Depuis l’été 2007 et l’éclatement de la bulle des prêts hypothécaires nommés subprimes, la crise économique ne cesse de s’aggraver. Pourtant, la bourgeoisie tente de réagir. Elle a multiplié des réunions au sommet (les fameux G7, G8, G20) et a mobilisé tous ses docteurs et autres prix Nobel en économie pour tenter de trouver une solution, relancer la machine et renouer avec la croissance. La preuve en est les étalages des librairies, qui regorgent de livres expliquant tous les causes de cette crise brutale et proposant autant de remèdes.
Nous avons choisi de répondre à l’un d’entre eux : la Crise – Pourquoi en est-on arrivé là ? Comment en sortir ?, de Michel Aglietta. Ce livre est le fruit d’un travail sérieux, reconnu, et a reçu le prix de l’Excellence économique. Il illustre parfaitement les solutions proposées par la fraction la plus intelligente de la bourgeoisie, mais aussi ses espérances et, surtout, ses… illusions !
Dans son ouvrage, Michel Aglietta analyse en premier lieu, et très longuement, les mécanismes financiers et monétaires qui ont conduit selon lui au crash financier et aux défaillances bancaires de l’été 2007. Cette partie de son analyse est sans aucun doute la plus pertinente.
D’après lui, après l’éclatement de la bulle Internet en 2001, “l’Amérique s’est lancée dans une politique expansive pour soutenir la conjoncture (…). On a assisté à la dette des entreprises et à la dette des ménages.” Effectivement, pour soutenir à tout prix la demande, et donc la croissance, pour éviter une grave récession, les autorités américaines ont laissé le marché du crédit se déréguler, enfler sans aucun contrôle. Elles l’y ont même encouragé !
Et cette folie a gagné tous les rouages : “tout le monde profitait du système. Et chacun, banquiers, régulateurs, investisseurs, acteurs politiques, habité par l’idéologie de l’efficience du marché (...), ne voyait qu’avantage dans cette fuite en avant des coûts du crédit, dissémination des risques, diversifications des patrimoines, rentabilités accrues des actifs.”
Cette “fuite en avant” dans l’endettement généralisé, qui ne reposait pas sur un développement réel de la production, devait nécessairement mal finir. L’insolvabilité croissante de tous les “acteurs” (en particulier des ménages américains) ne pouvait avoir pour seule issue que la faillite !
Après cette description juste et détaillée, Michel Aglietta énumère avec lucidité comment cette crise financière s’est transmise à “l’économie réelle” et a entraîné des faillites à la chaîne, les fermetures d’usines, le chômage massif… bref, tout ce que la classe ouvrière ne connaît que trop bien.
Jusqu’ici nous pouvons donc suivre avec sérénité l’analyse de ce brillant économiste bourgeois, jusqu’ici… mais pas plus loin ! Car pas un seul instant, il ne se demande :
– quelles sont les causes réelles de cette crise généralisée de l’endettement ?
– pourquoi le système financier et toutes les institutions politiques (les États, les Banques centrales, le FMI…) ont-elles été touchées par cette folle “fuite en avant” ?
– et, surtout, la crise financière est-elle la cause ou le symptôme d’une crise plus profonde encore ?
Du coup, en ne se posant pas les bonnes questions, la compréhension de cet éminent spécialiste s’arrête à la surface des choses. Son analyse demeure superficielle. Il ne voit pas (ou ne veut pas voir) que la folle “fuite en avant” de tout le système économique mondial, que le crédit facile, fou et dérégulé, que tout ça est non la cause mais l’effet. Il ne voit pas (ou ne veut pas voir) que le capitalisme est atteint d’une maladie mortelle, que son économie est touchée par le poison de la surproduction. Il ne voit pas (ou ne veut pas voir) que la seule “solution” temporaire pour le capital d’éviter la paralysie, c’est justement de soutenir artificiellement la demande, de permettre aux marchandises d’être achetées… à crédit. Enfin, Michel Aglietta ne voit pas (ou ne veut pas voir) que cette crise de surproduction touche le capitalisme non pas depuis 2007, ni même depuis 2001, mais depuis des décennies. C’est pour cela que depuis tant de temps, l’endettement mondial ne fait que croître et que les récessions et les crashs financiers se succèdent les un aux autres, en étant de plus en plus graves.
Cette vision à courte vue qui empêche un économiste bourgeois de voir la vérité en face quand il se demande “Pourquoi en est-on arrivé là ?” se transforme tout bonnement en cécité totale quand arrive la question fatidique “Comment en sortir ?”.
Dans un premier temps, cet analyste chevronné répète les mêmes “solutions” ridicules que nous avons tous déjà entendu mille fois. Face à la crise, “Il est important (…) de mettre en place les régulations qui permettront d’amortir ces convulsions cycliques Pour ce faire, il faut d’abord mieux maîtriser le levier de l’endettement au sein du système bancaire lui-même. Il s’agit d’exercer un contrôle plus vigilant sur l’accroissement du volume du crédit”. La liste des propositions de régulation contraignantes continue à s’égrener à longueur de pages. Et comme certains des chefs d’État (en particulier N. Sarkozy) l’ont déjà dit de façon théâtrale à la tribune du G20, Michel Aglietta va jusqu’à affirmer : “Le plus important est néanmoins d’obtenir une normalisation des places offshore.” Il faut réformer la finance, l’empêcher de devenir folle ! Tout cela n’est évidemment que du vent.
Après ces propositions flamboyantes et moralisatrices (et surtout creuses), Michel Aglietta lance SA solution centrale et originale : “Il faut donc que les pouvoirs publics agissent de manière coordonnée pour que la récession ne se transforme pas en dépression mais cela ne suffira pas, parce que le canal des banques qui transmettent normalement les impulsions de la banque centrale est paralysé. En outre, les entreprises et les ménages ne vont pas relancer leur endettement pour dépenser plus. C’est pourquoi une augmentation coordonnée des dépenses budgétaires est indispensable. Il s’agit que la dette publique remplace la dette privée pour que le désendettement privé n’aspire toute l’économie vers le fond. Dans tous les cas de figures, on échappera donc pas à une contraction de la dette privée et, en contrepartie, à une augmentation très importante mais légitime et nécessaire de la dette publique.”
Alors là, Michel Aglietta peut-être fier, bravo ! Les gouvernements de tous les grands pays ont déjà suivi, sans le savoir, les recommandations “originales” du professeur Aglietta. Bon, c’est vrai, il y a quelques petites différences : il y a de moins en moins de coordination et de plus en plus de guerre économique. Plus la situation est grave et moins les pays capitalistes sont enclins à se donner la main car, voilà, ils sont tous en concurrence. Mais en dehors de ce “détail”, dans des circonstances d’une extrême gravité, d’une crise d’insolvabilité généralisée, seuls les États ont pu effectivement éviter l’effondrement général de l’économie. Comment ? En creusant les déficits publics d’un coté et en faisant marcher la planche à billet (autrement dit, en créant de la monnaie) de l’autre et, ce, au-delà de tout ce qui a existé dans l’histoire !
A elle seule, en novembre 2009, la dette publique américaine a atteint 12 000 milliards de dollars (Romandie news, 19.11.2009). Pour cette même année, la zone Euro, la Grande-Bretagne et les États-Unis ont injecté à eux seuls 14 000 milliards de dollars, soit 25 % du PIB mondial (Contre-info, 21 novembre 2009). Pour Michel Aglietta : “Quand les ménages cessent de dépenser et qu’il n’est plus possible de compter sur l’extérieur, parce que les pays émergents sont à leurs tours frappés par la crise, il n’y a plus que l’État qui puisse dépenser.” Et quand l’État dépense voici ce que cela donne ! La dette prévue pour 2011 sera, dans le meilleur des cas, de 105 % du PIB en Grande-Bretagne, 125 % aux États-Unis, 125 % dans l’UE et 270 % au Japon (Ambrose Evans Pritchard, “Le Télégraphe”, 18 novembre 2009 sur Contre-info). Michel Aglietta a raison sur ce point : les États soutiennent l’économie en la plaçant sous perfusion permanente. Voilà pourquoi l’économie mondiale, la croissance et le système financier ne se sont pas littéralement effondrés depuis 2007. Monsieur le Professeur pourra se vanter auprès de ses étudiants de Nanterre du fait que ses prescriptions ont été suivies par tous les gouvernements ! Enfin, il devrait se dépêcher de le faire car son “remède” va bientôt s’avérer pire que le mal. Car il y a maintenant, au point où nous en sommes, une nouvelle question à se poser : qui va bien pouvoir se porter dans les mois et les années qui viennent au chevet de ces États surendettés et en situation de banqueroute ?
Michel Aglietta lui-même ne peut pas esquiver cette question tant il est évident que les États vont aujourd’hui droit dans le mur. Ils ne pourront pas bien longtemps encore soutenir l’économie en creusant les déficits.
Conscient du “petit” problème, notre économiste tente de rassurer son monde en proposant là encore ses “solutions”. Il défend ainsi l’idée que l’État va soutenir la croissance suffisamment longtemps pour que le privé et, notamment, les banques et les particuliers, puissent se désendetter en grande partie. Toujours d’après lui, le crédit privé devrait alors redémarrer et prendre le relais des États pour soutenir la croissance (1). Mais surtout, il prévoit que le centre de gravité économique et financier mondial va se déplacer de l’Occident vers les pays émergents de l’Orient. “Pour financer ces opérations de soutien massif au système financier, garantie des prêts interbancaires et recapitalisations des banques, les États vont recourir à la dette publique. Ils émettront des titres qui seront achetés par les investisseurs du monde : pays asiatiques, producteurs de pétrole.” Voici de retour la fable, la chimère du Quand la Chine s’éveillera… Comment, sérieusement, la Chine ou l’Inde pourraient empêcher la cessation de paiement des États de l’Occident et en premier lieu celui du plus puissant du monde, les États-Unis ? Où ces États pourraient-ils trouver de telles capacités financières alors que, par exemple, les exportations chinoises ont diminué de 25 % en un an ? En réalité, la crise actuelle est une crise mondiale et aucun pays n’y échappe. En Chine, bulles spéculatives et surproduction généralisée sont bel et bien elles aussi à l’œuvre.
Arrivé enfin dans son livre au moment de répondre à la question vitale écrite sur sa couverture, “Comment en sortir ?”, Aglietta ne peut donc répondre que par une vue de l’esprit qui n’a aucun fondement dans la réalité actuelle, comme le fait n’importe quel économiste bourgeois.
Nous pouvons alors, bien entendu, nous poser une question toute simple. Comment se fait-il que Michel Aglietta soit aussi performant pour nous expliquer les arcanes du monde financier et aussi irréaliste lorsqu’il s’agit de proposer des moyens permettant au capitalisme d’échapper à la dépression ? En fait, pas plus lui que l’ensemble de la bourgeoisie ne savent “Comment sortir de la crise ?”. Pour empêcher l’économie capitaliste de s’enfoncer trop rapidement dans la dépression, la bourgeoisie n’a pas d’autre choix que de continuer à créer et à injecter de la monnaie et à creuser les déficits publics et budgétaires, comme si elle jetait de l’argent dans un puits sans fond. Les conséquences inévitables et déjà visibles de cette politique sont la marche en avant des États vers des situations de cessation de paiement. Certes, un État capitaliste ne se déclare pas en faillite en mettant la clef sous la porte, comme le font les entreprises. Une situation de “faillite” d’un État signifie concrètement de nouveaux “sacrifices”, de nouvelles attaques et une brutale dégradation des conditions de vie pour la classe ouvrière. Tous les États, face à leur déficit abyssal, vont devoir :
– développer une très forte pression fiscale (augmenter les impôts) ;
– diminuer encore plus drastiquement leurs dépenses en supprimant par dizaines ou centaines de milliers les postes de fonctionnaires, en réduisant de façon draconienne les allocations retraites, les indemnités chômages, les aides familiales et sociales, les remboursements de soins, etc. ;
– laisser filer la valeur de la monnaie par une hausse de l’inflation qu’ils ne sont pas du tout sûrs de contrôler ! Tel est d’ailleurs le sens de la politique économique actuelle menée aux États-Unis et en Angleterre. Celle-ci s’est soldée pour le moment par une perte de 20 % de la valeur du dollar par rapport à l’euro et à une baisse continuelle de la livre sterling. Concrètement, pour les ouvriers, le retour à terme de l’inflation va signifier une hausse considérable des prix sans évidemment que leurs salaires ne suivent ! (2)
Il ne s’agit pas là d’une fiction mais d’une réalité qui commence à naître dès aujourd’hui sous nos yeux. Fin 2008, début 2009, l’Islande, la Bulgarie, la Lituanie et l’Estonie étaient estampillées “État en faillite”. Fin novembre-début décembre, la liste s’est encore allongée. “Dubaï, la faillite en ligne d’émir” et “La Grèce est au bord de la faillite” titrait ainsi Libération, respectivement les 27 novembre et 9 décembre. Pour l’instant, chacun de ces pays a été secouru (par d’autres États ou le FMI…). Mais que se passera-t-il quand des pays plus importants, pesant “plus lourd” dans la balance économique, vont à leur tour sombrer. Qui pourra les renflouer ? Personne ! Dans ces pays, l’économie ne sera évidemment pas paralysée mais les conditions de vie et de travail de la classe ouvrière subiront une terrible détérioration encore plus dramatique. Déjà, l’Espagne et le Portugal donne des signes importants de faiblesse.
En mars 2009, le Crédit suisse avait établi la liste des dix pays les plus menacés par la faillite, en comparant l’importance des déficits et la richesse de la nation (le PIB). Pour l’instant, cette sorte de “Top 10” a “tapé dans le mille” puisqu’il était constitué, dans l’ordre, de l’Islande, la Bulgarie, la Lituanie, l’Estonie, la Grèce… l’Espagne, la Lettonie, la Roumanie… la Grande-Bretagne, les Etats-Unis, l’Irlande et la Hongrie.
La Grande-Bretagne et les États-Unis sont effectivement eux aussi mal en point, mais l’éventuelle forte dégradation de leur économie va signifier aussi une énorme accélération de la crise à l’échelle planétaire.
Lorsque Monsieur Aglietta en appelle à l’État pour sauver l’économie, il fait comme toute la bourgeoisie. C’est une traversée à bord du Titanic qui nous est proposée ! Aucun État au monde ne peut empêcher à terme l’économie mondiale de continuer de s’enfoncer dans la plus profonde dépression de l’histoire du capitalisme.
Tino (18 décembre)
1) Eh oui… après nous avoir expliqué que la cause de la récession actuelle était la folle “fuite en avant” vers le tout-crédit, Michel Aglietta propose comme “remède” de nouveaux crédits… étatiques dans un premier temps, privés dans un second temps ! Et comment cela ne mènerait pas cette fois encore l’économie mondiale dans la même impasse, cela Monsieur Aglietta ne nous l’explique pas !
2) Il n’est pas non plus à exclure que, malgré tous les efforts de États pour éviter cette éventualité catastrophique, si le crédit privé et la demande ne repartaient pas un minimum, la déflation puisse s’installer durablement.
Le 23 novembre, Luc Chatel a annoncé la suppression pure et simple des cours d’Histoire et de Géographie en Terminale scientifique.
Il s’agit là d’une attaque de plus qui vise à la réduction drastique du nombre de fonctionnaires. La suppression de cette discipline n’est que le fruit d’une logique visant à réduire les horaires d’enseignement de ces matières sur l’ensemble du cursus Seconde, Première et Terminale au lycée. Il y aura donc automatiquement besoin de moins d’enseignants.
L’État avait déjà porté la même attaque lors de la réforme précédente contre les Mathématiques, l’Informatique, les ‘Sciences de la Vie et de la Terre’ et la Physique-Chimie. Toutes ces matières ont été supprimées du programme des Terminales “Littéraire” et ‘Economique et Sociale’.
En démantelant ainsi peu à peu l’enseignement, matière par matière, l’État parvient à atteindre son objectif : diminuer considérablement le nombre de fonctionnaires. Année après année, c’est de plus en plus de postes qui sont supprimés à l’Education Nationale : 3500 en 2005, 1607 en 2006, 8700 en 2007, 11 200 en 2008, 13 500 en 2009 et… 16 000 en 2010 ! Soit 54 507 en 6 ans !
Ces chiffres éclairent les vrais motifs de ces réformes successives de “modernisation” de l’enseignement.
Résultat : les conditions de travail et d’apprentissage dans les écoles sont en train de se dégrader à toute vitesse. Enseignants, surveillants, conseillers d’éducation, mais aussi les élèves, tous sont confrontés à des classes et des salles de permanence surchargées, à des programmes dénués d’intérêt, à un climat tendu et parfois violent.
L’école n’a jamais été un lieu où la “jeunesse” (en fait, majoritairement les enfants d’ouvriers) pouvait s’épanouir et développer un esprit critique, libre. Elle a toujours été essentiellement une école de formation des futurs travailleurs, formatés idéologiquement autant que possible. Mais, ces dernières années, cette réalité s’est accentuée, elle a été mise à vif. En supprimant toutes ces matières, l’État appauvrit encore l’enseignement, il enferme encore un peu plus dans la spécialisation, il montre que son seul intérêt est de faire de ces élèves des travailleurs qualifiés dans leur branche, point barre.
Le Parti socialiste a une nouvelle fois brillé dans cette affaire par… son absence. Seul, le MoDem a jugé cette réforme “inacceptable”. Au Parti socialiste, une seule voix a porté, celle de Bruno Julliard, l’ex-président de l’UNEF et actuel secrétaire national du PS à l’éducation. En voici un échantillon. A la question du journaliste : “La réforme du lycée est-elle une bonne réforme ?”, il répond : “Je dirais non, moins parce qu’elle porte en elle des dangers que parce qu’elle manque d’ambition. […] On avait besoin d’une réforme en profondeur qui réponde à la question essentielle des missions du lycée. Le gouvernement n’a pas engagé ce débat. Il y a des éléments positifs (re-sic !), mais ils restent nettement insuffisants” .
Si c’est pour proférer de telles platitudes, on comprend que les autres ténors préfèrent se taire. Il faut dire que le PS n’est pas des mieux placés pour protester de façon crédible contre toutes ces attaques, lui qui a participé “allègrement” à la réduction des effectifs des surveillants sous Jospin entre 1997 et 2007 et qui s’était donné comme objectif de “dégraisser le mammouth Education Nationale”. Tel est le sens réel de la critique sur le “manque d’ambition” de cette réforme formulée par Bruno Julliard.
Si le PS s’est fait tout petit, le “monde de gauche”, lui, s’est naturellement scandalisé de cette suppression de l’Histoire-Géographie. Mais en y regardant de plus près, ces protestations masquent un piège, le poison du corporatisme, et une idéologie putréfiée, la citoyenneté.
Dans les déclarations suivantes, les mots n’ont en effet pas été choisis par hasard : “Ce nouvel épisode […] laisse anéanti et scandalisé. […] Dans la formation du citoyen, ces disciplines ont un rôle absolument fondamental. La compréhension du monde contemporain, de ses crises économiques ou géostratégiques, des rapports de force qui se nouent et se dénouent en permanence entre les nations, implique la maîtrise de l’Histoire et de la Géographie.” (2)
“Ces matières ont une fonction citoyenne, développent l’esprit critique par rapport à l’émotionnel.” (3)
D’abord, le “monde de gauche” se focalise ici sur l’Histoire-Géographie et passe sous silence l’ensemble des attaques. Il fait de la suppression de cette matière un problème particulier. Ce faisant, il isole les enseignants de cette matière des autres enseignants, des surveillants… eux aussi touchés par la réduction des effectifs. C’est répandre insidieusement le poison du particularisme… au sein même du corporatisme.
Ensuite, il fait croire que le rôle de l’école serait de former des personnes lucides, capables de réflexion éclairée sur le monde, capables d’analyser le présent par la connaissance des faits historiques et les expériences du passé. L’histoire enseignée tiendrait donc une place prépondérante pour comprendre la société capitaliste. Rien n’est plus faux !
Les enseignants et les jeunes générations ont à défendre leurs conditions de travail et d’étude, et à se sentir indignés quand le minimum éducatif est remis en cause, mais certainement pas à défendre la “citoyenneté” !
Les programmes d’Histoire ont toujours été construits pour et par la propagande d’Etat. Et ces dernières années, la bourgeoisie a même accentué cette réalité. Les multiples réformes des programmes permettent de moins en moins une analyse claire des faits historiques et la construction d’une réflexion critique chez les nouvelles générations. Tout est mis en place pour que la nouvelle génération ne puisse pas comprendre la faillite criante du capitalisme, pour qu’elle ne voit pas un éléphant dans un couloir ! Par exemple, l’étude de la crise de 1929 a purement et simplement “disparu” des programmes du lycée. L’année n’appartient même pas aux dates importantes à connaître à la sortie du collège ! (4) La bourgeoisie gomme ainsi tout parallèle possible dans la tête de la nouvelle génération ouvrière avec la crise économique qui sévit actuellement. La période de l’entre-deux guerres a elle aussi “disparu” des programmes des séries scientifiques, pas un mot sur les insurrections écrasées dans le sang par le Parti socialiste en Allemagne en 1919, 1921 et 1923, évidemment. Comment prétendre alors à une analyse non tronquée des causes de la Seconde Guerre mondiale ? Sans compter une remontée de l’obscurantisme au travers de l’apparition de l’étude des religions au collège. Tandis qu’il est demandé aux enseignants de passer au moins 20 % du temps d’enseignement de l’histoire (5) dessus, Régis Debray (6), lors d’une réunion proposée par le centre pédagogique de Paris7, a précisé qu’il fallait “mettre dans la tête des élèves de l’école maternelle ce patrimoine religieux et mettre en évidence le croisement du croire et du savoir, et ne pas éliminer la vérité religieuse” ! (8)
L’école laïque est un outil de la bourgeoisie pour la bourgeoisie. Historiquement, elle a été créée suite à l’expérience de la Commune de Paris dans le but d’encadrer idéologiquement la classe ouvrière. Jules Ferry, dans ses diverses interventions pour défendre l’école “gratuite” et “laïque” l’exprime d’ailleurs fort bien : “Non, certes, l’État n’est point docteur en mathématiques, docteur en lettres ni en chimie. […] S’il lui convient de rétribuer des professeurs, ce n’est pas pour créer ni répandre des vérités scientifiques ; ce n’est pas pour cela qu’il s’occupe de l’éducation : il s’en occupe pour y maintenir une certaine morale d’État, une certaine doctrine d’État, indispensable à sa conservation.” (9) “[…] Alors ne craignez pas d’exercer cet apostolat de la science, de la droiture et de la vérité, qu’il faut opposer résolument, de toutes parts, à cet autre apostolat, à cette rhétorique violente et mensongère, […] cette utopie criminelle et rétrograde qu’ils appellent la guerre de classe !” (10)
Le rôle réel de l’école est peu à peu de plus en plus visible : former techniquement les futurs travailleurs afin qu’ils soient efficaces et productifs et les formater idéologiquement pour en faire de bons (c’est-à-dire dociles) citoyens.
La suppression de l’Histoire-Géographie est une attaque réelle, mais pour lutter contre elle, il faut lutter contre toutes les attaques, ne pas se laisser isoler par le corporatisme et dévoyer par l’idéologie citoyenne, autrement dit nationaliste et contre la lutte des classes.
Frida (19 décembre)
2) Jacques Sapir – Professeur à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales – in du 29 novembre.
3) Entretien avec Hubert Tison, secrétaire général de l’Association des professeurs d’histoire-géographie. www.humanite.fr/Entretien-avec-Hubert-Tison-secretaire-general-de-l-Asso... [4]
4) Bulletin officiel spécial n° 6 du 28 août 2008.
5) Idem.
6) Actuel président de l’IESR (institut européen en sciences et religions) et ancien doyen de l’inspection générale d’histoire et géographie.
7) Réunion tenue le 2 avril 2008.
8) Cité dans les Cahiers du mouvement ouvrier, no 43.
9) Jules Ferry à la Chambre, 26 juin 1879.
10) Jules Ferry à la Sorbonne, lors de la séance d’ouverture des cours de formation des professeurs, le 20 novembre 1892.
En ce début d’hiver, toutes les associations caritatives tirent la sonnette d’alarme. La crise économique est en train de frapper brutalement toute la classe ouvrière et une partie croissante de celle-ci se retrouve d’ores et déjà plongée dans la misère.
Ainsi, selon Didier Piard, directeur de l’action sociale de la Croix-Rouge française : “L’intensité de la pauvreté augmente. Les pauvres sont plus pauvres qu’hier (…). Le nombre de personnes accueillies a augmenté de plus de 20 %. (…). Les associations caritatives voient 2010 en noir sur fond de chômage massif et de basculement d’une partie des chômeurs en fin de droits (…). Des populations que nous ne voyions pas autrefois viennent dans nos centres demander des aides alimentaires, des vêtements ou des aides financières directe : ce sont des retraités, des travailleurs pauvres, des smicards en contrat à durée indéterminée, qui ne parviennent plus à joindre les deux bouts, des jeunes. Ils s’ajoutent aux familles monoparentales et aux précaires qui n’ont jamais cessé de venir (…). Une étude sur une quarantaine de sites a montré que plus de 40 % des personnes accueillies venaient demander de l’aide pour payer leurs factures d’énergie ou leur loyer.” [1]
Même constat pour les Restos du cœur. L’année dernière, cette association avait déjà battu un triste record, celui de l’affluence. Et pourtant, cet hiver s’annonce encore bien pire. Pour le Président des Restos, Olivier Berthe, “Au cours du printemps et de l’été derniers, la fréquentation de nos centres de distribution a augmenté de 20 % sur un an, on s’attend à une forte hausse de la demande, qui avait déjà progressé de 14 % l’année dernière” .
Ceux qui ont encore un travail ont donc eux aussi de plus en plus de mal à joindre les deux bouts. Les associations caritatives leur ont même donné un nom : “Les nouvelles têtes”. Il s’agit de tous ces gens sous-payés (mais sur-exploités, évidemment) qui viennent chercher à manger pour eux et leur famille.
Pour la classe ouvrière, crise économique rime avec licenciements, chômage, précarité… En 2009, 451 000 emplois environ ont été détruits et l’année 2010 s’annonce tout aussi terrible. “Le chômage va continuer d’augmenter” titrait ainsi le journal économique la Tribune du 18 décembre.
Que fait l’Etat, face à cette situation dramatique ? Il fait de son mieux pour limiter cette hausse des courbes du chômage en… trafiquant les chiffres, en rayant des listes par centaines des milliers les chômeurs en “fin de droits”. Pour être précis, 850 000 personnes classées en “fin de droits” ont été sorties des chiffres officiels du chômage en 2009 et le Pôle emploi estime qu’elles seront plus d’un million en 2010 ! Concrètement, cela signifie pour toutes ces familles ouvrières le retrait de ressources déjà réduites au minimum vital, la soupe populaire version moderne (les Restos du Cœur) et… souvent la rue !
Cette augmentation considérable de la pauvreté, la bourgeoisie ne peut pas la cacher. La dure réalité est trop criante pour que les médias nous jouent l’air du “tout va bien”. Alors, du coup, ils en parlent à leur façon, jusqu’à la nausée (3). Le but est de faire peur, de dire aux ouvriers qui ont encore un emploi stable : “Voyez comment des gens souffrent de la misère, alors considérez-vous comme chanceux et ne vous plaignez pas trop car d’autres rêvent de prendre votre place.”
L’exemple le plus crapuleux de cette propagande est sans aucun doute les sondages sur la peur de devenir chômeur ou SDF dont les résultats sont toujours annoncés en grande pompe aux journaux télévisés du 20h. Le dernier en date, celui de la TNS Sofres, a ainsi “révélé” ses résultats comme s’il s’agissait là d’un véritable scoop : l’inquiétude vis-à-vis du chômage est redevenue en décembre 2009 le principal souci de 73 % des français ; les plus préoccupés sont les ouvriers (84 %) et les jeunes (83 %). Quelle révélation !
Ce type de discours est effectivement effrayant, il paralyse, rend résigné et annihile la volonté de lutte. C’est justement ce sentiment d’insécurité face à la crise économique qui a contraint la classe ouvrière à faire le dos rond depuis début 2009 et, avec la complicité des syndicats, a contribué à ses difficultés à entrer en lutte.
Cela dit, l’effet paralysant de la brutalité avec laquelle a frappé la crise ces derniers mois et les discours terrorisants qui l’ont accompagné ne peuvent être que temporaire. Pour paraphraser Karl Marx dans Misère de la philosophie (1847), il ne faut pas voir dans la misère que la misère mais aussi et surtout son côté révolutionnaire, subversif. Peu à peu, la peur et la résignation vont céder la place à la colère. Faudra-t-il encore que la classe ouvrière croit en ses capacités à lutter contre toutes ces attaques, de façon unie et solidaire, pour que cette colère se transforme en une volonté de combat contre ce système !
DP (18 décembre)
1) Le Monde du 4 déc. 09.
3) Notamment en cette période hivernale où les grands froids et la neige se sont abattus sur le pays, avec les campagnes médiatiques sur les “moyens mis en place par l’État ou les municipalités pour venir en aide aux plus démunis” tels les bus de ramassage du SAMU social ou la réouverture des foyers d’hébergement de nuit surpeuplés que certains sans-abris refusent par crainte de la promiscuité.
“Pour vous, qu’est-ce qu’être Français ?”, voilà la question que l’ex-“conseiller socialiste” Besson, actuel ministre de l’immigration et de l’identité nationale (ça ne s’invente pas) a lancé à travers tout le pays. Le “grand débat” qu’il veut animer procède de la mode des “Grenelle”, ces boîtes à idées qu’on agite un peu partout ces derniers temps pour donner l’impression que l’initiative politique appartient au “peuple”.
Mais ici, le débat a une saveur toute particulière. Car derrière le concept “d’identité nationale”, il y a tous ces relents du nationalisme et du populisme que la bourgeoisie traîne derrière elle, comme un cuisinier ses casseroles, depuis toujours et qu’elle tente de ranimer en particulier depuis les années 1980 en France. Face au développement de l’électorat du Front national de Jean-Marie Le Pen, toutes les fractions de la bourgeoisie “démocratique” ont cherché à coller, avec plus ou moins de succès, aux “préoccupations de la population”, tout en les alimentant, liées à la sécurité, à l’immigration, à la peur “de l’étranger”, etc.
Aujourd’hui, l’idéologie nationaliste revient en force derrière le vernis bien-pensant des valeurs de la démocratie et de “l’ouverture”. D’ailleurs, Sarkozy n’a pas mis cette mission entre les mains d’un social-démocrate par hasard. On se rappelle encore des tirades de Ségolène Royal sur le drapeau français et son intention, si elle était élue Présidente, de rendre obligatoire l’enseignement des paroles et le chant de la Marseillaise dans les écoles. Mais au final, tout ce débat remue le lisier puant de la “fierté d’être Français” et autres “être Français, ça se mérite”. Besson peut bien jouer l’effarouché devant les propos répugnants des racistes de tous poils qui profitent de la tribune qu’il leur offre objectivement (1), à quoi pouvait-il s’attendre ?
Certes, le ministre insiste beaucoup sur les vertus universalistes de son débat. Il obéit évidemment aux mêmes règles dictées par les impératifs du capital national et poursuit cyniquement les mêmes objectifs que son prédécesseur Hortefeux : augmenter la cargaison de charters et le nombre d’expulsions d’immigrés “en situation irrégulière”. Derrière ces lois s’exhale la véritable nature méprisante, cynique et xénophobe de leur classe qui transpire de leurs propos en privé. On se souvient d’Hortefeux piégé sur Internet lorsque, sollicité par les photographes le 10 septembre dernier pour poser aux côtés d’un jeune d’origine maghrébine, il lançait à la cantonade : “Quand il y en a un ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes.” Dans la droite ligne de ce même Jacques Chirac qui en 1991 se prenait de compassion pour les braves Français qui doivent “supporter les bruits et les odeurs” de leurs voisins de palier “musulmans” ou “noirs”, “une famille avec un père de famille, trois ou quatre épouses, et une vingtaine de gosses, et qui gagne 50 000 francs de prestations sociales, sans naturellement travailler” (2).
Dans le même discours, l’ancien président de la République souhaitait déjà de tout son cœur “le grand débat qui s’impose dans notre pays, qui est un vrai débat moral, pour savoir s’il est naturel que les étrangers puissent bénéficier, au même titre que les Français, d’une solidarité nationale à laquelle ils ne participent pas puisqu’ils ne paient pas d’impôt !” (3)
Le nationalisme, ce n’est pas seulement le moteur idéologique de la guerre, c’est cette subtile et insidieuse assimilation de la division nationale qui est l’essence même de la concurrence capitaliste organisée entre États sur le marché mondial et de l’activité économique de la bourgeoisie alors qu’elle fait subir au prolétariat de tous les pays la même exploitation, les mêmes attaques et les mêmes sacrifices.
Être Français, c’est avoir obtenu, d’une façon ou d’une autre, la nationalité française, un bout de papier qui confère avant tout le “droit” à un hypothétique emploi sur le territoire pour des prolétaires cherchant à vendre la seule chose qui leur permette de ne pas crever de faim : leur force de travail. Cela revient au nom de la “citoyenneté” à enchaîner ces prolétaires à l’illusion de ce faux et dangereux sentiment d’appartenir à la même communauté que celle de leurs exploiteurs qui nie les divisions de la société capitaliste en classes sociales aux intérêts totalement antagoniques. La bourgeoisie utilise abondamment le nationalisme comme un poison qu’elle distille dans les rangs de la classe ouvrière : c’est un instrument de domination et de division afin de démolir la conscience d’appartenir à une même classe sociale, une classe internationaliste dont le cri de ralliement dans le combat révolutionnaire contre leur exploitation est “les prolétaires n’ont pas de patrie !”
GD (9 décembre)
1) Soyons... sport : la question n’inspire pas que ceux-là. Elle a notamment permis à l’ex-footballeur Eric Cantona d’affirmer qu’être Français, ce n’est pas “chanter la Marseillaise” ni “lire la lettre de Guy Môquet”, mais d’abord être “révolutionnaire” face à un “système” qui contraint notamment des gens à vivre “dans la rue” (lemonde.fr)
2) Source Wikipedia
3) Idem.
“Amateurisme”, “dangerosité”, “incurie” : ce sont les termes les plus couramment utilisés de la part de l’ensemble du corps médical au sujet de la campagne de vaccination menée par le gouvernement contre la grippe A. “La campagne de vaccination commence, et à quoi assiste-t-on ? A une improvisation. On cherche à trouver à la hâte des solutions de fortune. Huit mois d’informations sans cesse répétées pour en arriver là, tandis que s’exprime une préoccupation croissante (…) la crainte de la vaccination accentuée par le défaut évident d’organisation du dispositif.” (1) L’État français s’est conduit en véritable apprenti-sorcier de la santé publique. Et son égérie, Roselyne Bachelot, ministre de tutelle dont l’incompétence en matière de santé n’a d’égale que son aplomb, n’a cessé d’enfiler les contradictions comme des “perles”… attestant de sa propre confusion.
Selon ses déclarations alarmistes au début pour convaincre d’aller se faire vacciner, il risquait d’y avoir 50 000 décès dans le pays, il y en a 150. Alors que la vaccination exigeait au début deux injections, aux temps où le discours du gouvernement peinait à se faire prendre au sérieux, ce n’est plus tout à coup qu’une seule qui est nécessaire alors que la psychose alimentée par les médias aux ordres voit affluer nombre de personnes dans les centres de vaccination. Et puis il y a la question des adjuvants. Rien à craindre, nous a-t-on répété. Ils sont au point, tellement au point qu’on ne les administre en aucun cas aux femmes enceintes, aux enfants et autres sujets “à risque”. Il est d‘ailleurs notoire que les médecins qui se font vacciner exigent un vaccin sans adjuvant, car ce dernier, qui permet d’augmenter la réponse immunitaire de l’organisme au virus a aussi pour “avantage” d’augmenter le risque de développement de réponses allergiques et de maladies auto-immunes graves. “Faîtes-nous donc confiance !” dit-Madame Bachelot (2). Les études réalisées sur ces adjuvants et sur le vaccin ont été faites sur mille cas, ce qui est notoirement insuffisant du point de vue scientifique. Qu’importe ! Le “principe de précaution” prévaut, veut-on nous faire croire. Ainsi l’État français a acheté à lui-seul 10 % (94 millions de doses) du stock de vaccins dans le monde alors que la population française ne représente que 1 % de la population mondiale ! Ce n’est certes pas par “principe de précaution” pas plus que par souci de la santé des populations que le gouvernement s’est livré à cet alarmisme : la pandémie a été une aubaine pour ce secteur de l’industrie française particulièrement plongé dans le marasme de la crise. Il y a moins d’un an, les plans de suppression d’emplois pleuvaient dans l’industrie pharmaceutique en France. Aujourd’hui, Sanofi-Aventis, dans l’euphorie de la vaccination à tout va, a annoncé viser un chiffre d’affaires net de quatre milliards d’euros dans les vaccins en 2010, en y intégrant bien sûr la manne des ventes de son vaccin contre la grippe H1N1, et vise même d’ici 2013 un marché mondial du vaccin de 23 milliards d’euros. Le gouvernement a donc joué les mécènes en escomptant bien des bénéfices dans la défense du capital national. Les études des “experts” nommés par le ministère de la santé, ceux qui lui disent ce qu’il faut faire ou ne pas faire sont payés à 100% non pas par le gouvernement mais par les laboratoires pharmaceutiques. C’est dire tout le crédit à accorder à ces “chercheurs”.
Cet événement est aussi un révélateur de l’incurie du gouvernement. Les centres de vaccination fonctionnent sans moyens matériels adéquats, dans des gymnases, des écoles, etc. Les médecins généralistes et les dispensaires habituellement habilités à pratiquer les vaccins ont été écartés par le ministère. Il est vrai que la politique forcenée de fermetures des dispensaires et de lits d’hôpitaux menée par les différents gouvernements depuis dix ans ont rendu ces structures incapables de répondre aux exigences gouvernementales (3).
La réquisition forcée du personnel médical comme administratif vient rajouter à la gabegie généralisée : les élèves-infirmières de 3e année par exemple doivent vacciner à tour de bras en laissant tomber leur stage ou leurs études. 1200 d’entre eux ont d’ailleurs manifesté la semaine dernière pour exprimer leur révolte sur cette réquisition qui gâche leur année scolaire. Pour le personnel administratif, il en est de même, l’appel au volontariat dans les administrations ayant eu peu de succès, des listes nominatives proportionnelles à la taille des administrations sont soumises à la préfecture qui lance des ordres de réquisition auxquels on n’accorde pas de dérogation (comme en temps de guerre !). Ces équipes couplées avec des chômeurs envoyés par le Pôle Emploi ont été ainsi mises en place pour une durée indéterminée (au moins jusqu’à fin mars…) entre 7 h 30 et 22 heures, y compris les samedis et dimanches, avec de maigres primes “compensatrices” pour des astreintes le week-end ou entre 16 et 22 heures… Ce qui aboutit dans la durée à un épuisement des “réquisitionnés” qui doivent également assumer leurs tâches habituelles.
Et pour bien montrer qu’on ne badine pas avec la santé, le gouvernement a même mis au point des mesures drastiques contre les prévenus. Ainsi, le “plan grippe A” prévoit que ces derniers pourront voir leurs droits diminuer, une rallonge des détentions provisoires, la mise en place des huis clos des procès en correctionnelle, l’interdiction de contacter un avocat dès le début d’une garde à vue mais seulement après 24 heures.
La France n’est certes pas un cas isolé. Ainsi, les Etats-Unis ont fait voter une loi d’impunité en faveur des laboratoires pharmaceutiques dans la perspective de procès intentés par des personnes en vue d’éventuels effets indésirables graves dus au vaccin. En France, une telle mesure n’a pas été prise, mais les laboratoires y bénéficient d’une immunité de fait, comme les ministres responsables des plus graves méfaits en matière de santé.
Rappelons-nous le scandale du sang contaminé dans les années 1980 où, en toute connaissance, les laboratoires, avec la bénédiction du gouvernement, faisaient inoculer du sang non chauffé et donc empoisonné dans les veines de centaines de personnes, par souci d’économie. De ce scandale, de Fabius aux laboratoires incriminés, tout le monde était sorti “innocenté”. Ce sont les mêmes gangsters, pour les mêmes raisons, qui ont sciemment laissé s’écouler les stocks d’amiante dans les bâtiments, provoquant de nombreux cancers. Si la bourgeoisie se montre incapable de répondre aux besoins des populations, c’est simplement parce que ce n’est pas du tout sa priorité. Le seul besoin qu’elle connaît, sa seule urgence, c’est celle du profit !
L’État français et son gouvernement de “m’as-tu-vu” singeant leur président-modèle s’est empressé avec zèle de monter au front face à la grippe A pour montrer qu’il était à la pointe mondiale de la protection sanitaire et surtout qu’il contrôlait et maîtrisait la pandémie. Beaucoup dès le début ont exprimé leurs doutes, leurs réticences, leur méfiance. Cette méfiance s’avère pleinement justifiée. Il y aura toujours plus de raisons de manifester sa colère et son indignation à l’égard de l’État capitaliste.
WH (10 décembre)
1 https://www.liberation.fr/societe/0101607434-pour-en-finir-avec-un-management-panique [7]
2 En Grande-Bretagne, le laboratoire géant Glaxos-Smithkline a même introduit du mercure dans ses préparations pour pouvoir augmenter la quantité la dose de vaccin inoculé.
3) On assiste parallèlement à une fronde inédite de 900 médecins des hôpitaux publics de Paris qui menacent de démissionner de toutes leurs fonctions administratives pour protester contre l’annonce de la fermeture de 1000 nouveaux lits d’hôpitaux en 2010.
Lors de la réception de son prix Nobel de la paix le 10 décembre, Barack Obama a fait entendre un discours plus belliqueux que jamais. Celui qui se présente avantageusement lui-même comme “commandant en chef de l’armée d’une nation plongée dans deux guerres” n’a pas lésiné, avec l’annonce de 30 000 Gi’s supplémentaires et de 500 soldats britanniques. Si vis pacem, para bellum (1) est son credo. Au milieu de belles phrases sur la “loi de l’amour” et l’impérissable “étincelle divine” qui guide sa main de justicier international pour la paix dans le monde, Obama a encore bien précisé que “la croyance que la paix est désirable est rarement suffisante pour parvenir à la réaliser. La paix requiert de la responsabilité. La paix implique le sacrifice”... de nombre de vies humaines, évidemment ! Car “l’usage de la force est non seulement nécessaire mais aussi moralement justifiée”. Et pour bien marteler son propos, le chef de guerre de la première puissance militaire mondiale a même pris des accents dignes de Bush et de sa clique intégriste : “La guerre (…) est arrivée avec le premier être humain (…) le Mal existe dans le monde.” Brrr ! ! ! Et pour bien préciser ses véritables intentions, il n’a pas hésité à expliquer que son objectif principal depuis ses onze mois de présidence n’a pas été la paix, pas plus le bien-être des populations de la planète, mais que ce “but a été de faire avancer les intérêts de l’Amérique”. Voilà qui a au moins le mérite de la clarté.
Depuis l’éviction militaire du pouvoir des talibans en 2001, quel est le bilan ? Un pays en totale déliquescence qui égrène ses victimes et ses morts, sans aucune amélioration en vue. Obama peut bien répéter que les forces armées occidentales devront se retirer en 2011, après la “stabilisation” du pays, rien n’indique qu’une telle perspective soit réalisable. D’après les chiffres de l’ONU, le nombre de victimes civiles a augmenté de 24 % au premier semestre de 2009 par rapport au même semestre de 2008. Depuis le mois de janvier 2009, il y a eu plus de mille morts, essentiellement des personnes victimes des armées étrangères, notamment lors des bombardements aériens.
Au mois de mai, des dizaines de civils, dont au moins 65 femmes et enfants, ont perdu la vie lorsque les forces américaines ont bombardé le village de Bala Bulok, dans une région de la province de Farah. En plus des morts et des blessés, toutes les destructions dues à la guerre accentuent la misère et les souffrances d’une population qui subit les menaces et l’intimidation de toutes les parties en présence, talibans comme forces de l’OTAN.
La guerre a aussi provoqué le déplacement de dizaines de milliers de personnes, qui n’ont aucun accès aux soins les plus élémentaires
Si l’Afghanistan est officiellement le centre de l’activité militaire américaine, le Pakistan devient de plus en plus clairement un enjeu d’une importance cruciale dans le dispositif de la stratégie américaine. Ainsi, Obama opère depuis le printemps une véritable offensive, non pas de charme, mais de pression à l’égard de l’État pakistanais, cherchant à faire de l’appareil militaire son interlocuteur principal en évinçant purement et simplement le gouvernement du veuf de Benazir Bhutto, considéré comme “non fiable”. D’ailleurs, la population pakistanaise “bénéficie” nettement de cette attention particulière de l’Amérique et de ses alliés à son égard, et donc de l’élargissement de ses prérogatives guerrières dans sa prétendue lutte contre le terrorisme : au moins 10 000 victimes dont 3300 morts ne serait-ce que pour l’année 2009, dans leur grande majorité des civils, sans compter deux millions de réfugiés qui errent aujourd’hui sans espoir. De plus, l’utilisation systématique des drones censés repérer puis abattre les rebelles talibans ou d’Al Qaïda a multiplié les victimes dans la population, tout autant que les attentats à la bombe, au nombre de 500 en 2009, provoquant par exemple la mort de 300 personnes juste entre le 1er et le 13 décembre !
Et si le Pakistan devient de plus en plus l’épicentre même des événements militaires de cette région de l’Asie, l’Inde est venue s’inviter à coups de bruits de bottes toujours plus menaçants au festin impérialiste. Cet État, rival traditionnel et congénital du Pakistan, ne pouvait que chercher à profiter des tensions et des difficultés actuelles qui grandissent dans la région pour venir alimenter le désordre dans la région du Cachemire, pomme de discorde majeure entre les deux États, et faire les yeux doux à Karzaï (considéré par Islamabad comme pro-indien), au nom du “soutien à sa lutte contre les talibans”.
En guise de perspective de paix, tous les ingrédients d’une foire d‘empoigne aggravée sont donc une nouvelle fois rassemblés, d’autant que les États-Unis effectuent maintes tractations pour offrir aux talibans un certain nombre de régions de l’Afghanistan en échange de leur “pacification” et de leur intégration dans le gouvernement afghan. Toute cette agitation ne fait en définitive qu’ouvrir la porte toute grande à un chaos indescriptible, loin des grands effets d’annonce sur la stabilisation de la région et bien loin encore d’une soi-disant lutte contre le terrorisme.
Wilma (18 décembre)
1) Si tu veux la paix, prépare-toi à la guerre.
Nous publions ci-dessous de larges extraits d’un article réalisé par Communist Internationalist, section du CCI en Inde (cet article intégralement traduit sur ce site [10]).
Dans la soirée du dimanche 18 octobre 2009, les ouvriers de RICO Auto, à Gurgaon (en lutte depuis le 3 octobre), ont essayé d’arrêter les briseurs de grève. Les gardiens de la compagnie de sécurité et les briseurs de grève, le plus souvent des éléments criminels amenés pour intimider les ouvriers, ont répondu en les attaquant violemment. La police a même ouvert le feu. Un ouvrier a été tué et quarante autres blessés.
Cette répression violente a créé une vague de colère dans la ceinture industrielle de Gurgaon-Manesar, 30 000 ouvriers se sont engagés dans la lutte. L’activité de ces villes jumelles a été totalement paralysée le 20 octobre, première journée ouvrable après le meurtre d’un ouvrier à RICO Auto. Bien que les syndicats aient appelé à la grève, les ouvriers des entreprises qui luttaient contre leur direction ont fait le tour des usines pour inviter les ouvriers à arrêter le travail. Très tôt le mardi matin, les ouvriers de RICO Auto et ceux de Sunbeam Casting ont commencé leur mouvement et ont bloqué la route nationale 8. Ils ont été rejoints par des vagues d’ouvriers d’autres sociétés comme Sona Koyo Steering System, TI Metals, Lumax Industries, Bajaj et Hero Honda MotorsLdt. Selon les déclarations officielles de l’administration locale, près de 100 000 ouvriers de 70 usines de pièces détachées dans Gurgaon-Manesar les ont rejoints le jour de la grève.
Bien que les ouvriers de la plupart des entreprises soient retournés au travail le 21 octobre 2009 et que la lutte ne se soit pas étendue, ces événements constituent une avancée significative de la lutte ouvrière en Inde. C’est le résultat de l’extension de la lutte de classe dans différentes régions incluant Gurgaon-Manesar, qui avait vu les ouvriers se confronter à l’État en juillet 2005 pendant la grève des ouvriers de Honda Motorcycles. Depuis lors, à travers de nombreuses luttes, les ouvriers ont renforcé leur résolution de combattre les patrons et ils le font de plus en plus de façon simultanée.
Pendant toutes les “années du boom indien”, les condition de vie de la classe ouvrière n’ont en réalité fait qu’empirer. L’expression la plus grave en a été la perte de la sécurité de l’emploi. En dépit de l’expansion de l’économie, les patrons ont effectué la destruction massive des emplois permanents et leur remplacement par une main-d’œuvre contractuelle aux salaires très inférieurs et sans aucun salaire social. C’est le cas d’entreprises comme Hero Honda, Maruti et Hyundai, dont la production est montée en flèche de nombreuses fois pendant ces années. A Hero Honda, par exemple, la production est passée de 2 lakhs (1) à plus de 36 lakhs, et les emplois permanents ont diminué puis disparu, remplacés par l’embauche de travailleurs temporaires. C’est la même chose dans la plupart des entreprises. Les usines d’automobiles et de pièces détachées, étant donné la concurrence à couteau tiré dans cette industrie, ont été à l’avant-garde de ces attaques sur les ouvriers. En dépit de ces attaques, pendant la plus grande partie de cette période, les ouvriers ont rencontré des difficultés pour développer leurs luttes. Les attaques impitoyables des patrons et l’incapacité de se battre, telle a été l’amère réalité.
Avec l’arrivée de l’effondrement économique en 2007, la situation n’a fait qu’empirer. Tous les secteurs ont vu des suppressions massives d’emplois et des coupes franches dans les salaires et prestations. En outre, il y a eu une croissance massive des prix de tous les biens de première nécessité. Le prix des marchandises essentielles comme les légumes, les légumineuses et autres articles d’épicerie ont plus que doublé. Cette tendance n’a pas été une pointe saisonnière mais elle persiste maintenant depuis plus de deux ans. Avec la montée des prix et le gel des salaires, les conditions de vie des ouvriers sont devenues plus précaires et désespérées.
Face aux crises et aux attaques des patrons, la classe ouvrière tente de se battre. Il y a eu des grèves importantes dans le secteur public, la grève des employés de banque, toute l’Inde a été touchée par la grève des ouvriers du secteur pétrolier en janvier 2009, par la grève des pilotes d’Air India, la grève des employés d’État au Bengale Occidental, la grève du personnel gouvernemental en janvier 2009 dans l’État de Bihar. Certaines d’entre elles ont été d’âpres conflits où l’État a essayé de frapper durement les ouvriers et de les écraser. Ça a été le cas avec la grève des ouvriers du pétrole en janvier 2009 quand l’État a utilisé ESMA (2) et d’autres lois pour écraser les employés et a pris des mesures répressives. Ça a également été le cas avec la grève du personnel gouvernemental au Bihar où le gouvernement a voulu donner une leçon aux employés. Pour ce qui est des ouvriers du pétrole, le gouvernement s’est montré encore plus répressif car il y avait une menace d’extension de la grève à d’autres entreprises de secteur public.
Dans le privé aussi, les ouvriers ont combattu. Une des luttes massives et radicales a été celle des ouvriers diamantaires au Gujarat en 2008. La majorité de plusieurs centaines de milliers d’ouvriers diamantaires est employée dans des petites entreprises où les syndicats n’ont aucun contrôle. La grève y a débuté et s’est étendue comme une révolte massive qui a submergé plusieurs villes : Surat, Ahmedabad, Rajkot, Amerli, etc. Systématiquement, l’État a recouru à la répression pour maintenir l’ordre dans toutes ces villes.
En outre, toutes les principales unités automobiles en Inde – Tamilnadu, Maharashtra, et Gurgaon-Manesar – ont été témoins des efforts répétés et tenaces des ouvriers pour lutter pour leur travail et leurs conditions de vie. Les ouvriers de la deuxième plus grande fabrique de voitures en Inde, Hyundai Motor à Chennai, ont fait grève à plusieurs reprises en avril, mai et juillet 2009, pour de meilleurs salaires.
Les patrons tentent depuis longtemps de réprimer les luttes des ouvriers et menacent souvent de fermer leurs usines. Près de Coïmbatore, les ouvriers du fabricant de pièces auto Pricol India ont combattu les patrons depuis plus de deux ans contre les licenciements planifiés et répétés des ouvriers permanents et leur remplacement par des contractuels ou des travailleurs temporaires. La lutte ouvrière a pris récemment un tour violent quand la direction a licencié 52 ouvriers permanents supplémentaires et a décidé de les remplacer par des travailleurs précaires en septembre 2009. Au cours d’une violente confrontation, un cadre supérieur de Pricol a été tué le 22 septembre. Les ouvriers des usines de pneus de MRF et des usines Nokia à Tamilnadu se sont aussi engagés dans des luttes contre leurs patrons à peu près au même moment. Dans l’État de Maharashtra, les ouvriers de Mahindra à Nasik ont fait grève pour de meilleurs salaires en mai 2009. Les ouvriers de l’usine Cummins India et ceux de la fabrique de pièces auto Bosch, à Pune, ont été en grève à partir des 15 et 25 septembre pour de meilleurs salaires et contre la précarisation.
Ce que nous voyons aujourd’hui, c’est que de plus en plus d’ouvriers sont disposés à entrer en lutte contre les attaques des patrons. Les luttes, tout en étant plus nombreuses, ont aussi tendance à aller vers la simultanéité dans un même secteur géographique. On a pu le voir avec la grève massive des ouvriers diamantaires au Goudjerate où se sont simultanément développées des grèves sauvages dans plusieurs villes et dans les grèves des ouvriers de l’automobile à Tamilnadu, Pune et Nasik. Cette simultanéité est le résultat d’attaques identiques auxquelles tous les secteurs ouvriers se confrontent aujourd’hui.
Avant les derniers événements, les ouvriers d’un certain nombre d’usines de Gurgaon-Manesar avaient mené la lutte contre leurs patrons. A Honda Motorcycles, les ouvriers se sont agités depuis plusieurs mois pour de meilleurs salaires et contre le travail contractuel. 2500 ouvriers de RICO Auto se sont mis en lutte depuis la fin septembre contre le renvoi de seize ouvriers et pour de meilleurs salaires. Ils ont commencé la grève à partir du 3 octobre. Mille ouvriers de Sunbeam Casting se sont aussi mis en grève pour de meilleurs salaires à partir du 3 octobre. Bien que tous ne se soient pas mis en grève, plus de 25 000 ouvriers des métaux de TI Metals, Microtech, FCC Rico, Satyam Auto et de plusieurs autres entreprises ont fait de l’agitation depuis septembre pour de meilleurs salaires.
Le fait que les ouvriers de plusieurs usines se soient mis en grève et que plusieurs milliers d’ouvriers d’autres usines se soient activement agités a ouvert la possibilité de l’extension et de l’unification des luttes, la seule façon pour les ouvriers de pouvoir combattre et repousser les attaques des patrons. C’est la possibilité que la bourgeoisie craint et que les syndicats veulent éviter. Dans les luttes de Gurgaon, face à la violence faite à la classe ouvrière avec le meurtre d’un ouvrier de RICO, le rôle des syndicats a été de prévenir et de bloquer cette tendance à l’extension et à l’unification. En appelant à une journée d’action, les syndicats ont essayé de stériliser l’impulsion des ouvriers de se rassembler et d’exprimer leur solidarité de classe. Malgré cela, la grève du 20 octobre de 100 000 ouvriers a été une manifestation de solidarité. Elle a également exprimé leur détermination et leur volonté de combattre et de se confronter à la bourgeoisie. D’un autre côté, dans les luttes actuelles de Gurgaon, pendant les luttes chez Hyundai, Pricol, M & M et d’autres luttes pour de meilleurs salaires et contre les pertes d’emploi, les syndicats ont clairement essayé de les faire dérailler et de les convertir en luttes pour la défense des droits syndicaux.
Sans aucun doute, il existe une puissante dynamique pour le développement de la lutte de classe, pour son extension et pour le développement de la solidarité. Mais pour la réalisation de cette dynamique, il est important que les ouvriers comprennent les machinations des syndicats et prennent les luttes en leurs propres mains.
AM, 27 octobre 2009
1) Unité de mesure indienne (1 lakh est égal à 100 000 roupies, soit 1700 euros).
2) Loi sur le maintien des services essentiels.
Il y a peu de temps, la colistière du candidat John Mc Cain à la présidence des Etats-Unis, Sarah Palin, soutenait sans hésitation la thèse que les hommes et les dinosaures cohabitaient sur terre il y a 6000 ans alors que la science a démontré que les derniers dinosaures ont disparu de la surface de la planète il y a plus de 65 000 000 d’années, bien avant l’apparition du premier homo sapiens. Cette ignorance de l’évolution historique des espèces vient en droite ligne de la doctrine religieuse créationniste encore largement diffusée aujourd’hui. La vogue de ce dogme s’est illustrée notamment par une réinvention de l’histoire de l’univers à travers une floraison de musées chrétiens créationnistes aux Etats-Unis depuis 2005 (notamment dans le Kentucky ou à Cincinnati, dans l’Ohio, et dans un parc d’attractions édifié depuis 2007 en Grande-Bretagne, dans le Lancashire, à l’initiative d’un groupe d’hommes d’affaires américains “expliquant” la naissance de l’Univers en 7 jours en accord avec la lecture littérale de la Bible). Il est difficile de prendre au sérieux, avec leur dimension hollywoodienne, ces Disneylands ou ces Jurassic Parks d’opérette avec leurs préceptes exploitant l’ignorance, la crédulité et les préjugés religieux. Et pourtant le succès de cette idéologie obscurantiste est inquiétant : plus de 20 % de la population flamande et près d’un Américain sur deux, par exemple, d’après les sondages, pencheraient pour une vision créationniste du monde et seraient hostiles à la théorie de l’évolution démontrée par Charles Darwin.
Il y a 150 ans, en novembre 1859, Darwin publiait l’Origine des espèces. Cet ouvrage, qui était basé sur l’accumulation d’observations et d’expérimentation dans la nature, a bouleversé la vision des origines de l’homme et de sa place dans l’univers du vivant. Il démontrait pour la première fois qu’il existait une base commune au développement des espèces et des êtres vivants en s’appuyant et en dépassant les travaux antérieurs de naturalistes comme Buffon et Linné jusqu’au transformisme de Lamarck (1). La théorie de Darwin visait à démontrer de façon dialectique, rigoureuse et scientifique, la faculté d’adaptation des êtres vivants au sein de leur environnement et d’intégrer cette théorie dans une nouvelle conception de l’évolution des espèces. Apparaissait ainsi l’existence d’une généalogie commune aux êtres vivants s’inscrivant dans une filiation au sein de laquelle l’être humain n’était plus une espèce supérieure choisie et créée de toutes pièces par Dieu, mais le produit aléatoire d’une différenciation entre les espèces. Il s’agissait là d’une remise en cause radicale des “enseignements” de la Bible et de sa Genèse qui réfutait l’idée d’une création divine, et infirmait toutes les traditions religieuses monothéistes (christianisme, judaïsme, islam). Cette démarche matérialiste et scientifique de Darwin fut d’emblée violemment attaquée de toutes parts, notamment par les mêmes dogmes religieux qui avaient cloué au pilori de la pensée humaine Galilée ou encore Copernic (théoriciens qui, les premiers, avaient rejeté par leurs découvertes scientifiques le géocentrisme religieux qui prétendaient que la Terre était le centre de l’univers, et surtout, le centre de la Création divine).
Le scandale de cette découverte de Darwin ne résidait pas tant dans la mise en évidence de l’évolution des espèces mais dans le fait que les interactions à l’œuvre dans cette évolution n’obéissent à aucune finalité dans la nature (2). “L’arbre de la vie” ne ressemble pas à un grand arbre généalogique hiérarchisé avec une base et un sommet dont l’aboutissement serait l’homme, homo sapiens, mais à un arbre buissonnant dont le pied fonderait toutes les formes de vie les plus anciennes, et dont l’homme ne serait qu’une espèce particulière, parmi les millions d’innombrables ramifications encore présentes sur terre. Cette vision induit une parenté et une filiation communes entre l’homme et les formes de vie les plus élémentaires comme l’amibe. Ce qui semble insupportable à de nombreux esprits subissant le plus souvent inconsciemment la contrainte de l’arriération religieuse. Aujourd’hui encore, l’approche et la démarche de Darwin sont remises en cause avec virulence, alors que tous les apports scientifiques en paléontologie, en biologie, en génétique et dans bien d’autres domaines de la connaissance, n’ont fait que confirmer la validité de la théorie de Darwin (3). Les religions ont cependant été contraintes de masquer la poursuite de leur croisade anti-darwinienne en propageant une idéologie visant à maintenir la croyance religieuse derrière une pseudo-“construction scientifique” alternative : le “dessein intelligent” (intelligent design). En effet, le créationnisme n’est plus défendu par l’Eglise comme au temps de Darwin. On se souvient du débat qui opposa l’évêque d’Oxford, Samuel Wilberforce à Thomas Huxley, ardent défenseur de l’évolutionnisme en 1860. On prétend que le premier raillait le second en lui demandant : “Est-ce par votre grand-père ou par votre grand-mère que vous descendez d’un singe, Monsieur Huxley ?”. Ce dernier lui aurait rétorqué : “Je n’aurai pas honte d’avoir un singe pour aïeul, mais d’être apparenté à un homme qui utilise son talent pour obscurcir la vérité !”. L’Église catholique n’a jamais osé mettre l’Origine des espèces à l’index des livres interdits mais elle l’a officieusement condamnée et a longtemps refusé de parler de l’évolution dans les programmes scolaires qu’elle prodiguait. La religion s’est aujourd’hui adaptée en mettant en avant une doctrine plus sournoise et plus pernicieuse : le “dessein intelligent”. Selon cette “théorie”, il y aurait bien eu évolution mais celle-ci aurait été souhaitée et “pilotée” par une puissance “divine”. Ainsi, l’homme ne serait pas un “hasard de la nature” mais réellement le fruit de la volonté d’un créateur tout puissant qui l’aurait désiré et “programmé”.
Cette variante du créationnisme profite du regain actuel de popularité d’idéologies spiritualistes, obscurantistes et sectaires. Ces idéologies réactionnaires sont souvent inoculées directement par certaines fractions de la bourgeoisie qui y trouvent matière à manipuler des masses de populations désorientées et désespérées par la misère, la barbarie et le manque de perspectives du monde capitaliste. C’est ce qui les pousse à s’évader de la réalité objective, en se réfugiant dans la foi, la croyance aveugle dans un au-delà, dans un “ordre supérieur”, invisible et tout-puissant, qui échappe à toute pensée rationnelle. La croyance en un Dieu créateur tout puissant, comme la résurgence de toutes sortes de sectes (qui en tirent d’ailleurs un profit mercantile bien capitaliste), est utilisée par les idéologies du New Age pour cristalliser les peurs, les souffrances, les angoisses de bien des malheureux désemparés face à l’impasse de la société capitaliste. Ce constat démontre la pertinence de l’analyse qu’en donnait Marx dès 1843 dans sa Critique de la philosophie politique de Hegel (traduction de Maximilien Rubel, pour la Pléiade-Gallimard) : “La misère religieuse est tout à la fois l’expression de la misère réelle et la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l’âme d’un monde sans cœur, l’esprit d’un état de choses où il n’est point d’esprit. Elle est l’opium du peuple.”
La religion est toujours le premier rempart des forces conservatrices et réactionnaires pour anesthésier les consciences contre les avancées scientifiques. Elle tente de s’adapter pour tenter de préserver le statu quo en prétendant toujours être un refuge pour “consoler les hommes des malheurs de la société” en les soumettant à une croyance et surtout à une soumission envers l’ordre social existant.
Le “dessein intelligent” postule au rang de théorie scientifique, sous couvert de chercher à concilier l’évolutionnisme et le créationnisme. Il présente l’un et l’autre comme des choix “philosophiques” concurrents en cherchant frauduleusement à se donner une base scientifique. Le précurseur du “dessein intelligent”, le jésuite Teilhard de Chardin (1881-1955), a cherché par exemple dans les années 1920 à démontrer qu’il existe une téléologie, une finalité dans l’évolution, appelée “point Omega”, défini comme le pôle divin de convergence et d’harmonisation culminant dans la “noosphère”, sorte de béatitude céleste animée par l’esprit divin… Bien plus encore que le catholicisme, c’est dans le protestantisme et ses diverses variétés “d’Églises évangéliques”, s’appuyant sur la lecture plus littérale de la Bible, que se trouveront les adversaires les plus acharnés de Darwin (c’est d’ailleurs la raison du succès de l’Intelligent Design aux Etats-Unèis, en particulier tout au long des “années Bush”, où le gouvernement le soutenait quasi-ouvertement !). Les objectifs des propagandistes actuels du “plan intelligent” ont été clairement définis par le think tank à l’origine du mouvement, le Discovery Institute, dans un document à usage interne The Wedge. Des fuites permettront sa diffusion en 1999. Dans ce document, les objectifs principaux du Discovery Institute sont définis sans la moindre ambigüité (4) : en premier lieu il s’agit pour lui de “vaincre le matérialisme scientifique et ses héritages moraux, culturels et scientifiques ; puis de remplacer les explications matérialistes par la compréhension que la nature et l’être humain sont créés par Dieu”. Il se donne comme projet à court ou moyen terme de “voir la théorie du dessein intelligent devenir une alternative acceptée dans les sciences, et des recherches scientifiques menées depuis la perspective de la théorie du dessein ; assister au commencement de l’influence de la théorie du dessein dans des sphères autres que la science naturelle ; voir de nouveaux débats majeurs dans l’éducation, les sujets relatifs à la vie, la responsabilité pénale et personnelle poussées au front de l’agenda national.” C’est en effet dans le domaine prioritaire de l’éducation scolaire et de l’enseignement, et parallèlement sur le plan juridique, que ce dogme pousse son offensive tandis qu’il tente de semer la confusion dans les cercles scientifiques, afin de se disséminer dans toutes les sphères de la société, grâce en particulier à une campagne de publicité et de façonnage d’opinion (publicity and opinion making). Internet lui a également ouvert un immense réservoir pour déverser sa propagande, comme les missionnaires partis à la conquête de la “conversion” du monde à l’époque de la colonisation des nouvelles terres. Le principe est de faire passer le “dessein intelligent” comme une hypothèse “scientifique” concurrente du darwinisme. Il affiche aussi son ambition de “voir la théorie du dessein intelligent comme la perspective dominante dans la science ; voir des applications de la théorie du dessein dans des champs spécifiques incluant la biologie moléculaire, la biochimie, la paléontologie, la physique et la cosmologie dans les sciences naturelles ; la psychologie, l’éthique, la politique, la théologie, la philosophie et les matières littéraires ; voir son influence dans les arts.” Mais cette exposition au grand public des visées fondamentalistes du “dessein intelligent” a eu son revers de médaille : elle a porté un coup majeur à ses promoteurs qui, faute de pouvoir nier l’existence du document, en proposent aujourd’hui une version plus édulcorée.
Cependant, cette entreprise a été puissamment relayée et s’est en particulier élargie dans le monde musulman. Depuis la Turquie, Harun Yahia, de son vrai nom Adnan Oktar, à la tête d’un lobby maffieux, a entrepris de diffuser gratuitement et massivement sa propagande auprès des enseignants et des chefs d’établissement des collèges et lycées. Il a inondé les écoles dans le monde entier avec son Atlas de la Création mais aussi via Internet. Il a ainsi essaimé plus de 200 films documentaires et 300 ouvrages déjà traduits dans une soixantaine de langues. Les tentatives de rendre méconnaissables l’histoire du développement des espèces et du vivant comme tous les mensonges inventés par les classes dominantes dans l’histoire de l’humanité font partie du même bourrage de crânes pour freiner le développement de la conscience du plus grand nombre (et des prolétaires en particulier), pour les abrutir et les empêcher de se libérer de leurs chaînes. C’est aussi par l’obscurantisme qu’elles diffusent le reflet de la putréfaction de la société capitaliste et le masque idéologique qu’elles jettent sur la réalité du monde, lequel ne sert qu’à préserver les rapports d’exploitation. L’approche religieuse n’est qu’un de ces masques.
Tout oppose la croyance religieuse à la science et à la démarche scientifique. Pour la religion et la tradition théologique, le savoir, la connaissance ne sauraient être, en fin de compte, que d’essence divine, et rester inaccessible au commun des mortels. La démarche matérialiste en science (les faits et l’étude des réactions, différentes ou similaires, dans tel ou tel milieu, sont la base de toute expérience scientifique) n’est ni une “philosophie” ni une “idéologie” mais la condition nécessaire d’une approche consciente et historique des rapports entre l’homme et son milieu naturel, y compris en prenant son propre comportement comme objet d’étude ; c’est une approche des limites d’une connaissance à laquelle on ne saurait fixer aucune limite. Le développement de la science est totalement associé au développement de la conscience pour l’humanité. La science a une histoire, mais une histoire ni linéaire, ni liée mécaniquement aux progrès techniques ou aux avancées technologiques (ce qui exclut tout “positivisme”, toute idée de “progressisme” continu). Elle est étroitement imbriquée aux rapports sociaux de production par lesquels elle est conditionnée. La croyance s’appuie sur des peurs face à l’inconnu. A l’inverse des préjugés religieux (qui sont avant tout une idéologie au service de l’ordre existant, du pouvoir établi, qui puisent leur sauvegarde dans le conservatisme et le statu quo), le développement de la conscience est l’élément moteur qui accompagne le développement de la science. Ainsi, la méthode scientifique ne craint pas la remise en cause de ses hypothèses, le bouleversement de ses acquis et c’est pour cela qu’elle évolue, qu’elle est dynamique. Comme le dit Patrick Tort (l’Effet Darwin, page 170) : “La science invente, progresse et se transforme. L’idéologie récupère, s’ajuste et se remanie”.
Et comme il le cite dans un article du Monde de l’Education daté de juin 2005 : “le ‘dialogue’ entre science et religion est une fiction inventée par la politique. Rien en effet ne peut se négocier de commun ni d’échangeable entre la recherche immanente de la connaissance objective et l’appel au surnaturel qui caractérise la posture du croyant. Si l’on admettait une seule fois qu’un élément de surnature put contribuer à construire l’explication scientifique d’un phénomène, on renoncerait du même coup à la cohérence méthodologique de toute la science. La méthode scientifique ne se négocie pas. Il faut toute la rouerie du libéralisme individualiste (…) pour convaincre qu’un choix est praticable entre l’explication scientifique et l’interprétation théologique, ou qu’elles peuvent être combinées, comme si l’admission de la loi de la chute des corps était l’affaire de conviction personnelle, de démocratie élective ou de ‘liberté’.”
En fait, “politique” n’a de sens dans cette citation que comme politique de la classe dominante. Voilà pourquoi la démarche scientifique d’un Copernic, d’un Marx, d’un Engels ou d’un Darwin a été et est encore pour la plupart d’entre eux, combattue ou déformée avec un tel acharnement par les défenseurs d’un ordre social immuable.
W (24/11/09)
Buffon, Linné et Lamarck ont été, après la publication de la théorie de l’évolution de Darwin, largement décriés et même jetés en partie aux poubelles de l’histoire. Toutes les parties dépassées de leurs thèses ont été montrées du doigt comme des erreurs grossières et honteuses. Pourtant, en réalité, chacun a contribué à faire avancer la connaissance, les travaux des uns et leurs limites permettant le dépassement des autres. C’est pourquoi nous pouvons dire qu’ils furent tous trois des précurseurs, des sortes de maîtres à penser pour Darwin.
Ainsi, ce n’est pas par hasard s’ils relèvent les ressemblances entre l’homme et le singe et la possibilité d’une généalogie commune.
L’attention que Buffon (1707-1788) accorda à l’anatomie interne le place parmi les précurseurs de l’anatomie comparative. “L’intérieur, dans les êtres vivants, est le fond du dessin de la nature”, écrit-il dans les Quadrupèdes. Buffon va contre la religion : il place délibérément l’homme au cœur du règne animal. Même s’il convient qu’il ne faut pas s’arrêter à l’aspect extérieur, l’homme ayant une “âme” douée de raison qui le place au sommet de la création, il affirme que l’homme est semblable aux animaux par sa physiologie. Il montre qu’il existe autant de variétés d’hommes noirs que d’hommes blancs ; après plusieurs générations, un groupe d’hommes blancs dans un environnement particulier deviendrait noir ; il n’existe qu’une seule espèce humaine, et non plusieurs. Il en conclut que les variétés humaines sont issues d’une souche initiale qui s’est adaptée, selon les milieux qu’elles habitent.
Linné (1707-1778) est quant à lui un naturaliste “fixiste”. Pour lui, les espèces vivantes ont été créées par Dieu lors de la Genèse et n’ont pas varié depuis. Le but premier de son système est de démontrer la grandeur de la création divine. Cependant, du fait de l’importance qu’il accorde aux organes de reproduction des plantes, il est important de noter que la pertinence de son système de classification appelait inévitablement des hypothèses évolutionnistes. Ainsi, si telle espèce ressemble étonnamment à telle espèce voisine, pourquoi ne pas présumer que l’une a précédé l’autre dans le temps ? Le choix des organes de reproduction comme critère allait aussi dans le sens d’une interprétation dynamique et évolutionniste de l’histoire des plantes.
Lamarck (1744-1829) est un naturaliste connu pour avoir proposé le premier une théorie matérialiste et mécaniste de la vie et de l’évolution des êtres vivants. Il est également un des rares évolutionnistes à avoir compris la nécessité théorique de l’évolution des êtres vivants. Sa théorie transformiste est fondée sur deux principes : sa thèse sur l’évolution stipule que les individus s’adaptent pendant leur vie notamment en utilisant plus ou moins certaines fonctions organiques, qui se développent ou s’atténuent en rapport avec l’usage ou le non-usage des organes. Voici par exemple ce qu’écrivait Lamarck à propos de la girafe : “Relativement aux habitudes, il est curieux d’en observer le produit dans la forme particulière et la taille de la girafe (camelo-pardalis) : on sait que cet animal, le plus grand des mammifères, habite l’intérieur de l’Afrique, et qu’il vit dans des lieux où la terre, presque toujours aride et sans herbage, l’oblige de brouter le feuillage des arbres, et de s’efforcer continuellement d’y atteindre. Il est résulté de cette habitude, soutenue, depuis longtemps, dans tous les individus de sa race, que ses jambes de devant sont devenues plus longues que celles de derrière, et que son col s’est tellement allongé, que la girafe, sans se dresser sur les jambes de derrière, élève sa tête et atteint à six mètres de hauteur (près de vingt pieds)” (Lamarck, Philosophie zoologique, p. 256).
W.
1) Lire l’encadré page 6 pour un bref résumé des apports de ces trois scientifiques.
2) On pourrait entre autres ajouter à ces “scandales” causés par la science les résistances aux avancées de la paléontologie (confirmant d’ailleurs les déductions de Darwin) qui font des hauts plateaux africains le berceau de l’humanité qui porte un coup fatal à la prétendue “supériorité de la race blanche porteuse de civilisation” (lire notamment Richard E. Leakey, les Origines de l’homme).
3) Nous avons vu dans de précédents articles que la vision darwinienne a été également abondamment dénaturée et déformée, avec des interprétations réactionnaires allant du “darwinisme social” de Spencer à l’eugénisme raciste de Galton, pourtant explicitement rejetées par Darwin lui-même (lire “Le ‘darwinisme social’ : une idéologie réactionnaire du capitalisme [13]”, RI no 404, septembre 2009).
4) Voir les articles “Créationnisme [14]” et “Dessein intelligent [15]” sur le site Wikipedia d’Internet.
Assassins ! Le capitalisme, ses Etats, sa bourgeoisie, ne sont rien d’autres que des assassins. Des dizaines de milliers de personnes viennent de mourir de par la faute de ce système inhumain.
Mardi, à 16h53, heure locale, un séisme de magnitude 7 sur l'échelle de Richter a ravagé Haïti. La capitale Port-au-Prince, bidonville tentaculaire comptant près de deux millions d’habitants, a été purement et simplement rasée. Le bilan est terrible. Et il s’alourdit encore d’heure en heure. Quatre jours après la catastrophe, en ce vendredi 15 janvier, la Croix-Rouge dénombre déjà de 40 000 à 50 000 morts et « une quantité énorme de blessés graves ». D’après cette association caritative française, au moins trois millions de personnes ont été touchées directement par le tremblement de terre1. En quelques secondes, 200 000 familles ont perdu leur « maison », souvent faites de bric et de broc. Les grands bâtiments se sont aussi effondrés comme des châteaux de cartes. Les routes, déjà délabrées, l’aéroport, les vieilles lignes de chemin de fer,… rien n’a résisté.
La raison de ce carnage est révoltante. Haïti est l’un des pays les plus pauvres du monde, 75 % des habitants y survivent avec moins de 2 dollars par jour et 56 % avec moins de 1 dollar ! Sur ce bout d’île frappé du sceau de la misère, rien, évidemment, n’a été construit pour faire face aux tremblements de terre. Pourtant, Haïti est une zone sismique connue. Tous ceux qui prétendent aujourd’hui que cette secousse a été d’une violence exceptionnelle et imprévisible mentent. Le professeur Eric Calais, lors d'un cours de géologie donné dans ce pays en 2002, affirmait ainsi que l'île est traversée par « des failles capables de magnitudes 7.5 à 8 »2. Les autorités politiques d'Haïti étaient elles aussi officiellement informées de ce risque comme le prouve cet extrait tiré du site du Bureau des Mines et de l’Energie (qui dépend du ministère des travaux publics) : « chacun des siècles passés a été marqué par au moins un séisme majeur en Hispaniola (Nom espagnol de cette île séparée aujourd’hui en deux pays, Haïti et la République Dominicaine, NDLR) : destruction de Port au Prince en 1751 et 1771, destruction de Cap Haïtien en 1842, séismes de 1887 et 1904 dans le nord du pays avec dégâts majeurs à Port de Paix et Cap Haïtien, séisme de 1946 dans le nord-est de la République Dominicaine accompagné d’un tsunami dans la région de Nagua. Il y a eu des séismes majeurs en Haïti, il y aura donc des séismes majeurs dans le futur à l’échelle de quelques dizaines ou de la centaine d’années : c’est une évidence scientifique. »3 (souligné par nous). Et alors, face à cette « évidence scientifique », quelles ont été les mesures prises ? Aucune ! En mars 2008 encore, un groupe de géologues avait alerté sur un risque majeur de séisme de grande amplitude dans les deux ans à venir et certains scientifiques avaient même tenu une série de réunions en mai de la même année à ce sujet avec le gouvernement haïtien4. Ni l’Etat haïtien, ni tous les Etats qui aujourd’hui versent des larmes de crocodiles et lancent des appels à la « solidarité internationale », Etats-Unis et France en tête, n’ont pris la moindre mesure préventive pour éviter ce drame prévisible. Les bâtiments construits dans ce pays sont si fragiles qu’ils n’ont d’ailleurs même pas besoin d’un séisme pour s’effondrer : « en 2008, déjà, une école de Pétionville avait enseveli, sans aucune raison géologique, près de 90 enfants »5.
Maintenant qu’il est trop tard, Obama et Sarkozy peuvent bien annoncer une « grande conférence internationale » pour « la reconstruction et le développement », les Etats chinois, anglais, allemand ou espagnol peuvent bien envoyer tous leurs colis et leurs ONG, ils n’en resteront pas moins des criminels aux mains couvertes de sang.
Si Haïti est aujourd’hui si pauvre, si sa population est dénuée de tout, si les infrastructures sont inexistantes, c’est que depuis plus de 200 ans, la bourgeoisie locale et les grandes bourgeoisies espagnole, française et américaine se disputent les ressources et le contrôle de ce petit bout de terre. A travers son quotidien The Guardian, la bourgeoisie britannique ne manque d’ailleurs pas d’épingler la responsabilité criante de ses rivaux impérialistes : « Cette noble "communauté internationale" que l’on voit aujourd’hui se bousculer pour apporter son “aide humanitaire” à Haïti est en grande partie responsable des maux terribles qu’elle s’efforce aujourd’hui d’atténuer. Depuis le jour où, en 1915, les Etats-Unis ont envahi et occupé le pays, tous les efforts […] ont été violemment et délibérément sabotés par le gouvernement américain et ses alliés. Le propre gouvernement d’Aristide […] en a été la dernière victime, renversé en 2004 par un coup d’Etat bénéficiant d’un soutien international, au cours duquel plusieurs milliers de personne ont perdu la vie […] A vrai dire, depuis le putsch de 2004, c’est la communauté internationale qui gouverne Haïti. Ces pays qui se précipitent maintenant à son chevet ont pourtant systématiquement voté, ces cinq dernières années, contre toute extension du mandat de la mission de l’ONU au-delà de sa vocation principalement militaire. Les projets qui prévoyaient d’utiliser une fraction de cet “investissement” afin de réduire la misère ou favoriser le développement de l’agriculture se sont trouvés bloqués, conformément aux tendances à long terme qui continuent de présider à la distribution de “l’aide” internationale. »6
Et il ne s’agit là que d’une toute petite partie de la vérité. Les Etats-Unis et la France se battent pour le contrôle de cette île à coup de putsch, de manœuvres et de corruption de la bourgeoisie locale depuis des décennies, favorisant ainsi le développement de la misère, de la violence et de milices armées terrorisant en permanence hommes, femmes et enfants !
Le cirque médiatique actuel autour de la « solidarité internationale » est donc insupportable et répugnant. C’est à l’Etat qui fera la plus grande publicité autour de « ses » ONG, autour de « ses » colis. C’est à celui qui fera la plus belle image des vies que « ses » sauveteurs auront extirpé des gravats. Pire encore, sur les décombres et les cadavres, la France et les Etats-Unis continuent de se livrer une guerre d’influence sans merci. Au nom de l’humanitaire, ils envoient sur zone leur flotte militaire et essayent de prendre le contrôle des opérations prétextant la « nécessité d’une coordination des secours par un chef d’orchestre ».
Comme à chaque catastrophe, toutes les déclarations d’aide sur le long terme, toutes les promesses de reconstruction et de développement, resteront sans lendemain. Depuis dix ans, suite à des tremblements de terre, il y a eu :
- 15 000 morts en Turquie, en 1999.
- 14 000 morts en Inde, en 2001.
- 26 200 morts en Iran, en 2003.
- 210 000 morts en Indonésie en 2004 (le séisme sous-marin avait engendré un gigantesque Tsunami qui avait fait des victimes jusque sur les côtes africaines).
- 88 000 morts au Pakistan, en 2005.
- 70 000 morts en Chine, en 2008.
Chaque fois, la « communauté internationale » s’est émue et a envoyé de misérable secours ; mais jamais de véritables investissements n’ont été réalisés pour améliorer durablement la situation, en construisant des bâtiments antisismiques par exemple. L’aide humanitaire, le soutien réel aux victimes, la prévention ne sont pas des activités rentables pour le capitalisme. L’aide humanitaire, quand elle existe, ne sert qu’à dresser un rideau de fumée idéologique pour faire croire que ce système d’exploitation peut être humain, quand elle ne constitue pas directement un alibi pour justifier l’envoi de forces militaires et gagner de l’influence dans une région du monde.
Un seul fait révèle toute l’hypocrisie bourgeoise de l’humanitaire et de la solidarité internationale des Etats : le ministre français de l’immigration, Eric Besson, vient de décréter qu’il suspendait « momentanément » les reconduites de personnes en situation irrégulière vers Haïti ! Tout est dit.
L’horreur qui frappe la population vivant en Haïti ne peut que soulever un immense sentiment de tristesse. La classe ouvrière va, comme lors de chaque hécatombe, réagir en répondant présent aux différents appels aux dons. Elle montrera une nouvelle fois par-là que son cœur bat pour l’humanité, que sa solidarité ne connaît pas les frontières. Mais surtout, une telle horreur doit nourrir sa colère et sa combativité. Les véritables responsables des 50 000 morts ou davantage en Haïti ne sont pas la nature ou la fatalité mais le capitalisme et ses Etats, qui sont autant de charognards impérialistes.
Pawel (15 janvier 2010)
1) Sur le site de Libération (quotidien français)
2) Sur le blog « sciences » de Libération.
3) www.bme.gouv.ht/alea%20sismique/Al%E9a%20et%20risque%20sismique%20en%20H... [18].
4) Voir article en espagnol Científicos alertaron en 2008 sobre peligro de terremoto en Haití sur le site Yahoomexico (Assiociated Press du 15/01/2010)
5) Sur le site de Courrier International [19].
6) Sur le site de PressEurop.
Toutes les générations et tous les secteurs de la classe ouvrière sont touchés aujourd’hui de plein fouet par les attaques mises en place par les différentes bourgeoisies nationales et leur gouvernement. La France n’est ici qu’un exemple de ce qui se joue au niveau mondial.
La plupart des jeunes, même surdiplômés, éprouvent les pires difficultés à être recrutés sur le marché du travail (le taux de chômage atteint déjà 20% parmi eux). Le débouché, encore possible il y a quelques années, d’accéder aux emplois publics par concours administratifs leur est désormais fermé ou du moins mesuré au compte-gouttes. L’immense majorité des 16-25 ans doivent courir les Pôles Emploi pour dénicher au mieux quelques mois de petits boulots sous- payés. Avec la réforme des universités, la sélection de « l’élite » et des étudiants en général s’opère avant tout par des coûts d’inscription qui deviennent exorbitants. Beaucoup de jeunes sont condamnés à trouver gîte et couvert dans le cadre familial à cause des loyers prohibitifs. Quant à la génération des « adultes », ils sont tout aussi exposés au chômage et à la misère. Le Monde du 19 janvier a annoncé qu’un million de chômeurs se retrouveraient ainsi en fin de droits dans les prochains mois dont 600 000 ne recevront aucune indemnisation de l'État (sans accès au RSA ou à l'APL, etc..). De façon significative, les Restos du Cœur sont l’une des rares entreprises à accroître son activité. Le nombre de demandeurs de repas gratuits a ainsi augmenté de 20% en un an. En même temps, de nouvelles centaines de licenciements tombent chaque jour dans le pays comme la fermeture annoncée de l’usine Total près de Dunkerque qui va se traduire par la suppression d’un millier d’emplois (400 dans la maison-mère et le reste chez les sous-traitants).
Et le gouvernement intensifie son programme de suppressions d’emplois dans le secteur public dans le cadre de la RGPP (Révision Générale des Politiques Publiques) opérationnelle depuis l’été 2007 faisant l’objet d’audits « afin de repérer les gains de productivité qui détermineront les suppressions de postes ministère par ministère » (Libération du 21 janvier). Cette réforme en cours des différents secteurs de la fonction publique exigée par des restrictions budgétaires entraîne des pelletées de suppression de postes par le biais des « réformes structurelles » (fusions/regroupement des services et des métiers, loi sur la mobilité des fonctionnaires, etc…). Ainsi 100 000 emplois (22 800 en 2008, 30 600 en 2009, 33 749 en 2010) ont été supprimés en 3 ans dont 40 000 dans l’Education nationale.
Dans le secteur de la santé, les mesures sont encore plus abruptes. Pour la seule région parisienne, entre 3000 et 4000 suppressions de postes sont officiellement prévues sur 5 ans avec le « regroupement » de 37 hôpitaux en 12 unités de soins (le quotidien gratuit Métro du 25 évoque même une menace sur 20 000 postes sur les 92 000 de l’AP-HP - Assistance publique-Hôpitaux de Paris). Quant aux infirmiers, le « choix » qui leur est soumis est soit conserver leur statut actuel sans augmentation de salaire, soit être mieux payés en acceptant de travailler 5 ans de plus (60 ans au lieu de 55 actuellement).
Sans compter les 500 000 contractuels précaires et sous-payés utilisés dans la fonction publique dont seule une infime minorité peut espérer être titularisée après des années de surexploitation malgré les vagues promesses de Sarkozy en ce domaine.
L’attaque que concocte le gouvernement dans les prochains mois sur les retraites est un concentré de la plongée dans la misère qui attend la classe ouvrière toutes générations et tous secteurs confondus.
Sarkozy s’y est engagé dès juin 2009 et a récemment réaffirmé le 25 janvier devant des caméras de TF1 « Mon ambition serait que l’on règle le problème des retraites de façon pérenne dans le courant de l’été » en ajoutant plus prudemment après un temps d’arrêt « En tous cas avant la fin de l’année. » En fait, le projet sera très probablement rendu public sitôt après les élections régionales (alors que gouvernement et dirigeants syndicaux planchent en toute complicité dessus depuis des mois) et Sarkozy escompte le faire adopter l’été prochain, en pleine période de vacances.
Le coup d’envoi du débat a d’ailleurs déjà été lancé par… la secrétaire nationale du PS, Martine Aubry, déclarant à l’émission du Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI le 17 janvier “On devra aller très certainement vers un départ à la retraite à 61-62 ans ”. Malgré la rétractation tardive de ces propos (inévitable après les remous suscités à gauche par cette déclarations), plusieurs « ténors » du PS ont repris la balle au bond comme Manuel Valls disant sans détour qu’il « était temps aujourd’hui [pour le PS] de briser certains tabous ». Depuis, à coups de sondages (« seriez-vous prêts à cotiser et donc à travailler plus longtemps pour sauver votre retraite, celle de vos enfants et petits-enfants ? »), le conditionnement de « l’opinion publique » à cette « réforme » présentée comme impérative et inévitable va bon train.
Toute la bourgeoisie est consciente de l’ampleur de l’attaque qu’elle se prépare à porter. Cette question constitue un test majeur pour elle, son gouvernement et ses syndicats dans les conflits sociaux à venir. En 1993, Balladur a pris des mesures pour repousser l’âge de la retraite dans le secteur privé, ensuite sous le gouvernement Raffarin, les « lois Fillon » en 2003 sont parvenues à aligner le secteur public sur le privé, puis, début 2008, le même Fillon est parvenu à imposer l’abolition de la plupart des régimes spéciaux. Chaque fois, les syndicats se sont partagés le travail pour faire avaler au bout du compte la même pilule amère après quelques manifestations plus ou moins massives. C’est ce qui se prépare encore aujourd’hui face à un enjeu qui met cette fois tous les prolétaires et à tout âge dans le collimateur. D’ailleurs, les syndicats ont recommencé après des mois de silence à chercher à émousser préventivement la combativité ouvrière secteur par secteur et autant que possible en faisant diversion autour de revendications sectorielles1 Pour faire passer cette attaque, la bourgeoisie dispose d’un argument en béton. Dans la logique du capitalisme, la « réforme » est inévitable car elle s’appuie sur un vrai problème : il n’y a pas assez de recettes pour financer les retraites (en 2006, il y avait 1,8 actif pour un retraité. A l’horizon 2050, il n’y en aura plus qu’1,2, soit presque autant de retraités que d’actifs). Compte tenu de l’allongement de la durée de vie, de la pyramide des âges où la génération des ex-« baby-boomers » d’après-guerre atteint l’âge de la retraite, et surtout le poids du chômage qui réduit le nombre des salariés en activité, la gestion des retraites est devenue insupportable pour le système (à l’heure actuelle, l’équivalent de 10% des retraites ne sont pas financées). Mais en réalité, le but du gouvernement n’est nullement de prolonger la durée du travail2. De plus en plus de salariés sont et seront incapables d’aligner les trimestres de cotisations nécessaires pour bénéficier d’une retraite à taux plein, en cumulant une entrée de plus en plus difficile et tardive sur le marché du travail, les longues périodes de chômage et l’usure liée à leur emploi. Le vrai motif est donc de faire partir un maximum de prolétaires à la retraite avec une pension dérisoire. C’est d’ailleurs pourquoi le gouvernement n’a pas besoin de s’attaquer directement aux pensions mais qu’il va jouer sur l’allongement de la durée de cotisation et sur le relèvement considérable du taux de cotisation prélevée sur le salaire des actifs (le salaire et le pouvoir d’achat des salariés sera donc lui aussi de plus en plus amputé et rogné).
Cela fait 30 ans que le chômage plombe les économies. Le problème des retraites n’en est qu’une des conséquences. Et cela va aller de pire en pire. Derrière la question des retraites, se profile l’appauvrissement de toutes les générations et de tous les secteurs de la classe ouvrière.
Traditionnellement, dans les familles ouvrières, les aînés étaient à la charge des plus jeunes. Avec la remontée du chômage dans les années 1980, la situation s’était renversée, les retraités venaient en aide à leurs enfants et petits-enfants. Mais à l’avenir, les vieux travailleurs ne pourront plus aider leurs enfants, ils vont devenir au contraire de plus en plus dépendants d’eux. On voit déjà de plus en plus de retraités qui viennent à la fin des marchés pour ramasser des produits jetés des étals ou à la sortie des supermarchés récupérer des produits périmés. Demain, ce seront toujours les plus âgés qui sombreront les premiers dans la misère mais aucune autre génération ne sera plus capable de subvenir à leurs besoins. On entre dans une période de grande misère au niveau de toutes les générations ouvrières.
Il n’y a, dans le cadre de ce système d’exploitation, aucune solution réelle. Seul le renversement du capitalisme et l’avènement du communisme peut offrir un avenir à l’humanité.
W (29 janvier)
1) Ainsi, la grève des fonctionnaires (agents de l’Etat et collectivités territoriales, personnel hospitalier public) le 21 janvier qui a rassemblé moins de 100 000 participants au niveau national (dont 15 000 à Paris) a été présentée comme un échec démoralisant. En fait, tout à été fait par les syndicats pour qu’il y ait une très faible mobilisation avec très peu de publicité et de tracts d’appel dans la Fonction publique. Mais depuis, les manifestations se succèdent quasi-quotidiennement pour défouler la colère dans telle ou telle branche : le 26/1, les infirmières étaient appelées à défiler dans les rues, le lendemain, c’était au tour des salariés du "pôle emploi", le 28, les agents des caisses de Sécurité sociale, le 30, une manifestation des enseignants, le 2 février une grève de 24 h est prévue à la SNCF…
2) Dans la réalité actuelle, en France alors que l’âge légal de la retraite est de 60 ans, l’âge moyen de ce départ à la retraite ne dépasse pas 57 ans et pour la bourgeoisie il y a encore trop de secteurs qui bénéficient d’un départ à la retraite anticipé à taux plein, à commencer par les secteurs du bâtiment ou de la santé.
Nous reproduisons ci-dessous, presque intégralement, un court article publié par Les Echos sur son site Internet le 26 décembre[1]. Il démontre parfaitement dans quel camp sont réellement les syndicats.
A quelques jours de la fin de l’année, l’heure des bilans a déjà sonné pour Alain Minc. Ce proche conseiller officieux de Nicolas Sarkozy distribue bons et mauvais points dans une interview publiée hier dans Le Parisien dimanche. Il décerne notamment un satisfecit remarqué aux syndicats : « Je constate que, au printemps, leur sens de l’intérêt général a été impressionnant pour canaliser le mécontentement. L’automne a été d’un calme absolu. Je dis chapeau bas aux syndicats ! » lance Alain Minc. Pour lui, « ils ont cogéré cette crise avec l’Etat. Le patronat, en tant qu’acteur social, a été aux abonnés absents ». Et d’asséner : « S’il y avait un dixième du talent de l’état-major de la CGT au Medef, les choses iraient mieux. »
Effectivement, les syndicats, CGT en tête, ont joué un rôle central dans le « calme absolu », du point de vue de la lutte de classe, qui a caractérisé l’année 2009. En fait, pour être plus précis, la cause première de l’absence de luttes importantes ces douze derniers mois est sans aucun doute la brutalité inédite de la crise. Face aux vagues de licenciements, à la hausse spectaculaire du chômage et de la pauvreté, les ouvriers ont été comme paralysés, effrayés. Si la colère est indéniablement très forte dans les rangs de notre classe, elle a été contenue, comme étouffée par un sentiment d’impuissance. Elle ne s’est donc pas concrétisée par le combat. Mais les syndicats ont parfaitement exploité cette désorientation momentanée au profit de leur maître : l’Etat. Ils ont su « enfoncer le clou » de la démoralisation et du déboussolement en égrenant les journées d’action stériles tout au long des mois de 2009. Ces remerciements d’un grand bourgeois comme Alain Minc pour « service rendu » à la bourgeoisie ne sont donc que justice.
Quant à la classe ouvrière, elle doit comprendre qu’elle aura toujours face à elle les syndicats, prêts à saboter la lutte, à la diviser par secteur et par entreprises. Si elle veut rompre ce « calme absolu » si cher à Alain Minc, à la CGT et consorts, la classe ouvrière doit reprendre confiance en elle et en sa capacité à mener et organiser ses propres luttes.
Phaco (28 janvier)
1. www.lesechos.fr/info/france/020287218950-alain-minc-salue-le-role-des-sy... [20]
Notre article “Les Etats capitalistes sont tous des charognards [22]” a été écrit “à chaud”, seulement trois jours après le séisme. Si chaque ligne s’est entièrement vérifiée, l’horreur a dépassé l’imaginable. D’ores et déjà, 170 000 corps ont été retrouvés. La radio haïtienne Scoop FM affirme que près de 220 000 personnes sont encore portées disparues et potentiellement sous les décombres1. Parmi les 200 000 blessés, plus d’un millier ont été amputés. 1,5 millions de personnes se retrouvent aujourd’hui sans abri. 1 million d’enfants sont orphelins. Sur ces ruines et ces corps fumants, une trentaine de pays se sont livrés à une concurrence ignoble et honteuse. A chaque catastrophe, l’humanitaire est un alibi qui permet aux Etats de se livrer une guerre d’influence sans merci. Nous avions annoncé qu’il en serait une fois encore de même. Mais cette fois-ci, la curée a été si frénétique que le voile de l’humanitaire en a été violemment déchiré. Voici quelques faits édifiants. Un membre d’une ONG française faisait part de sa révolte à la radio France Info, à la mi-janvier, quand, dans l’urgence, à l’aéroport de Port au Prince, il a vu atterrir prioritairement une vingtaine d’avions gouvernementaux, devançant les secours. Il témoignait, choqué, de la course de diplomates chinois pour planter, en “vainqueur”, le drapeau national ! La presse chinoise s’est même vantée de cette première place. “Secours à Haïti : La Chine la plus rapide” peut on ainsi lire en titre d’un site sino-français2. La France, justement, n’est pas en reste ; elle a tenu, elle aussi, à figurer parmi les premiers rôles dans cette danse macabre. Le “pays des droits de l’Homme” a lutté et joué des coudes pour être celui qui reconstruira… le palais présidentiel ! Les 1,5 millions de sans-abri peuvent crever la bouche ouverte, la priorité est à la conquête du pouvoir. Evidemment, à ce petit jeu, ceux qui parviennent le mieux à s’imposer sont les Etats-Unis, la première puissance mondiale, l’ogre voisin d’Haïti. Ils ont pris officiellement le contrôle de l’aéroport et du principal port du pays. Leur armée a débarqué et s’est installée pour assurer le maintien de l’ordre. Cette présence de 3500 “boys” sur terre et 9000 en mer n’aide en rien à sauver des vies, les fusils, les grenades, les gilets-pare-balle étant de très peu d’utilité pour sortir une personne des décombres ou pour nourrir ceux qui meurent de faim. Sauver des vies humaines ne constitue nullement l’essentiel de la mission d’intervention massive américaine (et il en est de même pour toutes les autres nations). Il faut juste sortir des décombres et soigner devant les caméras quelques femmes et enfants pour justifier la présence des associations humanitaires et, surtout, de l’armée qui l’accompagne. Pour preuve de cette écœurante hypocrisie, les Etats-Unis ont déployé cinq navires de la Garde côtière pour refouler tous les Haïtiens qui tenteraient de fuir l’horreur et de survivre en Floride. La domination outrancière de l’Amérique fait grincer des dents plus d’une bourgeoisie nationale qui dénonce toutes cette “main mise”. “Les Etats-Unis en Haïti, une question de leadership”, pouvait-on ainsi lire dans le quotidien Le Monde du 19 janvier. Mais derrière ces protestations et jérémiades, il n’y a pas une once d’humanité, juste de la rivalité impérialiste. Il faut dire que pour parvenir à ses fins, l’Etat américain n’a reculé devant rien. A ce jour, cinq avions d’ONG françaises et un avion-hôpital n’ont pu atterrir sur le tarmac de Port-au-Prince !3 Des aides humanitaires venant de pays d’Amérique Centrale ou Latine ont connu, elles aussi, les pires difficultés à arriver. Les Etats-Unis savent très bien que cette “aide humanitaire” n’est rien d’autre que le cheval de Troie de leurs adversaires impérialistes.Le capitalisme est une société d’exploitation inhumaine où les mots paix, aide et solidarité ne sont là que pour justifier la guerre et la concurrence.
Pawell (28 janvier)
1) www.scoopfmhaiti.com/actualites/760-haitiseisme--le-bilan-pourrait-setab... [23]
2) french.peopledaily.com.cn/Horizon/6876299.html
3) www.metrofrance.com/info/haiti-un-nouvel-avion-empeche-d-aterrir/mjas!6d... [24] et www.20min.ch/ro/news/monde/story/11818276 [25]
Le film Avatar de James Cameron (metteur en scène du film Titanic entre autres) est en train de devenir un véritable phénomène de société. Projeté en 3D, des images de synthèse d’une qualité sans précédent (les données de la plateforme de production atteindraient le peta-octet), un investissement financier démesuré, tout dans ce film est extravagant. Et comme toute oeuvre d’art, Avatar nous renvoie une certaine image de la société dans laquelle nous vivons.
La trame du film est d’une simplicité biblique. Une puissante corporation terrienne a découvert sur la planète Pandora des gisements d’un minerai rare et convoité ; elle envoie donc sur place tout ce qu’il faut d’engins et d’ouvriers (qu’on ne voit jamais d’ailleurs) pour ouvrir une mine. Le seul hic : la planète, couverte d’une splendide forêt vierge, est habitée par des peuplades indigènes humanoïdes, bleues de peau et de trois mètres de haut, qui n’ont aucune intention de se laisser déplacer sans résistance. L’entreprise industrielle est donc accompagnée d’une force armée ressemblant à s’y méprendre à l’armée américaine, avec bombardiers, hélicoptères, et équipements inspirés des "mekka", les mangas japonais. Toute ressemblance avec la conquête américaine de l’Amérique, le viol du Vietnam ou le pillage de l’environnement pratiqué aujourd’hui en Amazonie, n’a évidemment rien de fortuit. Dans l’espoir de convaincre les indigènes – les "Na’avi" – de se laisser déplacer sans effusion de sang (et surtout sans publicité défavorable), la compagnie envoie également une équipe de chercheurs dotée d’une technologie qui leur permet de fabriquer des corps d’indigènes – des "avatars" – qui seront habités par l’esprit de "pilotes" humains restés à l’abri dans leur camp retranché. Ces derniers pourront donc circuler librement sur la surface de Pandora (dont l’atmosphère est toxique pour les humains) et "gagner la confiance" des indigènes. Un de ces "pilotes", l'ex-marine Jake Scully dont le corps humain est cloué à un fauteuil roulant, va s'éprendre (dans sa forme "avatar") d'une belle de la tribu locale, une sorte de Pocahontas bleue, et rejoindre son peuple dont il mènera le combat contre les envahisseurs.
Voilà pour la trame de l’histoire – qu'en est-il du film dans son ensemble ? Sur le plan visuel, il n'y a pas à dire, c'est éblouissant. Non seulement les images de synthèse sont parfaitement convaincantes (les Na'avi sont tout aussi "vrais" que les personnages humains), mais les concepteurs ont déployé des trésors d'imagination pour dépeindre l'exo-biologie pandorienne, dans une vaste fresque vivante de plantes, d'animaux, et même d'insectes imaginaires, le tout avec une cohérence et une attention au détail qui rappelle certains films d'animation de Miyazaki. Impossible de ne pas être séduit quand, par exemple, les Na'avi chevauchent de grands reptiles volants et que, grâce à la projection en 3D, on peut réaliser un des plus vieux rêves de l'humanité et chevaucher dans le ciel avec eux.
Heureusement que le côté visuel impressionne d'ailleurs car l'histoire n'est qu'un collage fadasse de plagiats. Les "nobles sauvages" qui vivent en harmonie avec la nature (le film Green), les blancs décents qui essaient d'arrêter le massacre (dans la lignée de certains westerns modernes), l'étranger qui tombe amoureux et cherche à se faire accepter dans la tribu (Danse avec les loups), la brute épaisse de militaire mégalo américain (Apocalypse Now, mais sans la folie et la culture), la scientifique dans un monde macho (Sigourney Weaver reprenant son rôle dans Alien) – tout y passe. Même le dénouement où l'écosystème tout entier se met en branle pour repousser l'envahisseur, est plagié des romans Deathworld de Harry Harrison. Quel intérêt ce film peut donc il avoir ?
En fait, l'intérêt se trouve ni dans l'histoire – plate et banale – ni dans les personnages en carton, mais dans les thèmes dont le film est composé. A qui sont-ils destinés ? Quelle est l'idéologie qu'ils véhiculent ?
Avant d'être une oeuvre d'art, Avatar représente un énorme investissement financier (entre 250 et 300 millions de dollars) qui doit être rentabilisé. En plus, il ne suffit plus de se contenter d'un succès sur le seul marché américain : selon un article de The Economist du 28 novembre, les deux tiers des profits d'un "blockbuster" se réalisent en dehors des Etats-Unis. Pour réussir, le film doit donc faire appel à des sentiments très largement répandus dans la population mondiale, du moins celle des pays industrialisés. En ce sens, les situationnistes des années 1960 avaient raison de dire que la "société du spectacle" (le capitalisme) met en scène nos propres rêves pour nous les revendre.
Sur le plan des ventes justement, Avatar est un succès incontestable, ayant déjà dépassé le milliard de dollars d'entrées en salle. Il est frappant de constater qu'il a eu un gros succès en France et en Allemagne, les deux pays européens qui se sont particulièrement distingués par leur opposition à la guerre en Irak. L'image peu flatteuse (c'est le moins qu'on puisse dire !) des "marines" et, surtout, le fait qu'ils prennent une raclée à la fin et se trouvent obligés de partir la queue entre les jambes, n'y est sans doute pas pour rien.
Cela dit, James Cameron réussit, par une grosse ficelle, à "sauver l'honneur" pour l'audience américaine. On apprend dès le début du film que les soldats en question étaient "autrefois des marines, combattants pour la liberté", qui sont devenus mercenaires, et le principal héros est lui-même un ex-marine. On peut donc se permettre d'attribuer le militarisme brutal non pas à l’Etat et à ses serviteurs loyaux mais aux armées privées actuellement déployées en Irak et en Afghanistan par les firmes de "sécurité" qui assurent logistique et "protection" pour les grosses boîtes comme Halliburton mais aussi, et de plus en plus, directement pour l'armée américaine. Du côté des "bons", les Na'avi représentent, bien sûr, le rêve d'une humanité de nouveau en harmonie avec la nature. Ils chassent, mais tuent leur proie avec respect, ils vivent paisiblement dans une forêt qui n'est pourtant pas sans danger. Cameron ne s'embarrasse pas de considérations métaphysiques – le lien entre les Na'avi et le monde naturel est assuré par le fait que la planète elle-même est une créature vivante (une idée piquée au roman Solaris de Stanislas Lem, mis en scène dernièrement par George Clooney) et que les autochtones sont naturellement équipés de sortes de clefs USB biologiques leur permettant de se « brancher » aux animaux et aux plantes. Les invraisemblances sont légions. Les Na'avi mâles (des Apaches bleus) sont de "grands guerriers" alors qu'ils n'avaient personne à qui faire la guerre avant l'arrivée des humains. Les femelles sont les égales des mâles, y compris à la chasse, ce qui ne les empêche pas d'être cantonnées dans des tâches spécifiquement féminines (il n'y a pas de "guerrières" par exemple).
Et pourtant ça marche ! Le film se termine avec un grand coup d'adrénaline et l'audience ravie de voir la compagnie minière chassée de la planète par les indigènes (peut-être la plus grande de toutes les invraisemblances !) applaudit.
C'est du pur fantasme, évidemment. Mais il est intéressant de comparer ce fantasme, qui sort en plein marasme économique, avec ceux créés lors du dernier grand krach. Une grande partie de la production hollywoodienne des années 1930 consistait en films mettant en scène des rêves de richesse dans un monde peuplé de playboys, d'aventuriers et de milliardaires – le monde par excellence de Fred Astaire et Ginger Rogers. Ce rêve-là n'est plus de mise. Dans Avatar, les grandes entreprises sont définitivement rangées du côté des "méchants". Aujourd'hui, le meilleur rêve – celui qui fait rentrer les plus grosses recettes – que la machine à fantasmes capitalistes puisse nous vendre, c'est un monde où le capitalisme lui-même serait définitivement banni.
Jens (21 janvier)
Un an après la plus grande mobilisation ouvrière de son histoire, la Guadeloupe va-t-elle revivre une grève générale ? Tout semble en effet réuni pour que la lutte reprenne. La situation de la classe ouvrière dans ce département d’outre-mer n'a guère évoluée depuis les accords qui ont mis fin, le 4 mars 2009, à 44 jours de grève, de manifestations et de rassemblements ouvriers.
Sur les 133 revendications qui fondent cet accord, quelques unes resteront emblématiques du mouvement : la modération de l'augmentation du prix du carburant et des principaux produits de consommation et, surtout, la prime de 200 euros versée aux plus défavorisées.
En réalité, le prix du carburant reste suffisamment élevé pour que toute une frange de la population ne puisse y avoir accès en quantité suffisante pour répondre à ses besoins, et il a subi deux augmentations de 10 centimes chacune en moins d'un an, sur arrêté de l'État. Mais au-delà de ça, la situation des ouvriers guadeloupéens reste fondamentalement marquée par le chômage et la surexploitation. Comment pourrait-il en être autrement quand la crise majeure que vit le capitalisme enfonce toujours plus le prolétariat mondial dans la misère ? Nombre d'entre eux sont contraints de quitter l'île, dont la situation sociale reste marquée par une forte instabilité. Le tourisme, source essentiel de revenus pour l'économie locale, est en berne. La peur est en chacun et il suffit parfois de quelques déclarations ou rumeurs pour recréer des files d'attentes aux stations-services ou aux caisses de supermarchés.
Quant à la fameuse prime de 200 euros, son mode de calcul, savamment élaboré par d'ingénieux polytechniciens ou énarques, ainsi que la complexité du montage des dossiers, écarte bon nombre de travailleurs logiquement éligibles. Bref, comme nous le prévoyions sans grande difficulté à l'époque, en empruntant les mots célèbres de Charles Pasqua, « les promesses n'engagent que ceux qui les écoutent ». 1
On peut donc facilement déduire de cette situation que la colère des ouvriers de Guadeloupe reste intacte, et même, qu’elle s’est renforcée par une profonde désillusion après une si grande lutte, de si belles promesses et finalement... rien.
Et le LKP dans tout ça, que fait-il ? On pourrait attendre de ce grand collectif de syndicats et d'associations, dirigé par un leader syndicaliste radical et charismatique, Elie Domota, qu'il soit à la pointe du combat pour le respect des engagements de l'Etat. Après tout, ne se présente-t-il pas comme l'initiateur du mouvement de 2009, comme l'architecte de la victoire et de l'accord final ?
On pourrait attendre en effet de lui qu'il marque un grand coup, un an après la lutte. On a même cru un moment qu'il appelait à la grève générale. Mais non, on a dû mal comprendre : « C'est très curieux, nous n'avons jamais lancé d'appel à la mobilisation générale le 20 janvier. Nous avons déposé un préavis de grève à partir du 9 janvier et nous allons définir dans les jours qui viennent les modalités d'action » 2
En fait, le LKP semble balader son monde. Fin novembre, il lance un appel à une grève générale de 48h, passé largement inaperçu, dont la manifestation finale rassemblera 10 000 personnes. Il n'y en aura guère plus le 9 janvier dernier, dans le cadre d'un appel à la grève illimitée qui ne sera rendue publique que localement. 3
Le 20 janvier, date anniversaire, ce sera un meeting, juste un meeting. Mais en parallèle, il continue de brandir la menace d'une nouvelle grève générale. Attention, vous n'avez encore rien vu ! D'ailleurs, vous ne verrez peut-être jamais rien : « Une chose est sûre, nous appellerons à la grève mais on ne sait pas encore à quelle date. Le problème sera réglé dans la rue s'il le faut » 4
Il est clair que le LKP mesure parfaitement la colère des ouvriers et qu'il fait tout pour à la fois garder le leadership du mouvement et canaliser cette colère dans des actions ponctuelles et des menaces en l'air. En cela, il est aidé par la difficulté, au niveau mondial, pour le prolétariat de se battre face à l'aggravation de la crise qui ne lui permet pas encore de concrétiser sa combativité véritable par de véritables luttes.
Mais il est aidé aussi par toute la bourgeoisie, qui use d'une arme classique, son terrain fétiche, celui de l'électoralisme et de la démocratie. En organisant des référendums sur l'autonomie relative et la réforme des institutions en Martinique et Guyane, le gouvernement, soutenu par une partie de la gauche, a cherché à déplacer l'enjeu sur le terrain pourri de la division. Il a en partie réussi, comme le montre la mobilisation dans ces scrutins. Mais le « non » massif montre aussi toutes les limites de cette manuvre. D'ailleurs, la bourgeoisie s'est bien gardée de faire le même coup en Guadeloupe, où il aurait été sans aucun doute perçu comme une provocation.
Les ouvriers doivent donc rester vigilants face au radicalisme affiché du LKP. Il voudrait désamorcer leur colère, les promener et les mener dans des impasses qu'il ne s'y prendrait pas autrement. Ce n'est pas derrière ce type d'organisations que la classe ouvrière pourra construire un vrai rapport de force face à la classe dominante. C'est au contraire en s'en détachant et en ne confiant sa lutte et son destin à personne d'autre qu'à elle-même.
GD (29 janvier)
1) « Guadeloupe, Martinique, La Réunion : pourquoi la bourgeoisie a-t-elle reculé ? [29] », RI n° 400, avril 2009.
2) Lemonde.fr, 9 janvier.
3) AFP, 19 janvier
4) Lexpress.fr, 19 janvier.
A Rosarno, petite ville de 15 000 âmes située en Calabre dans le sud de l’Italie, de violents affrontements ont éclaté, début janvier, entre travailleurs immigrés et locaux.
Le 7 janvier, en pleine rue, des jeunes tirent à la carabine à air comprimé sur des immigrés africains. Deux d’entre eux sont gravement touchés. Derrière ces “jeunes”, se cache en fait la main de la “ndrangheta”, la mafia calabraise. C’est elle qui constitue le patronat local et embauche les ouvriers agricoles. Depuis des années, elle fait appel à une main d’œuvre venue d’Afrique, nombreuse et corvéable à merci. Ces travailleurs immigrés triment toute la journée pour une paye de misère1 et sont parqués le soir dans une ex-fabrique de fromage désaffectée et insalubre. Or, cette année, cette main d’œuvre bon marché est devenue brusquement encombrante. D’abord, la crise économique frappe autant Rosarno que le reste du monde. Les oranges et les mandarines ne s’écoulent pas ; il est aujourd’hui plus rentable de laisser pourrir les fruits sur les arbres que de les ramasser. Ces travailleurs africains sont donc devenus pour la plupart privés d’embauche, inutiles. Ensuite, une nouvelle législation anti-immigrée a été récemment adoptée en Italie ; elle renforce la chasse aux sans-papiers et condamne les patrons qui embauchent des travailleurs illégaux. La mafia s’est donc tournée, pour le peu de travail qu’il y a, vers les immigrés “légaux” des pays de l’Est (en particulier d’Ukraine et de Roumanie). 1500 Africains et leurs familles, venus toucher ici juste de quoi survivre, se sont donc retrouvés pris dans l’étau de la surexploitation et du chômage. La tension et la colère sont peu à peu montées dans leurs rangs ; ces semi-esclaves d’habitude si dociles ont même commencé à manifester. La “ndrangheta” a alors décidé de les effrayer pour les faire fuir, en leur tirant dessus. De bêtes de sommes, ces immigrés sont devenus gibiers. Seulement, au lieu de déguerpir, ces travailleurs sont massivement sortis dans la rue incendier des poubelles et des voitures, casser des vitrines et abîmer quelques habitations. En réaction, des centaines d’habitants de Rosarno, armés de barres et de bâtons, se sont livrés à une véritable chasse à “l’homme noir” aux cris de “en Afrique, en Afrique !”, “nous voulons leur mort”. Ces affrontements ont fait 67 blessés (31 immigrés, 19 policiers et 17 autochtones). A priori, là encore, la mafia a joué un rôle central en excitant la population locale et en se hissant à la tête de ces milices improvisées2. Cette haine n’a pas été difficile à distiller au sein d’une population touchée elle aussi par la pauvreté et un chômage qui frappe officiellement près de 18% de la classe ouvrière dans cette région. Mais la misère est très loin d’expliquer à elle seule pourquoi une partie de la population s’est laissée ainsi entraîner dans une vendetta raciste et nauséabonde, ni pourquoi d’ailleurs ces immigrés attaqués s’en sont pris aux biens des habitants des alentours. En réalité, la cause première de ces affrontements “entre pauvres”, comme l’a titré la presse internationale (autrement dit, entre ouvriers), est le désespoir, l’absence totale de perspective. “C’était un enfer, on n’y comprenait rien, c’est vrai que nous avons cassé tout ce que nous avons pu casser, mais nous étions seulement en rage. Nous sommes désespérés, et si au désespoir, on ajoute la rage, c’est facile de déraper. Quand nous sommes revenus à la fromagerie, nous nous sommes regardés dans les yeux et nous avons eu honte de ce que nous avions fait. J’ai pleuré pendant toute la nuit en pensant à ces gens épouvantés…” (Godwin, journalier ghanéen, 28 ans, cité par La Repubblica du 9 janvier).
Seules les luttes ouvrières peuvent redonner confiance en l’avenir, peuvent permettre d’entrevoir qu’un autre monde est possible, un monde fait non pas de haine mais de solidarité. Une grève l’a parfaitement illustré récemment, une grève qui n’a pas eu les honneurs des Unes de la presse, contrairement à ces émeutes racistes d’Italie. En Angleterre, au mois de juin 2009, des ouvriers ont résisté aux sirènes du nationalisme et de la xénophobie, alors que toute la presse mettait en exergue des slogans tel que “Des jobs anglais pour les ouvriers anglais !”. Comprenant qu’il s’agissait là d’un piège, qu’ils n’avaient rien à gagner à se laisser ainsi diviser entre ouvriers “locaux” ou “immigrés”, ils ont opposé à la bourgeoisie une grève animée par la solidarité internationale. Lors des manifestations, des banderoles appelant les ouvriers portugais et italiens à rejoindre la lutte ont été brandies ; on pouvait y lire notamment le cri de ralliement du prolétariat mondial depuis 1848 : “Ouvriers du monde entier, unissez-vous !”3
Les événements de Rosarno et de Lindsey sont comme la thèse et l’anti-thèse. Les premiers portent les stigmates de cette société en décomposition, elle n’a aucun avenir et ne peut qu’engendrer toujours plus de misères, de peurs, de haines… Les seconds révèlent au contraire qu’il existe un autre avenir pour l’humanité. La solidarité qu’est capable d’exprimer la classe ouvrière lorsqu’elle lutte est, pour nous tous, comme une lueur d’espoir.
Albert (28 janvier)
1) La paye est d’un euro la cagette de mandarines et 6 centimes le kilo d’oranges avec un gain maximum d’environ 15 euros par jour pour 12 à 14 heures de travail.
2) Au-delà de la simple mafia, la cruauté et le cynisme de toute la bourgeoisie italienne lors de cet événement est à souligner. Le gouvernement de Berlusconi a profité de l’occasion pour mener une campagne xénophobe et justifier toutes ses mesures anti-immigrés. Le ministre de l’intérieur, Maroni, a ainsi affirmé : “La situation de Rosarno est difficile, résultat d’une immigration clandestine tolérée pendant toutes ces années sans rien faire d’efficace”. En fait, l’Etat, d’un côté, chasse les sans-papiers et les expulsent pour en limiter le nombre et, de l’autre, laisse les patrons les exploiter massivement et honteusement (quand il ne le fait pas lui-même directement), cette main d’œuvre à bas coût améliorant la “compétitivité nationale”. C’est ainsi plus de 50 000 travailleurs immigrés qui vivent en Italie dans des logements insalubres similaires à ceux de Rosarno. Pour revenir aux événements récents et à la “protection” offerte par l’Etat à ces immigrés victimes de pogroms : en intervenant, la police a fait de nombreux blessés du côté des immigrés et, ensuite, pour les protéger, elle n’a rien trouvé de mieux que de les parquer dans des “centres de rétention” pour “contrôler leur situation” et expulser tous ceux qui ne sont pas en règle ! Voilà de quelle inhumanité est capable la bourgeoisie, qu’elle se présente sous le masque de la mafia ou sous les traits respectables des hauts-dirigeants de l’Etat !
3) Lire notre article “Les ouvriers du bâtiment au centre de la lutte en Angleterre [32]” dans notre journal Révolution Internationale de juillet-août 2009.
Durant le mois de janvier, de multiples grèves et manifestations de rue se sont développées en Algérie1. Consciente du « mauvais exemple » et de la réflexion que cela pouvait engendrer dans une partie du prolétariat, les ouvriers immigrés ne pouvant que se sentir liés à ces expériences, la bourgeoisie s’est bien gardée de médiatiser l’affaire !
Les manifestations de chômeurs à Annaba (Est algérien), de mal-logés un peu partout, les grèves ouvrières à Oran, Mostaganem, Constantine, et surtout dans la banlieue industrielle d’Alger, qui a été en proie à une agitation très importante, voilà l’objet du black-out. Suite à l’accélération brutale de la crise économique, avec l’inflation et la chute du pouvoir d’achat, les attaques diverses, la classe ouvrière qui avait été affaiblie ces dernières années a de nouveau relevé la tête ! Une montée de colère dans bon nombre de régions et de quartiers urbains, une grogne s’est généralisée, en particulier au cœur du secteur industriel. C’est principalement la zone de Rouiba (banlieue industrielle à l’est d’Alger) avec plus de 50 000 travailleurs, qui a été localement sous les feux de la rampe. Personne n’a oublié là-bas que c’est dans ce chaudron en ébullition qu’avait démarré en 1988 la « révolte de la semoule »2. Mais contrairement à cette dernière, qui avait été la rébellion d’une population affamée, celle de couches non-exploiteuses, nous avons assisté cette fois-ci à une mobilisation plus spécifique du prolétariat, avec ses propres revendications, celles qui appartiennent depuis toujours au mouvement ouvrier : la lutte pour les salaires, pour la défense des retraites, contre les licenciements…
Les travailleurs de la SNVI (société nationale des véhicules industriels, ex-SONACOM) ont été les premiers à se lancer dans la bataille. Le gouvernement avait décidé fin 2009 de supprimer la possibilité pour ces salariés de partir en retraite anticipée (mesure en vigueur depuis 1998). En réponse, la grève a rapidement fait tâche d’huile, touchant les entreprises du secteur public comme celles du privé, comptabilisant plus de 10 000 grévistes. Des salariés de Mobsco, Cameg, Hydroaménagement, ENAD, Baticim et d’autres entreprises se sont donc joints à la lutte, par solidarité avec leurs frères de classe. Les ouvriers se sont par la suite affrontés avec d’importantes forces de police anti-émeutes dans le centre-ville, où les syndicats les avaient entraînés3.
Parallèlement à ces luttes dans la capitale, sur fond de révoltes incessantes et tumultueuses de jeunes privés d’emploi, ce sont également les 7 200 ouvriers du complexe sidérurgique d’Arcelor Mittal d’El Hadjar, situé à Annaba (600 km à l’Est d’Alger), qui se sont mis en grève contre la fermeture programmée de la cokerie et la suppression de 320 postes. Face au durcissement de cette grève « générale illimitée » et à la détermination des ouvriers, la direction déposait une plainte pour suspendre cette grève qu’elle jugeait « illégale ». Là encore, le syndicat UGTA a été un précieux auxiliaire pour le sabotage du mouvement, appelant les ouvriers à reprendre le travail et à accepter pour argent comptant la promesse de la direction d’investir pour « réhabiliter la cokerie ». La réalité, c’est que la restructuration est inévitable et l’idée de réhabilitation de la poudre aux yeux. Cela, le syndicat ne pouvait pas le dire !
Toute cette effervescence sociale en Algérie ces derniers temps montre à la fois la combativité grandissante dans certaines régions du globe et le potentiel du prolétariat mondial.
WH (23 janvier)
1) 1Nos sources proviennent de différents sites Internet : https://www.rencontre12.eu/?article11934 [35], www.mico.over-blog.org [36], https://www.afrik.com/?pagename=redirection&type=article&numero=18531 [37] et d’informations provenant du journal El Watan.
2) Révolte qui avait éclaté en réaction à une brutale augmentation du prix des denrées de base. Cette révolte, réprimée par l'armée, fit plus de 500 morts (voir RI n° 314 [38]).
3) Suite à ces évènements, qui survenaient après le nouvel accord tripartite (gouvernement-patronat-syndicat) qui avait entériné cette nouvelle série d’attaques, le patron de l’UGTA était traité de « vendu » !
La guerre de Barack Obama contre le supposé ennemi mortel que représente Al-Qaïda pour l’Amérique et les pays occidentaux prend de l’ampleur. L’Afghanistan, le Pakistan et l’Irak étaient déjà touchés par cette politique pour la « civilisation », il faut aujourd’hui ajouter le Yémen et la Somalie et, dans une moindre mesure, l’Afrique subsaharienne, touchée elle aussi récemment par des « incursions » et des « frappes ciblées ». Les Etats-Unis, déjà totalement embourbés en Irak et en Afghanistan, poursuivent ainsi inlassablement leur fuite en avant guerrière en accentuant fortement leur présence militaire dans cette large région du monde.
Une première question toute simple se pose : en quoi ces deux pays peuvent-ils représenter un intérêt quelconque pour l’impérialisme américain ? Le Yémen, aux très pauvres ressources en pétrole, est devenu un véritable désert, ravagé par des années de guerres. La République arabe du Yémen du Nord et la République démocratique populaire du Yémen du Sud se sont rassemblées pour former la République du Yémen. Depuis lors, la guerre n’a pas cessé un seul instant. La population yéménite qui compte 21 millions d’habitants est une des plus pauvres du monde. Le pays est tout simplement plongé en plein chaos et au bord de l’éclatement. Quant à la Somalie, la situation y est pire encore. Ce pays de 9 millions d’habitants est un véritable mouroir. La guerre y fait rage depuis plus de 20 ans. La population erre en permanence, fuyant les exactions de bandes armées sans contrôle, cherchant chaque jour de quoi manger. Le dernier gouvernement en date ne contrôle même pas l’ensemble de la capitale, Mogadiscio. Le gouvernement dit de transition se bat en permanence contre une guérilla constituée de groupes islamistes : Hizbul Islam dirigé par l’ancien mentor de l’actuel président, Cheikh Aweys et les milices armées Al-Chabab qui se revendiquent d’Al-Qaïda. Quant aux régions du Somaliland et du Putland, la recherche de tout semblant d’ordre et de stabilité est depuis longtemps totalement abandonnée. La piraterie somalienne est pour l’essentiel le seul moyen de survie qu’ont trouvé les pêcheurs de ces côtes, dont la mer est infestée de déchets nucléaires immergés par de « mystérieux » navires européens. Depuis l’effondrement du gouvernement en 1990, les Etats-Unis occupent une partie du terrain militairement. Cela s’était fait en 1992 à travers l’opération baptisée Restore Hope (« Restaurer l’espoir », sic !). A la même époque, tout le monde se souvient des images diffusées partout de Bernard Kouchner arrivant en Somalie avec des sacs de riz sur les épaules, suivit de près, discrètement, par quelques contingents de l’armée française !
Mais qu’est-ce qui peut tant intéresser des prédateurs impérialistes comme les Etats-Unis et bien d’autres encore, dans une région totalement déshéritée, dont les pauvres ressources en pétrole ne peuvent en aucun cas justifier une telle attention ?
Pour répondre à cette question, il suffit de regarder une carte. Entre la Somalie et le Yémen se trouve juste un bras de mer, le Golfe d’Aden, qui est la voie maritime vers la mer Rouge et les champs pétroliers du Golfe persique. Le détroit d’Ormuz est ainsi l’un des endroits les plus surveillés et les plus convoités du monde ! C’est plus de 20 % du pétrole mondial qui passe par ce détroit. Mais plus encore, la moitié de la flotte mondiale des porte-conteneurs et 70% du trafic total des produits pétroliers passe par la mer d’Arabie et l’océan Indien. C’est également par cette voie que l’impérialisme chinois, toujours plus agressif, s’infiltre en direction du Mozambique, du Kenya, de la Tanzanie et de Zanzibar. Par ces temps de crise économique profonde et de montée accélérée des tensions guerrières, contrôler l’écoulement de l’or noir et les principales routes maritimes est indispensable à tout impérialisme qui veut jouer un rôle sur la scène mondiale. C’est une arme de guerre de toute première importance. C’est pour cela que l’attentat manqué sur un avion américain, perpétré le jour de Noël par le Nigérian Umar Farouk Abdulmutallab au nom d’Al-Qaïda se rendant d’Amsterdam à Détroit, a permis d’ouvrir à nouveau la boîte de Pandore de la lutte anti-terroriste. Le fait que ce jeune Nigérian ait séjourné au Yémen où il aurait reçu un entraînement d’Al-Qaïda a été le prétexte tout trouvé. Les réponses ne se sont ainsi pas faites attendre : « Washington et Londres ont ainsi fait part de leur volonté de coopérer davantage dans la lutte antiterroriste au Yémen, ainsi qu’en Somalie. Londres et Washington prévoient de financer une unité spéciale de police antiterroriste au Yémen et de fournir un soutien plus important aux gardes côtes yéménites, selon Downing Street. » (Jeune Afrique du 26 janvier 2010). L’impérialisme français ne voulant pas bien entendu rester en dehors de cette course, elle s’est empressée immédiatement de faire le même type de déclaration. Le président du Yémen, Ali Abdullah, qui est au pouvoir depuis 30 ans est un allié des Etats-Unis. L’armée américaine y avait déjà envoyé des missiles et des troupes spéciales. Mais la guérilla des Houtis au Nord du pays est elle-même soutenue par l’Iran. La guerre y fait rage comme dans la ville de Saada. Dans ce pays d’une totale instabilité et plongé dans le plus grand des chaos, seule la présence militaire directe peut représenter un point d’appui pour une grande puissance et depuis un an, au nom de l’anti-terrorisme, une nouvelle base américaine y entraîne des forces spéciales. L’arrivée de troupes supplémentaires américaines qui vont de fait être confrontées aux rebellions du Nord et du Sud du pays n’est qu’un pas supplémentaire de l’impérialisme américain dans un nouveau et énième bourbier guerrier dont il ne pourra plus se dégager, à l’image de l’Irak, de l’Afghanistan et du Pakistan.
L’envoi récent de plusieurs dizaines de milliers de soldats américains supplémentaires en Afghanistan démontre très clairement que les Etats-Unis sont de plus en plus incapables de gagner cette guerre. Le fait que le Pakistan soit un des principaux enjeux de celle-ci se traduit par une déstabilisation accélérée du gouvernement d’Islamabad, de son armée et de son unité nationale, dans cette région du monde où les impérialismes indien et chinois sont eux même de plus en plus actifs. Les Etats-Unis, très contestés notamment par la Chine, en sont pourtant réduits à leur quémander de l’aide ainsi qu’à la Russie. « Deux hauts fonctionnaires américains se sont rendus en Chine avant la visite présidentielle, et ont averti les Chinois que s’ils ne soutenaient pas Washington sur le dossier iranien, Israël passerait à l’attaque, ce qui provoquerait le chaos dans l’approvisionnement pétrolier indispensable à la Chine. L’Iran est le deuxième fournisseur de pétrole du pays, et les entreprises chinoises y ont massivement investi. Pour desserrer cette contrainte, les USA ont également proposé aux Chinois de les aider à réduire leur dépendance aux approvisionnements iraniens. Les demandes américaines semblent avoir été entendues. Pour la première fois depuis plusieurs années, la Chine a voté une résolution de l’AIEA condamnant l’Iran. » (J Pomfert et J Warrick du Washington Post, Contre Info du 27 novembre 2009). La Russie est donc elle aussi courtisée par les Etats-Unis qui ont besoin de leur aide, c’est pourquoi ils ont suspendu leur programme d’installation de missiles américains en Pologne et en République tchèque.
Ces appels à l’aide sont en eux-mêmes un véritable aveu de faiblesse. Après les attentats contre les tours jumelles, le 11 septembre 2001, le président d’alors, Georges Bush fils, lançait les Etats-Unis dans une immense campagne guerrière, presque seuls afin de démontrer la suprématie militaire absolue de la première puissance mondiale. Cette politique a été un véritable échec. Mais la « nouvelle » politique d’Obama, tout aussi va-t-en-guerre, ne peut rien produire de mieux, ni pour l’impérialisme américain ni, évidemment, pour l’humanité.
Afghanistan, Pakistan, Irak, et maintenant Somalie et Yémen, la guerre menée au nom de la lutte contre les djihadistes par les Etats-Unis ne cessent de s’étendre. Chaque nouveau pas en avant sanglant de l’impérialisme américain expose un peu plus à la face du monde son impuissance croissante. En Afghanistan, la coalition militaire derrière les Etats-Unis est au bord du démantèlement. En Irak, les attentats se succèdent à un rythme infernal. Pour les Etats-Unis, le Yémen ne peut être qu’un nouvel Irak ou un nouvel Afghanistan ! Pour la population de ces pays, le pire est encore à venir. L’impérialisme pourrissant sème la mort. Pour la classe ouvrière de tous les pays, touchée directement ou non par ces conflits sanglants, cette réalité doit être tout simplement intolérable et révoltante.
Rossi (27 janvier)
En Iran, l’écrasante majorité de la population vit dans la misère la plus totale. Mais, plus encore, chaque jour la peur est là qui rôde dans les rues, dans les lieux publics ! Il n’est pas étonnant alors que depuis les dernières élections de 2009, des révoltes et des manifestations ne cessent d’éclater. Ce pays s’enfonce dans le chaos. Les divisions au sein de l’appareil politique et du clergé se multiplient, le pouvoir religieux lui-même affaibli par son exercice du pouvoir politique se craquèle et ces fissures apparaissent de plus en plus ouvertement. Pour la classe ouvrière, pour la population pauvre et sans travail, exaspérées par tant d’injustice et de misère, le danger est alors très grand de se retrouver embrigadées et réprimées dans des luttes qui ne sont pas les siennes.
Au mois de décembre dernier, à l’occasion de la fête de l’Achoura (pour les Chiites, il s’agit entre autres de la commémoration du massacre de l’imam Hossein et de 72 de ses proches par le califat omeyyade à Kerbala en l’an 680), les rues des principales villes du pays ont été à nouveau envahies par d’immenses manifestations. Celles-ci ont touché la plupart des grandes villes iraniennes : Téhéran, Chiraz, Ispahan, Qazvin, Tabriz et même Qom, la ville sainte. Ce sont des dizaines de milliers de personnes qui se sont retrouvées dans la rue. La réponse du pouvoir ne s’est pas fait attendre. Les miliciens baasistes assistés des forces de l’ordre ont alors réprimé férocement. La police officielle parle de cinq morts parmi les manifestants, la réalité est évidemment bien plus dramatique ! Il faut se rappeler que lors des manifestations du 12 juin dernier au moment de l’élection du président Ahmadinejad, le bilan avait été de soixante morts et de 4000 arrestations. Aujourd’hui, dans une population ulcérée, gagnée par la colère, les slogans se radicalisent. Ceux-ci ne visent plus seulement le gouvernement et Ahmadinejad mais aussi, ce qui est nouveau, le guide suprême lui-même : Ali Khamenei.
Au mois de juin dernier, au moment des élections, l’état de déliquescence de la bourgeoisie iranienne était déjà apparu au grand jour. La montée en puissance d’Hossein Moussavi en était l’expression la plus visible. Derrière la fraction Ahmanidejad qui allait garder le pouvoir, appuyée par les gardiens de la révolution islamique (les bassidji) commandés par le général Mohammad Ali Jafari, véritable réseau gangstérisé qui a la haute main sur tous les trafics illégaux dans le pays, on retrouve toute une partie du clergé dont le guide suprême l’ayatollah Ali Khamenei, qui à ce titre est le chef des armées. A l’inverse, une autre partie du clergé cherche de plus en plus à prendre ses distances envers ceux qu’elle considère comme une bande de voyous qui a pris les rênes du pouvoir. En ce début de janvier, un influent dignitaire religieux conservateur, Ahmad Janati, a tout simplement appelé les services secrets à punir les « corrompus sur terre », une accusation passible de la peine de mort. Peine de mort qui semble déjà appliquée puisque Ali Moussavi membre de la famille de Mir Hossein Moussavi, principal opposant au régime en place a été assassiné par les milices bassidji.
Pour connaître la véritable nature de l’opposition, il suffit d’écouter son chef de file : « Je crois qu’il est nécessaire de souligner que nous avons au sein du mouvement vert, une identité islamique et nationale et sommes opposés à toute domination étrangère. » (Jeune Afrique du 2 janvier). En quelques mots, tout est dit ! Face au camp corrompu et sanguinaire Ahmadinedjad, nous trouvons des gens qui leur ressemblent comme deux gouttes d’eau ! Eux aussi sont clairement pour une république islamiste et pour la poursuite de la fabrication de l’arme atomique iranienne. Tous ces gens se ressemblent car ils défendent tous leurs propres intérêts nationalistes et personnels ! C’est pour cela et seulement pour cela « qu’une bonne partie du clergé condamne la répression. Même si les mollahs se sont effacés devant les gardiens de la révolution, le régime ne peut sans danger les ignorer. Un régime théocratique peut-il se passer de la légitimité religieuse ? Moussavi qui l’a compris se rend souvent dans la ville sainte de Qom. Une occasion de s’afficher aux côtés du représentant du plus célèbre ayatollah d’Irak, Ali Sistani, très populaire en Iran. » (Contre info, juin 2009).
La bourgeoisie iranienne et son clergé se déchirent. Une guerre sans merci se développe entre eux pour le pouvoir. Les raisons en sont simples, la crise économique ravage le pays. La misère et la colère se répandent comme une traînée de poudre. L’instabilité et la corruption s’installent à tous les étages des classes dominantes iraniennes religieuses et civiles. Le gâteau à se partager se rétrécit à vue d’œil et la rue gronde ! Mir Hossein Moussavi tente de canaliser la colère de la classe ouvrière et de la population derrière ses propres intérêts personnels et de clique. Ahmadinejdad et la partie du clergé qui le soutient sont poussés pour leur part dans une fuite en avant faite de toujours plus de répression sanglante et de provocations verbales. Dans ce pays ravagé par la crise économique et la sénilité de sa bourgeoisie, la classe ouvrière ne peut que développer encore plus sa combativité et sa colère. Mais elle ne doit en aucun cas le faire en soutenant une clique bourgeoise plutôt qu’une autre, ou une fraction de religieux en lutte contre une autre. Sur ce chemin, seuls la défaite et le sang sont promis aux ouvriers.
Tino (27 janvier)
Le Groupe Révolution Prolétarienne (GPR) d’Autriche nous demande de publier la nécrologie de leur camarade Robert, décédé le 7 décembre dernier. Le CCI a appris avec la plus grande consternation le décès soudain de Robert. Nous voulons ici exprimer à ses proches, et en particulier à sa compagne, notre plus profonde solidarité.
Avec le décès de Robert, le CCI perd également un ami proche de longue date.
Grâce à son ouverture, sa volonté de clarification politique et sa grande patience, il a joué un rôle important dans l’apparition d’un pôle de camarades qui, à la fin des années 1980 dans la zone de langue allemande, se sont rapprochés des positions de la Gauche Communiste. Particulièrement en Suisse, où une section du CCI naquit ultérieurement de ce processus.
Robert n’a pas emprunté la même voie. Cependant Robert, et les autres camarades du GPR, sont restés vis-à-vis du CCI de tout proches compagnons et amis politiques dans lesquels nous avons la plus pleine confiance.
L’une des plus grandes qualités de Robert était sa conduite solidaire et son attitude conséquente contre tout esprit de concurrence entre les différentes organisations de la Gauche Communiste.
Le CCI regrette Robert.
Notre camarade Ro a tragiquement quitté la vie dans la nuit du 6 au 7 décembre 2009. Il était l‘un des membres fondateurs du groupe, qui s’appelait alors en 1983 Groupe des Communistes Internationalistes (Gruppe Internationalistische Kommunisten / GIK) et qui poursuivait la tradition politique et théorique du Groupe Autonome Politique Communiste (Autonome Gruppe Kommunistische Politik / AGKP) qui a pris fin par son autodissolution. Ses membres fondateurs convergeaient sur le fait que l’acquis politique et théorique de l’AGKP avait été de s’extraire du chaos de l’extrême gauche capitaliste du mouvement de 68 finissant et de s’être doté de positions politiques communistes de gauche. Le matériel théorique-politique de la Gauche Communiste apparaissait aux membres fondateurs comme la seule orientation politique possible pour qui veut se placer sur le terrain de classe politique du prolétariat, concourir à en faire progresser la cause et le développement de son autonomie politique et organisationnelle comme condition de ses futurs triomphes. Seul le courant de la gauche communiste a réussi à résister politiquement à l’horrible contre-révolution qui s’est exprimée par le contrôle politique presque complet sur la classe ouvrière par la social-démocratie, le stalinisme, le maoïsme et le courant principal du trotskisme, pour nous transmettre les enseignements politiques tirés de cette contre-révolution gigantesque. Ro et ses camarades de combat se sentaient investis de la responsabilité de veiller à défendre face à la classe ouvrière en Autriche la théorie révolutionnaire défendue en première place contre la contre-révolution stalinienne par les Communistes de Gauche et à offrir, à la mesure de leurs moyens, aux travailleuses et aux travailleurs la possibilité de renouer avec leur tradition révolutionnaire.
Comme nous provenions tous du cercle de sympathisants de l’AGKP, il nous incombait la tâche de nous approprier de façon critique et sur la base d’un examen approfondi l’ensemble du matériel théorique de l’AGKP et, pour autant qu’il nous ait semblé insuffisant, de le développer par l’étude des leçons tirées par la Gauche Communiste, afin de mettre le groupe sur des bases politiques aussi solides que possible. Comme dans les années quatre-vingts des attaques massives contre la classe ouvrière eurent lieu avec la restructuration de l’industrie (mot d’ordre VÖST), le groupe s’est trouvé confronté à la tâche de soutenir par une intervention politique au moyen de tracts, etc. les luttes des travailleuses et des travailleurs bourgeonnant çà et là. Le difficile travail théorique, les discussions avec le milieu révolutionnaire, les positions politiques graduellement mûries pour leur formulation dans une plate-forme propulsèrent le camarade Ro au premier rang. Le GIK, qui suite à un changement de nom ultérieur s’appelle aujourd’hui Groupe Prolétarien Révolution, est redevable à la méticulosité de Ro pour s’interroger, s’informer, analyser et à sa recherche rigoureuse de la clarté, du fait qu’il possède une plate-forme cohérente (que nous nommons lignes directrices) reposant clairement sur les acquis du marxisme et des expériences historiques de la lutte des classes et de son analyse. Ro laisse derrière lui dans un état de solidité théorique le GPR qu’il a marqué de façon prépondérante par son infatigable engagement et dont il a élaboré de manière décisive les outils politiques. La perte que représente la mort de Ro est immense. Le groupe perd l’un de ses camarades les plus passionnés, qui, par son jugement politique éprouvé, sa perspicacité politique, son expérience politique, ses analyses et l’examen infatigables des événements politiques ont enrichi le groupe et son travail politique. Nous espérions tous son retour une fois surmontée la maladie et nous nous réjouissions du recouvrement de sa présence intellectuelle. Nous regrettons la perte du camarade Ro lourde de conséquences pour notre pratique politique.
Nous sollicitons les groupes du milieu révolutionnaire de la classe ouvrière pour partager avec nous le deuil du départ du camarade Ro et pour nous soutenir solidairement dans la poursuite de notre travail politique en vue de l’émancipation, sans doute encore lointaine, de la classe ouvrière de l’exploitation économique et du joug politique de la bourgeoisie. Nous les en remercions.
GPR
Nous avons appris récemment et tardivement le décès de José Ferran, militant anarchiste, réfugié politique espagnol suite à la Guerre d’Espagne de 1936-1939. Nous tenons à rendre hommage à ce combattant de la classe ouvrière, car, bien qu’ayant de profondes divergences avec certaines de nos positions politiques, il avait cependant gardé le contact avec le CCI pendant 30 ans en participant à nos réunions publiques et en discutant avec nous au marché de Wazemmes, à Lille1. C’est d’ailleurs là que nous l’avons vu en public la dernière fois ; à 95 ans il était venu acheter le journal Révolution Internationale, ce qu’il faisait presque tous les mois, en profitant pour discuter de longs moments avec nous, en revenant sans cesse sur nos positions qui le fâchaient le plus – la question de l’État, notamment. Les militants du CCI qui l’ont connu garderont le souvenir de ces intenses joutes verbales et de discussions animées mais toujours fraternelles, avec un camarade profondément sincère et attaché à sa classe.
1) Par la suite José a dû entrer dans une maison de retraite, où quand nous lui rendions visite, il se plaignait beaucoup du manque de discussions et de préoccupations politiques des résidants !
Ces derniers mois, les médias ont rapporté abondamment les suicides d'employés de France Telecom (33 en 18 mois, presque 2 par mois). Ce n'est pas la première fois que les journaux titrent sur des cas de suicide au travail ou à cause du travail. On peut se souvenir de ce qui s'est passé il y a 2 ans à Peugeot et à Renault.
Il appartient aux révolutionnaires de se pencher, pour leur part aussi, sur la question de la souffrance et du suicide au travail.
En premier lieu, parce que tout ce qui concerne les conditions de vie de la classe exploitée fait partie de leur préoccupations permanentes.
Mais aussi, et surtout, parce que l'émergence et le développement de ce phénomène est un symptôme très parlant de l'état dans lequel se trouve aujourd'hui le système capitaliste, un état qui appelle, avec une force et une urgence sans précédent, la nécessité de renverser ce système et de le remplacer par une société capable de satisfaire les besoins humains.
Le suicide sur le lieu de travail n'est pas un phénomène entièrement nouveau car il a été constaté depuis longtemps parmi les agriculteurs. A cela, il existait une cause fondamentale : dans cette profession, l'espace de la vie privée et l'espace professionnel sont en général confondus. La maison du paysan et la ferme qu'il exploite se trouvent, la plupart du temps, au même endroit.
Ce qui est nouveau et constaté depuis le début des années 1990, c'est l'apparition et l'augmentation des suicides sur le lieu de travail dans d'autres secteurs professionnels, l'industrie et surtout le tertiaire. Lorsqu'une personne se suicide chez elle ou en dehors de son travail, il n'est pas facile de prouver que la cause principale de son geste réside dans une souffrance liée au travail. C'est là-dessus que jouent les patrons pour essayer de se dédouaner lorsque la famille essaie de faire reconnaître le geste de la victime comme accident du travail. En revanche, lorsque le suicide a lieu sur le lieu de travail lui-même, l'esquive de la part du patron est plus difficile. Il faut donc interpréter le suicide sur le lieu de travail comme un message très clair que veut faire passer son auteur : "ce n'est pas à cause d'une rupture sentimentale, d'un divorce ou de ma 'nature dépressive' que je meurs, c'est le patron ou le système qu'il incarne, qui est responsable de ma mort."
L'augmentation du nombre des suicides au travail, ou à cause du travail, traduit donc le développement d'un phénomène beaucoup plus massif dont ils ne sont que la pointe de l'iceberg : l'augmentation de la souffrance au travail.
La souffrance au travail n'est évidemment pas un phénomène nouveau : les maladies professionnelles existent depuis longtemps, en fait depuis la révolution industrielle qui a transformé le travail humain en un véritable enfer pour la plupart des salariés. Dès le début du 19e siècle, les auteurs socialistes avaient dénoncé les conditions de travail auxquelles le capital soumettait les êtres humains qu'il exploitait. Cela-dit, depuis cette époque et jusqu'à la fin du vingtième siècle, le suicide ne faisait pas partie des réponses apportées par les exploités à la souffrance qu'ils subissaient.
En fait, le suicide résulte d'une souffrance psychique bien plus que physique. Mais la souffrance psychique n'est pas nouvelle non plus : le harcèlement et les humiliations de la part des petits chefs existent depuis longtemps aussi. Mais, dans le passé, cette souffrance subie par les exploités ne débouchait pas sur le suicide, sinon de façon exceptionnelle.
Le suicide a été étudié depuis longtemps, notamment par le sociologue Durkheim à la fin du 19e siècle. Déjà, Durkheim, avait identifié les racines sociales et non simplement individuelles du suicide : "Si l'individu cède au moindre choc des circonstances, c'est que l'état où se trouve la société en a fait une proie toute prête pour le suicide."
De même, l'étude de la souffrance au travail, y compris sous ses aspects psychiques, remonte à assez loin. Cela-dit, les études sur le suicide comme conséquence de la souffrance au travail sont beaucoup plus récentes du fait de l'apparition récente de ce phénomène. Plusieurs hypothèses ont été avancées, un certain nombre de constats ont été faits, pour expliquer l'émergence de ce phénomène. On peut, en particulier, évoquer les réflexions de Christophe Dejours, qui est un psychiatre, ancien médecin du travail, aujourd'hui également universitaire et auteur de plusieurs livres célèbres sur la question (comme "Souffrance en France : la banalisation de l'injustice sociale" ou "Travail, usure mentale").
1) La "centralité du travail" : le travail (entendu non pas seulement comme moyen de gagner sa vie mais comme activité productive et créatrice bénéficiant à autrui) joue un rôle central dans la santé mentale de chaque individu. De ce fait, une souffrance dans cette sphère de la vie a des conséquences finalement plus dramatiques qu'une souffrance issue de la sphère privée ou familiale. Concrètement, si quelqu'un souffre dans sa vie familiale, cela se répercute moins dans sa vie au travail que le contraire.
2) La reconnaissance du travail et de sa qualité de la part d'autrui : dans une société hiérarchisée comme la nôtre, cette reconnaissance se manifeste évidemment dans la considération que l'on reçoit de la part de ses chefs et dans le salaire qu'on reçoit du patron (on parle, dans ce cas-là, de la "reconnaissance verticale"). Mais il existe une autre forme de reconnaissance finalement plus importante pour le travailleur au quotidien : c'est la reconnaissance de son travail par ses collègues (appelée "reconnaissance horizontale"), c'est le signe qu'il s'intègre dans la communauté des "gens du métier" avec qui il partage son expérience et son savoir-faire ainsi que le goût du travail bien fait. Même s'il est mal considéré par ses chefs ou son patron parce qu'il se refuse de se plier à leurs exigences, il pourra néanmoins maintenir son équilibre si ses camarades de travail n'entrent pas dans le jeu de la hiérarchie et lui maintiennent leur confiance. Par contre, tout bascule s'il perd aussi la confiance de ces derniers.
1) La croissance de la surcharge de travail : c'est quelque chose qui semble paradoxal car, avec le développement des nouvelles technologies qui permettent l'automatisation de toute une série de tâches, certains avaient annoncé "la fin du travail" ou au moins la possibilité de diminuer de façon significative la charge de travail. C'est le contraire qui est vrai depuis deux décennies. La charge de travail ne cesse d'augmenter à tel point que, dans un pays comme le Japon, on a inventé un mot nouveau, le Karôshi, qui désigne une mort subite (par crise cardiaque ou accident vasculaire cérébral) de sujets qui n'avaient aucune pathologie particulière mais qui se sont "tués au travail" au sens propre. C'est un phénomène qui ne touche pas que le Japon, même s'il a pris dans ce pays son extension la plus grande. Il est observé également aux États-Unis et en Europe occidentale.
Une autre manifestation de cette surcharge de travail et qui a nécessité la création d'un mot nouveau, c'est le "burn out" qui est une forme particulière de dépression liée à l'épuisement. C'est un terme parlant : le travailleur se retrouve à l'état de cendres pour avoir trop brûlé son énergie.
2) Le développement de pathologies résultant du harcèlement
Ces pathologies sont aujourd'hui bien étudiées : syndromes dépressifs, troubles de la mémoire, désorientation dans l'espace et dans le temps, sentiment de persécution, troubles psychosomatiques (touchant notamment les sphères utérine, mammaire, thyroïdienne).
Christophe Dejours analyse ainsi ce phénomène :
"Le harcèlement au travail n’est pas nouveau. Il est vieux comme le travail. Ce qui est nouveau, ce sont les pathologies. C’est nouveau parce qu’il y en a beaucoup maintenant, alors qu’il y en avait beaucoup moins autrefois. Entre le harcèlement, d’un côté, et les pathologies, de l’autre, il faut bien invoquer une fragilisation des gens vis-à-vis des manœuvres de harcèlement. Cette fragilisation peut être analysée. Les résultats sont assez précis. Elle est liée à la déstructuration de ce que l’on appelle les ressources défensives, en particulier les défenses collectives et la solidarité. C’est l’élément déterminant de l’augmentation des pathologies. En d’autres termes, les pathologies du harcèlement sont, avant tout, des pathologies de la solitude." (Christophe Dejours, Aliénation et clinique du travail, Actuel Marx, n° 39)
"Il y a trente ou quarante ans, le harcèlement, les injustices existaient, mais il n’y avait pas de suicides au travail. Leur apparition est liée à la déstructuration des solidarités entre les salariés." (Christophe Dejours, Entretien publié par Le Monde du 14.08.09)
On touche ici à un élément très important de la souffrance psychique liée au travail et qui permet en grande partie d'expliquer l'augmentation des suicides : l'isolement du travailleur.
Comment les spécialistes comprennent-ils ce phénomène d'isolement des travailleurs ?
Pour expliquer ce phénomène, Christophe Dejours accorde une importance toute particulière à la mise en place, aux cours des deux dernières décennies, de l'évaluation individualisée des performances :
"L’évaluation individualisée, lorsqu’elle est couplée à des contrats d’objectifs ou à une gestion par objectifs, lorsqu’elle est rassemblée en centre de résultats ou encore en centre de profits, conduit à la mise en concurrence généralisée entre agents, voire entre services dans une même entreprise, entre filiales, entre succursales, entre ateliers, etc.
Cette concurrence, lorsqu’elle est associée à la menace de licenciement conduit à une transformation en profondeur des rapports du travail. Elle peut déjà dégrader les relations de travail lorsqu’elle est associée à des systèmes plus ou moins pervers de primes. Mais lorsque l’évaluation n’est pas couplée à des gratifications, mais à des sanctions ou des menaces de licenciement, ses effets délétères deviennent patents. L’individualisation dérive alors vers le chacun pour soi, la concurrence va jusqu’aux conduites déloyales entre collègues, la méfiance s’installe entre les agents."
"Le résultat final de l’évaluation et des dispositifs connexes est principalement la déstructuration en profondeur de la confiance, du vivre-ensemble et de la solidarité. Et, au-delà, c’est l’abrasion des ressources défensives contre les effets pathogènes de la souffrance et des contraintes de travail." (Aliénation et clinique du travail)
Il souligne aussi qu'un des facteurs de réussite de ces nouvelles méthodes d'asservissement réside dans leur acceptation passive par la majorité des travailleurs, notamment du climat de peur qui s'accroit parmi eux, surtout la peur de perdre leur emploi face à la montée du chômage.
Il considère que la mise en place de ces nouvelles méthodes correspond au triomphe de l'idéologie libérale au cours des 20 dernières années.
Il s'intéresse aussi à ce qu'il appelle la "souffrance éthique" : le fait que les travailleurs, pris dans un étau de charges de travail toujours plus insupportables et de la nécessité d'afficher la réalisation des objectifs intenables qui leur ont été fixés, sont conduits à tricher et à faire du "sale boulot", voire accomplir un travail qu'ils réprouvent moralement, comme dans le télémarketing, par exemple. Une souffrance éthique qui affecte aussi beaucoup de cadres qui sont chargés de mettre en place ces nouvelles méthodes et à qui on demande de se transformer en tortionnaires.
Enfin, il constate que la question de l'augmentation de la souffrance au travail a été laissée de côté dans les revendications mises en avant par les syndicats.
Quel lien peut-il y avoir entre ces analyses des spécialistes (notamment celles de Christophe Dejours) et la vision de notre propre organisation ?
En fait, le CCI peut se reconnaître tout-à-fait dans ces analyses, même si, évidemment, le point de départ n'est pas identique. Christophe Dejours est d'abord un médecin qui a pour vocation de soigner des personnes malades, ici des personnes qui sont malades de leur travail. Mais sa rigueur intellectuelle l'a obligé d'aller aux racines des pathologies qu'il se proposait de soigner. Pour sa part, le CCI est une organisation révolutionnaire qui combat le capitalisme dans la perspective de son renversement par la classe des travailleurs salariés.
Mais si on reprend chacun des points qui ont été présentés, on peut constater qu'ils s'intègrent très bien dans notre propre vision.
La "centralité du travail" :
C'est une des bases de l'analyse marxiste de la société :
- le rôle du travail, c'est-à-dire de la transformation de la nature, dans le surgissement de l'espèce humaine a été mis en avant par Engels, notamment, dans son ouvrage "Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme" ;
- les rapports de production, c'est-à-dire l'ensemble des liens que les hommes nouent entre eux dans la production sociale de leur existence, constituent, pour le marxisme, l'infrastructure de la société ; les autres sphères de celle-ci, rapports juridiques, modes de pensée, etc. dépendent, en dernière instance, de ces rapports de production ;
- Marx considère que dans la société communiste, lorsque le travail se sera émancipé des contraintes de la société capitaliste qui le transforment bien souvent en une véritable calamité, il deviendra le premier besoin de l'homme.
La reconnaissance par les autres :
C'est une des bases essentielles de la solidarité et du travail associé.
La solidarité est un des fondements de la société humaine, une caractéristique qui prend avec la lutte du prolétariat sa forme la plus complète, l'internationalisme : la solidarité ne se manifeste plus à l'égard des membres de la famille, de la tribu ou de la nation, mais à l'égard de toute l'espèce humaine.
Le travail associé suppose qu'on puisse compter les uns sur les autres dans le processus productif, qu'on se reconnaisse mutuellement. Il existe depuis le début de l'humanité, mais il a pris dans la société capitaliste sa plus grande extension. C'est justement cette socialisation du travail qui rend le communisme nécessaire et possible.
La surcharge de travail :
Le CCI, avec l'ensemble de la vision marxiste, a toujours considéré que les progrès de la technique ne permettaient nullement, par eux-mêmes, une diminution de la charge de travail dans le système capitaliste. La tendance "naturelle" de ce système, c'est d'extirper toujours plus de plus-value du travail des salariés. Et même lorsqu'il y a réduction de la durée de travail (comme ce fut le cas en France avec les 35 heures) il y a intensification des cadences, suppression des temps de pause, etc. C'est une réalité qui prend évidemment des formes bien plus violentes encore avec l'aggravation de la crise du capitalisme qui exacerbe la concurrence entre les entreprises capitalistes et entre les États.
La perte de la solidarité qui rend les travailleurs beaucoup plus vulnérables face au harcèlement :
C'est un phénomène que le CCI a analysé au cours des deux dernières décennies sous deux angles :
- le recul de la conscience et de la combativité au sein de la classe ouvrière résultant de l'effondrement des régimes soi-disant "socialistes" en 1989 et des campagnes sur la prétendue "victoire définitive" du "capitalisme libéral", sur la "fin de la lutte de classe" ;
- les effets délétères de la décomposition du capitalisme qui engendrent notamment le "chacun pour soi", "l'atomisation", la "débrouille individuelle", la "destruction des rapports qui fondent toute vie en société" ("La décomposition, phase ultime de la décadence du capitalisme", Revue Internationale n° 62, 2e trimestre 1990)
Ce sont ces deux facteurs qui expliquent en grande partie le fait que le capitalisme ait pu introduire depuis une vingtaine d'années des nouvelles méthodes de servitude sans provoquer de réponse de la part de la classe ouvrière, de luttes de résistance face à cette aggravation considérable de ses conditions de travail.
Celui qui se suicide à cause de son travail fait partie, en général, de ceux qui tentent de résister à cette montée de la barbarie sur le lieu de travail. Contrairement à beaucoup de ses collègues, il ne se résigne pas à subir la surcharge de travail, le harcèlement, le mépris qui s'applique aux efforts qu'il mobilise pour "faire un bon travail". Mais comme il n'existe pas encore de résistance collective, pas suffisamment de solidarité entre les travailleurs, sa résistance et sa révolte contre l'injustice qu'il subit ou qu'il constate autour de lui restent individuelles et isolées. L'une et l'autre sont condamnées à l'échec. Et la conséquence ultime de cet échec, c'est le suicide qui n'est pas seulement un acte de désespoir mais aussi un dernier cri de révolte contre ce système qui l'a écrasé. Le fait que cette révolte prenne la forme d'une autodestruction n'est, en fin de compte, qu'une autre manifestation du nihilisme qui envahit l'ensemble de la société capitaliste, elle-même entraînée dans son autodestruction.
Lorsque le prolétariat reprendra le chemin des luttes massives, lorsque la solidarité de classe reviendra dans ses rangs, alors, il n'y aura plus de suicides au travail.
Fabienne et Mg
L’accumulation d’un profond ras-le-bol s’est récemment traduite en France par une série de conflits sociaux quasi-simultanés dans beaucoup de secteurs, qui ont été les révélateurs d’une montée de la combativité dans le public comme dans le privé.
Ainsi, la colère des enseignants a éclaté à travers des arrêts de travail et des manifestations touchant 46 établissements de l’académie de Créteil en région parisienne, suite à des agressions répétées vis-à-vis d’élèves ou de profs, face à la dégradation de leurs conditions de travail (voir article en page 3). La mobilisation a également gagné les ouvriers des raffineries, les salariés des magasins Ikea, le milieu hospitalier (en particulier les hôpitaux parisiens où des milliers de postes vont disparaître), la SNCF à travers plusieurs journées d’action, l’usine Philips à Dreux, les transports aériens avec la grève des aiguilleurs du ciel et une multitude de plus petites entreprises ou de sous-traitants (une centaine de salariés de l’ascensoriste Renolift ont par exemple brièvement séquestré leurs dirigeants ainsi que des salariés de la maison de vente par correspondance “la Maison de Valérie”). Mais en France comme en Espagne, en Grèce, en Allemagne, au Portugal, en Grande-Bretagne, etc., la classe dominante sait qu’elle doit désamorcer cette poudrière sociale. C’est ainsi que pour mieux l’isoler et la discréditer, elle a présenté la grève de quatre jours des contrôleurs aériens comme une grève de “nantis” (alors que le gouvernement allemand et les syndicats sont parvenus main dans la main à stopper rapidement une grève historique à la Lufthansa, votée à 94 % par les pilotes, en recourant à une “négociation inconditionnelle” acceptée par les syndicats).
En France, la manœuvre conjointe du gouvernement, de la direction et des syndicats, lors de la grève dans les raffineries, a été particulièrement significative. Cette grève avait été lancée à l’initiative des ouvriers de l’usine des Flandres près de Dunkerque suite à l’arrêt de la production du site depuis septembre pour “écouler les stocks” et à la décision de la direction de fermer le site employant 370 salariés et 450 issus d’entreprises en sous-traitance. La grève à Dunkerque commencée le 12 janvier a entraîné un élan de solidarité spontané des autres ouvriers des autres raffineries, conscients qu’après la fermeture de Dunkerque, ils seraient à leur tour les prochaines victimes. Le 17 février, c’est non seulement les cinq autres sites des raffineries Total qui se sont mis en grève mais celle-ci a touché dès le 15 février deux sites d’ExxonMobil, à Gonfreville en Normandie et à Fos-sur-Mer près de Marseille concernés par des projets similaires. Les syndicats ont alors pris les devants en prenant en charge cette extension et en bloquant les ouvriers sur les dépôts au nom de la solidarité avec ceux de Dunkerque, empêchant ainsi tout lien autre que syndical entre les sites. Par exemple, dans la région du Havre, les usines Total et ExxonMobil sont restées isolées l’une de l’autre alors qu’elles se situent dans le même périmètre ainsi d’ailleurs que l’usine Renault de Sandouville où les hausses de cadence alternées avec des jours de chômage technique ont spontanément provoqué des arrêts de travail dans la même période.
Pendant ce temps, la CGT claquait spectaculairement la porte lors d’une rencontre avec la direction de Total, en clamant bruyamment qu’elle était venue pour négocier alors qu’il n’y avait pas de négociation à l’ordre du jour et en agitant la menace d’un blocage illimité en promettant une inquiétante pénurie de carburant sur le territoire. Le directeur adjoint de Total jouait alors le rôle du “méchant” en mettant en avant les contraintes de restructuration du groupe dès le 1er février (un mois avant les élections régionales) alors que ce plan était censé être dévoilé le 29 mars. Le gouvernement déclare aussitôt “mettre la pression” sur la direction pour ouvrir des négociations. Au bout de 9 heures de pourparlers (et seulement quelques heures après le début de la grève de solidarité annoncée et ainsi court-circuitée à ExxonMobil), un accord est “trouvé” le 24 avec la promesse de ne pas fermer d’autres sites en France d’ici 5 ans dans les raffineries. La mise en avant d’une “table ronde” du comité central d’entreprise réunissant syndicats et patronat “sur l’avenir du raffinage en France”, revendication derrière laquelle la CGT avait réussi à mobiliser les ouvriers, a été aussi avancée du 29 au 8 mars pour sceller le sort de l’usine de Flandres et organiser le reclassement des salariés de Dunkerque. Immédiatement après ce petit “recul” orchestré de la direction, la CGT annonce que cet accord est satisfaisant, comporte des avancées significatives et préconise “la suspension de la grève” dans le vote en AG du lendemain. Effectivement, tous les salariés votent la reprise du travail… sauf à Dunkerque où SUD, syndicat majoritaire, pousse les salariés à continuer à se battre “jusqu’au bout”. Ainsi, dans ce partage du travail, les syndicats ont pu redorer leur blason en mettant en avant une image combative et radicale, tout en prétendant avoir favorisé l’extension et la solidarité, le gouvernement a pu quant à lui se donner le beau rôle en jouant au “médiateur social”, en épargnant au pays la “menace” d’une pénurie d’essence et surtout de concert avec tous les syndicats en coupant l’herbe sous le pied à un mouvement de solidarité qui s’est retourné en son contraire : l’isolement complet des salariés de Dunkerque et le “chacun pour soi”. Quel jeu de dupes dont les ouvriers se retrouvent une fois de plus les dindons de la farce ! Ceux de Dunkerque se retrouvent maintenant isolés, seuls à vouloir continuer la grève derrière SUD mais avec le sentiment de se sentir lâchés par leurs camarades des autres raffineries. On comprend alors pourquoi les médias ont focalisé autant sur la grève à Total. La bourgeoisie a réussi à diviser les ouvriers de Total et à saboter la solidarité pour montrer que c’est le “chacun pour soi” qui domine aujourd’hui dans la classe ouvrière. Il s’agissait avant tout d’éviter une situation semblable à celle où s’est récemment confrontée la bourgeoisie en Espagne où des chômeurs et des ouvriers de la construction navale ont fait cause commune dans la lutte à Vigo (voir article page 4). En plus de provoquer l’amertume des ouvriers de Dunkerque, la bourgeoisie cherche ainsi à discréditer les travailleurs et le besoin d’extension de leur lutte. Mais comme le montre un article publié sur notre site Internet rédigé par nos camarades en Belgique (1), que la bourgeoisie recule ou pas dans ses attaques, le terrain de l’isolement et du corporatisme ne peut sauver aucun emploi et ne peut déboucher que sur la démoralisation des travailleurs. Tôt ou tard de nouveaux plans de licenciements seront remis en selle de connivence avec les syndicats. Le conflit qu’ont vécu les ouvriers des raffineries Total est à bien des égards révélateur des problèmes auxquels est confronté l’ensemble des prolétaires dans la situation actuelle. Restructurations, suppressions de postes, licenciements, fermetures de site, délocalisations, liquidations judiciaires, horaires ou heures sup’ imposés, blocage des salaires, hausse de cadences… : toute la classe exploitée est aujourd’hui embarquée dans la même galère face à l’accélération de la crise mondiale du capitalisme et aux attaques qu’elle subit.
Ce que la bourgeoisie veut dès à présent empêcher, c’est de voir germer chez les ouvriers l’idée de la nécessité d’étendre la lutte de proche en proche, au-delà des revendications spécifiques liées à la défense de leur usine, de leur entreprise, de leur secteur. C’est cette solidarité active de toute la classe ouvrière confrontée partout aux mêmes attaques contre leurs conditions de vie, que l’État et le patronat veulent à tout prix empêcher. C’est pour cela que les syndicats (qui ne sont rien d’autre que des organes d’encadrement au service du capital) enferment la colère des ouvriers dans des revendications purement corporatistes, derrière des revendications spécifiques à “leur” boîte et dans lesquelles les travailleurs des autres entreprises ne peuvent se rallier. Cette vieille stratégie de sabotage syndical où chaque secteur est appelé à lutter seul dans son coin a toujours conduit les grévistes à la démoralisation et à la défaite, paquet par paquet, usine par usine, entreprise par entreprise, secteur par secteur.
C’est pourquoi au-delà des luttes actuelles, la bourgeoisie a commencé des manœuvres de bien plus grande envergure alors qu’elle s’apprête dans les mois prochains à porter une attaque concernant d’emblée tous les prolétaires, toutes générations et tous secteurs confondus, celle sur les retraites, précisément susceptible d’unifier le combat autour des mêmes intérêts et des mêmes revendications. La bourgeoisie est bien consciente qu’il s’agit là d’un enjeu majeur pour elle comme pour l’avenir de la mobilisation ouvrière.
Ainsi, la bourgeoisie a laissé entendre que le gouvernement allait porter son attaque sur les retraites à la veille des vacances ou en plein milieu de celles-ci. Cette provocation aurait inévitablement déclenché la colère générale des travailleurs et renforcé leur détermination, d’autant que la droite risque d’être confrontée au handicap de se retrouver en situation minoritaire après les élections régionales, ce qui n’est pas une position de force pour porter des attaques. Frapper fort d’emblée puis reculer un peu ou accorder des miettes pour faire passer l’essentiel, est une vieille tactique que la bourgeoisie avait déjà utilisée notamment dans les luttes de 1995 et de 2003. Et il est possible qu’elle soit de nouveau remise à l’ordre du jour C’est pour cela que Sarkozy s’est empressé de déclarer qu’on allait négocier et qu’il n’y aurait pas de “passage en force”. Toute la bourgeoisie s’attend en effet à une très large mobilisation autour des retraites. C’est là que les syndicats seront appelés à jouer un rôle de premier plan, de concert avec le gouvernement, en réutilisant des méthodes de sabotage éprouvées dans le passé afin de faire passer l’attaque sur les retraites.
La classe ouvrière doit se souvenir que c’est grâce au travail de sape des syndicats que l’ex-Premier ministre Raffarin avait pu faire passer le premier volet de cette attaque en affirmant que “ce n’est pas la rue qui gouverne.” Ce n’est qu’en développant un front massif et uni, en refusant de se laisser diviser, qu’elle pourra faire obstacle aux plans d’austérité de ses exploiteurs.
W (27 février)
1) “En Belgique, chez Opel et chez AB InBev, le même combat, le même sabotage syndical [45]”.
Grèce, Portugal, Espagne Irlande, France, Allemagne, Angleterre… partout la même crise, partout les mêmes attaques. La bourgeoisie affiche ouvertement la couleur. Son discours froid et inhumain tient en quelques mots : “Si vous voulez éviter le pire, la catastrophe économique et la faillite, il va falloir vous serrer la ceinture comme vous ne l’avez encore jamais fait !” Certes, tous les Etats capitalistes ne sont pas immédiatement dans la même situation de déficit incontrôlable ou de cessation de paiement, mais tous savent qu’ils sont entraînés irrémédiablement dans cette direction. Et tous utilisent cette réalité pour défendre leurs sordides intérêts. Où trouver l’argent nécessaire pour tenter de réduire un peu ces monstrueux déficits ? Il n’y a pas à chercher bien loin. Si déjà certains d’entre eux sont passés à l’offensive contre la classe ouvrière, tous préparent idéologiquement le terrain.
Le plan d’austérité grec destiné à réduire les déficits publics est d’une extrême brutalité et d’un cynisme inouï. Le premier ministre des finances de ce pays vient de déclarer sans broncher que “les fonctionnaires devaient faire preuve de patriotisme… et donner l’exemple” (1). Ils devraient ainsi accepter sans rien dire, sans se battre, que leurs salaires soient revus à la baisse, que leurs primes soient supprimées, que l’on ne remplace plus les départs à la retraite qu’au compte- goutte, que ceux-ci soient repoussés au-delà de 65 ans et, enfin, qu’ils puissent être licenciés et jetés comme des kleenex. Tout ça pour défendre l’économie nationale, celle de leur Etat exploiteur, de leurs patrons et autres suceurs de sang d’ouvriers. Toutes les bourgeoisies nationales européennes participent activement à la mise en œuvre de ce plan d’austérité drastique. L’Allemagne, la France et même l’Espagne prêtent en effet une attention toute particulière à la politique et aux attaques menées par cet Etat. Ils veulent lancer au prolétariat à l’échelle internationale ce message : “Regardez la Grèce, ses habitants sont obligés d’accepter des sacrifices pour sauver l’économie. Vous allez tous devoir faire de même.”
Après les ménages américains, les banques, après les entreprises, voici le temps venu où ce sont les Etats eux-mêmes qui subissent de plein fouet la crise économique et qui sont menacés par la faillite. Résultat : ils doivent à leur tour orchestrer d’impitoyables attaques. Ils vont organiser dans les mois à venir une réduction draconienne du nombre de fonctionnaires, du “coût du travail” en général et, donc, de notre niveau de vie à tous. La bourgeoisie prend les ouvriers pour du bétail que l’on pourrait mener à l’abattoir quand ses intérêts mesquins le commandent. La situation est identique au Portugal, en Irlande et en Espagne, mêmes plans brutaux, même catalogue de mesures anti-ouvrières. En France, toute la bourgeoisie prépare le terrain pour suivre ce chemin. Mais cela n’est pas une spécificité de la zone euro. Aux Etats-Unis, le pays le plus puissant de la planète, après deux petites années de crise, on dénombre plus de 17 % de chômeurs, 20 millions de nouveaux pauvres et 35 millions de personnes survivant grâce aux bons d’alimentation. Et chaque jour qui passe apporte son nouveau lot de misère.
Comment en est-on arrivé là ? Pour toute la bourgeoisie, en particulier sa fraction d’extrême-gauche, la réponse est très simple. Ce serait la seule faute des banquiers et des mastodontes comme Goldman Sachs et autre J.P. Morgan. Il est vrai que le système financier est devenu fou. Plus rien ne compte que son intérêt immédiat, selon le vieil adage “après moi, le déluge”. Il est maintenant connu de tous que ce sont ces grandes banques qui, pour gagner toujours plus d’argent, ont accéléré la cessation de paiement de la Grèce en pariant sur sa faillite. Elles feront sans aucun doute de même demain avec le Portugal ou l’Espagne. Les grandes banques mondiales et les institutions financières ne sont que des charognards. Mais cette politique du monde financier, finalement suicidaire, n’est pas la cause de la crise du capitalisme. Elle en est au contraire l’effet (qui, à un certain stade de son développement, devient lui-même un facteur aggravant).
Comme d’habitude, la bourgeoisie de tous bords nous ment. Elle dresse devant les yeux de la classe ouvrière un véritable rideau de fumée. Pour elle, l’enjeu est de taille. Il consiste à tout faire pour que les ouvriers ne fassent pas le lien entre l’insolvabilité croissante des Etats et la faillite du système capitaliste tout entier. Car la vérité est bien là : le capitalisme est moribond et la folie de sa sphère financière en est l’une des conséquences visibles.
Lorsque la crise a éclaté avec force au milieu de l’année 2007, partout, et notamment aux Etats-Unis, est apparue la faillite du système bancaire. Cette situation n’était que le produit de dizaines d’années de politique d’endettement généralisé et encouragé par les Etats eux-mêmes afin de créer de toutes pièces le marché indispensable à la vente des marchandises. Mais quand, in fine, les particuliers et les entreprises, étranglés par ces prêts, se sont révélés incapables de rembourser, les banques se sont retrouvées au bord de l’écroulement et toute l’économie capitaliste avec. C’est à ce moment-là que les Etats ont dû reprendre à leur compte toute une partie des dettes du secteur privé et mener des plans de relance pharaoniques et coûteux pour essayer de limiter la récession.
Maintenant ce sont donc les Etats eux-mêmes qui se retrouvent endettés jusqu’au cou, incapables de faire face à leurs propres dettes (sans d’ailleurs que le secteur privé ne soit sauvé pour autant) et en situation potentielle de faillite. Certes, un Etat n’est pas une entreprise, lorsqu’il est en cessation de paiement, il ne met pas la clef sous la porte. Il peut encore espérer s’endetter en payant toujours plus d’intérêts, ponctionner toutes nos économies, imprimer encore plus de papier monnaie. Mais vient un temps où les dettes (ou du moins les intérêts) doivent être remboursées, même par un Etat. Pour comprendre cela, il suffit de regarder ce qui se passe actuellement pour les Etats grec, portugais et même espagnol. En Grèce, l’Etat a tenté de se financer par l’emprunt sur les marchés internationaux. Le résultat ne s’est pas fait attendre. Tout le monde, sachant que celui-ci est maintenant insolvable, lui a proposé des emprunts à très court terme et à des taux de plus de 8 %. Inutile de dire qu’une telle situation financière est impossible à supporter. Que reste-t-il alors comme solution ? Des prêts eux aussi à très court terme de la part d’autres Etats, tels l’Allemagne ou la France. Mais attention, ces puissances peuvent peut-être réussir à renflouer ponctuellement les caisses grecques, elles seront incapables de venir en aide après au Portugal, à l’Espagne et encore moins l’Angleterre... Elles n’auront jamais assez de liquidités. Et dans tous les cas, cette politique ne peut conduire très rapidement qu’à leur propre affaiblissement financier. Même un pays comme les Etats-Unis, qui peut pourtant s’appuyer sur la domination internationale de son dollar, voit son déficit public se creuser sans cesse. La moitié des Etats américains sont en faillite. En Californie, le gouvernement paye ses fonctionnaires non plus en dollars mais avec une sorte de “monnaie locale”, des bons valables uniquement sur le territoire californien !
Bref, aucune politique économique ne peut sortir à terme les Etats de leur insolvabilité. Pour reculer les échéances, ils n’ont donc d’autres choix que de réduire très fortement leurs “dépenses”. Voilà exactement le sens des plans adoptés en Grèce, au Portugal, en Espagne et demain inévitablement dans tous les autres pays. Il ne s’agit plus ici de simples plans d’austérité tels que la classe ouvrière en a connus régulièrement depuis la fin des années 1960. Ce dont il est question maintenant, c’est de faire payer très cher la survie du capitalisme à la classe ouvrière. L’image que nous devons avoir en tête, ce sont ces files d’attente interminables de familles ouvrières faisant la queue devant les boulangeries dans les années 30 pour un morceau de pain. Voilà le seul avenir que promet la crise sans issue du capitalisme. Face à la misère croissante, seules les luttes massives de la classe ouvrière mondiale peuvent ouvrir la perspective d’une nouvelle société en renversant ce système basé sur l’exploitation, la production de marchandises et le profit.
Tino (26 février)
1) La Tribune du 10 février.
Le 10 février dernier à 6 heures du matin, dans un froid glacial, plusieurs familles étaient évacuées d’un immeuble de Bagnolet par la police. Chassés en même temps par les bulldozers qui se sont mis à pied d’œuvre pour raser l’édifice, les locataires précaires, principalement d’origine africaine, avec femmes et enfants, n’ayant pu disposer du temps nécessaire pour récupérer leurs affaires détruites (papiers, fiches de paie, etc.), se sont retrouvés à la rue, jetés comme de vulgaires nuisibles. Ceci, sans solution d’hébergement alternative, totalement démunis (1) ! La plupart étaient installés depuis une dizaine d’années dans l’immeuble, avec un travail, mais ne pouvaient habiter ailleurs du fait de la pénurie chronique et du coût des logements. Aujourd’hui, en plein hiver, ils se retrouvent face à des hommes casqués et un tas de gravats !
Quel était le commanditaire d’une telle sauvagerie, d’un acte aussi ignoble qu’inhumain ? L’immeuble appartenait à la mairie de Bagnolet qui cherchait depuis longtemps à virer les locataires. Le maire apparenté PCF, Marc Everbecq, est donc un des maillons essentiel de la chaîne répressive. Il avait pour cela revendu récemment cet immeuble à une filiale du groupe Auchan (2), ce qui constituait une aubaine pour virer enfin les locataires indésirables. La mairie n’a pas trouvé mieux pour justifier son acte barbare que de déclarer dans un tract, avec une hypocrisie qui a provoqué un haut le cœur chez les habitants du quartier : “il est avéré que ce squat était devenu un lieu de trafic de drogue, de voitures, de prostitution, de tapage nocturne incessant qui durait depuis des années…”. Pour le maire adjoint, dont le cynisme atteint des sommets, “la trêve hivernale ne concerne pas les occupants sans droits ni titres”. Autrement dit, les expulsés sans quittance de loyer peuvent crever de froid ! La loi, c’est la loi… capitaliste !
Gêné aux entournures, le PCF, qui s’est vu obligé de “condamner” la décision de son poulain, n’en souligne pas moins de façon tout aussi hypocrite qu’il s’agissait de toutes façons d’un “immeuble dangereux où les risques d’incendie sont grands et où les conditions de vie pour ses occupants sont particulièrement difficiles”. La réalité, c’est qu’il ne s’agit là que de prétextes honteux, fabriqués par des menteurs professionnels, des politiciens de “proximité” qui se soucient comme d’une guigne du sort des habitants ! Les élus du PCF sont d’ailleurs coutumiers du fait et n’en sont pas à leur coup d’essai. Souvenons-nous de la brutale intervention policière dans la nuit du 7 au 8 septembre 2007 à Aubervilliers où près d’une centaine de travailleurs ivoiriens et leur famille avaient été délogés du campement qu’ils avaient établi depuis le mois de juillet à la suite d’une première expulsion de leur logement squatté. Cette opération policière était le résultat d’une décision de justice obtenue par la municipalité dirigée par le PCF quelques jours auparavant. Souvenons-nous de la politique ignoble menée par la mairie PCF de Montreuil expulsant aussi manu militari en septembre 1992 une vingtaine de familles ouvrières immigrées dans un quartier racheté par une société immobilière placée sous son contrôle, mais aussi de l’évacuation spectaculaire en décembre 1980, à coups de bulldozers encore, de 300 ouvriers maliens d’un foyer Sonacotra de Vitry-sur-Seine dont l’édile était le stalinien Paul Mercieca tandis que, vers la même période (février 1981), l’ancien secrétaire général du PC Robert Hue, à l’époque simple maire et conseiller général du Val-d’Oise, organisait une manifestation dans sa commune de Montigny-lès-Cormeilles pour faire expulser une famille marocaine sur laquelle il avait fait courir la fausse rumeur qu’elle se livrait à du trafic de drogue !
Face à la détresse des familles, le premier réflexe prolétarien est celui du refus, de l’indignation et de la solidarité. C’est ce qui se vérifie sur le terrain avec les soutiens matériels apportés par les habitants eux-mêmes de ce quartier ouvrier. Les révolutionnaires ne peuvent qu’appuyer et apporter à leur tour leur plein soutien à ces prolétaires, comme nous le faisons, non seulement en dénonçant cette situation de répression barbare, mais en oeuvrant de toutes nos forces à combattre pour détruire ce qui est à la racine d’une telle inhumanité : le système capitaliste !
C’est ce soutien et cette solidarité identiques que nous devons apporter à un drame parallèle, aux jeunes réprimés de l’association “No Border” (3), indépendamment du fait que nous ne partageons pas les mêmes visions politiques ni les méthodes de luttes. Ces jeunes militants sont à l’initiative de la création d’un squat associatif à Calais, installé dans un hangar, dont l’objectif est de soutenir les sans-papiers et les migrants. Bien que de notre point de vue ce projet généreux ne puisse ouvrir de réelles perspectives politiques, l’engagement de ces jeunes part d’un rejet des frontières nationales et d’un profond sentiment de solidarité humaine que nous saluons, un sentiment que la bourgeoisie ne peut ni comprendre ni admettre, mais qu’au contraire elle réprime brutalement. C’est ce qui explique que constamment harcelés par la police, deux jeunes d’entre les “no border” ont été arrêtés et matraqués par les CRS. Comme pour les manifestations étudiantes et lycéennes (4), la bourgeoisie vise à intimider, à faire peur aux jeunes générations de prolétaires, à les empêcher de s’organiser, à pétrifier tout ceux qui n’acceptent pas la réalité barbare du capitalisme et qui dénoncent les injustices les plus criantes et inacceptables. C’est ce qu’exprime lucidement un jeune militant de “no border” lors d’une interview : “nous sommes sujet à des contrôles d’identités permanents. Ils peuvent aller jusqu’à dix par jour (…). C’est juste de l’intimidation et du harcèlement, pour nous décourager” (5).
Ces deux événements parallèles, à Bagnolet et à Calais, parmi tant d’autres au quotidien, ne font que révéler la nature totalitaire et policière de l’Etat démocratique. L’arsenal sécuritaire qui n’a cessé de se développer ne pourra indéfiniment masquer la réalité : celle de la domination exercée par la terreur sur les populations et la préparation à la répression ouverte des militants et des ouvriers combatifs. Partout, les Etats démocratiques répriment et méprisent avec le même zèle ceux qu’ils jettent à la rue. On peut le voir en Europe, aux Etats-Unis, où les expulsés de force sont regroupés dans de véritables camps à soupe populaire. Qu’ont donc à envier ces Etats démocratiques qui utilisent les mêmes méthodes que celle de l’Etat chinois, où les pelleteuses et bulldozers défoncent presque sans sommation les maisons des ouvriers ? Qu’ont-ils donc à envier à l’Etat russe, qui vide de force des quartiers entiers, si ce n’est le recours aux assassinats pour des opérations immobilières expéditives ? Partout, les prolétaires doivent savoir qu’ils ont à faire à la même logique du capital, au même patron : l’Etat et ses méthodes de gangsters.
WH (18 février)
1) Les sans-logis se sont réfugiés où ils le pouvaient, notamment dans un gymnase municipal. Les gardes mobiles sont venus aussitôt les déloger, éteignant le brasero qui permettait de les réchauffer, allant même jusqu’à détruire leur maigre stock de nourriture !
2) C’est ce que révèle un communiqué paru sur le site : www.monde-solidaire.org/spip.php ?article5223 [49].
3) Selon le site http ://www.millebabords.org/spip.php ?article13409 [50] “Le réseau No Border est un mouvement mondial d’individus et de groupes luttant pour le droit à la liberté de circulation des personnes, et non uniquement pour les marchandises de l’Europe ultra consommatrice. Depuis le camp No Border à Calais en juin, les militants “no border” ont eu une présence constante à Calais sous la bannière de Calais migrants Solidarité. Nous avons été témoins d’actes de violences policières et avons collectivement résisté à des expulsions. Nous avons organisé la distribution d’aide humanitaire, et agi concrètement en faveur des droits des migrants.”
4) Voir notre article “Manifestation des lycéens à Lyon : des provocations policières pour tenter de pourrir le mouvement [51]” dans RI n°397 (janvier 2009).
5) Voir le site
Le 2 février dernier, un élève de 14 ans est passé à tabac par une bande d’adolescents dans la cour du lycée Adolphe-Chérioux de Vitry-sur-Seine. Blessé à coups de couteau, il sera hospitalisé d’urgence. Immédiatement, les 180 enseignants de cet établissement scolaire de la région parisienne, à la fois choqués et ulcérés, arrêtent les cours et exercent leur “droit de retrait” (1).
Depuis lors, ces enseignants continuent de manifester leur colère. Ils refusent de reprendre le travail malgré les pressions qui s’exercent sur eux de toutes parts. Le recteur et l’inspecteur d’académie ne cessent de répéter en chœur aux médias qu’ils ont à faire à des “irresponsables”, qu’il est parfaitement “inacceptable” que des enseignants laissent leurs élèves désœuvrés. Les plus hautes sphères de l’Etat menacent elles aussi d’abattre leur foudre sur cette poignée de travailleurs. Le gouvernement considère ainsi que ces enseignants n’exercent pas un “droit de retrait” face à un danger mais un “droit de grève”. Les journées de fermeture de l’établissement ne seront donc pas payées. Les salaires, déjà maigres, vont être probablement largement amputés ! Pour autant, jusqu’à maintenant, ces 180 enseignants ne se sont pas laissés impressionner. Ils semblent déterminés à “se faire entendre”. Leurs conditions de travail sont devenues totalement insupportables. Il faut dire que sur cet immense complexe scolaire de 36 hectares et 1500 élèves, il n’y a que 11 surveillants ! Ces 11 salariés doivent gérer les entrées et les sorties des élèves, s’occuper de la cour, des permanences (de plus en plus surchargées puisqu’il n’y a presque plus d’enseignants remplaçants), calmer les élèves dissipés exclus des cours, surveiller la cantine, gérer les absences et les retards, prévenir les familles, accompagner les malades à l’infirmerie et souvent les réconforter… Sans tout ce travail éducatif, absolument nécessaire, l’ambiance générale d’un établissement se dégrade très vite, les incidents se multiplient et les enseignants sont confrontés à des classes de plus en plus ingérables. C’est pourquoi les enseignants de Vitry réclament 11 surveillants supplémentaires, soit le minimum pour que l’établissement fonctionne correctement.
Pour que leur revendication soit satisfaite, ils ont multiplié les “actions”. Ils ont ainsi d’abord envoyé une délégation au rectorat de l’Académie de Créteil puis, devant le mutisme de la hiérarchie, ils ont réalisé une série de manifestations devant ces bâtiments. Le recteur ne voulant toujours rien entendre, ils ont ensuite décidé d’en appeler directement au ministre de l’Education nationale, Luc Chatel, en se mobilisant devant le ministère… sans plus de résultat. Plus exactement, ce monsieur a consenti à “faire un geste” en proposant 3 postes supplémentaires de surveillants et 6 postes de médiateurs de la vie scolaire. Les professeurs ont légitimement rejeté cette “offre” car, comme ils l’expliquent eux-mêmes, “Les médiateurs ne sont pas formés, ils disposent d’un statut précaire (CDD de six mois renouvelable, ndlr) et ne font que vingt heures par semaine au lieu de trente-cinq comme les surveillants” (2). Ils réclament aujourd’hui un débat public et télévisé avec le ministre.
Où mènent toutes ces actions ? Elles révèlent sans aucun doute la détermination de ces enseignants. Leur colère est légitime et fondée. Mais en cherchant ainsi à “se faire entendre” de l’inspecteur, du recteur, du ministre, en cherchant l’appui des parlementaires et des élus, que peuvent bien gagner ces travailleurs ? Est-ce là réellement la meilleure façon de mener la lutte, d’endiguer la dégradation continuelle de nos conditions de vie et de travail ? Ne s’agit-il pas là, au contraire, d’une impasse ?
L’isolement, la lutte chacun “dans son coin” est toujours un piège pour les travailleurs. Aussi courageux et nombreux soient-ils, des salariés d’une seule boîte (ou d’un seul établissement scolaire) ne font pas le poids face à un patron (ou à un recteur) car celui-ci a toujours l’État caché derrière lui ou ouvertement à ses côtés !
Même quand c’est un secteur tout entier qui entre en grève, cela ne suffit généralement pas. Une lutte circonscrite à une branche d’industrie ou d’activité, par exemple, est elle-aussi condamnée à la défaite. Rappelons-nous du printemps 2003 ! Il y a 7 ans, contre la réforme des retraites de Fillon (déjà), tous les enseignants de France, du primaire et du secondaire se dressaient comme un seul homme et descendaient dans la rue. Cette lutte a pourtant échoué car elle est restée circonscrite au seul secteur de l’éducation nationale. Elle n’est pas parvenue à entraîner derrière elle les autres parties de la classe ouvrière et n’a donc pas fait trembler la bourgeoisie et son Etat. A l’époque, la colère était pourtant très grande. En particulier dans l’Académie de Créteil, la mobilisation avait été extrêmement forte ; des collèges et des lycées avaient été fermés pendant des mois !
Seule l’extension de la lutte à l’ensemble des secteurs de la classe ouvrière peut inquiéter la bourgeoisie. La preuve en positif cette fois-ci. En 2006, les étudiants sont parvenus à faire reculer le gouvernement qui a été contraint de retirer son Contrat première embauche, ce “Contrat poubelle embauche” comme le rebaptisèrent à l’époque les jeunes générations. Pourquoi ce recul ? Parce que peu à peu, au fil des semaines, une partie de plus en plus grande de la classe ouvrière se reconnaissait dans le combat des étudiants. De manifestation en manifestation, il y a avait de plus en plus de salariés de tous les secteurs, de chômeurs, de retraités… qui comprenaient que la précarité des jeunes c’était la précarité de tous !
Les enseignants de Vitry doivent tirer les leçons de cet échec de 2003 et de cette victoire de 2006. Il manque des surveillants dans ce lycée ? C’est la même chose dans tous les établissements scolaires ! Le gouvernement embauche de moins en moins, multiplie les contrats précaires (des surveillants comme des enseignants contractuels d’ailleurs) à l’éducation nationale (3) ? C’est la même chose dans tous les ministères et dans toutes les entreprises du privé ! Tous les travailleurs vivent la même réalité, dans les hôpitaux, les administrations, les usines. Ils subissent eux-aussi de plein fouet les réductions d’effectifs et les plans de licenciements. Alors, oui, il faut se battre, non pas pour “ses” postes ou “son” établissement, mais pour des embauches et contre la précarité, partout, à Vitry comme ailleurs.
Des enseignants en lutte sur le terrain pourraient nous répondre qu’en rendant ainsi public et médiatique leur lutte, ils mettent la pression sur le ministre et ont ainsi des chances d’avoir au bout du compte leurs 11 postes de surveillants. Il est vrai que nous ne savons pas encore quel est le plan de l’Etat. En fait, il doit y avoir une bonne raison pour que les médias aux ordres de la bourgeoise parlent effectivement autant de cette mobilisation des enseignants. Quand une lutte l’embarrasse, la bourgeoisie n’hésite pas à la cacher, à exercer un total black-out. Qui a ainsi entendu parler des grandes luttes qui ont lieu en Turquie en ce moment ? Personne ou presque. Si la bourgeoisie braque ses projecteurs médiatiques sur ce lycée de Vitry, c’est qu’elle a certainement une idée en tête. Il y a deux raisons. Soit elle ne va pas donner les 11 postes pour montrer aux yeux de tous les ouvriers que “la lutte ne paie pas”, soit elle va satisfaire un peu leurs revendications localement pour mieux supprimer en catimini des milliers de postes dans les autres écoles.
Pour rompre leur isolement, pour lutter contre la dégradation des conditions de vie et de travail qui frappe toute la classe ouvrière et tous les secteurs, ces 180 enseignants doivent utiliser leur colère et leur combativité pour essayer d’entraîner à leurs côtés les autres exploités. Il faut aller, tous ensemble, dans les établissements scolaires voisins et expliquer aux collègues que cette lutte est aussi “leur” lutte. Les écoles toutes proches ne manquent pas. Il y a les collèges Gustave-Monod, Jean-Perrin, Lakanal, Danielle-Casanova, François-Rabelais ; les lycées privés Jean-Macé et Jean-Jacques-Rousseau. Mais pour ne pas rester enfermés dans le seul secteur de l’éducation nationale, comme en 2003, il faut aussi aller à la rencontre des travailleurs des autres branches, les hôpitaux ou les grandes administrations voisines, les entreprises… Dans le même département, il y a deux magasins Ikéa dont les salariés sont aussi en lutte. Aller les rencontrer, discuter, mettre en avant des revendications communes (et nous ne parlons pas là de simple rencontre entre délégués syndicaux, mais bien de délégations massives), voilà ce qui peut faire “tâche d’huile”. Il y a aussi, sur la même commune, l’usine Sanofi qui est touchée par un vaste plan de restructuration et dont le personnel manifestait il y a deux mois encore.
Essayer d’étendre ainsi la lutte, géographiquement, de proche en proche, signifie tenter de briser le corporatisme imposé par les syndicats. Toutes leurs actions, ou presque, enferment les travailleurs dans “leur” boîte, “leur” corporation. Par exemple, les syndicats d’enseignants ont appelé le 11 février une quarantaine d’établissements de la seule académie de Créteil à une journée de grève et ont organisé un rassemblement devant l’Assemblée nationale afin “d’interpeller et de faire pression sur les parlementaires”. Cette manifestation a rassemblé entre 1500 et 2000 personnes (enseignants, parents et élèves). Pour éviter ce type d’actions totalement stériles et démoralisantes, il faut pouvoir discuter collectivement de comment lutter au sein d’assemblées générales souveraines, organisées réellement par les travailleurs eux-même (contrairement à toutes ces AG bidons où les syndicats ont déjà tout organisé et planifié à l’avance et où il ne reste plus qu’à choisir qui va faire les banderoles). C’est en de tels lieux, lors de tels débats ouverts entre travailleurs en colère que la décision d’aller tous ensemble au lycée, à l’hôpital, à l’usine la plus proche prend tout son sens et toute sa valeur. C’est en de tels moments de lutte qu’une véritable dynamique de classe peut être enclenchée.
Il ne s’agit pas là d’une recette miracle. Nous en avons bien conscience. Oser contredire les délégués syndicaux, même se confronter à leurs manœuvres et essayer d’entraîner derrière soi les autres exploités à lutter, tout ça n’est pas chose facile. Pour mille tentatives, peut-être une seule sera efficace. Mais il s’agit là de la seule voie à emprunter, la seule qui permet de construire collectivement un rapport de force favorable à la classe ouvrière.
Plus encore, même si mener une telle lutte ne paye pas toujours comme elle l’a été en 2006, même si elle n’apporte rien sur le plan matériel, elle remonte le moral. Rien n’est plus vivifiant que d’essayer d’étendre la lutte de proche en proche, en allant massivement à la boîte, à l’usine, à l’administration d’à-côté. Il faut faire vivre la solidarité ouvrière, l’entraide, la lutte collective.
Ce n’est qu’en se battant tous ensemble et tous unis qu’on parviendra à résister efficacement aux attaques incessantes et de plus en plus brutales du capital !
PW (14 février)
1) Une loi de décembre 1982 a reconnu un droit d’alerte et de retrait au bénéfice du salarié “qui a un motif raisonnable de penser que la situation dans laquelle il se trouve présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé”. Ce droit de suspendre son activité professionnelle a été étendu depuis 1995 aux agents de la fonction publique.
2) Site de Libération du 9 février (https://www.liberation.fr/societe/0101618167-vitry-les-profs-avancent-leurs-pions [52]).
3) Cette année, le nombre d’enseignants non titulaires employés par l’Education nationale a augmenté de 28 % par rapport à l’année précédente dans le seul rectorat de Créteil.
Nous voici, de nouveau, à l’approche d’élections. Les affiches fleurissent un peu partout, la télévision nous assomme de messages, la presse en remplit des pages entières : n’oubliez pas d’aller voter ! Il faudrait vraiment le faire exprès pour oublier. Tout au plus peut-on se demander si c’est vraiment utile. Mais la bourgeoisie multiplie aussi les enjeux pour donner un peu de substance à ces élections régionales : et si la gauche remportait toutes les régions ? Et si le Front national amorçait un retour ? Et si la gauche radicale continuait son déclin ? Comme s’il fallait justifier de l’intérêt d’élections pour une institution, la région, dont peu de monde connaît les réelles attributions et compétences. Même le NPA nourrit l’agitation médiatique avec sa candidate voilée. Tout est fait pour dramatiser la situation : “faites attention, votre vie peut changer si vous ne votez pas !”.
Mais la question n’est pas là. L’alternance du pouvoir implique tout au plus un changement dans la forme (et encore) mais le fond reste absolument le même. Les régions qui ont basculé de droite à gauche aux dernières élections n’ont pas changé la vie de la classe exploitée.
L’enjeu n’est d’ailleurs pas plus grand aux présidentielles ou aux législatives. La question n’est pas de savoir si ce vote précis est utile, mais si le vote en général, le cirque électoral bourgeois, peut permettre d’une façon ou d’une autre, de satisfaire les intérêts de la classe ouvrière.
Le mouvement ouvrier, en se fondant sur la réalité historique, a depuis longtemps tranché la question : les élections sont non seulement inutiles à la défense des intérêts du prolétariat, mais elles sont plus encore un piège pour détourner la classe ouvrière du seul terrain où sa voix peut se faire entendre, celui de sa lutte contre les attaques du capital (1). Les élections atomisent les ouvriers dans les isoloirs en créant l’illusion d’un choix collectif et d’une unité d’action. Que se soit la gauche ou la droite qui sorte vainqueur des urnes, c’est toujours la bourgeoisie qui gagne les élections. La gauche n’a aucun programme alternatif à offrir aux ouvriers. En France, comme en Espagne ou en Grèce comme dans tous les pays, la gauche n’a pas d’autre fonction que de gérer les affaires de l’État ou de la région et de faire payer la crise du capitalisme aux travailleurs.
La classe ouvrière n’a aucune illusion à avoir. Que ce soit la gauche ou la droite, qui résident à l’Elysée, à l’Assemblée nationale, dans les régions, départements ou communes, c’est toujours la classe de ses exploiteurs qui est aux commandes d’un capitalisme dont l’état délabré ne lui laisse d’autre choix que d’étrangler la classe ouvrière. Au-delà des intérêts de chapelles et de clans en son sein, qui sont réels, la bourgeoisie ne s’intéresse pas tant à qui vont aller les suffrages qu’au nombre d’ouvriers qui vont placer encore leurs espoirs dans leur bulletin de vote. Les élections sont un moyen très efficace d’étouffer l’expression de la colère ouvrière. Le prolétariat ne peut devenir une force politique que lorsqu’il se bat sur son propre terrain de classe pour défendre ses propres intérêts contre l’exploitation, le chômage, les licenciements, la dégradation de ses conditions d’existence. Il ne peut offrir une autre alternative au capitalisme en crise qu’en développant ses luttes de façon solidaire et unie et en prenant son destin en mains.
Certains se disent peut-être que ces élections sont l’occasion de laisser un message à Nicolas Sarkozy en réaction à sa politique ? Mais ce vote “utile” destiné à sanctionner la politique du chef de l’État ne changera pas la condition de la classe ouvrière. Cette mascarade électorale ne peut qu’entraîner les exploités derrière les illusions démocratiques de telle ou telle clique bourgeoise. Il ne peut que les pousser à déserter le seul chemin capable de construire un vrai rapport de force face aux attaques incessantes qu’ils subissent quotidiennement : celui de la lutte, des grèves et des manifestations massives.
GD (19 février)
1) A ce sujet, le CCI a récemment édité une brochure sur la question électorale : “Les élections, un piège pour la classe ouvrière [53]” .
Nous publions ci-dessous la traduction d’un article paru sur notre site Internet en langue espagnole et traitant d’une nouvelle lutte à Vigo, en Galice (province d’Espagne) (1).
Nous avons appris la nouvelle d’une lutte conjointe entre des ouvriers au chômage et des ouvriers actifs du secteur de la construction navale de la ville de Vigo.
Nous remercions un de nos lecteurs qui nous a envoyé son commentaire. Nous affirmons de suite que nous sommes d’accord avec la conclusion qu’il tire de cette lutte : “Seules l’unité et la solidarité de tous les chômeurs et des travailleurs, dans des assemblées et des manifestations conjointes pourront nous amener à la victoire. Nous saluons les travailleurs et les chômeurs des chantiers navals de Vigo. Les chômeurs et les ouvriers du monde entier devraient prendre l’exemple sur les [prolétaires des] chantiers navals de Vigo, leur unité, de leur solidarité, parce que c’est tous unis que nous réussirons à vaincre le capitalisme mondial”. Dans ce même sens, nous avons reçu sur notre forum un autre message : “L’article sur les luttes menées par les chômeurs et les actifs des chantiers navals de Vigo a été publié sans la moindre réaction et pourtant on peut en tirer une de ces leçons que nous devons toujours avoir en tête : celle de l’unité de la classe ; quelque chose de très important est en train de se passer à Vigo, parce que ce sont les travailleurs actifs et les chômeurs qui manifestent ensemble, en rassemblant d’autres travailleurs jusqu’à l’arrêt de tout le secteur naval. Prenez le temps de lire et vous apprendrez beaucoup de choses. Salutations”.
À Vigo, il y a plus de 60 000 chômeurs. Rien qu’en 2009 et dans le seul secteur de la métallurgie, 8000 emplois ont disparu. L’indignation jointe à la préoccupation face à un avenir de plus en plus difficile, se répand chez les ouvriers. Dans les chantiers navals, particulièrement, les chômeurs avaient été inscrits lors d’un accord entre les syndicats et le patronat dans une “Bourse du travail” où ils seraient convoqués chaque fois que du travail pourrait être distribué.
Les chômeurs inscrits à cette Bourse du travail – autour de 700 – ont pu se rendre compte avec rage qu’au lieu d’y être convoqués, on engageait pour des chantiers ponctuels des ouvriers étrangers avec des salaires bien plus bas et dans des conditions terribles. Ainsi, par exemple, d’après le porte-parole des chômeurs, “il y a des travailleurs qui dorment dans des parkings et qui mangent tout juste un sandwich par jour”.
Ce fut l’élément détonateur de la lutte. Les ouvriers ont tenu à affirmer qu’ils ne sont nullement contre les travailleurs étrangers embauchés. C’est ainsi qu’un de leurs porte-parole a insisté : “Nous n’avons pas la moindre objection à ce que des personnes venant d’ailleurs soient embauchées, mais à condition que le patronat ne passe pas par-dessus la convention collective de la province, parce que avec le salaire d’un seul d’entre nous ils payent deux ou trois étrangers”. Malgré cela, les medias, spécialistes de la “communication”, ont ressorti leur “explication”, en accusant les travailleurs de xénophobie. El Faro de Vigo, par exemple, titrait ainsi l’article où ce journal rendait compte de la lutte : “Les chômeurs de la métallurgie s’opposent à l’embauche d’étrangers”, ce qui est un mensonge éhonté, ce sont les ouvriers au chômage eux-mêmes qui ont dénoncé la manœuvre du patronat qui “fait venir de la main d’œuvre bon marché dans des conditions proches de l’esclavage”.
La bourgeoisie est une classe cynique, machiavélique. Elle engage des travailleurs étrangers en les soumettant à des conditions salariales bien inférieures à celles des ouvriers du pays. Si ceux-ci se mettent en lutte en s’opposant à de telles conditions d’embauche, elles les accuse tout de suite de racisme, de xénophobie, de “défense des idées de l’extrême droite”, de nationalisme, etc., alors que la riposte immédiate des ouvriers ne s’est pas du tout faite contre leurs frères de classe, mais contre le fait d’établir un précédent en les embauchant à des conditions salariales inférieures, ce qui ne fait que tirer vers le bas les conditions salariales de tous. C’est ce qu’on a pu voir en Grande-Bretagne lors de la lutte des ouvriers du bâtiment (2) et de même lors de la lutte des ouvriers des chantiers navals de Sestao (3).
Le 3 février, les chômeurs se sont rendus aux portes d’Astilleros Barreras (l’entreprise la plus importante de ce secteur des chantiers navals) avec l’intention d’organiser une assemblée générale commune avec les travailleurs de cette entreprise. Les portes étant fermées, ils se sont mis à crier des slogans au mégaphone et à expliquer leurs revendications jusqu’à ce que finalement la grande majorité des employés abandonnent les installations et se joignent aux chômeurs. D’après la chronique d’Europa-Press, “cinq fourgons de police anti-émeutes se sont présentés sur les lieux. Les policiers se sont déployés sur toute la zone armés de fusils à balles en caoutchouc et avec des boucliers, mais finalement les forces de sécurité se sont repliées vers le rond-point de Beiramar”. L’information d’Europa-Press se poursuit ainsi : “Finalement, le groupe composé de chômeurs et de travailleurs est parti en manifestation en direction de Bouzas, et sur ce trajet des ouvriers des autres chantiers navals de la zone (tels que Cardama, Armon et Freire-Así) se sont joints à eux, de sorte que l’activité s’est arrêtée dans toutes les industries navales”.
Nous venons de voir dans cette expérience comment se concrétise la solidarité et l’unité entre les camarades au chômage et ceux qui ont encore un travail ; les assemblées générales conjointes, la manifestation de rue pour faire connaître la lutte aux autres travailleurs, la communication et le lien direct avec des travailleurs des autres entreprises pour les gagner à la lutte commune. Autrement dit, la même chose que ce qui est arrivé à Vigo en 2006 (4) : les ouvriers reprennent les méthodes prolétariennes de lutte qui n’ont rien à voir avec la division, le corporatisme, la passivité, typiques des méthodes syndicales (5).
Le 4 février, ces actions se sont renouvelées. Vers 10 heures du matin, les chômeurs se sont à nouveau rendus aux portes de Barreras. Et encore une fois, leurs camarades de l’entreprise sont sortis pour se joindre à la lutte. Malgré le dispositif policier, tous sont encore partis en manifestation. D’après El Faro de Vigo, “La protestation d’hier était surveillée par un fort dispositif policier. Il y a eu des moments de tension, mais finalement il n’y a pas eu d’échauffourées. Les chômeurs ont manifesté dans les zones de Beiramar et Bouzas de Vigo, accompagnés par les travailleurs du secteur, et ils ont affirmé qu’ils continueront les mobilisations tant que les patrons n’accepteront pas de régler avec eux les problèmes qui, d’après la dénonciation qu’ils en font, existent dans l’embauche du personnel”.
Nous n’avons pas d’autres informations. Mais nous pensons que ces faits sont significatifs de la combativité et de la prise de conscience des travailleurs, de la recherche de l’unité et de la solidarité face aux coups bas que le capital nous assène.
Nous exprimons notre solidarité avec nos camarades en lutte. Nous encourageons à ce qu’on tire des leçons et à ce qu’une solidarité active se fasse jour. Ce n’est pas les motifs qui manquent : on vient de passer le seuil des 4 millions de chômeurs, le gouvernement annonce le recul de l’âge de la retraite à 67 ans, l’augmentation du temps de cotisations, etc.
CCI (5 février)
1) Ceci a pu être écrit à la suite d’un message du 3 février 2010 qu’un lecteur a envoyé à notre section “Commentaires” de notre site : https://es.internationalism.org/node/2765#comment-636 [55].
Par ailleurs, pour mieux comprendre ce mouvement, nos lecteurs peuvent lire, sur les luttes dans cette ville en 2009 : “”.
Et sur le mouvement de 2006 : “”
2) Voir : “”.
“Grèves en Grande Bretagne : les ouvriers commencent à remettre en cause le nationalisme” , http ://fr.internationalism.org/node/3690 [56]
3) “”.
4) “”
5) Sur le sabotage syndical, lire notre article publié en septembre 2009 : “”
Nous publions ci-dessous la traduction d’un article paru sur le site Internet du CCI en anglais le 5 février. Il révèle que la colère et la combativité continuent d’animer le prolétariat en Grèce depuis un an.
Cet article a aussi parfaitement anticipé ce qui se déroulerait les 10 et 24 février : des journées de grève suivies massivement par une classe ouvrière qui ne veut plus subir les violentes attaques de l’Etat avec des syndicats qui manœuvrent pour diviser les ouvriers et stériliser le mécontentement grandissant.
La situation grecque est importante car elle est une sorte de test pour la bourgeoisie européenne et même mondiale. De nombreux Etats vont devoir dans les mois qui viennent mener les mêmes attaques frontales que l’Etat grec contre les conditions de vie de la classe ouvrière. Si les mesures d’austérité drastiques passent dans ce pays, cela servira de test positif pour sonner le coup d’envoi à toute une série d’attaques à travers le monde. C’est pourquoi les bourgeoisies française et allemande, en particulier, apportent leur savoir-faire en terme d’encadrement de la classe ouvrière. Ils aident le gouvernement de Papandréou à quadriller le terrain en faisant monter au créneau les syndicats. Ceux-ci, en prenant les devants et en organisant des journées d’action, espèrent parvenir à canaliser le mécontentement grandissant.
Il y a un an, il y a eu trois semaines de luttes massives dans les rues de Grèce après l’assassinat par la police d’un jeune anarchiste, Alexandros Grigoropoulos. Mais le mouvement dans la rue, dans les écoles et les universités a eu de grandes difficultés à se coordonner avec les luttes sur les lieux de travail. Il n’y a eu qu’une seule grève, celle des enseignants du primaire qui, pendant une matinée, avait soutenu le mouvement. Même si ce fut une période de troubles sociaux massifs, incluant une grève générale, les liaisons n’ont finalement pas pu se faire.
Toutefois, en Grèce, les actions de travailleurs se sont poursuivies au-delà de la fin du mouvement de protestation jusqu’à aujourd’hui. Ainsi, le ministre du Travail, Andreas Lomberdos, a été contraint d’adresser une mise en garde à la bourgeoisie internationale. Il a affirmé que les mesures nécessaires dans les trois prochains mois, pour sortir de l’eau la dette nationale dans la crise qui menace de jeter la Grèce hors de la zone euro, pourraient entraîner une effusion de sang. “Nous ne pouvons pas faire grand-chose pour empêcher cela” a-t-il ajouté. Plus récemment, le mois dernier, le Premier ministre grec, dans un discours devant le Parlement, a déclaré que la crise de la dette nationale est “la première crise de souveraineté nationale depuis 1974”. Le nouveau gouvernement socialiste parle de réunir tous les partis bourgeois et tente de constituer un gouvernement d’unité nationale d’urgence qui serait en mesure de suspendre des articles de la Constitution garantissant le droit de réunion publique, de manifestation et de grève !
Même avant que le gouvernement ait tenté de mettre en œuvre ses “réformes” (autrement dit, les attaques contre la classe ouvrière) pour réduire le déficit budgétaire de 12,7 % à 2,8 %, il y a eu une grande vague de luttes ouvrières. Lors de ces deux derniers mois, les dockers ont été en grève ainsi que les travailleurs de Telecom, les éboueurs, les médecins, les infirmières, les enseignants des écoles maternelles et primaires, les chauffeurs de taxi, les ouvriers de la sidérurgie et les employés municipaux ! A priori, toutes ces luttes semblent éclater chaque fois pour des raisons distinctes mais en réalité elles sont toutes des réponses aux attaques que l’Etat et le capital sont contraints de porter pour essayer de faire payer la crise aux travailleurs.
Avant que le programme d’austérité ait été mis en avant (et approuvé par l’Union Européenne), le Premier Ministre Papandreou avait averti qu’il serait “douloureux”. Et le 29 janvier, avant que le moindre détail en ait été annoncé, il y a eu, en réponse à l’actuel “programme de stabilité”, une manifestation de colère de la part des pompiers et d’autres travailleurs du secteur public à Athènes.
Le plan gouvernemental sur trois ans prévoyait un gel total des salaires pour les travailleurs du secteur public et une réduction de 10 % des quotas. On estime que cela équivaut à une diminution de salaire allant de 5 à 15 %. Les fonctionnaires partant à la retraite ne seront pas remplacés, mais il y a aussi la perspective de l’augmentation de l’âge du départ à la retraite qui est présentée comme un moyen pour l’Etat d’économiser sur les charges de retraite.
Le fait que l’Etat est maintenant contraint de porter des attaques encore plus sévères contre une classe ouvrière déjà combative révèle la profondeur de la crise qui affecte la Grèce. Le ministre Lomberdos l’a précisé très clairement quand il a dit que ces mesures “ne peuvent être appliquées que de façon violente”. Cependant, ces attaques portées contre tous les secteurs ouvriers au même moment donnent à ces derniers une réelle possibilité de mener une lutte commune pour des revendications communes.
Si on examine attentivement ce que font les syndicats en Grèce, on peut voir que leurs actions ont pour objectif de maintenir les luttes divisées. Les 4 et 5 février, il y a eu une grève officielle de 48 heures des douaniers et des agents des impôts qui ont fermé les ports et les points de passage frontaliers, pendant que certains agriculteurs maintenaient leur blocus. L’Indépendant (5/2/10) a titré “Les grèves mettent la Grèce sur les genoux” et décrit l’action comme la “première manifestation d’une éruption attendue de grèves tapageuses”.
Cette “éruption attendue” de la grève comprend un projet de grève du secteur public et une marche sur le parlement pour protester contre les attaques contre les retraites par le syndicat ADEDY, le 10 février, une grève appelée par le PAME, le syndicat stalinien, le 11 février, et une grève du secteur privé appelée par le GSEE, le syndicat le plus important, ce qui représente 2 millions de travailleurs, le 24 février.
Divisée de cette manière, la classe ouvrière ne va pas mettre l’Etat grec “à genoux”. Le Financial Times du 5 février estimait que jusqu’à présent “les syndicats ont réagi modérément aux plans d’austérité du gouvernement, ce qui reflète un état d’esprit de disposition à faire des sacrifices pour surmonter la crise économique”, mais identifie tout de même “une réaction violente des syndicats contre les programme d’austérité du gouvernement”. En réalité, les syndicats n’ont pas soudainement négligé leur soutien au gouvernement socialiste mais, avec la montée de la colère exprimée par la classe ouvrière, ils savent que s’ils ne mettent pas en scène quelques actions il y a la possibilité que les travailleurs commencent à démasquer la comédie syndicale. Pour le moment les syndicats ont affiché leur visage radical, rompu le dialogue sur les plans d’avenir pour les retraites et prévu des grèves d’une à deux journées à des dates différentes. Les syndicats se sont montrés vraiment désireux que les travailleurs fassent des sacrifices mais maintenant ils doivent tenir compte de la réaction de la classe ouvrière.
Pour les travailleurs, concernant le développement futur de leurs luttes, il est nécessaire qu’ils se méfient non seulement des syndicats mais aussi d’autres “faux amis”. Le KKE (parti communiste grec), par exemple, qui possède une certaine influence dans la classe ouvrière, qualifiait il y a un an les manifestants d’agents secrets de “mystérieuses forces étrangères” et de “provocateurs”. Maintenant, ils disent que “les travailleurs et les agriculteurs ont le droit de recourir à tous les moyens de lutte pour défendre leurs droits”. Les autres forces de gauche, comme les trotskistes, sont aussi là pour dévoyer la colère des travailleurs, en focalisant l’attention contre les fascistes ou d’autres forces de droite, ou contre l’influence de l’impérialisme américain - tout et n’importe quoi pour que les travailleurs ne prennent pas leurs luttes dans leurs propres mains et ne les dirigent contre le plus haut représentant du capital, l’Etat. Avec des grèves dans le pays voisin, la Turquie, qui se passent en même temps que les grèves en Grèce[1], les syndicats et leurs alliés seront particulièrement attentifs à ce que tous les problèmes que rencontrent les ouvriers soient dépeints comme étant spécifiquement grecs et non comme l’expression de la crise internationale et irrémédiable du capitalisme.
Ce qui est caractéristique de la situation en Grèce, c’est la prolifération de divers groupes armés qui bombardent des bâtiments publics, mais qui ne font qu’ajouter un peu plus de violence au spectacle habituel, tout en favorisant davantage de répression de la part de l’Etat. Ces groupes, aux noms exotiques comme la Conjuration des cellules du Feu, le Groupe de guérilla des terroristes ou de la Fraction nihiliste, n’offrent strictement rien comme perspective à la classe ouvrière. Les ouvriers ne peuvent construire leur solidarité de classe, prendre conscience de leur force et développer leur confiance en eux qu’à partir de leurs propres luttes, en développant leurs propres formes d’organisation, non en restant assis à la maison à regarder à la télévision des bombes placées par des gauchistes radicaux. Le bruit qui court à propos d’un meeting de masse de travailleurs discutant de la façon d’organiser leur propre lutte effraie plus la classe dirigeante que des milliers de bombes.
DD (5 février)
1. Lire notre article [57] sur la lutte des ouvriers de Tekel
Les grands de ce monde, en costumes et tailleurs chics, se sont échangé des politesses lors du dernier forum de Davos qui s’est déroulé du 27 au 30 janvier en Suisse. Armés de leur bonne éducation et de leur grande culture, ils ont ainsi su trouver les mots justes pour parler du terrible séisme qui a ravagé Haïti le 12 janvier. Ecoutons par exemple les paroles du très respecté Bill Clinton, l’ancien président des Etats-Unis : “C’est une opportunité pour réinventer le futur du peuple haïtien et je vous invite à faire partie de l’aventure.” Voilà comment parlent ces messieurs. Plus de 210 000 morts, des centaines de milliers d’orphelins et de sans-abri, et ils osent nous parler “d’opportunité” et “d’aventure” !
Ces paroles cyniques et abjectes diffusent, qui plus est, un message propagandiste et mensonger. Les médias, les personnalités politiques, les gouvernements, tous prétendent qu’Haïti va se relever grâce à l’aide de la “communauté internationale” (1). En réalité, il n’y aura pas de “reconstruction”, de “renaissance de l’île martyre” ou de “formidable aventure”. L’avenir pour la population qui vit en Haïti est d’une insoutenable noirceur et cela aussi longtemps que survivra ce système d’exploitation inhumain qu’est le capitalisme !
Il n’y a là aucun doute à avoir. Des catastrophes, toutes plus horribles les unes que les autres, ont déjà endeuillé l’humanité à de multiples reprises ces dernières années et jamais n’a surgi une “société nouvelle” sur ces cadavres, ces décombres et ces cendres. La population vivant en Haïti en sait d’ailleurs quelque chose :
“… avant le tremblement de terre du 12 janvier, Haïti était encore le théâtre de plusieurs chantiers de reconstruction “post-désastre” inachevés, voire oubliés. Pour mémoire, la ville des Gonaïves, qui a subi les graves conséquences des cyclones Fay, Gustav, Hanna et Ike (2008) est encore proche d’une situation apocalyptique. Les dix mille maisons détruites ou endommagées sont encore bien visibles dans cette ville pratiquement en ruine et ses habitants se sont appauvris. Il en est de même pour les habitants de la localité de Fonds-Verettes, détruite par des pluies torrentielles en mai 2004. Ils continuent d’errer dans un village fantôme car peu a été fait depuis pour les reloger” (2).
Cette fois-ci, le contraste entre les promesses et la réalité est peut-être encore plus fort et révoltant. Tous les Etats, Chine, Canada, France et Etats-Unis en tête, n’ont cessé de se vanter de leur réactivité et de leur mobilisation “pour le peuple haïtien”. Chaque don et chaque action humanitaire ont été médiatisés à grands renforts de publicités. Mais sur le terrain, ce même “peuple haïtien” continue de souffrir et de mourir. Aujourd’hui, la saison des pluies torrentielles commence et, avec elle, arrive son lot d’inondations, de coulées de boues et de glissements de terrain. Or, depuis le séisme, il y a près de 1,5 millions de sans-abri et au moins autant de personnes qui vivent dans des baraques faites de planches, de tôles et de toiles. Alors, qu’offrent tous ces Etats sauveurs ? “Paris mettra notamment 1000 tentes et 16 000 bâches à disposition des Haïtiens” (3). Oui, vous avez bien lu, pour toute aide, la grande et si généreuse “communauté internationale” offre aux habitants d’Haïti des tentes et des bâches pour se protéger des cyclones. Pourquoi pas des parapluies ?
En réalité, tous ces Etats qui ont pourtant su mobiliser sur place des milliers de soldats de l’ONU au nom du “maintien de l’ordre public”, sont même incapables de fournir suffisamment de ces abris de misère. “Environ 50 000 tentes ont jusqu’ici été livrées aux sinistrés. Il en aurait fallu plus de 200 000 pour les 1,2 millions d’hommes, de femmes et d’enfants qui vivent dans des camps de fortune” (4). Pourquoi n’y a-t-il pas assez de tentes ? “La livraison massive aux sinistrés de tentes, un temps envisagée, a été écartée, ces dernières ayant été jugées trop grosses, coûteuses et inefficaces” (5). Eh oui, même ces bouts de toile ont été jugés trop “coûteux”. La vie humaine des laissés-pour-compte ne vaut décidément pas grand chose aux yeux du capitalisme !
Il ne faut donc pas se raconter d’histoires. Avec ce séisme, les habitants d’Haïti se sont enfoncés un peu plus profondément encore dans la misère. Et cette descente aux enfers va se poursuivre inexorablement. Il n’y aura jamais de vraie reconstruction, mise à part peut-être quelques bâtiments symboliques comme le palais présidentiel, la base de l’ONU, les hôtels et quelques “maisons-témoins”. Les grands bourgeois le savent parfaitement et l’avouent même parfois à demi-mot dans un langage très diplomatique. Le Premier ministre canadien, Stephen Harper, a ainsi “lâché” qu’effectivement, la reconstruction du pays prendrait “au moins dix années”, autrement dit jamais.
Ces souffrances sont insupportables et intolérables. Tous ceux dont le cœur saigne devant de telles horreurs pensent souvent : “il faut faire quelque chose”. Ce “quelque chose”, c’est mettre à bas cette société d’exploitation. Seule la fin du capitalisme et la naissance d’une autre société, le communisme, mettra véritablement un terme à toutes les plaies qui s’abattent sur l’humanité !
Pawel (20 février)
1) En fait, cette “communauté internationale” n’est autre qu’un banc de requins impérialistes qui, tous, utilisent la notion “d’aide humanitaire” pour défendre leurs sordides intérêts nationaux. Lire nos deux articles à ce sujet : “Séïsme en Haïti : Les Etats capitalistes sont tous des charognards [22]” et “En Haïti, l’humanitaire comme alibi [58]”.
2) Le site du Monde du 17 février.
3) Le site du Figaro du 17 février.
4) Radio Canada, le 14 février.
5) Idem.
Depuis le début de l’année, un forum de discussion en langue française est ouvert sur notre site. Chacun peut y poser ses questions, faire ses remarques, contribuer à l’analyse collective, affirmer ses désaccords… enfin bref, débattre.
De fait, un camarade, se disant à la fois marxiste et proche des anarchistes, intervient depuis le début relativement régulièrement sous le pseudonyme Cincinnatus. Son style bien à lui est toujours très direct et fleuri. Le message que nous publions ci-dessous en est une preuve vivante ! Cincinnatus y dénonce avec virulence et fort justement l’attitude du NPA qui présente aux prochaines élections régionales une candidate musulmane voilée. Ce court message de Cincinnatus commence d’ailleurs très fort avec ce titre percutant :
Sont comme ça au NPA, à l’image du capitalisme eux pourtant si “anticapitaliste”, bourrés de contradictions. Eh oui, à force de défendre toutes les causes fourre-tout des “minorités opprimées” : gazaouis, rappeurs ouèch ouèch, bébés phoques, etc. ben on en devient inévitablement antinomique puisque toutes ces revendications minoritaires, communautaires s’opposent les unes aux autres. Dur métier que celui de trotskiste. Comment soutenir les féministes mi-putes mi-soumises et dans le même temps présenter aux régionales une candidate foularisée ? ça coince... mais pas tant que ça. A y regarder de plus près, c’est très logique. Depuis une paire d’années on a pu remarquer le petit manège de la LCR en banlieue. Depuis une paire d’années c’est opération séduction pour conduire les jeunes de cités sur le chemin des urnes et des isoloirs. Après les collectifs citoyens de rappeurs et comiques made in 9-3, voilà le NPA qui caresse le musulman dans le sens du voile (faut bien suivre la mode). Aussi, et plus terre à terre, il ne faut pas oublier que la LCR-NPA est un parti électoraliste qui comme les autres cherche moins le “forum public pour donner de l’écho aux idées anticapitalistes “ que les strapontins. Et pour ça, faut se constituer un électorat avec tout l’opportunisme qui convient.
Bref, mettre un voile pour le NPA n’est pas chose choquante si l’on considère que cela fait des décennies qu’elle le pose sur la réalité de ce monde en entretenant les illusions démocratiques.
Cincinnatus, le 5 février
Nous partageons cette analyse mais pour tous ceux qui veulent répondre à ce message ou à qui cet épisode inspire d’autres commentaires, rendez-vous sur notre forum, sous le fil “NPA… en voile et à vapeur”.
Nous évoquons Anton comme un combattant intransigeant de la classe, qui s’est opposé à l’exploitation dans la société qu’il a lui-même subie en usine et qui a contribué à la transmission de ses expériences à une nouvelle génération de révolutionnaires après 1968.
Il ne l’a pas fait tout seul : à côté de lui et avec lui, il y en avait beaucoup d’autres qui ont vécu des expériences similaires, pendant et après la Seconde Guerre mondiale. Autour de cette communauté s’est développé un cercle de discussion vivant dans les années qui ont suivi la guerre. Il y a eu de nombreuses discussions politiques et philosophiques immédiatement après la guerre au sein de l’Institut Emile Vandervelde avec le professeur Flam, issu de la Résistance au sein des camps de l’holocauste. Les heurts, également, avec la bureaucratie social-démocrate de Hoboken (une banlieue “rouge” d’Anvers) et l’intégration des groupes de la résistance du PCB (Parti communiste de Belgique) au gouvernement, ont constitué l’arrière-plan de la rupture politique définitive avec le stalinisme. Au début des années 1950, celle-ci a mené à des contacts avec le groupe de la Gauche communiste Spartacusbond aux Pays-Bas. Celui-ci a alors organisé d’intenses débats communs à Anvers. Il s’en est suivi une collaboration avec le Spartacusbond. Anton devint un fidèle collaborateur de leur journal, au travers des traductions qu’il faisait d’articles de la presse internationale de la Gauche communiste et d’anarchistes (parmi lesquels Révolution internationale après 1973).
Dans le conflit entre le Spartacusbond et le groupe conseilliste déchiré Daad & Gedachte, autour de 1964, il prit très consciemment le parti de Spartacusbond. Il trouvait en effet que les positions de D&G ne mèneraient qu’à la négation de toute activité politique en tant que groupe prolétarien, ce que la réalité a confirmé. Les tendances conseillistes de D&G ont en effet souvent eu une influence négative sur la survie des groupes prolétariens aux Pays-Bas et en Belgique. Y compris au sein de nos prédécesseurs directs : les Revolutionaire Raden Socialisten (Anvers), les Vrije Raden Socialisten (Gand) en Belgique, et Radencommunisme aux Pays-Bas se sont développés au travers d’une critique de l’attitude conseilliste de Daad & Gedachte au profit de la défense d’une intervention active de l’organisation révolutionnaire dans la lutte de classe.
Dans ce sens, c’est Anton qui a mis en contact notre groupe de jeunes Revolutionaire Raden Socialisten, issu du bilan politique de mai 68, avec Révolution internationale en 1972-73. Il a alors apporté une contribution essentielle à notre orientation politique de 1972 à 1975, en attirant notre attention sur l’importance des analyses politiques de Révolution internationale (un des groupes fondateurs du CCI), ce qui a conduit en 1975 à notre adhésion au CCI en cours de formation. Très tôt, il attirait notre attention sur l’importance d’approfondir la question de l’écologie d’un point de vue marxiste. Depuis lors, il est toujours resté un véritable sympathisant de notre organisation.
Chez lui, on rencontrait régulièrement des visiteurs qui discutaient des sujets les plus divers. Ces dernières années, il vivait plus retiré en compagnie des dessins et des peintures rudes de Rik Schevernels (†1972), son meilleur ami, artiste qui fustigeait l’église, le stalinisme et les syndicats, et de ses livres et publications philosophiques et politiques. Nous lui sommes toujours reconnaissants de sa contribution à notre évolution politique.
CCI
La situation est de plus en plus insoutenable. La crise économique frappe de plein fouet. Les tentes pullulent le long du périphérique parisien, la pauvreté explose, les associations caritatives sont débordées. Aujourd’hui, ce sont des familles entières, des travailleurs, des retraités qui se nourrissent à la soupe populaire. Et demain risque d’être encore plus noir. De nouvelles attaques orchestrées par l’Etat nous attendent. Aux licenciements et aux fermetures d’usines dans le privé font écho des dizaines de milliers de suppressions de postes dans le public. Partout les conditions de travail se dégradent. Une attaque symbolise à elle seule ces ravages qui touchent tous les secteurs de la classe ouvrière : la «réforme » des retraites. Nous ne savons pas encore exactement ce que la sainte trinité Etat-Patrons-Syndicats va nous concocter pour la rentrée de septembre mais une chose est d’ores et déjà certaine, tout va être fait pour diminuer considérablement les pensions. Jamais depuis les années 1930, la classe ouvrière n’avait été frappée aussi durement.
Face à cette situation dramatique, la colère est grande au sein du prolétariat. Il n’y a plus guère d’illusions sur l’avenir que réserve le capitalisme : une misère croissante, dans tous les pays, quelle que soit la couleur politique des gouvernements. L’abstention importante aux dernières élections régionales en est l’une des manifestations1. Les ouvriers ont bien conscience qu’en l’absence d’une lutte de grande ampleur, le capital va continuer d’asséner ses coups sans répit. Et pourtant, en France2, s’il y a de très nombreuses petites grèves, aucun mouvement d’ampleur ne se dégage. Pourquoi ? Parce que les syndicats font bien leur boulot ! Depuis le mouvement des étudiants contre le CPE, en 2006, qui avait fait trembler la bourgeoisie, les syndicats n’ont de cesse d’organiser des journées d’actions toutes plus stériles les unes que les autres. Officiellement, les syndicats clament œuvrer à l’unité de la lutte ouvrière. Mais sur le terrain, ils réalisent en réalité un véritable travail de sape. Prenons un seul exemple : la dernière journée d’action du 23 mars. Ce jour-là, cinq des principales confédérations (CFDT, CGT, SUD, FSU et UNSA) ont lancé un appel commun, public-privé, “pour la défense de l’emploi, du pouvoir d’achat et des retraites.” Mais en coulisse s’est jouée une toute autre partition. Les jours précédents, les syndicats ont en effet multiplié les manifestations sectorielles : la Justice (le 9 mars) puis la Protection Judiciaire de la Jeunesse (le 11 mars), les hôpitaux de Paris (où les salariés ont occupé le siège de leur direction le 11 et le 12), l’Education Nationale3 (le 12 et le 18 mars), les sans-papiers (le 18 mars aussi mais pas au même endroit), la Poste (le 19 mars)… Et pour enfoncer le clou, le jour de la «grande journée d’action unitaire » du 23, les syndicats ont organisé de multiples rassemblement à Paris : outre le cortège principal qui avait rendez-vous à 14h à République, Force Ouvrière a défilé séparément à 10h place Vauban, à la même heure une AG interprofessionnelle s’est tenue à la Bourse du Travail, les IUFM4 ont eu quant à eux “leur” propre AG à 12h aux Batignolles, les infirmières de l’EN ont défilé séparément à 13h, une AG spécifique aux enseignants s’est tenue à 18h, elle aussi à la Bourse du travail… Sous la bannière “Unité”, la journée du 23 mars fut donc une véritable caricature de la division syndicale !5
Dans les entreprises, les syndicats oeuvrent là-aussi jour après jour pour que jamais les luttes ne convergent. Lorsqu’une grève éclate, ils se gardent bien de proposer aux ouvriers en lutte d’aller massivement se rendre aux usines ou aux administrations voisines. Et si jamais cette idée vient spontanément à l’esprit des grévistes, ils s’empressent de la remplacer par une rencontre entre quelques chefs syndicaux et rédiger une belle mais platonique déclaration de soutien.
Ce sale boulot est d’ailleurs de plus en plus visible. La bourgeoisie la plus éclairée sent bien le danger d’une prise de conscience progressive du rôle profondément anti-ouvrier des syndicats. Des journaux commencent à tirer la sonnette d’alarme et à prévenir des risques de “débordement”. Le Monde diplomatique de mars finit ainsi l’un de ses articles : “Gageons que, pour calmer un peu le populo mécontent, les syndicats les plus institutionnels, faisant désormais partie, aux côtés de la droite et de la ‘gauche’ social-démocrate, d’un bloc de pouvoir unifié de fait […], organiseront quelques innocentes marches […] entre République et Nation […]. Il est cependant possible que l’option ‘promenade urbaine’ ne soit plus suffisante et que le populo […] finisse par trouver qu’il en a également assez de se sentir promené.” Avec la crise économique qui va encore s’aggraver et jeter à la rue des dizaines de milliers d’ouvriers et la ‘réforme’ des retraites qui est ostensiblement une attaque de TOUTE la classe ouvrière, les syndicats ne vont pas pouvoir continuer longtemps à éviter des manifestations relativement massives. Ils vont donc devoir changer de tactique. Probablement, ils vont nous faire le coup du “Tous dans la rue derrière les syndicats” pour soi-disant construire un rapport de force qui leur permettrait de mieux “négocier” les réformes. Il ne faudra pas ici se laisser berner. Quels que soient les masques qu’ils portent, ceux de la conciliation ou de la radicalité, du corporatisme ou de “l’unité interprofessionnelle”, les syndicats mènent toujours volontairement les ouvriers à la défaite. En décembre 1995, visiblement tous ‘unis et combatifs’ contre le plan Juppé, ils avaient crié victoire pour mieux laisser passer dans les mois qui ont suivi toutes les attaques que contenait ce même plan (en particulier celle qui lançait la casse de la Sécurité sociale). Au printemps 2003, sous ce même drapeau de l’union et de la combativité, ils ont en fait orchestré l’isolement et l’épuisement des ouvriers du secteur le plus décidé alors à lutter : les travailleurs de l’EN. En effet, en 2003, la bourgeoisie a mené simultanément deux attaques de front : une attaque générale contre les fonctionnaires (réforme des retraites) et une plus spécifique à l’EN (réforme des statuts des personnels administratifs ATOS). Les syndicats ont mobilisé les personnels de l’EN sur la question de cette attaque spécifique, les laissant ainsi se battre seuls pendant des mois. Lorsque, au printemps, la réforme des retraites a jeté dans la rue des centaines de milliers de fonctionnaires, l’attaque sur les ATOS a été retirée, entraînant de fait une démobilisation des enseignants, épuisés et à bout financièrement. La précedente réforme des retraites est alors passée et la bourgeoisie, grâce aux syndicats, a fait passer son message : “ce n’est pas la rue qui gouverne”6. Il est d’ailleurs tout à fait possible que ce piège soit à nouveau tendu dans les mois à venir. Pour faire passer la nouvelle réforme de retraites, le gouvernement va peut-être reculer un peu, au moment propice de l’éventuelle mobilisation, sur les suppressions de postes d’enseignants ou de surveillants à l’EN ou d’infirmières dans les hôpitaux.
Les syndicats sont les chiens de garde du capital. Ils sabotent les luttes, divisent, distillent le poison du corporatisme de l’intérieur. Pour faire face aux attaques, il faut que les ouvriers prennent en main leurs luttes, de façon autonome, qu’ils s’organisent en tant que classe, qu’ils tissent des liens au-delà des secteurs et des corporations, public-privé, chômeurs-travailleurs-retraités… Pour cela, lors des manifestations, il ne faut pas rester sous des banderoles à défiler entre collègues de la même boîte mais débattre, organiser des AG spontanées et ouvertes à tous, en fin de manifestation. Quand, sur un lieu de travail, une grève éclate, l’AG ne doit pas être aux mains des représentants syndicaux mais des travailleurs ; les mots d’ordre et d’action doivent s’y décider collectivement ; les représentants chargés de telle ou telle tâche doivent être mandatés et révocables à tout moment. Pour ne pas rester isolés, il faut aller chercher la solidarité en actes des autres travailleurs des usines ou des administrations voisines en allant à leur rencontre par délégations massives.
La lutte aux mains des syndicats mène toujours à la défaite !
Seule la lutte organisée par les ouvriers eux-mêmes permettra de développer la solidarité prolétarienne et de créer un rapport de force en faveur de notre classe !
Pawel (27 mars)
1) Lire notre article sur les élections régionales dans ce numéro.
2) Des luttes un peu plus importantes se déroulent en ce moment même en Grèce, Etats-Unis, Russie… Lire nos brèves sur “Les luttes dans le monde” dans ce numéro.
3) ‘EN’ dans la suite de l’article.
4) Institut universitaire de formation de maîtres.
5) Et le cirque va se poursuivre, car une nouvelle journée d’action est prévue le 30 mars pour… les infirmières !
6) Phrase lancée par l’ex-Premier ministre J.P. Raffarin à la fin du mouvement.
Un an et demi après la crise des subprimes, la classe ouvrière à l’échelle internationale reste encore sonnée et désemparée sous l’avalanche des coups que lui portent chaque bourgeoisie nationale et tous les gouvernements de gauche comme de droite. Elle n’est pourtant pas résignée ni restée sans réaction au cours de ces derniers mois comme en témoignent plusieurs luttes dont nous nous sommes fait l’écho dans de précédents articles : à la raffinerie de Lindsey en Grande-Bretagne, sur les chantiers navals de Vigo en Espagne ou à travers le combat des ouvriers de Tekel en Turquie[1]. Dans ces luttes, elle a démontré non seulement sa combativité mais aussi sa solidarité et sa capacité à contrer les campagnes idéologiques (en particulier xénophobes) de la classe dominante pour la diviser en unissant dans un même combat des ouvriers de différentes corporations, secteurs, ethnies ou nationalités. De même, il faut se souvenir que le soulèvement des jeunes prolétaires organisés en assemblées générales en décembre 2008 en Grèce a beaucoup effrayé la bourgeoisie, en lui faisant craindre la « contagion » de l’exemple grec aux autres pays européens parmi les jeunes générations scolarisées ; ce n’est pas un hasard si aujourd’hui encore les yeux de la bourgeoisie sont tournés vers les réactions des prolétaires en Grèce aux féroces plans d’austérité imposés par le gouvernement et les autres Etats de l’Union Européenne. Ces réactions ont encore valeur de test pour les autres Etats menacés par la faillite de leur économie nationale. D’ailleurs, l’annonce quasiment simultanée de plans similaires ont également précipité dans la rue pour manifester des dizaines de milliers de prolétaires en Espagne ou au Portugal. Cependant, même si les difficultés continuent à peser lourdement - notamment les plans de licenciements massifs qui ont contribué à accentuer le sentiment d’impuissance des travailleurs et à freiner les grèves et leur mobilisation - il se confirme aussi qu’un changement d’état d’esprit est en train de s’opérer. Partout dans le monde, l’exaspération et la colère s’approfondissent et se généralisent dans les rangs ouvriers. La bourgeoisie ne s’y trompe pas : elle organise un vaste black-out sur ces luttes qui se déroulent d’un bout à l’autre de la planète démontrant que nulle part, la classe ouvrière ne se résigne à son sort face à la misère et aux attaques grandissantes.
En Algérie[2], en Russie, au sein de la main-d’œuvre immigrée des Emirats surexploitée et privée de toute protection sociale, chez les prolétaires anglais comme pour les étudiants réduits à la misère dans l’ex-plus riche Etat de l’Amérique, la Californie, la situation actuelle témoigne d’un frémissement encourageant indiquant une tendance de fond vers la reprise de la lutte de classe à l’échelle internationale qui fournit les ingrédients pour l’explosion de luttes plus massives. C’est pour contribuer à rompre ce black-out - y compris sur les luttes en Grèce - que nous rapportons quelques exemples significatifs récents du développement de ce combat international de notre classe (lire page 3) et que nous encourageons nos lecteurs à nous envoyer sur notre site Web des informations que la bourgeoisie cherche à masquer sur les combats que mènent nos frères de classe.
En novembre-décembre 2008, la Grèce avait été secouée pendant plus d’un mois par un soulèvement social, mené principalement par la jeunesse prolétarienne, à la suite de l’assassinat par la police d’un jeune anarchiste. Cette année, les mesures d’austérité annoncées par le gouvernement socialiste menaçaient de déclencher une explosion non seulement parmi les étudiants et les chômeurs mais aussi parmi les bataillons principaux de la classe ouvrière.
Le gouvernement grec conduit par le PASOK (parti social-démocrate) élu l’an dernier avait annoncé le 3 mars un nouveau plan d’austérité, le troisième en trois mois.
Le précédent mouvement de grève générale le 24 février avait été largement suivi et une grève des fonctionnaires du gouvernement avait rassemblé autour de 40 000 manifestants, principalement dans le secteur public. Un grand nombre de retraités et de fonctionnaires avaient également manifesté le 3 mars dans le centre-ville d’Athènes.
Les événements qui ont suivi l’annonce des nouvelles attaques début mars ont montré encore plus clairement que le prolétariat était mobilisé : “Quelques heures seulement après l’annonce des nouvelles mesures, des travailleurs licenciés de l’Olympic Airways ont attaqué les brigades de la police anti-émeute gardant le siège de la compagnie et ont occupé le bâtiment, dans ce qu’ils appellent une occupation à durée indéterminée. L’action a conduit à la fermeture de la principale rue commerciale d’Athènes, pour de longues heures.” (blog sur libcom.org)
Dans les jours précédant la nouvelle grève générale du 11 mars, se produisirent une série de grèves et d’occupations : les travailleurs licenciés d’Olympic Airways ont occupé pendant 8 jours le siège de la Cour des Comptes tandis que les salariés de la compagnie d’électricité occupaient les agences pour l’emploi au nom du « droit des futurs chômeurs que nous sommes » selon l’un d’eux. Les ouvriers de l’Imprimerie nationale ont occupé leur lieu de travail et ont refusé d’imprimer les textes légaux des mesures d’économie au motif qu’avant que la loi ne soit imprimée, elle n’est pas valide... Les agents du fisc ont arrêté le travail pendant 48h, les salariés des auto-écoles dans le Nord de la Grèce ont effectué 3 jours de grève, alors que les juges et autres officiers de justice stoppaient toute activité pendant 4 h chaque jour. Aucune ordure n’a été ramassée pendant plusieurs jours à Athènes, à Patras et à Thessalonique car les éboueurs ont bloqué le les grands dépôts des trois grandes villes. Dans la ville de Komitini, les ouvriers du l’entreprise textile ENKLO ont mené un conflit social de plus en plus intense, avec des marches de protestation et des grèves : deux banques ont été occupés par les travailleurs.
Le climat de peur et de passivité qui tend à régner lorsque la crise économique a pris une tournure dramatique en 2008 commence à être remplacé par de l’indignation, et les travailleurs se demandent ouvertement : pourquoi devrions-nous payer pour la crise du capitalisme ? Le danger pour la bourgeoisie était que si cette combativité actuelle se poursuivait, les travailleurs risquaient de commencer à voir au-delà de ces “actions radicales” et de prendre leurs luttes en mains au-delà contrôles imposés par l’appareil syndical, en adoptant le modèle des “assemblées générales “ ouvertes et souveraines qui avait commencé à prendre forme en décembre 2008.
La bourgeoisie a pris les devants pour obscurcir cet enjeu et gommer cette expérience en détournant la colère et la combativité vers des impasses politiques et idéologiques en ne reprenant que les aspects les plus négatifs et superficiels des luttes de fin 2008 pour entraîner les ouvriers dans des actions faussement radicales qui ont évacué toutes les potentialités de prise en mains de la lutte et de solidarité ouvrières
Si la classe ouvrière se trouve beaucoup plus largement mobilisée que dans les luttes de novembre-décembre 2008, elle a reculé au profit de la bourgeoisie et de ses appareils d’encadrement idéologiques.
Le contrôle des partis et des syndicats a permis de détourner la colère dans des impasses et surtout de priver les ouvriers des assemblées générales ouvertes et le l’auto-organisation de la lutte qui faisaient la force du mouvement prolétarien de fin 2008. Ainsi les salariés d’Olympic Airways ne laissèrent entrer personne d’autre dans le bâtiment public qu’ils occupaient et les dirigeants syndicaux la firent évacuer sans la moindre décision d’une AG Quand d’autres ouvriers voulurent se rendre dans les locaux du Trésor public occupés par ceux de l’Imprimerie Nationale, ils furent sèchement refoulés sous prétexte “qu’ils n’appartenaient pas au ministère” !
La profonde colère des ouvriers en Grèce s’est exprimée contre le PASOK et les dirigeants syndicaux qui lui étaient inféodés. Le 5 mars, le leader de la GSEE, centrale syndicale du secteur privé, a été frappé à coups de poing après avoir été aspergé d’eau, de café et de yaourt alors qu’il tentait de prendre la parole devant la foule et a dû être secouru par la police anti-émeute et se réfugier dans le bâtiment du Parlement, sous les huées de la foule l’invitant ironiquement à aller où il est à sa place : dans le nid des voleurs, des assassins et des menteurs. C’’était la première fois qu’un leader syndical était attaqué lors d’une manif, à laquelle ce même syndicat avait appelé, et ce fait marque assurément le début d’une nouvelle ère dans l’histoire des syndicats en Grèce.
Mais la mise en avant du PC grec (KKE) et de son officine syndicale, le PAME est présentée comme une alternative “radicale” au PASOK tout en surfant sur une campagne pour focaliser la responsabilité de la crise sur les banquiers ou sur méfaits de l’économie “néo-libérale”.
En novembre-décembre 2008, le mouvement avait été largement spontané et souvent auto-organisé autour d’assemblées générales dans les écoles occupées et les universités. Le siège du Parti communiste (KKE), comme le siège de sa confédération syndicale du PAME avait été lui-même occupé, exprimant une claire méfiance envers les appareils syndicaux et les staliniens qui avaient dénoncé les jeunes manifestants à la fois comme des lumpen-prolétaires et des enfants gâtés de la bourgeoisie.
Mais aujourd’hui, le PC grec a montré qu’il est encore un instrument essentiel de la domination bourgeoise en se plaçant à l’avant-garde des grèves, manifestations et occupations les plus radicales aux côtés des gauchistes et des anarchistes. “Le matin du 5 mars, les travailleurs du PAME syndicat affilié au Parti communiste occupait le ministère des finances sur la place Syntagma ainsi que la mairie du district de Trikala. Plus tard, PAME a fait également occuper 4 émetteurs de TV dans la ville de Patra, et la station de télévision de l’Etat de Thessalonique, obligeant les radiodiffuseurs nouvelles à lire une déclaration contre les mesures gouvernementales.” d’après libcom.org: https://libcom.org/news/mass-strikes-greece-response-new-measures-04032010 [63]).
Beaucoup de grèves furent également prises à l’initiative du PC qui avait appelé dès le 3 mars à une « grève générale » et à une manifestation pour le 5, et dès le 4 dans d’autres villes. Le PAME intensifia ses actions spectaculaires, occupant tantôt le ministère des finances, tantôt investissant les locaux de la Bourse. Le PC grec et ses syndicats ont pu se présenter comme les grands instigateurs du mouvement.
Les plus récentes manifestations, notamment les 5 et 11 mars, ont été marquées par le fait que la bourgeoisie a favorisé le défoulement de la colère dans des affrontements stériles et sans perspective avec la police.
Mais ce brouillard idéologique est amené à se dissiper face à la réalité. Le 11 mars, toute la Grèce a été paralysée à 90% par le mouvement de colère de la population pour 24 h suite au second appel à la grève générale en moins d’un mois à l’appel des deux principaux syndicats. Au total, plus de 3 millions de personnes (sur une population totale de 11 millions) ont pris part à la grève générale En dépit de la campagne anti-grèves menée par les médias bourgeois, la manifestation du 11 mars a été la plus massivement suivie à Athènes depuis 15 ans et a montré la détermination de la classe ouvrière à riposter à l’offensive capitaliste
La crise est évidemment mondiale et partout les dirigeants appellent aux mêmes sacrifices pour sauver leur système moribond. En développant leur résistance à ces appels, les travailleurs dans tous les pays sont appelés à reconnaître leurs intérêts communs dans le conflit qui a commencé à s’exprimer massivement en Grèce.
W (27mars)
Des milliers de manifestants (3000 selon la police, 5000 selon les organisateurs) se sont rassemblés samedi 20 mars dans une cinquantaine de villes de Russie à l’appel de l’opposition, pour protester contre la politique économique du gouvernement de Vladimir Poutine et réclamer sa démission. Organisé par une kyrielle de partis politiques, de mouvements d’opposants et d’organisations de défense des droits de l’homme, encadré par le Parti communiste, le parti libéral « réformateur » Iabloko et le mouvement d’opposition Solidarnost, ce “jour de colère”, comme l’a baptisé l’opposition, a rassemblé notamment 1000 personnes à Saint-Pétersbourg, 1500 à Vladivostok, plusieurs milliers dans l’enclave de Kaliningrad. De nombreux participants demandaient la démission du gouvernement de Vladimir Poutine et voulaient que ce dernier soit reconnu coupable d’avoir fait considérablement baisser le niveau de vie. Le coup d’envoi de cette journée de protestation avait été donné en Extrême Orient, à Vladivostok, où plus de mille manifestants se sont réunis dans le centre-ville. Moscou, la manifestation, interdite, a quand même rassemblé 200 personnes dont 70 ont été interpelées par la police. Des manifestants ont aussi été interpellés dans les villes d’Arkhangelsk (Nord) et de Novossibirsk (Sibérie), selon le site du mouvement d’opposition Solidarité. Il y a eu également entre 500 et 700 personnes rassemblées pour une manifestation silencieuse à Kaliningrad, des masques chirurgicaux sur le visage, bien que les leaders de l’opposition aient un peu plus tôt décidé d’annuler le rassemblement et que la manifestation avait également été interdite. C’est d’ailleurs dans cette enclave au bord de la mer Baltique que les autorités russes s’étaient laissées surprendre en janvier par un mouvement similaire qui avait vu 10 000 personnes manifester, alors qu’une telle mobilisation est exceptionnelle en Russie.
La plupart des manifestants protestaient contre les difficultés de la vie quotidienne. La montée en flèche des prix et des factures depuis le Nouvel An a conduit les gens à sortir dans la rue et à braver la répression policière.
Les protestataires ont dressé une liste de revendications variées :
- la baisse des prix de l’électricité et du gaz qui ont grimpé en flèche alors que des milliards d’euros ont été débloqués pour soutenir l’industrie russe et ses patrons, touchés de plein fouet par la crise ;
- “Je suis venu car je suis inquiet. J’ai une petite retraite et je dois vivre avec”, a expliqué Ivan, 72 ans, un retraité qui faisait partie des mille personnes à manifester à Saint-Pétersbourg ;
- A Irkoutsk, ils étaient aussi un demi-millier à protester contre la décision approuvée par Vladimir Poutine de rouvrir une usine de fabrication de papier qui déversera ses déchets dans le lac Baïkal, plus grande réserve d’eau douce du monde ;
- A Vladivostock, outre des impôts trop élevés, c’est sur les taxes sur les voitures d’occasion étrangères que portaient les protestations. Ces taxes ont été augmentées en 2008 pour favoriser les constructeurs russes. Cette mesure inquiète les quelques 200 000 personnes de la région qui travaillent dans l’importation, la vente et la maintenance des modèles étrangers.
Les protestataires y brandissaient des pancartes proclamant “Non aux impôts !” ou “Assez de la protection accordée aux oligarques aux dépens du peuple !”.
Une banderole clamant “Poutine, tire-toi une balle dans la tête !” a dû être retirée à la demande d’un responsable local.
Les manifestants ont aussi demandé que le parti “Russie unie”, présidée par le Premier ministre, soit reconnu coupable d’avoir fait baisser le niveau de vie et d’avoir écarté le peuple des décisions sur l’avenir du pays.
“On ne peut pas respirer sous Poutine, rien ne marche, ni les médias, ni l’économie, ni la police.
Le pays se décompose”, a résumé une retraitée qui manifestait à Moscou.
La classe ouvrière en Russie, en se focalisant sur la personne réellement détestable de Poutine et en espérant trouver une alternative à travers l’autre fraction bourgeoise russe nommée “opposition”, témoigne de ses illusions démocratiques. Mais, en osant manifester, sous la menace de la répression, qui peut être sanglante, ces ouvriers révèle aussi et surtout l’ampleur de leur colère et de leur courage. Il s’agit d’un premier pas pour briser le carcan de fer qui les oppresse.
Le début du nouveau trimestre scolaire (4 mars) a été marqué, dans les universités en Californie et ailleurs aux Etats Unis, par une vague de protestations de la part des étudiants, des enseignants et des employés du secteur de l’éducation. En réalité, le mouvement avait déjà commencé l’année dernière à partir de septembre avec une série d’occupations des locaux sur les campus pour protester contre les plans d’austérité du gouvernement californien : ceux-ci prévoient des coupes de 1 milliard de dollars dans le financement du système universitaire (une réduction de 20% des subventions accordées par l’Etat californien par rapport à l’année dernière), ce à quoi les universités ont répondu par des augmentations des frais de scolarité de 32% et des réductions de salaire parmi le corps enseignant. Pour beaucoup d’étudiants, qui doivent cumuler plusieurs emplois pour financer leurs études et qui les terminent avec un fardeau écrasant de dettes pour pouvoir les rembourser, ces augmentations ont été la goutte d’eau qui a fait déborder la vase. De septembre à décembre des occupations, généralement très minoritaires, ont eu lieu à UCLA (Los Angeles), Berkeley (où plus de 2000 étudiants ont occupé le bâtiment principal, Wheeler Hall, pour exiger la suppression de la hausse de 32%, la réintégration de 38 gardiens congédiés, la démission du président de l’Université et qu’il n’y ait aucune sanction judiciaire, lorsque l’occupation aurait pris fin), Santa Cruz, Fresno et San Francisco State. Parti de la Californie, le mouvement a fait tâche d’huile en mars. Des manifestations ont eu lieu à travers une grande partie des Etats Unis : à Milwaukee, à Denver, à New York, dans le Maryland. A Chicago, des lycéens sont allés manifester devant le parlement de l’Etat d’Illinois. La Californie a également vu des manifestations d’enseignants des écoles publiques contre les licenciements imposés par le plan d’austérité.
Des milliers d’entreprises réalisent des profits annuels astronomiques, sur le dos de quatorze millions d’ouvriers qui travaillent nuit et jour, sans durée légale du travail, sans la moindre protection sociale, sans salaire minimum, dans des conditions aussi terribles qu’à l’aube du capitalisme. La police a attaqué le 27 février dernier un groupe de 150 travailleurs émigrés chinois de l’entreprise d’État China State Construction Engineering Corporation, en grève sauvage depuis la veille, qui avaient séquestré neuf de leurs cadres et contremaîtres pendant plusieurs heures près d’un site de construction à Zallaq, à 25 km au sud de la capitale Manama. Les grévistes protestaient contre les conditions de travail inhumaines, réclamaient des hausses de salaires dérisoires et le rapatriement en Chine des cadres séquestrés. Après six heures de négociations avec un diplomate chinois et le ministre de l’Intérieur de Bahreïn et un siège qui a duré plusieurs heures, ArabNews.com a annoncé que la police a fini par lancer l’assaut et a dévasté le baraquement leur servant de logement, libérant les cadres séquestrés tout en arrêtant 26 ouvriers, notamment ceux considérés comme les “meneurs”.
Malgré tous les efforts des syndicats comme de l’ensemble de la bourgeoisie pour les empêcher depuis la fin de l’année dernière, des grèves perlées ont commencé chez les hôtesses de l’air et les stewards de la compagnie British Airways contre les réductions d’effectifs (BA veut réduire le nombre de personnel à bord de tous les vols à long courrier). Plusieurs milliers d’entre eux étaient en grève le week-end du 20 mars. Quant au syndicat des cheminots RMT, il a été contraint sous la pression de la colère grandissante d’annoncer une grève nationale de quatre jours pour le week-end de Pâques – la première depuis 16 ans – contre un plan qui prévoit la suppression de 1500 postes chez Network Rail (le gestionnaire des voies ferrées).
1.) Lire notamment les articles suivants sur notre site Web : fr.internationalism.org :
-sur la lutte des ouvriers du bâtiment dans les raffineries de Lindsey : “Grèves en Angleterre : Les ouvriers du bâtiment au centre de la lutte [64]“ (publié également dans RI n°403, juillet-août 2009) ;
-sur la Turquie : “Solidarité avec la résistance des ouvriers de Tekel contre le gouvernement et les syndicats ! [57]“ ;
- sur l’Espagne : “A Vigo, l’action conjointe des chômeurs et des ouvriers des chantiers navals [65]” (publié dans RI n° 410, mars 2010).
2.) Lire l’article “En Algérie, le prolétariat exprime sa colère [66]”, RI n°409, février 2010.
Les dernières élections qui viennent de se dérouler en France ont été marquées, une fois de plus, par une abstention massive (53% des inscrits1 au premier tour, 49% au second tour). Ce record relève sans aucun doute de l’intérêt limité que les élections régionales représentent chez les électeurs potentiels2. Mais il n’y a pas que cela. Il existe de façon évidente une tendance grandissante à l’indifférence de la population pour le processus électoral. L’alternance gauche-droite a l’avantage pour la bourgeoisie de simuler un enjeu pour les échéances électorales, mais elle a aussi l’inconvénient de montrer, sur le terrain, que droite et gauche gèrent peu ou prou les affaires de la même façon. De fait, depuis trente ans que la gauche et la droite se succèdent au pouvoir ou y cohabitent dans un sens et dans l’autre, la condition ouvrière n’a fait que se dégrader toujours plus.
Il n’y a pas que la France qui subit cette érosion de la participation aux élections. Toutes les grandes démocraties du monde sont touchées. Il s’agit d’une réelle tendance historique. Quand les partis de gouvernement se décrédibilisent, il lui faut trouver le moyen de cultiver un certain attrait envers les élections. C’est donc afin d’essayer d’envoyer un maximum de gens dans les isoloirs que la gauche et les gauchistes, de concert avec le FN, ont entretenu l’idée centrale que l’enjeu de ces dernières élections régionales étaient d’adresser un “message fort” à Sarkozy. On a vu le résultat. Même la cible privilégiée des officines de gauche et d’extrême-gauche, les “classes populaires” et les “jeunes “se détournent le plus des urnes. Ces deux dimanches de mars, l’abstention moyenne dans les quartiers ouvriers a atteint les 70%, tandis que les trois-quarts des moins de 35 ans étaient “partis à la pêche”, selon l’expression consacrée, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas allés voter3. Le fait est que cette chute constante de la participation tient d’un phénomène de fond et est liée au sentiment, manifestement de plus en plus répandu, que les élections ne changent rien. Et il n’a pu être qu’avivé par la situation d’attaques et de tension sociale ouverte au sein de la classe ouvrière qui a prévalu toute la période d’avant et pendant ces élections.
Cet abstentionnisme est le produit d’un écoeurement généralisé envers les “politiques”, de droite comme de gauche, qui exhibent leurs magouilles, leur volonté d’aller à la soupe sans respect pour qui que ce soit et quoi que ce soit, etc., mais il est en même temps l’occasion de la part de ces mêmes politiques, quelle que soit leur couleur, pour culpabiliser la population et surtout la classe ouvrière. Cette pression récurrente et ce discours sont toujours aussi forts sur ceux qui font le choix de ne pas participer au cirque électoral. Combien s’entendent dire qu’ils n’ont pas le droit de critiquer, puisqu’ils ne sont pas allés voter ? Combien se voient montrer du doigt parce que si le Front national fait de si bons résultats, si le « danger fasciste » nous guette, c’est à cause d’eux ? Combien encore, lorsqu’ils se plaignent des attaques du gouvernement, s’entendent répondre : « La prochaine fois, va voter contre eux ! »
L’idéologie démocratique reste encore aujourd’hui extrêmement forte, et ne subit pas la même érosion que la participation électorale. Son message est simple, mais encore efficace : “On a le droit de ne plus croire en la politique, mais on n’a pas le droit de bafouer un droit fondamental, le droit de vote, qui symbolise le mieux le fait qu’on vit dans un pays où on peut encore s’exprimer librement ; il faut continuer malgré tout à aller voter pour défendre cette fragile liberté d’expression”. C’est ainsi que bon nombre d’abstentionnistes n’en sont pas encore à remettre en cause l’élection en tant que telle, mais simplement ceux qui s’y présentent. C’est d’ailleurs pour cela que la bourgeoisie modifie régulièrement les formules de ses élections, en ajoutant un peu de proportionnelle par exemple, ce qui permet l’apparition de nouvelles formations, moins marquées par une participation à des gouvernements passés. Si pour le moment, ces tentatives n’ont pas permis d’inverser la tendance à une chute de la participation, elles permettent de maintenir vivante l’idée que le principe électoral n’est pas mort et qu’il est même, malgré toutes ses faiblesses, le meilleur reflet des positions politiques de la population.
En étant promue emblème officiel de la démocratie, l’élection reste une arme centrale de l’emprise idéologique de la bourgeoisie, même sur les abstentionnistes. Au-delà de sa compréhension croissante de la futilité et de la stérilité du processus électoral, la classe ouvrière doit prendre conscience que c’est avant tout la question de la démocratie bourgeoise qui constitue un obstacle de premier ordre contre la pleine expression de sa force politique révolutionnaire.
GD (24 mars)
1) L’INSEE évalue à 90% les personnes en capacité de voter qui se sont inscrites sur les listes électorales.
2) Il relève aussi du retour de la droite française à son statut, qu’on nous annonçait un temps perdu avec l’arrivée de Nicolas Sarkozy, de “droite la plus bête du monde”. Il est clair que la stratégie de la droite pour ces élections, celle des listes uniques (et donc sans réserve de voix) a été désastreuse et n’a pas permis une forte mobilisation de ce camp. Ce qui a été évidemment renforcé par l’abstention maintenue d’un tour à l’autre. La défaite de la droite est une vraie claque, qui va affaiblir l’autorité de l’Elysée et de Matignon. La bourgeoisie va devoir, face à la colère croissante de la classe ouvrière, compenser en mettant plus en avant ses syndicats et la gauche. Une gauche du coup bien embarrassée face à de telles responsabilités, engluée qu’elle est dans ses divisions et ses guerres de clans.
3) Source streetpress.com et lefigaro.fr
Fin février, la tempête qui a déferlé sur la Vendée et la Charente Maritime a fait 51 morts. La brutalité des inondations a été telle que de nombreuses personnes sont mortes noyées dans leur maison. Deux mois après le séisme en Haïti, au moment même où des centaines de gens mouraient au Chili, ce sont une fois de plus les « éléments naturels » qui étaient désignés comme les grands fautifs. Certains médias comme Libération dans son éditorial du 1er mars regrettait amèrement que, sur les côtes de l’Atlantique, “on” n’avait “manifestement pas assez mesuré la dureté de la mer”, mais que, heureusement, la population bénéficie “d’un Etat stable et compétent, qui prévient les aberrations architecturales”. C’est vraiment le moins qu’on puisse dire. Les territoires comme celui de la commune de La Faute-sur-Mer, qui a payé le plus lourd tribut en victimes, étaient interdits de construction depuis Napoléon, et pourtant de déréglementation en déréglementation, accordées par les pouvoirs publics régionaux et nationaux, les habitations ont poussé, comme des champignons, sachant que les digues, certaines vieilles de 200 ans (!), étaient insuffisantes et mal entretenues.
Dans une note datée d’octobre 2008, l’ancien chef du Service maritime et des risques de la Direction départementale de l’équipement (DDE), Stéphane Raison, rappelait que “sur le secteur littoral, la zone de l’estuaire du Lay (où se trouvent précisément les communes de La Faute-sur-Mer et de L’Aiguillon-sur-Mer, les plus frappées par la tempête) est la zone la plus dangereuse du département, le Lay étant un cours d’eau majeur drainant une surface représentant la moitié du département de la Vendée, exposée à des phénomènes marins extrêmes, amplifiés par l’effet de baie dans la baie de l’Aiguillon”. Il précise que “la commune de La Faute-sur-Mer (…) a été construite sur de vastes espaces gagnés sur la mer, ne tenant pas compte de la mémoire du risque (…). Plus de trois mille maisons sont construites derrière des digues en terre”.
Depuis 1986 existe la loi littoral, suite à la première inondation dans la région de Vaison-la-Romaine, les premiers « plans de prévention des risques » n’apparaissant qu’en 1995 après la deuxième catastrophe de Vaison-la-Romaine de septembre 1992. Et ce n’est pas le complément à cette loi littoral amené par la loi Bachelot en 2003, pour répondre à la tempête de 1999, qui aura fait changer quoi que ce soit. Au contraire, car la seule loi que connaissent l’Etat et la bourgeoisie, de droite comme de gauche, c’est celle du profit, avec tous les risques que cela comporte, et dont ils se contrefichent.
Exemple édifiant, Sarkozy s’est violemment insurgé contre ces inondations de 2010 et a demandé de nouveaux rapports, alors que, depuis 2005, plus de 16 digues en Vendée ont déjà été inspectées par les spécialistes, rapports dont aussi bien les politiques locaux que l’Etat n’ont tenu aucun compte. Rappelons que le même, le 20 avril 2009, à la Cité de l’architecture et du patrimoine, dans un discours sur le Grand Paris, expliquait qu’en matière d’urbanisme, “le problème c’est la réglementation”. Le chef de l’Etat, fin connaisseur car ancien avocat spécialisé en droit immobilier, expliquait ainsi : “Pour libérer l’offre il faut déréglementer, élever les coefficients d’occupation des sols et rétablir la continuité du bâti dans les zones denses, […] rendre constructible les zones inondables pour des bâtiments adaptés à l’environnement et au risque...”.
C’est de la prévention des risques… de ne pas faire assez de profit qu’il s’agit !
Wilma (26 mars)
Courant février, un “collectif de citoyens”, nommé “24h sans nous” et créé il y a six mois, appelait à “une journée sans les immigrés” le 1er mars, exhortant ces derniers à “agir” “en cessant de consommer et/ou de travailler”. Le but de cette “journée historique” était “la mise en valeur de l’apport de chacun d’entre nous [immigrés] à la prospérité générale”. Sur le forum de notre site en français, deux camarades ont publié une prise de position dénonçant cette mascarade de lutte qui provoque division et confusion dans la classe ouvrière, “française” ou “immigrée”. Au final, cette «journée sans nous» n’aura rassemblé que 7000 personnes dans tout l’hexagone, signe que la mystification aura eu globalement peu de prise, à l’heure où de plus en plus d’ouvriers, immigrés ou pas, se voient imposer des “journées sans travail” et des mois, des années au chômage.
Cependant, il était juste et nécessaire de faire cette mise au point que nous partageons entièrement et qui se place d’un véritable point de vue de classe.
Un groupe de personnes autoproclamées a décidé de faire de la journée du premier mars, un jour durant lequel les immigrés et leurs descendants cesseront toute activité (consommation, vente, travail, aller à l’école…) afin de montrer l’importance du travail des immigrants pour l’économie de l’Hexagone.
En lisant bien leur manifeste, on peut en tirer 4 idées essentielles :
1 – C’est un appel à tous les immigrés quel que soit leur statut : patrons ou travailleurs.
2- C’est un appel qui glorifie l’exploitation, et qui ne fait, à aucun moment, allusion aux dures conditions de travail et aux salaires de misères perçus par les immigrés.
3- C’est un appel qui emprisonne les immigrés dans la seule lutte anti-raciste, les rejetant ainsi de tout apport aux vrais débat d’avenir.
4- Aucune allusion aux sans-papier.
Pourquoi les immigrés ne doivent-ils pas participer à cette journée de mascarade ?
Les raisons sont multiples et aucun rapport ne peut les contenir étant donné les contradictions et les amalgames que comporte une telle action.
D’abord, les intérêts des immigrés sont différents selon le statut social qu’ils occupent, c’est pour dire que nous refusons l’alliance entre classe dominante et classe dominée. C’est affirmer que nous refusons la collaboration de classes, c’est pour dire aussi que nous refusons d’être assimiler à ces comiques d’Etat tels Djamal Debouz ou à ces pseudo-représentants de l’immigration telle Fadela Amara. Participer à cette journée, c’est accepter la surexploitation des travailleurs immigrées, avec ou sans papiers, par les patrons immigrés. Nous vous informons qu’un travailleur immigré, qui travaille chez un restaurateur, un vendeur de kebab ou un vendeur de pizza immigré, touche 20 euros pour 16 heures de travail (de 9 heures du matin jusqu’à 1 heure du matin). Un travailleur immigré qui travaille, de 9 heures du matin jusqu’à 22 heures le soir et sept jours sur sept, chez un patron immigré dans un taxiphone touche 450 euros par mois. Un travailleur immigré qui travaille, de 6 heures du matin jusqu’à 20 heures le soir, chez un patron immigré dans le bâtiment touche 60 euros tous les trois jours, de plus ils ne sont même pas déclarés et donc ne bénéficient même pas des avantages reconnus aux salariés par le code du travail (couverture maladie, cotisation retraite, congés payés…). La liste est longue.
Nous devons boycotter ce mouvement afin d’affirmer que nos intérêts sont liés à ceux des travailleurs ‘français’ et non à ceux des patrons immigrés. Que les travailleurs français sont nos frères mais les patrons étrangers sont nos ennemis au même titre que les patrons français. Pour réaffirmer enfin que les prolétaires n’ont pas de patrie.
On peut lire aussi dans le manifeste ceci : “montrer l’importance du travail des immigrants pour l’économie de l’Hexagone.” Voici un groupe de personne stupides (ou escrocs politiques) qui glorifie l’exploitation au lieu de la condamner. Le but recherché est obscur au même titre que l’interlocuteur à qui s’adresse cette action (patronat, Etat, français de base ?). En effet, aucune allusion n’est faite sur les véritables problèmes des immigrés, à savoir ; les salaires minables perçus, les retraites de misère (pour exemple un retraité algérien ayant travaillé 15 ans en France dans le bâtiment touche 100 euros de retraite, de quoi s’acheter une corde pour se pendre).
Boycotter ce mouvement, c’est dire également que nous refusons d’être enfermés dans des débats stériles tels que le racisme et la religion, que les travailleurs immigrés peuvent mener d’autres combats comme participer aux débats sur les questions fondamentales que l’humanité se pose, qu’ils sont parfaitement conscients de la faillite de ce système capitaliste et qu’ils peuvent mener un combat anti-capitaliste sur le terrain de la lutte de classe.
Comme vous pouvez le constater dans le manifeste, aucune allusion aux travailleurs sans-papier, ils n’ont manifesté aucune solidarité avec ces derniers. Mais on les comprend parfaitement, ces personnes autoproclamées cherchent une place au soleil dans le paysage politique français (à l’instar de Fadela Amara, de Rachida Dati, Karim Zeribi…), laissons le temps au temps pour nous apporter la preuve irréfutable.
Selon la mécanique quantique, si on se place au niveau nucléaire c’est-à-dire à l’échelle des particules élémentaires, un caillou et un papillon sont rigoureusement identiques. Cependant, au niveau des macromolécules, le papillon semble infiniment plus structuré et plus ordonné que le caillou. Cet exemple nous permet de saisir la seule différence entre l’inerte et le vivant : l’un est tout simplement plus riche en information que l’autre. Dés lors, nous laissons vos neurones chercher lequel du manifeste de la journée des immigrés ou de la critique présentée ici est le papillon et lequel représente le caillou.
L M / H H
Fin mars, la bourgeoisie américaine a finalement adopté la réforme du système de santé qui était au cœur des promesses du candidat Obama. Celui-ci n’a pas hésité à qualifier l’adoption de ce plan de réforme sociale d’équivalent au New Deal de Roosevelt dans les années 1930. Derrière cette “victoire personnelle”, il jouait en effet son crédit politique, déjà fort entamé par ses menées guerrières en Afghanistan, résolument à l’opposé de l’image qu’il voulait donner d’être un “homme de paix”. Pour la classe ouvrière, derrière ces beaux discours “d’accès à la santé pour tous” se cache en réalité une attaque brutale des conditions de vie et de soin comme le montrent les extraits publiés ci-dessous de l’article réalisé par Internationalism, section du CCI aux Etats-Unis.
Il y a, en réalité, deux versions de la crise du système de santé aux Etats-Unis : une pour la classe ouvrière et une autre pour la classe dominante. Pour la classe ouvrière, les attaques contre l’assurance maladie ont constitué un élément central dans pratiquement toutes les luttes sur le renouvellement des conventions collectives au cours de la dernière décennie. Par le passé, les grandes compagnies privées couvraient habituellement 100 % des cotisations d’assurance santé, mais le patronat a de plus en plus contraint les travailleurs à payer un pourcentage de ces coûts et, après avoir réussi à les faire payer, il a cherché, à l’occasion de chaque nouvelle convention, à augmenter cette part. En même temps, les ouvriers et leurs familles doivent faire face à la montée en flèche des frais médicaux ainsi qu’à une qualité de soins déclinante. De récentes décisions de justice permettent aux syndicats et aux compagnies d’écarter les retraités des systèmes d’assurance existants, les forçant ainsi à ne dépendre que de Medicare (système d’assurance maladie minimum pour les personnes âgées aux Etats-Unis) et à financer eux-mêmes la couverture des frais supplémentaires. Sans parler des quelque 50 millions de personnes qui n’ont aucune assurance pour les soins médicaux.
Pour la classe dominante, la crise du système de santé vient du fait que la classe dominante se trouve avec un système incroyablement inefficace et très coûteux qui affaiblit la compétitivité économique du capitalisme américain sur le marché mondial. Les coûts des assurances, les honoraires des médecins, les coûts dans les hôpitaux, les frais généraux et les dépenses administratives sont incontrôlables. Les Etats-Unis ont le système de santé le plus coûteux du monde ; les dépenses par tête se montent à plus du double de celles de la plupart des grandes nations industrialisées. Les dépenses de santé en pourcentage du PIB sont de 9,9% au Canada, 10,1 % en France et 8 % au Royaume Uni mais atteignent un 15,2% astronomique aux Etats-Unis. Et tout ce surplus de dépenses fournit une qualité de soins médicaux inférieure, qui fait que les Etats-Unis sont ridicules sur la scène internationale. Les résultats en termes de santé publique sont parmi les plus mauvais du monde industrialisé. En Australie, au Canada, en France, en Allemagne, au Japon, en Suède, et au Royaume Uni, l’espérance de vie est comprise entre 79,5 ans et 82,5 ans. Aux Etats-Unis, elle n’est que de 77 ans. Une étude de l’Organisation Mondiale de la Santé portant sur la qualité globale des systèmes de santé place les Etats-Unis au 37ème rang mondial, derrière la République dominicaine et le Costa Rica. “Les enfants nés aux Etats-Unis ont trois fois plus de chance de mourir dans leur premier mois que ceux nés au Japon et la mortalité des nouveaux nés est deux fois plus élevée aux Etats-Unis qu’en Finlande, en Islande ou en Norvège.”1
Avoir autant de gens sans assurance de santé nuit en plus à l’économie américaine, car les dépenses pour les soins d’urgence de ces patients sont couvertes par des fonds généraux provenant des impôts. Le besoin de «réformer» le système de santé et d’en contrôler les coûts croissants, en particulier avec la génération du «baby boom» qui arrive à la retraite, est considéré comme une nécessité politique urgente par les économistes et les politiciens de tout bord politique.
Pour la classe capitaliste, la réforme de la santé n’a pas pour but d’améliorer la santé des travailleurs mais de réduire les dépenses et d’améliorer sa compétitivité dans l’économie mondiale.
La loi ne va qu’aggraver la situation pour les travailleurs américains. Quel que soit le nombre de fois où l’administration Obama emploie le mot «réforme» dans sa propagande, cela ne peut masquer le fait que ce paquet de dispositions sur la santé est une attaque qui fait partie des mesures d’austérité prises contre la classe ouvrière. Certes, la propagande sur “l’assurance santé pour tous” a, pour la classe dominante, un pouvoir de mystification énorme. Pour ceux qui n’ont actuellement aucune assurance maladie, toute extension de la couverture santé peut sembler être mieux que rien, mais c’est une illusion. Pour la classe ouvrière dans son ensemble, ce qui se profile est une attaque contre l’assurance santé.
Bien sûr, plus de gens devraient être couverts par l’assurance santé, mais il y en aura toujours entre 26 et 32 millions sans assurance, selon la façon dont les dispositions prévues, par le Sénat ou par la Chambre, vont être intégrées dans la version finale de la loi. Dans tous les cas, ceux qui seront nouvellement couverts par l’assurance, seront forcés de la payer eux-mêmes. S’ils ne la paient pas, ils auront des amendes pouvant aller jusqu’à 2,5 % de leur revenu imposable. Certains ouvriers très mal payés pourront peut-être recevoir des subventions du gouvernement qui alimentera un fonds d’assurance, mais le financement de ce dernier sortira de la poche du reste de la classe ouvrière.
Les deux projets de financement, celui du Sénat et celui de la Chambre, proposent de réduire les aides Medicare et Medicaide, respectivement pour les retraités et les pauvres. Ce qui est prévu de plus onéreux, c’est une taxe spéciale (excise tax, sorte d’impôts indirects) sur les assurances santé appelées “Cadillac” - définies comme coûtant au moins 8500 $ par an et par personne ou 23 000 $ pour les familles- qui touchera environ 19 % des assurances santé existantes payées par les employeurs, y compris beaucoup de celles actuellement en vigueur pour les ouvriers des industries où les syndicats ont signé les conventions collectives. Cette proposition de taxe spéciale, indirecte, est soutenue par la Maison Blanche et les économistes. Elle sera prélevée auprès des compagnies d’assurance mais, par définition, sont coût sera répercuté sur les consommateurs, ce qui permettra aux compagnies d’assurance de récupérer leur argent. Les taxes indirectes sont généralement utilisées par l’Etat pour lutter contre certains comportements sociaux «indésirables» - comme les taxes sur l’alcool ou le tabac. Dans le cas qui nous intéresse, le «mal social» indésirable est ce que la bourgeoisie appelle les assurances santé «abusivement généreuses», que les économistes jugent trop coûteuses pour l’économie nationale. Cela va conduire soit à une brutale augmentation de la contribution des employés à l’assurance santé et des franchises, soit à une couverture santé sérieusement réduite. Comme l’a dit Beth Umland, directeur de la recherche sur la santé et les avantages de la compagnie consultante Mercer, “la majorité des employeurs réagira comme les politiciens l’espèrent, en réduisant les avantages”. Selon une récente étude des 465 plus grandes corporations, réalisée par les consultants de Mercer, 66 % des employeurs projettent de diminuer les remboursements ou d’augmenter les contributions des employés pour répondre à la législation, en supprimant les comptes flexibles de dépenses utilisés pour couvrir les frais médicaux non remboursés ou en supprimant la couverture pour les frais dentaires ou ophtalmologiques. Cela “tendrait à reporter plus de frais sur les travailleurs – mais pourrait aider à atteindre un des buts promus par les économistes et les politiciens qui soutiennent la taxe indirecte : diminuer les dépenses médicales”.
Si la réforme de la santé est de façon si évidente essentielle pour la bourgeoisie, comme le montre le fait que chaque candidat, démocrate ou républicain, aux primaires présidentielles de 2008 a fait des propositions pour réformer la politique de la santé, pourquoi les Républicains s’opposent-ils de façon si virulente à cette législation ? Pourquoi toutes ces déclarations ridicules sur le soi-disant «socialisme» d’Obama et ses «comités de la mort» ? Il y a plusieurs explications plausibles. La première, bien sûr, c’est la division politique du travail que la classe dominante utilise souvent pour renforcer les mystifications démocratiques, pour créer l’illusion d’un véritable débat politique. Avant l’élection du 19 janvier, avec 60 voix sous le contrôle des Démocrates, le passage de la réforme du système de santé, sous une forme ou une autre, était garanti et l’opposition républicaine ne menaçait en aucune manière de saper la mise en oeuvre de la rationalisation du système de santé nécessaire pour la bourgeoisie. Cependant, nous devons aussi reconnaître à cette opposition un aspect qui reflète l’impact de la décomposition sociale de la société capitaliste, affectant même les processus politiques au sein de la classe dominante. Ces dix dernières années, nous avons noté d’autres exemples des difficultés politiques de la bourgeoisie à agir de façon efficace et conforme à ses intérêts, comme dans le cas des élections ratées de 2000 et 2004, dans lesquelles la tendance au “chacun pour soi” a conduit les principaux partis politiques à rechercher leur avantage et la victoire électorale sans aucun souci de ce qu’étaient vraiment les meilleurs intérêts du capitalisme d’Etat américain. Dans ce contexte, sans aucun doute, le racisme qui imprègne l’extrême droite à l’égard du président afro-américain à la Maison Blanche, joue aussi un rôle. Ce racisme, profondément enraciné, anime les birthers (ceux pour qui on doit être né dans le pays) qui dénient la «légitimité» d’Obama parce qu’il n’est pas né aux Etats-Unis, ou ceux qui l’accusent d’être un «socialiste» ou un musulman caché. Même si Obama proposait que l’anniversaire de Ronald Reagan devienne une fête nationale, on peut imaginer que ces éléments dénonceraient la proposition comme étant un infâme complot socialo-islamique. Un autre aspect de cette décomposition peut se voir dans la résistance acharnée de l’industrie de l’assurance qui finance l’opposition de beaucoup de conservateurs de la Chambre et du Sénat. Nous y trouvons même les petites manœuvres ridicules des démocrates les plus conservateurs qui défendent des concessions spécifiques pour leur propre projet favori, ou pour leurs bailleurs de fonds. De telles difficultés à mettre en place une politique qui sert les intérêts vitaux du capitalisme américain ne sont pas des signes de bonne santé de la classe dominante.
Mais malgrè ces difficultés, la bourgeoisie est tout de même sur le point de “résoudre” sa crise du système de santé, d’imposer un changement qui ne sera pas une réforme, ni une extension de l’assurance maladie, ni une tentative d’améliorer la santé de la classe ouvrière, mais en fin de compte une mesure d’austérité supplémentaire prise contre la classe ouvrière dans son ensemble.
Jerry Grevin (23 janvier)
1) Selon l’ONG Save the Children, propos rapportés par CNN.
Nous avons reçu sur notre site en espagnol le 3 mars 2010, un comentaire relatif à la situation des habitants des quartiers ouvriers et populaires de l’agglomération de Concepción, à la suite du séisme de fin février. Contrairement à la propagande des médias à l’échelle internationale qui ont dénigré le comportement des populations locales en les désignant comme les auteurs de «scandaleux pillages», ce texte restitue la réalité des faits en mettant en avant l’esprit authentiquement prolétarien de solidarité et d’entraide qui a animé les ouvriers dans la redistribution des biens, tout en l’opposant à l’action prédatrice des gangs armés contre lesquels la population ouvrière a tenté de prendre en charge et d’organiser sa propre défense.
Il serait souhaitable que dans la mesure où vous [le CCI] avez ce moyen de diffusion [le site Internet], vous rendiez compte de ce qui est en train de se passer à Concepción et ses environs1, ainsi que dans d’autres régions du Chili qui viennent d’être lourdement touchées par le séisme. On sait que dès les premiers instants, les gens ont mis en pratique le bon sens le plus évident en se rendant aux magasins de denrées alimentaires pour y prendre tout ce dont ils avaient besoin. Ceci est si logique, si rationnel, si nécessaire et inévitable qu’il apparaît comme quelque peu absurde d’en faire la critique. Les gens ont créé une organisation spontanée (surtout à Concepción) pour distribuer le lait, les couches pour bébé et l’eau, en fonction des besoins de chacun, en tenant compte, entre autres, du nombre d’enfants par famille. Le besoin de prendre les produits disponibles apparaissait si évidente, et si puissante la détermination du peuple à mettre en pratique son droit à survivre, que même les policiers finirent par aider les gens à sortir les vivres du supermarché Leader à Concepción, par exemple. Et quand on a essayé d’empêcher que les gens fassent la seule chose raisonnable, les installations en question furent simplement incendiées, pour la simple et logique raison qui fait que si des tonnes de denrées alimentaires vont finir par pourrir au lieu d’être logiquement consommées, il vaut mieux que ces aliments soient brûlés, évitant ainsi le danger des foyers supplémentaires d’infection. Ces «pillage» ont permis à des milliers de personnes de subsister pendant quelque temps, dans le noir, sans eau potable et sans le moindre espoir qu’un quelconque secours arrive.
Or, au bout de quelques heures, la situation a changé du tout au tout. Sur toute l’agglomération du Grand Concepción des bandes bien armées et roulant dans des véhicules de bonne qualité, ont commencé à mettre à sac non seulement les petits commerces, mais aussi les logements particulières et des pâtées de maison entiers. Leur objectif est de s’accaparer le peu de biens que les gens auraient pu récupérer dans les supermarchés, ainsi que les outils domestiques, l’argent ou tout ce que ces bandes peuvent trouver. Dans certaines zones de Concepción, ces bandes ont saccagé les maisons, elles y ont mis le feu, prenant la fuite aussitôt après. Les habitants, qui se sont trouvés au début sans la moindre défense, ont commencé à s’organiser pour pourvoir se défendre, en faisant des rondes de surveillance, en levant des barricades pour protéger les accès aux quartiers, et dans quelques quartiers en mettant en commun les vivres pour assurer l’alimentation de tous les habitants. Avec ce bref rappel des faits survenus ces jours derniers, je ne prétends pas «compléter» les informations fournies par d’autres moyens. Je ne voudrais qu’attirer l’attention sur tout ce que cette situation critique contient d’un point de vue anticapitaliste. L’élan spontané des gens pour s’approprier de tout ce qui est nécessaire à leur subsistance, leur tendance au dialogue, au partage, à chercher des accords et à agir ensemble, a été présent depuis le début de cette catastrophe. Nous avons tous pu voir dans notre entourage cette tendance communautaire naturelle sous différentes formes. Au milieu de l’horreur vécu par des milliers de travailleurs et leurs familles, cet élan pour la vie en commun a surgi comme une lueur d’espoir au milieu des ténèbres, nous rappelant qu’il n’est jamais trop tard pour redevenir nous mêmes.
Face à cette tendance organique, naturelle, communiste, qui a animé le peuple pendant ces heures d’épouvante, l’État a blêmi et s’est montré pour ce qu’il est : un monstre froid et impuissant. De même, l’interruption brutale du cycle démentiel de production et de consommation, a laissé le patronat à la merci des événements, à attendre, tapi, que l’ordre soit rétabli. C’est ainsi que la situation a ouvert une vraie brèche dans la société, par laquelle pourraient sourdre les sources d’un monde nouveau qui est déjà dans les cœurs des gens du commun. Il devenait donc urgent et nécessaire de rétablir à tout prix le vieil ordre de la rapine, de l’abus et de l’accaparement. Mais ça a été fait non pas à partir des hautes sphères, mais à partir du sol même de la société de classe : ceux qui se sont chargés de remettre les choses à leur place, autrement dit, d’imposer par la force les rapports de terreur qui permettent l’existence de l’appropriation privée capitaliste, ont été les mafias des narcotrafiquants enkystées dans les quartiers populaires, des arrivistes entre les plus arrivistes, des enfants de la classe ouvrière alliés avec des bourgeois au prix de l’empoisonnement de leurs frères, du commerce sexuel de leurs sœurs, de l’avidité consommatrice de leurs propres enfants. Des maffieux, autrement dit des capitalistes à l’état pur, des prédateurs du peuple, bien calés dans leurs 4x4 et armés de fusils, disposés à intimider et à dépouiller leurs propres voisins ou les habitants d’autres quartiers pour essayer de monopoliser le marché noir et obtenir de l’argent facile, autrement dit : du pouvoir. Le fait que ces individus sont des alliés naturels de l’État et de la classe patronale, est démontré par le fait que leurs méfaits indignes sont utilisées par les media pour faire pénétrer la panique dans les têtes d’une population déjà démoralisée, justifiant ainsi la militarisation du pays. Quel autre scénario pourrait être plus propice à nos maîtres politiques et patronaux, qui ne voient dans cette crise catastrophique rien d’autre qu’une bonne occasion de faire de juteuses affaires et des profits redoublés en pressant une force de travail dominée par la peur et le désespoir ?
De la part des adversaires de cet ordre social, c’est un non-sens que de chanter de louanges aux pillages sans préciser le contenu social de telles actions. Ce n’est pas du tout la même chose une masse de gens plus ou moins organisée, mais du moins avec un objectif commun, qui prend et distribue des produits de première nécessité pour survivre... et des bandes armées qui dévalisent la population pour s’enrichir. Le séisme de samedi 27 n’a pas seulement frappé très durement la classe ouvrière et a détruit les infrastructures existantes. Mais il a aussi sérieusement bouleversé les rapports sociaux dans ce pays. En quelques heures, la lutte de classe a surgi avec toute sa force devant nos yeux, trop habitués peut-être aux images de la télévision pour pouvoir bien saisir l’essentiel des événements. La lutte de classe est ici, dans nos quartiers devenus des ruines dans la pénombre, crépitant et crissant sous nos pas, sur le sol même de la société, où s’affrontent dans un choc mortel deux types d’êtres humains qui se retrouvent enfin face à face : d’un coté, les femmes et les hommes à l’esprit collectif qui se cherchent pour s’entraider et partager ; de l’autre les antisociaux qui les pillent et leur tirent dessus pour ainsi commencer leur propre accumulation primitive de capital. Ici, c’est nous, les êtres invisibles et anonymes de toujours, pris dans nos vies d’exploités, de nos voisins et de nos parents, mais disposés à établir des liens avec tous ceux qui partagent la même dépossession. Là bas, c’est eux, peu nombreux mais disposés à nous dépouiller par la force le peu ou le presque rien que nous pouvons nous partager. D’un coté le prolétariat, de l’autre, le capital. C’est aussi simple. Dans beaucoup de quartiers de ce territoire dévasté, à ces heures-ci du petit matin, les gens commencent à organiser leur défense face à ces hordes armées. À cette heure a commencé à prendre une forme matérielle la conscience de classe de ceux qui se sont vus obligés, brutalement et en un clin d’œil, à comprendre que leurs vies leur appartiennent et que personne ne leur viendra en aide.
Message reçu le 3 mars 2010.
1) Le séisme a eu lieu le 27 février 2010 en pleine nuit, avec une magnitude de 8,8. Il provoqua la mort de près de 500 personnes, mais le tsunami qui l’a suivi en rajouta encore plus de morts. Il a touché beaucoup de villes chiliennes, dont la capitale, Santiago. Mais c’est dans la deuxième agglomération du pays, celle de Concepción (900 000 hab. pour l’agglomération), que les morts et les dégâts ont été les plus graves [NdT].
Un immense trou dans une terre rouge et desséchée, des dizaines de corps d’enfants, de femmes et d’hommes y sont ensevelis. Tout autour une foule pleure. Au Nigeria, l’horreur a encore frappé. Dans la nuit du 6 au 7 mars plusieurs centaines de personnes, toutes chrétiennes, ont été massacrées. Ces nouvelles atrocités ont eu lieu dans trois villages de l’Etat du Plateau, région du centre du Nigeria qui sépare le Sud à majorité chrétienne du Nord de celui-ci à majorité musulmane. Sur les cadavres encore chauds, les différentes fractions bourgeoises se disputent comme de véritables charognards, en fonction de leurs intérêts, le nombre de morts à afficher.
Ce nouveau massacre perpétré par un groupe extrémiste pro-musulman se dénommant Boro Haram ne fait en réalité que suivre un chemin de tueries qui dure depuis plusieurs dizaines d’années. En janvier dernier, plus de 300 personnes, essentiellement des musulmans, avaient été tuées par des chrétiens à Jos et dans sa région. En dix ans, dans ce pays martyrisé, il y a eu officiellement 10 000 personnes assassinées. Et c’est en millions qu’il faut les compter depuis son indépendance en 1960 ! Au-delà de la haine qui s’est développée entre une partie de la population musulmane et chrétienne, des questions se posent cruellement. Qui sont les véritables responsables de tous ces massacres ? Qui attise le feu en permanence entre les différentes communautés ? Qui arme et protège les bourreaux des deux camps ?
Le Nigeria est de très loin le pays le plus peuplé d’Afrique, 130 millions de personnes y survivent et y connaissent une situation de guerre permanente. De 1967 à 1970, il a connu une guerre qui fit à elle seule deux millions de morts. A cette époque, comme encore aujourd’hui, on a présenté cette guerre comme un simple conflit armé inter-ethnique et religieux, entre les Houassas musulmans du Nord et les Ibos chrétiens du Sud-Est. Ces derniers voulaient constituer un Etat indépendant dans le sud du pays en tentant de séparer la région du Biafra du reste du Nigeria. A cette époque, c’était encore l’impérialisme britannique qui gardait une influence majeure sur le pays et ceci malgré l’indépendance acquise quelques années plutôt. En encourageant la sécession biafraise, la France cherchait à affaiblir l’influence britannique en Afrique subsaharienne. La Côte d’Ivoire contrôlée par la France servit d’intermédiaire pour livrer des armes aux rebelles. Quand au Gabon et sa capitale Libreville, ils devinrent tout simplement la base arrière de l’aide politique et militaire de la France. Cette politique meurtrière et inhumaine n’a pas cessé depuis. A ce moment-là, l’impérialisme français n’est pas parvenu à contrôler le Nigeria, qui est resté un pays d’où partait la politique tentant de contrecarrer l’influence de la France dans toute région de l’Afrique de l’Ouest. Cette politique de la France a un nom tristement célèbre, on la nomme “Françafrique”. Elle concerne des pays comme : la Côte d’Ivoire, le Sénégal,, le Bénin, le Burkina-faso, le Mali ou encore le Niger. Elle n’est faite que de magouilles, turpitudes et massacres. C’est sous le règne de Sani Abacha de 1993 à 1998 que la France va effectuer un retour spectaculaire au Nigeria, venant ainsi contrarier l’influence de l’Angleterre et des Etats-Unis. Mais ces puissances ne vont pas non plus rester à leur tour inactives. Le retour au pouvoir d’Oluseguen Obansanjo en 1999 va permettre à l’impérialisme américain de reprendre pied dans ce pays.
Le nouveau président du Nigeria se présentait alors comme l’interlocuteur numéro un des Etats-Unis en Afrique de l’Ouest. Cette allégeance ne durera pas, car il se tournera vers le plus offrant, qui se révélera être à nouveau la France. Lors de sa visite à Paris en 2005 pour rencontrer Jacques Chirac, et chercher l’appui de l’Etat français pour l’annulation de sa dette, voilà ce qu’il déclarait : “La France peut faire preuve de leadership et de courage en la matière afin de récompenser un gouvernement qui réforme, un gouvernement qui dans une large mesure sécurise l’Afrique de l’Ouest et un gouvernement qui a montré du courage dans sa lutte contre la corruption.” Demande qui sera entendu cinq sur cinq. Le Club de Paris décidera alors, sous la pression du gouvernement français, l’annulation de la dette.
Le Nigeria ne sera pas ingrat et appuiera la France dans son soutien actif aux massacres au Togo pour y favoriser le coup d’Etat de Gnassingbe, ancien sergent de la coloniale. Au Nigeria, comme dans aucun autre pays d’Afrique, pas un de ces grands charognards impérialistes ne veut laisser la place à un de ses concurrents directs. De ce fait, après les derniers massacres du 6 et 7 mars, chacun des deux plus importants prédateurs impérialistes sur la scène nigériane ont tout naturellement réagi immédiatement en faisant réciproquement assaut de la plus belle hypocrisie. Le chef de la diplomatie guerrière française, Bernard Kouchner, ne pouvait être en reste :“La France condamne fermement les graves violences qui ont frappé les communautés villageoises au sud de la ville de Jos dans l’Etat du Plateau. J’adresse aux familles et aux proches mes plus sincères condoléances. J’exprime le soutien de la France aux autorités nigérianes dans leurs efforts pour ramener le calme et pour traduire les auteurs de ces violences devant la justice.” Son homologue et concurrente américaine Hillary Clinton lui faisait alors écho en ces termes : “J’appelle les Nigérians à la retenue et demande aux autorités de déférer les coupables à la justice.” Derrière ces paroles mielleuses se cachent la concurrence acharnée que se livrent la France et les Etats-Unis. La région du Nord, sous le poids de la montée de la décomposition, de la misère et de chaos, semble aller dans le sens d’une radicalisation de type talibans, faite d’un fanatisme religieux inhumain ; quant au Sud, par ailleurs zone possédant des ressources pétrolières non négligeables (estimées à 3% de celles de la planète), apparaît devoir continuer à être le théâtre des rivalités impérialistes et économiques les plus féroces. La population nigériane, comme celle de tant de pays d’Afrique et du tiers-monde, n’en a donc pas fini d’être la proie de la barbarie capitaliste.
P et T (22 mars)
Notre camarade Jerry Grevin, militant de longue date de la section américaine du CCI, est mort subitement d’une crise cardiaque le 11 février 2010. Sa mort prématurée est une perte énorme pour notre organisation et tous ceux qui le connaissaient: sa famille a perdu un mari, un père et un grand-père tendre et affectueux; ses compagnons de travail à l’université où il enseignait, ont perdu un collègue estimé; les militants du CCI, dans sa section et dans le monde entier, ont perdu un camarade très aimé et totalement dévoué.
Jerry Grevin est né en 1946 à Brooklyn, dans une famille ouvrière de la deuxième génération d’immigrants juifs. Ses parents avaient un esprit critique qui les mena à entrer au Parti communiste des Etats-Unis, puis à le quitter. Le père de Jerry avait été profondément choqué par la destruction d’Hiroshima et de Nagasaki à laquelle il avait assisté en tant que membre des forces américaines d’occupation à la fin de la Deuxième Guerre mondiale; bien qu’il n’ait jamais parlé de cette expérience et que son fils ne l’ait sue que bien plus tard, Jerry était convaincu qu’elle avait exacerbé l’état d’esprit anti-patriotique et anti-guerre qu’il avait hérité de ses parents.
L’une des grandes qualités de Jerry qui ne s’est jamais démentie, était son indignation brûlante et inébranlable contre toute forme d’injustice, d’oppression et d’exploitation. Dès sa jeunesse, il a énergiquement pris part aux grandes causes sociales de l’époque. Il participa aux grandes manifestations contre la ségrégation et l’inégalité raciale organisées par le Congress of Racial Equality (CORE) dans le Sud de l’Amérique. Cela nécessitait un courage certain puisque des militants et des manifestants subissaient quotidiennement de mauvais traitements, des bastonnades et étaient même assassinés; et Jerry étant juif, non seulement il combattait les préjugés racistes, il en était lui-même l’objet.1
Pour sa génération, aux Etats-Unis en particulier, l’autre question cruciale de l’époque était l’opposition à la guerre du Vietnam. Exilé à Montréal au Canada, il fut l’animateur d’un des comités qui faisait partie du “Second Underground Railroad”2 pour aider les déserteurs de l’armée américaine à fuir les Etats-Unis et à commencer une nouvelle vie à l’étranger. Il s’engagea dans cette activité non comme pacifiste mais avec la conviction que la résistance à l’ordre militaire pouvait et devait faire partie d’une lutte de classe plus large, contre le capitalisme, et il participa à la publication militante, de courte durée, Worker and Soldier. Plusieurs années après, Jerry eut la possibilité de consulter une partie –largement censurée- de son dossier au FBI: son épaisseur et les détails qu’il comportait –le dossier était régulièrement mis à jour dans la période où il militait dans le CCI- lui donnèrent pas mal de satisfaction et induisirent de sa part quelques commentaires caustiques envers ceux qui pensent que la police et les services de renseignements “ne s’occupent pas” des petits groupes insignifiants de militants aujourd’hui.
A son retour aux Etats-Unis dans les années 1970, Jerry travailla comme technicien des téléphones dans une des principales compagnies téléphoniques. C’était une période de bouillonnement de la lutte de classe avec la crise qui commençait à frapper et Jerry participa aux luttes à son travail, aux petites comme aux grandes, en même temps qu’il participait à un journal appelé Wildcat, prônant l’action directe et publié par un petit groupe du même nom. Bien qu’il ait été déçu par l’immédiatisme et l’absence d’une perspective plus large – c’est la recherche d’une telle perspective qui l’amena à rejoindre le CCI –cette expérience directe, à la base, couplée à ses grandes capacités d’observation et à une attitude humaine envers les travers et les préjugés de ses collègues de travail, lui apporta une vision profonde de la façon dont se développe concrètement la conscience dans la classe ouvrière. Comme militant du CCI, il illustrait souvent ses arguments politiques d’images vivantes tirées de son expérience.
Une de celles-ci décrivait un incident dans le Sud de l’Amérique où son groupe de techniciens du téléphone de New York avait été envoyé travailler. Un ouvrier du groupe, un Noir, était persécuté par la direction pour une prétendue faute mineure; les New-Yorkais prirent sa défense, à la grande surprise de leurs collègues du Sud: “Pourquoi s’en faire?”, demandèrent-ils “ce n’est qu’un nègre”. Ce à quoi un des New-Yorkais répondit vigoureusement que la couleur de la peau n’avait aucune importance, que les ouvriers étaient tous ouvriers ensemble et devaient se défendre mutuellement contre les patrons. “Mais le plus remarquable” concluait Jerry, “c’est que le type qui avait pris le plus fort la défense de l’ouvrier noir, était connu du groupe pour être lui-même raciste et avoir déménagé à Long Island pour ne pas habiter dans un quartier noir. Et cela montre comment la lutte et la solidarité de classe constituent le seul véritable antidote au racisme”.
Une autre histoire qu’il aimait raconter, concernait sa première rencontre avec le CCI. Pour citer l’hommage personnel d’un camarade : “Comme je l’ai entendu raconter un million de fois, c’est quand il rencontra pour la première fois un militant du CCI à une époque où il était, comme il le décrivait lui-même, “un jeune individualiste immédiatiste”, écrivant et diffusant ses articles seul, qu’il se rendit compte que la passion révolutionnaire sans organisation ne pouvait qu’être une flamme passagère de jeunesse. C’est quand le militant du CCI lui dit: “OK, tu écris et tu es marxiste, mais que fais-tu pour la révolution?”. Jerry racontait souvent cette histoire à la suite de quoi il ne dormit pas de toute la nuit. Mais ce fut une nuit blanche qui porta prodigieusement ses fruits”. Beaucoup auraient pu se décourager face au commentaire abrupt du CCI, mais pas Jerry. Au contraire, cette histoire (qu’il racontait en s’amusant de son état d’esprit de l’époque) révèle une autre facette de Jerry : sa capacité à accepter la force d’un argument et à changer de point de vue s’il était convaincu par d’autres idées – une qualité précieuse dans le débat politique qui est l’âme d’une véritable organisation prolétarienne.
La contribution de Jerry au CCI est inestimable. Sa connaissance du mouvement ouvrier aux Etats-Unis était encyclopédique ; sa plume alerte et son écriture colorée ont fait vivre cette histoire pour nos lecteurs dans les nombreux articles qu’il a écrits pour notre presse aux Etats-Unis (Internationalism) et pour la Revue internationale. Il avait aussi une maîtrise remarquable de la vie politique et de la lutte de classe aux Etats-Unis aujourd’hui et ses articles sur l’actualité, tant pour notre presse que pour nos bulletins internes, ont été des apports importants pour notre compréhension de la politique de la première puissance impérialiste mondiale.
Sa contribution à la vie interne et à l’intégrité organisationnelle du CCI a également été importante. Pendant des années, il a été un pilier de notre section américaine, un camarade sur qui on pouvait toujours compter pour être aux avant-postes quand des difficultés se présentaient. Pendant les difficiles années 1990, quand le monde entier –mais particulièrement peut-être les Etats-Unis- était inondé par la propagande sur “la victoire du capitalisme”, Jerry ne perdit jamais la conviction de la nécessité et de la possibilité d’une révolution communiste, il ne cessa jamais de communiquer avec ceux qui l’entouraient et avec les rares nouveaux contacts de la section. Sa loyauté à l’organisation et à ses camarades était inébranlable, d’autant plus que, comme il le disait lui-même, c’était sa participation à la vie internationale du CCI qui lui donnait du courage et lui permettait de “recharger ses batteries”.
Sur un plan plus personnel, Jerry était aussi extraordinairement drôle et doué pour raconter des histoires. Il pouvait –et cela arrivait souvent – faire rire pendant des heures une audience d’amis ou de camarades avec des histoires le plus souvent tirées de ses observations de la vie. Alors que ses histoires déployaient parfois des piques aux dépens des patrons ou de la classe dominante, elles n’étaient jamais cruelles ou méchantes. Au contraire, elles révélaient son affection et sa sympathie pour ses semblables, de même qu’une capacité bien trop rare à se moquer de ses propres faiblesses. Cette ouverture aux autres est sans doute ce qui a fait de Jerry un professeur efficace (et apprécié) – profession qu’il a embrassée tard, quand il était déjà dans la quarantaine.
Notre hommage à Jerry serait incomplet si nous ne mentionnions pas sa passion pour la musique Zydeco (un style de musique ayant pour origine les créoles de Louisiane et qui y est toujours jouée). Le danseur de Brooklyn était connu dans les festivals de Zydeco de l’arrière-pays de Louisiane, et Jerry était fier de pouvoir aider de jeunes groupes de Zydeco inconnus à trouver des lieux et une audience pour jouer à New York. C’était tout Jerry : enthousiaste et énergique dans tout ce qu’il entreprenait, ouvert et chaleureux avec les autres.
Nous ressentons d’autant plus vivement la perte de Jerry que ses dernières années ont été parmi les plus heureuses. Il était ravi de devenir le grand-père d’un petit-fils adoré. Politiquement, il y avait le développement d’une nouvelle génération de contacts autour de la section américaine du CCI et il s’était lancé dans le travail de correspondance et de discussion avec toute son énergie coutumière. Son dévouement avait porté ses fruits dans les Journées de Discussion tenues à New York quelques semaines seulement avant sa mort, qui avaient rassemblé de jeunes camarades de différentes parties des Etats-Unis, dont beaucoup se rencontraient pour la première fois. A la fin, Jerry était ravi et voyait cette réunion, et tout l’avenir qu’elle incarnait, comme l’un des couronnements de son activité militante. Il nous paraît donc juste de donner, pour finir, la parole à deux jeunes camarades qui ont participé aux Journées de Discussion : pour JK, “Jerry était un camarade de confiance et un ami chaleureux...Sa connaissance de l’histoire du mouvement ouvrier aux Etats-Unis; la profondeur de son expérience personnelle dans les luttes des années 1970 et 1980 et son engagement à maintenir la flamme de la Gauche communiste aux Etats-Unis pendant la difficile période qui a suivi la prétendue “mort du communisme” étaient incomparables”. Pour J, “Jerry a été une sorte de guide politique pour moi au cours des 18 derniers mois. Il était aussi un ami très cher (...)Il voulait toujours discuter et aider les camarades plus jeunes à apprendre comment intervenir et à comprendre les leçons historiques du mouvement ouvrier. Sa mémoire vivra dans chacun de nous, dans le CCI et à travers toute la lutte de classe.”
CCI
Nota Bene
Deux articles de ce journal ont été écrits et réalisés par notre camarade Jerry :
"L’immigration et le mouvement ouvrier” (2è partie) qui est constitué d’extraits de l’article théorique de la Revue Internationale n°140, 1er trimestre 2010.
"Etats-Unis : La «réforme» du système de santé est une attaque contre la classe ouvrière” qui est un article écrit au feu de l’actualité.
Nous conseillons aussi à nos lecteurs de parcourir sur notre site web l’un de ses derniers articles : “‘Capitalism : a love story’, un aperçu” qui est une critique du dernier film de Michael Moore.
Ces trois textes, par leur diversité, révèle que, tout comme Marx, Jerry avait fait sienne la maxime du poéte latin d’origine berbère Térence : “Rien de ce qui est humain ne m’est étranger”.
1) En 1964, il y eut une affaire tristement célèbre où trois jeunes militants des droits civiques (James Chaney, Andrew Goodma n et Michael Schwerner) furent assassinés par des officiers de police et des membres du Ku Klux Klan. Deux d’entre eux étaient des Juifs de New York.
2) Le nom “Underground Railroad” était une référence à un réseau, créé au 19e siècle avant la Guerre civile, de cachettes et de militants anti-esclavagistes qui aidaient les esclaves en fuite à gagner le Nord de l’Amérique et le Canada.
L’État grec est au bord du gouffre. Sa “faillite” (1) fait la une de tous les médias, dans tous les pays. Une véritable “tragédie grecque” se plaisent même à répéter les journalistes, fiers de leurs traits d’esprit dramaturgiques. Mais derrière ces envolées lyriques se cache une réalité terrible, celle ressentie dans leur chair par les travailleurs, les chômeurs, les retraités, les jeunes précaires… bref, la classe ouvrière.
Loin d’être renvoyée aux calendes grecques, la brutale dégradation des conditions de vie est en effet pour elle une réalité d’ores et déjà bien tangible. Les plans d’austérité se succèdent à un rythme infernal. Les usines ferment. Les taxes s’envolent. Les fonctionnaires voient leur maigre salaire se réduire drastiquement, quand ils ne sont pas tout simplement licenciés. Au moment de mettre sous presse ce journal, le gouvernement hellénique s’apprête à annoncer encore de nouvelles attaques. D’après des “fuites” savamment orchestrées pour préparer “l’opinion publique”, il s’agirait “entre autres” (sic!) d’un “relèvement [supplémentaire] de la TVA de 1 à 2 points”, de “la suppression des 13e et 14e mois dans le secteur public”, d’une “hausse à 4 % par an, contre 2 % actuellement, de la proportion d’employés pouvant être licenciés”, d’un “gel pluriannuel des rémunérations dans le secteur public” (2) et d’une hausse de l’âge légal de départ à la retraite pour les fonctionnaires de 53 à 67 ans! D’après la presse bourgeoise même, il s’agit là d’une “cure d’austérité inédite” (Libération) (3), d’une “austérité sans précédent” (les Echos) (4), d’un “traitement de choc” (le Monde et le Figaro) (5).
Et la peur de “l’effet domino”, de “la contagion”, de “la panique”… commence à poindre dans les déclarations des responsables politiques et économiques européens. Le Portugal et l’Espagne sont à leur tour pointés du doigt. Leur capacité à maîtriser la dette publique est jugée trop “incertaine”. Ces États doivent donc réduire eux aussi de façon drastique leurs dépenses pour limiter la hausse de l’endettement public. Le gouvernement portugais vient ainsi d’annoncer lui aussi un nouveau plan d’austérité. La cure grecque est administrée aux habitants de la péninsule ibérique. Aux mêmes maux les mêmes “remèdes” : réduction des pensions, des allocations, des salaires et des effectifs, dans le privé comme dans le public, hausse des impôts…
Pourtant, ces derniers mois, les docteurs en économie ont voulu nous faire croire que la Grèce était un cas particulier, qu’elle était la victime du manque d’honnêteté de ses responsables politiques (qui ont effectivement truqué, a priori plus que les autres encore, les statistiques de l’économie nationale) et de l’appétit des prédateurs de la spéculation boursière. Ils ont voulu nous cacher la sombre réalité : tous les États de la planète sont surendettés. L’économie mondiale survit depuis des décennies à crédit et l’heure des comptes a sonné. La crise qui a débuté en 1967 a brutalement accéléré depuis juillet 2007. Aujourd’hui, le capitalisme mondial convulse. L’avenir va dorénavant être fait d’une succession de récessions de plus en plus violentes, brutales et dévastatrices. Rien à voir, donc, avec une quelconque “spécificité grecque” !
Le Portugal et l’Espagne (6) commencent eux aussi à craquer, l’Italie et l’Irlande sont dans une situation économique dramatique… et il n’y a pas que les “PIIGS” (7) de concernés ! La France est l’un des pays européen les plus endettés. La Grande-Bretagne fait partie des nations les plus touchées, voire ravagées, par la crise et la bourgeoisie anglaise attend sûrement l’après-élection pour annoncer la réelle gravité de la situation et les mesures drastiques à venir. Quant à la première puissance mondiale, les États-Unis, elle joue toujours son rôle de locomotive de l’économie mondiale, mais elle entraîne maintenant les autres pays vers l’abîme !
L’état désastreux de l’économie mondiale peut effrayer. Comment lutter, et contre qui, quand les États sont au bord de la faillite ? Quoi faire quand les responsables politiques effectuent ce chantage immonde : “vous devez accepter les plans d’austérité pour sauver l’économie nationale, l’État, les retraites…” ? De tels coups de massue ont un effet paralysant. Mais ils rendent aussi évident aux yeux de tous que le capitalisme n’a pas d’avenir, que ce système d’exploitation est inhumain, qu’il ne peut engendrer que toujours plus de larmes, de sueur et de sang. Surtout, cette crise économique dévastatrice révèle que l’État (quelle que soit sa couleur, le bleu de la droite, le rose de la gauche ou le rouge de l’extrême-gauche) est le pire ennemi de la classe ouvrière. C’est lui qui assène les attaques économiques les plus violentes. C’est lui qui réprime sans vergogne.
Face au monstre étatique, à ce représentant de la force et de l’unité politique de la bourgeoisie, un ouvrier isolé ne peut que se sentir écrasé et impuissant.
Que peuvent faire une poignée d’individus, quand leur école, leur hôpital, leur administration, leur usine ferme ? Rien, s’ils restent isolés ! Mais aujourd’hui, toute la classe ouvrière est simultanément touchée. Dans tous les pays, les travailleurs du public comme du privé, les retraités comme les chômeurs et les jeunes précaires, subissent une insoutenable paupérisation. Cette situation, jugée socialement “explosive” par la bourgeoisie elle-même, est propice à faire comprendre que tous les ouvriers ont les mêmes intérêts, le même ennemi (la bourgeoisie et son État) et que ce n’est qu’en luttant de façon organisée, consciente, en tant que classe, qu’ils peuvent résister aux attaques. Seules des luttes massives, mettant en acte ce qu’est l’unité et la solidarité ouvrière, peuvent faire trembler la bourgeoisie ! Le capitalisme est en faillite, l’avenir appartient à la lutte de classe !
Pawel (29 avril)
1) Tout au long de cet article, ce terme sera utilisé par nous sous un sens bien particulier. Un État ne peut faire faillite comme une entreprise. La bourgeoisie ne va pas mettre la clef sous la porte et laisser sa place à qui voudra bien la prendre. Derrière le mot “faillite”, nous entendons un État qui ne peut plus rembourser l’intérêt de sa dette et dont l’économie nationale est alors ravagée. Mais même plongée dans une profonde dépression, la classe dominante fera toujours face politiquement et militairement à la classe ouvrière. Les ouvriers et les jeunes grecs en lutte victimes de la répression peuvent en témoigner.
2) lesechos.fr du 29 avril.
3) libération.fr du 29 avril.
4) lesechos.fr du 29 avril.
5) lemonde.fr et lefigaro.fr du 29 avril.
6) Le taux de chômage vient d’ailleurs de dépasser les 20 % dans ce pays !
7) Jeu de mot anglais assimilant ironiquement le Portugal, l’Irlande, l’Italie, la Grèce et l’Espagne (Spain), à des cochons !
Le 7 avril 2010 a vu la chute du président kirghize Kourmanbek Bakiev, après deux jours d’émeutes. Provoquée par l’annonce d’augmentation du tarif des services publics, la colère a éclaté : de nombreux bâtiments symboles du pouvoir ont été attaqués, comme le Parlement, et même brûlés, comme la Maison Blanche présidentielle. Suite à cette explosion de violence, l’opposition dirigée par Rosa Otounbaïeva prenait les rênes du pays. Bakiev, en fuite avec son trésor de guerre de 200 millions de dollars, continue malgré tout aujourd’hui encore à revendiquer sa “légitimité” comme chef d’État, depuis le sud du pays qu’il contrôle, ce qui n’augure rien de bon pour l’avenir.
Avec près de 20 % de chômage, 40 % de la population vivant sous le seuil de pauvreté et une corruption généralisée, le régime de Bakïev n’a pas réussi longtemps à illusionner la population après l’ère Akaïev. Près d’un million de gens sont contraints de travailler dans d’autres pays (essentiellement en Russie), et la vie de la plupart des Kirghizes dépend des ressources envoyées de l’étranger. Nul doute que cette misère croissante et cette corruption de l’Etat sont les causes essentielles du soulèvement.
Par-dessus le marché, le gouvernement, afin d’enrayer les expressions de révolte populaire, a développé des méthodes répressives de plus en plus violentes. Ces méthodes n’ont fait évidemment qu’alimenter encore davantage le mécontentement populaire, qui a débouché sur ces émeutes des 6 et 7 avril. Tous les commentaires (1) ont montré que cette révolte était bien plus furieuse qu’il y a cinq ans, ce qui démontre l’exaspération de la population. Ainsi, des dizaines de gens ont été tués par des snipers cachés sur les toits, mais cela n’a arrêté personne. Les chefs de l’opposition ont essayé de les arrêter, mais se sont eux-mêmes trouvés en danger de subir des actions radicales. La Maison du Parlement et d’autres bâtiments officiels ont ainsi été pris d’assaut. Ceux qui y arrivèrent saisirent les armes, frappèrent les flics, prirent et étrillèrent par exemple le chef du MVD ou un ancien ministre de l’Intérieur.
Les médias ont essayé de focaliser sur les pillages de magasins qui ont eu lieu. Mais ces “pillages” se sont concentrés sur les supermarchés et les biens essentiellement volés consistaient en vêtements, tapis, appareils électroménagers, couvertures, etc., c’est-à-dire en produits de première nécessité. En revanche, la presse a été une fois encore beaucoup moins prolixe sur les pillages effectués par la mafia kirghize et ses agissements dans les supermarchés (2), où c’est de façon bien plus vaste et organisée que ces derniers ont été vidés puis brûlés.
Il y a cinq ans, lorsque le premier président kirghize Askar Akaïev avait été déchu à la suite d’élections truquées et d‘émeutes, les médias occidentaux nous avaient abreuvés de la “révolution des tulipes”, “révolution” qui venait en droite ligne de celle des “roses” de Géorgie et de la “révolution orange” ukrainienne, “signes” prétendus de la poussée en avant des forces démocratiques dans les pays de l’ex-URSS. Cette fois-ci, rien de tel, et c’est plutôt l’inquiétude qui a prévalu dans les commentaires des chefs d’État. Pour les États-Unis, Barack Obama, en déplacement à Prague pour la signature du nouveau traité américano-russe de non-prolifération START, a réprouvé l’usage de la force et a appelé au calme, du fait de la présence d’une base militaire américaine sur le territoire kirghize, maillon important de leurs opérations en Afghanistan. La Chine, pays voisin du Kirghizistan, s’est déclarée très préoccupée par les événements du pays et appelait au calme le plus rapidement possible, “pour la sécurité régionale”. L’Europe se fendait d’une aide humanitaire au gouvernement provisoire de 3 milliards d’euros et l’Inde espérait que la paix et la stabilité reviendraient au plus vite dans la république kirghize. La Russie, suspectée par la presse d’être à l’origine du soulèvement ou de vouloir en tirer partie, a immédiatement proposé une aide au gouvernement provisoire et a déployé 150 parachutistes en renfort, avec 150 millions de dollars. Cette inquiétude des puissances limitrophes ou qui interviennent dans ce pays n’est pas feinte. Selon le président russe Medvedev : “Le risque de voir le Kirghizistan se scinder en deux parties, le Nord et le Sud, existe réellement (...). Le Kirghizistan se trouve actuellement au seuil d’une guerre civile. Ainsi, toutes les forces existantes dans ce pays doivent prendre conscience de leur responsabilité devant la nation, le peuple et les destinées de l’État kirghizes.”
Le problème majeur que représente un pays comme le Kirghizistan est justement qu’il doit y régner une certaine stabilité. Car autant les Russes que les Américains ou les Chinois ont intérêt à ce que les troubles que connaît le pays soient enrayés pour qu’un État fort et pérenne puisse se maintenir. L’ex-république soviétique abrite une base russe mais également, pour les États-Unis, la base de ravitaillement des troupes de Manas, base créée en 2001 dans l’aéroport international de la capitale kirghize dans le cadre de l’opération antiterroriste “Liberté immuable” en Afghanistan, où sont présentes des troupes françaises et espagnoles, et qui risque d’être affectée. Quant à la Chine, qui connaît des difficultés avec ses minorités musulmanes, il ne serait pas bon que la population kirghize montre un mauvais exemple sur ses frontières. Madame Otounbaïeva a bien sûr rassuré tout ce beau monde qui l’exhortait comme le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, à “assurer l’ordre constitutionnel”.
Cependant, la nature de l’impérialisme est telle que, même si ces hypocrites appellent à calmer le jeu, c’est parce qu’ils ont face à eux des populations misérables qui demandent une vie décente. D’ailleurs, c’est avec le soutien plein et entier de la “communauté internationale” que Rosa Otounbaïeva, ex-dirigeante du PC russe, n’a pas hésité à menacer la population de répression si les troubles perduraient, et pas seulement face aux troubles alimentés par Bakïev, mais contre “ceux qui en veulent plus”, c’est-à-dire les pauvres.
En même temps, les divergences d’intérêts de ces charognards ne pourront pas faire qu’un semblant d’ordre puisse s’instaurer. Leur présence ne pourra qu’alimenter un désordre social sans perspective.
Mulan (28 avril)
1) Beaucoup d’éléments rapportés ici sont empruntés à des articles publiés récemment par des camarades de Russie, soit par l’ARS (Alliance of the Revolutionary Socialists), groupe influencé par la Gauche communiste) soit par le KRAS, de tendance anarcho-syndicaliste. Voici les liens sur leur site en anglais :
– revsoc.org pour l’ARS :
– https://aitrus.info [70] pour le KRAS.
2) Voir sur le sujet notre article [71] dans RI no 411 sur le rôle de la mafia dans les pillages au Chili.
Les attaques continuent de tomber à la pelle en France aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé. Partout, grandit un même sentiment de ras-le-bol et d‘exaspération chez les travailleurs. Mais les réactions ouvrières, nombreuses, comme en témoigne la multiplicité des grèves un peu partout, se retrouvent complètement isolées les unes des autres. On voit depuis plusieurs mois une totale dispersion des luttes, ponctuée par quelques journées d’action syndicales stéréotypées de moins en moins mobilisatrices qui renvoient les ouvriers à un sentiment d’impuissance. Malgré quelques tentatives d’étendre la lutte à l’échelle régionale dans les Pôles emploi, la plupart des luttes restent enfermées sur un site, comme Fralib à Gemenos près de Marseille où la grève dure depuis près de deux mois. Dans le public comme dans le privé, chaque bureau, chaque centre, chaque usine reste isolé : à La Poste, dans les crèches, les hôpitaux, les écoles ou les centres d’éducation spécialisée, à la RATP comme dans les dépôts de bus en province.
A quoi cela est-il dû ? Au fait que partout les syndicats sont à la manœuvre pour que les ouvriers continuent à lutter chacun dans leur coin, pour défendre “leur” entreprise, “leur” emploi, “leur” secteur derrière telle ou telle revendication spécifique, en empêchant la moindre expression de solidarité et de lutte unitaire. La caricature de cet émiettement et ce cet enfermement est donnée par la récente grève à la SNCF. En effet, lors de la troisième grève déclenchée depuis le début de l’année, la CGT et Sud-Rail, qui se sont âprement disputés le contrôle de la lutte, ont canalisé la combativité en “organisant” les ouvriers dans de prétendues assemblées générales soigneusement cloisonnées corporation par corporation, dépôt par dépôt, atelier par atelier, transformées en simples bureaux de vote pour la poursuite ou non de la grève. De même à Airbus-Toulouse, l’intersyndicale organise actuellement une série de grèves “tournantes” de quelques heures impliquant à tour de rôle les équipes travaillant sur tel ou tel type d’avion pour isoler les ouvriers et les empêcher de se mobiliser ensemble. Et alors que tous les syndicats concoctent actuellement main dans la main avec le gouvernement le scénario pour faire passer cet été l’attaque générale sur les retraites qui va toucher de plein fouet toutes les générations ouvrières, ces mêmes syndicats s’arrangent non seulement pour éviter une mobilisation massive dans la rue mais pour renvoyer aux ouvriers une image démoralisante de division lors des défilés du Premier mai organisés en ordre dispersé. La division et la démoralisation sont un objectif des syndicats pour dissuader à tout prix les ouvriers d’entrer massivement en lutte. D’ailleurs, les syndicats ne cessent de pousser les ouvriers vers des gestes désespérés comme à Sodimatex, avec la menace de faire sauter leur usine, ou vers des actions stériles en séquestrant des patrons ou des cadres quelques heures. Cela suscite de plus en plus de réactions chez certains syndiqués eux-mêmes sincèrement écœurés et ulcérés en réaction aux agissements de leur centrale, comme en témoignent les deux courriers que nous publions ci-dessous. Mais surtout, au delà de cette simple indignation face au sabotage des luttes par les syndicats, beaucoup de prolétaires se posent les mêmes questions plus fondamentales auxquelles nous nous proposons de répondre pour tenter de dissiper un certain nombre d’illusions sur la nature des syndicats.
Une enseignante en colère face à son syndicat [73]
Alors que le secteur de l’Education nationale (EN) est particulièrement visé avec des suppressions massives de postes d’enseignants, de surveillants, d’enseignants spécialisés, de personnel travaillant au ménage, à la restauration et qu’une énième réforme est en cours, que proposent les syndicats ? Nous avons pris connaissance d’un échange de courriers entre le SNES (1) et une de ses adhérentes. La déception, la colère et la rage animent l’enseignante ébranlée par le doute sur le rôle réel de son syndicat.
Suite à la manifestation du 23 mars, le SNES a fait parvenir un courrier aux syndiqués pour leur donner le nombre de participants à la journée du 23 mars et leur rappeler le but de cette journée : “Les enseignants du second degré ont bien entendu investi cette journée avec les revendications qu’ils portent depuis des mois dans leur secteur : abandon des réformes Chatel, arrêt des suppressions de postes”, puis il a invité les syndiqués à un nouveau rassemblement le 1er avril. Au cours de cette manifestation, les collègues devaient porter un t-shirt où était inscrit : “Tout va bien dans l’éducation… poisson d’avril”.
La lettre qui suit montre l’indignation de l’enseignante face à ces propositions et nous pensons que le poisson d’avril n’est pas prêt d’être digéré.
“Je suis syndiquée au SNES depuis de nombreuses années et je tiens à vous faire part de ma plus grande indignation suite au message que vous nous envoyez. Est-ce là tout ce que propose le premier syndicat enseignant ?
J’en ai assez de faire grève un jour par mois et de distribuer des tracts type “poisson d’avril”. Pourquoi pas des actions plus fortes : au lieu de faire grève un jour par mois, pourquoi ne pas arrêter de travailler carrément une semaine (cinq jours) à la rentrée scolaire ou mieux pendant le bac ? Je me permets de vous écrire car je me fais aussi le porte-parole de nombre de mes collègues qui ont l’impression de faire grève par acquis de conscience. Je suis prête à perdre mon salaire mais pour de vraies actions. La direction du SNES croit-elle vraiment à ce qu’elle affiche ? Pourquoi n’y a-t-il pas eu une intersyndicale après la manifestation pour proposer des suites d’actions crédibles ?
Nos droits sont absolument bafoués, notre métier est remis en cause, cette réforme est l’apogée du leurre aux parents, signe la fin de l’Education nationale et tout ce que vous proposez, ce sont des tracts “poisson d’avril” ! à part la grève mais une vraie, pas une kyrielle de journées d’action saupoudrées sur une année, je ne connais pas de moyen d’action efficace. A moins que vous ne considériez que la réforme des lycées est passée et qu’il ne reste plus qu’a l’accompagner ?
Merci de me répondre, je suis vraiment dans l’attente d’éléments d’explication.”
Nous ne savons pas encore ce qu’il lui sera répondu par son syndicat mais nous pouvons déjà un peu le deviner : noyer le poisson !
La démarche entreprise par cette enseignante montre à quel point une partie de la classe ouvrière tend aujourd’hui à se poser les vraies questions. En multipliant la division au sein de la classe ouvrière, en éparpillant les luttes, en faisant faire n’importe quoi comme par exemple les manifestations balades où le bruit des sonos et des tambours empêchent toutes possibilités de discuter, quel est le rôle des syndicats ? Ne défendent-ils pas les intérêts de ce système capitaliste qui nous emmène pourtant tous dans un gouffre ?
L’enseignante veut des explications, et voilà le résultat d’un échange téléphonique musclé qu’elle a eu avec un représentant du SNES dont elle fait part : “... au final, suite à mon insistance sur l’avenir et le retrait de la réforme, il m’a dit qu’il était encore possible de se battre pour que la répartition des 10 h 30 dédoublées soit décidée de façon nationale et contre la mastérisation… Donc pendant que je fais grève contre la réforme, mon syndicat sait que c’est fini ? Avez-vous eu les mêmes échos ?
Alors que devons-nous faire ? La grève de la faim ? Brûler la préfecture ? Séquestrer notre chef ? Barrer les routes avec les vélibs ? Déverser du crottin d’élèves au parc de la Tête d’or ? (2) Je suis absolument scandalisée. Je pense que je vais rendre ma carte.
PS : Heu…, finalement tout mais pas la grève de la faim…”
Derrière le ton quelque peu ironique de cette enseignante, c’est surtout de la colère et l’indignation qui se dégagent. Le sentiment de se faire avoir et le début d’un questionnement sur ce qu’il faudrait faire pour réellement se faire entendre. A travers le “alors, que devons nous faire ?”, elle rejoint les préoccupations de nombreux travailleurs qui, s’ils commencent à douter des syndicats, ne savent pas comment lutter autrement. Elle montre que sa confiance envers le SNES est largement ébranlée car elle découvre que celui-ci a un double discours, celui qu’il a avec l’Etat et celui qu’il a avec les syndiqués.
C’est ce que commence à comprendre cette enseignante quand elle dit : “Donc pendant que je fais grève contre la réforme, mon syndicat sait que c’est fini ?”
Comme nous l’avons vu dans son courrier, elle est aussi scandalisée car il n’y a pas eu d’intersyndicale après la manifestation. Dans la manifestation, un petit groupe distribuait des tracts signés MICOSOL (3) pour appeler à une AG interprofessionnelle après la manifestation. Peu de monde est venu. Pourquoi ? Parce que comme l’exprime, entre les mots, cette enseignante il faut d’abord perdre ses illusions sur le syndicalisme. Il y a encore un monde entre la critique des directions syndicales et la compréhension que ce moyen de lutte qu’est le syndicalisme est perdu pour nos luttes depuis longtemps. Pourtant, le fait qu’il n’y ait pas eu d’AG organisée par les syndicats à la fin de la manifestation montre que ceux-ci ont peur des réactions de la classe ouvrière et surtout que, sous l’impulsion de tel ou tel secteur de la classe, à travers des discussions, d’échanges d’idées d’expériences et d’analyses politiques, nous prenions conscience que nous sommes une classe unie avec des problèmes communs à résoudre. Ce que ne veulent surtout pas les syndicats c’est que nous découvrions notre force et notre capacité à lutter par nous-mêmes.
Ce n’est pas pour rien que les manifestants sont tous parqués derrière des banderoles représentant les revendications spécifiques, pour “leur” usine, “leur” école, “leur” hôpital. Pour les syndicats, les ouvriers peuvent défiler ensemble mais surtout pas discuter ensemble. C’est pourtant cela que les syndicats appellent “manifestation unitaire”.
C’est pourquoi cet échange de courrier entre le SNES et une syndiquée qui parle de rendre sa carte est si intéressant. La situation de la crise économique avec son cortège de mesures d’austérité touche l’ensemble de la classe ouvrière et nous devrons lutter avec des moyens qui seront véritablement les nôtres : AG ouvertes à tous, avec des décisions et des mots d’ordre qui doivent être décidés collectivement, avec des délégués élus et révocables. En fait, dans la lignée des AG organisées par les étudiants en 2006 dans les luttes anti-CPE., et au contraire des AG bidons aux mains des syndicats.
C’est pourquoi l’appel d’une AG après la manifestation par un petit groupe naissant, AG ouverte à tous, avec liberté de parole, est un signe des temps (“Regroupement à tous ceux qui veulent réfléchir et agir pour recréer l’unité là où il n’y en a plus”). Un besoin qui va de plus en plus s’imposer à nous et qu’il faudra faire vivre nous-mêmes.
Map (22 avril)
1) Syndicat national de l’enseignement de second degré : principal syndicat dans le secteur de l’Education nationale en France.
2) Parc urbain très connu à Lyon, situé sur les bords de Rhône.
3) MICOSOL : Mouvement des insoumis(es) conscient(e)s et solidaires lyonnais.
A travers les débats qui existent dans divers forums sur Internet et qui touchent aux questions portant sur la lutte de classe, nous voulons souligner la réaction indignée d’un internaute face aux pratiques syndicales, en l’occurrence de l’UNEF, consignées dans un document intitulé : “Consignes de l’UNEF aux militants au sujet des autres formations”. Il s’agit là d’un document à usage syndical “interne” et qui dévoile non seulement l’état d’esprit mais aussi les sales méthodes utilisées par toutes les centrales dans leurs “cours de formation” des cadres syndicaux qui, outre leur professionnalisation du sabotage des luttes, vont à la pêche aux adhérents en appâtant ceux qu’ils cherchent à convertir en électeurs. Pour présenter l’essence de ce document, nous pensons que le mieux est de donner la parole à celui qui l’a porté de façon critique à notre connaissance par son intervention : “(…) je suis tellement énervé par le mail qu’un ami à moi proche de l’UNEF vient de me transmettre, qu’il est indispensable que je vous le communique. Ce mail va bien au-delà du désormais célèbre “Vade-mecum” repris par tout Internet sur “comment prendre en mains une AG ([1]). Le contenu est édifiant... à un point qu’il fait vraiment peur: Le rédacteur y revendique le droit de mentir aux étudiants !” ([2]).
En effet, mais le contenu du document en question nous permet d’affirmer, pour notre part, que l’objectif va bien au-delà de la simple “revendication du droit au mensonge”. Il ne fait ni plus ni moins que préconiser ce qui est déjà en usage dans toutes les officines bourgeoises, notamment les syndicats !
Outre le mépris porté à l’égard des étudiants, le document syndical cherche à conditionner et à coincer ses victimes pour les enfermer dans le piège électoral. C’est ce qu’on peut nettement déduire de ce premier extrait qui fait penser à une recette de cuisine : “L’étudiant “jour du vote” risque de vous demander pourquoi il n’a pas entendu parler des élections. Il faut dire que c’est la faute de l’université, qui n’a pas intérêt à ce que les étudiants puissent trop se plaindre. L’étudiant lambda a toujours des problèmes administratifs divers et ne pourra que vous donner raison. Dites que vous voulez changer les choses là-dessus” ([3]).
Notre conseiller en communication syndicale ordonne ensuite de passer à l’offensive avec une opération de séduction, vieille méthode employée par tous les boutiquiers et autres requins du marketing, pour ponctuer à l’aide d’un grossier mensonge : “Restez toujours aimables et avec le sourire, et sachez toujours où se trouve les bureaux de vote les plus proches pour renseigner les étudiants ! Si vous êtes en dispo de solidarité, renseignez-vous sur les formations présentes là où vous faites campagne pour dire que vous êtes étudiants du coin, ça passe mieux en général”. Faire croire qu’on est “du coin”, est une vieille ficelle digne des démarcheurs à domicile et des charlatans ! Après, car ce n’est pas tout, il faut encore “ratisser large”. Comment ? En faisant croire que l’UNEF n’est pas un sous-marin du Parti socialiste ! Voici la technique : “Sur les liens politiques PS/UNEF, répliquer que l’UNEF étant la première organisation de jeunesse, plusieurs de ses membres sont engagés, du MODEM au PG, donc dans les partis progressistes, vu que l’UNEF est de gauche (je ne considère pas le modem de gauche, mais ça fait moins peur aux étudiants comme ça)…”. Ensuite, il ne faut surtout pas que l’électeur potentiel se pose trop de questions, en particulier sur l’histoire du syndicat, au risque de découvrir des perles ou de ternir son image : “répondez que quand l’UNEF à fêté ses cent ans en 2007, personne ne l’a contesté et tous les candidats aux présidentielles ont répondu à l’appel de l’orga. Même chose sur l’appartenance de Le Pen à l’UNEF apolitique : bien évidemment niée (on ne va pas expliquer aux étudiants l’histoire du syndicat)…”. Face aux questions gênantes de concurrents éventuels, comme ceux de la FAGE, le mensonge reste de mise pour ces faiseurs d’opinions : “Combien de permanents à la FAGE sont rémunérés grâce aux subventions publiques ? Aucun à l’UNEF, comme le prouve le rapport du commissariat au compte fait sur l’orga majoritaire et disponible sur Internet (c’est faux, mais l’étudiant ne mettra pas votre parole en doute)”. Bien entendu, dans l’univers concurrent des forces bourgeoises, où le racolage côtoie le mensonge, le poker menteur reste une règle d’or : “De façon générale, il faut répondre à leur mauvaise foi par de la mauvaise foi mieux placée, et surtout se concentrer sur nos idées et notre programme pour accrocher les étudiants.” Tout est dit ! Encore une fois, ces “préceptes” ne sont pas spécifiques à l’UNEF et ne peuvent être que le produit de l’idéologie dominante, celle d’une classe qui doit mentir pour assurer un ordre social garantissant sa domination.
WH (23 avril)
1.) Déjà commenté par nous : voir RI n° 381 [77], juillet/août 2007.
2.) L’intervention peut être consultée à l’adresse suivante : forum.luttes-etudiantes.com/viewtopic.php?f=2&t=5381#p15365.
3.) Cette citation et les suivantes proviennent du texte : “Consignes de l’UNEF aux militants au sujet des autres formations”.
Les travailleurs ressentent aujourd’hui plus que jamais la nécessité de se battre contre les attaques du gouvernement et du patronat. Bon nombre d’entre eux se posent de plus en plus de questions sur les syndicats et leur “efficacité” à défendre les intérêts des salariés.
Nous publions ci-dessous quelques brèves réponses aux questions les plus répandues parmi les travailleurs salariés. Nous renvoyons nos lecteurs intéressés à mieux comprendre le rôle des syndicats et leur nature de classe à notre brochure les Syndicats contre la classe ouvrière, consultable sur notre site Internet.
NON ! Tous les syndicats, y compris les plus “radicaux” et “combatifs”, ne défendent pas les intérêts des travailleurs mais ceux de la bourgeoisie. Leur fonction consiste à saboter les luttes en faisant semblant d’être du côté des exploités. Lorsqu’ils organisent des journées d’action pour protester contre les mesures d’austérité, lorsqu’ils appellent à des débrayages, des grèves ou des manifestations, c’est uniquement pour pouvoir encadrer la colère des travailleurs, défouler leur combativité et les conduire dans des impasses. Toutes les mobilisations derrière les syndicats ne mènent qu’à la défaite et à la démoralisation. L’apparente division entre les syndicats “mous” et les syndicats plus “à gauche”, plus “radicaux”, ne sert qu’à diviser la classe ouvrière, à mieux couvrir tout le terrain de la lutte.
S’il n’y a pas de “bons” et de “mauvais” syndicats, c’est parce que le syndicalisme n’est plus adapté aux besoins de la lutte de classe aujourd’hui. Le syndicalisme est devenu une arme de la bourgeoisie contre la classe ouvrière. Les syndicats sont devenus (depuis la Première Guerre mondiale) des organes de l’État capitaliste dans les rangs ouvriers. Depuis près d’un siècle, leur fonction consiste à diriger les luttes pour empêcher la classe ouvrière de prendre elle-même la direction de ses combats, pour l’empêcher de développer sa solidarité et son unité lui permettant de se battre efficacement contre le capitalisme. Croire qu’il existe de “bons” syndicats est une pure illusion. La preuve : l’agitation des syndicats les plus “radicaux” (comme Sud par exemple) n’a pas empêché la bourgeoisie de renforcer ses attaques et de faire passer tous ses plans d’austérité. Au contraire ! La division entre les syndicats ne leur sert qu’à œuvrer pour diviser la classe ouvrière et la conduire à la défaite.
Tous les syndicats sont complices du gouvernement et du patronat. Lorsqu’ils “négocient” (toujours dans le dos des travailleurs), c’est pour discuter avec les représentants du gouvernement et du patronat de la façon de faire passer les attaques. Tous les syndicats ont pour fonction d’encadrer les luttes pour maintenir l’ordre social du capital ! Pour cela, ils se partagent le travail entre eux et en étroite collaboration avec les représentants de la classe dominante.
NON ! Dans la mesure où les syndicats sont devenus des organes d’encadrement de la classe ouvrière et ont été définitivement intégrés à l’appareil de l’État bourgeois, on ne peut pas les “réformer”. Beaucoup de prolétaires pensent que ce sont les bureaucraties syndicales qui sont pourries et qu’il suffirait de changer la direction des syndicats pour que ces derniers deviennent de vrais organes de défense des travailleurs. C’est une illusion ! Si les syndicats ne sont pas “efficaces”, ce n’est pas à cause de leurs “mauvais” leaders qui trahissent la “base”. C’est la forme syndicale elle-même qui est devenue inefficace et totalement inadaptée aux besoins de la lutte.
Le syndicalisme est une idéologie réformiste basée sur la division de la classe ouvrière en corporations, en corps de métiers.
Le syndicalisme est une idéologie qui sème l’illusion que l’on peut se battre aujourd’hui pour obtenir des réformes durables afin d’améliorer les conditions de vie de la classe ouvrière au sein-même du capitalisme (comme c’était le cas au xixe siècle). Aujourd’hui, avec l’enfoncement du capitalisme dans une crise économique sans issue et qui ne peut que continuer à s’aggraver, les seules “réformes” durables sont celles qui nous sont imposées par la bourgeoisie, telle la “réforme” du système de retraite. Ces “réformes”, au lieu d’améliorer les conditions d’existence des salariés, ne peuvent que les plonger dans une pauvreté et une misère croissantes.
Le syndicalisme sème l’illusion qu’en se battant chacun dans son coin, derrière des revendications spécifiques à sa boîte, son secteur, sa corporation, on peut obtenir gain de cause. C’est FAUX !
Lutter chacun dans son coin, de façon isolée a toujours mené à la défaite et à la démoralisation. Seule une lutte massive englobant tous les secteurs de la classe ouvrière, derrière des mots d’ordre unitaires peut faire reculer le gouvernement et le patronat. Pour cela, il faut briser toutes les divisions corporatistes, sectorielles que les syndicats nous imposent.
Il ne sert à rien de chercher à “réformer” les syndicats ou créer de nouveaux syndicats. La preuve : lors des luttes des ouvriers de Pologne en 1980, par exemple, ces derniers avaient l’illusion qu’en créant un nouveau syndicat “libre” et “démocratique” (le syndicat Solidarnosc dirigé par Lech Walesa), ils allaient pouvoir renforcer leurs luttes et obtenir des réformes durables. On a vu ce que cela a donné : c’est grâce à la création du syndicat “indépendant” Solidarnosc (mis en place avec le soutien des syndicats occidentaux et de toute la bourgeoisie des États “démocratiques”) que le général Jaruzelski a pu décréter l’état de guerre et réprimer férocement la classe ouvrière en Pologne (voir notre brochure sur les luttes en Pologne de 1980). Par la suite, on a vu le parcours du leader du syndicat Solidarnosc : Lech Walesa est devenu chef de l’État polonais et c’est lui qui a eu la responsabilité de gérer le capital national polonais et de porter des attaques directes contre la classe ouvrière !
OUI ! Officiellement, les travailleurs n’ont pas le “droit” de lutter sans passer par les syndicats car ce sont eux qui déposent les préavis de grève. Le droit de grève est une “tolérance” que la bourgeoisie peut maintenir à condition que la lutte des exploités ne remette pas en cause l’ordre établi, qu’elle ne porte pas atteinte au système d’exploitation capitaliste. La classe dominante des pays “démocratique” ne peut tolérer les grèves que lorsque celles-ci ne constituent pas un danger pour sa domination. C’est bien pour cela qu’elle tient tant à ses syndicats et qu’elle les finance.
La vraie lutte de classe est toujours illégale. Lorsque les prolétaires se battent pour défendre leurs intérêts contre les attaques de la bourgeoisie, ils n’ont pas à demander “poliment” une autorisation à leurs exploiteurs. Lorsque les exploités prennent conscience que les syndicats ne défendent pas leurs intérêts, ils n’attendent pas leurs consignes et partent spontanément en grève “sauvage”. Et à chaque fois que cela s’est produit (comme on a pu le voir de façon magistrale en Pologne en 1980, mais aussi dans de nombreuses petites luttes qui ont explosé dans les pays “démocratiques”), les travailleurs qui ont osé débrayer sans les syndicats ont immédiatement tenté de faire vivre la solidarité dans la lutte. Ils ont recherché l’unité et l’extension de leur mouvement aux autres secteurs. Ils ont éprouvé le besoin de prendre eux-mêmes la direction de leur combat et de discuter collectivement dans des assemblées générales souveraines.
Aujourd’hui, si la classe ouvrière a beaucoup de difficulté à engager la lutte sans attendre les directives des syndicats, c’est parce qu’elle manque encore de confiance en elle-même et dans ses propres forces. C’est aussi parce que l’idéologie “démocratique” inoculée dans ses rangs par les syndicats (et le syndicalisme) pèse encore sur sa conscience.
L’idée qu’on a besoin des syndicats pour se battre est véhiculée par la bourgeoisie. La classe dominante veut nous faire croire que seuls les syndicats peuvent nous “représenter” parce que ce sont des professionnels de la “négociation”, alors que ce sont des professionnels du sabotage, de la magouille et de la collaboration avec l’ennemi de classe.
La grève massive des ouvriers de Pologne en août 1980 (avant que Solidarnosc n’en récupère le contrôle) a montré au monde entier que lorsque les exploités prennent leurs luttes en main, sans les syndicats, ils sont capables de développer un vrai rapport de force en leur faveur. En Pologne, ils ont été capables d’étendre leur mouvement à l’échelle de tout un pays, ils ont été capables de faire reculer l’État et de faire trembler toute la bourgeoisie. Ils ont été capables de négocier avec le gouvernement non pas dans le secret des cabinets ministériels, mais publiquement : ils ont élus des délégués pour négocier avec les autorités gouvernementales et ont installé des hauts parleurs dans les lieux publics (notamment dans les chantiers navals de Gdansk) afin que toute la classe ouvrière en lutte puisse écouter ce qui se discutait dans les négociations.
OUI ! Pour cela, il faut que la classe ouvrière en France comme dans tous les pays, prenne confiance en elle-même et en ses propres forces. Il faut qu’elle puisse surmonter les hésitations et surtout la peur de la répression des grèves “sauvages” et “illégales”. Cette peur de la répression (sous forme de sanctions disciplinaires) ne pourra être dépassée que si les travailleurs sont capables de développer la solidarité entre eux, s’ils refusent de se laisser diviser et intimider. Cette peur ne pourra être dépassée que lorsque les exploités prendront conscience qu’ils n’ont plus rien à perdre que leurs chaînes.
Les travailleurs, salariés ou au chômage, ne pourront prendre en mains leur propre destinée que lorsqu’ils auront compris que toutes les actions “radicales”, les actions commandos préconisées par les syndicats (séquestration des patrons, sabotage de la production, blocage des voies ferrées, etc.) ou les actes de désespoir (telles les menaces de faire sauter l’usine, comme on l’a vu à Sodimatex) sont totalement stériles et ne peuvent conduire qu’à la démoralisation et à la défaite. Toutes ces actions pseudo-radicales derrière lesquelles les syndicats cherchent à entraîner les travailleurs les plus combatifs ne servent qu’à défouler leur colère et ne sont que des feux de paille.
Dans les pays “démocratiques”, les syndicats sont les représentants de la “démocratie” bourgeoise au sein de la classe ouvrière, c’est-à-dire de la forme la plus sournoise et hypocrite de la dictature du capital.
Pour pouvoir se battre efficacement en se dégageant de l’emprise totalitaire des syndicats, il faut faire vivre la vraie “démocratie” de la classe ouvrière. Cela veut dire développer la discussion collective au sein des assemblées générales massives et souveraines. Ces AG doivent être des lieux de débats où chacun peut intervenir librement, faire des propositions d’actions soumises au vote. Ces AG doivent élire des délégués révocables à tout moment, qu’ils soient syndiqués ou non. Si les délégués élus ne remplissent pas correctement le mandat confié par l’AG, l’AG suivante doit les remplacer. Contrairement aux méthodes de sabotage syndicales, il faut que ces AG soient ouvertes à TOUS les travailleurs (et pas seulement à ceux de la boîte, de l’entreprise ou de la corporation). Les chômeurs doivent également être invités à y participer activement car ce sont des prolétaires exclus du monde du travail. Les AG souveraines doivent être des lieux de discussions publics, (comme l’ont montré les travailleurs de Vigo en Espagne en 2006). Ce n’est qu’à travers la discussion et la réflexion collective dans ces AG ouvertes à tous que peut se construire l’unité et la solidarité de la classe exploitée. Ce n’est que dans ces Assemblées que peuvent se décider des actions unitaires, être mises en avant des revendications communes à tous et que pourront être démasquées les magouilles des syndicats.
Pour se battre efficacement en se débarrassant des entraves et du carcan des syndicats, les travailleurs doivent immédiatement poser la question de l’extension de leur lutte et de la solidarité avec tous leurs camarades des autres secteurs et entreprises frappés par les mêmes attaques de la bourgeoisie. Lorsque les travailleurs d’une entreprise engagent la lutte, ils doivent envoyer des délégations massives vers les autres entreprises voisines pour entraîner dans la lutte tous les travailleurs de la même zone géographique et élargir leur mouvement de proche en proche.
Aujourd’hui, c’est toute la classe ouvrière qui est attaquée (notamment par la réforme du système de retraites). Il n’y a donc aucune raison de se battre de façon isolée, chacun dans son coin. Il n’y a aucune raison de continuer à se laisser balader par les journées d’action syndicales sans lendemain.
Face aux plans d’austérité dont nous sommes tous victimes, il est possible de lutter efficacement. Mais pour construire un véritable rapport de force capable de faire reculer la bourgeoisie, les travailleurs doivent déjouer les manœuvres de sabotage des syndicats et comprendre qu’ils ne peuvent plus compter sur ces faux amis.
Les organisations syndicales n’ont pas d’autre fonction que de préserver l’ordre social capitaliste et faire passer les attaques du gouvernement et du patronat. Malgré leurs discours “radicaux”, elles ne peuvent que continuer à nous diviser, à nous affaiblir pour empêcher tout “débordement” et nous faire voter la reprise du travail sans n’avoir rien obtenu.
C’est bien grâce aux syndicats que la classe dominante peut continuer à cogner toujours plus fort et à faire payer aux travailleurs les frais de la crise insurmontable du capitalisme.
Sofiane (29 avril)
Isaac Joshua est membre du “Conseil scientifique d’ATTAC”. Les livres qu’il écrit ne présentent donc pas seulement l’opinion d’un universitaire parmi d’autres, ils sont aussi et surtout représentatifs d’une organisation qui a obtenu une audience internationale à partir de la fin des années 1990. ATTAC prétend expliquer l’évolution du capitalisme contemporain et affirme, face à la misère et à la barbarie dans laquelle est en train de nous entraîner cette société, “qu’un autre monde est possible”.
Ainsi, le livre d’I. Joshua la Grande crise du xxie siècle porte comme sous-titre “Une analyse marxiste”. Contrairement à tous ces livres sur “la crise” qui pullulent aujourd’hui sur les étalages des librairies et qui ne font que décrire le terrible approfondissement de la crise que connaît le capitalisme depuis 2007, ce livre se propose, conformément à ce que Marx a fait en analysant les fondements de la vie du capitalisme, de comprendre les causes profondes tant de la crise dont les manifestations sont réapparues il y a quarante ans que de son aggravation actuelle.
Et, effectivement, contrairement aux multiples analyses qui nous disent que tout le mal vient de la politique dite néo-libérale lancée au début des années 1980 par M. Thatcher et R. Reagan, ce livre commence par l’examen de la dégradation de la situation économique du monde qui est en fait apparue dès la fin des années 1960.
Mieux encore. Pour comprendre la crise du capitalisme, le livre commence même par proposer une explication de la période de forte croissance économique qui s’est étendue de la fin de la Seconde Guerre mondiale à la fin des années 1960, les fameuses “Trente Glorieuses” : “Mon hypothèse est que les taux de profit élevés constatés à partir de 1946 en Europe et aux États-Unis s’expliquent comme étant, au premier chef, ceux d’une phase de rattrapage” ([1]). Que veut-il dire par “phase de rattrapage” ? Pour lui, l’expansion connue par le capitalisme jusqu’à la Première Guerre mondiale a subi une rupture du fait de cette dernière, cette rupture se poursuivant à cause de la crise de 1929 et de la Seconde Guerre mondiale. En conséquence, la croissance économique extraordinaire que va connaître le monde dans les années 1950 et 1960 représente, selon lui, la période pendant laquelle le capitalisme va “rattraper” le développement qu’il aurait eu si les événements des années 1914-1945 n’avaient pas eu lieu. Il faut le dire tout de suite, cela ne correspond en rien à l’analyse que Marx a fait du capitalisme : pour lui, l’essor du capital provient du fait que le profit que les capitalistes extraient de l’exploitation des ouvriers est investi, c’est-à-dire accumulé, que cette accumulation permet une plus grande production et que cette production est vendue ou comme le dit Marx, que sa valeur est “réalisée”. Cette idée de “rattrapage” ne nous dit pas pourquoi ces conditions étaient réunies à la fin de la Seconde Guerre mondiale alors qu’elles ne l’étaient ni en 1914, ni en 1929 ou à un quelconque moment de la période qui va de 1914 à 1945.
Poursuivant son analyse, I. Joshua explique que la dégradation de la situation économique à la fin des années 1960 serait due à la fin de ce rattrapage : “l’effet de rattrapage doit, par définition, s’épuiser. En Europe et aux États-Unis, la productivité du capital se dégrade au cours de la seconde moitié des années 1960” ([2]). Si “le rattrapage” ne nous expliquait rien, “la fin du rattrapage” ne nous éclaire pas plus.
Pour Marx et les marxistes, l’apparition de la crise économique n’est jamais vue comme la fin d’un quelconque rattrapage par rapport à une période de forte croissance. Dans le Manifeste communiste, Marx définit la crise de la manière suivante : “Une épidémie sociale éclate, qui à toute autre époque, eut semblé absurde : l’épidémie de la surproduction (...) la société a trop de civilisation, trop de vivres, trop d’industrie, trop de commerce” ([3]). L’idée de “l’épuisement”, de “l’effet de rattrapage”, ne nous dit pas du tout pourquoi il y aurait “trop de vivres, trop d’industrie, trop de commerce”. Pourquoi, comme lors des crises précédentes, la fin des années 1960 est marquée par une surproduction croissante qui se manifeste par une baisse du taux de profit de l’ensemble des capitaux, par une concurrence de plus en plus acharnée entre les entreprises des grands pays et par des crises monétaires qui touchent les États qui n’arrivent plus à écouler les marchandises sur le marché mondial ? I. Joshua est totalement incapable de l’expliquer.
Les premiers chapitres du livre ne peuvent que nous convaincre que le qualificatif “d’analyse marxiste” qu’attribue I. Joshua à son livre est totalement usurpé car on n’y trouve pas, pour toute la période qui va des années 1950 à la fin des années 1970, les bases premières de l’analyse que Marx a fait de l’évolution du capitalisme et de ses crises. Pas plus que les alchimistes ne sont parvenus à transformer le plomb en or, I. Joshua ne peut transformer ses affirmations (qui ne sont même pas démontrées) en une réelle analyse des fondements du capitalisme et de ses crises.
Le début de l’analyse des années 1980-2009 paraît plus intéressant. Joshua explique que le démantèlement du l’État-providence et la baisse des salaires (qu’il appelle la “destruction de la régulation fordiste” ([4])), rendus nécessaires par la fin du “rattrapage”, ont provoqué de nouveaux problèmes pour le capitalisme. La chute des revenus salariaux qu’a entraînée cette politique a obligé les États à “pousser à toute force les dépenses des ménages vers le haut par la réduction de l’épargne et l’accroissement de leur endettement” ([5]), ce dernier étant délibérément provoqué par les États au moyen d’une baisse des taux d’intérêts et toute une série de mesures incitatives. Par exemple, les ménages américains ont pu bénéficier de l’augmentation de la valeur de leur logement (du fait du développement du crédit qui permettait un nombre toujours plus important d’acheteurs) pour emprunter davantage pour leur consommation.
Mais après avoir fait tout ce développement sur l’accroissement de l’endettement des ménages américains (qui devrait aboutir au diagnostic du rôle central qu’a l’endettement pour le maintien d’un niveau de demande qui permette une croissance minimale de la production), Joshua change radicalement de démonstration. Ainsi, lorsqu’il pose le problème de la cause de cette crise, il nous dit que ce qui a maintenu la demande n’est pas la croissance de l’endettement mais, “surtout, (...) l’excès de consommation des plus riches, qui ne souffraient certainement pas d’une insuffisance de revenus” ([6]). Il faut tout d’abord noter le caractère trompeur et nauséabond de cette thèse. Joshua nous ressert ici la vieille recette des “200 familles” du PCF des années 1930 (qui accusait déjà à l’époque les plus riches de France, et leur luxe affiché, d’être la cause de tous les maux du “peuple français”) à la sauce anti-américaine ! Cet altermondialiste pointe en effet du doigt comme bouc émissaire les “20 % de la population [américaine qui] disposent des revenus les plus élevés”. Pour lui, ces “20 %”, en “surconsommant” pendant des décennies, ont engendré la profonde dépression actuelle. Oubliés les millions de tonnes de marchandises que le capitalisme ne parvient pas à vendre et qui l’étouffent ! Oubliés les milliers de milliards de dettes des ménages, des entreprises, des États du monde entier ! Quel rôle ces “20 %” peuvent t-ils donc bien avoir dans cette crise économique effroyable ? Aucun. Il ne s’agit là que d’un leurre, un piège idéologique pour détourner la colère du prolétariat mondial sur les “riches américains” cause de tous les maux et, in fine, épargner le système capitaliste comme un tout.
Mais surtout, par ses démonstrations sur le fait que l’accroissement de la construction immobilière ou l’augmentation de la consommation permis par l’endettement n’a pas été un élément important de l’accroissement de la demande entre 1982 et 2009, Joshua “oublie” ce qu’il nous affirmait quelques pages plus haut. I. Joshua avait dit que les États poussaient à l’accroissement de l’endettement et c’est vrai ! Entre les deux années que nous venons de mentionner, l’accroissement annuel moyen de l’endettement des ménages, des entreprises et de l’État exprimé en pourcentage du PIB est de 4,2 % tandis que l’accroissement du PIB lui-même sur la même période est d’environ 3 % par an ([7]). Autrement dit, pendant toute cette période, l’accroissement de l’endettement a représenté en moyenne annuelle une part de la production nationale plus élevée que l’augmentation elle-même de cette production ; et ce qui est vrai pour les États-Unis l’est aussi pour la plupart des pays développés. Alors, nous dire que, pendant cette période, l’endettement n’a pas constitué un élément essentiel de la demande aux États-Unis signifie que l’on est en train de nous faire prendre des vessies pour des lanternes !
Mais les démonstrations falsificatrices ne s’arrêtent pas là. Si, pour Joshua, la demande n’est pas, contrairement à ce qu’a dit Marx, un des éléments essentiels qui font partie des causes des crises du capitalisme, on est obligé de poser la question : pour lui, dans “son analyse marxiste”, quelle est la cause de la crise dont nous sommes en train de subir les conséquences ? I. Joshua énonce plusieurs fois sa réponse : “(...) La crise actuelle est clairement le prolongement de la crise de la nouvelle économie qui, elle-même, est indéniablement une crise de suraccumulation” ([8]). Que peut vouloir dire le terme de “suraccumulation” du capital dans le cadre des analyses que nous ont laissés depuis deux siècles Marx et les théoriciens qui ont poursuivi son œuvre, alors qu’eux-mêmes n’ont pas ou peu employé ce terme ? Fondamentalement, il n’y a que deux directions qui ont été montrées par les révolutionnaires marxistes pour expliquer l’inévitabilité des crises du capitalisme.
L’une des interprétations est celle que Rosa Luxemburg a développée à partir des travaux de Marx. Selon elle, la nécessité pour le capital d’obtenir un profit qui sera accumulé implique nécessairement que les salaires versés par les capitalistes aux ouvriers ne permettront pas à ces derniers l’achat de l’ensemble de la production qu’ils ont réalisé. En conséquence, en l’absence de débouchés extérieurs à la sphère capitaliste, cette dernière se retrouvera immanquablement dans une situation de surproduction. L’autre interprétation mise en avant par Marx et par de nombreux révolutionnaires à sa suite consiste dans la “loi de la baisse tendancielle du taux de profit”. Cette loi démontre que le taux de profit baisse au fur et à mesure que grandit la part du capital total représenté par la valeur des machines. Il faut noter que cette loi se traduit elle-même par la surproduction parce qu’elle implique que les capitalistes ne parviennent pas à vendre leurs marchandises avec un taux de profit suffisant.
Or Joshua récuse explicitement ces manières d’expliquer la crise actuelle. Il nous dit sans explication que la crise actuelle (pas plus que les précédentes) n’est “une crise des débouchés” ([9]), même s’il nous dit comme nous l’avons vu plus haut que l’endettement a été développé “pour pousser à toutes forces les dépenses des ménages vers le haut” ; comprenne qui pourra ! Il nous dit ensuite à propos de la loi de la baisse tendancielle du taux de profit : “Cependant, pour Marx, cette loi est de long terme et il accorde beaucoup d’attention à cet aspect” ([10]), cela veut dire en clair que cette loi n’est pas une explication pour des phénomènes violents comme l’approfondissement actuel de la crise économique. Et c’est tout : on ne trouve aucune autre réfutation des causes des crises qui avaient été mises en avant par les révolutionnaires du passé.
Mais alors, comment I. Joshua explique-t-il, en général, ce qui est pour lui la cause de la crise, à savoir la “suraccumulation” du capital ? La réponse est martelé sans ambiguïté : “(...) Résumons ce qui nous paraît essentiel pour comprendre l’origine de la crise actuelle. Elle est une manifestation de la foncière instabilité du capitalisme (...)” ([11]). Pour lui, c’est de cette manière qu’il faut comprendre que, dès la fin des années 1980, le capital américain a recouru, pour faire face à ses problèmes, à l’endettement massif, à la “surconsommation” des riches, ce qui a provoqué la dégradation de son commerce extérieur, la chute de la valeur du dollar, etc.
Marx et ceux qui ont continué son travail ont bien diagnostiqué que le capitalisme est “instable” ; Marx l’a démontré dès les premiers chapitres du Capital en indiquant que rien n’assure que n’importe quelle marchandise produite (et c’est donc vrai pour toutes les marchandises) sera vendue. Il est possible que Joshua se réfère à cette analyse de Marx. Mais, cette “instabilité” est une donnée permanente du capitalisme ; elle existe autant pendant les périodes de prospérité que pendant les crises. C’est pour cela qu’une grande partie des travaux des révolutionnaires marxistes sur les questions économiques a été consacrée à la recherche des raisons pour lesquelles cette instabilité débouchait sur des crises. C’est aussi pour cela qu’ils ont cherché à déterminer le plus clairement possible si cette crise du capitalisme n’était pas seulement possible du fait de son instabilité, mais si elle était inévitable.
Une telle démonstration fait partie intégrante de la méthode marxiste : la base du matérialisme historique est constituée par le fait que l’histoire de l’humanité a été une succession inévitable, jusqu’à présent, de modes de production. Chaque mode de production entre en crise, c’est-à-dire en déclin, après une période de développement. Tel a été le cas pour l’esclavagisme et le féodalisme. Il en sera de même pour le capitalisme qui va inévitablement périr et être remplacé soit par une barbarie sans nom, soit par le seul “autre monde possible”, le socialisme. En résumé, dire que la cause des crises du capitalisme est son “instabilité”, alors que cette instabilité existe depuis sa naissance, gomme cette alternative pour le moins essentielle.
C’est d’ailleurs pour cela que bien des économistes – en particulier Keynes – dont le but avoué était de sauver le capitalisme, ont constaté cette instabilité : il était nécessaire pour eux de trouver une ou des manières de “réguler” ce système et de le rendre plus “stable”.
Après nous avoir donné des mots (rattrapage, fin du rattrapage, suraccumulation, etc.) en guise d’explication, I. Joshua nous fait la description du déroulement de l’accélération de la crise actuelle qui est passée de l’impossibilité de remboursement par les ménages de la dette qu’ils ont contractée pour l’achat de leur logement (les fameux prêts subprimes) à la dépression économique. La description de ces mécanismes n’est ni mieux ni moins bien faite que celle que font tous les autres livres qui sont sur les étalages des librairies, mais cela fait sérieux et savant. En fait, I. Joshua prend ses lecteurs pour des pies : il les attire par des mots et des descriptions brillantes pour qu’ils pensent qu’il vient de leur livrer des pierres précieuses alors que ce n’est que de la vulgaire verroterie.
Alors, à quelles propositions concrètes aboutit cette marchandise frelatée. Quel “autre monde possible” nous promet-il ?
On voit assez vite vers quel “autre monde” Joshua veut nous entraîner. Il donne d’abord les conditions que les Etats doivent respecter pour sauver le système bancaire. Or, dans une société qui produirait pour les besoins humains, c’est-à-dire le communisme qui est le seul qui puisse en finir avec les crises économiques, les banques seraient, comme les autres institutions du capitalisme, remisées au musée de l’histoire. La perspective que nous propose Joshua devient encore plus claire quand il fait des propositions plus précises :
– “la constitution d’un grand pôle bancaire public” qui ressemble comme deux gouttes d’eau à la Gosbank de l’URSS,
– “une taxation renforcée des plus-values” et “la non-cessibilité des titres” ; en d’autres termes, la plus-value serait concentrée entre les mains de l’État et la propriété des entreprises serait entre les mains d’une minorité dirigeante inamovible,
– “le bilan désastreux de l’URSS semble avoir condamné à tout jamais la notion de planification. Il serait temps d’affronter nos peurs et de mettre en œuvre une planification (...) concrétisée par des politiques de branches ([12]) ; en d’autres termes “le bilan désastreux” de l’URSS n’empêche pas Joshua de nous dire qu’il faut recommencer la même expérience d’une planification étatique avec des objectifs à réaliser par branche d’activités !
Il n’y a pas de doute sur le fait que ce que l’on nous présente là est le capitalisme d’État tel qu’il était pratiqué en URSS.
Bien sûr, à côté de cela, on trouve la démagogie habituelle sur “la stabilisation du marché du travail en rétablissant la prépondérance des CDI”, “un nouveau partage de la valeur ajoutée [pour] garantir le pouvoir d’achat des salariés” ([13]), etc. On sait ce que valent toutes ces promesses dans le capitalisme en crise ! Ce capitalisme, Joshua ne nous propose pas du tout de le détruire mais au contraire de l’aménager en semant l’illusion d’un retour possible à l’Etat-providence (dans lequel on remplacerait les directeurs d’entreprises par des commis de l’État).
De telles revendications sont lancées régulièrement par les partis d’extrême-gauche pour nous faire croire qu’ils peuvent réformer le système pour le rendre plus social. Joshua est membre du Conseil scientifique d’ATTAC et son livre nous permet de constater une fois de plus que, dès qu’on déchire le voile de la propagande sur “un autre monde est possible”, on voit poindre à nouveau le miroir aux alouettes du modèle étatique de la réorganisation stalinienne de la production pour régir la société capitaliste, tendu vers les ouvriers pour les empêcher de prendre conscience de la nécessité du renversement du capitalisme et de son appareil d’État.
Vitaz (20 avril)
1.) Isaac Joshua, La Grande crise du xxie siècle, une analyse marxiste, Ed. La Découverte, mars 2009, p.17.
2.) Idem, p. 18
3.) K. Marx et F. Engels, le Manifeste communiste, in “Œuvres”, T. 1, collection La Pléiade, Gallimard, p.167.
4.) Nous n’examinerons pas la pertinence de ce qualificatif dans l’espace limité de cet article, mais certaines explications pourront être trouvées dans nos Revues internationales nos 133 [78], 135 [79], 136 [80], 138 [81],141 [82].
5.) La Grande crise..., op.cit., p. 23.
6.) Idem, p. 51.
7.) Pour ce qui est de l’accroissement de l’endettement, les chiffres proviennent de la Réserve fédérale, tandis que pour la production, on a utilisé des chiffres fournis par les conseillers du Président (Council of Economic Advisers).
8.) La Grande crise..., op.cit., p. 54.
9.) Idem, p. 48.
10.) Idem, p. 59.
11.) Idem, p. 40.
12.) Idem, p. 127.
13.) Ibidem.
Le 29 mars, entre 6 heures et 7 heures du matin, deux attentats-suicides ont eu lieu coup sur coup dans le métro de Moscou, faisant plus de 30 morts et près d’une trentaine de blessés dont on ne sait combien resteront estropiés ou avec de graves séquelles de tous ordres pour le restant de leur vie. Tous ces gens se rendaient au travail et, une fois de plus, c’est la classe ouvrière qui a payé le prix fort du terrorisme aussi aveugle que stupide, comme la plupart des attentats que Moscou a connu depuis 1999 et qui ont fait 500 morts.
Les dernières attaques ont été revendiquées par “l’émir du Caucase”, Dokou Oumarov, qui a déclaré qu’elles étaient une “action de vengeance au carnage” effectué sur des habitants tchétchènes et ingouches par les forces russes près du village d’Archty en Ingouchie le 11 février dernier. Cette petite république connaît en effet une forte répression de l’armée russe, moindre que celle vécue en Tchétchénie mais en progression, car elle a fait 260 morts en 2009.
Bien sûr, les “grands” de ce monde se sont élevés pour stigmatiser ces attaques et exprimer leur “solidarité” avec la Russie. Obama se déclarait prêt “à coopérer avec la Russie pour aider à traduire en justice” les responsables, tandis que Sarkozy condamnait ces attentats “odieux” et “lâches”. Quant à l’État russe, sa réaction a été plus vive : “La politique de la répression de la terreur et de la lutte contre le terrorisme va se poursuivre. Nous allons poursuivre les opérations contre les terroristes sans compromis et jusqu’au bout.”, disait Medvedev, tandis que Poutine assurait une fois de plus : “Les terroristes seront anéantis”.
Tous ces hypocrites peuvent multiplier les déclarations les plus indignées, le terrorisme n’en reste pas moins un instrument entre leurs mains, dont ils se servent au moins de deux façons : pour justifier leurs exactions guerrières et renforcer les armes de répression contre la population.
Ainsi, en Russie, dans ce pays pourtant doté historiquement d’un arsenal répressif impressionnant, la bourgeoisie a répondu à chaque acte de terreur par la création de lois pour accentuer le contrôle de la population et de la classe ouvrière. Après les attentats de 1999, le maire de Moscou renforçait les mesures d’enregistrement des Russes présents temporairement dans la ville, exigeant un nouvel enregistrement après trois jours de présence. En octobre 2002, une loi interdisait aux médias de donner des informations sur les opérations antiterroristes (comme en Tchétchénie). Après l’attentat de 2003, une loi était promulguée, instituant des sortes de comités publics de délation habilités à rapporter à la police trois fois par mois toutes sortes de “troubles”.
Depuis les attentats de février 2004, une nouvelle loi permet d’arrêter et de retenir sans preuve jusqu’à 30 jours toute personne soupçonnée d’accointances avec des terroristes ou des extrémistes. Puis la même année, c’est l’introduction d’un “état d’urgence” pouvant être justifié par des opérations antiterroristes où la population voit ses droits restreints.
Avec les attentats de cette année, le gouvernement russe prévoit le relevé d’empreintes de toute la population de la Fédération de Russie, les contrôles renforcés sur l’Internet, la mise en place de caméras dans tous les transports et des mesures pour faciliter l’arrestation des “complices de terroristes”.
La bourgeoisie sait bien que cet arsenal répressif, à l’instar des plans Vigipirate en France ou d’autres ailleurs, n’est pas destiné à empêcher les terroristes d’agir. Que faire par exemple contre des kamikazes fanatisés, hommes ou femmes ? Leur prendre les empreintes digitales ou les filmer dans les transports ? Quant à leurs complices, quand ils en ont, c’est bien plus du côté des instances étatiques qu’il faut chercher que dans la population. Tous les services secrets des Etats dans le monde le savent.
Ceux qui sont visés, ce sont les ouvriers, qui manifestent et manifesteront toujours plus fort dans l’avenir leur mécontentement devant les conditions de misère capitalistes.
Cependant, si la bourgeoisie russe utilise “son” terrorisme pour ses besoins répressifs, comme ses consœurs européennes et américaine, elle le fait aussi pour les besoins de sa politique guerrière dans le Caucase. Cette région est le théâtre d’une offensive de la Russie depuis le début des années 1990 et la dislocation de l’URSS (voir nos différents articles sur les guerres en Tchétchénie, etc.). Les deux guerres menées en Tchétchénie depuis 1992 par Moscou avaient eu pour objectif de mater la rébellion tchétchène, mais aussi de tenter de s’assurer le contrôle de cette zone truffée de minorités ethniques, pas moins d’une quinzaine, cherchant toutes peu ou prou à exiger leur indépendance, et, ce qui n’arrange rien, subdivisées en six catégories religieuses distinctes. La naissance des États sécessionnistes d’Arménie, d’Azerbaïdjan et de Géorgie dès 1991 aura été une des premières pierres lancées dans le jardin de l’ex-URSS. Mais l’enjeu principal que représente le Caucase, cette ligne de division entre l’Europe et l’Asie, ne consiste pas seulement pour la Russie à affirmer sa présence dans cette région comme son contrôle sur la mer Noire, mais en plus et surtout de contrer la mainmise américaine. Ainsi, depuis 1991, la Géorgie se trouve au centre du conflit américano-russe pour le contrôle de la région caucasienne. Les différents conflits avec l’Ossétie du Sud et avec l’Abkhazie, qui faisaient initialement partie du territoire géorgien, marquent cette lutte et ces tensions permanentes entre les États-Unis et la Russie. Sa position stratégique au cœur du Caucase en a fait une clef du contrôle militaire russe sur la région ainsi qu’un lieu de transit obligé des relations transcaucasiennes. L’Ossétie du Sud et aussi la Géorgie sont situées au cœur de la région stratégique du Caucase, point de passage d’importants oléoducs et lieu de tensions entre les influences russe et occidentale. Lors de l’offensive catastrophique d’août 2008 menée par le président géorgien Saakhachvili, l’État russe avait montré sa détermination à ne rien lâcher et même à mettre le feu aux poudres si nécessaire. Poutine n’avait-il pas dit qu’une “nouvelle guerre froide” ne lui faisait pas peur ?
Ces derniers attentats de Moscou, après 5 ans “d’accalmie”, ne surviennent pas par hasard, et quels qu’en soient les commanditaires, il est clair qu’ils sont l’émanation et la manifestation, directe ou indirecte, d’une aggravation des tensions guerrières dans le Caucase, avec une Russie qui y défendra coûte que coûte ses prérogatives.
Une fois encore, ce sont les populations qui vont en payer le tribut.
Wilma (28 avril)
Ces dernières semaines, des vies ont encore été laissées dans des catastrophes dites “naturelles”. Au Pérou, début avril, les fortes pluies habituelles de la saison ont entraîné une coulée de boue et de pierres qui a fait 20 morts, 25 disparus et une cinquantaine de blessés. Les 120 habitations endommagées (une soixantaine a carrément été détruite) appartenaient à un village andin et principalement à un bidonville situé à flanc de colline (1). Les rescapés ont fini dans des tentes.
Au Brésil, quelques jours après, d’autres coulées de boue ont fait 205 morts dans la région de Rio, et laissé dehors des milliers de sans-abri. Là aussi, ce sont des bidonvilles, les fameuses favelas, qui ont été emportés. Là aussi, ces baraques étaient “construites” à flanc de colline, que la colline soit naturelle ou non (l’une des favelas était sur une ancienne décharge) (2).
Les maigres secours mobilisés ont été vite dépassés et n’ont pas permis de dégager tous les corps. Le chaos s’est installé dans ces régions et les pouvoirs publics, dans la panique, n’ont eu comme réflexe que d’évacuer de force les habitations situées dans des zones estimées dangereuses.
Tout cela a un air de déjà-vu, et pas seulement en rapport avec les inondations récentes sur le littoral français. Le fait est que ce ne sont pas les premiers éboulements que la région doit affronter, notamment au Pérou. Bien au contraire, “les glissements de terrain dus aux précipitations sont fréquents pendant la saison des pluies dans les régions andines du Pérou” (3). Pourtant, à chaque fois, la bourgeoisie reste inerte et impuissante face au danger. Elle fait preuve de la plus totale incurie quand la catastrophe survient.
Les populations les plus pauvres de ces pays n’ont pas d’autre choix que de s’amasser dans des abris de fortune là où le capital laisse la terre inexploitée. C’est-à-dire là où le risque est trop grand de voir disparaître ses investissements dans une coulée de boue ou un éboulement de pierres.
Pourquoi la bourgeoisie irait-elle sacrifier des zones constructibles ou cultivables pour loger en sécurité la population désœuvrée qui se tasse dans les favelas ? Quel intérêt en tirerait-elle ?
Les larmes de crocodile versées sur les cadavres, les mesures d’expulsion d’urgence (mais pour aller où ?) et les grands projets de relogement annoncés sur les corps encore chauds des victimes ne font pas longtemps illusion : il n’y a pas un sole, pas un real, encore moins un dollar à mettre dans le moindre de ces projets. L’aide internationale est, comme à chaque catastrophe, l’expression profondément cynique de positions et d’appétits impérialistes, et rien d’autre (4). D’ailleurs, sitôt les bulldozers passés, la population n’en voit plus la couleur.
A la prochaine saison des pluies, le sol glissera de nouveau, emportant d’autres victimes. Et encore une fois, la bourgeoisie nous promettra la main sur le cœur que tout sera fait pour se prémunir de ces “coups du sort”.
Mais le sort n’a pas grand chose à faire là-dedans. Eviter un glissement de terrain est difficile, certes, mais il est beaucoup plus facile d’éviter qu’il ne fasse des victimes, simplement en évitant que des populations s’installent sur les zones connues comme instables. Le souci est que le coût d’un tel dispositif est contraire aux lois du capitalisme qui veulent que ce qui n’est pas source directe ou indirecte de profit n’a pas à être pris en charge.
Les phénomènes naturels ne devraient jamais être que des phénomènes, aussi spectaculaires soient-ils. Mais ils resteront des catastrophes tant que les lois capitalistes régiront le monde.
GD (23 avril)
1) Lemonde.fr, 3 avril.
2) Lepoint.fr, 10 avril.
3) Lemonde.fr, 3 avril.
4) Voir à ce sujet nos articles sur le récent séisme en Haïti.
Dans RI no 409 (février 2010), nous avons écrit un article sur “le suicide et la souffrance au travail [87]”. Nous avons également organisé une série de réunions publiques autour de ce thème fortement marqué par une actualité récente. En reprenant ici les éléments essentiels d’un article déjà publié dans notre Revue internationale (no 86, 3e trimestre 1996) (1), nous entendons montrer que la souffrance au travail n’est pas une fatalité et que le travail peut aussi être une source de plaisir dans une société future débarrassée des rapports d’exploitation, où l’homme ne sera plus considéré comme une marchandise contraint de vendre sa force de travail. Il est clair que nous rejetons également avec force et indignation toute idéologie productiviste ou stakhanoviste développée et glorifiée par les diverses formes de l’exploitation capitaliste.
Le marxisme commence par la compréhension que le travail est “l’acte d’autogenèse de l’homme”, comme l’écrit Marx dans les Manuscrits économiques et philosophiques où il porte cette découverte au crédit de Hegel, même si ce dernier l’a faite de façon formelle et abstraite. En 1876, Engels utilisait les découvertes les plus récentes en anthropologie et confirmait que “le travail a créé l’homme lui-même” (2). La puissance du cerveau humain, la dextérité de la main humaine, le langage et la conscience, spécifiquement humaine, de soi et du monde, sont nés du processus de fabrication des outils et de transformation de l’environnement extérieur ; bref, du travail qui constitue l’acte d’un être social travaillant collectivement.
Mais dans des conditions de pénurie matérielle, et en particulier dans la société divisée en classes, le travail qui crée et reproduit l’homme a aussi eu pour résultat que les pouvoirs propres de l’homme échappent à son contrôle et le dominent.
L’aliénation de l’homme envers lui-même se situe d’abord et avant tout dans la sphère où il se crée lui-même, la sphère du travail. Le dépassement de l’aliénation du travail constitue donc la clé du dépassement de toutes les aliénations qui tourmentent l’humanité, et il ne peut y avoir de transformation réelle des rapports sociaux (que ce soit la création de nouveaux rapports entre les sexes, ou une nouvelle dynamique entre 1’homme et la nature) sans transformation du travail aliéné en une activité créative agréable.
Certaines sectes “modernistes” ont utilisé la critique du travail aliéné pour en déduire que le communisme signifie non seulement l’abolition du travail salarié – dernière forme du travail aliéné dans l’histoire – mais aussi celle du travail tout court. De telles conceptions envers le travail sont typiques de la petite-bourgeoise qui se désintègre et des éléments déclassés qui considèrent les ouvriers comme de simples esclaves et qui pensent que le “refus” individuel “du travail” constitue un acte révolutionnaire. De tels points de vue ont en fait toujours été utilisés pour discréditer le communisme. Auguste Bebel a répondu à cette accusation dans la Femme et le socialisme, quand il souligne que le véritable point de départ de la transformation socialiste n’est pas l’abolition immédiate du travail, mais l’obligation universelle de travailler :
“La société une fois en possession de tous les moyens de production, mais la satisfaction des besoins n’étant possible qu’avec l’apport d’un travail correspondant, et nul être valide et capable de travailler n’ayant le droit de demander qu’un autre travaille pour lui, la première loi, la loi fondamentale de la société socialisée, est que l’égalité dans le travail doit s’imposer à tous, sans distinction de sexe. L’allégation de certains de nos adversaires malveillants qui prétendent que les socialistes ne veulent pas travailler et cherchent même autant que possible à supprimer le travail – ce qui est un non-sens –, se retourne contre eux-mêmes. Il ne peut y avoir de paresseux que là où d’autres travaillent pour eux. Ce bel état de choses existe à l’ heure actuelle, et même presque exclusivement, au profit des adversaires les plus acharnés des socialistes. Ces derniers posent en principe : “Qui ne travaille pas ne doit pas manger”. Mais le travail ne doit pas être du travail seul, c’est-à-dire de la simple dépense d’activité : il doit être aussi du travail utile et productif. La société nouvelle demande donc que chacun prenne une fonction donnée, industrielle, professionnelle ou agricole, qui lui permette d’aider à créer la quantité de produits nécessaires à la satisfaction des besoins courants. Pas de jouissance sans travail, pas de travail sans jouissance” (3).
De ce que dit Bebel, il découle que, dans les premières étapes de la révolution communiste, l’obligation universelle du travail contient un élément de contrainte. Le prolétariat au pouvoir comptera certainement d’abord et avant tout sur l’enthousiasme et la participation active de la masse de la classe ouvrière qui sera la première à voir qu’elle ne peut se débarrasser de l’esclavage salarié que si elle est prête à travailler en commun pour produire et distribuer les biens de première nécessité. Dans cette phase du processus révolutionnaire, le travail trouve déjà sa contrepartie en ce qu’il est immédiatement vu comme socialement utile – du travail pour un bienfait commun réel et observable et non pour les besoins inhumains du marché et du profit. Dans ces circonstances, même le travail le plus dur prend un caractère libérateur et humain puisque “dans l’utilisation et la jouissance que tu as de mon produit, j’aurais la satisfaction immédiate et la connaissance que par mon travail, j’ai gratifié un besoin humain... Dans 1’expression individuelle de ma propre vie, j’aurai provoqué l’expression immédiate de ta vie, et ainsi, dans mon activité individuelle, j’aurai directement confirmé et réalisé ma nature authentique, ma nature humaine, communautaire” (4). Néanmoins, ce soulèvement politique et social gigantesque requerra d’abord inévitablement de très grands sacrifices, et les seuls sentiments ne suffiront pas à convaincre ceux qui sont habitués à l’oisiveté et à vivre du labeur des autres de se soumettre volontairement à la rigueur et à la discipline du travail associé. L’utilisation de la contrainte économique – celui qui ne travaille pas, ne mange pas – constitue donc une arme nécessaire de la “dictature” du prolétariat, de l’abolition de l’exploitation. Il faut immédiatement préciser que cette règle ne peut s’appliquer que dans le respect des principes communistes de solidarité de classe exprimés de façon limpide par Marx dans l’Idéologie allemande : “De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins”, ce qui signifie entre autres qu’il revient bien évidemment à la collectivité de prendre en charge les invalides, les handicapés, les malades... Ce n’est que dans une société socialiste plus développée qu’il deviendra clair et évident pour tout le monde que c’est dans l’intérêt de chaque individu de prendre pleinement sa part à la production sociale.
En même temps, ce n’est pas du tout le but du mouvement communiste d’en rester à un stade où la seule contrepartie du travail est qu’il bénéficie à quelqu’un d’autre. S’il ne devient pas un plaisir en lui-même, la contre-révolution s’établira, et les sacrifices volontaires du prolétariat à la cause commune deviendront des sacrifices pour une cause étrangère – comme en témoigne la tragédie de la défaite de la Révolution russe qui a donné naissance au stalinisme. C’est pourquoi Bebel ajoute, immédiatement après le passage cité ci-dessus :
“Mais, dès lors que tous sont astreints au travail, tous ont aussi le même intérêt à réaliser dans celui-ci trois conditions : 1) qu’il soit modéré, ne surmène personne et ne s’étende pas trop en durée ; 2) qu’il soit aussi agréable et aussi varié que possible ; 3) qu’il soit rémunérateur autant qu’il se pourra, car de là dépend la mesure du bien être” (5).
Dans les trois conditions mises en avant par Bebel pour que le travail soit agréable, l’élément de repos, de loisir et de détente est élaboré très concrètement : il insiste sur la possibilité de réduire la journée de travail à une fraction de ce qu’elle était alors (et est toujours). C’est parce que, face à une société capitaliste qui vole les meilleures heures, les meilleurs jours et les meilleures années de la vie de l’ouvrier, les révolutionnaires ont le devoir élémentaire de démontrer que le développement même de la machine capitaliste a rendu ce vol historiquement injustifiable. C’est aussi le thème de la brochure sardonique de Paul Lafargue le Droit à la paresse, publiée en 1883. A l’époque, il était déjà plus qu’évident qu’une des contradictions les plus frappantes dans le développement de la technologie du capitalisme, c’était que tout en créant la possibilité de libérer l’ouvrier des travaux pénibles, il ne semblait être utilisé que pour l’exploiter plus intensivement que jamais. La raison en était simple : sous le capitalisme, la technologie n’est pas développée au bénéfice de l’humanité, mais pour les besoins du capital.
Dans le même ordre d’idées, Bebel cite les calculs des scientifiques bourgeois de la fin du xixe siècle qui montrent qu’avec la technologie existant déjà à son époque, la journée de travail pouvait être réduite à une heure et demie par jour ! Bebel était particulièrement optimiste sur les possibilités qu’ouvrait le développement de la technologie dans cette période d’expansion capitaliste sensationnelle. Mais cet optimisme n’était pas une apologie béate du progrès capitaliste. Ecrivant sur l’énorme potentiel contenu dans l’utilisation de l’électricité, il défendait aussi que “cette force naturelle n’atteindra son maximum d’utilisation et d’application que dans la société socialisée” (6). Même si aujourd’hui le capitalisme a “électrifié” la plus grande partie (et non pas la totalité) de la planète, on saisit la pleine signification de la vision de Bebel quand, un peu plus loin, il remarque que “tous nos cours d’eau, le flux et le reflux de la mer, le vent, la lumière du soleil, convenablement utilisés fournissent d’innombrables chevaux-vapeurs” (7). Les méthodes que le capitalisme a adoptées pour fournir l’électricité – brûler du pétrole et l’énergie nucléaire – ont amené de nombreux effets secondaires nuisibles, notamment sous forme de pollution, tandis que les besoins du profit ont conduit à négliger le “nettoyage” ainsi que des sources d’énergie plus abondantes telles que le vent, les marées et le soleil.
Mais pour les socialistes de la fin du xixe siècle, la réduction du temps de travail ne serait pas seulement le résultat de l’utilisation rationnelle des machines. Elle serait également rendue possible par l’élimination du gigantesque gaspillage de force de travail, inhérent au mode de production capitaliste. Dès 1845, dans l’un des ses “Discours d’Eberfeld”, Engels a attiré l’attention là-dessus, montrant la façon dont le capitalisme ne pouvait éviter de gaspiller les ressources humaines puisqu’il emploie des hommes d’affaires et des intermédiaires financiers, des policiers, des gardiens de prison, des soldats et des marins pour mener ses guerres, et par dessus tout par le chômage forcé de millions de travailleurs à qui l’accès à tout travail productif est fermé à cause des mécanismes de la crise économique. Les socialistes de la fin du xixe siècle n’étaient pas moins frappés par ce gaspillage et montraient le lien entre le dépassement de celui-ci et la fin de l’exploitation du prolétariat.
De tels sentiments sont plus vrais que jamais aujourd’hui, dans un capitalisme décadent où la production improductive (armement, bureaucratie, publicité, spéculation, drogue, etc.) a atteint des proportions sans précédent et où le chômage massif est devenu un fait permanent de la vie, tandis que la journée de travail est, pour la majorité des ouvriers actifs, plus longue qu’elle ne l’était pour leurs aînés du xixe siècle. De telles contradictions offrent la preuve la plus frappante de l’absurdité qu’est devenu le capitalisme et donc de la nécessité de la révolution communiste.
Le but de la révolution communiste n’est pas seulement de libérer les êtres humains du travail désagréable : “le travail doit aussi être rendu agréable” comme le dit Bebel. Il élabore alors certaines conditions pour que ce soit le cas.
La première condition est que le travail se déroule dans un environnement agréable :
“Pour cela, il faut construire de beaux ateliers, installés d’une façon pratique, mettre le plus possible d’ouvriers à l’abri de tout danger, supprimer les odeurs désagréables, les vapeurs, la fumée, en un mot tout ce qui peut causer du malaise ou de la fatigue.
“Au début, la société nouvelle produira avec ses anciennes ressources et le vieil outillage dont elle aura pris possession. Mais, si perfectionnés qu’ils paraissent, ceux-ci seront insuffisants pour le nouvel ordre de choses. Un grand nombre d’ateliers, de machines, d’outils disséminés et à tous égards insuffisants, depuis les plus primitifs jusqu’aux plus perfectionnés, ne seront plus en rapport ni avec le nombre des individus qui demanderont du travail, ni avec ce qu’ils exigeront d’agrément et de commodité.
“Ce qui s’impose donc de la manière la plus urgente, c’est la création d’un grand nombre d’ateliers vastes, bien éclairés, bien aérés, installés de la façon la plus parfaite, et bien décorés. L’art, la science, l’imagination, l’habileté manuelle trouveront ainsi un vaste champ ouvert à leur activité. Tous les métiers qui ont trait à la construction des machines, à la fabrication des outils, à l’architecture, tous ceux qui touchent à l’aménagement intérieur pourront se donner largement carrière” (8).
L’usine est souvent décrite dans la tradition marxiste comme un véritable enfer sur terre. Et ceci n’est pas seulement vrai de celles qu’il est respectable d’abhorrer – celles des jours sombres et lointains de la “révolution industrielle” dont les excès sont admis – mais également de l’usine moderne à l’époque de la “démocratie” et de l’Etat-providence. Mais pour le marxisme, l’usine est plus que cela : c’est le lieu où les travailleurs associés se retrouvent, travaillent ensemble, luttent ensemble, et elle constitue donc une indication sur les possibilités de l’association communiste du futur. En conséquence, les marxistes de la fin du xixe siècle avaient tout à fait raison d’envisager une usine du futur, transformée en centre d’apprentissage, d’expérimentation et de création.
Pour que ce soit possible, il est évident que l’ancienne division capitaliste du travail, sa manière de réduire quasiment tous les travaux à une routine répétitive qui engourdit l’esprit, doivent être supprimées aussi vite que possible. Aussi les écrivains socialistes de la fin du xixe siècle (comme William Morris en Angleterre), suivant une fois encore Marx, insistent sur la nécessité que le travail soit varié, qu’il change et ne soit plus paralysé par la séparation rigide entre l’activité mentale et l’activité physique. Mais la variété qu’ils proposaient – basée sur l’acquisition de différentes qualifications, sur un équilibre approprié entre l’activité intellectuelle et l’exercice physique – constituait bien plus qu’une simple négation de la sur-spécialisation capitaliste, plus qu’une simple distraction vis-à-vis de l’ennui de cette dernière. Elle voulait dire le développement d’une nouvelle sorte d’activité humaine dans le sens plein, qui soit en fin de compte conforme aux besoins les plus profonds du genre humain :
“Le besoin de liberté dans le choix et le changement d’occupation est profondément enraciné dans la nature humaine. Il en est d’un travail donné, tournant chaque jour dans le même cercle, comme d’un mets dont le retour constant, régulier, sans changement, finit par le faire paraître répugnant ; l’activité s’émousse et s’endort. L’homme accomplit machinalement sa tâche, sans entrain et sans goût. Et pourtant il existe chez tout homme une foule d’aptitudes et d’instincts qu’il suffit d’éveiller et de développer pour produire les plus beaux résultats et pour faire de lui un homme vraiment complet. La socialisation de la société fournit largement l’occasion de satisfaire ce besoin de variété dans le travail” (9).
Cette variété n’a rien de commun avec la recherche frénétique de l’innovation pour elle-même qui est de plus en plus devenue le sceau de la culture capitaliste décadente. Elle est fondée sur le rythme humain de la vie où le temps disponible est devenu la mesure de la richesse. Travailler avec entrain et dans la joie ; le réveil des aptitudes et des désirs réprimés. Bref, le travail comme activité consciemment sensuelle.
Marx avait soutenu l’insistance de Fourier selon laquelle le travail, pour être digne des êtres humains, devait se baser sur une “attirance passionnelle”, ce qui est certainement une autre façon de parler de “l’Eros” que Freud a ultérieurement approfondi.
Freud a remarqué que l’homme primitif “rendait son travail agréable en le traitant, pour ainsi dire, comme un équivalent et un substitut des activités sexuelles” (10). En d’autres termes, dans les premières formes de communisme primitif, le travail n’était pas encore devenu ce que Hegel a défini dans la Phénoménologie de l’esprit comme “le désir réprimé et contenu”. En termes marxistes, l’aliénation du travail ne commence pas vraiment avant l’avènement de la société divisée en classes. Le communisme du futur réalise donc une réintégration généralisée de la charge sensuelle du travail et de l’activité humaine qui, dans les sociétés de classe, ont généralement constitué le privilège de l’élite des artistes.
En même temps, dans les Grundrisse, Marx critique l’idée de Fourier selon laquelle le travail puisse devenir un jeu, dans le sens d’un “simple plaisir et d’un simple amusement”. C’est parce que le communisme scientifique a compris que l’utopisme est toujours dominé par une fixation sur le passé. Un homme ne peut pas redevenir un enfant, comme le note Marx dans le même écrit. Mais il poursuit en soulignant que l’homme peut et doit retrouver la spontanéité de l’enfance ; l’adulte qui travaille et prévoit le futur, doit apprendre à réintégrer le lien érotique de l’enfant au monde. L’éveil des sens, décrit dans les Manuscrits économiques et politiques, nécessite un retour au royaume perdu du jeu, mais celui qui y retourne ne s’y perd plus comme le font les enfants, car il a maintenant acquis la maîtrise consciente de l’être humain social pleinement développé.
(D’après la Revue internationale no 86)
1) “La transformation de travail selon les révolutionnaires de la fin du [88]xix [88]e [88] siècle [88]” (issu de la série “Le communisme n’est pas un idéal mais une nécessité matérielle [89]”).
2) “Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme” (in la Dialectique de la nature).
3) La femme dans le passé, le présent et l’avenir, collection Ressources, page 254.
4) Extraits de Elements of political economy de James Mill, par Marx. Traduit de l’anglais par nous.
5) La femme dans le passé..., op. cit.
6) Idem, page 267.
7) Ibidem.
8) Idem, page 262.
9) Idem, page 268.
10) Freud, Introduction à la psychanalyse.
En Grèce, la colère est immense et la situation sociale explosive. En ce moment même, l’Etat grec porte des coups terribles au prolétariat. Toutes les générations ouvrières, tous les secteurs sont frappés de plein fouet. Les travailleurs du privé, les fonctionnaires, les chômeurs, les retraités, les étudiants-précaires… personne n’est épargné. La classe ouvrière est menacée de plonger toute entière dans la misère.
Face à ces attaques, le prolétariat ne reste pas sans réagir. Il descend dans la rue et se bat, montrant ainsi qu’il n’est pas prêt à accepter sans broncher les sacrifices exigés par le capital.
Mais pour l’instant, cette lutte ne parvient pas à se développer, à devenir massive. Les ouvriers de Grèce vivent des heures difficiles. Que faire quand tous les médias et tous les responsables politiques affirment qu’il n’y a pas d’autre solution que de se serrer la ceinture pour sauver le pays de la faillite ? Comment résister au moloch étatique ? Quelles méthodes de lutte mettre en œuvre pour construire un rapport de forces favorable aux exploités ?
Toutes ces questions n’appartiennent pas seulement aux ouvriers vivant en Grèce, mais à ceux du monde entier. Il n’y a d’ailleurs aucune illusion à avoir, la “tragédie grecque” n’est qu’un avant-goût de ce qui attend tous les ouvriers, aux quatre coins du globe. Ainsi, des “cures d’austérité à la grecque” sont déjà officiellement annoncées au Portugal, en Roumanie, au Japon et en Espagne (où le gouvernement vient de baisser de 5 % le salaire des fonctionnaires ! ). Toutes ces attaques portées simultanément révèlent une nouvelle fois que les ouvriers, quelle que soit leur nationalité, forment une seule et même classe qui a partout les mêmes intérêts et les mêmes ennemis. La bourgeoisie fait porter au prolétariat les lourdes chaînes du travail salarié, mais ses maillons relient tous les ouvriers de pays en pays, par delà les frontières.
En Grèce, ce sont donc aujourd’hui nos frères de classe qui sont attaqués et qui ont commencé, douloureusement, à essayer de se battre. Leur lutte est aussi la nôtre.
Refusons toutes les divisions que tente de nous imposer la bourgeoisie. Au vieux principe des classes dominantes “diviser pour mieux régner”, opposons-lui le cri de ralliement des exploités “Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !”.
En Europe, les différentes bourgeoisies nationales essayent de faire croire aux ouvriers qu’ils vont devoir se serrer la ceinture à cause de la Grèce. La malhonnêteté des responsables grecs, qui ont laissé le pays vivre à crédit pendant des décennies et ont truqué les comptes publics, serait la cause principale d’une “crise de confiance internationale” envers l’euro. Les gouvernements utilisent tous ce prétexte fallacieux pour justifier, les uns après les autres, la nécessité de réduire les déficits et l’adoption de plans de rigueur draconiens.
En Grèce, tous les partis officiels, Parti Communiste en tête, attisent les sentiments nationalistes, les “forces étrangères” d’être responsables des attaques. “A bas le FMI et l’Union européenne”, “A bas l’Allemagne”, tels sont les slogans brandis dans les manifestations par la gauche et l’extrême-gauche qui, par-là même, épargnent volontairement le capital national grec.
Aux Etats-Unis, si les Bourses plongent, ce serait à cause de l’instabilité de l’Union Européenne ; si les entreprises ferment, ce serait à cause de la faiblesse de l’euro qui handicape le dollar et les exportations…
Bref, chaque bourgeoisie nationale accuse le voisin et exerce sur le prolétariat qu’elle exploite ce chantage infâme : “acceptez les sacrifices sinon le pays sera affaibli et les concurrents en profiteront”. Le nationalisme, véritable poison pour les luttes, la classe dominante essaie de l’inoculer dans les veines ouvrières.
Ce monde divisé en nations concurrentes n’est pas le nôtre. Les prolétaires n’ont rien à gagner à s’enchaîner au capital du pays où ils vivent. Accepter des sacrifices aujourd’hui au nom de la “défense de l’économie nationale”, ce n’est que préparer d’autres sacrifices, plus durs encore, demain.
Si la Grèce est “au bord du gouffre”, si l’Espagne, l’Italie, l’Irlande, le Portugal sont prêts à la suivre, si le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, les Etats-Unis sont dans la tourmente, c’est que le capitalisme est un système moribond. Tous les pays sont condamnés à s’enfoncer irrémédiablement dans ce marasme. Depuis 40 ans, l’économie mondiale est en crise. Les récessions se succèdent les unes aux autres. Seule une fuite en avant désespérée dans l’endettement a permis au capitalisme d’obtenir, jusqu’à présent, un peu de croissance. Résultat, aujourd’hui, les ménages, les entreprises, les banques, les Etats sont tous surendettés. La faillite de la Grèce n’est que la caricature de la faillite générale et historique de ce système d’exploitation.
Les plans d’austérités annoncés constituent une attaque frontale et généralisée des conditions de vie. La seule réponse possible est donc un mouvement massif des travailleurs. Il est impossible de faire face en se battant dans sa boîte, son école ou son administration, seuls, isolés, à une poignée. Lutter massivement est une nécessité, sous peine d’être tous écrasés et réduits à la misère.
Or, que font les syndicats, ces officines estampillées “spécialistes officiels de la lutte” ? Ils organisent des grèves dans de multiples usines… sans jamais chercher à les unifier. Ils entretiennent activement le corporatisme, en opposant notamment les travailleurs du public et du privé. Ils baladent les ouvriers de journées d’action stériles en journées d’action stériles. Ce sont en fait les “spécialistes de la division ouvrière” ! Même le nationalisme, les syndicats s’y emploient à le distiller. Un seul exemple : le slogan le plus scandé dans les manifestations par la GSEE (la CGT grecque) depuis la mi-mars est… “acheter grec” !
Suivre les syndicats, c’est toujours aller à la division et à la défaite. Les ouvriers doivent donc prendre en mains leurs luttes, en organisant eux-mêmes les assemblées générales, en décidant collectivement des mots d’ordre et des revendications, en élisant des délégués révocables à tout instant et en allant discuter par délégations massives avec les travailleurs les plus proches, dans les usines, les administrations, les écoles, les hôpitaux voisins… pour les encourager à rejoindre le mouvement.
Se passer des syndicats, oser prendre ainsi les luttes en mains, faire le pas d’aller à la rencontre de ses frères de classe… tout cela peut sembler bien difficile. Voilà l’un des freins actuels au développement de la lutte : le prolétariat manque singulièrement de confiance en lui, il n’a pas encore conscience de la force que représentent ses formidables capacités. Pour l’instant, la violence des attaques menées par le capital, la brutalité de la crise économique, le manque de confiance du prolétariat en lui-même, agissent comme des facteurs paralysants. Les ripostes ouvrières, même en Grèce, sont bien loin de ce que la gravité de la situation exige. Pour autant, l’avenir appartient à la lutte de classe. Face aux attaques, la perspective est au développement de mouvements de plus en plus massifs.
Certains nous demanderont : “Pourquoi mener de telles luttes ? Vers quoi cela mène-t-il ? Puisque le capitalisme est en faillite, aucune réforme n’est réellement possible. Il n’y a donc pas d’issue.” Et, effectivement, au sein de ce système d’exploitation, il n’y a aucune issue. Mais refuser d’être traités comme des chiens et lutter collectivement, c’est nous battre pour notre dignité, c’est prendre conscience que la solidarité existe dans ce monde d’exploitation et que la classe ouvrière est capable de faire vivre ce sentiment humain inestimable. Alors, la possibilité d’un autre monde commence à apparaître, un monde sans frontière ni patrie, sans exploitation ni misère, un monde fait pour les hommes et non-plus le profit. La classe ouvrière peut et doit avoir confiance en elle. Elle seule est capable d’édifier cette société nouvelle et de réconcilier l’humanité avec elle-même en passant “du règne de la nécessité à celui de la liberté” (Marx) !
Le capitalisme est un système en faillite.
Mais un autre monde est possible : le communisme !
Courant communiste international.
Nous publions ci-dessous la traduction d’un article de Welt Revolution, organe du CCI en Allemagne.
La récente marée noire dans le Golfe du Mexique jette une lumière crue sur l’absence d’égards et le caractère incroyablement hasardeux de l’utilisation des ressources naturelles par le capitalisme.
Depuis le naufrage de la plate-forme pétrolière de BP “Deepwater Horizon”, le 22 avril, où onze ouvriers ont trouvé la mort, ce sont au moins 800 000 litres de pétrole brut qui se déversent chaque jour dans le Golfe du Mexique et qui contaminent les côtes sur des centaines de kilomètres et forment une énorme nappe de pétrole dans le Golfe lui-même. Personne ne peut établir précisément quelle quantité de pétrole s’est déjà écoulée (1). “Un mois après le naufrage de la plate-forme de forage Deepwater Horizon, la plus grande partie du pétrole qui s’est échappé jusqu’ici est restée sous l’eau (2). Ces énormes nuages de pétrole qui flottent sous la surface du Golfe du Mexique peuvent avoir une étendue allant jusqu’à seize kilomètres de long, six kilomètres de large et une centaine de mètres d’épaisseur.” A l’aide de produits dispersants, on a évité jusqu’à présent “qu’une partie du pétrole atteigne la terre. C’est là où attend la plus grande concentration de journalistes” (c’est-à-dire le plus grand public) (3).
Les premières investigations ont montré que “le Minerals Management Service (MMS), le service administratif américain de la gestion des minéraux, responsable de la surveillance de la production pétrolière, a délivré ses autorisations sans avoir effectué de contrôles au plan de la sécurité et de la compatibilité avec l’environnement (…) Dans ce cas concret, le MMS a omis de vérifier la capacité du Blowout Preventer [valve centrale de sécurité destinée à prévenir les fuites, NDLR] avant sa mise en service. (…) Dans le système hydraulique-clé de cet élément de plusieurs tonnes, il y a manifestement eu une fuite. En outre, un test de sécurité mené peu d’heures avant l’explosion aurait échoué” (4).
D’autres enquêtes ont montré que BP ne disposait même pas d’équipements adéquats pour aspirer dans les fonds marins le pétrole susceptible de fuir et de s’y déposer. De même, il n’existe pas de moyens pour réaliser des forages de soulagement dans de tels cas d’urgence. Que révèle cette attitude consistant à exploiter à grande profondeur marine des gisements pétrolifères sans disposer d’aucune possibilité de captage de secours du pétrole et de dispositifs d’interruption du pompage en état de fonctionnement ?
“La plate-forme pétrolière Deepwater Horizon, d’un coût de 560 millions de dollars, était l’une des plates-formes de forage les plus modernes du monde. Elle était capable de résister à des vagues de douze mètres et aux ouragans” (5). D’une part, des coûts de production astronomiques pour la construction d’une telle plate-forme (plus d’un demi milliard de dollars !), des frais d’exploitation de 100 millions d’euros pour le forage et, en même temps, aucun système de sécurité existant ou en état de fonctionnement pour les situations d’urgence. Comment expliquer cette contradiction ?
Lorsque le forage systématique du pétrole a commencé il y a une centaine d’années, on avait besoin uniquement de faibles investissements financiers et techniques pour exploiter les sources pétrolières. Cependant, un siècle plus tard, les compagnies pétrolières sont confrontées à une nouvelle situation. “Une grande partie du pétrole global du monde est exploitée dans des champs qui ont en partie déjà été trouvés il y a plus de 60 ans sans grand investissement technologique. Par contre, aujourd’hui, les prospecteurs doivent utiliser des méthodes onéreuses pour rechercher des champs pétrolifères qui, de plus, se situent à des endroits relativement difficilement accessibles de la terre – et ne livrent que des quantités de pétrole considérées jusqu’ici comme marginales. (…) Surtout, les entreprises occidentales ne disposent plus d’un large accès aux sources faciles, bon marché et prometteuses d’importants rendements d’Asie et d’Amérique latine. Ces sources se trouvent en effet aux mains de compagnies pétrolières nationales, comme Saudi Aramco (Arabie Saoudite), Gazprom (Russie), NIOC (Iran) ou PDVSA (Venezuela) et sont sous contrôle d’un État national. Celles-ci sont les véritables géants dans ce business et contrôlent plus des trois quarts des réserves globales.”
“Les ‘Big Oil’, comme on appelle encore les vieilles multinationales privées, contrôlent encore à peine environ dix pour cent des réserves de gaz et de pétrole globales. Il ne reste plus à BP & Co. que les projets coûteux, onéreux et dangereux. C’est donc par nécessité que ces sociétés sont poussées aux dernières limites pour atteindre ces gisements qu’aucun autre ne voudrait explorer. (…).»
“Cela fait longtemps que les compagnies pétrolières ont abandonné les plates-formes solidement ancrées aux fonds marins. Des monstres flottants, qu’on appelle des semi-submersibles, nagent sur les océans avec des kilomètres d’eau sous eux. Des canalisations verticales d’acier spécial ou de matériaux composites extrêmement fermes plongent dans l’obscurité des profondeurs. Des conduites normales se rompraient sous leur propre poids. A 1500 mètres de profondeur, la température de l’eau est à cinq degrés – cependant que le pétrole jaillit presque à ébullition. Des contraintes extrêmes exercées sur le matériel en résultent. Les risques sont considérables. Avec la profondeur, les exigences techniques en matière de forage sont énormément plus grandes. La technique est dangereuse : en durcissant, des fissures dans le ciment apparaissent, par lesquelles le pétrole et le gaz peuvent s’échapper avec une violence inouïe. Il suffit alors d’une étincelle, pour provoquer l’explosion” (6) … comme cela s’est produit !
Fiévreusement, des dizaines de milliers de personnes ont combattu, vainement jusqu’à aujourd’hui, pour tenir le pétrole à l’écart des plages. Des avions du type Lockheed C-130 ont pulvérisé des tonnes de Corexit, produit censé dissoudre la nappe de pétrole – bien que l’on soupçonne ce mélange chimique d’endommager sérieusement aussi le milieu aquatique. Dans l’avenir, on doit peut-être craindre que ces mesures de sauvetage chimique produisent des dommages sans doute encore plus grands et plus imprévisibles à long terme pour la nature (7). Pour le moment, les conséquences économiques pour la population sur place sont déjà catastrophiques, parce que beaucoup de pêcheurs sont poussés à la ruine.
Tandis que la course à l’exploitation de nouvelles sources pétrolières exige des investissements toujours plus élevés, on prend des risques techniques toujours plus grands. Les conditions de la concurrence capitaliste entraînent les rivaux à prendre des risques toujours plus élevés et à respecter toujours moins les besoins de protection de la nature. La fonte des calottes glaciaires des pôles qui ouvre le passage maritime du Nord-Ouest, le dégel du permafrost, ont déjà depuis longtemps aiguisé l’appétit des compagnies pétrolières et provoquent des tensions entre pays qui revendiquent des territoires dans ces régions.
Tandis que l’utilisation sans frein des sources d’énergie non renouvelables et fossiles, comme le pétrole, constitue en réalité un pur gaspillage, et la recherche de sources pétrolières toujours nouvelles une pure absurdité, la crise économique, et la concurrence qui lui est liée, entraînent les entreprises à investir toujours moins d’argent dans les systèmes de sécurité possibles et nécessaires. Le système pille de façon de plus en plus prédatrice les ressources de la planète. Dans le passé, la politique de la “terre brûlée”, mise en pratique et utilisée par exemple par les États-Unis au cours de la première guerre du Golfe en 1991, où les installations pétrolières dans le Golfe Persique ont été attaquées, provoquant d’énormes incendies et la fuite de monstrueuses quantités de pétrole, avait été une méthode courante de la guerre. Maintenant, c’est la pression quotidienne de la crise qui entraine la pratique de la “terre brûlée” et la contamination des mers, pour pouvoir imposer ses intérêts économiques.
La marée noire actuelle était prévisible – tout comme la catastrophe de 2005, lorsque l’ouragan Katrina a submergé la ville de la Nouvelle-Orléans, entrainant la mort de 1800 personnes, l’évacuation de la ville entière et le déplacement de centaines de milliers d’habitants. L’actuelle marée noire est, exactement comme la catastrophe de La Nouvelle-Orléans, le résultat de l’incapacité du capitalisme à offrir une protection suffisante contre les dangers de la nature. Elle est le produit de la recherche maximale du profit par le capitalisme.
Dv
1) Sur les lieux de l’accident, selon les premières estimations, environ 1000 tonneaux (160 000 litres) de pétrole brut par jour se déversaient dans la mer. Quelques jours plus tard, suite à la découverte d’une troisième fuite, elles ont été réévaluées à environ 5000 tonneaux (environ 800 000 litres) par jour. De récents calculs de différents chercheurs, basés sur des prises vidéos immergées des fuites, estiment la quantité à au moins 50 000 tonneaux (environ 8 millions de litres) par jour.
2) A de grandes profondeurs se trouvent de grands volumes d’eau polluée par des particules de pétrole. La concentration en pétrole est de moins d’un litre par mètre cube d’eau, mais l’étendue de ces nuages est importante (Wikipédia).
3) Produits chimiques contre catastrophe pétrolière. Opération camouflage et retardement”, Spiegelonline, 18 mai 2010.
4) www.spiegel.de/wissenschaft/natur/us-oelpest-schwere-sicherheitsmaengel-vor-explosion-der-oelplattform-a-694602.html [92] et www.spiegel.de/spiegel/a-694271.html [93]
5) Idem.
6) Idem.
7) 1,8 millions de litres de liquide spécial Corexit ont été utilisés jusqu’ici dans le golfe du Mexique… Il existe le danger qu’une partie de ces nuages de pétrole sous la surface dérive en direction de l’Océan Atlantique.
La réforme des retraites était annoncée depuis des mois comme LE dossier explosif du mandat présidentiel de Sarkozy. Cette réforme est en effet révoltante : il s’agit pour l’Etat de faire des économies en diminuant encore les pensions versées, pensions qui sont pourtant déjà souvent misérables (1). Comment ?
En repoussant l’âge légal du départ à la retraite à 63 ans ou en augmentant le nombre d’annuités nécessaire pour “ouvrir droit” à une pension à taux plein ou les deux. Le résultat sera de toute façon le même : de plus en plus d’ouvriers vont partir à la retraite en n’ayant pas assez de “trimestres travaillés” et subiront donc une “décote”. L’âge moyen de départ à la retraite est en effet de 58 ans, les ouvriers étant pour la majorité épuisés, malades ou licenciés bien avant d’atteindre la soixantaine.
Les belles déclarations sur “le droit des seniors à demeurer actifs, insérés professionnellement et à se sentir utiles” sont donc aussi cyniques que mensongères.
D’ailleurs, ce “droit”, les ouvriers s’en passeraient bien, eux qui triment toute leur vie sur un travail la plupart du temps ingrat, inintéressant et usant. Ce “droit”, nous le laissons aux membres de la bourgeoisie, à tous ces sénateurs, députés, représentants du patronat et chefs de grandes entreprises, confortablement installés dans leurs bureaux climatisés et accrochés à leurs “hautes responsabilités”. Les infirmiers, les enseignants, les travailleurs d’usines et du bâtiment, les secrétaires surchargées, etc., bref, tous les autres, aspirent le plus souvent à 60 ans de pouvoir fuir le bagne salarial et profiter un peu de la vie, enfin.
Bref, tout portait à croire qu’effectivement “le dossier des retraites” allait être un épisode tumultueux pour Sarkozy, qu’il allait devoir affronter pour la première fois de son quinquennat “la colère de la rue”. Pourtant, malgré la violence de l’attaque, la réaction de la classe ouvrière est très timide. Pourquoi ?
Depuis le début, la réforme des retraites nous est présentée comme une fatalité, une nécessité incontournable pour “sauver le régime par répartition”.
Le gouvernement, les partis de droite comme de gauche, les médias, les experts économiques…, tous répètent en chœur que le déficit est insoutenable, que le déséquilibre actifs/retraités est un vrai problème, que “l’espérance de vie s’allongeant, il est bien normal de travailler plus longtemps”, etc. (2).
Les désaccords, feints, ne tournent que sur la forme : à quelle date va être prise la décision finale ? Comment les “négociations” avec les syndicats sont-elles menées ? Le patronat va-t-il être aussi mis un peu à contribution… ? Mais le résultat est toujours le même : les ouvriers vont devoir travailler plus longtemps et, surtout, se contenter de pensions plus faibles.
La bourgeoisie cherche ici à distiller un sentiment de résignation. En effet, pourquoi lutter s’il n’y a aucune alternative ?
Cette tactique est pour l’instant une réussite. Les quelques manifestations d’avril et mai n’ont été ni massives ni combatives.
Il faut dire que les syndicats n’ont pas hésité à relayer de toute leur force, à leur façon, la campagne idéologique. Ils ont appuyé sans cesse, eux aussi, sur l’aspect inéluctable de la réforme des retraites, détournant la colère ouvrière sur des aménagements de la réforme prétendument plus humains. Tel est le message à peine caché des gesticulations des Thibault, Chérèque et consorts, quand ils se plaignent : “Le gouvernement n’est pas suffisamment dans la négociation”, “il a déjà pris ses décisions”, “le projet est en fait déjà arrêté”… Autrement dit, pas besoin de lutter, les jeux sont faits ! Contentons-nous des miettes que l’Etat voudra bien concéder !
D’ailleurs, quels “aménagements” souhaitent les centrales syndicales ? La prise en compte de la pénibilité de certains travails ou la longévité des carrières pour ceux qui sont rentrés dans la vie active très jeunes ! Quand tous les ouvriers sont brutalement attaqués, les syndicats ne proposent pas une réponse massive et unie mais “la prise en compte des spécificités sectorielles”. Quel meilleur moyen pour diviser ? Quel meilleur moyen pour emmener les ouvriers à la défaite, paquet par paquet, entreprise par entreprise, secteur par secteur ? En 1995, le privé était attaqué. En 2003, c’était autour des fonctionnaires et en 2007, des régimes spéciaux. Aujourd’hui, les syndicats osent nous refaire le coup des “spécificités sectorielles” et de la négociation branche par branche (3) !
Ce n’est pas un hasard si le gouvernement a, à la veille de la manifestation du 27 mai, annoncé que certains régimes spéciaux subsistants seraient épargnés par cette nouvelle réforme. Il a ainsi enfoncé le clou de la division tenu par les syndicats. C’est à un véritable exercice de duettiste auquel nous assistons une fois de plus !
La réforme des retraites va certainement passer cet été sans que notre classe soit capable d’y opposer une lutte unie et massive pourtant si nécessaire. Et la Nième manifestation-ballade promise le 24 juin prochain n’y changera rien si nous n’en changeons pas la nature. Cela dit, le travail de sape des syndicats, leur collaboration claire et nette avec le gouvernement contre les travailleurs doivent au moins servir à la prise de conscience de leur rôle véritable. Dans les luttes futures, qui viendront inévitablement, les ouvriers ne devront accorder aucune confiance à ces “ennemis de l’intérieur”. Ils devront prendre entre leurs propres mains l’organisation de leurs grèves et de leurs manifestations.
Pawel
1) La moyenne de versement des pensions de retraite en France est actuellement de 1122 euros par mois, soit à peine plus que le SMIC.
2) Notons d’ailleurs qu’effectivement, compte tenu de la faiblesse des pensions, de plus en plus de retraités sont contraints de retourner au boulot et d’accepter des petits jobs pour tenter de joindre les deux bouts !
3) Rappel de la loi Aubry sur les 35 heures où elle préconisait les négociations branche par branche, secteur par secteur, entreprise par entreprise, hôpital par hôpital, etc., afin de mieux dédouaner la responsabilité du gouvernement et de l’Etat dans cette attaque masquée.
Nous publions ci-dessous la traduction de larges extraits d’un article de notre section en Turquie. Les camarades y rappellent quelques événements footballistiques de ces dernières décennies qui montrent à quel point ce sport est toujours utilisé pour exacerber le nationalisme.
En juin, la Coupe du monde de football aura lieu en Afrique du Sud. Or, le football sert souvent à la classe dominante pour encourager les sentiments nationalistes et diviser la classe ouvrière.
En Turquie, lors de la victoire de la coupe de l’UEFA du Galatasary (club d’Istanbul), en 2000, il y a eu deux morts en demi-finale et trois en finale.
Les matchs qualificatifs pour cette coupe du Monde, entre l’Égypte et l’Algérie, l’an dernier, ont eux aussi engendré une explosion de haine nationaliste. Au Caire, six supporters algériens ont été tués et 21 Algériens blessés. A Khartoum, au Soudan, 23 Égyptiens furent blessés et 14 Algériens tués. Il y a même eu des centaines de blessés en Algérie lors des célébrations de liesse d’après-match ! Un grand nombre des 15 000 ouvriers égyptiens vivant en Algérie ont été attaqués et forcés de prendre l’avion. Des milliers de supporters égyptiens se sont battus dans de véritables batailles rangées contre la police au centre du Caire, faisant 11 blessés chez les policiers et 24 chez les supporters. Certains fans, ne pouvant atteindre les supporters algériens, caillassèrent l’ambassade indienne toute proche.
En mai 1990, le match Dynamo de Zagreb/Red Star de Belgrade a joué un rôle majeur dans la marche à la guerre de l’ex-Yougoslavie. Bien sûr, les guerres ne sont pas engendrées par des matches de football. Cependant, de telles démonstrations publiques de haine nationaliste servent à la mobilisation de la clas se ouvrière vers la guerre. Ce match s’est en effet terminé par une bataille rangée entre les bandes nationalistes croates et serbes (les Serbes étaient d’ailleurs conduits par Arkan, un nationaliste recherché plus tard par l’ONU pour crimes contre l’humanité !). La police fut rapidement submergée par le plus grand nombre, mais revint ensuite avec des renforts, des camions blindés et des canons à eau pour rajouter au climat de violence générale. Une heure après, avec des centaines de blessés et plusieurs morts par balles ou à l’arme blanche ou empoisonnés par les gaz lacrymogènes, la bataille continuait encore. La guerre des années 1990-2001, dans laquelle plus de 60 000 personnes allaient trouver la mort, était prête à partir. Les Tigres d’Arkan, milice dans laquelle ont été enrôlés beaucoup de supporters du Red Star ont joué un rôle dans certains des pires cas de purification ethnique. Zvonimir Boban, qui a eu plus tard une grande notoriété dans le Milan AC, se vanta d’avoir attaqué un policier pendant l’émeute. Il affirme toujours qu’il aime la Croatie plus que tout et qu’il mourrait pour son pays. Lui, il n’a pas réellement sacrifié sa vie sur l’autel de la nation mais des dizaines de milliers de malheureux ouvriers, eux, l’ont fait !
En 1969, la course à la qualification, pour la Coupe du Monde de 1970, entre le Salvador et le Honduras, fut l’étincelle qui enflamma ce qui était déjà une situation de tension guerrière. Après le match retour, les médias des deux pays firent des reportages exacerbant la haine nationaliste de l’autre et incitèrent les ouvriers de chacun des deux pays à s’entretuer. La guerre, qui se déchaîna effectivement, fit 4000 morts en quatre jours.
Sabri
Depuis cet hiver, la classe ouvrière d’Algérie a repris le chemin de la lutte. Qu’il s’agisse des cheminots, des enseignants, des agents hospitaliers, des ouvriers de la métallurgie et de l’automobile, grèves et manifestations sont de plus en plus sur le devant de la scène sociale, avec pour toile de fond commune des revendications sur les salaires et les retraites, une méfiance grandissante, sinon un rejet, des centrales syndicales et une forte combativité. Avec une inflation de 5,7 % pour 2009, l’économie algérienne n’est pas mieux lotie que celles de l’Europe et les prix grimpent tandis que la valeur du dinar plonge.
Cinq mille salariés de la Société nationale algérienne des véhicules industriels (SNVI) se sont mis en grève début janvier, pendant presque une semaine, dénonçant les accords passés entre l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), le patronat et le gouvernement, visant à baisser les salaires et à supprimer la retraite anticipée (passant de trente à quarante ans de cotisation pour les professions officiellement reconnues comme les plus pénibles !). “Comment ose-t-on demander à un homme qui ne mange chaque jour qu’un plat d’épinards de travailler pendant quarante ans devant un haut-fourneau ? » disait un ouvrier. Cette grève a été émaillée d’affrontements violents avec la police anti-émeute, en particulier lorsque cette dernière a empêché les ouvriers de marcher aux cris de “Non aux salaires de misère !” vers le centre de la ville de Rouiba, en banlieue d’Alger, et alors que la grève avait gagné sept autres entreprises de cette même zone industrielle. Qui plus est, les ouvriers pointaient clairement du doigt le patron de la centrale syndicale, Sidi Saïd, qualifié de “vendu” et de “syndicaliste bien grassouillet” par les grévistes.
Chez les enseignants, trois mois après le mouvement de grève de fin 2009, ceux du primaire et du secondaire repartaient en grève à nouveau pour des revendications salariales, malgré les tentatives de l’UGTA de briser le mouvement.
Dans les hôpitaux, 30 000 médecins ont arrêté le travail pendant plusieurs semaines, assurant seulement un service minimum et exigeant des revalorisations salariales.
Les employés communaux, pour les salaires et pour la retraite sans condition d‘âge, se sont mis en grève au mois de mars.
Durant le mois de mai, ce sont les cheminots qui sont entrés en grève totale plus d’une semaine, contre l’avis de la direction de la SNTF et de l’UGTA, qui déclaraient cette grève “illicite” et tentaient vainement d’imposer un service minimum, et de surcroît en-dehors du contrôle de la Fédération nationale des cheminots, accusée par les ouvriers de “trahison et de complicité avec l’administration”. Cette grève, dont la revendication principale portait sur les salaires1, a paralysé le trafic ferroviaire des gares principales du pays (Alger, Annaba, Oran, Constantine, etc.).
Sous la pression des grévistes, mais aussi devant le risque de discrédit de plus en plus ouvert de la Fédération nationale des cheminots, qui a progressivement essayé de reprendre les choses en mains, la direction et le gouvernement ont fini par reculer, acceptant une revalorisation des salaires des cheminots en les alignant sur le SNMG (SMIC algérien), à partir du 31 mai et avec effet rétroactif au 1er janvier 2010.
Anne
1) Un cadre cheminot, après 30 ans de carrière, touche 19 000 dinars algériens, c’est-à-dire 190 euros environ.
Nous publions ci-après un témoignage de lutte daté du 18 mai 2010 et recueilli sur le blog d’un camarade de la CNT/AIT de la région de Goias au Brésil (1). Ce type de témoignage est particulièrement important pour que notre classe prenne connaissance du fait que c’est partout qu’elle se bat contre les mêmes attaques et pour les mêmes intérêts.
Les chauffeurs de bus de la ville de Gôiania et de sa région ont paralysé les services mardi matin 18 mai sans préavis, laissant des milliers de passagers sans transports. La grève, illimitée, a touché la population de la capitale [de région] et 11 municipalités voisines qui sont desservies par le même système de transports.1
Les chauffeurs protestent contre le manque de dialogue avec le syndicat qui représente les patrons des transports collectifs. En plus de dénoncer des salaires trop bas, les chauffeurs évoquent ce qu’ils appellent des conditions de travail humiliantes, avec des journées très lourdes parfois de 12 heures et cinq voyages de plus de deux heures sans pauses de repos.
De plus, selon les chauffeurs, le blocage a été initié par les chauffeurs eux-mêmes et non par les deux syndicats existant dans la capitale. C’est d’ailleurs pourquoi d’après ce qui a été entendu dans les médias de la bouche même des chauffeurs, les conditions légales pour la grève avec un service minimum de 30 % de fonctionnement n’ont pas été respectées !
Ces bourgeois paraissent stupéfaits par le fait que les travailleurs sont entrés en grève sans l’aval des syndicats légaux. C’est ça l’action directe ! Tant que nous n’agirons pas par nous-mêmes, nous n’aurons jamais ce que nous exigeons, et pour les autres travailleurs, très calmes en ces moments, ils doivent comprendre que nous sommes dans le même camp, que nous devons aussi être solidaires avec la lutte de nos compagnons ! Donc, pour autant que soit difficile cette situation précaire sans autobus, ne considérez pas ces chauffeurs comme des ennemis. A leurs apparitions dans le terminal “Jardin Veiga”, des bus ont été caillassés par la population, je crois que ce n’est pas la meilleure réaction ! Nous proposerons une grève en solidarité avec la lutte de nos compagnons.
Contre le patronat, action directe syndicale (2) !
Vive la solidarité entre les travailleurs !
CNT AIT de Goias, Brésil
1) fogocob.blogspot.com
2) A cette formule, nous préférons “Prise en main des lutes par les ouvriers eux-mêmes” car, à notre avis, “action directe syndicale” renvoie inévitablement à l’idéologie syndicale basée au contraire sur la représentation des travailleurs par des permanents “spécialistes de la lutte” (et qui, en fait, comme il est dénoncé dans ce témoignage, sont des spécialistes du sabotage des luttes ouvrières).
Voici un court récapitulatif, non exhaustif, des plans d’austérité annoncés récemment, notamment en Europe :
Espagne
• Baisse de 5 % en 2010 et gel en 2011 du salaire des fonctionnaires.
• Gel des pensions de retraite en 2011.
• Suppression, au 1er janvier 2011, du chèque-bébé, “coup de pouce” de 2500 euros accordé jusque-là pour toute naissance ou adoption d’enfant.
Italie
• Recul de trois à six mois de l’âge du départ à la retraite.
• Réduction ou gel des salaires des fonctionnaires.
• Économie de 13 milliards d’euros, en 2011-2012, sur le dos des écoles et des hôpitaux.
• Instauration de péages sur les artères très fréquentées, telles que le périphérique de Rome.
Portugal
• Hausse générale des impôts (de 1 à 2,5 % de la TVA et de l’impôt sur le revenu).
• Réduction du nombre de fonctionnaires de 73 000 postes sur quatre ans.
• Diminution drastique des prestations sociales.
France
• Probable gel des salaires et des pensions de retraites.
• Réforme des retraites (quel que soit “l’accord final” signé avec les syndicats cet été, les ouvriers vont devoir travailler plus longtemps pour des pensions de plus en plus misérables).
• Suppression de 34 000 postes de fonctionnaires par an en 2011, 2012 et 2013.
Grèce
• Gel du salaire des fonctionnaires jusqu’en 2014.
• Réduction et parfois même suppression pure et simple des 13e et 14e mois de salaire pour les fonctionnaires.
• Réduction des allocations de 8 %. Ces allocations avaient déjà été réduites de 12 % en mars.
• Augmentation de la TVA de deux points (à 23 %). En mars, elle était déjà passée de 19 à 21 %.
• Augmentation des taxes sur les carburants, les cigarettes et l’alcool de 10 %.
• Gel des retraites en 2010, 2011 et 2012.
• Hausse de l’âge moyen du départ en retraite de 53 à 67 ans !
Irlande
• Hausse générale des impôts.
• Réduction des dépenses de quatre milliards d’euros frappant, en particulier, toutes les prestations sociales.
• Baisse de 25 % des salaires du secteur public.
• Baisse de 15 % des pensions de retraite.
Roumanie
• Réduction des salaires du secteur public de 25 % à partir de juin.
• Suppression de 250 000 emplois dans le secteur public au cours des prochaines années.
• Hausse de l’âge de départ à la retraite (non encore défini).
• Baisse des pensions de retraite de 15 % en moyenne tandis que les allocations familiales seront également fortement amputées.
Au Japon, en Malaisie, en République tchèque, en Pologne et au Royaume Uni, des plans d’austérité ont aussi été annoncés mais leur contenu ne devrait être connu qu’au cours de l’été…
Nous publions ci-dessous de larges extraits d’un témoignage du TPTG (Ta Paida Tis Galarias), groupe communiste libertaire de Grèce (1), sur la manifestation du 5 mai contre le plan d’austérité.
Nous avons déjà publié quelques articles de ce groupe sur notre site web (internationalism.org) en différentes langues, notamment en anglais et en français. Si nous ne partageons pas chaque point de leurs positions, nous sommes en accord avec l’essentiel, en particulier :
– le rejet du réformisme et de toute alliance avec de quelconques forces bourgeoises, même soit-disant “progressistes” ou de “gauche” ;
– la défense de la prise en main des luttes par les ouvriers eux-mêmes et non par de prétendus “spécialistes” tels que les organisations syndicales ;
– et surtout l’internationalisme !
Nous voulons ici tout particulièrement saluer et soutenir la réflexion de ces camarades sur le rôle et la place de la violence dans les luttes.
Le 5 mai, en Grèce, trois travailleurs sont morts, asphyxiés dans une banque en flamme. Face à ces événements tragiques, le TPTG affirme dans son texte : “La question de la violence est devenue centrale. De la même manière que nous prenons la mesure de la gestion de la violence de l’État, nous sommes contraints d’analyser également la violence prolétarienne”.
Se livrer à une violence aveugle serait en effet tomber dans le piège tendu par la bourgeoisie ; ce serait un signe de désespoir, d’impuissance, de “nihilisme” comme l’écrit le TPTG.
Comme l’affirment ces camarades, l’État exerce sur nous une véritable terreur. Les ouvriers en se dressant face à ce moloch doivent eux-aussi utiliser une certaine violence. Lutter, faire grève, manifester est déjà en soi une expression de violence contre l’ordre du capital.
Mais la classe ouvrière ne peut pas utiliser n’importe quel type de violence : le meurtre, les lynchages, la vengeance sanglante, par exemple, n’appartiennent pas à la lutte prolétarienne. Elles sont aux contraires les stigmates de cette société barbare qu’est le capitalisme, elles appartiennent à la bourgeoisie, cette classe dominante prête à tout pour défendre ses privilèges.
La violence prolétarienne est toute autre, elle est pensée collectivement, organisée ; elle a pour but de renverser ce système d’exploitation pour le remplacer par une société sans classe ni misère. Elle est comparable cet acte apparemment “violent” de la sage-femme qui libère l’enfant lors d’un accouchement. La violence prolétarienne doit elle-aussi accoucher d’un nouveau monde (2).
Ce qui suit est un compte-rendu de la manifestation du 5 mai et du lendemain, ainsi que quelques réflexions générales sur la situation critique du mouvement en Grèce à l’heure actuelle. En dépit d’avoir été placé dans une période de terrorisme financier aigu et prenant de l’ampleur jour après jour, avec les menaces constantes de la faillite de l’État et les appels à “faire des sacrifices”, la réponse du prolétariat à la veille du vote des nouvelles mesures d’austérité au Parlement grec a été impressionnante. Cela a probablement été la plus grande manifestation de travailleurs depuis la chute de la dictature, y compris celle de 2001 qui a conduit au retrait du projet de réforme des retraites. Nous estimons qu’il y avait plus de 200 000 manifestants dans le centre d’Athènes et environ 50 000 de plus dans le reste du pays.
Il y a eu des grèves dans presque tous les secteurs […]. Une foule de prolétaires similaire à celle qui étaient descendues dans les rues en décembre 2008 (également appelée péjorativement “jeunes à capuche” par les médias de propagande officielle), qui se retrouvait également équipée de haches, maillets, marteaux, cocktails Molotov, pierres, bâtons, masques à gaz et lunettes. Bien que parfois les manifestants masqués aient été hués quand ils essayaient ou réussissait à attaquer des bâtiments, en général ils étaient en phase avec ce flot bariolé, coloré, et en colère des manifestants. Les slogans allaient du rejet du système politique dans son ensemble, comme “brûlons le bordel parlementaire !”, à des slogans patriotiques tels que “Dehors le FMI”, ou populistes comme “Voleurs ! Les gens exigent que les escrocs aillent en prison !». […]
Dans la manifestation de la GSEE-ADEDY [confédérations syndicales du privé et du public], les gens ont commencé à occuper la place par milliers et le président de la GSEE a été accueilli par des sifflets et des huées quand il a commencé à parler. […]
La manifestation convoquée par le PAME (le “Front ouvrier” du KKE) a également été importante (plus de 20 000) et arriva en premier à la place Syntagma. Son plan était de rester là pendant un moment et de s’en aller juste avant qu’arrive la manifestation principale. Toutefois, ses membres ne sont pas partis mais sont restés, en colère et en chantant des slogans contre les politiciens. […]
Bientôt, une foule de travailleurs (électriciens, postiers, employés municipaux, etc.) a essayé d’entrer dans le bâtiment du Parlement par tout accès possible, mais des milliers de policiers anti-émeute étaient disposés sur l’esplanade et devant l’entrée. Un autre groupe de travailleurs de différents âges et des deux sexes se sont mis à insulter et menacer les policiers se trouvant devant la tombe du soldat inconnu. Bien que la police anti-émeute ait réussi, grâce à une contre-attaque massive avec gaz lacrymogènes, à disperser les gens, de nouveaux groupes de manifestants arrivaient sans cesse au Parlement tandis que les premiers groupes qui avaient été forcés de battre en retraite se réorganisaient dans la rue Panepistimiou et l’avenue Syngrou. Là, ils ont commencé à détruire tout ce qu’ils pouvaient et ont attaqué les anti-émeutes qui se trouvaient dans les rues avoisinantes.
Bien que la plupart des grands édifices du centre-ville aient été fermés par des volets métalliques, ils ont réussi à attaquer quelques banques et bâtiments publics. Une destruction massive de propriétés s’est produite, en particulier dans l’avenue Syngrou, car la police n’avait pas assez d’effectifs pour réagir immédiatement à cette partie des manifestants, du fait qu’ils avaient reçu l’ordre de donner la priorité à la protection du Parlement et à l’évacuation des rues Panepistimiou et Stadiou, les deux principales avenues par lesquelles les gens revenaient constamment vers le Parlement. Des voitures de luxe, un bureau du ministère des finances et un autre de la préfecture d’Athènes ont été incendiés ; même quelques heures plus tard, cette partie de la ville ressemblait toujours à une zone de guerre. Les combats ont duré près de trois heures. […]
Les manifestants qui avaient été repoussés vers la rue Panepestimiou retournaient en groupes vers le Parlement et se sont longuement affrontés à la police. Les gens se sont de nouveau mélangés et ne partaient pas. […] Bientôt, de terribles informations arrivent sur les téléphones portables en provenance d’agences étrangères : 3 ou 4 personnes sont mortes dans l’incendie d’une banque.
Il y avait eu quelques tentatives de brûler certaines banques dans quelques endroits, mais dans la plupart des cas, les gens n’allaient pas au-delà parce qu’il y avait des jaunes enfermés à l’intérieur. Seul le bâtiment de la Banque Marfin de la rue Stadiou a effectivement été brûlé. Cependant, seulement quelques minutes encore avant que ne commence la tragédie, ce n’étaient pas des “hooligans masqués” qui criaient “jaunes !” aux employés de la banque, mais des groupes organisés de grévistes, qui criaient et les insultaient pour qu’ils abandonnent le bâtiment. […] Ce qui semble le plus proche de la vérité (en rassemblant les morceaux d’information de témoins), c’est que dans cette banque en particulier, en plein cœur d’Athènes, lors d’une journée de grève générale, environ 20 employés ont été forcés de travailler par leur patron, enfermés à clé “pour assurer leur protection”, et qu’au final trois d’entre eux sont morts d’asphyxie. Initialement, un cocktail Molotov a été lancé à travers un trou fait à un des carreaux d’une fenêtre du rez-de-chaussée de la banque. Cependant, lorsque certains employés ont été vus sur les balcons, des manifestants leur ont dit de sortir et ont essayé d’éteindre le feu. Ce qui s’est réellement passé alors et comment en un instant le bâtiment s’est retrouvé en feu, demeure inconnu.
La série macabre des événements qui ont suivi a déjà probablement été bien relatée : les manifestants qui tentent d’aider ceux qui se trouvent pris au piège, les pompiers qui tardent trop à sortir certains d’entre eux, le souriant banquier milliardaire poursuivi par une foule en colère. Au bout d’un certain temps, le Premier ministre a annoncé l’information au Parlement, condamnant l’ “irresponsabilité politique” de ceux qui résistent aux mesures prises et qui “entraînent les gens à la mort”, tandis que les “mesures de salut” du gouvernement, au contraire, “défendent la vie.” Le renversement de situation a été couronné de succès. Rapidement s’en est suivie une importante opération des forces anti-émeute : la foule a été dispersée et pourchassée, l’ensemble du centre de la ville a été bouclé jusque tard dans la nuit, l’enclave libertaire d’Exarchia a été placée en état de siège, un squat anarchiste a été expulsé et beaucoup de ses occupants arrêtés, un local pour immigrants a été dévasté et un nuage de fumée persistante s’est maintenu sur la ville laissant un sentiment d’amertume et d’hébétude…
Les conséquences furent visibles dès le jour suivant : les vautours des médias ont exploité les morts tragiques […] et certains allèrent même jusqu’à demander la criminalisation de la résistance et de la protestation. Le gouvernement a gagné du temps en changeant le sujet de la discussion et du conflit et les syndicats se sont vus libérés de toute obligation d’appeler à une grève pour ce jour même où les nouvelles mesures étaient approuvées.
Dans un tel climat général de peur, de déception et de douche froide, quelques milliers de personnes se sont tout de même rassemblées devant le Parlement dans l’après-midi lors d’une manifestation organisée par les syndicats et les organisations de gauche. La colère était toujours là, des poings ont été dressés, quelques bouteilles d’eau et des pétards ont été jetés sur les policiers anti-émeute et des slogans contre le parlement et la police ont été lancés. Une femme âgée a demandé aux gens de chanter “Qu’ils s’en aillent !” (les politiciens), un jeune a uriné dans une bouteille et l’a jeté sur la police, quelques anti-autoritaires étaient là aussi et quand la nuit est tombée et que les syndicats et la plupart des organisations de gauche s’en étaient allées, des gens tout à fait ordinaires, des gens normaux, aux mains nues, ne sont pas partis. Après avoir été violemment attaqués par la police anti-émeute, pourchassés et piétinés par les escadrons de la place Syntagma, les jeunes et les vieux, apeurés, mais furieux, se sont dispersés dans les rues avoisinantes. Tout était rentré dans l’ordre. Cependant, on ne voyait pas seulement la peur dans leurs yeux, on voyait aussi de la haine. C’est certain, ils reviendront.
1. Les mesures sévères contre les anarchistes et les anti-autoritaires ont déjà commencé et vont devenir plus intenses encore à l’avenir. La criminalisation de tout un mouvement socio-politique, allant même jusqu’aux organisations d’extrême gauche, a toujours été une stratégie de diversion utilisée par l’État et sera utilisée plus encore maintenant que l’attaque meurtrière a créé des conditions aussi favorables. […] (3).
2. et 3. […]
4. […] Si la lutte des classes s’intensifie, les conditions peuvent ressembler de plus en plus à celles d’une véritable guerre civile. La question de la violence est devenue centrale.
De la même manière que nous prenons la mesure de la gestion de la violence de l’État, nous sommes contraints d’analyser également la violence prolétarienne : le mouvement doit aborder la question de la légitimation de la violence rebelle et de son contenu en termes pratiques.
En ce qui concerne le mouvement anarchiste et anti-autoritaire lui-même et sa tendance insurrectionnelle dominante, la tradition d’une glorification machiste et fétichisée de la violence a duré trop longtemps et a été trop importante pour demeurer dans l’indifférence aujourd’hui. La violence comme une fin en soi, sous toutes ses formes variées (y compris la propre lutte armée) n’a cessé de se propager depuis des années, et surtout après la révolte de décembre 2008 où un degré de décomposition nihiliste est apparu clairement […], en s’étendant au mouvement lui-même.
A la périphérie de ce mouvement, dans ses marges, un nombre croissant de personnes très jeunes est apparu faisant la promotion d’une violence nihiliste sans limites (se réclamant du “nihilisme de décembre”) et de la “destruction”, même si cela implique aussi le “capital variable” (comme les jaunes, les “éléments petits-bourgeois”, les “citoyens respectueux de la loi.”). Qu’une telle dégénérescence surgisse de la rébellion et de ses limites, ainsi que de la crise elle-même est d’une claire évidence.
Jusqu’à un certain point, certaines condamnations de ces attitudes avait déjà commencé à se faire entendre ainsi qu’une certaine auto-critique (certains groupes anarchistes ont même désigné leurs auteurs de “voyous paraétatiques”) et il est fort possible que les anarchistes et les anti-autoritaires organisés (groupes ou squats) essaieront d’isoler politiquement et opérationnellement de telles tendances. […] A posteriori, on peut dire que ces incidents tragiques, avec toutes leurs conséquences, auraient pu se produire lors de la rébellion de décembre 2008 : ce qui l’a empêché alors n’a pas été seulement la chance (la station service qui n’a pas explosé à côté d’un immeuble en flammes, le samedi 7 décembre lorsque les émeutes les plus importantes ont eu lieu dans la nuit avec une majorité des bâtiments vides), mais aussi la création d’une sphère publique prolétarienne (bien que limitée) et de communautés de lutte qui trouvèrent leur voie, non seulement par la violence, mais à travers leur propre contenu, discours et autres moyens de communication.
Ce furent ces communautés pré-existantes (d’étudiants, de supporters de football, d’immigrés, d’anarchistes) qui se sont transformées en communautés de lutte, autour des thématiques mêmes de la rébellion qui ont pu donner à la violence une place significative. De telles communautés émergeront-elles encore maintenant qu’il n’y a pas seulement une minorité prolétarienne impliquée ? Émergera-il des formes pratiques d’auto-organisation dans les lieux de travail, dans les quartiers et les rues en mesure de déterminer la forme et le contenu de la lutte et par conséquent de situer la violence dans une perspective libératrice ?
Ce sont là des questions difficiles et urgentes mais dont nous devrons trouver les réponses par la lutte.
TPTG (9 mai 2010)
1) L’article que nous publions ici est disponible dans sa version intégrale sur le forum de la CNT AIT Caen [96] et sur le site de l’OCL [97].
Voici aussi un lien vers de nombreux articles en anglais de ce groupe révolutionnaire : libcom.org/tags/tptg [98].
2) Pour mieux connaître la position du CCI sur la question de la violence, lire notre article “Terreur, terrorisme et violence de classe [99]”.
3) Cette tendance à pointer du doigt certains groupes anarchistes, comme certains groupes marxistes qualifiés “d’ultra-gauche”, se vérifie aussi à l’échelle internationale (NDLR).
Nous publions ci-dessous la traduction d’un article de World Revolution, organe du CCI en Grande-Bretagne.
A l’heure où nous écrivons, les rues de Bangkok ont tout l’aspect d’une guerre civile. Des milliers de manifestants, organisés dans le mouvement des “chemises rouges”, sont dans un camp retranché et sont maintenant assiégés par l’armée, qui a déclaré le couvre-feu dans certaines parties de la ville, dans le but d’intimider les manifestants et d’empêcher l’arrivée de tous renforts. Dans la seule journée du 14 mai, les troupes gouvernementales ont tué au moins 16 personnes. Elles ont prétendu agir en situation de légitime défense, mais les chemises rouges sont essentiellement armées de bâtons et de pierres. Qui plus est, les troupes ont clairement utilisé des tireurs isolés contre des cibles spécifiques : un général dissident qui avait rejoint les chemises rouges et leur donnait des conseils de sécurité a été atteint à la tête par une balle tirée d’une longue distance et il y a peu de chances qu’il survive.
La majeure partie des chemises rouges est constituée de Thaïlandais pauvres et dépossédés. Beaucoup d’entre eux viennent des secteurs ruraux du nord et du nord-ouest du pays, mais ils semblent également recevoir l’appui des pauvres des villes. Selon un article du Time, cité sur le site Web Socialiste du Monde (“Dix mort au cours du siège des manifestants par les militaires thaï”, 15 mai 2010), pendant le conflit, “les soldats ont aussi été attaqués à revers par des centaines d’habitants des taudis qui se trouvent dans le voisinage du côté gauche du port de Klong Toey qui se sont déversés dans les rues pour mettre le feu à des fusées et lancer des projectiles sur la troupe… Lorsque la foule de Klong Toey a continué à avancer, les soldats ont ouvert le feu avec des balles en caoutchouc. Des centaines de personnes, prises de panique ont fait demi-tour pour se précipiter dans les rues adjacentes. Au moins trois personnes ont été blessées”.
Il n’y a aucun doute à avoir par rapport au courage des manifestants, ni sur le fait que ce qui les a conduits dans les rues est l’appauvrissement qui s’est abattu sur eux non seulement à cause de la crise mondiale actuelle, mais également à cause de l’impact de la chute des “Tigres” et des “Dragons” d’Extrême-Orient en 1997 et des décennies de sous-développement qui les ont précédés. Mais le mouvement des Chemises rouges n’est pas un mouvement de combat d’exploités et d’opprimés. C’est plutôt un exemple de mécontentement populaire profond qui est canalisé dans une fausse direction : la lutte pour remplacer la clique actuelle des militaristes et des millionnaires de Thaïlande par une autre faction bourgeoise. La principale revendication des Chemises rouges est de nouvelles élections plus justes et le rétablissement de l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra, qui a acquis une grande popularité parmi les pauvres des campagnes après son accession au pouvoir en 2001 en offrant aux cultivateurs fermiers un crédit et des subventions faciles et en maintenant élevé le prix des récoltes ; il y a eu aussi des “réformes” destinées aux masses urbaines pour faciliter l’accès aux soins de santé.
Ces changements ont provoqué une réaction violente de la part de certaines des fractions les mieux établies de la classe dirigeante et de la bourgeoisie (qui parfois défilent sous la bannière du “Mouvement des Chemises jaunes”) et notamment les militaires, qui ont évincé Thaksin en 2006. Mais la principale objection à Thaksin était moins son “soutien” aux paysans ou aux prolétaires que le fait qu’il commençait à diriger la Thaïlande comme si elle était sa propriété personnelle. Thaksin était un “nouveau riche”, le milliardaire des médias et son modèle de gouvernement tranchait par rapport à la ligne traditionnelle de l’influence et des privilèges qui unissent la bureaucratie d’État et de l’armée.
Il y a eu des déclarations de la part d’éléments du mouvement des Chemises rouges appelant à “se débarrasser de l’élite”, des tentatives pour appeler les soldats à les rejoindre. Tout ceci indique qu’un mouvement soulevant de véritables revendications de classe pourrait un jour émerger en Thaïlande. Mais la campagne des Chemises rouges – dont le titre officiel est le “Front national unifié pour la démocratie contre la dictature” – est un obstacle au développement d’un tel mouvement parce qu’il est orienté vers l’installation d’une démocratie bourgeoise “propre” en Thaïlande. Un tel but a cessé depuis longtemps d’avoir la moindre utilité pour la classe ouvrière dans tous les pays du monde. Comme nous l’avons écrit dans la conclusion d’un article récent, “Kirghizistan et Thaïlande : Les révolutions se poursuivent-elles ?”, le mouvement des “Chemises rouges” est fondamentalement un mouvement de pauvres urbains et ruraux, mobilisés derrière la nouvelle bourgeoisie, qui s’oppose aux “vieilles” factions militaires et monarchistes. Ce n’est pas un mouvement de la classe ouvrière, ni contrôlé par elle. La seule action ouvrière au cours de cette période, une grève de 8000 ouvriers à la fabrique d’appareils-photos Nikon, est apparue de façon complètement indépendante du mouvement des “Chemises rouges”. Et ici se trouve le point central de notre argumentation. Ces soi-disant “révolutions”, comme le récent “Mouvement vert” en Iran, ne sont pas des mouvements de la classe ouvrière. Oui, il y a de nombreux ouvriers qui y sont impliqués, et dans le cas du Kirghizistan, une majorité des participants étaient probablement des ouvriers, mais ils participaient à ces actions en tant qu’individus et non pas comme ouvriers. Le mouvement de la classe ouvrière est un mouvement qui peut seulement être basé sur la lutte de classe des ouvriers pour leurs intérêts propres, ce n’est ni un mouvement “interclassiste”, ni un mouvement populiste. Ce n’est qu’au sein d’un mouvement massif de grèves que la classe ouvrière peut développer ses propres organes, des réunions massives, des comités de grève et enfin les conseils ouvriers, qui peuvent assurer le contrôle de la classe ouvrière sur le mouvement, et permettre le développent d’une lutte pour les intérêts de classe des ouvriers. En dehors de cette perspective, les ouvriers ne peuvent être qu’utilisés comme chair à canon par les différentes factions politiques. En Grèce, peut-être, nous pouvons voir le tout début d’un long développement vers ce processus. Au Kirghizistan, et en Thaïlande, nous ne voyons que des ouvriers abattus dans les rues pour le compte de ceux qui veulent être les nouveaux patrons.
Amos
Fin mai, la Corée du Sud effectuait des manœuvres navales de grande envergure aux frontières maritimes de la Corée du Nord. En réaction à ces dernières, le gouvernement coréen du Nord répondait qu’il s’agissait de la part de Séoul “d’une provocation délibérée visant à provoquer un autre conflit militaire en mer Jaune et ainsi pousser vers une phase de guerre” et a menacé de “mettre en œuvre des mesures militaires pour défendre ses eaux territoriales, et le Sud sera tenu pour responsable des conséquences”.
Les tensions militaires entre les deux sœurs ennemies de la péninsule coréenne ne datent pas d’aujourd’hui. A l’issue de la Seconde Guerre mondiale et dans la foulée des accords de Yalta délimitant leurs zones d’influence dans le monde, URSS et Etats-Unis avaient décidé en 1948 la partition de la Corée sur la ligne du 38e parallèle. Mais, sous le même prétexte de “libérer” la Corée du joug japonais, les deux têtes de bloc russes et américaines se sont ruées sur ce petit pays pour y défendre leurs intérêts impérialistes déterminants pour le contrôle de cette région du monde, l’Asie du Sud-Est. Cela allait très vite ouvrir un conflit direct et meurtrier et alimenter les relations conflictuelles entre l’Etat du Nord, pro-soviétique et celui du Sud, pro-américain.
La Guerre de Corée, triste préfiguration de celle du Vietnam, fut un épisode aussi clair que sanglant de ce que signifiait la “libération” de la Corée pour les deux têtes de bloc qui pensaient avoir droit de vie et de mort sur les populations assujetties à leur “protection”. De 1950 à 1953, les Etats-Unis larguèrent chaque mois presque 13 000 tonnes de bombes sur le Nord (1), quatre fois plus que sur le Japon. De leur côté, les armées russe et chinoise s’engagèrent massivement dans cette guerre où le seul résultat probant, les frontières entre le nord et le sud n’ayant pas changé d’un pouce, fut l’affirmation de la supériorité militaire de l’Amérique et sa volonté affichée de contrôler le Japon.
Le tout au prix de 2 millions de morts, dont les trois quarts en Corée du Nord. Cette entrée dans l’histoire de l’après-guerre est particulièrement significative de la place qu’occupe la Corée sur l’échiquier mondial et des enjeux stratégiques auxquels elle est soumise depuis plus de 50 ans. Déjà avant l’effondrement de l’URSS, la Chine, après avoir été le jouet de l’URSS, elle-même puissance grandissante dans l’interminable et sadique jeu international entre super-puissances, avait pris le relais inévitable de Moscou, même après l’intégration de Pékin au bloc américain, intégration entérinée par la fin de la Guerre du Vietnam. Mais ce ne fut pas à l’avantage des Etats-Unis, parce que la Chine s’est réservée de tous temps la Corée du Nord comme chasse gardée et moyen de pression contre son nouveau mentor de la Maison Blanche.
D’ailleurs, c’est en grande partie pour maintenir une pression indirecte sur la Chine que Washington a déclaré dès les années 1990 la Corée du Nord comme faisant partie des Etats-voyous que la “démocratie” devait avoir à l’œil. Elle est passée depuis 2001 au statut de puissance forcément terroriste par essence.
Aussi, les derniers événements du printemps, dans ce “Pays du Matin frais” toujours coupé en deux, ne sont qu’un épisode de plus de l’affrontement larvé entre les Etats-Unis et la Chine, dont on sait que cette dernière contrôle aujourd’hui le régime de Pyongyang. Après les menaces de recours à l’armement nucléaire du Nord envers le Sud, un bras-de-fer “diplomatique” a été orchestré entre les Etats-Unis et la Corée du Nord afin de calmer le jeu. Mais ces manœuvres étaient une réponse aux 46 morts d’un vaisseau coréen du Sud, tué par une torpille le 26 mars dernier, très certainement tirée par un sous-marin de la Corée du Nord.
Cet épisode “anodin” (selon la formule d’Hillary Clinton), qui est loin d’être le premier dans les “relations” tendues entre les deux Corées montre une aggravation des tensions militaires et impérialistes entre ces deux pays, et, derrière eux, des pays qui les soutiennent. Mais ni la Chine ni les Etats-Unis n’ont intérêt à ce que la situation en Corée s’envenime au-delà d’un certain seuil. La Chine n’a pas les moyens de mener une offensive militaire face à un ennemi qui ne serait autre que réellement les Etats-Unis. Et malgré les menaces répétées contre son allié de Séoul, les Etats-Unis n’ont aucun intérêt à venir provoquer un pays allié de la Chine, et du coup provoquer une déstabilisation certaine et irréparable de cette région. Cependant, si les grands parrains cherchent à contrôler la situation, les pressions grandissantes qu’ils exercent sur chaque gouvernement local risquent au contraire de faire basculer ces derniers dans l’engrenage irrationnel du “chacun pour soi” et dans une fuite en avant guerrière, en particulier à travers l’isolement de la Corée du Nord, illustré par la menace de l’usage de son arsenal nucléaire. La situation actuelle renforce d’ailleurs et illustre d’ores et déjà le climat de terreur qui s’exerce comme une épée de Damoclès suspendue en permanence sur le sort des populations locales comme sur l’ensemble de l’humanité.
Aussi, l’équilibre des forces stratégiques dans cette péninsule reste toujours très précaire et fragile, sous la pression permanente de leurs puissances tutélaires respectives. Ceci implique que la présence permanente de forces armées et la quasi-militarisation de la société font subir, depuis 60 ans, au Nord comme au Sud de la Corée, une pression constante et insupportable sur le prolétariat de ces deux pays, prolétariat dont les luttes sont dans un tel contexte toujours exemplaires de courage.
Mulan
1) Durant toute la guerre du Vietnam, ce sont trois fois plus qui seront largués mensuellement .
Nous avons reçu l’ “Appel” publié ci-dessous et rédigé par un groupe de camarades en Australie. Le CCI soutient chaleureusement cet appel, et nous engageons vivement nos lecteurs en Australasie ou dans la région à contacter les camarades sur leur adresse mail : [email protected] [101]
Camarades !
L’humanité fait face aujourd’hui à la même alternative posée depuis la veille de la Première Guerre mondiale, selon les mots de Rosa Luxembourg et de Friedrich Engels avant elle : socialisme ou barbarie !
Le système capitaliste mondial connaît sa pire crise économique depuis la Grande dépression des années 1930, la classe ouvrière prenant le choc de plein fouet, chacun est confronté au gel des salaires, aux licenciements et à des conditions de travail aggravées. La menace d’une catastrophe environnementale globale semble plus possible que jamais. Des conflits sanglants et brutaux font rage sur la planète – de l’Irak à l’Afghanistan, de la Somalie au Soudan, de la Colombie au Mexique.
En opposition à ces émanations d’une société moribonde, nous voyons aussi les germes d’un nouveau monde - sans exploitation ni oppression, sans pauvreté ni misère, sans guerres et sans frontières nationales – dans la lutte de la classe ouvrière internationale.
La Gauche communiste est issue des courants de gauche de l’Internationale Communiste qui ont surgi en réponse aux glissements opportunistes de celle-ci lors du reflux de la vague révolutionnaire internationale des années 1920. Alors que la Gauche communiste connaissait des expressions dans de nombreux pays, ses plus éminents représentants se trouvèrent en Allemagne, aux Pays-Bas, en Italie et en Russie. Dans la période de contre-révolution qui s’est ouverte à la fin des années 1920, ce fut la Gauche communiste qui prouva qu’elle était le défenseur le plus intransigeant de l’internationalisme prolétarien et le plus rigoureux dans le bilan tiré de la vague révolutionnaire.
Même si des sympathisants de la Gauche communiste existent bel et bien en Australie, jusqu’ici ils ne le sont qu’en tant qu’individus souffrant grandement de l’isolement politique. Afin de pouvoir effectivement intervenir dans la lutte de classe, il est nécessaire que les révolutionnaires s’organisent dans une organisation politique, fondée sur la base de positions et de principes partagés.
Cependant, à l’heure actuelle, la formation immédiate d’un tel groupe n’est pas à l’ordre du jour en Australie. Ce qui est nécessaire dans l’immédiat, c’est le regroupement des internationalistes pour la discussion, menée dans le but d’initier et de maintenir le contact entre camarades (particulièrement ceux qui sont géographiquement isolés) et la clarification politique collective des positions qui définissent le programme communiste aujourd’hui.
Aussi, nous appelons à l’ouverture de discussions organisées entre tous les sympathisants de la Gauche communiste en Australie. Il est proposé que les discussions soient conduites sous le nom de “Réseau communiste internationaliste associé”.
Nous proposons que le critère pour y participer soit un accord avec les positions les plus élémentaires de la Gauche communiste aujourd’hui, à savoir :
La guerre impérialiste et les mouvements nationaux de toutes sortes n’ont rien à offrir à la classe ouvrière que la mort et la destruction. La classe ouvrière doit s’opposer à tous les camps bourgeois. En les appelant à prendre parti pour une fraction ou une autre, la bourgeoisie divise les ouvriers et les conduit au massacre de leurs sœurs et de leurs frères de classe.
Le parlement et les élections bourgeoises sont une mascarade. La “démocratie” capitaliste ne diffère pas fondamentalement de toute autre forme de dictature capitaliste. Tout appel à participer au cirque parlementaire ne peut que renforcer le mensonge selon lequel les élections offrent un vrai choix aux exploités.
Tous les syndicats sont des organes du système capitaliste et agissent à son service. Le rôle fondamental des syndicats est de faire la police dans la classe ouvrière et de saboter ses luttes. Pour défendre ses intérêts immédiats, et en dernière instance pour parvenir à faire la révolution, la classe ouvrière doit se battre en dehors et contre les syndicats.
Tous ceux qui peuvent être intéressés à y prendre part sont encouragés à écrire à [email protected] [101]
Sont bienvenus également tous les commentaires, questions et critiques.
Avec nos salutations communistes fraternelles,
F., J., M., N., Th.
Récemment, s’est tenu le XIXe congrès de Révolution internationale (RI), section du Courant communiste international (CCI) en France.
Les travaux de ce congrès ont notamment abouti à l’adoption de la résolution sur la situation en France que nous publions ci-dessous.
Un article tirant le bilan des travaux de ce congrès sera publié dans un prochain numéro de RI.
1. Comme l’ont diagnostiqué le Congrès de RI de 2008 et le Congrès du CCI en 2009, la violence de l’approfondissement de la crise dans lequel nous sommes entrés en 2007 a provoqué une véritable accélération de l’histoire qui aboutit à un changement rapide de toutes les données de la situation économique, sociale et politique dans la plupart des pays du monde. Cette accélération de l’histoire ne se dément pas car les manifestations actuelles de la crise en Europe autour de la faillite de la Grèce et du risque pour un certain nombre d’autres États de subir le même sort, démontrent que la bourgeoisie n’a plus de marge de manœuvre pour gérer la crise économique car elle se trouve devant les choix suivants :
– soit les États continuent à s’endetter, ce qui les mène à la faillite,
– soit ils mènent une politique d’austérité forcenée, ce qui aggravera la dépression économique.
Pour le moment, mais rien ne dit qu’il n’y aura pas de changement dans les trois mois ou l’année qui vient, les pays européens, et la France comme les autres, ont choisi de mettre en œuvre une politique d’austérité comme on n’en avait jamais vu depuis les années 1930.
2. Si l’économie française a été fortement touchée par l’approfondissement de la crise depuis la fin 2007, la baisse de la production a été plus faible que celle des autres pays. Paradoxalement, cet avantage partiel est dû aux faiblesses et archaïsmes historiques du capital français :
– le retard qu’a pris l’État français par rapport à l’attaque des conditions de vie de la classe ouvrière a permis que la consommation intérieure soutienne l’activité économique ;
– le fait que le capital français produise principalement des biens de consommation et de transport (automobile, avions) a permis le relatif maintien de la demande qui lui est adressée contrairement aux économies qui produisent beaucoup plus de biens de production.
Mais cette moins mauvaise santé de l’économie française par rapport aux autres économies européennes n’a pu exister que par un déficit budgétaire très élevé (7,5 % du PIB en 2009) et un endettement public en croissance rapide et qui est un des plus élevés (77,6 % du PIB) des grands pays européens. Cela signifie que le capital français a, pendant les deux dernières années, hypothéqué son avenir plus que beaucoup d’autres. Les faiblesses et archaïsmes du capital français ont toutes les chances de pénaliser à nouveau l’économie française dans les deux années qui viennent dans un contexte de descente dans la dépression économique, et ce d’autant plus que le capital français continue à perdre des parts du marché mondial.
3. La position du capital français se dégrade aussi au niveau impérialiste, en particulier en Afrique qui est la zone géographique où son influence a été la plus importante dans le passé.
Ainsi, dans ce qui était son pré-carré africain, la bourgeoisie française est confrontée à l’avancée des autres grands pays impérialistes, en particulier la Chine et les Etats-Unis, qui, le plus souvent, ont déjà pris pied dans ses anciennes chasses gardées :
– dans la région des Grands Lacs, la puissance américaine a déjà pris le dessus ;
– au Tchad, la domination française ne peut se maintenir qu’à travers des affrontements militaires périodiques ;
– dans les anciens fleurons de la présence française que constituaient le Sénégal et la Côte d’Ivoire, les adversaires de la France ont largement gagné en influence.
Le fait que la France se soit fait fermer la porte au nez lors du dernier sommet de l’OUA (Organisation de l’Unité Africaine) à Addis-Abeba en février 2010 est significatif du fait que les gouvernements africains ont signifié à cette ancienne puissance tutélaire que la plupart d’entre eux ne dépendaient plus d’elle.
La bourgeoisie française n’est pas disposée à renoncer de plein gré à ses anciennes places fortes et elle ne va pas ménager ses efforts diplomatiques ou militaires pour s’y accrocher même si la réalité montre de plus en plus qu’elle n’a plus les moyens de ses ambitions. Pour tenter de garder son statut de puissance qui compte sur l’arène mondiale, l’impérialisme français a décidé de se maintenir à coté des États-Unis en Afghanistan. Mais en réalité, elle ne fait, comme ces derniers, que s’y embourber.
4. Pour en revenir à ses difficultés économiques, c’est bien parce que l’État français a bien conscience des risques que comportent ses faiblesses (cela pourrait aboutir à ce que la valeur de sa signature soit remise en cause) qu’il est en train d’aggraver fortement ses attaques contre la classe ouvrière. Non seulement il va continuer à mettre en œuvre celles qu’il avait décidées précédemment comme le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux et l’allongement de la durée des années de travail pour pouvoir obtenir une retraite complète, mais il en rajoute de nouvelles particulièrement violentes. Ces mesures consistent en la diminution de revenus sociaux comme les allocations-logement, les aides à l’emploi, aux handicapés et une plus grande imposition des retraites. En fin de compte, le gouvernement français vient de décider d’attaquer les catégories sociales qui sont les plus en difficulté et les plus vulnérables. Il est évident que dans les mois et les années qui viennent, bien d’autres attaques vont tomber contre les ouvriers de multiples usines. Mais il faut noter que les attaques que prévoient l’État contre le secteur public, compte tenu du nombre d’ouvriers et d’employés touchés, ainsi que de l’extension géographique de ce secteur, vont être un facteur d’extension de la lutte que n’ont pas celles qui auront lieu dans telle ou telle usine.
5. Les attaques qu’a subies la classe ouvrière depuis la fin 2007, avec l’approfondissement de la crise ont provoqué un changement réel d’état d’esprit dans la classe ouvrière à cause des menaces qui pèsent sur elle. Si, jusque là, la conscience de la précarisation de ses conditions d’existence avaient été le réel moteur de la reprise des luttes au niveau international depuis 2003, les ouvriers ont compris, avec raison, que la nouvelle menace est celle de la chute dans un état dans lequel ils n’auraient même plus le strict nécessaire pour que leur famille puisse se loger, manger et s’habiller. La peur de cette chute dans la misère absolue a d’abord provoqué un état de prostration de l’ensemble de la classe ouvrière, ce qui a abouti à ce que les ouvriers qui étaient licenciés se défendent de façon isolée. C’est pendant toute cette époque qu’ont éclaté des grèves, particulièrement en France, que les syndicats n’ont eu aucun mal à maintenir dans l’isolement, pour la revendication de meilleures indemnités de licenciements. Les séquestrations de cadres ou le saccage de locaux qui ont eu lieu parfois n’étaient pas des signes de force de la classe ouvrière, mais de son impuissance.
6. Mais la violence avec laquelle la crise entraîne dans un dénuement croissant des secteurs de plus en plus massifs de la classe ouvrière est en train de provoquer un nouveau changement d’état d’esprit dans la classe ouvrière au niveau international. Les luttes des ouvriers de Teckel en Turquie, de Vigo en Espagne, de Lindsay en Grande-Bretagne, de même que les mobilisations massives qui ont eu lieu en Grèce contre un plan d’austérité qui ampute le revenu des ouvriers de plus de 20 % montrent que l’impact sur ces derniers des coups portés par la bourgeoisie tend à changer depuis un an ou deux. De manière générale, lors de ces luttes, les ouvriers ne se sont pas laissés enfermer dans l’usine et la corporation mais sont allés rechercher la solidarité d’autres secteurs de la classe ouvrière. De plus, dans un certain nombre de cas, les ouvriers n’ont pas accepté le matraquage des campagnes nationalistes de la bourgeoisie. En effet, que ce soit en Turquie ou en Espagne, les ouvriers de plusieurs nationalités ou ethnies ont lutté de manière solidaire. En Grande-Bretagne, dans la lutte à Lindsay, en pleine campagne syndicale contre les ouvriers portugais, des expressions sont apparues sur le fait que les ouvriers de tous les pays devaient être unis. Toutes ces tendances qui ont existé dans certaines luttes depuis un an sont le signe que les ouvriers sont tellement indignés et en colère à cause des mesures que l’on prend contre eux ou contre leurs camarades qu’il leur apparaît “que l’on ne peut pas laisser faire çà” et qu’il faut agir ensemble. Cette tendance a abouti à un début de remise en cause des syndicats et de leurs mots d’ordre visant à durcir la lutte chacun dans son coin. Aussi limité que cela soit, une telle tendance implique déjà un certain niveau d’initiative des ouvriers, les premiers pas qui les mènent à prendre leurs luttes en main.
7. Même si cela a été moins spectaculaire qu’en Turquie, en Espagne et en Grèce, cette tendance a aussi existé en France ces derniers mois. La grève dans les raffineries de pétrole qui a commencé fin janvier 2010 à la raffinerie Total de Dunkerque a gagné toutes les raffineries du groupe en France parce que les ouvriers des autres établissements, se sachant aussi menacés, se sentaient solidaires de ceux qui allaient être licenciés à Dunkerque. Et la lutte a eu tendance à gagner les autres groupes de raffinage du pétrole en France parce que des bruits insistants existent partout sur de futures fermetures de site de raffinage de tel ou tel groupe. De même, on a vu se développer fin 2009 ou début 2010 des grèves touchant simultanément plusieurs établissements, voire tous les établissements d’une entreprise (Ikea, Barry’s, Crown). Il est certain que les grèves qui ont eu lieu en France ne se sont étendues qu’au sein d’une même entreprise et non à un niveau géographique comme cela a été le cas en Turquie et en Espagne, mais la presse locale a laissé filtré qu’il s’agissait bien de grèves de solidarité. Cette tendance s’est suffisamment répétée pour que nous puissions dire qu’elle fait partie du changement d’état d’esprit qui a lieu au sein de la classe au niveau international.
8. Si cette tendance qui a lieu au niveau international et qui s’est aussi exprimée en France est un élément important qui montre que la classe ouvrière tend à sortir de la prostration qu’avaient provoquée les angoisses de l’approfondissement de la crise, il faut être conscient qu’elle n’en est qu’au début d’une évolution de ses luttes et de sa conscience qui lui permettront de retrouver son identité de classe. Seules des grèves massives permettront au prolétariat de retrouver son identité de classe, condition pour qu’il puisse réellement prendre en charge ses luttes et comprendre que les perspectives de son combat se situent “au-delà” du système capitaliste. Le nouvel état d’esprit qui est en train de se développer au sein de la classe mène à des confrontations avec les syndicats, mais, tant que les ouvriers n’auront pas pris confiance en leur force, les organisations syndicales apparaîtront aux yeux de ces derniers comme le seul moyen d’être protégés contre les attaques. De ce fait, même si dans les moments les plus intenses des luttes il peut exister une tendance à les remettre en cause, elles pourront reprendre une position de force une fois les luttes terminées.
9. La bourgeoisie a été surprise par la violence de l’approfondissement de la crise. En conséquence, elle n’avait pas réorganisé ses partis de gauche et leur idéologie (en fonction des questions que posent cet approfondissement) afin de donner de fausses perspectives et de dévoyer l’éventuelle réflexion qui peut exister au sein de la classe ouvrière et de ses minorités. En conséquence, face aux réactions limitées qui ont existé au sein de la classe ouvrière contre les attaques dont elle a fait l’objet, elle a mis en avant les syndicats en vue de faire en sorte que les luttes qui éclatent restent isolés et que le mécontentement qui existe au sein du secteur public s’épuise en journées d’action organisées tous les deux ou trois mois. Les syndicats semblent réorganiser leur attitude face au nouvel état d’esprit qui se développe au sein de la classe ouvrière. Ainsi les dernières luttes qu’ils ont organisées à la SNCF et à Airbus avaient pour objectif d’épuiser les travailleurs les plus combatifs dans des grèves longues et isolées. Il s’agit pour les syndicats de renforcer dans la tête des ouvriers le sentiment de leur propre impuissance.
10. L’incapacité de la bourgeoisie à prévoir la violence de l’approfondissement de la crise a provoqué beaucoup d’indécision, en France comme dans les autres pays, quant à l’organisation qu’elle doit se donner. De façon évidente, beaucoup de questions se posent qu’elle n’a pas résolues, en particulier celle d’offrir aux ouvriers une idéologie qui apparaisse comme une rupture radicale avec le capitalisme. En dehors de la préoccupation réelle de trouver une équipe compétente pour gérer le capital français et garder une certaine influence de l’impérialisme français (et de surmonter le “n’importe quoi” qui caractérise l’équipe actuellement au pouvoir), la préoccupation majeure est de mettre en place des formules politiques susceptibles de faire passer les attaques contre la classe ouvrière et de faire face à des luttes massives qui pourraient déborder les syndicats. Les commentaires des médias à l’égard de la situation en Grèce montrent que la peur de telles luttes est une préoccupation majeure de la bourgeoisie des pays développés. De manière immédiate, compte-tenu du résultat des élections présidentielles de 2007, la direction du PS a choisi de prendre une posture oppositionnelle classique critiquant les attaques et prônant une politique de relance. Pour les prochaines échéances électorales, comme on l’a vu aussi récemment en Grande-Bretagne malgré toute l’habilité de l’appareil politique de ce pays, la bourgeoisie française est en grande difficulté. C’est notamment pour cette raison que cette bourgeoisie n’a pu affirmer une perspective claire du point de vue des moyens politiques à mettre en place pour faire passer les attaques futures :
soit maintenir la droite au pouvoir et une gauche “combative” dans l’opposition susceptible de canaliser et dévoyer la colère ouvrière ;
soit faire venir un centre-gauche au pouvoir qui fasse passer les attaques sous couvert d’égalité devant l’effort à consentir ; ce centre gauche serait secondé par les Verts pour noyer un peu plus les préoccupations et les questionnements qui existent au sein de la classe ouvrière et de la société,
En tout état de cause, que ce soit dans les deux années qui viennent ou plus tard, les attaques que va devoir faire passer la bourgeoisie vont être particulièrement graves et il n’est pas exclu que les équipes chargées de gérer le capital national puissent changer suivant l’évolution de la lutte de classe.
11. Comme l’ont montré les dernières élections régionales, et particulièrement le taux record d’abstentions à celles-ci, le discrédit des deux grands partis de la bourgeoisie française est très profond au sein de la classe ouvrière. En conséquence, la bourgeoisie ne peut pas se passer de partis d’extrême-gauche, capables d’orienter vers des impasses ou de fausses perspectives les ouvriers qui se posent des questions sur l’avenir du système capitaliste.
Pourtant, à ce niveau aussi, la bourgeoisie a été surprise par le questionnement qui ne pouvait que découler de la misère qui se répand.
Ainsi, la transformation de la LCR en un NPA qui aurait eu la capacité de récupérer l’ensemble des questionnements de la jeune génération apparaît comme une grosse bévue car la question essentielle qui se pose est celle des attaques économiques par rapport auxquelles ce “nouveau” parti s’est montré très mal armé. Les succès qu’il avait obtenus au sein de la jeune génération autour de la lutte contre le CPE se sont déjà dissipés.
Cela dit, nous assistons à une réorientation en cours au sein des forces d’extrême gauche de la bourgeoisie. C’est le cas avec la mise en avant du Parti de Gauche utilisant les réseaux de “l’astre mort” qu’est le PCF et campant sur le mot d’ordre “les riches doivent payer”. C’est le cas aussi au sein du NPA lui-même où on constate l’apparition de deux tendances ; l’une favorable à une alliance avec toute la gauche (PS, PC, PG, verts, différents syndicats) face aux attaques contre les retraites, l’autre refusant une telle alliance et se refaisant des habits aux couleurs du “communisme”, de l’auto-organisation des luttes, de l’internationalisme et de la “révolution”. Cela montre que la bourgeoisie veut relancer une extrême gauche à la tonalité plus classique susceptible de mettre en avant des réponses mystificatrices à la crise du capitalisme et à la misère à côté de celles des partis de gauche traditionnels.
Enfin, tant le passé récent des luttes en France, que les luttes en Grèce ainsi que les campagnes que la bourgeoisie fait autour d’elles, doivent accroître notre vigilance sur le fait que la bourgeoisie va probablement essayer de polariser l’attention sur les groupes défendant la violence comme seul réel moyen de lutte.
12. La violente inflexion dans le rythme de la crise que nous sommes en train de vivre pose et va poser beaucoup de questions à la classe ouvrière. L’intervention des révolutionnaires sera déterminante pour que la classe puisse s’orienter face à ces questions et puisse réfléchir sur la signification de la vague d’attaques qu’elle est en train de subir. Cette intervention doit s’assigner plusieurs objectifs.
Tout d’abord, même si ce n’est qu’à travers des luttes massives que la classe ouvrière prendra conscience de sa force et de son identité, nous devons être particulièrement en éveil et donc écouter et intervenir par rapport au questionnement qui existe dans des minorités tant sur le sens de l’évolution catastrophique du capitalisme que sur la force sociale qui peut le renverser. Face à ces minorités, nous devons promouvoir la discussion la plus large possible afin d’être un facteur actif dans leur développement politique.
Face au désarroi qui est largement majoritaire dans la classe ouvrière, il est nécessaire, dans les luttes et en dehors des luttes, de montrer d’une part, le chemin et les moyens du combat prolétarien et, d’autre part, de mettre en évidence comment les syndicats et les partis de gauche n’ont pour autre objectif que d’empêcher et de casser tout effort des ouvriers de développer ce combat.
CCI (mai 2010)
La manifestation nationale du 24 juin, troisième de l’année contre la réforme des retraites, a révélé une colère grandissante dans la classe ouvrière : 800 000 à 2 millions de manifestants pour une mobilisation de la seule fonction publique et à la veille des vacances ! Pourtant, Eric Woerth est resté droit dans ses bottes, comme Juppé en 1995, et a persisté à dire qu’il s’agissait de “sauver notre système de retraite” (1).
La réforme des retraites n’explique pas à elle seule ce mécontentement général, elle s’ajoute à tout un contexte marqué par des attaques tous azimuts contre tous les secteurs et toutes les générations : budgets sociaux de plus en plus rabougris, conditions draconiennes imposées aux 4 millions de chômeurs pour mieux les rayer des listes du Pôle emploi, mesures répressives d’une brutalité inouïes sur les sans-papiers et les immigrés, contrôles et gardes à vue renforcés de la population, vagues de licenciements récurrentes, conditions de travail de plus en plus ahurissantes qui se concrétisent notamment par des vagues de suicides dus au travail, etc.
Dans ce contexte, les discours gouvernementaux et présidentiels cumulent les mensonges les plus énormes et le mépris le plus total envers les salariés. Ces discours, de même que les attaques anti-ouvrières répétées dont la gauche fut en son temps le fer de lance, ne sont pas bien sûr l’apanage spécifique de ce gouvernement de droite. Mais le “style” Sarkozy (promesses jamais tenues et déclarations sans cesse contradictoires, effets de manche dérisoires, comme lors du dernier sommet des G8-G20 à Toronto (2), politique économique ouvertement aux basques de la haute finance voire de la jet-set), s’il fait les choux gras des comiques et de certains médias, ne peut de toute façon qu’accroître chaque jour un peu plus le sentiment général que les hauts dirigeants, non seulement en mettent plein la figure à la classe ouvrière, mais se moquent d’elle.
Face à cela, la bourgeoisie et ses médias cherchent à mettre un écran de fumée en focalisant l’attention sur de grandes affaires. Le barouf autour de la déculottée de l’équipe de France de football avait pour objectif, faute d’avoir une équipe “qui gagne”, de faire diversion avant les vacances. Mais cela n’a fait qu’exaspérer encore plus les esprits dans les rangs de la classe ouvrière et cette impression d’être profondément méprisée et gouvernée par des crapules. Le jour même de la manifestation, l’Elysée était en cellule de crise… à la rescousse du soldat Henry (ex-capitaine déchu de l’équipe de foot française), celui-là même qui a “sauvé” la France contre l’Irlande en faisant une main, donc une tricherie ! Tout un symbole. Encore mieux, le même ministre qui nous appelle sans sourciller à nous serrer la ceinture et devait assainir le système financier, et en particulier pourchasser ceux qui cachent leur argent en Suisse, est impliqué dans une des affaires financières des plus énormes.
Et la “grande” mesure tape à l’œil et populiste sarkozienne consistant à réduire le train de vie des ministres et autres secrétaires d’Etat (qui est une goutte d’eau dans l’océan du déficit budgétaire), sera loin de réussir à redorer le blason du gouvernement et à faire baisser la colère des travailleurs.
Cette politique de rigueur que mène la bourgeoisie française n’est pas une particularité de l’Hexagone. C’est partout, dans tous les pays, que la classe ouvrière est massivement attaquée par des Etats aux abois face à la gravité de la crise capitaliste.
En Allemagne, après le passage de la retraite à 67 ans, le gouvernement a mis en route un “plan d’économie” de 80 milliards d’euros, qui va frapper essentiellement les chômeurs de longue durée, les “bénéficiaires” des aides sociales comme les familles les plus démunies, etc.
En Grande-Bretagne, afin de réduire son déficit budgétaire, le nouveau gouvernement conservateur ne s’est pas attardé pour commencer à appliquer le “budget d’urgence” concocté par la gauche avec la réduction de 7 milliards d’euros en direction des “dépenses sociales” et des cinq millions de salariés de la fonction publique.
Au Portugal, le gouvernement de Socrates a annoncé des hausses d’impôts et des coupes budgétaires venant s’ajouter au gel des salaires pour quatre ans dans la fonction publique. En Espagne aussi, hausses d’impôts et réductions des budgets sociaux sont en marche, avec l’adjonction d’une réforme du marché du travail consistant à “assouplir” les droits des licenciements.
En Italie, c’est le gel des salaires des fonctionnaires pour trois ans, assorti d’une réduction de 10 % des budgets ministériels et de coupes claires dans les fonds dont bénéficient les collectivités locales.
En Grèce, non content d’avoir opéré une attaque massive sur les salaires dans la fonction publique et sur les retraites (âge légal de départ reporté à 65 ans et baisse des pensions de 3 à 10 %), “au titre de la solidarité” ( !), le gouvernement a sorti de son chapeau de nouvelles mesures. De “nouvelles” “relations du travail” prévoient ainsi une réduction de 50 % de l’indemnité de licenciement agrémentée d’une augmentation de 5 % du seuil des licenciements et de la suppression du droit unilatéral pour recourir à un arbitrage en cas de conflit : autrement dit, il faudrait attaquer son patron avec son accord !
Et le gouvernement grec s’attaque aussi aux jeunes pour lesquels des salaires minima spécifiques vont être mis en place : 80 % du salaire minimum (592 euros) pour les moins de 21 ans et 85 % (629 euros) pour les moins de 25 ans.
Tout cela seulement en Europe car il serait trop long d’édifier la liste des projets de cures d’austérité qu’envisagent les différents Etats-patrons partout dans le monde.
Ces “projets” de la bourgeoisie ne restent cependant pas sans réponse de la part de la classe ouvrière. Ainsi, le mois de juin a vu un véritable déferlement de manifestations en Europe montrant que la combativité ouvrière va crescendo.
Les dirigeants capitalistes aimeraient se rassurer et ne voir là que l’expression d’une grogne, “compréhensible” certes, mais au fond passagère. Un “analyste” politique grec étalait par exemple cette sacro-sainte vérité bourgeoise révélée par le bon docteur Coué et consistant à se dire qu’il suffit d’y croire pour que ce soit vrai : “Plutôt que de couler, les Grecs ont accepté de s’entasser dans des canots de sauvetage, ils ne sont évidemment pas contents mais ils rament.”
“Evidemment”, les mesures passent car la classe ouvrière n’a pas construit un rapport de force suffisant pour pouvoir s’opposer efficacement aux attaques qui la laminent actuellement. Les manifestations auxquelles elle participe de plus en plus massivement et simultanément dans de nombreux pays lui permettent d’exprimer dans la rue sa colère. Mais cela ne suffit et ne suffira pas pour faire reculer les mesures gouvernementales et/ou patronales. Il lui faut en effet développer des luttes encore plus massives, intégrant tous les secteurs, chômeurs comme actifs, élargir au maximum son combat et ne pas en rester à des manifestations sporadiques à l’issue desquelles tout le monde rentre chez soi, tandis que d’autres sont ou se mettent en grève, chacun dans leur coin (3). Les journées d’action isolées, sans lendemain et sans véritables échanges ni discussions, sont le pain béni de la bourgeoisie pour mieux faire passer les attaques anti-ouvrières ; car elles défoulent une certaine combativité et donnent le sentiment illusoire “d’avoir fait quelque chose”.
Et c’est aux syndicats qu’appartient ce rôle d’entretenir ces illusions et donc d’apparaître comme ceux qui mèneraient véritablement le combat, que leur auraient “délégué” les ouvriers. En réalité, ce sont eux qui s’efforcent de contenir la riposte ouvrière, de la diviser et la saucissonner, par catégories, secteurs, etc., et de la stériliser par tous les moyens. Il ne faut pas voir d’autre objectif dans le fait que Force Ouvrière ait fait cavalier seul sur les retraites, se payant le luxe d’avoir l’air plus radicale par l’organisation d’une grève “interprofessionnelle” contrairement aux manifestations plus “corporatistes” de la fonction publique organisées par les autres syndicats. Cependant, leur marge de manœuvre, leur crédibilité et leur capacité à permettre que les mesures passent sans se dévoiler sont d‘autant moins grandes que la conscience de la nécessité de se battre prend corps chaque jour plus puissamment dans les rangs ouvriers. Autrement dit, jusqu’où pourront-ils faire leur travail de sape et continuer à prétendre faire en sorte de défendre les ouvriers tout en sabotant les grèves et les potentialités de la lutte ? D’ailleurs, leurs discours révèlent cette inquiétude comme l’indique cette citation rapportée par les Echos du 25 juin : “Réorganisation de l’Etat, retraites, salaires... Tout se cumule. On atteint un niveau de colère comme nous n’en avons jamais connu dans la fonction publique”, prévient la CGT. Les syndicats ne se font pas d’illusion sur l’issue des discussions, mais tous évoquent des actions à la rentrée. “La messe ne sera pas dite avec la trêve estivale”, prévient la CGT.”
La journée d’action prévue pour le 7 septembre, alors que, depuis des années, c’est en octobre que les syndicats commençaient leur timide et fragile “rentrée sociale”, s’annonce donc comme un pare-feu syndical, face à une classe ouvrière qui supporte de moins en moins qu’on lui marche dessus.
Il n’y a pas d’illusions à avoir. La “reprise économique” qui prétendument pointe à l’horizon est une vue de l’esprit bourgeois. Il n’y aura même pas de “redémarrages” ici ou là, mais un approfondissement inéluctable de pans entiers de l’économie mondiale dans le marasme, avec les conséquences les plus désastreuses. Aussi, la lutte du prolétariat contre la bourgeoisie, au niveau international, s’annonce comme une implacable nécessité. Il faut se donner les moyens de gagner ce combat crucial pour toute l’humanité.
Mulan (2 juillet)
1) La toute dernière publicité propagandiste, diffusée en boucle à la télévision, intitulée “Réussissons une réforme juste” et qui met en scène des “citoyens types” vantant la réforme des retraites, est d’ailleurs aussi cynique que ridicule.
2) Content de lui comme toujours, Sarkozy, Rolex au poignet, s’est félicité d’avoir fait progresser l’idée d’une taxe sur les banques, qui rapporterait un milliard d’euros, c’est-à-dire juste le montant de la dépense occasionnée par cette seule rencontre du G8 et du G20.
3) Lire notre article dans ce numéro qui rappelle le mouvement de grève massive des ouvriers de Pologne en 1980, il y a 40 ans. Cette lutte est riche de leçons pour les luttes à venir ! Elle montre en particulier comment la classe ouvrière peut prendre elle-même ses luttes en main, sans les syndicats, et établir un rapport de force favorable en développant son unité et sa solidarité.
Le 31 mai dernier, l’attaque israélienne contre la “flottille de la liberté” affrétée par la Turquie pour apporter une aide soi-disant humanitaire aux habitants de la bande de Gaza a défrayé la chronique. L’événement en lui-même a été en effet particulièrement choquant : une des armées les plus modernes et les mieux entraînées du monde tuant sans vergogne des militants pro-palestiniens désarmés. Et pour en rajouter dans le cynisme, les responsables israéliens prétexteront le recours à “l’auto-défense” contre des barres de fer ou... des couteaux suisses !
Toute une polémique a eu lieu, et a encore lieu, autour du nombre réel des victimes, tous les témoins de l’attaque affirmant qu’il y a eu bien plus que neuf morts (la plupart tués par plusieurs balles à bout portant) et soixante blessés (dont quelques-uns croupissent encore en prison en Israël), certains blessés étant même jetés par-dessus bord. Quel que soit le nombre réel de morts et de blessés, ce qui a marqué les esprits, c’est la violence de l’armée israélienne, totalement disproportionnée par rapport à la “menace” réelle que représentait ce convoi.
Pour justifier ce raid, Benyamin Netanyahou a déclaré juste après les événements : “Nos soldats devaient se défendre pour défendre leur vie.” “Ils ont été assaillis, matraqués, ils ont été battus, poignardés, on rapporte même qu’il y a eu des coups de feu et nos soldats devaient se défendre, défendre leur vie, sinon ils auraient été tués”, tout en affirmant sans honte “Nous voulons aller le plus rapidement possible vers des discussions directes puisque le genre de problème que nous avons avec les Palestiniens peut être résolu pacifiquement si nous nous asseyons ensemble à la même table.” De telles déclarations sont pitoyables et, de fait, Tsahal et l’Etat d’Israël se sont trouvés ridiculisés et montrés du doigt par la “communauté internationale”.
De son côté, pour en rajouter dans le style provocateur, le chef de la mission de liaison et de coordination pour l’enclave palestinienne, le colonel Moshe Levi, a convoqué une conférence de presse et affirmé qu’il n’y avait pas de pénurie de nourriture ni de marchandises dans la bande de Gaza : “La flottille devant se rendre à Gaza est un acte provocateur et inutile dans les conditions actuelles de la bande de Gaza, où la situation humanitaire est bonne et stable”, ajoutant qu’Israël permet que bien des produits soient introduits à Gaza et “restreint seulement l’accès de ceux qui pourraient servir à faire avancer les activités terroristes du Hamas”.
1,5 million d’habitants vivant dans 378 km2, préparant leur cuisine ou faisant leur toilette avec des eaux usées et souillées, parfois contraints d’en boire, soumis à des bombardements réguliers de l’armée israélienne qui teste ses drones et autres armes dernier cri sur eux (1) : voilà quelques aspects du quotidien des Gazaouis. Les poubelles s’entassent au point où l’on enseigne aux enfants dans les semblants d’école comment les recycler en bijoux ou autres babioles, à la fois pour tenter de diminuer les masses d’ordures qui dévorent tous les quartiers, pour occuper les “petits” et espérer grappiller quelques sous dans l’économie locale.
Que ce soit dans la bande de Gaza ou en Cisjordanie, le sol et le sous-sol, donc la nappe phréatique, sont abondamment pollués. D’abord par le confinement des décharges, par le non-traitement des eaux usées, et par les émanations et les résidus des milliers de tonnes de bombes au phosphore, à l’uranium appauvri, et à une trentaine d’autres métaux toxiques lourds qu’Israël a déversés depuis des années. Ainsi, les corps des victimes directes de l’offensive “Plomb durci” de janvier 2009 ont montré des taux élevés d’uranium, de zinc, de mercure, de cobalt et d’autres produits cancérigènes. Depuis de nombreuses années, la production agricole en est irrémédiablement contaminée, ainsi que les quelques arbres que l’armée n’a pas brûlés au phosphore blanc, tout cela et le reste entraînant un nombre de plus en plus important de cancers, d’insuffisances rénales et de malformations à la naissance. Telle est la situation humanitaire dramatique de ceux qui vivent en Palestine, otages de toutes les cliques impérialistes qui répandent depuis 40 ans un souffle de mort ! En attendant chaque matin pire que la veille, la colère gronde de plus en plus dans cette génération de jeunes qui n’ont vécu que l’occupation israélienne et la vie misérable des camps, et dont un des “passe-temps” favoris, pour cause de manque totale de perspective, est le caillassage des troupes israéliennes, comme à Jérusalem, ou encore l’enrôlement dans un groupe terroriste pour servir de kamikaze.
Ce qui s’est passé le 31 mai est un nouvel épisode de cette guerre qui dure depuis des décennies, non pas seulement entre Israéliens et Palestiniens, mais aussi et surtout entre les différentes puissances, petites ou grandes, qui ont un intérêt quelconque à défendre telle ou telle fraction.
Ainsi, l’IHH (“Fondation pour les Droits de l’homme et les Libertés” et très bien implantée en Turquie dans les municipalités proches de l’AKP, parti islamiste au pouvoir depuis 2002), à laquelle le gouvernement turc a prêté ses services pour l’affrètement des navires, est une organisation proche du Hamas. Elle possède même un bureau de représentation à Gaza et a déjà organisé d’autres convois vers les territoires palestiniens.
Devant ce convoi “humanitaire” dont l’arrivée provocatrice avait été à dessein particulièrement médiatisée, l’Etat israélien n’avait donc que de “mauvais choix” : soit laisser passer les bateaux et offrir une victoire aux islamistes du Hamas, soit intervenir par la force en affirmant sa volonté d’être le seul détenteur du contrôle de la bande de Gaza. Cette intervention musclée se voulait exemplaire pour le gouvernement israélien. Cette attitude n’a provoqué qu’une levée de boucliers et n’a contribué qu’à isoler davantage l’Etat hébreu sur la scène internationale. Cet épisode lamentable n’a pas affecté que l’image de l’Etat d’Israël mais aussi celle de son tuteur, les Etats-Unis. Et cela tombait mal.
La grande puissance américaine, dont le crédit international, tant commercial que politique, est en perte de vitesse, en particulier aux yeux de l’ensemble des pays arabes comme dans ceux à composante musulmane importante, a pris une nouvelle claque avec cette attaque israélienne sur la “flotille de la liberté”. Les Etats-Unis n’ont pu émettre qu’un faible murmure de protestation face à cette erreur de son allié principal dans la région. Le Grand Moyen-Orient qui devait aller du Maghreb jusqu’au Pakistan et dont rêvait en 2003 George W. Bush, se prenant pour un Lawrence d’Arabie moderne, s’est révélé être un piteux fiasco, et l’Empire américain n’est plus que celui de toons impuissants, creusant chaque jour un peu plus leurs propres tombes.
Dans l’affaire, ressort le rôle prépondérant pris par l’Etat turc qui a organisé le convoi maritime présenté comme une “initiative humanitaire”. Cela s’est illustré par les propos offensifs du Premier ministre Erdogan et de son ministre des Affaires étrangères : “Les agissements d’Israël ne resteront pas impunis. La communauté internationale doit agir...” La Turquie, qui prétend porter secours aux populations palestinienne, ne se livre là qu’à un racolage sans vergogne au service de sa propre propagande et de ses propres intérêts impérialistes.
Jusqu’à une époque récente, la Turquie était un des rares alliés d’Israël, via les Etats-Unis, dans le monde musulman ; aujourd’hui, elle se fait le chantre de la guerre contre le sionisme et se fait fort de jouer un rôle important au Moyen et au Proche-Orient.
La décrédibilisation et l’affaiblissement grandissants à l’échelle mondiale des Etats-Unis sont la toile de fond d’une nouvelle donne qui s’organise dans cette région de la planète.
L’axe Iran-Syrie qui prévalait encore il y a quelques mois et se concrétisait par une aide de ces pays au Hezbollah et au Hamas s’est agrandi de la Turquie. Une Turquie qui voit d’un œil de plus en plus mauvais l’indépendance du Kurdistan irakien (2) et le soutien économique que lui apporte Washington, comme le soutien de cette dernière aux Kurdes iraniens. L’Etat américain cherche à brider de ce fait les velléités impérialistes d’Ankara sur son propre Kurdistan, tout en laissant une plus grande latitude aux indépendantistes kurdes, en particulier ceux qui sont le plus proche des zones de l’Est de l’Anatolie qu’elle a de tous temps essayé de mettre au pas. Cette orientation impérialiste des Etats-Unis rapproche la Turquie, la Syrie et l’Iran, d’autant que ces trois pays ont été tenus à l’écart des décisions politiques américaines concernant l’Irak, son invasion et la gestion de la crise présente et à venir. De plus, pour la Turquie, son agrégation à cet axe lui donne une bouffée d’oxygène face aux atermoiements de l’Union européenne devant ses demandes d’intégration (3).
Mais à ce nouvel axe, il faut de surcroît ajouter la Russie, qui n’attendait que cela pour proposer ses bons offices contre le grand parrain américain. Ainsi, si trois Etats leaders au Proche-Orient sont entrés dans une phase d’intense coopération, et en quelques mois ont ouvert leurs frontières et libéralisé leurs échanges à marche forcée, la Russie en est partie prenante. En quelques mois, Ankara et Moscou ont abrogé la nécessité de visas pour leurs ressortissants. Ainsi un Turc peut entrer sans formalité en Russie alors qu’il n’y est toujours pas autorisé ni aux Etats-Unis, ni dans l’Union européenne, bien que la Turquie soit membre de l’OTAN et candidate à l’UE. Moscou se fait encore le chantre du rapprochement entre le Hamas et le Fatah, et mieux vendre ses missiles RPG et S-300 qui transpercent les chars israéliens (et dont elle va fournir l’Iran contre d’éventuels bombardements américains). C’est tout bénéfice pour Medvedev et Poutine. Les sociétés russes Rosatom et Atomstroyexport, qui terminent la construction d’une centrale nucléaire civile en Iran (à Bushehr) et sont en discussion pour de nouvelles, vont en construire une autre en Turquie pour 20 milliards de dollars. Un projet similaire est à l’étude en Syrie. En outre, Stroitransgaz et Gazprom vont assurer le transit du gaz syrien vers le Liban, Beyrouth étant empêché par son voisin israélien d’exploiter ses importantes réserves off shore (4). Mais la Russie a surtout consolidé une position militaire en prenant livraison de sa nouvelle base navale en Syrie. Celle-ci lui permettra de rétablir l’équilibre en Méditerranée dont elle est douloureusement absente depuis la dissolution de l’URSS.
Le retrait américain d’Irak n’en finit pas, la guerre en Afghanistan s’enlise et se répand au Pakistan. L’Iran est aujourd’hui en ligne de mire et, semble-t-il, de plus en plus sérieusement. Avec les échecs répétés et l’isolement tant d’Israël au Moyen-Orient que des Etats-Unis dans le monde, l’histoire s’accélère. Et ce qui pouvait apparaître comme peu probable il y a encore un an, ou moins, devient tangible. Deux semaines après l’attaque de la flottille de l’IHH, on n’a pas vu un apaisement des tensions guerrières, malgré les discours de Tel-Aviv sur l’élargissement du passage aux convois humanitaires vers Gaza. Au contraire. Douze navires de guerre américains faisaient route via le canal de Suez vers le Golfe persique, tandis que plusieurs sous-marins nucléaires israéliens capables d’atteindre n’importe quelle cible en Iran prenaient le même chemin. Pour l’instant, il s’agit de menaces cherchant à donner une valeur concrète aux discours d’Obama contre Téhéran. Mais le contexte international et les tensions impérialistes sont tels qu’on ne peut exclure un dérapage ou un nouvel épisode plus “planifié” de la fuite en avant délirante vers la guerre que connaît ce monde capitaliste décomposé.
Wilma (28 juin)
1) Les armes, particulièrement les drones tels le Heron, vendues par Israël à l’Union européenne ou aux États-Unis pour la guerre en Afghanistan, ou encore comme ceux qui ont servi dans la guerre entre la Géorgie et l’Abkhazie en 2008, ont comme argument majeur de vente qu’il sont “déjà testés pour la guerre”, c’est-à-dire dans les territoires occupés.
2) De plus, il faut savoir qu’au niveau économique, et en même temps militaire, c’est Israël qui se taille la part du lion au Kurdistan irakien, et devient de ce fait un concurrent direct de la Turquie.
3) L’attaque de la flottille humanitaire du 31 mai a encore eu pour répercussion que le IIe sommet de l’Union pour la Méditerranée chère au nain de jardin de l’Elysée a été repoussé en novembre, cette union préconisant entre autres délires l’intégration d’Israël au maintien de la paix en Méditerranée. Après que le Ier sommet a été complètement plombé par l’attaque israélienne sur Gaza... La droite française mérite une fois de plus son titre de plus bête du monde.
4) On voit que la “guerre à l’énergie” prend une tournure de plus en plus prégnante et dramatique autour de l’Iran, mettant réellement en difficulté la politique et poussant Washington à faire de nouvelles erreurs. Ainsi, Téhéran a signé avec le Pakistan un accord d’une valeur de 7 milliards de dollars, qui lance la construction d’un gazoduc allant de l’Iran au Pakistan. Un projet qui remonte à 17 ans, jusqu’ici bloqué par les États-Unis. Malgré cela, l’Iran a déjà réalisé 900 des 1500 km de gazoduc, du gisement de South Pars jusqu’à la frontière avec le Pakistan, qui en construira 700 autres. C’est un couloir énergétique qui, à partir de 2014, fera arriver chaque jour au Pakistan depuis l’Iran, 22 millions de mètres cube de gaz. La Chine est aussi disponible pour l’importation du gaz iranien : la China Petroleum Corporation a signé avec l’Iran un accord de 5 milliards de dollars pour le développement de ce gisement de South Pars. Pour l’Iran c’est donc un projet d’importance stratégique : le pays possède les plus grandes réserves de gaz naturel après celles de la Russie, et elles sont en grande partie encore à exploiter ; à travers le couloir énergétique vers l’Est, l’Iran peut défier les sanctions voulues par les États-Unis. Il a cependant un point faible : son plus gros gisement, celui de South Pars, est offshore, situé dans le Golfe Persique. Il est donc exposé à un blocus naval, comme celui que les États-Unis peuvent exercer en s’appuyant sur les sanctions décidées au Conseil de sécurité de l’ONU.
Dans son dernier livre, Le Quai de Ouistreham, la journaliste Florence Aubenas nous dévoile la vérité crue et effroyable de la vie des travailleurs précaires.
En 2009, elle s’est fait passer pour une chômeuse à la recherche d’un emploi en Basse-Normandie. Sa motivation ? “La crise. On ne parlait que de ça, mais sans savoir réellement qu’en dire, ni comment en prendre la mesure. Tout donnait l’impression d’un monde en train de s’écrouler. Et pourtant, autour de nous, les choses semblaient toujours à leur place.” Son but ? Décrocher un CDI. Elle l’obtiendra au bout de 6 mois de galères : “les conditions sont miraculeuses […] : un contrat de 5 h 30 à 8 h le matin, payées au tarif de la convention collective, 8,94 euros de l’heure” (sic !). Cela donne le ton quant aux conditions de vie des millions de chômeurs ou travailleurs précaires : on en vient à nommer “miraculeux” un pauvre contrat qui ne permet de travailler que 2h30 par jour, à peine plus que le SMIC !
Son parcours commence “naïvement” (selon ses propres mots) par les boîtes d’intérim. Florence Aubenas y arrive en précisant fièrement “J’accepterai tout”. “Ici, tout le monde accepte tout” lui répond-on ! Rapidement, elle en a fait le tour. Rapidement elle les connaît toutes. Rapidement, elle comprend qu’elle n’a aucune chance d’obtenir un emploi en ces temps de crise : elle n’a pas travaillé depuis 20 ans… elle n’a aucune expérience professionnelle… elle n’est pas un profil “fiable” pour l’intérim…
S’ensuit le Pôle emploi, une expérience des plus traumatisantes. Tout y est organisé afin de s’y sentir mal. Les locaux sont tristes, on est mal installé pour les recherches d’emploi, il y a peu d’ordinateurs et un seul est relié à une imprimante qui fonctionne. Un écran télé diffuse en boucle le même slogan ignobles : “Vous avez des droits, mais aussi des devoirs. Vous pouvez être radiés.” Radié… L’Etat veut graver cette menace dans les esprits, véritable épée de Damoclès… Plus d’allocations, plus de droits, plus rien… le vide… le néant… Tout est fait pour culpabiliser les ouvriers, pour leur faire croire que s’ils sont radiés, c’est entièrement de leur faute. “Vous avez des devoirs”. Entendez : “il est normal de faire quelques efforts pour rechercher un emploi, vous qui vivez au crochet des honnêtes travailleurs et êtes payés à ne rien faire.” Non ! Toutes ces contraintes imposées par le gouvernement n’ont qu’un seul et même but : radier un maximum de chômeurs, pour faire mentir les chiffres du chômage et faire des économies.
Au fil des pages, la recherche d’emploi devient un parcours du combattant usant et écœurant.
Tout commence avec le premier rendez-vous. Le conseiller annonce à Florence Aubenas qu’elle doit avoir le second rendez-vous dans les 24 h, sinon…
Le second rendez-vous ne durera pas plus de vingt minutes, nouvelles directives “d’en haut”. Les conseillers parlent entre eux “d’abattage”.
Et puis, il y a le rendez-vous mensuel, “une obligation fixée par l’administration”, quitte à débourser de gros frais de transports. “Devant l’accueil, une chômeuse attend, fâchée ça va de soi, mais de manière muette, avec des yeux de reproche. On la sent gonflée de griefs qu’elle n’ose pas exprimer, et qui cheminent en elle depuis longtemps. Elle doit penser sans cesse à ses convocations à l’agence, surtout la nuit. Elle sont obligatoires une fois par mois, toute la journée y passe, elle le sait, il faut venir en bus depuis Dives pour être reçue vingt minutes à Pôle emploi – et parfois même dix, comme la dernière fois. Dans un bureau ouvert à tout vent, un conseiller qui soupire d’autant plus qu’il ne lui proposera rien. Et pendant ce temps, sur toutes les chaînes, elle entend les politiques expliquer que les chiffres du chômage ne sont pas si mauvais. C’est à devenir fou.”
Et il y a encore les stages aux thèmes “bidons” (1) qui finissent par “être pire qu’un travail”. Là, on se présente chacun à son tour, on raconte son douloureux parcours, et puis plus grand chose… Quand le stage “apprendre à rédiger un CV” se termine, aucun matériel n’est prévu pour taper ni imprimer les nouveaux CV rédigés ! Quand il faut se déplacer à “une réunion spéciale d’information”, il apparaît assez vite “que Pôle emploi n’a en réalité, rien à annoncer à cette réunion” ! Un des conseillers finit d’ailleurs par expliquer qu’ils ont des consignes, qu’il faut faire baisser les chiffres du chômage et que cette réunion en est un des moyens : “on convoque une catégorie de chômeurs, cadres, RMistes, peu importe. Une partie ne viendra pas, et sans justificatif, c’est statistique. Ils seront radiés.”
Le personnel de Pôle emploi n’a d’ailleurs plus aucune illusion sur son propre rôle : il “a longtemps été constitué […] de travailleurs sociaux. Désormais, le recrutement cible d’abord des commerciaux”. Il ne faut plus dire “demandeurs d’emploi” mais “clients”. Il ne faut plus “faire du social” mais “faire du chiffre”. “Gagner en productivité est la priorité” du gouvernement… sous peine de suppression des primes collectives par agence ! Alors, la durée des entretiens ne doit pas excéder 20 minutes. “Dans certaines agences, chaque conseiller a parfois plus de 180 demandeurs dans son portefeuille, quand il devrait en compter 60. La région a plus de 4000 dossiers en retard. Personne n’arrive plus à tenir le rythme.”
Et les personnels craquent : des tentatives de suicide apparaissent, certaines avec un triste succès : “Il paraît qu’il s’est pendu dans les escaliers du Pôle emploi.” Et les usagers sont de plus en plus agressifs. Les conseillers Pôle emploi en sont sûrs, “[…] un jour, un drame va finir par arriver, quelqu’un va entrer dans l’agence, leur casser la gueule ou leur tirer dessus.” Non, Pôle emploi ne leurre plus personne, surtout pas ceux qui y travaillent.
Au final, donc, Florence Aubenas se verra juger, jauger et proposer un travail en moins de vingt minutes : “est-ce que vous voulez commencer une nouvelle vie ? Agent d’entretien, qu’est-ce que vous en pensez ?” En réalité, à son profil ne correspond pas grand chose d’autre. Elle accepte. Quant au CDI qu’elle s’est fixée comme objectif, il s’avère être une mission impossible : “ce type d’emploi n’existe tout simplement plus dans votre circuit à vous. Bientôt, il n’existera plus nulle part. On ne sait pas.”
Après 15 longs jours de recherches, Florence Aubenas trouve son premier emploi, enfin, un “emploi” dont personne ne veut, même les plus démunis : agent d’entretien sur un ferry à Ouistreham.
Pourtant, tous l’avaient prévenue : si tu vois une annonce sur le ferry, “n’y va pas. Ne répond pas. N’y pense même pas. Oublie-là. […] Cette place-là est pire que tout”. Ouistreham, c’est pire que “le bagne et la galère réunis”. “On fait le ménage pendant l’escale” entre 21 h 30 et 22 h 30, tous les soirs, ce qui fera “un peu plus de 250 euros par mois, avec des primes les jours fériés ou les dimanches”, et c’est un contrat de 6 mois. Il faut avoir un moyen de locomotion. Florence Aubenas en trouve un par hasard : une amie connaît quelqu’un qui peut lui prêter une voiture pour quelques temps… Le trajet durera 1 heure aller : “comme seul le temps passé à bord est payé, on perd deux heures pour en gagner une”. Florence Aubenas interroge une collègue : “Tu penses que c’est trop de temps gâché pour le salaire qu’on touche ?” La collègue ne comprend pas. D’où sort-elle “pour ne pas savoir que c’est normal ? Pour le boulot du matin, elle a trois heures de trajet.”
Sur place, il s’agit de nettoyer en des temps record les toilettes et cabines du ferry : par exemple, 3 minutes maximum pour les salles de douche ! Le travail est dur, pénible et sans interruption. Tout doit être parfait. Si ça ne l’est pas, tout doit être refait. “En un quart d’heure, mes genoux ont doublé de volume, mes bras sont dévorés de fourmis et j’écume de chaleur […]”. “L’heure de travail dure une seconde et une éternité”.
En plus de ce travail, Florence Aubenas trouve un CDD tous les samedis matin pour nettoyer des bungalows dans un camping. C’est une agence de propreté qui l’emploie, l’Immaculée.
Pour réussir à survivre, il faut en effet cumuler plusieurs employeurs, plusieurs contrats, plusieurs lieux, plusieurs horaires et des heures de déplacement. Florence Aubenas a “l’impression de passer (son) temps à rouler, en pensant sans penser, la tête traversée par des combinaisons compliquées d’horaires, de trajets, de consignes”. L’Immaculée lui “propose” aussi des remplacements. Les appels s’effectuent au jour le jour, à la dernière minute. Il faut accepter. C’est le seul moyen d’espérer obtenir un peu plus que des petits contrats. Elle vit dans l’attente, et elle dort peu. Les conditions de travail seront toujours les mêmes : laver, épousseter, aspirer dans un temps record une superficie outrageante, sans fausse note. Et quand elle dépasse les horaires, pas d’heures supplémentaires.
Pour l’employeur, donner un travail épuisant et sous-payé est quasiment présenté comme une faveur… “si tu n’es pas contente, il y en a des milliers dehors prêts à prendre ta place”. Alors c’est simple : les ouvriers n’ont pas le choix. Ils doivent tout accepter : être corvéables à merci, faire des heures non rémunérées, être présents dès qu’il y a besoin… Le chantage est insidieux, mais Florence Aubenas sent bien que si elle refuse ou se plaint, elle n’aura “pas de deuxième chance”.
Les contrats de nettoyage sont disputés âprement par plusieurs entreprises, qui négocient des horaires toujours plus restreints : “l’entreprise de nettoyage précédente assurait la prestation en deux heures, l’Immaculée lui a arraché le marché en rabiotant quinze minutes”. Florence Aubenas repartira avec trois quarts d’heure de retard… Pour le camping, c’est pire. Le patron annonce fièrement : “vous verrez, c’est vraiment tranquille. Là-bas, vous en aurez pour 3 heures maximum et votre contrat prévoit 3 h 15.” Au final, l’équipe de 5 personnes mettra 5 heures. “On termine vers 15 h 30 péniblement. On n’a rien mangé depuis le matin, on n’arrive plus à porter nos seaux, on n’a pas eu le temps d’aller aux toilettes, on sent monter une rage éperdue et désordonnée.” Toutes les semaines suivantes ressembleront à celle là : avec des dépassements d’horaires entre 2 et 3 heures. Et jamais aucune heure supplémentaire ne sera payée !
Avec une autre entreprise, Florence Aubenas fera l’expérience du travail gratuit : “les périodes de tests ne sont pas rémunérées chez nous” !
Durant son périple, Florence Aubenas va faire la connaissance de Victoria, septuagénaire qui aura fait toute sa carrière en tant que femme de ménage et combattante syndicaliste de la première heure. La rencontre se produit à l’issue de la manifestation contre la crise du 19 mars 2009. Victoria expliquera plus tard qu’elle avait 22 ans quand elle s’est syndiquée : “Cela allait de soi.” Mais “le syndicalisme n’était pas une affaire facile dans ce monde d’hommes, organisé autour des grosses sections, les métallos, les chantiers navals, les PTT. […] Dans les manifestations, certains avaient honte d’être vus à côté des caissières de Continent ou des femmes avec un balai. C’était leur grève à eux, leur marche à eux, leur banderole à eux, leur syndicat à eux.” Victoria était dans la section des précaires. Lors des réunions, elle ne comprenait pas tous les termes employés. Mais si quelqu’un demandait des explications, les responsables syndicaux s’énervaient : “Tu ne vois pas que tu emmerdes tout le monde avec tes questions ?” Certains se moquaient même ouvertement si un précaire prenait la parole. La rédaction des tracts se déroulait toujours de la même façon. Les filles commençaient mais comme cela prenait trop de temps, un responsable écrivait le tract à leur place. Personne “n’avait la patience d’écouter ce qu’elles avaient à dire”. Au final, les filles ne distribuaient pas le tract car il ne correspondait pas à leurs idées. “Elles se faisaient traiter de “chieuses”.” “Elles manquaient définitivement de “conscience de lutte”.” Dans les années 1980, Victoria se fait couper la parole par un copain syndicaliste en pleine réunion alors qu’elle donne le point de vue des femmes de ménage : “je me rends compte que les militants ne passent plus jamais le balai dans les locaux. On cherche quelqu’un pour le faire. Pourquoi pas toi, Victoria, quelques heures par semaine ? Tu serais salariée.” On nomme alors un responsable pour diriger la section des “précaires”, “un vrai lettré, bardé de diplômes”, car “il faut un intellectuel pour représenter dignement le syndicat […]. On ne peut quand même pas envoyer une caissière ou une femme de ménage aux réunions” ! A la fin des années 1980, le syndicat n’a plus d’argent pour Victoria : elle est virée. “Ce jour-là, elle les voit sortir de la salle en riant. […] Elle n’y tient pas. Elle crie : “bande d’ordures””.
Pour son amie Fanfan, elle aussi syndiquée dans la même période, c’est la même histoire. Elle se fait virer injustement par l’hypermarché où elle travaille car elle est à la tête d’une petite section syndicale. “Le syndicat ne bouge pas pour l’aider. Fanfan quitte le militantisme.”
Le syndicalisme, organe permanent de lutte, est dépeint tel qu’il est vraiment : un organe détaché des intérêts de la classe ouvrière, un organe élitiste où on défend un seul point de vue : celui de la centrale syndicale, celui de ceux qui sont payés pour prétendument “représenter les travailleurs”. C’est un organe qui décide pour la classe ouvrière contre les intérêts de la classe ouvrière.
Florence Aubenas a choisi de raconter la vie des travailleurs et des chômeurs de Caen mais la même histoire aurait pu se dérouler n’importe où ailleurs. Le bilan aurait été le même, les expériences racontées et la douleur de l’absence d’avenir identiques.
Cela dit, même si l’état des lieux de l’exploitation capitaliste et la description du travail des syndicats sont implacables (“A quoi ça sert ? Les syndicats ont fait le bazar à Caen pendant des années et les usines ont fermé quand même”), ce livre ne laisse finalement la place à rien d’autre que du désespoir. Quand le lecteur termine ces presque 300 pages, il est facile de l’imaginer silencieux, découragé, triste et effrayé par la situation dramatique dépeinte par la journaliste. Car, au bout du compte, aucune perspective d’avenir, aucune lueur ne se dégagent. Dans la région de Caen, comme dans beaucoup d’endroits, “en moins d’un siècle, une industrie s’est construite, puis a été entièrement rayée” et n’a laissé que désolation et sentiment de “no future”. “La France deviendra comme le Brésil, […] on va se retrouver sur des tas de déchets, en essayant de survivre avec ce qu’on trouve.”
Florence Aubenas ne va pas au bout de son raisonnement, elle ne tire pas les conclusions qu’imposent ses propres descriptions.
Oui, le capitalisme sème la misère ! Oui, le sort de la classe ouvrière est indigne ! Mais tout cela est aussi et surtout révoltant. Face à l’horreur de l’esclavage salarié, ce n’est pas la peur ni le désespoir qui doivent animer la classe ouvrière mais la combativité et la conviction qu’elle peut bâtir un autre monde ! C’est justement cette confiance en elle qui lui manque aujourd’hui le plus et qui l’a tant inhibé… jusqu’à présent.
Cunégonde (29 juin)
1) “Lettre de candidature spontanée”, “comment rédiger une lettre de réponse à une petite annonce ?”, “mettre en valeur ses savoir-faire”, “utiliser le téléphone dans la recherche d’emploi”…
Des pluies torrentielles se sont abattues sur le département du Var dans la nuit du 15 au 16 juin, causant d’importants dégâts matériels et le décès de 25 personnes, victimes d’inondations spectaculaires et de coulées de boue, en particulier autour de la rivière de la Nartuby. Aussitôt, la meute politicienne et médiatique s’est fendue de communiqués hypocrites et de déclarations larmoyantes. Mais quelques semaines après les inondations sur le littoral atlantique, les coulées de boues en Amérique latine et le séisme en Haïti, la bourgeoisie étale une nouvelle fois tout son cynisme en désignant sottement les “événements naturels très éprouvants” (1), évacuant bien opportunément son impuissance et son incurie. Il est certes impossible d’empêcher la nature de se déchaîner, mais l’installation de populations dans des zones à risque n’est pas une “fatalité.”
Les caprices de la Nartuby, cours d’eau prenant sa source au sommet du plateau dominant Draguignan, commune où son débordement a occasionné le plus de victimes, étaient, non seulement prévisibles, mais récurrents. Cet événement s’ajoute en effet à une liste de cinq crues torrentielles très importantes depuis 1974. De nombreux arrêtés de catastrophe naturelle ont également été décrétés à la suite des inondations. Le Plan de Prévention des Risques d’Inondation (2) (PPRI) de la ville de Draguignan, adopté en 2005, souligne d’ailleurs le risque “de graves problèmes en cas de crue majeure.”
Dans ce contexte, et depuis la tempête de 1999, le Service central d’hydrométéorologie et d’appui à la prévention des inondations (SCHAPI) est chargé de surveiller, en lien avec le système de vigilance de Météo France, les risques de crues des rivières. Sauf que le SCHAPI n’est pas suffisamment performant, à tel point qu’il n’est pas encore mis en place dans la région de la Nartuby, secteur manifestement très sensible. Ainsi, alors que des moyens techniques existent, aucun plan d’évacuation n’a été mis en place, faute d’information : le lundi soir, le service de vigilance de Météo France passait seulement au niveau “orange.”
Dans une région à risque, où les eaux menacent à chaque instant d’enlever des vies humaines, que fait la bourgeoisie ? Elle réalise des profits en multipliant, par exemple, les permis de construire sur ce que le PPRI de Draguignan qualifie désormais de “secteur le plus vulnérable de par les activités et les habitations implantées en zone rouge.” D’après l’association France Nature Environnement, près de 243 000 Varois habitent dans une zone à risque. Autrement dit, la bourgeoisie délivre des permis de construire, bâtit et vend des habitations au cœur de zones dont elle sait l’extrême dangerosité. Plutôt que freiner l’urbanisation, creuser des bassins de rétention des eaux pluviales, ou même équiper les communes d’alarmes pour avertir la population, les élus locaux préfèrent laisser la population se noyer dans la boue, pour le plus grand bonheur des promoteurs immobilier.
Mais la loi cynique du profit ne s’impose pas uniquement à la bourgeoisie locale. Nicolas Sarkozy, en visite dans la région, quelques jours après le drame, déclarait : “Tant que je serai président de la République, personne ne construira dans une zone reconnue comme dangereuse.” Nous voilà rassuré ! Simplement, un an plus tôt ce même Sarkozy déclarait qu’en matière d’urbanisme : “le problème, c’est la réglementation. Pour libérer l’offre il faut déréglementer, élever les coefficients d’occupation des sols et rétablir la continuité du bâti dans les zones denses, (...) rendre constructible les zones inondables pour des bâtiments adaptés à l’environnement et au risque.” Il n’y a d’ailleurs aucune illusion à se faire sur cette fameuse réglementation dont Sarkozy voulait “changer la philosophie.” Chaque catastrophe est l’occasion d’une série de promesses que l'État s’emploie méthodiquement à ne pas tenir. Il suffit, pour s’en convaincre, de se remémorer le spectacle pathétique que le gouvernement nous avait servi autour des “zones noires” après la tempête Xynthia. De gauche ou de droite, les gouvernements et leurs réglementations ne protègent que les profits de la classe dont ils sont l’expression. On estime ainsi à 2,7 millions le nombre de personnes résidant dans une zone inondable en France, chiffres notablement minimisés puisque, à titre d’exemple stupéfiant, les habitants de communes victimes de la tempête Xynthia ne font pas partie de ce triste décompte.
La seule loi que connaît le capitalisme, c’est décidément celle du profit. Si la nature produit des phénomènes spectaculaires, c’est le capitalisme qui fait les catastrophes.
Dupont (24 juin)
1) www.elysee.fr [108]
2) www.cdig-var.org/virtual/1/lots/draguignan_doc1_presentation.pdf [109].
Les Romains avaient la recette idéale pour s’assurer de la tranquillité du peuple : du pain et des jeux. En ces temps de crise, le pain venant à manquer, la bourgeoisie française comptait bien sur “les bleus”, son équipe nationale de football, pour offrir un peu de rêve à l’occasion du championnat de monde, aux ouvriers terrassés par les attaques déjà menées et celles encore plus dures à venir. Sarkozy l’avait d’ailleurs déclaré sans ambages le 28 mai dernier : “Nous pensons en France que le sport est une réponse à la crise. (L’organisation en France de l’Euro de football 2016) est une décision stratégique qui engage tout le pays face à la crise.”
Les grands événements sportifs sont en effet toujours l’occasion d’occuper les esprits, de les faire s’évader. L’avantage est qu’on ne le fait pas avec n’importe quoi : le sport est un moyen très efficace d’exiger et d’obtenir le soutien inconditionnel que tout bon citoyen doit à son équipe, qui porte fièrement les couleurs de la nation et entonne, avant chaque rencontre, l’hymne national la main sur le cœur. La bourgeoisie attend de son “peuple” que chaque victoire soit fêtée le drapeau tricolore à la main. Tout est fait pour que le déchaînement nationaliste soit à son comble : les vitrine se parent de drapeaux, les menus des restaurants s’ancrent dans la tradition “franchouillarde”, le mot “France” est écrit sur tous les supports possibles, même les enfants sont rendus le soir à leurs parents le visage maquillé en bleu-blanc-rouge ! Malheur à celui qui n’apprécie pas la chose : c’est un traître ! Malheur à celui qui n’exprime pas pleinement son soutien à son équipe : il aura sa part de responsabilité dans la défaite !
Moins il y a de pain, plus il faut de jeux. C’est le principe des vases communicants. Pas de chance pour la bourgeoisie cette fois-ci, le miracle de 1998 ne s’est pas reproduit. Le parcours calamiteux de l’équipe de France a bien dû rendre la classe dominante à l’évidence : des jeux hérités de Rome, il ne reste bien guère que le cirque. Et quel cirque ! Un sélectionneur couvert de tous les défauts, des joueurs critiqués pour leur train de vie par un membre du gouvernement, une prestation sportive médiocre, des insultes d’un joueur à son patron, son exclusion et pour finir : la grève !
Le gouvernement n’a même pas pu faire autrement que de se mêler du désastre : Rama Yade a attisé le feu avant la compétition, sa supérieure Roselyne Bachelot a pris le relais pendant le championnat et a tancé l’équipe au nom de leur “devoir national”, jusqu’à faire pleurer en direct à la télévision ces pauvres footballeurs désespérés d’avoir à ce point terni l’image internationale de la France. En faisant cela, elles ont tenté, avec bien évidemment toute la maladresse et l’incompétence qui les caractérisent, de faire la séparation entre une équipe irresponsable et un gouvernement détenteur et défenseur des valeurs de droiture, de respect de la hiérarchie et du sens des responsabilités.
Mais finalement ce grand-guignol n’est pas si éloigné de celui qui agite la classe politique ; il en est même l’exact reflet ! Pendant que les représentants de la France en short désespéraient jusqu’à leurs plus fidèles supporters, leurs homologues en costume et tailleur se débattaient, et se débattent toujours, dans les affaires les plus glauques. Entre la débandade des “bleus” et les affaires du gouvernement (par exemple, pour ne citer que les dernières en date, Christian Blanc, secrétaire d’Etat au “grand Paris” qui aurait acheté et fumé pour 12 000 euros de cigares sur les fonds publics, ou encore Eric Woerth, ministre du travail, qui aurait dissimulé l’évasion fiscale de Liliane Bettencourt, plus grande fortune de France, pour les intérêts de qui travaille sa femme, et même Nicolas Sarkozy lui-même, intervenant dans une affaire purement privée en traitant un candidat à la reprise du quotidien le Monde d’“homme du peep-show”), il est légitime de se demander ce qui est le plus grave et le plus emblématique de l’état de décomposition dans lequel le capitalisme entraîne la société.
Les frasques de l’équipe de France prêtent plutôt à sourire car au-delà des intérêts financiers en jeu, leur élimination du Mondial ne changera rien au vrai quotidien des ouvriers. En revanche, les tristes pitreries du gouvernement ne font rire personne : elles sont la marque d’un système totalement délabré qui confie ses commandes à une clique irresponsable, tout juste bonne à cogner à bras raccourcis sur les prolétaires.
Finalement que ce soit dans l’univers footballistique ou dans l’univers politique, on retrouve la même déliquescence, la même absence d’orientation, la même irresponsabilité. Même l’insulte est identiquement de mise, à ceci près que dans la sphère politique, elle est réservée au “sélectionneur” !
GD (28 juin)
Depuis la chute du président kirghize Kourmanbek Bakiev, évincé à la suite des émeutes du mois d’avril (voir RI no 412 [110]), la déstabilisation du pays s’est fortement accélérée, conduisant à de véritables scènes d’horreurs et de pogroms.
Quelle a été la dynamique de cette effroyable opération sanglante ?
Si la masse des exécutants a pu se recruter au hasard parmi les éléments lumpenisés d’une population très pauvre contre un bouc émissaire désigné, la population d’origine ouzbek, le noyau de l’opération était mené par le corps discipliné de l’armée. Les ordres sont venus du sommet de l’appareil d’Etat, là où grenouillent les chefs de cliques mafieuses en guerre. Le terrain était balisé et préparé de longue date par ces sinistres personnages officiels, par une classe dominante gangstérisée aux discours nationalistes haineux, opposant artificiellement la majorité kirghize et la minorité ouzbèke entre elles, les poussant à se détester au point de s’affronter. Les masses ignorantes ayant subit une longue et infâme propagande afin de pouvoir se lancer dans un assaut sanglant allaient forcément être prêtes à l’emploi ! Dans une telle atmosphère viciée, “on aurait commencé, comme à Och, à marquer les habitations ‘sart’ (terme péjoratif signifiant non-kirghize)”1. Ensuite, sur fond de tensions politiques croissantes entre l’ancienne opposition au pouvoir et le clan Bakiev, “les horreurs commises par les groupes de provocateurs” auraient “transformé ces tensions en conflit interethnique”2. Le “feu vert” pour cette offensive sanglante serait venu d’hommes cagoulés, portant dans un premier temps des attaques ciblées et coordonnées, décidées bien évidemment en haut lieu ! Les maisons ouzbèkes préalablement marquées par des patrouilleurs zélés pouvaient alors être incendiées par une foule excitée, prête à tout. C’est bien grâce à cette haine savamment entretenue par les cliques bourgeoises que cette foule exaltée, devenue incontrôlable, a semblé croire que tout lui était permis, du simple pillage en passant par le viol, le meurtre pur et simple et les crimes les plus horribles. Un témoignage, parmi de nombreux autres, rappelle les terribles heures sombres du conflit des Balkans dans les années 1990 : “une amie Ouzbek m’a raconté qu’une fillette de 5 ans a été violée devant son père et sa sœur de 13 ans par un groupe de 15 hommes. Le père a supplié qu’on le tue. On l’a tué. La sœur a perdu la raison”3.
Malgré leurs barricades de fortune, les Ouzbeks ont été livrés à cette foule en furie et à une soldatesque revancharde ivre de haine. Comme le montre le témoignage ci-dessus, viols, meurtres d’enfants, de femmes enceintes, vieillards pris pour cibles, les Ouzbeks étaient massacrés ou brûlés dans leurs maisons incendiées. De nombreux corps ont été retrouvés calcinés dans les ruines.
Aujourd’hui, de nombreux Ouzbeks qui avaient fuit ces monstruosités sont de retour au pays du fait que l’Ouzbékistan les refuse et ferme ses frontières. Seules des femmes et des enfants avaient pu franchir en nombre limité la frontière, les hommes étant suspectés d’être des terroristes islamistes potentiels. Les plus “chanceux”, ne se sentant pas en sécurité pour revenir, croupissent toujours dans des camps où manquent la nourriture, l’eau potable, où les cas de diarrhées se multiplient. A n’en pas douter, cette situation chaotique ne fait que préparer de nouveaux affrontements sanglants et meurtriers, les traumatismes générés par la brutalité des opérations ne pouvant permettre d’évacuer les haines qui se sont accumulées brutalement. Après cette tragédie, il paraît en effet très difficile de pouvoir faire revivre ensemble Kirghizes et Ouzbeks !
Quelle est l’origine véritable de ce déchaînement barbare ?
Au Kirghizistan, comme dans la plupart des pays de cette région d’Asie centrale, la bourgeoisie reste traversée par des affrontements entre clans mafieux. Animées de sordides intérêts, les cliques bourgeoises locales se sont en effet torpillées, n’hésitant pas un seul instant pour cela à déchaîner un pogrom anti-Ouzbeks. Le nouveau gouvernement provisoire issu de l’opposition, celui de madame Otounbaïeva, soucieux de maintenir l’ordre face à l’ancien président exilé et déchu4, ne pouvait que conduire son rival à agir au prix du sang des populations, d’une nouvelle épuration ethnique.
Et ces tensions déjà extrêmes, sont elles-mêmes attisées ou instrumentalisées en permanence par les grandes puissances qui s’affrontent avec une implacable logique de rapine impérialiste.
Loin de s’émouvoir d’une barbarie dont elles sont responsables, passant sous silence les événements, ces grandes puissances impérialistes laissent crever les victimes d’un véritable nettoyage ethnique : déjà plus de 2000 morts recensés officiellement. Un million de réfugiés sont actuellement répartis dans des camps à la frontière de l’Ouzbékistan ! Transformés parfois en chantres hypocrites de prétendus “droits de l’Homme”, non seulement les Etats les plus puissants ne peuvent venir en aide aux populations martyrisées, mais ils préparent en plus froidement les conditions de nouveaux massacres : “les troubles au Kirghizistan donnent lieu à une nouvelle partie d’échecs entre la Russie et les Etats-Unis. Cependant les deux camps ne sont pas passés à l’action immédiatement et attendent le moment opportun et les conditions adéquates pour s’immiscer dans cette affaire et marquer des points. (…) Pour la Chine, il est hors de question d’assister aux événements les bras croisés” (5).
Tout cela nous amène à mettre en évidence que les massacres et la barbarie sanglante qui se sont déchaînés au mois de juin, en particulier dans le sud du pays, sont bel et bien le produit de la guerre d’influence menée par tous ces impérialistes assassins.
Cette région chaotique du Kirghizistan, petit pays à la position géostratégique enclavée, montre que la situation politique reste explosive du fait des tensions qui s’exacerbent. De nouveaux massacres se profilent donc. La bourgeoisie, cette classe de gangsters qui ne connaît que la loi du capital et du profit, est prête à tout pour défendre le moindre de ses intérêts politiques et impérialistes. Elle a montré tout au cours de l’histoire que même sous les traits apparemment les plus civilisés, elle savait se vautrer dans le sang, en abaissant les hommes pour en faire des bêtes et de la chair à canon.
Tant que le capitalisme marquera son emprise sur le monde, nous sentirons en permanence le souffle barbare de sa décomposition. L’odeur pestilentielle des cadavres et des pogroms continuera à accompagner les nouveaux charniers.
WH (26 juin)
1) Courrier international no 1025.
2) Libération des 26 et 27 juin 2010.
3) Idem : propos d’Alain Deletroz.
4) Bakiev a trouvé refuge en Biélorussie.
5) A noter que la Russie et les États-Unis possèdent chacun une base militaire au Kirghizistan. Voir le dossier de Courrier international no 1025
Voici un extrait de l’ouvrage de Trotski, 1905 (1), qui montre qu’il y a toujours eu le même caractère manipulateur et intentionnel dans la préparation et la réalisation des pogroms. La bourgeoisie utilise chaque fois ses forces de l’ordre et le lumpen pour créer une atmosphère de lynchage et de pillage au sein de toute la population.
Ces mots de Trotski sur les événements de la Russie du début du xxe siècle pourraient avoir été écrits tout autant sur l’Allemagne des années 1930-1940, le Rwanda ou la Yougoslavie des années 1990 et le Kirghizistan d’aujourd’hui.
“Si la masse des fauteurs de pogroms – pour autant que l’on peut ici parler de “masse” – se recrute à peu près au hasard, le noyau de cette armée est toujours discipliné et organisé sur le pied militaire. Il reçoit d’en haut et transmet en bas le mot d’ordre, il fixe l’heure de la manifestation et la mesure des atrocités à commettre. “On peut organiser un pogrom à vos souhaits, déclarait un certain Kommissarov, fonctionnaire du département de la police, nous aurons dix hommes si vous voulez et dix mille si cela vous arrange” (…) Lorsque le terrain a été préparé, on voit venir les spécialistes de ce genre d’affaires, comme des acteurs en tournée. Ils répandent des rumeurs sinistres parmi les masses ignorantes (…). Ces étranges nouvelles sont transmises d’un bout à l’autre du pays par le télégraphe, et contresignées parfois par des personnages officiels. Parallèlement on poursuit les préparatifs : on rédige des listes de proscription dans lesquelles sont mentionnés les appartements et les personnes que les bandits doivent attaquer en premier lieu ; on élabore un plan général ; on fait venir des faubourgs, pour une date déterminée, des miséreux, des affamés. (…) Dans la foule sont disséminés des instructeurs spéciaux, venus d’ailleurs, et des gens de la police locale, en civil, mais qui parfois, faute de temps, ont gardé leur pantalon d’uniforme. Ils suivent attentivement tout ce qui se passe, émoustillent, exaltent la foule, lui font comprendre que tout est permis et cherchent l’occasion d’ouvrir le feu. Au début, on casse des carreaux, on maltraite des passants, on s’engouffre dans les cabarets et l’on boit à la régalade. (…) Si l’occasion se fait trop attendre, on y supplée : quelqu’un grimpe dans un grenier et, de là-haut, tire sur la foule, le plus souvent à blanc. Les bandes armées de revolvers par la police veillent à ce que la fureur de la foule ne soit pas paralysée par l’épouvante. Au coup de feu du provocateur, elles répondent par une salve dirigée sur les fenêtres d’un logement désigné d’avance. On brise tout dans les boutiques et on étend devant le cortège des pièces de drap et de soie qui proviennent d’un pillage. Si l’on se heurte à des mesures de défense, les troupes régulières viennent à l’aide des bandits. Il suffit de deux ou trois salves pour réduire à l’impuissance ou massacrer ceux qui résistent”.
1) Chapitre “Les sicaires de Sa Majesté”, p120-122, Ed. de Minuit.
Depuis trois ans environ, certains individus ou groupes anarchistes et le CCI ont fait tomber quelques barrières en osant commencer à discuter de façon ouverte et fraternelle. L’indifférence ou le rejet réciproque, a priori et systématique, de l’anarchisme et du marxisme a fait place à une volonté de discuter, de comprendre les positions de l’autre, de cerner honnêtement les points de convergence et de divergence.
Au Mexique, ce nouvel état d’esprit a permis la rédaction commune d’un tract signé par deux groupes anarchistes (le GSL et le PAM (1)) et une organisation de la Gauche communiste (le CCI). En France, tout récemment, la CNT-AIT de Toulouse a invité le CCI à réaliser un exposé introductif à l’une de ses réunions publiques (2). En Allemagne aussi, des liens commencent à être tissés.
Sur la base de cette dynamique, le CCI a entamé un véritable travail de fond sur la question de l’histoire de l’internationalisme au sein de la mouvance anarchiste. Nous avons ainsi publié au cours de l’année 2009 toute une série d’articles intitulée “Les anarchistes et la guerre” (3). Notre but était de montrer qu’à chaque conflit impérialiste, une partie des anarchistes avait su éviter le piège du nationalisme et défendre l’internationalisme prolétarien. Nous y montrions que ces camarades étaient parvenus à continuer d’œuvrer pour la révolution et le prolétariat international alors qu’autour d’eux se déchaînaient le chauvinisme et la barbarie guerrière.
Quand on connaît l’importance que le CCI attache à l’internationalisme, véritable frontière délimitant les révolutionnaires qui luttent réellement pour l’émancipation de l’humanité de ceux qui trahissent le combat du prolétariat, ces articles étaient à l’évidence non seulement une critique sans concession des anarchistes va-t-en-guerre mais aussi et surtout un salut aux anarchistes internationalistes !
Pourtant, notre intention n’a pas été bien perçue. Cette série a même jeté momentanément un certain froid. D’un côté, des anarchistes y ont vu une attaque en règle contre leur mouvance. De l’autre, des sympathisants de la Gauche communiste et du CCI n’ont pas compris notre volonté de nous “rapprocher des anarchistes” (4).
Au-delà des maladresses contenues dans nos articles et qui ont pu en “braquer” certains (5), ces critiques pourtant apparemment contradictoires ont en fait la même racine. Elles révèlent la difficulté de voir, au-delà des divergences, les éléments essentiels qui rapprochent les révolutionnaires.
Ceux qui se réclament de la lutte pour la révolution sont traditionnellement classés en deux catégories: les marxistes et les anarchistes. Il y a en effet des divergences très importantes qui les séparent:
– centralisation/fédéralisme :
– matérialisme/idéalisme :
– “période de transition” ou “abolition immédiate de l’Etat” :
– reconnaissance ou dénonciation de la révolution d’Octobre 1917 et du Parti bolchevique :
– …
Toutes ces questions sont effectivement extrêmement importantes. Il est de notre responsabilité de ne pas les esquiver, d’en débattre ouvertement. Mais pour autant, elles ne délimitent pas pour le CCI “deux camps”. Concrètement, notre organisation, qui est marxiste, considère qu’elle lutte pour le prolétariat aux côtés des militants anarchistes internationalistes et face aux Partis “communistes” et maoïstes (se proclamant pourtant eux aussi marxistes). Pourquoi ?
Au sein de la société capitaliste, il existe deux camps fondamentaux: celui de la bourgeoisie et celui de la classe ouvrière. Nous dénonçons et combattons toutes les organisations politiques appartenant au premier. Nous discutons, parfois vivement mais toujours fraternellement, et nous essayons de collaborer avec tous les membres du second. Or, sous la même étiquette “marxiste”, se cachent des organisations authentiquement bourgeoises et réactionnaires. Il en est de même sous l’étiquette “anarchiste” !
Il ne s’agit pas là de pure rhétorique. L’histoire fourmille d’exemples d’organisations “marxistes” ou “anarchistes” jurant la main sur le cœur défendre la cause du prolétariat pour mieux le poignarder dans le dos. La social-démocratie allemande se disait “marxiste” en 1919 en même temps qu’elle assassinait Rosa Luxemburg, Karl Liebknecht et des milliers d’ouvriers. Les partis staliniens ont écrasé dans le sang les insurrections ouvrières de Berlin en 1953 et de Hongrie en 1956 au nom, eux aussi, du “communisme” et du “marxisme” (en fait dans l’intérêt du bloc impérialiste dirigé par l’URSS). En Espagne, en 1937, des dirigeants de la CNT en participant au gouvernement, ont servi de caution aux bourreaux staliniens qui ont massacré et réprimé dans le sang des milliers de révolutionnaires… anarchistes ! Aujourd’hui, en France par exemple, la même dénomination “CNT” recouvre deux organisations anarchistes, une aux positions authentiquement révolutionnaires (CNT-AIT) et une autre purement “réformiste” et réactionnaire (CNT Vignoles (6)).
Repérer les faux amis qui se cachent derrière les “étiquettes” est donc vital.
Mais il ne faut pas tomber dans le piège inverse et se croire seuls au monde, les détenteurs exclusifs de la “vérité révolutionnaire”. Les militants communistes sont aujourd’hui encore peu nombreux et il n’y a rien de plus néfaste que l’isolement. Il faut donc aussi lutter contre la tendance encore trop grande à la défense de “sa chapelle”, de sa “famille” (anarchiste ou marxiste) et contre l’esprit de boutiquier qui n’a rien à faire dans le camp de la classe ouvrière. Les révolutionnaires ne sont pas des concurrents les uns par rapport aux autres. Les divergences, les désaccords, aussi profonds soient-ils, sont une source d’enrichissement pour la conscience de toute la classe ouvrière quand ils sont discutés ouvertement et sincèrement. Créer des liens et débattre à l’échelle internationale est une absolue nécessité.
Mais pour cela, faut il encore savoir distinguer les révolutionnaires (ceux qui défendent la perspective du renversement du capitalisme par le prolétariat) des réactionnaires (ceux qui, d’une façon ou d’une autre, contribuent à la perpétuation de ce système), sans se focaliser sur la seule étiquette “marxisme” ou “anarchisme”.
Pour le CCI, il existe des critères fondamentaux qui distinguent les organisations bourgeoises et prolétariennes.
Soutenir le combat de la classe ouvrière contre le capitalisme signifie à la fois lutter de façon immédiate contre l’exploitation (lors des grèves, par exemple) et ne jamais perdre de vue l’enjeu historique de ce combat: le renversement de ce système d’exploitation par la révolution. Pour ce faire, une telle organisation ne doit jamais apporter son soutien, de quelque manière que ce soit (même de façon “critique”, par “tactique”, au nom du “moindre mal”…), à un secteur de la bourgeoisie: ni à la bourgeoisie “démocratique” contre la bourgeoisie “fasciste” : ni à la gauche contre la droite : ni à la bourgeoisie palestinienne contre la bourgeoisie israélienne : etc. Une telle politique a deux implications concrètes:
1) Il s’agit de refuser tout soutien électoral, toute collaboration, avec des partis gérants du système capitaliste ou défenseurs de telle ou telle forme de celui-ci (social-démocratie, stalinisme, “chavisme”, etc.) :
2) Surtout, lors de chaque guerre, il s’agit de maintenir un internationalisme intransigeant, en refusant de choisir entre tel ou tel camp impérialiste. Au cours de la Première Guerre mondiale comme au cours de toutes les guerres impérialistes du xxe siècle, toutes les organisations qui, pour être à la recherche d’un camp à soutenir, ont abandonné le terrain de l’internationalisme, ont en fait trahi la classe ouvrière et ont été définitivement emportés dans le camp de la bourgeoisie (7).
Ces critères, exposés ici très brièvement, expliquent pourquoi le CCI considère certains anarchistes comme des camarades de combat, pourquoi il souhaite discuter et collaborer avec eux alors qu’il dénonce parallèlement avec virulence d’autres organisations anarchistes.
Par exemple, nous collaborons avec le KRAS (section de l’AIT anarcho-syndicaliste en Russie), en publiant et en saluant ses prises de positions internationalistes face à la guerre, notamment celle en Tchétchénie. Le CCI considère ces anarchistes, malgré les divergences, comme faisant authentiquement partie du camp du prolétariat. Ils se démarquent en effet clairement de tous ces anarchistes et de tous ces “communistes” (comme ceux des Partis “communistes” ou maoïstes ou trotskistes) qui défendent en théorie l’internationalisme mais qui s’y opposent en pratique, en défendant lors de chaque guerre un camp belligérant contre un autre. Il ne faut pas oublier qu’en 1914, lors de l’éclatement de la Première Guerre mondiale, et en 1917, lors de la Révolution russe, la plupart des “marxistes” de la social-démocratie étaient du côté de la bourgeoisie contre le prolétariat alors que la CNT espagnole dénonçait la guerre impérialiste et soutenait la révolution ! Lors des mouvements révolutionnaires de la fin des années 1910, les anarchistes et les marxistes œuvrant sincèrement à la cause prolétarienne se sont retrouvés côte à côte dans le combat, malgré leurs désaccords. Dans cette période, il y a même eu un essai de collaboration de grande ampleur entre les révolutionnaires marxistes (les bolcheviks, les spartakistes allemands, les tribunistes hollandais, les abstentionnistes italiens, etc.) qui s’étaient séparés d’une IIe Internationale dégénérescente, et de nombreux groupes qui se réclamaient de l’anarchisme internationaliste. Un exemple de ce processus est le fait qu’une organisation comme la CNT ait envisagé la possibilité, finalement rejetée, de s’intégrer dans la Troisième Internationale (8).
Pour revenir à un exemple plus récent, un peu partout dans le monde face aux événements actuels, il existe des groupes anarchistes et des sections de l’AIT qui non seulement maintiennent une position internationaliste mais aussi luttent pour l’autonomie du prolétariat face à toutes les idéologies et à tous les courants de la bourgeoisie:
– ces anarchistes défendent la lutte directe et massive ainsi que l’auto-organisation en assemblées générales et en Conseils ouvriers.
– ils rejettent toute participation à la mascarade électorale et tout soutien à un quelconque parti politique même prétendument “progressiste” qui participe à cette mascarade.
Autrement dit, ils font leur l’un des principes formulés par la Première Internationale: “L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes.” Ceux-là œuvrent ainsi au combat pour la révolution et une communauté humaine mondiales.
Le CCI appartient au même camp que ces anarchistes internationalistes qui défendent réellement l’autonomie ouvrière ! Oui, nous les considérons comme des camarades avec qui nous souhaitons débattre et collaborer ! Oui, nous pensons également que ces militants anarchistes ont bien plus en commun avec la Gauche communiste qu’avec ceux qui, sous la même étiquette anarchiste, défendent en réalité des positions nationalistes ou “réformistes” et qui sont donc en fait, des défenseurs du capitalisme, des réactionnaires !
Dans le débat qui est peu à peu en train de se développer entre tous les éléments ou groupes révolutionnaires et internationalistes de la planète, il y aura inévitablement des erreurs, des débats vifs et animés, des maladresses, des malentendus et de vrais désaccords Mais les besoins de la lutte du prolétariat contre un capitalisme de plus en plus invivable et barbare, la perspective indispensable de la révolution prolétarienne mondiale, condition pour garantir la survie de l’humanité et de la planète, exigent cet effort. Il s’agit là d’un devoir. Et aujourd’hui qu’émergent à nouveau des minorités prolétariennes révolutionnaires dans de nombreux pays, se réclamant soit du marxisme soit de l’anarchisme (ou qui sont ouverts aux deux), ce devoir de débattre et collaborer doit rencontrer une adhésion déterminée et enthousiaste !
CCI (juin 2010)
Les prochains articles de cette série traiteront des questions suivantes:
Sur nos difficultés à débattre et les moyens de les dépasser.
Comment cultiver le débat.
1) GSL : Grupo Socialista Libertario
(https://webgsl.wordpress.com/ [112]).
PAM : Proyecto Anarquista Metropolitano (proyectoanarquistametropolitano.blogspot.com).
2) Un climat chaleureux a d’ailleurs régné tout au long de cette réunion. Lire le compte-rendu intitulé “Réunion CNT-AIT de Toulouse du 15 avril 2010 : vers la constitution d’un creuset de réflexion dans le milieu internationaliste [113]”.
3) “Les anarchistes et la guerre (I) [114]” (RI no 402), [115] “La participation des anarchistes à la Seconde Guerre mondiale (II) [116]” (RI no 403), [117]“De la Seconde Guerre mondiale à aujourd’hui [118] (III)” (RI no 404 [119]), “L’internationalisme, une question cruciale [120] (IV)” (RI no 405 [121]).
4) En particulier, des camarades ont été dans un premier temps gênés par la réalisation du tract commun GSL-PAM-CCI. Nous avons d’ailleurs essayé d’expliquer notre démarche dans un article en espagnol intitulé “Quelle est notre attitude face à des camarades qui se réclament de l’anarchisme ?”
(https://es.internationalism.org/node/2715 [122].
5) Quelques camarades anarchistes ont en effet souligné à juste titre des maladresses, des formulations imprécises et même des erreurs historiques. Nous y reviendrons prochainement. Nous tenons néanmoins à en rectifier dès à présent deux des plus grossières:
– à de multiples reprises, la série “Les anarchistes et la guerre” affirme que la majorité de la mouvance anarchiste a sombré dans le nationalisme lors de la Première Guerre mondiale alors que seule une poignée d’individus parvenait à défendre, au péril de leur vie, la position internationaliste. Les éléments historiques apportés dans le débat par des membres de l’AIT, confirmés par nos recherches, révèlent qu’en réalité une très grande partie des anarchistes se sont dressés contre la guerre dès 1914 (parfois au nom de l’internationalisme ou de l’anationalisme, plus souvent au nom du pacifisme).
– L’erreur la plus gênante (et que personne jusqu’à présent n’a soulevée) commise dans cet article concerne l’insurrection de Barcelone en mai 1937. Nous écrivons en effet: “les anarchistes se font complices de la répression par le Front populaire et le gouvernement de Catalogne”. En réalité, ce sont au contraire les militants de la CNT ou de la FAI qui ont constitué la majeure partie des ouvriers insurgés de Barcelone et qui ont été les principales victimes de la répression organisée par les hordes staliniennes ! Il eut été bien plus juste de dénoncer la collaboration à ce massacre de la direction de la CNT plutôt que “des anarchistes”. C’est d’ailleurs le sens de nos positions sur la Guerre d’Espagne, telles qu’elles sont défendues notamment dans l’article “Leçons des évènements d’Espagne” du no 36 de la revue Bilan (novembre 1936).
6) “Vignoles” est le nom de la rue où se situe leur local principal.
7) Des éléments ou groupes ont toutefois pu se dégager d’organisations qui étaient passées dans le camp bourgeois, par exemple la tendance de Munis ou celle qui allait donner “Socialisme ou Barbarie” au sein de la “IVe internationale” trotskiste.
8) Voir “Histoire du mouvement ouvrier: la CNT face à la guerre et à la révolution (1914-1919) [123]”, deuxième article d’une série sur l’histoire de la CNT, dans la Revue internationale no 129
En premier lieu, nous tenons à saluer et à remercier les militants de la CNT-AIT de Toulouse pour nous avoir invités à la réunion publique qu’ils avaient organisée et pour nous avoir permis de présenter l’exposé introductif sur le thème : "La faillite du capitalisme et le développement de la lutte de classe".
L’enregistrement audio de cet exposé « quelque peu atypique » (pour reprendre l’expression de l’AIT) ainsi que celui de ¾ de la discussion est disponible sur anarsonore.
L’accueil qui a été fait à notre exposé tout comme l’ambiance fraternelle et constructive de la réunion en général étaient tout à fait propices pour que se développe une véritable dynamique de débat collectif. Chaque participant a pu exprimer son questionnement, ses interrogations et sa vision de la situation actuelle au niveau le plus large : c'est-à-dire au niveau international. Un débat très vivant s’est développé entre les participants eux-mêmes. La discussion a duré trois heures et toute une série de problèmes essentiels pour l'avenir de le lutte contre le capitalisme ont été abordés. Des points d'accord mais aussi des divergences sont apparues sur les divers points abordés, mais justement un tel débat, par la clarification qu'il permet est une arme véritable aux mains des exploités pour dénoncer et lutter contre l'idéologie dominante et se donner des armes pour mener les luttes qui ont et qui vont avoir lieu. C'est pour cela que nous souscrivons totalement à l'idée avancée par un participant selon laquelle de telles réunions sont « un creuset de discussion » qu'il est extrêmement important de développer.
Dans leur ensemble, les participants à la réunion ont mis en avant l'importance de la conscience pour pouvoir lutter et pour que cette lutte se situe dans la perspective du renversement du capitalisme ; de même tous étaient aussi d'accord sur l'idée que la conscience de la grande majorité des exploités est, en ce moment, d'un niveau faible. Par contre, toute une discussion s'est engagée sur les caractéristiques de cette faiblesse et surtout sur la manière dont cette faiblesse pourra être dépassée.
Pour certains camarades, la grande majorité des exploités n'aurait pas d'autre envie et donc d'autre conscience que le modèle de toujours plus de consommation que nous présente la publicité et plus largement les médias ; et pour eux ce ne sera que lorsqu'une part importante des exploités aura fait la critique de ce mode de consommation (qui est l'essence du système) qu'ils pourront réellement se mettre en lutte.
Pour d'autres camarades, beaucoup d'exploités et, en particulier, des ouvriers se rendent compte que le capitalisme rend leur vie toujours plus difficile et qu'ils courent, eux-mêmes, le risque de tomber dans une misère absolue ; mais, dans la mesure où les ouvriers ne comprennent pas, pour le moment, qu'ils sont tous placés dans les mêmes conditions, que les mesures qui sont prises contre eux sont celles qui sont prises contre tous les ouvriers, ils n'arrivent pas à déterminer comment empêcher le capitalisme de licencier, de baisser les salaires et d'aggraver les conditions de travail ; en bref, ils n'arrivent pas à répondre à la question : Comment lutter ? Mais on voit actuellement que la dégradation brutale des conditions de vie commence à pousser les ouvriers à lutter. Même si ces mouvements ne sont pas encore massifs, ils contiennent tous des expressions claires de solidarité. De telles luttes ont eu lieu dernièrement en Turquie, en Algérie, en Espagne... En particulier, chaque fois, les campagnes xénophobes menées par la bourgeoisie et ses médias aux ordres ont été explicitement rejetés par ces ouvriers en lutte. C'est par cette dynamique que les ouvriers se rendront compte qu'ils sont une même collectivité, c'est-à-dire une classe sociale et que leur lutte n'est possible que dans la solidarité et l'unité.
Si la question qui vient d'être mentionnée est celle à laquelle le plus de temps a été consacré, il faut noter qu'une des premières interventions qui suivirent l’exposé s’étonnait que ce dernier ne parlait que des ouvriers en lutte au sein de leur entreprise ou de leur lieu de travail, et donc ne disait rien des autres lieux de vie ouvrière - par exemple l'obtention de moyens de s'alimenter ou de se chauffer – qui ont fait récemment l'objet de luttes collectives. Si toutes les personnes présentes ont été en accord avec cette remarque, cette dernière a permis de rebondir sur une autre question non moins importante, à savoir celle de la nécessité de la solidarité et de la fraternité entre exploités.
Tous les présents ont déclaré leur accord avec le fait que la construction de relations de solidarité et de fraternité entre exploités est une condition pour que ces derniers parviennent à renverser le capitalisme. Mais sur ce sujet aussi s'est posée la question : comment y parvenir ? Plusieurs réponses ont été formulées. Pour certains, il faudrait établir, construire des lieux, des regroupements au sein desquels existent de telles relations est un but en soi, tandis que pour d'autres de telles relations ne peuvent exister que parce qu'on lutte ensemble, donc que dans et par la lutte.
Nous étions tous d'accord sur le fait que les organisations révolutionnaires ne devaient pas avoir une fonction « contemplative » et devaient donc être des facteurs actifs du développement de la lutte des ouvriers et de leur prise de conscience. Mais sur cette base, et bien plus encore que pour les autres thèmes, les réponses apportées à cette question sont restées embryonnaires. Voilà quelques orientations qui ont été apportées par la discussion. L'aspect essentiel de l'intervention des révolutionnaires est-il de diffuser une dénonciation du capitalisme, la nécessité de sa destruction comme certains l'ont soutenu ? Où l'initiative, la participation à la lutte, la création de groupes fraternels ne sont-elles pas des aspects essentiels de nos tâches ? Où encore les deux ne sont-ils pas les deux faces nécessaires d'une même réalité qui doivent permettre de préparer des luttes massives dont les conditions sont en train de se réunir du fait de la violence des mesures prises contre l'ensemble des exploités ? Se clarifier sur ces questions est essentiel si les révolutionnaires que nous sommes veulent être à la hauteur de leur tâche. C'est d'ailleurs pour cela que comme un participant de la réunion l'a rappelé : « tenir des réunions et discuter comme nous le faisons, c’est déjà militer ».
Lorenzo
Quel que soit le nom donné à la violence des coups qui nous sont portés en avalanche par le gouvernement : réformes, politique de rigueur ou programmes d’austérité, la coupe est pleine !
Quelle que soit la situation de tous ceux qui subissent la pression de l’exploitation capitaliste, que l’on soit ouvrier en usine, dans une petite entreprise, en CDI, dans un emploi partiel ou précaire, travailleur social, fonctionnaire, ingénieur, cadre, étudiant, chômeur, retraité..., nous sommes tous pris à la gorge.
Si les effets de l’attaque sur les retraites ne se font pas encore sentir à l’heure actuelle, elles pèseront lourdement dans les années qui viennent sur toutes les générations de prolétaires. Mais dès aujourd’hui, l’ampleur et la profondeur de toutes les autres attaques menées simultanément sont durement ressenties.
Les budgets sociaux sont passés à la moulinette et les services du même nom sont en plein délabrement. Le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite comme les regroupements de services publics débouchent sur une situation qui vire de plus en plus ouvertement au cauchemar ou à la catastrophe, en particulier dans le secteur de la santé et de l’éducation. Les fermetures de structures hospitalières comme de classes entières dans les écoles au nom des économies budgétaires à réaliser prennent une tournure de plus en plus dramatique.
Dans de plus en plus d’entreprises s’exerce un chantage au licenciement pour faire baisser les salaires, comme actuellement de 10% chez General Motors à Strasbourg. Et les multiples expériences de ces dernières années montrent que de tels “sacrifices” ne servent à rien : les charrettes de licenciements reprendront de plus belle quelques mois plus tard.
Les conditions draconiennes imposées aux chômeurs qui les placent sous la menace constante d’être rayés du Pôle Emploi sont de plus en plus insupportables. Ceux qui se retrouvent au chômage sont brutalement isolés de toute vie sociale, plongés dans la misère et le désœuvrement. Dans le secteur public comme dans le privé, la surcharge pour ceux qui restent au travail est telle qu’ils n’en peuvent plus. La souffrance et les suicides au travail sont devenus un phénomène de société de plus en plus répandu. De plus en plus de salariés comme de familles se trouvent en situation de détresse non seulement financière (chaque année, la commission de surendettement enregistre 150 000 nouveaux dossiers) mais aussi physiologique comme psychologique. La détérioration des conditions de vie est accentuée par les hausses à répétition des prix du gaz, de l’électricité, du fuel, du loyer, par les nouvelles hausses de tarifs des transports publics tandis que, dans les magasins, chacun peut constater la valse à l’augmentation des produits alimentaires de première nécessité. Les soins sont de moins en moins remboursés alors que les cotisations de santé grimpent en flèche, de même que les assurances. Pour un nombre croissant d’entre nous, c’est au quotidien que se pose le problème de se nourrir, de se loger, de se soigner, de se vêtir de manière décente.
La chasse aux “niches” fiscales décrétée prioritaire par le gouvernement va une fois encore frapper les foyers les plus modestes : il s’agit avant tout de taxer davantage l’épargne dite populaire, les assurances-vie, l’amélioration de l’habitat. Les retraités, même aux revenus les plus bas, se verront imposés plus lourdement à la CSG. Même si le gouvernement vient de faire provisoirement marche arrière après avoir déclaré que les étudiants devront désormais choisir entre l’aide personnalisée au logement ou la demi-part de réduction d’impôts pour leurs parents, les jeunes générations sont confrontées à une misère et à une précarité croissantes face à l’augmentation des droits d’inscription à l’université et des tarifs des restaurants universitaires, à la hausse des loyers de leur chambre. Pour prendre un exemple parmi cent autres : la refonte des programmes en classe de Seconde va contraindre les parents de lycéens à acheter les livres solaires au prix du neuf et pas d’occasion. Et les mêmes familles savent déjà que l’extension promise de cette “réforme” aux autres classes continuera à grever leur budget les années suivantes...
La montée de la colère et de l’indignation est attisée par un profond sentiment d’injustice. La bourgeoisie ne cesse d’étaler une arrogance incroyable. L’été a été rempli par les “affaires”, du feuilleton Woerth-Bettencourt jusqu’au train de vie dispendieux et aux privilèges exorbitants de plusieurs ministres.
Le gouvernement Sarkozy n’a rien d’autre à avancer pour répondre à nos revendications que de rouler les mécaniques en montrant les muscles et les dents avec ses campagnes sécuritaires et populistes qui, dans la droite ligne de son débat foireux sur “la nationalité,” flattant les fractions les plus réactionnaires et conservatrices de son électorat, amalgame allègrement délinquance, insécurité et immigration. Le point d’orgue en est la répugnante et scandaleuse chasse et expulsion des Roms désignés comme boucs-émissaires. Alors que les rafles et les contrôles continuent de s’abattre sur les travailleurs sans-papiers immigrés, sont montés en épingle des faits divers (attaques contre des flics, affrontements entre bandes rivales, ...) pour faire adopter de nouvelles lois répressives. Une partie d’entre elles sont d’ailleurs du flan : on focalise l’attention sur quelques cas particuliers, on fait voter une nouvelle loi qui proclame une déchéance de la nationalité à l’encontre d’une poignée de criminels “d’origine étrangère qui auraient porté atteinte à la vie d’un policier ou d’un gendarme” ou qui se seraient rendus coupables de polygamie ou d’incitation à l’excision”. Cette politique à courte vue qui nous prend ouvertement pour des gogos manipulables à souhait ne rehausse nullement le prestige de l’État et devient même un obstacle embarrassant pour les intérêts de la bourgeoisie nationale. Le discrédit du chef de l’État est tel qu’un hebdomadaire comme Marianne a pu le traiter de voyou sans être même traîné en justice...
Il n’y a pourtant pas d’illusions à se faire sur un changement d’équipe. Voter autrement n’empêchera pas les attaques... La preuve, c’est que la politique de rigueur est partout menée aussi bien par des gouvernements de gauche que par des gouvernements de droite. Partout, les mesures qui dégringolent vont dans le même sens. Dans tous les pays, les prolétaires sont confrontés à des attaques similaires et partout, ils sont face aux mêmes perspectives de conditions de vie encore plus misérables. Ainsi en Grèce ou en Espagne, en plus de l’attaque sur les retraites, ce sont des gouvernements de gauche et sociaux-démocrates qui viennent d’imposer brutalement des baisses des salaires de 20 ou 10 % à tous les prolétaires. C’est ce qui nous attend et cela montre l’avenir qui nous est réservé partout. Et il n’est pas besoin de lire dans le marc de café pour savoir que ce sera de pire en pire.
Ce n’est pas parce nous avons affaire à des méchants ou à des pourris mais parce que le système capitaliste est en faillite ouverte à l’échelle mondiale et que la bourgeoisie nous fait payer sa crise au prix fort.
Le capitalisme ne nous donnera jamais un gouvernement plus social ou plus équitable. En Espagne, c’est le gouvernement “socialiste” de Zapatero qui, de concert avec la droite, a lancé fin juin et début juillet une grande campagne idéologique diffamatoire pour discréditer et isoler la courageuse grève des travailleurs du métro de Madrid en lutte contre une baisse de 5% de leur salaire.
Tôt ou tard, la classe ouvrière devra se défendre et ne peut pas faire l’économie d’un affrontement inévitable avec un système qui ne peut que faire plonger chacun d’entre nous dans une profonde misère. Nous ne pouvons plus attendre ni hésiter !
Cela signifie aussi que la classe ouvrière en France doit prendre conscience qu’elle n’est pas seule à affronter cette terrible réalité, que dans tous les pays, elle est poussée à mener le même combat contre les mêmes attaques que mènent ses exploiteurs. De la Chine au Panama, en passant par le Bangladesh et le Cachemire, la classe ouvrière démontre qu’elle est capable de développer massivement et avec détermination son combat classe contre classe à l’échelle mondiale.
Il n’y a pas d’autre perspective que d’entrer massivement en lutte pour se défendre sinon, c’est l’enfoncement assuré dans des conditions de vie toujours plus misérables. Entrer en lutte massivement signifie lutter ensemble et de manière déterminée en vue de réaliser l’extension et l’unité la plus large possible dans le combat. Seule la mobilisation du plus grand nombre face aux mêmes attaques est capable de faire reculer la bourgeoisie même si elle reviendra inévitablement à la charge ; mais c’est aussi le seul moyen d’empêcher le déclenchement d’attaques supplémentaires. Rappelons-nous comment, en 2006, les jeunes générations ont ainsi réussi à imposer au gouvernement Villepin le retrait du CPE. Ce n’est pas à travers les successions de journées d’action épisodiques et stérilisantes qui nous sont proposées que nous y parviendrons. Ce n’est pas en nous en remettant à ces spécialistes du sabotage des luttes et de la division des ouvriers entre eux que sont les syndicats, c’est en prenant nous-mêmes collectivement l’initiative des luttes, en appelant PARTOUT nous-mêmes à former des assemblées générales ouvertes à TOUS les ouvriers sans exclusive de corporations ou de secteurs, aux chômeurs, aux retraités, aux étudiants, que nous établirons un rapport de force face à la classe dominante. C’est aussi en gardant le contrôle de ces luttes entre nos mains sous le contrôle permanent de ces assemblées générales à travers l’élection de délégués révocables à tout moment. Il n’y a pas d’autre chemin possible pour faire entendre notre refus d’un futur entraînant l’humanité à sa perte et construire un autre avenir.
W (28 août)
Cet été, de violentes catastrophes se sont abattues sur les populations partout dans le monde : les flammes ont embrasé la Russie et le Portugal, des moussons dévastatrices ont noyé le Pakistan, l’Inde, le Népal et la Chine () sous la boue, des inondations ont également frappé l’Europe de l’Est et une partie de l’Allemagne. La liste des catastrophes de l’été 2010 est encore longue.
La multiplication des ces phénomènes et leur gravité croissante n’est pas le fruit du hasard, ni une triste fatalité contre laquelle on ne peut rien et dont personne n’est blâmable. De l’origine à la gestion des catastrophes, le capitalisme et ses lois fondamentales portent une très lourde responsabilité.
Selon l’avis de nombreux scientifiques, le réchauffement de la planète joue un rôle important dans la multiplication des phénomènes climatiques extrêmes, comme les canicules, les pluies diluviennes, les cyclones, etc. : “Ce sont des événements qui sont appelés à se reproduire et à s’intensifier dans un climat perturbé par la pollution des gaz à effet de serre” (). Et pour cause, de 1997 à 2006, alors que la température de la planète ne cessait d’augmenter, le nombre de catastrophes, de plus en plus intenses, a augmenté de 60 % par rapport à la décennie précédente. Comme un symbole de ce réchauffement global de la planète, au début du mois d’août, un gigantesque iceberg de 250 km² s’est détaché de l’Océan arctique, réduisant, pour la quatrième année consécutive, la taille du glacier à moins de 4 millions de km². Cet été, des records de chaleur ont d’ailleurs été enregistrés, comme le stupéfiant 53,5 °C du 26 mai au Pakistan : “La température moyenne de la planète montre, selon les relevés et analyses de l’équipe de James Hansen au Goddard Institute for Space Studies (Nasa), que les six premiers mois de l’année 2010 détiennent le record de chaleur depuis cent trente ans” ().
Les scientifiques des compagnies pétrolières, les politiciens et les chroniqueurs de télévision peuvent s’agiter en déclarant que le réchauffement planétaire n’est pas le résultat d’une pollution massive de l’atmosphère, l’ensemble des recherches scientifiques sérieuses démontrent une corrélation évidente entre le rejet des gaz à effet de serre, le réchauffement climatique et la multiplication des catastrophes naturelles. Cependant, les scientifiques se trompent lorsqu’ils affirment qu’un peu de volonté politique des gouvernements est en mesure de changer les choses. Le capitalisme est incapable de limiter les rejets de gaz à effet de serre car il faudrait alors s’opposer à ses propres fondements, ceux du profit, de la production à moindre frais et de la concurrence. C’est pour répondre à ces lois que la bourgeoisie pollue avec, entre autres exemples, son industrie lourde, ou qu’elle fait parcourir à ses marchandises des milliers de kilomètres.
La responsabilité du capitalisme dans l’ampleur de ces catastrophes ne se limite d’ailleurs pas à la pollution atmosphérique et au dérèglement climatique. La destruction méthodique des écosystèmes, à travers, par exemple, la déforestation massive, le stockage des déchets dans les zones naturelles de drainage, ou l’urbanisation anarchique, parfois jusque dans le lit des rivières asséchées et au cœur de secteurs notablement inflammables, a fortement aggravé l’intensité des catastrophes.
Alors que nous écrivons ces lignes, plusieurs centaines de feux font encore rage dans une large région autour de Moscou, brûlant des centaines de milliers d’hectares de forêt, de tourbière, de zone agricole, urbaine, etc. Le feu aurait déjà tué plus de 50 personnes et laissé des milliers d’autres sans abri (). Plusieurs jours, une épaisse fumée, dont les conséquences sur la santé ont été catastrophiques au point de doubler le taux quotidien de mortalité, a envahi la capitale. Et pour faire bonne mesure, des risques nucléaires et chimiques importants menacent les populations bien au-delà des frontières russes, en particulier à cause des incendies sur des terres contaminées par l’explosion de la centrale de Tchernobyl, des sites nucléaires eux-mêmes menacés par les flammes et des entrepôts d’armes et de produits chimiques plus ou moins oubliés dans la nature, qui n‘ont d’ailleurs curieusement pas bénéficié du même engouement médiatique.
Ces incendies ont été l’occasion d’étaler toute l’incurie de la bourgeoisie et l’étiolement de la société capitaliste. En effet, l’un des aspects les plus frappants de ces événements est l’incapacité de l’Etat russe à maîtriser les incendies. Le Premier ministre Vladimir Poutine peut jouer les super héros devant les caméras de télévision en pilotant un bombardier d’eau, ce désastre est le résultat de plusieurs décennies de politiques typiquement bourgeoises, à la fois cynique et aveuglées par le profit.
Un élément essentiel pour comprendre le rôle de la bourgeoisie dans l’envergure des incendies est l’état stupéfiant d’abandon des forêts. La Russie est un pays immense doté d’un parc forestier très important et dense, nécessitant un soin particulier pour circonscrire rapidement les débuts d’incendies afin d’éviter qu’ils ne se répandent jusqu’à devenir incontrôlables. Or, beaucoup de massifs forestiers russes ne sont même pas dotées de voies d’accès, si bien que les camions de pompiers sont incapables d’atteindre le cœur de la plupart des incendies. La Russie compte d’ailleurs sur seulement 22 000 pompiers, soit moins qu’un petit pays comme la France, pour lutter contre les flammes, et sur les gouverneurs régionaux, notablement corrompus, qui préfèrent employer les maigres moyens dont ils disposent pour la gestion des forêts à l‘achat de voitures de luxe, comme l‘ont révélé plusieurs scandales.
Le même cynisme vaut pour les fameux feux de tourbière, zones dont le sol est constitué de matière organique en décomposition particulièrement inflammable () : en plus de laisser les tourbières à l’abandon, la bourgeoisie russe a favorisé la construction d’habitations sur ces zones alors que des incendies avaient déjà fortement sévi en 1972. Le calcul est bien simple : sur ces secteurs dangereux, les promoteurs immobiliers ont pu acheter des terrains, déclarés constructibles par la loi, à un prix dérisoire. C’est de cette manière que le capitalisme transforme des phénomènes naturels humainement maîtrisables en véritables catastrophes.
Depuis le mois de juillet, des pluies torrentielles s’abattent sur le Pakistan (), occasionnant des inondations majeures, des glissements de terrain, des milliers de victimes, plus de 20 millions de sinistrés et des dégâts matériels considérables. La famine et la propagation de maladies, notamment le choléra, sont venues empirer une situation déjà désespérée. Pendant plus d’un mois, au milieu de cet horrible tableau, la bourgeoisie pakistanaise et son armée n’ont fait qu’étaler une incompétence et un cynisme hallucinants, accusant l’implacabilité de la nature, alors que, comme en Russie, entre urbanisation anarchique et services de secours impuissants, les lois du capitalisme apparaissent comme l’élément essentiel pour comprendre l’ampleur de la catastrophe.
Mais un aspect particulièrement écoeurant de cette tragédie est la manière dont les grandes puissances impérialistes essayent de tirer profit de la situation, au détriment des victimes, en utilisant les opérations humanitaires comme alibi. Les Etats-Unis soutiennent en effet le gouvernement très contesté de Youssouf Raza Gilani et ont très rapidement profité des événements pour déployer un important contingent militaire constitué de porte-hélicoptères, de navires d’assaut amphibie, etc. Au nom de la lutte contre le terrorisme (), les Etats-Unis ont quadrillé le Pakistan et freinent toujours l’arrivée de “l’aide internationale” venant d’autres pays, “aide humanitaire” elle aussi constituée de militaires, de diplomates et d’investisseurs sans scrupules.
Comme pour chaque catastrophe d’ampleur, tous les moyens sont mis en œuvre par tous les Etats pour faire valoir leurs intérêts impérialistes. Parmi ces moyens, la promesse de dons est devenue une opération systématique : tous les gouvernements annoncent officiellement une manne financière substantielle qui n’est officieusement accordée qu’en échange de la satisfaction des ambitions des donateurs. Par exemple, à ce jour, 10 % seulement de l’aide internationale promise en janvier 2010 après le tremblement de terre à Haïti a été effectivement versée à la bourgeoisie haïtienne. Et le Pakistan ne fera bien sûr pas exception à la règle ; les millions promis ne seront versés qu’à titre de commission d’Etat contre services rendus.
Le capitalisme et la bourgeoisie sont bien directement responsables de la multiplication et de l’ampleur meurtrière des catastrophes climatiques. La classe ouvrière ne doit se faire aucune illusion sur la capacité de la classe dominante à protéger l’humanité contre les phénomènes naturels violents : ce n’est pas en substituant aux cliques gouvernementales en place des dirigeants plus “verts”, en espérant des réformes écologiques, que nous sauveront la planète et l’humanité du chaos environnemental. Les fondements du capitalisme, la recherche du profit, la concurrence, etc., sont, à tous les niveaux, au cœur de la problématique. Il nous faut les détruire.
V (25 août)
) En plus des inondations et des coulées de boues dans plusieurs provinces, la Chine a subi, en prime, une gigantesque marée noire liée à l’explosion d’un oléoduc.
) Jean-Pascal Van Ypersele, vice-président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), AFP.
) Sylvestre Huet (journaliste scientifique), Libération, 12 août 2010.
) Ces chiffres sont à lire avec beaucoup de précautions car le gouvernement russe est passé maître dans l’art de la désinformation. Le mensonge sur les chiffres n’est d’ailleurs pas une spécialité slave puisque, d’après plusieurs témoignages, l’inondation dans le Var, que nous avons traité dans notre précédent numéro, aurait fait bien plus de victimes et de dégâts que ceux communiqués par le gouvernement français.
) Les autorités russes en sont réduites à attendre le gel de l’hiver pour éteindre les incendies de tourbière en profondeur.
) L’Afghanistan, la Chine, l’Inde et le Népal ont également été touchés de manière importante.
) Le gouvernement pakistanais, dans une situation particulièrement instable, a rapidement averti de l’imminence d’une insurrection des talibans réfugiés à la frontière de l’Afghanistan, pour justifier de nombreuses mesures répressives. A la fin du mois d’août, en guise d’insurrection, une bande de pieds nickelés islamistes, se réclamant d’Al Qaïda, a (enfin !) attaqué une obscure milice à la solde du gouvernement, causant deux morts.
l est courant de penser que l’économie chinoise échappe à la crise globale du capitalisme. Mais il faudrait le dire aux milliers de travailleurs chinois qui, au cours des dernières semaines, ont pris part à une vague de grèves qui a touché beaucoup de régions du pays !
Les luttes dont il a été le plus rendu compte sont celles qui ont eu lieu dans plusieurs usines Honda qui ont connu jusqu’ici trois vagues de grèves ; les ouvriers ont même réussi, lors de la première, à obtenir des augmentations de salaires jusqu’à 24%. A Foxconn, producteur d’Ipods où il y a eu beaucoup de suicides récemment, les grévistes ont obtenu une augmentation de salaire de 70%. A l’usine KOK (fabricant de pièces détachées), des affrontements se sont produits entre les travailleurs et les forces de l’ordre lorsque ces dernières ont tenté d’empêcher les ouvriers de sortir dans les rues faire connaître leur lutte.
Les médias chinois n’ont pas fait de black-out sur ces luttes parce que les compagnies étaient toutes étrangères et qu’ils ont utilisé ces conflits pour développer la propagande gouvernementale contre les rivaux régionaux japonais et sud-coréens. En réalité, des ouvriers de beaucoup d’entreprises chinoises ont également participé à des mouvements de grèves dans plusieurs villes. La police et d’autres forces de sécurité ont été régulièrement utilisées contre eux.
Avec des titres tels que “La montée d’un mouvement ouvrier chinois” (Businessweek.com), “La nouvelle génération secoue le monde du travail en Chine” (Reuters) et “Des grèves mettent la Chine en difficulté par des troubles sociaux” (Associated Press), la bourgeoisie et ses médias reconnaissent que le mouvement actuel va au-delà du mécontentement croissant de la classe ouvrière chinoise qu’on avait connu dans la période précédente.
L’article d’Associated Press (11 juin 2010) dit que “les autorités ont depuis longtemps toléré des mouvements de protestation, locaux et limités, de la part des ouvriers mécontents de leurs salaires ou sur d’autres questions, reconnaissant ainsi peut-être la nécessité d’une issue face à ces frustrations”, mais le Financial Times (11 juin 2010) ajoute que : “Il y a des signes que les mouvements sociaux de protestation sont bien plus étendus et coordonnés qu’on ne le pensait, suscitant des peurs face à la possibilité de revendications similaires qui augmenteraient les coûts des multinationales”. Un économiste résidant à Hong-Kong et cité par le Daily Telegraph (10 juin 2010) y fait écho en écrivant : “Tout ce qu’il faut maintenant, c’est une seule étincelle et les nouvelles se répandront dans toute la Chine, ce qui pourrait amener à des actions de grève similaires dans d’autres usines”.
Les “experts” tentent de minimiser les raisons de ces luttes et leur tendance à inspirer d’autres travailleurs et à s’étendre : “Les ouvriers se tiennent au courant des grèves grâce aux téléphones portables et aux QQ – messageries instantanées. Ils comparent leurs salaires et leurs conditions de travail, souvent avec ceux des ouvriers de leur province d’origine, et utilisent ces informations pour négocier avec leurs employeurs, a expliqué Joseph Cheng, professeur à l’Université de la ville de Hong Kong. “[Des mouvement sociaux] ont eu lieu dans les Deltas de la Pearl River et du Yangtsé depuis le début de l’année” du fait du manque de main d’oeuvre.” (Financial Times, ibid.) Et comme le résume un autre “expert” : “L’une des grèves a eu lieu parce que les ouvriers se sont retrouvés rien qu’en s’envoyant des messages” a dit Dong Baohua, professeur de droit à l’Université de Politique et de Droit de Chine occidentale. La technologie moderne favorise l’éclatement de grèves” (ibid.)
Les innovations technologiques sont bel et bien utilisées par les ouvriers mais ce n’est pas ce qui explique pourquoi ils font grève, pourquoi ils veulent se regrouper pour lutter. Ce qui l’explique, ce sont les conditions dans lesquelles ils travaillent et vivent. Selon les statistiques officielles, les salaires constituaient, en 1983, 56% du PIB chinois ; ils sont tombés à 36% en 2005. Au cours des cinq dernières années, presque un ouvrier sur quatre en Chine n’a eu aucune augmentation de salaire. Si quelqu’un s’est enrichi grâce au miracle économique chinois, ça n’a pas été la classe ouvrière. Les récentes augmentations du salaire minimum dans les grandes provinces industrialisées comme le Guangdong, le Shandong, le Ningxia et le Hubei ont été expliquées comme des tentatives de répondre aux effets de l’inflation, mais même les médias d’Etat ont parfois admis qu’elles avaient aussi pour but de prévenir le mécontentement social.
Dans le journal officiel en ligne Le Quotidien du Peuple (9 juin 2010), on peut lire, dans un article à la une sous le titre : “Les experts prévoient l’augmentation des conflits du travail”, que “les conflits sociaux croissants initiés en Chine méridionale vont amener une tendance à l’augmentation des salaires dans un futur proche”. Ceci est présenté comme une “opportunité” mais aucune explication n’est apportée pour les “conflits”. Pourtant, comme les capitalistes partout, on peut faire le calcul, comme un fonctionnaire l’expliquait à propos des projets d’investissement des entreprises à Hong-Kong : “Si le coût du travail s’accroît, les profits baisseront et il se peut qu’elles déplacent les usines dans des pays où la main d’oeuvre serait moins chère”.
En Chine, cela fait longtemps que l’impatience et la frustration vis-à-vis des syndicats se développent. Ces organes explicitement étatiques non seulement découragent les grèves et cherchent à les empêcher, mais encore ont, comme à Honda, utilisé la violence physique contre les ouvriers qui, en retour, ont combattu les représentants syndicaux. Ce n’est pas par hasard si les ouvriers ont cherché d’autres voies. Un article du New York Times (10 juin 2010) par exemple, tout en rapportant que “des grèves éparses ont commencé à gagner des provinces chinoises épargnées jusqu’ici par les conflits sociaux”, présentait également ce qu’il s’était passé à Honda au cours d’une des grèves : “Ici les ouvriers ont développé une organisation démocratique élaborée, élisant des délégués de base pour les représenter dans les négociations collectives avec le patronat. Ils demandent aussi le droit de former un syndicat distinct de la fédération nationale des syndicats contrôlée par le gouvernement qui, depuis longtemps, s’est préoccupée de maintenir la paix sociale pour les investisseurs étrangers.”
Il est ici nécessaire de rappeler l’expérience des ouvriers en Pologne de 1980-81 dont la grève a touché tout le pays, et au cours de laquelle des assemblées ouvrières ont créé leurs propres comités et d’autres formes d’organisation. Toute la force du mouvement a été affaiblie par l’idée de créer “des syndicats libres” en opposition aux syndicats dirigés par l’Etat. Cette idée s’est matérialisée dans la création de Solidarnosc, syndicat qui commença par saper le mouvement au début des années 1980 et finit par diriger un gouvernement d’austérité avec Lech Walesa pour président au début des années 1990.
L’effort des ouvriers pour prendre en main leurs luttes peut prendre beaucoup de formes, que ce soient des délégués de base, des comités élus, des délégations à d’autres ouvriers ou des réunions massives dans lesquelles les ouvriers eux-mêmes décident de l’organisation de la lutte. Ce qui est important, c’est de comprendre la dynamique d’un mouvement.
Au cours de la première grève à Honda, une délégation a fait une déclaration qui montrait clairement les illusions existant sur les possibilités des syndicats, mais qui contenait, aussi, de très bonnes idées. Par exemple : “Nous ne luttons pas seulement pour les droits de 1800 ouvriers, mais pour les droits des ouvriers de tout le pays”, montrant clairement que la préoccupation des ouvriers allait bien plus loin que leur seule usine.
Il y a aussi un passage qui, tout en faisant partie d’un document, affirme que : “C’est le devoir du syndicat de défendre les intérêts collectifs des travailleurs et de diriger les grèves ouvrières”, et montre que d’autres idées se développent aussi : “Nous tous, ouvriers de Honda Auto Parts Manifacturing Co, Ltd, devons rester unis et ne pas nous laisser diviser par la direction (…). Nous appelons tous nos camarades ouvriers à exprimer leur point de vue auprès de leurs représentants ouvriers. Bien que ces représentants ne couvrent pas les ouvriers de tous les départements, ils recueillent les opinions de tous les ouvriers de l’usine avec sérieux et égalité. Les ouvriers des chaînes de fabrication qui sont motivés et voudraient participer aux négociations avec la direction peuvent se joindre à la délégation à travers l’élection... Sans l’approbation de l’assemblée ouvrière, les représentants ne donneront unilatéralement leur accord à aucune proposition d’un niveau inférieur aux revendications établies plus haut.” (libcom.org) Et on pouvait encore lire sur businessweek.com : “Nous appelons tous les ouvriers à maintenir un haut degré d’unité et à ne pas laisser les capitalistes nous diviser.”
En Chine, la situation matérielle qui impulse les luttes et la question de comment s’organiser est la même que celle que rencontrent les ouvriers partout dans le monde.
Car (11 juin 2010)
Décidément, Sarkozy n’en a pas fini de régler ses comptes avec l’immigration. Après le “nettoyage de la France au Kärcher”, France qu’il faut “débarrasser de la racaille”, le président français s’est lancé, effets de menton habituels à l’appui, dans la mise en œuvre d’une politique répressive aggravée vis-à-vis de la communauté “rom”.
Une centaine de camps de “gens du voyage” ont ainsi été évacués manu militari, et leurs occupants dépouillés de leurs caravanes ou roulottes puis jetés à la rue, traités pire que du bétail, le fusil dans le dos. Avec plus d’un millier de “roms” expulsés de France depuis fin juillet, le ministre de l’Intérieur Hortefeux espère bien dépasser le chiffre des 9875 expulsions réalisées en 2009 vers la Bulgarie et la Roumanie de ces indésirables roms dont plus de 8000 ont déjà été virés du territoire depuis janvier 2010. Pourtant, même au sein de l’establishment politique français, de nombreuses “pointures” de tous bords ont souligné leur opposition à cette politique tellement énorme aux relents de xénophobie la plus crapuleuse, une politique de pogroms. Il n’y a guère eu que Marine Le Pen pour saluer ces positions de Sarkozy comme celles que son parti défend depuis trente ans, et outre les sarkozystes du premier cercle, tel Estrosi,… Kouchner. En effet, le chef de la diplomatie française, avec pour une fois un sac de rires sur le dos, a déclaré, en réponse à une seconde mise en garde de l’ONU dont il stigmatise les “caricatures” et les “amalgames” (1) : “Jamais le Président de la République n’a stigmatisé une minorité en fonction de son origine” (!).
Ainsi Villepin, qui en tant que ministre de l’Intérieur, puis Premier ministre de la présidence Chirac, avait mis en œuvre de nombreuses mesures anti-immigrés, s’est-il élevé avec vigueur contre cette politique trop grossière parlant de “tâche sur le drapeau français”. Bernard Debré, député UMP de Paris, se dit “choqué” et souligne de son côté “le risque de dérapage vers la xénophobie et le racisme”. Sortez vos mouchoirs !
Le PS, tout en dénonçant cette opération, comme Rocard déclarant qu’on n’avait “pas vu cela depuis les nazis”, a critiqué Sarkozy, mais pour l’engager à poursuivre son effort. En effet, dans un communiqué daté du 18 août, il critique le projet du gouvernement de supprimer 3 500 postes de policiers dans les trois prochaines années, et déclare : “Jamais il n’y a eu autant de distance entre les paroles et les actes d’un gouvernement. Si le PS critique le gouvernement, ce n’est pas parce qu’il en ferait trop sur la sécurité, c’est, au contraire, parce qu’il n’agit pas réellement.” Il est vrai que le PS, depuis Joxe, Cresson et le même Rocard, en connaît un rayon, puisque c’est lui qui a mis en œuvre les premiers charters musclés dans les années 1980.
Cependant, malgré ces critiques qui fusent de partout, qu’il s‘agisse du pape ou de l’ONU, en passant par l’Union européenne, et malgré l’opposition grandissante dans la population française devant cette écœurante politique discriminatoire, Sarkozy et son ministre de l’Immigration, l’ “ex”-socialiste Éric Besson, ont annoncé mercredi 24 août une “accélération des reconduites de ressortissants bulgares et roumains” dont les départs bien hypocritement présentés comme “volontaires” signifie un “retour” dans des pays où cette frange de la population est souvent persécutée. Et pour dissuader ces “profiteurs” et “délinquants” de revenir pour toucher à nouveau leurs 300 euros de “prime à l’expulsion”, ce dernier va instituer des fichiers biométriques en direction des possibles contrevenants pour leur interdire l’accès aux frontières de l’Hexagone.
En fait, ce discours gouvernemental et cette politique particulièrement répressive à l’égard des roms servent plusieurs objectifs aux yeux de Sarkozy. Le plus important est de se focaliser sur une population très marginalisée, souvent arriérée et analphabète, formant une communauté fermée et peu communicative, et que de ce fait il est facile de criminaliser, afin d’en faire à bon compte le bouc émissaire de la crise économique et d’une justification de la politique générale de répression que mène l’État français. Le plus répugnant, c’est que cette “ethnie” déjà reléguée à une survie dans de véritables cloaques et des dépotoirs de la société, se retrouve facilement exposée à l’instrumentalisation. L’attaque de Sarkozy contre les roms ne pouvait provoquer au mieux, dans la période actuelle, que de la compassion mais pas de mouvement actif de solidarité en leur défense au sein de la classe ouvrière ; d’autant que la plupart des évacuations ont eu lieu pendant les vacances d’été. En-dehors des déclarations emphatiques et hypocrites des politicards et de certains groupes politiques, rien ne s’y est opposé.
Un autre volet de ce battage médiatique intensif est de faire du bruit pour faire diversion aux tensions sociales qui se précisent dès cette “rentrée”. Cette propagande sert aussi par son vernis sécuritaire à donner des moyens juridiques de perpétrer des arrestations massives, ou d’autres visant à imposer de fortes amendes aux familles immigrées dont les jeunes ont des démêlés avec la police. Les parents seront tenus pour légalement responsables des actes de leur enfant mineur, lorsque celui-ci a été poursuivi ou condamné pour une infraction et qu’il viole les interdictions et les obligations auxquels il est soumis. Ces parents pourraient se voir infliger jusqu’à deux ans de prison et 30 000 euros d’amende alors que c’est le chômage, la précarité, la misère qui les a brisés et rendus incapables d’assumer leur rôle éducatif.
Un des pompons des nouvelles mesures sécuritaires proposées par Sarkozy est la “déchéance de la nationalité française”. Un des arguments avancés par certains laudateurs de cette mesure est que “Être français se mérite”, c’est-à-dire les mêmes mots employés par Raphaël Alibert, Garde des Sceaux de Pétain, en juillet 1940, afin de justifier une loi portant création d’une “Commission de révision des naturalisations” laquelle procéda à la “dénaturalisation” de centaines de milliers de français, principalement des juifs (2).
Du point de vue de l’efficacité et de l’impact que cette mesure pourrait avoir dans la pratique aujourd’hui, elle n’a rien à voir avec celle de 1940. C’est un simple gadget. Mais elle présente l’avantage de tenter d’accroitre la division de la classe ouvrière entre travailleurs français et travailleurs immigrés, de plus ou moins fraîche date. Elle permet une focalisation médiatique sur un faux problème, totalement étranger aux intérêts des exploités, celui de leur “nationalité”.
Non, aucune nationalité ne se mérite et les ouvriers n’en ont que faire. Comme disait le Manifeste communiste de 1848 : “Les prolétaires n’ont pas de patrie”. Et c’est tous ensemble, quelle que soit leur couleur de peau ou leur origine ethnique ou nationale qu’ils devront se battre contre cette société qui leur impose à tous des conditions de vie et un avenir catastrophiques.
Wilma (27 août)
1) Et son copain Sarkozy, lui, n’a pas fait d’amalgame en mettant dans le même sac roms, “gens du voyage” de nationalité française depuis des générations, immigrés et délinquants !
2) Sarkozy, pour sa part, et contrairement à Le Pen dont il essaie de récupérer les électeurs, ne s’en prend pas aux juifs. D’ailleurs, selon la tradition juive, il est juif lui-même puisque sa mère est juive. Mais fondamentalement, après ce qui s’est passé pendant la Seconde Guerre mondiale, cela ferait “désordre” aujourd’hui de la part d’un Président de la République.
Différents camarades et groupes nous ont envoyé des informations et des commentaires sur cette lutte qui vient de se dérouler. Nous les remercions profondément pour cette collaboration et les encourageons à la poursuivre. Nous savons tous que les médias ne sont pas neutres et servent effrontément leurs maîtres : l’État et le capital, tantôt en exerçant un black-out total sur les luttes ouvrières – en particulier celles qui montrent des tendances intéressantes de solidarité, d’auto-organisation, de combativité…, et tantôt en organisant de scandaleuses campagnes de calomnie comme on l’a vu récemment lors de la grève du métro à Madrid. Il est donc de la plus grande importance que les minorités avancées de la classe effectuent une tâche d’information rapide sur les luttes ouvrières.
Il ne s’agit pas de “s’encourager” en ne mettant en avant que ce qui est positif. La classe ouvrière n’a pas besoin de petites tapes dans le dos. Nous avons besoin d’informations véridiques sans craindre d’exprimer les faiblesses, les obstacles et les difficultés.
Pour en revenir aux luttes au Panama, nous voudrions souligner que malgré les faiblesses et limites encore très grandes qu’ont aujourd’hui les luttes ouvrières, nous voyons toutefois un élément très positif : les luttes se développent avec une certaine coïncidence dans les pays dits “riches” (Grande-Bretagne, Grèce, France, Chine, Espagne…) comme dans les pays “pauvres” (Roumanie, Panama, Bangladesh, Inde…), montrant que, bien qu’il faille encore vaincre d’énormes obstacles pour réaliser pleinement l’unité internationale du prolétariat en brisant notamment les divisions entre travailleurs des pays “riches” et des pays “pauvres” qui ont tant été utilisées par les classes dominantes (1), celle-ci se cherche.
La grève a éclaté à partir du 1er juillet dans la province bananière de Bocas de Toro, limitrophe avec le Costa Rica. Elle exigeait d’une part le paiement des salaires en suspens et, d’autre part, s’opposait au problème politique posé par la nouvelle loi promue par le gouvernement Martinelli, dite Loi 30, qui “restreint le droit de grève et les négociations collectives, habilite l’embauche de “briseurs de grève” et accorde l’immunité à la police en lui accordant des droits par-dessus la Constitution panaméenne” (2). Cette Loi 30 inclut également des articles qui annulent le versement automatique des quote-parts syndicales de la part des patrons. Elle s’accompagne en outre de mesures répressives comme l’officialisation du mouchardage, un décret du ministère de la Sécurité publique légalisant la figure de l’“agent caché” qui a les mains libres pour épier et accuser quiconque “effectue des activités contre la Sécurité nationale, les biens de l’État, la coexistence sociale, c’est-à-dire que quiconque est susceptible d’être dénoncé”.
L’agitation provoquée par ces mesures a poussé plus de 10 000 personnes à manifester le 29 juin dans la ville de Panama. Mais la combativité des travailleurs bananiers a rapidement occupé le premier plan de la situation sociale. La grève s’est rapidement étendue à toute la province. “Plus de quarante piquets ont bloqué dès le 1er juillet les vingt points d’accès à Bocas de Toro, rassemblant une énorme adhésion populaire, des groupes d’indigènes de toutes les propriétés de la région se sont rapidement joints à la lutte entamée par le syndicat de bananiers, s’ajoutant aux blocages organisés par les travailleurs et à l’occupation de l’aéroport, qui a été complètement bloqué”. Les travailleurs se réunirent à entrée des principales villes de la province, puis partirent en manifestation en appelant tout le monde à s’unir à la lutte. Ces actions ont rapidement trouvé un écho, la solidarité de la population s’est exprimée clairement avec des manifestations et des assemblées quotidiennes d’appui. Face aux brutales attaques policières, des barricades ont été levées tant dans les avenues urbaines que sur les routes rurales. Malgré les pressions des autorités, les parents ont décidé de ne pas envoyer leurs enfants à l’école et, dans la foulée, les étudiants du secondaire se sont solidarisés avec la lutte en paralysant totalement les centres éducatifs.
“Outre les groupes d’indigènes et de voisins, à la grève des bananiers s’unirent rapidement celle des enseignants et celle des travailleurs de la construction qui œuvrent à l’extension du Canal de Panama, mobilisés contre des coupes sur les salaires et le licenciement des principaux dirigeants ouvriers. Les étudiants de l’Université de Panama se sont aussi manifestés, bloquant la voie Transísmica en soutien à la lutte des bananiers et contre la Loi 30, devant faire face là aussi à une répression brutale qui s’est achevée par la détention de 157 étudiants du Collège des arts et métiers qui participaient au blocage de la voie Transísmica aux côtés des étudiants de l’Université de Panama”.
Le gouvernement a déchaîné une répression sauvage. Elle fut particulièrement barbare dans la ville de Changuinola, centre de la grève dans les bananeraies. Selon différentes sources, il y a eu six morts et des centaines de blessés, victimes des tirs du corps anti-mutineries directement envoyé par le Président de la République. Ils ont utilisé des pastilles qui ont provoqué de graves dommages aux yeux de nombreux manifestants. Selon un témoignage, “Des enfants sont morts asphyxiés par les gaz lacrymogènes lancés dans des zones résidentielles. Ils ont été victimes de problèmes respiratoires, disent les autorités qui ne les comptabilisent donc pas comme victimes de la brutalité policière”, ce qui augmenterait le nombre de morts. Un autre témoignage indique que “la police est allée chercher des blessés dans les maisons et les hôpitaux pour les emprisonner. Sans le moindre mandat judiciaire, ils ont effectué des perquisitions dans les résidences et jusqu’à la Maison Cural, se livrant à des arrestations. Ils ont torturé, frappé, humilié, insulté…”
Face à cette brutale répression, les chefs syndicaux ont immédiatement offert leur rameau d’olivier au gouvernement. Des négociations entre délégués gouvernementaux et le syndicat, Sitraibana (3) se sont ouvertes le 11. Le syndicat a appelé à la reprise du travail au terme d’un accord dont l’unique revendication satisfaite était le retrait de la Loi 30 qui annulait le versement des quotes-parts patronales aux syndicats ! Sans la moindre pudeur, le syndicat n’a vu que ses intérêts particuliers et a méprisé les revendications ouvrières et la violente attaque représentée par la Loi 30 !
Certains secteurs ouvriers ont rejeté le retour au travail et se sont maintenus en grève jusqu’au 14 juillet, les manifestations quotidiennes de toute la population n’ont pas été annulées et, le 18 juillet, il y a eu des manifestations dans tout le pays en signe de deuil pour les travailleurs assassinés.
Pour calmer les esprits, “Martinelli et compagnie sont intervenus à Bocas de Toro comme s’ils étaient encore en campagne électorale, faisant des cadeaux, de fausses promesses et de feintes excuses, sans reconnaître l’ampleur de la responsabilité du Gouvernement dans ce massacre contre le peuple. Les médias n’ont pas diffusé non plus les multiples démonstrations de protestation de la population à ce qui a été, sans le moindre doute, une offense à la dignité du peuple”.
Aussi, le président a organisé une Commission d’enquête, composée de délégués gouvernementaux, patronaux, religieux et syndicaux, pour “faire la lumière sur ce qui s’est passé dans la province de Bocas de Toro entre les 5 et 13 juillet 2010” et une Table de concertation pour “analyser les conditions de travail des travailleurs dans les bananeraies” qui, comme le dit un des messages que nous avons reçus “est une commission entre moi et moi”.
En combinant la carotte et le bâton, la répression féroce et des shows de dialogue et d’action parlementaire, la bourgeoisie panaméenne semble être sortie victorieuse de ce conflit, en durcissant et en dégradant les conditions de vie ouvrière et en renforçant la répression et l’arbitraire patronal. Des syndicats dissidents ont promis une “grève générale” sans en fixer de date.
Le contrôle syndical de la lutte s’achève en livrant les travailleurs pieds et poings liés. Au début, le Sitraibana s’est montré très combatif et toutes les organisations de gauche et syndicales le citaient comme un “exemple”. Cette réputation “radicale” a permis à ses chefs d’effectuer un virage à 180º et pactiser avec le gouvernement un “accord” qui a démobilisé les travailleurs malgré quelques résistances qui se sont manifestées. Ceci nous montre que les travailleurs, syndiqués ou non-syndiqués, ont besoin de contrôler collectivement leur lutte en l’arrachant des mains trompeuses des syndicats, ont besoin d’assemblées massives ouvertes aux autres travailleurs qui suivent au jour le jour l’évolution de la lutte, les négociations, les actions à mener, etc. Ces mesures sont vitales pour que la solidarité, la camaraderie, la force collective, l’héroïsme et la conscience qui se développe dans la lutte ne soient pas gaspillés et perdus, provoquant désillusions et démoralisation.
Dans cette lutte a aussi beaucoup pesé le fait que la province de Bocas de Toro est un des territoires les plus misérables du pays, peuplé de nombreuses tribus indigènes opprimées et appauvries, ce qui a contribué à la dévoyer d’une lutte authentiquement prolétarienne et autonome. La grève a été le signal d’un important mouvement de mécontentement populaire. Ceci est positif quand le prolétariat parvient à canaliser ce mécontentement vers son propre terrain de classe contre le capital et l’État. C’est toutefois négatif et affaiblit le prolétariat ainsi que la libération même de ces couches sociales si – comme c’est arrivé lors de cette lutte – c’est la mobilisation interclassiste qui prend le dessus, pour “le rétablissement des libertés démocratiques attaquées par la Loi 30”, pour “la mise en oeuvre par le gouvernement central d’investissements dans la province abandonnée”, pour “la reconnaissance des droits ancestraux des peuples indigènes”.
Quand la lutte tombe dans ce bourbier populaire, seul le capital sort gagnant. Celui-ci ne présente jamais ses intérêts pour ce qu’ils sont – des intérêts égoïstes au détriment de la grande majorité – mais les revêt toujours des déguisements trompeurs du “peuple”, de “la citoyenneté”, des “droits sociaux” et autres sornettes vides de sens. Ces tromperies font perdre au prolétariat son identité et son autonomie de classe, et ainsi parviennent à le mettre en échec, lui et l’ensemble de la population opprimée.
CCI (27 juillet 2010)
1) Nous saluons chaleureusement le Forum ESPAREVOL (en espagnol), qui réalise un effort important pour rassembler nouvelles et communiqués sur les luttes ouvrières. Voir http ://esparevol.forumotion.net/noticias-informaciones-y-comunicados-obreros-f9/
2) Les citations viennent d’informations reçues de différents camarades.
3) Sitraibana : Syndicat de travailleurs de l’industrie bananière.
Excédés par des conditions de vie et de travail déplorables, par la hausse des prix des denrées de base (riz, etc.) et des salaires misérables, des milliers de travailleurs du textile ont été contraints de se lancer spontanément dans des luttes très dures au Bangladesh. Des affrontements sanglants avec les forces de l’ordre se sont produits, notamment au mois de juin dernier et au cours de cet été. Exprimant leur combativité, les ouvriers ont même refusé, dans un mouvement général, une hausse de 80 % d’un salaire restant toujours insupportablement bas, proposée par les patrons, le gouvernement et les syndicats. Le refus et la solidarité se sont manifestés spontanément. Les grèves se sont étendues aux usines avoisinant la périphérie de la capitale, et même au-delà, dans tout le pays, notamment pour faire face à la répression. La colère et l’indignation des travailleurs, faisant rapidement tache d’huile, se sont souvent traduites par des destructions de machines, véritables symboles de leur condition de forçats. Les dégradations occasionnées dans les usines témoignent d’ailleurs d’une rage cherchant à s’affranchir de la condition imposée par les bagnes du capital. Les ouvriers ont construit des barricades, bloqué les autoroutes, investi le centre de la capitale à plusieurs reprises pour se faire entendre et se défendre collectivement. En riposte à ces initiatives, des lock-out et fermetures d’usines ont été organisés par les patrons qui ont systématiquement appelé les forces de l’ordre à la rescousse. Face à la répression brutale, des ouvriers ont même perdu la vie au cours des multiples affrontements ! Plus de 300 ouvriers considérés comme des “meneurs” ont été arrêtés. Beaucoup sont actuellement encore en prison. Des milliers de prolétaires ont aussi été blessés. Exposés aux coups, aux bombes lacrymogènes, aux balles en caoutchouc et aux canons à eau, les ouvriers ont à chaque fois tenté de se défendre, jetant des pierres sur les forces de l’ordre et faute de mieux, leurs propres sandales à la figure des policiers.
Le Bangladesh connaît de plus en plus de grèves sauvages, souvent réprimées avec violence par l’Etat et ses sbires, notamment depuis l’explosion de colère des travailleurs du textile en 2006 (voir RI no 370). Ce pays, qui emploie 3,5 millions d’ouvriers dans le principal secteur du textile et de la confection, exporte 80 % de sa production en direction des grandes firmes et des marques occidentales. Ces dernières, malgré leurs grands discours moralisateurs sur le “salaire décent” et le “refus du travail des enfants”, sous-traitent les commandes de marchandises en exerçant des pressions énormes pour faire baisser les prix d’une force de travail pourtant la moins chère au monde. Dans un contexte de crise et de surproduction aiguë, même des salaires mensuels moyens de 19 euros deviennent trop chers aux yeux du capital et des patrons !
Les prolétaires du textile, souvent fraîchement issus des campagnes, ne peuvent survivre avec de tels salaires de misère, croupissant dans les bidonvilles régulièrement inondés de la capitale, Dacca. Leurs conditions de vie et de travail sont inhumaines, pire que celle des bagnes industriels des débuts de l’industrialisation en Europe. L’essentiel de cette main d’œuvre corvéable à merci est en plus constitué de femmes qui travaillent plus de dix heures par jour, d’autres la nuit, avec des rythmes effrénés, sous une chaleur souvent harassante. Victimes de brutalités de toutes sortes, elles endurent sous la contrainte quotidienne les menaces physiques et les abus sexuels des chefs. Un travailleur sur cinq a moins de 15 ans ! L’insécurité permanente, liée aux infrastructures archaïques du fait d’une volonté de rentabilisation maximale, multiplie les risques d’accidents. Ainsi, par exemple, suite à deux incendies d’usines, des centaines d’ouvriers ont été tués au cours de l’année 2009 !
Face à des explosions de colère de plus en plus visibles et violentes dans les pays pauvres, la bourgeoisie s’inquiète de l’inefficacité croissante de la répression comme réponse pour tenter d’enrayer le phénomène. C’est pour cela qu’émerge une préoccupation afin d’adapter les forces de répression jouant davantage sur le recours aux organes d’encadrement que sont les syndicats. Au Bangladesh, les principaux syndicats n’ont que très peu d’emprise directe sur les ouvriers. Ils sont perçus comme totalement inféodés aux partis politiques. C’est pour cela que les syndicats non officiels, reprennent à leur compte un discours critique dénonçant le “non respect du droit syndical”, en s’affirmant plus comme de réels opposants. Comme s’en émeut un syndicaliste au Bangladesh, “les recours légaux étant quasiment impossibles, la manifestation spontanée est souvent la seule solution” (http ://www.lemonde.fr [132]). Avec le même souci, le syndicat local BGWUC, conscient de sa mission d’encadrement, souligne que “la moindre répression devrait donner aux leaders syndicaux la possibilité d’intervenir rapidement sur les lieux de travail pour que les conflits naissants ne dégénèrent pas dans les violences habituelles”. (http ://dndf.org/ ?p=2801 [133]) Autrement dit, les syndicats demandent qu’avant le recours à la matraque on fasse appel à leurs services pour étouffer la lutte de classe. C’est aussi pour cela que des syndicalistes occidentaux ont fait récemment le déplacement au Bangladesh, afin d’aider à mieux canaliser et encadrer la colère : des syndicalistes issus du syndicat britannique Unite et du syndicat américain United Steel Workers ont ainsi fait le voyage pour aider les syndicats locaux. En 1980 en Pologne, des syndicalistes français étaient venus pareillement prêter main forte au syndicat Solidarnosc pour l’aider à désamorcer et à saboter la grève.
Face à ces dispositifs de l’ennemi de classe, le prolétariat doit déjà et devra donc redoubler de vigilance au cours des nouvelles expériences de solidarité qui ne manqueront pas de venir. Les grèves et manifestations de rues, de plus en plus combatives, massives et incontrôlables, s’inscrivent en effet dans un vaste mouvement international qui a été initié en 2003 par les luttes du secteur public en France. Depuis, cette dynamique de lutte s’est confirmée partout, notamment dans les pays pauvre du sud, comme en témoignent les autres combats qui se sont déroulées en Algérie, en Turquie, ou plus récemment en Chine.
Alors qu’il y a quelques années les travailleurs de la périphérie étaient présentés par la propagande d’état comme des “concurrents et des ennemis avec lesquels on ne peut pas rivaliser”, ils apparaissent davantage aujourd’hui, par toutes ces luttes courageuses, comme des frères de classe victimes du capital et de sa crise. C’est pour cela, entre autres, que la bourgeoisie continue d’exercer un véritable black-out sur ces mêmes luttes, qu’elle cherche à masquer les ripostes, tout en essayant de continuer à pourrir la conscience ouvrière. Il lui faut surtout masquer la principale leçon de ces luttes : celle de la réalité d’un développement croissant de la solidarité dans les rangs ouvriers.
Dans ce processus de lutte international, il revient aux prolétaires des pays développés de prolonger ce même combat engagé, en montrant le chemin pour dégager à terme une perspective révolutionnaire. Il est en effet de son devoir de favoriser l’unité et la conscience du but, de faire de son expérience historique accumulée et irremplaçable, une véritable arme pour la révolution.
WH (24 août)
Nous publions ci-dessous la prise de position du CCI en Espagne sur la grève du Métro de Madrid à laquelle nous ajoutons une déclaration de solidarité d’un groupe de postiers de la capitale espagnole.
Ces quelques lignes pour exprimer notre plus chaleureuse et fraternelle solidarité avec les travailleurs du métro de Madrid.
En premier lieu parce qu’ils donnent l’exemple du fait que la lutte massive et déterminée est la seule riposte qu’ont en main les exploités contre les attaques brutales que les exploiteurs veulent nous imposer. Dans le cas présent, contre une réduction salariale de 5 %. Un coup de hache anti-ouvrier, qui est même complètement illégal du point de vue de la propre légalité bourgeoise, puisqu’il est ni plus ni moins qu’une violation unilatérale d’une convention collective signée préalablement. Et ils osent encore traiter de “délinquants” les ouvriers du métro !
Solidarité aussi contre la campagne de diffamation et de tentative de “lynchage moral” de ces camarades. Une campagne lancée comme il se doit par les politiciens et les médias de la droite la plus rance, qui a présenté les grévistes comme des pions d’une campagne du PSOE contre la “cheftaine” du Parti populaire à Madrid, Esperanza Aguirre, et qui a exigé, avec la rage et le fiel que cette droite est capable de secréter, “des sanctions !”, “des licenciements !” (1). Mais il ne faut surtout pas oublier la vigoureuse collaboration de la gauche dans cette campagne d’isolement et de dénigrement des travailleurs. Aguirre ou Rajoy réclamaient de la fermeté et du fouet contre ces “vandales”, mais le ministre de l’Industrie mettait à la disposition de la région une mobilisation massive d’autres moyens de transports pour briser la grève, et le ministre socialiste de l’Intérieur a mis à la disposition d’Aguirre jusqu’à 4500 policiers supplémentaires ! Quant aux médias “de gauche”, avec moins de haine mais plus d’hypocrisie, ils n’ont fait que renforcer l’idée “d’une grève avec prise d’otages” comme titrait El País le 30 juin. Entre Esperanza Aguirre et la lutte ouvrière contre les exigences des exploiteurs, ces laquais du système capitaliste, dits “rouges” (et qui osent encore porter dans leurs sigles le “O” d’ouvrier), savent très bien qui ils doivent choisir,...
Ce qui les a le plus indigné tous autant qu’ils sont, ce ne sont pas les “dérangements” causés aux usagers. Il suffit de voir dans quelles conditions doivent se déplacer les “usagers” les jours “normaux” et le chaos croissant dans les transports que les “citoyens” doivent de plus en plus supporter à cause de la négligence de plus en plus grande concernant les infrastructures et, plus particulièrement, les transports publics. Malgré ce qu’ils disent, ils ne sont pas particulièrement irrités non plus par les pertes causées aux entreprises dues aux retards et l’absence des employés. En fait, il faut avoir un culot monstre pour accuser les grévistes du métro de porter atteinte au “droit du travail”, alors que le capital espagnol a “privé de ce droit” rien moins que presque cinq millions de prolétaires !
Non. Ce qui en vérité les embête et les préoccupe dans cette lutte des travailleurs du métro de Madrid, c’est justement cela : le fait que la lutte ait éclaté ; le fait que les travailleurs n’aient pas accepté avec résignation les sacrifices et les attaques qui pleuvent de partout et sur tous ; et le fait que pour faire reculer les injonctions de l’entreprise, les ouvriers ne se soient pas contentés d’un pleurnichement stérile comme celui de la grève des fonctionnaires du 8 juin (2), mais aient donné l’exemple de l’unité et de la détermination. C’est El País qui le reconnaissait ainsi dans l’édito ci-dessus mentionné : “Le comité d’entreprise allègue qu’il existait une convention en vigueur jusqu’en 2012 que la décision de la Communauté de Madrid casse unilatéralement. Mais les fonctionnaires aussi avaient cette convention [“et ceux-ci se sont contentés de la pantomime du 8 juin”, parait ajouter de façon subliminale le jésuitique El País]. Il est possible qu’il ait manqué une explication plus pédagogique sur la gravité de la situation qui oblige à faire ces sacrifices en échange de la sécurité de l’emploi [… et après, ils accusent les grévistes de chantage !], et une plus grande clarté pour expliquer comment faire cadrer la réduction de salaire avec la garantie ultérieure de maintien du pouvoir d’achat...”
En tant qu’expression de cette réponse de classe des travailleurs, la lutte des camarades du métro de Madrid est pleine d’enseignements pour tous les ouvriers. Aujourd’hui, cette lutte est entrée dans une sorte de parenthèse et il est difficile de savoir comment elle va évoluer, et il est donc trop tôt pour en faire un bilan exhaustif. Mais voici déjà quelques leçons frappantes que nous pouvons en tirer.
Une des caractéristiques de la lutte des ouvriers du métro madrilène a été de s’appuyer sur des assemblées vraiment massives. Le 29 juin, déjà, au moment où il a été décidé de ne pas accepter de faire le service minimum, il y a eu beaucoup de monde qui n’a pas pu rentrer dans la salle, mais le 30, alors que la campagne de dénigrement battait son plein, le nombre des présents a été encore plus élevé que le jour précédent. Pourquoi ? Ce sont les travailleurs du métro eux-mêmes qui y répondent : “Il fallait démontrer que nous sommes unis comme les doigts d’une main.”
Grâce à ces assemblées, on a essayé d’éviter beaucoup des ruses habituelles des syndicats. Par exemple, la dispersion et la confusion en ce qui concerne les appels à la grève. C’est ainsi que l’assemblée du 30 juin a décidé d’appliquer le service minimum le 1er et le 2 juillet afin d’éviter de rester coincés entre le syndicat favorable à la convocation de la grève totale et les autres. L’assemblée a décidé aussi de mettre de coté le radicalisme verbal de l’ancien porte-parole du Comité, dont les déclarations du genre “on va faire exploser Madrid” servaient plutôt les ennemis de la lutte dans leur campagne de diffamation et d’isolement des travailleurs du métro.
Mais les assemblées n’ont pas servi seulement à tempérer les exaltations inutiles ou à essayer de ne pas tomber dans les provocations. Elles ont surtout servi à donner du courage et de la détermination pour tous les camarades et à permettre de mesurer ainsi l’état réel de la combativité de tout le personnel. Et c’est ainsi qu’au lieu des votes secrets et individuels des référendums syndicaux, la grève du métro s’est décidée et organisée en votant à main levée, un vote où la détermination des autres camarades a encouragé les plus indécis. La presse a eu beau agiter le spectre de la “pression” sur certains ouvriers par les piquets de grève, on sait très bien que ce qui a encouragé les ouvriers à se joindre aux arrêts de travail a été une décision consciente et volontaire, fruits d’une discussion ouverte et franche où l’on a pu exposer ses craintes mais aussi les raisons pour lutter. Sur un site ouvert pour exprimer sa solidarité avec cette grève (www.usuariossolidarios.wordpress.com [134]) une jeune travailleuse du métro dit franchement qu’elle allait à l’assemblée du 29 juin “pour ne plus avoir peur de lutter”.
Dans le cas de cette grève du métro, ce qui a été utilisé comme plate-forme de tir pour bombarder les grévistes, en essayant ainsi de les intimider pour qu’ils abandonnent la lutte, a été le décret sur le service minimum.
Dame Esperanza Aguirre, dans son palais présidentiel, a eu beau se présenter comme une donzelle sans défense entre les mains des ces énergumènes de grévistes, la vérité est que la loi permet aux autorités (autrement dit, le patron pour les employés publics), de fixer le service minimum. En sachant par expérience qu’elle possédait cette marge de manœuvre légale et, surtout, se sentant soutenue par tout le chœur médiatique des chaînes de TV, la présidente de la Région de Madrid a concocté une véritable provocation : imposer un service minimum sur la base de 50 % du personnel.
Avec ce piège, on essaye de mettre les employés du métro dos au mur. S’ils acceptent le service minimum, c’est leur volonté de ne pas plier face aux dictats du patron qui est entamée. S’ils ne les acceptent pas, ils prendront sur leurs épaules la responsabilité de toutes les adversités que vont endurer leurs frères de classe, qui constituent le gros des usagers du métro... De plus, cette loi du service minimum qui, à en croire les défenseurs de l’ordre bourgeois, “n’existe pas” bien qu’“il faille la renforcer”, offre la possibilité au gouvernement, qui est, encore une fois, le patron en dernière instance, d’imposer des sanctions si ce service minimum n’est pas réalisé, ce qui lui offre une carte supplémentaire pour la négociation. Deux jours après que les travailleurs du métro aient retiré leur refus du service minimum, la direction de la compagnie a augmenté la quantité des sanctionnés de 900 à 2800 travailleurs.
La seule voie pour sortir d’une telle souricière est de briser le piège grâce à la solidarité de classe.
La force des luttes ouvrières ne se mesure pas à leur capacité de provoquer des pertes dans les entreprises capitalistes. Pour cela, et c’est ce qu’on peut vérifier dans le cas même du métro de Madrid, les dirigeants eux-mêmes de ces entreprises savent y faire et n’ont besoin de personne. Cette force-là ne se mesure pas non plus dans la capacité à paralyser une ville ou un secteur. Là aussi, il est difficile de rivaliser avec l’État bourgeois lui-même.
La force des luttes ouvrières prend surtout ses sources dans le fait qu’elles énoncent, plus ou moins explicitement, un principe universel valable pour tous les exploités : les besoins humains ne doivent pas être sacrifiés sur l’autel des lois du profit et de la concurrence propres au capitalisme.
Un affrontement de tel ou tel secteur des travailleurs avec son patron aura beau être radical, si la bourgeoisie arrive à le présenter comme quelque chose de spécifique ou particulier, elle réussira à défaire cette lutte en donnant au passage un coup au moral de toute la classe ouvrière. Si, au contraire, les travailleurs arrivent à conquérir la solidarité des autres ouvriers, s’ils arrivent à les convaincre du fait que leurs revendications ne sont pas une menace pour les autres exploités, mais l’expression des mêmes intérêts de classe, s’ils font de leurs assemblées et leurs rassemblements des instruments utiles que d’autres travailleurs peuvent rejoindre, alors là, oui, ils se renforcent eux-mêmes et avec eux l’ensemble de la classe ouvrière.
Le plus important pour la lutte des ouvriers du métro madrilène, ce n’est pas d’envoyer les piquets empêcher la sortie de telle ou telle quantité de rames (même s’il faut évidemment que l’assemblée sache si ses décisions sont réalisées) mais, au-delà, expliquer à leurs camarades, en commençant par ceux de l’EMT (Entreprise municipale de transports) ou de Télémadrid (TV régionale) et aux fonctionnaires, les raisons de leur lutte. Pour l’avenir de la lutte, il n’est pas essentiel de réaliser tel ou tel pourcentage de “service minimum” (même si la majorité des travailleurs doit être dégagée des contraintes du travail pour que les assemblées, les piquets et les rassemblements puissent se tenir), le plus important est de gagner la confiance et la solidarité des autres secteurs ouvriers, d’aller dans les quartiers pour expliquer pourquoi les revendications des ouvriers du métro ne sont ni un privilège ni une menace pour les autres ouvriers, mais une riposte aux attaques dues à la crise.
Ces attaques vont toucher tous les travailleurs, de tous les pays, de toutes les conditions, de toutes les catégories... Si le capital réussissait à faire s’affronter les travailleurs entre eux, ou ne serait-ce qu’à les faire lutter isolés, avec tout le radicalisme qu’on voudra mais chacun dans son coin, elle finirait par imposer les exigences de son système d’exploitation. Mais si, au contraire, les luttes ouvrières commencent à faire fermenter l’unité et la massivité des combats contre ces exigences criminelles, nous serons en mesure d’empêcher l’application de nouveaux sacrifices encore plus sanglants sur les conditions de vie de travailleurs. Ce serait là un pas très important pour le développement de l’alternative prolétarienne face à la misère et la barbarie capitalistes.
AP (12 juillet 2010)
1) Le gouvernement espagnol est aux mains du Parti socialiste (PSOE), tandis que la région de Madrid (dont la Présidente est la susnommée Aguirre) et la ville de Madrid, dont dépend la gestion du métro, sont entre celles de la droite (Parti populaire, dont le dirigeant national est Rajoy). Et c’est ainsi que ces deux partis ont joué une surenchère politicarde, se traitant de tous les noms, mais se mettant bien d’accord sur le dos des employés du métro [NdT].
2) Lire, en espagnol, notre bilan du 8 juin sur http ://es.internationalism.org/node/2891 [135]
Au printemps dernier s’est tenu le 19e Congrès de RI. Cette assemblée plénière de la section du CCI en France fut un moment très riche de débats fraternels et chaleureux auxquels des délégations d’autres sections du CCI et les sympathisants invités ont pu assister.
Les travaux de ce Congrès ont été centrés autour de quatre axes principaux :
- l’évolution de la crise économique mondiale ;
- ses perspectives pour le développement de la lutte de classe ;
- la dynamique actuelle des contacts du CCI ;
- le lien entre le marxisme et les sciences.
Concernant la crise économique, le rapport présenté par l’organe central de RI et les débats qui ont suivi ont souligné l’impasse dans laquelle est acculée la classe dominante et son incapacité à juguler le fléau de l’endettement. Malgré tous ses discours mystificateurs sur la prétendue “reprise” économique, la bourgeoisie mondiale n’a pas d’autre solution à l’endettement que de poursuivre sa politique d’endettement des États. Un débat s’est développé, et doit se poursuivre dans le CCI, autour des limites objectives de cet endettement.
Le Congrès a pu s’homogénéiser sur les perspectives de la crise économique : aucun retour vers une quelconque période de prospérité n’est désormais possible. La marge de manœuvre de la bourgeoise est extrêmement étroite et ne peut que la conduire à imposer partout des plans d’austérité draconiens.
Face à l’incapacité de la bourgeoisie de trouver le moindre remède à la faillite de son système, qui frappe maintenant de plein fouet les États européens (Grèce, Portugal, Espagne, etc.), la bourgeoisie ne peut apporter qu’une seule réponse : attaquer toujours plus violemment les conditions de vie de la classe exploitée, comme cela vient de se passer en Grèce.
Ces attaques massives vont se solder par une aggravation sans précédent du chômage avec des licenciements dans tous les secteurs, une baisse drastique des salaires, une précarité croissante de l’emploi pour les jeunes générations, la poursuite des attaques contre les pensions de retraites, un démantèlement de l’État Providence, etc.
C’est donc dans le contexte de la plongée de l’économie mondiale dans une crise de plus en plus profonde et insurmontable que va s’aiguiser la confrontation entre la bourgeoisie et le prolétariat.
Les débats sur la dynamique actuelle de la lutte de classe et ses perspectives pour les deux années à venir ont mis en évidence les difficultés auxquelles est confrontée la classe ouvrière des pays d’Europe occidentale, notamment la France.
Le fait qu’aujourd’hui les luttes ouvrières ne puissent se hisser à la hauteur de la violence des attaques a donné lieu à un débat très riche qui a permis au Congrès de mieux cerner et analyser les causes d’un tel décalage.
Comme nous l’avions mis en évidence au dernier Congrès du CCI, la classe ouvrière, malgré son énorme mécontentement, éprouve une hésitation à s’engager dans des luttes massives. Ce relatif déboussolement est dû au coup de massue qu’elle subit et qui, dans un premier temps, ne peut que renforcer ses hésitations à engager le combat pour la défense de ses conditions de vie.
Le chômage, et la peur des licenciements, constituent un facteur de paralysie qui ne peut être surmonté immédiatement et nécessite que le prolétariat retrouve progressivement son identité de classe et sa confiance en lui-même.
Un processus de maturation est donc indispensable pour que puissent surgir des luttes massives. Cette maturation s’exprime déjà par les luttes ouvrières qui se sont développées récemment, notamment celles des travailleurs de Tekel en Turquie, particulièrement significatives de la dynamique de la lutte de classe à l’échelle internationale (à propos de la grève de Tekel, voir les articles publiés sur notre site en février et juin 2010).
Les débats du Congrès ont également mis en évidence que la bourgeoisie des pays industrialisés et, notamment la bourgeoisie française, redoute le surgissement de ces luttes massives. En France, la classe dominante ne peut se permettre de prendre le risque d’une situation sociale identique à celle qui a explosé en Grèce, suite au plan d’austérité destiné à juguler la faillite de l’État.
Le Congrès a également développé une discussion sur la différence entre grève de masse et luttes massives. Il a mis en évidence que même si la perspective du surgissement de luttes massives est devant nous, cela ne signifie nullement que nous soyons entrés dans une période historique de grève de masse, laquelle nécessite un certain niveau de politisation des luttes.
C’est dans le cadre de l’analyse du CCI sur la dynamique de la lutte de classe à l’échelle mondiale, mis en évidence à notre dernier Congrès international, que s’est déroulé le débat sur la situation sociale en France.
La discussion a souligné que le prolétariat en France détient une longue expérience de lutte ancrée dans sa mémoire collective : la Commune de Paris, Mai 68 et, plus récemment, la lutte des jeunes générations contre le CPE qui a obligé le gouvernement Villepin à reculer.
Le spectre des luttes massives hante la bourgeoisie. Une bourgeoisie affaiblie par les bourdes successives et de plus en plus impopulaires de Sarkozy. C’est la raison pour laquelle la classe dominante marche sur des œufs : elle tente de masquer autant que possible la profondeur de ses attaques (notamment celle sur les retraites) et compte sur les syndicats pour saboter les explosions de mécontentement de la classe ouvrière.
Les débats du Congrès ont ainsi mis en évidence que la poursuite de l’attaque sur les retraites en France va constituer un test très important permettant de mesurer le rapport de forces entre les classes.
La discussion a permis également de mieux cerner l’impact actuel de l’encadrement syndical sur la classe ouvrière. Bien que cette dernière ne soit pas encore en mesure de se dégager de l’emprise des syndicats et de l’idéologie syndicaliste pour prendre elle-même ses luttes en main, le débat à fait ressortir qu’il existe, dans les rangs ouvriers, peu d’illusions sur le rôle et l’efficacité des méthodes de luttes préconisées par les syndicats.
Si, malgré cette désillusion, la classe ouvrière n’est pas encore à même aujourd’hui de se mobiliser en dehors et contre les syndicats, c’est essentiellement du fait de sa difficulté à retrouver confiance en ses propres forces.
La classe ouvrière ressent de plus en plus le besoin de se battre contre les attaques du gouvernement et du patronat, mais ne sait pas comment lutter sans passer par les syndicats. Cette difficulté est liée au poids de l’idéologie démocratique qui pèse encore très fortement sur la conscience de la classe exploitée. Celle-ci ne peut concevoir de se mobiliser massivement en dehors du cadre de la “légalité” de l’État démocratique. La question syndicale constitue donc un enjeu majeur dans la dynamique future vers les affrontements de classe massifs.
Les travaux du Congrès se sont penchés également sur la dynamique actuelle de notre milieu de contacts en France.
Sur le plan de l’affluence de nouveaux contacts, nous avons pu constater un certain décalage entre les pays d’Europe occidentale et les zones de la périphérie (notamment l’Amérique latine).
Le Congrès n’a pas dégagé une totale homogénéité dans l’analyse des causes de ce décalage et s’est donné comme objectif la poursuite du débat dans toutes les sections du CCI.
En particulier, une analyse a été avancée et mérite une réflexion plus approfondie : l’Europe occidentale a été le théâtre de deux guerres mondiales et de la contre révolution la plus profonde de l’histoire avec l’écrasement sanglant de la révolution en Allemagne au début des années 1920. Ces événements tragiques ont provoqué un profond traumatisme dont les séquelles marquent encore aujourd’hui le prolétariat des pays d’Europe occidentale. C’est ce qui pourrait expliquer le poids très fort des illusions démocratiques dans cette région du monde, de même que la méfiance à l’égard des groupes se réclamant de la révolution d’Octobre 1917 en Russie. C’est également dans cette partie de la planète que les campagnes anti communistes, consécutives à l’effondrement de l’URSS et des régimes staliniens, ont eu le plus grand impact. Les organisations révolutionnaires appartenant au courant de la Gauche communiste inspirent donc encore une certaine méfiance.
Néanmoins, avec la faillite de plus en plus évidente du capitalisme, un nombre croissant d’éléments à la recherche d’une perspective historique, tend à se tourner vers des groupes tels que le CCI. Ainsi, en France, comme dans tous les pays d’Europe, nous avons pu constater un accroissement du nombre de nos contacts et sympathisants. Et surtout une volonté de débattre, de confronter et clarifier les divergences dans un climat de fraternité et de confiance mutuelle, y compris dans nos relations avec des groupes et éléments internationalistes appartenant au courant anarchiste (tel la CNT-AIT).
Les travaux du Congrès ont également développé une discussion sur un texte d’orientation élaboré par l’organe central du CCI : “Marxisme et sciences”. Suite aux discussions que nous avons menées au cours de l’année Darwin, le CCI a en effet ressenti le besoin de se réapproprier la démarche du mouvement ouvrier relative au lien entre le marxisme et les sciences.
Dans la mesure où le marxisme est avant tout une méthode scientifique d’analyse de la réalité sociale, le CCI se devait de se pencher sur les fondements de toute méthode scientifique.
Les marxistes se sont toujours intéressés aux sciences, à leurs découvertes qui sont partie intégrante du développement des forces productives de la société.
Le prolétariat ne pourra construire la société communiste du futur qu’avec le développement de la recherche scientifique.
Bien évidemment les marxistes ne sont pas des spécialistes des sciences, et le débat que nous avons mené au Congrès portait essentiellement sur la méthode. Un certain nombre de divergences sont apparues, notamment autour de la question “qu’est-ce qu’une science ?”. De même, il n’existe pas de position officielle, pas d’homogénéité en notre sein à propos des apports de Freud à la science. La discussion a également mis en lumière l’intérêt particulier que les marxistes doivent porter aux sciences de l’homme, afin de mieux comprendre ce qu’est la “nature humaine”.
Les débats sur ces questions doivent encore se poursuivre en notre sein mais également à l’extérieur du CCI.
Pour conclure, toutes les délégations du CCI et les camarades invités à ce Congrès ont salué ses travaux, la richesse des discussions et le climat très fraternel dans lequel elles se sont déroulées.
Cette fraternité s’est manifestée non seulement dans la tenue des débats, mais également par l’organisation d’une soirée conviviale au cours de laquelle tous les participants ont pu partager un moment de détente festive où la solidarité et la chaleur humaine étaient au rendez-vous.
Cette confiance mutuelle et cette solidarité doit continuer à nous servir de phare pour la poursuite de notre activité et de notre combat pour l’unification de l’humanité et la construction d’une nouvelle société sans pénurie, sans guerre et sans exploitation.
Nous savons que le chemin est encore long et parsemé d’embûches, mais notre conviction de l’impasse du capitalisme et notre confiance dans la classe porteuse du communisme est infaillible. C’est cette confiance dans l’avenir que portent les futurs combats de la classe ouvrière qui constitue la principale force du CCI.
Sofiane (20 août 2010)
Dans la première partie de cette nouvelle série d'articles, nous avons essayé de montrer que des points d'accord fondamentaux rapprochaient les anarchistes internationalistes et la Gauche communiste. Pour le CCI, sans nier que des divergences importantes existent, l'aspect crucial est que nous défendions tous de façon déterminée l'autonomie ouvrière en refusant "d'apporter [un] soutien, de quelque manière que ce soit (même de façon “critique”, par “tactique”, au nom du “moindre mal”…), à un secteur de la bourgeoisie : ni à la bourgeoisie “démocratique” contre la bourgeoisie “fasciste” ; ni à la gauche contre la droite ; ni à la bourgeoisie palestinienne contre la bourgeoisie israélienne ; etc." Plus concrètement, il s'agit :
1) de refuser tout soutien électoral, toute collaboration, avec des partis gérants du système capitaliste ou défenseurs de telle ou telle forme de celui-ci (social-démocratie, stalinisme, “chavisme”, etc.) ;
2) de maintenir un internationalisme intransigeant, en refusant de choisir entre tel ou tel camp impérialiste lors de chaque guerre.
Tous ceux qui défendent théoriquement et pratiquement ces positions essentielles doivent avoir conscience d'appartenir à un même camp : celui de la classe ouvrière, celui de la révolution.
Au sein de ce camp, il existe nécessairement des différences d'opinion et de position entre les individus, les groupes, les tendances. C'est en débattant à l'échelle internationale, ouvertement, fraternellement, mais aussi fermement, sans fausse concession, que les révolutionnaires parviendront à participer au mieux au développement général de la conscience prolétarienne. Mais pour ce faire, il leur appartient de comprendre l'origine des difficultés qui, aujourd'hui encore, entravent un tel débat
Ces difficultés sont le fruit de l'histoire. La vague révolutionnaire qui, à partir de 1917 en Russie et 1918 en Allemagne, a mis fin à la Première Guerre mondiale a été vaincue par la bourgeoisie. C'est alors une terrible contre-révolution qui s'est abattue sur la classe ouvrière de tous les pays et dont les manifestations les plus monstrueuses furent le stalinisme et le nazisme, justement dans les deux pays où le prolétariat avait été à l'avant-garde de la révolution.
Pour les anarchistes, l'établissement, par un parti qui se réclamait du "marxisme", d'une terrifiante dictature policière sur le pays de la révolution d'octobre 1917 a été considéré comme une confirmation des critiques qu'ils avaient depuis longtemps portées contre les conceptions marxistes. A ces conceptions, il était reproché leur "autoritarisme", leur "centralisme", le fait qu'elles n'appellent pas à une abolition immédiate de l'État dès le lendemain de la révolution, le fait qu'elles ne se donnent pas comme valeur cardinale le principe de Liberté. A la fin du 19e siècle, le triomphe du réformisme et du "crétinisme parlementaire" au sein des partis socialistes avait déjà été considéré par les anarchistes comme la confirmation de la validité de leur rejet de toute participation aux élections. C'est un peu la même chose qui s'est produite suite au triomphe du stalinisme. Pour eux, ce régime n'était que la conséquence logique de "l'autoritarisme congénital" du marxisme. En particulier, il y aurait une "continuité" entre la politique de Lénine et celle de Staline, puisque, après tout, la police et la terreur politiques se sont développées alors que le premier était encore vivant et même peu après la révolution.
Évidemment, un des arguments donnés pour illustrer cette "continuité" est le fait que, dès le printemps 1918, certains groupes anarchistes de Russie ont été réprimés, que leur presse a été bâillonnée. Mais l'argument "décisif" est l'écrasement dans le sang de l'insurrection de Kronstadt en mars 1921 par le pouvoir bolchevique, avec Lénine et Trotski à sa tête. L'épisode de Kronstadt est évidemment très significatif puisque les marins et les ouvriers de cette base navale avaient constitué, en octobre 1917, une des avant-gardes de l'insurrection qui avait renversé le gouvernement bourgeois et permis la prise du pouvoir par les soviets (les conseils d'ouvriers et de soldats). Et c'est justement ce secteur parmi les plus avancés de la révolution qui s'est révolté en 1921 avec pour mot d'ordre "le pouvoir aux soviets, sans les partis".
Au sein de la Gauche communiste, il existe un plein accord entre ses différentes tendances sur des points évidemment essentiels :
la reconnaissance de la nature contre-révolutionnaire et bourgeoise du stalinisme ;
le refus de toute "défense du bastion ouvrier" qu'aurait constitué l'URSS, et en particulier le rejet de toute participation à la Seconde Guerre mondiale au nom de cette défense (ou de tout autre prétexte) ;
la caractérisation du système économique et social de l'URSS comme une forme particulière de capitalisme, un capitalisme d'État sous sa forme la plus extrême.
Sur ces trois points décisifs, la Gauche communiste se trouve donc en accord avec les anarchistes internationalistes mais s'oppose totalement au trotskisme qui considère l'État stalinien comme un "État ouvrier dégénéré", les partis "communistes" comme des "partis ouvriers" et qui, dans sa grande majorité, s'est enrôlé dans la Seconde Guerre mondiale (notamment dans les rangs de la Résistance).
En revanche, au sein même de la Gauche communiste, il existe des différences notables dans la compréhension du processus qui a fait déboucher la révolution d'octobre 1917 sur le stalinisme.
Ainsi, le courant de la Gauche hollandaise (les "communistes de conseils" ou "conseillistes") considère que la révolution d'octobre était une révolution bourgeoise ayant pour fonction de remplacer le régime tsariste féodal par un État bourgeois plus adapté au développement d'une économie capitaliste moderne. Le parti bolchevique, qui s'est trouvé à la tête de cette révolution, est lui-même considéré comme un parti bourgeois d'un genre particulier chargé de diriger l'établissement d'un capitalisme d'État, même si ses militants et dirigeants n'en étaient pas vraiment conscients. Ainsi, pour les "conseillistes", il existe bien une continuité entre Lénine et Staline, ce dernier étant, en quelque sorte, "l'exécuteur testamentaire" du premier. En ce sens, il existe une certaine convergence entre les anarchistes et les conseillistes mais ces derniers n'en ont pas pour autant rejeté la référence au marxisme.
L'autre grande tendance de la Gauche communiste, celle qui se rattache à la Gauche communiste d'Italie, considère que la révolution d'octobre et le parti bolchevique avaient une nature prolétarienne. Le cadre dans lequel cette tendance insère la compréhension du triomphe du stalinisme est celui de l'isolement de la révolution en Russie du fait de la défaite des luttes révolutionnaires dans les autres pays, au premier lieu en Allemagne. Avant même la révolution d'octobre, l'ensemble du mouvement ouvrier, et les anarchistes ne faisaient pas exception, considérait que si la révolution ne s'étendait pas à l'échelle mondiale, elle serait vaincue. Le fait historique fondamental qu'a illustré le sort tragique de la révolution russe, c'est que cette défaite n'est pas venue de "l'extérieur" (les armées blanches soutenues par la bourgeoisie mondiale ont été battues) mais de "l'intérieur", par une perte du pouvoir de la classe ouvrière, et notamment de tout contrôle sur l'État qui avait surgi au lendemain de la révolution, ainsi que par la dégénérescence et la trahison du parti qui avait conduit la révolution du fait de son intégration dans cet État.
Dans ce cadre-là, les différents groupes se réclamant de la Gauche italienne ne partagent pas les mêmes analyses sur la politique des bolcheviks au cours des premières années de la révolution. Pour les "bordiguistes", le monopole du pouvoir par un parti politique, l'instauration d'une forme de monolithisme dans ce parti, l'emploi de la terreur et même la répression sanglante du soulèvement de Kronstadt ne sont pas critiquables. Au contraire, aujourd'hui encore ils s'en revendiquent pleinement et pendant très longtemps, dans la mesure où le courant de la Gauche italienne était connu à l'échelle internationale essentiellement à travers le "bordiguisme", celui-ci a servi de repoussoir envers les idées de la Gauche communiste de la part des anarchistes.
Mais le courant de la Gauche italienne ne se réduit pas au bordiguisme. La Fraction de Gauche du parti communiste d'Italie (devenue par la suite Fraction italienne de la Gauche communiste) a entrepris dans les années 30 tout un travail de bilan de l'expérience russe (Bilan était d'ailleurs le nom de sa revue en français). Entre 1945 et 1952, la Gauche communiste de France (qui publiait Internationalisme) a poursuivi ce travail et le courant qui allait constituer en 1975 le CCI a repris ce flambeau dès 1964 au Venezuela et 1968 en France.
Ce courant (et en partie également celui qui se rattache au Partito comunista internazionalista en Italie) considère nécessaire la critique de certains aspects de la politique des bolcheviks dès le lendemain de la révolution. En particulier, beaucoup d'aspects que dénoncent les anarchistes, la prise du pouvoir par un parti, la terreur, et notamment la répression de Kronstadt, sont considérés par notre organisation (à la suite de Bilan et de la GCF) comme des erreurs, voire des fautes, commises par les bolcheviks qui peuvent parfaitement être critiquées dans le cadre du marxisme et même des conceptions de Lénine, notamment celles qui s'expriment dans son ouvrage L'État et la révolution rédigé en 1917. Ces erreurs peuvent s'expliquer par de nombreuses raisons que nous ne pouvons développer ici mais qui font partie du débat général entre la Gauche communiste et les anarchistes internationalistes. Disons simplement que la raison essentielle est le fait que la révolution russe a constitué la première (et unique à ce jour) expérience historique d'une révolution prolétarienne momentanément victorieuse. Mais il appartient aux révolutionnaires de tirer les enseignements de cette expérience comme l'a fait dès les années 1930 Bilan pour qui "la connaissance profonde des cause de la défaite" était une exigence primordiale. "Et cette connaissance ne peut supporter aucun interdit non plus qu'aucun ostracisme. Tirer le bilan des événements d'après guerre, c'est donc établir les conditions pour la victoire du prolétariat dans tous les pays." (Bilan n°1, novembre 1933)
Les périodes de contre-révolution ne sont guère favorables à l'unité, ou même à la coopération des forces révolutionnaires. Le désarroi et la dispersion qui affecte l'ensemble de la classe ouvrière se répercute aussi dans les rangs de ses éléments les plus conscients. De la même façon qu'au sein des groupes qui ont rompu avec le stalinisme tout en se réclamant de la révolution d'octobre, le débat n'a pas été facile dès les années 1920 et tout au cours des années 1930, le débat entre anarchistes et Gauche communiste a été particulièrement difficile tout au long de la période de contre-révolution.
Comme on l'a vu plus haut, le fait que le sort de la révolution russe semblait apporter de l'eau au moulin de ses critiques au marxisme, l'attitude dominante au sein du mouvement anarchiste était de rejeter toute discussion avec les marxistes "forcément autoritaires" de la Gauche communiste. Et cela d'autant plus que, dans les années 1930, ce mouvement avait une notoriété bien supérieure à celle des petits groupes de la Gauche communiste, du fait notamment de la place de premier plan occupée par les anarchistes dans le prolétariat d'un pays, l'Espagne, où s'est joué un des événements historiques les plus décisifs de cette période.
Réciproquement, le fait que, d'une façon presque unanime, le mouvement anarchiste ait considéré que les événements d'Espagne constituaient une sorte de confirmation de la validité de ses conceptions, alors que la Gauche communiste y voyait surtout la preuve de leur faillite, a pendant très longtemps constitué un obstacle à une collaboration avec les anarchistes. Il faut cependant relever que Bilan s'est refusé à placer tous les anarchistes dans le même sac et cette revue a publié, lors de son assassinat par le stalinisme en mai 1937, un hommage à l'anarchiste italien Camillo Berneri, qui avait entrepris une critique sans concession de la politique menée par la direction de la CNT espagnole.
Plus significatif encore est le fait que se soit tenue en 1947 une conférence regroupant la Gauche communiste italienne (le groupe de Turin), la Gauche communiste de France, la Gauche hollandaise et… un certain nombre d'anarchistes internationalistes ! L'un d'eux a même présidé cette conférence. Cela montre que, même pendant la contre-révolution, certains militants de la Gauche communiste et de l'anarchisme internationaliste étaient animés d'un véritable esprit d'ouverture, d'une volonté de débattre et d'une capacité à reconnaître les critères fondamentaux qui unissent les révolutionnaires au-delà de leurs divergences !
Ces camarades de 1947 nous donnent là une leçon et un espoir pour l'avenir.
Évidemment, les atrocités commises par le stalinisme au nom, usurpé, du marxisme et du communisme, pèsent encore aujourd'hui. Elles agissent comme un mur émotionnel qui entrave toujours puissamment le débat sincère et la collaboration loyale. “La tradition de toutes les générations mortes [assassinées, NDLR] pèse d'un poids très lourd sur le cerveau des vivants.” (Marx dans le 18-Brumaire de Louis Bonaparte). Ce mur qui nous inhibe ne peut pas être démoli du jour au lendemain. Néanmoins, il commence à se fissurer. Nous devons entretenir le débat qui naît peu à peu sous nos yeux, nous efforcer d'être animés d'un élan fraternel, en gardant toujours en tête que nous essayons tous, sincèrement, d'œuvrer à l'avènement du communisme, d'une société sans classe.
CCI (août 2010)
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Pour Lénine : "En Europe occidentale, le syndicalisme révolutionnaire est apparu dans de nombreux pays comme le résultat direct et inévitable de l'opportunisme, du réformisme, du crétinisme parlementaire." (Préface à la brochure de Voïnov (Lunatcharski) sur l'attitude du parti envers les syndicats" (1907). Œuvres T.13, p. 175). L'anarchisme qui existait bien avant le syndicalisme révolutionnaire mais qui en est proche, a également bénéficié de cette évolution des partis socialistes.
Il faut noter qu'il a existé en Russie même plusieurs groupes issus du parti bolchevique partageant ces mêmes analyses. Voir à ce sujet notre brochure sur La Gauche communiste en Russie.
En fait, le débat, la coopération et le respect réciproque entre anarchistes internationalistes et communistes n'était pas une chose nouvelle à ce moment-là.
Parmi d'autres exemples, on peut citer ce qu'écrivait l'anarchiste américaine Emma Goldman dans son autobiographie (publiée en 1931, dix ans après Kronstadt) :
"… le bolchevisme était une conception sociale portée par l'esprit brillant d'hommes animés par l'ardeur et le courage des martyrs. (…) Il était de la plus grande urgence que les anarchistes et les autres véritables révolutionnaires s'engagent résolument en défense de ces hommes diffamés et de leur cause dans les événements qui se précipitaient en Russie." (Living my life)
Un autre anarchiste très connu, Victor Serge, dans un article rédigé en août 1920, "Les anarchistes et l'expérience de la révolution russe", donne un son de cloche très voisin et, tout en continuant à se réclamer de l'anarchisme et à critiquer certains aspects de la politique du parti bolchevique, continue d'apporter son soutien à ce parti.
D'un autre côté, les bolcheviks ont invité une délégation de la CNT espagnole anarcho-syndicaliste au 2e congrès de l'Internationale communiste. Ils ont pu mener avec elle des débats réellement fraternels et ont invité la CNT à rejoindre l'Internationale.
Quel que soit le nombre réel (probablement près de 3 millions de personnes), les manifestations du 7 et du 23 septembre ont rassemblé chacune beaucoup de monde dans le pays. Toutes les générations de prolétaires étaient présentes dans la rue. Cela témoigne d’une vraie colère et d’une forte combativité.
Cette mobilisation face à la remise en cause du régime des retraites, mais aussi face à la violence et à l’ampleur de l’ensemble des attaques qui nous sont portées, est d’autant plus importante et remarquable que la bourgeoisie a mis un maximum de bâtons dans les roues pour dissuader les prolétaires de participer massivement au rassemblement du 23.
D’une part, les médias n’ont cessé de relayer le discours officiel :
– en martelant que rien de fondamental ne serait changé à la nouvelle loi sur les retraites : “le gouvernement ne reculera pas” , “les jeux sont faits”… ;
– en cherchant à persuader que ce serait une nouvelle “journée noire” et “de galère” dans les transports publics, de la SNCF à la RATP ;
– en lançant opportunément une grande campagne d’alerte aux attentats terroristes deux ou trois jours auparavant.
D’autre part, et surtout, nous sommes soumis presque tous les mois depuis deux ans à des “journées d’action” routinières qui ressemblent à des balades répétitives et stériles, rassemblant plus ou moins de monde mais où chacun reste finalement isolé derrière la banderole de “son” syndicat, de “sa” boîte ou de “sa” corporation, tout cela au milieu d’un vacarme de pétards ou de sonos assourdissantes poussées à fond. Ce bruit nous prive de toute réelle possibilité de discussion et de communication entre nous. Tout est fait pour que cela provoque à la longue un sentiment de résignation et d’impuissance. Dans le meilleur des cas, ce que nous ressentons, c’est une énorme frustration.
Ainsi, le soir du 7 septembre, alors que les salariés, les retraités, les chômeurs et les jeunes précaires étaient descendus massivement dans les rues, les syndicats ont repoussé la perspective d’une nouvelle mobilisation à… quinze jours plus tard ! Ce délai a permis au projet de loi sur les retraites de passer toutes les étapes de la négociation parlementaire, y compris le vote d’adoption alors que, pour beaucoup, il était clair qu’un appel à une manifestation le samedi ou le dimanche suivant (non pénalisant pour les salaires) aurait incontestablement permis une mobilisation massive d’une tout autre envergure. Il faut d’ailleurs se souvenir qu’au moment de la mobilisation victorieuse contre le CPE, les étudiants appelaient à de grandes manifestations tous les samedis pour permettre aux salariés, du privé comme du public, de les rejoindre dans la lutte sans que cela n’entraîne pour eux de perte de salaire. Et c’est cette solidarité intergénérationnelle qui fut l’une des clefs de la victoire et du retrait du CPE.
Les syndicats sentent bien aujourd’hui grandir cette insatisfaction et ce sentiment de frustration. C’est pour cela que certains comme SUD, Solidaires et une partie de la CGT ou même de FO préconisent des “actions” plus radicales, telles que des grèves reconductibles ou lancent des appels pour préparer une grève générale. C’est aussi pour cela qu’un syndicat particulièrement “modéré” et toujours prêt à négocier avec le gouvernement à la première occasion comme la CFDT est contraint de durcir son ton. Son secrétaire général Chérèque a évoqué ainsi le matin même du 23 septembre la possibilité d’organiser les manifestations futures au cours des week-ends. C’est la raison pour laquelle tous les syndicats sont tombés si rapidement d’accord dès le lendemain sur le samedi 2 octobre pour une nouvelle mobilisation (1). Mais il doit être clair qu’on ne peut pas compter sur eux et que comme en 2003 et 2007, ils continueront tôt ou tard à tout faire pour saboter cette mobilisation massive et pour diviser les prolétaires entre eux.
Pendant les manifestations, il faut refuser de se laisser parquer sous les banderoles syndicales, se laisser saucissonner par corporations et secteurs, il faut engager la discussion avec le plus grand nombre de participants venus d’horizons ou de secteurs divers, public ou privé, d’entreprises différentes, profiter de ce moment de rencontre pour échanger nos expériences, nos points de vue, nos revendications et discuter de la situation ici ou là, confronter les visions des perspectives de la lutte... Il faut aussi s’adresser à tous ceux, plus ou moins désabusés, qui “assistent” par sympathie ou par méfiance aux manifestations tout en restant “sur les côtés”, sur les trottoirs.
Après la manifestation, au lieu de rentrer chacun chez soi de son côté, il faut rester pour discuter les uns avec les autres, dresser un bilan, échanger des impressions, se donner des rendez-vous, improviser des assemblées générales. Cela a commencé à se réaliser de façon minoritaire et embryonnaire à la fin de la manifestation du 23 septembre. C’est aussi dans cette voie que se sont engagés un petit nombre d’éléments proches du communisme-libertaire qui ont appelé dans un tract diffusé le 23 septembre sur Paris à un rendez-vous “pour se rencontrer et discuter” de la suite à donner au mouvement actuel où ils déclarent : “On n’a pas à adhérer à des raisonnements qui visent à nous solidariser avec les logiques de cette exploitation. (...) Mais évidemment le dire ne suffit pas : il faudra l’imposer. C’est un rapport de forces. (...) Etre isolé contribue beaucoup à la résignation. Peut-être sommes nous quelques uns ici à attendre d’un mouvement social davantage qu’un recul du gouvernement sur la question des retraites... Peut-être sommes-nous même plus que quelques-uns à voir aussi la chose comme une “occasion” (...), c’est la possibilité de se rappeler qu’une force collective, venant briser le train-train de l’exploitation, de l’isolement et de la déprime généralisée, permet d’entrevoir des horizons où la réappropriation du monde n’est plus hors de portée (...)”.
Ceux-là montrent la voie vers laquelle nous devons tous aller parce que la déferlante d’attaques auxquelles nous sommes tous soumis rendent nos conditions d’exploitation de plus en plus insupportables. Nous n’avons pas d’autre choix pour résister aux attaques de la bourgeoisie et de son gouvernement, qu’il soit de droite ou de gauche, que de développer nos luttes.
Oui, c’est non seulement par l’ampleur de nos rassemblements, mais c’est aussi à travers la multiplication de réseaux de discussions, de débats, d’échanges sur nos préoccupations, nos réflexions, que nous représentons une force collective menaçante que craint par dessus tout la bourgeoisie !
Etendre et développer massivement la lutte suppose que nous la prenions en mains, que nous décidions nous-mêmes de sa conduite en mettant en avant, à l’encontre des pratiques syndicales, partout où se développe une lutte, la tenue d’assemblées générales ouvertes à toutes les catégories socio-professionnelles de travailleurs au-delà de l’entreprise ou du lieu de travail, comme aux étudiants, aux retraités, aux chômeurs. Elle suppose que nous élisions des délégués révocables à tout moment pour faire appliquer les décisions de ces assemblées générales souveraines.
Cela peut nous paraître effrayant, irréalisable, au-dessus de nos forces, tellement éloigné de nos habitudes où nous nous reposons sur les modes et les actions de luttes que nous dictent les syndicats. Mais c’est justement en commençant à se rassembler, à discuter, à débattre entre nous que nous pourrons peu à peu prendre confiance en nous et prendre conscience de l’efficacité des moyens dont nous disposons pour exercer notre solidarité de classe et du pouvoir collectif que nous avons pour construire un réel rapport de forces.
Face au capital, quand nous restons isolés, divisés, nous nous sentons forcément faibles et vulnérables. Mais regroupés, unis et solidaires, en tant que classe exploitée, nous sommes alors beaucoup plus forts qu’on ne le croit.
Wim (24 septembre)
1) Contrebalancé par l’appel simultané à un second jour de grève et de mobilisation en semaine le 12 octobre plus “classique” (et donc plus démobilisateur) qui vient couper l’herbe sous le pied des partisans d’une grève reconductible immédiate.
Tous les gouvernements, d’extrême droite, de droite, de gauche ou d’extrême gauche, mènent partout les mêmes attaques ignobles contre les conditions de vie et de travail, les mêmes vagues de licenciements, les mêmes coupes budgétaires… Résultat, dans tous les pays, les populations sont en train de plonger dans la misère.
Selon le dernier “document de référence” daté du 13 septembre du Fonds monétaire international et de l’Organisation internationale du travail, la crise financière mondiale a provoqué une flambée du chômage à travers le monde. Le nombre officiel de chômeurs est passé de 30 millions en 2007 à plus de 210 millions aujourd’hui. En Espagne, l’augmentation avoisine les 10 %. En Irlande, l’ex-”Tigre celtique”, la hausse sur un an est de 7 %. Aux Etats-Unis, la pauvreté là-aussi vient d’atteindre un nouveau record historique. Le dernier rapport annuel du Bureau américain du recensement a annoncé mi-septembre que 43,6 millions de personnes se situaient désormais sous le seuil de pauvreté. Concrètement, un Américain sur sept vit avec moins de 902 dollars par mois. Pour les seules années 2008 et 2009, 6,3 millions d’Américains ont rejoint les rangs des “nouveaux pauvres” ! Evidemment, face à cette “épidémie économique”, la bourgeoisie de la première puissance mondiale ne reste pas les bras ballants, sans réagir. A Las Vegas, par exemple, un mur a été construit… pour cacher aux yeux des touristes le quartier le plus “défavorisé ! Ceux qui vivent, où plutôt survivent, dans ce nouveau bidonville doivent maintenant faire plusieurs kilomètres de détour pour aller travailler, étudier ou se soigner. Les urgentistes, les ambulanciers et les pompiers perdent eux aussi des minutes précieuses qui parfois condamnent les victimes d’arrêts cardiaques ou d’accidents… Mais peu importe pour la classe dominante, si elle est impuissante à endiguer la vague de paupérisation, il lui reste son cynisme : “Cachez ce dénuement que je ne saurais voir.”
Comme un symbole de la dimension planétaire de la crise, à quelques kilomètres des côtes américaines, sur l’île de Cuba, le régime castriste vient d’annoncer la suppression d’un demi-million d’emplois publics en seulement six mois ! Les fonctionnaires en Russie vont d’ailleurs subir peu ou prou le même régime : 100 000 suppressions en trois ans.
Tous ces chiffres ne sont pas des abstractions, ils s’incarnent de façon dramatique dans la vie quotidienne de millions de familles ouvrières. Entre mille exemples, d’après le nouveau baromètre Cercle Santé-Europ Assistance, “un quart des Polonais, des Français et des Américains renoncent à se faire soigner à cause de la crise économique” (la Tribune du 21 septembre). La France est réputée pour avoir l’un des systèmes de soin les plus performants et égalitaires au monde. Et pourtant, sur “la terre des Droits de l’Homme”, la part des personnes “préférant différer leurs soins” a bondi de 11 % à 23 % en un an seulement ! (Idem)
La crise économique n’est pas un “mauvais moment à passer”. Tous ces dirigeants, ces politiques, ces docteurs es-sciences qui viennent sur les plateaux télé expliquer comment les sacrifices d’aujourd’hui vont nous permettre de “sortir du tunnel” demain sont de fieffés menteurs.
Depuis 1967, les récessions se succèdent les unes aux autres, entraînant toujours plus bas l’humanité. Et le rythme s’accélère. Aujourd’hui, deux ans seulement après le séisme financier de 2008, des nuages noirs et menaçants s’accumulent déjà à nouveau sur l’économie mondiale. Toutes les banques sont surendettées. Près de 120 établissements ont fait faillite aux Etats-Unis depuis le début de l’année 2010. En Irlande, la banque nationalisée Anglo Irish Bank vient d’annoncer une perte semestrielle de 8,2 milliards d’euros, ce qui est un record historique national. Les collectivités publiques locales sont dans la même situation. Harrisburg, la capitale de la Pennsylvanie, est au bord de la banqueroute. Cette ville de 47 000 habitants croule sous le poids de ses dettes ; elle n’a même pas pu rembourser ses créanciers en septembre. Les autorités locales ont donc annoncé un “plan de la dernière chance” : baisse drastique du salaire des fonctionnaires, hausse de toutes les taxes et ventes de biens communaux comme les parkings ou les bibliothèques. Et il ne s’agit pas là d’un cas isolé. La très grande majorité des capitales américaines ont des déficits comparables. Les Etats de l’Union eux-mêmes sont menacés par la banqueroute ; cela fait plusieurs mois déjà que la Californie paye ses fonctionnaires (ceux qu’elle n’a pas encore licenciés) non plus en dollars mais en IOU (1), sorte de nouvelle monnaie locale. Et les Etats nationaux suivent le même chemin. Selon l’avis même des experts économiques les plus sérieux (Roubini, Stiglitz, Jorion…), le sauvetage in extremis de la Grèce va faire long feu. L’Irlande, le Portugal, l’Espagne et l’Italie pourraient bien être à leur tour dans l’œil du cyclone très prochainement. Et les “fondamentaux économiques” (l’emploi et le chômage, l’endettement bancaire et étatique, l’immobilier…) aux Etats-Unis sont en train de se dégrader très rapidement.
Il est impossible d’annoncer avec certitude quel secteur de l’économie mondiale sera frappé le premier et à quel moment. Mais une chose est certaine, la crise va inexorablement s’aggraver et les tempêtes vont être de plus en plus violentes. Les exploités n’ont aucune illusion à se faire : le capital va se dresser de manière de plus en plus brutale face à eux.
Pawel (25 septembre)
1) I Owe Unto – Je dois sur une période indéterminée – contracté en langage courant en I Owe You – Je vous dois.
L’hebdomadaire Marianne est un habitué des “Unes” consacrées à Nicolas Sarkozy. En général, pas pour en parler gentiment. Dans son numéro du 7 août, il atteint même le point culminant en le présentant comme “le voyou de la République”.
Mais un mois après, le 4 septembre, le président revient en première page avec cette fois-ci un titre tout autre : “M. le Président, vous êtes formidable !”. Suit tout un dossier à la “gloire” du chef de l’Etat avec des articles comme “Hymne à un immense chef d’Etat”, “Un puits de culture”, “Il est si bien élevé”, “Un grand séducteur”, “Le sauveur de la presse”, “Les yeux de Carla” ou encore “Eloge du courtisan”.
Evidemment, la ligne éditoriale du journal de Jean-François Kahn n’a pas changé, et ce numéro spécial consacré au “sarkozysme primaire” est un savant mélange d’ironie et de satire, plutôt réussi. C’est vrai que la matière première est un pur cadeau pour cet exercice : entre ses sorties agressives en public, ses familiarités avec ses homologues étrangers, son sens de la formule plutôt déroutant et ses méthodes pour le moins étonnantes à ce niveau de responsabilités, il y avait de quoi faire et Marianne ne s’en est pas privé.
Alors qu’avec Mitterrand et ses écoutes sordides ou Chirac et ses emplois fictifs comme ses discours infâmes, on avait fini par se faire à l’idée que les chefs d’Etat pouvaient à peu près tout se permettre. Avec Sarkozy. On peut dire que le style est totalement renouvelé, et la barre placée beaucoup plus haut encore. Quand Chirac flattait la croupe d’une vache limousine au salon de l’agriculture, Sarkozy, lui, insulte son propriétaire. Quand Mitterrand cachait tant bien que mal sa fille illégitime, Sarkozy, lui, piquait ouvertement la femme de son copain dont il avait lui-même célébré le mariage en tant que maire. Quand Chirac évoquait le bruit et l’odeur subis par les voisins d’immigrés, Sarkozy, lui, les qualifie ouvertement de Français de deuxième catégorie et s’engage à les nettoyer au Kärcher. Et il y a tant d’autres exemples !
Mais c’est aussi là que réside le piège dans cette approche. Car on pourrait aisément en tirer la conclusion que c’est le style “Sarko” (car il n’appartient qu’à lui !) qui est la cause centrale de tout ce que nous subissons ces dernières années. Et finalement, on ne serait pas loin de penser qu’il serait plus que temps de fermer la parenthèse Sarkozy et retrouver une gestion plus sérieuse et saine du pays.
Hélas ! Non. Si bien sûr, en 2012, se présenteront face à lui beaucoup de candidats à la stature et au comportement plus en accord avec la fonction de chef d’Etat (tous, en fait), le fond ne changera pas. Ce ne sont pas les “casse-toi pauv’ con” et autres stigmatisations populistes des Roms qui sont au coeur du problème, mais ce sont bien les attaques portées sur les conditions de vie et de travail des exploités, comme les coupes claires dans les dépenses de santé, la réforme des retraites, les baisses de salaire, l’insuffisance de logements décents, le chômage galopant, etc. Et ces attaques sont portées en France depuis bien avant Sarkozy, et ailleurs dans le monde par des chefs d’Etat et de gouvernement bien plus “présentables” que le président français !
Derrière la critique centrée sur Sarkozy, aussi juste et drôle soit-elle, on essaie de faire passer l’espoir qu’avec un autre que lui les choses ne pourront qu’aller mieux. Non seulement cet espoir ne pourra qu’être déçu mais plus important encore, la combativité et l’envie d’en découdre du prolétariat risquent de se déporter sur cette illusion et l’enfermer dans un des pires pièges qui puissent lui être tendu : celui de l’alternance démocratique.
GD (24 septembre)
Le mécontentement et la colère se sont fortement accumulés dans les rangs ouvriers. Face à l’austérité, l’inquiétude est devenue palpable. Quelle est la réponse du gouvernement et des médias ?
La classe dominante sait très bien que polariser excessivement l’attention sur le dossier des retraites et sur les nombreuses attaques en général peut mettre de l’huile sur le feu. Ne pouvant pas passer le sujet sous silence, elle tente de faire diversion. Ainsi, encore une fois, “le problème de la sécurité” fait la Une des médias et des discours gouvernementaux.
Après les assauts xénophobes contre les Roms et la ligne politique nauséabonde du bouc émissaire, l’hystérie du gouvernement se poursuit donc impitoyablement. Brice Hortefeux continue sa croisade.
Peu après le moment où un attentat aurait été déjoué sous la Tour Eiffel, le ministre du clan présidentiel s’est ainsi jeté sur l’occasion pour immédiatement alerter tout le monde : “un faisceau d’indices datant de ces derniers jours et de ces dernières heures démontre que la menace terroriste est à un niveau élevé” (1). Il est intéressant de noter en passant l’avis d’un spécialiste qui s’interroge sur le sens de cette intervention en ces termes : “Les autorités déjouent en moyenne deux attentats par an. Quand le gouvernement évoque le risque d’une attaque terroriste, il a raison. Mais est-il plus élevé aujourd’hui qu’hier ? A ma connaissance, non” (2).
Si la menace terroriste existe, les déclarations subites du ministre Hortefeux ne peuvent rien y changer. Généralement, lorsqu’une menace est sensible, les services spécialisés œuvrent plutôt avec discrétion pour plus d’efficacité. En instrumentalisant grossièrement les questions de sécurité, les objectifs du gouvernement et du ministre sont donc ailleurs :
– occuper les esprits, tenter de détourner momentanément l’attention de la question sociale et du dossier des retraites en cours ;
– terroriser la population en essayant de briser momentanément la réflexion ouvrière, en cherchant à paralyser la combativité ;
– rendre plus méfiant à l’égard des transports en commun pour dissuader par exemple de se rendre aux manifestations ;
– créer un climat de suspicion favorisant la criminalisation de ceux qui protestent ou contestent l’ordre public.
Ce n’est pas la première fois que l’écran de fumée qu’est la menace terroriste est utilisé. Au même titre d’ailleurs que les réponses de l’opposition qui ne sont qu’autant de nuisances destinées à occuper la scène médiatique. A vrai dire, depuis 2003, avec le développement des luttes, l’alibi sécuritaire a été constamment mis à contribution pour essayer de paralyser les mouvements sociaux. Avec le maintien du plan Vigipirate renforcé, c’est au quotidien que l’Etat est parvenu à habituer les ouvriers au quadrillage policier et à la présence forte de militaires armés sur les lieux publics (comme dans les grandes gares). On a même droit maintenant aux flics à l’école !
En cela, il a commencé à préparer les esprits à la répression pour de futures grèves et les conflits sociaux d’ampleur qui seront inévitables. Mais les questions qui taraudent les prolétaires ne pourront s’effacer facilement. La bourgeoisie continuera bien à faire flèche de tout bois et utilisera encore tout l’arsenal classique de sa propagande : du mensonge à la calomnie, de l’hyper-médiatisation au black-out sournois ou total. Face à cela, le prolétariat ne doit pas se laisser intimider. Il doit comprendre que tous les politiciens gangstérisés et les charlatans qui paradent dans les médias ne cherchent qu’une chose essentielle à travers la propagande sécuritaire continuelle : soumettre, museler, apeurer. Un bon travailleur étant un exploité docile et obéissant aux yeux du capital.
WH (23 septembre)
1) http ://www.europe1.fr/France [139]
2) François Heisbourg, conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique et auteur d’Après al-Qaida (2009)
Le 13 septembre, la direction française de Continental a appelé les 2500 ouvriers des usines de Boussens, Foix et Toulouse, ainsi que d’une petite unité commerciale de Rambouillet, à participer à un référendum sur son “plan de maintien de l’emploi”, dont l’objectif affiché est la réduction des coûts pour “le maintien de la compétitivité” des sites concernés à l’horizon 2012-2013.
L’organisation de ce scrutin faisait suite à plusieurs mois de propagande en vue de mettre en concurrence, au niveau international, les ouvriers des différents sites du groupe entre eux ; et elle fut accompagnée de fortes pressions : “J’ai bien été obligé de voter, […] il y avait le chef qui me regardait, qui m’a obligé à le faire…” (1) Parmi les 83 % d’ouvriers ayant participé au scrutin, 52 % acceptèrent le plan de la direction. Malgré cela, les pressions exercées ne cessèrent pas, et dès le lendemain : “A six heures du matin, un “manager” est arrivé. Il nous a dit : “Vous avez compris ? Ceux qui ont voté non, s’ils veulent, ils peuvent aller à la comptabilité ! Maintenant, il y a ceux qui veulent travailler et les autres !” (2).
Mais au fait, en quoi consiste ce si prometteur “plan de maintien de l’emploi” pour nécessiter le recours au chantage et à la menace ? Pour les ouvriers, il signifie la perte de 1,4 % du salaire, la suppression de deux jours de RTT par an jusqu’en 2015, ainsi qu’une baisse de la prime d’intéressement. Pour la direction, la totalité de ces mesures signifie une économie d’environ 5000 euros par salarié ; ceci représente une réduction de 8 % des coûts salariaux de l’entreprise (soit environ 13 millions d’euros), qui viennent s’ajouter aux 150 “départs volontaires” et aux 200 suppressions d’emplois d’intérimaires récemment survenus. En échange, Continental promet le maintien des effectifs pendant cinq ans sur les sites concernés.
Ce n’est pas la première fois que la bourgeoisie utilise la menace du licenciement massif pour pouvoir renforcer l’exploitation du prolétariat ; ces dernières années fourmillent d’exemples similaires, avec à la clé une issue souvent funeste.
Ainsi, en juillet dernier, la General Motors Company, détenue à 60 % par l’Etat fédéral américain, proposait de reprendre l’activité sur le site de Strasbourg si les ouvriers acceptaient de “réduire de 10 % le coût de la main d’œuvre, sans réduction d’effectifs mais avec un gel des salaires sur deux ans et en renonçant à plus d’un tiers des 17 jours de RTT.” (3)
“Au total, 1150 emplois étaient menacés à Strasbourg. S’ils regardent du côté de leurs homologues de Peugeot Motocycles, ils pourront garder espoir. En effet, menacés d’une délocalisation de deux usines à Taïwan, les 1050 employés avaient consenti, en avril 2008, notamment à travailler plus (35h contre 30 à 32 auparavant), à prendre des pauses non payées et à voir diminuer leurs jours de RTT. Cependant, les autres plans similaires recensés ces dernières années ont tenu un certain temps avant d’échouer. Le pire exemple est celui du groupe volailler Doux qui, en 2004, a appliqué la même équation. Quatre ans plus tard, en juillet 2008, l’entreprise a fermé trois sites en Bretagne et dans le Cher, entraînant la suppression de plus de 600 emplois. […] Toujours en 2004, Bosch menaçait de fermer son site de Vénissieux (Rhône) où 300 emplois étaient en jeu. Les salariés ont alors accepté de passer de 35 à 36 h et de renoncer à six jours de RTT sur vingt. Sauf que six ans plus tard, l’activité s’est considérablement réduite à Vénissieux et l’avenir du site est à nouveau compromis. “Si fin 2011 nous n’avons pas de nouveaux contrats, nous n’avons plus de travail”, avait indiqué à 20minutes.fr un employé de l’usine en mai dernier. En 2005, Hewlett-Packard est bénéficiaire, mais annonce des licenciements partout dans le monde, dont plus d’un millier pour la filiale française. Il a fallu un an pour que le plan social s’opère avec au bout du compte 250 emplois sauvés contre une renonciation à douze jours de RTT. Trois ans plus tard, des centaines de suppressions de postes sont annoncées. […] Enfin, chez Continental, seule la durée de travail avait augmenté fin 2007 pour pérenniser le site de Clairoix (Oise) mais, peine perdue, le groupe allemand a annoncé la fermeture du site deux ans plus tard et le licenciement de ses 1120 salariés. Pas vraiment de bonne augure pour leurs homologues de General Motors !» (4)
Face à ce chantage au chômage et à la misère, ce n’est pas en déposant l’un après l’autre leur bulletin dans l’urne, qu’elle soit patronale ou étatique, que les prolétaires pourront faire face à l’intensification de leur exploitation, mais par la lutte massive, solidaire et internationale de la classe ouvrière. Et la bourgeoisie, comme l’illustrent la propagande et les pressions exercées par Continental sur ses ouvriers, en a pleinement conscience.
DM (21 septembre)
1) www.ladepeche.fr/article/2010/09/15/907195-baisser-son-salaire-pour-garder-son-emploi.html [140]
2) Idem.
3) www.20minutes.fr/article/585649/Economie-Les-salaries-de-General-Motors-... [141]
4) www.20minutes.fr/article/585711/Economie-Travailler-plus-et-renoncer-a-s... [142]
Une fois de plus, la classe dirigeante use de toutes les ruses pour tenter de masquer la faillite de son système. Depuis le début de cet été, sur un fond de discours optimiste et rassurant quant à l’état de la finance mondiale, l’Etat français, avec Christine Lagarde sur le devant de la scène, met tout en œuvre pour nous faire croire que la crise est derrière nous. En diverses occasions ces dernières semaines, nous l’avons vue se féliciter des chiffres “enthousiasmants” de la baisse du chômage. Et quelle baisse ! – 0.2 % au deuxième trimestre 2010, établissant ainsi un taux de chômage (9,7 %) juste sous la barre du seuil psychologique des 10 %. Ce chiffre, largement commenté par les médias, économistes et politiques de tous bords, est riche de sens. Non pas sur la réalité du marché de l’emploi, qui est autrement plus délabré en réalité, mais sur les manœuvres dont la bourgeoisie dispose pour nous faire avaler une fable merveilleuse : “il était une fois la relance du capitalisme” ! Dans un contexte où les inquiétudes sur l’avenir et la déception suscitée par l’attitude des politiques attisent un sentiment de colère qui grandit, il s’agit de calmer le mécontentement par tous les moyens.
La France comptabilise actuellement 4 574 000 inscrits sur les listes des “demandeurs d’emploi” – sans compter les 300 000 de plus de 58 ans dispensés de recherche d’emploi et les 217 000 chômeurs des départements d’outremer. Le nombre total de chômeurs a augmenté de 1 150 000 sur les deux dernières années. Dans le seul mois de juillet 2010, 505 000 hommes et femmes se sont retrouvés au chômage. Du jamais vu. Une question se pose alors : comment dans de telles conditions, la bourgeoisie française peut-elle parler de “stabilisation du marché de l’emploi” ? Eh bien, tout simplement parce que simultanément à cette augmentation, 495 000 personnes ont quitté… le Pôle emploi. Cela ne signifie aucunement que toutes ces personnes ont enfin trouvé un job. Seulement 104 000 d’entre elles ont eu le “privilège” de se faire activement exploiter, la plupart à coups d’emplois précaire ou à temps partiel par le capitalisme. La situation est donc “opaque” pour 100 000 d’entre eux. Le ministère est d’ailleurs bien forcé de reconnaître lui-même que “moins de 40 % de ceux qui quittent Pôle emploi retrouvent un emploi”. Cette manœuvre de la bourgeoisie pour arranger les chiffres à sa sauce n’a rien d’exceptionnel puisque le décalage entre les données réelles du chômage et les chiffres moins catastrophiques de l’été (liés notamment aux emplois saisonniers), est régulièrement utilisé pour masquer la réalité. C’est toujours la même farce ! En général, la majorité de ceux qui quittent le Pôle emploi sont en fin de droits. Concrètement, cela signifie que cette majorité se retrouve dans la précarité la plus totale, n’ayant plus que le RMI-RSA pour survivre. Une maigre allocation qui peut être refusée si le conjoint a un revenu jugé “correct”. En deux ans, le revenu de certains couples a été divisé par deux et l’INSEE estime que cette année 400 000 ménages vont être confrontés à cette situation. C’est cette politique de “radiation” généralisée qui attend les ouvriers mis sur le carreau, jetés comme des Kleenex par leur boîte.
Une étude publiée en juillet par l’ACOSS (organisme qui reçoit toutes les déclarations d’embauche), montre que celles et ceux qui parviennent à retrouver un emploi doivent de plus en plus se contenter d’un travail très précaire. Pour 60 % des embauches, il s’agit d’un CDD de moins d’un mois. Autant dire que le problème n’est que temporairement repoussé et qu’il se reposera quelques semaines plus tard seulement.
La jeune génération est particulièrement touchée par cette précarité grandissante. Pour bon nombre de jeunes prolétaires qui arrivent sur le marché du travail, il est extrêmement rare de trouver une situation stable. Il s’agit la plupart du temps d’enchaîner les contrats de courte durée, souvent en intérim, en étant sans cesse préoccupé par la recherche d’un nouvel emploi ou d’une nouvelle mission, parce que la fin du contrat se rapproche. C’est bien à cela qu’une bonne partie des jeunes travailleurs emploient le peu d’énergie que leur laisse le capitalisme après une dure journée d’exploitation. “Quel boulot vais-je retrouver ?”, “Dans quelles conditions et où ?”, “Combien d’heures par semaines ?”, telles sont les questions que la plupart des jeunes se posent de manière presque quotidienne. Une situation très angoissante et très pesante, qui donne même l’illusion que c’est une chance d’avoir décroché un contrat payé “normalement”, ne serait-ce que pour quelques semaines.
Voilà la triste réalité qui se cache derrière les chiffres et les statistiques officiels.
Legrand (24 septembre)
“Plus que toute autre classe dans l’histoire, le prolétariat est riche en belles figures révolutionnaires, en militants dévoués, en lutteurs infatigables, en martyrs, en penseurs et en hommes d’action. Cela est dû au fait que, contrairement aux autres classes révolutionnaires, qui ne luttaient contre les classes réactionnaires que pour substituer leur propre domination et l’asservissement de la société à leurs intérêts égoïstes de classe privilégiée, le prolétariat, lui, n’a pas de privilèges à conquérir” (“Les trois L : Lénine, Luxembourg, Liebknecht”, l’Etincelle, journal de la Gauche communiste de France, 1946) Le mouvement ouvrier compte tant de ces militants exemplaires qu’il est impossible de leur rendre hommage à tous. Certains incarnent cependant particulièrement la passion de la révolution et nous voulons saluer ici la mémoire de trois d’entre ceux qui ont traversé la difficile épreuve de la période de contre-révolution des années 1920 et 1930, puis de la Seconde Guerre mondiale. Il s’agit de Léon Trotski, mort il y a 70 ans, d’Anton Pannekoek, disparu il y a 50 ans, et de Jan Appel, décédé il y a 25 ans. Au-delà de leurs parcours très différents et des divergences parfois très profondes qui les animaient, malgré leurs erreurs politiques, ces farouches combattants du prolétariat n’ont jamais cessé de vivre sincèrement que pour la défense des intérêts de leur classe.
Au début de la Seconde Guerre mondiale, Trotski, après une vie ardente de militant entièrement consacrée à la cause de la classe ouvrière, est mort en révolutionnaire et en combattant, d’un coup de piolet asséné par un agent de la Guépéou. Malgré de graves erreurs politiques, les apports de Trotski au mouvement ouvrier sont immenses. Arrêté de nombreuses fois durant toute sa vie, expulsé et exilé, il ne cessa jamais d’œuvrer pour la perspective révolutionnaire. Très jeune propagandiste actif dans le journal social-démocrate l’Iskra, orateur hors pair, il fut président du Soviet de Petrograd lors de la révolution de 1905. Bien que connaissant des divergences importantes avec Lénine, et bien qu’exilé de force aux Etats-Unis, il rejoint la Russie et le parti bolchevik en mai 1917. Son rôle dans la révolution d’Octobre sera déterminant, comme le sera également celui qu’il jouera dans la formation et l’organisation de l’Armée rouge, qui sera le rempart de la Russie révolutionnaire contre les attaques des armées blanches contre-révolutionnaires et des Alliés coalisés pour écraser “la peste communiste”(1).
Il joua encore le rôle particulièrement ingrat, car ultérieurement très critiqué, de négociateur principal de la paix de Brest-Litovsk avec l’Allemagne en mars 1918, qui permit à la population en Russie de souffler quelque temps. Trotski sera aussi aux côtés de Lénine un des maîtres d’œuvre de l’Internationale communiste dans laquelle il sera le rédacteur de nombreux textes fondamentaux. Son Histoire de la Révolution russe est une référence fondamentale pour comprendre et saisir toute l’importance de cet événement historique. Et l’héritage littéraire de Trotski, que ce soit sur le plan politique, historique, culturel ou théorique, est immense, faisant sien la devise de Marx : “Rien de ce qui est humain ne m’est étranger.”
Sa théorisation de la “révolution permanente”, et les erreurs d’analyse qui l’accompagnent (comme celle de la nécessité pour le prolétariat d’effectuer la révolution bourgeoise dans les pays où la bourgeoisie est elle-même trop faible pour vaincre le féodalisme), sera un des leviers de la haine précoce de Staline à son égard. En effet, cette théorie contient l’idée fondamentale que les révolutions du xxe siècle ne peuvent pas s’arrêter à des objectifs bourgeois et nationaux et s’oppose à la théorie du “socialisme dans un seul pays” puis de la “révolution par étapes” qui seront les bases du stalinisme dans les années 1920 et 1930.
Trotski, qui disait que “La réalité ne pardonne pas une seule erreur à la théorie”, a défendu dans ses dernières années de nombreuses positions opportunistes telles que la politique d’entrisme dans la social-démocratie, le front unique ouvrier, la question de la nature de l’URSS, etc., positions que la Gauche communiste avait critiquées, à juste titre, dans les années 1930 (2) ; mais il n’a jamais rejoint le camp ennemi, celui de la bourgeoisie, comme les trotskistes l’ont fait après sa mort. En particulier sur la question de la guerre impérialiste, il a défendu jusqu’au bout la position traditionnelle du mouvement révolutionnaire : la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile. Dans le Manifeste, dit d’Alarme, de la IVe Internationale qu’il a rédigé pour prendre position, sans ambiguïtés et du seul point de vue du prolétariat révolutionnaire, face à la guerre impérialiste généralisée, on peut lire ainsi :
“La IVe Internationale construit sa politique non sur les fortunes militaires des Etats capitalistes, mais sur la transformation de la guerre impérialiste en guerre d’ouvriers contre les capitalistes, pour le renversement des classes dirigeantes de tous les pays, sur la révolution socialiste mondiale” (Manifeste de la IVe Internationale du 29 mai 1940, p. 75, tome 24 des Oeuvres de Trotski). Voilà ce que les trotskistes ont oublié et trahi.
Plus la guerre impérialiste mondiale s’intensifiait et plus l’élimination de Trotski devenait un objectif crucial pour la bourgeoisie mondiale (3) comme pour Staline.
Pour asseoir son pouvoir et développer la politique qui a fait de lui le principal artisan de la contre-révolution, Staline a d’abord éliminé, en les envoyant dans les camps, de très nombreux révolutionnaires, d’anciens bolcheviks, notamment ceux qui avaient été les compagnons de Lénine, ceux qui avaient été les artisans de la révolution d’Octobre. Mais cela ne suffisait pas. Le plus dangereux des bolcheviks, bien qu’à l’extérieur, restait Trotski. Staline l’avait déjà atteint en faisant assassiner, en 1938, son fils Léon Sédov à Paris. Maintenant c’était Trotski lui-même qu’il fallait supprimer.
Son élimination avait une plus grande signification que celle des autres vieux bolcheviks et des membres de la Gauche communiste russe.
Le 28 avril 1960 disparaissait A. Pannekoek, après plus de 50 ans de combat pour la classe ouvrière. Il y apparut au début du 20e siècle comme défenseur des intérêts de la lutte ouvrière en s’engageant dans le combat contre les tendances révisionnistes, à l’intérieur du mouvement ouvrier néerlandais représenté par Troelstra. Avec Gorter, il a dénoncé toute collaboration avec des fractions libérales progressistes de la bourgeoisie au parlement. “Ni une attitude conciliante, ni la réflexion ou l’approche envers les partis bourgeois ou l’abandon de nos revendications ne sont les bons moyens d’obtenir quelque chose, mais le renforcement de nos organisations, en nombre et en connaissance et en conscience de classe, de façon à ce qu’elles apparaissent à la bourgeoisie comme des forces toujours plus menaçantes et terrifiantes.” Anton Pannekoek et Herman Gorter, Marxisme et révisionnisme, NieuwTijd, 1909)
Lorsqu’il se rendit en Allemagne en 1906, pour donner des cours à l’école du SPD, il entra rapidement en conflit avec la direction, entre autres avec Kautsky, sur l’importance d’une action de masse autonome des ouvriers. En 1911, il fut le premier parmi les socialistes à affirmer, à la suite de Marx après la défaite de la Commune de Paris, que la lutte des ouvriers contre la domination capitalise n’avait pas d’autre choix que la destruction de l’Etat bourgeois. “La lutte du prolétariat écrivait-il, n’est pas simplement une lutte contre la bourgeoisie pour le pouvoir d’Etat ; c’est aussi une lutte contre le pouvoir d’Etat.” (5) (Cité dans L’Etat et la révolution de Lénine)
A l’éclatement de la guerre mondiale en 1914, il prit fermement position contre la trahison des leaders sociaux-démocrates dans la Deuxième Internationale. Pendant la guerre, il devient sympathisant de l’ISD de Brême et du SPD aux Pays-Bas, en écrivant des articles contre la politique de guerre. Dans une lettre à Van Ravensteyn datée du 22 octobre 1915, il explique ce qui l’a poussé à se lier à l’initiative de la Gauche de Zimmerwald. Par la suite, il a exprimé sa solidarité inconditionnelle avec les ouvriers russes lorsque ceux-ci, organisés en Soviets, ont pris le pouvoir en 1917, et n’a cessé de propager la nécessité d’une révolution mondiale. “Ce que nous espérions est entretemps arrivé. Les 7 et 8 novembre, les ouvriers et les soldats de Petrograd ont renversé le gouvernement Kerenski. Et il est probable (…) que cette révolution va s’étendre à toute la Russie. Une nouvelle période commence, non seulement pour la révolution russe, mais pour la révolution prolétarienne en Europe.” (8) (Anton Pannekoek, La Révolution russe III, de Nieuwe Tijd, 1917, p. 560 ; La Révolution russe VIII, De Nieuwe Tijd, 1918, p. 125)
Lorsque la majorité exclue du KPD fonda en avril 1920 un nouveau parti, le KAPD, Pannekoek fut le grand inspirateur du programme de cette organisation politique. Dans ce programme étaient rassemblées les positions les plus importantes de la nouvelle période. Pannekoek était (exactement comme Rosa Luxembourg jusqu’à son assassinat en 1919) au début des années 1920, un défenseur critique, il est vrai, mais un défenseur acharné de la Révolution d’octobre.
Mais cela ne l’a pas empêché de tirer finalement des leçons erronées de la défaite de la Révolution d’octobre 1917 en Russie. Il arriva en effet à la conclusion que les bolcheviks avaient en fait dirigé une révolution bourgeoise. Pourquoi ? Non seulement parce que, selon lui, dans la Russie de 1917 subsistaient encore des restes de féodalisme, de formes dispersées de production petite-bourgeoise, mais aussi parce que Lénine n’aurait pas bien compris la distinction entre matérialisme prolétarien et matérialisme bourgeois. (voir John Harper - alias Anton Pannekoek , Lénine philosophe, 1938)
Pour tout révolutionnaire actuel, l’œuvre de Pannekoek reste, malgré ses erreurs ultérieures, une référence essentielle, ne serait-ce que parce qu’il a, avec d’autres communistes de gauche, jeté un pont entre la fin de la Deuxième Internationale social-démocrate et les débuts de la Troisième Internationale communiste, période qui s’étend de 1914 à 1919, et qu’il n’a par la suite jamais cessé le travail théorique. Comme il l’a répété par la suite : “…notre tâche est principalement une tâche théorique : trouver et indiquer, par l’étude et la discussion, le meilleur chemin d’action pour la classe ouvrière.” (Lettre de Pannekoek à Castoriadis - Socialisme ou Barbarie, 8 novembre 1953)
Le 4 mai 1985, la dernière grande figure de l’Internationale communiste, Jan Appel, s’est éteinte à l’âge de 95 ans. Le prolétariat n’oubliera jamais cette vie, une vie de lutte pour la libération de l’humanité.
La vague révolutionnaire du début de ce siècle a échoué. Des milliers de révolutionnaires marxistes furent tués en Russie et en Allemagne, certains même se suicidèrent. Mais, malgré cette longue nuit de contre-révolution, Jan Appel resta fidèle au marxisme, il resta fidèle à la classe ouvrière, convaincu que la révolution prolétarienne devait venir.
Jan Appel fut formé et trempé dans le mouvement révolutionnaire d’Allemagne et de Hollande au début de ce siècle. Il combattit côte à côte avec Rosa Luxemburg, Karl Liebknecht, Lénine, Trotski, Gorter, Pannekoek. Il combattit dans la révolution en Allemagne, en 1919. Il fut de ceux qui ne trahirent jamais la cause du prolétariat. Il fut un représentant digne de cette masse anonyme des générations mortes du prolétariat. Leur lutte historique a toujours renoncé à la glorification des personnes ou à la recherche de titres de gloire. Tout comme Marx, Engels, Jan Appel n’avait pas de comptes à rendre à la presse à sensation capitaliste.
Mais il était aussi plus que cette masse anonyme de militants révolutionnaires courageux qui fut produite par la vague révolutionnaire du mouvement ouvrier du début de notre siècle. Il a laissé des traces qui permettent aux révolutionnaires d’aujourd’hui de reprendre le flambeau. Jan Appel était capable de reconnaître ceux qui, tout aussi anonymes et pour le moment encore réduits à une petite minorité, continueront le combat communiste. Avec fierté, nous avions ainsi accueilli Jan Appel au Congrès de fondation du Courant Communiste International en 1976 à Paris.
Né en 1890, Jan Appel a commencé très jeune à travailler dans les chantiers navals de Hambourg. Dès 1908, il est un membre actif du SPD. Dans les années tourmentées de la guerre, il participe aux discussions sur les questions nouvelles qui se posent à la classe ouvrière : l’attitude face à la guerre impérialiste et face à la révolution russe. C’est ce qui le conduisit, fin 1917, début 1918, à se joindre aux radicaux de gauche de Hambourg qui prirent une position claire contre la guerre pour la révolution. Il donna ainsi suite à l’appel de juillet 1917 des IKD de Hambourg demandant à tous les ouvriers révolutionnaires d’oeuvrer pour la constitution d’un USPD en opposition à la politique réformiste et opportuniste de la majorité du SPD. Poussé par les combats ouvriers de fin 1918, il adhérera aussi au Spartakusbund de Rosa Luxemburg et prendra, après l’unification dans le KPD(S), une position responsable dans le groupe du district de Hambourg.
Sur la base de sa participation active dans les combats depuis 1918 et de ses talents organisationnels, les participants au Congrès de fondation du KAPD désignèrent Appel et Franz Jung pour les représenter à Moscou auprès de l’Internationale Communiste. Ils devaient discuter et négocier sur l’adhésion à la Troisième Internationale et sur l’attitude traîtresse de la centrale du KPD pendant l’insurrection de la Ruhr. Pour parvenir à Moscou, ils durent détourner un navire. Une fois sur place, ils eurent des discussions avec Zinoviev, président de l’Internationale Communiste, et avec Lénine. Sur la base du manuscrit de Lénine Le gauchisme, maladie infantile du communisme, ils discutèrent longuement, réfutant entre autres les fausses accusations de syndicalisme (c’est-à-dire le rejet du rôle du parti) et de nationalisme.
Il fallut encore plusieurs voyages à Moscou pour que le KAPD fût admis comme organisation sympathisante de la Troisième Internationale et pût ainsi participer au 3e Congrès en 1921.
Appel fut actif là où le KAPD ou l’AAUD l’envoyèrent. Ainsi, il devint responsable de l’hebdomadaire Der Klassenkampf de l’AAU dans la Ruhr où il resta jusqu’en novembre 1923.
Au 3e Congrès de l’Internationale Communiste, en 1921, Appel, Meyer, Schwab et Reichenbach, furent délégués pour mener les négociations ultimes au nom du KAPD, contre l’opportunisme grandissant au sein de l’IC. Ils tentèrent vainement, avec des délégués de Bulgarie, de Hongrie, du Luxembourg, du Mexique, de l’Espagne, de la Grande-Bretagne, de Belgique et des Etats-Unis, de former une opposition de gauche. Fermement, en ignorant les sarcasmes des délégués bolcheviks ou du KPD, Jan Appel, sous le pseudonyme de Hempel, souligna à la fin du 3e Congrès quelques questions fondamentales pour la révolution mondiale d’aujourd’hui. Souvenons-nous de ses paroles : “Les camarades russes ne sont pas non plus des surhommes, et ils ont besoin d’un contrepoids, et ce contrepoids ce doit être une troisième internationale liquidant toute tactique de compromis, parlementarisme et vieux syndicats. “
Jusqu’à la fin, Jan Appel fut convaincu que “seule la lutte de classe est importante”. Nous poursuivons son combat.
MW
Nous publions ci-dessous l’exposé introductif qui a lancé les discussions de nos réunions publiques du mois de septembre.
Ce qui est frappant dans la situation actuelle, c’est le décalage énorme entre, d’une part, l’exaspération que provoque dans les rangs ouvriers un déluge d’attaques et, d’autre part, l’intérêt encore très minoritaire qui s’exprime pour les questions de la révolution. Les exploités voient de plus en plus clairement que le capitalisme est un système moribond qui mène toute l’humanité à sa perte, mais ils ne croient en la révolution. En 1968, la révolution semblait possible mais non nécessaire, c’est l’exact opposé aujourd’hui.
Ce sera une société sans pénurie, sans misère, sans frontière, sans guerre, où les besoins humains seront satisfaits. Ce sera la libre association des producteurs, c’est-à-dire de ceux qui, par leur travail associé, produisent les richesses. Ce sera le communisme où l’épanouissement de chacun est la condition de l’épanouissement de tous. Le travail cessera de constituer une souffrance et une source d’ennui intarissable, pour devenir un facteur d’épanouissement des êtres humains. Fini le sacrifice d’une vie prisonnière de la spécialisation à outrance dans une même activité, puisque comme le disait Marx : “Dans la société communiste, personne n’est enfermé dans un cercle exclusif d’activités et chacun peut se former dans n’importe quelle branche de son choix ; c’est la société qui règle la production générale et qui me permet ainsi de faire aujourd’hui telle chose, demain telle autre, de chasser le matin, de pêcher l’après-midi, de m’occuper d’élevage le soir et de m’adonner à la critique après le repas, selon que j’en ai envie, sans jamais devenir chasseur, pêcheur, berger ou critique” (L’Idéologie allemande ; partie sur Feuerbach ; chapitre division du travail et aliénation). Evidemment, c’est l’idée de fond qu’il faut retenir de cette citation, et non pas le fait qu’il y aura des chasseurs dans la société communiste. S’il y a en a, ils seront dans les musées.
L’abondance, alors que le règne de la pénurie avait jusqu’alors constitué le fondement des sociétés de classe et d’exploitation.
Depuis que l’homme ne produit plus selon les méthodes des communautés communistes primitives, la productivité du travail s’est considérablement accrue avec les sociétés de classes. Sous le capitalisme en particulier. Celui-ci a développé, bien plus que toutes les sociétés de classe qui l’ont précédé, tout ce qui concourt à la production des moyens de production et de consommation : les machines, la technologie, les sciences, etc. En fait, le niveau actuel de productivité du travail peut se mesurer à travers le fait que le travail d’un très petit pourcentage de la population mondiale peut suffire à nourrir l’ensemble de cette population.
Il est aujourd’hui patent que, si les capacités productives étaient orientées différemment, la faim dans le monde serait éradiquée et on aurait besoin de travailler beaucoup moins pour satisfaire nos besoins, etc. Une illustration de cela. En 2008, 100 000 personnes mouraient de faim par jour, dans une situation où, la planète comportant 6 milliards d’êtres humains, l’agriculture mondiale était en mesure d’en nourrir 12 milliards (selon un rapport de l’ONU – par Jean Ziegler, rapporteur spécial). Mais vouloir réaliser cela sous le capitalisme est utopique.
Certainement pas la bourgeoisie. Il n’y aura pas de transition harmonieuse du capitalisme vers le communisme. La classe dominante au sein de la société capitaliste, celle qui tire ses richesses de l’exploitation de la classe ouvrière, ne se résoudra jamais à abandonner le système d’exploitation qui lui permet sa position privilégiée dans la société. Individuellement, des bourgeois pourront soutenir ou embrasser le combat pour une autre société. Mais cela ne sera jamais le fait de la classe bourgeoise comme un tout.
Le moteur de la transformation sociale est le prolétariat : il est la classe de la société qui est exploitée selon les méthodes de production capitaliste ;
– il n’a aucun intérêt propre à défendre dans ce système ;
– il est porteur d’un projet de société, celui de la libre association des producteurs, permettant de dépasser les contradictions de l’actuel système ;
– pour renverser le capitalisme et mener à bien son projet de classe révolutionnaire, il dispose de la force nécessaire que lui donnent son nombre, sa concentration et le fait qu’il produit l’essentiel des richesses de la société.
Ainsi, non seulement le capitalisme a développé les forces productives permettant l’abondance, mais il a aussi créé la classe révolutionnaire qui sera son fossoyeur, la classe ouvrière.
Une telle transformation ne sera pas le fait de l’humanité comme un tout, même si celle-ci est victime de l’actuel système et qu’elle a tout intérêt à son renversement. C’est la classe révolutionnaire qui est le moteur de la révolution.
C’est en fait la nécessité qui constitue la base du changement révolutionnaire. Comme toutes les sociétés d’exploitation qui l’ont précédé, le capitalisme sera amené à périr de ses contradictions insurmontables s’il n’est pas remplacé par un autre système issu du dépassement des contradictions en question. Pour faire synthétique, ce système produit, non pas pour la satisfaction des besoins humains, mais pour le profit. Si bien que les richesses matérielles qu’il accumule à un pôle de la société fondent la possibilité de l’abondance pour tous. Le problème est que, dans le même temps, un tel phénomène s’accompagne d’un dénuement croissant imposé à une majorité toujours plus large. La classe ouvrière est ainsi poussée à se rebeller contre la condition qui lui est faite, avec en perspective la transformation de la société.
Ainsi donc, la révolution prolétarienne n’est pas le produit d’un impératif moral, mais de la nécessité, même s’il ne manque pas de bonnes raisons morales et humaines pour en finir avec ce système.
L’étape actuelle de la crise (qui sévit en fait depuis la fin de années 1960) constitue une illustration criante du caractère insurmontable des contradictions capitalistes.
Contrairement au capitalisme, le socialisme ne peut se développer progressivement d’un pays à l’autre. Il ne peut exister qu’à l’échelle du monde entier en mettant en œuvre l’ensemble des forces productives et des réseaux de circulation des biens crées par le capitalisme. C’est donc à cette échelle que la révolution prolétarienne doit intervenir pour permettre la transformation socialiste. Le pouvoir du prolétariat isolé dans un pays, ou même un ensemble de pays, continue à subir pleinement les lois du capitalisme, quelles que soient les mesures qu’il prenne.
Les autres classes révolutionnaires du passé ne sont pas devenues exploiteuses après avoir pris le pouvoir. Elles l’étaient déjà avant.
C’est à la classe révolutionnaire qu’il revient de renverser l’ancienne société, c’est à elle aussi qu’il échoit de diriger la transformation révolutionnaire en vue de construire la nouvelle. Cette classe révolutionnaire, à la différence de toutes les autres classes révolutionnaires du passé, est également, pour la première fois dans l’histoire, la classe exploitée. En abolissant son exploitation, elle abolit toute exploitation. Ainsi, elle n’a pas pour vocation de s’émanciper seulement elle même mais d’émanciper l’humanité tout entière.
Il n’existe aucune fatalité garantissant que la révolution puisse avoir lieu, qu’elle soit victorieuse, et ensuite que la transformation des rapports sociaux vers le communisme soit menée à son terme.
Si la révolution en Russie a dégénéré, ce n’est pas tant à cause de ses erreurs que de l’isolement international dans lequel elle s’est trouvée, avec le reflux et l’échec de la vague révolutionnaire mondiale dont elle avait été le produit. Non seulement la construction du socialisme est impossible dans un seul pays, mais même le pouvoir du prolétariat ne peut se maintenir longtemps en restant isolé dans un seul pays. Dans de telles conditions, il ne peut que tendre à dégénérer. En effet, s’il existe c’est pour assumer une fonction bien précise : étendre la révolution à l’échelle mondiale et entreprendre la transformation des rapports sociaux de production. Si ces objectifs ne sont pas réalisables, à cause d’un rapport de force défavorable à l’échelle internationale, alors ce pouvoir est soumis de façon croissante à la pression du capitalisme mondial : offensives militaires et diplomatiques pour l’asphyxier ; concurrence économique mondiale ; etc. C’est ce qui s’est passé dans la Russie des soviets.
Le pouvoir politique du prolétariat à l’échelle mondiale est exercé à travers son organisation mondiale en conseils ouvriers. Cette forme d’organisation, qui a vu le jour spontanément pour la première fois en Russie en 1905, est la seule forme d’organisation permettant à la classe ouvrière de penser et d’agir comme un tout uni, et cela malgré la très grande hétérogénéité pouvant exister en son sein. Sa force repose sur deux caractéristiques essentielles :
– les assemblées de base sont un lieu permanent de discussions où participe l’ensemble de la classe ouvrière ;
– elles élisent des délégués révocables, donnant ainsi naissance à des assemblées de délégués fonctionnant sur les mêmes principes que les assemblées de base et qui, à leur tour, élisent d’autres délégués. C’est ainsi que le mouvement se centralise permettant que les décisions, qui sont prises aux différents nivaux de centralisation, soient réellement l’expression de la classe ouvrière en mouvement.
C’est la seule forme d’organisation capable de prendre en compte l’évolution rapide de la conscience au sein de la classe ouvrière qui caractérise les phases révolutionnaires ou pré-révolutionnaires.
C’est cela la forme d’organisation de la dictature du prolétariat, après la prise du pouvoir.
De plus, le but du pouvoir prolétarien étant de diriger la transformation révolutionnaire en vue de construire une société sans classes sociales, sans Etat, sans pouvoir politique sur la société, il crée les bases de sa propre disparition. Il est d’ailleurs le seul pouvoir politique ayant jamais existé dans l’histoire qui ne vise pas à sa propre perpétuation.
Néanmoins, rien de ce qui précède ne constitue une garantie contre la dégénérescence, celle-ci survenant comme résultat obligé d’un recul durable de la révolution à l’échelle mondiale.
Si la révolution n’a pas lieu ou ne triomphe pas, ce n’est pas un simple bain de sang qui est devant nous, mais des milliers de bains de sang. En fait, l’incapacité du prolétariat à renverser ce système fera que la situation actuelle de crise historique du capitalisme, s’exprime par des guerres encore plus meurtrières, par une détérioration aggravée de l’environnement, et par une explosion et une généralisation de la misère sous toutes ses formes, tout cela rendant la vie sur terre un véritable enfer, voire même une impossibilité.
La révolution étant destinée à briser la dictature de classe de la bourgeoisie, elle sera nécessairement violente, mais ce sera une violence libératrice, en vue de permettre l’avènement d’un monde débarrassé de la barbarie. Lors de la révolution russe, le nombre de victimes qui a résulté de l’insurrection d’octobre 1917 a été dérisoire comparé au nombre de morts quotidiens de la Première Guerre mondiale, de la réaction blanche organisée par le capitalisme mondial contre la révolution russe ou encore de la répression de la contre-révolution stalinienne. De plus, c’est la première vague révolutionnaire mondiale, et en particulier la révolution en Allemagne, qui a contraint la bourgeoisie à mettre un terme à la première boucherie mondiale, dans la mesure où sa continuation constituait un terreau fertile à la radicalisation des masses et donc à la révolution.
Par ailleurs, pour diaboliser la révolution, la bourgeoisie utilise souvent comme épouvantail des évènements qui n’ont rien à voir avec celle-ci mais qui, au contraire, sont directement des expressions de l’action de fractions de la bourgeoisie : la contre-révolution stalinienne, la prétendue révolution maoïste, l’action de Pol Pot de Cambodge, etc.
Oui. Et ce n’est pas la défaite de la première tentative révolutionnaire mondiale qui est de nature à prouver le contraire.
En effet, le bastion prolétarien russe était l’expression le plus avancée d’une vague révolutionnaire mondiale. Etait également impliquée dans cette vague mondiale, rien de moins que le prolétariat allemand, la fraction la plus avancée du prolétariat mondial, et qui pendant trois années a mené une lutte sans merci contre la bourgeoisie.
Malheureusement il a été défait, sa défaite signifiant celle de la vague révolutionnaire mondiale et la dégénérescence de la révolution russe. Inversement, une victoire de la révolution en Allemagne ouvrait la possibilité de l’extension de la révolution en Europe centrale et, ensuite, en Europe occidentale et dans le monde.
En fait, pour conclure avec la question posée, ce dont il s’agit n’est pas de savoir si la révolution est possible mais de se rendre compte que continuer ainsi sans la révolution est une impossibilité réelle. La seule alternative est bien Socialisme ou barbarie.
CCI, septembre 2010
L’article qui suit a été écrit par James Connolly. Il a été adressé sur le forum de la Gauche Communiste www.revleft.com [144] par un camarade des Etats-Unis qui a commencé à la poster sous le nom de Stagger Lee. Nous avons suggéré qu’il soit publié sur notre site web et lui avons demandé d’écrire une courte introduction.
Cet article du socialiste irlandais James Connolly (1868-1916) a été publié pour la première fois dans le journal La République des ouvriers en 1899. Il s’appuie sur la défense marxiste, donc internationaliste, de la libération du prolétariat. Dans ce texte, Connolly présente les slogans de “libération” nationale, puis les juxtapose avec une courte remarque mettant en lumière les impasses du nationalisme comme voie pour la libération de la classe ouvrière. Il montre combien les appels romantiques à la “liberté” dans le contexte du nationalisme n’ont pas de caractère de classe et n’en auront jamais. Connolly finit par un appel à l’unité, pas en tant que nation, mais en tant que classe. Il n’appelle pas à la libération de la bourgeoisie irlandaise, mais à celle de la classe ouvrière. Les ouvriers n’ont pas de patrie, mais une lutte. Les mots de Connolly sonnent aussi vrai aujourd’hui qu’ils l’ont été à l’époque.
Libérons l’Irlande !
Peu importe une telle base, le matérialiste pense au travail et aux salaires, à des maisons propres, ou à des vies sans l’ombre de la pauvreté.
Libérons l’Irlande !
Le propriétaire foncier ; n’est-il pas aussi un Irlandais, et pourquoi devrions-nous le haïr ? Ah non, ne parlons pas durement de notre frère - ouais, même quand il augmente notre loyer.
Libérons l’Irlande !
Le capitaliste profiteur, qui nous vole les trois-quarts de notre labeur, qui suce la moelle même de nos os quand nous sommes jeunes, et nous jette ensuite à la rue, comme un outil usagé, quand nous avons vieilli prématurément à son service, n’est-il pas Irlandais, et peut-être patriote, alors pourquoi devrions-nous être sévères à son égard ?
Libérons l’Irlande !
“Le pays qui nous nourrit et nous porte.” Et le propriétaire foncier qui nous fait payer la permission d’y vivre.
Vive la liberté !
”Libérons l’Irlande”, dit le patriote qui ne touche pas au socialisme.
Rejoignons-nous tous ensemble et écrasons le brutal Saxon. Rejoignons-nous tous ensemble, dit-il, toutes classes et croyances confondues.
Et, dit l’ouvrier de la ville, après avoir écrasé le Saxon et libéré l’Irlande, que ferons-nous ?
Oh, vous retournerez ensuite dans vos taudis, comme avant.
Et vive la liberté !
Et, disent les ouvriers agricoles, après avoir libéré l’Irlande, quoi ensuite ?
Oh, alors vous pourrez aller grapiller les restes de la rente du propriétaire foncier ou tâter de l’intérêt des usuriers comme avant.
Vive la liberté !
Après que l’Irlande soit libre, dit le patriote qui ne touche pas au socialisme, nous protégerons toutes les classes et, si vous ne payez pas le loyer, vous serez éjecté tout comme avant. Mais ceux qui vous expulsent, sous la houlette du shérif, porteront les uniformes verts et la Harpe sous la Couronne, et l’officier qui vous jettera à la rue sera estampillé des armes de la République irlandaise. Alors, ne vaut-il pas le coup de se battre pour cela ?
Et quand vous ne trouverez pas de travail et, renonçant à la lutte pour une vie de désespoir, vous entrerez à l’asile des pauvres, la fanfare du régiment le plus proche vous escortera jusqu’à la porte au son du “St. Patrick’s Day” (1).
Oh, qu’il fera bon vivre dans ces jours-là !
“Avec le Drapeau Vert flottant au-dessus de nous” et une armée toujours grandissante de chômeurs marchant sous le Drapeau Vert, espérant qu’il y ait quelque chose à manger. Tout comme maintenant !
Oh, qu’il fera bon vivre dans ces jours-là !
Et vive la liberté !
Maintenant, mes amis, je suis aussi Irlandais, mais je suis un peu plus logique. Le capitaliste, dis-je, est un parasite de l’industrie, aussi inutile au stade présent de notre développement industriel qu’un autre parasite dans le monde végétal ou animal l’est pour la vie d’un animal ou d’un végétal sur lequel il se nourrit. La classe ouvrière est la victime de ce parasite – de cette sangsue humaine, et c’est le devoir et l’intérêt de la classe ouvrière d’utiliser tous les moyens en son pouvoir pour évincer ce parasite de classe de la position qui lui permet de faire sa proie des forces vitales du Travail.
Aussi, dis-je, organisons-nous en tant que classe pour rencontrer nos maîtres et détruire leur pouvoir ; organisons-nous pour les chasser de la position qu’ils détiennent sur la vie publique grâce à leur pouvoir politique ; organisons-nous pour arracher à leurs griffes de voleurs la terre et les usines où ils nous réduisent en esclavage ; organisons-nous pour laver notre vie sociale des tâches du cannibalisme social, de la prédation de l’homme sur son camarade humain.
Organisons-nous pour une vie pleine, libre et heureuse POUR TOUS OU POUR PERSONNE.
James Connolly
Cette série s’est donnée pour but de démontrer que les membres de la Gauche communiste et les anarchistes internationalistes ont le devoir de discuter et même de collaborer. La raison en est simple. Nous partageons au-delà de nos divergences, parfois importantes, les positions révolutionnaires essentielles : l’internationalisme, le rejet de toute collaboration et de tout compromis avec des forces politiques bourgeoises, la défense de “la prise en main des luttes par les ouvriers eux-mêmes”…(1)
Malgré cette évidence, depuis longtemps, les relations entre ces deux courants révolutionnaires ont été presque inexistantes. Nous commençons juste à voir depuis quelques années l’ébauche d’un débat et d’une collaboration. C’est le fruit de la douloureuse histoire du mouvement ouvrier. L’attitude de la majorité du Parti bolchevik dans les années 1918-1924 (l’interdiction de toute presse anarchiste sans distinction, l’affrontement à l’armée de Makhno, l’écrasement dans le sang des marins insurgés de Cronstadt…) a creusé un fossé entre les révolutionnaires marxistes et anarchistes. Mais surtout, le stalinisme, qui a massacré des milliers d’anarchistes (2) au nom du “communisme ”, a causé un véritable traumatisme pour des décennies (3).
Aujourd’hui encore, il existe de part et d’autre certaines craintes à débattre et à collaborer. Pour dépasser ces difficultés, il faut être persuadé d’appartenir bel et bien au même camp, celui de la révolution et du prolétariat, malgré les divergences. Mais cela ne peut suffire. Nous devons aussi faire un effort conscient pour cultiver la qualité de nos débats. “S’élever de l’abstrait au concret” est toujours l’étape la plus périlleuse. C’est pourquoi, par cet article, le CCI tient à préciser avec quel état d’esprit il aborde cette possible, et nécessaire, relation de la Gauche communiste et de l’anarchisme internationaliste.
Notre presse a maintes fois répété, sous différentes formes, l’affirmation suivant laquelle l’anarchisme portait la marque originelle de l’idéologie petite-bourgeoise. Cette critique, effectivement radicale, est souvent jugée comme inacceptable par les militants anarchistes, y compris les plus ouverts habituellement à la discussion. Et aujourd’hui encore, une nouvelle fois, ce qualificatif de “petit-bourgeois” accolé au mot “anarchisme” suffit à certains pour ne plus vouloir entendre parler du CCI. Récemment, sur notre forum Internet, un participant qui se réclame de l’anarchisme a même qualifié cette critique de véritable “injure”. Tel n’est pas notre point de vue.
Aussi profonds que soient nos désaccords réciproques, ils ne doivent pas nous faire perdre de vue que les militants de la Gauche communiste et ceux de l’anarchisme internationaliste débattent entre révolutionnaires. D’ailleurs, les anarchistes internationalistes adressent eux-aussi de nombreuses critiques au marxisme, à commencer par ses prétendus penchants naturels pour l’autoritarisme et le réformisme. Le site de la CNT-AIT en France, par exemple, contient de multiples passages de ce genre :
“Les marxistes devenaient progressivement [à partir de 1871] les endormeurs des exploités et signaient l’acte de naissance du réformisme ouvrier” (4).
“Le marxisme est responsable de l’orientation de la classe ouvrière vers l’action parlementaire […]. C’est seulement quand on aura compris cela que l’on verra que la voie de la libération sociale nous conduit vers la terre heureuse de l’anarchisme, en passant bien au-dessus du marxisme” (5).
Il ne s’agit pas là “d’injures” mais de critiques radicales… avec lesquelles nous sommes évidemment en total désaccord ! C’est aussi dans le sens de la critique ouverte que doit être considérée notre analyse de la nature de l’anarchisme. Cette analyse mérite d’ailleurs d’être rappelée ici en quelques mots. Dans un chapitre intitulé “Le noyau petit-bourgeois de l’anarchisme”, nous écrivions en 1994 : “Le développement de l’anarchisme dans la seconde moitié du xixe siècle était le produit de la résistance des couches petites-bourgeoises (artisans, commerçants, petits paysans) à la marche triomphante du capital, résistance au processus de prolétarisation qui les privait de leur “indépendance” sociale passée. Plus fort dans les pays où le capital industriel s’est développé tardivement, à la périphérie orientale et méridionale de l’Europe, il exprimait à la fois la rébellion de ces couches contre le capitalisme, et leur incapacité à voir plus loin que celui-ci, vers le futur communiste ; au contraire, il énonçait leur désir de retour à un passé semi-mythique de communautés locales libres et de producteurs strictement indépendants, débarrassés de l’oppression du capital industriel et de l’Etat bourgeois centralisé. Le “père” de l’anarchisme, Pierre-Joseph Proudhon, était l’incarnation classique de cette attitude, avec sa haine féroce non seulement envers l’Etat et les grands capitalistes, mais envers le collectivisme sous toutes ses formes, y compris envers les syndicats, les grèves et les expressions similaires de la collectivité de la classe ouvrière. A l’encontre de toutes les tendances profondes qui se développaient au sein de la société capitaliste, l’idéal de Proudhon était une société “mutualiste”, fondée sur la production artisanale individuelle, liée par le libre-échange et le libre-crédit” (6).
Ou encore, dans “Anarchisme et communisme”, daté de 2001 : “Dans la genèse de l’anarchisme, c’est le point de vue de l’ouvrier fraîchement prolétarisé et qui refuse de toutes ses fibres cette prolétarisation qui s’exprime. Issus récemment de la paysannerie ou de l’artisanat, souvent mi-ouvrier et mi-artisan (comme les horlogers du Jura suisse, par exemple), ces ouvriers exprimaient le regret du passé face au drame que constituait pour eux la chute dans la condition ouvrière. Leurs aspirations sociales consistaient à vouloir faire tourner la roue de l’histoire en arrière. Au centre de cette conception il y a la nostalgie de la petite propriété. C’est pourquoi, à la suite de Marx, nous analysons l’anarchisme comme l’expression de la pénétration de l’idéologie petite-bourgeoise au sein du prolétariat” (7).
Autrement dit, nous reconnaissons que, dès sa naissance, l’anarchisme est marqué par un profond sentiment de révolte contre la barbarie de l’exploitation capitaliste mais qu’il hérite aussi de la vision des “artisans, commerçants, petits paysans” qui l’ont constitué à sa naissance. Cela ne signifie absolument pas qu’aujourd’hui, tous les groupes anarchistes sont “petits-bourgeois”. Il est évident que la CNT-AIT, le KRAS (8) et d’autres sont animés du souffle révolutionnaire de la classe ouvrière. Plus largement, tout au long du xixe siècle et du xxe, de nombreux ouvriers ont épousé la cause anarchiste et ont lutté réellement pour l’abolition du capitalisme et l’avènement du communisme, de Louise Michel à Durruti en passant, entre autres, par Voline ou Malatesta. Lors de la vague révolutionnaire de 1917, une partie des anarchistes a même formé, dans les rangs ouvriers, des bataillons parmi les plus combatifs.
Il y a depuis toujours, au sein de la mouvance anarchiste, une bataille contre cette tendance originelle à être influencée par l’idéologie de la petite-bourgeoisie radicalisée. C’est en partie ce que recouvrent les profondes divergences entre les anarchistes individualistes, mutualistes, réformistes, communistes-nationalistes et communistes-internationalistes (seuls ces derniers appartenant réellement au camp révolutionnaire). Mais, même les anarchistes internationalistes subissent l’influence des racines historiques de leur mouvance. Telle est la cause de leur tendance à remplacer la “lutte de la classe ouvrière” par la “résistance populaire autonome”, par exemple.
Pour le CCI, il est donc de sa responsabilité d’exposer honnêtement, à la lumière du jour, tous ces désaccords, afin de contribuer de son mieux au renforcement général du camp révolutionnaire. Tout comme il est de la responsabilité des anarchistes internationalistes de continuer d’exprimer leurs critiques envers le marxisme. Cela ne doit en rien constituer un obstacle à la tenue fraternelle de nos débats ou être un frein à d’éventuelles collaborations, au contraire (9).
Toutes ces critiques, le CCI ne les adresse pas aux anarchistes tel un maître corrigeant son élève. Des interventions sur notre forum ont pourtant reproché à notre organisation son ton “professoral”. Au-delà du goût pour tel ou tel style littéraire, il se cache derrière ces remarques une véritable question théorique. Le CCI envers la CNT-AIT, et, plus généralement, la Gauche communiste envers l’anarchisme internationaliste ont-ils un rôle de “guide” ou de “modèle” ? Pensons-nous être une minorité éclairée devant insuffler la vérité, la bonne conscience ?
Une telle conception serait en totale contradiction avec la tradition même de la Gauche communiste. Et elle renvoie plus profondément encore au lien qui unit les révolutionnaires communistes à leur classe.
Marx affirme, dans les Annales franco-allemandes : “Nous ne nous présentons pas au monde en doctrinaires armés d’un nouveau principe : voici la vérité, agenouille-toi! Nous développons pour le monde des principes nouveaux que nous tirons des principes mêmes du monde. Nous ne lui disons pas : “renonce à tes luttes, ce sont des enfantillages ; c’est à nous de te faire entendre la vraie devise du combat”. Tout ce que nous faisons, c’est montrer au monde pourquoi il lutte en réalité ” (10).
Les révolutionnaires, marxistes ou anarchistes internationalistes, ne sont pas au-dessus de la classe ouvrière, ils en font intégralement partie, ils sont unis à elle par mille liens. Leur organisation est la sécrétion collective du prolétariat.
Jamais donc le CCI ne s’est considéré comme une organisation ayant la vocation d’imposer son point de vue à la classe ouvrière ou aux autres groupes révolutionnaires. Nous faisons pleinement nôtres ces lignes du Manifeste communiste de 1848 : “Les communistes ne forment pas un parti distinct opposé aux autres partis ouvriers. Ils n’ont point d’intérêts qui les séparent de l’ensemble du prolétariat. Ils n’établissent pas de principes particuliers sur lesquels ils voudraient modeler le mouvement ouvrier.” C’est ce même principe que Bilan, organe de la Gauche communiste italienne, fait vivre lors de la parution de son premier numéro en 1933 : “Certes, notre fraction se réclame d’un long passé politique, d’une tradition profonde dans le mouvement italien et international, d’un ensemble de positions politiques fondamentales. Mais elle n’entend pas se prévaloir de ses précédents politiques pour demander des adhésions aux solutions qu’elle préconise pour la situation actuelle. Bien au contraire, elle convie les révolutionnaires à soumettre à la vérification des événements les positions qu’elle défend actuellement aussi bien que les positions politiques contenues dans ses documents de base.”
Depuis sa naissance, notre organisation essaye de cultiver ce même état d’esprit d’ouverture et cette même volonté de débattre. Ainsi, dès 1977, nous écrivions :
“Dans nos rapports avec [les autres groupes révolutionnaires], proches du CCI mais extérieurs, notre but est clair. Nous essayons d’établir une discussion fraternelle et approfondie des différentes questions affrontées par la classe ouvrière.
“Nous ne pourrons réellement assumer notre fonction (…) à leur égard que si nous sommes en même temps capables :
– de nous garder de considérer que nous sommes le seul et unique groupement révolutionnaire existant aujourd’hui ;
– de défendre face à eux nos positions avec fermeté ;
– de conserver à leur égard une attitude ouverte à la discussion, laquelle doit se mener publiquement et non à travers des échanges confidentiels” (11).
Il s’agit là pour nous d’une règle de conduite. Nous sommes convaincus de la validité de nos positions (tout en étant ouverts à une critique raisonnée), mais nous ne les prenons pas comme “la solution aux problèmes du monde”. Il s’agit pour nous d’un apport au combat collectif de la classe ouvrière. C’est pourquoi nous attachons une importance toute particulière à la culture du débat. En 2007, le CCI a même consacré tout un texte d’orientation à cette seule question : “La culture du débat : une arme de la lutte de classe”. Nous y affirmions : “Si les organisations révolutionnaires veulent remplir leur rôle fondamental de développement et d’extension de la conscience de classe, la culture d’une discussion collective, internationale, fraternelle et publique est absolument essentielle” (12).
Pour autant, le lecteur attentif aura remarqué que toutes ces citations contiennent, en plus de l’idée de la nécessité de débattre, l’affirmation que le CCI doit aussi défendre fermement ses positions politiques. Il ne s’agit pas là d’une contradiction. Vouloir discuter ouvertement ne signifie pas croire que toutes les idées sont égales, que toutes les positions se valent. Comme nous le soulignions dans notre texte de 1977 : “Loin de s’exclure, fermeté sur les principes et ouverture dans l’attitude vont de pair : nous n’avons pas peur de discuter précisément parce que nous sommes convaincus de la validité de nos positions.”
Dans le passé comme à l’avenir, le mouvement ouvrier a eu et aura besoin de débats francs, ouverts et fraternels entre ses différentes tendances révolutionnaires. Cette multiplicité des points de vue et des approches sera une richesse et un apport indispensables à la lutte du prolétariat et au développement de sa conscience. Nous nous répétons, mais à l’intérieur du territoire commun des révolutionnaires, il peut y avoir de profondes divergences. Celles-ci doivent absolument s’exprimer et être débattues. Nous ne demandons pas aux anarchistes internationalistes qu’ils renoncent à leurs propres critères ni à ce qu’ils considèrent être leur patrimoine théorique. Au contraire, nous souhaitons vivement qu’ils les exposent avec clarté, en réponse aux questions qui se posent à tous, qu’ils acceptent la critique et la polémique de la même façon que nous ne considérons pas nos positions comme “le dernier mot”, mais comme une contribution ouverte à des arguments contradictoires. Nous ne disons pas à ces camarades : “rendez vos armes face à la supériorité proclamée du marxisme”.
Nous respectons profondément la nature révolutionnaire des anarchistes internationalistes, nous savons que nous combattrons côte à côte quand les mouvements de luttes massifs se feront jour. Mais nous défendrons aussi fermement, de façon convaincue (et, nous l’espérons, convaincante), nos positions sur la Révolution russe et le Parti bolchevique, la centralisation, la période de transition, la décadence du capitalisme, le rôle anti-ouvrier du syndicalisme… Ce n’est pas là nous poser dans un rapport de maître à élève ou espérer convertir quelques anarchistes pour les happer dans nos rangs mais participer pleinement au débat nécessaire entre les révolutionnaires.
Comme vous le voyez, camarades, ce débat risque fort d’être animé… et passionnant !
*
Pour conclure cette série de trois articles sur “La Gauche communiste et l’anarchisme internationaliste”, nous finirons par ces quelques mots de Malatesta :
“Si nous, anarchistes, pouvions faire la révolution tout seuls, ou bien si les socialistes (13) pouvaient la faire tout seuls, on pourrait se payer le luxe d’agir chacun de son côté, et peut-être d’en venir aux mains. Mais la révolution, c’est le prolétariat tout entier qui la fera, le peuple tout entier, dont les socialistes et les anarchistes ne sont numériquement qu’une minorité, même si le peuple semble avoir beaucoup de sympathie pour les uns et pour les autres. Nous diviser, même là où nous pouvons être unis, ce serait diviser le prolétariat, ou plus exactement, refroidir ses sympathies et le rendre moins enclin à suivre cette noble orientation socialiste commune, qu’ensemble les socialistes et les anarchistes pourraient faire triompher au sein de la révolution. C’est aux révolutionnaires d’y veiller, et particulièrement aux socialistes et aux anarchistes, en n’accentuant pas leurs motifs de dissensions et surtout en s’occupant des faits et des buts qui peuvent les unir et leur faire atteindre le plus grand résultat révolutionnaire possible” (Volontà, 1er mai 1920).
CCI, septembre 2010
1) Voir la première partie de cette série : “Ce que nous avons en commun [146] ”.
2) Comme des milliers de marxistes et des millions de prolétaires en général, d’ailleurs.
3) Lire la deuxième partie de cette série “Sur nos difficultés à débattre et comment les dépasser [147]”.
4) cnt-ait.info.
5) Il s’agit là plus précisément d’une citation de Rudolf Rocker que la CNT-AIT reprend à son compte.
6) In “Le communisme n’est pas un bel idéal, mais une nécessite matérielle [10 [148]e [148] partie] [148]”.
7) https://fr.internationalism.org/rinte102/anar.htm [149]
8) Il s’agit de la section en Russie de l’AIT avec qui nous entretenons de très bonnes relations de camaraderie et dont nous avons publié plusieurs prises de position dans notre presse.
9) Cela dit, au cours du débat qui a eu lieu ces derniers mois, des camarades (compagnons) anarchistes ont à juste titre protesté contre des formules outrancières prononçant une sentence définitive et injustifiée à l’égard de l’anarchisme. En nous replongeant à nouveau dans certains de nos anciens textes, nous avons trouvé à notre tour des passages que nous n’écririons plus aujourd’hui. Par exemple :
– “Des éléments ouvriers peuvent penser adhérer à la révolution à partir de l’anarchisme, mais pour adhérer à un programme révolutionnaire il faut rompre avec l’anarchisme” (https://fr.internationalism.org/rinte102/anar.htm [149]).
– “C’est pour cela que le prolétariat doit se détourner résolument de ces marchands d’illusions que sont les anarchistes” (https://fr.internationalism.org/ri321/anarchisme.htm [150]).
– Notre article “Anarchisme et communisme”, qui pourtant décortique méticuleusement la lutte des “Amis de Durruti” au sein de la CNT dans l’Espagne des années 1930, caricature au détour d’une phrase la vision de l’anarchisme qu’a le CCI en affirmant qu’il n’y avait plus “une flamme révolutionnaire” en 1936 au sein de la CNT. Notre série d’articles plus récents sur l’anarcho-syndicalisme, tout en dénonçant à nouveau l’intégration de la direction de la CNT aux rouages de l’État et sa contribution au désarmement politique des ouvriers anarchistes (ce qui a facilité le travail d’assassins du stalinisme), a montré à quel point la situation était complexe. Il y a eu au sein de la CNT, au niveau international, de vrais combats pour défendre des positions authentiquement prolétariennes et contre la trahison que constituait l’intégration de cette organisation à l’État espagnol (lire notre série [151] sur le syndicalisme révolutionnaire:).
10) Cité par Franz Mehring dans sa biographie de K. Marx.
11) In “Les groupes politiques prolétariens”, Revue internationale no 11, 4e trimestre 1977.
12) Cet article est disponible sur notre site Internet à l’adresse suivante : https://fr.internationalism.org/rint131/la_culture_du_debat_une_arme_de_la_lutte_de_classe.html [152]
13) Au moment où Malatesta écrit cet article, le Parti socialiste italien regroupe encore, à côté des réformistes, les éléments révolutionnaires qui vont fonder le PCI en janvier 1921 au Congrès de Livourne.
Cela fait huit mois à présent que dure le mouvement de lutte contre la réforme des retraites. C’est par millions que les ouvriers et employés de tous les secteurs sont descendus régulièrement dans la rue. Parallèlement, depuis la rentrée de septembre, des mouvements de grève plus ou moins radicaux sont apparus ici et là, exprimant un mécontentement profond et grandissant. Cette mobilisation constitue le premier combat d’envergure en France depuis la crise qui a secoué le système financier mondial en 2007-2008. Elle n’est pas seulement une réponse à la réforme des retraites elle-même mais, par son ampleur et sa profondeur, elle est une réponse claire à la violence des attaques subies ces dernières années. Derrière cette réforme et les autres attaques simultanées ou en préparation, nous avons un enfoncement aggravé de tous les prolétaires et des autres couches de la population dans la pauvreté, la précarité et la misère la plus sombre. Et ces attaques ne sont pas près de s’arrêter avec l’approfondissement inexorable de la crise économique. Il est clair que cette lutte en annonce d’autres et qu’elle s’inscrit en droite ligne de celles qui se sont développées en Grèce et en Espagne face aux mesures drastiques d’austérité.
Cependant, malgré la massivité impressionnante de la riposte, le gouvernement n’a pas cédé. Au contraire, il est resté inébranlable, affirmant sans relâche et malgré la pression de la rue sa ferme volonté de faire passer cette attaque, se permettant de surcroît de répéter avec cynisme qu’elle était “nécessaire”, au nom de la “solidarité” entre les générations. Ce que tout le monde sait être un mensonge grossier, quasiment de l’ordre de la provocation.
A l’heure où cet article est écrit, la mobilisation reflue et il est certain que la réforme sera acquise pour la bourgeoisie. Pourquoi cela ? Pourquoi cette mesure qui frappe au cœur toutes nos conditions de vie et de travail, et alors que l’ensemble de la population a exprimé amplement et puissamment son indignation et son opposition, passe-t-elle malgré tout ?
Parce que le gouvernement avait la certitude du contrôle de la situation par les syndicats, lesquels ont toujours accepté le principe d’une “réforme nécessaire” des retraites ! (1)
On peut faire la comparaison avec le mouvement de 2006 contre le CPE. Ce mouvement, que les médias ont traité au début avec le plus grand mépris comme une “révolte étudiante” sans lendemain, a fini par faire reculer le gouvernement qui n’a eu d’autre recours que de retirer le CPE.
Pourquoi ce succès ?
D’abord parce que les étudiants s’étaient organisés en assemblées générales ouvertes à tous, sans distinction de catégories ou de secteurs, du public ou du privé, au travail ou au chômage, etc. Cet élan de confiance dans les capacités de la classe ouvrière et dans sa force, de profonde solidarité dans la lutte, avait créé une dynamique d’extension du mouvement imprimant à celui-ci une massivité impliquant toutes les générations. Car, tandis que, d’un côté, les assemblées générales voyaient se dérouler des débats et des discussions les plus larges, ne restant pas cantonnées au seul problème des étudiants, de l’autre côté, on voyait au fil des manifestations les travailleurs eux-mêmes se mobiliser de plus en plus avec les étudiants et de nombreux lycéens.
Mais c’est aussi parce que la détermination et l’esprit d’ouverture des étudiants, tout en entraînant des fractions de la classe ouvrière vers la lutte ouverte, n’arrivaient pas à être battu en brèche par les manœuvres des syndicats. Au contraire, alors que ces derniers, notamment la CGT, s’efforçaient de se placer en tête des manifestations pour en prendre le contrôle, c’est à plusieurs reprises que les étudiants et les lycéens ont débordé les banderoles syndicales pour affirmer clairement qu’ils ne voulaient pas se voir ravaler en arrière-plan d’un mouvement dont ils étaient à l’initiative. Mais surtout ils affirmaient leur volonté de garder le contrôle eux-mêmes de la lutte, avec la classe ouvrière, et de ne pas se laisser avoir par les centrales syndicales.
En fait, un des aspects qui inquiétait le plus la bourgeoisie c’est que les formes d’organisation que s’étaient données les étudiants en lutte, ces assemblées générales souveraines, élisant leurs comités de coordination et ouvertes à tous, dans lesquelles les syndicats étudiants faisaient souvent profil bas, ne fassent tâche d’huile parmi les salariés si ces derniers entraient en grève. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, au cours de ce mouvement, Thibault a affirmé à plusieurs reprises que les salariés n’avaient pas de leçons à recevoir des étudiants sur comment s’organiser. Si ces derniers avaient leurs assemblées générales et leurs coordinations, les salariés avaient leurs syndicats en qui ils avaient confiance.
Dans un tel contexte de détermination chaque fois réaffirmée et de danger d’un débordement des syndicats, il fallait que Villepin lâche du lest car c’est le dernier rempart de protection de la bourgeoisie contre l’explosion de luttes massives qui risquait d’être battu en brèche.
Avec le mouvement contre la réforme des retraites, les syndicats, soutenus activement par la police et les médias, ont fait les efforts nécessaires pour tenir le haut du pavé, en sentant venir le vent et s’organiser en conséquence.
On les a vus jouer dès le début la division, avec FO qui faisait ses manifestations dans son coin, tandis que l’intersyndicale qui organisait la journée d’action du 23 mars préparait le “ficelage” de la réforme, après tractations avec le gouvernement, avec deux autres journées d’action le 26 mai, et surtout le 24 juin, à la veille des vacances d’été. On sait qu’habituellement une journée d’action, à cette époque de l’année, signe le coup de grâce pour la classe ouvrière lorsqu’il s’agit de faire passer une attaque majeure. Hélas pour la bourgeoisie et les syndicats, cette dernière journée d’action a montré une mobilisation inattendue, avec plus du double d’ouvriers, de chômeurs, de précaires, etc., dans les rues. Et, alors qu’une morosité, largement soulignée par la presse, avait marqué les deux premières journées d’action, la colère et le ras-le-bol étaient au rendez-vous du 24 juin.
C’est donc sous la pression de ce mécontentement ouvert et face à la prise de conscience grandissante des implications de cette réforme sur nos conditions de vie que les syndicats se sont vus contraints d’organiser une autre journée d’action dès le 7 septembre, faisant cette fois leur credo de l’unité syndicale. Depuis, pas un n’a manqué à l’appel des journées d’action qui ont regroupé dans les manifestations environ trois millions de travailleurs à plusieurs reprises.
Mais cette unité de “l’Intersyndicale” a constitué un leurre pour la classe ouvrière, destiné à lui faire croire que les syndicats étaient bien déterminés à organiser une offensive d’ampleur contre la réforme et qu’ils s’en donnaient les moyens avec des journées d’action à répétition dans lesquelles on pouvait voir et entendre à satiété leurs leaders, bras dessus, bras dessous, égrener leurs discours sur la “poursuite” du mouvement et autres mensonges. Ce qu’ils redoutaient par-dessus tout, c’est que les travailleurs sortent du carcan syndical et qu’ils s’organisent par eux-mêmes. C’est ce que disait Thibault, le secrétaire général de la CGT, qui faisait “passer un message” au gouvernement dans une interview au journal le Monde du 10 septembre : “On peut aller vers un blocage, vers une crise sociale d’ampleur. C’est possible. Mais ce n’est pas nous qui avons pris ce risque”, donnant l’exemple suivant pour mieux affirmer où se trouvait l’enjeu vécu par les syndicats : “On a même trouvé une PME sans syndicat où 40 salariés sur 44 ont fait grève. C’est un signe. Plus l’intransigeance dominera, plus l’idée de grèves reconductibles gagnera les esprits.”
En clair, si les syndicats ne sont pas là, les ouvriers s’organisent eux-mêmes et non seulement décident réellement de ce qu’ils veulent faire mais risquent de le faire massivement. Et c’est contre quoi les centrales syndicales, et particulièrement la CGT, se sont attelées avec un zèle exemplaire : occuper le terrain sur la scène sociale et dans les médias, tout en empêchant avec la même résolution sur le terrain toute réelle expression de solidarité ouvrière. En bref, un battage à tout crin d’une part, et de l’autre une activité visant à stériliser et entraîner le mouvement dans de fausses alternatives, afin de créer la division, la confusion, et mieux le mener à la défaite.
Le blocage des raffineries de pétrole en est un exemple des plus évidents. Alors que les ouvriers de ce secteur, dont la combativité était déjà très vive et pour lesquels grandissait la volonté de manifester leur solidarité envers l’ensemble de la classe ouvrière contre la réforme des retraites, ouvriers par ailleurs particulièrement confrontés à des mesures drastiques de réductions de personnels, la CGT a fait en sorte de transformer cet élan de solidarité en grève repoussoir. Ainsi, le blocage des raffineries n’a jamais été décidé dans de véritables assemblées générales, où les travailleurs pouvaient exprimer réellement leur point de vue, mais il a été décidé suite à des manœuvres dont les leaders syndicaux sont spécialistes et qui ont fait adopter, en pourrissant la discussion, des actions stérilisantes. Cependant, malgré cet enfermement verrouillé par les syndicats, certains ouvriers de ce secteur ont cherché à créer des contacts et des liens avec des ouvriers d’autres secteurs. Mais, globalement pris dans l’engrenage du “blocage jusqu’au bout”, la plupart des ouvriers des raffineries se sont vus piégés dans une logique syndicale d’enfermement dans l’usine, véritable poison utilisé contre l’élargissement du combat. En effet, bien que les ouvriers des raffineries avaient pour objectif de renforcer le mouvement, d’en être un des bras armés, afin de faire reculer le gouvernement, le blocage des dépôts, tel qu’il s’est déroulé sous la houlette syndicale, s’est surtout révélé être une arme de la bourgeoisie et de ses syndicats contre les ouvriers. Non seulement pour isoler ceux des raffineries, mais pour rendre leur grève impopulaire, en créant un vent de panique et en agitant la menace d’une pénurie d’essence plus généralisée, la presse a abondamment déversé son fiel contre ces “preneurs d’otage empêchant les gens de se rendre à leur travail ou de partir en congé”. Mais c’est aussi physiquement que les travailleurs de ce secteur se sont trouvés isolés ; alors même qu’ils voulaient contribuer par la lutte solidaire à la construction d’un rapport de forces favorable au retrait de la réforme, ce blocage particulier s’est en fait retourné contre eux et contre l’objectif qu’ils s’étaient donné initialement.
Il y a eu de nombreuses actions syndicales similaires, dans certains secteurs comme les transports, et de préférence dans des régions peu ouvrières, car il fallait à tout prix pour les syndicats prendre le moins de risques possibles d’extension et de mise en œuvre active de la solidarité. Il leur fallait faire semblant pour la galerie d’orchestrer les luttes les plus radicales et de jouer la partition de l’unité syndicale dans les manifestations, tout en pourrissant en réalité la situation.
Comme le dit un tract de “l’AG interpro” de la Gare de l’Est daté du 6 novembre : “La force des travailleurs n’est pas seulement de bloquer, ici ou là, un dépôt pétrolier ou même une usine. La force des travailleurs, c’est de se réunir sur leurs lieux de travail, par-delà les professions, les sites, les entreprises, les catégories et de décider ensemble…”
Partout, on a donc vu les syndicats, réunis dans une “Intersyndicale”, pour mieux promouvoir le simulacre de l’unité, mettre en œuvre des semblants d’assemblées générales, sans véritable débat, enfermées dans les préoccupations les plus corporatistes, tout en affichant publiquement la prétendue volonté de se battre “pour tous” et “tous ensemble”… mais organisée chacun dans son coin, derrière son petit chef syndicaliste, en faisant tout pour empêcher la mise en œuvre de délégations massives en recherche de solidarité vers les entreprises les plus proches géographiquement.
En revanche, il n’a pas du tout été question dans les médias des nombreux Comités ou Assemblées générales interprofessionnels (AG inter-pros) (2) qui se sont formés durant cette période, comités et AG dont le but affiché était et reste de s’organiser en-dehors des syndicats et de développer des discussions réellement ouvertes à tous les prolétaires, ainsi que des actions autonomes dans lesquelles c’est toute la classe ouvrière qui pourrait, non seulement se reconnaître, mais aussi et surtout s’impliquer massivement.
Les syndicats n’ont d’ailleurs pas été les seuls à entraver la possibilité d’une telle mobilisation, car la police de Sarkozy, réputée pour sa prétendue débilité et son esprit anti-gauche, a su se faire l’auxiliaire indispensable des syndicats à plusieurs reprises par ses provocations. Exemple ? Les incidents de la place Bellecour à Lyon, où la présence d’une poignée de “casseurs” (possiblement manipulés par les flics) a servi de prétexte à une violente répression policière contre des centaines de jeunes lycéens dont la plupart ne cherchaient qu’à venir discuter à la fin d’une manifestation avec les travailleurs.
On voit ici ce que la bourgeoisie craint particulièrement : que des contacts se nouent et se multiplient le plus largement possible dans les rangs de la classe ouvrière, jeunes, vieux, au travail ou au chômage.
Aujourd’hui, le mouvement est en passe de s’éteindre et il faut tirer les leçons de cet échec.
Le premier constat à en tirer est que ce sont les appareils syndicaux qui ont permis de faire passer l’attaque auprès des prolétaires et qu’il ne s’agit nullement de quelque chose de conjoncturel. C’est qu’ils ont fait leur sale boulot, pour lequel tous les spécialistes et autres sociologues, ainsi que le gouvernement et Sarkozy en personne, les saluent pour leur “sens des responsabilités”. Oui, sans hésitation, la bourgeoisie peut se féliciter d’avoir des “responsables” syndicaux capables de briser un mouvement d’une telle ampleur en faisant en même temps croire qu’ils ont pourtant fait tout leur possible pour lui permettre de se développer. Ce sont encore ces mêmes appareils syndicaux qui sont parvenus à étouffer et marginaliser les véritables expressions de lutte autonome de la classe ouvrière et de tous les travailleurs.
Cependant, cet échec est porteur de nombreux fruits ; car malgré tous les efforts déployés par l’ensemble des forces de la bourgeoisie pour colmater les brèches d’où s’échappe la colère ouvrière, ils n’ont pas réussi à l’entraîner dans la défaite générale d’un secteur, comme ce fut le cas en 2003 (3) avec la lutte contre les retraites du secteur public qui avaient donné lieu à un cinglant recul parmi les travailleurs de l’Éducation nationale après plusieurs semaines de grève.
Ce mouvement est en train de s’achever. Mais “l’attaque ne fait que commencer. Nous avons perdu une bataille, nous n’avons pas perdu la guerre. C’est la guerre de classe que la bourgeoisie nous déclare et nous avons encore les moyens de la mener” (tract intitulé “Personne ne peut lutter, décider et gagner à notre place” signé par des travailleurs et précaires de l’AG interpro de la Gare-de-l’Est et d’Ile-de-France, déjà cité plus haut). Nous n’avons pas d’autre choix pour nous défendre que d’étendre et de développer massivement nos luttes et pour cela de les prendre dans nos propres mains.
“Prendre confiance en nos propres forces” devra être le mot d’ordre de demain.
WW (6 novembre)
2 Nous considérons ces derniers comme de véritables expressions des besoins de la lutte ouvrière. Ils n’ont rien à voir avec les Coordinations, montées de toutes pièces, orchestrées par les syndicats et les organisations gauchistes en sous-main, et que nous avions dénoncées à de nombreuses reprises lors du mouvement des cheminots en 1986 ou encore lors du mouvement dans le secteur de la santé en 1988.
3) Voir les numéros de RI 335 [154], 336 [155] et 337 [156].
Nos camarades du Grupo de Lucha Proletaria (Pérou) ont envoyé sur notre site en espagnol cet article, clair, simple et vibrant de dénonciation, du numéro monté par le sieur Piñera à la tête de la bourgeoisie chilienne pour le “sauvetage et la solidarité” des “citoyens” mineurs du Chili.
Cela arrive dans toutes les mines du Chili, toutes les mines du Pérou, de Bolivie, d’Équateur, du Mexique... Enfin, dans toutes les mines du monde. Les prolétaires des mines subissent toujours les conditions de travail les plus terribles, auxquelles s’ajoutent les maladies professionnelles et les accidents du travail. C’est le prix à payer pour que se réalisent les bénéfices des entreprises minières. Les mineurs sont condamnés à avaler la poussière et sur eux pèse toujours la menace d’être avalés par la terre.
C’est ce qui est arrivé dans la mine San José, à Copiapó, à 850 km au nord de Santiago, au Chili. Trente-trois ouvriers ont été prisonniers pendant plus de deux mois dans une cavité profonde.
Les informations sont arrivées à travers les médias (presse, radio, TV, internet...) dans tous les coins de la planète. En un rien de temps, la nouvelle avait fait le tour de la terre et, par la suite, les informations était permanentes 24 heures sur 24. Ces trente-trois prolétaires, ces mineurs, ensevelis vivants dans l’une de ces centaines de mines, ont été utilisés dans une mise en scène occultant toutes les autres morts, la plupart du temps silencieuses. Et quels “héros” est venu les sauver ? Eh bien, leurs propres fossoyeurs : l’Etat chilien avec Piñera (1) à sa tête et l’entreprise minière San Esteban Primera.
La première intention de tout ce ramdam était claire : montrer au monde entier que l’État et l’Entreprise sont aux cotés des travailleurs dans les moments les plus difficiles et qu’ils se préoccupent de leur sort.
Mais montrer la “solidarité” avec les mineurs n’était pas suffisant, l’État et l’Entreprise se sont mis en quête de l’aide internationale (NASA et autres spécialistes...) avec l’intention première de dissimuler les lamentables conditions de travail et de sécurité dans lesquelles travaillaient les mineurs de cette mine San José.
“Les déplorables mesures de sécurité de cette entreprise avaient été déjà signalées par les travailleurs du gisement San José. En juillet, ils ont demandé au ministre des mines Laurence Golborne la fermeture du puits San José. L’entreprise affrontait des dénonciations à répétition pour cause d’accidents du travail. Le ministre des Mines répondit que son travail à lui, c’est de créer des emplois” (2).
L’État a tout fait pour cacher la responsabilité de l’entreprise. Et, finalement, l’État et l’Entreprise se sont présentés comme des héros devant la classe ouvrière, dans la situation tragique que vivent tous les jours de l’année tant d’ouvriers au Chili et dans le monde entier.
Piñera lui aussi sait très bien que ces tragédies sont quotidiennes. Face à cela, il lui faut montrer sa grande préoccupation face à la souffrance des mineurs et de leurs familles. Il fallait faire vite, l’indignation des parents des mineurs et des travailleurs des mines proches commençait à s’exprimer. La possibilité d’une solidarité entre travailleurs s’est faite jour, avec les risques de soulèvements. L’État connaît bien la combativité des prolétaires des mines et il la craint.
Nous avons assisté à une propagande nationaliste frénétique dégageant un fumet paternaliste et triomphaliste écoeurant, une campagne montée autour du sauvetage des mineurs du nord du Chili. L’Etat, avec Piñera à sa tête, a créé un climat de fête nationaliste où on nous a fait voir que l’État et la bourgeoisie auraient les mêmes intérêts que les travailleurs, que tout le Chili est avec eux, que l’État veille sur l’intégrité de ses citoyens chiliens.
Le nationalisme dissimule la tromperie et l’exploitation des travailleurs. Et c’est ainsi qu’on a pu voir chanter l’hymne national chilien dans toutes les places et dans les rues, embrasser le drapeau tous ensemble comme des frères, exploiteurs et exploités. Les travailleurs sont tombés dans le piège de la bourgeoisie, noyés par la bile nationaliste crachée par cette classe d’exploiteurs. “Vive le Chili !”, “Fiers d’être Chiliens !”, “La grande famille chilienne”, “Merci à tout le Chili !”, toutes ces expressions font partie du poison nationaliste, un poison qui attaque directement la conscience de classe du prolétariat, en le sortant du terrain de classe de ses revendications et de ses luttes.
Le prolétariat du Chili et du monde entier doit prendre conscience que le nationalisme les mène à une impasse ; il divise les travailleurs pays par pays et finit par les affronter dans des massacres mondiaux ou locaux. Le capitalisme n’a qu’un intérêt : maintenir les travailleurs divisés et concurrents. Quelle différence y a-t-il entre les mineurs du Chili, du Pérou, d’Équateur, de Bolivie ou du Mexique ? (3) Aucune. Par contre, ils ont beaucoup de choses en commun. Tous sont soumis aux mêmes conditions inhumaines de travail, dans chaque puits, dans chaque mine. Mais ils ont aussi le même dénominateur commun : ils appartiennent à la même classe sociale et ils ont donc les mêmes intérêts à défendre. Quand les ouvriers revendiquent la patrie et l’État, ils ne font que renforcer leurs chaînes d’exploitation et d’esclavage. Le prolétariat ne doit pas perdre sa perspective de classe face à tous ces hymnes, tous ces torchons de couleur, tous ces prétendus cadeaux qu’on leur ferait. Ils ne doivent pas oublier que ces prétendus efforts que fait pour eux la bourgeoisie ne sont que des tours de passe-passe et des attrape-nigauds. La seule chose qui les intéresse, c’est de tirer leurs profits de nos efforts. Après ce sauvetage, les conditions de travail perdureront et seront encore pires à cause de la crise mondiale du capitalisme. Seule l’union de tous les ouvriers contre les intérêts de leurs exploiteurs pourra ouvrir une autre possibilité de vie. La classe ouvrière mondiale, en élargissant ses luttes économiques, en récupérant et en approfondissant sa vision politique, pourra montrer à l’humanité qu’elle est capable de mettre en avant une véritable communauté humaine dans laquelle le rôle de bêtes de sommes qui a été imposé aux ouvriers disparaîtra pour toujours.
Travailleurs de tous les pays, unissez-vous !
Grupo de Lucha Proletaria, Pérou
1 L’État et le nouveau président chilien, Piñera, se sont précipités pour “sauver” les mineurs d’autant plus rapidement que dans toutes les mémoires est encore présente l’ignominieuse “gestion” de l’État chilien lors du tremblement de terre de mars 2010. Lire “Sur les prétendus pillages après le séisme au Chili », Révolution internationale no 411, avril 2010. [NdT].
2 Pour plus d’information, voir www.surysur.net [157]
3 Ce texte a été rédigé par un groupe internationaliste péruvien. L’importance de cette prise de position est mise en relief par le fait que la haine du pays voisin est une constante dans les discours nationalistes des bourgeoisies chilienne et péruvienne, en lien avec une guerre qui opposa les deux pays pendant 5 ans à la fin du xixe siècle [NdT].
Alors que la loi sur la réforme des retraites occupe encore une large place dans l’actualité et dans les esprits, l’Etat prépare déjà une nouvelle attaque sur nos conditions de vie ou, dirait-on, de survie. Comme chaque année en cette période, le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) vient d’être présenté. “Budget de la Sécu : du sang et des larmes”, titrait la Dépêche du 26 octobre, pour reprendre une célèbre citation de Churchill employée par Yves Bur, le rapporteur du PLFSS qui annonce tout de suite la couleur. Si pour bon nombre de travailleurs, d’étudiants, de retraités et même de chômeurs, l’accès aux soins en France parait être “un des meilleur au monde”, cette réputation n’a cessé d’être entachée par diverse réformes depuis près de 50 ans. Rappelons seulement quelques grandes lignes :
– dans les années 1960 les remboursements dentaires et optiques ont été fortement réduits ;
– le remboursement des soins courants est passé progressivement de 80 % à 65 % (augmentation du ticket modérateur) ;
– un forfait hospitalier a été mis en place et régulièrement augmenté ;
– des médicaments de confort ont vu leur taux de remboursement réduit ou supprimé ;
– une participation forfaitaire (laissée à la charge de certains assurés) a été mise en place pour chaque visite chez le médecin et pour chaque acte médical de radiologie ou biologie ;
– une franchise a été instituée sur le remboursement de chaque boîte de médicaments, d’un acte paramédical ou d’un transport sanitaire.
Toutes ces attaques ont été menées alternativement, et sans le moindre état d’âme, par le droite ET la gauche !
Aujourd’hui, dans un contexte où le capitalisme connaît une crise économique mondiale d’une rare brutalité, l’heure est partout à la politique de rigueur et d’austérité. Le PLFSS pour l’année 2011, s’y inscrit pleinement. Dès les premières pages du dossier de presse on peut lire : “Les régimes sociaux ont été affectés par la crise économique avec une ampleur jusqu’ici inconnue : (…) pour la première fois depuis la création de la sécurité sociale, le déficit du régime général a doublé en un an, de 10 milliards d’euros en 2008 à plus de 20 milliards d’euros en 2009”. Face à cette situation catastrophique, le projet de loi annonce “le début du redressement” ! Concrètement, il s’agit pour la classe dirigeante de diminuer le déficit de plus de 25 % et donc d’économiser 7,2 milliards d’euros en 2011. Pour atteindre cet objectif, les projets de la classe dirigeante sont clairs : établir un contrôle drastique et une “rationalisation” des dépenses de l’Etat. Ainsi, derrière une volonté affichée de “diminution des niches sociales et fiscales”, c’est toute la classe ouvrière, qui voit ses conditions d’accès aux soins se dégrader lamentablement :
– fin de la prise en charge systématique des dépenses de transports pour les patients en ALD (1) ;
– baisse de 35 à 30 % des médicaments remboursés ;
– baisse également de 5 points du niveau de prise en charge des dispositifs médicaux ;
– augmentation de 4 % à 6 % du forfait social sur l’épargne salariale ;
– passage de 91 euros à 120 euros du plancher au-delà duquel les patients de paient plus 20 % de la facture à l’hôpital.
Fondamentalement, ce projet de loi se donne comme orientation une politique de contrôles plus systématiques des dépenses de la sécurité sociale en faisant le plus souvent des études du besoin au “cas par cas”. En clair, le système de santé s’oriente vers des prises en charge de soins uniquement en cas d’extrême nécessité, laissant les cas “moins graves” à la charge du patient qu’il en ait ou non les moyens. Dans une situation où déjà “26 % des Français renoncent à des soins pour des raisons économiques” (2), c’est un pas en avant vers la misère pour de plus en plus d’ouvriers.
Si aujourd’hui le capitalisme peine à prendre en charge ceux qu’il exploitait férocement hier, les retraités, demain, il ne pourra même plus maintenir en “état de travailler” sa main-d’œuvre !
Rodrigue, le 2 novembre
1 Affection de longue durée.
2 Déclaration de Catherine Lemorton, député socialiste, le 28/10/2010.
Nous publions ci-dessous deux tracts représentant l’effort d’une partie de la classe ouvrière, encore très minoritaire, à prendre ses luttes en main (1). Le premier a été rédigé et adopté par l’AG de Saint-Sernin (Toulouse). Le second a été réalisé par quelques participants de l’AG Interpro de la Gare de l’Est (Paris).
Il y aurait bien d’autres exemples. A Tours ou à Rennes, des travailleurs se sont aussi regroupés en AG Interpro. Un peu partout en France, la CNT-AIT a organisé des Assemblées populaires autonomes.
“L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes” (Karl Marx).
Face à la détermination de Sarkozy, ses médias et l’État policier à casser la lutte actuelle et à la discréditer par les plus infâmes provocations : Chômeurs, Retraités, Précaires, Travailleurs, Lycéens, Étudiants,
Affirmons notre unité et prenons nos luttes en main !
La mobilisation et l’enthousiasme lors de la manifestation de ce dernier mardi furent gigantesques. Nous avons le nombre, il nous faut maintenant développer la conscience que ce n’est qu’en se saisissant nous-mêmes des luttes, par la discussion la plus large, la fusion de tous les secteurs, l’appui des lycéens, des précaires, des chômeurs et des étudiants, que nous pouvons réellement gagner et imposer la volonté des plus larges masses.
Tenons sans délai des ag ouvertes à tous, décidons d’actions communes qui étendent massivement la lutte et la solidarité ! Partageons l’expérience des derniers piquets et blocages : envoyons des délégations de soutien, coordonnons nos efforts. N’est-il pas enfin temps de porter la lutte dans les secteurs les plus massifs : Thales, Airbus ? Notre seule “violence”, c’est de vouloir généraliser la grève. La véritable violence, c’est l’État qui la génère ou la provoque.
Solidarité avec les victimes de la répression ! Cette lutte que nous menons, d’autres la partagent en Espagne ou en Grèce par exemple : dans tous les pays, la classe ouvrière subit les exigences du Capital et sa soif irrépressible d’accumulation.
Les prolétaires de tous les pays comptent sur notre victoire pour leurs luttes futures !
Retrouvons-nous pour partager informations et perspectives de lutte dans l’AG en fin de manifestation, mais aussi tous les soirs de cette semaine : Bourse du Travail, place Saint-Sernin – 18 h 00.
Tract rédigé par des retraités, chômeurs, travailleurs et étudiants réunis devant la Bourse du Travail,
Le 20/10/2010.
saint-sernin.internationalisme.fr
A l’initiative de cheminots de la Gare de l’Est et d’enseignants du 18e, nous avons été une centaine de salariés (du rail, de l’éducation, de la poste, de pme de l’agro-alimentaire, de l’informatique…), de retraités, chômeurs, étudiants, travailleurs avec ou sans papiers, syndiqués ou non, à nous réunir le 28 septembre et le 05 octobre pour discuter des retraites et plus largement des attaques que nous subissons et des perspectives pour faire reculer ce gouvernement.
Nous avons été des millions à manifester et faire grève lors des dernières journées d’action. Le gouvernement ne recule toujours pas. Seul un mouvement de masse sera en mesure de le faire. Cette idée fait son chemin au travers des discussions autour de la grève illimitée, générale, reconductible et du blocage de l’économie…
La forme que le mouvement prendra est notre affaire. C’est à nous tous de le construire sur nos lieux de travail avec des comités de grève, dans nos quartiers au travers d’Assemblées Générales souveraines. Ils doivent réunir le plus largement possible la population travailleuse, coordonnés à l’échelon nationale avec des délégués élus et révocable. C’est à nous de décider des moyens d’actions, des revendications… Et à personne d’autre.
Laisser les Chérèque (CFDT), Thibault (CGT) et Cie décider à notre place, c’est se préparer à de nouvelles défaites. Chérèque est pour les 42 annuités. On ne peut pas non plus avoir confiance en Thibault qui ne revendique pas le retrait de la loi, comme nous n’oublions pas qu’en 2009 il buvait le Champagne avec Sarkozy alors que des milliers d’entre nous étaient licenciés, nous laissant nous faire battre séparément. Nous n’avons pas plus confiance dans les prétendus “radicaux». La radicalité de Mailly (FO) c’est de serrer la main d’Aubry en manif alors que le PS vote les 42 annuités. Quant à Sud-Solidaires, à la CNT ou l’extrême-gauche (LO, NPA), ils ne nous offrent d’autres perspectives que l’unité syndicale. C’est à dire l’unité derrière ceux qui veulent négocier des reculs.
Si aujourd’hui, ils enfourchent le cheval de la grève reconductible, c’est surtout pour éviter de se faire déborder. Le contrôle de nos luttes sert de monnaie d’échange pour être admis à la table des négociations… pourquoi ? Pour, comme il est écrit dans la lettre signée par sept organisations syndicales de la CFTC à Solidaire, “faire entendre le point de vue des organisations syndicales dans la perspective de définir un ensemble de mesures justes et efficaces pour assurer la pérennité du système de retraites par répartition.” Peut-on croire un instant qu’il peut y avoir une entente possible avec les casseurs de nos retraites depuis 1993, avec ceux qui ont entrepris la démolition méthodique de nos conditions de vie et de travail ?
La seule unité capable de faire reculer ce gouvernement et les classes dirigeantes, c’est de s’unir public et privé, salariés et chômeurs, retraités et jeunes, travailleurs avec ou sans papiers, syndiqués ou non, à la base dans des AG communes et en contrôlant nous même nos luttes.
Nous pensons que le retrait de la loi sur les retraites est l’exigence minimale. Cela ne saurait suffire. Des centaines de milliers de vieux travailleurs survivent déjà avec moins de 700 euros par mois, pendant que des centaines de milliers de jeunes vivotent avec le RSA, quand ils l’ont, faute de travail. Pour des millions d’entre nous, le problème cruciale c’est déjà de pouvoir manger, se loger et se soigner. De cela nous ne voulons pas.
Oui, les attaques contre les retraites sont l’arbre qui cache la forêt. Depuis le début de la crise, les classes dirigeantes avec l’aide de l’Etat jettent à la rue des centaines de milliers de travailleurs, suppriment des milliers de postes dans les services publics. Et nous n’en sommes qu’au début. La crise continue et les attaques contre nous vont devenir de plus en plus violentes.
Pour faire face, nous ne devons surtout pas avoir confiance dans les partis de la gauche (PS, PCF, PG …). Ils ont toujours gérés loyalement les affaires de la bourgeoisie en ne remettant jamais en cause la propriété privée industrielle et financière ainsi que la grande propriété foncière. D’ailleurs en Espagne comme en Grèce, c’est la gauche au pouvoir qui organise l’offensive du capital contre les travailleurs. Pour nos retraites, la santé, l’éducation, les transports et pour ne pas crever de faim, les travailleurs devront accaparer les richesses produites pour subvenir à leur besoin.
Dans cette lutte, nous ne devons pas apparaître comme défendant des intérêts catégoriels mais ceux de toute la population travailleuse, y compris les petits paysans, marins-pêcheurs, petits artisans, petits boutiquiers, qui est jetée dans la misère avec la crise du capitalisme. Nous devons les entraîner et nous mettre à la tête de toutes les luttes pour mieux nous en prendre au Capital.
Que nous soyons salariés, chômeurs, précaires, travailleurs sans papiers, et cela quelque soit notre nationalité, c’est toute la population travailleuse qui est dans le même bateau.
Rendez-vous pour en discuter
en AG interpro mardi 12 octobre à 18 h et le mercredi 13 octobre à 17 h
Bourse du travail, métro République
Des travailleurs et précaires de l’AG interpro de la Gare de l’Est
([email protected] [158])
Le 8 octobre 2010
1 Nous avons commencé à collecter sur notre forum de discussion [159] toutes les informations allant en ce sens. Naturellement, nous encourageons tous nos lecteurs non seulement à diffuser ces infos autour d’eux mais aussi à nous communiquer toutes initiatives dont nous n’avons pas eu connaissance, en les postant, par exemple, sur notre forum.
Nous publions ici une prise de position de l’Opposition ouvrière (Oposição Operária, plus connue sous le nom de OPOP, une organisation révolutionnaire au Brésil) sur les luttes en France et dont le grand mérite est d’avoir perçu la signification de ces luttes (le refus du prolétariat de se soumettre à la logique du capital), leur importance donnée par leur massivité mais aussi la recherche, encore minoritaire mais indubitable, de la prise en main de la lutte par les ouvriers eux-mêmes, en particulier contre toutes les formes de sabotage syndical. Enfin, c’est avec raison que la prise de position met en relief l’importance de cette expérience pour le futur et le prolétariat mondial. Signalons enfin que cette position a été réalisée à un moment où il n’était guère évident de percevoir, “de loin”, que la dynamique du mouvement s’était inversée.
Nous appartenons à l’Opposition ouvrière, une organisation de travailleurs au Brésil, et voulons, à travers cette prise de position, nous solidariser avec la lutte de la population travailleuse en France. La lutte actuelle est un combat des salariés français, des étudiants, des chômeurs, du jeune qui arrive sur le marché du travail, des retraités, etc. Bien plus qu’une lutte contre la réforme des retraites, il s’agit d’une démonstration de la résistance des travailleurs du monde entier contre la suppression de nos droits, c’est une démonstration de force et de courage pour montrer aux gouvernements et aux patrons que nous ne pouvons pas accepter que se dégradent nos conditions de vie.
Nous produisons aujourd’hui bien plus que ce n’était le cas dans le passé, nous sommes à l’origine de la création d’une richesse bien plus importante qu’avant et nous ne pouvons pas nous laisser avoir par le discours selon lequel nous devrions travailler plus longtemps parce qu’ils n’y aurait pas de quoi nous payer. Davantage d’années travaillées signifie moins d’emplois disponibles pour les jeunes qui arrivent sur le marché du travail, donc plus de chômeurs aujourd’hui et demain. L’importance de cette lutte vient du fait essentiel que nous nous ne pouvons tolérer cela.
Malgré toute la violence avec laquelle l’Etat français a réprimé le mouvement jusqu’à présent, malgré toutes les manœuvres de l’Intersyndicale et de ses syndicats collaborationistes, c’est avec beaucoup de joie que nous, au Brésil, percevons que le mouvement se poursuit avec force de même que l’agitation continue à se développer. C’est avec beaucoup de joie que nous percevons également que, malgré les manipulations des médias en France et dans le monde, ce nouveau mouvement de la lutte des travailleurs en France continue de recevoir le soutien de la population de ce pays.
Oui, il est important de politiser ce mouvement. De même que sont importantes les réunions et discussions des Assemblées générales qui peuvent se tenir après les manifestations massives. Il est important de s’adresser au mouvement, de favoriser la solidarité entre les différents secteurs, entre les différentes générations, de lutter contre la misère dont sont accablés tous les travailleurs du monde, contre la précarité qui nous poursuit dans tous les coins de la planète, contre l’exploitation à laquelle nous sommes soumis de façon croissante.
Il est surtout important d’être conscients que les attaques massives que subissent les travailleurs du monde entier font partie d’une politique du capital pour sauver son Etat, ses entreprises et son système capitaliste. C’est la crise du capitalisme et l’endettement croissant des Etats qui réclament des mesures draconiennes dont nous sommes la cible. L’aggravation du chômage, la diminution des salaires, la précarisation croissante des emplois des jeunes en sont l’expression. Augmenter le nombre des annuités nécessaires pour partir en retraite ne fait qu’aggraver toutes ces conditions.
L’aiguisement des contradictions entre bourgeoisie et prolétariat (à la fois les parents et les enfants de cette population exploitée) souligne que de telles confrontations ne pourront que s’intensifier dans le futur. Nous, travailleurs du monde entier, devons prendre exemple sur les camarades français qui se préparent à “prendre en lutte en mains”. Réagir aux attaques nous rend notre dignité. Chercher à donner une direction au mouvement, c’est aussi refuser de se laisser transformer en une masse de manœuvre dans les mains des syndicats et des politiciens professionnels.
Ne nous trompons pas, d’autres attaques viendront. La force de notre résistance peut maintenant s’inspirer de celle du prolétariat français. Il faut et nous devons absolument réagir. Nous devons savoir développer et conduire la lutte. Nous devons répondre aux attaques contre nos vies, pas seulement pour faire échec à une offensive, celle du moment, mais pour montrer clairement que nous n’allons pas tolérer que soient supprimées nos conquêtes historiques, nos emplois, nos salaires, nos retraites.
Il est évident que beaucoup de nos problèmes ne seront pas résolus dans le cadre d´une société capitaliste et notre perspective doit toujours être celle de son dépassement. Tant que cela n´est pas réalisé, nous ferons en sorte de défendre nos vies, nos enfants, notre avenir et celui des nouvelles générations. Ainsi, nous saluons une fois de plus la lutte dela classe ouvrière française qui est la lutte du prolétariat mondial.
Opposition ouvrière (Brésil)
26 octobre 2010
La boue rouge toxique provenant de l’usine de bauxite-aluminium à proximité de la ville d’Ajka (1), souillant le Danube, inondant les cours d’eau voisins et les villages de Devecser et Kolontar (les plus touchés), ne pouvait que générer un sentiment d’effroi. Il s’agit là de la plus grave pollution qu’ait connu la Hongrie dans son histoire ! Ce sont des milliers de mètres cubes de boue empoisonnée qui ont été libérés dans la nature. Cependant, au-delà des images spectaculaires du paysage désolé des premiers reportages télévisés, une autre réalité tout aussi choquante, mais beaucoup moins médiatisée, apparaissait au détour des commentaires officiels : celle de la mort immédiate puis à terme ! L’horreur générée par la dizaine de victimes (dont une fillette de 14 mois), les disparus, le fait que plus d’une centaine de blessés, atteints de graves lésions, se retrouve aujourd’hui en proie à de véritables souffrances. Cette boue rouge corrosive, composée de métaux lourds et légèrement radioactive, provoque en effet des brûlures profondes et irrite très fortement les yeux. Les composants chimiques de cette infâme mixture s’avèrent cancérigènes. Des milliers de villageois ont d’ailleurs décidé de fuir leur domicile pour éviter de mettre leur santé en péril.
Tous les drames humains de cette catastrophe ont été bien évidemment noyés de façon intentionnelle dans les quelques commentaires que les journalistes ont bien voulu nous présenter. Comme de coutume, la classe dominante a minimisé la catastrophe : “Le risque de la pollution du Danube par la boue rouge toxique est liquidé.” Voilà ce qu’annonçait lamentablement le Premier ministre hongrois, Victor Orban, lors d’une conférence de presse à Sofia, quelques jours seulement après l’accident, ajoutant sans sourciller que “les autorités hongroises contrôlaient la situation” (2). En même temps, les journalistes détournaient l’attention et la réflexion sur les conséquences tragiques de l’accident, se contentant d’images spectaculaires, destinées à terroriser les populations, évacuant ainsi toute véritable explication (3). De toutes les façons, selon la propagande d’Etat, les accidents industriels liés aux “risques technologiques” (4) ne sont que “le prix à payer”, la “rançon inévitable du progrès”. Autrement dit, le fait qu’il y ait des victimes doit être accepté comme une fatalité, pour ne pas dire comme quelque chose de “normal” !
Nous ne pouvons que dénoncer avec colère et indignation cette idéologie nauséabonde et surtout la volonté de cacher des meurtres programmés par une classe capitaliste sans scrupules. Nous ne pouvons que dénoncer fermement la barbarie consistant à obliger les populations à vivre dans un environnement dangereux, puis à déplacer froidement ensuite des villageois, après coup, comme on déplace des poulets en batterie, alors qu’on les a délibérément surexposés, au mépris total de leur vie.
Cela fait longtemps que les fuites de boue rouge provenant du réservoir défectueux étaient détectées, que les risques de contamination directe des villages avoisinants et des cours d’eau étaient connus. L’exposition des populations n’était un secret pour personne chez les patrons et politiciens locaux ! Mais parce que la prévention n’est pas une activité rentable, la bourgeoisie a préféré faire des économies, quitte à jouer à la roulette russe avec une partie de la population. A ce jeu, ce sont toujours les mêmes qui trinquent !
Les “experts”, les politiciens, les patrons et les journalistes, savent pertinemment que la bordure industrielle du Danube est une gigantesque poubelle à ciel ouvert, que les installations vétustes, non sécurisées faute de moyens, ne peuvent que provoquer de nouvelles catastrophes similaires. Dès les premières coulées de boue, ils ont tout fait pour minimiser l’ampleur des dégâts, pour minorer l’impact de la catastrophe. Ils ont fait mine ensuite, face à l’évidence, de découvrir avec surprise les conditions de cette nouvelle catastrophe, pointant du doigt au passage les “vestiges” hérités de la période du prétendu “communisme”, pour mieux dédouaner leur système et leur propre responsabilité (5).
Si aujourd’hui les médias sont passés à autre chose, si l’événement ne fait plus la une des journaux, la catastrophe et les souffrances sont loin d’être terminées !
Cette catastrophe n’est ni naturelle, ni le produit de la fatalité. Elle est l’expression même de la folie destructrice générée par la recherche effrénée du profit. La concurrence exacerbée, dans un monde où les marchés se réduisent comme peau de chagrin, oblige tous les industriels et les Etats à prendre de plus en plus de risques, à rogner toujours plus sur les marges de sécurité pour faire des économies. En même temps, les ressources naturelles sont livrées partout à un véritable pillage et sont soumises à des destructions accélérées. La catastrophe en Hongrie est déjà là. Non seulement le Danube, deuxième plus grand fleuve d’Europe, est pollué, mais certains cours d’eau appartenant à son réseau hydrographique ont un écosystème complètement détruit. C’est le cas de la rivière Marcal (qui se jette dans le Raab, affluent direct du Danube) où les poissons inertes flottent dans une eau couleur rouille. Il faudra de longues années, sinon des décennies, avant de voir la vie y renaître ; sans compter les dégâts produits dans toutes les terres environnantes et les eaux d’infiltration, de ruissellement et celles filtrées pour finir dans la nappe phréatique. Plus d’un millier d’hectares contaminés affecte désormais l’activité agricole et la chaîne alimentaire de cet espace pollué. Que vont provoquer sur le long terme les poussières une fois les boues séchées ? Car il est avéré que tant que les boues restent liquides leur dangerosité est moindre.
Une fois de plus, la bourgeoisie étale son incurie et son mépris total de la vie humaine. Et non seulement son instinct de classe n’est guidé que par la quête assoiffée d’un profit immédiat, mais son aveuglement est tel qu’elle scie tous les jours un peu plus la branche sur laquelle elle est vautrée. Bien sûr, certains bourgeois interpellent le reste de leur classe à freiner l’enfoncement dans la catastrophe. C’est peine perdue, car la logique générale du capitalisme au profit rapide, alliée à l’involution actuelle dans la crise et donc dans l’effondrement de pans entiers de l’économie, ne peut que pousser encore plus les rapaces de l’industrie et de la finance à sucer jusqu’à la moelle les moindres industries encore rentables, les régions de la planète où un profit rapide est faisable en exploitant pire que des bêtes les prolétaires, et en faisant fi de toute mesure de sécurité, trop “coûteuse”. Quitte à entraîner avec eux, et sans même y réfléchir une seconde, le reste de l’humanité.
WH (14 octobre)
1 A 160 kilomètres à l’ouest de la capitale, Budapest.
2 fr.sputniknews.com [160]
3 Rappelons nous, entre autres, du silence orchestré il n’y a pas si longtemps concernant 11 ouvriers morts suite à l’explosion de la plateforme pétrolière dans le Golfe du Mexique. Les images en boucle de cette explosion spectaculaire ont produit des commentaires omettant systématiquement de parler des victimes (voir RI no 413 [161], juin 2010).
4 Dans les programmes de géographie des lycées, il existe un objet d’étude intitulé : “risques technologiques”. Une façon d’habituer les jeunes à intégrer avec fatalisme le fait que les populations urbaines sont de plus en plus exposées aux catastrophes.
5) En France, à Gardanne (Bouches-du-Rhône), le problème posé par une partie de ces boues, sous forme liquide, est “réglé” d’avance : elles sont rejetées au large, dans la mer Méditerranée !
Neuf mois après le séisme qui a ravagé Haïti, l’incurie de la bourgeoisie ne pouvait manifestement pas se limiter aux appétits impérialistes que la catastrophe n’a pas manqué d’aiguiser, aux belles promesses mensongères d’aide financière, aux centaines de milliers de morts, à l’effroyable entassement de millions de victimes dans des camps surpeuplés (1). Après le véritable déferlement de quasiment 10 000 ONG (2) suite au séisme, et aussi de ces innombrables chercheurs de scoop de la presse et du monde politique, après tout l’hypocrite et infect battage larmoyant des dirigeants du monde entier (3), rien de sérieux n’a été fait. Faute de moyens donnés car faute d’intérêt minimum pour cette population livrée à la misère et au banditisme les plus crasses. Alors que tous les spécialistes mondiaux annonçaient dès le mois d’avril que le pire était à venir avec l’arrivée de la saison des pluies dans une situation sanitaire catastrophique, et donc la survenue brutale d’épidémies, la bourgeoisie internationale a… attendu la pluie !
Cette épidémie annoncée de choléra va avoir des conséquences dramatiques. Depuis plusieurs semaines, la maladie se propage en effet avec une rapidité et un taux de létalité extrêmement élevés. A l’heure où nous écrivons ces lignes, le gouvernement local dénombre déjà plus de 330 victimes et des milliers de contaminés ; mais dans ce pays exsangue les estimations sont impossibles à établir, et de nombreux indices font suspecter une contagion en réalité bien plus massive encore.
Les éternelles et hypocrites lamentations de la “communauté internationale” sont, jusqu’ici, plutôt discrètes et tranchent avec l’écœurant show médiatique organisé après le séisme. Et pour cause ! Il lui faudrait désormais expliquer ses méthodes inavouables. A tous les niveaux, et sans aucune ambiguïté, la bourgeoisie est directement responsable de cette nouvelle catastrophe.
Le choléra est une maladie liée aux conditions d’existence insalubres dont sont victimes les Haïtiens. Il se transmet par l’intermédiaire d’une bactérie surtout présente dans l’eau souillée par des matières fécales contaminées. Dans un pays où moins de 3 % des décombres causés par un séisme vieux de neuf mois ont été évacués, on imagine facilement l’état du réseau d’assainissement des eaux que la population est contrainte de consommer. C’est que la reconstruction d’un pays implique des moyens matériels et financiers, certes promis par des bourgeoisies en quête d’influence et de marchés mais jamais dispensés : plus de 70 % des subventions annoncées n’ont pas été versées.
Pis, la diffusion de la bactérie est favorisée par des flux migratoires chaotiques dus aux milliers d’expulsions par des propriétaires impatients de récupérer leurs terrains occupés par les camps.
La loi du profit fera toujours de la bourgeoisie une classe d’assassins sans scrupules.
V. (30 octobre)
1 Voir l’article “En Haïti, l’humanitaire comme alibi [58]” dans Révolution internationale no 409.
2 Comme le disait un fonctionnaire de l’ONU, “Haïti est devenue comme un Paris-Dakar de l’humanitaire”.
3 Dirigeants qui, de Sarkozy (dont le ministre Besson avait promis d’interrompre les expulsions, promesse qui n’a tenu que dix jours !) à Obama, n’ont jamais eu d’états d’âme pour renvoyer chez eux, et à coups de matraque, ces Haïtiens cherchant à échapper aux horreurs qui dévastent ce pays.
De récents articles de journaux de Simon Jenkins, dans The Guardian du 10 septembre par exemple, ont montré certains liens au sein de la bourgeoisie sur la question des drogues ; la faillite évidente de la “guerre contre les drogues”, de légaliser telle ou telle drogue, ou de les criminaliser ou non, etc. Tout cela n’est que du vent. Les drogues et leur business font partie intégrante des aspects de la vie du capitalisme et, pire encore, sont des aspects intrinsèques du militarisme, de l’impérialisme et de la décomposition capitaliste. Jenkins souligne que les 28 000 assassinats au Mexique ces dernières quatre années sont un effet direct du commerce de la drogue. Il fournit également une estimation d’un demi-million de gens directement employés dans ce commerce – alors que d’autres estimations les montent à un million (1). Au Mexique, l’industrie de la drogue est un des rares secteurs en pleine expansion dans un pays où la pauvreté frappe de plus en plus lourdement. Le président Felipe Calderon a d’ailleurs reconnu une défaite dans sa guerre de quatre ans contre le trafic de drogue. Un expert de cette “guerre contre la drogue”, Edgardo Buscialga a considéré, dans The Guardian du 13 septembre 2010, que la prédominance des cartels de la drogue au Mexique consistait en une “narco-insurrection”, et la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton, au début du mois de septembre, en est venue à suggérer que le Mexique était un Etat en faillite.
Jenkins insiste avec regret sur l’impact de la criminalisation des drogues sur les démocraties d’Amérique latine, sur la Bolivie, le Pérou, la Colombie et encore sur le Mexique. Mais ces Etats démocratiques n’ont été “pollués” par la drogue illégale, et particulièrement dans la période actuelle où le capitalisme pourrit sur pied, que parce que ces Etats relativement faibles ne pouvaient être que des organisations de gangsters ainsi que toute la criminalité qui va avec. Il en est de même des puissances plus fortes et majeures dont les services secrets et militaires sont profondément impliqués dans l’industrie de la drogue. Quelles soient légales ou illégales, les drogues ne sont pas un problème latino-américain, mais une des faces de l’impérialisme mondial.
Pour donner un exemple : à la frontière canadienne, malgré les divers mesures répressives, le business “drogues contre des armes” ou pour du cash est tout à fait aussi actif sinon aussi dramatique qu’au sud des Etats-Unis. La police canadienne estime à une centaine de milliers de Colombiens britanniques engagés dans le seul trafic de la marijuana. Il existe de véritables Nations-Unies des gangs criminels organisés avec des dizaines de milliers de gens inclus dans le passage rapide aux frontières du Canada vers les Etats-Unis, impliquant des bandes grandissantes de voyous en motos. Simon Jenkins propose de distinguer entre drogue “dure” et drogue “douce” impliquant un élément de décriminalisation. Mais lui-même, bien qu’il ne voit d’issue au problème, a raison de poser la question de l’hypocrisie de la “guerre contre les drogues” et note les mots de l’ancien chef de la lutte anti-drogue aux Nations-Unies, Antonio Maria Costa, avec une colère justifiée : Costa a récemment suggéré que les 352 milliards de dollars du cartel de la drogue avaient aidé à soutenir la faillite du système économique mondial de 2008-2009 en fournissant de nombreuses liquidités qui y étaient nécessaires. Mais même cela n’est pas l’indication majeure de la taille de l’industrie de la drogue et de ses relations avec l’irrationalité et la décomposition de la société capitaliste.
Depuis plusieurs années déjà, le pavot, symbole du carnage de la guerre (2), a gagné une valeur ajoutée piquante. L’Office des Nations unies contre la drogue et le crime a détaillé la culture du pavot afghan comme étant passé de 64 % de la production mondiale de l’héroïne à 92 % aujourd’hui. Il estime également le nombre d’Afghans impliqués dans la production générale et dans le processus de distribution entre 1,7 et 2,3 millions de personnes. Depuis la même période, le prix de base de l’opium sec est tombé de 69 %. L’occupation militaire britannique de la province de Helmand a supervisé la culture de la production de pavot qui s’étend aujourd’hui à 70 000 hectares. Dans le contexte de l’impérialisme, la “guerre contre la drogue” est aussi frauduleuse que la “guerre contre le terrorisme”. Dans les deux cas, le capitalisme est amené à utiliser la décadence de son système afin de s’en nourrir lui-même. Ceci a pour conséquences qu’on peut voir ou cacher, débattre ou ne pas prendre en considération toutes les dévastations qu’il cause, mais toute l’humanité est concernée.
Au début de 2007, les Nations Unies estimaient qu’il y avait environ un million de dépendants à l’opium en Afghanistan, dont 600 000 de moins de 15 ans et un nombre grandissant de femmes (Al Jazeera du 15 juillet 2007). L’héroïne bon marché d’Afghanistan est en train d‘avoir des effets dévastateurs en Iran, en Inde, en Russie, aux Etats-Unis, au Canada et en Chine, où elle est la cause d’instabilité sociale particulière, sans compter avec le Sida et d’autres maladies, de la prostitution et des éléments d’esclavagisme qui vont avec.
Dans les pays principaux de l’Europe, les effets de la misère sont ressentis directement depuis les îles écossaises, où les marins sans emploi, de solides et forts membres de la communauté, avec des compensations en poche, tombent dans les bras de “Madame La Joie”.
D’un côté du monde à l’autre, des régions les plus pauvres à celles relativement mieux loties, l’héroïne afghane sème son chaos.
Il y a une semaine ou deux, des journaux (également la BBC du 12 septembre) ont rapporté un informateur tirant la sonnette d’alarme à propos de “grandes quantités” d’opium ayant été exporté d’Afghanistan par des avions américains, canadiens et britanniques. Cela est tout à fait possible et n’est pas forcément en lien avec une politique délibérée des militaires, mais c’est une conséquence directe de l’impérialisme. Lorsque la production de l’opium en Afghanistan a commencé à s’envoler au début des années 1990, face à la Colombie et à la Birmanie, ses rivales dans le commerce de l’héroïne, la CIA a fondé et soutenu le seigneur de la drogue, Ahmed Shah Massoud. Le MI6 l’a aussi armé et assuré dans cette position, et les services secrets britanniques ont appris à son entourage immédiat (3) l’anglais : auparavant, il a entretenu des liens avec le KGB russe ainsi qu’avec les services secrets français. Comme l’intervention directe de l’Ouest en Afghanistan dès la fin de 2001, la production d‘opium afghane a augmenté de 33 %. D’après ce que dit l’ex-ambassadeur britannique en Ouzbékistan, Craig Murray, dans un article de 2007 du Daily Mail, les services secrets occidentaux ont aidé l’Afghanistan à dépasser la simple production fermière d‘opium vers une conversion de l’héroïne à un niveau industriel avec, cela va sans dire, l’implication directe de l’Etat afghan. Le grand changement opéré ici est l’exportation d’héroïne plutôt que d’opium, et cela nécessite de grandes usines, des volumes de produits chimiques importés, des ouvriers et de nombreux moyens de transport pour exporter les produits raffinés (c’est une des nombreuses ironies de l’Afghanistan que l’Ouest paye les talibans pour qu’ils veillent au moins partiellement à l’exportation de l’héroïne raffinée).
Avant 1979, très peu d’opium venait d’Afghanistan vers l’Ouest, mais alors la CIA, dans sa campagne anti-russe a commencé à envoyer des camions d’armes à Karachi, d’où ils revenaient chargés d’héroïne (The Road to 9.11, UCP, 2007).
Le rôle des services secrets de l’impérialisme dans le commerce de la drogue est remarquable depuis la Seconde Guerre mondiale : la CIA et l’implication de la mafia corse dans le commerce de cocaïne à la fin des années 1940 – la fameuse “French connection” ; en Birmanie, au Laos et en Thaïlande dans le Triangle d’Or, où la CIA envoyait de la drogue à travers toute l’Asie du Sud-Est ; au Panama dans les années 1970 avec l’implication américaine dans le trafic de drogue avec leur marionnette Noriega ; au Vietnam, où la compagnie “Air America” contrôlée par la CIA envoyait de la drogue entre le Laos et Hong-Kong ; le commerce de cocaïne en Haïti dans les années 1980 ; la politique de la CIA dans l’Irangate (“Iran-Contra”) où des armes étaient vendues à l’Iran pour financer des militants anti-communistes au Nicaragua, militants qui étaient aussi par ailleurs “soutenus” par un gigantesque trafic de cocaïne aux Etats-Unis mêmes ; et, plus récemment, les “taxis de la torture” de la CIA, qui servaient à livrer à des bourreaux “amis” des prisonniers de Guantanamo ou ailleurs, et qui servaient aussi à transporter la drogue via les aéroports européens comme Gatwick avec, on peut supposer, l’aval des Etats concernés qui ont soit fermé l’œil soit été directement complices.
La CIA et les services secrets pakistanais, à travers la Banque de Crédit et de Commerce Internationale, utilisant aussi les services britanniques et le Mossad, ont trouvé un facteur majeur de financement, à travers les profits de vente d’opium, le Jihad des Etats-Unis, du Pakistan, de l’Arabie Saoudite, de la Grande-Bretagne, contre les Russes en Afghanistan dans les années 1980.
Ce n’est qu’une partie de l’étendue du rôle de l’impérialisme dans le commerce de la drogue et de l’abjecte hypocrisie de la “guerre contre la drogue”. En remontant bien plus loin en arrière, nous avons l’exemple de la “Guerre franco-anglaise de l’opium” contre la Chine. Pour citer Karl Marx dans le New York Daily Tribune du 25 septembre 1858 : “(le) gouvernement britannique, la bouche pleine de bonnes paroles chrétiennes et civilisées (…) prétend dans sa capacité impériale n’avoir rien à voir avec la contrebande d’opium, et signe même des traités l’interdisant”.
Il n’y a rien de nouveau sous le soleil capitaliste ; on comprend ainsi la “guerre contre la drogue” du Premier ministre Lord Palmerston en même temps que sa guerre pour la culture, la propagation et la vente forcées de l’opium. Une certaine quantité de ce dernier était aussi vendue à la classe ouvrière de Grande-Bretagne sous l’appellation généreuse de “Cordial de Godfrey”, un opiacé utilisé pour droguer les enfants alors que les deux parents travaillaient4, produisant des générations de drogués à l’opium.
En un certain sens, il s‘agissait de la “revanche” de la Chine et de l’Inde, mais en fait l’ensemble du commerce de l’opium était totalement irrationnel et aux dépends du commerce d‘autres produits. La Compagnie des Indes Orientales cessa de devenir l’exportatrice directe de l’opium vers la fin des années 1700 mais devint sa productrice, alors que les propres bateaux de la compagnie étaient sentencieusement interdit de trafiquer la drogue. Malgré les tentatives de l’Empire Céleste de combattre l’importation de la production britannique de l’opium indien en Chine, la Grande-Bretagne et Palmerston facilitaient ce “commerce” par la force des armes. Marx a montré cette irrationalité et cette expansion du capitalisme sans moralisation. Mais, dans un article paru dans le New York Daily Tribune du 20 septembre 1858, titré “Commerce ou opium ?”, il cite l’Anglais Montgomery Martin : “Pourquoi le ‘commerce des esclaves’ était comparé sans pitié au ‘commerce de l’opium’. Nous n’avons pas détruit les corps des Africains, car c’était dans notre intérêt immédiat de les garder en vie ; nous n’avons pas dégradé leur nature, corrompu leurs esprits, ni détruit leur âme (juste un peu, NDLR). Mais le marchand d‘opium tue le corps après qu’il ait corrompu, dégradé et annihilé l’être moral de malheureux sinners, pendant que chaque heure apporte de nouvelles victimes au Moloch qui ne connaît pas de satiété, et où le meurtrier anglais et le Chinois suicidaire se font concurrence pour apporter leurs offrandes à son autel”.
Il a été dit que Marx soutenait les guerres de l’opium de la Grande-Bretagne contre la Chine, mais ce n’est pas vrai et provient d’une mauvaise lecture du Manifeste communiste sur comment les marchandises bon marché du capitalisme “battent en brèche tous les murs de Chine, avec lesquelles il force les barbares qui haïssent intensément les étrangers à capituler”.
En fait, dans ce cas, il ne s’agissait pas de marchandises bon marché mais de cuirassés, d’artillerie et d’opium – ce dernier assez bon marché pour fournir à la Compagnie des Indes Orientales et donc à l’Etat anglais un retour de 800 % des volumes de ce commerce “particulier”.
Encore d’après Marx, du journal cité plus haut, sur l’ironie délirante de cette situation tout à fait bizarre : “Alors que le demi-barbare se fiait aux principes de la moralité, l’homme civilisé lui a opposé le principe de l’égoïsme. Qu’un empire immense, qui végète en dépit du temps, isolé par la force des échanges entre les nations, et qui réussit ainsi à s’imaginer d’une perfection céleste – qu’un tel empire soit enfin happé par le destin dans un duel à mort ou les représentants du monde antique semblent animés par des motifs nobles alors que les représentants de la société moderne se battent pour le privilège d’acheter à prix bas pour revendre à prix cher, voilà un couplet tragique plus étrange qu’un poète n’aurait pu l’imaginer”.
Aujourd’hui, alors que les contradictions du capitalisme en sont arrivées à un point extrême, dont le rapport entre drogues et impérialisme n’est qu’un exemple de plus, on nous sert le couplet absurde de la “guerre contre la terreur” et la “guerre contre la drogue”.
Baboon (24 septembre)
1 John Ross, El Monstruo - Dread and Redemption in Mexico City.
2 Depuis la guerre de 1914-18, une des fleurs de pavot, le coquelicot, est le symbole des soldats anglais morts dans les champs de Flandres.
3 Steve Coll, Ghost Wars.
4 Le Capital, voir le chapitre sur la grande industrie.
Nous publions ci-dessous la traduction d’un échange qui a eu lieu sur notre site en espagnol (rubrique “Commentaire”) à propos de notre article “Gauche communiste et anarchisme internationaliste : ce que nous avons en commun” (1).
Le premier camarade affirme des points de désaccords avec notre analyse de la nature de l’anarchisme internationaliste. En particulier, il doute très fortement du bien-fondé de la collaboration avec les anarchistes, même “internationalistes”.
Le second tente de répondre en partie à ces critiques et pose surtout de nouvelles questions.
Nous ne répondrons pas ici à ces interrogations, nous les laissons pour l’heure en suspens (et nous renvoyons nos lecteurs à notre série de trois articles sur “Gauche communiste et anarchisme internationaliste”). Elles sont à nos yeux une contribution au débat, ouvert et fraternel, au-delà des désaccords, qui doit se développer à l’échelle internationale.
Chers camarades,
Avant tout, je vous envoie de loin mes plus sincères et fortes salutations. Je vous écris pour un certain nombre de raisons ; entre autres, un bref commentaire à votre article récemment publié dans Acción Proletaria (2) avec le titre “Gauche communiste et anarchisme internationaliste : ce que nous avons en commun”. Ce qui m’a frappé dans cet article, c’est cette salutaire culture du débat que vous pratiquez vis-à-vis d’autres mouvements prolétariens lorsqu’on a la volonté “de comprendre les positions de l’autre, de cerner honnêtement les points de convergence et de divergence” ; d’un autre côté, “encore faut-il savoir distinguer les révolutionnaires (ceux qui défendent la perspective du renversement du capitalisme par le prolétariat) des réactionnaires (ceux qui, d’une façon ou d’une autre, contribuent à la perpétuation de ce système)”. Et ceci, pour toujours mettre en avant les principes révolutionnaires communistes. Ceci dit, et je voudrais que vous preniez cette critique comme salutaire, il y a un point dans cet article que je ne partage pas du tout. Votre texte dit : “[Ces maladresses de notre part] révèlent la difficulté de voir, au-delà des divergences, les éléments essentiels qui rapprochent les révolutionnaires.”. Je considère que le communisme et l’anarchisme ne partagent pas des éléments essentiels, mais plutôt des perspectives générales pour l’humanité et peut-être certains objectifs immédiats qui peuvent faire que certaines interventions conjointes puissent être acceptables. Je pense que lutter pour la révolution communiste dans ces eaux troubles, froides et traîtresses du capitalisme avec des mouvements qui se prétendent et qui montrent une apparence de révolutionnaires est toujours dangereux à long terme. En fait, je ne sais pas si cet anarchisme “révolutionnaire” pourrait être catalogué comme tel. En tout cas, il faudrait regarder la pratique à long terme de l’anarchisme “révolutionnaire” pour tirer les conclusions appropriées et mettre en avant, depuis le début et d’une façon claire, les délimitations qui existent entre le communisme et l’anarchisme avant de mener une intervention commune. Cela ne signifie pas que je m’oppose à ce que l’on établisse certaines “alliances” avec les anarchistes pour lutter pour les intérêts généraux du prolétariat ; ce que je veux exprimer, c’est qu’on doit différencier avec plus de précision les éléments essentiels qui configurent le mouvement anarchiste. Je considère, en effet, que les éléments qui rapproche l’anarchisme du communisme ne sont pas essentiels, mais plutôt des éléments apparents et passagers quel que soit le degré d’honnêteté de l’anarchisme. Ce ne serait pas de trop de rappeler aux anarchistes eux-mêmes que le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions. Une organisation révolutionnaire ne l’est vraiment que si, en premier lieu, elle ne perd jamais de vue la perspective révolutionnaire de transformer qualitativement le régime de production actuel qui génère tant d’oppression, mais aussi si elle ne se développe pas de façon permanente sur la base de principes programmatiques qui doivent être nécessairement homogènes ; des principes programmatiques dont l’objectif indispensable est l’abolition de tout ce qui existe avec une stratégie pour le mener à terme, une stratégie que l’anarchisme ne partage pas sur la forme et encore moins sur le fond : le communisme. Autrement dit, si on perdait de vue les principes communistes qui animent et donnent vie à une structure politique véritablement révolutionnaire, cela aurait pour conséquence l’oubli des différences politiquement transcendantales avec d’autres mouvements au moment même de sauvegarder la révolution elle-même, celle d’un prolétariat organisé en soviets. Je souhaiterais que ce que je dis ici soit pris comme une critique fraternelle, étant donné que c’est bien avec vous que je partage non seulement une bon nombre de principes, mais aussi des positions concrètes sur des faits concrets.
Leon’s
Il faut saluer le camarade Leon’s pour sa critique à l’article d’Acción Proletaria sur l’anarchisme. Dans l’article, et aussi dans cette critique de Leon’s, on met en avant le fait que l’internationalisme est une frontière de classe autant chez les marxistes que chez les anarchistes. Ce qui arrive souvent c’est qu’on parle d’internationalisme d’une façon confuse, abstraite, et cela donne lieu à de nombreuses ambiguïtés. Je ne fais pas du tout référence aux petits toutous apprivoisés de la bourgeoisie, qu’ils soient marxistes ou anarchistes, ça c’est une autre affaire ; je parle des camarades qui pensent et agissent avec loyauté, qu’ils soient anarchistes ou marxistes, qui se trouvent aujourd’hui sur le terrain de l’internationalisme. Ici et maintenant je me pose, personnellement, deux questions :
1) Je connais quelques camarades anarchistes honnêtes, mais qui ne pensent pas que la lutte de classe soit un fait déterminant dans la marche de l’histoire, qui parlent d’oppresseurs et d’opprimés, de peuple exploité par les riches et les multinationales, mais ne parlent pas de la lutte de classe comme quelque chose de central. Ceci est somme toute logique, puisque, historiquement, cette question de la lutte de classe n’a jamais été tout à fait claire chez les anarchistes. Donc, pour moi, la question concrète, une question qui n’est pas posée ni dans l’article du CCI ni dans le commentaire du camarade Leon’s, est de savoir si ces éléments qui ne pensent pas que la lutte de classe soit un facteur essentiel dans les changements historiques peuvent faire partie du terrain internationaliste. Voilà une question que je me pose et dont j’aimerais bien discuter.
2) D’un autre coté, je pense que l’internationalisme, comme le disait Lénine par rapport à la vérité, c’est toujours quelque chose de concret, parfaitement palpable et mesurable… ou est-ce qu’il existe des formes différentes d’internationalisme prolétarien ? C’est pour cela que je me permets d’attirer l’attention des camarades comme Leon’s, mais aussi ceux du CCI, sur une partie de l’introduction (3) à la brochure Nation ou classe, où il est dit que l’internationalisme prolétarien se concrétise sur une série de points que je me permets de citer en partie… Voici la citation : “Mais, quel est donc le véritable internationalisme ? Comment pouvons-nous le mettre en pratique ? L’internationalisme prolétarien se concrétise dans :
“1. La dénonciation totale des blocs impérialistes, des idéologies qui leur servent de sergents recruteurs, des partis qui les soutiennent.
“2. La dénonciation de la “neutralité”, du “tiers-mondisme”, des “troisièmes voies”, etc. qui ne sont que des leurres inventés par les nations de second ordre pour défendre leur propre appétit impérialiste.
“3. L’opposition radicale à toute idée de lutte nationale, d’autonomie, de fédéralisme, de racisme (ou son parallèle, la lutte “raciale”), dont la fonction est toujours celle de diviser le prolétariat et le diluer en toutes sortes de fronts interclassistes.
“4. La lutte intransigeante contre toute guerre impérialiste en menant en pratique face à elle le “défaitisme révolutionnaire”, autrement dit, la fraternisation entre ouvriers et opprimés des deux camps, en retournant des deux cotés les fusils contre leur propre commandement, contre leur capital national respectif.
“5. L’opposition de nos intérêts de classe contre l’intérêt national du capital. En luttant avec intransigeance contre tout licenciement, sacrifice, agression que le capital voudrait nous imposer au nom de la “sauvegarde de l’économie nationale” et d’autres mystifications semblables.
“6. Le soutien total aux luttes ouvrières des autres pays. En développant la seule forme de solidarité avec elles : rejoindre leur combat, en ouvrant un nouveau front de lutte contre notre propre capital national.
“7. La recherche de la coordination et de la centralisation internationales des luttes.
“8. L’unité dans une organisation internationale et centralisée de toutes les forces d’avant-garde du prolétariat.
“9. Donner à toutes les luttes qui sont menées aujourd’hui la perspective de la révolution prolétarienne mondiale qui détruise l’État bourgeois dans tous les pays, mette en avant le pouvoir mondial des conseils ouvriers, ouvre un processus d’abolition de la marchandise, du salariat et des frontières nationales en ouvrant le chemin vers la communauté humaine mondiale, le communisme. Il est clair que la révolution commencera probablement dans un pays, mais devra se donner pour tâche l’extension mondiale de la révolution, sinon elle sera condamnée à l’échec.”
Germán
1 http ://fr.internationalism.org/ri414/gauche_communiste_et_anarchisme_internationaliste_ce_que_nous_avons_en_commun.html [146]
2 Organe de presse du CCI en Espagne.
3 à la première édition en espagnol, 1981 [163]. [NdT]
Il existe en Italie un groupe, Lotta Comunista, qui a non seulement la prétention de passer pour une avant-garde de la classe ouvrière mais aussi pour une des formations politiques de la Gauche Communiste, c’est-à-dire d’être issu au moins politiquement sinon organisationnellement, de ce courant politique qui, à partir des années 20 s’est opposé à la dégénérescence de la IIIème Internationale. Nous allons voir en quoi cela est totalement dépourvu de fondement et quels buts LC poursuit en fait.
Lotta Comunista est le nom du journal des Groupes léninistes de la Gauche Communiste. LC n’a jamais expliqué en quoi elle se réclame politiquement et théoriquement de la Gauche Communiste, des expériences de ces minorités qui, dans différents pays comme l’Italie, l’Allemagne, la Hollande, la Belgique, la Russie, le Mexique, la France, en s’affrontant aux forces de la répression capitaliste, ont cherché à maintenir le fil rouge de la continuité marxiste.
Si LC évite soigneusement toute référence aux positions de la Gauche Communiste, tout en continuant à se parer de son nom, c’est parce que les origines de cette organisation sont aux antipodes politiques de la Gauche Communiste. Elles s’enracinent dans la « Résistance » à l’occupation de l’Italie par les troupes allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale. Certains des partisans, parmi lesquels Cervetto, Masini et Parodi, adhérèrent ensuite au mouvement anarchiste en constituant les Groupes Anarchistes d’Action Prolétarienne en 1951. Le congrès de formation des GAAP, à Gènes le 28 février 1951, est considéré par LC comme le point de départ de toute l’organisation telle qu’on la connaît aujourd’hui, si bien qu’une manifestation commémorative du 25° anniversaire (« Lotta Comunista – 25 ans ») a eu lieu en février 1976 à Gènes.
Il est donc plus qu’évident que le fait que LC se réclame de la Gauche Communiste est un faux historique.
Pour LC, le marxisme est une métaphysique, planant au dessus de la société, des classes et de la lutte entre celles-ci ; il n’est pas l’expression d’un mouvement réel d’émancipation du prolétariat, mais une révélation, une religion – donnée pour une science à appliquer – détachée de la réalité et de la matérialité du prolétariat dans son rapport contradictoire avec le capital. Le « marxisme » de LC n’est que le produit de la pensée d’idéologues fondée sur des spéculations philosophiques. Pour se donner une certaine crédibilité, Lotta Comunista accole l’adjectif « scientifique » à ses élucubrations en vertu desquelles nous avons le parti comme lieu où naît et vit la « science de la révolution », nous avons le programme révolutionnaire « scientifique », la « science prolétarienne ». Le développement de la prétendue science marxiste se produirait donc dans le cerveau de penseurs armés par la « science révolutionnaire » et non pas en tant que théorie élaborée par le prolétariat dans son mouvement antagonique à la société capitaliste. Aujourd’hui, ce corpus immuable de la « science marxiste » serait en dépôt chez LC qui s’en sert pour se développer indépendamment des vicissitudes du mouvement réel des montées et des reflux de la lutte des classes.
Pour LC, la crise économique n’existe pas. Ce serait d’ailleurs une petite histoire inventée par les patrons pour attaquer la classe ouvrière. En 1974, LC avait d’ailleurs publié une brochure au titre significatif : « Mais quelle crise ? ».
Le capitalisme serait en expansion continue grâce à des zones entières et des marchés que le capitalisme doit encore conquérir.
LC en veut pour preuve les statistiques de l’OCDE, de la revue Fortune ou du Financial Time. Le journal, au lieu d’être un journal d’études mais aussi de propagande et de combat, après la première page qu’on pourrait définir comme philologique, tient la chronique des concentrations d’entreprises sans que n’apparaisse à quelque endroit la préoccupation de la perspective révolutionnaire. La rubrique des luttes ouvrières dans le monde ne donne qu’un instantané des grèves sans aucune analyse du niveau de conscience, de combativité ou de l’organisation autonome Au fond, ce n’est pas par hasard : LC ne voit dans le prolétariat que du capital variable, qu’un producteur de plus-value, exactement comme le capital. Il n’y a aucune analyse, aucune vision dynamique du devenir de la lutte de classe et de ses perspectives, mais uniquement une vision statique, où le prolétariat est conçu comme une addition d’individus, atomisés, à conduire demain à la révolution – ou à ce qui est donné pour tel.
Pour examiner la position de LC sur la classe ouvrière et la lutte de classe, il faut se référer à trois éléments à la base de la conception que LC : la conception « léniniste » du parti, le rôle des syndicats et, enfin, la phase économique actuelle qui imposerait une « retraite en bon ordre » de la classe ouvrière.
LC développe une conception de la conscience et du parti selon laquelle le prolétariat n’est pas capable de faire mûrir une prise de conscience communiste, que celle-ci, au contraire, doit lui être transmise exclusivement par le parti, formé d’intellectuels bourgeois dédiés à la cause révolutionnaire.
Avec cette vision, LC ne tient aucun compte des luttes réelles du prolétariat, mais s’attache au niveau de syndicalisation de la classe ouvrière et à sa propre influence dans son syndicat d’adoption, la CGIL « rouge ». Le discours de LC est simple : étant le parti révolutionnaire, il faut organiser et diriger la classe ouvrière et, pour y parvenir, prendre la direction du syndicat, par tous les moyens.
En conséquence, les interventions de LC dans la classe ouvrière ne sont jamais destinées à élever le niveau de conscience du prolétariat, mais visent à conquérir quelques cadres de plus et de nouveaux espaces politiques à contrôler. .
Finalement, comme pour LC, le capitalisme est dans une phase économique de croissance continue et la tâche de la classe ouvrière est essentiellement d’attendre que les conditions mûrissent, que le capitalisme soit implanté sur toute la planète dans toute sa plénitude. Ce groupe a lancé en 1980 le mot d’ordre de « retraite en bon ordre » :
« … nous avons depuis longtemps repris le mot d’ordre léniniste courageux de regrouper autour du parti révolutionnaire les forces conscientes et saines de la classe ouvrière disposées à faire des efforts dans une retraite en bon ordre, sans débandade, déceptions, confusions, démagogie. »1,
Conclusion : il faut vraiment travailler à émousser l’agressivité des luttes pour éviter, à ce qu’il semble, une « déroute dans le désordre ». LC en arrive même à « reprocher » au vieux parti stalinien italien, le PCI, d’avoir été trop loin : « Comme ce n’est pas par hasard que le PCI en soit arrivé au contraire à concevoir les ‘coups de force’ syndicaux qui accentuent le chemin désordonné des luttes ouvrières pour défendre son propre poids parlementaire dans l’intérêt exclusif des fractions bourgeoises ».2
La même critique est faite au « grand syndicat », la CGIL, dont LC rêve de prendre la tête :
« Le grand syndicat, ayant au contraire rejeté la tâche que nous lui avions indiquée au début de la crise de restructuration, d’organiser une retraite en bon ordre pour être ensuite en mesure de réorganiser la reprise, a fini par faire pleurer les entrepreneurs et les gouvernants, non parce qu’il était fort, mais à cause de la crise d’autorité et de confiance qu’il subissait ». 3
Voila les mouches du coche qui conseillent – sans être écoutées – le syndicat sur ce qu’il lui faut faire. Mais celui-ci ne les écoute pas et entre en crise, faisant pleurer – et là, c’est le plus beau – les patrons et les gouvernants. Pourquoi donc les patrons et les gouvernants pleureraient-ils la crise du syndicat ? Il n’y a qu’une réponse : parce que va leur manquer l’outil qui, grâce à son autorité morale et matérielle, enchaîne les travailleurs au char du capital. Ainsi, ce sont, au contraire, les Comités de base qui naissent4 ; si, à l’opposé, le syndicat avait écouté les conseils de LC, il ne se retrouverait pas dans la situation d’avoir à régler des comptes avec les Comités de base, c’est-à-dire avec la tendance des ouvriers à se libérer du carcan syndical et à commencer à s’organiser de façon autonome, obligeant le syndicalisme à se radicaliser pour mieux encadrer les ouvriers.
Tout cela conduit à une pratique politique dont l’objectif n’est pas de favoriser la maturation dans la classe ouvrière, mais le renforcement des positions du « parti » au détriment de la classe ouvrière.
Voici un exemple de cette politique aux conséquences profondément négatives :
En 1987, quand les travailleurs de l’école s’organisent en Comités de base, LC vient dans quelques assemblées pour proclamer qu’il ne s’agit pas de constituer un nouveau syndicat mais de prendre la direction politique de ceux qui existent. Ce qui signifie : ne pas abandonner la CGIL, laisser la direction du mouvement à LC et tout ira pour le mieux. Mais le mouvement des travailleurs de l’école en 1987 était un mouvement qui commençait à s’organiser sur des bases de classe, malgré toutes ses faiblesses. Econduite, LC a préféré alors calomnier publiquement le mouvement en le définissant comme un mouvement « sudiste » (puisqu’il était surtout développé au sud de l’Italie, LC en faisait quasiment un mouvement régionaliste), « bouillon de culture des futurs dirigeants des partis parlementaires », et appelait au contraire à un congrès extraordinaire de la CGIL. Cela signifiait tout platement que la CGIL devait se réveiller et ne pas laisser s’échapper les travailleurs de l’école en lutte. Voila les « révolutionnaires » à l’œuvre !
LC s’affirme « contre tous les partis parlementaires » et « contre l’Etat et la démocratie », mais cosigne avec le PCI, la DC, le PR, la DP et le PSI (tous partis de l’appareil d'Etat italien) un communiqué de presse, de « ferme condamnation du terrorisme et de toutes les forces qui lui sont associées » appelant « tous les travailleurs à repousser la grave attaque menée par ces forces économiques et politiques qui tendent à déstabiliser la démocratie de notre pays ». (souligné par nous, NDR)
En ce qui concerne les élections, LC se déclare abstentionniste, mais quand l’abstentionnisme devient trop impopulaire comme en 1974, lors du référendum sur l’abrogation du divorce, LC donne alors l’indication de voter pour le « non », assaisonnant sa position de phrases du genre : « Le vote ne suffit pas, il faut continuer la lutte. » En réalité, LC ne fait que prendre position, à l’instar des extra-parlementaires de ces années là, en faveur d’une fraction bourgeoise contre une autre.
La question de la participation à la guerre impérialiste est une question particulièrement lourde de conséquences parce qu’elle délimite le camp prolétarien du camp de la bourgeoisie. Bien que LC se déclare internationaliste, elle apparaît particulièrement compromise sur ce plan.
Une brochure de 1975 explique qu’en 1943, « face au délabrement de la bourgeoisie, les premiers noyaux ouvriers se sont organisés spontanément : de la grève on passe à la lutte armée. C’EST LE DEBUT DE LA RESISTANCE ! Les ouvriers gagnent les montagnes, s’organisent clandestinement dans les villes et les usines. A la construction de la nouvelle société s’oppose comme premier obstacle, comme premier ennemi, la présence des fascistes et des nazis. C’est contre ces valets du capital que les partisans doivent commencer à combattre. Mais les ouvriers savent bien que cela ne peut être l’objectif, mais seulement un passage obligé pour arriver au socialisme ».5
Ce discours se situe complètement sur le terrain de la bourgeoisie. En effet, les bandes de partisans sont des regroupements interclassistes au service de l’impérialisme « démocratique » et même les organisations qui agissaient en ville et dans les usines, les GAP et le SAP6, bien que constituées d’ouvriers, étaient complètement dirigées par le PCI (le parti stalinien italien) et d’autres partis bourgeois. Les révolutionnaires se devaient au contraire de dénoncer que des ouvriers se soient laissés entraîner dans une « guerre du peuple » au service de l’impérialisme où ils ne défendaient pas leurs propres intérêts mais ceux de leur ennemi de classe. C’est vrai qu’en mars 1943, les ouvriers se sont mis en grève avec des revendications de classe, pas antifascistes, mais il est aussi vrai que ces grèves et celles qui ont suivi ont été dénaturées et dévoyées sur le terrain de l’antifascisme. Les prolétaires en uniforme de l’armée allemande – soit par instinct de classe, soit à cause des souvenirs de luttes ouvrières transmis par leurs parents – ont cherché en quelques occasions à prendre contact avec les ouvriers en grève et leur manifestaient leur sympathie en leur lançant des cigarettes7, mais ils ne trouvaient en face que les charognes staliniennes du PCI qui leur tiraient dessus pour empêcher une fraternisation entre prolétaires au-delà des nationalités et des langues. Les ouvriers italiens et les prolétaires sous l’uniforme allemand – nous parlons de l’armée allemande composée en grande partie de prolétaires comme toutes les armées et non pas de la Gestapo et des SS – commençaient à mettre spontanément en pratique l’internationalisme prolétarien. LC, au contraire, voit dans ces prolétaires - définis comme des Nazis – le premier ennemi à abattre.
Dans la même brochure, on lit encore que les ouvriers comprendront qu’il faut prendre le pouvoir à la bourgeoisie « et c’est ce que nous chercherons à faire, là où nous réussirons à prendre le pouvoir même si c’est pour peu de temps : formation de nouvelles structures politiques dans lesquelles sera rassemblé le pouvoir de faire des lois et de les faire exécuter en nommant directement les maires et les fonctionnaires ; gestion des usines ; exercice direct du pouvoir judiciaire et liquidation des fascistes ».8 L’effronterie de LC n’a pas de limite. On voudrait nous faire croire que les Comités de Libération Nationale (CNL), auxquels il est fait implicitement référence dans le passage précédent, seraient des organismes prolétariens, alors que les CLN n’étaient formés que des partis de la bourgeoisie qui soumettaient les ouvriers aux exigences de la guerre impérialiste.C’est une autre catastrophe, que des groupes comme LC qui se font passer pour les héritiers de la Gauche Communiste et de Lénine, en arrivent à exalter la Résistance en la présentant comme une révolution manquée, alors que la Résistance fut au contraire une des expressions de la contre-révolution.
Pour finir, on peut se demander sur quoi repose l'internationalisme revendiqué par un groupe comme LC qui, provenant de la Résistance, n’a même pas tenté de renier cette expérience avec un minimum de critique ? Toujours fidèle à l’idée d’achever la révolution bourgeoise avant d’oeuvrer à la révolution prolétarienne, LC s’est fixé comme tâche d’appuyer toutes les luttes d’émancipation nationale par rapport aux soi-disants impérialismes ; LC n’a pas réussi à prendre en compte la leçon de Luxembourg que dans l’époque actuelle de décadence du capitalisme, tous les Etats, petits ou grands, forts ou faibles, sont obligés de mener une politique impérialiste.
C’est ainsi que LC met en avant [qu’] « intervenir activement contre toute manifestation de la force impérialiste prédominante dans son pays signifie se mettre au premier rang sur le front de la lutte de classe internationale. Participer à chaque lutte qui frappe, directement ou indirectement, un ou tous les secteurs de l’impérialisme, participer en se distinguant idéologiquement et politiquement avec ses propres thèses, mots d’ordre, résolutions et en dénonçant la dialectique unitaire de l’impérialisme. » Et elle se fixe pour tâche « dans les colonies et semi-colonies, [de] lutter par tous les moyens contre l’impérialisme, en appuyant toutes ces actions et initiatives des bourgeoisies nationales qui vont effectivement et concrètement contre les forces impérialistes, étrangères ou locales. »9
LC a même republié tous les articles de son fondateur historique Cervetto10 argumentant en faveur du soutien à la Corée : « … nous tenons pour la tâche des masses travailleuses de lutter pour que les troupes américaines et chinoises abandonnent la Corée et que le peuple coréen soit libre d’œuvrer à sa propre émancipation nationale et sociale en prenant la seule voie révolutionnaire, sans interférence soviétique, chinoise ou de l’ONU »11 ; tout comme « en faveur de l’indépendance africaine » : « La révolte anti-impérialiste des peuples africains n’est pas en fait le prélude à la formation de la société socialiste sur ce continent. C’est une étape nécessaire pour faire une brèche dans la domination impérialiste, pour la désagrégation de la stratification féodale, pour la libération des forces et énergies économiques nécessaires à la constitution d’un marché national et d’une structure capitaliste industrielle. (…) Ce n’est que pour cela que nous soutenons la lutte d’indépendance africaine. »12
C’est ainsi que LC est amenée à encenser les personnalités bourgeoises en lutte contre d’autres bourgeoisies : « Lumumba est un combattant de la révolution coloniale sur la tombe duquel le prolétariat, un jour, déposera la fleur rouge. Nous qui, de façon marxiste, avons critiqué et critiquons la confusion de son œuvre politique, nous le défendons contre les insultes. (…) Lumumba a su mourir en combattant pour rendre son pays indépendant. Nous les internationalistes, nous défendons son nationalisme contre ceux qui font de leur nationalisme (blanc !) une profession. »13
LC a aussi des paroles flatteuses pour le castrisme qui « devient révolutionnaire malgré ses origines, c’est-à-dire qu’il est obligé de rompre de façon décisive avec le passé ».14
Et, bien sur, pour le Vietnam : « Pour ceux qui, comme nous, ont soutenu depuis toujours la lutte d’unification étatique en tant que processus de la révolution démocratique bourgeoise vietnamienne, la portée historique de la victoire politique et militaire de Hanoï transcende le fait contingent. »15
Il y a encore beaucoup de points critiques dans le passé lointain et moins lointain de LC qui pourraient être passés au crible.
Concrètement, ce qui ressort, c’est que face à la lutte de classe et aux problèmes de l’internationalisme, LC ne prend jamais, fondamentalement, la position révolutionnaire dans le conflit entre classes, et de ce fait, au-delà de toute la bonne volonté et de la bonne foi que peuvent déployer les militants de LC dans leur travail, celui-ci est destiné à produire des effets exactement contraires à ce qui est nécessaire pour le triomphe de la lutte de classe.
Ezechiele (6/04/2010)
1 Lotta Comunista n° 123, nov. 1980
2 idem
3 Parodi, Critica del sindicato subalterno,, Ed. Lotta Comunista.
4 Parodi, op.cit. p.30
5 Viva la Resistenza operaia, brochure de Lotta Comunista, avril 175, page 5.
6 Groupes d'Action Patriotique et Équipes d'Action Patriotique
7 Cf. Roberto Battaglia, Storia della resistenza italiana, Einaudi
8. Viva la Resistenza operaia, brochure de Lotta Comunista, avril 175, page 5.
9 Tiré de L’Impulso, 15 décembre 1954, publié aujourd’hui dans L’imperialismo unitario ,page 113, Lotta Comunista Ed. (souligné par nous).
10 Arrigo Cervetto (1927-1995) est né à Buenos Aires de parents émigrés italiens. Jeune ouvrier à Savona, il participe à la libération par les partisans contre le fascisme et milite dans des organisations syndicales libertaires. Collaborateur à Prometeo et Azione Comunista jusqu’en 1964 où il il crée autour de lui le groupe LC et prône la construction d'un nouveau « parti ouvrier révolutionnaire », fondé sur un « travail quotidien d’organisation et d’éducation du prolétariat. »
11 Tiré de « Il Libertario », 13 décembre 1950, publié aujourd’hui dans ‘L’imperialismo unitario, page258, Lotta Comunista Ed.
12 Tiré de Azione Comunista n° 44, 10 avril 1959, aujourd’hui republié dans L’imperialismo unitario ,page 258, Lotta Comunista Ed.
13 Tiré de Azione Comunista n° 59, mars 1961, aujourd’hui republié dans L’imperialismo unitario ,page 326, Lotta Comunista Ed.
14 Tiré de Azione Comunista n° 54, octobre 1960, aujourd’hui republié dans L’imperialismo unitario ,page 329, Lotta Comunista Ed.
15 Lotta Comunista n°57, mai 1975, aujourd’hui republié dans L’imperialismo unitario ,page 1175, Lotta Comunista Ed.
“La France n’est pas menacée”, selon la ministre de l’Economie, Christine Lagarde. “La France n’est pas dans la même catégorie que l’Irlande ou le Portugal”, affirme l’Elysée.
Ouf, nous voilà soulagés… Un instant, nous avions eu la douloureuse impression que le capitalisme était plongé tout entier dans une crise économique mondiale effroyable, que dans tous les pays, la misère se répandait comme la peste, qu’aucun de nous, travailleurs, ne serait épargné… mais si les Autorités nous assurent que tout ce fléau va s’arrêter aux frontières de l’hexagone… alors… nous sommes rassurés.
En cette fin d’année 2010, la bourgeoisie française veut nous faire croire au Père Noël. Très bien, il existe peut être. Mais en ce cas, c’est vraiment une ordure !
Après la Grèce en mai, l’Irlande a sombré à son tour. Fin novembre, le “Tigre Celtique” a perdu ses griffes, ses crocs et sa queue. Le krach ! La faillite ! La banqueroute !
Durant les 20 dernières années, l’Irlande était pourtant sans cesse citée en exemple. Sa croissance était “époustouflante”, à l’image de celle des tigres asiatiques des années 1980-1990. D’où son surnom de Celtic Tiger. Un vrai petit modèle pour tous les gouvernements du monde. Mais, exactement comme ses cousins d’Orient, sa croissance était financée par… l’endettement. Et exactement comme ses cousins d’Orient qui se sont effondrés en 1997, le miracle s’est révélé être un mirage. L’Etat, les banques, les entreprises, les ménages, croulent tous aujourd’hui sous une montagne de dettes. Les familles ouvrières ont, en moyenne, un taux d’endettement de 190% ! En 2010, la totalité des engagements des banques irlandaises a atteint 1 342 milliards d’euros, soit plus de huit fois le PIB du pays (164 milliards d’euros en 2009) ! Or, ces créances que détiennent les banques ont perdu une grande partie de leur valeur avec la crise économique et l’explosion de la bulle immobilière. Les banques irlandaises se retrouvent donc aujourd’hui au bord du gouffre. Nombre de prêts qu’elles ont accordés ne pourront pas être honorés. La première d’entre elles, Anglo Irish Bank, a ainsi perdu 12,9 milliards d’euros en 2009 et presque autant rien qu’au premier semestre 2010.
Face au danger de faillites en cascade, l’Etat irlandais a déjà injecté 46 milliards de fonds propres dans ses banques mais au prix d’un déficit abyssal de 32 % du PIB (quand les critères européens fixent un maximum à 3 %). Et aujourd’hui, évidemment, c’est l’Etat lui-même qui sombre à son tour.
Cette situation économique catastrophique a donc contraint les pays de l’Union Européenne à se porter au chevet du malade. Ils ont débloqué 85 milliards d’euros d’aide. Cela ne soigne pas, certes, mais ça permet de gagner du temps, de prolonger l’agonie.
La bourgeoisie irlandaise n’a, dans toute cette histoire, qu’une seule consolation, elle n’est pas seule à sombrer. Le Portugal la suit de près, de très près. « Le Portugal devrait être le prochain sur la liste. Je ne sais pas si ce sera avant Noël, mais ce sera de toute façon inévitable l’année prochaine », a ainsi estimé Filipe Garcia, conseiller financier portugais au cabinet Informação de Mercados Financeiros. Là aussi, les dettes sont comme un boulet attaché aux pieds du pays qui l’entraîne inexorablement vers le fond. Et les gesticulations de la classe dominante portugaise n’y changeront rien. La dette publique ne cesse de gonfler et devrait, de l’aveu même du gouvernement, atteindre 82 % du PIB à la fin de l’année 2010.
Mais, à en croire José Socrates, le Premier ministre socialiste portugais les travailleurs peuvent être rassurés, “il n’y a aucun rapport entre le Portugal et l’Irlande” . Néanmoins, pour ceux qui auraient un doute envers la profonde honnêteté des grands dirigeants de la planète, continuons de voyager dans ce monde en crise.
Si des sueurs d’effroi coulent le long des tempes des dirigeants des pays européens, ce n’est ni pour l’Irlande, ni pour le Portugal… mais pour l’Espagne “L’Espagne est trop grande pour s’effondrer, et trop grande pour être renflouée”, a résumé l’économiste américain Nouriel Roubini, devenu l’une des voix les plus écoutées depuis qu’il a été le premier économiste, en 2007, à prédire la crise mondiale.
Selon le FMI, une bonne partie des banques espagnoles (plus d’une cinquantaine d’établissements) “souffrent” fortement de l’explosion de la bulle immobilière. “Un effondrement du système bancaire ne serait donc pas exclu”. Quand le FMI, cette grande institution internationale bourgeoise dont l’un des rôles est d’afficher les perspectives les plus optimistes possibles, commence à utiliser de tels euphémismes, “il n’est pas à exclure que…”, cela signifie que le pire est inévitable !
Le hic, c’est que la péninsule ibérique pèse 10 % du PNB européen. Le sauvetage de l’Espagne en cas de défaillance est ainsi estimé à 800 milliards d’euros, soit 10 fois l’aide apportée à la Grèce ! Inutile de dire qu’une telle débâcle serait synonyme d’une véritable tempête économique sur toute la zone euro.
Mais là encore, aucune crainte à avoir, les Autorités affirment quils ont tout sous contrôle. La preuve, le chef du gouvernement socialiste espagnol José Luis Rodriguez Zapatero a écarté “absolument” l’éventualité d’un plan de sauvetage financier à la grecque ou à l’irlandaise. Convaincant ? Non, n’est-ce pas ? Cette insistance pour dire, contre toute vraisemblance, que “tout va bien” est même plutôt inquiétante. Et la liste des pays en perdition est loin d’être terminée.
L’Italie croule tout simplement sous l’une des dettes publiques les plus élevées du monde, représentant près de 120 % de son PIB. Pour l’économiste canadien Robert Mundell, Prix Nobel d’économie, l’Italie constitue ainsi “la plus grande menace” qui soit pour la monnaie unique européenne.
Portugal, Irlande, Italie, Grèce, Espagne (Spain en anglais), ce quinté n’est pas une surprise, cela fait deux ans que tous les économistes pointent ces Etats du doigt comme des survivants en sursis. Le sigle qu’ils forment, PIIGS, est devenu un label pour “pays en faillite”. Mais aujourd’hui, fait nouveau, d’autres pays de la zone Euro sont ouvertement menacés par la banqueroute.
Si des doutes sur la solidité des Pays-Bas grandissent peu à peu, la Belgique est, elle, d’ores et déjà sur le sellette. Selon un article du journal britannique The Guardian, le plat pays serait en effet le prochain sur la liste des pays connaissant la plus forte crise économique.
Et la France, cette nation qui « n’est pas menacée”, où en est-elle vraiment ? Comme souvent, le coup le plus meurtrier est porté involontairement par ceux là-même qui s’efforcent le plus de soutenir et rassurer. Le président de l’agence de notation Standard & Poor’s, Deven Sharma, a ainsi affirmé “A l’heure actuelle, la France mérite son ‘rating’ AAA”1. Notez bien… “A l’heure actuelle”. Et voici le coup de grâce, “D’autres pays seront dégradés avant que la France ne le soit”. Les propos de Nouriel Roubini, “La France, par certains aspects essentiels, n’a pas l’air en bien meilleur état que la périphérie2”, sont finalement presque moins cruels.
Ces difficultés économiques profondes de l’Etat français se concrétisent déjà à travers des difficultés pour payer les fonctionnaires et les contractuels. Huit ministères (dont l’Education nationale) ont été contraints de contracter un prêt pour verser les payes de leurs agents en décembre. Et des milliers d’employés précaires (en CCD) en fin de contrat n’ont pas encore touchés leur prime de départ (10% du salaire) depuis le printemps !
Reste LE pillier de la Zone Euro, l’Allemagne. Avec près de 3 % de croissance, et un endettement étatique relativement limité, le pays d’outre-Rhin semble être actuellement le seul pays européen à tenir le coup. C’est en tout cas ce que disent les experts… Mais à y regarder de plus prêt, les fondations sont tout aussi pourries. L’Allemagne est le pays qui, après l’Irlande, a injecté, en 2008, le plus d’argent dans ces banques en difficulté avec 180,94 milliards d’euros. Le Financial Times a estimé, en septembre, que le système bancaire le plus menacé n’était ni portugais ni espagnol mais bel et bien allemand. « Il est dans son ensemble presque insolvable et le gouvernement doit se résoudre à sacrifier plusieurs établissements, sous peine de faire face à de graves problèmes », écrit le célèbre quotidien économique britannique. La chute de la maison irlandaise rend le problème d’autant plus urgent que les banques allemandes détiennent 205 milliards de dollars d’actifs irlandais… Un record au sein de la zone euro. De surcroit, l’appareil industriel est totalement dépendant des exportations alors que les débouchés extérieurs vont certainement se réduire fortement dans les mois et années à venir.
Bref, toute l’Union Européenne est mal en point. Mme Merkel, la chancelière allemande, a ainsi avoué, avant de se rétracter, que la zone euro était “dans une situation extrêmement sérieuse”. Avec Nicolas Sarkozy, ils ont commencé à annoncer la mise en place progressive de structure palliative permettant la mise en faillite officielle d’Etats européens avec, à la clef, une « restructuration de la dette ». Angela Merkel s’est alors empressée d’ajouter “Mais je ne vois pas d’Etat qui soit dans cette situation aujourd’hui”. « Aujourd’hui »… mais demain ?
Hors de la Zone Euro, il n’y a pas non plus de salut.
En Grande-Bretagne, la dette publique est de 100%, bien plus que la moyenne de ses voisins européens. Et les différents plans d’austérité censés réduire les déficits n’y changent rien.
Le Japon est plongé depuis plus d’une décennie dans la récession et les dernières nouvelles montrent que son cas s’aggrave. Sa dette publique frôle les 200% !
La première puissance mondiale, les Etats-Unis, est sans aucun doute le malade le plus atteint. Un seul chiffre. Le taux de chômage réel est de 22% (lors de la Grande dépression des années 1930, ce taux était de 25%). Cela signifie que 33 millions de citoyens américains se retrouvent aujourd’hui sans emploi.
Heureusement, il y a pour les économistes un espoir auquel s’accrocher, il se nomme la Chine. La Chine, c’est le Japon des années 1970/1980, les tigres asiatiques des années 1980/1990, l’Islande et l’Irlande des années 2000 : un dynamisme incroyable, une croissance époustouflante, un paradis pour golden boys, un Eldorado pour jeunes investisseurs… en un mot, une bulle qui finira comme les autres… par exploser ! Le boom chinois prendra alors un tout autre sens.
D’ailleurs, s’annoncent déjà les premiers signes de ce dénuement inévitable. L’empire du milieu a une immense bulle immobilière qui ne cesse de gonfler. L’inflation est en train de devenir galopante, 4,4% officiellement, le double officieusement. Les tensions entre yuans et dollars deviennent peu à peu insoutenables. Et la croissance s’avère au fil du temps de moins en moins élevé.
Comparer les tigres asiatiques et la Chine est abusif, nous rétorqueront les sceptiques. C’est vrai, sa chute va faire bien plus de bruit et de dégâts.
« D’un pays à l’autre, les potions utilisées sont différentes – pour ne pas dire opposées – mais elles ont en commun d’être inefficaces. Essayant toutes les combinaisons de remèdes – panachant des interventions des banques centrales et des plans de relance, ou les proscrivant au contraire – les gouvernements tirent dans tous les sens […]. Une ère est en train de se clore, dans laquelle le crédit était facile, aussi bien pour les ménages que pour les Etats. L’ensemble dopait une croissance dont on ne se souciait pas trop de savoir de quoi elle était faite, tant qu’elle se poursuivait allégrement. » (François Leclerc, économiste français).
Tout est là. Le capitalisme a vécu à crédit. Et cette « ère est en train de se clore ».
Depuis les années 1960, ce système survit effectivement par l’injection de plus en plus massives de crédits. La paye des ouvriers ne pouvant suffire à tout absorber, le marché mondial est saturé de marchandises. Pour ne pas être paralysé par la surproduction, pour écouler les produits fabriqués, le capitalisme a dû ouvrir à chaque crise de plus en plus grand les vannes de l’endettement, en 1967, 1973, 1986, 1993, 1997, 2001, 2007…
Après des décennies d’une telle fuite en avant, le résultat était inévitable : les ménages, les entreprises, les banques et les Etats sont tous pris à la gorge par leurs gigantesques dettes.
Il n’y a aujourd’hui plus aucune bonne solution pour le capitalisme. La planche à billets des Etats-Unis, du Japon ou de la Grande-Bretagne, les plans d’austérité européens, les tricheries chinoises avec la valeur de leur monnaie… tous ces pays prennent des chemins différents mais tous se dirigent inexorablement vers le même gouffre.
Il y a aujourd’hui deux symboles à cette absence totale de perspective pour l’économie capitaliste : la montée du protectionnisme et la « guerre des monnaies ».
Depuis le krach de 1929 et la Grande dépression des années 1930, toutes les nations avaient retenu une leçon essentielle : le protectionnisme engendre un chaos mondial indescriptible. Et depuis lors, son interdiction était plus ou moins respectée. Aujourd’hui, toutes les grandes puissances se livrent un véritable bras de fer économique, et elles sont prêtes à tout. Pourtant, au dernier G20 de Séoul, Merkel a demandé un ferme engagement de tous :”Nous devons tout faire pour éviter le protectionnisme ». Mais si elle a dû rappeler cette loi d’airain, c’est que les pressions internationales pour limiter les exportations allemandes et chinoises de par le monde, Etats-Unis en tête, sont de plus en plus importantes. « Exporter ou mourir » est en train de redevenir le cri de guerre économique de toutes les les bourgeoisies nationales concurrentes !
A propos de guerre, celle des monnaies fait la Une des médias depuis plusieurs mois. De quoi s’agit-il ? En fait, sur le marché monétaire, ce ne sont pas les devises qui s’affrontent, comme on aimerait nous le faire croire, mais les nations. Un seul exemple. En faisant tourner leur planche à billets et en créant ainsi des quantités inimaginables de dollars afin de soutenir artificiellement leur économie, les Etats-Unis font baisser la valeur même de cette monnaie. Ils exportent d’ailleurs ainsi plus facilement. Mais les pays qui détiennent des milliers de milliards de la devise américaine, comme la Chine, voit leur trésor fondre comme neige au soleil. La livre anglaise, le yuan chinois, le yen japonais comme l’Euro, toutes ces monnaies sont elles-aussi des armes aux mains de chaque Etat pour soutenir la demande intérieure et essayer de favoriser leurs propres exportations. Seulement, une telle « guerre des monnaies » implique aussi des risques de déstabilisation internationale incontrôlable : dévaluation massive, inflation galopante, explosion de l’euro…
Faillites de banques, de caisses d’épargne, de multinationales, de régions ou d’Etats, éclatement de la bulle chinoise, montée du protectionnisme, fin de l’euro, dévaluation massive du dollar ou de la livre sterling… personne ne peut savoir quelle planche pourrie va craquer la première sous nos pieds, ni quand. Une seule chose est certaine : dans tous les pays, l’avenir nous réserve des secousses économiques dévastatrices. Le capitalisme est un système moribond. Il entraîne progressivement, mais inexorablement, toute l’humanité vers les affres de la misère et de la guerre.
Aujourd’hui, comme hier, les gouvernements de tous les pays, quelle que soit leur couleur politique, de gauche comme de droite, appellent les travailleurs à « se serrer la ceinture », à « accepter des sacrifices » pour « relancer l’économie et renouer avec la croissance ». Mensonges ! Les sacrifices d’aujourd’hui ne font que préparer… les sacrifices plus lourds encore de demain.
Seule la lutte de classe peut permettre de ralentir les attaques. Et seule la révolution prolétarienne internationale mettra fin au supplice qu’inflige ce système d’exploitation à une partie toujours plus importante de l’humanité.
Pawel (9 décembre)
1) La note AAA est la plus élevée, elle signifie que l’agence estime que cette économie nationale a les reins solides.
2) C’est à dire les PIIGS.
“La France n’est pas menacée”, selon la ministre de l’Economie, Christine Lagarde. “La France n’est pas dans la même catégorie que l’Irlande ou le Portugal”, affirme l’Elysée.
Ouf, nous voilà soulagés… Un instant, nous avions eu la douloureuse impression que le capitalisme était plongé tout entier dans une crise économique mondiale effroyable, que dans tous les pays, la misère se répandait comme la peste, qu’aucun de nous, travailleurs, ne serait épargné… mais si les Autorités nous assurent que tout ce fléau va s’arrêter aux frontières de l’hexagone… alors… nous sommes rassurés.
En cette fin d’année 2010, la bourgeoisie française veut nous faire croire au Père Noël. Très bien, il existe peut être. Mais en ce cas, c’est vraiment une ordure !
Après la Grèce en mai, l’Irlande a sombré à son tour. Fin novembre, le “Tigre Celtique” a perdu ses griffes, ses crocs et sa queue. Le krach ! La faillite ! La banqueroute !
Durant les 20 dernières années, l’Irlande était pourtant sans cesse citée en exemple. Sa croissance était “époustouflante”, à l’image de celle des tigres asiatiques des années 1980-1990. D’où son surnom de Celtic Tiger. Un vrai petit modèle pour tous les gouvernements du monde. Mais, exactement comme ses cousins d’Orient, sa croissance était financée par… l’endettement. Et exactement comme ses cousins d’Orient qui se sont effondrés en 1997, le miracle s’est révélé être un mirage. L’Etat, les banques, les entreprises, les ménages, croulent tous aujourd’hui sous une montagne de dettes. Les familles ouvrières ont, en moyenne, un taux d’endettement de 190% ! En 2010, la totalité des engagements des banques irlandaises a atteint 1 342 milliards d’euros, soit plus de huit fois le PIB du pays (164 milliards d’euros en 2009) ! Or, ces créances que détiennent les banques ont perdu une grande partie de leur valeur avec la crise économique et l’explosion de la bulle immobilière. Les banques irlandaises se retrouvent donc aujourd’hui au bord du gouffre. Nombre de prêts qu’elles ont accordés ne pourront pas être honorés. La première d’entre elles, Anglo Irish Bank, a ainsi perdu 12,9 milliards d’euros en 2009 et presque autant rien qu’au premier semestre 2010.
Face au danger de faillites en cascade, l’Etat irlandais a déjà injecté 46 milliards de fonds propres dans ses banques mais au prix d’un déficit abyssal de 32 % du PIB (quand les critères européens fixent un maximum à 3 %). Et aujourd’hui, évidemment, c’est l’Etat lui-même qui sombre à son tour.
Cette situation économique catastrophique a donc contraint les pays de l’Union Européenne à se porter au chevet du malade. Ils ont débloqué 85 milliards d’euros d’aide. Cela ne soigne pas, certes, mais ça permet de gagner du temps, de prolonger l’agonie.
La bourgeoisie irlandaise n’a, dans toute cette histoire, qu’une seule consolation, elle n’est pas seule à sombrer. Le Portugal la suit de près, de très près. « Le Portugal devrait être le prochain sur la liste. Je ne sais pas si ce sera avant Noël, mais ce sera de toute façon inévitable l’année prochaine », a ainsi estimé Filipe Garcia, conseiller financier portugais au cabinet Informação de Mercados Financeiros. Là aussi, les dettes sont comme un boulet attaché aux pieds du pays qui l’entraîne inexorablement vers le fond. Et les gesticulations de la classe dominante portugaise n’y changeront rien. La dette publique ne cesse de gonfler et devrait, de l’aveu même du gouvernement, atteindre 82 % du PIB à la fin de l’année 2010.
Mais, à en croire José Socrates, le Premier ministre socialiste portugais les travailleurs peuvent être rassurés, “il n’y a aucun rapport entre le Portugal et l’Irlande” . Néanmoins, pour ceux qui auraient un doute envers la profonde honnêteté des grands dirigeants de la planète, continuons de voyager dans ce monde en crise.
Si des sueurs d’effroi coulent le long des tempes des dirigeants des pays européens, ce n’est ni pour l’Irlande, ni pour le Portugal… mais pour l’Espagne “L’Espagne est trop grande pour s’effondrer, et trop grande pour être renflouée”, a résumé l’économiste américain Nouriel Roubini, devenu l’une des voix les plus écoutées depuis qu’il a été le premier économiste, en 2007, à prédire la crise mondiale.
Selon le FMI, une bonne partie des banques espagnoles (plus d’une cinquantaine d’établissements) “souffrent” fortement de l’explosion de la bulle immobilière. “Un effondrement du système bancaire ne serait donc pas exclu”. Quand le FMI, cette grande institution internationale bourgeoise dont l’un des rôles est d’afficher les perspectives les plus optimistes possibles, commence à utiliser de tels euphémismes, “il n’est pas à exclure que…”, cela signifie que le pire est inévitable !
Le hic, c’est que la péninsule ibérique pèse 10 % du PNB européen. Le sauvetage de l’Espagne en cas de défaillance est ainsi estimé à 800 milliards d’euros, soit 10 fois l’aide apportée à la Grèce ! Inutile de dire qu’une telle débâcle serait synonyme d’une véritable tempête économique sur toute la zone euro.
Mais là encore, aucune crainte à avoir, les Autorités affirment quils ont tout sous contrôle. La preuve, le chef du gouvernement socialiste espagnol José Luis Rodriguez Zapatero a écarté “absolument” l’éventualité d’un plan de sauvetage financier à la grecque ou à l’irlandaise. Convaincant ? Non, n’est-ce pas ? Cette insistance pour dire, contre toute vraisemblance, que “tout va bien” est même plutôt inquiétante. Et la liste des pays en perdition est loin d’être terminée.
L’Italie croule tout simplement sous l’une des dettes publiques les plus élevées du monde, représentant près de 120 % de son PIB. Pour l’économiste canadien Robert Mundell, Prix Nobel d’économie, l’Italie constitue ainsi “la plus grande menace” qui soit pour la monnaie unique européenne.
Portugal, Irlande, Italie, Grèce, Espagne (Spain en anglais), ce quinté n’est pas une surprise, cela fait deux ans que tous les économistes pointent ces Etats du doigt comme des survivants en sursis. Le sigle qu’ils forment, PIIGS, est devenu un label pour “pays en faillite”. Mais aujourd’hui, fait nouveau, d’autres pays de la zone Euro sont ouvertement menacés par la banqueroute.
Si des doutes sur la solidité des Pays-Bas grandissent peu à peu, la Belgique est, elle, d’ores et déjà sur le sellette. Selon un article du journal britannique The Guardian, le plat pays serait en effet le prochain sur la liste des pays connaissant la plus forte crise économique.
Et la France, cette nation qui « n’est pas menacée”, où en est-elle vraiment ? Comme souvent, le coup le plus meurtrier est porté involontairement par ceux là-même qui s’efforcent le plus de soutenir et rassurer. Le président de l’agence de notation Standard & Poor’s, Deven Sharma, a ainsi affirmé “A l’heure actuelle, la France mérite son ‘rating’ AAA”[1]. Notez bien… “A l’heure actuelle”. Et voici le coup de grâce, “D’autres pays seront dégradés avant que la France ne le soit”. Les propos de Nouriel Roubini, “La France, par certains aspects essentiels, n’a pas l’air en bien meilleur état que la périphérie[2]”, sont finalement presque moins cruels.
Ces difficultés économiques profondes de l’Etat français se concrétisent déjà à travers des difficultés pour payer les fonctionnaires et les contractuels. Huit ministères (dont l’Education nationale) ont été contraints de contracter un prêt pour verser les payes de leurs agents en décembre. Et des milliers d’employés précaires (en CCD) en fin de contrat n’ont pas encore touchés leur prime de départ (10% du salaire) depuis le printemps !
Reste LE pillier de la Zone Euro, l’Allemagne. Avec près de 3 % de croissance, et un endettement étatique relativement limité, le pays d’outre-Rhin semble être actuellement le seul pays européen à tenir le coup. C’est en tout cas ce que disent les experts… Mais à y regarder de plus prêt, les fondations sont tout aussi pourries. L’Allemagne est le pays qui, après l’Irlande, a injecté, en 2008, le plus d’argent dans ces banques en difficulté avec 180,94 milliards d’euros. Le Financial Times a estimé, en septembre, que le système bancaire le plus menacé n’était ni portugais ni espagnol mais bel et bien allemand. « Il est dans son ensemble presque insolvable et le gouvernement doit se résoudre à sacrifier plusieurs établissements, sous peine de faire face à de graves problèmes », écrit le célèbre quotidien économique britannique. La chute de la maison irlandaise rend le problème d’autant plus urgent que les banques allemandes détiennent 205 milliards de dollars d’actifs irlandais… Un record au sein de la zone euro. De surcroit, l’appareil industriel est totalement dépendant des exportations alors que les débouchés extérieurs vont certainement se réduire fortement dans les mois et années à venir.
Bref, toute l’Union Européenne est mal en point. Mme Merkel, la chancelière allemande, a ainsi avoué, avant de se rétracter, que la zone euro était “dans une situation extrêmement sérieuse”. Avec Nicolas Sarkozy, ils ont commencé à annoncer la mise en place progressive de structure palliative permettant la mise en faillite officielle d’Etats européens avec, à la clef, une « restructuration de la dette ». Angela Merkel s’est alors empressée d’ajouter “Mais je ne vois pas d’Etat qui soit dans cette situation aujourd’hui”. « Aujourd’hui »… mais demain ?
Hors de la Zone Euro, il n’y a pas non plus de salut.
En Grande-Bretagne, la dette publique est de 100%, bien plus que la moyenne de ses voisins européens. Et les différents plans d’austérité censés réduire les déficits n’y changent rien.
Le Japon est plongé depuis plus d’une décennie dans la récession et les dernières nouvelles montrent que son cas s’aggrave. Sa dette publique frôle les 200% !
La première puissance mondiale, les Etats-Unis, est sans aucun doute le malade le plus atteint. Un seul chiffre. Le taux de chômage réel est de 22% (lors de la Grande dépression des années 1930, ce taux était de 25%). Cela signifie que 33 millions de citoyens américains se retrouvent aujourd’hui sans emploi.
Heureusement, il y a pour les économistes un espoir auquel s’accrocher, il se nomme la Chine. La Chine, c’est le Japon des années 1970/1980, les tigres asiatiques des années 1980/1990, l’Islande et l’Irlande des années 2000 : un dynamisme incroyable, une croissance époustouflante, un paradis pour golden boys, un Eldorado pour jeunes investisseurs… en un mot, une bulle qui finira comme les autres… par exploser ! Le boom chinois prendra alors un tout autre sens.
D’ailleurs, s’annoncent déjà les premiers signes de ce dénuement inévitable. L’empire du milieu a une immense bulle immobilière qui ne cesse de gonfler. L’inflation est en train de devenir galopante, 4,4% officiellement, le double officieusement. Les tensions entre yuans et dollars deviennent peu à peu insoutenables. Et la croissance s’avère au fil du temps de moins en moins élevé.
Comparer les tigres asiatiques et la Chine est abusif, nous rétorqueront les sceptiques. C’est vrai, sa chute va faire bien plus de bruit et de dégâts.
« D’un pays à l’autre, les potions utilisées sont différentes – pour ne pas dire opposées – mais elles ont en commun d’être inefficaces. Essayant toutes les combinaisons de remèdes – panachant des interventions des banques centrales et des plans de relance, ou les proscrivant au contraire – les gouvernements tirent dans tous les sens […]. Une ère est en train de se clore, dans laquelle le crédit était facile, aussi bien pour les ménages que pour les Etats. L’ensemble dopait une croissance dont on ne se souciait pas trop de savoir de quoi elle était faite, tant qu’elle se poursuivait allégrement. » (François Leclerc, économiste français).
Tout est là. Le capitalisme a vécu à crédit. Et cette « ère est en train de se clore ».
Depuis les années 1960, ce système survit effectivement par l’injection de plus en plus massives de crédits. La paye des ouvriers ne pouvant suffire à tout absorber, le marché mondial est saturé de marchandises. Pour ne pas être paralysé par la surproduction, pour écouler les produits fabriqués, le capitalisme a dû ouvrir à chaque crise de plus en plus grand les vannes de l’endettement, en 1967, 1973, 1986, 1993, 1997, 2001, 2007…
Après des décennies d’une telle fuite en avant, le résultat était inévitable : les ménages, les entreprises, les banques et les Etats sont tous pris à la gorge par leurs gigantesques dettes.
Il n’y a aujourd’hui plus aucune bonne solution pour le capitalisme. La planche à billets des Etats-Unis, du Japon ou de la Grande-Bretagne, les plans d’austérité européens, les tricheries chinoises avec la valeur de leur monnaie… tous ces pays prennent des chemins différents mais tous se dirigent inexorablement vers le même gouffre.
Il y a aujourd’hui deux symboles à cette absence totale de perspective pour l’économie capitaliste : la montée du protectionnisme et la « guerre des monnaies ».
Depuis le krach de 1929 et la Grande dépression des années 1930, toutes les nations avaient retenu une leçon essentielle : le protectionnisme engendre un chaos mondial indescriptible. Et depuis lors, son interdiction était plus ou moins respectée. Aujourd’hui, toutes les grandes puissances se livrent un véritable bras de fer économique, et elles sont prêtes à tout. Pourtant, au dernier G20 de Séoul, Merkel a demandé un ferme engagement de tous :”Nous devons tout faire pour éviter le protectionnisme ». Mais si elle a dû rappeler cette loi d’airain, c’est que les pressions internationales pour limiter les exportations allemandes et chinoises de par le monde, Etats-Unis en tête, sont de plus en plus importantes. « Exporter ou mourir » est en train de redevenir le cri de guerre économique de toutes les les bourgeoisies nationales concurrentes !
A propos de guerre, celle des monnaies fait la Une des médias depuis plusieurs mois. De quoi s’agit-il ? En fait, sur le marché monétaire, ce ne sont pas les devises qui s’affrontent, comme on aimerait nous le faire croire, mais les nations. Un seul exemple. En faisant tourner leur planche à billets et en créant ainsi des quantités inimaginables de dollars afin de soutenir artificiellement leur économie, les Etats-Unis font baisser la valeur même de cette monnaie. Ils exportent d’ailleurs ainsi plus facilement. Mais les pays qui détiennent des milliers de milliards de la devise américaine, comme la Chine, voit leur trésor fondre comme neige au soleil. La livre anglaise, le yuan chinois, le yen japonais comme l’Euro, toutes ces monnaies sont elles-aussi des armes aux mains de chaque Etat pour soutenir la demande intérieure et essayer de favoriser leurs propres exportations. Seulement, une telle « guerre des monnaies » implique aussi des risques de déstabilisation internationale incontrôlable : dévaluation massive, inflation galopante, explosion de l’euro…
Faillites de banques, de caisses d’épargne, de multinationales, de régions ou d’Etats, éclatement de la bulle chinoise, montée du protectionnisme, fin de l’euro, dévaluation massive du dollar ou de la livre sterling… personne ne peut savoir quelle planche pourrie va craquer la première sous nos pieds, ni quand. Une seule chose est certaine : dans tous les pays, l’avenir nous réserve des secousses économiques dévastatrices. Le capitalisme est un système moribond. Il entraîne progressivement, mais inexorablement, toute l’humanité vers les affres de la misère et de la guerre.
Aujourd’hui, comme hier, les gouvernements de tous les pays, quelle que soit leur couleur politique, de gauche comme de droite, appellent les travailleurs à « se serrer la ceinture », à « accepter des sacrifices » pour « relancer l’économie et renouer avec la croissance ». Mensonges ! Les sacrifices d’aujourd’hui ne font que préparer… les sacrifices plus lourds encore de demain.
Seule la lutte de classe peut permettre de ralentir les attaques. Et seule la révolution prolétarienne internationale mettra fin au supplice qu’inflige ce système d’exploitation à une partie toujours plus importante de l’humanité.
Pawel (9 décembre)
1. La note AAA est la plus élevée, elle signifie que l’agence estime que cette économie nationale a les reins solides.
2. C’est à dire les PIIGS.
Les grèves et les manifestations d’octobre-novembre en France qui se sont déroulées à l’occasion de la réforme des retraites ont témoigné d’une forte combativité dans les rangs des prolétaires (même si elles n’ont pas réussi à faire reculer la bourgeoisie). Ce mouvement s’inscrit dans une dynamique internationale de notre classe qui retrouve progressivement le chemin de la lutte. Ainsi, d’autres combats de classe sont en cours dans de nombreux autres pays. La crise économique et la bourgeoisie portent leur coups de boutoir partout dans le monde. Et partout, de l’Europe aux Etats-Unis, les travailleurs commencent peu à peu à réagir et à refuser la paupérisation, l’austérité et les sacrifices « salutaires » (sic !) imposés.
Pour l’instant, cette riposte est en deçà des attaques que nous subissons. C’est incontestable. Mais une dynamique est enclenchée, la réflexion ouvrière et la combativité vont continuer de se développer. Pour preuve, ce fait nouveau : des minorités cherchent aujourd’hui à s’auto-organiser, à contribuer au développement de luttes massives et à se dégager de l’emprise syndicale.
Nous publions dans ce journal (page 5), deux courts articles sur les mouvement qui ont eu lieu récemment en Grande-Bretagne et en Espagne. Un état des lieux plus complet des luttes à travers le monde (Irlande, Etats-Unis, Portugal, France, Pays-Bas… sera très prochainement publié dans notre Revue Internationale et sur ce site).
Le premier samedi après l’annonce du plan de rigueur gouvernemental de réduction drastique des dépenses publiques, le 23 octobre, se sont déroulées un certain nombre de manifestations contre les coupes budgétaires, partout dans le pays, appelées par divers syndicats. Le nombre de participants, variant de 300 à Cardiff à 15 000 à Belfast ou 25 000 à Edimbourg, révèle le profondeur de la colère.
Une autre démonstration de ce ras le bol généralisé est la rébellion des étudiants contre la hausse de 300 % des frais d’inscription dans les universités. Déjà ces frais les contraignaient à s’endetter lourdement pour rembourser après leurs études des sommes astronomiques (pouvant aller jusqu’à 95 000 euros !). Ces nouvelles hausses ont donc provoqué toute une série de manifestations du Nord au Sud du pays (5 mobilisations en moins d’un mois : les 10, 24 et 30 novembre, les 4 et 9 décembre). Cette hausse a tout de même été définitivement votée à la chambre des Communes le 8 décembre.
Grèves des universitaires, dans la formation continue, des étudiants des écoles supérieures et des lycées, occupations d’une longue liste d’universités, de nombreuses réunions pour discuter de la voie à suivre... les étudiants ont reçu le soutien et la solidarité de la part de nombreux enseignants, notamment en fermant les yeux devant les absences des grévistes en classe (l’assiduité au cours est ici strictement réglementée) comme en allant rendre visite aux étudiants et en discutant avec eux.
La révolte des étudiants et élèves contre la hausse des frais de scolarité est toujours en marche. Les précédentes se sont terminées par des affrontements violents avec la police anti-émeutes pratiquant une stratégie d’encerclement, n’hésitant pas à matraquer les manifestants, ce qui s’est traduit par de nombreux blessés et de nombreuses arrestations, surtout à Londres, alors que des occupations se déroulaient dans une quinzaine d’universités avec le soutien d’enseignants. Le 10 novembre, les étudiants avaient envahi le siège du parti conservateur et le 8 décembre, ils ont tenté de pénétrer dans le ministère des finances et à la Cour suprême, tandis que les manifestants ont tenté de s’en prendre à la Rolls-Royce transportant le prince Charles et son épouse Camilla. Les étudiants et ceux qui les soutiennent sont venus aux manifestations de bonne humeur, fabriquant leurs propres bannières et leurs propres slogans, certains d’entre eux rejoignant pour la première fois un mouvement de protestation. Les grèves, manifestations et occupations ont été tout sauf ces sages événements que les syndicats et les ‘officiels’ de la gauche ont habituellement pour mission d’organiser. Les débrayages spontanés, l’investissement du QG du Parti conservateur à Millbank, le défi face aux barrages de police, ou leur contournement inventif, l’invasion des mairies et autres lieux publics, ne sont que quelques expressions de cette attitude ouvertement rebelle. Et le dégoût devant la condamnation des manifestants à Millbank de Porter Aaron, le président du NUS (Syndicat National des Etudiants), était si répandu qu’il a dû ensuite présenter ses plus plates excuses.
Cet élan de résistance à peine contrôlé a inquiété les gouvernants. Un signe clair de cette inquiétude est le niveau de la répression policière utilisée contre les manifestations. Le 24 novembre à Londres, des milliers de manifestants ont été encerclés par la police quelques minutes après leur départ de Trafalgar Square, et malgré quelques tentatives réussies pour percer les lignes de police, les forces de l’ordre ont bloqué des milliers d’entre eux pendant des heures dans le froid. A un moment, la police montée est passée directement à travers la foule. A Manchester, à Lewisham Town Hall et ailleurs, mêmes scènes de déploiement de la force brutale. Après l’irruption au siège du parti conservateur à Millbank, les journaux ont tenu leur partition habituelle en affichant des photos de présumés ‘casseurs’, faisant courir des histoires effrayantes sur les groupes révolutionnaires qui prennent pour cible les jeunes de la nation avec leur propagande maléfique. Tout cela montre la vraie nature de la ‘démocratie’ sous laquelle nous vivons.
La révolte étudiante au Royaume-Uni est la meilleure réponse à l’idée que la classe ouvrière dans ce pays reste passive devant le torrent d’attaques lancées par le gouvernement sur tous les aspects de notre niveau de vie : emplois, salaires, santé, chômage, prestations d’invalidité ainsi que l’éducation. Elle est un avertissement pour les dirigeants que toute une nouvelle génération de la classe exploitée n’accepte pas leur logique de sacrifices et d’austérité.
W. (12 décembre)
Le 3 décembre, le gouvernement du “socaliste José Zapatero s’est livré à une véritable provocation prenant pour cible les aiguilleurs du ciel : l’approbation en Conseil des ministres d’une semi-privatisation de l’Autorité de gestion des aéroports (AENA) , dans le cadre de nouvelles mesures anti-crise prises par le gouvernement socialiste. Cette mesure inclut un dispositif portant à 1670 heures par an le temps maximum légal que pourront travailler les contrôleurs, diminuant leur paiement en heures supplémentaires, reculant l’âge de leur départ en retraite et surtout abaissant leur salaire de 40% en moyenne (alors que les fonctionnaires du pays s’étaient vus récemment imposer une amputation entre 5 et 10 % de leur salaire). La riposte a été immédiate : les contrôleurs aériens ont quitté leurs postes de travail dans les heures qui suivaient, entraînant la fermeture de la majeure partie de l’espace aérien espagnol (sauf en Andalousie), en plein début du plus long “pont” de l’année (5 jours) en Espagne. Une gigantesque campagne idéologique a été orchestrée contre les grévistes présentés comme des “privilégiés” qui “gagnent plus que le chef du gouvernement!.””Il n’est pas tolérable qu’une entreprise publique donne des salaires de millionnaires à ses employés”, avait affirmé le ministre des Transports, Blanco. La presse, elle aussi, s’est déchaînée contre les grévistes : “avec cette attitude, les contrôleurs perdent la raison et la bataille de l’opinion publique”, écrivait El Pais (centre-gauche). La Vanguardia (centre-droit) parlait d’une “prise d’otages intolérable” et ABC (droite) se moquait de ces “malades imaginaires”. Sur Internet, la radio Cadena Ser montrait une photo d’un repas samedi entre plusieurs contrôleurs, avec ce titre rageur : “les responsables du chaos boivent un coup à Madrid”, tandis que sur Facebook, un blog réclamait leur renvoi. Plusieurs contrôleurs, interrogés par El Pais, ont tenté de se défendre : “nous voulons seulement défendre nos droits”, a dit l’un d’eux. “Nous aussi nous sommes des victimes”, ajoutait un autre, “on nous montre comme les méchants dans les films (mais) la faute revient au gouvernement”. Immédiatement après, “l’état d’urgence” a été décrété pendant quinze jours. Cela a permis de soumettre les aiguilleurs du ciel à l’autorité du Ministère de la Défense en les faisant passer du statut civil à celui de militaires mobilisés. les contrôleurs ont alors repris le travail sous 24 heures. Cette clause de la constitution espagnole n’avait jamais été invoquée jusqu’à aujourd’hui. Elle est destinée à aider le gouvernement à faire face à des catastrophes naturelles telles que des séismes et des inondations ou, dans ce cas précis, au blocage d’un service public essentiel au fonctionnement du pays comme le trafic aérien. Loin d’être une catastrophe naturelle, cette grève s’inscrivait, tout simplement, dans la lutte engagée contre le plan d’austérité édicté par le gouvernement socialiste en réduisant les dépenses publiques et les dépenses sociales, en rendant plus facile les licenciements dans un pays qui compte déjà 20 % de chômeurs.
L’état d’urgence permet au gouvernement d’arrêter le personnel des « industries stratégiques » qui refusent de travailler. Le ministre de l’Intérieur, Alfredo Perez Rubalcaba a ainsi menacé : « L’état d’urgence suppose la mobilisation de tous les contrôleurs et la mise à disposition de la justice de tous ceux qui ne se présenteront pas à leurs postes, tombant ainsi sous le coup d’un délit pouvant entraîner de sévères peines de prison pouvant aller de 8 à 10 ans. » Le ministre des Travaux publics et des Transports a en outre demandé qu’une sanction « appropriée » soit appliquée à ce « comportement irresponsable » dont de lourdes amendes et des licenciements contre les grévistes. Un aiguilleur du ciel a déclaré : “On se croirait à nouveau revenu à l’époque de Franco”. C’est en effet la première fois depuis la fin du franquisme que l’article 116-2 de la Constitution est utilisé (les lois permettant l’imposition de tels pouvoirs avaient été laissés dans la constitution « démocratique » rédigée en 1978). Le gouvernement a justifié cette mesure par le caractère exceptionnel du conflit qui l’oppose aux contrôleurs aériens depuis un an. Ces derniers n’ont, en effet, jamais accepté les modifications de leurs conditions de travail en termes de retraite, de temps de travail et de salaire. Outre le soutien massif de la population et des médias, Zapatero a obtenu le renfort du Parti Populaire, PP, qui est sorti de la « contestation systématique » pour appuyer la décision gouvernementale. Loin de s’opposer à cette attaque contre la classe ouvrière, les syndicats espagnols et l’IU (la Gauche unie) conduite par le Parti communiste ont soutenu le gouvernement et ont eux aussi calomnier les grévistes en répétant à satiété qu’il s’agissait là d’une élite privilégiée prenant l’Espagne en otage.
La vérité est évidemment toute autre comme en témoigne ces propos d’un aiguilleur du ciel : « J’ai la tristesse de vous dire que nous nous sentons mal depuis février dernier. On n’arrive pas à dormir correctement. On n’arrive pas à se reposer correctement. On nous change nos vacances et nos jours de congé et on nous réquisitionne pour travailler n’importe quel jour et dans n’importe quelle équipe. On nous force, ce n’est pas du volontariat. […] On est fatigué, épuisé, brisé. […] On veut en finir avec cette situation, mais on ne sait pas comment... De nouveaux décrets sont inventés jour après jour. »
Cette véritable provocation pour discréditer les aiguilleurs du ciel a évidemment pour but de préparer le terrain à d’autres “sacrifices” encore plus gros et à des attaques d’envergure contre d’autres groupes de travailleurs se mettant en grève pour protester contre les mesures d’austérité du gouvernement. Les travailleurs vivant en Espagne ont d’ailleurs vite pris conscience de cette tactique de division, la propagande haineuse du gouvernement socialiste et des syndicats contre cette corporation n’a pas eu un grand succès dans les rangs ouvriers. Il faut dire qu’avec l’impact de la crise le sentiment d’être tous dans la même galère fait son chemin dans toutes les têtes des exploités.
Wim (12 décembre)
Éric Cantona a l’habitude d’être moqué. L’ancien footballeur a connu ses heures de gloire en la matière avec sa marionnette des « Guignols de l’info » qui le représentait en peintre philosophe à l’inspiration obscure.
Mais jusqu’à maintenant, la moquerie était plutôt tendre, face à un personnage dont la réflexion critique, l’honnêteté et le « bon sens » lui conférait un caractère sympathique évident.. Mais cette fois-ci, ce n’est plus le même registre. On est passé dans les médias de la raillerie, au mépris et à l’insulte.
C’est que Cantona a, cette fois, osé faire publiquement la critique du système. Dans une interview vidéo accordée à un journal local1, vouée par nature à une certaine confidentialité, il a émis l’idée que « s’il y a vingt millions de gens qui retirent leur argent [des banques], le système s’écroule ». Diffusée sur internet, l’interview a donné naissance à un mouvement collectif qui a organisé la mise en œuvre pratique de cette idée pour le mardi 7 décembre.
Derrière cette idée candide, il y a une vérité incontestable : l’argent de la masse des anonymes participe à faire tourner le système et génère le profit dont une minorité profite. Et c’est cette vérité qui a le plus gêné la bourgeoisie dans cette affaire. Bien sûr, les banquiers, en bon professionnels quelque peu échaudés ces derniers temps par les turpitudes de la finance internationale, ont mis en avant le danger d’un « bank run », en référence aux mouvements de panique des années 1930 aux États-Unis qui poussaient les épargnants à réclamer en masse leurs liquidités, ce à quoi les banques ne pouvaient pas répondre2. Mais la bourgeoisie sait bien qu’un « bank run » ne se décrète pas, qu’il est lié justement à une panique qui se diffuse de façon incontrôlable et que c’est justement ce caractère incontrôlable – et donc incontrôlé – qui en constitue tout le danger. Bref, la classe dominante savait parfaitement que l’idée de Cantona ferait le même effet, au mieux, qu’une piqûre de moustique sur la peau d’un rhinocéros.
Par contre, la bourgeoisie n’aime pas qu’on pointe les risques d’effondrement de son système et qu’on ose associer à tout ça l’idée de « révolution ». Même si l’idée d’Eric Cantona restait une utopie (dont la réalisation n’a d’ailleurs pas eu lieu le jour dit), même si elle manifestait une vision simpliste du fonctionnement du capitalisme, elle comportait une dimension fondamentale, celle de proclamer tout haut la nécessité que « le système s’écroule », et que cet écroulement proviendra d’une action massive des « petites gens », qui sont au centre de la production de valeur.
C’est pourquoi la bourgeoisie n’a pas tardé à réagir, de façon en général agressive et méprisante ; Christine Lagarde et François Baroin invitant Cantona à « se cantonner au football»3, que cela dit, il a quitté depuis un certain temps, Roselyne Bachelot rappelant que la femme de l’ex-footballeur a tourné une publicité pour une banque4… En tout cas, la classe dominante a sorti l’artillerie lourde pour dénigrer cette initiative vouée fatalement à l’échec. Même les syndicats s’y sont mis, comme FO qui a prévenu qu’en cas de mise en péril du monde de la finance, « des centaines de milliers d’emplois pourraient être mis en danger plus ou moins directement »5 .
Le fait est cependant que si la critique du système qu’elle contient est juste et légitime, la solution proposée n’en est pas une. Eric Cantona a raison de dire que c’est une action massive qui aura raison du système capitaliste, mais il a tort quand il dit que la révolution ne se fait pas dans la rue, mais dans les banques. Car si un « bank run » mettrait sans aucun doute les banques sollicitées dans une situation périlleuse, cette situation ne le serait pas plus que celle dans laquelle elles étaient en 2008, quand tous les grands États du monde sont venus à leur secours à renfort de centaines de milliards de dollars ou d’euros ! Par contre, si ces vingt millions de clients des banques, qui sont aussi la force économique centrale du capitalisme par leur travail, descendent dans la rue, se mettent en grève et réclament des comptes à leur classe dominante sur l’aggravation constante de leurs conditions de travail et de vie, sur la baisse de leurs revenus, sur la destruction de la « protection sociale », cette fois les comptes à rendre ne se chiffreront plus en dollars ou en euros, mais en nombre de travailleurs unis, conscients et combatifs.
Le rapport de force s’établira directement avec le pouvoir politique, l’État, et l’écroulement du système ne proviendra plus d’un manque de liquidités, toujours rattrapable, mais d’un manque de réponse de la part de la bourgeoisie aux aspirations des masses.
Retenons donc de cet épisode la grande gêne qu’il a provoqué dans la classe dominante, et l’idée essentielle (qu’on ne répandra jamais trop et que même un « footballeur » a le droit de répandre), qu’il ne dépend que de nous de continuer ou non à subir la misère et la détresse que le capitalisme nous impose depuis trop longtemps.
GD (8 décembre)
1) Presse océan
2) C’est aussi ce qui s’est passé par exemple plus récemment en 2008 en Grande-Bretagne où des milliers de gens se sont rués aux portes de la Northern Bank menacée de faillite pour vider précipitamment leur compte.
3) 20 minutes, 6 décembre 2010
4) 20 minutes, 7 décembre 2010
5) Rue89.com
En avril 2009, Marion Bergeron, jeune graphiste de 24 ans, sans emploi et en fin de droits, est employée par Pôle Emploi lors de la fusion entre les ex-Assedic et l’ex-ANPE. Affectée à une agence de la banlieue parisienne, semblable à bien d’autres, son CDD de 183 jours se révèlera être un véritable calvaire qu’elle décrit dans son livre-témoignage intitulé : « 183 jours dans la barbarie ordinaire, en CDD chez Pôle Emploi ». Atmosphère pesante, magouilles de chiffres et de statistiques, plannings intenables, agressivité des demandeurs à bout de nerfs, impuissance des conseillers, tout est décrit avec une remarquable précision et un vécu d’un réalisme saisissant. Nous tenons à saluer cette jeune travailleuse, jetée dans la précarité depuis la fin de sa formation, pour avoir mis en lumière la situation qui règne aujourd’hui chez Pôle Emploi. L’agence, sensée améliorer les conditions d’accès à l’emploi et orienter les demandeurs vers des filières qui leur correspondent, n’est autre qu’un organisme de gestion d’une situation de crise. D’un côté, le marché de l’emploi se réduit de jour en jour, et de l’autre immanquablement, le nombre de chômeurs ne cesse de croître. Entre les deux, tel un dernier rempart avant l’explosion sociale, les employés de Pôle Emploi jouent les conciliateurs entre un Etat qui va cyniquement de plans d’austérité en plans d’austérité et une masse croissante de laissés pour compte, dont les allocations s’amenuisent et pour qui l’avenir devient obscur, très obscur ! Ne nous racontons pas d’histoire : aujourd’hui, suivant les directives d’un Etat qui tente de sauver ses derniers Euros, le Pôle Emploi mène une politique de radiation massive. Les ouvriers de Pôle Emploi, n’ont d’autre choix que de se plier à cette politique et de laisser une partie de leur humanité au vestiaire pour supporter leur labeur. « D’un côté, je passe mon temps à demander des justificatifs qui ne sont manifestement pas nécessaires. De l’autre, un demandeur qui aurait eu une vrai tuile est immédiatement catalogué bonimenteur et peut se retrouver radié, car il faut bien en radier quelques-uns. Sur des critères qui relèvent entièrement du hasard. (…) C’est sur ce château de cartes que notre vigilant ministre du budget, Eric Woerth, organise sa grande « journée spéciale de lutte contre la fraude ». Il en profite pour exprimer, la cravate bien droite, tout le mal qu’il pense des vilains qui fournissent des fausses déclarations dans le but de percevoir de maigres aides sociales. Et ne manque pas de conclure sur l’intensification des contrôles. »1 Voilà ce qui se cache derrière la prétendue « stabilisation du chômage » dont les médias bourgeois nous rebattent les oreilles depuis de nombreux mois2. Effectivement, le nombre officiel de chômeurs tend à se stabiliser. Le nombre de personnes ayant droit à des allocations, RSA ou autre, cesse d’augmenter. Cela ne veut pas dire que le marché de l’emploi est en meilleure forme que les années précédentes. Non ! Cela signifie simplement que l’Etat est aujourd’hui tellement endetté qu’il doit par tous les moyens tenter de réduire ses dépenses. En première ligne, ce sont les chômeurs qui trinquent, c’est-à-dire la partie improductive du capital humain. Il faut réduire le montant des allocations et radier à tour de bras les ayants droit. C’est dans cette logique que s’inscrit le célèbre « Suivi Mensuel Personnalisé », proposé en juillet 2005 par Dominique de Villepin alors Premier ministre. Marion Bergeron ne manque d’ailleurs pas de dénoncer cette supercherie : « Si le principe du suivi mensuel peut paraître louable, apporter une aide plus régulière semble aller dans le bon sens, il n’en est pas moins une vaste fumisterie. La logique est toute mathématique. Les convocations génèrent des absences. Les absences, des radiations. Plus de convocations entraînent plus d’absences. Donc plus de radiations. Donc moins de chômeurs au compteur. Et Dominique a la joie d’annoncer une baisse du chômage à Noël. »3 Voici un bel exemple de la manière dont l’Etat capitaliste « gère » la situation invivable créée par la faillite de son propre système que nous subissions au quotidien. Dans cette situation abjecte, les conseillers débordés font avec les moyens du bord comme cette collègue de Marion Bergeron cherchant à joindre une autre agence du Pôle pour répondre à une annonce : « Cécilia n’a pas de solution. Elle me montre donc sa petite magouille personnelle. Faire appel à Actu-chômage. Une association de défense des droits des demandeurs qui, en réponse à la généralisation du 3949, met en ligne sur son site les lignes directes des agences. C’est un comble. Je travaille pour Pôle Emploi, et pour contacter mon collègue de l’agence à Trifouillis-sur-Poisse, le moyen le plus simple dont je dispose est d’utiliser les ressources d’une association qui dénonce les méthodes de mon employeur. »4 L’impuissance de Pôle-Emploi pour réellement aider les demandeurs, ou plutôt les « clients », pour reprendre le terme d’usage, est à l’image de l’incapacité de l’Etat de gérer sa propre crise économique. A propos d’une longue journée d’entretiens fleuves, Marion Bergeron raconte : « Ils ne laissent pour trace de leur passage qu’un entretien informatique plein de phrases creuses et d’espoirs bancals. Et seuls quelques rares élus resteront dans ma mémoire. Ils sont le visage du chômage. La multitude de vies que la crise perpétuelle dans laquelle nous vivons peut réduire à néant d’un claquement de doigts. »5 Dans ce témoignage critique et plein de sincérité, c’est une partie du vrai visage du capitalisme que l’auteur nous révèle. Un capitalisme à bout de souffle. Incapable de venir en aide à ceux qu’il ne peut intégrer à son fonctionnement décadent. Allant même jusqu’au mépris, au cynisme et à la barbarie.
En bref, pour Pôle Emploi comme partout au sein du capitalisme : « le service ne doit pas être rendu, il doit être productif. »6
Rodrigue (10 décembre)
1) 183 jours dans la barbarie ordinaire, édition Plon, page 65.
2) Voir RI n°416, « Le mensonge grossier de la baisse du chômage [167] ».
3) 183 jours..., page 76.
4) Ibidem, page 184.
5) Ibid., page 224.
6) Ibid., page 158.
Au lendemain du deuxième tour de l’élection présidentielle du 28 novembre dernier, le pays s’est réveillé avec deux « présidents » à sa tête.
L’un, Alassane Ouattara a été proclamé vainqueur par la commission électorale (la CEI) et par l’ONU avec 54% des voix ; l’autre, Laurent Gbagbo a été désigné victorieux par le Conseil constitutionnel ivoirien avec 51,4% des voix. Voilà donc deux gros « crocodiles » en lice dans le « marigot du pouvoir ivoirien » et prêts à s’entre-dévorer.
Pourtant il s’agissait, paraît-il, d’un processus électoral « normal » selon le Conseil de sécurité de l’ONU qui a « salué l’annonce des résultats du deuxième tour de l’élection présidentielle qui s’est tenue dans un climat démocratique (…), élections libres, justes, transparentes (sic)».
La réalité est évidemment toute autre. Cette élection n’a été qu’une sinistre farce qui a déjà fait 55 morts et 504 blessés (cf. Le Monde du 08/12/10). En effet, après le Congo, le Kenya, le Zimbabwe, le Togo, le Gabon et la Guinée tout récemment, c’est autour de la Côte d’Ivoire d’entrer dans l’arène sanglante que représente ce genre d’élections où le futur vainqueur est désigné d’avance par lui-même ou avec la complicité de ses parrains impérialistes. Et comme toujours dans pareil cas, les protagonistes règlent leurs comptes par massacres interposées.
La situation actuelle de la Côte d’Ivoire ne peut que rappeler la séquence morbide précédente, en 2002, où l’élection présidentielle s’était conclue par des tueries en masse et un coup de force militaire avec, à la clef, des années de terreur et la coupure du pays en deux, entre le Nord et le Sud. Depuis cette époque, les cliques ivoiriennes (gouvernement comme ex-rebelles) ont confisqué à leur seul profit les ressources se trouvant dans les zones sous leur contrôle respectif. Surtout, ces criminels puisent dans cette manne pour acheter massivement des armes en vue de poursuivre leur luttes concurrentielle vers le pouvoir. Il va sans dire que cela se fait au détriment de la population dont plus de 50 % vit avec moins de 2 dollars par jour. De surcroît, cette population est régulièrement la proie de rackets et de meurtres. Aujourd’hui, avec ces nouvelles élections, toutes les conditions sont réunies pour des massacres d’une ampleur encore plus dramatique.
« Le scénario que chacun redoutait s’est produit au soir du 3 décembre. Laurent Gbagbo est parvenu à se faire proclamer vainqueur de la présidentielle. Au risque de plonger son pays dans la crise, voire dans la guerre.(…) Nul doute qu’en matière de pugnacité Gbagbo soit médaille d’or. Mais lui qui, jusqu’ici, se présentait volontiers comme « un fils des élections », voire « un enfant de la démocratie », aura désormais le plus grand mal à incarner cette image d’Epinal. Coûte que coûte, il a décidé d’aller au bout d’une démarche qui n’a plus rien à avoir avec les urnes. Quitte à replonger la Côte d’Ivoire dans les affres de la crise et de la guerre. (…) La perspective d’une nouvelle partition, d’un nouvel embrasement Nord-Sud, ne l’inquiète pas : la plupart des ressources (cacao, café, pétrole) se trouvent dans le Centre ou le Sud ; et les récoltes sont exportées par le port de San Pedro. Sa Côte d’Ivoire fonctionne ainsi depuis 2002. Pourquoi ne serait- ce pas le cas à l’avenir ? (…) Le vrai Gbagbo, après ces élections finalement inutiles, est de retour. Les armes à la main, prêt à soutenir du haut de sa citadelle le siège de « l’ennemi extérieur »1 comme il aime à la répéter. La Côte d’Ivoire, elle, est revenue à la case départ.» (Jeune Afique du 5/12/10) ».
De son côté, Alassane Ouattara, se prépare aussi à en découdre et compte sur ses partisans dits « forces nouvelles » qui viennent d’annoncer qu’ils ne resteront pas longtemps bras croisés si Gbagbo reste au pouvoir. De même, Guillaume Soro, nouveau premier ministre d’Ouattara dit son intention d’aller « déloger » Gbagbo (dont il était le premier ministre jusqu’au début des élections). Bref, chaque camp actionne ses chiens sanglants, les escadrons de la mort et autres porteurs de machettes. Mais surtout, chacun compte sur ses soutiens impérialistes à commencer par les grandes puissances en quête du « butins ivoiriens », en particulier la France.
Il suffit de voir comment l’affaire ivoirienne mobilise toute la sphère de la bourgeoisie française pour se rendre compte de l’importance de l’enjeu qui se joue dans cet ancien pré-carré de l’impérialisme français. Depuis l’éclatement de sa « vitrine économique » début 2000, entraînant au passage sa perte de contrôle sur les acteurs locaux, l’impérialisme français se démène pour garder coûte que coûte son influence dans ce pays incarnées par les grandes sociétés comme Bouygues, Total, Bolloré, etc. Ce sont ces sociétés qui constituent la colonne vertébrale de la « Françafrique » en Côte d’Ivoire où les intérêts privés et intérêts étatiques fusionnent comme le montre plus particulièrement la relation incestueuse entre Bolloré et l’Etat français.
« Difficile de démêler les connexions multiples qui existent entre le groupe (Bolloré), digne héritier des trusts coloniaux et des réseaux françafricains, et les responsables politiques français. Comme d’autres conglomérats, il bénéficie de l’appui des pouvoirs publics dans sa conquête des marchés du continent., le président de la République ou les ministres se transportent volontiers en Afrique pour jouer les lobbyistes auprès de leurs homologues. Si les amitiés de Bolloré à droite sont connues, on note que le député socialiste Jean Glavany2 fait partie, aux côtés de M. Alain Minc, du comité stratégique du groupe. (…) Quand la France envoie - ou rapatrie - des troupes en Afrique, comme pour l’opération « Licorne » en Côte d’Ivoire, les nombreuses filiales du groupe Bolloré apparaissent souvent indispensables. « Toutes les opérations sont réalisées avec la plus stricte sécurité et confidentialité », lit-on en surimpression d’images de véhicules blindés, sur un prospectus distribué par la branche « Défense » de SDV... (Manière de voir, du Monde diplomatique, déc. 2009) ».
Mais la France est mal armée, faute d’appuis sûrs sur place. C’est pourquoi, formellement, elle affiche son soutien à Ouattara le candidat « démocratiquement élu » mais en coulisses, jusqu’à l’annonce des résultats définitifs, Sarkozy n’a pas cessé de « rassurer » Gbagbo pour que celui-ci préserve les intérêts français sur place. Et, c’est en parfaite connaissance de la fragilité du positionnement de la France que Gbagbo traditionnellement proche du PS a décidé de faire « chanter » les autorités françaises en brandissant ses appuis chinois devant leurs yeux. Et effectivement, la France a dû finalement déclarer publiquement sa « neutralité », disant qu’elle n’avait pas de « candidat » parmi les postulants. En somme, il s’agit pour elle de miser sur les deux tableaux, mais sans aucune garantie de succès pour autant.
En effet, derrière ces titres de presse ou d’ouvrages, il y a le fait que la France est réellement menacée dans ses positions en Afrique où elle fait face à une redoutables concurrence sur place, bourgeoisies américaine et chinoise en tête.
Déjà, la bataille fait rage au Conseil de sécurité de l’ONU entre les partisans de Gbagbo et ceux d’Ouattara, le premier est défendu par la Chine et la Russie et le second par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France. On notera le comble de l’hypocrisie de ce repaire de brigands qui, tous, appellent à la « retenue » pour la « paix », mais fournissent en coulisses conseils et munitions à leurs bras armés sur place.
En France, Alassane Ouattara était qualifié de « pro-américain » durant un bon moment, mais depuis quelques temps il a pu tisser des liens avec l’Elysée où il prend assez régulièrement le café ou « l’apéro » avec Sarkozy. En même temps, il a gardé de solides amitiés avec les milieux américains notamment au sein du FMI dont il fut un vice- président. Sans doute finira-t-il par choisir le parrain le plus « offrant », surtout dans la perspective des prévisibles affrontements en Côte d’Ivoire. Et au niveau continental, Ouattara peut compter (formellement) sur de nombreux soutiens en Afrique de l’Ouest et sur l’Union Africaine.
Quant à Laurent Gbagbo, l’Angola demeure son plus grand fournisseur d’armements et, sur le plan diplomatique, il peut s’appuyer sur l’Afrique du Sud qui fut son soutien notamment lors de sa confrontation armée avec la France en 2004.
En fin de compte, derrière ces manœuvres et les appels au « respect des résultats des urnes », on voit en réalité des charognards criminels qui poussent à l’implosion du pays et aux massacres de masse de la population, avec comme conséquence l’extension d’un chaos sanglant dans toute la région.
Amina (8 décembre)
1) Dans la campagne nationaliste sur « l’ivoirité » déchaînée par l’ ancien président Bédié en 2000 et reprise par Gbagbo dans la guerre civile de 2002 , le musulman originaire du Nord du pays Ouattara a été désigné comme un agent étranger lié au Burkina Faso.
2) Membre de l’Internationale Socialiste, Gbagbo est retsté « l’ami » aujourd’hui bien encombrant de plusieurs ténors du PS en France.
Le bombardement du 23 novembre par le régime de la Corée du Nord de l’île sud-coréenne de Yeonpyeong, tuant deux marines et deux civils, tout en détruisant de nombreuses maisons, s’inscrit dans une lignée de représailles suite à la mort de 46 marins nord-coréens en mars dernier, dont le navire avait été sans nul doute torpillé par un sous-marin sud-coréen. Ce dernier incident suit également le récent étalage public par le Nord qualifié « d’Etat-voyou » de la production avancée de plutonium à des fins militaires. Il existe aujourd’hui un dangereux engrenage de tensions à travers l’échiquier stratégique de l’Asie du Sud-Est, impliquant non seulement les Corées du Nord et du Sud, mais aussi le Japon, la Chine et les Etats-Unis. Personne ne veut la guerre totale pour le moment, et certainement pas les principaux parrains respectifs de chaque partie de la Corée, la Chine et les Etats-Unis, mais la situation connaît sa propre dynamique vers l’abîme et l’irrationalité qui menace potentiellement de devenir hors de contrôle.
La guerre de Corée de 1950-1953, où la Russie et la Chine soutinrent le Nord contre le régime pro-américain du Sud, avait vu un déluge de 13 000 tonnes de bombes par mois lâchées par les Etats-Unis.
Au Nord, la guerre n’a jamais été officiellement considérée comme terminée et les tensions resurgissent périodiquement. Ces dernières sont devenues plus dangereuses dans la période actuelle de militarisme montant, avec une plus grande affirmation de l’impérialisme chinois et une situation dans laquelle les Etats-Unis, seul grand parrain mondial, sont conduits en permanence à marquer leur présence.
Après l’attaque du 23 novembre, le président Obama a considéré la Corée du Nord comme une « menace sérieuse et constante avec laquelle il faut traiter » (BBC News du 23 novembre). Avant cela, les Etats-Unis l’avaient estampillé « Etat-voyou » et Bush l’avait mis dans un « axe du mal ». Des dizaines de milliers de soldats américains basés en permanence à la fois en Corée du Sud et au Japon, et les Etats-Unis sont constamment engagés dans des exercices militaires à l’intérieur et autour des eaux disputées par les deux Corées. L’envoi d’une escadre autour du porte-avions USS George-Washington (devant arriver sur zone le 29 novembre) ne peut qu’attiser encore plus vivement les tensions. L’éviction du ministre de la défense sud-coréen pour ne pas avoir répondu assez vite au tir de barrage – le feu a duré 13 minutes – est une autre source de tension. Le gouvernement a décidé qu’il « redéfinirait les règles de l’engagement » qui permettait jusqu’ici d’éviter l’escalade (The Guardian du 26 novembre). Il y a environ cinq ans, le Pentagone avait discuté des possibilités de frappes nucléaires contre des « cibles » nord-coréennes et, aujourd’hui, au moins deux sites nucléaires américains ont été remplis de missiles armés pointés en permanence sur le régime de Pyongyang. Son plan de « patience stratégique », c’est-à-dire de faire pression sur la Corée du Nord à coup de sanctions renforcées et de provocations militaires, tout en exigeant une dénucléarisation immédiate, est largement celle que les Etats-Unis emploient contre l’Iran – le bâton et encore le bâton.
Mais il n’y a aucun signe de chute imminente du régime nord-coréen comme l’espérait Washington, qui semble plus fort et brutal que jamais. Tout comme les liens entre la Corée du Nord et la Chine sont également aussi resserrés, cette dernière applaudissant avec ostentation l’accession au pouvoir du fils du « Grand Leader », Kim Jong Eun, et offrant son soutien au long terme. La Corée du Nord joue un rôle stratégique vital de zone tampon pour la Chine et celle-ci l’appuie également pour empêcher que des millions de réfugiés ne viennent se déverser au-delà des frontières.
Toutes ces « va-t-en guerre » prétendent vouloir la « stabilité » mais ils jouent un jeu dangereux dont l’avenir est rendu encore plus incertain à travers un « ordre » mondial impérialiste qui est devenu de plus en plus chaotique ces vingt dernières années.
Baboon (26 novembre)
Nous avons reçu sur notre site en espagnol, en provenance de camarades de différents endroits, des informations sur le meurtre d’un jeune ouvrier qui participait à la lutte des chemins de fer, meurtre perpétré par une bande armée appartenant aux syndicats, de mèche avec le gouvernement de Cristina Kirchner, lequel a adopté la tactique, soulignée par l’un des textes publiés ci-dessous, de donner en sous-traitance la répression aux bandes syndicales, ce qu’en Argentite on a appelé les « patotas sindicales ».
Aujourd’hui, alors que Kirchner, ancien président et « co-président » jusqu'à son récent décès, est élevé par toutes les forces politiques de la bourgeoisie à la catégorie de « grand homme d’État », ces faits nous donnent des enseignements particulièrement éclairants :
1º Le cynisme et l’hypocrisie sans limites des politiciens, ces démocrates qui n’hésitent pas à mettre en arrière-plan les « forces de l’ordre » officielles de l’État dans leur exercice de répression contre les luttes de la classe ouvrière en la sous-traitant aux bandes armées syndicales. Il convient de rappeler que ceci n’est pas du tout une nouveauté. Dans la Russie tsariste, la police « déléguait » les tâches répressives contre les ouvriers et les militants révolutionnaires aux Cent-Noir, des bandes criminelles qui regroupaient la lie de la société. Egalement, en janvier 1919, face à l’insurrection des ouvriers de Berlin, le Parti social-démocrate allemand, ne pouvant pas compter sur les soldats et même pas sur une partie de la police, organisa les Corps-francs, bandes armées chargées de mater les ouvriers. Beaucoup de futurs hiérarques hauts placés du régime nazi militèrent dans ce corps spécialisé… en sales besognes.
2º La collaboration des syndicats, aux côtés du parti au pouvoir, à la répression des luttes.
3º La nécessité de la solidarité avec les victimes de la répression capitaliste. Ce sont des camarades qui, au-delà de leur appartenance à telle ou telle organisation, ont été assassinés par les forces du capital au moment où ils étaient engagés dans une lutte pour les intérêts de notre classe.
Nous publions donc ci-dessous 3 documents sur ces événements :
Le premier émane d’un camarade sympathisant du CCI qui est en processus de réflexion sur le trotskisme.
Le deuxième d’un groupe anarchiste de Rosario (Argentine).
Et le troisième est un document auquel fait référence ce groupe.
Au-delà des réflexions qu’on pourrait faire sur certaines visions politiques, le plus important, c’est de publier ces documents pour les informations qu’ils fournissent et l’engagement dans la lutte de classe qu’ils expriment.
Mercredi 20 octobre à midi, l’embuscade criminelle menée par une bande syndicale a coûté la vie à Mariano Ferreyra, militant trotskiste du Parti Ouvrier.
Une autre camarade du PO, Elsa Rodríguez, ainsi que quelques autres camarades cheminots ont été hospitalisés dans un état grave.
Les balles assassines ont été tirées par les cosignataires de l’infâme négociation de sous-traitance qui unit les patrons amis du gouvernement des Kirchner et le syndicat de l’Union Ferroviaire.
Avec l’argent des subventions de l'Etat, les concessionnaires du chemin de fer payent des contrats à coups de millions à des « entreprises » qui leur appartiennent.
Le syndicat du dirigeant Pedraza est le négociateur de cette affaire.
« Il faudra trouver les responsables », a proclamé la Présidente Kirchner, lors d’une exposition au Parc Nord après un discours consacré « au manque de goût des grosses fraises », sept heures après ces assassinats.
Mais les témoignages et les vidéos accusent la patota ferroviaire sans la moindre ombre de doute possible.
Ces mêmes vidéos témoignent du fait que la police s’est retirée de la zone où la bande ferroviaire réalisa son embuscade.
« Il faudra enquêter », dit le gouvernement qui revendique comme sienne la Jeunesse Syndicale Péroniste, le bras armé syndical [du Péronisme] des années 1970.
Le gouvernement a répété qu’il « ne réprimait pas » ; n’est-on pas face à la sous-traitance de la répression par le biais des patotas, tel que c’est déjà arrivé à l’Hôpital Français et ce qui arrive encore au métro de Buenos-Aires sous la coupe du syndicat de l’UTA (Union des Traminots) ?
Mariano militait depuis l’âge de 14 ans ; il voulait sa place au sein de la classe ouvrière avec sa profession de tourneur mais, surtout, dans le cadre d'organisations de jeunesse, il s’est mis à lutter avec d'autres ouvriers sur des bases de classe dans la ville d’Avellaneda.
Mariano est l’un de ces meilleurs exemples humains de cette jeunesse qui se met debout dans le monde entier.
Mariano, c’est nous tous, les combattants conscients.
Assassins !
Comme si ce n’était pas suffisant pour eux de vivre de la sueur et du sang des travailleurs, un mort et des blessés graves est la conséquence des agissements d’une bande de nervis syndicaux, cette fois-ci celle de l’Union Ferroviaire, aidée aussi par des clubs de supporters de foot violents. Mariano Ferreyra a été tué d’une balle, Elsa Rodríguez, avec une balle dans la tête, se débat entre la vie et la mort, et il y a bien d’autres manifestants blessés.
Tous ces gens-là ont agi protégés par la Police Fédérale et le gouvernement du moment, qui sans doute vont nous raconter qu’ils vont mettre le paquet « pour retrouver le coupable », autrement dit quelque bouc-émissaire pour en sortir disculpés et propres et que tout puisse continuer comme avant. Cela a été toujours leur politique, c’est, en fait, la politique !
Mercredi 20 octobre 2010 à Buenos Aires, on a pu voir encore une fois ce que représente ce réseau assassin qu'ils appellent la bonne société ; ils sont bien de la même engeance ceux qui ont « la gâchette facile » dans les quartiers pauvres, ceux qui encouragent et alimentent la traite d'êtres humains, ceux qui tuent en nous faisant mourir de faim et en nous poussant au désespoir, comme ceux qui nous tuent à la tâche, rapidement ou à petit feu.
Ces événements ne sont pas extraordinaires, et ne sont pas la conséquence de la démence de quelque personnage syndical, politicard ou policier, mais sont la conséquence logique de ce système qui porte atteinte à la vie humaine : en assassinant Mariano, ou, voici quelques années, Carlos Fuentealba et tous les « sans nom » qui meurent jour après jour, comme ce maçon écrasé par un mur dans le sud de Rosario ce même mercredi.
Nous sommes de plus en plus poussés à choisir entre continuer à subir la loi de cette lie de la société ou lutter pour tout changer.
Grupo Anarquistas Rosario, Octobre 2010.
www.grupoanarquistasrosario.blogspot.com [169]
Les balles de la patota de l’Union Ferroviaire ont été dirigées contre les cheminots précaires (en sous-traitance, justement), mobilisés pour exiger leur intégration en CDI. La police s’est retirée de la zone de la manifestation pour que les troupes de choc de la bureaucratie syndicale puissent « travailler » en toute tranquillité et avec ses arrières bien protégées.
Plusieurs camarades ont été blessés. Mariano Ferreyra, étudiant de 23 ans et militant du Parti Ouvrier, a reçu une balle à l’abdomen et est décédé. Un autre projectile a atteint la nuque de Elsa Rodriguez, 56 ans, militante, elle aussi, du PO. Cette camarade se trouve très gravement blessée à l’Hôpital Argerich.
De la même manière que les patrons utilisent la sous-traitance au travail pour accroître l’exploitation, le gouvernement sous-traite la répression, pour la rendre plus efficace et à moindre coût politique que quand il envoie directement ses flics et ses gendarmes.
Depuis 2003, on a pu voir comment, de plus en plus couramment, le gouvernement péroniste des Kirchner délègue la répression aux bandes de la bureaucratie syndicale pour effrayer les travailleurs. Avec les enseignants, les étudiants, les travailleurs du métro, des hôpitaux français et Garrahan, voilà quelques exemples de cette méthode répressive qui permet au gouvernement de rester « les mains propres », parce que ce n’est pas l’appareil répressif officiel qui attaque les travailleurs ; cela sert aussi à discréditer les luttes grâce aux médias qui parlent d’une « lutte interne entre corporations syndicales ».
C’est ainsi, avec l’intervention coordonnée entre entreprises, bureaucratie syndicale et gouvernement, qu’ils veulent continuer à mettre sous leur discipline les travailleurs organisés.
Avec le meurtre de Mariano, il y a déjà eu sept morts à cause de la répression lors des marches et des manifestations sous le gouvernement des Kirchner. Mariano Ferreyra vient ajouter son nom à cette liste sanglante qui débuta à Jujuy, lors d’une mobilisation contre la torture, avec Luis Cuéllar, en 2003, qui continua avec Carlos Fuentealba (enseignant, Neuquén, 2007), Juan Carlos Erazo (ouvrier agricole, Mendoza, 2008), Facundo Vargas (Talar de Pacheco, 2010), Nicolás Carrasco y Sergio Cárdenas (Bariloche, 2010), ces trois derniers tués par la « gâchette facile » de la police.
Sans oublier qu’il y a un de nos jeunes tué par jour à cause d’une autre variante répressive, celle qui s’acharne de façon préventive sur la classe ouvrière non organisée, à travers les coups de pistolet et la torture….
CORREPI vous appelle à une mobilisation pour réprouver ce nouveau meurtre abominable, une manifestation est prévue depuis l’avenue Corrientes et Callao jusqu’à la Plaza de Mayo aujourd’hui à 17h.
CONTRE LA REPRESSIÓN, ORGANISONS-NOUS ET LUTTONS !
Le 28 novembre, malgré le risque évident de rassembler la population alors qu’une épidémie de choléra sévit, les Haïtiens ont été convoqués aux urnes pour renouveler le parlement local et élire un président. La validation par la “communauté internationale” d’élections abondamment truquées n’a pas suffi à crédibiliser cette farce tragique. Le représentant de la mission d’observateurs, Colin Granderson, a d’ailleurs déclaré sans sourciller : “La mission [...] ne pense pas que ces irrégularités, aussi sérieuses soient-elles, n’invalident les élections.” Ces propos en disent long sur les intentions de la bourgeoisie. Dans ce pays dévasté, où le palais présidentiel repose encore sur son toit, l’État haïtien n’existe plus et semble, au mieux, ne gouverner que lui-même : l’ensemble de ses administrations, déjà presque réduites aux forces de répression, se sont effondrées après le tremblement de terre du 12 janvier. Personne n’ignore que l’État haïtien est un pantin dérisoire entre les mains des puissances impérialistes présentent dans le pays. Comme nous avons déjà eu l’occasion de le dénoncer dans notre presse, après le tremblement de terre, l’hypocrite élan humanitaire avait pour seul objectif d’établir une véritable occupation d’Haïti. Mais le pays n’est pas un protectorat, c’est un champ de bataille où chaque bourgeoisie, rangée en ordre de bataille derrière ses souriantes ONG et leurs milliers de soldats, essaye d’y arracher des “occasions d’affaires,” une influence politique, etc. L’enjeu réel du cirque électoral organisé par l’ensemble des démocraties apparaît ainsi dans toute sa nudité en Haïti : persuader la population de se déplacer dans l’isoloir afin d’anesthésier les antagonismes de classe sur l’inoffensif terrain d’un choix fictif entre telle ou telle faction politique de la bourgeoisie.
Et la colère des Haïtiens a toute les raisons d’être forte. Presque un an après le séisme, alors que des millions de personnes vivent encore dans des conditions de vie effroyables, entassées dans des camps de fortune surpeuplés et insalubres, la reconstruction est au point mort. Les autorités estiment ainsi qu’à ce jour seulement 3% des gravats ont été déblayés. Même le “camp modèle” de Torbech, la vitrine de la reconstruction à long terme, est constitué de quelques cabanes en “matériaux locaux,” c’est-à-dire en bois et en tôle ; les familles de trois personnes sont parquées dans des abris de 13m², celles de sept personnes bénéficient de tous les égards avec un abri de 27m². Et pour faire bonne mesure, une épidémie de choléra particulièrement virulente, une maladie directement liée aux conditions d’existence insalubres dont sont victimes les Haïtiens, frappe la population.1
Comme pour chaque catastrophe spectaculaire, beaucoup de puissances promettent une aide financière afin de « faciliter » leurs ambitions impérialistes que la brèche ouverte par l’événement ne manque pas d’aiguiser. En réalité, l’aide versée est systématiquement ridicule et consiste, le plus souvent, à « arroser » la bourgeoisie locale. Ainsi, contrairement à ce que nous avions annoncé dans nos précédents numéros, à l‘heure actuelle, il semble qu’à peine plus de 2,5% (et non 10%) des 10 milliards promis aient été effectivement injectés dans le pays.
Si la tutelle anarchique des puissances impérialistes suffit à justifier, aux yeux de la bourgeoisie, l’organisation d’élections, la corruption, les penchants claniques et l’incurie de la bourgeoisie haïtienne les nécessitent également. Afin de retrouver un semblant de virginité, l’ensemble des partis bourgeois locaux ne se sont pas privés d’accuser la Mission des Nations Unis pour la Stabilisation en Haïti (MINUSTAH) de tous les maux. C’est bien vite oublier que les 10 000 soldats de la MINUSTAH, en place depuis 2004, sont un instrument militaire essentiel pour le maintien des factions politiques de la bourgeoisie au pouvoir, celle-là même qui s’est généreusement enrichie grâce au soutien financier et miliaire de grandes puissances impérialistes, laissant la population dans le plus terrible dénuement.
Puissantes ou pas, toutes les bourgeoisies sont donc pareillement impérialistes. Comme l’illustre Haïti, les intérêts de la classe capitaliste sont définitivement contraires à ceux de l’ensemble de la société et à la plus infime expression de la dignité humaine. Dans ce contexte, les élections en Haïti, au milieu de la barbarie et de l’horreur pour restaurer un gouvernement, apparaissent explicitement pour ce qu’elles sont : une mystification dont le seul bénéficiaire est la bourgeoisie.
V. (10 décembre)
1) Un rapport confidentiel du professeur Renaud Piarroux a établi la responsabilité directe de l’ONU dans le surgissement de l’épidémie. Les soldats de la base de Mirebalais ont déversé leurs excréments contaminés, matière par laquelle se transmet la bactérie, dans le fleuve Artibonite dont l’eau est désormais directement consommée par les habitants. Le ministère français des affaires étrangères a rapidement demandé au professeur Piarroux “de s’abstenir de tout commentaire public.” (Cf. Le Monde du 05 décembre 2010.) Avant que le scandale n’éclate au grand jour, la presse bourgeoise n’a bien sûr pas manqué de railler la « l’ingratitude » « l’ignorance » et « le racisme » des Haïtiens qui dénonçaient la responsabilité des soldats onusiens.
Nous avons reçu le courrier d’un lecteur que nous publions ci-dessous qui apporte sa propre expérience très intéressante sur le mouvement de grève des infirmiers et infirmières en 1978 en France, auquel il a participé.
Bonjour,
J’ai lu les articles de votre journal à propos du mouvement social contre la réforme des retraites et je suis d’accord avec vous sur l’analyse que le blocage est une “arme à double tranchant”1.
J’ai travaillé autrefois dans un hôpital et je voudrais vous raconter ici comment s’est passée une grève à laquelle j’ai participé en 1988.
Les infirmiers de mon hôpital se sont mis en grève pour une amélioration des conditions de travail (à l’époque on travaillait 40 heures par semaine). L’intersyndicale dirigeait les AG (avec des militants de Lutte Ouvrière) et voulait que cela reste enfermé dans l’hôpital et que ce soit seulement une grève du personnel soignant infirmier, excluant les autres catégories du personnel. Mais ça n’a pas marché : le personnel administratif (et les ouvriers d’entretien) est entré dans la lutte en soutien aux infirmiers en grève. Très vite, il y a eu beaucoup de monde qui venait au AG. Nous avons décidé dans les AG d’ouvrir les portes de l’hôpital et d’informer les autres hôpitaux de notre mouvement.
Les syndicats ont donc été obligés de contacter leurs collègues des autres hôpitaux pour qu’ils fassent circuler l’information comme quoi nous étions en grève. Ce qui a permis que des infirmiers d’autres hôpitaux viennent voir ce qui se passait “chez nous” et participent aussi à nos AG.
Dans les AG, on discutait bien sûr des actions à mener et bien sûr, la question du blocage des soins a été posée, mais majoritairement les infirmiers ont dit qu’on ne pouvait cesser le travail et abandonner les soins aux malades. Alors comment faire pour faire pression sur la direction ?
Les syndicats ont proposé la séquestration du directeur mais des grévistes ont proposé une autre action : la gratuité des soins pour les malades et le blocage administratifs des admissions. Cela voulait dire que les malades entrants étaient accueillis à l’hôpital mais le personnel administratif n’enregistrait pas leur admission.
Dans cette lutte, nous avons porté aussi des badges et avons mis une grande banderole devant la grille d’entrée de l’hôpital: “Personnel en grève. Soins assurés aux malades” pour éviter d’être sanctionnés par la direction et pour que notre grève ne soit pas impopulaire. On faisait un service minimum avec un « turn over » pour que les collègues puissent aller aux AG. Certains malades avaient aussi un badge : “Nous soutenons les infirmiers en grève”.
Malheureusement, les syndicats des autres hôpitaux n’ont pas appelé à faire des AG pour soutenir notre mouvement et les collègues des autres hôpitaux venus nous soutenir n’ont pas pu se mettre en grève eux aussi. Les syndicats ont affirmé que les conditions de travail ne concernaient que notre hôpital et donc que les autres hôpitaux n’étaient pas concernés par “nos” problèmes. Chaque hôpital devait donc se mobiliser dans son coin avec “ses” revendications particulières (conditions de travail, manque de personnel, primes, etc…).
Après plusieurs semaines de grève, nous nous sommes retrouvés seuls enfermés dans les murs de notre hôpital. Les syndicats ont pu faire abandonner le blocage des admissions et la gratuité des soins (au nom de l’inefficacité de ce type d’action) pour imposer leur action présentée comme plus radicale : la séquestration du directeur. Finalement, il y a eu une négociation entre la direction et les syndicats (dans notre dos évidemment) et la direction a cédé en ponctionnant sur l’enveloppe budgétaire pour améliorer les conditions de travail dans certains services seulement, ceux jugés plus archaïques que d’autres. Ils nous ont ainsi divisés en accordant des miettes aux uns et en laissant les autres sur le carreau.
Le personnel des hôpitaux ne peut pas utiliser l’arme “à double tranchant” du blocage de la production des soins aux malades. Cela ne veut pas dire qu’il n’a pas envie de se battre comme les autres et avec les autres salariés contre la réforme des retraites. Tout le monde est concerné par cette réforme et il fallait trouver des actions où toutes les catégories professionnelles peuvent participer (les manifs, les AG interpro, etc…).
Les “blocages” peuvent être un moyen de lutte, mais ils peuvent aussi être utilisés contre la lutte. C’est bien dommage que les travailleurs des raffineries n’aient pas fait pression sur les syndicats pour que leurs AG soient ouvertes à tous ceux qui sont venus les soutenir. Ils se sont laissés séquestrer par les syndicats qui ont tout fait pour bloquer les portes d’entrée de leurs AG à tous ceux qui sont venus apporter leur solidarité.
Il faut discuter maintenant dans les AG du blocage et du sabotage de la lutte par les syndicats.
Et s’il y a un blocage que je soutiendrai des deux mains, c’est le blocage des centres des impôts ! (...)
Roba
1) Note du CCI : le lecteur fait ici référence à notre article « Le blocage des raffineries : Une arme à double tranchant [171] ».
La question du blocage des raffineries a occupé, à partir de la mi-octobre, tous les esprits.
Les médias et les politiques ont braqué leurs projecteurs sur la pénurie d’essence, sur la “galère des automobilistes” et le bras de fer entre les bloqueurs et les forces de l’ordre. Dans toutes les AG (syndicales ou non), les débats n’ont tourné plus que presque exclusivement autour de “comment aider les travailleurs des raffineries ?”, “comment exprimer notre solidarité ?”, “que pouvons-nous bloquer à notre tour ?”… Et dans les faits, quelques dizaines de travailleurs de tous secteurs, de chômeurs, de précaires, de retraités se sont effectivement rendus chaque jour devant les portes des 12 raffineries paralysées, pour “faire nombre” face aux CRS, apporter des paniers-repas aux grévistes, un peu d’argent et de chaleur morale.
Cet élan de solidarité est un élément important, il révèle une nouvelle fois la nature profonde de la classe ouvrière.
Néanmoins, malgré la détermination et les bonnes intentions des grévistes et de leurs soutiens, de façon plus générale, ces blocages ont participé non au développement du mouvement de lutte mais à sa décrue. Pourquoi ?
Ces blocages ont été initiés et contrôlés entièrement, de bout en bout, par la CGT (principal syndicat français). Il n’y a pratiquement eu aucune AG permettant aux travailleurs des raffineries de discuter collectivement. Et quand une assemblée avait tout de même lieu, elle n’était pas ouverte aux autres travailleurs ; ces “étrangers” venus participer aux piquets n’étaient pas invités à venir discuter et encore moins participer aux décisions. L’entrée leur était même interdite ! La CGT voulait bien de la solidarité… platonique… point barre ! En fait, sous couvert d’une action “forte et radicale”, la CGT a organisé l’isolement des travailleurs très combatifs de ce secteur de la raffinerie. Les piquets sont d’ailleurs restés “fixes” et non pas “volants” : il aurait été pourtant bien plus efficace pour entraîner un maximum de travailleurs dans la lutte d’organiser des “piquets volants”, allant d’entreprises en entreprises, pour créer des débats, des AG spontanées… C’est exactement de ce genre d’extension que les syndicats ne voulaient pas !
“La recherche de l’extension et de la solidarité doit animer toutes méthodes de lutte”. Tel était justement le titre de l’article écrit en 2008 que nous republions ci-dessous.
Nous reviendrons le mois prochain, dans une seconde partie, sur un bilan plus détaillé du blocage des raffineries, en examinant en particulier le rôle du “blocage économique”.
Pw. (6 décembre 2010)
A l’automne 2007 au plus fort du mouvement contre la loi LRU1, 36 universités ont été « perturbées » (pour reprendre la terminologie journalistique) par des barrages filtrants, des blocages ou des occupations. Ces méthodes ont bien souvent suscité de longs débats passionnés au sein des assemblées générales (AG). Laissons de côté tous ces collectifs anti-blocages qui, aux noms de la sacro-sainte « liberté individuelle » et du « droit d’étudier », soutenaient en réalité les « réformes nécessaires » du gouvernement. Beaucoup plus intéressantes furent les discussions entre ces étudiants qui, refusant de recevoir des coups sans combattre, se sont demandés collectivement comment il fallait lutter : Bloquer la fac ? Totalement ? Par un barrage filtrant ? Devons-nous aussi occuper les locaux ?
Toutes ces questions ne concernent pas seulement les jeunes et les étudiants. Au fil du développement des luttes, des questions similaires se poseront peu à peu à toute la classe ouvrière : comment mener la grève ? Faut-il établir un piquet ? Sous quelle forme ? Faut-il occuper l’usine ?
Cet article n’a pas la prétention de répondre à toutes ces questions par une recette magique prête à l’emploi et valable en toutes circonstances car à chaque nouvelle lutte, ses conditions particulières et ses choix ! Simplement, en se penchant sur quelques expériences de blocages et d’occupations, il est possible de percevoir à quel point la volonté d’étendre la grève est absolument vitale et, a contrario, comment l’isolement est toujours un piège mortel.
Lors du mouvement contre le CPE, au printemps 2006, la question du blocage était déjà omniprésente. En fait, ce type de mouvement ne peut pas réellement exister sans une certaine « perturbation » du bon fonctionnement des universités. Qui remarquerait l’absence -même massive - des étudiants à leurs cours ? Qui se soucierait de voir les amphithéâtres vides ? Peut-être même pas les maîtres de conférence !
Mais au-delà de cette simple nécessité, en 2006 comme en 2007, en bloquant les facs, certains étudiants exprimèrent surtout un profond sentiment de solidarité et un besoin d’unité. « Nous ne bloquons pas l’université pour nous faire plaisir ou par désintérêt pour nos cours ! La grève est le meilleur moyen pour nous faire entendre. En faisant grève, on casse la logique routinière du travail et on prend le temps de s’organiser démocratiquement tous ensemble. Mais pour que la grève ne reste pas un acte isolé et le fait d’une minorité de personne, le blocage est aussi important. C’est lui qui permet à tout le monde de ne pas aller en cours et donc de dégager du temps libre pour commencer à mener une activité pour la mobilisation. En plus, le blocage permet aux étudiants qui le souhaitent de se libérer de la pression des cours ou des examens pour pouvoir participer activement au mouvement sans être pénalisés. Le blocage, c’est le moyen démocratique qui permet à tout le monde de se mobiliser ! » ( Lu sur le blog : https://antilru.canalblog.com/archives/le_blocage/index.html [172]). Arrêter les cours a permis, par exemple, aux boursiers d’aller aux AG et aux manifestations sans craindre la suppression de leurs ressources pour « absence », ce qu’exprime consciemment encore un étudiant aux journalistes de Libération le 12 novembre 2007 : « S’il n’y a pas de blocage, il n’y a pas de mouvement. Les étudiants boursiers n’iront pas manifester sinon. »
Nous sommes ici à mille lieues des accusations odieuses lancées par ces respectables présidents d’universités, et relayées par tous les médias, qualifiant les étudiants en lutte de « Khmers rouges » et de « délinquants ». La bourgeoisie peut bien cracher tout son venin, derrière les actions de blocage, il n’y avait nullement une volonté d’imposer la position minoritaire de quelques excités par la force (la force physique était d’ailleurs plutôt du côté des présidents, comme en témoigne le nombre de blessés suite aux interventions des CRS) et d’enfermer les étudiants dans « leurs » facs. Au contraire, elles traduisaient une volonté d’action consciente et collective vers l’élargissement de la lutte s’exprimant dans la volonté d’un débat le plus large et vivant possible. Ainsi, bien plus que les blocages en soi, cet état d’esprit qui les animait a conféré au mouvement contre le CPE en particulier, toute sa vitalité et sa force. Comme nous l’écrivions déjà en mai 2006 dans nos Thèses sur le mouvement des étudiants : « La grève des universités a commencé par des blocages. Les blocages étaient un moyen que se sont donnés les étudiants les plus conscients et combatifs pour manifester leur détermination et surtout pour entraîner un maximum de leurs camarades vers les assemblées générales où une proportion considérable de ceux qui n’avaient pas compris la signification des attaques du gouvernement ou la nécessité de les combattre ont été convaincus par le débat et les arguments ».
La force de la classe ouvrière se révèle au grand jour quand elle développe un profond sentiment d’unité et de solidarité. C’est pourquoi toute méthode de lutte doit être animée d’une claire volonté d’étendre la grève. En suivant cette voie, les ouvriers du grand complexe de tissage et de filage Mahalla al-Kubra’s Misr, situé au nord du Caire en Egypte, sont parvenus à mener, en 2006 et 2007, une longue lutte finalement victorieuse. Un épisode de ce mouvement éclaire particulièrement la façon dont ces ouvriers ont occupé leur usine pour se protéger de la répression féroce de l’Etat égyptien.
Le 7 décembre 2006, pour protester contre le non-versement de primes promises, 3000 ouvrières quittent leur poste de travail et se dirigent vers les sections où leurs collègues masculins n’ont pas encore arrêté les machines. Les ouvrières s’écrient en chantant : « Où sont les hommes ? Voici les femmes ! » Peu à peu, 10 000 ouvriers se retrouvent rassemblés sur le Mahalla’s Tal‘at Harb Square, la place située devant l’entrée de l’usine. La réponse de la bourgeoisie égyptienne ne se fait pas attendre : la police anti-émeutes se déploie rapidement autour de l’usine et dans la ville. Face à cette menace de répression, quelques dizaines de grévistes choisissent alors d’occuper l’usine. Voilà 70 ouvriers apparemment pris au piège. Sûr de son fait, l’Etat lâche ses ordres : le soir même, la police anti-émeutes se précipite sur les portes. A 70 contre toute une meute, le combat est évidemment perdu d’avance. Mais ces ouvriers savent qu’en réalité, ils ne sont pas seuls. Ils commencent à frapper bruyamment sur les barreaux d’acier. « Nous réveillâmes tout le monde dans le complexe et dans la ville. Nos téléphones mobiles sortirent des forfaits car nous appelions nos familles et nos amis à l’extérieur, leur demandant d’ouvrir les fenêtres et de faire savoir à la sécurité qu’ils regardaient. Nous appelâmes tous les ouvriers que nous connaissions pour leur dire de se précipiter vers l’usine [...] Plus de 20 000 ouvriers arrivèrent »2. Les enfants des écoles élémentaires et les étudiants des écoles supérieures proches prennent les rues en soutien aux grévistes. Les services de sécurité sont paralysés. Finalement, au quatrième jour de l’occupation de l’usine, les officiels du gouvernement, paniqués, offrent une prime de 45 jours de salaire et donnent l’assurance que la compagnie ne sera pas privatisée.3
En choisissant ainsi d’occuper leur usine, ces 70 ouvriers auraient très bien pu se retrouver coincés dans une véritable souricière, à la merci des forces de l’ordre. Mais cette poignée d’ouvriers qui se sont enfermés dans l’usine n’a pas tenté d’y tenir un siège, seule contre tous et « jusqu’au bout ». Ils ont au contraire utilisé cette occupation comme un point de ralliement, en appelant leurs frères de classe à rejoindre le combat. Plusieurs semaines de lutte leur avaient montré qu’une solidarité de classe se forgeait peu à peu, que des liens étaient en train de se tisser et qu’ils pouvaient donc compter sur le soutien de « 20 000 ouvriers ». C’est cette confiance progressivement engrangée qui leur a permis d’oser appeler tous les ouvriers qu’ils connaissaient « pour leur dire de se précipiter vers l’usine ». L’occupation d’usine ne fut qu’un moyen parmi les autres pour mener cette lutte, la dynamique générale d’extension du mouvement étant l’élément déterminant.
Aucune méthode de lutte ne constitue en soi une panacée. Les blocages et les occupations peuvent être, selon les circonstances, totalement inadaptés. Pire ! Aux mains des syndicats, ils sont toujours utilisés pour diviser les ouvriers et les mener à la défaite. La grève des mineurs de 1984, en Grande-Bretagne, en est une illustration tragique.
A cette époque, le prolétariat le plus vieux du monde est aussi l’un des plus combatifs. Il détient chaque année, et de loin, le record du nombre de jours de grève ! Par deux fois, l’Etat doit même retirer ses attaques. En 1969 et 1972, les mineurs parviennent en effet à créer un rapport de force favorable à la classe ouvrière en imprimant à la grève une dynamique d’extension sortant de la logique sectorielle ou corporatiste. Par dizaines ou par centaines, ils se rendent en véhicules dans les ports, les aciéries, les dépôts de charbon, les centrales, pour les bloquer et convaincre les ouvriers sur place de les rejoindre dans la lutte. Cette méthode deviendra célèbre sous le nom de flying pickets (« piquets volants ») et symbolisera la force de la solidarité et de l’unité ouvrières. Les mineurs paralysent ainsi toute l’économie en interrompant presque totalement la production, la distribution et la combustion du charbon, source d’énergie alors indispensable aux usines.
En arrivant au pouvoir en 1979, Thatcher compte bien briser les reins de cette classe ouvrière pas assez docile à son goût. Pour cela, son plan est simple : il s’agit d’isoler les éléments les plus combatifs, les mineurs, dans une grève longue et dure. Durant des mois, la bourgeoisie anglaise se prépare au bras de fer. Des stocks de charbon sont constitués pour faire face au risque de pénurie. Dans ses Mémoires, Thatcher rapporte : « Il incomba principalement à Nigel Lawson, qui était devenu ministre de l’Energie en septembre 1981, d’amasser - régulièrement et sans provocation - les stocks de charbon qui permettraient au pays de tenir. On devait beaucoup entendre le mot « tenir » au cours des mois suivants. » Quand tout est fin prêt, en mars 1984, 20 000 suppressions d’emplois sont brutalement annoncées dans le secteur du charbonnage. Comme attendu, la réaction des mineurs est fulgurante : dès le premier jour de grève, 100 puits sur 184 sont fermés. Un corset de fer syndical entoure alors immédiatement les grévistes. Tout est fait pour annihiler tout « risque » de « contamination ». Les syndicats de cheminots et de marins soutiennent platoniquement le mouvement, autrement dit, ils laissent les mineurs se débrouiller tout seuls. Le puissant syndicat des dockers se contente de deux appels à la grève tardifs, l’un en juillet quand nombre de puits sont fermés pour cause de vacances et l’autre à l’automne pour le retirer quelques jours plus tard ! Le TUC (la centrale syndicale nationale) refuse de soutenir la grève. Les syndicats des électriciens et des sidérurgistes s’y opposent. Bref, les syndicats sabotent activement toute possibilité de lutte commune. Mais surtout, le syndicat des mineurs, le NUM (National Union of Mineworkers), parachève ce sale boulot en enfermant les mineurs dans des occupations stériles et interminables (plus d’un an !) des puits de charbon. Compte-tenu des stocks amassés, la paralysie de la production de charbon ne fait cette fois-ci pas peur à la bourgeoisie, seule la possibilité d’une extension de la lutte aux différents secteurs de la classe ouvrière l’inquiète. Il lui faut donc à tout prix éviter que les mineurs envoient des piquets volants partout pour discuter et convaincre les ouvriers des autres secteurs de les rejoindre dans la lutte. Le NUM déploie toute son énergie à restreindre la grève à l’industrie minière. Afin d’éviter que des flying pickets soient envoyés aux portes des usines voisines, toute l’attention des ouvriers est focalisée sur la nécessité d’occuper les puits, tous les puits, rien que les puits, coûte que coûte. Or, le NUM a bien pris soin de ne pas appeler à la grève nationale, chaque région doit décider de rentrer en lutte ou non. Quelques puits continuent donc de tourner.. Ce même NUM désigne alors ces puits encore en activité comme des « repaires de jaunes ». De mars 1984 à mars 1985, pendant un an, la vie de milliers d’ouvriers et de leur famille va tourner autour de cette seule question d’occuper les mines et de bloquer les quelques puits encore en activité. Bloquer la production du charbon devient, sous la houlette syndicale, l’objectif central et unique, une question en soi. Les flying pickets ont du plomb dans l’aile ; au lieu de « voler » d’usine en usine, ils restent là, au même endroit, devant les mêmes puits, jour après jour, semaine après semaine, puis mois après mois. Le seul résultat est l’exacerbation des tensions entre grévistes et non-grévistes ; parfois même, des affrontements entre mineurs éclatent.
Cette fois isolés de leur classe, divisés en leur propre sein, les mineurs deviennent une proie facile. Grâce à ce sabotage syndical, à ces occupations stériles et interminables, à ces flying pickets qui n’ont plus de volants que le nom, la répression policière peut s’abattre avec d’autant plus de violence. Le bilan de la grève des mineurs de 1984 sera de 7000 blessés, 11 291 arrestations et 8392 personnes traduites en justice. Bien plus grave, cette défaite sera la défaite de toute la classe ouvrière, le gouvernement Thatcher passera alors en force toute une série d’attaques dans tous les secteurs.
Décidément, il n’existe aucune recette pour la lutte de classe. Toute méthode de lutte (blocage, piquet, occupation...) peut tantôt être au service du mouvement, tantôt facteur de division. Une seule chose est certaine : la force de la classe ouvrière réside dans son unité, sa capacité à développer sa solidarité et donc à étendre la lutte à tous les secteurs. C’est cette dynamique d’extension qui seule fait vraiment peur à la bourgeoisie et permet de dégager, dans les grandes lignes, quelques leçons essentielles des expériences de lutte du prolétariat:
- jamais les piquets ou les occupations ne doivent être la source d’un quelconque enfermement et repli, mais au contraire un outil au service de l’extension ;
- pour ce faire, l’ouverture est un élément vital. Une usine occupée doit être un lieu où les ouvriers des autres secteurs, les retraités, les chômeurs... peuvent venir débattre et participer à la lutte. Les piquets, eux aussi, doivent constituer des lieux privilégiés d’échange pour convaincre les non-grévistes de rejoindre le combat. Les piquets volants doivent avoir pour souci premier cette notion d’extension de la lutte à tous les secteurs ;
- tout mode d’action ne peut être employé à tout moment. En particulier, quand un mouvement ne s’étend pas et stagne puis qu’il s’oriente ostensiblement vers la reprise, il est presque toujours vain pour les éléments les plus combatifs et déterminés de vouloir aller « jusqu’au bout » de leurs forces (physiques et morales) par des occupations et des blocages souvent désespérés. Ce qui compte alors, c’est surtout de préparer les nouvelles luttes à venir.
- enfin, derrière les actions de blocage, de piquet et d’occupation, les syndicats ne cherchent toujours qu’à diviser et isoler. Seule la prise en mains de la lutte par les ouvriers eux-mêmes permet le développement de la lutte et de la solidarité !
Quoi qu’il en soit, au-delà du rôle que peut jouer une occupation d’usine ou un piquet à un moment donné d’une grève, c’est dans la rue que les ouvriers peuvent se rassembler massivement ! Ce n’est pas pour rien qu’en mai 2006, les métallurgistes de Vigo, en Espagne, qui occupaient leur usine et faisaient face à une répression policière violente, ont décidé d’organiser leurs assemblées générales et les manifestations dans les rues du centre-ville. Ici, dans la rue, les ouvriers de tous secteurs, les retraités, les chômeurs, les familles ouvrières... tous ont pu rejoindre les grévistes et manifester activement, par la lutte et l’unité dans la lutte, leur solidarité de classe !
Pawel (24 janvier 2008)
1 La loi LRU (Libertés et Responsabilités des Universités) a pour but la réduction des coûts étatiques pour l’enseignement supérieur en recentrant les « efforts financiers » sur quelques « facs élites », transformant ainsi toutes les autres universités en de véritables « facs poubelles ».
2 Témoignages de deux ouvriers de l’usine, Muhammed Attar et Sayyid Habib, recueillis par Joel Beinin et Hossam el-Hamalawy et publiés sous le titre « Les ouvriers du textile égyptien s’affrontent au nouvel ordre économique », sur les sites “Middle East Report Online” et libcom.org.
3 Pour plus d’informations sur cette lutte, qui dura plusieurs mois, lire notre article « Grèves en Egypte : la solidarité de classe, fer de lance de la lutte [173] ».
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/files/fr/ri_408.pdf
[2] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/michel-aglietta
[3] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/crise-economique
[4] http://www.humanite.fr/Entretien-avec-Hubert-Tison-secretaire-general-de-l-Association-des-professeurs-d
[5] https://fr.internationalism.org/tag/5/36/france
[6] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/situation-sociale-france
[7] https://www.liberation.fr/societe/0101607434-pour-en-finir-avec-un-management-panique
[8] https://fr.internationalism.org/tag/5/121/afghanistan
[9] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/barack-obama
[10] https://fr.internationalism.org/icconline/2009/la_lutte_et_la_solidarite_ouvrieres_en_inde_face_aux_attaques_et_a_la_repression.html
[11] https://fr.internationalism.org/tag/5/61/inde
[12] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/luttes-classe
[13] https://fr.internationalism.org/Internationalisme/2009/343/le_darwinisme_social_une_ideologie_reactionnaire_du_capitalisme.html
[14] https://fr.wikipedia.org/wiki/Cr%C3%A9ationnisme
[15] https://fr.wikipedia.org/wiki/Dessein_intelligent
[16] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/darwin
[17] https://fr.internationalism.org/files/fr/pdf/RI_409.pdf
[18] http://www.bme.gouv.ht/alea%20sismique/Al%E9a%20et%20risque%20sismique%20en%20Ha%EFti%20VF.pdf
[19] https://www.courrierinternational.com/article/2010/01/14/requiem-pour-port-au-prince
[20] http://www.lesechos.fr/info/france/020287218950-alain-minc-salue-le-role-des-syndicats-durant-la-crise.htm
[21] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/alain-minc
[22] https://fr.internationalism.org/content/seisme-haiti-etats-capitalistes-sont-tous-des-charognards
[23] http://www.scoopfmhaiti.com/actualites/760-haitiseisme--le-bilan-pourrait-setablir-a-plus-de-300000-morts
[24] http://www.metrofrance.com/info/haiti-un-nouvel-avion-empeche-d-aterrir/mjas!6dxN7Jb4I8pQ
[25] http://www.20min.ch/ro/news/monde/story/11818276
[26] https://fr.internationalism.org/tag/5/52/amerique-centrale-et-du-sud
[27] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/catastrophes
[28] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/haiti
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