Dans une émission TV de 1965, le physicien Robert Oppenheimer, un des scientifiques chargés de travailler sur le développement de la bombe atomique pour le compte des États-Unis durant la Seconde Guerre mondiale, raconta ce qu'il ressentit lorsqu'il assista au premier essai nucléaire dans le désert du Nouveau Mexique en juillet 1945 : “On a su que le monde ne serait plus le même. Quelques personnes ont ri, d'autres ont pleuré mais la plupart sont restées silencieuses. Je me suis rappelé la phrase de l’Écriture hindoue, le Bhagavad Gita ; Vishnu tente de persuader le Prince d'accomplir son devoir et, afin de l'impressionner, prend sa forme aux bras multiples et dit: “Maintenant je suis devenu la Mort, le destructeur des mondes”. Je suppose que nous avons tous pensé cela, d'une façon ou d'une autre”. (1)
Avant le capitalisme, plusieurs sociétés avaient développé des mythologies sur la fin des temps. L'Apocalypse annoncée par le Judaïsme, le Christianisme et l'Islam, vue comme la destinée finale de ce monde, était perçue comme précédant l'avènement d'un nouveau paradis et d'une nouvelle Terre qui dureraient éternellement et pour tous ; alors que dans la vision hindoue, de nouveaux mondes et mêmes de nouveaux univers renaissent sans fin, disparaissant et réapparaissant dans un grand cycle cosmique.
Mais si l'idée de l'apocalypse n'est pas nouvelle, ce qui est inédit dans le mode de production capitaliste est, tout d'abord, que le monde occupé par l'humanité depuis des centaines de milliers d'années peut être détruit par les technologies que les êtres humains eux-mêmes ont créées plus que par des êtres surnaturels ou un destin inexorable. Ensuite, une telle destruction ne serait pas le prélude d’un monde meilleur mais de son anéantissement pur et simple.
La bombe atomique testée dans le désert en juillet 1945 sera, un mois plus tard, expérimentée sur des dizaines de milliers d'êtres humains à Hiroshima et Nagasaki. Le monde ne sera en effet plus jamais le même. La bombe A était la preuve “scientifique” de quelque chose que beaucoup avaient déjà commencé à suspecter à l'aube de la Première Guerre mondiale. Sigmund Freud déclarait en 1929: “Les hommes d'aujourd'hui ont poussé si loin la maîtrise des forces de la Nature qu'avec leur aide, il leur est devenu facile de s'exterminer mutuellement jusqu'au dernier. Ils le savent et c'est de là que provient une bonne part de leur agitation présente, de leur malheur et de leur angoisse.” (2)
Les psychanalystes du futur, si l'humanité survit au capitalisme, écriront peut-être des traités sur l'énorme coût psychologique que signifie de vivre non seulement avec la menace de sa propre mort mais également avec celle de l'humanité tout entière, et avec elle de très nombreuses autres formes de vie sur Terre. Il est déjà possible de discerner de multiples manifestations de ce fardeau mental : la plongée dans le nihilisme et autres formes d'autodestruction, la quête vaine d'un espoir émergeant des mythes anciens sur l'Apocalypse, particulièrement présents dans les “fondamentalismes” chrétien et musulman.
Pour Jung, le rival de Freud, la vague d'apparition d'OVNI à la fin des années 1940 était une transposition moderne de ces vieilles histoires : "“soumis à l'insoutenable réalité posée par la menace nucléaire, il y eut une tendance marquée de projeter les peurs réelles sur des “choses vues dans le ciel”, souvent accompagnées par l'espoir que des êtres plus sages viendraient nous sauver de notre propre folie.” (3)
Qui s'étonnera dès lors que durant la guerre de Corée, dont beaucoup craignaient qu'elle ne vire à la Troisième Guerre mondiale, les camarades de la Gauche Communiste de France faisaient remarquer que “l'aliénation mentale sous toutes ses formes est à notre époque ce que les grandes épidémies étaient au Moyen-Age.”(4)
La classe dominante des pays démocratiques justifia les atrocités d'Hiroshima et Nagazaki en déclarant qu'en contrepartie, cela avait sauvé des vies, avant tout américaines, car elles avaient évité l'invasion militaire du Japon. En réalité, la bombe était un avertissement dirigé moins contre une armée japonaise en déliquescence que contre l'URSS qui avait tout récemment déclaré la guerre au Japon et affirmait sa présence en Extrême-Orient. Par conséquent, Hiroshima était plus le premier acte de la “Troisième Guerre mondiale” que le dernier de la Seconde. Cette Troisième Guerre mondiale, compétition entre les deux blocs américain et russe, est restée une “guerre froide”, dans le sens où elle n'a jamais pris la forme d’un conflit ouvert. Elle fut plutôt menée à travers une série de guerres par procuration entre États locaux et autres “mouvements de libération nationale” accomplissant la sale besogne alors que les deux super-puissances fournissaient les armes, le renseignement, le support stratégique et la justification idéologique.
A certains moments, cependant, ces conflits prirent le chemin d'une escalade pouvant déboucher sur un conflit nucléaire, en particulier durant la guerre de Corée au début des années 1950 et la crise de Cuba en 1962. Et, pendant ce temps, la “course aux armements” signifiait que les deux blocs militaires investissaient lourdement, orientaient d'énormes quantités de travail et de recherche (ce qui en termes capitalistes signifie d'énormes quantités d'argent) dans le perfectionnement d'armes pouvant détruire plusieurs fois l'humanité. Les politiciens tentèrent de rassurer la population mondiale avec la notion de “Destruction Mutuelle Assurée” (DMA), signifiant qu'une Guerre Mondiale était impensable à l'âge nucléaire du fait que personne ne pourrait la gagner. Par conséquent, la meilleure garantie de “paix” était de maintenir et continuer à développer ce gigantesque arsenal de mort. En d'autres termes, le message était le suivant : “Une épée de Damoclès demeure suspendue au-dessus de vos têtes ? Vous feriez mieux de vous y habituer car c'est la seule manière de vivre désormais”.
Après l'éclatement du bloc russe à la fin des années 1980 (5), les politiciens optèrent pour une autre rhétorique : la fin de la guerre froide signifierait un “Nouvel Ordre Mondial de paix et de prospérité”. Près d'un quart de siècle s'est écoulé et ces mots de George Bush père, le président qui a “offert” la victoire au bloc de l'Ouest dans la guerre froide, sonnent particulièrement creux. La prospérité demeure une chimère pour des millions de personnes et cela dans un monde constamment menacé par d'énormes tempêtes financières comme celle de 2008. Quant aux promesses de paix, l'effondrement de la discipline en vigueur dans les anciens blocs a engendré une série de conflits armés toujours plus chaotiques, particulièrement au Proche et Moyen-Orient, dans la zone située aux alentours de la bataille biblique d’Armageddon.
Cette région (qui avait déjà connu les guerres arabo-israéliennes, celle du Liban, irano-irakiennes ainsi que la bataille pour l'Afghanistan) n'a pour ainsi dire presque pas connu de jour sans être déchirée par la guerre depuis la première aventure militaire inaugurée par les États-Unis après l'effondrement du bloc de l'Est (la Guerre du Golfe en 1991) jusqu'au cauchemar militaire actuel qui se répand à travers la Syrie et l'Irak. Ce conflit, peut-être encore plus que tous les autres, révèle la profonde irrationalité ainsi que la nature incontrôlée des guerres de la phase actuelle.
Contrairement aux guerres par procuration entre les deux blocs qui dominaient la période précédente, nous avons désormais une guerre avec tant de camps différents et d'alliances mouvantes qu'il devient de plus en plus difficile de les dénombrer. Afin de garder le pouvoir, le président syrien Bachar al Assad a dévasté des pans entiers de son propre pays alors que l'opposition à sa domination se divise entre factions d'islamistes “radicaux” et “modérés”, chacune prête à sauter à la gorge de l'autre à tout moment. La coalition soutenue par les États-Unis contre l'État islamique (EI) en Syrie et en Irak est déchirée par des rivalités entre les milices chiites et les Peshmergas kurdes, plus particulièrement suite au référendum controversé sur l’indépendance du Kurdistan qui menace de désintégrer le fragile État irakien ; des puissances régionales comme l'Arabie Saoudite, le Qatar, l'Iran et la Turquie jouent leurs propres cartes, plaçant leurs pions et changeant les alliances en fonction de leurs intérêts immédiats. Pendant ce temps, la vaste majorité de la population est soit forcée de fuir vers la Turquie, la Jordanie ou l'Europe, alors que ceux qui restent tentent de survivre physiquement et psychologiquement dans des cités en ruine comme Alep, Raqqa ou Mossoul.
En outre, ces conflits sont liés à d'autres guerres tout autant insolubles, de la Libye à la corne de l'Afrique, du Yémen jusqu'à l'Afghanistan et le Pakistan. Les grands centres de la “civilisation” occidentale ne sont désormais plus à l'abri de ces fléaux guerriers. Le contrecoup de l'engagement des puissances occidentales dans ces guerres se traduit par des vagues de réfugiés se dirigeant vers ce “paradis” qu'est l'Europe et par les efforts de groupes terroristes comme l'EI pour exporter la guerre sur les terres des “Infidèles”.
Ces guerres nous fournissent déjà un aperçu terrifiant de ce qui attend le monde si les tendances destructrices au sein du capitalisme sont amenées à se réaliser jusqu'à leur terme. Mais il y a également un autre aspect de l'extension du “chacun pour soi” : la réapparition de la menace nucléaire sous une forme nouvelle. Sous le règne des blocs, les deux super puissances avaient un intérêt réel et la capacité à limiter l’expansion des armes nucléaires pour elles-mêmes et à un petit nombre des régimes auxquels elles pouvaient faire confiance pour obéir à leur commandement. L'armement nucléaire de la Chine dans les années 1960 fut une rupture dans cette chaîne de commandement car la Chine s'était déjà détachée du bloc russe ; et depuis la disparition des blocs, la “prolifération nucléaire” n'a cessé d'augmenter. L'Inde et le Pakistan, deux États qui se sont déjà faits la guerre à plusieurs occasions et vivent dans un état permanent de tensions, ont désormais leurs missiles pointés l'un vers l'autre. L'Iran a fait un pas en avant significatif pour se doter d'armes de ce type et une multitude d'autres régimes, même des groupes terroristes, cherchent à rejoindre ce club.
Par-dessus-tout, aujourd'hui, il faut souligner l'acquisition et les tests pirates d'armes atomiques par le régime stalinien de Corée du Nord alors que la première puissance militaire mondiale, les États-Unis, est aux mains d'un chef narcissique imprévisible qui a accédé au pouvoir en surfant sur la vague populiste. Ces deux formes de régimes-voyous émettent, chaque semaine qui passe, de nouvelles menaces de feu et de fureur entre eux et il n'est pas possible d'affirmer que tout cela n'est que de l'esbroufe. Il existe certes, dans les deux camps, des facteurs qui les empêchent de déchaîner un holocauste nucléaire. Trump, par exemple, n'a pas entièrement le champ libre car il a de puissants opposants à peu près à chaque tournant au sein même de son propre appareil militaire et sécuritaire.
Cependant, ces conflits internes, comme la vague populiste elle-même, indiquent une perte de contrôle politique par la bourgeoisie, ce qui favorise les décisions imprévisibles et imprudentes. De plus, derrière le conflit entre les États-Unis et la Corée du Nord, se cache une rivalité plus grande encore, celle entre la Chine et les États-Unis. Pendant ce temps, la Russie, qui demeure le second État au monde le plus lourdement armé sur le plan nucléaire, a recouvré en partie la puissance impérialiste qu'elle avait perdue suite à la chute de l'URSS et adopte une politique étrangère toujours plus agressive, surtout en Ukraine et en Syrie. Si le risque d'un holocauste nucléaire planétaire s'est éloigné avec l'incapacité de la bourgeoisie à enrôler le prolétariat dans une Troisième Guerre mondiale, l'éventualité d'un conflit nucléaire régional causant des millions de morts n'est malheureusement pas à écarter.
Durant la période de la guerre froide, majoritairement caractérisée par la croissance économique qui suivit la Seconde Guerre mondiale, la conscience de l'impact qu'aurait cette croissance sur l'équilibre entre l'Homme et le reste de la Nature était faible. Mais les dernières décennies ont montré combien est limité le “contrôle humain sur les forces de la Nature” dans la course capitaliste au profit, où la dévastation, le gaspillage et la destruction ont toujours dominé ce que Marx appelle l'“échange métabolique” de l'Homme avec la Nature.
Le 19 octobre, The Guardian [1] annonçait que “les populations d'insectes volants ont diminué de trois-quarts ces vingt- cinq dernières années, selon une nouvelle étude qui a choqué les scientifiques. Les insectes sont partie intégrante de la vie sur Terre comme pollinisateurs et comme proies pour d'autres espèces et l'on savait déjà que certaines espèces comme les papillons étaient en déclin. Mais la révélation de l'échelle à laquelle l'ensemble des insectes disparaissent a provoqué des mises en garde sur le fait que le monde est en route vers un “Armageddon écologique” avec de profonds impacts sur la société humaine.” Nous étions déjà informés, bien sûr, du déclin alarmant des populations d'abeilles. Ceci n'est qu'une partie de la tendance à l'extinction de masse qui touche d'innombrables espèces vivantes, engendrée par l'empoisonnement de l'air et des mers par les pesticides, les émissions industrielles et des transports ainsi que le fléau des déchets plastiques. Et les nuages toxiques tuent également de plus en plus d'êtres humains. Le jour suivant la parution de l'article sur le déclin des insectes, le même Guardian [2] publiait en effet un nouveau rapport estimant que 9 millions de personnes meurent chaque année directement à cause de la pollution. Ajoutez à cela la fonte des glaces, le déchaînement de super-tempêtes, les sécheresses et les incendies, tous liés au changement climatique dû au capitalisme (donc à l'Homme) et à son incapacité à agir durablement sur l’enfoncement alarmant dans la destruction environnementale dans lequel il a plongé l’humanité et qu’il n’a au contraire fait que considérablement aggraver. La menace d' “Armageddon écologique” ressemble de plus en plus à ces histoires anciennes d'un monde disparaissant sous les eaux et les flammes.
Par conséquent, à la menace d'une destruction par la guerre impérialiste, la question écologique en rajoute une autre non moins effrayante mais ces deux cavaliers de l'apocalypse ne chevaucheront pas séparément. Bien au contraire : un monde capitaliste caractérisé par un amenuisement des ressources vitales, qu'on parle d'énergie, de nourriture ou d'eau, est plus enclin à traiter le problème à travers une compétition exacerbée entre nations, le pillage militaire et le brigandage (dans des guerres économiques et impérialistes à court terme) plutôt qu'à travers une coopération rationnelle à l'échelle planétaire qui seule pourrait apporter une solution à ce nouveau défi pour la survie de l'humanité.
Si l'on regarde d'un seul côté, ce résumé de la situation ne peut qu'engendrer du désespoir. Mais il existe une autre facette : si les produits des mains de l’Homme les rendent capables de “s’exterminer les uns les autres jusqu’au dernier”, réalisant les cauchemars apocalyptiques les plus sombres, les mêmes forces de production pourraient être utilisées pour réaliser un autre rêve ancien : un monde d’abondance dans lequel aucun secteur de la société n’aurait besoin d’en dominer un autre, un monde qui aurait dépassé les divisions qui sont au cœur des conflits et de la guerre.
C’est une des contradictions de l’évolution du capitalisme, que précisément au moment où un tel monde devient possible (nous dirions au début du XXème siècle), cet ordre social plonge l’humanité dans les guerres les plus barbares de l’Histoire. A partir de ce moment, la survie même du capitalisme devient de plus en plus antagonique à la survie de l’humanité. C’est la preuve frappante que le capitalisme, malgré toutes ses capacités intactes à innover, développer, trouver des remèdes à sa crise, est devenu obsolète, l’obstacle principal à l’avancée future de notre espèce.
Cette prise de conscience de la réalité est un facteur-clef de la conscience révolutionnaire parmi les masses exploitées qui sont toujours les premières victimes des crises et des guerres du capital. La compréhension que le capitalisme, en tant que civilisation mondiale, était entré dans sa période de décadence, fut un facteur décisif dans le développement des événements provoqués par la Révolution russe en 1917 durant la vague révolutionnaire internationale qui a forcé la bourgeoisie à mettre un terme au massacre de la Première Guerre mondiale et qui, durant une période bien trop brève, porta avec elle la promesse du renversement du capitalisme et l'avènement d'une société communiste à l'échelle planétaire.
Aujourd'hui, il semble que de tels espoirs révolutionnaires appartiennent au passé. Mais contrairement à l'idéologie et à la propagande active de la bourgeoisie, la lutte de classe n'a pas disparu de l'histoire et, avant même de prendre une forme révolutionnaire consciente et généralisée, a toujours un énorme impact sur la situation mondiale. Durant la guerre froide, comme nous l'avons vu, la classe dominante a tenté de nous convaincre que la doctrine de destruction mutuelle assurée' allait préserver la planète d'une Troisième Guerre mondiale. Ce qu'elle ne nous dira jamais, c'est qu'il y avait un facteur puissamment dissuasif à l'avènement d'une guerre mondiale après que le capitalisme est entré dans sa présente phase de crise économique ouverte à la fin des années 1960. C'est un facteur qui n'était pas présent durant les années 1930, lorsque la Grande Dépression conduisit rapidement à la guerre : une classe ouvrière invaincue plus prompte à défendre ses intérêts qu'à rallier les ambitions guerrières de la bourgeoisie.
Aujourd'hui, la disparition des blocs et l'accélération du chaos impérialiste est un autre facteur qui rend le scénario d'une Troisième Guerre mondiale de style classique plus improbable. Ce n'est cependant pas forcément en faveur du prolétariat car la menace d'un conflit à l'échelle planétaire a été remplacée par un glissement plus insidieux dans la barbarie qui, comme nous l'avons expliqué dans cet article, n'a pas du tout fait disparaître le danger d'un conflit nucléaire. Mais la lutte de classe (et sa montée vers la révolution) demeure l'unique barrière à l'enfoncement dans la barbarie, le seul espoir que l'humanité non seulement empêche l'apocalypse que réserve le capitalisme mais réalise enfin tout son potentiel encore inexploité d’un monde libéré de ses chaînes et capable de se guider en fonction des besoins humains.
Amos, 21 octobre 2017
1 J. Robert Oppenheimer sur le test de Trinity (1965) Archives atomiques, récupéré le 23 mai 2008.
2 Malaise dans La Civilisation.
3 Carl Jung, Soucoupes volantes, un mythe moderne sur les choses vues dans les cieux.
4 L’évolution du capitalisme et la nouvelle perspective [3], Internationalisme (1952).
5 L’effondrement de “L'Union Soviétique” était en effet en partie le résultat de l’énorme fardeau représenté par les dépenses d’armement sur une économie structurellement beaucoup plus faible que celles des États-Unis ; mais, pour une analyse plus complète des racines de la crise dans le bloc de l’Est, voir : Thèses sur la crise économique et politique dans les pays de l’Est [4].
“Même selon les standards moyen-orientaux marqués par l'irrationalité, la destruction gratuite, les machinations et les guerres impérialistes constantes et croissantes, l'attaque dirigée par les Saoudiens contre le Yémen plus tôt cette semaine atteint de nouveaux degrés d'absurdité surréaliste : les Saoudiens dirigent une coalition sunnite de dix nations, dont le Pakistan non arabe et doté de l'arme nucléaire, dans une offensive contre le Yémen. Des bandits locaux comme les Émirats Arabes Unis, le Koweït et le Qatar sont impliqués, ainsi que le dictateur égyptien al-Sisi et la clique génocidaire d'al-Bashir au Soudan. Tous ces despotes sont soutenus par les États-Unis et la Grande-Bretagne, qui ont offert à la coalition un soutien “logistique et de renseignement””. C'est ce que nous écrivions en avril 2015 dans un article intitulé : Militarisme et décomposition au Moyen-Orient, juste après le lancement de ce que les Saoudiens ont appelé avec optimisme “l'Opération tempête décisive”. La guerre au Yémen s'est depuis lors considérablement aggravée et, après la Syrie, ce territoire est en train de devenir un théâtre crucial dans l'évolution des rapports impérialistes au Moyen-Orient, notamment à travers la rivalité entre l'Iran et l'Arabie Saoudite, leurs “alliés” respectifs et les grandes puissances.
Dans l'un des pays les plus pauvres du monde, peuplé de quelque 23 millions d'habitants, la “coalition” saoudienne (dont le Pakistan s'est discrètement esquivé) a déversé des bombes américaines et britanniques pour ce qui reste essentiellement une confrontation avec l'Iran pour l'influence régionale. Un coup d'œil à la carte du Moyen-Orient montre l'importance géostratégique du Yémen et la place qu'il occupe désormais dans les rivalités locales et mondiales. Dix mille personnes ont été tuées par les bombardements et les frappes aériennes qui ont touché des hôpitaux, des écoles, des zones résidentielles et des mosquées. Trois millions de maisons ont été détruites et des bâtiments antiques réduits en poussière dans ce que les Romains appelaient “l'Arabie Heureuse”. En plus des bombardements, les Saoudiens ont imposé un blocus, que la Croix-Rouge a qualifié de “siège médiéval”, sur l'aide d'urgence et les importations commerciales causant des dizaines de milliers de morts supplémentaires. Quatorze millions de personnes n'ont pas accès à l'assainissement et à l'eau potable et les cas de choléra ont atteint le million. Le développement de la famine et de la malnutrition s'accompagne également d'une propagation de la diphtérie, maladie ancienne qu'il est pourtant simple de prévenir, ainsi que d'une augmentation de la dengue et du paludisme. En trente longs mois depuis sa déclaration de guerre, la coalition saoudienne, avec l'aide des États-Unis et de la Grande-Bretagne, a réduit la vie d'un nombre toujours plus grand de civils, les réduisant à vivre comme des animaux et nourrissant sûrement la prochaine vague de réfugiés fuyant cet enfer à travers la péninsule arabe ou via la route africaine vers l'Europe.
Ce que les Saoudiens et leurs commanditaires craignent le plus et ce qui, dans la “logique” impérialiste à laquelle ils ont contribué, est un accroissement de l'influence iranienne, non seulement au Yémen, mais aussi par le biais d'un “encerclement” du territoire saoudien à travers la connexion terrestre, le long de la frontière turque, entre l'Iran, la Syrie, l'Irak et le Liban, et le contrôle du golfe d'Aden au Yémen. Ils craignent également le renforcement des intérêts et ses forces iraniennes en Afrique. (1 ) Le développement des intérêts et de l'influence régionale iranienne n'a jamais été aussi vaste et puissante qu'aujourd'hui, et ce malgré les tentatives récentes des États-Unis pour les contrecarrer à chaque tournant. L'Iran contrôle désormais effectivement un couloir terrestre qui va de Téhéran à Tartus en Syrie, sur la côte méditerranéenne, “lui donnant accès à un port maritime très éloigné à l'ouest, et loin des eaux du golfe Persique fortement surveillées par les patrouilles”. (2) Plus les États-Unis se sont affaiblis et s'affaiblissent au Moyen-Orient, plus l'Iran s'est renforcé. La position de la Russie s'est également renforcée, mais l'Iran n'est pas un simple pion de la Russie.
Les forces houthistes au Yémen combattant actuellement les milices soutenues par les Saoudiens ont pris le pouvoir et ont dominé la vague de manifestations antigouvernementales et anticorruption qui a éclaté dans le pays dans le cadre du Printemps arabe en 2011. Le houthisme a débuté comme un obscur mouvement chiite revivaliste dans les années 1990 appelé Forum des Jeunes Croyants, radicalisé par l'invasion américaine de l'Irak en 2003. Il bénéficie par ailleurs d'un large soutien parmi de nombreux sunnites, ce qui montre qu'il ne s'agit pas, bien que l'irrationalité de la religion joue un rôle, d'une simple division sunnite/chiite (il n'y a jamais eu de clivages ethniques ou religieux significatifs au Yémen, sauf ceux que les grandes puissances, y compris la Grande-Bretagne, ont suscités). Les Iraniens l'appellent le mouvement Ansarallah (les partisans d’Allah) et malgré ses liens avec l'Iran, son histoire est plus que celle d'un simple pion. Vers la fin de 2014, une grande partie du pays a été prise par les houthis et, au fur et à mesure que la guerre se poursuivait, les liens entre les houthis, les Iraniens et le Hezbollah libanais, forgés dans le conflit, se sont renforcés. En décembre, lorsque le chef et seigneur de guerre yéménite, Saleh, s'est détourné de l'Iran et des houthis pour se tourner vers l'Arabie Saoudite, il a été tué sans pitié, ce qui rappelle les assassinats de la CIA dans les années 1960, méthode avec laquelle le Hezbollah est également familier.
Selon des informations récentes, l'Iran aurait envoyé des armes de pointe et des conseillers militaires aux houthis, y compris ses mercenaires afghans endurcis au combat.(3) Ces derniers sont probablement surestimés par l'Occident, mais les Iraniens pensent à long terme comme ils l'ont fait avec l'édification du Hezbollah, qui est devenu la tête de pont de l'Iran contre Israël et fait partie intégrante de sa stratégie de renforcement au Moyen-Orient. Les missiles balistiques visant des cibles saoudiennes suggèrent l'implication du Hezbollah. Ce sont des armes parfaites pour les houthis qui visent des cibles saoudiennes de grande valeur et l’une d’elles finira bien par être touchée un jour ou l'autre, elles sèment, en attendant, la terreur et l’insécurité parmi les Saoudiens, comme les V2 nazis l'ont fait pour Londres. Quoi qu'il en soit, le dirigeant houthi, Abdul-Malik al-Houthi, s'adressant au dirigeant du Hezbollah, Hassan Nasrallah, l'été dernier, a déclaré: “Votre pari sur les Yéménites est juste” et il a poursuivi en disant que les forces militaires conjointes contre Israël réintroduisaient la question palestinienne. Ces démarches ne pourront être soutenues que par la politique étrangère de Trump et son soutien israélo-saoudien.
Il vaut la peine de prendre un peu de recul pour voir comment les choses ont évolué dans le panier de crabes impérialiste du Moyen-Orient : il n'y a pas si longtemps, les forces militaires américaines et iraniennes agissaient de concert et de façon significative en Irak jusqu'à et y compris des actions militaires coordonnées et conjointes contre l’État islamique (EI). Mais il était clair pour tout le monde qu'une fois l'EI vaincu, de nouvelles tensions éclateraient. Encore une fois, même au Yémen, le Commandement des forces spéciales américaines (SOCOM) a préféré travailler avec les houthis dans la lutte contre Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA) et l'EI : les généraux américains ont déclaré que l'action saoudienne au Yémen était “une mauvaise idée” (4), étant donné l'implication des services secrets yéménites soutenus par l'Arabie Saoudite, qui sont profondément liés aux terroristes. Tandis que Washington arrosait le gouvernement yéménite par un soutien politique et financier, l'ancien président Saleh, un allié des Saoudiens, manipulait l'activité des terroristes pour obtenir le soutien de Washington au nom de la “guerre contre le terrorisme”.
Le conseiller à la sécurité nationale de Trump, H.R. McMaster, a déclaré en octobre : “Ce qui est le plus important pour toutes les nations, c'est de faire face au fléau du Hezbollah, des Iraniens et des gardes révolutionnaires iraniens.”(5) Personne ne peut deviner comment les Américains envisagent de faire cela sans exacerber et déstabiliser davantage le Moyen-Orient. La volte-face des États-Unis sur l'accord nucléaire iranien a, entre autres, provoqué une grave rupture avec l'Europe (et n'incitera pas les Nord-Coréens à “s’asseoir à table des négociations”), en particulier les trois grands pays actifs dans la région, la France, la Grande-Bretagne et l'Allemagne. La reconnaissance incendiaire par Trump de Jérusalem en tant que capitale d'Israël (un geste totalement stupide et inutile qui plaira principalement à sa base évangéliste) ne peut que contrecarrer les réels intérêts impérialistes américains. Elle attisera les flammes du nationalisme israélo-palestinien et, en dépit des mises en scène à l'ONU, en particulier celle du président turc Erdogan, suscitera des protestations plus globales contre les États-Unis de la part des fractions tant chiites que sunnites. Elle offre également aux djihadistes de l'EI et d'al-Nosra une bouffée d'air frais (l'un des plus puissants thèmes de campagnes de recrutement de Ben Laden était l'oppression des Palestiniens) et rend plus difficile pour l'Arabie Saoudite et ses alliés de travailler avec Israël et les États-Unis, servant ainsi davantage les intérêts de Téhéran.
La situation du régime saoudien est plus fragile depuis le soutien affiché de Trump qui a été suivi par une importante querelle avec le Qatar, la purge de ses adversaires (y compris ceux hostiles à Trump) et la curieuse convocation du président libanais Hariri et du dirigeant palestinien Abbas à Riyad. Le prince saoudien, le dirigeant effectif du pays a déclaré en avril dernier, qu'il “voulait sortir” de la guerre au Yémen et n'avait aucune objection à ce que les Américains intercèdent auprès de l'Iran à cette fin. Quels que soient ses souhaits ou ceux de toutes les parties impliquées, l'impérialisme, la décomposition et l'irrationalité sont les forces motrices de la catastrophe yéménite et, avec l’influence grandissante de l'Iran, elles ne feront que se renforcer.
Boxer, 22 décembre 2017 (Traduction d'un article de World Revolution, section du CCI au Royaume-Uni)
1 L'Iran s'intéresse de plus en plus au Nigeria, au Cameroun et au Soudan, entre autres. Les Saoudiens ont répondu par un plan du prince héritier Mohammed ben Salmane visant la mise en place d'une coalition militaire islamique fournissant logistique, renseignement et formation à une force “antiterroriste” du G5 sahélien remaniée après des discussions avec la France à la mi-décembre (Cf. Reuters du 14 décembre 17).
2 The Guardian du 8 octobre 2016.
3 New York Times du 18 septembre 2017.
4 Al Jazeera, le 15 avril 2017
5 Patrick Cockburn, The Independent du 9 décembre 2017.
Comme nous l’avons montré dans notre article « Manifestations en Iran, force et limites du mouvement », bien qu’existe des signes prometteurs de la capacité à rebondir pour la classe ouvrière, le danger non seulement d’une répression sanglante mais aussi de la manipulation de la colère populaire par les différentes fractions de la classe dominante est bien réel. Le vieux conflit entre les “réformateurs” et les “durs” au sein de la “République Islamique” est entré dans une nouvelle phase. Les réformateurs autour du président Rohani sont convaincus qu’un changement majeur dans la politique est nécessaire pour consolider les acquis considérables obtenus récemment par l’Iran. Ces acquis concernent essentiellement deux niveaux : d'une part, sur le plan de la politique étrangère, les milices chiites et d’autres forces soutenues par Téhéran ont fait d’importantes avancées en Irak, en Syrie, au Liban (la soi-disant faucille révolutionnaire de l’Iran vers la Méditerranée) et au Yémen. Sur le plan diplomatique, le régime a pu conclure un “accord atomique” avec les grandes puissances, ce qui a conduit à la levée de certaines sanctions (en échange d’une renonciation formelle à l’acquisition d’une bombe atomique Iranienne). Aujourd’hui, ces avancées sont menacées de tous les côtés. L’une de ces menaces est l’alliance contre l’Iran que les États-Unis essaient de construire, sous la direction de Trump, avec Israël et l’Arabie Saoudite. D'autre part, sur le plan de la situation économique, contrairement au niveau militaire ou diplomatique, le capitalisme iranien n’a fait aucun progrès ces dernières années, au contraire. L’économie ploie sous le joug du coût militaire des opérations de l’impérialisme iranien à l’étranger et elle est affaiblie par les sanctions internationales. Les États-Unis n’ont pas levé les sanctions économiques contre l’Iran, comme ils l’avaient promis dans le cadre de l’accord nucléaire. Au lieu de cela, ils ont entravé les investissements des entreprises européennes en Iran. Maintenant, avec Trump, les sanctions américaines seront même renforcées. Il y a un autre problème, très important : la compétitivité du capital national iranien est étranglée par la bureaucratie théocratique-cléricale profondément anachronique, qui ne sait pas gérer une économie capitaliste moderne, et par le système kleptomane des “Gardiens de la Révolution”. Du point de vue du président Rohani, briser ou au moins affaiblir la domination de ces structures serait une bonne chose pour les intérêts du capitalisme Iranien. Cela donnerait également de l’Iran une image plus libérale, mieux adaptée pour contrer les sanctions, la diplomatie et la rhétorique de ses ennemis à l’étranger.
Mais, en raison de la position dominante des tenants de la ligne dure au sein des forces armées, les réformateurs n’ont pas une grande marge de manœuvre légale pour imposer leur politique. C’est pourquoi le président Rohani a commencé à appeler la population dans son ensemble à formuler ses critiques sur la politique économique actuelle et sur la corruption des Gardiens et la défense de leurs intérêts commerciaux. Les réformateurs ont essayé d’utiliser le mécontentement populaire comme levier contre les “durs”. Une telle politique est dangereuse et révèle le retard et le manque de souplesse de la bourgeoisie en Iran, qui est incapable de régler ses problèmes en interne. C’était d’autant plus dangereux quand on considère que Rohani savait parfaitement que le boom économique promis après la levée des sanctions ne se produirait pas. De plus, Rohani ne fut pas le seul à prendre des risques : le président lui-même a accusé ses opposants intransigeants d’avoir organisé la première manifestation à Mashhad, qui est le bastion d’ Ibrahim Raisi, le candidat des “durs” lors des élections présidentielles de mai 2017. Le slogan principal de cette manifestation aurait été : “A mort Rohani !”. Mais, au fur et à mesure que la protestation s’amplifiait, d’autres slogans ont été entendus, tels que “A mort Khamenei !” (le chef d’État religieux de tendance “dure”), “A bas la dictature !”, ou “Qu’est-ce qui est gratuit en Iran ? Le vol et l’injustice !” L’apparition de tels slogans dirigés contre le régime dans son ensemble montre que les deux fractions bourgeoises principales ne peuvent pas manipuler la colère populaire à leur gré, contre l’autre fraction.
Cependant, cela ne diminue en rien le danger pour la classe ouvrière d’être manipulée par la classe dominante. Il est important, à cet égard, de se souvenir de ce qui s’est passé en Égypte, où les manifestations populaires (Place Tahrir), impliquant des rassemblements et des manifestations de masse, mais aussi des grèves ouvrières, ont balayé le régime Moubarak. C’était au début du “printemps arabe”. Mais cela a été rendu possible parce que les militaires ont laissé faire (le président Moubarak avait l’intention de diminuer l’influence des généraux sur le plan politique et surtout sur l’économie). En Iran (comme en Égypte à l’époque), les puissances étrangères étaient également impliquées. Les dirigeants religieux d’Iran ont prétendu que les manifestations en Iran ont été provoquées par des puissances étrangères (États-Unis, Israël, Arabie Saoudite), ce qui a enragé de larges secteurs de la population, car cette prétention nie avec arrogance toutes leurs souffrances réelles et leur capacité à prendre eux-mêmes des initiatives. Cela ne veut pas dire, bien sûr, que ces puissances rivales et d’autres n’essaient pas de déstabiliser le régime iranien. Lors d’un entretien donné en avril 2017, le prince héritier Ben Salman déclarait que le conflit entre son pays et son voisin persan serait réglé “en Iran, pas en Arabie Saoudite”. L’un de ses groupes de réflexion à Ryad lui a conseillé de susciter le mécontentement au sein de la minorité sunnite en Iran ainsi que parmi les minorités ethniques (un tiers de la population en Iran n’est pas d’origine persane). En Égypte, après la chute de Moubarak, la guerre civile entre les principales fractions de la bourgeoisie, les forces armées et les Frères Musulmans, n’a été évitée qu’à cause de la féroce répression de ces derniers contre les premiers. En Syrie, les protestations sociales ont déclenché une guerre impérialiste qui fait toujours rage. Que ce soit en Égypte, Syrie ou Iran, la classe ouvrière n’est pas seulement relativement faible, elle est aussi isolée internationalement, à cause de l’actuel reflux de la lutte de classe, du recul de la conscience et de l’identité de classe à l’échelle mondiale. Sans le soutien du prolétariat mondial, les difficultés et les dangers pour nos frères et sœurs de classe sont d’autant plus grands.
Steinklopfer, 9 janvier 2018
Le scandale Lactalis a éclaté lorsque plusieurs cas de salmonellose(1) ont été détectés chez des nourrissons suite à la consommation de produits fabriqués par ce groupe, un des leaders mondiaux des produits laitiers. Le 11 janvier, on annonçait pas moins de 37 cas de contaminations en France, d’autres ayant été recensés en Espagne, en Grèce , etc., et bon nombre d’enfants risquant des complications sévères devaient être hospitalisés. Les enquêtes diligentées en décembre par le ministère de la Santé et celles des services vétérinaires départementaux (DDCSPP) et de la répression des fraudes (DGCCRF) confirmaient cette contamination industrielle, notamment celle de l’usine Lactalis à Craon en Mayenne.
Bon nombre de témoignages de parents et de consommateurs en colère ont révélé que tous les acteurs étaient mouillés dans l’affaire : le groupe Lactalis qui a tardé et traîné les pieds pour retirer les lots incriminés afin de ne pas fragiliser sa compétitivité, la grande distribution qui a continué à commercialiser dans ses rayons les produits potentiellement contaminés à la salmonelle, malgré les rappels successifs, pour ne pas subir de pertes financières, l’État qui s’est présenté comme le grand “justicier” après une période d’inertie jugée coupable. Avant que l’affaire n’éclate au grand jour, le ministère de l’Agriculture niait en effet avoir été mis au courant de tests positifs alors que l’entreprise soulignait [7] au contraire que “toutes ces analyses ont été transmises aux autorités compétentes dès le début”. Les services sanitaires de l’État jugeaient pourtant en septembre que le niveau d’hygiène était “très satisfaisant” alors que l’entreprise avait elle-même décelé des traces de salmonelle lors d’un contrôle interne, peu de temps auparavant, au mois d’août.
Dans une émission sur la chaîne de télévision France 2, le 13 janvier dernier, un ancien salarié témoignait [8] aussi : “On est nombreux dans le service à n’être absolument pas surpris de ce qui se passe aujourd’hui. Quand vous voyez des tamis au sol, quand vous voyez des brosses qui finissent au sol ou qui côtoient toutes les poussières d’une semaine de production et dont on se sert pour nettoyer l’intérieur des tuyaux... Effectivement, il ne faut pas être surpris qu’on puisse contaminer un circuit de poudre”. Il ajoute surtout ceci “la priorité était clairement la production”.
Comme le souligne un avocat, Me. Bouzrou, cité par Le monde.fr : “Force est de constater que les fonctionnaires de la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations de la Mayenne n’ont volontairement pas effectué de contrôles sur la production de lait infantile”. Priorité à la production, au marché, au profit ! Pour l’ensemble des principaux acteurs, les nourrissons ne représentent qu’une cible commerciale chiffrée, les jeunes enfants contaminés devenant même des obstacles gênants pour l’image de l’entreprise. Dans “les eaux glacée du calcul égoïste” (2) leur santé, les industriels, politiciens et autres marchands s’en fichent comme d’une guigne ! Cette cynique indifférence est tellement visible qu’un conseiller en communication, Guillaume Foucault [9], s’en est même offusqué : “Vous noterez aussi qu’à la première question qui lui est posée, le président de Lactalis, ce fameux milliardaire, oublie juste une chose : c’est d’avoir un peu de sentiment, d’être un peu dans le pathos”. Bref, les vrais professionnels de la “com”, eux au moins, savent qu’il faut faire semblant !
Bien entendu, au-delà des froids calculs des uns et des autres, comme lors de tous les scandales sanitaires auxquels nous sommes de plus en plus confrontés, tout est orchestré pour désigner “le” ou “les” coupables, bien souvent des lampistes et/ou des acteurs subalternes, certes sans scrupules, mais qui servent d’autant plus aisément de boucs-émissaires ! Outre les médias et les institutions qui engagent les victimes dans cette logique de recherche de “coupables” pour les “faire payer”, le grand artisan de cette manœuvre est l’État lui-même, cherchant toujours à éviter la question centrale, celle de la répétition du phénomène et de ce qui en est la source : le système capitaliste et sa logique de profit.
A chaque fois, la logique barbare purement marchande et les pratiques de l’État bourgeois qui l’incarnent sont très soigneusement épargnées. Systématiquement, la loi du profit est préservée et l’attention détournée vers des symboles : tel “industriel sans foi ni loi”, tel “banquier véreux”, tel “politicien corrompu” ou tel “haut fonctionnaire magouilleur”, c'est-à-dire sur les symptômes et non la véritable cause.
Concernant Lactalis, le coupable idéal est très rapidement identifié : son “PDG milliardaire” avec sa “culture du secret” a servi de catalyseur idéal permettant de détourner l’attention de tout l’engrenage capitaliste qui a permis un tel scandale. De même, les enseignes de la grande distribution servaient aussi de coupables tout désignés. Cette fois encore, ce ne pouvait évidemment pas être la faute du capitalisme, la véritable maladie qu’il ne faut surtout pas mettre sous les yeux des prolétaires, mais quelques “brebis galeuses” faciles à identifier et à désigner à la vindicte. Tous les médias et l’État lui-même se sont montrés de zélés accusateurs, comme si ce dernier était “extérieur” à l’affaire. C’est ainsi que le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, parlait avec sévérité d’un “manquement” et annonçait que “la Justice n’épargnera personne”.
Pourtant, si le lien n’est pas toujours direct ou apparent aux premiers abords, l’État et le gouvernement sont toujours au cœur des décisions qui poussent vers la logique du profit et la concurrence maximale avec pour conséquences des scandales à répétition. La réalité est que “le gouvernement moderne n’est qu’un comité qui gère les affaire communes de la classe bourgeoise toute entière.”(3) C’est donc hypocritement que l’État et ses politiciens interviennent de nouveau comme “justiciers”, eux qui, de manière chronique , s’autorisent les pires exactions qu’ils attribuent généralement aux autres.
D’ailleurs, rappelons-nous le scandale du sang contaminé dans les années 1980 où les laboratoires, de manière consciente et avec la bénédiction du gouvernement de l’époque, faisaient inoculer du sang non chauffé et donc empoisonné dans les veines de centaines de personnes par pur souci d’économie. De même, si on se penche sur le scandale du Mediator, on retrouve toutes les accointances qui unissaient les laboratoires pharmaceutiques et des partis politiques impliquant des personnalités au sein de l’appareil d’État. A l’époque, la polarisation s’opérait exclusivement sur les dirigeants du laboratoire Servier dont des organisations gauchistes comme LO martelaient qu’ils avaient “un porte-monnaie à la place du cœur”. Mais aussi cupides qu’aient été ces industriels, ils n’étaient en réalité que de cyniques créatures produites et intégrées aux rouages de la logique marchande, celle d’un système barbare qu’il faut absolument détruire. Telle est le principal enseignement politique de cette sinistre affaire pour le prolétariat.
WH, 30 janvier 2018
1La bactérie salmonelle peut provoquer des gastro-entérites et des complications très graves chez le nourrisson.
2Expression employée dans le Manifeste du Parti communiste (1848).
3Manifeste du Parti communiste, Marx et Engels (1848).
Le développement du populisme a touché de nombreux pays. S'il a pu être contenu dans certains, comme en France avec la défaite du Front national aux dernières élections présidentielles, il a causé de sérieux problèmes ailleurs, comme aux États-Unis et en Grande-Bretagne par exemples. En Allemagne, après les élections fédérales de septembre 2017, l'Alternative pour l'Allemagne (AfD), parti qui a vu le jour seulement en 2013 et dont le programme consiste à réclamer la souveraineté allemande tout en exacerbant le sentiment de fierté nationale, est passé de 0 à 94 sièges. Il est devenu le troisième parti le plus important du pays. En Autriche, Sebastian Kurz s'est présenté lui-même comme une force pour le changement même si son parti est au pouvoir depuis 30 ans. Il pourrait être obligé de former une coalition avec le néo-Nazi Parti de la Liberté. Comme l'écrivait The Economist du 19 octobre 2017 : “l'Europe se demande si le jeune prodige de la politique autrichienne va repousser le soulèvement populiste ou si, au contraire, il se prépare à en prendre la tête”. En Espagne, dans le conflit qui oppose Madrid et la Catalogne, les divisions dans les rangs de la bourgeoisie se sont aggravées et ne permettent pas d'envisager une stabilité satisfaisante pour le Capital dans ce pays.
Les divisions qui existent au sein de la bourgeoisie sont naturelles pour une classe marquée par la concurrence à tous les niveaux, des entreprises individuelles à la guerre impérialiste. Cependant, lorsqu'elle doit faire face à une menace impérialiste, des difficultés économiques ou à la résurgence de la lutte de classe, la classe dominante a tendance à faire front commun dans l'intérêt national. Mais depuis les années 1990, la décomposition du capitalisme fait ressortir toujours plus la tendance à la division au sein de la bourgeoisie, y compris aujourd'hui une tendance à la perte du contrôle politique parmi les bourgeoisies même les plus expérimentées.
Le référendum de 2016 en Grande-Bretagne sur l'appartenance à l'UE a produit un résultat contraire à ce que les factions centrales de la bourgeoisie considéraient comme leur meilleur intérêt. La marée populiste internationale a été amplifiée par l'élection de Trump et les difficultés politiques spécifiques au gouvernement britannique ont été exacerbées par les élections générales de juin 2017. Convoquées à la base pour renforcer la majorité conservatrice au pouvoir et asseoir sa position dans les négociations sur le retrait britannique de l'UE, les élections ont engendré une perte de sièges et la nécessité de former une alliance avec le DUP d'Irlande du Nord. Loin d'améliorer la position du gouvernement britannique et de l'aider dans les négociations avec l'Europe, la perte de contrôle s'est manifestée dans les intrigues entre différentes factions, des divisions qui vont bien au-delà des “Pour” ou “Contre” le Brexit ou des “modérés” contre les “radicaux”, ainsi qu'un désordre général au sein d'une classe dominante qui semble ne pas avoir de plan cohérent et tend à improviser à chaque tournant. Ainsi, la bourgeoisie britannique fait face à de réelles difficultés dans les négociations sur le Brexit, apparaissant déjà comme incapable de reprendre les rênes et de tirer le meilleur d'une situation épineuse. Les conséquences économiques du Brexit seront aggravées par ce désarroi politique. Le contraste entre la puissance passée de la bourgeoisie anglaise et sa situation actuelle est dramatique. La longue expérience de cette classe dominante signifiait auparavant qu'elle était capable de s'unir durant les périodes de guerre impérialiste, de faire face aux crises économiques et d'adopter une stratégie appropriée pour contrer les luttes ouvrières.
En 1974, en pleine crise économique et avec une grève de mineurs qui était la dernière expression d'une vague de militantisme ouvrier, des élections furent convoquées avec comme résultat, un gouvernement travailliste qui se révéla beaucoup plus efficace dans sa gestion du conflit de classe grâce à l'ampleur des illusions existant sur le Labour et les syndicats. Dans les années 1980, alors que le gouvernement conservateur dirigeait les attaques sur les salaires, les emplois et les conditions de vie de la classe ouvrière, les Travaillistes dans l'opposition se sont présentés comme les amis des ouvriers. Avec l'aide des syndicats, le Labour a présenté des stratégies économiques capitalistes alternatives et, par divers biais, récupéré et/ou détourné le militantisme ouvrier. En plus d'avoir su utiliser de différentes manières le parti Travailliste contre le prolétariat, la bourgeoise britannique a très bien su gérer les antagonismes en son propre sein. En 1990, l'attitude de Margaret Thatcher envers l'Europe fut jugée inappropriée dans une période où les blocs dominés par les États-Unis et l'URSS étaient en train de se désintégrer. Les “éminences grises” on su écarter Thatcher sans tergiverser en dépit de son autorité.
Il y a encore aujourd'hui des manœuvres de ce type au sein de la bourgeoisie britannique et particulièrement dans les rangs du parti Conservateur mais, loin de conduire à des politiques cohérentes ou, pour le moins, à la position dominante d'une faction, les dissensions qui agitent la classe dominante montrent tous les signes d'un développement accru des tensions. La Grande-Bretagne fut l'un des pays les plus durement touchés par les secousses économiques de 2008 et l'effritement au sein des Tories contribue à empirer la situation. Cependant la faiblesse de la bourgeoisie ne représente pas nécessairement une opportunité pour le prolétariat.
La position de nombreux gauchistes est résumée par le Socialist Workers Party quand il affirme : “Les Tories sont à terre mais pas encore éliminés. C'est à cette tâche que nous devons nous atteler” (Socialist Worker du 4 juillet 2017). Ils constatent les problèmes qui agitent le parti conservateur et déclarent: “Nous avons besoin d'une résistance telle qu'elle nous permettra de nous débarrasser de Theresa May et du reste de la bande” (4 octobre 2017). Ceci est le prélude à un gouvernement travailliste, bien que “Un gouvernement dirigé par Corbyn ne ferait pas de la Grande-Bretagne un pays socialiste. Mais des millions de personnes se sont réjouis de ses promesses de taxer les riches, de re-nationaliser les industries et d'investir plus d'argent dans les services publics” (3 octobre 2017). Cela signifie que beaucoup ont des illusions sur les Travaillistes et l'une des fonctions du gauchisme est de renforcer les illusions sur ce parti fondamental du capitalisme d’État britannique.
Car, 21 octobre 2017
Afin de comprendre la signification de l’escalade des événements qui ont suivi le referendum de septembre 2017 sur l’indépendance kurde en Irak et les réactions des gouvernements de la région et du monde entier, nous devons revenir sur les développements historiques qui ont eu lieu depuis plus d’un siècle. Cet article est publié en même temps que “La nouvelle Turquie” d’Erdogan : une illustration majeure de la sénilité du capitalisme [11] (en anglais) ; nous vous recommandons de lire les deux articles à la suite.
Comme nous l’avons développé dans l’article cité ci-dessus et dans un article traitant du conflit impérialiste au Proche-Orient [12] dans la Revue Internationale n° 117, à la fin du XIXème siècle, l’Empire ottoman est entré dans un long processus de déclin et de désintégration. Déjà, avant la Première Guerre mondiale, lors des guerres balkaniques, la Bulgarie, l’Albanie, la Thrace occidentale (et Salonique) sont sorties de l’Empire ottoman. La seconde phase de fragmentation advint après que l’Empire ottoman a pris le parti de l’Allemagne lors de la Première Guerre mondiale : les puissances européennes, la France, la Grande- Bretagne et la Russie, élaborèrent un plan pour diviser à leur profit les composantes restantes de l’Empire ottoman. En 1916, sur la base du traité secret Sykes-Picot, la France devait recevoir le Liban et la Syrie, la Grande-Bretagne devait contrôler l’Irak (sauf Mossoul), la Jordanie, la Palestine et l’Égypte, ainsi que la Péninsule arabique (aujourd’hui Arabie Saoudite). La Russie tsariste devait mettre la main sur la plupart des régions du nord du Kurdistan et le Tsar espérait aussi utiliser les Arméniens pour ses ambitions. Cependant, à la suite de la révolution en Russie de 1917, le pouvoir soviétique a renoncé à toute ambition impérialiste. En 1920, d’après le traité de paix de Sèvres (à Paris), ce qui restait du territoire turc devait être partagé entre les puissances coloniales, la France et la Grande-Bretagne. De vastes zones devaient être transférées à la Grèce, un État indépendant de la Turquie était prévu pour l’Arménie en Turquie orientale et les Kurdes devaient recevoir un statut autonome dans le sud-est. Seule une petite partie du centre de la Turquie devait rester turque. Le général Mustapha Kemal refusa le traité et commença à organiser la résistance militaire. Les Arméniens et les Grecs furent rapidement vaincus, le sultanat aboli et Kemal devint le chef du nouvel État “croupion” turc. Après le dépeçage de l’Empire ottoman et la mise en place de nouvelles entités “nationales” (Syrie, Jordanie, Irak) par les puissances coloniales, la population kurde, qui vivait dans un Kurdistan ottoman depuis plusieurs siècles, fut divisée sur le territoire de cinq États (Turquie, Irak, Syrie, Iran, Arménie/ Russie). Aujourd’hui, près d’un siècle plus tard, la population kurde vit encore dans un tiers du territoire turc, dans la partie nord de l’Irak (Mossoul, Kirkouk, Erbil, etc.), dans la partie occidentale de l’Iran, dans le nord-est de la Syrie et un petit nombre en Arménie.(1) La façon dont les résidus de l’ancien Empire ottoman ont été partitionnés par les deux vainqueurs de la Première Guerre mondiale, la France et la Grande-Bretagne, montre qu’il n’y avait aucun espace pour la création d’un État kurde viable. En même temps, les germes du nationalisme kurde sont apparus dans ce processus. En fait, la Turquie, l’Irak, la Syrie et l’Iran ont toujours eu peur et ont toujours combattu les aspirations des Kurdes à la formation d’un État kurde souverain. Ce spectre a hanté en particulier les États turc et irakien, car tout État séparé aurait entraîné une large amputation du territoire de ces pays (30% dans le cas de la Turquie). Au cours du siècle dernier, tous les gouvernements turcs ont averti qu’ils ne toléreraient jamais la formation d’un État kurde en dehors du territoire turc.
Historiquement, les régions kurdes ont toujours été en retard par rapport aux autres régions. Des proportions importantes de ces populations vivent dans les montagnes, où le développement économique est beaucoup plus lent qu’ailleurs. La structure sociale est dominée par les chefs tribaux et les clans. En dehors du pétrole, qui a été découvert au début des années 1920, il n’y a pratiquement pas de matières premières et, depuis plus d’un siècle, il n’y a pas eu véritablement d’industrialisation. En conséquence, une grande partie de la population survit grâce à l’agriculture, en migrant plus loin ou en cherchant du travail en Europe ou ailleurs. Alors que les quatre pays ayant des minorités kurdes (Turquie, Irak, Syrie et Iran) ont tous un intérêt commun (empêcher la formation d’un État kurde séparé et indépendant) la situation des Kurdes et l’intensité des conflits entre les Kurdes et ces pays n’ont jamais été les mêmes. A l’intérieur de chaque zone à dominante kurde, les factions de la bourgeoisie kurde luttant pour les intérêts kurdes ont toujours été profondément divisées, soit en raison de leur domination sociale par divers clans ou tribus, soit en raison de leurs intérêts économiques et sociaux opposés. En particulier, les factions de propriétaires fonciers n’ont jamais manifesté la moindre sympathie pour les populations les plus pauvres et leurs doléances économiques et sociales. Durant toute cette période, les forces nationalistes kurdes ont eu recours systématiquement à la violence contre les autres groupes kurdes ou contre les Arméniens.(2) Les groupes nationalistes kurdes ont régulièrement essayé d’imposer l’identité kurde aux minorités vivant dans les zones à majorité kurde. Toute la région kurde est “cernée” par d’autres pays et n’a pas d’accès à la mer, ce qui rend les Kurdes entièrement dépendants de la “bonne volonté” et des négociations avec les autres pays. Ceux-ci peuvent à leur tour exercer un chantage et extorquer des taxes élevées pour autoriser le transit du pétrole kurde par pipeline ou en camion à travers le territoire turc. Au niveau économique, un État kurde indépendant ne sera jamais viable.
Les aspirations à l’indépendance se sont exprimées pour la première fois au moment de l’apparition des fissures dans l’Empire ottoman, avec Ubeydullah, en 1880, qui exigeait l’autonomie politique ou l’indépendance pure et simple pour les Kurdes et la reconnaissance d’un État kurde. Les dirigeants ottomans ont rapidement et facilement écrasé cette révolte. Avant la proclamation de la république turque en 1923, au lendemain de la Première Guerre mondiale, les puissances coloniales française et anglaise ont fait semblant d’offrir leur aide aux Kurdes dans leur lutte pour l’indépendance alors qu’en réalité, elles avaient divisé la région de telle sorte qu’il n’y ait pas de place pour un État kurde. En 1925, à peine deux ans après la formation de la république turque, a lieu le premier soulèvement kurde significatif, organisé par Sheik Saïd, à forte connotation religieuse. L’État turc, qui avait acquis de l’expérience dans l’expulsion et la déportation des populations grecques et arméniennes, lança une sévère répression et déporta massivement les Kurdes. Entre 1927 et 1930, il y eut à nouveau des soulèvements kurdes répétés dans la région du Mont Ararat. Le régime kémaliste dénonça ces soulèvements, principalement du fait de leur coloration religieuse, qui lui permettait de justifier sa “politique laïque”. En 1930, l’Iran et la Turquie signèrent un traité dans lequel l’Iran acceptait de fermer ses frontières, empêchant ainsi l’exode des réfugiés et des combattants kurdes armés. Après les soulèvements dans la province de Dersim entre 1936 et 1938, qui furent tous écrasés dans le sang avec de nombreux massacres, il y a eu une période d’accalmie pendant plus de vingt ans, au cours de laquelle il n’y a presque pas eu de tentative armée kurde pour obtenir plus de libertés de la part de la Turquie. Pourtant, en 1960, quand l’armée organisa un coup d’État en Turquie, une des justifications en était le danger représenté par les velléités d’indépendance kurde. Une fois de plus, l’usage de la langue, de l’habillement, du folklore et des noms kurdes fut interdit. La répression sans trêve mena à la réémergence du nationalisme dans les années 1960 et 1970. Dans les années 1970, un nouveau groupe se fit le porteur du nationalisme kurde : le Partiya Karkeren Kurdistan (PKK) ou Parti des Travailleurs du Kurdistan, fondé en 1978. Le PKK prétendait s’opposer aux autorités locales et aux propriétaires terriens dominés par des clans et leurs chefs. Le PKK finance ses activités par des dons, des souscriptions et, nonobstant son verbiage gauchiste, par le recours au chantage, à l’extorsion de fonds, le trafic de drogues et d’armes, et, plus récemment, par le trafic de réfugiés. A partir de 1984, le PKK a initié une guérilla insurrectionnelle jusqu’au cessez-le-feu de 1999.(3) En 1999, son dirigeant Ocalan a été arrêté et condamné à mort.(4) Suite à l’appel d’Ocalan, demandant au PKK d’arrêter la lutte armée en Turquie, le PKK a suspendu ses activités militaires jusqu’en 2004. Cela a conduit à des attaques militaires répétées de l’armée turque contre le PKK dans le nord de l’Irak, jusqu’en 2011. Comme nous le verrons, ce n’est qu’en 2012 que les zones kurdes connaîtront une courte période de calme relatif, à cause des mouvements militaires stratégiques d’Erdogan ! Si l’on regarde en arrière, on voit que les gouvernements turcs ont pratiqué une politique d’alternance entre des concessions limitées et, plus souvent, une très dure répression, avec des vagues de résistance militaire croissante de la part des forces armées kurdes, à savoir le PKK.
Sur le territoire irakien, les conditions étaient différentes. Forts de leur expérience en Inde et dans les autres colonies, les Britanniques ont concédé quelque autonomie à la région kurde dans le nord de l’Irak, et ont reconnu ses aspirations nationalistes avec l’arrière-pensée de devancer les efforts nationalistes kurdes sur le sol irakien. En plus de leur politique de “diviser pour mieux régner” et de leur soutien aux éléments réactionnaires kurdes, les Britanniques, face à une résistance à grande échelle, ont également développé une politique de terreur avec des bombardements aériens, Churchill approuvant l’utilisation de gaz toxiques. Entre-temps, la Constitution irakienne provisoire de 1921 accordait des droits égaux à deux minorités ethniques (les Arabes et les Kurdes) et les Britanniques ont appliqué la même politique de “diviser pour mieux régner” : les tribus kurdes du pays ont bénéficié d’une juridiction particulière et d’avantages fiscaux spéciaux ; on leur garantissait informellement des sièges au Parlement et elles étaient en dehors de la juridiction des tribunaux nationaux. Les propriétaires kurdes en retour devaient collecter les taxes pour les dirigeants britanniques.
En 1932, l’Irak accéda à l’indépendance. Tout au long des années 1950, Bagdad a réprimé les droits politiques kurdes, interdit les partis politiques nationalistes, détruit les villages kurdes, militarisé la région et imposé le repeuplement (en particulier dans les régions riches en pétrole). En 1961, les Kurdes irakiens ont commencé à se révolter contre Bagdad. Le parti Baas, arrivé au pouvoir en 1963, lança une sévère répression. Le gouvernement irakien et les dirigeants kurdes signèrent un accord de paix en 1970. Aucune des promesses (autonomie gouvernementale kurde, reconnaissance du caractère bi-national de l’Irak, représentation politique au gouvernement central, reconnaissance officielle de la langue kurde, liberté d’association et d’organisation) n’a été tenue. Au cours des années 1970, les Kurdes irakiens ont cherché à obtenir une plus grande autonomie et même une indépendance totale vis-à-vis du régime du Parti Baas ; mais en même temps, les deux principaux groupes kurdes, autour de Talabani et Barzani, s’affrontaient continuellement. Les deux groupes faisaient partie de la même classe dominante et n’ont jamais été séparés par une frontière de classe. Tous deux pourraient un jour se battre en étant soutenus l’un par le gouvernement de Téhéran et l’autre par celui de Bagdad, et inversement le lendemain. Déjà, dans les années 1960, l’Iran pesait de façon importante dans les mouvements autonomistes kurdes d’Irak. Téhéran et Bagdad avaient un conflit frontalier dans le Chatt-el-Arab et l’Iran fournissait des armes et de l’argent au groupe kurde irakien dirigé par Barzani. A la suite d’un rapprochement entre Bagdad et Moscou en 1972 et de la nationalisation de l’industrie pétrolière, les États-Unis tentèrent de se servir des Kurdes irakiens pour déstabiliser l’Irak. Lors de l’affrontement militaire de 1974-75, au nord de l’Irak, entre les troupes kurdes emmenées par Barzani et l’armée irakienne, l’aviation iranienne détruisit un avion irakien. A la suite d’un marché au sujet de la frontière entre l’Iran et l’Irak, l’Iran cessa son soutien aux Kurdes. De nouveau, une vague de répression et de déplacements forcés eut lieu. Les Peshmergas se retirèrent en Iran, des dizaines de villages kurdes furent détruits. Entre 1972 et 1982, les affrontements entre les organisations kurdes atteignirent leur sommet.
Pendant la guerre Iran-Irak (1980-88), l’Iran essaya de monter les Kurdes irakiens contre Bagdad. Ce dernier riposta en 1988 : dans le conflit contre les combattants kurdes du Patriotic Union of Kurdistan (PUK) et les troupes iraniennes en mars 1988, Bagdad ordonna le massacre des Kurdes de la ville de Halabja, où des armes chimiques furent utilisées indistinctement. Entre 1986 et 1989, les troupes et milices irakiennes ont tué entre 50 000 et 180 000 Kurdes, dont beaucoup de civils. Environ 1,5 million de personnes ont été déplacées.
Après la première Guerre du Golfe en 1991 et la victoire rapide des troupes américaines contre Saddam Hussein, les troupes kurdes espéraient plus d’indépendance. C’est dans ce processus entièrement dominé par l’impérialisme que certains groupes politiques, notablement le Groupe Communiste Internationaliste (GCI) ont vu un soulèvement “révolutionnaire” et prolétarien. Comme dans le Rojava aujourd’hui, la classe ouvrière était totalement absente et cela montre plutôt la faiblesse du GCI qui soutient des mouvements nationalistes et des pions sur l’échiquier impérialiste.(5)
Au cours de cette période, l’OTAN a mis en place des zones d’exclusion aérienne au-dessus de régions kurdes, ce qui leur a apporté une certaine protection contre Bagdad et a contraint Saddam Hussein à leur concéder une autonomie relative. Le gouvernement régional kurde a été fondé en 1992. De nouveau, entre 1994 et 1998, les groupes kurdes du nord de l’Irak se sont affrontés à plusieurs reprises, tandis que Bagdad et Ankara intervenaient aussi militairement.
Après l’invasion de l’Irak par les États-Unis en 2003, la région fut déclarée autonome avec quelques libertés de gouvernement. Cette autonomie limitée (plus importante en Irak qu’en Turquie) aurait été impensable sans l’invasion américaine de 2003. Ces structures étatiques contrôlées par les Kurdes sont toujours actives aujourd’hui.
Cent ans d’histoire des populations kurdes montrent que les Kurdes en Irak ont subi le plus de massacres et de déplacements forcés, ont été les plus coincés dans les luttes entre factions bourgeoises rivales, qui ont pris part ou ont été utilisées par Bagdad ou Téhéran. La Turquie a également utilisé l’influence kurde irakienne en Turquie pour saper la position du PKK.
Bien qu’en 1920 la Grande-Bretagne ait “arraché” un mandat en Iran à la Société des Nations, l’Iran, contrairement à l’Irak ou à la Syrie, n’était pas un “nouveau venu” dans la région. Après les convulsions de la Première Guerre mondiale, un chef de tribu kurde, Ismail Agas (alias Simko), réussit à rallier autour de lui les nationalistes kurdes du triangle formé par la Turquie, l’Iran et l’Irak. Il reçut le soutien de Kemal en Turquie et, en 1920, il combattit sous le drapeau turc avec le soutien de Kemal contre les troupes de Téhéran.(6) Jusque dans les années 1930, Téhéran s’est débrouillé pour attacher la population kurde à l’État iranien à travers les structures tribales encore très présentes en Iran. Malgré les tentatives conjointes de l’Irak, de l’Iran et de la Turquie pour réprimer les velléités nationalistes kurdes dans la région, les nationalistes kurdes ont commencé à se mobiliser dans la petite ville de Mahabad. Comme dans les autres pays, les aspirations nationalistes étaient portées surtout par les chefs tribaux, qui n’avaient aucun intérêt aux “réformes sociales”. En 1942, la Russie essaya d’infiltrer le milieu kurde en Iran. En décembre 1945, la République de Tabriz du peuple azéri était proclamée avec le soutien de la Russie. Une “République kurde” a été proclamée en janvier 1946, qui a été écrasée par Téhéran en décembre 1946, après que la Russie eût abandonné son soutien en échange de concessions pour l’exploitation du pétrole. Contrairement à d’autres pays, les Kurdes d’Iran étaient libres de publier des informations culturelles et historiques dans leur propre langue. Cependant, dans les années 1960, le régime iranien commença à supprimer de nombreux droits civils. Comme nous l’avons montré plus haut, l’Iran est intervenu à plusieurs reprises en Irak pour encourager ou “freiner” les Kurdes irakiens au gré de ses propres intérêts. Après la proclamation de la République islamique le 1er avril 1979, les milices kurdes et chiites (Pasdaran) se sont affrontées. La prééminence accordée à la religion chiite dans la Constitution iranienne est considérée comme une pierre dans le jardin de la population kurde sunnite. Le gouvernement iranien fait face depuis 2004 à une guérilla larvée de la part du Parti pour une Vie Libre au Kurdistan (PJAK). Le PJAK est étroitement lié au PKK de Turquie. Face à l’existence de plusieurs groupes ethniques en Iran, Téhéran est déterminé à empêcher toute évolution des Kurdes vers un processus d’autonomie.
Ces mouvements nationalistes et ces manœuvres impérialistes sont bien souvent des loups parés de la peau de mouton des “intérêts” ouvriers ou révolutionnaires. Cette imagerie radicale adoptée par les éléments kurdes et iraniens repose en fait sur une convergence entre le stalinisme iranien et le nationalisme kurde, les deux répondant aux besoins de la bourgeoisie. Le groupe de guérilla Komala, lié au Parti Communiste d’Iran [13], s’est montré suffisamment “radical” pour tromper pendant un moment le groupe révolutionnaire Bureau International du Parti Révolutionnaire. Sur fond de près d’un siècle de tentatives ratées pour gagner plus d’autonomie ou pour créer un État kurde indépendant, le referendum tenu récemment en Irak a été organisé dans le contexte de rivalités impérialistes de plus en plus complexes et imbriquées de cette région.
Nous regarderons de plus près trois facteurs qui ont déclenché les revendications renouvelées d’indépendance dans la région, le développement en Irak, en Syrie et en Turquie même.
Enver, novembre 2017
1 Il y a entre 24 et 27 millions de Kurdes, environ : la moitié vivent en Turquie, un peu plus de 4 millions en Irak, 5 à 6 millions en Iran, autour de 1 million en Syrie ; on estime à environ 700 000 le nombre de Kurdes vivant en Europe de l’Ouest ; ils sont environ 400 000 dans l’ex-URSS.
2 Kurds in Turkey atone for their role in the Armenian genocide [14], Fréderike Geerdink, PRI.
3 Avec environ 700 000 soldats, la Turquie avait la deuxième armée de l’OTAN, après les États-Unis. Environ 300 000 soldats et membres des forces de police ont combattu dans les zones kurdes, contraignant 2500 villages à être évacués ou laissés en ruines ; environ 3 millions de Kurdes ont été déplacés. Les montagnes inhospitalières du Kurdistan sont devenues le refuge du plus grand nombre de réfugiés.
4 Sa condamnation à mort a été commuée en prison à vie en 2002.
5 A lire sur le site internet du CCI : Comment le Groupe Communiste Internationaliste crache sur l'internationalisme prolétarien [15] (2007).
6 Simko était un chef de tribu et n’avait aucune sympathie pour la culture et la population urbaines. Il a été assassiné en Iran en 1924.
Nous publions ci-dessous la deuxième partie de notre article sur le nationalisme kurde.
Nous avons montré dans d’autres articles comment toute la spirale du chaos impérialiste avait été déclenchée dans les années 1980, suite à l’effondrement du régime du Shah en 1979 qui, jusque-là, avait été avec la Turquie un poste avancé du bloc de l’Ouest contre la Russie. Les États-Unis ont réagi entre autres en encourageant la guerre entre l’Iran et l’Irak (1980-1988), ce qui a conduit à des tensions croissantes entre l’Iran et l’Arabie Saoudite. Au Proche-Orient, dès les années 1980, les conflits n’étaient plus marqués par la confrontation entre les deux blocs, mais exprimaient de plus en plus une plongée dans le “chacun pour soi” impérialiste. Du Liban dans les années 1980 à l’Afghanistan, plusieurs zones de conflit ont émergé, où la guérilla locale et les forces terroristes combattaient la Russie impérialiste (avec le soutien des États-Unis) ou contre les États-Unis avec le soutien de l’Iran. Des conflits et des fronts ont émergé dans lesquels les rivaux régionaux et les terroristes sont devenus actifs avec le soutien d’autres États. La tentative initiale de la politique américaine de “combattre les flammes de la guerre avec la guerre” a mis de l’huile sur le feu au lieu d’éteindre l’incendie.
A l’époque de la première Guerre du Golfe en 1991, les États-Unis voulaient et sont parvenus à éviter une partition de l’Irak, même au prix de laisser le pouvoir à Saddam Hussein. Lors de la seconde Guerre du Golfe en 2003, les États-Unis ont prétendu que Saddam avait acquis l’arme nucléaire. Après la rapide victoire américaine et l’élimination de Saddam Hussein, il y eu un profond remaniement du pouvoir.
Après l’occupation de l’Irak, les Américains ont imposé une administration directe et ils ont désarmé la plupart des partisans de Saddam Hussein. Beaucoup appartenaient à l’armée et à la police et ont joué un rôle-clé dans la formation de l’État islamiste (EI). Au lieu de les intégrer dans l’appareil répressif qu’ils mettaient en place, les Américains les ont exclus et ont ainsi fait germer ce qui est devenu l’EI.
Le clan à dominante sunnite autour de Saddam a été évincé et remplacé par des gouvernements dirigés par les Chiites, qui à leur tour, ont favorisé l’accroissement de l’influence iranienne en Irak. En outre, une politique répressive contre la population sunnite a aiguisé la division au sein de la population irakienne, facteur supplémentaire qui a conduit beaucoup de gens dans les bras de l’EI. Au même moment, les Kurdes au nord de l’Irak se voyaient accorder une sorte de relation privilégiée avec Bagdad, alors que la violence terroriste se répandait partout en Irak.
Quand l’EI a conquis de vastes zones de l’Irak en juillet 2014, en particulier la deuxième plus grande ville d’Irak, Mossoul, les peshmergas kurdes, qui agissaient plus ou moins comme une force d’État dans le nord de l’Irak, ont été les premiers à se mobiliser contre lui, alors que de larges pans de l’armée irakienne s’étaient enfuis. Les Américains et d’autres États occidentaux ont accru leur soutien militaire à la fois à Bagdad et aux peshmergas kurdes.(1) En bref, les Américains (et autres pays occidentaux) ont fourni des armes et une formation militaire. Principalement, les avions américains ont bombardé les positions de l’EI, pendant que les peshmergas servaient de chair à canon.(2) Ni les États-Unis, ni aucune autre puissance occidentale ne voulait engager un grand nombre de soldats sur le terrain à cause des fiascos antérieurs en Afghanistan et en Irak et à cause de l’impopularité généralisée de la guerre.
L’échec global des États-Unis à stabiliser la situation en Irak (et en Afghanistan) a permis la résurgence des ambitions nationalistes kurdes en Irak. La nécessité pour la coalition menée par les États-Unis de soutenir et d’armer les peshmergas kurdes a conduit ces derniers à entrer en conflit avec tous les gouvernements de la région.
La guerre en Syrie qui a débuté en 2011 est devenue un autre facteur nourrissant les ambitions kurdes. La stratégie turque visant à accroître son influence dans la région nécessitait des liens plus forts avec la Syrie. Jusqu’en 2011, la Syrie et la Turquie avaient réussi à améliorer leurs relations. Mais peu de temps après les débuts de la guerre en Syrie, Assad, de plus en plus assiégé, réagit en faisant un geste stratégique astucieux : l’armée syrienne a “abandonné” en 2012 le territoire kurde en Syrie aux Kurdes, sachant que cela mettrait la Turquie sous pression pour contrecarrer toute avancée kurde. Au même moment, la Turquie tolérait les “éclaireurs” de l’EI qui géraient des agences de recrutement en Turquie, Erdogan voulant tirer les marrons du feu de la lutte de l’EI contre les Kurdes en Syrie. A cause des pressions occidentales, et suite à la publication par des journalistes de la tolérance secrète des Turcs envers la contrebande d’armes ou la révélation selon laquelle les agences d’État turques les livraient directement et facilitaient le passage de terroristes de Turquie vers la Syrie, Erdogan a été contraint de proclamer son opposition à Assad et à s’engager dans un combat déterminé contre l’EI. En rétorsion, l’EI a commencé à viser des cibles en Turquie, là même où auparavant cette organisation avait bénéficié d’une totale “liberté de mouvement”.
En même temps, plus l’EI conquérait du territoire en Irak et en Syrie, plus les Kurdes commençaient à gagner de l’importance comme outil des puissances occidentales intervenant d’une manière ou d’une autre en Irak et en Syrie. Vers la fin de l’année 2013, les Kurdes syriens avaient réussi à établir une “zone libre” (libre du contrôle d’Assad ainsi que de l’EI), appelée Région autonome du Rojava. Quand les forces de l’EI ont commencé à assiéger la ville frontalière de Kobane, dominée par les Kurdes, le 15 septembre 2014, la détermination de la Turquie à empêcher la marche vers l’autonomie kurde ne laissait aucun doute quant aux priorités turques. Bien que l’armée turque ait été présente en force le long de la frontière turque à portée de Kobane, l’armée turque n’est pas intervenue pour protéger les Kurdes contre l’EI. Ce n’est qu’après les intenses bombardements américains et le nombre important de victimes kurdes, tant civiles que militaires, que l’EI a été défait à Kobane en février 2015, par les YPG, le PKK d’autres milices et des peshmergas kurdes du nord de l’Irak. Cet épisode illustre le sort des Kurdes : leur ville, Kobane, dans les mains kurdes, mais en ruines, et les forces kurdes, entièrement dépendantes du soutien américain contre une Turquie impitoyablement déterminée. Pour les Kurdes de Syrie, la question est maintenant de savoir comment les États-Unis se positionneront à leur égard, car sans assistance militaire en leur faveur, ils ne pourront pas tenir. Kobane et l’idée d’une “révolution du Rojava” posent beaucoup de problèmes au milieu anarchiste [18] aujourd’hui, liés au tournant “libertaire” du PKK.
Afin de “contenir” et d’attaquer les enclaves kurdes sur le territoire syrien, la Turquie a commencé à occuper des parties du territoire syrien occidental entre août 2016 et mars 2017 (opération “Bouclier de l’Euphrate”). Ces opérations militaires turques vont à l’encontre des intérêts d’Assad, de la Russie et de l’Iran. En réponse, malgré l’amélioration des liens entre la Russie et la Turquie, la Russie a offert une sorte de “protection” aux Kurdes, afin d’éviter qu’ils ne soient anéantis par l’armée turque et afin de défendre les intérêts d’Assad.
En Syrie occidentale, les troupes russes se sont déplacées dans une autre zone située le long de la frontière syro-turque, faisant barrage aux forces turques et américaines dans la région. En août 2017, les Unités de Protection du Peuple kurde (YPG), ont conclu un accord avec les forces russes, visant à fournir un tampon entre elles et les troupes turques dans et autour de la ville d’Afrin au nord-ouest de la Syrie. Le fait que l’armée turque, dans sa détermination à éliminer les enclaves kurdes, “se débrouille seule”, contre les intérêts de tous les autres requins de la région, a également renforcé les zones de frictions entre les États-Unis et la Turquie.(3) Certains groupes kurdes en Syrie sont devenus méfiants vis-à-vis des plans de la coalition dirigée par les États-Unis.
La phase suivante du conflit a commencé (celle de poser les revendications), maintenant que le “califat” de l’EI a été éradiqué de la région et sera juste capable de lancer des attaques terroristes ici et là sans aucun contrôle sur le territoire. Alors que les États-Unis ont encore besoin des Kurdes comme chair à canon pour lutter contre ce qui reste de l’EI dans la région, après l’expulsion de l’EI de l’Irak, les Kurdes d’Irak ont estimé que le moment était venu de proclamer leur indépendance.
Enver, novembre 2017
1 En Syrie, le plus grand parti kurde est le Parti de l’Union démocratique (PYD) ; son bras militaire est les Unités de défense du peuple (YPG) et les Unités de défense des femmes (YPJ). À l’automne 2015, les unités de défense kurdes ont conclu une alliance avec d’autres milices dans les Forces démocratiques syriennes (SDF). La branche militaire du PKK est HPG.
2 L’Allemagne a formé quelques 14 000 combattants peshmergas. L’Allemagne a également livré environ 32 000 armes de petit calibre, 20 000 grenades à main et beaucoup d’autres armes. Les États-Unis ont payé directement les “salaires” de 36 000 peshmergas. Ceux-ci ont alors commencé à devenir les mercenaires de différents impérialismes, américain et autres. Les avions britanniques Tornado ont soutenu des combattants kurdes et la Grande-Bretagne leur a fourni des missiles antichars, des radars et d’autres équipements militaires ainsi que des “conseillers” et des forces spéciales britanniques. Selon Downing Street, tout cela est fait pour des raisons “humanitaires” (Daily Mail, du 15 août 2014).
3 Les premiers échanges de tirs ont eu lieu entre les troupes américaines et les troupes soutenues par la Turquie près de Manbij en Syrie, qui a été un point focal pour les tensions latentes entre les factions soutenues par les États-Unis et la Turquie.
“Mon objectif est simple, c’est la compréhension totale de l’Univers, comprendre pourquoi il est comme il est et pourquoi il existe”. Le célèbre astrophysicien Stephen Hawking est mort le 14 mars à l’âge de 76 ans à Cambridge. Il était l’un des plus grands spécialistes des trous noirs. Au-delà de ses découvertes théoriques, de l’explication de l’existence même des trous noirs, qui laissait pourtant sceptique la communauté scientifique jusque dans les années 1960, aux “radiations de Hawking” (selon cette hypothèse, les trous noirs émettraient un rayonnement de corps noir), ce cosmologiste est aussi devenu mondialement célèbre en rendant accessible au plus grand nombre les mystères scientifiques de l’univers. Son ouvrage publié en 1988, Une brève histoire du temps, est un best-seller qui ravit encore aujourd’hui tous ceux qui veulent essayer de comprendre la beauté de la voie lactée.
Mais Stephen Hawking, c’est aussi cet être qui combattit dès l’âge de 21 ans une sclérose latérale amyotrophique (SLA [19]), une terrible maladie qui conduit, en général, à une paralysie complète et à la mort en seulement quelques années. Cette maladie a pourtant joué un rôle immense dans sa façon de percevoir le monde et sa place dans l’humanité. Dans son autobiographie publiée en 2013, La brève histoire de ma vie, il nous raconte : “Sans savoir ce qui allait m’arriver, ni à quelle vitesse la maladie risquait de progresser, j’étais désemparé. Les médecins me dirent de retourner à Cambridge et de poursuivre les recherches que je venais de commencer sur la relativité générale et la cosmologie. Mais je ne progressais pas, faute d’avoir les bases mathématiques suffisantes ; de toutes façons j’avais du mal à me concentrer alors que je ne vivrais peut-être pas assez longtemps pour finir ma thèse. J’avais l’impression d’être un personnage de tragédie. Je me suis mis à écouter du Wagner (…) ; à l’époque, mon sommeil était passablement perturbé. Avant qu’un diagnostic ait été prononcé sur mon état, la vie me paraissait d’un ennui profond, et rien ne semblait valoir la peine. Mais peu après ma sortie de l’hôpital, j’ai rêvé que j’allais être exécuté. Soudain, je compris qu’il y avait bien des choses intéressantes à faire avant de mourir. Un autre rêve se manifestait de façon récurrente : je sacrifiais ma vie pour sauver les autres. Après tout, puisque ma vie allait prendre fin à un moment ou à un autre, autant la consacrer à faire le bien.” Stephen Hawking nous dit une chose fondamentale. A 21 ans, les médecins ne lui donnaient que quelques années à vivre, au mieux. Il aurait pu alors brûler la chandelle par les deux bouts en ne pensant qu’à lui et à l’instant présent ; c’est d’ailleurs plutôt ainsi qu’il vivait quand il était un étudiant en bonne santé. Il choisit néanmoins une autre voie : celle de se raccrocher à un ensemble bien plus vaste, l’humanité et son avenir : “Autant se consacrer à faire le bien”. Pour lui, ce bien était de participer au développement général de la connaissance du monde et de la science.
En conclusion de son autobiographie, il explique l’épanouissent moral et intellectuel que lui a procuré ce sentiment d’être l’un des maillons d’une longue chaîne, d’avoir contribué du mieux de ses capacités au bien de tous : “Quand j’ai contracté la maladie de Charcot ou SLA, j’ai trouvé cela très injuste. Pourquoi moi ? A l’époque, je croyais que ma vie était finie et que je ne pourrai jamais exploiter tout le potentiel que je pensais avoir en moi. Mais maintenant, cinquante ans après, je peux être satisfait de ma vie. (…) J’ai beaucoup voyagé. Je suis allé sept fois en Union soviétique. (…) Je suis également allé six fois au Japon, trois fois en Chine, et j’ai visité tous les continents, y compris l’Antarctique, à l’exception de l’Australie. (…) Mes premiers travaux ont prouvé que la relativité générale classique ne marchait pas pour les singularités du Big Bang et des trous noirs. Par la suite, j’ai montré que la théorie quantique était capable de décrire ce qui se passe au début et à la fin du temps. Quelle expérience formidable cela a été que de vivre et de faire de la recherche en physique théorique ! Je suis heureux si j’ai pu contribuer à notre compréhension de l’Univers”.
Aujourd’hui, l’ensemble de l’humanité semble frappé d’un mal profond et potentiellement mortel : elle ne croit plus en son avenir. Plus exactement, la classe ouvrière a oublié qui elle était, ce dont elle était capable, la perspective d’un autre monde dont elle est porteuse. Cette perspective reste enfermée dans le présent, où le chacun pour soi, l’irrationnel et les peurs affectent les cerveaux chaque jour un peu plus. L’état d’esprit de Stephen Hawking doivent être source d’inspiration : même confronté au pire, à la mort imminente (croyait-il) dans d’atroces souffrances, il rejeta l’illusion de l’égoïsme de l’instant présent pour se projeter dans le vaste avenir de l’humanité par la recherche scientifique.
Il reste néanmoins aujourd’hui nécessaire d'aller bien au-delà de démarches individuelles. Si la science porte en elle potentiellement cette dimension de “faire le bien” commun, il revient au prolétariat, comme classe révolutionnaire, organisée, solidaire et consciente, l’immense tâche de faire sortir l’humanité de sa préhistoire en la libérant des chaînes du joug de l’exploitation capitaliste. Quelles que soient les plus grandes découvertes scientifiques à l’avenir, seul la victoire internationale du prolétariat permettra l’épanouissement du genre humain.
Sosso, 18 mars 2018
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Dans les EHPAD, les hôpitaux, à Air France, à Carrefour, chez les éboueurs, dans les Universités, chez les cheminots… les journées de grève se multiplient depuis plusieurs semaines. Il faut dire que le président Macron et son gouvernement frappent fort. Hier la “loi travail”, aujourd’hui la réforme de la SNCF, demain une nouvelle attaque généralisée contre le régime des retraites. Partout et pour tous les travailleurs et leur famille : baisse des salaires et des prestations sociales, suppressions de postes et augmentation des cadences, flexibilité et précarité, paupérisation des retraités et chasse aux chômeurs.
TOUTE LA CLASSE OUVRIERE EST ATTAQUÉE !
Comment faire face à cette nouvelle dégradation de nos conditions de vie ? comment nous organiser ? Comment développer notre unité et notre solidarité ?
Ces 15 dernières années, la seule fois où la classe dominante, son gouvernement et son État démocratique ont vraiment reculé, c’était lors du mouvement contre le CPE (1) au printemps 2006. Pourquoi ? Ce mouvement social, initié par les étudiants conscients d’être de futurs travailleurs précaires, s’est développé de manière spontanée en plaçant au centre de ses mobilisations la solidarité entre les générations ouvrières. La jeunesse précarisée y a redécouvert l’importance vitale des Assemblées Générales souveraines et autonomes. Grâce à ses débats très animés, elle a pris conscience que son combat n’était pas un combat particulier mais qu’il appartenait à toute la classe ouvrière. C’est pourquoi les étudiants en lutte ont ouvert leurs AG aux lycéens, aux chômeurs, aux travailleurs et aux retraités. A chaque manifestation, les cortèges étaient ainsi plus imposants. A chaque manifestation, d’autres secteurs de la classe ouvrière rejoignaient le combat. Les slogans qui fleurissaient alors étaient révélateurs de cette recherche de l’unité : “Jeunes lardons, vieux croûtons, la même salade” ; “Étudiants, lycéens, chômeurs, travailleurs précaires, du public et du privé, même combat contre le chômage et la précarité !” Le mouvement des étudiants contre la précarité commençait à gagner les travailleurs du secteur privé, obligeant le gouvernement Villepin à retirer le CPE.
Voilà ce qui a fait peur à la bourgeoisie en 2006 : l’extension de la lutte et la solidarité de toute la classe ouvrière, toutes générations confondues. Cette dynamique de prise en main de la lutte par les étudiants (obligés pour la plupart de faire des petits boulots pour survivre et financer leurs études), le développement de la solidarité, les assemblées générales massives, les mots d’ordre mettant en avant l’unité de toute la classe ouvrière, la contestation des syndicats… voilà ce qui fait la force de la classe exploitée.
Le mouvement social actuel s’inspire-t-il de cette victoire de 2006, de ce qui a fait notre force, notre unité dans la lutte ? En apparence, on veut nous le faire croire. Les assemblées générales des cheminots dans les gares sont médiatisées. Les syndicats se présentent “unis”, “combatifs” et même “imaginatifs” (la trouvaille de la grève “perlée” !). On nous promet la victoire, voire un nouveau “Mai 68" !
Est-ce la réalité ? Non ! Parce que derrière la façade de “l’unité syndicale” se cachent les pires divisions corporatistes et sectorielles : les grèves sont isolées les unes des autres ; chaque secteur met en avant “ses” mots d’ordre particuliers, ses propres journées d’action.
Parce que derrière “l’inventivité syndicale” de la grève “perlée” se cache le poison de la division : le but recherché par les syndicats est de rendre cette grève de cheminots impopulaire, de monter les travailleurs les uns contre les autres, d’exaspérer à terme ceux qui ne peuvent pas se rendre à leur travail ou rentrer chez eux le soir “à cause de la grève des cheminots”. C’est une vieille tactique qu’on connaît bien et qui vise uniquement à empêcher toute expression de solidarité avec les grévistes qui “foutent le bordel” (comme le disait si bien le président Macron, peu de temps après son arrivée au pouvoir et qui persiste et signe en déclarant aujourd’hui “Il faut cesser de prendre les gens en otage !”).
Parce que derrière les “caisses de solidarité” mises en place par les syndicats se cache une attaque contre la solidarité réelle des travailleurs : la solidarité active dans la lutte est remplacée par un soutien platonique “par procuration” en vue d’une grève “perlée” longue.
Enfin, parce que derrière “la combativité syndicale” se cache en réalité un mouvement impuissant et épuisant : totalement isolés du reste de leur classe, les cheminots risquent de subir d’importantes pertes de salaire et surtout la démoralisation liée à la défaite.
Face au mécontentement social grandissant, la bourgeoisie a isolé un secteur clé et symbolique, celui des cheminots, pour lui imposer encore une fois une défaite visible par tous et ainsi propager son message : lutter ne sert à rien. La lutte ne paie pas.
Il s’agit là d’un piège maintes fois utilisé pour diviser les travailleurs par secteurs, par corporations et épuiser leur combativité pour faire passer les attaques et autres “réformes” du gouvernement et du patronat.
Souvenons-nous de la grève des cheminots en 1986-87. Après plusieurs semaines de paralysie des transports, les ouvriers isolés et enfermés dans leur “secteur” par les syndicats ont repris le travail sans avoir rien obtenu.
Rappelons-nous les grèves et manifestations de 2003 dans le secteur de l’Education Nationale. Pendant plusieurs longues semaines, les enseignants se sont battus. Mais cette mobilisation, au lieu d’être une locomotive pour une lutte plus globale, est restée totalement isolée du fait de son très fort encadrement syndical. Une cuisante défaite s’en est suivie, ce qui a permis au gouvernement Raffarin d’affirmer cyniquement : “Ce n’est pas la rue qui gouverne !”
Cette même stratégie avait été utilisée en 2010-2011 : tout le secteur public avait été soigneusement coupé du privé grâce au sale travail des syndicats. Durant des mois, les cortèges syndicaux, forts parfois de plusieurs centaines de milliers de manifestants, se sont succédé. Véritables défilés stériles et impuissants face auxquels le président Sarkozy avait pu souligner que le pouvoir n’était pas dans la rue (en ne se privant pas de rappeler également qu’il fallait “en finir avec l’esprit de 68” !).
Aujourd’hui, c’est le même piège qui nous est tendu. Ce que veut la classe dominante c’est empêcher le très fort mécontentement social contre les “réformes” de Macron d’exploser. Ce qu’elle vise, c’est étouffer dans l’œuf cette colère pour pouvoir faire passer toutes les réformes et attaques planifiées dans la feuille de route du président Macron.
Il doit être clair que confier notre lutte aux syndicats, ne peut que nous conduire vers la défaite. Nous devons discuter et réfléchir au sale travail des syndicats, ces diviseurs professionnels qui s’unissent contre nous en utilisant aujourd’hui la colère légitime des cheminots. Nous devons dénoncer leur pratique anti-ouvrière, leur duplicité et complicité avec le gouvernement et le patronat.
La grève “perlée” que les grandes centrales syndicales comme la CGT, CFDT, FO ont organisée (en “négociant” dans le dos des travailleurs, dans le secret des cabinets ministériels) ne permet pas de développer la lutte. Bien au contraire, elle vise à la saboter ! La grève “reconductible”, isolée et “illimitée”, préconisée par SUD-Rail, est tout aussi néfaste. Elle nous coupe de toute solidarité en empêchant l’unification de notre combat. La fameuse “convergences des luttes”, chère au syndicalisme “radical”, n’est qu’une variante du corporatisme pour nous maintenir isolés les uns des autres. Cette idée de “convergence”, mise en pratique dans certains cortèges qui se rejoignent par une simple juxtaposition, s’oppose radicalement à la nécessaire unification des luttes. L’unification, signifie combat unitaire, par-delà les secteurs, brisant toutes les barrières édifiées par les syndicats. Cette unification des luttes passent nécessairement par les Assemblées Générales massives où tout le monde peut participer, sur les lieux de travail, dans la rue, sur les places publiques, dans les quartiers, dans les universités.
Contrairement à ce que veulent faire croire les syndicats et toute la bourgeoise, la classe ouvrière est parfaitement capable de prendre elle-même ses luttes en main sans avoir à la confier à des “spécialistes”. Toutes les grandes expériences du passé en sont la preuve… En Mai 1968, les ouvriers avaient été capables de lutter massivement, spontanément, en s’opposant aux syndicats et en déchirant leur carte syndicale. Les étudiants qui ont organisé le mouvement massif contre le CPE en 2006 n’ont pas laissé les syndicats leur confisquer leur lutte. En Pologne en août 1980, les ouvriers des chantiers navals de Gdansk ont été capables de développer une grève de masse qui s’est étendue à tout le pays, sans aucun syndicat, avec des délégués élus et révocables à tout moment par les Assemblées Générales. Seule la classe ouvrière peut défendre elle-même ses propres intérêts contre ses exploiteurs.
Aujourd’hui, face à cette nouvelle manœuvre de la bourgeoisie et de ses syndicats pour saboter toute velléité de lutte et toute réflexion sur les expériences du passé, non seulement en France mais aussi dans d’autres pays, les ouvriers les plus combatifs et conscients doivent chercher à se rassembler. Ils doivent discuter, réfléchir ensemble à la situation de plus en plus dramatique que nous impose le capitalisme. Cela quelle que soit la clique au pouvoir. Quel avenir ce système d’exploitation peut-il offrir aux ouvriers et à leurs enfants ? Rien d’autre qu’une misère croissante et une barbarie sans fin. Comment peut-on lutter non seulement pour nous-mêmes mais aussi pour les générations futures ?
Autant de questions qui ne peuvent trouver de réponse pratique que dans la discussion et la réflexion collective.
Le seul avenir possible pour la société est entre les mains de la classe ouvrière, une classe qui n’a rien à perdre que ses chaînes et un monde à gagner.
Révolution Internationale, section du CCI en France, 19 avril 2018
1 Contrat Première Embauche, rebaptisé par certains étudiants “Contrat Poubelle Embauche”.
En raison de la manifestation du 26 mai, l'horaire de notre réunion publique du même jour à Paris est modifié. Nous invitons les participants à rejoindre notre intervention sur la manifestation avant la réunion publique qui commencera à 18h.
Lors de celle-ci, une petite restauration sera offerte.
Dans l’État et la Révolution, Lénine écrivait : “Du vivant des grands révolutionnaires, les classes d’oppresseurs les récompensent par d’incessantes persécutions ; elles accueillent leur doctrine par la fureur la plus sauvage, par la haine la plus farouche, par les campagnes les plus forcenées de mensonges et de calomnies. Après leur mort, on essaie d’en faire des icônes inoffensives, de les canoniser pour ainsi dire, d’entourer leur nom d’une certaine auréole afin de “consoler” les classes opprimées et de les mystifier ; ce faisant, on vide leur doctrine révolutionnaire de son contenu, on l’avilit et on en émousse le tranchant révolutionnaire”. Effectivement, du vivant de Marx, la bourgeoisie a tout fait pour l’empêcher d’agir en le diabolisant, en le persécutant de son arsenal policier.(1) Après sa mort, elle a tout fait pour dénaturer son combat pour détruire le capitalisme et permettre l’avènement du communisme.
L’ensemble des publications, des émissions de radio ou de télévision, produites à l’occasion du 200e anniversaire de la naissance de Marx, ne dérogent pas à la règle. De nombreux universitaires saluent désormais les apports de Marx à l’économie, à la philosophie ou à la sociologie, tout en le présentant comme un penseur “hors de la réalité”, totalement “dépassé” ou qui se serait complètement trompé sur le terrain politique : il ne s’agit ni plus ni moins que d’émousser son “tranchant révolutionnaire” et militant ! Un des arguments mis en avant aujourd’hui est le fait que Marx ne serait qu’un “penseur du XIXe siècle”,(2) son œuvre ne permettrait donc pas de comprendre l’évolution ultérieure des XXe et XXIe siècles. Une perspective révolutionnaire n’aurait donc, aujourd’hui, aucune validité. La classe ouvrière n’existerait d’ailleurs plus et son projet politique ne pourrait mener qu’à l’horreur stalinienne. Tout l’aspect politique de l’œuvre de Marx serait finalement à jeter aux poubelles de l’histoire.
Mais un volet plus subtil de cette propagande affirme qu’il faudrait piocher chez le Marx, le Marx “actuel”, ce qui pourrait en fin de compte valider la défense de la démocratie, du libéralisme et la critique de l’aliénation. Au fond, il s’agirait de comprendre Marx, non comme le militant révolutionnaire qu’il était, mais comme un penseur dont certain aspects de l’œuvre permettraient de “comprendre” et d’améliorer un capitalisme qui, livré à lui-même, “non régulé” par le contrôle de l’État, engendrerait des inégalités et des crises économiques. Au sein de la bourgeoisie, la plupart préfèrent ainsi récupérer Marx en le présentant comme un “économiste de génie”, qui aurait pressenti les crises du capitalisme, qui aurait prédit la mondialisation, l’accroissement des inégalités, etc.
Parmi les thuriféraires de Marx, nombreux aussi sont ses soi-disant héritiers qui, depuis un siècle, des staliniens aux gauchistes, y compris les trotskistes, n’ont cessé, dans le même sens, de défigurer, de dénaturer, de salir le révolutionnaire Marx en le transformant, comme le dénonçait justement par avance Lénine, en icône quasi-religieuse, en le canonisant, en lui dressant des statues. Tout cela, pour présenter mensongèrement, comme du socialisme ou du communisme, la poursuite de la domination du capitalisme dans sa période de décadence, à travers une défense particulière et inconditionnelle de la forme prise par la contre-révolution, celle de la domination du capitalisme d’État selon le modèle édifié en URSS, dans les pays de l’ex-bloc de l’Est ou la Chine.
Avant tout, il est nécessaire de dire avec Engels que Marx était d’abord un révolutionnaire, c’est-à-dire un combattant. Son travail théorique est incompréhensible sans ce point de départ. Certains ont voulu faire de Marx un pur savant enfermé avec ses livres et coupé du monde, mais seul un militant révolutionnaire peut être marxiste. Dès sa participation au groupe des jeunes hégéliens à Berlin en 1842, la vie de Marx est un combat contre l’absolutisme prussien. Ce combat devient un combat pour le communisme lorsqu’il chercha à comprendre les causes de la misère d’une partie considérable de la société et qu’il ressentit avec les ouvriers parisiens les potentialités que recèle la classe ouvrière. C’est ce combat qui fit de lui un exilé chassé d’un pays à l’autre et qui le poussa dans une misère qui causa notamment la mort de son fils. Il est, à ce propos, véritablement obscène d’attribuer, comme l’a laissé entendre une émission d’Arte, la misère de Marx au fait que ni lui ni sa femme ne savaient gérer le budget familial parce qu’ils étaient originaires de couches sociales aisées. En réalité, tout imprégné de la solidarité prolétarienne, Marx usait régulièrement de ses faibles revenus pour les besoins de la cause révolutionnaire !
Par ailleurs, et contrairement à ce que dit Jonathan Sperber, Marx n’est pas un “journaliste”, mais un militant qui savait que le combat, d’abord contre la monarchie autoritaire prussienne, puis contre la bourgeoisie, exige un travail de propagande qu’il assumera dans La Gazette Rhénane, puis dans La Gazette allemande de Bruxelles et Les Annales franco-allemandes, enfin dans La Nouvelle Gazette Rhénane. Comme combattant, Marx s’investit dans le combat de la Ligue des Communistes et répondit à un mandat donné par la Ligue pour l’écriture d’un texte majeur du mouvement ouvrier : le Manifeste du Parti communiste. C’est aussi parce qu’il est un lutteur (comme l’indique le titre de la biographie réalisée par Nicolaïveski et Maechen-Helfen) que la préoccupation du regroupement des révolutionnaires et de leur organisation sera au cœur de son activité. De la même manière, l’ensemble de son œuvre théorique a pour moteur le combat au sein de la classe ouvrière.
Marx a pu développer une immense élaboration théorique car il est parti du point de vue la classe ouvrière, classe n’ayant rien à défendre dans le capitalisme et n’ayant “à perdre que ses chaînes” par sa lutte contre son exploitation. C’est en partant de ce postulat qu’il a compris que ce combat contenait potentiellement la fin de l’exploitation de l’homme par l’homme dans laquelle l’humanité se débat depuis l’apparition des classes sociales et que la libération de la classe ouvrière permettrait l’avènement de l’humanité réunifiée, c’est-à-dire dire du communisme. Lorsque Jacques Attali affirme que Marx est un “père fondateur de la démocratie moderne”, il n’est qu’un falsificateur au service de la bourgeoisie qui nous présente la société actuelle comme la meilleure qui soit. Le but de cette propagande est d’empêcher la classe ouvrière de comprendre que la seule perspective possible pour sortir de l’horreur du capitalisme agonisant est le communisme.
C’est aussi en partant des besoins de la classe ouvrière que Marx a établi une méthode scientifique, le matérialisme historique, permettant à la classe ouvrière d’orienter son combat. Cette méthode critique et dépasse la philosophie de Hegel, tout en remettant “sur ses pieds” ce qu’avait découvert ce dernier, à savoir que la transformation de la réalité est toujours un processus dialectique. Cette méthode lui a permis de tirer les leçons des grandes luttes de la classe ouvrière comme celles de 1848 et de la Commune de Paris. Sa transmission aux générations suivantes de révolutionnaires, comme à celles de la Gauche Communiste, a également permis de tirer les leçons de l’échec de la vague révolutionnaire de 1917. La démarche de Marx est vivante : c’est en examinant la réalité avec sa méthode et en la confrontant aux résultats obtenus que les révolutionnaires peuvent enrichir la théorie.
En partant du point de vue de la classe ouvrière, il a également pu saisir qu’il était essentiel de comprendre contre quoi la classe ouvrière se bat et ce qu’elle doit détruire pour se libérer de ses chaînes. Il s’est donc engagé dans l’étude des fondements économiques de la société pour en faire la critique. Cette étude lui a permis de montrer que le fondement du capitalisme est l’échange marchand et que c’est l’échange qui est à la base du rapport salarial, c’est-à-dire du rapport d’exploitation de l’homme par l’homme dans le capitalisme. Il est intéressant de comparer ce résultat fondamental avec ce qu’en fait Libération dans sa célébration de l’anniversaire de sa naissance : Karl Marx “montre que l’achat de la force de travail par le capitaliste pose un problème d’incertitude quant à la réalité de l’effort fourni par les salariés” ; en d’autres termes, si on pouvait mesurer le travail de l’ouvrier pour que son effort soit supportable, l’exploitation de l’homme par l’homme serait une bonne chose ; voilà un bon exemple de la façon dont Marx est utilisé pour justifier le capitalisme ! Cela, alors que pour Marx “l’achat de la force de travail” signifie “production de plus-value” et donc exploitation !
C’est aussi à travers l’aspect profondément militant de ses travaux théoriques que Marx a pu dégager, d’une part que le capitalisme n’est pas éternel et que, comme les modes de production qui l’ont précédé, ce système rencontre des limites et entre historiquement en crise car “à un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n’en est que l’expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s’étaient mues jusqu’alors. De formes de développement des forces productives qu’ils étaient, ces rapports en deviennent des entraves. Alors s’ouvre une période de révolution sociale” (Contribution à une Critique de l’économie politique). D’autre part, Marx démontre que le capitalisme produit son propre fossoyeur : le prolétariat, qui est à la fois la dernière classe exploitée de l’histoire, dépossédée de tout et la seule classe sociale potentiellement révolutionnaire par la nature associée et solidaire de son travail, une classe qui, en s’unissant au-delà des frontières, est la seule force capable de renverser le capitalisme au niveau mondial pour établir une société sans classes et sans exploitation.
En fin de compte, les “grandes analyses” du XXe et du XXIe siècle qui prétendent, en restant à la surface des événements, soit que la pensée de Marx est dépassée, soit qu’elle est toujours d’actualité parce qu’elle serait “économiste”, celle d’un “précurseur génial” des théories altermondialistes actuelles pour “corriger les excès” du capitalisme, n’ont pour but que de masquer la nécessité de la lutte pour la révolution prolétarienne.
L’identification de la classe ouvrière comme le seul acteur ayant la possibilité de renverser le capitalisme et permettre l’avènement du communisme allait de pair, pour Karl Marx, avec la nécessité pour le prolétariat de s’organiser. Sur ce plan, comme sur les autres, la contribution de Marx est essentielle. Dès 1846, il s’investit dans un “comité de correspondance” afin de mettre en rapport des socialistes allemands, français et anglais parce que, selon ses propres mots, “au moment de l’action, il est certainement d’un grand intérêt, pour chacun, d’être instruit de l’état des affaires à l’étranger aussi bien que chez lui”. La nécessité de s’organiser va se concrétiser dans sa participation constante aux luttes pour la constitution et la défense d’une organisation révolutionnaire internationale au sein du prolétariat. La lutte pour le communisme et la plus profonde compréhension de ce représentera cette lutte le poussera à mener le combat pour la transformation de la Ligue des Justes en Ligue des Communistes en 1847, ainsi qu’à la clarification du rôle que cette organisation devait jouer au sein de la classe ouvrière. C’est parce qu’ils avaient une conscience aiguë de ce rôle que Marx et Engels défendront la nécessité d’un programme au sein de la Ligue des Communistes, ce qui aboutira à l’écriture du Manifeste du Parti Communiste en 1848.
La Ligue des Communistes ne résistera pas aux coups de la répression après la défaite des révolutions de 1848. Mais dès que les luttes reprendront au début des années 1860, d’autres efforts d’organisation vont se manifester. Marx va s’investir, dès ses débuts, dans l’Association Internationale des Travailleurs (AIT) en 1864. Il aura un rôle majeur dans la rédaction de ses statuts et sera l’auteur de l’Adresse inaugurale. Sa conviction sur l’importance de l’AIT et sa clarté théorique vont faire de lui la personne centrale de l’organisation. Tant dans la Ligue des Communistes que dans l’AIT, il mena une lutte déterminée pour que ces organisations assument leur fonction. Ses préoccupations théoriques n’ont jamais été séparées des besoins de la lutte. C’est pour ces raisons que, dans la Ligue des Communistes, il s’exclamera face à Weitling “Jusqu’à présent, l’ignorance n’a servi à personne” parce que ce dernier prônait une vision utopiste et idéaliste du communisme. C’est aussi pour cela qu’il luttera au sein de l’AIT contre Mazzini qui voulait que l’organisation ait pour objectif la défense d’intérêts nationaux et contre Bakounine qui complotait pour prendre le contrôle de l’AIT et l’entraîner dans des aventures conspiratives se substituant à l’action de masse du prolétariat.
L’élaboration théorique réalisée par Marx est une formidable lumière éclairant la société bourgeoise tant au XIXe siècle que dans les deux siècles suivants. Mais si on considère cette élaboration uniquement comme “compréhension du monde” à l’instar de tous les pseudo-experts de la bourgeoisie qui célèbrent cette année sa naissance, son œuvre restera entourée d’un halo de mystère. Au contraire, alors que la bourgeoisie cultive le no future, la classe ouvrière doit se libérer de ses chaînes. Pour cela, elle doit non seulement se servir des découvertes théoriques de Marx, mais s’inspirer de sa vie de lutteur, de militant. Les moyens qu’il a su développer étaient toujours en plein accord avec le but même de la lutte prolétarienne : “transformer” le monde !
Vitaz, 15 juin 2018
1 Ainsi, Engels a déclaré lors des funérailles de Marx : “Marx était l’homme le plus haï et le plus calomnié de son temps. Les gouvernements absolutistes ou républicains l’ont déporté. Bourgeois, conservateurs ou démocrates se sont unis contre lui”.
2 Notamment dans la récente biographie de l’universitaire américain Jonathan Sperber, qui a bénéficié d’une large promotion dans les médias, précisément intitulée Karl Marx, homme du XIXe siècle.
Face au torrent de “célébrations” sur la façon dont les femmes (ou quelques femmes) ont obtenu le droit de vote en 1918, nous sommes heureux de publier la traduction de la courte réponse d’un camarade qui s’est rapproché des positions de la Gauche Communiste, et ainsi des idées de Sylvia Pankhurst en 1918 qui a démontré que l’acquisition du droit de vote n’était qu’une tromperie visant à endiguer le flot révolutionnaire provoqué par les horreurs de la Première Guerre mondiale.
CCI
La Fédération Socialiste des travailleurs est apparue d’abord sous le nom de Fédération de l’Est de Londres de l’Union Sociale et Politique des Femmes (WSPU), principale organisation pour le droit de vote des femmes, dirigée par Emmeline et Christabel Pankhurst. À l’inverse du WSPU, la Fédération de l’Est de Londres (UPMS) était composée d’une grande majorité de femmes de la classe ouvrière (opposées aux classes moyennes), et ouverte aux hommes. Sylvia Pankhurst était donc concernée par les réformes sociales et l’action industrielle pour l’amélioration des conditions de vie désastreuses de la classe ouvrière, alors que le WSPU avait fait de la lutte pour le droit de vote féminin son cheval de bataille et visait à attirer les femmes de la classe moyenne. La nature ouvrière et la radicalité réformatrice de la Fédération de Londres-Est entraîna son expulsion du WSPU en 1914.
Pendant la Première Guerre mondiale, la plus grande partie du mouvement international pour le suffrage féminin (par exemple le WSPU en Grande Bretagne ou la National American Woman Suffrage Association aux États-Unis) s’est ralliée au soutien à l’effort de guerre de leur pays, s’engageant dans une propagande patriotique/nationaliste pro-guerre. La guerre a exacerbé la pauvreté et les difficultés de la classe ouvrière dans l’Est de Londres et Sylvia Pankhurst avait tenté vainement d’alléger les souffrances des travailleurs par la charité et en faisant pression pour des réformes et des coopératives.
La révolution russe a conduit à un changement radical de la politique de Sylvia Pankhurst. En effet, le nom de son organisation a évolué de “Fédération des Suffragettes de l’Est de Londres” en “Fédération pour le Suffrage des Femmes”, puis en “Fédération pour le Suffrage des ouvriers” et enfin “Fédération Socialiste des Ouvriers”. Le nom de son journal est passé de : La menace féminine, à : La menace ouvrière, ce qui a illustré ce changement de politique, passant des “femmes” (une catégorie interclassiste), aux “femmes ouvrières”, et enfin à la “classe ouvrière” en général et son rejet ultime de la politique du suffragisme réformiste au profit du communisme.
En 1918-1919, Sylvia Pankhurst a reconnu qu’il était inutile et en fait réactionnaire de faire campagne en faveur du droit de vote au milieu d’une vague révolutionnaire mondiale et prolétarienne. À une époque où la classe ouvrière révolutionnaire remettait en question l’existence même des Parlements et des États-Nations, la question du vote des ouvriers, des femmes ou des femmes de la classe moyenne à ces mêmes parlements bourgeois, avait perdu toute pertinence. Les parlements n’étaient plus un lieu de contestation politique important pour le prolétariat, l’avenir était à chercher dans la forme des soviets territoriaux (conseils ouvriers).
“Le Parti Communiste, estimant que les instruments de l’organisation et de la domination capitaliste ne peuvent être utilisés à des fins révolutionnaires, s’abstient de toute participation au parlement et au système de gouvernement local bourgeois. Il ne manquera pas d’expliquer sans relâche aux ouvriers que leur salut ne réside pas dans les organes de la “démocratie” bourgeoise, mais dans les Soviets Ouvriers.
Le Parti Communiste refuse tout compromis avec les socialismes de droite ou centriste. Le parti travailliste britannique est dominé par les opportunistes réformistes, les social-patriotes et les bureaucrates syndicaux, qui se sont déjà alliés au capitalisme contre la révolution ouvrière dans leur pays et à l’étranger. La construction et la constitution du parti travailliste britannique est telle que les masses ouvrières ne peuvent pas s’exprimer à travers lui. La classe ouvrière est et restera affiliée à la Deuxième Internationale, aussi longtemps que cette Internationale existera”. (Résolutions provisoires pour la constitution du programme du Parti Communiste, 1920).
Cette grande campagne médiatique autour de la célébration du suffragisme, et la tentative de présenter Sylvia Pankhurst comme une suffragette, plutôt que comme la militante communiste anti-parlementaire qu’elle est devenue, tout cela procède d’une offensive idéologique de la classe dirigeante : récupérer ce qui peut l’être, dissimuler ce qui ne peut être récupéré, pour réécrire l’Histoire, en laissant de côté tous les éléments révolutionnaires. D’une manière générale, il s’agit de saper la mémoire historique du mouvement de la classe ouvrière au moment du centenaire de la vague révolutionnaire mondiale de 1917-1923.
Pourquoi la classe dirigeante fait-elle tant de bruit autour de la commémoration de la Loi sur la représentation du peuple (People Act) de 1918, la présentant comme un grand moment de l’histoire britannique ? Pourquoi présente-t-elle les suffragettes comme des héroïnes nationales ? Qu’aurait pensé la Communiste de Gauche Sylvia Pankhurst de cette fête nationale ?
“Il est intéressant de noter que les obstacles juridiques qui ont été opposés à la participation des femmes au parlement et à ses élections n’ont été levés que lorsque le mouvement pour l’abolition du Parlement a été fortement encouragé par le spectacle de l’effondrement du parlement russe et la création des Soviets.
Les événements de Russie ont suscité une réponse à travers le monde, pas seulement parmi la minorité qui était favorable à l’idée du Communisme des Conseils, mais aussi parmi les tenants de la réaction. Ces derniers étaient parfaitement conscients de la croissance du soviétisme lorsqu’ils ont décidé de jouer la carte de la vieille machine parlementaire en accordant à certaines femmes à la fois le droit de vote et le droit d’être élues”. (La menace ouvrière, 15 décembre 1923).
N’est-il pas vrai que tous ceux qui célèbrent le droit de vote sont englués dans la défense de la démocratie ?
“Même s’il était possible de démocratiser les rouages du parlement, il garderait son caractère intrinsèquement anticommuniste : le roi pourrait être remplacé par un président, toute trace du Bureau actuel abolie, la Chambre des Lords pourrait disparaître ou être transformée en Sénat, la Premier ministre choisi par un vote majoritaire au parlement ou élu par un référendum populaire, le Cabinet pourrait être choisi par référendum ou devenir un Comité exécutif élu par le parlement. Les lois parlementaires pourraient être ratifiées par référendum…, malgré tout cela, le parlement resterait une institution non communiste.
Sous le communisme, nous n’aurons pas un tel mécanisme de législation et de coercition. L’activité des Soviets sera d’organiser la production et la fourniture de services pour tous ; ils ne peuvent avoir aucune autre fonction durable”. (S. Pankhurst, 1922)
Craftwork, 12 février 2018
L’histoire de la Turquie, particulièrement dans la période récente, est complexe et nous ne pouvons pas traiter ce sujet dans un seul article. Nous avons publié un autre article sur la “question kurde” inséparable de cette thématique, dans laquelle nous montrons que la revendication pour l’auto-détermination nationale était déjà un anachronisme au tournant du siècle précédent.
Si nous jetons un œil sur quelques exemples significatifs des opérations menées par l’État turc depuis sa création, et particulièrement depuis les années 1990, le développement général de la crise économique, de la répression, du militarisme et de l’irrationalité, facteurs qui ont marqué le XXe siècle et le début du XXIe, sont clairement identifiables. Quels ingrédients de la décadence du capitalisme ? Quels éléments spécifiques au passé de la Turquie affectent et influent la situation présente de cet État totalitaire, militarisé et toujours plus islamisé ? La gravité de cette situation est-elle le résultat de l’ambition débridée d’un seul homme et de sa “vision” ou ne reflète-t-elle pas plutôt les dernières contorsions de l’impérialisme turc dans le chaos grandissant au Moyen-Orient, imposé par le capitalisme en décomposition ?
Tout d’abord, revenons presque 1000 ans en arrière avec la bataille de Manzikert en 1071, où une tribu turcique originaire d’Asie Centrale mis en déroute les chrétiens à Byzance, provoquant une chaîne d’événements qui permirent aux Turcs seldjoukides de prendre possession des terres correspondant au territoire de la Turquie moderne et de créer un empire s’étendant jusqu’à la Palestine actuelle, l’Irak, l’Iran et la Syrie, jetant dès lors les bases pour la construction du grand Empire ottoman transcontinental. La bataille de Manzikert (fait pour le moins obscur) est importante pour notre investigation car elle a été de nombreuses fois mentionnée récemment par Erdogan, le président de la Turquie. Que cette histoire ne soit en grande partie que mensonges, exagérations et idées chimériques lui importe peu, tout comme à n’importe quel autre politicien calomnieux qui voudrait nous transporter vers le mythique “passé glorieux de la nation”. Cela n’empêchera pas Bilal Erdogan, le fils de Recip, en charge de la politique éducative en Turquie (qui à cause de ses tractations financières – et celles de sa famille – avec Daesh, a gagné le surnom de “ministre du pétrole de l’État islamique”), de marteler l’exemple de Manzikert dans les désormais très islamisées écoles turques.
Les écoles religieuses, les Imam Hatip Lisesi (IHL), sont passées de 23 000 à plus d’un million d’élèves en l’espace d’un an. Dans la plupart des cas, la théorie de l’évolution et la physique ont été abandonnées ou reléguées au second plan, avec des milliers d’enseignants intimidés, limogés ou emprisonnés afin que le djihad puisse être enseigné, sous la surveillance d’une police religieuse, à ce que le président Erdogan appelle désormais la “génération pieuse”. Le Wall Street Journal a d’ailleurs récemment appelé la Turquie “l’autre État islamique”.
En dehors des préparatifs d’Erdogan pour le millième anniversaire de 1071, il a également exposé sa vision des défis à venir pour la “Nouvelle Turquie” dans les deux prochaines décennies. Lors de manifestations férocement nationalistes, imprégnées des attributs de l’Empire ottoman, incluant des soldats en tenue traditionnelle s’exerçant au maniement du cimeterre alors que d’autres jouaient sur des instruments ottomans, Erdogan a parlé de l’émergence de la “Nouvelle Turquie” ainsi que des projets pour les vingt prochaines années, tout cela basé sur la “Grande Vision” qu’il a présentée au 4e Congrès de son Parti de la Justice et du développement (AKP). Il a par conséquent prédit que la Turquie deviendrait l’“épicentre” d’un nouveau Moyen-Orient dans lequel elle aura un rôle central de modèle : “Une grande nation, un grand pouvoir (…) où les frères et sœurs arabes soudés par une même civilisation et une histoire commune […] travailleront ensemble”.
Erdogan est souvent enclin aux vociférations, à la versatilité et l’exagération mais il n’y a aucun doute sur le fait que, sous son règne, l’impérialisme turc va tenter de se réaffirmer au Moyen-Orient et au-delà.
La louange du passé par Erdogan jette les bases de sa vision du nouvel “Empire” turc. Le centenaire de la fondation de l’État turc en 2023, thème très souvent vanté par Erdogan et au sujet duquel il fait lui-même campagne, porte l’idée que son pays deviendra aussi puissant et influent que l’Empire ottoman l’était durant son apogée. Aujourd’hui, la Turquie devient bel et bien “l’épicentre” mais l’épicentre de la décomposition capitaliste où les tendances centrifuges, la corruption, l’utilisation cynique des réfugiés, la dette et la guerre prédominent.
La Turquie est à la fois une barrière et un pont entre deux continents, au centre même des rivalités impérialistes qui remontent bien avant l’existence de ce pays. Par ailleurs, sa position géographique ainsi que sa taille lui permettent de façonner les événements se produisant au Moyen-Orient, dans les Balkans et le Caucase. Son emplacement la rend apte à retenir la Russie car elle bloque le passage entre la mer Noire et les eaux chaudes de la Méditerranée.
Ce point fut d’une importance capitale au XIXe siècle pour la France et la Grande-Bretagne dans leur rivalité avec l’État tsariste. Cela était en effet un élément déterminant durant la guerre de Crimée qui se solda par la défaite russe et la signature du traité de Paris en mars 1856. Cette guerre marqua l’ascendance de la France comme grande puissance et la poursuite du déclin de l’Empire ottoman qui connut néanmoins un bref répit grâce à la Grande-Bretagne qui souhaitait le maintenir contre la Russie. Ce fut également le début de la fin pour le régime tsariste.
La Grande-Bretagne parvint à réduire et confiner la flotte russe à la mer Noire et eut le champ libre pour contrôler les mers durant les deux ou trois décennies suivantes. La guerre accéléra la décadence des parties eurasiennes et africaines de l’Empire ottoman, avec la montée des ambitions nationalistes dans les différentes parties qui le constituaient, soutenues ou influencées par la Grande-Bretagne et la France. L’Empire avait déjà été affaibli dans les années 1820 par la décadence interne de sa propre classe dominante, cette dernière trouvant son origine dans des entraves plus apparentées à du despotisme asiatique qu’à du féodalisme pré-capitaliste. Il fut incapable d’arrêter la marée du capitalisme dont le cadre est l’État-Nation et les mouvements nationalistes, qui entraînèrent l’indépendance de la Grèce en 1832, de la Serbie en 1867 et de la Bulgarie en 1878 et accélérèrent plus encore le déclin de l’Empire.
Il y existait également des tensions au sein de l’appareil d’État ottoman lui-même, avec des éléments favorables au développement du capitalisme qui, une fois implantées, fit surgir des luttes ouvrières à partir des années 1860 jusqu’au début des années 1900 [26], comme celles des ouvriers chrétiens et musulmans des chantiers navals luttant ensemble à Kasimpasha (dans l’actuelle Turquie) et des grèves de plus grande importance à Constantinople dans différentes industries impliquant des ouvriers d’ethnies et de religions différentes combattant côte à côte. Le démantèlement ultérieur de l’Empire, depuis la Bulgarie jusqu’à l’Arabie, sera exploité par les grandes puissances pendant et après la Première Guerre mondiale et, à l’image de sa décadence, l’impérialisme établira les nouvelles frontières. Le conflit mondial fut en fait le coup de grâce. La Turquie entra en guerre aux côtés de l’Allemagne après que ses ressources eurent été en grande partie appauvries durant la guerre des Balkans de 1912-13.
L’influence allemande sur les Ottomans se faisait déjà ressentir avant la guerre avec la construction de la ligne de chemin de fer Berlin-Bagdad et, de fait, l’attaque que ces derniers menèrent contre la Russie en tant que membres des Empires Centraux amena les nouveaux alliés de la Russie, la France et la Grande-Bretagne, à leur déclarer la guerre en novembre 1914.(1)
La montée du nationalisme kurde est entièrement liée à la dissolution de l’Empire ottoman. Il fit son apparition en 1880, lorsque les dirigeants ottomans usèrent principalement de forces kurdes pour protéger leurs frontières contre la Russie. Dans ce but, ils cooptèrent de puissants leaders kurdes dans leur gouvernement et ceux-ci apportèrent un soutien considérable au régime, participant au massacre des Arméniens à la fin du XIXe siècle et combattant pour lui durant la Première Guerre mondiale.
Les velléités d’indépendance kurde, encouragées par les Britanniques dans leurs propres intérêts impérialistes, furent anéanties par le traité de Lausanne en 1923. L’indépendance kurde ne pouvait survivre au choc de la Première Guerre mondiale ni à ses convulsions ultérieures et plusieurs milliers de Kurdes furent déplacés et périrent, suivant le modèle qui avait précédé la guerre.
Les Kurdes étaient majoritairement contre les politiques de laïcisation de Kemal Atatürk et son nouveau régime. De nombreuses révoltes kurdes furent brutalement réprimées par l’État turc tout au long des années 1920 et 1930.
Les restes de l’Empire ottoman en décomposition furent désossés par les puissances coloniales européennes. En 1916, les Français et les Britanniques, avec le consentement de la Russie impériale, signèrent les accords secrets de Sykes-Picot. Ces accords prévoyaient une division selon des zones d’intérêts et imposaient des frontières arbitraires, donnant ainsi naissance à la Palestine, la Syrie, l’Irak, l’Arménie, le Liban et permettant la formation de l’État turc moderne, la République de Turquie, fondée par son premier président Mustafa Kemal Atatürk en 1923. Les termes de la mise en place de la République furent codifiés par les principales puissances à travers le Traité de Lausanne en juillet 1923. Il consacra la fin officielle des conflits liés à la “Grande Guerre” et définirent les frontières de la Turquie ainsi que ses relations avec ses voisins. Celle-ci devait en outre abandonner tout droit de regard sur les restes de l’Empire ottoman.(2)
La dissolution de l’Empire, entraînant la création de “nations” sur ses cendres, illustre l’inéluctable dynamique propre à la décadence du capitalisme et son basculement total dans l’impérialisme, comme le soulignait Rosa Luxemburg en 1915 dans sa Brochure de Junius : “La politique impérialiste n’est pas l’œuvre d’un pays ou d’un groupe de pays. Elle est le produit de l’évolution mondiale du capitalisme à un moment donné de sa maturation. C’est un phénomène international par nature, un tout inséparable qu’on ne peut comprendre que dans ses rapports réciproques et auquel aucun État ne saurait se soustraire”.
De fait, le nouvel État turc naquit sur les cendres de l’Empire ottoman et fut aussitôt entraîné dans le tourbillon décadent du capitalisme, un tourbillon de violences, de guerres, de capitalisme d’État et de nettoyages ethniques. Un des premiers génocides capitalistes eut lieu sous le nouveau régime, avec la mort d’un million et demi d’Arméniens à travers les marches forcées, les viols et les meurtres en mai 1915. Un nombre similaire de Grecs furent tués par les Turcs et plus de 250 000 Assyriens à la fin de la Première Guerre mondiale. Des pogroms eurent lieu également en Turquie, comme ceux contre l’importante minorité alévie.(3)
La religion était réprouvée par la nouvelle classe dominante, la bourgeoisie naissante, ses cadres dirigeants qui avaient lutté contre l’ancien régime. Le Califat ottoman fut aboli en même temps que les tribunaux islamiques. Ils mirent à bas tous les attributs des oulémas (chefs religieux islamiques), les exclurent de l’appareil d’État et transférèrent leurs richesses et leurs propriétés vers le Trésor public.
Le combat du kémalisme contre la religion était également celui mené contre l’ancien régime. Kemal faisait partie de ceux qui, dès le début, étaient farouchement déterminés à écraser toute tentative de résistance kurde. “Il n’y eut aucun représentant kurde à la conférence de Lausanne et les Kurdes n’eurent aucun rôle à jouer parmi les minorités non-musulmanes en Turquie, c’est-à-dire les Arméniens, les Grecs et les Juifs”. Le régime de Kemal Atatürk fut renforcé par le soutien des Bolcheviks dans leur désastreuse politique étrangère qui fut rendue officielle en 1921.(4)
La république laïque était une expression des débuts du capitalisme d’État et elle fut une réponse au besoin de survie et de lutte des derniers partisans du vieil Empire. La concentration précoce du pouvoir dans l’État laïc turc explique pourquoi l’armée a toujours été centrale dans la vie politique turque.
Les kémalistes furent dans l’obligation de créer une Turquie laïque qui existait à peine dans les esprits. Il fallut donc du temps pour que celle-ci se stabilise et son emprise était loin d’être solide. La ferveur religieuse qui marqua l’incident de Menemen, une révolte d’inspiration islamiste en 1930 et les divers soulèvements kurdes, sont des exemples de ces soubresauts. Les kémalistes autorisèrent deux partis d’opposition officiels (Le Parti Républicain Progressiste en 1924, et le Parti Républicain Libre en 1930) mais les deux comportaient de nombreux et puissants éléments religieux [27] en leur sein et furent rapidement dissous par l’État.
Concernant le prolétariat, ce dernier poursuivit et accentua les luttes qui avaient émergé sous l’ancienne classe dominante ottomane. L’apparition d’une Gauche communiste, l’aile gauche du Parti communiste de Turquie, accompagna le développement de ces luttes et les deux prirent place dans un contexte très dangereux voire mortel pour les révolutionnaires et les ouvriers. C’était une expression de la vague révolutionnaire qui avait embrasé le monde et certains des militants de l’aile gauche avaient été impliqués dans les soulèvements spartakistes en Allemagne et la Révolution russe. La réalité de la situation dans laquelle se trouvaient les prolétaires démontra qu’ils étaient désormais clairement confrontés à la nature réactionnaire de la “libération nationale” et, cela, dès le début. Le 1er mai 1920 et durant une grande partie des années 1920, les grèves et les manifestations éclatèrent parmi les ouvriers de Turquie avec, fréquemment, des slogans internationalistes et des drapeaux brandis en solidarité avec les luttes de classe partout dans le monde.(5)
La Turquie demeura un puissant élément de l’impérialisme jusqu’à et pendant la Seconde Guerre mondiale. Du fait des conditions historiques, les tensions impérialistes s’étaient d’abord accentuées en Extrême-Orient et commençaient juste à resurgir en Europe. C’est pourquoi dans les années 1930, la politique de Kemal Atatürk put rester à l’écart de toute intervention étrangère, lui laissant le champ libre pour asseoir son propre pouvoir. En 1937-38, il risqua cependant la guerre avec la France en tentant d’annexer la province d’Alexandrette appartenant à la Syrie et sous contrôle français. Il y eut également des conflits avec Mossoul comme enjeu principal, mais sa politique de “non-intervention” perdura après sa mort et durant la guerre de 1939-45.
Avant cela, des factions au sein de la bourgeoisie turque désiraient s’aligner sur l’Allemagne et il y eut un pacte de non-agression entre les deux pays, mais il existait également des accords et des pactes secrets avec les Britanniques. Les Alliés furent en général satisfaits de la neutralité turque durant la guerre et de sa position empêchant à l’Allemagne l’accès au pétrole du Moyen-Orient. La Turquie refusa également que l’Allemagne puisse accéder à ses vastes ressources en chrome, élément vital pour la production militaire que les Alliés se procuraient en grande quantité ailleurs.(6) En février 1945, elle déclara la guerre aux puissances de l’Axe.
L’importante position géostratégique de la Turquie au début de la décadence du capitalisme se confirma encore davantage durant la guerre froide. Sous les auspices américaines et britanniques, la Turquie devint un des membres originels des Nations Unies en 1945, combattit pour le bloc de l’Ouest en Corée et dès 1952 était membre de l’OTAN. Juste après la Seconde Guerre mondiale, la Russie fit lourdement pression sur la Turquie afin d’établir des bases militaires sur son territoire et que sa marine puisse librement accéder aux détroits des Dardanelles et du Bosphore (la dénommée “Crise des Détroits”). Cette manœuvre fut contenue par la doctrine Truman en 1947 par laquelle l’Amérique garantissait la sécurité de la Grèce et de la Turquie contre la Russie. S’ensuivit une aide américaine considérable, à la fois économique et militaire qui fit de la Turquie un allié sûr du bloc de l’Ouest. La Turquie fut ainsi l’un des premiers pays à prendre part à l’opération Stay-behind, une structure clandestine rattachée à l’OTAN, en lien avec les services secrets, les élites bourgeoises et le crime organisé.
La classe des marchands et des petits producteurs turcs s’enrichit grâce à la guerre et leurs intérêts s’élevèrent contre les impératifs capitalistes d’État des kémalistes. Leur capacité à investir et à accumuler était entravée par les restrictions que leur imposait la mainmise centralisée des kémalistes sur le pouvoir. Consécutivement à cela se développa l’opposition légale du Parti démocratique, détrônant le Parti républicain du peuple (kémaliste) qui avait dominé la “période du parti unique” de 1923 à 1945. Le premier était en partie composé d’éléments du second et bien qu’il ait facilité le développement de l’Islam, il ne fit rien qui puisse compromettre l’appartenance de la Turquie à l’OTAN et encouragea même les rapprochements avec l’Ouest. De même, il ne soutint pas le nationalisme kurde. Les difficultés et les pénuries provoquées par la guerre couplées aux mesures d’urgence du gouvernement, affectèrent gravement de larges couches de la paysannerie. Le nouveau processus électoral donna au vote rural un poids notable.
Le seul élément de différence entre les deux partis était la position du Parti démocrate à l’égard de la religion, ce dernier exigeant un plus grand respect dans ce domaine et moins d’interférence de la part de l’État. Cela mobilisa de larges proportions de la population rurale, dont des éléments islamistes. Le PRP fut obligé d’aller courtiser les électeurs ruraux et religieux et cela entraîna un assouplissement dans la relation de l’État avec la religion.
Le bail du Parti démocrate au pouvoir prit fin avec le coup d’État de 1960, le premier d’une série de “réajustements” opérés par l’État turc entre 1960 et 1997. Le coup d’État fut mené par des éléments militaires issus de la cellule turque stay-behind. Un des héritages que légua le Parti démocrate fut le renforcement et l’expansion de l’islamisme en Turquie, phénomène également lié à l’augmentation de la production agricole, de la prospérité des marchands et de la petite bourgeoisie ainsi que du poids du vote rural. Ces derniers éléments se servirent de l’Islam comme cri de ralliement contre le régime et ils se rassemblèrent finalement en fondant le Parti du salut national en 1972.
Alors que la crise économique frappait à la fin des années 1960 et que l’aide américaine se réduisait, la rapide industrialisation et l’exode rural en Turquie entraîna des vagues toujours plus fortes de manifestations et des mouvements d’occupation de travailleurs agricoles. L’Islam non-officiel se développa parallèlement à sa version “officielle”, créant des madrasas, des clubs de jeunesse, des associations et de nombreuses publications. Divers confréries religieuses prospérèrent et des affrontements de rue armés eurent lieu entre celles-ci, les forces de sécurité, et des groupes fascistes comme gauchistes. C’est à cette époque que les Frères musulmans(7) firent leur première apparition en Turquie.
La classe ouvrière, de manière significative, resta à l’écart de ce terrain empoisonné, prenant en main ses propres moyens de lutte, les grèves et les manifestations, etc. malgré l’emprise plus ou moins grande des syndicats.
Un événement dans les années 1970 laissa présager la période à venir de décomposition dans laquelle les structures des blocs devaient devenir de plus en plus instables et les tendances centrifuges prévaloir. La Turquie envahit en effet la République de Chypre en 1974, donnant naissance à la République turque de Chypre du Nord, reconnue seulement par la Turquie à ce jour. Cela fut significatif dans la mesure où c’était une guerre entre deux pays membres de l’OTAN. C’était déjà une indication de la manière dont les tendances au “chacun pour soi” allaient s’imposer par l’éclatement du bloc russe quinze ans plus tard.
Un autre signe annonciateur de la décomposition, qui n’était pas lié directement aux ambitions impérialistes de l’État turc, fut la “troisième voie” (entre les deux blocs)” prônée par des groupes maoïstes turcs. Ces forces menèrent une “guerre populaire” dans les années 1970 et 1980, influencèrent le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) kurde et (ce ne serait pas la dernière fois) rassemblèrent des éléments de la gauche capitaliste et du fondamentalisme islamique.
Le coup d’État militaire de 1971 avait pour but la gestion d’un état de chaos qui englobait à la fois une agitation ouvrière et la montée de mouvements fascistes et islamistes foncièrement agressifs. Le haut commandement militaire prit le pouvoir avec le soutien des États-Unis et poursuivi la guerre de classe contre les travailleurs tout en établissant des politiques visant à juguler les groupes gauchistes et séparatistes kurdes.
La Turquie devint particulièrement importante pour les États-Unis dans la région suite au renversement d’un de ses pions majeurs dans la région, le Shah d’Iran, à la fin des années 1970, tout en étant elle-même proche du chaos avec à la fois les manifestations et grèves ouvrières, une inflation à trois chiffres, l’agitation maoïste et la montée du groupe fasciste les “Loups Gris” travaillant ouvertement main dans la main avec l’État. Le 1er mai 1977 sur la place Taksim, un demi-million de personnes manifesta. La répression d’État fit des dizaines de morts, de nombreux blessés et des milliers d’arrestations. Ces bouleversement amenèrent le coup d’État militaire de 1980 appuyé par les États-Unis et la Grande-Bretagne et impliquant la CIA, la firme américaine ITT et des forces de la cellule stay-behind. L’ordre militaire fut restauré. En 1997, la Turquie possédait alors la deuxième plus grande armée de l’OTAN avec plus de 700 000 soldats.
Le reste des années 1980 montra une bourgeoisie turque contrôlant relativement la situation, procédant même à une demande d’adhésion à la CEE (dont elle était un membre associé depuis 1963). L’événement principal de cette période (que nous détaillons dans un autre article) fut l’insurrection du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) fondé en 1978 et la réponse musclée que l’État turc offrit à la terreur que le PKK propagea. (A suivre…)
Boxer, 25 novembre 2017
1 L’analyse de Rosa Luxemburg sur la Question Polonaise [28] en 1896 est à ce titre éclairante, ainsi que des passages de sa Brochure de Junius. Tout aussi pertinente est La Guerre des Balkans, 1912-1913 par Léon Trotski.
2 Erdogan a récemment exprimé [29] son “amertume pour ce que nous avons perdu à Lausanne” et a déclaré que le traité “n’était pas irréfutable” tout en l’estampillant de “honte pour la nation”.
3 Les Alévis forment environ un quart de la population turque. C’est une branche étendue et plutôt souple de la religion chiite, qui n’accepte pas la Charia et dans laquelle les femmes bénéficient d’une plus grande égalité que dans l’Islam traditionnel. Sa direction a eu tendance à soutenir des éléments laïques en Turquie, plus pour se protéger que pour autre chose.
Plusieurs pogroms éclatèrent contre eux dans les années 1980 et 1990. Erdogan déclara qu’il les soutiendrait (tout comme il le prétendit pour les Kurdes) mais, au lieu de cela, il les a marginalisés et isolés davantage.
4 Cette politique désastreuse de l’IC conduisit à livrer les communistes turcs pieds et poings liés à Kemal Atatürk qui a mené très rapidement une politique de répression impitoyable contre eux, mettant le PC hors-la-loi et jetant ses membres par milliers dans les geôles du pays ou en les faisant pendre.
5 Voir brochure du CCI en anglais sur l’aile gauche du Parti Communiste turc : The Left Wing of the Turkish Communist Party.
6 La Turquie possède les plus larges stocks de chrome, essentiel pour renforcer l’acier et par conséquent indispensable pour la production d’armement. Pour une étude plus approfondie, voir : The Sinews of War : Turkey, Chromite and the Second World War.
7Les Frères Musulmans sont une branche dure de l’Islam sunnite qui, depuis au moins les années 1930, a construit la base de son pouvoir à travers les œuvres de “charité” islamiques. L’administration Trump tente actuellement de la faire reconnaître comme “organisation terroriste étrangère” alors que le gouvernement britannique l’a reconnue et l’a supportée jusque très récemment. Elle était à la base financée par les Saoudiens mais ils ne la reconnaissent plus désormais. Erdogan était proche des Frères Musulmans lorsque ceux-ci furent élus en Égypte en 2012. Par la suite, leur éviction du pouvoir eut un coût élevé en vies humaines, a fait s’abattre une nouvelle vague de répression et coûta cher aux Saoudiens. L’élection du président Mohamed Morsi des Frères Musulmans secoua l’Occident. Ce fut à la fois une expression de l’affaiblissement des États-Unis dans la région et de l’irrationalité grandissante du capitalisme. La Confrérie demeure influente au Qatar, où la Turquie possède une base militaire et au sein du Hamas, duquel Erdogan fut l’un des principaux soutiens.
La première partie de cet article brossait un panorama de l’histoire de la Turquie, État issu de la décadence et dont l’importance géostratégique joua un rôle important dans les conflits impérialistes du XXe siècle. Dans cette seconde partie, nous verrons comment les enjeux autour de la Turquie ont évolué depuis 1989 et l’entrée du capitalisme dans sa phase de décomposition.
L’éclatement du bloc russe en 1989 marqua également la fin des deux blocs et cela eut de profondes répercussions pour la Turquie au regard de son histoire et son poids géostratégique. Tous les facteurs de la décomposition entrèrent en scène et empirèrent la situation : chaos militariste, ambitions impérialistes dans un contexte de chacun pour soi, irrationalité du fondamentalisme religieux montant, renforcement des tendances totalitaires, répression pure et simple à l’encontre de revendications nationalistes impossibles à satisfaire, comportement sans cesse changeant à l’égard des autres pays et l’arrivée de millions de réfugiés et de déplacés, conséquence de tous ces facteurs et qui avait été utilisée comme arme impérialiste. La “nouvelle” et forte Turquie émergente est par conséquent une illustration particulière de la faiblesse du capitalisme et de sa décomposition.
Au lieu de la “victoire” du capitalisme et de sa super-puissance dominante, les États-Unis, on observe l’affaiblissement de ces derniers face à l’instabilité politique et économique, l’irrationalité et l’imprévisibilité, ce que le Moyen-Orient, avec la Turquie en acteur central, illustre particulièrement.
Durant la guerre froide, la Turquie était le principal bastion de l’Ouest contre la Russie. Une fois l’URSS dissoute (et avec elle la menace qu’elle représentait pour la Turquie), cet État n’avait plus autant besoin de l’OTAN. Même la récente annexion de la Crimée en 2014 par la Russie ne semble pas avoir menacé la Turquie. En fait, les relations grandissantes entre la Turquie et la Russie sont quelque peu problématiques pour l’Occident. La Turquie a bénéficié de l’invasion russe de la Crimée au point qu’elle a pu obtenir, suite aux sanctions économiques des Occidentaux, de l’énergie à bas prix. De son côté, la Russie compte toujours sur la Turquie pour laisser ses détroits ouverts, permettant à sa marine d’accéder aux eaux des mers chaudes. La Russie ne menaçant désormais plus ni sa frontière Est, ni celle de l’Ouest (des arrangements entre les deux pays, bien que non gravés dans le marbre, ayant été conclus au sujet de la frontière avec la Syrie), la dépendance de la Turquie envers l’OTAN s’est amoindrie. Sur son flanc oriental, la Turquie a intensifié ses relations avec l’Azerbaïdjan dont le pétrole et le gaz manquent à la Turquie. Depuis l’effondrement de l’Union Soviétique, la Turquie a développé des liens étroits sur les plans culturels, économiques et militaires avec l’Azerbaïdjan et a soutenu ce dernier en 2016 dans sa guerre contre l’Arménie (elle-même soutenue par les Russes), refusant toujours de reconnaître la “République indépendante du Haut-Karabagh”.
Mais, par-dessus tout, alors que la dépendance de la Turquie envers l’OTAN a diminué, celle de l’OTAN envers la Turquie s’est accentuée. A travers la poursuite de ses ambitions propres (ce qui signifie ne plus se soumettre à une quelconque alliance militaire, discipline ou à divers arrangements) la Turquie n’est pas seulement devenue peu fiable mais également imprévisible. Déjà en 2003, quand les États-Unis firent face aux problèmes en Irak, le Parlement turc a refusé le stationnement des troupes américaines en Anatolie orientale, que ces dernières avaient espéré pouvoir utiliser comme base militaire. Se retrouver engagée à faire face à la Russie devient un fardeau aussi inutile qu’indésirable pour la Turquie et au lieu de cela, on observe des tendances inverses à travers le rapprochement avec la Russie, ce qui fait de la Turquie une force en soi, ébranlant et affaiblissant l’OTAN. Si la Russie parvient à ramener la Turquie dans son orbite aux côtés de l’Iran, cela la renforcera considérablement. Poursuivant dans cette direction, la Turquie vient de finaliser l’achat de missiles russes S-400 et a discuté de la situation en Syrie avec la Russie à la mi-novembre avant une nouvelle entrevue à venir à Sotchi à ce sujet avec Poutine et l’Iran.
Au vu du grand nombre et de la forte concentration de travailleurs émigrés turcs et kurdes dans le monde, particulièrement en Allemagne et dans le reste de l’Europe, il y a clairement un danger que ces éléments soient mobilisés derrière des intérêts nationalistes. L’impérialisme turc possède les moyens de faire la propagande de ses intérêts perçus en direction de sa diaspora à travers l’organisation Milli Görüs (qui propage une vision nationaliste et religieuse), formée en 1969.(1)
Cela prit un certain temps, comme pour beaucoup de politiciens occidentaux, de comprendre les conséquences de la chute de l’URSS. L’économie turque se portait relativement bien, malgré une dette croissante. À la fin des années 1990, la Turquie rejoignit l’union douanière de l’Union Européenne et en 2005 engagea des négociations sur son adhésion à L’UE. Durant cette période, le coup d’État kémaliste/laïc de 1997, finalement occasionné par une manifestation anti-Israël arborant des images du Hamas et du Hezbollah, évinça le leader islamiste Erbakan et força l’interdiction des expressions et institutions religieuses. L’armée turque réalisa par conséquent un autre de ses “ajustements équilibrés”.
Cette période marqua l’ascension parallèle de l’ex-footballeur et ancien maire d’Istanbul, Recip Erdogan qui, bien que toujours écarté de la vie politique pour ses penchants islamistes, participa à la formation du Parti de la Justice et du développement (AKP) en 2001. Il déclara que le parti n’adopterait pas un axe islamique.
L’AKP vint au pouvoir en Turquie en 2002 par une victoire écrasante après que les chamailleries entre différentes factions de la classe dominante eurent mené le pays au bord de la faillite, forçant le FMI à le renflouer l’année précédente. Erdogan devint Premier ministre en 2003 alors que l’émigration des travailleurs turcs, une puissante soupape de décompression pour l’économie nationale, était en train de ralentir et que, de manière générale au Moyen Orient, il y avait un affaiblissement des pouvoirs laïcs et une montée du fondamentalisme religieux. Grâce à un mélange de structures de type mafieuses, de corruption et de clanisme, Erdogan devint Premier ministre et mit immédiatement en avant ses fortes ambitions et projets nationalistes : modernisation de l’infrastructure, création d’emplois (même s’ils étaient mal payés) grâce à l’endettement et aux investissements étrangers, tout cela baignant dans un fondamentalisme islamique toujours plus profond et ambitieux reposant sur des éléments arriérés. Afin d’affaiblir l’emprise de l’armée, qui demeurait une menace pour l’AKP, Erdogan conclut une alliance tactique avec le puissant responsable religieux Fethullah Gülen, le leader du pragmatique et transnational Hizmet islamiste (dit le “Service” ou “Confrérie Gülen”), mouvement solidement implanté dans la police turque, l’éducation, la presse et la justice. Gülen servit bien Erdogan, affaiblissant l’armée et la laïcité à travers son influence sur les tribunaux et toutes sortes d’intrigues et de manœuvres obscures. Mais les deux hommes, pris dans une lutte opposant différentes factions de la bourgeoisie turque, finirent par s’affronter à travers le scandale de corruption touchant directement Erdogan, et réciproquement par les accusations d’infiltration de la confrérie Gülen dans les services de renseignement turcs (MIT).(2) L’État turc a depuis désigné Gülen et son organisation comme “terroristes”. Erdogan a demandé l’extradition de Gülen des États-Unis pour son supposé rôle dans la tentative de coup d’État de 2016 mais les États-Unis ne sont pas disposés à accéder à cette requête, au vu du poids que représente la confrérie Gülen pour l’impérialisme américain et le message que cela représenterait pour tout “exilé” utile au Département d’État.
Depuis les années 1980 en particulier, il y a eu une montée de l’influence islamique et le renforcement du fondamentalisme religieux dans tout le Moyen-Orient. Par exemple, lors de la campagne pour les élections de 1987, le port du voile par les femmes dans les lieux publics comme les écoles, les hôpitaux et les bâtiments officiels, fut une question récurrente. Une des nombreuses parades utilisées par l’armée fut de s’opposer en 1997 aux plans d’Erkaban en refusant de donner aux lycées Imam Hatip (Imam Hatip Lisesi – IHL – en turc) le statut d’école publique. En conséquence, le nombre d’étudiants des IHL chuta de 500 000 en 1996-1997 à environ 100 000 en 2004-2005. En 1998, Erdogan fut condamné à 10 mois de prison (il fut relâché au bout de 4 mois) pour “incitation à la haine religieuse”. Il lui fut également interdit de se présenter à des élections et d’occuper une fonction politique. En mars 2008, le procureur général de l’État, avec le soutien de l’armée, planifiait de déclarer l’AKP illégal car ce dernier devenait un “point de cristallisation d’activités anti-laïques”, suite à la fin de l’interdiction de porter le voile dans les universités. Peu de temps après, la Cour Suprême rejeta le plan du procureur général.
Suite à cela, l’AKP d’Erdogan devint plus que déterminé à diminuer le pouvoir de l’armée. Cependant, depuis la rupture entre Gülen et Erdogan, il y a désormais encore plus de divisions entre Turcs “blancs et noirs”, les “kémalistes” et les “religieux”. De plus les groupes islamiques sont désormais divisés en deux branches.
Depuis la proclamation de la République turque en 1923, toutes les tentatives de “contenir” l’influence des forces islamiques ainsi que leur pénétration au sein des structures de l’État ont échoué ; de fait, depuis les années 1980 (comme ailleurs avec la montée des Moudjahidines et Khomeini en Iran à la fin des années 1970), cette montée du fondamentalisme islamique, sous différentes formes, reflète une tendance globale vers un militantisme religieux extrêmement réactionnaire.(3) Dans un même temps, l’armée ayant réprimé d’une main de fer durant une décennie tous les groupes d’opposition (qu’ils soient islamiques, kurdes ou autres), cela a établi une polarisation factice entre une armée présentée comme “anti-démocratique” et les forces “démocratiques” comme l’AKP qui n’étaient pas moins autoritaires.
Aujourd’hui, le clan Erdogan dirige l’État comme sa propre entreprise, toutes les charges de corruption contre celui-ci ayant-été abandonnées depuis belle lurette et les personnes impliquées dans la procédure judiciaire qui le visait ont été purgées. Mais, derrière le clan Erdogan, repose une forme particulière de totalitarisme d’État, basée sur une exclusion religieuse réactionnaire, des discours nationalistes enragés et de fortes ambitions impérialistes.
Une nouvelle preuve de l’importance de sa position géostratégique est que la Turquie représente également une tête de pont pour tous les réfugiés fuyant la guerre au Moyen-Orient. Mais les réfugiés sont également utilisés dans un cynique exercice de chantage face à l’Union Européenne. L’UE a payé de fortes sommes à l’AKP d’Erdogan pour qu’il retienne les réfugiés et Erdogan a souvent menacé de les laisser partir pour l’Europe. Dans ce but, la Turquie a de nouveau demandé 3 milliards d’euros à l’Europe pour 2018.
La bourgeoisie turque a également tiré profit de l’organisation du trafic de migrants de l’Afrique vers l’Europe, ce qui éclaire un peu plus les visées impérialistes de la Turquie sur ce continent. Les ambassades turques, consulats, entreprises et autres ont fleuri dans toute l’Afrique, tout comme la compagnie aérienne Turkish Airlines. À travers des vols peu onéreux, subventionnés, les candidats à l’émigration peuvent voyager depuis l’Afrique du Nord et sub-saharienne jusqu’à la Turquie. De là, ils sont amenés jusqu’aux frontières de l’Europe avec l’appui nécessaire de réseaux du crime organisé qui sont incorporés dans l’État turc. Erdogan a mentionné plusieurs fois la création d’une zone exempte de visas pour les ressortissants des pays musulmans, une sorte de “Schengen islamique” que l’Europe voit d’un très mauvais œil.
Aux côtés des Mili Görüs mentionnés précédemment, la Turquie dispose de nombreuses ONG qui servent ses intérêts impérialistes. Parmi celles-ci se trouve la Fondation pour l’aide humanitaire (IHH) qui supervise des programmes sanitaires majeurs dans de nombreux pays africains et qui est présente dans des dizaines d’autres. Sa montée en puissance coïncida avec les nombreux voyages d’Erdogan en Afrique et le développement général du soft power turc qui s’étend au-delà du continent africain. L’IHH est structurée selon les lignes directrices des œuvres caritatives des Frères Musulmans et contient de fait des cadres de l’organisation. C’est cette organisation qui, sous la direction d’Erdogan, lança la “Flottille pour Gaza” en 2010, incluant des éléments de la gauche du capital qui n’eurent aucun problème à se mêler à leur équipage fondamentaliste islamique.(4) La plupart des médicaments que la flottille transportait durant cette farce impérialiste avaient expiré avant que celle-ci ne soit stoppée par le blocus israélien.
La pratique du soft power turc s’étend à son allié pakistanais ou à son ONG, Kizilay, qui a construit des mosquées dans le style ottoman près de la frontière indienne. Erdogan a soutenu le Pakistan sur la question du Cachemire et en retour, le régime pakistanais a facilité la purge des “gulénistes” au sein des établissements scolaires turco-pakistanais. Les deux pays ont en effet besoin l’un de l’autre pour défendre leurs intérêts contre les États-Unis.
Après s’être affiché comme “ami” et “défenseur de la paix” auprès des Kurdes, Erdogan, une fois à la tête de l’État, fut contraint de tomber le masque à cause du succès électoral du Parti démocratique des peuples pro-Kurde (HDP) qui menaçait la majorité de l’AKP au parlement. Mais ce volte-face fut principalement dû aux succès des Unités de protection du peuple kurdes qui gagnèrent des pans de territoire le long de la frontière turco-syrienne.
Tout comme la bourgeoisie israélienne souhaiterait se débarrasser des Palestiniens, la Turquie souhaite se débarrasser des Kurdes. En juillet 2015, l’armée turque lança une guerre-éclair contre les positions séparatistes kurdes dans le sud-est, détruisant les zones civiles étendues qui abritaient les combattants kurdes.
L’AKP qui avait remporté une victoire écrasante en 2011 avec 49,8 % des voix, ne récolta que 40,9 % à l’élection de juin 2014. De surcroît, le (HDP) fit un score de 13,1 % et put ainsi siéger au parlement. Le résultat signifia qu’Erdogan ne put atteindre la majorité nécessaire de deux-tiers pour modifier la constitution.
Obsédé par le fait de devenir le “nouveau Sultan” du nouvel Empire ottoman, l’AKP ordonna à l’appareil judiciaire de mettre l’HDP hors-la-loi.
Sous les effets combinés de la terreur d’État, des attaques terroristes de Daech et du PKK, une part importante de la population intimidée se jeta dans les bras d’Erdogan et à l’élection de novembre 2015, l’AKP disposa enfin de la majorité nécessaire. À nouveau la répression contre les Kurdes se renforça à mesure que le parti gagna en puissance. Erdogan consolida encore sa position en gagnant le référendum de 2017, changeant ainsi la constitution et concentrant ainsi un pouvoir toujours plus large entre ses mains.
Malgré l’élection orchestrée par l’AKP au pouvoir, Erdogan l’emporta seulement avec une courte majorité de 51 % des voix. Significativement, les trois plus grandes villes de Turquie, Istanbul comprise, votèrent contre lui mais, selon le Washington Post du 17 avril 2017, il fit mieux que prévu auprès des électeurs kurdes (probablement terrifiés par la tournure des événements). Ce n’est pas la première fois qu’Erdogan s’en sort de justesse : il se produisit la même chose durant le putsch raté de 2016.(5)
Erdogan sortit renforcé de cet épisode et de la purge (dans le plus pur style stalinien) qui s’ensuivit et qui sévit encore jusqu’à ce jour : des torrents de propagande contre les “comploteurs” et les “terroristes” sont diffusés depuis continuellement par l’État, alors que toute contestation est systématiquement écrasée.
Par le développement particulier de son capitalisme d’État teinté de fondamentalisme religieux, la Turquie s’est éloignée de l’Union Européenne. Son rôle déjà fragile au sein de l’OTAN est devenu incertain et, tout en étant impliquée dans des querelles diplomatiques avec les États-Unis et l’OTAN au point de se retirer de manœuvres opérées par cette dernière, elle a opté provisoirement pour des relations plus amicales, quasi-stratégiques et également très imprévisibles avec la Russie.
Même si les médias présentent Erdogan comme le “nouveau Sultan” et que lui-même se présente comme l’architecte de la nouvelle “Turquie islamique moderne” (après la “Turquie moderne et laïque” d’Ataturk), différente du “modèle” iranien théocratique, ce projet ne reflète pas uniquement, loin s’en faut, l’ambition d’un leader mégalomane. Comme nous l’avons évoqué précédemment, il représente la résurgence des ambitions impérialistes d’une Turquie au sein d’un noyau impérialiste toujours plus chaotique et en pleine fragmentation. En fait toutes les composantes de la classe dominante sous l’AKP ont été impliquées dans ce processus.
Erdogan intensifie son projet avec l’ambition de faire de la Turquie une super-puissance d’ici 20 à 30 ans. Ce qui apparaît comme une lubie ne tient pas compte de la présente irrationalité du capitalisme en décomposition. Pour que ce nouveau “Sultanat” prenne forme, la “question kurde” doit être réglée une fois pour toutes et les relations avec la Russie doivent s’intensifier.
Avec ses pouvoirs grandissants, Erdogan s’est éloigné de l’OTAN, a pris ses distances avec l’Europe et l’Allemagne et voit les États-Unis comme une puissance hostile. La Turquie n’est pas en état de guerre ouverte avec une autre puissance mais elle est impliquée dans des opérations militaires en dehors de son territoire et se retrouve être de plus en plus le théâtre d’affrontements entre l’armée turque et les groupes que celle-ci a combattus au sein ou en dehors des frontières mêmes de la Turquie (PKK ou Daech). Le pays lui-même risque de s’engouffrer dans une spirale de chaos militariste tout en étant entouré par des millions de réfugiés et une instabilité impérialiste globale.
Il y a cependant des facteurs imprévisibles en jeu. La nature de la politique extérieure américaine sous Trump, les tensions grandissantes entre l’Arabie Saoudite et l’Iran et leurs répercussions sur le Liban avec la possibilité d’une intervention militaire israélienne dans la région, tous ces facteurs auront vraisemblablement un retentissement sur des zones représentant des intérêts importants pour la Turquie : la Syrie, l’Irak, le Liban,(6) Gaza, etc.
Les impressionnantes performances économiques de la Turquie ces dernières années, qui renforcent la “popularité” d’Erdogan, semblent se placer sur le court terme et sont sous la menace d’une instabilité géopolitique, ce qui signifie que cet avantage s’estompera au moment même où la soupape de sécurité de l’émigration cessera de fonctionner et où la dette augmentera. Aucune campagne d’intoxication religieuse ou aucun délire sur le “nouvel Empire” ne pourront compenser cela.
Le poids de l’économie de guerre, qui engloutit d’énormes quantités d’argent, aura vraisemblablement des répercussions sur les conditions de vie du prolétariat. Les manifestations du Parc Gezi en 2013 suivirent une vague de protestations contre la guerre et le gouvernement dans le sud et rassembla des manifestants au-delà des divisions religieuses, sexuelles et ethniques. La classe ouvrière était présente dans ces manifestations mais pas avec un fort sentiment d’appartenance de classe.(7)
Est-ce que le prolétariat est prêt à être asservi et à mourir pour les projets d’Erdogan ? Le prolétariat turc a montré historiquement une solide tradition de lutte et de militantisme. Il doit absolument rester sur son terrain de classe et développer ses luttes de manière autonome tout en refusant d’être entraîné dans des campagnes nationalistes et pro ou anti-Erdogan.
Boxer, 25 novembre 2017
1 Milli Gorus est une organisation pro-musulmane et anti-occidentale. Elle possède environ 2 500 groupes locaux, construit environ 500 mosquées et crée de nombreuses fondations. Elle n’inclut pas seulement des Turcs islamiques mais également des Sunnites d’Asie centrale et du Caucase. Son épicentre se trouve en Allemagne et elle possède des ramifications dans de nombreux pays européens mais également en Australie, au Canada et aux États-Unis. L’organisation fut fondée par Necmettin Erbakan, islamiste, anti-européen, anti-kémaliste qui fut Premier ministre de la Turquie de 1996 à 1997. On dit qu’Erdogan reprend l’héritage d’Erbakan et qu’il utilisera probablement la Mili Gorus pour le diffuser.
2 Gulen réside désormais aux États-Unis et est généralement dépeint en occident comme un simple prédicateur. En fait, il est assis sur une vaste et pénétrante organisation multi-milliardaire. Il est proche du clan Clinton et des Démocrates.
3 Selon le Middle East Quarterly, hiver 2009, (pp 55-66) : en 2008 “on recensait en Turquie plus de 85 000 mosquées, une pour 350 habitants (en comparaison il y avait un hôpital pour 6000 habitants) le plus élevé par tête au monde avec 90 000 imams, un nombre supérieur à celui des médecins ou des enseignants”.
4 Il y a quelques années en Grande-Bretagne, il y eut de nombreuses manifestations à l’appel de la gauche qui soutenaient les attaques contre Israël et marchaient côte-à-côte avec des éléments du Hamas, scandant l’odieux slogan de “We are all Hamas”. Cela ne différait pas tant que ça de la politique extérieure officielle de la Grande-Bretagne à l’époque qui soutenait activement les Frères Musulmans.
5 Erdogan échappa de justesse à une unité de commando envoyée par les forces impliquées dans la tentative de coup d’État de juillet 2016 alors qu’il était en vacances dans la station de Marmaris et une fois en sûreté à bord de son jet, il échappa à nouveau à deux chasseurs-bombardiers F-16 sous le contrôle des putschistes qui tentaient de le pourchasser (Agence Reuters du 17 juillet 2017). Mais tout comme une part importante des coulisses du coup d’État, tout ceci reste nimbé de mystère.
6 Les obligations de visas entre la Turquie et le Liban ont été abolies et plusieurs protocoles d’accords et de coopération établis.
7 Lire notre article “Mouvement social en Turquie : le remède à la terreur d’État n’est pas la démocratie” dans Révolution Internationale n°439 (février – avril 2013).
Il y a 170 ans, était publié le Manifeste du parti communiste : “au congrès du parti à Londres, en 1847, Marx et Engels furent chargés de mettre sur pied la publication d’un programme théorique et pratique complet. Rédigé en allemand, le manuscrit fut imprimé à Londres en janvier 1848, quelques semaines avant la révolution française du 24 février. Une traduction française parut peu avant l’insurrection parisienne de juin 1848” (Préface d’Engels à l’édition de 1888).
Depuis ce temps, on ne compte plus les publications ni les traductions de cet ouvrage, un des plus célèbre au monde. Aujourd’hui, avec le relatif regain d’intérêt qu’il suscite au sein de petites minorités combatives en recherche d’une perspective révolutionnaire, la propagande officielle de l’État bourgeois se doit de continuer à discréditer fortement l’idée du communisme faisant par contrecoup du Manifeste l’œuvre sinistre et tragique d’un passé sanglant révolu. En assimilant frauduleusement et mensongèrement la contre-révolution stalinienne à l’avènement d’un prétendu “communisme” qui aurait fait faillite, le Manifeste incarnerait donc un projet “obsolète”, voire “dangereux”. Finalement, comme aux yeux des pires réactionnaires du XIXe siècle, le Manifeste du parti communiste reste encore aujourd’hui “l’œuvre du diable”.
Au sommet de la vague révolutionnaire mondiale des années 1917-1923, c’est-à-dire bien avant l’effondrement du bloc de l’Est et la prétendue “mort du communisme”, le Manifeste était déjà calomnié et combattu armes à la main par la classe dominante qui encerclait la Russie des soviets. A cette époque, le Manifeste restait pour les révolutionnaires plus que jamais une véritable boussole permettant de guider le prolétariat en vue du renversement du capitalisme pour son projet révolutionnaire mondial. Dans les conférences faites en 1922 par Riazanov sur la vie et l’activité de Marx et Engels, le Manifeste était considéré comme un pur produit d’un combat de la classe ouvrière. C’est ce que montre ce passage citant Engels lui-même : “les ouvriers se présentèrent et invitèrent Marx et Engels dans leur union ; Marx et Engels déclarèrent qu’ils n’y entreraient que lorsqu’on accepterait leur programme ; les ouvriers consentirent, organisèrent la Ligue des Communistes et, immédiatement, chargèrent Marx et Engels d’écrire le Manifeste du parti communiste”. Ce “consentement” ne fut pas l’objet d’un coup de tête, d’une faiblesse cédant à une “crise autoritaire” et encore moins d’une sorte de “coup de force” de la part de Marx et Engels. Il était au contraire l’objet d’une véritable maturation de la conscience ouvrière et fruit d’un long débat, un produit militant lié à l’activité organisée de la Ligue des Communistes : “les débats durèrent plusieurs jours, et Marx eut beaucoup de peine à convaincre la majorité de la justesse du nouveau programme. Ce dernier fut adopté dans ses traits fondamentaux et le congrès chargea spécialement Marx d’écrire au nom de la Ligue des Communiste non pas une profession de foi mais un Manifeste…”(1) Il est très important de bien souligner que le Manifeste était avant toutes choses un mandat que Marx avait reçu du congrès en tant que MILITANT et non une simple production écrite lui appartenant en propre. À ce titre, une lettre envoyée par le comité central au comité régional de Bruxelles, datée du 26 mars, sur la base d’une résolution adoptée le 24 janvier, devait d’ailleurs lui être transmise pour lui demander des comptes sur ses travaux. Marx risquait même des sanctions au cas où il n’assumerait à temps son mandat pour rédiger le Manifeste : “le comité central, par la présente, charge le comité régional de communiquer au citoyen Marx que, si le Manifeste du Parti communiste dont il a assumé la composition au dernier congrès n’est pas parvenue à Londres le 1er février de l’année courante, des mesures en conséquence seront prises contre lui. Au cas où le citoyen Marx n’accomplirait pas son travail, le comité central demandera son retour immédiat des documents mis à la disposition de Marx.
Au nom et sur mandat du comité central : Schapper, Bauer, Moll”.
Marx, nous le savons, a réussi à terminer son travail en temps et en heure. Parallèlement à ce travail militant, Marx comme Engels n’avait cessé en amont d’agir dans le sens de développer l’unité du prolétariat en faisant également tout un travail organisationnel exemplaire dont le Manifeste lui-même est à la fois le produit et l’outil en permettant la poursuite : “Les historiens ne se sont pas rendu compte de ce travail d’organisation de Marx, dont ils ont fait un penseur de cabinet. Et ainsi, ils n’ont pas vu le rôle de Marx en tant qu’organisateur, ils n’ont pas vu un des côtés les plus intéressants de sa physionomie. Si l’on ne connaît pas le rôle que Marx (je souligne Marx et non Engels) jouait déjà vers 1846-47 comme dirigeant et inspirateur de tout ce travail d’organisation, il est impossible de comprendre le grand rôle qu’il jouera dans la suite comme organisateur de 1848-1849 et à l’époque de la Première Internationale”.
Tout ce travail militant, au service de l’unité et du combat du prolétariat, se retrouve dans les formulations même du Manifeste qui définit la position des communistes comme “avant-garde” et partie non séparée de la classe ouvrière : “les communistes ne forment pas un parti distinct (…) ils n’ont point d’intérêts qui les séparent de l’ensemble du prolétariat”.(2)
Les bolcheviques considéraient en leur temps eux-aussi que le Manifeste du parti communiste constituait une véritable “boussole”. Voici ce que Lénine disait lui-même du Manifeste : “cette plaquette vaut des tomes : elle inspire et anime jusqu’à ce jour tout le prolétariat organisé et combattant du monde civilisé.”(3) La force théorique du Manifeste n’a été possible, au-delà du propre génie indéniable de Marx, que par le contexte lié à un moment décisif dans l’histoire de la lutte de classe, celui d’une période où le prolétariat commençait à se constituer comme classe indépendante de la société. Ce combat allait permettre au communisme lui-même de dépasser ainsi l’idéal abstrait élaboré par les utopistes pour devenir un mouvement social pratique basé sur une méthode scientifique, dialectique, celle du matérialisme historique. La tâche essentielle était alors d’élaborer la vraie nature du communisme, de la lutte de classe, et les moyens d’y parvenir pour atteindre ce but qui devait être formulé dans un Programme. Il y a vingt ans, nous affirmions à propos du Manifeste : “il n’existe pas aujourd’hui de document qui trouble plus profondément la bourgeoisie que le Manifeste communiste, pour deux raisons. La première parce que sa démonstration du caractère historique temporaire du mode de production capitaliste, de la nature insoluble de ses contradictions internes que confirme la réalité présente, continue à hanter la classe dominante. La seconde, parce que le Manifeste, déjà à l’époque, a été précisément écrit pour dissiper les confusions de la classe ouvrière sur la nature du communisme”.(4) Le Manifeste est un véritable trésor pour le mouvement ouvrier. En “avance sur son temps”, il donne toutes les armes nécessaires pour combattre l’idéologie dominante aujourd’hui. Par exemple, la critique du socialisme “conservateur ou bourgeois” de l’époque, toute proportion gardée, s’applique tout à fait au stalinisme du XXe siècle et permet de comprendre ce que veut réellement dire l’abolition de la propriété privée : “(…) Par transformation des conditions de vie matérielles, ce socialisme n’entend nullement l’abolition des rapports de production bourgeois, qui ne peut être atteinte que par des moyens révolutionnaires ; il entend par là uniquement des réformes administratives, qui s’accomplissent sur la base même de ces rapports de production sans affecter, par conséquent, les rapports du capital et du travail salarié, et qui, dans le meilleur des cas, permettent à la bourgeoisie de diminuer les frais de sa domination et d’alléger le budget de l’État”. Bien au-delà de ces éléments critiques qu’il est possible d’utiliser comme une arme toujours actuelle, le Manifeste affirme par ailleurs plusieurs éléments essentiels qui restent pleinement valables pour orienter la lutte aujourd’hui :
— la première, c’est de démontrer la crise du système capitaliste, la réalité de la “surproduction”, le fait que le capitalisme et la société bourgeoise sont condamnés par l’histoire : “La société ne peut plus vivre sous la bourgeoisie ; c’est-à-dire que l’existence de la bourgeoisie et l’existence de la société sont devenues incompatibles”.
— le deuxième élément essentiel, alors que la bourgeoise ne cesse de dire mensongèrement que le prolétariat a “disparu” et que seules sont valables les réformes “démocratiques” bourgeoises, soi-disant “pour” le “peuple”, le Manifeste dégage au contraire une perspective révolutionnaire en soulignant nettement ceci :"le prolétariat seul est une classe vraiment révolutionnaire”. Expression d’une classe universelle par nature à la fois exploitée et révolutionnaire, travaillant de manière associée et solidaire dans les rapports capitalistes de production, son combat s’inscrit et se développe non seulement par rapport à la nécessité mais aussi dans la capacité de mener à bien ce projet. Une des principales clarifications contenues dans le Manifeste réside dans le fait qu’il affirme beaucoup plus clairement qu’auparavant que l’émancipation de l’humanité est désormais dans les mains du prolétariat. Ce dernier doit inexorablement s’affronter à la bourgeoisie sans aucun compromis, il ne peut pas faire cause commune avec elle. Un aspect qui n’était pas si clair que ça jusqu’en 1848 et qui d’ailleurs ne l’a pas toujours été par la suite. Rappelons que le mot d’ordre de la Ligue des Justes (“Tous les hommes sont frères”) exprimait encore toute la confusion qui régnait dans le mouvement ouvrier. Le Manifeste affirme au contraire l’antagonisme irrémédiable entre le prolétariat et la bourgeoisie. En cela, il est en fait l’expression d’un pas décisif franchi dans la conscience de classe.
— le troisième porte sur la nature et le rôle des communistes qui doivent être “la fraction la plus résolue (…) qui entraîne toutes les autres : théoriquement ils ont sur le reste du prolétariat l’avantage d’une intelligence claire des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien”.
— le dernier point, last but not the least, c’est l’affirmation par le Manifeste du caractère internationaliste du combat de classe : “les ouvriers n’ont pas de patrie” qui a toujours été et reste plus que jamais la pierre de touche de la défense des positions de classe, totalement à l’opposé du nationalisme de l’ennemi de classe. Le fait que le Manifeste se termine sur cet appel vibrant : “prolétaires de tous les pays unissez-vous !” en est l’expression la plus forte qui traduit la dimension intrinsèquement internationaliste du combat prolétarien et de la défense de son principe fondamental.
Nous pourrions souligner encore bien d’autres aspects importants déjà présents dans le Manifeste mais nous souhaitons conclure ce bref hommage militant au Manifeste en revenant à ses premières lignes, celle de la non moins célèbre formule elle aussi toujours actuelle selon nous : “Un spectre hante l’Europe : le spectre du communisme”. Et en effet, nous affirmons que malgré les difficultés qu’il connaît et traverse aujourd’hui, le prolétariat international garde toujours ses capacités et la force de pouvoir mettre à bas l’ordre capitaliste pour le remplacer par une société sans classe, sans guerre ni exploitation. Ce “spectre”, n’en déplaise aux bourgeois, est bel et bien encore et toujours présent !
WH, 3 juin 2018
1Riazanov, Marx et Engels.
2Marx et Engels, Manifeste du parti communiste
3Lénine, Karl Marx et sa doctrine.
41848 – Le manifeste communiste : une boussole indispensable pour l'avenir de l'humanité [31] (Revue Internationale n° 93).
Récemment, s’est tenu le XXIIIe congrès de Révolution internationale (RI), section du Courant communiste international (CCI) en France. Les travaux de ce congrès ont notamment abouti à l’adoption de la résolution sur la situation en France que nous publions ci-dessous.
1/ 1968-2018 : il y a cinquante ans, en Mai 1968 en France, près de dix millions d’ouvriers étaient en lutte. C’était la plus grande grève de l’histoire ! Le prolétariat reprenait le chemin du combat après quatre décennies plongées dans la nuit noire de la contre-révolution. Cette dynamique, qui s’est confirmée notamment par “l’automne chaud” italien de 1969 et par les luttes de l’hiver 1970-71 des ouvriers de Pologne allait porter le prolétariat partout dans le monde jusqu’à la fin des années 1980.
Mai 68 est marqué aussi par la réapparition de minorités révolutionnaires dans tous les pays d’Europe occidentale et en Amérique du Nord. Ce processus avait débuté avant même la grève généralisée de mai 1968 mais cette dernière lui a donné un élan considérable. Ce n’est évidemment pas un hasard si c’est en France que s’est constitué, en juin 1968, le groupe le plus important et le plus solide de la Gauche communiste, Révolution Internationale qui a bénéficié de la clarté politique et de l’expérience de militants d’un petit groupe du Venezuela, Internationalismo, formé autour de Marc Chirik, un militant historique de la Gauche communiste. Il ne s’agit pas là d’un événement anecdotique mais la marque de l’être historique du prolétariat : une classe qui porte, en elle, le projet révolutionnaire et dont les organisations, aussi petites soient-elles, représentent la continuité et l’histoire.
2/ En France, la vague de luttes inaugurée par Mai 68 va se concrétiser par des mouvements importants dans les principaux centres industriels et notamment dans la sidérurgie à la fin des années 1970, dans les transports (SNCF) fin 1986, dans le secteur hospitalier en 1988. Au-delà de la forte combativité d’alors, ces luttes étaient aussi marquées par une confrontation de plus en plus ouverte avec les syndicats officiels ce qui a conduit les secteurs d’extrême-gauche de la bourgeoisie à promouvoir une forme de syndicalisme de base, les “coordinations”. Ce n’est pas le fait du hasard si le prolétariat en France a été à l’avant-garde du déclenchement du mouvement de luttes ouvrières qui s’est développé internationalement par la suite. L’échelle exceptionnelle de la grève de 1968 est en partie la conséquence de maladresses politiques du pouvoir gaulliste mais cela correspond aussi à une tradition séculaire du prolétariat de ce pays. C’est une des spécificités de la classe ouvrière en France, relevée déjà par les marxistes au XIXe siècle, suite à la révolution de 1848 et de la Commune de Paris, le caractère explosif et hautement politique de ses luttes. Ainsi, on pouvait lire sous la plume de Kautsky, lorsqu’il était encore révolutionnaire : “Si en Angleterre, dans la première moitié du XIXe siècle, c’était la science économique qui était la plus avancée, en France c’était la pensée politique ; si l’Angleterre était régie par l’esprit de compromis, la France l’était par celui du radicalisme ; si en Angleterre le travail de détail de la lente construction organique prédominait, en France c’était celui que nécessite l’ardeur révolutionnaire”. À la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, le prolétariat français a perdu ce rôle d’avant-garde politique du prolétariat européen (et donc mondial) au bénéfice du prolétariat allemand puis du prolétariat russe. Mais la terrible chape de plomb de la contre-révolution a affecté tout particulièrement les secteurs de la classe ouvrière qui étaient allés le plus loin sur la voie révolutionnaire, justement ceux d’Allemagne et de Russie. Mai 68 a fait la preuve que, d’une certaine façon, le prolétariat français avait retrouvé, provisoirement, ce rôle d’avant-garde. La bourgeoisie internationale est d’ailleurs bien consciente de cette spécificité et c’est pour cela qu’elle accorde toujours une attention particulière aux mouvements sociaux en France. Il est donc probable que le prolétariat français tiendra une place importante dans les combats à venir de la classe ouvrière mondiale.
3/ Mai 68 et les combats qui se sont déroulés par la suite internationalement, ont représenté un pas immense pour le prolétariat mondial : la fin de la contre-révolution qui s’était abattue sur lui à la fin des années 1920. Mais ce n’était qu’un premier pas sur le chemin de la révolution communiste. Le pas suivant n’a pas pu être franchi, sinon de façon très réduite et sans lendemain : celui de la politisation de sa lutte, de la conscience que celle-ci devait s’inscrire dans la perspective du renversement du capitalisme. C’est un élément fondamental pour comprendre les difficultés actuelles du prolétariat. Les différents mouvements de grèves sont restés essentiellement des luttes défensives. Pour paralyser ainsi la conscience ouvrière, la bourgeoisie a utilisé tout son arsenal de mystifications. Les syndicats sont remis en cause ? Les organisations de gauche et d’extrême-gauche de crier en chœur “Vive le syndicalisme de base !”. Le sabotage de l’extension des luttes par les syndicats est trop visible ? Les mêmes de clamer “Vive les coordinations !”, comme à la SNCF et chez les infirmières, pour mieux enfermer les ouvriers dans le corporatisme et les conduire à la défaite. Et lorsqu’en Pologne en 1980, le prolétariat se dressant face au stalinisme et ses syndicats policiers commence à s’auto-organiser et à inspirer les travailleurs du monde entier, toujours les mêmes experts en sabotage ont accouru des pays démocratiques, et tout particulièrement de France (CFDT en tête), pour expliquer au prolétariat (et à la bourgeoisie polonaise) les bienfaits de livrer la conduite de sa lutte à un “syndicat libre”. Et de scander tous “Vive Solidarnosc !”.
Le prolétariat s’est également confronté aux différentes composantes des organisations de la gauche du capital (partis socialiste et communiste, groupes trotskistes…) colportant l’illusion réformiste de la possibilité d’améliorations des conditions de vie au sein du capitalisme, d’un capitalisme mieux géré et plus humain et utilisant cette illusion pour dévoyer les luttes dans l’impasse électorale.
Ce faisant, la classe dominante est parvenue à contenir et enfermer l’action et la conscience du prolétariat dans les limites des rapports sociaux d’exploitation de la société capitaliste. Pris dans ces pièges idéologiques, ce mouvement allant de 1968 à la fin des années 1980 s’est ainsi essoufflé. Même s’il a commencé à développer une méfiance envers les syndicats officiels, le prolétariat n’a pas été capable d’exprimer une alternative au capitalisme dans son combat, de s’imposer en tant que classe porteuse d’un projet révolutionnaire et montrer à l’ensemble de la société que sa lutte offrait la perspective d’une société sans classe, le communisme. Si la classe ouvrière n’a pas été en mesure de mettre en avant un nouveau projet de société, la bourgeoisie de son côté n’a pas pu répondre par la guerre mondiale à la crise historique de son système comme elle l’avait fait dans les années 1930. Cette situation de blocage où aucune des deux classes fondamentales de la société n’a pu mettre en avant sa propre perspective à la crise sans issue de l’économie capitaliste : la révolution pour la classe ouvrière, la guerre généralisée pour la bourgeoisie, s’est traduite par un pourrissement sur pieds de la société, par l’entrée du capitalisme dans la phase ultime de sa décadence, la phase de décomposition.
4/ La fin des années 1980 a donc été difficile pour le prolétariat. Le “no future”, l’absence d’un espoir pour l’avenir, les tendances au repli sur soi, à l’atomisation, se sont répandus dans tous les pays, et c’est dans ce contexte qu’est intervenue la chute du mur de Berlin puis l’effondrement du bloc de l’Est. Une campagne aussi assourdissante que mensongère s’en est suivie : la faillite du prétendu “socialisme” (une des formes les plus caricaturales du capitalisme d’État) a été présentée frauduleusement et honteusement comme “la mort du communisme”, la fin de toute possibilité de remplacer le capitalisme par une autre société.
Le coup porté était particulièrement violent. Les journalistes et les experts en tous genres se sont répandus sur les atrocités et la barbarie réelles du stalinisme. Des campagnes redoutablement efficaces allant même jusqu’à susciter dans le prolétariat un sentiment de honte. Honte de son passé, un passé qu’il ne comprend plus et finit par rejeter, puis oublier. Honte de lui-même, au point de nier son existence. Ainsi, depuis les années 1990, le prolétariat a été confronté à un handicap supplémentaire : la perte croissante de son identité de classe.
C’est pourquoi plus encore aujourd’hui que par le passé, il repose sur les épaules des minorités révolutionnaires une grande responsabilité : celle de maintenir la mémoire de ce qu’est la classe ouvrière, de son projet révolutionnaire, de son passé, des leçons qu’elle a tirées de ses nombreux combats.
5/ Au cours de ces dernières années, à l’échelle mondiale, le tissu social a connu une aggravation significative de sa décomposition. L’irrationalité et la peur de l’autre grignotent des franges toujours plus larges de l’humanité. En France, les exactions nauséabondes et haineuses se multiplient : meurtres antisémites par des éléments du lumpen, agressions homophobes et violences de milices anti-immigrés constituées par des éléments de l’extrême-droite (à Calais et à la frontière franco-italienne).
La manifestation politique de ce pourrissement est le développement spectaculaire du populisme. La bourgeoisie elle-même est en partie happée, au point que des dirigeants populistes (ou instrumentalisant le populisme) sont parvenus au pouvoir gouvernemental, y compris à la tête de la première puissance mondiale, les États-Unis, avec son inénarrable Trump !
En France, le succès du parti symbolisant cette vague populiste, le Front National, a une origine plus ancienne. Très faiblement connu en 1981, il a bénéficié d’un énorme soutien de la part du parti socialiste alors au gouvernement : l’instauration de la représentation proportionnelle aux élections législatives lui a permis en 1986 d’envoyer un nombre significatif de députés à l’Assemblée nationale lui donnant pignon sur rue. L’objectif du parti socialiste, à l’époque, était d’affaiblir la droite traditionnelle et aussi de détourner vers l’antifascisme tout un questionnement présent au sein de la classe ouvrière, et notamment parmi les jeunes, concernant les mesures d’austérité prises par le gouvernement socialiste. Dans un premier temps donc, la bourgeoisie a pu contrôler le FN et l’utiliser. Cela dit, le phénomène du populisme ne peut se résumer à des manœuvres politiciennes de tel ou tel secteur de la bourgeoisie. Tout particulièrement, depuis dix ans et l’accélération de la crise économique de 2008, il est devenu un produit significatif de la décomposition qui vient troubler le jeu politique avec pour conséquence une perte de contrôle croissante de l’appareil politique bourgeois sur le terrain électoral. Autrement dit, produit du développement de la décomposition, le populisme est devenu à son tour un facteur actif de déstabilisation et de chaos. C’est ainsi que la montée du Front National est de moins en moins contrôlée par la bourgeoisie et son État : le FN est devenu, lors des élections régionales de 2015, le premier parti de France au point de mettre en danger la bourgeoisie française et donc l’UE (l’Union européenne) par une possible victoire aux présidentielles de 2017. De même, le populisme a gangrené en partie la droite dite “classique”. Dans les pas de Nicolas Sarkozy, une partie de ses plus hauts représentants rivalise en effet de déclarations xénophobes et violentes, espérant ainsi reconquérir l’électorat parti vers le FN. Mais cette instrumentalisation du populisme à des fins électorales est un jeu dangereux pour la bourgeoisie car, in fine, elle le nourrit et participe donc à son développement.
6/ L’arrivée de Trump à la présidence des États-Unis, la victoire du Brexit en Grande-Bretagne et la possibilité d’un succès du FN aux dernières élections présidentielles en France expriment donc la difficulté croissante de la bourgeoisie à contrôler l’évolution de la situation sur le plan politique. Mais, dans ce contexte, la fraction le plus éclairée et consciente de la bourgeoisie ne reste pas sans réagir, au contraire. Les élections de 2017 en France ont ainsi montré comment la bourgeoisie française, dans le cadre du capitalisme d’État, et aidée par la bourgeoisie européenne et notamment l’Allemagne, a su faire face avec succès à cette montée du populisme, en choisissant l’option qui correspondait le mieux aux intérêts du capital français (tant sur le plan national qu’international, en particulier européen) : Emmanuel Macron. Elle est parvenue à le mener au pouvoir avec une image “d’homme providentiel”, une très large majorité parlementaire et un mouvement politique, En Marche, construit pour lui.
7/ La victoire de Macron a provoqué une recomposition de l’appareil politique en France. “Il faut des hommes nouveaux, il faut refonder la politique”, tel est le message qu’a porté la bourgeoisie pour ouvrir la porte à une recomposition des partis politiques, avec comme toile de fond “du passé faisons table rase”. Nous avons assisté à l’affaiblissement considérable du PS, à la division et à la lutte à mort des clans au sein de la droite classique et au ratage électoral du FN avec la large défaite de Marine Le Pen au second tour des présidentielles, plongeant à son tour ce parti dans la crise. A la place de ces vieux partis, et aux côtés donc du tout nouveau, tout beau parti de Macron En marche, sort victorieux le parti de Jean-Luc Mélenchon, La France insoumise (FI), qu’a rejoint l’instigateur et théoricien du mouvement “Nuit debout” (qui s’était manifesté en parallèle des mouvements sociaux contre la “loi travail” de Hollande), François Ruffin. Ces deux organisations, “En marche” et “FI”, ont ceci en commun de vouloir se présenter non comme des partis mais comme des “mouvements”. C’est ici aussi la marque de l’intelligence de la bourgeoisie et de sa capacité d’adaptation, qui perçoit l’écœurement de la classe ouvrière et de l’ensemble de la population vis-à-vis de la politique traditionnelle et donc qui s’efforce de lui présenter un nouveau visage.
Second point commun, elles sont toutes deux portées par un leader charismatique, qui concentre entre ses mains tous les pouvoirs de décision. Il s’agit là, par contre, d’une faiblesse potentielle.
La situation politique de la bourgeoisie française est donc complexe. À court et moyen terme, elle est parvenue à faire face aux dangers populistes, à porter au pouvoir la fraction la plus claire sur la politique nationale et européenne à mener aujourd’hui (comme elle était parvenue à porter au pouvoir De Gaulle en 1958) et à pousser en avant un mouvement de gauche, la France insoumise et ses alliés, particulièrement efficace pour attirer à lui les mécontentements ouvriers et les pousser dans de vieilles impasses qui sont tout simplement relookées. C’est là une victoire pour la bourgeoisie française, qui redore sensiblement son blason sur l’arène internationale. Macron est devenu “l’homme politique de l’année”, au succès mondial. Mais en même temps, sur le long terme, elle se retrouve avec un parti au pouvoir reposant sur l’image d’un homme unique (comme l’était le gaullisme), avec un seul parti d’opposition captant la colère ouvrière sans que celui-ci ne représente une alternative crédible pour le pouvoir.
Ce double niveau de lecture est nécessaire pour comprendre les contradictions de la situation présente : la bourgeoisie, à travers le capitalisme d’État, se mobilise face aux conséquences de l’impasse historique de son système, cependant elle ne peut à long terme réellement endiguer l’avancée lente mais fondamentalement inexorable de la décadence du capitalisme et donc de la plongée de la société dans la décomposition.
8/ Forte de son succès politique récent, la bourgeoisie française veut se poser en leader de l’Europe, Macron mettant tout particulièrement en avant les capacités militaires de la nation. Mais la France ne peut s’engager dans une politique européenne offensive sans l’Allemagne. Face aux difficultés politiques qui surgissent dans de nombreux pays de l’UE (gouvernements populistes en Pologne, Hongrie, Autriche, Slovaquie et montée du populisme en Italie), le renforcement du couple franco-allemand représente l’alternative la plus forte en Europe pour tenter d’imposer une stabilité et pour endiguer les forces centrifuges. Cela dit, face aux ambitions françaises, l’Allemagne veut évidemment conserver son leadership, et si elle souhaite une bourgeoisie française maîtrisant sa situation sociale et économique, elle ne peut supporter ses nouvelles prétentions. Là encore, la situation est donc marquée par des forces contradictoires.
9/ Sur le plan impérialiste, la France est la tête de file de l’UE, sa force la plus active et efficiente. Les autres nations, y compris l’Allemagne, ont besoin de cette puissance militaire mais, en même temps, elles admettent difficilement cette suprématie. Cela d’autant plus qu’au sein de l’UE, les différents pays ont souvent des intérêts et des options impérialistes très différents, voire contradictoires. Par exemple, vis-à-vis de la Russie, l’Allemagne et la France ne sont pas du tout sur la même ligne, ce qui se ressent dans les choix militaires opérés en Syrie par exemple. L’opération séduction de Macron aux États-Unis a elle aussi été très mal perçue en Allemagne, ce que Merkel a fait clairement savoir.
En Afrique, l’influence française est chaque année plus remise en cause. Les États-Unis et la Chine, à travers le projet de route de la soie de cette dernière, s’y livrent une guerre impitoyable. La Russie n’est pas en reste et avance ses pions, sa présence sur ce continent devenant une priorité. De nouveaux venus semblent aussi intéressés par l’Afrique pour contrer le projet chinois, notamment l’Inde et le Japon.
Mais là aussi, la bourgeoisie française ne reste pas sans réaction. Elle a mis en place le “G5 Sahel”. Dans ce cas, l’alliance franco-allemande dans le cadre de l’UE prend toute son importance. La France tente aussi de réaffirmer sa présence au Moyen-Orient, où Macron se présente en “leader” de l’UE en prônant un discours de paix face à Trump et à la Russie, mais aussi en affichant une politique interventionniste dans la situation en Syrie. La France n’a d’ailleurs pas ménagé son engagement militaire dans la lutte contre Daesh.
Toutes ces interventions participent activement au développement du chaos. Cette politique de l’impérialisme français s’inscrit en effet dans les traces de ses opérations militaires en ex-Yougoslavie et au Rwanda dans les années 1990 ou plus récemment en Lybie ; chaque fois, celles-ci ont contribué à la déstabilisation de ces régions et à l’accroissement de la barbarie. Aujourd’hui, la décomposition continue d’avancer au Mali par exemple, où l’État est exsangue et où les forces liées au terrorisme restent toujours incontrôlables, malgré la forte présence continue de l’armée française.
10/ Cette situation de décomposition qui touche de plein fouet l’Afrique, le Proche – et le Moyen-Orient pousse des masses croissantes de la population à fuir, notamment les jeunes. Face à ces migrations massives, se développe une politique toujours plus répressive.
Contrairement à l’Allemagne qui, durant un très court laps de temps, a joué la carte de la “terre d’accueil”, la France a toujours maintenu le cap d’un contrôle drastique de ses frontières, n’hésitant pas à bâtir des camps de réfugiés et autres centres de rétention, une politique répressive qui s’aggrave actuellement sous le gouvernement Macron tout comme la propagande alimentant la peur et la haine des migrants qualifiés de “hors-la-loi”, de “profiteurs” et de “délinquants”.
11/ Sur le plan économique, la politique actuelle de la bourgeoisie française constitue une accentuation des politiques menées par les précédents gouvernements, notamment au cours de la présidence Hollande. Bénéficiant d’un contexte momentané de “croissance”, Macron fait flèche de tout bois pour être attractif vis-à-vis des investisseurs, en continuité avec son prédécesseur. Le gouvernement met l’accent sur la modernisation de l’industrie française et l’orientation vers le numérique, l’intelligence artificielle et les biotechnologies. D’autre part, il s’attelle à assouplir le marché du travail pour faire baisser la masse salariale. Cela concerne aussi bien le secteur public que le secteur privé. Cette politique comporte cependant un revers : elle provoque une difficulté pour les entreprises de certains secteurs à recruter pour des emplois qui exigent une certaine compétence.
L’autre stratégie se situe au niveau international : par une hausse d’acquisitions d’entreprises pour attirer des entreprises étrangères en France. Fort de sa présente popularité, notamment dans les pays anglo-saxons, Macron entend attirer les investissements étrangers et se présente comme un ardent défenseur de la mondialisation, pratiquant une ouverture à l’opposé du repli protectionniste mis en œuvre par Trump.
Pour mener cette politique, Macron a besoin de l’Union européenne et il doit dynamiser celle-ci pour réussir et pour couper court au discours populiste anti-européen. L’alliance avec l’Allemagne constitue un élément-clé de la réussite de cette politique, notamment pour garantir une stabilité au sein de la zone euro même si, évidemment, la concurrence entre ces deux pays continue d’exister avec même des intérêts carrément divergents, l’Allemagne ayant à ménager sa politique vis-à-vis de l’Est de l’Europe.
12/ Cette politique de la bourgeoisie française passe nécessairement par de nouvelles attaques contre la classe ouvrière. Ces derniers temps, ces attaques se sont amplifiées et accélérées.
Que ce soit au niveau des salaires, des pensions, des allocations chômage, de l’augmentation de la contribution sociale généralisée (CSG), de l’augmentation de certains prix comme l’essence, les transports, des licenciements importants, le gouvernement assume de manière déterminée ses attaques. C’est la concrétisation de la volonté du gouvernement de rendre plus compétitive l’économie française et “d’assouplir” le marché du travail. Au-delà de la suppression des dizaines de milliers de postes dans la fonction publique, les hôpitaux, les écoles, les services des impôts, la poursuite de la suppression des contrats aidés pendant toute l’année 2018, ce sont des dizaines de milliers de suppressions d’emplois qui restent au programme pour les mois à venir. À cela s’ajoutent les licenciements pour “motifs personnels” (disciplinaires, “faute”, inaptitude professionnelle, refus d’une modification substantielle du contrat de travail) ou par le biais des “ruptures conventionnelles” et un nombre indéterminé de suppressions d’emplois sous forme de “départs volontaires”. Il faut rajouter à cela les attaques contre le statut des cheminots et, par la suite, la mise en place de la réforme du statut de la fonction publique. Tout cela s’inscrit dans la continuité du démantèlement de l’État – providence qui se traduit aussi par des attaques contre les allocations chômage, contre les retraites, contre la sécurité sociale, les réductions des allocations logement et autres prestations familiales. Ce démantèlement de l’État-providence s’est accéléré sous le gouvernement Macron venant aggraver encore la pauvreté. Ainsi, selon l’Observatoire des inégalités, cinq millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, soit 600 000 de plus qu’il y a dix ans.
13/ La violence de ces attaques pose la question de la capacité de la classe ouvrière à y faire face. La résolution sur la situation internationale du 22e congrès du CCI nous fournit le cadre d’une telle analyse : “Après 1989, avec l’effondrement des régimes “socialistes”, un facteur qualitatif nouveau a surgi : l’impression de l’impossibilité d’une société moderne non basée sur des principes capitalistes. Dans ces circonstances, il est bien plus difficile pour le prolétariat de développer, non seulement sa conscience et son identité de classe, mais aussi ses luttes économiques défensives. De plus, en œuvrant d’une façon plus sournoise, l’avancée de la décomposition en général et “en elle-même” a érodé dans la classe ouvrière son identité de classe et sa conscience de classe.”
“Comme le CCI l’avait prévu dans la période immédiatement après les événements de 89, la classe allait entrer dans une longue période de recul. Mais la longueur et la profondeur de ce recul se sont même avérées plus grandes que ce à quoi nous nous étions attendus. D’importants mouvements d’une nouvelle génération de la classe ouvrière en 2006 (le mouvement anti-CPE en France) et entre 2009 et 2013 dans de nombreux pays à travers le monde (Tunisie, Égypte, Israël, Grèce, États-Unis, Espagne…), en même temps qu’une certaine résurgence d’un milieu intéressé par les idées communistes, ont rendu possible de penser que la lutte de classe allait de nouveau, une fois de plus, occuper le centre de la scène, et qu’une nouvelle phase du développement du mouvement révolutionnaire allait s’ouvrir. Mais de nombreux développements au cours de la dernière décennie ont justement montré à quel point les difficultés auxquelles sont confrontées la classe ouvrière et son avant-garde sont profondes”.
Cette situation a affecté le prolétariat en France au même titre que partout ailleurs. Mais, pour les raisons qu’on a vues plus haut, celui-ci a conservé un potentiel de combativité plus élevé que dans la plupart des autres pays, une combativité qui s’est exprimée de façon massive en 1995 (loi Juppé contre la sécurité sociale), en 2003 (face aux attaques contre les retraites), en 2006 (mobilisation contre le CPE), en 2010 (face à de nouvelles attaques contre les retraites) et en 2016 (“loi travail”). Ces mobilisations correspondaient souvent (notamment en 1995 et 2010) à des manœuvres destinées, soit à redorer le blason des syndicats (1995), soit à tuer dans l’œuf la combativité ouvrière (2010 notamment) mais, par elle-même, la multiplication des manœuvres indiquait la préoccupation de la classe dominante face aux potentialités que continue de porter en elle la classe ouvrière en France.
Le mouvement de luttes enclenché au mois d’avril 2018, avec comme points saillants les grèves à la SNCF et les mobilisations étudiantes, s’inscrit dans ce contexte. Il existe un profond mécontentement dans de nombreux secteurs de la classe ouvrière, retraités, hospitaliers, SNCF, étudiants… Un mécontentement qui contient le risque d’aboutir à une explosion sociale majeure face aux futures attaques planifiées par la bourgeoisie. Celle-ci en est consciente et c’est pourquoi elle a lancé une manœuvre pour canaliser ce mécontentement en focalisant le combat sur la SNCF. On assiste à un bras de fer spectaculaire et à une surenchère entre le gouvernement et les syndicats de la SNCF, sur fond de campagnes de dénigrement instrumentalisant la colère des usagers. La stratégie de la bourgeoisie est d’infliger une défaite aux cheminots pour tenter de démoraliser le reste de la classe et de préparer d’autres attaques, notamment contre le statut des fonctionnaires. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si un magazine britannique a représenté en première page Macron en Margaret Thatcher.
Il faut d’ailleurs souligner la détermination de l’État à utiliser la plus vigoureuse répression : état d’urgence permanent, évacuation musclée des facultés en grève, arrestations et poursuites judiciaires contre ceux qui occupaient les universités…
Si le mécontentement est énorme, la réalité des luttes en France est qu’elles sont dominées pour le moment par l’encadrement syndical ; la classe peine à esquisser une prise en main de ses luttes. C’est le tribut que le prolétariat en France paye à la faiblesse générale du prolétariat mondial. En même temps, le succès des manifestations promues par les “insoumis” de Mélenchon-Ruffin dans lesquelles le mot de “révolution” (évidemment associé à celle de 1789 et non aux révolutions prolétariennes du XXe siècle) revient fréquemment, sont le signe qu’un nombre significatif de prolétaires aspire au renversement du capitalisme.
14/ La question de la perspective est au cœur de la capacité du prolétariat à retrouver le chemin de luttes massives, autonomes et conscientes. Si de nombreux prolétaires ont bien compris que le système capitaliste ne peut leur offrir que toujours plus de privations, de précarité, de chômage, de misère et de souffrances, ils sont encore loin d’envisager la possibilité de le renverser. La classe ouvrière doit affronter de nombreux obstacles avant que de pouvoir envisager une telle perspective. D’une part, elle doit surmonter un profond sentiment d’impuissance résultant de la perte de son identité de classe. D’autre part, lorsqu’elle tente de marquer son hostilité aux partis traditionnels de la bourgeoisie responsables des politiques d’austérité de plus en plus rudes, elle doit affronter des pièges redoutables. Le “dégagisme”, l’idée qu’il faut se débarrasser de l’emprise de ces partis sur la vie politique, est exploité tant par des secteurs “de gauche” que d’extrême-droite et son courant populiste. Cela dit, même si de nombreux ouvriers dans le désespoir donnent leur vote au Front national, on n’a pas assisté en France, contrairement à d’autres pays d’Europe, à des mobilisations ou des actes de violence contre des immigrés. La seule manifestation importante contre un foyer devant accueillir des sans-abris a eu lieu en mars 2016 dans le 16e arrondissement de Paris et elle était menée par des bourgeois qui habitent le quartier ! En réalité, le sentiment le plus répandu parmi les masses ouvrières en France est celui d’une compassion vis-à-vis de ces êtres humains qui affrontent les pires dangers pour fuir l’enfer qu’ils connaissent dans leur pays.
Les difficultés principales que doit affronter la prise de conscience du prolétariat sont et seront les manœuvres des “spécialistes” en sabotage que sont les syndicats et les gauchistes. Pour y faire face, l’expérience accumulée par le prolétariat durant les années 1970 et 1980 devra absolument être ravivée dans les mémoires. Cette capacité à politiser la lutte et à développer la conscience en récupérant les leçons de l’histoire du mouvement ouvrier est l’enjeu des futurs grands mouvements sociaux. Par rapport à cette perspective, il convient de signaler l’impact actuel de deux mouvances qui se réclament de “l’anticapitalisme” et de cette nécessaire politisation des luttes mais qui en réalité constituent des impasses : le mouvement “zadiste” et celui des “black blocs”, tous deux de nature petite-bourgeoise.
Le “zadisme” a pour politique d’occuper les “zones à défendre” (ZAD) menacées par les appétits du capital et de la finance, comme par exemple le territoire destiné à recevoir un nouvel aéroport pour la métropole de Nantes. Ce mouvement est monté en épingle par la bourgeoisie et ses fractions d’extrême-gauche et est composé d’éléments anarchisants. Le mouvement “zadiste” prend souvent la forme de la défense de la petite propriété agricole, du “produire et consommer local”, avec tout ce que cela implique d’échanges marchands. Comme ce mouvement est souvent présenté comme une vraie opposition au capitalisme, il risque d’avoir un impact sur des éléments et des minorités qui tentent de réfléchir sur une autre alternative au capitalisme et de stériliser cette réflexion.
Le mouvement des “black blocs” est également animé par des éléments de la mouvance anarchisante (et il lui arrive de “prêter main forte” aux “zadistes”). Il mise sur le fait que des actions violentes contre les symboles du capitalisme (la police, les banques, les entreprises multinationales) affaiblit celui-ci et que la répression que leur action provoque va entraîner les masses dans la lutte violente contre l’État. C’est là une illusion dramatique qui, non seulement est dangereuse pour ceux qui s’y laissent prendre, mais qui est récupérée par l’État capitaliste pour discréditer les manifestations ouvrières et justifier le renforcement de son arsenal répressif. Tout comme le “zadisme”, ce mouvement qui se veut “anticapitaliste” ne peut que faire obstacle à une véritable prise de conscience de la perspective révolutionnaire.
En 1968, la perspective de la révolution était au cœur des discussions et des réflexions, même si cette perspective ne pouvait pas encore se concrétiser du fait, notamment, du faible niveau de la crise économique : le capitalisme n’avait pas encore fait la preuve qu’il ne pouvait pas surmonter ses contradictions. La révolution apparaissait comme possible mais non pas nécessaire. La situation est tout autre aujourd’hui : la nécessité du remplacement du capitalisme par une autre société est ressentie par un nombre croissant d’exploités mais la révolution prolétarienne apparaît comme impossible. Cela dit, tous les éléments qui se posent le problème du renversement du capitalisme ne sont pas happés par les impasses que constituent le “zadisme” et ses variantes ou par la violence gratuite des “black blocs”, deux expressions de la perte de tout espoir d’une véritable révolution prolétarienne. Il existe dès à présent, notamment en France, une tendance à une réflexion plus profonde, avec des blogs, des lieux de rencontre, une tendance animée par des éléments qui essaient de se placer sur le terrain de la lutte de classe, confus sur beaucoup de questions, mais avec la volonté de trouver un terrain prolétarien.
L’aggravation inexorable de la crise du capitalisme, la perte des illusions envers les courants politiques dont la fonction, même quand elle n’est consciente, est de stériliser cette réflexion, ouvrent la possibilité que celle-ci prenne dans les années à venir une plus grande ampleur et c’est la responsabilité d’une organisation communiste comme le CCI d’intervenir activement dans ce processus.
Révolution internationale, juin 2018
Le mercredi 1er août, un énorme incendie se déclarait dans une usine de recyclage d’Athis-Mons (Essonne), site qui avait déjà vu ses déchets en plastique partir en fumée en 2011. Le même jour, les stocks de l’usine Environnement Recycling à Montluçon (Allier) prenaient également feu, mobilisant 140 pompiers et libérant un impressionnant nuage de fumée sur la région. Environnement Recycling avait déjà empoisonné ses employés et l’atmosphère lors de l’incendie de plusieurs tonnes de plastique en 2014. Depuis, visiblement, aucune mesure sérieuse de sécurité n’a été prise et c’est, selon l’entreprise, pas moins de cinq-cents tonnes de plastique, de batterie et de matériel électrique qui ont flambé. La faute, selon la direction, aux batteries au lithium qu’Environnement Recycling a cru pouvoir bazarder sans conséquence sous le soleil d’août, mettant en péril la vie et la santé de la population et, plus encore, de ses salariés dont les conditions de travail, révélées par de multiples scandales, laissent déjà deviner le profond cynisme de la direction !
Cette entreprise “modèle”, “à la fois performante, responsable et citoyenne” (selon son site internet) emploie en effet des personnes handicapées ou “en rupture sociale” (ce qui permet surtout de faire subventionner le coût de la main d’œuvre par l’État) qu’elle expose en permanence à un nuage de poussière toxique contenant une proportion élevée de plomb et autres métaux lourds. Du chantage à l’emploi au prix de la santé d’ouvriers forcément précarisés, c’est ce qu’Environnement Recycling appelle un “engagement en faveur de l’accès à l’emploi et de l’accompagnement” (toujours selon son site internet). Dans ces conditions, répandre une immense fumée empoisonnée plusieurs jours durant sur toute une région relève au mieux, pour Jérôme Auclair, le gérant d’Environnement Recycling qui s’est exprimé dans la presse locale, d’un simple “risque connu”.
Face à ces catastrophes industrielles que personne n’attende de réponse de l’État ; il fera son travail : protéger la rentabilité de la propriété privée ! Déjà, la machine de propagande et de mensonges est en branle. Tandis que la population suffoquait sous un épais nuage toxique, les autorités déclaraient sans sourciller : “le seuil olfactif (expression novlangue pour dire que ça pue méchamment) est atteint, mais il n’y a pas de risques toxiques ni de pollution aquatique ”.(1) Nous voilà rassurés ! En plus : “des prélèvements ont été effectués dès mercredi, pour écarter tout risque de pollution”. Même les grossiers mensonges sur le nuage radioactif de Tchernobyl en 1986 étaient plus convaincants !
Face à la banalisation cynique des méfaits quotidiens du capitalisme, face à la multiplication des catastrophes prétendument naturelles, à celle des catastrophes industrielles, la bourgeoisie n’a pas d’autre explication que la fatalité ou l’origine accidentelle malencontreuse, ni d’autre message que des communiqués stéréotypés des “autorités” pour prévenir la panique et, surtout, désamorcer la colère comme les interrogations des riverains. Pourtant, le stockage peu coûteux de gros tas de détritus indistincts et inflammables est systématique et parfaitement cautionné par les autorités. Tout le monde sait que ces pratiques sont dangereuses (un “risque connu”), que ce type d’incendie met plusieurs jours à s’éteindre, dégageant dans l’atmosphère et dans nos poumons, y compris ceux des enfants et des personnes fragiles, une pollution dont chacun a pu mesurer l’ampleur par le seul “seuil olfactif”. Si la santé et la vie de la population peuvent être mises en péril, le profit, lui, est protégé de ces aléas !
Léo, 3 août 2018.
1 “Incendie à Environnement Recycling (Allier) : la dernière cellule en passe d’être éteinte”, La Montagne du 2 août 2018.
À l’heure où nous écrivons ces lignes, le mondial de football vient de s’achever sur la victoire retentissante de l’équipe de France. Les différents États et leur appareil médiatique n’ont pas manqué cette belle occasion pour attiser le sentiment patriotique de “l’unité nationale” en appelant à soutenir leurs équipes tout au long de l’événement. Cela a donné lieu à une “liesse nationale” avec, le jour de la finale, des dizaines de milliers de supporters français descendus dans les rues pour clamer leur joie chauvine sous des milliers de drapeaux bleu-blanc-rouge.
De la mi-juin à la mi-juillet, les caméras du monde entier étaient braquées sur la Russie pour couvrir l’événement. En France, à chaque victoire des “Bleus”, les autres sujets d’actualités étaient relégués au second plan, si ce n’est complètement occultés par les principaux médias. Au fil du parcours de l’équipe nationale dans la compétition, les gros titres et les journaux télévisés laissaient une place croissante à ce sujet d’une importance capitale pour… l’unité nationale ! Quelques jours avant la coupe du monde, dans une interview donnée au siège de l’équipe de France à Clairefontaine où il se rendit début juin pour motiver les troupes, Emmanuel Macron déclarait : “C’est toute une nation de football qui est derrière cette équipe.” Ou encore : “le sport permet la cohésion nationale”. Dans cette démarche qui évoque celle d’un général passant en revue ses troupes avant le combat, l’objectif était parfaitement clair. Il s’agissait, en quelque sorte, du coup d’envoi d’une campagne nationaliste à grande échelle : guirlandes tricolores dans les bars, les restaurants et dans certains grands magasins, bandeau sur internet, le drapeau accroché aux fenêtres des maisons ou aux rétroviseurs des voitures, etc. Certaines écoles primaires ont même mis en place une “fan zone”(1) pour les élèves, d’où ces derniers sortaient marqués d’un signe tricolore sur le visage ou en chantant la Marseillaise. Il faut dire que le succès de l’équipe de France fut un atout majeur pour cette campagne nationaliste et l’État a très bien su tirer profit du calendrier de la coupe du monde. En particulier, la fête nationale du 14 juillet, se tenant juste après la victoire de l’équipe de France en demi-finale et à la veille même de la finale, donna lieu à un impressionnant déballage de patriotisme, une “communion” orchestrée derrière les “Bleus”. A maintes reprises, des références ont été faites à la “victoire de 98”.(2) En particulier, nous avons vu des tentatives pour reprendre le thème hypocrite de la France “black-blanc-beur”, comme symbole de l’unité nationale, pour mieux endormir la classe ouvrière avec des slogans interclassistes. L’unité nationale repose sur le mythe de l’union du grand patron avec l’ouvrier, indispensable aux intérêts du capital national. Dans tous les pays où l’équipe nationale participait à la compétition, la bourgeoisie s’est servie du Mondial pour gommer et rejeter les antagonismes de classe et distiller la propagande qu’“ensemble”, “soudée pour défendre et encourager son équipe”, chaque nation est plus forte et par la même induire que l’ouvrier d’ici est nécessairement en concurrence, en rivalité, avec l’ouvrier de là-bas.
L’utilisation du sport comme vecteur du nationalisme n’est pas un fait nouveau. Le premier exemple qui vient à l’esprit, sans doute le plus marquant, est celui des Jeux Olympiques de Berlin en 1936, où la volonté du IIIe Reich était clairement affichée : “le jeune sportif allemand devait être “résistant comme le cuir, dur comme l’acier de Krupp””.(3) Cela présageait ce qui allait suivre. Durant la guerre froide, l’agressivité des sportifs d’URSS comme des États-Unis n’avait d’égale que celle de l’impérialisme de leur pays respectifs… De la même manière, en 1969, le match de football opposant le Honduras au Salvador pour la qualification en coupe du monde l’année suivant fut un prélude à la guerre qui ne tarda pas à éclater entre ces deux pays. On peut également rappeler le match qui opposa le Dynamo de Zagreb au Red Star de Belgrade en 1990 débouchant sur une bataille rangée qui fit des centaines de blessés et plusieurs morts, contribuant à envenimer les tensions nationalistes déjà existantes qui allaient déboucher sur la guerre en ex-Yougoslavie. Parmi les supporters serbes les plus radicaux, on remarquait le chef de guerre Arkan, spécialiste de “l’épuration ethnique”, nationaliste recherché plus tard par l’ONU pour “crime contre l’humanité” !(4) Nous pourrions remplir nos pages d’exemples de ce type.
Lors de ce Mondial, certains joueurs se sont fait directement les porte-paroles de ces tensions impérialistes et de la haine qu’elles véhiculent. Lors du match Suisse-Serbie, deux joueurs suisses originaires du Kosovo (ancienne province Serbe majoritairement albanaise) ont célébré leurs buts en mimant avec leurs mains l’aigle albanais, adressant un véritable message de défiance vis-à-vis des Serbes. On voit bien à quel point les compétitions sportives internationales sont la forme refoulée des champs de bataille.
Par conséquent, il est indispensable de dénoncer le piège que constituent ces “rencontres” sportives ultra médiatisées pour la conscience et pour l’unité internationale du prolétariat mondial. La ferveur nationaliste, l’hystérie chauvine, outil indispensable au développement de l’impérialisme, y est alors attisée par tous les moyens. Le battage médiatique qui accompagne les principaux événements sportifs a vocation à “améliorer le moral des ménages”, favorisant ainsi la consommation mise à mal par l’enfoncement du capitalisme dans sa crise historique. Dans la dynamique de la société capitaliste qui entraîne l’ensemble de l’humanité vers la barbarie et le chaos, tout cela évoque la formule de la Rome antique : Panem et circenses (du pain et des jeux) !
La classe ouvrière doit rejeter fermement le poison nationaliste sous toutes ces formes qui mène inévitablement à des guerres fratricides. Face à la misère que sème le capitalisme, elle ne doit pas se laisser happer par le cirque orchestré par la bourgeoisie, mais elle doit chercher la solidarité au delà des frontières nationales, elle doit défendre le caractère international de la perspective communiste. C’est l’unique voie pour mener l’humanité vers un monde sans exploitation, sans misère, sans guerres, et sans frontières !
Marius, 20 juillet 2018
1Zone spéciale réservée aux supporters les plus fanatiques.
2La coupe du monde de football de 1998 organisée et gagnée par la France avait également donné lieu à une assourdissante campagne nationaliste.
3Lire notre série d’articles publiés en 2012 et 2013 : Le sport, le nationalisme et l’impérialisme (Histoire du sport dans le capitalisme), Révolution Internationale n° 437, 438, 439.
4Le sport, un concentré de nationalisme, Révolution Internationale, juin 2010.
Inexorablement, les massacres se succèdent dans l’interminable conflit israélo-palestinien. Une fois encore, l’État d’Israël a tiré sur des milliers de personnes et en a assassiné plusieurs dizaines d’autres. De l’autre côté, c’est une fraction de l’État adversaire, le Hamas, à la tête des territoires de Gaza, qui a soutenu et encouragé une manifestation en sachant pertinemment qu’en face, l’armée israélienne allait tirer pour tuer. Le bilan de cette “grande marche du retour” s’élève à 130 morts et près de 4 000 blessés, selon les dernières informations.
Cet énième épisode de déchaînement de violence montre que la Bande de Gaza est devenu un ghetto de misère et d’obscurantisme religieux, dans laquelle la population ne cesse de subir les pires souffrances. Le seul avenir réservé aux habitants de ce territoire, c’est toujours la mitraille, la faim, la misère.
Alors que le 14 mai, un parterre de politiciens célébraient, le sourire aux lèvres, l’inauguration de l’ambassade des États-Unis à Jérusalem, bien que son statut de capitale de l’État d’Israël ne soit pas reconnu sur la scène internationale, au même moment, quelques dizaines de kilomètres plus loin, soixante personnes étaient assassinés par des soldats tirant sur des manifestants sans défense. Ces victimes, chaire à canon d’une cause qui n’est pas celle des exploités, tentaient de promouvoir aux yeux du monde la reconnaissance d’un État, la Palestine, que de moins en moins de gouvernements ont désormais envie de soutenir. Face à la réalité de la barbarie impérialiste, les déclarations d’indignation de nombreux responsables politiques ne sont que des protestations hypocrites : si certains désapprouvent l’attitude irresponsable de Trump et condamnent “les violences des forces armées israéliennes”, si les dignes représentants de l’Union européenne ont cyniquement demandé, le jour-même du massacres, “à toutes les parties d’agir avec la plus grande retenue afin d’éviter des pertes de vies humaines supplémentaires”, ils ne stigmatisent la politique meurtrière de Trump, d’Israël ou du Hamas, que pour masquer le ur propre implication dans la défense d’intérêts impérialistes non moins sordides. En fait, tous les États, puissants ou faibles, alimentent sans la moindre considération pour la vie humaine, les tensions guerrières dans cette région qui est déjà une véritable poudrière depuis plus d’un siècle.
En attendant, les fractions politico-religieuses de Gaza qui ont organisé “la marche du retour” ont poussé sans aucune vergogne toute une population désorientée, parfois fanatisée, à aller se faire massacrer. Le Hamas a même poussé les enfants à se déplacer pour ne pas qu’ils oublient que “l’ennemi, c’est Israël” : huit enfants de moins de 16 ans sont ainsi morts sous les balles israéliennes ! Pour le Hamas et ses fractions concurrentes, pousser des êtres humains à se faire massacrer est le fruit d’un calcul politique froid, cyniquement justifié par la recherche de soutiens en provoquant des réactions dans les populations des pays de la région pour qu’elles fassent pression sur leur gouvernement afin de soutenir la cause palestinienne. L’envoi de missiles depuis Gaza sur le territoire israélien ne fait que confirmer la réalité d’un engrenage meurtrier qui ne peut qu’alimenter l’esprit de vengeance. Derrière les attentats terroristes dans les rues d’Israël et les massacres des populations de Gaza par la soldatesque israélienne, il y a la même logique, celle de “la loi du talion”, la volonté barbare de “rendre coup pour coup”. Dans cette escalade, le nombre de morts comptabilisé par chaque camp sert à justifier par avance l’horreur des assassinats et l’ampleur du massacre à venir.
Cette région du Moyen-Orient était un enjeu stratégique pour les puissances coloniales bien avant que l’on s’intéresse au pétrole.(1) Le partage de cette région a connu plusieurs épisodes marquant au cours et à la suite de la Première Guerre mondiale qui a vu l’Empire Ottoman s’effondrer et de nouveaux États apparaître. La Palestine, sous protectorat britannique, avait alors à sa tête une bourgeoisie nationale incapable de créer une nation indépendante. Tandis que la bourgeoisie arabe s’opposait à la présence britannique, émergeait un rival sioniste utilisé par l’impérialisme anglais pour se maintenir durablement. Le Royaume-Uni avait ainsi promis la Palestine à la fois aux sionistes et à la bourgeoisie pan-arabe naissante, une politique couronnée de succès jusqu’à la Seconde Guerre mondiale et bien après.
Au cours de la période de décadence du capitalisme, les nations nouvellement créées dans cette région, comme partout ailleurs, sont aussitôt devenues des pions au service d’impérialismes rivaux. L’histoire du XXe siècle montre ainsi que les nationalismes sioniste et arabe ont tous deux été amenés à jouer un rôle de plus en plus important au Moyen-Orient en tant qu’idéologies servant dans l’équilibre complexe des forces entre les grandes puissances impérialistes. Ils ont également constitué de véritables armes contre la menace représentée par les luttes de la classe ouvrière dans la mesure où celle-ci était poussée à prendre parti pour un camp, ce qui ne pouvait que la désarmer et la faire sombrer dans la division. Cette idéologie a pu également être propagée par les milieux gauchistes contre la classe ouvrière des pays développés, notamment par le biais de prétendues “luttes de libération nationale” qui n’ont fait qu’alimenter les massacres impérialistes. Prendre parti pour un camp impérialiste, c’est encore et toujours ce que nous demandent les gauchistes comme LO ou le NPA. Ces va-t’en-guerre justifient leur soutien à l’un des camps belligérants avec les mêmes arguments depuis des décennies : parce qu’il aura été “dépossédé de sa terre”, le “peuple palestinien” doit, selon cette logique, être soutenu contre Israël, “l’avant-poste de l’impérialisme occidental”.
Ce conflit de longue date s’enlise dans une région en proie à un chaos guerrier croissant et qui ne cesse de s’étendre. Aujourd’hui, cette région du monde et sa population sont livrées à la barbarie guerrière, à la terreur et à la misère mais bon nombre de puissances impérialistes, petites ou grandes, se trouvent plongées plus ou moins directement dans cet imbroglio qui dépasse l’héritage de ce conflit permanent. C’est une expression de l’impasse du monde capitaliste dans laquelle nous vivons. L’extension du chaos guerrier qu’il génère menace l’humanité entière d’être engloutie en sombrant dans un océan de barbarie si le prolétariat, particulièrement celui des pays les plus développés, n’avait pas la force d’imposer sur le terrain de la lutte de classes sa propre perspective révolutionnaire : le renversement du capitalisme. Face à toute la barbarie du conflit israélo-palestinien, les mots de la Gauche Communiste dans les années 1930 résonnent toujours par leur actualité : “Pour le vrai révolutionnaire, naturellement, il n’y a pas de question “palestinienne”, mais uniquement la lutte de tous les exploités du Proche-Orient, arabes ou juifs y compris, qui fait partie de la lutte plus générale de tous les exploités du monde entier pour la révolution communiste”.(2)
Seb, 25 juin 2018.
1Notes sur l’histoire des conflits impérialistes au Moyen-Orient, [38] Revue internationale n° 115.
2La position des internationalistes dans les années 30, Bilan n° 31 (1936).
Dans son nouveau film, En guerre, ovationné lors de sa projection au dernier festival de Cannes, Stéphane Brizé traite une nouvelle fois de la question sociale en portant un regard toujours aussi critique sur l’inhumanité du système capitaliste et les effets dévastateurs de la concurrence sur la vie des ouvriers. Cette fois-ci, le cinéaste a choisi de traiter la lutte d’ouvriers contre la direction d’une usine automobile de province ayant décidé de fermer le site. Face aux accords bafoués et à la parole non-respectée, les 1100 salariés de l’usine, très en colère, décident de mener la guerre que leur impose le patronat. Parmi eux, un leader se distingue, Laurent Amédéo, délégué d’un syndicat minoritaire et radical, joué par Vincent Lindon.
Même si le film ne semble pas avoir connu le même succès que le précédent(1) auprès du grand public, sa promotion dans les médias et sa diffusion dans les rangs ouvriers(2) suscitent une interrogation. Pourquoi promouvoir largement une œuvre cinématographique qui, a priori, flingue sans retenu la société capitaliste ?
Comme dans La loi du marché, Stéphane Brizé porte un regard acerbe, virulent et indigné sur le monde du travail, les ouvriers étant traités comme des moins que rien par des chefs d’entreprises qui décident de délocaliser l’usine afin de préserver leurs intérêts. Le film montre bien l’état d’esprit avec lequel la bourgeoisie assure sa survie. Sans la moindre compassion, cynique et égoïste, elle plonge des milliers de salariés et leurs familles dans le désespoir et la misère. Le film met bien en évidence ces figures de la bourgeoisie industrielle, du petit directeur de l’usine au PDG allemand, en passant par la directrice des ressources humaines, mais il les réduit à leur dimension individuelle sans véritablement montrer qu’ils incarnent avant tout la classe dominante de la société capitaliste dont l’état d’esprit n’a pas pris une ride depuis près de 170 ans. En son temps, Engels écrivait à propos de la bourgeoisie : “Je n’ai jamais vu une classe si profondément immorale, si incurablement pourrie et intérieurement rongée d’égoïsme. (…) Pour elle il n’existe rien au monde qui ne soit là pour l’argent, sans l’excepter elle-même, car elle ne vit que pour gagner de l’argent et pour rien d’autre, elle ne connaît pas d’autre félicité que de faire une rapide fortune, pas d’autre souffrance que de perdre de l’argent. (…) Le bourgeois se moque éperdument de savoir si ses ouvriers meurent de faim ou pas, pourvu que lui gagne de l’argent. Toutes les conditions de vie sont évaluées au critère du bénéfice, et tout ce qui ne procure pas d’argent est idiot, irréalisable. (…) Le rapport de l’industriel à l’ouvrier n’est pas un rapport humain, mais une relation purement économique”.(3)
L’une des forces du film est de mettre en lumière cette gestion inhumaine du capital par la bourgeoisie, cette façon bien à elle de piétiner sans cesse des producteurs déjà écrasés et brisés par les efforts consentis pour préserver leurs emplois, seul moyen de survivre dignement dans cette société en putréfaction. Sur ces aspects-là, le film touche au plus près de la réalité. Un réalisme renforcé par les plans serrés, l’authenticité des personnages et le mélange entre la fiction et le reportage. Mais un réalisme qui n’arrive pas à s’élever au-delà des apparences et qui réduit la lutte de classes à un combat d’individus arbitré par l’État incarné ici par le porte-parole du gouvernement dont la neutralité n’est qu’un vulgaire trompe l’œil.
Ce film reprend le stéréotype même du combat perdu d’avance. Puisque la lutte des “Perrin”, totalement isolée, se résume à la quête d’obtention de négociations avec les responsables de l’entreprise et les représentants de l’État. Bien sûr, les ouvriers se font prendre au jeu du pourrissement. Bientôt, la lassitude et le désespoir gagnent leurs rangs du fait de tensions entretenues et de la grande faiblesse de cette lutte isolée. D’un côté, les jusqu’au-boutistes, amenés par Laurent Amédéo, bien décidés à ne rien lâcher jusqu’à ce qu’on garantisse le maintien de leur poste. De l’autre, les “modérés” qui acceptent de reprendre le travail afin de faire augmenter la prime de licenciement. La radicalisation des jusqu’au-boutistes atteint son paroxysme avec le lynchage du grand patron du groupe allemand après l’échec des négociations et le discrédit total (largement alimenté par les médias) du “combat des Perrin”. Ce qui consacre la division chez les ouvriers qui finissent par s’engueuler, s’insulter et se battre entre eux, comme des hyènes devant un morceau de viande pourrie. Rejetant leur frustration sur un bouc-émissaire, Laurent Amédéo, véritable coupable idéal de cette débâcle, accusé à tort de penser qu’à lui et de profiter de la situation (même s’il a largement contribué à mener la lutte droit dans le mur en tant que dirigeant syndical). Celui-ci finit par s’immoler devant le siège de l’entreprise en Allemagne en véritable martyr ; suite à cela les treize ouvriers poursuivis par la justice pour agression seront relaxés et la direction du groupe accepte de reprendre les négociations. Que dire de cette scène finale qui sombre dans le glauque et le vulgaire ? Comment ne pas voir ici la mort symbolique d’une classe, la victoire et le règne d’une société où les individus totalement broyés préfèrent écourter leur souffrance plutôt que de lutter collectivement pour un autre monde ?
Si le film donne l’image d’une réalité de la lutte actuelle dans le secteur industriel, il est incapable d’esquisser ce que pourrait être une lutte se développant sur un terrain de classe. A l’inverse, c’est un tableau très noir et empreint de désespoir qui est délivré ici. Les ouvriers sont incapables d’opposer leurs seules armes (la solidarité, l’unité) pour lutter contre la concurrence effrénée de la production capitaliste. Au contraire, ces aspects ne cessent de se déliter au fil de l’histoire. La classe comme un tout n’existe pas, n’existe plus. Incapables de s’unir, condamnés à se battre pour quelques miettes, les ouvriers placent leurs maigres espérances dans les actes héroïques de quelques-uns d’entre eux. Dès lors, ce film nie totalement la capacité encore vivante de la classe ouvrière à donner une autre perspective à l’humanité.
Il va sans dire que ce film est une fois de plus du pain béni pour la bourgeoisie. Il n’est guère surprenant qu’il soit promu largement par le biais des grands canaux médiatiques et culturels. En guerre est l’expression de ce monde sans avenir où l’immédiat et l’apparence l’emportent sur le futur. La lutte ne sert plus à rien ! La classe est condamnée à résister dans une guerre qu’elle ne gagnera pas, ne pouvant que s’efforcer de limiter les “excès” d’un capitalisme triomphant. D’un certain côté, ce film exprime les confusions et le propre désespoir de son auteur. Sa démarche individuelle l’empêche de saisir les potentialités révolutionnaires toujours existantes de la classe ouvrière. Incapable de comprendre cette essence, il reste fixé sur l’apparence d’une classe en pleine agonie, sur une vision purement photographique du monde. Mais au-delà du cas de conscience d’un individu, les visions sous-jacentes du film sont les reflets de la période que nous traversons. Stéphane Brizé et son dernier opus servent in fine de relais au message que la bourgeoisie et ses politiciens ne cessent de marteler en direction des prolétaires, à savoir qu’une société sans inégalité et sans exploitation est impossible, que le combat de la classe ouvrière pour un autre monde est impossible, perdu d’avance.
Joffrey, 5 juillet 2018
1Voir : “À propos du film La loi du marché : une dénonciation sans réelle alternative”, Révolution Internationale n° 453, ainsi que notre réponse à un courrier de lecteur sur ce sujet dans le numéro suivant.
2Une projection-débat a été organisée à Blanquefort (Gironde) à l’initiative du collectif des ouvriers de l’usine Ford en présence de Stéphane Brizé et de Xavier Matthieu, ancien leader syndical sorti de l’ombre lors de la lutte des ouvriers de l’usine Continental de Clairoix.
3Engels, La situation de la classe laborieuse en Angleterre, 1845.
Nous publions ci-dessous la traduction d’un tract diffusé par nos camarades au Pérou.
Une fois de plus, nous, les ouvriers, sommes victimes et témoins du vrai visage de la classe politique péruvienne, considérée comme l’une des pires dans la région et dans le monde. Cette mafia est composée, entre autres, des voleurs d’ARPA,(1) des Fujimoristes,(2) de ce qui reste des partisans de PPK,(3) de ceux du parti APP(4) qui revendiquent cyniquement “l’argent comme terrain de jeu”, et bien sûr, des ineffables partis de la gauche du capital (qui vont du Frente Amplio et du Nuevo Perú jusqu’aux maoïstes recyclés du Movadef).(5) Tous, sans exception, sont les produits de la décadence du capitalisme et de sa phase actuelle de décomposition. Non seulement ils se sont révélés assoiffés d’argent comme l’a révélé le Lava jato(6) mais maintenant aussi avec la mise à jour des honteuses “conversations enregistrées”, emplies de témoignages sur les privilèges et les pots-de-vin en faveur des juges et des procureurs. Ces scandales sont la preuve la plus grossière du déclin du système capitaliste ainsi que de la démocratie et ses institutions.
La démocratie, avec ses élections et ses caquètements sur les droits des citoyens, n’est rien d’autre que la dictature du capitalisme sur le prolétariat, la légalisation de l’exploitation des ouvriers par les capitalistes ; c’est la vraie et horrible face d’un ordre social que la presse nous vend comme le meilleur du monde.
Toute cette pourriture que nous voyons aujourd’hui fait partie de la décomposition du capitalisme.(7) La fameuse corruption n’est pas un “défaut”, cela fait partie intégrante de l’ordre social bourgeois, et cela ne se “guérit” pas ni ne se “nettoie” avec de nouvelles élections, en réclamant la dissolution du parlement, en demandant “qu’ils s’en aillent tous” ou en organisant des marches citoyennes appelant à réformer la justice, autant de propositions utopiques et petites-bourgeoises que nous vendent les collectifs de citoyens, la gauche, les syndicats, IDL(8) et les ONG, et qui ne vont pas à la racine du problème. Le vrai problème n’est pas quelques “pommes pourries”. C’est le système dans son ensemble qui est bouffé par les mites et qui craque un peu plus à chaque scandale découvert. La seule solution, c’est la destruction du capitalisme par son ennemi historique, la classe ouvrière, les travailleurs conscients et auto-organisés politiquement, porteurs d’une autre société, sans exploiteurs ni exploités, où la pourriture politique cessera enfin d’exister et où prendront fin toutes les souffrances auxquelles l’ordre actuel nous soumet.
La bourgeoisie n’a pas laissé échapper l’occasion, à travers le parlement, d’approuver ou maintenir les lois ayant permis de générer tant de profits depuis les années 1990, au détriment de la surexploitation des travailleurs agricoles ou de l’agro-industrie par exemple. Mais comme l’économie ne s’est pas développée comme l’espérait le président Vizcarra, il s’agit maintenant de faire payer aux travailleurs les conséquences de la crise et le déficit fiscal à travers la hausse de l’ISC(9) et du prix de l’essence qui sont une attaque directe de l’État et de la bourgeoisie contre les ouvriers et leurs conditions de vie déjà très mauvaises et précaires. L’inflation et la hausse du chômage sont les conséquences de la crise.
À Arequipa, Puno et Cajamarca, la population a bloqué les routes et paralysé les commerces. A Lima des grèves se sont développées dans différents secteurs (éducation, santé, industrie). Dans ce scénario de confrontation, la bourgeoisie péruvienne a mobilisé son appareil d’État et a joué à nous diviser en jetant dans la balance tous les instruments politiques et syndicaux permettant de contenir le mécontentement des travailleurs. Par exemple, tandis que le gouvernement réprimait les manifestations à coups de gaz lacrymogènes, les centrales syndicales se réunissaient au Palais du gouvernement avec Vizcarra. À côté de ça, la lutte s’est poursuivie cependant, bien qu’il n’y ait pas eu de réponse profonde et efficace de la classe ouvrière contre ses exploiteurs. Notre classe, continue d’être la proie de l’idéologie bourgeoise et petite-bourgeoise, à travers une situation d’extrême faiblesse et de manque d’organisation consciente non seulement au Pérou mais au niveau planétaire. Mais cette situation ne sera pas éternelle comme le souhaiteraient les hommes politiques et les idéologues du capitalisme. Le cas des ouvriers en Russie et de leurs Soviets en 1917 ou le resurgissement des luttes ouvrières de Mai 1968 sont des exemples historiques dont on peut tirer des leçons, et face à l’épais brouillard de la décomposition sociale, le grand navire de la classe ouvrière mondiale ne peut que continuer à avancer en se battant pour l’avenir.
Ouvriers ! Voici ce qui doit servir de boussole pour nos luttes :
– Mobilisons-nous contre toutes les attaques contre nos conditions de vie et contre le paquet de mesures prises par le gouvernement. Que personne ne reste à la maison ! Gagnons la rue !
– Organisons-nous pour diriger nous mêmes nos luttes à travers des Assemblées générales ouvertes à tous (ouvriers, étudiants, chômeurs, retraités) !
– Solidarité avec tous les travailleurs en grèves, rompons l’isolement et le corporatisme ! Toute lutte ouvrière est aussi la nôtre.
– Non à la xénophobie qui se développe contre nos frères vénézuéliens ! Eux aussi ce sont des ouvriers, des prolétaires, qui sont arrivés en fuyant le cauchemar chaviste et qui sont et seront avec nous dans les luttes contre le capital et son État.
Internationalismo, section du Courant Communiste International au Pérou.
1APRA : Alliance populaire révolutionnaire américaine, un parti bourgeois fondé par Victor Haya de la Torre qui dans sa démagogie a flirté avec le stalinisme. Actuellement en train de se décomposer.
2Fujimoristes : membres du parti représenté par Alberto Fujimori, un parti initialement appelé Cambio 90, qui est actuellement dirigé par la fille d’Alberto, Keiko Fujimori.
4César Acuña Peralta, homme d’affaire et politicien péruvien, fondateur du parti APP (Alliance Pour le Progrès), ancien maire de Trujillo (2007-2014) visé par des accusations de blanchiment d’argent. Il est notamment convaincu d’avoir acheté ses élections en payant ses votes et en les recrutant auprès les masses les plus déshéritées. Il revendique lui-même la devise “l’argent comme terrain de jeu” pour la gestion et la transformation du pays. C’est pourquoi il est au centre des campagnes anti-corruption qui le désignent comme bouc-émissaire.
5Movadef : Mouvement pour l’amnistie et les droits fondamentaux, est le bras politique du groupe terroriste Sentier lumineux.
6La Commission Lava Jato est une commission d’enquête nommée au sein du parlement péruvien, qui enquête sur les actes de corruption parmi les hauts fonctionnaires de l’État, par exemple ceux liés à des grandes entreprises brésiliennes comme Odebrecht.
7Voir les Thèses sur la décomposition [42].
8IDL : Instituto de Defensa Legal, association pour la défense des droits de l’homme, qui se présente comme championne de la démocratie et du respect de la légalité et des institutions.
9 ISC : Taxe sélective à la consommation qui est un impôt indirect qui, contrairement à la TVA, ne taxe que certains biens (il s’agit d’une taxe spécifique) ; l’un de ses objectifs est de décourager la consommation de produits supposés générer des “effets négatifs” sur le plan individuel, social et environnemental, comme les boissons alcoolisées, les cigarettes et les carburants.
Dans une région marquée par la guerre impérialiste et les divisions sectaires, les manifestations sociales récentes en Iran, Jordanie et Irak mettent en avant la nécessité pour le prolétariat au niveau mondial de construire une autre perspective : celle de la lutte unie des exploités contre le capital et sa violence brutale. Cet article, écrit par un sympathisant proche du CCI, examine les manifestations massives qui ont balayé l’Irak.
Débutant le 8 juillet, un bon nombre de protestations spontanées ont éclaté en Irak central et dans le sud du pays, impliquant des milliers de manifestants. Ce mouvement s’est répandu très rapidement dans huit provinces méridionales et, environ quinze jours plus tard, dans les rues de Bagdad. Il prenait le relais de manifestations significatives en Jordanie et en Iran exactement sur les mêmes questions. Le mouvement en Irak devait être au courant de ces manifestations et inspiré par elles, étant données leurs similitudes fondamentales.
La classe ouvrière en Irak est numériquement et généralement plus faible que dans les deux autres pays et bien qu’il y ait des rapports sur des rencontres de manifestants et d’ouvriers du pétrole, le contenu et le contexte de ces rassemblements ne sont pas connus. Mais les forces motrices des manifestations sont des questions de classe :
Le religieux chiite le plus vieux d’Irak, Ali al-Sistani, a pressé le gouvernement d’accepter les revendications des manifestants. Un “soutien” analogue des protestations est venu du religieux populiste chiite, Muqtada al-Sadri (3), qui a gagné les élections du 12 mai (sujettes à un nouveau décompte) avec l’aide du stalinien Parti communiste iranien. Le premier ministre du Parti islamique Dawa, Haider al-Abadi, a promis des fonds et projette de répondre aux protestataires. Même les Saoudiens, flairant une occasion de contrer l’influence iranienne, ont promis de “l’aide”.
Les bâtiments municipaux et gouvernementaux n’ont pas été les seules cibles des attaques des manifestants, mais l’ont été aussi les institutions chiites, ce qui était un démenti à leur “soutien” hypocrite à la vague de manifestations. Le populiste radical, Al-Sadr, a vu sa délégation auprès des manifestants attaquée et éconduite. Chaque institution chiite majeure a été rejetée et ses bureaux attaqués. Ce qui rend cela même plus important, c’est que les attaques sont venues de leurs propres rangs au cœur des zones chiites, avec les manifestants qui utilisaient ironiquement le terme “Séfévides” pour décrire leurs leaders, une expression se référant aux dynasties chiites du passé souvent utilisée comme une injure par les Sunnites. Les avions iraniens ont été pillés à l’aéroport de la ville sainte chiite, Najaf, et le quartier général de la milice pro-iranienne, y compris les Unités de Mobilisation Populaire ont été ciblées et brûlées en même temps que les bureaux du gouvernement. Selon le Kurdistan News 24, du 14 juillet 2018, l’armée régulière irakienne s’est jointe aux manifestants au moins dans une province. Quand les manifestations ont fait un pas de plus et ont touché Bagdad, le Middle East Eye, du 19 juillet 2018 rapporte que le slogan “ni Sunnite, ni Chiite, laïc, laïc !” venait de foules massives.
Le premier Ministre Al-Abadi a renvoyé un ministre et quelques officiels et a promis des réformes mais la réponse dominante de l’État a été la répression, les encerclements, les arrestations et la torture, alors que des manifestations ultérieures ont vu la libération des détenus. Le gouvernement a déclaré “l’état d’urgence” et a imposé très tôt un blocage d’Internet, et les gaz lacrymogènes, les canons à eau et les munitions réelles ont été utilisées contre les manifestants et des unités anti-terroristes ont été mobilisées contre les manifestants à Bagdad, impensable sans le feu vert du haut commandement américain et britannique dans “la zone verte”. Quatorze personnes au moins ont été tuées, 729 blessées, selon Human Rights Campaign du 20 juillet 2018. Mais les manifestations, qui ont duré pendant trois semaines, ont continué jusqu’au ce week-end du 28/29 juillet, quand les forces de sécurité ont attaqué les manifestants à l’extérieur du conseil provincial et du domaine pétrolier de Qurna, Basra.
Comme en Iran et comme en Jordanie, ces émeutes sont dirigées contre une économie de guerre et tous ses déchets parasites. Comme en Iran et comme en Jordanie, les manifestations de 2018 ont été plus étendues et plus profondes que les explosions précédentes (en 2015 dans le cas de l’Irak), et il est tout à fait clair que les leaders religieux ont un peu moins d’influence. Les promesses du gouvernement et l’influence des leaders religieux perdent de leur emprise quand le prolétariat et les masses combattent pour leurs propres intérêts contre le capital et son économie de guerre.
Baboon, 30 juillet 2018
1 Une bonne partie de cet empoisonnement de masse provient des bombardements de la coalition États-Unis/Grande-Bretagne, et particulièrement à travers la propagation d’uranium appauvri. Les niveaux les plus élevés de dommages et de difformités se situent dans les endroits les plus bombardés : Fallujah et Basra. À Londres, le ministre de la défense utilise la vieille ligne de conduite selon laquelle : “il n’y a pas de preuve”, et les politiciens britanniques qui sont prompts à dénoncer les attaques chimiques des autres, n’ont rien à dire sur leurs propres atrocités.
2 Ce n’est pas seulement au Moyen-Orient qu’il y a un manque d’eau potable ; selon l’Agence de protection de l’Environnement américaine, plus de cinq millions d’Américains sont susceptibles de boire de l’eau qui contient des toxines à des taux supérieurs à ceux tolérés. À un niveau plus large, si Trump a en général rejeté la réalité du changement climatique, le Pentagone ne l’a pas fait, et, entièrement dans les intérêts de l’impérialisme américain, il voit cela, y compris les restrictions d’eau, comme un danger potentiel.
3 Al-Sadr a été vendu par l’Occident comme “le nouveau visage de la réforme”. (New York Times, 20 mai 2018)
Le 8 septembre dernier, le régime sandiniste de Daniel Ortega a mobilisé ses partisans pour célébrer le “septembre victorieux” parce qu’il a pu déjouer, selon lui, une “tentative de coup d’État”. Cette victoire du régime a laissé des séquelles terribles : environ 450 morts,(1) des dizaines de disparus, des milliers de blessés, des centaines de détenus et l’exode de milliers de Nicaraguayens. C’était le corollaire de cinq mois de protestations contre les mesures anti-ouvrières et la répression féroce, similaire ou pire que celles subies sous la dictature de Somoza.(2)
Ces morts ne sont pas seulement imputables au régime d’Ortega et de ses sbires, qui ont fait le sale boulot de pourchasser, blesser, tuer ou emprisonner la population, principalement des jeunes. Ils sont également imputables au clergé et aux capitalistes privés (anciens alliés du régime), ainsi qu’aux forces politiques de l’opposition regroupées dans l’Alliance civique pour la justice et la démocratie, qui ont noyé et contenu le mouvement en encourageant un “dialogue national” avec le gouvernement, tout en armant sa stratégie sanglante de répression. De même, la soi-disant communauté internationale a aussi sa part de responsabilités, puisqu’elle apporte son soutien aux diverses factions bourgeoises en conflit au sein du capital nicaraguayen : certaines, comme l’ONU, l’OEA, l’UE, le Groupe de Lima, les États-Unis, qui ont nourri (et continuent à nourrir) les illusions de solutions démocratiques et électorales à la crise politique ; d’autres, comme la Russie, la Chine, Cuba, la Bolivie et les autres pays se déclarant “ennemis de l’impérialisme yankee” qui cachent leur soutien au sandinisme(3) en prétendant que la situation au Nicaragua est une question de “politique intérieure”.
La situation de la population nicaraguayenne est dramatique ; elle est soumise aux accords qui peuvent être conclus entre les bureaucrates bourgeois sandinistes qui contrôlent l’État et les capitalistes privés. Aujourd’hui, sous la terreur de l’État, le régime sandiniste a la possibilité d’imposer les mesures anti-ouvrières qu’il a tenté d’appliquer en avril dernier. Face à cette barbarie, la seule option qui s’offre au prolétariat nicaraguayen est de combattre sur son propre terrain de classe, d’affronter les factions du capital officiel et de l’opposition et de devenir une référence pour la population exploitée. Sinon, la terreur d’État et l’émigration massive seront imposées ; une situation similaire à celle que connaissent actuellement des pays comme le Venezuela, la Syrie ou plusieurs pays africains.
Les manifestations ont commencé le 18 avril 2018 avec l’annonce d’un décret modifiant la loi sur la sécurité sociale qui augmente les cotisations des assurés, augmente les cotisations patronales et réduit les pensions des retraités, qui est entré en vigueur le 19 avril. Dans un article publié sur notre site Internet, nous décrivions et analysions les événements.(4) Nous disions qu’au moment même où les protestations ont commencé, le Conseil supérieur de l’entreprise privée (COSEP) avait fait une déclaration qualifiant la réforme de forme “d’impôt supplémentaire” et garantissant que cette mesure entraînerait une augmentation du chômage et une diminution des salaires…
L’indignation face à l’agression des organes de répression et de l’armée sandiniste contre les étudiants et les retraités a généré un mécontentement général parmi la population exploitée et précaire, qui a réagi spontanément en descendant dans la rue. Dans l’article précité, nous dénoncions comment le capital privé et l’Église s’étaient unis pour contrôler et noyer la mobilisation : le 21 avril, la COSEP avait appelé une marche pour le 23. Il faut rappeler qu’Ortega a annoncé l’abrogation du décret le 22, afin d’apaiser le mécontentement social, mais cela n’a pas empêché la marche appelée par les hommes d’affaires de rassembler des dizaines de milliers de personnes… L’Église catholique, avec sa grande influence, avait joué un rôle encore plus actif dans la “critique” du gouvernement. Elle appelait à participer à une manifestation le 29 avril qui aura été la plus massive enregistrée et où les revendications contre l’attaque sur les pensions ont été laissées à l’arrière-plan pour mettre en avant l’appel à la “réconciliation nationale”, à la “démocratisation”, au “dialogue”, etc.
L’entrée en lice sur le terrain politique des “critiques” du COSEP ou de l’Église catholique n’a pas signifié un renforcement du mouvement mais bien une manœuvre pour y mettre fin. Ce qu’Ortega et ses bandes armées n’ont pas réussi à réaliser avec leur répression sanglante a été réalisé par le COSEP et surtout par l’Église catholique avec ses appels “à l’apaisement des tensions sociales”. On peut dire que le capital a utilisé ses “deux mains” pour briser la protestation : l’une était la main meurtrière du FSLN,(5) l’autre la “main secourable” de l’Église.
L’article montrait aussi les faiblesses du prolétariat nicaraguayen, qui s’est laissé piéger derrière les factions bourgeoises dans leurs luttes entre fractions officielles et d’opposition, et derrière les menées nationalistes de ces factions comme celles de la petite bourgeoisie.
La situation au Nicaragua est un exemple dans la région, avec celle du Venezuela, d’une part de l’incapacité des classes dirigeantes à trouver un terrain d’entente minimum pour gouverner ; et, d’autre part, de l’incapacité de la classe ouvrière à servir de référence aux masses exploitées pour sortir de la barbarie imposée par un capitalisme en décomposition.
Cette année encore, le régime a réformé le système des pensions en raison de l’aggravation de la crise économique au Nicaragua. Le régime d’Ortega ne bénéficie plus de l’aide économique que le régime de Chavez lui avait fournie depuis 2008, qui était venue apporter un ballon d’oxygène à la faible économie de ce pays, par l’incorporation du Nicaragua aux pays de l’ALBA,(6) une alliance de pays créée à l’initiative de Cuba et du Venezuela pour s’opposer à l’ALCA(7) (promue par les États-Unis pour préserver son influence en Amérique latine). Par le biais de divers accords, le régime Chavez, en plus de fournir du pétrole subventionné, a contribué pour plus de quatre milliards de dollars au régime sandiniste. On estime qu’un tiers de ces ressources a servi à financer des programmes sociaux, qui ont servi au FSLN pour le contrôle social et apporter un soutien massif au régime sandiniste.
À partir de 2014, après la mort d’Hugo Chávez et la chute du prix du pétrole brut, les relations commerciales avec le Venezuela ont commencé à décliner, réduisant les exportations avec ce pays à zéro au cours du premier trimestre de cette année. Jusqu’à la fin de 2016, la dette accumulée par l’intermédiaire de la société ALBANISA, créé avec un apport de 51 % du capital vénézuélien, était de trois milliards de dollars, soit 24 % du PIB. Les relations commerciales ont été fortement affectées par les mesures que l’administration Trump a imposées à PDVSA, une compagnie pétrolière publique que Chávez et Maduro ont d’abord utilisée pour financer les projets impérialistes du Venezuela dans la région. Aujourd’hui, la majeure partie du pétrole est importée des États-Unis et aux prix du marché international, et non avec l’avantage que le régime sandiniste trouvait avec la “révolution bolivarienne” à travers laquelle il payait 50 % de la facture en nature.
La réforme du système des retraites, que le régime a annulée sous la pression des protestations, était un moyen de faire face aux dépenses fiscales et au paiement de la dette extérieure. Les programmes sociaux ne peuvent plus être maintenus, ce qui entraînera une détérioration du niveau de vie des masses appauvries du pays.(8) Les cinq mois de protestations ont accentué la crise économique. Les protestations ont principalement affecté le commerce, le tourisme et la construction ; on estime que le chômage a augmenté d’environ 5 %, ce qui équivaut à environ 85 000 emplois. Les projections de croissance économique ont été revues à la baisse à 1 % et il pourrait même y avoir une récession économique si la crise politique se poursuit. La ressemblance avec la situation au Venezuela n’est pas le fruit du hasard.
Suite aux protestations au Nicaragua et à la répression féroce du régime, la division qui existait déjà dans les rangs du FSLN s’est accentuée. Plusieurs des dirigeants sandinistes qui ont combattu aux côtés d’Ortega contre la dictature Somoza et ont fait partie de son premier gouvernement (1984-1990), le dénoncent aujourd’hui et le considèrent comme un traître aux idéaux du sandinisme original en disant qu’ “il n’est plus un gouvernement progressiste et de gauche”, etc.(9)
En fait, après avoir perdu les élections du FSLN en 1990, Daniel Ortega a mené un processus de lutte qui l’a amené à désorganiser le Front et à ériger une faction dominante, écartant d’autres dirigeants qui l’avaient éclipsé. Il a développé des alliances avec le Parti libéral d’Arnoldo Alemán, avec l’Église et a consolidé un contrôle des organisations sociales sous la bannière du FSLN. Il a ainsi jeté les bases d’une nouvelle présidence en 2006 et s’est maintenu au pouvoir depuis, avec l’appui de Cuba et de la “Révolution bolivarienne” de Chávez.
C’est un gros mensonge de prétendre qu’il y a deux visages du sandinisme.
Certains critiques d’Ortega l’accusent d’avoir pratiqué une vaste opération de “coup de balai” comme l’a fait la dictature de Somoza contre la population. En fait, la gauche et les organisations gauchistes utilisent les mêmes ressources que la droite pour soumettre le prolétariat et la population ; la seule différence réside dans l’utilisation d’un verbiage “révolutionnaire”, au nom du “marxisme-léninisme”, qu’elles déclarent “anti-impérialiste " car elles” sont opposées aux États-Unis, mais en même temps elles s’acoquinent et pactisent avec d’autres puissances ou pays impérialistes, comme l’avait fait le FSLN en 1982 à travers ses accords conclus avec l’URSS.
L’accentuation de la décomposition dans les rangs des partis et organisations de la bourgeoisie au niveau mondial, qu’ils soient de droite ou de gauche, s’exprime dans les régimes de gauche comme ceux du Venezuela, de Cuba, du Nicaragua, de Syrie, de Chine, de Corée du Nord, comme le fait le sandinisme aujourd’hui. Le prolétariat et sa lutte doivent mettre fin au mythe de l’existence d’une prétendue gauche révolutionnaire dont la meilleure définition est d’être la gauche du capital.
La situation au Nicaragua aggrave la situation régionale. Les mesures américaines contre les hauts dirigeants du régime sandiniste et les blocus financiers, en plus d’être utilisées par le régime pour unifier ses partisans et rejeter la responsabilité de la crise politique et économique sur les États-Unis, se retournent contre la population et deviennent un facteur aggravant de la crise. D’autre part, la menace de ne pas écarter les options militaires (comme c’est le cas au Venezuela) aide plutôt ces mêmes dirigeants à asseoir leur pouvoir en se faisant passer pour des victimes afin d’obtenir un soutien aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Cette situation est mise à profit par des puissances impérialistes comme la Chine, la Russie, Cuba, le Venezuela, l’Iran, etc. pour intervenir, afin de perturber l’arrière-cour des États-Unis.
Le chaos et l’émigration,(10) causés non seulement par la terreur d’État ou les menaces de guerre civile, mais aussi par la crise économique, progressent.
En raison de l’aggravation de la crise économique et de l’affrontement politique, l’évolution de la situation devient encore plus compliquée. Les accords entre les factions du capital ont été rompus. Les manifestations de force du régime sandiniste le placent dans une situation où il peut imposer des mesures pour tenter d’atténuer la crise économique. D’autre part, comme dans le cas du Venezuela, il existe une forte probabilité que le blocus financier contre le régime s’accentue.
Cette situation représente un énorme défi pour le prolétariat nicaraguayen et mondial, car elle entraînera une accentuation des mesures contre les conditions de vie de la classe ouvrière déjà précaire. La capacité de réponse du prolétariat est minée à la fois par la bipolarisation politique de la bourgeoisie et par sa faiblesse historique. D’autre part, les émigrations sont utilisées par des secteurs de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie pour attaquer la solidarité et en particulier celle qui doit exister entre prolétaires. Nous voyons déjà des manifestations de xénophobie au Costa Rica. Ce scénario terrible signifie une accentuation du chaos dans la région qui ne peut qu’accentuer la pauvreté chronique de la région et risque de déstabiliser ce pays qui, jusqu’à présent, a été le moins agité de la région d’Amérique centrale.
La situation au Nicaragua, qui rejoint celle du Venezuela, de la Syrie et d’autres pays, soulève l’urgence avec laquelle le prolétariat doit reprendre sa lutte sur son terrain de classe à l’échelle internationale pour qu’elle serve d’incitation à développer les conditions qui lui permettront à terme de détruire les conditions d’exploitation de ce système capitaliste en décomposition qui plonge l’humanité dans la misère et la barbarie.
Revolucion Mundial, section du CCI au Mexique (25 septembre 2018)
1Selon la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH), le nombre de tués au cours de ces cinq mois d’affrontements serait de 322, plus de 450 d’après les organisations humanitaires ; 198 selon le gouvernement.
2Anastasio Somoza Debayle qui a exercé le pouvoir entre 1967 et 1979, est le dernier représentant d’une famille de dictateurs qui a érigé un pouvoir absolu pendant plus de 40 ans sur le pays (depuis 1937) à travers une féroce répression contre l’opposition comme sur l’ensemble de la population.
3Le “mouvement sandiniste” se réclame d’Augusto Sandino (1895-1934) qui avait pris la tête en 1927 d’un petit mouvement nationaliste anti-américain, l’Armée de Défense de la Souveraineté Nationale, après l’intervention militaire des États-Unis, pratiquant la guérilla (recrutant ses troupes parmi les paysans pauvres) et refusant de déposer les armes contre le gouvernement conservateur soutenu par les États-Unis. Son assassinat par la Garde nationale de l’aîné de la dynastie Somoza en a fait un héros des “luttes de libération nationale” du XXe siècle et sa “tactique de guérilla” un modèle de référence pour tous les gauchistes.
4Voir notre article en espagnol “El abril sangriento de Nicaragua : Sólo la lucha autónoma del proletariado puede acabar con la explotación y la barbarie represiva [44]”.
5Front sandiniste de Libération nationale : organisation politico-militaire fondée en 1961 préconisant la lutte armée sous forme de guérilla contre la dictature des Somoza, qui a pris le pouvoir en 1979 puis en a été évincé lors des élections de 1990. Cette coalition regroupant trois grandes tendances rivales a été reprise en mains par Daniel Ortega qui est parvenu à coups d’intrigues et de nouvelles alliances à revenir au pouvoir depuis 2006.
6Alianza Bolivariana para los Pueblos de Nuestra América (Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique) créée en 2004.
7Área de Libre Comercio de las Américas (Aire de libre-échange des Amériques) en fonction des accords signés en 1994.
8Entre 29,6 %, selon la Banque mondiale et 40 %, d’après la Banque Interaméricaine de Développement (BID) de la population au Nicaragua vit sous le seuil de pauvreté et le dénuement (définie comme extrême pauvreté) affecte 14,6 % d’entre elle, selon la BID.
9Ces “critiques” sont notamment relayées par l’écrivain nicaraguayen Sergio Ramirez.
10Selon l’ONU, 23 000 Nicaraguayens se sont enfuis au Costa Rica depuis avril dernier.
L’un des fléaux qui affectent les organisations révolutionnaires de la Gauche communiste est le fait que beaucoup de leurs militants sont passés auparavant par des partis ou des groupes de gauche et d’extrême gauche du capital (PS, PC, trotskisme, maoïsme, anarchisme officiel, la soi-disant “nouvelle gauche” de Syriza ou Podemos). Cela est inévitable pour la simple raison qu’aucun militant ne naît avec une clarté d’emblée toute faite. Cependant, cette étape lègue un handicap difficile à surmonter : il est possible de rompre avec les positions politiques de ces organisations (syndicalisme, défense de la nation et du nationalisme, participation aux élections, etc.), mais il est beaucoup plus difficile de se débarrasser des attitudes, des modes de pensée, des façons de débattre, des comportements, des conceptions que ces organisations inoculent de force et qui constituent leur mode de vie.
Cet héritage, que nous appelons le legs dissimulé de la gauche du capital, contribue à provoquer au sein des organisations révolutionnaires des tensions entre camarades, de la méfiance, des rivalités, des comportements destructeurs, des blocages du débat, des positions théoriques aberrantes, etc. qui, combinées à la pression de l’idéologie bourgeoise et de la petite bourgeoisie, leur font beaucoup de mal. L’objectif de la série que nous commençons ici est d’identifier et de combattre ce lourd fardeau.
Depuis son premier congrès (1975), le CCI s’est penchée sur le problème des organisations qui prétendent se revendiquer du “socialisme” et pratiquent une politique capitaliste. La Plateforme adoptée lors de ce congrès [46], dans son point 13 met en avant : “L’ensemble des partis ou organisations qui aujourd’hui défendent, même “conditionnellement” ou de façon “critique”, certains États ou certaines fractions de la bourgeoisie contre d’autres, que ce soit au nom du “socialisme”, de la “démocratie”, de “l’antifascisme”, de “1'indépendance nationale”, du “front unique”, ou du “moindre mal”, qui fondent leur politique sur le jeu bourgeois des élections, dans l’activité anti-ouvrière du syndicalisme ou dans les mystifications autogestionnaires sont des organes de l’appareil politique bourgeois : il en est ainsi, en particulier, des partis “socialistes” et “communistes””.
Notre plateforme se concentre également sur le problème des groupes et des groupuscules qui se placent “à gauche” de ces deux grands partis, qui en font souvent des “critiques incendiaires” et adoptent les poses les plus “radicales”: “L’ensemble des courants, soi-disant révolutionnaires, tels que le maoïsme (qui est une simple variante des partis définitivement passés à la bourgeoisie), le trotskisme (qui après avoir constitué une réaction prolétarienne contre la trahison des partis communistes, a été happé dans un processus similaire de dégénérescence) ou l’anarchisme traditionnel (qui se situe aujourd’hui dans le cadre d’une même démarche politique en défendant un certain nombre de positions des partis socialistes et des partis communistes, comme, par exemple, les alliances antifascistes), appartiennent au même camp que celui du capital. Le fait qu’ils aient moins d’influence ou qu’ils utilisent un langage plus radical n’enlève rien au fond bourgeois de leur programme et de leur nature, mais en fait d’utiles rabatteurs ou suppléants de ces partis”.
Pour comprendre le rôle de la gauche et de l’extrême gauche du capital, il faut se rappeler qu’avec le déclin du capitalisme, l’État “exerce un contrôle toujours plus puissant, omniprésent et systématique sur tous les aspects de la vie sociale. À une échelle bien au-delà de la décadence romaine ou féodale, l’État de la décadence capitaliste est devenu une machine monstrueuse, froide et impersonnelle qui a fini par dévorer la substance de la société civile”.(1) Cette nature s’applique autant aux régimes à Parti unique ouvertement dictatoriaux (staliniens, nazis, dictatures militaires) qu’aux régimes démocratiques.
Dans ce cadre, les partis politiques ne sont pas les représentants des différentes classes et couches de la société, mais les instruments totalitaires de l’État pour soumettre l’ensemble de la population (et principalement la classe ouvrière) aux impératifs du capital national. Ils deviennent également la tête de réseaux clientélistes, de groupes de pression et des sphères d’influence qui mêlent l’action politique et économique et deviennent le terreau d’une corruption inéluctable.
Dans les systèmes démocratiques, l’appareil politique de l’État capitaliste est divisé en deux ailes : l’aile droite, liée aux fractions classiques de la bourgeoisie et responsable de l’encadrement des couches les plus arriérées de la population,(2) et l’aile gauche (la gauche avec les syndicats et une série d’organisations d’extrême gauche) consacrée essentiellement au contrôle, à la division et à la destruction de la conscience de la classe ouvrière.
Les organisations du prolétariat ne sont pas exemptes de dégénérescence. La pression de l’idéologie bourgeoise les corrode de l’intérieur et peut les conduire à un opportunisme qui, s’il n’est pas combattu à temps, aboutit à la trahison et à l’intégration dans l’État capitaliste.(3) L’opportunisme fait ce pas décisif lors d’événements historiques cruciaux de la vie sociale capitaliste : les deux moments clés, jusqu’à ce jour, ont été la guerre impérialiste mondiale et la révolution prolétarienne. Dans la Plateforme, nous essayons d’expliquer le processus qui mène à cette étape fatale : “Il en a été ainsi des partis socialistes lorsque, dans un processus de gangrène par le réformisme et l’opportunisme, la plupart des principaux d’entre eux ont été conduits lors de la Première Guerre mondiale (qui marque la mort de la IIe Internationale) à s’engager, sous la conduite de leur droite “social-chauvine”, désormais passée à la bourgeoisie, dans la politique de “défense nationale”, puis à s’opposer ouvertement à la vague révolutionnaire d’après guerre jusqu’à jouer le rôle de bourreaux du prolétariat comme en Allemagne en 1919.
L’intégration finale de chacun de ces partis dans leurs États nationaux respectifs prit place à différents moments de la période qui suivit l’éclatement de la Première Guerre mondiale. Mais ce processus fut définitivement clos au début des années 1920, quand les derniers courants prolétariens furent éliminés ou sortirent de leurs rangs en rejoignant l’Internationale Communiste.
De même, les Partis communistes sont à leur tour passés dans le camp du capitalisme après un processus similaire de dégénérescence opportuniste. Ce processus, engagé dès le début des années 1920, s’est poursuivi après la mort de l’Internationale Communiste (marquée par l’adoption de la théorie du “socialisme en un seul pays” en 1928), jusqu’à aboutir, malgré la lutte acharnée de leurs fractions de gauche et après l’élimination de celles-ci, à une complète intégration dans l’État capitaliste au début des années 1930 avec leur participation aux efforts d’armement de leurs bourgeoisies respectives et leur entrée dans les “fronts populaires”. Leur participation active à la “Résistance”, durant la Seconde Guerre mondiale et à la “reconstruction nationale”, après celle-ci, les a confirmés comme de fidèles serviteurs du capital national et comme la plus pure incarnation de la contre-révolution”.(4)
En l’espace de 25 ans (entre 1914 et 1939), la classe ouvrière perdit d’abord les Partis socialistes, puis, dans les années 1920, les Partis communistes et enfin, à partir de 1939, les groupes de l’Opposition de gauche de Trotski qui ont soutenu la barbarie encore plus brutale de la Seconde Guerre mondiale. “En 1938, l’Opposition de gauche est devenue la Quatrième Internationale. C’est une aventure opportuniste car il n’est pas possible de constituer un parti mondial en situation de marche vers la guerre impérialiste et donc de défaite profonde du prolétariat. Les résultats seront désastreux : en 1939-40, les groupes de la soi-disant IVe Internationale prirent position en faveur de la guerre mondiale sous les prétextes les plus divers : la majorité soutenant la “patrie socialiste” russe, mais il y même eu une minorité soutenant la France de Pétain (elle-même satellite des nazis).
Contre cette dégénérescence des organisations trotskistes, les derniers noyaux internationalistes restants ont réagi : en particulier la compagne de Trotski et le révolutionnaire d’origine espagnole Munis. Depuis lors, les organisations trotskistes sont devenues des agences “radicales” du capital qui tentent d’attirer le prolétariat avec toutes sortes de “causes révolutionnaires” qui correspondent généralement à des factions “anti-impérialistes” de la bourgeoisie (comme le célèbre sergent Chavez d’aujourd’hui). De même, ils récupèrent les travailleurs qui sont dégoûtés du jeu électoral en les faisant voter de façon “critique” pour les “socialistes” pour ainsi “fermer le chemin à la droite”. Enfin, ils ont toujours le grand espoir de “récupérer” les syndicats par le biais de “candidatures combatives”.(5)
La classe ouvrière est capable de générer des fractions de gauche au sein des Partis prolétariens lorsqu’ils commencent à être affectés par la maladie de l’opportuniste. Ainsi, au sein des partis de la IIe Internationale, les bolcheviques, le courant de Rosa Luxemburg, le tribunisme hollandais, les militants de la Fraction abstentionniste italienne, etc., se sont distingués. L’histoire des combats menés par ces fractions est suffisamment connue parce que leurs textes et leurs contributions se sont concrétisés dans la formation de la IIIe Internationale.
Et, dès 1919, la réaction prolétarienne face aux difficultés, aux erreurs et à la dégénérescence ultérieure de la Troisième Internationale s’est exprimée dans la Gauche communiste (italienne, néerlandaise, allemande, russe, etc.) qui a conduit (avec beaucoup de difficultés et malheureusement très dispersée) à une lutte héroïque et déterminée. L’Opposition de gauche de Trotski est née plus tard et d’une manière beaucoup plus incohérente. Dans les années 1930, l’écart entre la gauche communiste (principalement son groupe le plus cohérent, Bilan, représentant de la gauche communiste italienne) et l’Opposition de Trotski est devenu plus évident. Tandis que Bilan voyait les guerres impérialistes localisées comme l’expression d’une course vers la guerre impérialiste mondiale, l’Opposition s’est empêtrée dans des divagations sur la libération nationale et le caractère progressiste de l’antifascisme. Tandis que Bilan voyait l’enrôlement idéologique pour la guerre impérialiste et l’intérêt du capital derrière la mobilisation des travailleurs espagnols vers la guerre entre Franco et la République, Trotski voyait dans les grèves de juillet 1936 en France et dans la lutte antifasciste en Espagne le début de la révolution… Cependant, le pire, c’est que, même si Bilan n’était pas encore clair sur la nature exacte de l’URSS, il était évident pour lui qu’il ne pouvait la soutenir en aucun cas et que l’URSS était un agent actif dans la guerre en préparation. Trotski, par contre, avec ses spéculations sur l’URSS comme “État ouvrier dégénéré”, ouvrait en grand les portes pour le soutien à l’URSS, ce qui fut un moyen de soutenir la deuxième boucherie mondiale de 1939-1945.
Depuis 1968, la lutte prolétarienne renaissait dans le monde entier. Mai 68 en France, “l’Automne chaud” italien, le “cordobazo” argentin, l’octobre polonais, etc., sont les expressions de ce combat vigoureux. Cette lutte a fait surgir une nouvelle génération de révolutionnaires. De nombreuses minorités de la classe ouvrière surgissaient partout et tout cela constitue une force fondamentale pour le prolétariat.
Cependant, il est important de noter le rôle des groupes d’extrême gauche dans la destruction de ces minorités : le trotskisme dont nous avons déjà parlé, l’anarchisme officiel(6) et, enfin, le maoïsme. En ce qui concerne ce dernier, il faut noter qu’il n’a jamais été un courant prolétarien. Les groupes maoïstes sont nés des conflits et des guerres d’influence de type impérialiste entre Pékin et Moscou qui ont conduit à la rupture entre les deux États et à l’alignement de Pékin sur l’impérialisme américain en 1972.
On estime que vers 1970, il y avait plus de cent mille militants dans le monde qui, bien qu’avec une énorme confusion, se prononçaient en faveur de la révolution, contre les partis traditionnels de gauche (PS, PC), contre la guerre impérialiste et cherchaient à faire avancer la lutte prolétarienne en gestation. Une écrasante majorité de cet important contingent a été récupérée par cette constellation de groupes d’extrême gauche. La présente série d’articles va essayer de démonter minutieusement tous les mécanismes par lesquels ils ont exercé cette récupération. Nous parlerons non seulement du programme capitaliste drapé dans des étendards radicaux et ouvriéristes, mais aussi des méthodes d’organisation, du débat, du fonctionnement, de la morale, qu’ils ont utilisé.
Ce qui est certain, c’est que leur action a été très importante pour détruire le potentiel de la classe ouvrière pour construire une large avant-garde pour sa lutte. Les militants potentiels ont été détournés vers l’activisme et l’immédiatisme, canalisés vers des combats stériles au sein des syndicats, des municipalités, des campagnes électorales, etc.
Les résultats ont été concluants :
– La majorité a quitté la lutte profondément déçue et est tombée dans un scepticisme sur la lutte ouvrière et la possibilité du communisme ; une partie non négligeable de ce secteur est tombée dans la drogue, l’alcool, le désespoir le plus absolu ;
– Une minorité est restée en tant que troupe de base des syndicats et des partis de gauche, propageant une vision sceptique et démoralisante de la classe ouvrière ;
– Une autre minorité, plus cynique, a fait carrière dans les syndicats et les partis de gauche, et même certains de ces “gagnants” sont devenus membres des partis de droite.(7)
Les militants communistes sont un atout vital pour le prolétariat et c’est une tâche centrale des groupes de la Gauche communiste actuels, qui sont aujourd’hui les héritiers de la trajectoire de Bilan, d’Internationalisme, etc. de tirer toutes les leçons de ce qui a permis l’énorme saignée des forces militantes que le prolétariat a dû supporter depuis son réveil historique en 1968.
Pour effectuer leur sale travail d’encadrement, de division et de confusion, les partis de gauche et d’extrême gauche propagent une fausse vision de la classe ouvrière. Elle imprègne les militants communistes en déformant leur pensée, leur conduite et leur approche. Il est donc vital de l’identifier et de la combattre.
Pour la gauche et l’extrême gauche, les travailleurs ne forment pas une classe sociale antagoniste du capitalisme mais une somme d’individus. Ils sont la partie “inférieure” de la “citoyenneté”. En tant que tels, les travailleurs individuels devraient aspirer à une “situation stable”, à une “juste rétribution” pour leur travail, à un “respect de leurs droits”, etc.
Cela permet à la gauche de cacher quelque chose d’essentiel : la classe ouvrière est une classe indispensable à la société capitaliste parce que sans son travail associé, elle ne pourrait pas fonctionner, mais en même temps elle est une classe exclue de la société, étrangère à toutes ses règles et normes vitales, et c’est donc une classe qui ne peut se réaliser en tant que telle qu’en abolissant la société capitaliste de bas en haut. À la place de cette réalité, apparaît l’idée d’une classe “intégrée” qui, par des réformes et la participation aux institutions, pourrait satisfaire ses intérêts.
Cette vision dissout ensuite la classe ouvrière dans la masse amorphe et interclassiste de la “citoyenneté”. Dans un tel magma, l’ouvrier est assimilé au petit bourgeois qui l’arnaque, au policier qui le réprime, au juge qui le condamne à l’expulsion, au politicien qui le trompe et même aux “bourgeois progressistes”. Les notions de classes sociales et d’antagonismes de classe disparaissent pour faire place à la notion de citoyens de la nation, à la fausse “communauté nationale”.
Une fois que la notion de classe a été effacée de l’esprit de la classe ouvrière, la notion fondamentale de classe historique disparaît également. Le prolétariat est une classe historique qui, au-delà de la situation de ses différentes générations ou lieux géographiques, a entre les mains un avenir révolutionnaire, l’établissement d’une nouvelle société qui dépasse et résolve les contradictions qui conduisent le capitalisme à la destruction de l’humanité.
En balayant les notions vitales et scientifiques de classes sociales, d’antagonisme de classes et de classe historique, la gauche et l’extrême-gauche du capital ramènent la révolution au rang d’un vœu pieux qu’il faut laisser entre les mains “expertes” des politiciens et des Partis. Ils introduisent la notion de délégation de pouvoir, concept parfaitement valable pour la bourgeoisie, mais absolument destructeur pour le prolétariat. En fait, la bourgeoisie, une classe exploiteuse qui détient le pouvoir économique, peut confier la gestion de ses affaires à un personnel politique spécialisé qui constitue une couche bureaucratique avec ses propres intérêts dans l’enchevêtrement des intérêts du capital national.
Il n’en va pas de même pour le prolétariat, qui est à la fois une classe exploitée et révolutionnaire, qui n’a pas de pouvoir économique, mais dont la seule force est sa conscience, son unité et sa solidarité, sa confiance en soi, c’est-à-dire des facteurs qui sont radicalement détruits s’il s’appuie sur une couche spécialisée d’intellectuels et de politiciens.
Armés de cette délégation, les partis de gauche et d’extrême gauche défendent la participation aux élections comme un moyen de “bloquer le chemin de la droite”, c’est-à-dire qu’ils détruisent dans les rangs des travailleurs l’action autonome en tant que classe pour se transformer en une masse de citoyens votants. Une masse individualisée, chacun enfermé dans ses “intérêts propres”. L’unité et l’auto-organisation du prolétariat est ainsi écrasée.
Finalement, c’est ainsi que les partis de gauche et d’extrême gauche appellent le prolétariat à se réfugier entre les mains de l’État pour “atteindre une nouvelle société”. Ils réalisent ainsi le tour de passe-passe de présenter le bourreau capitaliste, l’État, comme “l’ami des ouvriers” ou “son allié”.
La gauche et les syndicalistes propagent une vision matérialiste vulgaire des travailleurs. Selon eux, les travailleurs sont des individus qui ne pensent qu’à leur famille, à leur confort, à obtenir la meilleure voiture, la maison la plus luxueuse, et, noyés dans ce consumérisme, ils n’ont pas “d’idéal” de lutte, préférant rester à la maison pour regarder le football ou aller au bar avec leurs amis. Pour boucler la boucle, ils affirment qu’étant donné que les travailleurs sont endettés jusqu’au cou pour payer leurs caprices consuméristes, ils sont incapables de mener la moindre lutte.(8)
Avec ces leçons de morale hypocrite, ils transforment la lutte ouvrière, qui est une nécessité matérielle, en un idéal volontariste, alors que le communisme, but ultime de la classe ouvrière, est une nécessité matérielle en réponse aux contradictions insolubles du capitalisme.(9) Ils séparent et opposent la lutte revendicative à la lutte révolutionnaire, alors qu’il y a unité entre les deux, puisque la lutte de la classe ouvrière est, comme l’avait dit Engels, à la fois économique, politique et un combat d’idées.
Priver notre classe de cette unité conduit à la vision idéaliste d’une lutte “sale”, “égoïste” et “matérialiste” pour les besoins économiques et une lutte “glorieuse” et “morale” pour la “révolution”. Cela démoralise profondément les travailleurs qui se sentent honteux et coupables de se soucier des besoins de leur survie, ceux de leurs enfants et de leurs proches, d’être des individus rampants qui ne penseraient qu’à leurs petits sous. Avec ces fausses approches, qui suivent la ligne cynique et hypocrite de l’Église catholique, la gauche et l’extrême gauche sapent de l’intérieur la confiance des travailleurs en eux-mêmes en tant que classe et tentent de les présenter comme la partie la plus “basse” de la société.
Ce faisant, ils convergent avec l’idéologie dominante qui présente la classe ouvrière comme la classe des perdants. Le fameux “bon sens commun” dit qu’un travailleur est un individu qui est resté un travailleur parce qu’il n’est pas assez bon pour autre chose ou qu’il ne s’est pas battu assez fort pour progresser dans l’échelle sociale. Les travailleurs seraient les paresseux, ceux qui n’ont pas d’aspirations, qui n’ont pas “réussi”…
C’est vraiment le monde à l’envers ! La classe sociale qui produit par son travail associé la principale richesse de la société serait composée par les plus mauvais éléments de celle-ci. Puisque le prolétariat regroupe la majorité de la société, il semblerait alors que celle-ci se compose fondamentalement de fainéants, de perdants, d’individus sans culture ni motivation. La bourgeoisie n’exploite pas seulement le prolétariat, mais se moque aussi de lui. Elle qui est une minorité qui vit des efforts de millions d’êtres humains a l’audace de considérer les ouvriers comme de gens indolents, sans réussite, inutiles et sans aspirations.
La réalité sociale est radicalement différente : dans le travail associé mondial du prolétariat, se développent des liens culturels, scientifiques et, simultanément, des liens humains profonds, la solidarité, la confiance et un esprit critique. Ils sont la force qui fait bouger silencieusement la société, la source du développement des forces productives.
L’apparence du prolétariat est celle d’une masse anonyme, insignifiante et silencieuse. Cette apparence est le résultat d’une contradiction subie par le prolétariat en tant que classe exploitée et révolutionnaire. D’une part, c’est la classe du travail mondial associé et, en tant que tel, c’est elle qui fait fonctionner les rouages de la production capitaliste et a entre ses mains les forces et les capacités de changer radicalement la société. Mais d’un autre coté, la concurrence, la marchandise, la vie normale d’une société où prévaut la division et le tous contre tous, l’écrasent comme une somme d’individus, chacun impuissant, avec le sentiment d’échec et de culpabilité, séparé des autres, atomisé, forcé de se battre seulement pour soi-même.
La gauche et l’extrême gauche du capital, en complète continuité avec l’idéologie bourgeoise, veulent qu’on ne voie que cette masse amorphe d’individus atomisés. De cette façon, ils servent le capital et l’État dans leur tâche de démoraliser et d’exclure la classe ouvrière de toute perspective sociale.
Nous retrouvons ici ce que nous avons dit au début : la conception du prolétariat comme une somme d’individu. Cependant, le prolétariat est une classe et agit en tant que telle chaque fois qu’il réussit à se libérer des chaînes qui l’oppriment et l’atomisent avec une lutte conséquente et autonome. Ainsi, nous ne voyons pas seulement une classe en action, mais nous voyons aussi chacune de ses composantes se transformer en êtres qui agissent, se battent, pensent, prennent des initiatives, développent la créativité. On l’a vu dans les grands moments de la lutte des classes, comme les révolutions en Russie de 1905 et 1917. Comme Rosa Luxemburg l’a souligné si bien dans Grève des masses, Parti et syndicats, “… dans la tempête révolutionnaire, le prolétaire, le père de famille prudent, soucieux de s’assurer un subside, se transforme en “révolutionnaire romantique” pour qui le bien suprême lui-même (la vie) et à plus forte raison le bien-être matériel n’ont que peu de valeur en comparaison de l’idéal de la lutte”.
En tant que classe, la force individuelle de chaque travailleur se libère, se défait de ses entraves, développe son potentiel humain. En tant que somme d’individus, les capacités de chacun sont annihilées, diluées, gaspillées pour l’humanité. La fonction de la gauche et de l’extrême gauche du capital est de maintenir les travailleurs dans les chaînes de la citoyenneté, c’est-à-dire la somme des individus.
D’une manière générale, à l’époque ascendante du capitalisme et plus particulièrement à son apogée (1870-1914), la classe ouvrière pouvait se battre pour des améliorations et des réformes dans le cadre du capitalisme, sans envisager immédiatement sa destruction révolutionnaire. Cela impliquait, d’une part, la formation de grandes organisations de masse (partis socialistes, syndicats, coopératives, universités de travailleurs, associations de femmes et de jeunes, etc.) et, d’autre part, des tactiques de lutte, y compris la participation aux élections, les actions de pression, les grèves planifiées par les syndicats, etc.
Ces méthodes ont commencé à devenir de plus en plus inadéquates au début du XXe siècle. Dans les rangs révolutionnaires, il y avait un large débat qui opposait, d’une part, Kautsky, un partisan de ces méthodes, et, d’autre part, Rosa Luxemburg(10) qui, tirant les leçons de la révolution russe de 1905,(11) montrait clairement que la classe ouvrière s’orientait vers de nouvelles méthodes de lutte qui correspondaient à la nouvelle situation qui s’annonçait, avec des guerres généralisées, la crise capitaliste, etc., c’est-à-dire, la chute du capitalisme dans sa décadence. Les nouvelles méthodes de lutte étaient basées sur l’action directe de masse, sur l’auto-organisation du prolétariat dans les Assemblées et Conseils ouvriers, sur l’abolition de l’ancienne division entre le programme minimum et le programme maximum. Ces méthodes se sont heurtées de front au syndicalisme, aux réformes, à la participation électorale, à la voie parlementaire.
La gauche et l’extrême gauche du capital concentrent leurs politiques sur l’enfermement de la classe ouvrière dans ces vieilles méthodes qui sont aujourd’hui radicalement incompatibles avec la défense de leurs intérêts immédiats et historiques. Ils ont arrêté la pendule de l’histoire d’une manière intéressée dans les années “dorées” de 1890 à 1910 avec toutes leurs routines de plus en plus démobilisatrices de participation électorale, d’actions syndicales, de présence passive aux actes du “Parti”, de manifestations programmées à l’avance, etc., un mécanisme qui fait des travailleurs de “bons citoyens travailleurs”, c’est-à-dire des êtres passifs et atomisés qui se soumettent avec discipline à tout ce dont le capital a besoin : travailler dur, voter tous les quatre ans, user leurs chaussures dans les marches syndicales, continuer sans remettre en question les dirigeants autoproclamés.
Cette politique est défendue sans vergogne par les partis socialistes et communistes, tandis que ses annexes “d’extrême gauche” la reproduisent avec des touches “critiques” et des surenchères “radicales”. Tous défendent une vision de la classe ouvrière comme classe pour le capital, qui devrait se soumettre à tous ses impératifs et se contenter de l’attente de quelques miettes hypothétiques qui, de temps en temps, tombent de la table dorée de ses banquets.
C. Mir 18-12-17
1 Point 4 de notre Plateforme
2 Les partis classiques de droite (conservateurs, libéraux, centristes, progressistes, démocratiques, radicaux) complètent leur partie du contrôle de la société par des partis d’extrême droite (fascistes, néonazis, populistes de droite, etc.). La nature de cette dernière est plus complexe, voir à cet égard : “Contribution sur le problème du populisme [47]”, Revue Internationale n° 175.
3 Pour une étude sur comment l’opportunisme pénètre et détruit la vie prolétarienne de l’organisation, avec toutes les conséquences néfastes que cela entraîne, voir “Le chemin vers la trahison de la Social-démocratie allemande [48]”, Revue Internationale n° 152.
4 Point 13 de notre Plateforme.
5 Voir l’article en espagnol : “¿Cuales son las diferencias entre la Izquierda Comunista y la IVª Internacional? [49]”
6 Il ne s’agit pas ici des groupes les plus minoritaires de l’anarchisme internationaliste, qui, malgré ses confusions, se revendiquent de beaucoup de positions de la classe ouvrière, se manifestant clairement contre la guerre impérialiste et pour la révolution prolétarienne.
7.Il y a une foule d’exemples. Durão Barroso, ancien président de l’Union Européenne, fut maoïste dans sa jeunesse. Cohn-Bendit est député du parlement européen et conseiller de Macron ; Lionel Jospin, ancien Premier ministre français, fut trotskiste dans sa jeunesse...
8 Il faut reconnaître que le consumérisme (promu depuis les années 1920 aux États-Unis et après la Seconde Guerre mondiale) a contribué à miner l’esprit revendicatif au sein de la classe ouvrière, puisque les besoins vitaux de chaque travailleur sont déformés par le parti pris consumériste, transformant ses besoins en une affaire individuelle où “tout peut être réalisé par le crédit”.
9 Voir notre série : “Le communisme n’est pas un bel idéal mais une nécessité matérielle”.
10 Voir le livre (en espagnol): “Debate sobre la huelga de masas” (textes de Parvus, Mehring/ Luxemburg/ Kautsky/ Vandervelde [50]/Anton Pannekoek [51]).
11 Voir : “Grève de masse, parti et syndicats [52]” de Rosa Luxemburg.
Un mal se manifeste et se répand dans différents pays du monde et il n’est certainement pas dû au phénomène migratoire. Personne n’est originaire d’aucun lieu. L’humanité, depuis ses origines est migrante, bien que les raisons de l’émigration soient effectivement distinctes à chaque époque et pour des motifs différents ; ce que vivent aujourd’hui des milliers de familles vénézuéliennes, syriennes, nicaraguayennes, du Moyen-Orient… sont les répercussions de la décomposition du système capitaliste au niveau mondial que l’ensemble de la bourgeoisie est incapable d’arrêter. Néanmoins, les États vérolés les utilisent pour attiser la haine, l’arrogance, la xénophobie et le nationalisme. L’humanisme, que tel ou tel gouvernement démocratique tente de manier face aux migrants, comme c’est la cas en Colombie, en Allemagne, en Équateur, en France, au Pérou, etc. est faux, tout comme sont faux les discours des gouvernements dictatoriaux du Venezuela ou du Nicaragua.
Le Venezuela et le Nicaragua sont les expressions les plus désastreuses de la bourgeoisie et un clair reflet de ce qui pourrait arriver à l’ensemble de l’humanité si la décomposition s’accélère et si la force de la classe ouvrière ne l’arrête pas.
Dans les décennies des années 1970 et 1980, l’émigration des Argentins, Chiliens, Uruguayens, Colombiens et de ceux qui vivent en Amérique centrale, a été motivée par la répression des gouvernements militaires, apparus dans le cadre de l’affrontement des blocs impérialistes (URSS-USA) et dans lequel, les USA, en particulier, ont renforcé le contrôle sur la région latino-américaine à travers l’utilisation de dictatures sanguinaires, comme celle de Pinochet. Ces dictatures ont obligé des centaines de personnes à fuir. Mais cette lutte impérialiste quand elle s’est terminée avec des guerres civiles, comme cela est arrivé en Colombie et en Amérique Centrale, a aussi entraîné la mobilisation de populations voulant s’éloigner des centres de conflits. Aujourd’hui, l’émigration de milliers de Vénézuéliens ou de familles originaires du Moyen-Orient, est due à trois facteurs effrayants qui sont inhérents au capitalisme et qui se sont aggravés dans sa phase actuelle de décomposition : la faim, l’insécurité et les maladies.
L’indolence de la bourgeoisie, misant à chaque fois sur le “sauve-qui-peut”, exprime clairement que le capitalisme n’a aucun avenir à offrir à l’humanité. Aucun État n’est intervenu face à ce phénomène, si ce n’est pour obtenir des bulletins de vote ou en se cachant derrière un humanisme factice, ils ont sélectionné des secteurs de populations migrantes pour les utiliser comme force de travail bon marché.
La classe ouvrière étant actuellement dans une situation de faiblesse, la bourgeoisie utilise l’immigration pour relancer des campagnes haineuses et nationalistes, accusant les migrants d’être un danger, une menace pour sa nation et son système.
Face à ce sinistre panorama, les travailleurs des pays sud-américains, européens, nord-américains ou asiatiques, ne peuvent pas tomber dans le piège du “sauve-qui-peut” et se laisser entraîner derrière les campagnes de la bourgeoisie. Il faut comprendre que, bien que la décomposition se manifeste crûment dans des pays comme le Venezuela ou le Nicaragua, c’est un processus dans lequel est embarqué l’ensemble du système capitaliste ; c’est pour cela que la classe ouvrière mondiale est la seule qui puisse stopper son avancée destructrice, en détruisant le capitalisme. Le premier acte authentique, propre à la classe ouvrière, est la solidarité, le travail associé et son organisation indépendante.
Dans ce terrain boueux et putride de la décomposition, le prolétariat devra se ressaisir, et nous sommes sûrs qu’il le fera parce qu’il est l’unique classe révolutionnaire de la société capitaliste ; cependant, pour changer le cours de l’histoire, il ne suffit pas que le prolétariat le veuille ; il doit aussi être convaincu qu’il peut changer le cours de l’histoire comme l’a fait le prolétariat dans la Révolution russe de 1917, lorsqu’il est allé jusqu’à stopper la Première Guerre mondiale. Le prolétariat devra apprendre que l’État, la démocratie, le parlementarisme et le syndicalisme, ne peuvent pas être utilisé pour transformer la réalité bourgeoise ; de même, pour affronter la décomposition capitaliste dans tous les pays, il ne pourra pas le faire en utilisant les formes prostituées de la bourgeoisie. La classe ouvrière doit débattre et s’organiser comme classe indépendante et ainsi élaborer son programme historique et atteindre son unité afin de construire la véritable communauté humaine mondiale, sans États, sans classes sociales, sans exploitation et sans guerre.
Dans n’importe quelle partie du monde, deux frères prolétariens ou plus qui se réunissent pour discuter des problèmes de leur classe, est une avancée significative pour les perspectives de l’humanité.
Internacionalismo Perou
Internacionalismo Venezuela
Internacionalismo Equateur
Noyau du Brésil
Septembre 2018
Nous publions ci-dessous la traduction de larges extraits de l’article paru dans la presse territoriale de la section du CCI au Mexique.
La campagne électorale, menée entre 2017 et juin de cette année, a été si accablante et envahissante qu’elle a réussi à déplacer vers les urnes plus de 56 millions de personnes, soit 63,4 % des électeurs, ce qui représente le taux de participation le plus élevé de l’histoire du pays. Le rite sexennal(1) de promesses de changement pour inciter à voter a cette fois débouché sur la victoire inédite du candidat “de gauche” Lopez Obrador (AMLO, comme il est communément nommé d’après ses initiales). Tout a été fait pour alimenter et recrédibiliser le terrain électoral et la démocratie parmi la population, en particulier parmi les exploités. Pour cela, la bourgeoisie a joué sur la désorientation des travailleurs dans la période actuelle et leurs difficultés à s’exprimer comme classe exploitée avec des intérêts opposés au système capitaliste. Même si la bourgeoisie, elle aussi, a connu davantage de divisions et de problèmes pour parvenir à des accords et pour définir ses choix à la tête de son appareil d’État (comme on peut le voir à travers les fractures au sein du PRI et du PAN, le démembrement du PRD,(2) la virulence des prises de position au sein même des milieux d’affaires, la violence des affrontements entre clans politiques et le grand nombre de candidats menacés ou assassinés pendant la campagne électorale), elle a pu exploiter ses propres difficultés en les retournant contre les exploités, transformant ces mêmes problèmes en arguments supplémentaires pour pousser la population vers les urnes.
Pour cette raison, même si López Obrador n’était pas au départ le candidat le mieux accepté par les clans détenant le pouvoir économique et politique, l’ensemble de la bourgeoisie a profité de son discours anti-corruption et patriotique pour faire miroiter l’illusion d’un changement et ainsi réhabiliter un terrain électoral auprès d’une population excédée par la violence, l’insécurité permanente, la fraude et la corruption.
La bourgeoisie, à travers ses candidats, ses institutions et ses médias, a martelé, à maintes reprises, l’idée que le vote est le moyen de choisir et de faire respecter la volonté individuelle, cherchant ainsi à faire croire qu’un individu dans la solitude de l’isoloir, armé de sa “liberté citoyenne”, peut transformer la société, alors que le travailleur atomisé est ainsi réduit à maintenir le système qui l’exploite. La bourgeoisie prétend que la voix d’un ouvrier aurait autant de poids que celle d’un magnat capitaliste et que, par conséquent, le gouvernement qui en résulte serait le produit d’une décision collective et de la “volonté du peuple”.
C’est précisément à cause de cette image trompeuse que les élections et la démocratie sont les meilleures armes de soumission à la classe dirigeante, cherchant à faire oublier ce que Lénine rappelait au sujet de la république démocratique, à savoir qu’elle n’est rien d’autre qu’ “une machine gouvernementale faite pour opérer l’écrasement du travail par le capital” et que “tous ces cris en faveur de la démocratie ne servent en réalité qu’à défendre la bourgeoisie et ses privilèges de classe exploiteuse” “(Thèses et rapports sur la démocratie bourgeoise et la dictature prolétarienne, 1919).(3)
Chaque discours et chaque appel au vote s’est accompagné d’invocations à la “responsabilité citoyenne” et de phrases faisant allusion à la “patrie”, injectant avec ce langage un poison nationaliste pour chercher à anesthésier les travailleurs et les enfoncer dans une plus grande confusion qui les empêche de se reconnaître non seulement comme une classe affectée par la misère et condamnée à l’exploitation, mais aussi comme le “fossoyeur du capitalisme”. C’est pour cela que le discours nationaliste et l’utilisation des “symboles patriotiques” ont été à la base de la campagne électorale, de Meade (candidat du PRI) et Anaya (candidat du PAN) à Obrador, en passant par tous les autres candidats officiels, et jusqu’aux campagnes les plus marginales comme celle de l’EZLN(4) à travers sa candidate Marichuy.
Lopez Obrador (se présentant pour la troisième fois à la présidence, cette fois sous la bannière de son nouveau parti MORENA)(5) a donc bénéficié du mécontentement de la population en raison de la violence généralisée, de la précarité des conditions de vie et de la corruption ouverte étendue à tous les niveaux des gouvernements précédents, c’est-à-dire de la lassitude et du ras-le-bol à l’égard des partis traditionnels. Jamais auparavant n’avait autant dominé et pesé un tel état d’esprit sur les élections, ni en 2000 dans le “combat pour l’alternance” qui a amené le PAN au gouvernement, avec Vicente Fox comme président, ni en 2012, avec les mobilisations anti-PRI, qui ont été menées par le mouvement #yosoy132.
Le contexte dans lequel des élections ont eu lieu au Mexique est, comme partout dans le monde, fortement affecté par le poids de la décomposition capitaliste, caractérisé, d’une part, par la tendance de la bourgeoisie à perdre le contrôle de son appareil politique, marqué par de profondes fractures internes et une lutte de concurrence acharnée au sein de chaque grand parti, ce qui rend son unité difficile ; d’autre part, une classe ouvrière déboussolée qui a du mal à retrouver le chemin pour développer sa lutte contre le capital.
Tout cela a été utilisé et exploité par la bourgeoisie contre les travailleurs, renforçant son appareil de gauche et les poussant à s’en remettre à un personnage charismatique et démagogique.
Pour convaincre l’ensemble de la bourgeoisie de son sérieux pour gouverner, il a profité de ces fractures politiques, en tendant la main à divers groupes capitalistes avec lesquels il était en concurrence, obtenant même le soutien de secteurs d’affaires qui, lors des précédentes campagnes électorales auxquelles il participait, l’accusaient d’être “un danger pour le Mexique”. Certains hommes d’affaires, regroupés au sein du Conseil mexicain des affaires (CMN), se sont acharnés jusqu’à récemment, en maintenant de vives attaques contre AMLO, mais ces attaques ont été contre-productives car elles l’ont finalement fait apparaître comme une victime et ont crédibilisé son rôle et son image “d’avocat des pauvres et des opprimés”.
En permettant aux différentes fractions du capital national de parvenir à un consensus, le candidat élu a recherché des accords pour coopérer avec les grandes entreprises et ses concurrents politiques, en mettant l’accent dans ces accords sur la lutte supposée contre la corruption (tout en promettant de “passer l’éponge” sur certains actes délictueux ou sur des malversations passées avérées) et, surtout, la promotion de l’unité nationale. De cette manière, AMLO a non seulement conclu des accords avec une large liste d’employeurs, mais aussi avec des structures de contrôle syndicales telles que la CNTE.(6) Ce n’est évidemment pas une solution durable, mais elle permet à l’État mexicain d’être mieux préparé à mener à bien, par exemple, les négociations de l’ALENA(7) et, dans la perspective d’une intensification de la guerre commerciale, de pouvoir en faire subir les conséquences et de justifier ses attaques à venir contre les travailleurs. La bourgeoisie a donc été majoritairement convaincue qu’un nouveau recours à la fraude électorale était inutile et risqué ; il était plus commode d’accepter son triomphe électoral et celui du nouveau parti de gauche.
Le triomphe électoral de celui qui a été présenté comme une “lueur d’espoir” ne changera pas d’un iota la situation des millions de personnes exploitées qui ont voté pour lui. L’exploitation des travailleurs ne va en aucun cas être modifiée et, au contraire, le nouveau gouvernement, invoquant la défense de l’économie et de la souveraineté nationale, va tenter de justifier des politiques qui aggravent leurs conditions de vie, ou des mesures qui revendiquent la nécessité d’une “austérité républicaine”, justifier des licenciements et d’autres mesures contre les travailleurs. La seule chose qui aura changé, c’est donc le représentant de la bourgeoisie placée à la tête de l’État ; mais le mandat qu’il doit défendre est le même que celui défendu par Peña Nieto et tous les gouvernements du monde, qu’ils soient de droite ou de gauche : maintenir et protéger le système d’exploitation capitaliste.
Comme dans tout scrutin électoral, c’est la bourgeoisie qui a remporté l’élection, mais les résultats de cette élection en particulier ont permis de renforcer les sentiments patriotiques : la prolifération des drapeaux nationaux et des cris patriotards “Vive le Mexique !”, présents tout au long des élections et intensifiés après l’annonce de la victoire d’AMLO, montrent qu’il y a bien une instrumentalisation des émotions derrière la victoire d’une fraction de gauche afin d’impliquer les travailleurs dans la défense du capitalisme, en imposant la défense de l’unité nationale.
A cette occasion, d’une manière particulière, les élections ont approfondi la confusion des travailleurs et la bourgeoisie se prépare à en profiter pour consolider son contrôle et sa domination de classe.
Les conditions d’existence subies par les exploités dans les villes et les campagnes, marquées par la violence des mafias, de la police et de l’armée, ainsi que la dégradation de leur niveau leur vie causée par l’avancée de la crise économique mondiale a permis le développement des illusions envers Lopez Obrador ainsi que l’idée mensongère que le capitalisme pourrait être “amélioré” par la simple mise en place d’un nouveau gouvernement.
Les partisans d’AMLO se prétendent “radicaux” en défendant l’affirmation selon laquelle le principal problème du système serait la corruption plutôt que l’exploitation. Il n’est pas surprenant qu’une fraction bourgeoise cherche à masquer que le capitalisme n’est pas autre chose qu’un système d’exploitation ; mais elle masque aussi que la corruption, qui est le thème central de la propagande de MORENA ne peut être éradiquée au sein du capitalisme, parce que la corruption, la fraude et la violence sont le mode de vie permanent du capitalisme et plus particulièrement dans la phase actuelle de décomposition du système capitaliste.(8)
Même les groupes de gauche qui se présentent comme critiques ou sceptiques sur les promesses du candidat vainqueur, collaborent à renforcer cette illusion, parce qu’ils présentent comme contradictoire la devise d’AMLO “les pauvres d’abord” avec le fait qu’il forme une équipe (d’abord pour mener sa campagne et maintenant pour gouverner) avec des hommes d’affaires, pour établir des alliances avec des groupes “conservateurs”, ou pour renforcer les liens avec les personnages les plus pourris du PRI et du PAN comme des syndicats ou pour s’engager à suivre des orientations économiques et politiques “néolibérales”. Ces observations illustrent certes le pragmatisme avec lequel il agit et son recours systématique au mensonge et à l’hypocrisie, mais elles cachent la nature bourgeoise de MORENA et de son représentant AMLO. Si nous nous en tenons là, Lopez Obrador continuerait bien à être un représentant des classes exploités, mais qui s’est avéré être “un renégat” ou “un traître”, alors qu’en réalité, il n’a jamais cessé d’être une expression de la même bourgeoisie exploiteuse et corrompue.
La critique la plus vive contre AMLO était celle de l’EZLN qui, à la mi-juillet, faisait référence au changement d’équipe gouvernementale en ces termes : “le contremaître, les majordomes et les chefs d’équipe peuvent bien être changés, mais le propriétaire de l’hacienda reste le même”. Avec cette déclaration, l’EZLN tente de se démarquer des autres cliques de la politique bourgeoise, mais la guérilla elle-même a été un produit et fait partie intégrante du système qu’il prétend critiquer. Rappelons seulement qu’au milieu des années 1990, l’EZLN voilait son soutien au candidat du PRD, Cuauhtémoc Cárdenas, mais il a aussi exprimé son “respect” pour la chambre des députés (dans l’enceinte duquel il a même pris la parole en 2001) et autres institutions bourgeoises, et a tenté de participer aux dernières élections…
Alors qu’AMLO, il y a quelques années, prétendait envoyer les institutions au diable, il a confirmé sa position de défenseur du capitalisme, et c’est afin de mieux le défendre, qu’il affirme qu’il est nécessaire de renforcer la démocratie, ses institutions et le gouvernement, parce que cela permet en fait de renforcer les instruments d’exploitation et de contrôle de la bourgeoisie. Quand il parle aujourd’hui de défense de l’économie nationale, il montre sa détermination à perpétuer le capitalisme et pour poursuivre cette tâche, il reprend, en les dépoussiérant un peu, les discours et les promesses que le PRI prononce depuis des années.
Lopez Obrador, avec son discours de gauche, promet une “quatrième transformation” qui n’est rien de plus que des illusions et des promesses derrière lesquelles se cache l’effort pour soutenir et maintenir le système capitaliste, cela derrière un rideau de fumée qui sème davantage de confusion parmi les travailleurs et les exploités.
Mais la confusion répandue parmi les prolétaires aujourd’hui ne signifie pas que leur capacité de réflexion et leur combativité ont été éliminées, bien que la bourgeoisie va tout faire pour que les illusions démocratiques et nationalistes restent dans les têtes et la conscience des ouvriers, nous savons que la crise économique mondiale va se charger de montrer que les discours et les promesses d’AMLO sont de purs mensonges, mais surtout qu’elle devra pousser les travailleurs à se battre, car tant que le capitalisme existera, que ce soit sous un gouvernement de gauche ou de droite, l’exploitation et la misère des prolétaires vont non seulement continuer mais ne peuvent que connaître une aggravation et les pousser vers la reprise de leur combat de classe pour se défendre. Le prolétariat n’a pas d’autre voie face à ce nouveau gouvernement que de retrouver le chemin de la lutte sur son terrain de classe.
D’après Revolucion Mundial, organe du CCI au Mexique), 20 juillet 2018
1 Les élections présidentielles ont lieu tous les six ans au Mexique (le président sortant n’a pas le droit de se représenter). En même temps, est procédé à l’élection des députés et des sénateurs, ainsi qu’au renouvellement d’une partie des gouverneurs à la tête des États fédéraux.
2 PRI (Parti Révolutionnaire Institutionnel) : fraction au pouvoir presque sans interruption depuis la “révolution nationale” de 1910 ; PAN (Parti d’Action Nationale), de droite, partisan d’une alliance plus étroite avec les États-Unis ; PRD (Parti de la Révolution Démocratique) : scission “de gauche” du PRI mais largement discrédité par le pacte d’union nationale qu’il a signé avec le précédent gouvernement très impopulaire de Pena Nieto (comme le PAN) dès l’investiture de ce dernier.
3 Ce document rédigé par Lénine en mars 1919 a été adopté par le Premier Congrès de l’Internationale Communiste (IIIe Internationale). Nous l’avons republié dans le n° 100 de notre Revue Internationale (1er trimestre 2000) sous le titre : La démocratie bourgeoisie, c’est la dictature du capital.
4 EZLN : Armée zapatiste de libération nationale, animateurs d’une guérilla dirigée par le sous-commandant Marcos qui, après avoir tenté un soulèvement armé infructueux dans le Chiapas, au sud du pays, en 1994 au nom de la prétendue défense des droits des paysans locaux et de la cause indigène, a organisé une marche en 2001 pour signer un accord avec le gouvernement “paniste” de Fox signifiant son retour dans le cadre légal, institutionnel et parlementaire.
5 Ce mouvement est apparu au Mexique dans le cadre des élections de 2012. Il a été lancé par des étudiants d’universités privées, puis rejoint par des étudiants d’universités publiques. Se présentant comme un “mouvement citoyen”, il a revendiqué une “démocratisation des médias” en s’élevant contre la propagande d’Enrique Peña Nieto, candidat du PRI. MORENA est l’abréviation de Mouvement pour la Régénération Nationale, significatif de sa forte connotation patriotique qui montre à quel point il est éloigné des préoccupations et des intérêts de la classe ouvrière et s’identifie au contraire à ceux de la bourgeoisie.
6 Coordination Nationale des Travailleurs de l’Éducation : syndicat enseignant dont l’ex-secrétaire générale (mais aussi ancienne députée et sénatrice du PRI), Alba Esther Gordillo (emprisonnée entre 2013 et 2018 entre autres chefs d’inculpation pour “blanchiment d’argent sale”), a été désignée parmi les dix personnalités les plus corrompues du pays.
7 La remise en cause par Donald Trump et la renégociation en cours des accords de l’ALENA (traité de libre-échange nord-américain) entre les États-Unis, le Canada et le Mexique en vigueur depuis 1994 implique notamment un énorme bras-de-fer engagé entre les États-Unis et le Mexique, en particulier dans le secteur agricole et l’automobile.
8 Par exemple, rappelons-nous que l’opération “mains propres” en Italie qui avait provoqué une crise politique très aiguë entre 1992 et 1994 n’a nullement mis fin à la corruption, mais l’a au contraire approfondie et généralisée. La lutte contre la corruption était aussi l’un des motifs pour lesquels Lula et Dilma Rousseff ont été portés au pouvoir au Brésil, et nous avons vu que ces mêmes personnages ont été plus tard impliquées dans les affaires de corruption.
On estime qu’entre 300 et 500 personnes ont été massacrées par l’armée le 2 octobre 1968 sur la place Tlatelolco (Place des Trois Cultures). Alors que le nombre exact et, encore moins, la liste officielle des victimes ne sont pas connus jusqu’à aujourd’hui, la bourgeoisie a su utiliser et exploiter ses propres crimes. Quelques années après le massacre, la bourgeoisie mexicaine a commencé à considérer cette date comme le point de départ de l’avancée de la démocratie, comme si le sang versé avait nettoyé les traces de l’existence de ces crimes et relégué l’autoritarisme et la répression dans un passé révolu.
Actuellement, à la suite de ces discours, les célébrations du cinquantenaire du massacre sont utilisées pour relancer la campagne démocratique et, en faisant le lien avec les élections passées, ils prétendent démontrer que l’État mexicain aurait changé de visage parce que la démocratie est arrivée au pouvoir, permettant même l’alternance des gouvernements. La bourgeoisie relance ainsi ses lamentations hypocrites et laisse couler ses larmes de crocodile pour tenter de se démarquer des crimes de 1968 et profiter du souvenir et de l’indignation encore présents chez les exploités.
Les mobilisations que les étudiants mexicains ont menées entre juillet et octobre 1968 sont, sans aucun doute, l’expression du fort mécontentement social qui, même si leurs revendications étaient limitées par le désir de “libertés démocratiques” et si la scène politique était occupée par une masse socialement hétérogène, traduisaient une certaine continuité de la combativité réveillée par la grève des cheminots en 1958 et des médecins en 1965. Ces mobilisations n’ont pas réussi à intégrer des revendications propres au mouvement et à s’orienter sur un terrain prolétarien, mais elles ont réussi à déployer et à éveiller une grande force de solidarité. C’est pourquoi, 50 ans après les événements et le massacre, il est nécessaire d’y réfléchir en cherchant à dépasser la bonne conscience affichée par l’État mexicain pour “célébrer” (1) le massacre de Tlatelolco et la campagne de mystification créée par la bourgeoisie à travers ses “intellectuels” et son appareil politique de gauche.
En 1968, l’État mexicain expliquait les mobilisations étudiantes comme le produit d’une “imitation” du Mai 68 parisien, qui devait être propagée par l’incitation et l’activisme d’agents “de l’étranger infiltrés”. Un mois avant que le gouvernement Díaz Ordaz ne procède au massacre des étudiants, la centrale syndicale officielle, CTM, a répété cette idée : “Les étrangers et les mauvais Mexicains, agissant comme des agents actifs du communisme, ont profité des bagarres sans importance de deux petits groupes d’étudiants, pour déclencher l’attaque la plus grave contre le régime et les institutions du pays, adoptant pour la circonstance des tactiques qui sont une imitation des systèmes adoptés par les extrêmistes de ces tendances, dans les autres enceintes et, très récemment dans les émeutes de Paris…” (“Manifeste à la Nation”, 2 septembre 1968). Bien qu’il y ait effectivement eu une tendance mondiale à l’agitation sociale influencée par les mobilisations parisiennes, il est faux de prétendre que les manifestations se sont développées comme “une mode”, et avec une volonté d’imitation.
C’est le retour de la crise économique sur la scène mondiale qui a conduit à la riposte ouvrière de Mai 68 (2) et c’est ce même élément déclencheur qui a ouvert la perspective des ripostes ouvrières en Italie (1969), en Pologne (1970-71), en Argentine (1969) et même au Mexique et qui, sans être une source de mobilisation ouvrière, a suscité des mécontentements sociaux de grande ampleur.
Il est également vrai que dans le cadre de la guerre froide, les factions impérialistes dominantes et concurrentes (États-Unis et URSS) ont utilisé l’espionnage et la conspiration, mais jusqu’à présent aucune preuve n’a été trouvée pour prouver que le gouvernement de l’URSS était impliqué, et encore moins celui de Cuba, qui avait conclu un accord avec le Mexique pour ne soutenir aucun groupe d’opposition ; et le Parti dit “communiste” (PCM), d’obédience stalinienne, bien qu’il soit un pion de l’URSS, n’avait ni la force ni la présence suffisantes pour diriger les mobilisations.
D’autre part, les États-Unis ont gardé un œil sur leur “arrière-cour” et ont pris une part active à la répression,(3) pendant ces années comme pendant toute la période de la guerre froide.
Pour expliquer l’origine des mobilisations et la force qu’elles ont démontrée, il faut aller au-delà des accusations du gouvernement, mais aussi au-delà de l’argument simpliste qui fait référence à un “conflit de générations” ou à l’absence de “libertés démocratiques”.
Les étudiants, en tant que masse sociale dans laquelle diverses classes sociales sont impliquées, mais dans laquelle l’idéologie petite-bourgeoise domine, ont certes été piégés par leurs illusions envers la démocratie.(4) Mais un autre élément a poussé les étudiants, souvent d’origine prolétarienne, vers la politisation : l’incertitude croissante qu’ils ressentaient dans l’avenir qui les attendait. La promesse de “promotion sociale” que l’industrialisation des années 1940 jusqu’aux années 1960 offrait aux étudiants des universités apparaissait de façon de plus en plus évidente comme un leurre, étant donné que, malgré l’augmentation des profits capitalistes, la vie des travailleurs ne s’améliorait pas et menaçait au contraire de s’aggraver sous la pression du ressurgissement d’une crise économique mondiale qui commençait déjà à s’affirmer. Mais en plus de cette incertitude, les ripostes répressives de l’État contre les manifestations des travailleurs qui réclamaient de meilleurs salaires ont exacerbé la colère. Les balles et la prison furent les mêmes ripostes à répétition de l’État face aux ouvriers des mines de Nueva Rosita dans la province de Coahuila (1950-51), aux grèves des cheminots (1948 et 1958), à celle des instituteurs (1958) ou des médecins (1965). Il était évident que même en augmentant les cadences de production, le capitalisme ne pouvait pas offrir des améliorations durables à la nouvelle génération.
Dans ces conditions, les mobilisations étudiantes ont été nourries par le courage et l’indignation des travailleurs qui, les années précédentes, avaient aussi été réprimés par l’État.
Des années 1940 aux années 1970, la bourgeoisie mexicaine a mené une intense propagande pour faire croire que l’industrialisation, moteur de la croissance économique et de la stabilité des prix, allait améliorer le niveau de vie de la population active. Dans ce processus d’industrialisation, l’État a joué un rôle fondamental en prenant en charge une partie des investissements directs et en soutenant le capital privé par la vente, en dessous de leur prix, des ressources énergétiques, mais surtout par une politique de maîtrise des salaires combinée à des subventions pour les biens de consommation des travailleurs, de telle sorte qu’avec ces mesures, il se présentait avec l’image d’un “État providence”, tout en réduisant le coût du travail pour les hommes d’affaires, favorisant ainsi la croissance des bénéfices capitalistes.
Dans ce processus d’industrialisation, il y avait un besoin croissant de main-d’œuvre qualifiée, de sorte que l’État a encouragé l’augmentation des inscriptions dans les universités et les écoles d’enseignement supérieur, ce qui a fait croître la masse des étudiants d’origine prolétarienne, faisant ainsi des universités un pôle de tension sociale.
En ce sens, le mouvement étudiant de 1968 au Mexique, organisé au sein du Comité national de grève (CNH), représentait une force importante, mais il était structuré autour de visions oppositionnelles qui n’ont jamais dépassé le stade des exigences démocratiques, ni pu se libérer de ses liens avec l’idéologie nationaliste. Cependant, il y avait un certain instinct de classe qui avait germé dans le feu des mobilisations et qui poussait les jeunes étudiants à chercher un rapprochement avec les ouvriers par la présence continue de “brigades d’information” dans les zones industrielles et les quartiers ouvriers, réussissant ainsi à éveiller une force de solidarité entre ouvriers ; mais cette force sociale potentielle était contenue et même annulée par le même manque de perspectives politiques du CNH.
Dès les premières manifestations étudiantes, fin juillet, les forces anti-émeutes des granaderos et la police ont agi avec une grande férocité. Le chef de la police de Mexico, le général Luis Cueto, dans une conférence de presse a justifié la répression en disant que c’était “un mouvement subversif” qui tendait “à créer une atmosphère d’hostilité envers notre gouvernement et notre pays à la veille des XIXe Jeux Olympiques” (El Universal, 28 juillet 1968).
Une période de combats de rue continus s’est ainsi ouverte, au cours de laquelle la police anti-émeute est numériquement dépassée et les troupes de l’armée sont mobilisées, décuplant ainsi la répression. Dès les premiers jours des mobilisations, l’armée a attaqué avec une grande bestialité, au point que dans la nuit du 30 juillet, elle a tiré un projectile de bazooka sur un lycée. Au fur et à mesure que la police et l’armée intensifiaient la sauvagerie de leurs interventions, la solidarité entre les travailleurs s’accroissait, mais elle ne prenait pas de forme organisée pour affirmer sa présence sur la scène sociale.
Cette sympathie acquise parmi les travailleurs s’est traduite par leur présence individuelle ou en petits groupes dans les manifestations de rue. Ce sont précisément les travailleurs qui, les années précédentes, avaient déjà été réprimés pour avoir manifesté leur soutien ou leur participation directe aux mouvements sociaux. Des tentatives ont également été faites pour exprimer ouvertement leur solidarité avec les étudiants : le 27 août, les médecins de l’Hôpital général ont organisé une grève de solidarité. Le lendemain (28 août), les travailleurs municipaux de la capitale, contraints de participer à un acte officiel visant à discréditer les manifestations étudiantes, ont spontanément exprimé leur rejet du gouvernement en scandant “nous sommes des moutons”, pour faire comprendre qu’ils étaient obligés d’être présents et saboter ainsi leur participation à cette manifestation, ils sont donc réprimés avec vigueur par la police anti-émeute.
Le mouvement étudiant a réussi à susciter la sympathie et la solidarité et bien que de nombreux groupes aient crié dans les rues et peint sur les murs : “nous ne voulons pas des Jeux Olympiques, nous voulons la révolution”, il est vrai que les mobilisations n’ont pas avancé de perspectives réelles. Ce n’est pas à cause d’une “erreur stratégique”, mais à cause de l’absence de la classe ouvrière en tant que telle sur la scène sociale. Il ne suffisait pas d’être présents individuellement ou d’exprimer sa solidarité de manière isolée, en n’occupant que formellement le terrain social, tout en laissant de côté leurs propres perspectives politiques. En 1968, bien qu’une grande masse d’étudiants étaient d’origine prolétarienne et que les ouvriers eux-mêmes aient manifesté leur sympathie envers les jeunes, le prolétariat ne s’est pas retrouvé comme une force organisée, armée de sa conscience, pour affronter le capitalisme.
Au mois de septembre, les ripostes de l’État ont été de plus en plus agressives, le 18 septembre l’armée a occupé les installations de l’UNAM, reportant l’essentiel de l’activité politique sur l’IPN(5) et les quartiers environnants ; pour cette raison, quatre jours après, les installations de l’École polytechnique ont été attaquées, non sans livrer les combats les plus violents qui se sont produits au cours de cette période, dans lesquels la solidarité s’est à nouveau développée, avec même une présence remarquable, en y intégrant des élèves des lycées et avec le soutien renforcé des habitants des quartiers… Le massacre était en préparation.
Le 2 octobre, à l’issue d’une manifestation sur la place Tlatelolco, des escadrons militaires et paramilitaires attaquent les étudiants, montrant dans leur forme la plus crue ce que signifie la domination du capitalisme.
La sauvagerie de cette riposte de l’État est souvent présentée comme un coup de folie du ministre de l’Intérieur de l’époque, Luis Echeverría, qui nourrissait la paranoïa du président Díaz Ordaz, mais cette brutalité dans la répression n’est ni accidentelle ni le produit de la pathologie d’un individu, elle fait partie de l’essence du capitalisme. Les appareils répressifs sont l’un des principaux supports de l’État. Pour nourrir la réflexion nécessaire à ce sujet, il ne faut pas oublier que tant que le capitalisme existera, des massacres comme celui d’il y a 50 ans se répéteront.
La violence étatique n’est pas un problème du passé, elle fait partie de l’essence même du capitalisme, comme l’analysait déjà Rosa Luxemburg : “Souillée, déshonorée, pataugeant dans le sang, couverte de crasse ; voilà comment se présente la société bourgeoise, voilà ce qu’elle est. Ce n’est pas lorsque, bien léchée et bien honnête, elle se donne les dehors de la culture et de la philosophie, de la morale et de l’ordre, de la paix et du droit, c’est quand elle ressemble à une bête fauve, quand elle danse le sabbat de l’anarchie, quand elle souffle la peste sur la civilisation et l’humanité qu’elle se montre toute nue, telle qu’elle est vraiment”. (“La Crise de la social-démocratie”, 1916)
Bien que la bourgeoisie ait besoin de justifier idéologiquement son existence comme classe dominante et présente son système comme l’expression parfaite de la démocratie, la vérité est qu’elle fonde son existence sur l’exploitation, ce qui implique son usage permanent d’une violence et d’une terreur qui se répète quotidiennement pour pouvoir maintenir son pouvoir et sa domination, mais l’usage de la répression sanglante fait aussi partie de son mode de vie.
Tatlin, septembre 2018 (Revolucion Mundial, section du CCI au Mexique)
1) De manière prétentieuse, les autorités de l’Université (UNAM) ont fièrement annoncé qu’elles avaient planifié une série d’événements commémorant le 2 octobre, au cours desquels elles dépenseraient 37 millions de pesos (environ 2 millions de dollars).
2) Voir notre article : “Cinquante ans depuis Mai 68” et notre brochure : “Mai 68 et la perspective révolutionnaire”, disponibles sur notre site Internet.
3) L’ancien agent de la CIA Philip Agee, dans son livre “Inside the Company : CIA Diary”, nomme comme des collaborateurs directs de la CIA les présidents mexicains López Mateos, Díaz Ordaz et Luis Echeverría, mais aussi des membres de la police politique comme Gutiérrez Barrios et Nazar Haro.
4) C’est pourquoi le discours de Barros Sierra, recteur de l’UNAM, dans lequel il appelait à la défense de la Constitution, de l’autonomie et de la liberté d’expression, et injectait des sentiments nationalistes en levant le drapeau en berne et en chantant l’hymne national, a été généralement utilisé comme référence par le mouvement étudiant, le 30 juillet.
5) L’Université nationale autonome du Mexique (UNAM) et l’Institut national polytechnique (IPN) sont les principaux centres d’enseignement supérieur du secteur public.
Notre camarade Elisabeth nous a quittés à l’âge de 77 ans. Elle est décédée, suite à une détresse respiratoire qui a provoqué un arrêt cardiaque, dans la nuit du samedi au dimanche 18 novembre.
Elisabeth est née pendant la Seconde Guerre mondiale, le 19 mai 1941, à Bane, un village du Jura aux alentours de Besançon. Son père était propriétaire d’une scierie et sa mère était mère au foyer. Elisabeth a grandi, dans une fratrie de neuf enfants, en milieu rural et dans une famille catholique relativement aisée. C’est sa tante, institutrice, qui a fait son éducation scolaire primaire avant qu’Elisabeth ne soit placée dans un pensionnat dirigé par des religieuses, à Besançon puis à Lyon, pour y poursuivre sa scolarité secondaire1. Elle est ensuite entrée à l’université à Lyon et s’est passionnée pour l’océanologie. En 1968, à l’âge de 27 ans, elle s’est installée à Marseille, en louant une vieille maison avec un petit jardin et une terrasse sur le toit, à deux pas de la mer. Elisabeth a été embauchée au Centre d’Océanologie du CNRS à Marseille, après avoir passé un an au Canada. Elle a passé sa thèse de doctorat en 1983, ce qui lui a permis d’être chargée d’enseignement et de diriger les travaux de recherche de ses étudiants.
Elisabeth faisait partie de cette génération de jeunes éléments en recherche d’une perspective révolutionnaire, dans le sillage du mouvement de Mai 68. Elle a commencé à se politiser, quand elle était encore étudiante, en adhérant d’abord au Parti Socialiste Unifié à Lyon2.
C’est à Marseille qu’elle découvre que la classe ouvrière est la seule force de la société capitaliste capable de transformer le monde. Elisabeth avait rencontré, dans une manifestation, Robert, un jeune élément qui s’était politisé, avant 1968, dans la mouvance anarchiste. Elle va participer, aux réunions du groupe Informations et Correspondances Ouvrières (ICO) avec Robert qui publiait, depuis 1968, « Les Cahiers du Communisme de Conseils ». C’est ainsi qu’Elisabeth a découvert le mouvement ouvrier, le marxisme et la perspective révolutionnaire du prolétariat. Ayant reçu une éducation catholique, elle a rompu avec la religion et est devenue athée, tout en gardant des liens très étroits avec sa famille.
En 1972, le groupe des Cahiers du Communisme de Conseils fusionne avec le groupe qui publiait la revue Révolution Internationale (RI), le nouveau groupe conservant le titre RI ; et c’est en 1973 qu’Elisabeth devient sympathisante de RI. En 1974, elle adhère à ce groupe, qui va devenir la section du CCI en France.
Elisabeth était présente à la Conférence Internationale de fondation du CCI en 1975 et au premier congrès de notre organisation en 1976. Avec sa disparition, c’est donc un membre fondateur du CCI, et une militante de la première génération, qui vient brusquement de nous quitter.
Elisabeth avait assumé des responsabilités importantes dans l’organisation toujours avec un dévouement sans faille. Elle écrivait régulièrement des rapports sur la lutte de classe internationale. Elle a beaucoup voyagé dans le CCI et avait appris l’italien pour pouvoir participer au travail de l’organisation en Italie. Connaissant très bien l’anglais, elle faisait de nombreuses traductions, sans jamais concevoir cette tâche comme une activité routinière ou ennuyeuse. Au contraire, en traduisant les textes pour nos Bulletins de discussion interne, Elisabeth était l’une des premières camarades francophones à connaitre les prises de position et contributions de ses camarades de langue anglaise. Et surtout, Elisabeth a contribué à construire le noyau du CCI à Marseille. Pendant 45 ans, et aux côtés d’un autre camarade, elle a maintenu la présence politique du CCI dans cette ville.
Ce qui animait son engagement militant, c’était sa révolte contre la barbarie du capitalisme, sa volonté de mener le combat contre ce système décadent, sa passion du communisme et sa conviction du rôle fondamental de l’organisation révolutionnaire pour l’émancipation du prolétariat. Son activité militante était au centre de sa vie. Elisabeth avait un attachement très profond non seulement à l’organisation mais aussi à ses camarades de lutte.
Malgré son statut social de chercheuse au CNRS, Elisabeth était extrêmement modeste. Elle acceptait la critique politique, sans jamais avoir de réaction d’orgueil blessé, en cherchant constamment à « comprendre » et à mettre les intérêts généraux de l’organisation au-dessus de sa propre personne. Malgré ses diplômes universitaires, son titre de docteur, et sa grande culture générale, elle n’était pas une « universitaire », une « intellectuelle » marquée par ce que Lénine appelait (dans son livre « Un pas en avant, deux pas en arrière »), « l’anarchisme de grand seigneur », caractéristique de la petite-bourgeoisie.
Elisabeth n’a jamais ressenti son engagement militant au sein du CCI comme un « carcan » ni comme une entrave à l’« épanouissement » de sa vie personnelle. Elisabeth aurait pu faire carrière dans le milieu universitaire, publier des articles et des livres scientifiques, dans son domaine de compétence, car elle en avait les capacités et aimait beaucoup son métier. Mais comme Marx et d’autres militants, elle a choisi de consacrer sa vie à la cause du prolétariat. On peut ajouter qu’elle avait aussi, comme tous ses camarades du CCI, la même conception du « bonheur » que Marx : la lutte !3
Ainsi, à la fin de sa vie, loin d’être « usée » ou « abîmée » par le militantisme, Elisabeth faisait encore preuve d’un dynamisme étonnant. Malgré son insuffisance respiratoire et la fragilisation de son état de santé (en particulier depuis sa fracture du col du fémur peu de temps après son dernier anniversaire), elle a participé avec enthousiasme, au dernier week-end d’Étude et de Discussion internationale du CCI. Lors de cette réunion, elle est intervenue dans le débat de façon très claire et pertinente. Avant de se séparer de ses camarades pour rentrer à Marseille, Elisabeth avait accompagné certains d’entre eux, notamment des camarades d’autres pays, visiter le cimetière du Père Lachaise ; elle leur a montré le mur des Fédérés. C’était 15 jours avant son décès.
Tous les militants du CCI ont donc été sous le choc de la tragique nouvelle de sa disparition soudaine. Aucun camarade ne pouvait imaginer qu’elle allait nous quitter aussi vite, sans « prévenir ». Car elle n’avait pas d’âge. Malgré ses 77 printemps, elle avait gardé la fraicheur de sa jeunesse (elle avait aussi des amis personnels dans la jeune génération).
Elisabeth adorait les enfants. L’un des plus grands regrets de sa vie de femme était de n’avoir pas eu d’enfant. C’est, entre autres, pour cela qu’elle avait noué des liens d’amitié avec les enfants de ses camarades qu’elle accueillait toujours dans sa maison avec beaucoup d’affection.
Elisabeth était une personne extrêmement chaleureuse et accueillante. Elle avait un sens profond de l’hospitalité. Sa vieille maison, dont elle était locataire depuis 45 ans, était un lieu de passage où ses camarades non seulement de la section du CCI en France, mais des autres sections territoriales étaient, avec leur famille, toujours les bienvenus. C’est toujours avec joie qu’elle accueillait tous les militants du CCI sans exception. Elisabeth détestait la propriété privée. Lorsqu’elle s’absentait de son domicile, elle laissait toujours une clef à la disposition de ses camarades (en s’excusant parfois de n’avoir pas eu le temps de faire le ménage !).
Elisabeth avait, évidemment, aussi des défauts. Mais elle avait les défauts de ses qualités. Elle avait son « petit caractère ». Il arrivait parfois à « notre Elisabeth nationale » qui a toujours eu un esprit profondément internationaliste, de se disputer avec certains camarades (y compris ceux qui lui étaient les plus proches). Mais elle savait passer l’éponge, en recherchant toujours la réconciliation car elle ne perdait jamais de vue ce qui unit les militants du CCI : une plateforme et des principes communs, le combat qu’ils mènent tous ensemble contre le capitalisme et contre la pression de l’idéologie dominante. Elisabeth avait une profonde estime politique pour les militants du CCI, y compris ceux dont elle n’appréciait pas le « style » ou le caractère. Dans nos débats internes, elle écoutait attentivement toutes les interventions, tous les arguments, prenant souvent ses propres notes personnelles pour pouvoir approfondir sa réflexion et, comme elle le disait, par « besoin de se clarifier ».
Elisabeth était aussi très sentimentale et avait tendance à concevoir l’organisation des révolutionnaires comme une grande famille ou un groupe de « copains ». Elle avait un peu l’illusion que le groupe Révolution Internationale à laquelle elle a adhéré (dans une période très marquée par le mouvement estudiantin de Mai 68) pouvait devenir une sorte d’ilot de communisme. Ce qui a permis à Elisabeth de dépasser cette confusion, ce sont nos Journées d’Étude et de Discussion sur l’esprit de cercle dans le mouvement ouvrier, de même que nos débats internes sur les difficultés qu’a eu notre section en France, à passer « d’un cercle d’amis au groupe politique »4.
Grâce à sa capacité de réflexion, Elisabeth a pu comprendre que l’organisation des révolutionnaires, bien qu’étant le « début de la réponse » aux rapports sociaux capitalistes, ne peut pas être déjà « la réponse » (selon l’expression de notre camarade MC), un petit ilot de communisme au sein de cette société. C’est son engagement indéfectible à la cause de la classe ouvrière, son dévouement désintéressé au CCI qui ont permis à Elisabeth de « tenir » et de résister, avec patience, à toutes les crises qu’a traversé le CCI depuis sa fondation. Malgré son approche « sentimentale » de l’organisation et le déchirement qu’elle éprouvait face à la désertion de certains de ses amis, Elisabeth ne s’est pas laissé entrainer en dehors du CCI par loyauté à leur égard. À chaque fois qu’elle se trouvait confrontée à un « conflit de loyauté », Elisabeth a toujours tranché en faveur du CCI et de sa lutte pour le communisme (contrairement à d’autres militants qui ont quitté l’organisation par fidélité envers leurs amis et avec une hostilité envers le CCI). Elle n’a pas perdu ses convictions. Elle est restée jusqu’au bout loyale et fidèle au CCI.
Jusqu’à son dernier souffle, Elisabeth est restée une vraie combattante de la cause du prolétariat, une militante qui a donné le meilleur d’elle-même au travail collectif et associé du principal groupe de la Gauche communiste.
Elisabeth aimait la lecture. Elle aimait la mer, les fleurs, et l’art. Elle aimait la musique baroque, la littérature, la peinture... Mais elle aimait par-dessus tout l’espèce humaine. Son amour de l’humanité était l’épine dorsale de sa passion du communisme et de son engagement militant au sein du CCI.
La disparition de notre camarade nous laisse aujourd’hui un grand vide. Pour le CCI, chaque militant est un maillon irremplaçable. Elisabeth est donc irremplaçable. Le seul moyen de « combler » ce vide, de rendre hommage à sa mémoire est, pour nous, de continuer notre combat, son combat.
Elisabeth avait donné son corps à la science. Elle nous a quittés sans fleurs ni couronnes.
À son frère Pierre et à toute sa famille ;
à ses amis Sara et Fayçal qui nous ont immédiatement prévenus de son décès ;
à ses amis de Marseille, Chantal, Dasha, Josette, Margaux, Marie-Jo, Rémi, Sarah…, qui nous ont aidés, en faisant du rangement dans sa maison, dans le plus grand respect de son activité politique et de ses dernières volontés,
nous adressons toute notre sympathie et solidarité.
Au revoir Elisabeth ! Tu es partie, par une nuit de novembre, seule dans cette maison, qui va aussi nous manquer. Mais tu n’étais pas seule. Pour chacun d’entre nous, tu resteras vivante, dans nos cœurs comme dans nos pensées et notre conscience.
Le CCI organisera, au mois de janvier, une réunion d’hommage politique à notre camarade. Nos lecteurs, sympathisants et compagnons de route, de même que les militants des groupes de la Gauche communiste qui connaissaient Elisabeth, peuvent adresser un courrier au CCI s’ils souhaitent participer à cet hommage qui aura lieu à Marseille.
Révolution Internationale, section du CCI en France (24 novembre 2018)
1 Elisabeth avait d’ailleurs gardé un très mauvais souvenir de sa scolarité chez les « bonnes » sœurs.
2 PSU : Parti fondé en 1960 et dissout en 1989 regroupant, à sa fondation, des membres du Parti socialiste opposés à ce parti sur sa politique colonialiste, des chrétiens de gauche ainsi que des éléments venant du trotskisme et du maoïsme, et dont l’un des principaux dirigeants était Michel Rocard avant qu’il ne rejoigne le Parti socialiste pour y prendre la tête de son aile droite. Dans le mouvement de Mai 1968, le PSU avait pris une position beaucoup plus « radicale » que celle du PCF et il a prôné « l’autogestion ».
3 Voir « La confession de Karl Marx » publiée par David Riazanov en 1923 (https://www.marxists.org/francais/riazanov/works/1923/00/confession.htm#... [57])
4 Cette formule se trouvait dans une contribution très importante au débat interne de notre camarade MC en 1980 et dont le passage suivant a été publié en note dans notre texte « La question du fonctionnement de l’organisation dans le CCI » (Revue Internationale n° 109, https://fr.internationalism.org/rinte109/fonctionnement.htm [58])« C’est dans la dernière moitié des années 1960 que se constituent de petits noyaux, de petits cercles d'amis, dont les éléments sont pour la plupart très jeunes, sans aucune expérience politique, vivant dans le milieu estudiantin. Sur le plan individuel leur rencontre semble relever d'un pur hasard. Sur le plan objectif - le seul où l'on peut trouver une explication réelle - ces noyaux correspondent à la fin de la reconstruction de l'après-guerre, et des premiers signes que le capitalisme rentre à nouveau dans une phase aiguë de sa crise permanente, faisant resurgir la lutte de classes. En dépit de ce que pouvaient penser les individus composant ces noyaux, s'imaginant que ce qui les unissait était leur affinité objective, l'amitié, l'envie de réaliser ensemble leur vie quotidienne, ces noyaux ne survivront que dans la mesure où ils se politiseront, où ils deviendront des groupes politiques, ce qui ne peut se faire qu'en accomplissant et assumant consciemment leur destinée. Les noyaux qui ne parviendront pas à cette conscience seront engloutis et se décomposeront dans le marais gauchiste, moderniste ou se disperseront dans la nature. Telle est notre propre histoire. Et c'est non sans difficultés que nous avons suivi ce processus de transformation d'un cercle d'amis en groupe politique, où l'unité basée sur l'affectivité, les sympathies personnelles, le même mode de vie quotidienne doit laisser la place à une cohésion politique et une solidarité basée sur une conviction que l'on est engagé dans un même combat historique : la révolution prolétarienne. »
Il y cent ans, nous étions au cœur de la vague révolutionnaire mondiale, plus précisément de la révolution en Allemagne, un an après la prise du pouvoir politique par le prolétariat en Russie, en octobre 1917.
Comme en Russie, la classe ouvrière en Allemagne avait fait surgir des conseils ouvriers, organes d'unification de tous les ouvriers et de la future prise du pouvoir politique. Alors qu'elle éclate dans le pays le plus industrialisé du monde capitaliste, avec la classe ouvrière la plus nombreuse, la révolution en Allemagne ouvre la possibilité de rompre l'isolement du pouvoir prolétarien en Russie et d'extension de la révolution à l'Europe. La bourgeoisie ne s'y est d'ailleurs pas trompée puisqu'elle met fin à la guerre impérialiste en signant l'armistice du 11 novembre 1918 alors que, justement, la poursuite de celle-ci constituait un facteur de radicalisation des masses, de démystification de toutes les fractions de la bourgeoisie, les plus "à gauche" en particulier, comme cela avait été les cas en Russie dans les mois qui suivirent la révolution de février 1917. De plus, alors que la plupart des fractions de droite de l'appareil d'État étaient en pleine dislocation du fait du désastre militaire, la bourgeoisie allemande a su tout miser sur la social-démocratie traître pour affaiblir et écraser la révolution et la classe ouvrière en Allemagne. C'est un enseignement fondamental pour la révolution du futur, laquelle trouvera sur son chemin toutes les fractions de la gauche et de l'extrême gauche du capital qui feront tout pour défaire le prolétariat.
Nous publions un nouvel article sur ce thème :
Révolution en Allemagne : il y a 100 ans, le prolétariat faisait trembler la bourgeoisie [59]
Nous recommandons aussi à nos lecteurs des articles plus anciens :
"Il y a 90 ans, la révolution allemande" : série de 5 articles, dont le premier fut publié dans le n° 133 de la Revue internationale et le dernier dans le n° 137 : Face à la guerre le prolétariat renoue avec ses principes internationalistes [60] ; 1918 - 19 : De la guerre à la révolution [61] ; 1918-19, la formation du parti, l'absence de l'Internationale [62] ; La guerre civile en Allemagne (1918-1919) [63] ; La terreur orchestrée par la social-démocratie fait le lit du fascisme [64].
"Révolution allemande" : série de 13 articles, dont le premier fut publié dans le n° 81 de la Revue et le dernier dans le n° 99 : les débuts de la révolution [65] (I) ; les débuts de la révolution [66] (II) ; L'insurrection prématurée [67] ; fraction ou nouveau parti ? [68] ; Du travail de fraction à la fondation du K.P.D [69] ; L'échec de la construction de l'organisation [70] ; La fondation du K.A.P.D [71] ; Le putsch de Kapp [72] ; L'action de mars 1921, le danger de l'impatience petite-bourgeoise [73] ; Le reflux de la vague révolutionnaire et la dégénérescence de l'Internationale [74] ; La gauche communiste et le conflit croissant entre l'État russe et les intérêts de la révolution mondiale [75] ; 1923. Une défaite qui signe la fin de la vague révolutionnaire mondiale [76].
Le mythe du Père Noël remonte à la nuit des temps. Noël fut autrefois une fête païenne destinée à célébrer le solstice d’hiver, avant que le christianisme n’en fasse le jour de la naissance du petit Jésus.
C’est à partir du XVIIIe siècle qu’est laïcisé en Europe, (d’abord en Allemagne, puis en France au début du XXe siècle), ce personnage joufflu et débonnaire qui, chaque année, descend du Ciel pour offrir des “joujoux” aux enfants. En 1863, aux Etats-Unis, Saint Nicolas (le Santa Claus des Flamands) endosse le costume rouge pour donner naissance à la figure du Papa Noël, avec sa hotte remplie de jouets. Il va partir à la conquête du monde avec son traîneau tiré par ses rennes nordiques (le Père Noël résidant en Laponie, paraît-il).
En France, l’exploitation commerciale du Père Noël commence avec le développement du capitalisme, à partir du milieu du XVIIIe siècle. Noël devient le jour sacré de la famille dans l’aristocratie, la bourgeoisie et la petite bourgeoisie (notamment chez les artisans).
À la fin du XIXe siècle, l’arrivée des grands magasins, (comme Le Bon Marché à Paris – “Au bonheur des Dames” d’Émile Zola), va propulser le Père Noël en star du capitalisme. Aux États-Unis, de nombreux patrons vont aussi récupérer ce personnage légendaire pour faire du profit (Colgate, Waterman,… et à partir des années 1920, Coca-Cola).
Au début des années 1920, le Père Noël devient le symbole des pères de famille tués sur le front pendant la Première Guerre mondiale. La bourgeoisie a ainsi introduit dans le monde imaginaire des enfants orphelins, ce gros Barbu joufflu censé prendre la place du papa “Poilu” disparu. De même, en 1946, la chanson populaire “Petit Papa Noël”, interprétée par Tino Rossi (un tube qui a fait le tour du monde en plusieurs langues), fut dédiée aux enfants dont les pères ont été sacrifiés sur l’autel du Capital pendant la Seconde Guerre mondiale.
Le Père Noël serait-il une ordure (comme l’affirme la célèbre pièce de théâtre) ?
C’est dans l’entre-deux guerres que le Père Noël devient véritablement populaire et commence à s’intéresser vraiment aux enfants de prolétaires en mettant dans leurs chaussons une orange (qui restera la friandise des pauvres jusque dans les années 1950). Le cynisme de la classe dominante n’a pas de limite : non seulement la bourgeoisie a envoyé au massacre des millions de très jeunes pères de famille, mais elle n’a eu aucun scrupule à les “récompenser” post mortem en offrant une aumône à leurs orphelins comme cadeau de Noël.
Après la guerre, grâce au plan Marshall, la bourgeoisie américaine a envoyé en France son Père Noël “made in USA” en remplissant sa hotte de bouteilles de Coca-Cola (symbole du développement économique de la première puissance mondiale et de l’expansion de son impérialisme).
Grâce au grand boom de l’industrie du jouet, le Ministre des PTT en France, Jacques Marette, a pu créer le “secrétariat du Père Noël” en 1962. Tous les enfants de France et de Navarre sont ainsi invités à écrire chaque année, dans leur fameuse Lettre au Père Noël, une liste de cadeaux dont ils rêvent et ce sont des fonctionnaires des PTT qui sont chargés de leur répondre.
À la fin de la période de reconstruction et des Trente Glorieuses, grâce aux mass media et au développement de la publicité, puis à la vente massive de télévisions en couleur, le Père Noël devient une vedette dont la hotte dégorge de cadeaux-marchandises.
Mais, là encore, le bon Papa Noël ne récompensera que les “enfants sages”, les plus “sages” étant bien sûr les enfants aisés de la petite et grande bourgeoisie. Ces inégalités se manifestent à l’école : les enfants pauvres des familles ouvrières côtoient des “enfants sages” qui ont eu la “chance” d’avoir été plus gâtés qu’eux par le Père Noël.
Le sentiment d’injustice se transmet ainsi, dès l’âge de 3 ans, grâce au Père Noël.
Aujourd’hui, malgré sa longue carrière au service de la classe exploiteuse, ce bonhomme rondouillard à la barbe blanche n’a même pas le droit de prendre sa retraite. Avec l’aggravation de la crise économique et de la guerre commerciale, le Capital lui impose encore plus de cadences infernales. Il est maintenant obligé d’aller jusqu’en Chine, le mythe du Père Noël ayant fait un tabac chez les enfants de l’Empire du Milieu. Fort heureusement, avec le décalage horaire, il pourra arriver à temps ! Le Père Noël est devenu une institution et un symbole du capitalisme décadent, y compris en Chine.
Ce n’est pas un pur hasard si, à moins de trois semaines de Noël, sur un rond-point occupé par des “gilets jaunes” (qui n’arrivent plus à boucler les fins de mois), on a pu voir une petite fille brandir une pancarte affichant le slogan : “Bonbons trop chers !”.
Marianne, 17 décembre 2018
Dès le départ, le mouvement des “gilets jaunes” s’est proclamé “apolitique”. Aucune représentation officielle, aucune reconnaissance de ce que la bourgeoisie nomme les “corps intermédiaires” (partis ou syndicats), n’ont eu le droit de se proclamer les porte-paroles du mouvement. Aucune forme de représentation traditionnelle ne s’y est d’ailleurs vraiment risquée. Lorsque le Premier ministre a cherché des “interlocuteurs”, il s’est retrouvé devant un vide… vite comblé par quelques individus autoproclamés dont le gilet n’était plus reconnu et faisant l’objet d’intimidations, voire de menaces sérieuses. Les “gilets jaunes” s’exprimant de plus en plus sur les plateaux de télévision n’osaient généralement pas aller plus loin que quelques déclarations “en leur propre nom”.
Comment expliquer une telle méfiance ? Totalement dégoûtés par des décennies de mensonges de la part des partis bourgeois officiels, par des tas de promesses jamais tenues suivies d’attaques systématiques bien réelles, par des affaires en tous genres et une corruption croissante, sans parler de la langue de bois des démagogues et la froideur des technocrates, cette partie de la population qui compose les “gilets jaunes” s’est sentie non seulement paupérisée mais aussi méprisée. Par un rejet quasi instinctif vis-à-vis des “politiques”, les “gilets jaunes” entretiennent finalement l’illusion qu’ils ne sont animés d’aucun “parti pris” politique, et se considèrent seulement comme de simples “citoyens” excédés par la misère et les taxes en tous genres. Ils ne chercheraient uniquement qu’à se défendre et à manifester leur colère. Au sein même des “gilets jaunes”, la moindre allusion à une idée politique est en général immédiatement suspectée, d’une volonté de “récupération” pour le compte d’intérêts qui ne seraient pas les leurs. C’est ce qu’on peut nettement ressentir, par exemple, dans les propos d’un des porte-paroles du mouvement à Obernai, Dominique Balasz [79] (employé chez Peugeot), à propos des figures politiques qui tentent de les courtiser (FO, France insoumise, Rassemblement national, etc.) : “Ils peuvent venir, mais on ne montre aucune étiquette, les gilets jaunes sont apolitiques”. Autrement dit, on ne se laissera pas “embobiner”, ils peuvent toujours “causer”.
Pourtant, malgré l’illusion “apolitique” largement répandue en leur sein, le mouvement est en réalité… très politique ! Derrière tous les chevaliers jaunes de “l’apolitisme” se cache en fait une “Union sacrée” respectueuse de la “citoyenneté” bourgeoise, par définition très conformiste et attachée aux valeurs du capitalisme. Derrière “l’apolitisme” affiché se cache traditionnellement les idées les plus conservatrices de la droite et de l’extrême-droite. Les slogans accompagnant les revendications diverses autour du “pouvoir d’achat” sont en fait très grandement portés sur des questions relatives au pouvoir politique : “Macron démission !”, “dissolution de l’assemblée !”, “le peuple veut la chute du régime !”, etc.
Qui peut sérieusement prétendre que ces slogans sont “apolitiques” ? En réalité, dans le mouvement composite et interclassiste des “gilets jaunes” n’existe pas une, mais des expressions politiques diverses et variées, un véritable kaléidoscope reflétant les nuances multiples provenant des couches intermédiaires que forment notamment la petite bourgeoisie et dans laquelle se sont égarés beaucoup d’ouvriers qui, en raison du vide laissé par la classe ouvrière, sont réduits à rester de simples “citoyens” attachés à la “nation”.
Si certains gilets jaunes sont d’ardents défenseurs de la démocratie bourgeoise, réclamant comme ils l’ont fait symboliquement le 13 décembre à Versailles la légalisation “du référendum d’initiative citoyenne” (le fameux “RIC”, revendication qu’on a vu fleurir après le discours de Macron en pancartes sur les ronds-points comme lors des derniers actes de gilets jaunes), d’autres, comme Maxime Nicolle, alias “Fly Rider”, propagent toutes sortes de théories fumeuses et réactionnaires typiques de l’extrême-droite : ses visions nationalistes ou bien sa manière de fustiger le récent “pacte de Marrakech” sur les migrations, etc.
En fait, on voit bien que le mouvement lui-même a fait surgir des figures qui, par la parole et par le geste, jouent les apprentis politiciens !
D’Eric Drouet, le sans-culotte, appelant à envahir le palais du monarque républicain, à Christophe Chalençon et ses prises de paroles labellisées extrême droite, en passant par Jacline Mouraud, l’accordéoniste hypnothérapeute, dont les discours “insurrectionnels” ont laissé la place à l’appel au “respect des institutions de la Ve République, de l’ordre public, des biens et des personnes” ! Désormais tout ce beau monde se trouve à l’aise comme un poisson dans l’eau dans le bocal médiatico-politique et ambitionne même de monter une liste aux élections européennes. “On a envie d’investir le champ politique” lançait Hayk Shahinyan. “Sans structure, on ne sera jamais entendu. Il faut respecter les institutions et investir la sphère politique”, surenchérit l’accordéoniste hypnotiseur. Cette évolution, fruit de la fragmentation des “gilets jaunes”, est activement encouragée par l’ensemble de l’appareil d’État qui voit ici un bon moyen de faire barrage à une probable nouvelle percée du Rassemblement national.
Une chose est certaine, le prétendu “apolitisme” n’a malheureusement pas d’autre effet que de déposséder les ouvriers mobilisés et de les diluer dans un magma informe, allant du lumpen proletariat aux petits patrons, en les privant de leur autonomie de classe et de leurs propres moyens de lutte. Comme elle n’est pas un mouvement de la classe ouvrière, cette protestation n’a pu prendre que la forme disséminée de piquets, d’attroupements, de poussées violentes et aveugles, de guérillas urbaines, de casse et de pillages sur fond de chants nationalistes et même parfois de propos xénophobes. Qu’un tel mouvement puisse s’accommoder d’expressions politiques réactionnaires et xénophobes de la pire espèce, de chants patriotiques et nationalistes sur les Champs-Élysées notamment, sans s’en démarquer ni les rejeter fermement de manière explicite, témoigne de la souillure morale qu’un tel mouvement, au-delà de sa colère légitime, peut véhiculer. Même si la période est totalement différente aujourd’hui, le prolétariat ne doit pas oublier que c’est au nom de “l’apolitisme” que le fascisme s’est imposé dans les années 1930.
Dans un contexte où la classe ouvrière a perdu pour l’instant son identité de classe, sans pour autant avoir subi une défaite, de telles effluves nauséabondes ne peuvent que présenter de très grands dangers : naturellement, ceux de la division entre les fractions qui cèdent aux pires sirènes nationalistes et xénophobes d’un côté, et de l’autre, ceux qui s’accommodent de l’idéologie démocratique, c’est-à-dire du masque hypocrite de la dictature capitaliste, un système qui n’a d’autre possibilité à offrir qu’une barbarie croissante.
La réalité, c’est que la classe ouvrière a besoin d’une réelle politisation de sa lutte ! Elle a besoin de renouer avec ses propres méthodes de combat, son propre projet politique révolutionnaire. Comme nous le soulignions au sujet du mouvement des “Indignés” en Espagne : “Oui, il faut s’intéresser à la “politique” ! Confronter les idées politiques dans les assemblées générales est le seul moyen de démasquer nos faux amis, de déjouer leurs pièges et de ne pas se laisser confisquer nos luttes par des politicards “spécialistes” de la négociation et de la magouille. C’est dans la confrontation et le débat politique, notamment au sein des assemblées souveraines, que les exploités en lutte peuvent faire la distinction entre les groupes politiques qui défendent vraiment leurs intérêts et ceux qui jouent le rôle de “chiens de garde du Capital”. La lutte de la classe exploitée contre la classe exploiteuse est toujours un combat politique. C’est uniquement dans ce combat, à travers le débat le plus large possible que les exploités peuvent construire un rapport de force en leur faveur face à l’ignominie du Capital et de ses politiciens de tous bords. C’est dans ce combat politique, dans la rue et au sein des assemblées massives, qu’ils peuvent retrouver leur identité de classe, développer leur solidarité, leur unité, et retrouver confiance en leur propre force” (voir RI n° 424 juillet-août 2011). Cela ne peut se faire, bien évidemment, que par le biais d’une lutte réellement autonome, clairement distincte des autres couches de la société. Le prolétariat ne doit donc pas se fourvoyer dans des pratiques de guérilla urbaine enfermée par les slogans nationalistes de la petite bourgeoisie haineuse et révoltée, mais au contraire s’ouvrir sur un mouvement massif à vocation internationale, un mouvement unitaire dont la perspective est l’abolition consciente des rapports sociaux capitalistes. Un combat historique et mondial dont l’objectif politique est l’abolition des classes sociales et la réunification de l’humanité.
WH, janvier 2019
Parmi les “gilets jaunes”, les syndicats n’ont pas la cote. Malgré les innombrables et souvent vaines tentatives de la CGT ou de Solidaire pour “soutenir” le mouvement, l’hostilité envers ces derniers ne s’est jamais démentie. Mais loin d’assister à une riposte de la classe ouvrière contre le sabotage systématique des luttes, le profond mécontentement des citoyens en “gilet jaune” envers les syndicats s’est entièrement confondu avec l’idéologie réactionnaire de ceux qui ont lancé le mouvement : petits patrons, commerçants, artisans et toutes les couches intermédiaires appauvries et aveuglées par leur haine revancharde de l’ “assistanat” et des syndicats qui défendraient, selon eux, les prétendus privilèges des salariés du privé et, pire encore, des fonctionnaires qui bénéficieraient d’un statut ou de contrat “protecteur” et ne prendraient aucun “risque” pour gagner leur vie. Il n’y a donc rien d’étonnant à voir la droite et l’extrême droite soutenir depuis le début ce mouvement “antisyndical”.
Contrairement à ce que pensent les petits patrons en gilets jaunes, les syndicats ne sont pas les ennemis de la propriété privée et de l’exploitation. Au contraire, depuis la Première Guerre mondiale et avec l’entrée du capitalisme dans sa période de décadence, les syndicats sont devenus de véritables chiens de garde de l’État bourgeois, des organes destinés à encadrer la combativité ouvrière, à diviser et pourrir chaque lutte pour empêcher la classe exploitée de les prendre elle-même en main et de se dresser ainsi contre ses exploiteurs. (1)
Le mouvement des “gilets jaunes” est venu conclure une année (après tant d’autres !) de sabotage systématique des luttes marquées par d’innombrables petites grèves que les syndicats ont isolées les unes des autres, par de nombreuses “journées d’actions” stériles et démoralisantes. La division corporatiste et la dispersion ont d’ailleurs commencé à questionner dans les rangs des travailleurs : face aux attaques du gouvernement, ne devrions-nous pas lutter tous ensemble ? C’est pourquoi, lors des grèves contre la réforme du statut des cheminots, au mois de mai, les syndicats ont sorti de leur chapeau le simulacre de la “convergence des luttes” où, en réalité, chaque secteur, chaque branche, chaque entreprise étaient soigneusement cloisonnés et enfermés derrière “sa” banderole et “son” mot d’ordre avec la sono syndicale à fond pour empêcher un peu plus toute discussion. Surtout, avec la trouvaille de la “grève perlée” de la SNCF, les syndicats ont épuisé les grévistes dans une lutte longue et stérile, coupée des autres secteurs de la classe ouvrière, tout en présentant les travailleurs de la SNCF comme le secteur le plus combatif capable de faire, à lui seul, reculer le gouvernement, cela pour mieux démoraliser l’ensemble du prolétariat. C’est aussi pour isoler et démoraliser que la CGT a mis en place sa “caisse de solidarité” qui n’est rien d’autre qu’un appel à lutter par procuration.
C’est justement à cause de ce sabotage syndical des luttes ouvrières que le prolétariat n’a pas été en mesure de se mobiliser pour riposter massivement aux attaques du gouvernement Macron. C’est à cause de la paralysie du prolétariat et sa grande difficulté à briser le carcan syndical que le mouvement citoyen et interclassiste des “gilets jaunes” a pu surgir en occupant tout le devant de la scène sociale. Cette situation de substitution momentanée de la révolte populaire des “gilets jaunes” à la lutte de classe ne pouvait que renforcer le désarroi du prolétariat et créer un rideau de fumée venant obscurcir sa conscience. C’est à cause de cet affaiblissement politique du prolétariat que les syndicats, CGT en tête, peuvent continuer à lancer des appels à des journées d’action stériles.
Quant à la gauche “radicale” de l’appareil politique bourgeois, elle n’a cessé, tout au long de l’année, de distiller son poison mystificateur avec le slogan ouvriériste hérité des staliniens : “De l’argent, il y en a dans la poche du patronat !” Il n’est à ce titre pas étonnant de voir que les pancartes “Macron, rend l’argent !” étaient présentes partout où un groupe de “gilets jaunes” se mobilisait. Oui, il y a de l’argent “dans la poche” du patronat, dans celle des actionnaires et dans les caisses de l’État. Suffirait-il alors de “redistribuer les richesses” pour que tout aille mieux ? Quelle fumisterie ! Le problème, ce n’est pas la distribution “équitable” des richesses, c’est l’exploitation de la force de travail, l’existence même de la marchandise, de la monnaie et de la propriété privée, celle d’une classe exploitée par une classe exploiteuse. Comme l’écrivaient déjà Marx et Engels dans le “Manifeste du Parti communiste” à propos des “socialistes bourgeois” : “Une autre forme de socialisme bourgeois (…) essaya de dégoûter les ouvriers de tout mouvement révolutionnaire, en leur démontrant que ce n’était pas telle ou telle transformation politique, mais seulement une transformation des conditions de la vie matérielle, des rapports économiques, qui pouvait leur profiter. Notez que, par transformation des conditions de la vie matérielle, ce socialisme n’entend aucunement l’abolition du régime de production bourgeois, laquelle n’est possible que par la révolution, mais uniquement la réalisation de réformes administratives sur la base même de la production bourgeoise, réformes qui, par conséquent, ne changent rien aux rapports du Capital et du Salariat et ne font, tout au plus, que diminuer pour la bourgeoisie les frais de sa domination et alléger le budget de l’État”. (2)
En soutenant le mouvement des “gilets jaunes” et en appelant les lycéens à y participer, les partis de la “gauche radicale” (Besancenot a notamment soutenu le mouvement lors de son passage dans l’émission télévisée de Laurent Ruquier), les ont sciemment envoyés au casse pipe et se faire tabasser par les flics.
Depuis 1914, les syndicats ne correspondent plus au besoin du prolétariat et sont devenus de véritables rouages de l’État capitaliste, des organes d’encadrement des luttes et de police dans les entreprises. Dès la Première Guerre mondiale, les syndicats se sont tous rangés derrière les intérêts de leur État national au nom de “l’Union sacrée” dans l’effort de guerre. Pendant la révolution allemande, en 1918-1919, main dans la main avec les sociaux-démocrates du SPD, ils s’emploient partout à briser les grèves et empêcher le prolétariat de développer sa lutte révolutionnaire en faisant tout pour semer la division et détruire l’unité de la classe ouvrière.
En 1979, en France, face à l’éclatement de grèves dans de nombreux secteurs, particulièrement dans la sidérurgie, les syndicats entreprennent un habile travail de division et d’isolement. Ils font d’abord reprendre le travail dans d’autres secteurs en lutte (postes, hôpitaux, banques, SFP...) avant d’organiser, sous la pression des ouvriers, la marche des sidérurgistes sur Paris, le 23 mars, qui sera sabotée par l’alliance des forces de l’ordre et des syndicats.
En 1983, en Belgique, c’est de la même façon que les syndicats sont parvenus à empêcher toute unification entre les ouvriers du secteur public et du secteur privé, en organisant un quadrillage du mouvement grâce à la vieille tactique de la division entre les différents syndicats en organisant, dans le même temps, des manifestations par secteur, par région, par entreprise, par usine.
Autre exemple : en 1986, en France, face au discrédit des syndicats lors de la lutte des cheminots de la SNCF, les organisations trotskistes Lutte ouvrière et l’ancêtre du NPA (la LCR) mettent aussitôt en avant le piège du “syndicalisme de base” qui a alors accompli le même sale boulot que les syndicats traditionnels en enfermant les cheminots dans la corporation ou le secteur pour empêcher toute extension de la lutte, notamment au moyen de services d’ordre musclés qui interdisaient l’accès des AG aux “éléments extérieurs à la SNCF”.
Voilà plus d’un siècle que pèse sur le prolétariat le poids des méthodes et de l’idéologie des prétendus “amis” de la classe ouvrière que sont les syndicats et les partis de gauche et d’extrême gauche de l’appareil politique de la bourgeoise. C’est ainsi qu’en dépit d’un rejet quasi unanime des syndicats, le mouvement des “gilets jaunes” n’a fait que… reproduire toutes les impasses dans lesquelles les syndicats, et notamment la CGT, plongent les luttes depuis des décennies : blocage des routes ou des sites prétendument stratégiques avec les éternels pneus incendiés et autres barrages filtrants. Ces blocages ne servent à rien d’autre qu’à diviser les prolétaires entre ceux qui luttent et ceux qui sont contraints d’aller bosser. Ils ne sont qu’une piqûre de moustique sur la peau d’éléphant du capitalisme et ces méthodes n’ont jamais constitué une réelle menace pour le gouvernement et encore moins pour l’État.
Le sabotage permanent des syndicats n’a fait que préparer le terrain au dévoiement de la combativité d’une partie de la classe exploitée sur le terrain du patriotisme “citoyen” des “gilets jaunes”. Grâce à leurs bons et loyaux services, la bourgeoisie, son État et son gouvernement, ont pu jusqu’à présent paralyser le prolétariat et maintenir la “paix sociale” pour défendre l’ordre du Capital. Cet ordre ne peut engendrer que toujours plus de misère, d’exploitation, de répression, de chaos social et de barbarie si le prolétariat se laisse confisquer sa lutte par les syndicats et par la petite bourgeoisie.
EG, 18 décembre 2018.
1) Voir la brochure du CCI : “Les syndicats contre la classe ouvrière”.
2) Si un “socialiste bourgeois” comme Proudhon avait l’avantage, en dépit de ses errements politiques et ses conceptions réformistes, d’avoir été un combattant sincère de la classe ouvrière, les partis gauchistes du NPA et de LO ne sont que des organisations de l’extrême gauche du Capital dont la fonction est de mystifier la classe ouvrière, d’encadrer ses luttes et de la dévoyer sur le terrain bourgeois et réformiste des élections.
La révolte populaire des “gilets jaunes” n’appartient pas au combat de la classe ouvrière. Au contraire, ce mouvement interclassiste, n’a pu surgir et occuper tout le terrain social, pendant plusieurs semaines, que sur le vide laissé par les difficultés du prolétariat à engager massivement la lutte, sur son propre terrain de classe, avec ses propres méthodes de lutte, face aux attaques économiques du gouvernement et du patronat.
Dans la révolte des “gilets jaunes”, se sont mobilisés, derrière les mots d’ordre dont se revendiquent aussi des petits patrons et des artisans, les secteurs les plus périphériques et inexpérimentés de la classe ouvrière, vivant dans les zones rurales et périurbaines. Le fait que de nombreux travailleurs salariés parmi les plus pauvres se soient embarqués dans ce mouvement interclassiste, initié sur les réseaux sociaux, les a rendus particulièrement vulnérables aux idéologies les plus réactionnaires et anti-prolétariennes : le nationalisme patriotard, le populisme de l’extrême droite (avec son programme politique “franchouillard” et anti-immigrés), et finalement la revendication du Referendum d’Initiative Citoyenne (RIC). Ce n’est pas un pur hasard si le parti du Rassemblement National de Marine Le Pen (de même que toute la droite) a soutenu les “gilets jaunes” depuis le début !
Le prolétariat n’a rien à gagner à se rallier à ce mouvement de “citoyens français”, défendant le drapeau tricolore et chantant La Marseillaise. Il ne peut que perdre encore plus son identité de classe révolutionnaire en se mobilisant à la remorque des couches sociales sans devenir historique, telle la petite bourgeoisie paupérisée et “révoltée” par l’augmentation des taxes sur le carburant et la baisse de son pouvoir d’achat (petits patrons, artisans, agriculteurs, etc.).
Ce mouvement des “gilets jaunes” n’est, au mieux, rien de plus que la manifestation la plus visible et spectaculaire de l’énorme colère qui gronde au sein de la population et particulièrement dans toute la classe exploitée face à la “vie chère” et aux mesures d’austérité du gouvernement Macron. Il n’est, au mieux, rien d’autre qu’un signe annonciateur des futurs combats de classe du prolétariat.
La révolte populaire des “gilets jaunes”, du fait qu’elle véhicule en son sein les stigmates nauséabonds de la décomposition de la société capitaliste (les préjugés xénophobes, la peur de l’invasion des migrants qui viennent “manger le pain des Français” et “profiter de nos impôts”…), constitue un appel à la responsabilité du prolétariat face à la gravité des enjeux de la situation historique actuelle.
Si la classe exploitée ne parvient pas à surmonter ses difficultés à s’affirmer sur la scène sociale, avec ses propres mots d’ordre (y compris la solidarité avec les immigrés), avec ses propres méthodes de lutte (notamment les Assemblées générales massives et souveraines), si elle ne parvient pas à desserrer l’étau des manœuvres de sabotage syndical, la société ne pourra que s’enfoncer dans le chaos, continuer à pourrir sur pied, avec une misère sans fond et une répression implacable pour les exploités.
C’est seulement lorsque la classe des prolétaires se reconnaîtra, dans la lutte, comme classe distincte et indépendante, qu’elle pourra intégrer dans son combat contre le capitalisme les autres couches sociales non exploiteuses. Ce phénomène d’ “inclusion” ne peut se développer que si le prolétariat, en prenant la tête d’un vaste mouvement contre l’exploitation et la misère, est capable d’exclure et de rejeter, sans concession, toute idéologie et toute méthode de lutte qui tournent le dos à ses principes, hérités du mouvement ouvrier.
Le rejet du nationalisme et l’affirmation de l’internationalisme sont la pierre angulaire qui doit ouvrir la voie à la politisation des luttes futures du prolétariat.
Le mouvement interclassiste, nationaliste et réformiste des “citoyens” en “gilets jaunes” est une impasse ; il ne peut ouvrir aucune perspective pour la société. Seule la lutte de classe révolutionnaire du prolétariat est porteuse d’avenir pour l’humanité. Le but ultime de la lutte de la classe exploitée n’est ni une répartition “plus juste” des richesses, ni une amélioration de la démocratie bourgeoise, mais l’abolition de l’exploitation de l’homme par l’homme et de la dictature du capital dans tous les pays du monde.
Contre toutes les formes de nationalisme, contre la xénophobie et la mentalité de “bougnat maître chez soi”,
VIVE LA LUTTE DE CLASSE INTERNATIONALISTE DU PROLETARIAT !
55 compagnies de CRS, 100 escadrons de gendarmerie, la brigade anticriminalité, la police des transports, la police pour la lutte contre l’immigration irrégulière et de la sécurité de proximité, des dizaines de milliers de fonctionnaires des commissariats et de la police judiciaire. Au final, près de 90 000 fonctionnaires du maintien de l’“ordre public” ont été mobilisés, samedi 8 décembre, pour “sécuriser” la manifestation des “gilets jaunes” à Paris et dans toute la France. Tout cela pour 125 000 manifestants ! Ce gigantesque déploiement de CRS, de gendarmes, de policiers… a même été protégé par une quinzaine de véhicules blindés de la gendarmerie destinés à déblayer les barricades. Un dispositif “exceptionnel” et inédit dans l’histoire de la République française.
Le gouvernement a donc mobilisé la quasi-totalité de ses forces de répression disponibles en s’imaginant que le mouvement des “gilets jaunes” avait déclenché une situation “insurrectionnelle”. Les scènes d’émeute et de pillage qui ont explosé une semaine plus tôt dans la capitale étaient une curiosité française pour les touristes étrangers. La “plus belle Capitale du monde” avec ses illuminations de Noël sur les Champs-Élysées, s’est transformée en champ de bataille et en véritable zone militarisée. Pendant une semaine, les médias nous ont inondés d’images du déchaînement de la violence des “insurgés”. Sur la scène internationale, le gouvernement Macron donne une image peu reluisante de la France : son ordre public fait plutôt désordre !
La haine était dans les deux camps de ce match entre l’équipe des “casseurs” en “gilet jaune” et celle des matraqueurs en uniformes. Les “casseurs” en gilet jaune ont seulement marqué un but face aux CRS. L’heure de la revanche est arrivée après le retour d’Emmanuel Macron de son voyage en Argentine. “Tolérance zéro pour les casseurs ! Il faut intervenir plus vite, plus fort”, a vociféré le chef du syndicat UNSA-Police. Tout au long de la première semaine de décembre, les médias n’ont d’ailleurs cessé d’entretenir la peur d’affrontements mortels si la manifestation des “gilets jaunes” prévue pour le 8 décembre n’était pas annulée.
La mobilisation de cette armada républicaine n’avait pas d’autre but que de mettre en scène une impressionnante démonstration de force de “dissuasion”, après les violences policières contre de jeunes lycéens dont la grande majorité ne faisaient “rien de mal”, et n’avait pas du tout envie de mettre le feu ni aux poubelles, ni aux voitures, ni à leur lycée ! À Mantes-la-Jolie, 148 jeunes âgés de 12 et 20 ans ont été alignés à genoux, mains derrière la tête, gardés par des policiers comme de véritables prisonniers de guerre. Face à la pénurie de menottes, les “keufs” (“verlan” des gamins “pauvres” des banlieues défavorisées) ont trouvé cette astuce pour les immobiliser et les empêcher de fuir (en attendant l’arrivée des “paniers à salades” ?). Plusieurs adolescents ont écopé de 6 mois de prison ferme. Le même jour, plusieurs mineurs étaient défigurés par des tirs de flash-ball. Dans le Loiret, un lycéen grièvement blessé s’est trouvé entre la vie et la mort. Finalement, le proviseur du lycée est passé à la télévision pour annoncer que sa vie n’était plus en danger.
S’agit-il de simples “bavures” ou d’ordres reçus par les “dignes” représentants de la classe dominante et son gouvernement ? Ce gouvernement n’a pas hésité à employer les grands moyens. Il a fait preuve de la plus grande “fermeté” (comme l’a également exigé notre blafarde Ministre de l’Injustice) suite aux violences qui ont traumatisé les fonctionnaires de l’Ordre Public obligés de battre en retrait, sous l’Arc de Triomphe, face à la fronde des “gilets jaunes”. C’est cette “reculade” qui est “intolérable” pour le “Président des riches” et son Sinistre de l’Intérieur. Quand on choisit d’entrer dans la police ou dans l’armée, ce n’est pas pour le plaisir de porter un uniforme. Le passage à tabac d’un CRS fait partie des risques du métier. Monsieur Castaner ne nous fera pas pleurer après les 10 000 grenades lacrymogènes balancées sur les “citoyens” en “gilet jaune” (et aussi sur des adolescents rebelles atteints par la “fièvre jaune”).
Le Président Macron et ses sbires se sont posés en défenseurs de la République, après la “profanation” de l’Arc de Triomphe, un des temples sacrés de la Nation française, construit pour commémorer les victoires de Napoléon Bonaparte. Heureusement qu’un groupe de “gilets jaunes” a protégé la tombe du Soldat Inconnu, en chantant toujours la Marseillaise. (Quel “sang impur” doit encore “abreuver nos sillons” ?). Qui est donc ce mystérieux Soldat Inconnu ? Quel âge avait-il ? Peut-être à peine 18 ans ? S’il avait survécu, peut-être aurait-il été une de ces “Gueules Cassées” de la Première Guerre mondiale à qui la “Patrie reconnaissante” a offert un orgue de barbarie pour qu’elles puissent faire la manche dans la rue après leur retour du front ? À l’époque, il n’y avait pas de “gilets jaunes” pour demander au Président Raymond Poincaré d’accorder une pension d’invalidité à ces prolétaires en uniforme, embrigadés comme chair à canon et sacrifié sur l’autel du Capital. Ce qu’ils ont vécu dans les tranchées à Verdun était autrement plus “intolérable” que le match entre les CRS et les “gilets jaunes” ; les uns ont le droit de lancer des grenades lacrymogènes et les autres n’ont pas le droit d’apporter des boules de pétanque ! Il n’y a décidément aucune Justice dans cet État de droit.
Surtout, les représentants de la bourgeoisie et de la “patrie reconnaissante” ont célébré (quelques semaines avant le cassage de gueule du “samedi noir”), le centenaire de la fin de la Première boucherie mondiale, avec tambours et trompettes. Pure hypocrisie ! Le combat au corps à corps des deux camps (à cause de la suppression de l’Impôt sur la Fortune et, surtout, des violences et provocations policières) est quelque peu indécent. Dommage que la tombe du Soldat Inconnu n’ait pas été déplacée au Cimetière du Père-Lachaise, au milieu des Communards fusillés et de la fille de Karl Marx, Laura Lafargue .
Après le fiasco, le 1er décembre, du maintien de l’“ordre public” devant la tombe du Soldat Inconnu, l’objectif du déploiement de la nouvelle armada républicaine était clair : essayer de contenir la violence des “casseurs” en “gilets jaunes” et montrer que “nous sommes les plus forts” face à tous ceux qui seraient tentés de troubler encore l’Ordre Public : “gilets jaunes”, “casseurs”, black-blocks, groupes extrémistes d’ultra-droite, “maximalistes bobo” d’ultragauche, etc. Au total, la police a procédé à l’arrestation de 2000 personnes, pour 1700 gardes à vue. Mais les bandes de “black-blocks” ont réussi à échapper à cette pêche miraculeuse. Qui sont-ils et d’où viennent-ils ? La police qui veille sur le “peuple” ne le sait pas !
La nouvelle stratégie du Ministère de l’Intérieur a été plus efficace pour tenter de reprendre la situation en main. Et aussi venger l’orgueil blessé d’Emmanuel Macron qui, contrairement à Edouard Philippe et Christophe Castaner, ne peut pas reconnaitre avoir commis lui aussi des “erreurs” de gestion du capital national. Le Napoléon de la République en marche a fait un parcours sans faute depuis 18 mois !
Le 8 décembre, les forces de rétablissement de “l’ordre public” ont réussi à éviter que la situation ne dégénère. Malgré “quelques heurts” et blessés, nous étions loin du chaos du samedi précédant. Tout le monde a bien compris que seul le renforcement de l’État policier peut protéger la population, les monuments historiques et les commerces contre les “casseurs” et les pilleurs. Aujourd’hui tout est propre et net pour l’arrivée du Père Noël sur les Champs-Élysées. Mais la trêve des confiseurs ne signifie pas que toutes les brèches ont été colmatées. Les “gilets jaunes” ont annoncé qu’ils étaient prêts à tenir jusqu’au bout (comme la petite chèvre de Monsieur Seguin) même s’ils doivent passer Noël sur les ronds-points.
La bourgeoisie et son gouvernement ne baisseront plus la garde. Les mesures “exceptionnelles” déployées par le Ministère de l’Intérieur ne peuvent que devenir la règle. Puisque la fonction de l’État est de maintenir la cohésion de la société face aux antagonismes de classes. La bourgeoisie, son patronat, son gouvernement, ses syndicats, et tous les lèches-bottes et valets du Capital veillent sur le “peuple” pour que chacun puisse fêter Noël et le Nouvel An en famille et entre amis.
Si les quelques milliers de “gilets jaunes” s’imaginent que leur fronde pourra faire “dégager Macron” ils se font des illusions. “Capitalisme dégage !” était un slogan du mouvement des Indignés en Espagne en 2011. Ce n’est pas parce que deux ex-ministres Nicolas Hulot et Gérard Colomb ont préféré démissionner plutôt que de continuer à gouverner avec Macron que le Président va “dégager”. Et encore moins si les “pauvres” adoptent les mêmes mœurs que les “riches”. La classe ouvrière n’a jamais pu obtenir satisfaction de ses revendications avec des boules de pétanque et autres projectiles de ce genre.
Les plus fidèles chiens de garde de l’Ordre capitaliste, ce sont les médias qui n’ont cessé de nous inonder d’images tournant en boucle sur toutes les chaînes, pour rassurer la classe exploiteuse et intimider la classe exploitée. Ce que redoute la bourgeoisie, ce n’est pas le mouvement “citoyen” des “gilets jaunes” mais la lutte de classe du prolétariat, de tous les travailleurs salariés, précaires ou au chômage qui “réfléchissent” et ne savent pas encore comment défendre leurs conditions de vie et l’avenir de leurs enfants. Tout le monde a pu assister au déferlement ad nauseum de la propagande “sécuritaire” sur les chaînes de télévision ! Sauf ceux qui n’ont pas les moyens de s’acheter une télévision, un smartphone ou un ordinateur (ou préfèrent lire Le Canard Enchaîné que Le Figaro).
Les médias n’ont cessé d’exhiber la “fermeté” du gouvernement Macron et sa majorité parlementaire. Tous ces défenseurs irréductibles des Institutions républicaines et démocratiques ne vont pas rater l’occasion de déchaîner encore leur campagne idéologique contre un prétendu “péril révolutionnaire”, justifiant le blindage de l’État policier. La violence exercée par les forces de répression lors du mouvement contre la loi Travail en 2016 ou lors du 1er mai 2018 participait de la même logique. Il s’agit de donner aux troupes d’intervention davantage de liberté dans l’exercice de la répression, de réduire la possibilité de se rassembler pour discuter et réfléchir, et aussi d’accroître le contrôle et le fichage de tous ceux qui préfèrent s’intéresser aux débats politiques plutôt qu’aux matchs de football. Évidemment, les organisations révolutionnaires marxistes sont aussi la cible de cette propagande contre le “péril révolutionnaire” (qui n’est pas du tout imminent !). Les journalistes de la Presse officielle devraient lire le reportage écrit par un journaliste américain, John Reed, qui a été un témoin direct de la Révolution prolétarienne d’Octobre 1917 en Russie. Il a donné comme titre à son reportage : “Dix jours qui ébranlèrent le monde”. Rien à voir avec les dix jours qui ont ébranlé le pouvoir macronien où il n’y avait aucun “péril révolutionnaire” !
Grâce aux médias, notre Ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, a pu, comme le Gaulois Obélix, mener la “guerre psychologique” avec son gros gourdin. Il aura donc le droit de manger du sanglier à Noël ! (Cf. la collection de BD “Astérix le Gaulois”)
L’usage de la violence aveugle et débridée des blacks-blocks et des “casseurs” a toujours été du pain béni pour la classe dominante et son appareil de répression. En amalgamant la violence des “gilets jaunes” (excités par les provocations et violences policières) avec les grandes luttes historiques du prolétariat, la propagande des médias n’a cessé de chercher à discréditer la classe ouvrière. Les idéologues de l’intelligentsia petite-bourgeoise (historiens, sociologues, philosophes, économistes, etc.) s’imaginent que la révolution prolétarienne est le fruit d’un complot, ourdi dans l’ombre, par des groupuscules ou “petite secte” de soixante-huitards retraités.
Ce n’est pas un hasard si, au cours des débats télévisés qui ont rythmé les dernières semaines, les références et les parallèles douteux se sont multipliés entre les barricades des “gilets jaunes” avec celles des journées de juin 1848, des insurgés de la Commune de Paris en 1871, des “enragés” de Mai 1968. Ces étudiants “enragés” (la “chienlit”, dixit le gaulois Charles De Gaulle) n’ont fait qu’annoncer le mouvement prolétarien de 9 millions de travailleurs salariés dont la mobilisation massive avait permis que le SMIC soit augmenté de 35 % et tous les autres salaires de 10 %. Mais les beaux jours des Trente Glorieuses sont terminés depuis longtemps. L’État Providence a cédé la place à l’État Policier.
Une fois de plus, la bourgeoisie française, grâce à ses médias aux ordres, veut nous rappeler que “ce n’est pas la rue qui gouverne” (comme le disait si bien le Sinistre Raffarin). Emmanuel Macron est prêt maintenant à reprendre le gouvernail. Même si (par orgueil ou conviction ?) il ne veut pas changer de cap. Tant pis si la République française devient le radeau de la Méduse !
On nous a fait voir aussi un “gilet jaune” présenter aux CRS un bouquet de roses jaunes, sans aucun commentaire. Petit cadeau pour remercier les CRS d’avoir bien fait leur travail le samedi 8 décembre ? Ou pour s’excuser de les avoir terrifiés lors du “cassage de gueule” devant la tombe du Soldat Inconnu ? Ce “gilet jaune” est peut-être tout simplement un marchand ambulant qui vend des roses à l’unité dans la rue, dans les bistrots et restaurants de Paris pour gagner quelques euros ? Les Restaurants du Cœur et l’Armée du Salut n’ont pas assez de soupes populaires pour faire face à la misère croissante dans certains arrondissements de la “plus belle Capitale du monde”. Les médias vont-ils nous montrer des clochards et autres sans abri en “gilets jaunes” défiler dans les quartiers où vivent les “riches” ? Maintenant que les “gilets jaunes” sont devenus pacifistes et ont des représentants, ils pourraient organiser un grand carnaval sur les Champs-Élysées pour favoriser “l’industrie du tourisme” ou monter une troupe de théâtre avec les différents “Actes” d’Éric Drouet ? La Révolution prolétarienne a besoin d’artistes et d’humoristes car “l’humour et la patience sont les principales qualités des révolutionnaires” (disait l’abominable “fomenteur d’insurrections” Lénine).
Les médias bourgeois ont également passé en boucle les images des “gilets jaunes” agenouillés les mains sur la tête devant les cordons de CRS, comme les gamins de Mantes-la-Jolie le 6 décembre. Les appareils d’intoxication idéologique de la classe dominante ont tenté, dans un premier temps, de cacher et censurer les images des jeunes de Mantes-la-Jolie. Mais comme elles avaient déjà circulé sur tous les réseaux sociaux, les chaînes de télévisions ont été obligées de les diffuser avec toutes sortes de commentaires essayant de justifier cette exaction et, notamment, les commentaires de deux sommités du monde de la Presse :
– Christophe Barbier : ex-directeur de l’hebdomadaire L’Express, puis chroniqueur politique à BFMTV : “Ce qui s’est passé (à Mantes-la-Jolie), c’est tout-à-fait normal. Et c’est même pour protéger les lycéens qu’il faut les traiter comme ça. Il faut vraiment être un cœur d’artichaut et bien-pensant pour s’offusquer de ce qui s’est passé à Mantes-la-Jolie” (matinale de BFMTV le 7 décembre) ;
– Franz-Olivier Giesbert, ex-directeur de la rédaction du Nouvel Observateur, puis du quotidien Le Figaro, et ensuite directeur de l’hebdomadaire Le Point :“Il n’y a pas eu de blessés ! Ils auraient pu être massacrés… ! C’est pas parce que c’est des lycéens qu’ils ont le droit de faire n’importe quoi” (matinale de LCI du 7 décembre).
Effectivement, ces grands patrons de la médiasphère ne sont pas des “cœurs d’artichaut” ni des “bien-pensants”. Ils sont les “dignes” représentants médiatiques “d’un monde sans cœur” et de “l’esprit d’une époque sans esprit” (selon l’expression de Karl Marx, à propos de “l’opium du peuple”, dans son livre “Contribution à la critique de la Philosophie du Droit de Hegel”).
On ne peut que conseiller à tous les “cœurs d’artichaut” de lire la prose d’un journaliste français, Prosper Olivier Lissagaray, qui a raconté, jour après jour, les événements de la “semaine sanglante” lors de la répression de la Commune de Paris en 1871. Le “citoyen” Lissagaray rapporte dans son livre, “Histoire de la Commune de 1871”, une scène où le 26 mai 1871, sur les marches du Panthéon, un Député sympathisant de la Commune, Jean-Baptiste Millière, a été forcé de se mettre à genoux, avant d’être fusillé par la soldatesque du gouvernement de la République française siégeant à Versailles. Beaucoup de “citoyens” de la Commune de Paris (qui n’ont même pas osé toucher à l’argent de la Banque de France alors que la bourgeoisie les a traités de “voleurs” !) ont été contraints par la force de se mettre à genoux avant d’être fusillés par les hordes sanguinaires des troupes républicaines “tricolores”. Simplement parce qu’ils crevaient de faim et avaient osé monter à “l’assaut du Ciel” !
Les jeunes du lycée de Mantes-la-Jolie n’ont pas été “massacrés”, mais simplement obligés eux-aussi de se mettre à genoux comme leurs ancêtres de la Commune de Paris. “C’est tout à fait normal” : la mise à genoux des Gavroche des temps modernes exprime la haine revancharde de la bourgeoisie et son besoin d’humilier toute cette “racaille” (comme disait l’ex-Président Nicolas Sarkozy) qui ne respecte pas les privilèges des “riches”.
Les manifestations des lycéens sur tous les territoires français (sans gilet jaune ni drapeau tricolore, ni hymne national) ont été étrangement très peu médiatisées. Il y eu très peu de “casse” et d’affrontements violents. On a pu quand même entendre à la télévision une prolétaire, enseignante de l’Éducation Nationale, affirmer que ce qu’il faudrait faire c’est une “grève générale” et pas des journées d’action (comme celles organisées par les pompiers sociaux que sont les syndicats : CGT, CFDT, FO, Solidaire…).
Voilà pourquoi la bourgeoisie, son gouvernement, son Parlement, son patronat, et ses médias, ont tout intérêt à ne pas identifier qui sont ces “black-blocks” et autres “casseurs” : pour pouvoir justifier le blindage de l’appareil policier contre la lutte massive du prolétariat qui, un jour ou l’autre, va resurgir face à la généralisation de la pauvreté.
Ce jour-là, il n’y aura pas assez de prisons pour enfermer tous les “gaulois réfractaires” à la suppression de l’ISF et autres injustices. Il vaudrait mieux reconstruire des camps de concentration : ça coûtera moins cher à l’État et on pourra y parquer beaucoup de monde !
L’Ordre Public de la bourgeoisie, avec son “État de droit” policier, et sa “paix sociale”, c’est l’ordre de la Terreur !
Hans, 10 décembre 2018
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Le Président de la République Emmanuel Macron est sorti de son silence en s’adressant aux Français, le 10 décembre à 20h, sur toutes les chaînes de télévision : “Françaises, français, nous voilà ensemble au rendez-vous de notre pays et de l’avenir. Les événements de ces dernières semaines (…) ont mêlé des revendications légitimes et un déchaînement de violences inadmissibles. (…) Ces violences ne bénéficieront d’aucune indulgence. Aucune colère ne justifie qu’on s’attaque à un policier, à un gendarme ; qu’on dégrade un commerce ou des bâtiments publics. (…) Quand la violence se déchaîne, la liberté cesse. C’est donc désormais le calme et l’ordre républicain qui doivent régner. Nous y mettrons tous les moyens. (…) J’ai donné en ce sens au gouvernement les instructions les plus rigoureuses.
Mais, au début de tout cela, je n’oublie pas qu’il y a une colère, une indignation. Et cette indignation, beaucoup d’entre nous, beaucoup de français peuvent la partager (…) Mais cette colère est plus profonde, je la ressens comme juste à bien des égards, et elle peut être notre chance (…) Ce sont quarante années de malaise qui resurgissent.
Sans doute n’avons-nous pas su, depuis un an et demi, y apporter une réponse rapide et forte. Je prends ma part de responsabilité. Je sais qu’il m’est arrivé de blesser certains d’entre vous par mes propos. (…) Nous ne reprendrons pas le cours normal de nos vies, comme trop souvent par le passé lors des crises. Nous sommes à un moment historique de notre pays. Je veux aussi que nous mettions d’accord la nation avec elle-même sur ce qu’est son identité profonde. Que nous abordions la question de l’immigration”.
Aucun “maintien de l’ordre républicain” ne justifie, en effet, que des policiers tirent avec des balles de flashball sur des adolescents (sans casque ni bouclier) mineurs, scolarisés, et dont les traumatismes sont autrement plus profonds que ceux des policiers agressés, le samedi 1er décembre, devant la tombe du Soldat inconnu. Aucun “maintien de l’ordre républicain” ne justifie que des policiers bombardent de grenades lacrymogènes des manifestants marchant paisiblement sur l’avenue des Champs-Élysées, des manifestants parmi lesquels il y avait des personnes âgées (dont beaucoup de femmes). Aucun “maintien de l’ordre républicain” ne justifie que des adolescents soient estropiés, la main arrachée par l’explosion d’une grenade offensive (une arme non utilisée dans les autres pays d’Europe).
Quand la violence policière se déchaîne contre des adolescents, cela ne peut que provoquer des émeutes urbaines (comme en 2005), cela ne peut qu’aggraver le chaos social. La violence ne peut engendrer que la violence ! Tirer sur des adolescents est un crime. Si les fonctionnaires du maintien de “l’ordre républicain” tuent les enfants (comme cela a failli arriver avec ce lycéen grièvement blessé dans une commune du Loiret), cela signifie que cet ordre républicain n’a aucun avenir à offrir à l’humanité ! Ces violences policières infanticides sont ignobles et révoltantes ! Ce n’est certainement pas avec l’intimidation et les menaces que le “calme” et la “paix sociale” vont revenir.
Le discours du Président de la République ne s’adresse qu’aux “Françaises et aux Français” alors que beaucoup de travailleurs et travailleuses qui paient leurs impôts ne sont pas “Françaises ou Français”. Nos ancêtres n’étaient pas des “Gaulois” mais des Africains (n’en déplaise à la Gauloise Madame Le Pen !) : l’Afrique est le berceau de l’espèce humaine, comme le savent les scientifiques, anthropologues et primatologues. Il n’y a que les Églises qui affirment encore que Dieu a créé l’homme. Comme le disait le philosophe Spinoza : “l’ignorance n’est pas un argument”.
Tous les indicateurs économiques sont de nouveau dans le rouge. Dix ans après la crise financière de 2008 qui a davantage aggravé la dette souveraine des États, les menaces d’une nouvelle crise financière se profilent à nouveau avec le risque d’un nouveau krach boursier. Mais voilà que le “peuple” se révolte ! Car, c’est au “peuple” que tous les gouvernements ont fait payer la crise de 2008 avec des plans d’austérité dans tous les pays. On a exigé des prolétaires d’accepter des sacrifices supplémentaires pour sortir “tous ensemble” de la crise (depuis 2008, la perte moyenne du pouvoir d’achat des travailleurs est de 440 euros par ménage). L’État devait nous “protéger” du risque de faillites en chaîne des banques où le “peuple” a placé ses petites économies pour pouvoir assurer ses vieux jours. Ces sacrifices, notamment sur le pouvoir d’achat des ménages, devaient permettre un retour de la croissance et protéger les emplois.
Après dix ans de sacrifices pour sauver les banques de la faillite et éponger le déficit budgétaire de l’État national, il est normal que le “peuple” ne puisse plus joindre les deux bouts et soit indigné de voir les “riches” vivre dans le luxe alors que les “pauvres” n’ont plus assez de sous pour remplir le frigidaire ou acheter des jouets pour leurs enfants à Noël.
Le Président a donc tout-à-fait raison de décréter l’ “État d’urgence économique et social”. Il a absolument besoin de nouveaux “pompiers sociaux” pour éteindre l’ “incendie” de la lutte de classe, les grandes centrales syndicales ayant soigneusement fait leur sale travail pour saboter les luttes revendicatives des travailleurs salariés afin d’aider le gouvernement et le patronat à faire passer leurs attaques contre nos conditions de vie.Les “riches”, ce sont ceux qui exploitent la force de travail des “pauvres” pour faire du profit, de la plus-value, et maintenir leurs privilèges. C’est ce que Karl Marx avait clairement expliqué en 1848 dans le “Manifeste du Parti communiste”.(1)
Pour sortir de la crise du pouvoir exécutif et ouvrir le “dialogue”, “notre” Président a annoncé les mesures suivantes : augmentation du SMIC de 100 euros par mois, annulation de l’augmentation de la CSG pour les retraités qui touchent moins de 2 000 euros par mois, défiscalisation des heures supplémentaires. Il a aussi demandé aux patrons qui le peuvent, de verser des primes de fin d’année à leurs salariés (prime qui sera aussi défiscalisée). “Notre Président de La République En Marche” a donc fait “un pas en avant”. La leçon à tirer serait donc que seules les méthodes de lutte “modernes” (et pas “ringardes”) des citoyens en “gilet jaune” payent et peuvent faire “reculer” le gouvernement !
Pour notre part, nous restons des “ringards”, convaincus que les boules de pétanque et autres projectiles pour riposter aux bombardements intensifs de grenades lacrymogènes, sont totalement inefficaces et ne peuvent que contribuer à l’escalade de la violence, au chaos social et au renforcement de l’État policier. La lutte de classe du prolétariat n’est pas une fronde. Les principales armes du prolétariat demeurent son organisation et sa conscience. Car “lorsque la théorie s’empare des masses, elle devient une force matérielle”, disait encore Karl Marx. Contrairement au mouvement des “gilets jaunes”, notre référence “Gauloise” n’est pas la Révolution Française de 1789 (avec sa guillotine, son drapeau tricolore et son hymne national “ringard”), mais la Commune de Paris.
Depuis le “samedi noir” du 1er décembre, les médias nous ont fait vivre en direct, sur tous les écrans de télévision et les réseaux sociaux, un véritable feuilleton à suspense : le “Président des riches”, Emmanuel Macron, va-t-il finir par “reculer” sous la pression du mouvement des “gilets jaunes” ? Va-t-il céder face à la détermination des “gilets jaunes” qui campent sur les ronds-points et ont suivi les mots d’ordre d’Éric Drouet, figure de proue et initiateur du mouvement ?
La marche des “gilets jaunes” sur les Champs-Élysées, le samedi 1er décembre s’était transformée en véritable guérilla urbaine tournant à l’émeute avec des scènes de violence hallucinantes sous l’Arc de triomphe comme dans les avenues Kléber et Foch du 16e arrondissement. Deux semaines plus tôt, le 17 novembre, les “forces de l’ordre” n’avaient déjà pas hésité à envoyer des gaz lacrymogènes et à foncer sur des groupes de “citoyens”, hommes et femmes en gilets jaunes, marchant tranquillement sur les Champs-Élysées en chantant La Marseillaise et en brandissant le drapeau tricolore. Ces provocations policières ne pouvaient qu’attiser la colère des citoyens en “gilet jaune” contre le citoyen en costard cravate du Palais de l’Élysée. L’appel à l’ “Acte III” des “gilets jaunes” a ainsi provoqué une émulation parmi les éléments déclassés du “peuple” français. Les bandes organisées de casseurs professionnels, black blocs, nervis d’extrême-droite, “anars” et autres mystérieux “casseurs” non identifiés ont profité de l’occasion pour venir semer la pagaille sur la “plus belle avenue du monde”.
Mais ce qui a mis le feu aux poudres, c’est une erreur de “stratégie” du Ministère de l’Intérieur dans le maintien de l’ordre : la mise en place d’une “fan zone” sur une partie des Champs-Élysées, pour sécuriser les beaux quartiers. Au lendemain du “samedi noir”, le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner a reconnu son erreur : “On s’est planté !”. Autre erreur reconnue également : le manque de mobilité des CRS et des gendarmes, complètement dépassés par la situation (malgré leurs canons à eau et les tirs incessants de grenades lacrymogènes), terrorisés par le passage à tabac de l’un d’entre eux et par les jets de projectiles qui les ont assaillis. Les médias n’ont cessé pendant toute la semaine de passer en boucle sur les écrans de télévision cette scène ubuesque de CRS obligés de battre en retraite face à des groupes de “gilets jaunes” autour de l’Arc de Triomphe. Les propos enregistrés et très peu diffusés par les médias : “Samedi prochain, on revient avec des armes !”, de même que la colère des commerçants et habitants des beaux quartiers contre l’incurie des forces de l’ordre ont été clairement entendus par le gouvernement et l’ensemble de la classe politique. Le danger d’enlisement de la République française dans le chaos social a encore été renforcé par la volonté d’une partie de la population des 16e et 8e arrondissements de se défendre elle-même si la police n’était pas capable de la protéger de l’engrenage de la violence lors de la quatrième “manifestation” des “gilets jaunes” prévue le samedi 8 décembre (l’Acte IV avec le mot d’ordre puéril : “Tous à l’Élysée !”).
L’événement le plus spectaculaire de la crise du pouvoir exécutif est la perte de crédibilité de l’ “État protecteur” et de son appareil de “maintien de l’ordre”. Cette faille du pouvoir macronien (et la sous-estimation de la profondeur du mécontentement qui gronde dans les entrailles de la société) ne pouvait que donner des ailes non seulement aux “gilets jaunes” “radicaux”, mais aussi à tous ceux qui veulent “casser du flic”, mettre le feu partout face à l’absence d’avenir, notamment parmi les jeunes générations confrontées au chômage et à la précarité. Beaucoup de jeunes sortant des universités avec des diplômes ne trouvent pas d’emplois et sont obligés de faire des “jobs alimentaires” pour survivre.
Face au risque de perte de contrôle de la situation et de débandade du gouvernement, le Président Macron, après être venu constater les dégâts (y compris sur le plan du “moral des troupes” des CRS choqués par la guérilla urbaine à laquelle ils n’étaient pas préparés) a pris la décision de s’enfermer dans son bunker élyséen pour “réfléchir” en mouillant toute la classe politique et en envoyant “au front” son Premier ministre, Edouard Philippe, épaulé par le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner.
En plus de la morgue affichée par le plus jeune Président de la République française, celui-ci est apparu comme un lâche qui se “planque” derrière son Premier ministre et se trouve incapable de sortir de l’ombre pour “parler à son peuple”. Les médias ont même répandu la rumeur qu’Emmanuel Macron allait utiliser Edouard Philippe, voire le Ministre de l’Intérieur comme “fusibles”, c’est-à-dire leur faire porter le chapeau pour ses propres fautes.
Dans toute la classe politique, après le “samedi noir”, c’était la curée contre son bouc émissaire, Jupiter Macron, désigné comme seul et unique responsable du chaos social. Le “Président pyromane” aurait allumé le brasier avec son “péché originel” : la suppression de l’impôt sur la fortune et son attitude arrogante et provocatrice. L’annonce des dernières mesures d’austérité (augmentation des taxes sur le carburant, du gaz et de l’électricité) n’aurait été que l’étincelle qui a mis le feu aux poudres. De l’extrême droite à l’extrême gauche, toutes les cliques bourgeoises ont crié à hue et à dia et ont cherché à se dédouaner. Toutes les cliques de l’appareil politique bourgeois qui ont “soutenu” le mouvement citoyen des “gilets jaunes” ont lâchement abandonné le petit Président et l’ont appelé à enfin entendre le cri du “peuple” qui n’arrive plus à joindre les deux bouts. Certains ont réclamé un référendum, d’autres la dissolution de l’Assemblée nationale. Tout le monde a appelé le Président à assumer sa responsabilité. Les chefs d’État des autres pays (Trump, Erdogan, Poutine…) ont également commencé à tirer à boulets rouges sur le jeune Président de la République française en lui mettant un bonnet d’âne pour avoir fait preuve de trop grande répression contre son peuple. C’est vraiment l’hôpital qui se moque de la charité, le déchaînement du chacun pour soi et Dieu pour tous !
Dès le mardi 3 décembre, le Premier ministre avait annoncé trois mesures pour sortir de la crise, “apaiser” la tension sociale et éviter l’escalade de la violence : la suspension pour six mois de la taxe sur les carburants, la suspension pendant trois mois de l’augmentation du prix du gaz et de l’électricité et la réforme du contrôle technique des véhicules qui, au nom de la “transition écologique”, condamnait beaucoup d’entre eux à la casse. Mais ce “scoop” n’a fait qu’aggraver la colère des travailleurs pauvres en gilets jaunes. Personne n’était dupe : “Macron cherche à nous entuber !” “Il nous prend pour des cons !”. Même le PCF a entonné son couplet : “On n’est pas des pigeons à qui on donne des miettes !” On n’éteint pas un incendie avec un compte-gouttes (ni avec des canons à eau).
Face au tollé provoqué par cette “annonce”, le Premier ministre Edouard Philippe, est revenu le lendemain, avec un remarquable sang-froid, parler au “peuple” français pour annoncer que, finalement, les hausses des taxes sur les carburants ne seraient pas suspendues mais carrément annulées. Après l’annonce du dernier “pas de côté” du gouvernement de la République en marche (la défiscalisation des primes sur les heures supplémentaires), le “gilet vert” Benoit Hamon a affirmé que “le compte n’y est pas !”. Le gouvernement n’avait pas d’autre alternative que de lâcher du lest pour “apaiser” les esprits et éviter que la guérilla urbaine qui s’est déroulée sur les Champs-Élysées ne s’intensifie encore, alors même que cette violence ne parvenait pas à discréditer le mouvement des “gilets jaunes”.
Depuis le “samedi noir”, le gouvernement a manié le bâton et la carotte. Ces petites concessions diplomatiques ont été accompagnées d’un gigantesque battage médiatique sur le déploiement “exceptionnel” des forces de l’ordre pour l’“Acte IV” des “gilets jaunes”, le samedi 8 décembre. Pour ne pas écorner la “démocratie” bourgeoise, le gouvernement n’a pas interdit le rassemblement. Pas question non plus de décréter l’État d’urgence (comme cela avait été envisagé et même réclamé par certains secteurs de l’appareil politique).
Après avoir examiné le “problème” avec tous les hauts fonctionnaires chargés de la sécurité du territoire, notre débonnaire Ministre de l’Intérieur a cherché à rassurer “tout le monde” en annonçant qu’une autre stratégie de maintien de l’ordre public avait été élaborée avec la collaboration du Ministère de la Justice. Les forces de l’ordre ne devaient plus battre en retraite dans la capitale comme sur tout le territoire. L’État d’urgence n’était pas nécessaire : il n’y avait pas de “péril imminent” pour la République.
Ce qui s’est passé dans les beaux quartiers de Paris, notamment les pillages, s’apparente davantage aux émeutes de la faim, comme celles en Argentine en 2001, et aux émeutes des banlieues comme celles de 2005 en France. Le slogan “Macron démission !” est de même nature que le “dégagisme” du Printemps arabe de 2011 qui a circulé sur tous les réseaux sociaux. C’est pour cela qu’on a pu lire aussi sur des pancartes en carton : “Macron dégage !”.
Ce déploiement exceptionnel des forces de l’ordre n’est pas parvenu à rassurer “tout le monde”, à tel point que le ministre de l’Intérieur a dû expliquer patiemment sur les écrans de télévision que les blindés de la gendarmerie ne sont pas des chars d’assaut mais simplement des véhicules destinés à déblayer les éventuelles barricades et à protéger les forces de l’ordre dans leur mission. Objectif d’un tel dispositif : éviter les morts tant du côté des manifestants que de celui des forces de l’ordre, même s’il y a eu de nombreux blessés et 1 723 arrestations (sans compter les dégâts matériels).
Le Président a donc beaucoup “réfléchi” avec le soutien de sa garde rapprochée de “spécialistes” et “conseillers” et, en coulisse, avec celui de tous les “corps intermédiaires” et pompiers sociaux professionnels que sont les syndicats. La grève illimitée des routiers appelée par la CGT a été annulée 48 heures plus tard, la ministre des Transports ayant immédiatement accordé aux chauffeurs routiers la garantie du maintien de la majoration des heures supplémentaires avant même qu’il ne se soient mis en grève !
Le Président de la République était devant un “casse-tête” chinois. En étant obligé de lâcher (trop tardivement !) du lest face au “cri du peuple”, il a ouvert une boîte de Pandore : tout le “peuple” risque de se mobiliser, comme on l’a vu aussi avec les manifestions massives des lycéens (sans “gilets jaunes” ni drapeau tricolore) contre la réforme du Bac et le Parcours Sup. Mais si Emmanuel Macron continuait à refuser de lâcher du lest, il prenait le risque d’un raz de marée de “gilets jaunes” réclamant sa démission.
Comment le gouvernement va-t-il maintenant fermer cette boîte de Pandore ? Le gouvernement s’est trouvé face à un autre dilemme qu’il devait résoudre rapidement pour endiguer le danger d’un engrenage de la violence, avec des morts, lors de la manifestation du 8 décembre. Après les attaques des CRS obligés de reculer devant l’Arc de triomphe, la priorité était de montrer que “force doit revenir à la loi” et rétablir la crédibilité de l’État “protecteur” et garant de “l’unité nationale”. Le gouvernement Macron ne pouvait pas prendre le risque de faire apparaître l’État démocratique français comme une vulgaire république bananière du “tiers monde” qui ne tient qu’avec une junte militaire musclée au pouvoir.
Cette focalisation sur le jour “J” et sur le problème de la violence devait permettre au gouvernement de ne pas “reculer” sur une des questions centrales : celle de l’augmentation des salaires. Surtout, le “Président des riches” est resté “droit dans ses bottes” concernant la suppression de l’Impôt sur la Fortune vécue comme une injustice profonde. Il est hors de question de “détricoter ce que nous avons fait pendant 18 mois !”, selon ses propres mots relayés par les médias.
Ce qui a permis, à la veille du jour “J”, à Marine Le Pen de faire une nouvelle déclaration pour parler encore de Macron, “cet homme” dont la fonction “désincarnée” montre qu’il est “dénué d’empathie pour le peuple”. Pure hypocrisie ! Aucun chef d’État n’a d’ “empathie pour le peuple”. Si Madame Le Pen (qui aspire à être un jour “cheftaine d’État”) a tant d’ “empathie pour le peuple”, pourquoi a-t-elle déclaré devant les plateaux télévisés qu’elle n’était pas favorable à l’augmentation du SMIC pour ne pas pénaliser les petits patrons des PME (qui constituent une partie de sa clientèle électorale) ? Tous ces partis bourgeois qui soutiennent les “gilets jaunes” et focalisent toute l’attention sur la personnalité détestable de Macron veulent nous faire croire que le capitalisme est personnifié par tel ou tel individu alors que c’est un système économique mondial qu’il faut abattre. Cela ne se fera pas en quelques jours, vu la longueur du chemin qu’il reste encore à parcourir (nous ne croyons pas au mythe du “grand soir”). La démission de Macron et son remplacement par un autre “guignol de l’info” ne changera rien à la misère croissante des prolétaires. La misère ne peut que continuer à s’aggraver avec les secousses d’une crise économique mondiale sans issue.
Le mouvement interclassiste des “gilets jaunes” ne pouvait que se fractionner, entre les “extrémistes” et les “modérés”. Éric Drouet, initiateur du mouvement sur les réseaux sociaux, a cru pouvoir monter une pièce de théâtre avec ses différents “Actes”. Invité sur les plateaux télévisés, il a clairement affirmé que son appel à l’ “Acte IV” du samedi 8 décembre était destiné à entraîner les “gilets jaunes” à se rendre au Palais de l’Élysée pour un face à face avec le “Roi” Macron. Ce petit aventurier mégalomane s’imaginait peut-être que les “gilets jaunes” pourraient faire le poids face à la Garde républicaine qui protège le palais présidentiel. On n’entre pas à l’Élysée comme dans un vieil immeuble où il n’y a ni concierge ni digicode ! Les pendules ayant été remises à l’heure, le “Roi” allait pouvoir donner la fessée au leader des “sans culottes”.
À la veille de la manifestation du 8 décembre, on a appris que ce jeune chauffeur routier allait faire l’objet d’une enquête judiciaire pour “provocation à la commission d’un crime ou d’un délit”, ce qui pourrait lui coûter cinq ans de prison ! Les méthodes aventuristes et activistes d’Éric Drouet (et ses “amis” virtuels) sont typiques de la petite bourgeoisie. Elles révèlent le désespoir des couches sociales “intermédiaires” (situées entre les deux classes fondamentales de la société : la bourgeoisie et le prolétariat) frappées aussi par la paupérisation.
Le gouvernement a également essayé de reprendre le contrôle de la situation grâce à la constitution d’un collectif des “gilets jaunes libres” qui se sont démarqués des “radicaux” ralliés derrière le drapeau du “mauvais citoyen” Éric Drouet. Les trois principaux représentants de ce “collectif” de gilets jaunes “modérés” se sont désolidarisés de leurs “camarades” après avoir assisté ou participé au “samedi noir”. Qui sont ces trois nouvelles stars en “gilet jaune” ?
— un artisan forgeron, Christophe Chalençon qui avait appelé à la démission du gouvernement et suggéré de nommer le général De Villiers comme Premier ministre (après avoir annoncé le 28 juin 2015 sur Facebook, qu’il était contre les immigrés et avait songé à adhérer au Front National, avant de devenir “macroniste”, puis candidat malheureux aux dernières élections législatives) ! ;
— une femme, Jacline Mouraud, hypnothérapeute libérale et accordéoniste ;
— un cadre dynamique et proche de l’extrême-droite, Benjamin Cauchy.
Ces “gilets jaunes libres” sont devenus plus royalistes que le roi. Alors que le gouvernement n’avait pas interdit la manifestation du 8 décembre à Paris, ce triumvirat autoproclamé a appelé les “gilets jaunes” à ne pas y participer (pour ne pas faire le “jeu de l’Éxécutif” !). Ces trois porte-paroles du mouvement ont été reçus (avec quatre autres) par le Premier ministre comme interlocuteurs privilégiés des “gilets jaunes libres”. Ils ont montré leur patte blanche de “bons citoyens”, responsables, ouverts au dialogue et prêts à collaborer avec le gouvernement pour qu’ “on puisse se parler”. Comme l’a déclaré Jacline Mouraud après avoir rencontré Edouard Philippe à Matignon : le Premier ministre “nous a écoutés”, a reconnu que le gouvernement a fait des erreurs et “on a pu parler de tout”.
On a pu voir également à la télévision, après le “samedi noir”, des “gilets jaunes” affirmer vouloir maintenant protéger les CRS contre les “casseurs”. C’est le monde à l’envers ! Sur les écrans de télévision, a également été diffusé le spectacle pitoyable d’un groupe de “gilets jaunes” venu offrir des croissants au poste de police de Fréjus et à la gendarmerie pour faire “ami-ami” avec les forces de l’ordre. Le gendarme qui les a accueillis a été interloqué d’entendre ces “gilets jaunes”, penauds et repentis, s’excuser pour les violences du “samedi noir” : “on aurait bien voulu que vous soyez avec nous, mais comme ce n’est pas possible, on a voulu vous dire (avec des croissants) qu’on est avec vous et qu’on se bat aussi pour vous”. Que dans un mouvement social, les manifestants essaient de démoraliser les forces de répression, voire de les appeler à changer de camp, c’est de bonne guerre, comme le confirment de nombreux exemples dans l’Histoire. Mais jamais on a vu les réprimés s’excuser auprès des répresseurs ! La police s’est-elle déjà excusée pour les multiples bavures qu’elle a commises, comme celle qui a grièvement blessé d’une balle de flashball un jeune lycéen dans le Loiret, sans parler de la mort de deux enfants à l’origine des émeutes des banlieues à l’automne 2005 ?
Ce sont ces bavures policières qui ont attisé la haine du flic et l’envie des adolescents de venir “casser la gueule aux keufs”, en mettant le feu non seulement aux poubelles mais aussi aux établissements scolaires. Ces émeutes du désespoir contiennent l’idée que “ça ne sert à rien d’aller à l’école” pour pouvoir avoir un métier puisque papa est au chômage et que maman est obligée de faire des ménages pour pouvoir faire bouillir la marmite et mettre un peu de beurre dans les épinards. Un marché parallèle continue à se développer dans certains quartiers populaires de Paris avec les petits trafics en tous genre, les vols, et maintenant les pillages de magasins ! Sans compter ces enfants migrants qui vivent à la rue dans le ghetto de la “Goutte d’Or” (sic !) du 18e arrondissement de Paris, sans famille, sans pouvoir être scolarisés et qui sont de vrais “délinquants” (mais ce n’est pas “génétique” comme se l’imaginait l’ex-Président Nicolas Sarkozy).
Alors que certains secteurs de la petite bourgeoisie paupérisée plongent dans les actes de violence, d’autres ont maintenant le doigt sur la couture du pantalon. En fin de compte, dans les circonstances actuelles, cette couche sociale intermédiaire instable et opportuniste ne bascule pas du côté du prolétariat, comme elle a pu le faire à d’autres moments de l’Histoire, mais du côté de la grande bourgeoisie.
C’est justement parce que le mouvement des “gilets jaunes” est interclassiste qu’il a été infiltré non seulement par le poison idéologique du nationalisme patriotard mais aussi par les relents nauséabonds de l’idéologie populiste anti-immigrés. On peut en effet, trouver au milieu de la liste (à la Prévert !) des “42 revendications” des “gilets jaunes” celle de la reconduction aux frontières des immigrés clandestins ! C’est d’ailleurs pour ça que “notre” Président s’est permis dans son discours du 10 décembre de faire une petite gâterie aux “gilets jaunes” membres ou sympathisants du Rassemblement national (ex-FN) de Marine Le Pen en évoquant la question de l’immigration (alors que ce parti a gagné 4 % dans les sondages depuis le début du mouvement).
Cette “révolte populaire” de tous ces “pauvres” de la “France qui travaille” et n’arrivent plus à “joindre les deux bouts” n’est pas, comme tel, un mouvement prolétarien, malgré sa composition “sociologique”. La grande majorité des “gilets jaunes” sont effectivement des travailleurs salariés, exploités, précaires dont certains ne touchent même pas le SMIC (sans compter les retraités qui n’ont pas même droit au “minimum vieillesse”). Vivant dans les zones péri-urbaines ou rurales, sans aucun transport en commun pour se rendre à leur travail ou accompagner leurs enfants à l’école, ces travailleurs pauvres sont obligés d’avoir une voiture. Ils ont donc été les premiers frappés par la hausse des taxes sur le carburant et la réforme du contrôle technique de leurs véhicules.
Ces secteurs minoritaires et dispersés du prolétariat des zones rurales et périphériques n’ont aucune expérience de la lutte de classe. La grande majorité d’entre eux sont, pour la plupart, des “primo manifestants” n’ayant jamais eu l’occasion de participer ni à des grèves ni à des assemblées générales ni à des manifestations de rue. C’est pour cela que leur première expérience de manifestations dans les grandes concentrations urbaines, et notamment à Paris, a pris la forme d’un mouvement de foule, désorganisé, errant à l’aveuglette sans aucune boussole et découvrant pour la première fois in vivo les forces de l’ordre avec leurs grenades lacrymogènes, canons à eau, tirs de flashball ainsi que les blindés de la gendarmerie. Ont-ils vu aussi ce snipper armé d’un fusil à lunette et posté sur le toit d’un immeuble, le jour du “samedi noir” ? (image diffusée par l’agence Reuters)
L’explosion de colère parfaitement légitime des “gilets jaunes” contre la misère de leurs conditions d’existence a été noyée dans un conglomérat interclassiste d’individus-citoyens prétendument libres. Leur rejet des “élites” et de la politique “en général” les rend particulièrement vulnérables à l’infiltration des idéologies les plus réactionnaires, notamment celle de l’extrême droite xénophobe. L’histoire du XXe siècle a largement démontré que ce sont les couches sociales “intermédiaires” (entre la bourgeoisie et le prolétariat), notamment la petite-bourgeoisie, qui ont fait le lit des régimes fasciste et nazi (avec l’appui des bandes du lumpen, haineuses et revanchardes, aveuglées par des préjugés et des superstitions qui remontent à la nuit des temps).
C’est uniquement dans les situations de luttes massives et pré-révolutionnaires, où le prolétariat s’affirme ouvertement sur la scène sociale comme classe autonome, indépendante, avec ses propres méthodes de lutte et d’organisation, sa propre culture et morale de classe, que la petite-bourgeoisie (et même certains éléments éclairés de la bourgeoisie) peut abandonner son culte de l’individualisme et “citoyen”, perdre son caractère réactionnaire en se ralliant derrière la perspective du prolétariat, seule classe de la société capable d’offrir un avenir à l’espèce humaine.
Le mouvement des “gilets jaunes”, de par sa nature interclassiste, ne peut déboucher sur aucune perspective. Il ne pouvait que prendre la forme d’une fronde désespérée dans les rues de la capitale avant de se fracturer en différentes tendances, celles des radicaux, “amis” d’Éric Drouet, et celle des modérés du “Collectif des gilets jaunes libres”. En endossant le gilet jaune, les prolétaires pauvres qui se sont engagés à la remorque des mots d’ordre de la petite-bourgeoisie se trouvent maintenant comme les dindons de la farce (ou les cocus de l’histoire, dont le jaune est aussi la couleur). Ils ne voulaient pas de représentants qui négocient dans leur dos avec le gouvernement (comme l’ont toujours fait les syndicats) : le gouvernement a refusé tout enregistrement des discussions avec les “porte-parole” des “gilets jaunes”.
Maintenant, ils ont des représentants (qu’ils n’ont pas élus) : notamment le “Collectif des gilets jaunes libres”. Ce mouvement informel, inorganisé, initié par les réseaux sociaux, a commencé à se structurer après le 1er décembre. Les principaux représentants autoproclamés de ce mouvement prétendument apolitique ont envisagé de présenter une liste aux élections européennes. Voilà donc la petite-bourgeoisie en “gilet jaune” qui rêve de pouvoir jouer dans la cour des grands !
Avant même que l’ “ordre public” ne soit revenu, était mise en avant (par Emmanuel Macron lui-même), l’idée d’organiser des conférences “pédagogiques” en province sur la “transition écologique”. Les citoyens des “territoires” pourront apporter leurs idées dans ce vaste débat démocratique qui doit contribuer à remettre la République en marche, après une période de “blocage” du pouvoir exécutif. Ce mouvement citoyen soi-disant apolitique est truffé de syndicalistes, de membres d’organisations politiques et toutes sortes d’individus pas très nets. N’importe qui peut mettre le gilet jaune (y compris des casseurs). La majorité des citoyens en “gilet jaune” constitue la clientèle électorale de Jean-Luc Mélenchon et de Marine Le Pen. Sans compter les trotskistes, notamment le NPA d’Olivier Besancenot et Lutte ouvrière. Ces organisations trotskistes nous racontent toujours la même fable : “il faut prendre l’argent dans la poche des riches”. Le prolétariat n’est pas une classe de pickpockets ! L’argent qui se trouve dans “la poche des riches”, c’est le fruit de l’exploitation du travail des “pauvres”, c’est-à-dire des prolétaires. Il ne s’agit pas “de faire les poches” des riches, mais de lutter aujourd’hui pour limiter ce véritable vol que signifie l’exploitation capitaliste et, ce faisant, de ramasser les forces pour abolir l’exploitation de l’homme par l’homme.
Lors de la Marche pour le climat à Paris, le 8 décembre, de nombreux “gilets jaunes” se sont mêlés au cortège des “gilets verts” avec une prise de conscience, surtout parmi les jeunes manifestants, que “les fins de mois et la fin du monde”, “tout ça, c’est lié”. Dans la marche des “gilets jaunes”, certains ont décidé de mettre le feu à leur gilet et à leur carte d’électeur. Il est vrai que les fins de mois difficiles et la fin du monde sont liés, ce sont les deux faces d’une même réalité, celle d’un système qui est basé sur le profit d’une petite minorité et nullement sur les besoins de l’espèce humaine.
Après le “samedi noir”, un syndicat de la police nationale a évoqué une “grève illimitée” des fonctionnaires de la police qui veulent aussi endosser l’uniforme jaune ! Ils n’arrivent plus à joindre les deux bouts et en ont marre des “cadences infernales”, du burn-out dû au stress et à la peur de se prendre une boule de pétanque sur la tête. Il fallait donc que le gouvernement débloque des fonds pour offrir une prime de Noël aux CRS et autres catégories professionnelles chargées du maintien de l’ordre. Le gouvernement va devoir créer de nouveaux emplois dans ce secteur totalement improductif, et donc creuser encore les déficits, pour tenter de maintenir l’ordre dans une société en pleine décomposition où les fractures sociales ne peuvent que s’aggraver avec la détérioration des conditions d’existence et le renforcement de la répression. Tout le monde sait que les flics Gaulois ne font pas dans la dentelle : ils cognent d’abord et ils “discutent” après !
Ce qui a inquiété le gouvernement et toute la classe bourgeoise, c’est le fait que, malgré le déchaînement de violence des casseurs en gilets jaunes lors du “samedi noir”, la cote de popularité de leur mouvement n’a pas faibli : après le 1er décembre, les sondages ont annoncé que 72 % de la population française continuait à soutenir les “gilets jaunes” (même si 80 % condamnent les violences et que 34 % les comprennent). Les “gilets jaunes” sont même devenus une star mondiale : en Belgique, en Allemagne, au Pays-Bas, en Bulgarie et même en Irak, à Bassorah, on a enfilé le gilet jaune ! Quant au gouvernement égyptien, il a décidé de restreindre la vente de gilets jaunes par peur de la “contamination” ; pour en acheter un, il faut l’autorisation de la police !
Une telle popularité s’explique essentiellement par le fait que toute la classe ouvrière, qui constitue la majorité du “peuple”, partage la colère, l’indignation et les revendications économiques des “gilets jaunes” contre la vie chère, contre l’injustice sociale et fiscale. Après avoir fait ses classes avec l’ex-Président de gauche, François Hollande, notre Président de la République a exposé avec sa langue de bois une théorie totalement incompréhensible pour le “peuple” : la théorie du “ruissellement”. D’après cette “théorie”, plus les “riches” ont de l’argent, plus ils peuvent le faire “ruisseler” vers les “pauvres”. C’est l’argument des dames patronnesses qui font bénéficier les miséreux de leur générosité en puisant un tout petit peu sur leur magot. Ce qu’on oublie de dire, c’est que la richesse des nantis ne tombe pas du ciel. Elle provient de l’exploitation des prolétaires.
Cette théorie macroniste s’est concrétisée par la suppression de l’ISF : ce cadeau fiscal permettrait aux “riches” (en fait à la grande bourgeoisie), d’utiliser l’argent qui leur a été restitué pour qu’ils fassent des investissements qui, finalement, créeront des emplois, résorberons le chômage et, donc, profiteront aux prolétaires. Ainsi, ce serait dans l’intérêt de la classe ouvrière que l’ISF aurait été supprimé ! Les “pauvres” en gilet jaune ont parfaitement compris, en dépit de leur “illettrisme” de “gaulois réfractaires”, que le macronisme cherche à les “entuber” (comme l’a dit une retraitée en gilet jaune interviewée à la télévision). En attendant que la suppression de l’ISF profite aux prolétaires, il faut encore leur demander de se serrer la ceinture pendant que la classe capitaliste continue à se vautrer dans le luxe. Il n’est pas surprenant qu’on ait pu lire, sur une pancarte en carton, dans la manifestation du 8 décembre : “Nous aussi on veut payer l’ISF ! Rends l’argent !”
Malgré la colère générale de tout le “peuple” de la “France qui travaille”, les prolétaires, dans leur grande majorité, ne veulent pas rejoindre les “gilets jaunes” même s’ils peuvent avoir de la sympathie pour leur mobilisation. Ils ne se reconnaissent pas dans les méthodes de lutte d’un mouvement soutenu par Marine Le Pen et par toute la droite. Ils ne se reconnaissent pas dans les violences aveugles des black blocks, les menaces de mort, la mentalité pogromiste, les agressions verbales xénophobes et homophobes de certains “gilets jaunes”.
La popularité de ce mouvement, y compris après les violences du “samedi noir”, est significative de l’immense colère qui gronde dans les entrailles de la société. Mais, pour le moment, la grande majorité des prolétaires (ouvriers de l’industrie, des transports ou de la grande distribution, travailleurs de la santé ou de l’enseignement, petits fonctionnaires des administrations ou des services sociaux…) sont encore paralysés par la difficulté à retrouver leur identité de classe, c’est-à-dire la conscience qu’ils appartiennent à une même classe sociale subissant la même exploitation. La grande majorité en a assez des “journées d’action” stériles, des manifestations balades appelées par les syndicats et autres grèves “perlées”, comme celle des cheminots au printemps dernier. Tant que le prolétariat n’aura pas retrouvé le chemin de sa lutte et affirmé son indépendance de classe autonome, développé sa conscience, la société ne peut que continuer à s’enliser dans le chaos. Elle ne peut que continuer à pourrir dans le déchaînement bestial de la violence.
Le mouvement interclassiste des “gilets jaunes” a révélé au grand jour un danger qui guette aussi le prolétariat en France comme dans d’autres pays : la montée du populisme de l’extrême-droite. Ce mouvement des “gilets jaunes” ne peut que favoriser une nouvelle poussée électorale, notamment aux prochaines élections européennes, du parti de Marine Le Pen, principale et première supporter du mouvement. Cette avocate plaide la cause d’un “protectionnisme hexagonal” : il faut fermer les frontières aux marchandises étrangères et surtout aux “étrangers” à la peau sombre qui fuient la misère absolue et la barbarie guerrière dans leurs pays d’origine. Le parti de Marine Le Pen avait déjà annoncé que pour augmenter le pouvoir d’achat des français le gouvernement doit faire des “économies” sur l’immigration. Le parti du Rassemblement national va pouvoir trouver un autre argument pour refouler les migrants : notre “peuple” qui n’arrive pas à joindre les deux bouts “ne peut pas héberger toute la misère du monde” (comme l’avait dit le Premier ministre socialiste Michel Rocard, le 3 décembre 1989, à l’Émission “7 sur 7” animée par Anne Sinclair) !
Les agressions verbales xénophobes, la délation aux forces de police de migrants clandestins cachés dans un camion-citerne (car c’est encore avec nos impôts qu’on va payer pour ces “enculés”, dixit un “gilet jaune” !), la revendication de certains “gilets jaunes” de reconduire les migrants clandestins hors de “nos” frontières, ne doivent pas être banalisées ! L’empathie que tout le monde ressent pour ce mouvement social ne doit pas aveugler le prolétariat et ses éléments les plus lucides.
Pour pouvoir retrouver son identité de classe, et le chemin de sa propre perspective révolutionnaire, le prolétariat en France comme partout ailleurs ne doit pas fouler au pied (ou enfouir sous le drapeau tricolore) le vieux mot d’ordre “ringard” du mouvement ouvrier : “Les prolétaires n’ont pas de patrie. Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !”.
Dans l’atmosphère de violence et d’hystérie nationaliste qui a pollué le climat social en France, une petite lueur a pu néanmoins surgir après le “samedi noir”. Cette petite lueur, ce sont les étudiants pauvres, obligés de faire des petits boulots, qui l’ont allumée en mettant en avant, dans leurs mobilisations et assemblées générales, la revendication du retrait de l’augmentation des frais d’inscription pour leurs camarades étrangers n’appartenant pas à la communauté européenne. À la faculté de Paris Tolbiac on a pu lire sur une pancarte : “Solidarité avec les étrangers !”. Ce slogan, à contre-courant du raz de marée nationaliste des “gilets jaunes” montre au prolétariat la voie de l’avenir.
C’est grâce à leur “boite à idées” que les étudiants en lutte contre le Contrat première embauche du gouvernement de Dominique de Villepin, ont pu, en 2006 retrouver spontanément les méthodes du prolétariat. Ils se sont organisés pour ne pas être agressés par les petits “casseurs” des banlieues. Ils ont refusé de se laisser happer dans l’engrenage de la violence qui ne peut que renforcer l’ordre de la Terreur.
Face au danger du chaos social en plein cœur de l’Europe, aujourd’hui plus que jamais, l’avenir appartient à la lutte de classe des jeunes générations de prolétaires. C’est à ces nouvelles générations qu’il reviendra de reprendre le flambeau de la lutte historique de la classe exploitée, celle qui produit toutes les richesses de la société. Non seulement les richesses matérielles, mais aussi les richesses culturelles. Comme le disait Rosa Luxemburg, la lutte du prolétariat n’est pas seulement une question “de couteaux et de fourchettes” pour remplir les estomacs.
Les prolétaires en France ne sont plus des “sans culottes”. Ils doivent continuer à donner l’exemple à tous leurs frères et sœurs de classe des autres pays, comme leurs ancêtres l’avaient fait pendant les Journées de Juin 1848, pendant la Commune de Paris de 1871, ainsi qu’en Mai 1968. C’est le seul moyen de retrouver leur dignité, de continuer à marcher debout pour regarder loin, et non pas à quatre pattes comme les bêtes fauves qui veulent nous imposer la loi de la jungle.
Face au danger du chaos social provoqué par l’ “union sacrée” de tous les exploiteurs et casseurs:
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !
Marianne, 10 décembre 2018
1) Ouvrage dans lequel se trouve un chapitre intitulé : “Bourgeois et Prolétaires”.
Nous invitons nos lecteurs à participer à nos réunions publiques sur le thème :
« Mouvement des « gilets jaunes » : Pourquoi les prolétaires doivent défendre leur autonomie de classe ? ». Ces réunions publiques se tiendront au mois de janvier (les dates seront annoncées ultérieurement sur notre site).
Nous encourageons également nos lecteurs à nous adresser des courriers de prise de position et critiques de notre premier article d’analyse du mouvement des « gilets jaunes » ainsi que de notre tract réalisé à partir de cet article. Ces courriers de lecteurs seront publiés dans notre presse accompagnés de notre réponse. Bonne réflexion à tous !
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L’ampleur de la mobilisation des “gilets jaunes” témoigne de l’immense colère qui gronde dans les entrailles de la société, et notamment au sein de la classe ouvrière, face à la politique d’austérité du gouvernement Macron.
Selon les données officielles de la bourgeoisie, le revenu annuel disponible des ménages (c’est-à-dire ce qui reste après impôts et cotisations) a été rogné de 440 euros en moyenne entre 2008 et 2016. Ce n’est là qu’une toute petite partie des attaques subies par la classe ouvrière. À la hausse généralisée des taxes en tous genres, s’ajoutent la montée du chômage, la généralisation des emplois précaires, y compris dans la fonction publique, l’inflation touchant particulièrement les denrées de première nécessité, le prix inabordable du logement, etc. La paupérisation s’aggrave inexorablement et, avec elle, la peur de l’avenir pour nos enfants. Les plus touchés par cette misère croissante, ce sont les travailleurs actifs, les précaires, les retraités qui n’arrivent plus à boucler les fins de mois.
Les médias et le gouvernement ont mis en avant les destructions et les actes de violences sur les Champs-Élysées pour faire croire que toute lutte contre la vie chère et la dégradation des conditions d’existence des exploités ne peut mener qu’au chaos et à l’anarchie. Les médias aux ordres de la bourgeoisie, spécialistes des amalgames, veulent faire croire que les “gilets jaunes” sont des “extrémistes” qui veulent aussi “casser du flic”, alors que ce sont, en réalité, les forces de répression qui, avant tout, agressent et provoquent ! À Paris, le 24 novembre, les tirs de grenades lacrymogènes ont été incessants, comme les charges des CRS sur des groupes d’hommes et de femmes marchant calmement sur les Champs-Élysées.
Malgré la colère légitime de nombreux prolétaires qui n’arrivent pas à “joindre les deux bouts”, ce mouvement, en tant que tel, n’a aucune perspective et ne peut pas faire reculer les attaques du gouvernement et du patronat. Une partie de la classe ouvrière s’est, en fait, engagée à la remorque des petits patrons et des auto-entrepreneurs (chauffeurs de camions, taxis, ambulanciers) en colère face à l’augmentation des taxes et du prix du carburant, avec des méthodes de lutte totalement inefficaces, menant dans des impasses (telle la pétition lancée par Priscillia Ludosky, le blocage et l’occupation des ronds-points préconisés par Éric Drouet). Ce n’est pas un hasard si, parmi les huit porte-paroles des “gilets jaunes” désignés le 26 novembre, on compte une écrasante majorité de petits patrons ou d’auto-entrepreneurs.
Mais, pire encore, ceux qui ont lancé le mouvement ont embarqué les ouvriers derrière l’idéologie bourgeoise du nationalisme et de la “citoyenneté”. Les travailleurs parmi les plus pauvres se sont mobilisés en tant que “citoyens” du “peuple de France”, “méprisés” et “pas entendus” par “ceux d’en haut” et non pas en tant que membres de la classe exploitée.
Le mouvement des “gilets jaunes” est à ce titre très clairement un mouvement interclassiste où sont mélangées toutes les classes et couches intermédiaires et exploitées de la société, qui ne défendent pas les mêmes intérêts. Se retrouvent, ensemble, prolétaires (travailleurs, chômeurs, précaires, retraités) et petit-bourgeois (artisans, professions libérales, petits entrepreneurs, petits commerçants, agriculteurs asphyxiés par les taxes). Les ouvriers les plus pauvres se sont mobilisés contre leur misère croissante, contre la pauvreté, les attaques économiques incessantes, le chômage, la précarité de l’emploi, tandis que les petits patrons protestent seulement contre l’augmentation du carburant et des taxes. Focalisée sur l’augmentation des taxes, la colère des petits bourgeois est uniquement motivée par le fait que le gouvernement les a laissés pour compte, Macron ayant favorisé la grande bourgeoisie avec, notamment, la suppression de l’impôt sur la fortune. Bon nombre de petits patrons ne sont pas intéressés par l’augmentation des salaires, en particulier du SMIC ! Les petits patrons utilisent ainsi la colère des ouvriers en gilets jaunes pour faire pression sur le gouvernement et obtenir gain de cause : la baisse des taxes qui asphyxient leur entreprise. C’est pour cela que Marine Le Pen, tout en soutenant de façon spectaculaire le mouvement depuis le début, a clairement affirmé sur les plateaux de télévision qu’elle était contre l’augmentation du SMIC pour ne pas pénaliser les PME !
Ce mouvement de révolte “citoyenne” est un piège où la plupart des partis de l’appareil politique de la bourgeoisie se retrouvent bien sûr comme “supporters”. De Marine Le Pen à Olivier Besancenot, en passant par Mélenchon et Laurent Wauquiez (et même Brigitte Bardot !), “tout le monde” est là pour soutenir ce mouvement interclassiste et son poison nationaliste. Les ouvriers doivent refuser l’union sacrée de toutes les cliques politiques “anti Macron” ; ces partis bourgeois manipulent la colère des “gilets jaunes” pour rafler le maximum de voix aux élections et défendre le capital national en appelant les prolétaires à se rallier derrière le drapeau tricolore de leurs exploiteurs ! Si tous ces partis utilisent les “gilets jaunes” pour affaiblir Macron, c’est qu’ils savent parfaitement que ce mouvement ne renforce en rien la lutte du prolétariat contre son exploitation et son oppression.
Dans ce mouvement soi-disant “apolitique” et “non syndical”, les méthodes de lutte de la classe ouvrière sont totalement absentes. Il n’y a aucun appel à la grève et à son extension dans tous les secteurs ! Aucun appel à des assemblées générales souveraines dans les entreprises pour que les travailleurs puissent discuter et réfléchir ensemble aux actions à mener afin de développer et unifier la lutte contre la dégradation de leurs conditions de vie, discuter et réfléchir à des mots d’ordre unitaires et à l’avenir ! Pourtant, seules ces méthodes de lutte de la classe ouvrière peuvent freiner les attaques et faire reculer le gouvernement et le patronat !
La lutte des ouvriers n’est pas la lutte de “tous les pauvres” contre les “riches”. C’est la lutte d’une classe exploitée, qui vit de la vente de sa force de travail, contre la classe bourgeoise qui réalise ses bénéfices en exploitant la force de travail des prolétaires. C’est cette exploitation qui est à l’origine de l’appauvrissement croissant de la classe laborieuse !
La classe ouvrière doit défendre ses conditions de vie sur son propre terrain, en tant que classe autonome, indépendante des autres classes et couches sociales comme la petite bourgeoisie. Quand la classe ouvrière s’affirme comme classe autonome en développant une lutte massive, elle entraîne derrière elle une partie de plus en plus large de la société, derrière ses propres méthodes de lutte, ses propres mots d’ordre unitaires et, finalement, son propre projet révolutionnaire de transformation de la société.
En 1980, en Pologne, un immense mouvement de masse était parti des chantiers navals de Gdansk suite à l’augmentation des prix des denrées de première nécessité. Pour affronter le gouvernement et le faire reculer, les ouvriers s’étaient regroupés, ils s’étaient organisés massivement en tant que classe face à la bourgeoisie “rouge” et son État stalinien. Les autres couches de la population avaient largement rejoint cette lutte massive de la classe exploitée.
Quand le prolétariat développe sa lutte comme classe indépendante, ce sont les assemblées générales massives, souveraines et ouvertes à “tout le monde” qui sont au cœur du mouvement. Il n’y a alors pas de place pour le nationalisme. Au contraire, les cœurs vibrent pour la solidarité internationale car “les prolétaires n’ont pas de patrie” comme l’affirme le mouvement ouvrier depuis ses origines au XIXe siècle. Les ouvriers doivent donc refuser de chanter la Marseillaise et d'agiter le drapeau tricolore, le drapeau des versaillais qui ont assassiné 30 000 prolétaires lors de la Commune de Paris en 1871 !
Aujourd’hui, les prolétaires veulent exprimer leur profonde colère mais ils ne savent pas comment lutter efficacement pour défendre leurs conditions d’existence face aux attaques croissantes de la bourgeoisie et son gouvernement. Beaucoup d’ouvriers retraités ont oublié leurs propres expériences de lutte, leur capacité à s’unir et s’organiser sans attendre les consignes des syndicats, comme ils l’avaient fait en Mai 1968. Les jeunes ouvriers n’ont pas encore assez d’expérience de la lutte de classe et ont encore des difficultés à déjouer les pièges des défenseurs du système capitaliste.
Beaucoup d’ouvriers en “gilets jaunes” reprochent aux syndicats leur “inertie”, ils leur reprochent de ne pas “faire leur boulot”. C’est pour cela que la CGT, pour faire concurrence aux “gilets jaunes”, essaie de rattraper le coup en appelant à une nouvelle “journée d’action” pour le 1er décembre, le même jour que le troisième rassemblement des “gilets jaunes” sur les Champs-Élysées. Face à la méfiance envers les syndicats qui commence à resurgir dans la classe ouvrière, on peut être sûr que la CGT, et les autres syndicats, vont encore “faire leur boulot” (avec la complicité des trotskistes du NPA et de “Lutte Ouvrière”) : encadrer, éparpiller, diviser, saboter et épuiser la combativité ouvrière pour empêcher tout mouvement spontané et unitaire des prolétaires sur leur terrain de classe.
N’oublions pas toutes les manœuvres syndicales de sabotage des luttes, comme on l’a encore vu avec la longue “grève perlée” à la SNCF dirigée par les syndicats. N’oublions pas leurs multiples “journées d’actions” stériles et leurs manifestations ballades dans la dispersion et la division, comme la plate mobilisation contre la politique du gouvernement du 9 octobre dernier, suivie, la semaine suivante, par celle des retraités et, trois jours plus tard, par la grève dans l’Éducation nationale.
Le profond mécontentement de nombreux ouvriers envers les syndicats a été récupéré par ceux qui ont lancé le mouvement des “gilets jaunes”, avec le soutien actif de tous les partis politiques bourgeois. Le message que tous les “supporters” hypocrites des ouvriers en “gilet jaune” veulent faire passer, c’est que les méthodes de lutte de la classe ouvrière (grève, manifestations massives, assemblées générales souveraines avec des délégués élus et révocables à tout moment, comités de grève…) ne mènent à rien. Il faudrait donc faire confiance maintenant aux petits patrons pour trouver d’autres méthodes de lutte prétendument radicales et rassembler “tout le monde”, tous les “citoyens”, tout le “peuple de France” contre le “dictateur” et “Président des riches”, Macron.
La classe ouvrière ne doit pas déléguer et confier sa lutte ni à des couches sociales réactionnaires, ni aux partis qui prétendent la soutenir, ni aux syndicats qui sont ses faux amis. Tout ce joli monde, chacun avec son credo, occupe et quadrille le terrain social pour empêcher les ouvriers de se mobiliser massivement, de développer une lutte autonome, solidaire et unie contre les attaques de la bourgeoisie, derrière des mots d’ordre communs à tous : contre la “vie chère”, contre le chômage et la précarité, contre l’augmentation des cadences, contre la baisse des salaires et des pensions de retraite, etc.
Pour pouvoir développer sa lutte, construire un rapport de forces capable de freiner les attaques de la bourgeoisie et la faire reculer, la classe ouvrière ne doit compter que sur elle-même. Elle doit retrouver son identité de classe et ne pas se dissoudre dans le “peuple français”. Elle doit reprendre confiance en ses propres forces, en engageant la lutte, sur son propre terrain, au-delà de toutes les divisions corporatistes, sectorielles et nationales.
Pour préparer les luttes futures, tous les ouvriers combatifs qui ont conscience de la nécessité de la lutte prolétarienne doivent essayer de se regrouper pour discuter ensemble, tirer les leçons des derniers mouvements sociaux, se repencher sur l’histoire du mouvement ouvrier. Ils ne doivent pas laisser le terrain libre aux syndicats ni se laisser endormir par les chants de sirènes des mobilisations “citoyennes”, “populaires” (et populistes !) et interclassistes de la petite-bourgeoisie !
Malgré toutes les difficultés du prolétariat, l’avenir appartient toujours à sa lutte de classe !
Révolution Internationale, Section du Courant Communiste International en France
29 novembre 2018
Le 10 octobre dernier, deux chauffeurs routiers de Seine-et-Marne lancent sur Facebook un appel à manifester pour le 17 novembre intitulé : “Blocage national contre la hausse du carburant”. Rapidement, leur message est relayé sur tous les réseaux sociaux, rassemblant jusqu’à 200 000 personnes “intéressées”. Les initiatives et appels se multiplient. Sans syndicat ni parti politique, de façon spontanée, s’organise la programmation de toute une série d’actions, de rassemblements et de blocages. Résultat : le 17 novembre, selon le gouvernement, 287 710 personnes, réparties sur 2 034 points, paralysent carrefours routiers, ronds-points, autoroutes, péages, parkings de supermarchés… Ces chiffres officiels (et d’une précision admirable !), émanant du ministère de l’Intérieur, sont largement et volontairement sous-estimés. Les “gilets jaunes” estiment, quant à eux, qu’ils sont deux fois plus nombreux. Les jours suivants, certains blocages sont maintenus, d’autres se font plus ponctuels et aléatoires, mobilisant quelques milliers de personnes chaque jour. Une dizaine de raffineries Total sont perturbées, par une action simultanée de la CGT et des “gilets jaunes”. Une nouvelle grande journée d’action est lancée pour le 24 novembre, baptisée : “Acte 2 : toute la France à Paris”. L’objectif est de bloquer les lieux prestigieux et de pouvoir de la capitale : l’avenue des Champs-Élysées, la place de la Concorde, le Sénat et, surtout, l’Élysée. “Il faut mettre un coup de grâce et tous monter sur Paris par tous les moyens possibles (covoiturage, train, bus, etc.). Paris, parce que c’est ici que se trouve le gouvernement ! Nous attendons tout le monde, camion, bus, taxis, VTC, agriculteurs, etc. Tout le monde !”, proclame ainsi Éric Drouet, le chauffeur routier de Melun, co-initiateur du mouvement et figure de proue de la mobilisation. Finalement, ce grand rassemblement unitaire n’aura pas lieu, de nombreux “gilets jaunes” préférant manifester sur le plan local, souvent à cause du coût des transports. Surtout, la mobilisation est en forte baisse. Seulement 8 000 manifestants à Paris, 106 301 dans toute la France et 1 600 actions. Même si ces chiffres émanant du gouvernement sous-estiment fortement la réalité de la mobilisation, la tendance est clairement à la décrue. Pourtant, dans le mouvement, nombreuses sont les voix affirmant être en train de remporter une victoire. Le plus important pour les “gilets jaunes”, ce sont ces images des Champs-Élysées “tenus, occupés durant toute une journée”, témoignant de “la force du peuple contre les puissants”.(1) Ainsi, le soir-même, est lancée, toujours via Facebook, l’appel à une troisième journée d’action, prévue pour le samedi 1er décembre : “Acte 3 : Macron démissionne !”, en mettant en avant deux revendications “La hausse du pouvoir d’achat et l’annulation des taxes sur le carburant”.
Tous les journalistes, les politiciens et autres “sociologues” mettent en avant la nature inédite du mouvement : spontané, hors de tout cadre syndical ou politique, protéiforme, organisé essentiellement via les réseaux sociaux, relativement massif, globalement discipliné, évitant généralement les destructions et les affrontements, etc. Ce mouvement est qualifié, à longueur de colonnes des journaux et de plateaux de télévision, “d’ovni sociologique”.
Initié par des chauffeurs routiers, ce mouvement mobilise, comme l’écrit son initiateur Éric Drouet, “camions, bus, taxis, VTC, agriculteurs”, mais pas seulement. De nombreux petits-entrepreneurs “écrasés par les taxes” sont également présents. Des ouvriers salariés, précaires, chômeurs ou retraités, endossent le “gilet jaune” et constituent le contingent le plus important. “Les “gilets jaunes”, c’est plutôt une France d’employés, de caissières de supermarchés, de techniciens, d’assistantes maternelles, qui entendent défendre le mode de vie qu’ils se sont choisi : vivre un peu à l’écart, au calme, avec des voisins qui leur ressemblent, dans un pavillon avec jardin et pour qui toucher à la voiture, en augmentant les taxes sur le gazole, c’est comme remettre en cause leur espace privé”, analyse Vincent Tiberi. Selon ce professeur de Sciences Po. Bordeaux, les “gilets jaunes” ne “représentent pas seulement la France périphérique, la France des oubliés. Ils incarnent davantage ce que le sociologue Olivier Schwartz appelle les petits moyens. Ils travaillent, paient des impôts et gagnent trop pour être aidés et pas assez pour bien vivre”.(2)
En réalité, l’ampleur de cette mobilisation témoigne avant tout de l’immense colère qui gronde dans les entrailles de la société, et notamment dans la classe ouvrière, face à la politique d’austérité du gouvernement Macron. Officiellement, selon l’Observatoire français des conjonctures économiques, le revenu annuel disponible des ménages (c’est-à-dire ce qui reste après impôts et cotisations) a été rogné de 440 euros en moyenne entre 2008 et 2016. Ce n’est là qu’une toute petite partie des attaques subies par la classe ouvrière. À cette hausse généralisée des taxes en tous genres, s’ajoutent la montée du chômage, la systématisation des emplois précaires, y compris dans la fonction publique, l’inflation touchant particulièrement les denrées de première nécessité, les prix inabordables du logement, etc. La paupérisation s’aggrave inexorablement et, avec elle, la peur de l’avenir. Mais, plus encore, ce qui nourrit cette immense colère selon les “gilets jaunes”, c’est “le sentiment d’être méprisés”.(3)
C’est ce sentiment dominant d’être “méprisés”, ignorés par les gouvernants, l’envie d’être entendus et reconnus par “ceux d’en haut”, pour reprendre la terminologie des “gilets jaunes”, qui explique les moyens d’action choisis : être vus en portant des gilets jaunes fluo, en bloquant les routes, en allant au Sénat ou à l’Élysée sous les fenêtres des grands bourgeois, en occupant “la plus belle avenue du Monde”.(4)
Les médias et le gouvernement mettent en avant les destructions et les violences pour faire croire que toute lutte contre la vie chère et la dégradation des conditions d’existence des exploités ne peut mener qu’au chaos et à l’anarchie avec des actes de violence aveugle et de vandalisme. Les médias aux ordres de la bourgeoisie, spécialistes des amalgames, veulent faire croire que les “gilets jaunes” sont des “extrémistes” qui veulent aussi “casser du flic”.(5) Ce sont les forces de répression qui, avant tout, agressent et provoquent ! À Paris, le 24 novembre, les tirs de grenades lacrymogènes ont été incessants, comme les charges des CRS sur des groupes d’hommes et de femmes marchant calmement sur les Champs Élysées. D’ailleurs, il y a eu très peu de vitrines brisées,(6) contrairement à la célébration de la Coupe du monde de football, au même endroit, quatre mois plus tôt. Même si certains “gilets jaunes” masqués étaient des excités qui veulent en découdre avec les forces de l’ordre (“black-blocks” ou nervis “d’ultra-droite”), la grande majorité ne veut pas casser ou détruire. Ils ne veulent pas être des “casseurs”, mais seulement des “citoyens” “respectés” et “entendus”. C’est pourquoi l’appel à “l’Acte 3” met en avant qu’il “faudra faire ça proprement. Aucune casse et 5 millions de Français dans la rue”. Et même : “Pour sécuriser nos prochains rendez-vous, nous proposons de mettre en place des “gilets rouges”, qui auront la responsabilité de sortir les casseurs de nos rangs. Il ne faut surtout pas se mettre la population à dos. Faisons attention à notre image, les amis”.
Le mouvement des “gilets jaunes” a, en revanche, un point commun, révélateur, avec la célébration de l’équipe de France de football championne du monde : la présence partout du drapeau tricolore et des drapeaux régionaux, de l’hymne national entonné régulièrement, de la fierté palpable d’être “le peuple français”. Un “peuple français” qui, uni, serait capable de faire ployer les puissants. La référence dans beaucoup de têtes est la Révolution française de 1789 ou même la Résistance de 1939-1945.(7)
Ce nationalisme exacerbé, cette référence au “peuple”, cette imploration adressée aux puissants, révèlent la nature réelle de ce mouvement. La très grande majorité des “gilets jaunes” sont des travailleurs actifs ou à la retraite et paupérisés, mais ils sont là en tant que citoyens du “peuple de France” et non pas en tant que membres de la classe ouvrière. Il s’agit très clairement d’un mouvement interclassiste où sont mélangées toutes les classes et couches non exploiteuses de la société. Se retrouvent ensemble ouvriers (travailleurs, chômeurs, précaires, retraités) et petit-bourgeois (artisans, professions libérales, petits entrepreneurs, agriculteurs et éleveurs). Une partie de la classe ouvrière s’est engagée à la remorque des initiateurs du mouvement (les petits patrons, chauffeurs de camions, taxis, ambulanciers). Malgré la colère légitime des “gilets jaunes”, parmi lesquels de nombreux prolétaires qui n’arrivent pas à “joindre les deux bouts”, ce mouvement n’est pas un mouvement de la classe ouvrière. C’est un mouvement qui a été lancé par des petits patrons en colère face à l’augmentation du prix du carburant. Comme en témoignent ces mots du chauffeur routier qui a initié le mouvement : “Nous attendons tout le monde, camion, bus, taxis, VTC, agriculteurs, etc. Tout le monde !”. “Tout le monde” et tout le “peuple français” derrière les camionneurs, chauffeurs de taxi, agriculteurs, etc. Les ouvriers se retrouvent là, dilués dans le “peuple”, atomisés, séparés les uns des autres comme autant d’individus-citoyens, mélangés avec les petits patrons (dont beaucoup font partie de l’électorat du Rassemblement national – ex-FN – de Marine Le Pen).
Le terrain pourri sur lequel un grand nombre de prolétaires, parmi les plus paupérisés, a été embarqué n’est pas celui de la classe ouvrière ! Dans ce mouvement “apolitique” et “anti-syndical”, il n’y a aucun appel à la grève et à son extension dans tous les secteurs ! Aucun appel à des assemblées générales souveraines dans les entreprises pour discuter et réfléchir ensemble des actions à mener pour développer et unifier la lutte contre les attaques du gouvernement ! Ce mouvement de révolte “citoyenne” est un piège pour noyer la classe ouvrière dans le “peuple de France” où toutes les cliques bourgeoises se retrouvent comme “supporters” du mouvement. De Marine Le Pen à Olivier Besancenot, en passant par Mélenchon et Laurent Wauquiez, “tout le monde” est là, de l’extrême droite à l’extrême gauche du capital, pour soutenir ce mouvement interclassiste, avec son poison nationaliste.
C’est en effet la nature interclassiste du mouvement des “gilets jaunes” qui explique pourquoi Marine Le Pen salue un “mouvement légitime” du “peuple français” ; pourquoi Nicolas Dupont-Aignan, président de Debout la France, soutient ce mouvement : “Il faut bloquer toute la France (…), il faut que la population française dise à ce gouvernement : maintenant ça suffit !” ; pourquoi Laurent Wauquiez, président de Les Républicains qualifie les “gilets jaunes” de “personnes dignes, déterminées, et qui demandent juste qu’on entende les difficultés de la France qui travaille” ; pourquoi le député Jean Lassalle, à la tête de Résistons, est l’une des figures du mouvement et arbore son gilet jaune à l’Assemblée nationale comme dans la rue. La droite et l’extrême-droite reconnaissent clairement dans les “gilets jaunes” un mouvement qui ne met nullement en péril le système capitaliste. Elles y voient surtout un moyen très efficace d’affaiblir leur principal concurrent pour les prochaines élections, la clique de Macron, dont l’autorité et la capacité à gérer la paix sociale sont grandement mises à mal.
Quant à la gauche et l’extrême-gauche, elles dénoncent la récupération de la droite et de l’extrême droite, rejettent les “fachos qui polluent le mouvement”, et soutiennent, elles aussi, plus ou moins ouvertement, le mouvement. Après s’être montré frileux, Jean-Luc Mélenchon, à la tête de La France insoumise, y va maintenant de toute sa gouaille en saluant “Le mouvement révolutionnaire en jaune”, mouvement “populaire” et de “masse”. Il faut dire qu’il est là comme un poisson dans l’eau, lui et sa “FRANCE insoumise”, ses drapeaux bleu-blanc-rouge, son écharpe tricolore sortie à chaque occasion, et sa volonté de “fédérer le peuple contre l’oligarchie” par les urnes.
Le soutien de tous les bords de l’échiquier politique bourgeois,(8) et surtout de la droite et de l’extrême-droite, montre que le mouvement des “gilets jaunes” n’est pas de nature prolétarienne et n’a rien à voir avec la lutte de classe ! Si tous ces partis de l’appareil politique de la bourgeoisie utilisent les “gilets jaunes” afin d’affaiblir Macron, espérant en cueillir les fruits électoraux, ils savent que ce mouvement ne renforce en rien la lutte du prolétariat contre son exploitation et son oppression.(9)
Dans ce type de mouvement interclassiste, le prolétariat n’a rien à gagner car c’est toujours la petite-bourgeoisie qui donne sa couleur au mouvement (le jaune est d’ailleurs la couleur des briseurs de grève !). D’ailleurs, parmi les huit porte-paroles qui ont été désignés le 26 novembre, on compte une écrasante majorité de petits patrons ou d’auto-entrepreneurs.
Ainsi, ce sont les objectifs de la petite-bourgeoisie, ses mots d’ordre, ses méthodes de lutte qui s’imposent à tous. En apparence, cette couche sociale affiche une très grande radicalité. Parce qu’elle est écrasée, déclassée par le Capital, sa colère peut exploser violemment, en dénonçant l’injustice et même la barbarie de la grande bourgeoisie et de son État. Mais au fond, ce à quoi elle aspire c’est de pouvoir être “reconnue”, et ne pas être “méprisée” par les élites d’“en haut”, ou mieux, pour certains de ses membres, elle rêve de s’élever vers les couches supérieures de la bourgeoisie, et pour cela il faut que leur affaire puisse être florissante. Voilà ce qui explique ses revendications à travers le mouvement des “gilets jaunes” : un gazole moins cher et moins de taxes pour que leurs entreprises fonctionnent et se développent, des actions de blocage des routes tout de jaune vêtue pour être vue et honorée, une focalisation sur la personne de Macron (“Macron démissionne !”) symbolisant l’envie d’être Calife à la place du Calife, et une occupation de “la plus belle avenue du monde”, véritable vitrine du luxe capitaliste.
Ce mouvement des “gilets jaunes”, est aussi infiltré, même si ce n’est pas massivement, par l’idéologie du populisme. Un mouvement “inédit”, “protéiforme”, qui se dit contre les partis politiques, dénonçant l’inertie des syndicats et… soutenu depuis le début par Marine Le Pen ! Ce n’est pas un malheureux hasard, ou le fruit d’un petit groupe d’individus à contre-courant du mouvement, si, le 20 novembre, des “gilets jaunes”, en découvrant des migrants cachés dans un camion-citerne, les ont dénoncés à la gendarmerie. Certains manifestants ont voulu sauver ces migrants qui risquaient leur peau ainsi enfermés ; mais d’autres les ont sciemment “balancés”. Les propos tenus par certains “gilets jaunes” lors de l’arrestation filmée et diffusée donnent la nausée : “T’as le sourire enculé !”, “Quelle bande d’enculés !”, “Ça va encore être pris sur nos impôts !”, etc.
L’ampleur de ce mouvement interclassiste s’explique par la difficulté de la classe ouvrière à exprimer sa combativité du fait de toutes les manœuvres syndicales de sabotage des luttes (comme on l’a encore vu récemment avec la longue “grève perlée” à la SNCF).. C’est pour cela que le mécontentement contre les syndicats qui existe au sein de la classe ouvrière est récupéré par ceux qui ont lancé le mouvement. Ce que beaucoup de supporters du mouvement des “gilets jaunes” veulent faire passer, c’est que les méthodes de lutte des salariés (grève, assemblées générales souveraines et manifestations massives, comités de grève…) ne mènent à rien. Il faut donc faire confiance maintenant aux petits patrons (qui protestent contre les taxes et l’augmentation des impôts) pour trouver d’autres méthodes de lutte contre “la vie chère” et rassembler tout le “peuple de France” !
Beaucoup d’ouvriers en “gilets jaunes” reprochent aux syndicats de ne pas “faire leur boulot”. Maintenant on voit la CGT essayer de rattraper le coup en appelant à une nouvelle “journée d’action” pour le 1er décembre. On peut être sûr que la CGT et les autres syndicats vont encore “faire leur boulot” d’encadrement de la combativité ouvrière pour empêcher tout mouvement spontané sur un terrain de classe.
De nombreux ouvriers se sont mobilisés contre la pauvreté, les attaques économiques incessantes, le chômage, la précarité de l’emploi… Mais en rejoignant les “gilets jaunes”, ces ouvriers se sont momentanément égarés, ils se sont mis à la remorque d’un mouvement menant dans une impasse.
La classe ouvrière doit défendre ses conditions de vie sur son propre terrain, en tant que classe autonome, contre l’union sacrée de tous les “anti-Macron” qui manipulent la colère des “gilets jaunes” pour rafler le maximum de voix aux élections ! Elle ne doit pas déléguer et confier sa lutte ni à des couches sociales réactionnaires, ni aux partis qui prétendent la soutenir, ni aux syndicats qui sont ses faux amis. Tout “ce joli monde”, chacun avec son credo, occupe et quadrille le terrain social pour empêcher la lutte de classe autonome des prolétaires de s’affirmer.
Quand la classe ouvrière s’affirme comme classe autonome en développant une lutte massive, sur son propre terrain de classe, elle entraîne derrière elle une partie de plus en plus large de la société, derrière ses propres méthodes de lutte et ses mots d’ordre unitaires, et finalement son propre projet révolutionnaire de transformation de la société. En 1980, en Pologne, un immense mouvement de masse était parti des chantiers navals de Gdansk suite à l’augmentation des prix des denrées de première nécessité. Pour affronter le gouvernement et le faire reculer, les ouvriers s’étaient regroupés, ils s’étaient organisés en tant que classe face à la bourgeoisie “rouge” et son État stalinien.(10) Les autres couches de la population avaient largement rejoint cette lutte massive de la classe exploitée.
Quand le prolétariat développe sa lutte, ce sont les assemblées générales massives, souveraines et ouvertes à “tout le monde” qui sont au cœur du mouvement, des lieux où les prolétaires peuvent ensemble s’organiser, réfléchir aux mots d’ordre unitaires, à l’avenir. Il n’y a alors pas de place pour le nationalisme mais, au contraire, les cœurs vibrent pour la solidarité internationale car “Les prolétaires n’ont pas de patrie”.(11) Les ouvriers doivent donc refuser de chanter la Marseillaise et d’agiter le drapeau tricolore, le drapeau des versaillais qui ont assassiné 30 000 prolétaires lors de la Commune de Paris en 1871 !
Aujourd’hui, la classe exploitée a une difficulté à se reconnaître comme classe, et comme seule force de la société capable de développer un rapport de force en sa faveur face à la bourgeoisie. La classe ouvrière est la seule classe de la société capable d’offrir un avenir à l’humanité, en développant ses luttes, sur son propre terrain, au-delà de toutes divisons corporatiste, sectorielle et nationale. Aujourd’hui, les prolétaires bouillent de colère mais ils ne savent pas comment lutter pour défendre leurs conditions d’existence face aux attaques croissantes de la bourgeoisie. Ils ont oublié leurs propres expériences de lutte, leur capacité à s’unir et s’organiser sans attendre les consignes des syndicats.
Malgré la difficulté du prolétariat à retrouver son identité de classe, l’avenir appartient toujours à la lutte de classe. Tous ceux qui ont conscience de la nécessité de la lutte prolétarienne doivent essayer de se regrouper, discuter, tirer les leçons des derniers mouvements sociaux, se repencher sur l’histoire du mouvement ouvrier et ne pas céder aux sirènes, en apparence radicales, des mobilisations “citoyennes”, “populaires” et interclassistes de la petite-bourgeoisie !
“L’autonomie du prolétariat face à toutes les autres classes et couches de la société est la condition première de l’épanouissement de sa lutte vers le but révolutionnaire. Toutes les alliances, et particulièrement celles avec des fractions de la bourgeoisie, ne peuvent aboutir qu’à son désarmement devant son ennemi en lui faisant abandonner le seul terrain où il puisse tremper ses forces : son terrain de classe” (Plateforme du CCI)12
Révolution Internationale, Organe de presse du CCI en France, 25 novembre 2018
1Témoignage recueillis par les militants du CCI sur les Champs-Élysées.
2“Les gilets jaunes, un mouvement inédit dans l’histoire française”, Le Parisien (24 novembre 2018).
3Cette idée est omniprésente sur les réseaux sociaux.
4Titre décerné aux Champs-Élysées.
5Il faut souligner que ce n’est, en général, pas de façon directe qu’un tel message est passé mais de façon “subliminale” : sur BFM-TV, par exemple, pendant que les journalistes et “spécialistes” insistent sur le fait qu’il faut distinguer les “vrais gilets jaunes” des “casseurs”, on passe en boucle les images des dégradations sur les Champs Élysées.
6Les détériorations sont surtout liées à la construction de barricades de fortune à partir du mobilier urbain et aux projectiles tirés par la police.
7Sur les Champs-Élysées, on a pu même entendre un “gilet jaune” affirmer qu’il “faut faire avec Macron comme la Résistance avec les Boches, le harceler tous les jours jusqu’à son départ”.
8Y compris le NPA et LO.
9Seul le monde syndical a fortement critiqué les “gilets jaunes”, tout comme les “gilets jaunes” rejettent pour une très grande partie toute emprise syndicale.
10Voir notre article dans la Revue Internationale n° 27, “Notes sur la grève de masse [83]”.
11L’un des principaux slogans des Indignés en 2011 était ainsi “De la place Tahrir à la Puerta del sol”, soulignant ainsi le sentiment des manifestants en Espagne d’être liés à ceux qui se mobilisaient quelques semaines auparavant dans les pays arabes, au péril de leur vie.
12Plateforme du CCI : https://fr.internationalism.org/plateforme-cci [84]
Liens
[1] https://www.theguardian.com/environment/2017/oct/18/warning-of-ecological-armageddon-after-dramatic-plunge-in-insect-numbers?CMP=share_btn_link
[2] https://www.theguardian.com/environment/2017/oct/19/global-pollution-kills-millions-threatens-survival-human-societies
[3] https://en.internationalism.org/ir/21/internationalisme-1952
[4] https://en.internationalism.org/ir/60/collapse_eastern_bloc
[5] https://fr.internationalism.org/tag/5/56/moyen-orient
[6] https://fr.internationalism.org/tag/5/119/asie
[7] https://www.lemonde.fr/economie/article/2018/01/03/lait-infantile-contamine-un-controle-des-autorites-effectue-en-septembre-n-avait-rien-decele_5237256_3234.html
[8] https://www.francetvinfo.fr/sante/alimentation/lait-infantile-contamine/video-on-est-nombreux-a-n-etre-absolument-pas-surpris-de-ce-qu-il-se-passe-aujourd-hui-temoigne-un-ancien-salarie-de-lactalis_2560203.html
[9] https://www.francetvinfo.fr/sante/alimentation/lait-infantile-contamine/lait-infantile-contamine-le-pdg-de-lactalis-a-rallume-la-crise-avec-cette-interview_2561439.html
[10] https://fr.internationalism.org/tag/5/36/france
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[80] https://fr.internationalism.org/files/fr/18-12-12_-_violences_policieres_emeutes.pdf
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