Soumis par Revue Internationale le
Pour le CCI, "La crise qui se déroule déjà depuis des décennies va devenir la plus grave de toute la période de décadence, et sa portée historique dépassera même la première crise de cette époque, celle qui a commencé en 1929. Après plus de 100 ans de décadence capitaliste, avec une économie ravagée par les dépenses militaires, affaiblie par l'impact de la destruction de l'environnement, profondément altérée dans ses mécanismes de reproduction par la dette et la manipulation étatique, en proie à la pandémie, souffrant de plus en plus de tous les autres effets de la décomposition, il est illusoire de penser que, dans ces conditions, il y aura une reprise quelque peu durable de l'économie mondiale." (Résolution sur la situation internationale (2021) ; Revue internationale 167)
Le milieu politique prolétarien fait pour sa part preuve d’une sous-estimation de sa profondeur : pour le PCI (Parti communiste International), qui se concentre essentiellement sur ses aspects financiers, la crise actuelle semble n’être pour lui que le simple remake de celle de 1929. Quant à la TCI (Tendance Communiste Internationale), si empiriquement elle aperçoit certains phénomènes de son aggravation, son approche économiciste, uniquement basée sur la baisse tendancielle du taux de profit, lui obscurcit l'ampleur du déclin du système capitaliste et le niveau de gravité de la crise. En continuant de concevoir la crise comme l’enchainement de cycles typiques de la phase ascendante du capitalisme, elle ne comprend pas les formes qu’elle prend dans la décadence, ni vraiment ses conséquences et les enjeux qui en résultent pour le prolétariat. Surtout elle voit le Capital " … générateur de guerres comme moyen de poursuivre le processus d'accumulation et d'extorsion de la plus-value base de son existence".
Ce rapport base son évaluation du niveau actuel de gravité de la crise économique sur les acquis du marxisme et les éléments rendant compte de son évolution depuis la fin des années 1960 présents dans différentes publications du CCI.
La crise est une crise de surproduction
A. L’impasse de la crise de surproduction a pour fondement les rapports sociaux capitalistes trop étroits pour l’accumulation élargie du capital[1] ou des marchés extra-capitalistes solvables trop restreints.
La crise qui a resurgi en 1967 et continue aujourd'hui de sévir est une crise de surproduction. À sa racine, il y a une cause fondamentale, la contradiction principale du capitalisme existant depuis ses premiers et qui est devenue une entrave définitive à partir d’un certain degré de développement des forces productives : la production capitaliste ne crée pas automatiquement et à volonté les marchés nécessaires à sa croissance. Le capital produit plus marchandises que ne peuvent en absorber les rapports capitalistes de production : Une partie de la réalisation de ses profits, celle qui est destinée à l'élargissement de la reproduction du capital, (c'est à dire ni consommée par la classe bourgeoise, ni par la classe prolétarienne) doit être réalisée à l’extérieur de ces rapports, sur les marchés extra-capitalistes. Historiquement, le capitalisme a trouvé les débouchés solvables nécessaires à son expansion d’abord chez les paysans et artisans des pays capitalistes, puis a compensé son incapacité à créer ses propres débouchés en étendant son marché au monde entier en créant le marché mondial.
"Mais en généralisant ses rapports à l'ensemble de la planète et en unifiant le marché mondial, il a atteint un degré critique de saturation des mêmes débouchés qui lui avaient permis sa formidable expansion du 19ème siècle. La difficulté croissante pour le capital de trouver des marchés où réaliser sa plus-value, accentue la pression à la baisse qu'exerce sur son taux de profit l'accroissement constant de la proportion entre la valeur des moyens de production et celle de la force de travail. De tendancielle, cette baisse du taux de profit devient de plus en plus effective, ce qui entrave d'autant le procès d'accumulation du capital et donc le fonctionnement de l'ensemble des rouages du système". (plate-forme du CCI) "Les deux contradictions mises en évidence par Marx (surproduction et baisse tendancielle du taux de profit) ne s’excluent pas réciproquement mais sont les deux facettes d’un processus global de production de valeur. En dernière instance, ceci fait que les "deux" théories reviennent à n’être qu’une seule." (Marxisme et théories des crises ; Revue internationale 13).
Au plan plus immédiat, la crise ouverte de la fin des années 1960 met un terme à deux décennies de prospérité basée sur la reprise de l'exploitation des marchés extra-capitalistes (ralentie durant et entre les deux guerres mondiales) et sur la modernisation de l'appareil productif (méthodes fordistes, introduction de l'informatique, ..). Le retour de la crise ouvre une nouvelle fois le chemin à l'alternative historique guerre mondiale ou bien affrontements de classes généralisés vers la révolution prolétarienne.
B. Quels critères pour évaluer la gravité de la crise ?
Face au resurgissement de la crise dans les années 1970, l’organisation retient trois critères pour attester la gravité de la crise : le développement du capitalisme d’État, l’impasse grandissante de la surproduction, la préparation de la guerre avec le développement de l’économie de guerre.
B1. le développement du capitalisme d’état
Expression de la contradiction entre la socialisation mondiale et la base nationale des rapports sociaux de la production capitaliste, la tendance universelle au renforcement de l’État capitalisme dans toutes les sphères de la vie sociale traduit fondamentalement l’inadaptation définitive des rapports sociaux capitalistes au développement atteint par les forces productives. En effet, seul l’État constitue la force en mesure :
- de corseter les antagonismes au sein de la classe dominante, en vue d’imposer l’unité indispensable à la défense des intérêts du capital national ;
- d’organiser et de développer pleinement à l’échelle nationale les tricheries avec la loi de la valeur, d’en restreindre le champ d’application afin de ralentir les effets de désagrégation sur l’économie nationale des contradictions insurmontables du capitalisme ;
- de mettre l’économie au service de la guerre et d’organiser le capital national en vue de la préparation de la guerre impérialiste ;
- de raffermir, grâce entre autres aux forces de répression et à une bureaucratie de plus en plus pesantes, la cohésion interne de la société menacée de dislocation par la décomposition croissante de ses fondements économiques ; d' imposer, par une violence omniprésente, le maintien d'une structure sociale de plus en plus inapte à régir spontanément les relations humaines et acceptée avec d'autant moins de facilité qu'elle devient, de plus en plus, une absurdité du point de vue de la survie même de la société.
B2. l’impasse grandissante de la surproduction
Il n’existe pas de solution à la surproduction au sein du capitalisme ; toutes les politiques mises en œuvre pour en atténuer les effets sont vouées à l’échec et le capitalisme se retrouve constamment confronté à cette contradiction fondamentale insurmontable. Par essence, celle-ci ne peut être éliminée que par l’abolition du salariat et de l’exploitation. Tout au plus la bourgeoisie ne peut-elle que tenter d’en atténuer la violence, en ralentissant le rythme de développement de la crise.
La "crise générale de surproduction (…) s'exprime, dans les métropoles du capitalisme, par une surproduction de marchandises, de capital et de force de travail." (Résolution sur la crise ; Revue internationale 26 - 3e trimestre 1981)
Cette impasse s’exprime dans le développement de l’inflation qui est nourrie par le poids des frais improductifs mobilisés par la nécessité de maintenir un minimum de cohésion à la société en désagrégation (capitalisme d'État) et la stérilisation de capital que représentent l’économie de guerre et la production d’armements. Également alimentée par les tricheries avec la loi de la valeur (l’endettement, la création de monnaie, etc.), l’inflation constitue une donnée permanente de la décadence du capitalisme, et prend encore plus d’importance en temps de guerre. Une énorme masse de capitaux, qui ne trouve plus à s’investir profitablement, alimente alors la spéculation.
"La crise de surproduction n’est pas seulement la production d’un excédent sans débouché, mais aussi la destruction de cet excédent. (…) la surproduction implique un procès d’autodestruction. La valeur du surproduit non accumulable n’est pas figée ou stockée mais doit être détruite. (…) C’est ce procès d’autodestruction issu de la révolte des forces productives contre les rapports les rapports de production qui s’exprime dans le militarisme." ("Les conditions de la révolution : crise de surproduction, capitalisme d'état et économie de guerre ; Revue internationale 31)
B3. La préparation de la guerre et la construction de l’économie de guerre
"Dans la phase décadente de l'impérialisme, le capitalisme ne peut plus diriger les contrastes de son système que vers une seule issue : la guerre. L'Humanité ne peut échapper à une telle alternative que par la révolution prolétarienne." ("Crises et cycles dans l'économie du capitalisme agonisant - 1e partie ; Bilan n° 10, aout-septembre 1934) ; Revue internationale 103). En effet, au fur et à mesure que la crise économique se prolonge et s'amplifie, elle intensifie les antagonismes inter-impérialistes. Pour le capital, il n'y a qu'une "solution" à sa crise historique : la guerre impérialiste. Ainsi, plus vite les différents palliatifs prouvent leur futilité, plus délibérément chaque bloc impérialiste doit se préparer à un repartage violent du marché mondial.
B4. Le renforcement de l’exploitation du prolétariat
La mise en place de l'économie de guerre implique le développement d'une production (celle de l'armement en particulier) qui ne peut pas être employée utilement pour valoriser le capital, c'est-à-dire s'intégrer dans la production de nouvelles marchandises. C'est en ce sens qu'elle implique une stérilisation de capital qui doit par ailleurs être compensée par un surcroît de la plus-value extraite. Cette compensation s'effectue fondamentalement à travers un renforcement de l'exploitation de la classe ouvrière.
Bilan des années 1970-80 : l’irruption de la décomposition
À la fin des années 1970 et au début des années 1980, le capitalisme se trouve dans une impasse : Au sein du bloc de l’ouest, la surproduction de marchandises trouve sa manifestation dans la chute de la production industrielle qui atteint des sommets, notamment aux USA où les récessions ramènent la production d’acier à son niveau de 1967. Au sein du bloc de l’est, règnent la pénurie de capital, le sous-développement et l’arriération de la production industrielle, l’absence complète de compétitivité du capital sur le marché mondial[2]. Le mythe des pays dits "socialistes", pouvant échapper à la crise générale du système s’effondre définitivement dans les années 1980. Tandis qu’une grande partie des pays du Tiers monde se sont effondrés dès le milieu des années 1970.
Dans le bloc américain, la crise économique accélère la tendance au renforcement du capitalisme d’État. Mais en même temps, celui-ci manifeste son incapacité à juguler le développement de la crise : non seulement des mesures de relance keynésiennes, de l'ampleur de celles prises après la crise de 1929, ne sont plus envisageables mais les différentes politiques de relance se soldent par des échecs. Les récessions toujours plus amples et plus graves s’enchainent.
Chaque bloc est conduit à une nouvelle escalade dans les préparatifs en vue d'un troisième holocauste mondial, notamment à travers une augmentation considérable des dépenses d'armement pour soutenir la concurrence inter-impérialiste. Les préparatifs guerriers s’intensifient également sur le plan du renforcement politique des blocs en vue en vue des affrontement impérialistes (mais aussi de faire face à la classe ouvrière).
Mais, pour le Capital, "La production d'armements (…) c'est de la richesse, du capital détruit, c'est une ponction improductive qui pèse sur la compétitivité de l'économie nationale. Les deux têtes de bloc surgies du partage de Yalta ont toutes deux vu leur économie s'affaiblir, perdre de sa compétitivité par rapport à leurs propres alliés. C'est là le résultat des dépenses consenties au renforcement de leur puissance militaire, garante de leur position de leader impérialiste, condition ultime de leur puissance économique. Si elles ont permis de renforcer la suprématie impérialiste des USA, les commandes d'armement n'ont pas dopé l'industrie américaine. Bien au contraire." (La crise du capitalisme d'État : l'économie mondiale s'enfonce dans le chaos ; Revue internationale 61)
A. L’effondrement du stalinisme - la décomposition
Au tournant des années 1980, alors que les deux classes fondamentales et antagoniques de la société s'affrontent sans parvenir à imposer leur propre réponse décisive, les contradictions et manifestations de la décadence du capitalisme moribond qui, successivement, marquent les différents moments de cette décadence, ne disparaissent pas avec le temps, mais se maintiennent, s’accumulent et s'approfondissent, pour déboucher sur la phase de décomposition généralisée du système capitaliste qui parachève et chapeaute trois quarts de siècle d'agonie d'un mode de production condamné par l'histoire.
L’irruption de la décomposition va se traduire par un phénomène inédit : l’effondrement de tout un bloc en dehors des conditions de la guerre mondiale ou de la révolution prolétarienne.
"Cet effondrement, en effet, est globalement une des conséquences de la crise mondiale du capitalisme; il ne peut non plus s'analyser sans prendre en compte les spécificités que les circonstances historiques de leur apparition ont conférées aux régimes staliniens (…). Cependant, on ne peut pleinement comprendre ce fait historique considérable et inédit, l'effondrement de l'intérieur de tout un bloc impérialiste en l'absence d'une révolution ou d'une guerre mondiale, qu'en faisant intervenir dans le cadre d'analyse cet autre élément inédit que constitue l'entrée de la société dans une phase de décomposition telle qu'on la constate aujourd'hui. L'extrême centralisation et l'étatisation complète de l'économie, la confusion entre l'appareil économique et l'appareil politique, la tricherie permanente et à grande échelle avec la loi de la valeur, la mobilisation de toutes les ressources économiques vers la sphère militaire, toutes ces caractéristiques propres aux régimes staliniens, (…) ont rencontré de façon brutale et radicale leurs limites dès lors que la bourgeoisie a dû pendant des années affronter l'aggravation de la crise économique sans pouvoir déboucher sur cette même guerre impérialiste." (THESES : la décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste : Revue internationale 107)
B. La crise du capitalisme d’État et sa signification
Après des décennies de politique de capitalisme d'État menée sous la houlette des blocs impérialistes, l’effondrement du capitalisme d’État stalinien "constitue effectivement, d'un certain point de vue, une victoire du marché, une ré-adéquation brutale des rivalités impérialistes aux réalités économiques. Et, symboliquement, s'affirme l'impuissance des mesures de capitalisme d'Etat à court-circuiter ad aeternam les lois incontournables du marché capitaliste. Cet échec, au-delà même des limites étroites de l’ex-bloc russe, marque l'impuissance de la bourgeoisie mondiale à faire face à la crise de surproduction chronique, à la crise catastrophique du capital. Il montre l'inefficacité grandissante des mesures étatiques employées de manière de plus en plus massives, à l'échelle des blocs, depuis des décennies, et présentées depuis les années 1930 comme la panacée aux contradictions insurmontables du capitalisme, telles qu'elles s'expriment dans son marché." (La crise du capitalisme d'État : l'économie mondiale s'enfonce dans le chaos ; Revue internationale 61).
"L'absence d'une perspective (exceptée celle de "sauver les meubles" de son économie au jour le jour) vers laquelle elle puisse se mobiliser comme classe, et alors que le prolétariat ne constitue pas encore une menace pour sa survie, détermine au sein de la classe dominante, et particulièrement de son appareil politique, une tendance croissante à l'indiscipline et au sauve-qui-peut. C'est ce phénomène qui permet en particulier d'expliquer l'effondrement du stalinisme et de l'ensemble du bloc impérialiste de l'Est." (THESES : la décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste : Revue internationale 107) Tout en reconnaissant que le modèle capitalisme d'État à l’occidentale, intégrant le capital privé dans une structure étatique et sous son contrôle, est bien plus efficace, plus souple, plus adaptée, avec un sens plus développé de la responsabilité de la gestion de l'économie nationale, plus mystificateur parce que plus masqué et surtout, contrôlant une économie et un marché autrement plus puissants que ceux des pays de l’est, le CCI a mis en avant que la banqueroute du bloc de l'Est, après celle du "tiers-monde", annonçait les banqueroutes futures du capitalisme dans ses pôles les plus développés. "La débandade générale au sein même de l'appareil étatique, la perte du contrôle sur sa propre stratégie politique, telles que l'URSS et ses satellites nous en donnent aujourd'hui le spectacle, constituent, en réalité, la caricature (du fait des spécificités des régimes staliniens) d'un phénomène beaucoup plus général affectant l'ensemble de la bourgeoisie mondiale, un phénomène propre à la phase de décomposition." (THESES : la décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste : Revue internationale 107)
Dans la période suivante, il s’est aussi confirmé que de vastes parties du monde, comme l’Afrique, sont économiquement marginalisées sur le marché mondial. Et l’éloignement de la perspective de la 3° Guerre mondiale n’ayant pas mis fin au militarisme, les ravages de la guerre plongent des zones de plus en plus vastes dans le chaos à l’instigation directe des principales puissances, USA en tête avec leurs interventions aux conséquences catastrophiques en Irak (1991 puis 2001) et en Afghanistan.
Globalisation et mondialisation, 1989-2008
A. La mondialisation : une tentative de maintenir la profitabilité du Capital
Cependant, dans le cadre chaotique de cette nouvelle situation historique de la décomposition et dans un monde capitaliste profondément altéré par les effets de sa décadence, la disparition des blocs va malgré tout offrir une opportunité mise à profit en particulier par les grandes puissances, USA en tête (en tant qu’unique superpuissance restante au plan économique comme militaire), pour prolonger la survie du système capitaliste.
Les tentatives entreprises par la mondialisation pour limiter l’impact de la contradiction du capitalisme entre la nature sociale et mondiale de la production et la nature privée de l'appropriation de la plus-value par des nations capitalistes concurrentes, reposent fondamentalement sur :
- la meilleure exploitation des marchés déjà existants, du fait de la disparition de leurs concurrents, balayés par la crise à l'origine de l’effondrement des pays de l’est, même si ces marchés étaient loin de constituer l’eldorado présenté alors par les campagnes bourgeoises. Et surtout la mise en exploitation des marchés extra-capitalistes restants dans le monde, la disparition des blocs signifiant la disparition du principal obstacle interdisant leur accès tant qu’ils se trouvaient sous la tutelle adverse. Néanmoins tout marché n'est pas nécessairement solvable, c’est-à-dire en mesure de payer les marchandises disponibles à la vente.
- l’action des États. Ce n’est désormais plus le knout du chef de bloc qui, au nom de la nécessaire unité du bloc, impose les mesures mises en place par chaque capital national, mais la puissance économique et politique américaine permet à ce pays de soumettre au chantage aux investissements chaque État en vue de faire accepter les nouvelles règles du jeu, sous peine de se voir privés de la manne financière nécessaire à la survie dans l’arène capitaliste. Les États ont été les principaux instruments de l’organisation de la mondialisation, jouant un rôle décisif par leur intervention établissant une réglementation favorisant la rentabilité maximale, définissant la politique fiscale attractive, etc.
- l’extension à l’échelle mondiale des tricheries avec la loi de la valeur en généralisant à l’échelle planétaire les mesures et mécanismes qui avaient commencé à être développés sous l’égide des USA dans le cadre du bloc occidental dans la dernière décennie de son existence, en vue de combattre - au moyen d'une demande artificiellement financée par l’endettement - les conséquences de l’étroitesse des marchés affectant la profitabilité du Capital.
La nouvelle organisation internationale de la production et des échanges imposée par la première puissance mondiale a essentiellement pris deux formes, la libre circulation des capitaux et la libre circulation de la main d’œuvre. Deux dispositions étroitement liées à la lutte contre la baisse tendancielle du taux de profit, "puissant ferment de décomposition de l'économie capitaliste décadente" dans le contexte de pénurie de marchés solvables :
- C’est cette loi qui fournit l'explication de l'exportation du capital qui apparaît comme un des traits spécifiques du capitalisme en décadence: "L'exportation du capital, dit Marx, n'a pas pour cause l'impossibilité absolue de l'occuper à l'intérieur, mais la possibilité de le placer à l'étranger avec un taux de profit plus élevé." Lénine confirme cette idée (L'Impérialisme) en disant que "la nécessité de l'exportation des capitaux résulte de la maturité excessive du capitalisme dans certains pays où, les placements «avantageux» (…) commencent à lui faire défaut." (Bilan) Elle a eu parallèlement pour effet la destruction de l’appareil industriel des pays centraux, dés-lors qu’il existait la possibilité de la délocaliser ailleurs dans le monde, à de meilleures conditions de rentabilité.
La course à la productivité destinée à compenser la baisse tendancielle du taux de profit par la masse du profit réalisé, s’est elle aussi intensifiée.
- La question de la marchandise "force de travail" (le travail vivant de l’exploitation duquel le capitalisme extrait sa plus-value) a joué un rôle central. La disparition des blocs a permis la recherche de force de travail disponible, exploitable avec plus de profit, et a aussi favorisé l'extension des rapports de classe capitalistes à des zones restées jusqu’alors hors du champ de la production capitaliste. Du fait de la prolétarisation d’énormes masses de petits producteurs séparés de leurs moyens de production, le nombre de salariés au plan mondial est passé à un total de 1,9 milliard d’ouvriers et employés en 1980 pour dépasser 3 milliards en 1995. L’exploitation de plus en plus drastique de la force de travail de la classe ouvrière (par la baisse directe ou indirecte des salaires, l’intensification du travail ou la prolongation du temps de travail) dans toutes les parties du monde mises en concurrence les unes par rapport aux autres, ainsi que l’intégration de nouvelles forces de travail aux rapports sociaux de production capitalistes, ont permis aux principales puissances, pendant un temps, une meilleure réalisation de l’accumulation élargie en exportant les capitaux dans les zones de délocalisations : libéré du corset impérialiste divisant le monde en blocs, le capitalisme a étendu ses rapports de production à la planète entière, jusqu’à ses dernières limites.
D’autre part, la lutte pour la survie et la recherche effrénée d’un profit maximal se sont traduit également par l’exploitation encore plus dévastatrice et destructrice de l’autre fondement de la richesse capitaliste : la nature. Le pillage et la prédation de la nature causés par la nécessité de faire baisser toujours plus le prix des matières premières, ont atteint de tels sommets que la ‘Grande Accélération’ de la destruction environnementale produite par le capitalisme en décadence, surtout depuis la Seconde Guerre mondiale, s’emballe encore plus avec l’entrée du capitalisme dans sa phase ultime de décomposition.
Littéralement tous les moyens pour la maximalisation du profit par la classe dominante sont mis en œuvre :
1) Les mécanismes du capital financier, en position nodale, ont pour logique de drainer une partie de plus en plus considérable des richesses créées au plan mondial vers la classe dominante des pays centraux.
2) La politique de spoliation, en particulier des autres classes productrices (petite bourgeoisie), phénomène typique de la décadence, prend une nouvelle extension et se généralise : "la nécessité pour le capital financier de rechercher un surprofit, provenant non pas de la production de plus-value, mais d'une spoliation, d'une part, de l'ensemble des consommateurs en élevant le prix des marchandises au-dessus de leur valeur et, d'autre part, des petits producteurs en s'appropriant une partie ou l'entièreté de leur travail. Le surprofit représente ainsi un impôt indirect prélevé sur la circulation des marchandises. Le capitalisme a tendance à devenir parasitaire dans le sens absolu du terme." ("Crises et cycles dans l'économie du capitalisme agonisant", 2e partie (Bilan n°11, octobre-novembre 1934) ; Revue internationale 103.
3) La spéculation, impulsée par les institutions officielles et les États, prend une extension et une signification nouvelles : elle alimente l’endettement à tous les niveaux de l’économie par une mise en circulation de quantités de capital fictif toujours plus exubérantes (atteignant 10 fois le PIB mondial en 2007[3]) cantonnées dans des ‘bulles’ qui ont le ‘bonheur’ de faire disparaitre l’endettement des comptes de l’État, de masquer l’inflation et d’estomper ses effets négatifs.
4) La gangstérisassion de l’économie, la fraude, les commerces illégaux, les trafics, fausse monnaie, la contrefaçon etc. prennent, avec la corruption de secteurs de l’État, ou même à l’instigation d’États en tant que tels (comme la Serbie, la Corée du Nord…) une extension et une dimension encore jamais vue.
B. L’émergence de la Chine
Ce sont les circonstances inédites de la disparition des blocs impérialistes qui ont permis l’émergence de la Chine : "Les étapes de l’ascension de la Chine sont inséparables de l’histoire des blocs impérialistes et de leur disparition en 1989 : la position de la Gauche communiste affirmant "l’impossibilité de tout surgissement de nouvelles nations industrialisées" dans la période de décadence et la condamnation des états " qui n’ont pas réussi leur "décollage industriel" avant la première guerre mondiale à stagner dans le sous-développement, ou à conserver une arriération chronique par rapport aux pays qui tiennent le haut du pavé" était parfaitement valable dans la période de 1914 à 1989. C’est le carcan de l’organisation du monde en deux blocs impérialistes adverses (permanente entre 1945 et 1989) en vue de la préparation de la guerre mondiale qui empêchait tout bouleversement de la hiérarchie entre puissances. L’essor de la Chine a commencé avec l’aide américaine rétribuant son changement de camp impérialiste en faveur des États-Unis en 1972. Il s’est poursuivi de façon décisive après la disparition des blocs en 1989. La Chine apparait comme le principal bénéficiaire de la "globalisation" suite à son adhésion à l’OMC en 2001 quand elle est devenue l’atelier du monde et la destinataire des délocalisations et des investissements occidentaux, se hissant finalement au rang de seconde puissance économique mondiale. Il a fallu la survenue des circonstances inédites de la période historique de la décomposition pour permettre l’ascension de la Chine, sans laquelle celle-ci n’aurait pas eu lieu. La puissance de la Chine porte tous les stigmates du capitalisme en phase terminale : elle est basée sur la surexploitation de la force de travail du prolétariat, le développement effréné de l’économie de guerre du programme national de "fusion militaro-civile" et s’accompagne de la destruction catastrophique de l’environnement, tandis que la "cohésion nationale" repose sur le contrôle policier des masses soumises à l’éducation politique du Parti unique et la répression féroce des populations allogènes du Xinjiang musulman et du Tibet. En fait, la Chine n’est qu’une métastase géante du cancer généralisé militariste de l’ensemble du système capitaliste : sa production militaire se développe à un rythme effréné, son budget défense a multiplié par six en 20 ans et occupe depuis 2010 la 2° place mondiale." (Résolution sur la situation internationale (2019): Conflits impérialistes, vie de la bourgeoisie, crise économique – Revue internationale 164)
C. La crise de 2008
La période 1989-2008 est marquée par un ensemble de difficultés qui démontrent que la mondialisation, malgré les bouleversements spectaculaires de la hiérarchie entre les puissances économiques, n’a pas mis fin à la tendance à la surproduction et à la stagnation du capitalisme comme en témoignent :
- l’affaiblissement de la croissance ;
- le sous-emploi ou la destruction d’énormes quantités de bases productives ;
- l’énorme quantité de main d’œuvre excédentaire (estimée entre un tiers et la moitié du total de la force de travail mondiale) au chômage ou sous-employée que le capitalisme est incapable d’intégrer à la production, condamnée à végéter dans le secteur informel ou dans les marges de l’économie capitaliste ;
- l’importante instabilité et l’incapacité à conjurer la survenue des crises : crise du système monétaire européen 1993, crise mexicaine de 1994, crise asiatique 1997-98, crise en Argentine 2001, éclatement de la bulle Internet 2002… avec un risque permanent et grandissant d’implosion du système financier international, (même si pendant deux décennies, le capitalisme parvient à circonscrire les crises à certaines parties du monde, au prix d’un coût et de dégâts au système qui s’accroissent de façon exorbitante) ;
- l’absence de rémission du cancer du militarisme qui a continué à vampiriser la production mondiale en affectant différemment les principales parties du monde : les États européens sont parvenus à réduire de moitié environ le poids des dépenses militaires par rapport à leur niveau de 1989 ; la Chine ne s’est engagée dans aucun conflit durant cette période, réservant ses forces économiques à son émergence comme seconde puissance mondiale ; mais de longues et coûteuses guerres (Irak, Afghanistan, etc.) de l’impérialisme américain ont contribué à affaiblir son économie par rapport à ses rivaux.
Cette période n'en a fait constitué qu’un intermède permettant au système capitaliste de préserver quelque peu son économie des effets de sa décomposition.
Ainsi, l’aggravation de l’état réel de l’économie et la revanche de la loi de la valeur débouchent sur la crise financière de 2008, la crise financière la plus grave depuis la Grande Dépression de 1929. Éclatant aux USA, au cœur du capitalisme mondial, elle se généralise au monde entier. L’affaiblissement de la dynamique de la mondialisation amoindrissant la réalisation de l’accumulation élargie, le poids des dépenses militaires et des interventions impérialistes, et l’impasse de la surproduction font imploser et voler en éclats la gigantesque pyramide de Ponzi de l'échafaudage financier international basé sur un endettement général sans borne de l’État américain, la spéculation servant de substitut à la croissance mondiale pour maintenir en vie le système capitaliste.
Les gigantesques plans de sauvetage, sans équivalent dans l’histoire, mis en œuvre par les Banques centrales des grandes puissances, ainsi que le rôle de locomotive de la Chine parviennent à stabiliser le système et à endiguer la crise des liquidités, mais non à relancer véritablement l’économie. L'année 2008 marque un tournant dans l’histoire de l’enfoncement du mode de production capitaliste dans sa crise historique.
D. La fin des derniers marchés extra-capitalistes ?
Cette violente explosion de la crise concluant plus de deux décennies de surexploitation à l’échelle mondiale, n'épargnant aucune zone d'influence du monde, aucun marché – y compris extra-capitaliste, confirme que le système capitaliste se retrouve désormais encore plus complètement enfermé dans la situation où l’hégémonie universelle des relations de classe rend la réalisation de l’accumulation élargie de plus en plus difficile. La seule tendance vers ce terme avait signifié, une fois le marché mondial constitué et divisé entre puissances, l’entrée du capitalisme dans sa phase de décadence, comme l’avait souligné R. Luxembourg. "Ainsi le capitalisme ne cesse de croître grâce à ses relations avec les couches sociales et les pays non capitalistes, poursuivant l'accumulation à leurs dépens mais en même temps les décomposant et les refoulant pour s'implanter à leur place. Mais à mesure qu'augmente le nombre des pays capitalistes participant à la chasse aux territoires d'accumulation et à mesure que se rétrécissent les territoires encore disponibles pour l'expansion capitaliste la lutte du capital pour ses territoires d'accumulation devient de plus en plus acharnée et ses campagnes engendrent à travers le monde une série de catastrophes économiques et politiques : crises mondiales, guerres, révolutions.
Par ce processus, le capital prépare doublement son propre effondrement : d'une part en s'étendant aux dépens des formes de production non capitalistes, il fait avancer le moment où l'humanité tout entière ne se composera plus effectivement que de capitalistes et de prolétaires et où l'expansion ultérieure, donc l'accumulation. deviendront impossibles. D'autre part, à mesure qu'il avance, il exaspère les antagonismes de classe et l'anarchie économique et politique internationale à tel point qu'il provoquera contre sa domination la rébellion du prolétariat international…" (R. Luxembourg, L’Accumulation du Capital, Anti-critique, p152)
L’impossibilité de l’existence d’un monde dominé par les rapports capitalistes
Nombre de phénomènes existant déjà dans la décadence prennent une dimension qualitativement nouvelle dans la période de décomposition, en particulier du fait de l’impossibilité du capital à offrir une perspective : "la bourgeoisie s'est trouvée incapable d'organiser quoi que ce soit en mesure de mobiliser les différentes composantes de la société, y compris au sein de la classe dominante, autour d'un objectif commun, sinon celui de résister pas à pas, mais sans espoir de réussite, à l'avancée de la crise.". "C'est pour cela que la situation actuelle de crise ouverte se présente en des termes radicalement différents de ceux de la précédente crise du même type, celle des années 1930." (Thèses sur la décomposition)
Aussi longtemps que chacune des nations a pu bénéficier de la mondialisation, le capitalisme est parvenu globalement à préserver l’économie capitaliste des effets de la décomposition. En particulier, le chacun pour soi a ainsi pu être contenu et, la loi du plus fort, tolérée sans remise en cause. Il en va tout autrement après 2008 et la fermeture des ‘opportunités’ de la mondialisation : l’incapacité encore plus manifeste à surmonter la crise de son mode de production s’est traduite pour la classe dominante par l’explosion du chacun pour soi, dans les rapports entre nations (avec le retour progressif du protectionnisme et la remise en cause unilatérale de la part des deux principales puissances du multilatéralisme et des institutions de la mondialisation) et au sein de chaque nation.
A. L’effet ‘tourbillon’ de la décomposition, facteur inédit de l’aggravation de la crise économique
Les années 2020 voient les effets de la décomposition prendre une ampleur et une signification nouvelle puissamment destructrices sur l’économie capitaliste. Elles ont été inaugurées par la pandémie mondiale du covid 19, un pur produit de la décomposition qui a mis l’économie mondiale à l’arrêt et nécessitant une intervention massive de l’État ainsi que la montée en flèche de l’endettement. La pandémie s'est trouvé bientôt suivie du retour de la guerre sur le sol européen en Ukraine en 2022 dont l’onde de choc n’en finit pas d’ébranler le monde capitaliste. Consacrés par la pandémie, le développement du chacun pour soi à un niveau inédit et l’abandon de toute concertation entre nations fragilisent l’ensemble du système capitaliste, allant ainsi à l’encontre des leçons tirées de la crise 1929 quant à la nécessité d'une relative collaboration entre les principales nations.
Les effets de la décomposition non seulement s’accélèrent et reviennent comme un boomerang s’exprimer avec le plus de force au cœur même du capitalisme, alors que s'accumulent les effets combinés de la crise économique, de la crise écologique/climatique et de la guerre impérialiste, qui interagissent et démultiplient leurs effets, pour produire une spirale dévastatrice aux conséquences incalculables pour le capitalisme, frappant et déstabilisant de plus en plus sévèrement l’économie capitaliste et son infrastructure de production. Alors que chacun des facteurs alimentant cet effet "tourbillon" de la décomposition représente par lui-même et à lui seul un sérieux facteur de risque d’effondrement pour les États, leurs effets combinés dépassent sans commune mesure la simple somme de chacun d’entre eux pris isolément.
Une illustration en est constituée la perturbation planétaire du cycle de l’eau. Conséquences du réchauffement climatique imputable au système capitaliste, les sécheresses extrêmes et durables sont la cause des méga-feux ; elles conduisant ainsi à la désertification de zones entières du globe devenant inhabitables – par ailleurs souvent livrées à la guerre – poussant les populations à la migration ; elles ont été l’une des causes de l’effondrement des États arabes au Moyen-Orient après 2010[4]. La productivité et même la pratique de l’agriculture sont déstabilisées aux États-Unis, en Chine et en Europe. Les pluies et les inondations extrêmes ruinent de façon irrémédiable des régions entières ou même des États (Pakistan), provoquent la destruction d'infrastructures vitales et perturbent le fonctionnement de l'appareil de production industriel. La montée des eaux océaniques menace 10% de la population mondiale, les agglomérations et les infrastructures industrielles côtières dans les pays centraux. L’accès à l’eau devient un enjeu stratégique crucial et débouche sur des tensions et des affrontements entre États pour son contrôle.
Comme le montre le déchainement du militarisme en Ukraine, parmi les différents facteurs agissant dans l’effet ‘tourbillon’, celui de la guerre (en tant que décision délibérée de la classe dominante) constitue l’élément accélérateur déterminant d’aggravation du chaos et de la crise économique : augmentation de la famine au plan mondial, rupture des chaines d’approvisionnement, pénuries, destruction de l’économie ukrainienne, destruction environnementale…
La décomposition affecte de surcroît la manière dont la classe dominante tente de face à l’impasse de son système.
B. La décomposition attise la fuite en avant dans le militarisme
L’éclatement de la guerre en Ukraine représente un "changement d’époque" pour le capitalisme et les pays centraux : la guerre, au caractère de plus en plus irrationnel, où chaque partie se ruine et s’affaiblit, n’est plus une perspective lointaine. Elle se rapproche de plus en plus des centres du capitalisme mondial et implique la plupart des grandes puissances. Elle continue d’avoir de profondes répercussions négatives sur la situation économique mondiale et bouleverse l’ensemble des rapports entre nations capitalistes.
Tandis que dans son sillage se poursuit l’extension du chaos (avec le conflit Israël et Hamas), tous les États se préparent désormais à la guerre de "haute intensité" : chaque capital national réorganise son économie nationale en vue de renforcer son industrie militaire et de garantir son indépendance stratégique. Les budgets militaires sont partout en hausse rapide pour rattraper et même dépasser la part de la richesse nationale dédiée à l’armement lors du plus fort de l’affrontement entre blocs.
L’aiguisement général des tensions impérialistes, et, en leur sein, le conflit majeur entre la Chine et les USA a de profondes répercussions sur la stabilité économique du système capitaliste. Une tendance à la fragmentation du marché mondial se développe comme conséquence de la volonté des États-Unis de torpiller la puissance industrielle de la Chine (laquelle est la base de l’ascension de la puissance militaire et de la volonté d’expansion mondiale chinoises) et à entrainer leurs alliés dans le découplage des économies occidentales par rapport à la Chine en promouvant le "commerce entre amis" (friendshoring). Les décisions économiques des puissances sont de plus en plus déterminées par les considérations stratégiques épousant les lignes de fracture impérialistes et conduisent à des perturbations majeures de l’offre et de la demande mondiales.
C. La décomposition aggrave la crise du capitalisme d’état dans les pays centraux
Les mécanismes du capitalisme d’État et son efficacité tendent à se gripper. La gravité de la situation d’impasse du capitalisme, ainsi que les nécessités de la construction de l’économie de guerre attisent les affrontements au sein de chaque bourgeoisie nationale tandis que les effets de la décomposition sur la bourgeoisie et la société s’expriment par la tendance à la perte de contrôle par la classe dominante sur son jeu politique. La tendance à l’instabilité et au chaos politique en son sein, telle que la bourgeoisie américaine ou anglaise en offre le spectacle, affecte la cohérence, la vision à long terme et la continuité de la défense des intérêts globaux du capital national. La venue au pouvoir de fractions populistes irresponsables (aux programmes peu réalistes pour le Capital national) affaiblit l’économie et les dispositions imposées par le capitalisme depuis 1945 pour éviter la contagion incontrôlée de la crise économique.
Si le capitalisme d’État occidental a pu survivre à son rival stalinien c’est à la manière dont un organisme de plus solide constitution résiste plus longuement à la même maladie. Même si la bourgeoisie peut encore s’appuyer sur des fractions plus responsables dotées d’un plus grand sens de l’État, le capitalisme présente aujourd’hui des tendances analogues à celles qui ont causé la perte du capitalisme d’État stalinien. Concernant le capitalisme d’État chinois, marqué par l’arriération stalinienne malgré l’hybridation de son économie avec le secteur privé, et traversé de nombreuses tensions au sein de la classe régnante, le raidissement de l’appareil d’État constitue un signe de faiblesse et la promesse d’une instabilité à venir.
L’endettement, principal palliatif à la crise historique du capitalisme massivement utilisé, non seulement perd de son efficacité mais le poids des dettes condamne le capitalisme à des convulsions toujours plus dévastatrices. En restreignant de plus en plus la possibilité de tricher avec les lois du capitalisme, il réduit les marges de manœuvre de chaque capital pour soutenir et relancer l’économie nationale. Le rôle de ‘payeurs de dernier recours’ endossé par les États depuis 2008 fragilise les monnaies tandis que le service de la dette bride sévèrement la capacité des États à investir.
D. L’impasse de la surproduction encore plus implacable
Le tableau qu’offre le système capitaliste confirme les prévisions de Rosa Luxemburg : le capitalisme ne connaîtra pas un effondrement purement économique mais sombre dans le chaos et les convulsions :
- l’absence quasi-complète de marchés extra-capitalistes modifie désormais les conditions dans lesquelles les principaux États capitalistes doivent réaliser l’accumulation élargie : de plus en plus celle-ci ne peut s’opérer, comme condition de leur propre survie, qu’au détriment direct de rivaux de même rang en affaiblissant leur économie. De plus en plus se concrétise la prévision faite dans les années 1970 par le CCI d’un monde capitaliste ne pouvant se maintenir en vie qu’en se réduisant à un petit nombre de puissances encore capables de réaliser un minimum d’accumulation.
- Le degré d’impasse de la surproduction combiné à l’anarchie propre à la production capitaliste et à la destruction croissante des écosystèmes commence à provoquer de plus en plus de pénuries ou de ruptures (médicaments, agriculture…) en raison de l’incapacité à dégager suffisamment de profit pour les produire.
- Expression de cette impasse, l’inflation instillée par le contexte du retour de la guerre, fait spectaculairement sa réapparition, déstabilise l’économie et la prive de la visibilité à long terme dont elle a besoin.
- La recherche effrénée de nouveaux lieux de délocalisation (par ex. en Afrique, au Moyen Orient) pour exploiter une main d’œuvre meilleure marché se heurte aux conditions dantesques du chaos et au sous-développement ; un obstacle pour les puissances occidentales comme pour le projet chinois des Routes de la Soie qui s’effondre.
- L’Inde ne forme pas non plus une alternative viable à terme pouvant jouer un rôle équivalent à la Chine dans les années 1990-2000 ; les circonstances ayant permis le ‘miracle de l’émergence de la Chine’ étant révolues, une telle perspective est désormais impossible.
- Les coûts énormes pour faire face à la crise écologique et pour décarboner l’économie dépassent de très loin la capacité du Capital à réaliser les investissements au niveau requis. De nombreux éco-projets sont purement et simplement abandonnés en raison du coût du crédit qui tue leur rentabilité, tant en Europe qu’aux États-Unis.
- Malgré le ralentissement considérable du développement des forces productives, le capitalisme reste en mesure de réaliser quelques avancées, par exemple en médecine, en biotechnologie, Intelligence Artificielle… Mais profondément perverties par l’usage qu’en fait le capital, elles se retournent contre la classe ouvrière et l’humanité. Ainsi l’IA, outre le risque de faire disparaitre des milliers de postes sans possibilité pour les forces de travail libérées de retrouver à s’employer par ailleurs, les États la conçoivent comme un outil de contrôle de la population ou comme moyen de déstabilisation de leurs rivaux impérialistes, et surtout comme arme de guerre et outil de destruction. (Par ex. Israël qui se targue de mener la première guerre de l’IA voit en elle la “clé de la survie moderne”). Une partie de ses concepteurs a mis en garde contre le risque d’"extinction" qu’elle représente pour l’humanité, "au même titre que d’autres risques pour nos sociétés, tels que les pandémies et la guerre nucléaire".
- La pénurie massive de main-d'œuvre, dans de nombreux pays occidentaux relève de l'anarchie du capitalisme, générant à la fois des surcapacités et des pénuries, mais aussi de tendances typiques de la décadence au plan démographique de l’effondrement du renouvellement de la population frappant les pays occidentaux et la Chine. Le vieillissement des populations dans les pays les plus développés a pour conséquence de réduire la population en âge de travailler à un niveau tel que chaque État doit recourir à l’immigration. La pénurie massive de main-d'œuvre traduit aussi l’incapacité de plus en plus grande des systèmes éducatifs à mettre sur le marché une main d’œuvre suffisamment formée au niveau de technicité atteint dans la production, tandis que maints secteurs sont désertés en raison des conditions d'exploitation et de rémunération qui y règnent.
États-Unis, Europe, Chine : le cœur du capitalisme mondial frappé par les convulsions de la crise et des effets de la décomposition
Le 24° Congrès du CCI a clairement dégagé les implications de cette situation historique pour les principales nations :
"Non seulement la capacité des principales puissances capitalistes à coopérer pour contenir l'impact de la crise économique a plus ou moins disparu, mais face à la détérioration de leur économie et à l'aggravation de la crise mondiale, et afin de préserver leur position de première puissance mondiale, les États-Unis visent de plus en plus délibérément à affaiblir leurs concurrents. Il s'agit là d'une rupture ouverte avec une grande partie des règles adoptées par les États depuis la crise de 1929. Elle ouvre la voie à une terra incognita de plus en plus dominée par le chaos et l'imprévisible.
Les États-Unis, convaincus que la préservation de leur leadership face à la montée en puissance de la Chine dépend en grande partie de la puissance de leur économie, que la guerre a placée en position de force sur le plan politique et militaire, sont également à l'offensive contre leurs rivaux sur le plan économique. Cette offensive s'opère dans plusieurs directions. Les États-Unis sont les grands gagnants de la "guerre du gaz" lancée contre la Russie au détriment des États européens qui ont été contraints de mettre fin aux importations de gaz russe. Ayant atteint l'autosuffisance en pétrole et en gaz grâce à une politique énergétique de long terme initiée sous Obama, cette guerre a confirmé la suprématie américaine dans la sphère stratégique de l'énergie. Elle a mis ses rivaux sur la défensive à ce niveau : L'Europe a dû accepter sa dépendance au gaz naturel liquéfié américain ; la Chine, très dépendante des importations d'hydrocarbures, a été fragilisée par le fait que les États-Unis sont désormais en mesure de contrôler les routes d'approvisionnement de la Chine. Les États-Unis disposent désormais d'une capacité de pression sans précédent sur le reste du monde à ce niveau.
Profitant du rôle central du dollar dans l'économie mondiale, du fait d'être la première puissance économique mondiale, les différentes initiatives monétaires, financières et industrielles (des plans de relance économique de Trump aux subventions massives de Biden aux produits "made in USA", en passant par l'Inflation Reduction Act, etc.) ont augmenté la "résilience" de l'économie américaine, ce qui attire l'investissement de capitaux et les relocalisations industrielles vers le territoire américain. Les États-Unis limitent l'impact du ralentissement mondial actuel sur leur économie et repoussent les pires effets de l'inflation et de la récession sur le reste du monde.
Par ailleurs, afin de garantir leur avantage technologique décisif, les États-Unis visent également à assurer la relocalisation aux États-Unis ou le contrôle international de technologies stratégiques (semi-conducteurs) dont ils entendent exclure la Chine, tout en menaçant de sanctions tout rival à leur monopole.
La volonté des États-Unis de préserver leur puissance économique a pour conséquence d'affaiblir le système capitaliste dans son ensemble. L'exclusion de la Russie du commerce international, l'offensive contre la Chine et le découplage de leurs deux économies, bref la volonté affichée des États-Unis de reconfigurer les relations économiques mondiales à leur avantage, marque un tournant : les États-Unis se révèlent être un facteur de déstabilisation du capitalisme mondial et d'extension du chaos sur le plan économique.
L'Europe a été particulièrement touchée par la guerre qui l'a privée de sa principale force : sa stabilité. Les capitales européennes souffrent d'une déstabilisation sans précédent de leur "modèle économique" et courent un risque réel de désindustrialisation et de délocalisation vers les zones américaines ou asiatiques sous les coups de boutoir de la "guerre du gaz" et du protectionnisme américain.
L'Allemagne en particulier est un concentré explosif de toutes les contradictions de cette situation inédite. La fin des approvisionnements en gaz russe place l'Allemagne dans une situation de fragilité économique et stratégique, menaçant sa compétitivité et l'ensemble de son industrie. La fin du multilatéralisme, dont le capital allemand bénéficiait plus que toute autre nation (lui épargnant aussi le poids des dépenses militaires), affecte plus directement sa puissance économique, dépendante des exportations. Elle risque également de devenir dépendante des États-Unis pour son approvisionnement énergétique, alors que ces derniers poussent leurs "alliés" à se joindre à la guerre économique/stratégique contre la Chine et à renoncer à leurs marchés chinois. Parce qu'il s'agit d'un débouché vital pour les capitaux allemands, l'Allemagne se trouve confrontée à un énorme dilemme, partagé par d'autres puissances européennes, à un moment où l'UE est elle-même menacée par la tendance de ses États membres à faire passer leurs intérêts nationaux avant ceux de l'Union.
Quant à la Chine, alors qu'elle était présentée il y a deux ans comme la grande gagnante de la crise Covid, elle est l'une des expressions les plus caractéristiques de l'effet "tourbillon". Déjà victime d'un ralentissement économique, elle est aujourd'hui confrontée à de fortes turbulences. Depuis la fin de l'année 2019, la pandémie, les lock-down à répétition et le tsunami d'infections qui ont suivi l'abandon de la politique du "Zéro Covid" continuent de paralyser l'économie chinoise. La Chine est prise dans la dynamique mondiale de la crise, avec son système financier menacé par l'éclatement de la bulle immobilière. Le déclin de son partenaire russe et la rupture des "routes de la soie" vers l'Europe par des conflits armés ou le chaos ambiant causent des dommages considérables. La puissante pression des États-Unis accroît encore ses difficultés économiques. Et face à ses problèmes économiques, sanitaires, écologiques et sociaux, la faiblesse congénitale de sa structure étatique stalinienne constitue un handicap majeur. Loin de pouvoir jouer le rôle de locomotive de l'économie mondiale, la Chine est une bombe à retardement dont la déstabilisation aurait des conséquences imprévisibles pour le capitalisme mondial." ("Résolution sur la situation internationale du 25e Congrès du CCI"; Revue internationale 170.)
La Russie semble manifester une certaine résilience aux sanctions destinées à "saigner à blanc" son économie. Paradoxalement elle a pu bénéficier de l’État d’arriération de son économie (déjà manifeste avant 1989 et typique de la décadence) surtout basée sur l’extraction et l'exportation de matières premières, particulièrement les hydrocarbures, et mettre à profit le chacun pour soi dans les relations entre nations pour les écouler par la bande à la Chine, ou via l'Inde, pour atténuer certains effets des sanctions. Toutefois cet ‘atout’ fragile et provisoire ne pourra pas résister ad aeternam à l’étranglement progressif de ses capacités industrielles.
De nombreux États sont au bord de la faillite, incapables d’honorer leurs dettes du fait de la hausse des taux, victimes de la fuite des capitaux vers les États-Unis. L’élargissement des BRICS de cinq à onze membres (intégrant l'Argentine, l'Égypte, l'Éthiopie, l'Iran, l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis) représente une tentative d’émancipation par rapport aux États-Unis et d’échapper à la strangulation de leur économie. La mise en place d’une monnaie commune ou le recours à la monnaie chinoise comme alternative au dollar n’a aucune chance de voir le jour en raison des nombreuses divergences entre ces pays en particulier concernant leur relation avec l’État chinois.
Les trois principales parties du capitalisme s’enfoncent dans la stagflation, sans espoir de rebond réel de l’économie capitaliste ; avec le risque d’une plongée dans la récession, au bord de laquelle se trouve déjà l’UE et, possiblement, la Chine, tandis que les États-Unis cherchent à y échapper au détriment de leur rivaux.
La situation de la classe ouvrière
"Ce que nous voyons dans l'ensemble est, d'une part, ce qui va peut-être être la PIRE CRISE de l'histoire du capitalisme, et, d'autre part, la réalité concrète de la PAUPÉRISATION ABSOLUE de la classe ouvrière dans les pays centraux, confirme totalement la justesse de cette prévision que Marx a faite concernant la perspective historique du capitalisme et dont les économistes et autres idéologues de la bourgeoisie se sont tant moqués." (Le capitalisme mène à la destruction de l'humanité… Seule la révolution mondiale du prolétariat peut y mettre fin ; Revue Internationale 169)
Après des décennies de pression à la baisse du prix de la force de travail, la part de la richesse créée revenant au Travail n’a pas cessé de diminuer dans le monde entier depuis la fin des années 1970. Les salaires réels sont revenus au niveau d’avant les années 1980. Une grande partie de la classe ouvrière vit désormais sous le seuil de pauvreté ou juste à sa limite.
La bourgeoisie se targue de parvenir à "juguler" l’inflation ; pour ce qui est du pouvoir d’achat ouvrier, chaque prolétaire doit payer beaucoup plus cher son carburant, son alimentation et le remboursement de ses crédits, tandis que son salaire a été amputé en ‘progressant’ très en deçà du taux d’inflation, empêchant la satisfaction des besoins les plus élémentaires.
L’extraction de la plus-value relative va de plus en plus de pair avec l’extraction de la plus-value absolue, l’intensification du travail allant de pair avec l’allongement de la journée de travail et de la durée du temps d’exploitation dans la vie de chaque prolétaire.
Les conditions d’exploitation tendent même de plus en plus à dépasser les limites physiologiques des prolétaires en tuant littéralement les ouvriers au travail.
Certains États américains ont cherché à contraindre les salariés à travailler pendant les canicules, faisant monter en flèche les décès et accidents. En Corée, où la mort au travail est un phénomène répandu (comme dans le reste de l’Asie du Sud-est), la volonté de l’État de faire passer la semaine de travail de 52 à 69 heures a été contrecarrée par la riposte de la classe.
Les accidents du travail provoquent chaque année une hécatombe : officiellement près de deux millions d’ouvriers dans le monde, 270 millions étant blessés ou estropiés.
La force de travail surmenée subit dans de nombreux secteurs de la production une usure nerveuse et musculo-squelettique accélérée telle qu’elle entraine une mise au rebut de ceux qui vont rejoindre les cohortes de prolétaires inexploitables bien avant la date légale de cessation d’activité.
Enfin sont monnaie courante les situations de quasi-esclavage de la force de travail (particulièrement dans les secteurs agricoles des pays développés), de mise en esclavage pour dettes ou de travail forcé (par exemple dans le secteur de la pêche industrielle en Chine) touchant surtout la main d’œuvre migrante.
Avec les perspectives d’aggravation de la crise, les attaques économiques contre la classe ouvrière au travail ou au chômage ne peuvent que continuer à pleuvoir.
Mais "trop c’est trop" ! Ainsi la classe ouvrières a commencé à riposter en reprenant le chemin de la lutte dans l’ensemble des bastions de l’économie mondiale, ces deux dernières années. Ce retour de la lutte des classes, historique après plusieurs décennies de passivité du prolétariat, confirme l’importance du rôle de la crise et des luttes défensives dans la théorie marxiste pour le devenir du combat ouvrier : "… les attaques économiques (baisse du salaire réel, licenciements, augmentation des cadences, etc.) résultant directement de la crise affectent de façon spécifique le prolétariat (c’est-à-dire la classe produisant la plus-value et s’affrontant au capital sur ce terrain) ;la crise économique, contrairement à la décomposition sociale qui concerne essentiellement les superstructures est un phénomène qui affecte directement l’infrastructure de la société sur laquelle reposent ces superstructures ; en ce sens, elle met à nu les causes ultimes de l’ensemble de la barbarie qui s’abat sur la société, permettant ainsi au prolétariat de prendre conscience de la nécessité de changer radicalement de système et non de tenter d’en améliorer certains aspects." (Thèses sur la décomposition)
CCI, Décembre 2023
[1] Le capitalisme ne peut pas constituer le marché nécessaire à l'écoulement de sa production, c'est la raison pour laquelle il a en permanence dû vendre le surplus de celle-ci à des marchés "extra-capitalistes", interne aux pays dominés par les rapports de production capitalistes ou bien à l'extérieur de ceux-ci.
[2] Lire La crise capitaliste dans les pays de l'est, Revue internationale 23.
[3] "La Mondialisation" Ed Bréal, p 107 de Carroué, Collet, Ruiz.
[4] Lire à ce sujet Jean-Michel Valantin, Géopolitique d’une planète déréglée, Seuil, 2017, pp.240 à 249, chapitres : Les « printemps arabes" : crise politique, crise géophysique ; Evénements climatiques extrêmes et crises politiques ; Climat, crise agraire et guerre civile : la cas de la Syrie.