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Revue Internationale n°174

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Antisémitisme, sionisme, antisionisme: tous sont les ennemis du prolétariat (Partie 2)

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Dans la première partie de cet article, nous avons soutenu que le mouvement sioniste était une fausse réponse à la résurgence de l’antisémitisme à la fin du XIXe siècle. Fausse parce que, contrairement à la riposte prolétarienne face à l’antisémitisme et à toutes les formes de racisme préconisée par des révolutionnaires comme Lénine et Rosa Luxemburg : il s’agissait d’un mouvement nationaliste bourgeois qui a vu le jour à un moment où le capitalisme mondial se dirigeait rapidement vers l’époque de la décadence, où l’État-nation, selon les termes de Trotsky en 1916, avait « dépassé son rôle de cadre pour le développement des forces productives[1]». Et comme l’expliquait Rosa Luxemburg dans sa brochure Junius (1915), le résultat concret de ce changement historique était que, dans la nouvelle période, la nation ne servait plus « qu’à masquer tant bien que mal les aspirations impérialistes » : les nouvelles nations ne pouvaient voir le jour qu’en tant que des pions des grandes puissances impérialistes, tout en étant elles-mêmes contraintes de développer leurs propres ambitions impérialistes et d’opprimer les groupements nationaux qui se dressaient sur leur chemin. Nous avons montré que, dès le début, le sionisme ne pouvait devenir une force politique sérieuse qu’en s’associant à la puissance impérialiste qui voyait un avantage à la création d’un « foyer national juif « en Palestine, tandis que l’attitude coloniale du sionisme envers la population qui y vivait déjà ouvrait la voie à la politique d’exclusion et de nettoyage ethnique qui s’est concrétisée en 1948 et qui atteint aujourd’hui son terrible paroxysme à Gaza. Dans ce deuxième article, nous retracerons les principales étapes de ce processus, mais ce faisant, nous montrerons que, tout comme le sionisme s’est clairement révélé être un voile dissimulant les désirs impérialistes, la réponse nationaliste arabe au sionisme, qu’elle soit laïque ou religieuse, n’est pas moins prise au piège mortel de la concurrence inter-impérialiste.

Au lendemain de la Déclaration de Balfour

Avant la Première Guerre mondiale, on ne savait pas encore quelle puissance impérialiste serait la plus intéressée par la promotion du projet sioniste : la recherche initiale d’un soutien par Théodore Herzl l’avait conduit vers l’empereur allemand et ses alliés ottomans. Mais les lignes de front tracées pour la guerre ont clairement montré que c’était la Grande-Bretagne qui avait le plus à gagner dans la formation d’un « petit Ulster juif loyal » au Moyen-Orient, même si les Britanniques faisaient simultanément toutes sortes de promesses concernant la future indépendance aux dirigeants arabes, dirigeants dont ils avaient besoin pour lutter contre l’Empire ottoman en déclin, qui s’était alors rallié à l’Allemagne et aux puissances centrales.

Le leader sioniste et diplomate accompli Chaim Weizmann était devenu de plus en plus influent dans les plus hautes sphères du gouvernement britannique et ses efforts furent récompensés par la publication de la (tristement) célèbre déclaration Balfour en novembre 1917. La déclaration stipulait que « le gouvernement de Sa Majesté voit d’un œil favorable la création en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif et fera tout son possible pour faciliter la réalisation de cet objectif », tout en insistant sur le fait qu’« il est clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte aux droits civils et religieux des communautés non juives existantes en Palestine ».

La déclaration Balfour semblait justifier les méthodes du courant dominant du mouvement sioniste, essentiellement soutenu par la gauche sioniste, qui considérait qu’il était nécessaire de suivre ce courant dominant jusqu’à ce que la création d’une patrie juive ait « normalisé » les relations de classe au sein de la population juive[2]. Pour ces courants, l’accord avec l’impérialisme britannique confirmait la nécessité de développer des relations diplomatiques et politiques avec les puissances dominantes de la région, tandis que le rassemblement des Juifs en Palestine serait largement réalisé grâce au soutien financier des capitalistes juifs de la diaspora et d’institutions telles que le Fonds national juif, l’Association de colonisation juive de Palestine et la Banque coloniale juive. Les terres seraient obtenues par l’achat fragmentaire de terres appartenant à des propriétaires arabes absents – une manière « pacifique » et « légale » d’exproprier les pauvres fellahs et d’ouvrir la voie à la création de villes juives et d’entreprises agricoles qui constitueraient les noyaux du futur État juif.

Mais la guerre avait également stimulé la croissance du nationalisme arabe, et en 1920, les premières réactions violentes à l’augmentation de l’immigration juive et à l’annonce par la Grande-Bretagne de son projet de création d’un foyer national juif prirent forme lors des « émeutes de Nabi Musa[3]» – essentiellement un pogrom contre les Juifs de Jérusalem. Ces événements ont à leur tour donné naissance à un nouveau sionisme « révisionniste « dirigé par Vladimir Jabotinsky, qui avait pris les armes aux côtés des forces britanniques pour réprimer les émeutes.

Dans notre article « Plus d’un siècle d’affrontements israélo-palestiniens [1] » (Revue internationale n° 172), nous avons souligné que Jabotinsky représentait un virage à droite du sionisme, qui n’hésitait pas à s’aligner sur le régime extrêmement antisémite de Pologne (l’un des nombreux exemples de collaboration entre le projet antisémite d’expulsion des Juifs d’Europe et la volonté sioniste d’orienter ces politiques vers l’émigration vers la Palestine). Bien que Jabotinsky lui-même ait souvent raillé le fascisme de Mussolini, son mouvement trouvait sans aucun doute son origine dans une racine commune : le développement d’une forme particulièrement décadente et totalitaire de nationalisme dont la croissance a été accélérée par la défaite de la révolution prolétarienne. Cela s’est illustré par l’émergence, au sein du révisionnisme, de la faction ouvertement fasciste Birionim, puis du groupe Lehi autour d’Abraham Stern, qui, au début de la Seconde Guerre mondiale, était prêt à entamer des pourparlers avec le régime nazi en vue de former une alliance anti-britannique ([4]). Jabotinsky lui-même considérait de plus en plus les occupants britanniques de la Palestine après la Première Guerre mondiale comme le principal obstacle à la formation d’un État juif.

Bien que Jabotinsky ait toujours soutenu que la population arabe bénéficierait de l’égalité des droits dans son projet d’État juif, ce sont les émeutes anti-juives de 1920 qui l’ont conduit à abandonner le rêve de Herzl/Weizmann d’un processus pacifique d’immigration juive. Jabotinsky s’était toujours opposé aux idées de lutte des classes et de socialisme, et donc au rêve alternatif de la gauche sioniste : un nouveau genre de colonisation qui impliquerait en quelque sorte le développement d’une alliance fraternelle entre les travailleurs juifs et arabes. En 1923, Jabotinsky publia son essai The Iron Wall (Le Mur de fer), qui réclamait un État juif non seulement sur la rive ouest du Jourdain, mais aussi sur la rive est, ce que les Britanniques interdisaient. Selon lui, un tel État ne pouvait être formé que par la lutte militaire : « La colonisation sioniste doit soit cesser, soit se poursuivre sans tenir compte de la population indigène. Cela signifie qu’elle ne peut se poursuivre et se développer que sous la protection d’une puissance indépendante de la population indigène, derrière un mur de fer que la population indigène ne peut franchir ».

Bien que les sionistes de gauche et du centre aient vivement critiqué la position de Jabotinsky, le qualifiant de fasciste, ce qui est frappant dans The Iron Wall, c’est qu’il anticipe précisément l’évolution réelle de l’ensemble du mouvement sioniste, depuis les factions libérales et de gauche qui l’ont dominé au cours des premières décennies après 1917 jusqu’à la droite qui a renforcé son emprise sur l’État d’Israël à partir des années 1970 : la reconnaissance qu’un État juif ne pouvait être formé et maintenu que par le recours à la force militaire. La gauche sioniste, y compris son aile « marxiste » autour du Hashomer Hazair et du Mapam, allait en fait devenir la composante la plus essentielle de l’appareil militaire du Yishouv juif pré-étatique, la Haganah. Les kibboutzim « socialistes » en particulier allaient jouer un rôle clé en tant qu’avant-postes militaires et fournisseurs de troupes d’élite pour la Haganah. Même le terme « Iron Wall » a une connotation prémonitoire avec la construction du mur de sécurité (également connu sous le nom de mur de l’apartheid…) autour des frontières d’Israël après 1967, au début des années 2000. Et bien sûr, même si Jabotinsky peut sembler libéral par rapport à ses héritiers contemporains de l’extrême droite israélienne, les partisans d’un Grand Israël « de la rivière à la mer » et le recours sans vergogne à une force militaire effrénée, désormais ouvertement combiné à l’appel à la « relocalisation « de la population arabe palestinienne de Gaza et de Cisjordanie, se sont de plus en plus imposés dans la politique sioniste dominante. Cela témoigne du réalisme brutal de Jabotinsky, mais surtout du caractère inévitablement impérialiste et militariste, non seulement du sionisme, mais aussi de tous les mouvements nationaux de cette époque.

1936 : La voie sans issue de la « révolte anti-impérialiste » et la réponse internationaliste

La défaite de la vague révolutionnaire en Russie et en Europe a donné lieu à une nouvelle vague d’antisémitisme, en particulier en Allemagne, avec la théorie infâme du « coup de poignard dans le dos », une cabale envers communistes et juifs, prétendument responsables de l’effondrement militaire de l’Allemagne. Plusieurs pays européens ont commencé à adopter des lois antisémites, préfigurant les lois raciales nazies en Allemagne. Se sentant de plus en plus menacés, les Juifs ont commencé à quitter l’Europe, un exode qui s’est considérablement accéléré après la prise du pouvoir par les nazis en 1933. Tous les exilés ne se sont pas rendus en Palestine, mais l’immigration juive vers le Yichouv a considérablement augmenté. Cela a exacerbé les tensions entre Juifs et Arabes. L’achat accru de terres aux propriétaires arabes ou « effendi » par les institutions sionistes entraîna la dépossession des paysans arabes ou fellahin, déjà appauvris ; l’impact de la crise économique mondiale en Palestine au début des années 30 ne fit qu’aggraver leurs difficultés économiques. Tous ces éléments ont explosé en 1929 dans une nouvelle vague de violence intercommunautaire plus généralisée, déclenchée par des conflits d’accès aux principaux sites religieux de Jérusalem, et qui a pris la forme de pogroms antisémites sanglants à Jérusalem, Hébron, Safed et ailleurs, mais aussi de contre-attaques tout aussi brutales par des foules juives. Des centaines de meurtres ont été commis des deux côtés. Mais ces événements n’étaient que le prélude à la « Grande révolte arabe » de 1936.

Une fois encore, les événements ont commencé par une flambée de violence pogromiste, déclenchée cette fois-ci par le meurtre de deux Juifs par un groupe islamiste fondamentaliste, les Qassemites, et suivie de représailles aveugles contre les Arabes, notamment des attentats à la bombe dans des lieux publics perpétrés par l’Irgoun de Jabotinsky, qui s’était séparé de la Haganah en 1931. Ces actions terroristes sanglantes ont été décrites par l’Irgoun comme la politique de « défense active « de la population juive. Mais cette fois-ci, le soulèvement arabe a été beaucoup plus généralisé qu’en 1929, prenant la forme d’une grève générale à Jérusalem et dans d’autres centres urbains, puis d’une guérilla dans les zones rurales. Cependant, même si la profonde misère économique et sociale alimentait la colère des masses arabes, la grève générale n’a à aucun moment pris un caractère prolétarien. Ce n’était pas simplement parce qu’elle mobilisait les travailleurs aux côtés des commerçants et autres petits propriétaires, mais surtout parce que ses revendications étaient entièrement formulées dans une perspective nationaliste, appelant à l’arrêt de l’immigration juive et à l’indépendance vis-à-vis des Britanniques. Dès le début, la direction du mouvement était entre les mains des partis nationalistes bourgeois, même si ces partis, largement fondés sur d’anciennes rivalités claniques, s’affrontaient souvent violemment pour savoir qui devait diriger le mouvement (tandis que d’autres factions palestiniennes se rangeaient du côté des Britanniques). La réaction des autorités britanniques fut extrêmement brutale, infligeant des punitions collectives meurtrières aux villages soupçonnés d’avoir participé au mouvement. La Haganah et des escadrons de police juifs spécialement désignés ont agi aux côtés de l’armée britannique pour réprimer la révolte. À la fin du soulèvement, en mars 1939, plus de 5 000 Arabes, 400 Juifs et 200 Britanniques avaient perdu la vie.

Le Parti socialiste des travailleurs (Socialist Workers Party ou SWP), basé au Royaume-Uni, décrit cette révolte comme la « première Intifada » et la présente comme un exemple de résistance contre l’impérialisme britannique, avec une forte composante sociale révolutionnaire : « La révolte s’est déplacée vers les campagnes où, tout au long de l’hiver 1937 et jusqu’en 1938, les rebelles ont pris le contrôle, chassant les Britanniques. Une fois les campagnes sous leur contrôle, les rebelles ont commencé à s’installer dans les villes. En octobre 1938, ils contrôlaient Jaffa, Gaza, Bethléem, Ramallah et la vieille ville de Jérusalem. Il s’agissait d’un mouvement populaire massif, avec des comités locaux prenant le contrôle d’une grande partie du pays et gouvernant dans l’intérêt non pas des riches Palestiniens, mais des gens ordinaires [5]».

Mais n’oublions pas que le SWP, comme beaucoup d’autres trotskistes, considérait également le massacre perpétré par le Hamas le 7 octobre comme faisant partie de la « résistance « contre l’oppression des Palestiniens[6]. Contrairement à la présentation que fait le SWP du mouvement de 1936, Nathan Weinstock, dans son ouvrage de référence Le Sionisme contre Israël, est d’avis qu’en fin de compte, « la lutte anti-impérialiste avait été détournée vers un conflit intercommunautaire et était devenue un soutien au fascisme. (Le mufti s’était rapproché de plus en plus des nazis) ». À cette époque, Weinstock était membre de la Quatrième Internationale trotskiste.

Weinstock en conclut que « l’évolution de la révolte arabe apparaît comme une confirmation négative de la théorie de la révolution permanente ». En d’autres termes, dans les pays semi-coloniaux, les tâches « démocratiques « telles que l’indépendance nationale ne pouvaient plus être menées par une bourgeoisie très faible, et ne pouvaient être mises en œuvre que par le prolétariat une fois qu’il avait établi sa propre dictature. Cette théorie, dont les éléments essentiels ont été développés par Trotsky au début des années 1900, était à l’origine une véritable tentative de résoudre les dilemmes posés à une époque où la phase ascendante du capitalisme touchait à sa fin, mais sans qu’il soit tout à fait clair que le capitalisme en tant que système mondial était sur le point d’entrer dans son époque de déclin, rendant ainsi obsolètes toutes les tâches « démocratiques « de la période précédente. Ainsi, la tâche principale du prolétariat victorieux dans n’importe quelle partie du monde n’est pas de faire avancer les vestiges d’une révolution bourgeoise à l’intérieur de ses propres frontières, mais d’aider à propager la révolution à travers le monde aussi rapidement que possible, sous peine d’être isolé et condamné à la mort.

La conséquence logique de cela est que, dans cette période de décadence où le monde entier est dominé par l’impérialisme, il n’y a plus de mouvements « anti-impérialistes », mais seulement des alliances changeantes sur un échiquier interimpérialiste global. La remarque de Weinstock sur le mufti – titre d’un haut dignitaire religieux chargé des lieux saints musulmans à Jérusalem, en l’occurrence Amin Al Husseini, connu pour ses relations amicales avec Hitler et son régime – met en évidence une réalité plus large : en s’opposant à l’impérialisme britannique, le nationalisme palestinien des années 1930 a été contraint de s’allier avec les principaux rivaux de la Grande-Bretagne, l’Allemagne et l’Italie. La Fraction italienne de la Gauche communiste, dans un article écrit en réponse à la grève générale de 1936, soulignait déjà les rivalités interimpérialistes à l’œuvre dans la région : « Personne ne peut nier que le fascisme a tout intérêt à souffler sur ce feu. L’impérialisme italien n’a jamais caché ses visées vers le Proche Orient, c’est-à-dire son désir de se substituer aux puissances mandataires en Palestine et en Syrie »[7]. Ce schéma ne pouvait que se répéter dans l’histoire à venir. Comme le souligne notre introduction à l’article de Bilan, « Bilan montre que lorsque le nationalisme arabe entra en conflit ouvert avec la Grande Bretagne, cela ne fit qu’ouvrir la porte aux ambitions de l’impérialisme italien (et aussi allemand) ; par la suite nous avons pu voir la bourgeoisie palestinienne se tourner vers le bloc russe, puis vers la France et d’autres puissances européennes dans son conflit avec les États-Unis ».

En 1936, face à la capitulation des anciens internationalistes devant la pression de l’idéologie antifasciste, les camarades de Bilan ont reconnu « l’isolement de notre Fraction ", qui s’était considérablement accentué avec la guerre en Espagne. Cet isolement peut également s’appliquer aux problèmes posés par les conflits en Palestine : l’article de Bilan est l’une des rares prises de position internationalistes contemporaines sur la situation dans cette région. Il convient toutefois de mentionner les articles écrits par Walter Auerbach, qui avait fait partie d’un cercle communiste de gauche en Allemagne dont faisait partie Karl Korsch[8]. Auerbach a fui l’Allemagne en 1934 et a vécu quelques années en Palestine avant de s’installer aux États-Unis, où il a travaillé avec le groupe communiste conseilliste autour de Paul Mattick. Les articles d’Auerbach sont intéressants car ils montrent comment la colonisation sioniste de la Palestine, en introduisant ou en développant des relations de production capitalistes, a entraîné la dépossession des fellahs et donc l’intensification de leur mécontentement social. Ils insistent également sur le fait que les éléments ultranationalistes voire fascistes, au sein du sionisme, étaient voués à devenir de plus en plus dominants.

Mais surtout, les articles restent clairement ancrés dans une perspective internationaliste. En réponse aux événements de 1936, l’article intitulé « The land of promise : report from Palestine » (La terre promise : reportage depuis la Palestine) énonce que :
« L’aggravation des relations entre Arabes et Juifs, qui a débuté en avril 1936 et a conduit à une guérilla et à une grève des masses arabes, a masqué les troubles sociaux de la classe ouvrière sous un sentiment nationaliste vif et belliqueux. Des deux côtés, les masses se sont organisées pour " s’autoprotéger et se défendre ". Du côté juif, les membres de toutes les organisations ont participé à cette autoprotection. Dans leurs appels, les différents partis ont rejeté la responsabilité des affrontements soit sur les Arabes, soit sur les partis concurrents. Il convient seulement de noter que, dans cette situation, aucune organisation n’a cherché à mener la lutte contre sa propre bourgeoisie ».

Bordiga est l’auteur de la devise « Le pire produit du fascisme, c’est l’antifascisme » : la nature extrêmement brutale du fascisme, qui prône lui-même l’unité de toutes les classes purement « nationales », tend à donner naissance à une opposition qui, à son tour, vise à subordonner les intérêts de la classe ouvrière à ceux d’un large Front populaire, comme cela s’est produit en France et en Espagne dans les années 1930. Dans les deux cas, la classe ouvrière est poussée à abandonner son identité et son indépendance de classe au profit de telle ou telle faction de la bourgeoisie. En fin de compte, le fascisme et l’antifascisme sont des idéologies visant à entraîner le prolétariat dans la guerre impérialiste.

On peut également dire que le pire produit du sionisme est l’antisionisme. Le point de départ du sionisme est que les travailleurs juifs ne peuvent lutter contre l’antisémitisme qu’en s’alliant à la bourgeoisie juive ou en renonçant à leurs intérêts de classe au nom de la construction nationale. L’antisionisme, découlant des conséquences douloureuses de cette construction nationale en Palestine, part également d’une alliance de toutes les classes « arabes », « palestiniennes » ou « musulmanes », ce qui, dans la pratique, ne peut signifier que la domination de la bourgeoisie autochtone et, derrière elle, l’hégémonie de l’impérialisme mondial. Le cycle mortel de violence intercommunautaire que nous avons vu en 1929 et 1936 était tout à fait hostile au développement de la solidarité de classe entre les prolétaires juifs et arabes, et cela est resté vrai depuis lors.

De la Shoah…

« […] La seule tendance vers ce but de l’évolution capitaliste se manifeste déjà par des phénomènes qui font de la phase finale du capitalisme une période de catastrophes » (Rosa Luxemburg, L’Accumulation du capital, chapitre 31).

La guerre en Espagne, qui s’est déroulée en même temps que la révolte en Palestine, était une indication beaucoup plus claire des enjeux dramatiques de l’époque. L’écrasement du prolétariat espagnol par les forces du fascisme et de la « République démocratique » a achevé la défaite mondiale de la classe ouvrière et ouvert la voie à une nouvelle guerre mondiale qui, comme l’avait prédit l’Internationale Communiste dans ses premières proclamations, allait dépasser de loin la première en termes de barbarie, notamment en raison du nombre beaucoup plus élevé de victimes civiles. Les transferts forcés de population et les goulags mis en place par le régime stalinien en Russie donnaient déjà un avant-goût de la vengeance meurtrière de la contre-révolution contre une classe ouvrière vaincue, tandis que la guerre elle-même illustrait la détermination du capital à maintenir son système obsolète, même au prix de la destruction et du massacre de masse à travers la planète. Le programme systématique d’extermination des Juifs et d’autres minorités telles que les Tsiganes ou les handicapés mis en place par le régime nazi était certes, le fruit d’une inhumanité calculée et pourtant, totalement irrationnelle d’un niveau qualitativement nouveau ; mais cette Shoah, cette catastrophe qui s’est abattue sur les Juifs d’Europe, ne peut être comprise que comme faisant partie d’une catastrophe plus grande, d’un Holocauste plus large qu’était la guerre elle-même. Auschwitz et Dachau ne peuvent être dissociés de la destruction de Varsovie après les soulèvements de 1943 et 1944, ni des millions de cadavres russes laissés dans le sillage de l’invasion allemande de l’URSS ; mais ces crimes du nazisme ne peuvent pas non plus être dissociés des bombardements terroristes alliés sur Hambourg, Dresde, Hiroshima et Nagasaki, ni de la famine meurtrière imposée aux masses du Bengale par les Britanniques sous la direction de Churchill en 1943.

De plus, même si les démocraties ont utilisé la sauvagerie évidente du nazisme comme alibi pour leurs propres crimes, elles ont été largement complices de la capacité du régime hitlérien à mener à bien sa « solution finale » à la question juive. Dans un article basé sur une critique du film Le Pianiste[9], nous avons donné plusieurs exemples de cette complicité : lors de la conférence des Bermudes sur la question des réfugiés, organisée par les États-Unis et la Grande-Bretagne en avril 1943, qui s’est déroulée exactement au moment du soulèvement du ghetto de Varsovie, a été prise la décision de ne pas accueillir l’énorme masse de personnes désespérées confrontées à la famine et à l’extermination en Europe. Le même article fait également référence à l’histoire du Hongrois Bordiga qui est allé voir les Alliés, offrant d’échanger un million de Juifs contre 10,000 camions. Comme l’explique la brochure Auschwitz, Le grand alibi du PCI : « Non seulement les juifs, mais les SS aussi s’étaient laissé prendre à la propagande humanitaire des Alliés ! Les Alliés n’en voulaient pas de ce million de juifs ! Pas pour 10,000 camions, pas pour 5000, même pas pour rien. Le même genre d’offres de la part de la Roumanie et de la Bulgarie fut également rejeté. Selon les paroles de Roosevelt, « transporter autant de gens désorganiserait l’effort de guerre ».

Le mouvement sioniste officiel a également joué son rôle dans cette complicité, car il s’est systématiquement opposé au « réfugiisme », c’est-à-dire aux projets visant à sauver les Juifs européens en leur permettant de passer par les frontières d’autres pays que la Palestine. Le ton de cette politique avait déjà été donné avant la guerre par Ben Gourion, le leader « travailliste » du Yishouv :
« Si les Juifs sont confrontés au choix entre le problème des réfugiés et le sauvetage des Juifs des camps de concentration d’une part, et l’aide au musée national en Palestine d’autre part, le sentiment de pitié juif prévaudra et toute la force de notre peuple sera consacrée à l’aide aux réfugiés dans les différents pays. Le sionisme disparaîtra de l’ordre du jour, non seulement de l’opinion publique mondiale en Angleterre et en Amérique, mais aussi de l’opinion publique juive. Nous risquons l’existence même du sionisme si nous permettons que le problème des réfugiés soit séparé du problème palestinien »[10]. La véritable indifférence de Ben Gourion face à la souffrance des Juifs européens fut encore plus explicite lorsqu’il déclara, le 7 décembre 1938 : « Si je savais qu’il était possible de sauver tous les enfants d’Allemagne en les transportant en Angleterre, mais seulement la moitié d’entre eux en les transportant en Palestine, je choisirai la seconde option, car nous sommes confrontés non seulement au jugement de ces enfants, mais aussi au jugement historique du peuple juif ».

Toute idée de collaboration directe entre le sionisme et les nazis est considérée comme un « trope antisémite » dans de nombreux pays occidentaux, bien qu’il existe des cas bien documentés, notamment l’accord Havara en Allemagne au début du régime nazi, qui permettait aux Juifs prêts à émigrer en Palestine de conserver une partie importante de leurs fonds. Parallèlement, les organisations sionistes ont été autorisées à opérer légalement sous le régime nazi, car les deux parties avaient un intérêt commun à parvenir à une Allemagne « sans Juifs », à condition que les émigrants juifs se rendent en Palestine.

Cela ne remet pas en cause le fait qu’il y ait effectivement eu des accords de ce type qui relèvent véritablement de la théorie du complot antisémite. Le président de l’actuelle « Autorité palestinienne », Mahmoud Abbas, a rédigé au début des années 80 une thèse de doctorat qui peut certainement être incluse dans cette catégorie, puisqu’elle affirme que les sionistes ont exagéré le nombre de Juifs assassinés par les nazis afin de gagner la sympathie pour leur cause, tout en mettant en doute la réalité des chambres à gaz.

Cependant, la collaboration entre les factions de la classe dirigeante –même lorsqu’elles sont symboliquement en guerre les unes contre les autres– est une réalité fondamentale du capitalisme et peut prendre de nombreuses formes. La volonté des nations en guerre de suspendre les hostilités et d’unir leurs forces pour écraser l’ennemi commun, la classe ouvrière, lorsque la misère de la guerre la pousse à se défendre, a été démontrée lors de la Commune de Paris en 1871, puis à nouveau à la fin de la Première Guerre mondiale. Et Winston Churchill, dont la réputation de plus grand antinazi de tous les temps est quasiment reconnue officiellement en Grande-Bretagne comme ailleurs, n’a pas hésité à appliquer cette politique en Italie en 1943 lorsqu’il a ordonné une pause dans l’invasion alliée depuis le sud afin de laisser « les Italiens mijoter dans leur jus » –un euphémisme pour permettre au pouvoir nazi d’écraser les grèves massives des travailleurs dans le nord industriel.

Ce qui est certainement vrai, c’est que le mouvement sioniste et surtout l’État d’Israël, ont constamment utilisé l’expérience de la Shoah, le spectre de l’extermination des Juifs, et pour justifier les actions militaires et policières les plus impitoyables et destructrices envers la population arabe de Palestine, et pour assimiler toute critique de l’État israélien à de l’antisémitisme. Mais nous reviendrons, vers la fin de cet article, sur le labyrinthe des justifications idéologiques et des distorsions développées par les deux (ou toutes les) parties dans les conflits actuels en Palestine.

Pour revenir au cours des événements déclenchés par la guerre, le massacre des Juifs en Europe a accéléré l’immigration vers la Palestine, malgré les tentatives désespérées des Britanniques pour la réduire au minimum, en menant une politique extrêmement répressive qui a conduit à la déportation des réfugiés juifs vers des camps en Allemagne et à la tragédie du Struma, un bateau rempli de survivants juifs qui s’est vu refuser l’entrée en Palestine et qui, après avoir été abandonné par les autorités turques, a fini par couler en mer Noire avec presque tous ses passagers à bord. La répression britannique a provoqué une guerre ouverte entre la puissance mandataire et les milices sionistes, l’Irgoun en particulier menant la danse dans l’utilisation de tactiques terroristes, telles que l’explosion de l’hôtel King David et l’assassinat du médiateur diplomatique suédois, le comte Bernadotte. La proposition de mettre fin au mandat britannique et de partitionner la Palestine entre Arabes et Juifs avait déjà été faite par la commission britannique Peel en 1937, car la « révolte arabe » et le mécontentement sioniste avaient clairement montré que le mandat britannique était à bout de souffle. Désormais, les deux principales puissances issues de la guerre mondiale, les États-Unis et l’URSS, considéraient qu’il était dans leur intérêt, pour leur expansion future, d’éliminer les anciennes puissances coloniales comme la Grande-Bretagne de la région stratégique du Moyen-Orient. En 1947, les deux pays votèrent en faveur de la partition au sein de l’ONU nouvellement créée, tandis que l’URSS fournissait au Yishouv un grand nombre d’armes via le régime stalinien en Tchécoslovaquie. Après avoir été largement étouffée par les Alliés pendant la guerre, la vérité sur les camps de concentration nazis faisait désormais surface et suscitait sans aucun doute beaucoup de sympathie pour le sort des millions de victimes et de survivants juifs, renforçant ainsi la détermination des sionistes à utiliser tous les moyens à leur disposition pour obtenir la création d’un État. Mais la dynamique sous-jacente à la formation de l’État d’Israël découlait du réalignement impérialiste de l’après-guerre et, en particulier, de la relégation de l’impérialisme britannique à un rôle purement secondaire dans le nouvel ordre.

… à Naqba

Comme pour la question des relations entre les nazis et les sionistes, les causes de la Naqba (qui, comme la Shoah, signifie catastrophe) constituent un champ de mines historique et surtout idéologique. La « guerre d’indépendance » de 1948 s’est soldée par la fuite de 750,000 réfugiés palestiniens de leurs foyers et l’extension des frontières du nouvel État d’Israël au-delà des zones initialement désignées par le plan de partition de l’ONU. Selon la version officielle sioniste, les réfugiés ont fui parce que l’alliance militaire arabe qui a lancé son offensive contre le jeune État juif a appelé les Palestiniens à fuir les zones touchées par les combats afin de pouvoir revenir une fois le projet sioniste écrasé. Il est sans doute vrai que les forces arabes, qui étaient en réalité mal équipées et mal coordonnées, ont fait toutes sortes de déclarations grandiloquentes sur une victoire imminente et donc sur la possibilité pour les réfugiés de retourner rapidement chez eux. Mais des recherches ultérieures, notamment celles d’historiens israéliens dissidents comme Ilan Pappe, ont rassemblé une grande quantité de preuves indiquant une politique systématique de terreur menée par le nouvel État israélien envers la population palestinienne, avec des expulsions massives et la destruction de villages, qui justifient le titre de l’ouvrage le plus connu de Pappe : Le nettoyage ethnique de la Palestine (2006).

Le massacre de Deir Yassin, un village situé non loin de Jérusalem, en avril 1948, perpétré principalement par l’Irgoun et le Lehi, et impliquant le meurtre de sang-froid de plus de 100 villageois, dont des femmes et des enfants, est l’atrocité la plus tristement célèbre du conflit de 1948. Elle a d’ailleurs été condamnée par l’Agence juive pour la Palestine et la Haganah, qui en ont imputé la responsabilité à des groupes armés « dissidents ». Bien que certains historiens israéliens continuent de nier qu’il s’agissait d’un massacre plutôt que d’une simple bataille[11], cet événement est généralement présenté comme une exception qui ne correspondait pas aux « normes morales élevées » des forces de défense israéliennes (une excuse que l’on entend sans cesse dans le cadre de l’offensive actuelle sur Gaza). En fait, le livre de Pappe démontre de manière convaincante que Deir Yassin était la règle plutôt que l’exception, puisque de nombreux autres villages et quartiers palestiniens –Dawayima, Lydda, Safsaf, Sasa, des quartiers entiers de Haïfa et de Jaffa, pour n’en citer que quelques-uns– ont subi des actes de terreur et de destruction similaires, même si le nombre de victimes dans chacun d’eux n’était généralement pas aussi élevé. L’Irgoun et le Lehi ont clairement exprimé leur motivation pour attaquer Deir Yassin : non seulement pour prendre le contrôle d’un site stratégique, mais surtout pour semer la panique parmi toute la population palestinienne et la convaincre qu’elle n’avait aucun avenir dans l’État juif. Cette attaque « exemplaire » et d’autres similaires contre des villages palestiniens ont certainement atteint leur objectif, accélérant l’exode massif de réfugiés qui craignaient, à juste titre, de subir le même sort que les villageois de Deir Yassin. L’historien israélien Benny Morris a écrit dans The Birth of the Palestinian Refugee Problem (1988) que Deir Yassin « a probablement eu l’effet le plus durable de tous les événements de la guerre en précipitant la fuite des villageois arabes de Palestine ". La responsabilité du massacre ne peut pas non plus être imputée uniquement aux gangs d’extrême droite. La Haganah, y compris les unités d’élite du Palmach, a apporté son soutien à l’opération et n’a rien fait pour empêcher le massacre des civils[12]. Loin du front, Ben Gourion et les dirigeants du nouvel État coordonnaient toutes les actions militaires visant à « neutraliser « les zones habitées par les Arabes et à élargir les frontières de l’État juif.

Il y a eu beaucoup de débats sur le degré de coordination du plan visant à expulser autant d’Arabes que possible au-delà de ces frontières, souvent centré sur le soi-disant « plan Dalet », qui se présentait comme une stratégie de défense de l’État juif, mais qui impliquait certainement précisément le type d’actions « offensives » contre les zones habitées par les Arabes palestiniens qui ont eu lieu avant et pendant l’invasion par les armées arabes. Mais le fait que l’exode massif des Arabes palestiniens en 1948 ait coïncidé exactement avec les intérêts de l’État sioniste est certainement confirmé par le fait que tant de villages détruits (y compris Deir Yassin lui-même) sont immédiatement devenus des colonies juives ou ont disparu, et que les anciens résidents n’ont jamais été autorisés à revenir.

Ce n’est pas un hasard si l’expulsion massive des Palestiniens a coïncidé avec les terribles massacres intercommunautaires qui ont eu lieu en Inde et au Pakistan à la suite d’une autre partition de l’empire britannique, ou si la guerre en ex-Yougoslavie dans la première moitié des années 90 a rendu courant le terme « nettoyage ethnique ». Comme l’avait prédit Rosa Luxemburg, toute la période de décadence capitaliste a montré que le nationalisme –même, et peut-être surtout, lorsqu’il s’agit du nationalisme d’un groupe qui a subi les persécutions les plus horribles– ne peut atteindre ses objectifs qu’en opprimant davantage d’autres groupes ethniques ou minorités.

L’Etat sioniste au service de l’impérialisme

L’État d’Israël est donc né avec le péché originel de l’expulsion d’une grande partie de la population arabe de Palestine. Son affirmation selon laquelle il serait « la seule démocratie du Moyen-Orient » a toujours été contredite par cette simple réalité : bien qu’il ait accordé le droit de vote aux Arabes qui sont restés dans les frontières initiales de l’État d’Israël, le « caractère juif de l’État » ne peut être maintenu que tant que les citoyens arabes restent minoritaires ; et, dans la même logique, depuis 1967, Israël règne sur la population arabe de Cisjordanie sans aucune intention de lui accorder la citoyenneté israélienne. Mais mis à part cela, l’existence même de la plus pure démocratie bourgeoise n’a jamais signifié la fin de l’exploitation et de la répression de la classe ouvrière, et en Israël, cela s’applique non seulement aux prolétaires arabes, mais aussi aux travailleurs juifs israéliens, dont les luttes pour les revendications de classe se heurtent toujours au « mur de fer » du syndicat d’État, l’Histradut (voir ci-dessous). Sur le plan extérieur, l’engagement déclaré d’Israël en faveur de la démocratie et même du « socialisme ", qui étaient les justifications idéologiques préférées de l’État sioniste jusqu’à la fin des années 1980, n’a jamais empêché Israël de maintenir des liens très étroits, y compris en matière d’aide militaire, avec les régimes les plus manifestement « antidémocratiques « et ouvertement racistes, comme l’Afrique du Sud sous l’apartheid et la junte argentine meurtrière – mais aussi antisémite – après 1976. Avant tout, Israël a toujours été disposé à assouvir ses propres appétits impérialistes en étroite collaboration avec l’impérialisme dominant de l’après-guerre : les États-Unis. Israël a participé à l’aventure de Suez en 1956 menée par les anciennes puissances impérialistes que sont la Grande-Bretagne et la France, mais après cela, il s’est résigné à devenir le gendarme des États-Unis au Moyen-Orient, notamment lors des guerres de 1967 et 1973, qui étaient en substance des guerres par procuration entre les États-Unis et l’URSS pour la domination de la région.

Depuis les années 1980, Israël est de plus en plus sous l’emprise de gouvernements de droite qui ont largement abandonné le vieux verbiage démocratique et socialiste de la gauche sioniste. Sous Begin, Sharon et surtout Netanyahu, la justification du maintien d’Israël en tant que puissance militariste et expansionniste à part entière tend à reposer presque exclusivement sur des références à l’Holocauste et à la lutte pour la survie des Juifs dans un océan d’antisémitisme et de terrorisme. Et il y a eu beaucoup à justifier, depuis la facilitation du massacre des Palestiniens dans les camps de réfugiés de Sabra et Chatila au Liban par les milices phalangistes en 1982 jusqu’aux bombardements répétés de Gaza (2008-2009, 2012, 2014, 2021) qui ont précédé sa destruction totale d’aujourd’hui. La barbarie irrationnelle qui se déroule aujourd’hui sous nos yeux à Gaza conserve son caractère impérialiste, même si, dans le contexte mondial du « chacun pour soi ", Israël n’est plus le serviteur fiable des intérêts américains qu’il était autrefois.

« La résistance anti-sioniste» : excuses pour un camp rival impérialiste

Les crimes de l’État israélien sont largement relatés dans les publications de la gauche et de l’extrême gauche capitaliste. Il en va moins de même pour les politiques répressives et réactionnaires des régimes arabes et des bandes de guérilleros qu’ils soutiennent, ainsi que des puissances impérialistes mondiales. Lors du conflit de 1948, les massacres intercommunautaires qui avaient marqué les années 1929 et 1936 ont également refait surface. En représailles à Deir Yassin, un convoi se dirigeant vers l’hôpital Hadassah de Jérusalem, gardé par la Haganah mais transportant principalement des médecins, des infirmières et des fournitures médicales, a été pris en embuscade. Le personnel médical et les patients ont été massacrés, ainsi que les combattants de la Haganah. De telles actions révèlent l’intention meurtrière des armées arabes qui visaient à écraser le nouvel État sioniste. Pendant ce temps, la monarchie hachémite de Transjordanie, à la suite d’un accord secret avec les Britanniques, a montré sa profonde préoccupation pour la création d’un État palestinien en annexant la Cisjordanie et en se rebaptisant simplement Jordanie. Comme en Égypte, au Liban, en Syrie et ailleurs, la majorité des réfugiés palestiniens qui avaient fui vers la Cisjordanie ont été entassés dans des camps, maintenus dans la pauvreté et utilisés pour justifier leur conflit avec Israël. Sans surprise, la misère infligée à la population réfugiée non seulement par le régime sioniste qui l’avait expulsée, mais aussi par ses hôtes arabes, en a fait un élément hautement instable. En l’absence d’une alternative prolétarienne, les masses palestiniennes sont devenues la proie de bandes nationalistes armées qui avaient tendance à former un État dans l’État au sein même des pays arabes, souvent associées à d’autres puissances régionales à titre de force intermédiaire : le cas du Hezbollah au Liban en est un exemple évident. Dans les années 1970 et 1980, la montée en puissance de l’Organisation de libération de la Palestine en Jordanie et au Liban a conduit à des affrontements sanglants entre les forces de l’État et les bandes de guérilleros – les exemples les plus connus étant Septembre noir en Jordanie en 1970 et les massacres dans les camps de réfugiés de Sabra et Chatila au Liban en 1982 (perpétrés par les Phalanges libanaises avec le soutien actif de l’armée israélienne).

L’aile gauche du capital est tout à fait capable de dénoncer les « régimes arabes réactionnaires » du Moyen-Orient, d’exposer leurs fréquentes actions répressives contre les Palestiniens, mais cela n’a pas empêché les trotskistes, maoïstes et même certains anarchistes de soutenir ces mêmes régimes dans leurs guerres contre Israël ou les États-Unis, que ce soit en appelant à la victoire de l’Égypte et de la Syrie dans la guerre de 1973[13] ou en se ralliant à la défense de l'« anti-impérialiste » Saddam Hussein contre les États-Unis en 1991 ou 2003. Mais la spécialité de l’extrême gauche est le soutien à la « résistance palestinienne », et cela est resté constant depuis l’époque où l’OLP proposait de remplacer le régime sioniste par un « État démocratique laïc où Arabes et Juifs jouiraient de droits égaux » et que le Front démocratique populaire pour la libération de la Palestine (PDLFP), plus à gauche, parlait du droit à l’autodétermination de la nation hébraïque, jusqu’aux organisations djihadistes actuelles comme le Hamas et le Hezbollah qui ne cachent pas leur désir de « jeter les Juifs à la mer », comme l’a dit un jour le chef du Hezbollah, Nasrallah. En fait, la résistance palestinienne « marxiste « des années 70 et 80 n’a pas hésité à mener des attentats à la bombe aveugles en Israël et à assassiner des civils, comme en 1972 lorsque le groupe Septembre noir a tué les 11 athlètes israéliens qu’il avait pris en otage, ou lors du massacre de l’aéroport de Lod perpétré la même année par l’Armée rouge japonaise au nom du Front populaire de libération de la Palestine. Le recours à de telles méthodes n’a jamais dérangé les trotskistes, qui invoquent souvent l’excuse utilisée par le SWP après le raid du Hamas du 7 octobre 2023 : « le peuple palestinien a tout à fait le droit de répondre comme il l’entend à la violence que l’État israélien lui inflige chaque jour[14]. »

L’aile gauche du capitalisme ne s’est pas non plus inquiétée du fait que « l’anti-impérialisme » des mouvements nationalistes palestiniens ait dès le début signifié la recherche d’alliances avec d’autres puissances impérialistes dont les intérêts sordides entrent en conflit avec ceux d’Israël ou des États-Unis. Des efforts du Mufti pour obtenir le soutien de l’impérialisme italien et allemand dans les années 30, à Yasser Arafat courtisant l’URSS ou George Habash du FPLP se tournant vers la Chine de Mao, en passant par « l’axe de la résistance « qui relie le Hamas et le Hezbollah à l’Iran et aux Houthis, sans oublier les autres groupes de « libération « directement créés par des régimes comme la Syrie et l’Irak, le nationalisme palestinien n’a jamais fait exception à la règle selon laquelle la libération nationale est impossible à l’époque de la décadence capitaliste, n’offrant rien de plus que le remplacement d’un maître impérialiste par un autre.

Mais dans cette continuité, il y a également eu une évolution, ou plutôt une dégénérescence supplémentaire qui correspond à l’avènement de la phase finale de la décadence capitaliste, la phase de décomposition, marquée par une nette augmentation de l’irrationalité tant au niveau idéologique que militaire. Le remplacement des mystifications démocratiques et « socialistes « dans l’idéologie du nationalisme palestinien par le fondamentalisme islamique et l’antisémitisme ouvert – la charte du Hamas fait largement et directement référence aux Protocoles des Sages de Sion, un pamphlet sur le complot juif pour la domination mondiale fabriqué par la police secrète tsariste – reflète cette irrationalité au niveau de la pensée et des idées. Dans le même temps, l’action du 7 octobre, génocidaire dans sa volonté de tuer tous les Juifs qui se trouvaient à sa portée, mais aussi suicidaire dans la mesure où elle ne pouvait que provoquer un génocide encore plus dévastateur de Gaza elle-même, révèle la logique autodestructrice et de la terre brûlée de tous les conflits interimpérialistes actuels.

Et bien sûr, la montée du djihadisme va de pair avec la domination croissante de la politique israélienne par la droite sioniste ultrareligieuse, qui revendique le droit divin de réduire Gaza en ruines, envoie ses sbires bloquer l’approvisionnement alimentaire de Gaza et vise à remplacer toute la population arabe palestinienne de Gaza et de « Judée-Samarie » (Cisjordanie) par des colonies juives. La droite religieuse en Israël est le visage sinistre de la manipulation de longue date par le sionisme des rêves des prophètes bibliques. Mais pour les marxistes comme Max Beer, les meilleurs prophètes étaient le produit de la lutte des classes dans le monde antique, et bien que leurs espoirs pour l’avenir fussent enracinés dans la nostalgie d’une forme primitive de communisme, ils aspiraient néanmoins à un monde sans pharaons ni rois, et même à l’unification de l’humanité au-delà des divisions tribales[15]. L’appel des sionistes religieux à l’anéantissement de la Gaza arabe et à l’application par l’État des divisions religieuses/ethniques ne fait que montrer à quel point ces rêves anciens ont été piétinés dans la boue sous le règne du capital.

Trouver la sortie du labyrinthe idéologique

L’instrumentalisation de l’Holocauste et de l’antisémitisme par l’actuel gouvernement israélien est de plus en plus flagrante. Toute critique des politiques d’Israël à Gaza ou en Cisjordanie, même lorsqu’elle émane de personnalités respectables comme Emmanuel Macron ou Keir Starmer, est immédiatement assimilée à un soutien au Hamas. Le régime Trump aux États-Unis se présente également comme un adversaire intransigeant de l’antisémitisme et utilise cette fable pour faire passer ses politiques répressives contre les étudiants et les universitaires qui ont participé à des manifestations contre la destruction de Gaza. L’opposition de Trump à l’antisémitisme est bien sûr de la pure hypocrisie. Le « mouvement MAGA » entretient de nombreux liens avec un certain nombre de groupes ouvertement antisémites et fascistes, tandis que sa position « pro-israélienne » est largement alimentée par la droite chrétienne évangélique, dont le système de croyances « nécessite » le retour des Juifs à Sion comme prélude au retour du Christ et à l’Armageddon. Ce dont les évangéliques parlent généralement moins, c’est leur conviction qu’au cours de ces derniers jours, les Juifs auront le choix entre reconnaître le Christ ou mourir et brûler en enfer.

Et dans le même temps, la gauche antisioniste, bien qu’elle insiste sur le fait que l’antisionisme et l’antisémitisme sont deux choses totalement distinctes et que de nombreux groupes juifs, tant « socialistes » qu’ultrareligieux, ont participé à des manifestations pour la « Palestine libre », ajoute de l’eau au moulin de la droite par son incapacité congénitale à dénoncer le soutien au Hamas, et par conséquent la haine pure et simple des Juifs, inscrite dans son ADN. De plus, lorsque la droite insiste sur l’augmentation de l’antisémitisme depuis le 7 octobre, elle n’a pas besoin d’inventer quoi que ce soit, car il y a effectivement eu un nombre croissant d’attaques contre des Juifs en Europe et aux États-Unis, y compris les meurtres et tentatives de meurtre qui ont eu lieu en Amérique en mai (Washington DC) et juin (Boulder, Colorado) 2025. La droite et l’establishment sioniste exploitent alors ces événements à fond, les utilisant pour justifier une action plus impitoyable de la part de l’État israélien. Et cela contribue à son tour à la propagation de l’antisémitisme. En 1938, Trotsky avait averti que l’émigration juive vers la Palestine n’était pas une solution à la vague d’antisémitisme qui balayait l’Europe et qu’elle pouvait en fait devenir un « piège sanglant pour plusieurs centaines de milliers de Juifs[16]». Aujourd’hui, Israël a tout pour être un piège sanglant pour plusieurs millions de Juifs ; et en même temps, les politiques de plus en plus meurtrières menées pour sa « défense » ont créé une nouvelle forme d’antisémitisme qui rend tous les Juifs responsables des actions de l’État israélien.

Il s’agit là d’un véritable labyrinthe idéologique dont on ne peut sortir en suivant les mystifications de la droite pro-sioniste ou de la gauche antisioniste. La seule issue à ce labyrinthe est la défense sans compromis de la perspective prolétarienne internationaliste, fondée sur le rejet de toutes les formes de nationalisme et de tous les camps impérialistes.

Nous ne nous faisons aucune illusion sur la faiblesse de cette tradition au Moyen-Orient. La gauche communiste internationale, seul courant politique internationaliste cohérent, n’a jamais eu de présence organisée en Palestine, en Israël ou dans d’autres parties de la région. En Israël, par exemple, l’exemple le plus connu d’une tendance politique opposée aux principes fondateurs de l’État, le Matzpen trotskiste et ses diverses ramifications, considérait que son devoir internationaliste était de soutenir l’une ou l’autre des différentes organisations nationalistes palestiniennes, en particulier les versions les plus gauchistes comme le PDFLP. Nous avons clairement indiqué que le soutien à une forme « opposée » de nationalisme n’a rien à voir avec une véritable politique internationaliste, qui ne peut se fonder que sur la nécessité d’unifier la lutte des classes au-delà de toutes les divisions nationales.

Néanmoins, la fracture sociale existe en Israël, en Palestine et dans le reste du Moyen-Orient, comme dans tous les autres pays. Contre les gauchistes qui considèrent les travailleurs israéliens comme de simples colons, comme une élite privilégiée qui profite de l’oppression des Palestiniens, nous pouvons souligner que les travailleurs israéliens ont lancé de nombreuses grèves pour défendre leur niveau de vie –qui est continuellement érodé par les exigences d’une économie de guerre extrêmement gonflée– et souvent en défiant ouvertement l’Histadrout. La classe ouvrière israélienne a annoncé sa participation à la reprise internationale des luttes après 1968 : lors des grèves qui ont éclaté en 1969, elle a commencé à former des comités d’action en dehors du syndicat officiel. Les grèves ont été menées par les dockers d’Ashdod, qui ont été dénoncés dans la presse comme des agents du Fatah. En 1972, en réponse à la dévaluation de la livre israélienne et rejetant les appels de l’Histadrout à faire des sacrifices au nom de la défense nationale, les travailleurs ont manifesté pour obtenir des augmentations de salaire devant le siège du syndicat et ont livré des combats acharnés contre la police. La même année, en Égypte, notamment à Helwan, Port-Saïd et Choubra, une vague de grèves et de manifestations éclata en réaction à la hausse des prix et aux pénuries ; comme en Israël, cela conduisit rapidement à des affrontements avec la police et à de nombreuses arrestations. Comme en Israël, les travailleurs commencèrent à former leurs propres comités de grève en opposition aux syndicats officiels.

Dans le même temps, les étudiants de gauche et les nationalistes palestiniens qui ont commencé à participer aux manifestations ouvrières réclamant la libération des grévistes emprisonnés ont fait « des déclarations de soutien au mouvement de guérilla palestinien, exigeant la mise en place d’une économie de guerre (y compris un gel des salaires) et la formation d’une « milice populaire » pour défendre la « patrie « contre l’agression sioniste… Ces événements mettent en évidence l’antagonisme total entre les luttes de classe et les « guerres de libération nationale » à l’époque impérialiste[17]». En 2011, lors des manifestations et occupations de rue contre les coupes dans les aides sociales et le coût élevé de la vie, des slogans visant Netanyahu, Moubarak et Assad comme ennemis communs ont été scandés, tandis que d’autres soulignaient que les Arabes comme les Juifs souffraient du manque de logements décents. Des efforts ont également été faits pour développer des discussions qui transcendaient les divisions entre Juifs, Arabes et réfugiés africains[18]. En 2006, des milliers de fonctionnaires de Gaza se sont mis en grève pour protester contre le non-paiement des salaires par le Hamas.

Tous ces mouvements révèlent implicitement la nature internationale de la lutte des classes, même si ses manifestations dans cette région ont longtemps été profondément entravées par les haines alimentées par des cycles sans fin de terrorisme et de massacres, et par la volonté des différentes bourgeoisies de détourner et d’étouffer la moindre manifestation d’opposition à la violence intercommunautaire et à la guerre entre États. Récemment, à Gaza, nous avons assisté à des manifestations de rue appelant à la démission du Hamas et à la fin de la guerre. Très peu de temps après, il est apparu que le gouvernement israélien soutenait et même armait certains clans et factions à Gaza afin de prendre le contrôle de ces opinions anti-Hamas. En Israël, un nombre croissant de réservistes militaires ne se présentent pas à leur poste et certains d’entre eux ont lancé un appel expliquant pourquoi ils ne sont plus disposés à servir dans l’armée. Pour la première fois, de petites minorités remettent en question les objectifs de la guerre continue contre le Hamas, non seulement parce qu’elle réduit inévitablement les chances de libération des otages survivants, mais aussi en raison des terribles souffrances qu’elle inflige à la population palestinienne, sujet tabou dans le climat de traumatisme collectif créé par les événements du 7 octobre et leur manipulation délibérée par l’État israélien. Mais l’idéologie pacifiste qui domine le mouvement dissident israélien constituera un obstacle supplémentaire à l’émergence d’une opposition véritablement révolutionnaire à la guerre.

Néanmoins, ces prémices de remise en question des deux côtés du conflit montrent que les internationalistes ont du travail à faire pour encourager celui-ci à sortir de son enveloppe pacifiste et patriotique. Certes, nous ne pouvons espérer toucher que de très petites minorités pour l’instant, et nous comprenons que, compte tenu du niveau d’intoxication idéologique en Israël et en Palestine, les étapes les plus importantes vers une véritable rupture avec le nationalisme nécessiteront l’exemple, l’inspiration, de nouveaux degrés de lutte des classes dans les pays centraux du capitalisme.

Amos, August 2025


[1] Nashe Slovo , 4 février 1916. – Nashe Slovo (Notre Parole) était un quotidien dirigé par Trotski durant la Première guerre mondiale. (NdT)

[2] Voir la première partie de cet article dans Revue Internationale n°73, dans la sous partie « « Travailleurs de Sion » : la fusion impossible du marxisme et du sionisme »

[3] Nabi Musa est une fête musulmane qui, à cette époque (20 avril 1920), attirait de grandes foules à Jérusalem. Les émeutes empruntèrent un slogan « musulman « tel que « La religion de Mahomet a été fondée par l’épée ", parallèlement à celui privilégié par les pogromistes de nombreuses confessions : « Massacrez les Juifs ", qui se reflète aujourd’hui dans le cri de ralliement préféré des pogromistes juifs en Israël : « Mort aux Arabes ". (Voir Simon Sebag Montefiore, Jerusalem : The Biography, 2011)

[4] L’idéologie du groupe Stern était en fait un étrange mélange de fascisme et d’anti-impérialisme de gauche, une sorte de « bolchevisme national « qui se qualifiait volontiers de « terroriste « et était prêt à passer d’une alliance avec l’Allemagne nazie à une alliance avec la Russie stalinienne, tout cela dans le but de chasser les Britanniques de Palestine.

[5] Voir l’article en anglais The first intifada : when Palestine rose against the British,  [2]Socialist Workers (21/5/21)

[6] Voir en anglais sur notre site The SWP justifies Hamas slaughter [3], CCI (13/10/2023)

[7] Voir sur notre site Le conflit Juifs/Arabes : La position des internationalistes dans les années 1930, “Bilan” n°30 et 31, (1936) [4]

[8] Voir en anglais l’article Walter Auerbach on The Arab Revolt in Palestine [5], Walter Auerbach & Paul Mattick

[9] Voir l’article A propos du film « Le Pianiste » de Polanski. Nazisme et démocratie : tous coupables du massacre des juifs [6], Revue Internationale 113

[10] Memo pour l’Exécutif Sioniste, 17/12/1938, cité dans Le sionisme durant l’Holocauste, Greenstein (2022)

[11] Voir par exemple Eliezer Tauber, Deir Yassin : le massacre qui n’a jamais eu lieu. Menachim Begin, ancien terroriste de l’Irgoun et plus tard Premier ministre d’Israël, a également présenté Deir Yassin comme une conquête militaire tout à fait légitime. Il a nié qu’il s’agissait d’un massacre, mais a admis qu’après l’attaque, « la panique s’était emparée des Arabes d’Eretz Israël. Le village de Kolonia, qui avait auparavant repoussé toutes les attaques de la Haganah, a été évacué pendant la nuit et est tombé sans autre combat. Beit-Iksa a également été évacué. […] Dans le reste du pays également, les Arabes ont commencé à fuir dans la terreur, avant même d’entrer en conflit avec les forces juives. […] La légende de Deir Yassin nous a particulièrement aidés à sauver Tibériade et à conquérir Haïfa », Begin, The Revolt, 1977

[12] Il convient de souligner que l’intervention du village voisin de Givat Shaul, où vivait un groupe de juifs haredim (ultra-orthodoxes) qui entretenaient de bonnes relations avec les habitants de Deir Yassin, a joué un rôle déterminant dans l’arrêt des massacres. Lorsque les Haredim ont appris ce qui se passait à Deir Yassin, ils se sont précipités vers le village arabe, dénonçant les tireurs sionistes comme des voleurs et des meurtriers, et ont exigé – et semblent avoir obtenu – la fin immédiate du massacre. Il existe un fossé moral énorme entre cette intervention et les activités des « sionistes religieux » au sein du gouvernement israélien actuel.

[13] Les trotskistes « orthodoxes » qui publiaient Red Weekly (12 octobre 1973) affirmaient que dans cette guerre « les objectifs des classes dirigeantes arabes ne sont pas les mêmes que les nôtres », mais que « le soutien à l’effort de guerre égypto-syrien est obligatoire pour tous les socialistes » ; les précurseurs du SWP, les trotskistes moins orthodoxes d’International Socialism (n° 63), ont insisté sur le fait que, puisque Israël était le gendarme des États-Unis, « la lutte des armées arabes contre Israël est une lutte contre l’impérialisme occidental ». Voir La guerre israélo-arabe et les barbares sociaux de la « gauche » dans World Revolution n° 1.

[14] Voir en anglais sur notre site The SWP justifies Hamas slaughter [3], CCI (13/10/2023), citant l’aricle Arm yourselves with the arguments: why it’s right to back the Palestinian resistance [7] / [7]

[15] Studies in historic Materialism [8]

[16] Leon Trotsky On the Jewish Problem [9]

[17] World Revolution 3, “Class struggle in the Middle East”.

[18] Révoltes sociales en Israël : “Moubarak, Assad, Netanyahou : tous pareils !” [10],

Conscience et organisation: 

  • Courant Communiste International [11]

Personnages: 

  • Lénine [12]
  • Rosa Luxemburg [13]
  • Trotsky [14]
  • Théodore Herzl [15]
  • Chaim Weizmann [16]
  • Vladimir Jabotinsky [17]
  • Benito Mussolini [18]
  • Abraham Stern [19]
  • Theodor Herzl [20]
  • Nathan Weinstock [21]
  • Amin Al Husseini [22]
  • Adolphe Hitler [23]
  • Paul Mattick [24]
  • Amedeo Bordiga [25]
  • Bordiga [26]
  • Ben Gourion [27]
  • Folke Bernadotte [28]
  • Ilan Pappe [29]
  • Benny Morris [30]
  • Eliezer Tauber [31]
  • Menahem Begin [32]
  • Ariel Sharon [33]
  • Benyamin Netanyahou [34]
  • Saddam Hussein [35]
  • Hassan Nasrallah [36]
  • Yasser Arafat [37]
  • George Habash [38]
  • Mao Zedong [39]
  • Emmanuel Macron [40]
  • Keir Starmer [41]
  • Donald Trump [42]

Courants politiques: 

  • TCI / BIPR [43]
  • Trotskysme [44]

Questions théoriques: 

  • Nationalisme [45]
  • Impérialisme [46]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La question nationale [47]

Rubrique: 

Campagnes idéologiques

Comment expliquer le chaos de la politique bourgeoise ?

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Nous assistons actuellement à une accélération de l'histoire. Il ne se passe pas un jour sans qu'un événement nouveau, souvent sans précédent et largement imprédictible, ne se produise sur la scène internationale. Évoquons quelques événements récents : qui aurait pu prédire la réélection de Trump après sa tentative de coup d'État en janvier 2021 ? Qui aurait même imaginé qu'une telle tentative de coup d'État puisse avoir lieu aux États-Unis ? Que dire du divorce entre les États-Unis et l'Europe, avec la politique des droits de douane comme arme de chantage, après des décennies de coopération étroite entre ces pays ? Que dire de la politique d'annexion, pratiquée non seulement par Poutine en Ukraine, mais aussi revendiquée par Netanyahou envers les territoires palestiniens ou encore Trump envers le Canada, le Groenland et le canal de Panama ? Et il y a aussi les scénarios de guerres interminables et barbares (Ukraine, Gaza, Yémen, Soudan…) qui se sont multipliés, alors même que Bush père avait annoncé en 1989, après la chute du mur de Berlin, l’avènement d'une « nouvelle ère de paix » et d'un « nouvel ordre mondial » ?

Nous pouvons tous convenir du choc provoqué par l'ampleur et l'imprévisibilité de nombreux événements qui ont dominé l'actualité ces derniers temps. Nous sommes tous également d’accord pour dénoncer la période de barbarie dans laquelle nous entrons de plus en plus. Mais si nous ne voulons pas être de simples sujets passifs d'un système pourri qui remet de plus en plus en question notre avenir, nous devons fournir un effort pour comprendre son évolution, sa dynamique interne et l'origine de ces événements. À cette fin, cet article veut montrer comment les phénomènes dont nous sommes témoins quotidiennement sont l'expression et le résultat d'un processus de désagrégation de l'appareil politique de la bourgeoisie, qui opère au niveau international et qui a débuté à la fin du siècle dernier.

Une expression majeure de celui-ci fut l’effondrement de l'ancien bloc « soviétique », suivi de la désagrégation progressive du bloc occidental.

La bourgeoisie, une classe qui a accumulé une longue expérience dans la gouvernance de la société

Le prolétariat, la classe révolutionnaire de notre époque, s’il doit élaborer un projet concret de société future pour développer sa lutte historique pour le communisme, ne dispose que de deux outils pour y parvenir : son unité et sa conscience. Par contre, la bourgeoisie, la classe qui détient actuellement le pouvoir, n'a pas eu besoin de développer une grande conscience et de grands projets pour prendre le pouvoir politique, car le développement même de l'économie capitaliste lui a donné les bases matérielles pour s'imposer politiquement. En tant que classe dominante dans la société et classe exploiteuse, la bourgeoisie est incapable d’imaginer un avenir au-delà de la société capitaliste, de sorte que sa conception du monde est fondamentalement statique et conservatrice. Cela a des conséquences sur l'idéologie bourgeoise et son incapacité à comprendre le cours de l'histoire, car elle n’envisage pas que le présent soit quelque chose d'éphémère, en constante évolution. Elle est donc incapable de faire des plans à long terme et de voir au-delà de son propre mode de production. La différence entre la conscience de classe révolutionnaire du prolétariat et la « fausse conscience » de la bourgeoisie n'est donc pas seulement une question de degré c'est une différence de nature.

Mais cela ne signifie pas que la bourgeoisie est incapable d’appréhender la réalité et de s'appuyer sur son expérience passée pour développer des outils lui permettant d’assurer sa domination. En effet, contrairement au prolétariat qui, bien qu'étant une classe historique, n’affirme pas de façon continue sa présence politique dans la société et se trouve soumis à toutes les fluctuations politiques des différents événements, avec des moments de lutte ouverte et d'autres de reflux, la bourgeoisie a l'avantage d'être la classe dominante qui détient le pouvoir et peut donc  disposer de tous les moyens  nécessaires pour survivre le plus longtemps possible.

Certaines bourgeoisies, comme la bourgeoisie anglaise, ont accumulé plusieurs siècles d'expérience dans la lutte contre le pouvoir féodal précédent, puis contre celui d'autres pays, ainsi que contre le prolétariat lui-même. Cette expérience a été utilisée intelligemment par les différentes bourgeoisies dans la gestion de leur pouvoir politique, en particulier depuis l’aube de la phase de décadence au début du XXe siècle, lorsque la crise historique du capitalisme a commencé à remettre en question la  survie du système. Il est important que le prolétariat comprenne que la politique de la bourgeoisie en cette période de décadence, indépendamment des décisions de tel ou tel gouvernement, consiste toujours à défendre les intérêts de l’ensemble de la classe dominante.

Le jeu politique de l’alternance des gouvernements de droite et de gauche

Le contrôle démocratique de la société

Comme la société capitaliste est fondée sur l'exploitation d'une classe par une autre, de la classe ouvrière par la bourgeoisie, cette dernière a besoin, pour perpétuer aussi longtemps que possible son contrôle sur la société, de cacher cette vérité et de présenter les choses non pas telles qu'elles sont, mais de manière déformée, en basant son idéologie sur le mythe de l’« égalité entre les citoyens »,  en faisant croire, par exemple, que nous sommes tous égaux, que chacun façonne son propre destin et que, si quelqu'un a des problèmes, c'est qu'il les a créés lui-même en ne faisant pas les bons choix.

L’outil le plus efficace de la bourgeoisie pour gouverner un pays et assurer sa domination de classe est donc la mystification démocratique, un système qui donne aux gens l'illusion qu'ils jouent un rôle politique en tant qu'individus et qu'ils comptent dans la société, qu'ils peuvent même aspirer à des postes de direction. Si aujourd'hui la bourgeoisie entretient à grands frais tout un appareil politique pour la surveillance et la mystification du prolétariat (parlement, partis, syndicats, associations diverses, etc.) et établit un contrôle absolu sur tous les médias (presse, radio, télévision), c'est parce que la propagande est une arme essentielle de la bourgeoisie pour assurer sa domination. Les consultations démocratiques telles que les élections, les référendums, etc., sont les outils pratiques utilisés par la bourgeoisie pour obtenir du peuple soi-disant « souverain », considéré de manière mystificatrice comme maître de son propre destin, le mandat de décider du sort de la société.

Amadeo Bordiga nous donne une brillante description de ce mécanisme : « Notre critique d'une telle méthode doit être beaucoup plus sévère lorsqu'elle est appliquée à l'ensemble de la société telle qu'elle est aujourd'hui, ou à des nations données, que lorsqu'elle est introduite dans des organisations beaucoup plus restreintes, telles que les syndicats et les partis. Dans le premier cas, elle doit être rejetée sans hésitation comme étant sans fondement, car elle ne tient pas compte de la situation des individus dans l'économie et présuppose la perfection intrinsèque du système sans prendre en considération l'évolution historique de la collectivité à laquelle elle s'applique. […] C'est officiellement ce que prétend être la démocratie politique, alors qu'en réalité, c'est la forme qui convient au pouvoir de la classe capitaliste, à la dictature de cette classe particulière, dans le but de préserver ses privilèges.

Il n'est donc pas nécessaire de consacrer beaucoup de temps à réfuter l'erreur qui consiste à attribuer le même degré d'indépendance et de maturité au « vote » de chaque électeur, qu'il s'agisse d'un travailleur épuisé par un travail physique excessif ou d'un riche débauché, d'un capitaine d'industrie avisé ou d'un prolétaire malheureux ignorant les causes de sa misère et les moyens d'y remédier. De temps à autre, après de longs intervalles, l'opinion de ceux-ci et d'autres est sollicitée, et on prétend que l'accomplissement de ce devoir « souverain » suffit à assurer le calme et l'obéissance de ceux qui se sentent victimes et maltraités par les politiques et l'administration de l'État »[1].

Le bipartisme classique gauche/droite et le jeu des alternances

La bourgeoisie a exercé ce pouvoir de contrôle pendant longtemps, tant qu'elle en a été capable, en orientant, par exemple, le vote populaire dans un sens ou dans un autre selon ses souhaits, en finançant les différents canaux de propagande politique. Ce jeu a été joué de manière particulièrement sophistiquée au siècle dernier dans des pays comme la France, l'Italie, l'Allemagne, les États-Unis et d'autres, où il existait historiquement des factions de droite et de gauche, au moyen d’une alternance de gouvernements de droite et de gauche.

Pour bien comprendre ce point, nous pouvons nous référer à ce que nous avons écrit dans un article précédent en 1982 : « au niveau de sa propre organisation pour survivre, pour se défendre, la bourgeoisie a montré une capacité immense de développement des techniques de contrôle économique et social bien au-delà des rêves de la classe dominante du XIXe siè­cle. En ce sens, la bourgeoisie est devenue "intelligente" face à la crise historique de son systè­me socio-économique. [...]

Dans le contexte du capitalisme d'État, les différences qui séparent les partis bourgeois ne sont rien en comparaison de ce qu'ils ont en com­mun. Tous partent d'une prémisse générale selon laquelle les intérêts du capital national sont supérieurs à tous les autres. Cette prémisse fait que les différentes fractions du capital national sont capables de travailler très étroitement en­semble, surtout derrière les portes fermées des commissions parlementaires et aux plus hauts échelons de l'appareil d'État. […]

Par rapport au prolétariat, l'État peut utili­ser différentes branches de son appareil dans une division du travail cohérente : même dans une seule grève, les ouvriers peuvent avoir à faire fa­ce à une combinaison des syndicats, de la propagande et des campagnes de presse et de télévision avec leurs différentes nuances et de celles des différents partis politiques, de la police, des services sociaux, et parfois de l'armée. Comprendre que ces différentes parties de l’État agissent de façon concertée ne veut pas dire que chacune d'en­tre-elles est consciente de tout le cadre général au sein duquel elle accomplit ses tâches et sa fonction ».[2]

Le prolétariat étant le plus grand ennemi de la bourgeoisie, cette dernière recourt à la ruse, en particulier dans les phases de reprise de la lutte des classes, pour piéger idéologiquement la classe exploitée. Un exemple typique et particulièrement intéressant est celui de l'Italie après la Seconde Guerre mondiale. L'Italie avait alors le Parti Communiste Italien (PCI)[3], un parti stalinien lié à l'Union soviétique, mais qui bénéficiait encore d'un fort soutien parmi les ouvriers. Dans le même temps, l'Italie, conformément aux blocs impérialistes établis à la suite des accords de la conférence de Yalta de 1945, se trouvait dans la sphère d'influence des États-Unis. En conséquence, la bourgeoisie italienne, fortement mise sous pression par la bourgeoisie américaine, a utilisé toutes ses ressources pendant plus de 40 ans, principalement à travers la Démocratie Chrétienne (DC), le parti démocrate-chrétien dominant, pour maintenir son contrôle sur le pays et garantir un alignement  sur la politique étrangère américaine, qui visait à maintenir les partis prosoviétiques tels que le PCI hors du gouvernement.

Mais, Mai 68 en France et l'automne chaud de 69 en Italie ont rendu le climat social explosif et contraint la bourgeoisie à prendre des mesures pour contenir la tempête sociale. Ainsi, les partis de gauche et les syndicats se sont radicalisés, avec des slogans tendant à rassembler, mais seulement en paroles, les revendications venant de la base. Dans le même temps, toute une campagne a été lancée, orchestrée par les partis de gauche et rendue crédible par les réactions des partis du centre et de droite, selon laquelle il serait possible, grâce à un effort de la base, de rattraper et de dépasser la Démocratie Chrétienne lors des élections et d'imposer enfin un gouvernement de gauche avec le PCI. C'est dans les années 1960, et surtout dans les années 1970, que s'est déroulée cette course qui a en partie servi à tromper le prolétariat, en Italie mais pas seulement là, en lui faisant croire qu'il suffisait d'atteindre la majorité électorale pour que les promesses électorales se réalisent.

En fait, le PCI n'est jamais arrivé au gouvernement[4] en raison d'un veto américain explicite, mais avec la composition politique variée de l'Italie à l'époque, il était possible, selon les circonstances, de former des gouvernements de centre-gauche avec la présence du Parti socialiste italien (PSI), et même des gouvernements soutenus par le PCI. C'est ainsi qu'a commencé la période de la gauche « au pouvoir » dans bon nombre de pays, une puissante mystification visant à canaliser l'aspiration des masses de l'époque vers l'impasse du parlementarisme bourgeois.

Mais maintenir la gauche au pouvoir, alors que les conditions objectives ne permettent pas à cette gauche (ni, d'ailleurs, à aucune autre faction de la bourgeoisie) de satisfaire les besoins du prolétariat, n'est pas la meilleure politique à suivre, ou, du moins, elle ne peut être appliquée trop longtemps sans discréditer cette importante faction de la bourgeoisie. C'est pourquoi, dans les années 1970 et 1980, nous avons assisté à l'alternance de gouvernements de droite et de gauche dans divers pays du monde, en fonction de l'intensité des luttes ouvrières en cours. La politique consistant à maintenir la gauche dans l'opposition s'est avérée particulièrement efficace, car elle a permis aux différents partis bourgeois de gauche et aux syndicats eux-mêmes de se radicaliser et de dénoncer les mesures gouvernementales sans crainte d'avoir à mettre en œuvre ce qu'ils réclamaient dans les manifestations et au parlement.

La chute du mur de Berlin

Pourquoi cet événement historique et quels changements

Le processus qui a conduit à la fin des blocs impérialistes et au début d'une ère de chaos était le produit d’une impasse de la lutte de classe entre la bourgeoisie et le prolétariat. Cette impasse était due, d'une part, à l'incapacité de la classe ouvrière à politiser suffisamment ses luttes tout au long des années 1980 en leur imprimant une dynamique révolutionnaire ; d'autre part, la bourgeoisie elle-même, confrontée à l’aggravation de la crise économique, n’a pas réussi à orienter la  société vers une nouvelle guerre impérialiste, comme cela avait été le cas notamment avant la Seconde Guerre mondiale. Dans les années 1930, grâce à l'arme idéologique de l'antifascisme, la bourgeoisie avait réussi à enrôler le prolétariat derrière ses objectifs bellicistes. Mais à la fin des années 1980, le prolétariat n’était pas politiquement vaincu.

C'est l’approfondissement de cette impasse qui a épuisé le leader du bloc impérialiste le plus faible, l'Union « soviétique », dans l'effort de guerre de la guerre froide, provoquant ainsi l’implosion du bloc[5]. Écrasé sous le poids de la crise du système, à laquelle il était incapable de répondre par des mesures économiques et politiques à la hauteur de la situation, le bloc impérialiste « soviétique » s'est effondré en mille morceaux. Le bloc américain rival s'est ainsi retrouvé sans ennemi commun à surveiller et contre lequel se défendre. Cela a mené lentement mais sûrement à une tendance croissante parmi les différentes puissances occidentales à se détacher de la protection américaine et à s'engager sur une voie indépendante et même à une contestation croissante du « chef » de bloc.

Naturellement, les États-Unis ont tenté de contrer cette dérive, qui remettait en question leur leadership et leur rôle de superpuissance, par exemple en essayant d'impliquer derrière eux les puissances européennes dans une épreuve de force contre l'Irak de Saddam Hussein, déclenchant la première guerre du Golfe de 1990-1991[6]. Bien qu'à contrecœur, pas moins de 34 pays différents, dont les principaux pays européens, d'Amérique du Nord et du Sud, du Moyen-Orient, etc., se sont soumis, par contrainte, à la volonté américaine en participant à une guerre provoquée par les États-Unis eux-mêmes.

Mais lorsque, avec la deuxième guerre du Golfe en mars 2003, les États-Unis ont une nouvelle fois cherché à démontrer qu'ils détenaient les clés du contrôle de la situation mondiale, en inventant l'histoire selon laquelle Saddam Hussein possédait des « armes de destruction massive », beaucoup moins de pays ont rejoint  la coalition et, surtout, des pays du poids de la France et de l'Allemagne, cette fois-ci, s'y sont opposés fermement dès le début et n'y ont pas participé.

En parallèle, il faut se souvenir des guerres dans les Balkans, qui ont touché l'ex-Yougoslavie, un pays exsangue après une séparation sanglante en sept nouveaux pays et où les intérêts divergents des anciens alliés du bloc occidental sont devenus encore plus évidents. Au début des années 1990, le gouvernement du chancelier Helmut Kohl, qui poussait et soutenait l'indépendance de la Croatie et de la Slovénie afin de donner à l'Allemagne un accès à la Méditerranée, s'est directement opposé à la puissance américaine, mais aussi aux intérêts de la France et du Royaume-Uni. Cela a conduit à une série de guerres en Croatie, en Bosnie-Herzégovine et enfin au Kosovo qui se sont succédé jusqu'à la fin du siècle avec une grande versatilité dans les « ententes » impérialistes.

La crise de la social-démocratie, l'effondrement des PC et la crise du gauchisme

Le nouveau scénario international créé par l'éclatement des blocs qui, comme déjà mentionné, marque le début de ce que nous appelons la phase de décomposition, la phase finale de la décadence du capitalisme, ne pouvait manquer d'avoir des conséquences sur la politique intérieure et sur le rôle et l'importance relative des différents partis.

D'une part, la disparition des blocs signifiait qu'il n'était plus nécessaire de maintenir les mêmes alliances gouvernementales que par le passé. Cela a parfois conduit à la nécessité de démanteler, par tous les moyens possibles, l'ancienne alliance politique qui avait guidé la formation des différents gouvernements. Une fois encore, l'Italie en est un excellent exemple : après avoir été longtemps contrôlée, pour le compte des Américains, par un conglomérat de forces comprenant des partis politiques (la DC au centre), la mafia sicilienne, la franc-maçonnerie (P2) et les services secrets, la tentative de la partie de la bourgeoisie italienne qui aspirait à jouer un rôle plus autonome et à se libérer de ce contrôle, après la chute du mur de Berlin, s'est heurtée à une résistance énorme de la part de cette alliance, conduisant à une série d'assassinats de politiciens et de magistrats, d'attentats à la bombe, etc.[7]

D'autre part, le déclin significatif de la combativité et, surtout, de la conscience de la classe ouvrière causé par la chute de l'Union soviétique, qui jusqu'alors était faussement présentée par les médias comme la patrie du socialisme, a conduit à une crise des partis de gauche, lesquels n'étaient alors plus indispensables, du moins avec l’importance qu’ils avaient acquise, pour contenir une pression ouvrière qui avait été fortement réduite. Cela a entraîné un profond changement politique dans divers pays et la fin de l'alternance droite/gauche.

Le poids de la décomposition sur l’appareil politique de la bourgeoisie

Si l'on considère les caractéristiques essentielles de la décomposition telle qu'elle se manifeste aujourd'hui, on constate qu'elles ont toutes un élément commun, à savoir le manque de perspective pour la société, de façon particulièrement évidente en ce qui concerne la bourgeoisie sur le plan politique et idéologique. Cela détermine par conséquent une incapacité des différentes formations politiques à proposer des projets à long terme, cohérents et réalistes.

C'est ainsi que nous avons caractérisé la situation dans nos « Thèses sur la décomposition » : « Parmi les caractéristiques majeures de la décomposition de la société capitaliste, il faut souligner la difficulté croissante de la bourgeoisie à contrôler l'évolution de la situation sur le plan politique. A la base de ce phénomène, on trouve évidemment la perte de contrôle toujours plus grande de la classe dominante sur son appareil économique, lequel constitue l'infrastructure de la société. L'impasse historique dans laquelle se trouve enfermé le mode de production capitaliste, les échecs successifs des différentes politiques menées par la bourgeoisie, la fuite en avant permanente dans l'endettement généralisé au moyen de laquelle se survit l'économie mondiale, tous ces éléments ne peuvent que se répercuter sur un appareil politique incapable, pour sa part, d'imposer à la société, et particulièrement à la classe ouvrière, la "discipline" et l'adhésion requises pour mobiliser toutes les forces et les énergie vers la guerre mondiale, seule "réponse" historique que la bourgeoisie puisse offrir. L'absence d'une perspective (exceptée celle de "sauver les meubles" de son économie au jour le jour) vers laquelle elle puisse se mobiliser comme classe, et alors que le prolétariat ne constitue pas encore une menace pour sa survie, détermine au sein de la classe dominante, et particulièrement de son appareil politique, une tendance croissante à l'indiscipline et au sauve-qui-peut. C'est ce phénomène qui permet en particulier d'expliquer l'effondrement du stalinisme et de l'ensemble du bloc impérialiste de l'Est. Cet effondrement, en effet, est globalement une des conséquences de la crise mondiale du capitalisme; il ne peut non plus s'analyser sans prendre en compte les spécificités que les circonstances historiques de leur apparition ont conférées aux régimes staliniens (voir les "Thèses sur la crise économique et politique en URSS et dans les pays de l'Est", Revue internationale, n°60 […]

Cette tendance générale à la perte de contrôle par la bourgeoisie de la conduite de sa politique, si elle constitue un des facteurs de premier plan de l'effondrement du bloc de l'Est, ne pourra que se trouver encore accentuée avec cet effondrement, du fait :

  • de l'aggravation de la crise économique qui résulte de ce dernier;
  • de la dislocation du bloc occidental que suppose la disparition de son rival;
  • de l'exacerbation des rivalités particulières qu'entraînera entre différents secteurs de la bourgeoisie (notamment entre fractions nationales, mais aussi entre cliques au sein d'un même État national) l'éloignement momentané de la perspective de la guerre mondiale ».[8]

Le déclin des partis bourgeois traditionnels a créé un certain vide politique au niveau international, tant à droite qu'à gauche. De plus, un contexte dans lequel il n'y avait plus de directives venant d'en haut a commencé à favoriser l'entrée sur la scène politique d'aventuriers et de magnats financiers sans expérience politique, mais désireux de régler les choses à leur manière. Cela a marqué le début d'une dérive dans le paysage politique national des différents pays, que nous tenterons de décrire ci-dessous.

Instabilité et fragmentation croissante au niveau de l’appareil politique

Cette accélération de la crise du système à tous les niveaux se manifeste de différentes manières. Le problème fondamental est la perte de contrôle de la bourgeoisie sur la dynamique politique du pays. Cela se traduit à la fois par son incapacité à orienter les choix électoraux de la population vers l'équipe gouvernementale la plus appropriée à la situation, comme elle le faisait dans le passé, et par sa difficulté à formuler des stratégies valables pour contenir (sans parler de surmonter) la crise du système. En bref, la bourgeoisie manque de plus en plus de la « tête pensante » qui, dans le passé, lui avait permis d'atténuer les difficultés sur son chemin.

Cela a pour premier effet une perte de cohésion au sein de la bourgeoisie qui, sans plan global commun, est incapable de maintenir l’unité de ses différentes composantes. Cela conduit à une tendance au « chacun pour soi », avec une difficulté croissante à créer des alliances stables. Cela est évident au niveau des différents pays, où il est de plus en plus difficile de former des gouvernements stables en raison de résultats électoraux de plus en plus imprévisibles.

En France, après le succès de la coalition populiste de Marine Le Pen aux élections européennes, Macron a surpris tout le monde en annonçant la dissolution de l'Assemblée nationale et en convoquant de nouvelles élections législatives. Cependant, le résultat a été un Parlement ingérable, divisé en trois blocs à peu près égaux : la gauche (très fragilement et momentanément regroupée par opportunisme électoral), le centre macroniste et l'extrême droite. Après des mois d'impasse institutionnelle, un gouvernement de centre-droit a été formé, ciblé par le vote d’une motion de censure du Parlement après seulement trois mois. Par la suite, le gouvernement centriste de Bayrou a été formé, un gouvernement minoritaire et donc totalement précaire. Au moment où nous écrivons ces lignes, Bayrou a été renversé, et la présidence même de Macron est mise en question par une bonne partie de l’électorat.

En Grande-Bretagne également, la politique bourgeoise est marquée par une grande instabilité, avec cinq nouveaux gouvernements en sept ans. Et les perspectives de l'actuel gouvernement Starmer se sont assombries depuis la victoire du Parti travailliste aux élections de l'année dernière avec 34% des voix, puisque son soutien a chuté à 23%, tandis que Reform UK, le parti populiste nationaliste dirigé par Nigel Farage, est le plus populaire, selon les derniers sondages, avec 29%.

En Allemagne, après la chute du gouvernement d'Olaf Scholz, formé par la SPD, les Verts et les Libéraux et défini par l'institut Infratest dimap[9] comme « le plus impopulaire de l'histoire allemande »[10], le nouveau gouvernement de Friedrich Merz, soutenu par une coalition entre la CDU et le SPD, perd déjà du terrain selon les derniers sondages, tandis que l'AfD, parti populiste nationaliste, progresse et ne serait plus qu'à 3 points derrière la CDU.

Le gouvernement espagnol de Pedro Sánchez, fondé sur une alliance entre le PS et plusieurs partis régionaux catalans et basques, a été formé et se maintient grâce à des concessions historiques, telles que la loi d'amnistie pour les dirigeants du mouvement indépendantiste impliqués dans l'organisation du référendum illégal sur l'indépendance de la Catalogne qui s'est tenu en 2017. Un gouvernement qui est donc soutenu par le chantage politique d'un parti sur l'autre.

Nous avons cité des exemples provenant des pays les plus puissants d'Europe (mais des situations similaires existent également en Autriche, aux Pays-Bas et en Pologne, entre autres) car, par rapport aux gouvernements qui existaient dans ces mêmes pays dans un passé pas si lointain, les gouvernements actuels font pâle figure. Par exemple, Willy Brandt en Allemagne, promoteur de l'Ostpolitik et lauréat du prix Nobel de la paix en 1971, a été chancelier de 1969 à 1974 ; Angela Merkel, considérée comme l'une des femmes les plus puissantes du monde, a occupé ce poste de 2005 à 2021 (soit 15 années complètes !) ; ou encore Margaret Thatcher, surnommée la Dame de fer, qui a marqué de son empreinte une longue période d'influence politique, a été Première ministre britannique de mai 1979 à novembre 1990, soit 11 années ! Cette comparaison nous fait comprendre à quel point la situation actuelle est fragile, volatile et précaire.

Mais la même fragmentation est évidente au niveau international, où le Brexit[11], décidé par le référendum consultatif de 2016, puis l'opération « droits de douane » de Trump[12] cette année, pour ne citer que quelques exemples majeurs, ont marqué, l'un après l'autre, des moments importants de rupture dans les collaborations internationales antérieures entre les États.

L'ascension et la chute des écologistes, produit de la décomposition

Dans un contexte où le communisme était considéré comme un échec, où la classe ouvrière ne manifestait plus dans les rues comme auparavant, mais où la pression économique demeurait et où les catastrophes environnementales se multipliaient, des mouvements écologistes de toutes sortes ont commencé à voir le jour partout dans le monde. Les premiers sont apparus dans les années 1970 et 1980 et se sont répandus et développés dans divers pays, défendant non seulement le respect de la nature, mais aussi le rejet du militarisme et de la guerre.

Malheureusement, le fait de considérer les problèmes environnementaux de manière isolée et non comme une manifestation de la manière dont le capitalisme détruit la nature, en particulier dans sa phase de décadence, a conduit les individus qui protestaient contre ces problèmes à croire que les choses pouvaient être résolues dans le cadre du système existant et à rejoindre de nouvelles paroisses bourgeoises, chacune avec son propre leader cherchant un espace politique où s'exprimer.

Cependant, ces mouvements sont restés très minoritaires, même lorsqu'ils ont cherché à se mesurer électoralement, et se sont révélés éphémères. Cela s'explique par le fait que ces mouvements sont souvent nés et ont lutté pour des causes environnementales spécifiques : opposition à la construction d'un barrage ou d’une centrale nucléaire, à la pollution causée par de grandes industries, etc. Par conséquent, une fois que l'attention s'est détournée de la question spécifique, le mouvement d'opinion relatif à celle-ci a également arrêté son soutien.

Cependant, dans certains pays, comme l'Allemagne ou la Belgique, les partis politiques « verts » ont réussi à « percer » et même à entrer au gouvernement. Fondés sous l'impulsion de certaines personnalités, dont Daniel Cohn-Bendit, leader du mouvement étudiant de 1968 en France, les Verts allemands ont connu une croissance constante depuis le début des années 1980, remportant 27 sièges (5,6%) au Bundestag en 1983 et la victoire aux élections régionales en Hesse en 1985, où Joschka Fischer, autre leader du mouvement, a été nommé ministre de l'Environnement. Le discrédit des autres partis traditionnels a naturellement favorisé la croissance de « nouveaux venus » tels que les Verts en Allemagne. Mais le problème est que, comme nous avons essayé de le développer ci-dessus, gouverner un pays n'est pas une tâche aisée. Il est vrai que la bourgeoisie a accumulé une riche expérience, mais celle-ci ne peut être facilement et immédiatement transférée à un parti nouvellement formé. D'autre part, les Verts allemands se sont immédiatement avérés n’être que des politiciens bourgeois comme les autres. Après avoir présenté un programme électoral de façade en 1980 qui parlait même de « démanteler » l'armée allemande et d'initier la « dissolution » d'alliances militaires telles que l'OTAN et le Pacte de Varsovie, en 1999, pour la première fois, elle avait déjà renoncé à son pacifisme, quand Joschka Fischer défendait l'envoi d'avions de l’OTAN pour bombarder la Serbie. La même situation s'est répétée quand le programme électoral des élections de 2021  s'opposait à l'envoi d'armes dans les zones de guerre et appelait à une « nouvelle impulsion en faveur du désarmement », priorités qui ont ensuite été incluses dans l'accord de coalition sur lequel le gouvernement Scholz a été formé. Ils ont ensuite opéré un revirement conforme à leur nature bourgeoise, grâce au travail du vice-chancelier et ministre de l'Économie et du Climat Robert Habeck et de la ministre des Affaires étrangères Annalena Baerbock, les deux membres les plus éminents du Parti vert dans le cabinet d'Olaf Scholz. Tous deux ont réussi à tirer la veste du chancelier pour le pousser à envoyer des armes lourdes en Ukraine. La réponse de Habeck à Kiel aux manifestants qui l'avaient qualifié de « belliciste » était significative : « Dans cette situation, où les gens défendent leur vie, leur démocratie et leur liberté, l'Allemagne et les Verts doivent être prêts à affronter la réalité »[13].

Le pourrissement de l'appareil politique bourgeois

La montée de l'extrême droite et le renforcement du populisme

Un phénomène marquant qui s'est produit au cours des dernières décennies est le développement rapide de mouvements populistes et aussi, dans leur sillage, de partis d'extrême-droite. Si l'on examine rapidement les formations gouvernementales actuelles dans le monde, on constate, par exemple, qu'en Europe, sept pays, dont l’Italie, les Pays-Bas, la Suède, ou la Finlande ont déjà mis en place une majorité gouvernementale comportant une composante populiste importante, tandis que dans d'autres cas, comme en France, en Allemagne ou en Grande-Bretagne, la mouvance populiste a obtenu une représentation politique considérable ou un succès retentissant (le « Brexit »). Le phénomène prend encore de l’ampleur au point que certains de ses représentants occupent des postes ministériels importants, en Italie ou aux Pays-Bas par exemple.  En Amérique du Sud avec Bolsonaro au Brésil et avec Milei en Argentine, ou en Asie avec Modi en Inde, un populiste a été élu à la tête de l’État. Enfin et surtout, aux États-Unis, le pays le plus puissant du monde, un aventurier populiste, à la tête du mouvement MAGA (« Make America Great Again ») s’est imposé pour un second mandat à la tête de l’État fédéral.

La tendance au « vandalisme » politique de ces mouvements, qui se concrétise à travers le rejet des « élites », le rejet des étrangers, la quête du bouc-émissaire, le repli sur la communauté autochtone, le complotisme, la croyance dans l’homme fort et providentiel, etc., est d’abord et avant tout le produit des miasmes et de la putréfaction idéologique véhiculée par l’absence de perspective de la société capitaliste[14], dont la classe capitaliste est affectée en premier lieu.

Mais la percée et le développement du populisme dans la vie politique de la bourgeoisie a été déterminée surtout par une des manifestations majeures de la décomposition de la société capitaliste : la difficulté croissante de la bourgeoisie à contrôler l’évolution de la situation sur le plan politique, à travers ses partis les plus « expérimentés » qui ont perdu non seulement leur crédibilité, mais aussi leur capacité à gérer et contrôler la situation au niveau politique : « Le retour de Trump est une expression classique de l'échec politique des factions de la classe dirigeante qui ont une compréhension plus lucide des besoins du capital national ; c'est donc une expression claire d'une perte plus générale de contrôle politique par la bourgeoisie américaine, mais il s'agit d'une tendance mondiale et il est particulièrement significatif que la vague populiste ait un impact dans d'autres pays centraux du capitalisme : nous avons ainsi vu la montée de l'AfD en Allemagne, du RN de Le Pen en France, et du Reform Party au Royaume-Uni. Le populisme est l'expression d'une faction de la bourgeoisie, mais ses politiques incohérentes et contradictoires expriment un nihilisme et une irrationalité croissants qui ne servent pas les intérêts généraux du capital national. Le cas de la Grande-Bretagne, qui a été dirigée par l'une des bourgeoisies les plus intelligentes et les plus expérimentées, et qui s'est tirée une balle dans le pied avec le Brexit en est un exemple clair. Les politiques intérieure et extérieure de Trump ne seront pas moins dommageables pour le capitalisme américain : au niveau de la politique extérieure, en alimentant les conflits avec ses anciens alliés tout en courtisant ses ennemis traditionnels, mais aussi au niveau intérieur, par l'impact de son "programme" économique autodestructeur. Surtout, la campagne de vengeance contre l'"État profond" et les "élites libérales", le ciblage des groupes minoritaires et la "guerre contre les femmes" susciteront des affrontements entre factions de la classe dirigeante qui pourraient prendre un caractère extrêmement violent dans un pays où une énorme proportion de la population possède des armes ; l'assaut contre le Capitole le 6 janvier 2021 ferait pâle figure en comparaison. Et l'on peut déjà voir, à l'état embryonnaire, les prémices d'une réaction d'une partie de la bourgeoisie qui a le plus à perdre de la politique de Trump (par exemple, l'État de Californie, l'Université de Harvard, etc.). De tels conflits portent la menace d'entraîner la population dans son ensemble et représentent un danger extrême pour la classe ouvrière, ses efforts pour défendre ses intérêts de classe et forger son unité contre toutes les divisions qui lui sont infligées par la désintégration de la société bourgeoise. Les récentes manifestations "Hands Off" organisées par l'aile gauche du Parti démocrate sont un exemple clair de ce danger, puisqu'elles ont réussi à canaliser certains secteurs et revendications de la classe ouvrière dans une défense globale de la démocratie contre la dictature de Trump et consorts. Encore une fois, si ces conflits internes peuvent être particulièrement aigus aux États-Unis, ils sont le produit d'un processus beaucoup plus large. Le capitalisme décadent s'est longtemps appuyé sur l'appareil d'État pour empêcher de tels antagonismes de déchirer la société, et dans la phase de décomposition, l'État capitaliste est également contraint de recourir aux mesures les plus dictatoriales pour maintenir sa domination. Mais en même temps, lorsque l'appareil d'État lui-même est déchiré par de violents conflits internes, il y a une forte poussée vers une situation où "le centre ne peut pas tenir, la simple anarchie est lâchée sur le monde", comme l'a dit le poète WB Yeats. Les "États en déliquescence" que nous voyons le plus clairement au Moyen-Orient, en Afrique ou dans les Caraïbes sont une image de ce qui se prépare déjà dans les centres les plus développés du système. En Haïti, par exemple, la machine étatique officielle est de plus en plus impuissante face à la concurrence des gangs criminels, et dans certaines régions d'Afrique, la compétition entre les gangs a atteint le paroxysme de la "guerre civile". Mais aux États-Unis même, la domination actuelle de l'État par le clan Trump ressemble de plus en plus au règne d'une mafia, avec son adhésion ouverte aux méthodes du chantage et de la menace »[15].

Cette situation a des répercussions très importantes sur l'ensemble de la scène politique et économique mondiale. En effet, tant que les différents pays, malgré la concurrence entre eux, parvenaient à maintenir une politique de coopération sur certaines questions, telles que la politique économique en particulier ou la politique impérialiste, la chute dans l'abîme de la décadence et de la décomposition du système pouvait être ralentie, du moins en partie. Mais aujourd'hui, la politique aveugle et irresponsable (du point de vue bourgeois) de nombreux pays, y compris les États-Unis eux-mêmes, non seulement ne parvient pas à ralentir la crise du système, mais l'accélère en réalité.

Irrationalité et perte de vue des intérêts de l'État

Ces divisions profondes au sein de la bourgeoisie expriment le poids du « chacun pour soi », ce qui signifie que les différentes composantes ne se sentent plus liées par un intérêt supérieur à défendre les intérêts de l'État, ou celui d’un « ordre international », mais plutôt à poursuivre les intérêts de factions politiques particulières, de cliques ou de familles économiques spécifiques, coûte que coûte. En outre, il arrive souvent que les groupes d’intérêts qui progressent dans la société au point de conquérir des postes gouvernementaux importants n'aient aucune formation politique préalable. Tout cela signifie que la politique menée par la bourgeoisie aujourd'hui se caractérise de plus en plus par une forte improvisation et une forte irrationalité qui, naturellement, dans un contexte de désordre croissant, ne fait qu'accélérer le chaos mondial. Nous avons déjà évoqué des mesures totalement irrationnelles telles que la décision d'organiser un référendum sur le Brexit en Grande-Bretagne et la politique tarifaire de Trump. Nous ajouterons simplement quelques détails sur la composition de l'équipe du deuxième mandat de Trump, le dirigeant du pays le plus puissant du monde : chacun pourra examiner par lui-même ce qui se passe de manière similaire dans d'autres pays.

Voici un jugement qui est apparu dans un journal italien (certainement pas un journal de gauche !) au début de l'année : « Aucun président n'a jamais recruté une telle foule de criminels, d'extrémistes, de scélérats, d'escrocs et d'individus indésirables.[16]». Examinons de plus près certains des membres de l’administration Trump 2. Le premier choix de Trump pour le poste de procureur général était Matt Gaetz, mais celui-ci a dû se retirer. La raison ? Non pas parce qu'il était son avocat, celui qui l'avait guidé avec un talent diabolique à travers ses démêlés judiciaires. La véritable raison est qu'il était poursuivi par des accusations de harcèlement sexuel et de consommation de drogue, ce qui n'est certainement pas l'idéal pour un ministre de la Justice.

Il y a ensuite le cas sensationnel de « l'antivax » notoire Robert F. Kennedy Jr., nommé à la tête du ministère de la Santé et des Services sociaux, alors qu'il avait déclaré vouloir abolir les vaccins contre la polio et qu'il était également connu pour être un adepte des théories du complot. Plus de 75 lauréats du prix Nobel se sont opposés à la nomination de Kennedy Jr. au poste de secrétaire à la Santé, affirmant que cela « mettrait en danger la santé publique ». Plus de 17 000 médecins (sur 20 000), membres du Comité pour la protection des soins de santé, se sont opposés à la nomination de Kennedy Jr., invoquant le fait que Kennedy a sapé la confiance du public dans les vaccins pendant des décennies et qu'il représente une menace pour la santé nationale. L'épidémiologiste Gregg Gonsalves, de l'université de Yale,  également opposé à la nomination de Kennedy Jr., déclarait que confier à Kennedy la direction d'une agence de santé reviendrait à « confier la direction de la NASA à un partisan de la théorie de la Terre plate ».

Pete Hegseth, homophobe notoire, est nommé à la tête du Pentagone (budget de 800 milliards de dollars, 3 millions d'employés). Et, ô surprise, il est également poursuivi pour harcèlement sexuel.

Quant aux autres membres du gouvernement, les informations suggèrent qu'ils sont pour la plupart des extrémistes, mal formés ou particulièrement anti-establishment. Ce qui les unit, c'est leur loyauté absolue envers leur chef. Trump se moque qu'ils prêtent serment d'allégeance à la Constitution ; il a juste besoin qu'ils lui prêtent allégeance et qu'ils le lui prouvent.

Trump s'est immédiatement distingué en éliminant des milliers de fonctionnaires qu'il jugeait gênants ou qui, selon lui, exerçaient des fonctions incompatibles avec son mandat, mais il s'est montré encore plus brutal envers ceux qui s'opposaient directement à lui, utilisant des méthodes vindicatives dignes des querelles mafieuses.

La réaction contre ceux que Trump considère comme des traîtres est leur élimination directe. Différents exemples l’illustrent :

  • le 22 août, le FBI a perquisitionné le domicile de John Bolton, dans le Maryland, qui a été conseiller à la sécurité nationale dans la première administration Trump, mais qui est ensuite devenu très critique à l'égard du président ;
  • une enquête du grand jury a été autorisée sur les origines de l'enquête sur les rapports entre Trump et la Russie ;
  • une autre enquête est en cours sur le sénateur démocrate californien Adam Schiff, accusé de fraude fiscale, mais qui avait accusé Trump de profiter des fluctuations boursières à la suite de diverses annonces tarifaires ;
  • une autre enquête est en cours contre la procureure générale de New York, Letitia James, qui a déposé un mémoire juridique pour mettre fin aux arrestations d'immigrants ;
  • le licenciement de la gouverneure de la Fed, Lisa Cook, qui s'oppose aux demandes de baisse des taux d'intérêt de Trump et qui a ensuite été accusée d'avoir falsifié des documents afin d'obtenir des conditions plus favorables pour un prêt hypothécaire...
  • la dernière nouvelle concerne l'ancien directeur du FBI et opposant à Trump, Comey, qui est poursuivi pour des « crimes graves ».
Gangstérisassions et vandalisme

Ce qui était jusqu'à présent considéré comme une caractéristique des pays périphériques, dits du tiers-monde, à savoir le gangstérisme et le vandalisme en politique, est désormais largement présent dans les pays les plus avancés du monde, y compris aux États-Unis, pays autrefois salué comme le phare de la démocratie. Une fois de plus, le cas Trump en est la preuve.

Commençons par dire que Trump a hérité à la fois du racisme et des bonnes relations avec la mafia italo-américaine de son père, Fred Sr [17]. Alors que son père entretenait de bonnes relations avec les Gambino, les Genovese et les Lucchese, son fils les entretient avec les Franzese et les Colombo. L'épisode qui a conduit à la construction de la Trump Tower est particulièrement connu. En 1979, lorsque la première brique a été posée, une grève dans les cimenteries a bloqué la vente de ce matériau. Mais Trump a contourné le blocus syndical en l'achetant directement à S & A Concrete. Construction dont les propriétaires cachés étaient Anthony « Fat Tony » Salerno des Genovese et Paul Castellano des Gambino, deux familles déjà proches de son père et dont les chefs se réunissaient régulièrement chez Cohn, l'avocat polyvalent de Trump à l'époque. Mais il a également conclu des accords importants avec la mafia russe : en 2011, Trump sortait de dix années de procès, de multiples faillites et de 4 milliards de dettes… et cette fois, il a été sauvé par « l'argent russe » de Felix Sater dont le père, Michael Sheferovsky, comptait parmi les amis proches non seulement de la famille Genovese, mais surtout de Semion Yudkovich Moguilevitch , le « boss des boss » de la mafia russe.

De nombreuses femmes ont déjà affirmé que Trump les avait violées lors de divers événements ou concours de beauté.  On sait également que Trump a payé pour faire taire les deux femmes qui l'accusaient d'avoir eu des relations illicites avec lui, la star du porno Stormy Daniels et l'ancienne playmate de Playboy Karen McDougall. Cette accusation a conduit à sa condamnation, mais il a été exempté de poursuites. Début 2024, deux jurys distincts ont estimé que Trump avait diffamé l'écrivain E. Jean Carroll en niant ses allégations d'agression sexuelle. Il a été condamné à payer un total de 88 millions de dollars. Bien connu est aussi son association avec Epstein, qui a été accusé de viol, d'abus et, surtout, de trafic international d'enfants. Il apparaît avec Trump sur des dizaines de photos. Enfin Trump a également été reconnu coupable de trente-quatre chefs d'accusation de falsification de documents commerciaux, qui ont été révélés lors de l'enquête sur les paiements versés à Stormy Daniels.

Le prolétariat pourra-t-il tirer parti de cette perte de contrôle de la bourgeoisie ?

Tous les éléments que nous avons rapportés dans cet article démontrent clairement un affaiblissement de la capacité de la bourgeoisie à gérer son système politique et donc une difficulté accrue à faire face à la crise mondiale du système, sur le plan économique, environnemental, etc. Cela ne fait aucun doute.

Mais nous devons veiller à ne pas imaginer que cette faiblesse de la bourgeoisie peut être convertie en un avantage, une force pour le prolétariat. Et ce, pour au moins deux raisons. La première concerne  le processus qui la mènera à la révolution. En effet, les faiblesses croissantes de la bourgeoisie ne constituent en aucun cas des atouts permettant à la classe ouvrière de développer sa force. Comme le projet de cette classe est complètement antagoniste à tout ce que représente le capitalisme, l'affaiblissement de la bourgeoisie ne profite pas au prolétariat (qui ne dispose que de son unité et de sa conscience comme forces). Deuxièmement, la bourgeoisie, tout en montrant des signes évidents de déclin, fait preuve d'une vigilance et d'une lucidité considérables en matière de lutte des classes, résultat de deux siècles d'expérience de confrontation avec la classe ouvrière. Cette expérience l'amène non seulement à être vigilante, mais surtout à empêcher toute action de classe en exploitant les effets mêmes de la décomposition contre la classe elle-même.

Par exemple, toute la propagande populiste, qui trouve souvent un écho auprès de certains secteurs les plus fragilisés et moins conscients de la classe ouvrière, est construite en exploitant les craintes des gens face à la concurrence professionnelle des immigrés, ou de ceux qui sont « différents ». Ensuite et surtout, elle exploite le battage populiste pour entraîner les travailleurs dans des campagnes anti-populistes en défense de l’État démocratique.

Cependant, les manifestations de la décomposition (à travers les crises écologiques, les catastrophes environnementales de plus en plus fréquentes, mais surtout la propagation et l'intensification des guerres, naturellement accompagnées de l'aggravation de la crise économique) forcent de plus en plus certains éléments à chercher une alternative à la barbarie actuelle, même s'ils sont pour l'instant largement minoritaires. Les attaques économiques que la bourgeoisie est déjà contrainte de porter contre les travailleurs constitueront le meilleur stimulant de la lutte des classes et permettront une future maturation politique des luttes qui, seules, pourront non seulement se défendre contre les mystifications de la bourgeoisie, mais aussi retrouver une compréhension des raisons profondes de la crise actuelle du système et en faire une source de force dans leur lutte.

Ezechiele, 27 août 2025


[1] Amadeo Bordiga, Le principe démocratique [48], 1922, MIA (Marxists Internet Archive).

[2] Notes sur la conscience de la bourgeoisie décadente [49]. Revue internationale n° 31, 4e trimestre 1982 : Le Parti communiste italien avait perdu tout caractère prolétarien à la suite du processus de « bolchévisation » (en fait, de stalinisation) entre la fin des années 1920 et le début des années 1930.

[4] En réalité, à la fin de la guerre et immédiatement après la proclamation de la République, le PCI avait été au pouvoir avec la DC et d'autres partis de gauche (PSIUP et PRI) de juillet 1946 au 1er juin 1947. La raison en était qu'en 1942-1943, il y avait eu d'importantes grèves dans le nord du pays et que plusieurs groupes politiques prolétariens s'étaient formés, dont le Parti communiste internationaliste, qui avait rapidement gagné des centaines de membres. La formation de ce gouvernement « d'unité nationale », qui réunissait les différentes forces ayant combattu dans la Résistance, a servi à convaincre un prolétariat qui montrait des signes de prise de conscience qu'il avait des représentants valables même au sein du gouvernement et qu'il n'avait donc plus besoin de se battre. Ce n'est pas un hasard si, une fois certaine que le soulèvement prolétarien s'était apaisé, la bourgeoisie a retiré son soutien au PCI et aux autres partis de gauche et n'a plus formé que des gouvernements du centre ou de droite, jusqu'aux années turbulentes de 1968-1969.

[5] Pour une analyse des événements, lire nos Thèses sur la crise économique et politique dans les pays de l'Est [50], Revue internationale n° 60, 1er trimestre 1990. Pour en savoir plus sur le concept de phase de décomposition, lire également les Thèses sur la décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste [51], Revue internationale n° 107 - 4e trimestre 2001.

[6] Crise dans le golfe Persique : le capitalisme, c'est la guerre ! [52] Revue internationale n° 63, 4e trimestre 1990.

[7] Pour une analyse de ce point intéressant, voir « Attentats de la mafia : les règlements de comptes entre capitalistes », Révolution Internationale n° 215 [53], septembre 1992.

[8] Extraits des points 9 et 10 des Thèses sur la décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste [51], Revue internationale n° 107 - 4e trimestre 2001 ; Thèses sur la décomposition [54], texte déjà cité

[9] Wissen, was Deutschland denkt [55] (Savoir ce que pense l'Allemagne)

[10] Scholz trails conservative CDU/CSU in election polls [56]. Scholz derrière les conservateurs CDU/CSU dans les sondages électoraux

[11] Brexit, Trump : revers pour la classe dirigeante, rien de bon pour le prolétariat [57], Revue Internationale 157 - Été 2016

[12] Le capitalisme n'a pas de solution à la crise économique mondiale ! [58], World Revolution 403 - Printemps 2025

[13] EUROPATODAY - La Germania manda tank all'Ucraina, perché i pacifisti sono diventati interventisti [59] (L'Allemagne envoie des chars en Ukraine, car les pacifistes sont devenus interventionnistes)

[14] Voir le point 8 des Thèses sur la décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste [51], Revue internationale n° 107 - 4e trimestre 2001. Thèses sur la décomposition [54].

[15] Résolution sur la situation internationale (mai 2025) [60]

[16] Gangs of America alla corte di Trump [61], Il Foglio 27 janvier  2025

[17] Jeune homme, son père a été arrêté pour avoir été l'un des membres les plus actifs du KKK.

Conscience et organisation: 

  • Courant Communiste International [11]

Personnages: 

  • Stormy Daniels [62]
  • Jeffrey Epstein [63]
  • E. Jean Carroll [64]
  • Karen McDougall [65]
  • Semion Yudkovich Moguilevitch [66]
  • Michael Sheferovsky [67]
  • Felix Sater [68]
  • Anthony Salerno [69]
  • Paul Castellano [70]
  • James Comey [71]
  • Adam Schiff [72]
  • Letitia James [73]
  • Lisa Cook [74]
  • John Bolton [75]
  • Pete Hegseth [76]
  • Robert Francis Kennedy Jr. [77]
  • Gregg Gonsalves [78]
  • Matt Gaetz [79]
  • William Butler Yeats [80]
  • Narendra Modi [81]
  • Javier Milei [82]
  • Jair Bolsonaro [83]
  • Annalena Baerbock [84]
  • Olaf Scholz [85]
  • Robert Habeck [86]
  • Joschka Fischer [87]
  • Daniel Cohn-Bendit [88]
  • Margaret Thatcher [89]
  • Angela Merkel [90]
  • Willy Brandt [91]
  • Pedro Sanchez [92]
  • Friedrich Merz [93]
  • Nigel Farage [94]
  • Keir Starmer [41]
  • François Bayrou [95]
  • Emmanuel Macron [40]
  • Marine Le Pen [96]
  • Amadeo Bordiga [97]
  • Donald Trump [42]

Questions théoriques: 

  • Décomposition [98]

Rubrique: 

Chaos politiques, marées populistes, résultats électoraux contestés, remise en cause du droit international…

Le gouvernement “socialiste” espagnol n’est pas plus efficace, rationnel ou humain que ses voisins

  • 115 lectures

Alors que les économies des principaux pays européens sont en récession ou connaissent une croissance modeste, l'économie espagnole brille par une croissance du PIB de 3,2% en 2024. Tandis qu'en Belgique, en Grande-Bretagne et en France, des plans d'austérité drastiques et des coupes sociales sont annoncés, le gouvernement espagnol «progressiste» se vante d'«améliorer la vie des gens». Alors que Paris, Londres, Berlin, etc., parlent ouvertement d'augmenter les dépenses militaires, le président Sánchez apparaît comme «résistant» à ces augmentations. Alors que les gouvernements européens prennent des mesures éhontées contre l'arrivée d'immigrants, le gouvernement espagnol apparaît comme un «rempart» contre la xénophobie et le populisme. Cette aura progressiste du gouvernement espagnol de gauche est-elle fondée ? Absolument pas.

Si d’autres États, tout aussi défenseurs de la guerre et de l’exploitation capitaliste que l’Espagne, sont prêts à entretenir ce mythe du «nouveau miracle espagnol», c’est parce qu’ils cherchent à alimenter l’idée fausse selon laquelle un capitalisme «prospère» serait possible, qu’il serait possible d’arrêter la guerre ou la montée du populisme avec des gouvernements de «gauche» comme celui  dirigé par Sánchez.

Le niveau de vie de la classe ouvrière s'est-il amélioré ?

Les statistiques officielles contredisent cette affirmation. Depuis 2008, les salaires perdent de leur pouvoir d'achat, engloutis par la hausse des prix, notamment ceux du logement, qui augmentent rapidement, aggravant la surpopulation et la précarité des familles ouvrières. Ce qui se développe, c'est ce qu'on appelle la «pauvreté au travail», c'est-à-dire le nombre de familles ouvrières qui, même en travaillant, ne peuvent subvenir à leurs besoins de première nécessité.[1]

La réduction du chômage, tant vantée par le gouvernement et ses partenaires syndicaux et de gauche, est en réalité un remplacement de l'emploi stable par des emplois à temps partiel, temporaires ou «fixes-discontinus»[2], où la vie des travailleurs est à la merci des besoins de la production ou des caprices de l'employeur. On nous parle maintenant d'une nouvelle «avancée sociale» avec l'hypothétique réduction de la journée de travail, alors qu'en réalité, la proportion de salariés effectuant des heures supplémentaires non rémunérées est encore plus élevée aujourd'hui qu'avant la réforme du travail de 2019.

Le gouvernement se vante d’une croissance économique qui, en réalité, repose sur des investissements largement spéculatifs (le secteur immobilier), dépendant d’une «monoculture» du tourisme (qui représente 13% du PIB) et profitant de la surexploitation des travailleurs, principalement ceux issus de l’émigration.

Un gouvernement pour la paix ?

En tant que gouvernement de gauche, celui de Sánchez a tendance à dissimuler sa loyauté envers l'exploitation et la guerre derrière la «solidarité» et des pantomimes pacifistes. Ce fut le cas lors du récent sommet de l'OTAN, où le président s'est «mis à l'écart» des autres dirigeants, semblant ignorer la course effrénée à la guerre et l'augmentation des budgets militaires. Mais la vérité est que, quelques mois auparavant, le gouvernement «progressiste» s'était engagé à consacrer 2,5 % du PIB aux dépenses militaires (près de 41 milliards d'euros), augmentées d'un Plan industriel de défense (10 milliards supplémentaires) et d'un engagement à investir 34 milliards supplémentaires dans les années à venir.[3] Quelques semaines plus tard, Pedro Sánchez lui-même annonçait un plan visant à augmenter les effectifs militaires de 116 000 à 140 000 au cours des huit prochaines années.

Avec un cynisme révoltant, Sira Rego, ministre de la Jeunesse et membre du parti le plus à gauche, SUMAR, a déclaré : «Il serait contradictoire de devoir choisir entre le développement d'un programme social et les dépenses militaires, et de voir des hôpitaux et des écoles fermer, et de voir l'avenir de notre génération menacé par la production accumulée d'armes.» Or, c'est exactement ce qu'ils font ! Gel des aides aux personnes dépendantes, incitant les travailleurs à souscrire à une assurance maladie privée en raison de la détérioration du système de santé publique. Réduction des effectifs enseignants, comme le dénoncent les mobilisations d'enseignants en Catalogne, au Pays Basque, dans les Asturies, à Madrid, etc.

Un gouvernement en faveur des travailleurs migrants ?

Une autre caractéristique de la propagande des partis de gauche du Capital est d'exagérer les atrocités de la droite pour camoufler les leurs. On le constate récemment, par exemple, aux États-Unis,[4] comme lors des événements de Torre Pacheco en Espagne, lorsque le gouvernement «socialiste» de Sánchez et ses camarades gauchistes tentent d'afficher leur image «progressiste» en exhibant la rage xénophobe et raciste des gangs d'extrême droite. A l’opposé, le gouvernement «progressiste» tape sur les épaules de nos frères de classe, mais pour mieux les exploiter. Il leur dit que la «prospérité» espagnole leur doit beaucoup. Et elle leur doit beaucoup ! Une étude récente a révélé que les travailleurs migrants en Espagne gagnent 30 % de moins que les travailleurs nationaux.[5] Avec toute son hypocrisie, la ministre Pilar Alegría a déclaré, à propos des attaques contre la population migrante à Torre Pacheco : «Notre pays n'a rien à voir avec ces individus violents qui les maltraitent sous prétexte de défendre l'Espagne.» Et cela vient du porte-parole d’un gouvernement qui a perpétré le massacre de la barrière de Melilla, ou qui négocie avec les gouvernements du Maroc, de Mauritanie, etc., la répression de ceux qui tentent d’échapper à la guerre et au chaos.

Le gouvernement de gauche affirme que le «peuple» lui demande de «résister» pour défendre les «acquis sociaux acquis au fil des décennies». Ce qu'il tente de dissimuler avec ce mensonge, c'est que, quel que soit le gouvernement, la voie du capitalisme mondial vers la guerre et la misère est la seule voie qu'il offre à l'humanité. La seule possibilité d'échapper à ce sinistre destin est de lutter, unis, en tant que classe, contre toutes les factions de la classe exploiteuse. Nous faire croire qu'au sein de ces factions, il y en a d'autres «plus favorables aux travailleurs» ou qu'elles représentent un capitalisme «plus humain» est la pire tromperie par laquelle ils tentent de nous enchaîner, impuissants, dans cette voie de la barbarie.

Valerio (1er août)


[1] Selon un rapport de l'ONG Save the Children, c’est le cas de 17 % des familles. Ce pourcentage monte à 33 % si elles ont un enfant.

[2] La lutte contre l'augmentation de ce type de contrats a été au cœur des manifestations, notamment celles des enseignants des Asturies et des métallurgistes de Cadix. En mai 2025, 83 % des contrats de travail étaient temporaires, à temps partiel ou à durée déterminée.

[3] Ce sont les chiffres du rapport du Centre Delás, équivalent du SIPRI en Espagne.

[4] Voir sur notre site le tract que nous appelons à distribuer (juin 2025) : « Contre les attaques xénophobes de Trump contre la classe ouvrière et le slogan de « défense de la démocratie » : La classe ouvrière doit développer sa propre lutte ».

[5] Ce sont des données publiées dans le journal El País.

 

 

Géographique: 

  • Espagne [99]

Personnages: 

  • Pedro Sanchez [92]
  • Sira Rego [100]
  • Pilar Alegría [101]

Rubrique: 

Campagnes idéologiques

Ni fascisme, ni populisme, ni démocratie

  • 166 lectures

Nous publions ci-dessous l’échange épistolaire entre le CCI et un camarade qui nous a écrit des Pays-Bas. Nous saluons son courrier et surtout sa démarche visant à faire part de désaccords sur une question politique essentielle : le rapport entre le fascisme, le populisme et la démocratie. L’importance de cette question aujourd’hui réside dans le fait que la situation internationale est marquée par la montée du populisme, par une tendance généralisée à l’assimiler au fascisme des années 1930 et par les appels à la défense de la démocratie que cela suscite.

Il s’agit là d’une question vitale pour le prolétariat du fait que la bourgeoisie exploite pleinement et instrumentalise idéologiquement cette situation pour mystifier la classe ouvrière et l’entraîner sur un faux terrain lui permettant de dédouaner et protéger son système : le capitalisme. C’est notamment le cas aux États-Unis, où la politique de Trump est présentée comme une «menace pour la démocratie» ou encore en Allemagne où la montée inexorable de l’AfD est présentée comme une nouvelle «menace fasciste». Face à ces dangers, les fractions «libérales» de la bourgeoisie et surtout la gauche du capital appellent à des mobilisations significatives pour «défendre les institutions démocratiques». L’ennemi n’est plus le capitalisme mais le populisme ou le «nouveau fascisme».

Dans notre réponse, nous voulons mettre en exergue, non seulement combien le contexte aujourd’hui est totalement différent des années 1930 et de l’ère du fascisme, mais aussi combien la mystification de la «défense de la démocratie» a toujours été une arme redoutable de la bourgeoisie pour mener la classe ouvrière à la défaite. Notre réponse vise avant tout à apporter quelques premiers éléments de réponse, à pousser au débat et à la réflexion sur ce sujet afin d’élargir et d’approfondir cette question. Elle nécessite cependant d’être prolongée et enrichie par des débats et des lectures complémentaires. Nous encourageons d’ailleurs tous les camarades qui le souhaitent à nous écrire, à aborder toutes les questions qui se posent au sein du prolétariat, comme l’a fait ce camarade de Hollande.

Le courrier de notre lecteur

Chers camarades,

Voici une réaction à l'article «La bourgeoisie tente d'attirer la classe ouvrière dans le piège de l'antifascisme» publié dans Internationalisme et Wereldrevolutie n° 382.

En général, je lis votre journal avec beaucoup d'approbation. C'est surtout votre internationalisme qui m’attire beaucoup. La solidarité internationale devrait être très importante pour la gauche, plutôt que le nationalisme. L'article susmentionné m'a moins plu.

Voici ma réaction à votre article :

Il est très important de constater que le fascisme moderne ne diffère pas fondamentalement de l'ancien fascisme.

Le fascisme diffère fondamentalement du libéralisme d'avant le 11 septembre. Le fascisme soutient à nouveau le capitalisme avec beaucoup de fanatisme et aspire en outre à un retour à l'époque d'avant les Lumières. La répression des protestations s'intensifie considérablement. Les droits acquis sont rapidement supprimés. Cela vaut pour les droits des travailleurs. Cela vaut également pour les droits d'un grand nombre de groupes sociaux, des réfugiés aux femmes. Cela vise en partie à semer la division parmi les travailleurs. Nous devons donc lutter pour le maintien et, de préférence, l'extension de tous les droits acquis. À cet égard, la lutte contre la division entre les travailleurs est un point important.

Voici maintenant quelques remarques sur certaines parties de l'article

Vous affirmez que ce que j'appelle la «gauche parlementaire» s'oppose fermement au fascisme. C'est tout le contraire. Le fascisme est considéré comme inoffensif et n'est généralement pas nommé, mais qualifié de «populisme», comme s'il s'agissait d'un phénomène populaire. Malheureusement, c'est également le cas dans votre article.

Vous affirmez à juste titre que le fascisme était un moyen très efficace pour écraser le prolétariat. N'est-ce pas toujours le cas aujourd'hui ? Le fait qu'il y ait moins de protestations du prolétariat qu'il y a 100 ans ne constitue pas une différence fondamentale.

La «gauche parlementaire» affirme en effet que le choix se situe entre le fascisme et le système parlementaire. Lutter contre le fascisme ne signifie certainement pas approuver le système parlementaire. On n'arrête pas le fascisme en votant une fois tous les quatre ans. De plus, la gauche parlementaire a, dans un passé (récent), approuvé à maintes reprises des mesures d'austérité sévères et/ou a contrecarré les protestations contre celles-ci. Les actions extraparlementaires sont essentielles pour lutter contre le fascisme et parvenir à un changement social

Vous considérez «toutes sortes de revendications fragmentées» du «mouvement LGBTQ aux organisations caritatives» comme «toutes de nature idéologique bourgeoise». Il me semble que vous négligez ainsi la diversité de ces mouvements. Certains militants sont nettement plus radicaux que d'autres. Il est important de soutenir la lutte de ces groupes contre la restriction de leurs droits. La manière dont cela doit être fait doit bien sûr faire l'objet d'un débat.

J'espère que vous considérerez ceci comme une contribution à cette discussion si nécessaire.

Avec mes salutations fraternelles,

R.V., Amsterdam

Le 03/07/2025

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Notre réponse

Cher camarade R.,

Merci pour ton évaluation enthousiaste de la presse du CCI. Dans ton courrier, tu abordes différents points importants, mais nous souhaitons nous centrer dans cette réponse sur la question politique du fascisme, du populisme et de la démocratie. Tu écris à ce propos : «Il est très important de constater que le fascisme moderne ne diffère pas fondamentalement de l'ancien fascisme. Le fascisme n'est généralement pas désigné comme tel, mais sous le nom de «populisme », comme s'il s'agissait d'un phénomène populaire.»

C'est une position qu’il est important de discuter car elle est souvent exprimée dans des débats et des textes à propos du raz de marée populiste. Quant au CCI, il ne la partage pas, pour deux raisons :

-le contexte social actuel et plus spécifiquement la situation de la classe ouvrière n’est nullement comparable à celui de l’avènement du fascisme dans les années 1930 en Allemagne et en Italie ;

-le phénomène du populisme actuel n’est pas comparable à celui du fascisme, mais exprime la putréfaction politique et idéologique d'une bourgeoisie qui n'a plus de perspective pour orienter la société.

Expliquons-nous[1] :

Le fascisme est un produit historique, un courant politique qui a émergé pendant la période de contre-révolution (les années 1920 et 1930), après que la classe ouvrière en Europe a été vaincue idéologiquement et physiquement. Il y a d’abord eu l’échec sanglant de la révolution en Allemagne (1919-1923), notamment par l’écrasement du soulèvement du prolétariat à Berlin, massacré par les corps francs sous l’impulsion et les ordres de la social-démocratie (SPD) traitre, parti qui, en votant les crédits de guerre et en soutenant l’Union sacrée pour la boucherie de la première guerre mondiale, était passé du côté de la bourgeoisie. Il y a eu ensuite l’échec de la révolution russe, isolée par l’échec de l’extension de la révolution mondiale, affaiblie par une terrible guerre civile et où la contre-révolution est incarnée par le parti bolchevik lui-même sous la direction de Staline (1917-1927). C’est cet écrasement physique et idéologique des bataillons à la pointe du mouvement révolutionnaire mondial et l'assassinat de l'élite du mouvement communiste dans ces pays (1919-1923) qui ont permis l’avènement du fascisme. En d’autres termes, le fascisme (comme le stalinisme d’ailleurs) n’a fait que consacrer la lourde défaite du prolétariat, qui ouvrait d’ailleurs à nouveau la voie à l’affrontement guerrier entre puissances impérialistes. De ce point de vue, l'avènement des régimes fascistes répondait aux besoins du capital national : il fallait concentrer tous les pouvoirs au sein de l'État, accélérer l'économie de guerre, militariser le travail. Dans les pays de l’Europe de l’Ouest où la classe ouvrière n’avait pas été défaite, c’est, au nom de “l’antifascisme”, que le prolétariat est mobilisé par la gauche du capital pour défendre la démocratie et est enrôlé pour la guerre.

 Bref, le fascisme n’est pas la cause mais est le produit de la défaite physique et idéologique écrasante de la classe ouvrière orchestrée par la social-démocratie, le stalinisme et d’autres «forces démocratiques», fraternellement unis au sein des «fronts populaires». Par ailleurs le contexte de la lutte des classes est aujourd’hui fondamentalement différent par rapport à celui des années 1930. Actuellement, la classe ouvrière dans les principaux pays du monde n’a été ni physiquement ni idéologiquement défaite. Au contraire, depuis 2022, différentes luttes importantes indiquent qu’elle s’efforce de recouvrer son identité de classe et les tentatives de mobiliser et diviser les travailleurs derrière les campagnes populistes ou au contraire derrière celle pour la défense des institutions démocratiques visent précisément à casser cette dynamique prolétarienne.

On peut discuter de l'utilisation du mot populisme, mais quel que soit le nom qu'on donne à ce phénomène, il diffère fondamentalement du fascisme. Contrairement à ce dernier, il n’est pas le produit d'une classe ouvrière vaincue, mais des contradictions croissantes dans la société capitaliste, qui rendent la rivalité au sein de la bourgeoisie de plus en plus incontrôlable et entraînent, par conséquent, une perte croissante de contrôle sur l'appareil politique. Le populisme est donc un pur produit de la profonde désintégration et de la pourriture de la société capitaliste. En raison de l'absence de perspective significative pour la société, «il se développe au sein de la classe dominante, et en particulier au sein de l'appareil politique, une tendance à la perte de la discipline politique et à une attitude du chacun pour soi» (Thèses sur la décomposition). Il en résulte que, dans de nombreux cas, les élections actuelles ne conduisent pas à la désignation d'une fraction bourgeoise capable de représenter le mieux possible, les intérêts généraux du capital national, mais à celle de factions qui défendent leurs propres intérêts, souvent en contradiction avec les intérêts nationaux globaux. Les mouvements populistes trouvent leur soutien dans le «peuple», victime de la crise économique et financière, qui se sent abandonné par “l'establishment” politique, trahi par les médias de gauche et menacé par le flot d'immigrants. Il s'agit souvent de personnes issues de la petite bourgeoisie, mais aussi de couches ouvrières plus marginalisées, dans des régions autrefois fortement industrialisées. En 2016, la campagne de Trump a reçu «le soutien des Blancs sans diplôme universitaire, et en particulier des ouvriers de la «Rust Belt», les nouveaux déserts industriels qui ont voté pour Trump en signe de protestation contre l'ordre politique établi, incarné par la soi-disant «élite libérale des grandes villes». Leur vote était avant tout un vote contre – contre les inégalités croissantes de richesse, contre un système qui, selon eux, les privait, eux et leurs enfants, de tout avenir.» (President Trump: symbol of a dying social system).

Bien évidemment, la bourgeoisie utilise et exploite cette situation idéologiquement en tentant d’entraîner la classe ouvrière dans un combat entre vandales populistes et défenseurs des principes démocratiques et de préserver ainsi son système capitaliste de toute remise en question. La gauche en particulier réagit au populisme en brandissant volontiers le spectre du fascisme et le Drapeau de la “défense de la démocratie” afin de rallier le plus grand nombre possible d’ouvriers. Cependant, cette opposition de gauche au populisme fait tout autant partie de la classe bourgeoise et s'attaque tout autant aux conditions de travail et de vie des travailleurs que tous les autres partis et, comme tu l’écris toi-même, «a approuvé à maintes reprises, dans un passé (récent), des mesures d'austérité drastiques». Les travailleurs doivent donc refuser de suivre cette voie et ne se laisser diviser en aucun cas en travailleurs «populistes» et «démocrates».

Or, si tu sembles rejeter dans ta lettre l'activité parlementaire («lutter contre le fascisme ne signifie certainement pas approuver le système parlementaire»), en même temps, rien dans ta lettre n'indique que tu rejettes la démocratie qui, tout comme la dictature, le despotisme et l'autocratie, est également une expression politique de la dictature du capital. C'est d’ailleurs en substance le thème central de l'article que tu critiques. Il faut être clair, cette question est vitale et centrale pour le prolétariat. Ce sont bien les campagnes pour la défense de la démocratie qui désarmeront la classe ouvrière et mèneront à la défaite en préparant la mobilisation en vue de la guerre si nous ne les combattons pas et nous laissons abuser par le mythe démocratique. La bourgeoisie tente bel et bien d'attirer la classe ouvrière dans le piège de l'antipopulisme. Les travailleurs ne doivent pas se laisser entraîner dans «les campagnes pour la défense de l'État démocratique». Ils doivent mener, indépendamment des partis bourgeois, la lutte sur leur propre terrain de classe.

Enfin, dans ta lettre, tu pointes également un phénomène qui indiquerait une similitude avec l’émergence du fascisme dans les années 1930 : «La répression des protestations s'intensifie considérablement.». Certes, tout comme c’est d’ailleurs le cas d'autres phénomènes comme, par exemple, la chasse aux migrants et leur enfermement dans des camps, l'exclusion de certains groupes de population, la recherche de boucs émissaires, le recours au chantage, aux menaces, aux règlements de comptes, etc. Mais tous ces phénomènes sont loin d’être spécifiques au fascisme : on les retrouvait déjà dans les pays staliniens comme la Chine, dans des régimes «démocratiques forts» (sic) comme la Russie, la Turquie ou le Pakistan par exemple et ils se généralisent de plus en plus dans les pays «champions de la démocratie». Et surtout, l’explosion de ces phénomènes est une manifestation caractéristique de la généralisation de la barbarie qui caractérise la plongée actuelle de la société dans la période de décomposition du capitalisme décadent.

CCI

 

[1] Voir pour une argumentation plus complète l’article sur notre site «Dans la période actuelle. Y a-t-il un danger fasciste ? », ainsi que notre brochure «Fascisme et démocratie, deux expressions de la dictature du capital ».

Conscience et organisation: 

  • Courant Communiste International [11]

Questions théoriques: 

  • Nationalisme [45]
  • Populisme [102]
  • Démocratie [103]
  • Internationalisme [104]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Luttes parcellaires [105]

Rubrique: 

Courrier de lecteur

Quand on tombe dans le piège de la lutte pour la démocratie bourgeoise contre le populisme …

  • 47 lectures

En août 2024, avant même l’élection de Donald Trump à un second mandat présidentiel, le CCI a proposé à d’autres groupes de la Gauche communiste la réalisation d’un appel commun[1] contre les tentatives croissantes de la bourgeoisie de mobiliser la population derrière le faux choix entre : être opprimé par des gouvernements libéraux démocratiques ou par des gouvernements populistes de droite. Cet appel visait à renforcer la dénonciation  des mensonges et des fausses alternatives de la démocratie bourgeoise que seule la Gauche communiste est capable de prendre en charge de manière cohérente et intransigeante.

Malheureusement, cet appel du CCI a été rejeté par la quasi-totalité des groupes auxquels il était destiné, tout comme l’avait été par la plupart des groupes de la Gauche communiste un appel similaire pour une déclaration internationaliste commune contre la guerre impérialiste en Ukraine en février 2022. Aujourd’hui, un an plus tard, l’appel du CCI contre les campagnes démocratiques n’a rien perdu de sa pertinence en tant qu’expression politique de la Gauche communiste. Au contraire, il est encore plus pertinent !

Six mois après le retour de Trump au pouvoir, les attaques contre la classe ouvrière n’ont cessé de se renforcer : expulsions et détentions militarisées massives de travailleurs immigrés, coupes massives dans les prestations sociales et de santé, plus de 150,000 suppressions d’emplois dans la fonction publique fédérale...  Une campagne à grande échelle a été lancée tant par l’aile « libérale » de la bourgeoisie que par les autoproclamés « socialistes » (Sanders, Ocasio-Cortez, etc.)  –tous ceux qui sont alignés sur le Parti démocrate– pour mobiliser la population contre ces mesures. Non pas, bien sûr, pour mobiliser la classe ouvrière contre ces attaques, mais pour empêcher une telle mobilisation de se développer. La propagande des libéraux et de la gauche présente les attaques de la droite populiste non pas comme le fruit du système capitaliste dans son ensemble, dont ils sont également responsables, mais comme le résultat du mépris populiste des règles démocratiques, du mépris de Trump pour « l’État de droit », d’un manque de respect pour l’indépendance du pouvoir judiciaire bourgeois, pour le caractère sacré de la Constitution américaine et pour toutes les autres innombrables façades humanitaires qui dissimulent la dictature du capital sur le travail. L’objectif ainsi poursuivi était l’orchestration de mouvements massifs de protestation non pas pour proposer une réponse de la classe ouvrière, sur le terrain de ses propres intérêts de classe, contre toutes les fractions de la bourgeoisie (de droite comme de gauche), mais pour contenir et détourner la révolte vers une défense de l’État « démocratique » contre ses déviations populistes. Et cela a porté ses fruits.

La résistance au régime de Trump aux États-Unis s’est caractérisée par les protestations patriotiques de nombreux fonctionnaires fédéraux contre les licenciements massifs orchestrés par le Département de l’efficacité gouvernementale (DOGE) d’Elon Musk, par la révolte sur le terrain de la « démocratie » et du « Droit » bourgeois contre les expulsions massives de travailleurs immigrés par l’Immigration and Custom Enforcement (ICE), et enfin par la défense humanitaire du nationalisme palestinien contre le soutien de Trump au massacre d’innocents à Gaza par Israël.

Et ces actions de protestation démocratique ont eu tendance à se répercuter dans d’autres pays, car l’élection de Trump a participé à accroître la polarisation au sein de la bourgeoisie d’autres pays entre les factions populistes et démocratiques au cours de l’année 2025. En Corée du Sud, les factions démocratiques ont mobilisé d’énormes manifestations contre la tentative de coup d’État du président Yoon Suk-yeol. En Turquie, des foules massives sont descendues dans les rues pour « défendre la démocratie turque » en soutien au leader de l’opposition contre les diktats autocratiques du président Erdogan. En Serbie, il y a également eu des manifestations démocratiques de masse contre la corruption du président Vučić. Des mouvements similaires, plus ou moins importants mais reflétant la même motivation, ont eu lieu dans la plupart des autres pays.

Quelle doit être la politique de la classe ouvrière, seule force objectivement intéressée et capable de renverser le système social moribond actuel, face à ces mouvements souvent massifs de la population ? Et quel est donc le rôle de la fraction la plus avancée de la classe ouvrière, dont la tâche est de formuler une orientation pour l’ensemble de la classe ?

Les communistes doivent clairement dénoncer les attaques aussi bien démocratiques que populistes de la bourgeoisie et mettre en garde la classe ouvrière contre le danger de se mobiliser derrière ce qui relève, en réalité, de luttes entre différentes fractions de la classe dirigeante. Ils doivent appeler les travailleurs à lutter sur leur propre terrain, pour la défense de leurs propres intérêts contre la classe dirigeante dans son ensemble. Mais quelle tendance politique répond aujourd’hui à cette nécessité ?

Nous avons posé la même question dans notre Appel : « Quelles sont les forces politiques qui défendent réellement les intérêts de la classe ouvrière contre les attaques croissantes de la classe capitaliste ? Pas les héritiers des partis sociaux-démocrates qui ont vendu leur âme à la bourgeoisie pendant la Première Guerre mondiale et qui, avec les syndicats, ont mobilisé la classe ouvrière pour le massacre de plusieurs millions de personnes sous l’uniforme et dans les tranchées. Ni les derniers apologistes du régime “communiste” stalinien qui a sacrifié des dizaines de millions de travailleurs pour les intérêts impérialistes de la nation russe pendant la Seconde Guerre mondiale. Ni le trotskisme ou le courant anarchiste officiel qui, malgré quelques exceptions, ont apporté un soutien critique à l’un ou l’autre camp dans ce carnage impérialiste. Aujourd’hui, les descendants de ces dernières forces politiques se rangent, de manière “critique” derrière la démocratie bourgeoise libérale et de gauche contre la droite populiste pour contribuer à démobiliser la classe ouvrière.

Seule la Gauche communiste, bien que peu nombreuse, est restée fidèle à la lutte indépendante de la classe ouvrière au cours des cent dernières années. Lors de la vague révolutionnaire ouvrière de 1917-23, le courant politique dirigé par Amadeo Bordiga, qui dominait alors le Parti communiste italien, a rejeté le faux choix entre les partis fasciste et antifasciste qui avaient conjointement œuvré pour écraser violemment la poussée révolutionnaire de la classe ouvrière. Dans son texte “Le principe démocratique” de 1922, Bordiga a dénoncé la nature du mythe démocratique au service de l’exploitation capitaliste et du meurtre.

Dans les années 1930, la Gauche communiste a dénoncé les fractions de gauche et de droite de la bourgeoisie, fascistes ou antifascistes, qui préparaient le bain de sang impérialiste à venir. Lorsque la Seconde Guerre mondiale a éclaté, seul ce courant a pu maintenir une position internationaliste, appelant à la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile par la classe ouvrière contre l’ensemble de la classe capitaliste dans chaque nation. La gauche communiste a refusé le choix macabre entre le carnage démocratique ou fasciste, entre les atrocités d’Auschwitz ou d’Hiroshima ».

Aujourd’hui, le courant communiste de gauche reste minoritaire et « à contre-courant » de tous ces débris politiques issus de la période contre-révolutionnaire qui a duré quelque 50 ans après la défaite de la révolution d’Octobre. Mais la perspective d’une nouvelle offensive de la classe ouvrière contre le capitalisme mondial a ré-émergé avec la reprise de la crise économique capitaliste ouverte et le réveil massif de la lutte internationale de la classe ouvrière à la fin des années 1960. La perspective de la reconstitution du parti communiste sur la base des positions de la Gauche communiste s’est alors de nouveau posée.

Le rejet de ces appels du CCI par la plupart des groupes de la Gauche communiste suggère que la majorité des groupes de cette tradition politique sont dans un état de sclérose et de dégénérescence, incapables qu’ils sont de reconnaître que leurs propres micro-partis font partie d’une tradition plus large, ni de percevoir l’importance, pour la classe ouvrière aujourd’hui et dans le futur, de l’intransigeance sur cette position contre la démocratie que la fraction italienne de la Gauche communiste a développée dans les années 1930. Par conséquent, la plupart de ces groupes sont incapables de la défendre de manière cohérente au sein de la classe ouvrière aujourd’hui comme à l’avenir, et tombent, en pratique, dans le discours opportuniste dominant de la gauche.

Ces groupes ont publié dans leur presse quelques articles et tracts en réponse aux campagnes et mouvements démocratiques actuels qui reflètent cette confusion. L’un d’entre eux en particulier est représentatif de leur vision et nous l’utiliserons pour mettre en évidence une illusion plus générale.

Tendance communiste internationale : Comment brouiller la distinction entre mouvements prolétariens et mouvements de défense de la démocratie bourgeoise

Un article du 22 juillet 2025 intitulé « Dans le sillage de la crise capitaliste : manifestations et émeutes – et la nécessité d’une expression indépendante de la classe » publié sur le site web de la TCI fait le point sur l’étendue des mobilisations en défense de la démocratie bourgeoise. L’article regrette ensuite que la classe ouvrière n’ait pas été capable de « s’affirmer comme une force politique indépendante dans ces manifestations » et propose comme solution que la classe ouvrière reprenne sa lutte à un niveau plus élevé et forme un parti communiste international pour relier cette lutte au renversement révolutionnaire du capitalisme. En outre, une lutte internationaliste contre la guerre impérialiste est nécessaire. Pour le moment, rien à remarquer

Dans la description que fait l’article des grandes manifestations contre les attaques de la droite populiste dans divers pays au cours de l’année écoulée, est totalement absente cette réalité que celles-ci ont été inspirées par la campagne démocratique menée par le reste de la bourgeoisie dans les principaux pays capitalistes –non pas, bien sûr, dirigées contre les attaques de la droite populiste contre les conditions de vie et de travail de la classe ouvrière, mais contre les « pratiques antidémocratiques » du populisme. Et c’est là une politique de la bourgeoisie pratiquée depuis au moins une décennie, depuis que le populisme est devenu une tendance politique dominante au sein des États bourgeois. De plus, l’article semble ignorer complètement que la bourgeoisie utilise depuis longtemps ses divisions politiques comme une arme idéologique contre son adversaire de classe prolétarien afin de le pacifier, de le détourner de son combat si possible et de noyer sa lutte révolutionnaire dans le sang, comme l'a brutalement démontré la contre-révolution menée par les sociaux-démocrates en Allemagne en 1919. Pourtant, la TCI est censée, s'inscrivant dans la tradition de la Gauche communiste, avoir tiré la leçon de la menace que la démocratie représentait pour le prolétariat. Nous examinerons plus loin cette tradition historique de rejet intransigeant de la démocratie par la Gauche communiste.

Or, son article est incapable d’identifier la nature bourgeoise de ces protestations démocratiques et passe sous silence la distinction essentielle que les révolutionnaires doivent faire entre les protestations démocratiques et les mouvements véritablement prolétariens : « Au cours de l’année écoulée, nous avons assisté à certaines des plus grandes manifestations depuis des décennies dans plusieurs pays. Ces luttes n’avaient pas un caractère de classe clair et variaient considérablement en termes de revendications principales et de facteurs déclencheurs. Mais même si la classe ouvrière n’a pas dominé ces manifestations, une grande partie de la classe (et dans une certaine mesure les organisations ouvrières et les activités de grève) a clairement été en mouvement, et aucun aspect des conditions de vie des prolétaires n’est épargné par l’accélération de la crise du capitalisme. Nous décrirons brièvement ci-dessous certaines de ces manifestations, ce que nous considérons comme leurs limites et ce que nous pensons être la voie à suivre ».

L’article relate ensuite les luttes en Corée du Sud, en Grèce, en Turquie, aux États-Unis et ailleurs, qui montrent en fait que, loin de ne pas avoir un « caractère de classe clair », elles se situent clairement, malgré la présence de nombreux travailleurs en leur sein, sur le terrain de la défense des valeurs démocratiques bourgeoises contre « l’autoritarisme » et « la corruption » liés à la montée du populisme politique, et n’ont rien à voir avec la défense des intérêts propres des travailleurs en tant que classe.[2]

L’article omet donc de mettre en garde la classe contre le danger de toute implication dans ces manifestations. Au contraire, il suggère qu’il est possible de les faire « avancer » (vers quoi ?) en surmontant leurs prétendues limites.

L’article confirme cette erreur en concluant : « En résumé, on peut dire que ces luttes sont dirigées contre la corruption et un développement de plus en plus autoritaire, et contre un État qui ne fournit plus les services de base face à l’aggravation de la crise capitaliste. Il ne s’agit pas de luttes purement prolétariennes, mais il est clair que des éléments importants de la classe ouvrière y participent. Elles sont l’expression d’un mécontentement et d’une frustration généraux qui couvent sous la surface et qui doivent parfois exploser ».

Les récentes luttes démocratiques dans divers pays montrent qu’elles sont très loin d’être des luttes prolétariennes même « impures ». Elles montrent au contraire que le mécontentement général et la frustration de la population sont toujours anticipés ou récupérés par la bourgeoisie et noyés dans des mouvements mystificateurs visant à défendre la démocratie et à empêcher la lutte de classe, malgré la présence de nombreux éléments de la classe ouvrière en leur sein.

Pour être correct envers la TCI, il convient de souligner que l’article tire les leçons du Printemps arabe de 2011 en Égypte et souligne que ce mouvement de masse, malgré les grèves massives dans l’industrie textile, a été noyé dans l’océan pollué de la lutte pour la démocratie bourgeoise. Mais l’article ne parvient pas à appliquer cette leçon aux mouvements démocratiques de 2025.

Vu l’incapacité de l’article de la TCI à mettre en garde contre le danger de confondre la lutte prolétarienne avec la lutte pour la démocratie, ou contre le danger d’agir comme s’il était possible de convertir un mouvement sur le terrain bourgeois en lutte prolétarienne, on comprend mieux pourquoi ce groupe a rejeté l’appel du CCI qui anticipait et adoptait une position claire contre les campagnes et les luttes démocratiques. Cet appel élimine effectivement la possibilité que de telles campagnes puissent être transformées en mouvements de classe.

Le rejet de l’appel par les autres groupes n’était pas dû à un désaccord avec la lettre de l’appel, mais avec son esprit : l’appel met en effet en évidence un fossé entre la Gauche communiste et toutes les autres tendances politiques (de l’extrême droite à l’extrême gauche) et empêche toute concession opportuniste à ces dernières.

De même, la TCI a rejeté l’appel internationaliste du CCI de 2022, non pas parce qu’elle était en désaccord avec les principaux arguments théoriques de cet appel, mais parce qu’en pratique, la TCI prétendait qu’il était possible de créer un mouvement internationaliste contre la guerre au-delà de l’intransigeance de la tradition de la Gauche communiste : une prétention qui a donné lieu au bluff de l’initiative « Not war but the class war ».

Les mobilisations démocratiques ne peuvent pas être transformées en mouvements prolétariens

L’idée que les mobilisations démocratiques actuelles seraient ambiguës ou fluctuantes dans leur nature de classe signifierait qu’elles pourraient, potentiellement, être transformées en mouvements prolétariens. Et la TCI n’a pas hésité à assumer cette logique infondée et erronée, même si les deux types de mouvements sont complètement antagonistes et incompatibles entre eux. Le sous-titre de l’article illustre parfaitement cette illusion : « De la guerre de rue à la guerre de classe ».

Un autre exemple se trouve dans un tract (11 juin 2025) de leur affilié américain, l’Internationalist Workers Group, contre l’offensive de l’ICE. Tout en soulignant que la présidence démocrate de Barack Obama avait expulsé plus d’immigrants que Trump, le tract déclare : « Les travailleurs, partout, doivent être prêts à se défendre, à défendre leurs voisins et leurs collègues contre les raids de l’ICE. Des comités d’action de quartier aux luttes sur les lieux de travail en passant par les manifestations de masse, la lutte doit être menée par la classe ouvrière en utilisant son immense force ».[3]

Mais le tract omet de mentionner que la réponse de classe dans les quartiers aux raids de l’ICE avait déjà été sabotée bien à l’avance par le Parti démocrate, comme l’indiquent ces déclarations de soutien de ses représentants : « Il [Trump] a déclaré la guerre. La démocratie est attaquée sous nos yeux. » (Gavin Newsome, gouverneur de Californie) ; « Nous sommes en guerre pour l’âme de notre pays, pour notre démocratie. » (Dolores Huerta, ancienne responsable syndicale et militante des droits civiques) ; « La protestation, menée pacifiquement, est le fondement de notre démocratie. » (Andrew Ginther, maire de Columbus, Ohio) ; « Nous défendons la démocratie, la justice et l’État de droit. » (Conseil démocratique juif d’Amérique).

La lutte désespérée des travailleurs immigrés contre les actions militarisées de l’ICE aujourd’hui (une agence qui existe depuis l’attaque des tours jumelles en 2001) avait déjà été mise sur les rails de la défense de la démocratie américaine contre « l’illégalité » des mesures trumpiennes, et contre le mépris populiste des « droits de l’homme », contre le mépris pour les lois et les procédures démocratiques. Ces mêmes Lois qui dissimulaient auparavant la brutalité des expulsions d’immigrés illégaux par les Démocrates. En d’autres termes, les protestations contre l’ICE, aujourd’hui, ne sont pas une lutte de classe contre les attaques de l’État capitaliste envers les travailleurs immigrés, mais une campagne pour la légalité bourgeoise et la restriction par le « Droit » de la brutalisation des travailleurs immigrés.

Pourtant, le tract de la TCI appelle la classe ouvrière à prendre en main la lutte contre l’ICE, à la transformer en un mouvement de classe. Cela signifierait, si cela était actuellement possible, le rejet de toutes les divisions et frontières nationales et la confrontation non seulement avec le visage militarisé de l’État incarné par l’ICE, mais aussi avec son visage démocratique alternatif et ses « Droits ». Bref, cela signifierait un mouvement complètement différent sur un terrain de classe différent. Cela ne serait possible que si la classe ouvrière avait déjà développé à un niveau politique sa propre lutte de classe pour ses propres intérêts. Mais comme le reconnaissent le tract et l’article de la TCI, cela est encore loin d’être une réalité.

Cependant, ni l’article ni le tract ne mentionnent les luttes salariales des travailleurs à l’échelle internationale au cours de l’année écoulée et depuis 2022 (y compris aux États-Unis), qui se sont développées sur un terrain de classe, qui se distinguent clairement des campagnes et mouvements démocratiques, et qui constituent la seule base pour la future lutte politique complètement différente du prolétariat en tant que mouvement autonome.

Une répétition d’autres erreurs opportunistes telles que celles commises dans le mouvement Black Lives Matter

Malheureusement, le tract et l’article de la TCI ne sont pas une erreur isolée, mais une répétition d’autres erreurs majeures commises par les groupes de la Gauche communiste, comme celle de la TCI (encore!) qui a imaginé que les émeutes et les manifestations « Black Lives Matter » contre le meurtre de George Floyd par la police, qui ont éclaté en 2020 pendant le premier mandat de Trump, étaient un mouvement de la classe ouvrière : « En 1965, tout comme en 2020, la police tue, et la classe répond en défiant l’ordre social corrompu pour lequel elle assassine. La lutte continue ».[4]

La TCI a ajouté que le mouvement « ne va pas assez loin » et ne devrait pas soutenir le Parti démocrate. Mais cela n’a aucun sens si le mouvement va déjà dans la mauvaise direction[5]. Cela a encore moins de sens quand on considère que les gauchistes, les spécialistes de l’affirmation que les mobilisations démocratiques peuvent, en effet, être « poussées plus loin », occupent déjà complètement ce terrain politique bourgeois et n’ont absolument pas besoin de l’aide de groupes communistes de gauche égarés !

Comme dans l’article sur les luttes démocratiques d’aujourd’hui, la TCI déclarait alors péremptoirement, sans se soucier de la situation concrète de la classe ouvrière que « la rébellion urbaine doit être transformée en révolution mondiale ».

Origines et histoire de ce vœu pieux opportuniste sur les mobilisations démocratiques

L’appel du CCI contre les campagnes démocratistes se base sur l’acquis majeur de la fraction italienne, Bilan, dans les années 1930, pour lequel « luttes démocratiques » et « lutte prolétarienne » sont antagoniques, toute confusion sur cette question s’avérant fatale.

La position de Bilan peut être résumée de la sorte : Les expériences "démocratiques" depuis 1918 ont montré que la défense de la démocratie est une négation de la lutte de classe, étouffe la conscience du prolétariat et conduit son avant-garde à la trahison ; « Le prolétariat trouve au contraire la raison de sa mission historique dans la proclamation du mensonge du principe démocratique, dans sa nature même et dans la nécessité de supprimer les différences de classe et les classes elles-mêmes » (Fascisme - Démocratie : Communisme [106] ; Bilan n°13 - Novembre - Décembre 1934

La majorité de Bilan défendit ensuite cette opposition de principe contre l’idéologie démocratique au prix d’une scission avec une minorité de la fraction qui l’abandonna et partit combattre en Espagne en 1936 avec l’illusion que le conflit militaire de l’aile républicaine démocratique contre l’aile fasciste de la bourgeoisie était le précurseur d’une révolution prolétarienne plutôt que, comme la réalité le prouva, la préparation du massacre de la classe ouvrière dans une guerre impérialiste. La minorité de Bilan confirmait ainsi dans la pratique la position de Vercesi selon laquelle la défense de la démocratie conduit l’avant-garde prolétarienne à la trahison. Dans les années 1930, le rejet de l’antifascisme, c’est-à-dire le rejet de la défense de la démocratie bourgeoise, était le test décisif d’une tendance communiste.[6]

Il est à noter que –sans devoir renier leur intervention aux côtés des républicains en Espagne– des membres de cette minorité de Bilan furent intégrés plus tard au sein du Parti communiste internationaliste (PCInt) qui est l’ancêtre de tous les groupes de la Gauche communiste qui ont refusé l’appel du CCI contre les campagnes démocratiques.

Le PCint a été fondé en 1943 en Italie en tant que parti internationaliste de la gauche italienne, mais il était très hétérogène sur le plan politique. De nombreux militants qui n’avaient pas rompu avec les positions frontistes et antifascistes ont afflué vers ce nouveau parti. Les fondements mêmes sur lesquels le parti a été créé comportaient toutes sortes d’ambiguïtés, ce qui signifiait que le parti constituait une régression politique par rapport aux positions de la Fraction avant la guerre, les positions de Bilan. Tout en restant dans le camp prolétarien au sens général, le PCint n’a pas réussi à se démarquer des positions erronées de l’Internationale communiste, par exemple sur la question syndicale et la question de la participation aux campagnes électorales.

Seul le groupe de la Gauche communiste de France a su, pendant cette période, maintenir une position intransigeante contre la démocratie bourgeoise et poursuivre le travail politique de Bilan après la Seconde Guerre mondiale[7]

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le PCInt a développé une attitude ambiguë envers les groupes de partisans antifascistes en Italie –entièrement alignés sur la guerre impérialiste aux côtés des Alliés– qu’il pensait, en raison de la présence de travailleurs parmi eux, pouvoir en quelque sorte rallier à la révolution prolétarienne grâce à la participation du PCInt dans leurs rangs.[8]

Lorsque le PCint s’est scindé en 1952, cette confusion initiale autour de sa formation n’a pas été clarifiée par la suite, y compris par Battaglia Comunista (aujourd’hui la TCI), malgré ses critiques du bordiguisme lors de la scission. Il était donc inévitable que cette même attitude conciliante envers les luttes démocratiques continue à se manifester.

En 1989, avec la chute du mur de Berlin et l’effondrement des régimes du bloc de l’Est, Battaglia a interprété à tort la colère de la population contre le régime honni de Nicolae Ceausescu en Roumanie comme une « véritable insurrection populaire », alors qu’en réalité, la population se mobilisait derrière l’opposition plus démocratique pour le remplacer. En ce qui concerne les revendications démocratiques des luttes ouvrières de l’époque en Russie même, Battaglia, tout en admettant que ces revendications peuvent être utilisées par une aile de la bourgeoisie, a déclaré : « Pour ces masses imprégnées d’anti-stalinisme et de l’idéologie du capitalisme occidental, les premières revendications possibles et nécessaires sont celles qui visent à renverser le régime “communiste”, à libéraliser l’appareil productif et à conquérir les “libertés démocratiques” ».[9]

Il est clair que l’ambiguïté dans la pratique de ces groupes quant au rejet des luttes démocratiques a une longue histoire. Mais il est impératif que l’intransigeance de classe sur ce principe soit renforcée par la Gauche communiste, non seulement pour la lutte de classe aujourd’hui, mais aussi pour la lutte révolutionnaire de demain et pour la formation de son parti de classe, qui dépendra dans une large mesure du rejet de toute conciliation avec l’une ou l’autre des formations politiques de la classe dominante, qui exploite ses divisions pour entraver cette perspective.

Como, 8 septembre 2025


[1] « Pour un Appel de la Gauche communiste contre la campagne internationale en faveur de la démocratie bourgeoise [107] », publié sur le site web du CCI et envoyé à l’ensemble des groupes de la Gauche communiste (2024).

[2] Pour un compte-rendu complet, lire les deux articles suivants : Manifestation pour la défense de la démocratie aux États-Unis : La bourgeoisie tente d’enfermer la classe ouvrière dans le piège de l’antifascisme [108] ; Corée du Sud, Serbie, Turquie… Les travailleurs ne doivent pas se laisser embarquer dans des mobilisations pour la défense de la démocratie bourgeoise [109]

[3] Against Deportation and Imperialism : No War but the Class War [110]

[4] On Minneapolis : Police Brutality & Class Struggle [111]

[5] Pour un compte rendu complet, lire Les groupes de la Gauche Communiste face au mouvement Black Lives Matter : une incapacité à identifier le terrain de la classe ouvrière [112]

[6] Voir la brochure du CCI « La Gauche communiste italienne 1926-1945 », en particulier le chapitre « 1933-1939 Bilan, étapes importantes sur la voie de la défaite ».

[7] Pour davantage d’information à propos de ce groupe dont le CCI est directement issu, lire : À l’origine du CCI et du BIPR, I – La fraction italienne et la gauche communiste de France [113] . Revue internationale n° 90.

[8] Les ambiguïtés sur les « partisans » dans la constitution du parti communiste internationaliste en Italie [114] ; Revue Internationale n° 8

[9] Polémique : le vent d'est et la réponse des révolutionnaires [115] ? Revue internationale n° 62.

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  • La mystification parlementaire [131]

Rubrique: 

Polémique avec le milieu politique prolétarien

Rapport sur la lutte de classe (mai 2025)

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Nous publions, ci-dessous, le rapport sur la lutte de classe présenté au 26e congrès du CCI. Ce document rédigé en décembre 2025 ne prend pas en compte les événements survenus en 2025 (retour de Trump à la Maison-Blanche, luttes massives en Belgique, etc.) mais la validité des perspectives tracées demeure. Ce rapport développe notamment des éléments d’analyse importants sur ce que le CCI appelle « la rupture dans la dynamique de la lutte de classes » et sur l’impact de la décomposition sur la classe ouvrière. Nous invitons nos lecteurs à consulter la « Résolution sur la situation internationale [60] » de mai 2025 adoptée lors du même congrès.

La résolution sur la situation internationale adoptée lors du 25e congrès international, analysait la dynamique de la lutte de classe de la façon suivante : « La reprise de la combativité ouvrière dans un certain nombre de pays est un événement historique majeur qui ne résulte pas seulement de circonstances locales et ne peut s’expliquer par des conditions purement nationales. […] Portés par une nouvelle génération de travailleurs, l’ampleur et la simultanéité de ces mouvements témoignent d’un véritable changement d’état d’esprit dans la classe et rompent avec la passivité et la désorientation qui ont prévalu de la fin des années 80 jusqu’à aujourd’hui ». L’été de la colère au Royaume-Uni en 2022, le mouvement contre la réforme des retraites en France à l’hiver 2023, les grèves aux États-Unis, notamment dans l’automobile, à la fin de l’été 2023, demeurent les manifestations les plus spectaculaires de la dimension historique et internationale du développement des luttes ouvrières. Les grèves de près de sept semaines des employés de Boeing ainsi que celle, inédites depuis un demi-siècle, de 45,000 dockers aux États-Unis, et ce en pleine campagne présidentielle, incarnent les derniers épisodes de la véritable rupture dans la dynamique de la lutte de classes par rapport à la situation des décennies précédentes. D’ailleurs, à l’heure où nous rédigeons ce rapport, la classe ouvrière des grandes puissances économiques s’apprête à subir des attaques sans précédent sous l’effet de l’accélération de la crise économique, faisant présager des réactions de luttes importantes dans les mois à venir. Mais ce mouvement de reprise de la combativité et de développement de la maturation souterraine de la conscience de classe se déroule dans un contexte d’aggravation de la décomposition où les effets simultanés de la crise économique, du chaos guerriers, du désastre écologique alimentent un tourbillon infernal de destruction. Le retour de Trump à la Maison-Blanche qui signifie une véritable montée en puissance du courant populiste dans la société américaine, va constituer un obstacle de poids supplémentaire auquel va devoir se confronter la lutte de classes non seulement aux États-Unis mais également à l’échelle internationale. Ce rapport vise à fournir une base de réflexion permettant d’approfondir et de prendre la mesure de la dynamique actuelle de la lutte de classe et ses implications historiques. Mais également, d’évaluer plus en détails les obstacles qui se dressent devant le prolétariat, en particulier l’impact des effets et des manifestations idéologiques de la décomposition.

I – La réalité d’une rupture dans la dynamique de la lutte de classe

L’analyse de la rupture dans la dynamique de la lutte de classe à partir de l’été 2022 a été accueillie non sans scepticisme, voire avec sarcasme au sein du milieu politique prolétarien, en particulier de la part des organisations historiques de la Gauche communiste telles que la Tendance communiste internationaliste (TCI) ou les groupes bordiguistes. De même, des doutes et des désaccords se sont exprimés dans les réunions publiques du CCI, y compris de la part des compagnons de route accoutumés à la méthode et au cadre d’analyse du CCI. Une situation exploitée par le milieu parasitaire([1]) à l’image du site web Controverse qui n’a pas manqué d’utiliser nos erreurs d’analyse passées pour mieux railler notre analyse actuelle (« Vous avez surestimé la lutte des classes dans le passé, qu’est-ce qui a changé aujourd’hui ? »).

a – Défendre la méthode d’analyse marxiste

Ces réactions de rejet vis-à-vis de notre analyse étaient en réalité l’expression d’une démarche purement empiriste et immédiatiste. A contrario, si le CCI a été capable, presque immédiatement, de reconnaître un profond changement dans la série de grèves des travailleurs britanniques, c’est parce que nous avons su nous appuyer sur notre expérience, particulièrement la méthode qui avait permis à Marc Chirik de saisir le mouvement de Mai 68, non pas comme un simple évènement momentané de la classe ouvrière en France, mais l’expression d’un mouvement historique et international, alors que les groupes historiques de la Gauche communiste passaient totalement à côté de sa signification.

Par conséquent, aujourd’hui, tout comme à la fin des années 1960, le CCI est la seule organisation à être en mesure de comprendre la portée historique d’une dynamique internationale du développement des luttes ouvrières dans le monde depuis 2022, du fait de la compréhension :

  • du cadre d’analyse de la décadence du capitalisme et de la sortie de la contre-révolution depuis la fin des années 1960, contrairement au courant bordiguiste ou à l’analyse du cours à une troisième guerre généralisée défendue par la TCI sous-entendant une classe ouvrière défaite politiquement ;
  • que l’accentuation de la crise économique à l’échelle mondiale constitue le terreau le plus fertile pour le développement de la combativité ouvrière à l’échelle internationale ;
  • que le développement et l’ampleur de cette combativité ouvrière à partir de l’été 2022 au Royaume-Uni, inédit depuis les années 1980, dans le plus ancien prolétariat de l’histoire, recouvrait nécessairement une portée historique et internationale ;
  • que ce changement d’état d’esprit au sein de la classe est le produit du développement de la maturation souterraine qui s’opère au sein de la classe depuis le début des années 2000 ;
  • que la rupture ne se réduit pas à l’ampleur et la multiplication des luttes partout dans le monde mais s’accompagne du développement de la réflexion à l’échelle internationale dans les différentes couches de la classe ouvrière et tout particulièrement, par une réflexion en profondeur au sein des minorités politisées ;
  • que cette dynamique s’inscrit dans le long terme et contient donc la potentialité de la récupération de l’identité de classe et de la politisation des luttes (jalons indispensables pour que la classe ouvrière ait les capacités de s’affronter directement à l’État bourgeois), après des décennies de reflux de la conscience au sein de la classe.

Ici réside toute la force de la méthode marxiste héritée de la Gauche communiste : une capacité à discerner les changements majeurs dans la dynamique de la société capitaliste, bien avant qu’ils soient devenus trop évidents pour pouvoir être niés.

b – La nécessité de dépasser les confusions sur la question

Pour autant, il est indispensable de saisir pleinement les conséquences et les implications de notre analyse et de combattre les approches superficielles qu’elle peut engendrer. Parmi les principales :

  • Réduire la rupture à la seule ampleur de l’expression de la combativité et au développement des luttes, en négligeant la dimension primordiale de maturation souterraine au sein de la classe.
  • Penser que le développement des luttes peut permettre à la classe ouvrière de contrer les effets de la décomposition ou que le populisme fragilise l’État bourgeois dans sa capacité à faire face à la réaction de la classe.
  • Considérer l’effet tourbillon [des effets simultanés de la crise économique, du chaos guerriers, du désastre écologique… et la rupture comme deux dimensions parallèles, étanches l’une vis à-vis de l’autre.

Fondamentalement, ces interprétations erronées expriment une difficulté à analyser la dynamique de la lutte de classe dans le contexte historique de la décomposition. Parmi les raisons de fond que l’on peut invoquer :

  • Une tendance générale à sous-estimer la phase de décomposition et donc à ne pas prendre en compte la juste mesure de son impact négatif sur la lutte de classe,
  • Une difficulté à assimiler le caractère désormais inadapté du concept de cours historique. Ceci a notamment contribué à déformer le prisme à travers lequel envisager la lutte de classe : « Ainsi, 1989 marque un changement fondamental dans la dynamique générale de la société capitaliste en décadence. Avant cette date, le rapport de force entre les classes était le facteur déterminant de cette dynamique : c’est de ce rapport de force entre les classes que dépendait le résultat de l’exacerbation capitaliste : soit le déclenchement de la guerre mondiale, soit le développement de la lutte de classes avec, en perspective, le renversement du capitalisme. Après cette date, cette dynamique générale de décadence capitaliste n’est plus directement déterminée par le rapport de force entre les classes. Quel que soit le rapport de force entre les classes, tant qu’aucune classe n’est à même d’imposer sa solution, le capitalisme va continuer à sombrer dans la décadence, car la décomposition sociale tend à échapper au contrôle des classes en conflit ».[2]

Dès lors, l’analyse de deux pôles opposés et contradictoires qui se développent de façon concomitante, s’inscrit dans le cadre exposé ci-dessus. Pour autant, ces deux dimensions de la situation, en apparence parallèles, s’imbriquent l’une et l’autre. C’est bel et bien dans un monde alimenté par le chacun pour soi, l’atomisation sociale, l’irrationalité de la pensée, le nihilisme, le tous contre tous, le chaos guerrier et environnemental et les politiques de plus en plus incohérentes et destructrices des bourgeoisies nationales, que la classe ouvrière est contrainte de développer son combat et de faire mûrir sa réflexion et sa conscience. Par conséquent, et comme nous l’avons très souvent répété, la période de décomposition ne constitue pas une nécessité pour la marche vers la révolution, et joue encore moins en faveur de la classe ouvrière.[3] Pour autant, les dangers considérables que la décomposition fait peser sur la classe ouvrière et l’humanité dans son ensemble ne doit pas conduire la classe ouvrière et ses minorités révolutionnaire à adopter une attitude fataliste en baissant pavillon. La perspective historique de la révolution prolétarienne reste toujours ouverte !

II – Les luttes contre les attaques économiques constituent le terrain privilégié à la récupération de l’identité de classe

Les répercussions de la crise actuelle seront les plus profondes et les brutales de toute la période de la décadence sous les effets cumulés de l’inflation, des coupes budgétaires,[4] des plans de licenciements (aggravé notamment par l’introduction de l’Intelligence artificielle dans l’appareil de production)[5] et de la baisse drastique des salaires. Cette situation signifie que la bourgeoisie aura de moins en moins de marge de manœuvre dans sa capacité à accompagner les effets de la crise économique comme ce fut le cas dans les décennies précédentes et les politiques économiques planifiées par l’administration Trump ne peuvent qu’avoir pour effet d’accroître davantage le marasme économique mondial. Par conséquent, face à la paupérisation croissante et la dégradation considérable des conditions de travail que va subir la classe ouvrière du fait de l’intensification de l’exploitation de la force de travail, les conditions vont mûrir pour que la classe ouvrière riposte. Mais dans cette situation générale, nous devons surtout prendre la mesure que toutes ces attaques touchent de façon simultanée les trois zones principales du capitalisme (États-Unis, Chine, Allemagne). L’Europe va connaître un démantèlement sans précédent de l’industrie automobile, certainement de la même ampleur que celui du charbon et de l’acier au cours des années 1970 et 1980. Il faut donc se préparer à voir surgir des luttes de grande ampleur dans les années à venir, en particulier dans les principaux centres du capitalisme, et dès à présent approfondir les implications profondes de cette nouvelle donne.

Pour ne donner que quelques exemples, le prolétariat allemand qui était jusqu’à présent à l’arrière-garde de la lutte de classe, va jouer un rôle beaucoup plus central dans le combat de la classe contre le capital. En Chine, l’explosion du chômage, en particulier chez les jeunes (25%), va effriter de plus en plus le mythe d’une Chine moderne et prospère et entraînera des réactions de la part d’un prolétariat inexpérimenté, encore largement impacté par la doctrine maoïste, l’arme idéologique du capitalisme d’État dans ce pays. De même, l’ampleur de la crise n’a pas épargné le prolétariat de Russie qui subissait de plein fouet les conséquences de l’économie de guerre. Cela nous conduit à attendre des réactions de cette fraction de notre classe, sans pour autant négliger les faiblesses profondes causées par la contre-révolution et aggravées par la décomposition.

Il faut aussi s’intéresser de plus près à la lutte des classes dans la région indo-pacifique. L’année 2024 a été marquée par des grèves dans de nombreux secteurs (automobile, construction, éducation…) dans plusieurs pays de la région (Inde, Chine, Corée du Sud, Japon, Taïwan, Indonésie) contre la baisse des salaires, les fermetures d’usines et la dégradation des conditions de travail.

Cependant, si effectivement les attaques économiques forment le terrain le plus favorable pour le développement de la lutte de classe, non seulement sur le plan défensif immédiat (un élément vital dans la récupération de l’identité de classe) mais aussi dans l’émergence d’une compréhension consciente que le mode de production dans son ensemble est totalement en faillite et doit céder la place à une nouvelle société, nous devons évaluer de façon plus précise les types d’attaques les plus propices pour le développement de la solidarité et de l’unité au sein de la classe à court terme comme à long terme.

La multiplicité des attaques, telles que les fermetures d’entreprises et les suppressions d’emplois qui les accompagnent débouchent pour le moment sur de multiples luttes dans plusieurs pays. Mais elles demeurent largement isolées et débouchent sur une sorte d’impasse. Il est très difficile pour les travailleurs de lutter contre les fermetures d’usines, alors que la grève ne suffira pas à faire pression sur des patrons qui ont déjà l’intention de fermer des entreprises. Un exemple est la difficulté des travailleurs de Port Talbot au Pays de Galles à développer une lutte contre la fermeture de cette usine sidérurgique clé. En fait, de façon plus générale, il faudra examiner de près l’impact du chômage de masse sur le développement de la conscience du prolétariat. Car si cette résultante directe de la crise économique « peut en général contribuer à démasquer l’incapacité du capitalisme à assurer un futur aux prolétaires, il constitue également un puissant facteur de “lumpénisation” de certains secteurs de la classe, notamment parmi les jeunes ouvriers, ce qui affaiblit d’autant les capacités politiques présentes et futures de celle-ci ».[6] Par conséquent, ce n’est que lorsqu’elle aura franchi un palier supplémentaire dans le développement de sa conscience, lorsqu’elle sera notamment en mesure de se concevoir en tant que classe ayant un rôle à assumer pour l’avenir de la société, que la question des licenciements massifs et du chômage de masse constitueront véritablement des éléments permettant à la classe de donner une réponse unie et solidaire contre les attaques de l’État bourgeois ainsi qu’à une réflexion plus en profondeur sur la faillite du capitalisme.

Les attaques sur les salaires peuvent en revanche engendrer un rapport de force plus favorable. D’ailleurs, les luttes ayant initié la rupture de 2022 portaient essentiellement sur la question des salaires. C’est aussi ce que semble avoir démontré le dernier épisode de luttes aux États-Unis au cours des derniers mois écoulés. Parce que le salariat forme la base du rapport entre le capital et le travail, la question de la défense des salaires forme l’ « intérêt commun » de tous les ouvriers contre leurs exploiteurs. Cette lutte « les réunit dans une même pensée de résistance (coalition). Ainsi la coalition a toujours un double but, celui de faire cesser entre eux la concurrence, pour pouvoir faire une concurrence générale au capitaliste. Si le premier but de la résistance n’a été que le maintien des salaires, à mesure que les capitalistes à leur tour se réunissent dans une pensée de répression, les coalitions, d’abord isolées, se forment en groupe, et en face du capital toujours réuni, le maintien de l’association devient plus nécessaire pour eux que celui du salaire. […] Ainsi cette masse est déjà une classe vis-à-vis du capital mais pas encore pour elle-même. Dans la lutte, […] cette masse se réunit, elle se constitue en classe pour elle-même. Les intérêts qu’elle défend deviennent des intérêts de classe. Mais la lutte de classe à classe est une lutte politique ».[7]

III – Guerre, décomposition et conscience de classe

Dans la période de luttes ouvrières massives entre 1968 et 1975, alors que les pays centraux du capitalisme avaient connu une période de prospérité, il y avait encore de fortes illusions sur la possibilité de restaurer les « années glorieuses », en particulier en élisant des gouvernements de gauche. Ainsi, bien que ces mouvements aient donné lieu à une politisation certaine des minorités ([8]), notamment avec la réanimation de la tradition de la Gauche communiste, le potentiel des luttes à donner lieu à une politisation plus générale de la classe était limité. Même dans les luttes des années 1980, il était encore beaucoup moins évident que le système capitaliste arrivait au bout de son rouleau, et les luttes des travailleurs, même si elles étaient massives et capables de faire obstacle à la guerre mondiale, n’ont pas réussi à généraliser une perspective politique pour le dépassement du capitalisme.

Le résultat fondamental de l’impasse entre les classes dans les années 1980 a été le développement de la nouvelle phase de décomposition, qui est devenue un obstacle supplémentaire à la capacité de la classe ouvrière de se reconstituer en tant que force révolutionnaire. Mais l’accélération de la décomposition a aussi permis de mieux comprendre que le long déclin du capitalisme a atteint une phase terminale où le choix entre le socialisme et la barbarie est devenu de plus en plus évident. Même si le sentiment que nous nous dirigeons vers la barbarie est beaucoup plus répandu que la conviction que le socialisme offre une alternative réaliste, la reconnaissance croissante que le capitalisme n’a rien d’autre à offrir à l’humanité qu’une spirale de destruction fournit toujours les bases d’une future politisation de la lutte des classes.

Outre la crise économique, qui reste la base essentielle du développement des luttes ouvertes de la classe et de la prise de conscience de la faillite du système, les deux éléments qui soulignent le plus clairement la réalité de l’impasse du capitalisme sont la prolifération et l’intensification des guerres impérialistes et l’avancée inexorable de la catastrophe écologique, symbolisée tout récemment par les inondations massives de Valence qui démontrent que cette catastrophe ne se limitera plus aux régions « périphériques » du système. Cependant, en tant que facteurs de l’émergence d’une conscience politique au sein de la classe, ces deux éléments ne sont pas égaux.

Nous avons depuis longtemps rejeté l’idée, à laquelle s’accrochent encore la plupart des groupes du milieu politique prolétarien, que la guerre, en particulier la guerre mondiale, offre un terrain favorable au déclenchement des luttes révolutionnaires. Dans des articles de la Revue Internationale des années 1980,[9]  nous avons montré que si cette conception s’appuyait sur l’expérience réelle des révolutions passées (1871, 1905, 1917), et si toute lutte de classe en temps de mobilisation pour la guerre pose inévitablement des questions politiques de manière très rapide, les inconvénients auxquels sont confrontés les mouvements révolutionnaires qui surgissent en réponse directe à la guerre l’emportent largement sur les « avantages ». Ainsi :

  • L’expérience de la Première Guerre mondiale a donné à la classe dirigeante une leçon très importante, qu’elle devait appliquer très systématiquement avant et à la fin de la Seconde Guerre mondiale : avant de lancer une guerre globale, il faut d’abord imposer une profonde défaite physique et idéologique au prolétariat, et lorsque les misères et les horreurs de la guerre provoquent des signes de réactions prolétariennes, il faut les écraser immédiatement (cf. la collaboration objective des forces Alliées et nazies dans l’anéantissement des révoltes ouvrières en Italie en 1943, les bombardements de terreur sur l’Allemagne, etc.).
  • Le vieux schéma du défaitisme révolutionnaire, selon lequel la défaite de son propre gouvernement est favorable au développement de la révolution, a été réfuté par le fait que la division entre nations victorieuses et nations vaincues crée des divisions profondes dans le prolétariat mondial, comme on l’a vu le plus clairement au lendemain de la guerre de 1914-18.
  • La technologie militaire du capitalisme a « progressé » au point que la fraternisation à travers les tranchées devient de moins en moins possible, et elle a également rendu beaucoup plus probable qu’une future guerre mondiale conduise rapidement à une escalade nucléaire et à une « destruction mutuelle assurée ».

Les guerres actuelles en Ukraine et au Moyen-Orient ont confirmé que les principaux obstacles à la guerre capitaliste sont beaucoup moins susceptibles de provenir de révoltes dans les pays directement engagés dans la guerre, que d’émerger des fractions centrales du prolétariat qui ne sont qu’indirectement impactées par la guerre impérialiste à travers les exigences croissantes de l’économie de guerre.

Cela ne signifie pas pour autant que la guerre n’est plus un facteur de développement de la conscience de classe et du processus de politisation. Au contraire, nous avons vu :

  • que l’omniprésence de la guerre, notamment depuis l’invasion russe de l’Ukraine, reste un facteur important dans l’émergence de minorités remettant en cause l’ensemble du système capitaliste ;
  • que la capacité des travailleurs à défendre leurs propres intérêts de classe malgré l’appel aux sacrifices au nom de la « défense de la liberté » a été un élément clé de la rupture de 2022. En outre, la reconnaissance du fait que l’on demande aux travailleurs de payer pour l’expansion de l’économie de guerre a été posée explicitement par certains des travailleurs les plus combatifs engagés dans les luttes après 2022, notamment en France.[10]

Il est vrai que, dans ces deux exemples, il s’agit plus de la politisation des minorités que de la politisation des luttes. Cela n’est pas surprenant étant donné le nombre de pièges idéologiques auxquels sont confrontés ceux qui commencent à établir des liens entre le capitalisme et la guerre : d’une part, nous avons l’exemple de la façon dont les populistes en Europe et surtout aux États-Unis ont récupéré tout embryon de sentiment anti-guerre dans la classe, le transformant même, dans le cas de la guerre en Ukraine, en une orientation pro-russe à peine dissimulée. De l’autre, nous avons une foule de gauchistes qui brandissent une version de l’internationalisme qui peut même sembler dénoncer les deux camps belligérants en Ukraine, mais qui revient toujours, en fin de compte, à faire l’apologie de l’un ou l’autre camp. Et ces mêmes gauchistes, généralement beaucoup plus partisans dans leur soutien à l’ « Axe de la Résistance » contre Israël, sont un facteur important dans l’exacerbation des divisions religieuses et ethniques attisées par la guerre au Moyen-Orient. Il n’est guère surprenant qu’une véritable réponse internationaliste aux guerres actuelles soit limitée à une minorité d’éléments en recherche. Et même au sein de cette minorité, ou encore au sein des groupes de la gauche communiste, les confusions et les incohérences ne sont que trop évidentes.

Dans la section finale des Thèses de la décomposition, nous avançons les raisons pour lesquelles la crise économique, contrairement aux principaux phénomènes de décomposition, reste le principal vecteur de la capacité de la classe ouvrière à redécouvrir son identité de classe et à se constituer en classe ouvertement opposée à la société capitaliste : « tandis que les effets de la décomposition (pollution, drogue, insécurité, etc.) frappent de la même manière les différentes couches de la société et constituent un terrain fertile pour les campagnes et les mystifications aclassistes (écologie, mouvements antinucléaires, mobilisations antiracistes, etc,) les attaques économiques (baisse des salaires réels, licenciements, augmentation de la productivité, etc.) résultant directement de la crise frappent directement et spécifiquement le prolétariat (c’est-à-dire la classe qui produit la plus-value et affronte le capitalisme sur ce terrain) ; contrairement à la décomposition sociale qui affecte essentiellement la superstructure, la crise économique s’attaque directement aux fondements sur lesquels repose cette superstructure ; en ce sens, elle met à nu toute la barbarie qui s’abat sur la société, permettant ainsi au prolétariat de prendre conscience de la nécessité de changer radicalement le système, plutôt que d’essayer d’en améliorer certains aspects ». [11]

Ces formulations restent pour l’essentiel valables, même s’il n’est pas strictement vrai que la destruction de la nature n’est qu’un aspect de la superstructure, puisqu’elle est un produit direct de l’accumulation capitaliste et qu’elle menace de saper les conditions mêmes de la survie de la société humaine et de la poursuite de la production. Si l’aggravation de la crise écologique peut être un facteur potentiel de remise en cause, par de petites minorités ([12]) des fondements mêmes de la production capitaliste, elle reste un facteur de peur et de désespoir pour une grande partie de la classe. Le désastre écologique tend à frapper toutes les couches de la société de la même manière, même si ses effets les plus dévastateurs sont généralement ressentis par la classe ouvrière et les exploités, et reste donc « un terrain fertile pour les campagnes et les mystifications aclassistes ». Ce qui tend à restreindre la capacité des éléments perturbés par le désastre écologique à comprendre que la seule solution passe par la lutte des classes.

En outre, les « solutions » immédiates proposées par les États capitalistes à la détérioration de l’environnement impliquent souvent des attaques directes contre le niveau de vie d’une partie de la classe ouvrière, en particulier des licenciements massifs pour remplacer la production basée sur les combustibles fossiles par des technologies plus « propres ». En ce sens, les revendications pour sauver l’environnement sont plus souvent un facteur de division que d’unification dans les rangs de la classe ouvrière, contrairement à la crise économique qui tend à « niveler par le bas » l’ensemble du prolétariat.

La conclusion des Thèses n’inclut pas l’impact de la guerre sur le développement de la conscience de classe, mais ce que l’on peut dire, c’est que :

  • la question de la guerre impérialiste (comme la crise économique prolongée et insoluble qui en est à l’origine) n’est pas un produit spécifique de la décomposition capitaliste, mais un élément central de toute l’époque de décadence.
  • il existe un lien beaucoup plus étroit entre la crise économique et la guerre : en particulier, le développement d’une économie de guerre s’accompagne d’une attaque très évidente et assez généralisée contre le niveau de vie des travailleurs par le biais de l’inflation, de l’intensification du rythme de travail, etc. La résistance à cette agression sur un terrain de classe, même si elle n’est fondée sur une vision internationale claire que dans une infime minorité, ne peut manquer de soulever des questions profondément politiques sur le lien entre le capitalisme et la guerre, et sur les intérêts internationaux communs du prolétariat. C’est la raison principale pour laquelle la politisation des minorités au sens prolétarien se révèle fondée sur une réaction à la question de la guerre bien plus qu’aux phénomènes plus spécifiques de décomposition, y compris l’accélération de la crise écologique. Et à plus long terme, la menace croissante et l’irrationalité totale de la guerre seront un facteur réel de la politisation future des luttes. Mais nous devons souligner que ce n’est qu’à un stade plus avancé du développement de l’identité de classe et de la lutte de classe que ces étapes vers la politisation (que ce soit autour de la question de la guerre ou des expressions plus caractéristiques de la décomposition, comme la crise écologique) peuvent passer du niveau de petites minorités à des mouvements beaucoup plus larges et plus ouverts de la classe ouvrière.

IV – La capacité de la classe dominante à faire face au regain de la lutte de classe

Aussi fragmentée et affaiblie soit-elle par l’avancée de la décomposition de son propre mode de production, la bourgeoisie ne perdra jamais la capacité de répondre au développement de la lutte des classes. En réponse à la reprise des luttes depuis 2022 et tout particulièrement au développement de la maturation souterraine de la conscience, nous avons ainsi vu la classe dirigeante utiliser largement ses instruments « classiques » de contrôle du prolétariat :

  • Les syndicats, qui ont radicalisé leur langage en anticipation ou en réponse au déclenchement des combats ouvriers. C’était un élément très clair dans les luttes en Grande-Bretagne par exemple, où la direction des syndicats les plus directement impliqués dans les luttes était assumée par des éléments très à gauche comme Mick Lynch du syndicat des travailleurs des chemins de fer, le RMT.
  • Les groupes de gauche, en particulier les trotskistes, dont certains (« Revolutionary Communist Party », « Révolution Permanente », etc.) ont recommencé à parler de communisme et, comme nous l’avons déjà mentionné, peuvent sembler défendre des positions internationalistes, en particulier en réponse à la guerre en Ukraine. Beaucoup de ces groupes ont recruté avec succès parmi les jeunes, un écho atténué de ce qui s’était passé après les combats de mai-juin 1968 en France.

Il ne fait aucun doute que le rôle des syndicats et de la gauche se poursuivra dans la période à venir.

V – Le poids de la décomposition et l’instrumentation de ses principales manifestations par la bourgeoisie

Comme nous l’avons mentionné plus haut, nous avons vu surgir l’idée dans les discussions que les luttes actuelles de la classe pourraient permettre de repousser les effets de la décomposition, ou que la décomposition affaiblit la bourgeoisie dans sa capacité à riposter contre la classe ouvrière. De tels arguments remettent en cause l’idée que la décomposition ne favorise pas la lutte de la classe ouvrière. La peur, le repli, le désespoir provoqués par la généralisation de la barbarie guerrière ; le nihilisme, l’atomisation, l’irrationalité de la pensée engendrée par l’absence d’avenir et la destruction des rapports sociaux, sont autant d’obstacles au développement d’une lutte collective, unie et solidaire et à la maturation de la pensée.

Mais nous voyons aussi comment la bourgeoisie utilise les produits de sa propre décomposition contre le développement des luttes ouvrières, en particulier :

  • Les campagnes contre le populisme et l’extrême droite, le produit le plus « chimiquement pur » de la décomposition, font revivre l’idéologie ancestrale de l’antifascisme et de la défense de la démocratie. Ces campagnes, qui s’intensifieront sans aucun doute à la suite de la victoire de Trump aux élections américaines, ont le double avantage de persuader les travailleurs de placer la défense de l’illusion démocratique au-dessus de la lutte pour leurs propres intérêts de classe « égoïstes », et de contrer la menace de l’unité de classe en entraînant différents secteurs de la classe ouvrière derrière les camps capitalistes concurrents.
  • Cette stratégie de division se retrouve également dans les différentes formes de « guerres culturelles », qui jouent sur le conflit entre les « woke » et les « anti-woke » autour de nombreuses questions (genre, migration, environnement, etc.) ainsi qu’autour des conflits de plus en plus violents entre les partis politiques.
  • Le développement des campagnes anti-immigration par les partis de droite et d’extrême droite vise à instiller une atmosphère de pogrom, en faisant des migrants et des étrangers des boucs émissaires et en les rendant responsables de la baisse du niveau de vie. Ce type de poison idéologique ne peut être contré que par la capacité de la classe à forger son unité et sa solidarité face aux attaques matérielles auxquelles sont confrontés tous les prolétaires. La situation sera également marquée par des révoltes des couches intermédiaires et par des mouvements interclassistes, que la bourgeoisie utilisera pour dénaturer les luttes et le processus de réflexion.

VI – La nécessité pour le prolétariat de réagir sur son propre terrain de classe

Face à cet énorme assaut idéologique, la seule réponse possible du point de vue du prolétariat doit être :

  • La récupération des leçons des combats passés qui peuvent mettre en évidence le rôle de sabotage des syndicats et de la gauche et préparer le terrain pour les luttes auto-organisées et unifiées d’une phase supérieure de la rupture.

– Le développement, dans et autour des luttes ouvertes, de la prise de conscience du prolétariat en tant que classe opposée au capital, qui est indispensable à la fois pour la capacité de la classe à défendre ses revendications immédiates et pour le développement d’une compréhension de sa mission historique en tant que fossoyeur du capital.

Il va sans dire que l’organisation révolutionnaire a un rôle irremplaçable à jouer dans l’évolution de la conscience dans cette direction. La capacité du CCI à assumer son rôle dépend précisément de sa capacité à prendre la mesure des immenses défis auxquels la classe ouvrière sera confrontée dans les décennies à venir.

CCI, 31 décembre 2024


[1]Il s’agit de petits groupes ou individus, animés par le ressentiment, dont la vie « militante » consiste à discréditer et tenter de détruire les organisations révolutionnaires. Les organisations révolutionnaires ont toujours eu à se défendre contre cette véritable plaie et la Gauche communiste n’est aujourd’hui pas épargnée. Cf. « Les fondements marxistes de la notion de parasitisme politique et le combat contre ce fléau [132] », publié sur le site web du CCI.

[2] « Rapport sur la question du cours historique », Revue internationale n°164.

[3] « Durant cette période, son objectif sera de résister aux effets nocifs de la décomposition en son propre sein en ne comptant que sur ses propres forces, sur sa capacité à se battre de façon collective et solidaire en défense de ses intérêts en tant que classe exploitée (même si la propagande des révolutionnaires doit en permanence souligner les dangers de la décomposition). C’est seulement dans la période prérévolutionnaire, quand le prolétariat sera à l’offensive, lorsqu’il engagera directement et ouvertement le combat pour sa propre perspective historique, qu’il pourra utiliser certains effets de la décomposition, notamment la décomposition de l’idéologie bourgeoise et celle des forces du pouvoir capitaliste, comme des points d’appui et qu’il sera capable de les retourner contre le capital. », Thèses sur la décomposition.

[4] L’État français prévoit plusieurs dizaines de milliards d’économie quand Elon Musk a promis de couper près de 2,000 milliards de dollars dans les dépenses du budget fédéral.

 [5]Des dizaines de milliers, voire des centaines de milliers d’emplois sont menacés dans les principaux pays centraux du capitalisme (France, Allemagne, Royaume-Uni, États-Unis…) dans les mois et années à venir.

[6] « THESES : la décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste [51] », Revue internationale n° 107.

[7] Karl Marx, Misère de la Philosophie, chapitre II, « Section V. Les grèves et les coalitions des ouvriers ».

[8] Pour la distinction entre la politisation des minorités et la politisation des luttes, voir le « Rapport sur la lutte de classe internationale au 24ème Congrès du CCI [133] », Revue internationale n° 167. L’article intitulé « Après la rupture dans la lutte de classe, la nécessité de la politisation des luttes [134] » paru dans la Revue internationale n°171, offre une base permettant d’approfondir la question de la politisation afin d’en cerner sa signification profonde dans la phase de décomposition.

[9] « Pourquoi l'alternative guerre ou révolution : La guerre est-elle une condition favorable pour la révolution communiste ? [135] », Revue internationale n°30 ; « Le prolétariat face à la guerre [136] », Revue internationale n°65.

[10] En Iran, lors de grèves et de manifestations récentes [à l’été 2024] parmi les travailleurs des secteurs de la santé, de l’éducation, des transports et du pétrole, ainsi que les retraités de l’industrie sidérurgique confrontés à une forte hausse des prix, la compréhension du fait que la poussée inflationniste est un produit de l’économie de guerre s’est exprimée dans le slogan lancé dans les villes d’Ahvaz et de Shush : « Assez de bellicisme, nos tables sont vides ».

[11] « THESES : la décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste [51] », Revue internationale n°107.

[12] Le développement de ces minorités, ou plutôt la nécessité objective de les empêcher de parvenir à une critique cohérente du capital, explique l’émergence d’une aile radicale du mouvement de protestation écologique, notamment les partisans de la « décroissance ».

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26e congrès du CCI

Résolution sur la situation internationale (mai 2025)

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Préambule à la résolution sur la situation internationale

Cette résolution a été adoptée début mai 2025 par le 26ème Congrès du CCI. En tant que telle, elle ne peut prendre en compte que les événements et situations antérieurs à cette date. C'est évidemment le cas pour toute prise de position sur la situation internationale, mais dans le cas présent, il est particulièrement important de le noter car nous assistons actuellement à une succession rapide d'événements particulièrement spectaculaires et imprévisibles, d'une importance majeure sur les trois principaux plans de cette situation : les tensions impérialistes, la situation économique du capitalisme mondial et le rapport de forces entre le prolétariat et la bourgeoisie. En raison de l'espèce de "tsunami" qui affecte actuellement le monde, le contenu et certaines des positions prises dans cette résolution peuvent paraître dépassés au moment de sa publication. C'est pourquoi, au-delà des faits qui y sont mentionnés et qui peuvent être éclipsés par de nouveaux développements de la situation, il est important qu'elle fournisse un cadre pour comprendre les causes, la signification et les enjeux des événements qui se déroulent sous nos yeux.

L'un des principaux facteurs des bouleversements actuels est évidemment l'investiture de Donald Trump le 20 janvier 2025, qui a conduit à un divorce spectaculaire entre les États-Unis et la quasi-totalité des pays européens membres de l'OTAN. Tous les "experts" et dirigeants bourgeois s'accordent à dire que la nouvelle politique internationale de la bourgeoisie américaine, notamment en ce qui concerne la guerre en Ukraine, est un événement majeur qui marque la fin de l'"Alliance atlantique" et du "parapluie américain", obligeant les anciens "protégés de Washington" à réorganiser leur stratégie militaire et à se lancer dans une course effrénée aux armements. L'autre décision majeure de l'administration Trump est évidemment le lancement d'une guerre commerciale d'une intensité inédite depuis près d'un siècle. Très rapidement, notamment avec la vague de panique qui a déferlé sur les marchés boursiers et les milieux financiers, Trump a été contraint de faire partiellement marche arrière, mais ses décisions brutales et contradictoires ne peuvent pas ne pas avoir d'impact sur la détérioration de la situation économique du capitalisme mondial. Ces deux décisions fondamentales de l'administration Trump ont été un facteur très important dans l'évolution chaotique de la situation mondiale. Mais ces décisions doivent aussi et surtout être comprises comme des manifestations d'un certain nombre de tendances historiques profondes actuellement à l'œuvre dans la société mondiale. Dès avant l'effondrement du bloc de l'Est et de l'Union soviétique (1989-1991), le CCI avait avancé l'analyse selon laquelle le capitalisme était entré dans une nouvelle phase de sa décadence, "la phase ultime (...) où la décomposition devient un facteur décisif, sinon le facteur décisif, de l'évolution de la société". Et les événements chaotiques de ces derniers mois ne font que confirmer cette réalité. L'élection de Trump, avec ses conséquences catastrophiques pour la bourgeoisie américaine elle-même, est l'exemple même de l'incapacité croissante de la classe bourgeoise à maîtriser son jeu politique, comme nous l'avions prédit il y a 35 ans. De même, le divorce entre les États-Unis et leurs anciens alliés de l'OTAN confirme un autre aspect de notre analyse de la décomposition : la grande difficulté dans la période actuelle, voire l'impossibilité, de former de nouveaux blocs impérialistes comme condition préalable à une nouvelle guerre mondiale. Enfin, un autre aspect que nous avons souligné, notamment depuis notre 22e Congrès en 2017 - l'impact croissant du chaos qui s'empare de plus en plus de la sphère politique de la bourgeoisie sur sa sphère économique - a trouvé une nouvelle confirmation dans les bouleversements économiques provoqués par les décisions du populiste Trump.

C'est donc dans le cadre de notre analyse de la décomposition que cette résolution tente d'approfondir les enjeux de la période historique actuelle. Et cet examen doit nécessairement prendre en compte les conséquences pour la lutte de la classe ouvrière des événements chaotiques qui affectent la société mondiale.

Résolution sur la situation internationale au 26ème Congrès du CCI

1. "...de même que le capitalisme connaît différentes périodes dans son parcours historique -naissance, ascendance, décadence- chacune de ces périodes contient elle aussi un certain nombre de phases distinctes et différentes. Par exemple, la période d'ascendance comporte les phases successives du libre marché, de la société par actions, du monopole, du capital financier, des conquêtes coloniales, de l'établissement du marché mondial. De même, la période de décadence a aussi son histoire : impérialisme, guerres mondiales, capitalisme d'État, crise permanente et, aujourd'hui, décomposition. Il s'agit là de différentes manifestations successives de la vie du capitalisme dont chacune permet de caractériser une phase particulière de celle-ci...." (THESES : la décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste [51][1]). Il en va de même pour la phase de décomposition elle-même qui a marqué une étape qualitative dans le développement de la décadence ; cette phase en est à sa quatrième décennie, et depuis le début des années 2020, avec l'éclatement de la pandémie de Covid et le déclenchement de guerres meurtrières en Ukraine et au Moyen-Orient, elle a atteint un niveau d'accélération qui marque une nouvelle étape significative, dans laquelle toutes ses diverses manifestations interagissent et s'intensifient mutuellement dans ce que nous avons appelé l'effet de "tourbillon".

2. Cette évaluation a été pleinement confirmée depuis le 25e Congrès du CCI : la crise économique, la guerre impérialiste, l'effondrement écologique et la perte croissante de contrôle de l'appareil politique de la bourgeoisie se combinent et s'exacerbent mutuellement, portant la menace évidente de la destruction de l'humanité. Cette "polycrise" est déjà reconnue par certaines des institutions les plus importantes de la classe dirigeante, comme nous l'avons montré dans le rapport sur la décomposition adopté par le 25e Congrès du CCI, mais celles-ci sont impuissantes à proposer des solutions. Au lieu de cela, les éléments les plus irrationnels de la classe dirigeante sont en hausse, ce qui s'est exprimé le plus clairement par la victoire de Trump à l'élection présidentielle américaine. Trump est un produit évident de la décomposition du système, mais la "tempête de merde" des mesures prises immédiatement après son accession au pouvoir démontre également que l'accession à la fonction gouvernementale par une faction populiste dirigée par un aventurier narcissique dans le pays le plus puissant de la planète sera un facteur actif de l'accélération de la décomposition et de la perte globale de contrôle de la bourgeoisie sur son propre système.

3. Le facteur de la concurrence et de la guerre impérialistes est au cœur même de ce tourbillon mortel. Mais contrairement aux arguments de la majorité des groupes du milieu politique prolétarien, l'effet de tourbillon n'entraîne pas une marche disciplinée vers de nouveaux blocs et une troisième guerre mondiale. Au contraire, Il renforce la tendance au « chacun pour soi » qui s'imposait à la faveur de l'effondrement du bloc impérialiste russe et de l’entrée définitive dans la période de décomposition au début des années 1990. Comme nous l'avions prédit dans plusieurs textes fondamentaux écrits à l'époque, la disparition du bloc de l'Est a conduit à l'effritement du bloc dominé par les États-Unis, malgré les divers efforts de l'impérialisme américain pour imposer son autorité à ses anciens alliés. Et nous avons insisté sur le fait que ce nouveau désordre mondial prendrait la forme de guerres étendues, insolubles et de plus en plus destructrices, qui ne sont pas moins dangereuses qu'une trajectoire vers la guerre mondiale, précisément en raison de l'absence de toute discipline de bloc. Les dernières mesures prises par les États-Unis sous Trump incarnent une nouvelle étape dans le chaos croissant qui domine les rivalités impérialistes dans la phase de décomposition. Et alors que le désordre mondial déclenché par l'effondrement du bloc russe en 1989-1991 était centré autour d’une puissance économique et militaire affaiblie, le fait que le "nouveau désordre" ait pour épicentre la première puissance mondiale présage des plongées encore plus profondes dans le chaos au cours de la période à venir.

4. L'axe central du conflit impérialiste mondial reste l'antagonisme entre les États-Unis et la Chine. À ce niveau, il y a un fort élément de continuité avec les administrations Obama et Biden, qui considèrent la Chine comme le principal rival de la domination américaine. Ce déplacement du centre des antagonismes impérialistes de l'Europe occidentale, comme c'était le cas pendant la guerre froide, vers la région du Pacifique, est un facteur important dans la volonté de Trump de réduire la "défense de l'Europe" à une place beaucoup plus modeste dans la stratégie américaine. D'une manière générale, la politique consistant à contenir la Chine en l'encerclant par des alliances régionales et en imposant des limites à son expansion économique se poursuivra, même si les moyens tactiques et concrets peuvent différer. Toutefois, l'imprévisibilité de l'approche de Trump pourrait entraîner des fluctuations importantes, allant de tentatives d'apaisement de Pékin à des actions ouvertement provocatrices autour de Taïwan. D'une manière générale, cette imprévisibilité même sera un facteur supplémentaire de déstabilisation des relations internationales.

5. En revanche, les politiques de Trump à l'égard de l'Ukraine représentent une véritable rupture avec les politiques étrangères "traditionnelles" des États-Unis, fondées sur une opposition vigoureuse à l'impérialisme russe. La tentative de conclure un accord avec la Russie sur la guerre en Ukraine, qui exclut l'Europe et l'Ukraine, accompagnée de l'humiliation publique de Zelensky à la Maison Blanche, marque un nouveau palier important dans la division entre les États-Unis et les principales puissances d'Europe, montrant à quel point nous sommes loin de la formation d'un nouveau "bloc occidental". Ce divorce n'est pas un événement purement contingent, mais a des racines beaucoup plus profondes. Le conflit direct entre les États-Unis et l'Europe s'est déjà manifesté lors de la guerre en Yougoslavie au début des années 90, la France et la Grande-Bretagne soutenant la Serbie, l'Allemagne la Croatie et les États-Unis la Bosnie. Aujourd'hui, point culminant de ce processus qui, en 2003, a également vu des puissances européennes comme la France et l'Allemagne refuser de suivre les États-Unis dans l'invasion de l'Irak, l'Amérique est de plus en plus perçue comme un nouvel ennemi, symbolisé par le vote des États-Unis avec la Biélorussie, la Corée du Nord et la Russie contre une résolution de l'ONU le 24 février condamnant l'invasion russe, et par les menaces ouvertes de convertir le Canada, le Groenland et le Panama en propriété des États-Unis, par la force militaire si besoin est. A tout le moins, les Etats-Unis sont perçus comme un allié peu fiable, ce qui oblige les puissances européennes à se réunir dans une série de conférences d'urgence pour réfléchir à la manière dont elles peuvent assurer leur "défense" impérialiste sans le parapluie militaire des Etats-Unis. Cependant, les divisions réelles entre ces puissances - par exemple entre les gouvernements dirigés par des partis populistes ou d'extrême droite qui penchent vers la Russie, et surtout entre la France et l'Allemagne au cœur même de l'Union européenne - ne doivent pas être sous-estimées en tant qu'obstacle supplémentaire à la formation d'une alliance européenne stable. Et le régime américain actuel fera certainement tout ce qu'il peut pour accroître les divisions entre les pays de l'UE, que Trump a explicitement attaqués comme une formation qui a été mise en place pour « baiser les États-Unis ».

6. Dans le même temps, toujours en nette discontinuité avec l'approche de la précédente administration américaine et des principales puissances européennes, qui ont prôné une "solution à deux États" au conflit en Israël/Palestine, le régime Trump soutient ouvertement les politiques annexionnistes du gouvernement de droite israélien en supprimant les sanctions contre les actions violentes des colons de Cisjordanie, en nommant Mike Huckabee - qui déclare que "la Judée et la Samarie" ont été données à Israël par Dieu il y a 3 000 ans - au poste d'ambassadeur des États-Unis en Israël, et surtout en appelant au nettoyage ethnique de près de deux millions de Palestiniens de Gaza et en transformant toute la région en un paradis pour la spéculation immobilière. Ces politiques, malgré leur forte dose de fantaisie, ne peuvent que perpétuer et intensifier les conflits qui s'intensifient et se propagent déjà dans tout le Moyen-Orient, plus clairement au Yémen, au Liban et en Syrie, où la guerre interne est loin d'être terminée malgré le remplacement du régime Assad, et où Israël a mené des raids aériens plus meurtriers, qui sont généralement perçus comme un avertissement à la Turquie. En particulier, le chèque en blanc que Trump a donné au gouvernement Netanyahou contient également la probabilité de nouveaux affrontements directs entre Israël et l'Iran.

7. Pendant ce temps, d'autres conflits impérialistes se préparent ou s'aggravent déjà, notamment en Afrique, où le Congo, la Libye et le Soudan sont devenus de véritables théâtres de massacres et de famines. L'Afrique est un autre exemple de conflits locaux alimentés par une variété déconcertante d'États régionaux (comme le Rwanda au Congo) et de grands acteurs impérialistes (États-Unis, France, Chine, Russie, Turquie, etc.) qui peuvent être des alliés dans un conflit et des ennemis dans un autre.

Même si la chasse aux matières premières vitales est un aspect clé de beaucoup de ces conflits, la caractéristique principale de toutes ces guerres est qu'elles apportent de moins en moins de bénéfices économiques ou stratégiques à tous leurs protagonistes. Surtout, elles n'indiquent pas une solution à la crise économique mondiale par la dévaluation du capital ou la reconstruction des économies ruinées, comme le prétendent de nombreux groupes du milieu politique prolétarien. La vision économiste de ces groupes ignore simplement la direction réelle du capitalisme dans ses dernières étapes - qui est vers la destruction de l'humanité et non pas une nouvelle étape dans le cycle d'accumulation.

8. L'interaction croissante entre la crise économique et les rivalités impérialistes, ainsi que les effets de la décomposition sur l'état de l'économie mondiale, sont tous deux clairement illustrés par l'avalanche de droits de douane décrétés par le régime Trump. Cette "déclaration de guerre" aux économies du reste du monde, qui vise des voisins proches et d'anciens alliés ainsi que des ennemis déclarés, peut être considérée comme une tentative des États-Unis de démontrer leur puissance en tant que géant impérialiste capable de faire cavalier seul sans avoir à répondre à aucun autre État ou organisme international. Mais elle est également basée sur une "stratégie" économique qui conçoit que les Etats-Unis peuvent mieux prospérer en sapant ou en ruinant tous leurs rivaux économiques. Il s'agit là d'une approche purement suicidaire qui se retournera immédiatement contre l'économie et les consommateurs américains en provoquant une hausse des prix, des pénuries, des fermetures d'usines et des licenciements. Et bien sûr, un effondrement sévère aux Etats-Unis ne pourrait manquer d'avoir des répercussions au niveau mondial. En particulier, un certain nombre d'économistes ont mis en garde contre le danger d'un défaut de paiement des États-Unis sur leur énorme dette nationale, dont la majeure partie est "détenue" par le Japon et son principal adversaire, la Chine ; et il est évident qu'un défaut de paiement des États-Unis ne causerait pas seulement des dommages incalculables à l'économie mondiale, mais déborderait inévitablement sur la sphère de la rivalité impérialiste entre les États-Unis et la Chine. Tout cela montre que la politique "America First" du régime Trump est en totale contradiction avec le caractère "globalisé" de l'économie mondiale dans laquelle les États-Unis eux-mêmes ont été la force la plus active, en particulier après l'effondrement du bloc de l'Est au début des années 90 ; elle marque également un retour à des mesures protectionnistes que les bourgeoisies les plus puissantes ont largement abandonnées depuis qu'elles ont démontré leur échec total comme moyen de faire face à la crise économique mondiale dans les années 1930. La tentative actuelle des Etats-Unis de démanteler les derniers vestiges politiques et militaires de l'ordre impérialiste mondial établi en 1945 s'accompagne de mesures qui menacent clairement toutes les institutions mondiales mises en place à la suite de la Grande Dépression et de la Seconde Guerre mondiale pour réguler le commerce mondial et contenir la crise de la surproduction

9. Il n'est donc pas surprenant que les bourses du monde entier aient réagi aux tarifs douaniers de Trump avec une panique croissante, tandis que de nombreux "experts" économiques ont prédit une récession mondiale, des guerres commerciales vicieuses (qui prennent déjà forme, en particulier entre les États-Unis et la Chine), une inflation galopante et même un "hiver nucléaire économique"[2] . Ces réactions ont obligé Trump à faire marche arrière sur certaines de ses menaces économiques, mais il n'est pas certain que l'on puisse encore faire confiance à la nouvelle administration américaine en tant que garante de la stabilité économique, bien au contraire. Les craintes exprimées par les "marchés" sont fondées, mais les révolutionnaires doivent également faire comprendre que si elles constituent certainement un facteur d'aggravation de la crise économique, elles n'en sont pas la cause ultime. La maladie sous-jacente de l'économie mondiale doit être attribuée à la crise mondiale de surproduction, qui est par essence permanente depuis 1914 et dont le point extrême qu'elle atteint aujourd'hui est également le produit de son aggravation historique. Bien avant l'annonce des tarifs douaniers de Trump, les principales économies mondiales, notamment l'Allemagne et la Chine, ainsi que les États-Unis, s'enfonçaient déjà dans un marasme économique, qui se traduisait par des fermetures d'usines dans les principales industries, des niveaux d'endettement ingérables, une hausse des prix dans de nombreux pays, un chômage croissant chez les jeunes, etc. La fin du "miracle économique" chinois est particulièrement significative car, contrairement à la situation créée par l'effondrement financier de 2008, la Chine ne sera plus en mesure de jouer le rôle de "locomotive mondiale".

10. La crise mondiale de surproduction, comme l'avait prédit Rosa Luxemburg, résulte du rétrécissement de la zone "extérieure" dans laquelle le capitalisme peut s'étendre. Ces zones d'économie précapitaliste étaient encore considérables lorsque Rosa Luxemburg a avancé sa thèse, et elles offrent encore des possibilités dans la phase de "mondialisation", notamment à travers le développement des rapports de production capitalistes en Chine et d'autres économies d'Extrême-Orient. Mais aujourd'hui, même si les capitalistes continuent à jeter des regards affamés sur les zones économiques précapitalistes restantes, notamment en Inde et en Afrique, il sera de plus en plus difficile de les exploiter en raison de l'accélération de la décomposition par les guerres locales et la destruction écologique. D'autres éléments "superstructurels" interviennent également dans l'impasse historique du système :

a) Le poids énorme de la dette mondiale, médicament d'une surproduction qui ne peut qu'empoisonner le patient et qui, comme en 2008, menace constamment d'exploser sous la forme d'une instabilité financière massive. Et, comme le notait déjà le CCI dans les années 1980, nous assistons à l'essor d'une "économie de casino", qui prend la forme d'une spéculation effrénée et exprime un écart croissant entre la valeur réelle et le capital fictif. Un exemple frappant est la diffusion du bitcoin et d'autres "crypto-monnaies" similaires, conçues pour échapper au contrôle centralisé et agissant ainsi comme un autre facteur potentiellement déstabilisant pour l'économie mondiale.

b) L'impact croissant des catastrophes écologiques, qui impliquent un "coût de production" de plus en plus lourd.

c) La croissance exponentielle du problème des réfugiés, fréquemment le produit de la guerre et de la catastrophe écologique, et qui confronte la bourgeoisie à un problème insoluble, car d'une part elle ne peut pas se permettre d'intégrer cette masse de migrants dans une économie en difficulté, tandis que d'autre part elle ne peut pas se permettre de perdre cette source de main-d'œuvre bon marché et constatera qu'une politique de déportations forcées telle que l'administration Trump l'a maintenant mise en route coûtera des milliards pour la mener à bien.

d) Surtout, à mesure que la tendance à la guerre s'intensifie, l'économie mondiale est de plus en plus contrainte de supporter le poids énorme de l'impact croissant du militarisme, qui peut à certains moments donner l'illusion d'une "croissance économique" mais qui, comme la Gauche communiste de France l'avait déjà souligné au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, représente une perte pure et simple pour le capital mondial. Et la guerre ouverte elle-même a un impact direct sur l'économie mondiale, comme en témoigne l'augmentation des coûts de transport maritime résultant des attaques directes contre les navires dans la mer Noire et la mer Rouge.

Le résultat inévitable de l'aggravation de la crise, et en particulier du développement d'une économie de guerre, sera des attaques sans précédent contre les conditions de vie du prolétariat et des masses appauvries. La bourgeoisie des pays européens parle déjà ouvertement de la nécessité de réduire encore la protection sociale pour financer les "dépenses de défense".

11. Au niveau de la crise écologique, les cycles incessants de conférences internationales n'ont pas permis au monde de se rapprocher de ses engagements en matière de réduction des émissions de carbone, bien au contraire : l'objectif de 1,5 degré pour limiter la hausse des températures a déjà été déclaré mort par un certain nombre de climatologues. Année après année, des recherches scientifiques solides fournissent des indicateurs clairs que la crise climatique est déjà là : chaque année est déclarée "la plus chaude jamais enregistrée", la fonte des calottes polaires atteint de nouveaux niveaux véritablement alarmants, de plus en plus d'espèces végétales et animales disparaissent, comme les insectes qui sont indispensables à la chaîne alimentaire et au processus de pollinisation. En outre, la crise ne se manifeste pas seulement dans les pays de la "périphérie" et vient se superposer à la crise mondiale des réfugiés, car de plus en plus de régions de la planète sont rendues inhabitables par la sécheresse ou les inondations. Elle se déplace maintenant des périphéries vers les centres, comme le montrent les incendies de forêt en Californie et les inondations en Allemagne et en Espagne. La négation par Trump de l'existence même de la crise climatique a immédiatement été inscrite dans les travaux de la nouvelle administration : le terme même de changement climatique est supprimé des documents gouvernementaux, et le financement de la recherche sur le problème est considérablement réduit ; les restrictions sur les émissions et les projets d'extraction de combustibles fossiles sont supprimées sous la bannière de "drill baby drill" (Allez, vas-y, fonce !); les États-Unis se retirent des accords internationaux sur le climat. Tout cela donnera un nouvel élan mondial à la vision négationniste du monde, un élément central des partis populistes qui sont partout en train de monter. Il en va de même pour le retrait des États-Unis de l'Organisation mondiale de la santé et la nomination de Robert Kennedy, un anti-vax convaincu, à la tête du ministère américain de la santé, alors que nous sommes confrontés à la menace de nouvelles pandémies (comme la grippe aviaire). Ces pandémies sont un autre produit de la rupture des relations entre l'homme et la nature que le capitalisme a poussée à son paroxysme dans l'histoire. Ces mesures relevant de la politique de l'autruche ne feront qu'accroître le danger. Mais l'attitude suicidaire des populistes face à la montée de la crise écologique n'est au fond que le reflet de l'impuissance totale de toutes les factions de la classe dirigeante face à la destruction de la nature, puisqu'aucune d'entre elles ne peut exister sans un engagement en faveur d'une "croissance" sans fin (c'est-à-dire l'accumulation à tout prix), même lorsqu'elles prétendent qu'il n'y a pas de contradiction entre la croissance capitaliste et les politiques vertes. La bourgeoisie en tant que classe ne peut pas non plus développer des solutions véritablement globales à la crise écologique, les seules qui aient un sens. Aucune faction de la classe dirigeante ne peut transcender le cadre national, pas plus qu'elle ne peut appeler à la fin de l'accumulation du capital. Ainsi, l'avancée de la crise écologique ne peut qu'accélérer la tendance aux conflits militaires chaotiques, chaque nation tentant de sauver ce qu'elle peut face à la diminution des ressources et à la multiplication des catastrophes. L'inverse est également vrai : la guerre, comme on l'a déjà mesuré dans les conflits en Ukraine et au Moyen-Orient, est elle-même un facteur croissant de la catastrophe écologique, que ce soit par les énormes émissions de carbone nécessaires à la production et à l'entretien des équipements militaires, ou par l'empoisonnement de l'air et du sol par l'utilisation d'armes de plus en plus destructrices qui, dans de nombreux cas, sont une tactique délibérée visant à affaiblir les réserves alimentaires ou les autres ressources de l'ennemi. Entre-temps, la menace d'une catastrophe nucléaire - soit par la destruction de centrales nucléaires, soit par l'utilisation effective d'armes nucléaires tactiques - plane toujours à l'arrière-plan. L'interaction entre la guerre et la crise écologique est une autre illustration patente de l'effet tourbillon.

12. Le retour de Trump est une expression classique de l'échec politique des factions de la classe dirigeante qui ont une compréhension plus lucide des besoins du capital national ; c'est donc une expression claire d'une perte plus générale de contrôle politique par la bourgeoisie américaine, mais il s'agit d'une tendance mondiale et il est particulièrement significatif que la vague populiste ait un impact dans d'autres pays centraux du capitalisme : nous avons ainsi vu la montée de l'AfD en Allemagne, du RN de Le Pen en France, et de la Réforme au Royaume-Uni. Le populisme est l'expression d'une faction de la bourgeoisie, mais ses politiques incohérentes et contradictoires expriment un nihilisme et une irrationalité croissants qui ne servent pas les intérêts généraux du capital national. Le cas de la Grande-Bretagne, qui a été dirigée par l'une des bourgeoisies les plus intelligentes et les plus expérimentées, et qui s'est tirée une balle dans le pied avec le Brexit en est un exemple clair. Les politiques intérieure et extérieure de Trump ne seront pas moins dommageables pour le capitalisme américain : au niveau de la politique extérieure, en alimentant les conflits avec ses anciens alliés tout en courtisant ses ennemis traditionnels, mais aussi au niveau intérieur, par l'impact de son "programme" économique autodestructeur. Surtout, la campagne de vengeance contre l'"État profond" et les "élites libérales", le ciblage des groupes minoritaires et la "guerre contre les femmes" susciteront des affrontements entre factions de la classe dirigeante qui pourraient prendre un caractère extrêmement violent dans un pays où une énorme proportion de la population possède des armes ; l'assaut contre le Capitole le 6 janvier 2021 ferait pâle figure en comparaison. Et l'on peut déjà voir, à l'état embryonnaire, les prémices d'une réaction d'une partie de la bourgeoisie qui a le plus à perdre de la politique de Trump (par exemple, l'État de Californie, l'Université de Harvard, etc.). De tels conflits portent la menace d'entraîner la population dans son ensemble et représentent un danger extrême pour la classe ouvrière, ses efforts pour défendre ses intérêts de classe et forger son unité contre toutes les divisions qui lui sont infligées par la désintégration de la société bourgeoise. Les récentes manifestations "Hands Off" organisées par l'aile gauche du Parti démocrate sont un exemple clair de ce danger, puisqu'elles ont réussi à canaliser certains secteurs et revendications de la classe ouvrière dans une défense globale de la démocratie contre la dictature de Trump et consorts. Encore une fois, si ces conflits internes peuvent être particulièrement aigus aux États-Unis, ils sont le produit d'un processus beaucoup plus large. Le capitalisme décadent s'est longtemps appuyé sur l'appareil d'État pour empêcher de tels antagonismes de déchirer la société, et dans la phase de décomposition, l'État capitaliste est également contraint de recourir aux mesures les plus dictatoriales pour maintenir sa domination. Mais en même temps, lorsque l'appareil d'État lui-même est déchiré par de violents conflits internes, il y a une forte poussée vers une situation où "le centre ne peut pas tenir, la simple anarchie est lâchée sur le monde", comme l'a dit le poète WB Yeats. Les "États en déliquescence" que nous voyons le plus clairement au Moyen-Orient, en Afrique ou dans les Caraïbes sont une image de ce qui se prépare déjà dans les centres les plus développés du système. En Haïti, par exemple, la machine étatique officielle est de plus en plus impuissante face à la concurrence des gangs criminels, et dans certaines régions d'Afrique, la compétition entre les gangs a atteint le paroxysme de la "guerre civile". Mais aux États-Unis même, la domination actuelle de l'État par le clan Trump ressemble de plus en plus au règne d'une mafia, avec son adhésion ouverte aux méthodes du chantage et de la menace.

13. L'irrationalité exprimée par le populisme est à la base l'expression de l'irrationalité d'un système qui a depuis longtemps dépassé son utilité pour l'humanité. Il est donc inévitable que l'ensemble de la société bourgeoise en décomposition soit de plus en plus saisi par un fléau de maladie mentale qui s'exprime souvent par une violence meurtrière. La propagation des atrocités terroristes depuis les grandes zones de guerre jusqu'aux capitales occidentales a été l'un des premiers signes de l'avènement de la phase de décomposition, mais le couplage de l'activité terroriste avec les idéologies les plus irrationnelles est devenu de plus en plus évident au fur et à mesure que cette phase avançait et s'accélérait. Ainsi, les idéologies qui inspirent le plus souvent les actes terroristes, qu'ils soient perpétrés par des islamistes radicaux ou des néo-nazis, ne sont que l'expression concentrée de croyances beaucoup plus répandues, notamment les croyances en toutes sortes de théories du complot et en une apocalypse imminente, qui offrent toutes une image dangereusement déformée du mode de fonctionnement réel du capitalisme et de son glissement réel vers l'abîme. Il est également caractéristique que certains des actes de tuerie les plus récents - comme l'utilisation de voitures comme armes dans les villes d'Allemagne, ou les horribles meurtres d'enfants à Southport qui ont déclenché les émeutes racistes de l'été 2024 en Grande-Bretagne - aient été plus ou moins détachés de toute organisation terroriste réelle et même de toute idéologie justificatrice, exprimant plutôt les pulsions suicidaires d'individus profondément dérangés. Ailleurs, ces pulsions prennent la forme d'une violence croissante à l'égard des femmes, des minorités sexuelles et des enfants. Il est évident que la classe ouvrière n'est pas à l'abri de ce fléau et qu'il va directement à l'encontre des besoins de la lutte des classes : le besoin de solidarité et d'unité et d'une pensée cohérente qui puisse conduire à une véritable compréhension du fonctionnement du capitalisme et de son évolution.

14. Le pôle menant au chaos et à l'effondrement est donc de plus en plus visible. Mais il existe un autre pôle, celui de la lutte des classes, dont témoigne la "rupture" depuis 2022, qui n'est pas un feu de paille, mais qui a une profondeur historique fondée sur le fait que le prolétariat dans les principaux centres du système n’a pas subi de défaite décisive et sur l’existence d’un long processus de maturation souterraine de la conscience. Mais elle continue aussi à prendre une forme beaucoup plus manifeste, comme le montre l'exemple de la Belgique. Aux États-Unis, les politiques de Trump entraîneront une augmentation rapide de l'inflation, sapant les promesses faites aux travailleurs en particulier ; et la tentative de supprimer des emplois gouvernementaux donne déjà lieu à une résistance de classe embryonnaire. En Europe, la demande de la bourgeoisie de sacrifier au nom de la relance de la machine de guerre se heurtera certainement à une sérieuse résistance de la part d'une classe ouvrière invaincue. Les mouvements de classe qui caractérisent la rupture réaffirment la centralité de la crise économique comme principal stimulant de la lutte des classes. Mais en même temps, la prolifération de la guerre et le coût croissant de l'économie de guerre, surtout dans les principaux pays d'Europe, seront un facteur important de la future politisation de la lutte, dans laquelle la classe ouvrière pourra faire un lien clair entre les sacrifices exigés par l'économie de guerre et les attaques croissantes contre son niveau de vie, et finalement intégrer toutes les autres menaces provenant de la décomposition dans une lutte contre le système dans son ensemble.

15. Malgré la profondeur de la nouvelle phase de la lutte des classes, il est essentiel de ne pas concevoir son développement comme parallèle et indépendant du pôle du chaos et de la destruction. Le danger réel que la classe ouvrière soit de plus en plus désorientée par les effets de l'atomisation sociale, de l'irrationalité croissante et du nihilisme en est la preuve la plus évidente. Il lui sera difficile d’éviter d'être entraînée dans la rage viscérale et la frustration d'une population générale réagissant aux catastrophes, à la répression, à la corruption, à l'insécurité sociale et à la violence, comme nous l'avons vu dans les récentes manifestations et révoltes aux États-Unis, en Serbie, en Turquie, en Israël et ailleurs. La classe dirigeante est parfaitement capable d'utiliser les effets de la décomposition de son propre système contre la classe ouvrière : exploitation des divisions "culturelles" (wokisme contre anti-wokisme, etc.) ; luttes partielles réagissant à l'aggravation de l'oppression et de la discrimination à l'encontre de certaines couches de la société ; campagnes anti-migratoires, etc. Particulièrement dangereuses sont les nouvelles campagnes de "résistance démocratique" contre le "danger du fascisme, de l'autoritarisme et des oligarchies", dont le but est de détourner la colère contre un système en perdition vers les Trump, Musk, Le Pen et le reste des populistes et de l'extrême droite, qui ne sont que l'expression caricaturale de la putréfaction du capitalisme. L'aile droite de la bourgeoisie peut aussi faire ses appels à la démocratie face aux machinations de "l'État profond", l'un des thèmes favoris de Trump qui trouve aujourd'hui un écho en France après la décision judiciaire d'interdire à Le Pen de se présenter à la prochaine élection présidentielle. Mais la "défense de la démocratie" est la spécialité de l'aile gauche et de l'extrême gauche de l'appareil politique. En outre, pour anticiper le développement de la lutte des classes, l'extrême-gauche et les syndicats ont radicalisé leur langage et leur attitude : nous voyons les trotskistes et les anarchistes officiels brandir la bannière d'un faux internationalisme vis-à-vis des guerres d'Ukraine et de Gaza, et parfois la gauche a pris la direction des syndicats comme cela s'est produit dans les luttes au Royaume-Uni. Nous assisterons également à une rénovation de leur discours et de leur activité dans les années à venir, visant à canaliser le potentiel de maturation de la conscience prolétarienne, qui passe nécessairement par un processus inégal d'avancées et de reculs, sur un terrain bourgeois qui ne peut que conduire à la défaite et à la démoralisation.

16. La rupture avec la passivité des dernières décennies stimule également le processus de réflexion à l'échelle internationale parmi les différentes couches de la classe, particulièrement évident sous la forme de l'émergence de minorités en recherche. C'est dans ce domaine que l'on observe le plus clairement la capacité de la classe ouvrière à poser des questions plus larges sur l'avenir de ce système, notamment autour de la question de la guerre et de l'internationalisme. Cependant, le potentiel de ces minorités à évoluer vers des positions révolutionnaires reste fragile, en raison d'un certain nombre de dangers :

  • La radicalisation d'un certain nombre de tendances de gauche, en particulier les trotskistes.
  • L'influence du parasitisme en tant que force destructrice visant à construire un cordon sanitaire contre la gauche communiste, semblant agir "de l'intérieur" et se nourrissant de l'ambiance de décomposition.
  • L'influence persistante de l'opportunisme dans le milieu politique prolétarien réel, qui déforme le rôle de l'organisation et ouvre la voie à la tolérance de la pénétration d'idéologies étrangères dans le prolétariat.

L'activité révolutionnaire n'a pas de sens sans la lutte pour la construction d'une organisation politique capable de lutter contre l'idéologie dominante sous toutes ses formes. La période à venir exige l'élaboration d'une analyse lucide de l'évolution de la situation internationale, une capacité à anticiper quels seront les dangers centraux auxquels le prolétariat sera confronté, mais aussi à reconnaître le développement réel de la lutte et de la conscience de classe, en particulier lorsque cette dernière évolue d'une manière largement "souterraine" qui échappera à ceux qui se fixent sur les apparences immédiates.

Les organisations révolutionnaires doivent agir comme un pôle d'attraction pour les éléments en recherche et comme un phare de clarté programmatique et organisationnelle, sur la base des acquis historiques de la Gauche communiste. Elles doivent comprendre que le travail de construction d'un pont vers le futur parti mondial est un combat qui sera mené sur une longue période et qui exigera une lutte persistante contre l'impact de la décomposition capitaliste dans ses propres rangs par des concessions au démocratisme, au localisme, au chacun pour soi, etc. La persistance d'un opportunisme et d'un sectarisme profonds au sein du milieu prolétarien souligne la responsabilité unique du CCI dans l'effort pour préparer les conditions de l'émergence du parti de la révolution communiste.

CCI (10 / 05 / 2025)


[1] Thèses sur la décomposition [54]Revue internationale 107

[2] "Le milliardaire qui soutient Trump met en garde contre un « hiver nucléaire économique » à cause des droits de douane.". BBC News online, 7.4.25

 

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