Depuis plusieurs années, la question de la réduction du temps de travail est un serpent de mer que les partis de gauche comme les syndicats tentent de vendre aux exploités comme la « solution miracle » : après « l’expérimentation » des 32 heures en Espagne et en Islande, sa mise au sein d’un nombre croissant d’entreprises de part le monde, ce fût au tour de Mélenchon et son programme « L’avenir en commun » de défendre les vertus de la réduction du temps de travail lors de la campagne présidentielle. (1)
À en croire ses promoteurs, qu’ils soient patrons, économistes, syndicalistes ou politiciens de gauche, une telle réduction du temps de travail aurait de multiples vertus : baisse du chômage, de la consommation d’énergie, de la pollution, de l’absentéisme, des maladies et soins liés au stress et à l’épuisement, amélioration du bien-être et de la santé mentale des salariés… et, surtout, hausse de la productivité ! Au Japon, lors d’une expérimentation des 32 heures de travail hebdomadaires sur 4 jours ouvrés sans baisse de salaire nominal durant le mois d’août 2019, la société Microsoft a tiré des résultats plus que concluants : augmentation de 40 % de la productivité tout en réalisant d’importantes économies d’énergie et de papier). En France, inspirée par ces résultats, l’entreprise LDLC a adopté depuis 2021 le même dispositif de réduction de temps de travail : « Le PDG Laurent de la Clergerie était sûr de lui, malgré quelques réticences : “Les manageurs ont mis deux mois pour se faire à l’idée, ils avaient peur que leurs équipes ne fassent rien en leur jour d’absence. Mais justement ces heures je ne leur ai pas données, je leur ai simplement évité de faire du présentéisme” non-productif ». (2) D’ailleurs, « sans avoir “besoin de recruter ni de faire des changements majeurs”, l’entreprise a en réalité… quadruplé son bénéfice net. “Aujourd’hui, finalement, les gens sont heureux, le bien-être est là, et l’entreprise gagne plus d’argent qu’avant, se réjouit-il. En fait, j’ai fait jackpot, je l’avais pas prévu… C’est presque une formule magique”. » (3)
La hausse de la productivité est en effet le principal aspect de la réduction du temps de travail qui intéresse les capitalistes. Lorsqu’en 1926, Henry Ford instaura dans ses usines la semaine de 40 heures de travail sur 5 jours ouvrés sans baisse de salaire nominal, c’était en premier lieu pour la raison que cette formule était la plus à même de favoriser l’exploitation maximale de ses ouvriers, qui devaient se reposer plus longtemps afin de pouvoir reconstituer leur force de travail en raison du travail à la chaîne et des cadences infernales imposées par l’organisation fordiste de l’exploitation capitaliste. C’est aussi l’augmentation de la productivité, notamment dans le secteur de l’armement, et l’embrigader idéologique les prolétaires pour la guerre, que la gauche française avait en vue lorsqu’elle mit en place, en 1936, sous le gouvernement de Front populaire, les lois sur la semaine de 40 heures de travail et les 2 semaines de congés payés, comme le reconnaîtra plus tard Léon Blum en personne : « Le rendement horaire, de quoi est-il fonction ? […] Il dépend de la bonne coordination et de la bonne adaptation des mouvements de l’ouvrier à sa machine ; il dépend aussi de la condition morale et physique de l’ouvrier.
Il y a toute une école en Amérique, l’école Taylor, l’école des ingénieurs Bedeau, que vous voyez se promener dans des inspections, qui ont poussé très loin l’étude des méthodes d’organisation matérielle conduisant au maximum de rendement horaire de la machine, ce qui est précisément leur objectif. Mais il y a aussi l’école Gilbreth qui a étudié et recherché les données les plus favorables dans les conditions physiques de l’ouvrier pour que ce rendement soit obtenu. La donnée essentielle c’est que la fatigue de l’ouvrier soit limitée…
Ne croyez-vous pas que cette condition morale et physique de l’ouvrier, toute notre législation sociale était de nature à l’améliorer : la journée plus courte, les loisirs, les congés payés, le sentiment d’une dignité, d’une égalité conquise, tout cela était, devait être, un des éléments qui peuvent porter au maximum le rendement horaire tiré de la machine par l’ouvrier ». (4)
C’est encore et toujours l’augmentation de la productivité, le prolétaire restant une bête de somme à exploiter, qui était l’objectif du gouvernement de la « gauche plurielle » de Lionel Jospin lorsque ont été mises en place à partir de 2000 les lois sur les 35 heures de travail. (5)
D’ailleurs, tout comme ce fut le cas pour les 40 heures en 1936, les 35 heures actuelles ne constituent qu’une moyenne théorique du temps de travail hebdomadaire et la flexibilité accrue des horaires de travail introduite avec ces lois aboutit à une durée réelle supérieure à celle affichée (39,1 heures hebdomadaires en moyenne pour les travailleurs salariés en 2018… soit plus que les 39 heures hebdomadaires en vigueur avant la mise en place des « 35 heures » !
En outre, le maintien annoncé du niveau des salaires ne relève que d’un effet d’annonce particulièrement mensonger. Ainsi, les lois Aubry ont permis de sortir du décompte du temps de travail des moments comme les pauses ou les temps de déplacement ou d’habillage jusque-là comptabilisés. De plus, elles ont permis non seulement la baisse du salaire indirect en réduisant les cotisations sociales versées par les entreprises passant aux 35 heures, mais aussi un blocage du salaire direct durant un an et demi en moyenne, ce qui signifie, en tenant compte de l’inflation, une baisse du salaire réel. Au final, quand la gauche annonce une réduction du temps de travail, c’est bien une hausse de la productivité du travail qu’elle fournit aux capitalistes et une forte intensification de son exploitation.
Sans surprise, les entreprises qui sont déjà allées au-delà en passant aux 32 heures de travail hebdomadaires l’ont fait pour des raisons similaires. Ce fut par exemple le cas de Bosch Rexroth à Vénissieux, comme le reconnaît, en cherchant à nous enfumer avec le mythe du « gagnant/gagnant », un responsable local de la CGT : « On a profité de la loi Aubry I et de cette possibilité de négociation pour passer à trente-deux heures payées trente-neuf. En contrepartie, il n’y a pas eu d’augmentation de salaire pendant trois ans. Cela a permis une quarantaine d’embauches, principalement dans la production, sur six cents salariés environ. Sur les services supports (logistique, qualité, etc.), où il n’y a pas eu de création de postes, ça a un peu intensifié la charge de travail. En échange, les cadres et les techniciens en forfait jours ont pu obtenir jusqu’à vingt-trois jours de RTT. Grâce aux trente-deux heures, nous sommes parvenus à un certain confort pour les salariés. Le patron y a retrouvé ses petits ; il a dit que c’était rentable pour lui ». (6)
Une telle mesure peut également servir à réduire le nombre de chômeurs en répartissant le temps chômé dans toute la classe ouvrière, ce qui permet de baisser les coûts liés à l’assurance-chômage et donc d’optimiser encore l’exploitation de la force de travail. Ainsi, selon un rapport parlementaire de 2014, « les lois Aubry ont coûté, par an, 2 milliards d’euros aux entreprises et 2,5 milliards d’euros aux administrations publiques, soit un peu plus de 12 800 euros par emploi créé, à comparer avec l’indemnisation nette moyenne d’un chômeur, qui s’élèverait à 12 744 euros par an en 2011. C’est la politique en faveur de l’emploi la plus efficace et la moins coûteuse qui ait été conduite depuis les années 1970 ». (7)
Et qu’en est-il de ce motif de plus en plus évoqué, à savoir qu’une telle mesure contribuerait à la protection de l’environnement ? « Il faut d’une part réduire le temps de travail pour en améliorer le partage et d’autre part modérer la croissance, voire annuler l’augmentation de la production en transférant les gains de productivité, non pas sous forme de revenus, mais sous forme de temps libre. Et tout cela est acceptable si on met bien l’accent sur ce qu’on gagne (du temps) par rapport à ce qu’on perd : une consommation qui n’est pas tant que cela synonyme de plaisir et de bonheur ». (8) Ce ne serait donc pas le capitalisme qui détruit la planète dans sa soif inextinguible de profit, mais les travailleurs salariés qui, mus non par la nécessité mais par une quête hédoniste de davantage de « loisirs », produiraient et consommeraient trop sans vraiment se soucier des conséquences de leurs actes pour la planète !
La pilule pouvant se révéler difficile à avaler pour ces mêmes travailleurs dont les conditions de vie ne cessent de se dégrader, il s’agirait donc de savoir bien leur présenter les choses : « Réduire le temps de travail représente un premier pas qui permet de rendre acceptable la limitation de la consommation et de la production. Cela pourrait servir de levier pour un changement de mentalité et de société, en accompagnant la transition énergétique tout en aidant à partager le travail. […] L’impératif de réduction des émissions de gaz à effet de serre repose de manière plus urgente encore une vraie question de société : sommes-nous prêts à travailler, à produire et à consommer moins pour vivre plus équitablement ensemble ? » (9) En voilà un vibrant appel à se serrer la ceinture… « pour le bien de la planète » ! Et c’est ainsi que la paupérisation est repeinte en vert. Il faut donc nous attendre à ce qu’on nous serve ce genre de propagande écologiste pour justifier les baisses de salaire ou l’augmentation des prix, comme c’est déjà le cas pour le prix des carburants, du gaz ou de l’alimentation afin d’« inciter les consommateurs à renoncer au pétrole » et au « gaspillage d’énergies ». Un vrai bourrage de crâne basé sur la culpabilisation des exploités !
On le voit, les mesures de « réduction du temps de travail », qu’elles soient effectives ou non, ne constituent en rien un cadeau du patron bienveillant ou un acte généreux de la part d’un gouvernement de gauche. Aujourd’hui comme hier, derrière les justifications sociales ou environnementales, elles accentuent la précarité et ont en réalité pour seul objectif d’optimiser l’exploitation capitaliste en l’adaptant aux conditions de la crise économique. Le prolétariat ne devra pas s’illusionner si la bourgeoisie tente de lui faire accepter ce type de « lendemains qui chantent ». Il s’agit au contraire de résister à ces nouvelles attaques en préparation, à ce surcroît d’exploitation que tente de déguiser en « cadeau » (empoisonné) la bourgeoisie.
DM, 26 avril 2022
1 Voir : « La France Insoumise encore et toujours au service du capitalisme [1] » sur le site internet du CCI.
2 « La semaine de quatre jours, positive pour les salariés… et pour l’employeur [2] », Le Monde (26 janvier 2022).
3 « Salariés “contents de venir au travail”, bénéfices quadruplés pour cette entreprise… la semaine de quatre jours serait-elle la formule magique ? [3] », France Info (20 janvier 2022).
4 Cité dans notre article « 1936 : Fronts populaires en France et en Espagne : comment la bourgeoisie a mobilisé la classe ouvrière pour la guerre [4] », Revue internationale n° 126 (3e trimestre 2006).
5 Voir à ce sujet notre article « 35 heures : une loi qui sert les intérêts de la bourgeoisie [5] », Révolution internationale n° 327 (octobre 2002).
6 « Ressentiment tenace contre les lois Aubry [6] », Le Monde diplomatique (juin 2021).
7 Ibid.
8 « Travailler moins pour polluer moins [7] », Le Monde diplomatique (juin 2021).
9 ibid.
Suite au premier tour de l’élection présidentielle, Mélenchon est arrivé en troisième position, à quelques centaines de milliers de voix de la qualification au second tour. Il doit son relatif succès à la mobilisation de l’électorat populaire et ouvrier des anciens « bastions rouges » de la banlieue parisienne et des concentrations ouvrières de la plupart des grandes villes françaises. Sa candidature a pris également chez beaucoup de jeunes pourtant plus méfiants envers tous les discours convenus des bonimenteurs patentés du cirque électoral. Alors que les partis historiques de la gauche, PS et PCF en tête, ont fait naufrage, décrédibilisés, incapables de représenter le moindre espoir aux yeux d’électeurs désabusés, La France insoumise (LFI), avec son leader charismatique Mélenchon, se présente désormais comme la « force de gauche » par qui peut venir l’espérance d’un avenir meilleur. Elle se donne à la fois l’image du recours face au « libéralisme » bourgeois, au « pouvoir de l’argent » et des « riches », face aux attaques du pouvoir macronien comme au danger « fasciste » du Rassemblement national de Marine Le Pen…
À travers son slogan « un autre monde est possible », LFI se présente même comme une force alternative en opposition à la société capitaliste. Et ce alors que de larges parties de la classe ouvrière et de la nouvelle génération constatent la putréfaction du monde capitaliste sous les coups de butoir de la crise et de la guerre et la nécessité de « changer la société ». Il n’est dont pas surprenant qu’après son échec pour accéder au deuxième tour de l’élection présidentielle, Mélenchon s’est empressé d’appeler à la mobilisation massivement dans les urnes lors des élections législatives afin, selon lui, de « contraindre » Macron à le nommer premier ministre et assurer une prétendue « opposition ».
Depuis l’élection de Mitterrand et du PS au début des années 1980 et la participation du PC aux gouvernements de la gauche, la classe ouvrière sait à quoi s’en tenir avec la gauche et ce genre de palabres. Derrière les grands discours « émancipateurs » se cache la poursuite de l’exploitation la plus effrénée, les attaques à n’en plus finir des conditions de vie, et la répression des luttes sociales et des grèves. Le discrédit de ces partis est justement le fonds de commerce d’un Mélenchon qui pousse à penser qu’une « vraie » gauche pourrait réellement « changer la vie ». Il n’en est clairement rien !
Car ce projet porté par Mélenchon n’est en rien novateur. C’est une copie modernisée des fausses alternatives véhiculées par toutes les fractions social-démocrates radicales, écologistes et citoyennes. (1) Avec ces habits neufs, la bourgeoisie tente donc de redynamiser l’idéologie portée par la gauche du capital et de remplacer un stalinisme clairement moribond en réactivant le programme, tout autant anti-ouvrier, de la vieille social-démocratie. En appelant à « l’union populaire » pour « un autre monde possible », Mélenchon et sa clique, veulent nous faire croire qu’ils constituent, par un recyclage d’idéologies pourtant périmées, une alternative au capitalisme. Dans la réalité, ils en sont toujours de fervents défenseurs !
Pour faire face à la crise, le « Programme de l’Union populaire » propose « de grands chantiers pour relever le défi écologique… Engager un plan global de rénovation de nos infrastructures pour les adapter au changement climatique ». Est-ce une nouveauté susceptible de « créer plusieurs centaines de milliers d’emplois et réduire massivement le chômage » ? Depuis quelques années, la campagne idéologique en faveur d’un « New Deal vert » prétend résoudre tout à la fois le problème du changement climatique, du chômage et des inégalités. Le « New Deal vert » propose, nation par nation, des plans mirifiques pour une nouvelle croissance basée sur des énergies, une production et des infrastructures écologiques, promettant un soutien à l’économie en s’appuyant sur l’augmentation des dépenses. En fait, le « New Deal vert » trouve sa très pâle inspiration dans la politique capitaliste d’État menée dans les années 1930 aux États-Unis afin de relancer la croissance, suite à la grande dépression de 1929. Le New deal de Roosevelt n’a finalement été qu’une politique de grands travaux basée sur le recours massif et inédit à l’endettement étatique, permettant de construire navires et avions de guerre, bases militaires et terrains d’aviation. Ce n’était d’ailleurs pas différent des politiques en vigueur à cette époque en Allemagne, quand de nombreuses autoroutes étaient construites en préparation de la guerre à venir. Voilà la logique concrète contenue dans une telle proposition radicale !
Des propositions du même acabit ont également éclos sur la « garantie d’emploi, réduire le temps de travail, en finir avec la flexibilité ». (2) Là encore, des propositions mirifiques qui font « rêver » ! La réalité, c’est que chaque soi-disant avancée sociale, notamment portée par la gauche au pouvoir (semaine de congés payés supplémentaire en 1982 ou 35 heures. en 2000) s’est systématiquement traduite par l’aggravation de l’exploitation avec l’augmentation des cadences, le gel des salaires et la précarisation accrue de l’emploi, tout cela amenant pression, souffrance au travail, suicides parfois, précarité et « mobilité » pour tous les exploités.
Penser qu’il pourrait en être autrement, par enchantement, dans un contexte de crise et concurrence capitaliste accrue et acharnée (que revendique d’ailleurs totalement le candidat Mélenchon) est une pure illusion. En effet, la « relocalisation des productions essentielles, engager un plan de reconstruction industrielle pour mettre fin à la dépendance de la France dans les domaines stratégiques (semi-conducteurs, médicaments, etc.) et pour soutenir la bifurcation écologique », outre l’endettement massif, ne pourrait se faire qu’au prix d’une réduction drastique des coûts de production et d’une attaque cinglante de nos conditions de vie. Ce sont là les lois inexorables du système capitaliste !
Quant à la promesse de gauche éculée du « partage plus juste des richesses » et de « faire payer les riches », c’est encore de la poudre aux yeux : Mélenchon et sa clique n’ont rien de plus à proposer qu’un énième saupoudrage de « nouvelles » recettes fiscales, notamment un rétablissement de l’impôt sur les grosses fortunes supprimé par Macron et une taxation plus forte de l’État sur les propriétés immobilières.
Autre proposition altermondialiste prétendant en finir avec le chaos et la barbarie guerrière dans le monde, d’autant plus importante dans ce contexte d’accélération guerrière comme aujourd’hui en Ukraine : « Pour promouvoir la paix et la coopération », « retrouver une voix indépendante, assumer l’indépendance de la France dans le monde, est une nécessité ». Derrière un tel discours récurrent se cache le chauvinisme le plus crasse promettant les horreurs guerrières de demain : « Si tu veux la paix, prépare la guerre ». Au nom de ce principe de va-t-en-guerre guerre, concrétisé à l’extrême dans toute l’histoire du capitalisme, des millions d’exploités y ont laissé leur vie, dans la défense d’intérêts nationaux bourgeois qui n’ont jamais été les leurs, en toute « indépendance ».
Mélenchon en remet une couche qui ne se pare même pas d’oripeaux pacifistes : « La France peut et doit se défendre elle-même, en dehors de toute alliance militaire permanente quelle qu’elle soit. Pour cela, la défense doit être l’affaire de la Nation tout entière ». Pour ce faire, les propositions sont multiples et très expressives d’un avenir soi-disant « radieux » de coopération et d’entente mutuelle : « Stopper les privatisations des industries d’armement et des missions de défense nationale, puis les réintroduire dans le secteur public. Prioriser l’acquisition de matériel militaire français dans l’armée. Ouvrir la possibilité d’un service militaire comme composante optionnelle du service citoyen obligatoire. Mobiliser l’espace numérique et la réalité spatiale pour installer des systèmes défensifs et non létaux contre les agressions et pour la paix. Adapter le matériel militaire et l’équipement de nos soldats à la nouvelle donne climatique. Lancer un plan d’adaptation des infrastructures militaires vulnérables ». N’en jetez plus, la cour est pleine ! Si d’aucuns pouvaient s’illusionner sur la vision du futur un tantinet « révolutionnaire », « solidaire » et « radical » de Mélenchon, ils ont la démonstration sans fard d’une perspective chauvine et va-t-en-guerre décomplexée.
Nous pourrions multiplier à l’envi toutes les propositions supplémentaires pour une « défense nationale » du renseignement, de l’anti-terrorisme, d’une police de proximité plus efficace, de techniques de répression plus « républicaines » au service de l’État !
Il existe donc aujourd’hui dans les rangs ouvriers et dans la jeune génération beaucoup d’illusions sur la nature de LFI du fait notamment de la perte de repère que subit la classe ouvrière sur sa conscience d’elle-même et sa capacité à entrevoir la société communiste dont elle est porteuse. Mais si ces difficultés existent bel et bien, elles ne signifient pas une incapacité irréversible de recouvrer son identité de classe et la conscience du but à atteindre. Et cela, la bourgeoisie le sait et veille à éviter qu’une telle « catastrophe » se produise au travers des mystifications véhiculées par les partis de gauche.
LFI est désormais la principale force de la gauche capable d’assumer ce rôle d’encadrement idéologique du prolétariat. À la fois :
– En stérilisant le rôle révolutionnaire de la classe ouvrière par sa dilution dans l’amas informe du « peuple français », des « couches populaires » et « citoyennes ».
– En dévoyant le but d’une société sans classe sociale, sans exploitation et sans État par un prétendu égalitarisme garanti par l’État républicain.
– Enfin, en torpillant les luttes passées et à venir, en sapant la recherche de l’unité et de la solidarité au sein de la classe ouvrière. Pour s’en faire une idée, il est nécessaire de revenir sur la tentative idéologique ignoble de LFI de division générationnelle que l’on a vu déjà à l’œuvre pendant la pandémie et qui s’est réactivée avant ce premier tour et juste après : en clair, les vieux seraient la génération par qui le mal arrive, celle qui, pour beaucoup, ne s’est pas protégée et a entraîné le confinement de tous et le sacrifice des jeunes. Aujourd’hui, LFI et ses relais médiatiques stigmatisent le vote des ex-babyboomers pour Macron et Le Pen. Le conservatisme réactionnaire des vieux empêcherait les « forces vives » de la jeunesse (votant davantage pour Mélenchon) de se donner une perspective. Insinuer ouvertement ou par la bande que les retraités ont leur « carrière derrière eux », ont égoïstement profité du plein emploi, du consumérisme et de la retraite à 60 ans est une ignominie à vomir dont Mélenchon se sert pour caresser dans le sens du poil de jeunes électeurs, en majorité diplômés, face à un avenir plus qu’incertain, et pour diviser les ouvriers.
Outre l’aspect grossier de cette campagne, l’idéologie dominante tente en fait d’entraver toute potentialité d’une véritable unité et solidarité pour les luttes à venir, décrédibilisant toute l’expérience accumulée par les générations ouvrières précédentes, si nécessaires pour renforcer les luttes à venir. Voilà encore l’expression concrète de la « coopération » et de la « morale » prônées par le sieur Mélenchon. Au bout du compte, derrière les affirmations qu’« un autre monde est possible », il faut clairement lire « un même État national est possible ».
Il est donc nécessaire de rappeler une vérité toute simple : pour les prolétaires, l’État est le fer de lance de l’exploitation capitaliste ! Qui mène sans cesse des attaques générales contre les conditions de vie de la classe ouvrière ? Qui réprime la moindre expression de révolte contre l’ordre établi ? C’est l’État bourgeois ! Hier, aujourd’hui et demain, tous ses défenseurs, ses « réformateurs » affichés, par les urnes, par les discours ou les programmes, aussi radicaux soient-ils, n’en sont que des rouages directs et indirects. Mélenchon et LFI sont des ennemis de la classe ouvrière, de ses luttes et de ses efforts pour renforcer la conscience prolétarienne d’une alternative révolutionnaire nécessaire et possible.
Stopio, 23 avril 2022
1 Comme celles du Parti Socialiste Unifié en son temps. Celui-ci avait été présenté comme la tentative de construire une démarche de « réformisme révolutionnaire », très marqué par la logique du « grand soir ». Ses contributions aux pièges et aux impasses autogestionnaires, comme lors des luttes de Lip, avaient contribué, comme tant d’autres, à dévoyer toute la réflexion prolétarienne suite à Mai 68.
2 Voir : « 32 heures : La face cachée de la réduction du temps de travail [11] » sur le site internet du CCI.
Alain Krivine est décédé le 12 mars 2022. La plupart des médias bourgeois ont salué la mémoire de « Krivine la cravate », ancien candidat aux élections présidentielles françaises de 1969 et 1974 : du Figaro à Libération, en passant par Le Monde et Marianne, toute la presse bourgeoise s’est fendue de son petit hommage à cette « figure de l’extrême-gauche » et surtout à celui qui « s’était présenté au suffrage des électeurs tout en dénonçant la “duperie” des élections » et a donc bien rendu service à la bourgeoisie française en cautionnant, de façon « critique » bien sûr, le cirque électoral. En cette période de campagne électorale, un tel rappel vaut bien un hommage à une personnalité qui n’a jamais menacé de quelque façon que ce soit l’ordre capitaliste dominant.
La liste des hommages rendus par les partis politiques démocratiques est d’ailleurs fort longue : de Nathalie Artaud à Jean-Luc Mélenchon, de Fabien Roussel à Pierre Moscovici, toute la Gauche y est allée de sa larme pour le « militant révolutionnaire » qui « n’a jamais renié ses convictions anticapitalistes et révolutionnaires » (N. Artaud). Et c’est bien là le problème.
Ces convictions qu’Alain Krivine n’aurait jamais reniées, quelles sont-elles ? La Jeunesse Communiste Révolutionnaire qui est devenue en 1969 la Ligue Communiste, puis en 1974 la Ligue Communiste Révolutionnaire, dont il a été le fondateur, le candidat à la présidence (deux fois !) et le porte-parole, est à l’origine une scission des Jeunesses Communistes et de l’Union des Étudiants Communistes, deux organisations du PCF ; cette scission du PCF ne s’est pas faite sur des critères programmatiques, mais sur le refus de soutenir la candidature de Mitterrand à la présidentielle de 1965 ainsi que l’indépendance de l’Algérie. Et Krivine n’est pas parti de ces organisations du fait de ses désaccords : réclamant « le droit de tendance » dans la JC, il en a été exclu.
Liée à la IVe Internationale et au courant trotskyste de Pierre Frank (Parti communiste internationaliste), la JCR débute son activité par un soutien aux manifestations contre la guerre du Vietnam et, dans les faits, par un soutien pur et simple à « l’Oncle Hô » Chi-Minh et à la guerre sous drapeau stalinien ; Krivine et son organisation n’ont dans les faits jamais dévié d’une ligne : soutenir le Bloc de l’Est et le stalinisme contre le bloc occidental ; en pratique, la LCR a soutenu le castrisme et le guévarisme, les sandinistes nicaraguayens, l’invasion russe de l’Afghanistan en 1979 (même si la « base » de l’organisation a sur ce sujet désavoué son « Bureau politique » !), le nationalisme palestinien, l’Irak de Saddam Hussein contre les « troupes impérialistes occidentales ». La logique de cette politique est claire : « dans la logique bourgeoise des trotskystes (pour lesquels il n’y a jamais eu depuis la Seconde Guerre mondiale qu’un seul bloc impérialiste, celui dominé par les États-Unis), « l’adversaire principal, le seul véritable, de tous les peuples et des travailleurs occidentaux, c’est l’impérialisme, qu’il soit américain, britannique ou français ». (1) Toujours, partout, Krivine et son organisation ont défendu le nationalisme, les États, les luttes entre cliques bourgeoises, la guerre, du moment qu’il s’agit de combattre les États-Unis et leurs alliés, et exclusivement eux. Ils ont constamment défendu, comme leur ancêtre stalinien le PCF, la nature soi-disant « socialiste » de l’URSS et de ses satellites. Partout, toujours, la LCR a poussé les prolétaires à choisir un camp dans les combats impérialistes, le camp soi-disant « socialiste » défendant les prétendues « conquêtes de 1917 ». On peut ajouter que dans l’actuelle guerre en Ukraine, l’héritier de la LCR, le NPA, appelle à la « solidarité avec le peuple ukrainien », ce qui marque en creux le soutien de cette organisation à l’État capitaliste ukrainien, comme tout va-t-en-guerre, contre l’internationalisme prolétarien défendu par Trotsky pendant la Première boucherie mondiale !
Dans les luttes ouvrières, la LCR a toujours mis son action bourgeoise au service du sabotage par les syndicats, de l’isolement des prolétaires en lutte et des ouvriers combatifs : il n’est que de se souvenir de son engagement dans la grève de Mai 68, où elle a purement et simplement suppléé l’incapacité du PCF à encadrer le mouvement en soutenant l’action des syndicats, UNEF en tête, de son action dans l’enfermement de la lutte des ouvriers de Lip dans le piège de l’autogestion en 1973, dans la grève des cheminots de décembre 1986, lorsque la LCR a monté les « coordinations » pour faire le même travail contre-révolutionnaire que les syndicats décrédibilisés, isoler les roulants dans le corporatisme et empêcher les « éléments extérieurs » de participer aux AG cheminotes, (2) ou dans la lutte des infirmières en 1988 où la LCR a combattu la méfiance des grévistes envers les syndicats officiels en la détournant vers de nouvelles « coordinations » (c’est-à-dire vers le piège d’une pratique radicale du syndicalisme « de base »). (3) On se rappellera aussi des magouilles et du sabotage permanent des décisions des AG dans les comités chargés de les mettre en œuvre au cours de la lutte anti-CPE de 2006, alors même que les militants du CCI étaient calomniés en sous-main ou empêchés d’entrer dans les AG étudiantes pourtant ouvertes à tous, comme à Toulouse-Rangueil, (4) ou du soutien systématique à l’isolement et au dévoiement de la colère ouvrière dans toutes les actions stériles menée par les syndicats, que ce soit SUD ou la CGT, par exemple dans la lutte des enseignants parisiens en 2003, dans celle contre la réforme des retraites en 2010 ou dans la lutte menée contre la « pwofitasyon » en Guadeloupe la même année.
Aujourd’hui, l’héritier de la LCR, le NPA, toujours sous la houlette de Krivine, continue de présenter des candidats à toutes les élections, toujours avec le même argumentaire mensonger. Quand l’actuel candidat, Philippe Poutou, nous répète, comme avant lui Olivier Besancenot : « Une victoire électorale ne suffira pas, car les capitalistes, qui détiennent le pouvoir économique et les rênes de l’État, ne se laisseront pas faire. Il nous faudra imposer le changement par une mobilisation d’ensemble sur les lieux de vie et de travail pour constituer une force capable de révolutionner la société », cela ne peut que faire écho à ce que disait le candidat Krivine à la présidentielle de 1969 : « Les élections sont une telle duperie que même des travailleurs s’apprêtent aujourd’hui à apporter leurs suffrages au candidat Poher ! Ce faisant, ils croient transformer le non au référendum en une victoire ouvrière. Ils croient pouvoir troquer la trique gaulliste pour un régime joufflu, bonasse et apaisant. Mais quel est le véritable visage du pouvoir ? Se trouve-t-il au Parlement ? Se trouve-t-il au Sénat ? » (5) Autrement dit : ça ne sert à rien de voter mais il faut continuer à se servir de la « tribune électorale » qu’ « offrirait » la bourgeoisie, donc… allez vous défouler dans l’isoloir ! Et que vive la démocratie bourgeoise avec l’aide pleine et entière des trotskystes, ajouterons-nous !
Alors, oui, la bourgeoisie française peut remercier Krivine pour ses bons et loyaux services ! En tout cas, ça valait bien un petit hommage ! Mais la classe ouvrière retiendra surtout que la LCR/NPA et son porte-parole n’ont jamais été autre chose qu’une forme de stalinisme, plus « jeune », « sympathique » et « moins dogmatique » que leurs cousins de Lutte Ouvrière, et surtout moins déconsidérée que leurs mentors, le PCF et la CGT !
HG, 1er avril 2022
1 « PCF, CGT, Trotskystes, des va-t-en-guerre comme les autres [15] », Révolution Internationale n° 94 (octobre 1990).
2 Décembre 1986 : les ouvriers peuvent se battre sans les syndicats [16] », Révolution Internationale 264 (janvier 1997).
3 « Le rôle actif des Trotskystes dans la stratégie de la bourgeoisie », Révolution Internationale 174 (décembre 1988).
4 « L’intervention du CCI dans le mouvement contre le CPE [17] », Révolution Internationale 369 (juin 2006).
5 « Alain Krivine contribua à écrire les plus grandes heures du trotskisme français », Marianne (17 mars 2022).
Après le deuxième tour de l’élection présidentielle, marquant la victoire sans grande surprise d’Emmanuel Macron face à sa concurrente Marine Le Pen, les bourgeoisies française et européenne ont pu pousser un véritable « ouf » de soulagement. Le nouveau président et la nation française resteront bel et bien ancrés dans la vie politique de l’UE. Une fois encore, le courant populiste du Rassemblement national (RN) aura été écarté du pouvoir malgré son inexorable progression. (1)
Dans un contexte de turbulences de plus en plus fortes avec la guerre en Ukraine couplée aux effets de la pandémie et d’une crise économique marquée par l’inflation, il était impératif pour la bourgeoisie française, comme en 2017, d’écarter la fraction du RN de Marine Le Pen dont les ambiguïtés, l’inconsistance et les flous politiques vis-à-vis de l’UE risquaient d’affaiblir considérablement la France face à ses rivaux, notamment les États-Unis. Le danger était également de distendre fortement, voir de remettre en cause le difficile équilibre entretenu depuis des décennies pour maintenir à flots les liens fragiles du « couple franco-allemand ». Cela, sans compter le séisme, les incertitudes et le désordre politique intérieur qu’une telle victoire aurait pu générer au sein de l’Hexagone.
La victoire de Macron par 58,5 % des voix, alors qu’il n’est pas parvenu à construire un véritable parti depuis 2017, est donc, en ce sens, une réussite de la bourgeoisie française. Cette dernière a ainsi mis à la tête de l’État une fraction lucide pour la gestion du capital national et elle a réussi, une fois encore, à faire « barrage » au populisme, évitant en même temps l’inconvénient d’une « cohabitation », c’est-à-dire le risque d’une confrontation et d’une dilution du pouvoir exécutif dans son expression politique bicéphale.
Il n’empêche que la réussite électorale laisse à la bourgeoisie un arrière-goût amer, tant les difficultés, les problèmes de fond et les fragilités politiques persistent. En effet, si on comptabilise le nombre de voix du président Macron par rapport aux 47 millions d’inscrits, ce dernier n’obtient que 38 % de ce total et Marine Le Pen 27 %, c’est-à-dire moins, pour cette dernière, que le total des abstentions, des votes blancs ou nuls ! L’abstention à 28 % est la plus importante de toutes les élections présidentielles, depuis 1969, alors boycottée par un PCF qui réunissait plus de 21 % des suffrages. En comptant les non-inscrits sur les listes électorales, l’abstention représente en réalité 35 % de la population en âge de voter. Malgré son « succès » et sa « légitimité », Emmanuel Macron est cette fois le Président « le plus mal élu » de la Ve République. La grande colère qui persiste dans la population fait de lui une personnalité largement détestée, particulièrement dans les milieux ouvriers.
De plus, il hérite d’une situation difficile et très instable qu’il a lui-même favorisé dès son premier mandat, siphonnant et pulvérisant les grands partis de gouvernement traditionnels, à droite comme à gauche (Les Républicains et le Parti socialiste), laminés bien avant le premier tour, désormais menacés de disparition. Ces derniers sont incapables de se relever au moins pour les cinq années à venir. De plus, le parti écologiste, Europe-Écologie-Les-Verts (EELV), qui avait vocation, par ses thématiques, d’attirer une partie de la jeunesse et de tenter de prendre le relais de la social-démocratie moribonde, a été sanctionné lui-même par un fiasco. Le parti de Macron, LREM, reste quant à lui sans assise solide, notamment du fait de son incapacité à s’implanter réellement dans au niveau local et de la consistance en son sein de fractions rivales issues des partis traditionnels. Si bon nombre de personnalités politiques s’y sont ralliées progressivement en « allant à la soupe », les courants, groupes ou partis très divers qui le composent sont truffés d’opportunistes dont l’ex « socialiste » Manuel Valls est un des représentants les plus caricaturaux. Dans cette structure minée par des ambitions contraires, chacun cherche à gagner en influence et à placer un nombre conséquent de députés pour les prochaines législatives. Macron a d’ailleurs échoué pour l’instant à fusionner l’ensemble de ces formations qui le soutiennent et se heurte déjà en plus de cela à la formation Horizons de son ancien premier ministre, Édouard Philippe, devenu un rival. Ainsi, même si ces groupes tireront probablement leur épingle du jeu lors des prochaines élections législatives de juin du fait de la dynamique présidentielle, rien ne sera facile tant les divisions sont présentes, au risque d’imposer la nécessité d’une coalition forcée et fragilisée. Cela, d’autant plus que les difficultés liées au contexte international, à la crise économique, à la situation sociale et aux attaques que devra prendre le nouveau gouvernement ne feront qu’exacerber les forces centrifuges tout au long du mandat qui débute.
Aujourd’hui, la victoire de Macron se fait malgré une montée en puissance de l’instabilité sociale et du chaos. Le président n’a pas hésité à exploiter les thèmes idéologiques de l’extrême-droite, par pur opportunisme et utilitarisme, comme ce fut le cas, par exemple, lors des discours sécuritaires de certains de ses ministres, de Castaner à Darmanin, jouant ensuite avec le feu en se réjouissant un peu trop hâtivement de la montée en puissance d’un Zemmour propulsé par les médias. (2) Tous les discours les plus réactionnaires et nauséabonds de la « macronie » se sont accompagnés d’une politique qui n’a cessée de diviser, accentuant fortement la fameuse « fracture sociale » et la pauvreté.
Dans ce cadre, l’autre victoire de la bourgeoisie au premier tour reste le score de l’Union Populaire de Mélenchon, une formation de gauche présentée comme une nouvelle alternative au pouvoir de centre-droit de Macron, en mesure d’encadrer idéologiquement la classe ouvrière. Même si ce parti politique n’a, pour l’instant, pas vocation à assurer une « alternance gouvernementale » comme ses prédécesseurs du passé, il n’en reste pas moins une force de mystification efficace au service de la bourgeoisie, comme le montre son appel à la remobilisation massive de l’électorat de gauche aux législatives en mettant en avant l’expression d’un sentiment de « frustration ».Cela, même si la logique annoncée de son « troisième tour social » et sa volonté de « revanche » compliqueront probablement la donne de la future majorité élue au parlement. (3)
Face au désintérêt croissant vis-à-vis des élections, notamment du fait de la méfiance et de la colère accumulées depuis des décennies, celle d’avoir eu de nouveau à choisir « entre la peste et le choléra », une nouvelle offensive idéologique tente de mobiliser encore le plus massivement possible les électeurs pour les prochaines législatives, en particulier ceux de la classe ouvrière qu’on cherche à rabattre à tout prix vers les urnes. Cela, pour les isoler et attaquer davantage leur conscience afin de les désarmer. (4) Tous les camps politiques de la bourgeoisie s’animent donc avec frénésie, d’autant que pour bon nombre la question de leur survie politique se pose très nettement. Les premiers bains de foules et les voyages de Macron, qui « mouille la chemise » dans les quartiers populaires pour « convaincre », montrent que le nouveau président ne lâchera rien de son offensive jusqu’au mois de juin. Les Républicains, en miette, toujours sous l’effet d’une panique liée à la défaite et aux menaces de nouvelles désertions, tentent désespérément de mobiliser à la faveur de leur « ancrage local », jouant d’un pâle marketing politique de « proximité », relançant les thèmes en vogue, ceux du « pouvoir d’achat », de la « sécurité », etc., tout en restant tétanisés par leur manque d’inspiration et la fuite des cadres. Le RN, quant à lui, fort de ses 41 %, laisse entendre mensongèrement qu’il peut « limiter la casse sociale » de Macron en cherchant à devenir la « première opposition » au futur gouvernement tout en s’attachant à vouloir « dégonfler » le phénomène Zemmour.
Naturellement, les plus dangereux bonimenteurs restent sans conteste les forces de gauche, cette fois autour de La France Insoumise et son Union Populaire, même si en marge les gauchistes ne sont pas en reste. Quelles que soient les tractations politiciennes en coulisses, entre EELV, le PS, le Parti communiste, le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) et LFI en position de force, il faut bien distinguer l’illusoire « contrepoids » qu’une telle formation politique offrirait face à Macron. Il s’agit en réalité de faire croire qu’ « un autre monde est possible » sous le règne du capitalisme et de désarmer le prolétariat vers le piège mystificateur des urnes et de la démocratie bourgeoise. LFI après avoir conspué un PS « traître à la gauche », vient d’ailleurs subitement de constater que ce parti, à l’origine des pires attaques contre la classe ouvrière, avait « changé ».
Bien entendu, pour ceux qui ne se contentent pas d’emblée de cette supercherie, il est nécessaire d’adopter, en complémentarité, un ton plus radical. C’est, par exemple, le cas de Lutte ouvrière (LO) qui n’a pas donné de consigne de vote entre les deux tours, mais qui, par la voix de sa candidate Nathalie Arthaud, appelle les ouvriers à « ne pas se démobiliser en vue des élections législatives ». Dans une lettre adressée au NPA datée du 28 avril, voici ce que cette organisation répond au sujet des discussions menées avec l’Union Populaire : « En ce qui nous concerne, nous restons sur notre ligne politique et plutôt que de cautionner une opération de rafistolage du réformisme, nous annoncerons, dans les prochains jours, notre présence aux législatives dans toutes les circonscriptions de la métropole, pour défendre le “camp des travailleurs” ». Un comble ! Une défense, comme toujours, qui consiste à rabattre sans relâche vers les urnes et à canaliser la colère vers les institutions bourgeoises. Toute cette triste tambouille bourgeoise, au-delà des pseudo-débats mystificateurs, ne sert en réalité qu’à berner les ouvriers et à leur cacher qu’en réalité les tractations en cours ne recouvrent que de sordides intérêts de cliques, masquent les véritables rapports de forces faits d’une concurrence propre à la classe bourgeoise, dont seuls les intérêts comptent sur l’échiquier politique. Tous ces politicards n’ont de conviction que celle qui sert la défense de leur propre place et de leurs intérêts, de leur propre influence quand ce n’est pas purement et simplement leur sinistre trajectoire carriériste. Les transfuges de dernières minutes, les ralliements ou les oppositions n’obéissent qu’à des logiques totalement étrangères à la classe ouvrière.
L’élection présidentielle a été une nouvelle fois l’occasion pour la bourgeoisie d’attaquer la conscience du prolétariat en utilisant les résultats pour accentuer encore plus les divisions. Ainsi, toute une campagne idéologique jette la méfiance sur la classe ouvrière dont certaines parties (comme notamment dans les anciens centres industriels aujourd’hui en proie au chômage) sont accusées d’être gagnées par l’idéologie d’extrême droite. Le saucissonnage des résultats des votes par catégories sociologiques : celle des employés, des ouvriers, des professions intermédiaires, les vieux, les jeunes, ou ceux dont les revenus par mois sont corrélés à telle ou telle manière de voter, permet est également une tentative volontaire de semer l’opposition et la division au sein de la classe ouvrière, diffusant par là le poison de la méfiance en son propre sein. Bien entendu, si ces « analyses » comportent factuellement une part de vérité, l’optique reste toujours de discréditer à l’avance toute possibilité d’unité et de riposte ouvrière.
Ce faisant, cette offensive prolongée par la bataille des législatives a pour objet d’entraver au maximum toute forme de réflexion, de diluer, d’isoler les prolétaires afin de les rendre impuissants face aux réformes envisagées dont l’objet est de poursuivre les attaques après l’intermède en trompe l’œil du « quoi qu’il en coûte ».
Il n’y a pas d’illusions à se faire, les élections ne sont pas un terrain pour l’expression des revendications ou de la lutte de la classe ouvrière. Face aux mystifications électoralistes, aux attaques qui se profilent de nouveau contre nos retraites, contre l’école, contre la santé… face à la paupérisation présente et à venir, le prolétariat se doit de rester sourd aux appels à voter de la bourgeoisie pour les législatives, en particulier de la part de ses faux amis que sont les partis de gauche et gauchistes, ceux qui cherchent à l’arrimer aux institutions d’un système barbare, d’un capitalisme aux abois qui sème toujours plus la destruction et la mort. Mais la classe ouvrière ne pourra se contenter de simplement bouder les urnes. Elle devra prendre confiance en ses propres forces et devra reprendre le chemin difficile de la lutte. La lutte de classe représente un avenir ; elle seule doit pouvoir guider à nouveau notre futur.
WH, 29 avril 2022
1 Le Pen avait obtenu 17,9 % des voix en 2012 sans accéder au second tour ; 34,3 % en 2017 ; 41,5 % en 2022.
2 Lire notre article : « Phénomène Zemmour, Une sinistre marionnette au service du jeu électoral [20] », Révolution internationale n° 491 (novembre décembre 2021).
3 Lire notre article : « La France Insoumise, encore et toujours au service du capitalisme [1] », disponible sur le site internet du CCI.
4 Lire notre article : « Non au bulletin de vote, oui à la lutte de classe [21] », disponible sur le site internet du CCI.
Il ne se passe plus une semaine sans qu’un scandale alimentaire éclate dans le monde ! Le phénomène n’est malheureusement pas nouveau : la crise de la « vache folle » dans les années 1990, le scandale du lait frelaté en 2008 (en Chine), la crise du concombre en 2011 (en Europe), la fraude à la viande de cheval de 2013 (en Europe), les œufs contaminés en 2017 (en Europe et en Asie), la contamination du lait infantile dans une usine Lactalis en 2017 (en France)… Cette liste est loin d’être exhaustive et ne rend compte que de quelques affaires médiatisées. Il suffit de se promener dans les rayons d’un supermarché pour constater que les « rappels de produits » sont presque quotidiens. Mais c’est désormais au tour des pizzas Buitoni et des œufs Kinder de faire la Une de l’actualité. Comme après chaque scandale, la bourgeoisie pointe du doigt les patrons véreux de l’industrie agroalimentaire, dénonce l’hygiène déplorable sur les lignes de production et promet davantage de contrôles. Et comme après chaque scandale, il ne faudra pas plus de quelques semaines avant qu’une nouvelle affaire éclate ! Car la vérité, c’est que les États censés « protéger les consommateurs » n’ont cessés, dans leur course frénétique aux coupes budgétaires, de réduire à peau de chagrin les effectifs d’inspection ; les industriels, quant à eux, n’ont cessé de rogner sur les procédures de contrôle pour préserver leurs marges face la concurrence. C’est donc toute la logique du capitalisme qui se trouve à l’origine de ces scandales et des victimes qu’ils occasionnent, bien souvent des ouvriers et leurs enfants. Parce que le capitalisme n’a plus aucune perspective à offrir qu’un enfoncement sans fin dans la crise et dans la concurrence chaque jour plus acharnée et meurtrière, les scandales alimentaires ne vont cesser de s’accroître, à l’image des catastrophes industrielles ou environnementales.
C’est la raison pour laquelle nous invitons nos lecteurs à lire deux « classiques » du mouvement ouvrier qui identifiaient très clairement les froids rouages du capitalisme derrière des scandales liés, en apparence, à la « fatalité » :
– Un extrait de La situation de la classe laborieuse en Angleterre [27], de Friedrich Engels (1845).
– Un article de Rosa Luxemburg du 1er janvier 1912 : Dans l’asile de nuit [28].
Face à la guerre en Ukraine, le CCI s'appuie sur les contributions historiques de la gauche communiste pour défendre une position internationaliste. En pratique, cela signifie :
- Aucun soutien à un quelconque camp dans les conflits impérialistes.
- Opposition au pacifisme
- Seule la classe ouvrière est une force de transformation sociale, qui aboutit au renversement révolutionnaire du capitalisme.
- dans les luttes et les réflexions de la classe ouvrière, les organisations révolutionnaires ont un rôle essentiel à jouer dans le développement de la conscience de classe
- la lutte contre la guerre impérialiste exige la coopération et la solidarité des authentiques internationalistes.
Venez à la réunion publique en ligne organisée le vendredi 20 mai 2022 à 21h00 par la section du CCI en France pour discuter des questions soulevées par la guerre en Ukraine et des tâches des révolutionnaires.
Tout ceux qui souhaitent participer à cette réunion publique en ligne peuvent adresser un message sur notre adresse électronique ([email protected] [30]) ou dans la rubrique “contact” de notre site internet.
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/content/10754/france-insoumise-encore-et-toujours-au-service-du-capitalisme
[2] https://www.lemonde.fr/emploi/article/2022/01/26/la-semaine-de-quatre-jours-un-atout-pour-l-employeur_6110972_1698637.html
[3] https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/video-salaries-contents-de-venir-au-travail-benefices-quadruples-pour-cette-entreprise-la-semaine-de-quatre-jours-serait-elle-la-formule-magique_4922563.html
[4] https://fr.internationalism.org/rint126/fronts.html
[5] https://fr.internationalism.org/ri327/35_heures
[6] https://www.monde-diplomatique.fr/2021/06/LECOEUVRE/63215
[7] https://www.monde-diplomatique.fr/2021/06/LECOEUVRE/63211
[8] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/melenchon
[9] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/32-heures
[10] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/gauchisme
[11] https://fr.internationalism.org/content/10753/32-heures-face-cachee-reduction-du-temps-travail
[12] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/vie-bourgeoisie-france
[13] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/france-insoumise
[14] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/election-presidentielle
[15] https://fr.internationalism.org/content/10604/pcf-cgt-trotskistes-des-va-t-guerre-autres
[16] https://fr.internationalism.org/content/3148/sncf-decembre-86-ouvriers-peuvent-se-battre-sans-syndicats
[17] https://fr.internationalism.org/r369/cpe.htm
[18] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/krivine
[19] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/trotskysme
[20] https://fr.internationalism.org/content/10587/phenomene-zemmour-sinistre-marionnette-au-service-du-jeu-electoral
[21] https://fr.internationalism.org/content/10743/non-au-bulletin-vote-oui-a-lutte-classe
[22] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/macron
[23] https://fr.internationalism.org/tag/30/371/pen
[24] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/lrem
[25] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/rn
[26] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/lfi
[27] https://fr.internationalism.org/revolution-internationale/201312/8837/extraits-situation-classe-laborieuse-angleterre-friedrich-enge
[28] https://fr.internationalism.org/content/10012/lasile-nuit-rosa-luxemburg
[29] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/scandales-alimentaires
[30] mailto:[email protected]
[31] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/reunions-publiques