Covid-19 en Afrique: Du vain espoir de 2020 à la dure réalité de 2021

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En 2020, avec l’expansion fulgurante du Covid-19 dans le monde, le continent africain paraissait relativement épargné, un continent où, dans de nombreux pays, une épidémie en chasse une autre, avec des services sanitaires très dégradés, voire inexistants, où la corruption règne en maître, où on se demande si la fosse insondable de la misère a une fin. Mais, en 2020, l’Afrique paraissait échapper à cette nouvelle calamité, à l’exception de l’Afrique du Sud où le taux de mortalité officiel reste élevé depuis le printemps dernier. Pourtant, rien qu’en regardant la situation de ce pays, le seul de l’Afrique subsaharienne doté d’un système sanitaire plus ou moins correct, on pouvait déjà imaginer ce qui allait se passer dans le reste du continent, si le Covid-19 se propageait davantage. Avec le nouveau variant dit “sud-africain”, la menace se concrétise.

Certes, il y a les “aléas” du virus, mais il y a surtout la certitude que la plupart des États d’Afrique sont gouvernés par des bourgeoisies nationales cleptomanes, clanistes et parasitaires, une classe dominante “jeune” mais déjà bien décomposée.

Des populations victimes de l’incurie des États

Pendant l’année 2020 et pour justifier l’inaction des États, toute une série de mythes, de mensonges et d’approximations ont circulé en Afrique, (1) relayés par les différents pouvoirs : le Covid-19 éviterait l’Afrique parce que la population y est majoritairement jeune, parce que le climat ne lui est pas favorable, parce qu’il y a une moindre interaction avec les autres continents, voire qu’il s’agit d’une “maladie de Blancs”, tout cela assaisonné par des croyances plus ou moins ancestrales. La bourgeoisie et ses États utilisent ces croyances pour rendre les populations africaines encore plus soumises et résignées, ces populations qui souffrent déjà des ravages des épidémies à répétition. Pendant ce temps, le virus continuait à se répandre, mais, dans certains pays, cela se voyait surtout dans les cimetières, jouant le rôle morbide des statistiques tandis que les fossoyeurs jouaient celui des comptables. (2)

Certaines affabulations sont même arrivées à auto-mystifier plusieurs dirigeants : “Au Zimbabwe, le sommet de l’État décimé par l’épidémie”, titrait le journal français Le Monde, (janvier 2021) : “Depuis décembre 2020, plusieurs membres du gouvernement prenaient la pose bras dessus, bras dessous, visages découverts, des ministres [en particulier celui qui a détrôné Robert Mugabe], des “héros nationaux” victimes du Covid : ils semblaient convaincus d’être immunisés grâce à leurs privilèges”. Il y a trois semaines, le vice-président de ce pays affirmait que les témoignages assurant que les hôpitaux étaient saturés, c’était de “belles histoires écrites par des mercenaires armés de stylo”. Début février, “alors qu’il enterrait trois de ses camarades, le ton avait changé : “[Le virus] ne fait pas la différence entre les puissants et les faibles, les privilégiés et les défavorisés, ceux qui ont tout et ceux qui n’ont rien”. On ne va pas plaindre la bourgeoisie responsable de l’hécatombe qui s’annonçait alors. On plaint surtout les populations africaines otages d’une telle engeance. 

En Tanzanie, les autorités assurent que le pays est victime d’une simple pneumonie : “Jusqu’à la fin de l’année dernière, le gouvernement de Tanzanie a essayé de convaincre les habitants et le monde entier qu’on guérissait du Covid par la prière, tout en refusant de prendre des mesures pour enrayer sa propagation, jusqu’à ce que la multiplication de décès par “pneumonie” et jusqu’à ce qu’un homme politique de Zanzibar ait admis avoir contracté le virus”. (3)  Tous ces mensonges pour tenter de sauvegarder le tourisme de safari !

Depuis le mois de décembre, les populations subissent de plein fouet les conséquences de l’incurie, de l’insupportable arrogance d’une classe dominante aussi vaniteuse que décomposée. “La deuxième vague de l’épidémie de Covid-19 se révèle plus meurtrière en Afrique”, selon le Centre de contrôle et de prévention des maladies (CDC), qui dépend de l’Union Africaine. Déjà, officiellement, beaucoup des pays dépassent les taux moyens de létalité. Au Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique, les autorités sanitaires rapportent devoir “choisir quels patients prendre en charge et auxquels refuser les soins”, selon le CDC. Il manque des lits partout, de l’oxygène, des équipes de protection. Au Ghana, ce sont les jeunes qui sont infectés. Et tout cela face au variant “sud-africain” qui serait 50 % plus contagieux que le premier Covid-19.

Afrique du Sud : “l’exemple” macabre

Pendant des années, l’Afrique du Sud a été célébré comme un exemple pour le continent, autant du point de vue économique que social, tout en vantant une “démocratie multiraciale” après les temps sinistres de l’apartheid. (4) Mais une fois l’euphorie retombée, la “nouvelle” bourgeoisie post-apartheid n’a pas fait dans le détail : répression brutale des luttes ouvrières, (5) corruption à tous les étages de l’État, destruction systématique des services de santé et comme résultat une gestion clownesque et criminelle de l’épidémie du SIDA. La misère des townships n’a fait qu’augmenter et de sinistres tueries racistes contre des immigrés ont même été perpétrées à Soweto.

C’est dans un tel contexte que la pandémie est arrivée dans ce pays. Et le désastre s’est ajouté au désastre. Comme nous l’avons souligné, le taux d’infection en Afrique du Sud a été le plus élevé depuis la première vague : officiellement, 36 000 décés ; mais sans doute autour de 80 000 en tenant compte de l’évolution du nombre des morts naturelles. Une situation que révèle le journal Le Monde et que la bourgeoisie ne pouvait plus vraiment cacher : “Des soignants, les pieds dans l’eau après des pluies intenses, s’occupant de malades du Covid-19 abrités par une simple structure métallique sur un parking. Publiées sur un compte Instagram supprimé depuis, les images sont devenues le symbole de la nouvelle crise sanitaire qui frappe l’Afrique du Sud. Submergé par un nombre record de patients gravement atteints, l’hôpital Steve-Biko, à Pretoria, n’a d’autre choix que de prendre en charge les nouveaux cas dans des tentes initialement destinées au triage des arrivées”. (6) Tout cela avec le poids du nouveau variant qui tue davantage que le premier. La seule chose que le pouvoir fait dans les hôpitaux, c’est interdire au personnel soignant de faire des déclarations pour exprimer leur désarroi face à des conditions de travail hallucinantes.

Vacciner l’Afrique : la Chine à l’affût dans la foire d’empoigne mondiale

L’Union Africaine a promis au moins 600 000 doses du vaccin pour 2021-22 à ajouter à celles de l’OMS (et son dispositif “équitable”, Covax). Les puissances étatiques, surtout européennes, ont plus ou moins compris que si l’Afrique devenait un foyer incontrôlable pour le coronavirus, cela ne ferait qu’ajouter un peu plus de chaos au désordre. Alors, on va prétendument “aider l’Afrique” avec une quantité de doses ridicule pour un continent qui aurait besoin d’environ 2,6 milliards de doses. Dans le contexte actuel, malgré toutes les promesses des uns et des autres, personne n’est capable de dire quand et comment des vaccins pourront être distribués convenablement dans le continent, (7) exceptés quatre ou cinq pays qui disposent de “super congélateurs” et, surtout, de moyens financiers.

Mais c’est surtout la Chine qui va trouver, avec le vaccin, un moyen supplémentaire d’accroître son influence impérialiste en Afrique : la “diplomatie sanitaire” inaugurée l’an dernier avec les masques, le matériel médical ou encore l’annulation de prêts à certains pays comme la République Démocratique du Congo, pays touché autant par le Covid que par la résurgence d’Ebola.

Après la guerre des masques, celle des respirateurs, on assiste maintenant au niveau mondial à la foire d’empoigne autour des vaccins dans une danse macabre entre États, entre ceux-ci et les industries pharmaceutiques, tous contre tous et cela malgré l’urgence, mettant pleinement en exergue le chacun pour soi effréné qui rythme la politique des États. C’est ainsi que la Chine profite de la pandémie pour accélérer sa diplomatie du soft power ou comme sa bourgeoisie mao-stalinienne l’affirme la main sur le cœur : pour une “communauté de destin sino-africaine plus forte” en faisant des pays africains des otages-débiteurs à perpétuité. Elle se présente en Afrique comme l’antithèse des anciennes puissances coloniales avec un discours mielleux de puissance “amie”.

Grâce au Covid, la Chine fait de grands pas dans sa mainmise sur l’Afrique. Sa présence “soft” ne va pas arranger les choses, ne va pas sortir de la misère les populations, elle fera la même chose que les autres puissances avec lesquelles, dans un monde de plus en plus chaotique, elle finira par s’affronter.

Après quelques années où l’on entendait parler du “miracle africain”, il faut bien constater les choses : ni les “pays émergents”, ni les nouveaux pays pétroliers ne s’en sortent. Sans rentrer ici dans le détail, l’avenir de beaucoup de pays d’Afrique paraît aller plutôt vers la “somalisation” que vers la stabilité. La pandémie n’est pas seulement venue s’ajouter aux malheurs des populations africaines : accentuation des famines, violences inter-ethniques, actions criminelles des sectes (comme les kidnappings de masse au Nigeria), déplacements violents de populations (comme dans les pays du Sahel) ainsi que, bien entendu, les affrontements inter-impérialistes tous azimuts. Et la pandémie ne fera que les amplifier de manière dramatique.

Dans ce contexte, que peuvent dire les révolutionnaires ? Nous ne sommes pas des prophètes du malheur, nous ne nous réjouissons pas des maux qui frappent le prolétariat et les populations exploitées de ces pays : cela, on le laisse aux vautours de cette classe d’exploiteurs qui tentent de profiter de la situation dans un monde capitaliste en pleine putréfaction et qui attendent leur heure pour remplacer les hyènes en place.

C’est la lutte du prolétariat autant africain que mondial qui pourra nous sortir de l’enfer du capitalisme décadent. Face aux mystifications et aux balivernes de toutes sortes propagées par les “libérateurs” nationaux, ethniques ou religieux, les exploités doivent prendre conscience qu’ils forment une seule et même classe dont la lutte internationale contient les germes d’une nouvelle société.

Fajar, 5 février 2021

1) On ne peut que rappeler ici les affirmations criminelles de l’ancien président de l’Afrique du Sud minimisant le fléau du SIDA, contribuant ainsi à l’expansion de la maladie.

2) “Normalement, Moussa Aboubakar creusait deux ou trois tombes par jour dans le cimetière principal de la ville de Kano, dans le nord du Nigeria. Du jour au lendemain, ce chiffre est monté à 75. ‘‘Je n’avais jamais vu autant de morts qu’aujourd’hui”, dit cet homme de 75 ans, dont le caftan blanc est souillé par la saleté de son travail au cimetière d’Abbatuwa, où il travaille depuis 60 ans. L’information du fait que les décès avaient augmenté de 600 en une semaine a créé l’alarme dans cette deuxième ville du pays et le pays tout entier. Mais les autorités ont nié que ce soit dû au coronavirus en affirmant qu’on exagérait. Mais, entretemps, les fossoyeurs d’Abbattawa avaient de moins en moins d’espace” (El País, du 23 mai 2020). En fait, les États et les bourgeoisies africaines, pour ne pas compter spécifiquement les morts du Covid-19, comptent surtout sur le désespoir et la résignation des populations face à un destin fait de calamités à répétition. Il faut dire que, même dans les pays développés, où la bourgeoisie a intérêt à faire des statistiques plus ou moins exactes, elle les tripatouille à sa convenance, comme en Espagne, en ne comptant pas les morts par Covid des EHPAD, en se disant sans doute qu’après tout, ils allaient mourir bientôt, à leur âge !

3) El País (13 février 2021).

4) Voir : “Contribution à l’histoire du mouvement ouvrier en Afrique du Sud (II) : De la Seconde Guerre mondiale au milieu des années 1970”, Revue internationale n° 155 (été 2015).

Voir également : “Contribution à l’histoire du mouvement ouvrier en Afrique du Sud (III)”, Revue internationale n° 163 (2e semestre 2019).

5) Voir notre article sur le massacre des mineurs en grève à Marikana par la police sud-africaine, le 16 août 2012 (RI n° 435, septembre 2012) ainsi que l’article de notre section en Belgique (Internationalisme n° 356, décembre 2012) qui traite également de la vague de répression des luttes ouvrières qui ont suivi ce massacre.

7) Tout récemment les gouvernements ont accueilli en grandes pompes et avec force battage médiatique les premiers vaccins Covax qui ont atterri en Côte d’Ivoire. N’empêche que “très vite le chacun pour soi et le “nationalisme vaccinal” ont repris le dessus […]. L’Afrique a alors vu ses “amis” chinois, russes et indiens, prêts à lui venir en aide” (Jeune Afrique de février 2021).

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