemburg qui avait tiré les leçons de la grève de masse en 1905 en Russie pour le mouvement international, soulignant au moment de la prise du pouvoir par les bolcheviks en 1917 que « la question en Russie » n’était que « posée » et ne pouvait se résoudre qu’à l’échelle mondiale. Paradoxalement, Lénine lui-même attendait avec impatience des soulèvements en Europe occidentale, plus particulièrement en Allemagne.

La conception du CCI est nourrie par une méthode qui prône une lutte globale et mondiale. Nous n’opposons nullement les prolétaires du « centre » à ceux de la « périphérie ». Nous défendons au contraire l’unité internationale des travailleurs. Ce n’est pas parce que certaines parties du prolétariat sont plus expérimentées que d’autres, qu’elles s’opposent ou se trouvent en concurrence. Le prolétariat, comme classe exploitée, prend conscience de son combat dans un processus hétérogène et non linéaire. Son combat est justement celui de s’unir et s’organiser de façon consciente au niveau international. La classe dominante utilise et instrumentalise, d’ailleurs, systématiquement les faiblesses des luttes et les préjugés démocratiques qui existent chez les ouvriers dans les pays périphériques contre le prolétariat des pays centraux, notamment en Europe. C’est une des raisons pour laquelle le prolétariat des pays centraux a besoin du lien vital avec les luttes de ses frères de classe de la périphérie. Il doit absolument défendre, par son combat, le principe de l’unité internationale du combat contre le capital.

Si le prolétariat mondial parvient à affirmer de nouveau sa perspective révolutionnaire, la clé du succès sera déterminée par le sort du vieux centre industriel en Europe :

– parce que c’est l’endroit de l’enfance du mouvement ouvrier, les débuts de l’expérience révolutionnaire depuis les premiers assauts de 1848 jusqu’à la Commune et à Mai 68 ;

– parce que la bourgeoisie et les mystifications démocratiques, syndicales y sont les plus sophistiquées et le prolétariat le plus aguerri ;

– parce qu’il s’est confronté aussi à la contre-révolution et aux pièges démocratiques les plus pernicieux et radicaux ;

– parce que du fait de la proximité de multiples frontières entre les nations les plus puissantes d’Europe, la question de l’internationalisme se pose d’emblée au prolétariat ;

– parce que le milieu de la Gauche communiste, bien que minoritaire et encore faible, y est le plus présent et le plus nombreux ;

Le prolétariat devra poursuivre un effort conscient pour renouer avec sa mémoire et ses traditions basées sur 200  ans de luttes acharnées au cœur du capitalisme. Cela pour, quand le moment sera venu, montrer le chemin, offrir une perspective, étendre le plus rapidement possible son combat au reste du monde.

WH, 10 octobre 2021

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  • maillon faible [112]

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Permanence en ligne du 18 septembre 2021

Texte du mouvement ouvrier: Un extrait de “La Révolution russe” de Rosa Luxemburg

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Dans l’extrait ci-dessous, Rosa Luxemburg exprime ce que nous mettons en avant dans notre article à propos de la théorie du «  Maillon faible  » : l’importance de la responsabilité du prolétariat des pays centraux dans le processus révolutionnaire international. En l’occurence, elle souligne plus particulièrement celle du prolétariat allemand qui, à l’époque, était considéré comme la force déterminante du mouvement international dont on devait attendre la contribution décisive pour une victoire sur la bourgeoisie mondiale.


Tout ce qui se passe en Russie s’explique parfaitement : c’est une chaîne inévitable de causes et d’effets dont les points de départ et d’arrivée sont la carence du prolétariat allemand et l’occupation de la Russie par l’impérialisme allemand. Ce serait exiger de Lénine et de ses amis une chose surhumaine que de leur demander encore, dans des conditions pareilles, de créer, par une sorte de magie, la plus belle des démocraties, la dictature du prolétariat la plus exemplaire et une économie socialiste florissante. Par leur attitude résolument révolutionnaire, leur énergie sans exemple et leur fidélité inébranlable au socialisme international, ils ont vraiment fait tout ce qu’il était possible de faire dans des conditions si terriblement difficiles. [...]

Les socialistes gouvernementaux d’Allemagne peuvent bien crier que la domination des bolcheviks en Russie n’est qu’une caricature de dictature du prolétariat. Qu’elle l’ait été ou non, ce ne fut précisément que parce qu’elle était une conséquence de l’attitude du prolétariat allemand, laquelle n’était pas autre chose qu’une caricature de lutte de classes. Nous vivons tous sous la loi de l’histoire, et l’ordre socialiste ne peut précisément s’établir qu’internationalement. Les bolcheviks ont montré qu’ils peuvent faire tout ce qu’un parti vraiment révolutionnaire peut faire dans les limites des possibilités historiques. Qu’ils ne cherchent pas à faire des miracles. Car une révolution prolétarienne modèle et impeccable dans un pays isolé, épuisé par la guerre, étranglé par l’impérialisme, trahi par le prolétariat international, serait un miracle. Ce qui importe, c’est de distinguer dans la politique des bolcheviks l’essentiel de l’accessoire, la substance de l’accident. Dans cette dernière période, où nous sommes à la veille des luttes décisives dans le monde entier, le problème le plus important du socialisme est précisément la question brûlante du moment : non pas telle ou telle question de détail de la tactique, mais la capacité d’action du prolétariat, la combativité des masses, la volonté de réaliser le socialisme. Sous ce rapport, Lénine, Trotsky et leurs amis ont été les premiers qui aient montré l’exemple au prolétariat mondial ; ils sont jusqu’ici encore les seuls qui puisent s’écrier avec Hutten : « J’ai osé ! »

C’est là ce qui est essentiel, ce qui est durable dans la politique des bolcheviks. En ce sens, il leur reste le mérite impérissable d’avoir, en conquérant le pouvoir et en posant pratiquement le problème de la réalisation du socialisme, montré l’exemple au prolétariat international, et fait faire un pas énorme dans la voie du règlement de comptes final entre le Capital et le Travail dans le monde entier. En Russie, le problème ne pouvait être que posé. Et c’est dans ce sens que l’avenir appartient partout au bolchevisme.

Rosa Luxemburg, 1918

Personnages: 

  • Rosa Luxemburg [113]

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  • Révolution russe [114]

Les caractéristiques historiques de la lutte des classes en France (partie 2)

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Dans le premier volet de cette série, nous avons vu que le prolétariat en France était marqué dans ses gènes par une forte tradition de combativité, d’explosivité de ses luttes et par une expérience politique le plaçant aux avant-postes de l’héritage prolétarien international. Dans ce deuxième volet, nous allons revenir plus particulièrement sur sa lutte politique, mais aussi sur les difficiles conditions de son évolution suite à la défaite de la Commune et à la persistance de mythes hérités de la révolution bourgeoise de 1789.

Le combat politique du prolétariat en France a pour toile de fond le cœur des grands et vieux bastions industriels de l’Europe occidentale. En ce sens, il est amené à jouer un rôle important dans la lutte de classe internationale, comme nous avons pu le souligner dans le premier article de cette série.

Un combat au cœur des pays les plus industrialisés

La révolution ne pourra pas se dérouler dans un seul pays, contrairement au mensonge stalinien ou aux visions petite-bourgeoises « hexagonales » centrées sur le souvenir lointain de la révolution bourgeoise de 1789 et son idéologie républicaine réactionnaire. Engels soulignait ceci en 1847 : « La révolution communiste […] ne sera pas une révolution purement nationale ; elle se produira en même temps dans tous les pays civilisés, c’est-à-dire tout au moins en Angleterre, en Amérique, en France et en Allemagne. […] Elle est une révolution universelle ; elle aura par conséquent, un terrain universel ». (1) Ce n’est qu’en partant de ce cadre historique et mondial qu’il est possible de comprendre quelle peut être la contribution de telle ou telle partie du prolétariat. Selon cette méthode, les plus grandes figures du mouvement ouvrier, à commencer par Marx, Engels, Luxemburg, Trotsky ou Lénine, se sont intéressés de près aux luttes de classes en France, pays qui compte en effet de grandes concentrations ouvrières, surtout parmi les plus instruites et expérimentées au monde. (2)

L’héritage des luttes pré-capitalistes

Depuis les débuts du mouvement ouvrier, l’unique exemple de prise du pouvoir insurrectionnel fut celui de la Révolution française de 1789. En cela, il marqua les esprits du prolétariat naissant dans tous les pays avancés, tout au long du XIXe  siècle et même au-delà. Cette révolution bourgeoise sera une source d’admiration et d’inspiration positive pour les jeunes Marx et Engels et la génération de révolutionnaires de cette époque, encore marquée par la résistance face à la présence politique des vieilles couches ou vestiges de l’aristocratie féodale. Sur le plan des idées, les matérialistes français du XVIIIe  siècle vont aussi nourrir ces milieux intellectuels radicaux, notamment celui des jeunes hégéliens de gauche en Allemagne jusqu’à la naissance du matérialisme dialectique propre au marxisme. L’héritage de fortes tensions entre les classes en France, qui pré-existait dans les mouvements pré-capitalistes, allait également marquer la classe ouvrière naissante. Dans les premiers foyers industriels d’Île-de-France, dans le Nord et la région lyonnaise, des luttes « populaires » et une forte tradition de jacqueries avaient précédé les combats ouvriers. Loin en arrière, en 1358, par exemple, autour de la région parisienne, on notait déjà une forte simultanéité des révoltes. À Paris, des mouvements quasi insurrectionnels, comme celui d’Étienne Marcel, riche drapier bourgeois et prévôt des marchands, allaient se multiplier et fortement marquer les esprits en laissant des traces dans les mémoires. Bien entendu, si des « ouvriers » étaient mentionnés à l’époque d’Etienne Marcel, notamment pour creuser des fossés et des travaux de fortifications, comme l’atteste les Chroniques de Jehan Froissart, ils ne pouvaient nullement être assimilés à ceux de l’industrie moderne, ni être les véritables acteurs d’un mouvement mené principalement par la bourgeoisie naissante et la petite bourgeoisie (avec d’autres composantes populaires misérables pratiquant parfois des pillages). Les mécontents étaient drainés dans le sillage d’événements qui les dépassaient, accompagnant domestiques, valets, compagnons et autres manouvriers derrière les maîtres, artisans et boutiquiers. Ces derniers, beaucoup plus à l’initiative, composaient en fait le gros de la population parisienne à l’époque de l’Ancien régime.  Bien plus tard en 1539, à Lyon, la ville des canuts, une grève de nature quasi ouvrière, pour l’augmentation des salaires, prenait déjà l’allure d’une sorte de « guerre civile ». Le mouvement dura plusieurs semaines, fût difficilement brisé et seul un édit royal de 1544 allait mettre momentanément un terme à l’agitation persistante. Une telle explosion était assez fréquente dans cette région déjà assez urbanisée. En réalité, tous ces travailleurs n’étaient pas vraiment encore tout à fait des prolétaires, restant le plus souvent en possession de leurs moyens de production : bon nombre possédaient encore leur propre métier à tisser. Au XVIIIe  siècle, notamment à Paris, les masses plébéiennes étaient souvent impliquées dans de véritables soulèvements accompagnant le déclin des corporations. Même si elles étaient d’une nature sociale différente des luttes ouvrières à proprement parler, ces traditions ont pu, là encore, marquer de leur empreinte le futur prolétariat. (3) Durant la révolution française, de multiples nuances composaient la masse très hétérogène des sans-culottes participant aux soulèvements populaires. Ils étaient une expression politique là aussi pré-capitaliste et ne sauraient être confondus avec le prolétariat naissant. Cependant, un prolétariat embryonnaire pouvait déjà se distinguer par le potentiel de son radicalisme, formant des groupes de chômeurs affamés, des coalitions de compagnons et journaliers mécontents ne disposant que d’un maigre salaire pour vivre. Les salariés des industries émergentes esquissaient déjà les traits des futures « classes dangereuses » régulièrement rappelées à l’ordre par les milices bourgeoises, souvent par la brutalité et/ou des concessions, notamment sur le prix du pain ou les salaires. Le prolétariat parisien, encore très minoritaire et peu développé participa donc certainement aux moments clés des combats révolutionnaires, aux grands assauts populaires du 14  juillet contre la Bastille, à l’insurrection du 10  août 1792, à la levée en masse d’août 1793 et aux insurrections parisiennes de germinal et prairial de l’an  III en 1795 pour des motifs qui étaient encore très loin de ses intérêts de classe et de la forme d’une lutte autonome. Dans le combat contre l’aristocratie, le prolétariat restait encore très soudé à la bourgeoisie. Les faubourgs qui allaient devenir bien plus tard les futures banlieues rouges, marchèrent certainement avec les fédérés. À la fin de l’année 1792, les « enragés » (4) firent de nets progrès dans les sections parisiennes, expression radicale d’une fraction populaire, mais là encore, sans véritable présence du prolétariat. Jaurès dira de ces « enragés » qu’ils n’étaient « pas sur le chemin du communisme » et précisait que « si leur doctrine prépara le communisme, ce fut par sa contradiction et son impuissance ». (5)

Mais avec Babeuf et la « conjuration des Égaux » (1795 et 1796), l’organisation politique du prolétariat en formation marquait déjà une véritable rupture avec les méthodes du mouvement populaire et de la « plèbe » par sa capacité à mettre en avant une identité propre et une perspective : celle du communisme. Ainsi, ce que montre l’aube du mouvement ouvrier en France, outre une tradition de luttes spontanées et violentes, c’est que tout un combat progressif conscient était sur le point de naître et tendre à s’affirmer, certes difficilement, pour se constituer, au cours d’un long processus de maturation, comme classe distincte et se dégager peu à peu de cette masse informe et abstraite que constitue le « peuple ».

Le mythe de la « grande révolution », autour de ses figures radicales (comme Robespierre) allait aussi peser de tout son poids sur la classe ouvrière à travers la construction d’une mythologie autour de notions aussi confuses que celle de « peuple » et de « république sociale » (voire « ouvrière »). Sans pour autant freiner ses progrès historiques et sa capacité à développer ses luttes. En effet, la Révolution française, par son premier impact, fut malgré tout une source d’expérience unique de mouvements à caractère insurrectionnels et explosifs.

L’affirmation par la lutte et les obstacles pour se constituer en classe

Plusieurs courants communistes en France allaient peu à peu fleurir, embués par ce passé lié à la révolution bourgeoise, plus ou moins directement inspirés par le babouvisme, en particulier le courant blanquiste. (6) Parmi les sociétés révolutionnaires blanquistes, on allait vite trouver avant 1848 des camarades d’autres nationalités : des Suisses, des Belges, des Allemands… Une forte tradition organisationnelle et surtout un véritable esprit de combat allaient s’affirmer peu à peu, s’incarnant notamment dans les débats prolétariens qui allaient s’amplifier tout au long du XIXe  siècle, pour déboucher sur les premières prises de décisions et les ébauches de correspondances internationales. C’est dans le prolongement de ces combats que Marx allait lui-même être gagné à la cause des ouvriers parisiens et allait jouer un rôle militant et politique central au plan international par ses talents d’organisateur et de théoricien.

Dans les années 1840, Paris était un des centres politiques majeurs de l’Europe, un véritable chaudron dont l’emblème était, là encore, la « grande révolution » de 1789. Le mouvement ouvrier était alors confronté à d’anciens restes de sociétés secrètes ouvrières et à des écoles utopistes, de même qu’à différentes chapelles parmi lesquelles se trouvaient de nombreux proudhoniens. Foyer d’exil de nombreux révolutionnaires, Paris était une capitale d’effervescence politique qui accueillait aussi de nombreuses organisations, influencées par des militants allemands, diffusant une presse révolutionnaire. Marx et Engels séjourneront ensemble et bénéficieront de toute la richesse de la réflexion politique ouvrière de la capitale française pour finir par être pleinement gagnés au communisme, comme l’illustrent les célèbres Manuscrits de 1844, rendant compte d’une première élaboration critique des catégories de l’économie politique bourgeoise. Si Marx a aussi abordé les questions économiques prenant en compte une dimension philosophique, ses contacts dans les clubs ouvriers parisiens et la fréquentation de militants révolutionnaires le conduisirent à affermir sa méthode matérialiste, ses positions fondamentales. Expulsé en 1845, Marx tentera avec Engels de créer un bureau de correspondance communiste à Paris depuis Bruxelles en essayant d’y associer vainement Proudhon.

Cette ébullition politique fut également marquée par de nombreuses polémiques qui permirent de clarifier les principes et les bases programmatiques du mouvement ouvrier. Celle que Marx engage en réponse à Proudhon, dont il critique les doctrines économiques dans Misère de la philosophie, publié en 1847, reste emblématique. Mais il est établi qu’en France, les grands débats théoriques et les questions d’organisation étaient d’emblée posés au niveau international. Le prolétariat en France, formé par des ouvriers de différentes corporations, notamment du luxe et du bâtiment, constituait alors un des piliers majeurs dans la recherche de contacts internationaux. (7) Tout cela participera à la constitution des futures Internationales ouvrières qui verront le jour par la mise en relation des militants socialistes des principaux pays : Anglais, Allemands, Italiens, Suisses, Belges…

La lutte des classes en France était ainsi marquée d’un esprit révolutionnaire particulièrement combatif et d’une réelle vision politique solidaire. Dans notre précédent article, nous avions souligné que le prolétariat international avait pu bénéficier des apports des débats et de ses grandes luttes héroïques, en particulier celles de février et juin 1848 ou le prolétariat s’était exprimé clairement et ouvertement, pour la première fois, faisant irruption comme classe distincte et autonome. Cette dynamique, où des leçons fondamentales avaient été tirées par Marx et Engels notamment, allaient constituer une force pour tout le mouvement international qui allait suivre, de même pour la Commune.

Cependant, les confusions héritées autour de l’expérience de la Révolution française et sa notion de « peuple » et de « république sociale », coexistaient aussi avec une forte influence des idées véhiculées notamment par les proudhoniens. En 1851, outre son mépris et l’expression d’une certaine déception, voire d’amertume, Proudhon exprimait toute sortes de confusions centrées sur la notion de « peuple ».

Après 1860, Proudhon était encore vivant et, après sa sortie de prison, conservait une grande partie de ses adeptes même si son discours s’était émoussé depuis l’époque des premières confrontations et la polémique avec Marx. Il développait désormais « une théorie tout à fait pacifique adaptée au mouvement ouvrier légal. Les proudhoniens se donnaient pour but d’améliorer la situation des ouvriers, et les moyens qu’ils proposaient à cet effet étaient adaptés principalement aux conditions de vie des artisans ». (8)

L’influence des idées de Bakounine se propageait également, mais dans une moindre mesure, affectant malgré tout Jules Guesde lui-même. Elles n’en seront pas moins néfastes. Le poids des idéologies de ce type, de nature petite bourgeoise, allait encore se renforcer par la suite et infester les consciences ouvrières, surtout après l’écrasement de la Commune.

Une difficile unité politique

Les combats qui allaient suivre la terrible défaite sanglante de 1871 allaient être marqués par la dispersion des Communards et les divisions en leur sein, rendant très difficile la poursuite d’un travail organisé et structuré sur les bases de la méthode marxiste. L’avant-garde du prolétariat en France s’était en effet avérée incapable de tirer les leçons de la Commune, tant sur le plan politique qu’organisationnel. Marx soulignait déjà, avec mordant, les prémices de ces graves faiblesses et leur corollaire au moment même de la Commune : « On ne voulut pas commencer la guerre civile, comme si ce méchant avorton de Thiers ne l’avait pas déjà commencée, en tentant de désarmer Paris. Deuxième faute : le comité central se démit trop tôt de ses fonctions pour faire place à la Commune ». (9) Toutes ces carences, rendant caduque la possibilité d’une véritable continuité politique tournée vers le futur, fait que cette expérience de nature prolétarienne a donné prise au monde des apparences, à diverses pollutions idéologiques, notamment celles de l’anarchisme officiel : par exemple à son audace de proclamer frauduleusement la Commune comme étant un « modèle d’anarchisme ».

Par ailleurs, la forte influence d’idéologies jacobines, héritage de la Révolution de 1789, teintées de nationalisme, formait un obstacle supplémentaire à l’ancrage de l’internationalisme prolétarien dans les rangs du prolétariat. Tout cela joua un rôle important dans la très faible implantation du marxisme, jamais réellement compris et assimilé. Dans ces conditions, la naissance d’un parti socialiste unifié en France n’allait émerger que difficilement et tardivement, en mai 1905 par la création de la Section française de l’Internationale Ouvrière (SFIO), et qui plus est, avec un tas de faiblesses chroniques. (10)

Un premier pas significatif fut la création en 1878 d’une structure unitaire, la Fédération du parti des travailleurs socialistes de France (FPTSF). Mais la désunion s’imposait au moment des différents congrès, comme ceux de 1880 et 1881. Même si quelques années plus tard, en 1893, se constitua le Parti ouvrier français de Jules Guesde, avec une ossature la plus solide, il allait lui aussi être confronté à des confusions politiques et affronter des scissions. Plusieurs sensibilités politiques allaient renforcer les difficultés et des divisions très profondes. Celle des Possibilistes de Paul Brousse, qui fondèrent en 1882 la Fédération des travailleurs socialistes de France (FTSF), marquée par le mutualisme, un fédéraliste anarchisant proudhonien. Les partisans de Jean Allemane, qui formèrent en 1890 le Parti ouvrier socialiste révolutionnaire (POSR) avec également des visions fédéralistes, celles d’une sorte de syndicalisme autogestionnaire et d’un réformisme municipal. On avait en plus des visions blanquistes, vision d’une petite minorité organisée conspirative, destinée à mener des actions révolutionnaires pour entraîner le « peuple ». Tout ceci fit que la dynamique vers une unification, pourtant appuyée par la Seconde Internationale après 1889 et par la social-démocratie allemande, fut relativement difficile. D’autant plus qu’après l’éclatement de l’affaire Dreyfus en 1894, ces visions ont empoisonné la conscience du prolétariat et alimenté fortement ses divisions pendant des années. À cela, s’ajoutait les conceptions de socialistes indépendants, comme Jaurès ou Millerand, qui allaient devenir hégémoniques, soulevant des questions cruciales, comme celle à propos du « ministérialisme », c’est–à-dire la participation des socialistes au gouvernement, faisant l’objet de vifs débats internationaux. (11)

C’est dans cette situation difficile pour trouver l’unité, que l’opportunisme croissant au sein de la social-démocratie, se manifestant par l’affermissement des illusions réformistes et le poids du crétinisme parlementaire, (12) allait finir par mener de nombreuses organisations socialistes à la trahison du prolétariat par le soutien à la Première Guerre mondiale, la fameuse « union sacrée » à laquelle adhéra la SFIO juste après l’assassinat de Jean Jaurès en août 1914. (13)

Le syndicalisme révolutionnaire, une réaction confuse face à l’opportunisme

L’essentiel du combat contre l’opportunisme s’était exprimé presque essentiellement par l’influence croissante du syndicalisme révolutionnaire. Son idéologie fortement influencée par l’anarchisme, par des penseurs comme Fernand Pelloutier et surtout George Sorel, prônait une organisation de la société sur la base d’un modèle gestionnaire de type syndical, se faisant l’ardent propagandiste du mythe du « grand soir », par le moyen de la « grève générale » qui devait, du jour au lendemain, laisser place à une administration ouvrière gérée par le syndicat. Très présents, avec des figures minoritaires restées fidèles à l’internationalisme prolétarien, comme Rosmer ou Monatte, le syndicalisme révolutionnaire de la CGT trouvait son apogée avant la guerre et la révolution d’Octobre 1917. Ainsi, ils sont aux avant-postes lors de la grève de 1908 à Draveil et Villeneuve-Saint-Georges, réprimée par Clemenceau, où plusieurs grévistes furent tués et arrêtés. De même, lors de la grève des cheminots de 1910, elle aussi sévèrement réprimée par l’armée qui avait dû intervenir pour garantir le maintien de l’ordre. L’idéologie syndicaliste révolutionnaire imprégnait bien alors une partie de la classe ouvrière. La raison principale en est que contrairement à la social-démocratie allemande ou au POSDR en Russie, à l’image du travail de Rosa Luxemburg ou des bolcheviks, le mouvement ouvrier en France n’avait pas été capable de faire émerger une véritable gauche marxiste, capable de construire une démarche organisationnelle sur des bases claires et solides. (14)

Au moment de la prise du pouvoir par le prolétariat en 1917, malgré de nombreuses sympathies pour la révolution mondiale, les forces politiques qui allaient mener à la scission au congrès de Tours, en décembre 1920, (15) étaient désarmées et se prononçaient en faveur de la IIIe  Internationale tout en restant profondément marquées par de grandes confusions qui ne pouvaient avoir que des conséquences négatives.

Dans le prochain article de cette série, nous aborderons la question du combat pour la défense de l’internationalisme durant la Guerre, puis le mouvement révolutionnaire et la contre-révolution stalinienne. Nous verrons aussi comment, après le réveil du prolétariat mondial en 1968, les luttes en France se sont développées jusqu’à la fin des années 1980, apportant de nouvelles leçons précieuses pour les combats futurs.

WH, juillet 2021

 

1) Engels, Principes du Communisme (1847).

2) Voir « Critique de la théorie du maillon faible [115] », Revue internationale n° 31 (4e  trimestre 1982).

3)  Babeuf, par exemple, était très fortement marqué par la lutte des paysans en Picardie.

4) Lors de la Révolution française, les enragés étaient un groupe de révolutionnaires radicaux revendiquant l’égalité civique, politique et sociale

5) Jaurès, Histoire socialiste de la Révolution française (1908)

6) Mouvement politique de nature conspiratrice né autour de la figure d’Auguste Blanqui dans la première moitié du XIXe  siècle.

7) On peut ainsi évoquer les initiatives au moment des expositions universelles officielles à Paris ou à Londres, mais plus encore, les liens et rencontres entre ouvriers, émigrés ou non, à Londres. En septembre 1864, par exemple, l’ouvrier Tolain était mandaté en délégation à Londres.

8) Riazanov, Conférences de 1922.

9) Lettre à Kugelmann (12  avril 1871).

10) Voir la série sur notre site  : « Histoire du parti socialiste (1878-1920) ». [116]
 

11) Une vive polémique éclata suite à l’entrée du socialiste Alexandre Millerand comme ministre au gouvernement bourgeois Waldeck-Rousseau en 1889.

12)  L’opportunisme est une sorte de “maladie” propre au mouvement ouvrier qui se caractérise par la pénétration en son sein d’idéologies étrangères, bourgeoise et/ou petite-bourgeoise. Il se traduit par de l’immédiatisme, de l’impatience, des concessions à des visions qui conduisent à s’accommoder au système capitaliste au lieu de le combattre  : en l’occurrence celle du réformisme qui a fortement gangrené les partis socialistes de la IIe  internationale, dont la SFIO.

13) « Jean Jaurès et le mouvement ouvrier [117] », Révolution internationale n° 448 (sept.-oct.  2014).

14) Après la lutte révolutionnaire de 1905, Paris fut une ville d’accueil des révolutionnaires dans l’immigration et un centre du parti bolchevik dans la clandestinité. Son séjour parisien aura été une circonstance supplémentaire lui permettant de mettre en exergue la faiblesse du marxisme au sein de la classe ouvrière en France et dans ses organisations politiques.

15) « Il y a 100 ans, le congrès de Tours, un anniversaire dévoyé ! », Révolution internationale n°  486 (janv.-fév. 2021).

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Histoire du mouvement ouvrier

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