La Chine serait devenue, selon la bourgeoisie, le nouvel atelier du monde. En effet, chaque jour les médias bourgeois nous abreuvent d’images et de reportages sur l’arrivée en masse en France, en Europe et même aux Etats-Unis, de chemises, pantalons et autres vêtements «made in China». Pour les bourgeoisies occidentales, il est sans aucun doute nécessaire de freiner, autant que possible, ce qui est appelé «la déferlante du textile chinois». Mais pour la classe ouvrière, la question est tout autre. Si aujourd’hui, les marchandises asiatiques envahissent les marchés occidentaux, c’est parce que, dans ces régions du monde, le coût dérisoire de la main d’œuvre permet de produire à très bas prix. Menant leur guerre économique, les différentes bourgeoisies nationales sont amenées à exploiter toujours plus férocement les prolétaires. Au nom des exigences de la concurrence, c’est donc dans une spirale de misère et d’exploitation accrues que le capitalisme tente d’entraîner toute la classe ouvrière, partout dans le monde.
Depuis le début de l’année 2005, 17.000 emplois ont été supprimés dans ce secteur et quatorze entreprises fermées aux Etats-Unis. Ceci correspond à une augmentation des importations dans ce pays de 1250 % pour les chemises de coton et de 300 % pour les sous-vêtements. Le gouvernement américain a alors immédiatement réagi : «En agissant aussi rapidement pour l’imposition de mesures de sauvegarde, le gouvernement américain a envoyé un message fort, pour signifier qu’il comprend la crise véritable que ces flux énormes représentent pour nos travailleurs.» (C. Johnson, président de la fédération du textile). En fait, la bourgeoisie américaine, comme la bourgeoisie française d’ailleurs, se moque bien du sort des ouvriers. Ce qui l’inquiète dans la guerre économique qui fait rage actuellement, c’est l’affaiblissement de compétitivité de son capital national. C’est également pour cela que les pays de l’Union Européenne tentent, malgré leurs divisions, de se mettre en ordre de bataille. Le commissaire au commerce européen vient d’annoncer vouloir limiter d’urgence les importations chinoises de tee-shirt et de fils de lin. Il a également demandé à la Chine de prendre elle-même des mesures pour éviter d’avoir recours à l’imposition des clauses de sauvegarde prévues par l’accord sur l’adhésion de la Chine à l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce). Quant à la France, qui reste un producteur important dans le secteur du textile, sa demande est encore plus claire. La bourgeoisie française exige dès aujourd’hui la mise en place de mesures protectionnistes. Il est évident que ce sont plusieurs milliers de licenciements qui sont d’ores et déjà programmés dans ce secteur. La bourgeoisie française voudrait nous faire croire qu’elle souhaite de telles mesures pour protéger les conditions de travail de «ses ouvriers». Elle va parfois même jusqu’à dénoncer la misère des ouvriers chinois, sacrifiés sur l’autel du profit. Ce n’est que pour mieux cacher ses propres attaques, son propre comportement de classe exploiteuse. Car, en réalité, la bourgeoisie mène partout la même politique. Afin de maintenir ses profits, en pleine situation de faillite économique, elle réduit les salaires sur son sol pour exporter et vendre au meilleur prix. Malgré ce que nous disent les altermondialistes ou autres gauchistes, il ne s’agit donc pas d’une politique particulière à tel ou tel Etat libéral. Au sein de ce capitalisme en crise, toutes les nations se livrent une guerre économique sans merci, toutes pressurent la classe ouvrière. Pour chaque pays, il est effectivement vital de se positionner le mieux possible sur le marché international, quelles que soient les conséquences pour les prolétaires.
C’est pour cela que la bourgeoisie chinoise a réagi immé-diatement aux mesures protectionnistes préconisées par les Etats-Unis et l’Union Européenne. Le ministre chinois, Bo Xilai, cité par l’agence Nouvelle de Chine a aussitôt fait savoir que «la Chine était fermement opposée aux limitations imposées par d’autres pays.» Ce même ministre déclarait le 18 mai dernier : «L’intégration du commerce du textile est un droit important dont jouit la Chine depuis son adhésion à l’OMC. La Chine n’imposera pas elle-même des limites à ses exportations de produits textiles.» Le message ne peut pas être plus clairement exprimé. Avec la nouvelle récession dans laquelle nous sommes déjà entrés, aucun pays capitaliste ne fera le moindre cadeau aux autres.
Il en va de même par rapport à la question des délocalisations. Une étude commandée par la commission des finances du Sénat, réalisée par le groupe Katalyse, prévoit pour la période 2005-2006 en France »la déloca-lisation de 202.000 emplois de service». Et il faut ajouter les dizaines de milliers d’emplois liés à la production de marchandises ne nécessitant pas un investissement en capital trop gigantesque, comme les produits de consommation ou d’ameublement. Ce phénomène de délocalisation entamé dans les années 1990 connaît actuellement une accélération bien réelle. Là encore, le seul souci du capitalisme est la rentabilité maximum. Pour la France, comme pour les principaux pays industrialisés d’Europe, les destinations favorites sont, bien entendu, la Chine, l’Inde et maintenant l’Europe de l’Est. La dernière délocalisation d’importance en date est celle de l’ensemble de l’appareil gestionnaire de Philips, le géant de l’électronique, qui doit se transporter à Lodz en Pologne. La confédération de l’industrie britannique, vu le rythme des délocalisations, affirme que, d’ici 10 ans : «Il n’y aura plus d’emploi pour les personnes non qualifiées au Royaume-Uni». Quant au journal The Daily Telegraph, il écrit cyniquement : «Nous devons nous assurer que les gens acquièrent des qualifications. Si vous êtes qualifiés, vous n’avez rien à craindre.» Mensonge ! Les licenciements pleuvent actuellement sur tous les secteurs, qu’ils soient de pointe ou non. Les listes de chômage fourmillent de chômeurs surdiplômés.
Non contente d’attaquer ainsi sans arrêt les salaires de la classe ouvrière, la bourgeoisie utilise encore en permanence la déferlante du textile chinois et la menace à la délocalisation pour effectuer un véritable chantage auprès de toute la classe ouvrière.
La bourgeoisie se sert avec le plus grand cynisme des conditions de vie effroyables que connaissent les ouvriers en Inde, en Chine ou en Europe de l’Est, afin de mettre en avant que, malgré la dégradation du niveau de vie, les ouvriers en France ne sont pas à plaindre. Cela lui permet d’exiger de nouveaux sacrifices sous peine de ne pas pouvoir concurrencer l’Asie ou l’Europe de l’Est. La bourgeoisie poursuit ainsi plusieurs objectifs.
Elle tente de culpabiliser les ouvriers en France qui lutteraient pour être moins attaqués, alors que tant d’autres prolétaires de par le monde vivent dans des conditions encore plus déplorables. Elle essaye également de mettre dans la tête de la classe ouvrière que, si elle n’accepte pas de travailler plus pour moins de salaire, il y aura alors beaucoup plus de délocalisations. Le chômage qui en découlerait ne serait donc plus de la faute de ce capitalisme en faillite, mais de «l’égoïsme» ouvrier.
Enfin, en montrant des ouvriers qui acceptent, dans certains pays, de travailler pratiquement pour rien, sous peine de mourir de faim, eux et leurs familles, elle diffuse de manière sournoise la concurrence et donc la division au sein de la classe ouvrière. Cette politique du bouc émissaire et du chantage est une constante dans la vie de la bourgeoisie. Aujourd’hui ce sont les ouvriers en Chine, en Inde, en Pologne ou en Hongrie qui sont montrés du doigt. Hier, c’était ceux d’Algérie, du Maroc, d’Espagne ou du Portugal qui étaient jetés en pâture à «l’opinion publique». Le prolétariat ne doit pas se faire prendre par ces mensonges idéologiques hideux et nauséabonds. Partout, la classe ouvrière est exploitée. Et elle l’est encore plus férocement dans les régions où elle peut le moins se défendre. C’est dans la reprise actuelle des luttes que la classe ouvrière doit s’affirmer progressivement unie et solidaire, partout dans le monde. La compétitivité des entreprises bourgeoises est le problème du seul capitalisme et en aucune façon du prolétariat.
Les bourgeoisies françaises, anglaises, américaines, allemandes,… veulent diviser le prolétariat, l’attacher à la nation afin de l’entraîner dans sa spirale concurrentielle. Comme l’affirmaient en 1848 Marx et Engels dans Le manifeste communiste, «les prolétaires n’ont pas de patrie», partout ils ont les mêmes intérêts, partout ils subissent la même oppression. Ainsi, ce que les ouvriers du monde entier ne doivent en aucune façon perdre de vue, c’est qu’ils appartiennent tous à la même classe, et que c’est de la solidarité croissante dans leurs rangs qu’ils pourront tirer la force permettant à leurs luttes de faire échec aux attaques de la bourgeoisie.
Tino / 25.5.05
La crise du système contraint toutes les bourgeoisies dans une course poursuite désespérée pour faire baisser ses coûts de production, à s’attaquer aux conditions de vie des prolétaires. D’une part par un accroissement de la productivité, ce qui implique l’augmentation des cadences de travail et la flexibilité de la main-d’œuvre afin de n’employer que le minimum nécessaire d’ouvriers et, d’autre part, par la poursuite et le durcissement d’un vaste programme de «réformes». Des mesures qui visent à attaquer le salaire social des ouvriers, les retraites, les indemnités de chômage, le remboursement des frais médicaux, les journées de maladie ou les pensions d’invalidité. La bourgeoisie n’épargne aucune frange de la classe ouvrière, que ce soit la vieille ou la nouvelle génération, qu’elle soit en activité ou au chômage, qu’elle travaille dans le secteur public ou dans le secteur privé. Les conséquences concrètes de ces attaques sont une dégradation générale des conditions de vie et de travail de l’ensemble de la classe ouvrière mondiale. Jamais le prolétariat n’a eu à faire face à des attaques d’une telle brutalité, massives et de grande ampleur, touchant des millions de prolétaires. Dans l’ensemble des nations industrialisées, tout l’édifice de l’Etat-providence est en train de s’écrouler. L’entretien de la force de travail ne peut plus être assuré. Il s’agit là d’une manifestation évidente de la faillite du système.
Et pourtant la bourgeoisie, dans son unanimité, fête cyniquement le soixantième anniversaire de la Sécurité sociale en Belgique. Mais cette fête n’est pas la nôtre. Alors que les attaques massives nécessitent une riposte massive et unitaire de l’ensemble de la classe ouvrière (ouvriers au travail, chômeurs et retraités), les syndicats et leurs complices gauchistes et alter mondialistes, détournent la réflexion ouvrière sur la faillite du capitalisme vers des mesures illusoires pour «sauver la sécurité sociale». Alors que cette attaque frontale de la protection sociale signifie qu’un pan supplémentaire de l’Etat-providence disparaît sous les coups de boutoir de la crise économique, nos défenseurs de la Sécurité sociale assènent le même mensonge : la Sécu est une conquête de la lutte ouvrière, acquise à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Face à cette nouvelle falsification de l’histoire par l’ensemble des forces de gauche, gauchistes et syndicats, et les fausses solidarités qui se cachent derrière, il est nécessaire de rétablir la vérité, en s’appuyant sur un bref aperçu historique de la mise en place des assurances sociales, puis sur la signification de la création de la Sécurité sociale en 1945 du point de vue du capitalisme. C’est cette affirmation de l’analyse marxiste qui peut permettre de comprendre que c’est la faillite historique de l’Etat-providence et du système capitaliste que la bourgeoisie cache au prolétariat en brandissant les oripeaux de la Sécurité sociale.
Pour quelles raisons affirmons-nous que la mise en place de la sécurité sociale marque une défaite pour la classe ouvrière ? Loin d’être le résultat de la lutte du prolétariat, la sécurité sociale a été pensée, étudiée, organisée et mise en oeuvre dans et par les plus hautes sphères de la bourgeoisie au moment du plus grand écrasement physique et idéologique du prolétariat. Déjà, l’ouverture de la seconde guerre mondiale n’a été permise qu’en raison de l’embrigadement des ouvriers derrière les étendards bourgeois de la «démocratie» et du fascisme. Mais la guerre elle-même est venue parachever cette éclipse dans la conscience de classe en jetant les prolétaires des deux camps les uns contre les autres pour de sordides intérêts inter-impérialistes. Les 50 millions de morts, les tueries et orgies sur les champs de bataille et dans les camps de la mort, se sont fait sur le cadavre de l’internationalisme prolétarien. C’est dans ce contexte d’union nationale écœurante que la bourgeoisie accouche du système de sécurité sociale. Dès 1943, quand la situation stratégique commence à tourner à l’avantage du camp américain, la bourgeoisie prépare activement les lendemains de la victoire. Dans tous les pays, sous l’occupation ou en exil, les représentants de l’Etat, du patronat et des syndicats se rencontrent pour concocter la législation sociale de la seconde moitié du 20ième siècle. Leurs préoccupations essentielles étaient les suivantes:
1- La misère engendrée par la guerre et les pénuries de l’immédiat après-guerre contenait le danger de surgissement de vastes mouvements sociaux. La bourgeoisie avait très peur, à tort comme la suite des événements le démontrera, d’un remake de la période insurrectionnelle de 1917-23. La sécurité sociale mise en place par la bourgeoisie sera avant tout une sécurité pour elle-même.
2- Reconstruire l’Europe après tant d’années de privations et de souffrances demandait d’imposer à la classe ouvrière un nouvel effort. Pour la bourgeoisie, qui avait besoin de paix sociale et de concorde nationale pour la bonne marche de ses entreprises, la sécurité sociale venait à point nommé pour justifier cette surexploitation auprès de la classe ouvrière.
3- Avec l’écroulement de l’Axe, le bloc «allié» se scinde en deux, ouvrant l’ère de la guerre froide. Chaque camp en présence se dispute avec acharnement le moindre pouce de territoire. Dans cette stratégie, l’implantation des partis «communistes» au sein de la résistance et leurs poids sur la classe ouvrière occupaient une place de choix pour le bloc soviétique. La bourgeoisie occidentale fera tout pour endiguer l’influence de ces partis ainsi que l’avancée des troupes soviétiques.
La mise en place et la présentation de la sécurité sociale comme «grande victoire ouvrière» participent alors de cette stratégie globale de la bourgeoisie. En ce sens, il est à noter que le but premier du plan Marshall (investissements et dons américains) n’était pas de «reconstruire» l’Europe mais d’atténuer les conséquences désastreuses de la crise d’après-guerre afin d’épauler les bourgeoisies d’Europe de l’Ouest dans la maîtrise du contrôle social de leurs pays.
Si la journée des huit heures, l’interdiction du travail des enfants, l’interdiction du travail de nuit pour les femmes, ... constituaient de réelles concessions arrachées de haute lutte au siècle dernier par la classe ouvrière, les pactes sociaux d’après la seconde guerre mondiale ont été mis en place par la bourgeoisie dans un contexte de contrôle global sur la société afin de planifier la reconstruction des économies détruites et négocier socialement la période d’après-guerre. La sécurité sociale est le système que la bourgeoisie a voulu instaurer pour garantir la paix sociale et surtout pour renforcer l’emprise de l’Etat sur la vie économique et sociale.
Au 19ème siècle, le capitalisme est en plein développement, il conquiert le monde et étend ses rapports de production à l’ensemble de la planète. Dans ce contexte de croissance continue, l’amélioration des conditions de vie de la classe ouvrière est une possibilité réelle et durable. Cette dernière se réunit en «coalitions» pour éliminer la concurrence entre ouvriers. La solidarité grandissante dans la lutte mène progressivement à la mise en place de caisses de soutien de grèves, de maladie ou de chômage. Ainsi le prolétariat apprend petit à petit à travers ses combats à se reconnaître comme une classe internationale unie par les mêmes intérêts. Il apprend à s’organiser et à se souder dans la lutte. Ces organisations sont à la base de la constitution des syndicats et des partis de masse (social-démocratie). Ainsi, des conquêtes économiques et sociales sont obtenues après d’âpres confrontations avec la bourgeoisie. Sous la contrainte des luttes, les Parlements votent des réformes qui améliorent de façon durable les conditions de vie et de travail de la classe ouvrière.
Si au cours du 19ième siècle, en phase ascendante du capitalisme, la classe ouvrière pouvait ponctuellement menacer la domination de la bourgeoisie, le développement des forces productives et du prolétariat était néanmoins encore insuffisant pour permettre une révolution victorieuse à l’échelle inter-nationale. C’est pourquoi, même si la bourgeoisie faisait tout pour saboter l’organisation du prolétariat, elle pouvait tolérer l’existence de sa classe ennemie organisée de façon permanente sur son propre terrain.
Ces heures de gloire du développement capitaliste et du mouvement ouvrier, où programme minimum et maximum pouvaient encore coexister, ont permis qu’émerge l’illusion d’un capitalisme pacifique, sans limites et réformable progres-sivement. La grande majorité des partis ouvriers et des syndicats tombèrent dans le réformisme le plus plat, se limitant à la défense des intérêts immédiats de la classe ouvrière (programme minimum) et abandonnant la perspective historique de la révo-lution socialiste par l’instauration de la dictature du prolétariat (programme maximum).
La crise économique et l’éclatement de la première guerre mondiale viennent brutalement rappeler que le capitalisme se heurte à des limites insurmontables et menace de faire basculer l’humanité entière dans la barbarie. C’est le signe de l’entrée du capitalisme dans sa phase de décadence ; il a achevé son rôle historique, ses forces productives sont assez développées pour jeter les bases du socialisme et le prolétariat, qui a démontré en Russie 1917 qu’il pouvait arracher le pouvoir, est devenu un danger permanent pour la bourgeoisie. Le partage du monde entre toutes les grandes puissances clôture la phase d’expansion continue du capitalisme et ouvre l’ère des «guerres et des révolutions» comme l’a analysé l’Inter-nationale Communiste. Les dizaines de millions de morts lors des deux conflits mondiaux, les guerres incessantes dans le Tiers Monde du temps de la guerre froide, et aujourd’hui le déchaînement des massacres, des guerres du Golfe, de l’ex-Yougoslavie au génocide du Rwanda, la grande crise des années trente et la crise actuelle qui dure depuis plus de trente ans, toute cette barbarie et cette misère attestent de ce constat.
La bourgeoisie. ne peut plus tolérer que sa classe ennemie puisse s’organiser de façon permanente sur son propre terrain, puisse vivre et croître au sein de ses propres organisations. L’Etat jette sa domination totalitaire sur tous les aspects de la vie de la société. Le temps où le capital pouvait tolérer l’exis-tence d’organes prolétariens permanents est révolu. Les syndicats sont donc devenus des rouages au service de l’Etat, des organes qui opèrent au sein de la classe ouvrière pour la contrôler et faire passer les intérêts du capitalisme. Les syndicats ne défendent plus les intérêts immédiats de la classe ouvrière : il n’y a plus de programme minimum à mettre en avant. Seul le programme maximum correspond à la réalité des possibilités et des nécessités du combat prolétarien, les réformes réelles et durables ne sont plus possibles en décadence. Voilà aussi pourquoi le prolétariat a développé de nouvelles organi-sations unitaires de lutte, les assemblées générales et les conseils ouvriers qui ne peuvent exister que par et dans les moments de combats ouverts.
Cette emprise croissante de l’Etat dans tous les domaines de la société, et notamment, sur le plan social, revient à phagocyter toute vie de la classe ouvrière et à la transformer en ersatz sur le terrain bourgeois. Concrètement, l’Etat s’est saisi, le plus souvent par le biais des syndicats et parfois directement, des anciennes caisses de grèves, d’allocations diverses, d’assu-rance en cas de licenciement, de répression patronale ou étatique gérées par les ouvriers. Ainsi la bourgeoisie est parvenue à soustraire la solidarité politique et économique des mains de la classe ouvrière pour la transférer à l’Etat. Entre les deux guerres mondiales, une partie de la sécurité sociale est déjà mise sur pied. En 1920, par exemple, est fondé le Fond National de crise qui absorbe les caisses de chômage. En 1938 est instauré l’assurance chômage obligatoire. (cfr. Internationalisme 318)
En quoi la sécurité sociale participe de ce contrôle croissant de l’Etat sur la classe ouvrière ? La sécurité sociale nous est toujours présentée comme un «avantage acquis», un «cadeau», un pot commun financé à la fois par l’Etat, le patronat et les travailleurs. Rien n’est plus faux ! Les fonds qui alimentent la sécurité sociale sont parties intégrantes du salaire de la classe ouvrière et détournées via l’Etat vers les syndicats et les mutuelles. En réalité, les ouvriers paient trois fois : directement par leurs propres cotisations, indirectement par l’Etat via l’impôt et par la «cotisation patronale» via la ponction que les capitalistes opèrent sur le salaire. Toutes les richesses produites proviennent du travail ; l’Etat et le patronat ne créent rien par eux-mêmes, les impôts et les bénéfices ne sont que des prélèvements sur le labeur ouvrier. C’est ici que le système trouve sa pleine justification pour la bourgeoisie ! En créant un salaire indirect, géré par l’Etat et les syndicats, la bourgeoisie lie matériellement et idéologiquement la classe ouvrière à ces derniers: «La bourgeoisie a retiré la solidarité politique des mains du prolétariat pour la transférer en soli-darité économique aux mains de l’Etat. En subdivisant le salaire en une rétribution directe par le patron et une rétribution indirecte par l’Etat, la bourgeoisie a puissamment consolidé la mystification consistant à présenter l’Etat comme un organe au dessus des classes, garant de l’intérêt commun et de la Sécurité sociale de la classe ouvrière. La bourgeoisie est parvenue à lier matériellement et idéologiquement la classe ouvrière à l’Etat.» (Revue Internationale, n°115, page 13)
Plus que jamais, les nouvelles attaques sur la Sécurité sociale signifient la faillite du système capitaliste, la fin de l’Etat-providence et du mythe d’une couverture sociale du «berceau à la tombe». Aujourd’hui, face à un réservoir sans fin de main-d’œuvre, le capitalisme doit sacrifier une partie croissante de prolétaires pour maintenir à bas coût l’achat de la force de travail, quitte à laisser crever les autres. Pour la gauche, en fidèle serviteur du capital, la solidarité sociale ne peut consister qu’en un pacte avec les exploiteurs. En fait, ce que la bourgeoisie prêche, ce n’est rien d’autre que la solidarité¼ avec son système d’exploitation. Défendre le principe de la sécurité sociale revient à demander à l’Etat bourgeois de garantir la sécurité de la classe ouvrière. Défendre le mécanisme de la sécurité sociale, c’est accepter de lier notre sort à celui de nos pires ennemis, c’est remplacer notre solidarité de classe par une illusoire «solidarité nationale».
Or, la solidarité ouvrière n’est en aucun cas, comme la bourgeoisie le voudrait, courber l’échine face aux attaques impitoyables du capital, car pas plus qu’hier, cela ne permettra un avenir meilleur. Il faut opposer à la fausse solidarité que nous propose la bourgeoisie, la seule et vraie solidarité de classe, la lutte sur notre propre terrain de classe, la plus unie et massive possible. Seules une réelle solidarité politique et une unification de toute la classe ouvrière dans le combat contre le capitalisme, responsable de la misère et de la barbarie aux quatre coins de la planète, contre son Etat bourgeois et ses syndicats peuvent offrir une autre perspective à l’humanité entière.
La bourgeoisie fête en grande pompe les 175 ans d’ «indépendance» de la Belgique. Pour elle, le rappel des grands moments de «notre histoire nationale» est une occasion de raviver quelque peu le «sentiment national», indispensable pour promouvoir la «solidarité dans les sacrifices» et la mobilisation pour la défense de l’économie nationale. Pour le prolétariat, il n’y a aucune raison de fêter cet anniversaire. Dès sa création, l’Etat belge apparaît comme une arme contre la lutte prolétarienne et tout au long de ses 175 ans, il confirme, souvent de façon sanglante, ses caractéristiques initiales. D’où l’importance pour la classe ouvrière d’analyser les conditions de création de l’Etat belge en 1830 et les spécificités qui en découlèrent car celles-ci pèsent encore sur la lutte de classe aujourd’hui. Ce sera le but de la série de quatre articles que nous y consacrons (1).
Dans toute tentative révolutionnaire échouée, les forces de la réaction peuvent donner à la contre-révolution l’apparence d’un triomphe de la révolution (pensons par ex. au stalinisme qui s’installe en URSS sous le mythe du «socialisme en un seul pays»). C’est exactement ce que représente la «révolution belge»: la création de l’Etat belge en 1830 n’est qu’une mascarade pseudo-révolutionnaire ou, mieux encore, l’œuvre de la contre-révolution pour entraver le développement des forces productives dans cette région. Rappelons à ce propos que, d’un point de vue prolétarien, 1”histoire n’est pas une justification: parler de nations nécessaires et de nations qui ne le sont pas n’implique pas une justification des premières. Nous partons de l’analyse des rapports de force entre les classes et non de la morale. Et du point de vue du prolétariat révolutionnaire, la formation de certaines nations dans la période ascendante du capitalisme a permis un pas en avant dans le développement des rapports productifs ou porte un coup à l’une ou 1”autre puissance réactionnaire. Dans la période actuelle de décadence capitaliste par contre, plus aucune «nation» ne peut être considérée comme progressiste.
La Révolution française eut pour tâche de transformer l’ancienne nationalité en une nation capitaliste moderne. Elle avait aussi les moyens de réussir ce à quoi l’Angleterre s’était opposée victorieusement jusqu’alors: rattacher la Belgique aux provinces françaises. La révolution réalisa davantage encore: l’absolutisme espagnol et autrichien avait, trois siècles durant, tenté en vain d’abolir les privilèges locaux de leurs sujets aux Pays-Bas: la révolution supprima d’un coup tous ces privilèges. A la place des provinces traditionnelles, elle instaura des départements. Tous les droits particularistes des provinces, de la noblesse, des corporations, et de l’Eglise furent abolis; tous les belges devinrent français sans aucune distinction, ils étaient tous «égaux» et administrés dans la même langue, le français, qui réglait seul la vie publique. Le caractère progressif de la révolution fut confirmé par un développement spectaculaire des forces productives. Comme le poids du féodalisme était éliminé, la vie économique put connaître une vie nouvelle. Le marché français ouvrait des débouchés sans restrictions: la stagnation économique séculaire fit place à une ère de développement capitaliste accéléré, la «révolution industrielle»: utilisation de la machine et de la vapeur, introduction des manufactures travaillant pour la production de masses et avec une main d’œuvre considérable, en opposition à l’artisanat.
Avec le capitalisme -au lendemain de la révolution bourgeoise- naquit une industrie importante destinée à pourvoir en armements des armées nombreuses. C’est pourquoi, l’importance du fer et du charbon augmente considérablement dans le procès de production moderne, la possession de grandes ressources minières et sidérurgiques accrût donc considérablement la production capitaliste. Or, à l’exception de l’Angleterre, il n’y avait aucun pays en Europe où, par tête d’habitant, on extrayait autant de charbon qu’en Belgique. De plus, la Belgique avait de grandes ressources en minerai de fer et l’industrie sidérurgique put donc se développer. La vente des biens du clergé et des nobles exilés avait augmenté le nombre de propriétaires paysans; des raffineries de sucre de betteraves introduisirent dans l’agriculture les méthodes industrielles du capital. A l’abri de la concurrence anglaise, l’industrie textile put renaître et se mécaniser.
Ce brillant progrès industriel, ce pas décisif vers le capitalisme put se réaliser grâce à la révolution française et au rattachement à la France, qui offrait à l’industrie belge des débouchés importants. Il était impensable avec les anciennes structures politiques et sociales.
C’est la contre-révolution de 1815, sous la direction de la Russie et de l’Angleterre, qui, pour entraver le développement capitaliste en France, décida de la neutralisation de la Belgique pour la donner à la Hollande, tout en prévoyant que les Prussiens et les Anglais puissent occuper en temps de guerre la ligne de forteresses le long de la frontière française. Les deux territoires réunis ne présentaient pas une entité cohérente. Pendant son intégration à la France, le Sud était devenu une région, industrielle en plein essor. Par contre, le Nord était resté un royaume indépendant pour n’être réuni à la France qu’en 1810. Après une stagnation de la puissance mercantile et coloniale du Nord au 18ème siècle, l’ère Napoléonienne représentait la perte définitive des sources essentielles de la richesse du Nord jusqu’ici: étant alliée à Napoléon, elle fut en guerre contre l’Angleterre et cela lui coûta ses colonies et son commerce d’outre-mer. Ainsi lors de l’unification du Nord et du Sud, l’Etat hollandais considéra le territoire du sud comme dépendant, permettant à la Hollande de retarder sa propre industrialisation indispensable. Elle tardait à prendre les mesures protectionnistes dont le Sud avait besoin afin de faire face à la concurrence étrangère et de conquérir des marchés pour écouler sa production galopante. Enfin, toute l’administration fut pratiquement entre les mains du Nord. Guillaume fera payer à la Belgique les dettes énormes du Nord. Dans un premier temps, sous l’impulsion de la «période française»et de certaines mesures protectionnistes du gouvernement hollandais, l’industrie belge poursuit son développement mais à partir de 1828, les signes avant-coureurs d’une crise de surproduction apparaissent. Ainsi le gouverneur de Liège, Sandberg s’inquiète du développement extraordinaire des moyens de production, «un développement qui se base en général moins sur la certitude de marchés existants que sur l’espoir d’en trouver». Faillites et chômage se développent (en 1828 déjà 14,2% de la population vit de la charité publique), les salaires ne couvrent même plus les besoins vitaux et les prix alimentaires grimpent en flèche.
Voilà donc, la situation telle qu’elle se présentait à la veille de la «révolution» de 1830 : un développement économique fortement entravé par la contre-révolution qui a séparé la Belgique de la France; une crise économique (1828-1830, liée à la grande crise de 1825 en Angleterre) qui manifeste clairement le poids de ces entraves; une exploitation féroce et une misère terrible qui s’abat sur la classe ouvrière.
Au début de 1830, la bourgeoisie belge (en dehors de quelques fractions insignifiantes ) ne concevait qu’une opposition au sein de l’Etat hollandais pour obtenir une série de revendications politiques et religieuses. Mais le 27 juillet 1830, éclate à Paris une insurrection populaire rapidement victorieuse. L’enthousiasme populaire suscité en Belgique par les événements de Paris est énorme et l’effervescence en milieu ouvrier se développe rapidement. A partir du 22 août, la bourgeoisie trouve sur les murs de Bruxelles des affichettes annonçant la révolution pour le 25. Le 23 au soir, l’émeute gronde, dirigée par des tisserands chômeurs et des typographes. Le mouvement n’a rien de «national»: on crie «Vive la France», on chante «la Marseillaise», on porte le drapeau tricolore français et des drapeaux rouges apparaissent. Le 24 et le 25, l’insurrection ouvrière se développe, saccageant les magasins, brisant les nouvelles machines dans les usines textiles, occupant la ville, pendant le drapeau français à l’hôtel de ville. Des armes et des munitions sont distribuées. L’armée est repoussée et ne tire que sporadiquement. Personne ne se soucie vraiment à ce moment-là de la «patrie belge».
C’est alors que «voyant leurs propriétés menacées, un certain nombre de bourgeois résolurent d’agir par leurs propres moyens. Réunis à la Grand-Place, à la fin de la journée du 26, ils formèrent des compagnies de volontaires, prirent pour signe de ralliement le drapeau aux trois couleurs (noir-jaune-rouge) de la révolution brabançonne (...). Des mesures furent aussitôt décidées pour empêcher l’agitation de prendre un caractère anti-national)» (2) (F. Van KaIken, Histoire de Belgique, p. 544). La bourgeoisie belge comprenait qu’une fidélité pure et simple au pouvoir hollandais risquait de la perdre. La proclamation de l’Etat belge au contraire lui permettait de désamorcer l’insurrection ouvrière et de la récupérer sous forme d’une «révolte nationale». Il faut reconnaître qu’elle s’y prit fort bien. Le 26 et le 27, une répression sanglante par la garde civique s’organise, tuant une trentaine de prolétaires et en arrêtant des centaines. Par la suite, la bourgeoisie utilisera habilement et cyniquement les prolétaires comme chair à canon lors des combats de septembre 1830 contre les hollandais pour permettre l’instauration définitive de l’Etat belge.
En réalité, ces pères de la Belgique, ces bourgeois qui mitraillaient les ouvriers quelques heures seulement après avoir inventé leur «drapeau national» ne représentaient que la contre-révolution de l’intérieur. En fait, les véritables forces qui engendrèrent l’Etat et la nation «belge», ce furent les «puissances», c’est-à-dire les grands Etats constitués d’Europe: une Belgique indépendante, c’était à la fois la confirmation de la séparation avec la France, la création d’un petit Etat faible et peu dangereux, et le maintien d’un point d’appui docile contre «l’expansionnisme français». On comprendra donc aisément que «le seul défenseur loyal de la cause belge» fut le vicomte Palmerston, représentant la Grande-Bretagne, que l’on a surnommé non sans humour «le père de la Belgique» (ibid., p.566).
Bref, la création de l’Etat belge est l’œuvre négative, le fruit empoisonné de la seule contre-révolution, qui bloque le développement historique autant que ses forces le lui permettent. Mais la création de cet Etat n’a-t-il pas tout de même permis un certain développement des forces productives, de l’ industrialisation et du commerce?
1°) Certes, la contre-révolution n’avait pas le pouvoir d’empêcher, une fois que les structures archaïques et féodales étaient renversées que la nouvelle plante dont la révolution avait produit la semence, croisse. Tout ce qu’elle pouvait faire, c’était d’isoler une des parties de la révolution des autres et de la cantonner dans un cadre étriqué, c’est-à-dire défavorable justement à l’industrialisation et à l’instauration de rapports sociaux modernes. De fait, l’histoire prouve que l’Etat belge était la conséquence d’une contre-révolution qui a amputé la révolution française de sa province belge. On peut faire le parallèle suivant: si la Ruhr était détachée de l’Allemagne, elle serait certes industrialisée, mais elle ne le serait elle-même que dans une proportion incomparablement plus faiblie que lorsque l’ensemble formerait une seule unité économique et politique.
2°) En fait d’industrialisation, la contre-révolution a isolé l’une des pousses des autres pour l’enfermer dans des barrières étroites et affaiblir son développement. L’industrialisation de la Belgique serait un fait nouveau et socialement progressif si l’on comparait les structures postérieures à 1830 à celles de 1789, époque ou régnait le féodalisme et l’absolutisme. Or, la création de l’Etat belge en 1830, n’est pour rien dans l’ instauration d’un système moderne, même bourgeois en Belgique. Un Etat bourgeois dominait cette province bien avant, et l’industrialisation qui en avait résulté avait été considérable puisque la Belgique était alors la région la plus industrialisée du continent européen.
Le caractère contre-révolutionnaire de la constitution de l’Etat belge apparaît aussi quand on compare les événements de Belgique avec ceux qu’a connu la Pologne, qui s’était soulevée en même temps. A propos de ce dernier pays, Marx et Engels ont défini la notion de nation nécessaire, notion qu’ils déniaient à la Belgique. Les raisons pour lesquelles la Pologne était nécessaire furent essentiellement les suivantes: d’une part, la création révolutionnaire d’un Etat polonais remettait effectivement en question l’équilibre contre-révolutionnaire qui régnait en Europe centrale et orientale; d’autre part, l’indépendance de la Pologne aurait permis l’instauration de rapports sociaux et productifs modernes dans ce pays lui-même alors que la contre-révolution en faisait un pays agraire et arriéré (l’aristocratie féodale foncière étant l’alliée de l’oppression extérieure). Ces conditions se ramènent au fond à une seule question : dans cette partie de l’Europe, la révolution - bourgeoise avec la création d’Etats nationaux et de nations était encore à l’ordre du jour révolutionnaire. C’est pourquoi, la contre-révolution européenne organisée s’employa par tous les moyens à contrecarrer le mouvement dans l’Est européen. Par contre, ces conditions n’existaient plus pour la Belgique: la création d’un Etat et d’une nation belge ne produisait plus aucun bouleversement international, au contraire, et elle n’entraînait aucun bouleversement dans les rapports sociaux et productifs à l’intérieur du pays même. La nation belge était de plus totalement artificielle et cela aussi aura des conséquences importantes pour son développement ultérieur n
J. Janssens et Jos
(1.) Nous renvoyons les lecteurs e.a. aux études sur «la nation et l’Etat Belge produits de la contre-révolution» et au livre «La Belgique, Etat constitutionnel modèle» publié par le Fil du Temps. Le cercle d’étude «Fil du Temps» de Roger Dangeville est une scission d’avec le PCInt dans les années 60. Dangeville avait fait partie pendant un certain temps du cercle de discussion à l’initiative de Maximilien Rubel venant de la Gauche Communiste de France. Cfr. aussi notre livre sur la Gauche Communiste d’Italie.
(2) nous mettons en gras
Cela fait maintenant plusieurs années que le CCI n’est pas admis en tant que détenteur de stand à la foire du livre anarchiste à Gand tout comme à la bourse anarchiste à Utrecht. Plusieurs années, les organisateurs ont fait comme si notre demande était introduite trop tard, ou comme s’ils manquaient de place, etc. Un peu fort. Quand nous avons insisté, les organisateurs ont répondu que nous ne correspondions pas au profil anarchiste qu’ils souhaitaient. Il ne nous viendrait naturellement pas à l’esprit de nous lamenter à propos de cette décision ou d’en appeler à plus de complaisance de la part des organisateurs. Il ne s’agit pour nous que de mettre à nu les véritables raisons du refus répété des organisateurs de ces bourses du livre.
Après leurs échappatoires administratives, les organisateurs mentent consciemment quand ils justifient leur refus par des raisons idéologiques (nous n’aurions pas le profil!). Qui n’a pas remarqué la présence à ces bourses de stands, de publications, de groupes et d’associations qui sont ouvertement sociaux-démocrates, staliniens ou nationalistes... et qui n’ont aucunement un «profil anarchiste». Pourquoi alors exclure le CCI, une organisation qui se réclame de l’internationalisme prolétarien et qui dénonce toutes les idéologies nationalistes, quel qu’en soit le prétexte ethnique, historique ou religieux, comme un véritable poison pour les prolétaires?
Le CCI a toujours mis en avant ses positions marxistes, tout autant que ses divergences de principe avec l’anarchisme. Le CCI a toujours dénoncé les positions bourgeoises de l’anarchisme officiel, qui se terminent en défense de l’Etat démocratique (comme c’était le cas avec Kropotkine et la CGT française en 1914, ou la CNT espagnole en 1936) et en défense du nationalisme le plus arriéré (comme l’anarcho-nationalisme breton ou flamand: voir à ce propos l’article sur L’anarcho-nationalisme de «De Vrijbuiter» dans «De Fabel van de Illegaal» n° 68). Si les organisateurs trouvent notre présence indésirable, c’est parce que des éléments en recherche d’élargissement et d’approfondissement de leurs visions politiques, s’intéressent aux analyses de la Gauche Communiste, aux questions que nous posons et aux réponses politiques que nous apportons touchant des sujets d’intérêts pour la classe ouvrière et l’avenir de l’humanité. Ce que les organisateurs veulent en réalité, c’est empêcher qu’une confrontation honnête et ouverte des positions politiques ait lieu. Malgré leurs discours (faussement) libertaires, ils préfèrent se fier à leurs voisins staliniens et d’extrême gauche (pro- ou anti-staliniens) plutôt que de voir la Gauche Communiste trouver un écho pour une claire perspective de classe internationaliste.
Nous ne sommes absolument pas étonnés de cette attitude des organisateurs, qui renforcent ainsi le totalitarisme idéologique dont ils sont un rouage, bien que modeste, néanmoins indispensable pour prévenir que des éléments se posant des questions y trouvent des réponses politiques dont ils pourraient débattre. En nous refusant un stand, l’anarchisme officiel apporte sa petite pierre à l’édifice de la pensée unique bourgeoise.
Certains participants qui se sont irrités de ce comportement ont déjà ouvertement manifesté leur solidarité en diffusant notre presse à partir de leur stand, et ils n’ont pas non plus hésité à se plaindre verbalement et par écrit de l’attitude des organisateurs: «Le CCI est en effet très critique vis-à-vis de l’anarchisme, mais c’est une évidence: ce sont une fois pour toutes des marxistes. (...) Pour ceux qui ont un intérêt pour leurs positions, ils sont certainement ouverts à la discussion. Leurs réunions sont publiques et on peut tranquillement y aller exposer ses positions anarchistes, ou même diffuser des tracts anarchistes aux visiteurs. Cela me paraît donc beaucoup plus démocratique qu’une foire du livre anarchiste où quelques organisateurs décident de leur propre chef de refuser certains groupes. Pour certains anarchistes, il peut être très intéressant de distinguer les désaccords et les convergences, c’est comme ça qu’on apprend à formuler et défendre ses propres positions. Et si on n’a pas envie d’engager une discussion avec eux, par exemple parce qu’ils ne sont pas assez anarchistes, végétaliens, féministes ou pacifistes, ou tout simplement parce qu’ils ne correspondent pas à l’image qu’on se fait du monde, on ne le fait tout simplement pas... C’est tout autre chose que d’offrir une plate-forme pour la plate propagande des staliniens et des trotskistes qui viennent «gagner des âmes»! (...) dans le cas du CCI, je ne vois jusqu’à présent pas de raison suffisante pour leur refuser la participation à la foire du livre anarchiste. Et mon intention n’est en aucun cas d’ouvrir toutes grandes les portes à tout le micmac trotskiste et stalinien; selon moi le CCI s’en distingue, même d’un point de vue anarchiste, dans le bon sens. Les courants historiques dont ils se réclament ont en leur temps été autant les victimes de la terreur et de la répression déclenchées par Trotski et Staline que les anarchistes. Il serait tout de même étrange si une certaine manière de penser, qui a pratiquement disparu de la surface du globe par l’action des staliniens (et qui fait indubitablement à beaucoup de gens une impression d’anachronisme) était maintenant contrainte au silence par les anarchistes! « (1). Nous encourageons ceux qui veulent être politiquement conséquents à nous envoyer leurs prises de position, que nous publierons également.
De notre côté, nous invitons chacun qui souhaite engager une confrontation d’idées et débattre sur les problèmes du monde, sur la lutte de classe et l’avenir de l’humanité, à participer à nos activités publiques, aussi bien à nos permanences, où l’on discute des questions amenées par les participants, qu’à nos réunions publiques, où un débat suit la présentation de la position du CCI sur un sujet, ou à nous rencontrer au cours de la vente de notre presse à l’occasion de différentes manifestations et dans la lutte de la classe ouvrière n
Mai 2005
(1) Voir: lettre ouverte des éditions De Dolle Hond aux maîtres du marché anarchistes de la foire du livre d’Utrecht, sur notre site Web: https://www.internationalism.org/dutch [6], et Les organisateurs de la foire du livre anarchiste d’Utrecht dévoilent leurs pratiques staliniennes dans Wereldrevolutie n° 101.
1000 morts ou plus, environ 2000 blessés, des milliers de réfugiés qui ont fui vers le Kirghizstan voisin, c’est l’horrible bilan, connu à ce jour, de la féroce répression menée par l’armée ouzbek contre les émeutes populaires (1), qui ont eu lieu le 13 mai dans plusieurs villes ouzbèkes de la vallée de Ferghana, notamment Andijan, Pakhtabad et Kara Su. L’armée n’a pas hésité à utiliser des blindés, des hélicoptères et à tirer à la mitrailleuse lourde sur une manifestation rassemblant plusieurs dizaines de milliers de personnes dont beaucoup de femmes et d’enfants. L’armée a achevé les blessés d’une balle dans la tête et la police politique a procédé à des centaines d’arrestations et de détentions arbitraires. Fidèle aux méthodes staliniennes de sa Russie d’origine, le gouvernement du despote Karimov a tout fait pour falsifier les événements, imposant une véritable chape de plomb sur les médias dès le début des émeutes, puis présentant ce carnage comme la réponse à un soulèvement armé islamiste. C’est cette version que les gouvernements américain, russe, chinois et européens ont cautionnée dans un premier temps, puis de façon plus “critique” lorsque les témoignages de certains rescapés de cette tragédie ont commencé à circuler. C’est avec un cynisme des plus abjects que les grandes démocraties, pour défendre leurs intérêts de brigands impérialistes, soutiennent les exactions que Karimov a perpétrées au nom de la lutte con-tre le terrorisme, tout en lui demandant d’envisager d’entre-prendre quelques réformes démocratiques (2). Feignant l’indignation, comme après chaque massacre en-gendré par la barbarie du capitalisme, les organisations internationales comme l’ONU, l’OSCE et les multiples ONG réclament une enquête. Face à de tels mensonges et à la propagande bourgeoise qui réduit de tels événements aux affres du terrorisme ou aux comportements sanguinaires du tyran Karimov, il est nécessaire de comprendre que cette sanglante répression s’explique comme étant à la fois le produit de l’héritage du stalinisme, de la tendance à la décomposition de la société capitaliste et du chaos que génère l’exacerbation des tensions militaires entre les différents Etats à l’échelle mondiale et notamment en Asie centrale, qui est une zone stratégique sur ce plan là.
Historiquement, les républiques d’Asie centrale ont été créées par Staline en 1924. Ce “charcutage” était, en fait, exactement semblable à celui auquel avait procédé la France dans ses possessions d’Afrique noire, au fur et à mesure de l’avancement de sa conquête coloniale du 19e siècle. Cette mosaïque artisanale a tenu du fait de la terreur stalinienne exercée sur les populations jusqu’à la dislocation de l’URSS et l’indépendance des républiques d’Asie centrale en 1991. Avec la disparition de ce corset de fer, c’est une véritable boîte de Pandore qui s’est ouverte. La géographie absurde issue de la désagrégation de l’URSS fait que la région la plus riche et la plus peuplée, la vallée du Ferghana, est un lieu de discorde : partagée entre l’Ouzbékistan, le Kirghizstan et le Tadjikistan, découpée en d’innombrables enclaves propices aux conflits frontaliers, c’est un foyer permanent de tensions ethniques et religieuses. Cet enchevêtrement ne peut que déboucher sur des conflits comme dans le Caucase. C’est l’exemple en 1990, des violences dans le sud du Kirghizstan, entre Ouzbeks et Kirghizes, faisant des centaines de victimes ou de la guerre civile au Tadjikistan qui a fait 50.000 morts entre 1992 et 1997. A tout moment le risque d’affrontements ethniques est présent, d’autant plus qu’il existe des querelles entre ces trois républiques du Ferghana pour le partage des terres, de l’eau et pour le contrôle des trafics d’armes et de drogues en provenance de l’Afghanistan frontalier. Dans ce contexte chaotique, la guerre en Afghanistan qui a opposé l’alliance du Nord aux talibans a eu des répercussions importantes sur l’Asie centrale, notamment par le développement d’une multitude de groupes islamiques qui vont accentuer les rivalités et tensions entre les différentes républiques et entraîner une partie des populations dans de nouveaux massacres. Cette situation particulièrement dramatique pour les couches populaires est aggravée par la gestion autoritaire de ces Etats car la plupart des dirigeants sont d’anciens apparatchiks staliniens. En Ouzbékistan, c’est le clan familial de Karimov et de ses fidèles qui se sont accaparés les secteurs producteurs de richesses, essen-tiellement les matières premières, et la corruption y fait figure de loi. La population vit avec 10 à 20 dollars par mois, et le PIB par habitant a chuté de plus de 40% depuis 1998. La population se retrouve ainsi prise en étau, entre le choix de la peste ou du choléra, soutenir les anciens parrains staliniens ou suivre les multiples officines islamistes. Cette paupérisation de la population, sur fond de dislocation des républiques qui composent l’Asie centrale, produit de la décomposition du capitalisme, fait de cette région une véritable poudrière. L’intervention américaine en 2001 en Afghanistan au nom de la guerre contre le terrorisme va constituer un puissant accélérateur de cette déstabilisation, d’autant plus que la préoccupation de l’Oncle Sam n’est pas de ramener la paix dans cette région, mais de défendre son leadership.
“Les Etats-Unis s’installent en Asie centrale avec l’intention d’y rester, non seulement en Afghanistan mais aussi dans deux ex-républiques soviétiques voisines ( le Tadjikistan et l’Ouzbékistan). Ceci suppose une menace claire envers la Chine, la Russie, l’Inde et l’Iran. Mais la portée de l’événement est bien plus profonde : il est un pas dans la création d’un véritable encerclement des puissances européennes -un “remake” de la vieille politique “d’endiguement” déjà employée à l’encontre de l’URSS. Les hautes montagnes d’Asie Centrale permettent le contrôle stratégique du Moyen-orient et de l’approvisionnement en pétrole, élément central de l’économie et de l’action militaire des nations européennes” (Revue Internationale, n°108, novembre 2001).
Ainsi, l’Eurasie est ces dernières années au cœur de la concurrence entre brigands impérialistes. A coups de millions de dollars, les Américains ont installé des bases militaires pour leur intervention vers l’Afghanistan et le contrôle de cette région. ( Selon la presse américaine, la CIA utilise même le savoir-faire ouzbek en matière de torture car elle y transfère par avions spéciaux les “terroristes” arrêtés en Irak et Afghanistan pour les interroger). Face à cette offensive dans son pré-carré, la Russie a renforcé ses propres bases dans la région, notamment au Kirghizistan et au Tadjikistan et la Chine a payé de nouveaux équipements militaires à l’armée kirghize, espérant prochainement prendre pied militairement dans cette zone stratégique. Cette effervescence militaire est loin d’apporter une quelconque stabilité, comme on le voit avec le chaos actuel en Irak et en Afghanistan et la contestation anti-américaine qui ne cesse de croître. Loin de renoncer, les Etats-Unis ne peuvent qu’intensifier leur présence militaire. Cette fuite en avant ne peut qu’être alimentée par les puissances rivales. Pour les populations d’Asie centrale, ces diverses manifestations de la décomposition du capitalisme portent en germe encore plus de barbarie et de chaos, de nouveaux massacres, soit dans des conflits ethniques, militaires soit par la répression sanglante des émeutes sociales, comme on vient de le voir en Ouzbékistan.
Donald/24.05.2005
(1) Il semble probable que le déclenchement de ces émeutes est à la fois le produit d’une attaque économique d’envergure du gouvernement (imposition en avril de nouvelles règles contraignantes pour les petits commerçants de rue, alors que le bazar (marché noir) reste le seul poumon économique, le seul lieu d’activité possible pour des millions d’Ouzbeks en quête de subsistance, compte tenu du chômage massif) et en même temps le procès de 23 petits entrepreneurs accusés d’islamisme. La population est descendue dans la rue pour réclamer “justice” et “liberté” avec la présence en son sein de groupes politiques d’opposition au gouvernement, dont certains groupes islamiques.
(2) Si pour l’instant l’administration américaine soutient Karimov, il n’est pas exclu qu’à l’avenir, en fonction de sa capacité à créer une opposition politique à celui-ci, comme elle l’a fait récemment (Georgie, Ukraine, Kirghizstan) elle se débarrasse de cette marionnette stalinienne, ce qui serait plus conforme à la justification de ses interventions militaires actuelles basées sur la liberté et la démocratie pour les peuples encore opprimés.
«On a gagné!», scandait au soir du 29 mai le «peuple de gauche», sur la place de la Bastille à Paris. «Cette victoire est avant tout celle des ouvriers, des employés, des jeunes, des sans-emploi (qui ) se sont ainsi rassemblés jusque dans les urnes pour rejeter cette camisole libérale», déclarait le secrétaire nationale de Parti Communiste stalinien Français , ajoutant : «Cette victoire s’est construite (…) dans une dynamique de rassemblement populaire qui évoque les grands moments du Front populaire ou de mai 1968» ; «C’est un mouvement de revanche sociale» évoquait le trotskiste Besancenot de la LCR Française; «La réfutation de cette Constitution donne de l’espoir aux chômeurs et aux gens vivant dans la misère et la précarité: l’espoir que le Non contre la Constitution néo-libérale en France et aux Pays-Bas provoquera un changement brusque dans l’histoire qui mènera à une réorientation radicale dans la politique européenne.» proclamait la «démocratique» et «progressiste» «Fondation Europe Sociale» aux Pays-Bas; «Ce résultat est carrément favorable à l’avenir de l’Europe. L’affluence élevée et les nombreuses discussions montrent que l’Europe vit parmi la population, à condition que les gens eux-mêmes aient véritablement quelque chose à dire. Dans deux des trois pays où un référendum s’est tenu, on a vu une affluence élevée et un refus net de la Constitution. Cela montre un large soutien pour une Europe démocratique et sociale.» renchérissait un autre «Comité Constitution Non» de gauche Hollandais.
La gauche est en première ligne pour présenter la victoire du Non au référendum sur la Constitution européenne comme «une grande victoire de la classe ouvrière». Mensonge ! La classe ouvrière n’a rien gagné. Au contraire, la bourgeoisie a exploité ses échéances électorales afin de pourrir la conscience ouvrière en profitant des illusions encore très fortes dans les rangs des prolétaires envers la démocratie et le terrain électoral.
Les prolétaires doivent se souvenir que ce qui leur a toujours été présentée comme de «grandes victoires ouvrières», a toujours représenté les pires défaites et les plus dangereuses pour leur classe. Ainsi, en 1936, cet avènement du gouvernement de Front populaire en France encore aujourd’hui présenté comme une «grande victoire» pour les ouvriers, alors que ce gouvernement de Front populaire a permis à la bourgeoisie d’embrigader massivement derrière le drapeau de l’anti-fascisme les ouvriers dans les horreurs et les massacres de la Seconde Guerre mondiale. C’est au nom du grand mensonge du «triomphe de la dictature du prolétariat en URSS», «de la victoire du socialisme dans un seul pays» et des «avancées dans la construction d’une société communiste» que des générations entières de prolétaires ont été entraînées et sacrifiées sur l’autel de la contre-révolution stalinienne pendant plus d’un demi-siècle derrière une idéologie de la «défense de la patrie socialiste», mais aussi exploitées, massacrées, déportées, emprisonnées par « la patrie du socialisme».
Les prolétaires sont tombés dans le piège qui lui présentait cette consultation électorale comme un enjeu pour eux. La bourgeoisie exploite aujourd’hui cette situation pour accentuer son avantage et intoxiquer davantage la conscience des ouvriers, en lui faisant croire que le bulletin de vote serait plus efficace que la lutte de classe, même si les effets de cette propagande ne peuvent que s’effacer très rapidement face à la réalité. L’énorme et incessant battage électoral sur le référendum, avant, pendant et après, n’a qu’un seul but: faire avaler aux prolétaires le grossier mensonge selon lequel le moyen le plus efficace de faire reculer la bourgeoisie et de faire entendre leur voix, d’exprimer leur ras le bol, n’est pas le développement de la lutte de classe mais le bulletin de vote. Ainsi les trotskistes de Offensief aux Pays-bas ne laisse pas de doute : «Déjà en automne dernier les travailleurs néerlandais avaient démontré qu’ils refusaient de subir les mesures d’économie draconiennes et le démantèlement de l’Etat-providence. Maintenant de nouveau, il apparaît qu’ils en ont ras-le-bol de la politique du cabinet Balkenende. Le 2 octobre de l’année dernier, plus de 300.000 gens sont descendus en protestation contre les plans du cabinet dans les rues d’Amsterdam. Maintenant, une fois de plus un sujet politique important de ce cabinet néo-libéral est renvoyé à la poubelle.» (site Offensief : La voix contre la Constitution a été une voix des travailleurs contre les profiteurs)
De l’extrême droite aux organisations gauchistes, l’incessant battage idéologique, dramatisé à souhait depuis plus de trois mois, ne visait qu’à attirer et à rabattre un maximum de prolétaires sur le terrain électoral.
En effet, la bourgeoisie aura réussi à polariser l’attention des ouvriers, à semer les pires confusions, à brouiller les pistes pour ramener un maximum d’ouvriers sur le terrain électoral. Le référendum était omniprésent dans tous les médias. Il n’était pas possible d’échapper aux virulents débats, aux polémiques enflammées sur les supposés enjeux de ce scrutin. Ce matraquage idéologique tentait de persuader chaque «citoyen», surtout chaque prolétaire, que cette consultation représentait un enjeu absolument crucial et déterminant. Toutes les fractions de la bourgeoisie se sont ainsi félicitées d’avoir pu lancer et animer «un grand débat démocratique» dont le seul résultat aura été de déboussoler, de semer un maximum de confusion et d’illusions dans la tête des ouvriers. Tous les médias et certains responsables politiques l’ont proclamé: «votez oui ou votez non mais votez !». Le principal poison idéologique distillé dans cette campagne a été de faire croire que «rien ne serait plus comme avant», que la montée du Non, dopée par le mécontentement social envers les gouvernements, avait contraint la bourgeoisie à mettre la préoccupation sociale au centre de sa campagne. Cela est en partie vrai, mais le seul but de cette manœuvre était de pousser les ouvriers dans le piège démocratique, dans le piège électoral, dans la mesure où, auparavant, cette campagne suscitait à juste titre l’ennui et le désintérêt le plus complet au sein de la classe ouvrière. C’est à partir du moment où la bourgeoisie est parvenue à canaliser le mécontentement social autour du référendum, à faire croire qu’elle pouvait reculer en retirant la directive Bolkestein qu’elle est parvenue à relancer et à redonner un nouveau souffle à la mystification démocratique et au terrain électoral. Mais, maintenant la bourgeoisie voudrait nous faire croire que dans l’après référendum, désormais, la parole, la priorité, seront au social. C’est un mensonge. Plus que jamais, l’avenir que nous réserve le capitalisme, c’est l’intensification des attaques anti-ouvrières. Cette propagande idéologique cherche à faire prendre des vessies pour des lanternes, faire croire que la réaction «citoyenne» peut changer le cours du capitalisme, infléchir la bourgeoisie et barrer la route au libéralisme et aux délocalisations. La politique gouvernementale ne va pas changer d’un poil.
Le principal objectif de la bourgeoisie vis-à-vis des prolétaires dans n’importe quelle élection est de les pousser à abandonner le terrain collectif de la lutte de classe pour s’exprimer en tant que «citoyens», atomisés, sans appartenance de classe, dans le bien nommé «isoloir», sur un terrain pourri d’avance et qui n’est nullement le leur, mais celui de la bourgeoisie. Pour la classe ouvrière, le terrain électoral est un piège idéologique destiné à semer les pires confusions et à empêcher le développement de sa conscience de classe.
Il n’en a pas toujours été ainsi. Au 19ième siècle, les ouvriers luttaient et se faisaient tuer pour obtenir le suffrage universel. Aujourd’hui, inversement, ce sont les gouvernements qui mobilisent tous les moyens dont ils disposent pour que le maximum de citoyens aillent voter. Pourquoi ?
Pendant la période d’ascendance du capitalisme, les parlements représentaient le lieu par excellence où les différentes fractions de la bourgeoisie s’affrontaient ou s’unissaient pour défendre leurs intérêts. Malgré les dangers et les illusions que cela pouvait entraîner, les travailleurs, dans une période où la révolution prolétarienne n’était pas encore à l’ordre du jour, avaient intérêt à intervenir dans ces affrontements entre fractions bourgeoises et, au besoin, soutenir certaines fractions bourgeoises contre d’autres, afin de tenter d’améliorer leur sort dans le système. C’est ainsi que les ouvriers en Angleterre ont obtenu la réduction à 10 heures de leur journée de travail en 1848, qu’on a vu l’abrogation de la loi sur la conspiration (droit de s’organiser) en Belgique en 1865 après l’Angleterre 1859 et la France en 1866, que le droit syndical a été reconnu en France en 1884, etc.
Mais la situation est devenue totalement différente depuis le début du 20e siècle. La société capitaliste est entrée dans sa période de crise permanente et de déclin irréversible. Le capitalisme a conquis la planète et le partage du monde entre les grandes puissances est terminé. Chaque puissance impérialiste ne peut s’approprier de nouveaux marchés qu’aux dépens des autres. Ce qui s’ouvre, c’est une nouvelle «ère des guerres et des révolutions», comme le déclarait l’Internationale Communiste en 1919, une ère marquée par les effondrements économiques comme la crise de 1929, les deux guerres mondiales et l’irruption révolutionnaire du prolétariat en 1905 en Russie, de 1917 à 1923 en Russie, Allemagne, Hongrie, Italie. Pour faire face à ses difficultés croissantes, le capital est contraint de renforcer constamment le pouvoir de son Etat. De plus en plus, l’Etat tend à se rendre maître de l’ensemble de la vie sociale et, en premier lieu, dans le domaine économique. Cette évolution du rôle de l’Etat s’accompagne d’un affaiblissement du rôle du législatif en faveur de l’exécutif. Comme le dit le deuxième Congrès de l’Internationale Communiste : «Le centre de gravité de la vie politique actuelle est complètement et définitivement sorti du Parlement.»
Pour les travailleurs, il ne peut plus être question de s’aménager une place dans le capitalisme mais de le renverser dans la mesure où ce système n’est plus capable de leur octroyer ni réformes durables ni amélioration de leur sort.
Pour la bourgeoisie, le parlement est devenu tout au plus une chambre d’enregistrement de décisions qu’elle prend ailleurs.
Reste un rôle idéologique de l’électoralisme qui reste déterminant . La fonction mystificatrice de l’institution parlementaire existait déjà au 19e siècle mais elle se situait au second plan, derrière sa fonction politique. Aujourd’hui, la mystification est la seule fonction qui reste pour la bourgeoisie: elle a pour but de faire croire que la démocratie est le bien le plus précieux, que l’expression de la souveraineté du peuple, c’est la liberté de choisir ses exploiteurs. La démocratie parlementaire et surtout la mystification de l’idéologie démocratique reste le meilleur moyen d’empoisonner la conscience ouvrière et l’arme idéologique la plus efficace et dangereuse pour domestiquer le prolétariat.
Les attaques anti-ouvrières n’ont pas cessé au cours de ces derniers mois et dès le lendemain de cette échéance électorale, les prolétaires verront leurs conditions de vie et de travail se détériorer encore plus fortement et rapidement. La bourgeoisie cherche à gagner du temps pour repousser les échéances de confrontations plus massives avec le prolétariat. Elle est amenée de plus en plus à trouver des parades idéologiques et à déployer le maximum d’efforts pour freiner la prise de conscience de la faillite du système capitaliste au sein de la classe ouvrière. Comme nous l’écrivions le mois dernier dans notre presse en France et au Pays Bas, «le résultat de ce vote ne changera pas quoi que ce soit à l’intensification des attaques anti-ouvrières menées par les différentes bourgeoisies nationales, à l’accélération de la dégradation des conditions de vie des prolétaires, aux licenciements, aux délocalisations, à la montée du chômage et de la précarité, à l’amputation de tous les budgets sociaux, au démantèlement accéléré de la protection sociale. Ce sont les produits de la crise et les manifestations de la faillite du système capitaliste au niveau mondial».
Face à l’angoisse de l’avenir qui est au cœur des préoccupations ouvrières actuelles, la réponse n’est ni sur le terrain électoral ni de la démocratie, il est dans le développement de la lutte de classe, le seul terrain sur lequel les ouvriers peuvent répondre aux attaques de la bourgeoisie.
Wim &Lac/ 6.06.05
Nous avons appris le décès à la suite d'une longue maladie de Mauro Stéfanini, militant parmi les plus anciens et les plus dévoués de Battaglia Comunista, lui-même fils d'un vieux militant de la Gauche italienne. Nous tenons à publier ci-dessous quelques extraits du message de solidarité que le CCI a immédiatement adressé aux militants du BIPR ainsi que des passages de la réponse de remerciement que nous a faite un militant du BIPR au nom de son organisation.
Camarades,
C’est avec beaucoup de tristesse que nous avons appris le décès du camarade Mauro. (...) Sa vivacité et son contact chaleureux vont manquer aux militants de notre organisation qui le connaissaient personnellement.
Mais il existe deux autres raisons pour lesquelles son décès nous affecte particulièrement. En premier lieu, nous ressentons la disparition de Mauro comme une perte pour la classe ouvrière. Évidemment, ses qualités personnelles, notamment ses capacités comme orateur et rédacteur y sont pour quelque chose. Mais ce qui pour nous est le plus im-portant, c’est son engagement et son dévouement militant. Un engagement et un dévouement qu’il a maint-enus alors que la maladie était en train de gagner le combat.
En second lieu, nous n’oublions pas que Mauro était le fils de Luciano, un membre de la Fraction italienne pour qui notre camarade MC avait une grande estime pour son dévouement, mais aussi pour sa lucidité puisqu’il fut un des premiers au sein de la Fraction à comprendre pleinement les implications de la période historique ouverte par la Première Guerre mondiale sur la question fondamentale de la nature des syndicats. Une des conséquences de la terrible contre-révolution qui s’est abattue sur la classe ouvrière après l’échec de la révolution mondiale, c’est la presque disparition d’une tradition très vivace dans le mouvement ouvrier du passé : le fait que beaucoup d’enfants (comme les filles de Marx, le fils de W. Liebknecht et beaucoup d'autres encore) reprenaient le flambeau de leurs parents concrétisant ainsi la continuité du combat prolétarien entre les générations. Mauro fut un des très rares à poursuivre cette tradition et c’est un élément supplémentaire de notre sympathie pour lui. (...)
C’est pour cela que vous pouvez croire, camarades du BIPR, en l’absolue sincérité de notre solidarité et de nos salutations communistes.
Camarades,
Au nom du BIPR, je voudrais vous remercier pour l'expression de votre solidarité à la suite de la perte gravissime du camarade Mauro. Effectivement, comme vous l'avez dit, c'est pour nous une disparition très douloureuse : par ses dons d'humanité, par sa passion et son dévouement envers la cause du prolétariat, Mauro était un camarade comme il est rare d'en trouver. Son être communiste était, si on peut dire,"inscrit" dans ses gènes : non seulement parce qu'il venait d'une famille qui a tant donné à la cause du commu-nisme, mais surtout parce que son esprit se rebellait instincti-vement à la moindre manifestation d'oppression et d'injus-tice. Il ne sera pas facile de combler le vide politique qu'il laisse, il sera impossible de combler le vide humain. (...)
En vous remerciant à nouveau, nous vous adressons nos salutations communistes.
A travers le référendum, la bourgeoisie française, par son aile de gauche (gauche du PS et extrême gauche) a réussi à attirer une grande partie de la classe ouvrière sur le terrain électoral et démocratique. Elle ne peut que se réjouir de cette victoire momentanée sur le prolétariat. Pourtant tout a été fait par la bourgeoisie en France et dans les principaux pays européens pour faire accepter la constitution, qui se révélait être d’une très grande importance, notamment pour la bourgeoisie française et allemande.
Si celle-ci n’a pas été adoptée, la faute en revient dans sa totalité à la clique Chirac et au Président de la République lui-même. Le gaullisme, issu de la Seconde Guerre mondiale, est depuis longtemps inadapté à la défense optimale du capitalisme français. La décomposition de la société n’a fait qu’accentuer ce phénomène tout en poussant chaque fraction bourgeoise à défendre toujours plus ses propres intérêts au détriment de l’intérêt national. Face à l’ampleur du rejet de la politique d’austérité du gouvernement Raffarin, de la colère et du mécontentement et malgré tous les efforts des partis gouvernementaux en France, droite et direction du PS confondues, appuyés par les plus importants hommes politiques européens, le "Non" ne pouvait que l’emporter. Une crise sans précédent (au cours de la Ve République) était ainsi ouverte tant dans l’appareil politique français, que sur le terrain de la construction de la Communauté Européenne.
Dès le lendemain du référendum, nous avons eu droit à la constitution d’un nouveau gouvernement concocté par M. Chirac en personne. Le prolétariat pouvait être content, il avait été entendu. Il a eu droit a deux premiers ministres pour le prix d’un seul. A peine formé le gouvernement apparaît pour ce qu’il est : un lieu où s’exprime pratiquement, ouvertement la guerre sans merci que se livrent les différents clans et leaders d’une droite en plein chaos. Mais ce qui est nouveau en France, c’est que le Parti Socialiste est à son tour rattrapé par les effets de la décomposition. Laurent Fabius jusqu’ici considéré comme étant un homme d’Etat, a tout simplement, à propos du référendum, fait passer son propre intérêt personnel au détriment de tout autre considération, sans aucun souci de la défense du capital français.
Pourtant, le Parti Socialiste et notamment sa direction, à l’exception notable de Fabius, a été le Parti le plus impliqué dans la défense du "Oui". De ce fait, la secousse du rejet de la Constitution ne pouvait qu’y être particulièrement marquée. En terme purement électoral, la minorité d’hier autour du "Non" est devenue aujourd’hui majoritaire, alors que la direction du Parti Socialiste se trouve dans une position exactement contraire. La politique de la direction du Parti Socialiste (Hollande, Strauss Khan, Lang) voulant donner une nouvelle impulsion en matière européenne, a tout simplement été rejetée. Fabius, aujourd’hui écarté de la Direction, mais légitimé électoralement en tant que défenseur du "Non", n’a pas manqué de se faire entendre, réclamant, par l’intermédiaire des fabiusiens: "Pourquoi pas un changement de stratégie, voire de direction, à deux ans de la Présidentielle de 2007 ?" Comme l’affirme Le Monde du 30 mai 2005 : "Année de son centenaire, le PS entre donc en crise….François Hollande affaibli et discrédité, Lionel Jospin retiré des affaires (jusqu’à quand ?) et Laurent Fabius renforcé mais mal aimé dans le Parti."
Strauss Khan, annonçait la couleur en affirmant publiquement : "Je ne suis pas sûr que Fabius souhaite continuer avec nous." Si la gauche du PS semble aujourd’hui ne pas vouloir jeter de l’huile sur le feu, cela n’a pas empêché Mélanchon de déclarer sur la chaîne LCI : "Le candidat du PS aux prochaines élections présidentielles en 2007 ne pourra pas être un homme ou une femme qui ait soutenu le "Oui" au référendum." La guerre des leaders ne pourra sans doute finalement pas être évitée au sein de ce parti. Mais la crise du PS ne s’arrête pas seulement à la guerre des chefs, elle prend aujourd’hui toute son ampleur, par le rapport existant entre les thèmes idéologiques et politiques défendus par la Direction du PS et le rejet massif de ceux-ci, venant non seulement des électeurs traditionnels du PS, mais aussi de la majorité de l’électorat.
La crise de la bourgeoisie française est telle aujourd’hui, qu’aucune fraction de droite ou de gauche n’est en mesure de représenter une réelle crédibilité gouvernementale, tant sur le plan national, qu’international. C’est l’Etat français, l’Etat de la classe dominante, garant et défenseur des intérêts de la bourgeoisie, qui se retrouve actuellement affaibli. Cependant, il serait faux et dangereux pour la classe ouvrière de se laisser endormir par la crise présente des forces politiques bourgeoises. Celles-ci vont nécessairement réagir, et notamment au sein du PS, afin de tenter de reconstruire une unité gouvernementale, autour d’un projet politique crédible : même difficile et compliqué, ceci est un impératif pour la bourgeoisie française. Enfin, la classe capitaliste vient de montrer, grâce au front uni de gauche pour le "Non", sa capacité à utiliser ses propres faiblesses contre le prolétariat.
Courrier International du 16 juin 2005, commente en ces termes l’état actuel de l’Europe : "L’Union européenne est en crise, et le sommet des chefs d’Etat et de gouvernement s’annonce particulièrement délicat." Le journal espagnol ABC renchérit : "Sous la double menace d’une crise politique et économique les dirigeants des 25 tentent à Bruxelles de sauver l’Union européenne, d’une des situations les plus complexes de ces dernières décennies." Enfin pour La Libre Belgique : "L’atmosphère est délétère entre les puissances européennes". Pour le prolétariat, il est important de comprendre ce qui alarme ainsi les médias et journalistes bourgeois, ce qui se passe actuellement, réellement sur le terrain européen.
Contrairement à ce que nous rabâche la bourgeoisie, l’Europe n’est pas un havre de paix, destiné à travailler pour la paix dans le monde. Il n’y a qu’à se plonger rapidement dans son histoire pour s’en convaincre. La Constitution de la Communauté Européenne trouve ses racines dans l’immédiat après Seconde Guerre mondiale. L’Europe sera alors financée et soutenue politiquement par les Etats-Unis pour faire face au danger représenté par le bloc soviétique nouvellement constitué. Cette première construction européenne s’est faite en premier lieu sur un terrain économique, avec différents organismes tels la CEE en 1957 (Communauté Européenne Economique). Mais c’est en tant qu’enjeu principal des rivalités impérialistes à l’échelle mondiale que les péripéties de la construction européenne prennent tout leur sens. La France rejettera à deux reprises la candidature de l’Angleterre à la CEE en 1963 et 1967, parce que ce pays est considéré comme le fer de lance de la politique américaine en Europe. Les rivalités impérialistes, qui concernent chaque Etat européen et de grandes puissances mondiales comme les Etats-Unis, ont fait que l’Europe ne pouvait être qu’un espace essentiellement économique, une zone de libre échange, qui se dotera ultérieurement d’une monnaie unique, l’Euro. Cette politique a permis ainsi aux pays d’Europe de développer une défense plus efficace de leurs économies, dans le cadre d’une concurrence mondiale acharnée. Cependant, la possibilité de construire les Etats-Unis d’Europe a toujours été un mythe. Le capitalisme n’a jamais été en mesure de défaire les nations d’Europe, pour construire une sorte de Super Nation Européenne (Voir l'article "L’élargissement de l ‘Europe"dans la Revue Internationale n°112.)
A partir de l’effondrement du Bloc de l’Est, la donne impérialiste va fondamentalement changer. L’éclatement du Bloc Américain, en pleine période de décomposition de la société capitaliste, va entraîner un développement des tensions où chaque Etat va jouer son propre intérêt, en dehors de toute alliance stable et durable, même l’alliance de l’Angleterre et des Etats-Unis n’échappera pas à cette réalité. L’élargissement de l’Europe vers l’Est qui, économiquement, n’a pas une grande importance, atteste par contre du renforcement des enjeux géostratégiques que représente ce continent pour les rivalités impérialistes, comme l'a déjà illustré la Guerre des Balkans. Créé en 1949, l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord), alors organisation permettant de structurer la lutte du bloc américain contre le bloc soviétique, va connaître en 2002 un élargissement lourd de signification politique. De 19 membres, l’organisation passe à 26, avec l’entrée de 7 pays appartenant antérieurement au bloc soviétique : après la Hongrie et la Pologne en 1999, suivent la Bulgarie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie. Un élargissement qui n’a bien sûr aucun sens, si on le comprend comme le renforcement d’une organisation destinée initialement à combattre un bloc qui main-tenant n’existe plus ! De fait le rôle de l’OTAN a évolué. Toujours contrôlé par les Etats-Unis, il fait partie maintenant de l’arsenal de la politique impérialiste des Etats-Unis, en Europe contre la France et l’Allemagne. L’entrée dans l'Union Européenne de ces pays d’Europe de l’Est, peu de temps après leur intégration dans l’OTAN, permet au Herald Tribune d’écrire : "Washington est le grand gagnant de l’élargissement de l’Union Euro-péenne…Selon un officiel allemand l’entrée dans L’Union Euro-péenne de ces pays fondamentalement pro-américain d’Europe centrale et orientale, signifie la fin de toutes tentatives de l’Union de se définir elle même, ainsi que sa politique étrangère et de sécurité, comme alignée contre les Etats-Unis." Pour les mêmes raisons l’Etat américain a tenté d’accélérer le processus d’intégration de la Turquie à l’Europe : ce pays étant pour le moment une base avancée des Etats-Unis au Proche Orient.
Pour sa part, l’impérialisme allemand ne pouvait pas rester sans réagir devant cette offensive en direction de pays considérés comme faisant partie de sa zone historique d’influence.
C’est depuis quelque temps déjà que l’Allemagne travaille à son rapprochement avec la Turquie et certains pays d’Europe Centrale. La Constitution européenne, défendue très fermement par l’Allemagne, la France et l’Espagne, tout en étant reliée à des préoccupations économiques, se voulait en premier lieu le moyen d’affermir le pouvoir du couple franco-allemand dans cette Europe élargie.
L’Allemagne cherchait ainsi à s’affirmer en Europe de l’est et orientale, ce qui ne pouvait qu'irriter Paris qui n'était pas en mesure de conquérir nulle part une influence équivalente et se trouvait condamnée à un affaiblissement relatif face à son puissant allié. Dans cette zone du monde où s'expriment de la façon la plus concentrée les tensions inter-impérialistes, l’échec de la Constitution ne pouvait que fortement favoriser une période de crise grave et d’accélération brutale de ces mêmes tensions.
Pour le Financial Times : "L’heure est bien à la confron-tation." Le président en exercice de l’Union Européenne le luxembourgeois M.Junker ne pouvait que déclarer amèrement le 18 juin dernier, suite à l’échec total du sommet européen : "L’Europe est dans une crise grave." Le budget européen est en panne. Comme le dit Courrier International du 16 juin : "Au final, le Royaume- Uni a estimé que la déclaration soumise par la présidence ne fournissait pas les garanties nécessaires." Puis, citant Tony Blair, qui a riposté aux attaques de la France et de l’Allemagne en matière budgétaire : "Nous devons changer de vitesse pour nous adapter au monde dans lequel nous vivons"…. "C’est un moment de renouveau."
De renouveau, il n’y en aura pas. Par contre, ce qui est vrai et nouveau, c’est que la bourgeoisie en Europe commence à défaire ce qu’elle a eu tant de mal à construire : l’espace économique européen, l’Union Européenne.
En fait de renouveau, nous assistons, en matière économique, à une montée irrationnelle des revendications nationales au détriment du niveau de cohérence atteint jusqu’ici. Comme l’affirme le Financial Times : "A l’instar de l’Allemagne qui ne veut plus être la vache à lait de l’UE, comme ce fut le cas lors du sommet de Berlin de 1999, cette fois ci, les pays qui ont le dessus dans le débat sur le budget européen ne sont pas les plus pauvres, mais ceux qui paient la note. Avec l’Allemagne, l’Autriche, le Royaume-Uni, la France, les Pays-bas et la Suède demandent une réduction du budget qui pourrait s’élever au moins à 800 milliards d’Euro pour la période 2007/2013…" (Cité par Courrier International le 16 juin 2005.) Chacune des principales puissances économique de l’Europe refuse dorénavant de payer pour ce qu’elles considèrent être l’intérêt des autres pays de l’UE. Malgré celle-ci, depuis 10 ans, la concurrence s’est accélérée entre ces divers pays. L’incapacité à se doter d’une gouvernance politique en Europe, sous les effets de la décomposition, du chacun pour soi et donc des antagonismes économiques et politiques entre chaque nation, détermine l’existence et l’ampleur de la crise actuelle dont l’échec du référendum a été un formidable accélérateur. Contrairement à ce que nous raconte la bourgeoisie, la crise actuelle n’est pas due à l’intransigeance de Tony Blair en matière budgétaire, pas plus qu’à la classe ouvrière qui a voté "Non" au référendum.
Cette crise en Europe correspond à l’incapacité pour la bour-geoisie de faire face à l’approfondissement de la décomposition, à la faillite historique de son propre système. En cédant devant les impératifs économiques immédiats et égoïstes, c’est l’espace économique européen qui est fortement affaibli, la capacité de se donner des règles communes de fonctionnement permettant de s’organiser face à la concurrence économique venant d’Amérique ou d’Asie. Sur un plan économique, tous les pays capitalistes européens, à des degrés divers, seront perdants. Sur le plan impérialiste, la crise en Europe et l’affaiblissement du couple Franco-Allemand ne peut que profiter directement aux Etats-Unis et à l’Angleterre. La classe ouvrière doit se préparer à se confronter à la perspective du développement des tensions impérialistes et à un rythme accéléré de développement de la crise économique. La crise en Europe n’est qu’un pas de plus dans le chaos et la décomposition, dans le développement de l’irrationalité croissante du capitalisme.
Tino
Quelques jours avant le vote, chaque "électeur-citoyen" en France a reçu dans sa boîte à lettres le texte complet du Traité, un pavé tout simplement indigeste et illisible. C’est pourquoi, faisant œuvre de pédagogie et d’esprit démocratique, l’Etat y a joint sous forme de petite brochure le "Projet de loi autorisant la ratification du traité établissant une Constitution pour l’Europe" (1). En une dizaine de pages, les axes du Traité y sont exposés simplement. Après cette lecture très instructive, tout électeur était censé pouvoir répondre objectivement, en toute connaissance de cause et donc en toute liberté, à la question référendaire : "Approuvez-vous le projet de loi qui autorise la ratification du traité établissant une Constitution pour l’Europe ?". OUI ou NON !
Seulement, en réalité, ce texte est un tissu de mensonges. De la première à la dernière ligne, l’Europe y est glorifiée, le poison nationaliste et réformiste distillé.
"Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, six nations marquées par l’horreur du conflit et l’expérience de la barbarie, ont décidé d’établir entre elles une union toujours plus étroite, pour rendre la guerre à jamais impossible sur notre continent…" ou encore "Pour une Europe qui soit davantage un pôle de paix et de stabilité dans le monde… " Mensonges ! Les différentes bourgeoisies européennes ne propagent pas la paix mais déchaînent au contraire la guerre partout sur la planète. Faut-il rappeler le déchirement de la Yougoslavie durant lequel la France, l’Allemagne et l’Angleterre ont soutenu et armé différentes fractions, jouant ainsi chacune leur propre carte ? Sous couvert d’humanitaire, c’est la barbarie et les pogromes qu’elles ont attisés sans remord ni retenue. Et que dire de l’implication meurtrière de la France dans le génocide rwandais d’hier ou dans les massacres ivoiriens d’aujourd’hui ? Ce sont ces champions de la guerre, ces dirigeants dont les mains sont couvertes de sang qui osent parler de paix !
La classe ouvrière ne doit pas se laisser berner, l’Union Européenne n’a jamais eu et n’aura jamais pour but la paix. Tout au contraire, elle est une association de malfaiteurs, un regroupement de requins impérialistes (lire page 3). Cette nature profondément belliciste transpire d’ailleurs par tous les pores de ce Traité : "…le traité donne les moyens d’une politique extérieure active pour défendre nos intérêts face aux autres grandes puissances […]. Il jette les bases d’une coopération plus étroite en matière de défense […]. Une agence européenne de défense coordonnera les efforts d’équipement des armées nationales." Telle était effectivement la véritable raison d’être de cette nouvelle constitution. Il s’agissait, pour la France et l’Allemagne, de mieux se coordonner face aux Etats-Unis dans l’arène impérialiste mondiale. Nous sommes loin, très loin, de la volonté de "créer un espace de paix".
A l’intérieur même de l’Union, les rapports entre nations sont fondés sur la concurrence et la rivalité. "Au sein d’une Union réformée, le traité nous [comprendre la bourgeoisie française] permettra d’agir plus fortement encore, en particulier grâce au renforcement de notre place au Conseil des ministres, qui permettra à la France de peser davantage, avec 12% des voix contre 8% aujourd’hui." L’enjeu de la nouvelle Constitution était effectivement pour la France d’accroître son pouvoir au sein de l’Union.
La classe ouvrière ressent dans sa chair, surtout depuis le début de ce siècle, une terrible accélération de la dégradation de ses conditions de vie. Partout dans le monde, et notamment en Europe, les attaques économiques pleuvent sur le prolétariat.
Face à cette réalité, la grossièreté des mensonges de la propagande étatiste en est presque ridicule. A en croire la bourgeoisie, l’Union Européenne serait un nouvel El Dorado. "Pour la croissance et l’emploi, des politiques économiques plus actives permettront de tirer le meilleur parti de la monnaie unique, afin d’augmenter le pouvoir d’achat et de stimuler nos exportations." Le meilleur reste à venir : "toutes les politiques européennes prendront désormais en compte les impératifs sociaux, l’emploi, la protection sociale, la lutte contre l’exclusion, l’éducation, la formation, la santé." Et quand y’en a plus, y’en a encore : "l’Europe s’engage ainsi à assurer sur son territoire un haut niveau de protection sociale." Nous rappellerons simplement qu’au cours de ces dernières années un peu partout en Europe le "pouvoir d’achat" s’est effondré, les prix de l’immobilier se sont envolés, les systèmes de sécurité sociale, d'assurance chômage, de retraite sont progressivement démantelés… La bourgeoisie partout en Europe nous promet plus de santé… elle ne cesse de réduire le nombre de lits et de personnels hospitaliers ! La bourgeoisie nous promet plus d’éducation… les effectifs de surveillants, conseillers d’orientation, infirmiers scolaires, personnel enseignant etc. fondent comme neige au soleil. La bourgeoisie en Belgique nous promet 200.000 emplois… elle s'acharne à organiser la chasse aux chômeurs. Egalement en Belgique, la bourgeoisie nous promet une meilleure protection sociale… pendant qu'elle se lance dans une attaque de grande envergure sur les retraites par sa note "vieillir activement" du ministre socialiste Van den Bossche formulant 67 propositions sans pareille pour sabrer drastiquement dans les retraites et les revenus des personnes en fin de carrière. Pour être plus conforme à la réalité, la bourgeoisie devrait donc plutôt écrire dans sa Constitution : "l’Europe s’engage ainsi à assurer sur son territoire un haut niveau de précarité sociale ! "
Il est alors facile de comprendre que l’ensemble de ces attaques n’ont rien à voir avec telle ou telle politique de gauche ou de droite, ‘euro-sociale’ ou ‘euro-libérale’. Elles sont le fruit inévitable d’un système économique en faillite. Voter OUI ou NON n’avait donc aucun sens. C’était un faux choix, une fausse alternative proposée par la bourgeoisie et qui ne reposait que sur la tromperie.
Pour être juste, il y a au milieu de la fable que nous conte l’Etat une ou deux lignes sans contre-vérité. Les voici : "Une meilleure coopération entre les services de justice et de police… " et "Contre l’immigration clandestine, une politique commune renforcera les contrôles aux frontières… "
Alors que les nations européennes déchaînent la guerre dans les pays périphériques, elles s’organisent pour chasser l’ouvrier immigré hors de leurs frontières. Ceux qui préfèrent vivre dans la misère, et souvent l’exploitation clandestine, en Europe plutôt que de mourir de faim ou assassinés dans leur pays, ceux-là n'ont pas leur place dans cet "espace de paix, de démocratie et de prospérité (sic !). "
Et sous couvert de lutte anti-terroriste, les différentes nations européennes renforcent l’Etat policier. N’ayons aucun doute, la bourgeoisie n’aura aucune hésitation à employer l’ensemble de ces moyens répressifs contre toute la classe ouvrière quand le moment sera venu.
Le torchon qui fut distribué à chaque électeur en France est donc un amoncellement de mensonges grossiers et de manipulations idéologiques. Drapée des valeurs démocratiques, au nom du droit à l’information, la bourgeoisie a tenté de faire oublier à la classe ouvrière la réalité de son quotidien : une paupérisation croissante, une crise économique profonde et continue. Voilà le vrai visage de la démocratie !
Pawel&Ab / 21.06.05
(1) Toutes les citations sont extraites de cette brochure.
Après l’amère défaite subie par le SPD aux élections provinciales du 21 mai en Rhénanie du Nord (NRW), "bastion de la social-démocratie", le chancelier allemand Schröder et le leader du parti Müntefering ont annoncé que les prochaines élections générales auraient lieu à l’automne 2005, c’est-à-dire avec un an d’avance. Les partis d‘opposition chrétiens-démocrates et libéraux ont été unanimes pour saluer la décision de Schröder, déclarant que "chaque jour en moins qui est régi par la coalition des rouges-verts est un bon jour pour le pays". Les fédérations de patrons et les syndicats ont exprimé leur "soulagement" que les "Allemands" aillent eux-mêmes exprimer, dans les urnes, leur soutien ou leur rejet des "douloureuses mais nécessaires réformes économiques". A la Bourse de Francfort, on a parlé d’un "nouvel optimisme" que les élections de l’automne pourraient faire revenir, indépendamment de leur issue politique.
Comment expliquer cet enthousiasme unanime de la classe dominante pour des élections anticipées ? La coalition du SPD avec le parti des Verts a-t-elle si mal géré les intérêts de la bourgeoisie que celle-ci ne peut pas attendre une année de plus pour s’en débarrasser ? Le remplacement du gouverne-ment actuel, qui semble probable, conduira-t-il à un change-ment, par exemple sur la politique économique et sociale, comme l’annonce bruyamment l’opposition actuelle ?
Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi le chancelier veut de nouvelles élections. L'exercice du pouvoir ne se détermine pas uniquement à partir des grands scrutins nationaux mais aussi à travers certaines élections régionales et municipales.
Le SPD se voit écarté du pouvoir en NRW, dans une province qu’il a jusqu’ici gouvernée sans interruption depuis 39 ans. C’est sa neuvième défaite électorale consécutive. Face à un tel déclin électoral de la social-démocratie, sans équivalent dans l’histoire allemande récente, de nouvelles élections sont le dernier recours du chancelier pour éviter l’apparition de luttes ouvertes pour le pouvoir dans son propre parti. En fait, Schröder voit dans ces élections anticipées sa seule chance de rester en lice. Si les Chrétiens-Démocrates gagnent les prochaines élections provinciales de Rhénanie-Palatinat, ils pourront bloquer la plupart des initiatives législatives du gouvernement fédéral.
De plus, Schröder est assez réaliste pour savoir que ses chances d’être réélu cette fois encore sont faibles, et il est préoccupé de la façon dont il va partir. Ainsi, lorsqu’au début des années 1980, face à l’aggravation du chômage de masse et à la montée d’un fort mécontentement dans la classe ouvrière, le SPD a jugé nécessaire de retourner dans l’opposition, c'est l’aile gauche du parti qui a assumé la tâche de préparer le terrain pour faire passer les attaques anti-ouvrières. La façon dont le chancelier social-démocrate de l’époque, Helmut Schmidt, a été chassé du bureau politique par ses propres "camarades" est restée dans l’histoire avec la marque de la disgrâce. Schröder préférerait, comme son prédécesseur Kohl, être démocratiquement et "honorablement" désavoué par le vote.
Pour l’opposition, il n’est pas non plus difficile de voir pourquoi elle tient à des élections anticipées qui apparaissent particulièrement favorables pour les Chrétiens-Démocrates et les Libéraux. D’abord, l’impopularité du gouvernement de gauche - jusque dans l’électorat traditionnel social-démocrate - leur donne des raisons d’être optimistes. Mais cet optimisme est aussi fondé sur le constat que, ces derniers mois, de puissantes fractions de la bourgeoisie allemande ont poussé au départ du gouvernement de gauche. Ainsi, celles-ci se sont assurées que le parti écologiste, les Verts, et leur figure principale, le ministre des affaires étrangères Fischer, soient discrédités. Cela s’est fait grâce à "l’affaire des visas", attaquant le ministre des affaires étrangères à travers la question d’une remise trop "libérale" de visas, accordée surtout à des Ukrainiens, et qui aurait ouvert les frontières à un "flot de criminels".
Cependant, aujourd’hui, la politique impérialiste n’est pas le facteur déterminant de la décision d’avancer les élections générales, ni du gouvernement qui sortira des élections. Il est à présent clair que "l’affaire des visas" a surtout une dimension électorale. Par exemple, elle permet aux Chrétiens-Démocrates de se présenter comme les protecteurs "vigilants du pays contre les criminels étrangers" et de prendre ainsi des voix à l’extrême droite. Mais surtout, elle contribue grandement à sceller le destin de la coalition rouges-verts, donnant à Schröder la justification nécessaire pour appeler à des élections générales.
Comme nous le disions au début de cet article, il est frappant aujourd’hui que non seulement les partis politiques directement concernés, mais toutes les forces principales de la bourgeoisie allemande aient chaudement salué ces élections. Et, alors que le comportement des politiciens s’explique aisément par leur intérêt d’aller au pouvoir, c’est moins évident pour les capitaines d’industrie, les patrons syndicaux, les chefs d’Eglise ou les boursicoteurs. Après tout, le pouvoir de ces élites au sein de l’Etat (sans parler des chefs militaires ou des services secrets qui ne donnent pas leur opinion en public) ne dépend pas de l’existence d’un gouvernement de gauche ou de droite à Berlin. Il est donc évident que l’organisation de nouvelles élections est devenue une affaire au cœur des fractions centrales de la bourgeoisie allemande dans son ensemble, et qu’on ne peut l’expliquer seulement par des calculs politiciens de partis.
La nouvelle situation politique est liée à la situation économique, à l’exacerbation de la crise capitaliste. Ce qui est partiellement en jeu, c'est le maintien ou la reprise de la confiance des investisseurs. La bourgeoisie allemande veut démontrer au monde que les "réformes économiques" (c’est-à-dire les attaques massives contre la classe ouvrière) vont continuer sans ralentir, et même vont s'accélérer. Il n’y aura pas "d’année perdue" ni de "blocage mutuel" des forces politiques jusqu’en 2006.
Mais le simple fait qu’aucun doute ne s’est manifesté sur le fait que le "cours des réformes" se poursuivra - indépendamment de l’issue électorale - nous montre que ce qui est en jeu n’est pas un changement de la politique en cours. Si les rouges-verts finissent par être chassés du pouvoir, ce n’est certainement pas parce que la bourgeoisie est mécontente de leur politique économique, ni parce que l’opposition aurait une alternative à offrir. Ce que les Chrétiens-Démocrates et le FDP ont à proposer n’est que la continuation de ce que le gouvernement Schröder-Fischer a fait pendant sept ans, à savoir ce que chaque gouvernement dans le monde fait aujourd’hui.
Alors, pourquoi toute cette agitation et cette soudaine précipitation ? La bourgeoisie allemande réagit aujourd’hui réellement à un facteur nouveau et significatif de la situation sociale. Ce facteur nouveau n’est pas la crise économique en tant que telle. Cette crise chronique mondiale, en développement incessant, qui est insolvable dans le capitalisme, s’étend et s’approfondit depuis des décennies. Ce qui est nouveau, c’est que la question sociale, le problème des conséquences de la crise pour les ouvriers, pour la classe productrice et exploitée, est revenue au centre de la vie de la société. Cette question sociale a été laissée de côté avec les évènements de 1989, lorsque la faillite du stalinisme servait à crédibiliser le mensonge selon lequel le capitalisme avait gagné une victoire finale, cherchant à enterrer définitivement la classe ouvrière. L’apparition des illusions des années 1990 – la nouvelle économie, le boom de la Bourse, la révolution informatique – a contribué à étendre cette écume d’illusions. Mais les souffrances grandissantes de la classe ouvrière, en particulier à travers le développement grandissant du chômage de masse, ont de plus en plus évacué ces illusions. Aujourd’hui, non seulement dans la périphérie du capitalisme, mais au cœur du système, dans les supposés bastions de l’Etat-providence comme l’Allemagne, la France ou l’Italie, de larges couches de la population ouvrière se sentent immédiatement menacées par le chômage et la paupérisation. En Allemagne, le chômage officiel a dépassé le cap des 5 millions. Cette multitude de chômeurs réveille dans les mémoires la crise économique de 1929. Dans ce processus, les couches de la population qui étaient jusqu’ici considérées comme bien payées et hautement qualifiées sont touchées par l’inquiétude. Ainsi, dans les semaines récentes, les médecins hospitaliers d’Allemagne ont défilé dans la rue et le personnel d’Agfa a découvert que la compagnie s’était retrouvée en banqueroute en une nuit. Aux yeux du monde, dans la conscience des prolétaires eux-mêmes, la question sociale est de retour. Cela oblige la classe dominante à réagir.
Dans un pays comme l’Allemagne, où une augmentation particulièrement brutale du chômage de masse vient d’avoir lieu, la classe dominante doit essayer d’effacer jusqu’aux impressions naissantes qu’il n’y a pas de solution à ce problème dans le capitalisme. Elle doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour créer le sentiment contraire. Elle doit prétendre qu’il existe de meilleures recettes pour dépasser le problème.
Les nouvelles élections constituent une des réponses de la bourgeoisie au danger que la classe ouvrière reconnaisse, ou même suppose, la banqueroute du système capitaliste. Là se trouve l’essence du travail salarié –qui le distingue radicalement des formes précédentes d’exploitation : les exploités peuvent acquérir des biens pour vivre tant qu’ils peuvent être exploités avec profit. Les travailleurs salariés ne sont pas forcés à travailler par l’usage de la violence, mais sont au contraire obligés de rechercher eux-mêmes leurs exploiteurs pour pouvoir survivre. Il est vrai que la bourgeoisie a appris au cours du 20e siècle, face au chômage de masse de plus en plus permanent, à mettre en place des systèmes d’assurance dirigés par l’Etat, afin d’éviter le développement d'une prise de conscience naissante dans la classe ouvrière. Mais aujourd’hui, sous la pression de la crise, la bourgeoisie est contrainte de réduire radicalement ces systèmes d’assurance précisément au moment où le chômage est devenu plus massif et plus permanent. Le développement de la crise pousse ainsi les exploités à ouvrir les yeux sur les réalités de la société de classe.
Cependant, il ne faut pas négliger ce fait que, à travers les manœuvres électorales, les exploiteurs ont gagné du temps afin d’attaquer cette conscience naissante dans le prolétariat. Si, contre toute attente, la coalition rouges-verts était réélue, il lui serait au moins possible de revendiquer que la majorité de la population a elle-même "admis" la nécessité de "réformes". Si le gouvernement est désavoué, la bourgeoisie pourra donner une nouvelle chance à des réformes plus "conséquentes" du nouveau gouvernement. Et en même temps, la social-démocratie (le SPD et les syndicats) – de façon plus crédible qu’aujourd’hui en tant que force de gouvernement – pourra revenir au récent "débat sur le capitalisme" lancé par le chef actuel du parti Franz Müntefering, ravivant les illusions sur la possibilité de limiter le chômage grâce à la limitation par l’Etat de ce qui est appelé la "globalisation" (c’est-à-dire une politique autarcique comparable à la période de préparation à la Seconde Guerre mondiale). Et dans le même temps, on peut compter sur l’ex-patron du SPD, Oskar Lafontaine, qui a quitté le SPD afin de créer une nouvelle alliance électorale d’aile gauche avec le PDS (resucée de l’ancien parti stalinien qui avait gouverné l’Allemagne de l’Est) sur une position "anti-globalisation". Cette initiative semble en fait destinée à réduire encore les espoirs de réélection de Schröder.
Mais de nouvelles élections signifient, de plus, la mise en œuvre de l’idéologie démocratique contre le développement de la conscience, de la combativité et de la confiance en soi du prolétariat. La bourgeoisie sait que le mécontentement monte parmi les ouvriers, les employés et les chômeurs. Elle est aussi consciente que les ouvriers ont pour le moment des difficultés considérables à rentrer en lutte du fait du manque de sentiment clair d’appartenir à une seule classe, du manque de confiance en leurs propres forces, du sentiment de vulnérabilité face au chantage du chômage.
Ici, la bourgeoisie cherche à faire de ces élections un moyen apparemment plus efficace et plus facile pour que les exploités expriment leur indignation et leur insatisfaction. Au lieu de tenir des meetings de masse, d’aller dans la rue ou de se mettre en grève, on leur propose de voter pour "virer" le gouvernement. C’est ainsi que la démocratie travaille. Le gouvernement, ou un parti particulier, agit en paratonnerre qui déclenche la colère de la population. En permettant à celle-ci de le "punir" de cette façon, une lutte ouvrière indépendante est évitée. Pour ne pas laisser la maturation de l’indignation et la solidarité se développer dans la classe, la bourgeoisie cherche à transformer ces sentiments en une réaction de vengeance aveugle, satisfaite de "faire payer" un coupable. Pour éviter que le prolétariat ne sente sa propre force en tant que classe, la bourgeoisie pousse à atomiser les ouvriers dans les isoloirs, où ils sont réduits à un rôle de citoyens au service de l’Etat.
La bourgeoisie veut nous faire croire que cela servira les intérêts ouvriers de "punir" le SPD ou le gouvernement. Mais la règle de l’alternance démocratique des partis au pouvoir veille à ce que cette "punition" ne porte toutefois pas atteinte aux intérêts de l’Etat. Ainsi, la politique du gouvernement actuel sera continuée par ses successeurs. Pour la classe ouvrière, l’enjeu n’est pas de "punir" telle ou telle fraction ou homme politique, mais d’extirper les racines de sa propre exploitation, d’éradiquer la cause de ses souffrances et du manque de perspective pour l’humanité tout entière. Ce qui est nécessaire n’est pas la lutte contre des moulins à vent, contre de simples représentants ou symptômes du système, mais un combat conscient contre le capitalisme.
D’après Welt Revolution n°130, publication du CCI en Allemagne et en Suisse
Cette année, la grande kermesse annuelle de l’organisation trotskiste Lutte Ouvrière, qui s’est tenue les 14, 15 et 16 mai, dans le parc de son château de Presle en France, était placée sous le signe de la nouveauté. Et des nouveautés il y en a eu. La fête de LO a fait "peau neuve" et le résultat n’est pas passé inaperçu.
Alors, "quoi de neuf ?" : cirque ambulant, village dans les arbres, village médiéval (façon Puy du Fou)… mais surtout, clou du spectacle, le village des "pestiférés", ou autrement dit, la cité politique (celle abritant les stands et les forums où d'autres groupes peuvent en principe s'exprimer et qui sert chaque année de vitrine démocratique à l’organisation d’Arlette Laguiller). LO, sans doute soucieuse de prémunir les participants et autres visiteurs de sa fête contre toute contamination a procédé à une véritable mise en quarantaine de la politique, qui n’avait presque plus le droit de cité.
C’est ainsi que la cité politique, traditionnellement située à l’entrée de la fête, un lieu de passage incontournable, s’est vue déportée aux confins de l’endroit dans une forteresse quasi imprenable, tenant sur un mouchoir de poche, pour être remplacée sur l'ancien site par les joutes chevaleresques et les rôtisseries de sire Renault.
Les sympathisants de LO eux-mêmes ne s’y sont pas trompés comme on peut le lire dans certaines réactions sur leur site le "forum des amis de LO" : "l’aspect politique de la fête : j’ai trouvé que la répartition géographique des stands et forums était malvenue, surtout pour les groupes invités [cité politique], placées comme si on voulait les cacher. A mon avis, ça donnait l’impression que l’on voulait mettre de côté le côté politique de la fête…"
Observation juste mais incomplète toutefois. L'isolement et le parcage des discussions politiques dans un ghetto ne sont pas qu’une impression, mais relèvent ici d’une véritable entreprise de sabotage de la réflexion. De ce point de vue, le discours d’Arlette Laguiller, le 16 mai, n’en ressort que plus hypocrite : "nous pensons que le mouvement ouvrier doit être démocratique, accepter et favoriser les débats d’idées dans ses rangs… Que les discussions soient vives, que les idées s’expriment sans contraintes". LO a visiblement une définition très personnelle quant à la manière de "favoriser les débats"… "sans contraintes". En effet, au-delà de l’emplacement ridicule octroyé à la cité politique, qui à ce rythme va se retrouver suspendu dans les arbres, c’est avant tout la discussion et la réflexion politique que LO a cherché à confiner. Les sympathisants trotskistes, là encore, avouent avoir eu beaucoup de peine à localiser les forums de discussions organisés par LO. Pour cause, ils n’étaient pas si nombreux que cela. Et quand ils avaient lieu, c’était pour se dérouler dans des conditions dignes de l’Enfer de Dante, plongés dans le vacarme assourdissant des concerts et du cirque ambulant (d’où l’intérêt qu’il soit ambulant).
Le cordon sanitaire ainsi mis en place n’avait d’autre but que celui de "protéger" les jeunes militants de LO, ses sympathisants, ceux dont elle n’a pas encore fini totalement d'endormir l'esprit critique, et les éléments critiques en recherche de positions politiques présents à sa fête. Les protéger contre quoi ? L'approfondissement et l'élargissement de la maturation de leur questionnement quant à l’avenir de plus en plus cauchemardesque que nous promet le capitalisme et, finalement, la rencontre avec les positions révolutionnaires de la classe ouvrière (1). Celles là même que le CCI, et ses sympathisants, ont défendu, chaque fois que possible, lors de cette fête contre les mensonges déversés par Laguiller & co.
Le challenge aura été aussi pour LO d’endiguer les possibles interrogations suscitées par son positionnement dans le camps du "non de gauche" à propos du référendum sur la constitution européenne. On comprend, en effet, que LO soit gênée aux entournures par le fait de se retrouver sur la même ligne que celle de la LCR (organisation soeur du POS Belge), ATTAC, le PC ou une partie du PS, à savoir le camp des réformistes patentés et des partis de gauche qui au gouvernement n’ont jamais hésité à attaquer la classe ouvrière. C'est pourquoi une préoccupation majeure de LO, durant sa fête, a été de mettre une distance entre son "non" et celui de la "gauche réformiste" et antilibérale. C’est ainsi que LO, dans la plupart de ses forums, s’est égosillée à fustiger la rhétorique anti-libérale pour nous marteler que "ce n’est pas le libéralisme mais le capitalisme qu’il faut combattre". Mais derrière cette belle preuve de pseudo-radicalité dont elle a le secret, LO fait passer, au bout du compte, les mêmes mystifications et sert à la classe ouvrière la même soupe réformiste que les altermondialistes ou les anti-libéraux. C’est la même mixture qui consiste, ni plus ni moins, qu’à dédouaner le capitalisme, faire croire au prolétariat que, si le monde est à feu et à sang, s’il sombre dans toujours plus de chaos et de misère, ce n’est le fait que d’une simple dérive…la dérive néo-libérale dont les responsables sont les patrons bien gras qui font des profits et licencient quand même ou pour reprendre les expressions d’Arlette Laguiller "les grands patrons qui ont un portefeuille à la place du cœur".
Quand ATTAC, organisation phare de l’altermondialisme, nous dit dans sa plateforme que c’est "la mondialisation financière [qui] aggrave l’insécurité économique…" c’est trait pour trait le même discours que tient LO. Ainsi, lors de son forum consacré aux délocalisations, ses militants nous soutenait mordicus que l’économie capitaliste se porte comme un charme et réalise un tas de profit, l'unique problème étant "la dictature des actionnaires".
Dès lors, comme la Fondation Copernic (succursale du PS) qui appelle en votant "non" à la constitution européenne à "remettre à l’endroit ce que le libéralisme fait à l’envers", LO veut nous faire avaler qu’un autre monde… capitaliste est possible. "… les profits sont en hausse…Mais à quoi leur sert ce profit ? A investir dans des usines ? Dans des machines nouvelles ? A créer des emplois ? Non ! Uniquement à enrichir les actionnaires…" Lutte ouvrière n°1908. Que faut-il en conclure ? Et bien "halte à la dictature des actionnaires", "interdisons les licenciements", "réquisitionnons les entreprises qui font des profits et licencient quand même" et rebâtissons un monde nouveau…à savoir un capitalisme mieux régulé et plus moral où les profits servent à acheter des machines et créer des emplois ! Voilà le salmigondis idéologique que nous sert LO et qui trouve entièrement sa place dans l’agitation anti-libérale pour dévoyer la réflexion des ouvriers alors que l'évolution de la situation les pousse à une critique plus radicale du système.
LO dit ne pas vouloir côtoyer des "antilibéraux" et "d’anciens ministres socialistes comme Emmanuelli et Mélenchon qui ont soutenu le gouvernement Jospin…" pourtant, comme les interventions du CCI, lors de la fête, l’ont largement mis en avant, c’est bien dans ce camp, celui de la gauche du capital, que se situe LO.
C’est dans la même veine que, sur la question de l’Europe, à la manière de ses amis du "non de gauche", LO n’hésite pas à laisser entendre, notamment dans son forum "Leur Europe n’est pas l’Europe des travailleurs", que la construction européenne intéresse les ouvriers. Pour LO, non seulement cette dernière pourrait être plus "sociale" mais aussi représenterait d’emblée un pas vers le socialisme ! Ce que soutenait le militant de LO chargé de la présentation de la position de son organisation : "oui, il y a un intérêt pour les travailleurs à avoir une base économique unifiée parce que cela pose les bases économiques pour la société socialiste". Là encore, l’intervention du CCI a démontré qu’il n’y a rien de plus faux. Certes, c’est le capitalisme qui, en permettant un développement considérable des forces productives dans sa phase ascendante, au 19e siècle, a posé les bases objectives pour la réalisation de la société communiste. Ce que Marx appelait "la grande influence civilisatrice du capital" dans Le Manifeste communiste.
Mais cette période est révolue depuis que s’est ouverte celle de la décadence du capitalisme avec la guerre de 1914.
Ce qu’affirme avec force la IIIe Internationale dans sa plateforme : "une nouvelle époque est née : l’époque de la désagrégation du capitalisme, de son effondrement intérieur. L’époque de la révolution communiste du prolétariat." Depuis lors, le capitalisme n’est plus capable de faire progresser l’humanité mais au contraire fait planer au-dessus de sa tête la menace lancinante de son extermination.
LO, en insufflant l’idée que les ouvriers trouvent des éléments de progrès dans la société capitaliste et plus spécifiquement dans la construction de l’Europe, participe à les enchaîner aux seuls intérêts qui se trouvent ici en jeu, à savoir ceux des différentes bourgeoisies nationales.
De même, en jurant que l’Europe est un enjeu pour la classe ouvrière, LO entend bien la rabattre vers les urnes référendaires.
Ainsi, quand LO dit : "Tout en défendant notre politique dans toutes les consultations électorales, nous continuons à affirmer que les changements essentiels pour les travailleurs ne sont jamais sortis des urnes" (allocution d’Arlette Laguiller le 14 mai), elle raconte aussi : "Alors, je dis et je répète à cette constitution nous voterons "non" et nous appelons à voter "non"" (allocution du 16 mai). En somme, le débat sur l’Europe concerne les ouvriers, voter ne changera pas leur condition mais surtout qu’ils votent ! Le secret de cet alambic trotskiste, nous le trouvons dans un autre forum de LO au titre interrogatif : "la classe ouvrière reste t-elle l’outil de la transformation sociale ?" Pour LO (comme pour l’ensemble de la classe dominante d’ailleurs) la réponse ne fait pas de doute, la classe ouvrière est bel et bien la classe révolutionnaire. Et c’est parce que LO a une conscience aiguë de ce rôle historique du prolétariat qu’elle cherche à tout prix à briser cette force en l’atomisant en autant de citoyens isolés et inoffensifs, emprisonnés dans les illusions réformistes et démocratiques de la distillerie électorale : "..il faut une contre offensive générale du monde du travail. Alors camarades, le 29 mai nous appelons à voter non" (allocution du 15 mai).
Alors, quand dans le même discours Laguiller ose dire "…qu’il ne faut pas nous laisser balader de référendum en élection, avec de faux espoirs qui ne peuvent que déboucher sur de nouvelles déceptions", nous ne pouvons que constater l’abîme d’hypocrisie dont est capable LO, elle qui depuis les présidentielles de 1974 est de toutes les élections pour faire la promotion des urnes.
Les interventions du CCI ont eu pour souci de dénoncer les mystifications électoralistes et réformistes colportées par LO contre la classe ouvrière ainsi que de mettre en avant la véritable origine de cette organisation aux antipodes de l’internationalisme et du camp prolétarien. Laguiller racontera évidemment le contraire: "je rappelle que le courant communiste dont nous nous revendiquons affirmait que l’unification de l’Europe était une nécessité à une époque où les hommes de gouvernement, les ancêtres politique de Chirac, désignaient encore l’Allemagne comme l’ennemi héréditaire de la France et que leurs semblables allemands en faisaient autant dans l’autre sens, préparant de part et d’autre ces deux guerres du siècle qui sont devenues des guerres mondiales !" (allocution du 14 mai).
C’est oublier facilement que les ancêtres politiques de Laguiller, le groupe Barta, désignaient pendant la Seconde guerre mondiale l’Allemagne comme "l’ennemi héréditaire" de l’URSS dans son tract Vive l’armée rouge ! du 30 juin 1941 et invitaient les ouvriers à donner leur vie pour la défense de la patrie stalinienne en rejoignant la Résistance : "Dans les groupes de résistance, dans le maquis, exigez votre armement" (La lutte de classe n°24 du 6/02/1944).
Le preux chevalier révolutionnaire que prétend être LO se révèle en fait un vrai Sancho Pança, serviteur du capital. La compréhension de cette réalité du trotskisme est pour le prolétariat un enjeu crucial pour l’avenir.
Azel / 25.05.05
(1) Voir aussi l'article dans Internationalisme n°319, Le refus de stand au CCI à la bourse du livre alternatif de Gand et d’Utrecht: "Si les organisateurs trouvent notre présence indésirable, c’est parce que des éléments en recherche d’élargissement et d’approfondissement de leurs visions politiques, s’intéressent aux analyses de la Gauche Communiste, aux questions que nous posons et aux réponses politiques que nous apportons touchant des sujets d’intérêts pour la classe ouvrière et l’avenir de l’humanité. Ce que les organisateurs veulent en réalité, c’est empêcher qu’une confrontation honnête et ouverte des positions politiques ait lieu. Malgré leurs discours (faussement) libertaires, ils préfèrent se fier à leurs voisins staliniens et d’extrême gauche (pro- ou anti-staliniens) plutôt que de voir la Gauche Communiste trouver un écho pour une claire perspective de classe internationaliste."
Nous continuons notre réponse[1] aux positions exprimées par le GARAS[2] sur la question du syndicalisme de base ou "radical", en montrant en quoi le syndicalisme, "radical" ou non, a perdu aujourd’hui tout lien avec la lutte de la classe ouvrière pour devenir une arme de la bourgeoisie.
D’après le GARAS, les syndicats jouent un rôle négatif parce que "les bureaucraties syndicales qui ne remettent pas en cause le capitalisme sont contre nous dans cette lutte, ou ne se donnent pas les moyens de tenir le rapport de forces." Pour le GARAS, avec la crise économique "le syndicalisme réformiste, de concertation sociale, de cogestion avec l’Etat et le patronat n’est plus aussi nécessaire qu’auparavant.[3]" Bref, ce type de syndicalisme est révolu, il faut maintenant un syndicalisme plus efficace.
Le GARAS se fourvoie complètement en réduisant la critique des syndicats à celle de leur direction bureaucratique. Sa position sur le syndicalisme reflète l’absence de méthode, l’approche a-historique typique de l’anarchisme. La nature de classe d’un type d’organisation doit être examinée d’après son rôle dans les moments où les classes s’affrontent ouvertement. Et là, comme l’établit l’expérience de la classe ouvrière mondiale, il est nécessaire de faire la distinction entre les périodes historiques de l’ascendance du système capitaliste et de sa décadence depuis 1914. Depuis, le syndicalisme sous toutes ses formes, n’est plus une arme pour la classe ouvrière. "Il y a un aspect commun dans le développement ou, plus exactement dans la dégénérescence des organisations syndicales modernes dans le monde entier : c’est leur rapprochement et leur intégration au pouvoir d’Etat. Ce processus est également caractéristique pour les syndicats neutres, sociaux-démocrates, communistes et anarchistes. Ce fait indique que la tendance à s’intégrer à l’Etat n’est pas inhérente à telle ou telle doctrine, mais résulte des conditions sociales communes pour tous les syndicats.[4]"
Au 19e siècle, les syndicats ont été forgés de haute lutte par le prolétariat et formaient une organisation permanente de la classe destinée à permettre la résistance organisée face au capital. Les marxistes, à cette époque, ont toujours soutenu les syndicats, comme un pas important dans l’effort de la classe ouvrière pour développer sa solidarité, s’unir en vue de se constituer en classe qui défend ses intérêts face à la bourgeoisie. Les luttes du prolétariat s’orientent en vue d’obtenir des réformes durables pour l’amélioration de ses conditions de vie. Celles-ci sont conçues comme moyen de développer l’unité et la conscience de la classe en vue de la préparation à la lutte révolutionnaire pour la destruction de l’Etat bourgeois et de la société qui l’engendre. Les outils que se forge alors le prolétariat, notamment les syndicats, constituent un moyen d’action sur "le terrain de l’ordre social bourgeois" et correspondent à "une simple phase, un simple stade dans la lutte de classe prolétarienne globale dont le but final dépasse aussi bien, et dans la même mesure, la lutte parlementaire et syndicale.[5]" Alors que les anarcho-syndicalistes considèrent les syndicats comme la panacée pour la lutte des classes, et même comme l’organe de la révolution, les marxistes ont constamment souligné les limites du mouvement syndical : "tous ces efforts ne peuvent modifier la loi économique qui règle les salaires en fonction de l’offre et de la demande sur le marché du travail. Autrement dit : ces associations sont impuissantes contre toutes les grandes causes qui déterminent cette offre et cette demande.[6]" Pour la classe ouvrière, classe exploitée, l’obtention de réformes ne peut pas signifier son affranchissement. Le sens réel de la lutte du prolétariat réside non dans l’aménagement de son exploitation mais dans la lutte pour la destruction de l’exploitation. Les marxistes luttent contre les tendances réformistes dans les syndicats qui tendent à réduire la lutte à la seule lutte économique, négligeant leur rôle politique "d’écoles du communisme" et oubliant la perspective de l’abolition du salariat : "Les syndicats ont envisagé trop exclusivement les luttes immédiates contre le capital. Ils n’ont pas encore compris parfaitement leur force offensive contre le système d’esclavage du salariat contre le mode de production actuel. C’est pourquoi ils se sont tenus trop à l’écart des mouvements sociaux et politiques généraux.[7]"
Le réformisme, mis à profit par la bourgeoisie, forme pour elle un "moyen beaucoup plus efficace que les mesures brutales et stupides[8]" pour entraver le mouvement du prolétariat vers le socialisme : ainsi en France avant 1870 : "les syndicats étaient poursuivis et frappés de sanctions draconiennes. Cependant, peu après que la Commune eut inspiré à la bourgeoisie une peur panique du spectre rouge, un brusque changement s’opéra (…)" ; la bourgeoisie, pour récupérer les syndicats, "commence à encourager le mouvement syndical, à faire pour lui une active propagande[9]" tant il est vrai que la seule lutte que la bourgeoisie craint vraiment est celle contre le caractère de marchandise de la force de travail.
Avec l’entrée du système capitaliste dans son époque de décadence (avérée avec l’éclatement de la première guerre mondiale en 1914), qui ne permet plus l’obtention de réformes durables par le prolétariat, se dérobent sous les pieds du syndicalisme les fondements qui permettaient à la classe ouvrière d’en faire une arme contre la bourgeoisie.
L’année 1905 constitue une étape importante. De nouvelles formes de luttes adaptées à l’objectif révolutionnaire, et indiquant l’entrée de la lutte des classes dans une nouvelle phase, apparaissent : la grève de masse qui implique dans la lutte les larges masses du prolétariat et les conseils ouvriers, forme enfin trouvée de la dictature du prolétariat : "Les soviets des députés ouvriers sont des organes de la lutte directe des masses. Ils ont été créés comme des organes de lutte par la grève. (…) ils sont rapidement devenus des organes de lutte révolutionnaire générale contre le gouvernement. Ils se sont irrésistiblement transformés (…) en organes insurrectionnels.[10]" Au même moment, les syndicats jouent de plus en plus un rôle de frein par rapport à la lutte des classes : en Allemagne "lorsque les mineurs organisèrent des grèves massives en 1889 et 1905, les syndicats ne furent pas à l’origine de ce mouvement. En 1905, ils tentèrent même de forcer les grévistes à une retraite prématurée (…)[11]" Alors que la classe ouvrière cherche à tirer les leçons de cette expérience fondamentale, le congrès des syndicats allemands de Cologne (mai 1905) condamne la grève de masse politique comme moyen pour la lutte des classes et appelle les ouvriers à s’opposer énergiquement à toute tentative faite pour la mettre en pratique. Parallèlement, une véritable haine du communisme se développe au sein des syndicats, dont les dirigeants déclenchent des campagnes de calomnies indignes contre les militants qui rappellent les limites objectives tracées par l’ordre social bourgeois à la lutte syndicale et défendent les buts finaux du mouvement ouvrier. L’enfoncement du système capitaliste dans sa décadence, interdisant de plus en plus nettement l’obtention de réformes durables, entraîne le surgissement du conflit ouvert entre le syndicalisme confiné dans les limites du capitalisme et la classe ouvrière qui, elle, doit regarder au-delà du capitalisme. La bureaucratisation qui submerge de plus en plus les syndicats ne résulte pas d’un problème d’autorité en leur sein, mais de la perte progressive de leur caractère prolétarien par ces organes.
L’antagonisme irréductible avec les intérêts de la classe ouvrière est scellé au cours de la première guerre mondiale, où les syndicats s’intègrent au capitalisme d’état, comme pièce maîtresse du dispositif étatique destiné à pérenniser la soumission du prolétariat aux intérêts de la bourgeoisie. Face à la guerre, les syndicats trahissent l’internationalisme en soutenant la politique d’Union sacrée de défense nationale, participent à embrigader le prolétariat dans le massacre impérialiste en réprimant toute opposition de sa part à celui-ci. Ensuite, face à la vague révolutionnaire des années 1920, ils s’affirment comme le principal rempart de l’Etat capitaliste. "Les syndicats sont employés par les chefs et par la masse de ses membres comme arme contre la Révolution. C’est par leur aide, par leur soutien, par l’action de leurs chefs et en partie aussi par celle de leurs membres que la révolution est assassinée. Les communistes voient leurs propres frères fusillés avec l’aide des syndicats. Les grèves en faveur de la Révolution, sont brisées.[12]" Pour imposer son pouvoir et renverser l’Etat capitaliste, la classe ouvrière ne peut désormais développer sa lutte qu’en dehors et contre les syndicats : syndicalisme et révolution prolétarienne empruntent des voies qui s’excluent complètement.
Le syndicalisme révolutionnaire et l’anarcho-syndicalisme n’ont pas connu un sort différent du syndicalisme en général dans la décadence du capitalisme : celui de se transformer en outil aux mains de l’appareil d’Etat.
Les principes même du syndicalisme révolutionnaire qui prétend "bâtir la nouvelle société dans la coquille de l’ancienne" le condamnent à ne développer son action que comme un réformisme radical, c’est-à-dire à l’intérieur et sous l’emprise des lois du système capitaliste. En défendant l’autogestion, il défend en réalité l’auto exploitation des prolétaires. "Le syndicalisme révolutionnaire revient en fait à prôner la reconduite par les ouvriers de la propriété privée, la propriété privée d’un capitaliste devenant alors la propriété privée d’un groupe d’ouvriers, chaque usine, chaque entreprise, gardant son autonomie par rapport aux autres. Selon cette vision, la transformation à mettre en œuvre est si peu radicale que les mêmes ouvriers continueront à travailler dans les mêmes industries et, nécessairement, dans les mêmes conditions.[13]" Voilà une idéologie mystificatrice idéale pour permettre au capital de maintenir son système sur ses pieds !
Le refus de la politique "corruptrice" par le syndicalisme révolutionnaire et sa conception selon laquelle la lutte du prolétariat pour son émancipation ne peut avoir lieu que sur le terrain économique désarment complètement le prolétariat face aux moments décisifs que forment la guerre et la révolution : "Toutes les questions qui se posent entre 1914 et 1936 sont des questions politiques : quelle est la nature de la guerre qui éclate en 1914, guerre impérialiste ou guerre pour la défense des droits démocratiques contre le militarisme allemand ? Quelle attitude adopter face à la démocratisation des États absolutistes en février 1917 (Russie) et en 1918 (Allemagne) ? Quelle attitude adopter envers l’Etat démocratique en Espagne en 1936, ennemi bourgeois ou allié antifasciste ? Dans tous les cas le syndicalisme révolutionnaire se révèle incapable de répondre, et finit par sombrer dans l’alliance de fait avec la bourgeoisie.[14]"
L’anarcho-syndicalisme, de par sa composante anarchiste fondamentale, concentre à l’extrême les tares et les faiblesses de ce courant. Il s’est développé surtout dans les pays où dominaient les petites entreprises et où subsistaient de nombreuses structures précapitalistes et agraires (Italie, Espagne, France…). Né à l’époque de la 1ère Internationale parmi les artisans horlogers du Jura, l’anarcho-syndicalisme reste fortement attaché à l’idéologie petite-bourgeoise du petit producteur individuel. Si la conception de la lutte ouvrière comme celle de l’action non d’une classe mais d’une minorité agissante, le triomphe du particularisme d’une fraction de la classe au détriment de l’intérêt général de toute la classe, tout comme l’enfermement dans un localisme borné que suppose le fédéralisme, en constituent les principaux stigmates ; c’est cependant l’apolitisme anarchiste d’un "syndicalisme qui se suffit à lui-même" qui le caractérise par-dessus tout.
En France, le développement de l’opportunisme dans le parti socialiste restreignant la lutte ouvrière à la seule lutte parlementaire et conduisant à l’entrée d’un ministre socialiste au gouvernement en 1899-1901 a eu pour effet le renforcement dans le prolétariat de l’emprise des préjugés anarchistes qui voyaient dans la lutte pour des réformes et même dans toute lutte politique la source des dérives réformistes. Face à l’effort de la Seconde Internationale pour surmonter la crise réformiste et construire, en 1905, un parti socialiste unifié la CGT réplique, au nom du rejet de toute "théorie et plans préconçus", par la charte d’Amiens où elle déclare, en 1906, sa totale indépendance vis-à-vis de ce parti.
Le rejet de toute influence politique ne pouvait qu’affaiblir encore un peu plus le prolétariat. En lui interdisant de s’affirmer sur le plan politique, c’est-à-dire en le soumettant davantage à l’idéologie dominante, l’anarcho-syndicalisme condamnait le prolétariat à n’être que le jouet de la bourgeoisie. Finalement, face à la guerre, les principes moraux et les jugements de valeur de l’anarchisme (qui, entre deux maux, opte toujours pour le moindre, en l’occurrence le camp impérialiste le moins "autoritaire") et qui, en définitive, inspirent l’action de l’anarcho-syndicalisme, n’ont fait que rendre plus complet le naufrage de la CGT. En 1914 elle passe avec armes et bagages au soutien à la guerre impérialiste mondiale, contribue à embrigader le prolétariat sur le front et fournit à la République bourgeoise plusieurs de ses ministres pendant la guerre.
La nécessité dans laquelle va se trouver de plus en plus le prolétariat de développer sa lutte va l’amener à faire encore et encore l’expérience du sabotage de ces organes d’Etat que sont les syndicats. La réappropriation non seulement de ce qu’ils sont effectivement, mais aussi que le syndicalisme n’est plus une arme pour la classe ouvrière sera essentielle à terme pour le renforcement de la lutte des classes. Entamer aujourd’hui une telle réflexion engage l’avenir : pour ce faire il est impossible d’accorder sa confiance à des groupes tels que le GARAS qui prétendent apporter une alternative à la lutte des classes en ressortant une énième édition des mystifications pourvoyeuses d’illusions sur les syndicats pour lesquelles le prolétariat a déjà maintes fois payé le prix du sang.
Scott
[1] Voir Internationalisme n° 318.
[2] GARAS (Groupement d'Action et de Réflexion Anarcho-syndicaliste), c/o CNT-AIT, BP 31303, 37 013 Tours Cedex 1
[3] Lettre de liaison n°6, p.4 (publication du GARAS)
[4] L. Trotski, Les syndicats à l’époque de la décadence impérialiste, 1940 (Marxists.org).
[5] R. Luxembourg, Grèves de masses, parti & syndicats, Œuvres 1, Maspero, p.162
[6] F. Engels, La situation de la classe laborieuse en Angleterre, chapitre "mouvements ouvriers"
[7] Résolution du 1er Congrès de l’Association Internationale des Travailleurs, Genève, 1868.
[8] K. Kautsky, Le Programme socialiste, 1892
[9] R. Luxembourg, Introduction à l’économie politique, chapitre 5
[10] Lénine, La dissolution de la Douma et les tâches du prolétariat, 1906
[11] W. Abendroth, Histoire du mouvement ouvrier en Europe, p.62
[12] H. Gorter, Lettre ouverte à Lénine, 1920
[13] Revue Internationale n°118, article "Ce qui distingue le mouvement syndicaliste révolutionnaire".
[14] Idem
Tout comme l’avait fait le père de l’actuel président des Etats-Unis au moment de la première guerre du golfe, promettant un "nouvel ordre mondial", les grands dirigeants de ce monde, réunis dernièrement à Moscou pour commémorer la capitulation de l’Allemagne, eux aussi, nous annoncent encore et toujours la "paix". Mais tous ces discours ne relèvent que de la propagande et du mensonge !
Les derniers événements violents au Togo, apportent un démenti supplémentaire aux prétendues politiques "de paix" des grandes puissances, en particulier celles qui entretiennent le mythe d’une "Europe pacifique", la France et l'Allemagne.
Il faut se rappeler que l'Allemagne et surtout la France se sont hypocritement présentées comme les chefs de file d'un "camp de la paix" pour s'opposer à la politique américaine lors de la guerre en Irak en 2003, alors qu'elles s'étaient elles-mêmes illustrées comme des fauteurs de guerre tout au long des années 1990. C'est afin de défendre ses propres intérêts aux dépens de la Serbie que l'Allemagne a favorisé l'éclatement de l'ex-Yougoslavie et provoqué le déclenchement de la guerre dans la poudrière des Balkans en poussant la Slovénie et surtout la Croatie à proclamer leur indépendance en 1991. La France devait pour sa part assumer un rôle tout aussi criminel dans la région en couvrant en toute complicité et sous couvert de l'ONU les massacres et les exactions des troupes serbes à l'encontre de la population bosniaque dans le réduit de Srebrenica en 1993. Sur le continent africain, l'impérialisme français a multiplié des menées criminelles tout au long des années 1990 pour chercher à maintenir son influence déclinante et menacée. Après le génocide du Rwanda en 1994, qui avait fait plus de 500 000 morts, où la responsabilité directe de la France a été engagée via l’opération "Turquoise", les massacres à grande échelle dans laquelle l'impérialisme français a été impliqué, se sont développés dans la région des Grands Lacs, en Côte d'Ivoire, au Soudan et un peu partout en Afrique, comme par exemple en 2003, lorsque 60 000 personnes étaient assassinées en Ituri, sous le regard bienveillant des forces françaises au sein de l’ONU.
Aujourd’hui, plus que jamais, dans le cadre d’un monde sinistré, c’est le continent africain, totalement ravagé par la guerre, qui fait les plus grands frais des rapines et des mœurs de tous les gangsters impérialistes où chacun veut maintenir son influence au prix de chocs militaires de plus en plus violents.
C’est au tour du Togo d’être en proie à une forte désta-bilisation, plongeant la population dans la terreur.
La mort du général président Gnassingbé Eyadema, début février dernier, a été l’événement déclencheur d’affron-tements latents entre cliques bourgeoises togolaises près desquelles se sont exprimées directement les convoitises des puissances impérialistes rivales. Parmi elles, la bourgeoisie française a cherché à masquer ses objectifs politiques. Soutenue par des puissances locales (notamment le Ghana, le Burkina et la Libye), elle s’est aventurée à parrainer le fils du président "ami de la France" défunt pour tenter de renforcer sa présence localement. Ainsi, c’est appuyé par l’armée et par Paris que le jeune putschiste a pu ainsi se maintenir après son coup d’état, grâce au simulacre d’élections « démocratiques », pour tenter de contrer l’opposition et répondre formellement aux exigences de l’UA (Union Africaine) et du CEDEAO (communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest). La victoire de Faure Gnassingbé, reconnue officiellement par une cour constitutionnelle inféodée, correspond bien à un coup de force dans lequel l’armée a joué un rôle central : c’est elle qui a tenu les bureaux de vote et embarqué les urnes à la clôture des bureaux ! Et ce sont ces pratiques, assorties préalablement de pressions sanglantes sur les opposants, que la France a couvert en totalité de son autorité pour imposer son soutien « amical » au nouveau président fraîchement élu et très contesté dans le pays. Une configuration politique qui place néanmoins la bourgeoisie française dans une situation délicate pour résister à ses rivaux.
L’opposition, quant à elle, dont la coalition animée par Akitani Bob avait refusé les résultats des élections gagnées par son adversaire, fait l’objet d’une fermentation politique où les grenouillages ne masquent plus les appuis de l’impérialisme allemand. Si ce dernier a toujours affiché un soutien quasi-officiel à l’opposition Togolaise depuis une quinzaine d’années, c’est de façon maintenant beaucoup plus ouverte en effet qu’il tente désormais d’avancer ses pions. Aujourd’hui, la confrontation est montée d’un cran entre les deux puissances impérialistes que sont la France et l’Allemagne. En fait, le Togo est une des anciennes colonies de l’Allemagne. C’est à partir de 1884 que Gustav Nachtigal, qui avait été nommé consul à Tunis quelques années avant, établit un protectorat allemand sur le Togo, dont les limites seront fixées en 1899. A la suite, les tensions entre les puissances coloniales vont augmenter et s’exacerber. Après la Première Guerre mondiale, c’est le traité de Versailles qui va déclarer que l’Allemagne était « indigne » de posséder des colonies, ce qui va permettre aux vainqueurs français et anglais de s’en emparer. Pour masquer la nouvelle conquête, sous l’autorité de la SDN (1), la France recevra mandat de la plus grande partie du Togo et de celle du Cameroun. Sous mandat de l’ONU en 1946, le Togo deviendra formellement indépendant en 1960, restant dans le "pré carré" de la France, puissance du bloc impérialiste occidental chargée durant la guerre froide du rôle de gendarme en Afrique contre les menées du bloc militaire soviétique. Durant cette période même, comme elle le montre à nouveau de façon plus marquée aujourd’hui, l’Allemagne n’a jamais renoncé à ses prétentions sur le Togo. C’est ce qu’illustre, parmi de nombreux autres exemples, les faits rapportés ici : « Sylvanus Olympio, le premier président du Togo, réputé pro-allemand, invite démonstrativement le Duc Adolph Friedrich zu Mecklenburg, le dernier gouverneur allemand du pays, aux célébrations de l’indépendance en avril 1960. Lorsque trois années plus tard, Olympio projeta de remplacer la monnaie togolaise -le franc CFA- par une nouvelle monnaie orientée sur le deutschemark, il fut assassiné. Dans cette action est impliqué le futur président togolais, Gnassingbé Eyadéma, un ex-officier de la Légion étrangère française. Le camp vassal francophone emportait ainsi provisoirement la décision dans cette lutte d’influence » (2). Il n’est donc pas étonnant que le gouvernement allemand, qui n’a eut de cesse de solliciter et d’intervenir auprès de l’opposition, le fasse plus librement aujourd’hui, sans les contraintes des blocs militaires : « En avril 2000, le ministre d’Etat aux Affaires étrangères, Ludger Volmer [estampillé "vert"] reçoit le dirigeant de l’opposition togolais Yawovi Agboyibo qui avait été auparavant libéré de prison sous la pression de l’Allemagne » (2) Actuellement, les faveurs de Berlin vont aussi vers « le dirigeant le plus marquant de l’opposition (…) Gilchrist Olympio, un fils du président Sylvanus Olympio assassiné en 1963. » ! (2)
La prise de position de Berlin et sa politique raniment ainsi les luttes pour l’hégémonie au Togo et dans les pays de l’ouest africain. En retour, ce n’est pas un hasard si l’ambassade d’Allemagne est la cible d’attaques et que l’ancien ministre de l’intérieur, François Esso Boko, qui avait dénoncé le processus électoral, se soit réfugié dans ses locaux. De même, ce n’est pas un hasard non plus si un centre culturel allemand, l’institut Goethe, a été détruit et incendié par des militaires cagoulés et que l’Allemagne ait été obligée de rapatrier ses ressortissants.
Dans ce bras de fer, bien évidemment, les deux ex-puissances coloniales que sont la France et l’Allemagne ne sont pas les seuls protagonistes à grenouiller. Au premier chef, les Etats-Unis, qui ont du faire face au refus de l’assemblée nationale togolaise de toute aide à propos d’une formation pour la tenue des bureaux de votes, se sont empressés de faire pression appelant à « un gouvernement d’union nationale au Togo » ; afin de tenter d’imposer leur autorité impérialiste, tant sur les « vainqueurs » que sur les « vaincus » de ces élections. Plus discrètement et compte tenu du caractère composite de l’opposition, il est certain que l’impérialisme britannique est aussi à l’œuvre dans un Togo perçu comme « une enclave francophone au cœur de l’Afrique occidentale anglophone » (3).
Les premières violences des luttes de cliques, la répression et les poussées impérialistes ont déjà à l’actif le massacre officiel de plus d’une centaine de personnes. A cela, il faut ajouter les milliers de Togolais qui fuient de façon éperdue vers les frontières et le Bénin voisin. L'échec récent de la conférence d'Abuja, "arbitrée" par d'autres Etats africains est venu confirmer l'impasse et le caractère explosif de la situation.
Le regain des tensions impérialistes entre la France et l'Allemagne au Togo par fractions locales interposées, apporte un cinglant démenti à la propagande vantant le couple franco-allemand comme un facteur de paix et de stabilité pour l'Europe et pour le monde.
La réalité se charge de démontrer non seulement qu'il n'y a pas de paix possible dans le capitalisme mais que la défense des intérêts impérialistes de chaque Etat est un puissant accélérateur de chaos et d'instabilité qui entraîne les populations vers de nouveaux massacres dans des zones de plus en plus étendues du monde.
WH / 25.05.05
(1) Société des Nations, ancêtre de l’ONU, qualifiée à juste titre de "repaire de brigands" par Lénine.
(2) Extraits de l’article "Hegemonialkämpfe in Afrika" du 3 mars- sur germanforeignpolicy.com.
(3) A. Chauprade, Géopolitique, coll. Ellipses p. 125.
“700 vols annulés, 70 000 passagers pris en otage par une poignée d’irresponsables en pleine période de vacances”, tel a été le message matraqué sans relâche par la presse et tous les médias britanniques à propos de la grève qui a paralysé, du 11 au 14 août, l’aéroport londonien d’Heathrow. A sa façon, la violence et la hargne avec lesquelles la bourgeoisie a condamné les grévistes révèle la portée historique de cette lutte ouvrière. C’est en effet quelques semaines après les attentats de Londres du 7 juillet et alors que la bourgeoisie tentait de relancer l’union nationale à travers sa campagne anti-terroriste, qu’un millier de travailleurs de l’aéroport se sont spontanément mis en grève par solidarité avec les 670 ouvriers de l’entreprise américaine de restauration Gate Gourmet, sous-traitante de British Aiways, dès l’annonce de leur licenciement.
Ce licenciement était déjà le résultat d’une politique cynique et provocatrice de l’entreprise, visant à remplacer les salariés actuels, la plupart d’origine indo-pakistanaise par une main-d’œuvre encore meilleur marché venue des pays de l’Est. Cette grève de solidarité illustre de façon éclatante la remontée de la combativité ouvrière. Ceci est d’autant plus significatif dans un pays où le recul du prolétariat s’est accompagné d’une profonde démoralisation après les défaites sévères qu’il a subies en 1979 et 1984, notamment à travers la grève des mineurs. Cette lutte traduit surtout la véritable nature du prolétariat avec la mise en avant des valeurs les plus essentielles de l’espèce humaine qui sont au cœur des combats ouvriers, telles que la solidarité et le sens de la dignité dans son refus de l’inacceptable face à toute l’infamie de la bourgeoisie.
En même temps, cette reprise de la lutte de classe se confirme à l’échelle internationale en offrant les mêmes caractéristiques que celles d’Heathrow. Après la lutte des ouvriers de Mercedes-Daimler-Chrysler en Allemagne l’an dernier, en Inde courant juillet, à une vingtaine de kilomètres de la capitale New Delhi, ce sont des milliers d’ouvriers de la filiale de Honda qui ont manifesté leur solidarité envers 30 de leurs camarades licenciés, en passant outre le cadre légal du droit de grève. Ils ont dû se confronter à une très violente répression de la police anti-émeutes. En Argentine vient de se produire une vague de luttes (sur laquelle nous reviendrons ultérieurement) où se manifestent les mêmes tendances vers le développement d’une solidarité ouvrière. Du 8 au 11 août, une grève dans les mines d’or d’Afrique du Sud, bien que restant sous le contrôle syndical du NUM, a été suivie par 130 000 mineurs, constituant le plus grand mouvement de grève du pays depuis 1987. Tous ces événements sont révélateurs des potentialités contenues dans le développement international des luttes ouvrières, qui sont un exemple comme un encouragement pour l’avenir de la lutte de classe.
Les médias – la voix de l’État et de la classe dominante – se sont furieusement déchaînés contre les grévistes de Heathrow. Comment ces ouvriers ont-ils osé faire passer leur solidarité de classe avant les profits de l’entreprise ? Ne savent-ils pas que des choses comme la solidarité ouvrière et la lutte de classe sont dépassées ? Tout cela serait passé de mode depuis les années 70, n’est-ce pas ? Selon un responsable d’un concurrent de British Airways, cité par le Sunday Times du 13 août, »par beaucoup d’aspects, l’aviation reste la dernière industrie non restructurée… Elle ressemble aux docks, aux mines et à l’industrie automobile des années 70". Ces espèces de «dinosaures» ne savent-ils pas que le principe de la société actuelle est «chacun pour soi», et pas «prolétaires de tous les pays, unissez-vous» ?
Il est pourtant étonnant de voir comment cette «nouvelle» philosophie de la liberté individuelle n’empêche pas les patrons d’exiger une obéissance absolue des esclaves salariés. Certaines voix médiatiques, il est vrai, ont durement attaqué les provocations ouvertes de la compagnie Gate Gourmet : alors que les employés de la restauration tenaient une AG pour discuter de la réponse à apporter à la stratégie de la direction visant à les licencier, les vigiles ont bouclé la salle et 600 ouvriers – y compris ceux qui étaient arrêtés pour maladie ou en vacances – ont été licenciés sur-le-champ pour avoir pris part à une réunion non-autorisée, certains d’entre eux étant avertis par mégaphone. Cette réaction n’est sur le fond qu’une expression un peu plus caricaturale de la morgue patronale largement répandue. Celle-ci avait notamment été illustrée par la suppression, par la société Tesco, de l’indemnité pour les trois premiers jours d’arrêt de maladie – d’autres entreprises lorgnant avec intérêt sur cette nouvelle «réforme». Déjà, les magasiniers étaient suivis électroniquement afin de s’assurer qu’aucune seconde du temps de travail ne soit gaspillée pour l’entreprise. Le climat politique actuel – alors que nous sommes tenus d’accepter toutes les tracasseries policières au nom de «l’anti-terrorisme» - n’a fait qu’accroître l’arrogance des patrons.
Ces attaques ne dépendent pas de tel ou tel patron particulièrement «cupide» ou adoptant des méthodes «américaines». La brutalité croissante des attaques contre les conditions ouvrières de vie et de travail est la seule réponse de la classe capitaliste à la crise économique mondiale. Il faut baisser les coûts, augmenter la productivité, tailler dans les retraites, réduire les indemnités-chômage, car toutes les entreprises et tous les pays sont engagés dans une lutte désespérée pour épuiser leurs concurrents sur un marché mondial saturé.
Et face à ces attaques, la solidarité ouvrière est notre seule défense.
Les bagagistes et les autres équipes à Heathrow, qui sont partis en grève dès l’annonce des licenciements massifs, ont montré une parfaite conscience de tout cela. Eux-mêmes avaient subi le même genre d’attaques et ont dû mener des luttes similaires. Le débrayage immédiat a tout de suite montré la force des ouvriers quand ils prennent part à une action déterminée et unie. C’est la seule base sur laquelle contraindre les patrons à réintégrer les ouvriers virés, et cela fera pendant un certain temps hésiter les patrons de l’aéroport de lancer de semblables attaques. Isolés en catégories, les ouvriers sont des proies faciles pour la classe dominante. Au moment où la lutte commence à s’étendre à d’autres ouvriers, il en va tout autrement.
Mais il y a une signification bien plus importante de la solidarité ouvrière.
Dans une société qui s’effondre autour de nous, le «chacun pour soi» prend la forme des bombes terroristes, des attaques racistes, du gangstérisme et de la violence permanente sous toutes ses formes. La solidarité des ouvriers au-delà de toute corporation, de toute division religieuse, sexuelle ou nationale apporte le seul antidote à ce système, le seul point de départ pour la création d’une société différente, basée sur les besoins humains et non sur la recherche du profit. Face à un système en train de sombrer dans un état de guerre généralisé et l’auto-destruction, il n’est pas exagéré de dire que la solidarité de classe est le seul véritable espoir de survie pour l’espèce humaine.
Le fait que ce ne soit pas un vain espoir est beaucoup plus clair dès lors qu’on regarde au-delà des frontières de la Grande-Bretagne. Ces deux dernières années, il y a eu un regain de luttes ouvrières après des années de désarroi. Au cours des plus importantes d’entre elles – la lutte des ouvriers français contre les attaques sur les retraites en 2003, celle des ouvriers de l’automobile en Allemagne contre les réductions d’effectifs – la solidarité a été un élément fondamental. Ces mouvements ont confirmé que la classe ouvrière internationale n’a pas disparu et n’est pas défaite.
Naturellement, les médias ont tenté de dissimuler la signification réelle des actions de solidarité de Heathrow. Ils ont commencé par parler des liens de voisinage entre les employés de la restauration, les bagagistes et les autres employés de l’aéroport. C’est vrai qu’ils existent, mais la majorité des employés de la restauration sont d’origine indienne, la plupart des bagagistes sont «blancs». En bref, on a eu là une authentique solidarité de classe, au-delà de toute division ethnique.
Les informations télévisées ont également essayé de saper la sympathie que les autres ouvriers pouvaient ressentir pour les employés de l’aéroport en étalant les souffrances endurées par les passagers dont les vols ont été empêchés par la grève. C’est vrai que lorsque vous avez passé la plus grande partie de l’année à transpirer au boulot, ce n’est certainement pas une plaisanterie de voir que vos plans de vacances tournent au chaos. Parmi les tâches que tous les ouvriers doivent prendre en main quand ils entrent en lutte, il y a l’explication de leurs actions aux autres ouvriers et à la population en général. Mais ils doivent également résister au chantage hypocrite des médias qui cherchent constamment à faire d’eux les méchants de l’histoire.
Si, comme on a pu le voir, la classe dominante ne veut pas que nous voyions notre solidarité de classe, elle cherche aussi à masquer une autre vérité : c’est que la solidarité ouvrière et le syndicalisme ne sont plus la même chose.
Les méthodes utilisées au cours de cette lutte ont été un constant défi aux méthodes syndicales :
- les ouvriers de Gate Gourmet décident de tenir une AG dans leur cantine afin de discuter de la dernière manœuvre de la direction. C’était une AG non-officielle tenue sur le temps de travail. L’authentique idée de tenir des AG pour discuter et prendre des décisions va à l’encontre de la pratique syndicale officielle ;
- l’autre équipe de l’aéroport a également ignoré toute consigne officielle en débrayant sans vote ; et les ouvriers ont encore défié le syndicat en s’engageant dans un conflit «secondaire».
Ce type d’actions est dangereux pour la classe dominante car elles contiennent la menace de la perte par les syndicats du contrôle sur les ouvriers, ceux-ci étant devenus les organes «officiels» (c’est-à-dire reconnus par l’État) de contrôle de la lutte de classe. Et ces derniers temps, nous avons vu une progression continuelle de ce type d’action «sauvage» : un certain nombre de luttes à la Poste ; en même temps que la lutte à Heathrow, des luttes non-officielles chez les chauffeurs de bus d’Edimbourgh et à la fonderie Ford de Leamington Spa.
Dans le cas de Heathrow, le TGWU a réussi à étouffer la situation. Il a dû officiellement dénoncer les grèves sauvages et pousser les ouvriers à reprendre le travail. Mais avec l’aide de groupes «gauchistes» comme le SWP, le T&G a cherché à présenter la lutte comme un mouvement visant à «pousser au cul» les syndicalistes, identifiant la persécution de militants ouvriers – qui a certes été une partie de la stratégie de Gate Gourmet – comme une attaque contre les syndicats. Cela a facilité, pour la base syndicale, l’enfermement de la lutte dans le carcan syndical – beaucoup de membres du syndicat pensant ainsi défendre leurs camarades ouvriers.
Cependant, ce qui fermente sous ces apparences n’est pas une lutte pour «défendre les syndicats», mais des mouvements massifs allant se développant, au sein desquels les ouvriers vont s’affronter à la machine syndicale, leur premier obstacle. Afin de construire la solidarité de classe la plus large possible, au sein de et grâce à la lutte, les ouvriers devront se confronter au besoin de développer leurs propres assemblées générales, ouvertes à tous les ouvriers, et d’élire des comités de grève responsables exclusivement devant l’AG. Les militants ouvriers qui comprennent cette perspective ne resteront pas isolés, mais commenceront à s’assembler pour en discuter pour les luttes futures.
World Revolution/15.08.05
Dans Internationalisme n° 319, nous avons montré comment l’Etat et la nation belge qui surgissent en 1830 apparaissent comme une création contre-révolutionnaire et artificielle, mise en place par les grandes puissances de l’époque, comme un cadre étriqué et non progressif, défavorable pour l’industrialisation et l’instauration de rapports sociaux modernes. Cette origine allait peser sur le développement ultérieur de la Belgique au cours du 19e et du début du 20e siècle, malgré la croissance économique qu’elle a connu dans le cadre de l’expansion internationale du capitalisme.
Le cadre étriqué de l’entité belge provoque, dès les premières années du jeune Etat, de graves difficultés économiques : les années ’30 et ’40 sont des années de stagnation économique et de paupé-risme au sein de la classe ouvrière qui débouchent en 1847-48, com-me partout en Europe, sur une terrible crise économique. Dans un article intitulé «La Belgique, Etat Modèle» (in La Nouvelle Gazette Rhénane, n° 68, 7.8.1848), K. Marx donne des chiffres éloquents dé-montrant l’ampleur de la crise : en un an (1847-48), on assiste à une diminution de plus du tiers de l’exportation des produits des mines belges et de la métallurgie ainsi qu’à un baisse de 64% en 2 ans (’46-’48) dans l’industrie lainière. Vingt ans de stagnation économique ponctuée par une crise aiguë, voilà comment débute l’histoire de cet Etat artificiel. La fermeture de l’Escaut par les hollandais en 1830 en est l’expression éclatante. La réouverture de cette voie d’eau, essentielle pour le commerce national, ne se fera qu’en ...1863 !
Economiquement en difficulté, la bourgeoisie belge ne s’en sort que par une exploitation particulièrement féroce de la force de travail. Les conditions de vie et de travail du prolétariat belge sont atroces. La journée de travail comportait en moyenne 14h, mais elle pouvait aller jusqu’à 16h. «Même dans ses usines de charbon et de métal, les travailleurs des deux sexes et de tout âge sont consommés avec une liberté totale sans aucune limitation de durée et d’heures de service (...); dans les hauts fourneaux, sur 1.000 également il y a 688 hommes, 149 femmes, 98 garçons et 65 jeunes filles de moins de 26 ans « (K. Marx, Le capital, I, 3ème section, chap. X/VII). Le salaire était très faible pour une exploitation énorme. Rappelons que déjà en 1820, le prolétaire belge ne gagnait que la moitié d’un prolétaire anglais. Pour maintenir cette situation, la répression est brutale et s’organise dès le lendemain de la «révolution belge». Fin 1830-début 1831, face à des émeutes dans le Hainaut, à Anvers, Ypres, Liège, Bruges et Gand, le Courrier Belge annonce clairement la couleur : «Nous nous voyons obligé de décréter l’état de siège dans nos villes (à Gand par ex.) pour nous protéger d’ennemis internes (nous soulignons) qui sont encore plus barbares que les soldats hollandais». La bourgeoisie met rapidement sur pied une force de répression imposante, qui fait de la Belgique pour un bon nombre d’années «le confortable paradis et la chasse gardée des propriétaires fonciers, des capitalistes et des curés. Comme la terre fait sa révolution annuelle, ainsi est-on assuré que le gouvernement belge effectue son massacre annuel d’ouvriers» (K. Marx, Adresse aux ouvriers d’Europe et des Etats-Unis, 1869). Sous le joug de cette exploitation impitoyable et de cette répression brutale, ce n’est qu’ à partir de 1868, dans la foulée du développement de l’impact de la Première Internationale, que des luttes ouvrières importantes éclateront en Belgique et initieront le difficile combat pour l’amélioration des conditions de vie et de travail ainsi que pour l’organisation de la classe ouvrière.
La deuxième partie du 19e siècle ouvre une période d’expansion du capitalisme belge qui en fait une des premières puissances industrielles d’Europe, la seule même, en Europe, à atteindre un niveau de développement proche de celui de la Grande-Bretagne. Ainsi, si les exportations, qui se montaient à 145 millions de FB en 1836, ne dépassent les 200 millions qu’en 1850, elles doublèrent carrément de 1850 à 1860 et leur progression devait ensuite demeurer rapide. Malgré la sévère dépression économique qui toucha plus particulièrement l’économie belge dans les années ’70 et ’80 après la guerre franco-prussienne de 1870, l’ampleur de l’expansion de la deuxième moitié du siècle peut s’illustrer par les chiffres suivants :
Volume de la production en millions de tonnes :
1850 1900
Hauts fourneaux
11
91
Fabriques de fer
12
84
Aciéries
0
190
Zinc
10
59
Verre
8
65
Relevons encore que les chevaux vapeur utilisés par l’industrie belge augmentent de 50 .000 en 1850 à plus de 700.000 en 1899!
Malgré ce développement économique impressionnant, le caractère étriqué de l’Etat belge continue toutefois à marquer le développement du capitalisme et à empêcher de dépasser les contradictions internes inextricables à tous les niveaux de l’ordre bourgeois même :
-Sur le plan économique, comme la Belgique est une création artificielle, elle n’a pas connu un processus progressif de centralisation nationale à travers les siècles et sa cohésion économique est dès lors également complètement artificielle. Si la texture économique de la Flandre s’oppose à celle de la Wallonie, comme s’il n’existait pas en Belgique de production nationale, c’est que cet antagonisme se retrouve tout au long de l’histoire de ces contrées. Ceci est bien illustré par le fait que l’industrialisation de la Wallonie n’est pas le résultat d’un quelconque développement économique belge mais de l’intégration de la région dans l’espace révolutionnaire français. Mais l’instauration en Belgique d’un Etat artificiel, enserrant le développement capitaliste dans un cadre trop étroit, empêche non seulement d’éliminer les séquelles de l’histoire, elle va encore accentuer la disparité entre les deux régions : en effet, la répression de l’Orangisme (partisans de l’union avec les Pays-Bas) et la fermeture de l’Escaut, par exemple, ont fait fuir de nombreux patrons du textile gantois et des armateurs anversois en Hollande, ce qui accentue encore le retard de la Flandre. Et ce cadre trop étroit va enfin entraver la poursuite de la concentration industrielle en Wallonie : le gouvernement catholique (représen-tant la bourgeoisie foncière, alliée aux petites entreprises) freine-ra pendant plus de 40 ans le développement des Sociétés Anony-mes, instrument essentiel pour le développement du capitalisme industriel. Dès 1830 donc, deux pôles économiques se distin-guent clairement : un capitalisme essentiellement industriel en Wallonie et un capitalisme essentiellement foncier en Flandre. Ce dernier ne commencera à s’industrialiser vraiment que lorsque le premier commence déjà à décliner, c’est-à-dire après la 1ère guerre mondiale.
- sur le plan politique, la classe des propriétaires fonciers, surtout implantée en Flandre (avec son expression politique : le parti catholique) maintient sa puissance puisque, après avoir été chassée du pouvoir en 1789 en France comme en Belgique, elle fut restaurée dans son pouvoir par la contre-révolution de 1815 et cela ne fut pas remis en cause par la révolution de 1830 en Belgique, qui la maintint dans ses positions économiques et politiques. La coupure entre une Flandre catholique et agraire et une Wallonie industrielle et minière est donc d’emblée inscrite dans la structure de l’Etat belge. Cette entrave pèse lourdement sur la bourgeoisie industrielle, obligée de payer d’énormes rentes aux seigneurs modernes de la terre, prélèvements qui freinent d’autant l’accumulation du capital dans 1”industrie ! La fraction wallonne de la bourgeoisie, économiquement dominant et progressive, vivait donc dans l’équivoque la plus lâche et la plus coûteuse avec les propriétaires fonciers dont elle n’avait réussi à éliminer ni le poids économique, ni l’impact politique (le parti catholique gouvernera sans partage, avec quelques interruptions momentanées, jusqu’à la première guerre mondiale). Il fallut attendre que les améliorations incorporées à la terre eussent pris une énorme extension, grâce à l’industria-lisation et à la mécanisation, pour que ces rentiers s’embour-geoisent et se soumettent enfin au capitalisme industriel. Ce mouvement débute à la fin du 19ème siècle et va de pair avec le développement d’une industrie et d’une bourgeoisie flamande.
- sur le plan linguistique, le triomphe d’une langue nationale sur les anciens patois, dialectes ou patois du moyen-âge va généralement de pair avec la propagation de la production capitaliste à l’ensemble de la nation. La question de la langue se résout donc normalement avec la révolution bourgeoise et la création d’un marché et d’une production nationales, accompagnés de 1”instauration de structures administratives et éducatives unitaires. Mais comme l’Etat belge fut imposé comme une entrave au développement des structures produc-tives et sociales plus vastes, et qu’il n’a pu dès lors imposer une centralisation économique et politique, il ne pouvait qu’échouer sur le plan linguistique. Dans le but de soutenir cette centralisation, la bourgeoisie industrielle francophone a tenté d’imposer le français comme seule langue nationale. Ainsi, le gouvernement provisoire décrétait-t-il le 16 novembre 1830 que : «le français sera en Bel-gique la langue officielle». Mais dès 1840, l’opposition se développe dans la petite bourgeoisie flamande ainsi éliminée de l’appareil étatique. Avec le développement d’une bourgeoisie fla-mande à la fin du 19ème siècle, l’opposition se renforce et marque l’échec définitif de l’unification linguistique.
Si la bourgeoisie belge n’a pas su profiter de la période d’expansion du capitalisme pour effacer les contradictions issues du cadre artificiel, ces dernières ont également lourdement entravé le développement de la lutte et de l’organisation du prolétariat. Au niveau des conditions de travail et de la lutte tout d’abord, la concurrence féroce entre les ouvriers wallons et les paysans prolétarisés flamands a été exacerbée et exploitée par la bourgeoisie belge pour maintenir les conditions de vie et de travail à un niveau extrêmement bas. Ainsi, l’Anglais Seebohm Rowntree qui mène dans cette période une étude sur la pauvreté en Grande-Bretagne, puis en Belgique est-il horrifié par la situation de la classe ouvrière en Belgique et aucun pays industrialisé n’a exploité aussi longtemps que la Belgique le travail des femmes et des enfants(1).
Cette situation explique aussi les difficultés de développement du mouvement ouvrier dans ces régions, même après l’impulsion donnée dès 1864 par la première Internationale. Les luttes ont certes fréquemment un caractère explosif et spontané, comme lors de la grande grève de 1886 dans l’ensemble du bassin industriel wallon, mais le climat est souvent plus celui d’une ‘jacquerie industrielle’ - on proteste, mais sans formuler de revendication précise – d’un rejet de la mécanisation, qu’une lutte pour l’amélioration des conditions de travail, et ces explosions sociales débouchent sur une répression impitoyable. Malgré sa constitution ‘très démocratique’, la bourgeoisie n’hésite pas, par exemple en 1886, à faire tirer sur les masses ouvrières, faisant une trentaine de morts.
Ces difficultés se manifestent aussi sur le plan politique par la prédominance des tendances anarchistes parmi les travailleurs : l’ « Association Le Peuple » Proudhonienne devient la section belge de la première internationale et en 1872, la section belge sous l’influence de César de Paepe choisit le côté de Bakounine contre Marx. Ces tendances mettent l’accent sur la mise en place de coopératives de producteurs et de consommateurs et manifestent un désintérêt pour la lutte économique (Proudhon rejette l’arme de la grève) ou politique (mépris pour le développement d’organisations centralisées, de la lutte pour le suffrage universel). La constitution d’une organisation politique du prolétariat est donc particulièrement ardue et lorsque le Parti Ouvrier Belge est enfin fondé au niveau national, en 1885, permettant d’offrir un cadre organisé et des perspectives aux luttes ouvrières, il surgit comme fruit de concessions très larges aux tendances anarchistes, coopérativiste et mutuelliste, donc sur des bases peu orientées vers la défense du programme révolutionnaire de la classe ouvrière (il refuse par exemple de déclarer la grève générale en 1886) mais sur une orientation prioritaire réformiste de l’instauration du suffrage universel. Au sein de la deuxième Internationale, il se caractérisera généralement par des position se rapprochant de l’aile droite de celle-ci.
La bourgeoisie belge n’a pas su profiter de la période de développement du capitalisme (l9ème siècle) pour surmonter ses contradictions économiques, politiques et linguistiques. Cet incapacité va peser lourdement lorsque, avec la 1ère guerre mondiale, le capitalisme mondial glissera lentement mais sûrement, dans une situation de crise et de guerre permanente. La décadence générale du capitalisme mettra inexorablement à nu l’absence fondamentale de cohésion de l’Etat belge. Mais elle démontrera aussi une grande habileté de la bourgeoisie à utiliser ces contradictions pour diviser et mystifier la lutte ouvrière n
Jos / 31.08.05
(1)R. Leboutte, J. Puissant, D. Scuto, Un siècle d’histoire industrielle (1873-1973). Belgique, Luxembourg, Pays-Bas. Industrialisation et sociétés, SEDES.
Pendant trois semaines en juillet, le monde a tremblé face à une vague d’attentats meurtriers d’une fréquence sans précédent, de Londres à Charm El-Cheikh et en Turquie. A ceux-là s’ajoutent les bombes explosant quotidiennement en Irak, en Afghanistan, au Liban ou au Bengladesh. Les Etats et leurs gouvernements cherchent à nous faire croire qu’ils combattent le terrorisme et qu’ils sont capables de protéger les populations des attentats. Quels mensonges !
Les Etats ne combattent pas le terrorisme. Ce sont eux qui le sécrètent et le font prospérer. Ce sont de plus en plus clairement tous les Etats, grands ou petits, qui commanditent, infiltrent, manipulent, utilisent les fractions, groupes et nébuleuses terroristes partout dans le monde pour défendre ou faire valoir leurs sordides intérêts. Le terrorisme est aujourd’hui devenu une arme de plus en plus fréquemment utilisée dans la guerre ouverte ou larvée que se livrent les bourgeoisies du monde entier. Rappelons que Ben Laden et le groupe Al Qaida eux-mêmes ont été formés à l’école américaine de la CIA dans les années 1980 pour organiser la résistance à l’occupation des troupes russes en Afghanistan. Nombre de dirigeants politiques bourgeois aujourd’hui présentés comme respectables, de Begin à Arafat en passant par Gerry Adams, sont d’anciens chefs terroristes.
Ce phénomène constitue un pur produit du capitalisme pourrissant, une des manifestations les plus criantes de la barbarie de la société capitaliste. L’Etat bourgeois profite des sentiments d’insécurité permanente, de peur et d’impuissance suscités par de tels actes dans les populations pour se présenter comme le seul rempart possible contre la montée du terrorisme. Rien n’est plus faux ! La classe ouvrière ne peut que se sentir directement interpellée, indignée et révoltée par ces attentats parce que souvent, comme à New York en 2001, à Madrid en 2004 ou à Londres cette année, ce sont des prolétaires qui se rendent sur leur lieu de travail qui sont les principales victimes de ces actes barbares. Mais la solidarité envers les victimes de ces attentats de la part de leurs frères de classe face au terrorisme ne passe nullement par l’union nationale avec la bourgeoisie mais au contraire par le refus catégorique de cette union sacrée. L’Etat nous demande de resserrer les rangs autour de sa défense et de la démocratie dans un même élan d’union nationale. On ne peut lui faire aucune confiance pour protéger les populations du terrorisme. Ce sont les gouvernements, en tant que fauteurs de guerre, qui sont responsables de ce déchaînement d’horreurs qu’ils sont bien incapables d’enrayer. Plus la bourgeoisie déclare ouvertement la guerre au terrorisme, plus se multiplient les attentats, plus les grandes puissances se vautrent dans le sang et la boue et précipitent les populations dans un engrenage sans limites de violence, de guerre et de représailles. Les seules mesures concrètes que puissent adopter la bourgeoisie au nom de l’anti-terrorisme, c’est la mise en place des différents plans Vigipirate ou ses équivalents, destinés à faire accepter un brutal renforcement de l’appareil répressif et permettant surtout la multiplication des moyens de contrôle et de surveillance de la population.
Les campagnes anti-terroristes actuelles ont permis de justifier avant tout un renforcement sans précédent de l’appareil répressif. La situation en Grande-Bretagne en constitue une illustration édifiante. L’exemple le plus flagrant a été l’assassinat d’un jeune Brésilien dans le métro londonien avec l’autorisation donnée à la police de tirer à vue sur tout suspect (voir article page 4). La bourgeoisie anglaise a rapidement compris que la classe ouvrière n’était pas prête à se ranger derrière les intérêts de l’Etat bourgeois au nom de «l’anti-terrorisme». Elle s’est bien gardée d’appeler à des manifestations monstres comme celles organisées en avril 2004 contre le terrorisme dans les rues de Madrid et de toute l’Espagne après les attentats en gare d’Atocha. C’est d’ailleurs probablement elle-même qui a organisé une seconde série «ratée» d’attentats, qui avait tout d’un simulacre, précisément dans le but de relancer le message de la mobilisation nationale et pour mieux faire passer aux yeux des prolétaires les méthodes de quadrillage et de surveillance policière.
Malgré cela, la classe ouvrière a démontré qu’elle ne se laissait pas intimider. La grève d’un millier de salariés à l’aéroport d’Heathrow en Grande-Bretagne en solidarité avec 670 de leurs frères de classe brutalement attaqués et menacés de licenciement à côté d’eux en est une preuve irréfutable . En dépit de la pression policière existante, cette lutte a clairement démontré que ce qui est en jeu pour les prolétaires n’est pas le maintien de l’ordre bourgeois et sa terreur mais la défense de ses intérêts de classe face aux attaques qu’ils subissent. Et c’est justement le développement de ses luttes qui est à l’ordre du jour. Cette reprise des luttes ouvrières face à la mise en œuvre parallèle des moyens policiers montre justement quel est le véritable objectif de tout ce déploiement policier. La préoccupation essentielle de la bourgeoisie n’est nullement la chasse aux terroristes. Elle sait par contre qu’avec l’aggravation de la crise économique mondiale, elle va devoir imposer des attaques de plus en plus féroces au prolétariat et faire face à un développement à l’échelle internationale des luttes de résistance de la classe ouvrière à ces attaques.
Il n’existe pas de solution-miracle, immédiate, qui permette du jour au lendemain d’empêcher les attentats terroristes, pas plus que la guerre impérialiste de se déchaîner sur la planète. Une seule classe a la possibilité de s’opposer à terme à la montée en puissance du terrorisme, de la guerre et de la barbarie, c’est le prolétariat à travers le développement de ses luttes de résistance aux attaques de la bourgeoisie sur son terrain de classe. Le véritable enjeu qui menace l’ordre bourgeois, c’est qu’à travers le développement de la lutte de classe, la classe ouvrière est amenée à prendre conscience du lien existant entre les attaques qu’elle subit avec la guerre et le terrorisme qui débouche sur la remise en cause du système capitaliste dans son ensemble et sur la nécessité de sa destruction.
Et c’est seulement à travers le renversement du système capitaliste et de ses rapports d’exploitation que la classe ouvrière peut y parvenir. Les méthodes et les moyens d’action du prolétariat qui reposent sur la conscience et la solidarité de classe, sur le caractère collectif, unitaire, internationaliste de ses luttes sont radicalement opposées et antagoniques à ceux du terrorisme.
La classe ouvrière en Grande-Bretagne a démontré la capacité des prolétaires à affirmer leur réponse au chantage de la bourgeoisie à travers leur solidarité sur un terrain de classe face aux licenciements et aux attaques du capitalisme. C’est de cet exemple que les prolétaires de tous les pays doivent s’inspirer. C’est en menant leur combat de classe sur un terrain de résistance et de solidarité face aux attaques économiques qu’ils subissent, qu’ils pourront opposer une alternative et une perspective à l’impasse et à la barbarie guerrière du monde capitaliste qui menace la survie de l’humanité toute entière.
Non à l’union nationale,
oui à la solidarité de classe !
Wim/ 24.08.2005
La classe ouvrière a toutes les raisons d’être inquiète par rapport aux projets de mesures actuelles concernant les retraites, contenues dans le “programme de relance” que le gouvernement Verhofstadt soumet aux “partenaires sociaux”. En effet, ces mesures, qui se caractérisent par le flou et le brouillard, constituent en réalité une attaque d’envergure contre les pensions et contre la sécurité sociale en général.
Il s’agit aussi de masquer un cadre d’attaques plus large, qui va aggraver brutalement les conditions de vie de tous les travailleurs, et pas seulement ceux du secteur privé à qui elles s’adressent directement aujourd’hui. Ce cadre est constitué d’un ensemble de pas moins que 67 mesures en discussion de la ministre ‘socialiste’ Freya Van Den Bossche touchant tous les aspects de la vie économique et sociale des salariés, des ouvriers et des employés tout comme des chômeurs.
Le dernier trimestre de 2005 va donc lourdement compter dans la dégradation des conditions de vie de la classe ouvrière en Belgique, qui va devoir travailler plus longtemps pour des retraites de plus en plus maigres.
Ceci nécessite évidement une riposte déterminée de la classe ouvrière. Pour y arriver il faut dénoncer les manoeuvres des syndicats avec leurs appels aux journées d’actions qui ne visent qu’à canaliser le mécontentement et à renforcer le sentiment d’impuissance. Une véritable riposte ne peut démarrer qu’en renouant avec une véritable solidarité de classe.
Pour sauver la sécurité sociale belge, qui, selon la bourgeoisie, est un modèle pour le monde entier, il faut appliquer des réformes profondes. Afin d’y arriver elle vise d’abord et avant tout les retraites. Ainsi l’introduction d’un système de malus pour les pensions avant 65 ans doit permettre de diminuer les pensions de 4% par an pour ceux n’ayant pas 40 ans de carrière. En s’attaquant d’autre part à l’ancienneté et périodes assimilées, le montant des retraites va diminuer également. L’attaque la plus spectaculaire est évidemment celle sur les prépensions. La prépension précédemment était en règle générale accordée à 58 ans après 25 ans de travail salarié et en cas de restructuration à 52 ou 50 ans après 20 ans de travail. Le gouvernement élever l’âge à 60 ans en partant de critères progressifs de la carrière et en tenant compte de l’ancienneté: 36, 38 et 40 ans de carrière. Vande Lanotte le répète dans une interview : “On ne vous éjectera plus de l’emploi à 50 ans. Vous pourrez travailler plus longtemps. Différemment” (Le Soir, 14.09.2005).
La véritable manoeuvre n’est pas de postposer la prépension, mais de transformer celle-ci en grande partie en chômage ouvert. Et si, pour le moment, on ne touche pas encore directement à l’âge des pensions, ce qui doit fortement inquiéter la classe ouvrière, c’est que les caisses se vident également de ce côté-là.
Après “l’Etat social actif” de la précédente coalition “arc-en-ciel”, voilà le nouveau concept livré par Madame Onkelinx : “le vieillissement actif”. Cette formulation, en fait, vise à liquider à terme les prépensions octroyées lors de restructurations et de licenciements collectifs : “Ces prépensions, résultant de licenciements collectifs, provoqués par une fermeture ou une restructuration, c’est la solution classique dont usent les employeurs pour éviter des remous sociaux. Elles sont accordées à 52 ou 54 ans. Parfois à 50... ou même 48 ans. Le gouvernement change de philosophie. On favoriserait la recherche d’un nouvel emploi. On n’offrirait la prépension qu’à ceux qui n’ont pu se reclasser.” (Le Soir, 05.10.2005). Le ministre Vande Lanotte en fait l’aveu : “Mais on doit savoir que si notre taux d’activité baisse, il est exclu de continuer à payer les pensions, les soins de santé. On pourra inventer tous les refinancements de la Sécu qu’on veut, on ne comblera jamais les contributions des travailleurs via leurs cotisations. Je soutiens que le financement alternatif le plus important c’est l’emploi” (Le Soir, 14/09/2005).
Or, les perspectives économiques sont catastrophiques, et la bourgeoisie est consciente du fait que le plein emploi ne reviendra plus. D’où justement les mesures ! Vu le chômage des jeunes, on ne peut pas imaginer que la véritable intention est de maintenir les “vieux” au travail. On vise plutôt à faire sauter la prépension, qui jusqu’à maintenant servait à cacher le chômage et éviter des tensions sociales. Vande Lanotte ajoute : “Il ne faut pas un big bang, mais des réformes progressives”, on sait donc qu’on n’est qu’au début de ces attaques. Ces mesures provoqueraient selon Le Soir du 3 et 4 septembre, et sur base d’une étude de l’ONEM, à terme “un tsunami social”. En effet, les 40 ans de carrière exigés reviendraient à ôter la prépension à 84 % des femmes. Même si l’on fixe la barre à 32 ans de carrière, la mesure prive de prépension un homme sur quatre et une femme sur deux.
Le fait qu’il n’y aurait plus assez d’actifs pour payer, financer les retraites n’est pas fondamentalement dû au vieillissement de la population et à l’allongement de l’espérance de vie. Si la société n’a pas assez “d’actifs” – du point de vue capitaliste –, ce n’est pas lié à la pyramide des âges car tous les chômeurs, les précaires et autres types d’exclus des rangs des “actifs” ne demanderaient pas mieux que d’être complètement intégrés au monde du travail. La véritable cause de la pénurie de “salariés actifs” c’est la crise et le chômage que le capitalisme engendre et dont il est responsable.
Cela montre le cynisme de la bourgeoisie et le caractère totalement inhumain de son système. Comment faire avec tous ces “vieux salariés” qui visiblement vivent trop longtemps, au goût du capitalisme du moins. Après avoir exploité leur force de travail tout au long de leur vie de salarié et ponctionné leurs salaires - pour les pensions et prépensions, les mutuelles - le capitalisme se plaint encore d’avoir à les nourrir une fois qu’ils ne sont plus productifs !
Un des principaux pans de ce qu’on appelle le “salaire social” est en train de tomber en miettes puisque la chute libre des pensions et prépensions va aboutir à ce qu’une grande majorité de ces dernières descende en dessous du niveau du salaire minimum. Ainsi, il va arriver avec les retraites ce qui est arrivé dans tous les domaines de l’exploitation capitaliste : l’insécurité et la précarité s’installent.
C’est donc bien la crise du capitalisme qui est la source de cette exigence pour la bourgeoisie et qui lui impose de liquider à terme toute une série de composantes fondamentales de ce qu’elle appelle les “acquis sociaux”. Entre-temps, de 2003 à 2005, la bourgeoisie a poursuivi les rationalisations qui ont touché les grosses boîtes comme la Sabena, Philips, Siemens Ford, Opel, Alcatel, de même que les entreprises publiques comme Belgacom, la Poste, la SNCB pour ne citer que les plus importantes.
Parallèlement, dans certains secteurs et entreprises on a poussé et parfois imposé un retour vers les 40 heures, au nom du “sauvetage” des emplois; le chantage à la délocalisation a fait passer, dans certaines entreprises, des diminutions de salaire et l’abandon de certaines primes légales. Cela n’a pas empêché la croissance d’être nulle dans le courant du premier trimestre de 2005, et la pression concurrentielle des autres pays sur la foire d’empoigne du marché mondial ne peut que renforcer l’exigence de la bourgeoisie belge de soumettre la classe ouvrière à ses besoins.
C’est la crise qui fait que les caisses se vident, qu’on ne peut plus payer les pensions et prépensions, et c’est donc l’ensemble du système de la sécurité sociale qui est mis en question. En conséquence, le plan de chasse aux chômeurs de Frank Vandenbroucke qui jusqu’à maintenant épargnait les plus de cinquante ans pourrait à son tour être activé à propos de ces derniers. Les chômeurs âgés de plus de cinquante ans bénéficiant d’un supplément d’allocation ne seraient pas oubliés par ces rapaces; suivant les modalités choisies, les bonus d’allocations seraient retirés à 19 % des hommes et 29 % des femmes dans le meilleur cas de figure. Dans le pire, le bonus disparaîtrait pour 82 % des hommes et 90 % des femmes.
Le “Plan Marshall”, pour la Wallonie, n’est qu’une autre restructuration car il ne vise qu’à rendre quelques entreprises plus compétitives au détriment de tout le reste et sur le dos des travailleurs à travers de nouvelles mesures d’austérité que viendront aggraver celles déjà en chantier et celles encore à venir dont le fameux “programme de relance”. Tous ces éléments dévoilent que “programmes de relance” ou autres recherches de financements alternatifs ne sont rien d’autre que la recherche d’économies tous azimuts pour effacer le trou de cinq milliards d’euros du budget 2006-2007 et pour abattre des pans entiers de la sécurité sociale. Car, à l’instar de l’Allemagne, de la France, des Pays-Bas et de la plupart de pays européens, la bourgeoisie belge ne peut différer indéfiniment la mise en question de la sécurité sociale et du régime des pensions, afin de réduire d’une façon drastique le prix de la force de travail. Dans ce cadre de crise économique mondiale, les objectifs du gouvernement “pourpre” étaient ouvertement déclarés dès sa constitution en 2004 : l’ouverture de cinq “chantiers” visant à: a) la baisse des charges pour les entreprises, b) la modération salariale, c) la réduction des charges liées au chômage, d) l’augmentation du temps de travail par semaine et le prolongement de la carrière professionnelle, e) le financement alternatif de la sécurité sociale.
Il s’agit donc bien d’une attaque frontale et globale, mais présentée de façon à cacher les véritables conséquences, et présentant avec cynisme les réformes comme “des améliorations” pour la classe ouvrière.
La gravité de l’attaque nécessite évidement une riposte déterminée de la classe ouvrière. Pour y arriver il faut dénoncer les manoeuvres des syndicats avec leurs appels à une “vraie concertation”, ou à des journées d’actions bidon qui ne visent qu’à embrouiller la prise de conscience de l’importance des attaques, à canaliser le mécontentement et à renforcer le sentiment d’impuissance.
Ce que la bourgeoisie appelle “la concertation” , représente en fait la division du travail en son sein, entre gouvernement et syndicats. L’astuce consiste à faire croire qu’il y a opposition entre gouvernement et syndicats. Le gouvernement ose dire: “Travaillez plus longtemps, c’est nécessaire. En échange on vous garantit des retraites décentes”; ainsi, il se pose, et en particulier les ministres socialistes en son sein, comme le “garant du maintien de l’essentiel des acquis sociaux”, au prix de“quelques sacrifices superficiels”. Quant aux syndicats, ils dénoncent le fait que c’est le patronat qui a vidé les caisses grâce à la tolérance du gouvernement. Pour les renflouer, dit le gouvernement, il faut alléger les charges patronales pour créer des emplois qui remplissent les caisses de la sécurité sociales. Ainsi, c’est un cercle vicieux, qui, vu le développement de la crise économique, entraîne une spirale irréversible vers la bas.
La baisse des charges pour les entreprises est en bonne voie comme l’avoue Johan Vande Lanotte, ministre de l’économie, dans une interview : “En trois ans on a beaucoup réduit le poids sur les salaires (de 1,5% du PNB). Mais on n’en pas beaucoup parlé… (Le Soir, 14.09.2005). Et pour cause, c’est une bonne partie du salaire différé qui servait au financement de la sécurité sociale qui retombe dans les coffres du patronat. Ce 1,5 % du PNB est donc un véritable hold-up commis dans la masse salariale. C’est cela l’allégement des charges patronales, mais il faut constater qu’il ne produit nullement l’emploi promis, ni pour les jeunes, ni pour les “vieux”.
Pour les syndicats, les “financements alternatifs” ne doivent pas peser sur le coût du travail, mais sur l’épargne, notamment via l’impôt mobilier (15-20% des recettes). C’est-à-dire, ce seront essentiellement les ouvriers qui payeront, mais d’une autre façon, car ce financement ne peut pas peser ni sur les patrons ni sur l’Etat.
Depuis longtemps, on nous dit: “il faut accepter les licenciements pour sauver des emplois.” Aujourd’hui, on ajoute avec autant de cynisme: “Il faut réduire la sécurité sociale pour la sauver.”
Combien d’ouvriers ont pleuré de rage et de honte quand se fut leur tour de rejoindre la file de chômage ? Syndicats et patronat se déclarent d’accord pour constater qu’il existe un problème de retraites. Même s’ils contestent la validité de la réforme du gouvernement, les syndicats partagent dans le fond, et depuis longtemps, l’idée que quelque chose doit être fait pour “sauver le système des retraites”, alors qu’il y aura de plus en plus de retraités et de moins en moins de salariés actifs pour les payer. Rien que la manière qu’ils ont en commun de poser le problème démontre que, sur le fond, ils sont d’accord. En effet, pour les syndicats, il s’agit aussi de demander aux exploités qu’ils prennent en compte les contradictions du système qui les exploite, non pas pour lui porter un coup fatal à travers la lutte, mais bien pour faire en sorte qu’il puisse se perpétuer à travers de nouveaux sacrifices.
La bourgeoisie sait bien que ses syndicats serviront de relais à ces promesses mensongères. Le flou gouvernemental autour des mesures d’austérité, accentué par le brouillard sur les soi-disant “alternatives possibles” syndicales, permet aux syndicats d’occuper le terrain social pour empêcher que le mécontentement ne se transforme en réelle combativité. C’est ainsi qu’ils sabotent aujourd’hui la prise de conscience sur l’ampleur des attaques.
La politique des syndicats consiste à défendre la “concertation pour adoucir les mesures.”, ou comme le président de l’ACV Luc Cortebeek l’exprimait: “Nous continuons les négociations parce qu’ainsi on peut obtenir le maximum pour les salariés.” Le patronat, de son coté, est bien d’accord : “La FEB adoptera une attitude constructive et responsable. Le dossier est trop important”. Si la bourgeoisie rétablissait l’esclavage, les syndicats iraient négocier le poids des chaînes.
Lors des négociations interprofessionnelles de décembre 2004, le sabotage syndical a utilisé un scénario qui a fait amplement ses preuves, car, après de multiples péripéties, rebondissements fréquents, crispations, provocations patronales, grèves de soutien aux négociateurs syndicaux, rejets des accords, le gouvernement décide malgré tout d’appliquer son plan “puisqu’il a été approuvé par une large majorité des employeurs et des employés belges” et la FGTB s’est inclinée, n’ayant fait de l’opposition que dans le but de maintenir sa crédibilité de syndicat combatif. Verhofstadt est alors un premier ministre heureux car “le modèle de concertation sociale a bien fonctionné, dans une période qui n’est pas facile”.
Cette année, on a vu le syndicat chrétien être le premier à faire de la musculation avant les vacances en prévoyant une journée de grève générale pour le 3 octobre. Fin septembre en pleines négociations, la FGTB annonce une grève générale pour le 7 octobre. Puis, la CSC annonce sa propre grève générale à une autre journée; pour ensuite la décommander après “concertation” avec un gouvernement qui a promis quelques miettes pour les pensions qui n’ont plus été indexées depuis des années.
Ces divisions sont du sabotage conscient et prémédité. Ainsi, quand les syndicats des cheminots font front commun, c’est bien pour mieux séparer les cheminots des autres secteurs. Quand les syndicats des hôpitaux bruxellois aussi, en “front syndical unitaire”, font grève pendant une semaine, c’est également séparés des autres secteurs, et en plus, “Cette semaine l’action de grève dans les hôpitaux sera interrompue pour ne pas perturber les actions syndicales nationales, qui auront lieu cette semaine.” (De Standaard, 03.04.2005). Cette manoeuvre a été magistralement précédée par les négociations de l’accord professionnel à La Poste signé par la CGSP au nom du pragmatisme des francophones et rejeté par les autres centrales syndicales en Flandre. Contrairement aux déclarations syndicales, le but n’est pas de faire pression sur le gouvernement ou sur le patronat. C’est un bel exercice de division qui se met en place.
Les manoeuvres visent à diviser la classe ouvrière par syndicats, par secteurs, par régions. Une véritable riposte ne peut démarrer qu’en renouant avec la solidarité entre tous les ouvriers, qu’ils soient au travail ou au chômage.
Les mesures touchent tous les travailleurs, au-delà de la division en secteurs ou régions, au-delà de la division entre secteur public et privé; elles touchent aussi bien les cheminots, les ouvriers de VW ou de Belgacom que les hospitaliers ou les postiers. Seule une riposte décidée et unitaire peut contrer les attaques.
Or, il est évident que ce n’est pas vers les syndicats que la classe ouvrière doit porter son regard si elle veut efficacement se défendre, mais plutôt vers des manifestations de la solidarité ouvrière telles qu’elles se sont concrétisées à plusieurs reprises ces derniers temps en Europe et tout dernièrement lors de la grève à l’aéroport londonien d’Heathrow où un millier de travailleurs de l’aéroport se sont spontanément mis en grève par solidarité avec les 670 ouvriers de l’entreprise américaine de restauration Gate Gourmet, sous-traitante de British Airways, dès l’annonce de leur licenciement.
En plus des manoeuvres de division, les syndicats s’organisent aussi pour que les ouvriers restent tous dans leur coin individuellement. Dans les luttes, les ouvriers ne peuvent compter que sur eux-mêmes car les syndicats n’ont de cesse de canaliser les luttes dans le cadre du secteur ou l’entreprise et d’isoler les ouvriers pour mieux briser la lutte et les expressions de la solidarité ouvrière, pour empêcher le mécontentement de s’unifier et surtout empêcher la prise de conscience que c’est partout que la classe ouvrière est attaquée. Accepter la logique de gestion du capital, c’est capituler d’emblée, c’est accepter les licenciements car il n’y a plus assez de débouchés à la production capitaliste, c’est accepter la diminution du salaire social (pensions, remboursement des soins,…), pour ne pas affaiblir le capital national face à la concurrence internationale, c’est accepter en fait toute attaque anti-ouvrière.
Les mêmes mesures et les mêmes attaques tendent à s’uniformiser à l’échelle mondiale. Partout le capitalisme enfonce la classe ouvrière dans la même précarité. C’est un puissant révélateur de la faillite irrémédiable du capitalisme. Cela ne peut que renforcer la conscience du prolétariat qu’il n’a aucune amélioration de son sort à attendre de ce système et qu’il n’a pas d’autre choix que de lutter pour son renversement et sa destruction. Oeuvrer dans ce sens, c’est aujourd’hui l’expression la plus élevée de la solidarité prolétarienne.
La seule réponse possible, c’est le développement des luttes sur un terrain de classe. Nous n’avons pas d’autre choix que de nous battre, sinon nous subirons toujours plus de sacrifices et d’attaques de la part de la bourgeoisie. Le développement de nos luttes est la seule façon de résister aux attaques toujours plus fortes de la bourgeoisie qui en s’enfonçant dans une crise irréversible, n’a pas d’autre choix que d’exploiter toujours plus les prolétaires et de les jeter dans la misère.
06.10.2005 / Internationalisme
La bourgeoisie n’est pas à une tromperie près. Au moment où la crise économique s’apprête à connaître à nouveau une brusque accélération, elle tente d’enfermer les ouvriers sur un faux terrain : celui de la lutte contre l’économie libérale et l’économie de marché. C’est cacher consciemment aux ouvriers que le grand ordonnateur de l’économie capitaliste et des attaques contre la classe ouvrière est l’Etat capitaliste lui-même. Dans «les lignes directrices de l’emploi» au sein de la constitution européenne, nous pouvions lire que les Etats doivent réformer «les conditions trop restrictives de la législation en matière d’emploi qui affectent la dynamique du marché du travail» et promouvoir la «diversité des modalités en terme de contrats de travail, notamment en matière de temps de travail.» Le rejet de la constitution ne modifiera pas d’un iota cette politique. Le prolétariat est ainsi appelé à oublier les dernières récessions mais aussi le krach boursier de 2001-2002, et avec cela toutes les attaques massives, la détérioration de ses conditions de vie qui n’ont pas cessé de se développer depuis la réapparition ouverte de la crise économique mondiale à la fin des années 1960 et qui se sont particulièrement accentuées en ce début des années 2000. La classe ouvrière paie un lourd tribut au capitalisme en faillite, sans parler de l’attaque massive sur les retraites et le démantèlement en cours de la Sécurité Sociale. La bourgeoisie, cyniquement, tente ainsi à nouveau de convaincre le prolétariat que s’il accepte de faire des sacrifices supplémentaires, alors ce sera mieux demain, le niveau de vie remontera, le chômage reculera ! Voilà encore des mensonges qui n’ont qu’un seul but, faire en sorte que la classe ouvrière accepte de payer par un accroissement de sa misère et de son exploitation, l’enfoncement catastrophique du capitalisme dans sa propre crise économique.
Les récessions de 1967, 1970-71, 1974-75, 1991-93 et 2001-2002 furent tendanciellement plus longues et profondes et cela dans un contexte de déclin constant du taux de croissance moyen de l’économie mondiale. La croissance du PIB mondial a elle aussi suivi la même tendance à la baisse, passant de plus de 4% dans les années 1950 à moins de 1% en ce début des années 2000. Après l’effondrement de l’économie qui a frappé le monde capitaliste à la fin des années 1920 et au début des années 1930 avec son cortège d’explosions de la misère et du chômage ouvrier qui allaient nécessairement en découler, le capitalisme a su tirer un maximum de leçons. Depuis lors, et après la seconde guerre mondiale, le capitalisme allait s’organiser pour tenter d’empêcher un effondrement brusque de son économie. On assiste alors au renforcement du rôle de contrôle de l’Etat sur l’ensemble de l’économie nationale. Le développement partout dans le monde du capitalisme d’Etat, en plus de la fonction économique qui vient d’être assignée, a aussi un rôle dans la militarisation de la société et l’encadrement de la classe ouvrière. Mais comme cela ne suffisait pas pour se rassurer, la bourgeoisie va se doter d’organismes internationaux tels que le COMECOM pour l’ancien bloc de l’Est et le FMI pour le bloc occidental, chargés de veiller à ce qu’il n’y ait pas des secousses trop violentes de l’économie. Dans le même sens, et contrairement à la période d’avant la Deuxième Guerre mondiale, la bourgeoisie va renforcer le rôle des banques centrales. Celles-ci vont être amenées à jouer un rôle direct dans la politique économique à travers leur action sur les taux d’intérêts et la masse monétaire.
Des reprises de moins en moins vigoureuses
Malgré cela, et contrairement à ce que nous raconte la bourgeoisie, l’évolution économique s’inscrit lentement mais sûrement dans un déclin. Le capitalisme d’Etat peut certes freiner ce processus, mais il ne peut empêcher son inexorable développement. C’est ainsi que, depuis 1960, les reprises économiques ont toujours été plus limitées et les périodes de récession plus profondes. Le monde capitaliste s’est enfoncé dans sa crise. Par delà leurs particularités, l’Afrique, l’Amérique centrale, l’ancien bloc soviétique et la plus grande partie des pays d’Asie ont plongé dans un chaos économique grandissant. Depuis maintenant quelques années, c’est aux Etats-Unis, au Japon et à l’Europe de connaître directement les effets de la crise. Aux Etats-Unis le taux de croissance par décennies entre 1950-1960 et 1990-99 est passé de 4,11% à 3% et, pour la même période, de 4,72% à 1,74% en Europe (source OCDE). La croissance du PIB mondial par habitant de 1961 à 2003 est quant à elle passée de pratiquement 4% à moins de 1%. Après la période de reconstruction de la Deuxième Guerre mondiale, ce qui a été appelé par la bourgeoisie «les trente glorieuses», la production mondiale a donc progressivement, mais inexorablement repris le chemin de la récession. Si celle-ci a pu être sérieusement freinée dans son développement et entrecoupée de périodes de reprise de plus en plus courtes mais bien réelles, c’est tout simplement que la bourgeoisie mondiale a eu recours à un endettement croissant et à l’utilisation d’un déficit budgétaire toujours plus important. La première puissance mondiale en constitue, sans aucun doute, le plus bel exemple. Elle est ainsi passée d’un budget public excédentaire de 2% en 1950 à un déficit budgétaire approchant aujourd’hui les 4%. C’est ainsi que la dette totale des Etats-Unis, qui a augmenté lentement des années 1950 au début des années 1980, a connu au cours des vingt dernières années une véritable explosion. Celle-ci a carrément doublée, pour évoluer de 15 000 milliards de dollars à plus de 30 000 milliards. Les Etats-Unis sont passés de principal créancier de la planète, au pays le plus endetté. Mais il serait totalement erroné de penser que, malgré les spécificités propres à la première puissance mondiale, cette tendance ne correspond pas à l’évolution globale de l’économie capitaliste. A la fin des années 1990, l’Afrique est arrivée à plus de 200 milliards de dette, le Moyen-orient également, l’Europe de l’est à plus de 400 milliards de dollars, l’Asie et la région Pacifique (y compris la Chine) à plus de 600 milliards de dollars, comme également l’Amérique latine (source Etat du monde 1998). Si nous prenons la production industrielle, la réalité du ralentissement de la croissance économique mondiale depuis la fin de la période de reconstruction, est encore plus marquante.
De 1938 à 1973, soit en 35 ans, la production industrielle des pays développés a augmenté de 288 %. Pendant les 22 années suivantes, sa croissance atteindra seulement 30 % (source OCDE).
Le ralentissement du développement de la production industrielle mondiale apparaît ici très nettement. La classe ouvrière devait nécessairement payer cette réalité. En prenant simplement les cinq pays les plus développés économiquement au monde nous avons une évolution du chômage particulièrement parlante. Celle-ci passe en moyenne de 3,2% de 1948-1952 à 4,9% en 1979-1981, pour aboutir en 1995 à 7,4% (source OCDE). Ces chiffres sont bien entendus ceux de la bourgeoisie, à ce titre ils sous-estiment consciemment cette réalité pour la classe ouvrière. De plus, depuis 1995, le chômage n’a fait que continuer à se développer sur l’ensemble de la planète.
Afin de ralentir son enfoncement dans la crise, la bourgeoisie ne pouvait pas se contenter de se doter d’institutions nouvelles au niveau international, ni d’avoir recours à un endettement faramineux comme nous venons de le voir, afin de maintenir totalement artificiellement en vie un marché solvable en réalité totalement saturé. Encore lui fallait-il tenter de freiner la chute progressive de son taux de profit. Les capitalistes n’investissent jamais que pour tenter d’obtenir un profit toujours plus grand en rapport avec le capital investi. C’est ce qui va déterminer ce fameux taux de profit. De 1960 à 1980 celui-ci a baissé, passant de 20% à 14% également pour l’Europe, pour remonter comme par magie à 20% aux Etats-Unis et à plus de 22% en Europe à la fin des années 1990. Faudrait-il alors que la classe ouvrière croit aux miracles ? Deux facteurs pourraient expliquer cette hausse : l’accroissement de la productivité du tavail ou l’austérité accrue infligée aux ouvriers. Or la productivité du travail a subi une érosion de moitié de sa croissance sur cette période. C’est donc en attaquant les conditions de vie de la classe ouvrière que la bourgeoisie a pu restaurer, pour le moment, son taux de profit. L’évolution de la part salariale, en pourcentage du PIB (produit intérieur brut) en Europe illustre parfaitement cette réalité. Dans les années 1970-1980, celle-ci s’élevait à plus de 76% en Europe et à plus de 79% en France, pour tomber à moins de 66% chez l’une comme chez l’autre. C’est bel et bien l’aggravation de l’exploitation et le développement de la misère en milieu ouvrier qui sont les principales causes de la restauration momentanée du taux de profit dans les années 1990.
C’est dans une deuxième partie que nous illustrerons la descente aux enfers de la phase actuelle de l’aggravation de la crise économique mondiale.
T.
Il y a 90 ans, au mois de septembre 1915, se tenait à Zimmerwald la première conférence socialiste internationale, à peine plus d’un an après le début de la Première Guerre mondiale. Revenir sur cet événement, ce n’est pas seulement rouvrir une page d’histoire du mouvement ouvrier, mais raviver la mémoire ouvrière sur la signification centrale et toujours valable de cette conférence : la lutte du prolétariat est de façon indéfectible et intrinsèquement liée à une lutte contre son exploitation et contre la guerre pour abattre le capitalisme, et, dans ce cadre, la responsabilité des révolutionnaires est vitale pour orienter cette lutte vers sa perspective révolutionnaire.
La multiplication des conflits guerriers, la propagande guerrière des grandes puissances impérialistes et leurs appétits concurrents et mortifères inondent la planète d’une barbarie toujours plus féroce. C’est en ce sens que "l’esprit" et les enseignements de Zimmerwald sont pour le prolétariat d’une brûlante actualité.
Zimmerwald a été la première réaction prolétarienne face au carnage de la première boucherie mondiale, et son écho grandissant a rendu espoir aux millions d’ouvriers submergés par les horreurs sanglantes de la guerre. L’entrée en guerre le 4 août 1914 est une catastrophe sans précédent pour le mouvement ouvrier. En effet, parallèlement à un matraquage idéologique nationaliste intense de la part de la bourgeoisie, l’élément décisif qui va l’entraîner dans cette tuerie ignoble est la félonie des principaux partis ouvriers sociaux-démocrates. Leurs fractions parlementaires votent les crédits de guerre au nom de l’Union Sacrée, poussant les masses ouvrières à s’entretuer pour les intérêts des puissances impérialistes dans une hystérie chauvine des plus abjectes. Les syndicats eux-mêmes déclarent toute grève interdite dès le début de la guerre. Ce qui avait été la fierté de la classe ouvrière, la IIe Internationale, se consume dans les flammes de la guerre mondiale, après le ralliement infâme de ses partis les plus importants, le Parti Socialiste français et surtout le Parti Social-démocrate allemand. Bien que gangrenée par le réformisme et l’opportunisme, la IIe Internationale, sous l’impulsion de ses minorités révolutionnaires, la Gauche allemande et les Bolcheviks notamment s’étaient très tôt prononcés contre les préparatifs guerriers et la menace de guerre. Ainsi, en 1907, au Congrès de Stuttgart, confirmée au Congrès de Bâle en 1912 et jusqu’aux derniers jours de juillet 1914, elle s’était élevée contre la propagande guerrière et les visées militaristes de la classe dominante. Ainsi plusieurs décennies de travail et d’effort sont anéanties d’un seul coup. Mais, restée fidèle et intransigeante sur le principe de l’internationalisme prolétarien, la minorité révolutionnaire ayant combattu des années durant l’opportunisme au sein de la IIe Internationale et de ses partis, va résister et mener le combat :
- en Allemagne, le groupe "Die Internationale" constitué de fait en août 1914 autour de Luxembourg et Liebknecht, les "Lichtsrahlen", la gauche de Brême ;
- en Russie et dans l’émigration, les Bolcheviks ;
- en Hollande le Parti Tribuniste de Gorter et Pannekoek ;
- en France, une partie du syndicalisme révolutionnaire autour de Rosmer et Monatte ;
- en Pologne, le SDKPIL, etc.
Un autre courant, hésitant, centriste, va également se développer, oscillant entre une attitude d’appel à la révolution et une position pacifiste (les Mencheviks, le groupe de Martov, le Parti Socialiste italien), et dont certains vont chercher à renouer avec les traîtres social-chauvins. C’est donc progressivement dans la confrontation que le mouvement révolutionnaire va initier la lutte contre la guerre impérialiste, préparer les conditions de la scission inévitable au sein des partis socialistes et la formation d’une nouvelle Internationale.
La tâche primordiale de l’heure est donc de favoriser le regroupement international des révolutionnaires, et aussitôt des contacts sont pris entre les différents internationalistes ayant rompu avec le social-patriotisme. La lutte contre la guerre est impulsée, en Allemagne en tout premier lieu, où le 2 décembre, Liebknecht est le seul à voter ouvertement contre les crédits de guerre, imité dans les mois qui suivent par d’autres députés. L’activité de la classe ouvrière contre la guerre se développe, à la base des partis ouvriers mais aussi dans les usines et dans la rue. La réalité hideuse de la guerre avec son hécatombe de morts, de mutilés sur le front, le développement de la misère à l’arrière, vont dessiller les yeux de plus en plus d’ouvriers et les sortir des brumes de l’ivresse nationaliste. En Allemagne, dès mars 1915, se produit la première manifestation contre la guerre de femmes mobilisées dans la production d’armement. En octobre, des affrontements sanglants entre la police et des manifestants ont lieu. En novembre de la même année, près de 15 000 personnes défilent là encore contre la guerre à Berlin. Des mouvements de la classe apparaissent aussi dans d’autres pays, en Autriche, en Grande-Bretagne, en France. Cette renaissance de la lutte de classe, alliée à l’activité des révolutionnaires qui, dans des conditions très dangereuses, distribuent du matériel de propagande contre la guerre, va accélérer la tenue de la Conférence de Zimmerwald (près de Berne) où, du 5 au 8 septembre 1915, 37 délégués de 12 pays européens se réunissent. Cette Conférence va symboliser le réveil du prolétariat international, jusqu’alors traumatisé par le choc de la guerre et être une étape décisive sur le chemin menant à la révolution russe et la fondation de la IIIe Internationale. Le Manifeste qui en sort est le fruit d’un compromis entre les différentes tendances. En effet, les Centristes se prononcent pour mettre fin à la guerre dans une optique pacifiste mais sans faire référence à la nécessité de la révolution ; ils s’opposent durement à la Gauche, représentée par le groupe "Die Internationale", les ISD et les Bolcheviks, qui fait du lien entre guerre et révolution la question centrale. Lénine critique très fermement ce ton pacifiste et l’absence des moyens pour combattre la guerre qui transparaît dans le Manifeste : "Le mot d’ordre de la paix n’a par lui-même absolument rien de révolutionnaire. Il ne prend un caractère révolutionnaire qu’à partir du moment où il s’adjoint à notre argumentation pour une tactique révolutionnaire, quand il s’accompagne d’un appel à la révolution, d’une protestation révolutionnaire contre le gouvernement du pays dont on est citoyen, contre les impérialistes de la patrie à laquelle on appartient." (1) En d’autres termes, le seul mot d’ordre de l’époque impérialiste est: "transformation de la guerre impérialiste en guerre civile". Malgré ces faiblesses, la Gauche, sans abandonner les critiques, considère ce Manifeste "comme un pas en avant, vers la lutte réelle avec l’opportunisme, vers la rupture et la scission" (1) Ce Manifeste de Zimmerwald va cependant connaître un énorme retentissement dans la classe ouvrière et parmi les soldats. Avec la poursuite d’une forte reprise de la lutte de classe internationale, la lutte sans concession de la gauche pour opérer un clivage dans les rangs centristes, la deuxième Conférence internationale à Kienthal en mars 1916, s’orienta nettement plus à gauche et marqua une nette rupture avec la phraséologie pacifiste.
L’élargissement considérable de la lutte de classe pendant l’année 1917 en Allemagne, en Italie et surtout l’éclatement de la Révolution russe, premier pas vers la révolution mondiale, allaient rendre caduc le mouvement de Zimmerwald qui avait épuisé toutes ses potentialités. Désormais la seule perspective était la création de la nouvelle Internationale qui, tenant compte de la lente maturation de la conscience révolutionnaire, la formation de partis communistes conséquents et l’attente du surgissement d’une révolution en Allemagne, allait se faire un an et demi plus tard en 1919.
Ainsi, malgré ses faiblesses, le Mouvement de Zimmerwald a eu une importance décisive dans l’histoire du mouvement révolutionnaire : symbole de l’internationalisme prolétarien, étendard du prolétariat dans sa lutte contre la guerre et pour la révolution. Il a véritablement représenté un pont entre la IIe et la IIIe Internationale.
Une des grandes leçons de Zimmerwald, toujours valable pour notre époque d’exacerbation inouïe des tensions et conflits impérialistes, doit être la réaffirmation de l’importance de la question de la guerre pour le prolétariat. Au même titre que son combat contre l’exploitation, le combat contre la guerre, contre les menées guerrières de la bourgeoisie, est partie intégrante de sa lutte de classe. L’histoire du mouvement ouvrier démontre que la classe ouvrière a toujours considéré la guerre comme une calamité dont elle est systématiquement la première victime. La guerre n’est pas un phénomène aberrant dans le capitalisme et d’autant plus dans sa période de décadence. Elle fait partie de son fonctionnement et est devenue un aspect permanent de son mode de vie. L’illusion réformiste d’un capitalisme possible sans guerre est mortelle pour le prolétariat. Engluées dans leurs contradictions, dans une crise économique qui n’a pas d’issue du fait de la saturation des marchés solvables au niveau mondial, les différentes fractions nationales de la bourgeoise ne peuvent que s’entredéchirer pour conserver leur part de gâteau, s’approprier celle des autres ou gagner des positions stratégiques nécessaires à leur domination. C’est en ce sens que prétendre qu’on peut lutter pour une amélioration de ses conditions de vie ou pour la paix en soi, SANS TOUCHER AUX FONDEMENTS DU POUVOIR CAPITALISTE, est une mystification, une impossibilité. Sans perspective de lutte massive politique, révolutionnaire de la classe ouvrière, il n’y a pas de véritable lutte contre la guerre capitaliste. Le pacifisme est une idéologie réactionnaire utilisée pour canaliser le mécontentement et la révolte du prolétariat provoqués par la guerre afin de le réduire à l’impuissance. De même, pour les prolétaires, tomber dans le piège de la défense de la démocratie bourgeoise en faisant cause commune avec ses exploiteurs en adhérant aux campagnes bellicistes de la classe dominante, c’est se soumettre pieds et poings liés à toujours plus de barbarie, à la dynamique guerrière du capitalisme en décomposition qui, de guerre "locale" en guerre "locale" finira par mettre en péril la survie même de l’humanité. La lutte de la classe ouvrière pour ses intérêts propres, en vue du renversement de cette société pour le communisme est la seule lutte possible contre la guerre.
SB
(1) Lénine, Contre le Courant, tome 1.
Dans Internationalisme 319 et 321, nous avons montré que l’Etat belge était une création contre-révolutionnaire et artificielle, mise en place par les grandes puissances de l'époque, comme un cadre étriqué et non progressif, défavorable pour l'industrialisation et l'instauration de rapports sociaux modernes. A travers une exploitation féroce du prolétariat, la bourgeoisie belge a cependant réalisé une expansion économique et impérialiste impressionnante à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle, qui a fait de la Belgique un des capitalismes les plus développés et puissants. Toutefois, la bourgeoisie ne sut pas profiter de la période d’expansion du capitalisme pour effacer les contradictions économiques, politiques et linguistiques qui découlaient de la création artificielle de son Etat. Cette incapacité va se ressentir de plus en plus ouvertement lorsque, avec la 1ère guerre mondiale, le capitalisme mondial glisse lentement mais sûrement, dans une situation de crise et de guerre permanente.
L’entrée en décadence du capitalisme met inexorablement à nu le manque inhérent de cohésion de la ‘nation belge’ et tend à exacerber de plus en plus les contradictions au sein de la bourgeoisie. Cela s’exprime de façon éclatante au cours même de la première guerre mondiale où une fraction de la bourgeoisie et de la petite-bourgeoisie flamande fait alliance avec l’impérialisme allemand, par le fait qu’elle estime toute perspective de défense de ses intérêts bloquée au sein de l’Etat belge par la bourgeoisie francophone dominante.
Dans la période entre les deux guerres mondiales, le centre de gravité de l’économie belge glisse de plus en plus vers la région flamande : la stagnation de la production industrielle wallonne s'amorce, alors que la Flandre profite de la position stratégique du port d'Anvers et des nouvelles mines du Limbourg, exploitées sur le mode de la grande dimension et selon une technologie avancée, et connaît un développement économique réel. Même la crise de 1930 altère peu la progression du processus d'industrialisation de la Flandre, tandis qu'en Wallonie, l'emploi industriel stagne suite à la rationalisation importante du secteur sidérurgique entre 1930-1939. Sur le plan politique par contre, le blocage au niveau du contrôle de l’Etat reste entier, ce qui provoque dans les années ’30 une poussée au sein de la bourgeoisie et petite-bourgeoisie flamande d’un courant contestataire, voire séparatiste, qui s’exprime par la montée en puissance du VNV (‘Union nationale Flamande’) ‘autonomiste’ et du Verdinaso ‘pan-néerlandais’.
Après la seconde guerre mondiale, dans la période de développement d’après-guerre, le déclin de l'industrie wallonne s'amplifie tandis que le développement de la Flandre s'accentue encore, favorisé par l'afflux massif de capitaux étrangers dans le secteur du pétrole, de la pétrochimie (60% s'installera à Anvers), de l’automobile et de l'électronique. Au niveau politique, une lutte d’influence s'engage alors pour de bon au sein de l’appareil politique traditionnel entre l'ancienne bourgeoisie francophone et la nouvelle bourgeoisie flamande qui veut traduire son pouvoir économique par un poids correspondant dans l'appareil étatique.
L’apparition de la nouvelle crise du capitalisme à la fin des années ‘60/ début des années ’70 exacerbe encore les contradictions : les formations politiques traditionnelles de la bourgeoisie (Sociaux-chrétiens, socialistes, libéraux) éclatent toutes en partis flamands et francophones tandis qu’apparaissent sur l’échiquier politique une floraison de partis ‘régionalistes’, comme la ‘Volksunie’ en Flandre, le ‘Rassemblement wallon’ en Wallonie ou le ‘Front des Francophones’ à Bruxelles. La bourgeoisie s’engage alors dans une interminable ‘fédéralisation’ de l’Etat visant à essayer de trouver un fragile équilibre entre ses fractions régionales.
L’extension de la décomposition et du ‘chacun pour soi’ dans le monde à la fin du 20e siècle rend la recherche et l’imposition de ces équilibres de plus en plus illusoire et incertaine, rend les tensions et les contradictions encore plus explosives : "La Wallonie meurt parce que la Flandre accapare tous les investissements" affirme la bourgeoisie francophone en chœur. "Si nous subissons la crise, c'est parce qu’on nous fait payer pour ce gouffre à millions qu’est l'industrie wallonne non rentable’’ rétorque sa consoeur flamande. Et si la bourgeoisie a essayé d’éliminer les partis régionalistes en les faisant absorber par les partis traditionnels, cela lui est revenu à la figure tel un boomerang puisque cela n’a eu comme résultat qu’une déstabilisation de ces mêmes partis traditionnels et la forte expansion d’un parti ouvertement séparatiste, le Vlaams Blok (Belang) qui monte en puissance depuis les années ‘90.
Si les poussées centrifuges et les tensions communautaires expriment bien la malformation congénitale de la bourgeoisie belge, liée à la constitution de son Etat, cela ne signifie pas qu’elle serait une bourgeoisie impuissante et faible envers la classe ouvrière, bien au contraire. Il s’agit d’une bourgeoisie économiquement forte, rompue, de par l’exiguïté du territoire national, à la guerre de concurrence internationale et extrêmement expérimentée dans le combat contre son ennemi mortel, le prolétariat.
Depuis le début du 20e siècle, la bourgeoisie belge s’est montrée particulièrement experte dans l’utilisation de toute la gamme des mystifications démocratiques contre les travailleurs. Mais de plus, elle a aussi amplement démontré sa maîtrise à utiliser ses tensions internes contre la classe ouvrière. L’exploitation systématique de celles-ci est une constante de la politique anti-ouvrière de la bourgeoisie belge depuis la première guerre mondiale et en particulier depuis la reprise de la lutte de classe à la fin des années ’60, et ceci sur plusieurs plans :
- La politique de ‘transfert de pouvoir aux régions’ sert tout d’abord de légitimation à la mise en place de restructurations dans l’industrie et l’administration, comme le démontre encore de façon caricaturale le récent ‘Plan Marshall pour la Wallonie’ du gouvernement régional wallon. Depuis les années ’70, la réduction des budgets et des effectifs sous le couvert d’une ‘meilleure efficacité est une caractéristique des administrations ‘régionalisées’, tels l’enseignement, les travaux publics, les transports en commun, le personnel communal ou le chômage. Quant aux industries déficitaires, telles la sidérurgie en Wallonie ou les chantiers navals en Flandre, elles ont été rationalisées et fermées au nom du dynamisme régional qui ne peut s’encombrer de ‘canards boiteux’.
- Les confrontations communautaires et régionales sont en outre savamment montées en épingle et dramatisées pour camoufler les attaques contre la classe ouvrière. Un parfait symbole de cela est le fait que la résurgence des luttes ouvrières en 1968 va de pair en Belgique avec une crise communautaire aiguë (scission de l’Université de Louvain) et cela deviendra une constante dans la politique d’austérité de la bourgeoisie. Ainsi, tout au long des années ‘90, le processus de fédéralisation de l’Etat a occupé la une des médias au moment même où des mesures d’austérité extrêmement dures étaient prises pour restreindre de manière drastique le déficit budgétaire de l’Etat. Les menaces verbales de séparatisme auxquelles répondent des professions de foi unitaristes sont accentuées pour polariser l’attention de la population, surtout évidemment des travailleurs, et pour les détourner des vrais enjeux.
- Un battage médiatique constant est développé pour mobiliser les travailleurs derrière les intérêts de ‘leur’ communauté linguistique et tout est fait pour instiller une concurrence entre régions. En 1918-19 déjà, l’impact de la vague révolutionnaire parmi les ouvriers flamands contre l’horreur des massacres guerriers était contrée par les discours sur les “soldats flamands envoyés au carnage par des officiers francophones dont ils ne comprenaient pas les ordres”. Et aujourd’hui, les médias bourgeois martèlent à longueur de journée que “la Flandre ne veut plus payer pour l’acier wallon déficitaire”, que “la Wallonie n’a rien à voir avec les chantiers navals flamands sans avenir”, “que l’enseignement serait plus performant en Flandre”, que “les chômeurs seraient moins sanctionnés en Wallonie”, etc. La Belgique n’est pas – nous l’avons vu – le fruit d'un long processus de maturation historique, économique et social, comme par exemple la France ou Allemagne. Elle ne pourra dès lors pas développer les mêmes mystifications nationalistes d'une ‘nation indépendante et solidaire, forte et unitaire’. Mais la bourgeoisie belge utilise habilement ses propres limites pour entraver la prise de conscience du prolétariat. La mystification ‘sous-nationaliste’ du ‘pouvoir régional’ est donc inhérente à des nations comme la Belgique tout comme celle de ‘l'effort national’ l'est pour des nations plus ‘cohérentes’. Elles visent fondamentalement à obtenir le même résultat : mobiliser les ouvriers derrière leur bourgeoisie (nationale ou régionale), dresser ainsi les ouvriers wallons contre leurs frères de classe flamands ou vice versa et leur faire accepter l'inéluctabilité de la crise, des sacrifices, de la guerre.
- Le poison ‘régionaliste’ est enfin une arme systématiquement utilisée par la bourgeoisie pour diviser et isoler les luttes ouvrières qui surgissent. Il s’agit là d’un barrage crucial qui pèse depuis les années 1930 sur le développement du combat des travailleurs : les luttes insurrectionnelles de 1932 ont été limitées à la Wallonie (essentiellement Charleroi et le Borinage) ; lors de la grève générale de ’60-’61, les socialistes et les syndicalistes wallons exploitèrent la mystification du fédéralisme pour diviser la lutte ouvrière et la dévoyer vers une impasse ; le nationalisme flamand a joué un rôle non négligeable dans les grèves sauvages des mineurs limbourgeois en 1966 et en 1970 ; l’arme régionaliste fut encore un puissant instrument pour contenir et désamorcer les combats contre la fermeture des mines, d’abord en Wallonie, puis en Flandre, de la sidérurgie wallonne et des chantiers navals flamands.
La mystification régionaliste ‘sous-nationaliste’ essaie de cacher à la classe ouvrière que c'est une crise mondiale généralisée qui tue l'industrie wallonne et qui détruit l'industrie flamande, que c'est le capitalisme dans son entièreté qui est en crise et qui doit être mis en question. Et la bourgeoisie utilise habilement les distorsions de son état et ses propres contradictions pour entraver tout développement de la conscience parmi les travailleurs de cette réalité, pour désamorcer leur combativité et pour essayer de les lier à ‘leur’ bourgeoisie régionale pour la ‘défense de leur région’. Ce n'est pas un hasard si ce sont ses agents parmi les travailleurs, les socialistes, qui sont les plus ardents propagandistes de la défense de ‘sa’ région et appellent au "sens des responsabilités" des travailleurs" pour sauver la Wallonie, en collaboration avec les autres ‘citoyens’, si ce sont les dirigeants syndicalistes les plus "à gauche" en Wallonie qui défendent la "fédéralisation" et si des voix s'élèvent dans les syndicats en Flandre (surtout dans les secteurs déjà fortement touchés par la crise : textile, alimentation, meuble) pour une collaboration plus "positive" avec le patronat flamand et pour "le maintien de l'argent flamand en Flandre".
Face à cela, les travailleurs doivent prendre en exemple les grèves massives dans le secteur public en ’83 et surtout la vague de grèves ouvrières d’avril-juin 1986, dont une des forces avait justement été la nette tendance à dépasser l’enfermement régionaliste et à refuser la voie sans issue du régionalisme et la fausse opposition entre ouvriers wallons et ouvriers flamands. Le sauvetage d’une nation ou d’une région est l’objectif de la bourgeoisie, pas le nôtre. C'est leurs structures, leurs institutions, leurs privilèges qu'ils essaient de sauver. Aujourd'hui la crise est générale, mondiale et elle conduit la bourgeoisie en droite ligne à un cycle infernal de guerres, de destruction et de chaos, si nous n'imposerons pas notre solution : le pouvoir international de la classe ouvrière pour bâtir une société enfin au service de l'homme. Et ce n'est qu'unis, en brisant les barrières régionales et nationales, que nous y parviendrons.
Jos
Comme nos lecteurs le savent, le CCI tient régulièrement des réunions publiques et des permanences. Les débats vivants qui s’y déroulent portent sur des thèmes divers et variés, en lien avec les questionnements d’actualité ou plus historiques qui touchent le combat de la classe ouvrière. Lors de notre permanence du 11 juin dernier à Nantes, l’un des participants a présenté un tract (co-rédigé avec de jeunes éléments critiques) et qu’il a diffusé à Rennes pour dénoncer la campagne idéologique et le référendum sur la constitution européenne. Cette démarche s’inscrit pleinement dans l’effort du prolétariat pour développer son combat de classe.
Voici quelques extraits de ce tract : "(…) L’histoire de l’Europe, ce n’est pas autre chose que l’histoire du capital et de ses répugnantes créatures, les Etats-Nations. Ce n’est que la réalisation, rendue nécessaire par la dynamique mondiale du capitalisme, d’un cartel d’Etats, pour la défense, commune jusqu’à un certain point, de leurs impérialismes respectifs, et pour la répression, trop divisée encore, de la frayeur partagée : le prolétariat et les quelques fractions encore remuantes de celui-ci, qu’il s’agirait de réduire au calme silence de la démocratie.
Cette unification fallacieuse sous la coupe réglée d’une poignée d’Etats dominants, cette mise en commun des moyens de nuire, on nous la présente comme la plus désirable réalisation de l’ère démocratique, et comme la justification toujours à venir de nos souffrances présentes.
Quant à nous, habitués à discerner, sous les traits charmants de la sage et heureuse démocratie, le visage hideux du capital et de sa sanglante dictature, nous affirmons : "de même que la France, cette vieille sorcière édentée, nous est de tout temps étrangère, de même la charogne Europe, trouvera toujours en nous des ennemis mortels, rêvant au jour de sa chute dans les basses-fosses de l’histoire. Contre les nations et les super nations, berceaux pourris du capital, contre l’idéologie démocratique moisie et rongée aux vers, notre patrie, c’est l’Internationale prolétarienne, c’est l’Internationale qui mettra à sac tous les palais, toutes les capitales du vieux monde (…) On nous propose un référendum sur une pompeuse Constitution européenne dont nous nous torchons le cul. Crachons d’abord sur ces pauvres nigauds et les parfaites ordures qui ont décidé, les uns, de respecter tout l’écoeurant "débat démocratique" orchestré par les autres" (…) Nous ne devons la très relative bonhomie de nos bons et loyaux Etats démocratiques qu’à l’absence temporaire du prolétariat révolutionnaire sur le champ de bataille de l’histoire (mais rassurez-vous, la vieille Taupe creuse toujours, et un jour paiera son travail de sape).
En démocratie, les décisions prises ne s’appliquent que si la réalité l’exige : c’est la nécessité du mouvement de l’histoire qui tranche, et non les pathétiques assemblées et les gentils référendums. Dites "oui" dites "non" : rien ne changera sinon que vous aurez participé une fois de plus au cirque électoral et consolidé ainsi la mascarade démocratique, que nous vomissons.
Pour que crèvent enfin toutes les sanglantes baudruches nationales et supranationales et leurs marionnettes étatiques ! A bas la France ! A bas l’Europe ! Vive le prolétariat ! Vive la révolution !". Et le tract est signé "Des communistes".
L’initiative et le contenu d’un tel tract ont été particulièrement salués par le CCI et les participants. Il s’agit en effet d’un effort réfléchi et conscient d’une minorité de la classe ouvrière pour dénoncer la démocratie bourgeoise et le battage médiatique de la classe dominante. Ceci est d’autant plus à souligner que la démocratie est le véritable cœur de l’idéologie de la classe dominante, un des piliers majeurs du système capitaliste. Le contexte de très forte intensité de la campagne de mystification démocratique – vantant les institutions, la "construction européenne", faisant croire que l’avenir de chaque prolétaire était conditionné par un simple bulletin de vote - rendait d’autant plus courageux le fait d’exprimer à la fois son indignation et le fruit d’une réflexion pour dénoncer cette propagande d’Etat. Plusieurs interventions ont aussi mis en exergue l’attaque de la bourgeoisie sur la conscience du prolétariat et les dangers que représente l’idéologie démocratique très justement dénoncée. La discussion a donc bien mis en évidence que la réflexion développée dans le tract représente une force politique pour sortir de la gangue du poison démocratique et nationaliste. Et il est clair que cette dynamique positive va dans le sens de la clarification, en permettant aux camarades qui en ont eu l’initiative, de tenter d’approcher les positions révolutionnaires de la Gauche communiste et de se les réapproprier.
L’effort du tract est aussi positivement significatif de la période actuelle, de la réalité du développement d’une maturation souterraine au sein de la classe ouvrière. Il est la traduction d’un autre phénomène corollaire, d’une qualité plus particulière : celui de l’apparition d’une réflexion dans la jeunesse sur la réalité barbare du capitalisme et la nécessité de trouver une perspective autre que le "no future" et les miasmes de la décomposition sociale.
Bien entendu, le désir inévitable que "cela bouge tout de suite", en dehors d’un cadre organisationnel et structuré, s’est manifestée dans le tract par une réaction de révolte devant "les pauvres nigauds" qui ont "respecté tout l’écoeurant débat démocratique". Ce rejet immédiatiste a été critiqué à des degrés divers par certains participants. Mais en fait, cette réaction de révolte envers "ceux qui gobent la propagande bourgeoise" peut apparaître légitime de la part d’éléments qui expriment une impatience et une révolte devant le fait que les ouvriers aillent voter pour une fraction ou une autre de la bourgeoisie. La discussion a également montré qu’une telle attitude traduit des concessions à l’idéologie anarchisante, ce qui tend bien plus à désarmer ces camarades face à l’anarchisme ambiant entretenu par la bourgeoisie et dont une des composantes idéologique classique est la culpabilisation (des "nigauds"). Il s’agit là aussi du poids idéologique de visions individualistes de la lutte de classe qui pousse à faire en sorte de rejeter certaines parties de la classe ouvrière, perçues comme "moins claires", voire à les mépriser. Mais ce produit idéologique a été en même temps rapidement combattu, puisqu’un des rédacteurs présent a précisé que ce tract avait été écrit "pour faire réagir". Dans le mouvement ouvrier, les révolutionnaires ont toujours œuvré dans le sens de faire réagir la classe ouvrière, mais jamais en l’insultant, ni en traitant les ouvriers mystifiés par l’idéologie bourgeoise d’imbéciles. Une des tâches principales des révolutionnaires est bien plus de dénoncer les pièges de l’idéologie bourgeoise et d’expliquer patiemment et inlassablement à la classe ouvrière les dangers qui la guettent si elle adhère aux mensonges électoraux de la classe dominante. L’attitude consistant à stigmatiser "les nigauds" qui vont voter ne peut que braquer des éléments en recherche ou qui ont des doutes. Elle entrave la réelle réflexion en les rejetant d’emblée dans le camp de ceux qui se "font avoir" mais sans donner de réponse claire et réellement critique.
La discussion, dans ce sens, a montré la nécessité de débattre fraternellement pour faire avancer la réflexion. Et c’est bien cette démarche qui a été engagée par le camarade qui est venu pour défendre un texte émanant d’éléments combatifs, en s’inscrivant très positivement dans la discussion.
Le camarade est ainsi intervenu dans le débat pour répondre, développer son point de vue et justement exposer ses désaccords: "Notre tract n’a pas pour but d’éclairer, mais il a été rédigé contre le consensus et pour faire réagir (…) j’ai une vision différente du CCI sur la question de l’organisation et du militantisme. Le CCI n’est certainement pas d’accord avec notre analyse sur ce plan, qu’il qualifierait de conseilliste. Nous ne sommes pas révolutionnaires sans les masses qui font la révolution. L’organisation est faite pour répondre à une tâche et des nécessités précises. En dehors de la période révolutionnaire, elle n’a pas son utilité et dans ce cadre est amenée à se bureaucratiser. Pourquoi avoir besoin d’une organisation ? Les meetings, les tracts etc. peuvent très bien se faire sans elle. (…). Marx et Engels ont été des théoriciens et des interprètes du mouvement social. Entre 1852 et 1864, il n’y avait pas d’organisation et les idées de Marx n’ont pas dégénéré. Ma critique porte sur le fait que les organisations dégénèrent quand leur rôle est terminé (…) Le CCI intervient dans la classe ouvrière, le CCI veut bien discuter. Bien ! Mais je ne suis pas sûr qu’en faisant des réunions publiques cela développe une influence. Il n’y a pas forcément des prolétaires qui viennent ou convaincus. J’ai l’impression que cela n’apporte rien de discuter par rapport à un texte (NDLR : le camarade fait allusion à nos textes introductifs lors des réunions publiques). On n’a pas besoin d’un cours ! (…) je ne nie pas la nécessité d’une organisation, mais seulement en période révolutionnaire"
Selon le point de vue développé ici par le camarade, l’organisation ne se réduirait qu’à un aspect immédiatement utilitaire et limité à la période révolutionnaire. Mais surtout, elle présenterait un danger après la révolution. On retrouve, comme le reconnaît d’ailleurs lui-même le camarade, la vieille antienne conseilliste qui, derrière une vague considération sur "l’utilité éventuelle" de l’organisation, la conçoit a priori comme une sorte de menace, une "machine à corrompre", un "instrument" aux mains de "leaders". En fin de compte, il apparaît bien de ce fait que le camarade n’est pas convaincu de l’utilité d’une organisation, y compris d’ailleurs pour la "période de la révolution". Pour lui, la classe ouvrière est parfaitement capable de s’organiser elle-même, et nous sommes d’accord là-dessus. Mais nous touchons ici au nœud de la problématique du camarade qui voit aussi dans le parti un danger potentiel permanent pour la classe ouvrière. Pour lui, le parti ne peut inévitablement que confisquer au prolétariat le contrôle de sa lutte et en conséquence est un ennemi à terme du développement de son combat et ne peut que s’identifier pleinement à la prise du pouvoir au sein de l’Etat.
D’où provient l’organisation ? Des masses elles-mêmes ? Quelle serait alors sa tâche et par rapport à quelles nécessités ?
Le camarade passe en réalité à côté de ces questions essentielles, ce qui renforce sa propension à assimiler confusément le parti à l’Etat et donc à ne voir avant tout dans le parti qu’un "danger". Comme un fatum, la dynamique de "bureaucratisation", selon la terminologie conseilliste, devient alors inévitable de ce point de vue. Or, il n’y a au contraire aucune fatalité et la vie d’une organisation n’est qu’un combat permanent dont l’issue n’est pas écrite à l’avance. Il doit être clair que le parti n’a pas pour rôle de prendre le pouvoir, même "au nom de la classe" et qu’il reste toujours un organe d’orientation politique qui, loin de s’identifier à l’Etat, lui est étranger. Cela avant, pendant et après la révolution, y compris donc dans une période post-insurrectionnelle. Il reste en cela une sécrétion de la classe ouvrière et de son combat historique. Seule une défaite du courant marxiste et une victoire de l’opportunisme, c'est-à-dire la pénétration de l’idéologie dominante en son sein, représente un danger potentiel qui peut être effectivement mortel. Mais cela n’infirme pas qu’à tous moments, il est vital pour les minorités les plus conscientes d’être organisées, pour être facteur actif dans le combat pour participer activement et efficacement à accélérer l’homogénéisation de la conscience dans la classe.
En réalité, ce qui peut paraître difficile à comprendre, c’est que le mouvement ouvrier doit accomplir des tâches organisationnelles en permanence, y compris lorsque les grandes masses paraissent totalement absentes de la scène de l’histoire ou lorsqu’elles sont défaites. S’il est vrai que les partis prolétariens surgissent en lien avec la montée des luttes de la classe ouvrière, se développent ensuite et disparaissent dans les phases contre-révolutionnaires, comme ce fût le cas formellement pour la Ligue en 1852, cela ne signifie pas pour autant une disparition totale de l’activité organisée.
De ce point de vue, entre 1852 et 1864, Marx n’était pas un "individu isolé" qui s’est "retiré pour ses études", un "penseur" ou "philosophe génial" comme se plait à le présenter la bourgeoisie, mais est resté au contraire un vrai militant communiste : "Marx n’a pas dissout autoritairement la Ligue en 1850, pas plus que l’AIT en 1872. Il a simplement expliqué que les révolutionnaires doivent se préparer à affronter la prochaine désagrégations de ces partis, en s’organisant pour maintenir même en leur absence le fil rouge de l’activité communiste" (Revue Internationale n°64 : "Le rapport fraction-Parti dans la théorie marxiste"). Les individus isolés, a contrario, ne peuvent avoir aucun champ réel d’action et le mouvement conscient de la classe ne peut jamais se réduire à la réflexion d’une somme d’individus éparpillés. Durant cette période de reflux de la lutte de classe, Marx et Engels ont au contraire toujours manifesté le souci de maintenir des liens organisés et de publier une presse révolutionnaire. Par l’expérience historique de la classe, Marx et Engels ont su préciser ainsi davantage à ce moment les contours de la notion de parti en faisant ce qu’on pourrait appeler un travail de "fraction" avant la lettre : "le processus de maturation et de définition du concept de fraction trouve donc son origine (mais pas sa conclusion) dans ce premier réseau de camarades qui avaient survécu à la dissolution de la Ligue des Communiste" (idem).
L’exemple de la Gauche italienne dans les années 1930, repris dans la discussion, constitue un démenti significatif à l’idée selon laquelle les organisations seraient inutiles en dehors de mouvements révolutionnaires. En effet, mené dans les conditions les plus terribles du stalinisme triomphant, les travaux de la Gauche italienne ont été des plus féconds sur différents plans théoriques, notamment organisationnels. Sans ce travail de fraction et donc d’organisation, notamment mené par Bilan, il n’y aurait pas aujourd’hui d’expression organisée aussi élaborée de la gauche communiste que le CCI ! Nous pouvons aussi ajouter plus simplement qu’avec le raisonnement du camarade appliqué à la phase ascendante du capitalisme, où la révolution n’est pas encore possible du fait de l’immaturité des conditions historiques, où le prolétariat se constitue en classe, on en viendrait rapidement à jeter aux orties les combats organisationnels de Marx et d’Engels, de Rosa Luxemburg et de Lénine ! Comme l’a affirmé justement un participant : "(…) L’organisation n’est pas seulement présente à des moments historiques particuliers. Il existe un rapport social qui fait que l’organisation est là pour lutter contre l’idéologie dominante. L’organisation est une nécessité pour pouvoir faire face à la pression de l’idéologie bourgeoise qui est permanente. Il s’agit d’un facteur fondamental qui s’exerce en profondeur et en étendue."
C'est justement à travers la discussion politique la plus large et la plus étendue et à travers la reconnaissance que les organisations révolutionnaires représentent son intérêt que le prolétariat sera le mieux à même de se renforcer politiquement et de se confronter à la bourgeoisie.
Le patient travail de regroupement international va de pair avec la construction de l’organisation du prolétariat. Le souci de la continuité pour transmettre un patrimoine politique à une nouvelle génération de militants est aujourd’hui indispensable pour préparer le futur parti et le prochain assaut révolutionnaire. Si les conditions du surgissement du parti sont liées à la lutte de classe, ce dernier n’en est pas un produit mécanique qui apparaît ex nihilo. Il doit surtout son existence à la clarté et la détermination, au combat de l’avant-garde révolutionnaire. Comme l’a montré la révolution russe, le parti bolchevik s’est construit bien avant la révolution, permettant une intervention féconde qui a préparé l’effervescence dans les meetings, les grèves et manifestations, dans les conseils ouvriers. Ceci, afin de remplir une fonction irremplaçable, celle de catalyser le processus de maturation de la conscience prolétarienne vers la victoire. Aujourd’hui, alors que l’impasse du capitalisme en crise pousse à nouveau le prolétariat à poursuivre et développer son combat, la tâche des révolutionnaires est d’œuvrer au travail de regroupement, à l’unité des énergies révolutionnaires en vue de la construction du futur parti mondial. De ce point de vue, nous ne pouvons partager la vision du camarade qui voit dans nos réunions et dans l’élaboration d’une démarche politique un "cours" qui ne lui "apporte rien". Contrairement à cette vision qui ferait du CCI une sorte de "professeur" et les participants des "élèves passifs" qui devraient ingurgiter des "leçons" formatées, nous affirmons que le prolétariat n’adopte pas ce type de démarches "pédagogiques" étrangères au marxisme. Tout au contraire, les réunions, encore une fois, sont des lieux de débats qui doivent permettre une confrontation politique en vue d’une clarification pour les besoins du combat. Elles participent du processus de prise de conscience nécessaire pour lutter contre la pression idéologique de la bourgeoisie, développer la lutte et préparer le futur.
WH / 20.8.05
Dans la première partie de cet article, paru dans le numéro précédent de Internationalisme, nous avons montré l’évolution de la crise économique du capitalisme depuis la fin des années 1960 suite à la période de reconstruction de l’après Deuxième Guerre mondiale. Dans cette deuxième partie nous allons nous attacher à démontrer que le monde capitaliste s ‘enfonce dorénavant dans une nouvelle récession mondiale, que la bourgeoisie se voit obligé de faire payer toujours plus fortement à la classe ouvrière.
Face à cette dégradation de l ‘économie capitaliste, la bourgeoisie, au début des années 2000, a voulu de nouveau nous faire croire à une nouvelle phase d’expansion économique, notamment aux Etats-Unis mais également en Chine et en Inde. Pour ce qui concerne ces pays d’Asie et devant la propagande éhontée de la bourgeoisie, nous reviendrons plus en détail sur cette question dans un prochain article du journal.
Pour ce qui concerne les Etats-Unis, première puissance économique du monde, il n’est pas difficile de montrer la vacuité des mensonges bourgeois en la matière ! Sans un déficit public dont l’ampleur et la rapidité de l’augmentation font peur à la bourgeoisie elle-même, l’économie américaine connaîtrait sans aucun doute la récession.
Mais quels sont donc les autres facteurs présidant à cette "fameuse reprise" américaine ?
La première raison est le soutien massif développé par l’administration américaine à la consommation des ménages. Cette politique est due à une spectaculaire baisse des impôts des classes aisées et moyennes, au prix d’une accélération de la dégradation du budget fédéral.
En deuxième lieu, la baisse des taux d’intérêts passant de 6,5% début 2001 à 1% début 2004, a propulsé ainsi en avant l’endettement des ménages.
Enfin, une ponction toujours plus grande de l’épargne, qui fond comme neige au soleil, passant de plus de 12% en 1980 à un petit 2% en ce début des années 2000.
La baisse spectaculaire des taux d’intérêts et la ponction phénoménale de l’épargne se sont donc traduits par un endettement massif des ménages aux Etats-Unis.
L’état américain a notamment soutenu ainsi totalement artificiellement le marché immobilier et le marché de l’automobile. La bourgeoisie américaine a poussé les ménages, quelque fois même avec des prêts à taux zéro, à acheter leur propre habitation, ce qui a été la source d’emprunts records. Depuis 1977, l’endettement hypothécaire américain a augmenté de 94% pour atteindre 7,4 milliards de dollars. Depuis 1977, les crédits bancaires destinés à l’acquisition d’immeubles se sont accrus de 200%. Depuis 1988 les prix des immeubles ont plus que doublés. En moyenne, aux Etats-Unis, la dette hypothécaire correspond pour une famille de 4 personnes à un endettement moyen de quelques 120 000 dollars. L’augmentation à la hausse accélérée des prix de l’immobilier s’est ainsi traduit également par une spéculation effrénée dans ce secteur. Tant que les taux d’intérêts restaient bas, proche de zéro, l’endettement des ménages pouvaient être supportable. Mais avec la hausse des taux d’intérêts qui s’amorce et l’élévation de la dette qui en résulte c’est la ruine pure et simple qui attend une très grande quantité des ménages américains.
Et pour finir, les Etats-Unis, grâce à cette politique des taux d’intérêts extrêmement bas, mènent sans vergogne une politique de dévaluation compétitive du dollar leur permettant de reporter sur le reste du monde les effets les plus marquants de l’aggravation de la crise économique. Devant la gravité actuelle de celle-ci, chaque bourgeoisie se lance dans une guerre commerciale sans merci.
Le prolétariat en Europe et en France n’a pu qu’en faire l’amère expérience avec le développement massif des licenciements et le démantèlement de "l’Etat providence" (remboursement de soins, bradage des retraites…) Mais ce qui est encore plus significatif, c’est que malgré l’ampleur sans précédent des moyens adoptés, cette reprise aura été extrêmement brève. La nouvelle récession et le retour de l’inflation ne laissent aucun répit à la bourgeoisie. Déjà la récession s’annonce et l’inflation fait sa réapparition. Le Groupe Financier Banque TD qui se veut particulièrement rassurant annonce pourtant un ralentissement de la croissance mondiale : "Le PIB mondial réel ralentira probablement de 4,8% en 2004 à 4,2% en 2005 et à 3,9% en 2006… En fait la croissance américaine devrait ralentir de 4,4% en 2004 à 3,8% en 2005, puis à 3,2% en 2006, tandis qu’en Chine on prévoit que le taux de croissance oscillera entre 8% et 8,5%…par rapport au plus 9% de 2004." Cependant ces prévisions apparaissent, là encore de la part des experts bourgeois, sous-estimer la réalité, ce qui n’empêche celle-ci de prévoir des jours sombres pour l’économie capitaliste, contredisant ainsi ouvertement les campagnes idéologiques de la bourgeoisie.
Le 22 février dernier, de nouveaux troubles importants sont apparus sur les marchés financiers, indiquant encore une fois les conditions désastreuses dans lequel se trouve le système financier international. Le 24 février le principal éditorial du New York Times mettait en avant : "La liquidation du dollar mardi n’a pas provoqué d’effondrement. Mais elle en a sans aucun doute donnée un avant goût (…) L’épisode de mardi à ses origines dans les déséquilibres structurels américains…" Quant au Washington Post, au cours du même mois, il écrivait : "L’horloge continue d’avancer nous rapprochant du désastre. Une superstructure financière délabrée se fait secouer par une nouvelle crise de l’énergie, l’agitation du dollar et des finances américaines hors de contrôle." Il y a encore peu, le dollar s’échangeait à 1,32 contre 1 euro. Cette perspective de baisse du dollar semblait s’imposer. Cependant, la crise secouant actuellement l’espace économique européen a bousculé momentanément la donne. Le 3 juin dernier l’euro atteignait son plus bas niveau depuis huit mois, en lien avec une brusque ruée sur le dollar.
La bourgeoisie se retrouve confrontée à des turbulences monétaires de plus en plus graves, lui interdisant toute vision à moyen terme. A cela il faut ajouter, qu’au cours des dernières années, le dollar était principalement soutenu par le Japon, l’Arabie Saoudite et la Chine. On sait que, depuis 2 ans, les saoudiens détournent leurs investissements des Etats-Unis, vers d’autres régions du monde. Aujourd’hui, la Chine montre qu’elle arrive également dans ce domaine à un point insupportable pour son économie. Le porte parole du ministère des affaires étrangères Ain Gang a déclaré à Pékin en avril : "Si un pays est incapable de soutenir ces déficits avec une épargne interne, il ne peut dépendre de l’épargne d’un autre pays". En terme clair, à son tour la Chine, n’est plus en mesure de financer l’énorme déficit américain. Les banques centrales asiatiques, japonaises et chinoises inondées d’avoirs en dollar, avec des banques au bord de la faillite ne pourront plus en absorber davantage. Les plus grands détenteurs de reconnaissance de dettes de l’Etat américain sont les banques centrales d’Asie et de la région du Pacifique. A elles seules, celles du Japon et de la Chine possèdent des obligations d’Etats américains se chiffrant à plus de 1 milliard de dollars. La Chine écoule une grande partie de sa production sur le marché intérieur américain. Elle est alors payé en dollars, qu’elle utilise en partie pour acheter des bons du trésor américain, finançant ainsi le déficit colossal des Etats-Unis. Cette politique permet en retour à Pékin d’ouvrir chaque jour de nouvelles usines de biens exportables avec l’aval des Etats-Unis, sur le marché américain. Cependant l’économie chinoise est subventionnée par le déficit budgétaire et le déficit d’Etat. Celui-ci ne cesse de se creuser atteignant comme aux Etats-Unis une zone de haute turbulence. Il était d’un peu plus de 100 milliards de yuans en 1987, il est aujourd’hui de près de 500 milliards. Déficit qui est financé essentiellement par le système bancaire chinois, qui se retrouve ainsi noyé de créances plus que douteuses. L’instabilité croissante du dollar fait aujourd’hui courir un risque majeur au système financier international.
Pour la majorité des pays, posséder des dollars, n’a de sens que dans la mesure où il s'agit de la principale monnaie du commerce mondial. C’est bien cette fonction qui est mise en danger par son effondrement toujours possible. Malgré, la reprise actuelle du dollar face à l’affaiblissement de l’euro, le niveau faramineux d’endettement de l’économie américaine ne peut que pousser, dans la période à venir, à nouveau le dollar à la baisse. Face à cette réalité, le danger vient de la nécessité pour de nombreux pays de diversifier leur avoir en devises fortes. La flambée du cours des matières premières, qui le 8 mars à partir de l’indice CRB ( Commodity research bureau) qui couvre 17 des plus importantes matières premières a atteint son plus haut niveau depuis 24 ans. Il n’y a pas que le pétrole qui grimpe même si le baril qui était de 10 dollars il y a 6 ans a franchi celui des 55 dollars aujourd’hui. La spéculation toujours aussi présente, y compris en formant une bulle immobilière maintenant toute proche de l’implosion et l’état catastrophique du système monétaire international ont poussé l’or a battre un niveau historique de 440 dollars l’once. Deux jours plus tard l’ancien premier ministre australien, Paul Keating, déclarait : "Qu’il fallait se préparer à un krach catastrophique du dollar et à une explosion de panique."
Malgré la pression à la baisse sur les prix par une politique de régression salariale, partout cet endettement généralisé fait ressurgir conjointement avec la récession, le spectre de l’inflation. La pression excessivement forte à la baisse sur la masse salariale, induisant une tendance à la baisse des prix, n’est ainsi plus en mesure de freiner durablement les tendances inflationnistes. Tous les pays industrialisés d’Europe, d’Asie et d’Amérique elle-même connaissent à nouveau des tensions inflationnistes. La réduction de la masse monétaire qui en découle inéluctablement sera un facteur actif supplémentaire dans la récession qui se profile à nouveau. La bourgeoisie est ainsi elle même obligée de prendre des mesures qui vont ralentir l’économie, alors que la récession est pourtant à nouveau déjà présente. Avec en 2003 une dette équivalente à 58% du PIB et un taux de 60% de la croissance attribuable aux dépenses militaires, la récession américaine qui s’approche donne ainsi le ton pour l’ensemble de l’ économie mondiale. L’affaiblissement de la cohérence économique atteinte dans l’Espace Européen, notamment en matière monétaire, se traduira dans ce contexte international par une entrée encore plus forte dans la récession. Les turbulences que va connaître le système financier international ne manqueront pas également d’avoir des conséquences encore difficilement mesurables sur la dégradation de l’économie capitaliste.
Alors que la très courte reprise économique de ce début des années 2000 s’est traduite par une accélération massive du chômage et de la paupérisation de la classe ouvrière, nous pouvons alors imaginer l’ampleur de l’attaque que le capitalisme tentera d’infliger au prolétariat. Un des symboles de cette fameuse reprise qui vient de s’écouler est peut-être la faillite virtuelle des deux plus grands constructeurs automobiles mondiaux : Général Motors et Ford. Devant une telle détérioration de l’économie capitaliste, un tel développement de l’exploitation ouvrière, plus que jamais le prolétariat ne doit pas se tromper d’ennemi. Celui-ci n’est pas le libéralisme ou la libre concurrence, ou le patronat, pas plus que ce qui est appelé mondialisation. C’est le capitalisme aujourd’hui en faillite, la classe bourgeoise et son état qui sont les seuls véritables ennemis de la classe ouvrière et de l’humanité tout entière. D’ores et déjà, nous pouvons affirmer que la nouvelle récession sera beaucoup plus profonde que toutes celles qui ont existé depuis la fin de la période de reconstruction. Mais le prolétariat ne doit pas se décourager devant cette perspective. Si la crise économique s’accélère et avec elle les attaques contre la classe ouvrière, celles-ci se développent au moment ou le prolétariat à travers la remontée de sa confiance en lui-même, retrouve le chemin des luttes et du développement de sa solidarité et de sa conscience de classe. Cette situation est riche et pleine de potentialité pour la lutte de classe.
Tino
Depuis quelques années, les catastrophes naturelles ne cessent de se multiplier. Bien pire encore, les conséquences humaines de ces drames gigantesques prennent des proportions toujours plus grandes. Pourtant, l’attitude des bourgeoisies nationales varient fortement d’une catastrophe à l’autre. L’ignominie de la bourgeoisie se manifeste chaque fois qu’il est question de "secours" à apporter aux populations sinistrées. Il suffit de voir comment après chaque catastrophe, celles-ci sont utilisées directement à des fins impérialistes.
Au mois de décembre, l’année dernière, le tsunami ravageait l’Asie du sud. Ce raz de marée devait faire plus de 500 000 morts, touchant l’Indonésie, Sumatra, la Thaïlande et l’Inde. Les médias bourgeois pouvaient partout verser leurs larmes de crocodiles et en appeler à la mobilisation générale des secours, la préoccupation des principaux Etats capitalistes étaient en vérité ailleurs. Dans cette région du monde où les tensions entre nations sont fortes, notamment entre l’Inde et le Pakistan, toutes les grandes puissances impérialistes ont tenté de se positionner au mieux de leurs intérêts en avançant à peine cachées derrière leurs ONG respectives. Ainsi, face à la totale inefficacité sur le terrain des aides humanitaires, même les journalistes sont obligés d’avouer que "Le climat de concurrence dans lequel opèrent les organisations non gouvernementales et les agences des Nations Unies forme une autre explication. Quatre études récentes en arrivent indépendamment à des conclusions similaires : la manne financière, que représente l’aide humanitaire internationale, a entraîné une ruée plutôt inconvenante vers les ressources de donateurs, souvent au détriment des populations affectées par des catastrophes et des situations d’urgence et à celui donc de l’intégrité des organisations… Celles-ci sont souvent guidées par les priorités de leur donateur, qui allouent les fonds de manière à favoriser leurs intérêts nationaux" (souligné par nous, Le Monde Diplomatique du 17 octobre). Bien pire encore, "l’absence de coordination et la multiplicité des initiatives des différentes ONG ont engendré des phénomènes de rivalités et de double emploi ou d’aides inadaptées" (Libération du 20 octobre). La réalité ne peut pas être plus cyniquement exprimée. Cette concurrence inter-impérialiste dont les ONG sont le fer de lance se traduit ainsi dans les faits par un gaspillage, voire une stérilisation de toute une partie des misérables moyens des secours octroyés par les Etats ou même provenant des dons des particuliers indignés par autant de souffrance humaine.
L’intérêt réel que porte le capitalisme à la vie humaine, ses motivations en matière de politique "humanitaire" se montrent dans toute leur clarté et cruauté lorsque des catastrophes touchent des zones géographiques qui n’ont pas d’intérêts géostratégiques majeurs. Quelques mois seulement avant que le Tsunami ne frappe en Asie du sud-est, de terribles inondations ont ravagé Haïti et Saint-Domingue. Il y a eu des milliers de morts et pratiquement aucun moyen de secours, aucune publicité, aucune campagne médiatique de "solidarité" envers les populations sinistrées (qui n'a été, lors du tsunami, qu'un gigantesque racket à l'échelle planétaire). La même constatation s’impose pour ce qui est de l’Amazonie qui connaît depuis 4 ans la plus terrible sécheresse de son histoire et dont la population est tout simplement abandonnée à son triste sort. Ou encore, au cours du mois de septembre, la tempête Stan a frappé de plein fouet le Guatemala, mais aussi le Salvador, le Nicaragua et le sud-est du Mexique. des milliers de morts et des dizaines de milliers de sinistrés ont été dénombrés. A titre d’exemple, le dimanche 9 octobre, les informations télévisées ne sont restées que quelques secondes sur ce qu’elles ont nommé un fait divers : une coulée de boue dans un village reculé du Guatemala. Cette brève d’info recouvrait en réalité un carnage abominable. Les 1400 habitants de ce village ont péri. Tous y sont passés, hommes, femmes et enfants, noyés, étouffés ou écrasés sous les glissements de terrains ou les pluies torrentielles.
Face à cette nouvelle tragédie, Washington a promis très "généreusement" d’envoyer six hélicoptères pour faciliter les évacuations. La majeure partie des ONG, les principales puissances impérialistes du monde se sont totalement désintéressées de ce drame humain, laissant cette région du monde sombrer dans l’indifférence, la souffrance et les épidémies.
Lorsqu’il y a quelques semaines seulement, le cyclone Katrina a frappé massivement la Nouvelle-Orléans et plus généralement le sud-est des Etats-Unis, l’attitude des bourgeoisies a été radicalement différente. L’indifférence a été remplacée par une sur-médiatisation. A la télévision, dans les journaux, à tout moment de la journée étaient montrées des images de populations pauvres, prises au piège, sans ressource, sans abri, sans secours et encadrées par les soldats américains l’arme au poing. Tout cela n’avait rien d’innocent. Il s’agissait pour les principales bourgeoisies nationales rivales de montrer l’inhumanité, l’indifférence et l’incapacité des Etats-Unis de protéger leur propre population, eux qui par ailleurs déploient des moyens militaires faramineux pour bombarder les populations d'Irak et de l'Afghanistan. La campagne idéologique anti-américaine s’est exprimée pleinement, permettant alors à des puissances impérialistes comme la France ou l’Allemagne de faire savoir qu’elles étaient prêtes à venir au secours de l’Etat américain défaillant. Même Condolezza Rice a été amenée à tempérer les propos de l’administration américaine et du président Bush qui avaient immédiatement et vivement réagi à ces propositions : "Dans un interview à la chaîne ABC, Bush a d’abord déclaré "Nous apprécions l’aide, mais nous allons nous en sortir nous-mêmes". Puis le président américain a précisé :"Nous ne leur avons pas demandé de nous aider".
L’utilisation cynique de cette catastrophe par les principales puissances rivales des Etats-Unis a momentanément porté ses fruits en montrant aux yeux du monde entier l’incurie de la première puissance mondiale face à la détresse de sa propre population.
Sur ce terrain, le développement des tensions inter-impérialistes n’allait connaître aucun répit. Dès le mois d’octobre, un nouveau tremblement de terre allait toucher la région du Cachemire indien et pakistanais. Dix jours après ce séisme, le nombre de victimes ne cesse encore de croître, dépassant pourtant déjà les 50 000 morts. Comme lors du tsunami, les ONG de tous horizons se sont précipitées pour proposer leur aide, et derrières elles, toutes les grandes puissances ont manifesté leur volonté de participer activement aux secours. Pour quel résultat ?
"Je ne pense pas que beaucoup de gens puissent survivre dans ce froid […]. Nous avons vu apparaître ces derniers jours des cas de diarrhée, de fièvre, des infections respiratoires" (Docteur Bilal cité par Courrier International du 16 octobre).
Dans cette région du Cachemire, l’odeur de mort et de putréfaction prend à la gorge, et les survivants errent en quête d’abri affluant des montagnes.
Plusieurs semaines après cette gigantesque catastrophe, la réalité des secours mis en œuvre sur le terrain est donc pratiquement insignifiante. Cette zone du monde est d’une très grande importance géostratégique et impérialiste en tant que point cardinal entre l’Europe, l’Asie et la Russie. Ainsi, depuis des années, cette région est le théâtre des rivalités guerrières entre l’Inde et le Pakistan. Le contraste est absolument saisissant entre les moyens logistiques armés déployés dans cette région du monde et le dénuement extrême des populations. En fait, ces moyens militaires ne peuvent en aucun cas être mis à la disposition des secours. En effet, "la source d’approvisionnement en hélicoptères la plus proche est l’Inde, mais les relations sont tendues entre les deux pays qui se disputent la souveraineté du Cachemire". Le président pakistanais Pervez Musharraf a dit "qu’il accepterait les hélicoptères indiens, à condition qu’ils arrivent sans équipages" (Libération du 22 octobre). Mais plus clair et inhumain encore, celui-ci a défendu ses positions en ces termes "il y a des plans de défense militaires, il y a là-bas des déploiements militaires, partout, comme du côté indien. Nous ne voulons pas que les militaires viennent ici, pas du tout". Si le président Pervez Musharraf réagit ainsi, c’est qu’il sait très bien que derrière ces propositions humanitaires se cache en réalité une tentative d’avancée guerrière. Mais les rivalités impérialistes concernant l’Inde et le Pakistan impliquent aussi directement l’ensemble des grandes puissance impérialistes : Etats-Unis, Chine, France, Allemagne, Angleterre… aucune grande puissance ne peut se désintéresser de cette région du monde. Pour preuve, "L’OTAN a décidé l’envoi de 500 à 1000 hommes dans le nord du Pakistan, mais sera en revanche incapable de répondre à l’appel des Nations Unies à la création d’un vaste pont aérien pour rompre l’isolement des centaines de milliers de sinistrés menacés par le froid et la faim" (Libération du 22 octobre). Si les instances internationales, OTAN et ONU, sont ainsi incapables de coordonner le moindre effort en matière de secours, c’est tout simplement parce que leur vocation n'a rien d'humanitaire. Elles ne sont qu'un lieu de confrontations impérialistes entre ces mêmes grandes puissances.
Les dégâts occasionnés par les catastrophes dites naturelles au cours des années 90 ont été trois fois plus importants que durant la décennie précédente et quinze fois plus que dans les années 50. Si de plus en plus de zones géographiques et de populations sont détruites par les conséquences de ces catastrophes, il doit être clair aux yeux du prolétariat que ce terrain n’intéresse la bourgeoisie que dans la mesure où elle peut y exploiter ouvertement ses intérêts impérialistes et nationaux. Dans les zones sinistrées qui ne sont pas laissées à l’abandon, parce qu’elles représentent un enjeu géostratégique, l’intervention dite humanitaire est de fait un facteur d’aggravation de la situation sur place, accentuant désordre, pagaille et chaos.
La fuite en avant du capitalisme dans ces tensions inter-impérialistes participe directement à l’aggravation de la barbarie humaine résultant de ces catastrophes. La classe ouvrière est la seule classe capable de renverser le capitalisme et de mettre un terme à ce processus suicidaire en instaurant la société communiste qui abolira à tout jamais les rapports d'exploitation et de profit qui engendrent ces horreurs.
Tino / 22.10.05
Pacte pour l’emploi qui généralise la flexibilité, assainissement de la Sécu, Plan Marshall wallon, dégraissage de la fonction publique, rationalisations dans les entreprises privées, … Après la signature du dernier-né des plans d’attaque contre les conditions de vie des travailleurs, le “contrat de solidarité entre les générations”, concocté par les ministres PS/SPa et libéraux et avalisé par deux syndicats, des milliers d’ouvriers se sont mis en grève et sont descendus dans la rue pour crier leur colère : NON au chômage ! NON à l’allongement du nombre d’années requis ! NON au report de l’âge minimal pour les préretraites ! En un mot : Ras-le-bol de la spirale infernale d’austérité et de sacrifices, ras-le-bol de la “solidarité” avec un système capitaliste qui nous propose de plus en plus clairement comme seule perspective : crève-toi d’abord au travail et crève tout court ensuite !
Les multiples débrayages spontanés ainsi que la volonté de manifester ensemble dans la rue le mécontentement et la colère montrent que la véritable solidarité ouvrière est à l’opposé de celle que veut nous imposer la bourgeoisie et qui se résume à faire payer la crise du système capitaliste par les travailleurs.
Le “pacte entre générations” appelle “les vieux” à travailler plus longtemps par “solidarité” avec “les jeunes” car, nous explique-t-on la main sur le coeur, l’augmentation de l’espérance de vie et le vieillissement de la population menaceraient d’entraîner les caisses de retraite vers la faillite et hypothèqueraient de la sorte le futur de la jeunesse. Il y a quelques années encore, la bourgeoisie nous affirmait avec la même hypocrisie qu’il fallait travailler moins pour donner des emplois aux jeunes. Le cynisme de la bourgeoisie est sans bornes !Ce qu’elle tente de cacher ainsi, c’est que cette nécessité absolue de s’attaquer aux retraites et préretraites des salariés découle de l’ampleur du chômage, qui lui-même est le produit de la crise: il est évident que lorsque le chômage explose et que des dizaines de milliers d’emplois sont supprimés, l’assiette des cotisants se trouve singulièrement rétrécie et le système des retraites s’effondre.
Face à sa crise, la bourgeoisie cherche à réduire toujours plus drastiquement la part des dépenses improductives comme le sont, de son point de vue, les retraites, les allocations chômage ou l’assurance maladie. Son objectif majeur avec le “contrat entre générations” est donc bien d’allonger la vie active afin de réduire au maximum le montant des pensions à payer.
La question des retraites anticipées ne révèle donc pas un “manque de solidarité” entre travailleurs mais bien plus fondamentalement la faillite du capitalisme et de son “Etat social”, qui n’est plus capable d’intégrer la population dans le salariat, qui rejette les masses croissantes de chômeurs dans la misère et poursuit le démantèlement du régime des pensions (rappelons nous que la bourgeoisie avait déjà rallongé de cinq années l’obtention de la pension pour les travailleuses !).
Ces attaques ne sont limitées ni à tel ou tel type de gouvernement ni à tel ou tel pays. En France ou en Autriche en 2003, en Allemagne et en Hollande en 2004, en Grande-Bretagne aujourd’hui, des mesures similaires ont été appliquées ou sont en voie de l’être. La crise s’aggrave et la bourgeoisie doit cogner de plus en plus fort. Dès lors, la remise en cause du régime des préretraites n’est que le début d’une nouvelle série d’attaques massives et frontales en préparation.
Pendant des années, la bourgeoisie a essayé démasquer l’ampleur du phénomène du chômage. Elle a employé tour à tour la manipulation des statistiques en éliminant toute une série de catégories, ainsi que le système des pré-pensions afin d’éviter le développement du mécontentement social. Mais aujourd’hui, avec la crise économique qui s’aggrave, elle ne peut plus utiliser ces expédients, c’est pourquoi elle a mis en place une chasse aux chômeurs visant à les exclure du bénéfice de leurs allocations et commence maintenant à remettre en cause le système des prépensions. Après une dure vie de labeur, les travailleurs n’ont plus aucunes certitudes d’obtenir une retraite bien méritée.
Les patrons avaient même très souvent utilisé l’argument de la possibilité des pré-pensions pour plus facilement faire accepter des sacrifices sur le plan des salaires ou de la flexibilité et, les ouvriers, contraints et forcés, les avaient subis en sachant qu’une retraite anticipée était quasi certaine. Aujourd’hui la bourgeoisie n’a plus que du sang et des larmes à nous promettre : d’abord pour les ouvriers au travail, pressurés de plus en plus pour des salaires de misère, ensuite pour les ouvriers au chômage, qui voient leurs allocations diminuer et se voient exclus en masse, et enfin pour les futurs pensionnés qui atteindront ce seuil de plus en plus difficilement et sans certitude d’une pension décente.
Cette agression concerne donc tous les salariés et requiert une riposte déterminée afin d’arrêter la continuelle paupérisation et dégradation des conditions de travail que veut nous imposer la bourgeoisie. Et notre riposte d’aujourd’hui doit s’inscrire dans un combat plus général contre un système qui n’a plus rien à nous offrir si ce n’est que plus de souffrances et de misères.
Même Verhofstadt qui, jusqu’il y a peu, prétendait que “tout va bien en Belgique” est obligé de reconnaître la réalité de la récession. La bourgeoisie arrive de moins en moins à masquer la gravité de la crise et n’a d’autre choix que d’aller toujours plus loin dans ses attaques anti-ouvrières. Son souci principal est aujourd’hui: comment faire passer les attaques ? Comment désamorcer l’inévitable colère ouvrière ? Depuis des mois, elle a répandu un énorme brouillard afin de déboussoler la classe ouvrière. Dans des négociations interminables, gouvernement, patronat et syndicats ont déplacé des points et des virgules, fait des déclarations musclées, annonçant le pire pour, après négociation, trouver un “texte de compromis honorable pour tous”.
Le gouvernement comptait faire passer son “contrat” sans trop de réactions incontrôlées, s’appuyant sur ses fidèles serviteurs – les syndicats – pour étouffer et canaliser toute contestation. Ceux-ci ont d’abord organisé la division des travailleurs par un astucieux partage des tâches : le 7 octobre, la FGTB lançait une grève générale, tandis que la CSC menait une vaste campagne médiatique sur les “dix bonnes raisons de ne pas faire grève”. De toute façon, la FGTB prenait soin d’éviter les rassemblements ou les manifestations empêchant ainsi les ouvriers des différents secteurs de se rencontrer, de sentir qu’ils représentent une même force et surtout d’entamer un début de réflexion sur la gravité de la situation.
Si aujourd’hui tous les syndicats appellent à la grève générale et à la manifestation nationale … à la veille d’un long week-end, c’est pour récupérer la colère ouvrière et l’orienter vers un soutien aux organisations syndicales pour négocier “un meilleur pacte entre générations”, c’est-à-dire faire passer l’essentiel des mesures avec quelques adaptations superficielles. Aussi, il ne faut pas se laisser prendre par les discours musclés actuels des syndicats, aidés qu’ils sont en cela par les déclarations provocatrices des ministres ou du patronat et par le refus affiché du gouvernement de renégocier l’accord. Le rôle des syndicats – comme des ministres socialistes d’ailleurs, qui prétendent imposer ces mesures pour sauvegarder “le meilleur système de protection sociale du monde” – consiste à faire accepter la logique de gestion du capital, de défense de l’Etat bourgeois, qui implique d’accepter d’emblée les licenciements, la diminution du salaire social, pour ne pas affaiblir le capital national face à la concurrence internationale.
L’enjeu ne se réduit donc pas à la question des préretraites. Les mesures gouvernementales représentent une attaque contre toute la classe ouvrière: les vieux comme les jeunes, les actifs comme les chômeurs, les travailleurs de toutes les régions et toutes les communautés. Face aux attaques, il n’y a pas d’autres alternatives que de lutter pour défendre ses conditions de vie et de travail. Et l’actualité sociale montre que le prolétariat est bien vivant et qu’il n’a pas d’autre choix que de développer son combat partout dans le monde. C’est déjà ce qu’ont montré, face à des attaques du même ordre, les travailleurs de la fonction publique en France et en Autriche en 2003, les manifestations en Allemagne ou encore les trois cent mille manifestants contre les plans du gouvernement Balkenende aux Pays-Bas en 2004. Les ouvriers savent très bien qu’ils doivent imposer un rapport de force en leur faveur et que les négociations syndicales ne servent qu’à avaliser les mesures scélérates et confirmer les défaites. Ce n’est que dans la lutte que la classe ouvrière peut faire reculer la bourgeoisie.
Contre les discours syndicaux affirmant que “cela ne concerne pas un tel et un tel”, contre le régionalisme et le sectorialisme, contre le dévoiement des luttes par les syndicats vers la capitulation par rapport aux mesures de la bourgeoisie, les travailleurs doivent mettre en avant la solidarité entre eux, la recherche de l’unité, la mise en avant de l’intérêt général contre la mise en avant par les syndicats des spécificités. Cette solidarité de classe s’exprime avec de plus en plus de vigueur en Europe ces derniers temps, dépassant les divisions syndicales et sectorielles :
– à Daimler-Benz en 2004 en Allemagne, les travailleurs des autres sièges de l’entreprise se sont mis en grève en solidarité avec un siège qu’on voulait fermer ;
– à Heathrow en Grande-Bretagne récemment, un millier de travailleurs de l’aéroport se sont mis spontanément en grève par solidarité avec les 670 ouvriers de l’entreprise de restauration dès l’annonce de leur licenciement ;
– aux Etats-Unis, lors de la grève de 18 500 mécaniciens de Boeing, les ouvriers ont refusé tout net la manoeuvre de division entre “nouveaux” et “anciens”, jeunes et vieux. Ils se sont également opposés à une tentative de la direction au cours de la négociation d’opposer les intérêts des ouvriers entre eux avec la proposition d’introduire des mesures différentes entre 3 grandes usines de production.
La crise contraint toutes les bourgeoisies nationales à prendre les mêmes mesures plus brutalement, plus massivement. L’uniformisation de ces attaques au niveau mondial, révèle les contradictions du système, la faillite du capitalisme et son impasse historique. Elle doit stimuler l’émergence chez les travailleurs d’un questionnement sur les perspectives d’avenir réelles pour la société qu’offre la bourgeoisie.
OUI à la solidarité de classe dans la lutte contre les attaques !
OUI au combat pour la construction d’une société basée sur les besoins humains et non pas sur le profit !
Internationalisme, 27.10.05
Le jeudi 15 décembre dernier, le parlement adoptait le “pacte de solidarité entre les générations” et le financement alternatif de la sécurité sociale, malgré un ras-le-bol profond au sein de la classe ouvrière qui s’est en particulier exprimé par le rassemblement de 100.000 travailleurs à Bruxelles lors de la manif syndicale nationale le 28 octobre. “Mesures inacceptables” claironnait pourtant la FGTB en octobre; mais en décembre, cette même organisation annonçait sans sourciller: “suspension des actions et recherche d’autres moyens de pression plus ciblés (sic)”. Gouvernement et patronat peuvent être satisfaits de l’efficacité de leurs organisations syndicales: s’ils ont réussi à imposer le pacte, ils le doivent largement aux magouilles des FGTB, CSC et CGSLB.
Le dernier trimestre 2005 a été la période la plus socialement agitée depuis une quinzaine d’années en Belgique. Sur moins de trois mois, en réponse à une série d’attaques du gouvernement libéral-socialiste de caractère global contre ses conditions de vie, la classe ouvrière a largement manifesté son inquiétude et son mécontentement avec un début de réelle combativité. Mais les socialistes dans le gouvernement et les syndicats sur le terrain social ont magistralement coalisé leur capacité de nuisance pour faire passer les plans de la bourgeoisie. Et sur un plan immédiat, ils ont pleinement réussi à atteindre leur objectif.
Sur le plan politique, les socialistes, maîtres d’œuvre des attaques, n’ont pas ménagé leurs efforts, en collaboration avec les syndicats, pour enfermer la résistance ouvrière dans les limites du jeu démocratique bourgeois à travers la "négociation" d’un «pacte de solidarité» entre "citoyens" pour le bien de l’économie nationale. Dès le début des "négociations", ils ont fait croire aux travailleurs que c’est en leur faveur que le gouvernement réforme les pré-pensions et la sécurité sociale. Onkelinx, la vice-Première PS, se mouille à fond dans cette rhétorique : "Au sortir des discussions, tant la CSC que la FGTB ont salué le travail que j”avais réalisé en négociation gouvernementale… Et toutes les corrections pour améliorer les pensions…Les libéraux voulaient des malus pension, on a décroché des bonus pension…Si le PS adhère au «pacte pour les générations», c’est parce que tout cela est indispensable. Si on ne fait rien c’est tout le modèle social qui va y passer. Je vous le dis, on n’a pas le choix !” (Le Soir, 24.10.05). De fait, la bourgeoisie n’a pas d’autre choix, face à la pression de la crise sur l’économie nationale, que de s’en prendre aux conditions de vie de la classe ouvrière et la mystification consiste justement à faire croire aux travailleurs que les mesures prises par un gouvernement de gauche font moins mal. En réalité, le PS n’est pas au gouvernement pour y défendre les intérêts des travailleurs mais pour faire gober aux travailleurs la fable que les attaques de la bourgeoisie se font … pour leur bien et dans leur intérêt. D’ailleurs, lorsque le mécontentement monte et que le rideau de fumée tend à se déchirer, ces grands défenseurs des travailleurs n’hésitent pas à sortir une rhétorique des plus crapuleuses pour opposer les travailleurs entre eux. Ainsi, le président des socialistes flamands, Vande Lanotte, tente d’attiser les tensions entre les générations de travailleurs : “A vous d'aller expliquer dans les entreprises les choix que nous avons faits. On a beaucoup parlé retraites, mais, à long terme, ce sont les jeunes qui sont concernés” (La libre Belgique, 17.10.05). En d’autres mots, ceux qui critiquent les mesures sont des ingrats et des égoïstes qui ne pensent qu’à leur future pension et sacrifient l’avenir des jeunes.
Pour crédibiliser encore plus l’illusion d’un débat déchirant autour des «intérêts des travailleurs» et pour enfermer encore mieux les actions dans un cadre démocratique légaliste, tout en crédibilisant l’image "radicale" du syndicat FGTB, la bourgeoisie a fait mousser dans ses médias une prétendue opposition entre partis et syndicats socialistes. Dans l’inter-view citée plus haut, Onkelinx "enrage" contre la FGTB, accusée de désinformation au sujet du contenu "progressiste" du pacte, et Vande Lanotte déclarait à l’intention des syndicalistes que “ceux qui se détournent de la gauche se tournent vers la droite”. Le syndicat socialiste pour sa part demandait “à nos représentants nationaux de ne plus participer aux bureaux de parti du PS et du Spa” (BHV, 9.11.05), et son "patron", Vandermeeren, d’ajouter: “Le syndicat et ses affiliés se souviendront lors des prochaines élections où se trouvent leurs véritables amis”. Le piège fondamental envers la classe ouvrière est de faire croire que l’objectif des actions ouvrières ne peut être que la pression sur les forces parlementaires afin d’obtenir un compromis honorable dans le cadre des structures de concertation de l’Etat bourgeois. Ainsi, les mobilisations syndicales s’inscrivaient d’emblée dans la logique démocratique bourgeoise et ce n’est que pleinement dans cette logique que les syndicats arrêtent leurs actions après le vote du parlement car “les syndicats ne font pas grève contre un parlement élu démocratiquement (sic)” (X. Verboven, leader du syndicat socialiste, De Morgen, 17.12.05).
Sur le terrain social, les syndicats n’ont, pour ainsi dire, pas chômé. Ils ont bien rempli leur fonction consistant à encadrer et à saboter les tentatives de résistance ouvrière pour instiller un sentiment d’impuissance face aux attaques. Dès Juin 2005, la centrale chrétienne est la première à rouler des mécaniques en annonçant une grève générale pour la rentrée. La FGTB retient son souffle pour l’instant. En septembre, lorsque le contenu du pacte est dévoilé, la FGTB annonce une grève générale pour le 7 octobre, tandis que la CSC placarde dans toute la presse “10 bonnes raisons de ne pas faire grève”. C’est le premier acte de la manœuvre syndicale, celui de la division. Cependant, la grève générale FGTB voit la participation importante de délégations CSC et même de la petite centrale libérale CGSLB aux côtés des travailleurs en grève. Les jours suivants, la "direction" de la CSC est "mise en minorité lors d’une consultation interne des délégués" et le syndicat opère un virage à 180 °. Cette victoire de la «démocratie syndicale» doit faire croire aux travailleurs -les gauchistes et les syndicalistes de base en sont les meilleurs propagandistes-, que "les syndicats sont au service de la volonté des travailleurs" et donc que c’est "l’outil par excellence pour mener la lutte".
En réalité, le deuxième acte de la manœuvre est engagé: le Front Commun Syndical est réanimé illico et c’est l’unité des diviseurs qui se met en place pour mieux étouffer les premières montées de combativité parmi les travailleurs. Les instances syndicales s’accordent sur des déclarations radicales contre le pacte et le refinancement de la Sécu : “Ces mesures sont inacceptables” ; “Pas touche aux pré-pensions ! La FGTB et la CSC exigent que le gouvernement renégocie son «pacte de solidarité entre les générations” (Syndicats, n° 17, 21.10.05) et elles dénoncent vigoureu-sement les mesures du contrat de solidarité. Ce front commun syndical, l’unité des saboteurs, n’a rien à voir avec l’unité de la classe. Cette unité, la classe la réalise dans l’action en dehors des instances syndicales, en créant ses propres organes de décisions et d’actions, comme les assemblées générales, les comités de grèves avec l’élection de délégués immédiatement révocables et ne répondant que devant les assemblées générales souveraines. Le front commun, par contre, est un barrage visant à encadrer le ras-le-bol et la colère qui vont crescendo et surtout à préparer la manœuvre qui devra culminer dans la grève générale et la manifestation nationale du 28 octobre. Pour la bourgeoisie, il faut que les actions du 28 octobre apparaissent aux yeux de la classe ouvrière comme une victoire du front commun syndical, censé être l’expression la plus élevée de l’unité de la classe ouvrière, afin de pouvoir engager le désamorçage de la combativité dans les semaines qui suivent.
Et effectivement, après le 28 octobre, les syndicats changent de ton. Le Soir du 26 et 27.11.05 en rend compte: “Face au gouvernement fédéral qui campe sur ses positions, les syndicats peuvent-ils changer les rigueurs du "pacte" ? Oui. Ils ne peuvent rien contre l’esprit du pacte ni contre le report de la pré-pension de 58 à 60 ans en 2008. Mais une gamme d’adoucissement est possible. Les revendications syndicales distribuées par tracts sont modérées”. La presse bourgeoise fait clairement passer le message que les dés sont jetés. Pour parachever la démoralisation, les syndicats mettent en place un «plan d’action graduel», annoncé le mercredi 23 novembre par le président de la FGTB qui "joue encore au dur" : “Nous n”allons pas faire des actions symboliques. On ne va pas se limiter à des communiqués de presse ! Ne prenez pas cela à la légère. Il y aura des actions sérieuses, dures des grèves s’il le faut (sic)”. En réalité, les "journées de sensibilisation et d’information" du front commun sont l’occasion d’épuiser définitivement les restes de colère dans les entreprises en les orientant vers des actions caricaturales, telles que les barrages filtrants, les blocages de grands magasins qui décrédibilisent les méthodes de lutte de la classe ouvrière. L’objectif étant de susciter le découragement et l’impuissance, mais aussi d’attiser la division entre les travailleurs, grévistes et non grévistes, d’autant plus que les "raisons de lutter" encore avancées par les syndicats – modifier l’un ou l’autre point secondaire du "pacte" - ne motivent plus grand monde.
La gauche et les syndicats ont réussi à saboter la résistance ouvrière, les mesures sont passées et donc, sur un plan immédiat, l’aboutissement du mouvement apparaît comme une défaite pour les travailleurs. En situant les mouvements dans une perspective plus globale toutefois, on constate que le bilan est nettement plus nuancé.
Tout d’abord, il faut souligner l’importance des mois d’octobre et novembre dans le développement long et difficile du combat de la classe ouvrière en Belgique. En effet, ils ont marqué une reprise, certes encore limitée, de la combativité ouvrière après un recul et une stagnation de plus de 10 ans face aux coups de la bourgeoisie. Ce début de reprise de la combativité en Belgique s’inscrit pleinement dans un vaste mouvement du prolétariat qui, face aux attaques généralisées dans la plupart des pays industrialisés, s’efforce de retrouver le terrain de la lutte de classe contre les effets de la crise du capitalisme. Par ailleurs et plus important encore, les thèmes autour desquels s’est cristallisé le combat, les pensions et les pré-pensions, représentent une problématique fondamentale qui pose la question de la faillite du système capitaliste et donc des perspectives d’avenir pour la classe ouvrière.
Le second constat c’est que les actions syndicales ont débouché sur une défaite immédiate manifeste, ressentie par beaucoup de travailleurs comme la conséquence de magouilles syndicales cousues de fil blanc, et non pas sur une défaite camouflée en victoire par la gauche. Or, les pires défaites pour la classe ouvrière sont justement celles qui sont appréhendées comme des victoires, qui génèrent des illusions. Ce n’est certes pas le cas ici dans la mesure où le sabotage syndical est apparu au grand jour. Aussi, la défaite peut générer des leçons précieuses, en particulier sur la manière de mener la lutte et de faire confiance à la gauche et les syndicats. Ces leçons sont capitales pour les combats à venir qui s’annoncent encore de grande ampleur puisque le gouvernement a annoncé qu’il voulait imposer d’urgence un nouveau «pacte de modération» sur les salaires pour garantir la position concurrentielle de l’économie nationale dans la lutte à mort entre Etats capitalistes n
Jef & Jos / 08.01.06
En octobre 1975, il y a donc plus de 30 ans, paraissait le premier numéro d’Internationalisme, l’organe du Courant Communiste International en Belgique. A l’époque des médias “bourrage de crâne”, assurer la sortie et la diffusion d’une publication communiste pendant trois décennies est une réalisation importante à reconnaître, réalisation qui n’est bien sûr pas que le travail d’un groupe en Belgique, mais surtout le produit de l’effort de l’ensemble du CCI.
A cette occasion, il n’est pas inutile de se remémorer -en reprenant de larges extraits de la "présentation du journal et de l’organisation" qui ouvrait ce numéro- dans quel contexte une série de groupes de révolutionnaires avaient décidé de se regrouper et d’éditer un journal. Pour les initiateurs d’alors, la situation de crise dans laquelle le capitalisme se débattait posait des enjeux cruciaux pour la lutte de classe: “Après plusieurs décennies de barbarie, illustrée depuis le début de ce siècle par près de cent millions de morts, la moitié de l’humanité plongée dans la misère la plus noire, des conditions de vie qui se dégradent de plus en plus … le capitalisme ne possède plus aujourd’hui, pour faire face à la crise mortelle qui le touche, que d’un éventail limité de mesures. (…)Toutes ces tentatives [pour endiguer la crise (ndlr)] ne font que reporter à plus tard l’échéance de son anéantissement. Le mode de production capitaliste est devenu désormais caduc pour l’humanité, et, à mesure que la société se développe dans les limites de plus en plus étroites d’un système de rapports sociaux périmés, à mesure que l’étranglement des forces productives par les rapports de production se fait de plus en plus serré et contraint une classe sociale à l’inhumanité de plus en plus grande, la lutte de classe elle-même s’accentue, ainsi que le besoin vital pour le prolétariat de se doter des instruments nécessaires à la destruction de ce système historique et transitoire”. Face à cela, l’introduction pose l’immense responsabilité reposant sur les épaules des groupes révolutionnaires, “conscients des problèmes immenses devant lesquels se trouve confronté le prolétariat, conscients aussi de la mystification et de la tendance pour le capitalisme à maintenir la classe ouvrière atomisée, isolée”. Dès lors, le besoin de rejoindre une organisation internationale afin de défendre la perspective révolutionnaire au sein du prolétariat s’imposait : “Décidés à ne pas rester isolés dans le simple cadre des problèmes nationaux et conscients de la nécessité pour le prolétariat à se former en classe révolutionnaire mondiale, ces groupes ont lié depuis le début le processus de leur unification à celui du regroupement international (…). Une vision globale et internationale est indispensable à toute organisation révolutionnaire soucieuse d’une intervention cohérente au sein de la lutte des classe . Dans cette mesure-là seulement, le processus de la prise de conscience du prolétariat et sa marche vers la révolution communiste peuvent s’accomplir effectivement”.
Trente ans plus tard, on ne peut que relever combien le cadre d’analyse de la situation du capitalisme qui était avancé en 1975 – et qui était alors considéré par beaucoup comme de la mauvaise science-fiction – a largement été entériné par les faits: trente années de crise ont gangrené le mode de production capitaliste et celui-ci a entraîné l’humanité dans une spirale infernale de destruction, de misère et de mort. Plus que jamais, l’alternative que les révolutionnaires ont mis en avant dès 1914, socialisme ou barbarie, se révèle être aujourd’hui une réalité incontournable. Dans ce contexte, les 322 numéros d’Internationalisme ont représenté, au sein de la presse de l’ensemble du CCI, une défense intransigeante des perspectives prolétariennes face aux événements et mouvements qui ont marqué l’époque, et ceci dans les deux langues principales du pays, tandis que les mensonges et les mystifications de la bourgeoisie, en particulier de ses fractions de «gauche» socialistes et syndicales ou «extrême gauche» staliniennes ou trotskistes, étaient démasquées et dénoncées. Par ailleurs, ils ont constitué un outil indispensable pour l’intervention des révolutionnaires dans les moments clés de la lutte de classe en Belgique, comme lors du mouvement de luttes généralisées du printemps 1986, de la lutte des mineurs ou des sidérurgistes contre les fermetures ou encore pendant les mouvements récents contre le «pacte des générations».
Dans sa lutte, la classe ouvrière ne dispose que de deux armes, son organisation et sa conscience. La presse révolutionnaire est le moyen par excellence pour élargir et approfondir la conscience dans la classe, et ceci plus que jamais aujourd’hui, alors que la perspective du communisme s’impose comme seule alternative pour l’humanité face à la barbarie, mais dans un contexte de décomposition dans lequel la classe ouvrière n’a pas facile à développer sa lutte. Il ne s’agit pas seulement de réfléchir à ce qui est immédiatement en jeu, à un certain moment, dans un conflit précis. Pour développer sa lutte, la classe ouvrière a besoin de visions plus larges et de perspectives à long terme, comme la compréhension de la décadence et de la décomposition du capitalisme, qui provoquent guerres et misère mais aussi la possibilité de le détruire, et de la nécessité de sa propre tâche révolutionnaire, la perspective du communisme.
Pour ces raisons, la publication régulière d’un journal qui défend les positions de la classe ouvrière contre les mensonges du capitalisme est aujourd’hui au moins aussi important que du temps de Marx ou Lénine, ou que dans les années ’30 et ’40, quand de petits groupes de la Gauche Communiste éditaient leur publication n
Les émeutes dans les banlieues françaises ont suscité beaucoup de discussions parmi les éléments en recherche d’une alternative au capitalisme. Ainsi, tout un débat s’est développé sur la question du soutien à apporter à la révolte sur le forum du groupe Eurodusnie de Leyde. Et la discussion ne fut pas moins passionnée lors de notre permanence d’Amsterdam ou de la réunion publique de Bruxelles, ce dont nous remercions d’ailleurs les présents.
A notre sens, la discussion touchait à deux questions capitales pour comprendre la dynamique et les perspectives de la lutte de classe:
1) Est-ce que tout mouvement social, quelle que soit sa nature, peut contribuer à la lutte révolutionnaire contre le capitalisme ?
2) Et les révoltes en France constituent-elles un pas en avant dans le développement de la lutte prolétarienne ou sont-elles au contraire un obstacle à sa maturation et à son avancée ?
Pour certains, dans le forum d’Eurodusnie tout comme lors de nos activités publiques, l’important était «le mouvement», «l’action», la «violence», la «subversion de l’ordre établi», la révolte, qui représenteraient en soi un pas en avant dans la lutte contre le capitalisme. Il suffirait en quelque sorte d’y joindre un zeste d’orientations et de positions politiques et des consignes précises pour que, par un coup de baguette magique, cette jeunesse exclue par le capitalisme se convertisse en un agent puissant de lutte contre celui-ci.
Nous pensons que c’est une profonde erreur d’analyse : tous les mouvements sociaux ne contribuent pas à la lutte contre le capitalisme ; au contraire, certains, même s’ils ne trouvent pas leur origine dans une provocation ou ne sont pas instigués par le capitalisme, peuvent être exploités par celui-ci pour se renforcer et marquer des points contre le prolétariat, contre sa conscience et son unité. Ceci n’implique nullement que notre position serait celle de «l’observateur au balcon», «du théoricien de salon», car action n’est pas synonyme d’activisme, être concret ne veut pas dire tomber dans l’empirisme, avancer des réponses immédiates à des situations n’implique pas de céder à l’immédiatisme. Les moyens, les armes, la logique de la lutte ouvrière n’ont rien à voir avec les moyens, les armes, la logique de la classe bourgeoise. Pour le prolétariat et plus particulièrement dans la lutte pour le communisme, tous les moyens ne sont pas bons. Et justement, si aujourd’hui le prolétariat international rencontre d’importantes difficultés et a besoin d’un long chemin pour redévelopper ses luttes, c’est précisément parce que durant des années, ses meilleures forces ont été détournées par les forces capitalistes (souvent de gauche ou syndicales) vers des terrains marécageux au nom des «résultats pratiques, des «principes qui ne sont bons qu’aux théoriciens», etc.
Lorsqu’elle combattait le féodalisme et était elle-même une classe révolutionnaire, la bourgeoisie pouvait soutenir n’importe quelle lutte et gagner n’importe quelle classe à sa cause car elle était une classe exploiteuse qui ne cherchait pas à abolir l’exploitation, mais au contraire à en installer une nouvelle forme. Cela est contraire à la pratique du prolétariat : celui-ci ne possède aucun pouvoir économique dans la société capitaliste et n’a pas pour objectif d’établir une nouvelle exploitation, mais au contraire de l’abolir sous toutes ses formes. C’est pourquoi ses armes sont l’unité, la conscience, l’auto-organisation et son autonomie politique de classe. Des armes qui s’acquièrent incontestablement dans la lutte mais pas dans n’importe quelle lutte!
Mais justement, rétorquaient plusieurs intervenants à nos activités publiques, «l’essentiel des émeutiers provenaient pourtant des cités ouvrières». Un mouvement n’est pas prolétarien parce qu’il est composé majoritairement d’ouvriers, ni parce qu’il crée des «problèmes» au capitalisme, parce qu’il est violent ou se soulève contre des injustices patentes. Les discours sur des concepts tels que la «radicalité», la «violence», «l’opposition» ou la «massivité» éludent la question essentielle, l’unique critère valide pour analyser et soutenir un mouvement : est-ce qu’il développe et renforce l’unité, la conscience, l’autonomie de classe du prolétariat ? En d’autre mots, est-ce qu’il se situe, même de manière embryonnaire, sur son terrain de classe?
Question cruciale effectivement puisque certains parti-cipants d’Amsterdam suggéraient au début de la réunion que le CCI devait appeler l’ensemble de la classe ouvrière à se joindre aux émeutiers des cités. En partant des critères définis ci-dessus, ce serait l’expression d’une profonde incompréhension de la dynamique de la lutte ouvrière que d’attendre des mouvements de révolte dans les banlieues françaises une contribution à la lutte révolutionnaire contre le capitalisme. Certes, les actions n’ont pas été provoquées par la bourgeoisie (même si les déclarations et les actes de Sarkozy ont indéniablement jeté de l’huile sur le feu), et on peut comprendre la rage de ces «laissés pour compte»; cependant, nous sommes convaincus que leurs actions n’appartiennent ni de près ni de loin à la lutte de la classe ouvrière, mais vont au contraire directement contre elle.
Les émeutes dans les banlieues sont majoritairement inspirées par le désespoir, le manque de perspective, par une haine aveugle et impuissante. La lutte de classe, par contre, se base sur un minimum de confiance dans le futur et sur un sentiment d’indignation contre la barbarie et les souffrances que cause la capitalisme. Ceux qui accordent un «pouvoir révolutionnaire» à ces actions confondent haine avec indignation et le désespoir avec une action consciente. Si l’indignation est un sentiment positif qui alimente la combativité et la fermeté contre l’exploitation capitaliste et sa barbarie, la haine est un sentiment purement négatif, qui alimente uniquement une rage de destruction totale, quoi qu’on puisse détruire. Et tandis que le désespoir peut provoquer des actions brutales qui ne mènent nulle part, l’action consciente permet un développement de la lutte, à travers la critique et le dépassement des erreurs, vers le combat révolutionnaire.
Soulignons en outre le caractère minoritaire et le type d’actions commando orientées essentiellement sur la mise à feu des voitures en stationnement. Les chocs avec la police, découlant d’une haine compréhensible envers son attitude arrogante et provocatrice insupportable, furent relativement limités. Il n’y eut guère de mouvements de masse, mais une somme hétéroclite d’actions nocturnes réalisées par de petits groupes. Ceci est en contraste radical avec la lutte du prolétariat : une lutte vaillante, à visage découvert, menée massivement, soulignant sa force en pleine lumière, sans aventures rocambolesques de petits fanfarons de la «guérilla urbaine». Elle affiche clairement ses objectifs et lève devant toute la société son étendard de combat. Elle ne cherche pas à l’aveuglette le choc frontal avec son ennemi de classe, ni ne l’évite d’ailleurs, mais se consacre à le préparer avec patience et ténacité.
Mais surtout, dans les mouvements en France, il y a un aspect particulièrement dangereux : l’affrontement entre enfants mêmes de la classe ouvrière. L’essentiel de la violence de ces jeunes s’est orientée contre d’autres ouvriers, compagnons de souffrance, qui partagent les mêmes doutes à propos de l’avenir que leur offre le capitalisme. Ils ont mis le feu aux voitures de leurs frères de classe, ils se sont attaqués aux pompiers, ils ont bombardé de pierres ou mis le feu à des autobus dans lesquels voyageaient leurs voisins de quartier. Les révoltes de paysans du moyen âge étaient des mouvements de désespérés, certes, mais ils étaient clairement orientés contre les seigneurs, ils prenaient d’assaut leurs châteaux, saccageaient leurs biens de luxe …. Les jeunes des banlieues, exclus par l’évolution actuelle du capitalisme, ne se sont pas attaqués aux «beaux quartiers» ou aux symboles du système, mais à leurs propres voisins dans des cités misérables. La violence de la classe ouvrière a comme destinataire le capital et son Etat, jamais les propres camarades de classe. La répression de Kronstadt en 1921 a accéléré la dégénérescence des Bolcheviks et la défaite de la Révolution russe, car elle a instauré la violence entre frères de classe.
Si des enfants d’ouvriers se sont tournés contre leurs frères de classe et en ont même fait la quintessence de leur mouvement, c’est sous le poids d’un phénomène qui se développe au sein du capitalisme et qui tend à contaminer et affaiblir des secteurs de la classe ouvrière même : la décomposition de ce système de plus en plus pourri. Les Thèses sur la décomposition, adoptées en 1990, mettaient déjà en garde contre ce danger (point 13):
«En fait, il importe d’être particulièrement lucide sur le danger que représente la décomposition pour la capacité du prolétariat à se hisser à la hauteur de sa tâche historique. De la même façon que le déchaînement de la guerre impérialiste au coeur du monde «civilisé» constituait «Une saignée qui [risquait] d’épuiser mortellement le mouvement ouvrier européen», qui «menaçait d’enterrer les perspectives du socialisme sous les ruines entassées par la barbarie impérialiste» en fauchant sur les champs de bataille (...) les forces les meilleures (...) du socialisme international, les troupes d’avant-garde de l’ensemble du prolétariat mondial» (Rosa Luxemburg, La Crise de la social-démocratie), la décomposition de la société, qui ne pourra aller qu’en s’aggravant, peut aussi faucher, dans les années à venir, les meilleures forces du prolétariat et compromettre défini-tivement la perspective du communisme».
Cette lumpénisation tend à toucher plus spécifiquement les secteurs jeunes de la classe, d’office exclus du marché du travail, et les mène à une lutte non seulement désespérée mais aussi auto-destructrice et même suicidaire. Dans le point 14 des thèses, nous écrivions à ce propos:
«Un des facteurs aggravants de cette situation est évidemment le fait qu’une proportion importante des jeunes générations ouvrières subit de plein fouet le fléau du chômage avant même qu’elle n’ait eu l’occasion, sur les lieux de production, en compagnie des camarades de travail et de lutte, de faire l’expérience d’une vie collective de classe. En fait le chômage, qui résulte directement de la crise économique, s’il n’est pas ‘en soi’ une manifestation de la décomposition, débouche, dans cette phase particulière de la décadence, sur des conséquences qui font de lui un élément singulier de cette décomposition. S’il peut en général contribuer à démasquer l’incapacité du capitalisme à assurer un futur aux prolétaires, il constitue également, aujourd’hui, un puissant facteur de «lumpénisation» de certains secteurs de la classe, notamment parmi les jeunes ouvriers, ce qui affaiblit d’autant les capacités politiques présentes et futures de celle-ci. Cette situation s’est traduite, tout au long des années 1980, qui ont connu une montée, considérable du chômage, par l’absence de mouvements significatifs ou de tentatives réelles d’organisation de la part des ouvriers sans emploi».
Cela signifie-t-il qu’il n’y a qu’à tomber dans le fatalisme et le désespoir? Non, car la classe ouvrière possède les moyens pour combattre cette situation:
«Les différents éléments qui constituent la force du prolétariat se heurtent directement aux diverses facettes de cette décomposition idéologique:
- l’action collective, la solidarité, trouvent en face d’elles l’atomisation, le «chacun pour soi», la «débrouille indi-viduelle»;
- le «besoin d’organisation» se confronte à la décom-position sociale, à la déstructuration des rapports qui fondent toute vie en société;
- la confiance dans l’avenir et en ses propres forces est en permanence sapée par le désespoir général qui envahit la société, par le nihilisme, par le «no future»;
- la conscience, la lucidité, la cohérence et l’unité de la pensée, le goût pour la théorie, doivent se frayer un chemin difficile au milieu de la fuite dans les chimères, la drogue, les sectes, le mysticisme, le rejet de la réflexion, la destruction de la pensée qui caractérisent notre époque».
Et c’est justement parce que ces différents éléments de force existent dans le prolétariat, parce que nous sommes conscients qu’il existe actuellement au sein de la classe ouvrière un développement au niveau de sa conscience et, très pénible-ment aussi, de ses luttes qui vont dans le sens de générer des anticorps contre la pénétration de la décomposition capitaliste dans les rangs ouvriers, qu’il est tellement important de mener énergiquement la polémique contre l’exaltation béate de «l’action» pour «l’action».
Nous ressentons une solidarité profonde envers ces jeunes, enfants d’ouvriers, qui se sont perdus dans un mouvement sans futur, destructif et suicidaire. Toutefois, la solidarité ne signifie pas applaudir à une forme de lutte qui les conduit droit à l’abîme. La solidarité inclut nécessairement une critique dure. Ces jeunes ne sont pas devenus des ennemis de leur classe. Ils pourront rejoindre le combat prolétarien dans le cadre de son développement général, de l’extension des positions révolutionnaires, du débat et de la critique et de l’autocritique. La classe ouvrière commettra encore beaucoup d’erreurs, subira de nombreuses défaites partielles. Elles seront toutefois toutes des contributions à sa lutte révolutionnaire si elle tire des leçons de celles-ci, si elle est capable d’une autocritique dure qui va au fond des problèmes et qui permet d’approfondir et d’étendre ses positions révolutionnaires n
Jos / 23.12.2005
Le problème du chômage se retrouve au coeur des questions posées par les émeutes des banlieues qui viennent de se dérouler en France mais, contrairement à ce que nous présente la bourgeoisie et ses politiciens, ce n’est pas un problème limité aux jeunes issus de l’immigration. Tous leurs débats et leurs discours hyper-médiatisés pendant plusieurs semaines ont cherché à nous persuader que la question posée serait uniquement celle des jeunes d’origine africaine ou maghrébine entassés dans le ghetto des cités de banlieues, même si le chômage atteint parmi eux des taux de 30 à 40 %. En le faisant apparaître comme un problème spécifique, catégoriel de laissés-pour-compte, la classe dominante, en France comme dans tous les pays, a focalisé l’attention sur une catégorie particulière de la population, sur des jeunes sans perspective d’avenir afin de masquer et évacuer le problème de fond posé par cette situation. Le chômage est une question qui concerne et menace l’ensemble de la classe ouvrière. Tous les jours, ce sont de nouvelles charrettes de licenciements massifs, des milliers d’ouvriers sup-plémentaires sont mis sur le pavé non seulement en France, mais dans tous les pays les plus “développés”, comme partout dans le monde. Ce que la bourgeoisie cherche à cacher, c’est la signification profonde de ce chômage de masse. Elle cherche à empêcher de faire le lien existant entre le phénomène des banlieues et les licenciements de prolétaires au quotidien. Cette polarisation sur la partie la plus défavorisée, la plus fragile, vulnérable et décomposée du prolétariat, n’est pas nouvelle : dans les années 1980, l’apparition d’un chômage de masse, le démantèlement du système de protection sociale et le brutal enfoncement dans la paupérisation de la classe ouvrière avaient été mis sur le compte de l’apparition d’une nouvelle catégorie sociologique baptisée les “nouveaux pauvres” que l’on marginalisait et qu’on isolait ainsi du reste de la population ouvrière.
La bourgeoisie a toujours cyniquement exploité la misère et le désespoir qu’engendre le capitalisme. Ceux qui sont présentés comme les laissés-pour-compte, qui ont perdu tout espoir en l’avenir, qui n’ont pas de perspective ni de repères, délibérément ignorés et méprisés depuis des décennies, sont projetés du jour au lendemain sur le devant de la scène comme s’ils étaient devenus le centre du monde. C’est l’arbre qui cache la forêt de la misère croissante qui frappe de plus en plus d’ouvriers. A travers cela, la classe dominante tente de nous livrer une panoplie d’explications sur l’origine et la nature du problème : crise identitaire des jeunes, insuffisance d’intégration des immigrés, inégalité des chances, problèmes de discrimination à l’embauche, manque d’éducation citoyenne, résultat d’une mise en échec scolaire, montée du racisme et de la xénophobie…
Toutes ces explications superficielles et partielles lui servent à mettre en avant la mystification qu’il y aurait des "solutions", des réformes possibles à l’intérieur du capi-talisme pour améliorer le sort des jeunes des banlieues. Ce ne sont pourtant nullement toutes les propositions avancées et les mesures totalement illusoires du gouver-nement qui pourront résoudre le problème du chômage : contrats d’apprentissage dès 14 ans, débloquer davantage d’argent et de moyens aux organismes associatifs, multiplication de stages de formation, service civil volontaire, etc. Ces mesures ne sont au contraire qu’une tentative vouée à l’échec d’un aménagement du poids croissant du chômage, de la précarité de l’emploi et de la misère dans la société. Tout cela est fondamentalement de la poudre aux yeux. Toutes les fractions de la bourgeoisie, de gauche comme de droite n’ont rien d’autre à proposer. Mais cela permet aussi de déverser à flots le poison d’une propagande idéologique qui sert fondamentalement à diviser les exploités, à opposer les intérêts des uns par rapport aux autres. La classe dominante justifie ainsi un clivage permanent entre générations, entre ouvriers autochtones et ouvriers immigrés, entre ouvriers en activité et ouvriers au chômage. D’un côté, elle pousse les chômeurs à considérer les ouvriers qui ont encore un emploi comme des privilégiés qui ne devraient pas se plaindre ni lutter pour la défense de leurs salaires, contre la diminution de leurs pensions de retraite ou la détérioration de leurs conditions de travail. De l’autre côté, elle incite les travailleurs à se représenter toute future lutte de chômeurs comme une émanation de la «racaille», seulement capable de déchaîner la rage aveugle, la haine, l’autodestruction.
Le profond malaise social qu’ont révélé les émeutes dans les banlieues est l’expression de la crise économique mondiale du capitalisme et une manifestation révélatrice de la faillite irréversible de ce système. C’est pour cela que les violences urbaines en France ont soulevé une réelle inquiétude parmi les autres bourgeoisies européennes qui sont confrontées au même problème. Si les émeutes des jeunes des banlieues, sous le signe du «no future», n’est porteuse d’aucun avenir, d’aucune perspective en elles-mêmes car elles sont le simple reflet de l’enfer capitaliste, elles sont néanmoins révélatrices du malaise profond et de l’absence de perspective d’un système capitaliste en crise qui est désormais incapable d’intégrer les jeunes générations dans son appareil productif. Cette manifestation particulièrement éloquente de la faillite du capitalisme pose plus que jamais l’alternative : renversement de l’ordre bourgeois ou enfoncement de toute la société humaine dans le chaos, la misère et la barbarie.
La seule réponse nécessaire et possible au chômage qui menace de plus en plus les enfants d’ouvriers, c’est la mobilisation, le développement unitaire et massif des luttes de résistance de la classe ouvrière, face aux licenciements et à toutes les attaques qu’elle subit. Seule cette lutte de classe pourra permettre aux ouvriers réduits aux chômage comme aux éléments aujourd’hui impliqués dans les émeutes de trouver leur place dans l’affirmation d’une perspective révolutionnaire et internationaliste. Face au «no future» et au désespoir exprimés par les émeutes des banlieues, le prolétariat est la seule classe porteuse d’avenir parce qu’elle est la seule force sociale capable de renverser le système d’exploitation capitaliste, d’éradiquer la misère, le chômage, d’abolir le salariat, le profit et les rapports de concurrence. C’est la seule classe qui puisse permettre l’instauration et l’épanouissement d’autres rapports sociaux à travers lesquels l’humanité pourra enfin développer une activité déterminée par la réalisation de ses besoins n
W / 18.11.05
Durant trois semaines, les émeutes dans les banlieues ont fait la Une de l’actualité. Des milliers de jeunes, issus pour une grande part des couches les plus pauvres de la population, ont crié leur colère et leur désespoir à coup de cocktails Molotov et de caillasses.
Les premières victimes de ces destructions sont les ouvriers. Ce sont leurs voitures qui sont parties en fumée. Ce sont leurs lieux de travail qui ont été fermés, plaçant plusieurs centaines d’entre eux au chômage technique. Un ouvrier interviewé pour le journal de 20h a magistralement résumé la parfaite absurdité de ces actes en ces termes : «Ce matin, j’ai trouvé sur le pare-brise de ma voiture calcinée cette affiche. C’est marqué dessus ‘Nique Sarkozy’. Mais c’est pas Sarkozy qu’on a niqué, c’est moi !»
Même si l’explosion de colère des jeunes des banlieues est tout à fait légitime, la situation sociale qu’elle a créée représente un réel danger pour la classe ouvrière. Comment réagir ? Faut-il se ranger derrière les émeutiers ou derrière l’Etat «républicain» ? Pour la classe ouvrière, il s’agit là d’une fausse alternative car les deux pièges sont à éviter. Le premier serait de voir à travers la révolte désespérée de ces jeunes un exemple de lutte à suivre. Le prolétariat n’a pas à s’engouffrer sur ce chemin auto-destructeur. Mais la «solution» criée partout haut et fort par la bourgeoise est une impasse tout aussi grande.
En mettant à profit la peur que suscitent de tels événements, la classe dominante, avec son gouvernement, son Etat et son appareil répressif, se présente aujourd’hui comme le garant de la sécurité des populations et notamment des quartiers ouvriers.. Mais derrière ses beaux discours qui se veulent «sécurisants», le message qu’elle cherche à faire passer est lourd de menaces pour la classe ouvrière : «Lutter contre l’ordre républicain, c’est-à-dire l’Etat capitaliste, c’est ce comporter en voyou, en racaille».
Incapable de résoudre le problème de fond, la crise économique, la bourgeoisie préfère naturellement le cacher et exploiter à son profit le côté spectaculaire des émeutes : les destructions et les violences… Et là, on peut dire que les journalistes ont su mouiller leur chemise afin d’alimenter au mieux cette propagande de la peur.
Ils sont allés chercher l’information au cœur des cités, livrant par centaines des images de voitures en flammes ou calcinées, multipliant les témoignages de victimes, réalisant des enquêtes sur la haine de ces jeunes pour toute la société.
Les reportages ont fourmillé montrant, dans la nuit, ces bandes de jeunes, casquette vissée sur la tète et recouverte elle-même d’une capuche masquant le visage. C’est en gros plan qu‘on a eu droit aux jets de cocktails Molotov et de cailloux, aux affrontements avec les forces de l’ordre et, de temps en temps, à l’interview d’un des émeutiers exultant en direct sa colère : «On existe, la preuve : les voitures brûlent» (Le Monde du 6.11.05) et aussi «on parle enfin de nous».
La bourgeoisie a ici exploité à merveille la violence désespérée des jeunes banlieusards pour créer un climat de terreur. C’est pour elle une occasion idéale pour justifier le renforcement de son arsenal répressif. La police peut en effet s’octroyer le luxe d’apparaître comme la protectrice des ouvriers, la garante de leur bien-être et de leur sécurité. Le débat entre le PS et l’UMP sur ce point a donné d’ailleurs le «la». Pour la droite, la solution est évidemment de donner plus de moyens aux forces de l’ordre en renforçant les unités d’intervention type CRS. Et pour la gauche c’est la même chose avec un autre enrobage. Le PS a proposé le retour de la police de proximité. Autrement dit, plus de flics dans les quartiers ! C’est bien pour cela que ces deux grands partis bourgeois se sont prononcés en faveur de l’Etat d’urgence.
Toutes ces mesures de renforcement de l’appareil répressif ne pourront mettre fin aux violences dans les banlieues. Au contraire, si elles peuvent être efficaces de façon immédiate et temporaire, à terme, elles ne peuvent qu’alimenter la tension et la haine de ces jeunes envers les forces de l’ordre. Les hommes politiques le savent très bien. En réalité, ce que vise la bourgeoisie avec le renforcement du quadrillage policier des quartiers «sensibles», ce ne sont pas les bandes d’adolescents désœuvrés mais la classe ouvrière. En faisant croire que l’Etat républicain veut protéger les prolétaires contre les actes de vandalisme de leurs enfants ou ceux de leurs voisins, la bourgeoisie se prépare en fait à la répression des luttes ouvrières lorsque celles-ci constitueront une véritable menace pour l’ordre capitaliste. La mise en place de l’Etat d’urgence, par exemple, vise à habituer la société, à banaliser le contrôle permanent, le flicage permanent et les perquisitions légales dans les quartiers ouvriers.
La dimension la plus répugnante de la propagande actuelle est celle qui consiste à désigner les immigrés comme boucs émissaires.
Du fait que les émeutiers sont en partie des enfants issus de l’immigration, les ouvriers immigrés ont été insidieusement accusés de menacer «l’ordre public» et la sécurité des populations puisqu’ils sont incapables de tenir leurs enfants, de leur donner une «bonne éducation» en leur transmettant des valeurs morales. Ce sont ces parents «irresponsables» ou «démissionnaires» qui ont été montrés du doigt comme les vrais coupables. Et la palme du racisme affiché est revenue au ministre délégué à l’emploi, Gérard Larcher, pour qui la polygamie serait «l’une des causes des violences urbaines» (Libération du 17.11.05) !
Mais les forces de gauche ont apporté elles aussi leur petite pierre à l’édifice, mettant en avant, sous couvert d’humanisme, les difficultés de la société française à intégrer des populations de «divers horizons culturels» (pour reprendre leur terminologie). Les deux plus grands sociologues actuels sur la question des banlieues, Didier Lapeyronie et Laurent Mucchilie, qui se positionnent à la gauche radicale de l’échiquier politique, insistent ainsi sur le fait qu’aux yeux des jeunes issus de l’immigration «la promotion par l’école est réservée aux ‘blancs’, les services publics ne sont plus du tout des vecteurs d’intégration […] et les mots de la République […] sont perçus comme les masques d’une société ‘blanche’.» (Libération du 15.11.05). Les prolétaires immigrés auraient donc un problème spécifique qui n’aurait rien à voir avec le reste de la classe ouvrière.
En désignant les travailleurs immigrés comme les vrais responsables des violences urbaines, la bourgeoisie cherche ainsi à monter les ouvriers les uns contre les autres, à créer une division entre français et immigrés. Elle exploite la révolte aveugle des jeunes des banlieues afin de masquer la réalité : la paupérisation croissante de l’ensemble de la classe ouvrière, quelle que soit sa nationalité, ses origines ou sa couleur. Le problème de la misère, du chômage, de l’absence de perspective ne serait pas la conséquence de la crise économique insurmontable du capitalisme mais se résumerait à un problème «d’intégration» ou de «culture» ! En diabolisant ainsi les parents des jeunes émeutiers, la classe dominante justifie par la même occasion des attaques prétendument ciblées sur les «fauteurs de troubles» d’aujourd’hui mais qui, en réalité, toucheront toute la classe ouvrière demain. C’est par exemple le cas de la suppression des allocations pour les familles de «délinquants». Et que dire des mesures d’expulsion immédiate des étrangers pris dans les émeutes ? Le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, a demandé aux préfets d’expulser «sans délai de notre territoire national» les étrangers condamnés dans le cadre des violences urbaines des treize dernières nuits, «y compris ceux qui ont un titre de séjour» (Libération du 9.11.05). Mais la classe ouvrière ne doit pas se faire d’illusion. Cette mesure ne restera pas une exception réservée aux seuls «petits voyous». Ces expulsions territoriales pour ‘trouble de l’ordre public’, l’Etat républicain n’hésitera pas à les utiliser dans le futur contre l’ensemble de la classe ouvrière lorsque celle-ci développera ses luttes : pour briser une grève et son unité en obligeant les ouvriers qui justement «ont un titre de séjour» à reprendre le travail sous peine de «reconduction aux frontières» n
Pawel / 17.11.05
Les délocalisations sont utilisées à toutes les sauces dans la propagande de la bourgeoisie, à tel point que non seulement elles éclipsent toutes les autres attaques qui s’abattent sur le prolétariat, mais en deviennent même l’explication. Altermondialistes, gauchistes et partis de gauche occupent les avant-postes pour dénoncer «l’ultra-libéralisme»de patrons charognards et d’actionnaires assoiffés de juteux dividendes, qui, au milieu de différentes options possibles pour «un autre monde» choisiraient la politique du pire. Au contraire, dans cet article, nous allons montrer que les délocalisations résultent des lois les plus fondamentales qui régissent le système capitaliste lui-même.
Contrairement aux élucubrations altermondialistes «contre la marchandisation du monde», voilà belle lurette que sous l’égide du capitalisme les rapports marchands régissent l’ensemble des rapports sociaux et humains de la société. Dans la société capitaliste, fournir et vendre une marchandise, constitue, sous peine de se trouver privé de tout moyen de subsistance, le seul moyen d’obtenir une part des biens produits. Pour ceux qui ne possèdent aucun moyen de production, les prolétaires, et se trouvent de ce fait dans l’impossibilité matérielle de produire des marchandises, il ne leur reste plus qu’à proposer sur le marché une marchandise particulière, leur force de travail.
Comme pour toute autre marchandise, la valeur de la force de travail se traduit sur le marché par un prix et en argent : le salaire. La marchandise force de travail ne se distingue en rien des autres marchandises sur le marché, si ce n’est qu’elle est inséparable de son vendeur, le travailleur, et qu’elle ne supporte pas d’attendre trop longtemps l’acheteur, parce qu’elle périra avec son porteur, le travailleur, par manque de vivres.
La force de travail constitue pour l’acheteur capitaliste, le bourgeois, qui la consomme, la source de son profit. Si le capitaliste industriel ne faisait travailler le salarié qu’il a engagé que pendant le temps suffisant à l’ouvrier pour créer le salaire qu’il touche, le patron ne réaliserait aucun bénéfice. Il faut que le salarié travaille en plus de ce temps. Le temps de travail de tout ouvrier se compose, sans qu’il ne s’en rende compte, de deux parties : une partie payée, où l’ouvrier ne fait que restituer la valeur de son salaire, et une partie non payée, où il accomplit du travail gratuit ou du surtravail pour le capitaliste qui s’approprie la totalité de la production.
La condition du prolétaire se résume à l’insécurité de son existence. «Le prolétaire est démuni de tout ; il ne peut pas vivre un seul jour pour soi. La bourgeoisie s’est arrogée le monopole de tous les moyens d’existence au sens le plus large du terme. Ce dont le prolétaire a besoin, il ne peut l’obtenir que de cette bourgeoisie dont le monopole est protégé par le pouvoir d’Etat. Le prolétaire est donc, en droit comme en fait, l’esclave de la bourgeoisie ; elle peut disposer de sa vie et de sa mort. Elle lui offre les moyens de vivre mais seulement en échange d’un «équivalent», en échange de son travail ; elle va jusqu’à lui concéder l’illusion qu’il agit de plein gré, qu’il passe contrat avec elle librement, sans contrainte, en être majeur. Belle liberté, qui ne laisse au prolétaire d’autre choix que de souscrire aux conditions que lui impose la bourgeoisie (…)» (1).
Dans le système capitaliste, la soif d’exploitation du surtravail n’a pas de limites : plus le capitalisme tire du travail non payé des travailleurs, mieux c’est. Extorquer de la plus-value, et l’extorquer sans limites, tel est le but et le rôle de l’achat de la marchandise force de travail par le capitaliste. «Le capitaliste industriel n’en reste pas moins au fond un marchand. Son activité comme capitaliste (…) se réduit à celle qu’exerce un marchand sur le marché. Sa tâche consiste à acheter aussi judicieusement, à aussi bas prix que possible, les matières premières et accessoires, les forces de travail, etc., qui lui sont nécessaires, et à vendre aussi cher que possible les marchandises fabriquées dans sa maison. Dans le domaine de la production, un seul point doit le préoccuper : il lui faut faire en sorte que l’ouvrier fournisse, pour le salaire le plus petit possible, le plus de travail possible, rende le plus de plus-value possible.» (2).
Cette exploitation ne trouve sa limite que dans l’épuisement de l’exploité et dans la capacité de résistance que la classe ouvrière oppose à l’exploiteur. Pour augmenter la partie du temps de travail gratuit, où le prolétaire fournit au capitalisme sa plus-value, le capital dispose de différents moyens : l’allongement de la journée de travail, l’intensification des cadences pendant la durée du travail et l’abaissement des salaires, et même le minimum nécessaire au simple maintien en vie de l’ouvrier.
Comme toute marchandise, la force de travail est soumise à la concurrence et aux aléas du marché capitaliste. «…Quand il y a plus de travailleurs que la bourgeoisie ne juge bon d’en occuper, lorsque par conséquent au terme de la lutte des concurrents, il en reste encore un certain nombre sans travail, ceux-là précisément, devront mourir de faim ; car le bourgeois ne leur donnera probablement pas de travail, s’il ne peut vendre avec profit les produits de leur travail.» (3). La concurrence, «expression la plus parfaite de la guerre de tous contre tous qui fait rage dans la société bourgeoise moderne» où «les travailleurs se font concurrence tout comme les bourgeois se font concurrence» opposant actifs et chômeurs, autochtones et immigrés ou différentes fractions nationales du prolétariat constitue «l’arme la plus acérée de la bourgeoisie dans sa lutte contre le prolétariat.» (4).
La délocalisation de sites de production des pays industrialisés vers des pays à main-d’œuvre à bon marché constitue une évidente expression des lois capitalistes de la recherche d’un taux de profit maximum. Sous la pression de la concurrence à tout va entre grands pays industrialisés capitalistes pour des marchés de plus en plus limités, les salaires horaires moyens de 18 € en Espagne, 4 € en Pologne et en République Tchèque, 2 € au Brésil et au Mexique, 1 € en Roumanie, 0,7 € en Inde ou en Chine contre 23 € en Europe de l’Ouest ou aux Etats-Unis, constituent une immanquable aubaine pour le capitalisme, vampire de la force de travail.
Dès le 19e siècle, la bourgeoisie n’a jamais hésité, quand la technique de production le permettait, à démonter, par exemple, les métiers à tisser, pour aller chercher ailleurs, dans une autre région, une main d’œuvre moins chère ou plus docile à l’exploitation.
Même si les délocalisations, ne sont pas pour la classe ouvrière, une nouveauté, mais constituent un phénomène ancien et international, commun à tous les pays, depuis les années 1990, sous l’impulsion de la crise économique qui dure depuis plus de trois décennies, ce phénomène a connu une certaine accélération. Dans maints secteurs où le coût de la main-d’œuvre représente une part importante du coût de revient global de la production, ce transfert des pays industrialisés vers ceux où les coûts de production sont les plus faibles est même « déjà largement réalisé.» (5).
Dans le secteur automobile par exemple il y a longtemps que les grands constructeurs ont eu recours aux délocalisations. Renault produit la R12 depuis 1968 en Roumanie. «Dès les années 1970, Renault, comme d’ailleurs PSA, multiplie les partenariats locaux au Brésil, au Mexique, en Argentine, en Colombie et en Turquie. (…) Après les restructurations des années 80, Renault se lance dans le rachat de Samsung en Corée du Sud et de Dacia en Roumanie, en 1999 .» (6). La bourgeoisie n’a d’ailleurs pas attendu l’effondrement des régimes staliniens et la fin d’une prétendue «économie socialiste» pour que les puissances occidentales investissent et délocalisent dans les pays de l’ex-bloc de l’Est.
Si tous les secteurs de la production capitaliste sont touchés par les délocalisations, toute la production n’est pas destinée à être délocalisée comme le laisse entendre la propagande de la bourgeoisie. «Les secteurs de l’industrie concernés par les délocalisations sont nombreux : cuir, textile, habillement, métallurgie, électroménager, automobile, électronique… Egalement touché le secteur tertiaire : centres téléphoniques, informatique, comptabilité… A vrai dire, toute production de masse et tout service répétitif sont susceptibles d’être délocalisés dans des territoires où le coût de la main d’œuvre est nettement moindre.» (7). La baisse drastique des prix des transports accomplie dans les années 1990 (baisse de 45% du coût du fret maritime et de 35% de celui du fret aérien entre 1985-93) a rendu encore plus infime l’inconvénient de l’éloignement des lieux de production de nombre de marchandises du marché où elles seront consommées.
L’exploitation à bas prix de la force de travail intellectuelle high-tech, trop chère dans les pays occidentaux, est frénétiquement recherchée, tout en s’épargnant les frais de sa formation, assurée sur place. En Chine, organismes publics occidentaux et entreprises privées sont de plus en plus nombreux «à créer sur place, telle France Télécom à Canton en juin 2004, des centres de recherche afin de bénéficier du fantastique vivier de scientifiques à bas prix qu’offrent les laboratoires chinois.» (9). L’Inde est aussi devenue en quelques années un pays de destination pour la conception de logiciels.
D’autre part, les délocalisations sont largement mises à profit pour réduire les coûts non productifs des grosses entreprises (gestion informatisée, exploitation de réseaux et maintenance, gestion des salaires, services financiers, service clientèle, gestion des commandes, centres d’appels téléphoniques), jusqu’à 40 à 60%. A tel point que «tout ce qui peut être fait à distance et transmis par téléphone ou satellite est bon à délocaliser.» C’est ainsi que l’Inde «tend à devenir l’arrière-boutique des entreprises américaines et britanniques.» (5).
Dans la compétition à mort que se livrent les nations, les Etats des pays développés mettent explicitement un coup de frein au départ à l’étranger de certaines activités. Posséder sur le territoire certaines industries garantes d’une puissance militaire capable de rivaliser avec les nations du même ordre constitue une nécessité stratégique et une question de survie dans l’arène impérialiste. Plus généralement, sur le plan économique, conserver sur son sol les productions centrales des différents secteurs-clés qui font la force de tel capital national face à la concurrence est tout aussi indispensable. Dans l’automobile, «Sous la pression de la concurrence qui oblige à produire à des coûts toujours plus bas se dessine un mouvement de délocalisation de la production des petites voitures destinées au marché français dans des pays à faible coût de main-d’œuvre, tandis que l’on garde dans l’Hexagone la production de véhicules haut de gamme dans des usines très automatisées. (…)» (6). Idem dans le textile où «aujourd’hui seuls les textiles incorporant technologie et savoir-faire sont encore fabriqués dans l’Hexagone.» (6).
Le nombre des pays bénéficiaires des délocalisations est réduit : « l’Inde, le Maghreb, la Turquie, les pays d’Europe centrale et orientale (PECO) et l’Asie (notamment la Chine).»(7). Si chaque capital national possède sa terre d’élection, chacune répond à une même série de critères impératifs. Ces pays doivent non seulement posséder une certaine stabilité intérieure, ce qui est le cas d’un nombre toujours plus réduit de pays, tant bourgeonnent à la surface de la planète les zones entières livrées aux ravages de la guerre. Mais ils doivent également avoir une infrastructure adaptée et disposer d’une force de travail, rompue à l’exploitation capitaliste, voire relativement formée. La plupart des pays-cibles, ont connu un passé industriel (pays de l’Est) ou un semblant d’industrialisation. A contrario, les pays de l’Afrique subsaharienne, candidats à recevoir des délocalisations, n’en ont pas vu la couleur.
La définition même des délocalisations comme «le déplacement vers l’étranger d’une activité économique existante [par exemple] en France dont la production est ensuite importée en France» (8) nous livre une partie du secret des chiffres mirifiques alignés par la bourgeoisie au sujet des prétendus miracles chinois ou hindou. A prendre la totalité de la production mondiale, les délocalisations forment une opération blanche. S’il y a bien création d’un pôle industriel qui n’existait pas avant, en aucun cas il n’y a développement ou nouvel essor de la production capitaliste puisque la création d’une activité inexistante auparavant dans tel pays d’accueil a au contraire pour corollaire direct la désindustrialisation et la stagnation des économies les plus avancées.
Pendant des décennies, ces pays ne sont pas parvenus à réaliser les investissements pour l’acquisition massive, d’une technologie moderne, condition indispensable pour soutenir la concurrence des pays plus développés et à accéder à une industrialisation digne de ce nom, même avec une main d’œuvre à très bas coût. Leur sous-développement, et le maintien dans cet état sont même actuellement une des conditions de l’intérêt que trouve le capitalisme à l’exploitation de la classe ouvrière sur place.
L’absence de perspective d’amélioration des conditions de vie du prolétariat des pays destinataires des délocalisations ainsi que le développement du chômage dans les pays occidentaux, vers lesquels se dirige le gros de la production délocalisée, ne peuvent pas contribuer à l’expansion du marché mondial, mais à l’aggravation de la crise de surproduction.
Les délocalisations ne constituent pas par elles-mêmes la cause du chômage et de la baisse du niveau de vie du prolétariat. Elles ne sont que l’une des formes que prennent les attaques qu’il subit, mais toutes possèdent la même racine : les lois économiques du système capitaliste qui s’imposent à chaque nation et à chaque bourgeois et qui plongent le monde capitaliste dans une crise de surproduction sans issue.
Pour engranger la plus-value produite par la classe ouvrière et enfermée dans les marchandises fabriquées, il faut encore que le capitaliste vende celles-ci sur le marché.
Les crises capitalistes de surproduction, fléau du système capitaliste, trouvent toujours leur origine dans la sous consommation des masses à laquelle est contrainte la classe ouvrière par le système capitaliste d’exploitation du travail salarié qui diminue constamment la part de la production sociale qui revient au prolétariat. Le capitalisme doit trouver une part de ses acheteurs solvables en dehors de ceux qui se trouvent soumis au rapport travail-capital.
Auparavant, l’existence sur le marché intérieur, de larges secteurs de production précapitalistes (artisanale et surtout agricole) relativement prospères, formaient le sol nourricier indispensable à la croissance capitaliste. Au plan mondial, le vaste marché extra-capitaliste des pays coloniaux en cours de conquête, permettait de déverser le trop plein des marchandises produites dans les pays industrialisés. Depuis qu’au début du 20e siècle, le capitalisme a soumis l’ensemble de la planète à ses rapports économiques, il ne dispose plus des conditions historiques qui lui avaient permis de faire face à ses contradictions.
Il entre dès lors dans sa phase de déclin irréversible qui condamne l’humanité aux guerres, aux convulsions des crises et à la misère généralisée, faisant peser la menace de sa destruction pure et simplen
Scott
(1) Engels, La situation laborieuse en Angleterre, (1845) Editions sociales p.119.
(2) K. Kautsky, Le programme socialiste, (1892), chapitre «Le prolétariat».
(3) Engels, Ibidem p.121.
(4) Engels, Ibid. p119.
(5) Novethics.fr. 10 janvier 2001.
(6) L’Expansion 27 janvier 2004.
(7) Vie publique.fr.12 janvier 2004.
(8) Le Monde.fr. 27 juin 2004.
Après les mauvais coups portés à la classe ouvrière par l’adoption du “pacte de solidarité entre les générations”, c’est dans l’euphorie, que le premier conseil des ministres de janvier 2006 a fait savoir qu’il poursuivait la “remise en ordre” de l’économie belge, en d’autres mots qu’il n’en avait pas fini avec les attaques concernant les conditions de vie des travailleurs. A présent, la coalition libérale/socialiste s’attaque aux salaires des travailleurs. C’est tout opportunément qu’arrive le rapport de la Banque Nationale mi-février. Il réitère la proposition d’un “pacte pour la compétitivité” et la réduction des charges patronales. “Mobilisation générale au nom de la compétitivité” titre Le Soir du 16 février. Le gouverneur de la Banque nationale, la FEB et le gouvernement avaient déjà l’intention de débattre du coût salarial avant la Noël 2005. Mais les syndicats se voyaient mal en train de “négocier” une nouvelle modération salariale pendant qu’ils menaient les dernières actions visant à épuiser la combativité contre le pacte de solidarité (lire Internationalisme n° 323).
On sait donc à quoi il faut s’attendre d’autant plus que socialistes et syndicats sont au premier rang pour reconnaître un «dérapage salarial». Ainsi, le socialiste Frank Vandenbroucke, ancien ministre fédéral de l’emploi et un des architectes du «pacte de solidarité», déclare que les salaires belges sont trop élevés et qu’il faudrait mener une politique de modération salariale à longueur d’années. Il confirme plus loin ce qu’avait déjà avoué le nouveau président des socialistes flamands, Vande Lanotte: «On a choisi une méthode très douce. Mais ce n’est pas le point final des réformes; Le travail doit encore commencer…» (De Morgen, 21.01.06). Le président du PS wallon Di Rupo déclarait quant à lui dès août 2005: «Nous ne pouvons pas nous permettre des écarts grandissants en matière de coûts du travail avec nos pays voisins». Les sociaux-chrétiens par la voix de Milquet montrent leur sens des responsabilités: «Il y a un problème de compétitivité». (chaîne télévisée RTL, 13.01.06). Les syndicats vont dans le même sens: «On ne nie pas l’existence d’un déficit de compétitivité, mais pas touche au salaires minimaux» (FGTB), (merci pour les autres). Ils ajoutent: «On n’a pas le choix. La loi nous impose de saisir ce problème à bras-le corps. Entre partenaires sociaux, on doit tenter de partager une analyse commune» (CSC) (Le Soir, 08.01.06). Ce ne sont donc pas des propos gratuits proférés par n’importe qui. De la gauche à la droite, syndicats compris, il y a une belle unanimité au sein de la bourgeoisie: le salarié belge coûte trop cher !
Bien sûr, tout le monde déclare, du premier ministre Verhofstadt à Di Rupo ou aux syndicats, qu’on ne touchera pas à l’index. Et le premier ministre rend hommage à «l’esprit constructif des partenaires sociaux qui parviendront à un accord sur la compétitivité des entreprises» (Le Soir, 28-29.01.06). Ces déclarations font partie de la méthode douce si chère à nos socialistes du nord et du sud: «On peut garder l’index, mais il restera bien peu pour les augmentations» (Vandenbroucke dans De Morgen, 21.01.06). En réalité, gouvernement et «partenaires sociaux» évitent d’attaquer de front l’index qu’on garde comme une sorte de symbole mais on le vide de toute substance par le biais d’accords «all-in» sectoriels qui règlent déjà la modération salariale dans la construction, les constructions métalliques, l’alimentation, le nettoyage, les garages les électriciens et le bois, au total un salarié sur cinq en Belgique, et qui seront généralisés à l’ensemble des salariés. Le all-in consiste à négocier un pot commun combinant augmentation de salaire et indexation. Si la hausse dépasse l’inflation prévue, on rogne les augmentations. Par ce procédé la bourgeoisie vise, sans en avoir l’air, à baisser les salaires. Car même avec ce système d’index que «le monde nous envie» et malgré les «dérapages salariaux» dénoncés par la droite et la gauche, le pouvoir d’achat des travailleurs et des allocataires sociaux en Belgique s’érode lentement mais sûrement. D’après une étude du CRIOC, ces dix dernières années le pouvoir d’achat des fonctionnaires a diminué de 2,28%, celui des salariés, 2,08%, et celui des «ménages défavorisés» de 3,2%.
L’argumentation des Verhofstadt, Di Rupo, Vande Lanotte ou des partenaires sociaux en direction de la classe ouvrière est identique: c’est un appel à l’esprit de sacrifice pour le bien commun, à la paix sociale, à l’esprit positif: la «modération salariale» est vitale pour le maintien de la compétitivité qui elle-même permet de maintenir le niveau de vie, de garantir l’emploi contre les délocalisations, de sauver l’Etat social. Ces arguments hypocrites ne cherchent qu’à mystifier les travailleurs:
- Avec un cynisme consommé, la bourgeoisie prétend garantir le niveau de vie … en baissant les salaires et en attaquant les retraites … en favorisant les restructurations destructrices d’emploi (ARCELOR, Ford, Belgacom, INBEV …), en faisant appel à une main d’œuvre bon marché au noir ou légale grâce au «grand marché européen de l’emploi»;
- Elle n’hésite pas à mentir pour faire passer son message. Si on se penche sur les chiffres officiels des coûts salariaux dans l’industrie belge (la Banque Nationale), on constate que la Belgique se situe à la 12ème place, juste devant l’Espagne et le Portugal et loin derrière la Grande-Bretagne, l’Allemagne aux coûts salariaux de 30 à 40% plus élevés (Banque Nationale, L’industrie en Belgique, p.27);
- Il en va de même avec le chantage aux délocalisations et aux fermetures d’entreprises. Même dans les sociétés très «compétitives», comme Daimler en Allemagne ou VW et INBEV en Belgique, la bourgeoisie n’hésite pas à utiliser ces types de chantage pour exiger le sacrifice des «avan-tages», pour réduire ses coûts de production (Interna-tionalisme n° 310).
Les ouvriers en Belgique doivent savoir que ce discours, avec quasiment les mêmes chiffres et arguments, est servi aux ouvriers en Allemagne, Pays-Bas ou en France par leur bourgeoisie respective. Cette politique entraîne donc l’ensemble de la classe ouvrière dans une spirale infernale de baisses des salaires, de fermetures, de réduction des allocations sociales dans l’ensemble des pays industrialisés.
Le battage sur «le sens de la responsabilité des travail-leurs» vise avant tout à cacher les vraies raisons de la crise et de l’austérité: dans une situation de saturation des marchés, de concurrence exacerbée entre capitaux nationaux, d’impasse croissante d’un système aux abois, «le salarié ne peut que coûter trop cher»! De fait, la bourgeoisie n’a plus d’autres issues que l’agression généralisée contre les conditions de vie de la classe ouvrière, l’imposition d’une misère de plus en plus noire et la fuite éperdue dans la barbarie guerrière. Dès lors, les campagnes médiatiques sur les menaces contre la compétitivité et les délocalisations ne visent qu’à faire pression sur les salaires, à entraîner la classe ouvrière derrière la défense du capital national, à cacher les vraies raisons de la crise économique mondiale, à désarmer les ouvriers dans leur résistance aux attaques contre leurs conditions de vie.
Et si la gauche et les syndicats sont à la pointe de cette campagne et défendent avec ferveur la nécessité de ces mesures, s’ils se postent aux premiers rangs pour sauver l’économie nationale, c’est tout simplement parce qu’ils sont de fervents défenseurs du système capitaliste et de son Etat «démocratique». Les Di Rupo, Vande Lanotte et consort ont beau dire que, sans leur présence au gouvernement, la dégringolade sociale serait plus grave. Il faut être aveugle pour ne pas voir le rôle central que les PS/SP jouent dans l’élaboration des plans d’austérité qui nous frappent depuis plus de 15 ans, ni leurs incessants efforts pour nous faire croire qu’il n’y a pas d’autres voies que la compétitivité des entreprises, la modération salariale, les pactes de solidarité avec la bourgeoisie, pendant qu’ils se révèlent être les plus zélés défenseurs du capital national et de l’Etat bourgeois. Comment croire les principaux artisans de cette lente mais sûre dégringolade sociale quand ils prétendent lutter contre la misère alors qu’ils ont pleinement participé à son aggravation? Quant aux syndicats, ils constituent l’autre pièce maîtresse dans le dispositif de la bourgeoisie. Ils participent pleinement à la tactique de la méthode douce des réformes, après avoir encadré la colère, l’inquiétude sur l’avenir et le mécontentement de la classe ouvrière. Les déclarations de guerre tonitruantes des leaders syndicaux ont été remises aux vestiaires. Et leurs derniers agissements, l’entérinement des principes du «pacte de compétitivité», ne laissent aucun doute sur leurs intentions.
Le dernier trimestre de 2005 a été marqué en Belgique par un début de reprise de la combativité, comme elle s’est déjà manifestée dans la plupart des pays industriels. Dans les mouvements sociaux de l’an passé, une nouvelle génération de prolétaires s’est manifestée en Belgique également que les syndicats s’empressent d’encadrer. De ce point de vue, l’accroissement significatif de la syndicalisation de jeunes travailleurs que les médias ont mis en évidence ces dernières semaines, révèle des tendances contradictoires. D’une part, elle exprime l’inquiétude croissante par rapport au futur qui s’empare de larges couches de jeunes travailleurs et leur volonté de ne pas se laisser exploiter sans lutter, de l’autre, elle illustre les illusions encore fortes en la gauche et les syndicats, liées au regain de crédibilité de ceux-ci pendant les années ’90, et donc une conscience encore fort basse de ces éléments par rapport aux armes et aux perspectives de leur combat. Mais, inévitablement, sous les coups de boutoir de la crise et des attaques de la bourgeoisie, face aux magouilles syndicales, les aspirations de cette nouvelle génération de prolétaires entreront en contradiction violente avec la pratique et la nature des syndicats. De ces chocs naîtra petit à petit la prise de conscience que seules les luttes que les ouvriers prennent eux-mêmes en mains peuvent les mener sur le chemin de la victoire contre l’exploitation.
J&J / 26.02.06
Ce qu’il est convenu maintenant d’appeler l’affaire “des caricatures de Mahomet” a envahi l’espace médiatique bourgeois. Chaque jour de nouvelles manifestations pro-islamistes éclatent dans le monde. La simple publication de dessins montrant un Mahomet belliqueux a donné immédiatement lieu à une empoignade généralisée entre les Etats impérialistes, non seulement dans le monde musulman, mais également à l’échelle de la planète. Ces événements sont en réalité une dramatique illustration du niveau de tension existant entre les différentes puissances capitalistes.
Le 30 septembre dernier, le quotidien danois Jyllands-Posten a publié douze caricatures représentant le prophète Mahomet affublé de bombes, mèches de dynamites et autres ustensiles terroristes. Ces dessins seront repris dans les semaines suivantes par de nombreux journaux, tel France-Soir. La suite, nous la connaissons. Des manifestations, parfois ultra violentes, éclatent à travers l’ensemble des pays dits musulmans. En Afghanistan, certains affrontements se traduisent même par des morts et des blessés graves. Comment quelques caricatures ont-elles pu engendrer une telle déflagration de haine ? Comment et pourquoi de simples dessins d’un journal danois se sont-ils retrouvés au cœur d’une tempête internationale ?
Pourtant au début d’octobre 2005, cette affaire n’avait encore que des répercussions nationales au Danemark. C’est alors que onze ambassadeurs de pays musulmans vont demander un entretien avec Fagh Rasmussen, premier ministre du Danemark et proche du journal Jyllands-Posten. Celui-ci refusant de les rencontrer, une délégation de représentants des associations musulmanes au Danemark va faire une tournée dans de nombreuses capitales du monde musulman, officiellement pour sensibiliser l’opinion publique sur cette affaire. Le résultat ne s’est alors pas fait attendre. Des manifestations commencent à éclater au Pakistan. A partir du mois de janvier, les manifestations vont gagner l’ensemble du «monde musulman» et notamment le Moyen-Orient. Ces manifestations prennent rapidement une ampleur et une violence anti-occidentale qui ne peuvent que surprendre au regard de la banalité apparente que peuvent représenter quelques caricatures journalistiques de Mahomet. Cependant, pour comprendre, il est nécessaire de se souvenir que, depuis la Seconde Guerre mondiale, cette région du monde et plus encore le Moyen-Orient n’ont jamais cessé de connaître un enfoncement dans la guerre et la barbarie. Depuis la fin des années 1980, les tensions deviennent de plus en plus explosives et incontrôlables. Ainsi, la déstabilisation irréversible du monde musulman en Afghanistan, en Irak, au Liban, en Palestine, souvent sous l’effet direct de la fuite en avant militaire et guerrière des grandes puissances impérialistes (au premier rang d’entres elles les Etats-Unis) se traduit aujourd’hui inévitablement par une montée du radicalisme religieux le plus archaïque au sein des populations complètement désorientées de ces régions. L’impasse totale dans laquelle se trouvent ces pays ne peut produire qu’un phénomène de montée en puissance des fractions les plus rétrogrades de la bourgeoisie. Tel est le sens, par exemple, de l’arrivée au pouvoir en Palestine du Hamas, mouvement politique radical, adepte jusqu’à ce jour du fanatisme anti-israélien le plus caricatural. C’est la même réalité du fondamentalisme le plus rétrograde qui explique la présence au pouvoir en Iran du parti ultraconservateur de Mahmoud Ahmadinejad. Les tensions entre chaque puissance de cette région et de celles-ci envers les Etats-Unis s’étalent chaque jour un peu plus. Il est bien évident que dans cette situation de montée des archaïsmes et du chacun pour soi, la bourgeoisie et les différentes cliques armées de cette partie du monde ne pouvaient que se saisir de cette opportunité, offerte par la publication de ces fameuses caricatures, afin de renforcer leurs positions sur place et de participer au mieux de leurs intérêts à la foire d’empoigne généralisée impérialiste au niveau mondial. Derrière ces manifestations apparemment spontanées se trouvent en réalité le bras armé des cliques bourgeoises, locales ou étatiques. Après des attaques d’ambassades danoise ou française, la Libye décide de fermer son ambassade à Copenhague. L’ambassadeur du Danemark au Koweït est convoqué. Les gouvernements Syriens et Irakiens se déclarent publiquement particulièrement choqués. Tout cela n’a rien plus à voir avec la publication de quelques dessins dans la presse bourgeoise occidentale et Jordanienne. Ces caricatures sont en réalité devenues des armes de guerre aux mains des classes bourgeoises dans le monde musulman, répondant ainsi à la politique impérialiste toujours plus agressive de la part des Etats-Unis, de la France, de l’Allemagne ou de l’Angleterre notamment. Comment, par exemple, ne pas faire le lien entre cette utilisation de quelques dessins avec la montée des menaces envers l’Iran à propos de son programme nucléaire de la part de la France ou des Etats-Unis ? La manipulation, à des fins de politique impérialiste, par les différentes bourgeoisies, de populations de plus en plus réduites à la misère, subissant en permanence la guerre, est alors un cynique jeu d’enfant. Ces manifestations violentes de masses croissantes de désespérées ne surgissent donc pas si «spontanément» ou si «naturellement». Elles sont le produit des politiques de guerre, de haine, et d’embrigadement idéologique nationaliste de toutes les bourgeoisies aux quatre coins de la planète.
Alors que les Etats-Unis se font depuis les attentats du 11 septembre 2001, les champions de la défense des valeurs de l’occident, les pourfendeurs du fanatisme religieux musul-man et de la lutte contre le mal qu’il est censé incarner, nous assistons à propos des caricatures de Mahomet à une très surprenante compréhension de l’administration Bush face aux réactions en Iran et ailleurs. Pourquoi ? Bien entendu, tout ceci n’a rien à voir avec la défense du droit de chacun à choisir librement sa religion comme ils peuvent le prétendre. La réalité est beaucoup plus cynique. Les Etats-Unis sont bien trop satisfaits de voir des pays impérialistes concurrentiels tels que la France embourbés à leur tour dans une situation d’affrontement politique avec plusieurs états du Moyen-Orient et du monde arabe. Dans ce monde pourri, en guerre perpétuelle, de tous contre tous, chaque Etat capitaliste ne peut que se réjouir de voir des concurrents tomber dans une chausse trappe.
Et la perfidie des fractions bourgeoises et leur volonté d’utiliser tous les aspects de la vie du capitalisme pourrissant sont encore plus criantes quand on regarde le positionnement du Hamas dans cette affaire. Le Hamas, parti radical religieux s’il en est, adepte jusqu’à maintenant de la lutte armée et du terrorisme, propose tout simplement ses bons offices en tant que médiateur dans cette affaire ! Le chef du bureau politique du mouvement palestinien Hamas, Khalel Mechaal déclare en effet à ce propos : »le mouvement est disposé à jouer un rôle pour apaiser la situation entre le monde islamique et les pays occidentaux à condition que ces pays s’engagent à mettre fin aux atteintes aux sentiments des musulmans.» (Le Monde du 9 février 2006). Afin de se faire un peu plus reconnaître sur le plan international, le Hamas est ainsi prêt à rentrer momentanément ses griffes.
Au regard de cette véritable foire d’empoigne, où chaque nation et clique bourgeoise attise la haine, toute la propagande des ‘grandes démocraties’ sur la liberté de la presse et le respect des religions apparaît ainsi pour ce qu’elle est : une vaste fumisterie.
The Independant, journal anglais cité par le Courrier International, résume très bien la campagne idéologique bourgeoise : «Il ne fait aucun doute que les journaux devraient avoir le droit de publier des dessins que certaines personnes estiment offensants». Voilà ici mis en scène le sacro saint droit de liberté d’expression, dont toute une partie de la bourgeoisie nous rabat les oreilles aujourd’hui. D’un autre côté, affirme immédiatement le même journal, «dans une situation aussi complexe, il est facile de se réfugier dans de banales déclarations sur les droits de la presse libre. Le plus difficile n’est pas de trancher entre le vrai et le faux, mais de prendre une décision qui tienne compte des droits des uns et des autres. Il y a le droit à l’expression libre de toute censure. Mais il y a aussi le droit pour de nombreux musulmans de vivre dans une société plurielle et laïque sans se sentir oppressés, menacés, raillés. Elevé un droit au dessus des autres est le masque du fanatisme.» Le piège idéologique, développé par la démocratie bourgeoise contre la classe ouvrière, est ici clairement exposé. Elle se doit de choisir entre ce qui serait un droit, la liberté d’expression, et un devoir moral, le respect des croyances d’autrui. En tout état de cause, le prolétariat est appelé à faire preuve de modération et de compréhension dans cette affaire pour le plus grand bénéfice de… ses maîtres bourgeois ! Voici ce que pensait Lénine dans les thèses sur la démocratie au premier congrès de l’IC1 : »La liberté de la presse est également une grande devise de la ‘démocratie pure’. Encore une fois, les ouvriers savent que les socialistes de tous les pays ont reconnus des millions de fois que cette liberté est un mensonge, tant que les meilleures imprimeries et les plus gros stocks de papiers sont accaparés par les capitalistes, tant que subsiste le pouvoir du capital avec d’autant plus de clarté, de netteté et de cynisme que le régime démocratique et républicain est développé comme par exemple en Amérique.» Et encore, Lénine et les communistes de son époque ne connaissaient pas les moyens de matraquage idéologiques d’aujourd’hui, que sont la radio et la télévision.
Quant à l’autre choix, celui du respect des croyances de chacun, il suffit de citer une phrase de Marx pour savoir ce que les communistes en pensent : «La religion est l’opium du peuple.» Quelle que soit cette religion, la croyance comme toute forme de mysticisme est un poison idéologique que l’on distille dans la tête des ouvriers. C’est un des nombreux pare-feu que possède la classe bourgeoise contre la prise de conscience du prolétariat.
La liberté de la presse n’est donc rien d’autre que la liberté pour la bourgeoisie d’enfoncer son idéologie dans le crâne des ouvriers ! Et le respect des religions est le respect de la classe dominante pour tout ce qui mystifie le prolétariat !
Il est évident que cette prolifération de manifestation et de violence à partir de quelques dessins publiés dans la presse bourgeoise ne peut laisser la classe ouvrière indifférente. Il est vital que la classe ouvrière ne se laisse pas impressionner par cette levée massive d’agitations anti-occidentale dans le monde musulman. Tout cela ne fait que traduire l’accélération du chaos dans la société capitaliste et rendre plus urgent le développement de la lutte de classe. La réponse du prolétariat ne se trouve pas dans le faux choix proposé par la bourgeoisie. A l’irrationalité grandissante du monde capitaliste, le prolétariat doit opposer la rationalité de la lutte de classe, du développement de sa conscience et du communisme.
Tino /20.02.2006
(1) Internationale Communiste, troisième Internationale.
Le 23 décembre, dans l’entreprise automobile SEAT de Barcelone, les ouvriers des équipes du matin et de l’après-midi se sont spontanément mises en grève, en solidarité avec les 660 camarades à qui la direction avait adressé le jour même une lettre de licenciement.
C’était le début de la riposte à une attaque criminelle contre leurs conditions de vie. Une attaque parfaitement préméditée et traîtreusement portée par le triangle infernal constitué par le patronat, la Généralité 1 et les syndicats. Une attaque qui va bien au-delà des 660 licenciements, puisqu’à ces derniers s’ajoutent les licenciements disciplinaires des ouvriers qui avaient participé aux actions de début décembre, des licenciements masqués sous couvert de 296 démissions «volontaires», les plans d’intensification de l’exploitation visant à augmenter la production et au moyen desquels on faisait payer aux travailleurs leurs «heures dues»… En définitive, c’est une attaque brutale qui ouvre la porte à de nouvelles attaques. Ce n’est pas gratuitement que le président de la compagnie a annoncé avec arrogance et de façon provocante que «les mesures contenues dans l’accord ne résorbent pas tout l’excédent de personnel».
Comme les camarades de SEAT et tous les travailleurs, nous devons lutter ; mais pour pouvoir lutter avec force, nous devons tirer au plus vite les leçons de la stratégie de manipulation et de démobilisation que le patronat, les gouvernants et les syndicats ont mise en place contre les travailleurs.
Depuis l’annonce, à la mi-août, par l’entreprise de la «nécessité» de mener à bien une réduction de personnel, «échangeable» éventuellement contre une baisse des salaires de 10%, les dirigeants de l’entreprise, ainsi que ceux qui se prétendent «représentants» des ouvriers, c’est-à-dire les syndicats et le gouvernement de «gauche» de la Généralité, se sont partagé les rôles pour empêcher qu’une lutte ouvrière réelle puisse bloquer l’application du plan.
Pendant plus de deux mois, depuis août jusqu’au début de décembre, les représentants syndicaux se sont consacrés à tenter d’anesthésier l’inquiétude qui se propageait parmi les travailleurs face à la menace de licenciements, en disant que ceux-ci ne seraient pas justifiés puisque «l’entreprise était bénéficiaire», la crise de SEAT serait «conjoncturelle» ou conséquente à une «mauvaise politique commerciale». Avec de tels mensonges - que nous avons dénoncés dans notre tract «SEAT : Sauver l’entreprise signifie des licenciements et des contrats bidon. La seule riposte est la lutte ouvrière» - ils faisaient baisser la garde des travailleurs, leur faisant croire que ce n’était qu’une bravade du patronat insatiable, à laquelle les études économiques des syndicats ou les pressions du gouvernement «progressiste» et de «gauche» de la Généralité, finiraient par mettre bon ordre. Ce même patronat a participé à cette mystification, jouant à cache-cache pendant des semaines jusqu’au 7 novembre où il a annoncé la ERE (Procédure de Régulation de l’Emploi) pour 1346 travailleurs.
Les syndicats avaient prévu ce jour-là une grève partielle, que les travailleurs ont débordée par des manifestations qui, dans la Zone Franche et à Martorell 2, ont coupé les routes. Face à une telle situation, la Plate-forme Unitaire (à laquelle participent l’UGT, les CCOO, et la CGT) 3 appellent à une grève d’une journée, le 10 novembre, et à une manifestation pour «exiger» que la Généralité «s’implique dans le conflit en faveur des travailleurs» (!). Les trois syndicats veulent par cette ‘action’ «confier notre sort à nos bourreaux, aux maîtres de la bonne parole et du coup de poignard dans le dos. L’État n’est pas le représentant du peuple mais le défenseur inconditionnel des intérêts du capital national. Toutes les autorités –du président du gouvernement au moindre maire- sont là pour veiller à la défense de celui-ci».
Après cette mascarade, les trois syndicats se sont débarrassés du problème et n’ont plus appelé à la moindre action ! Jusqu’au 1er décembre ! Soit trois semaines pendant lesquelles les travailleurs ont été maintenus dans la passivité et l’attente, abrutis par d’interminables ‘négociations’, puis par la ‘médiation’ de Monsieur Rané, conseiller au Travail [à la Généralité]. Comme nous le dénonçons dans le tract, «cette tactique des “pressions” et des “pétitions” dupe les ouvriers et les rend passifs».
La Plate-forme Unitaire des trois syndicats s’engagea à «revenir à la charge» après la semaine des «congés» (du 5 au 10 décembre). Mais ce n’était qu’un mensonge de plus ! Prétextant des limites légales imposées par le ERE, les pressions de la Généralité qui faisait planer la menace d’un «arbitrage»,… ils ont «oublié» les mobilisations et, le 15 décembre, les CCOO et l’UGT (la CGT s’étant retirée le 13) ont signé l’accord pour les 660 licenciements.
Mais le pire était à venir : elles ont gardé le silence pendant toute une semaine sur l’identité des victimes, gardant pour le dernier jour précédant les vacances le «gros» des lettres de licenciements, et comble du cynisme et de l’humiliation, ils ont traité les travailleurs concernés de fainéants et de criminels. Cette manœuvre vile et lâche les démasque (ne disaient-ils pas avoir signé le «meilleur accord possible» ?) et démontre également qu’ils ont peur des tavailleurs, car s’ils s’étaient sentis sûrs d’eux, ils auraient tout de suite annoncé les licenciements, et n’auraient pas multiplié les agents de sécurité privés qui gardent de près les sièges de l’UGT et des CCOO.
La CGT joue le rôle du «bon syndicat» qui est proche des travailleurs. Il est certain que 145 de ses adhérents font partie des licenciés. Mais la souffrance de ces camarades et la solidarité avec eux ne peuvent cacher que la CGT n’a pas été une alternative à l’UGT-CCOO, et que, bien au contraire, elle n’a rien à leur envier. Pourquoi a-t-elle participé à la mascarade des «négociations» et de «lutte» de la Plate-forme Unitaire qu’elle n’a quitté qu’à la date tardive du 13 décembre ? Pourquoi, lorsque l’UGT et les CCOO ont signé, l’unique «mobilisation» à laquelle elle a appelé fut un rassemblement en dehors de l’usine, dont très peu d’ouvriers furent informés et à laquelle se rendirent 200 personnes seulement ? Pourquoi le matin du 23, avant les grèves spontanées, «la CGT a-t-elle décidé de limiter la protestation à quelques heures seulement» (Résumé du site Internet Kaosenlared, 24-12-05) alors que c’était le moment de foncer et qu’il y avait des forces comme le démontra l’équipe de l’après-midi qui se réunit en assemblée et décida de se mettre en grève pour la journée entière. Pourquoi toute alternative de sa part se réduisait-elle à «réviser au cas par cas chacun des licenciements et si nécessaire de faire un recours en justice» ?
Jusqu’au 23, les travailleurs ont été victimes d’une démo-bilisation, d’une stratégie pour empêcher toute riposte. Les syndicats ne se jouent pas de nous seulement en signant les licenciements ; ils se jouent de nous auparavant lorsqu’ils organisent leurs «Plans de Lutte». Leur action contre les ouvriers se concrétise en trois facettes intimement liées :
- leurs pactes et accords avec le patronat et le gouvernement ;
- leurs plans de «lutte» qui sont en réalité des stratégies contre la lutte ;
- leur défense inconditionnelle de l’intérêt de l’entreprise et de l’économie nationale qu’ils prétendent faire coïncider avec celui des travailleurs alors qu’ils sont diamétralement opposés.
En cela, la principale leçon de la lutte de SEAT que les ouvriers eux-mêmes commencent à tirer dans la pratique avec les grèves spontanées et les assemblées du 23, est qu’on ne peut pas confier la lutte aux syndicats.
Le 23, les licenciés, au lieu de rentrer chez eux ruminer de façon solitaire l’angoissante perspective du chômage, se sont tournés vers leurs camarades, et ceux-ci, au lieu de se laisser aller à la consolation du «ce n’est pas à moi que ça arrive», ou derrière la réponse individualiste du «chacun se débrouille comme il peut», ont manifesté la solidarité de la lutte. Ce terrain de la solidarité, de la riposte commune des licenciés et de ceux qui conservent encore leur emploi, des chômeurs et des actifs, des précaires et des contrats à durée «indéterminée», c’ est la base d’une réponse effective aux plans inhumains des capitalistes.
L’année 2006 commence avec le drame des 660 licenciés de SEAT, mais qui peut croire que ce seront les derniers ? Nous savons tous que non. Nous savons que le coup de poignard des licenciements, que le crime des accidents de travail, que l’angoisse de ne pouvoir payer un logement décent, que les menaces sur les retraites, que la «réforme» du travail concoctée par le trio infernal gouvernement-patronat-syndicats, seront la source de nouvelles souffrances. Que dans le secteur de l’automobile, comme dans tous les pays, les attaques contre les conditions de vie des ouvriers vont se poursuivre ; que les horreurs de la guerre, la faim, la barbarie qui accompagnent le capitalisme, comme la faux accompagne la mort, vont continuer.
C’est pourquoi il faut se lancer dans la lutte. Mais pour que la lutte soit efficace et puissante, le développement de la solidarité de classe est nécessaire, et elle doit être organisée et contrôlée par les ouvriers eux-mêmes.
Le problème de SEAT ne se réduit pas aux 660 licenciés ; le problème concerne tout le personnel. Ce n’est pas seule-ment le problème des ouvriers de SEAT mais de tous les travailleurs, aussi bien les fonctionnaires ayant un «emploi garanti» (jusqu’à quand ?) que les travailleurs des entreprises du privé, aussi bien les sans-papiers que ceux qui en ont. Nous sommes tous ou nous serons tous dans la même situation que SEAT !
Notre force est la solidarité de classe, l’unité dans la lutte. Une lutte limitée à SEAT et enfermée dans SEAT serait une lutte perdue.
Mais en quoi consiste la solidarité ? Est-ce de boycotter l’achat de voitures de cette marque ? (Est-ce que par hasard les autres marques ne licencient pas ?) Est-ce de faire des rassemblements de licenciés devant les portes de l’usine ? S’agit-il des déclarations de «soutien» de la part du «secteur critique» des Commissions ouvrières ou de EUA 4 ? Consiste-t-elle en des «actes citoyens» dans les quartiers, manipulation qui n’aura servi qu’à faire accepter les manoeuvres crapu-leuses du trio infernal à la SEAT ?
Cette «solidarité» est aussi fausse que les «plans de lutte» de la Plate-forme Unitaire de SEAT. La seule solidarité effective est de s’unir dans la lutte ! Que les ouvriers des différents secteurs, des différents quartiers, se fondent dans une même lutte en brisant ces barrières qui nous affaiblissent tant : l’entreprise, le secteur, la nationalité, la race, au moyen de la force directe de délégations, d’assemblées et de manifes-tations communes.
L’expérience de SEAT est claire : nous savons déjà ce qui arrive lorsque nous laissons les syndicats, les comités d’entreprise ou des «plateformes unitaires» jouer avec notre sort.
La direction de la lutte doit être entre les mains des travailleurs du début jusqu’à la fin. Ce sont eux qui doivent évaluer les forces sur lesquelles ils peuvent compter, les revendications à mettre en avant, les possibilités d’étendre la lutte. Leur riposte ne peut être influencée par les provocations de l’entreprise ou par les «plans de lutte» de ses complices des syndicats, mais par la décision collective des travailleurs organisés en assemblées et en comités élus et révocables. Les négociations avec le patronat ou avec le gouvernement doivent se faire sous les yeux de tous, comme ce fut le cas à Vitoria en 1976 en Espagne ou en Pologne en 1980. Ce sont les assemblées elles-mêmes qui prennent en charge la recherche de la solidarité, en organisant des délégations et des manifestations.
Le temps de la résignation, de la passivité et de la désorientation doit s’achever. La marge de manœuvre que cette situation a offert pendant des années au capital commence à diminuer. C’est l’heure de la lutte. La voix de la classe ouvrière doit se faire entendre avec de plus en plus de force.
Accion Proletaria / Décembre 2005
Section du CCI en Espagne
(1) La Généralité (Generalitat) est le gouvernement autonome de la région de Catalogne.
(2) Zones industrielles de la banlieue de Barcelone.
(3) L’UGT (Union Générale des Travailleurs) est la confédération de tendance socialiste. Les CCOO (Commissions Ouvrières) est la centrale dirigée par le Parti «communiste» espagnol. La CGT (Confédération Générale du Travail) est une centrale de tendance «syndicaliste révolutionnaire» issue d’une scission «modérée» d’avec la CNT (Confédération Nationale du Travail) anarcho-syndicaliste.
(4) EUA («Esquerra Unida i Alternativa – Gauche Unie et Alternative») : déguisement du Parti communiste espagnol en Catalogne.
Une tactique commune dans les attaques capitalistes contre les retraites et les allocations de santé est la tentative de créer des systèmes “multi-niveaux”, dans lesquels les nouveaux employés perçoivent des avantages ou des retraites plus faibles, que cela prenne la forme de baisse de la valeur des avantages perçus par les plus récents employés, ou celle d’exiger d’eux un paiement plus élevé des contributions à l’assurance maladie ou aux fonds de pension. Les ouvriers plus anciens sont bridés par la promesse que les coupes ne les affecteront pas, mais seulement ceux qui seront embauchés à l’avenir. Traditionnellement, les syndicats aident à faire passer ces “marchés”, saluant leurs “efforts” pour avoir préservé les ouvriers déjà employés comme des “victoires”. Cette tactique monte les ouvriers les uns contre les autres, opposant les intérêts des ouvriers employés de longue date à ceux fraîchement embauchés, la vieille génération contre la jeune – une recette désastreuse pour l’unité de la classe ouvrière – permettant aux directions de diviser les ouvriers et de vaincre leur résistance. Cela a précisément été là l’option choisie : diviser les ouvriers qui s’est trouvée au cœur de la récente lutte dans les transports de la ville de New York. La Metropolitan Transit Authority, contrôlée par le gouver-neur, et dans une moindre mesure par le maire, a cherché à reculer l’âge de la retraite pour les nouveaux embauchés, des actuels 55 ans à 62 ans, et à exiger que ces derniers paient 6 % de leur salaire pour les fonds de pension. L’âge de la retraite à 55 ans (après 25 ans de service) est depuis longtemps en place du fait de la reconnaissance des conditions de travail extrêmement pénibles dans lesquelles triment les ouvriers des transports, dans des souterrains vieux de cent ans, avec un air vicié, le pullulement des rats et le manque général de structures sanitaires. La propo-sition du gouvernement n’aurait cependant touché aucun des ouvriers déjà employés.
Mais les ouvriers du métro et des bus n’étaient absolument PAS prêts à se laisser diviser par cette escroquerie. Instruits par l’expérience vécue chez nombre de leurs camarades dans d’autres secteurs ayant déjà subi une attaque sur leurs retraites, les ouvriers des transports ont refusé d’accepter qu’on touche à leur régime de retraites. De fait, ils se sont mis en grève pour protéger les retraites des ouvriers qui n’étaient pas encore au travail, ceux qu’ils appelaient «nos pas encore nés», leurs futurs collègues. En tant que telle, cette lutte est devenue l’incarnation la plus claire du mouvement pour réaffirmer l’identité de classe du prolétariat et sa solidarité à ce jour. Elle n’a pas seulement eu un impact profond sur les ouvriers qui ont participé à la lutte, mais aussi sur la classe ouvrière dans d’autres secteurs. Les ouvriers du métro se sont ainsi mis en grève par solidarité de classe avec la génération future, avec ceux qui n’étaient pas encore embauchés. Cette grève a eu un écho favorable chez beaucoup d’ouvriers, dans de nombreuses industries, qui ont enfin vu des ouvriers se lever en disant : «Ne touchez pas aux retraites !».
La signification de la grève des transports new-yorkais
La grève des 33 700 ouvriers du métro qui a paralysé la ville de New York trois jours durant dans la semaine avant Noël a été la lutte ouvrière la plus significative depuis quinze ans aux Etats-Unis. Elle a été importante pour un nombre de raisons qui sont liées :
- au contexte international dans lequel elle s’est déroulée ;
- au développement de la conscience de classe parmi les grévistes eux-mêmes ;
- à l’impact potentiel de la grève sur les autres ouvriers.
La signification de cette grève ne doit pas être exagérée ; elle ne peut être comparée aux grèves des années 1980 qui ont non seulement été capables de remettre en cause l’autorité de l’appareil d’encadrement syndical destiné à contrôler et à faire dérailler les luttes ouvrières, mais qui ont aussi posé la question de l’extension de la lutte à d’autres ouvriers. Cependant, considérant le contexte de conditions difficiles dans lesquelles la classe ouvrière lutte aujourd’hui, cette signification doit être clairement comprise.
Bien qu’elle soit restée strictement sous le contrôle d’une direction syndicale locale dominée par les gauchistes et les syndicalistes de base, la grève du métro a reflété non seulement la combativité montante de la classe ouvrière, mais aussi des pas en avant significatifs et importants dans le développement d’un sentiment retrouvé de l’identité et de la confiance en elle-même de la classe ouvrière, ainsi que de la compréhension de la solidarité de classe, de l’unité des ouvriers par-delà les frontières des générations et des lieux de travail. Les ouvriers du transports ont entrepris cette grève alors même qu’ils savaient être en violation de la loi Taylor de New York qui interdit les grèves dans le secteur public et pénalise automa-tiquement les grévistes de deux jours de salaire pour chaque jour de grève, ce qui veut dire perdre trois jours de salaire pour chaque jour de grève (un jour pour celui non travaillé et deux jours de pénalité). La ville a ainsi menacé de requérir une amende pénale de 25.000 dollars contre chaque ouvrier pour fait de grève, et de la faire doubler chaque jour : 25.000 dollars le premier jour, 50.000 le deuxième, 100.000 le troisième. Face à des menaces si lourdes brandies par la bourgeoisie, la décision de faire grève n’a pas été prise à la légère par les ouvriers mais a représenté un acte courageux de résistance.
Ce qui rend la grève des transports de New York si significative n’est pas simplement qu’elle a paralysé la plus grande ville de l’Amérique trois jours durant, mais par le niveau de progrès dans le développement de la conscience de classe qu’elle reflète.
Comme nous avons dit, la principale question dans la grève était la défense des retraites, qui subissent une attaque incroyable de la bourgeoisie partout dans le monde et spécialement aux Etats-Unis. Dans ce pays, les allocations gouvernementales de sécurité sociale sont minimales et les ouvriers comptent sur leur entreprise ou sur des fonds de pension liés à leur travail pour maintenir leur niveau de vie une fois à la retraite. Ces deux genres de pensions sont en danger dans la situation actuelle, la première sous les efforts de l’administration Bush pour «réformer» la sécurité sociale, et la deuxième à travers le véritable manque de finances et les pressions pour réduire le paiement des retraites.
La réaffirmation de la capacité de la classe ouvrière à se concevoir et à réagir en tant que classe a pu être constaté à plusieurs niveaux et dans de nombreuses manifestations dans la lutte des transports. Clairement, le problème central lui-même – la protection des retraites pour les futures générations d’ouvriers – contenait cet aspect. Ce n’est pas seulement à un niveau abstrait mais à un niveau concret qu’on pouvait le percevoir et l’entendre. Par exemple, à un piquet de grève d’un dépôt de bus de Brooklyn, des douzaines d’ouvriers se sont rassemblés en petits groupes pour discuter de la grève. Un ouvrier a dit qu’il ne pensait pas qu’il était juste de lutter sur les retraites pour de futurs ouvriers, pour des gens qu’on ne connaissait même pas. Ses collègues s’opposèrent à lui en argumentant que ces futurs ouvriers contraints d’accepter l’attaque contre les retraites «pouvaient être nos enfants». Un autre a dit qu’il était important de maintenir l’unité des différentes générations dans la force de travail. Il a montré que dans le futur il était probable que le gouvernement essaierait de diminuer les avantages médicaux ou le paiement des retraites «pour nous, quand nous serons en retraite. Et il sera important pour les gars au travail alors de se souvenir que nous nous sommes battus pour eux, afin qu’ils se battent pour nous et les empêchent de casser nos avantages». Des discussions similaires se sont passées ailleurs dans la ville, reflétant clairement et concrètement la tendance des ouvriers à se concevoir en tant que classe, à rechercher au-delà des barrières générationnelles que le capitalisme cherche à utiliser pour diviser les uns et les autres.
D’autres ouvriers passant devant les piquets de grève klaxonnaient en signe de solidarité et criaient des hourras de soutien. A Brooklyn, un groupe d’enseignants d’une école élémentaire a exprimé sa solidarité en discutant de la grève avec les élèves et a amené les classes d’élèves de 9-12 ans à rendre visite à un piquet de grève. Les enfants ont apporté des cartes de Noël aux grévistes avec des messages comme : «Nous vous soutenons. Vous vous battez pour le respect.»
La grève des transports est devenue un point de référence pour les ouvriers dans d’autres secteurs. A côté des démonstrations de soutien et de solidarité mentionnées ci-dessus, il y a eu de nombreux autres exemples. Les ouvriers qui ne travaillaient pas dans les transports étaient bienvenus aux piquets de grève. Par exemple, un groupe de maîtres-assistants de l’université de New York en grève a rendu visite au piquet de Brooklyn ; ils se sont présentés pour discuter des problèmes de la grève et de sa stratégie avec les ouvriers. Dans d’innombrables lieux de travail autour de la ville, d’autres ouvriers d’autres secteurs ont parlé de l’importance de la solidarité comme étant un exemple sur la question de la défense des retraites.
La sympathie pour les grévistes est restée forte malgré une intense campagne de diabolisation des grévistes menée par la bourgeoisie dès le deuxième jour de la paralysie des transports. Les tabloïdes, comme le Post et le Daily News, traitaient les grévistes de «rats» et de «lâches». Même le libéral New York Times dénonçait la grève comme «irresponsable» et «illégale».
L’illégalité de la grève elle-même a déclenché des discussions importantes au sein de la classe ouvrière à travers la ville et dans le pays. Comment pouvait-il être illégal pour les ouvriers de protester en se retirant du travail ? demandaient beaucoup d’ouvriers. Comme l’a dit un ouvrier lors d’une discussion dans une école de Manhattan, «c’est presque comme si on ne pouvait faire grève que si elle n’avait aucun effet».
Alors que le syndicat local des ouvriers des transports, conduit par les gauchistes et syndicalistes de base contrôlait clairement la grève, employait une rhétorique combative et adoptait un langage de solidarité pour tenir fermement en mains la grève, le rôle du syndicat a été de miner la lutte et de minimiser l’impact de cette grève importante. Très tôt les syndicats ont laissé tomber la revendication d’une augmentation de salaire de 8 % pendant trois ans, et ont focalisé entièrement sur les retraites.
La collusion entre le syndicat et la direction a été révélée dans un reportage publié après la grève dans le New York Times. Tandis que le maire et le gouverneur appelaient bruyamment à la reprise du travail comme pré-condition à l’ouverture de négociations, des négociations secrètes étaient en fait en route à l’Hôtel Helmsley, et le maire acceptait secrètement une proposition de Toussaint d’obtenir de la direction le retrait de l’attaque sur les retraites en échange d’une augmentation des contributions des ouvriers à la couverture maladie, pour dédommager le gouvernement du coût représenté par le maintien des retraites pour les futurs employés.
Cette fin orchestrée par le syndicat et le gouvernement n’est bien sûr pas une surprise, mais simplement une confirmation de la nature anti-ouvrière de tout l’appareil syndical, et n’enlève rien à la signification des apports importants réalisés dans le développement de la conscience de classe. Cela nous remet en mémoire les tâches importantes qui restent devant la classe ouvrière pour se débarrasser du carcan syndical et pour garder le contrôle de la lutte dans ses propres mains.
D’après Internationalism / Décembre 2005
section du CCI aux Etats-Unis
Aujourd’hui, partout dans le monde, les partis socialistes, qu’ils soient au gouvernement ou dans l’opposition, mènent une même politique anti-ouvrière, en mystifiant et en dévoyant les luttes ouvrières, ou en prenant directement les mesures d’austérité. Ce sont eux aussi qui ont entraîné les ouvriers dans les boucheries des guerres mondiales du 20e siècle et qui participent à l’extension de la barbarie guerrière. Et demain, ces mêmes partis n’hésiteront pas à réprimer dans le sang les luttes du prolétariat lorsque cela s’imposera pour la sauvegarde du capital, comme ils l’ont démontré à maintes reprises depuis près d’un siècle. Au nom de cette réalité actuelle, beaucoup de gens rejettent la signification et les apports de la social-démocratie du 19e siècle puisqu’ils les rattachent aux magouilles du PS de Di Rupo ou du SPa de Vande Lanotte, qui se revendiquent d’ailleurs eux-mêmes de cette filiation.
Notre contribution sur le développement de la social-démocratie en Belgique au 19e siècle veut mettre en relief, au delà de sa trahison et de son passage dans le camp de la bourgeoisie au début du 20e siècle, l’apport fondamental de la Social-démocratie au combat prolétarien. En défendant cette continuité il ne s’agit pas pour nous de glorifier les partis qui ont constitué la deuxième Internationale. Encore moins de considérer leur pratique comme valable pour notre époque. Il ne s’agit surtout pas de revendiquer l’héritage de la fraction réformiste qui glissa vers le «social-chauvinisme» et passa, avec l’éclatement de la guerre, dans le camp de la bourgeoisie. Il s’agit de comprendre que la deuxième Internationale et les partis tels le POB qui l’ont constituée, ont été à un moment donné des expressions authentiques du prolétariat et un épisode important de l’histoire du mouvement ouvrier.
L’histoire a lourdement marqué le développement de la classe ouvrière en Belgique. Le prolétariat a d’abord souffert des dominations successives autrichienne, française et hollandaise qui soumirent les régions à leurs exigences économiques et politiques spécifiques jusqu’en 1830. Ensuite, les contradictions issues du cadre artificiel de la création de l’état belge en 1830 ont lourdement entravé le développement de la conscience et de l’orga-nisation du prolétariat. La bourgeoisie belge ne sut pas profiter pleinement de la période d’expansion du capitalisme et de la croissance industrielle spectaculaire pour effacer ses contradictions internes. Le manque d’homogénéité et d’unité économique de la Belgique et l’instabilité politique ont fortement favorisé la pénétration de réflexes régionalistes, localistes et corporatistes dans les rangs du prolétariat en formation. La concurrence féroce entre ouvriers wallons et paysans prolétarisés flamands a été exacerbée et exploitée par la bourgeoisie. La marge et les possibilités de réformes étaient réduites par les contra-dictions internes de la bourgeoisie, laissant la place à une rigidité et une discipline répressive. Contrairement à l’Angleterre où le développement du capital et la stabilité de l’économie et du cadre politique permirent à la bour-geoisie d’accorder des concessions à la classe ouvrière, la Belgique, pourtant le pays le plus industrialisé après la Grande-Bretagne, a toujours été traditionnellement considérée comme le pays des bas salaires et des longues journées de travail, et cela jusqu’à la fin du 19e siècle.
Le dénuement matériel, la misère physique, le déla-brement culturel, la résignation, l’ignorance, l’asser-vissement au clergé et sa composition fortement influencée par ses origines professionnelles et paysannes, nous per-mettent de comprendre le bas niveau de la conscience de classe et d’organisation. Les premières associations profes-sionnelles et les sociétés de résistance, créées à partir de 1840, tendront, de par leur localisme et leur corporatisme, à rester isolées, à freiner l’unification des luttes ouvrières, à fuir le contact international. Les luttes ont fréquemment un caractère explosif et spontané, reflet du désespoir, de la colère et de l’exaspération - on proteste, mais sans formuler de revendication précise, on rejette la mécani-sation -, et ces explosions sociales débouchent sur une répression impitoyable: «Il s’agit pour la bourgeoisie d’étouffer toute prise de conscience ouvrière et de décourager la moindre forme d’opposition.» (M. Liebman, Les socialistes belges 1885-1914, p13). Des dizaines de victimes tombent au cours de manifestations, de grèves, et de 1830 à 1860, plus de 1600 travailleurs sont poursuivis pour faits de grèves. C’est ainsi que le célèbre Appel aux ouvriers de l’Europe et des Etats-Unis lancé par l’AIT en 1869, en faisant allusion aux grèves importantes qui se produisirent à cette époque dans le Borinage, souligne que «il n’y a dans le monde civilisé qu’un seul petit pays dont la force armée soit destinée à massacrer les ouvriers en grève, où, avidement et malignement chaque grève est un prétexte à massacrer officiellement les ouvriers. Ce petit pays singulièrement doté, c’est la Belgique».
Ces difficultés du mouvement ouvrier en Belgique sont l’illustration vivante que la misère à elle seule ne suffit pas. Il faut une classe qui prend confiance en elle, qui s’organise de façon autonome, qui prend conscience pour résister victorieusement aux attaques du capital.
Cette situation explique les difficultés de développement du mouvement ouvrier dans ces régions. La participation active du prolétariat à la "révolution belge" de 1830 avait amené initialement une tolérance par rapport à la diffusion des idées blanquistes, socialistes utopiques et surtout proudhoniennes. Une première société ouvrière est fondée par J. Kats en 1836 à Bruxelles ; entre 1843 et 1847, on assiste à la naissance de plusieurs groupements (la Société Agneessens avec J. Pellering, l’Association ouvrière, l’Association démocratique, groupement international essentiellement d’inspiration Fouriériste dont Marx et les éléments de Agneessens font partie, l’Alliance, etc.). Cela crée une certaine fermentation, mais encore peu profonde. Soutenus par des bourgeois acquis aux idées démocratiques, le mouvement et les idées ne s’imposent pas comme ceux d’une classe antagonique à la bourgeoisie: «les idées socialistes d’alors consistaient en un mélange de démo-cratie, de républicanisme, de socialisme sentimental et d’athéisme... (qui) avaient peu d’écho dans les masses» (L. Bertrand, Histoire de la Démocratie et du Socialisme en Belgique depuis 1830 , Vol 2, p. 206). Il n’y a pas encore une classe ouvrière consciente de soi et de sa force.
La répression après les révolutions de 1848 en Europe fait fuir beaucoup d’éléments vers la Belgique, mais la tolérance des années 1830 y avait fait place à une surveillance très suivie. Malgré la présence vers 1845 pendant quelques années à Bruxelles, de Marx et d’autres communistes allemands, à la pointe de l’effort international de développement programmatique, ce sont surtout les nombreux réfugiés français à partir du coup d’Etat à Paris en 1851 qui marquent le jeune mouvement ouvrier. Le Proudhonnisme avec ses idées de mutuellisme et de coopératives faisait pour de bon son entrée, surtout repris et propagé par Jan Pellering et le Liégeois Nicolas Coulon. Il exprimait la nostalgie d’un passé révolu et prenait ses distances par rapport à toute lutte politique et économique du prolétariat. Vers 1860, après une scission avec le mouve-ment de Pellering et Coulon, la propagande socialiste et démocratique se concentre dans l’Association de la démocratie militante socialiste: le Peuple à Bruxelles, toujours d’inspiration anti-cléricale («rationalisme et socialisme ne font qu’un») et proudhonienne mais plus ouverte et orientée vers la solidarité.
Le développement d’organisations de type syndical subit le contrecoup du mépris des proudhoniens pour la lutte économique. Alors que la Grande Bretagne voit surgir dès la fin du 18ème siècle les premières mutuelles et asso-ciations ouvrières, que celles-ci obtiennent dès 1842 la levée de l’interdiction des coalitions et qu’elles profitent des cadres syndicaux déjà formés dans l’illégalité, les syndicats ouvriers en Belgique ne se constituent qu’à partir de 1857 et resteront interdits jusqu’en 1866. Cette deu-xième branche du mouvement ouvrier belge apparaît sous l’influence des Trade-unions anglais plus particulièrement dans les usines de textile gantoises sous l’impulsion de e.a. De Ridder et Moyson, venant de l’Association ‘le Peuple’, remplissant enfin le vide laissé par les Proud-honiens sur le plan de la lutte économique.
La fondation de la première Internationale en 1864 et, à travers elle, la promotion des idées marxistes au niveau international favorisera un nouveau développement de la conscience et de l’organisation du prolétariat en Belgique. Il n’y a pas de Belges de présents lors de la création à Londres en 1864 de l’Association Internationale des Travailleurs (AIT). Ce n’est qu’en juillet 1865 que se constitue à Bruxelles la section belge de la 1ère Interna-tionale, absorbant presque aussitôt L’Association ‘Le Peuple’ qui en devient la seule section. Elle continue à mettre l’accent sur les thèmes Proudhoniens comme la mise en place de coopératives de producteurs et de consom-mateurs, et manifeste un désintérêt pour la lutte économique ou politique et un mépris pour le développement d’orga-nisations centralisées. Toute autorité empêche la libre association, base économique d’une nouvelle société.
Finalement, la lutte héroïque des mineurs en 1868 et 1869 et la répression meurtrière qui s’en est suivie obligera la section belge de l’AIT à s’orienter vers les ouvriers en lutte, à reconnaître l’importance de la lutte et de la propagande parmi les ouvriers et à prendre à cœur la solidarité. Rejointe par les syndicalistes gantois, jusque là très localistes mais avec un noyau embryonnaire marxiste, la section belge de l’AIT cherche activement le contact avec les ouvriers. En quelques mois, plus d’une centaine de meetings se tiennent et rapidement, les activités et les points d’implantation de l’internationale se multiplient dans le pays. En 1870 l’AIT réunit 70.000 travailleurs.
Les idées fouriériste, blanquiste sont nettement sur leur retour et, même si les Proudhoniens restent majoritaires en Belgique, le marxisme gagne en influence, comme le montre l’évolution à partir de 1867 d’une figure importante comme C. De Paepe. Il commence à critiquer sérieusement les thèses Proudhoniennes, reconnaissant le maintien de l’exploitation du travail salarié par le mou-vement coopératif et la nécessité d’une révolution sociale. Bref, à ce moment, «L’Internationale est devenue une puissance en Belgique» (L. Bertrand, Histoire de la Démocratie et du Socialisme en Belgique depuis 1830, Vol 2, p.171), car elle constitue la base de départ d’une véritable action socialiste concertée et organisée sur le plan national. Certes, des faiblesses importantes demeu-rent qui se manifesteront encore. Le particularisme a été érodé, il n’a pas été vaincu. L’apolitisme, lui aussi, demeure solide, entretenu par les thèses abstentionnistes répandues par Proudhon et ses adeptes. L’ensemble garde un caractère hétéroclite y inclus concernant la signification de la lutte économique du prolétariat.
A partir de 1870 toutefois, l’élan de l’AIT sera brisé, d’abord par la guerre franco-prussienne de 1870, qui rendait tout travail international très difficile, puis quelques mois plus tard par l’écrasement de la Commune de Paris en 1871. Par ailleurs, le combat marxiste contre l’action destructrice des adeptes de Bakounine dans l’Internationale a prélevé un lourd tribut sur ses forces. En Belgique en particulier, les magouilles des adeptes de Bakounine favoriseront également la confusion politique, disperseront les forces et sèmeront la zizanie. Au congrès de La Haye de septembre 1872, en opposition aux votes de la conférence nationale de juillet 1872, la délégation belge choisit malgré tout le côté de Bakounine contre Marx. Dès ce moment, l’AIT tend à se diluer en Belgique, laissant un vide considérable.
Le combat de l’AIT, s’il subissait un recul ponctuel, avait eu une valeur historique importante car dorénavant, plus rien n’était comme avant. A côté de l’expérience dans L’AIT même, la commune de Paris avait démontré au mouvement ouvrier l’importance d’un parti ouvrier autonome et de l’action politique pour former et mobiliser les masses. L’action de l’AIT a profondément modifié le climat socio-politique. Sa «propagande fait prendre conscience aux mineurs, non seulement de l’identité de leur condition sociale, de la similitude de leur exploitation, mais aussi de la solidarité profonde qui les lie à l’ensemble des ouvriers du pays, et même de l’Europe... « (J.Puissant, La structuration politique du mouvement ouvrier, Vol 1 p.81). De manière plus générale grâce à l’Internationale, on a assisté, en Belgique, dans les années 1867-1872 à un extraordinaire développement de la conscience ouvrière de même qu’à celui des capacités organisationnelles du prolétariat.
Les années suivantes vont montrer une poursuite de la décantation par rapport à l’anarchisme. Si en Wallonie, l’influence de la France maintient le classe ouvrière dans le vide organisationnel et l’absentéisme politique, les rares centres industriels flamands, et particulièrement la région gantoise, «subissent l’attraction d’un socialisme allemand en passe de s’organiser et de prendre un envol décisif». (M. Liebman, Les socialistes belges 1885-1914, p.41) En effet en Allemagne, dès 1869, le Parti Ouvrier Social-Démocrate est fondé à Eisenach par W. Liebknecht et A. Bebel, proches de Marx, après avoir scissionné de l’organisation de Lassalle sur des bases marxistes. En 1875, lors de la réunification des deux partis, les marxistes sont majoritaires, même si le programme qui est adopté est rempli de concessions aux conceptions lassalliennes. C’est ce programme avec ses forces et ses faiblesses qui inspire dès 1875 la fédération ouvrière gantoise, formée en 1874 autour de militants tels E. Anseele. A Bruxelles, les groupements professionnels se réunissent en une Chambre de Travail autour de César de Paepe et du jeune Louis Bertrand.
L’internationale anti-autoritaire, contrôlée par des Bakou-ninistes, se délite progressivement et tiendra son dernier congrès en juin 1876. A la fin de la même année, des groupements ouvriers à Anvers, Gand et Bruxelles s’accordent sur la nécessité d’une action politique mais pas encore sur les modalités de formation d’une organisation politique à côté de syndicats. Faute d’accord complet et en attendant un écho dans les masses ouvrières des bassins industriels wallons, deux partis se forment en 1877: le Parti Socialiste flamand, selon le modèle allemand, et le Parti Socialiste brabançon. Si la motion de Anseele, approuvée en grande majorité par le premier, est sans ambiguïté sur les principes politiques et organisationnels: «le prolétariat organisé en parti distinct, opposé à tous les autres partis formés par les classes privilégiées, doit employer tous les moyens politiques tendant à l’émancipation sociale de tous».(C. Renard, La conquête du suffrage universel en Belgique, p.45), le programme du deuxième l’est beaucoup moins et il intègre surtout des syndicats de métier dans la tradition dépassée de l’AIT.
C’est finalement en 1879 que les formations flamande et bruxelloise s’unissent en un Parti Socialiste Belge et que les positions anarchistes, apolitiques deviennent nettement minoritaires. Plusieurs éléments de Wallonie, en particulier de Verviers, rejoignent le parti. Mais les difficultés ne sont pas levées pour autant. Le Parti Socialiste Belge nouveau né décide de porter ses efforts sur la conquête du suffrage universel: Manifestations, congrès, présentation de candidatures aux élections de 1880, autant d’échecs que d’efforts. A Verviers et à Liège la classe s’agite beaucoup et l’idée d’une alliance mûrit lentement. En février 1885, une grève importante éclate dans le Borinage ; ouvriers et chômeurs s’unissent dans la lutte. Edouard Anseele décide de distribuer du pain fabriqué par les coopératives aux chô-meurs et aux ménages ouvriers et ce dans tout le pays. Ce geste de solidarité est mieux apprécié par la population que tous les discours qui chantent les vertus de l’unité. Aussi, quand la Ligue Ouvrière de Bruxelles, qui travaille en marge du Parti Socialiste brabançon, demande la convocation d’un congrès général pour le 5 avril 1885, elle recueille l’appro-bation quasi unanime.
Le lendemain 6 avril 1885, cent douze représentants d’associations ouvrières majoritairement bruxelloises et flamandes, rassemblés à Bruxelles sous la présidence de Louis Bertrand, déclarent adhérer à la Constitution d’un Parti Ouvrier Belge (POB). Le programme et les statuts seront adoptés quelques mois plus tard. Cette fondation est l’expression d’un formidable développement, en Belgique comme partout en Europe, des luttes et de l’organisation au sein de la classe ouvrière. Elle offre un cadre organisé et des perspectives aux luttes ouvrières et représente en même temps un extraordinaire espoir de bouleversement révolutionnaire de la société capitaliste pour l’ensemble des exploités.
Lac / 21.02.2006
La presse belge a rendu compte de la lutte des étudiants, lycéens et ouvriers en France contre le CPE comme d’un réflexe de "conservatisme", d’une "tendance anti-européenne", "les Français refusent le changement" (voir entre autres De Standaard du 11.4.06).
Mais, comme il ressort clairement des articles que nous publions dans ce journal (voir aussi le supplément à Internationalisme n° 324), "le CPE n’est pas seulement une attaque économique réelle et systématique. C’est aussi un symbole". En effet, c'est le symbole de la faillite de l'économie capitaliste, du "changement" vers toujours plus de précarité, d'insécurité, à la merci du patronat. L'époque où l'entreprise pouvait être présentée par la propagande capitaliste comme une grande famille, avec un emploi à vie, avec la sécurité sociale dans laquelle on prenait soin des vieux jours, tout cela est en voie de disparition. Le "progressisme" pour la bourgeoisie consiste aujourd'hui à échanger des jobs à temps plein à durée indéterminée contre toutes sortes de contrats à temps partiels, instables, de stages, de projets d'insertion sociale, d'intérims, d'emplois sociaux ou de contrats de courte durée et sous-payés, de formes de travail flexibles, adaptées à la conjoncture versatile d'une économie capitaliste en crise. Le "programme pro-européen" signifie, pour une masse croissante de gens, surtout des jeunes, une vie sans nomination fixe, interrompue par des périodes de chômage, sans conditions de vie stables. Dans un nombre sans cesse grandissant de pays, sous le prétexte de fournir aux jeunes un accès au marché de l'emploi, les derniers emplois fixes sont échangés contre des "carrières à 1000€".
Avec le CPE en France, le capitalisme montre son véritable visage, le même qu'il essaye tellement de cacher en Belgique: celui d'un système en décadence, qui n'a plus aucun avenir à offrir aux jeunes générations. Un système qui s'enfonce dans une crise économique insoluble et qui, ici en Europe et dans tous les coins du monde, livre des millions d'êtres humains à la pauvreté et à la misère, attise des guerres économiques et militaires, jette des masses de gens dans l'exil. Mais la bourgeoisie belge continue à prétendre que "chez nous, cela va moins mal qu'ailleurs", et même que "l'économie belge se normalise". Nous serions moins "conservateurs" que les Français, plus "européens", plus flexibles, plus "complaisants". Nous devrions poursuivre sans vergogne les réformes de l'Etat social actif, du Plan Marshall, du Pacte des générations, du Pacte de compétitivité... Et c'est à tout cela que nous devrions notre bien-être. Et pourtant, de ses propres statistiques ressort progressivement une tout autre image, qui ne diffère en rien de celle de la France! La paupérisation progresse aussi en Belgique. Il ne s'agit plus d'un phénomène en marge du capitalisme, ou particulier à l'un ou l'autre pays récalcitrant ou buté, comme le prétendent quelques commentateurs obstinés, mais de quelque chose qui touche tous les centres du capitalisme mondial. Et là-dessus, il se trouve toujours l'un ou l'autre clown de la bourgeoisie qui cyniquement prétend qu'ici, on ne peut pas se plaindre car "c'est encore toujours mieux qu'en Afrique", ou "mieux que dans les années 1950".
Il suffit de regarder autour de soi, de parcourir Internet, les journaux ou des statistiques pour être submergé de données saisissantes sur la paupérisation. Si l'Union Européenne (E.U.) en 1992 menait encore une immense campagne sur "l'Europe sociale", dans laquelle chaque citoyen aurait une place digne, alors entre temps, la bourgeoisie a abandonné définitivement ces illusions. Eurostat, le service des statistiques de cette même Union européenne, a depuis lors publié à plusieurs reprises des chiffres sur la pauvreté et le chômage en Europe. Déjà en avril 2003, on pouvait y lire: "56 millions d'européens, soit quinze pour cent de la population, sont sous le seuil de pauvreté"; "chiffres-choquants", écrivait même la presse bourgeoise. "Dans notre pays, treize pour cent de la population vivent dans la pauvreté. Les pauvres belges arrivent tout juste à tenir la tête hors de l'eau. Ils vivent avec un régime de pain, de confiture, de choco et de pommes de terre, et de temps en temps, de bière ou d'alcool fort à bon marché pour oublier leur misère noire. Cela s'appelle «le droit à l'ivresse». Pourtant, ils sont 1,3 millions. En marge de l'Etat-providence, il se passe des choses qui craignent la lumière du jour" (De Standaard, 6.11.2003). Le même Eurostat constatait en 2005: "Le degré de pauvreté chez nous est le plus élevé parmi les chômeurs: 32%... C'est parce qu'en Belgique, tant de gens ne travaillent pas, dit l'U.E. Vingt et un pour cent des retraités vivraient dans la pauvreté en Belgique. La moyenne pour les quinze vieux pays de l'U.E. n'est «que» de 17%" (De Standaard, 21.5.2005). Et, pas plus que six mois plus tard, les chiffres doivent une fois de plus être réajustés: "15% de la population belge, soit plus 1,5 millions de personnes vit sous le seuil de pauvreté, défini à partir d'un revenu mensuel de 772€ pour une personne vivant seule. L'emploi ne semble plus être une garantie contre la pauvreté. Parmi les travailleurs, on trouve de 4 à 6% de pauvres" (De Standaard, 5.12.2005). Enfin, Ludo Horemans, vice-président du réseau européen des organisations de pauvres trouve quand même "positif que nous fassions encore mieux que la moyenne européenne. Mais il y a bien un problème. Les dernières dix années, on a beaucoup dit et annoncé, mais d'une façon ou d'une autre, nous n'avons pas réussi en Belgique à faire reculer la pauvreté. Nous faisons du surplace, et donc nous reculons par rapport aux autres pays européens" (De Standaard, 18.8.05).
La tendance est claire. En effet, les faits sont de plus en plus choquants: en 2001, 21% de la population mondiale vivait de moins d'un dollar par jour, et plus de la moitié devait se satisfaire de moins de trois dollars. Ce n'est quand même pas quelque chose dont la bourgeoisie peut être fière! Et bien que les circonstances ressemblent de plus en plus à celles des années 1950, c'est sans aucune illusion de "reconstruction". Les périodes de "relance" économique sont de plus en plus brèves et superficielles et les récessions de plus en plus profondes et prolongées. Ce sont des soubresauts vers le gouffre, et non les fluctuations d'une économie en expansion. Et la récession entamée début 2001 est loin d'être terminée.
Pan Marshall, Pacte des générations, Pacte de compétitivité: autant de mesures et de contraintes empoisonnées. La classe ouvrière s'est faite avoir: les pensions diminuent, les salaires sont bloqués, les carrières (pour les plus âgés) rallongées pour diminuer les dépenses de retraites, la sécurité de l'emploi (pour les jeunes) disparaît petit à petit... Quand les patrons crient haut et fort que les salaires sont 8% plus élevés que la moyenne européenne en oubliant de dire que la productivité du travail en Belgique est supérieure de 20% par rapport à la moyenne européenne, ils ne font que laisser entrevoir combien ils ont l'intention de diminuer nos revenus à court terme. Toute la campagne sur le "conservatisme" dans les systèmes de rémunération est entre autres destinée à faire table rase de ce qui reste des barèmes liés à l'âge ou à l'ancienneté. Dans le "passage oublié" du Pacte des générations, on le présentait ainsi: "On pourrait penser à un encouragement contrôlé en direction des secteurs et des entreprises à mettre en œuvre pour les nouveaux venus sur le marché du travail des barèmes où l'élément âge pèserait moins lourd, et où les jeunes gagneraient plus qu'aujourd'hui" (De Standaard, 16.3.06). Et c'est vanté comme une expression de la "prudence des entrepreneurs" dans une "économie redémarrant", simple preuve que les entrepreneurs eux-mêmes ne croient nullement en cette fable sur la miraculeuse relance de l'économie.
Sur le plan du réseau des soins de santé, des retraites et des allocations de chômage, nous voyons que la tendance à l'exclusion sociale se développe inexorablement. Regardons simplement le chômage. Les chiffres officiels nous apprennent que pour Bruxelles, le chômage en 2003 a pour la première fois dépassé les 20%, alors que plus d'un quart de la population vivait dans des ménages sans travail rémunéré. Concernant les jeunes, et c'est particulièrement sinistre, ce chiffre passe même à 40% (1). Avec un chômeur sur trois, ce sont surtout les jeunes qui sont les victimes de cette situation. Et si la situation à Gand ou à Anvers par exemple, sans être fondamentalement différente, est un peu meilleure qu'à Bruxelles, par contre, elle est encore pire dans les grandes villes de la région wallonne comme Liège ou Charleroi. Le rapport de la fédération belge des banques alimentaires nous apprend qu'en 2005, 106.550 personnes ont fait appel aux distributions de nourriture, contre 70.000 en 1995. En d'autres mots: une politique d'allocations vers une politique de soupes populaires!
A chaque intervention du gouvernement, les soins de santé deviennent de plus en plus inabordables, et on pourrait croire que ce n'est pas un hasard qu'une discussion sur l'élargissement de la loi sur l'euthanasie est à l'ordre du jour, pour économiser "des frais superflus" sur des parties non productives de la population. En d'autres mots: d'une politique des soins de santé à une politique d'accompagnement à la mort!
Pour les logements sociaux, le problème est de plus en plus de pouvoir payer les loyers et les charges. En d'autres mots: d'une politique de logement social vers une politique d'"accueil" des sans-logis!
En plus, le discours que mène la bourgeoisie sur l'exclusion sociale, qu'elle prétend combattre, n'est rien d'autre qu'un prétexte pour renforcer les contradictions apparentes entre travailleurs et chômeurs, donner à la différence un visage "ethnique" et faire porter la faute du chômage aux chômeurs ou aux réticences de certains groupes à "s'intégrer". Ainsi, différentes parties de la classe ouvrière et des couches non-exploiteuses de la population sont montées les unes contre les autres en jouant sur les sentiments de peur, de haine, de rancune et de jalousie à propos des "privilèges" des travailleurs âgés encore actifs ou des groupe ethniques "profiteurs".
L'acceptation de sacrifices ne sauvera pas les entreprises en faillite, pas plus que l'Etat en banqueroute. Si la bourgeoisie a structurellement besoin de tels moyens, c'est parce que son système est à l'agonie. Ainsi, chaque sacrifice mène à de nouvelles privations, et chaque fois qu'un groupe d'ouvriers accepte de tels sacrifices, cela se fait immédiatement aux dépens de tous les autres ouvriers parce que la bourgeoisie essaye de maintenir sa "compétitivité" en montant les ouvriers les uns contre les autres. Pour les ouvriers, se pose la question: devons-nous faire reposer nos espoirs sur le patron et sur l'Etat, ou plutôt sur les luttes de notre propre classe?
Les grèves et manifestations qui viennent de s'opposer au CPE en France appartiennent entièrement à la remontée mondiale de la lutte contre la paupérisation causée par le capitalisme moribond. Ce mouvement a montré la direction de la lutte et n'avait rien de commun avec le corporatisme ou la collaboration de classes des mouvements étudiants du passé. Confrontée à une attaque visant à institutionnaliser la précarité et l'insécurité, au nom de la lutte contre celles-ci, la jeunesse estudiantine a compris que sa résistance était celle de toute la classe ouvrière contre la précarité et la paupérisation. Une fois de plus, la solidarité a été un élément central du mouvement. C'était déjà le cas dans les mouvements de grève des derniers mois parmi les bagagistes de l'aéroport d'Heathrow en Grande-Bretagne en solidarité avec les travailleurs de la restauration, dans la grève dans le métro de New York, ainsi que dans la grève d'un million et demi de fonctionnaires municipaux en Angleterre contre l'attaque sur les pensions pour la génération actuelle et celles à venir; également dans la grève spontanée des postiers de Belfast, en Irlande, contre la division entre secteurs catholiques et protestants dans la grève des ouvriers allemands de l'industrie automobile, qui se sont dressés ensemble contre les licenciements et ont ainsi contrecarré les tentatives du gouvernement de les dresser les uns contre les autres. Chaque jour, on voit de nouvelles preuves que la solidarité est redevenue un élément central dans la remontée des luttes ouvrières contre les effets de la crise mondiale et la pauvreté choquante: la lutte de 40.000 ouvriers du textile au Vietnam, la vague de grèves qui a déferlé sur l'Argentine l'été dernier, la révolte combative des ouvriers du bâtiment à Dubaï. Là se trouvent les exemples de lutte contre le "conservatisme" d'un capitalisme sénile, les fondements d'une nouvelle société, d'une "communauté mondiale", d'un "changement" contre les diktats destructeurs de la crise.
Manus & Lac / 13.4.06
(1) Neuvième rapport sur la pauvreté de la Région de Bruxelles-Capitale, avril 2004, www.pauvrete.be [32].
La grève des ouvriers municipaux contre les attaques sur les pensions se déroule le même jour que la grève générale en France contre une attaque sur la sécurité d'emploi des jeunes travailleurs. Donc, deux des parties les plus anciennes et les plus expérimentées de la classe ouvrière internationale montrent clairement à la classe dominante qu'elles ne veulent pas accepter ses attaques. Elles rejettent la logique des capitalistes qui dit que les ouvriers doivent sacrifier leurs conditions de vie et de travail pour le bien du système capitaliste; que les retraités, les ouvriers au travail ou au chômage doivent travailler plus dur et plus longtemps pour maintenir ce système délabré.
La grève des ouvriers municipaux est probablement une des plus grandes luttes en Grande-Bretagne depuis de nombreuses années. La détermination des ouvriers, qu'ils soient jeunes, âgés ou retraités, employés à temps plein ou partiel est une expression de l'une des armes les plus puissantes de la classe ouvrière: sa solidarité.
Plutôt que de se laisser diviser et dresser les uns contre les autres, ils se sont rejoints dans une lutte commune.
Une telle solidarité est la seule réponse aux attaques de la classe dominante. On raconte aux ouvriers municipaux, comme à tous les ouvriers, qu'ils doivent accepter de perdre le bénéfice de la retraite, qu'ils ne peuvent prendre leur retraite qu'après 40 ans d'exploitation! Pourquoi? Soi-disant, parce que beaucoup trop d'ouvriers vivent trop longtemps, et sont devenus un poids pour les jeunes générations! Les ouvriers municipaux ont rejeté cette logique. Vieux et jeunes s'unissent dans la lutte, parce qu'ils comprennent que c'est la responsabilité de la génération actuelle de défendre les intérêts des générations à venir.
Ce faisant, ils s'inscrivent dans un mouvement international qui a vu des travailleurs en France, en Autriche et aux USA refuser les attaques sur leurs pensions et sur celles de leurs enfants. En 2003, les travailleurs des services publics en France ont massivement manifesté contre les attaques sur leurs pensions, comme l'ont fait les ouvriers en Autriche, où l'on a vu les manifestations les plus importantes depuis la seconde guerre mondiale. A Noël dernier à New York, les ouvriers des transports se sont mis en grève pour défendre les pensions et ils ont explicitement montré qu'ils le faisaient aussi pour les générations à venir.
Et ce n'est pas que pour les pensions que les ouvriers se sont battus. En 2005, les ouvriers du secteur automobile et d'autres travailleurs en Allemagne ont participé à des manifestations contre les licenciements à Daimler-Chrysler, alors qu'en Espagne, les ouvriers de Seat à Barcelone engageaient des grèves sauvages contre le licenciement de 600 de leurs camarades. Et depuis début mars, les étudiants en France se sont battus contre l'imposition du "CPE", une loi qui signifie que les moins de 26 ans peuvent être licenciés n'importe quand durant les deux premières années de leur emploi. Les étudiants sont allés vers des usines, demander aux ouvriers de les soutenir, tandis que des centaines de milliers de travailleurs ont participé aux manifestations.
Les médias n'ont parlé que "d'émeutes" concernant la France, et certains éléments (encouragés par l'Etat) se sont livrés à des actes de violence sans lendemain, mais la majorité a tenu des assemblées générales (AG), dans lesquelles ils ont discuté de ce qu'il fallait faire d'une manière consciente et unitaire. Les AG les plus avancées ont invité des ouvriers à se joindre à leurs discussions, et sont allées discuter avec des ouvriers au travail ou au chômage.
En Grande-Bretagne, les médias et les politiciens ont présenté les ouvriers municipaux comme des "privilégiés" et des "protégés", comparés aux travailleurs du secteur privé. C'est un mensonge répugnant destiné à diviser la classe ouvrière. La réalité, c'est que tous les ouvriers voient leurs pensions attaquées. Dans le secteur privé, des ouvriers comme ceux de Rentokil ont subi l'arrêt du paiement de leurs allocations de retraite, tandis que 80.000 d'entre eux ont totalement perdu leurs pensions suite à l'effondrement d'entreprises. La même chose se passe dans le secteur public. Si les patrons peuvent imposer les attaques actuelles, ils reviendront à la charge: suppression totale des pensions, réduction de pensions, report de l'âge de la retraite... Le rapport Turner recommande de nous faire travailler jusqu'à 68 ans, et ce n'est qu'un début!
Les travailleurs du secteur privé se sont aussi battus contre ces attaques. A l'automne dernier, les assembleurs de British Gas se sont mis en grève pour le maintien du niveau des pensions pour tous les nouveaux embauchés. Les tentatives de diviser la classe ouvrière doivent être rejetées.
La division n'est pas seulement entretenue par les médias et les politiciens, mais aussi par les syndicats. L'an dernier à la même époque, il a été question d'une grève du secteur public contre les attaques sur les pensions. Que s'est-il passé? Rien. En fait, les syndicats ont fait beaucoup. Le syndicat des fonctionnaires a marqué son accord pour aider à imposer une attaque sur les pensions déniant le droit de tous les nouveaux travailleurs à la pension. Dans les municipalités, les syndicats ont terni la perspective de luttes futures avec de sombres discours à propos d'autres travailleurs du secteur public bénéficiant de meilleures propositions. Par conséquent, à partir d'une situation où il existait un mécontentement important dans tout le secteur public, les syndicats ont maintenant divisé la force de travail en trois groupes: fonctionnaires, travailleurs de la santé et ouvriers municipaux, et tentent à présent d'opposer les ouvriers municipaux aux autres.
L'actuelle grève d'un jour fait partie de cette stratégie. Les syndicats savent que les travailleurs municipaux sont furieux à propos de l'attaque, et qu'il leur faut afficher une attitude de défense des intérêts de leurs "membres". Cependant, tandis que la grève montre certainement que les ouvriers municipaux veulent se battre, elle permet aussi aux syndicats de contrôler la colère des travailleurs. Ils l'utilisent également pour diviser les ouvriers municipaux eux-mêmes. Tous les syndicats ne sont pas impliqués dans la grève; ceux qui sont membres de syndicats n'appelant pas à la grève vont se retrouver face au choix de rejoindre illégalement le mouvement et donc d'encourir des actions disciplinaires, ou de franchir les piquets de grève. Par ailleurs, beaucoup d'ouvriers municipaux ne sont membres d'aucun syndicat, et sont donc confrontés au même dilemme.
Cette dispersion délibérée des travailleurs illustre le besoin de se retrouver dans des réunions massives, par-delà les divisions syndicales, pour aller directement vers d'autres lieux de travail, d'autres secteurs, pour discuter de la façon de combattre ensemble les attaques. Personne ne fera cela pour nous; le futur est entre nos mains!
Courant Communiste International, 25.3.06
Ce n'est pas parce que le prolétariat est historiquement la classe révolutionnaire appelée à renverser le capitalisme, qu'il a fait son apparition au sein de la société capitaliste déjà prêt pour la révolution. Les objectifs et la dynamique des organisations politiques du prolétariat sont à comprendre dans les conditions historiques de leur existence. Non seulement pour définir ce que sont et ce que peuvent être les objectifs immédiats et les formes de la lutte prolétarienne, mais aussi pour voir quel était le degré de conscience atteint historiquement par la classe prolétarienne. Dans la première partie de cette série d’articles, nous avons expliqué que, de sa formation jusqu'à la Commune de Paris en 1871, une des tâches essentielles de la classe ouvrière et de ses efforts d'organisation consistait encore en la nécessité de s'affirmer comme classe spécifique face aux autres classes de la société. Dans ce contexte historique marqué par l'immaturité d'un prolétariat en cours de formation et sans expérience propre, les premières organisations du prolétariat en Belgique, loin de toute lutte politique et économique de la classe, sont souvent caractérisées par une vision selon laquelle la révolution doit être l’œuvre d'une minorité de conspirateurs ou par celle des socialistes utopistes, élaborant leurs plans tout en construisant déjà des embryons pour une future société à l’intérieur de la société capitaliste. Dans un contexte de développement des conditions sociales et économiques capitalistes, la classe ouvrière fait l’expé-rience amère de l’impossibilité de tout combat de classe commun au prolétariat et à la bourgeoisie. Autant l’expérience des luttes économiques des ouvriers, surtout celles soutenues par l'Association Internationale des Travailleurs (A.I.T.), que l’exemple du premier pouvoir de la classe ouvrière de l'histoire qu'avait constitué la Commune de Paris de 1871, permettront justement au mouvement ouvrier de faire un important saut sur le plan du dévelop-pement de son organisation et de sa conscience. Mais le reflux de la lutte de classe suite à la défaite écrasante de la Commune et le travail de sape des Bakouninistes dans le dos de l’AIT ont fait que ces leçons n'ont pas pu être tirées dans l'immédiat. Ce sont finalement les leçons de la Commune et l’expérience en Allemagne qui ont démontré l'absurdité de l'idée que les ouvriers auraient pu tout simplement ignorer l'activité politique, c'est-à-dire l'action revendicative vis-à-vis de l'Etat dans l'immédiat, et la prise du pouvoir politique dans la perspective révolutionnaire. C’est sur base de ces leçons que s’inscrit le processus entre 1876 et 1885 de la formation du Parti Ouvrier Belge (P.O.B.) centralisé, "expression d’un formidable développement, en Belgique comme partout en Europe, des luttes et de l’organisation au sein de la classe ouvrière. Elle représentait en même temps un extraordinaire espoir de bouleversement révolutionnaire de la société capitaliste pour l’ensemble des exploités." (1).
Si la création du P.O.B. en 1885 est un jalon essentiel, la pensée socialiste, elle, se cherche encore, " le débat véritable est à peine esquissé ; l’analyse théorique reste totalement absente " (2). Que d’ambiguïté encore, que d’équivoques déjà. Mais quels qu’aient été la confusion politique et le poids de l'opportunisme et du réformisme, dès sa constitution, le P.O.B., comme tous les partis sociaux-démocrates, avait comme programme maximum la révolution; la lutte syndicale et électorale était essentiel-lement le moyen pratique, le programme minimum adapté aux possibilités et nécessités de l'époque, pour préparer la réalisation de ce but. " Notre mouvement doit être révo-lutionnaire, sinon quant aux moyens, du moins quant au but " (3). Au 19ème siècle, période ascendante de la société capitaliste, la lutte pour la conquête de réformes et la limitation de l’exploitation capitaliste d’une part, la compréhension de cette lutte non comme une fin en soi mais comme un moment de la lutte globale révolutionnaire d’autre part, étaient complémentaires et correspondaient aux objectifs et aux possibilités de cette période. " Cependant, cette situation singulière impose à la fraction social-démocrate la tâche difficile d’apparaître non seulement comme un parti oppositionnel, mais en même temps comme la représentante d’une classe révolutionnaire. En d’autres termes, sa tâche n’est pas de se contenter de critiquer la politique des classes dominantes du seul point de vue des intérêts immédiats du peuple, c’est-à-dire de la société existante, mais de lui opposer, pied à pied, le projet d’une société socialiste qui dépassera la politique bourgeoise la plus avancée." (4). Cette double tâche se reflète aussi, malgré leurs faiblesses incontestables, dans les programmes du P.O.B. de 1885 et surtout celui de 1894, inspiré de celui du SPD Allemand (le programme de Erfurt) de 1891, nettement de signature marxiste. Ainsi non seulement, cette Charte de Quaregnon de 1894 condamne le régime capitaliste " qui divise la société en deux classes nécessairement antagonistes ", mais elle se prononce aussi pour " la suppression des classes " et " une transformation radicale de la société " parce que " le maintien du régime capitaliste est incompatible avec cet idéal " (points 3 et 4). Ce programme et cette action du P.O.B. s’inscrivent également dans un effort international d’organisation du prolétariat de clarification et de décantation. La marque du marxisme est indéniable, surtout depuis la fondation de la IIème internationale en 1889, qui installa son siège à Bruxelles ainsi que son Bureau International, en signe de confiance. Mais le P.O.B. ne réussira jamais à atteindre la clarté des marxistes du SPD allemand qu’il admirait tant. Car si les deux dimensions sont bel et bien dans leur programme et dans leurs discours, la conception restera très abstraite, suspendue dans le vide. La lutte pour la réforme tout de suite, et la lutte pour la révolution remise aux calendes grecques. Réforme et révolution sont souvent vues comme deux moments séparés de la conquête socialiste, au lieu de les voir s’imbriquer, conditionnées par la période historique du développement du capitalisme.
La deuxième partie du 19ème siècle ouvre une période d’expansion du capitalisme en Belgique qui en fait une des premières puissances industrielles d’Europe et établit ainsi un cadre dans lequel l’amélioration durable des conditions d’existence du prolétariat constituait une réelle possibilité. Mais, contrairement à ce que pensent certains milieux libertaires aujourd’hui, les réformes du 19ème siècle n'étaient pas un cadeau, fruit de la politique d'une bourgeoisie libérale. Le caractère étriqué de l’Etat belge a maintenu en vie les contradictions internes de la bourgeoisie et fortement restreint sa volonté de réformes. Au contraire, c’est justement cette situation d’une bourgeoisie belge s’opposant si obstinément à toute réforme qui fait que c’est seulement au travers de mouvements massifs, largement étendus, combatifs et organisés que la classe ouvrière réussit à obtenir des réformes sociales et politiques (voir première partie de cette série). Dans ce cadre, les efforts d’organisation de la classe, la recherche d’un programme politique cohérent et d’une action efficace sont autant d’armes qui conditionnent leurs avancées. Ce sera donc à partir de 1885, après plus de dix ans d’échecs, que le P.O.B., concentration de sa force, permit à la classe ouvrière d'arracher à la bourgeoisie des améliorations de sa situation déplorable, de sa condition de travail et des droits politiques, et ceci à travers ses luttes économiques et politiques. Jusqu’à 1880 la Belgique était considérée comme le pays socialement le plus arriéré des pays industriels et connaissait encore un système de vote censitaire. Ce retard sera partiellement rattrapé, à la lueur des incendies sociaux de 1886 et des grèves massives de quelques dizaines à quelques centaines de milliers d’ouvriers, avec ou sans le soutien officiel de la direction du P.O.B. comme celles de 1887, 1888, 1891, 1893, 1902 et 1913, qui suivirent jusqu’à la veille de la première guerre mondiale en 1914.
En 1886, le P.O.B. à peine constitué sera plongé dans la première grande révolte ouvrière déclenchée dans tous les bassins industriels, et elle marquera son évolution politique. Le P.O.B. fut donc déchiré devant le choix : soutenir l’aventure et mettre en péril son organisation, ou se désolidariser et perdre tout son crédit dans la classe. Son choix sera pragmatique, mi-chèvre mi-choux, et marquera sa politique depuis. " L’organisation d’abord, la clarté après ; non à l’aventure anarchiste, oui à la discipline ". Mais si le P.O.B. était déchiré devant l’am-pleur et la fureur du mouvement, les dirigeants du pays ont compris l'avertissement. La bourgeoisie a vu pour la première fois le danger d’une classe ouvrière déchaînée, et en même temps une classe qui à travers la construction du P.O.B. prend confiance dans sa force, organise la solidarité et construit son organisation centralisée. La répression ne suffit plus, il faut céder. " La terreur d’abord, une ébauche de sagesse et de réforme par la suite " (5).
C'est ainsi que suite aux luttes s’ouvre une période de révision de la législation protectrice du travail et que les conditions d'existence de la classe ouvrière connaissent des améliorations réelles. A côté de l'élévation générale du niveau de vie, on assistait à une élévation du niveau culturel (souvenons-nous de l’immense analphabétisme qui régnait en Belgique, allant de 60 à 90% selon les régions; la bourgeoisie attendra jusqu’en 1913 pour instaurer l’instruction primaire obligatoire !). Déjà en 1886 et 1887, plusieurs révisions ont lieu dont la loi sur la fin du payement des salaires en marchandises, en 1888 sur l'inspection et la sécurité des lieux de travail, en 1889 une première révision de la loi pour imposer une limite légale au travail des enfants et des femmes (suivie par des compléments en 1892, 1911 et 1914) et sur l'hygiène (logement et lieu de travail), en 1890 l’instauration d’une caisse accidents de travail, entre 1897 et 1907 l’intervention de l’Etat dans le financement des caisses chômage et à partir de 1900 l’organisation d’une première caisse retraites. Quant au pouvoir d’achat, en 50 ans (1846 – 1899) il a plus que doublé, surtout de 1877 à 1899. Finalement à propos de la réduction de la durée de la journée de travail, l’AIT avait mené une série de combats importants pour la réduire de 14 à 12 ou parfois à 10 heures. Mais l’action de conscientisation amorcée par l’AIT fut continuée par l’agitation qui précéda la création du P.O.B. qui prit la relève, pour devenir très intense dans la dernière décennie du 19ème et la première du 20ème siècle. C’est le P.O.B. qui va lancer et populariser la revendication des " trois-huit " dès le 1er mai 1886, organisant une grève générale dans les bassins liégeois. Il inscrit la revendication dans sa charte de 1894, bien qu’en réalité c’est plutôt celle des 10h qui doit être généralisée. A travers toute une série de grèves, manifestations et meetings, souvent pris en charge par sa commission syndicale dès 1899, pour appuyer des projets de loi qu’il dépose en faveur de l’ensemble des travailleurs, le P.O.B. réussira surtout entre 1905-1914 à réaliser la journée de 9 à 10h. En 1905, le repos dominical devenait loi. Ajoutons néanmoins que la Belgique resta jusqu’à la veille de la première guerre mondiale le pays des bas salaires et des longues journées de travail, surtout en Flandre du fait de l’absence de grandes industries. C’est surtout par la solidarité de classe et l’exemple contagieux des luttes dans le sud du pays, que les ouvriers en Flandre profiteront, certes avec retard, des fruits du combat pour améliorer les conditions de vie de toute la classe ouvrière.
La révolte de 1886 eut pour autre résultat la révision de la Constitution et l'instauration du suffrage universel mitigé par le vote plural. Même si le combat pour le Suffrage Universel démarra, en Belgique, dès 1830, lui aussi ne connut son apogée qu'avec la création du P.O.B.. Depuis le combat victorieux des marxistes contre les visions d’absentéisme politique proudhoniennes, la lutte pour les réformes sociales et celle pour les droits politiques sont de plus en plus liées. Le Suffrage Universel " est la clé de toutes les autres réformes politiques et économiques que notre parti a pour objet de réaliser " proclamait L. Bertrand, au congrès du P.O.B. en 1891. Car dans cette période ascendante du capitalisme, dès les premières affirmations du prolétariat comme classe, la lutte pour les droits politiques démocratiques constituait, à côté de la lutte pour des réformes, l'axe des moyens de résistance véritablement efficaces. " La grande importance de la lutte syndicale et de la lutte politique réside en ce qu'elles socialisent la connaissance, la conscience du prolétariat, l'organisent en tant que classe ", écrit Rosa Luxembourg dans Réforme ou Révolution (I,5).
Le P.O.B. fera ainsi dans sa lutte pour le suffrage universel, même si on peut, si on doit, critiquer bon nombre d’aspects de sa démarche. Pour y arriver, il a eu recours à plusieurs reprises à la grève de masse générale, une arme impressionnante que bien peu de partis socialistes européens se sont résolus à placer dans leur arsenal. La grève de masse générale a longtemps été considérée parmi les marxistes comme une utopie d'autant plus dangereuse que, dans l'esprit de ses partisans, elle viserait à éloigner la classe ouvrière de l'action politique et à lui substituer les séductions jugées romantiques et anarchisantes de l'action directe. L'avoir fait a longtemps conféré au P.O.B. une réputation d'énergie quasi révolutionnaire. Il y a cependant l'apparence et la réalité consciente. Car les leaders du P.O.B., ont toujours considéré que la grève de masse ne pourrait éclater qu'en dernier recours, lorsque tous les autres moyens auraient épuisé leurs effets et se seraient avérés inefficaces. Mais cela n’empêche pas de constater avec R. Luxembourg que "Dans la lutte menée en 1886 à l’heure actuelle pour le suffrage universel, la classe ouvrière belge fit usage de la grève de masse comme moyen politique le plus efficace. C’est à la grève de masse qu’elle dut, en 1891, la première capitulation du gouvernement et du Parlement : les premiers débuts de révision de la Constitution ; c’est à elle qu’elle dut, en 1893, la seconde capitulation du parti dirigeant : le suffrage universel au vote plural" (6). Et qui dit grève de masse sait que " l’importance de chaque grève de masse réside, en grande partie, dans son déclenchement même, dans l’action politique qui s’y exprime, dans la mesure où il s’agit de manifestations spontanées ou qui éclatent sur l’ordre du Parti, qui durent peu de temps et manifestent un esprit combatif. " (7). En 1894 le P.O.B. récoltera les fruits de son action. Il sortira gagnant des élections et fera son entrée au parlement avec 28 élus, ce qui fera fureur en Europe. La déclaration du P.O.B. de 1895 après cette victoire électorale souligne encore à cette époque qu’il faut " voir surtout dans chaque campagne électorale une œuvre de propagande : l’expression de l’idée socialiste est seule poursuivie, et il se trouve que les mandats lui viennent par surcroît "(8). Le socialisme découvre le Parlement, dit le professeur M. Liebman dans son étude sur le P.O.B., mais pas encore le parlementarisme. En effet, nombreuses sont les interventions parlementaires, pleines de rage contre l’exploitation capitaliste, l’injustice et les cruautés de l’ordre établi. Elles deviennent les interprètes des revendications ouvrières, les défenseurs des combattants, les porteurs du programme socialiste, les professeurs en marxisme. Pour l’anecdote : Les comptes-rendus de la chambre sautent de 17.700 abonnements à 61.180 et l’éditeur en triple le prix afin de contrer son succès.
César de Paepe déclarait déjà en 1890 : " Si nous voulons le Suffrage Universel, c'est pour éviter une révolution car réforme ou révolution, Suffrage Universel ou bouleversement universel, tel est le dilemme qui se pose au peuple belge en ce moment " (9). Cette tendance au réformisme et à l'opportunisme ne fit que s'accentuer, surtout après l'entrée du P.O.B. au Parlement en octobre 1894, époque décidément cruciale pour tout le mouvement socialiste international. Cette tendance au réformisme et à l'opportunisme éclata avec force en 1902, lorsque la tactique pacifique et légaliste du P.O.B. entraîna la déconfiture du mouvement ouvrier. Et pourtant, tout cela n'avait pas empêché le P.O.B. de s'associer à l'Internationale pour désapprouver l'Allemand Bernstein, qui prônait depuis 1898 une adaptation franche de la social-démocratie au régime capitaliste, et le Français Millerand qui avait accepté un portefeuille dans le cabinet Waldeck-Rousseau. Mais lors des grèves générales de 1902 et 1913, le P.O.B. trahit en effet le mouvement ouvrier au profit de compromis parlementaires avec les libéraux, orientation qui caractérisait de plus en plus la IIème internationale dans son ensemble et qui se distinguait par le fait d’opposer la lutte légale et parlementaire à la révolution ; " Louis Bertrand, vétéran du mouvement socialiste, ne cacha pas qu'il serait prêt à faire fi des consignes de l'Internationale si les libéraux proposaient au P.O.B. d'entrer avec eux au gouvernement. Et Vandervelde lui-même envisagea alors la possibilité, pour son groupe parlementaire, de voter le budget de la guerre si les libéraux consentaient à améliorer le système électoral " (10). Rosa Luxembourg n'a pas manqué, d'ailleurs, dans sa brochure L'expérience belge de grève générale (1902) de critiquer fermement l'attitude des socialistes belges à cet égard, ainsi que dans d’autres critiques qui suivirent. Mais la logique réformiste en 1902 était devenue dominante et irréversible dans le P.O.B. "Ce qui importe le plus dans ce raisonnement du camarade Vandervelde, c'est la conclusion inéluctable que le triomphe de ce suffrage universel n'est plus à attendre que par la méthode parlementaire". La courbe réformiste était prise.
Dans la troisième partie à paraître, nous développerons d’avantage sur l’avancée de l’opportunisme et du réformisme dans le P.O.B. et sur le combat des différentes oppositions contre celui-ci n
Lac / 07.04.2006
1.Le lent et difficile combat pour la constitution des organisations ouvrières, Internationalisme nr.324
2.M. Liebman, Les socialistes belges 1885-1914, p52
3.E. Vandervelde dans Le Peuple, 13 février 1894
4.R. Luxembourg, Social-démocratie et parlementarisme, Sächsische Arbeiterzeitung, 5 et 6 décembre 1904
5.M. Liebman, Les socialistes belges 1885-1914, p.62
6.R. Luxembourg, l’expérience belge, Neue Zeit, 1902
7.R. Luxembourg, Nouvelle expérience belge, Leipziger Volkszeitung, 13 mai 1913
8.C. Renard, La conquête du suffrage universel en Belgique, 1966, p.145
9.G. Van Meir, De geschiedenis van de BSP, p. 18
10.C. Renard, Octobre 17 et le mouvement ouvrier belge, p.14
Nous publions ci-dessous la seconde partie de l’article sur les délocalisations paru dans Internationalisme n° 323. Dans la première partie, contre les mensonges gauchistes et altermondialistes, nous avons traité du fait que les délocalisations ne sont pas un phénomène récent ou nouveau, mais qu’elles sont nées avec le capitalisme comme produit de la concurrence effrénée entre capitalistes inhérente à ce système et comme un des moyens de rechercher une exploitation maximum de la classe ouvrière. Dans cette seconde partie, nous verrons que les délocalisations sont un moyen de mettre en concurrence les prolétaires du monde entier tout en faisant partie de l’ensemble des attaques capitalistes contre ceux-ci. Et le battage effectué par les secteurs de gauche contre ces délocalisations sert au fond à en faire une attaque particulière, qui serait "évitable" et donc moins "acceptable" que les autres, et à masquer la réalité de la crise mortelle du système capitaliste et de son effondrement.
Les délocalisations ont causé la destruction de milliers d’emplois dans les pays occidentaux. En quelques décennies des filières industrielles entières, comme le textile, ont été quasiment entièrement transférées vers des pays à plus faible coût de main d’œuvre. "La filière textile française n’emploie plus que 150 000 personnes, soit autant que la tunisienne, contre un million il y a trente ans."1 Dans d’autres secteurs, elles expliquent, pour une part, la baisse continue de l’emploi. Ainsi, "les effectifs salariés dans l’automobile en France, passés de 220 000 à 180 000 depuis 1990 malgré l’arrivée de constructeurs étrangers comme Toyota, devraient encore diminuer."2 Les délocalisations forment l’une des attaques, parmi les plus brutales, de la classe dominante contre le prolétariat. D’abord par la proportion que peut prendre, à certains moments, cette attaque parmi les autres. Ainsi, en Belgique entre 1990 et 1995, plus de 17 000 travailleurs ont été touchés par les délocalisations, ce qui représente 19% des licenciements collectifs. Ensuite du fait que les ouvriers concernés ont toutes les chances de ne pas retrouver d’emploi et de rejoindre les rangs des chômeurs de longue durée. Enfin, les délocalisations s’étendent à de nouvelles catégories d’ouvriers, celle des "cols blancs" et à la main-d’œuvre très qualifiée. En France "200 000 emplois dans les services [dont 90 000 relèvent du service aux entreprises, 20 000 de la recherche et développement] sont menacés d’être transférés en Europe de l’Est ou en Asie, d’ici 2010."3
Cependant, les effets des délocalisations ne frappent pas uniquement ceux qui perdent leur emploi dans les pays occidentaux. C’est l’ensemble du prolétariat mondial qui se trouve soumis à la pression de la folle course concurrentielle entre nations capitalistes et au chantage à la délocalisation, aussi bien dans les pays de départ que de destination des délocalisations. Il y a, en Inde, la crainte de la concurrence de la Russie, du Pakistan et de la Chine. La classe ouvrière de l’Est de l'Europe dans certains secteurs (alimentation, textile, pétrochimie et équipements de communication) est aussi confrontée aux délocalisations vers les pays d’Asie. La recherche de la production à moindre coût a fait de la délocalisation à l’intérieur de la Chine vers les régions du centre et de l’est, pauvres, une tendance dominante du secteur du textile. Le capital n’a pas attendu que la directive Bolkestein soit mise sur le tapis pour utiliser les délocalisations "inverses" en faisant venir des travailleurs d’un pays "à différentiel économique" pour remplacer une main-d’œuvre existante. Le recours à l'emploi illégal connaît une croissance considérable depuis les années 1990 ; il atteint 62% dans l’agriculture en Italie !
Ce qu’illustrent en réalité les délocalisations, c’est l’impitoyable mise en concurrence de différentes parties de la classe ouvrière au plan international.
Le renforcement de l’exploitation capitaliste pour toute la classe ouvrière
En délocalisant vers l’Est européen et la Chine, les grandes entreprises et les Etats occidentaux visent à profiter des terribles conditions d’exploitation qu’y impose le capital. Ainsi en Chine, où "des millions de personnes travaillent entre 60 et 70 heures par semaine et gagnent moins que le salaire minimum de leur pays. Elles vivent dans des dortoirs où s’entassent parfois jusqu’à vingt personnes. Les chômeurs qui ont récemment perdu leur emploi sont quasiment aussi nombreux que ceux du reste du monde réuni."4 "Les primes de licenciement et les allocations promises aux travailleurs ne leur sont jamais versées. (…) les travailleurs peuvent se voir refuser le droit de se marier, il leur est souvent interdit de se déplacer dans les usines (où ils sont logés) ou d’en sortir en dehors des heures de travail.(…) Dans les usines de la zone spéciale de Shenzhen, au sud de la Chine, il y a en moyenne 13 ouvriers qui perdent un doigt ou un bras chaque jour et un ouvrier qui meurt d’un accident de travail tous les 4,5 jours."5
Ce qui pousse le capital à délocaliser vers l’Est de l'Europe, c’est le même but d’y exploiter "une population bien formée et peu coûteuse. (…) Tous ces pays ont des durées de travail plus longues qu’à l’Ouest, respectivement, 43,8 et 43,4 heures en Lettonie et en Pologne. Surtout cette amplitude s’accompagne d’une moindre, voire d’une absence, de rétribution des heures supplémentaires. [On y] observe également une forte progression du travail à temps partiel. Celui-ci est souvent l’apanage des personnes âgées, des handicapés et des jeunes entrant sur le marché du travail. En Pologne, 40% des travailleurs à temps partiel sont soit des retraités, soit des personnes ayant une infirmité. (…) [Les nombreuses entreprises à capitaux étrangers] sont aussi celles qui pratiquent le plus souvent le travail "asocial" : il est courant de trouver des grandes surfaces ouvertes sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre."6
Dans les pays occidentaux, les délocalisations signifient la mise au rancart de travailleurs, dont l’exploitation est insuffisamment profitable pour le capital. Cependant, la part prise par les délocalisations parmi les autres attaques montre que les délocalisations sont loin de représenter l’unique source du chômage et de la remise en cause des conditions de vie du prolétariat et que le but recherché par la bourgeoisie n’est certainement pas d’imposer massivement le transfert de l’ensemble de la production vers des pays à bas salaires. Ainsi, "leur impact sur l’emploi n’est pas nul, mais reste limité. (…) les délocalisations n’expliquent que 7% des restructurations et 5% des emplois supprimés en Europe. (…) Entre 1990 et 2001, les délocalisations d’entreprises allemandes vers les pays d’Europe centrale et orientale ont conduit à la destruction de 90 000 emplois en Allemagne soit 0,7% des effectifs des sociétés concernées et 0,3% de l’emploi allemand total"7
En France, "95 000 emplois industriels auraient été supprimés et délocalisés à l’étranger entre 1995 et 2001, soit en moyenne 13 500 par an. A titre de comparaison, les suppressions d’emplois annuelles dans l’industrie sont de l’ordre de 500 000. (…) Les présomptions de délocalisations s’élèvent au total à 2,4 % des effectifs de l’industrie hors énergie (…) Un peu moins de la moitié seulement des délocalisations sont à destination des pays dits "à bas salaires". Ces derniers accueillent environ 6400 emplois délocalisés par an, soit 0,17% de l’emploi industriel hors énergie. Autrement dit, les délocalisations vers les nations émergentes expliqueraient seulement moins de 2% des suppressions d’emplois industriels. Environ une fermeture d’établissement industriel sur 280 correspondrait à une délocalisation vers un pays à bas salaire." 8 Les dires mêmes de la bourgeoisie mettent en pièces le mensonge qui fait des délocalisations l’explication principale à la désindustrialisation et au chômage de masse.
Par contre, le recours systématique au chantage aux délocalisations par la bourgeoisie comme moyen de faire accepter au prolétariat des sacrifices toujours plus grands, indique où se situe l’enjeu réel pour la bourgeoisie : imposer des conditions d’exploitation plus dures et la réduction du coût de la force de travail (la baisse des salaires) là où la production n’est pas délocalisable et ne doit pas l’être, là où les enjeux de puissance économique sont les plus importants pour le capital et la concurrence entre requins capitalistes la plus rude.
L’exemple de l’Allemagne est particulièrement illustratif. C’est au nom de la compétitivité de "l’entreprise Allemagne" et grâce au chantage aux délocalisations et aux suppressions d’emplois que la flexibilisation du temps de travail a été imposée, soit réduction avec perte de salaire, soit élévation sans compensation de salaires. Ainsi Siemens : après avoir transféré ses activités de services et de développement en République tchèque, en Inde, en Russie et en Chine, il impose en 2004 la semaine de 40 heures sans compensation salariale à une grande partie de ses 167 000 salariés allemands sous la menace de la délocalisation d’au moins 5000 emplois. En 2005, après avoir annoncé 2400 suppressions de postes dans sa filiale de service informatique SBS, la direction impose aux 4600 salariés de la filière communication Com une réduction du temps de travail à 30 heures hebdomadaires (au lieu de 35,8) avec réduction de salaires ! Parallèlement, c’est le secteur public qui se fait le champion du "travailler plus". La compagnie ferroviaire DB est passée aux 40 heures et de nombreux Etats régionaux ont fait passer le temps de travail des fonctionnaires régionaux de 40 à 42 heures. Au total, c’est ainsi qu’en Allemagne où la bourgeoisie a en ligne de mire les coûts de main-d’œuvre les plus élevés parmi les grands pays de l’OCDE, "les rémunérations ont, en valeur réelle, reculé de 0,9% entre 1995 et 2004"9 Là comme ailleurs, le chantage aux délocalisations n’est pas dissociable des autres attaques et va de pair avec la réforme du fonctionnement du marché du travail ainsi que la remise en cause des systèmes de retraites et d’assurance maladie.
Une gigantesque campagne idéologique contre la conscience de la classe ouvrière
Si les campagnes bourgeoises mettent pleins feux sur les seules délocalisations, c’est aussi parce la classe dominante en tire avantage contre le prolétariat afin de désarmer sa lutte. Lorsque syndicats, partis de gauche, gauchistes et altermondialistes vitupèrent les délocalisations pour stigmatiser le retour à des conditions dignes du 19e siècle, c’est pour mieux masquer au prolétariat la signification réelle de la situation qui lui est faite dans la société.
Le marxisme n’a jamais dénoncé les tendances à l’allongement de la journée de travail et à l’abaissement des salaires vers le minimum de la subsistance vitale comme imputables au caractère carnassier de tel ou tel capitaliste en particulier, mais comme le produit des contradictions inscrites dans la nature même du système capitaliste. C’est en véritable vampire invétéré de la force de travail dont il tire le profit et se nourrit, que le capitalisme saigne littéralement à blanc ceux qui en sont les porteurs, les prolétaires. "Dans sa passion aveugle et demeurée, dans sa gloutonnerie de travail extra, le capital dépasse non seulement les limites morales, mais encore la limite physiologique extrême de la journée de travail. (…) Le capital ne s’inquiète donc point de la durée de la force de travail. Ce qui l’intéresse uniquement, c’est le maximum qui peut en être dépensé dans une journée. Et il atteint son but en abrégeant la vie du travailleur.(…) La production capitaliste, qui est essentiellement production de plus value, absorption de travail extra, ne produit donc pas seulement par la journée de travail qu’elle impose la détérioration de la force de travail, en la privant de ses conditions normales de fonctionnement et de développement, soit au physique, soit au moral - elle produit l’épuisement et la mort précoce de cette force."10
L’énorme différence avec aujourd’hui, c’est qu’au 19e siècle, le prolétariat pouvait espérer une atténuation de sa situation au sein du système capitaliste. "Les premières décennies de la grande industrie ont eu des effets si dévastateurs sur la santé et les conditions de vie des travailleurs, ont provoqué une morbidité si effrayantes, de telles déformations physiques, un tel abandon moral, des épidémies, l’inaptitude au service militaire, que l’existence même de la société en paraissait profondément menacée. (…) Il fallait donc dans son propre intérêt, pour permettre l’exploitation future, que le capital impose quelques limites à l’exploitation présente. Il fallait un peu épargner la force du peuple pour garantir la poursuite de son exploitation. Il fallait passer d’une économie de pillage non rentable à une exploitation rationnelle. De là sont nées les premières lois sur la journée de travail maximale." 11 Encore ce résultat ne fut-il imposé que contre la résistance farouche des capitalistes et après des décennies d’une implacable lutte de classes. Il ne pouvait être obtenu que parce que le système capitaliste se trouvait alors dans sa phase d’ascendance, en pleine expansion.
Aujourd’hui l’implacable concurrence entre nations capitalistes en lutte pour des marchés toujours plus étroits, sursaturés de marchandises, ne peut que provoquer l’inexorable remise en cause générale du "standard de vie" établi dans les pays occidentaux, sans espoir de retour en arrière. Tous ces faits confirment les prévisions du marxisme, l’effondrement du capitalisme dans la catastrophe sociale.
Il reste aux ouvriers du monde entier à apprendre à se considérer comme des camarades de lutte et à se tendre la main par dessus les limites des secteurs et les frontières, pour faire de leurs mouvements une seule lutte contre le capitalisme et développer leur conscience que cette lutte ne peut trouver sa finalité que dans la destruction du système capitaliste, c’est-à-dire l’abolition du salariat et du caractère marchand de la force de travail, racine de l’esclavage du prolétariat.
Scott
1 L’Expansion, 27 octobre 2004
2 L’Expansion, 27 octobre 2004
3 L’Expansion.com, 19 avril 2005
4 CISL en ligne, 9 décembre 2005
5 Chine Amnesty International, 30 avril 2002
6 Le Monde, 18 octobre 2005
7 Le Monde, 26 mai 2005
8 Dossiers et documents du Monde, novembre 2005
9 L’Humanité, 14 février 2006
10 Marx, Le Capital, Livre 1, chapitre X. Pour les notions de force de travail, plus value, travail extra (surtravail) se reporter à la première partie de cet article dans RI n° 362
11 Rosa Luxembourg, Introduction à l’économie politique, chapitre "le travail salarié".
Le mouvement des étudiants en France contre le CPE n'a rien à voir avec la plupart des mouvements précédents, interclassistes, de la jeunesse estudiantine. Il s'inscrit pleinement dans le combat de toute la classe ouvrière mondiale. Face à une attaque particulièrement ignoble contre les jeunes générations de travailleurs, une attaque qui institutionnalise la précarité au nom de la "lutte contre la précarité", les étudiants ont d'emblée compris et assumé le caractère de classe de leur combat.
Ainsi, alors que certains voulaient mêler des revendications spécifiquement étudiantes (comme le retrait du LMD – la norme européenne des cursus universitaires) à la revendication centrale de retrait du CPE, les assemblées étudiantes ont décidé de ne garder que les revendications qui concernent l'ensemble de la classe ouvrière.
Ce qui a fait la force de ce mouvement, c'est justement qu'il s'est placé résolument sur le terrain de la lutte de classe des exploités contre les exploiteurs. Et cela en adoptant des méthodes et des principes de lutte qui sont justement ceux de la classe ouvrière. Le premier de ces principes est celui de la solidarité. Rompant avec le "chacun pour soi", l'idée que "si je fais de bonnes études, si je me tiens à carreau pendant deux ans, alors je pourrai passer entre les gouttes", les étudiants ont adopté la seule attitude possible pour la classe ouvrière contre les attaques du capitalisme : la lutte unie. Et cette solidarité ne s'est pas manifestée seulement "entre étudiants". D'emblée, ils se sont adressés aux salariés, non seulement pour gagner leur solidarité, mais aussi parce qu'ils ont bien compris que c'est toute la classe ouvrière qui est attaquée. Par leur dynamisme, leur combativité et leurs appels, ils ont réussi dans beaucoup de facultés à entraîner le personnel de celles-ci - enseignants et agents administratifs - dans la lutte en leur proposant notamment de tenir des assemblées générales communes.
Un autre trait clairement prolétarien du mouvement, c'est sa volonté de développer la conscience de ses participants. La grève des universités a commencé par des blocages. Mais ces derniers n'étaient pas conçus comme des "coups de force" par lesquels une "minorité d'énergumènes impose sa loi à la majorité", comme le rabâchent tous les dimanches après la messe les petits groupes d'"anti-bloqueurs" en tenue blanche de premiers communiants. Les blocages étaient un moyen que se sont donné les étudiants les plus conscients et combatifs pour manifester leur détermination et surtout pour entraîner un maximum de leurs camarades vers les assemblées générales où une proportion considérable de ceux qui n'avaient pas compris la signification des attaques du gouvernement ou la nécessité de les combattre ont été convaincus par le débat et les arguments.
Et justement, ces assemblées générales qui ont réussi à s'organiser de façon croissante, qui se sont donné des comités de grève et des commissions responsables devant elles, qui ont constitué le poumon du mouvement, ce sont des moyens propres à la lutte de la classe ouvrière. En particulier, ces assemblées étaient ouvertes vers l'extérieur, et non pas repliées sur elles-mêmes comme le sont en général les assemblées syndicales où ne sont autorisées que "les personnes de la boîte", ou à la limite des syndicalistes patentés d'autres "boîtes" ou des "instances syndicales supérieures". Très vite on a vu la participation de délégations d'étudiants d'une université aux AG d'autres universités, ce qui outre le renforcement du sentiment de force et de solidarité entre les différentes AG a permis à celles qui étaient en retrait de s'inspirer des avancées de celles qui étaient plus en pointe. C'est là aussi une des caractéristiques importantes de la dynamique des assemblées ouvrières dans les mouvements de classe ayant atteint un niveau important de conscience et d'organisation. Et cette ouverture des AG vers l'extérieur ne s'est pas limitée aux seuls étudiants d'autres universités mais elle s'est étendue également à la participation de personnes qui n'étaient pas des étudiants. En particulier, des travailleurs ou des retraités, parents ou grands parents d'étudiants et lycéens en lutte, ont reçu en général un accueil très chaleureux et attentif de la part des assemblées dès lors qu'ils inscrivent leurs interventions dans le sens du renforcement et de l'extension du mouvement, notamment en direction des salariés.
Face à cette mobilisation exemplaire des étudiants sur le terrain et avec les méthodes de la classe ouvrière, on a assisté à la constitution d'une sainte alliance entre les divers piliers de l'ordre capitaliste : le gouvernement, les forces de répression, les médias et les organisations syndicales.
Le gouvernement a d'abord essayé plusieurs ficelles pour faire "passer en force" sa loi scélérate. En particulier, il a usé d'une "kolossale finesse" en essayant de la faire adopter par le Parlement pendant les vacances scolaires. Le coup a manqué : au lieu de démoraliser et de démobiliser la jeunesse étudiante, il a réussi à provoquer sa colère et une extension de sa mobilisation. Ensuite, il s'est appuyé sur les forces de répression pour empêcher que la Sorbonne ne puisse, à l'image des autres universités, servir de lieu de regroupement et de réunion pour les étudiants en lutte. Ce faisant, il comptait polariser la combativité des étudiants de la région parisienne autour de ce symbole. Dans un premier temps, certains étudiants sont tombés dans ce piège. Mais, rapidement, la majorité des étudiants a fait preuve de sa maturité et le mouvement a refusé de tomber dans la provocation quotidienne que constituent ces troupes de CRS armés jusqu'aux dents en plein Quartier latin. Ensuite, le gouvernement, avec la complicité des organisations syndicales avec qui sont négociés les trajets des manifestations, a tendu une véritable souricière aux manifestants parisiens du 16 mars qui se sont retrouvés coincés en fin de parcours par les forces de police. C'était une nouvelle provocation dans laquelle ne sont pas tombés les étudiants mais qui a permis que des jeunes des banlieues se livrent à des violences abondamment filmées par les chaînes de télévision, des violences qui se sont poursuivies autour de la Sorbonne toute proche (le choix du lieu de dispersion n'était évidemment pas le fait du hasard). Il s'agissait de faire peur à ceux qui avaient décidé d'aller à la grande manifestation qui devait se tenir deux jours plus tard. Nouvel échec de la manœuvre : la participation à celle-ci a été exceptionnelle. Enfin, le 23, c'est avec la bénédiction des forces de police que des "casseurs" s'en sont pris aux manifestants eux-mêmes pour les dépouiller, ou tout simplement pour les tabasser sans raison. Beaucoup d'étudiants étaient démoralisés par ces violences : "Quand ce sont les CRS qui nous matraquent, ça nous donne la pêche, mais quand ce sont les gamins des banlieues, pour qui on se bat aussi, ça fout un coup au moral". Cependant, la colère s'est surtout tournée contre les autorités tant il était évident que la police avait été complice de ces violences. C'est pour cela que Sarkozy a promis que désormais la police n'allait plus permettre que se reproduisent de telles agressions contre les manifestants. En fait, il est clair que le gouvernement essaie de jouer la carte du "pourrissement", en s'appuyant notamment sur le désespoir et la violence aveugle de certains jeunes des banlieues qui sont fondamentalement des victimes d'un système qui les broie avec une violence extrême. Là aussi la réponse de beaucoup d'étudiants a été très digne et responsable : plutôt que d'essayer d'organiser des actions violentes contre les jeunes "casseurs", ils ont décidé, comme à la fac de Censier, de constituer une "commission banlieues" chargée d'aller discuter avec les jeunes des quartiers défavorisés, notamment pour leur expliquer que la lutte des étudiants et des lycéens est aussi en faveur de ces jeunes plongés dans le désespoir du chômage massif et de l'exclusion.
Les médias au service de Sarkozy
Les différentes tentatives du gouvernement de démoraliser les étudiants en lutte ou de les entraîner sur le terrain des affrontements à répétition avec les forces de police on reçu de leur part une réponse pleine de sagesse et surtout de dignité. Ce n'est pas la même dignité qu'on a vu de la part des médias. Ceux-ci se sont même surpassés dans leur rôle de prostituées de la propagande capitaliste. A la télévision, les scènes de violence qui se sont produites à la fin de certaines manifestations sont passées en boucle dans les "news" alors qu'il n'y a rien sur les assemblées générales, sur l'organisation et la maturité remarquables du mouvement. Mais comme l'amalgame étudiants en lutte=casseurs ne passe décidément pas, même Sarkozy déclare et répète qu'il fait une différence très nette entre les gentils étudiants et les "voyous". Cela n'empêche pas les médias de continuer avec l'étalage obscène des images de violence qu'on passe juste avant d'autres scènes de violence (telle l'attaque par l'armée israélienne de la prison de Jéricho ou bien un attentat terroriste bien saignant en Irak). Après l'échec des grosses ficelles, c'est l'heure des spécialistes les plus pointus de la manipulation psychologique. Ce qu'on veut provoquer c'est la peur, l'écoeurement, l'assimilation inconsciente du message manifestation=violence même si le message officiel prétend le contraire.
Tous ces pièges, ces manipulations, la grande majorité des étudiant et des travailleurs les ont déjoués. C'est pour cela que la 5e colonne de l'État bourgeois, les syndicats, a repris les choses en main et en y mettant les grands moyens. En sous-estimant les ressources de combativité et de conscience que portent en eux les jeunes bataillons de la classe ouvrière, le gouvernement s'est mis dans une impasse. Il est clair qu'il ne peut pas reculer. Raffarin l'avait déjà dit en 2003 : "Ce n'est pas la rue qui gouverne". Un gouvernement qui bat en retraite devant la rue perd son autorité et ouvre la porte à des mouvements bien plus dangereux encore, surtout dans la situation actuelle où s'est accumulé un énorme mécontentement dans les rangs de la classe ouvrière suite à la montée du chômage, de la précarité et de toutes les attaques qui pleuvent quotidiennement sur ses conditions de vie. Depuis la fin janvier, les syndicats ont organisé des "journées d'action" contre le CPE. Et depuis que les étudiants sont entrés dans la lutte appelant les salariés à engager le combat à leur tour, ils se présentent, avec une belle unanimité, qu'on n'avait pas vue depuis longtemps, comme les meilleurs alliés de leur mouvement. Mais il ne faut pas se laisser berner : derrière leur intransigeance affichée, menton en avant, face au gouvernement, ils ne font rien pour mobiliser réellement l'ensemble de la classe ouvrière.
Si on entend souvent à la télé les déclarations martiales de Thibault, Mailly et consort, au niveau des entreprises, c'est le silence radio. Très souvent, les tracts syndicaux (quand il y en a) appelant à la grève ou à la manifestation arrivent dans les services le jour même, voire le lendemain. Les rares assemblées générales organisées par les syndicats ont eu lieu dans les entreprises (telles EDF et GDF) ou ils sont particulièrement puissants et où ils ne craignent pas d'être débordés. De plus, ces assemblées n'ont rien à voir avec ce que nous avons connu dans les facultés depuis un mois : les travailleurs y sont invités à écouter sagement les discours soporifiques des permanents syndicats qui viennent à tour de rôle prêcher pour leur chapelle en vue des prochaines élections au Comité d'entreprise ou des "délégués du personnel". Lorsque Bernard Thibault, invité du "Grand Jury RTL" du 26 mars, insistait lourdement sur le fait que les salariés avaient leurs propres méthodes de lutte différentes de celles des étudiants et qu'il ne voulait pas que les uns veuillent faire la leçon aux autres et réciproquement, il ne parlait pas en l'air : hors de question que les méthodes des étudiants soient reprises par les salariés car cela voudrait dire que les syndicats ne contrôleraient plus la situation et qu'ils ne pourraient plus jouer leur rôle de pompiers de l'ordre social ! Car c'est là leur fonction principale dans la société capitaliste. Leurs discours, même les plus radicaux comme ceux d'aujourd'hui, ne sont là que pour garder la confiance des travailleurs et pouvoir ainsi saboter leurs luttes quand le gouvernement et les patrons risquent d'être mis en difficulté.
C'est là une leçon que non seulement les étudiants, mais aussi l'ensemble des travailleurs devront retenir en vue de leurs combats futurs.
A l'heure où nous écrivons, nous ne pouvons encore prévoir comment va évoluer la situation. Cependant, même si la sainte alliance entre tous les défenseurs de l'ordre capitaliste vient à bout de la lutte exemplaire des étudiants, ces derniers, comme les autres secteurs de la classe ouvrière, ne devront pas sombrer dans la démoralisation. Ils ont déjà remporté deux victoires très importantes. D'une part, la bourgeoisie va devoir pour un temps limiter ses attaques sous peine d'être à nouveau mise en difficulté comme elle l'est aujourd'hui. D'autre part, et surtout, cette lutte constitue une expérience inestimable pour toute une nouvelle génération de combattants de la classe ouvrière.
Comme le disait il y a plus d'un siècle et demi le "Manifeste communiste" : "Parfois, les ouvriers triomphent; mais c'est un triomphe éphémère. Le résultat véritable de leurs luttes est moins le succès immédiat que l'union grandissante des travailleurs." La solidarité et le dynamisme de la lutte, sa prise en main collective par les assemblées générales, voila des acquis de la lutte actuelle des étudiants qui montrent le chemin aux futurs combats de l'ensemble de la classe ouvrière
Courant Communiste International / 28 mars 2006
Il y a maintenant trois ans que la guerre en Irak a commencé. L’offensive militaire gigantesque dirigée par les Etats-Unis devait participer activement à apporter la sécurité au monde. La croisade américaine contre le terrorisme international, dont l’Irak de Saddam Hussein se devait d’être un bastion, avait été lancée au nom de la paix, du progrès de la civilisation et de la lutte contre la tyrannie et l’obscurantisme. Après trois années de carnages et de tueries, qu’en est-il effectivement aujourd’hui ? Dans quelle situation se trouvent l’Irak et l’ensemble de la région du Moyen-Orient ? Quel avenir nous réserve ce monde en pleine décomposition ?
Il n’y a qu’à regarder la situation tragique que connaît actuellement la population en Irak pour avoir un début de réponse à ces questions. Le mois de février a connu une accélération des attentats suicides. Plus de 75 personnes ont été tuées au cours d’une nouvelle flambée de violence, le mardi 28 février, dans cinq explosions à Bagdad. En une semaine seulement, du 22 au 28 février, le pseudo-gouvernement irakien annonce tout simplement que 458 personnes auraient été blessées et 379 auraient été tuées et ceci sans compter les victimes dues à l’attentat qui a frappé le sanctuaire chiite de Samarra. La violence et la barbarie qui se développent actuellement dans ce pays sont de plus en plus sanglantes et inhumaines. Le mardi 28 février, plus de trente deux personnes ont été tuées et plus de cent autres blessées dans l’explosion quasi simultanée de deux bombes par des kamikazes fanatisés. L’enfoncement au quotidien dans l’horreur est malheureusement de plus en plus visible et certain. Ces deux attentats ont été perpétrés dans une file d’attente de personnes qui achetaient du fuel domestique dans le quartier Al Amine au sud-est de Bagdad, ainsi qu’à proximité d’un bureau de poste de cette agglomération. En Irak, les attentats sont devenus quotidiens, plongeant la population dans une peur permanente.
Le développement du chaos en Irak s’est particulièrement concrétisé à partir du 22 février dernier. L’Irak déjà soumis sans cesse à des attentats anti-américains mais également sur des bases d’affrontements communautaires, se voit alors ce jour confronté à un évènement lourd de conséquences : l’attentat qui a endommagé la mosquée sacrée chiite de l’Imam Ali de Bassorah, dans le sud de l’Irak. Cette explosion a causé un mouvement de panique dans la ville, au sein d’une région à majorité chiite. Cet attentat a provoqué une violente accélération des affrontements armés entre Chiites et Sunnites. Depuis ce moment, l’affrontement à caractère confessionnel a sans aucun doute fait plus de 300 morts. Les affrontements les armes à la main se sont multipliés. La torture et les assassinats sommaires tendent à se généraliser : "Les corps de 15 jeunes irakiens, les mains ligotées et portant des traces de pendaison, ont été découverts dans une fourgonnette dans l’ouest de Bagdad. Par ailleurs, 29 autres corps criblés de balles, les mains ligotées ont été retrouvés dans une fosse commune dans l’est de Bagdad. Ces corps ont été enterrés récemment et il pourrait y en avoir d’autres, a ajouté la source du ministère." (cité par Courrier International le 14 mars 2006). La classe ouvrière en Irak n’est pas épargné : en effet, aux alentours du 25 février, 45 ouvriers d’une briqueterie, de confession chiite ou sunnite, ont été retrouvés, criblés de balles, sans que personne ne sache qui étaient les assassins. L’horreur capitaliste est vécue au quotidien par la population irakienne. La flambée de violence, la montée irréversible et en puissance de la guerre entre communautés a poussé le "gouvernement" dans ce pays à imposer à partir du 22 février un couvre-feu entre 20 heures et 6 heures dans les régions situées au nord de la capitale où se trouve notamment Samarra. Cette mesure visait à ramener un peu de calme dans ce pays. La poursuite et l’accélération des massacres et des attentats, malgré les directives du pouvoir irakien, démontrent sa totale impuissance à contrôler la situation. La présence massive de l’armée américaine, son potentiel en armement terrestre et aérien, loin d’être, comme le souhaite la bourgeoisie des Etats-Unis, un facteur de stabilisation afin de mieux contrôler le pays, est un élément déterminant et croissant du développement de l’instabilité et du chaos. L’Irak est définitivement ingouvernable. Même si au même moment, les chefs des groupes parlementaires ont commencé, sous la houlette de l’ambassadeur des Etats-Unis Zalmay Khalizad, à "négocier" la formation d’un nouveau gouvernement. Le président Jalal Talabami a annoncé à cet effet la création d’une commission parlementaire. Dans ce panier de crabes où chaque clique bourgeoise vient aux négociations les armes à la main, la question de la nomination du premier ministre et de ses prérogatives fait voler en éclats le vernis démocratique : "Les Kurdes et les Sunnites refusent la reconduction à son poste du premier ministre sortant Ibrahim Jaa Fari, souhaitée par les Chiites conservateurs, majoritaires." (Courrier International, 13 mars 2006). Dans une situation d’enfoncement dans la guerre et le chaos, chaque chef des différentes bourgeoisies communautaires se battra toujours plus férocement pour obtenir pouvoir, bénéfices militaires et pécuniaires.
Trois ans après son offensive et face à la visibilité patente de l’échec total de leur politique militariste en Irak, les Etats-Unis se devaient de tenter de frapper un grand coup. Leur affaiblissement en tant que première puissance mondiale, leur enlisement toujours grandissant dans le bourbier irakien ne pouvaient pas laisser la bourgeoisie américaine sans réaction. Et ceci, d’autant plus que la politique guerrière de l’administration Bush est de plus en plus contestée par la population américaine, donnant naissance à des manifestations appelant au retrait pur et simple de l’armée américaine d’Irak. Les 2291 morts de soldats américains officiellement recensées depuis mars 2003, pèsent très lourdement dans un tel contexte d’échec de la politique impérialiste américaine. Alors que les Etats-Unis intervenaient à l’ONU pour appeler au calme, de peur que le pays qui a basculé dans une guerre ouverte entre la minorité sunnite hier encore au pouvoir, et la majorité chiite pleine d’appétit, ne devienne totalement incontrôlable, ils n’en préparaient pas moins une nouvelle offensive militaire sur les zones sensibles en Irak. Celle-ci se voulait la plus massive depuis le déclenchement de la guerre, il y a trois ans. A grand renfort de publicité, des nuées de bombardiers, d’hélicoptères s’envolaient des bases américaines au Moyen-Orient afin de porter un rude coup "aux terroristes et autres activistes nostalgiques du pouvoir de Saddam Hussein". De fait cette formidable offensive a fait long feu, démontrant une fois encore la fragilisation et l’affaiblissement croissant des Etats-Unis en Irak et dans le monde.
Tout récemment, lors de sa visite en France, le roi de Jordanie Abdallah II a manifesté publiquement ses inquiétudes sur le danger bien réel d’une extension de la guerre ouverte entre Chiites et Sunnites à tout le Proche et le Moyen-Orient : "En parlant de croissant chiite, j’exprimais des craintes de voir le jeu politique, sous couvert de religion, déboucher sur un conflit entre Sunnites et Chiites, dont nous assistons aux prémices en Irak. Le risque potentiel d’un conflit inter-religieux existe. Cela serait désastreux pour nous tous." ( Le Monde Diplomatique, mars 2006). La présence massive des Chiites au Kurdistan, en Arabie Saoudite et surtout en Iran, rend ce danger plus que probable. La politique iranienne de défense de ses intérêts impérialistes en Irak à travers la majorité chiite est un facteur important participant du développement de la guerre dans toute la région. Le conflit israélo-palestinien s’inscrit totalement dans cette extension du chaos. La présence du Hamas au pouvoir en Palestine, hier encore fraction bourgeoise (archaïque et irrationnelle) adepte du terrorisme ne peut que conduire à terme à accélérer la fuite en avant guerrière de l’impérialisme israélien. La déstabilisation croissante de cette région mais également de la Jordanie risque ainsi de rejoindre la poudrière irakienne.
La poursuite du conflit en Irak affaiblit durablement l’armée américaine. Le représentant démocrate John Murtha qui avait provoqué une vive polémique en novembre 2005 en demandant le retrait immédiat d'Irak des troupes américaines justifiait sa position en invoquant le fait que "des officiers lui avaient expliqué que l’armée était au bord de la rupture." (d'après Le Monde.fr du 20 mars 2006). Les Etats-Unis sont de plus en plus dans l’incapacité matérielle et politique de maintenir les 138 000 soldats présents en Irak. C’est pour cela que malgré la perte de contrôle de la situation en Irak, l’Etat américain se voit obligé d’envisager le retrait de 38 000 soldats avant la fin 2006. Cette incapacité croissante de soutenir la guerre en Irak se manifeste également dans l’échec de la campagne de recrutement de l’armée américaine en 2005 : "Le résultat en a été le plus mauvais depuis un quart de siècle." (Le Monde.fr, 20 mars 2006). Aujourd’hui la bourgeoisie américaine est contrainte de recruter essentiellement dans des classes d’âge de plus en plus jeunes de 17 à 24 ans, tout en étant moins exigeante au niveau de la sélection physique. Le développement de la misère aux Etats-Unis ne pousse plus les jeunes générations à s’enrôler dans l’armée. Le mécontentement de la population face à la guerre en Irak s’exprime ainsi ouvertement. Le Pentagone offre aujourd’hui 20 000 dollars de prime aux recrues. De plus, l’âge pour s’engager devrait passer après accord du Congrès de 35 à 42 ans. Tout ceci traduit ouvertement et crûment l’affaiblissement accéléré de la première puissance militaire mondiale.
Cet affaiblissement de l’impérialisme américain ne peut que le pousser toujours plus en avant dans sa politique guerrière. Celle-ci s’exprime clairement dans la déclaration du président américain G.Bush cité dans Courrier International du 17 mars dernier : "L’Iran est peut-être le plus grand défi que nous pose un pays." Certes, la perte de contrôle des Etats-Unis en Irak et l’influence grandissante de l’Iran dans ce pays à travers la communauté chiite, se concrétise par des tractations diplomatiques entre les deux pays. Mais la montée irrésistible des antagonismes impérialistes, conjuguée à l’affaiblissement accéléré américain ne permettra de fait aucun répit. Cette confrontation américano-iranienne à venir pourrait bien commencer à se concrétiser au Proche-Orient en terre libanaise. Alors que la bourgeoisie libanaise s’entredéchire, après le retrait de l’armée syrienne, l’importance du Hezbollah, mouvement chiite qui défend ouvertement la guerre contre Israël est une arme importante de l’Iran face aux Etats-Unis. A l’intransigeance de Téhéran en matière de politique nucléaire correspondent les déclarations belliqueuses des Etats-Unis à son encontre. Le soutien de plus en plus manifeste de la Russie à l’Iran, conjugué à la montée irrationnelle de la politique guerrière des Etats-Unis, ne présage ainsi rien de bon.
L’affaiblissement des capacités d’occupation militaire des Etats-Unis, leur incapacité à développer leurs troupes au sol, laissent entrevoir la possibilité de poursuite de la barbarie capitaliste sous la forme de bombardements massifs, ne laissant derrière eux que ruines et désolation. La bourgeoisie des principaux pays impérialistes concurrents acharnés des Etats-Unis tels la France, l’Allemagne, la Russie et même la Chine ne peuvent que se réjouir cyniquement de cet affaiblissement américain. Ils n’auront aucun scrupule à participer activement autant que possible à l’enlisement militaire des Etats-Unis, tel que cela se passe déjà en Afghanistan et en Irak.
Au moment où la barbarie capitaliste connaît une nouvelle phase d’accélération, l’espoir de toute l’humanité se manifeste concrètement dans le développement de la lutte de classe : aux Etats-Unis, en Allemagne, en Angleterre et surtout maintenant en France. Seule cette lutte de la classe ouvrière, en se développant de manière toujours plus unie et solidaire, pourra par la révolution communiste stopper le bras armé du capitalisme pourrissant. Les jeunes générations ouvrières, aujourd’hui en plein combat contre le capitalisme, doivent savoir que c’est leurs frères de classe qui ont, en 1917, par la révolution prolétarienne victorieuse en Russie, obligé la bourgeoisie mondiale à mettre fin à la première boucherie impérialiste. Cette révolution et la vague révolutionnaire de l’époque qui s‘est tout particulièrement développée en Europe centrale et en Allemagne n’était pas une exception, un accident passé de l’histoire. Elle est dans notre époque historique, possible et nécessaire.
Tino /24 mars 2006
Nous voulons fortement saluer et manifester notre solidarité avec la lutte qu’ont menée les 23 000 ouvriers de la métallurgie, dont une forte proportion de jeunes ouvriers, à Vigo dans la province de Galice (Espagne) depuis le 3 mai. Sans exception, les médias et les sites web des syndicats et des organisations politiques qui se disent radicales ont maintenu un silence de mort sur cet événement, tant en Espagne qu’au niveau international ([1] [35]). Il est important pour la classe ouvrière que la discussion se fasse sur cette expérience, que nous tirions des leçons avec un esprit critique pour pouvoir les mettre en pratique puisque tous les travailleurs sont affectés par les mêmes problèmes : précarité, conditions de travail toujours plus insupportables, augmentation hallucinante des prix, licenciements, annonces d’attaques sur les retraites, attaques portées sur les travailleurs du secteur public...
Au moment même où le trio infernal gouvernement-patrons-syndicats signait la nouvelle réforme du travail qui, sous prétexte de "lutter contre la précarité", ne fait que l’étendre davantage en baissant le coût des indemnités de licenciement et en proposant une généralisation des CDD limités à deux ans, une grève massive a éclaté dans le secteur de la métallurgie dont la principale motivation était précisément la lutte contre la précarité, qui touche près de 70 % des ouvriers de ce secteur.
La lutte contre la nouvelle réforme du travail ne passe pas par les journées d’action et les "actions" qu’ont organisés les nombreux syndicats "radicaux", mais par la lutte directe des ouvriers, les grèves décidées collectivement ; ce sont ces grèves qu’il faut soutenir et étendre car ce n’est que de cette façon que peuvent être rassemblées les forces nécessaires pour s’opposer efficacement aux attaques permanentes du capital.
La grève des métallurgistes a été massive et s’est organisée sous la forme d’assemblées publiques dans la rue, assemblées que les travailleurs avaient décidé d’ouvrir à tous ceux qui voulaient donner leur opinion, soutenir la grève, poser des questions ou formuler des revendications. Des manifestations massives ont été organisées dans le centre-ville. Plus de dix mille travailleurs se sont réunis quotidiennement pour organiser la lutte, décider des actions à entreprendre, décider vers quelles entreprises il fallait se diriger pour chercher la solidarité d’autres ouvriers, être à l’écoute des rares informations diffusées sur la grève, susciter des discussions avec la population dans la rue, etc.
Il est hautement significatif que les ouvriers de Vigo aient utilisé les mêmes moyens de lutte que les étudiants en France lors des derniers événements. Les assemblées étaient ouvertes aux autres travailleurs, actifs, chômeurs ou retraités. Les assemblées, là-bas comme ici, ont été le poumon du mouvement. Il est aussi significatif qu’aujourd’hui, en 2006, les ouvriers de Vigo reprennent les moyens qu’ils s’étaient donnés lors de la grande grève de 1972 : la tenue quotidienne de grandes assemblées générales réunissant les ouvriers de la ville entière. La classe ouvrière est une classe internationale et historique, ce sont les deux caractéristiques d’où elle tire sa force.
Dès le début du mouvement, les ouvriers en lutte ont tenté de chercher la solidarité des autres travailleurs, en particulier ceux des grandes entreprises de la métallurgie qui bénéficient de conventions particulières et qui, de ce fait, ne seraient pas "concernées". Ils ont envoyé des délégations massives aux chantiers navals, à Citroën et aux usines les plus importantes. Les chantiers navals se sont unanimement mis en grève de solidarité dès le 4 mai. Du point de vue égoïste et froid de l’idéologie de la classe dominante, pour qui chacun ne doit s’intéresser qu’à ses petites affaires, cette action ne peut qu’être une "folie", mais, pour la classe ouvrière, cette action est la meilleure riposte à avoir face à la situation immédiate et pour préparer le futur. Dans l’immédiat, car chaque secteur de la classe ouvrière ne peut être fort que s’il peut s’appuyer sur la lutte des autres. Pour préparer le futur, car la société que le prolétariat aspire à instaurer et qui permettra à l’humanité de sortir de l’impasse du capitalisme, trouve ses fondements dans la solidarité, dans la communauté humaine mondiale.
Le 5 mai, près de 15 000 ouvriers de la métallurgie ont entouré la plus grande usine de la ville (Citroën) regroupant 4500 ouvriers en les invitant à tenir une assemblée aux portes de l’usine et à participer à la discussion pour tenter de les convaincre de rejoindre la grève. Ces derniers étaient divisés, les uns étant prêts à débrayer et les autres voulant travailler. Alors que la discussion se développait, des groupes de syndicalistes ont commencé à jeter des œufs et d’autres aliments sur les ouvriers de Citroën, faisant pencher la balance en faveur de ne pas se joindre aux grévistes. Ils reprirent finalement le travail tous ensemble. Mais la graine semée par la délégation massive des travailleurs ce jour-là commença à porter ses fruits : le mardi 9 commencèrent des débrayages tant à Citroën que dans d’autres grandes entreprises.
La solidarité et l’extension de la lutte avaient aussi été les points forts du mouvement des étudiants en France. De fait, dès qu’un sentiment spontané de solidarité avec les étudiants avaient commencé dans de grandes entreprises, notamment à la Snecma ou à Citroën, le gouvernement français avait retiré le CPE. La solidarité et l’extension de la lutte avaient fortement caractérisé la grève générale de Vigo en 1972, qui fit reculer la poigne de fer de la dictature franquiste. Nous pouvons là aussi voir la force internationale et historique de la classe ouvrière.
Le 8 mai, près de 10 000 ouvriers qui se dirigeaient vers la gare dans l’intention d’informer les voyageurs, après une assemblée générale publique, furent attaqués de toutes parts par la police avec une violence inouïe. Les charges de police furent extrêmement violentes, les ouvriers dispersés par petits groupes étaient harcelés impitoyablement par les forces de l’ordre. Il y eut de nombreux blessés et treize arrestations. A partir de ce moment-là, le black-out a été rompu dans les médias espagnols uniquement pour mettre en avant la violence des affrontements entre les ouvriers et la police.
Cette répression en dit long sur la "démocratie" et ses beaux discours sur la "négociation", la "liberté de manifester" et la "représentation de tous les citoyens". Quand les ouvriers luttent sur leur terrain de classe, le capital n’hésite pas une seconde à déchaîner la répression. Et c’est là que l’on peut voir la véritable nature de ce cynique champion du "dialogue" qu’est Monsieur Zapatero, socialiste et chef du gouvernement. Il a de qui tenir : son dernier prédécesseur socialiste, Monsieur Gonzalez, était déjà le responsable de la mort d’un ouvrier lors de la lutte des chantiers navals de Gijon (1984) et d’un autre à Reinosa lors des luttes de 1987. Ils sont dans la tradition d’un autre illustre bourgeois, le grand républicain de gauche Azaña, qui donna en 1933 l’ordre de "tirer au ventre" lors du massacre des journaliers à Casas Viejas.
La ratonnade de la gare ferroviaire a cependant un objectif politique : enfermer les ouvriers dans des combats épuisants contre les forces de répression, les pousser à abandonner les actions massives (manifestations et assemblées générales) au profit de la dispersion lors d’affrontements contre la police. Le but est clairement de les piéger dans des batailles rangées perdues d’avance qui leur feront perdre le capital de sympathie auprès des autres travailleurs.
Le gouvernement français avait tenté la même manœuvre contre le mouvement des étudiants : "La profondeur du mouvement des étudiants s'exprime également dans sa capacité à ne pas tomber dans le piège de la violence que la bourgeoisie lui a tendu à plusieurs reprises y compris en utilisant et manipulant les ‘casseurs’ : occupation policière de la Sorbonne, souricière à la fin de la manifestation du 16 mars, charges policières à la fin de celle du 18 mars, violences des "casseurs" contre les manifestants du 23 mars. Même si une petite minorité d'étudiants, notamment ceux influencés par les idéologies anarchisantes, se sont laissés tenter par les affrontements avec les forces de police, la grande majorité d'entre eux a eu à cœur de ne pas laisser pourrir le mouvement dans des affrontements à répétition avec les forces de répression" ("Thèses sur le mouvement des étudiants du printemps 2006 en France", Revue internationale no125).
Les ouvriers se sont alors mobilisés massivement pour exiger la libération des ouvriers arrêtés, avec une manifestation qui a rassemblé près de 10 000 d’entre eux le 9 mai et qui a obtenu gain de cause. Il est significatif que les médias (El País, El Mundo, la télé…) qui jusque-là avaient gardé un silence total sur le mouvement des assemblées, les manifestations massives et la solidarité, aient soudain monté en épingle les affrontements du 8 mai. Le message qu’ils nous font passer est clair : "Si tu veux te faire remarquer et qu’on te prête attention, organise des actions violentes !" La bourgeoisie est la première bénéficiaire de l’épuisement des ouvriers dans des affrontements stériles.
Il y a très longtemps que les syndicats ont cessé d’être l’arme des travailleurs pour devenir le bouclier du capital, comme cela a été démontré par leur participation à toutes les négociations pour les réformes du travail en 1988, 1992, 94, 97 et 2006, qui ont tant fait pour développer la précarité et les "contrats-poubelle". Les trois syndicats (Commissions ouvrières, UGT et CIG [2] [36]) n’ont accompagné la grève que pour pouvoir la miner de l’intérieur et reprendre son contrôle. C’est ce que montre à l’évidence le fait qu’ils se soient opposés sans succès à l’envoi de délégations massives aux autres entreprises, "offrant" en échange d’appeler à une grève générale de la métallurgie le 11 mai. Les ouvriers ne les ont pas attendu et ont refusé d’attendre le jour "J" du bon vouloir syndical. Ils ont alors entrepris de mettre en pratique la méthode authentiquement prolétarienne : l’envoi de délégations massives, le contact direct avec les autres ouvriers, l’action collective et massive.
Mais le 10 mai, après 20 heures de négociations, les syndicats ont signé un accord qui, bien camouflé, contient un coup de Jarnac puisqu’il escamote les revendications essentielles en échange de quelques bimbeloteries et ils se sont empressés d’annuler leur appel à la grève générale du secteur pour le lendemain. Une grande partie des travailleurs a immédiatement manifesté son indignation et le vote a été repoussé au 11 mai face à la signature de cet accord.
Il faut tirer une leçon de cette manœuvre de briseurs de grève : on ne peut pas laisser les négociations entre les mains des syndicats, elles doivent être totalement assumées par les assemblées générales. Celles-ci doivent nommer une commission de négociation qui lui rende compte quotidiennement de l’avancée des discussions. C’est ce qui se faisait dans les années 1970 et que nous devons reprendre si nous voulons éviter d’être dupés par ces vendus.
Nous ne savons pas, à ce jour, comment va se poursuivre la lutte. Mais quelle que soit son issue, elle nous apporte des leçons qui sont vitales. La crise du capitalisme ne lui permet pas de trêve dans ses attaques. Il y a plus de vingt ans maintenant que les conditions d’existence du prolétariat dans tous les pays sont en chute libre, et les attaques seront toujours pires. Nous sommes obligés de nous battre, nous devons affirmer la force de la classe ouvrière et dans ce mouvement, des luttes comme celle de Vigo nous apportent au moins une leçon essentielle : nous en avons assez des méthodes syndicalistes de lutte qui ne conduisent qu’à la démoralisation et à l’impuissance. Seuls les moyens prolétariens de lutte que nous avons vus à l’œuvre à Vigo, et qui sont dans la continuité du mouvement des étudiants en France, nous donnent la force et l’unité dont nous avons besoin. Ils permettent que nous cessions d’être manipulés par les dirigeants syndicaux et que nous devenions une classe qui pense, décide et lutte de façon consciente, unie et solidaire.
CCI / 10.5.06
(D’après la prise de position sur le web de notre section en Espagne)
[1] [37] La CNT, syndicat le plus "radical", a gardé un silence assourdissant sur cette lutte jusqu'au 8 mai.
[2] [38] CIG : Confédération Intersyndicale de Galice. Syndicat nationaliste radical qui a joué un rôle très "combatif" comme contre-poids à la "modération" affichée par les deux autres.
Notre camarade Clara est décédée à l’hôpital Tenon, à Paris, le samedi 15 avril 2006 à l’âge de 88 ans.
Clara était née le 8 octobre 1917 à Paris. Sa mère, Rebecca était d’origine russe. Elle était venue en France parce que, dans sa ville d’origine, Simféropol, en Crimée, elle ne pouvait pas, en tant que juive, faire des études de médecine, comme elle le souhaitait. Finalement, à Paris, elle a pu devenir infirmière. Avant même de venir en France, elle était une militante du mouvement ouvrier puisqu’elle avait participé à la fondation de la section du parti social démocrate de Simféropol. Le père de Clara, Paul Geoffroy, était un ouvrier qualifié spécialisé dans la confection de coffrets à bijoux. Avant la première guerre mondiale, il était membre de la CGT dans la mouvance anarcho-syndicaliste, puis il s’est rapproché du Parti Communiste après la révolution russe de 1917.
Ainsi, depuis sa petite enfance, Clara a été éduquée dans la tradition du mouvement ouvrier. Elle a d’abord adhéré aux jeunesses communistes (JC) lorsqu’elle avait une quinzaine d’années. En 1934, Clara est allée avec son père à Moscou rendre visite à la sœur de sa mère, cette dernière étant décédée quand Clara n’avait que 12 ans. Ce qu’elle a vu en Russie, entre autres choses le fait que les nouveaux logements étaient destinés à une minorité de privilégiés et non aux ouvriers, lui a fait se poser des questions sur la "patrie du socialisme" et, à son retour, elle a rompu avec les JC. A cette époque, déjà, elle avait de nombreuses discussions avec notre camarade Marc Chirik (qu’elle avait connu lorsqu’elle avait 9 ans car la mère de Clara était l’amie de la sœur de la première compagne de Marc) malgré l’opposition de son père qui, resté fidèle au PC, n’aimait pas qu’elle fréquente les "trotskistes".
En 1938, le jour de sa majorité, Clara peut se passer du consentement de son père et elle devient officiellement la compagne de Marc.
A cette époque, Marc était membre de la Fraction italienne (FI) et bien que Clara n’en fut pas membre, elle était sympathisante de ce groupe. Pendant la guerre, Marc a été mobilisé dans l’armée française (bien qu’il ne fut pas français et que pendant de nombreuses années son seul papier d’identité était un arrêté d’expulsion dont l’échéance était prolongée toutes les deux semaines). Il est basé à Angoulême au moment de la débâcle de l’armée française. Avec un camarade de la Fraction italienne en Belgique (qui avait fuit l’avancée des troupes allemande car il était juif), Clara est partie de Paris à bicyclette pour rejoindre Marc à Angoulême. Lorsqu’elle est arrivée, Marc (avec d’autres soldats) avait été fait prisonnier par l’armée allemande qui, heureusement, n’avait pas encore constaté qu’il était juif. Clara a réussi, en lui apportant des vêtements civils, à faire évader Marc (et un autre camarade juif) de la caserne dans laquelle il était prisonnier. Marc et Clara sont passés en zone libre et ont rejoint Marseille à bicyclette en septembre 1940. C’est à Marseille que Marc a impulsé la réorganisation de la Fraction italienne qui s’était disloquée au début de la guerre.
Sans en être formellement membre, Clara a participé au travail et aux discussions qui ont permis le développement du travail de la Fraction italienne reconstituée : malgré les dangers dus à l’occupation de l’armée allemande, elle a été amenée à transporter, d’une ville à l’autre, les documents politiques adressés aux autres camarades de la Fraction italienne.
Pendant cette période, Clara a également participé aux activités de l’OSE (Organisation de Secours des Enfants) qui prenait en charge et cachait des enfants juifs pour les protéger de la Gestapo.
C’est au moment de la "libération" que Marc et Clara ont frôlé de plus près la mort lorsque les "résistants" staliniens du PCF les ont arrêtés à Marseille : ils les ont accusés d’être des traîtres, complices des "boches", parce qu’ils avaient trouvé chez eux, lors d’une perquisition, des cahiers écrits en allemand. En fait, ces cahiers provenaient des cours d’allemand que Marc et Clara avaient reçus de Voline (un anarchiste russe qui avait participé à la révolution de 1917). Voline, malgré la misère noire dans laquelle il se trouvait, ne voulait pas recevoir d’aide matérielle. Marc et Clara lui avaient donc demandé de leur donner des cours d’allemand à la suite de quoi, il acceptait de partager leur repas.
Lors de cette perquisition, les staliniens avaient également trouvé des tracts internationalistes rédigés en français et en allemand et adressés aux soldats des deux camps.
C’est grâce à un officier gaulliste qui était le responsable de la prison (et dont la femme connaissait Clara pour avoir travaillé avec elle dans l’OSE), que Marc et Clara ont pu échapper de justesse aux tueurs du PCF. Cet officier avait d’abord empêché les staliniens d’assassiner Marc et Clara (les résistants du PCF avaient en effet dit à Marc : "Staline ne t’a pas eu mais, nous, on aura ta peau"). Surpris que des juifs soient des "collabos", il voulait "comprendre" la démarche politique de Marc et Clara qui faisaient de la propagande en faveur de la fraternisation des soldats français et allemands. Cet officier s’est rendu compte que leur démarche n’avait rien à voir avec une quelconque "trahison" en faveur du régime nazi. C’est pour cela qu’il les a fait évader de la prison, discrètement, dans sa propre voiture personnelle en leur conseillant de quitter Marseille au plus vite avant que les staliniens ne les retrouvent.
Marc et Clara sont allés à Paris où ils ont rejoint d’autres camarades (et sympathisants) de la Fraction italienne et de la Fraction française de la Gauche communiste. Clara a continué jusqu’en 1952 à soutenir le travail de la Gauche communiste de France (GCF - le nouveau nom que s’était donné la FFGC).
En 1952, la GCF, face à la menace d’une nouvelle guerre mondiale, a pris la décision que certains de ses membres quittent l’Europe afin de préserver l’organisation au cas où ce continent serait de nouveau livré à la guerre. Marc est parti pour le Venezuela en juin 1952. Clara l’a rejoint en janvier 1953 lorsqu’il a enfin réussi à trouver un travail stable dans ce pays.
Au Venezuela, Clara a repris son métier d’institutrice. En 1955, avec un collègue, elle a fondé à Caracas une école française, le Collège Jean-Jacques Rousseau qui, au début n’avait que 12 élèves, principalement des filles qui ne pouvaient fréquenter la seule école française alors présente qui était dirigée pas des frères. Le Collège, dont Clara était la directrice (et Marc l’intendant, le jardinier et le chauffeur du ramassage scolaire) a fini par compter plus d’une centaine d’élèves. Certains d’entre eux, marqués par l’efficacité ainsi que par les grandes qualités pédagogiques et humaines de Clara, sont restés en contact avec elle jusqu’à sa mort. Un de ses anciens élèves, établi aux Etats-Unis, est même venu lui rendre visite en 2004.
Après le départ de Marc et d’autres camarades, la GCF va se disloquer. Ce n’est qu’à partir de 1964 que Marc a pu constituer un petit noyau d’éléments très jeunes qui a commencé à publier la revue "Internacionalismo" au Venezuela.
Au cours de cette période, Clara n’a pas été directement impliquée dans les activités politiques d’Internacionalismo mais son établissement scolaire a fourni les moyens matériels et était un lieu de réunion pour les activités du groupe.
En mai 1968, Marc est venu en France pour participer aux mouvements sociaux et rétablir les contacts avec ses anciens camarades de la Gauche communiste. C’est pendant son séjour en France que la police du Venezuela est venue perquisitionner le Collège Jean-Jacques Rousseau et a découvert le matériel politique qui s’y trouvait. Le Collège a été fermé et même démoli. Clara a été obligée de quitter le Venezuela précipitamment pour rejoindre Marc. C’est à partir de cette période que Marc et Clara se sont de nouveau installés à Paris.
A partir de 1968, Marc a participé au travail du groupe "Révolution Internationale" (RI) qui s’est constitué à Toulouse. A partir de 1971, Clara s’est intégrée activement dans les activités de RI qui allait devenir la section du CCI en France.
Depuis, elle est restée une militante fidèle de notre organisation, prenant sa part dans l’ensemble des activités du CCI. Après la mort de Marc, en décembre 1990, elle a continué son activité militante au sein de l’organisation à laquelle elle à toujours été très attachée. Même si elle a été personnellement très affectée par le départ de certains vieux camarades qui étaient à la fondation de RI ou même d’Internacionalismo, ces désertions n’ont, à aucun moment, remis en cause son engagement au sein du CCI.
Jusqu’au dernier moment, malgré ses problèmes de santé et son âge, elle a toujours voulu continuer à être partie prenante de la vie du CCI. En particulier, c’est avec la plus grande assiduité qu’elle versait tous les mois ses cotisations de même qu’elle tenait à suivre les discussions, même lorsqu’elle ne pouvait plus assister aux réunions. Alors qu’elle avait de très sérieux problèmes de vue, Clara continuait à lire autant que possible la presse et les documents internes du CCI (l’organisation lui en faisait pour cela des tirages en gros caractères). De même, à chaque fois qu’un camarade lui rendait visite, elle lui demandait de lui faire part de l’état des discussions et des activités de l’organisation.
Clara était une camarade dont le sens de la fraternité et de la solidarité a beaucoup marqué l’ensemble des militants du CCI, qu’elle accueillait toujours de façon extrêmement chaleureuse. De même, elle a maintenu des rapports fraternels avec d’anciens camarades de la Gauche communiste, leur apportant notamment sa solidarité devant l’épreuve de la maladie (comme ce fut le cas pour Serge Bricianer, ancien membre de la GCF, ou Jean Malaquais, sympathisant de celle-ci, qu’elle était allé visiter à Genève peu avant sa mort en 1998). Après la mort de Marc, elle a continué à transmettre aux nouvelles générations de militants, cette tradition de fraternité et de solidarité qui caractérisait le mouvement ouvrier du passé. C’est avec joie qu’elle a pu voir cette solidarité de la classe porteuse du communisme ressurgir de façon magistrale dans le mouvement des étudiants en France. Un mouvement que Clara a tenu à saluer avec enthousiasme avant de nous quitter.
Malgré son affaiblissement physique et les difficultés de santé très éprouvantes qu’elle a affronté avec un courage remarquable, Clara nous a quittés au moment même où une nouvelle génération ouvre les portes de l’avenir.
Clara nous donne l’exemple d’une femme qui, toute sa vie, a combattu aux côtés et au sein de la classe ouvrière et faisant preuve pour cela d’un courage hors du commun (notamment en risquant sa vie pendant les années de la contre-révolution). Une femme qui est restée fidèle jusqu’au bout à ses idées et a son engagement révolutionnaires.
Lorsque que l’ensemble du CCI a appris sa disparition, les sections (et des camarades individuellement) ont envoyé à l’organe central du CCI un grand nombre de témoignages saluant la chaleur humaine, le dévouement à la cause du prolétariat et le très grand courage dont Clara a fait preuve toute sa vie durant.
Clara a été inhumée le samedi 22 avril au cimetière parisien d’Ivry (dans ce lieu même ou avait été enterré le mari de Clara Zetkin, Ossip, le 31 janvier 1889). Après les obsèques, le CCI a organisé une réunion en hommage à sa mémoire où se sont retrouvés plusieurs délégations internationales du CCI, de nombreux sympathisants qui ont connu Clara personnellement, de même que des membres de sa famille.
A son fils Marc, à ses petits-enfants Miriam et Yann-Daniel, nous adressons notre plus grande solidarité et sympathie.
Nous publions ci-dessous un large extrait de la lettre que le CCI a adressée à son fils et à sa famille.
CCI / 25.4.06
Le CCI
au camarade Marc
Cher camarade Marc,
Avec ces quelques mots, nous voulons d'abord te manifester notre solidarité et notre sympathie suite à la disparition de Clara, ta mère et notre camarade. Nous voulons également te faire part de l'émotion que ressent l'ensemble des camarades de notre organisation.
La plupart d'entre nous avaient connu Clara d'abord comme la compagne de Marc, ton père, qui a joué un rôle si important dans le combat de la classe ouvrière, en particulier dans les pires moments que celle-ci a traversés, et aussi comme principal forgeron du CCI. En soi, c'était déjà un motif d'affection et de respect envers Clara : "la compagne de Marc ne pouvait être qu'une personne de bien". Le courage et la dignité qu'elle a manifestés au moment de la disparition de ton père, malgré l'amour immense qu'elle lui portait, nous ont confirmé sa très grande force de caractère, une qualité que nous connaissions déjà et qui n'a cessé de se manifester jusqu'à son dernier jour. C'est, entre autres pour cela, que, pour les militants du CCI, Clara n'était pas seulement la compagne de Marc, loin de là. C'était une camarade qui est restée fidèle jusqu'au bout à ses convictions, qui a continué à partager tous nos combats, et qui a tenu, malgré les difficultés de l'âge et de la maladie, à rester en prise avec la vie de notre organisation. Tous les camarades ont été impressionnés par sa volonté de vivre et la totale lucidité qu'elle a conservées jusqu'aux derniers instants. C'est pour cela que l'affection et le respect que chacun d'entre nous lui avait accordés d'emblée, n'ont fait que se renforcer au fil des années.
Peu avant sa mort, ton père nous avait fait part de l'immense satisfaction que lui apportait la disparition du stalinisme, ce bourreau de la révolution et de la classe ouvrière. En même temps, il n'avait pas caché l'inquiétude qu'il éprouvait face aux conséquences négatives que cet événement allait provoquer sur la conscience et la lutte de celle-ci. Clara, parce qu'elle avait conservé ses convictions révolutionnaires intactes, a vu les derniers jours de sa vie éclairés par la reprise du combat des nouvelles générations. C'est pour nous tous, malgré notre peine, un motif de consolation.
Avec Clara, disparaît une des dernières personnes qui a été témoin et acteur de ces années terribles où les révolutionnaires se sont retrouvés à une toute petite minorité pour continuer à défendre les principes internationalistes du prolétariat, un combat mené notamment par les militants de la Gauche italienne, de la Gauche hollandaise et de la Gauche communiste de France et sans lequel le CCI n'existerait pas aujourd'hui. Clara nous parlait quelquefois de ces camarades et nous pouvions sentir dans ses paroles toute l'estime et l'affection qu'elle leur portait. En ce sens, après la disparition de ton père, Clara continuait à être pour nous un lien vivant avec cette génération de communistes dont nous nous revendiquons avec fierté. C'est ce lien, qu'au-delà de la personne de notre camarade Clara, nous avons perdu aujourd'hui. (…) Encore une fois, cher camarade Marc, nous voulons te manifester notre solidarité et nous te demandons de transmettre cette solidarité à tes enfants et aux autres membres de ta famille.
Le CCI / 17.4.06
Le triple attentat du 24 avril à Dahab, station balnéaire égyptienne au plus haut de la fréquentation touristique, faisant près de 30 morts et 150 blessés, est venu rappeler aux populations du monde que nul n’est à l’abri de la fureur terroriste et guerrière qui gagne la planète. Et ce ne sont pas les "condamnations unanimes" et les déclarations hypocrites des hommes d’Etat chez qui cet attentat "soulève des sentiments d’horreur et d’indignation" ou qui rejettent cet acte de "violence odieux" qui vont y changer quelque chose.
Au contraire, cette attaque visant des innocents venus passer quelques jours de vacances a constitué pour eux une nouvelle occasion, derrière leurs larmes de crocodile, de réaffirmer leur "combat contre le terrorisme", c’est-à-dire la continuation et la perspective d’autres massacres, à plus grande échelle.
On peut aujourd’hui mesurer l’efficacité de cette prétendue "lutte sans merci" contre le "fléau terroriste", pour la "paix et la stabilité", menée par les grandes puissances, Etats-Unis en tête, à l’aune de la barbarie qui a littéralement explosé dans de nombreuses régions du monde. Jamais les foyers de tensions guerrières, d’affrontements militaires, d’attentats aveugles à répétition, dans lesquels les puissances grandes et moins grandes ont une responsabilité directe, n’ont été aussi présents, de l’Afrique à l’Asie en passant par le Moyen-Orient, menaçant sans cesse de gagner de l’ampleur.
La guerre en Afghanistan et celle en Irak ont consisté en une suite de désastres avec pour résultat l’extension du chaos et l’impossibilité d’un retour à une quelconque stabilité dans ces pays, de même qu'une instabilité grandissante dans les zones géographiques alentour.
Concernant l’Irak, sa dévastation et les horreurs qui s’y déroulent quotidiennement parlent d’elles-mêmes et ne font qu'annoncer la poursuite.d'un enfoncement dans l’enfer des affrontements armés ouverts ou larvés. Nous ne reviendrons pas ici sur la situation de ce pays dont nous avons traité en détail le mois dernier (voir RI n° 367).
En Afghanistan, dont l’invasion par les troupes de la coalition américaine avait été "légitimée" par la lutte contre le terrorisme incarné par Ben Laden, suite aux attentats du 11 septembre sur les Twin Towers, c’est le marasme le plus complet. Le gouvernement de Kaboul est l’objet d’attaques incessantes et la capitale est régulièrement sous le feu de tirs de roquettes provenant des différentes cliques pachtounes et afghanes en lutte pour le pouvoir. Dans le Sud et l’Est du pays, les taliban ont repris du terrain à coups d’attentats et d’opérations commando. Aussi, les Etats-Unis ont-ils été contraints de mettre sur pied, ce mois-ci, une nouvelle opération de police militaire, appelée "Mountain Lion", forte de 2500 hommes soutenus par une aviation particulièrement impressionnante. Il est clairement établi que les objectifs de cette opération sont d’opérer des destructions massives équivalentes à celles de 2001 et 2002. Cependant, les médias voudraient en masquer l’importance à l’instar du département d’Etat américain qui souligne le caractère surtout "psychologique" de cette nouvelle offensive car il s’agirait d’abord " "d'impressionner les néo-talibans et de stopper l'impression qu'ils ont le dessus", aussi bien aux yeux de la population afghane qu'il s'agit de "rassurer" que de l'opinion publique internationale" (Le Monde du 13 avril). C’est ce qui s’appelle de la dissuasion psychologique massive.
Au Moyen-Orient, c’est un enfoncement dans une barbarie encore aggravée qui s'annonce. Non seulement les Etats-Unis ont été incapables d’imposer un consensus entre Israël et l’Autorité palestinienne, mais leur impuissance à modérer la politique agressive et provocatrice de Sharon a poussé à la crise politique tant dans les territoires occupés qu’en Israël même. Ainsi, les différentes fractions politiques israéliennes se déchirent à qui mieux mieux. Mais c’est surtout du côté palestinien que l’échec est le plus retentissant avec l’arrivée en force du Hamas, fraction palestinienne particulièrement rétrograde et radicalement anti-israélienne, et de surcroît opposée au Fatah. Ainsi, c’est à l’arme à feu que les deux camps palestiniens règlent leurs comptes dans la bande de Gaza, véritable cocotte-minute de 1 600 000 habitants (la plus grande concentration humaine au monde) dont 60% de réfugiés, de plus en plus réduits à la misère par l’arrêt de l’Aide internationale et à l’oisiveté par les barrages et les filtrages de l’armée israélienne empêchant la population d’aller travailler en Israël.
La construction par l’Etat israélien du "mur de l’apartheid" en Cisjordanie ne peut qu’attiser encore plus les tensions et pousser à une radicalisation vers le terrorisme une population palestinienne pressurée, méprisée et de plus en plus embrigadée derrière les groupes islamistes. Lorsque le mur sera achevé, 38 villages regroupant 49 400 Palestiniens seront enclavés et 230 000 résidents palestinien de Jérusalem vont se trouver du côté israélien de la ligne de séparation. Globalement, cette construction va aboutir à un enclavement de la population dans une série de "bantoustans" isolés les uns des autres.
Engagé depuis juin 2003, le bras de fer entre l’Iran et les grandes puissances sur le sujet de la maîtrise du nucléaire par Téhéran s’était particulièrement durci l’été dernier pour atteindre aujourd’hui un point culminant. En effet, avec l’ultimatum lancé par le Conseil de sécurité des Nations Unies intimant à l’Iran la cessation, avant le 28 avril, de toute activité d’enrichissement d’uranium et le refus de ce pays de s’y soumettre, les tensions diplomatiques se sont brutalement exacerbées. Dans un contexte international où la folie guerrière du monde capitaliste ne cesse de s’étaler au grand jour et dans une région de la planète où les tueries quotidiennes font rage, l’épreuve de force ouverte entre l’Etat iranien et les Nations-Unies est lourde de périls. Elle contient le risque d’une nouvelle extension et aggravation de la barbarie.
Il est évident que l’Iran fait son possible pour se doter de l’arme nucléaire, et cela depuis 2000. Les discours de ses dirigeants sur l’utilisation exclusivement "pacifique" et "civile" de ses capacités de produire du nucléaire sont des mensonges purs et simples. Anciennement tête de pont du bloc américain puis relégué au rang de puissance faisant figure d’arriérée dans les années qui ont suivi le règne de Khomeiny, saigné en vie humaines et sur le plan économique par la guerre contre l’Irak au milieu des années 1980, ce pays a progressivement repris du poil de la bête dans les années 1990. Bénéficiant de l’aide militaire russe et de l’affaiblissement de l’Irak (son rival historique pour le contrôle du Golfe persique) suite à la première Guerre du Golfe et aux attaques répétées des Etats-Unis contre Bagdad, jusqu’à l’offensive américaine définitivement destructrice de 2003, l’Iran veut aujourd’hui clairement s’afficher comme la puissance régionale avec laquelle il faut de nouveau compter. Ses atouts ne sont pas négligeables. Cela explique les déclarations de plus en plus provocatrices et méprisantes, de la part des gouvernants iraniens, à l'encontre des Nations-Unies, et surtout des Etats-Unis.
L’Etat iranien, avec le retour au pouvoir de la fraction la plus réactionnaire et la plus islamiste, se présente comme un Etat fort et stable, alors qu’autour de lui, en Irak comme en Afghanistan, c’est le chaos qui règne en maître. Cette situation lui permet d’opérer une offensive idéologique pro-arabe pour se faire valoir comme le fer de lance d’une identité pan-islamique "indépendante" (au contraire de l’Arabie Saoudite présenté comme étant à la solde des Etats-Unis) à travers son discours anti-israélien et son opposition ouverte à l’Amérique.
L’incapacité de Washington à faire régner la pax americana en Irak et en Afghanistan vient donner du grain à moudre à cette propagande anti-américaine et donner du crédit aux déclarations iraniennes suggérant l’inanité des menaces de la Maison Blanche.
La situation en Irak elle-même n’a pu que renforcer les velléités militaires de l’Iran. Outre l’échec évident de Bush, la présence dans la population et au sein du gouvernement irakien d’une forte prédominance de la confession chiite, comme en Iran, est venue stimuler les appétits impérialistes iraniens stimulés par la perspective d'une plus grande influence, à la fois dans ce pays et dans le Golfe persique.
Mais ce sont également les dissensions patentes entre les différents pays participants au Conseil de Sécurité des Nations Unies qui font les choux gras de l’Etat iranien. Ainsi, bien que l’ensemble de ces pays se déclarent "opposés" à la perspective d’un Iran doté de l’arme nucléaire, les divisions ouvertes entre eux constituent un levier supplémentaire permettant à Téhéran de pouvoir hausser le ton face à la première puissance mondiale. Si les Etats-Unis et la Grande-Bretagne réagissent en brandissant la menace d'une intervention, on voit par contre la France se déclarer contre toute intervention militaire en Iran. De leur côté, la Chine et la Russie, tout comme l’Allemagne (qui opère actuellement un rapprochement circonstanciel avec la Russie), sont irréductiblement contre toute mesure de rétorsion qui serait imposée à l’Iran, et encore plus de façon militaire. Il faut se rappeler que ces deux pays, Moscou en tête, ont fourni du matériel à l’Iran pour qu’il puisse développer son arsenal nucléaire.
Devant cette situation, l’administration Bush est dans une situation difficile. La provocation iranienne la contraint à réagir. Cependant, quelle que soit l’option militaire que les Etats-Unis seraient amenés à retenir, a priori celle de frappes aériennes ciblées (sur des cibles mal identifiées et souvent au cœur des grandes villes), une intervention sans risque sur le plan intérieur. Cette nouvelle phase de la guerre au Moyen-Orient est à même d'attiser le sentiment anti-guerre qui se développe au sein de la population américaine de plus en plus opposée à la guerre en Irak.
Mais c’est également à une radicalisation des pays arabes et de tous les groupes islamistes que l’Amérique devrait faire face, sans compter avec des vagues d’attentats dont l’Iran a clairement exprimé la menace à de nombreuses reprises.
Quelle que soit l’issue de la "crise iranienne", il n’est de toute façon pas douteux qu’elle débouchera sur une aggravation des tensions guerrières, entre les pays du Moyen-Orient et les Etats-Unis, mais aussi entre la première puissance mondiale et ses rivaux des pays développés, qui n’attendent qu’un nouveau faux pas de la Maison Blanche pour "marquer des points" contre elle en la désignant comme fauteur de guerre. Quant au sort des populations qui seront, comme tant d'autres avant elles, décimées par la guerre, c'est le dernier des soucis de tous ces brigands impérialistes, petits ou grands.
Mulan / 25.4.06
Dans les articles précédents de la série, nous avons mis en évidence comment, dans tout son processus de constitution, le P.O.B. avait été marqué par la superficialité de l’assimilation du cadre d’analyse marxiste et par la profondeur de l’influence des idées anarchistes de Proudhon ou des théories séditieuses de Blanqui. Les années de combat contre ces idées allaient amener de plus en plus le P.O.B. à opposer l’action légale à l’aventure, la provocation et la conspiration ; dans cette logique, toute action spontanée, surgissant d'un mouvement de colère ou d'une revendication soudaine, ne pouvait qu’être considérée avec méfiance car elle plaçait l'état-major socialiste devant une situation imprévue et déstabilisante ; en outre, toute critique tendait à être perçue comme un débordement, outrepassant la discipline du parti.
Nous avions aussi souligné comment le P.O.B., dès sa constitution, a connu un développement rapide en nombre et en influence ; son action dans le cadre des normes de la légalité bourgeoise nourrira bien vite des illusions sur les possibilités pour la classe ouvrière d'utiliser ces normes à son avantage. L’action des masses tendra de plus en plus à être remplacée par l’action parlementaire et par des accords tactiques (comme le cartel avec les libéraux à partir de 1902, ce qui était unique en Europe) (1).
Au fur et à mesure que l'éventualité d'une crise économique violente et insoluble du capitalisme semble s'éloigner et que se prolonge la prospérité, l’avancée systématique de la condition ouvrière par la lutte économique et politique tourne la tête à de nombreux éléments du mouvement socialiste, ouvrant la porte aux illusions du réformisme, abandonnant ainsi toute aspiration à la prise du pouvoir politique par le prolétariat dans le but de la révolution socialiste. La réalisation de revendications avancées de longue date étourdit et renforce les illusions réformistes; dans un contexte où la classe ouvrière en Belgique arrache enfin quelques réformes substantielles, obtenues après tant d'efforts, il est compréhensible que dans un tel contexte, les dirigeants socialistes belges se soient facilement laissés entraîner sur les voies de l'opportunisme. Elles finiront par conduire le P.O.B. et toute l'Internationale à mettre en avant le fait que la classe ouvrière pourrait conquérir le pouvoir au terme d'une longue évolution qui verrait le nombre triompher sans douleur et par la seule vertu du bulletin de vote! En somme, d'organisation essentiellement orientée vers un futur révolutionnaire, la social-démocratie se transformait graduellement en une organisation fixée sur le présent et sur l'obtention d'améliorations immédiates des conditions de vie de la classe ouvrière.
Dénaturant le marxisme, plusieurs responsables et militants du P.O.B. présentaient la prise de pouvoir comme l'avènement futur d'une majorité parlementaire socialiste, allant de pair avec une succession de réformes effectuées dans le cadre des structures socio-économiques du capitalisme par un processus entièrement pacifique. Toute autre méthode, disait-on, conduirait à une nouvelle Commune de Paris, dont seule la défaite avait été retenue ; toute autre vision de l'avenir n'était que réminiscences anarchistes ou blanquistes. C'est pourquoi cette incompréhension de la lutte révolutionnaire les conduisait, dès la révolte de 1886, à répéter dans de nombreuses déclarations que les grèves doivent être déclenchées au moment voulu, et être légales et strictement pacifiques.
Dès lors, si jusqu’à présent, la succession de nombreux combats aux allures révolutionnaires avaient maintenu à distance la tentation de céder à l’idéologie réformiste pendant les années 1885-1894, cette dernière allait devenir de plus en plus influente et hardie, et les faiblesses allaient devenir de véritables entraves.
Outre une effervescence constante parmi les Jeunes Gardes Socialistes, menant à la constitution de petits groupes oppositionnels essentiellement à Gand, Bruxelles et Anvers - ce qui aura son importance pour l'émergence de noyaux internationalistes pendant la guerre -, on distingua trois courants importants dans l’opposition face à l’opportunisme du P.O.B. : les radicaux révolutionnaires, les syndicalistes révolutionnaires et finalement la gauche marxiste.
Les radicaux révolutionnaires les plus anciens furent le courant autour d'Alfred Dufuisseaux et par la suite de Jules Destrée. Ce fut un courant surtout wallon, marqué davantage par le radicalisme jacobin, blanquiste et démocratique, propageant la lutte ouvrière violente et radicale, que par des fondements socialistes. Il se manifestait surtout au moment où la politique du Conseil général du P.O.B. et des parlementaires heurtait de front les grands mouvements de la classe ouvrière. C’est autour de Dufuisseaux, exclu du P.O.B., que se fonde en 1887 le Parti Socialiste Républicain impliquant tout le mouvement du Hainaut. Mais il s'avère très vite que le P.S.R. était truffé d'agents provocateurs, que ses mots d'ordre les plus extrémistes ont été inspirés par des individus stipendiés par la Sûreté. Ainsi, par leurs actions violentes et isolées en 1888, ils provoquèrent la répression et ont failli décapiter et désorganiser les parties les plus combatives de la classe. La réunification eut lieu en 1889. L’expérience renforce le P.O.B. dans son fervent combat contre le danger réel de l’aventurisme d’un côté, mais accentue de l’autre son incapacité à orienter les combats de classe et le pousse à freiner les actions spontanées de la classe, oubliant les leçons de l’AIT de Marx par rapport aux faiblesses initiales de l’insurrection de la Commune de Paris.
C'est encore le courant oppositionnel de Destrée qui, au lendemain de la Grève générale de 1902, met en cause l'alliance du P.O.B. avec ses alliés bourgeois, mais, à la veille de la guerre, ce courant oppositionnel disparaît et Jules Destrée devient un des chantres les plus passionnés du "socialisme de guerre" ultra-chauvin.
L'affrontement entre les luttes ouvrières effervescentes et l'état-major du P.O.B., qui freinera la potentialité révolutionnaire, font que, surtout à partir de 1893 et encore de1902, il y a non seulement les oppositions radicales internes dans le P.O.B., mais également de multiples dissidences révolutionnaires, comme le Revolutionaire Socialistische Arbeiderspartij en Flandre ou la Ligue Ouvrière (rejointe par le jeune J. Jacquemotte, futur co-fondateur du PCB) et La Bataille en Wallonie. Depuis 1908, on note des tentatives de regroupement d’une extrême-gauche et de dissidents révolutionnaires du P.O.B. qui vont former une Fédération révolutionnaire. La majorité d’entre eux glisse de plus en plus de l'anti-parlementarisme vers un rejet de la lutte politique tout court. Certains se fondent (ou se confondent ?) avec les courants anarchistes. En effet, la politique opportuniste de tergiversation, hésitations, le penchant pour la négociation avec les progressistes libéraux et les atermoiements du P.O.B. font qu’il s'ensuit au sein de la classe ouvrière une tendance à identifier le travail politique avec l'activité parlementaire, l'activité parlementaire avec l'opportunisme, et enfin l'opportunisme avec la notion même de parti politique. La plupart de ceux qui étaient très critiques vis-à-vis du parlementarisme à cette époque étaient très perméables aux positions antiparlementaires intemporelles et radicales des anarchistes.
Face au développement de l'opportunisme, d’une politique du Parti Ouvrier, complètement subordonnée aux routines parlementaires, qui leur apparaissait comme inapte à préparer la transformation socialiste de la société, une autre réponse que donnèrent beaucoup d'ouvriers militants révolutionnaires, consista à rejeter l'activité politique dans son ensemble, et à se replier vers l'"action directe" de type syndical. Ils retrouvent souvent les dissidents radicaux sur leur terrain. Ainsi, le mouvement syndicaliste révolutionnaire étant un courant d’opposition réellement ouvrier, il s'est fixé comme but de construire des syndicats qui seraient des organes unitaires de la classe ouvrière, capables à la fois de la regrouper pour la défense de ses intérêts économiques, de la préparer pour le jour où elle devrait prendre le pouvoir au moyen de la grève générale, et de servir de structure organisationnelle à la société communiste future. Lénine soulignait correctement que : "le syndicalisme révolutionnaire a été le résultat direct et inévitable de l'opportunisme, du réformisme, et du crétinisme parlementaire". Comme l’avance correctement C. Renard dans son étude: "En fait, les syndicalistes révolutionnaires commettaient exactement la même faute que les réformistes qu'ils condamnaient, mais à l'envers ; ils confondaient eux aussi l'action politique et la tactique parlementaire ; ils portaient au compte du parti en tant que tel tous les griefs que justifiaient les pratiques opportunistes, responsables de sa dégénérescence" (2). Ainsi dans son premier numéro, L'Exploité, organe des syndicalistes révolutionnaires belges, affirmait que le syndicalisme aurait le rôle principal à jouer dans le renversement de la société bourgeoise et dans l'instauration de la société collectiviste ou communiste de demain, selon l’exemple de la CGT de Sorel et Monatte en France.
Surtout entre 1903 et 1909 on verra une multitude d’initiatives dans ce sens. Une opposition syndicale révolutionnaire se crée à Liège et Charleroi et plus importante encore, mais moins politique, à Verviers. Des noyaux surgissent également à Gand, Anvers et Bruxelles. Une CGT belge est fondée, qui atteindra au sommet de son existence 4.000 membres. La gauche dans le P.O.B. et sa commission syndicale réagissent en créant une sorte de nouvelle confédération syndicale, plus large et davantage orientée sur la lutte de classe, et avec plus d’indépendance politique vis à vis du P.O.B.. Certains dissidents se (ré)intègrent alors aux syndicats du P.O.B. En mars 1911 fut fondé leur journal L’Exploité, organe socialiste d’action directe et celui-ci développe très vite son influence. Jacquemotte devient un des plus importants représentants d’opposition dans le P.O.B. (il sera le secrétaire du Syndicat des Employés Socialistes de Bruxelles et membre de la Commission syndicale du P.O.B.). Ils s’opposent à l’alliance avec les libéraux et défendent que l’action parlementaire ne résoudra pas la question sociale. Au congrès du P.O.B. de mars 1913, Jacquemotte et ses amis sont les seuls à combattre les thèses de Vandervelde sur la guerre. Dans deux domaines de réflexion d'ailleurs étroitement dépendants — le rôle des syndicats et celui du parti — ils avait sensiblement évolué vers des positions fort proches de celles des marxistes.
Enfin, la réaction à la politique opportuniste provoquera également, en parallèle avec l’opposition syndicale, l’émergence de fractions marxistes, certes faibles. Il s’agit de l’opposition autour d'Henri De Man et de Louis De Brouckère, qui animera pendant quelques années une tendance ouvertement marxiste surtout à Bruxelles, Anvers et Liège.
Au début, l’opposition de Louis De Brouckère s’exprime par rapport au rapprochement continu qu'opère le mouvement ouvrier en direction des libéraux et la parlementarisation croissante que révèle cette évolution. Mais, surtout à partir des élections de 1908, lors du débat sur le ministérialisme, pour lui, il ne peut y avoir, dans le cadre d'une société bourgeoise, des "socialistes ministres, prisonniers des capitalistes et obligés de les servir contre les travailleurs". L'Etat étant un instrument de la classe dominante, "le socialiste qui accepte de faire fonctionner cette machine-là... ne peut, quel que soit son sentiment personnel, que la faire fonctionner contre le prolétariat. Le vote des budgets, comme celui de la guerre, de l'intérieur et de la justice, rendrait en outre les socialistes responsables de la répression anti-ouvrière, de même qu'il rendrait impossible la poursuite d'une nécessaire campagne anti-militariste. Les socialistes deviendraient ainsi auprès des prolétaires les avocats d'office de la bourgeoisie" (3). Du même coup Louis De Brouckère aborde avec clarté la question de la prise du pouvoir : "le prolétariat conscient ne prendra le gouvernement de la société que lorsqu'il sera capable de soutenir par la force le vote de ses électeurs et de briser toutes les résistances qu'on lui opposerait". A ce moment, "le pouvoir socialiste s'érigerait sur les ruines de l'ordre précédent". Sa motion opposée au ministérialisme recueillera un quart des votes au congrès. Une gauche marxiste s'est ainsi cristallisée.
De 1911 à 1913, l'opposition de gauche au sein du P.O.B. se dote d’une revue de tendance La Lutte de classes. En 1913, bien que pas de façon homogène, ils critiquent la décision prise par le "Comité national du Suffrage Universel et de la grève générale" de mettre fin à l'action en faveur de la révision constitutionnelle. Ils avancent même que la Grève générale doit prendre désormais pour cible le capitalisme lui-même, et cette action de masse leur apparaît comme une introduction utile à la "dictature de classe" du prolétariat dont ils affirment la nécessité et l'inévitabilité. Henri de Man et, surtout Louis de Brouckère, vont publier en 1911 leurs critiques théoriques de la politique de la direction du P.O.B. dans une étude dans la "Neue Zeit" du SPD allemand. Et bien que le Parti Ouvrier Belge ne comporte pas de courant se réclamant ouvertement du révisionnisme, cela ne l'empêche pas, affirme De Brouckère dans son étude, de "mettre ce révisionnisme en pratique", "le bemsteinisme sans Bemstein". Dans les toutes dernières années de l'avant-guerre, l'opposition s’essouffle et surtout De Brouckère et De Man rejoignent la direction dans son opposition au développement des mouvements ouvriers de 1913, et ils défendront pleinement la ligne national-chauvine et jusqu’auboutiste pendant la guerre de 14-18 :"Sorti du rang pour critiquer le réformisme, il y rentre quand il est question de le dépasser" (M. Liebman).
Le combat pour un programme révolutionnaire implique toujours le combat contre l'opportunisme dans les rangs du prolétariat ; inversement, l'opportunisme est toujours prêt à s'emparer de la moindre défaillance dans la vigilance et la concentration des révolutionnaires et à utiliser leurs erreurs à ses propres fins, thèse que l’histoire du P.O.B. confirme largement.
" L'exemple belge est donc, à cet égard, très révélateur de la manière dont l'opportunisme et le réformisme étaient devenus, à la veille de la guerre, la tendance dominante de presque tous les partis affiliés à la IIème Internationale. Point de reniements spectaculaires. Une progression lente et sûre sous le manteau de multiples équivoques. Une adaptation profonde non seulement aux conditions spécifiques de chaque pays, mais aussi aux conditions spécifiques du parlementarisme bourgeois dans chaque Etat."(4).
Les voix pour critiquer la direction du P.O.B. furent incontestablement nombreuses pour ne pas dire permanentes. C’est moins la permanence mais plutôt la faiblesse politique de cette critique qu’il faut mettre en exergue. Comme décrit plus haut, la tradition marxiste fut faible, tandis que celles de type anarchiste et syndicaliste révolutionnaire furent fortes et marquèrent le mouvement ouvrier belge, et dès lors aussi la résistance à la dégénérescence réformiste.
Les organisations politiques du prolétariat n'ont jamais été un bloc monolithique de conceptions identiques. Les éléments les plus avancés s'y sont retrouvés souvent en minorité. Ceux qui affirment que le P.O.B. et la deuxième internationale en général étaient un mouvement bourgeois parce qu'il était influencé par l'idéologie dominante, ne comprennent pas le mouvement ouvrier, son combat incessant contre la pénétration des idées de la classe dominante dans ses rangs, ni les conditions particulières dans lesquelles les partis de la 2ème Internationale eux-mêmes menaient cette lutte. La lutte pour construire la Seconde Internationale sur une base marxiste et, plus tard, la lutte des Gauches pour la maintenir sur cette base marxiste contre les tendances réformistes et ensuite, comme nous verrons dans un dernier article, contre les "social-patriotes" n
Lac / 07.04.2006
1. Le lent et difficile combat pour la constitution des organisations ouvrières, Internationalisme n° 324; Réforme sociale ou révolution?, Internationalisme n° 325
2. C. Renard, Octobre 17 et le mouvement ouvrier belge, p. 36
3. L. De Brouckère dans Le Peuple mai 1909
4. C. Renard, Octobre 17 et le mouvement ouvrier belge, p. 14
Nous publions ci-dessous le texte que nous a fait parvenir un sympathisant à l’occasion de la marche silencieuse organisée à Anvers à la suite des meurtres commis en pleine rue le 11 mai dernier. Une fois de plus, c’est la décomposition sociale qui est à l’œuvre: un jeune manquant de perspective d’avenir «pète un plomb» et abat trois personnes dans la rue. Un mois avant, dans la gare centrale à Bruxelles, d’autres jeunes assassinaient un adolescent en lui volant son lecteur MP3. Malheureusement, ce genre de violence est devenue de moins en moins exceptionnelle ces quinze dernières années: enfant violé par des adolescents en Grande-Bretagne, tueries dans des écoles américaines, pogroms anti-étrangers en Allemagne, violences contre les musulmans aux Pays-Bas.
La bourgeoisie utilise ces événements, produits du pourrissement de son propre système d’exploitation, le sentiment légitime d’horreur qu’ils inspirent et la compassion qu’ils suscitent, pour appeler la population en général, et le prolétariat en particulier à se ranger derrière l’Etat et la démocratie, présentés comme les seuls remparts possibles à la violence irrationnelle qui se déchaîne dans toutes les grandes villes. Le capitalisme n’a aucune solution à opposer à cette violence; au contraire, c’est sa propre persistance qui les produit.
Le texte que nous reproduisons est prometteur à plus d’un égard: d’abord, il montre que tout le monde n’accepte plus les «explications» de la bourgeoisie, qu’il existe de plus en plus une tendance à la réflexion critique par rapport aux campagnes idéologiques de la classe dominante. Ensuite, le texte est lui-même un appel à cette réflexion, un appel à la discussion collective, puisqu’il a été diffusé dans l’entourage de son auteur; il invite à débattre ceux-là même qui sont la cible des campagnes de la bourgeoisie, et à ce titre, il constitue une contribution au contre-poison que secrète la classe ouvrière au venin idéologique de la bourgeoisie.
Nous soutenons donc pleinement cette démarche, et nous ne pouvons qu’encourager nos lecteurs à aller dans le même sens.
Récemment, j’ai reçu diverses invitations à participer à la "Marche Blanche" de vendredi. Cette marche vise à réagir aux meurtres commis par un jeune homme de dix-huit ans à Anvers. Après s'être rasé le crâne, ce jeune s'est acheté une arme de chasse et a ensuite commencé son équipée meurtrière. Il a tué une jeune Africaine et un enfant de deux ans et a blessé une jeune fille voilée. Ensuite, il a été lui-même blessé par la police, capturé et interrogé. Durant son interrogatoire, il a dit que c'est consciemment qu'il a abattu des allochtones.
Les assassinats commis sont horribles et ne sont pas justifiables. Beaucoup ont montré leur compassion pour les victimes. On est choqué par la violence irrationnelle qui règne aujourd'hui et on veut le montrer en participant à une marche, organisée par l'Etat. C'est tout à fait compréhensible, mais je me pose quand même beaucoup de questions à ce propos.
Quel est exactement l'objectif de cette marche? "Pour un monde meilleur, sans violence aveugle et raciste" (De Standaard, 26.5.06). Pour montrer à la société que nous sommes contre la violence aveugle. Ne le sommes-nous pas depuis des années? La violence s'est-elle arrêtée? Va-t-elle s'arrêter maintenant? Nous attaquons-nous aux réelles origines de la violence? Je pense qu'il est important d'aller aux racines profondes du problème, de nous poser des questions sur le monde dans lequel nous vivons. Ce n'est pas en défilant passivement dans une marche que nous y changerons quelque chose.
Pourquoi une telle violence irrationnelle existe-t-elle? Pourquoi la xénophobie (= peur des étrangers) existe-t-elle? A cause de quoi les idées xénophobes et d'extrême-droite ont-elles autant de succès dans la période actuelle? Selon moi, ce sont des questions générales, fondamentales qui doivent être posées. Des questions qui remettent en cause la société actuelle et ne se cantonnent pas à sa logique.
Les questions suivantes ont été mises en avant pas les médias et les politiciens: "Le Vlaams Belang est-il responsable? Dans quelle mesure est-il responsable? Quelle peine faut-il infliger au coupable? Que peut-on faire contre cette violence, sans porter atteinte à notre «démocratie»?" Ces questions sont un piège. On raisonne dans le cadre de la logique de cette société, à l'intérieur de ses limites. On ne prend en compte que les conséquences au lieu de changer la société elle-même, car ce sont ses fondements eux-mêmes qui vacillent. Par exemple, le Vlaams Belang serait à l'origine du problème. Cette argumentation ne tient pas la route. Les partis d'extrême-droite sont une conséquence, pas la cause d'une société qui cherche un bouc émissaire pour sa misère. Ces partis attisent bien sûr la haine, mais en dernière analyse, ils sont une expression de la pensée que produit la société actuelle.
Quelle peine pour le meurtrier? Et si pour une fois, on se posait la question de savoir pourquoi il y a des meurtriers? Qu'est-ce qui fait que des gens tuent? La frustration, la dépression? D'où vient le fait qu'autant de gens aujourd'hui ne se sentent pas bien dans leur peau (en 2004, environ 8 % de la population de 15 ans et plus était dépressive)? Est-ce le manque de perspective, le manque de confiance dans l'avenir?
Quoi que vous fassiez, je vous demande de vous poser ces questions générales, d'y réfléchir, d'en discuter avec d'autres et de ne pas aveuglément faire confiance aux slogans des organisateurs. Posez-vous des questions sur la marche elle-même. Qui l'organise? Qui appelle à y participer? Qui y trouve un intérêt? Pour ma part, je ne serai pas présent à la marche.
Sincères salutations,
Y
Le mouvement des étudiants en France contre le CPE est parvenu à faire reculer la bourgeoisie qui a retiré son CPE le 10 avril. Mais si le gouvernement a été obligé de reculer, c’est aussi et surtout parce que les travailleurs se sont mobilisés en solidarité avec les enfants de la classe ouvrière, comme on l’a vu dans les manifestations des 18 mars, 28 mars et 4 avril.
Malgré la "stratégie du pourrissement" décidée par le gouvernement pour faire passer son "Contrat pour se faire entuber" par la force, les étudiants ne se sont pas laissés impressionner par l’ordre de l’intimidation capitaliste, avec ses flics, ses fayots et ses mouchards.
Par leur détermination, leur courage exemplaire, leur sens profond de la solidarité, leur confiance dans la classe ouvrière, les étudiants en lutte (et les lycéens les plus mûrs et conscients) ont réussi à convaincre les travailleurs et à les entraîner dans la rue avec eux. De nombreux salariés de tous les secteurs, du public comme du privé, étaient présents dans les manifestations.
Ce mouvement de solidarité de toute la classe ouvrière a suscité une profonde inquiétude au sein de la bourgeoisie mondiale. C’est pour cela que les médias ont systématiquement déformé la réalité et que la bourgeoisie allemande a été obligée de freiner la mise en application du frère jumeau du CPE en Allemagne. En ce sens, la répercussion internationale de la lutte des étudiants en France est une des plus grandes victoires de ce mouvement.
Les plumitifs les plus médiocres du capital (comme ceux de Libération qui annonçaient dans leur quotidien rose que le "grand soir" des enfants de la "classe moyenne" allait se transformer en "petit matin") peuvent toujours chanter la messe ou La Marseillaise : le combat contre le CPE n’était pas une "fronde" de coupeurs de têtes dirigée par des jacobins des temps modernes, ni une "révolution orange" orchestrée par des fans de chansons "yéyé".
Même si, du fait de leur manque d’expérience, de leur naïveté et de leur méconnaissance de l’histoire du mouvement ouvrier, la grande majorité des étudiants en lutte n’ont pas encore une conscience claire de la portée historique de leur combat, ils ont ouvert les portes de l’avenir. Ils ont repris le flambeau de leurs aînés : ceux qui ont mis fin à la guerre de 1914-18 en développant la solidarité internationale de la classe ouvrière sur les champs de bataille ; ceux qui ont continué à défendre, dans la clandestinité, les principes de l’internationalisme prolétarien pendant le deuxième holocauste mondial ; ceux qui, à partir de mai 68, ont mis fin à la longue période de contre-révolution stalinienne (voir article sur Mai 68) empêchant ainsi le déclenchement d’une troisième guerre mondiale.
Si la bourgeoisie a reculé, c’est aussi pour pouvoir sauver la mise de ses syndicats. La classe dominante (qui a pu bénéficier de la "solidarité" de toute la classe capitaliste des grandes puissances d’Europe et d’Amérique) a fini par comprendre qu’il valait mieux "perdre la face" momentanément plutôt que de plomber son appareil d’encadrement syndical. C’est bien pour sauver les meubles que la cheftaine des patrons, Laurence Parisot (qui, pour la circonstance, a joué brillamment son rôle de "médiateur" et de "partenaire" de la paix sociale) est allée "négocier" avec l’intersyndicale.
Si le gouvernement a fini par céder aux pressions de la rue, c’est parce que, dans la plupart des entreprises, un questionnement s'est fait jour sur l'attitude des syndicats. Ceux-ci n'ont rien fait pour favoriser l'expression de la solidarité des travailleurs avec les étudiants, tout au contraire. Dans la grande majorité des entreprises du public comme du privé, il n’y a eu aucun tract syndical d’appel à la manifestation du 18 mars. Les préavis de grève de la "journée d’action et de mobilisation" du 28 mars et du 4 avril ont été déposés par les directions syndicales à la dernière minute dans la confusion la plus totale. Et si les syndicats ont tout fait pour éviter la tenue d’assemblées générales souveraines, c’est avec l’argument que les salariés n’ont pas "les mêmes méthodes de lutte que les étudiants" (dixit Bernard Thibault, à l'émission Le grand jury de RTL le 26 mars) ! Quant à leur menace de déclencher la "grève générale reconductible" à la fin du mouvement, elle est apparue ouvertement aux yeux d’un grand nombre de travailleurs comme une esbroufe digne du Grand Guignol !
Le seul secteur où les syndicats ont fait un maximum de publicité pour appeler les travailleurs à faire grève lors des journées d’action du 28 mars et du 4 avril, est celui des transports. Mais ces appels à la mobilisation avaient pour seul objectif de saboter le mouvement de solidarité de toute la classe ouvrière contre le CPE. En effet, le blocage total des transports est une manœuvre classique des syndicats (et notamment de la CGT) pour rendre la grève impopulaire et monter les ouvriers les uns contre les autres.. Le fait que les appels syndicaux au blocage des transports aient été peu suivis a permis qu’un maximum de travailleurs puisse se rendre aux manifestations. Il est également révélateur d'une perte de crédit des syndicats dans les entreprises, comme en témoigne encore le fait que, dans les manifestations, un nombre très important de salariés se sont regroupés sur les trottoirs et le plus loin possible des banderoles syndicales.
Et c’est parce que les ouvriers du secteur privé (comme ceux de la SNECMA et de Citroën dans la région parisienne) ont commencé à se mobiliser en solidarité avec les étudiants, contraignant les syndicats "à suivre" pour ne pas perdre le contrôle, que le patronat a fait pression sur le gouvernement pour qu’il recule avant que des grèves spontanées n’éclatent dans des entreprises importantes du secteur privé.
Pour éviter que ses syndicats ne soient complètement discrédités et débordés par un mouvement incontrôlable des salariés, la bourgeoisie française n’avait donc pas d’autre alternative que de voler à la rescousse des syndicats en retirant le CPE le plus vite possible après la manifestation du 4 avril.
Les journalistes les plus intelligents avaient vu juste lorsqu’ils affirmaient à la télé le 7 mars : "il y a des poches de grisou partout" (Nicolas Domenach).
En ce sens, Monsieur Villepin a dit une partie de la vérité lorsqu’il réaffirmait devant les guignols de l’Assemblée Nationale, au lendemain de cette "journée d’action", que sa principale préoccupation, n’est pas la défense de son orgueil personnel, mais "l’intérêt général" (c'est-à-dire du capital national !).
Face à cette situation, les secteurs les moins stupides de la classe dominante ont tiré la sonnette d’alarme en prenant la décision d’annoncer une "sortie rapide" de la crise après la journée d’action du 4 avril où plusieurs millions de manifestants (dont de nombreux travailleurs du secteur privé) sont descendus dans la rue.
Malgré la superbe démonstration de "solidarité" de l’État capitaliste envers ses syndicats, ces derniers ont perdu trop de plumes pour pouvoir mystifier la classe ouvrière avec leurs discours "radicaux". C’est justement pour pouvoir contrôler et quadriller tout le terrain social que, une fois encore, la carte traditionnelle de la "division des syndicats" a été sortie à la fin du mouvement entre les vieilles centrales (CGT, CFDT, FO, CGC, UNEF) et les syndicats "radicaux" SUD et CNT.
Quant à la "coordination nationale", on a pu voir, à la fin du mouvement, de façon très claire que son principal objectif était d’épuiser les étudiants, de les démoraliser et les ridiculiser devant les caméras de télévision (comme cela s’est passé à Lyon le week-end des 8 et 9 avril où, pendant deux jours, les délégués des universités venus de toute la France, ont passé leur temps à voter sur… ce qu’ils doivent voter !)
Face à la perte de crédit des syndicats, on a vu enfin publiquement l’entrée en scène des intermittents du spectacle de cette comédie française : après les grandes centrales syndicales, les "copains" et "copines" d’Arlette Laguiller sont entrés dans la danse à la manifestation du 11 avril pour jouer, à leur tour, les mouches du coche (alors que le 18 mars, les militants de Lutte Ouvrière gonflaient des ballons sur les trottoirs et collaient avec frénésie des auto-collants "LO" sur quiconque s'approchait d'eux !).
Alors que le gouvernement et ses "partenaires sociaux" avaient décidé d’ouvrir les négociations pour une sortie de crise "honorable" et que le CPE a été retiré le 10 avril, on a pu voir LO gesticuler dans la manifestation-enterrement du 11 avril à Paris. Ce jour-là, un maximum de lycéens et d’étudiants jusqu’au-boutistes avaient été appelés à sortir dans la rue pour "radicaliser" le mouvement derrière les drapeaux rouges de LO (aux côtés des chiffons bleus et blanc de SUD ou noirs et rouges de la CNT).
Toutes les cliques gauchistes ou anarchoïdes se sont retrouvées à battre le pavé dans une touchante unanimité derrière le mot d’ordre : "retrait du CPE, du CNE et de la loi sur l’égalité des chances !" ou encore "Villepin démission !".
Le but d’un tel tintamarre, les travailleurs les plus expérimentés le connaissent trop bien. Tromper des étudiants en recherche de perspective politique en faisant valoir un radicalisme de façade derrière lequel se dissimule le caractère foncièrement capitaliste de leur politique. C’est également la carte du "syndicalisme de base" ou "radical" que ces faux révolutionnaires (et vrais saboteurs patentés) cherchent maintenant à mettre en avant pour tenter de parachever la "stratégie de pourrissement" du mouvement. Les gauchistes et les anars les plus excités ont essayé à Rennes, Nantes, Aix ou encore à Toulouse de pousser les étudiants jusqu’au-boutistes paquets par paquets à des affrontements physiques avec leurs camarades qui commençaient à voter en faveur de la levée du blocage des facs.
La mise en avant du syndicalisme "de base", "radical" n’est qu’une manoeuvre bien ficelée de certaines fractions de l’État visant à ramener les étudiants et les travailleurs les plus combatifs derrière l’idéologie réformiste.
Tout le terrain de la réflexion est aujourd’hui bien quadrillé par les saboteurs professionnels de LO, de SUD (né d’une scission de la CFDT dans le secteur des PTT en 1988) et surtout par la LCR (qui a toujours considéré les universités comme sa "chasse gardée" et n’a cessé de cautionner les syndicats en appelant les étudiants à "faire pression" sur leurs directions pour qu’elles appellent à leur tour les travailleurs à entrer dans la lutte). Toutes ses fractions "radicales" de l’appareil d’encadrement de la classe ouvrière n’ont cessé de coller aux basques des étudiants pour dénaturer ou récupérer le mouvement en le rabattant vers le terrain électoral (tout ce beau monde présente des candidats aux élections) c'est-à-dire vers la défense de la "légalité" de la "démocratie" bourgeoise.
Par ailleurs, c’est bien parce que le CPE était un symbole de la faillite historique du mode de production capitaliste que toute la gauche "radicale" (rose bonbon, rouge et verte) se déguise maintenant derrière la vitrine du grand caméléon ATTAC pour nous faire croire qu’on peut construire le "meilleur des mondes" au sein même d’un système basé sur les lois aberrantes du capitalisme, celles de l’exploitation et de la recherche du profit.
Dès que les travailleurs ont commencé à manifester leur solidarité avec les étudiants, on a pu voir les syndicats, les partis de gauche et les gauchistes de tout poil occuper tout le terrain pour tenter de ramener les étudiants dans le giron de l’idéologie interclassiste de la petite-bourgeoisie bien pensante. Le grand supermarché réformiste a été ouvert dans les forums de discussion : chacun a été convié à consommer la camelote frelatée de José Bové, de Chavez (colonel, président du Venezuela et coqueluche de la LCR) ou de Bernard Kouchner et autres "médecins sans frontières" (qui régulièrement viennent racketter et culpabiliser les prolétaires en leur faisant croire que l’argent de leurs dons "humanitaires" pourrait résoudre les famines ou les épidémies en Afrique !).
Quant aux travailleurs salariés qui se sont mobilisés contre le CPE, ils sont appelés maintenant à faire confiance aux syndicats qui sont les seuls à détenir le monopole de la grève (et surtout de la négociation secrète avec le gouvernement, le patronat et le ministère de l’Intérieur).
Dans les AG qui se sont tenues à la rentrée, après les vacances, les étudiants ont fait preuve d’une grande maturité en votant majoritairement pour la levée du blocage et la reprise des cours, tout en manifestant leur volonté de rester soudés pour poursuivre la réflexion sur le formidable mouvement de solidarité qu’ils viennent de vivre. Il est vrai que beaucoup de ceux qui veulent maintenir le blocage des universités éprouvent un sentiment de frustration car le gouvernement n’a fait qu’un petit pas en arrière en reformulant un article de sa loi sur "l’égalité des chances". Mais le principal gain de la lutte se situe sur le plan politique car les étudiants ont réussi à entraîner les travailleurs dans un vaste mouvement de solidarité entre toutes les générations.
De nombreux étudiants favorables à la poursuite du blocage ont la nostalgie de cette mobilisation où "on était tous ensemble, unis et solidaires dans l’action".
Mais l’unité et la solidarité dans la lutte peuvent aussi se construire dans la réflexion collective car dans toutes les universités et les entreprises des liens se sont tissés entre étudiants, entre travailleurs. Les étudiants et les travailleurs les plus conscients savent très bien que "si on reste tout seuls, on va se faire manger tout crus" demain, et cela quelle que soit la couleur du futur gouvernement (n’est-ce pas le ministre socialiste Allègre qui avait mis en avant la nécessité de "dégraisser le mammouth" de l’Éducation Nationale ?).
C’est pour cela que les étudiants, de même que toute la classe ouvrière, doivent comprendre la nécessité de tirer un bilan clair du combat qu’ils viennent de mener contre le CPE autour des questions suivantes : qu’est-ce qui a fait la force de ce mouvement ? Quels ont été les pièges dans lesquels il ne fallait pas tomber ? Pourquoi les syndicats ont-ils autant traîné les pieds et comment ont-ils récupéré le mouvement ? Quel a été le rôle joué par la "coordination" ?
Pour pouvoir mener cette réflexion et préparer les combats futurs, les étudiants et les travailleurs doivent se regrouper pour continuer à réfléchir collectivement, en refusant de se laisser récupérer par ceux qui veulent aller à la soupe et s’installer à Matignon ou à l’Élysée en 2007 (ou tout simplement "faire un score" dans les élections de 2007). Ils ne doivent pas oublier que ceux qui se présentent aujourd’hui comme leurs meilleurs défenseurs ont d’abord tenté de saboter la solidarité de la classe ouvrière en "négociant" dans leur dos la fameuse "stratégie du pourrissement" par la violence (n’est-ce pas l’intersyndicale qui avait conduit à plusieurs reprises les manifestants vers la Sorbonne et a permis ainsi aux bandes de "casseurs" manipulés d’attaquer les étudiants ?).
Le mouvement anti-CPE a révélé le besoin de politisation des jeunes générations de la classe ouvrière face au cynisme de la bourgeoisie et de sa loi sur l’"égalité des chances". Il n’est nul besoin d’étudier Le Capital de Karl Marx pour comprendre que l’"égalité" tout court dans le capitalisme est un miroir aux alouettes. Il faut être complètement idiot pour croire un seul instant que les enfants d’ouvriers au chômage qui vivent dans des cités ghetto peuvent faire des études supérieures à l’ENA ou à Sciences Po. Quant à "l’égalité des chances", l’ensemble de la classe ouvrière sait pertinemment qu’elle n’existe qu’au loto ou au tiercé. C’est pour cela que cette loi scélérate est une grosse "boulette" de la classe dominante : elle ne pouvait être perçue par la jeunesse estudiantine que comme une pure provocation du gouvernement.
La dynamique de politisation des nouvelles générations de prolétaires ne pourra se développer pleinement sans une vision plus globale, historique et internationale des attaques de la bourgeoisie. Et pour pouvoir en finir avec le capitalisme, construire une autre société, les nouvelles générations de la classe ouvrière devront nécessairement se confronter à tous les pièges que les chiens de garde du capital, dans les universités comme dans les entreprises, n’ont pas fini de leur tendre pour saboter leur prise de conscience de la faillite du capitalisme.
L’heure est venue pour que la "boîte à actions-bidon" des syndicats, des anars et des gauchistes se referme afin que s'ouvre à nouveau la "boîtes à idées", que toute la classe ouvrière puisse partout réfléchir et discuter collectivement de l’avenir que le capitalisme promet aux nouvelles générations. Seule cette réflexion peut permettre aux nouvelles générations de reprendre, demain, le chemin de la lutte encore plus forts et plus unis face aux attaques incessantes de la bourgeoisie.
Courant Communiste International / 23.4.06
On ne peut qu'être soulevés par des sentiments d'indignation et d’écœurement devant cette nouvelle manifestation, ce déchaînement de barbarie guerrière au Proche-Orient : 7000 frappes aériennes sur le territoire libanais, plus de 1200 morts au Liban et en Israël (dont plus de 300 enfants de moins de 12 ans), près de 5000 blessés, un million de civils qui ont dû fuir les bombes ou les zones de combats. D'autres, trop pauvres pour fuir les zones de combats qui se terrent comme ils peuvent, la peur au ventre… Des quartiers, des villages réduits à l'état de ruines, des hôpitaux débordés et pleins à craquer : tel est le bilan provisoire d'un mois de guerre au Liban et en Israël suite à l'offensive de Tsahal pour réduire l'emprise grandissante du Hezbollah en réplique d'une des nombreuses attaques meurtrières des milices islamistes au-delà de la frontière israélo-libanaise. Les destructions sont évaluées à 6 milliards d'euros, sans compter le coût militaire de la guerre elle-même. Au bout du compte, l'opération guerrière se solde par un échec qui est aussi un cuisant revers, mettant brutalement fin au mythe de l'invincibilité, de l'invulnérabilité de l'armée israélienne. C'est aussi un nouveau recul et la poursuite de l'affaiblissement du leadership américain. A l'inverse, le Hezbollah sort renforcé du conflit et a acquis une légitimité nouvelle, à travers sa résistance, aux yeux de l'ensemble des pays arabes.
Cette guerre aura constitué une nouvelle étape vers une mise à feu et à sang de tout le Moyen-Orient et vers l'enfoncement dans un chaos de plus en plus incontrôlable, à laquelle toutes les puissances impérialistes auront contribué, des plus grandes aux plus petites, au sein de la "prétendue communauté internationale". Pourquoi ces massacres, cette flambée de combats meurtriers ?
L'impasse de la situation au Moyen-Orient s'était déjà concrétisée depuis l'arrivée au pouvoir des "terroristes" du Hamas dans les territoires palestiniens (que l'intransigeance du gouvernement israélien aura contribué à provoquer en "radicalisant" une majorité de la population palestinienne) et le déchirement ouvert entre les fractions de la bourgeoisie palestinienne, entre le Fatah et le Hamas interdisent désormais toute solution négociée. Le retrait israélien de Gaza pour mieux isoler et boucler la Cisjordanie n'aura pas servi à grand-chose. Israël n'avait pas d'autre solution que de se retourner de l'autre côté dans le but de stopper l’influence croissante du Hezbollah au Sud-Liban, aidée, financée et armée par le parrain iranien. Le prétexte invoqué par Israël pour déclencher la guerre a été d'obtenir la libération de 2 soldats israéliens faits prisonniers par le Hezbolllah : près de deux mois après leur enlèvement, ils sont toujours prisonniers des milices chiites, et les premières tractations sur ce sujet sont à peine ébauchées par l'ONU. L'autre motif invoqué : "neutraliser" et désarmer le Hezbollah dont les attaques et les incursions sur le sol israélien depuis le Sud-Liban serait une menace permanente pour la sécurité de l'Etat hébreu. La réalité aura été aussi disproportionnée que de chercher à tuer un moustique avec un bazooka. C'est une véritable politique de la terre brûlée à laquelle s'est livrée l'Etat israélien avec une brutalité, une sauvagerie et un acharnement incroyables contre les populations civiles des villages au Sud Liban, chassées sans ménagement de leurs terres, de leur maison, réduites à crever de faim, sans eau potable, exposées aux pires épidémies. Ce sont aussi 90 ponts et d'innombrables voies de communication systématiquement coupés (routes, autoroutes …), 3 centrales électriques et des milliers d'habitations détruites, l'aéroport de Beyrouth inutilisable, des bombardements incessants. Le gouvernement israélien et son armée n'ont cessé de proclamer leur volonté "d'épargner les civils" et des massacres comme ceux de Canaa ont été qualifiés "d'accidents regrettables" (comme les fameux "dommages collatéraux" dans les guerres du Golfe et dans les Balkans). Or, c'est dans cette population civile que l'on dénombre le plus de victimes, et de loin : 90% des tués !
Cette guerre n'a pu se déclencher sans le feu vert des Etats-Unis. Enlisés jusqu'au cou dans le bourbier de la guerre en Irak en Afghanistan, et après l'échec de leur "plan de paix" pour régler la question palestinienne, les Etats-Unis ne peuvent que constater l'échec patent de leur tactique d'encerclement de l'Europe dont le Proche et le Moyen-Orient étaient stratégiquement des cartes-maîtresses. En particulier, la présence américaine en Irak depuis trois ans se traduit par un chaos sanglant, une véritable guerre civile effroyable entre factions rivales, des attentats quotidiens frappant aveuglément la population, au rythme de 80 à 100 morts par jour. Tous ces échecs et cette impuissance témoignent de l'affaiblissement historique de la bourgeoisie américaine dans la région, qui, par contrecoup, voit son leadership de plus en plus contesté dans le monde entier. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle de nouvelles pré-tentions impérialistes d'autres Etats s'affirment de plus en plus, à commencer par celles de l'Iran. Dans ce contexte, il était hors de question pour les Etats-Unis d'intervenir eux-mêmes alors que leur objectif dans la région est de s'en prendre à ces Etats dénoncés comme "terroristes" et incar-nation de "l'axe du mal", que constituent pour eux la Syrie et surtout l'Iran dont le Hezbollah a le soutien. L'offensive israélienne qui devait servir d'avertissement à ces deux Etats démontre la parfaite convergence d'intérêts entre la Maison Blanche et la bourgeoisie israélienne. D'ailleurs, les Etats-Unis au sein de l'ONU n'ont cessé de freiner et de saboter pendant plusieurs semaines les accords de cessez-le-feu pour permettre à l'armée israélienne d'enfoncer plus loin ses bases opérationnelles en territoire libanais, jusqu'au fameux fleuve Litani.
A part le fait qu'il n'est nullement question pour l'Etat hébreu de s'installer durablement au Sud-Liban, les méthodes et les problèmes auxquels sont confrontés les Etats-Unis et l'Etat d'Israël au Proche et au Moyen-Orient participent d'une même dynamique : mêmes contraintes de fuite en avant dans les aventures militaires pour préserver leurs intérêts impérialistes et leur statut de gendarme, même bourbier dans lequel ils ne peuvent que s'enliser toujours davantage, même incapacité à contrôler une situation de chaos grandissant que provoque leur intervention comme autant de boîtes de Pandore qui leur sautent au visage.
Civils et militaires au sein de la bourgeoisie israélienne se renvoient la responsabilité d'une guerre mal préparée. Israël fait l'expérience amère que l'on ne combat pas une milice disséminée dans la population comme on combat une armée officielle d'un Etat constitué (1). Le Hezbollah comme le Hamas n'était au départ qu'une de ces innom-brables milices islamiques qui se sont constituées contre l'Etat d'Israël. Elle a surgi lors de l'offensive israélienne au Sud-Liban en 1982. Grâce à sa composante chiite, elle a prospéré en bénéficiant du copieux soutien financier de régime des ayatollahs et des mollahs iraniens. La Syrie l'a également utilisée en lui apportant un important soutien logistique qui lui servait de base arrière lorsqu'elle a été contrainte en 2005 de se retirer du Liban. Cette bande de tueurs sanguinaires a su en même temps tisser patiemment un puissant réseau de sergents-recruteurs à travers la couver-ture d'une aide médicale, sanitaire et sociale, alimentée par de généreux fonds tirés de la manne pétrolière de l'Etat iranien. Aujourd'hui, elle se permet de payer les réparations des maisons détruites ou endommagées par les bombes et les roquettes pour lui permettre d'enrôler dans ses rangs la population civile. On a notamment pu voir dans des reportages que cette "armée de l'ombre" était composée de nombreux gamins entre 10 et 15 ans servant de chair à canon dans ces sanglants règlements de compte.
La Syrie et l'Iran forment momentanément le bloc le plus homogène autour du Hamas ou du Hezbollah. En particulier, l'Iran affiche clairement ses ambitions de devenir la principale puissance impérialiste de la région. La détention de l'arme atomique lui assurerait en effet ce rôle. Depuis des mois, le gouvernement iranien ne cesse en effet de narguer les Etats-Unis en poursuivant son programme nucléaire. C'est pourquoi, l'Iran multiplie les provocations arrogantes et affiche ses intentions belliqueuses, déclarant même son intention de raser l'Etat israélien.
Le comble du cynisme et de l'hypocrisie est atteint par l'ONU qui pendant un mois qu'a duré la guerre au Liban n'a cessé de proclamer sa "volonté de paix" tout en affichant son "impuissance" (2). C'est un odieux mensonge. Ce "repaire de brigands" est le marigot où s'ébattent les plus monstrueux crocodiles de la planète. Les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité sont les plus grands Etats prédateurs de la planète. Les Etats-Unis dont l'hégémonie repose sur l'armada militaire la plus puissante du monde et dont les forfaits guerriers depuis la proclamation en 1990 "d'une ère de paix et de prospérité" par Bush Senior (les deux guerres du Golfe, l'intervention dans les Balkans, l'occupation de l'Irak, la guerre en Afghanistan …) parlent d'eux mêmes.
La Grande-Bretagne a accompagné jusqu'ici les principales expéditions punitives des Etats-Unis pour la défense de ses propres intérêts. Elle entend reconquérir ainsi la zone d'influence dont elle disposait à travers son ancien protectorat dans cette région (Iran et Irak, notamment). Elle entend maintenir sa présence dans la région, coûte que coûte, en espérant en empocher les dividendes dans les années à venir.
La Russie, responsable des pires atrocités lors de ses deux guerres en Tchétchénie, ayant mal digéré l'implosion de l'URSS et ruminant son désir de revanche, affiche aujourd'hui des prétentions impérialistes nouvelles en profitant de la position de faiblesse des Etats-Unis. C'est pour cela qu'elle joue la carte du soutien à l'Iran et plus discrètement celle du Hezbollah.
La Chine, profitant de son influence économique grandissante, rêve d'accéder à de nouvelles zones d'influence hors de l'Asie du Sud-Est, et l'Iran à qui elle fait les yeux doux fait également partie des Etats sur lesquels elle mise pour parvenir à ses fins. Chacune de leur côté, ces deux puissances n'ont cessé de chercher à saboter les résolutions de l'ONU dont elles étaient parties prenantes.
Quant à la France, le sang qu'elle a sur les mains n'est pas moins sale que les autres. Elle a non seulement participé pleinement aux massacres de la première guerre du Golfe en 1991, mais la carte pro-serbe qu'elle jouait dans les Balkans l'ont poussé à laisser froidement massacrer au sein des forces de l'ONU les populations bosniaques dans l'enclave de Srebrenica en 1993, à participer activement à la traque des talibans en Afghanistan (la mort de 2 soldats au sein des "force spéciales" de la COS vient de remettre en pleine lumière cette activité jusqu'ici fort discrète) (3).
Mais c'est surtout en Afrique que l'impérialisme français s'est illustré dans de sinistres besognes. C'est la France qui a provoqué les massacres inter-ethniques au Rwanda en encourageant la liquidation avec les méthodes les plus barbares des Tutsis par les Hutus, pour la défense de ses sordides intérêts impérialistes sur le sol africain.
La bourgeoisie française a gardé la nostalgie d'une époque où elle se partageait les zones d'influence au Moyen-Orient avec la Grande-Bretagne. Après la remise en cause contrainte et forcée de son alliance avec Saddam Hussein lors de la première guerre du Golfe en 1991 puis l'assassinant de son "protégé" Massoud en Afghanistan, ses espoirs de reconquête se concentrent précisément sur le Liban dont elle avait été brutalement chassée lors de la première guerre du Liban en 1982/83 par l'offensive de la Syrie contre le gouvernement libano-chrétien puis par l'intervention israélienne commandée par le "boucher" Sharon et téléguidée par l'Oncle Sam contraignant la Syrie jusque là dans le camp de l'ex-URSS à quitter le Liban et à se rallier au camp occidental. Elle n'a pas pardonné à la Syrie l'assassinat en février 2005 (attribué à Bachar al-Assad) de l'ex-premier ministre libanais Rafic Hariri, grand "ami" de Chirac et de la France. C'est pourquoi, malgré son désir de ménager l'Iran (qualifié de "grand pays et prêchant la négociation avec lui), elle s'est ralliée au plan américain sur le Liban, autour de la fameuse résolution 1201 de l'ONU, concoctant même le plan de redéploiement de la FINUL. En dépit des réticences de l'état-major qui a protesté que les opérations militaires de la France à l'étranger se trouveraient désormais "à flux tendu" (près de 15 000 hommes engagés sur différents et multiples fronts : Côte d'Ivoire avec l'opération Licorne, le Tchad, la RD du Congo, Djibouti, le Darfour, le Kosovo, la Macédoine, l'Afghanistan), le gouvernement français a franchi le Rubicon. Il a accepté de porter son engagement au Sud-Liban de 400 à 2 000 soldats au sein de la FINUL, moyennant certaines garanties : notamment la poursuite de son mandat de commandement général sur le déploiement des 15 000 hommes prévus jusqu'en février 2007, le recours à la force en cas d'agression. En effet, le souvenir de l'attentat contre l'immeuble Drakkar abritant le contingent français à Beyrouth en octobre 1983 qui s'était soldé par la perte de 58 parachutistes au cours d'une attaque de terroristes chiites reste cuisant et a déterminé le départ de la France du Liban. Cependant, les hésitations de la bourgeoisie française de passer du terrain diplomatique au terrain plus militaire n'ont pas disparu. La mission essentielle de la FINUL est de soutenir une très faible armée libanaise à peine reconstituée -15 000 hommes seulement- chargée de désarmer le Hezbollah. Cette mission s'annonce d'autant plus périlleuse que deux membres du Hezbolllah sont au sein du gouvernement libanais, que le Hezbollah lui-même auréolé du prestige d'avoir à lui seul fait échec à la puissante armée de Tsahal ne s'est jamais senti aussi fort et plein d'assurance (il a démontré sa capacité de lancer des roquettes et de menacer les villes du Nord d'Israël jusqu'à la signature du cessez-le-feu) et surtout que l'armée libanaise est déjà largement infiltrée par lui .D'autres puissances sont également en lice comme l'Italie qui, en échange du plus gros contingent des forces de l'ONU, se verra confier après février 2006 le commandement suprême de la FINUL au Liban. Ainsi, quelques mois à peine après le retrait de ses troupes d'Irak, Prodi après avoir âprement critiqué l'engagement de l'équipe Berlusconi en Irak, ressert le même rata au Liban, confirmant les ambitions de l'Italie d'avoir son couvert dans la cour des grands, au risque d'y laisser de nouvelles plumes.
L'échec patent d'Israël et des Etats-Unis représente un nouveau pas important dans l'affaiblissement de l'hégémonie américaine. Mais loin d'être un facteur d'atténuation des tensions guerrières, il ne fait qu'accroître celles-ci. Il constitue un encouragement pour décupler les prétentions impérialistes de tous les autres Etats. Il n'annonce aucune autre perspective qu'une déstabilisation et un chaos croissants.
Le Moyen et le Proche-Orient offrent aujourd'hui un concentré du caractère irrationnel de la guerre où chaque impérialisme s'engouffre de plus en plus pour défendre ses propres intérêts au prix d'une extension toujours plus large et plus sanglante des conflits, impliquant des Etats de plus en plus nombreux. La Syrie et l'Iran sont désormais sur le pied de guerre. En retour, cette situation pousse les Etats-Unis et Israël à organiser une riposte encore plus terrible et meurtrière. Le ministre de la défense israélien a ainsi clairement laissé entendre que le cessez-le-feu n'était qu'une trêve pour redisposer ses forces pour préparer un deuxième assaut où il promet de liquider définitivement le Hezbollah.
L'extension des zones d'affrontements sanglants dans le monde est une manifestation du caractère inéluctable de la barbarie guerrière du capitalisme. La guerre et le militarisme sont bel et bien devenus le mode de vie permanent du capitalisme décadent en pleine décomposition. C'est une des caractéristiques essentielles de l'impasse tragique d'un système qui n'a rien d'autre à offrir à l'humanité que de semer la misère et la mort.
Des protestations grandissantes contre la guerre apparaissent. L'an dernier, de grandes manifestations s'étaient déroulées à Tel-Aviv et à Haïfa pour protester contre la hausse du coût de la vie et accusant le gouvernement pour sa politique d'augmentation démesurée des budgets militaires au détriment des budgets sociaux et de provoquer également une hausse exorbitante de l'inflation. L'échec de la guerre aujourd'hui ne peut que favoriser l'expression grandissante du mécontentement social.
Dans les territoires palestiniens, la colère des fonctionnaires non payés depuis plusieurs mois (avec le gel des crédits de l'Union Européenne depuis l'élection du Hamas) s'exprime aussi de plus en plus.
Cependant, des millions de personnes parmi les prolétaires et la population civile qu'elle soit d'origine juive, palestinienne, chiite, sunnite, druze, kurde, maronite chrétienne ou autre, sont prises en otages et subissent une terreur quotidienne.
Quelle solidarité avec les populations victimes de l'horreur guerrière ? La bourgeoisie proclame à l'instar de l'hebdo Marianne du 12 août qu'il faut revendiquer que "nous sommes tous sionistes, nationalistes palestiniens et patriotes libanais" . Au contraire, les révolutionnaires doivent clamer haut et fort le cri de ralliement du prolétariat : "Les prolétaires n'ont pas de patrie". La classe ouvrière n'a aucun intérêt national ni aucun camp à défendre. Ces intérêts nationaux sont toujours ceux de la bourgeoisie qui l'exploite. S'opposer à la guerre, c'est s'opposer à tous les camps capitalistes. Seul le renversement du capitalisme pourra mettre un terme au déchaînement de la barbarie guerrière. La seule solidarité véritable au sein du prolétariat envers ses frères de classe exposés aux pires massacres, c'est de se mobiliser sur son terrain de classe contre ses propres exploiteurs. C'est de se battre et de développer ses luttes sur le terrain social contre sa propre bourgeoisie nationale. Comme elle l'a fait dans les grèves qui ont paralysé l'aéroport de Londres à Heathrow et les transports à New York en 2005, comme les travailleurs de l'usine Seat à Barcelone en début d'année, comme la mobilisation des futurs prolétaires contre le CPE en France ou les ouvriers de la métallurgie à Vigo en Espagne. Ces luttes qui témoignent d'une reprise des combats de classe à l'échelle internationale constituent la seule lueur d’espoir d'un futur différent, d'une alternative pour l'humanité à la barbarie capitaliste.
Wim / 28.08.2006
(1) Les critiques qui se sont multipliées sur la manière dont la guerre a été menée et son impréparation affectent même le haut état-major militaire israélien. Un journaliste pouvait ainsi déclarer que l'armée que l'on surnomme partout "la grande muette" était devenue "la grande bavarde".
(2) Ce cynisme et cette hypocrisie se sont pleinement révélés sur le terrain, à travers un épisode des derniers jours de la guerre : un convoi composé d'une partie de la population d'un village libanais, avec nombre de femmes et d'enfants tentant de fuir la zone de combats est tombé en panne et a été pris sous la mitraille de Tsahal. Les membres du convoi ont alors cherché refuge auprès d'un camp de l'ONU tout proche. On leur a répondu qu'il était impossible de les abriter, qu'ils n'avaient aucun mandat pour cela. La plupart (58 d'entre eux) sont morts sous la mitraille de l'armée israélienne et sous les yeux passifs des forces de la FINUL (selon le témoignage au journal télévisé d'une mère de famille rescapée).
(3) L'insistance inaccoutumée des médias sur cet épisode qui survient "opportunément" vise avant tout à habituer la population à accepter l'idée qu'il y ait d'autres morts de soldats et de nombreuses futures victimes au cours des opérations militaires auxquelles vont participer les forces françaises au Sud-Liban au sein de la FINUL.
Les trois parties précédentes de cette série ont mis en évidence comment le P.O.B., dès sa constitution, a connu un développement rapide en nombre et en influence. Le succès de la lutte parlementaire et syndicale dans l’obtention de réelles réformes va favoriser de plus en plus la disparition de l’idée même de révolution, au profit de la seule recherche de réformes. Les faiblesses se transformaient en doctrine. Le P.O.B., comme les autres partis sociaux-démocrates, était gangrené par l'opportunisme et le réformisme, malgré le combat quotidien de la gauche marxiste contre cette dégénérescence. Et cela d’autant plus que la bourgeoisie cherchait activement à contrôler la social‑démocratie pour encadrer la classe ouvrière en plein développement, qui constituait une menace de plus en plus grande pour son pouvoir (1).
Au début du 20ème siècle, la constitution du marché mondial est achevée et, avec elle, la concurrence entre les différentes nations capitalistes est exacerbée. La guerre économique que se livrent les nations ne pourra que déboucher sur un conflit militaire et mondial. La première guerre mondiale illustre d'une manière particulièrement sanglante ce début de l'agonie du capitalisme mondial. Ayant épuisé sa mission historique, le système capitaliste a rendu possible et nécessaire l’avènement d’un autre mode de production, la société communiste. A partir de là, la tâche de l’heure pour le prolétariat est de lutter pour le renversement du capitalisme, seule issue réaliste des luttes pour ses intérêts immédiats. L’entrée en décadence du mode de production capitaliste met violemment le prolétariat et ses organisations devant le choix "guerre ou révolution".
Porté par les avancées théoriques du mouvement ouvrier au 19ème siècle, encore au début du 20ème siècle, le P.O.B, comme ses congénères du monde entier, assure la classe ouvrière qu'il s'opposera par tous les moyens à la boucherie mondiale qui s'annonce en souscrivant aux déclarations des congrès de la IIème Internationale. Car, bien que gangrenée par le réformisme et l’opportunisme, la IIème Internationale, sous l’impulsion de ses minorités révolutionnaires, s’était très tôt prononcée contre les préparatifs guerriers et la menace de guerre. Ainsi, en 1907, au Congrès de Stuttgart, confirmé par les Congrès de Copenhague en 1910 et de Bâle en 1912 et jusqu’aux derniers jours de juillet 1914, elle s’était élevée contre la propagande guerrière et les visées militaristes de la classe dominante. L'internationalisme dominait le ton des résolutions. Mais l’entrée en guerre le 4 août 1914 constitue une catastrophe sans précédent pour le mouvement ouvrier. Parallèlement à un matraquage idéologique nationaliste intense de la part de la bourgeoisie, l’élément décisif qui va l’entraîner dans cette tuerie ignoble est la félonie des principaux partis ouvriers sociaux-démocrates. Leurs fractions parlementaires votent les crédits de guerre au nom de l’Union Sacrée, poussant les masses ouvrières à s’entretuer pour les intérêts des puissances impérialistes, dans une hystérie chauvine des plus abjecte. Finalement une fois mis devant le choix, seuls les Bolcheviks russes et les socialistes serbes ont voté contre les crédits de guerre. Les syndicats eux-mêmes déclarent toute grève interdite dès le début de la guerre.
En Belgique, déjà à la veille de la guerre, le vieil appareil social‑démocrate est totalement pourri par l'opportunisme et le réformisme, comme l’illustre la fin du discours du président du P.O.B., E. Vandervelde, à la chambre en décembre 1911: "Le jour où la Belgique serait attaquée, nous la défendrions. Nous nous battrions comme les autres et peut-être avec plus d’ardeur que les autres". Ou encore le même Vandervelde qui estimait en 1913 que la France avait à défendre ses institutions républicaines contre l'Allemagne impériale. Quel contraste avec son message d'internationalisme socialiste à l'époque de gloire du P.O.B.: "Il arrivera un moment où les ouvriers que vous avez enfermés dans les casernes trouveront qu'ils sont vraiment trop bêtes de tirer contre d'autres ouvriers, un moment où les prolétaires se diront : cet homme, cet Allemand, ce Français, c'est un ouvrier comme nous-mêmes. C'est un compagnon de travail et de misère ; nous l'aimons infiniment mieux que les gros capitalistes qui nous exploitent ; pour des hommes comme Jaurès ou comme Liebknecht, nous avons beaucoup plus de fraternelle sympathie que pour un Woeste et Helleputte par exemple" (Chambre des députés, séance du 17.12.1894) et "Il viendra un moment", lance Vandervelde, "où vous n'obtiendrez plus que ces gens (les ouvriers, ndlr) soient assez bêtes pour vous défendre, pour garder vos propriétés, pour être vos chiens de garde !" (Chambre des députés, séance du 17.12.1894). Rappelons que la Charte de Quaregnon de 1894 (programme du P.O.B.) affirme que "les socialistes de tous les pays doivent être solidaires, l'émancipation des travailleurs n'est pas une œuvre nationale, mais internationale". Qu'est-il advenu des manifestations anti- militaristes massives, comme celle d'août 1897 à l'appel du P.O.B., lorsque des dizaines de milliers de personnes défilent derrière le slogan: "le socialisme brise le dernier fusil!","A bas la guerre, sabres et canons"?
Dès l’éclatement de la guerre, les "sociaux‑chauvins" servent en Belgique comme dans les principaux pays industrialisés, d’agents recruteurs pour la boucherie impérialiste et trahissent définitivement la classe ouvrière. Le P.O.B. considérait donc qu'une guerre entre les alliances serait une guerre de "défense de la démocratie" contre les "monarchies militaires". Et l'argument que les socialistes belges s'engageaient uniquement dans une "guerre défensive" suite à la violation de la "neutralité" belge par l'impérialisme allemand, n'avait d'utilité que pour la propagande de la droite, et allait mystifier le centre jusqu'en 1917. Cet argument était fallacieux: outre l'engagement plein et entier des sociaux démocrates belges dans l'union sacrée dès le début de la guerre, les déclarations des chefs du P.O.B. avant '14 mettaient en évidence qu'ils étaient prêts à trahir, oubliant toutes les leçons et analyses du mouvement ouvrier sur l'impérialisme, la guerre et l'internationalisme prolétarien. Il est évident que la neutralité belge ne pouvait être qu'une fiction juridique dans le monde impérialiste de 1914. Les "pays neutres" avaient en réalité une "neutralité" de façade. En conquérant un empire colonial et en prenant une part active aux luttes d'influence pour le contrôle du marché mondial, le capitalisme belge s'était placé de plain-pied sur le terrain des antagonismes impérialistes. Louis de Brouckère écrivait à ce sujet: "On a voté l'annexion du Congo, on croyait tenir la colonie. On s'aperçoit aujourd'hui que c'est la colonie qui nous tient. Nous sommes entrés dans la ronde des "puissances mondiales". Et les grands ne nous lâcheront pas. Il nous faut suivre leur mouvement, armer quand ils le disent, dépenser quand ils le disent."(2). L'argument que la Belgique, considérée à part, mena une guerre défensive, ne fut pas ignoré de Lénine. "Admettons, écrivait Lénine en 1915, que tous les Etats qui ont intérêt à respecter les traités internationaux aient déclaré la guerre à l'Allemagne, en exigeant de ce pays qu'il évacue et dédommage la Belgique. En l'occurrence, la sympathie des socialistes serait allée, bien entendu, aux ennemis de l'Allemagne. Or, le fait est justement que la guerre menée par la “ Triple (et Quadruple) Entente” ne l'est pas pour la Belgique; cela est parfaitement connu, et seuls les hypocrites le dissimulent. Sur le terrain de la guerre actuelle des gouvernements actuels, il est impossible d'aider la Belgique autrement qu'en aidant à étrangler l'Autriche ou la Turquie, etc. ! Que vient faire alors ici la “ défense de la patrie ” ??" (3). Donc, le cas belge ne pouvait modifier en rien le caractère général de la guerre. Il fournit seulement à l'un des deux blocs impérialistes l'occasion d'embellir ses mobiles de guerre en invoquant la barbarie de l'adversaire et le droit international.
En plus, le P.O.B. n'est sûrement pas le dernier à se bousculer au portillon de la "défense du sol natal". Du coup, les députés socialistes votent les 200 millions de crédits de guerre tout en applaudissant. Le P.O.B. soutient désormais l'union sacrée pour la guerre. Le P.O.B. avait d'ailleurs le triste privilège d'être le premier parti socialiste à adhérer à un gouvernement d'unité nationale. En tant qu'agent recruteur de la bourgeoisie, il engage les ouvriers belges à tirer sur les ouvriers allemands, et son ténor, E. Vandervelde, dès le 4 août 1914, jour de l'invasion par l'armée allemande de la Belgique, est "bombardé" ministre d'Etat dans le gouvernement de guerre. Ainsi il décrète: "la lutte de classe est suspendue, le peuple entier se consacre à la défense du territoire et de la liberté" (4). Puis en 1916, il devient Ministre de l'Intendance civile et militaire dans le Gouvernement belge siégeant au Havre. Dans ce contexte, il montera au front sur demande du roi pour exhorter le patriotisme quelque peu défaillant après de longues années de carnage sans fin, et pour faire la chasse aux déserteurs et aux ouvriers internationalistes. Pendant quatre ans, Vandervelde, comme président de l'Internationale et du P.O.B., sera un pion propagandiste de poids pour la cause des alliés. En tant que président de l'Internationale, il lance un appel aux socialistes russes à mettre provisoirement de côté leur lutte contre le tsarisme et à défendre la démocratie européenne contre le militarisme prussien (en fait l'inverse de l'appel de la résolution de Bâle de 1912). Avec lui, il y a E. Anseele, ministre à partir de 1916, qui se distinguera comme un véritable faucon, propagandiste de la guerre jusqu'à la victoire finale. Mais également un tas d'anciens opposants à la politique opportuniste, tel Jules Destrée, furent des hérauts des plus passionnés de ce qu'on a appelé le socialisme de guerre. Son patriotisme sans retenue ni nuance le convertira en défenseur acharné de la démocratie bourgeoise. Ainsi il fera des déclarations ronflantes au parlement rejetant la thèse que "les ouvriers n'ont pas de patrie" pour proclamer ensuite "le devoir des peuples de défendre l'intégrité territoriale de leurs pays" (5). Il fut d'ailleurs chargé de mission en Italie, alors neutre, afin d'y combattre "le caractère émollient et pernicieux pour le prolétariat des théories neutralistes" (6). Mais il y avait aussi Louis de Brouckère et De Man, trahissant l'opposition marxiste, qui se sont engagés volontairement dans l'armée belge. Leur exemple fut suivi par plusieurs opposants, y inclus dans les Jeunes Gardes Socialistes (JGS). C'est dire que le mouvement socialiste est unanime en ce qui concerne la défense du territoire, et qu'il a pris fait et cause pour les Alliés.
Mais malgré tout ce chauvinisme et cette propagande de guerre mystificatrice, dès l'été de 1916, des mouvements de masse significatifs, notamment en Allemagne, sont apparus pour exprimer la colère des ouvriers contre les souffrances, les privations et la misère qu'entraînait la guerre. Entre autres, éclate en 1917 une mutinerie dans une grande partie de l'armée française. Des soldats partant en congé chantent l'Internationale dans les trains et revendiquent la paix. Les unités les plus difficiles sont prises sous les feux de leurs propres canons et 55 "mutinés" doivent paraître devant le tribunal de guerre et seront exécutés. (7)
Le véritable début de la vague révolutionnaire se situe au mois de février 1917, en Russie. A Petrograd, on assiste à l'explosion de tout le mécontentement accumulé dans les rangs ouvriers - ainsi que dans d'autres couches pauvres de la population - contre le ravitaillement en vivres de jour en jour plus défectueux de la capitale de Russie et la surexploitation imposée par l'économie de guerre. Les soldats professionnels qui sont appelés a écraser l'insur-rection se rallient. Les événements révolutionnaires de Russie eurent bien entendu un retentissement énorme dans tous les prolétariats d'Europe et du monde, mais d'abord parmi ceux des pays impliqués directement dans le carnage inter-impérialiste. Ils engendrèrent partout des manifestations et de vibrantes protestations de sympathie en faveur de l'Octobre rouge, et la Belgique n'y fit pas exception, provoquant en outre, sur le front, des élans de fraternisation entre soldats d'armées adverses.
Dès le développement de la révolution russe en 1917, la direction du P.O.B. s'engage contre la menace bolchevique. Et si au début, comme la plupart des partis sociaux-démocrates, le P.O.B. par l'intermédiaire de Vandervelde, de Brouckère et Colon avait envoyé du Havre au comité de Petrograd un télégramme saluant la victoire sur le tsarisme (8/3/17), E. Vandervelde condamne les ouvriers révolutionnaires de Russie pour soutenir ouvertement Kerenski et la contre-révolution, "la politique des bolcheviks ferait le jeu du roi de Prusse", "le bolchevisme est la négation du socialisme". De Man et de Brouckère iront avec Vandervelde en Russie en mai-juin 1917 pour contrer les aspirations pacifistes et exhorter la Russie à poursuivre la guerre sainte contre l'Allemagne au lieu d'écouter ceux qui les invitaient à retourner leurs armes contre leur propre bourgeoisie, et pour contrer la montée du bolchevisme! Quel contraste avec le mouvement de solidarité lors de l'insurrection en Russie en 1905 où Huysmans, au nom de l'Internationale, fait un appel au soutien à la Révolution Russe, entre autre par l'achat et l'envoi d’armes.
C'est cependant en Allemagne, le siège du plus puissant mouvement ouvrier, que les répercussions décisives se produisirent. Après un temps d'incubation durant l'année 1917, la révolte ouvrière grossit tout au long de 1918, pour atteindre son point d'incandescence au début du mois de novembre. Des drapeaux rouges flottent sur la flotte de guerre allemande, qui est à l'ancre à Kiel. Partout des conseils d'ouvriers et de soldats sont fondés, aussi à Bruxelles, où le 10 novembre 1918 des soldats allemands se révoltent contre leurs officiers. Ils occupent la Kommandantur, élisent un Conseil Révolutionnaire de soldats et font appel à la solidarité des ouvriers et des syndicats belges. Mais ceux-ci, où Jacquemotte jouait pourtant un rôle déterminant, ne bougèrent pas. Parce que le P.O.B. interdit aux ouvriers belges de se solidariser. Bien qu'il n'y ait pas de menace immédiate en Belgique, les événements en Russie et en Allemagne et la création du conseil révolutionnaire de soldats à Bruxelles ont fait impression. La bourgeoisie se rend compte dès à présent que les ouvriers en uniforme sortant des tranchées ne se contenteront plus de la situation d'avant guerre. Alors, ces mêmes socialistes (tel Joseph Wauters) vont discuter sous le couvert du Comité National de Secours alimentaire à Bruxelles avec E. Francqui de la Société Générale, l'industriel E. Solvay ou le libéral P. E. Janson, de la préparation d'un gouvernement d'union nationale, chargé de relancer à moindre frais pour éviter la contagion des mouvements révolutionnaires, résultant dans les pourparlers avec le roi au château de Lophem le 12 novembre. Les socialistes sont désignés à des postes ministériels importants: Vandervelde devient ministre de la Justice, Anseele des travaux publics et de l'industrie, et Joseph Wauters du travail. Le roi est d'accord avec Anseele que pour reconstruire la Belgique dans le calme et dans l'ordre, tous les partis doivent enterrer la hache de guerre et adhérer à un gouvernement d'unité nationale, qui doit accéder à quelques revendications importantes des ouvriers: ainsi le Suffrage Universel sera accordé, l'article 310, dirigé contre les grèves syndicales sera rayé du code pénal, des concessions importantes sur la journée des huit heures seront faites, et une retraite de 700 francs est introduite.
En fait, un programme de réformes "coupe-feu", ne laissant la place qu'à des émeutes pseudo-révolutionnaires (8). Car effervescence sociale il y avait. Elle s'exprimera avec force entre 1919 et 1921, dans une multitude de grèves sauvages (1919: 160.000 grévistes et 1920: 290.000 grévistes). Les socialistes font tout pour briser les grèves. Wauters entre autre, en instaurant les commissions paritaires, Louis Bertrand en proposant un arbitrage obligatoire lors de conflits sociaux, et Destrée en contestant le droit de grève aux fonctionnaires. Fin 1921, le mouvement prendra une forme symbolique. Une grève dans la métallurgie à Seraing s'étend aux mineurs et à d'autres ouvriers, et se radicalise après que la direction syndicale et le bourgmestre socialiste Merlot ont essayé de ménager une conciliation. Les grévistes se révoltent contre la direction syndicale qui refuse de soutenir le mouvement. Pour la première fois dans l'histoire du P.O.B., des prolétaires sont montés à l'assaut d'une maison du Peuple du P.O.B., illustrant ainsi le tournant historique du P.O.B. et de l'appareil syndical.
Finalement, deux autres exemples de la politique du P.O.B. au gouvernement après la guerre accentuent son passage à la bourgeoisie. D'abord il participe pleinement à la politique d'annexionnisme des cantons de l'Est et des colonies allemandes du Burundi et du Rwanda, et Vandervelde fut un des co-signataires du traité de Versailles (28/6/1919), choses qui étaient complètement impensables à la veille de la guerre. Puis, dans la même année 1919, il se solidarise avec la répression orchestrée par la social-démocratie allemande du SPD contre les ouvriers insurgés de Berlin. De plus, il accepte que le gouvernement belge, par l'envoi d'un corps expéditionnaire militaire dans la Ruhr, participe à la mission de "pacification" de cette région industrielle.
Les organisations politiques du prolétariat meurent souvent vaincues, en trahissant, en passant dans le camp de l'ennemi. Tel fut aussi le cas du P.O.B.. Mais des fractions de l'organisation - les gauches - auront la force de ne pas laisser tomber les bras devant la pression de la classe dominante et assumeront la continuité de ce que ces organisations contenaient de prolétarien. En ce sens, se réclamer de la continuité qui traverse les organisations politiques prolétariennes, c'est se réclamer de l'action des différentes fractions de gauche, qui seules ont eu la capacité d'assurer cette continuité. Mais ce combat n'était pas mené n'importe où. Il se déroulait au sein des organisations qui regroupaient les éléments les plus avancés de la classe ouvrière. Des organisations prolétariennes, qui avec toutes leurs faiblesses ont toujours été un défi vivant à l'ordre établi.
"Rejetant loin de nous les demi-mesures, les mensonges et la paresse des partis socialistes officiels caducs, nous, communistes, unis dans la 3ème internationale, nous nous reconnaissons les continuateurs directs des efforts et du martyre héroïques acceptés par une longue série de générations révolutionnaires, depuis Babeuf jusqu'à Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg. Si la 1ère Internationale a prévu le développement à venir et a préparé les voies, si la 2ème Internationale a rassemblé et organisé des millions de prolétaires, la 3ème Internationale est l'Internationale de l'action des masses, l'Internationale de la réalisation révolutionnaire." ("Manifeste du Congrès de fondation de l'Internationale Communiste aux prolétaires du monde entier!" mars 1919).
Lac / 05.08.2006
(1) Le lent et difficile combat pour la constitution des organisations ouvrières, Internationalisme n° 324; Réforme sociale ou révolution?, Internationalisme n° 325; La percée du réformisme et de l'opportunisme, Internationalisme n° 326
(2) Louis De Brouckère, Socialisme et lutte de classe, n° 14, juillet 1914
(3) Lénine, Le socialisme et la guerre, L'exemple de la Belgique, 1915
(4) Vandervelde, Le parti ouvrier belge 1885-1925 p.68
(5) Discours de Furnémont et de Destrée, Annales parlementaires, 1912-13, p.661,665,942
(6) Jules Destrée, Les Socialistes et la Guerre européenne, Paris, 1916, p. 75
(7) Les mutins de 1917 appartiennent à la mémoire du prolétariat international, pas à celle de la nation!, Internationalisme n° 247, décembre 1998
(8) Léo Picard, Geschiedenis van de socialistische arbeidersbeweging in België, Tussen de twee oorlogen, p.493
Avec l’automne, voici le retour du carnaval électoral, cette fois-ci sur le plan communal ; et avec lui, le cortège inépuisable de bluff, de magouilles politiciennes, de mensonges, d'illusions. Une fois de plus on nous appellera à remplir notre ‘devoir de citoyen’, à participer par notre vote au choix d’une bonne gestion du système, cette fois-ci sur le plan communal, à nous mobiliser pour la ‘défense de la démocratie’. En réalité, les dés sont pipés d'avance : c'est toujours la bourgeoisie qui gagne les élections. Sur ce terrain pourri, les ouvriers n'ont rien à défendre. L'expérience est déjà faite depuis longtemps pour les prolétaires : que la gauche ou la droite l'emporte, tel candidat ou tel autre, cela signifie pour eux la même politique d'attaques incessantes de toutes les conditions de vie ouvrière.
C'est pourquoi, aujourd'hui encore, les révolutionnaires appellent les ouvriers à déserter toute participation électorale au nom de la défense de leurs intérêts immédiats et historiques. Ce n'est qu'en développant leurs luttes sur leur propre terrain de classe, contre la misère, sur les lieux de travail, dans les grèves et manifestations qu'ils peuvent réellement exprimer leur colère.
Cette attitude des révolutionnaires n'est pas spécifique aux élections communales qui se dérouleront en octobre en Belgique. C'est depuis le début du siècle précédent que, contrairement au 19ème, les ouvriers n'ont plus aucune possibilité d'utiliser les élections pour défendre leurs intérêts.
Au 19ème siècle, tout au long de la période ascendante du capitalisme, la lutte ouvrière contre l'exploitation et l'oppression de la bourgeoisie passe nécessairement par une lutte pour des réformes, par d'âpres batailles revendicatives pour conquérir et arracher des améliorations possibles, réelles et durables des conditions de travail et d'existence des ouvriers sur le terrain économique et politique. A cette époque, le parlement pouvait être utilisé comme une tribune grâce à laquelle la classe ouvrière pouvait faire entendre sa voix, s'aménager une place dans un capitalisme encore florissant. De ce fait, tout en combattant les illusions sur la possibilité de parvenir au socialisme par des voies démocratiques, pacifiques, réformistes, les révolutionnaires étaient néanmoins partie prenante du combat pour l'obtention du suffrage universel. Ils appelaient les ouvriers dans certaines circonstances à participer aux élections et au parlement bourgeois pour favoriser l'obtention de telles réformes en jouant sur les oppositions entre fractions progressistes et réactionnaires de la classe dominante qui s'y affrontent.
A la fin du 19ème siècle et au début du 20ème siècle par contre, le capitalisme ayant désormais étendu sa domination à l'ensemble de la planète, il ne peut plus être un système progressiste. Il ne peut plus parvenir à surmonter les contradictions économiques qui l'assaillent, il ne peut plus résoudre ses crises cycliques de surproduction car il se heurte aux limites d'un marché mondial de plus en plus saturé. Tous les rapports sociaux de production, propriété privée, salariat, nation, qui avaient constitué le cadre à partir duquel le capitalisme a pu se généraliser à toute la planète et qui avaient permis un formidable développement des forces productives, se transforment en autant d'entraves à ce développement.
Le capitalisme entre définitivement dans une crise historique permanente. Il ne peut désormais survivre qu'à travers un cycle infernal de crise, guerre, reconstruction, nouvelle crise plus aiguë..., entraînant avec lui l'ensemble de l'humanité dans une barbarie et une misère toujours plus grandes.
Ces contradictions insurmontables qui assaillent le capitalisme depuis le début du 20ème siècle acquièrent de par leur intensité, leur durée, leur généralisation à tous les pays, une dimension qualitativement nouvelle. Elles placent la classe ouvrière devant la nécessité et la possibilité d'oeuvrer directement au renversement du capitalisme.
Désormais, la survie du capitalisme, compte tenu de l'âpreté de la concurrence entre les différentes fractions nationales de la bourgeoisie qui se disputent les débouchés de plus en plus rares sur le marché mondial, implique une intensification de l'exploitation et des attaques contre toutes les conditions de vie ouvrière. Désormais, il est hors de question pour la bourgeoisie d'accorder dans quelque domaine que ce soit, économique ou politique, des réformes réelles et durables à la classe ouvrière. C'est l'inverse qu'elle lui impose : toujours plus de sacrifices, de misère, d'exploitation et de barbarie.
Dans ces conditions, il n'est plus possible pour le prolétariat de se défendre sur le terrain des institutions bourgeoises. Sa seule tâche est maintenant de se préparer à affirmer sa propre perspective révolutionnaire afin de détruire ce système agonisant de fond en comble.
Pour y parvenir, il doit rejeter toutes ses méthodes de lutte passées, devenues désormais caduques : la lutte dans les syndicats et sur le terrain électoral. Ces moyens qui, au 19ème siècle, lui avaient permis de s'affirmer et de se constituer en classe sont devenus des armes de la bourgeoisie, des forces de mystification qui ne servent qu'à désarmer les ouvriers, à les détourner du terrain réel de leurs luttes contre le capital.
Ainsi, aujourd'hui la classe ouvrière n'a pas le choix. Ou bien elle se laisse entraîner sur le terrain électoral, sur le terrain de l'Etat bourgeois qui organise son exploitation et son oppression, terrain où elle ne peut être qu'atomisée, donc sans force pour résister aux attaques du capitalisme en crise. Ou bien, elle développe ses luttes collectives, de façon solidaire et unie, pour défendre ses conditions de vie. Ce n'est que de cette façon qu'elle pourra développer sa force de classe, s'unifier et s'organiser en dehors des institutions bourgeoises pour mener le combat en vue du renversement du capitalisme. Ce n'est que de cette façon qu'elle pourra, dans le futur, édifier une nouvelle société débarrassée de l'exploitation, de la misère et des guerres.
Internationalisme
Le policier britannique qui a annoncé l’arrestation de nombreux suspects dans le dernier complot à la bombe a dit que le groupe avait planifié "un meurtre de masse à une échelle inimaginable, sans précédent".
S’il avait en effet planifié la destruction d’avions avec leurs passagers au-dessus de villes américaines, il s’agit à coup sûr d’un plan en vue d’un meurtre de masse. Les méthodes de Ben Laden et des "djihadistes" qui l’admirent sont celles de la barbarie. Les victimes de leurs attentats sont d’abord et avant tout les exploités et les opprimés, les ouvriers, les pauvres. A New York, Madrid, Londres, Bombay, Beslan, en Irak chaque jour, la “résistance islamique" massacre ceux qui vont au travail, ceux qui essayent de survivre jour après jour dans une société hostile. Les méthodes des "djihadistes" sont en fait les mêmes que celles des puissances "infidèles" auxquelles ils prétendent s'opposer –les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la Russie et autres.
Et tout comme les gouvernements de l’Ouest cherchent à mélanger l’islamophobie et le racisme contre ceux qui sont identifiés comme musulmans, la réponse des djihadistes est de prêcher le racisme contre les "kafirs", en particulier contre les Juifs, faisant revivre les pires mensonges de l’hitlérisme. Ces idéologies sont utilisées pour justifier le massacre de masse des non-musulmans (dans lequel les musulmans meurent aussi par milliers, comme en Irak aujourd’hui). Les djihadistes sont le véritable miroir de Bush et Blair et de leur "guerre au terrorisme".
Mais voilà où nous voulons en venir: les atrocités terroristes contre les innocents ne sont ni “inimaginables” ni "sans précédent". Les détenteurs du pouvoir qui condamnent cette dernière atrocité annoncée en provoquent de loin de plus importantes, parce qu’ils ont une puissance de feu de loin supérieure. Ce sont les djihadistes "démocratiques", en charge des Etats principaux du monde, ceux qui sont responsables de massacres de civils à une échelle bien plus grande –en Irak, en Afghanistan, au Liban, en Tchétchénie … Les guerres déclenchées par les puissances "démocratiques" sont le modèle suprême de la terreur : comment peut-on qualifier différemment l’emploi de la force militaire massive pour intimider des populations entières ? La dévastation du Liban par Israël est-elle différente, ou la campagne des Etats-Unis de 2003 "frapper et surprendre", ou encore de la même façon le "bombardement par zones" de l’Allemagne par Churchill à la fin de la Seconde Guerre mondiale ?
La guerre impérialiste, c’est la terreur contre l’humanité. Et les Etats qui la paient sont tout autant adeptes des méthodes de l’ombre qu’utilisent les "terroristes" qu’ils le sont de la terreur ouverte et massive des bombardements aériens. Qui a entraîné Ben Laden pour combattre les Russes, sinon l’Amérique "démocratique"? Qui s’est servi des cliques de Protestants pour provoquer des assassinats et des attentats en Ulster ? La Grande-Bretagne "démocratique". A qui appartiennent les "pères fondateurs" terroristes comme Menahem Begin? A l’Israël anti-terroriste. Et grâce à ses espions et à ses informateurs, l’Etat "démocratique" peut encore faire un usage subtil des bandes terroristes, même lorsqu’elles sont de "l’autre côté". Malgré les polémiques officielles contre les "théories de la conspiration", il existe une confirmation grandissante que l’Etat américain a permis à Al Qaïda de mener à bien ses attaques en septembre 2001 ; le but –qui avait déjà été émis ouvertement par les théoriciens "Neo-Con"- était de créer un nouveau Pearl Harbour pour justifier une énorme offensive impérialiste en Afghanistan et en Irak. Et il est tout aussi capable de fabriquer des complots terroristes quand rien n’existe réellement. En effet, que la menace soit réelle ou inventée, l’Etat utilisera toujours les activités des terroristes pour renforcer son arsenal de lois répressives, son vaste appareil d’information et de surveillance.
Après le 11 septembre, Bush a proposé un faux choix : avec nous ou avec les terroristes. Aujourd’hui, des millions de gens ont vu ce que Bush voulait, mais ils n’ont pas échappé à ce faux choix. Beaucoup de jeunes qui voient que le monde dans lequel nous vivons va au désastre sont dévoyés vers le terrorisme comme seule "alternative". Mais c’est une fausse alternative, une impasse tout aussi désastreuse, les transformant en agents recrutés dans une marche au suicide vers la guerre impérialiste. C’est une évidence du conflit qui s’étend à travers le Moyen-Orient, un conflit qui rebondit aussi sur les Etats-Unis et l’Europe.
Mais face à l’inexorable décadence de la société actuelle, qui s’enfonce dans la guerre et le chaos, il existe un autre côté : celui de la classe exploitée, le prolétariat, la grande majorité d’entre nous, qui n’a aucun intérêt à être plongée dans les conflits fratricides et les massacres inter-impérialistes.
Face à l’effondrement accéléré du capitalisme qui, dans chaque région du globe, a prouvé qu’il mettait en danger la survie même de l’humanité, il y a une guerre encore valable à mener : la guerre de classe, unissant les ouvriers de tous les pays et de toutes les couleurs contre les gangsters qui dominent la planète mais qui en perdent de plus en plus le contrôle.
La bataille entre les classes que beaucoup disent être dépassée, est une fois encore en train de surgir. Un certain nombre d’évènements récents nous le montre :
- dans les assemblées et les manifestations des étudiants français, massivement en grève dans les collèges, les lycées et les universités, toutes couleurs et croyances confondues ; un mouvement qui, comme en 1968, a ébranlé le pouvoir, surtout lorsqu’un nombre grandissant de salariés ont commencé à rejoindre les étudiants ;
- dans la grève sauvage des ouvriers de la poste de Belfast : officiellement "loyalistes" et "catholiques", ils ont marché ensemble sans autorisation dans les rues "ennemies", en opposition au schisme national et aux gangs paramilitaires des deux camps ;
- dans la grève d’Heathrow l’an dernier, où les porteurs ont manifesté en solidarité avec les ouvriers de Gate Gourmet, unis au-delà des divisions raciales et sexuelles par leur indignation commune face aux méthodes grossièrement tyranniques de la direction, et rejetant ainsi toute la législation syndicale.
Ces expressions de la solidarité de la classe ouvrière sont les lignes de force de la vraie communauté de l’humanité, une communauté faite de l’activité humaine pour les êtres humains et non plus pour la religion ou l’Etat.
World Revolution / 14.8.06
Nous publions ci-dessous l’énoncé des principes de base d’un nouveau groupe prolétarien en Turquie, Enternasyonalist Komünist Sol (EKS, Gauche Communiste Internationaliste). Sur le site-web du CCI nous avons publié leur tract à l'occassion du 1er Mai, tract que nous avons aidé à diffuser. Pour contacter EKS, écrire à [email protected] [41].
Les positions de EKS sont des points d’accord fondamentaux d'adhésion. Elles ont été écrites rapidement, en vue de l’évolution d’un groupe, qui à l'origine se rassemblait pour publier et diffuser des tracts à l'occasion de manifestations spécifiques, vers une formation politique. Et en tant que tels, elles sont sujettes à des changements futurs. Elles prennent position sur ce que nous considérons comme les quatre positions de base des révolutionnaires aujourd’hui:
1) Le rejet du parlementarisme et de la social-démocratie;
2) Le rejet du syndicalisme;
3) Le rejet de toutes les formes de nationalisme et la défense de l’internationalisme;
4) La lutte communiste, et la nature du communisme.
Elles ne nous définissent ni comme un groupe "marxiste" ni comme un groupe "anarchiste". Bien que la plupart de nos membres se considèrent comme des communistes, nous n'écartons pas un travail commun dans la même organisation politique que des anarchistes qui partageraient les positions de classe fondamentales de la classe ouvrière. Nous pensons que dans la situation actuelle en Turquie, où quasiment personne ne défend des positions révo-lutionnaires, ce serait une immense erreur d'exclure des gens, qui fondamentalement ont les mêmes positions que nous aujourd'hui, sur la base d'arguments historiques à propos de choses qui se sont passées au début du siècle dernier. Ceci ne signifie pas, cependant, que ce sont des questions que nous ne discutons pas, ni que nous n'essayons pas de les éclaircir d'avantage.
Enternasyonalist Komünist Sol.
1) Le rejet du parlementarisme et de la social-démocratie
L'idée que l'ordre existant puisse être changé au travers du parlement ou de moyens démocratiques est l'obstacle majeur auquel le mouvement ouvrier se confronte à chaque pas qu'il fait. Bien que cette illusion ait été consciemment créée par la classe dominante, elle est aussi défendue et proposée comme solution par les groupes gauchistes, qui sont incapables de comprendre la nature de classe du parlement, basé sur l'idée que la classe ouvrière est liée à la nation. Mais en réalité, ce n'est qu'un cirque qui tente d'imposer l'idée qu'un mouvement de classe est à la fois dénué de sens et inutile, afin de mobiliser le prolétariat derrière les intérêts de la bourgeoisie. Et la social-démocratie ne se prive pas de prendre part elle-même à ce cirque. Si la social-démocratie défend l'idéologie des droits et libertés démocratiques, et le changement de l'équilibre actuel en faveur de la classe ouvrière au travers de réformes, qui ne sont plus possibles dans le capitalisme, c'est parce que sa position est un outil pour créer un point intermédiaire entre la classe dominante et la classe ouvrière, ce qui revient à défendre les intérêts de la bourgeoisie. Non seulement la social-démocratie ne constitue pas un obstacle pour la classe dominante mais elle est aussi anti-classe ouvrière, et adopte une position contre-révolutionnaire lorsque les mouvements du prolétariat surgissent, et constitue une idéologie de collaboration avec la classe ennemie, au service de la bourgeoisie.
2) Le rejet du syndicalisme
Tout comme le parlement, les syndicats organisent également les ouvriers comme étant une partie du capital. En plus, à cause de leur position au cœur de la classe ouvrière, ils constituent le premier obstacle à la lutte du prolétariat. Quand la classe ouvrière semble être passive, et que sa lutte face au capital n'est pas évidente, radicalisée ou généralisée, les syndicats organisent la classe ouvrière comme capital variable, et comme esclaves salariés, et généralisent également l'illusion qu'il y a des façons aussi honorables que justes de vivre de cette manière. Non seulement les syndicats sont incapables d'entreprendre des actions révolutionnaires, mais ils sont aussi incapables de défendre les conditions de vie des ouvriers ici et maintenant. C'est la raison principale de l'utilisation par les syndicats de tactiques bourgeoises, pacifistes, chauvines et étatiques. Quand le mouvement de la classe ouvrière se radicalise et se développe, les syndicats mettent en avant des slogans démocratiques et révolutionnaires, et tentent de cette façon de manipuler le mouvement, comme si les intérêts de la classe ouvrière n'étaient pas l'émancipation du travail salarié elle-même, mais sa poursuite sous différentes formes. Les méthodes du syndicalisme de base et de l'autogestion sont utilisées à différents endroits et dans différentes situations, ne débouchant sur rien d'autre que l'acceptation volontaire par les ouvriers eux-mêmes de la domination du capital. En réalité, la seule chose que font les syndicats est de diviser les ouvriers entre différents groupes sectoriels, et de rabattre les intérêts de la classe comme un tout derrière les slogans sociaux-démocrates.
3) Le rejet de toutes les formes de nationalisme, et la défense de l'internationalisme
Le nationalisme est un slogan fondamentalement utilisé par la bourgeoisie pour organiser la classe ouvrière dans le cadre des intérêts capitalistes. Prétendre que chaque membre d’une nation, indépendamment de sa position de classe, serait prétendument sur la même barque, ne sert qu’à détruire le potentiel révolutionnaire de la classe ouvrière en rassemblant à un niveau idéologique deux classes anta-goniques. C'est dire que, de ce point de vue chaque personne doit travailler pour "sa" propre nation, sa propre classe capitaliste, et la lutte pour les intérêts de classe propres aboutirait au naufrage du bateau. Contrairement à ce que prétend toute la gauche, que ce soit dans le nationalisme Turc ou Kurde, leurs caractéristiques ne diffèrent pas.
La réalité fondamentale niée par ceux qui parlent de luttes de libération nationale contre l'impérialisme est que la caractéristique de la lutte de la classe ouvrière pour sa libération se situe au-delà de toutes les nations. La libération de la classe ouvrière ne peut se réaliser que sous l'étandard de la lutte de classe, contre toute forme de lutte de libération nationale, de démagogie et de guerre impérialiste. Les gens qui à l'heure actuelle parlent d'un "front national" contre les impérialistes et d'indépendance nationale, entrent en surenchère avec les libéraux qu'ils prétendent combattre, pour en fait nier les contradictions de classe. Le nationalisme Kurde, soi-disant opposé au nationalisme Turc, qu'il alimente en retour, accomplit une division complète de la classe ouvrière en jouant le même rôle que le nationalisme Turc pour les travailleurs dans sa propre région.
4) La lutte communiste, et la nature du communisme
Le communisme n'est pas une belle utopie qu'on pourra atteindre un jour, ni une théorie dont la nécessité est scientifiquement prouvée, c'est le mouvement de la lutte des ouvriers pour leurs propres intérêts. Dans ce sens, le communisme n'a aucun rapport avec la définition qu'en donnent les gauchistes. Il est plutôt né de la lutte des ouvriers pour leurs intérêts quotidiens, et est l'expression de leur besoin d'émancipation de l'esclavage salarié, du capital et de l'Etat. En conséquence, il est la négation de toutes les divisions entre intellectuels et ouvriers, entre buts absolus et intérêts immédiats, entre conscience "trade-unioniste" et "conscience socialiste", entre buts et moyens. Dès que les ouvriers commencent à lutter pour leurs propres intérêts, de façon autonome des syndicats et des partis autoproclamés ouvriers, alors le communisme fleurit dans cette lutte. De la même manière, l'organisation communiste est formée organiquement à l'intérieur de cette lutte, et est née de l'union internationale des interventions des minorités les plus radicales et les plus déterminées dans la lutte de classe, qui exprime l'antagonisme entre prolétariat et capital.
WR / 06.2006
Les élections communales du 8 octobre 2006 resteront dans l’histoire comme "La bataille d’Anvers". Des équipes de télévision venant de tous les coins de l'Europe étaient réunies dans "la capitale de l'extrême-droite" pour ce qu'on appelait un tsunami médiatique: le bourgmestre Patrick Janssens du SP.a social-démocrate serait-il à même de mettre un terme au succès populiste de l'hérétiqueVlaams Belang (VB)? Le cordon sanitaire autour de l'intolérable VB tiendrait-il le coup? Le 7 octobre, De Morgen titrait fièrement en première page: "Toute l'Europe se fixe sur Anvers". Le cri de guerre était: "Extrême-droite, No Pasaran!" soutenu par toute la société civile, les artistes Helmut Lotti, Wil Tura et Adamo jusqu'à Gorki, Zap Mama, Clouseau, Arno et dEUS qui se sont mobilisés à Anvers, Gand, Bruxelles et même Charleroi, pour entraîner essentiellement la jeunesse dans une campagne "pour plus de tolérance". Le lendemain, la télévision mondiale, "soulagée", pouvait annoncer que la mission avait réussi. La menace d'un "dimanche noir" qui apparaissait à l'horizon se transforma en "ferveur rouge qui a ranimé l'espoir" (De Morgen, 10.10.06). Patrick Janssens déclarait exalté: "Je constate qu'il est possible de contrer le VB en menant une politique positive". On parlait en termes superlatifs, on versait des larmes, on s'extasiait comme une grande famille devant les caméras, et ensuite a commencé la ronde des intrigues pour le partage des sièges échevinaux.
La campagne "présidentielle" polarisée du "démocrate" Patrick Janssens contre le "fasciste" Filip Dewinter semblait renvoyer au duel de 1936 à Bruxelles entre le Premier Ministre démocratique Van Zeeland, contre le dirigeant des rexistes Degrelle. Janssens a remercié également le bourgmestre social-démocrate d'Amsterdam Job Cohen, le contre pôle civique-démocratique du populisme, pour son rôle exemplaire en matière de "mesures positives" dans la politique des métropoles. Ainsi, Patrick Janssens était poussé en avant, comme champion de la "démocratie" et de "l'équité" contre l'intolérance et la haine, des mesures "positives" contre tout "négativisme".
En fait, la bourgeoisie peut parfaitement bien vivre avec une aile populiste de droite. Car le mécontentement contient une menace et la bourgeoisie préfère finalement, dans certaines limites, qu'il s'exprime par des votes VB plutôt que d'attiser la lutte de classe. Circonstanciellement, la bourgeoisie peut utiliser le populisme de droite, mais s'il prend trop d'ampleur, il risque de se retourner contre elle parce que des mandats importants se retrouveraient aux mains de politiciens "irresponsables" et "incontrôlables".
L'importance du populisme de droite a aussi tendance à décliner pour une autre raison: la bourgeoisie doit se préparer au changement du rapport de forces entre les classes et disposer ses armes politiques le plus favorablement possible face au prolétariat. Il y a une nouvelle génération, pour qui le mot "solidarité" prend de nouveau une signification. Tant que la lutte de classes n'éclate pas, la bourgeoisie préfère faire passer ses mesures d'austérité "en douce", furtives et sournoises, présentées comme "socialement équitables", prises par un appareil politique bourgeois recrédibilisé, alternant régulièrement sa composition politique. Ainsi, le langage débonnaire de la "tolérance" cache les dures attaques à venir.
La bourgeoisie doit alimenter l'illusion, surtout chez les jeunes, que la démocratie bourgeoise peut faire disparaître le mécontentement, résoudre les problèmes et le cas échéant les maintenir sous contrôle. Ainsi, la classe ouvrière est entraînée dans le faux choix entre populisme de droite et démocratie bourgeoise, et donc loin du combat sur son terrain de classe. La politique "positive" de Patrick Janssens en est précisément le modèle: le mécontentement et la combativité sont par avance qualifiés de "négativisme". Ce qui signifie que nous devons accepter en silence les mesures d'austérité à venir, sous peine de courir le risque d'être poussés dans le même coin que les pleurnichards du VB, ou plus généralement dans le coin de "l'extrémisme", de "l'irresponsabilité" et du "déraisonnable".
La "lutte contre le populisme de droite" est principalement, pour la bourgeoisie, une opérette de solidarité avec l'appareil d'Etat belge. Tout le cirque électoral est destiné à enfermer le mécontentement au sein de la classe ouvrière dans les structures politiques classiques de la bourgeoisie. La nouvelle "crédibilité" sera ensuite utilisée pour présenter les nouvelles attaques sur la classe ouvrière comme "socialement justifiées", "raisonnables", "inévitables", l'ensemble servi aux ouvriers comme la "grande victoire" de la démocratie contre le populisme de droite.
Dans la politique bourgeoise, une "épuration" sans précédent s'est développée. Après le jeu des chaises musicales des transfuges politiques, les dissidences à la gauche et à la droite des partis, les dirigeants qui "prennent leurs responsabilités" en disparaissant, après l'affaire Dutroux, les marches blanches, une police et une justice en échec, des criminels en fuite, des militaires conspirateurs, les scandales de corruption aux PS/SP, les vaches folles, les poulets à la dioxine et la peste porcine, en bref après des battages idéologiques incessants, la bourgeoisie tente de restituer au paysage politique un semblant de stabilité. Du côté wallon également, peu de changement, le PS épuré d'Elio Di Rupo ("J'en ai marre des parvenus") a su se maintenir. Les victimes, accusées de corruption, de clientélisme et de profits personnels disparaissent pour laisser la place à des "dirigeants compétents", qui doivent regagner la confiance. Les noms des partis et leurs présidents sont changés. Selon le malinois Bart Somers, ce dont on a besoin est une: "Cohésion interne, bonne gouvernance et explication permanente du dur travail fourni" (De Morgen, 10.10.06). Mais n'importe la façade, l'exploitation et les attaques contre les conditions de vie et de travail demeurent et ces thèmes sont totalement absents des campagnes électorales.
On peut légitimement se poser la question de savoir si la bourgeoisie n'a pas consciemment laissé pourrir la situation à Anvers, pour ensuite s'empresser de "faire le ménage". Cela fait des années que durent les chamailleries sur les "blessures" de la "société multiculturelle". Les générations précédentes d'immigrés n'avaient pas de gros problèmes d'intégration, car ils pouvaient nourrir l'espoir d'offrir un avenir meilleur à leurs enfants. Aujourd'hui, face au chômage accru, cet espoir s'est en grande partie évanoui, et des problèmes apparaissent, que la bourgeoisie exploite contre la classe ouvrière sans pouvoir y apporter une solution: "radicalisation" d'un côté, "intolérance" de l'autre. La bourgeoisie a donné au chômage croissant un visage ethnique et pointe pour les conséquences de la crise économique un doigt accusateur sur les immigrés. Entre-temps, des "illégaux" qui portent des secteurs entiers comme celui de la construction, menaceraient des emplois "belges" et contribueraient à faire pression sur les salaires. Ainsi, la politique d'immigration démocratique-bourgeoise a offert gratuitement une plate-forme à Filip Dewinter pour ses campagnes haineuses. C'est donc la bourgeoisie elle-même qui a fait le lit de "l'intolérance", qu'elle a ensuite exploitée contre la classe ouvrière en répandant des sentiments de culpabilité, en diffusant une impression d'impuissance et de honte chauvine, contre lesquels elle s'attribue le monopole de la "solidarité". "Nous sommes condamnés à vivre ensemble, quels que soient nos convictions politiques, notre religion ou notre origine ethnique. Le faire dans un modèle de conflit s'aggravant sans cesse ou le faire dans une tentative de dialogue constructif, c'est le choix que la Flandre fera dimanche pour les six années à venir" (Yves Desmet dans De Morgen, 7.10.06). A un moment donné, on raconte aux ouvriers qu'ils ont enregistré une fantastique victoire de la "tolérance", et à un autre moment, ils sont stigmatisés d'être la source même de "l'intolérance".
Un peu d'acte de malveillance apparaît aussi du fait que ces vingt dernières années, aucun politicien national n'est venu de la région d'Anvers, une ville où la politique s'est de plus en plus limitée à une histoire de clientélisme et d'enrichissement personnel. Patrick Janssens, un publiciste récemment sorti du milieu professionnel, n'est apparu il y a qu'à peine trois ans pour renverser la vapeur face au populisme. Mais en quoi consiste sa "politique positive", si ce n'est en mesures d'austérité, déjà mises en œuvre depuis des décennies, graduellement et parfois de façon accélérée et plus dure, et sous les prétextes les plus divers? Le contrôle social s'est renforcé, et les intimidantes "visites domiciliaires" sont devenues normales, une mesure que même Filip Dewinter n'aurait pas facilement osé annoncer. Le paiement des heures supplémentaires et des primes est dans le collimateur, il n'est question que de flexibilité, d'augmentation des charges de travail, de responsabilité plus grande pour les travailleurs de la ville, et de licenciements pour ceux qui ne tiendraient plus le coup. Patrick Janssens n'a en rien modifié la stratégie politique, mais bien son marketing.
Les rôles étaient clairement répartis d'avance entre SP.a-Spirit, VLD et CD&V-N-VA à Anvers: les deux derniers ont volontairement consenti des sacrifices pour "dépanner" le SP.a, et surtout pour lui offrir l'opportunité de dépasser le VB. Jamais depuis trente ans le SP.a n'avait enregistré de tels scores ni connu une telle victoire électorale dans les grandes villes flamandes (1). Il a été clairement notifié à Filip Dewinter qu'il pouvait oublier le maïorat d'Anvers; la bourgeoisie ne le laisse faire son numéro récalcitrant qu'à condition que cela lui convient. Le VB n'a cependant pas encore perdu à Anvers, alors que dans la province il a encore récolté un score électoral supérieur. Malgré que Borgerokko (2) s'appelle de nouveau Borgerhout, le parti récolte encore toujours pour toute la Flandre autour de 20%. Pourtant, il a été décrété un peu vite que ceci était le début du déclin historique du VB. Mais, puisque le "danger" n'est pas encore écarté, cette campagne idéologique peut encore sans problème devenir un enjeu pour les élections nationales de l'an prochain, pour lesquelles une victoire définitive de la démocratie bourgeoise sur le populisme de droite est mise en perspective.
Pour la bourgeoisie, le VB est en partie un thermomètre et une soupape par rapport au mécontentement réel. Un vote de mécontentement en faveur du VB trahit non seulement un faible niveau de conscience de classe, mais en plus, du fait de la xénophobie en vogue, il forme aussi un obstacle important pour la défense unifiée des intérêts matériels de la classe ouvrière. Ainsi le populisme, qu'il soit de droite comme celui qui est maintenant "combattu", ou de gauche comme celui qu'on met en place pour préparer l'avenir (3), fait pour le moment partie intégrante du paysage politique de la bourgeoisie.
L'an prochain, Verhofstadt livrera bataille avec ses partenaires gouvernementaux sur le partage des voix (le PS/SP.a ne peut quand même pas devenir trop important), mais l'accent sera mis sur la campagne contre le VB et "l'équité" de la politique étatique, et surtout des mesures décidées démocratiquement: nouvelles attaques contre les conditions de travail et de vie de la classe ouvrière et de toute la population non exploiteuse.
Pour la bourgeoisie, ces élections ont été un formidable succès. Non seulement le populisme de droite a été ramené à des proportions gérables, mais en plus, toute la politique bourgeoise y a gagné en crédibilité et la campagne autour de la "bonne gestion" a fait le lit des nouvelles mesures d'économie. Une lourde tâche attend la classe ouvrière: apercevoir ces manœuvres et les combattre en engageant la lutte sur son propre terrain de classe.
Manus / 31.10.06
(1) A ce propos, Filip Dewinter du VB n'avait pas tout à fait tort de parler de "victoire à la Pyrrhus": la victoire électorale du SP.a était comme la victoire d'un "cannibale" qui aurait dévoré ses partenaires de coalition, le VLD libéral du premier ministre Verhofstadt et le CD&V-N-VA chrétien, pour pouvoir devenir le plus grand. Patrick Janssens a aussi déclaré qu'il serait "royal" envers les partis perdants lors du partage des mandats: "Je veux remercier tous les autres partis de la majorité. Je comprends qu'ils ne trouvent pas ce résultat totalement équitable, je leur donne raison". Et la tête de liste VLD, Ludo Van Campenhout, remarquait immédiatement: "il y a aussi une logique politique, et elle dit que Janssens va devoir rembourser un bon paquet de ce qu'il a reçu dimanche" (DE Morgen, 8.10.06). en d'autres termes, "CD&V et VLD ont déjà fait savoir qu'ils avaient l'intention de négocier fermement, pour éviter que dans six ans, Janssens soit à nouveau le seul bénéficiaire de la situation" (De Morgen, 10.10.06).
(2) Quartier à grande concentration d'immigrées d'origine marocaine, et par analogie avec Marokko (le Maroc en néerlandais).
(3) Voir l'article dans ce journal
Cinquante ans après que la révolte des ouvriers eût secoué la Hongrie en 1956, les vautours de la bourgeoisie "célèbrent" à nouveau l’anniversaire dans leur style habituel. La presse bourgeoise traditionnelle verse une larme sur la résistance héroïque du "peuple hongrois" "pour l'indépendance nationale" et contre les "horreurs du communisme". Tous ces souvenirs ne décrivent que l'apparence de la révolte, et donc masquent et distordent sa signification réelle.
La révolte ouvrière de 1956 en Hongrie n’est pas l’expression de la volonté du "peuple" de réformer le "communisme" à la mode stalinienne ou de gagner "l’indépendance de la nation". Elle est le résultat direct des contradictions insolubles du capitalisme en Europe de l'Est et dans le monde entier.
La Seconde Guerre mondiale à peine terminée, la pression des rivalités impérialistes, entre Moscou et Washington, pousse le Kremlin à s'engager dans une phase de production frénétique d’armements. Industrie lourde et production militaire seront alors développées au détriment des biens de consommation et des conditions de vie de la classe ouvrière.
En effet, l’Union soviétique, vainqueur et occupant de l’Est de l’Europe, exige des pays nouvellement satellisés qu’ils soumettent entièrement leurs appareils productifs aux intérêts économiques et militaires de l’URSS.
Un véritable système de vampirisation se met en place dès 1945-1946 avec, par exemple le démontage de certaines usines et leur transfert (ouvriers compris) sur le sol russe. En Russie et dans ses pays satellites, les ouvriers subissent un régime de sur-exploitation de leur force de travail proche de l’enfer décrit par Dante. Ainsi, en Hongrie, grâce à la recette stalinienne du stakhanovisme, le plan de 1950 fera quintupler la production d’armement.
La bourgeoisie soviétique devait maintenir des salaires bas et développer l'industrie lourde aussi vite que possible. Dans la période 1948-53, les conditions de vie des ouvriers partout dans le bloc de l'Est tombent en dessous du niveau d'avant-guerre, mais la Russie sortira de cette période avec sa bombe H et ses Spoutniks.
Dans ces conditions, la colère au sein du prolétariat ne tarde pas à se faire entendre. L’exploitation forcenée était de moins en moins supportable ; l’insurrection couvait. Les ouvriers tchécoslovaques de même que ceux de Berlin-Est en 1953 s’étaient déjà révoltés obligeant l’intervention des chars russes pour rétablir l’ordre. Le vent de révolte contre le stalinisme qui souffla à l’Est devait trouver son point d’orgue dans l’insurrection hongroise d’octobre 1956.
L'insurrection de Budapest le 23 octobre a profité, dans un premier temps, de l’occasion d’une manifestation, organisée à l'origine par des étudiants "en solidarité avec le peuple de Pologne" qui, de son côté, avait tenté de se soulever peu auparavant contre la chape de plomb des régimes staliniens.
La réponse intransigeante des autorités, qui ont traité les manifestants de "fascistes" et de "contre-révolutionnaires", la répression sanglante menée par l’AVO (la police secrète), et par-dessus tout, le fait que la manifestation "étudiante" ait été renforcée par des milliers d'ouvriers, ont transformé en insurrection armée la protestation pacifique exigeant des réformes démocratiques et le retour au pouvoir du leader "réformiste" Imre Nagy.
Ce n'est pas ici que nous pouvons examiner dans tous les détails les événements qui ont mené de l'insurrection du 23 octobre à l'intervention finale de la Russie, qui a coûté la vie à des milliers de personnes, en majorité de jeunes ouvriers. Nous voudrions seulement revenir sur le caractère général de la révolte dans le but de la sortir des terribles confusions qui l'entourent.
L'opposition à la "vieille garde" stalinienne s'exprimait de deux manières. La première provenait de la bourgeoisie elle-même, menée par des bureaucrates libéraux et soutenue par des étudiants, des intellectuels et des artistes un peu plus radicaux. Ils défendaient une forme plus démocratique et plus profitable du capitalisme d'Etat en Hongrie. Mais "l'autre opposition" était la résistance spontanée de la classe ouvrière à l'exploitation monstrueuse qui lui était imposée. En Hongrie, ces deux mouvements ont coexisté dans l'insurrection. Mais c'est l'intervention déterminante de la classe ouvrière qui a fait basculer ce mouvement de protestation dans l’insurrection, et c'est ensuite la contamination de l'insurrection ouvrière par toute l'idéologie nationaliste et démocratique des intellectuels qui a entravé le mouvement prolétarien.
Cette perméabilité de la classe ouvrière au poison nationaliste n’est autre que le produit du cours historique d’alors, celui de la contre-révolution entamée dans les années 1920. Le prolétariat, à l’ échelle mondiale, se retrouve au plus bas de ses forces, laminé idéologiquement par la défaite de sa première vague révolutionnaire de 1917-1923, écrasé physiquement par la guerre mondiale, et encadré par les syndicats et leurs cousins de la police. Il lui était par conséquent impossible, sans perspective claire, de dépasser le stade de la révolte pour aller vers celui de la révolution, de même qu’il lui était difficile en Hongrie de se prémunir contre la propagande nationaliste d’une fraction de la bourgeoisie et de son armée.
Les ouvriers ont déclenché le mouvement de protestation à cause des conditions intolérables dans lesquelles ils étaient forcés de vivre et de travailler. Une fois que les ouvriers eurent jeté leur poids dans le mouvement, celui-ci prit un caractère violent et intransigeant que personne n'avait prédit. Bien que différents éléments aient pris part au combat (étudiants, soldats, paysans, etc.), ce sont essentiellement des jeunes travailleurs qui, dans les premiers jours de l'insurrection, ont détruit le premier contingent de chars russes envoyés à Budapest pour restaurer l'ordre. C'est principalement la classe ouvrière qui a pris les armes pour combattre la police secrète et l'armée russe. Lorsque la seconde vague de chars russes arriva pour écraser l'insurrection, ce sont les quartiers ouvriers qu'il a fallu mettre en ruines, parce qu'ils étaient les principaux centres de résistance. Et même après la restauration de "l'ordre" et l'instauration du gouvernement Kadar, même après le massacre de milliers d'ouvriers, le prolétariat a continué à résister en menant des luttes âpres et nombreuses.
L'expression la plus claire du caractère prolétarien de la révolte a été l'apparition de conseils ouvriers à travers tout le pays. Nommés à l'échelle de l'usine, ces conseils faisaient le lien entre des régions industrielles entières, des villes, et étaient sans aucun doute le centre organisationnel de toute l'insurrection. Ils ont pris en charge l'organisation de la distribution d'armes et de nourriture, la direction de la grève générale, et dirigé la lutte armée. Dans certaines villes, ils détenaient le commandement total et incontesté. L'apparition de ces soviets sema inquiétude et effroi au sein de la classe capitaliste, à l’Est comme à l’Ouest.
Mais chanter les louanges des luttes des ouvriers hongrois sans analyser leurs faiblesses extrêmes et leurs confusions seraient une trahison de nos tâches comme révolutionnaires, qui n'est pas d'applaudir passivement les luttes du prolétariat, mais de critiquer leurs limites et de souligner les buts généraux du mouvement de classe. Malgré le fait que les ouvriers avaient de facto le pouvoir dans de grandes zones de la Hongrie durant la période insurrectionnelle, la rébellion de 1956 n'était pas une tentative consciente de la part du prolétariat de prendre le pouvoir politique ni de bâtir une nouvelle société. C'était une révolte spontanée, qui a échoué à devenir une révolution parce qu'il manquait à la classe ouvrière une compréhension politique claire des buts historiques de sa lutte, du fait même qu'elle subissait encore tout le poids idéologique lié à la contre-révolution.
Dans un sens immédiat, la première difficulté des ouvriers hongrois était de résister à l'énorme battage de l'idéologie nationaliste et démocratique qui leur était assénée de toutes parts. Les étudiants et les intellectuels étaient les propa-gateurs les plus actifs de cette idéologie, mais les ouvriers souffraient eux-mêmes inévitablement de toutes ces illusions. Et donc, au lieu d'affirmer les intérêts autonomes du prolétariat contre l'Etat capitaliste et toutes les autres classes, les conseils tendaient à identifier la lutte des ouvriers avec la lutte "populaire" pour réformer la machine étatique en vue de "l'indépendance nationale", pure utopie réactionnaire à l'époque de la décadence capitaliste et de l'impérialisme. Au lieu d'appeler –comme les Soviets de Russie l'avaient fait en 1917- à la destruction de l'Etat bourgeois et à l'extension internationale de la révolution, les conseils se sont limités à exiger le retrait des troupes russes, une "Hongrie socialiste indépendante" sous la direction de Imre Nagy, la liberté d'expression, l'autogestion des usines, etc. Les méthodes de lutte utilisées par les conseils étaient implicitement révolutionnaires, exprimant la nature intrinsèquement révolutionnaire du prolétariat. Mais les buts qu'ils ont adoptés restaient tous dans le cadre politique et économique du capitalisme. La contradiction dans laquelle les conseils se sont retrouvés peut être résumée dans la revendication suivante, mise en avant par le conseil ouvrier de Miskolc : "Le gouvernement doit proposer la formation d'un Conseil National Révolutionnaire, basé sur les conseils ouvriers des différents départements et de Budapest, et composé de délégués élus démocratiquement par ceux-ci. En même temps, l'ancien Parlement doit être dissout." (Cité dans Bureaucratie et Révolution en Europe de l'Est de Chris Hermann, p. 161)
Mais au lieu de franchir ce pas, les conseils ont adressé leur revendication de dissolution du parlement et la mise sur pied d’un conseil central des ouvriers au gouvernement provisoire de Imre Nagy, c’est-à-dire à la force elle-même qu’ils auraient dû supprimer ! De telles illusions ne pouvaient que conduire à l’écrasement des conseils, ou à leur intégration dans l’Etat bourgeois. Il faut porter au crédit de la majorité des conseils ouvriers qu’ils ont soit péri en luttant, soit se sont dissout quand ils ont vu qu’il n’y avait plus d’espoir de développement de la lutte et qu’ils étaient condamnés à devenir des organes instrumentalisés par le gouvernement Kadar.
L’incapacité des ouvriers hongrois à développer une compréhension révolutionnaire de leur situation est également apparue dans le fait que, à notre connaissance, aucun regroupement politique révolutionnaire n’est issu en Hongrie de ces énormes convulsions. Comme l’écrivait Bilan, la publication de la Gauche italienne, à propos de l’Espagne dans les années 1930, l’échec du prolétariat espagnol à créer un parti de classe malgré la nature radicale de sa lutte était fondamentalement l’expression du profond creux dans lequel le mouvement prolétarien international se trouvait à ce moment-là. A certains points de vue, la situation autour de 1956 était même pire : la dernière des fractions communistes de gauche avait disparu, et pas seulement en Hongrie, mais partout dans le monde, le prolétariat se retrouvait presque sans aucune expression politique propre. Les faibles voix révolutionnaires qui peuvent avoir existé étaient facilement submergées par la clameur de ces forces de la contre-révolution dont le rôle est de parler "au nom" de la classe ouvrière. Les staliniens de tous les pays montraient leur nature brutalement réactionnaire en calomniant le soulèvement ouvrier de "conspiration" au service du clan de l'ancien dictateur Horthy ou de la CIA. Beaucoup d’individus ont quitté les PC par dégoût à cette époque, mais tous les PC sans exception ont soutenu la répression sauvage des ouvriers hongrois. Qui plus est, certains d’entre eux, conduits par le grand timonier, le Président Mao à Pékin, ont critiqué Khrouchtchev pour ne pas avoir réprimé les ouvriers hongrois assez sévèrement ! Les trotskistes, parce qu’ils ont claironné leur "soutien" au soulèvement, peuvent sembler avoir été du côté des ouvriers. Mais en caractérisant la révolte comme une "révolution politique" pour la "démocratie ouvrière" et "l’indépendance nationale", ils ont contribué à renforcer la mystification insidieuse selon laquelle l’Etat en Hongrie avait déjà un caractère ouvrier et devait seulement être purgé de ses déformations bureaucratiques pour se retrouver entièrement aux mains des ouvriers.
Non seulement les organisations trotskistes ont diffusé un poison idéologique servant à maintenir la lutte des ouvriers à l’intérieur du cadre de l’Etat bourgeois, mais elles ont ouvertement soutenu l'aile bureaucratique la plus "libérale" des régimes staliniens. La prise de position d’Ernest Mandel, grand prêtre de la 4e Internationale en 1956, à propos de la victoire de la clique Gomulka en Pologne est sans la moindre ambiguïté : "La démocratie socialiste aura encore beaucoup de batailles à remporter en Pologne, (mais) la bataille principale, celle qui a permis à des millions d’ouvriers de s’identifier à nouveau avec l’Etat ouvrier, est déjà gagnée" (cité par Harman, p. 108).
Depuis 1956, des analyses plus "radicales" des événements en Hongrie ont été publiées, mais peu rompent vraiment avec le cadre du trotskisme. Par exemple, les libertaires de Solidarity, dans leur brochure Hongrie 56, voient la revendication de l’autogestion ouvrière (élaborée par les syndicats hongrois!) comme le véritable noyau révolution-naire du soulèvement. Mais cette revendication, comme l’appel à l’indépendance nationale et à la démocratie, n’était qu’une diversion supplémentaire de la tâche première des ouvriers : la destruction de l’Etat capitaliste, la saisie par les conseils, non simplement de la production, mais du pouvoir politique.
Beaucoup de fractions de la bourgeoisie se souviennent aujourd’hui avec nostalgie des années 1950, car c’était une période où l’idéologie bourgeoise semblait avoir conquis le contrôle absolu de la classe ouvrière. Les ouvriers d’Europe de l’Est se sont donc retrouvés isolés et soumis à toutes les illusions issues d’une situation en apparence "particulière". Avec un capitalisme occidental qui semblait aussi prospère et libre, il n’était pas difficile pour les ouvriers du bloc de l’Est de voir leur ennemi dans la Russie ou le stalinisme, et non dans le capitalisme mondial. Cela explique les terribles illusions qu’avaient souvent les insurgés sur les régimes "démocratiques" de l’Ouest. Beaucoup espéraient que l’Ouest "leur vienne en aide" contre les Russes. Mais l’Occident avait déjà reconnu à Yalta le "droit" de la Russie d’exploiter et d’opprimer les travailleurs des pays de l’Est, et n’avait aucun intérêt à venir en aide à quelque chose d’aussi incontrôlable qu’un soulèvement massif d’ouvriers.
Le monde capitaliste n’est plus ce qu’il était dans les années 1950. Depuis la fin des années 1960, l’ensemble du système a sombré de plus en plus profondément dans une crise économique insoluble, expression de la décadence historique du capitalisme depuis près d'un siècle. En réponse à cette crise, une nouvelle génération de travailleurs a ouvert une nouvelle période de lutte de classe à l’échelle internationale. Si on compare les grèves de Pologne dans les années 1970 au soulèvement en Hongrie, on peut voir que beaucoup des illusions des années 1950 ont commencé à perdre de leur emprise. Les ouvriers de Pologne ne se sont pas battus comme "Polonais" mais comme ouvriers ; et leur ennemi immédiat n’était pas "les Russes" mais leur propre bourgeoisie ; leur objectif immédiat n’était pas la défense de "leur" pays mais la défense de leur propre niveau de vie. C’est cette réapparition du prolétariat international sur son terrain de classe qui a remis la révolution communiste mondiale à l’ordre du jour de l’histoire. Mais, bien que le soulèvement hongrois appartienne à une période dépassée par la classe ouvrière, il contient beaucoup d’enseignements pour la classe ouvrière actuelle dans sa lutte pour acquérir la conscience de son rôle révolutionnaire. Au travers de ses erreurs et de ses confusions, le soulèvement soulignait de nombreuses leçons cruciales à propos des ennemis de la classe ouvrière : le nationalisme, l’autogestion, le stalinisme sous toutes ses formes, la "démocratie" occidentale, etc. Mais en même temps, dans la mesure où elle a hanté la bourgeoisie de l’Est et de l’Ouest du spectre des conseils ouvriers armés, l’insurrection a été un héroïque signe avant-coureur du futur qui attend le prolétariat partout dans le monde.
D'après World Revolution, organe du CCI en Grande-Bretagne.
L'enlisement de la guerre en Irak et l'échec manifeste de la lutte contre le terrorisme international avec la multiplication des attentats meurtriers, non seulement au Moyen-Orient mais dans le monde, constituent non seulement de véritables camouflets mais sont de véritables revers cuisants pour les Etats-Unis.
La bourgeoisie américaine est dans une impasse
Comment est-il possible que la première armée du monde, dotée des moyens technologiques les plus modernes, des services de renseignements les plus efficaces, d’armes sophistiquées capables de repérer et d’atteindre avec précision des cibles à des milliers de kilomètres de distance, se retrouve prise au piège d’un tel bourbier? Pour la classe dominante la réponse est évidente, il ne peut s’agir que de l’incompétence manifeste de Bush Junior le “pire président de l’histoire des Etats-Unis : ignorant, arrogant et totalement stupide ” (ce sont là les mots de l’écrivain Norman Mailer). En somme, un demi-abruti entouré d’une bande de Pieds Nickelés. L’explication est facile et fonctionne d’autant mieux que George Bush n’a pas beaucoup d’effort à fournir, il est vrai, pour la rendre crédible. Cependant, cette explication (et c’est là son mérite pour la bourgeoisie) est dans le fond très éloignée du problème. Ce n’est pas tel ou tel individu au sommet de l’Etat qui fait évoluer le capitalisme dans tel ou tel sens mais au contraire l’état de ce système qui impose les orientations politiques. La première puissance mondiale doit obligatoirement tenir son rang. Les Etats-Unis ne peuvent avoir d’autre politique que celle mise en avant par Paul Wolfowitz (éminent membre de l’administration républicaine) dès le début des années 1990 : "la mission politique et militaire essentielle de l’Amérique pour l’après-Guerre froide consistera à faire en sorte qu’aucune superpuissance rivale ne puisse émerger en Europe de l’Ouest, en Asie ou dans les territoires de l’ancienne Union soviétique". Cette"doctrine" a été rendue publique en mars 1992 quand la bourgeoisie américaine s’illusionnait encore sur le succès de sa stratégie, au lendemain de l’effondrement de l’URSS et de la réunification de l’Allemagne. Dans ce but, ces gens-là déclaraient il y a quelques années que pour mobiliser la nation et pour imposer au monde entier les valeurs démocratiques de l’Amérique et empêcher les rivalités impérialistes,"il faudrait un nouveau Pearl Harbour". Il faut rappeler que l’attaque de la base des forces navales américaines par le Japon en décembre 1941 qui avait fait 4500 morts ou blessés côté américain avait permis l’entrée en guerre des Etats-Unis aux côtés des Alliés en faisant basculer une opinion publique jusque là largement réticente à cette entrée en guerre, alors que les plus hautes autorités politiques américaines étaient au courant du projet d’attaque et n’étaient pas intervenues. Depuis, ils n’ont fait qu’appliquer leur politique : les attentats du 11 septembre leur ont servi de"nouveau Pearl Harbour" et c’est au nom de leur nouvelle croisade contre le terrorisme qu’ils ont pu justifier l’invasion de l’Afghanistan puis de l’Irak.
Le bilan de cette politique qui est la seule que la première puissance impérialiste mondiale puisse mener est accablant: 3000 soldats morts depuis le début de la guerre en Irak il y a trois ans (dont plus de 2800 pour les troupes américaines), 655 000 Irakiens ont péri entre mars 2003 et juillet 2006 alors que les attentats meurtriers et les affrontements entre fractions chiites et sunnites n’ont fait depuis que s’intensifier. Ce sont 160 000 soldats d’occupation qui sont présents sur le sol irakien sous le haut commandement des Etats-Unis et qui se retrouvent incapables"d’assurer leur mission de maintien de l’ordre" dans un pays au bord de l’éclatement et de la guerre civile. Non seulement les milices chiites et sunnites s’affrontent entre elles avec violence depuis des mois mais des bandes rivales locales chiites s’entre-déchirent et sèment la terreur, notamment entre le gang sous les ordres de Moqtada al-Sadr (auto-proclamé "armée du Mehdi" et celui des brigades Al-Badr (lié au parti dominant au gouvernement) principaux responsables des tueries à Amara, Nasiriyya, Bassorah où ils tentent d’imposer leur loi. Au sud du pays, des activistes sunnites qui revendiquent fièrement leurs liens avec les talibans et Al Qaïda viennent d’auto-proclamer une"république islamique" tandis que, dans la région de Bagdad, la population est exposée aux voitures, bus ou même vélos piégés, ainsi qu’aux exactions des bandes de pillards. La moindre sortie isolée des troupes américaines s’expose à tomber dans un guet-apens.
L’Irak a plongé dans un inextricable chaos sanglant
Les guerres en Irak et en Afghanistan engloutissent en outre des sommes colossales qui creusent toujours davantage la dette budgétaire et précipitent les Etats-Unis dans un endettement faramineux. La situation en Afghanistan n’est pas moins catastrophique. La traque interminable contre Al Qaïda et la présence, là aussi, d’une armée d’occupation redonnent du crédit aux talibans (chassés du pouvoir en 2002 mais réarmés par l’Iran et plus discrètement par la Chine) qui multiplient les embuscades et les attentats. Les"démons terroristes" que sont Ben Laden ou le régime des talibans sont d’ailleurs l’un comme l’autre des"créatures" des Etats-Unis pour contrer l’ex-URSS à l’époque des blocs impérialistes après l’invasion des troupes russes en Afghanistan. Le premier est un ancien espion recruté par la CIA en 1979 qui, après avoir servi d’intermédiaire financier d’un trafic d’armes de l’Arabie Saoudite et des Etats-Unis à destination du maquis afghan devient"naturellement" dès le début de l’intervention russe l’intermédiaire des Américains pour répartir le financement de la résistance afghane. Les talibans, quant à eux, ont été armés et financés par les Etats-Unis et leur accession au pouvoir s’est accomplie avec l’entière bénédiction de l’Oncle Sam.
Il est aussi patent que la grande croisade contre le terrorisme loin d’aboutir à son éradication n’a débouché au contraire que sur la démultiplication des actions terroristes et des attentats kamikazes où le seul objectif est de faire le plus de victimes possibles. Aujourd’hui, la Maison Blanche reste impuissante face aux pieds-de-nez les plus humiliants que lui lance l’Etat iranien. Cela donne d’ailleurs des ailes à des puissances de quatrième ou de cinquième ordre comme la Corée du Nord qui s’est permis de procéder le 8 octobre à un essai nucléaire qui en fait le 8e pays détenteur de l’arme atomique. Ce gigantesque défi vient mettre en péril l’équilibre de toute l’Asie du Sud-Est et conforter à leur tour les aspirations de nouveaux prétendants à se doter de l’arme nucléaire. La remilitarisation et le réarmement rapide du Japon et son orientation vers la production d’armes nucléaires viennent de trouver leur prétexte pour faire face aux voisins immédiats.
Il faut aussi évoquer la situation de chaos effroyable qui sévit au Moyen-Orient et en particulier dans la bande de Gaza. A la suite de la victoire électorale du Hamas fin janvier, l’aide internationale directe a été suspendue et le gouvernement israélien a organisé le blocus des transferts de fonds des recettes fiscales et douanières à l’Autorité palestinienne. 165 000 fonctionnaires ne sont plus payés depuis 7 mois mais leur colère ainsi que celle de toute une population dont 70% vit en dessous du seuil de pauvreté, avec un taux de chômage de 44%, est aisément récupérée dans les affrontements de rue qui opposent à nouveau régulièrement depuis le 1er octobre les milices du Hamas et celles du Fatah. Les tentatives de gouvernement d’union nationale avortent les unes après les autres. Dans le même temps, après son retrait du Sud-Liban, Tsahal réinvestit les zones frontalières avec l’Egypte à la limite de la bande de Gaza et a repris ses bombardements de missiles sur la ville de Rafah sous prétexte de traque aux activistes du Hamas.
La population vit au milieu d’un climat de terreur et d’insécurité permanente. Depuis le 25 juin, 300 morts ont été recensés dans ce territoire.
Le fiasco de la politique américaine est donc patent. C’est pourquoi on assiste à une large remise en cause de l’administration Bush, y compris dans son propre camp, celui des républicains. 60% de la population américaine pense que la guerre en Irak est une"mauvaise chose", une majeure partie d’entre eux ne croit plus à la thèse de la détention de potentiel nucléaire et aux liens de Saddam avec Al Qaïda et jugent qu’il s’agissait de prétexte pour justifier une intervention en Irak. Une demi-douzaine de livres récents (dont celui du journaliste-vedette Bob Woodward qui avait soulevé le scandale du Watergate à l’époque de Nixon) dresse des réquisitoires implacables pour dénoncer ce"mensonge" d’Etat et pour réclamer le retrait des troupes d’Irak. Cela ne signifie nullement que la politique militariste des Etats-Unis peut se saborder mais le gouvernement est contraint d’en tenir compte et d’étaler ses propres contradictions pour tenter de s’adapter.
La prétendue dernière"gaffe" de Bush admettant le parallèle avec la guerre au Vietnam est concomitante avec les "fuites"… orchestrées par les interviews accordées par James Baker. Le plan de l’ancien chef d’Etat-major de l’ère Reagan, puis secrétaire d’Etat à l’époque de Bush père, préconise l’ouverture du dialogue avec la Syrie et l’Iran et surtout un retrait partiel des troupes d’Irak. Cette tentative de parade limitée souligne le niveau d’affaiblissement de la bourgeoisie américaine pour qui le retrait pur et simple d’Irak serait le camouflet le plus cinglant de son histoire et qu’elle ne peut pas se permettre. Le parallèle avec le Vietnam est à vrai dire une sous-estimation trompeuse, car à l’époque, le retrait des troupes du Vietnam avait permis aux Etats-Unis une réorientation stratégique bénéfique de ses alliances et d’attirer la Chine dans son propre camp contre l’ex-URSS tandis qu’aujourd’hui le retrait des troupes américaines d’Irak serait une pure capitulation sans aucune contrepartie et entraînerait un discrédit complet de la puissance américaine. Ces contradictions sont des manifestations criantes de l’affaiblissement du leadership américain et de l’avancée du"chacun pour soi". Un changement de majorité au prochain Congrès ne saurait apporter d’autre"choix" qu’une fuite en avant dans des aventures militaires de plus en plus meurtrières qui expriment l’impasse du capitalisme.
Aux Etats-Unis, le poids du chauvinisme étalé partout au lendemain du 11 septembre a en grande partie disparu avec l’expérience du double fiasco de la lutte anti-terroriste et de l’enlisement de la guerre en Irak. Les campagnes de recrutement de l’armée peinent à trouver des candidats prêts à aller se faire trouer la peau en Irak tandis que les troupes sont gagnées par la démoralisation. Malgré les risques encourus, des milliers de désertions se produisent sur le terrain. On a enregistré que plus d’un millier de déserteurs se sont réfugiés au Canada.
Cette situation laisse entrevoir une tout autre perspective. Le poids de plus en plus insupportable de la guerre et de la barbarie dans la société est une dimension indispensable de la prise de conscience par les prolétaires de la faillite irrémédiable du système capitaliste. La seule réponse que la classe ouvrière puisse opposer à la guerre impérialiste, la seule solidarité qu’elle puisse apporter à ses frères de classe exposés aux pires massacres, c’est de se mobiliser sur son terrain de classe pour en finir avec ce système.
W / 21.10.06
La gravité du réchauffement climatique lié à l’émission de gaz à effet de serre est "une vérité qui dérange». Du moins, c’est ce que nous en dit Al Gore, l’ex-vice président des Etats-Unis qui, depuis son échec électoral en 2000, vole de conférence en conférence (aux Etats-Unis, au Japon, en Chine, en Allemagne…) pour révéler au monde, tel un oiseau de mauvais augure, cette "inconvenante" vérité. C’est donc logiquement que le réalisateur pro-démocrate Davis Guggenheim a mis en scène une de ces innombrables conférences dans un documentaire au titre tout trouvé : Une vérité qui dérange.
La chose est à ce point "dérangeante" que c’est un haut dignitaire de la bourgeoisie américaine qui nous la livre à l’échelle planétaire dans un cours magistral sur écran géant… Albert Gore tombe de son arbre ! Cela fait bientôt plus de 30 ans que la communauté scientifique se penche sur le problème et plus de 10 ans qu’elle est unanime sur le constat de l’aggravation du réchauffement de la Terre liée à la pollution industrielle. Finalement, la seule et unique révélation que contient ce film est Al Gore lui même et son don inné pour la comédie. En effet, celui qui se présente aujourd’hui comme le champion toute catégorie de la défense de l’environnement, depuis ses années d’études à Harvard où il suivait assidûment les cours du professeur Roger Revelle (pionnier de la théorie du réchauffement global), n’est autre que celui qui plus tard, avec Clinton, a "autorisé le déversement de dioxine dans les océans et laissé s’accomplir la plus grande déforestation de toute l’histoire des Etats-Unis." (The Independent, paru dans Courrier International du 15 juin 2006)
Albert Gore, telle une éponge imbibée d’hypocrisie, est un spécimen très représentatif de sa classe sociale. Tous les Etats sont conscients des enjeux climatiques. Tous proclament haut et fort leur volonté d’agir pour préserver le milieu naturel de l’espèce humaine et garantir l’avenir des prochaines générations. Pourtant, malgré les flamboyantes déclarations du Sommet de la Terre à Rio (1992) ou les bonnes résolutions du protocole de Kyoto (1998), la pollution va crescendo et les menaces liées au dérèglement du climat gagnent de l’ampleur. En fin de compte, la vérité qui dérange et que la bourgeoisie planque derrière toutes ses conférences, et maintenant ses films, c’est que le monde capitaliste est totalement impuissant à trouver une solution aux dangers climatiques… et cela d’autant plus qu’il en est le premier responsable.
Le système capitaliste, en faillite depuis près d’un siècle, a cessé de représenter un quelconque progrès pour l’humanité. Son existence a pris place sur une base malade et destructrice. Les conséquences écologiques désastreuses, ressenties depuis les années 1950, en sont une démonstration supplémentaire.
Les carottes de glace ne mentent pas! Prélevées en Antarctique, elles permettent d’étudier la composition de l’atmosphère sur plusieurs centaines de milliers d’années. Ces dernières indiquent clairement que les taux de CO2 n’ont jamais été aussi élevés qu’à partir du milieu du 20e siècle. Les émissions de gaz à effet de serre, caractéristique du mode de production capitaliste, n’ont jamais cessé d’augmenter et la température moyenne de s’accroître à un rythme régulier. "La planète est aujourd’hui plus chaude qu’elle ne l’a jamais été au cours des 2 derniers millénaires, et, si la tendance actuelle se poursuit, elle sera probablement plus chaude d’ici à la fin du 21e siècle qu’elle de l’a jamais été dans les deux derniers millions d’années." The New Yorker paru dans Courrier International d’octobre 2006.
Cette vive poussée de chaleur est d’ailleurs visible à l’œil nu aux deux pôles du globe. La fonte de l’Arctique est si bien entamée que sa disparition est prévue d’ici à 2080. Tous les grands glaciers sont en diminution et les océans se réchauffent.
En 1975, James Hansen, directeur de l’institut Goddard d’études spatiales (le GISS), s’est intéressé aux changements climatiques. "Dans sa thèse consacrée au climat de Vénus, il avance l’hypothèse selon laquelle, si la planète présente une température de surface moyenne de 464°C, c’est parce qu’elle est enveloppée d’un brouillard de gaz carbonique responsable d’un effet de serre considérable. Quelque temps plus tard, une sonde spatiale apporte la preuve que Vénus est effectivement isolée par une atmosphère composée à 96% de dioxyde de carbone." The New Yorker. Voilà à quoi pourrait ressembler, dans un avenir très lointain, la Terre sous l’effet de l’accumulation continue de CO2…l’éradication de toute forme de vie. Cela dit, il n’est pas besoin de se projeter si loin pour se rendre compte du potentiel dévastateur du réchauffement climatique. Bien avant que l’effet de serre ait transformé la Terre en un immense four à plus de 400°C, les signes avant-coureurs du bouleversement climatique suffisent déjà à provoquer un véritable carnage sur l’espèce humaine : inondations, maladies, tempêtes…
Le directeur du British Antarctic Survey, Chris Rapley, a fait remarquer début 2005 que la calotte glacière de l’Antarctique Ouest était en train de fondre. Or, cette dernière (comme le Groenland) contient assez d’eau pour faire monter le niveau des mers de 7 mètres, ce qui correspond à l’immersion à moyen terme de vastes étendues de terres habitées en Thaïlande, en Inde, aux Pays-Bas, aux Etats-Unis…
Un autre directeur, celui de l’INSERN, a mis en avant en 2000 que "la capacité reproductrice et infectieuse de nombre d’insectes et rongeurs, vecteurs de parasites ou de virus, est fonction de la température et de l’humidité du milieu. Autrement dit, une hausse de la température, même modeste, donne le feu vert à l’expansion de nombreux agents pathogènes pour l’homme et l’animal. C’est ainsi que des maladies parasitaires telles que le paludisme (…) ou des infections virales comme la dengue, certaines encéphalites et fièvres hémorragiques ont gagné du terrain ces dernières années. Soit elles ont fait leur réapparition dans des secteurs où elles avaient disparue, soit elles touchent à présent des régions jusque là épargnées…"
Dernière illustration, la fréquence et la puissance des ouragans ne pourront qu’augmenter avec le réchauffement. En effet, la colonne d’air humide qui lui donne naissance ne se forme que lorsque la température de surface de la mer est supérieure à 26°C. Si les océans se réchauffent, les zones dépassant ce seuil seront plus étendues. Quand Katrina a atteint la catégorie 5 du classement des ouragans, la température tournait autour de 30°C à la surface du golfe du Mexique. Aussi, selon Kerry Emanuel du Massachusetts Institute of Technology, "La poursuite du réchauffement risque d’accroître le potentiel destructeur des cyclones tropicaux et, avec l’accroissement des populations côtières, d’augmenter de façon substantielle le nombre des victimes dues aux ouragans au 21e siècle." Ainsi, après avoir épluché les statistiques sur l’intensité des ouragans des 50 dernières années, K. Emanuel en arrive à la conclusion que les derniers ouragans durent en moyenne plus longtemps et que la vitesse de leurs vents est 15% plus élevée soit une capacité de destruction accrue de 50%.
Bref, de quoi faire passer les dix plaies d’Egypte et tous les déluges de la Bible réunis pour une vaste partie de plaisir.
Contrairement à Vénus qui a vu son climat évoluer naturellement vers des températures infernales, le réchauffement actuel de la Terre a une toute autre origine…l’activité industrielle des hommes. Cette vérité là n’a pourtant rien d’un scoop puisque bon nombre de climatologues (et la bourgeoisie elle-même) n’en font pas mystère. L’affiche du film d’Al Gore est encore plus explicite en montrant une cheminée d’usine de laquelle s’échappe une fumée prenant la forme d’un cyclone. "L’industrie est coupable !" Voilà un bouc émissaire bien commode car dans le fond ce n’est pas tant l’industrie qui est en cause que la façon dont elle est mise en œuvre, dit autrement, la façon dont fonctionne le capitalisme.Le mode de production capitaliste a toujours pollué l’environnement y compris au 19e siècle lorsqu’il était encore un facteur de progrès. Il faut dire que le capitalisme se soucie de l’environnement comme de sa première chemise. "Accumuler pour accumuler, produire pour produire, tel est le mot d’ordre de l’économie politique proclamant la mission historique de la période bourgeoise. Et elle ne s’est pas fait un instant illusion sur les douleurs d’enfantement de la richesse : mais à quoi bon des jérémiades qui ne changent rien aux fatalités historiques ?" (Karl Marx, Le Capital - Livre I). L’accumulation du capital tel est le but suprême de la production capitaliste et peu importe le sort réservé à l’humanité ou à l’environnement…tant que c’est rentable, c’est bon! Le reste n’est finalement que quantité négligeable.
Mais, lorsque ce système entre dans sa phase de déclin historique au début du 20e siècle, la destruction du milieu naturel prend une tout autre dimension. Là, elle devient impitoyable à l’image du combat sans merci que se livrent les rats capitalistes pour se maintenir sur le marché mondial. Réduire les coûts de production à leur ultime degré pour être le plus compétitif possible devient alors une règle de survie incontournable. Dans ce contexte, les mesures pour limiter la pollution industrielle sont évidemment un coût insupportable.
De même, cette nécessité économique permanente d’aller au moindre coût explique l’ampleur des dégâts matériels et humains une fois que les éléments se sont déchaînés. Constructions en carton-pâte, digues mal entretenues, systèmes de secours défaillants…le capitalisme n’est même pas capable d’assurer un minimum de protection contre les cataclysmes, épidémies et autres fléaux qu’il contribue à propager.
L’entreprise cinématographique de Monsieur Gore finit par nous dire que, cependant, nous avons le pouvoir de changer les choses, de réparer le mal qui a été fait et d’éloigner la menace du réchauffement climatique si nous voulons bien prendre la peine de devenir de parfaits… "citoyens écolos". C’est la raison pour laquelle le générique de fin de son film égraine une longue liste de recommandations : "changez de thermostat", "plantez un arbre"… "votez pour un candidat qui s’engage à défendre l’environnement…s’il n’y en a pas présentez-vous !" Et enfin "si vous croyez, priez pour que les autres changent de comportement". Finalement c’est peut être là le seul conseil sensé et digne de ce nom qu’un bourgeois puisse donner : "avant que le soleil s’obscurcisse et que les étoiles ne tombent du ciel mettez-vous à genoux et priez ". Bel aveu d’impuissance de la bourgeoisie et de son monde !
La classe ouvrière ne peut se permettre de laisser plus longtemps le sort de la planète entre les mains de ces gens là et de leur système. La crise écologique est la preuve de plus que le capitalisme doit être détruit avant qu’il n’entraîne le monde dans l’abîme.
Faire naître une société qui place en son cœur l’ Homme et son devenir est devenu une nécessité impérieuse. Le communisme sera ce monde nécessaire et la révolution prolétarienne le chemin pour y conduire l’humanité.
Jude / 20.10.06
Nous avons vu dans les deux précédents articles consacrés à ce sujet (voir Internationalisme n° 323 et 325) que le battage sur les délocalisations sert essentiellement de moyen de chantage pour contraindre la classe ouvrière à accepter des salaires toujours plus faibles et des conditions de travail toujours plus dégradées.
La crise irréversible que connaît le capitalisme se traduit invariablement par le rejet massif d’ouvriers hors de l’emploi La force de travail, dont l’exploitation constitue la source du profit capitaliste, voit d’autant plus son prix baisser dans ce contexte (comme toute marchandise pléthorique sur un marché saturé), que la réduction drastique des coûts de production (au premier rang desquels se trouve le salaire) est le seul moyen à la disposition de la bourgeoisie pour soutenir la concurrence sur des marchés toujours plus étroits et saturés de marchandises. Depuis quasiment une centaine d’années qu’il se trouve dans sa phase de déclin historique, le système capitaliste démontre à quel point il ne peut offrir d’autre avenir à ceux qu’il exploite qu’une fragilisation croissante de ses conditions d’existence : chômage de masse et paupérisation absolue où plongent des franges de plus en plus importantes de la population, y compris lorsqu’elles disposent d’un travail.
Dans sa lutte, la classe ouvrière a dans le monde entier la même tâche. Elle ne peut plus en rester à la lutte pour tenter de limiter les effets de l’exploitation. La seule perspective réaliste qui lui permettra de mettre un terme à tous les tourments auxquels le condamne le système capitaliste, c’est de s’attaquer aux causes de son exploitation. La seule issue à la crise économique capitaliste et la seule voie permettant au prolétariat d’accéder à une existence digne passent par l’abolition du caractère marchand de la force de travail, c’est-à-dire la destruction des rapports sociaux capitalistes et l’abolition du salariat à l'échelle mondiale.
Les délocalisations sont aussi directement utilisées pour attacher le prolétariat à l’idéologie de la concurrence, l’enfermer dans le cadre de la défense du capital national et le soumettre ainsi à ses impératifs. C’est en premier lieu ce que vise la propagande bourgeoise en érigeant l’idée selon laquelle l’Etat capitaliste pourrait être un « rempart protecteur » contre les « méfaits de la mondialisation ». C’est l’exemple aux Etats-Unis du baratin autour des dispositions prises pour "interdire aux entreprises qui délocalisent de participer aux appels d’offre publics", ainsi que la surenchère dans l’esbroufe des initiatives parlementaires du camp démocrate en vue de rendre " obligatoire une consultation du personnel et des élus de la région avant tout transfert de production à l’étranger "1 . Le bla-bla du gouvernement, comme de son opposition, d’après lequel "il faut agir dans ce pays, pour garantir aux citoyens des emplois nationaux." (G. Bush) cherche à renforcer la mystification d’un Etat « au-dessus des classes » et " au service de tous les citoyens" et à entretenir l’illusion d’une possible conciliation des intérêts de la classe dominante avec ceux de la classe ouvrière au sein du cadre national. Tout au contraire, l’Etat ne peut en aucun cas constituer un allié pour les ouvriers . Celui-ci est à la fois le garant des intérêts de la classe dominante dans le maintien de son système d’exploitation et l’outil entre ses mains pour orchestrer les attaques contre le prolétariat. Comme le montrent la guerre économique sans merci entre tous les Etats du monde ainsi que l’embrasement de conflits guerriers, l’Etat national constitue le moyen par lequel les différentes nations se livrent à une concurrence effrénée. Il n’est en aucune manière une bouée de sauvetage pour la classe ouvrière mais bel et bien un ennemi des plus redoutables Dans sa lutte, c’est à l’Etat que le prolétariat doit s’affronter.
D’autre part, la propagande bourgeoise, en reportant la responsabilité de la dégradation des conditions de vie du prolétariat occidental sur les ouvriers polonais, chinois ou hindous, constitue une répugnante entreprise de division entre les différentes parties du prolétariat mondial. Par exemple, de fin 2004 et durant l’année 2005, la bourgeoisie a fait du "conflit" de Vaxholm en Suède, le modèle de la lutte " antilibérale". L’emploi sur un chantier d’ouvriers lettons moins bien payés que les ouvriers suédois, a servi aux syndicats à orchestrer une gigantesque campagne largement utilisée par la bourgeoisie, même en dehors de ce pays. Au nom de la "solidarité " et du "refus de la discrimination entre travailleurs", le blocus du chantier par plusieurs fédérations de syndicats, sous les slogans de "Go home !" a fini par priver de leur gagne-pain les ouvriers lettons, contraints au départ, et a débouché sur une vaste mobilisation nationale pour rameuter les ouvriers derrière les pouvoirs publics, le gouvernement social-démocrate et les syndicats pour la "protection du modèle social suédois" et la défense du "code du travail, notre sécurité" ! Cette expérience ne montre qu’une chose : enjoindre les prolétaires à lutter contre "le moins disant social", revient à enfermer le prolétariat, fraction par fraction, dans la défense de "ses" conditions d’exploitation au sein de chaque nation capitaliste, à le segmenter en entités opposées et concurrentes. En cherchant ainsi à piéger la classe ouvrière dans le cadre de la défense du capital national et sur le terrain nationaliste, la bourgeoisie s’attache à opposer entre eux les prolétaires et leur interdire toute possibilité d’unité et de solidarité ouvrière par delà les frontières.
Cette question de la solidarité possède déjà une portée concrète, lorsque les patrons mettent en concurrence les ouvriers des différents sites géographiques d’une même entreprise, par le biais des délocalisations.
La solidarité ouvrière est nécessairement destinée à prendre une dimension primordiale dans l’avenir de la lutte de classe. Aussi bien dans les pays de départ, que de destination des délocalisations, aucune fraction du prolétariat ne reste à l’écart de l’actuelle reprise des luttes que provoque la crise économique aux quatre coins du monde. Notre presse a déjà fait part des luttes ouvrières en Inde (Révolution Internationale n° 367), à Dubaï ou au Bangladesh (Révolution Internationale n° 370). En Chine aussi se développe un nombre croissant de luttes ouvrières qui "ont aujourd’hui gagné le secteur privé et les usines de la Chine côtière, tournées vers l’exportation. Des fabriques qui sous-traitent pour des sociétés étrangères grâce à une main d’œuvre pléthorique et docile (…) parce que les ouvriers, surtout les nouvelles générations, sont de plus en plus conscients de leurs droits. Ils ont aussi atteint un point où la situation n’est plus acceptable."(2) Au VietNam, fin 2005-début 2006, le pays a été secoué pendant plusieurs mois par une vague de grèves sauvages démarrée en dehors de tout contrôle syndical et impliquant plus de 40 000 ouvriers des zones franches de Saigon et des régions intérieures. " Le conflit portant sur les salaires et les conditions de travail a commencé en décembre au VietNam (…) où des douzaines de compagnies étrangères ont installé des usines pour tirer profit de l’énorme masse de main d’œuvre à bas coût. (…) Cette vague de grèves spontanées, considérée comme la pire depuis la fin de la guerre du VietNam (…) [a] commencé il y a presque trois mois principalement dans les usines à capitaux étrangers situées dans la banlieue sud de Saigon."(3) On y retrouve les mêmes tendances qui caractérisent les luttes ouvrières actuelles qui placent en leur centre la question de la solidarité ouvrière et implique simultanément des dizaines de milliers d’ouvriers de tous les secteurs. A partir de fin décembre " les débrayages se sont succédés pendant plus d’un mois et se sont durcis après un arrêt de travail de 18 000 salariés, chez Freestend, une firme taiwanaise dont l’usine fabrique des chaussures pour le compte de marques comme Nike et Adidas."(4) Le 3 janvier, " dans la région de Linh Xuat, province de Thuc Duc, onze mille employés de six usines font grève pour exiger une augmentation de salaire. Dès le jour suivant, ces grèves gagnent les usines de Hai Vinh et Chutex. Le même jour, cinq mille employés de la société Kollan & Hugo rejoignent la grève pour demander que les salaires minimums soient augmentés. (…) A la société Latex, tous les 2340 employés font grève par solidarité avec celle de Kollan et demandent une augmentation de 30% pour les salaires les plus bas. Ces ouvriers se rendent à la société Danu Vina, entraînant les membres du personnel à se joindre à leur grève. Le 4 janvier, les travailleurs vietnamiens de la plantation Grawn Timbers Ltd, dans la province de Binh Duong, près de Saigon manifestent contre la réduction soudaine des salaires, sans préavis ni aucune explication. Le même jour des milliers d’employés de l’entreprise Hai Vinh, Chutex, située dans la même région industrielle que la plantation Grawn Timbers Ltd se mettent en grève pour protester contre les salaires. Le 9 janvier, les grèves dans ces régions se poursuivent. Dans la banlieue de Saigon éclatent quatre nouvelles grèves auxquelles participent des milliers de travailleurs."(5) Dans le monde capitaliste, la concurrence constitue la racine des rapports sociaux et elle épargne d’autant moins les ouvriers que la bourgeoisie en profite et en joue pour les diviser et les affaiblir. La classe ouvrière ne peut développer sa propre force qu’en opposant à la concurrence ambiante son principe de solidarité de classe. Seule cette solidarité permet le développement de la lutte ouvrière comme véritable moyen de s’affronter à l’Etat et comme base au projet de société alternatif à ce monde du chacun pour soi : la société sans classe, celle du communisme. Cette solidarité ne peut évidemment se concevoir qu’au plan international. Dans la société actuelle, la classe ouvrière, est la seule classe apte à développer une solidarité à l’échelle mondiale. D’ailleurs, très rapidement le mouvement ouvrier a su affirmer son caractère international. Ainsi à l’époque de Marx, l’une des raisons immédiates qui conduisit à la fondation de l’Internationale fut la nécessité pour les ouvriers anglais de coordonner leur lutte avec ceux de France, d’où les patrons essayaient de faire venir des briseurs de grève. « La crise économique accentuait les antagonismes sociaux, et les grèves se succédaient dans tous les pays de l’Europe Occidentale. (…) Dans beaucoup de cas, [l’Internationale] réussit à empêcher l’introduction de briseurs de grèves étrangers, et là où des ouvriers étrangers, dans leur ignorance des conditions locales, faisaient office de briseurs de grève, elle les amena souvent à pratiquer la solidarité. Dans d’autres cas, elle organisa des souscriptions pour soutenir les grévistes. Non seulement cela donnait aux grévistes un appui moral, mais encore cela provoquait chez les employeurs une véritable panique : ils n’avaient plus affaire à ' leurs' ouvriers, mais à une puissance nouvelle et sinistre, disposant d’une organisation internationale."(6) Le prolétariat n’est jamais aussi fort que lorsqu’il s’affirme face à la bourgeoisie comme force unie et internationale.
Scott / 7.06
(1) L’Expansion du 13 février 2004
(2) Le Monde, du 14.octobre 2005
(3) Dépêche AFP du 15 mars 2006
(4) Courrier International n°796
(5) "Grèves massives au Vietnam pour obtenir des salaires décents" sur Viettan.org. Et Marianne n°470 du 22 avril 2006.
(6) B. Nicolaïevski, O. Maenchen-Helfen, La Vie de Karl Marx, NRF, Gallimard, p. 317.
Depuis quelque temps, non seulement dans les milieux d"extrême-gauche (des partis trotskistes aux staliniens du PTB), mais même dans les médias bourgeois, apparaissent des plaidoyers sur la nécessité d’un "parti populaire à la gauche du PS ou des écolos". Dans cette logique, diverses initiatives ont été lancées pour amorcer une dynamique menant au surgissement d’un tel parti.
Ainsi la bourgeoisie a accordé une certaine attention au "succès électoral" du PTB "ex stalinien" qui a triplé le nombre de ses conseillers communaux. Elle a tout particulièrement salué sa réorientation "populiste de gauche" d’après l’exemple néerlandais. Cependant, cette réorientation vient un peu tard et les guenilles staliniennes et maoïstes lui collent tellement à la peau que ce nouveau virage du PTB est loin d'être évident.
La course à l’investiture d’un nouveau parti à gauche du PS est maintenant bien ouverte sous le regard attentif de la bourgeoisie. C’est dans cette perspective que le Mas ou le POS ont fait campagne en faveur d’une série d’appels pour "une autre gauche" et "une autre politique". Leur argumentation est la suivante: "La classe ouvrière a besoin d’un parti qui défende ses intérêts, qui fasse entendre une autre voie dans les débats, qui puisse informer et mobiliser la population, et qui refuse de s’incliner devant la logique néolibérale qui vise à en finir avec tout ce que nos grands-parents et parents ont acquis par la lutte. C’est possible! En Allemagne, une nouvelle formation, le Linkspartei, vient d’obtenir 8,7% aux dernières législatives. Dans le mouvement contre les réformes de Schröder, des syndicalistes de divers syndicats se sont réunis avec d’autres activistes dans une campagne pour un nouveau parti. Ceci a abouti à la création du WASG qui s’est présenté avec le PDS aux élections sous le sigle du Linkspartei" (LSP/MAS, site web). Pour ces supporters d’une "autre gauche", le samedi 28 octobre a été un grand jour car s’est constitué à Bruxelles un Comité pour Une Autre Politique autour d’une série de personnalités de la gauche socialiste et syndicale (tels l’ancien député Sleeckx et l’ex-patron du syndicat socialiste Debunne) et il a d’emblée décidé de participer aux prochaines élections législatives.
Et pour les travailleurs ? Est-ce que ce nouveau parti, est-ce que cette "autre gauche", cette "autre politique" représentent vraiment un apport pour leur combat ?
Une "autre politique" au sein de l’Etat bourgeois et de son parlement ?
La politique anti-ouvrière évidente des partis socialistes PS/SPa au gouvernement depuis 18 ans, tout comme la corruption et les scandales qui les touchent périodiquement, tendent à faire s’écarter d’eux les éléments en recherche d'une alternative à la barbarie du capitalisme pourrissant. Face à cela, il peut paraître logique d’appeler ceux-ci à se mobiliser pour construire "un vrai parti de gauche" qui pourrait réellement représenter les travailleurs lors des élections et défendre leurs intérêts dans le système représentatif de l’Etat bourgeois, de la commune au parlement national. Pourtant, ce n’est pas la première fois qu’un parti se présente comme l’émanation d’une "autre gauche" et appelle à voter pour lui avec la promesse de mener une "autre politique": des divers partis communistes jusqu’au PDS en Allemagne ou au "Parti des Travailleurs" de Lula au Brésil, ces partis "à la gauche du PS" l’ont tous promis mais cela ne les a pas empêchés, du "président" Lula aux "ex-communistes"en France ou en Allemagne, de soutenir une politique de renforcement du capital national. De même, en Italie, le Parti de la Refondation communiste est entré dans la coalition sociale-libérale de Romano Prodi et s’affirme prêt à "gouverner", c’est-à-dire à prendre les mesures nécessaires pour renforcer la capacité concurrentielle du capital national.
Pour les révolutionnaires, la trahison des partis socialistes, puis plus tard des partis "communistes"ou "des travailleurs’ n’est pas le résultat du hasard, de la malchance ou de mauvais dirigeants, c’est le produit de l’évolution même du système capitaliste et de sa phase actuelle. Dans la phase actuelle de décadence, de crise mondiale, de chaos et de guerre généralisés, l’ensemble des Etats bourgeois ont évolué vers un système où les partis n’expriment plus la lutte entre fractions bourgeoises pour le contrôle de l’Etat mais où l’ensemble des partis est l’émanation des intérêts du capital national et oeuvre pour la défense de ceux-ci dans la foire d’empoigne entre brigands impérialistes au niveau international.
Croire que dans un tel contexte entièrement contrôlé par l’Etat bourgeois, un parti défendant les intérêts de la classe exploitée pourrait se développer dans le cadre du système parlementaire et électoral, voire conquérir le pouvoir, c’est se raconter des histoires, se bercer de rêves illusoires.
Au début du 20e siècle, aveuglées par la croissance exponentielle du capitalisme et par le développement impressionnant de leurs propres forces, les fractions opportunistes au sein de la Social-démocratie ont pu répandre l’illusion d’un passage progressif au socialisme à travers la prise de contrôle de l’Etat bourgeois au moyen du levier électoral. Cent ans plus tard, après deux guerres mondiales, de terribles crises économiques et un chaos et une barbarie croissants sur toute la planète, la mise en avant d’une telle conception ne peut être taxée que comme une entreprise de mystification éhontée visant à enfermer les travailleurs dans une voie suicidaire.
Une "autre gauche" pour aider à développer la conscience des travailleurs ?
Lorsque des doutes s’expriment sur l'opportunité d'un tel parti dans le cadre du système parlementaire, les gauchistes vous répondent, presque dans le creux de l'oreille : "Nous ne sommes pas dupes. Nous savons bien que ce nouveau parti ne sera pas le parti révolutionnaire, que tel dirigeant politique ou syndical va encore trahir, mais cette expérience négative est un passage obligé pour que les travailleurs apprennent qui sont les vrais révolutionnaires" (MAS, Pour un nouveau parti des travailleurs, 06.04.06). Cette démarche correspond pleinement à la vision manipulatrice de la lutte de classe propre aux groupes trotskistes, qui considèrent la classe ouvrière comme une masse moutonnière qu'on peut diriger dans un sens ou l'autre. Faire croire qu’enfermer les travailleurs dans une logique réformiste et une perspective d’action suicidaire favorise le développement de la conscience prolétarienne témoigne d’un cynisme sans bornes. Loin de s’appuyer sur l’expérience de sa force et de son organisation que la classe ouvrière peut acquérir dans sa lutte, le MAS pose comme perspective pour le développement de la prise de conscience … l'expérience individuelle de "chaque travailleur"; la mystification démocratique qui transforme "chaque travailleur" en un "citoyen", seul, dans son isoloir, avec l'illusion que son bulletin va influer sur sa condition sociale. La démarche gauchiste prétend qu'il faut partir des illusions des travailleurs pour les entraîner dans une expérience négative afin qu'ils prennent conscience. Affirmer que la conscience naît de la confusion, de la mystification et du découragement, tient du cynisme le plus répugnant et permet entre temps d’enfermer la classe ouvrière dans les campagnes démocratiques de la bourgeoisie.
Un nouveau parti des travailleurs pour sauvegarder les intérêts de la classe dominante
Si la classe ouvrière n’a aucun intérêt à s’engager pour la construction d’un nouveau parti de gauche, qu’en est-il de la bourgeoisie ? Confrontée à la décrédibilisation des partis de gauche "classiques’, elle a incontestablement intérêt à engendrer de nouvelles forces crédibles pouvant prendre la relève : des forces non décrédibilisées par l’exercice du pouvoir mais orientant, à travers un discours et une image plus radicale, la classe ouvrière vers les mêmes pièges du parlementarisme et du combat illusoire pour la réforme des structures de l’Etat bourgeois.
De ce point de vue donc, les organisations comme le MAS, le POS ou le PTB font effectivement un excellent travail … au service de la bourgeoisie. Pour ces organisations, en effet, la priorité des travailleurs serait de se mobiliser pour envoyer au parlement bourgeois un parti "plus à gauche" que les PS/SPa. L’objectif premier est alors de participer activement aux élections, d’élaborer un programme de réformes du système, de mettre en avant des personnalités comme Sleeckx ou Debunne, qui sont des hommes politiques bourgeois, des dirigeants syndicaux qui se sont toujours positionnés en défense des intérêts de l'Etat et contre la classe ouvrière, bref, couvrir d'un discours radical des pratiques et des programmes politiques qui sont ceux de la bourgeoisie. Les points de référence de ce nouveau parti des travailleurs, ce sont aussi les résidus de partis staliniens comme le PDS en Allemagne (ex-parti communiste de l'ex-RDA), le WASG de Lafontaine (ex-dirigeant SPD), Rifondazione, résidu de l'ex-Parti communiste italien, le Socialistische Partij des Pays-Bas (ex-maoïste qui a viré au populisme de gauche), sans parler du PT de Lula au Brésil ni des anciennes ou nouvelles icônes gauchistes d'Amérique latine comme Castro, Morales, ou Chavez. Voilà les références qui devraient convaincre les travailleurs qu'ils vont enfin pouvoir envoyer au parlement des représentants qui mettront fin aux politiques d'austérité.
L’objectif de ces campagnes pour une "vraie gauche" n’est en réalité nullement d’offrir des perspectives au combat de la classe ouvrière, mais au contraire de détourner le ras-le bol qui tend de plus en plus à s’exprimer vers des voies sans issue et ainsi éviter le développement de la réflexion au sein du prolétariat sur les perspectives et les moyens de lutte face à la barbarie croissante de la société bourgeoise. La pression de la crise et de l’austérité partout en Europe stimule la reprise de la combativité de la classe ouvrière, qui commence à se manifester avec plus de vigueur partout dans le monde. En Belgique, la lutte contre le "pacte des générations" fin 2005 a également montré un début de combativité et la bourgeoisie a compris que, si elle est parvenue à infliger une défaite aux travailleurs, puisque la loi est passée, cette reprise de la combativité s'accompagne également d'un début de prise de conscience que la défaite est le résultat du sabotage syndical. L'objectif de la campagne autour d’une "autre gauche" est donc bien de détourner sur le terrain des élections le mécontentement et ce début de prise de conscience. C'est là qu'intervient la propagande pour un nouveau parti des travailleurs qui tente de réactiver les illusions envers les syndicats plus combatifs, et la possibilité de défendre les ouvriers dans le parlement ou au conseil communal. La bourgeoisie se prépare à la nouvelle période de confrontation entre les classes confirmée par la mobilisation des jeunes générations de prolétaires en France contre le CPE et dans laquelle se sont manifestées les caractéristiques nouvelles des luttes ouvrières telles que la solidarité dans la lutte et la prise en mains de celle-ci par les AG (cf. Internationalisme, n°326, Mouvement contre le CPE: une riche expérience pour les luttes futures).
"Envoyer les travailleurs dans la confusion et la mystification pour qu’ils apprennent à voir clair" : voilà un objectif des plus cyniques de la campagne autour du "vrai parti de gauche". Il illustre parfaitement le rôle immonde que jouent en réalité ces "révolutionnaires" que prétendent être les trotskistes ou le PTB: ramener les éléments en recherche d’une vraie alternative au capitalisme vers la défense de la démocratie et le combat pour des réformes, détruire en fin de compte chez eux toute dynamique de prise de conscience.
Cela signifie-t-il que pour nous, une organisation politique est inutile ? Bien au contraire, nous affirmons qu’une organisation politique révolutionnaire est indispensable, mais en aucun cas pour lancer la classe ouvrière dans les voies suicidaires du réformisme, encore moins pour s’engager sur le terrain bourgeois de la représentation électorale au sein des organes de l’Etat capitaliste. Tout au contraire, son rôle est de défendre l’expérience historique des combats de classe et d’être à l’avant-garde dans sa prise de conscience, justement en combattant sans concession toutes ses illusions sur la démocratie, sur les syndicats, sur la gauche en général. Sa responsabilité est de généraliser les expériences les plus marquantes des luttes, celles qui soulignent la dynamique de politisation des nouvelles générations de prolétaires comme le combat contre le CPE ou d'autres luttes, les grèves du métro de New-York, à Mercedes-Benz en Allemagne, celle des métallurgistes à Vigo en Espagne, où sont réapparues les marques de solidarité prolétariennes, les assemblées générales ainsi que l'exigence de négocier directement, sans la médiation syndicale, avec l'adversaire (cfr. Internationalisme, n°326). Et là où c’est possible, le CCI intervient comme organisation révolutionnaire, mais sans alimenter une quelconque illusion. La classe ouvrière a besoin de connaître ses faiblesses comme ses atouts pour se préparer aux luttes futures car seule la vérité est révolutionnaire.
J.&J. / 01.01.06
Le soir du 14 décembre, la RTBF annonçait la fin de la Belgique, le parlement flamand ayant voté l'indépendance. Ce n'est qu'au bout d'une demi-heure que la RTBF consentit à prévenir les téléspectateurs en plaçant en sous-titre: "ceci est peut-être une fiction". Les réactions outrées des principaux dirigeants politiques relèvent de la plus haute comédie. Qui peut croire que ces gens-là n'étaient pas au courant du contenu de cette "politique-fiction" en chantier depuis deux ans, dont le thème central, l'éclatement de la Belgique, n'en est plus au coup d'essai sur les ondes nationales? Au-delà de la grotesque théâtralisation par les médias et les milieux politiques pour forcer le trait, il faut surtout constater que cette émission "électrochoc" sur le communautaire n'est pas tombée n'importe quand : elle a eu lieu au moment même où l'ensemble de la population et de la classe ouvrière du pays se préoccupait du coup sauvage porté aux travailleurs de VW. La RTBF aurait mieux fait de sous-titrer son émission : "ceci n'est sûrement pas un hasard".
Certes, les tensions communautaires ont leurs racines historiques dans la constitution même de l'Etat belge (lire nos articles sur la question dans Internationalisme 319, 321 et 323). Celui-ci était une création contre-révolutionnaire et artificielle, mis en place par les grandes puissances de l'époque, comme un cadre étriqué et non progressif, défavorable pour l'industrialisation et l'instauration de rapports sociaux modernes. C'est en particulier l'entrée en décadence du capitalisme qui mettra inexorablement à nu le manque inhérent de cohésion de la "nation belge" et tendra à exacerber de plus en plus les contradictions au sein de la bourgeoisie. L'extension de la décomposition et du "chacun pour soi" dans le monde à la fin du 20ème siècle renforce encore les poussées centrifuges et les tensions communautaires, et rend la recherche et l'imposition de ces équilibres de plus en plus difficiles, ce qui débouche régulièrement sur des rapports à couteaux tirés entre fractions régionales de la bourgeoisie belge et leurs partis politiques. Toutefois, malgré ces difficultés permanentes, inhérentes à la constitution de son Etat, la bourgeoisie belge a toujours réussi à exploiter de manière magistrale ses propres faiblesses contre la classe ouvrière, faisant même des divisions et oppositions communautaires un de ses fers de lance dans l'encadrement et le sabotage des combats ouvriers. Depuis 50 ans, elle les utilise systématiquement pour empêcher l'unification de la classe ouvrière sur son terrain de lutte, en jouant les différences entre les régions : l'arme régionaliste fut un puissant instrument pour contenir et désamorcer les combats contre la fermeture des mines, d'abord en Wallonie, puis en Flandre, de la sidérurgie wallonne et des chantiers navals flamands. Et aujourd'hui, les médias bourgeois martèlent à longueur de journée que " l'enseignement serait plus performant en Flandre", "les chômeurs moins sanctionnés en Wallonie", etc. De même, une des forces de l'encadrement par les syndicats est le fait qu'ils séparent non seulement les travailleurs par secteurs et par usines, mais également par région.
Or, la terrible agression contre les travailleurs de VW allait diamétralement à l'opposé de cette tendance : du fait de la position géographique de l'usine (Bruxelles), et surtout du fait de la composition de la force de travail en parties quasi égales de travailleurs des deux régions, la carte de la mystification régionaliste, de la division entre Wallons et Flamands n'a pu être exploitée dans l'imposition de la restructuration de VW. Tout au contraire même, à travers l'attaque en soi mais aussi à travers les expressions de solidarité venant de l'ensemble des régions, un début de prise de conscience commençait à s'exprimer parmi les travailleurs que l'ennemi n'est pas le travailleur wallon ou flamand, mais un système sans perspectives et les forces qui le défendent; un début de prise de conscience donc, qui remet en question ce qui constitue historiquement un des barrages fondamentaux mis en place par la bourgeoisie belge contre le développement de la lutte ouvrière, en particulier en période de décadence (prise de conscience que patrons, syndicats et partis ont d'ailleurs essayé de limiter en instillant l'idée que c'étaient les travailleurs allemands qui étaient responsables du choix de VW de licencier en Belgique plutôt qu'en Allemagne). Cette compréhension, pour la bourgeoisie, il fallait à tout prix la contrer en remettant au centre de l'attention les contradictions traditionnelles afin d'empêtrer à nouveau les travailleurs dans les filets des mystifications bourgeoises.
Pour tout cela, la classe ouvrière n'a pas à s'impliquer dans les multiples mystifications que cette campagne développe, ni à prendre en compte les illusions de la prochaine foire électorale où nous verrons monter les discours communautaires d'une part, et de l'autre les accents visant à maintenir la cohésion de l'Etat. Tirant les leçons du conflit chez VW, la classe ouvrière doit continuer à lutter en s'efforçant de se dégager de tous les pièges qui jalonnent le parcours de la reconquête de son identité de classe : contre toutes les divisions sectorielles, régionales, nationales. C'est l'enjeu central de la lutte de classe pour le futur.
L'Organisation Communiste Libertaire en France (OCL) a publié dans son mensuel Courant Alternatif de l'été 2006 un long dossier au titre des plus prometteur : "Les émeutes de banlieues au regard du mouvement anti-CPE". Rares sont les organisations qui aujourd'hui reviennent ainsi sur la lutte exemplaire du printemps dernier. Le mouvement des étudiants en France est pourtant une mine d'or pour l'ensemble du prolétariat mondial. Sa dynamique et ses méthodes sont autant de leçons pour développer partout la prise en main des luttes par la classe ouvrière. Vouloir comprendre les émeutes des banlieues "au regard du mouvement anti-CPE" est donc de toute première importance. Et l'OCL pose d'emblée la bonne question : "L'immense élan de solidarité dont a bénéficié au début de l'année 2006 la jeunesse scolarisée mobilisée contre le CPE [...] incite à se repencher sur la révolte sociale qu'ont connu de nombreux quartiers populaires à l'automne dernier [...] Pourquoi cette révolte-là a-t-elle pour sa part obtenu aussi peu de sympathie dans la population ?"
Mais pour cette organisation libertaire, cette belle déclaration d'intention n'est en fait qu'un alibi pour cracher colonne après colonne sur le mouvement du printemps et dénigrer les étudiants en lutte.
En réalité, pas une seule fois l'OCL ne se penche sur les émeutes "au regard du mouvement anti-CPE". Pas une seule fois elle ne tente de comprendre "au regard" des Assemblées Générales (AG) ouvertes à tous les ouvriers et aux mots d'ordres unificateurs de la lutte des étudiants, pourquoi la mise à feu des quartiers les plus populaires n'a fait qu'engendrer la peur et le repli de la grande majorité des travailleurs, que faciliter le renforcement de la politique sécuritaire et des mesures répressives de l'Etat.
Au contraire, en se couvrant des oripeaux de la radicalité, l'OCL se livre à une apologie de la violence, justifiant point par point les incendies des bus, des écoles, des voitures, des gymnases... pour prouver que ce "ne sont pas des actes gratuits", que ces "cibles" représentent une révolte contre tout ce qui opprime les jeunes des cités au quotidien. La preuve nous dit-elle : "Pourquoi cibler des véhicules personnels [...] ? Parce que, quand entre un tiers et deux tiers des ménages de certaines banlieues n'ont pas les moyens d'en posséder, avoir une voiture devient presque - comme un emploi stable - un truc de privilégiés pour certains jeunes." Eh bien justement, attaquer son voisin parce qu'il est un peu moins dans la misère est l'antithèse du combat prolétarien. Evidemment que la colère de ces jeunes émeutiers est légitime, que leur vie présente et à venir est insupportable et inacceptable, mais emportés par la rage du désespoir et le "no future", ils ne peuvent que s'exprimer sur le terrain pourri de la haine et de la destruction.
Ces émeutes ne pouvaient déboucher sur aucun mouvement de solidarité de la part de la classe ouvrière. Même si de nombreux ouvriers pouvaient "comprendre" la colère de ces jeunes exclus, ils en étaient surtout les premières victimes. A aucun moment, ils ne pouvaient se reconnaître dans de telles méthodes parce qu'elles n'appartiennent pas à la lutte de classe.
C'est pourquoi l'Etat a multiplié les provocations lors du mouvement anti-CPE, espérant entraîner à leur tour les étudiants dans l'impasse de la violence des émeutes. L'objectif était clair : briser "l'immense élan de solidarité", briser la dynamique de développement de l'unité et de la confiance du prolétariat en faisant passer ces jeunes manifestants pour des voyous et ainsi faire peur aux travailleurs qui se joignaient à chaque manifestation toujours plus nombreux aux cortèges. Début mars, la Sorbonne fut assiégée par des troupes de CRS armés jusqu'aux dents, créant au Quartier latin une atmosphère de guerre urbaine. Les étudiants pris au piège, refusant de céder, étaient privés d'eau et de nourriture. Tout a été fait pour les faire craquer et provoquer des affrontements. Mais les étudiants n'ont pas craqué. Le 16 mars, rebelote : le gouvernement, avec la complicité des organisations syndicales avec qui sont négociés les trajets des manifestations, tend une véritable souricière aux manifestants parisiens qui se retrouvent coincés en fin de parcours par les forces de police. Mais une nouvelle fois, ils ne tombent pas dans le piège de l'excitation du face à face musclé 1 . Et, une nouvelle fois, les médias travestiront totalement le déroulement de cette journée en braquant toutes leurs caméras sur les quelques centaines de jeunes des banlieues qui se livreront, à la marge du cortège, à des jets de pierres et autres violences stériles. Enfin le 23, c'est avec la bénédiction des forces de police que des bandes s'en sont pris aux manifestants pour les dépouiller ou pour les tabasser sans raison. Et ce n'est pas qu'en France, mais à l'échelle internationale que la bourgeoisie a tenté ainsi de focaliser l'attention de la classe ouvrière sur le terrain pourri de la casse et de la castagne anti-flic. En Angleterre, aux Etats-Unis... les journaleux n'avaient que le mot "riots" 2 à la bouche.
A la lumière de ces faits, les prises de position de l'OCL apparaissent purement nauséabondes. Pour elle, la seule chose à retenir de positif du mouvement anti-CPE est justement cet esprit de destruction : "Une minorité active s'est efforcée de le radicaliser, à la fois par des actions violentes en marges des manifs ou des occupations sauvages." L'OCL réaffirmait plus loin : "Une minorité radicalisée d'étudiants ou de militants révolutionnaires s'est montrée décidée à en découdre avec la police et à détruire des vitrines ou d'autres symboles de la société de consommation." Et ce sont ces actes "héroïques" qui sont censés représenter une "cohabitation dans une même démarche violente" avec "ceux et celles venant des quartiers populaires". Voici enfin apparaître le vrai visage de cette solidarité envers les jeunes des banlieues tant prônée par l'OCL : reprendre à son compte les méthodes émeutières, encourager l'ensemble de la jeunesse et des travailleurs à se plonger dans cette fournaise et cette lutte sans perspective. L'OCL ne fait donc rien d'autre que le jeu de l'Etat qu'elle proclame tant haïr. C'est justement cette "minorité radicalisée d'étudiants" et ces "militants" soi-disant "révolutionnaires" que la bourgeoisie a utilisé pour tenter de décrédibiliser le mouvement et y introduire la crainte, la méfiance et la division.
Mais l'OCL ne se contente pas de faire le jeu de la bourgeoisie, elle va plus loin encore en dénigrant sans vergogne la lutte des étudiants : "On apprécie mieux ici les graves conséquences qu'a eues pour les jeunes des cités populaires l'arrêt de la mobilisation anti-CPE : en lâchant sur ce point, le gouvernement a obtenu les coudées franches pour appliquer tels quels le reste de la loi sur l'égalité des chances et le CESEDA sur l'immigration." Il fallait oser ! Les incessantes attaques qui pleuvent aujourd'hui sur la classe ouvrière auraient été facilitées, in fine, avec la lutte de ce printemps. Plus abject encore : "La ‘victoire' du mouvement anti-CPE a [...] été obtenu en partie sur le dos des jeunes cantonnés au bas de l'échelle sociale, en sauvegardant pour d'autres l'espoir d'en gravir les échelons." Les étudiants seraient donc finalement des petits bourgeois se battant pour leur pomme, pour maintenir leurs privilèges, sans se soucier des autres travailleurs et encore moins des jeunes des banlieues, ils seraient des individus "soucieux de passer des examens pour grimper dans la hiérarchie sociale". Rien n'est plus faux ! 3
La réalité, c'est au contraire que les étudiants conscients de leur précarité présente et à venir se sont reconnus dans la classe ouvrière. Ils se sont battus massivement pour l'avenir de TOUTE la société, pour toutes les générations, pour les chômeurs et les travailleurs précaires, et donc aussi pour donner une perspective aux jeunes des banlieues et leur permettre de surmonter le désespoir qui les a poussés dans une violence aveugle en novembre 2005. La faculté de Censier à Paris a constitué une "commission banlieues" chargée d'aller discuter avec les jeunes des quartiers défavorisés, notamment pour leur expliquer que la lutte des étudiants et des lycéens est aussi en faveur de ces jeunes plongés dans le désespoir du chômage massif et de l'exclusion. Régulièrement dans les AG, des interventions retentissaient : "En refusant le CPE, nous luttons autant pour nous que pour les plus démunis." La démonstration la plus éclatante en est sans nul doute la revendication d'amnistie pour tous les jeunes condamnés durant "l'automne chaud" de 2005. Contrairement aux mensonges colportés par l'OCL, la force du mouvement anti-CPE, la capacité des étudiants à porter dans la lutte un sentiment de solidarité a eu un résultat immédiat : celui d'embarquer dans ce combat la très grande majorité de la jeunesse des banlieues. Au fur et à mesure du développement de la lutte, les élèves des lycées des banlieues sont venus de plus en plus nombreux grossir les rangs des manifestants, laissant à la marge, minoritaires, les racketteurs et autres petits délinquants. Alors que les émeutes ne pouvaient entraîner qu'une partie des jeunes dans une hystérie de violence tandis que l'autre partie se cloîtrait apeurée, la lutte des étudiants, ses méthodes et ses buts, ont offert à la fois, une autre façon de se battre et une perspective.
C'est bien parce que le mouvement de la jeunesse scolarisée contre le CPE s'est approprié les véritables méthodes de lutte de la classe ouvrière (notamment les assemblées générales, les mots d'ordre unitaires et les manifestations de rue) qu'il a pu bénéficier de la sympathie et de la solidarité active d'un nombre croissant de prolétaires. C'est justement parce que le mouvement contre le CPE était basé non pas sur la destruction des quartiers ouvriers mais sur la solidarité entre les générations, entre tous les secteurs de la classe ouvrière, contre les attaques de la bourgeoisie, qu'il a pu attirer vers lui des milliers de jeunes plongés dans le désespoir quelques mois auparavant et constituer une force sociale capable de faire reculer le gouvernement.
Pawel /19.11.2006
(1) Lire l'encart de cette même page traitant spécifiquement de la question de l'affrontement aux forces de l'ordre.
(2) "Riots" signifie "émeutes" en anglais.
(3) Il est ainsi des plus comiques de pouvoir lire dans la conclusion de ce dossier: "Il faut rechercher en priorité l'établissement d'une solidarité entre prolétaires, en faisant ressortir le lot commun de l'exploitation capitaliste et de la précarité qui menace toutes et tous, (sans pouvoir s'empêcher de rajouter) quoique à des degrés divers."
A partir de la propagande que vous diffusez ou des articles sur votre site, je n'arrive pas à me faire une idée claire, et je me demande si des internationalistes, des communistes de gauche manifesteront demain.
Ne vous trouvez-vous pas derrière une manifestation destinée à exprimer la solidarité avec les travailleurs de chez VW, une manifestation surgie de la colère de la base ? Ce n'est tout de même pas parce que les dirigeants syndicaux n'ont entrepris aucune action directe, parce qu'ils sont soumis à la politique bourgeoise, que nous devons laisser tomber les ouvriers ? (MB)
Notre réponse:
Cher camarade,
Tu as tout à fait raison d'affirmer qu'on ne peut laisser tomber les travailleurs. Et il est tout aussi incontestable qu'il est fondamental d'exprimer notre solidarité avec les travailleurs licenciés de VW. Mais comment est-ce que les révolutionnaires peuvent exprimer leur solidarité avec les ouvriers de VW ? Pour nous, les révolutionnaires ont avant tout la responsabilité d'être aussi clairs que possible quant aux perspectives qui se dessinent pour la lutte et son organisation : ne pas raconter d'histoires aux travailleurs, ne pas les bercer d'illusions, mettre en avant leurs vraies forces et dénoncer leurs faux amis et les pièges qu'ils leur tendent.
C'est pourquoi les internationalistes dénoncent les fausses oppositions nationalistes, tout comme les tentatives de faire croire que gouvernement, patrons et travailleurs seraient solidaires pour la sauvegarde de l'économie nationale. C'est pourquoi aussi, comme nous l'avons fait dans le tract, ils mettent en évidence que les syndicats sont aujourd'hui des saboteurs professionnels de la lutte et qu'une condition cruciale pour son développement est la prise de contrôle du combat par les travailleurs eux-mêmes, à travers des assemblées générales quotidiennes souveraines.
Pour défendre ces perspectives, le CCI a largement diffusé un tract sur les licenciements à VW non seulement à l'usine même, mais dans de nombreux endroits, dans plusieurs villes partout en Belgique, car les questions posées par le conflit à VW concernent toute la classe ouvrière. Le tract a également été mis sur le site Internet du CCI et traduit en allemand, ainsi qu'en d'autres langues. Par ailleurs, le CCI était également présent lors de la manif du 2/12 pour y diffuser le tract, y vendre sa presse et pour discuter avec les travailleurs. Dans le but de développer la plus large discussion possible sur les perspectives du mouvement, nous avons également organisé le même jour une réunion publique spéciale et consacrons aujourd'hui une large place aux leçons du conflit dans notre journal. Nous ne pouvons que t'encourager, ainsi que tous nos lecteurs, à participer à cette réflexion, de sorte que le combat des ouvriers de VW puisse fournir des armes pour les combats futurs de la classe ouvrière.
Internationalisme
1. Cette "gauche socialiste "appelle tout d'abord les travailleurs à se mobiliser contre "l'arrogance des multinationales" et les "superprofits" de certains riches actionnaires : "Volkswagen supprime 4.000 emplois en Belgique et 20.000 en Allemagne. Pourtant, le groupe et ses actionnaires croulent sous l'argent" ; "Si des milliers de familles vivent dans l'angoisse aujourd'hui en Belgique, c'est notamment pour enrichir un peu plus la famille Porsche, 5e fortune allemande avec 5,1 milliards d'euros" (Solidaire/ PTB, 29/11). Comme si les entreprises belges ne rationalisent et ne délocalisent pas ! Comme si le fondement de la spirale de destruction économique et guerrière qui entraîne le monde aujourd'hui était les superprofits de quelques familles richissimes ! A travers de telles argumentations ces organisations occultent en réalité les véritables causes de la catastrophe qui touche notre monde. Le problème n'est pas l'avidité de quelques grigous mais la crise mortelle qui touche les fondements mêmes du mode de production capitaliste et révèle que celui-ci est historiquement dépassé. Ce que les licenciements massifs comme chez VW soulignent tragiquement, c'est précisément l'effondrement inexorable de ce système économique décadent dont la longue agonie va de pair avec une succession ininterrompue de catastrophes économiques et de massacres guerriers.
En mettant tout particulièrement en accusation les multinationales et les "grosses fortunes", ces groupes "gauchistes" instillent par la même occasion l'idée que la classe ouvrière doit presser l'Etat national d'agir en tant qu'allié potentiel des travailleurs : ainsi, à propos de VW, ils affirment que "si la multinationale ne revient pas sur sa décision, le gouvernement doit exiger le remboursement des avantages fiscaux accordés. Voire saisir le capital d'un milliard d'euros de son centre de coordination" (Solidaire 29/11). Cet Etat capitaliste qui impose l'austérité, réprime les luttes et attaque en permanence les conditions de vie de la classe ouvrière, celui qui licencie à la SNCB et à la poste, est donc présenté comme l'allié dont la classe ouvrière devrait attendre le salut !
2. Cette même "gauche socialiste" avance comme perspective le combat pour l'aménagement des conditions de travail et de vie au sein du système. Ainsi, le PTB appelle-t-il les ouvriers de VW à lutter pour l'imposition d'une nouvelle organisation de la production : "imposer une nouvelle répartition de la production dans le groupe", "une redistribution équitable des modèles et de la production sur les différents sites européens" (tract "touche pas à mon job"/ PTB). En d'autres mots, faire pression sur les patrons pour une "répartition plus équitable' de l'austérité, voire demander aux ouvriers d'autres pays d'accepter plus d'austérité "par solidarité" !!
D'autres semblent avancer des perspectives plus "radicales" : ils insistent sur la pression que la lutte doit exercer sur "les pouvoirs publics' afin de mettre en place une gestion de l'économie et de la reconversion pour le bien des travailleurs : "Des pouvoirs publics vraiment au service des intérêts des travailleurs prendraient en mains le site de Forest, maintiendraient tous les emplois et y réorienteraient la production sur base d'un débat de société sur la mobilité" (tract du MAS) ; "une politique qui renforce le contrôle des travailleurs et de leurs représentants dans les entreprises, afin que de vraies alternatives puissent être mises en avant. (...) reconversion de la production, sous contrôle des syndicats et des travailleurs" (tract du "Comité Autre Politique").
L'ensemble de ces propositions contiennent le même leitmotiv : les actions doivent exercer une pression en vue d'aménager le système, d'introduire des réformes en faveur des travailleurs. L'idée naturellement sous-jacente est que travailleurs et capitalistes sont fondamentalement dans le même bateau et qu'une pression suffisante sur les "riches" doit permettre de trouver un meilleur équilibre social et écologique. Avec de telles orientations, les "gauchistes" escamotent la crise historique du capitalisme et les vrais enjeux qui en découlent : la politique d'austérité des 30 dernières années tout comme la misère, les massacres guerriers et le chaos au niveau mondial ne sont pas le produit de la mauvaise volonté de 'riches actionnaires" mais d'un système économique et politique à la dérive. Il ne s'agit donc plus de réformer le capitalisme mais de le détruire avant qu'il ne détruise l'humanité. Car, pour sauvegarder ses privilèges, la bourgeoisie n'hésite pas à plonger la classe ouvrière dans la misère la plus noire, à l'utiliser comme chair à canon et à plonger l ‘humanité dans la pire barbarie.
3. Derrière leur langage radical, PTB, POS et MAS appellent fondamentalement à se battre pour renforcer l'Etat démocratique, qui serait un barrage protégeant les travailleurs contre les excès de la "logique néo-libérale". La classe ouvrière devrait défendre la "dimension sociale" de l'Etat démocratique contre les dérives néo-libérales et la pression sur les "instances publiques' permettrait de garantir ou de rétablir des conditions sociales acceptables et de réduire l'impact des restructurations : "diminution du temps de travail sans perte salariale dans les différentes usines du groupe" ; "Prépension à 55 ans pour tous" (tract "touche pas à mon job"/ PTB) ; "Le pacte de solidarité doit être ramené" (tract du mouvement syndicaliste de base 15DeBe/ Mo15De). Que cette défense de l'Etat démocratique soit posée au niveau belge ou même au niveau d'une "politique européenne qui limite le pouvoir des actionnaires et arrête la compétition entre -générations et entre pays" (tract du "Comité Autre Politique", mouvement pour une nouvelle gauche socialiste), l'image d'un Etat social protégeant le travailleur dans le cadre de la démocratie est de toute façon un leurre. Effectivement, ce sont bien les Etats capitalistes et leurs gouvernements qui, à coup de plans d'austérité et de pactes pour l'emploi, la compétitivité et les générations, augmentent la flexibilité et réduisent les conditions de vie de la classe ouvrière.
Non seulement, l'Etat démocratique serait censé protéger le travailleur ; il permettrait carrément, grâce à un "véritable plan de reconversion", d'accompagner une reconversion vers une société respectueuse de l'homme et de la nature : "La défense de l'emploi des travailleurs de ce secteur implique donc, à terme, sa reconversion dans la production de biens socialement utiles et écologiquement supportables. L'usine de Forest pourrait, par exemple, se consacrer à la production des véhicules de transport en commun et du matériel devant équiper le RER bruxellois ou lancer une initiative publique de production d'un véhicule sûr et écologique " (tract du POS). Cette proposition, au delà même de son caractère chimérique, illustre une fois de plus le caractère mystificateur et suicidaire de la perspective présentée par ces groupes aux travailleurs.
Bref, l'argumentation des groupes "gauchistes" vise à imposer l'idée que l'Etat, au lieu de se mettre au service des patrons, pourrait défendre les ouvriers, qu'il pourrait être un Etat-protecteur des salariés et non plus "au service du patronat". Rien n'est plus faux. Dans le capitalisme décadent, c'est en vérité l'Etat qui coordonne toutes les attaques de la bourgeoisie, c'est lui qui mène les attaques les plus générales qui touchent l'ensemble de la classe ouvrière : sur les retraites, sur la Sécurité sociale, contre les chômeurs. C'est lui qui décide quels secteurs économiques doivent être "restructurés". C'est l'Etat-patron qui donne l'exemple de la brutalité des attaques en réduisant massivement le nombre des ses fonctionnaires et en bloquant leurs salaires depuis des années. L'Etat ne peut être que le défenseur par excellence des intérêts de la classe bourgeoise et assurer en toutes circonstances la défense des intérêts du capital national contre la classe ouvrière.
4. Quant à l'organisation de la lutte, PTB, POS et MAS exhortent les travailleurs à faire pression sur "leurs" organisations syndicales et "leurs" délégués pour organiser le combat. Et ceci alors que les syndicats ont étouffé dès le début toute mobilisation ouvrière en renvoyant les ouvriers chez eux, ont enrayé toute velléité d'extension vers d'autres usines. Et, au moment même où ces saboteurs professionnels mettaient en place les conditions permettant de présenter la manif de solidarité comme une expression d'impuissance (cf. article ci-dessus), le MAS faisait hypocritement mousser parmi les travailleurs les illusions sur les syndicats : "Pourquoi ne pas mettre à profit le succès de cette manifestation pour annoncer une grève générale de 24 heures contre les innombrables restructurations" (tract du MAS).
Les syndicats n'en sont pas à leur coup d'essai : rappelons-nous simplement le "pacte de solidarité " il y a un an. "Mesures inacceptables" claironnait la FGTB en octobre ; mais malgré un ras-le-bol profond au sein de la classe ouvrière qui s'était en particulier exprimé par le rassemblement de 100.000 travailleurs à Bruxelles lors de la manif syndicale nationale le 28 octobre, cette même organisation annonçait sans sourciller en décembre : "suspension des actions et recherche d'autres moyens de pression plus ciblés (sic)" et le parlement d'adopter sans opposition en décembre le "pacte de solidarité" et le financement alternatif de la sécurité sociale. Comme l'agression contre les ouvriers de VW l'a démontré une fois de plus, laisser la défense des intérêts des travailleurs entre les mains des syndicats est la meilleure garantie pour une défaite totale. Depuis maintenant près de cent ans, les organisations syndicales ne défendent plus les intérêts des travailleurs mais sont les gardes-chiourme de la bourgeoisie dans l'usine. Et les groupes "gauchistes', par leur soutien critique à ces organisations, garantissent leur crédibilité en ramenant les travailleurs qui se posent des questions dans le giron syndical.
Ce positionnement des organisations "gauchistes" comme le PTB, le POS et le MAS n'est nullement ponctuel. Derrière un discours radical qui leur permet d'attirer les éléments déçus par le sabotage constant de la lutte par les syndicats et par la participation ouverte de la gauche traditionnelle à la politique d'austérité et de restructuration, les perspectives de combat et d'organisation qu'avancent ces groupes placent la lutte dans un cadre suicidaire qui ne peut mener qu'au découragement et orientent la solidarité vers des perspectives pourries qui conduisent à la résignation et l'acceptation des attaques. La radicalité apparente de leurs positions est donc un leurre visant à détourner les éléments en recherche d'une vraie alternative au capitalisme vers la défense de la démocratie et le combat pour des réformes, à détruire en fin de compte chez eux toute dynamique de prise de conscience.
Confrontée à la décrédibilisation des partis de gauche "classiques", la bourgeoisie a intérêt à engendrer de nouvelles forces crédibles pouvant prendre la relève ; des forces non décrédibilisées par l'exercice du pouvoir mais orientant, à travers un discours et une image plus radicale, la classe ouvrière vers les mêmes pièges du parlementarisme et du combat illusoire pour la réforme des structures de l'Etat bourgeois. Et de ce point de vue, les organisations "socialistes de gauche" comme le MAS, le POS ou le PTB font un excellent travail ... au service de la classe bourgeoise.
Jos / 01.01.2007
(1) Parti du Travail de Belgique, néo-stalinien.
(2) Parti Ouvrier Socialiste, représentant officiel de la IVe Internationale trotskiste.
(3) Mouvement pour une Alternative Socialiste, trotskiste dissident.
Evidemment non ! Ce serait se bercer d'illusions de croire que les partis socialistes et communistes mèneront une politique différente s'ils sont au pouvoir. Il n'y a qu'à se replonger sur quelques hauts faits d'armes de ces fractions bourgeoises pour s'en convaincre. Le PCF ne s'est jamais privé d'utiliser les moyens les plus brutaux pour se débarrasser des immigrés qu'il jugeait indésirables. Ainsi, en 1981, c'est tout simplement au bulldozer que le PCF a chassé d'une de ses villes, Montreuil-sous-Bois, des clandestins maliens. Quant au PS, sa ligne politique est résumée dans cette déclaration fracassante du premier ministre socialiste Michel Rocard de 1989 "La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde". C'est pour ne "pas accueillir toute la misère du monde" que la socialiste Edith Cresson a mis en place des expulsions massives, à coup de charters, en 1991. C'est pour ne "pas accueillir toute la misère du monde" que Jean-Pierre Chevènement a, sous l'ère Jospin, excité puis lâché ses chiens sur les clandestins en intimant l'ordre aux forces de l'ordre de multiplier les expulsions : "L'activité en matière d'éloignement des étrangers se situe à un niveau anormalement bas. (...) J"attache aussi du prix à ce que, dans les derniers mois de 1999, une augmentation significative du nombre d'éloignements effectifs intervienne." (1) Voilà qui déchire le voile hypocrite des grands discours de gauche sur l'humanisme et autres droits à la dignité !
En fait, depuis 1974, droite et gauche se relaient aux plus hautes responsabilités de l'Etat et la même politique anti-immigrés demeure. La raison en est simple. A la fin des années 60, le retour de la crise économique a signifié la fin du plein emploi et la hausse du chômage. N'étant que de la chair à usine ne trouvant plus à être exploités, les immigrés sont devenus de plus en plus encombrants. C'est pourquoi le président de l'époque, Giscard d'Estaing, a décidé de "suspendre" l'immigration puis, trois ans plus tard, de créer une "aide au retour". Depuis lors, au fil des récessions, les lois anti-immigrés n'ont fait que se durcir, sous tous les gouvernements sans exception.
Ce capitalisme moribond est devenu incapable d'intégrer une partie toujours croissante de l'humanité au processus de production. Sa "solution" est d'expulser loin de ses frontières le "surplus" pour qu'il aille crever ailleurs. Le prochain gouvernement, quelle que soit sa couleur politique, accentuera encore cette pression. La seule différence entre la gauche et la droite sera la terminologie, l'enrobage idéologique. Il est vrai que le PS est passé maître dans l'art d'habiller de rose ses mesures les plus inhumaines. "L'immigration choisie" fera ainsi place à une "immigration partagée" fondée sur la "contractualisation des flux migratoires avec les pays d'origine". En clair, il s'agit d'une "politique de fermeté à l'égard de l'immigration illégale" avec en prime la création d'une "police commune présente aux frontières de l'Union" (2). Mais que l'on se rassure, ces expulsions se feront avec le PS de façon très pédagogique comme l'a affirmé fièrement François Hollande : "Nos lois sur l'immigration doivent être expliquées à nos partenaires". Après tout, comme le dit Laurent Fabius, "on peut être humaniste sans être laxiste" !
En fait, aucun parti, aucun "homme (ou femme) providentiel" ne pourraient mener une autre politique à la tête de l'Etat. Les racines du problème sont beaucoup plus profondes, liées à la nature du système capitaliste et à sa crise historique. A travers le problème tragique de l'émigration, nous voyons comment ce système d'exploitation n'est plus capable d'assurer un minimum de survie à des masses chaque fois plus énormes d'êtres humains qui fuient l'enfer de la faim, des guerres et des épidémies. En 30 ans, le nombre de migrants dans le monde est passé de 75 à 200 millions de personnes ! Et depuis le début des années 2000, la situation sanitaire mondiale s'est considérablement dégradée.
Aujourd'hui, avec la prolifération des conflits armés et le développement effroyable de la misère, un nouveau pas qualitatif vient d'être franchi ; l'exode atteint une ampleur jamais vue jusque -là dans toute l'histoire de l'humanité. Face à ce raz de marée, toutes les nations ferment leurs frontières.
Aux Etats-Unis, le long de la frontière mexicaine, c'est un véritable mur de 1200 km qui doit être construit d'ici 2008 avec des radars, des détecteurs, des caméras infrarouges et une armée de 18 000 gardes-frontières. L'Etat mobilise même des satellites et des drones ! Alors que déjà des centaines de personnes périssaient dans le désert chaque année pour atteindre les Etats-Unis, avec ce "mur de la honte", ces désespérés seront bientôt des milliers à y crever la bouche ouverte.
En Europe, la situation est encore plus dramatique. Tout autour de l'espace Schengen, les camps où l'on entasse les clandestins prolifèrent. Il y a un an, cette horreur éclatait au grand jour quand autour des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, au nord du Maroc, des images nous parvenaient d'êtres humains littéralement empalés sur les grilles barbelées de la frontière, fauchés par les balles de la police ou largués en plein désert comme des chiens galeux. Ces actes barbares furent d'ailleurs commis sous l'ordre du chef du gouvernement espagnol, le très "démocratique" et "pacifiste" Monsieur Zapatero, montrant une nouvelle fois que sous le masque humaniste se cache le vrai visage haineux et sanguinaire de la social-démocratie. Depuis la situation n'a fait qu'empirer, se généralisant même à l'ensemble du ud et de l'Est européen. Cette année, sur les plages "paradisiaques" des îles Canaries, dans l' Atlantique, 27 000 personnes sont arrivées dans des embarcations de (bien mauvaise) fortune, soit cinq fois plus qu'en 2005 ! Même tragédie au large de l'Italie, sur l'île de Lampedusa, à Malte ou à Chypre. Même tragédie à la frontière ukrainienne où les très démocratiques pays européens sous-traitent en catimini à l'Etat hongrois la gestion de camps, véritables bidonvilles dans lesquels s'entassent par milliers les clandestins venus de l'ex-URSS ou d'Asie. Et le pire reste à venir. Comme l'affirme sans détour Froilàn Rodriguez (vice-ministre des Canaries pour l'immigration), "Il faut se préparer à des avalanches jamais vues'"(4). Conscientes de cette accélération et sachant que la situation ne va cesser de s'aggraver, les bourgeoisies européennes sont en train de se doter d'une véritable armée high-tech chargée de repousser vers la mort ces milliers de migrants, exactement comme aux Etats-Unis : construction de camps, jumelles infrarouges, patrouilles aériennes et navales...
Le capitalisme est aux abois et le sort qu'il réserve à l'humanité est condensé dans ce qu'il fait subir à cette masse d'immigrés. En comprenant que c'est le capitalisme en décadence qui produit toute cette misère et cette inhumanité, une réalité devient évidente : voter en mai 2007, pour qui que se soit, ne servirait strictement à rien, juste à se bercer d'illusions. Pour que l'humanité puisse vivre, le capitalisme doit mourir. Une fois consciente de cet enjeu et de l'ampleur de la tâche, la première réaction est souvent "mais en attendant le 'grand soir', il faut bien faire quelque chose !". Oui, il faut bien faire quelque chose. Il faut lutter, lutter sur le terrain de la classe ouvrière. C'est dans la lutte que s'expriment en pratique les plus profonds sentiments de fraternité. Et aujourd'hui justement, la classe ouvrière est en train de retrouver ce chemin, retrouver sa combativité, retrouver ces instincts d'unité et de solidarité.
De façon très immédiate, il y a ces enseignants et ces parents d'élèves qui se mettent en grève et empêchent physiquement la police de venir récupérer un enfant directement dans la classe. Dans toutes les écoles primaires, les collèges et les lycées dans lesquels se trouvent des "clandestins" en culotte courte, des discussions se développent sur comment empêcher la rafle, comment cacher tel ou tel enfant.
Il y a ces ouvriers qui arrêtent le travail pour défendre leurs camarades sans-papiers de l'usine, menacés d'expulsion.
Et enfin, il y a ces luttes qui témoignent de la profonde solidarité et unité du prolétariat comme ces bagagistes qui ont bloqué plusieurs jours l'aéroport de Heathrow à Londres, en août 2005, en solidarité avec des travailleurs pakistanais du secteur de la restauration victimes d'une attaque inique de leur employeur, Gate Gourmet. Et pourtant, ces bagagistes n'étaient pas menacés de licenciement et partout au même moment (5) les médias relayaient la propagande étatique du sieur Blair (encore un socialiste !) qui excitait la haine contre justement les Pakistanais, tous prétendus terroristes en puissance. Dans cette lutte exemplaire, la différence entre la pourriture de l'idéologie bourgeoise et la grandeur de la morale prolétarienne fut presque palpable.
La solidarité de la classe ouvrière n'a rien à voir avec la pitié et tous les sentiments condescendants. Il s'agit d'une solidarité réelle, forgée par la conscience d'appartenir au même combat, d'être des frères de classe victimes du même système, de la même exploitation, quelle que soit sa nationalité, sa couleur ou sa religion.
En affirmant qu'une nation "ne pouvait accueillir toute la misère du monde", Michel Rocard exprimait le mode de pensée de toute la bourgeoisie. Mais la classe ouvrière n'a pas à accepter la logique du capitalisme et ses barrières nationales. Au contraire, elle doit y opposer son être internationaliste en affirmant bien haut "Les prolétaires n'ont pas de patrie. Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !".
Pawel /16.10.2006
(1) Circulaire ministérielle d'octobre 1999.
(2) Mesure adoptée fin mars dans le cadre de "la commission du projet 2007" du Parti Socialiste.
(3) Libération du 24 août 2006.
(4) Libération du 12 septembre 2006.
(5) Cette grève eut lieu au même moment que les attentats dans le métro londonien.
Malgré la spirale de haine nationaliste qui paralyse la plupart du temps la lutte de classe en Israël et en Palestine, les sévères privations économiques résultant de l'état de guerre permanent ont poussé les ouvriers des deux camps antagoniques à se battre pour leurs propres intérêts de classe. En septembre, des ouvriers de Cisjordanie et de la Bande de Gaza ont mis sur pied des grèves et des manifestations pour exiger que le gouvernement du Hamas règle plusieurs mois de salaires impayés, suite au blocus des fonds internationaux par l'Etat israélien, rejoignant ainsi les revendications d'une bonne partie des 170 000 fonctionnaires en grève. Ainsi, les enseignants des écoles se sont mis en grève depuis le 4 septembre avec des taux de grévistes atteignant de 80 à 95%, de Rafah (sud de la bande de Gaza) à Jénine (nord de la Cisjordanie). Ce mouvement s'est propagé jusque dans la police palestinienne et surtout début octobre dans le secteur de la santé où la situation sanitaire est dramatique, y compris en Cisjor-danie. Les fonctionnaires du ministère de la Santé n'ont reçu que trois paiements partiels en sept mois et ils ont décidé une grève illimitée pour réclamer le paiement de leur dû.
Parallèlement, le 29 novembre, le site d'information Libcom.org rapportait qu'une grève générale avait surgi dans le secteur public israélien, comprenant les aéroports, les ports, et que les bureaux de poste étaient tous fermés. 12 000 employés des services municipaux ainsi que les pompiers se sont mis en grève à l'appel de la centrale syndicale Histadrout (la Fédération Générale du Travail) en réponse aux violations des accords entre les syndicats et les autorités locales et religieuses. Histadrout a ainsi déclaré que ces dernières ont des arriérés de salaires à payer et que l'argent des employés qui devaient être versés en fonds de pension avait disparu.
La guerre impérialiste amplifie la ruine économique et la misère des prolétaires dans la région. La bourgeoisie des deux camps est de plus en plus incapable de payer ses esclaves salariés.
Ces deux luttes ont fait l'objet de toutes sortes de manipulations politiques. En Cisjordanie et à Gaza, la fraction d'opposition nationaliste, le Fatah, a essayé de se servir des grèves comme d'un moyen pour faire pression sur ses rivaux du Hamas.
En Israël, Histadrout a une longue tradition d'appels à des « grèves générales » hyper-contrôlées pour rabattre la colère des ouvriers sur le terrain bourgeois et au profit de telle ou telle fraction. Mais il est significatif qu'en Israël, la grève générale d'Histadrout (qui a été arrêtée au bout de 24 heures) a été précédée d'une vague de grèves moins bien contrôlées parmi les bagagistes, les enseignants, les professeurs d'université, les employés de banque et les fonctionnaires.
La désillusion devant le fiasco militaire d'Israël au Liban a sans aucun doute alimenté ce mécontentement grandissant. Pendant la grève de septembre dans les territoires palestiniens, le gouvernement du Hamas dénonçait l'action des fonctionnaires comme étant contraire à l'intérêt national et tentait de dissuader les enseignants grévistes: "Si vous voulez manifester, manifestez contre Israël, les Américains et l'Europe !".
En effet, la lutte de classe s'affirme comme contraire à l'intérêt national et s'oppose de ce fait à la guerre impérialiste.
Amos / 2.12.2006
Les médias écrivent des pages entières sur les "primes de départ révoltantes", les "salaires très élevés" des ouvriers de VW Forest. Par contre, ils sont particulièrement silencieux sur le fait que les mesures de restructuration annoncées à VW Forest sont un avant-goût de celles qui attendent non seulement les ouvriers restants de VW Forest, mais l'ensemble de la classe ouvrière.
Le sacrifice est en effet très important: seulement 2.000 à 2.200 emplois seraient maintenus sur environ 5.200 salariés directs. En 2009, si tout se passe bien, il y aurait de nouveau du travail pour 3.000 personnes, a-t-on promis, certes en partie au travers de contrats plus précaires. 950 salariés s'en vont par la prépension, mais selon les normes du nouveau "pacte des générations". 1950 quittent l'entreprise sur une base "volontaire", avec pour les 1.500 premiers une prime de départ en récompense. Avec pour la plupart d'entre eux, le chômage comme seule perspective. Pour ceux qui restent, il y a un système de chômage partiel à long terme, mais surtout, en plus des 33 % d'augmentation de productivité que les ouvriers avaient réalisé entre 2001 et 2005 et du nouveau règlement en place depuis l'été 2006 concernant la flexibilité (temps de travail jusqu'à 10 heures par jour, 48 heures par semaine), une nouvelle convention collective doit être signée, prévoyant une diminution des salaires et des coûts de production. Les conditions de production en 2009 devraient s'aligner sur celles du siège VW à Mosel (est de l'Allemagne), où le coût salarial se monte à 16,9€/h, contre 23,8€/h aujourd'hui à VW Forest. En d'autres termes, une augmentation particulièrement importante de la productivité, de la flexibilité avec peut-être une baisse des salaires de plus de 20 % par-dessus le marché. Et nous ne disons encore rien des milliers de travailleurs dans les entreprises sous-traitantes, laissés à leur sort pour la plupart, en grande majorité licenciés dans des conditions encore plus défavorables que leurs collègues de VW. Alors que VW a été pendant des années présentée par la bourgeoisie comme un modèle en matière de sécurité d'emploi et des conditions salariales et de travail, elle est maintenant devenue le modèle de ce que cette même bourgeoisie peut encore offrir: des sacrifices incessants pour un système à l'agonie.
Les médias écrivent des pages entières sur la politique interne de VW, les problèmes spécifiques du secteur automobile, les tiraillages entre les besoins des économies belge et allemande, ou les soi-disant profits exagérés de VW. Mais ils sont muets comme une tombe sur la réalité de la crise du système capitaliste, les véritables raisons de la restructuration de VW.
Ainsi, le syndicat socialiste de la métallurgie met les responsabilités de ce bain de sang non sur les patrons et l'Etat bourgeois, mais sur les ouvriers allemands eux-mêmes et "leur" syndicat, qui auraient sacrifié les "emplois belges" à VW Forest pour sauvegarder les "emplois allemands"! Mensonge éhonté! VW ne supprime-t-elle pas aussi 20.000 emplois en Allemagne, tout en diminuant les salaires et en augmentant le temps de travail? Les ouvriers allemands, comme ceux de tous les pays, sont tout autant victimes des agressions capitalistes. La crise historique insoluble que connaît le capitalisme au niveau mondial se conjugue avec le licenciement massif d'ouvriers dans tous les pays. La force de travail, dont l'exploitation est la source du profit capitaliste, voit en conséquence son prix diminuer constamment (comme cela se produit avec toute marchandise présente en surnombre sur le marché saturé), parce que la diminution drastique des coûts de production (parmi lesquels les salaires occupent la première place) constitue le seul moyen dont dispose la bourgeoisie pour faire face à la concurrence sur des marchés de plus en plus étroits et inondés de marchandises. Délocalisations et restructurations servent en premier lieu de moyens de pression pour forcer partout la classe ouvrière à accepter des salaires toujours plus bas et des conditions de travail de plus en plus défavorables (1). Les ouvriers d'ici sont dressés contre les ouvriers des autres pays dans une spirale sans fin de baisses de salaires, d'augmentations de productivité et de détérioration des conditions de vie. Et qu'offre cette spirale continue de concurrence impitoyable, sinon des fermetures (Renault Vilvorde, Sabena...), licenciements massifs (SNCB, Ford Genk, Inbev, DHL, Agfa-Gevaert...) et sacrifices ("pacte des générations", pacte de "flexibilité", pacte de concurrence, de l'emploi...)?
Les médias écrivent des pages entières sur l'influence négative d'années de "culture de grève" des ouvriers de VW, et a contrario, la manière constructive et responsable dont les syndicats ont mené "l'action". Le but ici est de convaincre les ouvriers de VW et l'ensemble de la classe ouvrière qu'ils feraient mieux d'accorder leur pleine confiance à l'approche "réaliste" des syndicats qui, en concertation avec le gouvernement "coopératif" et avec le patronat, fera ce qui est le mieux possible pour les ouvriers dans le contexte d'une économie nationale engagée dans une concurrence à couteaux tirés sur le marché mondial.
Restructurations et délocalisations sont ainsi utilisées pour diviser le prolétariat et l'emprisonner dans l'idéologie de la concurrence. Les ouvriers sont enfermés, fraction par fraction, et dévoyés vers la défense de "leurs" conditions d'exploitation, de "leur" entreprise, de la marque de fabrique "VW", du capital national. A partir de cette logique, c'est un jeu d'enfant pour la propagande bourgeoise -et les syndicats jouent ici un rôle de premier plan- de faire passer l'Etat capitaliste et son gouvernement pour des "facteurs protecteurs" contre "les méfaits de la mondialisation": "Le premier ministre Verhofstadt a su avoir la garantie de la haute direction allemande de VW d'une reprise des activités, en échange d'une offre considérable d'aide de la part du gouvernement" (De Standaard, 9.1.2007). Le gouvernement devient ainsi l'allié "objectif" des ouvriers en amenant les bonzes allemands de VW à la raison et en les appelant à mettre le couteau sous la gorge d'autres ouvriers, ailleurs (par exemple en Espagne).
Et la bourgeoisie ne sait que trop bien que ce message porte le mieux lorsque le sentiment d'impuissance domine parmi les ouvriers, en l'absence d'une perspective de résistance collective en tant que classe. C'est là qu'interviennent les manœuvres syndicales: depuis le début, les ouvriers ont été renvoyés à la maison, isolés les uns des autres, sans information ni perspective. C'est la perspective d'une interminable grève rampante qui a été mise en avant, sans assemblée générale de grévistes où de véritables discussions et décisions sont possibles, sans comité de grève élu, contrôlé et révocable, sans meeting mobilisateur, sans délégation massive pour aller chercher activement la solidarité et l'extension vers d'autres parties de la classe ouvrière. Chaque développement de tout moyen de lutte et d'une dynamique de renforcement de la lutte a été tué dans l'œuf. L'idée même de mener une lutte a été de plus en plus ressentie comme insensée. Il ne restait finalement rien d'autre aux ouvriers que de subir leur sort et de placer toute leur confiance dans les négociateurs gouvernementaux et syndicaux.
Et, last but not least, les médias ont aussi noirci beaucoup de pages sur le manque de solidarité dans la classe ouvrière, avec les ouvriers de VW et entre les ouvriers de VW. "Il n'y a pas eu d'actions spontanées de solidarité, comme en 1997 pour le personnel de Renault Vilvorde" (De Standaard, 9.1.07). Ce n'est pas par hasard qu'une attention particulière a été portée par la bourgeoisie -et plus particulièrement par les syndicats- sur cet aspect de la campagne pendant toute la durée de la lutte:
- en soulignant les statuts séparés et les situations différentes, ils maintenaient soigneusement la séparation entre les ouvriers de VW et ceux des entreprises sous-traitantes, pour miner dès le début toute démarche allant vers une réelle solidarité ouvrière;
- des solutions individuelles ont été encouragées par le moyen de primes de départ astronomiques. Les ouvriers de VW qui ont accepté ces propositions, ont donc été montrés comme des déserteurs qui laissaient tomber leurs collègues, principalement ceux des sociétés sous-traitantes. Une fois de plus, cette image de "chacun pour soi" a été soulignée pour insinuer l'inanité d'une solidarité ouvrière;
- enfin, la grande manifestation "de solidarité" du 2 décembre a joué un rôle central dans l'enterrement de la solidarité ouvrière par les syndicats. D'abord annoncée à grand bruit comme la "grande apothéose" où étaient attendus plus de 50.000 ouvriers, tout a été fait pour ne pas atteindre ce nombre (jusqu'à sous-estimer volontairement les chiffres), pour ensuite diffuser un sentiment de défaite et d'impuissance, en affirmant "qu'il n'existe plus de sentiment de solidarité parmi les ouvriers", et que dans cette société, c'est le "chacun pour soi" pour en d'autres termes faire endosser aux ouvriers la démobilisation et la manque de solidarité.
L'intensité de cette campagne est en fait un excellent indicateur de la peur qui a étreint la bourgeoisie à propos de ce conflit. Du fait de la localisation de VW dans la région bruxelloise, et du fait que les ouvriers concernés proviennent aussi bien des deux régions, la carte de la mystification régionaliste et linguistique pouvait beaucoup plus difficilement être jouée. Par conséquent, la bourgeoisie craignait particulièrement l'émergence d'un large sentiment de solidarité parmi les travailleurs, par-delà les divisions sectorielle, régionale et linguistique, pas d'une solidarité de "compassion" donc, mais une solidarité des ouvriers entre eux, pour des intérêts communs et donc désintéressée, sans égoïsme, contre ce système barbare en décomposition.
Même si la bourgeoisie est finalement parvenue, grâce à ses saboteurs syndicaux, à enfermer et à rendre inoffensive la combativité des ouvriers de VW, la manifestation du 2 décembre laisse pourtant entrevoir une autre facette de la réalité sociale. Suite aux annonces quotidiennes de licenciements et de restructurations dans les usines, le secteur des services et dans les services publics, la conscience que chacun est attaqué progresse parmi les travailleurs. La fermeture d'une usine aussi importante et combative que VW n'incite pas seulement à la "compassion" comme disent les journaux, mais surtout à l'indignation, à l'inquiétude généralisée concernant l'avenir. Beaucoup sont venus manifester parce que dans les circonstances actuelles, c'était l'unique manière de montrer sa solidarité. La présence de beaucoup de jeunes en dit long: "Nous sommes ici avec nos parents, que nous reste-t-il?". De nombreux retraités étaient également présents.
Cette combativité croissante en est certes encore à ses débuts, mais la détermination de se battre contre les licenciements grandit dans la classe ouvrière. Pendant des années, les ouvriers ont subi des attaques contre leurs conditions de travail, leurs revenus et la sécurité de leur emploi au nom du maintien des emplois. Mais aujourd'hui, les ouvriers prêts à consentir ces sacrifices sans fin sont de moins en moins nombreux. Beaucoup ne savent pas encore bien comment lutter ensemble, parfois pas contre qui ou contre quoi se diriger, ce qui explique pourquoi il est encore possible aujourd'hui qu'ils se rangent derrière les syndicats ou le gouvernement. Mais malgré les énormes campagnes idéologiques, il règne un grand scepticisme par rapport aux promesses faites par VW, et donc aussi ailleurs. Le dernier conflit ne peut être vu ni comme un exemple de victoire, ni comme un exemple de défaite. La colère règne, et la méfiance, mais aucun accablement dans la classe ouvrière comme un tout.
C'est pourquoi, la bourgeoisie est inquiète. Elle est consciente que la classe ouvrière pourrait tirer d'importantes leçons de ces événements et manœuvres de sabotage. C'est précisément pourquoi elle fait autant d'efforts pour dénigrer la solidarité. Combattre le chômage n'est pas simple. En effet, les patrons utiliseront souvent la "grèviculture" comme prétexte pour mettre en avant leurs plans de fermeture (de toutes façons planifiés), comme chez VW. Mais ils y réussiront d'autant plus facilement que la résistance des ouvriers reste isolée à une usine ou une entreprise. Sinon, la menace de réelle extension de la lutte par-delà les limites syndicales, sectorielles ou autres -en un mot, la menace de grève de masse- peut forcer la bourgeoisie à reculer, comme cela a été le cas lors de la lutte contre le CPE en France. Un tel recul de la bourgeoisie est bien entendu temporaire. L'aggravation de la crise économique contraindra la classe dominante à repasser à l'offensive et à mener des attaques encore plus désespérées contre les conditions de vie et de travail. Finalement, et c'est la principale leçon, le chômage massif est un signe indéniable de la faillite de la société capitaliste. Pour la classe ouvrière, ceci doit être un stimulant, non seulement pour résister aux effets de l'exploitation, mais pour lutter contre la société d'exploitation elle-même.
Lac / 6.1.07
(1) Lire la série d'articles sur les délocalisations dans Internationalisme n° 323, 325 & 328.
Ces derniers violent femmes et enfants, pillent, brûlent les villages et les champs, attaquent le bétail, menant une politique de destruction systématique.
Ce n'est qu'en juillet 2004 que l'ONU, en la personne de Kofi Annan, commencera à "s'inquiéter" de la situation, mettant en avant un conflit "ethnique et racial". Et, malgré les déclarations de bonnes intentions, les pseudo-menaces de mesures de rétorsion, les conditions n'ont fait qu'empirer. Et ce ne sont pas les quelque 7000 soldats, sans moyens, sans directives claires, envoyés par l'Union Africaine, qui pouvaient les faire changer. En janvier 2005, l'ONU parle clairement de "crimes contre l'humanité" et appelle, avec sa deuxième résolution n°1593, la Cour pénale internationale à engager des poursuites à l'encontre des responsables des crimes commis. En août 2006, le Conseil de sécurité de l'ONU vote l'envoi de 17 000 soldats et 3000 policiers que refuse Omar al-Béchir, le président soudanais, qui la considère comme une "invasion".
Aujourd'hui, alors que l'Etat soudanais accentue sa pression militaire sur les mouvements rebelles, principalement l'Armée de libération du Soudan, dont la montée a été le prétexte au déchaînement de cette violence, les exactions sur la population redoublent. Et c'est à présent au Tchad, qui soutient les groupes rebelles à Khartoum sous l'œil bienveillant de la France, qui lui-même apporte une aide aux rebelles tchadiens, et en Centrafrique, que s'exportent les tueries, tandis que l'ONU se montre toujours aussi impuissante, malgré les "discussions très bonnes et constructives" d'Addis-Abeba.
En réalité, ce panier de crabes se contrefiche des populations et les tergiversations dont il est l'objet expriment avant tout les différences d'intérêt des uns et des autres. En fait de conflit racial, le Darfour est la résultante des dissensions entre les grandes puissances. Car le Soudan et son pétrole sont particulièrement courtisés par les pays développés, ce qui lui permet de continuer et d'accentuer sa politique de terre brûlée au Darfour. Il en est ainsi des Etats-Unis, qui ont imposé pour la galerie un de ces embargos sur les armes dont on connaît l'inefficacité, et de la Grande-Bretagne qui s'est carrément opposée à toute intervention militaire. La France encore, dont les accointances déjà existantes avec le Soudan l'ont amenée à fermer les yeux. Ce n'est qu'aujourd'hui avec les risques de déstabilisation du Tchad et du Centrafrique, deux de ses derniers bastions en Afrique, que le gouvernement souhaite "stabiliser le Darfour" pour éviter un effet domino. Autrement dit, tant qu'ils crèvent au Darfour, ce n'est pas important mais qu'ils ne viennent pas semer la pagaille dans les chasse-gardées françaises !
Quant à la Chine, vendeuse particulièrement active d'armes dans le monde, elle a trouvé là une aubaine pour l'écoulement de son matériel militaire.
Et même si l'ONU envoie sa soldatesque "pacificatrice" au Darfour, on peut être sûr que ce ne sera que pour ouvrir une période de déstabilisation bien pire, car chacun des protagonistes n'aura pour but que de venir défendre ses propres intérêts, à travers le soutien à des bandes rebelles.
Voila une fois encore la réalité de ce monde capitaliste en pleine putréfaction, où l'humanité n'est que l'otage et le jouet des luttes intestines et des guerres entre cliques armées qui se multiplient sur la planète, soutenues par les puissances, petites ou grandes, qui elles-mêmes s'entredéchirent derrière leurs discours mensongers et cyniques.
Mulan / 24.11.2006
La répression que l'Etat a déchaînée contre la population d'Oaxaca met à nu la férocité sanguinaire de la démocratie. Oaxaca s'est transformée depuis cinq mois en une véritable poudrière, dans laquelle les corps paramilitaires et policiers ont été le bras armé de la terreur étatique. Les perquisitions de domiciles, les séquestrations et la torture sont utilisées au quotidien par l'Etat pour rétablir « l'ordre et la paix ». Le résultat des exactions policières n'est pas un « résultat nul », comme le prétend le gouvernement, il se solde en réalité par des dizaines de « disparus », de prisonniers et par au moins trois morts (sans compter la vingtaine de personnes qui ont été abattues entre mai et octobre de cette année par les gardes blancs).
Il y a six ans, la classe dominante proclama que l'arrivée au pouvoir de Fox augurait d'une « période de changements », mais la réalité a mis en évidence que quels que soient les partis ou les personnes qui accèdent au gouvernement, le capitalisme ne peut offrir aucune amélioration... et il est plus évident que jamais que le système actuel ne peut offrir que plus d'exploitation, de misère et de répression. L'ensemble de la classe ouvrière doit tirer, en profondeur, les leçons de ce qui se passe à Oaxaca, doit comprendre que la situation de violence et de répression qui se développe n'est pas le fait d'un gouvernement en particulier ou d'un fonctionnaire, mais qu'elle est dans la nature du capitalisme lui-même, et doit aussi critiquer les faiblesses et difficultés dans lesquelles les travailleurs se trouvent piégés. Il est nécessaire de faire un bilan général sur la signification des mobilisations actuelles pour pouvoir tirer ces leçons et ainsi permettre que les prochaines luttes soient mieux préparées.
Les manifestations actuelles à Oaxaca sont sans aucun doute les expressions du mécontentement qui existe chez les travailleurs contre l'exploitation et l'ignominie du capitalisme. Les mobilisations dans cette région expriment le mécontentement face à la dégradation persistante des conditions de vie, elles sont le fruit d'une profonde colère et révèlent un vrai courage et de réelles dispositions à la lutte ; elles ont cependant été manœuvrées par la bourgeoisie, qui est parvenue à ce que les objectifs, les méthodes et l'organi-sation des actions restent hors du contrôle des travailleurs.
Les conflits qui se développent au sein de la bourgeoisie ont pu détourner le mécontentement social et l'utiliser à leur profit, transformant une lutte pour des revendications salariales en mouvement sans perspectives, dans la mesure où il a été détourné par une des fractions de la bourgeoisie, démocratisante », contre une autre composée des vieux caciques. Face à ces mobilisations, le système a clairement montré sa nature sanguinaire, mais cette utilisation par l'Etat de la terreur va plus loin que la répression à l'encontre des manifestants d'Oaxaca. L'incursion des forces militaires et policières n'a pas pour principal objectif l'extermination de l'Assemblée populaire du peuple d'Oaxaca (APPO), mais cherche fondamentalement à étendre la terreur en tant qu'arme d'avertissement et de menace à l'ensemble des travailleurs. La terreur étatique s'est déchaînée en combinant les forces de répression de l'Etat et celles du gouvernement fédéral, mettant au grand jour que même quand il y a des luttes entres les différentes bandes de la bourgeoisie, celles-ci parviennent à s'entendre pour mener à bien leur tache répressive ; supposer qu'il est possible de « dialoguer » avec un secteur du gouvernement, c'est alimenter l'espoir illusoire qu'il pourrait exister un secteur de la bourgeoisie qui soit « progressiste » ou « éclairé ». Donner comme objectif principal au mouvement de mobilisations le retrait d'Ulises Ruiz (1) du gouvernement d'Oaxaca, c'est donner l'illusion que le système capitaliste pourrait s'améliorer en se démocratisant ou en changeant les hommes à sa tête. Limiter la réflexion à la contestation d'Ulises Ruiz, dévouer la mobilisation à cet objectif ne participe en rien au développement de la conscience mais au contraire alimente la confusion et donne le faux espoir que les ex-ploités pourraient avoir un « meilleur gouvernement ».
Le mot d'ordre de l'APPO d'unifier les forces contre Ulises Ruiz n'est en rien un renforcement de la réflexion collective et de l'action consciente, c'est au contraire l'extension de la confusion et la soumission de la force sociale aux intérêts d'une des fractions de la bourgeoisie contre une autre.
La démonstration la plus évidente de cette confusion grandissante quand aux objectifs et de son dévoiement vers le soutien indirect d'une des fractions de la classe dominante se révèle dans la mise en second plan de la question salariale à la base du mouvement pour laisser comme première revendication la destitution du gouverneur de la région. Cette manœuvre a permis au syndicat et au Gouvernement fédéral de réduire la question salariale à un simple problème technique d'apport adéquat de ressources à une région par le biais d'une planification des finances publiques, permettant ainsi d'isoler le problème et de le présenter comme une question « locale », sans lien avec le reste des salariés.
Dans le même sens, les méthodes de lutte préconisées, les piquets, les blocages, les marches épuisantes et les affrontements désespérés n'ont pas permis d'alimenter la solidarité ; au contraire, elles ont isolé le mouvement en l'isolant et en le réduisant ainsi à être une cible facile pour la répression.
La composition sociale de l'APPO (constituée par des organisations « sociales » et des syndicats) montre que cette organisation, et donc les décisions qu'elle prend, échappe aux mains du prolétariat. Parce qu'elle est fondamentalement dominée par des secteurs non salariés (ce qui est déjà une manifestation de sa faiblesse) et surtout parce qu'elle a abandonné la discussion et la réflexion aux syndicats et aux groupes de l'appareil de gauche de la bourgeoisie (c'est-à-dire liés directement ou indirectement aux intérêts de certaines fractions de la classe dominante), cette structure montre sa nature non prolétarienne. C'est ce qui permet que soit diluée la force potentielle des travailleurs dans l'action, cette force qui ne peut s'exprimer dans une structure qui, bien que se présentant sous la forme de soi-disant assemblées ouvertes, exprime dans la pratique sa véritable essence, celle d'un front interclassiste conduit par la confusion et le désespoir des couches moyennes. L'appel réalisé le 9 novembre 2006 pour la transformation de l'APPO en structure permanente (l'Assemblée étatique des peuples d'Oaxaca) le démontre bien, en définissant la Constitution de 1917 de la bourgeoisie mexicaine comme « document historique qui ratifie la tradition émancipatrice de notre peuple... » et appelant donc à la défendre, comme elle appelle bien sûr à défendre le « territoire et les ressources naturelles ». Son radicalisme se réduit à la défense de l'idéologie nationaliste, qui est un véritable poison pour les travailleurs. L'appel contient en outre une authentique falsification de l'internationalisme prolétarien, quand il proclame la nécessité « d'établir des liens de coopération, de solidarité et de fraternité avec tous les peuples de la terre pour l'édification d'une société juste, libre et démocratique, une société véritablement humaine »... par le biais du combat pour « la démocratisation de l'ONU » !
La création de l'APPO n'a pas été une avancée pour le mouvement des travailleurs, sa création est au contraire liée à la l'écrasement de leur mécontentement authentique. L'APPO est apparue comme une véritable « camisole de force » pour contenir la combativité prolétarienne. Les groupes staliniens, maoïstes, trotskistes et les syndicats qui la composent ont su dénaturer le courage et les expressions de solidarité de la classe ouvrière en imposant une orientation et une action à mille lieues de ses intérêts et de ceux du reste des exploités. Les comparaisons qu'ose faire l'APPO entre sa structure et celle des soviets, sa prétention à être un « embryon du pouvoir ouvrier », sont de véritables attaques lancées contre les authentiques traditions du mouvement ouvrier.
L'organisation authentiquement prolétarienne se distingue en ce sens que les objectifs qu'elle se donne sont directement liés à ses intérêts de classe, c'est-à-dire à la défense de ses conditions de vie. Elle ne se donne pas pour but la défense de « l'économie nationale », de l'économie étatisée et encore moins la démocratisation du système qui l'exploite. Elle cherche avant tout à défendre son indépendance politique par rapport à la classe dominante, indépendance qui lui permet d'assumer la lutte contre le capitalisme.
C'est en ce sens que les luttes revendicatives des travailleurs contiennent la préparation à la critique radicale de l'exploitation : elles expriment la résistance aux lois économiques du capitalisme et leur radicalisation ouvre la voie à la révolution. Ce sont des moments qui font partie de la préparation aux combats révolutionnaires que devra livrer le prolétariat, elles sont en ce sens le germe de la lutte révolutionnaire.
En tant que classe internationale et internationaliste, le prolétariat doit assimiler dans tous les pays les expériences de ses combats passés. Il lui est donc indispensable, pour impulser le développement de sa conscience, de prendre à son compte par exemple les leçons de la mobilisation développée par les étudiants et travailleurs en France au printemps 2006 contre le Contrat de premier emploi (CPE). La leçon essentielle de ce mouvement a été sa capacité d'organisation, qui a permis de maintenir un tel contrôle de la lutte qu'il empêcha les gauchistes et les syn-dicats de détourner le mouvement de son objectif central, le re-trait du CPE. Les combats qu'ont livrés les travailleurs de Vigo en Espagne à la même époque vont dans le même sens, défendant leurs revendications salariales et l'extension de la lutte par le contrôle de leurs assemblées contre le sabotage syndical.
La défense de ses conditions de vie, l'autonomie organisationnelle et la réflexion massive atteintes par ces mouvements sont des leçons pour l'ensemble du prolétariat, qu'il doit mettre en avant pour livrer ses combats.
D'après Revolucion Mundial, organe du CCI en Mexique/ 18.11.2006
(1) Gouverneur de l'Etat d'Oaxaca, appartenant à l'ancien parti dirigeant du Mexique, le PRI, corrompu et clientéliste.
L'Impérialisme américain ne pourra pas enrayer son affaiblissement sur l'arène mondiale. Ce plan aborde toute la politique impérialiste des Etats-Unis. Il part d'un constat, visible par tous, de l'absence totale de possibilités de réussite de la politique de guerre américaine en Irak. Mais bien plus encore, il souligne la montée en puissance de la résistance de la politique anti-américaine et anti-israélienne, partout, au Proche et au Moyen-Orient. Ce rapport semble ainsi prendre le contre-pied de la politique suivie depuis plusieurs années par les Etats-Unis dans toute cette partie du monde. Il préconise un retrait progressif des troupes américaines d'Irak et le renforcement massif de l'armée irakienne qui devrait passer sous la direction du premier ministre Nouri Kamal Al-Maliki. Alors que les attentats se succèdent tous les jours de manière de plus en plus meurtrière, avec un gouvernement totalement impuissant et une armée américaine retranchée dans des camps fortifiés, une telle proposition apparaît immédiatement pour ce qu'elle est : irréaliste, inapplicable et en dehors de toute réalité. Ceci est à ce point la vérité que le plan Baker se garde bien de préciser la date butoir d'un retrait des troupes américaines d'Irak. Tel est également le cas de toutes les autres propositions avancées par ce rapport. Ce qui frappe également à la lecture du rapport, ce sont les propositions de renouer un dialogue officiel avec la Syrie et l'Iran. Le rapport précise même: "L'Iran doit recevoir des propositions incitatives, telle que le rétablissement des relations avec les Etas-Unis, et dissuasives pour stopper le flots d'armes à destination des milices irakiennes. Le pays doit être intégré au Groupe d'étude sur l'Irak.» (Courrier International du 14 décembre 2006) Cette proposition du rapport est tellement irréaliste qu'elle montre clairement l'impasse totale des Etats-Unis en Irak, et pire encore, leur incapacité croissante à limiter la montée des exigences syriennes et iraniennes. L'impossibilité pour l'armée américaine de résoudre la situation en Irak pousse même la bourgeoisie américaine à envisager d'associer l'Iran dans une tentative de maîtriser le chaos irakien. Cette alternative politique ne pourrait se traduire que par des exigences accrues de l'Iran, en matière de développement de son arme nucléaire, mais également sur le terrain, dans l'ensemble du Proche et du Moyen-Orient. Autant d'exigences et de pas en avant de l'impérialisme iranien que ni Israël, ni les Etats-Unis eux mêmes, ne seraient en mesure de supporter. Il est fort possible que, dans les mois à venir, la tonalité des discours américains en matière de politique internationale soient plus mesurés et fassent plus appel à une « collaboration internationale », dans ce que la bourgeoisie appelle sa lutte contre le terrorisme international. Au cas fort improbable où celle-ci passerait, un chaos tout aussi important se développerait dans tout le Proche et Moyen-Orient. Le ton est d'ailleurs donné par la déclaration du roi d'Arabie Saoudite Abdallah au vice président américain Dick Cheney, en visite il y a quelques semaines à Riyad: «L'Arabie Saoudite a fait savoir à l'administration Bush qu'en cas de retrait des troupes américaines le royaume pourrait apporter un soutien financier aux Sunnites en Irak dans n'importe quel conflit qui les opposerait aux Chiites.» (Courrier International du 13 décembre 2006) En Irak, les Etats-unis sont totalement coincés. Aucune des options envisagées sur le plan militaire n'est satisfaisante pour l'impérialisme américain. La montée en puissance de la contestation de la suprématie américaine non seulement par l'Iran, mais également par des puissances impérialistes telles que la France, l'Allemagne ou encore la Russie, ne peut pousser dans l'avenir les Etats-Unis, par delà l'évolution de leur politique en Irak, que dans une fuite en avant guerrière, toujours plus meurtrière et barbare. De la part de ce capitalisme en pleine décomposition, les actes militaires les plus destructeurs et les plus irrationnels, sont encore et plus que jamais devant nous.
Rossi
Internationalisme no. 330
Depuis des décennies, les différentes organisations gauchistes, et en particulier les trotskistes, soutiennent "la juste lutte du peuple palestinien" contre "l'impérialisme américain et israélien" au nom du caractère "progressiste" des "luttes de libération nationale". Aujourd'hui, les territoires palestiniens sont plongés en plein chaos par des luttes intestines. Depuis que le président de l'Autorité palestinienne a annoncé le 16 décembre dernier la tenue d'élections présidentielles et législatives anticipées, des affrontements armés ont lieu à Gaza entre factions rivales mettant aux prises d'un coté les islamistes du Hamas à la tête du gouvernement et de l'autre le Fatah du président Mahmoud Abbas. Les affrontements entre ces milices armées sont sanglants : combats de rue, attentats à la voiture piégée, enlèvements à répétition. Leurs règlements de compte meurtriers sèment la terreur et la mort parmi les populations de la bande de Gaza, déjà réduites à la misère.
Face à un tel déchaînement de violence et de barbarie, comment se positionnent les organisations trotskistes, telles Lutte Ouvrière (LO) ou bien encore la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR) ?
Sans jamais avoir varié d'un iota, LO et LCR montrent du doigt les seuls coupables selon elles, à savoir les Etats-Unis et "l'Etat sioniste israélien". LO dans l'article de son hebdomadaire du 6 octobre 2006 déclare : «Chaos et affrontement sont les conséquences directes des sanctions financières décrétées par l'Union Européenne, le gouvernement des Etats-Unis et celui d'Israël. » ou encore : "Or, c'est bien Israël et ses principaux tuteurs occidentaux qui sont les responsables de la situation désastreuse dans laquelle vivent les Palestiniens" (Lutte Ouvrière n°2003 du 22 décembre 2006). L'impérialisme est inhérent à la vie de chaque fraction nationaliste bourgeoise et s'exprime à travers une lutte pour la défense de l'intérêt du capital national entre tous les Etats concurrents, du plus grand au plus petit, du plus puissant au plus faible. A noter (n'en déplaise aux groupes trotskistes) que si le Fatah peut compter sur le soutien d'Israël, des Etats-Unis et de l'Union Européenne et que le Hamas est appuyé financièrement et armé par l'Iran et la Syrie, c'est justement en tant que cliques bourgeoises palestiniennes.
Ainsi, en soutenant soi-disant "tous les Palestiniens", LO encourage en fait la classe ouvrière à se ranger derrière des cliques bourgeoises et à s'enrôler comme chair à canon au nom de la défense de la patrie palestinienne. C'est toujours ce que défend cette organisation qui, comme l'ensemble des groupes trotskistes, ne désigne comme impérialistes que la politique de certaines nations, de certains Etats.
Quant à la LCR, elle ne s'encombre pas de formulations hypocrites en clamant tout haut son soutien direct non au "peuple palestinien" en général mais directement à telle ou telle fraction, à telle ou telle milice. Au lendemain des élections dont le Hamas est sorti victorieux, un communiqué de la LCR du 26 janvier 2006 déclarait : "Fondamentalement, les gouvernements israélien, celui de Sharon en tête, et les USA portent une lourde responsabilité dans ce que certains appellent 'un séisme politique'. Cette politique musclée de Mrs Bush et Sharon ont déconsidéré les dirigeants du Fatah et fait le jeu du Hamas." Les organisations trotskistes ont un besoin viscéral de choisir constamment un camp bourgeois en présence, dans toutes les guerres, dans tous les conflits. Et cette politique tourne ici purement au ridicule. C'est ainsi qu'on a assisté en un an à un glissement progressif de ce soutien du Fatah vers le Hamas de la part de la LCR : "Les États-Unis et Israël tentent de renforcer le président de l'Autorité palestinienne, (...) afin d'affaiblir le gouvernement Hamas, massivement élu et toujours soutenu par la majorité des Palestiniens" ou encore plus explicitement, "C'est l'arrière-fond des confrontations sanglantes à Gaza de ces dernières semaines entre des militants du Fatah et des militants du Hamas, et dont le Fatah porte l'entière responsabilité" (souligné par nous).
Cette politique de girouette crée un désarroi dans le courant trotskiste, ce dont témoignent les furieuses empoignades sur le forum des marxistes révolutionnaires (https://forumtrots.agorasystem.com/lcr [47] animé et contrôlé en sous-main par la LCR). Alors que la guerre fait rage entre fractions palestiniennes, la préoccupation des intervenants consiste à choisir l'une de ces fractions afin que le peuple palestinien, dans la boue et le sang, puisse enfin trouver le chemin de sa "libération nationale". Pour certains, il faudrait soutenir le Fatah qui serait progressiste. Pour d'autres, au contraire, et pour les mêmes raisons, il faudrait soutenir le Hamas.
Petit florilège, l'un avance : "L'une des fractions est nationalistes bourgeoises et l'autre représente le fascisme vert. Je préfère le Fatah !" Un autre lui répond : "Ce qu'on voit de façon assez claire dans cette crise, c'est quand même le Fatah passant un seuil dans le rôle de supplétif de l'impérialisme, en condamnant le gouvernement Hamas [...] et en cherchant par tous les moyens à le déstabiliser".
Un troisième point de vue s'exprime : "Le Hamas ne défend pas la bourgeoisie ni le fascisme mais bien un système féodal basé sur l'obscurantisme religieux tandis que la Fatah, nationaliste laïque [...] défend un Etat souverain dirigé par une bourgeoisie nationale [...]. Moi, je choisis le FPLP."
Un autre sympathisant trotskiste renchérit : "Même si le FPLP soutient le Hamas ?" Réponse du précédent : "En l'absence d'une organisation marxiste et révolutionnaire capable de peser sur le cours des événements j'apporte mon soutien critique à qui je peux ! Et donc au FPLP en l'occurrence..."
Au nom de la démocratie, la LCR laisse cyniquement ces arguments sans réponse. Et pour cause, la cacophonie du débat n'est que le reflet de leurs propres contradictions.
Lutte Ouvrière et la Ligue Communiste Révolutionnaire évitent soigneusement de poser la question : où se trouve la défense des intérêts de la classe ouvrière, en Palestine, en Israël, ou ailleurs dans le monde ? L'exploitation féroce de la classe ouvrière par la bourgeoisie palestinienne et israélienne a, comme par enchantement, disparu. La "défense de la patrie palestinienne, au nom des justes droits des Palestiniens" est martelé comme un mot d'ordre mobilisateur à destination de la classe ouvrière dans le bourbier inter-impérialiste. De ce fait, les officines trotskistes déversent le pire poison nationaliste dans les consciences ouvrières. Chaque bourgeoisie, palestinienne comme israélienne, appelle les ouvriers vivant sur son sol à participer à la guerre. D'un côté, il faudrait lutter pour "la juste cause du peuple palestinien", de l'autre, il faudrait, "défendre Israël contre la menace du fanatisme du monde arabo-musulman." Quelles sont les conséquences pour les ouvriers qui vivent en Palestine, comme en Israël, d'une telle position ? Quelle doit être l'attitude des ouvriers partout dans le monde face à ce conflit ? L'idéologie nationaliste est-elle une arme de combat de la bourgeoisie ou de la classe ouvrière ? Ces questions et les réponses qui en découlent ne sont pas secondaires pour la lutte de classe, bien au contraire, elles sont vitales pour le développement du combat de classe et de la conscience prolétarienne.
Partout les ouvriers ont les mêmes intérêts à défendre, contre la même classe d'exploiteurs. Cela ne signifie qu'une seule chose pour la classe ouvrière : aux guerres impérialistes et nationales de la bourgeoisie, le prolétariat ne peut opposer que sa guerre de classe et son unité internationale. Rosa Luxembourg, une des plus grandes figures du prolétariat révolutionnaire, l'affirmait déjà haut et fort il y a près d'un siècle : "A l'époque de l'impérialisme déchaîné, il ne peut y avoir de guerre nationale. Les intérêts nationaux ne sont qu'une mystification qui a pour but de mettre les masses populaires laborieuses au service de leur ennemi mortel : l'impérialisme." [1] Sous couvert de bons sentiments et au nom de la défense d'une patrie palestinienne où les droits du peuple seraient respectés, voilà à quel sale travail s'attellent des organisations comme LO ou la LCR. Pire ! Quand elles ont en face d'elles des organisations défendant de façon réelle et vivante l'internationalisme prolétarien, elles les traitent "d'indifférentistes". La seule position marxiste et révolutionnaire possible est celle que réaffirme un sympathisant des positions de la Gauche communiste intervenant dans le Forum trotskiste : "Ce qui se passe à Gaza montre encore une fois le danger que représente l'idéologie nationaliste pour la classe ouvrière. Quand la classe ouvrière est empoisonnée par cette idéologie, cela amène toujours celle-ci à s'entretuer entre elle pour des intérêts qui ne sont pas les siens. On l'a vu en 1914, lors de la deuxième guerre mondiale, lors des conflits entre le bloc de l'Est et le bloc de l'Ouest. Aujourd'hui avec la dislocation de l'Autorité palestinienne, on amène les ouvriers palestiniens à s'entretuer entre eux au nom du fait que tel ou tel camp serait progressiste. Alors que tous les camps en présence défendent une cause nationale qui n'est pas le terrain de la classe ouvrière. Face à cette situation encore une fois le cri de guerre du mouvement ouvrier doit être mis en avant : LES PROLETAIRES N'ONT PAS DE PATRIE."
Tino / 22.1.07
[1] Thèses sur la démocratie internationale.
Depuis quelques semaines, les médias ont donné le coup d'envoi de la campagne électorale car le 10 juin, nous martèlent-ils, "le citoyen pourra, comme tous les quatre ans, participer à la définition de la politique du pays et élire ses représentants démocratiques". Et ils nous présentent les enjeux de ces élections: Verhofstadt et sa coalition ‘éthico-progressiste' garderont-ils la majorité ou les sociaux-chrétiens et leur ‘réveil moral' imposeront-ils une nouvelle majorité ? Est-ce que le futur premier ministre sera le libéral Verhofstadt, le chrétien Leterme ou même le socialiste Di Rupo? Y aura-t-il un nouveau round de négociations communautaires afin de régionaliser des compétences ou plutôt une certaine ‘refédéralisation' de certains moyens financiers? Et de nous présenter les ‘programmes' en concurrence: si les libéraux veulent développer plus les libertés individuelles pour mieux intégrer le pays dans la société mondialisée, les démocrates-chrétiens pour leur part prétendent gérer l'Etat ‘en bon père de famille' tout en conservant une ‘société chaleureuse' qui s'occupe des ‘plus démunis'. Quant aux socialistes, ils appellent au rassemblement des progressistes et des écologistes pour construire ‘une société socialement équitable et respectueuse de l'environnement'.
Sur le plan socio-économique toutefois, tous les partis sont d'accord sur l'essentiel, même s'ils montent en épingle quelques divergences sur des mesures subsidiaires : la croissance de l'économie nationale va dans le bon sens et il faut tout faire pour ‘maintenir à tout prix la compétitivité' face aux concurrents sur un marché international où la compétition est féroce. D'ailleurs, ne sont-ils pas tous impliqués dans la mise en œuvre de cette politique à différents niveaux de pouvoir ? Les libéraux dirigent le gouvernement fédéral, les sociaux-chrétiens le gouvernement régional flamand, les socialistes le gouvernement régional wallon et l'exécutif bruxellois.
Au niveau social justement, une question est totalement absente du débat électoral, c'est celle des conditions de vie et de travail de la population, en particulier de la classe ouvrière. Gommés la crise, les licenciements, les baisses de salaire, la flexibilité, le stress, le taux de suicide parmi les plus élevés du monde, les jeunes qui pètent les plombs, ... Ce silence n'est pas étonnant car, sur le plan des attaques contre la classe ouvrière, les partis sont tous profondément d'accord et leurs ministres se sont largement impliqués dans les mesures prises.
Souvenons-nous sur ce plan des axes de l'offensive de la bourgeoisie, tels que les avaient formulés la conférence pour l'emploi de septembre 2003 (cf. Internationalisme n° 300, 15.11.03), qui regroupait l'ensemble des forces patronales, syndicales et politiques. Elle avait mis en avant 5 chantiers sur lesquels porteraient les attaques contre les salariés : la baisse des charges pour les entreprises, la modération salariale, la réduction des frais liés au chômage, l'augmentation du temps de travail par semaine et le rallongement de la durée du travail au cours de la vie et enfin le financement alternatif de la sécurité sociale. Face aux discours mystificateurs des partis, il n'est pas inutile de rappeler les effets dévastateurs de cette politique préméditée :
- la baisse des charges pour les entreprises :
Les dérogations d'impôts pour les entreprises, l'assouplissement des procédures de licenciements et surtout les mesures accentuant la flexibilité du travail se sont accumulés. Ces dernières années, le patronat a calculé que les augmentations salariales modestes accordées ont été largement compensées par une hausse vertigineuse de la productivité grâce à une forte croissance de la flexibilité, rendue possible par une dérégulation du temps de travail maximal autorisé (en 2006, on est passé de 65 à 130 heures de travail en plus du temps de travail officiel par an, soit en moyenne plus de deux par semaine), et à une forte baisse des charges patronales, octroyée par le gouvernement. En 2003, la Belgique se situait au deuxième rang mondial de la productivité par heure travaillée et en 2006, elle est toujours dans le top-3 (après le Luxembourg et la Norvège) (The Conference board, dans De Morgen, 27.01.07). Le travailleur belge produit par heure 12% de valeur en plus qu'aux USA, ce qui en dit long sur le rythme et la flexibilité du travail qui pourtant, dixit la bourgeoisie, doivent encore être améliorés.
- la modération salariale :
Depuis dix ans au moins, les salaires tentent péniblement de suivre l'index des prix et souvent, comme depuis 2005, il y a recul ‘officiel' du pouvoir d'achat, ainsi d'ailleurs que dans d'autres pays d'Europe et aux USA (De Morgen, 05.06.06). De toute façon, ‘l'indexation automatique des salaires' elle-même est un mythe dans la mesure où l'index a été trafiqué (sortie des produits pétroliers et de produits ‘nocifs pour la santé'). De plus, la bourgeoisie a introduit depuis les années 1990 une ‘norme salariale' pour ‘modérer' l'index, déterminant que les hausses salariales prévues ne peuvent dépasser la moyenne de celles accordées en Allemagne, Hollande et en France. Pour 2007-2008, elles ont été fixées 0,5% en dessous de celles prévues dans ces pays. On ne s'étonnera donc pas que le pouvoir d'achat d'un travailleur belge est le plus bas de tous les pays industrialisés d'Europe, 25% de moins par exemple qu'aux Pays-Bas (chiffres de FedEE, la Fédération des Employeurs Européens, De Morgen, 05.06.06)
- la réduction des frais liés au chômage :
Sous le couvert d'un taux de chômage trop élevé par rapport aux offres d'emploi vacantes (cf. La Banque Nationale souligne que le taux de chômage de 8% reste trop haut par rapport à croissance de l'économie et alors que les entreprises ne trouvent pas de candidats (De Morgen, 15.02.07)), gouvernement et patronat plaident avec de plus en plus d'insistance pour une réduction des allocations de chômage et pour leur limitation dans le temps. Ainsi, le ministre socialiste flamand de l'emploi F. Vandenbroucke a activé une politique systématique de suivi individualisé des jeunes chômeurs pour les mettre sous pression et les sanctionner s'ils ne sont pas ‘proactifs sur le marché du travail'. En outre, il plaide pour des allocations plus élevées ... mais limitées dans le temps pour augmenter la pression car "les offres de travail n'arrivent plus à être remplies".
- l'augmentation du temps de travail par semaine et le rallongement de la durée du travail :
Face à un taux d'emploi de 60,9%, un des plus bas d'Europe, le ‘pacte des générations', adopté en 2005, a fixé la durée du travail à 65 ans (en attendant les 67 ans comme en Allemagne?) et réduit drastiquement toute pos-sibilité de retraite anticipée avant 60 ans.
- le financement alternatif de la sécurité sociale :
Depuis plus de dix ans, les minima sociaux ont été bloqués ou chichement relevés par les différents gouver-nements : "Notre sécurité sociale est sérieusement menacée" reconnaissent même les distingués sociologues du Centre d'études Sociales de l'université d'Anvers (De Morgen, 26.02.07). Les retraites et les allocations sociales, surtout les allocations minimales des CPAS, sont plus basses en Belgique qu'ailleurs (en comparaison par ex. avec celles octroyées aux Pays-Bas ou en France) et se situent souvent en dessous du seuil de pauvreté européen (De Standaard 07.02.06). 15% des Belges vivent sous le seuil de pauvreté (27% à Bruxelles) et dans des quartiers ouvriers de grandes villes comme Charleroi, Liège, Bruxelles, Anvers ou Gand , le chômage approche ou dépasse les 30% : 14 ,3 % des adultes belges et 13,5% des adoles-cents vivent dans une famille où personne n'a du travail (De Standaard, 20.02.07).
Bref, les travailleurs ont vu leur pouvoir d'achat reculer et paient plus d'impôts (directs ou indirects ‘pour l'environnement') sur leur salaire. Ils se voient imposer des cadences plus élevées dans le cadre d'une flexibilité exacerbée qui implique en plus dans les faits une augmentation du temps de travail moyen par le remplacement des limitations journalières par des quotas d'heures de travail par mois. Par ailleurs, les modalités de licenciement sont facilitées et les allocations de chômage, ainsi que les autres allocations sociales ou les retraites sont réduites. Et ceci dans un pays où la qualité de l'air et de l'eau et plus généralement la situation de l'environnement est catastrophique: "la pression sur les cours d'eau et les matières premières est parmi la plus élevée de tous les pays de l'OCDE" (Rapport de l'OCDE, De Morgen 26.09.06) et où donc la pression sur leur santé physique et mentale est énorme. En Flandre, le niveau de stress est passé d'une valeur de 15 à l'index de stress en 2000 au niveau 19 aujourd'hui, soit une croissance de plus de 25%.
Et pour qui croirait que cela suffit, c'est mal comprendre l'engrenage infernal de concurrence exacerbée sur le marché mondial saturé dans lequel est prise la bourgeoisie et qui l'amène à s'attaquer toujours plus aux conditions de vie et de travail de la classe ouvrière: malgré un niveau de productivité exceptionnel, les pertes d'emplois et les licenciements se sont multipliés en Belgique: des dizaines de milliers d'emplois ont disparu ces dernières années jusque dans les entreprises les plus prestigieuses: Philips, Siemens, Ford, Opel ARCELOR, Bayer, Belgacom, La Poste ou la SNCB. VW-Forest en est le dernier exemple caricatural. Alors que l'usine était performante, la course suicidaire à la productivité a mené au licenciement de plus de la moitié des ouvriers. Pour ceux qui restent un gain de productivité de 20% est imposé en imposant 38h de travail tout en continuant à être payés pour 35h et en rendant une partie du salaire et des primes variables, c'est-à-dire dépendantes des résultats obtenus.
Cette offensive systématique contre les conditions de vie et de travail de la classe ouvrière - qu'on retrouve d'ailleurs dans l'ensemble des pays industrialisés (cf le plan d'austérité de la ‘grande coalition CDU-SPD en Allemagne) - est, rappelons-le, le produit d'une politique consciente et systématique à laquelle a collaboré à un niveau de pouvoir ou à un autre la plupart des forces politiques. Si elle fait l'unanimité parmi l'ensemble des partis politiques, ceux-ci cependant, pour garder une certaine crédibilité et surtout pour donner aux attaques un semblant d'équité, se doivent de les noyer dans un brouillard de mystifications idéologiques. Les élections et le battage démocratique servent précisément à réaliser cela.
Le battage autour des élections consiste à persuader les travailleurs que voter serait la principale arme de la classe ouvrière pour défendre ses intérêts, et surtout qu'il faut voter pour ‘améliorer', ‘changer', ‘rendre plus juste' la société. Il vise ainsi fondamentalement à les enfermer dans les faux choix de la mystification démocratique : un peu moins d'impôts directs ou un peu plus d'indirects au nom de l'environnement et de la mobilité, stimuler la responsabilité individuelle ou renforcer plutôt les garde-fous collectifs au niveau de la ‘sécurité sociale', favoriser la libre concurrence ou imposer des contraintes sociales sur le marché du travail. Le ‘débat' porte toujours sur la modulation des mesures de ‘rationalisation', sur la forme des sacrifices ‘inévitables', jamais sur leur principe ou sur la logique qui les sous-tend. La ‘campagne' électorale fait partie d'une manoeuvre plus large visant à convaincre surtout la classe ouvrière qu'elle doit s'engager dans la participation citoyenne et dans la défense des institutions démocratiques et qui la pousse en conséquence à cautionner la politique d'austérité ‘par solidarité citoyenne'. Par ce biais, il s'agit en fin de compte de faire accepter les sacrifices ‘démocratiquement décidés' et de détourner l'attention des travailleurs des vraies raisons des mesures de restructuration et d'austérité : la spirale sans issue de rationalisations pour augmenter la rentabilité dans laquelle est engagé le système capitaliste décadent.
Si les campagnes électorales sont pour la bourgeoisie un instrument idéologique précieux de la mystification démocratique, pour la classe ouvrière, elles sont aujourd'hui un leurre instillant l'idée que l'ouvrier ‘citoyen' peut influencer, voire déterminer la politique de la bourgeoisie. Les élections sont un piège pour la classe ouvrière, entre-tenant l'illusion qu'à travers un vote en tant que ‘citoyen' individuel dans l'isoloir, il serait possible d'influer sur la politique de la bourgeoisie, voire l'infléchir radicalement. Dans le capitalisme décadent, c'est l'Etat bourgeois qui élabore les orientations politiques pour défendre de la meilleure manière les intérêts nationaux face à la bataille pour les marchés sur la scène internationale. Les différentes fractions parlementaires ne font qu'exprimer cette politique. La variété (toute relative) de leurs programmes, slogans et couleurs et l'organisation d'élections et de campagnes électorales n'est là que pour entretenir ‘l'illusion démocra-tique', pour donner l'impression au ‘citoyen', en particulier aux travailleurs salariés, qu'une fois tous les quatre ans, ils peuvent véritablement déterminer la politique de leur ‘patrie' et choisir les politiciens qui la mettront en pratique. En réalité, à l'instar de l'électeur enfermé dans son isoloir, elles enferment le travailleur en tant que citoyen dans la spirale absurde, infernale et suicidaire de concurrence entre individus et nations. Or, comme l'histoire l'a démontré, seule l'action massive et collective de la classe ouvrière peut présenter une alternative à l'orientation catastrophique qu'impose au monde le système capitaliste aux abois.
La classe ouvrière ne peut se permettre d'entretenir la moindre illusion sur une possibilité de voir son sort s'améliorer ni par les urnes, ni en faisant confiance à ceux qui prétendent répartir autrement les richesses. C'est exactement le contraire. Elle ne peut que s'enfoncer dans une misère de plus en plus insupportable. De fait, la classe ouvrière n'a absolument rien à faire sur le terrain électoral. Les dés sont pipés d'avance: les élections ne servent toujours qu'une classe, celle de nos exploiteurs. Il n'y a aucune illusion à se faire. Ce système d'exploitation ne peut pas être réformé ; Il faut le détruire. Seul le développement de ses luttes pour renverser ce système à l'échelle mondiale peut lui permettre de s'ouvrir une autre perspective.
Jos / 27.02.07
90 ans après, le déclenchement de la Révolution russe en 1917 reste le mouvement des masses exploitées le plus gigantesque, le plus conscient, le plus riche d'expériences, d'initiatives et de créativité que l'histoire ait jamais connue. En effet, des millions de prolétaires parvenaient à briser leur atomisation, à s'unifier consciemment, à se donner les moyens d'agir collectivement comme une seule force en imposant les instruments du renversement de l'Etat bourgeois pour la prise du pouvoir: les conseils ouvriers (soviets). Au delà du renversement du régime tsariste séculaire, ce mouvement de masse conscient, annonçait rien de moins que le début de la révolution prolétarienne mondiale dans le cadre international d'une vague de révoltes de la classe ouvrière contre la guerre et le système capitaliste comme un tout.
La bourgeoisie ne s'y est pas trompée, elle qui depuis des décennies éructe les mensonges les plus éculés sur cet événement historique. De fait, selon toute une palette d'arguties, les historiens bourgeois aux ordres, n'ont de cesse de colporter une des légendes les plus rebattues consistant à présenter la Révolution de février 1917 comme un mouvement pour la "démocratie", violé par le coup d'Etat bolchévik. Février 1917 serait une authentique "fête démocratique", Octobre 1917 un vulgaire "coup d'Etat", une manipulation par le parti bolchévik des masses arriérées de la Russie tsariste. Cette falsification éhonté est le produit de la peur et la rage ressenties par la bourgeoisie mondiale devant une oeuvre collective et solidaire, une action consciente de la classe exploitée, osant relever la tête et mettre en question l'ordre des choses existant.
En Février 1917, le soulèvement des ouvriers de St Petersbourg (Pétrograd) en Russie, ne survient pas comme un coup de tonnerre dans un ciel d'azur. Il est dans la continuité des grèves économiques durement réprimées, lancées par les ouvriers russes depuis 1915 en réaction contre la sauvagerie de la boucherie mondiale, contre la faim, la misère noire, l'exploitation à outrance et la terreur permanente de l'état de guerre. Ces grèves et ces révoltes ne sont à la même époque en aucune façon une spécificité du prolétariat russe mais sont une partie intégrante des luttes et manifestations du prolétariat international. Une même vague d'agitation ouvrière se développe en Allemagne, en Autriche, en Grande Bretagne... Au front, surtout dans les armées russe et allemande, surgissent des mutineries, des désertions collectives, des fraternisations entre soldats des deux côtés. En effet, après s'être laissé entraîner par les venins patriotiques et les tromperies "démocratiques" des gouvernements, avalisés par la trahison de la majorité des partis social-démocrates et des syndicats, le prolétariat international relevait la tête et commençait à sortir des brumes de l'ivresse chauvine. A la tête du mouvement se trouvaient les internationalistes - les bolchéviks, les spartakistes, toute la gauche de la 2e Internationale qui, depuis l'éclatement de la guerre en août 1914, la dénonçaient sans faiblesse comme une rapine impérialiste, comme une manifestation de la débâcle du capitalisme mondial, comme le signal pour que le prolétariat remplisse sa mission historique : la révolution socialiste internationale. Ce défi historique allait être relevé internationalement par la classe ouvrière à partir de 1917 jusqu'en 1923. A l'avant-garde de ce mouvement prolétarien qui arrêtera la guerre et qui ouvrira la possibilité de la révolution mondiale, se trouva le prolétariat russe en ce mois de février 1917. Le déclen-chement de la Révolution Russe ne fut donc pas une affaire nationale ou un phénomène isolé - c'est-à-dire une révolution bourgeoise attardée, limitée au renversement de l'absolutisme féodal - mais constitua le plus haut moment de la réponse du prolétariat mondial à la guerre et plus profondément à l'entrée du système capitaliste dans sa décadence.
Du 22 au 27 février, les ouvriers de St Pétersbourg déclenchent une insurrection en réponse au problème historique que représente la guerre mondiale, expression de la décadence du capitalisme. Commencée par les ouvrières du textile - surmontant les hésitations des organisations révolutionnaires - la grève gagne en 3 jours la quasi-totalité des usines de la capitale. Le 25, ce sont plus de 240 000 ouvriers qui ont cessé le travail et qui, loin de rester passifs dans leurs ateliers, multiplient les meetings et les manifestations de rue, où leurs mots d'ordre des premières heures pour réclamer du "pain" se trouvent bientôt renforcé par ceux de "à bas la guerre", "à bas l'autocratie".
Le 27 février au soir, l'insurrection, conduite par le prolétariat en armes, règne en maître sur la capitale, tandis que grèves et manifestations ouvrières démarrent à Moscou, gagnant les jours suivants les autres villes de province, Samara, Saratov, Kharkov... Isolé, incapable d'utiliser contre le mouvement révolutionnaire une armée profondément minée par la guerre, le régime tsariste est contraint d'abdiquer.
Une fois rompues les premières chaînes, les ouvriers ne veulent plus reculer et, pour ne pas avancer à l'aveuglette, ils reprennent l'expérience de 1905 en créant les soviets qui étaient apparus spontanément pendant cette grande grève de masse. Ces conseils ouvriers étaient l'émanation directe des milliers d'assemblées de travailleurs dans les usines et les quartiers, appliquant la souveraineté des assemblées et la centralisation par délégués éligibles et révocables à tout instant. Ce processus social apparaît aujourd'hui utopique à beaucoup d'ouvriers, mais c'est celui de la transformation par les travailleurs d'une masse soumise et divisée, en une classe unie qui agit comme un seul homme et devient apte à se lancer dans le combat révolutionnaire. Trotsky avait dès après 1905 déjà montré ce qu'était un conseil : "Qu'est-ce que le soviet ? Le conseil des députés ouvriers fut formé pour répondre à un besoin pratique suscité par la conjoncture d'alors : il fallait avoir une organisation jouissant d'une autorité indiscutable, libre de toute tradition, qui grouperait du premier coup les multitudes disséminées et dépourvues de liaison; cette organisation (...) devait être capable d'initiative et se contrôler elle-même d'une manière automatique..." (Trotsky, 1905) Cette "forme enfin trouvée de la dictature du prolétariat", comme le disait Lénine, rendait caduque l'organisation permanente en syndicats. Dans la période où la révolution est historiquement à l'ordre du jour, les luttes explosent spontanément et tendent à se généraliser à tous les secteurs de la production. Ainsi le caractère spontané du surgissement des conseils ouvriers résulte directement du caractère explosif et non programmé de la lutte révolutionnaire.
Les conseils ouvriers pendant la révolution russe ne furent pas le simple produit passif de conditions objectives exceptionnelles mais aussi le produit d'une prise de conscience collective. Le mouvement des conseils a apporté lui-même les matériaux pour l'auto-éducation des masses. Les conseils ouvriers entremêlèrent de façon permanente les aspects économiques et politiques contre l'ordre établi. Comme l'écrit Trotsky: "Là est sa force. Chaque semaine apportait aux masses quelque chose de nouveau. Deux mois faisaient une époque. A la fin février, insurrection. A la fin avril, manifestation des ouvriers et des soldats armés dans Pétrograd. Au début juillet, nouvelle manifestation avec beaucoup plus d'ampleur et des mots d'ordre plus résolus. A la fin d'août, la tentative de coup d'Etat de Kornilov , repoussé par les masses. A la fin d'octobre, conquête du pouvoir par les bolcheviks. Sous ce rythme des événements d'une régularité frappante s'accomplissaient de profonds processus moléculaires qui soudaient en un tout politique les éléments hétérogènes de la classe ouvrière." (...) On tenait des meetings dans les tranchées, sur les places des villages, dans les fabriques... Pendant des mois, à Pétrograd et dans toute la Russie, chaque coin de rue fut une tribune publique..." (Trotsky, Histoire de la Révolution Russe).
Si le prolétariat russe se donna les moyens de son combat en imposant les conseils ouvriers, il n'en reste pas moins que dès février, il rencontra une situation extrêmement dangereuse. En effet, les forces de la bourgeoisie internationale tentèrent ausitôt de retourner la situation à leur avantage. Faute de pouvoir écraser dans le sang le mouvement, elles tentèrent de l'orienter vers des objectifs bourgeois "démocratiques". D'une part elles formèrent un gouvernement provisoire, officiel, dont le but était de poursuivre la guerre. D'autre part, d'emblée, les soviets furent envahis par les mencheviks et les socialistes révolutionnaires. Ces derniers, dont la majorité est passée dans le camp bourgeois du fait de la guerre, jouissaient au début de la révolution de février, d'une immense confiance parmi les ouvriers. Ils furent naturellement portés à l'Exécutif du Soviet. De cette position stratégique, ils essayèrent par tous les moyens de saboter les soviets, de les détruire. D'une situation de "double pouvoir" en février, on en arriva à une situation de "double impuissance" en mai et juin 1917 dans la mesure où l'Exécutif des soviets servait de masque à la bourgeoisie pour réaliser ses objectifs, en premier lieu le retablissement de l'ordre à l'arrière et au front pour pourvoir poursuivre la boucherie impérialiste. Ces démagogues menchéviks ou social-démocrates firent encore et toujours des promesses sur la paix, "la solution du problème agraire", l'application de la journée de 8 heures etc, sans jamais les mettre en oeuvre. Même si les ouvriers, du moins ceux de Pétrograd, étaient convaincus que seuls le pouvoir des soviets étaient en mesure de répondre à leurs aspirations et s'ils voyaient bien que leurs revendications et exigences n'étaient pas prises en compte, ailleurs dans les provinces et parmi les soldats, on croyait encore aux "conciliateurs", aux partisans de la prétendue révolution bourgeoise. Il reviendra à Lénine, avec ses Thèses d'Avril, deux mois après le déclenchement du mouvement, tout d'abord de dévoiler son audacieuse plate-forme pour réarmer le parti bolchévik, tendant lui aussi à concilier avec le gouvernement provisoire. Ses Thèses explicitaient clairement en avance vers où allait le prolétariat et formulaient les perspectives du parti : "Aucune concession, si minime soit-elle... ne saurait être tolérée dans notre attitude envers la guerre."
"Aucun soutien au gouvernement provisoire, démontrer le caractère entièrement mensonger de toutes ses promessses... Le démasquer au lieu 'd'exiger' - ce qui est inadmissible car c'est semer des illusions - que ce gouvernement, gouvernement de capitalistes, cesse d'être impérialiste."
"Non pas une république parlementaire - y retourner après les Soviets des députés ouvriers serait un pas en arrière - mais une république des Soviets de députés ouvriers, salariés agricoles et paysans dans tout le pays, de la base au sommet." Armé de cette solide boussole, le parti bolchévik put faire des propositions de marche correspondant aux besoins et aux possibilités de chacun des moments du processus révolutionnaire en gardant en ligne de mire la perspective de la prise du pouvoir, et ce, par un "travail d'explication patient et opiniâtre" (Lénine). Et dans cette lutte des masses pour prendre le contrôle de leurs organisations contre le sabotage bourgeois, après plusieurs crises politiques, en avril, en juin et surtout juillet, il devint possible de renouveler les Soviets au sein desquels les bolchéviks devinrent majoritaires. L'activité décisive des bolchéviks a donc eu pour axe central le développement de la conscience de classe, ayant confiance dans la capacité de critique et d'analyse des masses et confiance en la capacité d'union et d'auto-organisation de celles-ci. Les bolchéviks n'ont jamais prétendu soumettre les masses à "un plan d'action" préconçu, levant les masses comme on lève une armée. "La principale force de Lénine consistait en ceci qu'il comprenait la logique interne du mouvement et réglait d'après elle sa politique. Il n'imposait pas son plan aux masses. Il aidait les masses à concevoir et à réaliser leurs propres plans." (Trotsky, Histoire de la Révolution Russe, chapitre. "Le réarmement du parti"). C'est ainsi que dès septembre, les bolchéviks posèrent clairement la question de l'insurrection dans les assemblées d'ouvriers et de soldats. "L'insurrection fut décidée, pour ainsi dire, pour une date fixée: le 25 octobre. Elle ne fut pas fixée par une réunion secrète, mais ouvertement et publiquement, et la révolution triomphante eu lieu précisément le 25 octobre...". (ibid) Elle souleva un enthousiasme sans pareil parmi les ouvriers du monde entier, devenant le "phare" qui éclairait l'avenir de tous les exploités. Aujourd'hui encore, la destruction du pouvoir politique et économique des classes dominantes est une nécessité de survie impérieuse. La dictature du prolétariat, organisé en Conseils souverains, demeure la seule voie réaliste pour jeter les bases d'une nouvelle société véritablement communiste. Cela, les prolétaires doivent se le réapproprier à la lumière de l'expérience de 1917.
SB
"Le droit d'inscription aux cours pour adultes en Flandre sera sérieusement augmenté à partir de septembre 2007, et cela vaut aussi pour le cours de néerlandais destiné aux allochtones qui y vivent. Contre ces mesures, s'est déroulée le 11 janvier 2007 une manifestation devant le Ministère Flamand de l'Enseignement, à Bruxelles, au cours de laquelle professeurs et étudiants ont mené une action commune (...) Vos commentaires et votre éventuel soutien sont bienvenus. Il ne s'agit pas seulement de l'enseignement du néerlandais, mais aussi des autres cours pour adultes. T&G".
Nous voulons réagir à cet appel et à d'autres réactions de lecteurs et de contacts que nous avons reçues à ce propos car ils sont caractéristiques du mécontentement provoqué par cette nouvelle mesure d'austérité du ministre flamand de l'Enseignement, le 'socialiste' Vandenbroucke. Qui est concerné? Comment réagir? Descendre dans la rue ensemble? Interrompre les cours? Comment appeler à la solidarité? Les nombreuses questions que se posent les participants à ces actions sur la voie à suivre pour imposer un véritable rapport de forces, sont en effet une composante essentielle d'une résistance victorieuse.
"Afin d'éviter que les étudiants accumulent «cours de jardinage et cours de cuisine» comme s'ils faisaient du shopping, le ministre de l'Enseignement, Frank Vandenbroucke (SP.A) propose d'augmenter le droit d'inscription" (De Standaard, 14.2.07). Concrètement, cela revient à augmenter le droit d'inscription par heure de cours à un euro, soit en pratique à tripler, voire quadrupler le montant à payer par les élèves (souvent une hausse de 100 à 300 EUR par cours) ! Mais, dit Vandenbroucke: "Actuellement, trop d'adultes papillonnent grosso modo d'un cours de décoration florale à un cours d'Italien, et vice versa. Ces élèves dilettantes peuplent l'enseignement pour adultes, mais dans les cours se trouvent également des adultes qui ont vraiment besoin de formation. En fixant un seuil financier, ce sont les adultes les plus motivés qui resteront" (De Standaard, 14.2.07). Voilà qui va certainement réjouir ces "adultes qui ont vraiment besoin de formation" (sic)! C'est la énième attaque directe sur les conditions de vie de la population travailleuse. Cette fois au travers de l'Enseignement pour adultes. Cela ôtera à une partie de la classe travailleuse toute chance de mieux se former, ou de se former tout court, et donc aussi d'essayer d'améliorer ses chances d'obtenir un emploi ou sa qualité de vie. Pour les allochtones, c'est un montant encore plus important qui sera prélevé de leurs moyens de (sur)vie, et il leur sera encore plus difficile d'avoir accès au marché de l'emploi. Et nous ne disons encore rien de la pression exercée concernant les présences des élèves (qui sont parfois absents parce qu'ils doivent travailler dans des jobs aux horaires très flexibles et difficiles). Certaines autorités vont jusqu'à exiger des écoles qu'elles dénoncent les absents.
Ceci est en flagrante contradiction avec les promesses d'une "formation continue" ou le slogan maintes fois répété d'une "politique d'enseignement sociale" que ce même ministre "socialiste" répand depuis toute une législature et dont il se vante constamment dans les médias. En France aussi, on a d'abord essayé de "vendre" le CPE) comme une "mesure sociale pour aider les jeunes à trouver un emploi", et chez VW, les licenciements massifs et les baisses de salaires sont présentés comme une "garantie pour l'avenir". Une fois de plus, les mesures d'austérité ou de rationalisation sont présentées sous la forme de décisions 'sociales' qui doivent 'garantir le futur' ! La énième leçon, que nous ne pouvons attendre d'un gouvernement, avec ou sans ministre socialiste, rien d'autre que des mesures destinées à augmenter les chances de survie du système d'exploitation capitaliste. Diminution des frais de production, du salaire indirect, des allocations sociales, enseignement plus cher, offres culturelle et sociale plus chères, augmentation des soins de santé.
Mais on pourrait peut-être penser que le ministre a l'intention de doubler le salaire des professeurs grâce aux mesures d'économie? Bien au contraire: dans toute la Flandre, Vandenbroucke veut fusionner les centres de formation par région, rationaliser donc, "harmoniser l'offre" comme on dit dans son jargon. En clair: faire tourner l'affaire avec moins de personnel et moins de soutien logistique, donc avec un meilleur "taux d'utilisation" des moyens investis. Cette situation provoque, c'est le moins qu'on puisse dire, questions et mécontentement dans le personnel: combien d'emplois seront supprimés, et selon quels critères? En plus, les directions pourront récompenser les "bons" professeurs: l'un donnera 15 heures de cours, et l'autre 25, pour le même salaire. Place à l'arbitraire et au favoritisme donc! Un coup de maître dans le registre "diviser pour régner".
Les enseignants, aussi bien que le personnel logistique et les élèves ne se sont pas laissés endormir, ils sont conscients qu'il s'agit d'une mesure d'économie orchestrée, qui va avoir un impact sur beaucoup de familles de travailleurs: plus de 200.000 élèves et plusieurs milliers de membres du personnel. L'action du 11 janvier à laquelle renvoie l'appel, menée par des enseignants et des élèves, était donc une première réaction spontanée. Une action qui n'a pas attendu les mots d'ordre des syndicats et des directions. Ces derniers mois, différentes actions se sont succédées partout en Flandre, alors que les syndicats étaient occupés à négocier "en silence" (voir entre autres https://www.neeaan1euro.be [49] et https://www.platformvolwassenenonderwijs.be [50]). Syndicats et pouvoirs organisateurs ont rapidement réagi en lançant leurs propres "actions" via la "plateforme enseignement pour adultes" et en appelant à interrompre les cours dix minutes pendant deux jours. Quelle perspective! Leurs revendications regorgent de visions qui opposent les différentes catégories visées et qui proposent des "apports constructifs" à toutes sortes de mesures spécifiques du plan ministériel. Assez d'illusions ! Pour faire face à une telle mesure, nous devons compter sur la solidarité à l'intérieur de la classe ouvrière, et il faudra activement aller la chercher. Nous ne pouvons pas rester isolés. C'est là-dessus que comptent les politiciens et leurs laquais syndicaux. Alors ils pourraient, chacun dans leur rôle, imposer la mesure. On a vu comment les ouvriers de VW ont été manipulés (voir article dans ce journal), pour finalement (et grâce aux syndicats) se voir imposer licenciements et baisses de salaires, au nom de la "raison". C'est ce que veulent éviter les participants aux actions. Mais comment, car c'est la question qui revient dans toutes les discussions que nous avons eues. Si nous tirons les leçons des événements chez VW, nous devons diriger nos efforts vers le recherche active de solidarité, et par conséquent, vers l'extension de notre lutte et l'ouverture en direction de revendications communes. Pour cela, nous devons garder l'organisation de la lutte entre nos mains, en appelant tous les concernés à tenir des assemblées générales et à mettre en avant des revendications communes.
Ce n'est qu'en forgeant un rapport de forces contre la bourgeoisie que nous pourrons la forcer à temporairement reculer sur le plan de sa rage d'économies et d'imposition de la misère. Car elle n'a pas d'autre principe que la productivité, les économies de coût, la recherche du profit, et tout doit s'y soumettre. La lutte de la classe ouvrière ne peut vivre que par la solidarité, et porte en elle les germes d'une société qui tend vers une production pour les besoins réels de l'humanité.
K.Stof & LAC / 3.3.07
Dans la foulée du film documentaire d'Al Gore (Une vérité qui dérange) puis du pacte écologique de l'animateur de télévision Nicolas Hulot en France, le Groupe d'experts Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat (GIEC), réuni fin janvier à Paris pour livrer les conclusions de la 1ère partie de son rapport 2007, déclenche à son tour l'alerte climatique. Cette fois, les 500 meilleurs spécialistes mondiaux (accrédités par l'ONU) sont formels et unanimes : la Terre est entrée dans une phase de bouleversement climatique sans précédent. "Les informations paléoclimatiques [étude du climat allant de la décennie au million d'année] confirment l'interprétation que le réchauffement du dernier demi-siècle est atypique sur au moins les 1300 dernières années." (Résumé à l'intention des décideurs). Sur une échelle plus proche, le GIEC constate que parmi les 12 dernières années, 11 sont au " palmarès des 12 années les plus chaudes depuis qu'on dispose d'enregistrement de la température de surface (depuis 1850)."
Le réchauffement du climat est en marche, et si l'homme ne réduit pas drastiquement ses émissions de gaz à effet de serre (CO2), la température du globe augmentera dans une fourchette comprise ente 2°C et 4°C d'ici 2100. En l'espace d'un siècle, l'activité de l'homme imposera donc au climat une mutation radicale que seuls des milliers d'années d'évolution naturelle sont capables de façonner. Dès lors, l'avenir envisagé par notre groupe d'experts à travers une multitude de scénarios n'est guère reluisant : les prochaines conditions de vie climatique de l'espèce humaine seront apocalyptiques...y compris dans le "meilleur des cas" !
Les prémices d'un environnement naturel hostile et meurtrier ne se sont d'ailleurs pas fait attendre : "Des sécheresses plus sévères et plus longues ont été observées sur de larges étendues depuis 1970, particulièrement dans les régions tropicales et subtropicales" ... de même, "les observations mettent en évidence une augmentation de l'activité des cyclones tropicaux intenses dans l'Atlantique Nord depuis 1970 environ, corrélée avec des augmentations de températures de surface de la mer sous les tropiques."
Canicules, ouragans, tempêtes, inondations emportent chaque année de nombreuses vies humaines, mais le pire est prévu pour demain (1).
"Depuis 1970..." : la nouvelle n'est pas très fraîche... Alors, "que disent de neuf nos scientifiques dans [leur] édition 2007 ?" (s'interroge le Nouvel Observateur)... "Jusqu'au bout le secret a été bien gardé, les travaux préparatoires n'étant accessibles qu'aux seuls spécialistes, lesquels ont su tenir leur langue."
Il faut alors prêter une oreille attentive pour recueillir la révélation de ce "secret bien gardé" et surtout n'en perdre aucune miette : "l'essentiel du réchauffement observé pendant les 50 dernières années est très probablement dû à l'augmentation des concentrations de gaz à effet de serre engendrées par l'homme." Du rapport 2001 à celui de 2007, on est ainsi passé de " probablement" à "très probablement" et l'expression " engendrées par l'homme" a été ajoutée. Quel incroyable bond en avant de la science! Qui l'eût crû?
De toute évidence, la seule information inédite dans tout cela est que 500 scientifiques ("des as dans leur spécialité", d'après le Nouvel Observateur) viennent de tomber de leur arbre pour découvrir la Lune... Nul doute que cela fasse un choc!
La Terre se réchauffe et l'activité humaine n'y est pas étrangère... Il ne fallait pourtant pas sortir de la cuisse de Jupiter pour s'en rendre compte. "Depuis 1970..." les conférences internationales se succèdent (Stockholm, Rio, Kyoto...) avec le même constat d'impuissance mais aussi de moins en moins de latitude pour nier- ce qui est de l'ordre de l'évidence...- cette vérité qui dérange.
Toutefois, l'idée (presque une lapalissade) selon laquelle "l'homme est la principale cause du dérèglement climatique" n'est pas perdue pour tout le monde. En effet, elle s'inscrit directement au bénéfice de la classe dominante et de sa collection de trompe-l'œil en tous genres.
"Ça va réchauffer : la faute à l'homme » (titre un article de Libération du 2 février). Le revoilà donc ce vilain garnement, déraisonnable et égoïste, qui détruit la planète comme on casse un vulgaire jouet. La désignation du bouc émissaire est facile, intemporelle à souhait, elle a le grand mérite d'écarter d'un revers de main la question, il est vrai épineuse, du mode de production. Et pourtant, l'homme ne détruit pas l'environnement et ne chamboule pas le climat de manière fulgurante depuis qu'il est sur Terre car celle-ci serait déjà devenue un immense four coincé sur thermostat "+ 400°C" . Cette crise écologique sans équivalent s'est déclarée dans la seconde moitié du 20e siècle et donc se trouve intimement liée à l'existence d'un mode de production (lui aussi inédit à bien des égards dans l'histoire de l'espèce humaine) : le système de production capitaliste. L'activité industrielle dans le cadre du capitalisme (un système qui ne connaît d'autre loi que la rentabilité économique pour un maximum de compétitivité et de profits), quoi qu'il en coûte à l'humanité et à son milieu de vie... : voilà le véritable nœud du problème qu'il s'agit de trancher.
Les hommes, la satisfaction de leurs besoins, l'air qu'ils respirent, leur avenir... tout ce qui finalement semble l'essentiel se trouve relégué au dernier rang des ordres de priorité de ce monde. On a beau être savant et se draper de l'objectivité scientifique, on n'en reste pas moins l'homme d'un système et là comme ailleurs, il est des réalités que l'on préfère occulter.
Le chaos climatique est à nos portes alors "face à l'urgence, le temps n'est plus aux demi-mesures : le temps est à la révolution au sens authentique du terme. La révolution des consciences. La révolution de l'économie »' Et c'est un « révolutionnaire émérite » qui vous le dit... Jacques Chirac. Cet appel clownesque du Pancho Villa de l'Elysée est surtout le signe manifeste de l'échec patent de la bourgeoisie à dépasser la crise écologique engendrée par son système. De la même façon, les 40 pays réunis le 3 février lors de la Conférence de Paris (pour statuer sur le rapport du GIEC) ont solennellement réclamé l'adoption d'une "Déclaration universelle des droits et des devoirs environnementaux" ; "Cette charte commune garantira aux générations présentes et futures un nouveau droit de l'homme : le droit a un environnement sain et préservé." Or, puisque leur mémoire semble si courte, il faut rappeler que les mêmes pays nous juraient déjà par tous leurs grands saints, au sommet de la Terre à Rio en 1992, être "résolus à préserver le système climatique pour les générations présentes et futures." ... et les émissions de gaz à effet de serre de se répandre de plus belle ! Bref, que ce soit au son chiraquien de " Viva la Revolucion !" ou avec des accents lyriques et solennels sur les Droits de l'Homme, du Citoyen ou de la Terre, la classe dominante est irrémédiablement incapable de garantir un avenir aux générations présentes et futures.
Il est d'ailleurs symptomatique que la seule issue de secours que nous propose la bourgeoisie soit l'édification d'une société " sobre et économe" en énergie à l'image de cette opération médiatique du 1er février : "Cinq minutes de répit pour la planète" où les ménages européens étaient invités (à l'appel de 70 associations écologistes) à suspendre leur consommation d'électricité. "Attention, on coupe le jus !" ... et voilà l'humanité, après tant d'efforts, replongée d'un seul coup d'interrupteur dans l'obscurité, comme un avant-goût d'un retour à l'âge de pierre.
Lorsqu'un monde est en faillite, il n'est guère étonnant de le surprendre à songer à un futur... caverneux.
La classe ouvrière n'a pas de temps à perdre avec toutes ces élucubrations. Parce que ce monde n'est pas le sien, parce qu'il exhale par tous ses pores l'odeur pestilentielle de la mort, elle n'aura aucun état d'âme à s'en débarrasser afin de poser les bases d'une société nouvelle capable de faire de la Terre le plus bel écrin de la vie et de l'activité humaine.
Jude / 19.02.2007
(1) Selon certaines estimations, le réchauffement de la planète pourrait provoquer la migration de plus de 200 millions de personnes dans le monde : les "réfugiés climatiques" .
Le triomphe retentissant de Chavez qui, aux élections du 3 décembre 2006, a obtenu 63% des suffrages validés, contre 37% pour le candidat de l'opposition ne consolide et ne légitime pas seulement le pouvoir du secteur chaviste de la bourgeoisie pour une période de 6 ans, mais il représente aussi un triomphe pour l'ensemble de la bourgeoisie vénézuélienne. En effet, une fois de plus, la confrontation politique entre les fractions de la bourgeoisie, qui a dominé la scène politique après l'arrivée de Chavez au pouvoir en 1999, est parvenue à polariser la population et à l'amener à participer massivement à la bataille électorale : selon les chiffres du Conseil National Électoral (CNE), le taux d'abstention de 25% a été le plus bas des niveaux historiques qui étaient de l'ordre de 40%.
La bourgeoisie, à travers le retour sur la scène électorale des secteurs de l'opposition (qui se sont abstenus de participer aux élections parlementaires de 2005) est parvenue à donner de l'oxygène à la mystification électorale et démocratique. Mais le meilleur soutien à cet objectif a été apporté par le chavisme qui a polarisé la lutte en mettant en avant que le candidat de l'opposition était le candidat du "diable Bush" et que, si celui-ci gagnait, cela mettrait en danger les missions (à travers lesquelles le gouvernement applique sa politique de "justice sociale") et les acquis de la "révolution". De cette façon, le prolétariat de même que les masses socialement exclues continuent d'être pris dans le piège de la polarisation inter-bourgeoise en mettant leurs espoirs dans un secteur de la bourgeoisie qui a su exploiter en sa faveur une politique populiste de gauche orientée vers les couches les plus pauvres de la société, en soutenant les haut revenus pétroliers ; ce dernier ne fait rien d'autre que de gérer la précarité, en préconisant un égalitarisme qui tente de niveler par le bas l'ensemble de la société, en appauvrissant les secteurs des couches moyennes et en rendant les travailleurs et les couches exclues encore plus pauvres. Telle est la recette du "socialisme du 21e siècle" que le chavisme exporte en Bolivie, en Équateur et au Nicaragua et qui lui sert de cheval de bataille pour se renforcer dans la géopolitique de la région.
L'anti-américanisme "radical" de Chavez (que les mouvements anti-globalisation applaudissent avec tant de frénésie), le soutien aux autres gouvernements de tendance gauchiste comme ceux de Bolivie, de l'Équateur et du Nicaragua, de même que "l'aide" à plusieurs pays de la région à travers la baisse des paiements de la facture pétrolière, sont l'expression de l'utilisation du pétrole comme arme de domination dans la région, au détriment des intérêts de la bourgeoisie américaine, qui considérait historiquement l'Amérique latine comme son pré carré.
Le secteur chaviste de la bourgeoisie, dirigé par des secteurs militaires et civils de gauche et d'extrême gauche, a comme base sociale le soutien des masses exploitées, et principalement des masses socialement exclues; des masses auxquelles on a donné l'illusion qu'elles pourraient dépasser leur situation de pauvreté ... en 2021 !!
La grande intelligence de ce secteur de la bourgeoisie a consisté à se présenter comme étant d'origine populaire, du côté des pauvres. Cette condition de "pauvre" lui sert à se victimiser face aux "mauvais coups bourgeois", mais surtout face à l'impérialisme américain, utilisé comme menace extérieure qui empêcherait la "révolution" d'accomplir ses plans pour "sortir de la pauvreté".
Le gouvernement de Chavez, depuis le milieu de l'année 2003, a réorienté la "dépense sociale" en créant les soi-disant missions, plans sociaux à travers lesquels l'État distribue des miettes à la population, avec deux objectifs principaux : maintenir la paix sociale et renforcer le contrôle sur les masses paupérisées avec comme objectif de contrecarrer l'action des secteurs bourgeois qui jusqu'à présent avaient fait plusieurs tentatives pour destituer Chavez du pouvoir. Cette "dépense sociale" a été accompagnée par une manipulation idéologique sans précédent, consistant à présenter la politique capitaliste d'État du chavisme comme celle d'un État bienfaiteur, qui distribue la richesse de manière "équitable", en créant l'illusion parmi les masses paupérisées que les ressources de l'État sont inépuisables, qu'il s'agit seulement d'ouvrir le robinet des pétrodollars, et que les secteurs de la bourgeoisie ont un réel intérêt à s'occuper et à résoudre leurs problèmes.
En vue de gagner les élections présidentielles (dans lesquelles il a obtenu 7 millions de voix, alors qu'il visait les 10 millions, d'un corps électoral qui en compte 16), le chavisme, comme l'avaient fait les gouvernements précédents en période électorale, a concentré le plus gros de la dépense publique sur l'année 2006 : en augmentant l'importation de denrées alimentaires au cours des premiers mois de l'année pour les vendre à des prix subventionnés ; en inaugurant de nombreux travaux dont certains n'ont pas été terminés ; en décrétant deux augmentations du salaire minimum pour les travailleurs réguliers (l'une en mai et l'autre en septembre) ; en accélérant le processus d'attribution des pensions de vieillesse ; en payant des dettes anciennes aux travailleurs et en discutant certains contrats collectifs arrivés à échéance, etc. Pour finir, peu de jours avant les élections, des primes extraordinaires ont été payées aux employés publics, aux pensionnés et aux membres des missions. Le gouvernement a accordé ce "grand festin", grâce à la manne pétrolière, afin de créer un mirage de prospérité dans la population. Ces dépenses, en plus de celles occasionnées par l'augmentation historique des importations, l'achat d'armements, les "aides" à d'autres nations, etc., ont provoqué un accroissement de la dépense publique en 2006 de 58% par rapport à 2005, ce qui équivaut à 35% du PIB ; une bombe à retardement qui tôt ou tard se répercutera au niveau de la crise économique.
Selon la propagande diffusée par le chavisme au niveau intérieur et à l'échelle internationale (avec le soutien et les conseils de dirigeants et d'intellectuels de gauche, de même que d'éminents dirigeants du mouvement altermondialiste parmi lesquels le Français Ramonet occupe un rôle éminent), le Venezuela se dirigerait vers le dépassement de la pauvreté d'ici 2021
Mais toute autre est la réalité que l'on peut observer derrière la publicité asphyxiante du gouvernement chaviste ; il suffit de passer aux alentours des quartiers pauvres de l'extrême Est (Tetare) et Ouest (Catia) de Caracas, de même que dans le centre de la ville, pour percevoir la misère réelle qui se cache derrière ce rideau de fumée : d'innombrables indigents, en majorité des jeunes, vivant et dormant dans les rues, sous les ponts et au bord de la rivière Guaire (grand cloaque où vont se déverser les eaux usées de la ville) ; rues et avenues pleines d'ordures qui ont amené la prolifération de rats et de maladies ; des dizaines de milliers de marchands ambulants (appelés "buhoneros") qui vendent quelques denrées de subsistance, grossissent les rangs de la soi-disant économie informelle ; une grande criminalité qui a fait de Caracas une des villes les plus dangereuses de la région et a conduit le Venezuela à devenir le pays ayant le plus haut taux de criminalité, dépassant celui de la Colombie qui pendant des années avait été le premier dans cet horrible classement. Au niveau national, on enregistre une augmentation de cas de maladies comme la malaria, la dengue, de la mortalité des enfants et des mères, etc. Ce tableau ne se limite pas à Caracas, la capitale, mais il touche aussi les grandes villes et gagne progressivement les villes moyennes et petites. Bien que le gouvernement ait pris des mesures pour tenter de cacher cette misère, ou l'ait mise sur le dos des mauvais coups de l'opposition ou de l'impérialisme américain, les manifestations de la paupérisation ne peuvent êtres occultées.
Les secteurs de l'opposition, en utilisant l'hypocrisie la plus écoeurante, font des critiques au gouvernement pour ces manifestations de la pauvreté, dans le but de se présenter comme la meilleure option de "défense des pauvres", alors que leur véritable intérêt est de reprendre le contrôle de l'appareil d'État. De leur côté, les moyens de communication du gouvernement ne divulguent pas ou minimisent cette situation, qui n'est pas propre aux villes vénézuéliennes, mais qui est le dénominateur commun dans d'autres villes des pays de la périphérie.
A côté de ces expressions visibles de pauvreté, on en trouve d'autres, moins visibles, qui accentuent la paupérisation des masses prolétariennes : à travers le coopérativisme impulsé par l'État, l'emploi précaire a été formalisé, puisque les travailleurs des coopératives ont moins de revenus que les travailleurs réguliers et que, d'après les déclarations des syndicats et des coopérateurs eux-mêmes, ils n'arrivent pas à percevoir le salaire minimum officiel. La discussion sur les contrats collectifs, surtout dans le secteur public, a subi des retards importants ; les augmentations de salaires sont accordées à travers des décrets et dans leur grande majorité à travers des primes qui n'ont pas d'incidence sur les bénéfices sociaux et quand elles arrivent à être payées, c'est avec des retards importants. A travers les missions et autres plans du gouvernement ont été créés des organes de services parallèles à ceux qui existent formellement dans les secteurs de la santé et de l'éducation, entre autres, et qui ont été utilisés pour pressurer les travailleurs réguliers et détériorer leurs conditions de travail. Comme nous le voyons, la précarité, la flexibilité du travail et les attaques aux salaires des travailleurs, propres au capitalisme sauvage, sont inévitables pour chaque bourgeoisie, même la plus "anti-néolibérale", comme prétend l'être la bourgeoisie chaviste.
Les salariés de même que les masses exclues payent le prix de l'incessante dépense publique que la "nouvelle" bourgeoisie chaviste exige de consolider à travers un taux d'inflation élevé qui, ces trois derniers mois, a été le plus important d'Amérique latine (2004 : 19,2% ; 2005 : 14,4% ; 2006 : 17%, selon les chiffres officiels). Cette augmentation, provoquée fondamentalement par la politique économique de l'État, a détérioré les conditions de vie de l'ensemble de la population, principalement des masses pauvres, qui consacrent 70% ou plus de leurs revenus à l'achat de nourriture, domaine dans lequel l'inflation cumulée dans la période signalée a été de 152% (26% en 2006) selon les chiffres de la banque Centrale du Venezuela. Les estimations pour 2007 ne sont guère plus réjouissantes, puisqu'on attend une inflation supérieure à 20% ; celle de janvier 2007 a été de 2%, taux le plus important de la région.
Quelques jours après les élections, le gouvernement a accéléré un ensemble de mesures pour renforcer son projet de "socialisme du 21e siècle", en argumentant qu'avec les élections le "peuple" avait donné son soutien à ce projet.
La première chose qu'a fait le gouvernement a été de montrer ses muscles face aux secteurs bourgeois adverses tant du capital national qu'à l'échelle internationale, en annonçant une série de mesures de nationalisation dans différents secteurs de l'économie (télécommunications, moyens audiovisuels, énergie, etc.), un contrôle majoritaire de l'exploitation pétrolière, jusqu'à présent dans les mains des multinationales, et un accroissement de la charge fiscale. Ces mesures montrent l'objectif principal de la bourgeoisie chaviste : avoir un meilleur contrôle de l'appareil économique national à travers des mesures radicales de capitalisme d'État.
La bourgeoisie sait que, tôt ou tard, la crise se fera sentir, du fait de l'excessive dépense publique engendrée par un modèle politique tel que le chavisme. Pour cela, les prétendus "moteurs de la révolution bolivarienne" préconisent des mesures de plus grand contrôle politique et social contre les travailleurs et la population en général à travers le prétendu "Pouvoir Populaire" et les Conseils Communaux.
En même temps qu'il a annoncé le renforcement de ces organes de contrôle social, le gouvernement a commencé l'année en prenant ou en annonçant des mesures contre les conditions de vie des travailleurs et de la population :
Le gouvernement, du haut de sa grande popularité, est en train de montrer son véritable visage de gouvernement bourgeois : après avoir utilisé les travailleurs et les couches exclues dans les élections, il annonce maintenant des mesures d'austérité et de répression.
Face à cette situation, les travailleurs au Venezuela, comme dans le reste du monde, n'ont pas d'autre voie que de développer leur lutte contre les attaques incessantes du capital. Nous savons que cette lutte ne sera pas facile, du fait en partie des confusions introduites par l'idéologie chaviste, qui a affaibli et manipulé l'idée même du socialisme, c'est-à-dire le dépassement du règne de la précarité à travers la lutte révolutionnaire du prolétariat.
CCI / 18.02.2007
Le 27 février, les ouvriers de VW-Forest ont voté à 76% "Oui" à l'unique question posée par le référendum organisé par les syndicats: « Etes-vous d'accord où pas pour poursuivre l'activité avec Audi? ». Alors qu'en novembre 2006 le gouvernement avait feint de ‘s'indigner' face à la brutalité des attaques afin de calmer la colère des ouvriers, aujourd'hui, il exprime sa pleine satisfaction à l'issue d'un vote qui entérine ces mêmes attaques: "Le Premier ministre, Guy Verhofstadt a exprimé sa satisfaction á propos du vote intervenu chez VW Forest. Le bon sens l'a emporté, a dit le premier ministre qui s'est réjoui des perspectives de concrétisation d'un beau projet industriel, tel que présenté au cours de l'entretien qu'il a eu avec MM. Piëch et Winterkorn le 1er décembre 2006. Le Premier ministre a encore souligné que le vote positif des travailleurs de chez VW Forest ne donne pas seulement une sécurité d'emploi aux 2.200 travailleurs de Audi/VW mais également pour les milliers de travailleurs occupés par les fournisseurs de l'usine." (Agence Belga, 27/02/2007). La façon provocante de poser la question mettait les ouvriers devant un faux choix, soit accepter une réduction de 20% de la masse salariale et des conditions de travail plus dures, soit refuser ces attaques et s'engager dans une voie suicidaire se concluant par la perte des 2.200 emplois restants et de quelques milliers de travailleurs sous-traitants. Dans ce dernier scénario, la bourgeoisie aurait pu alors rendre les ouvriers seuls responsables de la fermeture de l'usine et les culpabiliser pour les licenciements dans la sous-traitance.
Pendant trois mois, les ouvriers de VW-Forest ont été maintenus dans l'angoisse la plus totale sur leur avenir. Il est inutile ici de continuer à spéculer sur les intentions de VW de fermer où pas l'usine qui était à la base du chantage car le résultat de l'ultimatum est bien là aujourd'hui : les ouvriers ont dû accepter, sans aucune garantie pour l'avenir, la perte de 3.000 postes de travail et de nouveaux sacrifices pour les 2.200 emplois restants dont l'augmentation du temps de travail à 38 heures semaines payées au tarif des 35 heures actuelles. Le fait que la bourgeoisie a mis trois mois pour arriver à ce résultat ne s'explique pas seulement par la combativité parmi les ouvriers de VW, mais surtout par l'inquiétude générale qui l'accompagne. En effet, aujourd'hui, le capitalisme belge ne maintient sa très haute productivité et compétitivité que par une dégradation constante des conditions de vie et de travail de toute la classe ouvrière. C'est donc un sentiment d'inquiétude générale qui existe parmi l'ensemble des travailleurs. C'est aussi pourquoi tous les salariés étaient très sensibilisés à la lutte à VW. La bourgeoisie a donc voulu infliger une sévère défaite à la classe ouvrière à VW avant que cette inquiétude ne se transforme en combativité générale. C'est pourquoi la dégradation économique et sociale très importante que la bourgeoisie a réussi aujourd'hui à imposer aux travailleurs de VW touche tous les travailleurs car ils sentent bien que cette dégradation les atteindra aussi dans un futur proche.
En novembre 2006, lorsque le conflit a éclaté à VW, la décision de licencier 4.000 ouvriers a provoqué un choc dans toute la classe ouvrière en Belgique. La bourgeoisie a donc gardé alors une certaine prudence à cause de l'ambiance générale de tensions sociales et elle a laissé le champ libre aux syndicats pour mener les ouvriers sur une voie de garage. Ainsi, alors que la colère était grande parmi de nombreux secteurs de la classe ouvrière, comme l'a montrée la mobilisation lors de la manifestation nationale du 2 décembre, les syndicats ont tout fait pour empêcher une réelle solidarité. Pour casser toute perspective de luttes, d'extensions et d'assemblées générales, les syndicats ont vite accepté la perte de 3.000 emplois en les conditionnant à l'octroi d'une prépension et d'une prime de départ ... que la direction de VW s'est empressée d'accepter : "950 salariés s'en vont par la prépension, mais selon les normes du nouveau "pacte des générations". 1950 quittent l'entreprise sur une base "volontaire", avec pour les 1.500 premiers une prime de départ en récompense. Avec pour la plupart d'entre eux, le chômage comme seule perspective. Pour ceux qui restent, il y a un système de chômage partiel à long terme, mais surtout, en plus des 33% d'augmentation de productivité que les ouvriers avaient réalisé entre 2001 et 2005 et du nouveau règlement en place depuis l'été 2006 concernant la flexibilité (temps de travail jusqu'à 10 heures par jour, 48 heures par semaine), une nouvelle convention collective doit être signée, prévoyant une diminution des salaires et des coûts de production. Les conditions de production en 2009 devraient s'aligner sur celles du siège VW à Mosel (est de l'Allemagne), où le coût salarial se monte à 16,9€/h, contre 23,8€/h aujourd'hui à VW Forest." (Internationalisme, n° 329). Les manoeuvres de divisions syndicales ont graduellement pris le dessus et les con-ditions de lutte sont devenues de plus en plus défavorables: "C'est là qu'interviennent les manœuvres syndicales: depuis le début, les ouvriers ont été renvoyés à la maison, isolés les uns des autres, sans information ni perspective. C'est la perspective d'une interminable grève rampante qui a été mise en avant, sans assemblée générale de grévistes où de véritables discussions et décisions sont possibles, sans comité de grève élu, contrôlé et révocable, sans meeting mobilisateur, sans délégation massive pour aller chercher activement la solidarité et l'extension vers d'autres parties de la classe ouvrière. Chaque développement de tout moyen de lutte et d'une dynamique de renforcement de la lutte a été tué dans l'œuf. L'idée même de mener une lutte a été de plus en plus ressentie comme insensée. Il ne restait finale-ment rien d'autre aux ouvriers que de subir leur sort et de placer toute leur confiance dans les négociateurs gouver-nementaux et syndicaux" (Internationalisme, n° 329). Ainsi une réelle perspective de lutte était graduellement réduite á néant.
Progressivement, le gouvernement et les syndicats sont parvenus à faire peser un sentiment de solitude et d'impuissance sur les 2.200 travailleurs restants. C'est directement le sabotage de la lutte par les syndicats qui a permis à la bourgeoisie, aujourd'hui, d'avancer avec plus de détermination et de brutalité et d'exercer un véritable chantage sur les ouvriers. Les "négociations" ont donc été menées en secret entre la direction et les syndicats pour mettre les ouvriers devant le fait accompli. Néanmoins, si les syndicats pensaient imposer les mesures pour le "sauvetage" sans aucune consultation des ouvriers, "négociant" dans leur dos, ils n'ont pu empêcher la réaction des ouvriers qui n'ont pas hésité à reprendre la grève, après trois mois d'incertitude épuisante, et ce, deux jours avant que les trois syndicats ne signent l'accord avec la direction. Devant l'ignorance totale dans laquelle ils ont été maintenus sur leur sort, les ouvriers restants sont partis spontanément en grève: "Les trois syndicats devaient décider seuls de l'approbation ou non du plan de la direction. Mais les ouvriers ne l'ont pas entendu de la même oreille. Lundi matin, ils ont refusé de reprendre le chemin des lignes d'assemblage. Plus tard, ils sont allés protester devant les fenêtres de la salle où se tenait le conseil d'entreprise. Ils ont dénoncé le manque d'informations sur le contenu du plan et ont reproché à leurs représentants de ne pas les consulter." (Le Soir, 27/02/2007). Cependant, trois mois plus tard, la situation n'est plus la même. Compte tenu du départ de plus de la moitié des ouvriers et de l'absence totale de perspectives plus larges dans laquelle les syndicats ont pu enfermer les travailleurs, ceux-ci ne pouvaient qu'exprimer leur colère dans un dernier baroud d'honneur. La bourgeoisie et ses médias n'ont d'ailleurs pas manqué de faire ouvertement pression en taxant les ouvriers d'irresponsables s'ils n'acceptaient pas l'accord négocié par les syndicats. De même, alors qu'en décembre 2006 la carte régionale et linguistique ne pouvait être utilisée pour diviser les ouvriers unis dans le combat, aujourd'hui les manœuvres de divisions fleurissent entre les soi-disant Wallons "enragés" de la FGTB et les Flamands "dociles" de l'ACV. C'est dans ce contexte profondément modifié du rapport de force que les syndicats ont pu imposer un référendum par vote secret et individuel autour d'une question qui ne laissait plus de choix si ce n'est d'accepter de légitimer la signature de l'accord que les syndicats avaient conclu avec la direction. Ce vote représente non seulement une victoire pour la direction de VW, mais aussi pour le gouvernement et surtout pour les syndicats et une défaite pour les ouvriers, non seulement de VW en Belgique, en Allemagne et en Espagne, mais pour l'ensemble de la classe exploitée en Belgique. Cette victoire de la bourgeoisie va servir d'exemple pour renforcer la productivité sur le dos des ouvriers et de jouer la concurrence entre eux. Néanmoins, malgré cette défaite ponctuelle, la classe ouvrière est encore capable de tirer les leçons de ses échecs, l'expérience ne pourra, à terme, que conduire à la prise de conscience que seul on ne peut pas gagner et que la solidarité ne peut pas rester passive. Un nouveau dynamisme dans ce sens viendra inévitablement de prochains combats.
Internationalisme / 2.3.07
Le 4 avril 1917. Lénine. revenant de son exil en Suisse, arrivait à Pétrograd et s'adressait directement aux centaines d'ouvriers et de soldats qui avaient afflué à la gare en ces termes: "Chers camarades, soldats, matelots et ouvriers. je suis heureux de saluer en vous la révolution russe victorieuse. de vous saluer comme l'avant-garde de l'année prolétarienne mondiale... La révolution russe accomplie par vous a ouvert une nouvelle époque. Vive la révolution socialiste mondiale !..." 90 ans plus tard, la bourgeoisie, ses historiens et médias aux ordres, s'affairent toujours a entretenir les pires mensonges et distorsions historiques sur la révolution prolétarienne mondiale commencée en Russie.
La haine et le mépris de la classe dominante envers ce mouvement titanesque des masses exploitées visent à ridiculiser et à "démontrer" l'inanité du projet communiste de la classe ouvrière, son incapacité foncière à faire advenir un nouvel ordre social planétaire dont elle est la seule porteuse. L'effondrement du bloc de l'Est en 1989 a ravivé sa hargne de classe. Une gigantesque campagne s'est enclenchée depuis pour marteler aux quatre vents l'échec manifeste du communisme identifié au stalinisme, et avec lui l'échec du marxisme, l'obsolescence de la lutte de classe et bien sûr de l'idée même de révolution dont l'aboutissement ne peut être que la terreur et le Goulag. Au centre de cette propagande infecte, c'est l'organisation politique, incarnation du vaste mouvement insurrectionnel de 1917, le parti Bolchevik, qui concentre avec constance toute la vindicte des défenseurs de la bourgeoisie. Pour tous ces apologistes de l'ordre capitaliste, avec en leur sein les anarchistes, quels que soient leurs soi-disant désaccords, il s'agit de montrer que Lénine et les bolcheviks étaient une bande de fanatiques assoiffés de pouvoir qui ont fait tout ce qu'ils ont pu pour usurper les acquis démocratiques de la révolution de février 1917 (cf. Internationalisme n° 330.) et plonger la Russie et le monde dans une des expériences les plus désastreuses qui aient été faites dans l'histoire.
Face à toutes ces calomnies invraisemblables contre le bolchevisme, il revient aux révolutionnaires de rétablir la vérité et réaffirmer le point essentiel concernant le parti bolchevik : ce parti n'était pas un produit de la barbarie et de l'arriération russe, d'un anarcho-terrorisme déformé, ou d'une soif absolue de pouvoir de ses dirigeants. Le bolchevisme était en tout premier lieu le produit du prolétariat mondial, lié à la tradition marxiste, avant-garde d'un mouvement international pour supprimer toute exploitation et toute oppression. A cette fin, l'énoncé des positions de Lénine rédigées dès son retour en Russie en 17 et connues sous le nom des Thèses d'Avril, nous fournit un excellent point de départ pour réfuter toutes les contrevérités déversées sur le parti bolchevik, sa nature, son rôle et ses liens avec les masses prolétariennes.
Dans un précédent article (Internationalisme n° 330), nous avons rappelé que la classe ouvrière en Russie avait bel et bien ouvert la voie lors des événements de février 1917 à la révolution communiste mondiale, renversant le tsarisme, s'organisant en soviets et manifestant une radicalité grandissante. De l'insurrection avait résulté une situation de double pouvoir. Le pouvoir officiel était "le gouvernement provisoire" bourgeois, initialement conduit par les "libéraux" mais qui prit plus tard une coloration plus "socialiste" sous la direction de Kérenski. De l'autre côté, le pouvoir effectif reposait déjà de manière très largement étendue entre les mains des soviets des députés ouvriers et de soldats. Sans l'autorisation des soviets, le gouvernement avait peu d'espoir d'imposer ses directives aux ouvriers et aux soldats.
Mais la classe ouvrière n'avait pas encore acquis la maturité politique nécessaire pour prendre tout le pouvoir. En dépit de ses actions et de ses attitudes de plus en plus radicales, la majorité de la classe ouvrière, et derrière elle les masses paysannes, était retenue en arrière par les illusions sur la nature de la bourgeoisie, par l'idée que seule une révolution démocratique bourgeoise était à l'ordre du jour en Russie. La prédominance de ces idées dans les masses était reflétée dans la domination des soviets par les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires qui faisaient tout ce qu'ils pouvaient pour les rendre impuissants face au régime bourgeois nouvellement installé. Ces partis, passés ou en train de passer à la bourgeoisie, tentaient par tous les moyens de subordonner le mouvement révolutionnaire montant aux visées du Gouvernement Provisoire, notamment en ce qui concerne la poursuite de la guerre impérialiste. Dans cette situation si pleine de dangers et de promesses, les bolcheviks, qui avaient dirigé l'opposition internationaliste contre la guerre, étaient eux-mêmes à ce moment dans une confusion presque complète, politiquement désorientés.
Ainsi, "...Dans le Manifeste du Comité central des bolcheviks, rédigé aussitôt après la victoire de l'insurrection, il était dit que "les ouvriers des fabriques et des usines, ainsi que les troupes sou-levées, doivent immédiatement élire leurs représentants au gouvernement révolutionnaire provisoire". (...) Ils agissaient non pas en tant que représentants d'un parti prolétarien qui se prépare à ouvrir de son propre chef la lutte pour le pouvoir, mais comme l'aile gauche de la démocratie..." (Trotsky, Histoire de la Révolution Russe). Pire encore, quand Staline et Kaménev prirent la direction du parti en Mars, ils le positionnèrent encore plus à droite. L'organe officiel du parti, la Pravda, adopta ouvertement une position "défensiste" sur la guerre: "Nous ne faisons pas notre l'inconsistant mot d'ordre 'A bas la guerre'... chacun reste à son poste de combat !" (Trotsky, idem). L'abandon flagrant de la position de Lénine sur la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile occasionna des résistances et même de la colère dans le parti et parmi les ouvriers de Pétrograd, cœur du prolétariat. Mais ces éléments les plus radicaux n'étaient pas capables d'offrir une alternative programmatique claire à ce virage vers la droite. Le parti était donc tiré vers le compromis et la trahison, sous l'influencée du brouillard de l'euphorie démocratique apparue après la révolte de Février.
II revint donc à Lénine, dès son retour de l'émigration, de réarmer politiquement le parti et de mettre en avant l'importance décisive de la direction révolutionnaire à travers ses Thèses d'Avril "...qui produisirent l'effet d'une bombe qui explose." (Trotsky, ibidem). L'ancien programme du parti était devenu caduc, se situant loin derrière l'action spontanée des masses. Le mot d'ordre auquel s'attachaient les "vieux bolcheviks" de "dictature démocratique des ouvriers et paysans", était dorénavant une formule vieillie car comme le mettait en avant Lénine: "La dictature démocratique révolutionnaire du prolétariat et de la paysannerie est déjà réalisée..." (Lénine, Lettres sur la Tactique). Désormais, "Ce qu'il y a d'original dans la situation actuelle en Russie, c'est la transition de la première étape de la révolution, qui a donné le pouvoir à la bourgeoisie par suite du degré insuffisant de conscience et d'organisation du prolétariat, à sa deuxième étape, qui doit donner le pouvoir au prolétariat et aux couches pauvres de la paysannerie. " (Point 2 des Thèses d'Avril). Lénine était un des premiers à saisir la signification révolutionnaire du soviet comme organe de pouvoir politique prolétarien. Une nouvelle fois Lénine donnait une leçon sur la méthode marxiste, en démontrant que le marxisme était tout le contraire d'un dogme mort mais dans sa nature même, une théorie scientifique vivante qui doit être constamment vérifiée dans le laboratoire des mouvements sociaux.
De même, face à la position des mencheviks selon laquelle la Russie arriérée n'était pas encore mûre pour le socialisme, Lénine argumenta comme un véritable internationaliste que la tâche immédiate n'était pas d'introduire le socialisme en Russie (Thèse 8). Si la Russie, en elle-même, n'était pas mûre pour le socialisme, la guerre impérialiste avait démontré que le capitalisme mondial comme un tout était vraiment plus que mûr. Pour Lénine comme pour tous les authentiques internationalistes d'alors, la révolution mondiale n'était pas juste un voeu pieux mais une perspective concrète se développant à partir de la révolte prolétarienne inter-nationale contre la guerre - les grèves en Grande Bretagne et en Allemagne, les manifestations politiques, les mutineries et les fraternisations dans les forces armées de plusieurs pays, et bien sûr la marée révolutionnaire montante en Russie même, en étaient le révélateur. D'où aussi l'appel à la création d'une nouvelle Internationale à la fin des Thèses. Cette perspective allait être complète-ment confirmée après l'insurrection d'Octobre par l'extension de la vague révolutionnaire à l'Italie, la Hongrie, l'Autriche, et surtout l'Allemagne.
Cette nouvelle définition des tâches du prolétariat entraînait aussi une autre conception du rôle et du fonctionnement du parti. Là encore les "vieux bolcheviks" à la Kaménev s'insurgèrent dans un premier temps contre la vision de Lénine, son idée de prise de pou-voir par les soviets d'une part, et d'autre part son insistance sur l'autonomie de classe du prolétariat contre le gouvernement bourgeois et la guerre impérialiste, même si cela voulait dire rester pour un temps en minorité et non pas comme le voulait Kaménev "rester jusqu'au bout le parti des masses révolutionnaires du prolétariat". Kaménev opposait le "parti de masses" à la conception de Lénine d'un parti de révolutionnaires déterminés, au programme clair, uni, centralisé, minoritaire, sachant résister aux sirènes bourgeoises et petites-bourgeoises et aux illusions existant dans la classe ouvrière. Cette conception du parti n'a rien à voir avec celle d'une secte blanquiste, terroriste, comme Lénine en fut accusé ou encore anarchiste soumise à la spontanéité des masses. Tout au contraire il y avait là la reconnaissance que dans une période de turbulence révolutionnaire massive, de développement de la conscience dans la classe, le parti ne pouvait plus ni organiser, ni planifier, ni encadrer les masses à la manière des associations conspiratives du XIXième siècle. Mais cependant cela rendait le rôle du parti encore plus essentiel que jamais. Lénine rejoignait la vision que Rosa Luxembourg avait développée dans son analyse magistrale de la grève de masse dans la période de décadence: "...laissons de côté la théorie pédante d'une grève de démonstration mise en scène artificiellement par le Parti et les syndicats exécutée par une minorité organisée, et considérons le vivant tableau d'un véritable mouvement populaire issu de l'exaspération des conflits de classe et de la situation politique... alors la tâche de la social-démocratie consistera non pas dans la préparation de la direction technique de la grève mais dans la direction politique de l'ensemble du mouvement." Toute l'énergie de Lénine va donc être orientée vers la nécessité de convaincre le parti de ces tâches nouvelles qui lui incombent et, vis-à-vis de la classe ouvrière, l'axe central sera le développement de sa conscience de classe. La Thèse 4 posait avec clarté les choses: "Expliquer aux masses que les Soviets des députés ouvriers sont la seule forme possible de gouvernement révolutionnaire, et que, par conséquent, notre tâche, tant que ce gouvernement se laisse influencer par la bourgeoisie, ne peut être que d'expliquer patiemment, systématiquement, opiniâtrement aux masses les erreurs de leur tactique, en partant essentiellement de leurs besoins pratiques.. .tout en affirmant la nécessité du passage de tout le pouvoir aux Soviets des députés ouvriers... ". Ainsi donc, cette approche, cette volonté de défendre des principes de classe clairs et précis en sachant pour cela aller contre le courant et être en minorité, n'étaient en rien du purisme ou du sectarisme. Au contraire, elles étaient basées sur une compréhension du mouvement réel se déroulant dans la classe à chaque moment, sur la capacité de donner la parole et une direction aux éléments les plus radicaux au sein du prolétariat. L'insurrection était impossible tant que les positions révolutionnaires des bolcheviks, positions en gestation tout au long du processus révolutionnaire en Russie, n'avaient pas gagné consciemment les soviets. Nous sommes très loin des crapuleries bourgeoises sur la prétendue attitude putschiste des bolcheviks ! Comme l'affirmait encore Lénine: "Nous ne sommes pas des charlatans... nous devons nous baser seulement sur la conscience des masses." (cité par Trotsky, Histoire de la Révolution Russe)
La maîtrise de la méthode marxiste par Lénine, voyant au-delà des apparences et de la superficie des événements, lui a permis en compagnie des meilleurs éléments du parti, de discerner la dynamique réelle du mouvement qui se déroulait sous ses yeux et d'aller à la rencontre des désirs profond des masses en leur donnant les ressources théoriques pour défendre leurs positions et éclairer leurs actions. Elles leur ont également permis de s'orienter dans la confrontation à la bourgeoisie en étant capable de mettre en évidence et déjouer les pièges tendus par celle-ci au prolétariat, comme lors des journées de juillet 1917. C'est pourquoi, contrairement aux mencheviks de cette époque et à leurs nombreux successeurs anarchistes, social-démocrates et conseillistes, qui caricaturent à outrance certaines erreurs réelles de Lénine (1) pour rejeter le caractère prolétarien de la Révolution d'Octobre 17, nous réaffirmons le rôle fondamental joué par Lénine dans le redressement du parti bolchevik, sans lequel le prolétariat n'aurait pu prendre le pouvoir en octobre 1917. La lutte de Lénine, tout au long de sa vie, pour construire l'organisation révolutionnaire est un acquis historique du mouvement ouvrier. Il a laissé aux révolutionnaires d'aujourd'hui une base indispensable pour reconstruire le parti de classe tout en leur permettant de comprendre quel doit être son rôle au sein de la classe dans son ensemble. L'insurrection victorieuse d'Octobre 17 validera la justesse des vues de Lénine. L'isolement de la révolution après l'échec des poussées révolutionnaires dans les autres pays d'Europe, stoppa la dynamique de la révolution internationale qui aurait été la seule garante d'une victoire locale en Russie, l'Etat soviétique favorisant l'avènement du stalinisme, bourreau de la révolution et des bolcheviks véritables. Ce qui reste essentiel, c'est que, au cours de la marée montante de la révolution en Russie, le Lénine des Thèses d'Avril ne fut jamais un prophète isolé, ni un démiurge se tenant au-dessus des vulgaires masses, mais la voix la plus claire de la tendance la plus révolutionnaire au sein du prolétariat, une voix qui indiquait le chemin qui menait à la victoire d'Octobre 17. "En Russie le problème ne pouvait être que posé. Et c'est dans ce sens que l'avenir appartient partout au "bolchevisme ". (Rosa Luxembourg, La révolution Russe).
SB
(1) Parmi celles-ci, il est fait grand cas par les conseillistes de la théorie de "la conscience importée de l'extérieur", développée dans "Que Paire". Or, par la suite, Lénine a reconnu cette erreur et amplement prouvé dans sa pratique qu'il avait acquis une vision juste du processus de développement de la conscience dans la classe ouvrière.
A entendre la bourgeoisie, de droite comme de gauche, le capitalisme serait florissant et en pleine croissance. L'incroyable dynamisme de l'économie chinoise en serait une preuve irréfutable. Le chômage ? Les vagues de licenciements ? La paupérisation croissante ? Tout cela ne serait que le produit de dérives, la faute à des dirigeants peu scrupuleux, assoiffés de profits. Avec moins de libéralisme et plus d'Etat aux commandes, tout pourrait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes. Tout ceci n'est qu'un gros mensonge. En réalité, le capitalisme est un système agonisant et sa crise économique mondiale connaît aujourd'hui une nouvelle accélération. Alors que la classe ouvrière subit déjà une dégradation permanente de ses conditions d'existence, quel avenir nous réserve la classe dominante ?
Le mardi 27 février, la bourse de Shanghai en Chine a connu une brusque chute de 8,8 % en quelques heures, entraînant dans son sillage les bourses du monde entier. A New York, par exemple, Wall Street a perdu 3,5%, soit sa plus forte baisse depuis cinq ans.
Comment la baisse du marché de Shanghai a-t-elle pu ainsi entraîner une vague de ventes d'actions ébranlant le monde entier, alors que tous les spécialistes vantent jour après jour l'insolente bonne santé des marchés boursiers ? En fait, les records des indices de ces dernières années ont pour seule base la spéculation. Partout, dans tous les secteurs et tous les pays, les investisseurs sont confrontés au même problème : la surproduction. Ainsi, la spéculation est devenue le seul moyen de faire du profit. Dans ce grand casino de l'économie virtuelle, le but du jeu est d'acheter des actions en espérant les vendre au bon moment plus cher. Mais à la moindre mauvaise nouvelle, c'est un vent de panique qui se lève. Tout le monde vend en même temps, sachant très bien que l'écrasante majorité de ces actions ne correspond à rien dans la réalité, à aucune usine, à aucun bien. Le petit soubresaut de Shanghai est révélateur des tempêtes potentielles à venir.
La dégringolade de la bourse de Shanghai est en partie liée à ce que les économistes appellent la surchauffe de l'économie chinoise. Surinvestissement, surcapacité de production, surendettement : l'économie chinoise est totalement déséquilibrée et s'oriente de plus en plus sûrement vers une récession d'une extrême brutalité. Certes, depuis quelques années, la Chine connaît un taux de croissance très élevé et un développement industriel accéléré. En 2006, le taux de croissance a même atteint 10,7%. Mais les ouvriers de ce pays, qui vivent et travaillent dans de véritables bagnes industriels, savent dans leur chair ce que cette expansion veut dire. En réalité, cette expansion s'articule autour de deux piliers qui sont arrivés au point critique de rupture. Le premier est l'endettement. La dette de la Chine croît deux fois plus rapidement que son PNB! Son système bancaire comporte 50% de créances douteuses! Le deuxième est la nécessité pour la Chine d'écouler une part croissante de ses marchandises sur le marché américain alors que celui-ci, au bord de la récession, est en train de se réduire considérablement. En effet, le marché intérieur de la Chine est très faible, il ne peut en aucune façon absorber ce qu'il produit. Son économie est donc totalement dépendante des exportations. Et le temps où l'économie américaine tirait toute l'économie mondiale tend à s'épuiser sans qu'aucun autre pays ou continent ne puisse venir prendre le relais.
Le premier ministre chinois, Wen Jiabao, conscient de ce risque majeur de surproduction, vient de déclarer que l'objectif de son gouvernement serait en 2007 de limiter la croissance à 8%. Il va donc y avoir un resserrement de la politique monétaire. L'argent va coûter plus cher. En clair, à l'avenir, il sera plus difficile d'investir afin d'éviter que l'économie ne s'emballe au-delà de toute raison !
Pendant cette semaine noire pour les bourses mondiales, le secrétaire d'Etat au Trésor américain, Hank Paulson, était en tournée en Asie. Il s'agissait pour lui de rassurer l'Etat chinois sur la solidité de l'économie américaine, en atténuant, en vrai bonimenteur, la gravité de la crise de l'immobilier et les risques tant monétaires que financiers. En effet, toute une partie de l'économie chinoise est alimentée par des avoirs massifs en devises américaines, dollars que la Chine réinvestit en partie aux Etats-Unis et qui servent à limiter l'expansion du déficit américain. Pour toutes ces raisons, ces deux économies sont confrontées à une terrible contradiction : elles sont obligées de se livrer une guerre acharnée et, en même temps, elles sont devenues inter-dépendantes à l'extrême, la récession de l'une entraînant la récession de l'autre. Et c'est effectivement bien aujourd'hui les deux qui sont en train de flancher.
A. Greenspan, l'ancien grand manitou de la politique financière américaine, reconnaît très officiellement la possibilité d'une récession aux Etats-Unis en 2007. La cause la plus visible et la plus immédiate de ce ralentissement est sans aucun doute l'éclatement en cours de la bulle immobilière dans ce pays. Les prix dans ce secteur d'activité ont chuté de près de 25% et ce n'est qu'un début 1 . Certains économistes estiment à 40% la surévaluation de ce marché. La correction pourrait donc être de 6000 milliards de dollars, pas loin d'un tiers du PIB américain ! Cette crise immobilière se propage maintenant en Angleterre : "C'est une mauvaise nouvelle qui pourrait alarmer. Kensington, leader du crédit immobilier à risque en Grande- Bretagne, a, vendredi 23 mars, concédé une perte de 23% de son action" (Le Monde du 24 mars). Ce requin de la finance prête de l'argent à plus de 15 000 ménages, jugés aujourd'hui à leur tour insolvables.
Les conséquences pour la classe ouvrière vont être terribles. Aux Etats-Unis, les ménages avaient pris l'habitude d'emprunter au fur et à mesure que la valeur de leurs appartements augmentait, grâce au crédit hypothécaire. La hausse phénoménale de l'immobilier de ces dernières années avait donné l'impression à ces ouvriers qu'ils s'étaient enrichis ! Ce sont donc des dizaines de millions de ménages qui vont se retrouver incapables de faire face aux échéances de remboursement, littéralement ruinés et jetés à la rue. Pire, l'immobilier et la construction ont fourni 40 % des emplois ces trois dernières années 2 ! La crise de ce secteur signifie donc la mise au chômage de dizaines de milliers d'ouvriers. Ces charrettes de licenciements viennent s'ajouter à celles du secteur automobile, passablement sinistré et au bord de la faillite. Dans son plan de "restructuration", qui s'étale du quatrième trimestre 2005 au premier trimestre 2008, Ford projette tout simplement la fermeture de 40% de ses usines nord-américaines et le "départ" de 50 000 ouvriers sur 130 0003! Un des derniers secteurs qui tenait encore bon de l'autre côté de l'Atlantique, celui des services, le faisait essentiellement grâce à l'accroissement de l'activité dans le secteur financier. Autant dire que ce secteur d'activité va connaître lui aussi des jours sombres et engendrer des licenciements massifs.
La consommation intérieure des Etats-Unis ne peut donc que continuer à se contracter de plus en plus violemment dans les mois à venir. Le problème pour la bourgeoisie est que cette consommation américaine constitue le moteur principal qui fait tourner l'économie mondiale. Pour l'Europe, la Chine, le Japon, l'Inde... une part croissante de leurs marchandises va devenir invendable. La surproduction, facteur déterminant de la crise mondiale du capitalisme va atteindre de nouveaux sommets !
La contagion de la crise économique mondiale s'étend bien entendu au front monétaire et tout particulièrement au dollar, qui ne peut que continuer à baisser dans les mois à venir. Les Etats-Unis surendettés au-delà de toute limite raisonnable (la dette américaine est de 7800 milliards de dollars et croît au rythme de 1,64 milliards par jour !) vont voir fuir massivement les capitaux étrangers qui venaient soutenir leur économie au bord de l'asphyxie. En Amérique, une violente contraction de la croissance est maintenant inévitable, entraînant dans la tourmente et la récession généralisée toute l'économie mondiale. Personne n'est en mesure aujourd'hui de prévoir à quelle vitesse et avec quelle profondeur ce nouveau séisme va frapper l'ensemble de l'économie. Mais les conséquences pour le prolétariat ne sont pas difficiles à imaginer. Les ouvriers en Inde et en Chine connaissent des conditions de vie pire encore que celles de leurs frères de classe d'Europe au 19ème siècle. Sous le joug de la plus féroce des exploitations, les ouvriers y vivent dans le dénuement et la misère. Confrontée à la faillite de son système et à la guerre économique, la bourgeoisie travaille froidement à exporter ces conditions effroyables d'exploitation au cœur du capitalisme : aux Etats-Unis et en Europe occidentale.
Le seul avenir que nous réserve ce système, c'est encore et toujours plus de misère. Croire en un capitalisme plus humain et mieux géré est une chimère, une utopie. Il n'y a qu'une seule solution et elle est entre les mains du prolétariat : construire un nouveau monde, sans classe et sans exploitation.
Tino / 28.03.07
1 Europe 2020 n°13.
2 Solidarité et progrès du 24 mars 2007.
3 Agence de Presse Associative du 11 mars 2007.
Face à l'angoisse de l'avenir, à la peur du chômage, au ras-le-bol de l'austérité et de la précarité, la bourgeoisie utilise les élections afin de pourrir la réflexion des ouvriers, en exploitant les illusions encore très fortes au sein du prolétariat.
Le refus de participer au cirque électoral ne s'impose pas de manière évidente au prolétariat du fait que cette mystification est étroitement liée à ce qui constitue le cœur de l'idéologie de la classe dominante, la démocratie. Toute la vie sociale dans le capitalisme est organisée par la bourgeoisie autour du mythe de l'Etat "démocratique". Ce mythe est fondé sur l'idée mensongère suivant laquelle tous les citoyens sont "égaux" et "libres" de "choisir", par le vote, leurs représentants politiques et le parlement est présenté comme le reflet de la "volonté populaire". Cette escroquerie idéologique est difficile à déjouer pour la classe ouvrière du fait que la mystification électorale s'appuie en partie sur certaines vérités. La bourgeoisie utilise, en la falsifiant, l'histoire du mouvement ouvrier en rappelant les luttes héroïques du prolétariat pour conquérir le droit de vote. Face aux grossiers mensonges propagandistes, il est nécessaire de revenir aux véritables positions défendues par le mouvement ouvrier et ses organisations révolutionnaires. Et cela, non pas en soi, mais en fonction des différentes périodes de l'évolution du capitalisme et des besoins de la lutte révolutionnaire du prolétariat.
Le 19e siècle est la période du plein développement du capitalisme pendant laquelle la bourgeoisie utilise le suffrage universel et le Parlement pour lutter contre la noblesse et ses fractions rétrogrades. Comme le souligne Rosa Luxemburg, en 1904, dans son texte Social-démocratie et parlementarisme : "Le parlementarisme, loin d'être un produit absolu du développement démocratique, du progrès de l'humanité et d'autres belles choses de ce genre, est au contraire une forme historique déterminée de la domination de classe de la bourgeoisie et ceci n'est que le revers de cette domination, de sa lutte contre le féodalisme. Le parlementarisme bourgeois n'est une forme vivante qu'aussi longtemps que dure le conflit entre la bourgeoisie et le féodalisme". Avec le développement du mode de production capitaliste, la bourgeoisie abolit le servage et étend le salariat pour les besoins de son économie. Le Parlement est l'arène où les différents partis bourgeois s'affrontent pour décider de la composition et des orientations du gouvernement en charge de l'exécutif. Le Parlement est le centre de la vie politique bourgeoise mais, dans ce système démocratique parlementaire, seuls les notables sont électeurs. Les prolétaires n'ont pas le droit à la parole, ni le droit de s'organiser.
Sous l'impulsion de la 1ère puis de la 2e Internationale, les ouvriers vont engager des luttes sociales d'envergure, souvent au prix de leur vie, pour obtenir des améliorations de leurs conditions de vie (réduction du temps de travail de 14 à 10 heures, interdiction du travail des enfants et des travaux pénibles pour les femmes...). Dans la mesure où le capitalisme était alors un système en pleine expansion, son renversement par la révolution prolétarienne n'était pas encore à l'ordre du jour. C'est la raison pour laquelle la lutte revendicative sur le terrain économique au moyen des syndicats et la lutte de ses partis politiques sur le terrain parlementaire permettaient au prolétariat d'arracher des réformes à son avantage. "Une telle participation lui permettait à la fois de faire pression en faveur de ces réformes, d'utiliser les campagnes électorales comme moyen de propagande et d'agitation autour du programme prolétarien et d'employer le Parlement comme tribune de dénonciation de l'ignominie de la politique bourgeoise. C'est pour cela que la lutte pour le suffrage universel a constitué, tout au long du 19e siècle, dans un grand nombre de pays, une des occasions majeures de mobilisation du prolétariat". (1) Ce sont ces positions que Marx et Engels vont défendre tout au long de cette période d'ascendance du capitalisme pour expliquer leur soutien à la participation du prolétariat aux élections.
A l'aube du 20e siècle, le capitalisme a conquis le monde. En se heurtant aux limites de son expansion géographique, il rencontre la limitation objective des marchés : les débouchés à sa production deviennent de plus en plus insuffisants. Les rapports de production capitalistes se transforment dès lors en entraves au développement des forces productives. Le capitalisme, comme un tout, entre dans une période de crises et de guerres de dimension mondiale.
Un tel bouleversement va entraîner une modification profonde du mode d'existence politique de la bourgeoisie, du fonctionnement de son appareil d'Etat et, a fortiori, des conditions et des moyens de la lutte du prolétariat. Le rôle de l'Etat devient prépondérant car il est le seul à même d'assurer "l'ordre", le maintien de la cohésion d'une société capitaliste déchirée par ses contradictions. Les partis bourgeois deviennent, de façon de plus en plus évidente, des instruments de l'Etat chargés de faire accepter la politique de celui-ci. Le pouvoir politique tend alors à se déplacer du législatif vers l'exécutif et le Parlement bourgeois devient une coquille vide qui ne possède plus aucun rôle décisionnel. C'est cette réalité qu'en 1920, lors de son 2e congrès, l'Internationale communiste va clairement caractériser : "L'attitude de la 3ème Internationale envers le parlementarisme n'est pas déterminée par une nouvelle doctrine, mais par la modification du rôle du Parlement même. A l'époque précédente, le Parlement en tant qu'instrument du capitalisme en voie de développement a, dans un certain sens, travaillé au progrès historique. Mais dans les conditions actuelles, à l'époque du déchaînement impérialiste, le Parlement est devenu tout à la fois un instrument de mensonge, de tromperie, de violence, et un exaspérant moulin à paroles... A l'heure actuelle, le Parlement ne peut être en aucun cas, pour les communistes, le théâtre d'une lutte pour des réformes et pour l'amélioration du sort de la classe ouvrière, comme ce fut le cas dans le passé. Le centre de gravité de la vie politique s'est déplacé en dehors du Parlement, et d'une manière définitive".
Désormais, il est hors de question pour la bourgeoisie d'accorder des réformes réelles et durables des conditions de vie de la classe ouvrière. C'est l'inverse qu'elle impose au prolétariat : toujours plus de sacrifices, de misère et d'exploitation. Les révolutionnaires sont alors unanimes pour reconnaître que le capitalisme a atteint des limites historiques et qu'il est entré dans sa période de déclin, comme en a témoigné le déchaînement de la Première Guerre mondiale. L'alternative était désormais : socialisme ou barbarie. L'ère des réformes était définitivement close et les ouvriers n'avaient plus rien à conquérir sur le terrain des élections.
Néanmoins un débat central va se développer au cours des années 1920 au sein de l'Internationale communiste sur la possibilité, défendue par Lénine et le parti bolchevique, d'utiliser la "tactique" du "parlementarisme révolutionnaire". Face à d'innombrables questions suscitées par l'entrée du capitalisme dans sa période de décadence, le poids du passé continuait à peser sur la classe ouvrière et ses organisations. La guerre impérialiste, la révolution prolétarienne en Russie, puis le reflux de la vague de luttes prolétariennes au niveau mondial dès 1920 ont conduit Lénine et ses camarades à penser que l'on peut détruire de l'intérieur le Parlement ou utiliser la tribune parlementaire de façon révolutionnaire. En fait cette "tactique" erronée va conduire la 3e Internationale vers toujours plus de compromis avec l'idéologie de la classe dominante. Par ailleurs, l'isolement de la révolution russe, l'impossibilité de son extension vers le reste de l'Europe avec l'écrasement de la révolution en Allemagne, vont entraîner les bolcheviks et l'Internationale, puis les partis communistes, vers un opportunisme débridé. C'est cet opportunisme qui allait les conduire à remettre en question les positions révolutionnaires des 1er et 2e Congrès de l'Internationale communiste pour s'enfoncer vers la dégénérescence lors des congrès suivants, jusqu'à la trahison et l'avènement du stalinisme qui fut le fer de lance de la contre-révolution triomphante.
C'est contre cet abandon des principes prolétariens que réagirent les fractions les plus à gauche dans les partis communistes (2). A commencer par la Gauche italienne avec Bordiga à sa tête qui, déjà avant 1918, préconisait le rejet de l'action électorale. Connue d'abord comme "Fraction communiste abstentionniste", celle-ci s'est constituée formellement après le Congrès de Bologne en octobre 1919 et, dans une lettre envoyée de Naples à Moscou, elle affirmait qu'un véritable parti, qui devait adhérer à l'Internationale communiste, ne pouvait se créer que sur des bases antiparlementaristes. Les gauches allemande et hollandaise vont à leur tour développer la critique du parlementarisme. Anton Pannekoek dénonce clairement la possibilité d'utiliser le Parlement pour les révolutionnaires, car une telle tactique ne pouvait que les conduire à faire des compromis, des concessions à l'idéologie dominante. Elle ne visait qu'à insuffler un semblant de vie à ces institutions moribondes, à encourager la passivité des travailleurs alors que la révolution nécessite la participation active et consciente de l'ensemble du prolétariat.
Dans les années 1930, la Gauche italienne, à travers sa revue Bilan, montrera de façon concrète comment les luttes des prolétaires français et espagnols avaient été détournées vers le terrain électoral. Bilan affirmait à juste raison que c'est la "tactique" des fronts populaires en 1936 qui avait permis d'embrigader le prolétariat comme chair à canon dans la 2ème boucherie impérialiste mondiale. A la fin de cet effroyable holocauste, c'est la Gauche communiste de France qui publiait la revue Internationalisme (dont est issu le CCI) qui fera la dénonciation la plus claire de la "tactique" du parlementarisme révolutionnaire : "La politique du parlementarisme révolutionnaire a largement contribué à corrompre les partis de la 3ème Internationale et les fractions parlementaires ont servi de forteresses de l'opportunisme (...). La vérité est que le prolétariat ne peut utiliser pour sa lutte émancipatrice "le moyen de lutte politique" propre à la bourgeoisie et destiné à son asservissement. Le parlementarisme révolutionnaire en tant qu'activité réelle n'a, en fait, jamais existé pour la simple raison que l'action révolutionnaire du prolétariat quand elle se présente à lui, suppose sa mobilisation de classe sur un plan extra-capitaliste, et non la prise des positions à l'intérieur de la société capitaliste." (3) Désormais, la non participation aux élections, est une frontière de classe entre organisations prolétariennes et organisations bourgeoises. Dans ces conditions, depuis plus de 80 ans, les élections sont utilisées, à l'échelle mondiale, par tous les gouvernements, quelle que soit leur couleur politique, pour dévoyer le mécontentement ouvrier sur un terrain stérile et crédibiliser le mythe de la "démocratie". Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si aujourd'hui, contrairement au 19e siècle, les Etats "démocratiques" mènent une lutte acharnée contre l'abstentionnisme et la désaffection des partis, car la participation des ouvriers aux élections est essentielle à la perpétuation de l'illusion démocratique.
Contrairement à la propagande indigeste voulant nous persuader que ce sont les urnes qui gouvernent, il faut réaffirmer que les élections sont une pure mascarade. Certes, il peut y avoir des divergences au sein des différentes fractions qui composent l'Etat bourgeois sur la façon de défendre au mieux les intérêts du capital national mais, fondamentalement, la bourgeoisie organise et contrôle le carnaval électoral pour que le résultat soit conforme à ses besoins en tant que classe dominante. C'est pour cela que l'Etat capitaliste organise, manipule, utilise ses médias aux ordres. Ainsi, depuis la fin des années 1920 et jusqu'à aujourd'hui, quel que soit le résultat des élections, que ce soit la droite ou la gauche qui sorte victorieuse des urnes, c'est finalement toujours la même politique anti-ouvrière qui est menée.
Ces derniers mois, la focalisation orchestrée par la bourgeoisie autour des élections présidentielles de mai 2007 a réussi momentanément à capter l'attention des ouvriers et à les persuader qu'elles étaient un enjeu pour leur avenir et celui de leurs enfants. Non seulement la bourgeoisie plonge le prolétariat dans la paupérisation absolue, mais en plus elle l'humilie en lui donnant "des jeux et du cirque électoral". Aujourd'hui, le prolétariat n'a pas le choix. Ou bien il se laisse entraîner sur le terrain électoral, sur le terrain des Etats bourgeois qui organisent son exploitation et son oppression, terrain où il ne peut être qu'atomisé et sans force pour résister aux attaques du capitalisme en crise. Ou bien, il développe ses luttes collectives, de façon solidaire et unie, pour défendre ses conditions de vie. Ce n'est que de cette façon qu'il pourra retrouver ce qui fait sa force en tant que classe révolutionnaire : son unité et sa capacité à lutter en dehors et contre les institutions bourgeoises (parlement et élections) en vue du renversement du capitalisme. D'ailleurs, face à l'aggravation des attaques et malgré ce bourrage de crane électoraliste, le prolétariat est en train de développer une réflexion en profondeur sur la signification du chômage massif, sur les attaques à répétition, sur le démantèlement des systèmes de retraite et de protection sociale. A terme, la politique anti-ouvrière de la bourgeoisie et la riposte prolétarienne ne peuvent que déboucher sur une prise de conscience croissante, au sein de la classe ouvrière, de la faillite historique du capitalisme. Le prolétariat n'a pas à participer à la fabrication de ses propres chaînes, mais à les briser ! Au renforcement de l'Etat capitaliste, les ouvriers doivent répondre par la volonté de sa destruction !
L'alternative qui se pose aujourd'hui est donc la même que celle dégagée par les gauches marxistes dans les années 1920 : électoralisme et mystification de la classe ouvrière ou développement de la conscience de classe et extension des luttes vers la révolution !
D.
(1) Plate-forme du CCI.
(2) Le CCI est l'héritier de cette Gauche communiste et nos positions en sont le prolongement.
(3) Lire cet article d'Internationalisme n°36 de juillet 1948, reproduit dans la Revue Internationale n°36.
Face aux programmes électoraux de plus en plus creux des partis traditionnels, PS/ SPa compris, des appels fleurissent, jusque dans les médias bourgeois, pour appeler à la création d'un "parti populaire et combatif à la gauche du PS ou des écolos". Dans la perspective des élections du 10 juin, diverses initiatives ont d'ailleurs été lancées pour amorcer une telle dynamique. Ainsi la bourgeoisie a monté en épingle le "succès électoral" du Parti du Travail de Belgique (PTB "ex stalinien"), qui a triplé le nombre de ses conseillers communaux lors des dernières communales. Elle a tout particulièrement salué sa réorientation "populiste de gauche", d'après l'exemple du SP néerlandais. D'autre part, il y a quelques mois s'est constitué, le Comité pour Une Autre Politique (CAP), regroupant des personnalités de la gauche socialiste et syndicale (tels l'ex-député Sleeckx et l'ex-patron du syndicat socialiste Debunne) et soutenu par les trotskistes du MAS/ LSP, et il a d'emblée décidé de participer aux prochaines élections législatives. Cette "autre gauche" prétend présenter un programme "à la gauche du PS", une alternative progressiste face à la politique éculée des partis sociaux-démocrates traditionnels. Qu'en est-il en réalité lorsqu'on examine de plus près son programme et ses objectifs ?
Ces partis prétendent que leurs programmes permettent de promouvoir une véritable politique de changement par rapport à la logique du capitalisme néo-libéral. Quels sont leurs points principaux ?
- "moraliser" l'économie : "les gens d'abord, pas le profit", "les plus gros pollueurs doivent supporter les plus lourdes charges" (PTB), mettre sous contrôle la spéculation ou ouvrir les livres de compte des entreprises. En d'autres mots, imposer des règles plus 'morales' au fonctionnement de l'économie suffirait pour évoluer vers une société plus juste. Or, ce n'est pas le manque d'humanité de l'économie qui est la cause de la crise, de l'austérité, des licenciements massifs et des baisses de salaire, c'est exactement le contraire : le développement de comportements de plus en plus cyniques et impitoyables est en vérité la conséquence directe de l'impasse où est acculé le mode de production capitaliste ; tous les moyens sont bons pour écouler sa marchandise sur un marché sursaturé. Aucune mesure 'raisonnable', 'honnête' ou 'morale' n'empêchera l'austérité et la barbarie d'étendre ses ravages sur toute la planète. De telles orientations programmatiques visent par contre à répandre l'illusion qu'on peut 'humaniser en régulant' ce système capitaliste pourri, et donc qu'il ne faut pas le détruire.
- "faire payer les riches" : "Impôt sur les grosses fortunes" (PTB), "redistribution des 27 milliards de profit des 19 plus grosses entreprises" (CAP). Pour "l'autre gauche", la solution au chômage et à la misère, engendrés par le capitalisme, "se trouverait dans une 'redistribution équitable' des profits". Elle ne fait là que répandre le mythe que la misère croissante engendrée par le capitalisme n'est pas le résultat de ses contradictions qui s'aggravent de plus en plus mais une simple question de 'répartition plus honnête des richesses'. Pour elle, les inégalités sociales et le chômage découleraient du fait que les 'riches' amasseraient trop de fric qu'ils ne veulent pas partager, et non pas de la logique même des rapports de production capitalistes.
Or, depuis Marx dans sa brochure Salaire, prix et profit, les révolutionnaires ont justement combattu avec la dernière énergie l'illusion concernant la possibilité d'instaurer une société juste et équitable au sein du capitalisme, l'illusion que finalement, un capitalisme sans profit serait possible. Ils ont mis en évidence que le profit est le moteur de l'exploitation capitaliste, Comme le disait encore Rosa Luxembourg :"Le mode de production capitaliste a cette particularité que la consommation humaine qui, dans toutes les économies antérieures, était le but, n'est plus qu'un moyen au service du but proprement dit : l'accumulation capitaliste. La croissance du capital apparaît comme le commencement et la fin, la fin en soi et le sens de toute la production... Le but fondamental de toute forme sociale de production : l'entretien de la société par le travail, la satisfaction des besoins, apparaît ici complètement renversé et mis la tête en bas, puisque la production pour le profit et non plus pour l'homme devient la loi sur toute la terre et que la sous-consommation, l'insécurité permanente de la consommation et par moments la non-consommation de l'énorme majorité de l'humanité deviennent la règle." (Rosa Luxembourg, Introduction à l'économie politique).
C'est cette loi d'airain, cette logique immuable qui fonde la nature du capitalisme. C'est pourquoi il n'est pas surprenant de voir les entreprises et les Etats nationaux adopter des comportements toujours plus féroces et prédateurs, dans une concurrence de plus en plus acharnée entre nations, pour satisfaire leurs besoins toujours croissants de profit. Quand cette 'autre gauche' tente d'instiller parmi les travailleurs l'idée d'un capitalisme qu'il suffit de 'rendre plus équitable', c'est surtout pour leur cacher que la seule réponse historique que peut apporter le prolétariat aux iniquités engendrées par le système, c'est de le détruire, d'abolir le salariat en développant les luttes contre l'exploitation de la force de travail et les rapports capitalistes de production.
- renforcer le contrôle des 'pouvoirs publics' sur l'économie : en appelant l'Etat à prendre des mesures de coercition contre les "patrons privés", par exemple dans l'industrie pharmaceutique, ou encore à "rétablir les prépensions avec remplacement obligatoire par des jeunes", à imposer "une réduction de la facture sur le gaz et l'électricité", PTB et CAP désignent les "patrons privés" et leur "mauvaise gestion de l'entreprise" comme la cause de la misère des exploités. Pour eux, la solution est toute trouvée : il suffirait de concentrer les moyens de production entre les mains de l'Etat, d'où leurs revendications électorales : 'stop à la privatisation des services publics". Cet Etat, et par conséquent aussi son gouvernement, sont présentés comme un arbitre au-dessus des classes sociales, qui pourrait indifféremment pencher vers l'une ou l'autre classe : la bourgeoisie ou le prolétariat. Le reproche qu'ils adressent aux 'pouvoirs publics', c'est de "se mettre au service des patrons", de "faire des cadeaux au patronat". Ils masquent ainsi la nature de l'Etat capitaliste en faisant croire que c'est lui qui sert les patrons privés alors que, même s'il peut exister des divergences entre les Etats et certaines patrons, cela ne remet nullement en cause le fait que ces derniers agissent au bout du compte en cohérence et dans le sens de la défense de l'intérêt national et de l'Etat des pays dont ils dépendent. C'est l'Etat qui réglemente les prix, les conventions collectives, les taux d'exportation, de production, etc. C'est lui qui, à travers la politique fiscale, monétaire, de crédit, etc., dicte les conditions du"libre marché", tant aux secteurs financiers que productifs. Dès la fin des années 1960, avec la réapparition de la crise économique, c'est l'Etat qui a été responsable des grands plans de licenciements au nom de la restructuration industrielle dans la sidérurgie, les mines, les chantiers navals, l'automobile, et l'hémorragie se poursuit toujours aujourd'hui dans l'aéronautique, l'automobile, les télécommunications, etc. C'est l'Etat qui a supprimé des milliers d'emplois dans les postes, à la SNCB, dans les hôpitaux, et il continue dans la fonction publique, l'Education nationale, etc. C'est lui qui réduit en permanence les minima sociaux, favorise l'accroissement de la pauvreté, de la précarité, fait des coupes claires dans les budgets sociaux (logements, retraites, santé, éducation). Par son programme, 'l'autre gauche' dédouane le premier responsable de l'austérité capitaliste et du chômage, le premier donneur d'ordre de licenciements et de régression sociale : l'Etat de la société bourgeoise qui ne peut être qu'un Etat bourgeois, capitaliste.
L'impression générale instillée par les revendications avancées par la 'gauche de la gauche' est que le maintien des salaires, les créations d'emploi ou la sauvegarde de la sécurité sociale sont des "gains" "arrachés" aux profits capitalistes. C'est exactement l'inverse qui est vrai. Les richesses sont produites par le travail, pas par le capital, et c'est ce dernier qui s'en approprie une partie sur le dos des travailleurs à travers la plus-value. La condition indispensable pour que cette plus-value se réalise, c'est la vente des produits du travail salarié dans le cadre du marché. La cause fondamentale de l'austérité et de la misère qui s'abat sur la classe ouvrière, c'est bel et bien la crise de surproduction qui exacerbe la concurrence capitaliste sur un marché mondial saturé de marchandises. C'est cette pression qui pousse les capitalistes à réduire leurs coûts de production, faisant exploser la flexibilité, réduisant les salaires et licenciant à tour de bras. Voilà bien pourquoi une "autre politique", c.-à-d. une politique rompant avec la dynamique de misère et de guerre n'est pas possible au sein du capitalisme et de son "Etat démocratique".
Face à la politique anti-ouvrière avérée des partis socialistes PS/SPa au gouvernement depuis 18 ans, tout comme face à la corruption et les scandales qui les touchent périodiquement, il peut paraître logique d'appeler à se mobiliser pour construire "un vrai parti de gauche" qui pourrait réellement représenter les travailleurs lors des élections et défendre leurs intérêts dans le système représentatif de l'Etat bourgeois, au parlement national. Pourtant, ce n'est pas la première fois qu'un parti se présente comme l'émanation d'une "autre gauche" et appelle à voter pour lui avec la promesse de mener une "autre politique": des divers partis communistes jusqu'au PDS en Allemagne, au Parti de la Refondation communiste en Italie ou au "Parti des Travailleurs" de Lula au Brésil, ces partis "à la gauche du PS" l'ont tous promis mais cela ne les a pas empêchés, du "président" Lula aux "ex-communistes"en Italie ou en Allemagne, de soutenir une politique de renforcement du capital national, de prendre les mesures nécessaires pour renforcer la capacité concurrentielle du capital national.
Pour les révolutionnaires, la trahison des partis socialistes, puis plus tard des partis "communistes"ou "des travailleurs' n'est pas le résultat du hasard, de la malchance ou de mauvais dirigeants, c'est le produit de l'évolution même du système capitaliste et de sa phase actuelle. Dans la phase actuelle de décadence, de crise mondiale, de chaos et de guerre généralisés, l'ensemble des Etats bourgeois ont évolué vers un système où les partis n'expriment plus tellement la lutte entre fractions bourgeoises pour le contrôle de l'Etat mais où l'ensemble des partis est plutôt l'émanation des intérêts du capital national et oeuvre pour la défense de ceux-ci dans la foire d'empoigne entre brigands impérialistes au niveau international. Croire que dans un tel contexte entièrement contrôlé par l'Etat bourgeois, un parti défendant les intérêts de la classe exploitée pourrait se développer dans le cadre du système parlementaire et électoral, voire conquérir le pouvoir, c'est se raconter des histoires, se bercer de rêves illusoires.
Au début du 20e siècle, aveuglées par la croissance exponentielle du capitalisme et par le développement impressionnant de leurs propres forces, les fractions opportunistes au sein de la Social-démocratie ont répandu l'illusion d'un passage progressif au socialisme par la prise de contrôle de l'Etat bourgeois au moyen du levier électoral. Cent ans plus tard, après deux guerres mondiales, de terribles crises économiques et un chaos et une barbarie croissants sur toute la planète, la mise en avant d'une telle conception ne peut être qu'une entreprise de mystification éhontée visant à enfermer les travailleurs dans une voie suicidaire.
Face aux doutes sur l'opportunité de tels programmes et organisations, les plus 'radicaux' parmi leurs membres, tels les trotskistes du MAS/ LSP rétorquent : "Nous ne sommes pas dupes. Nous savons bien que ce nouveau parti ne sera pas le parti révolutionnaire, que tel dirigeant politique ou syndical va encore trahir, mais cette expérience négative est un passage obligé pour que les travailleurs apprennent qui sont les vrais révolutionnaires" (MAS, Pour un nouveau parti des travailleurs, 06.04.06). Faire croire qu'enfermer les travailleurs dans une logique réformiste et une perspective d'action suicidaire favorise le développement de la conscience prolétarienne témoigne d'un cynisme sans bornes. Loin de s'appuyer sur l'expérience de sa force et de son organisation que la classe ouvrière peut acquérir dans sa lutte, le MAS pose comme perspective pour le développement de la prise de conscience ... l'expérience individuelle de "chaque travailleur", la mystification démocratique qui transforme "chaque travailleur" en un "citoyen", seul, dans son isoloir, avec l'illusion que son bulletin va influer sur sa condition sociale. Les gauchistes prétendent qu'il faut partir des illusions des travailleurs pour les entraîner dans une expérience négative afin qu'ils prennent conscience. Affirmer que la conscience naît de la confusion, de la mystification et du découragement, tient du cynisme le plus répugnant et ne fait que révéler le véritable objectif de telles initiatives : non pas développer la conscience de la classe ouvrière mais au contraire l'embrouiller en piégeant la classe dans les campagnes démocratiques de la bourgeoisie.
Ces campagnes autour du développement d'une "vraie gauche" n'offrent donc aucune perspective au combat de la classe ouvrière, au contraire, elles détournent le ras-le bol qui tend de plus en plus à s'exprimer vers le piège des élections et des réformes démocratiques et elles évitent ainsi le développement de la réflexion au sein du prolétariat sur les perspectives et les moyens de lutte face à la barbarie croissante de la société bourgeoise.
Jos / 01.04.07
Après tout le battage autour du film documentaire d'Al Gore Une vérité qui dérange, du sommet fin janvier à Paris du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (IPCC en anglais), c'est le sommet européen de mars qui s'est penché sur le réchauffement climatique. Ils déclarent tous haut et fort leur volonté d'agir pour protéger l'environnement et rendre sûr l'avenir des générations futures. Cependant, malgré les précédentes déclarations enflammées du sommet Planète Terre à Rio (1992) ou les résolutions du Protocole de Kyoto (1998), c'est à vue d'œil qu'augmente la pollution et que les menaces liées à un dérèglement climatique s'amplifient. Indéniablement, la sonnette d'alarme pour le climat qui retentit maintenant suscite beaucoup d'inquiétude dans la po-pulation, et surtout chez les jeunes, qui entrevoient en conséquence un avenir encore plus sombre.
Dans l'enchevêtrement de déclarations et de campagnes mystificatrices, bon nombre de questions sur les causes, les liens entre les phénomènes et les solutions restent sans réponse.
Pour stimuler ce processus de réflexion, le CCI organise différentes réunions publiques, pour susciter un débat réel. Ce fut entre autres le cas à Bruxelles, le 17 mars dernier. Pour faire de cette réunion publique un lieu de discussion aussi vivant et ouvert que possible, nous avons demandé à un jeune sympathisant s'il voulait en préparer l'introduction. C'est avec enthousiasme qu'il a accepté cette proposition, et son exposé a été chaleureusement accueilli par le CCI et tous les participants, dont la moitié environ étaient des jeunes. La discussion lors de cette réunion a été très vivante, entre autres du fait d'une large participation des jeunes. L'effort désintéressé et honnête de tous les présents a témoigné une préoccupation commune pour la recherche, aux côtés du CCI, d'une argumentation claire et de réponses. Comme l'a affirmé un intervenant : "La recherche de la vérité est plus importante que la vérité elle-même".
Tous les sujets n'ont pas pu être traités, ce qui a été ressenti comme une frustration par certains participants. Une frustration positive, qui témoigne de la soif de continuer, engendrée par le débat! En conséquence, des rendez-vous ont également été pris pour une poursuite.
Nous publions ci-dessous l'exposé, ainsi que les grandes lignes du débat.
C'est maintenant officiel: le rapport de l'ONU sur le climat nous dit qu'en ce moment des changements climatiques menaçants sont à l'œuvre et seront encore plus sensibles à l'avenir. On pourrait discuter la crédibilité de ce rapport. Un article dans EOS (Ongemakkelijke waarheden? EOS n° 1, janvier 2007), un mensuel de science et de technologie, nous explique que les éléments sur lesquels se fonde GIEC, le groupe de recherche des Nations Unies qui étudie le changement climatique, se basent sur des données insuffisantes et incomplètes. Il est certain que des changements climatiques importants sont en cours, et que nous pouvons nous attendre aux plus graves scénarios-catastrophes: animaux, plantes, écosystèmes entiers vont disparaître ou se déplacer; sécheresse et famine augmentent; pendant les vagues de chaleur, plus d'enfants et de personnes âgées ou malades périront; dans les régions touchées par des tempêtes et des précipitations, plus de victimes encore tomberont; des maladies se répandront plus rapidement; si les courants marins s'arrêtent, il pourrait faire glacial en Europe occidentale; on peut s'attendre à des millions de réfugiés écologiques, etc. Mais le but de la discussion que nous allons mener aujourd'hui n'est pas de redécouvrir la climatologie, mais d'aborder l'aspect social, pour mener une réflexion à propos de la propagande de la classe dominante.
- Les changements climatiques sont-ils dus à "l'Homme", à "l'humanité", comme nous le suggère le rapport de l'ONU? Le journal De Morgen titre: "C'est presque certain: c'est notre faute", en se référant au rapport des Nations Unies, où il est dit que "l'Homme" est presque certainement responsable du réchauffement de la terre à cause de l'utilisation des combustibles fossiles. "L'humanité", que veut dire cette conception abstraite? Est-ce ce monstre irréfléchi et égoïste, incapable de penser à long terme, qui ne pense pas aux générations suivantes? Mais est-ce que toi ou moi, bien que nous soyons préoccupés par l'avenir, avons quelque chose à dire sur la manière dont les gouvernements s'occupent du problème? Non, selon moi la cause du phénomène n'est pas "l'Homme" ou "l'humanité".
- Alors, la cause des changements climatiques est-elle le citoyen, ou en d'autres termes l'individu? Nous utiliserions trop d'énergie, trop d'eau, nous roulerions trop en voiture. C'est ce que nous racontent toujours les médias. Serait-ce à chaque individu d'adapter son comportement de consommateur ou sa consommation d'énergie? Mais dans la société actuelle, on ne peut choisir qu'entre une voiture polluante et une moins polluante, entre un moyen de chauffage polluant mais meilleur marché et des panneaux solaires, plus chers. Pourquoi travaillons-nous la nuit, à la lumière artificielle, au lieu de travailler de jour, à la lumière du soleil? Non, la faute n'incombe pas à l'individu.
- La source du phénomène est-elle l'industrie? En elle-même, l'industrie n'est pas quelque chose de mauvais. Au dix-neuvième siècle, avec le capitalisme en plein développement, l'industrie était florissante, une indication du caractère alors progressiste du système de production capitaliste, puisque pour la première fois dans l'histoire, l'industrie nous offrait la possibilité de produire trop. A partir de ce moment, les besoins de base de tous les hommes pouvaient potentiellement être satisfaits.
- Ou la responsabilité des changements climatiques incombe-t-elle à la société capitaliste, au système de production capitaliste? Selon moi, la véritable origine des changements climatiques n'est effectivement pas dans la "nature destructrice de l'homme", ou dans les "comportements consciemment ou inconsciemment polluants de l'individu", ou enfin dans l'appareil de production en tant que tel, mais dans la manière dont l'industrie, la science et la technique sont aujourd'hui utilisées et développées, donc dans le système de production actuel. Car si les techniques actuelles et les connaissances scientifiques nous offrent la possibilité de limiter, voire d'éviter la catastrophe écologique, alors pourquoi la société capitaliste ne nous offre-t-elle pas cette possibilité?
Pouvons-nous résoudre le problème des changements climatiques au sein de la présente société capitaliste, des structures économiques, politiques et sociales actuelles? L'Etat, ou une association d'Etats peuvent-ils résoudre le problème? C'est la question suivante qu'il faut se poser. Est-ce que le capitalisme peut sauver l'humanité, par exemple au travers de ses structures politiques, son Etat? J'en doute. Vera Dua, présidente de Groen!, écrivait en mars 2007 sur le site de ce groupe: "On émet à peine moins de CO2 qu'au début des années 1990. Alors qu'il est maintenant clair que dans la période après Kyoto, des efforts encore beaucoup plus importants devront être faits". C'est donc très clair: même la bourgeoisie concède que son protocole "révolutionnaire" de Kyoto n'apporte rien. Et que signifient concrètement ces "efforts beaucoup plus importants"? Payer plus cher les sacs-poubelles, l'électricité et l'eau? Céder une part du salaire de chacun "pour l'environnement"? Les Etats du monde entier peuvent-ils s'unir par-dessus les frontières et former un bloc pour prévenir cette catastrophe? Si les pourparlers entre Etats produisent des résultats au même rythme qu'au récent sommet européen sur le climat, c'est mal parti.
Au sens large, ce problème écologique en revient à poser la question de savoir si le capitalisme peut satisfaire les besoins humains, et donc aussi s'il est capable d'assurer à chacun un environnement sain. S'il existait pour satisfaire les besoins humains, on n'aurait pas en même temps une surproduction de nourriture et des famines, on utiliserait depuis longtemps des moyens de transport non polluants, et on développerait la science dans d'autres directions que la production d'armes de haute technologie, particulièrement polluantes.
La dernière question, peut-être la plus importante à laquelle il faudrait répondre est: quelle alternative à la société capitaliste, qui semble être à l'origine de cette misère écologique? Le débat est ouvert.
Différents participants ont montré par de nombreux exemples qu'effectivement, déjà avec le niveau actuel de la science et de la technologie, beaucoup de choses sont possibles avec des conséquences beaucoup moins nuisibles. C'est ainsi entre autres qu'on a parlé de projets spectaculaires mis en oeuvre dans différentes parties du monde par un bureau d'architectes de New York. Mais la discussion a rapidement montré qu'aujourd'hui, de telles expériences ne voient le jour qu'à la condition de mener à un profit suffisant. Dans un certain nombre de cas, ces projets ne servent qu'à donner une image de "bonne volonté" ou comme vitrine prestigieuse pour pallier la mauvaise réputation d'entreprises polluantes (par exemple, Shell, Nike, Monsanto). Mais cette discussion a révélé qu'implicitement, sur le plan scientifique et technologique, les jalons d'une autre manière de produire et de vivre sont présents. Les intervenants étaient d'accord que la seule entrave à la réalisation de cette alternative était celle du capitalisme et des lois du marché, pas les limites de la technologie ou de la science.
Rapidement, la discussion a tourné autour de la question "Quelles sont alors les causes? La nature humaine? L'individu? Le capitalisme?". Le Rapport de Paris désigne l'homme et l'individu consommateur comme un pollueur: "chacun participe à la problématique (voiture, sacs plastiques, chauffage...)", c'est comme ça qu'il pose le problème. Mais tout est individualisé, bâti selon les règles de la concurrence mortelle, et n'a donc pas de solution individuelle, ont répondu les participants. Ce rapport n'apporte qu'un sentiment de culpabilité.
Différents intervenants ont essayé de montrer qu'effectivement, l'homme modifie son environnement, la nature, et que les modifications climatiques ne sont pas seulement un phénomène naturel, mais sont de plus en plus provoqués par l'activité humaine. Ce n'est pas nouveau. Auparavant, nous connaissions le développement de l'élevage et de l'agriculture, la croissance des grandes villes, accompagnée d'une déforestation massive, jusqu'à 60 % de la surface boisée de la planète, surtout aux dix-huitième et dix-neuvième siècles. Mais si dans le temps les conséquences demeuraient limitées -bien que beaucoup de maladies y trouvent leur explication- elles sont actuellement devenues incontestables à grande échelle dans le monde entier. Lorsque le système a entamé sa phase de décadence au début du vingtième siècle, les ravages sur le milieu naturel ont pris toutes autres dimensions. Ils deviennent impitoyables, comme est impitoyable la lutte que se livrent entre eux les rats capitalistes pour se maintenir sur le marché mondial. Réduire les coûts de production au minimum pour être aussi concurrentiel que possible devient une règle incontournable pour survivre. Dans ce contexte, les mesures visant à endiguer la pollution industrielle deviennent naturellement un surcoût inacceptable. Le capitalisme ne s'est jamais beaucoup préoccupé du bien-être de la planète ou de l'humanité, mais avec sa décadence historique, c'est devenu beaucoup plus grave et le processus s'accélère. L'accumulation de capital est le premier but de la production capitaliste, et le sort imposé à l'humanité ou à l'environnement n'a aucune importance... tant que ça rapporte, c'est bon. Le reste est finalement quantité négligeable, un détail sans importance. Un participant cite Marx à ce propos: "L'accumulation pour l'accumulation, la production pour la production, c'est le mot d'ordre de l'économie politique qui annonce la mission historique de la période bourgeoise. Et elle n'a jamais été freinée par les souffrances qui accompagnent la production de richesse: à quoi serviraient ces lamentations qui ne changent quand même rien à ces nécessités historiques inévitables?" (Karl Marx, Le Capital - Livre I).
Un aspect largement abordé est la question de savoir si le drame écologique pourrait être le moteur d'une prise de conscience à l'échelle mondiale. D'une part, certains ont argumenté que la frustration pouvait être retournée dans un sens positif: "ce n'est plus possible de continuer, mais il y a des solutions". L'ensemble de l'humanité est concerné sur toute la planète, c'est un ennemi commun. Et donc, il y a une très grande base possible pour l'alternative. Mais, ont répondu d'autres, les campagnes idéo-logiques qui sont menées actuellement à grand bruit vont à l'encontre de la prise de conscience du fait que le capitalisme en est le responsable. Elles ont pour but d'empêcher que le problème du changement climatique soit mis en rapport avec les autres désastres sur le plan mondial: la faim, la guerre, le flux des réfugiés, les maladies, la crise de surproduction. Avec les campagnes autour de l'actuelle menace, la bourgeoisie tente, exactement comme elle l'a fait dans les années 1950 à 1990 autour de la menace atomique, de diffuser le message selon lequel "si on résout cette question, il n'y a plus de problème". Ainsi, le système de production capitaliste, avec ses excès impérialistes et leurs effets destructeurs n'est pas remis en question. En fait, assez paradoxalement, le problème est exploité pour exiger des sacrifices, non de la part de la bourgeoisie, mais de celle de la classe ouvrière. Sous différentes formes, des mesures d'austérité et des impôts "pour l'environnement" sont mis en œuvre par des moyens détournés (journée pull-overs, dimanches sans voiture, journée du vélo, taxe sur les vieilles voitures, sur les sacs plastique, sur le chauffage...). Mais ce n'est pas tout. La problé-matique est également utilisée dans la bataille concurrentielle avec d'autres pays. Ainsi, on essaye d'imposer des normes écologiques à la Chine pour protéger ses propres marchés. Ou de justifier l'action militaire au nom de la pollution, comme au Kosovo, où une usine importante a été fermée. Sur le plan de la débâcle nucléaire aussi, on voit chaque Etat défendre ses propres intérêts loin d'un plan général d'ensemble. Enfin, il a été mentionné qu'on voyait même l'émergence d'une espèce de tourisme des catastrophes. Le Canada ouvre de nouvelles voies de communication suite à la fonte des neiges, diverses firmes essaient de doper leurs profits grâce à l'étiquette "ceci est écologique".
La participation active au débat de la majorité des participants a fait qu'il ne restait plus de temps pour une discussion approfondie sur les alternatives et les solutions durables. La plupart étaient d'accord sur la nature et la gravité des problèmes, et aussi avec l'analyse globale. Et surtout, tous étaient d'accord que la création d'une société centrée sur l'homme et son avenir est devenu un besoin urgent. Beaucoup des intervenants ne voyaient par contre pas clairement par où commencer la transformation de cette société. Dans la conclusion, le CCI a donné quelques orientations sur ce plan, et les personnes présentes ont demandé d'organiser une prochaine discussion sur le sujet.
Lac / 9.4.07
A peine les 3000 licenciements à VW Forest et les milliers d'autres chez les sous-traitants, ainsi que les hausses de productivité et les baisses de salaire pour les 2200 travailleurs "qui ont la chance de rester chez VW" étaient-ils réglés qu'une nouvelle attaque de grande envergure est déclenchée dans le secteur automobile : 1400 licenciements sur les 4500 ouvriers à l'usine GM d'Anvers. Et encore et toujours, les mêmes magouilles syndicales pour désarmer toute velléité de résistance et pour détourner les ouvriers d'une réflexion sur la véritable signification de cette catastrophe sociale :
- le nationalisme : ils font tout pour opposer les travailleurs des différents sièges : "Les Allemands d'Opel, les Britanniques de Vauxhall, les Suédois de Saab se sont mis d'accord sur le dos des Belges" (De Morgen, 19.04.07) ;
- le corporatisme : pendant des années, les syndicats ont fait croire aux ouvriers qu'ils étaient "les meilleurs de la classe" et que s'ils modéraient leurs exigences et acceptaient la flexibilité, GM Anvers échapperait aux restructurations. Aujourd'hui encore, ces mêmes syndicats appellent les ouvriers à montrer qu'ils sont les meilleurs en ne faisant pas grève mais en travaillant encore plus dur et en faisant confiance aux négociateurs syndicaux qui négocieront ‘le meilleur plan possible pour l'usine' ;
- l'isolement : lors de la grève à VW Forest encore, les syndicats appelaient à garder leur distance envers les ‘têtes brûlées' de VW et de se limiter à une solidarité de parole. Et aujourd'hui, ils expliquent clairement comment ils conçoivent la solidarité, exactement comme l'entend la bourgeoisie, le partage des sacrifices dans la logique des contraintes économiques : "Il est réconfortant que le front syndical de l'ensemble des sièges d'Opel a réussi à empêcher la fermeture d'une usine complète. (...) Chacun des sièges porte une partie de l'effort d'assainissement. Ce n'était absolument pas le cas à VW, où il n'était pas question de solidarité transfrontalière" (H. Jorrissen, président du syndicats des métallos socialiste, De Standaard, 18.04.07)
En réalité, patronat, syndicats et gouvernement ont ensemble planifié et accompagné les attaques, en imposant d'abord les 1000 licenciements chez Gevaert, en ‘isolant' ensuite le cas VW pour le ‘régler', pour frapper enfin les ouvriers de GM, alors qu'ils savaient pertinemment depuis des mois ce que la direction internationale de GM concoctait. Et aujourd'hui, ils joignent leur force pour convaincre les travailleurs qu'il n'y a rien à faire contre les lois naturelles de l'économie, pour cacher combien ces mesures sont l'expression d'une faillite de plus en plus manifeste du mode de production capitaliste.
Si la bourgeoisie est forcée par l'impasse économique de frapper de plus en plus fort, dans le même temps, les expressions de colère et de combativité se multiplient au sein de la classe ouvrière. Les travailleurs n'attendent plus les mots d'ordre syndicaux mais partent spontanément en grève : dans les transports publics wallons et bruxellois, à la SNCB ou chez les services de sécurité et les pompiers de Zaventem, dans les diverses entreprises de sous-traitance auprès de l'usine Ford à Genk enfin, où plusieurs centaines de travailleurs sont partis en grève, à SML (moteurs) d'abord, rejoints ensuite par ceux de Lear (sièges), IAC (tableaux de bord) et TDS (pièces détachées).
En règle générale, les syndicats s'empressent dans la période actuelle de reconnaître les mouvements pour arriver à nouveau à les contrôler. Face à la situation extrêmement tendue dans l'automobile toutefois, les syndicats se sont opposés frontalement à "l'irresponsabilité" du mouvement chez les sous-traitants de Ford, alléguant cyniquement que cela impliquait "non seulement une perte économique pour Ford mais que c'était en plus mauvais pour son image de marque" (H. Jorrissen, DM, 18.04.07). La vigilance et la nervosité de la bourgeoisie et de ses syndicats s'expliquent par le fait qu'elle sait parfaitement que ces cas ne sont pas des problèmes locaux, ni même régionaux ou nationaux. Comme le montre le texte ci-dessous, c'est partout dans les pays industrialisés que les attaques pleuvent et que les syndicats sont au premier rang pour saboter le développement de la résistance ouvrière.
Licenciements, suppressions d'emplois, fermeture d'usines, précarisation, délocalisations... : de plus en plus de salariés subissent la terrible réalité de l'accélération de la crise capitaliste . Ce sont les mêmes attaques, en Europe pour le groupe EADS-Airbus , à Alcatel-Lucent, Volkswagen, Deutsche Telekom, Bayer, Nestlé, Thyssen Krupp, IBM, Delphi... et sur le continent américain, avec Boeing , Ford, General Motors, Chrysler... Ces plans désormais à l'échelle mondiale, sont de plus en plus massifs et ne touchent plus seulement des secteurs en perte de vitesse ou archaïques, mais des secteurs de pointe comme l'aéronautique, l'informatique, l'électronique... Ils ne concernent plus seulement les petites et moyennes entreprises, mais s'étendent à tous les grands groupes leaders de l'industrie et leurs sous-traitants, ils ne se limitent plus aux ouvriers sur les chaînes de production mais visent aussi les ingénieurs, les cadres commerciaux, les secteurs de la recherche.
Chaque Etat, chaque dirigeant d'entreprise sait bien que cette situation pousse tous les salariés, du privé comme du public où les prolétaires subissent exactement le même sort à se poser de plus en plus de questions, angoissés sur l'avenir qui leur est réservé et encore davantage sur l'avenir de leurs enfants. Il est de plus en plus évident que les prolétaires de tous les pays sont embarqués dans ce même bateau qui prend l'eau de toutes parts. Dans ce contexte inédit, la préoccupation principale de la bourgeoisie n'est pas seulement de tenter de colmater les brèches béantes qui s'ouvrent dans son système mais aussi de gagner du temps, d'empêcher les prolétaires de prendre conscience de cette réalité.
C'est pourquoi les syndicats dont la fonction spécifique au sein de l'appareil d'Etat est d'encadrer et de contrôler la classe ouvrière prennent partout les devants et occupent le terrain social pour couper l'herbe sous le pied de toute tentative de mobilisation unitaire des ouvriers face à ces attaques massives et frontales. Leur tâche essentielle aujourd'hui est de prendre le contrôle de la lutte pour faire passer ces attaques en entretenant la concurrence et la division des ouvriers par atelier, par site, par entreprise, par secteur, par pays .
Les syndicats, le gouvernement, la direction, toute la classe politique et les médias ont polarisé l'attention sur les 10 000 suppressions d'emplois à Airbus (jusqu'ici présenté comme un fleuron "prospère") où ils ont multiplié les manœuvres pour organiser la division des ouvriers entre eux, disperser leur colère et défouler leur combativité.
Ainsi, les syndicats français ont commencé par faire croire qu'ils n'étaient pas au courant de ce qui se tramait, qu'ils défendaient les emplois et les intérêts des ouvriers alors que pendant des mois, ils étaient pleinement associés au fameux plan Power 8. En effet, la direction avait créé pour cela "un comité de pilotage" constitué de la Direction des Ressources Humaines et des syndicats, afin justement de "se préparer à tout impact social que ses mesures pourraient avoir" (d'après une note de la direction à l'intérieur de l'usine de Toulouse-Blagnac). Les syndicats ont tous tenu le même langage, celui de minimiser l'attaque au moment où elle était dans sa phase préparatoire, s'inscrivant pleinement dans les mensonges de la direction et des différents Etats concernés. Ensuite, ils ont fait reprendre le travail aux ouvriers à Méaulte qui étaient partis spontanément en grève 48 heures avant l'annonce officielle du plan Power 8 en prétendant que l'usine ne serait pas revendue, alors que la direction faisait savoir ensuite qu'aucune décision n'était pour l'instant arrêtée sur le sujet.
Suivant les usines, s'adaptant à chaque situation particulière, les syndicats ont organisé la division, comme à Toulouse, entre les secteurs touchés et ceux épargnés. Plus fort encore, pendant des mois, ils ont martelé l'idée selon laquelle, si Airbus est dans cette situation, c'est "la faute aux Allemands". En Allemagne, le discours syndical était parallèle : "C'est la faute aux Français". Aussi, les syndicats n'ont cessé d'exalter le "patriotisme économique". Dans un tract du 7 mars cosigné par FO-Métaux (syndicat largement majoritaire à Toulouse), la CFE-CGC (syndicat des cadres) et la CFTC, ils déclarent par exemple : "C'est tout l'intérêt de l'économie française, locale et régionale qui est en jeu (...) Restons mobilisés (...) pour défendre Airbus, nos emplois, notre outil de travail, nos- compétences et notre savoir-faire au bénéfice de toute l'économie locale, régionale et nationale." Cette répugnante propagande poussant les ouvriers à se rallier à la logique concurrentielle du capital se retrouvait déjà lors d'une mobilisation des syndicats des différents pays d'Europe où sont implantées les usines Airbus : "Défendons notre outil de travail ensemble, salariés Airbus, sous-traitants de tous les sites d'Airbus d'Europe" (tract commun à tous les syndicats du 5 février 2007).
Après les manifestations du 6 mars, ils ont fait miroiter une riposte européenne pour le 16 et annoncé une grande manifestation à Bruxelles pour ensuite l'annuler trois jours avant en la remplaçant par des manifestations toujours présentées comme une "journée de mobilisation européenne" mais limitée aux salariés d'Airbus et éparpillées sur les différents sites locaux . Et le pompon était à voir du côté de Toulouse où les syndicats ont cueilli les ouvriers à la sortie de l'usine dans des bus de ramassage pour les amener dans un lieu de rassemblement totalement excentré et les faire marcher jusqu'au siège de Blagnac où les attendait une nuée de caméras de télé pour médiatiser à fond "l'événement". Sitôt arrivés là, on les faisait remonter dans les bus pour regagner l'usine et reprendre le travail1 .
Les syndicats comme l'ensemble de la bourgeoisie ne tenaient certainement pas, dans ce contexte d'attaques tous azimuts, à voir une large mobilisation ouvrière à l'échelle européenne où les ouvriers pouvaient se rassembler, se rencontrer entre eux, discuter et échanger leurs expériences.
Il n'était pas question non plus pour les syndicats que la manifestation à Paris des salariés d'Alcatel-Lucent pour dénoncer le plan de restructuration du groupe qui prévoit 12 500 suppressions de postes, dont au moins 3200 en Europe, d'ici 2008, soit organisée en même temps. C'est pourquoi elle a été appelée la veille, le 15 mars. Elle se présentait comme unitaire et européenne, mais il n'y avait que 4000 personnes, venues de tous les sites français touchés, en particulier de Bretagne, mais aussi de pays voisins avec des délégations symboliques exclusivement syndicales d'Espagne, d'Allemagne, des Pays-Bas, de Belgique, d'Italie. Elles étaient d'ailleurs noyées dans une forêt... de drapeaux bretons et la manifestation cadencée au son du biniou ! Dans une série de plus petites grèves en France comme à Peugeot-Aulnay, c'est sur des hausses salariales que les syndicats ont entraîné les ouvriers dans une grève longue et exténuante. Tandis qu'à l'usine Renault du Mans, 150 ouvriers ont été entraînés derrière la CGT dans une grève restée très minoritaire contre un nouveau contrat de flexibilité signé par les autres syndicats. Cependant, quand on sait que PSA comme Renault s'apprêtent à annoncer à leur tour prochainement des plans de licenciements, on s'aperçoit que ces grèves et ces actions lancées par les syndicats n'ont pour but réel que d'épuiser au maximum auparavant la combativité ouvrière pour faire passer ces attaques. De même, si les enseignants ont été appelés à une énième journée d'action le 20 mars, c'est avec le même objectif de les épuiser pour leur imposer plus facilement ensuite toutes les attaques dont ils sont la cible.
Les ouvriers n'ont aucun intérêt commun à défendre avec leur bourgeoisie, par contre la situation les pousse à reconnaître les intérêts qu'ils ont en commun face aux mêmes attaques (massives et simultanées) auxquelles ils sont partout confrontés. Une telle situation favorise le développement de questionnements, de réflexions, qui posent de plus en plus clairement les besoins d'extension de la lutte, d'unité et de solidarité au sein du prolétariat qui seront les clés des luttes à venir. Même si les syndicats parviennent à l'heure actuelle à imposer sans obstacle visible leurs manœuvres de sabotage, de division, d'isolement, d'enfermement des prolétaires, ils sont appelés à se discréditer de plus en plus ouvertement aux yeux de la classe ouvrière. C'est aujourd'hui que mûrissent les conditions qui permettront demain aux ouvriers dans leurs luttes de discuter ensemble, de se rassembler, de confronter leurs expériences, de s'organiser eux-mêmes en dehors des syndicats et au-delà des frontières nationales.
Wim / 24.03.07
1 Le lendemain, Libération du 17 mars titrait son article : "Radicalisation jamais vue contre la direction de l'avionneur - Airbus : les salariés de tous les pays se sont unis".
Ces dernières semaines, les élections fédérales belges du 10 juin constituent le sujet central des médias. Ceux-ci consacrent de larges commentaires au "Waterloo des socialistes", aussi bien en Wallonie (-20% de sièges) qu'en Flandres (-30% de sièges) et spéculent largement sur la future coalition, pointant la victoire des sociaux-chrétiens dans le Nord et des libéraux dans le Sud du pays. Une thématique est toutefois soigneusement évitée, pendant la campagne tout comme dans les commentaires actuels à propos des résultats : la question sociale, celle des conditions de vie et de travail de la classe ouvrière.
Pour ce faire, la campagne électorale même avait essentiellement été présentée comme un combat entre personnalités : en Flandres, le ‘citoyen électeur' était appelé à choisir entre la continuité du premier ministre sortant, le libéral G. Verhofstadt et sa politique « éthique progressiste» (mariage homosexuel, loi sur l'euthanasie, ...) ou le changement proposé par son challenger, le chrétien démocrate Y. Leterme, actuel ministre président de la région flamande, qui met l'accent sur la «bonne gouvernance» et la «solidarité ... avec les plus faibles». En Wallonie, les projecteurs étaient pointés sur le combat de coqs entre le représentant de l'Etat-PS wallon corrompu, le ministre président wallon E. Di Rupo, et son challenger, le ministre de l'économie libéral, admirateur de Sarkosy, D. Reynders. Tout était donc fait pour ne pas polariser sur des «questions épineuses»: les rationalisations et les fermetures, l'accroissement des cadences et de la flexibilité, le recul systématique du niveau de vie, la politique d'austérité et le démantèlement progressif de « l'Etat social », etc. Sur toutes ces questions, les débats sont restés particulièrement discrets et pour cause : il y a une profonde unanimité parmi l'ensemble des partis sur cette politique et le futur gouvernement, quelle que soit sa composition, se situera, sur ce plan-là, dans la parfaite continuité du précédent.
Quel est alors le sens des bouleversements politiques pointés par les médias ? Pour mener cette politique dans un contexte mondial marqué par un pourrissement croissant des structures sociétales, la bourgeoisie tend à mettre aux commandes de l'Etat ses partis les plus stables. Or, les deux «familles» du gouvernement ‘pourpre' avaient montré ces dernières années une fragilité et une instabilité gênantes : du côté des libéraux, le parti flamand a été secoué par des dissidences internes et a même connu une scission à sa droite, la liste Dedecker qui obtient plus de 6,5%des votes. La famille socialiste, quant à elle, est secouée par des scandales de cor-ruption dans le PS wallon qui voit les clans s'affronter. Il n'est donc pas étonnant que la bourgeoisie fasse remonter aux affaires son vieux parti social-chrétien, représentant fidèle des intérêts de l'Etat belge depuis sa création et rajeuni au cours des 8 années de purgatoire. En outre, cela permettrait aux partis socialistes, durement éprouvés par 20 ans de participation gouvernementale ininterrompue, de se refaire une santé dans l'opposition.
Il y a une autre raison, permettant de comprendre le battage médiatique autour du «changement politique» ; l'idée que le citoyen «peut faire entendre sa voix par les urnes » constitue en effet une illusion cruciale pour entretenir la crédibilité de la démocratie bourgeoise. "Tous les hommes naissent libres et égaux en droit" comme cela est gravé dans le marbre de la déclaration universelle des droits de l'homme. Pour ce faire, chaque citoyen a un droit inaliénable, celui de voter. Cette idéologie peut se résumer en une simple équation : un individu = un vote. Cependant, cette belle déclaration de principe n'est que virtuelle. Dans le monde réel, les hommes sont tout sauf égaux. Dans le monde réel, la société est divisée en classes. Au-dessus et dominante, tenant les rênes, il y a la bourgeoisie; en dessous, il y a toutes les autres couches de la société et en particulier la classe ouvrière. Dans la pratique, cela signifie qu'une minorité détient l'Etat, les capitaux, les médias... La bourgeoisie peut ainsi imposer au quotidien ses idées, sa propagande : l'idéologie dominante est l'idéologie de la classe dominante. Et le rouleau com-presseur médiatique passe et repasse sur le corps électoral. Pas une seule minute la propagande ne cesse. Ce bourrage de crâne n'est pas nouveau, le premier congrès de l'Internationale communiste affirmait déjà en 1919: "[la liberté de la presse] est un mensonge, tant que les meilleures imprimeries et les plus gros stocks de papier sont accaparés par les capitalistes [...]. Les capitalistes appèlent liberté de la presse la faculté pour les riches de corrompre la presse, la faculté d'utiliser leurs richesses pour fabriquer et pour soutenir la soi-disant opinion publique" (Thèses sur la démocratie bourgeoise et la dictature prolétarienne présentées par Lénine le 4 mars 1919).
Si l'invariabilité de la politique de défense des intérêts de la bourgeoisie nationale est le programme profond de tout gouvernement national, la propagande électorale est justement là pour cacher cette vérité toute crue en faisant croire à l'éventualité d'une alternative: "oui, une autre politique est possible... à la condition de bien voter". Mensonges et poudre aux yeux! Qu'il s'agisse d'un nouveau gouvernement ‘bleu-romain', comme lorsqu'il s'agissait du gouvernement ‘pourpre' de Verhofstadt ou du gouvernement ‘rouge-romain' de Dehaene à la fin des années '90, ces gens-là appartiennent bel et bien à la même famille... la bourgeoisie. Les différences qui séparent les partis bourgeois ne sont rien en comparaison de ce qu'ils ont en commun : la défense du capital national. Pour ce faire, ils sont capables de travailler très étroitement ensemble, surtout derrière les portes fermées des commissions parlementaires et aux plus hauts échelons de l'appareil d'Etat. Et s'ils débattent et gesticulent dans l'hémicycle devant les caméras pour feindre l'indignation face à telle ou telle mesure, tel ou tel mot "déplacé" d'un autre député, c'est uniquement pour faire croire à l'intensité de la vie démocratique, pour entretenir la crédibilité de la démocratie bourgeoise.
Que la réalité sociale est bien différente de la mystification électorale est illustrée d'une part par les restructurations (Opel Anvers, La Poste, Johnson Control, ...) et d'autre part par les luttes ouvrières (postiers, employés communaux, ouvriers d'entreprises de pièces détachées pour l'automobile, ...) qui se sont multipliées pendant la campagne électorale même. Ces mouvements contrastés, exprimant la combativité, parfois aussi encore le désarroi face à l'absence d'alternative, se situent sur le véritable terrain de la défense des intérêts ouvriers face aux attaques et expriment, encore souvent de façon hésitante, le développement d'une réflexion au sein de la classe sur la manière de mener la lutte et les perspectives à mettre en avant au sein de celle-ci. Ces combats, qui partent souvent spontanément, sont difficiles car, s'ils sont systématiquement reconnus par les syndicats, c'est dans le but de mieux les saboter, en les isolant et en les étouffant dans des actions ou des revendications sans perspectives. Plus que jamais, l'orientation des luttes doit donc être la recherche de la solidarité, la mise en oeuvre de mouvements massifs, la réflexion sur les perspectives à mettre en avant face à la faillite du système, et non pas le terrain électoral où la classe ouvrière n'a rien à gagner. La bourgeoisie y transforme les ouvriers en citoyen-électeur, elle les dilue dans la masse de la population, les isole les uns des autres. Seuls et donc impuissants, elle peut ainsi leur bourrer le crâne à sa guise.
Jos / 12.06.07
Nous publions ci-dessous le courrier d'un lecteur du Brésil, qui sympathise avec les politiques entreprises par Chavez (et Lula) en faveur des couches les plus nécessiteuses. Ces manifestations de sympathie envers le chavisme sont chaque fois plus fréquentes, comme nous pouvons le voir dans nos réunions publiques et sur les forums où nous intervenons. Elles sont l'expression d'une véritable préoccupation pour la situation de paupérisation que subissent les couches les plus nécessiteuses (parmi lesquelles des millions de prolétaires) et du rejet de l'horrible politique impérialiste des Etats-Unis. Ainsi, beaucoup voient en Chavez et son « socialisme du 21e siècle » une issue de secours pour dépasser la pauvreté et affaiblir l' « impérialisme yankee ». Dans notre réponse, nous tenterons de montrer au camarade que les « phénomènes » Chavez, Lula, Evo Morales, Correa, etc., ne sont que l'expression de la montée au pouvoir de fractions de la bourgeoisie sud américaine capables de surfer sur les thèmes de la « gauche sociale » et les aspirations au changement des populations pour accentuer la précarité et la paupérisation.
En tant que citoyen du continent sud- américain, je vois avec méfiance autant de critiques au chavisme, qu'elles soient de droite ou de gauche. Chavez (de même que Lula au Brésil) est un leader originaire des classes économiques les plus basses et le démontre dans son discours et sa pratique ; il désire une situation meilleure pour les couches les plus nécessiteuses et moyennes du Venezuela. Il a fait face à un coup d'État bourgeois et il est retourné, dans les bras du peuple, au gouvernement. Qu'il soit populiste ou non, qu'importe puisqu'il réalise les rêves de son peuple ? Jusqu'ici, beaucoup de ses politiques ont été d'une extrême cohérence et courageuses. S'affronter au géant mondial est une lutte de David contre Goliath et, vous savez, ce n'est pas une chose facile. D'autres leaders récents du continent lui donnent la main : Evo Morales et Raphael Correa. La Chine augmente considérablement ses relations avec le Venezuela. Alors... tirez vos propres conclusions.
Salutations !
F.
Cher F.
Il est vrai que Chavez dans son discours affirme « désirer une situation meilleure pour les couches les plus nécessiteuses et moyennes du Venezuela » (il en va de même pour les autres chefs d'État comme Lula, Morales, Correa, et même ce « diable » de Bush vis-à-vis de leurs populations respectives) ; cependant dans la pratique nous constatons qu'il y a un écart chaque fois plus grand entre le discours et la réalité. Derrière la propagande insidieuse du chavisme (tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du Venezuela) qui exalte les « succès » de la « révolution bolivarienne » en faveur des pauvres, ce qui existe en réalité c'est une paupérisation croissante des prolétaires et des couches les plus nécessiteuses, y compris des couches moyennes ; tandis que les nouvelles élites du chavisme perçoivent des revenus faramineux (dans plusieurs cas supérieurs à dix mille dollars par mois, jusqu'à cinquante fois le salaire minimum perçu par un travailleur) et font des affaires juteuses en jouissant des bienfaits de la rente pétrolière désormais entre leurs mains.
Cet écart entre le discours et la réalité n'est pas propre au chavisme, mais fonde le comportement hypocrite qui caractérise la classe dominante envers les masses exploitées , qu'elle doit contrôler en créant en leur sein l'espoir qu'il est possible de dépasser leur situation de pauvreté tout en conservant les bases du système capitaliste. C'est la raison pour laquelle le folklore chaviste n'a pas fait disparaître mais a bien au contraire réussi à réaffirmer cette tendance naturelle du capitalisme à concentrer la richesse dans quelques mains et à condamner une masse toujours plus grande de la population à vivre dans la pauvreté absolue.
Il est nécessaire de clarifier le rôle que joue Chavez comme leader « originaire des classes économiques les plus basses ». Le fait qu'un leader ou un gouvernement soit d'extraction « populaire », voire prolétarienne, ne signifie certainement pas que ce dernier est forcément un « protecteur des plus déshérités » et donc non assimilable à la classe dominante et son Etat. L'histoire est pleine d'exemples d'individus de cette sorte qui ont été d'une très grande utilité pour les classes dominantes, précisément dans des moments de crise aiguë : Lech Walesa en Pologne (dans les années 1980) et Lula au Brésil, par exemple. Ces deux « leaders ouvriers » ont rendu et rendent encore un service inestimable à la bourgeoisie de leur pays respectif. Chavez, fils d'instituteur, est devenu lui aussi un auxiliaire de la bourgeoisie vénézuélienne. Le fait que le fils d'un ouvrier ou le fils d'une illustre famille bourgeoise soit à la tête de l'État ne change rien à l'affaire ; l'un ou l'autre, en assumant la responsabilité de chef d'État devient inévitablement le plus haut gestionnaire de l'organe de domination du capital national (étatique et privé) et, comme tel, lui et ses acolytes s'intègrent à la classe exploiteuse.
Le surgissement des « phénomènes » Chavez, Lula, Kirchner et plus récemment Morales en Bolivie et Correa en Equateur est dû à l'épuisement quasi-généralisé des partis sociaux-démocrates et sociaux-chrétiens qui gouvernaient jusqu'à la décennie 1990 et qui, soumis à la décomposition et à la sclérose politique, ont rencontré de sérieuses difficultés pour contrôler les crises politiques et ont engendré de nouvelles formes idéologiques pour contrer le malaise social. Ces leaders, en s'appuyant sur leur charisme et leur origine populaire, ont capitalisé le malaise des prolétaires et des exclus, en développant des politiques populistes qui leur permettent de canaliser les « rêves de leur peuple » en faveur des intérêts du capital national. Ces nouveaux leaders sont les nouveaux administrateurs de la précarité.
Quand nous parlons de « politiques populistes », nous ne le faisons pas en termes péjoratifs, comme le font les secteurs de la bourgeoisie qui s'opposent à ces nouveaux leaders du capital ; mais nous nous référons aux gouvernements qui ont surgi en Amérique latine et dans d'autres pays de la périphérie, comme celui de Peron en Argentine (1946-1955), ou celui de Getulio Vargas au Brésil (1930-1954), entre autres, à ceux qui exacerbent les illusions des « déguenillés », précisément dans des périodes de crises aiguës du gouvernement de la bourgeoisie nationale.
Aucun de ces gouvernements n'a pu résorber la pauvreté des masses qui ont mis en eux leurs espoirs, et leur remplacement par d'autres gouvernements tout aussi bourgeois n'a rien changé sauf plonger ces masses encore plus dans l'attente d'un autre Messie qui fera revivre leurs « rêves ». C'est et ce sera le drame des couches miséreuses tant que le prolétariat ne se placera pas à la tête des mouvements sociaux et, à travers sa lutte révolutionnaire, ne dépassera pas les causes de la paupérisation et de la précarité, lesquelles se trouvent dans le fonctionnement propre du mode d'exploitation capitaliste.
Il est indiscutable que Chavez s'affronte au « géant mondial » et nous savons que cette lutte de « David contre Goliath » n'est pas « chose facile ». Mais cette lutte contre l'impérialisme nord-américain n'est rien de plus que la lutte pour renforcer le « petit » impérialisme vénézuélien dans la région, qui utilise le pétrole (de la même manière que les Etats-Unis utilisent leur pouvoir économique et militaire) comme arme de chantage et de pression, pour se renforcer au niveau géopolitique. De même que la politique impérialiste des Etats-Unis se fait au détriment du prolétariat et de la population nord américaine, la politique impérialiste de la bourgeoisie vénézuélienne (avec à sa tête le secteur chaviste), se fait au détriment des conditions de vie des couches sociales que le chavisme prétend défendre. La part du budget national dédiée aux forces armées, à l'achat d'armements (qui tôt ou tard seront utilisés contre la population vénézuélienne ou d'un autre pays de la région) est actuellement supérieure à celle destinée à la prétendue « dépense sociale ».
L' « anti-impérialisme yankee » a servi durant plus d'un siècle à cacher les ambitions des bourgeoisies de la région qui s'opposent à la bourgeoisie nord-américaine, puisque ces dirigeants sud-américains veulent être naturellement les uniques exploiteurs des forces productives de leurs pays respectifs. En ce sens, les « conseils » de la bourgeoisie cubaine à Chavez ne sont pas fortuits : l' « anti-impérialisme yankee » a servi cette dernière pour soumettre le prolétariat et la population cubaine à l'exploitation et à justifier tous les sacrifices pendant plus de quarante ans. Il est pour le moins contradictoire que malgré la confrontation « radicale » de Chavez aux Etats-Unis, ces derniers restent le principal associé commercial du Venezuela. Le prolétariat doit combattre tout impérialisme, qu'il soit grand ou petit.
En ce qui concerne le retour de Chavez au pouvoir depuis le « coup d'État bourgeois », il faut clarifier que ce retour au pouvoir ne s'est pas fait précisément « dans les bras du peuple », mais dans les bras des militaires loyaux, après s'être libéré des militaires qui l'ont renversé. Ces derniers ont décidé de capituler lorsqu'ils ont constaté l'énorme faiblesse des secteurs de la bourgeoisie qui étaient à la tête du coup d'État contre Chavez, lequel est revenu au pouvoir deux jours après. Le chavisme a tiré le plus grand bénéfice de cet événement lorsqu'il s'est présenté non seulement comme une victime des secteurs favorables au coup d'Etat, mais aussi du gouvernement nord-américain qui d'une certaine manière a appuyé le coup d'État en ne le condamnant pas. S'il est certain qu'une partie du « peuple » a crié et même a pleuré pour le retour de Chavez, la décision des événements était dans les mains des forces armées, qui en dernière instance décident dans des moments comme ceux-là à quelle fraction de la bourgeoisie il faut laisser le pouvoir. Le retour de Chavez « dans les bras du peuple » fait partie de la mythologie qu'il a lui-même créée pour se couvrir d'une auréole afin de tromper les masses qui lui ont accordé leur confiance ; mythologie que les secteurs altermondialistes de la région et du monde, vénèrent et à laquelle il font de la belle publicité.
Enfin, nous voulons mettre en évidence, et on peut le voir dans notre réponse, que notre critique ne se situe pas dans le spectre de celles qui sont faites du point de vue de la droite ou de la gauche, que nous considérons comme des forces politiques complémentaires qui défendent les intérêts de la bourgeoisie. Elle se situe sur un autre terrain, celui de la Gauche communiste.
Camarade F., nous t'invitons à débattre des questions posées ici puisque nous considérons que c'est un moyen de prendre confiance dans la perspective du socialisme révolutionnaire.
Fraternellement,
Le CCI
Une vague de grèves a touché de nombreux secteurs en Egypte au début de l'année : dans les usines de ciment, les élevages de volaille, les mines, les secteurs des bus et des chemins de fer, dans le secteur sanitaire, et surtout dans l'industrie textile, les ouvriers ont déclenché une série de grèves illégales contre la forte baisse des salaires réels et les réductions de primes. Le caractère combatif et spontané de ces luttes peut être saisi dans cette description de comment, en décembre de l'année dernière, la lutte surgit au grand complexe de tissage et de filage du nord du Caire Mahalla al-Kubra's Misr, qui a été l'épicentre du mouvement. Cet extrait est issu du texte de Joel Beinin et Hossam el-Hamalawy, "Les ouvriers du textile égyptien s'affrontent au nouvel ordre économique", publié sur les sites "Middle East Report Online" et libcom.org, et basé sur des interviews de deux ouvriers de l'usine, Muhammed'Attar et Sayyid Habib.
"Les 24 000 ouvriers du complexe de tissage et de filage Mahalla al-Kubra's Misr étaient en attente des nouvelles des promesses faites le 3 mars 2006 selon lesquelles le Premier ministre, Ahmad Nazif, aurait décrété une augmentation de la prime annuelle donnée à tous les ouvriers du secteur public industrialisé des 100 livres égyptiennes (17 $) habituelles à une prime de deux mois de salaires. Les dernières augmentations des primes annuelles dataient de 1984 - de 75 à 100 livres.
"Nous avons lu le décret et commencé à en parler dans l'usine" dit Attar. "Même les officiels du syndicat pro-gouvernemental publiait aussi la nouvelle comme une de ses réalisations". Il continue ensuite : "Décembre arriva (période où les primes annuelles sont payées) et chacun était anxieux. Nous nous aperçûmes alors que nous avions été roulés. On ne nous offrait que les même vieilles 100 livres. En réalité 89 livres, pour être plus précis, du fait des déductions (pour les taxes)."
Un esprit de lutte était dans l'air. Les deux jours suivants, des groupes d'ouvriers refusaient d'accepter leurs salaires en signe de protestation. Puis, le 7 décembre, des milliers d'ouvriers de l'équipe du matin commencèrent à s'assembler dans Mahalla's Tal‘at Harb Square, devant l'entrée de l'usine. Le rythme du travail à l'usine avait déjà ralenti mais la production tomba à l'arrêt lorsque 3000 ouvrières du vêtement quittèrent leur poste de travail, et se dirigèrent vers les sections du textile et du filage où leurs collègues masculins n'avaient pas encore arrêté les machines. Les ouvrières crièrent en chantant : "Où sont les hommes ? Voici les femmes !" Honteux, les hommes se joignirent à la grève.
Environ 10 000 ouvriers se rassemblèrent sur la place, criant "Deux mois ! Deux mois !" pour affirmer leur revendication sur les primes promises. La police anti-émeute était rapidement déployée autour de l'usine et dans la ville mais n'engagea pas d'action pour réprimer la manifestation. "Ils étaient impressionnés par notre nombre" dit Attar. " Ils espéraient que cela retomberait avec la nuit ou le lendemain." Avec l'encouragement de la sécurité d'Etat, la direction offrit une prime de salaire de 21 jours. Mais, comme le rappelle en riant Attar, "les ouvrières écharpaient presque tous les représentants de la direction venant négocier".
"Comme la nuit tombait, dit Sayyid Habib, les ouvriers eurent toutes les peines à convaincre les femmes de rentrer chez elles. Elles voulaient rester et dormir sur place. Cela nous prit des heures pour les convaincre de rentrer dans leurs familles et de revenir le lendemain." Souriant large-ment, Attar ajoute : "Les femmes étaient plus combatives que les hommes. Elles étaient sous le coup de l'intimidation de la police anti-émeute sécurité et de leurs menaces, mais elles tenaient bon."
Avant les prières du soir, la police anti-émeute se précipita sur les portes de l'usine. Soixante-dix ouvriers, avec Attar et Habib, y dormaient, où ils s'étaient enfermés. "Les officiers de la sécurité d'Etat nous dirent que nous étions peu nombreux et qu'il valait mieux sortir." dit Attar. « Mais ils ne savaient pas combien d'entre nous étaient restés à l'intérieur. Nous mentîmes en leur disant que nous étions des milliers ». Attar et Habib réveillèrent rapidement leurs camarades et, tous ensemble, les ouvriers commencèrent à frapper bruyamment sur les barreaux d'acier. "Nous réveillâmes tout le monde dans le complexe et dans la ville. Nos téléphones mobiles sortirent des forfaits car nous appelions nos familles et nos amis à l'extérieur, leur demandant d'ouvrir les fenêtres et de faire savoir à la sécurité qu'ils regardaient. Nous appelâmes tous les ouvriers que nous connaissions pour leur dire de se précipiter vers l'usine."
A ce moment, la police avait coupé l'eau et l'électricité de l'usine. Les agents de l'Etat fonçaient vers les gares pour dire aux ouvriers venant de l'extérieur de la ville que l'usine avait été fermée à cause d'un dysfonctionnement électrique. La ruse manqua son objectif.
"Plus de 20 000 ouvriers arrivèrent", raconte Attar. "Nous avons organisé une manifestation massive et fait de fausses funérailles à nos patrons. Les femmes nous apportèrent de la nourriture et des cigarettes et rejoignirent la marche.
Les services de sécurité étaient paralysés. Les enfants des écoles élémentaires et les étudiants des écoles supérieures proches prirent les rues en soutien aux grévistes. Le quatrième jour de l'occupation de l'usine, les officiels du gouvernement, paniqués, offrirent une prime de 45 jours de salaire et donnèrent l'assurance que la compagnie ne serait pas privatisée. La grève fut suspendue, avec l'humiliation d'une fédération syndicale contrôlée par le gouvernement grâce au succès de l'action non-autorisée des ouvriers du filage et du textile de Misr."
La victoire de Mahalla encourageait un certain nombre d'autres secteurs à entrer en lutte, et le mouvement était loin d'être terminé. En avril, le conflit entre les ouvriers de Mahalla et l'Etat est revenu à la surface. Les ouvriers décidaient d'envoyer une importante délégation au Caire pour négocier (!) avec la Fédération générale des syndicats des revendications d'augmentation des salaires et procéder à l'accusation du comité syndicale d'usine de Mahalla pour avoir soutenu les patrons pendant la grève de décembre. La réponse des forces de sécurité du gouvernement fut de mettre l'usine en état de siège. Les ouvriers se mirent alors en grève et deux autres grandes usines de textile déclarèrent leur solidarité avec Mahalla, Ghazl Shebeen et Kafr el-Dawwar. La prise de position de cette dernière était particulièrement lucide :
"Nous, ouvriers du textile de Kafr el-Dawwar déclarons notre pleine solidarité avec vous, pour réaliser vos justes revendications, qui sont les même que les nôtres. Nous dénonçons fortement l'assaut des services de sécurité qui empêchent la délégation d'ouvriers (de Mahalla) d'aller au quartier général de la Fédération générale des syndicats au Caire. Nous condamnons aussi la prise de position de Said el-Gohary (1 ) à Al-Masry Al-Youm dimanche dernier, dans laquelle il décrit votre mouvement comme un ‘non-sens'. Nous suivons avec attention ce qui vous arrive, et déclarons notre solidarité avec la grève des ouvriers de la confection d'avant-hier, et avec la grève partielle dans l'usine de soie.
Nous voulons vous faire savoir que nous les ouvriers de Kafr el-Dawwar et vous ceux de Mahalla marchons dans la même voie, et que nous avons un ennemi. Nous soutenons votre mouvement, parce que nous avons les mêmes revendications. Depuis la fin de notre grève la première semaine de février, notre Comité syndical d'usine n'a rien fait pour réaliser les revendications à l'origine de notre grève. Notre Comité syndical d'usine a blessé nos intérêts... Nous exprimons notre soutien à votre revendication de réformer les salaires. Nous, comme vous, attendons la fin d'avril pour voir si le ministre du travail accédera à nos revendications ou non. Nous ne mettons pas beaucoup d'espoir dans le ministre même si nous n'avons pas vu de mouvement de sa part ou de celle du Comité syndical d'usine. Nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes pour réaliser nos revendications.
Aussi, nous insistons sur le fait que :
1. Nous sommes dans le même bateau que vous, et embarquerons ensemble pour le même voyage.
2. Nous déclarons notre pleine solidarité avec vos revendications et affirmons que nous sommes prêts pour une action de solidarité, si vous décidez d'une action dans l'industrie.
3. Nous allons informer les ouvriers de la soie artificielle, El-Beida Dyes et Misr Chemicals, de votre lutte, et créer des ponts pour élargir le front de solidarité. Tous les ouvriers sont frères aux temps de la lutte.
4. Nous devons créer un large front pour asseoir notre combat contre les syndicats du gouvernement. Nous devons renverser ces syndicats maintenant, pas demain" (Traduit du site internet Arabawy).
Ceci est une prise de position exemplaire parce qu'elle montre la base fondamentale de toute l'authentique solidarité de classe à travers les divisions créées par les syndicats et les entreprises - la conscience d'appartenir à la même classe et de combattre un même ennemi. Elle est aussi extrêmement claire sur le besoin de lutter contre les syndicats.
Des luttes ont aussi surgi ailleurs pendant cette période : les éboueurs de Giza saccageaient les bureaux de la compagnie pour protester contre le non-paiement de leurs salaires ; 2700 ouvriers du textile à Monofiya occupaient une usine de textile ; 4000 ouvriers du textile à Alexandrie se mettaient en grève pour une deuxième fois après que la direction ait tenté de déduire la paie de la dernière grève. Il s'agissait aussi de grèves illégales, non-officielles.
Il y eut également d'autres tentatives de briser le mouvement par la force. La police fermait ou menaçait de fermer le "Centre de services pour les syndicats et les ouvriers" de Nagas Hammadi, Helwan and Mahalla. Ces centres étaient accusés de fomenter "une culture des grèves".
L'existence de ces centres indique qu'il existe clairement des tentatives de construire des syndicats nouveaux. Inévi-tablement, dans un pays comme l'Egypte, où les ouvriers n'ont fait que l'expérience de syndicats qui agissent ouvertement en tant que police de boîte, les ouvriers les plus combatifs sont sensibles à l'idée que la réponse à leur problème tient dans la création de syndicats vraiment "indépendants", de la même façon que les ouvriers polonais en 1980-81. Mais ce qui ressort très clairement de la façon dont la grève a été organisée à Mahalla (à travers les mani-festations spontanées, les délégations massives et les assemblées générales aux portes de l'usine), c'est le fait que les ouvriers sont plus forts lorsqu'ils prennent directement les choses dans leurs propres mains au lieu de remettre leur pouvoir à un nouvel appareil syndical.
En Egypte, les germes de la grève de masse peut déjà se voir - pas seulement dans la capacité des ouvriers à l'action de masse spontanée, mais aussi dans le haut niveau de conscience exprimée dans la prise de position de Kafr el-Dawwar.
Il n'y a pas de lien conscient entre ces évènements et d'autres luttes dans différentes parties du Moyen-Orient subissant les divisions impérialistes : en Israël chez les dockers, les employés du service public et, plus récemment, chez les maîtres d'école en grève pour des augmentations de salaire, et chez les étudiants qui se sont affrontés à la police contre des augmentations des prix de l'enseignement ; en Iran où le Premier Mai des milliers d'ouvriers ont mis en désordre la manifestation gouvernementale officielle en criant des slogans anti-gouvernementaux ou ont pris part à des manifestations non-autorisées et se sont affrontés à une sévère répression policière. Mais la simultanéité de ces mouvements jaillit de la même source : la voie prise par le capital pour réduire la classe ouvrière à la pauvreté partout dans le monde. En ce sens, ils contiennent les germes de la future unité internationale du prolétariat au-delà du nationalisme, de la religion et de la guerre impérialiste.
Amos / 1.5.2007
1) Leader du syndicat des filatures et du textile, Said El-Gohary, accusait entre autres les ouvriers "d'être des terroristes voulant saboter la compagnie".
«A l'image de ces cavaliers de l'Apocalypse, qui fondent à l'aube sur les villages rebelles en ne laissant de leur passage qu'une trace des cases brûlées, tout, dans ce conflit, est en clair-obscur. Combien de morts depuis quatre ans ? Dix mille selon les autorités soudanaises, quatre cents mille selon les ONG. Comment qualifier la tragédie du Darfour ? Guerre de contre-insurrection, dit-on à Khartoum ; crime de guerre, estime l'ONU ; crime contre l'Humanité, assure l'Union européenne ; premier génocide du XXIe siècle, renchérissent les intellectuels occidentaux, auteurs récemment d'un appel à leurs gouvernements respectifs. Quelle solution pour y mettre un terme ? Désarmer les forces rebelles, assène le général-président Omar el-Béchir ; armer les forces rebelles rétorquent les intellectuels et les lobbies ; négocier et sanctionner le régime soudanais, soutient l'ONU...De ce maelström de passions, d'arrière-pensées, de manipulations et parfois d'irresponsabilités émergent cependant quelques certitudes.» (Jeune Afrique du 1er au 14 avril 2007).
En effet, il y a certitude sur les responsables de ces crimes : il s'agit des grandes puissances impérialistes et de leurs bras armés locaux, le gouvernement de Khartoum et les rebelles. Ce sont ces brigands capitalistes (en particulier les Chinois et, alliés objectifs et de circonstance quand ils s'étripent ailleurs, les Américains et les Français) et leurs valets locaux qui ont commis et commettent impunément encore ces odieux massacres, qui sont des « crimes contre l'humanité».
«Face à cette chronique d'un désastre annoncé, l'Organisation des Nations unies (ONU) et l'Union africaine adoptent essentiellement des mesures symboliques et dilatoires. Depuis deux ans, une force interafricaine de sept mille cinq cents hommes, la Mission de l'Union africaine au Soudan (MUAS, en anglais African Union in Sudan ou AMIS) est déployée au Darfour. (...) Cette force s'est révélée parfaitement inefficace. En effet, ses effectifs sont trop faibles : il faudrait au moins trente mille hommes pour couvrir les cinq cents mille kilomètres carrés du Darfour. En outre, la MUAS, sous-équipée, ne dispose que d'un mandat ridiculement restrictif : les soldats n'ont pas le droit d'effectuer de patrouilles offensives, ils doivent se limiter à « négocier» et se contentent, en fait, de recenser les tueries.(...) Les soldats africains, désolés, déclarent eux-mêmes en privé: «Nous ne servons à rien » (Le Monde diplomatique de mars 2007).
S'il en était encore besoin, ce propos illustre l'ignoble hypocrisie des puissances impérialistes qui gouvernent le monde, qui étalent au grand jour au Darfour leur vrai visage de cyniques barbares capitalistes. Ces dirigeants qui votent des « résolutions de paix » et envoient, sous les couleurs de l'ONU, des soldats au Darfour dont la mission consiste, en fait, à « recenser les tueries» et non celle de les empêcher comme annoncé en tamtam. Mais qu'attendre de plus de l'ONU, ce repaire où se retrouvent tous ces brigands, ces vautours immoraux qui se battent pour les restes d'une Afrique en putréfaction?
Là, le masque tombe, mais le comble du cynisme, c'est quand les bourgeoisies des grandes puissances s'efforcent de camoufler leurs vraies responsabilités dans la tragédie du Darfour à coups de «pèlerinages » médiatiques incessants au milieu des victimes agonisantes.
Pour mieux étouffer toute réflexion et toute prise de conscience par rapport aux buts réels de leurs agissements au Darfour, les «grandes démocraties» organisent régulièrement des «safaris humanitaires» au Darfour et des meetings dans les métropoles en «soutien aux victimes du génocide soudanais». En effet, dans le sillage des stars hollywoodiennes (comme George Clooney et compagnie), le 20 mars dernier, un meeting a été organisé à Paris à l'initiative d'un collectif d'associations baptisé «Urgence Darfour», composé principalement de célébrités médiatiques (Bernard Kouchner, Bernard-Henri Lévy, Romain Goupil et autres représentants de lobbies nationaux «humanitaires ») se fixant «l'objectif de mettre le Darfour sur l'agenda des présidentiables». Et effectivement ces derniers (Ségolène Royal, François Bayrou en tête) ont répondu à l'appel en signant un texte qui préconise (entre autres mesures) l'intervention des troupes françaises (en action au Tchad et en Centrafrique), pour faciliter la mise en place «de corridors humanitaires» au Darfour. Et en grands démagogues, les présidentiables en question ont voulu aller plus loin dans le cynisme: «D'une fermeté inédite en France, le document n'a pas empêché certains prétendants à l'Elysée d'aller plus loin, à l'instar de Ségolène Royal (Parti socialiste) et de François Bayrou (UDF) qui ont proposé de boycotter les Jeux Olympiques de Pékin en 2008 pour faire pression sur la Chine, présentée comme le principal soutien de Khartoum au Conseil de sécurité des Nations unies.» (Jeune Afrique)
Quels hypocrites, quels mystificateurs sans scrupule, cette classe bourgeoise française ou américaine ! Bref, ces défenseurs déguisés des intérêts de leur propre impérialisme, qui font comme si la France n'était pas déjà impliquée en tant qu'alliée puis aujourd'hui, par son soutien au régime tchadien, adversaire du régime soudanais «génocidaire». D'ailleurs, c'est bien le sens de l'appel des lobbies «politico-humanitaires» en préconisant ouvertement l'intervention de l'armée tricolore pour ouvrir prétendument «un corridor humanitaire» dans la zone des combats. Et ce n'est pas par hasard si la Chine est nommément dénoncée comme le «principal soutien» de Khartoum, car: «Loin derrière les Etats -Unis et la Chine, la France se démène dans l'ombre pour aider ses clients locaux régionaux que le régime soudanais menace. Paris a longtemps protégé Khartoum de l'hostilité « anglo-saxonne », mais cela ne lui a guère valu de gratitude de la part du régime islamique. Les permis pétroliers de Total dans le sud du Soudan demeurent toujours bloqués par des arguties juridiques, et les miliciens du régime s'emploient à déstabiliser, à partir du Darfour, les alliés de la France : le président tchadien Idriss Déby Itno et son homologue centrafricain François Bozizé» (Le Monde diplomatique de mars 2007).
Et pour finir, certains secteurs de la bourgeoisie française se demandent carrément si, en équipant les milices à la solde de Khartoum qui sont parvenues jusque dans les faubourgs de N'Djamena, Pékin ne chercherait pas à renverser les régimes pro-français en place dans la zone de l'Afrique centrale. Et, effectivement, Pékin est aujourd'hui le premier fournisseur d'armes et le premier acheteur du pétrole soudanais. On voit là pourquoi la Chine ne veut pas voir appliquer une telle résolution qui ne «respecte pas la souveraineté nationale soudanaise» dont elle se contrefiche.
Voilà un élément supplémentaire d'inquiétude pour l'impérialisme français, qui explique le but véritable des mobilisations « médiatiques et humanitaires » contre les autres impérialismes concurrents, la Chine et les Etats-Unis. Il est vrai que ces derniers ne sont pas en reste et excellent aussi dans le cynisme outrancier. Ainsi, Bush a donné, le 18 avril dernier, «une dernière chance au gouvernement soudanais de tenir très vite ses engagements pour mettre fin au ‘génocide' au Darfour».
Dans les faits, on sait que, tout en fermant les yeux sur les atrocités des cliques sanguinaires, Washington ménage Khartoum, son partenaire dévoué dans la «lutte antiterroriste». En clair, ce ne sont là que des manœuvres pour tendre la main à une alliance renforcée avec le Soudan tout en ayant l'air de le menacer. Au bout du compte, ce qui se cache derrière les discours et les actions de «paix» et autres «corridors humanitaires» pour le Darfour, ce sont en réalité de sordides luttes de charognards capitalistes au milieu des cadavres qui s'accumulent infiniment.
Amina/23.04.2007
Depuis bientôt une quinzaine de jours, des combats d'une violence chaque jour plus exacerbée ont éclaté dans le nord du Liban. Officiellement, on dénombre plus de 90 morts, parmi les soldats libanais et les combattants du Fatah al-Islam, mais aussi dans la population civile palestinienne du camp de Nahr al-Bared, l'un des douze que compte le pays et dans lesquels survivent 400 000 Palestiniens, "réfugiés" de la guerre israélo-arabe de 1969 ! Sur les 31 000 personnes de ce camp, 26 000 ont fui les affrontements, certains pour s'entasser dans le camp voisin de Baddaoui, d'autres dans une errance incertaine, passant de la misère et de la soumission aux lois maffieuses opérés par les groupes palestiniens qui les "protègent" à l'état de bêtes parquées ici et là sous la surveillance de la Croix Rouge et de l'ONU. Pour les 5000 Palestiniens restants, c'est purement et simplement l'horreur. Pris sous le feu croisé des forces libanaises qui encerclent et mitraillent ou bombardent à coups de missiles le camp, et de celles du Fatah al-Islam qui s'en servent de boucliers humains, hommes, femmes, enfants sont étranglés dans une terrible souricière.
Ce sont la décision de l'ONU de constituer un tribunal "à caractère international" chargé de juger les assassins de Rafic Hariri et la perspective d'élections présidentielles au Liban qui ont été les éléments déclencheurs de cet engrenage dans une violence jamais vue depuis le début des années 1970, au plus fort de la Guerre froide. Evidemment, la Syrie est particulièrement visée. L'apparition récente du groupe Hamas al-Islam, scission apparentée à Al-Qaïda d'un groupe pro-syrien, le Hamas Intifada, lui-même issu du vieux FPLP de George Habache opposé à Yasser Arafat et basé à Damas, ne peut que jeter la suspicion sur le rôle de l'Etat syrien dans la situation actuelle. Et cela d'autant que ce groupuscule ne présente aucune revendication palestinienne. De plus, le refus radical de création de ce tribunal par la Syrie, qu'elle rejette d'autant plus violemment que des responsables syriens ont été officiellement mis en cause, vient montrer à nouveau du doigt son implication dans le meurtre d'Hariri. Souvenons-nous que l'assassinat du dirigeant libanais en 2005 avait eu pour conséquence le départ des forces syriennes du Golan que revendique historiquement la Syrie et qui est une pomme de discorde permanente dans les relations entre Damas et Beyrouth.
Bien sûr, la "communauté internationale" s'émeut d'une telle situation, dans un pays qui compte 4500 casques bleus, cette "armée internationale de la paix", c'est-à-dire la plus grande concentration des forces de l'ONU au monde. Et ce sont la France et les Etats-Unis, pour cette fois apparemment sur la même longueur d'onde, qui ont été les plus prompts à proposer leurs bons offices. "Le gouvernement libanais fait ce qu'il a besoin de faire pour combattre un groupe terroriste très dangereux et pour rétablir la loi et l'ordre dans le pays", entendait-on à Washington le 25 mai. Et dans la même foulée, six avions-cargos américains bourrés d'armes et de munitions arrivaient donc au Liban afin de "soutenir" l'action de l'armée de Beyrouth.
Dans sa visite de "solidarité" au Liban, l'indispensable "french doctor" Kouchner, intangible amoureux des caméras, déclarait quant à lui que "la politique française [était] inchangée" et proposait sans réserve la fourniture d'équipements et d'armements militaires, bien sûr "humanitaires", au gouvernement libanais.
C'est clair, ces deux requins impérialistes ne font qu'attiser les affrontements guerriers et y participent même directement. La France et les Etats-Unis sont en effet directement intéressés à intervenir dans la situation au Liban.
Pour les Etats-Unis, qui avaient laissé le Golan à la Syrie au début des années 1990 pour lui rétribuer sa collaboration avec Washington tout en coupant le pied aux velléités impérialistes françaises au Liban, il s'agit de faire payer à la Syrie son soutien aux forces sunnites pro-irakiennes et aux terroristes d'Al-Qaïda qui sont stationnés et soutenus par la Syrie depuis l'invasion américaine en Irak. Aussi, la Maison Blanche ne va pas lésiner sur les moyens offerts à Beyrouth pour taper fort contre l'incursion effectuée par la Syrie à travers le Fath al-Islam.
Pour la France, dont les intérêts au Moyen-Orient sont toujours principalement passés par le Liban, il s'agit de tenter par tous les moyens de faire un retour dans le pays. Après le départ forcé en 1992 du général pro-français Michel Aoun, que les Etats-Unis avaient contraint de partir pour mieux permettre à la Syrie de s'installer dans le Golan et aux rênes de l'Etat libanais via des hommes dévoués à sa cause, l'Etat français n'a cessé de faire des pieds et des mains pour rétablir son influence dans la région.
Aussi, il n'est nullement question de voir une alliance entre l'Amérique et la France en vue d'instaurer la paix au Liban comme dans l'ensemble de la région. Tout au contraire, c'est une véritable concurrence impérialiste qui anime leurs intentions, concurrence qui n'augure strictement rien d'autre que de nouveaux affrontements et une nouvelle accélération des conflits guerriers dans cette zone du monde.
Leurs discours mensongers voudraient nous faire croire qu'un objectif commun les pousserait à régler la question. Loin s'en faut. S'ils ont le même intérêt à voir la Syrie et les terroristes du Hamas al-Islam reprendre leurs billes du Liban et déguerpir, il n'en va pas de même pour le Liban qui restera un enjeu d'importance pour ces deux concurrents impérialistes au Moyen-Orient. Pour les Etats-Unis, la stabilisation du Liban leur permet de contrôler la Syrie et de maintenir la pression sur ce pays qui est une base arrière des forces anti-américaines en Irak. Pour la France, c'est à la fois la question de continuer à prétendre au statut de puissance impérialiste mondiale "qui compte" dans la question moyen-orientale et aussi de continuer à détenir un appui dans cette région pour saboter la politique militaire et stratégique des Etats-Unis, que ce soit en Irak comme dans l'ensemble du Proche et du Moyen-Orient.
La poudrière que constitue le Proche et le Moyen-Orient n'est pas prête de s'éteindre. Les évènements au Liban ont leur pendant dans les territoires occupés de la Bande de Gaza que pilonne l'armée israélienne depuis des semaines. Et l'on retrouve les mêmes protagonistes des pays développés, bons samaritains toujours prêts comme le "Quartette pour la paix au Proche-Orient" (Union européenne, Etats-Unis, Nations unies et Russie) qui appelle en vain à l'arrêt des violences entre Israël et le Hamas dans la Bande de Gaza, comme celles entre le Hamas et le Fatah dans le Nord du Liban.
La véracité des déclarations de bonnes intentions de tous ceux qui gouvernent le monde est à mesurer à l'aune de ce qu'ils font subir partout aux populations et à la classe ouvrière : misère, sueur et sang. C'est le seul langage de la bourgeoisie, c'est le langage du capitalisme.
Mulan / 2.06.2007
Pendant la campagne électorale tout comme aujourd'hui, prêts à passer dans l'opposition, les partis socialistes se prétendent en pleine "rénovation" pour se présenter plus que jamais comme les "défenseurs attitrés des salariés et des progressistes", comme ceux qui veulent "donner une voix aux prolétaires de ce pays". Et pour ceux qui auraient des doutes sur leur rôle et rappellent que depuis 1987, soit depuis 20 ans, ils sont de tous les gouvernements - de Dehaene à Verhofstadt - et de toutes les mesures d'austérité, les socialistes assènent l'argument ultime : le « lien historique », qui les lierait aux travailleurs et à leurs revendications.
S'il y a effectivement eu un rapport historique entre la social-démocratie et le mouvement ouvrier, ce rapport a cependant volé en éclats il y a près d'un siècle, dans une rupture définitive en forme d'aller sans retour, au cours de la Première Guerre mondiale. Et depuis, à la tête de l'Etat bourgeois comme dans son rôle "d'opposition démocratique", le curriculum vitae de la social-démocratie n'a cessé de se remplir de nouveaux faits d'armes, faisant ainsi la preuve de son attachement viscéral au camp bourgeois.
La social-démocratie voit le jour en Allemagne avec la fondation en 1875 du SPD (Sozialistische Partei Deutschlands). Très rapidement, ce premier parti de masse de l'histoire va constituer le phare théorique et politique du mouvement ouvrier, même après la fondation de la deuxième Internationale, en 1889. Cependant, la gangrène opportuniste commence très tôt son funeste travail et l'Histoire place le SPD en 1914 devant le choix radical entre d'une part l'internationalisme prolétarien qu'il défendait encore un an avant le conflit, et le soutien à l'effort national en vue de la préparation à la guerre. Si le combat interne fut rude, il aboutira à la trahison de l'internationalisme par le vote de la majorité du SPD en faveur des crédits de guerre au parlement le 4 août 1914.
En Belgique, le Parti Ouvrier Belge de E. Vandervelde est très vite dominé par le réformisme (cf., nos articles sur l'histoire du POB dans Internationalisme 324 à 327). Il se rallie rapidement à la politique de défense nationale et engage les ouvriers belges à tirer sur les ouvriers allemands.
Laissant peu de répit à ses nouvelles recrues, la bourgeoisie ne tarde pas à placer des sociaux-démocrates dans les gouvernements, histoire de parfaire la trahison et de renforcer le profond désarroi que provoquent ces brutales volte-face des principaux partis européens. Plusieurs dirigeants social-démocrates accèdent à des maroquins ministériels, et pas n'importe lesquels : en Allemagne, G. Noske, futur boucher de la révolution allemande en 1919, est nommé... ministre de la guerre ; en Belgique, E. Vandervelde, le ténor du POB, est nommé ministre d'Etat dans le gouvernement de guerre et, avec E. Anseele, ministre à partir de 1916, montera au front pour exhorter le patriotisme quelque peu défaillant après de longues années de carnage sans fin, et pour faire la chasse aux déserteurs et aux ouvriers internationalistes. Ainsi, la social-démocratie n'aura pas mis longtemps à appliquer sur le terrain les principes ayant présidé à sa trahison en livrant le prolétariat à la première boucherie impérialiste.
Parallèlement à la guerre qui tire à sa fin, la bourgeoisie internationale doit gérer la première vague révolutionnaire mondiale dont un poste avancé campe en Allemagne. Face au soulèvement ouvrier, le social-démocrate, F. Ebert est promu à la présidence de la République, afin d'organiser la répression sanglante de la révolution allemande et est responsable de l'assassinat des révolutionnaires R. Luxemburg et K. Liebknecht, tâche abjecte perpétrée par les corps francs. En Belgique, E. Vandervelde condamne les ouvriers révolutionnaires de Russie et soutient ouvertement Kerenski et la contre-révolution. En 1918, le POB interdit aux ouvriers belges de se solidariser avec les conseils de soldats à Bruxelles et en 1919, il se solidarise avec la répression orchestrée par la social-démocratie contre les ouvriers insurgés à Berlin. Et, alors que les travailleurs se faisaient encore massacrer au front, les socialistes (tels J. Wauters) discutaient sous le couvert du Comité National de Secours Alimentaire à Bruxelles avec le banquier E. Francqui, l'industriel E. Solvay ou le libéral P. E. Janson de la préparation d'un gouvernement d'union nationale, chargé d'imposer aux travailleurs une exploitation féroce pour « relever l'économie nationale » tout en faisant quelques concessions (comme par exemple le suffrage universel) pour éviter la contagion des mouvements révolutionnaires en Russie et en Allemagne, sans toucher toutefois aux privilèges fondamentaux de la bourgeoisie.
Sitôt la classe ouvrière vaincue, la bourgeoisie se confronte, dans les années 1930, à une crise économique telle que la perspective d'un second conflit impérialiste généralisé devient inévitable. En Allemagne, le délitement économique et social phénoménal et la situation d'écrasement physique et idéologique du prolétariat permettent la mise en place d'une solution dictatoriale. Mais en Belgique comme en France d'ailleurs, c'est de nouveau la social-démocratie qui est mise à contribution pour préparer le terrain d'une prochaine guerre mondiale.
Dans la mise en place d'une économie de guerre, la classe dominante cherche dès le début des années 1930 à soumettre le prolétariat aux conditions intensives de travail nécessitées par la préparation de cette guerre. Les socialistes jouent dans ce cadre un rôle central dans les pays ‘démocratiques'. Ainsi, à son congrès de 1933, le POB adopte le ‘Plan du Travail' de H. De Man, qui prétendait lutter contre les effets désastreux de la crise par une série de ‘réformes de structures' visant à restreindre la toute-puissance du capital financier, dont ‘l'égoïsme' est présenté comme seul responsable de la crise, et à permettre la prise en mains par l'Etat bourgeois de tous les organismes de crédit. Il appelle à une attitude plus dirigiste de l'Etat envers l'ensemble de l'économie et au renforcement du pouvoir exécutif afin de garantir la stabilité sociale. Ce plan faisait en fait passer les leviers de l'économie entre les mains de l'Etat, ce soi-disant représentant du bien collectif, au-dessus des classes et des intérêts particuliers. En fin de compte, ces mesures ne diffèrent que par leur vernis idéologique des mesures économiques mises en oeuvre dans les années 1930 par l'URSS stalinienne, l'Italie fasciste (dont De Man s'inspire d'ailleurs) ou par l'Allemagne nazie. Cette similitude n'est ni un hasard ni un accident : c'est la manifestation flagrante que toute la bourgeoisie, « totalitaire » comme « démocratique », confrontée à une crise généralisée de son système, s'engage dans la seule voie possible pour elle, la guerre.
A la veille de la seconde guerre mondiale, les partis socialistes sont au premier rang pour mobiliser les travailleurs en vue de la nouvelle boucherie qui se prépare. En France en mai 1936, le Front Populaire emporte les législatives et conduit L. Blum à la Présidence du Conseil. Composé des radicaux de gauche et des socialistes de la SFIO, avec le plein soutien significatif des staliniens du PCF, il va construire sa politique autour de l'anti-fascisme et, partant de là, de la préparation à la guerre. En enfermant progressivement la classe ouvrière dans l'idéologie démocratique et nationaliste, il va d'abord agiter devant les ouvriers en grève le "danger fasciste" qui n'attend qu'un "affaiblissement de la nation française" pour "déferler sur le pays". Même les augmentations de salaires, les congés payés et autres "avantages" accordés lors des grèves de 1936 n'étaient nullement concédés pour améliorer les conditions de vie de la classe ouvrière mais pour masquer, accompagner et rendre possible l'intensification du travail nécessitée par le développement de l'économie de guerre. Léon Blum lui-même confirme les objectifs de cette ‘politique sociale' lors du procès de Riom, fantaisie vichyste destinée à faire porter la responsabilité de la défaite de 1940 sur le gouvernement social-démocrate : "Ne croyez-vous pas que cette condition morale et physique de l'ouvrier, toute notre législation sociale était de nature à l'améliorer : la journée plus courte, les loisirs, les congés payés, le sentiment d'une dignité, d'une égalité conquise, tout cela était, devait être, un des éléments qui peuvent porter au maximum le rendement horaire tiré de la machine par l'ouvrier".
Si c'est au nom de l'antifascisme que la social-démocratie appelle les ouvriers à massacrer leurs camarades d'autres pays, son discours n'est sur le fond pas toujours fort différent de celui des fascistes ou des staliniens. En témoigne l'interview que P. H . Spaak, la coqueluche de la gauche du POB à cette époque, accorde au quotidien l'Indépendance Belge et où il souligne le caractère national du socialisme belge qui ne peut se limiter aux intérêts de la classe ouvrière mais doit s'identifier à l'intérêt national. C'est dans cette logique que les socialistes avec Spaak participent au gouvernement en exil à Londres pendant la guerre, qu'ils seront au gouvernement après la guerre pour calmer l'agitation sociale et mobiliser les ouvriers ... pour la reconstruction, et enfin qu'ils seront parmi les plus ardents défenseurs de l'OTAN, l'organisation politico-militaire du bloc américain, dont Spaak deviendra d'ailleurs le secrétaire général.
Les deux premières expériences de la social-démocratie au pouvoir offrent donc un bilan sans appel : écrasement du prolétariat révolutionnaire dans le sang, et enrôlement dans la préparation de la Seconde Guerre mondiale. Par la suite, de nombreux exemples montrent comment la social-démocratie "moderne", au pouvoir comme dans l'opposition, continue son sale boulot contre la classe ouvrière. Evoquons simplement les exemples français et belge.
Après la "grève générale" de 1968 en France, F. Mitterrand prend la tête d'un PS "d'union de la gauche" au congrès d'Epinay-sur-seine de 1971, avec un mandat : conclure un accord de gouvernement avec le PCF. Le ton est donné par Mitterrand dans son discours : il y parle de "révolution", de "rupture anti-capitaliste" et de "front de classe". Pendant toutes les années 1970, cette social-démocratie moderne incarnée par le PS de Mitterrand va fourbir ses armes dans l'opposition. Loin d'être passive, cette opposition va permettre au PS d'apporter une contribution fondamentale à la bour-geoisie, en encadrant la colère ouvrière provoquée par les attaques de la droite, en se présentant comme une alternative crédible pour accéder au pouvoir, entretenant ainsi l'illusion démocratique et parlementaire dans les rangs ouvriers.
En 1981, Mitterrand est élu président, et le moment semble venu de concrétiser cette "rupture anti-capitaliste" tant scandée au congrès d'Epinay. L'illusion ne durera pas longtemps. Après une petite année "de grâce", le programme d'austérité établi dès 1982 par le premier ministre P. Mauroy fait tomber les masques : fin de l'indexation des salaires sur les prix alors même que depuis 1981 l'inflation ne pouvait être contenue, restructurations dans les grandes entreprises entraînant la suppression de centaines de milliers d'emplois dans tous les grands secteurs d'activité, développement du travail précaire avec l'invention des premiers contrats précaires publics. Au final, le chômage se développera sans cesse pendant ces années, alors même que son indemnisation sera toujours plus réduite.
Le deuxième septennat de Mitterrand est du même tonneau : renforcement du flicage de la société, développement de la chasse aux immigrés clandestins, premières réflexions sur la réforme des retraites, réduction encore de l'indemnisation du chômage. Mais, le tableau de l'œuvre social-démocrate ne serait pas complet si nous n'évoquions l'une des plus grandes attaques portées contre la classe ouvrière depuis la fin de la deuxième guerre mondiale : les 35 heures. Cette loi portée par M. Aubry, ministre de l'emploi du premier ministre L. Jospin, a touché l'ensemble de la classe ouvrière en introduisant un maximum de flexibilité dans l'exploitation, tout en contribuant à bloquer les salaires.
Le rôle du parti socialiste en Belgique, rebaptisé PSB, puis scindé en un PS francophone et un SPa néerlandophone, n'est guère différent. Lors des grandes grèves de 1960-61 en Belgique, directions du parti et des syndicats affirment : « Nous avons par tous les moyens essayé de ... limiter la grève à un seul secteur » (L. Major), et ceci pour ensuite diviser et enfermer le mouvement dans le régionalisme. Lors de la grève dans les mines du Limbourg en 1966, le ministre socialiste de l'intérieur, A. Vranckx, fait tirer sur les grévistes. Et ils seront en pointe dans toutes les rationalisations, les programmes d'austérité : les noms de Claes, Mathot, Tobback, Spitaels, Di Rupo ou Vande Lanotte sont associés aux restructurations de la sidérurgie dans les années 1970, à la fermeture des mines du Limbourg en 1987, la rationalisation de la SNCB et de la poste dans les années 1990, l'austérité imposée aux employés communaux de Liège ou Anvers, au plans d'austérité pour rentrer dans l'Euro du gouvernement Dehaene dans les années 1990 tout comme au pacte des générations, imposé par le gouvernement Verhofstadt en 2005.
Voilà donc ce que représente cette social-démocratie qu'on nous dit "pleine d'avenir" ! Sa "nouvelle façon de faire de la politique" n'est tout au plus qu'une grossière mystification consistant à faire oublier ses actes passés. Dans ce sens, les menaces récentes de Vandenbroucke ou Onckelinx contre les chômeurs ne sont nullement des expressions malencontreuses ou des cas isolés. La social-démocratie, depuis sa trahison de l'internationalisme en 1914, n'a plus aucun lien avec le mouvement ouvrier. Systématiquement, depuis 90 ans, les partis socialistes sont les fossoyeurs des intérêts ouvriers. Au pouvoir comme dans l'opposition, ils n'auront fait que servir les intérêts de leur classe et de l'Etat, sans hésiter, quand il le faut, à y mettre eux-mêmes les mains, quitte à les enduire du sang de la classe ouvrière.
Jos / 01.06.07
Quelle attitude par rapport à la guerre? Les nombreux articles, discussions sur Internet et dans les cercles de discussion, les explications divergentes et la foule hétérogène de manifestants anti-guerre témoignent que nombreux sont ceux aujourd'hui qui se posent cette question et sont à la recherche de réponses appropriées. Dans cette recherche, on veut trouver le lien entre les guerres et leurs causes afin d'en dénoncer les responsables et conjurer la guerre. Mais comment appeler à l'arrêt de l'hystérie guerrière, avec qui et contre qui?
Le CCI affirme, comme d'autres groupes de plus en plus nombreux, qu'il faut dénoncer ces guerres d'un point de vue internationaliste: il ne faut choisir aucun camp entre la peste et le choléra, entre les parties belligérantes. Toutes aujourd'hui, aussi petites soient-elles, défendent des intérêts impérialistes, toutes sont des pions sur l'échiquier du capitalisme moribond. Ce n'est qu'en détruisant le capitalisme qu'on pourra bannir une fois pour toutes la guerre impérialiste.
A l'occasion d'une discussion entre des jeunes autour de la manifestation anti-guerre d'il y a quelques semaines, dirigée contre l'invasion américaine de l'Irak, le CCI a tenu récemment une réunion publique à Anvers sur ce thème. Nous y avions invité les jeunes en question, et notre introduction est partie de leurs questionnements. Dans ce bref article, nous citons les principaux passages de l'appel d'un entre eux, suivi de la réaction d'un autre jeune. Ensuite, nous traitons des thèmes qui ont été abordés dans la large discussion au cours de cette réunion.
Appel:
Dimanche prochain, il y a la manifestation pacifiste classique (une sorte de commémoration de l'invasion illégale des USA en Irak. Déjà il faut se poser la question si une invasion peut être légale). On pourrait dire que cette manifestation ne sert à rien. Et on aurait probablement raison, mais c'est simplement un devoir démocratique de descendre dans la rue contre les malhonnêtetés dans le monde. Ce sont les luttes d'émancipation et les manifestations en leur faveur (...) qui ont changé positivement le monde (et aucunement les invasions en Irak, en Afghanistan ou en Somalie). Le Liban a été détruit, et même si Israël a perdu, c'est la population du Liban aussi bien que d'Israël qui paie les pots cassés des appétits impérialistes. Aussi
la situation en Afghanistan ne s'est en rien améliorée après l'invasion américaine. Les Talibans ont été simplement écartés pour le moment, même si Oussama Ben Laden n'a jamais été retrouvé (?). Aujourd'hui, les Talibans contrôlent à nouveau des parties entières de l'Afghanistan, et la culture de l'opium est la seule source de revenus pour un pays détruit par le monde. Rien d'étonnant à ce que la population se tourne vers l'extrémisme.
C'est notre tâche, en tant que jeunes, de ne pas hypocritement se limiter à une nostalgie pour mai 68, mais d'offrir une résistance mondiale contre les violences guerrières qui plongent le monde dans une crise sociale et écologique. Que tu sois écolo, social-démocrate, libéral, socialiste, communiste, anarchiste ou seulement toi-même, le monde a maintenant besoin de toi. (...). Un autre monde est possible!
Toute discussion sur le contenu du mail et la manifestation est la bienvenue.
Réaction:
Cet appel à protester ensemble contre la guerre au Moyen-Orient est sincère/honnête/sérieux! Je soutiens cet appel, et j'irai moi-même à la manifestation!
Deux remarques:
-Nous devons certes être très critiques envers les partis et organisations politiques qui vont participer à la manifestation, parce que ceux-ci ne sont pas forcément contre la guerre et la misère sociale dans la région, mais défendent souvent leurs propres intérêts économiques, impérialistes, militaires, politiques et stratégiques. Car qui soutient, finance, arme les organisations terroristes dans ces pays, organisations qui en fait sont relativement petites comparées à l'armée US? Car il est par exemple connu que les USA ont eux-mêmes entraîné les Talibans pour combattre le bloc russe pendant la période de Guerre Froide. Il est connu que la France et la Belgique ont joué un rôle important dans l'armement des milices au Rwanda. Alors, d'où les terroristes actuels tirent-ils leur force? Quelles puissances se tiennent derrière ces groupes? Celles qui défendent (à mots couverts) les organisations terroristes, parce que ce serait soi-disant des «combattants de la liberté», parce qu'elles sont les faibles face aux puissants Etats-Unis, participent de fait à la guerre. Les terroristes sont et restent des assassins à grande échelle, ils alimentent le chaos inhumain qui règne aujourd'hui au Moyen-Orient! Quel camp défendent ces avocats des terroristes?
- La guerre du Golfe en 1991avait été approuvée par l'ONU et était donc «légale», mais cela ne justifie nullement les centaines de milliers de morts. Même si cette guerre était «légale», même si l'Irak avait détenu des armes nucléaires (les USA, la France, Israël, l'Inde, le Pakistan, la Corée du Nord, le Royaume-Uni...en possèdent d'ailleurs aussi, non!), je ne vois toujours pas ce qu'il y a à soutenir dans cette guerre.
Voilà matière à discussion.
Contre la guerre! Contre le terrorisme! Contre tout nationalisme!
Pour la Paix! Pour l'internationalisme!
Après une courte présentation des grandes lignes de ces contributions, une large discussion s'est développée, principalement autour des thèmes suivants:
- La guerre est-elle le produit d'une mauvaise nature des dirigeants? Le capitalisme est un système inhumain, et ne peut donc produire que des dirigeants inhumains qui le défendront aux dépens de tout le monde. Le système est en effet basé sur la recherche du profit et l'exploitation de la classe ouvrière. Les heurts impérialistes sanglants entre nations concurrentes pour des intérêts économiques et stratégiques sont la réponse inévitable de tous ceux qui ont le pouvoir;
- Quelles sont les véritables causes des guerres actuelles?
Cette question était directement liée à la précédente, puisque les guerres capitalistes se développent sur le terreau de la guerre commerciale sans merci dans un marché mondial sursaturé. Depuis le début de la période de décadence, tous les pays, grands ou petits, sont devenus impérialistes, car la planète entière est couverte par le capitalisme et qu'ils veulent s'arracher des marchés et matières premières. Du fait de cette crise économique, avec tous ses drames humains et sa misère, qui se prolonge en s'aggravant, les conflits continuent et de nouveaux éclatent sans cesse. Dans la période historique actuelle, ils dégénèrent de plus en plus dans des confrontations purement stratégiques entre états impérialistes;
- Pourquoi les USA ont-ils envahi l'Irak? Pour le pétrole ou par intérêt stratégique? L'invasion en Irak et la guerre dans les Balkans et en Afghanistan montrent concrètement et très clairement ce qui était discuté ci-dessus, et que dans la période actuelle, les guerres ont perdu toute rationalité. Où restent les profits pour les pays qui ont pris part à ces guerres? Dans l'actuelle période de décadence et de décomposition du capitalisme, il ne s'agit surtout que d'intérêts stratégiques, quitte à couper l'herbe sous les pieds des concurrents sans en retirer de profit immédiat;
- Pourquoi n'existe-t-il actuellement pas de blocs impérialistes, comme à l'époque de la première et la seconde guerre mondiale, et comme durant toute la période de la Guerre Froide? Il est vrai qu'il n'y a actuellement aucune menace directe de guerre mondiale, pour laquelle des blocs se seraient formés, mais c'est une conséquence du fait que nous vivons dans une période où ni la bourgeoisie (avec une guerre mondiale), ni la classe ouvrière (avec la révolution mondiale) ne réussit à imposer sa réponse aux problèmes. Nous sommes dans une espèce d'impasse que le CCI appelle la phase de décomposition du capitalisme, au cours de laquelle la société capitaliste pourrit sur pied. Dans cette période, la perspective de la révolution peut même s'enliser si la classe ouvrière n'engage pas consciemment la lutte pour sa propre perspective d'émancipation.
Dans une deuxième partie de la discussion sur les moyens de mettre un terme à la spirale guerrière, et par qui, ce sont surtout les thèmes suivants qui ont été à l'ordre du jour:
- Le pacifisme peut-il mettre fin à la guerre? L'histoire a clairement démontré qu'aucune action ou manifestation pacifiste n'a contribué à prévenir ou à arrêter la guerre. Ni les désertions, ni les actes de sabotage, ni les trois millions de manifestants en Grande-Bretagne n'ont empêché Blair et consorts d'attaquer l'Irak en compagnie des USA. Les exemples des manifestations sans résultat avant la première guerre mondiale, des tonnes de pétition avant la seconde ont été cités. Par contre, lorsque la classe ouvrière s'est mise en mouvement, la guerre s'est arrêtée, par exemple lors de la vague révolutionnaire de 1917-23. Si la classe ouvrière ne se pose pas comme une alternative, chaque guerre est menée jusqu'à la pire des fins, comme l'illustre la seconde guerre mondiale avec la destruction totale de l'Allemagne et du Japon, ou comme en Afghanistan et en Irak aujourd'hui;
- Pourquoi plus de gens ne se lèvent-ils pas alors que c'est aussi important pour la survie de l'humanité? La classe ouvrière et la bourgeoisie sont-elles tellement différentes par rapport à la guerre? C'est en effet la question-clé, liée à la compréhension qu'aucune partie de la bourgeoisie, aussi "humaine" ou bien intentionnée qu'elle soit, ne peut dépasser le niveau de la compassion vis-à-vis des victimes de guerres. Comme fraction de la classe capitaliste, elle doit défendre le profit et le maintien du capitalisme, et cela signifie inévitablement maintenir la pression sur la concurrence, engager la confrontation armée avec d'autres nations. La classe ouvrière, de son côté, n'est pas seulement victime de ces guerres; du fait de sa nature collective comme classe qui n'a aucun intérêt spécifique à la survie de ce système, sa résistance porte en elle l'alternative d'une autre société, basée sur les besoins humains. Seule la lutte de classe internationale peut mettre fin à la menace permanente de guerre de la part de toutes les puissances impérialistes qui plane sur l'humanité. La guerre ne peut être arrêtée que par la destruction du système capitaliste!
C'est sur cette perspective que la discussion, bien que loin d'être épuisée, a du être momentanément arrêtée.
Lac & K.Stof
Au mois de juin, une grève de quatre semaines a eu lieu en Afrique du Sud1 . Entre 600 000 et 1 million d'ouvriers ont cessé le travail, entraînant la fermeture de la plupart des écoles et de nombreux bureaux, l'arrêt de certains transports publics et le remplacement du personnel des hôpitaux par du personnel militaire. Ce mouvement de la classe ouvrière est le plus important depuis la fin de l'apartheid en 1994. Durant ces grèves, le syndicat COSATU et le SACP (Parti Communiste d'Afrique du Sud), qui font partie de la coalition gouvernementale au pouvoir avec l'ANC. se sont efforcés de briser les forces ouvrières et de faire passer les attaques contre le pouvoir d'achat.
La fin de l'apartheid n'a rien changé
Les conditions de vie et de travail en Afrique du Sud se sont terriblement détériorées pour la majorité de la population. L'espérance de vie, le degré d'alphabétisation, l'accès aux soins ont décliné. Il y a maintenant, en Afrique du Sud, 5,5 millions de patients atteints du Sida, le chiffre le plus élevé au monde.
Les syndicats et les commentateurs de gauche et gauchistes accusent régulièrement la politique "pro-business" et particulièrement cupide du président Thabo Mbeki. Mais ce n'est pas à cause de la cupidité ou de politiques économiques particulières que le gouvernement ANC/SACP/COSATU attaque les conditions de vie des ouvriers et des autres couches non exploiteuses en Afrique du Sud. Un gouvernement capitaliste ne peut être autre chose que "pro-business" et donc contre la classe ouvrière. La seule "libération" qui soit survenue en 1994 a été celle d'un petit nombre d'activistes politiques noirs pour occuper une position plus importante dans l'appareil politique de la classe dominante et mieux tromper la classe ouvrière. Les élections qui ont eu lieu depuis ont ainsi renforcé l'idée que quelque chose de fondamental avait changé dans la société sud-africaine avec l'arrivée d'une plus large démocratie. Le Socialist Worker (9 mai 2007) a rapporté les propos d'un ouvrier dans une manifestation à Pretoria : "Nous pensions que le gouvernement nous soutiendrait comme ouvriers parce que nous les avons mis au pouvoir, mais c'est comme s'il nous avait oubliés." Cette sorte d'illusions est constamment nourrie par les syndicats et les gauchistes, qui sont heureux de parler des concessions de l'ANC au néo-libéralisme mais qui ne l'étiquette jamais ouvertement comme étant une partie pleine et entière de la bourgeoisie.
Perspectives pour les luttes futures
Quelques commentateurs, en Afrique du Sud, ont vu la récente grève comme un signe que les syndicats allaient jouer un rôle plus indépendant et que cela encouragerait les ouvriers à entrer dans de futures actions. En réalité, c'est à cause du mécontentement croissant parmi la classe ouvrière que les syndicats essaient de prendre leur distance vis-à-vis du gouvernement. Dans Socialist Workers (23 juin 2007), un membre de l'organisation gauchiste South Africa's Keep avance l'idée selon laquelle cette "ambiance ouvre la porte à une renaissance de l'auto-activité durant les grèves". Ce qui est certain, c'est que tous les prétendus défenseurs de la classe ouvrière (syndicats et autres) s'opposeront de toutes leurs forces à l'émergence d'une réelle auto-activité des ouvriers. Une réelle lutte autonome signifierait que les ouvriers seraient parvenus à prendre en charge eux-mêmes leurs luttes, hors des syndicats. Cela n'a pas été les cas.
La lutte présente, bien que significative, n'est nullement un fait inédit depuis 1994. En août 2005, 100 000 ouvriers des mines d'or ont fait grève pour des revendications salariales. En septembre 2004, il y a eu la plus importante journée en nombre de grévistes de l'histoire de l'Afrique du Sud, impliquant 800 000 à 250 000 ouvriers selon qu'il s'agit des chiffres fournis par les syndicats ou ceux du gouvernement. Les enseignants étaient particulièrement en colère puisqu'ils n'avaient pas eu d'augmentation salariale depuis 1996. En juillet 2001, il y avait une vague de grèves dans les industries minières et énergétiques. En août 2001, il y a eu une grève de trois semaines impliquant 20 000 ouvriers de l'automobile. En mai 2000, les grèves dans l'industrie des mines se sont étendues au secteur public. Durant l'été 1999, il y a eu une vague de grèves incluant les ouvriers des postes, des mines d'or et du secteur public avec les enseignants, les hospitaliers et d'autres travailleurs du public.
Implicitement, toutes ces luttes ont amené les ouvriers à se dresser contre l'ANC et le gouvernement sud-africain. Mais la dernière vague de grèves a montré la nécessité pour la classe ouvrière de développer une prise de conscience de la véritable nature bourgeoisie de ses faux-amis et de la signification globale de ses propres luttes.
D'après World Revolution
section du CCI en Grande-Bretagne
1) Une version plus détaillée de cet article est disponible sur notre site : internationalism.org.
Cet été a vu se déchaîner les pires dérèglements climatiques. "En Asie, la pire mousson de mémoire d'homme", titrait le Monde daté du 14 août. Le bilan de ce déluge s'est soldé par au moins 2.200 morts directement comptabilisés et plus de 30 millions de sans-abri sinistrés, exposés aux pires conditions de survie. Sur le seul territoire indien, 450.000 habitations ont été détruites. La Corée du Nord a fait appel à l'aide internationale à la suite des inondations qui ont détruit les logements de 300.000 personnes. 300 ont péri ou disparu. 46.580 habitations, 400 usines et 20 mines ont été inondées.
Une partie de la Chine a vu des villages entiers disparaître, engloutis sous les eaux. Dans la même période, la Grande-Bretagne subissait le niveau le plus élevé de précipitations jamais connu. En Allemagne, les pluies ont été les plus abondantes depuis 1901. L'Europe de l'Est, la Grèce, la Turquie et la région des Balkans ont subi une sécheresse et une canicule exceptionnelle provoquant des centaines de décès parmi la population. La Bulgarie a enregistré une température record de 45°. La Russie quant à elle a battu son record de la température la plus haute lors du mois de mai.
Avril 2007 aura été un mois inhabituellement chaud pour l'Europe. La Mer d'Oman a connu en juin son premier cyclone jamais enregistré. Des vagues de 4 à 5 mètres se sont abattues sur les îles Maldives en mai. L'Uruguay a connu pour le même mois la pire inondation depuis 1957. En Amérique du Sud, il y a eu des chutes de neige dans des régions qui n'avaient encore jamais connu ce phénomène. Aux Etats-Unis, certaines parties du pays ont subi des crues et des inondations dévastatrices tandis que d'autres étaient simultanément frappées par des vagues de chaleur record.
La saison des cyclones océaniques tropicaux s'annonce de plus en plus tôt. Aucun continent n'a été épargné : en Australie, des inondations exceptionnelles ont ravagé le pays tandis qu'en Afrique, alors que le Maghreb et la partie occidentale suffoquaient sous une chaleur saharienne, le Soudan était en proie aux crues du Nil et d'abondantes chutes de neige sont tombées en Afrique du Sud pour la première fois depuis 1981.
Si, comme en Grande-Bretagne en particulier, dans les Etats du cœur du capitalisme, des milliers de prolétaires ont perdu leurs maisons et leurs biens, la situation est encore beaucoup plus dramatique dans les pays du Tiers-monde.
Aujourd'hui, les scientifiques disent qu'on ne peut rapporter la preuve d'un lien entre cette accumulation de catastrophes avec le réchauffement climatique en se réfugiant prudemment derrière le fait que "l'hypothèse du réchauffement climatique ne saurait porter que sur de longues périodes". Il est donc facile de considérer chaque événement comme "naturel" et d'affirmer qu'il n'a rien à voir avec un changement climatique dû à l'homme si on le prend isolément. Mais l'évidence suggère le contraire et nous sommes déjà confrontés à un problème à long terme avec le réchauffement climatique.
Finalement, tous les spécialistes de l'environnement, de la météorologie sont bien obligés de reconnaître du bout des lèvres que "l'action des hommes" n'est peut être pas étrangère à de tels dérèglements climatiques et que le réchauffement de la planète est lié à l'émission de gaz à effets de serre. Mais les mesures préconisées par les idéologues à la mode comme Nicolas Hulot en France ou à la sauce Al Gore aux EU pour "sauver la planète" s'efforcent de nous persuader qu'il appartient à chaque individu dans son coin de faire des économies d'énergie ou aux Etats de taxer les pollueurs.
Tout est bon pour tisser la toile des mensonges qui visent avant tout à dédouaner ou éviter de mettre en cause directement la responsabilité du capitalisme. Contre toutes ces affirmations, il est nécessaire de réaffirmer que "le capitalisme n'est pas innocent (...) des catastrophes dites 'naturelles'. Sans ignorer l'existence de forces de la nature qui échappent à l'action humaine, le marxisme montre que bien des catastrophes ont été indirectement provoquées ou aggravées par des causes sociales (...) Non seulement la civilisation bourgeoise peut provoquer directement ces catastrophes par sa soif de profit et par l'influence prédominante de l'affairisme sur la machine administrative (...) mais elle se révèle incapable d'organiser une protection efficace dans la mesure où la prévention n'est pas une activité rentable." (A. Bordiga, Espèce humaine et croûte terrestre).
Car le capitalisme agit non seulement en partie comme cause des catastrophes climatiques actuelles (le fameux effet de serre et l'exploitation forcenée et désordonnée de la nature et de ses ressources énergétiques dans le seul but de faire du profit) mais il en aggrave de façon décisive les conséquences, comme les dernières catastrophes viennent l'illustrer dramatiquement.
Comme le souligne la citation de Bordiga, la logique du système ne peut que négliger la prévention et la protection des hommes par rapport au déclenchement de ces catastrophes (non entretien des infrastructures, manque de moyens pour lutter contre les fléaux et cette incurie expose en priorité les populations des pays ou des régions les plus pauvres : par exemple en Inde, les digues contre les inondations des fleuves ne sont plus entretenues ; en Chine, il y a eu d'énormes inondations qui ont détruit d'immenses territoires et de nombreuses habitations. La BBC a rapporté que ces inondations étaient un problème qui se répétait de plus en plus chaque année pour les habitants des polders des plaines inondables ; en Grèce, les habitants des villages les plus reculés en sont réduits à chercher à sauver leur maison menacée par les flammes des incendies en balayant le sol avec de dérisoires branches d'arbres comme contre-feux.
Par ailleurs, les populations sont poussées à se réfugier dans des régions où il y de l'eau pour assurer leur subsistance comme les rizières au Bangladesh ou en Asie du Sud Est et à s'installer dans des zones rapidement inondables. Quant aux conséquences, elles sont effroyables. La plupart de ces catastrophes entraînent des déplacements massifs de population ayant tout perdu, n'ayant nulle part où aller. Et ces masses de miséreux sont exposées soit à mourir de maladies épidémiques (notamment après les inondations qui putréfient l'eau et la terre), soit à mourir de faim. En Asie du Sud, ce sont plus de 20 millions de personnes supplémentaires qui sont menacées par la famine.
Tant que le capitalisme dominera le monde, la même incurie et la même impuissance de ce système vis-à-vis des catastrophes naturelles, se traduiront partout par une accumulation vertigineuse de victimes, morts ou sans-abri. Au même titre que le déchaînement de sa barbarie guerrière ou la misère à laquelle il réduit la majeure partie des populations , sa folie ne peut entraîner l'humanité nulle part ailleurs que vers sa destruction.
Maria / 08.2007
Dès le soir des élections, sur la base des résultats électoraux, la bourgeoisie belge concluait que la formule de direction de l'Etat qui s'imposait était ‘l'orange bleue', une coalition des sociaux-chrétiens et des libéraux. Pourtant, depuis maintenant près de trois mois, informateurs, formateurs et explorateurs se succèdent sans arriver cependant à amener les partis politiques à la table des négociations. Au contraire, les fractions se massacrent à coup d'interviews et de petites phrases assassines, dans une atmosphère de crise et de blocage communautaire et linguistique, qui amènent les médias à évoquer ouvertement des scénarios de scission du pays. Comment interpréter cette situation ? Pour ce faire, une compréhension plus globale de l'état de la société bourgeoise s'impose.
Est-ce que la situation économique est au beau fixe, est-ce que les mesures de rationalisation et d'austérité contre la classe ouvrière sont devenues superflues ? Certes non. Face à une situation économique extrêmement instable, face au développement de la combativité de la classe ouvrière, la capacité de mettre en place les attaques massives indispensables sans provoquer des luttes à grande échelle, reste une constante dans les objectifs de la bourgeoisie. Mais aujourd'hui, un autre facteur apparaît de plus en plus à l'avant-plan, détermine de plus en plus de plus les priorités de la vie politique de la bourgeoisie en général et la composition des équipes gouvernementales en particulier.
Avec la disparition des blocs russe et américain, les tendances centrifuges au sein de la société capitaliste décadente, jusqu'alors contenues à grands efforts à travers la hiérarchie des deux blocs, commencèrent à se libérer rapidement, laissant la place au chaos, au « chacun pour soi », à des poussées irrationnelles, et ceci jusque dans les systèmes politiques des grands pays industrialisés. Ainsi, le fait que la bourgeoisie la plus puissante du monde, la bourgeoisie US, ait laissé gouverner le pays pendant deux législatures par la bande de gaffeurs incompétents que constitue l'administration Bush est en réalité révélatrice de la crise profonde des classes dirigeantes et a en retour participé à engendrer une exacerbation effroyable du "chacun pour soi" et une explosion de chaos et de barbarie sur toute la planète.
Dès lors, l'impact de la décomposition de la société bourgeoise et la nécessité d'y faire face devient une préoccupation de premier plan au niveau de la vie politique de la bourgeoisie. Cette tendance générale est accentuée en Belgique par le poids spécifique des tensions entre les fractions ‘régionales' de la bourgeoisie belge qui existent potentiellement depuis la création artificielle de l'Etat belge. L'extension de la décomposition et du ‘chacun pour soi' dans le monde à la fin du 20e siècle a rendu la recherche et l'imposition d'un fragile équilibre entre les fractions régionales de plus en plus illusoires et incertaines, les tensions et les contradictions encore plus explosives, en particulier avec une partie de la bourgeoisie flamande qui veut se défaire "de ce gouffre à millions qu'est l'industrie wallonne non rentable''.
Ces tensions régulières ont produit une série de phénomènes qui rendent la vie politique de la bourgeoisie belge particulièrement complexe à gérer :
- il y a tout d'abord la fragmentation du paysage des partis, avec, depuis la fin des années '60, la lente érosion des grands partis populaires socialistes et sociaux-chrétiens qui dominaient largement la vie politique et l'avènement de partis régionalistes. Sur ce plan, la bourgeoisie a essayé d'éliminer ceux-ci en les faisant absorber par les partis traditionnels mais cela lui est revenu à la figure tel un boomerang puisque cela n'a eu comme résultat qu'une déstabilisation de ces mêmes partis traditionnels, comme on a pu l'observer ces dernières années avec le parti libéral flamand de l'ex-premier ministre Verhofstadt ou aujourd'hui même avec le "vainqueur" des élections, les sociaux-chrétiens du CD&V ;
- l'explosion du vote protestataire et irrationnel dans un pays où le vote est obligatoire a mené au développement d'un populisme politique, fortement teinté de nationalisme (flamand), ce qui a favorisé la montée en puissance de partis ouvertement populistes et séparatistes, tels le Vlaams Blok/ Belang et, dans une moindre mesure la ‘liste Dedecker' ;
- la multiplication des affaires de corruption ainsi que la gangstérisation croissante de la société, se sont largement exprimées ces dernières années et ont particulièrement éclaboussé récemment le parti socialiste francophone à travers les nombreux scandales.
La complexification de l'appareil politique de la bourgeoisie et une certaine perte de fiabilité de composantes de celui-ci ont fait que la bourgeoisie belge rencontre des difficultés croissantes à orienter le résultat des élections selon ses besoins et à former rapidement une équipe gouvernementale solide.
De fait, la bourgeoisie a été surprise par le résultat des élections. Alors qu'elle s'était préparée à mettre sur pied une coalition des deux grandes familles ‘populaires' social-chrétienne et socialiste, elle a été prise de cours par la défaite des partis socialistes, en Flandre (débâcle du SPa) comme en Wallonie (recul prononcé du PS de Di Rupo). D'autre part, le vainqueur des élections, le social-chrétien flamand Yves Leterme avait, dans des buts électoralistes constitué un cartel avec une petite formation séparatiste (la NVA de B. De Wever) et mis en avant des revendications régionalistes fortes, ce qui rendait sa marge de manœuvre particulièrement étroite. Ceci d'autant plus que l'autre vainqueur, le parti libéral wallon compte dans ses rangs une fraction francophone radicale et que ses revendications le mettaient en porte à faux par rapport au parti social-chrétien francophone de Joëlle Milquet, rebaptisé ‘démocrate humaniste', qui est farouchement opposé à une régionalisation plus poussée de l'Etat et avait développé un profil politique de ‘gauche' afin de s'allier au PS dans le gouvernement régional wallon.
Ces contradictions entre les forces en présence, conjuguées avec la complexité du système politique, en particulier :
- la disparition de partis nationaux, ce qui fait qu'une majorité gouvernementale implique au moins un accord entre quatre partis représentant une majorité dans chacune des communautés linguistiques du pays ;
- la coexistence d'un gouvernement fédéral et de gouvernements régionaux, élus à des moments différents, ce qui génère des majorités parfois contraires selon les gouvernements et une ambiance de (pré)campagne électorale quasi permanente, expliquent les grandes difficultés auxquelles se heurtent les négociations entre partis. Ces difficultés et ces palabres ne font à leur tour qu'exacerber les tensions et les campagnes. Si la bourgeoisie dans sa globalité n'a pas intérêt à pousser au séparatisme, la confrontation des fractions politiques, organisées régionalement, peut favoriser l'éclosion d'appels irrationnels à la séparation définitive des communautés qui n'arrivent pas à s'entendre. D'autres fractions pour leur part favorisent au contraire ces tensions pour mettre en avant la nécessité de prendre des mesures énergiques pour renforcer les compétences de l'Etat central et pour simplifier les processus de décision et de gestion politiques.
Les difficultés de la bourgeoisie ne bénéficient pas aux travailleurs
Le fait que la vie de la bourgeoisie belge est secouée depuis longtemps par des tensions internes, ne l'a jamais empêchée, depuis le début du 20e siècle, d'exploiter avec maîtrise ces tensions contre la classe ouvrière. L'exploitation systématique de celles-ci est une constante de la politique anti-ouvrière de la bourgeoisie belge depuis la première guerre mondiale et en particulier depuis la reprise de la lutte de classe à la fin des années 1960, et ceci sur plusieurs plans:
- La politique de ‘transfert de pouvoir aux régions' a servi tout d'abord de légitimation à la mise en place de restructurations dans l'industrie et l'administration, comme le démontre encore de façon caricaturale le récent ‘Plan Marshall pour la Wallonie' du gouvernement régional wallon. Depuis les années 1970, la réduction des budgets et des effectifs sous le couvert d'une 'meilleure efficacité' est une caractéristique des administrations 'régionalisées', tels l'enseignement, les travaux publics, les transports en commun, le personnel communal ou le chômage. Quant aux industries déficitaires - la sidérurgie en Wallonie ou les chantiers navals en Flandre -, elles ont été rationalisées et fermées au nom du dynamisme régional qui ne peut s'encombrer de ‘canards boiteux';
- Les confrontations communautaires et régionales ont en outre savamment été montées en épingle et dramatisées pour camoufler les attaques contre la classe ouvrière. Ainsi, tout au long des années 1990, le processus de fédéralisation de l'Etat a occupé la une des médias au moment même où des mesures d'austérité extrêmement dures étaient prises pour restreindre de manière drastique le déficit budgétaire de l'Etat. Les menaces verbales de séparatisme auxquelles répondent des professions de foi unitaristes étaient accentuées pour polariser l'attention de la population, surtout évidemment des travailleurs, et pour les détourner des vrais enjeux;
- Un battage médiatique constant a été développé pour mobiliser les travailleurs derrière les intérêts de ‘leur' communauté linguistique et tout est fait pour instiller une concurrence entre régions. Ainsi, les médias bourgeois martèlent à longueur de journée que "la Flandre ne veut plus payer pour l'acier wallon déficitaire", que "la Wallonie n'a rien à voir avec les chantiers navals flamands sans avenir", "que l'enseignement serait plus performant en Flandre", que "les chômeurs moins sanctionnés en Wallonie", etc. La mystification ‘sous-nationaliste' du ‘pouvoir régional' ne vise qu'un seul objectif : mobiliser les ouvriers derrière leur bourgeoisie (nationale ou régionale), dresser ainsi les ouvriers wallons contre leurs frères de classe flamands ou vice versa et leur faire accepter l'inéluctabilité de la crise et des sacrifices;
- Le poison régionaliste a enfin été une arme systéma-tiquement utilisée par la bourgeoisie pour diviser et isoler les luttes ouvrières qui surgissent. Lors de la grève générale de '60-'61, les socialistes et les syndicalistes wallons exploitèrent la mystification du fédéralisme pour diviser la lutte ouvrière et la dévoyer vers une impasse ; le nationalisme flamand a joué un rôle non négligeable dans les grèves sauvages des mineurs limbourgeois en 1966 et en 1970 ; récemment, lors des rationalisations drastiques à VW Forest, les ouvriers voulaient dépasser les carcans régionalistes mais patronat, gouvernement et syndicats se sont unis pour briser le mouvement en injectant à nouveau le poison communautaire.
Aussi, les travailleurs ne doivent pas se laisser embobiner par cette campagne autour du futur de la Belgique, qui ne sert fondamentalement qu'à brouiller la piste de classe mais au contraire prendre du recul et comprendre le jeux des forces en présence. La mystification ‘sous-nationaliste' essaie de cacher à la classe ouvrière que c'est une crise mondiale généralisée qui tue l'industrie wallonne et qui détruit l'industrie flamande, que c'est le capitalisme dans son entièreté qui est en crise et qui doit être mise en question. Et la bourgeoisie utilise habilement les distorsions de son état et les expressions de décomposition de sa propre vie politique pour entraver tout développement de la conscience parmi les travailleurs de cette réalité, pour désamorcer leur combativité et pour essayer de les lier à ‘leur' bourgeoisie régionale pour la ‘défense de leur région'.
Jos / 10.09.07
Un camarade de Lima qui correspond et discute régulièrement avec notre organisation nous a récemment transmis un article sur la grève des mineurs au Pérou en avril dernier (voir Acción proletaria no 195) et, alors que les feux de cette lutte n'étaient pas éteints, il nous a envoyé des éléments sur un mouvement d'enseignants qui se développait. Il s'agit là d'un effort que nous saluons chaleureusement. Il est, en effet, de la première importance que circulent rapidement les expériences, les leçons, les informations sur les luttes ouvrières qui surgissent mondialement. C'est pour ces raisons que les contributions du camarade sont un exemple que nous ne pouvons qu'encourager. L'article qui suit est repris entièrement des textes et des éléments d'informations que le camarade nous a adressés.
La situation sociale en Amérique du Sud est de plus en plus marquée par le développement de luttes ouvrières. Au Chili, des grèves à répétition ont lieu depuis l'an dernier dans les mines de cuivre, dont l'exploitation représente 40% de la production mondiale. C'est dire l'importance de ce secteur dans ce pays où la classe ouvrière connaît une très brutale dégradation de ses conditions de vie et de travail. Il est difficile d'obtenir des informations précises sur ces mouvements, tant les médias organisent le black-out sur ceux-ci. Nous savons seulement que les syndicats ont organisé la division la plus forte entre les ouvriers de l'entreprise étatique CODELCO et ceux des entreprises sous-traitantes, touchant un tiers de salaire en moins pour le même travail, de même qu'entre les grévistes et les ouvriers au travail. La grève aura duré trente-huit jours jusqu'en juillet, se terminant par des promesses d'amélioration de contrat pour les ouvriers en sous-traitance, sans pour autant modifier leur statut, ce qui était pourtant leur principale revendication.
Au Pérou, en avril, c'est dans les mines que la grève, partie de l'entreprise chinoise Shougang, s'est étendue dans tous les centres miniers du pays. Les syndicats ont, bien sûr, joué pleinement leur rôle réactionnaire, et en particulier dans la plus importante mine du pays, Yanacocha (mine d'or qui se trouve à Cajamarca, au nord du pays, et qui produit entre huit cent et mille millions de dollars annuels), où ils ont entamé des pourparlers privés avec la direction et n'ont pas rejoint la grève. Les syndicalistes du bassin d'Oroya étaient même fustigés par la presse car ils continuaient à travailler.
A Chimbote, où la lutte des paysans et des chômeurs a été forte, l'entreprise Sider Pérou a été totalement paralysée. Les femmes des mineurs ont manifesté avec eux et avec une grande partie de la population de cette ville. A Ilo, les routes ont été bloquées ainsi qu'à Cerro de Pasco, où 15 mineurs ont été détenus, accusés d'avoir lancé des pierres sur le local du Gouvernement régional. La presse bourgeoise s'est em-pressée de proclamer que la grève était un échec, s'appuyant sur la ministre du secteur, Pinilla, pour ne compter que 5700 mineurs en grève alors qu'il y en avait 120 000.
Dans les montagnes de Lima, les mineurs de Casapalca ont séquestré les ingénieurs de la mine qui les menaçaient de licenciement s'ils abandonnaient leur poste. La ministre a déclaré que la grève était illégale car le préavis n'avait été que de quatre jours au lieu des cinq exigés par la loi. Le patronat a embauché du personnel en contrat précaire et la ministre a menacé de licenciement les mineurs qui poursuivaient la grève.
Quelques étudiants de l'Université de San Marcos de Lima se sont solidarisés avec les mineurs et leur ont amené de la nourriture pour les "marmites communes", pratique courante dans toutes les grèves au Pérou, que ce soit chez les enseignants, les infirmières ou les ouvriers des mines. Ce partage de nourriture avec les familles sert aussi à échanger des expériences et à analyser collectivement la lutte au jour le jour.
Il est tout à fait significatif que cette grève nationale illimitée ait eu lieu après 20 années de calme social dans ce secteur.
Le 19 juin, le dirigeant syndicaliste des enseignants Huaynalaya a appelé à une grève nationale, et son appel a trouvé un écho dans tout le pays. Huaynalaya est considéré par la presse comme un opposant à la majorité du syndicat d'enseignants SUTEP, qui assume plutôt une orientation pro-chinoise dans la ligne du parti Patrie rouge.
Le syndicat s'est quand même joint à la grève le 5 juillet. Les jours précédents, les journalistes dont les programmes politiques ont le plus d'écoute ont consacré de larges espaces à dénigrer le mouvement.
La position de la presse est on ne peut plus claire. Les enseignants seraient responsables de leur propre incapacité intellectuelle et sont accusés de la "gréviculture" privant les enfants et les adolescents de la nation de précieuses heures de cours. Il faut ici remarquer que l'argument est contradictoire, car en quoi peuvent être précieuses des heures de cours données par des incapables ? Ils craignent essentiellement que les élèves sortent dans la rue soutenir les enseignants comme ils l'avaient fait en 1977, expérience qui fit surgir alors de nouvelles générations de militants de divers partis qui se tournèrent vers la lutte armée.
Le ministre de l'Education lui-même affirma à la journaliste Palacios qu'il n'y avait que 5000 grévistes sur les 250 000 enseignants employés par son ministère. Il dut ensuite reconnaître son "erreur". Les mobilisations s'étendaient dans tout le pays : à Juliaca, Puno, Ucayali, Ayacucho et Huanuco. Les enseignants étaient, en outre, soutenus par toute la population, comme cela avait été aussi le cas deux mois auparavant, quand les grèves minières mobilisèrent presque tout le pays. Le travail de coordination et les secteurs les plus combatifs capables de tirer un bilan de cette expérience restent encore très limités. Les syndicats restent au premier plan et deviennent un frein au mouvement de revendications ouvrières.
Les luttes actuelles au Pérou et qui couvrent tout le territoire sont le fruit d'une confluence d'événements qui trouvent leurs origines dans deux sources de mécontentement. D'une part, les revendications à caractère régional, en particulier à Pucallpa où la ville fut prise et isolée durant plus de 15 jours et, de l'autre, la grève du syndicat d'enseignants SUTEP commencée le 19 juin en province par les enseignants opposés aux orientations du parti "Patrie rouge" (parti de gauche de la bourgeoisie) et rejointe par la suite par l'ensemble du syndicat, entraînant l'adhésion de la majorité des 320 000 enseignants du Pérou à partir du 5 juillet.
Cette mobilisation jointe aux revendications régionales (hétéroclites et forcément très localistes) suscita une gigantesque réaction de masse dans tout le pays. Le nombre de blessés et de détenus reste inconnu, et les occupations de locaux, incendiés et détruits avec affrontements contre la police, se sont répandues dans tous les départements en lutte. Le ministère a avoué, le 9 juillet, qu'il restait 75 conflits non résolus, ce qui indique que leur nombre doit être bien plus élevé.
Les luttes actuelles, malgré la violence qu'elles déchaînent, ne contiennent pas une perspective d'autonomie du prolétariat qui fasse que celui-ci lutte pour ses propres objectifs et son propre programme. Le prolétariat est en ce moment soumis aux intérêts de la bourgeoisie locale et à ses alliés petits-bourgeois de tout poil (intellectuels, journalistes...), mais les prolétaires qui interviennent dans ces mouvements doivent constituer les noyaux qui permettent de tirer les leçons et favorisent l'autonomie de la lutte, seul chemin de la seule classe capable d'en finir avec le désespoir du système capitaliste et son cortège de misère, de mort et de destruction, la classe ouvrière.
Lima / 9.07.2007
L'été 2007 a encore confirmé l'aggravation de l'horreur et du chaos guerrier dans de nombreuses parties du monde. Si la situation s'est relativement et tout à fait momentanément apaisée au Liban, l'Afghanistan a vu une recrudescence des combats et des attentats terroristes talibans et c'est encore particulièrement l'Irak qui s'enfonce dans l'épouvantable. Les morts s'y comptent quotidiennement par dizaines, dans les affrontements armés comme dans les attentats-suicide et les massacres organisés de populations. Cette violence aveugle et folle s'exacerbe et s'étend sur ce pays dans un mouvement de véritable fuite en avant qui est devenu incontrôlable. 500 personnes de la communauté yazidie1 ont ainsi été assassinées en quatre attentats successifs au mois d'août, alors que se déchaînent avec une brutalité sans précédent les exactions entre Kurdes, Sunnites et Chiites, souvent en leur sein même. En juillet seulement, 1650 civils irakiens ont été tués et le bilan du mois d'août s'annonce encore plus lourd.
Ce qui n'empêche pas le président irakien de déclarer : "Il n'existe pas de guerre chiite-sunnite, mais des divisions à l'intérieur de ces communautés"2 . Rien de plus, rien de moins !
Depuis 2003, plusieurs dizaines de milliers d'Irakiens sont morts directement des effets de la guerre, la population est affamée, sans système de soins, l'électricité est devenue un luxe, tout comme l'eau. Bagdad s'est transformé en une collection de ghettos emmurés, abritant les bandes rivales et les communautés ennemies, tandis que des familles entières sont totalement séparées.
Plus de deux millions de personnes ont été déplacées à l'intérieur du pays, sans perspective autre que d'échapper immédiatement au massacre, et le même nombre a fui à l'étranger pour un avenir tout aussi incertain.
Quant à l'armée américaine, elle dénombre plus de 3000 morts "officiels", certaines sources hospitalières américaines officieuses parlant de 10 000, sans compter les cas de suicides qui ont frisé la centaine en 2006, et les rumeurs de foyers de révolte au sein de l'armée qui se font tous les jours plus précises.
Voilà "l'héritage" immédiat de la grande lutte de l'équipe Bush, et de la coalition qui l'a suivie, contre le terrorisme, dans une guerre que 58% d'Américains dénoncent aujourd'hui.
C'est dans le contexte de cette inhumanité hurlante que Kouchner, fervent défenseur de la guerre en Irak comme partout dans le monde du moment que cela se fait pour la "bonne cause", est venu s'ingérer à Bagdad, "par surprise" et pour apporter "un simple message d'amitié", en porteur du flambeau international de l'humanitaire. Cet inlassable voyageur et convoyeur de l'impérialisme français a demandé aux Irakiens "de la patience" car on était juste au "début, (il) espère, de la fin de la crise". Quel fin visionnaire ! Cependant, au-delà des aspects un tant soit peu ridicules et vains de ce voyage, il a pour signification une intention de la France de revenir sur la scène irakienne, où elle aimerait pouvoir y retrouver une influence. Il est évident que la France n'est d'aucun poids réel dans la situation irakienne, à l'image de celui d'une ONU à l'engagement de laquelle appelle Kouchner de tous ses vœux. Que ce soit dans le contexte du retrait éventuel des Etats-Unis ou dans celui de la continuation de leur présence, alors même que la Grande-Bretagne organise ses préparatifs de départ, on voit mal quel pourrait être l'apport objectif de Paris, qui voudrait "aider les Etats-unis à trouver une porte de sortie en Irak"3 , tandis que les services de renseignements français ne cessent de rapporter au président français les éléments du chaos et du désastre grandissant que connaît l'armée américaine. De plus, une implication de la France la mettrait une nouvelle fois en ligne de mire des terroristes.
Mais il faut cependant souligner l'ignominie et le cynisme du gouvernement de l'hexagone et de ses représentants qui, drapés du manteau de la paix et de l'humanitaire, utilisent les monstruosités de la guerre pour s'en horrifier en apparence et faire passer au fond leurs besoins impérialistes et militaires.
Pour ce qui est des Etats-Unis et de leur croisade anti-terroriste, l'échec est total et a mené Washington dans une véritable impasse. Les différentes options qu'elle peut à l'heure actuelle envisager lui sont toutes défavorables. Bush a été incapable de mettre en place un gouvernement un minimum crédible, qui n'est que l'expression directe des dissensions Chiites et Sunnites, gouvernement dont les représentants ont détourné au profit de leurs cliques respectives la moitié des armes livrées aux autorités officielles irakiennes par le Pentagone depuis trois ans. Sans compter avec une police dont de nombreux éléments permettent l'accès des camps militaires américains aux terroristes-kamikazes. Voilà pour la fiabilité des instances et des hommes mis en place par les Etats-Unis sur le territoire irakien. Que ces derniers restent ne changera rien à la situation sinon l'aggraver encore sur place et exciter davantage l'opposition anti-guerre aux Etats-Unis. Quant à un départ, qui ne pourra se faire que sur de nombreux mois avec la présence de 150.000 hommes et de leur matériel, il est humainement périlleux pour l'armée américaine elle-même, en ouvrant la route d'une explosion de la terreur guerrière tous azimuts encore pire que celle existante et les portes de l'Irak à un Iran qui attend son heure. Et ce ne sont pas les 90 hommes que l'ONU se projette de dépêcher sur place, au lieu des 65 déjà présents, qui vont faire contrepoids !
Cependant, la perspective du retrait au moins partiel est désormais envisagée par l'administration Bush. Et c'est en ce sens, et pour contrebalancer les velléités hégémoniques de Téhéran, qu'elle s'efforce de mettre sur pied un bloc des pays arabes alliés de l'Amérique en leur offrant le renforcement de leur potentiel militaire : 20 milliards d'armement ultra-sophistiqué en dix ans pour l'Arabie saoudite, le Qatar, Bahreïn, le Koweït, les Emirats arabes unis et 13 milliards de dollars pour la même période à l'Egypte. Mais il y a un hic, car Israël a exigé sa propre contrepartie, du fait qu'il ne pouvait voir sa supériorité militaire dans le Moyen-Orient remise en cause ainsi que son rôle de "gendarme" de la région. Aussi, les Etats-Unis lui ont-ils fourni une "compensation" de 30 milliards de dollars d'armes, c'est-à-dire une augmentation particulièrement significative de 25 % de leurs fournitures militaires à Tel-Aviv.
On voit en définitive l'Amérique organiser elle-même une surenchère à l'armement dans une région déjà à haut risque et en direction d'un pays comme l'Arabie Saoudite accusée à Washington même de soutenir les terroristes sunnites, voire Al-Qaïda. Dans un monde où la règle est le "chacun pour soi", la réponse que tente d'y donner la première puissance mondiale ne fait qu'aggraver l'accélération de ce chacun pour soi et les tensions guerrières.
De façon plus large, c'est une sorte de fièvre de la course aux armements qui se développe significativement depuis fin 2006, et s'élargit à de nombreuses puissances. Et dans cette accélération dans la folie guerrière capitaliste, le nucléaire est de plus en plus en pointe. Ce n'est pas une surprise en soi. Les essais nucléaires de la Corée du Nord début 2006, les achats répétés de technologie nucléaire et de missiles à la Russie par l'Iran depuis un an, les velléités de pays secondaires comme le Brésil de reprendre leur programme nucléaire, etc., étaient des signes annonciateurs du fait que chaque pays ne se contente plus d'être sous le "parapluie" nucléaire de telle ou telle grande puissance mais exprime la volonté de se défendre lui-même.
Les Etats-Unis, en réponse à la destruction par un missile chinois d'un satellite météo en janvier 2007, destruction spatiale venant montrer la faiblesse potentielle américaine quant à sa capacité de diriger ses armes aériennes, navales et terrestres dans un conflit lointain, ont été une fois encore à l'origine de cette accélération par la proposition de renforcer leur bouclier anti-missile quasiment à la frontière de la Russie. Celle-ci ne pouvait évidemment que répondre, et n'attendait que cela, par la vague menace de viser l'Europe puis par celle plus concrète d'installer des missiles à Kaliningrad, en mer Baltique, juste entre la Pologne et la Lituanie, à deux pas du bouclier américain.
Mais la course à l'armement nucléaire ne concerne plus seulement les grandes puissances. On voit en effet une ceinture nucléarisée se développer au Moyen et au Proche-Orient jusqu'en Asie de l'Est. Si l'on compte l'Iran, force potentielle, on peut suivre un arc de cercle quasiment continu bourré de missiles nucléaires, d'Israël à la Corée du Nord en passant par le Pakistan, l'Inde et la Chine, le tout chapeauté par l'arsenal russe. En bref, une véritable poudrière atomique, en particulier dans certaines régions qui sont, déjà, des poudrières et des lieux de conflits guerriers permanents.
Dans le contexte de prolifération de conflits en tous genres d'aujourd'hui, le fil qui tient l'épée de Damoclès nucléaire sur nos têtes se fait toujours plus ténu. Ce ne sont pas les accords Salt ou autres qui garantissent quoi que ce soit. C'est seulement le développement massif des luttes ouvrières jusqu'au renversement de cette société capitaliste qui est une nécessité pour en finir avec la menace guerrière, terroriste ou nucléaire, et ouvrir la voie à un futur pour l'humanité.
Mulan / 30.08.2007
1) Les Yazidis sont une communauté religieuse considérée comme hérétique pour l'orthodoxie musulmane sunnite. Un grand nombre d'entre eux sont des Kurdes.
2) Le Monde du 22 août 2007.
3) Cité par Le Canard Enchaîné du 22 août 2007.
La haine de la bourgeoisie mondiale à l'encontre de la Révolution Russe, de la prise du pouvoir par les masses ouvrières organisées dans leurs soviets en octobre 1917, est à la mesure de l'immense espoir et de l'écho que cet événement grandiose a suscité dans le prolétariat mondial. C'est pourquoi, depuis 90 ans maintenant, la classe dominante, ses historiens et idéologues, s'acharnent à dénaturer la signification réelle de cette première révolution consciente de l'histoire de l'humanité.
Nous avons déjà développé dans notre presse les différentes étapes du processus révolutionnaire qui débute en février 1917 en Russie (1). Face aux terribles souffrances que la guerre impérialiste mondiale imposait depuis deux ans et demi aux couches les plus pauvres de la population, la paysannerie et le prolétariat, face aux massacres dont ils étaient victimes sur le front, l'insurrection des ouvriers et soldats de Pétrograd avait balayé en quelques jours le régime tsariste. Mais ni l'organisation, ni la conscience de la classe ouvrière, ni, de l'autre côté, le degré d'affaiblissement politique de la bourgeoisie, n'étaient suffisants pour que cette insurrection puisse donner le pouvoir au prolétariat. Elle fut usurpée par les secteurs "démocratiques" et "libéraux" de la bourgeoisie, avec à leur tête un "gouvernement provisoire" qui poursuivit et même intensifia la participation de la Russie à la guerre impérialiste. Pendant plusieurs mois, la classe ouvrière, y compris son avant-garde, le parti bolchevik, se débattit dans des illusions à l'égard de ce gouvernement, empêchant l'apparition d'une perspective claire sur la marche à suivre. Ce n'est qu'à partir d'avril, avec les thèses de Lénine sur "les tâches du prolétariat dans la présente révolution" (2) que cette perspective fut tracée par les bolcheviks : le renversement du gouvernement provisoire, la prise du pouvoir par les soviets comme première étape de la révolution prolétarienne mondiale. A ce moment-là, seuls les détachements les plus avancés de la classe ouvrière soutenaient une telle perspective. La nouvelle offensive militaire lancée le 18 juin par le gouvernement provisoire attisa la colère des masses organisées dans les conseils ouvriers de la capitale et aboutit aux journées insur-rectionnelles de juillet 1917. Cependant cette révolte pré-maturée à Pétrograd était un piège provocateur, attisé par la bourgeoisie. Cette dernière essaya de faire endosser la responsabilité de l'échec de l'offensive militaire au prolétariat de la capitale pour l'écraser, lui et les bolcheviks, alors que les conditions de la révolution n'étaient pas encore mûres dans le reste du pays. Face à ce mouvement d'ampleur, les bolcheviks, conscients de son caractère prématuré, parvinrent à en prendre la tête tout en empêchant son issue insurrectionnelle qui aurait été fatale au processus révolutionnaire en cours. Il s'ensuivit néanmoins une répression brutale mais limitée malgré tout, les bolcheviks furent mis hors-la-loi, Lénine fut accusé d'être à la solde du gouvernement allemand pour déconsidérer l'ensemble des bolcheviks aux yeux des prolétaires (3).
La défaite de juillet poussa la bourgeoisie entre août et septembre à en finir avec le "cauchemar révolutionnaire". Se partageant la besogne entre le bloc "démocratique" de Kerensky et le bloc ouvertement réactionnaire de Kornilov, chef des armées, elle organisa le coup d'Etat de ce dernier qui rassembla des régiments de Cosaques, de Caucasiens, etc., qui semblaient encore fidèles au pouvoir bourgeois et essaya de les lancer contre Pétrograd. La mobilisation des masses ouvrières, le refus des soldats de suivre Kornilov aboutit à l'échec retentissant de cette tentative de putsch. "Le coup d'Etat manqué de Kornilov (...) entraîne une mobilisation nouvelle du prolétariat. Dès lors, la situation se corse de plus en plus, menaçant de devenir désespérée pour le prolétariat dont les privations s'aggravent (...) ; elle s'aggrave pour les paysans qui voient la révolution agraire promise par les socialistes-révolutionnaires au pouvoir, sans cesse différée (...) ; elle s'aggrave pour l'armée et la flotte, contraintes de continuer au service de classes ennemies une guerre désespérée..." (4). Cette recrudescence de la mobilisation ouvrière, apparue dès la mi-août, avait pour axe le renouvellement des soviets confisqués et dénaturés par les forces bourgeoises mencheviks et socialistes-révolutionnaires. Les ouvriers étaient de plus en plus convaincus qu'ils ne répondaient plus à leurs intérêts. Une intense auto-activité se développa au sein des masses et des soviets, des résolutions se multiplièrent au fil des réunions, aboutissant à l'élection de majorités révolutionnaires formées de délégués bolcheviks, mencheviks internationalistes, socialistes-révolutionnaires de gauche (à Helsinfors, Ural, Kronstadt, Reval, la flotte de la Baltique, etc.). Le 31 août, à Pétrograd, et début septembre à Moscou, les motions bolcheviks obtinrent pour la première fois la majorité. Désormais, les conditions de la révolution étaient mûres. A partir de la mi-septembre, une marée de résolutions demandant la prise du pouvoir déferla depuis les soviets locaux ou régionaux (Kronstadt, Ekaterinoslav, etc.). Depuis son exil en Finlande, Lénine exhorta le comité central du parti bolchevik à s'atteler immédiatement à la préparation des soviets à l'insurrection avant que la bourgeoisie ne se ressaisisse et passe à une contre-offensive sur le modèle de celle de Kornilov. Malgré de fortes résistances au début au sein du comité central du parti bolchevik, une résolution fut adoptée le 10 octobre pour la préparation immédiate de l'insurrection. A partir de ce moment, l'agitation des révolutionnaires en faveur de l'insurrection fut systématique dans les usines, les casernes, les meetings, les réunions de soviets. La veille, le 9 octobre, avait été créé le "Comité militaire révolutionnaire" du soviet de Pétrograd, présidé par Trotsky, dont la tâche était de "participer à la défense de la capitale avec le concours actif des ouvriers" (5).
Contrairement aux allégations crapuleusement intéressées de toutes les composantes bourgeoises sur le soi-disant complot, putsch organisé et dirigé par les bolcheviks, il faut mettre en lumière le caractère massif, ouvert et collectif de la décision et la volonté des ouvriers, avec en leur sein les bolcheviks, de passer à l'insurrection. Elle correspond à l'initiative créative des masses, poussées par les atermoiements volontaires du gouvernement provisoire sur les promesses jamais tenues, la dégradation inouïe des conditions de vie du prolétariat et des masses paysannes dont les révoltes en septembre constituèrent un élément important de la maturation révolutionnaire et les firent basculer du côté des ouvriers. Elle est le fruit d'une organisation simple et admirable, des discussions et des débats qui donnèrent lieu à des résolutions synthétisant la conscience acquise par les masses, le recours à la persuasion et à la conviction, etc. Le déclenchement très proche de cette insurrection était un secret de polichinelle pour tout le monde : pour preuve, le Congrès des Soviets de la Région Nord, réuni les 11-13 octobre, appelait ouvertement à l'insurrection. Même chose à Minsk...
Le 22 octobre eut lieu "la journée du soviet de Pétrograd", où ce sont des foules immenses d'ouvriers et de soldats qui se pressèrent en de multiples lieux publics pour participer à des meetings où les slogans les plus repris étaient : "A bas le gouvernement Kerensky !", "A bas la guerre !", "Tout le pouvoir aux soviets !". Ce fut un acte gigantesque dans lequel les ouvriers, les employés, les soldats, des femmes, des enfants, marquèrent ouvertement leur engagement dans l'insurrection. Les mencheviks et socialistes-révolutionnaires et autres forces bourgeoises ne se trompèrent pas sur l'inéluctabilité de la phase finale de la révolution représentée par la prise du pouvoir par les conseils ouvriers. Ils réussirent une dernière fois à différer le deuxième congrès pan-russe des Soviets qui était initialement prévu le 15 octobre jusqu'au 25, obtenant ainsi un sursis de 10 jours. "Vous fixez la date de la révolution !" disaient les mencheviks aux bolcheviks, ce qui montre l'énorme mensonge d'un putsch préparé dans l'ombre ! Ensuite les événements se précipitèrent : le 23 octobre, le Comité Militaire Révolutionnaire (CMR) partit à la conquête des troupes hésitantes, notamment celles de la forteresse Pierre et Paul ; le 24, commença la prise de possession des positions décisives du pouvoir (le central téléphonique, la Banque d'Etat, etc.). Enfin, comme prévu, le 25 octobre, c'est l'encerclement du gouvernement provisoire au palais d'Hiver permettant la prise du pouvoir par le second Congrès des Soviets. Contrairement, là encore, aux interprétations orientées de la bourgeoisie depuis cet événement, les bolcheviks ne prirent pas le pouvoir dans le dos du Congrès des Soviets, le mettant devant le fait accompli. Comme nous l'écrivions dans la Revue Internationale n°72 : "C'est le prolétariat dans son ensemble qui se donna les moyens d'avoir la force nécessaire - armement des ouvriers, formation du CMR, insurrection - pour que le Congrès puisse prendre effectivement le pouvoir. Sans cette préparation antérieure, la décision du Congrès des soviets de "prendre le pouvoir" n'aurait été qu'une gesticulation inutile facilement désarticulée par les ennemis de la révolution. On ne peut comprendre la tenue du Congrès des soviets comme un acte isolé, formel. Il faut le replacer dans toute la dynamique générale de la classe et, concrètement, à l'intérieur d'un processus dans lequel se développaient les conditions de la révolution à l'échelle mondiale et où, à l'intérieur de la Russie, une infinité de soviets locaux appelaient à la prise du pouvoir ou le prenaient effectivement : c'est simultanément qu'à Pétrograd, Moscou, Tula, dans l'Oural, en Sibérie, etc., les soviets firent triompher l'insurrection."
Si l'insurrection fut l'oeuvre des soviets, ceux-ci n'auraient pu la mener à bien sans le rôle décisif du parti bolchevik, qui tout au long du processus révolutionnaire a agi en symbiose avec la classe dans son ensemble. Son activité avait pour axe central le développement de la conscience de classe : "C'est précisément un patient travail de clarification de la conscience de classe du prolétariat et de cohésion des prolétaires de la ville et de la campagne". (5). D'autre part, il faisait confiance en la capacité d'union et d'auto-organisation du prolétariat : "Ne croyez pas aux paroles. Ne vous laissez pas leurrer par des promesses. Ne surestimez pas vos forces. Organisez-vous dans chaque usine, dans chaque régiment et dans chaque compagnie, dans chaque quartier. Travaillez à vous organiser jour après jour, heure après heure..." (6). La victoire de la révolution, "les bolcheviks la durent à leur intelligence des besoins de la classe ouvrière" (4). En outre, à l'inverse de la bourgeoisie et de par sa situation spécifique au sein de la société, le prolétariat n'a aucune assise économique ou politique au sein de la société. Ses seules armes sont sa conscience (produit des leçons qu'il dégage de son expérience historique contre le capitalisme et facteur actif de sa lutte) et son organisation (d'une part son organisation unitaire, les conseils ouvriers, et d'autre part, son organisation politique, le parti qui regroupe les éléments les plus conscients de la classe). La défaite ultérieure de la révolution commencée en Russie sera due en premier lieu à la défaite de la révolution mondiale (échec de la révolution allemande en priorité) et à l'isolement du premier bastion prolétarien. Quant à l'art de l'insurrection, Lénine disait : "L'insurrection, pour être couronnée de succès, doit avoir pour appui non un complot, non un parti, mais la classe avancée. Cela premièrement. L'insurrection doit s'étayer d'un élan révolutionnaire du peuple. Cela en deuxième lieu. L'insurrection doit s'appuyer sur un tournant de l'histoire de la révolution grandissante, au moment où l'activité des masses populaires atteint son plus haut degré, où les hésitations dans les rangs ennemis atteignent le leur, comme parmi les faibles amis de la révolution, équivoques et indécis. Cela en troisième lieu. Par cette façon de poser les trois conditions de l'insurrection, le marxisme diffère du blanquisme" ("Marxisme et Insurrection"). En ce sens, l'Octobre prolétarien est toujours vivant à travers l'exemple qu'il nous a fourni de la nécessité, de la possibilité et des moyens à mettre en oeuvre pour la révolution communiste mondiale.
L'effondrement du bloc de l'Est en 1989 a redoublé le déchaînement de mensonges à l'égard de cette révolution prolétarienne d'Octobre 17. Le plus crapuleux de ces mensonges est celui qui prétend que la chute fracassante des régimes de l'Est, cette faillite définitive du stalinisme, c'est celle précisément de la révolution d'Octobre 17. "Le communisme est mort" répètent-ils à satiété. Dans cette équivalence éhontée du communisme et du stalinisme, ce dernier étant le concentré hideux du capitalisme décadent, démocrates et staliniens ainsi que les groupes trotskistes se sont toujours retrouvés, au-delà de leurs oppositions, dans une sainte alliance pour dire aux ouvriers que c'est le socialisme qui, malgré ses travers et déformations, a régné à l'Est. Le maintien de cette monstrueuse fiction du "socialisme" à l'Est, représente, aujourd'hui plus que jamais, un enjeu considérable pour la bourgeoisie. Il s'agit de faire croire aux ouvriers qu'il n'y a rien à espérer en dehors du capitalisme. Si selon la propagande bourgeoise, révolution = goulag, c'est que de toutes façons, Octobre 17 ne fut qu'un "vulgaire coup d'Etat" fomenté par les "méchants bolcheviks". Cette falsification cynique illustre à quel point la bourgeoisie mondiale craint par-dessus tout une entreprise comme celle d'Octobre dans laquelle des millions de prolétaires, entraînant derrière eux toutes les autres couches exploitées de la société, sont parvenus à s'unifier consciemment et à agir collectivement pour devenir maîtres de leur propre destinée. En effet, la révolution d'Octobre 17 en Russie et la vague révolutionnaire mondiale qui l'a suivi jusqu'au début des années 20, restent jusqu'à présent le seul moment de l'histoire où la domination bourgeoise a été ou renversée par le prolétariat (en Russie en 1917) ou réellement menacée par celui-ci (en Allemagne en 1919).
SB
(1) Internationalisme n°330(2) Internationalisme n°331
(3) Internationalisme n°332
(4) Victor Serge, L'An I de la Révolution Russe, tome 1, Editions Maspéro.
(5) Trotsky, Histoire de la Révolution Russe.
(6) Lénine, Introduction à la conférence d'avril 1917.
Nous informons nos lecteurs de la création d'un noyau du CCI au Brésil. C'est pour nous un évènement de grande importance qui vient concrétiser le développement de la présence politique de notre organisation dans le pays le plus important d'Amérique latine, pays qui compte les plus grosses concentrations industrielles de cette région aussi bien qu'à l'échelle internationale. Il existe également dans ce pays un milieu d'éléments attirés par les positions révolutionnaires, de même que des groupes politiques prolétariens. Parmi ceux-ci, nous avons déjà signalé dans notre presse et sur notre site en portugais l'existence de l'Opposition Ouvrière (OPOP). Existe aussi dans l'Etat de São Paulo un groupe en constitution, influencé par les positions de la Gauche communiste, avec lequel nous avons établi plus récemment des relations politiques régulières, dont la tenue de réunions publiques en commun.
Nous espérons évidemment que la collaboration avec ces groupes sera de plus en plus étroite et fructueuse, perspective qui n'est nullement contradictoire avec notre volonté de développer spécifiquement la présence politique du CCI au Brésil. Bien au contraire, notre présence permanente dans ce pays permettra que se renforce encore la collaboration entre nos organisations, d'autant plus qu'entre notre noyau et OPOP existe déjà une longue histoire commune, faite de confiance et respect mutuels.
La création de notre noyau est la concrétisation d'un travail engagé par le CCI de façon ponctuelle, il y a plus de 15 ans et qui s'est intensifié ces dernières années à travers la prise de contact avec différents groupes et éléments, la tenue de réunions publiques dans différentes villes, dont certaines dans des universités ayant suscité un grand intérêt de la part d'une assistance nombreuse. Il ne s'agit évidemment pas pour nous d'un aboutissement mais d'une étape significative dans le développement de la présence des positions de la Gauche communiste sur le continent sud-américain. Loin de constituer une exception brésilienne, cet évènement fait partie du même phénomène d'apparition de groupes partout dans le monde et qui est le produit, dans une dynamique de reprise des combats de classe à l'échelle inter-nationale, de la tendance de la classe ouvrière à secréter des minorités révolutionnaires.
CCI / 06.07
Fin août, des manifestations ont explosé en Birmanie suite à l'augmentation brutale et drastique des prix de l'énergie : 66% pour l'essence, 100% pour le diesel et plus de 500% pour le gaz ! La raison officielle en était l'augmentation des prix des hydrocarbures mais il s'agissait de faire payer toujours plus à la population l'enfoncement catastrophique du pays dans la crise. L'Etat birman est déjà un des trois pays les plus pauvres de l'Eurasie et a un PIB aussi bas que celui de la Corée du Nord. La crise financière de ces derniers mois et ses répercussions sur l'économie mondiale n'a épargné aucun pays et surtout pas les plus faibles. Cette hausse des prix de l'énergie a provoqué inévitablement une hausse généralisée des prix de première nécessité. Aussi, la colère d'une population pressurée, survivant dans une situation de misère chronique, subissant le joug d'une clique militaire qui la contraint au « travail forcé », c'est-à-dire à l'esclavage, pour laquelle le viol est une pratique systématisée à grande échelle, était grande.
Officiellement, la répression des 26 et 27 septembre aurait fait (mi-octobre) dix morts et il y aurait eu 3000 arrestations tandis que les hommes de main du pouvoir birman poursuivent encore à l‘heure actuelle de véritables chasses à l‘homme sur tout le territoire. Comme tous les observateurs étrangers l‘affirment, le bilan réel est très certainement beaucoup plus lourd, tant la réputation de barbarie de la junte birmane est assise sur une réalité sanglante. Ainsi, lors des manifestations de protestation contre la vie chère de 1988, le bilan de la répression s‘était finalement élevé à 3000 morts, toujours "officiellement", entraînant là aussi la fuite de milliers de personnes vers les frontières.
La "communauté internationale" s‘est élevée avec la plus grande indignation contre cette "atteinte grave à la démocratie". L‘Union européenne n‘a pas cessé d‘annoncer des "sanctions économiques" comme le gel des avoirs à l‘étranger des responsables birmans ou un embargo sur les importations de bois et métaux. L‘ONU, par la voix de son émissaire, Ibrahim Gambari, "déplorait la répression » et, après avoir rencontré le 2 octobre les chefs militaires birmans, sans aucun résultat, proposait de se rendre en Birmanie... "la troisième semaine de novembre". Quant à Bush, il appelait à "une pression internationale énorme" pour contraindre la junte à accepter une "transition vers la démocratie", en regrettant amèrement ne pas être suivi par le reste du monde dans son initiative. Le pompon revenait à Nicolas Sarkozy et à son ministre des Affaires étrangères, le bien connu Bernard Kouchner. Le premier, dans de grands élans humanitaires, "envisageait" de réclamer de Total, qui soutient financièrement le pouvoir birman et en tire des bénéfices juteux pour l‘Etat français, de retenir ses investissements en Birmanie et même de les geler ; le second, auteur d‘un rapport d‘enquête mensonger de 2003 dédouanant la même entreprise d‘accusations selon lesquelles elle utiliserait le travail forcé de la population en Birmanie, préconisait plutôt d‘intervenir auprès des voisins asiatiques de la Birmanie, dont la Chine, pour qu‘ils fassent pression. Ce qui est certes plus commode et encore plus inutile, mais qui préserve les intérêts français.
La répression, la pauvreté, la misère, l‘exploitation la plus brutale, la classe bourgeoise s‘en contrefiche. Alors pourquoi tout ce battage, pourquoi ces déclarations "révoltées" ? Parce que derrière cette réaction de la bourgeoisie occidentale, il s‘agissait de faire passer ces manifestations et cette lutte de la population contre la misère pour un mouvement pour la démocratie, sous-entendu que, dans les pays démocratiques, on vit forcément mieux. C‘est pour cela que ce n‘est qu‘à partir du moment où les moines bouddhistes sont apparus dans les manifestations, comme en 1988, que la presse a commencé à en parler. C‘est pour cela encore que c‘est l‘opposition au pouvoir en place, incarnée par Aung San Su Kyi, qui a été présentée comme la seule planche de salut. Il ne s‘agissait pas tant de mystifier la faible classe ouvrière birmane que celle des pays occidentaux. Ce grand cirque médiatique fut une nouvelle occasion de leur faire avaler la potion démocratique comme remède à tous leurs maux.
Cependant, ces glapissements hypocrites étaient également et surtout dirigés vers la Chine, qui possède une influence grandissante sur le pays.
La plus grande frontière de la Birmanie est celle avec la Chine, son partenaire économique le plus important et fournisseur du gouvernement militaire du général Than Chew. La Chine reconstruit pour l'Etat birman l'ancienne route vers l'Inde. Elle y a envoyé 40 000 ouvriers de la construction. Des zones entières de la Birmanie sont complètement dominées par son puissant voisin, la langue et la monnaie chinoises y sont même de mise, tout comme si Pékin les dirigeait. La Birmanie fait partie de la stratégie d‘avancée de la Chine vers l‘Océan indien, avec des postes d'écoute et carrément une base navale. Elle est une pièce du "collier de perles" chinois, c‘est-à-dire des satellites-clés de Pékin. Avec une mainmise sur le Boutan (Tibet), la Chine étend de plus en plus son influence sur le Népal, la Birmanie, le Cambodge et le Laos, avec l'objectif de la poursuivre vers le Vietnam et l'Indonésie. Ses ambitions se portent vers l'ouest de l'Asie centrale et le sud de l'Océan indien. Cette montée de la Chine se manifeste ainsi par son agressivité particulière envers le Japon et Taïwan.
Cet intérêt et cette sollicitude des pays occidentaux comme de la Russie, l‘Inde, la France, les Etats-Unis ou encore l‘Australie, ont donc eu fondamentalement comme objectif de contrecarrer l'avancée impérialiste de Pékin et d‘y défendre leurs propres intérêts. Voilà la vraie raison de toutes ces hypocrites tractations "diplomatiques". Voilà quels sordides intérêts se cachent derrière toutes les déclarations « humanistes » des Sarkozy, Bush et consorts!
Wilma / 26.10.07
Il y a quelques mois déjà, nous avons reçu sur notre boîte Internet(1) deux messages concernant Che Guevara d'un camarade se nommant E.K. Nous publions ici la lettre que nous lui avons envoyée début avril tout en saisissant cette occasion pour compléter et élargir notre réponse aux questions restées alors en suspens. Nous rendons publique cette correspondance parce que, comme EK le dit lui-même, on est "dans les célébrations des 40 ans de sa mort au combat" et il s'agit pour nous, CCI, non pas de nous ajouter à la ronde de célébrations mais, bien au contraire, d'essayer de comprendre si Che Guevara était réellement un révolutionnaire et si la classe ouvrière et les jeunes générations doivent se revendiquer ou non de son action.
Pour le camarade EK, Che Guevara est un authentique combattant pour la cause des peuples opprimés. En effet, pour lui, "l‘internationalisme du Che est hors de doute. Il est le modèle du combattant international et de la solidarité entre les peuples". Il serait ainsi l'un des rares révolutionnaires à avoir osé critiqué le régime de l'URSS: "Lors du second séminaire de solidarité afro-asiatique, le Che critique sans ambages les positions conservatrices et exploiteuses de l‘URSS". Enfin, EK expose dans ce premier courrier sa vision du prolétariat et du rôle des révolutionnaires : "Quant à l‘agent historique de la transformation sociale, il n‘y a pas, me semble-t-il, de raison de réduire le concept de prolétariat aux seuls ouvriers, négation absolue de la condition humaine. (...) La tâche des intellectuels est d‘introduire dans le prolétariat la conscience de sa situation par des moyens éminemment politiques."
Suite à notre réponse, le camarade E.K nous a envoyé très rapidement un deuxième message dans lequel il tient à se démarquer d'emblée de tous ceux qui transforment le Che en icône, en multipliant les T-shirts et autres posters à son effigie : "La mythification du Che à travers la duplication de son image a tendance à occulter sa vie et son oeuvre.". Mais surtout, il y réaffirme que "poursuivant des objectifs distincts, le Che sera amené fort logiquement à se départir du modèle social-impérialiste de l‘URSS. La CIA et le KGB coopéreront même pour s‘en débarrasser lors de sa tentative révolutionnaire en Bolivie". Et le camarade de conclure : "Ernesto Che Guevara a payé sa probité intellectuelle de sa vie. Lui rendre hommage, c‘est lire ses textes ; perpétuer sa mémoire, c‘est continuer la lutte ; lui rendre justice, c‘est soutenir ses valeurs. A l‘aube des célébrations des 40 ans de sa mort au combat, il est plus que temps de redonner vigueur à sa pensée et vie à ses idées".
Nous te remercions pour ton message de début avril. Excuse-nous pour le retard de ce complément de réponse. Nous voulons faire ici une critique de ce que tu nous écris. Cette critique ne signifie pas pour nous une "fin de non-recevoir", bien au contraire. Nous sommes toujours disposés à répondre à tes questions et à tes points de vue. Nous voudrions répondre à ce que tu dis à propos de Che Guevara en étudiant le plus sincèrement et sérieusement possible ce que furent réellement, comme tu le demandes, "ses valeurs", "ses idées" et "sa lutte".
En ce mois d'octobre, on célèbre le 40e anniversaire de la mort de Che Guevara, tué par l'armée bolivienne, encadrée par la CIA américaine.
Depuis 1967, "le Che" est devenu le symbole de l'éternelle "jeunesse révolutionnaire romantique" : mort jeune, les armes à la main, luttant contre l'impérialisme américain, grand "défenseur des masses pauvres d'Amérique latine". Tout le monde a en tête cette image du Che avec son béret étoilé, regard triste et lointain.
Ses fameux Carnets de voyage ont grandement contribué à populariser l'histoire de ce révolté, venant d'une bonne famille un peu bohème d'Argentine, qui se lance dans un aventureux voyage à moto sur les routes d'Amérique du Sud, utilisant son savoir médical pour aider les pauvres... Il vit au Guatemala à un moment (1956) où les États-Unis fomentent un énième coup d'Etat contre un gouvernement qui ne leur convient pas. Cette mainmise permanente sur les pays d'Amérique latine de la part des États-Unis va nourrir toute sa vie une haine implacable contre ces derniers. Par la suite, il rejoint au Mexique le groupe cubain de Castro, réfugié dans ce pays après une tentative avortée de renversement du dictateur cubain, Batista, longtemps soutenu par les États-Unis2 . Après une série d'aventures, ce groupe s'installe dans les montagnes de Cuba jusqu'à la défaite de Batista, début janvier 1959. Le noyau idéologique de ce groupe est le nationalisme, le "marxisme" n'étant qu'une enveloppe de circonstance à une "résistance" anti-yankee exacerbée, même si quelques éléments, dont Guevara lui-même, se considèrent comme "marxistes". Le Parti communiste cubain, qui d'ailleurs en son temps avait soutenu Batista, envoie un de ses dirigeants, Carlos Rafael Rodríguez, auprès de Castro en 1958, quelques mois seulement avant la victoire de ce dernier.
Cette guérilla n'est pas du tout l'expression d'une quelconque révolte paysanne, encore moins de la classe ouvrière. Elle est l'expression militaire d'une fraction de la bourgeoisie cubaine qui veut renverser une autre fraction pour prendre sa place. Il n'y a aucun "soulèvement populaire" dans la prise de pouvoir de la guérilla castriste. Elle se présente, comme souvent en Amérique latine, sous la forme de la substitution d'une clique militaire par une autre formation armée dans laquelle les couches exploitées et miséreuses de la population de l'île, enrôlées ou non par les combattants putschistes de la guérilla, ne jouent pas un rôle important, sinon d'acclamer les nouveaux maîtres du pouvoir. Face à la résistance plutôt faible de la soldatesque de Batista, Guevara apparaît comme un intrépide guérillero, dont la détermination et le charisme grandissant apparaissent rapidement susceptibles de faire de l'ombre à son maître Fidel. Après la victoire sur Batista, Fidel Castro va charger le Che de mettre en place les "tribunaux révolutionnaires", une mascarade sanglante dans la meilleure tradition du règlement des comptes entre fractions des différentes bourgeoisies nationales, en particulier en Amérique latine. Che Guevara prend son rôle vraiment à cœur, par conviction et avec zèle, en mettant en place une justice "populaire" où, en guise de défoulement collectif, on juge les anciens tortionnaires de Batista, mais aussi on prend du "tout venant" sur simple dénonciation. D'ailleurs, Guevara s'en revendiquera plus tard à l'ONU, en réponse à des représentants latino-américains, bonnes âmes "démocratiques" qui s'offusquent de ces méthodes, en disant : "Nous avons fusillé, nous fusillons et nous continuerons à fusiller tant que ce sera nécessaire". Ces pratiques n'ont rien à voir avec la défense maladroite d'une quelconque justice révolutionnaire. Ce sont là, répétons-le, les méthodes typiques d'une fraction de la bourgeoisie qui a pris le dessus sur une autre par la force des armes.
Alors, on peut toujours s'identifier en rêve au "héros" austère de la Sierra Maestra, au "guérillero héroïque" qui mourra quelques années plus tard dans la montagne bolivienne mais, dans le monde réel, il n'a en fait tenu qu'un rôle d'exécuteur de basses oeuvres dans la mise en place d'un régime qui n'a de communiste que le nom.
Tu nous dis : "l'internationalisme du Che est hors de doute" et "Lors du second séminaire de solidarité afro-asiatique, le Che critique sans ambages les positions conservatrices et exploiteuses de l‘URSS" pour affirmer enfin "le Che sera amené fort logiquement à se départir du modèle social-impérialiste de l‘URSS".
Le régime nationaliste de Castro s'est vite enrobé du qualificatif "communiste", autrement dit, ce régime s'est rallié... au camp impérialiste régenté par l'URSS. Cuba étant située à quelques encablures des côtes américaines, ceci ne pouvait évidemment qu'inquiéter la tête du bloc de l'Ouest. Le processus de stalinisation de l'île, avec une présence importante de personnel civil, militaire et des services secrets des pays du bloc de l'Est, trouvera son point d'orgue en 1962 au moment de "la crise des missiles".
Dans ce processus, Che Guevara, maintenant ministre de l'Industrie (1960-61), pour souder la nouvelle alliance avec le "camp socialiste", est envoyé par Castro dans les pays de ce camp, où il se répand en discours dithyrambiques sur l'URSS : "ce pays qui aime si profondément la paix", "où règne la liberté de pensée", "la mère de la liberté"... Il célèbre tout autant "l'extraordinaire" Corée du Nord ou la Chine de Mao où "tout le monde est plein d'enthousiasme, tout le monde fait des heures supplémentaires" et ainsi de suite pour l'ensemble des pays de l'Est : "les réalisations des pays socialistes sont extraordinaires. Il n'y a pas de comparaison possible entre leurs systèmes de vie, leurs systèmes de développement et ceux des pays capitalistes". Un véritable VRP du modèle stalinien ! Nous reviendrons plus loin sur le "désamour" de Guevara avec l'URSS. Mais, contrairement à ce que tu affirmes, le Che n'a jamais émis le moindre doute de principe sur le système stalinien. Pour lui, l'URSS et son bloc étaient le camp "socialiste, progressiste" et sa propre lutte s'intégrait pleinement dans celle du bloc russe contre le bloc occidental. Le mot d'ordre lancé par Guevara "Créer un, deux, plusieurs Vietnams", n'est pas un mot d'ordre "internationaliste" mais bel et bien nationaliste et favorable au bloc russe ! Son critère réel n'est pas le changement social, mais la haine de l'autre tête de bloc, les États-Unis.
En effet, après la Seconde Guerre mondiale, le monde s'est trouvé divisé en deux blocs antagonistes, l'un régenté par la puissance américaine, l'autre par l'URSS. La "libération nationale" s'avéra alors une mystification idéologique parfaite pour justifier régulièrement l'embrigadement militaire des populations. Dans ces guerres, ni la classe ouvrière ni les autres classes exploitées n'avaient rien à gagner, servant de masse de manœuvre pour les différentes fractions de la classe dominante et de leurs parrains impérialistes. Le partage du monde en deux blocs impérialistes après les accords de Yalta a signifié que toute sortie d'un bloc ne pouvait signifier que la chute dans le bloc adverse. Et, justement, il n'y a pas de meilleur exemple que celui de Cuba : ce pays est passé de la dictature corrompue de Batista, sous la coupe directe de Washington, de ses services secrets et de toutes sortes des mafia, à la mainmise du bloc stalinien. L'histoire de Cuba est un concentré de l'histoire tragique des "luttes de libération nationale" pendant près d'un demi-siècle !
Alors, à la base, avant de dire quand et comment Guevara s'est prétendument plus ou moins "écarté" de l'URSS, il faut bien être clair sur la nature de l'URSS et de son bloc. Derrière la défense d'un Che Guevara révolutionnaire, il y a l'idée que l'URSS, peu ou prou, qu'on le veuille ou non, malgré ses défauts... était le "bloc socialiste, progressiste". C‘est là le plus grand mensonge du 20e siècle. Il y a bien eu une révolution prolétarienne en Russie, mais elle a été défaite. La forme stalinienne de la contre-révolution s'est donnée un mot d'ordre : la "construction du socialisme en un seul pays", mot d'ordre se situant à l'exact opposé du socle naturel et fondamental du marxisme. Pour le marxisme, "les prolétaires n'ont pas de patrie"3 ! C'est cet internationalisme, bien réel celui-là, qui a servi de boussole à la vague révolutionnaire mondiale qui a débuté en 1917 et à tous les révolutionnaires de l'époque, de Lénine et des bolcheviks à Rosa Luxemburg et aux Spartakistes4 . L'adoption aberrante de cette "théorie" d'une "patrie socialiste" à défendre a eu pour corollaire le recours systématique à une méthode bourgeoise : la terreur et le capitalisme d'Etat, ce talon de fer, expression la plus totalitaire et la plus féroce de l'exploitation capitaliste !
À l'origine des critiques du Che vis-à-vis de l'URSS, il y a "la crise des missiles", en 1962. Pour l'URSS, sa mainmise sur Cuba fut une aubaine. Enfin, elle pouvait rendre la pareille aux États-Unis, qui menaçaient directement l'URSS depuis les pays voisins de celle-ci, tels que la Turquie. L'URSS commence à installer des rampes de lancement de missiles à tête nucléaire à quelques miles des côtes américaines. Les États-Unis ripostent en mettant en place un embargo total de l'île, obligeant les bateaux russes à faire demi tour. Khrouchtchev, le maître du Kremlin de l'époque, est finalement obligé de retirer ses missiles. Pendant quelques jours d'octobre 1962, les affrontements impérialistes entre ceux qui se présentaient comme "le monde libre" et ceux qui se présentaient comme le "monde socialiste progressiste" ont failli mettre toute l'humanité au bord de l'abîme. Khrouchtchev est alors considéré par les dirigeants castristes comme une "lavette" qui n'a pas les "couilles" d'attaquer les États-Unis. Dans un accès d'hystérie patriotarde, où le slogan castriste "La patrie ou la mort" prend son sens le plus sinistre, ils sont disposés à sacrifier le peuple (ils diront que c'est le peuple qui est disposé à se sacrifier) sur l'autel de la guerre atomique. Dans ce délire pervers, Guevara ne peut être qu'à l'avant-garde. Il écrit : "Ils ont raison [les pays de l'OEA5 d'avoir peur de la ‘subversion cubaine'], c'est l'exemple effrayant d'un peuple qui est disposé à s'immoler par les armes atomiques pour que ses cendres servent de ciment aux sociétés nouvelles, et qui, lorsqu'un accord est conclu sur le retrait des fusées atomiques sans qu'on l'ait consulté, ne pousse pas un soupir de soulagement, n'accueille pas la trêve avec reconnaissance. Il se jette dans l'arène pour [...] affirmer [...] sa décision de lutter, même tout seul, contre tous les dangers et contre la menace atomique elle-même de l'impérialisme yankee"6 . Ce "héros" a décidé que le peuple cubain était disposé à s'immoler pour la patrie... Ainsi, la base de la "déception", de la critique vis-à-vis de l'URSS n'est pas la perte de foi dans les vertus du "communisme soviétique" (le capitalisme stalinien en termes vrais), mais, au contraire, c'est le fait que ce système n'allait pas jusqu'au bout de sa logique guerrière d'affrontement, au paroxysme de la période de la "guerre froide". Et le discours d'Alger de Che Guevara sur lequel tu t'appuies pour affirmer que le Che "s'est départi du modèle social-impérialiste de l‘URSS" ne change rien en réalité à cet attachement de Guevara aux positions staliniennes. Au contraire ! Durant ce fameux discours, il met certes en cause le "mercantilisme" dans les rapports entre les pays du bloc de l'URSS mais il les appelle toujours socialistes et "peuples amis" : "Les pays socialistes sont, dans une certaine mesure, les complices de l‘exploitation impérialiste [...]. [Ils] ont le devoir moral de liquider leur complicité tacite avec les pays exploiteurs de l‘Ouest. ». Au-delà de son apparence radicale, une telle critique est donc bien celle de quelqu'un de l'intérieur du système stalinien. Pire, elle émane d'un responsable qui a participé de toutes ses forces à la mise en place d'un tel système de capitalisme d'Etat à Cuba ! D'ailleurs, par la suite, Guevara ne fera jamais plus officiellement la moindre critique à l'URSS.
Che Guevara, au moment où il a été assassiné par le CIA et l'armée bolivienne en 1967, fut la victime non seulement de l'impérialisme américain, mais aussi de la nouvelle orientation politique du Kremlin dite de "coexistence pacifique" avec le bloc occidental. Nous n'allons pas traiter ici les raisons qui ont poussé la direction de l'URSS et son bloc à prendre ce "tournant". Mais ce "tournant" n'a rien à voir avec une quelconque "trahison" envers les peuples qui voulaient "se libérer" de l'impérialisme, ni envers le prolétariat. La politique de la classe dominante stalinienne a souvent changé de cap en fonction de ses intérêts comme classe dominante et, justement, l'affaire des missiles a montré aux dirigeants de l'impérialisme stalinien qu'ils n'ont pas les moyens de défier la tête de l'autre bloc à ses propres portes et qu'il leur faut être prudents en Amérique latine. C'est ce que Guevara et une fraction des dirigeants cubains ne veulent pas comprendre, au point de devenir gênants non seulement pour l'URSS, mais même pour leurs propres amis cubains. A partir de là, le destin de Che Guevara était scellé : après la désastreuse aventure au Congo7 , il finira par se retrouver seul en Bolivie, avec une poignée de compagnons d'armes, abandonné par le PC bolivien, qui, finalement, se retrouve sur la ligne de Moscou. Pour les factions les plus "moscovites", les tenants de la tactique du "foco" (foyer de guérilla) étaient des petits-bourgeois en mal d'aventures, "coupés des masses". Et pour les factions des PC favorables à la lutte armée, avec leurs soutiens critiques de toutes sortes, les "officiels" des PC étaient des "révolutionnaires de salon", des bureaucrates embourgeoisés... eux aussi "coupés des masses". Pour nous, qui nous réclamons de la Gauche Communiste, ce sont là deux formes de la même contre-révolution, deux variantes du même grand mensonge du siècle, celui d'avoir fait passer la contre-révolution stalinienne pour la continuatrice de la révolution d'Octobre et l'URSS comme communiste.
Pour toi, la tâche des intellectuels serait "d'introduire dans le prolétariat la conscience de sa situation...". Tu sembles ici reprendre à ton compte la vision de Che Guevara sur "l'élite révolutionnaire". Mais cette position du Che ne cache t-elle pas en réalité un profond mépris pour la classe ouvrière ? Que révèlent réellement ses envolées lyriques sur "l'homme nouveau dans la révolution cubaine" ?
L'unité prolétarienne révolutionnaire a une base pratique très concrète : la solidarité de classe. C'est cette solidarité spontanée dans l'organisation de la lutte, faite d'entraide et de fraternité qui nourrit les qualités de dévouement du prolétariat révolutionnaire. Mais ce "dévouement" dans la bouche de Guevara, sonne, dans le meilleur des cas, comme un appel quasi-mystique au martyre suprême (il faut lui reconnaître qu'il a été toujours prompt au sacrifice, et sans doute il était disposé à devenir un "martyre" de la cause impérialiste qu'il défendait avec tout le peuple cubain "volontaire" au moment de la crise des missiles)... Au-delà de son propre comportement "exemplaire", reste sa vision du "sacrifice" ou de "l'héroïsme" (de la même eau que l'idéalisme patriotard exalté et diffusé par les staliniens dans la "Résistance" au cours de la Seconde Guerre mondiale) qui devrait s'imposer par le haut, pour les besoins de l'Etat et sous la férule d'un "líder máximo". Cette vision repose sur un mépris de l'intellectuel petit-bourgeois vis-à-vis de la "masse prolétarienne" qu'on regarde de haut, qui prétend qu'il faut "l'éduquer" pour qu'elle comprenne les "bienfaits de la révolution". "La masse, a déclaré avec condescendance Guevara, n'agit pas comme un doux troupeau. Il est vrai qu'elle suit sans hésiter ses dirigeants, surtout Fidel Castro..." "Si on regarde les choses superficiellement, on pourrait penser que ceux qui parlent de soumission de l'individu à l'Etat ont raison, mais les masses réalisent avec enthousiasme et discipline sans égal, les tâches que le gouvernement établit, qu'elles soient économiques, culturelles, de défense ou sportives... L'initiative vient en général de Fidel ou du haut commandement de la Révolution et elle est expliquée au peuple qui la fait sienne" (Le socialisme et l'homme à Cuba, 1965).
En fait, quand tu nous dis "qu'il n'y a pas de raison de réduire le concept de prolétariat aux seuls ouvriers", ton raisonnement puise certainement et involontairement ses racines dans cette vision méprisante de la classe ouvrière8 . En effet, une des caractéristiques communes des avatars du stalinisme (du maoïsme au castrisme), c'est leur méfiance et leur mépris vis-à-vis de la classe ouvrière, faisant d'une mythique paysannerie pauvre "l'agent de la révolution" dirigée par des intellectuels qui, eux, possèdent la conscience et "l'introduisent" dans les cerveaux des masses. Dans le meilleur des cas, la classe ouvrière était, pour ces neo-staliniens, une masse de manœuvre qui leur servait de référence historique, une comparse de leur révolution. On ne trouve jamais dans les écrits de ces pseudo-révolutionnaires la moindre référence à une classe ouvrière organisée comme telle et aux organisations du pouvoir de classe, les soviets. Ces clones du stalinisme n'ont plus besoin de déguiser leur idéologie capitaliste d'Etat et de parler des conseils ouvriers ou des autres expressions de la vie prolétarienne dans la révolution russe. Il n'y a plus que l'État dirigé par des gens "éclairés" et en bas la masse, à qui on laisse parfois faire preuve "d'initiative", encadrée dans des "comités de défense de la révolution" et autres organismes de surveillance sociale.
Et à Cuba, l'un des premiers organes d'encadrement et de direction de la classe ouvrière fut une fois encore et sans surprise les syndicats. Les syndicats cubains (CTC) étaient déjà des syndicats à la manière américaine, parfaitement intégrés au "capitalisme libéral" et à sa corruption. Ils vont être ainsi très rapidement transformés par la direction cubaine, en 1960, en syndicats à la sauce stalinienne, sur un mode bureaucratique et étatique. Les premières décisions du régime castriste seront de les charger d'encadrer l'alignement des salaires par le bas et de faire respecter l'interdiction de la grève dans les entreprises, en flics patentés ! Et là encore, cette attaque contre la classe ouvrière sera justifiée par l'idéologie anti-américaine et la "défense du peuple cubain". Profitant à l'époque d'une grève contre les baisses de salaire d'ouvriers d'entreprises appartenant à des capitaux américains, les dirigeants castristes stigmatisent cette grève des "nantis" et en profitent pour déclarer la "grève à la grève" par la bouche du nouveau dirigeant castriste de la CTC.
Dans les semaines qui viennent de s'écouler, on a été servi en controverses sur la vie et l'œuvre du Che. D'un coté, dans la lignée des apôtres de la "mort du communisme", les fractions droitières de la bourgeoisie ont réchauffé ce plat avec l'aide servile de quelques historiens, toujours prêts à mettre en exergue le rôle "anti-démocratique" du Che, son rôle d'exécuteur en chef en tant que responsable des tribunaux "révolutionnaires" au tout début de l'ère castriste, en déblatérant les uns et les autres sur la question de savoir si ces exécutions furent "excessives", s'il y a eu "un bain de sang" ou non, si ce fut une justice "modérée" ou "arbitraire". Pour nous, comme nous le disions plus haut, il a tout simplement bien joué son rôle nécessaire pour la mise en place d'un nouveau régime tout aussi bourgeois et répressif que le précédent. D'un autre coté, on nous a asséné des mensonges et des demi-vérités à sa gloire. Il n'y a qu'à voir comment la Ligue Communiste Révolutionnaire qui, avec sa volonté de remplacer le Parti Communiste Français et devenir le premier parti "anticapitaliste" de France, porte aujourd'hui aux nues "Le Che" et exploite son image "jeune et rebelle"9 .
Cher camarade EK, la réalité est là : chez tous ces jeunes qui portent un T-shirt à l'effigie du Che, il y a certainement un cœur généreux et sincère, voulant combattre les injustices et les horreurs de ce monde. D'ailleurs, si on met le Che en avant, c'est bien pour stériliser l'enthousiasme qui nourrit la passion révolutionnaire. Mais le Che, lui, n'est qu'une des figures de la longue cohorte des dirigeants nationalistes et staliniens, plus avenant que les autres peut-être, mais représentatif tout de même de cet avatar tropical de la contre-révolution stalinienne qu'est le castrisme.
Malgré toutes nos divergences, camarade EK, la discussion reste évidemment ouverte... plus que cela, nous t'y encourageons même chaleureusement.
Courant Communiste International
1 https://fr.internationalism.org/contact [57]
2 En fait, l'entreprise couronnée de succès de renversement de Batista par Castro et Guevara a bénéficié de l'appui des États-Unis et de la bienveillance d'une partie de la droite qui dénonçaient la corruption du régime. L'embargo sur les armes décidé par le gouvernement américain à l'encontre de Cuba a privé de façon décisive Batista des moyens de lutter contre la guérilla. Ce n'est qu'au bout de quelques mois d'exercice du nouveau pouvoir que les relations avec les États-Unis se sont détériorées et c'est face à la menace d'intervention de ces derniers que Castro s'est tourné vers le bloc russe.
3 Citation célèbre du Manifeste communiste de 1848, écrit par Marx et Engels.
4 Lire nos articles sur "Octobre 1917", notamment : "Les masses ouvrières prennent leur destin en main" (Revue internationale n°131) et "Le stalinisme est le fossoyeur de la Révolution russe" (RI n°383).
5 Organisation des États Américains, instance continentale au service des intérêts de "l'oncle Sam" pour exercer leur contrôle sur les autres États d'Amérique latine, dont Cuba castriste a été exclu.
6 Écrit au moment de "la crise des missiles", ne sera publié qu'en 1968 par une revue de l'armée cubaine. Reproduit dans la biographie du Che de Pierre Kalfon.
7 En 1965, peut-être pour mettre en pratique le slogan "Deux, trois Vietnams...", quelques dizaines de Cubains se pointent à l'est de la République du Congo (ex-Zaïre) pour organiser un "foco anti-impérialiste", le tout patronné par les services secrets cubains avec l'accord de l'URSS (peut-être aussi pour se débarrasser du Che...). C'est, depuis le début, un désastre annoncé : Guevara se retrouve sous les ordres politiques d'une bande de dirigeants congolais (dont Kabila, futur président-dictateur sanglant du Zaïre dans les années 1990), des aventuriers qui mènent grand train de vie grâce aux subsides soviétiques et chinois. Quant à la population, censée recevoir ses libérateurs les bras ouverts, elle était plutôt interloquée à la vue de ces gens venant d'on ne sait où. C'était une anticipation de ce qui allait arriver en Bolivie l'année suivante. Il faut aussi noter que, toujours pour le compte de l'impérialisme russe, des milliers de Cubains ont continué de servir "d'instructeurs militaires" dans de nombreuses "guerres de libération nationale" sur le sol africain (Guinée-Bissau, Mozambique, Angola,...) jusqu'à l'effondrement de l'URSS et de son bloc au début des années 1990.
8 Nous n'allons pas développer ici ce qu'est le prolétariat ou la classe ouvrière, pour nous deux expressions équivalentes. Disons, cependant, que notre vision de la classe ouvrière n'a rien à voir avec la sociologie ni les images d'épinal de l'ouvrier en bleu de travail.
9 Le leader de la LCR, Olivier Besancenot, a affirmé qu'aujourd'hui son parti s'identifie bien plus au Che qu'à Trotski, alors que depuis sa naissance, cette organisation légitimait frauduleusement son appartenance à la classe ouvrière en se revendiquant avant tout de ce grand militant bolchevik.
Marx se plaisait à souligner les ironies de l'histoire. C'en est une des plus mordantes de constater que cette nouvelle propagande de la LCR, en voulant à tout prix faire jeune et dans le vent afin d'attirer à elle les nouvelles générations de la classe ouvrière, est en train de se revendiquer d'un héritier déclaré de la clique stalinienne et de son idéologie, cette même clique qui assassina il y a plus de soixante ans un révolutionnaire quant à lui authentique, un certain... Léon Trotski !
Nous publions ci-dessous l'adresse envoyée au 17e Congrès du CCI par le groupe Internasyonalismo des Philippines, dont une délégation a été invitée au Congrès mais n' a malheureusement pas pu y assister pour diverses raisons matérielles. Les camarades sont en contact avec le CCI depuis plus d'un an, et ont entrepris de développer une présence de la Gauche communiste aux Philippines, dans des conditions matérielles extrêmement difficiles. C'est grâce à leurs efforts que le CCI a pu ouvrir son propre site en langue Filipino, et nos lecteurs peuvent suivre et participer dans les discussions des camarades d'Internasyonalismo (en anglais et en Filipino) sur leur blog.
Le Congrès a fortement salué cette adresse. Elle est non seulement une expression de la solidarité communiste internationale envers le CCI et les autres groupes qui étaient présents au Congrès. Elle a apporté une contribution importante aux débats et aux travaux du Congrès, notamment sur la question syndicale telle qu'elle s'exprime dans des pays comme les Philippines, et sur la question du développement de la Chine en tant que puissance impérialiste en Orient.
Camarades,
(...) Depuis presque 100 ans, les ouvriers aux Philippines ne savaient rien au sujet des positions de la Gauche communiste, et encore plus, les révolutionnaires ici n'avaient pas la possibilité de les lire ou les étudier, spécialement dans les années 1920 et 1930. Maintenant, même si nous sommes très peu de communistes internationalistes aux Philippines, nous ferons de notre mieux pour contribuer aux débats et discussions collectives dans le Congrès du CCI à travers ce texte.
Nous avons étudié et discuté collectivement les trois projets de documents pour le XVIIe Congrès. Pouvons-nous présenter ce qui suit au Congrès ?
D'une manière générale, nous avons été d'accord avec les positions et le contenu des trois projets de documents -le projet de rapport sur la lutte de classe, le rapport sur l'évolution de la crise du capitalisme, le rapport sur les conflits impérialistes. Les documents sont basés sur l'internationalisme et la dynamique présente du système en décomposition et la lutte des classes, aussi bien que sur les interventions actuelles des minorités révolutionnaires à l'échelle mondiale. Ceux-ci sont conformes avec la méthode matérialiste historique du marxisme.
« Qu'avec l'actuelle évolution des contradictions, la question la plus critique pour l'humanité est la cristallisation d'une conscience de classe suffisante pour l'émergence de la perspective communiste » et "l'importance historique de l'émergence d'une nouvelle génération de révolutionnaires ». (Rapport sur la lutte de classe pour le 17ème Congrès international).
Dans l'ensemble, nous sommes d'accord que la solidarité de classe est la chose la plus importante pour nous en tant que révolutionnaires. La maturation de la conscience de classe peut être mesurée au niveau de la solidarité de classe parce que cette dernière est l'expression concrète de l'auto-organisation et du mouvement indépendant du prolétariat.(...)
Aujourd'hui, ce qui est le plus important est de chercher les chemins de la solidarité de classe pour s'élever sur les bases de l'inter-nationalisme et d'un mouvement de classe indépendant. Mais, nous voulons proposer au Congrès de souligner ce qui suit:
1. La nature réactionnaire des syndicats dans le capitalisme décadent pourrait retenir le vrai développement de solidarité à l'échelle internationale.
Dans les pays avancés, les syndicats (de gauche et de droite) ont été exposés aux yeux des ouvriers ; dans les pays où le capitalisme est plus faible, les syndicats de gauche sont encore de fortes mystifications pour les ouvriers parce que généralement les patrons capitalistes sont anti-syndicats. Pour ces ouvriers, les syndicats gauchistes sont des expressions d'engagement et de défense des intérêts ouvriers même si un nombre croissant de la classe se pose des questions sur les promesses et les résultats de ces syndicats gauchistes.
A l'époque de lutte massive, quand les assemblées ouvrières sont la forme appropriée des organisations de la classe, ouvrir ces assemblées aux syndicats par solidarité, c'est mettre en péril la lutte indépendante de la classe et aussi risquer que ces assemblées se transforment en instruments des syndicats, aussi bien que de tomber victime des conflits entre syndicats des différentes organisations gauchistes.
Dans les années 1970 jusqu'aux années 1980, les luttes ouvrières massives aux Philippines n'étaient pas menées par les syndicats mais par les alliances d'ouvriers constituées dans les luttes. La composition de ces alliances étaient des ouvriers syndiqués et non syndiqués avec le soutien des classes moyennes. Les syndicats étaient avec les alliances, mais ils n'étaient pas décisifs. Les ouvriers non syndiqués étaient décisifs parce qu'ils étaient majoritaires dans les alliances.
Mais les syndicats, menés par les gauchistes, organisaient les ouvriers non syndiqués dans les alliances, augmentant donc leurs membres en l'espace de quelques années. Durant la vague de luttes suivante au milieu des années 1980 et jusqu'à maintenant, les alliances ont été soit transformées en fédérations syndicales ou ont été placées sous le contrôle des syndicats.
2. Il devrait être souligné que, main dans la main pour rechercher la solidarité de classe, il y a la vigilance et la résistance opportune contre toutes manœuvres et sabotage des syndicats dans les assemblées ouvrières afin de ne pas faire dérailler la généralisation de la lutte, spécialement dans une situation comme celle des Philippines où le sectarisme et la concurrence dans les différentes fédérations syndicales et les différentes organisations gauchistes sont très forts.
3. Dans la recherche de la solidarité de classe, les larges masses d'ouvriers devraient être mises aussi en garde contre les dangers du syndicalisme tout comme nous mettons toujours en garde les ouvriers des dangers de toute sorte de réformisme et gauchisme.
Nous sommes complètement d'accord avec l'analyse de l'évolution de la crise du capitalisme. Toutefois, nous aimerions insister sur les points suivants :
1. La croissance de la sous-traitance est aussi une manifestation de la crise dans les pays capitalistes avancés, spécialement les USA. Cette outsourcing industrie loue des centaines de milliers de jeunes travailleurs à la fois aux Philippines et en Inde. Presque tous ces ouvriers sont contractuels ou ont des postes précaires et travaillent de longues heures.
2. La Chine aussi envahit l'économie philippine, mais nous sommes encore en train de rassembler des informations pour savoir dans quelle ampleur et si elle supporte une faction de la classe dirigeante de Filipino pour rivaliser contre la politique de contrôle des USA.
Des RTW fabriqués en Chine, des micro plaquettes et même un projet ferroviaire d'un multi-billion de dollars ont pénétré le pays. Beaucoup de grosses entreprises philippino-chinoises investissent en Chine et beaucoup d'officiels gouvernementaux, du niveau local au niveau national, sont allés en Chine pour le marché. Beaucoup de ces membres officiels regardent la Chine comme un modèle de développement.
L'impérialisme américain est bien conscient de cela et il exerce des pressions sur le gouvernement Arroyo sur cette question.
Ce rapport est compréhensif et détaillé. Nous sommes d'accord qu'aujourd'hui, le chaos et la barbarie empirent jour après jour, mais que la capacité du prolétariat international n'est pas encore suffisante pour les arrêter et pour balayer finalement le capitalisme international. Par conséquent, il y a un besoin urgent pour la Gauche communiste du monde entier de déployer plus d'efforts dans leurs interventions dans les luttes prolétariennes. Avec tous ces rapports, il y a, aujourd'hui, le besoin urgent que tous les communistes internationalistes dans le monde devraient coordonner leurs activités et leurs interventions à l'échelle mondiale. Le prolétariat pourra seulement hâter son accumulation de force et élever sa conscience de classe à travers les efforts communs des minorités révolutionnaires dans le monde. Par conséquent, le sectarisme des autres organisations de la Gauche communiste est très dommageable pour le prolétariat international dans son combat contre son puissant ennemi de classe (...)
Pour le succès du XVIIe Congrès International du CCI.
Internasyonalismo 21 mai 2007
Le formidable trésor d'expériences, faites entre février et octobre 1917 par le prolétariat en Russie, a montré aux prolétaires du monde entier qu'il était possible de renverser le pouvoir de la bourgeoisie. L'insurrection d'Octobre avait signifié la victoire des masses ouvrières conscientes organisées en conseils ouvriers et avec en leur sein leur avant garde politique, le parti bolchevik (voir Internationalisme N° 333). Le cours des événements postérieurs à l'insurrection d'Octobre, c'est-à-dire le processus de dégénérescence de la révolution russe qui donna naissance au stalinisme, n'est compréhensible qu'à partir de la dynamique de défaite de la vague révolutionnaire mondiale dont il est une conséquence. Cette dégénérescence n'a donc rien à voir avec le mensonge bourgeois de la prétendue continuité entre la dictature du prolétariat issue d'octobre 17 et le stalinisme qui, au contraire, s'est développé sur les cendres de la révolution.
La Révolution russe de 1917 ne fut pas un phénomène isolé, dû aux conditions particulières à la Russie, mais le point culminant de la première vague révolutionnaire mondiale qui secoua l'ordre bourgeois de l'Allemagne aux Etats-Unis, de l'Europe à l'Asie, en passant par le continent sud-américain. Cette vague révolutionnaire fut la réponse à la guerre impérialiste qui avait inauguré la période de décadence du capitalisme mondial. Dorénavant, une seule alternative était en mesure de contrecarrer la barbarie capitaliste : la révolution prolétarienne mondiale.
Si Lénine et les bolcheviks se sont portés à l'avant-garde des révolutionnaires, c'est en étant convaincus que l'alternative à la guerre mondiale ne pouvait être que la révolution mondiale du prolétariat. Internationalistes depuis la première heure, ils ne voyaient dans la Révolution russe que "la première étape des révolutions prolétariennes qui vont surgir inévitablement comme conséquence de la guerre".
La prise du pouvoir en Russie, dès lors qu'elle est devenue une possibilité, du fait de la maturation des conditions à l'échelle internationale et en Russie même, est conçue par les révolutionnaires comme un devoir élémentaire du prolétariat russe vis-à-vis du prolétariat mondial. Répliquant aux arguments mencheviks selon lesquels la révolution devait commencer dans un pays plus avancé, Lénine justifie ainsi la nécessité de la prise du pouvoir : "Les Allemands, c'est-à-dire les internationalistes révolutionnaires allemands, avec seulement un Liebknecht (qui de plus est en prison), sans organes de presse, sans droit de réunion, sans conseils, face à une gigantesque inimitié de toutes les classes de la population jusqu'au dernier hameau de paysans contre les idées de l'internationalisme, face à la superbe organisation de la grande, moyenne et petite bourgeoisie impérialiste, les allemands, c'est-à-dire les internationalistes révolutionnaires allemands, les travailleurs en uniforme de marins, ont commencé à se soulever dans la flotte, avec un rapport de peut-être de un à cent contre eux. Mais nous, qui avons des douzaines de journaux, qui avons la liberté de faire des assemblées, qui avons obtenu la majorité dans les soviets, nous qui en comparaison des internationalistes prolétariens du monde entier avons les meilleures conditions, nous devrions renoncer à soutenir les révolutionnaires allemands par notre insurrection. On va utiliser les mêmes arguments que Scheidemann et Renaudel : la chose la plus censée, c'est de ne pas faire l'insurrection parce que quand nous serons fusillés, le monde perdra avec nous des internationalistes si merveilleux, si raisonnables... Adoptons une résolution de sympathie pour les insurgés allemands. Ce sera vraiment de l'internationalisme raisonnable". (Lettre aux camarades bolcheviks participant au congrès des soviets de la région du nord).
Moins d'un an après la prise du pouvoir en Russie, il ne fait pas de doute que c'est au reste du prolétariat des autres pays de prendre le relais pour pousser plus loin la révolution mondiale : " La révolution russe n'est qu'un détachement de l'armée socialiste mondiale et le succès et le triomphe de la révolution russe que nous avons accomplie dépendent de l'action de cette armée (...) Le prolétariat russe a conscience de son isolement révolutionnaire, et il voit clairement que sa victoire a pour condition indispensable et pour prémisse fondamentale, l'intervention unie des ouvriers du monde entier" (Lénine, discours du 23 juillet 1918 à la conférence des comités d'usine de Moscou).
La révolution russe ne se contenta pas de confier passivement son destin au surgissement de la révolution prolétarienne dans d'autres pays, elle prit continuellement des initiatives pour étendre celle-ci. Le centre de gravité du rapport de force entre les classes se trouvait en Allemagne et ce sont des responsabilités considérables qui reposaient sur la classe ouvrière de ce pays. "Le prolétariat allemand est le plus fidèle, le plus sûr allié de la révolution russe et de la révolution prolétarienne" (Lénine).
Les révolutionnaires allemands, quant à eux, comprenaient pleinement l'enjeu de la situation : "(...) le destin de la révolution russe : elle atteindra son objectif exclusivement comme prologue de la révolution européenne du prolétariat. Si en revanche les ouvriers européens, allemands, continuent à rester spectateurs de ce drame captivant et jouent les badauds, alors le pouvoir russe des soviets ne devra pas s'attendre à autre chose qu'au destin de la Commune de Paris (c'est-à-dire la défaite sanglante)" (Spartacus, janvier 1918). L'effervescence révolutionnaire qui se développa notamment en Allemagne et en Europe Centrale durant l'année 1918 entretint tous les espoirs de l'imminence du déclenchement de la révolution mondiale.
De son côté, la bourgeoisie avait déjà tiré les leçons de la première bataille remportée par son ennemi de classe en Russie. Les capitalistes, ceux-là mêmes qui, quelques mois auparavant, déchaînaient encore leurs rivalités impérialistes sur les champs de bataille de la première boucherie mondiale, comprennent la nécessité de resserrer les rangs et de s'unir pour désamorcer et écraser la révolution mondiale en marche.
Ainsi, les forces de l'Entente ne cherchent nullement à mettre à genoux leur ennemi impérialiste lorsque le Kaiser est contraint de demander l'armistice en novembre 1918, pour lui permettre de faire face à la montée révolutionnaire en Allemagne (1).
L'armistice et la proclamation de la République en Allemagne provoquent un sentiment naïf de "victoire" que paiera très cher le prolétariat. Alors que les ouvriers en Allemagne ne parviennent pas à unifier les différents foyers de lutte et se laissent désorienter par les discours et manœuvres des partis ouvriers et des syndicats passés dans le camp de la bourgeoisie, la contre-révolution s'organise et coordonne les syndicats, les partis "socialistes" et le haut commandement militaire.
A partir de décembre 1918, la bourgeoisie passe à l'offensive par de constantes provocations envers le prolétariat de Berlin dans le but de le faire partir en lutte seul et de l'isoler du reste du prolétariat allemand. Le 6 janvier, un demi-million de prolétaires berlinois sortent dans la rue. Le lendemain même, à la tête des corps-francs (officiers et sous-officiers démobilisés par le gouvernement), le "socialiste" Noske écrase dans un bain de sang les ouvriers de Berlin. Afin de laisser le moins de chances possibles au prolétariat de se remettre de cette bataille perdue, la bourgeoisie allemande frappe encore plus fort : elle décapite l'avant-garde du prolétariat allemand en faisant assassiner ses deux figures les plus prestigieuses, Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg.
Avec la défaite sanglante que vient de subir la classe ouvrière en Allemagne, la Russie des Soviets voit s'éloigner la perspective immédiate de l'extension de la révolution mondiale.
Néanmoins, le bastion prolétarien russe se fixe comme tâche de "tenir" dans l'attente de nouveaux soulèvements révolutionnaires en Allemagne et dans d'autres pays. Le prolétariat en Russie se trouve ainsi confronté à des conditions extrêmement difficiles : toute la bourgeoisie mondiale s'étant unie dans une gigantesque croisade anti-bolchevique, la République des Soviets était devenue une véritable forteresse assiégée. Totalement isolée, la révolution se débattait entre la vie et la mort. Tenir dans de telles condition exigeait du prolétariat des sacrifices sans fin.
En Ukraine, en Finlande, dans les Pays Baltes, en Bessarabie, la Grande-Bretagne et la France mettent en place des gouvernements qui appuient les armées blanches contre-révolutionnaires regroupées autour des restes de la bourgeoisie russe. Les grandes puissances décident en outre d'intervenir directement en Russie même. Des troupes japonaises débarquent à Vladivostok et plus tard arrivent les détachements français, anglais et américains. Pendant trois ans, jusqu'en 1921, ces forces vont déclencher une véritable orgie de terreur sanglante au sein du pays des soviets, déchaînant massacres et atrocités en tout genre, applaudis des deux mains par les Etats "démocratiques" et bénis par les "socialistes" européens. De surcroît, à l'action des troupes occidentales et des armées blanches s'ajoutent le sabotage et la conspiration contre-révolutionnaires de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie en Russie. La guerre civile atroce qui ravage le pays pendant ces années, avec son cortège de maladies et de famines résultant du blocus économique imposé à la population russe, causa 7 millions de morts.
Pendant ce temps, démocrates et socialistes écrasent paquets par paquets les insurrections ouvrières en Allemagne, en Autriche et en Hongrie. Toutes les défaites que subit alors le prolétariat dans les autres pays sont autant de coups portés au prolétariat russe qui voit ainsi se renforcer son isolement. Alors que le pouvoir des Soviets en Russie ne pouvait se consolider qu'au sein d'une dynamique d'extension de la révolution mondiale pour éradiquer la domination bourgeoise à l'échelle internationale, a contrario, cette situation d'isolement politique, conjuguée aux conséquences de la guerre civile, l'affaiblissent considérablement.
Le prolétariat et son avant-garde en Russie étaient littéralement "coincés". Les bolcheviks étaient dans l'incapacité de mener une politique différente de celle qui leur était imposée par le cours défavorable du rapport de forces entre la révolution prolétarienne et le capitalisme dominant. La solution à ce dilemme ne se trouvait pas en Russie même : elle n'était pas plus entre les mains de l'Etat russe que dans les rapports entre le prolétariat et la paysannerie. La solution ne pouvait venir que du prolétariat international.
C'est la raison pour laquelle toutes les mesures économiques prises, notamment celles instaurées sous ce qu'on a appelé par la suite le "communisme de guerre", n'auguraient en rien une "véritable" politique socialiste. Elles ne représentaient pas l'abolition des rapports sociaux capitalistes mais étaient simplement des mesures d'urgence imposées par le blocus économique capitaliste contre la république des Soviets et par les nécessités résultant de la guerre civile.
De même, lorsque la vague révolutionnaire est entrée dans sa phase finale à partir de 1921, malgré encore la poursuite d'héroïques combats de la classe ouvrière, l'instauration de la NEP (Nouvelle Politique Economique) n'était pas la "restauration" du capitalisme puisque celui-ci n'avait jamais été éliminé en Russie. Toutes ces politiques et mesures portaient la marque des conditions d'asphyxie que l'isolement imposait à la révolution.
Lénine était parfaitement conscient du fait que, malgré la prise du pouvoir par le prolétariat, la destruction de l'économie capitaliste en Russie dépendait de l'extension de la révolution en Europe : "Nous avions totalement raison de penser que si la classe ouvrière européenne avait pris le pouvoir avant, elle aurait pris à sa charge notre pays attardé - tant d'un point de vue économique que culturel-, elle nous aurait ainsi aidé par la technique et l'organisation et nous aurait permis, en corrigeant et modifiant en partie ou totalement nos méthodes de communisme de guerre, de nous diriger vers une véritable économie socialiste" (2).
Face au déchaînement de la guerre impérialiste, puis de la guerre civile, un grand nombre de prolétaires se sont retrouvés d'emblée sur les champs de bataille où ils comptèrent parmi les combattants les plus valeureux de l'armée rouge mais où ils furent décimés également par centaines de milliers. Les grandes concentrations ouvrières, qui avaient donné naissance aux Soviets les plus en pointe dans la révolution, se trouvèrent ainsi terriblement affaiblies par la guerre et la famine. L'isolement du bastion prolétarien en Russie entraîna la perte progressive de la principale arme politique de la révolution : l'action massive et consciente de la classe ouvrière à travers ses Conseils ouvriers. Ceux-ci devinrent l'ombre d'eux-mêmes et furent absorbés par un appareil d'Etat devenu de plus en plus tentaculaire et bureaucratique.
La nécessité de "tenir" en attendant la révolution en Europe entraîna de plus en plus le parti bolchévik à abandonner sa fonction d'avant-garde politique du prolétariat au profit de la défense de l'Etat soviétique. Cette politique de défense de l'Etat soviétique devint très rapidement antagonique aux intérêts économiques du prolétariat (3). Elle conduisit à l'absorption totale du parti bolchévik par l'appareil d'Etat. Ainsi l'identification du parti à l'Etat finit par conduire les bolchéviks, en 1921, à réprimer dans le sang l'insurrection des ouvriers de Krondstadt contre la misère et la famine. Cet épisode tragique de la révolution russe (sur lequel nous reviendrons dans un prochain article) fut le signe le plus spectaculaire de l'agonie de la révolution russe.
C'est en fait de l'intérieur, au sein même de la République des Soviets, là où les révolutionnaires l'attendaient le moins, que surgit la contre-révolution et que se reconstitua le pouvoir de la bourgeoisie du fait du processus d'absorption du parti bolchévik par l'Etat.
Gangrené par le surgissement d'un appareil bureaucratique et totalitaire, le parti bolchevik tendit de plus en plus à substituer la défense des intérêts de l'Etat soviétique au détriment des principes de l'internationalisme prolétarien. Après la mort de Lénine en 1924, Staline, principal représentant de cette tendance vers l'abandon de l'internationalisme, aida la contre-révolution à s'installer : grâce à l'influence qu'il avait acquise dans l'ombre au sein de l'appareil, il entrava puis paralysa l'action des éléments qui tentèrent de s'opposer aux déviations contre-révolutionnaires du parti bolchévik.
Ainsi, l'épuisement de la vague révolutionnaire après 1923 et dont le dernier soubresaut interviendra en Chine (1927), signa la faillite de la plus grande expérience révolutionnaire du prolétariat. Le bastion prolétarien russe s'effondra de l'intérieur et la chasse aux révolutionnaires internationalistes fut ouverte dans le parti. Le parti bolchévik stalinisé devait ainsi être "épuré" de tous ceux qui, restés fidèles à l'internationalisme, continuaient à se revendiquer des principes du prolétariat que Lénine avait défendus bec et ongles. Dès 1925, Staline mit en oeuvre la théorie de "la construction du socialisme en un seul pays" grâce à laquelle allait s'installer dans toute son horreur la contre-révolution la plus effroyable de toute l'histoire humaine. Cette contre-révolution stalinienne, en détruisant toute pensée révolutionnaire, en muselant toute velléité de lutte de classe, en instaurant la terreur et la militarisation de toute la vie sociale, en décimant la vieille garde bolchevique, devenait l'incarnation de la négation du communisme. L'URSS devenait un pays capitaliste à part entière où le prolétariat était soumis, le fusil dans le dos, aux intérêts du capital national, au nom de la défense de la "patrie socialiste".
La défaite de la vague révolutionnaire mondiale, et en son sein de la révolution en Russie à travers sa dégénérescence stalinienne, a constitué l'événement le plus tragique de l'histoire du prolétariat et de l'humanité puisqu'elle a provoqué le plus profond recul jamais connu par la classe ouvrière (un demi-siècle de contre-révolution mondiale) et ouvert la voie à la seconde guerre mondiale.
Il est donc vital pour la classe ouvrière de tirer tous les enseignements de la révolution russe et de son échec.
Seule la capacité du prolétariat à se réapproprier les leçons de sa propre histoire peut lui permettre de ne pas céder aux campagnes mensongères de la bourgeoisie répétant à satiété que la terreur du régime stalinien est l'enfant naturel de la révolution d'Octobre 17.
L'objectif de telles campagnes et de tels mensonges consiste à dénaturer Octobre 1917 en faisant croire que toute révolution prolétarienne ne peut conduire qu'au stalinisme. La classe dominante et ses idéologues patentés s'efforcent ainsi d'empêcher la classe ouvrière de reprendre le flambeau du formidable combat mené par cette génération de prolétaires qui, il y a 80 ans, avait osé se lancer à l'assaut du ciel pour détruire l'ordre bourgeois.
BS
(1) On mesure ainsi tout le chemin parcouru par la bourgeoisie puisque, moins de deux ans auparavant, les bourgeoisies française et anglaise avaient poussé le gouvernement Kerensky, issu de la révolution de février 1917, à maintenir l'effort de guerre coûte que coûte, obligeant ce gouvernement provisoire à démasquer sa nature bourgeoise aux yeux des ouvriers et attisant ainsi le feu révolutionnaire en Russie.(2) Lénine, La NEP et la révolution, Théorie communiste et économie politique dans la construction du socialisme. (Autres sources : Revue Internationale n° 3, 75, 80).
(3) Ce problème n'échappa pas à la vigilance de Lénine qui soutint à propos du débat dans le parti bolchevik sur le rôle des syndicats au début des années 20, que la classe ouvrière avait encore à défendre ses intérêts immédiats contre l'Etat durant la période de transition du capitalisme au socialisme. Mais dans les conditions de l'époque, les révolutionnaires n'eurent pas les moyens de pousser plus avant la réflexion politique sur cette question cruciale.
Le 15 décembre dernier, plusieurs dizaines de milliers de travailleurs participaient à la manifestation nationale que tous les syndicats, fraternellement unis, avaient organisé à Bruxelles pour la sauvegarde du pouvoir d'achat et pour la solidarité ("sauvons le pouvoir d'achat et la solidarité "). Et indéniablement, pour les travailleurs, une large mobilisation et un développement de la solidarité s'imposent afin de faire face aux attaques contre leurs conditions de vie et de contrer le battage médiatique autour des chimères nationalistes.
- hausse sans précédent de l'essence et du gasoil de chauffage, du gaz et de l'électricité, ainsi que de certains produits alimentaires de première nécessité : ainsi, en un an, les prix des produits alimentaires ont augmenté en moyenne de 4,4% (De Standaard, 12.12.07) et certains annoncent déjà le double pour 2008 (De Morgen, 13.12.07);
- détérioration continuelle des conditions de travail des travailleurs (hausse de la productivité, baisse de la norme salariale, réduction graduelle du système de la sécurité sociale) ;
- vagues incessantes de rationalisations et de licenciements, dans tous les secteurs.
En réalité, l'année 2008 annonce une sévère récession dans l'ensemble des pays industrialisés, illustrant une fois de plus le cancer qui ronge le système capitaliste, et la confusion actuelle au sein des forces politiques de la bourgeoisie ne fait qu'accumuler les nuages de tempête et les promesses d'austérité sur nos têtes : le dernier rapport de la Banque Nationale prédit déjà une augmentation de l'inflation, un déficit budgétaire pour 2007 et 2008 et un ralentissement de la croissance industrielle (De Morgen, 13.12.07).
Depuis 6 mois en effet, les travailleurs subissent un déchaînement sans précédent des campagnes nationalistes et sous-nationalistes, les appelant à prendre parti comme citoyen wallon, flamand, bruxellois ou belge. Ces campagnes sont particulièrement pernicieuses dans la mesure où:
- elle détourne l'attention de la classe ouvrière des attaques qui continuent à pleuvoir sur elle et qui s'expriment en particulier aujourd'hui;
- elles se centrent plus spécifiquement sur une thématique centrale pour le développement de la lutte ouvrière, la solidarité, pour la détourner vers un plan nationaliste ou sous-nationaliste : la solidarité de tous les Belges, la solidarité de tous les Flamands ou de tous les francophones.
Bref, la nécessité d'une large mobilisation ouvrière et d'un développement de la solidarité apparaît plus que jamais. Ils s'imposent d'autant plus que les infos sur la hausse du coût de la vie et sur la baisse du niveau de vie, combinées avec une impression croissante de chaos et d'irresponsabilité de la classe politique, ont alimenté ces dernières semaines un sentiment grandissant de ras-le-bol parmi les travailleurs. En même temps, des grèves isolées contre les rationalisations, les licenciements, les réductions de salaires se multiplient : Janssens Pharma Beerse, Volvo Cars Gand, Bayer Anvers, employés communaux d'Anvers, conducteurs de train ... et un mouvement étudiant contre le plan de rationalisation des universités se dessine aussi en Flandre. Cette tendance vers une montée de la colère et de la combativité était nettement perceptible lors de la manif du 15 décembre. De plus, la situation en Belgique doit être placée dans un cadre plus large : la période actuelle est caractérisée par une situation d'effervescence sociale dans divers pays européens : grèves des conducteurs de trains en Allemagne, grèves de la SNCF, de la RATP, des fonctionnaires et des étudiants en France, mouvements sociaux importants en Hongrie et en Grèce, manifs lycéennes importantes en Hollande avec des comités d'étudiants qui surgissent spontanément, etc.
C'est dans ce contexte qu'il faut apprécier l'objectif visé par l'organisation de cette manif syndicale du 15.12 : constituait-t-elle véritablement un jalon vers de larges mobilisations et vers un développement de la solidarité pour la lutte?
- "Trouver des manifestants un samedi à la mi-décembre n'est pas chose aisée. (...) ils ont toute sorte de choses à faire ce samedi" (De Standaard, 12.12.07). Loin de mettre l'accent sur la dynamique collective de lutte, les syndicats semaient le découragement parmi les ouvriers individuels, confrontés aux difficultés d'un week-end juste avant les fêtes de fin d'année, moment que ces mêmes syndicats ont par ailleurs consciemment choisi pour organiser leur manif ;
- "Une deuxième menace pèse sur la manif. Le petit syndicat indépendant des machinistes - en dispute avec les grandes centrales - menace de faire grève samedi" (Id.). Une fois de plus, tout en se présentant sous un drapeau unitaire, les syndicats jouaient de la division entre eux pour provoquer une immobilisation des transports ferroviaire, ce qui permettait d'éviter toute convergence massive de travailleurs "non contrôlés" vers le lieu de la manif;
- "la mobilisation se développe difficilement. Les syndicats tablent sur 25.000 participants. Pour cela, ils ont convenu de ‘contingents' : la FGTB et la CSC devront ‘livrer' chacun 15.000 manifestants, le syndicat libéral CGSLB 5.000. S'ils restent quelque peu en deçà des chiffres requis, ils atteindront malgré tout le chiffre de 25.000" (Id.). Pouvait-on avouer plus clairement ses intentions ? Les syndicats ne visaient nullement à stimuler une mobilisation massive. Afin d'éviter tout ‘débordement', ils s'arrangeaient même entre eux pour fournir de la ‘piétaille', ils fixaient entre eux les quotas de participants!!
Il n'était donc nullement surprenant qu'après la manif, les chiffres des organisateurs et de la police concordaient (20.000 participants), sous-estimant consciemment le nombre des manifestants : on n'en voulait pas plus et donc il ne pouvait pas y en avoir plus ! De toute évidence, derrière les grands discours sur la nécessité de faire barrage au recul du pouvoir d'achat, l'objectif des syndicats n'était clairement pas de stimuler la lutte mais, au contraire, de prendre les devants, d'occuper le terrain social afin de l'encadrer et de décourager toute velléité de développement ou d'extension.
Derrière un discours de défense du pouvoir d'achat et de solidarité, les syndicats ont en réalité organisé cette manifestation pour saboter toute tendance vers l'extension et l'unification des luttes et pour détourner la question cruciale de la solidarité ouvrière vers un engagement ‘citoyen' en soutien à l'Etat national démocratique. De cette manière, ils ne font que prolonger la tactique qu'ils ont développée dans des luttes comme celles à VW Forest, Opel Anvers, à la Poste ou chez les fonctionnaires communaux : prendre les devants et occuper le terrain social pour encadrer la combativité, pour éviter toute extension du mouvement et étouffer dans l'œuf toute réflexion sur le besoin de solidarité entre travailleurs. Sur ce plan, la manoeuvre de la manif du 15.12 est particulièrement habile dans la mesure où l'opération d'encadrement social et de détournement nationaliste s'opère au travers un langage de défense des conditions de vie et de maintien de la solidarité.
Pour développer un combat massif et uni de l'ensemble des travailleurs, indispensable face à la poursuite inévitable des attaques, il faut tirer les leçons du sabotage syndical. Et une des leçons centrales, c'est que, pour pouvoir se battre efficacement, opposer une riposte unie et solidaire en recherchant toujours plus l'extension de leur lutte, les travailleurs ne peuvent compter que sur leurs propres forces. Ils n'auront pas d'autre choix que de prendre eux-mêmes leurs luttes en mains et de déjouer tous les pièges, toutes les manœuvres de division et de sabotage des syndicats.
CCI / 27.12.07
Le 17 octobre, le parlement turc votait massivement en faveur du droit de l'armée turque de poursuivre la guérilla kurde du PKK jusqu'à leurs bases établies dans le Nord de l'Irak. Quatre jours plus tard, treize soldats turcs étaient tués dans une embuscade tendue par le PKK, mettant le feu aux poudres d'une campagne belliciste qui avait déjà commencé. Des manifestations nationalistes, parfois très nombreuses, ont été organisées partout en Turquie, avec le soutien total de l'armée, de la police, de la majorité des partis politiques et des syndicats, des médias et du système d'éducation nationale. Chaque citoyen est invité à arborer un drapeau turc à la fenêtre ou aux matches de football. Magasins et bureaux rivalisent pour déployer le plus grand drapeau.
Pour la bourgeoisie turque, cela fait partie de la "guerre contre le terrorisme", qui bénéficie du label US. Mais la bourgeoisie américaine, qui considère la Turquie comme un allié majeur dans sa stratégie militaire au Moyen-Orient, n'est pas entièrement satisfaite de ces développements. Peu avant la déclaration du Parlement turc, la majorité Démocrate au Congrès américain avait soulevé la question du massacre des Arméniens en 1915, le cadavre dans le placard de la Turquie. Les Républicains, avec Bush à leur tête, ont demandé de ne pas indisposer les Turcs en qualifiant le massacre de "génocide". Mais suite au vote du Parlement turc le 17 octobre, Bush lui-même a prévenu qu'une escalade de la présence turque en Irak (puisque Bush lui-même a laissé échapper que l'armée turque y avait déjà quelques hommes) pourrait saper la fragile stabilité de la région autonome kurde, le seul "havre de paix" en Irak depuis que l'invasion US et la destitution de Saddam ont plongé le pays dans un désarroi total. Les Turcs accusent les partis dirigeants kurdes de cette région d'aider et d'encourager le PKK, et bien que Barzani et Talabani (les principaux politiciens kurdes d'Irak) aient appelé le PKK à cesser ses attaques, la situation demeure extrêmement tendue. Barzani, par exemple, a déclaré que, bien que ne souhaitant prendre part à aucun conflit, ils (le gouvernement du Kurdistan irakien et des troupes intactes de peshmergas) se défendraient certainement.
Cette guerre larvée à la frontière turco-irakienne est un chapitre de plus dans le film d'horreur qui inclut maintenant la guerre ouverte en Irak, en Afghanistan, au Liban et en Israël/Palestine, et la menace d'autres conflits en Iran et au Pakistan. Confrontés à ce glissement dans la barbarie et le chaos, les camarades de EKS (Gauche Communiste Internationaliste) en Turquie ont répondu en publiant la position internationaliste que nous reprenons ci-dessous. Ils l'ont distribuée sous forme de tract avec leur récent bulletin "Night Notes", qui fait également état de la grève militante dans les Telecom de Turquie et souligne le fait que de telles luttes sont l'unique alternative au militarisme et à la guerre.
Les camarades de EKS interviennent dans un climat d'hystérie belliciste alimenté par l'Etat, dans un pays où (comme le savent ceux qui ont lu Show de Orhan Pamuk) le meurtre politique est une tradition établie depuis longtemps. Ils méritent la solidarité et le soutien des révolutionnaires partout dans le monde.
Amos / 31.10.07
Nous publions ci-dessous le tract que nous avons reçu de nos camarades d'Enternasyonal Komünist Sol (EKS [59]) en Turquie et qui prend position contre les menaces de guerre de l'Etat turc contre les Kurdes aux frontières avec l'Irak. La version complète de ce tract peut se lire sur notre site web, en langues turque [60], allemande [61] et anglaise [62].
Une fois encore, nous avons récemment appris que des enfants d'ouvriers étaient sacrifiés pour la guerre brutale dans le Sud-Est. La bourgeoisie et ses médias réclament comme toujours plus de sang et de chaos. En conséquence, les gens cherchent maintenant des "terroristes" dans les rues. Mais pourquoi de telles choses se sont-elles passées ?
Parce que l'Etat bourgeois est dans une situation de crise à un niveau qu'on n'avait pas vu depuis longtemps. La raison économique à la base de tout cela, c'est que les ouvriers en Turquie n'ont plus de sang pour la sangsue bourgeoise; et en plus, comme à Turkish Airlines hier et encore plus dans les grèves chez Türk Telecom et Novamed aujourd'hui, ils commencent à résister. Dette internationale croissante, capital devenant de plus en plus fictif, fragilité grandissante sur les "marchés monétaires", les conséquences pèsent sur les épaules des ouvriers. La bourgeoisie exploite le racisme pour laisser perdurer cette situation; ce qui fait que les ouvriers kurdes sont employés à moindres frais et les ouvriers turcs sont laissés pour compte, dans la rue. La conséquence politique de cette situation sont les cris de guerre que nous entendons toujours, mais qui ne sont en rien une solution. Les murs idéologiques de l'Etat bourgeois se fissurent tous les jours davantage. Plus l'indignation que vivent les ouvriers est remise en question, plus le capitalisme poussera la société vers la dégénérescence, la décadence et la décom-position, et plus il perdra la légitimité sociale qui était sa première signification. (...)
Pour la fraction nationaliste de la bourgeoisie, la question est, comme toujours, la "conspiration" orchestrée par les Etats-Unis. Selon eux, si les Forces armées turques envahissent l'Irak, "la terreur sera éradiquée". En réalité, il y a seulement trois ans que les Etats-Unis eux-mêmes voulaient envoyer se battre des fils de la classe ouvrière de Turquie contre d'autres ouvriers en Irak. Mais la bourgeoisie turque a été incapable de mener à bien ce projet, à cause de son incapacité à convaincre les ouvriers d'aller à la guerre et à cause de son impuissance et de sa faiblesse. La vérité est que la bourgeoisie turque s'est toujours alignée derrière les Etats-Unis et que les forces armées turques se tiennent prêtes à tuer des ouvriers au Liban et en Afghanistan si nécessaire. Aussi, contrairement au mensonge de l'aile nationaliste destiné à le faire croire aux ouvriers, il n'y a pas de conflit d'intérêts entre elle et l'impérialisme américain. Tout au contraire, il existe des intérêts communs et l'armée turque est un exécuteur armé de cette alliance. De plus, non seulement chaque massacre perpétré dans le Nord de l'Irak provoquera la mort de "soldats" et l'exode de "civils" repoussés dans des camps de concentration ou assassinés dans les champs de bataille, mais aussi plus de bombes exploseront dans les villes principales.
La fraction islamique et libérale de la bourgeoisie à son habitude, ne soutient pas la guerre de manière très sérieuse. Bien sûr, le fait qu'elle ait des doutes sur la façon dont se déroulera l'opération n'est que l'expression de sa tentative de recevoir la permission qu'elle souhaite de la part des USA. Pour cela, elle n'a pas d'autre choix que d'attendre "patiemment" d'obtenir un compromis avec Barzani et Talabani.
La fraction de gauche de la bourgeoisie alors, ne fait rien d'autre que se lamenter depuis ses tribunes. Elle s'en fout carrément de la faim, la misère, la pauvreté ou de la mort d'ouvriers. Elle adapte de plus en plus sa rhétorique face à ses maîtres pour protéger sa position. En bref, elle prouve une fois de plus l'inutilité des parlements.
En conséquence, les ouvriers de Turquie sont aussi poussés dans la spirale infernale de plus de guerre, de destructions, de terreur et de chaos qui sont infligés au Moyen-Orient par une bourgeoisie qui ne se soucie ni de leur vie ni de leur mort. Parce que le capitalisme ne peut repousser l'éclatement de sa crise insolvable qu'en entraînant l'humanité vers plus de destructions.
La réponse du prolétariat met en lumière la perspective d'avenir comme on a pu le voir dans la grève de Telekom. Une simple grève qui n'a duré que quelques jours a suffi pour faire trembler la bourgeoisie. Ce n'est que si les ouvriers manifestent leur solidarité avec leurs frères de classe pour étendre leurs luttes, et que s'ils disent Non internationalement à la guerre, que le massacre impérialiste pourra prendre fin. Le moyen d'arrêter la guerre et les massacres n'est pas de les approfondir ni de les élargir, mais de forger la solidarité de classe par-delà les frontières, touchant chaque terrain de bataille militaire. L'ennemi n'est pas chez nos frères et nos soeurs de classe mais chez les capitalistes ici, assis dans leurs maisons, bien au chaud!
Le 27 décembre 2007, Benazir Bhutto était assassinée. Son retour de Dubaï en octobre dernier avait déjà été l'occasion d'un attentat qui la visait et avait fait 139 morts. Bien sûr, cette égérie défunte de la "démocratie" s'est vue offrir un panel circonstancié d'hommages venant de la presse bourgeoise internationale. Son "charisme" et son "courage extraordinaire", sa "résistance à l'hégémonie militaire" ont fleuri la une de la plupart des journaux occidentaux et des pays arabes modérés. Mais c'est aussi l'inquiétude qui a marqué les réactions tant des éditoriaux journalistiques que des hommes politiques : "ouverture vers l'abîme", "vers le chaos politique" et "l'implosion du Pakistan", etc. L'ONU s'est réunie en urgence, pour se replier dans l'impuissance tout aussi précipitamment. Et les Etats-Unis, par la voix du département d'Etat, condamnaient "des gens qui là-bas (...) essayent d'interrompre la construction d'une démocratie" et Bush exhortait " le Pakistan à honorer la mémoire de Benazir Bhutto en poursuivant le processus démocratique pour lequel elle a donné courageusement sa vie". Bref, selon la bourgeoisie, Benazir Bhutto incarnait à elle seule le salut d'un Pakistan qui fait face à une instabilité grandissante. Son retour avait soulevé toute une vague d'espérances sur la possibilité de mettre un frein à l'anarchie qui gangrène un État dont l'armée est de plus en plus infiltrée par les islamistes radicaux et qui est détenteur de l'arme nucléaire.
Ainsi, en 2007, on a dénombré 800 morts, principalement du fait d'attentats suicides. Les talibans font des percées régulières en territoire pakistanais, en particulier au nord-ouest où des soldats sont tués ou enlevés par centaines. Pas plus les 90 000 hommes de troupe massés à la frontière que les dix milliards de dollars alloués à l'Etat pakistanais n'ont permis un contrôle de la situation. Les conflits religieux entre Chiites et Sunnites, qui à eux seuls ont fait 4000 morts en 15 ans, sont une source chaque jour plus ouverte de violence, conflits auxquels les tensions toujours plus exacerbées entre ethnies viennent faire du Pakistan une nouvelle poudrière. L'assassinat de Benazir Bhutto est venu jeter une nouvelle dose de haine sur le feu des dissensions entre Sindis (ethnie de la famille Bhutto) et Pendjabis (dont le territoire a été le théâtre de l'attentat contre l'ex-premier ministre).
De plus, des millions d'Afghans se sont réfugiés au Pakistan, ce qui vient rajouter à l'instabilité du pays, et même si environ 2,3 millions d'entre eux ont été rapatriés en 2005, plus d'un million restent encore.
Le climat de suspicion et de guerre larvée est généralisé dans toute la classe politique, exprimant de façon aiguë les mœurs de gangsters de la bourgeoisie : par exemple, immédiatement après l'assassinat, c'est la main d'Al Qaïda qui était désignée mais, dans le même temps, les militaires proches du pouvoir étaient eux aussi considérés comme des organisateurs potentiels de l'attentat.
En clair, le Pakistan est un pays à la limite d'une explosion politique, militaire et socio-ethnique. Le régime de Musharraf y a sa part de responsabilité : corruption généralisée, accoin-tances avec les talibans, double langage avec les Etats-Unis. Il ne plaît d'ailleurs à personne : de moins en moins aux islamistes depuis le massacre de la Mosquée rouge l'an dernier, comme à des secteurs de plus en plus larges d'une armée divisée entre les partisans islamistes et les clans anti-américains, aux occidentaux depuis la mise en place de l'état d'urgence à l'automne 2006, pour mieux préparer sa réélection à la présidence, jusqu'aux Etats-Unis eux-mêmes pour lesquels il manque totalement de fiabilité en tant "qu'allié". Et c'est pourtant à présent sur ce seul homme politique qu'ils vont être contraints de s'appuyer dans le conflit en Afghanistan.
Lorsque les Etats-Unis ont lancé leur invasion de l'Afghanistan en 2003, se servant de la destruction du World Trade Center et de la cause de la "guerre contre le terrorisme" comme prétexte, le soutien du Pakistan leur était nécessaire. L'Amérique lui avait promis qu'elle soutiendrait les tribus hostiles à l'Alliance du Nord, ennemie traditionnelle et barrière à l'influence pakistanaise en Afghanistan, mais cette promesse a fait long feu du fait de l'influence gagnée par l'Alliance du Nord dans la situation qui a prévalu après la défaite des talibans. Cependant, l'aide du Pakistan aux Etats-Unis n'avait été initialement obtenue que sous la menace de Bush de bombarder le pays à un tel point qu'il le renverrait "à l'âge de pierre" ! s'il ne lui donnait pas "volontairement" son soutien pour la guerre en Afghanistan. Cette menace a d'ailleurs été récemment plus ou moins rappelée par le démocrate Barack Obama dans la campagne présidentielle actuelle, sous-entendant que les Etats-Unis pouvaient toujours bombarder les bastions d'Al Qaïda au Pakistan sans permission ; ce à quoi le président Musharraf a répondu qu'il considérerait de telles attaques comme des attaques ennemies !
Aussi, c'était afin d'essayer de trouver un appui plus fiable au sein de l'Etat, tout en donnant un vernis plus "démocratique" à l'alliance avec le Pakistan, et pour tenter de ralentir les forces centrifuges qui font ravage, que l'Amérique avait fait appel à Benazir Bhutto. Issue d'une famille de politiciens pakistanais de longue date, vieille routarde de la politique puisque par deux fois premier ministre, bénéficiant d'une aura internationale de défenseur patenté de la "démocratie", la dirigeante du Parti du Peuple Pakistanais était de plus connue comme une "fidèle des Etats-Unis" 1 .
C'est donc en tant que telle que son retour au pays avait été organisé et arraché à Musharraf par l'Administration américaine dans l'objectif de constituer une coalition incluant des "modérés", mieux à même de soutenir la politique américaine en Afghanistan et au Pakistan.
Quels que soient les commanditaires de cet assassinat, la disparition de Benazir Bhutto est donc un échec cuisant pour la Maison Blanche dans sa croisade contre le terrorisme. Déjà englués dans le chaos irakien et loin de sortir du bourbier afghan, les Etats-Unis se trouvent une nouvelle fois devant une aggravation de leur affaiblissement sur la scène internationale.
Que l'Amérique se trouve en butte à une difficulté supplémentaire par rapport au Pakistan ne signifie pas pour autant que ce dernier puisse profiter en quoi que ce soit d'une telle situation. Celle-ci ne peut que s'aggraver et s'accélérer. Le problème de fond n'est d'ailleurs pas en soi Musharraf. Il s'agit d'une question plus large qui touche aux origines mêmes de la fondation en 1947 de l'État pakistanais, tiraillé en tous sens, proie de multiples tensions guerrières ainsi que de nombreuses pressions internes et externes.
Le conflit congénital entre le Pakistan et l'Inde vient au premier plan. C'est ce conflit qui a poussé l'État pakistanais à se doter (sous l'impulsion de Bhutto père) de l'arme nucléaire. Rappelons que les dissensions indo-pakistanaises sur le Cachemire et la course aux armements nucléaires entre ces deux pays ont conduit à la menace de guerre en 2002, et le risque réel d'utilisation de l'arme atomique. Ce n'est que sous une puissante pression des Etats-Unis que le danger de guerre a été enrayé, ces derniers craignant que ce conflit ne vienne entraver leur propre perspective militaire. Mais aucun des problèmes entre Islamabad et New-Delhi n'a été résolu. La course aux armements entre les deux États a pris de telles proportions qu'ils sont devenus les deux principaux canaux de transfert d'armes vers le tiers-monde en 2006, tandis qu'ils alimentent chacun de leur côté attaques terroristes et attentats aveugles, excitant le nationalisme le plus répugnant, au plus grand mépris des populations qu'ils prétendent "libérer" du joug de l'adversaire.
Mais c'est aussi dans le cadre de l'affrontement entre les blocs de l'Est et de l'Ouest, aux temps de la Guerre froide, que le Pakistan a joué un rôle important dans la guerre impérialiste. Ainsi, durant les années 1980, le Pakistan était stratégiquement important pour l'aide accordée par le bloc de l'Ouest aux Moudjahidines, qui combattaient l'URSS en Afghanistan. A l'époque, ces islamistes n'avaient pas que Dieu mais aussi des missiles Stinger américains de la CIA de leur côté.
Globalement, la situation stratégique du Pakistan n'est pas à son avantage et rend ses positions très complexes. Ce pays détient en effet des frontières importantes avec l'Afghanistan, tout comme avec l'Iran, la Chine et l'Inde.
Contraint par la force de soutenir les Etats-Unis dans leur "guerre contre le terrorisme", il ne peut en même temps rien gagner de cette loyauté, car il est pris dans une convergence d'intérêts entre l'Inde, son ennemie intime, et les Etats-Unis, le Big Boss qui lui impose son diktat. D'autre part, son autre "protecteur", la Chine, a de son côté des appétits impérialistes qui la poussent au conflit avec l'Inde mais aussi avec l'Amérique, ce qui le met donc en porte à faux vis-à-vis de Washington. Le tout sur fond d'une guerre avec l'Afghanistan qui ronge littéralement le pays par tous les bouts et d'une guerre larvée mais permanente avec l'Inde.
Quel que soit le résultat des élections de février, le Pakistan ne peut échapper à une instabilité et à un chaos croissants qui font planer une menace supplémentaire sur l'équilibre de toute cette région du monde.
Wilma / 21.01.2008
1) Démise par deux fois de ses fonctions pour corruption, impliquée dans l'assassinat de son propre frère devenu en 1992 un rival potentiel, pour ne citer que ces deux exemples, il va sans dire que sa carrière politique a montré qu'elle n'avait rien à envier en matière de coups tordus à des Nawaz Sharif et Pervez Musharraf.
A l'échelle internationale, une nouvelle génération commence à mettre en œuvre une politique prolétarienne. D'abord et avant tout, c'est le débat qui est nécessaire pour clarifier les positions. C'est dans ce sens qu'il y a peu s'est formé un cercle de discussion à Anvers. A la Vrije Universiteit de Bruxelles aussi a maintenant surgi un groupe de discussion politique. Lié à aucune tendance politique, ses participants préparent eux-mêmes des introductions et apportent des thèmes. Ont notamment été traités Ecologie et capitalisme, la Révolution d'octobre en Russie en 1917, et les récentes manifestations étudiantes. Nous publions ci-dessous la majeure partie d'une de ces introductions, sur l'identité et l'Etat. Le résumé de la discussion sur les manifestations étudiantes se trouve sur notre site Web.
Les rêves humains n'ont aucune chance dans la société actuelle. Et il n'y a pas non plus de perspective très enthousiasmante pour nous, les jeunes : travailler de 9 à 17h jusqu'à ses soixante ans et espérer ne pas être licencié. De plus, la plupart des emplois n'ont que peu d'utilité sociale, comme par exemple le secteur bancaire ou l'administration. Et quand on trouve un bon job, c'est le train-train quotidien qui fait peur.
Avec la crise d'identité, la crise économique et sociale devient de plus en plus cuisante : les travailleurs doivent travailler toujours plus dur, alors que les revenus des chômeurs et retraités diminuent sans cesse. L'enseignement se dégrade, les parents ont de moins en moins de temps à consacrer à leurs enfants, et le stress est en augmentation. Les frictions entre voisins empirent : allochtones et autochtones, Flamands et Wallons, Européens et Américains, musulmans et chrétiens. Il y a des guerres partout dans le monde, et le saccage de la nature s'accélère.
Qui croit encore en ce système ? Peut-on s'épanouir dans le capitalisme ? Pourquoi le monde est-il divisé en nationalités et en Etats ? Les intérêts de l'humanité correspondent-ils à ceux du capitalisme ? Ne peut-on pas faire autrement, ne peut-on pas faire mieux ? Grâce au capitalisme, nous avons développé les forces productives à un point tel que toute la population mondiale devrait pouvoir satisfaire ses besoins vitaux. Malgré la possibilité technique, cela semble impossible dans la capitalisme : seule une petite partie de la population mondiale dispose de cette abondance, tandis que la majorité du monde -ravagée par des catastrophes naturelles- subit la famine et ne connaît ni logement ni enseignement.
Il s'agit d'un énorme gaspillage de matières et de vies humaines. Cette absurdité ne tient pas à la « nature humaine », mais au mode de production capitaliste : une maximalisation inhumaine du profit. Les forces productives et créatives de l'humanité ne sont utilisées que lorsque la société le permet. La bourgeoisie -la classe dominante dans le capitalisme- n'investit que dans des activités rentables. La bourgeoisie et la concurrence empêche l'humanité de mettre en œuvre une société pacifique et internationale, qui satisfasse les besoins de l'humanité.
Dans l'article précédent (Ecologie et capitalisme, 'de Moeial' octobre 2007) et durant la discussion du 17 octobre, il y a eu un débat sur la façon dont le capitalisme provoque les problèmes écologiques. Dans cet article, l'attention se porte plutôt sur l'influence qu'exerce le capitalisme sur la créativité et l'identité de l'humanité que sur la mauvaise utilisation des forces productives.
Pourtant, il y a un lien fondamental entre la satisfaction des besoins vitaux et l'identité et la créativité : sans cette satisfaction, l'humanité ne développe pas son identité ni sa créativité, ses pensées sont dominées par le besoin de nourriture, de logement, de sécurité. Aussi longtemps que dure la pénurie, les besoins vitaux empêchent le développement d'autres besoins. Ces autres besoins ne sont ni artificiels ni inventés, l'humanité est un être créatif et social qui a toujours besoin de se développer, d'interaction et de culture.
L'heure de la liberté a sonné. Le capitalisme dispose en suffisance d'ouvriers qualifiés, et il devra continuer à entretenir des ouvriers. La bourgeoisie n'a jamais concédé la moindre amélioration des conditions de vie par charité, mais seulement pour augmenter son profit ou maintenir son système en vie. C'est ainsi qu'elle a accordé l'enseignement et les soins de santé pour pouvoir disposer d'ouvriers plus intelligents et en meilleure santé. Elle a concédé aux ouvriers le droit de vote et la diminution du temps de travail pour entretenir l'illusion que le capitalisme peut encore apporter des améliorations. Nous sommes ces futurs ouvriers, et la bourgeoisie réduit de plus en plus ses concessions, parce que la crise économique et politique s'aggrave (la retraite commence de plus en plus tard, les ouvriers travaillent de plus en plus longtemps et la sécurité d'emploi est en chute libre). Nos loisirs également -le temps qui reste après le travail et toutesles autres tâches indispensables, comme faire les courses, cuisiner, se déplacer- sont sous pression.
L'augmentation de liberté de l'individu dans le capitalisme est apparue parce qu'une plus grande partie de la population ne devait plus travailler constamment pour la satisfaction de ses besoins vitaux, mais disposait de temps (libre) et de moyens pour satisfaire ces besoins supplémentaires. Cela n'était pas possible pour les paysans de la féodalité ou les esclaves qui les ont précédés. Le capitalisme a représenté un progrès, mais les circonstances ont changé, et actuellement, le capitalisme limite le temps libre et donc la liberté de l'individu. La liberté que nous connaissons aujourd'hui, c'est-à-dire le temps et les moyens que la société met à la disposition de l'individu, est relativement réduite. Non seulement le capitalisme exige des ouvriers qu'ils travaillent beaucoup au nom du profit, mais il n'organise pas la société de sorte que chacun puisse jouir de l'abondance. Seuls ceux qui ont de l'argent, qui travaillent donc, ont accès à cette abondance. Le communisme propose un système où chacun travaille selon ses capacités, pour la satisfaction de chacun. Le communisme, ce n'est pas la maximalisation du profit, mais la satisfaction des besoins humains (et donc aussi de tous les besoins qui viennent après les besoins vitaux). Alors ont peut vraiment parler d'individualité. L'idée que le communisme imposerait à tous les humains une idéologie et les mêmes standards de vie (des bâtiments gris, la même alimentation et les mêmes vêtements pour tout le monde) est en opposition avec son objectif : une société qui s'organise dans le but d'épanouir le développement de l'individu. C'est pourquoi, il faut remplacer le capitalisme, car c'est le capitalisme qui peint l'humanité en gris, la précipite dans la guerre et saccage notre monde...
Intro cercle de discussion VUB
Nous publions ci-dessous de larges extraits d'un article de World Revolution n°258 d'octobre 2002 (organe du CCI en Grande-Bretagne) traitant de la dynamique d'un groupe de discussion qui s'est constitué aux Midlands en 2000. Cet article rappelle la nécessité de ce type de formation pour la clarification de la conscience au sein de la classe ouvrière. Le Groupe de discussion des Midlands (GDM) implique depuis 8 ans des personnes de Leicester et Birmingham provenant de milieux politiques divers (de la Gauche communiste, du conseillisme, de l'anarchisme, du mouvement écologiste et du gauchisme). Le but de ce groupe était de discuter de l'alternative prolétarienne au capitalisme à l'instar d'autres groupes de discussion qui existent ou ont existé au Mexique, en Inde, en France, en Espagne, en Suisse et en Australie.
Les cercles de discussion ne peuvent s'appréhender que dans le contexte du développement historique de la conscience de classe. Ils sont partie prenante de l'effort du prolétariat pour développer sa conscience de classe en essayant de comprendre la signification et les implications des crises du capitalisme dans le cadre des positions politiques du prolétariat.
Dans le contexte historique actuel, c'est-à-dire celui d'un chaos impérialiste et économique grandissant, il est important de souligner que le processus de développement de la conscience de classe se révèle de plus en plus difficile, en particulier depuis l'effondrement du bloc de l'Est. Le travail des cercles de discussion est de ce fait d'une grande importance pour le développement futur de la compréhension par le prolétariat de son propre rôle historique.
Le GDM est apparu au départ comme Groupe de Discussion de Leicester (GDL) avec des éléments qui avaient discuté dans la région tout en ayant un contact de longue date avec le Courant Communiste International. Ces discussions avaient été favorisées par des questionnements sur la guerre au Kosovo. Afin de donner à ces discussions une forme plus systématique et fructueuse, le CCI suggéra qu'il devienne un cercle de discussion. Les premières discussions du GDL portèrent sur un article du CCI qui tirait les leçons politiques d'un groupe de discussion qui avait existé à Zurich, en Suisse, dans les années 1990. Cet article mettait en avant qu'un cercle est un rassemblement ouvert mais non permanent d'ouvriers qui se rencontrent pour discuter et clarifier des questions politiques. Ces cercles sont des lieux que le prolétariat crée afin de pousser en avant sa conscience, surtout dans les moments où il n'existe aucun parti et aucun Conseil Ouvrier... Nous les considérons comme une expression concrète de la classe. Ils expriment la conscience de la classe, démontrant qu'ils ne sont pas prêts à subir la crise et la banqueroute du capitalisme sans faire preuve de résistance ; ils montrent la volonté de se défendre contre les attaques du système capitaliste. En même temps, ils sont l'expression d'une tentative de recherche de moyens de lutte et de développement d'une perspective révolutionnaire..." (World Revolution n° 207, "Les cercles de discussion dans la classe ouvrière : un phénomène mondial"). Puisqu'un cercle n'est pas une organisation se regroupant autour d'une plate-forme politique, il ne peut être une entité permanente ou stable. C'est un moment de clarification politique, permettant aux militants, à travers la participation à un processus de discussion collective, de rechercher où ils en sont politiquement en se situant du point de vue de la classe exploitée et par rapport aux courants historiques existant déjà au sein du milieu prolétarien marxiste internationaliste.
Un élément central des discussions du GDM fut la détermination à mieux comprendre les principales questions théoriques et historiques du mouvement ouvrier et de combiner cet aspect avec le souci de se référer et de discuter des événements nationaux et internationaux au fur et à mesure qu'ils se déroulaient. C'est ainsi qu'après le 11 septembre 2001, le cercle a également discuté les tracts et communiqués publiés par le CCI et d'autres groupes de la Gauche communiste. Lors d'une réunion particulière, le groupe a considéré ces attaques comme une expression de l'aggravation des tensions impérialistes. Cette préoccupation de dénoncer la guerre impérialiste d'un point de vue prolétarien a été une grande force du groupe. Tous les participants ont clairement manifesté leur opposition à la guerre au Kosovo et en Afghanistan ainsi qu'à toutes les guerres impérialistes.
La publication dans le journal World Revolution (WR) n° 257 de la présentation d'une discussion sur la Commune de Paris, montre la profondeur et la qualité de ces discussions. Entre autres choses, le GDM a discuté du mouvement anti-capitaliste, de la Révolution russe (que le groupe considère comme prolétarienne, bien qu'il y ait des désaccords sur le rôle des bolcheviks et sur les raisons de sa dégénérescence), de la conscience de la bourgeoisie en se centrant sur le rôle des partis de gauche contre la classe ouvrière.
Dès le début, le GDM a fait de la Gauche communiste un point de référence. Il a invité les groupes de la Gauche communiste à participer à ses réunions. Cela a permis aux participants de profiter non seulement d'une meilleure compréhension des positions des différents groupes mais aussi de gagner en expérience dans la discussion avec des organisations politiques du prolétariat. Le CCI est intervenu dans les réunions du groupe depuis sa fondation et la Communist Workers Organisation (CWO) est aussi intervenue plus récemment.
Le GDM a pleinement rempli son rôle central, celui de la clarification. Mais il a dû mener un grand débat politique pour y arriver. En particulier il a dû se confronter à des confusions sur sa propre nature et sur le rôle qu'il devait jouer.
Le GDM a basé initialement son travail sur les leçons de l'expérience plus large de la classe ouvrière, notamment celle du cercle de discussion de Zurich. Cependant, la pleine assimilation de ces leçons a été entravée par des confusions au sein du groupe sur ses relations avec le CCI. Certains éléments, alors qu'ils voyaient, au début, la nécessité d'un débat ouvert, ont commencé à voir la fonction du GDM comme étant un lieu pour la discussion des positions du CCI. Cette vision tendait à considérer le groupe comme une sorte d'antichambre du CCI. Le CCI a fermement rejeté cette vision et a souvent insisté sur la nécessité pour le groupe de discuter l'histoire plus globale du mouvement ouvrier et des positions des autres organisations communistes.
Le CCI a toujours défendu la vision suivant laquelle les cercles de discussion sont des lieux de clarification et non des appendices, la "propriété privée" ou la "chasse gardée" des organisations politiques prolétariennes. Ces cercles de discussion doivent agréger quiconque recherche la clarification. Les seules raisons justifiant l'exclusion du débat de tel ou tel individu (ou groupuscule d'individus) doivent être basée sur certains principes élémentaires de comportement prolétarien : les manœuvres de sabotage ou les tentatives de prise de contrôle de ces cercles de discussion (de même que le mouchardage)..
Des éléments issus du milieu gauchiste ont participé aux réunions du GDM, ce qui a permis une confrontation politique avec les positions de l'idéologie bourgeoise. Loin d'être une diversion, de telles discussions ont amené à une clarification sur la nature et le rôle du gauchisme.
Ainsi, comme ce fut le cas avec le GDM, les cercles de discussion peuvent être très hétérogènes. Mais il n'y a rien de dommageable à cela. Chercher à imposer des critères (autres que ceux du comportement politique cités ci-dessus) pour la participation aux cercles de discussion signifierait affaiblir leur force fondamentale : leur nature ouverte permettant un débat contradictoire. De tels critères impliqueraient, en effet, un accord préalable sur des positions politiques - (c'est-à-dire un certain niveau de clarification), ce qui reviendrait à mettre la charrue avant les bœufs. Toute tentative d'imposer de tels critères amènerait à geler le processus de clarification. L'évolution politique de ceux qui participent à la discussion ne peut être que le résultat de la confrontation entre différentes positions. Le CCI, pour sa part a toujours fait confiance à la capacité de jugement et au "bon sens" de tous ceux qui ont accepté de discuter loyalement avec lui, sans ostracisme et sans préjugés (y compris ceux qui ont milité dans des partis bourgeois).
Cependant, si un cercle de discussion ne peut être la "propriété" d'une organisation, il n'est pas non plus un groupe politique ou une organisation en tant que telle1 .
Cela ne veut pas dire que les organisations politiques prolétariennes ne doivent pas stimuler l'émergence de tels groupes et intervenir en leur sein afin de contribuer à la clarification la plus efficace. Les principes animant l'intervention du CCI sont "l'intervention organisée, unie et centralisée au niveau international, pour contribuer au processus qui mène à l'action révolutionnaire de la classe ouvrière". (Positions de base du CCI). Il est du devoir du CCI et des autres organisations politiques prolétariennes de prendre la parole au sein des cercles de discussion afin de permettre aux participants de mieux connaître les groupes historiques de la Gauche communiste et de prendre position, en développant la culture du débat.
Le GDM a dû aussi faire face à un certain nombre de tensions personnelles dans ses rangs. Cependant, suite à une discussion franche, tous les participants sont tombés d'accord sur le fait que les intérêts du groupe étaient prioritaires et que la personnalisation de la discussion était à rejeter.
Une fois ces difficultés résorbées, le groupe a pu s'épanouir et les débats s'enrichir. Au début de 2002, le GDM a tenu une réunion sur l'opposition prolétarienne à la guerre impérialiste. Cette réunion a attiré des individus qui n'étaient jamais venus auparavant, accompagnés de la CWO et du Socialist Party of Great Britain (SPGB) (voir WR n° 252). La plupart de ces éléments ont par la suite participé aux discussions du GDM.
Le Groupe de discussion des Midlands a exprimé, en Grande-Bretagne, l'effort le plus large possible du prolétariat pour développer sa conscience. La dynamique que les participants ont été capables de maintenir a révélé toute la vitalité politique de ce groupe. Tous les éléments qui l'ont animé ont entrepris un réel processus de clarification politique. Cela ne veut pas dire que chacun a déjà une conscience parfaitement claire des enjeux de la situation historique. Mais cela veut dire que les participants sont plus clairs sur ce qu'ils défendent, sur la façon dont ils envisagent leur avenir politique.
Certains éléments du GDM (une toute petite minorité) ont fini par demander leur adhésion au CCI, tandis que le groupe de discussion continue à se rencontrer régulièrement en menant une politique d'ouverture vers d'autres éléments à travers des informations sur le site libcom.org et la participation à des réunions de groupes anarchistes. Les éléments du groupe viennent également régulièrement à nos réunions de Birmimgham. Pour notre part, nous continuons de participer aux réunions du groupe de discussion.
D'après World Révolution n° 258 (octobre 2002),
1) Voir l'article sur notre site Internet "L'organisation du prolétariat en dehors des périodes de lutte ouverte"
Les prix s'envolent! Au 1er mars, l'inflation atteignait 3,64 %, le niveau le plus élevé depuis seize ans. Pendant trois mois d'affilée, la consommation privée par les ventes au détail chute plus que n'importe où en Europe. Cette perte de pouvoir d'achat touche toute la classe ouvrière. Les salaires, les allocations et les retraites diminuent. La conséquence la plus importante en est que des couches toujours plus larges de la population sombrent dans la pauvreté (1). Seule la lutte en tant que classe peut y faire barrage. "Une large mobilisation des travailleurs et un développement de la solidarité s'imposent", écrivions-nous à la veille de la manifestation nationale du 15 décembre appelée par les syndicats, en défense du pouvoir d'achat. " Ils s'imposent d'autant plus que les infos sur la hausse du coût de la vie et sur la baisse du niveau de vie, combinées avec une impression croissante de chaos et d'irresponsabilité de la classe politique, ont alimenté ces dernières semaines un sentiment grandissant de ras-le-bol parmi les travailleurs. En même temps, des grèves isolées contre les rationalisations, les licenciements, les réductions de salaires se multiplient [...]Cette tendance vers une montée de la colère et de la combativité était nettement perceptible lors de la manif du 15 décembre"(2). Pour endormir ce mécontentement naissant, les syndicats ont sauté dans la brèche et organisé cette manifestation derrière le mot d'ordre: "Sauvons le pouvoir d'achat et la solidarité", juste avant le congé de Noël. Une édition unique et sans suite où les ouvriers ont été appelés à défendre une fausse solidarité nationale " pour une sécurité sociale forte et fédérale" et à soutenir l'Etat national, celui-là même qui est à la base des vagues d'austérité. "Derrière les grands discours sur la nécessité de faire barrage au recul du pouvoir d'achat, l'objectif des syndicats n'était pas clairement de stimuler la lutte mais, au contraire, d'en prendre les devants, d'en occuper le terrain social afin de l'encadrer et de décourager toute velléité de développement ou d'extension"(2).
Cela n'a pas duré longtemps avant que la classe ouvrière montre qu'elle n'avait pas enterré sa combativité comme les syndicats et l'ensemble de la bourgeoisie l'avaient espéré.
Ce qui avait commencé à la mi-janvier spontanément comme un conflit social local chez un fournisseur de Ford Genk pour "1 euro de plus" a très vite tourné en une réelle vague de grèves pour une augmentation du pouvoir d'achat, vague toujours pas calmée à l'heure actuelle. Ces mêmes ouvriers qui étaient sous pression à l'occasion des restructurations chez Ford, Opel ou VW ont mis le feu aux poudres. D'abord, le mouvement revendicatif spontané a réussi à déborder vers Ford Genk et vers pratiquement toutes les entreprises des environs immédiats pour ensuite atteindre toute la province du Limbourg et le secteur métallurgique. La vague de grèves sauvages s'est étendue lentement vers d'autres branches industrielles et d'autres provinces, surtout dans la partie néerlandophone et à Bruxelles. Début mars, on compte déjà "des centaines d'autres entreprises, et depuis quelques jours aussi les fonctionnaires de la communauté flamande" (De Standaard (DS)7.3.08), confrontés à des cahiers de revendications en plus des conventions en cours. Syndicats et employeurs, pour étouffer les foyers, canalisent les revendications dans le sens de primes uniques et de boni liés aux résultats. Dans la plupart des cas, les patrons essaient même d'acheter la paix sociale pour mettre fin à la vague de grèves avant même que les ouvriers engagent effectivement l'action. "Parce qu'ils ont eux-mêmes à tenir compte de protestations subites, mais plus encore parce qu'ils veulent à tout prix éviter une grève sauvage et sont donc prêts à racheter à l'avance un éventuel désordre"(interview de H. Jorissen, président du syndicat flamand de la métallurgie de la FGTB dans De Morgen (DM), 2.2.08)(). Car comme un fil rouge à travers tout le mouvement, "il ne s'agit pas de grèves organisées par les syndicats, mais de grèves sauvages. C'est la base qui se révolte, et ce sont les syndicats qui tentent de négocier" (un des témoins au forum de discussion de DS sur la vague de grèves).
Chaque jour, de nouvelles revendications salariales émergent. Mais déjà depuis le début, à côté des exigences salariales, les grévistes avancent également d'autres revendications comme les plaintes à propos des pressions trop élevées au travail, et l'exigence de transformer en emplois fixes les contrats temporaires. Cet élargissement du cahier de revendications favorisait nettement l'extension potentielle du mouvement. C'était surtout le cas les premières semaines, à cause de la surprise créée par l'explosion spontanée et du fait que les appareils syndicaux ne contrôlaient pas encore suffisamment les revendications.
En outre, cette vague de grèves spontanée a renforcé la confiance des ouvriers en eux-mêmes, a suscité l'action pour d'autres revendications directes, encore plus explicitement que dans la période avant la manifestation syndicale du 15 décembre. Nous avons vu ainsi, à côté d'une série de mouvements de grèves importants dans le cadre syndical (comme à Electrabel, SONACA et les sapeurs pompiers) des actions sauvages comme chez le géant pétrochimique BP autour d'une restructuration et des conditions de travail où le patronat a appelé "à cesser les actions incontrôlées et à suivre le modèle de concertation sociale", parmi les 240 travailleurs de l'entreprise logistique Ceva contre les licenciements et à La Poste à Mortsel contre la sous-occupation et les contrats temporaires, "si on en vient à des actions dures à Mortsel, je crains que(...) Les autres bureaux pourraient alors suivre. Nous voulons éviter cela" (Ludo Gauwloos, délégué sectoriel du syndicat de fonctionnaires CGSP d'Anvers dans DS ). De plus, il y a encore des interruptions de travail imprévues chez les conducteurs de tram et de bus de De Lijn à propos des conditions de travail et des pauses, à la SNCB...
Finalement, la grève à l'abattoir de volailles Lintor est un autre exemple de la solidarité croissante dans la classe ouvrière, incontestablement stimulée par la combativité, la détermination et la confiance grandissante des ouvriers dans leurs propres forces. Cette entreprise, qui ne travaille qu'avec des ouvriers d'origine étrangère et beaucoup d'intérimaires en provenance de Chine ou de Pologne, entre en grève comme un seul bloc et démontre par là dans la pratique que les divisions contractuelles, de langue, d'origine ou de race ne constituent pas des barrières infranchissables pour la classe ouvrière. Ils exigeaient une application correcte des rémunérations et des bonifications pour tous exactement comme pour tout autre ouvrier.
"Le consommateur belge doit s'attendre dans les mois à venir à la plus forte hausse de prix généralisée depuis le début des années 1990. Dixit le bureau fédéral du Plan" (DS, 1.3.08). Pourtant, une partie de la bourgeoisie ose prétendre que la perte du pouvoir d'achat "n'est qu'un mythe, ou plutôt une impression, mais pas une réalité". Elle souligne que "le pouvoir d'achat réel de l'ensemble des Belges s'est encore accru". L'organisation patronale Unizo parle d'une "hystérie du pouvoir d'achat". Le gouverneur de la Banque Nationale Guy Quaden, rejoint par beaucoup d'autres directions d'entreprise, met en garde contre des augmentations de salaires incontrôlées qui réveilleraient l'inflation et coûteraient des emplois. L'organisation patronale flamande Voka, également, appelle les actions de grève une aventure mettant l'économie en danger. "Les grèves pour plus de salaire ne sont pas une bonne idée" titrent plusieurs éditoriaux. La direction de Ford a envoyé à tous ses ouvriers une lettre au ton menaçant dont le message était clair. Ces réactions datent surtout des premières semaines de janvier.
La réalité quotidienne montre la pression sous laquelle vive la plupart des familles ouvrières: "Le Belge moyen s'enfonce toujours plus dans les dettes" ( rapport annuel de la centrale de crédit de la Banque Nationale), 4,7 millions de Belges empruntent ou achètent à crédit, les achats à échéances ont augmenté de 75 % ces cinq dernières années. "Le Belge est au bout du rouleau quand arrivent les factures" affirme le directeur de Datassur (banque de données centrale pour les assureurs). Car le nombre de Belges dénoncés pour défaut de paiement de leur assurance voiture ou incendie a une nouvelle fois progressé jusqu'aux environs de 40.000.
Après les produits énergétiques, ce sont surtout les prix alimentaires, le gaz et l'électricité qui tirent le niveau des prix vers le haut. Le courant et le gaz en 2008 coûteront en moyenne 300 euros de plus par famille. L'appel dans le mouvement de grève à une hausse supplémentaire des salaires nets en plus de l'indexation automatique, indique clairement que l'indexation des salaires ne suffit pas à compenser cette chute du pouvoir d'achat. Beaucoup de prix alimentaires, de produits de base et de produits pétroliers ne sont même plus repris dans l'index des prix, alors que le prix des Porsche et d'autres produits de luxe qui ont légèrement diminué, le sont. Ils font pression à la baisse sur l'index et ainsi faussent l'image de la réalité . Il est significatif d'entendre que "les CPAS nous font part que des gens achètent de plus en plus à crédit des biens quotidiens comme l'alimentation ou les habits" (Koen Steel, président du KWB (Mouvement Ouvrier Chrétiens), DM, 18.1.08). D'ailleurs, "Chaque Epargne pension a déjà perdu 600 euros ", "Pertes historiques en Bourse", n'étaient pas par hasard les titres des journaux de première page dans cette même période de mécontentement social où ils soulignaient, en plus de la perte de pouvoir d'achat, la diminution des économies pourtant rudement épargnées.(3)
"C'est une impression, Monsieur" répète la presse. Et entretemps, la pression sur les travailleurs et le climat social se poursuit: l'insécurité et la précarité de beaucoup de contrats temporaires et d'intérim, l'arbitraire croissant, le stress et la fatigue consécutifs au caractère destructeur de la pression pour plus de productivité et d'efficacité, traduite dans d'ingénieux tableaux de procédures et minutée par tâche, ou même en fractions de secondes, la lutte contre le soi-disant absentéisme, la misère grandissante dans des couches toujours plus larges de la population et par-dessus tout cela, les augmentations de prix des produits de base. On comprend très bien pourquoi le manque de perspective d'avenir se renforce. C'est la réalité oppressante! Et on ne dit encore rien des conséquences qu'auront les 3,5 milliards d'économies supplémentaires que le nouveau gouvernement Leterme devra trouver pour sortir du rouge son budget fédéral 2007 et 2008.
En plus des reproches, avertissements et intimidations, la bourgeoisie tente aussi de nous jeter de la poussière aux yeux: le champ d'application des chèques-service devrait s'élargir, l'allocation de 400.000 chômeurs devrait augmenter d'environ 7 % (2 % d'index et 5 % de rattrapage de perte de prospérité, ce qui en fin de compte revient à une allocation encore plus basse que celle des années 1990), et les retraites les moins élevées, en deçà du seuil de pauvreté, seront un peu augmentées, et quelques subsides seront versés à ceux qui ne parviennent pas à payer leur facture de chauffage. Des miettes!
Donc, Messieurs, vous avez bien raison de dire que l'augmentation du prix des produits de base quotidiens est la goutte qui fait déborder le vase, si c'est ce que vous entendez par impression, alors la réponse est certainement oui! C'est la frontière entre l'acceptable et ce qui ne l'est plus.
Lorsque la bourgeoisie a été contrainte de faire des concessions dans des centaines d'entreprises, c'est finalement parce que dans des dizaines d'entreprises, les travailleurs ne se sont pas laissés intimider ou endormir et ont engagé la lutte. Toutes les tactiques de division et de domination classiques, par entreprise, par métier, par secteur, par statut, privé ou public, chômeurs ou actifs ou retraités, jeune ou vieux, région et tout le reste, tout cet arsenal semblait avoir moins d'emprise. Tous les ouvriers, actifs, chômeurs, retraités, étudiants peuvent en fait se retrouver dans ces mouvements contre la perte du pouvoir d'achat, les cadences de travail et l'instabilité des contrats.
Afin d'éviter une extension plus importante et surtout une unification, la bourgeoisie a très vite mis en avant ses syndicats. Il fallait arrêter les dégâts et en particulier éviter l'extension vers les très combatifs bassins industriels wallons grâce au silence des médias surtout dans la presse francophone. Il fallait racheter la combativité là où c'était nécessaire en utilisant l'encadrement syndical pour canaliser les revendications et en reprenant le contrôle des mouvements.
Quelques échantillons, qui se passent de commentaire, du sale rôle que jouent les syndicats: lorsqu'a éclaté spontanément la lutte chez le fournisseur de Ford: "Notre homme sur place s'est dépêché de négocier, car chacun veut toujours éviter que la grande usine, Ford donc, s'arrête aussi. Après une heure, je recevais un coup de fil: Herwig, ça se passe mal" (H. Jorissen, président de la centrale métallurgique FGTB, dans DM, 2.2.08). La direction de Ford appelle le syndicat à réagir rapidement pour reprendre le contrôle, quitte à devoir payer. "Derrière les coulisses, les délégués de Ford Genk 'comprennent' l'appel spontané à une augmentation de salaire, mais en même temps comprennent aussi que ce n'est pas favorable à l'entreprise" (DS , 22.1). "Croyez-moi, nous avons tout fait pour limiter les dégâts. Nos délégués à Genk savent quels efforts ont été faits pour sauver Ford il y a cinq ans. Et l'an dernier, en avril, j'ai eu tout le monde sur le dos quand j'ai été le seul, je dis bien le seul, à tenir tête à une grève semblable sur les salaires et les cadences chez les fournisseurs de Ford. A l'époque, j'avais dit aux grévistes qu'ils faisaient le mauvais choix. Aujourd'hui encore, en tant que syndicat, nous ne sommes pas à l'avant et nous n'organisons aucune grève" (H. Jorissen, dans DS 2.2). "Lors de la grève chez les fournisseurs de Ford, Tony Castermans (FGTB) a été le seul à dire à haute voix: 'je ne suis pas heureux'. Lors de la grève à Sabca, Johnny Fransen (FGTB) a lui-même accepté la proposition du médiateur social, sans la mettre au vote des travailleurs. Juste pour conserver le contrôle de la situation" (H. Jorissen, dans DM, 2.2).
C'est enfin grâce à l'encadrement syndical que la revendication "un euro de plus par heure" a pu être contournée. Agoria, la fédération patronale de la métallurgie, a immédiatement conseillé à ses entreprises membres de couper court aux revendications en accordant une prime unique, comme application du bonus salarial. Ce bonus, récemment introduit en compensation d'une augmentation de production obtenue ou encore à venir(sic!) est fiscalement plus intéressant et devrait plus tard être compensé dans les négociations centrales sur les salaires. Même les clausules de norme salariale restent d'application pour affaiblir les mesures supplémentaires, comme le confirment cette déclaration du syndicaliste Jorissen: "Pour prouver que les syndicats sont très raisonnables: dans le secteur de la métallurgie il existe un mécanisme de solde. Concrètement: si cette année devait arriver une indexation de salaires non planifiée, la dernière partie de l'augmentation nette de salaires disparaît de la convention collective. On peut dépasser la norme salariale par l'index, mais pas par d'autres formes d'augmentations salariales. Nous ne plaidons donc pas gratuitement pour un cumul de toutes les augmentations salariales possibles" (H. Jorissen dans DS, 2.2).
"Pour développer un combat massif et uni de l'ensemble des travailleurs, indispensable face à la poursuite inévitable des attaques, il faut tirer les leçons du sabotage syndical. Et une des leçons centrales, c'est que, pour pouvoir se battre efficacement, opposer une riposte unie et solidaire en recherchant toujours plus l'extension de leur lutte, les travailleurs ne peuvent compter que sur leurs propres forces. Ils n'auront pas d'autre choix que de prendre eux-mêmes leurs luttes en mains et de déjouer tous les pièges, toutes les manœuvres de division et de sabotage des syndicats" (2).
Le mouvement de grève démontre que les travailleurs ne peuvent plus faire confiance aux spécialistes syndicaux des "négociations" secrètes pour diriger leur lutte. Tous ensemble, les ouvriers qui sont dans le mouvement doivent prendre les décisions sur la façon de mener la lutte. Les Assemblées Générales appelées par les syndicats ne peuvent plus se satisfaire de voter pour ou contre la poursuite de la grève sans qu'un réel débat soit mené, d'être une simple chambre d'enregistrement.
- L'AG est l'organe souverain de la lutte. Dans ce sens, les comités de grève qui ont pour tâche de mettre en œuvre les décisions de l'AG doivent être nommés par l'assemblée sur base d'un mandat et rester sous son contrôle. Ils doivent être les garants contre toute magouille de la part des syndicats.
- Les AG doivent discuter de l'envoi de délégations massives vers d'autres entreprises pour expliquer la signification du mouvement et appeler les travailleurs d'autres secteurs à la solidarité active et ne pas seulement compter sur une extension de leur lutte "spontanée", automatique, passive.
- L'extension de la lutte doit immédiatement être un objectif, dès les premiers jours du mouvement, pour éviter que les syndicats et leurs manœuvres enferment le mouvement dans un secteur ou une région, dans un mécanisme de négociation séparé, dans des revendications spécifiques. Pour étendre la lutte, les travailleurs doivent poser en priorité des revendications unifiantes, qui soient communes à tout le monde, c'est justement de ça que la bourgeoisie a eu si peur aujourd'hui. L'assemblée générale doit donc immédiatement produire une plateforme de revendications qui mène à l'unité la plus large possible, à la plus grande solidarité.
Les miettes que la bourgeoisie distribue aujourd'hui seront reprises demain. Mais la pire défaite serait de ne pas avoir engagé la lutte. Plus la classe ouvrière courbe l'échine et cède à l'intimidation, et plus la bourgeoisie aura les mains libres pour attaquer et opprimer. "Près de quatre décennies de crise ouverte et d'attaques contre les conditions de vie de la classe ouvrière, notamment la montée du chômage et de la précarité, ont balayé les illusions que "ça pourrait aller mieux demain" : les vieilles générations de prolétaires aussi bien que les nouvelles sont de plus en plus conscientes du fait que "demain sera encore pire qu'aujourd'hui" (4).
Quelles que soient les limitations de cette vague de grèves, les leçons qu'on peut en tirer sont de la première importance pour l'avenir. Pour pouvoir mener avec succès la lutte contre les attaques de plus en plus drastiques du patronat et du gouvernement, la classe ouvrière doit continuer à reprendre confiance en elle, à reconstruire sa solidarité de classe, à mener ses luttes non seulement de façon simultanée, comme elle le fait aujourd'hui, mais surtout de façon à unifier ce combat, à se considérer comme un tout, à regagner confiance en ses propres forces, en ses capacités bien réelles (si souvent démontrées par le passé) pour prendre en mains sa lutte et son sort.
La véritable force des travailleurs se trouve dans la solidarité contre toutes les tentatives de les diviser et dans le développement de leur lutte et le refus d'accepter la loi du capital. Les événements en Belgique sont encourageants et cadrent parfaitement dans la remontée internationale de la lutte ouvrière. De l'Egypte à Dubaï, du Pérou au Venezuela, de la Turquie à la Russie, de l'Espagne à la Finlande et surtout de l'Allemagne à la France, la classe ouvrière développe sa résistance contre les mêmes attaques incessantes du capital sur ses conditions de vie et de travail.
Lac / 10.3.08
(1) voir Internationalisme n° 334 article sur la pauvreté
(2) Internationalisme n° 335, 14.12.07
(3) voir les articles sur la crise dans ce numéro
(4) Résolution sur la situation internationale du 17ème Congrès du CCI, mai 2007, Revue Internationale n° 130, 3ème trimestre 2007
Avec la "crise des subprimes", la récession économique mondiale se profile nettement. De façon simultanée, sur l'ensemble du globe, des centaines de milliers de prolétaires sont brutalement frappés par la crise économique. Parmi les premières victimes, les familles expulsées de leurs maisons qui ne peuvent plus rembourser leurs prêts ou qui perdent leur emploi. En un an, aux Etats-Unis, le taux de saisies/expulsions a doublé : 200 000 procédures de saisies par mois au deuxième semestre 2007 accentuant le phénomène des "villes fantômes". Ainsi, la paupérisation galopante sollicite beaucoup plus fortement les programmes d'aide alimentaire existants (1 ). En plus, 27 000 licenciements sont programmés dans le secteur du bâtiment, 28 000 dans le secteur de l'agro-alimentaire. Dans le secteur automobile, 12 000 suppressions d'emploi sont envisagés pour les usines Ford ! 74 000 "départs volontaires" sont demandés pour General Motors. En 2006 déjà, le licenciement de 30 000 ouvriers payés à l'heure avait montré la détermination de la direction pour "rattraper la productivité des constructeurs asiatiques". Le plan aujourd'hui met à exécution cette même volonté afin "d'embaucher de nouveaux venus, payés trois fois moins : 25 dollars de l'heure au lieu de 75 dollars actuellement, prestations sociales comprises" (2 ). Il faut ajouter "la grande différence avec les plans précédents" : les ouvriers doivent "accepter de perdre leur assurance santé et leurs pensions retraite en passant les portes de l'usine".3 Les licenciements se multiplient dans l'industrie manufacturière, le commerce de détail, etc. Il est clair que l'hécatombe va suivre dans le secteur des services. Dans la finance mondiale, 26 000 licenciements sont déjà prévus, touchant des temples comme HSBC, UBS. Citigroup prévoit entre 17 000 et 24 000 licenciements !
Aujourd'hui, ce choc frontal lié à la crise ne peut plus être uniquement reporté à la périphérie du capitalisme, dans les pays pauvres. C'est maintenant le cœur du système capitaliste et son prolétariat le plus concentré au monde qui est touché. En Europe, dans un pays comme l'Allemagne, dont on vante pourtant la performance des exportations et le dynamisme des entreprises, les charrettes de licenciements se multiplient : à la Deutsche Telekom, 35 000 licenciements sont prévus d'ici fin 2008. Chez BMW, 8000 emplois doivent être supprimés pour des questions de "rentabilité". Idem chez Siemens qui prévoit de jeter à la rue 3000 employés de sa division Enterprise Network (SEN). L'opérateur Nokia s'apprête à déménager en Roumanie avec une main d'œuvre bien meilleur marché. Ailleurs aussi, dans le secteur des télécommunications, l'entreprise néerlandaise KPN prévoit de supprimer 2000 postes qui s'ajouteront aux 8000 prévus par un plan divulgué en 2005. En France, outre les 23 000 suppressions de postes programmées dans la fonction publique et les collectivités locales, 18 000 licenciements chez Peugeot seront étalés jusqu'en 2010. Une myriade de faillites d'entreprises entraîne d'ores et déjà des licenciements secs, en particulier pour les ouvriers les plus vulnérables que sont les travailleurs immigrés en situation irrégulière, sans papiers, mais "légalement" employés dans les secteurs du BTP, la restauration, l'électronique... Ce désastre, qui n'en est qu'à ses débuts, touche tous les autres pays en Europe et le reste du monde. Même dans ce qu'on nous présente comme le nouvel El Dorado, la Chine, la contraction du marché mondial entraîne de nombreuses faillites et licenciements (4 ).
Il n'y a pas d'illusions à se faire, la paupérisation s'accélère partout ! Ce qui nous est présenté par la bourgeoisie comme des "dégraissages" et selon certains économistes une "purge salutaire" n'est en réalité qu'une des expressions les plus significatives de la faillite du système capitaliste.
WH / 23.02.2008
1) Pour les enfants, « Kids Café » distribue davantage de repas dans 18 comtés. Dans l'Etat de New York, les soupes populaires connaissent une hausse de 24 % en un an.
2) Libération du 23 février 2008.
3) Idem.
4) Pour s'adapter, "depuis le premier janvier 2008, la Chine applique un nouveau droit du travail dont l'arrivée provoque depuis des mois des licenciements massifs". Dans le sud de la Chine (Shenzhen), une entreprise sur 10 est amenée à fermer dans cette mégalopole industrielle. Voir le site Internet WWW.lagrandeepoque.com
Le 26 mars, une discussion a eu lieu à Anvers à l'occasion des cinq ans de guerre en Irak, à l'initiative de quelques jeunes. Chacun y était bienvenu, pour discuter et partager ses analyses à propos de l'origine des guerres qui paraissent ne plus devoir quitter ce monde. L'objectif était, comme le précisait l'invitation, de "tenir une discussion ouverte, dans laquelle on cherche sincèrement des réponses". Le CCI soutient cette initiative. L'introduction et la discussion confirment une fois de plus la thèse de notre dernier Congrès international sur le ressurgissement d'une nouvelle génération de révolutionnaires.
A tous les coins de la planète, un nombre croissant de personnes se posent les mêmes questions fondamentales sur la nature du système capitaliste et veulent débattre sur comment pouvoir établir une alternative. Comme organisation, nous voulons contribuer à ce processus partout et le plus que nous le pouvons, avec les moyens dont nous disposons. Nous publions ci-dessous l'introduction et une courte synthèse du débat qui a suivi que nous avons reçues de l'un de ceux qui en a pris l'initiative.
A l'occasion des cinq ans de guerre en Irak, nous organisons aujourd'hui une soirée de discussion à propos des guerres qui ravagent ce monde et auxquelles aucune fin ne semble arriver. En premier lieu, nous pensons à la guerre en Irak, mais aussi à celles qui font rage en Afghanistan, entre Israël et la Palestine, au Soudan, au Tchad, au Congo, en Somalie, au Kenya, en Tchétchénie, et également aux tensions entre le Venezuela, l'Equateur et la Colombie. Pour la discussion de ce soir, nous partons de la situation en Irak, mais il n'est pas exclu que les autres soient aussi à l'ordre du jour. On peut par exemple se poser la question de savoir s'il existe un lien entre ces guerres et si elles ont un terrain favorable commun.
Je commence par un petit tableau de la situation actuelle en Irak, pour ne quand même pas oublier ce que cette guerre représente concrètement: 94.000 morts, 4,4 millions de réfugiés, 3.000 milliards de dollars en dépenses militaires, dévastation des installations électriques et hydrauliques, état catastrophique des soins de santé. "Chaque jour", il y a un attentat (exemple, mi-mars, une femme explosa et entraîna avec elle des dizaines de morts et de blessés), chaque quartier à Bagdad reflète la milice par laquelle elle est contrôlée, la corruption est générale (exemple, les vendeurs doivent corrompre les postes de l'armée irakienne pour faire passer leurs marchandises "c'est pire qu'à Gaza -si on ne me fait pas passer je dois faire le tour de tout un quartier pour atteindre un autre poste de contrôle, 99% de chance qu'alors je meurs.")
Face à ces faits, la première question de la plupart des gens est comment mettre fin à cette folie. Pour y répondre, nous devons nous poser une autre question: "pourquoi cette guerre?". Je propose de partir de ces deux questions ("pourquoi cette guerre?" et "comment arrêter la guerre?") pour commencer la discussion.
Une guerre de personnalités?
Comment une telle guerre est-elle possible? Personne ne veut quand même cela? Et pourtant, beaucoup prétendent que les guerres en Irak et en Afghanistan seraient menées par quelques personnes de "mauvaise volonté": Bush, Donald Rumsfeld, Blair... ou Oussama Ben Laden, Saddam Hussein, Moqtada El Sadr... Mais les guerres sont-elles vraiment menées par des individus? L'histoire est-elle faite par quelques personnes? Est-ce que Monsieur Bush détermine à lui seul de la marche de l'Etat le plus puissant du monde? Est-il le dirigeant ou est-il le représentant de la politique US? Et la société dans laquelle nous vivons, le capitalisme, ne pousse-t-elle pas en avant les dirigeants dont elle a besoin?
Une guerre issue d'une mauvaise politique?
Si ce n'est pas une question de personnalités, c'est peut-être alors une question de mauvaise politique? Les dirigeants ont-ils pris des décisions "erronées"? Ou la guerre était-elle une bonne affaire, mais aurait été mal menée? C'est du moins ce que nous répètent beaucoup de politiciens et de médias. Mais pourquoi faire la guerre?
Une guerre préventive?
Pendant 5 ans, les USA ont argumenté, avec la G-B, que l'Irak disposait d'armes de destruction massive. Depuis quand un Etat place-t-il des milliards dans une guerre uniquement destinée à désarmer un pays? Qui trouve la rationalité d'une "guerre pour préserver la paix"? ("War is peace, freedom is slavery, ignorance is strength", le slogan de l'Etat totalitaire de 1984, le livre de George Orwell). Après 5 ans, les preuves ne manquent pas que cet argument est creux, et que ce n'était pas la véritable raison de la guerre.
Quelles forces mouvantes?
L'histoire, et donc les guerres, est-elle propulsée par des personnalités, par des gens de mauvaise volonté, une "mauvaise direction" ou une propension arbitraire à faire la guerre? Je ne le pense pas. Les questions que je me pose sont: Quelles forces sociales font que cette (ces) guerre(s) doi(ven)t être menée(s)? Quels mobiles poussent la classe dominante à mener la guerre? (Car même la bourgeoisie veut la paix, mais du fait de sa nature de défenseur du capitalisme, elle est contrainte à l'hypocrisie et à la poursuite de la guerre). Quel est le terreau de ces guerres? Où sont les racines de la guerre? Ce sont là, je pense, les questions essentielles qui peuvent nous conduire à fonder une réponse sur des arguments matériels.
Une guerre impérialiste?
Selon les anti-globalistes, les altermondialistes et beaucoup d'organisations de gauche, la guerre serait menée pour le pétrole irakien, que ce soit pour le revendre ou pour l'utiliser. Et le même argument est utilisé pour quelques guerres en Afrique: les multinationales et/ou les grandes puissances soutiendraient des guerres pour les matières premières. Mais je peux difficilement m'imaginer qu'une guerre qui a déjà englouti 3.000 milliards de dollars aurait été menée pour un profit immédiat. Par ailleurs, les USA disposent eux-mêmes de plusieurs champs pétrolifères, et a conclu de nombreux accords avec des pays d'Amérique centrale et d'Amérique du Sud pour être à l'abri de toute pénurie sur ce plan. Un autre argument est que les USA et d'autres pays auraient envahi l'Irak, non pour le pétrole lui-même, mais pour le contrôle sur le pétrole et la région. La guerre est-elle menée pour élargir la sphère d'influence de chaque pays? Mais influence sur quoi et pourquoi? Influence sur une économie à genoux? Et les pays occupés ne constituent certainement pas non plus un marché. La guerre est-elle lors déterminée par des intérêts militaires et stratégiques? Mais le capitalisme n'est-il pas en premier lieu un mode de production basé sur le profit économique? Pourquoi alors attaquer l'Irak? Quels intérêts pèsent-ils le plus lourd: économiques ou stratégiques?
Comment arrêter la guerre?
"Comment arrêter la guerre?" est sans doute la question la plus souvent posée, ou du moins la plus angoissante. Récemment, des dizaines de milliers de manifestants protestaient contre la guerre à Londres, et des dizaines de milliers aux USA. Dans d'autres pays aussi, des gens sont descendus dans la rue. Et pourtant, ni ceux-là, ni les millions de manifestants des dernières années n'ont pu empêcher la guerre. Pourquoi? Peut-on mettre fin à la guerre sans détruire le système capitaliste? Le capitalisme ne porte-t-il pas la guerre en lui? Qui peut empêcher la guerre et comment? On peut évoquer quelques exemples historiques pour comprendre qui peut et qui ne peut pas arrêter une guerre:
- à la veille des deux guerres mondiales, de nombreuses manifestations pacifistes ont été organisées, et pourtant les deux guerres ont éclaté;
- la première guerre mondiale ne s'est terminée par la victoire d'aucun camp, contrairement à la seconde, mais a abouti à un armistice. Il y avait des désertions massives, une fraternisation entre soldats des deux camps, aussi bien sur le front de l'Est qu'à l'Ouest. La révolution russe éclata en 1917, et en 1918, des vagues de grèves ébranlèrent l'Allemagne. Un lien existe-t-il entre ces événements? Je le pense effectivement;
- la guerre du Vietnam a pris fin, d'une part suite aux changements d'alliance entre USA, Chine et Union soviétique, mais d'autre part du fait d'une pression dans l'armée américaine elle-même, où des milliers de GI's se sont organisés contre la guerre, et aux USA, où les ouvriers se sont mis en grève contre la guerre. On peut se demander à quel point les seconds ont déterminé les premiers, mais cela nous mènerait sans doute trop loin.
Devons-nous choisir un camp dans ces guerres? Devons-nous choisir entre terroristes, nationalistes irakiens et impérialistes? Ou sont-ils tous des impérialistes? Pour ma part, je refuse de choisir, et je pense qu'aucun nationalisme, qu'il soit irakien, américain, turc ou kurde, n'a quoi que ce soit à offrir d'autre que plus de guerre, encore plus de bains de sang. Selon moi, seul l'opposé, l'internationalisme, offre une issue.
Chiffres et citations
De Standaard, 19.3.08
https://archive.intal.be/nl/article.php?articleId=267&menuId=1 [67]
https://www.nrc.nl/buitenland/article976972.ece/Internationale-_Rode_Kru... [68]
https://www.icrc.org/Web/Eng/siteeng0.nsf/htmlall/iraq?OpenDocument [69]
https://www.indymedia.be/fr/node/26620 [70]
Dans la discussion qui a suivi, il a semblé qu'il existait des différences d'appréciation sur un certain nombre de points. C'est ainsi que la question reste posée de savoir si ce sont des intérêts économiques ou stratégiques qui ont déterminé le déclenchement de la guerre. Le but initial des pays qui ont déclenché la guerre était-il de gagner du pétrole, et cela a-t-il dégénéré en catastrophe? Mais alors, quid de l'Afghanistan, dont nous savons tous que sur le plan économique, mis à part l'opium, il n'y a rien à gagner? Ici, les intérêts stratégiques prennent le dessus. Ou ne s'agissait-il que d'un terrain d'exercice pour la guerre en Irak? Et dans ce cas, l'Irak est-il la préparation à une prochaine guerre?
La discussion a également abordé la manière de mettre fin à une guerre. Les "journées d'action" sont-elles suffisantes pour mettre la pression sur des Etats et les contraindre à changer de politique? En se limitant à de telles actions uniques, sans réflexion en profondeur, la guerre et la société qui la produit ne sont pas vraiment mises en question. Le pacifisme est-il aussi innocent qu'il paraît?
Ensemble, les participants ont clarifié différentes questions, de façon dynamique, en échangeant des arguments. Mais de nouvelles questions ont surgi. Le débat fait clairement partie d'un processus de clarification. Un sentiment de décontraction et une réelle volonté de chercher des réponses ont contribué à une agréable ambiance de discussion.
Un des organisateurs / 26.3.08
Dans le communiqué ci-dessous, Internacionalismo (la section du CCI au Venezuela) analyse les événements en Amérique du Sud, suite à l'incursion de troupes colombiennes sur le territoire équatorien.
A l'aube du samedi 2 mars, l'armée colombienne bombarde un camp des Farc situé en territoire équatorien, à quelques kilomètres de la frontière colombienne. L'objectif de la mission est d'éliminer le leader de la guérilla surnommé Raul Reyes, un membre important du secrétariat des Farc, qui est décédé avec seize combattants de la guérilla. Le président colombien (Alvaro Uribe), qui a suivi l'opération toute la nuit, a averti de l'action le président équatorien (Rafael Correo), qui a réagi de façon modérée après avoir écouté les explications du président colombien.
Dimanche, Correo change d'avis et décide d'expulser de l'Equateur l'ambassadeur colombien, ordonnant un renforcement de la présence militaire à la frontière avec la Colombie. Lundi, l'Equateur décide de rompre les relations diplomatiques avec la Colombie, accusant le président Uribe d'être "belliqueux", après que le directeur de la police colombienne eût déclaré que des documents saisis sur les ordinateurs de combattants de la guérilla montraient qu'il y avait des liens entre les Farc et les gouvernements d'Equateur et du Venezuela (1).
Le dimanche 3 mars, Chavez, dans son show télévisé « Aló, Presidente », après avoir accusé Uribe d'être "un gangster et un laquais impérialiste", et menacé d'envoyer un bombardier russe Sukhoï si le président colombien décidait de mener une action similaire sur le territoire vénézuélien, ordonne le retrait du personnel de l'ambassade de Bogotá et la mobilisation de dix bataillons militaires le long de la frontière avec la Colombie; ce même jour (même si cela n'a pas été rendu officiel), le gouvernement vénézuélien donne l'ordre de fermer la frontière avec la Colombie (2).
Comme on pouvait s'y attendre, cette situation a créé des tensions dans la région et une inquiétude dans la population, surtout à la frontière entre la Colombie et le Venezuela.
La réaction du gouvernement vénézuélien a été disproportionnée, alors que la Colombie n'a mené aucune action militaire d'aucune sorte sur le territoire du Venezuela. Les commentateurs soulignent que la réaction du Venezuela a été plus importante que celle de l'Equateur, le pays "envahi".
On suppose que Chavez, après la première réaction modérée de Correa (qui partage le projet chaviste de "révolution bolivarienne"), a fait pression sur le président équatorien pour qu'il rompe les relations avec la Colombie et fasse la démonstration d'un front uni contre les agressions d'Uribe.
Cette réaction exagérée du Venezuela n'est d'aucune manière surprenante. Le gouvernement gauchiste de Chavez a mis en place la stratégie politique de s'ériger en puissance régionale, sur base du pouvoir que lui confère le pétrole, et de la sorte, il exploite un anti-américanisme croissant dans le but d'utiliser les problèmes sociaux et politiques des pays de la région et les difficultés géopolitiques des USA dans le monde. Cette position a conduit le Venezuela à apporter son soutien politique et financier à des groupes et partis gauchistes de la région, certains d'entre eux détenant déjà le pouvoir, comme dans le cas d'Evo Morales en Bolivie ou de Correa en Equateur. La réaction de Chavez et ses pressions sur l'Equateur ne sont pas une surprise, puisque l'opération colombienne a révélé le soutien des deux pays à la guérilla colombienne, allant jusqu'à permettre l'établissement de camps sur leurs territoires pour échapper aux militaires colombiens. La décision du gouvernement vénézuélien de mobiliser des troupes le long de la frontière avec la Colombie était une réponse à la réelle possibilité que l'armée colombienne attaque des camps de guérilleros sur le territoire vénézuélien.
Chavez a connu continuellement des affrontements politiques et diplomatiques avec la Colombie, qui a été transformée en base militaire la plus importante des USA dans la région, sous prétexte d'attaquer la guérilla et le trafic de drogues, via le Plan Colombie, entamé en 2000.
En vue de déstabiliser le gouvernement colombien, Chavez a offert de plus en plus ouvertement son soutien aux organisations de guérilla (FARC et ELN); il apporte également son soutien politique (et peut-être financier) au Polo Democrático Alternativo (Pole Démocratique Alternatif), un parti gauchiste colombien qui défend le projet bolivarien contre le parti pro-Uribe au pouvoir.
La confrontation Chavez-Uribe s'est plus ou moins maintenue en équilibre instable depuis novembre de l'an dernier, quand Chavez était encore considéré comme un possible médiateur dans le cadre de "l'échange humanitaire" de divers otages aux mains des Farc (3) et des militants de cette organisation. On ne devrait pas oublier que l'inexplicable décision du gouvernement colombien d'accepter la médiation de Chavez pour l'échange des otages pourrait faire partie de la stratégie de la bourgeoisie colombienne et des USA pour mieux connaître les manœuvres des Farc et les affaiblir sur le plan géopolitique, exactement comme c'est en train de se dérouler aujourd'hui.
Il est vrai que les guérillas se sont retrouvées affaiblies du fait des actions déterminées de Uribe (4), une situation qui explique l'insistance de Chavez à les défendre comme une force combattante, ce qui pourrait ouvrir les portes à leur transformation en parti politique. La récente action colombienne en Equateur pourrait faire partie de la nécessité de faire barrage à cette dernière option et de mettre fin au processus unilatéral de remise des otages à Chavez, et de rendre publics les liens du gouvernement vénézuélien avec les Farc. Le gouvernement colombien, grâce à ses services secrets (épaulés par la technologie militaire américaine très avancée), a souvent dénoncé l'existence de camps de la guérilla dans les pays voisins de la Colombie, en particulier au Venezuela et en Equateur. En fait, il y a quelques mois, le président Uribe avait déjà proclamé que le leader de la guérilla Raul Reyes se cachait sur le territoire équatorien. On jurerait que le gouvernement colombien n'attendait que l'occasion favorable de l'éliminer (5).
Les bourgeoisies US et colombienne sont au courant de l'affaiblissement de Chavez sur le plan intérieur, révélé par sa défaite au référendum le 2 décembre de l'an dernier, dont le but était de le rendre indéfiniment rééligible. Les masses qui avaient placé en lui tous leurs espoirs commencent à ne plus y croire. C'est pour cela que le gouvernement de Chavez tente sans arrêt d'entraîner la population dans une campagne agressive contre l'ennemi extérieur (les USA, et plus récemment la Colombie), en vue de détourner l'attention des masses de leurs réels problèmes quotidiens (pénurie de biens de consommation de base, criminalité, chômage...).
La stratégie géopolitique des USA a été de laisser le chavisme se décrédibiliser progressivement lui-même, c'est pourquoi le gouvernement américain a évité de tomber dans les continuelles provocations; une situation qui a mené Chavez à ajuster son artillerie nationaliste et rhétorique contre Uribe. La bourgeoisie US et ses homologues les plus "conscientes" de la région savent que les gros profits pétroliers ne suffiront pas à alimenter la voracité de la bourgeoisie bolivarienne (la "bolibourgeoisie"), qui a besoin d'énormes quantités de ressources pour ses affaires légales et illégales (le fruit du haut degré de corruption qui règne dans les rangs bolivariens); en même temps, soutenir une politique anti-américaine (financée par l'URSS du temps de la guerre froide) coûte très cher. Pareillement, la poursuite d'une politique populiste implique de grosses dépenses, une raison de l'affaissement de cette politique en 2006 (phénomène particulièrement ressenti par les secteurs les plus pauvres).
A cause du malaise social (6), la confrontation avec la Colombie et les mobilisations bellicistes n'ont pas rencontré le soutien de la population du Venezuela. Les appels de Chavez, de l'Assemblée Nationale et des grands bureaucrates du chavisme à la mobilisation de la population aux frontières ont été écoutés avec indifférence, avec hostilité, ou avec l'idée que les deux gouvernements feraient mieux de trouver un autre moyen de résoudre leur conflit. Le gouvernement a bénéficié du soutien de l'ex-bureaucrate Lina Ron, nouvelle lumpen, qui a mis ses 2.000 partisans au service du "commandeur"! Ils font partie des partisans rétribués qu'utilise le chavisme pour réprimer son opposition, et les masses d'ouvriers qui protestent ou luttent pour leurs conditions de vie. D'autre part, dans le cas du Venezuela, les fractions d'opposition de la bourgeoisie et ses partis ont resserré les rangs contre Chavez, alors que la bourgeoisie colombienne formait un front uni autour d'Uribe.
Il y a aussi un facteur non moins important qui joue contre les tendances bellicistes du chavisme: la division des forces armées, un reflet de la division que les différentes fractions de la bourgeoisie ont inculquée au niveau de la population civile. Bien que ceci ne soit pas exprimé ouvertement, il est évident qu'il y a des secteurs militaires qui sont en désaccord avec le type de relations que le gouvernement entretient avec la guérilla: celle-ci a attaqué les forces armées vénézuéliennes à maintes occasions, laissant un grand nombre de morts civils et militaires. Selon les déclarations de l'ancien ministre de la défense Raúl Baduel, qui depuis l'an dernier est passé à l'opposition, et qui a ses origines dans les forces armées, le gouvernement n'a pas le soutien des classes moyennes, celles qui ont la responsabilité des troupes.
Même si différents pays (7) et même l'OAS elle-même tentent de minimiser les tensions dans la région, il est évident qu'il est profitable pour le Venezuela de prolonger la crise. Dans ce sens, la pression sur l'Equateur va continuer: au moment où est écrit ce communiqué, le président Correa termine une visite à Caracas, un moment que lui-même et Chavez ont utilisé pour raviver les flammes du conflit. Après cela, Correa ira au Nicaragua, une occasion que le président Daniel Ortega utilisera pour rompre les relations diplomatiques avec la Colombie.
Il est possible que le conflit ne dépassera pas le discours médiatisé des deux côtés. Toutefois, il existe un contexte de décomposition qui rend impossible de prédire ce qui peut se passer:
- les USA, au travers du plan Colombie, ont introduit des facteurs d'instabilité dans la région qui sont irréversibles: la Colombie a été équipée militairement et dispose de forces armées très entraînées, qui selon les spécialistes sont quatre fois supérieures à celles du Venezuela et de l'Equateur réunies; et disposant du soutien de la technologie militaire la plus avancée. Une situation qui crée un déséquilibre militaire dans la région;
- avec la décision d'Uribe de dénoncer Chavez devant la Cour internationale pour financement de groupes terroristes, il est possible que la Colombie utilise les événements récents pour se renforcer et poursuivre la dénonciation de Chavez, et la dévalorisation de son prestige au niveau international; par exemple, la dénonciation publique du soutien du gouvernement vénézuélien aux Farc et la mise en avant de preuves de l'existence de camps de la guérilla sur le territoire vénézuélien;
- les chavistes, dans leur fuite en avant, peuvent utiliser n'importe quel moyen pour justifier une confrontation militaire avec la Colombie. Dans une de ses récentes déclarations, Chavez a menacé beaucoup d'entreprises colombiennes de nationalisation.
Internacionalismo / Mars 2008
Note: le vendredi 7 mars, en même temps que la réunion en république dominicaine des dirigeants de différents pays d'Amérique latine, Uribe, Chavez, Correa et Ortega n'ont cessé de s'étreindre; ce qui est supposé mettre fin au conflit. Nous savons tous que les politiciens ont l'habitude de s'embrasser tout en dissimulant un poignard à l'attention de leurs adversaires. De notre point de vue, Uribe a clairement dévoilé ses plans contre ses adversaires, qui n'avaient pas d'autre choix que de chercher à l'étouffer. Il est possible que les tensions diminuent provisoirement d'elles-mêmes, mais la situation conflictuelle existe toujours. Chavez a besoin d'un ennemi extérieur; pour le soutenir, l'Equateur a décidé, pour le moment, de ne pas reprendre ses relations diplomatiques avec la Colombie.
(1) Certaines des preuves trouvées concernaient le transfert de 300 millions de dollars et d'armements du Venezuela vers les Farc. La preuve soulignait également que les Farc avaient donné 50.000 dollars à Chavez en 1992, alors que celui-ci était emprisonné suite à son coup d'état manqué.
(2) La Colombie est le deuxième partenaire commercial du Venezuela, juste derrière les USA. Trente pourcent des importations du pays transitent par la frontière avec la Colombie, dont un pourcentage important de produits alimentaires. La fermeture de la frontière serait de nature à aggraver la pénurie de produits alimentaires dans le pays, qui s'est déjà alourdie depuis fin 2007. Ce fait est une expression de l'irrationalité de la fuite en avant du chavisme.
(3) Toute l'affaire de l'échange "humanitaire" a été suivie par un flot d'hypocrisies de la part des différentes fractions de la bourgeoisie, parce que l'ensemble de celles-ci tentent d'exploiter la situation (en particulier Chavez et les Farc) pour la défense de leurs propres intérêts; beaucoup de pays ont pris part à cette farce "humanitaire" (dont la France). Tous sont très peu soucieux de la vie des otages. Il faut également signaler que beaucoup des otages font partie des institutions bourgeoises (parlement, partis politiques, etc.). Nous devons dénoncer fermement l'exploitation du sentiment des masses en faveur des intérêts géopolitiques de la bourgeoisie.
(4) La force numérique des Farc est tombée de 17.000 à 11.000 depuis qu'Uribe est devenu président en 2002. Près de 7.000 guérilleros sont morts, et plus de 46.000 éléments des Farc, de l'ELN (Armée Nationale de Libération) et des AUC (Forces unies d'autodéfense de Colombie) ont été démobilisés (source: El Nacional, 3.9.07).
(5) Selon les nouvelles les plus récentes, la localisation exacte du leader de la guérilla Raúl Reyes a été possible suite à un appel de Chavez sur son téléphone satellite.
(6) Les protestations de la population sont de plus en plus fréquentes. Depuis l'an dernier, les ouvriers se sont mobilisés pour de meilleures conditions sociales et de meilleurs salaires: les travailleurs de secteurs comme le pétrole, la métallurgie, l'industrie du pneu, la santé, etc.
(7) Un des pays qui peut jouer un rôle important est le Brésil, puisque Lula est "l'ami" de tous les pays en conflit, et particulièrement de Chavez. La France, qu'on a beaucoup vu se mêler de l'affaire à cause de l'orage Betancourt, a adopté une position ambiguë qui lui a attiré des critiques: elle s'est d'abord lamentée à propos de l'incident à cause du rôle que jouait Reyes dans la médiation pour la libération des otages, montrant une position pour le moins confuse vis-à-vis des Farc; ensuite, elle a jugé nécessaire d'expliquer que ses relations avec Reyes ne dataient que de la mi-2007. Dans des déclarations récentes, elle a "menacé" les Farc de les étiqueter comme terroristes si Ingrid Betancourt devait décéder.
A l'occasion de l'anniversaire de la Révolution russe d'Octobre 1917, les plumitifs de la classe dominante nous servent régulièrement le même refrain : le dictateur Staline serait l'héritier de Lénine?; ses crimes étaient les conséquences inéluctables de la politique des bolcheviks dès 1917. Moralité: la révolution communiste ne peut conduire qu'à la terreur du stalinisme[1].
Ce sont les hommes qui font l'histoire, mais ils la font dans des circonstances déterminées qui pèsent nécessairement sur leurs actes. Ainsi, la principale cause de l'instauration d'un régime de terreur en URSS fut l'isolement tragique de la Révolution d'Octobre 1917. Car, comme le disait Engels dès 1847, dans ses "Principes du communisme", la révolution prolétarienne ne peut être victorieuse qu'à l'échelle mondiale : "La révolution communiste (...) ne sera pas une révolution purement nationale?; elle se produira en même temps dans tous les pays civilisés (...) Elle exercera également sur tous les autres pays du globe une répercussion considérable et elle transformera complètement et accélérera le cours de leur développement. Elle est une révolution universelle?; elle aura, par conséquent, un terrain universel."
La Révolution russe ne fut pas vaincue par les forces armées de la bourgeoisie, pendant la guerre civile (1918-1920), mais de l'intérieur, par l'identification progressive du Parti bolchevique à l'État. C'est ce qui a permis à la bourgeoisie de répandre le plus grand mensonge de l'histoire consistant soit à présenter l'URSS comme une État prolétarien, soit à faire croire que toute révolution prolétarienne ne peut conduire qu'à un régime de type stalinien.
Contrairement à ce qu'affirment les idéologues de la bourgeoisie, il n'y avait pas de continuité entre la politique de Lénine et celle menée par Staline après la mort de celui-ci. La différence fondamentale qui les séparait résidait dans la question clef de l'internationalisme. La thèse du "socialisme en un seul pays", adoptée par Staline en 1925, constitue une véritable trahison des principes de base de la lutte prolétarienne et de la révolution communiste. En particulier, cette thèse, présentée par Staline comme un des "principes du léninisme", constitue l'exact contraire de la position de Lénine. L'internationalisme intransigeant de Lénine, marque de son adhésion totale au combat du prolétariat pour son émancipation, est une constante de toute sa vie[2]. Son internationalisme ne s'est pas éteint avec la victoire de la révolution russe en Octobre 1917. Au contraire, il conçoit celle-ci uniquement comme premier pas et marchepied de la révolution mondiale : "La Révolution russe n'est qu'un détachement de l'armée socialiste mondiale, et le succès et le triomphe de la révolution que nous avons accomplie dépendent de l'action de cette armée. C'est un fait que personne parmi nous n'oublie (...). Le prolétariat russe a conscience de son isolement révolutionnaire, et il voit clairement que sa victoire a pour condition indispensable et prémisse fondamentale, l'intervention unie des ouvriers du monde entier." ("Rapport à la Conférence des comités d'usines de la province de Moscou", 23 juillet 1918).
C'est pour cela que Lénine a joué un rôle déterminant, avec Trotski, dans la fondation de l'Internationale communiste (IC), en mars 1919. En particulier, c'est à Lénine qu'il revient de rédiger un des textes fondamentaux du congrès de fondation de l'IC : les "Thèses sur la démocratie bourgeoise et la dictature du prolétariat".
Du temps de Lénine, l'I.C. n'avait rien à voir avec ce qu'elle est devenue par la suite sous le contrôle de Staline : un instrument de la diplomatie de l'État capitaliste russe et le fer de lance de la contre-révolution à l'échelle mondiale.
Contrairement à Lénine, Staline affirmait qu'il était possible de construire le socialisme dans un seul pays. Cette politique nationaliste de défense de la "patrie du socialisme" en Russie a constitué une trahison des principes prolétariens énoncés par Marx et Engels dans le Manifeste communiste : "Les prolétaires n'ont pas de patrie. Prolétaires de tous les pays unissez-vous !". Cette politique a servi à justifier le renforcement du capitalisme d'État en URSS avec l'accession au rênes du pouvoir d'une classe de privilégiés, la bureaucratie, qui vivait de l'exploitation féroce de la classe ouvrière. Staline était le bras armé et la figure de proue de la contre-révolution.
S'il a pu être le bourreau de la Révolution russe, c'est aussi parce qu'il avait certains traits de personnalité qui le rendaient plus apte que les autres membres du Parti bolchevique à jouer ce rôle. Ce sont justement ces traits de personnalité que Lénine a stigmatisés dans son testament:
- "Le camarade Staline en devenant secrétaire général a concentré un pouvoir immense entre ses mains et je ne suis pas sûr qu'il sache toujours en user avec suffisamment de prudence (...)".
Et dans un post-scriptum, rédigé à la veille de sa mort, Lénine ajoutera:
- "Staline est trop brutal, et ce défaut, pleinement supportable dans les relations entre nous, communistes, devient intolérable dans la fonction de secrétaire général. C'est pourquoi je propose aux camarades de réfléchir au moyen de déplacer Staline de ce poste et de nommer à sa place un homme qui, sous tous les rapports, se distingue de Staline par une supériorité - c'est-à-dire qu'il soit plus patient, plus loyal, plus poli et plus attentionné envers les camarades, moins capricieux, etc. Cette circonstance peut paraître une bagatelle insignifiante, mais je pense que pour prévenir une scission, et du point de vue des rapports entre Staline et Trotski que j'ai examinés plus haut, ce n'est pas une bagatelle, à moins que ce ne soit une bagatelle pouvant acquérir une signification décisive" (Testament de Lénine, 4 janvier 1924).
Dès le milieu des années 1920, Staline va mener une politique de liquidation impitoyable de tous les anciens compagnons de Lénine en utilisant à outrance les organes de répression que le Parti bolchevique avait mis en place pour résister aux armées blanches (notamment la police politique, la Tckéka).
Après la disparition de Lénine en janvier 1924, Staline s'empresse de placer ses alliés aux postes clef au sein du parti. Il prend comme principale cible Trotski, alter ego de Lénine pendant la Révolution d'Octobre 1917. Staline s'allie de façon opportuniste avec Boukharine qui commet l'erreur fatale de théoriser la possibilité de construire le socialisme en un seul pays (plus tard, Staline n'aura aucun scrupule à faire exécuter Boukharine).
A partir de 1923-24, toute une série de divergences sont apparues au sein du Parti bolchevique. Plusieurs oppositions se sont constituées dont la plus importante était dirigée par Trotski auquel se sont joints d'autres militants de la vielle garde bolchevique (notamment Kamenev et Zinoviev). Avec la montée de la bureaucratie au sein du parti, l'Opposition de gauche avait compris que la Révolution russe dégénérait.
Staline occupait un poste clef. Il contrôlait l'appareil du parti de même que la promotion des dirigeants. C'est ce qui lui a permis de mettre ses hommes en place et de transformer le Parti bolchevique en machine à broyer. Il a favorisé en particulier l'entrée dans le parti d'une grande masse d'arrivistes. C'est sur gens-là, qui ne cherchaient qu'à faire carrière au sein de l'appareil d'État, que Staline s'est appuyé.
Il avait désormais les mains libres pour mettre en place la grande purge au sein du parti, avec pour principal objectif d'écarter de la direction de celui-ci les principales figures de la Révolution d'Octobre (Kamenev, Zinoviev, Boukharine et surtout Trotski) pour finalement les liquider tous.
Progressivement Staline retire à Trotski toutes ses responsabilités politiques jusqu'au moment où il le fait expulser du parti en 1927 et de Russie en 1928. C'est la période où tous les opposants à Staline et les suspects remplissent les "goulags". Les Procès de Moscou (1936-38) vont permettre à Staline de liquider la vieille garde bolchevique sous le prétexte fallacieux de la chasse aux "terroristes", suite à l'assassinat du chef du parti de Leningrad, Sergueï Kirov, le 1er décembre 1934.
Des dizaines de bolcheviks ont ainsi été persécutés, emprisonnés, et finalement exterminés dans des conditions effroyables. C'était l'époque de la grande campagne stalinienne de dénonciation des "hitléro-trotskistes". Au nom de leur manque de "loyauté" envers la "patrie du socialisme", Staline a également fait exécuter des milliers de militants bolcheviks parmi les plus impliqués dans la Révolution d'Octobre. Il fallait museler définitivement tous ceux qui avaient gardé des convictions internationalistes et communistes. Il fallait effacer à jamais la mémoire de ce que fut réellement Octobre 1917. Il fallait faire disparaître tous les témoins susceptibles de contredire l'histoire "officielle" en mettant à nu son plus grand mensonge : l'idée suivant laquelle Staline aurait été l'exécuteur testamentaire de Lénine, l'idée d'une "continuité" entre la politique de Lénine et celle de Staline.[3]
Face à la barbarie de la répression stalinienne, quelle fut la réaction des grandes démocraties occidentales ? Lorsque Staline organise, à partir de 1936, les ignobles "procès de Moscou", où l'on voit les anciens compagnons de Lénine, brisés par la torture, s'accuser des crimes les plus abjects et réclamer eux-mêmes un châtiment exemplaire, cette même presse démo-cratique à la solde du capital laisse entendre "qu'il n'y a pas de fumée sans feu" (même si certains journaux ont pu émettre quelques timides critiques à la politique de Staline en affirmant qu'elle était "exagérée").
C'est avec la complicité de la bourgeoisie des grandes puissances que Staline accomplit ses crimes monstrueux, qu'il extermine, dans ses prisons et dans ses camps de concen-tration, des centaines de milliers de communistes, plus de dix millions d'ouvriers et de paysans. Et les secteurs bourgeois qui font preuve du plus grand zèle dans cette complicité, ce sont les secteurs "démocratiques" (et particulièrement la social-démocratie), les mêmes secteurs qui aujourd'hui dénoncent avec la plus extrême virulence les crimes staliniens et se présentent comme des modèles de vertu.
C'est bien parce que le régime qui se met en place en Russie, après la mort de Lénine et l'écrasement de la révolution en Allemagne (1918-23), n'est qu'une variante du capitalisme, et même le fer de lance de la contre-révolution, qu'il reçoit un soutien chaleureux de toutes les bourgeoisies qui avaient combattu férocement, quelques années auparavant, le pouvoir des soviets. En 1934, en effet, ces mêmes bourgeoisies "démocratiques" acceptent l'URSS dans la Société des Nations (l'ancêtre de l'ONU) que les révolutionnaires comme Lénine avaient qualifiée de "repaire de brigands" lors de sa fondation. C'est le signe que Staline est devenu un "bolchevik respectable" aux yeux de la classe dominante de tous les pays, la même qui présentait les bolcheviks de 1917 comme des barbares avec le couteau entre les dents. Les brigands impérialistes ont reconnu en ce personnage un des leurs. Ceux qui, désormais, subissent les persécutions de toute la bourgeoisie mondiale, ce sont les communistes qui s'opposent au stalinisme.
C'est dans un tel contexte international que Trotski, expulsé de pays en pays, soumis à une surveillance policière de tous les instants, doit faire face aux campagnes de calomnies les plus ignobles que les staliniens déchaînent contre lui et qui sont complaisamment répercutées par les bourgeoisies de l'Occident "démocratique".
Mais là ou la complicité des grandes puissances démocra-tiques avec Staline s'est avérée la plus évidente, c'est dans le fait qu'aucune n'ait accepté de donner l'asile à Trotski lorsqu'il fut expulsé de Russie. Partout, l'ancien dirigeant de l'Armée Rouge était considéré comme persona non grata. Le monde était devenu pour Trotski une planète sans visa.
Lors de son séjour en France en 1935, l'intelligentsia compo-sée de journalistes et de certains membres de l'Académie française (comme Georges Lecomte) iront même jusqu'à faire circuler des rumeurs suivant lesquelles Trotski était en train de préparer un "coup d'État terroriste". Suite à ces rumeurs, Trotski est expulsé par l'Etat "démocratique" français. Pour empêcher qu'il ne soit livré à la police politique de Staline, le gouvernement norvégien lui offre provisoirement l'asile politique, avant de finir par l'expulser.
Après avoir erré plus de dix ans, Trotski est finalement accueilli par le gouvernement mexicain en 1939 grâce au peintre Diego Rivera qui avait des sympathies pour le trots-kisme. Après une première tentative de meurtre par un commando dirigé par un peintre stalinien, Siqueiros, Trotski est assassiné le 20 août 1940 par un agent de Staline, Ramón Mercader, qui s'était infiltré dans son entourage en séduisant une des collaboratrices du vieux révolutionnaire.
Trotski succombe sous les coups de la répression stalinienne au moment même où il commence à comprendre que l'URSS n'est pas cet "État prolétarien aux déformations bureau-cratiques" si cher à ses épigones de la Quatrième Internationale (dont se réclament certaines organisations "trotskistes" comme la LCR et Lutte ouvrière et le MAS).
Nos bons démocrates contemporains (comme Marc Ferro et Stéphane Courtois) peuvent toujours pousser des cris d'orfraie devant les crimes abominables du Parti bolchevique. Ils ne parviendront pas à effacer de nos mémoires ces faits historiques : c'est bien avec la complicité et la bénédiction de leurs prédécesseurs que Staline a pu exécuter ses basses œuvres.
Ce rappel d'un des épisodes les plus tragiques de l'histoire du vingtième siècle révèle, s'il en était encore besoin, qu'il n'y a aucune continuité mais bien une rupture radicale entre la politique de Lénine et celle de Staline. Sur son lit de mort, Lénine avait vu juste : Staline avait concentré trop de pouvoir entre ses mains[4]. Son remplacement n'aurait pas changé le cours de l'histoire : un autre dirigeant de son acabit aurait pris le rôle de bourreau de la Révolution. Mais s'il s'est finalement imposé, c'est que sa personnalité en a fait le plus apte à tenir ce rôle tout comme celle d'Hitler lui a valu les faveurs de la bourgeoisie allemande avide de revanche après sa défaite de 1918 et après la peur qu'elle avait éprouvée face à la révolution prolétarienne entre 1918 et 1923.
Contrairement aux mensonges répandus à outrance par la propagande "démocratique", le ver n'était pas dans le fruit dès Octobre 1917. Le bolchevisme de la première heure ne contenait pas, en germe, la terreur du stalinisme. Car c'est bien l'écrasement de la révolution en Allemagne qui a ouvert la voie royale à la contre-révolution en Russie, de même que la disparition de Lénine le 20 janvier 1924 a levé un des derniers obstacles à la mainmise de Staline sur le Parti bolchevique. Ce dernier est devenu le parti stalinien avec l'adoption de la théorie du "socialisme en un seul pays".
Le bolchevisme appartient au prolétariat, pas à son bourreau, le stalinisme.
Sylvestre / 20.01.08
[1] Voir l'article sur notre site Web : "Russie, Octobre 1917 : Salut à la Révolution prolétarienne ! [73]".
[2]) Voir notre article dans la brochure Effondrement du Stalinisme, consultable en ligne sur notre site Web : "Lénine : un combattant du prolétariat ; Staline : un agent du capitalisme [74]".
[3]) Pour effacer toute trace du passé, tout témoignage, Staline a même tenté de liquider les militants étrangers qui résidaient en Russie, tel Victor Serge qu'il a fait emprisonner. Ce dernier était un écrivain bénéficiant d'une certaine notoriété. S'il a pu être sauvé, c'est grâce à une campagne de mobilisation internationale.
[4]) C'est pour cela d'ailleurs que le médecin de Lénine, sur ordre de Staline, a estimé qu'il n'était pas nécessaire de prolonger son agonie et a procédé à son euthanasie (ce geste "humanitaire" avait le "mérite" d'empêcher Lénine de donner ses dernières directives concernant les dérives du parti)
"Le consommateur belge doit s'attendre dans les mois à venir à la plus forte hausse de prix généralisée depuis le début des années 1990. Dixit le bureau fédéral du Plan" (De Standaard, 1.3.08). Avec la hausse vertigineuse du coût des produits alimentaires de base et de l'énergie, l'inflation s'envole. Elle est chiffrée aujourd'hui à 4.39 %, le niveau le plus élevé depuis 1985, alors que les économistes tablaient, il y a quelques mois encore, sur 2%. Dans la réalité quotidienne, c'est entre 20 et 50 % que les prix des principales denrées alimentaires (pain, pâtes et céréales, produits laitiers, fruits, légumes, viande...) ou de l'énergie ont augmenté ces derniers mois. Le mazout de chauffage, par exemple, a augmenté de 50% en un an (De Morgen, 12.4.08). Et sans doute ne s'agit-il là que des premières averses d'un terrible orage qui s'annonce.
Cette paupérisation en forte croissance n'est ni "nationale" ni conjoncturelle. Et l'accélération actuelle de la crise mondiale, qui se manifeste par la sévère récession qui s'annonce suite à la crise de l'immobilier aux Etats-Unis, par une crise bancaire gravissime causée par une politique de crédits illimités, par un sévère recul des bourses, par une spéculation folle sur les matières premières, renforce son impact sur l'ensemble de la planète. Dans des pays comme l'Egypte, les Philippines, Haïti ou le Burkina Faso, des émeutes de la faim éclatent contre la hausse vertigineuse des denrées alimentaires de base. Aux Etats-Unis, le problème du logement est devenu central et chaque mois depuis l'été dernier, 200.000 personnes en moyenne sont jetées à la rue. Et cette déferlante touche aujourd'hui de plus en plus l'Europe. Dans les grandes métropoles européennes, les travailleurs sont souvent réduits à s'entasser dans des taudis plus ou moins insalubres, alors que les prix des loyers, du gaz, des transports en commun, de l'essence ne cessent de grimper. Outre les fameuses cités de banlieue dont l'état ne cesse de se dégrader, à la périphérie, des bidonvilles (que les pouvoirs publics prétendaient avoir éradiqués au début des années 1980), des abris de fortune ou de véritables "favelas" comme dans le "Tiers-monde" sont en train de refleurir.
En Belgique, 14,6% de la population vit aujourd'hui en dessous du seuil de pauvreté. En Wallonie, ce chiffre grimpe même jusqu'à 17%, et à Bruxelles, on atteint déjà les 25%. Les soupes populaires (à commencer par les "Restos du Cœur") sont de plus en plus fréquentées par des salariés. Le nombre de colis alimentaires distribués s'accroît fortement et les demandes d'aide auprès des CPAS pour faire face à un endettement non gérable ont augmenté en 2007 de 21%. Par ailleurs, avec la multiplication des emplois précaires, temporaires ou partiels, un nombre croissant de travailleurs n'ont plus de revenu stable, ce qui entraîne même les familles dont les revenus se situent au-dessus du seuil de pauvreté dans les difficultés. La baisse des salaires tout comme les incertitudes sur le marché de l'emploi accentuent encore ces tendances (cf. DM, 12.4.08).
Les travailleurs peuvent-ils espérer une politique d'aide sociale du nouveau gouvernement ou des partis politiques qui le soutiennent ? Après 9 mois d'un psychodrame interminable, la bourgeoisie belge a enfin accouché d'un gouvernement dirigé par le social-chrétien Yves Leterme. Et, à en croire le programme gouvernemental, le temps semble effectivement au beau fixe : baisse des impôts, création de 200.000 nouveaux emplois, augmentation des bas salaires, dégagement d'un surplus de 1% du budget pour investir dans le système des retraites, etc. Bref, la promesse du paradis social ! En réalité, cette déclaration est une pure mystification, comme le reconnaissent d'ailleurs divers économistes bourgeois : "Ce gouvernement prétend diminuer les charges, augmenter les dépenses tout en dégageant un surplus budgétaire [...]. En fait, de telles intentions devraient déclencher un éclat de rire généralisé car ce gouvernement nous raconte tout simplement des histoires " (P. De Grauwe, prof. d'économie à l'U. de Louvain, DM, 29.3.08).
Si le programme gouvernemental actuel n'est que de la poudre aux yeux, c'est que le gouvernement Leterme n'est une fois encore qu'un gouvernement "transitoire", "en sursis" (pour une analyse de la crise politique, voir notre article "La crise politique n'empêche pas une attaque unifiée contre la classe ouvrière", dans Internationalisme 335). La bourgeoisie belge a dû se donner une fois de plus du temps jusqu'au 15 juillet pour négocier entre les diverses fractions politiques impliquées un grand compromis concentrant en un paquet global les mesures de réorganisation de l'Etat fédéral, d'assainissement budgétaire et de renforcement de la position concurrentielle de l'économie nationale. Dans ce cadre, le pourrissement de la situation économique à travers une année de paralysie politique pourrait bien être la stratégie suivie pour accroître la pression sur les diverses fractions régionales afin de se réunir derrière une politique commune.
Car, si le pénible cheminement pour la constitution du gouvernement et la détermination de son programme illustrent les difficultés croissantes de la bourgeoisie belge à gérer ses institutions, la classe ouvrière n'a pas d'illusion à avoir : quelles que soient les dissensions entre partis bourgeois, quelles que soient les tensions existantes, la bourgeoisie retrouve toujours son unité dans les attaques contre les travailleurs. Et les chants de sirène de la déclaration gouvernementale d'avril ne font que masquer le mûrissement du contexte pour lancer de telles agressions :
- L'encre du programme gouvernemental n'était pas encore sèche que les experts soulignaient déjà que les équilibres budgétaires proposés ne tenaient pas la route et que des restrictions s'imposeraient inévitablement lors du "contrôle budgétaire" de l'été;
- Les indicateurs économiques sont à l'orage : les prévisions de croissance de l'économie belge pour 2008 sont en chute libre de 1,9% à 1,4% (alors que la croissance était encore de 2,7% en 2007). L'instabilité économique mondiale incitera encore moins les entreprises à investir et les gens auront moins d'argent à dépenser par le fait que leurs rentrées réelles baisseront à cause de l'inflation croissante. Déjà, on constate une baisse des demandes de construction de 12%. Or budget et programme gouvernemental comptaient sur une croissance de 1,9%;
- Pour la première fois depuis 15 ans, la balance commerciale de la Belgique est en déficit. "C'est un signal important que notre position concurrentielle est en fort recul. Et cela pour un pays comme la Belgique qui se targue d'être un pays exportateur" (l'économiste G. Noels, DM, 16.4.08);
- Lorsque la bourgeoisie prépare un mauvais coup contre les salaires, elle ressort le monstre du Loch Ness de la liaison automatique des salaires à l'index, comme ce fut le cas début avril, lorsque le directeur de la Banque Nationale, Guy Quaden, évoqua la nécessité de supprimer cette indexation des salaires. Cela permet alors aux syndicats de jouer aux matamores pour "sauver l'index", tandis que le gouvernement fait passer ses mesures d'attaques contre les salaires en modifiant par exemple la composition de l'index (le gouvernement Dehaene en 1994), en imposant un "saut d'index" (dans les années 1980) ou en introduisant une norme complémentaire (la hausse des salaires belges ne peut dépasser la moyenne de celle des principaux concurrents). Comme le dit cyniquement le gouverneur Quaden (DM, 12.4.08) "L'index est important comme élément de la paix sociale en Belgique mais ce système ne peut néanmoins pas devenir économiquement trop coûteux".
L'orientation du "programme caché", que prépare le gouvernement Leterme, avec l'appui actif des partis socialistes (le PS francophone, depuis des années "aux affaires" à tous les niveaux de pouvoir, et le SPa flamand, assumant pleinement ses responsabilités dans le gouvernement régional flamand), est sans ambiguïté : une nouvelle attaque directe contre les salaires qui se combinera avec d'autres mesures : réduction des retraites et implémentation de l'âge légal du droit à la retraite à 65 ans, voire davantage comme en Allemagne (67 ans) ou en Grande-Bretagne (68 ans) ; augmentation de la productivité à travers la lutte contre l'absentéisme et la réduction des pauses ou des jours de récup ; "flexibilité" et précarité accrues dans le privé ; dégraissage de la Fonction publique ; forte dégradation des droits des chômeurs indemnisés et pressions accrues pour une mise au travail entre les diverses régions du pays. Et ceci alors que, sous l'impact de l'aggravation de la crise, des plans de licenciements massifs s'apprêtent à toucher des secteurs comme les banques et les assurances.
La classe ouvrière est la première victime de l'aggravation de la crise économique mondiale. Le capitalisme en crise n'a pas d'autre moyen pour tenter de faire face à la concurrence sur le marché mondial que d'augmenter la productivité en réduisant le nombre d'emplois et de baisser le coût de la rémunération de la force de travail : pertes d'emplois et baisse des salaires; mais la paupérisation et la précarité croissantes, qui touchent la classe ouvrière, sont aussi le révélateur de la faillite irrémédiable du système capitaliste. Le capitalisme est de plus en plus incapable d'entretenir la force de travail de tous ceux qu'il exploite : l'incapacité d'intégrer une majorité de prolétaires à la production que révèlent le chômage massif et la précarité de l'emploi s'ajoute à l'incapacité de continuer à les nourrir, à les loger, à les soigner décemment.
L'accélération actuelle de la crise économique et la vague de paupérisation qui l'accompagne se produisent alors que, depuis quelques années maintenant, la classe ouvrière redresse progressivement sa tête et retrouve une combativité grandissante. Ces nouvelles attaques assénées par la bourgeoisie vont donc constituer un terreau fertile sur lequel vont se développer la lutte du prolétariat et son unité. D'ores et déjà, d'ailleurs, monte une colère dont témoigne en Belgique la "rafale gréviste" de l'hiver 2008.
Face aux hausses des prix et malgré l'absence de gouvernement, ce qui avait commencé à la mi-janvier spontanément comme un conflit social local chez un fournisseur de Ford Genk pour "1 euro de plus", se transforme très vite en une réelle vague de grèves pour une augmentation du pouvoir d'achat. Ce sont les mêmes ouvriers qui étaient sous pression à l'occasion des restructurations chez Ford, Opel ou VW en début d'année qui ont mis le feu aux poudres. D'abord, le mouvement revendicatif spontané a réussi à déborder vers Ford Genk et vers pratiquement toutes les entreprises des environs immédiats pour ensuite atteindre toute la province du Limbourg et le secteur métallurgique. La vague de grèves sauvages s'est étendue lentement vers d'autres branches industrielles et d'autres provinces, surtout dans la partie néerlandophone et à Bruxelles.
Syndicats et employeurs, pour étouffer les foyers, ont canalisé les revendications dans le sens de primes uniques et de boni liés aux résultats. Souvent, les patrons essayaient même d'acheter la paix sociale pour mettre fin à la vague de grèves avant même que les ouvriers engagent effectivement l'action. "Parce qu'ils ont eux-mêmes à tenir compte de protestations subites, mais plus encore parce qu'ils veulent à tout prix éviter une grève sauvage et sont donc prêts à racheter à l'avance un éventuel désordre" (interview de H. Jorissen, président des métallos de la FGTB dans DM, 2.2.08). Car, s'il y a bien un fil rouge à travers tout le mouvement, c'est "qu'il ne s'agit pas de grèves organisées par les syndicats, mais de grèves sauvages. C'est la base qui se révolte, et ce sont les syndicats qui tentent de négocier" (un des témoins au forum de discussion de DS sur la vague de grèves).
Les syndicats font tout pour favoriser un éparpillement des luttes qui les stérilise. Leur fonction d'encadrement repose entièrement sur leur capacité de diviser et d'isoler les luttes afin d'empêcher les prolétaires de prendre conscience de leur capacité collective à s'opposer à ces attaques. Face à ce sabotage, il est nécessaire que les ouvriers arrivent à développer l'unification des nombreuses luttes simultanées qui éclatent aujourd'hui, par le biais par exemple de revendications ou de plateformes de lutte communes. C'est ainsi que pourra s'enclencher une véritable dynamique d'unité et de solidarité, que ces luttes portent en elle et qui est non seulement le seul moyen de résister à des attaques qui touchent tous les ouvriers, dans tous les secteurs, mais qui débouche sur une perspective de remise en cause de l'impasse où les plonge le capitalisme.
Jos / 15.04.08
Nous publions un tract que notre section en Grande Bretagne a diffusé à l'occasion de la grève générale des enseignants le 24 avril. C'est une démonstration nette que les problèmes qui se posent et les combats ouvriers qui se mènent en Belgique se retrouvent dans tous les pays en Europe.
Le 24 avril, 250.000 enseignants lanceront une grève d'un jour contre les dernières propositions salariales du gouvernement. Ils seront rejoints par des éducateurs, des travailleurs des services publics et des employés communaux. Des manifestations et des meetings seront organisés dans de nombreuses villes.
Il y a effectivement toute une série de raisons pour lancer des actions, pas seulement d'ailleurs dans ces secteurs mais aussi dans l'ensemble de la classe ouvrière:
- des propositions salariales en dessous de l'inflation;
- la hausse des prix des produits de première nécessité, comme les produits alimentaires ou l'essence;
- la hausse du chômage, songeons par exemple aux 6.500 emplois menacés à la banque Northern Rock fraîchement nationalisée;
- les attaques contre les pensions et d'autres allocations;
- le démembrement des services sociaux, tels la santé ou l'éducation.
Toutes ces attaques contre le niveau de vie des travailleurs, ainsi que d'autres d'ailleurs, ne sont pas décidées et imposées par des patrons individuels mais par l'Etat, sous sa forme nationale ou locale. Confronté au développement d'une crise économique qui a clairement une dimension globale, l'Etat national apparaît de plus en plus comme la seule force capable d'organiser la réponse requise par le système capitaliste : réduire le coût du travail afin de pouvoir concourir pour les marchés et de préserver les profits. C'est pourquoi l'Etat intervient pour se porter garant de banques en faillite en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, pour imposer aux travailleurs du secteur public des ‘restrictions salariales', pour introduire des réductions budgétaires dans les domaines de la santé, de la sécurité sociale et de l'enseignement (en d'autres mots des réductions du salaire social). C'est pourquoi aussi il introduit de nouvelles lois qui réduisent les allocations de retraite et retardent le départ à la retraite. Et lorsque la compétition économique laisse la place à la compétition militaire, comme dans les Balkans, en Afghanistan ou en Irak, c'est l'Etat qui détourne de vastes montants de richesse sociale vers la production d'armement et la tenue de la guerre.
Ces politiques ne sont pas le résultat de méchants individus ou de partis gouvernementaux spécifiques. Les gouvernements de droite ou de gauche mènent la même politique de base. En Amérique du Nord, le gouvernement Bush loue la libre entreprise et dirige une économie dans laquelle 28 millions de personnes ont besoin de bons de nourriture pour survivre. En Amérique du Sud, Chavez dénonce Bush, parle du ‘Socialisme du 21ème siècle' et envoie des escadrons de ‘révolutionnaires bolivariens' pour réprimer les sidérurgistes en grève.
Confrontés à ces attaques centralisées et menées par l'Etat contre leurs conditions de vie et de travail, les travailleurs ont partout les mêmes intérêts: résister aux pertes d'emplois et aux réductions des salaires, réagir aux attaques contre leurs avantages sociaux. Mais ceci n'est pas possible en se battant séparément, secteur par secteur, entreprise par entreprise. Face à la force de l'Etat capitaliste, ils doivent de leur côté constituer leur propre force, basée sur leur unité et leur solidarité, au-delà de toute division en profession, syndicat ou nationalité.
Après des années de dispersion et de désarroi, les travailleurs commencent tout juste à redécouvrir ce que l'unité et la solidarité signifient. Ils doivent saisir chaque opportunité pour transformer ces principes généraux en action pratique. Si les syndicats appellent à des grèves et des manifestations autour de questions qui les concernent directement, comme c'est le cas le 24 avril, les travailleurs doivent répondre aussi massivement que possible - allez aux rassemblements de masse, rejoignez les manifs, participez aux piquets, discutez et échangez des idées avec des travailleurs d'autres secteurs ou entreprises.
Mais attention : les syndicats, qui se présentent comme les représentants des travailleurs, servent en réalité à nous garder divisés.
Ceci n'est nulle part plus évident que dans le secteur de l'éducation. La grève du 24 avril implique les membres du NUT dans l'enseignement primaire et secondaire. Elle n'implique pas les enseignants de la sixième dans les lycées qui ont des employeurs ‘différents'. Elle n'implique pas non plus les enseignants d'autres syndicats, comme ceux du NAS/ UWT, qui affirment que le problème n'est pas le salaire mais la masse de travail. Elle n'implique pas non plus des milliers de travailleurs de l'éducation qui ne sont pas des enseignants, comme les assistants pédagogiques, le personnel administratif, de nettoyage ou de restauration, etc.., même si ceux-ci ont de nombreuses revendications à faire valoir. Et si le NUT aujourd'hui développe un discours radical, en 2006, lorsque un grand nombre de ces travailleurs de soutien éducationnel sont partis en grève, ce même NUT a appelé ses membres à franchir les piquets de grève.
La même histoire peut être répétée pour les services publics, les employés communaux, dans le métro ou les chemins de fer et dans bon nombre d'autres secteurs industriels, où les travailleurs sont divisés en différentes catégories et syndicats. Depuis longtemps, l'Etat britannique a rendu toute grève de solidarité illégale pour des ouvriers travaillant pour des employeurs différents. En maintenant les travailleurs dans le carcan de ces lois, les syndicats font le travail de l'Etat dans l'usine. Il en va de même des lois interdisant aux ouvriers de décider des actions de grève en assemblée générale. La magouille des votes syndicaux lie les mains aux ouvriers et les empêche de prendre des décisions en tant que force collective.
En conséquence, si nous voulons développer une telle force, nous devons commencer à prendre notre lutte en main et pas la laisser entre les mains des ‘spécialistes' des syndicats. Les employés municipaux de Birmingham ont voté en assemblées générales qu'ils participeraient aux grèves autour du 24 avril. C'est un bon exemple à suivre : nous devons tenir des assemblées partout sur les lieux de travail, là où tous les travailleurs, de tous les syndicats ainsi que les non-syndiqués, peuvent être présents et participer à la prise de décision. Et nous devons insister que les décisions prises en assemblée générale soient contraignantes et pas dépendantes de votes syndicaux ou de réunions privées de délégués syndicaux.
L'unité sur le lieu de travail est inséparable du développement de l'unité avec des travailleurs d'autres entreprises et d'autres secteurs, que ce soit par l'envoi de délégations à leurs assemblées, en rejoignant leurs piquets de grève ou en se retrouvant lors de meetings ou de manifestations.
Appeler tous les travailleurs à se rassembler, à faire grève et à manifester ensemble pour des revendications communes est évidemment ‘illégal' pour un Etat qui veut mettre hors la loi la véritable solidarité de classe. L'objectif peut donc sembler à première vue effrayant, un pas trop important à franchir. Mais c'est dans l'action même de prendre les choses en main et de chercher l'unité avec d'autres travailleurs que nous développerons la confiance et le courage nécessaires à la poursuite du combat.
Et étant donné les sombres perspectives proposées par le système capitaliste mondial - un futur de crise, de guerre et de désastre écologique - il ne fait guère de doute que la lutte devra aller plus loin. De la défense de nos conditions de vie basiques, elle devra s'orienter vers un questionnement et une mise en cause de l'ordre social dans sa totalité.
Amos / 5.04.08
Les cinq dernières années ont témoigné d'un développement international de la lutte de classe. Ces luttes se sont développées en réponse à la brutalité de la crise capitaliste et à l'aggravation dramatique des conditions de vie et de travail à travers le monde.
Et en ce moment même en Allemagne, nous sommes les témoins du début d'une nouvelle étape de cette dynamique. Dans ce principal pays industriel de l'Europe, de nombreuses grèves se développent dans les secteurs les plus importants de l'économie allemande. Licenciements massifs, baisses brutales des salaires et aggravations drastiques des conditions de travail sont le ferment du développement de ces luttes dans un pays où la classe ouvrière était réputée, il y a quelques années encore, pour avoir un des niveaux de vie les plus élevés d'Europe.
L'année 2008 avait commencé avec l'obligation de la compagnie de chemin de fer Deutsche Bahn (DB) de garantir dès fin janvier une augmentation de salaire de 11 % et une heure de réduction de la semaine de travail pour les conducteurs de train. Cela avait été le résultat de 10 mois d'un conflit que ni la mise hors-la-loi des grèves au niveau national ni la division au sein des travailleurs de DB par les syndicats n'avaient pu éroder.
Cette grève avait été suivie par une forte mobilisation dans la région de la Ruhr au sujet de l'arrêt de la production de téléphones mobiles chez Nokia. Une journée d'action en solidarité avec les employés de Nokia à Bochum a vu par exemple la mobilisation dans les rues d'ouvriers de différents secteurs et l'envoi de délégations de différentes parties de l'Allemagne. En particulier, les ouvriers des usines automobiles Opel de Bochum se sont mis en grève en soutien aux "Nokianers" ce jour-là. Le rôle de l'usine automobile Opel à Bochum est loin d'être négligeable car il est vrai que les employés de Nokia se sont sentis démo-ralisés et intimidés par la brutalité provocatrice avec laquelle la fermeture de l'usine avait été annoncée. Et ce fut dans une large mesure l'intervention massive des ouvriers d'Opel à Nokia, appelant à la lutte et leur promettant de se joindre à eux dans une grève éventuelle, qui a rendu possible la mobilisation qu'on a pu voir.
Mais c'est l'ouverture des négociations salariales annuelles qui a déclenché dès mi-février de nombreuses expressions de combativité ouvrière brisant le mythe du "modèle de consensus social allemand" cher à la bourgeoisie. Les grèves tournantes des ouvriers de la métallurgie ont été suivies d'arrêts de travail de dizaines de milliers d'ouvriers du secteur public partout dans le pays. Depuis janvier, la tension ne cesse de monter. Aussi, le 5 mars, le syndicat Verdi appelait les employés des hôpitaux, y compris les médecins, les ouvriers des lignes des trains et de transports régionaux (non gérés par DB), ceux des crèches, des caisses d'épargne et de nombreuses adminis-trations publiques, des aéroports, pilotes inclus, à se mettre en grève et à manifester, exigeant une augmentation de salaire de 12 %. Or le gouvernement ne propose d'accorder qu'une augmentation de 4 %, alors que les salaires réels ont officiellement baissé de 3,5 %, assortie d'une augmentation de la durée de travail hebdomadaire de deux heures!
Verdi était initialement prêt à faire passer la pilule de cet accord aux salariés, mais la force de l'hostilité envers l'accord et les risques très réels de débordements des syndicats ont été tels qu'il a été contraint de faire marche arrière et de s'efforcer de prendre la tête du mécontentement en appelant à faire grève, mais région par région.
Mais c'est surtout la grève totale illimitée des ouvriers des transports locaux de Berlin qui, depuis la fin de la première semaine de mars, a démontré que, cette année, les "rounds" de négociations salariales mettent directement en cause l'offensive capitaliste contre la classe ouvrière. Cette grève de 10 000 ouvriers - déjà la plus massive et la plus longue de ce secteur de l'histoire allemande de l'après-guerre - a manifesté une com-bativité et une détermination qui ont tout de suite pris la bourgeoisie par surprise. Ce conflit a surgi à un moment où les chemins de fer allemands faisaient une dernière tentative pour rejeter les concessions qu'ils avaient été contraints de faire envers les conducteurs de DB qui menaçaient alors de se mettre à nouveau en grève, et à un moment où les négociations dans le secteur public étaient sur le point de capoter. Cette grève des transports municipaux, excepté les trains de banlieue (S-Bahn, qui appartient à la DB), a été soigneusement isolée du reste des grèves qui se développaient sur l'ensemble du pays et des autres secteurs à Berlin même. Dans le contexte de luttes simultanées qui se déroulaient dans l'ensemble de l'Allemagne sur les mêmes revendications salariales, et après les fortes expressions de solidarité existant dans la classe ouvrière comme on l'a vu autour de la fermeture de Nokia, patrons et syndicats ont dû tirer le signal d'alarme. Pour faire diversion, Verdi planifiait une journée d'action un samedi vers la fin février pour tenter de faire passer l'accord passé entre lui et BVG, patron des employés des transports locaux, accord prévoyant que les salaires seraient gelés jusqu'en 2007, avec des augmentations uniquement pour ceux qui avaient été embauchés depuis 2005. Mais la colère des ouvriers était telle qu'ils se mirent en grève 24 heures avant la date prévue, sans attendre aucune "permission" des syndicats. L'indignation fut si forte, non seulement sur les salaires, mais aussi sur la tentative évidente de diviser les ouvriers entre "jeunes" et "vieux", que Verdi a abandonné sa requête d'un "accord négocié et cordial" et a retourné sa veste en un clin d'œil en appelant dans de grands discours radicaux à faire grève... mais tout en s'efforçant, en réalité, d'enfermer les ouvriers dans "leur" lutte et de les isoler de leurs frères de classe. Ainsi, alors que le mouvement de grève dans les aéroports touchaient massivement Stuttgart, Cologne, Bonn, Hambourg ou Hanovre, Verdi, sous prétexte de ne pas "saboter" le salon allemand du tourisme, faisait en sorte que l'aéroport de Berlin ne connaisse ni grève ni débrayages. De la même façon, devant le dévelop-pement d'un tel contexte, DB faisait rapidement marche arrière quelques heures avant la reprise d'une grève générale des conducteurs de trains qui traversent Berlin, grève qui menaçait du fait des tentatives de la direction de remettre en cause les accords sur les 11% et la diminution du travail promise fin janvier. Cette grève a montré un début de remise en question des syndicats et a conduit à une confrontation ouverte avec la coalition qui dirige Berlin entre l'aile gauche de la social-démocratie et le "Linkspartei". Ce dernier, qui est sorti du parti stalinien SED, anciennement à la tête de l'Allemagne de l'Est et gagnant à présent du terrain dans l'ex-Allemagne de l'Ouest avec l'aide de l'ancien leader du SPD, Oskar Lafontaine, a dénoncé la grève comme une expression de la "mentalité privilégiée" des Berlinois de l'Ouest "dorlotés" !
Signe de cette évolution, de nombreux blogs sur Internet sont apparus, dans lesquels les ouvriers du rail ou encore des pilotes et des personnels hospitaliers exprimaient leur admiration et leur solidarité avec la grève de BVG. Cela est très important car dans ces secteurs, où le poids du corporatisme est particu-lièrement fort et puissamment alimenté par les syndicats, ils expriment par-là clairement une profonde tendance vers l'unité et la solidarité dans la période qui vient.
Wilma / 21.03.08
Depuis le début de l'année, des grèves, des manifestations et des révoltes ont éclaté contre la vie chère dans 37 pays du tiers-monde et dits "émergents" : émeutes de la faim en Mauritanie et en Indonésie, manifestations contre le prix du pain et pillages de boulangeries en Egypte, violents affrontements comme au Cameroun et en Côte d'Ivoire, au Burkina Faso et au Sénégal, manifestations au Mexique ou encore émeutes en Haïti où la population est contrainte de se nourrir de galettes de boue. Au Pakistan, des enfants sont même assassinés par leurs familles car elles ne peuvent plus les nourrir !
Le dénominateur commun de toutes ces expressions de la misère la plus terrible, c'est la flambée des prix qui frappe à de divers degrés les populations pauvres et ouvrières. Le prix du maïs a quadruplé depuis l'été 2007, le prix du blé a doublé depuis le début 2008 et les denrées alimentaires ont globalement augmenté de 60 % en deux ans dans les pays pauvres. En Thaïlande, pays exportateur, le prix du riz a doublé en un mois. Les effets dévastateurs de la hausse de 30 à 50 % des prix alimentaires au niveau mondial frappent les populations des pays "riches" aussi bien que celle des pays pauvres. Ainsi, aux Etats-Unis, première puissance économique de la planète, 28 millions d'Américains ne pourraient pas survivre sans les programmes de distribution de nourriture des municipalités et des Etats fédéraux.
D'ores et déjà, 100 000 personnes meurent de faim chaque jour, un enfant de moins de 10 ans meurt toutes les 5 secondes, 842 millions de gens souffrent de malnutrition chronique aggravée, les réduisant à l'état d'invalides. Et dès à présent, pour deux des six milliards d'êtres humains de la planète (c'est-à-dire un tiers de l'humanité) le prix des denrées alimentaires les place en situation de survie quotidienne. Pourtant, selon Jean Ziegler, rapporteur spécial de l'ONU, l'agriculture mondiale serait en mesure de nourrir 12 milliards d'individus.
Les experts de la bourgeoisie - FMI, FAO, ONU, G8, etc. - sont formels et annoncent que ce "tsunami alimentaire" (comme le dit le Commissaire européen au développement et à l'action humanitaire) est une crise grave et qu'il n'est pas "conjoncturel" mais "structurel". La situation ne peut donc que s'aggraver (1 ). Les experts prévoient que, d'ici 2010, le maïs aura encore augmenté de 20 %, le soja et le colza de 26 %, le blé de 11 %, le manioc de 33 %. A l'horizon 2020, ce sera encore pire : plus 41 % pour le maïs, plus 76 % pour le soja et le colza, plus 30 % pour le blé et 135 % pour le manioc.
Aussi, la bourgeoisie s'attend avec "lucidité" à une multiplication de conflits sociaux et de révoltes de la faim dans des zones toujours plus larges, craignant même l'apparition de conflits militaires pour l'appropriation de denrées alimentaires et de terres cultivables. Devant la gravité de cette perspective, l'ONU s'est réunie fin avril pour "élaborer une stratégie commune en soutien aux pays en développement confrontés à la crise alimentaire mondiale". En fait de "stratégie", il s'agissait essentiellement de parer au plus pressé et de recueillir 500 millions de fonds supplémentaires d'urgence auprès des pays développés qui ne lâchent que 3 milliards de dollars pour le Programme alimentaire mondial (PAM) tandis que leurs Etats auront déboursé 1000 milliards de dollars pour soutenir les banques en faillite à la suite de la crise immobilière de l'été 2007.
Les médias et les spécialistes de tous bords fournissent de multiples explications à cette inflation galopante des prix de la nourriture ; on voudrait nous faire croire que certaines prévalent sur d'autres, alors qu'en réalité les unes et les autres se cumulent et se conjuguent entre elles, exprimant l'enfer des effets et des contradictions du monde capitaliste.
L'augmentation vertigineuse du prix du pétrole qui augmente le coût des transports et des frais de machines agricoles est une des raisons mises en première ligne par les médias. Celle-ci est certes bien réelle mais c'est loin d'être la seule.
On nous parle aussi de la croissance significative de la demande alimentaire, en particulier pour l'élevage (qui augmente les cultures en plantes fourragères), du fait d'une certaine augmentation du pouvoir d'achat des classes moyennes et de nouvelles habitudes alimentaires dans les pays "émergents" comme l'Inde et la Chine qui expliqueraient la pénurie actuelle sur le marché mondial, et l'augmentation des prix.
La spéculation effrénée sur les produits agricoles est aussi dans le collimateur. Même si Kouchner, toujours prêt à poser devant les caméras pour donner son avis sur n'importe quel sujet, a affirmé qu'il fallait "bannir la spéculation sur les produits alimentaires", celle-ci va bon train et est loin de ralentir. D'une part, les produits destinés à la consommation humaine font l'objet d'un affairisme boursier débridé : à la Bourse de Chicago, "le volume d'échange des contrats sur le soja, le blé, le maïs, la viande de porc et même le bétail vivant" (le Figaro du 15 avril) a augmenté de 20 % au cours des trois premiers mois de cette année. Chaque jour, ce sont 30 millions de tonnes de soja qui s'échangent dans la seule ville de Chicago. Fait aggravant, les stocks de céréales sont au plus bas depuis trente ans, cela accentuant encore la soif spéculatrice des investisseurs, grosses fortunes et autres hedge funds, toujours plus nombreux à se ruer sur la manne alimentaire, surtout depuis la crise immobilière. D'autre part, le marché en plein développement des biocarburants a également ouvert une spéculation effrénée sur ces produits qu'on espère revendre au prix fort dans l'avenir, poussant ainsi à l'explosion de ce type de culture au détriment des végétaux destinés à la consommation alimentaire et à l'épuisement des terres cultivables.
La culture des biocarburants elle-même est soumise à une critique en règle de nombreux scientifiques. De nombreux pays producteurs de produits de première nécessité ont transformé des pans entiers de l'économie agricole vivrière pour cultiver des biocarburants en masse, sous prétexte de lutter contre l'effet de serre, réduisant de façon drastique les produits de première nécessité et augmentant leur prix de façon dramatique. C'est le cas au Congo Brazzaville qui développe de façon extensive la canne à sucre dans cette optique, tandis que sa population manifeste et crève de faim. Au Brésil, où Lula se vante que tout le monde puisse désormais manger à sa faim alors que 30 % de la population vit sous le seuil de pauvreté et peine à se nourrir, le choix agricole est celui de la production vers les biocarburants à outrance.
En outre, la perspective de ce marché "juteux" pousse à des délires contre nature : dans les Montagnes Rocheuses, aux Etats-Unis, où les cultivateurs du pays ont déjà détourné 30 % de leur production de maïs en production d'éthanol, des superficies gigantesques sont consacrées au maïs "énergétique" sur des terres impropres à sa culture, entraînant un gâchis incroyable en termes d'utilisation d'engrais et d'eau pour un résultat bien maigre. Jean Ziegler explique : "Pour faire un plein de 50 litres avec du bioéthanol, il faut brûler 232 kilos de maïs" et, pour produire un kilo de maïs, il faut 1000 litres d'eau. Selon de récentes études, non seulement le rapport "pollution" des biocarburants est négatif (une recherche récente montre qu'ils augmentent la pollution de l'air en déchargeant plus de particules de chaleur que le carburant normal), mais leurs conséquences globales au niveau écologique et économique sont désastreuses pour l'ensemble de l'humanité. Un tel changement de destination des cultures en vue de la production d'énergie au lieu de celle de nourriture est une expression typique de l'aveuglement capitaliste et de sa capacité de destruction. Voilà encore une expression typique de la "rationalité capitaliste".
Les subventions agricoles et la taxation des produits à l'importation pratiquées par les Etats-Unis et les pays de l'Union Européenne se trouvent aussi au banc des accusés. L'UE dépense par exemple 40 % de son budget, 50 milliards d‘euros, à sa Politique Agricole Commune et impose des "taxes qui peuvent s'élever jusqu'à 430 % sur certains produits agroalimentaires" (d'après le site Web rfi.fr du 21 avril 2008).
La compétition et le protectionnisme dans le domaine agricole ont fait que les agriculteurs les plus productifs des pays industrialisés exportent (souvent grâce aux subventions gouvernementales) une partie importante de leur production vers les pays du tiers-monde, ruinant ainsi la paysannerie locale - augmentant également l'exode vers les villes, et provoquant des vagues internationales de réfugiés et conduisant à l'abandon de terres initialement destinées à l'agriculture.
En Afrique, par exemple, de nombreux fermiers locaux ont été ruinés par les exportations européennes de poulet ou de bœuf. Le Mexique ne peut plus produire assez de produits de première nécessité pour nourrir sa population. Ce pays doit ainsi dépenser 10 milliards de dollars pour son importation alimentaire.
Les conséquences sur l'environnement de l'effet de serre, les inondations ou la sécheresse, sont aussi invoquées, à juste titre. Le réchauffement de la planète signifie qu'avec un degré Celsius de température supplémentaire, la production de riz, de blé et de maïs chuteront de 10 %. Les récentes vagues de chaleur en Australie ont conduit à de sévères dommages et des baisses significatives dans les productions agricoles. Les premières recherches montrent que l'augmentation des températures menace la capacité de survie de nombreuses espèces animales et végétales ou réduisent la valeur nutritionnelle des plantes. Malgré le fait que de nouvelles terres soient gagnées pour les cultures, celles qui sont utilisables pour l'agriculture le sont à cause de la salinisation, de l'érosion, de la pollution et de l'épuisement des sols, c'est-à-dire sur des terres incultes ou terriblement appauvries..
Plusieurs tendances destructrices inhérentes au mode production capitaliste sont également devenues indéniables :
Aussi, un nouveau danger s'accroît - celui de la famine généralisée - que l'humanité aurait pu croire n'être plus qu'un cauchemar du passé. Les effets combinés des sécheresses et des inondations provoquées par le dérèglement climatique et leurs conséquences pour l'agriculture, la destruction continue et la réduction de terres cultivables, la pollution et la pêche à outrance dans les océans conduisent à une raréfaction de la nourriture.
Il ne s'agit pas là de "catastrophes naturelles" ou d'évènements dont on pourrait affirmer que "c'est la faute à pas de chance", mais bel et bien le résultat des effets pervers et destructeurs de l'économie capitaliste, une économie aux abois dont l'irrationalité gagne tous les terrains et tous les niveaux. Plus ce système perdure en déchaînant sa folie, plus il expose des pans toujours plus gigantesques de l'humanité et de la planète à une destruction irréversible.
A cause de ces effets destructeurs du mode de production capitaliste sur l'agriculture et l'environnement, l'humanité est confrontée à une course contre le temps. Plus le capitalisme exerce ses ravages, plus les fondements mêmes de la survie de l'espèce humaine sont menacés.
Dino-Mulan / 6.05.08
1) On est loin du discours lénifiant de la FAO qui "prédisait" en 2000 que, grâce à l'action de l'ONU, les 826 millions de personnes sous-alimentées ne seraient plus que 580 millions dans le monde.
Depuis que le cyclone Nargis a dévasté la Birmanie, la population redoute avec terreur l'arrivée d'une nouvelle tempête. Quelques jours plus tard, c'est la Chine qui était frappée, principalement dans la province du Sichuan, par un tremblement de terre meurtrier et ses nombreuses répliques. En Birmanie, il y a probablement près de 100 000 morts et disparus, tandis qu'un million et demi ou deux millions de survivants sont menacés par la famine. Pour la Chine, le nombre de victimes dépasse 80 000 morts et plus de cinq millions de personnes se retrouvent sans abri. Dans les deux cas, diverses épidémies résultant de conditions de survie épouvantables imposées à la population sont en train de se propager à toute vitesse. De telles catastrophes sont elles vraiment naturelles et inéluctables ? Est-ce le sort, la fatalité qui en sont responsables ? Certainement pas !
Le doute n'est plus permis quant à la responsabilité du capitalisme dans la pollution de l'atmosphère par les gaz à effets de serre qui aggravent le réchauffement global de la planète et contribuent au déchaînement d'aberrants dérèglements climatiques dans le monde entier. Mais invoquer les "caprices de la nature" est une pure mystification pour encore une autre raison. L'homme a acquis la capacité de prévoir et de se protéger de ces divers phénomènes tels que cyclones, tsunamis, inondations, tremblements de terre, éruptions volcaniques. Il a su développer des progrès scientifiques et technologiques qui permettent de prévenir et de faire face aux intempéries ou aux séismes les plus violents mais c'est l'aberration de son système social basé sur la rentabilité qui le rend incapable de les utiliser et de les mettre au service de l'humanité. Le caractère de plus en plus dévastateur des catastrophes naturelles à travers le monde d'aujourd'hui est une conséquence de toutes les politiques irresponsables au niveau de l'économie et de l'environnement que mène le capitalisme dans sa recherche incessante de profit. C'est bien ce système qui, en multipliant leurs effets ravageurs et en décuplant leurs conséquences meurtrières, transforme ces phénomènes en énormes et effroyables catastrophes sociales. Et ses victimes sont pratiquement toujours les mêmes : ce sont les populations les plus pauvres et déshéritées que leurs conditions de survie misérables rend les plus vulnérables. C'est parce que ces populations sont entassées sur des zones exposées et qu'elles en sont réduites à survivre dans les constructions les plus précaires, qu'elles sont les principales victimes des catastrophes.
En Birmanie, la région la plus touchée, le delta de l'Irrawaddy, est pourtant le grenier à riz du pays. Les conséquences en sont dramatiques pour l'économie du pays tout entier dont les stocks de riz ont été détruits. Mais cette population d'un des Etats les plus pauvres du monde est déjà réduite à vivre les pires conditions d'exploitation et, dans la région dévastée, le milieu naturel était déjà porteur de conditions de vie particulièrement insalubres. Face à cette situation, la junte militaire au pouvoir a manifesté un mépris révoltant et un cynisme monstrueux vis-à-vis du sort des habitants victimes de la catastrophe. Aucune aide sérieuse ne lui a été apportée par l'Etat, tandis que la clique de Than Shew, numéro un birman, est fortement soupçonnée de s'accaparer sans vergogne le peu de l'aide internationale qu'elle laisse pénétrer sur son territoire (1 ). Son abjection a été poussée jusqu'à transformer la plupart du temps les camps de réfugiés en véritables camps de travail, tandis que ce gouvernement en a rajouté dans le délire en maintenant en plein milieu de ces terribles évènements un référendum en vue de l'adoption d'une "nouvelle Constitution" ouvrant prétendument la voie... à un "transfert de pouvoir aux civils" ! Aussi, à coups de spots publicitaires télévisés, alors que plus d'un million et demi de Birmans pataugeaient dans la boue et luttaient contre la mort, survivant à peine dans les décombres, le gouvernement vantait de façon surréaliste et hallucinante sa "réussite" et sa "victoire" dans ce référendum, voté "massivement" pour un peuple auquel s'ouvrait à présent "le plus bel avenir" !
Les politiciens occidentaux et leurs médias se sont indignés avec véhémence devant cet état de fait et ont réclamé de façon insistante, voire menaçante, l'ouverture des frontières à l'aide internationale et à l'arrivée de travailleurs humanitaires. De l'ONU à l'Union européenne en passant par Bush, ils ont tous fustigé la "paranoïa" des autorités birmanes, les "lourdes contraintes imposées" tout exprès par les autorités pour accorder des visas, l'insuffisance notoire de l'aide qui parvient au compte-goutte en Birmanie du fait de la fermeture et de la méfiance de l'Etat, etc. Bref, ils ont voulu démontrer avec une belle unanimité l'intérêt que les "grandes démocraties" portent aux populations et leur volonté humanitaire de tout mettre en œuvre pour porter secours à des Birmans en souffrance, subissant jusque dans la pire catastrophe le joug implacable d'une dictature militaire. Si les agissements de la junte du Myanmar qui laisse crever des centaines de milliers de gens, voire des millions, sont d'une écœurante monstruosité, que faut-il penser des hauts cris d'indignation des grandes puissances ? Ils ont beau jeu de pointer du doigt les tares de cette clique birmane arriérée, rongée par la corruption et conduite par des pratiques sectaires et les croyances astrologiques d'un autre âge.
Les réactions vis-à-vis de la Chine, qui a eu droit à un traitement médiatique beaucoup plus nuancé offrent un début de réponse. Le pays est atteint précisément dans une des régions proches du Tibet qui connaît depuis deux mois une féroce répression de la part des forces armées et de la police chinoise. Sarkozy, à l'instar de tous les pays développés qui ont vilipendé sans retenue la junte birmane, a assuré avec bonhomie le gouvernement chinois de son "soutien personnel". Tous ont loué les efforts du gouvernement chinois pour faire face à la situation. C'est pourtant l'Etat chinois lui-même et son armée, comme l'Etat birman, qui assure pour l'essentiel l'acheminement de l'aide vers les zones sinistrées, en contrôlant étroitement toute intervention "étrangère" dans l'organisation des secours. Là aussi, l'ampleur de la catastrophe a rayé de la carte des villes et des villages entiers à cause des constructions bon marché. Et il est particulièrement révoltant de constater que plus de 7000 écoles, construites à la va-vite avec une irresponsabilité criminelle, avec des matériaux friables au coût le plus bas, se sont effondrées sur des dizaines de milliers d'enfants, alors même que les bâtiments voisins tenaient encore debout.
Il est vrai que, pour l'ensemble des pays occidentaux, les marchés commerciaux avec la Chine n'ont aucune commune mesure avec les maigres relations conçues avec la Birmanie et, surtout, que vilipender l'Etat chinois risquerait de provoquer des secousses "diplomatiques" faisant autrement désordre. Même le fait que le tremblement de terre et les pluies diluviennes qui tombent aujourd'hui sur la région sinistrée, et ont vu naître le risque d'effondrements pour un certain nombre des multiples et gigantesques barrages construits à la hâte pour les besoins d'irrigation de la Chine, ne provoque pas de réactions significatives sur l'incompétence de l'Etat chinois de la part des Etats développés, malgré tous les risques de catastrophe en chaîne pour des millions de gens que cela pourrait entraîner. Et pour cause ! Derrière cette attitude hypocrite de pseudo-compassion humanitaire, les grandes démocraties cherchent à faire oublier leur propre mépris tout aussi répugnant de la vie humaine dont elles ont naguère fait la preuve. Il faut rappeler ici quelques faits récents. Le tsunami de décembre 2004, qui a fait plus de 220 000 morts en Indonésie, en Inde, en Thaïlande et au Sri-Lanka, tsunami dont les signes avant-coureurs manifestes n'ont pas été signalés, à la fois par négligence comme par manque d'équipement en moyens de prévention et de protection jugés exorbitants en termes de rentabilité capitaliste. Quant à l'aide humanitaire qui a suivi, c'est en grande partie sur les dons des particuliers qu'elle s'est appuyée, notamment dans les pays développés comme l'Allemagne, les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne, où les fonds fournis par les populations ont dépassé celle des Etats eux-mêmes.
Qu'on se souvienne aussi du cyclone Katrina, fin août 2005, qui a ravagé le Sud des Etats-Unis et frappé notamment la région et la ville de la Nouvelle-Orléans. Alors que la violence et la force du cyclone étaient prévues et établies scientifiquement, la catastrophe a cette fois bien été annoncée. Mais ce n'est qu'à peine deux jours avant que le gouvernement a décrété l'état d'urgence, tout en ne mettant aucun moyen réel au service de la majorité de la population pour la sauver. La plus grande puissance économique de la planète a alors laissé à l'abandon, livré à elle-même, la population des quartiers pauvres et déshérités, vivant dans des maisons balayées comme des fétus de paille, s'efforçant essentiellement de protéger les quartiers riches de la ville. Quand l'ordre d'évacuer la Nouvelle-Orléans et la côte du Golfe du Mexique est arrivé, de façon typiquement capitaliste, c'était chacun pour soi. Ceux qui pouvaient payer l'essence sont partis vers le nord et vers l'ouest pour se mettre en sécurité et trouver refuge dans des hôtels, des motels ou chez des amis ou de la famille. Mais dans le cas des pauvres, la majorité s'est trouvée sur la route du cyclone, incapable de fuir. A la Nouvelle-Orléans, les autorités locales ont ouvert le stade du Superdome et le centre de conférences comme abri contre le cyclone, mais elles n'ont fourni ni intendance, ni nourriture, ni eau, ni rien ; les gens s'entassaient dans ces bâtiments et y étaient abandonnés à leur sort. La seule préoccupation de l'administration américaine a été le maintien de l'ordre afin de contenir d'éventuelles émeutes et la mise en œuvre de mesures répressives. Le bilan avait été de 1500 morts, 250 000 personnes sans foyer, dont la plupart sont encore hébergés aujourd'hui dans des centres et foyers d'accueil d'urgence, et plus d'un million de déplacés.
Le cynisme et l'hypocrisie suintent par tous les pores de la société capitaliste qui démontrent ainsi une fois encore que tous ses dirigeants sont partout guidés par les mêmes sordides intérêts de classe. Contrairement à leurs insinuations, leur attitude ne dépend pas du régime dictatorial ou démocratique du gouvernement ni du fossé creusé entre pays riches et pays pauvres. Non seulement ils cherchent à masquer leur complète impuissance face aux désastres qu'ils engendrent, mais ils font surtout leur possible pour occulter la faillite totale de ce système qui se révèle, lui comme la politique de tous ceux qui le défendent, comme la pire catastrophe de l'histoire de l'humanité qu'il faut définitivement éradiquer.
Wilma / 25.05.08
1) Les quelques sacs de nourriture qu'elle a laissé pénétrer dans le pays ont été saisis par l'armée et ont été re-étiquetées de façon à laisser croire à la population que c'est la junte qui subvenait à ses besoins. Plus fort que Kouchner photographié avec son sac de riz sur l'épaule en Somalie dans les années 1990 ! Par pure gloriole, le même inénarrable Kouchner a envoyé un navire de guerre le Mistral chargé de nourriture sans aucun accord avec les autorités birmanes et cette cargaison en train de pourrir au voisinage des eaux territoriales birmanes a dû finalement être déchargée piteusement en Thaïlande.
« Nous exigeons que le gouvernement prenne des mesures pour augmenter le pouvoir d'achat avant le 15 juillet. Sinon, nous reprenons les mobilisations à la rentrée » déclaraient les leaders syndicaux à la fin de la semaine d'action dans les différentes provinces belges qui, malgré son caractère éclaté et inoffensif, a réuni au total plus de 100.000 personnes. Avec un art consommé du saucissonnage de la lutte, ces saboteurs professionnels préparent déjà l'occupation du terrain social à la rentrée. Pour éviter de rester enfermés dans la logique des actions syndicales qui mènent à l'impuissance et au découragement, les travailleurs doivent choisir le meilleur moment et les conditions optimales pour imposer un rapport de force en leur faveur. Pour ce faire, il est indispensable qu'ils réfléchissent aux opportunités actuelles et prennent conscience des enjeux qui se posent pour leur combat.
La perte de pouvoir d'achat, qui touche l'ensemble de la classe ouvrière, est le produit d'une politique systématique de la bourgeoisie. La conférence de 2003 pour l'emploi, qui réunissait l'ensemble des forces patronales, syndicales et politiques, en donnait les orientations: «baisse des charges des entreprises, modération salariale, diminution des frais liés au chômage, rallongement de la semaine de travail et de la carrière, et finalement le financement alternatif de la sécurité sociale». Ainsi, la « défense » de la compétitivité de l'économie nationale a impliqué tout au long de ces dernières années:
- l'assainissement drastique des frais de production, la délocalisation ou l'exclusion de forces de travail au moyen de plans de restructuration et de procédures de licenciement assouplies, dans le secteur privé ou public (VW, Gevaert, GM, Janssens Pharmaceutica, La Poste...);
- l'augmentation de la productivité (déjà parmi les trois les plus élevées du monde) par un accroissement important de la flexibilité sans frais supplémentaires, une diminution de l'absentéisme et des pauses, entraînant un rallongement effectif de la durée de travail et de la carrière;
- la révision à la baisse des normes salariales (réduction et suppression des barèmes d'ancienneté, des primes et suppléments);
- enfin, la révision et réduction graduelles du système de la sécurité sociale, surtout au niveau du chômage, des frais de santé et des retraites.
Pas étonnant donc que les salaires, les allocations et les retraites diminuent et, qu'en conséquence, des couches toujours plus larges de la population sombrent dans la pauvreté. Le pouvoir d'achat de l'ouvrier belge est parmi les plus bas des pays industriels d'Europe, 25 % moins élevé qu'aux Pays-Bas par exemple (selon la Fédération européenne des entrepreneurs, citée dans De Morgen, 5.06.2006). De plus, en 2006, «La masse salariale totale dans notre pays a donc augmenté moins vite que le PIB, alors que les profits des entreprises ont crû relativement plus vite» (De Tijd, 3.10.2007). Avec la multiplication des emplois précaires, temporaires ou partiels, un nombre croissant de travailleurs n'a plus de revenu stable, ce qui entraîne même les familles dont les revenus se situent au-dessus du seuil de pauvreté dans les difficultés.
Dans un tel contexte de dégradation systématique des conditions de vie de la classe ouvrière, il faut souligner l'importance de la conjonction de deux phénomènes qui s'expriment de manière de plus en plus nette en Belgique depuis la fin de l'année 2007. D'une part, une forte croissance de la combativité ouvrière et d'autre part, une détérioration marquée de la situation économique nationale, suite à l'accélération de la crise mondiale. La conjonction de ces deux phénomènes durant ces derniers mois a inscrit de manière particulièrement nette la situation sociale en Belgique dans la dynamique de reprise de la lutte ouvrière en Europe et dans le monde.
Pendant longtemps, le ras-le-bol des travailleurs a eu de grandes difficultés à dépasser les campagnes mystificatrices de la bourgeoisie et à se concrétiser en un mouvement de résistance aux attaques. La «rafale gréviste» de l'hiver 07-08 a pleinement confirmé que les luttes en Belgique présentaient les mêmes caractéristiques de fond que partout dans le monde : potentiel de combativité retrouvé, lente mais certaine récupération par le prolétariat de son identité de classe, multiples expressions de solidarité naissante.
- Dès la fin de l'automne 07, divers secteurs entrent en lutte contre les rationalisations, les licenciements, les réductions de salaires: Janssens Pharma Beerse, Volvo Cars Gand, Bayer Anvers, employés communaux d'Anvers et de Liège, ... Par une manifestation nationale autour de la défense du pouvoir d'achat le 15.12.07, les syndicats tentent de désamorcer la colère et de détourner le mécontentement vers un engagement dans les querelles communautaires (‘non à la scission de la sécurité sociale', commune aux Wallons et aux Flamands).
- Cependant, les luttes reprennent immédiatement après les fêtes de fin d'année. Ce qui avait commencé à la mi-janvier 08 spontanément comme un conflit social local chez un fournisseur de Ford Genk pour «1 euro de plus», se transforme très vite en une réelle vague de grèves pour une augmentation du pouvoir d'achat. Ce sont les mêmes ouvriers qui étaient sous pression à l'occasion des restructurations chez Ford, Opel ou VW en début d'année 2007 qui ont mis le feu aux poudres. D'abord, le mouvement revendicatif spontané déborde vers Ford Genk et vers pratiquement toutes les entreprises des environs immédiats pour ensuite atteindre toute la province du Limbourg et le secteur métallurgique. La vague de grèves sauvages s'étendra lentement vers d'autres branches industrielles et d'autres provinces, surtout dans la partie néerlandophone et à Bruxelles. A côté de mouvements de grèves importants dans le cadre syndical (comme à Electrabel, SONACA et les sapeurs pompiers), il y a des actions sauvages à l'entreprise logistique Ceva contre les licenciements ou chez BP autour d'une restructuration et des conditions de travail, où le patronat a appelé «à cesser les actions incontrôlées et à suivre le modèle de concertation sociale». De plus, il y aura encore des interruptions de travail imprévues chez les conducteurs de tram et de bus de De Lijn à propos des conditions de travail et des pauses, à la SNCB...
Plusieurs caractéristiques du mouvement sont exemplaires des tendances qui se manifestent aussi dans d'autres pays européens :
- d'abord, il faut pointer la simultanéité des mouvements, de même que leur extension rapide;
- s'il y a bien un fil rouge à travers une large partie du mouvement de l'hiver 08, c'est «qu'il ne s"agit pas de grèves organisées par les syndicats, mais de grèves sauvages. C'est la base qui se révolte, et ce sont les syndicats qui tentent de négocier» (un des témoins au forum de discussion de DS sur la vague de grèves). Cette vague de grèves spontanées renforce la confiance des ouvriers en eux-mêmes, suscite l'action pour d'autres revendications directes;
- le mouvement s'est développé en réaction à la hausse du coût de la vie et la baisse du"niveau de vie. Il se développe dans une impression croissante de chaos et d'irresponsabilité de la classe politique, ce qui s'exprime par la vacance gouvernementale de plus de neuf mois. Ce contexte de luttes en réaction aux mêmes attaques tend à réduire quelque peu l'emprise de l'arsenal des tactiques de division et de domination classiques, par région, secteur, entreprise, métier, privé ou public, etc. et donc à instiller un sentiment de solidarité. Tous les ouvriers, actifs, chômeurs, retraités, étudiants peuvent en fait se retrouver dans ces mouvements contre la perte du pouvoir d'achat, les cadences de travail et l'instabilité des contrats.
Parallèlement, des signaux insistants confirment que la Belgique est de plus en plus affectée par la détérioration de la situation économique, engendrée par la crise immobilière et les placements boursiers douteux (Junk Bonds), par la récession aux USA ainsi que par l'envolée des prix pétroliers et des denrées alimentaires :
- ralentissement économique : baisse du croissance de l'économie de 2,7% (2007) à 1,7% (2008) et à 1,4% (2009) selon l'IMF (DM, 03.06.08);
- nouvelle flambée de l'inflation : la Belgique bat les records en Europe avec une inflation de 5,2% (zone EURO: 3,6%) et une hausse des denrées alimentaires de 6,1% (zone EURO: 6,2%, EU : 7,1%) (DM, 03.06.08). Conséquence directe : vie plus chère, recul des salaires et explosion des dettes;
- la hausse du coût de la vie a un effet multiplicateur sur les mesures de flexibilisation et de précarisation des emplois. Si les emplois ont spectaculairement augmenté en 2007 (+116.000 emplois) et si le chômage ne remonte pas encore, il faut souligner que le type d'emploi créé génère un recul constant des conditions de vie et de travail de la classe ouvrière (ce que les sociologues bourgeois appellent le phénomène des ‘working poor');
- les syndicats eux-mêmes reconnaissent que « l'Etat social actif n'est pas une situation win-win mais loose-loose » (rapport FGTB, dans DM, 17.03.08). La flexibilité n'a pas apporté une stabilité d'emploi mais la précarité;
- la pression sur la qualification et les salaires: 20% des salariés n'arrive pas à boucler son mois avec son salaire et 50% y arrivent à peine (DM, 23.04.08).
Ceci ne peut qu'accentuer encore la pression sur les conditions de vie et de travail de la classe ouvrière.
La bourgeoisie a déclenché tout au long de la seconde partie de 2007 des campagnes communautaires intenses visant à occuper le terrain avec la mystification du nationalisme ou du sous-nationalisme en vue de détourer l'attention des travailleurs de la détérioration du niveau de vie et de paralyser toute velléité de combativité. Ces campagnes pernicieuses n'ont toutefois pu empêcher la montée du ras-le-bol et la multiplication de luttes. Aussi, depuis début 2008, face à la multiplication et la simultanéité des actions ouvrières, la bourgeoisie a quelque peu changé son fusil d'épaule :
- elle a généralisé un black-out dans ses médias sur les informations concernant les luttes ouvrières, entre régions tout comme au niveau international;
- syndicats et employeurs tentent de désamorcer les foyers de combativité en cédant non pas sur des hausses de salaire, mais en accordant des majorations uniques sous forme de primes uniques et de boni liés aux résultats. Parfois même, les patrons essaient d'acheter la paix sociale avant que les ouvriers n'engagent effectivement l'action. «parce qu'ils veulent à tout prix éviter une grève sauvage et sont donc prêts à racheter à l'avance un éventuel désordre» (interview de H. Jorissen, président des métallos de la FGTB dans DM, 2.2.08). Cela a encore été le cas à la SNCB, où patrons ‘publics' et syndicats ont proposé une prime salariale de 1000 euro répartie sur 3 ans (DM, 03.06.08) pour désamorcer le ras-le-bol;
- elle a pleinement engagé les syndicats en première ligne pour contrer le développement de la combativité. Ceux-ci ont pris leur distance vis-à-vis des partis socialistes et jouent, ici l'unité, là la division. Ils ont profité des élections sociales dans les entreprises pour mener de larges campagnes sur la ‘démocratie sociale' et sur l'importance de la représentativité ouvrière à travers leurs délégations syndicales;
- les actions générales des syndicats, telles la manifestation ‘sauvons le pouvoir d'achat et la solidarité' du 15.12.08 ou la semaine d'actions tournantes par région à la mi-juin pour ‘sensibiliser', ont toutes comme objectif :
a) d'identifier les syndicats comme les vecteurs par excellence de la solidarité;
b) d'assimiler la solidarité ouvrière à la défense d'une fausse solidarité nationale, la solidarité avec l'Etat national et ses structures de contrôle social.
Ces campagnes visent à dévoyer la classe ouvrière sur la question cruciale pour le développement de la lutte, qui est celle de la solidarité.
Si elle ne peut plus aujourd'hui empêcher l'explosion des luttes, la bourgeoisie investit le terrain social de manière proactive pour éviter l'extension et l'unification des luttes, pour détourner la solidarité dans la lutte pour la défense des intérêts prolétariens vers le combat pour le maintien des structures étatiques nationales de contrôle social. Et dans cette politique, les syndicats jouent un rôle central.
Depuis un an, la situation politique belge a été caractérisée par une quasi-absence de politique gouvernementale (et même de gouvernement tout court). Si durant la seconde partie de 2007, cette « paralysie gouvernementale » participait des campagnes autour de l'avenir de la Belgique, l'absence d'orientations politiques dans un contexte de détérioration de l'économie et de la position concurrentielle du capital belge est en train de devenir intolérable pour la bourgeoisie:
- dérapage budgétaire (on tablait sur une croissance de 1,9%) qui mettrait à mal l'équilibre financier, fruit d'une décennie d'austérité ;
- balance commerciale en déficit pour la première fois depuis 15 ans : «C'est un signal important que notre position"concurrentielle est en fort recul. Et cela pour un pays comme la Belgique qui"se targue d"être un pays exportateur» (l'économiste G. Noels, DM,"16.4.08);
- difficultés croissantes dans les entreprises de différents secteurs : l'aéronautique, où la plupart des compagnies aériennes sont dans le rouge à cause de la hausse du carburant ; le secteur bancaire, avec de grosses difficultés qui touchent aussi des banques belges comme Fortis (cotation -12%) ; Dexia (baisse de ses bénéfices de 60% (15.05.08) et cotation -21%) ; KBC (cotation -14%).
Aussi, la fameuse date butoir du 15 juillet, que la bourgeoisie belge a dû se donner pour négocier entre les diverses fractions politiques impliquées dans un grand compromis"sur un paquet global de mesures de réorganisation de l'Etat fédéral, s'annonce peut-être encore plus comme un moment crucial pour la prise de mesures d'assainissement budgétaire et de renforcement de la position concurrentielle de l'économie nationale. Dans ce cadre, le pourrissement de la situation économique au travers de la paralysie politique de ces derniers mois pourrait bien être la stratégie suivie pour d'abord épuiser la combativité ouvrière au sein du carcan syndical, pour ensuite réunir les diverses fractions régionales autour d'une politique commune de sauvetage de l'économie belge.
La question de l'indexation des salaires pourrait jouer un rôle central dans le maquillage de l'attaque. Lorsque la bourgeoisie prépare un mauvais coup contre les salaires, elle ressort le monstre du Loch Ness de la liaison automatique des salaires à l'index. Cela permet alors aux syndicats de jouer aux champions de la solidarité en mobilisant pour « sauver l'index », alors que « l'indexation automatique » n'est plus qu'un mythe, avec un index largement manipulé et limité par une «norme salariale», qui prescrit que les augmentations de salaires ne peuvent en aucun cas dépasser la moyenne de celles des principaux concurrents.
Jos / 14.06.08
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Les Bourses s'effondrent, les actions chutent, les banques font faillite, l'économie est quasiment immobilisée. "Que se passe-t-il ? Vivons-nous un nouveau krach comme en 1929?" et surtout: "Comment en est-on arrivés là? Qui (quoi) est responsable?" Est-ce la faute de la politique de crédit irresponsable des banques hypothécaires américaines, d'une gestion de fonds sans scrupules par les banques, ou des spéculateurs, qui en semant la panique ont sérieusement perturbé l'équilibre des Bourses? Voilà les premières questions que chacun se pose. Mais très vite, vient une seconde série de questions: comment pouvons-nous nous protéger? Que pouvons-nous faire face à la récession qui menace? Existe-t-il une perspective de lutte commune pour nous défendre contre les conséquences de la crise? Dans quelle sorte de monde vivons-nous donc, n'existe-t-il vraiment aucune alternative?
La "crise du crédit", c'est la crise du capitalisme
Le 24 septembre 2008, George W. Bush, président des USA, a tenu devant des commentateurs et des journalistes un discours remarquable. Il a annoncé sans détour quels tourments allaient s'abattre sur "le peuple américain" : "Depuis quelques semaines, de nombreux Américains éprouvent de l'anxiété au sujet de leur situation financière et de leur avenir. [...] Nous avons observé de grandes fluctuations à la Bourse. De grands établissements financiers sont au bord de l'effondrement, et certains ont fait faillite. Alors que l'incertitude s'accroît, de nombreuses banques ont procédé à un resserrement du crédit. Le marché du crédit est bloqué. Les familles et les entreprises ont plus de difficulté à emprunter de l'argent. Nous sommes au milieu d'une crise financière grave [...] toute notre économie est en danger. [...] Des secteurs clés du système financier des États-Unis risquent de s'effondrer. [...] l'Amérique pourrait sombrer dans la panique financière, et nous assisterions à un scénario désolant. De nouvelles banques feraient faillite, dont certaines dans votre communauté. Le marché boursier s'effondrerait encore plus, ce qui réduirait la valeur de votre compte de retraite. La valeur de votre maison chuterait. Les saisies se multiplieraient."
En France aussi, la tempête financière a frappé. Tous les indicateurs sont au rouge. Le vendredi 26 septembre, le gouvernement a présenté son premier budget pluriannuel (2009-2011), qui avait tout d'un budget de crise. Beaucoup de promesses et d'engagements antérieurs ont été retirés. Ce budget de crise ne doit pas nous surprendre. Car dans un discours prononcé la veille, le président avait déjà dit que la France avait été très rudement touchée par la crise financière mondiale. "Dire la vérité aux Français, c'est leur dire que dans les mois à venir, la crise actuelle aura un impact sur la croissance, sur le chômage, sur le pouvoir d'achat".
Et en Belgique, ce n'est pas différent: "Lorsque la crise a complètement éclaté, c'est comme si une avalanche ou un ouragan menaçait de s'abattre sur le pays" a déclaré le premier ministre Yves Leterme. Toute l'économie est menacée. "Dans l'intérêt du pays et de la population, il faut serrer les rangs" a-t-on déclaré. Et à des remarques sur le fait que l'opération de sauvetage de Fortis et Dexia aurait de sérieuses conséquences pour le budget, le premier ministre a répliqué promptement mais sans détour: "Avez-vous une alternative? Préférez-vous peut-être la faillite?".
Pour nous rassurer, une flopée d'économistes vient nous expliquer dans les médias que certes, la crise actuelle est très sérieuse, mais qu'elle n'est pas comparable avec le krach de 1929, et que le moteur va bien redémarrer. Ils n'ont qu'à moitié raison. Durant la grande dépression, des milliers de banques avaient fait faillite aux USA, des millions de personnes avaient perdu leurs économies, le taux de chômage était grimpé à 25 %, et l'activité économique avait baissé de près de 60 %. Bref, l'économie était pratiquement immobilisée. A l'époque, les dirigeants des États n'avaient réagit que très tardivement. De long mois durant, ils avaient laissé les marchés à leur sort. Pire encore, leur seule mesure consistait à fermer les frontières aux marchandises étrangères (mesures protectionnistes), et cela avait mené à une paralysie totale du système.
Le contexte actuel est très différent. La bourgeoisie a tiré des leçons de cette catastrophe économique, elle s'est dotée d'organismes internationaux et surveille la crise comme le lait sur le feu. Depuis l'été 2007, les différentes banques centrales (surtout la FED américaine et la banque centrale européenne) ont injecté presque 2000 milliards de dollars pour sauver les institutions en détresse. Ils ont ainsi réussi à éviter l'effondrement total et brutal du système financier. . L'économie est en train de décélérer très vite mais ne se bloque pas: en Belgique, on s'attend pour 2009 à une croissance de 1 %, en Allemagne de seulement 0,5 %.
Mais, contrairement à ce que prétendent ces spécialistes érudits, la crise actuelle est bien plus grave que celle de 1929. En effet, le marché mondial est complètement saturé, et la croissance des dernières décennies n'a été possible que par une fuite en avant massive dans l'endettement et la spéculation sauvage. Désespérément à la recherche d'un peu de rentabilité, 65 trillions (1 trillion = 1018) de dollars errent dans le monde financier et ont été investis pendant les dernières décennies partout dans le monde avec des risques croissants: des rendements plus faibles, et de moins en moins de contre-valeur réelle. Par ailleurs, des personnes de plus en plus nombreuses ont été poussées à acheter des maisons à des prix dépassant de loin leur valeur réelle et à prendre des hypothèques supplémentaires pour alimenter la caisse familiale. Tout cela a fonctionné tant que le prix des maisons augmentait. Quand cela menaçait de tourner mal, beaucoup de spéculateurs ont essayé de mettre leurs fonds à l'abri en investissant massivement dans le pétrole, les carburant biologiques et les produits d'alimentation de base. Cela a provoqué une augmentation importante du prix de ces denrées, ce qui a placé les ménages dans une situation encore plus difficile. De plus en plus d'hypothèques ne pouvaient plus être remboursées, et le marché immobilier, déjà sous pression, s'est effondré dans différents pays, principalement aux Etats-Unis. Ainsi, des millions de familles américaines ont été expulsées de leur logement, leur maison étant mise en vente pour un prix très inférieur à la valeur de l'hypothèque, ce qui a placé les institutions de crédit hypothécaire dans une situation problématique. L'énorme poids de ces dettes et la recherche désespérée de rentabilité menacent aujourd'hui de plus en plus d'étouffer le capitalisme.
Les politiciens et les hauts responsables de l'économie comme Karel Vinck nous racontent aujourd'hui que les dirigeants et spéculateurs irresponsables doivent être sanctionnés, et qu'il faut "moraliser" le monde de la finance pour empêcher les excès qui ont provoqué la crise actuelle,et pour rendre possible le retour à un "capitalisme sain". Ce qu'ils ne disent pas, c'est que la "croissance" des années passées a justement été permise par ces "excès", c'est-à-dire la fuite en avant du capitalisme dans l'endettement généralisé et l'économie "de casino". Ce ne sont pas les "excès des financiers" qui sont les véritables responsables de la crise actuelle ; les excès et la crise financière, où des fonds équivalents à la production mondiale de quatre années sont partis en fumée en l'espace de quelques semaines, ne sont qu'une expression de la crise insoluble, de l'impasse historique dans laquelle est embourbé le capitalisme dans son ensemble. C'est pour cela aussi qu'il n'y aura pas de "fin du tunnel". Le plan Bush (Paulson) de 700 milliards de dollars pour "assainir le système financier" est immanquablement voué à l'échec. Le plan va récupérer les créances douteuses pour apurer les comptes des banques et relancer le crédit, mais il ne résout rien sur le fond. Les causes profondes de la crise sont toujours présentes: un marché saturé de marchandises invendables et des institutions financières, des entreprises, des Etats et des particuliers lourdement accablés par l'endettement.
Les perspectives de croissance économique sont donc particulièrement sombres. La bourgeoisie n'hésitera pas à présenter à la population la facture de sa crise. Entre-temps, les Etats devront tenter de récupérer les fonds utilisés à "soutenir" le monde financier, ce qui signifie qu'il y aura encore moins de moyens pour les travailleurs et les allocataires sociaux, et que la planche à billets va fonctionner à plein régime, avec pour résultat une inflation galopante. Cela signifie de nouvelles vagues de fermeture d'entreprises, de réorganisations, de licenciements, de baisses de salaires et d'augmentations d'impôts, des retraites toujours plus menacées et aussi le retardement de l'âge de la retraite, un enseignement et des soins de santé de plus mauvaise qualité. De plus en plus de familles vont dépendre d'allocations en baisse.
Depuis l'été 2007, plus de deux millions de familles américaines ont été expulsées de leur logement, et un million de familles supplémentaires le seront d'ici à Noël. Et le phénomène commence à faire son apparition en Europe, en Grande-Bretagne le nombre d'expulsions dans la première moitié de 2008 a augmenté de presque 50 %, et en Espagne ce n'est guère mieux.
Depuis un an environ, l'inflation a refait son apparition. Les prix des matières premières et les prix des aliments de base ont explosé, provoquant famine et révoltes dans de nombreux pays, et également de nombreuses réactions dans les entreprises.
Il s'agit d'une paupérisation de la population mondiale: logement, alimentation, déplacements, tout cela va devenir de plus en plus difficile pour des milliards de prolétaires.
A court terme, on peut constater une certaine panique. Nous sommes submergés par les événements. Chacun pense à ses économies, aux factures à payer, au paiement des études des enfants, à la future retraite. Mais, chacun dans notre coin, nous ne pouvons ressentir qu'un sentiment d'impuissance. Ce sentiment, la bourgeoisie cherche à le renforcer, de façon à ce que la classe ouvrière subisse la situation, accablée et soumise. Gouvernements, partis politiques, médias et patronat crient en chœur "punissons les coupables", plaident l'innocence du système capitaliste basé sur le profit et l'exploitation forcenés, répandent largement cette image fataliste et appellent à l'esprit de responsabilité, à resserrer les rangs derrière "leurs" mesures qui destinent la facture de cette débâcle à la classe ouvrière.
Parmi les ouvriers en Belgique, l'élan d'avant les vacances est provisoirement brisé. Ce n'est pas seulement du à la stupéfaction suite à la crise financière; la bourgeoisie a orchestré d'intenses campagnes communautaires, où elle a exploité ses propres divisions internes pour rejeter la responsabilité de tout ce qui ne va pas sur ceux de l'autre côté de la frontière linguistique et tenter de dresser les ouvriers les uns contre les autres. Ces campagnes étaient clairement destinées à occuper le terrain social au moyen de campagnes nationalistes et régionalistes, pour détourner l'attention des travailleurs de la dégradation de leur niveau de vie. Or brusquement, "Wallons", "Flamands" et "Bruxellois" sont appelés à constituer une "union sacrée" pour la défense de l'économie belge. La crise financière a même été exploitée pour rehausser la crédibilité du gouvernement Leterme : "Ils prennent enfin des mesures pour diriger le pays" entend-on. "Fortis et Dexia ont été sauvées, et donc aussi les économies des gens, la NVA a été éjectée du gouvernement, la voie est donc libre pour mettre les problèmes communautaires sur une voie de garage et commencer à prendre les mesures qui sont nécessaires pour l'Etat belge". On peut aisément deviner ce que ces mesures seront! Ne nous laissons pas abuser: si le gouvernement prétend garantir nos économies, il ne le fait pas pour ce qui est de notre pouvoir d'achat, nos salaires ou nos allocations.
Il faut dire clairement qu'à terme, le problème ne pourra pas se résoudre sur un terrain strictement économique, à l'intérieur du capitalisme. Et surtout, que toute concession, tout compromis dans la logique de ce système moribond, ne peut conduire qu'à des mesures encore plus graves. La bourgeoisie des différents pays est en effet contrainte de faire travailler "sa" classe ouvrière encore plus dur, moins cher, avec moins de "charges sociales", etc. Et cette concurrence entre Etats mènera inévitablement à de nouvelles confrontations militaires à propos de sphères d'influence, de marchés susceptibles d'écouler des marchandises, de matières premières, de régions stratégiques. Voilà à quoi ressemble l'avenir du capitalisme en crise: tensions sociales et militaires croissantes, paupérisation et guerre.
La véritable différence avec 1929 ne se trouve pas dans le fonctionnement de l'économie capitaliste, ni dans la gravité de la crise. Elle réside dans la combativité et la conscience de la classe ouvrière. Depuis 1968, la classe ouvrière s'est relevée de la contre-révolution. Non seulement elle a montré sa volonté de lutter dès les premiers signes de la crise, mais elle a aussi recherché en permanence une perspective, une "autre" façon de vivre, meilleure, libérée de l'exploitation, de la recherche du profit, de la crise et des violences guerrières, et elle a ainsi développé sa conscience. Les énormes campagnes à partir de 1989 sur la "mort du communisme" ont porté un coup dur à cette résistance, et en ont surtout fait douter beaucoup sur la possibilité d'une alternative. Mais après tant d'années de promesses fallacieuses, et surtout avec la dure réalité de la misère croissante et de la violence guerrière, la combativité et la conscience ont recommencé à progresser.
Tous les ouvriers ont les mêmes intérêts dans la défense contre les attaques sur leurs conditions de vie et de travail, mais face à une attaque généralisée de la part de l'Etat, comme nous la vivons aujourd'hui, il est impossible de résister si nous restons divisés. En 1980, les ouvriers polonais ont entamé une grève de masse en réponse à l'augmentation des prix, tous ensemble, suite à laquelle les augmentations ont été retirées, même si par la suite elles ont malgré tout été graduellement imposées. Et en 2006, c'est parce que les étudiants avaient commencé à opérer une jonction avec les ouvriers que le gouvernement a décidé de retirer le CPE, une attaque sur les conditions de travail des jeunes. Pendant la "vague de grèves" de l'hiver 2007-2008 en Belgique également, on a vu les premiers signes de prise en compte de ces nécessités de la lutte actuelle: une capacité retrouvée à engager le combat, une identité de classe retrouvée lentement mais sûrement, des tentatives répétées d'oeuvrer à la solidarité de classe. Ce qui avait spontanément commencé à la mi-janvier 2008 comme un conflit social local pour "un euro de plus" s'est vite transformé en une vague de grèves pour l'augmentation du pouvoir d'achat, qui s'est rapidement étendue à d'autres secteurs industriels et d'autres provinces. Et le lien avait alors été établi entre les licenciements, l'attaque sur les conditions de travail, l'érosion du pouvoir d'achat. Il est nécessaire de renouer avec la dynamique de cette résistance!
Les actions syndicales générales, comme la manifestation du 12.12.2007 autour de "la défense du pouvoir d'achat et de la solidarité" ou la semaine d'action syndicale par région à la mi-juin 2008, visent toutes le même but: faire barrage à ce processus de réflexion et à cette résistance naissante, les mener sur des voies de garage. C'est pourquoi les syndicats annoncent différentes journées d'action, comme récemment celle du 6 octobre, autour d'un cahier de revendications complètement vidé de son contenu. De cette façon, seul le sentiment d'impuissance est renforcé. Alors que la bourgeoisie se prépare à frapper un grand coup sur le plan des salaires et des allocations, le syndicat mobilise derrière la liaison des salaires à l'index ; cela les met en position de se présenter comme des champions de la solidarité en mobilisant pour "la défense de l'index", alors que cette "liaison automatique" est depuis longtemps bien plus un mythe qu'une réalité. Les syndicats ont donc pleinement conscience du mécontentement qui existe au sein de la classe ouvrière et de la nécessité de réagir, mais ils le font dans le but de conserver un contrôle sur les luttes, non pour les encourager. L'attitude de Herwig Jorissen, le flamboyant président du syndicat rouge des métallos, en dit long à ce sujet. Il caractérise carrément la journée du 6 octobre de dangereuse pour l'emploi: "Le pouvoir d'achat est une préoccupation des travailleurs, d'accord, mais le maintien de leur emploi l'est encore beaucoup plus. Si on considère l'industrie, on se rend compte que des moments difficiles sont à venir. Regardez donc ce qui se passe dans le textile. Cela n'a pas de sens de mettre en danger encore plus d'emplois en faisant la grève". Cela lui a valu des fleurs de la part de l'organisation patronale flamande Voka, qui loue "son courage et son sens des responsabilités" (sic). Par ces termes, il concrétise parfaitement le rôle que doivent jouer les syndicats pour la bourgeoisie : maintenir les ouvriers dans les limites du terrain capitaliste et les enchaîner à la logique de concurrence de ce système moribond. Pourtant, celui qui a peur se fera battre, et le gouvernement ne nous fera certainement cadeau d'aucun milliard pour "renflouer" notre niveau de vie. Ce n'est qu'en résistant par la lutte que les ouvriers peuvent faire barrage à l'austérité.
Les travailleurs ne peuvent développer leur force pour résister aux attaques que s'ils s'unifient à d'autres travailleurs, d'abord et avant tout en se réunissant par-delà toutes les divisions syndicales ou professionnelles, pour discuter de la façon de faire reculer les attaques. Cela veut dire que nous devons prendre nos luttes en mains, ne pas la laisser gérer par les "spécialistes" des syndicats, pour faire en sorte que tous les ouvriers puissent participer aux prises de décision sur la manière de mener la lutte. Cela veut aussi dire se réunir avec d'autres ouvriers en lutte, dans d'autres entreprises, d'autres industries, en envoyant des délégations vers d'autres assemblées générales, vers des piquets ou des manifestations.
C'est la seule perspective qui nous permette de défendre notre niveau de vie, et de recouvrer une confiance en soi pour à l'avenir remettre en cause tout le système capitaliste, avec la crise économique, les guerres et les catastrophes écologiques qu'il nous annonce. Plus d'illusions! Il ne s'agit pas de jouer à présent à tout ou rien, mais de forger progressivement une force, de chercher et de témoigner la solidarité, de clarifier notre réflexion en engageant tous ensemble le débat.
Internationalisme
6.10.08
Le 23 août, le CCI a pour la deuxième fois organisé avec succès une ‘journée de rencontre et de discussion avec le CCI' à Anvers.
"Cela demande une suite !" était la conclusion générale en 2007. Les nombreuses réactions positives et la participation active, pleine d'enthousiasme, des participants en 2007 démontrent que ce genre de rencontre correspond à un besoin qui existe chez beaucoup d'entre nous. Il suffit d'observer les nombreuses discussions en petit groupe ou sur internet, la correspondance que nous recevons sur un plan international de personnes qui prennent pour la première fois contact avec nous, les discussions avec de nouveaux groupes ou avec des gens que nous rencontrons lors de réunions ou de manifestations ou le succès d'initiatives similaires par le CCI, à Londres, Marseille ou Naples (1). Tout ceci témoigne d'un nombre croissant de personnes qui, dans tous les recoins de la planète, se posent des questions fondamentales. On veut réfléchir ensemble au futur, rechercher ensemble, et pas chacun dans son coin, une alternative pour cette société agonisante, où les catastrophes écologiques, la crise économique, le chômage, la guerre et la famine avec ses masses de réfugiés, sont monnaie courante et se multiplient. Mais aussi pour apprendre à tirer les leçons des expériences du passé, des nombreux efforts et contributions théoriques, pour mieux saisir la dynamique les forces qui peuvent réaliser cette alternative. Qui peut réaliser ces changements nécessaires ? Qui peut établir un rapport de force et comment ? La discussion politique et le débat ont toujours constitué les artères vitales du mouvement ouvrier car c'est ainsi que sont clarifiées les questions qui surgissent concrètement dans les confrontations quotidiennes avec la réalité de la crise, de la dégradation des conditions de vie et de la guerre, mais aussi dans la lutte et dans la quête d'une alternative historique. Aujourd'hui surtout dans la nouvelle phase de resurgissement de la lutte de classe, non seulement à travers les multiples expressions de luttes ouvertes (2) mais surtout par l'émergence d'une nouvelle génération en recherche de réponses fondamentales, la création d'un espace pour ce processus de réflexion politique est d'une importance essentielle.
-Créer l'espace pour une nouvelle génération signifie aller le plus possible à l'encontre des questionnements qui existent en son sein en abordant un large éventail de sujets, autant de points de départ pour approfondir la réalité sociale. En préparation de cette rencontre nous avons diffusé à autant de contacts et lecteurs possible, aussi par notre site web (3), un questionnaire comprenant une large liste de sujets possibles que nous avons distillés des réunions publiques et permanences, courriers ou de rencontres précédentes. Liste au sein de laquelle chacun pouvait indiquer les sujets qui lui tenaient le plus à cœur ou en ajouter d'autres. Nous nous sommes aussi réunis avec quelques jeunes contacts où ont surgi des idées et des sujets nouveaux.
-Créer de l'espace signifie aussi, comme nous l'a également appris l'expérience de 2007, que chacun peut y participer et contribuer selon sa capacité et ses intérêts sans être obligé de participer à toutes les parties. Plus encore que l'année précédente, les contacts ont eu une part active à tous les aspects de la journée : écriture de l'introduction sur l'art, confection de plusieurs synthèses, traductions et présidence à certains des débats. Egalement l'existence de moments plus informels, la préparation collective des repas ou des tables de lecture faisaient partie intégrante du succès de cette journée. La réussite d'une journée de discussion et de rencontre est plus que simplement la somme de ses différentes parties comme en témoignent ces deux témoignages : "Après avoir recueilli les remarques des camarades présents l'année dernière, il a été décidé de tenter une nouvelle formule. Les participants de l'année passée s'étaient plaints de la longueur des discussions et avaient avoué avoir du mal à tenir un tel rythme. Le CCI a pris en compte ces difficultés et a décidé de faire des discussions moins longues et surtout qui ne présentaient aucun caractère d'obli-gation."(M. 05.09.2008). "C'était bien aussi que tout le monde ne devait pas tout le temps participer aux discussions. On pouvait facilement se lever et aider à la préparation du barbecue ou simplement prendre une petite pause. Ceci n'était pas fait pour donner à ceux qui sont plus « pratiques » et « moins intellectuels » un sentiment de participation, non !, une telle vision dénigrante je ne la partage pas, ils étaient tout aussi importants pour la réussite de cette journée. Chaque individu a ses capacités et ses qualités et doit se sentir libre de les utiliser selon ses moyens. Cette liberté leur était donnée." (Y., 17.09.2008). Cette année, un réel effort a été fait pour mieux faire connaissance avec le CCI et mieux renforcer les liens entre les présents. Par le moyen des stands permanents, des tables thématiques et du panneau informel, il y avait largement l'occasion d'une façon plus informelle d'échanger les idées. Et surtout il y avait le barbecue où nous avons pu par après rester à causer aussi avec d'autres invités et resserrer des liens de solidarité.
-Créer de l'espace signifie que les participants aient pleinement l'occasion de débattre librement ensemble, dans un climat ouvert, fraternel où chacun sans crainte peut mettre en avant ses questions, réflexions mais aussi ses doutes pour ainsi chercher des réponses d'une façon consciente et collective. Ce n'était pas une journée de spécialistes ou pour spécialistes, un lavage de cerveau ou "une formation" ex-cathedra. "C'était une journée où des questions furent posées librement et discutées. On a abordé et approfondi des sujets actuels et brûlants comme ceux de la guerre en Géorgie et la crise socio-économique (et écologique). Quels problèmes menacent le monde, quels en sont leur racine et comment les prendre en mains ?Aussi l'art et la société sont venus à l'ordre du jour." (Y.,17.09.2008)
-Créer de l'espace finalement, c'est également souligner que cette journée et ce débat ne sont qu'un moment de tout un processus de réflexion et doit être compris ou conçu dans une continuité. Une participante le formule ainsi : "Dès le début, il a été dit que cette journée n'avait pas pour but de donner des réponses définitives sur les sujets abordés mais d'ouvrir le débat, de donner le goût de partager. En ce qui me concerne, je considère que les buts annoncés ont été atteints."(M). "Beaucoup de questions évidemment touchaient à toute sorte d'autres questions, qui loin de là ont toutes été posées et répondues. Pour moi, les différentes discussions ont ouvert des portes et c'est ce qui compte." (Y), confirme un autre participant. De voir comment on peut traiter les choses, d'exprimer de la manière la plus claire possible les problèmes et les questions, de formuler les questions de telle manière que cela contribue à une meilleure compréhension et une plus grande profondeur dans notre processus de compréhension était pour le CCI un des plus importants objectifs. Aujourd'hui, la volonté de débattre et la méthode utilisée pour approcher les questions sont d'une importance vitale pour développer la clarification.
Des sessions donc, cette année, plus courtes mais plus nombreuses. Dans une première session commune, on a essayé de tracer un cadre pour les discussions de la journée "Quels enjeux pour la période actuelle? Inflation, récession, guerre, lutte face à la flambée des prix, émeutes de la faim,...."; "Le but de la première discussion sur l'enjeu de la période actuelle n'était pas très clair au début. Finalement, il est apparu que cette première discussion voulait mettre les prochains thèmes abordés dans un contexte social, voulait donner une base pour les prochaines discussions. Elle devait offrir un cadre solide pour une meilleure compréhension des thèmes suivants." (Y). Dans l'après-midi, deux groupes ont été formés autour de plusieurs thèmes :
- "Est-ce que l'art/ la culture peut changer le monde? Est-ce que l'art peut exercer une influence sur les mouvements sociaux?"
- "Quelle est la nature de la crise économique actuelle? est-ce qu'une solution est possible?"
-En dernier lieu, une session commune autour du thème "Comment mettre fin à la guerre ? » et en particulier traitant de la guerre en Géorgie a été abordée.
Le dernier sujet : " A quoi sert une organisation politique comme le CCI ? D'où vient-elle et quel rôle peut et doit-elle jouer?" n'a pu être discuté par manque de temps.
Nous reviendrons sur les différentes introductions ainsi que sur certaines remarques et synthèses de discussion. Nous comptons les rendre publiques aussi vite que possible dans notre presse et/ou sur notre site web.
Pour compléter l'image de cette journée, nous traçons quelques passages de commentaires que certains participants nous ont déjà fait parvenir :
"La journée a été excellente à tous les niveaux tant du point de vue du fond que de la forme. L'accueil a été fort agréable, l'ambiance très chaleureuse et fraternelle. Les discussions étaient toutes très riches et très intéressantes. Il est important de dire également que le repas du soir ne fût pas juste un moment de détente pour se remettre de cette journée mais qu'il avait une place à part entière dans le déroulement de la journée...il a permis à des camarades qui n'avaient pas pu aborder les questions qui les préoccupaient de discuter avec d'autres camarades sur ces sujets. Il a permis également pour certains de découvrir ce que peuvent être les rapports humains dans un cadre autre que celui de la société capitaliste....A la fin de la journée, nous fonctionnions comme un groupe avec de réelles relations qui se sont tissées tout au long de la journée."(M)
"Les discussions étaient vivantes :des visions contradictoires n'étaient pas évitées, mais on cherchait à dépasser les contradictions. Le CCI a fait des efforts de donner la parole à chacun. Ceci est positif. Ce n'est pas facile d'éclaircir toutes les questions d'un public aussi hétérogène. Je trouvais le barbecue un succès, très agréable et excellent... un grand pas en avant par rapport à l'année précédente!" (Y).
"Je trouvais intéressant les contributions sur le caractère international de la classe ouvrière, qu'on ne peut pas se laisser diviser entre Taïwanais et belge, entre flamands et wallons, par entreprise ou corporation. Quand une entreprise ici ferme ses portes, que des licenciements tombent et que l'entreprise est délocalisée, les gens ailleurs ainsi devront travailler avec des salaires de misère, tous sont exploités et la solidarité alors est la seule arme. Je suis toujours impressionné par la capacité d'analyse globale dont rayonnent les éléments du CCI. Je trouvais également très instructif les différences entre les périodes d'esclavage, du système féodal et du capitalisme. Concernant la guerre en Géorgie, celle-ci ne diffère pas avec celles des dernières dizaines d'années, chacun trouve qu'il a des droits à faire valoir dans cette guerre. C'est à nous d'expliquer que des deux côtés ce sont toujours les soldats et les civils, donc les ouvriers qui meurent. Il n'y a aucune raison de prendre partie et justement il ne faut pas prendre partie exceptée celle de la classe ouvrière. La guerre devient de plus en plus la réalité quotidienne sur cette terre. Cela ne sert à rien de savoir si les Etats Unis étaient au courant ou ont donné leur permission car de par la disparition des deux blocs, les pays feu satellites font une politique du chacun pour soi contenant le risque que des petits conflits s'agrandissent.... Je trouvais la journée de hier très réussie...bien organisée...et avec une assistance consistante." (AT., 24.08.2008).
"C'était bien et très intéressant. L'introduction générale, je la trouvais trop longue, différents passages dans la discussion sur l'art un peu trop abstraits pour moi. La discussion sur la guerre en Géorgie était très intéressante. Les interventions du CCI étaient très complémentaires. En plus, il y avait des positions hétérogènes, mais pas contradictoires... Peut-être que sur une telle journée, une discussion aurait suffi pour aller au fond des choses... C'était un bon barbecue et un moment vraiment convivial." (E.13.09.2008).
"D'abord, je veux remercier ceux qui ont organisé cette réunion. Le lieu de la réunion, les anciens journaux, les textes dans d'autres langues (comme ceux en farsi) sur les tables, la documentation sur le panneau étaient très intéressants et attirants. La réunion a bien démarré par les exemples des jeunes et autres qui veulent changer la société. L'introduction soulignait les changements dans la conscience des ouvriers. On entendait comment les ouvriers en Egypte avec leurs manifestations de solidarité ont atteint un niveau de conscience supérieur. Les exemples de solidarité parmi les ouvriers là-bas et le choix du CCI de lire dans la réunion des passages de leurs prises de position étaient impressionnants...car dans la lutte des ouvriers pour leurs propres intérêts, ni l'islam, ni le nationalisme peuvent les convaincre. L'introduction allait logiquement aux causes: la crise du capitalisme...L'art comme symptôme de la société a aussi été abordé. Dommage que le sujet de l'organisation a été moins discuté. La présence des jeunes était intéressante. Ils étaient très actifs (surtout sur le sujet sur l'art). Dans ce sujet attirant pour les jeunes, beaucoup de points ont été avancés dans la discussion. On peut avec de tels sujets avancer beaucoup de points concernant toute la société... Personnellement, je trouvais dommage que deux discussions se déroulaient en même temps. Conclusion générale: selon moi, c'était une journée de discussion très riche et réussie."(N.05.09.2008).
CCI 19.09.2008
1. Voir notre site Web : WR Day of Study: Presentations and discussions; Journée d'étude du CCI en Grande-Bretagne: un débat vivant et fraternel; Journée de rencontre et de discussion avec le CCI d'août 2007: chercher ensemble une alternative pour cette société agonisante en "Journée de discussion à Marseille: un débat ouvert et fraternel sur un autre monde est-il possible?"
2.Voir les multiples articles dans notre presse et surtout sur notre site Web sur les manifestations de lutte de classe dans le monde
3.Voir l'invitation sur notre site Web aussi en format PDF
Depuis 15 mois, les travailleurs belges subissent une campagne nationaliste et sous-nationaliste d'une ampleur rarement atteinte depuis quarante ans. Et pendant tout un temps, malgré un ras-le-bol croissant, ils ont eu les plus grandes difficultés à dépasser ce barrage de mystifications, malgré une détérioration de plus en plus durement ressentie de leurs conditions de vie. Cependant, la "rafale gréviste" de l'hiver 2007-2008 et les mobilisations du printemps dernier ont amplement démontré que les ouvriers flamands, wallons et bruxellois avaient un potentiel de combativité intact, qu'ils récupéraient lentement mais sûrement leur identité de classe et commençaient à développer une résistance solidaire contre la dégradation de leurs conditions de vie. Dans notre presse en juin, nous soulignions les potentialités présentes dans la situation : "Il faut souligner l'importance de la conjonction de deux phénomènes qui s'expriment de manière de plus en plus nette en Belgique depuis la fin de l'année 2007. D'une part, une forte croissance de la combativité ouvrière et d'autre part, une détérioration marquée de la situation économique nationale, suite à l'accélération de la crise mondiale" (Internationalisme, n° 338, juin-septembre 2008). Que s'est-il passé depuis lors ? Comment la situation s'est-elle développée pendant l'été ?
La première caractéristique marquante pendant la période considérée est sans nul doute le véritable bombardement médiatique visant à souligner la détérioration constante de la situation économique, dans un contexte d'approfondissement de crise sur le plan international. Le survol des titres d'un journal particulier pendant les derniers trois mois le met bien en évidence: : "La vraie crise est devant nous" (De Morgen, 19.06.08), "Une famille sur cinq arrive difficilement à payer son logement" (DM, 30.06.08), "L'économie européenne malade se raidit pour des profits plus importants" (DM, 03.07.08), "Le moteur s'essouffle mais ne s'arrête pas encore" (DM, 31.07.08), "La crise hypothécaire aux USA tire les Bourses vers le bas" (DM, 02.08.08), "Les prix énergétiques sont de nouveau fortement à la hausse" (DM, 14.08.08), "Pour la première fois, l'économie recule dans la zone euro" (DM, 16.08.08), "La crise du crédit durera au moins jusqu'à 2010" (DM, 18.08.08), "Les coûts salariaux dérapent" (DM, 19.08.08), "La croissance de l'économie belge s'affaiblit encore" (DM, 04.09.08). Loin de camoufler le caractère dramatique de la situation économique, les médias tartinent largement en première page les problèmes économiques qui s'amoncellent : la crise bancaire et les menaces de faillites, l'inflation, la réduction des salaires, les licenciements et les rationalisations (UCB, Domo...).
Et tandis que les médias soulignent le caractère préoccupant de la situation, la deuxième caractéristique à pointer aujourd'hui est l'attitude de passivité et d'absence de réaction du gouvernement fédéral. C'est bien comme s'il était le seul à passer des vacances insouciantes ! Alors que la Banque Nationale annonce qu'il faudra 3 à 4 milliards d'euros de réduction des dépenses sur les budgets 2008 et 2009 pour atteindre l'équilibre, que les recettes fiscales pour 2008 sont 1,1 milliard en dessous des prévisions, le gouvernement Leterme se limite à enregistrer les choses. Il annonce placidement qu'il prendrait des mesures en temps opportun, c'est-à-dire ... vers la mi-octobre, alors que tous les observateurs avaient déjà souligné en début d'année que son budget 2008 était fantaisiste et surestimait grossièrement les rentrées, bref, que c'était une fumisterie : "On peut donc supposer que consciemment et sciemment, un budget trompeur a été rédigé" (DM, 04.09.08).
La conjonction d'une avalanche de mauvaises nouvelles et d'un immobilisme gouvernemental pesant crée une impression de fatalité, et le sentiment d'impuissance est accentué par l'attitude des syndicats qui affirment qu'il n'y a pas à mener d'actions puisqu'il n'y a pas de mesures gouvernementales, qu'il n'y a pas à négocier puisqu'il n'y a pas de négociateurs. Comme si l'absence d'initiatives gouver-nementales entravait aussi la hausse de l'inflation, la baisse du pouvoir d'achat, la multiplication des restructurations et des fermetures d'entreprises!
La conjonction d'une avalanche de mauvaises nouvelles et d'un immobilisme gouvernemental pesant crée une impression de fatalité et le sentiment d'impuissance est accentué par l'attitude des syndicats qui affirment que, si on peut exprimer son mécontentement, il faut le faire avec modération car il ne faut pas saborder les négociations. Et comme le gouvernement ne compte pas lancer des négociations avant le 15 octobre .... Comme si l'absence d'initiatives gouvernementales entravait aussi la hausse de l'inflation, la baisse du pouvoir d'achat, la multiplication des restructurations et des fermetures d'entreprises!
Et de fait, cette manœuvre de la bourgeoisie porte momentanément ses fruits sur le terrain social. Certes, il existe toujours bien de multiples actions, souvent spontanées, contre la dégradation du pouvoir d'achat et contre les restructurations : c'était le cas de la grève ‘sauvage' des bagagistes à Zaventem, vilipendés dans les médias pour avoir gâché le retour de vacances de milliers de citoyens. Il y a eu aussi des actions spontanées chez les ouvriers à GM ou dans le port d'Anvers, actions souvent occultées dans les médias. Cependant, l'extension de celles-ci est entravée par les caractéristiques de la situation actuelle, la confusion ambiante où, en fin de compte, on ne sait plus très bien si des mesures seront prises, et ce que le gouvernement fera.
Cette confusion sur le terrain social est donc clairement stimulée et exploitée par la bourgeoisie pour bloquer et désamorcer la colère ouvrière, bien réelle face à la détérioration marquée de ses conditions de vie. Début juin, les leaders syndicaux jouaient aux matamores : "Nous exigeons que le gouvernement prenne des mesures pour augmenter le pouvoir d'achat avant le 15 juillet. Sinon, nous reprenons la mobilisation à la rentrée". Aujourd'hui, le syndicat socialiste ne prévoit une "journée d'action avec mouvements de grève" que pour ... la seconde semaine d'octobre. Et encore, aucune mobilisation nationale n'est envisagée, tout au plus des "actions sur le terrain, dans les entreprises" (De Standaard, 17.09.08). Le syndicat chrétien renchérit en soulignant que les actions doivent être "proportionnées" (sic !) pour ne pas hypothéquer les négociations avec les patrons et le gouvernement qui doivent encore débuter.
"Qu'est ce qui rapporte le plus de résultat? Négocier ou agir? On doit mesurer entre les émotions chez des gens qui veulent exprimer leur mécontentement et l'efficacité d'une journée d'action" (DS, 17.09.08). Non seulement, les actions sont reportées, faute de négociation sur laquelle faire pression, mais plus que jamais, l'idée est instillée que la lutte ne constitue au fond qu'un appoint à la négociation, la concertation sociale entre ‘partenaires' sociaux pour négocier un "compromis honorable". Et pour renforcer cette appréhension de la réalité, des actions limitées et éparpillées de diverses catégories d'agents communaux sont lancées, mêlées aux actions corporatistes des pompiers où à celles d'autres groupes, liés à l'appareil de maintien de l'ordre, les gardiens de prison ou les policiers. Bref, tout est fait pour accentuer la confusion et le désarroi, favoriser les actions isolées et suicidaires, pour faire passer le sentiment que, dans le contexte actuel, on ne peut au fond rien faire d'autre que de subir les irrémédiables restructurations du système comme une fatalité !
Gouvernement, patronat et syndicats exploitent ainsi pleinement l'emprise bien réelle - et renforcée encore pendant les années 1990 et le début du nouveau millénaire - de la mystification démocratique au sein de la classe ouvrière afin de couper toute perspective d'unification aux luttes de résistance contre les attaques. L'effondrement des régimes staliniens en Europe de l'Est, présenté comme la preuve ultime de la faillite du communisme et de la victoire définitive du capitalisme, a en effet répandu au sein de la classe ouvrière l'idée qu'en dehors du cadre de la concertation au sein de l'Etat démocratique, il n'y a pas d'alternative. Et cette conception pèse encore lourdement sur le développement de la prise de conscience au sein du prolétariat.
En outre, la bourgeoisie exploite la confusion ambiante pour relancer l'immonde battage nationaliste (1). Sous des dehors apparemment contradictoires, bourgeoisies wallonne et flamande jouent le même jeu hypocrite, visant à exploiter la pression de la crise pour attiser la haine de l'autre : si les médias flamands multiplient les premières pages pour mettre en évidence le poids de la crise sur l'économie belge, les politiciens du Nord soulignent que c'est le refus des francophones de renforcer la régionalisation qui entrave le combat contre la récession. Les politiciens francophones, de leur côté, affirment vouloir s'attaquer aux vrais problèmes des gens, pouvoir d'achat et emploi, et ne pas vouloir perdre leurs temps en vaines querelles communautaires, tandis que c'est ici la presse du Sud qui exhorte les wallons et les bruxellois à accentuer leur identité francophone face au chantage des flamands.
La bourgeoisie sait que, dans la situation actuelle, elle ne pourra empêcher que le ras-le-bol des travailleurs débouche sur des réactions combatives, sur des luttes. Toutefois, à travers les campagnes démocratiques et nationalistes, à travers le saucissonnage de la combativité et du détournement de cette dernière vers un soutien au front syndical pour engager la concertation sociale, elle met le paquet pour garder les luttes aussi isolées, divisées et inoffensives que possible, pour les enfermer dans le carcan suicidaire de la concertation ‘démocratique' au sein du système en crise. Ce qu'elle veut par contre éviter à tout prix, c'est précisément ce que les travailleurs développaient lors des mouvements de début 2008 : les tendances à l'extension de la solidarité dans la lutte, à l'unification des mouvements. Car c'est au sein d'une telle dynamique que se développe au sein de la classe ouvrière la prise de conscience des vrais enjeux, mis en évidence par le caractère dramatique de la situation économique actuelle : l'incapacité de la bourgeoisie de résoudre les problèmes fondamentaux d'un mode de production à l'agonie et d'une société en irrémédiable décomposition, la nécessité impérieuse de développer l'alternative d'une société réellement au service de l'humanité.
Jos / 17.09.2008
L'été a été marqué par un nouveau déchaînement de la barbarie guerrière du capitalisme. En Géorgie, en Afghanistan, au Liban, en Algérie, au Pakistan, ce sont essentiellement des populations civiles qui ont été sauvagement massacrées dans les conflits armés entre les différentes cliques impérialistes. Ce sont aussi de jeunes garçons, à peine sortis de l'adolescence, qui ont été décérébrés pour servir de chair à canon dans les attentats terroristes et les interventions militaires des petites et grandes puissances. Partout le capitalisme sème la mort ! Partout la classe dominante se vautre, jour après jour, dans la boue et le sang !
Et une fois encore, c'est au nom de la "paix", de la lutte contre le "terrorisme", de la défense de la "civilisation", des "droits de l'homme" et de la "démocratie" que la bourgeoisie, en France comme aux Etats-Unis et dans les autres pays européens, participe au déchaînement de ce chaos sanglant. En prétendant vouloir jouer les justiciers en Géorgie, en Irak ou en Afghanistan, les grandes puissances ne visent, en réalité, qu'à défendre leurs propres intérêts de requins impérialistes sur la scène internationale.
Les promesses de Bush père d'un "nouvel ordre mondial" censé ouvrir une nouvelle ère de "paix" et de "prospérité" après l'effondrement du bloc de l'Est, apparaissent maintenant de plus en plus clairement pour ce qu'elles étaient : un énorme mensonge ! C'est au nom de cet "ordre mondial" que fut déclenchée la première croisade de l'Occident "civilisé" contre la "barbarie" du régime de Saddam Hussein : l'opération "Tempête du désert" en 1991 qui a permis à l'Etat américain d'expérimenter ses nouveaux armements (et notamment les bombes à effet de souffle qui retournaient les soldats irakiens comme des gants !). En réalité, cette intervention militaire massive des grandes puissances "démocratiques" n'a fait qu'ouvrir une boîte de Pandore et aggraver le chaos mondial.
La folie meurtrière du capitalisme ne peut que continuer à se déchaîner. Parce que ce système décadent est basé sur la division du monde en nations concurrentes, ayant des intérêts antagoniques, il porte avec lui la guerre. Le seul moyen de mettre fin à la barbarie guerrière, c'est d'en finir avec le capitalisme. Et cette perspective de renversement du capitalisme n'est pas une tâche impossible à réaliser.
La guerre n'est pas une fatalité face à laquelle l'humanité serait impuissante. Le capitalisme n'est pas un système éternel. Il ne porte pas seulement en son sein la guerre. Il porte aussi les conditions de son dépassement, les germes d'une nouvelle société sans frontières nationales, et donc sans guerre.
En créant une classe ouvrière mondiale, le capitalisme a donné naissance à son propre fossoyeur. Parce que la classe exploitée, contrairement à la bourgeoisie, n'a pas d'intérêts antagoniques à défendre, elle est la seule force de la société qui puisse unifier l'humanité. Elle est la seule force qui puisse édifier un monde basé non pas sur la concurrence, l'exploitation et la recherche du profit, mais sur la solidarité et la satisfaction des besoins de toute l'espèce humaine. Et cette perspective n'est pas une utopie!
Contrairement à ce que prétendent les sceptiques de tous poils et les idéologues de la classe dominante, la classe ouvrière peut en finir avec la guerre et ouvrir les portes de l'avenir. Elle a pu mettre fin à la première boucherie mondiale grâce à la révolution d'Octobre 1917 en Russie et à la révolution en Allemagne en 1918.
Depuis la fin des années 1960, c'est la reprise des luttes ouvrières contre les effets de la crise économique qui a empêché la classe dominante d'embrigader les prolétaires des pays centraux dans une troisième guerre mondiale.
Aujourd'hui, face à l'aggravation de la crise économique et aux attaques contre toutes leurs conditions de vie, face à l'impasse du système capitaliste, les prolétaires ne sont pas prêts à accepter passivement le renforcement de la misère et de l'exploitation, comme en témoignent les luttes ouvrières qui ont surgi aux quatre coins du monde ces dernières années.
Le chemin est encore long avant que le prolétariat mondial puisse hisser ses combats à la hauteur des enjeux posés par la gravité de la situation présente. Mais la dynamique des luttes ouvrières actuelles marquées par la recherche de la solidarité, de même que l'entrée des nouvelles générations dans le combat de classe, montre que le prolétariat est sur la bonne voie.
Face à la barbarie guerrière, les ouvriers des pays centraux ne peuvent pas rester indifférents. Ce sont leurs frères de classe qui tombent tous les jours sur les champs de bataille. Ce sont les populations civiles (hommes, femmes, enfants, vieillards) qui sont à chaque conflit décimés par les pires actes de barbarie que le capitalisme aux abois sécrète de tous ses pores.
Face aux horreurs de la guerre, le prolétariat n'a qu'une seule attitude à adopter : la solidarité.
Cette solidarité avec les victimes des bains de sang, il doit la manifester d'abord en refusant de choisir un camp belligérant contre un autre. Il doit la manifester en développant ses luttes contre les attaques du capital, contre ses exploiteurs et ses massacreurs. Il doit développer son unité et sa solidarité de classe internationale en faisant vivre son vieux mot d'ordre : "Les prolétaires n'ont pas de patrie. Prolétaires de tous les pays unissez-vous !"
Sylvestre / 26.08.2008
Politiciens et économistes ne savent plus comment exprimer la gravité de la situation : "Au bord du gouffre", "Un Pearl Harbor économique", "Un tsunami qui approche", "Un 11-Septembre de la finance" [1] ... seule l'allusion au Titanic manque à l'appel !
Que se passe-t-il vraiment ? Face à la tempête économique qui se déchaîne, chacun se pose de nombreuses questions angoissantes. Vivons-nous un nouveau krach comme en 1929? Comment en est-on arrivé là? Que peut-on faire pour se défendre ? Et dans quelle sorte de monde vivons-nous?
Il n'y a aucune illusion à se faire. A l'échelle de la planète, l'humanité va subir dans les mois à venir une effroyable dégradation de ses conditions de vie. Le Fonds Monétaire International (FMI) vient d'annoncer, dans son dernier rapport, que "cinquante pays" vont "d'ici début 2009" rejoindre la liste macabre des pays frappés par la famine. Parmi eux, de nombreux pays d'Afrique, d'Amérique latine, de la zone caraïbe et même d'Asie. En Éthiopie, par exemple, douze millions de personnes sont déjà officiellement en train de mourir de faim. En Inde et en Chine, ces prétendus nouveaux Eldorados capitalistes, des centaines de millions d'ouvriers vont être frappés par la plus noire des misères. Aux États-Unis et en Europe aussi, une grande partie de la population va plonger dans une misère intenable.
Tous les secteurs d'activité seront touchés. Dans les bureaux, les banques, les usines, les hôpitaux, dans les services de haute technologie comme l'électronique, dans l'automobile, le bâtiment ou la distribution, les licenciements vont se compter par millions. Le chômage va exploser ! Déjà, depuis début 2008 et uniquement aux États-Unis, presque un million de travailleurs ont été jetés à la rue. Et ce n'est qu'un début. Cette vague de licenciements signifie que se loger, se soigner et se nourrir va devenir de plus en plus difficile pour les familles ouvrières. Cela signifie aussi pour les jeunes d'aujourd'hui que ce monde capitaliste n'a plus d'avenir à leur offrir !
Cette perspective catastrophique, les dirigeants du monde capitaliste, les politiciens, les journalistes aux ordres de la classe dominante n'essaient même pas de la cacher. D'ailleurs, comment le pourraient-ils ? Les plus grandes banques du monde sont en état de faillite ; elles n'ont survécu que grâce aux centaines de milliards de dollars et d'euros injectés par les banques centrales, c'est-à-dire par les États. Pour les Bourses d'Amérique, d'Asie et d'Europe, c'est le plongeon sans fin : elles ont perdu 25 000 milliards de dollars depuis janvier 2008, soit l'équivalent de deux années de la production totale des États-Unis. Tout cela illustre la véritable panique qui s'est emparée de la classe dominante, partout dans le monde. Si aujourd'hui les Bourses s'effondrent, ce n'est pas seulement à cause de la situation catastrophique des banques, c'est aussi parce que les capitalistes s'attendent à une chute vertigineuse de leurs profits résultant d'un recul massif de l'activité économique, d'une explosion des faillites d'entreprise, d'une récession bien pire encore que toutes celles qu'on a connues au cours des quarante dernières années.
Les principaux dirigeants du monde, Bush, Merkel, Brown, Sarkozy, Hu Jintao enchaînent rencontres et "sommets" (G4, G7, G8, G16, G27, G40) pour tenter de limiter les dégâts, d'empêcher le pire. On planifie pour la mi-novembre un nouveau "sommet" destiné, d'après certains, à "refonder le capitalisme". L'agitation des dirigeants du monde n'a d'égale que celle des journalistes et des "experts" : télévisions, radios, journaux... la crise est omniprésente dans les médias.
Pourquoi un tel battage ?
En fait, si la bourgeoisie ne peut plus cacher l'état désastreux de son économie, elle tente en revanche de nous faire croire que, dans toute cette histoire, le système capitaliste n'est absolument pas à remettre en cause, qu'il s'agit simplement de lutter contre des "dérapages" et des "excès". C'est la faute aux spéculateurs ! C'est la faute à la cupidité des "patrons voyous ! C'est la faute aux paradis fiscaux ! C'est la faute au "libéralisme" !
Pour nous faire avaler cette fable, on a appelé à la rescousse tous les bonimenteurs professionnels. Les mêmes "spécialistes" qui hier encore affirmaient que l'économie était saine, que les banques étaient solides... se précipitent aujourd'hui sur les plateaux télé pour déverser leurs nouveaux gros mensonges. Les mêmes qui nous racontaient que le "libéralisme" était LA solution, que l'État devait se garder d'intervenir dans l'économie, appellent maintenant les gouvernements à intervenir encore plus.
Plus d'État et plus de "morale", et le capitalisme pourra repartir de plus belle ! Voilà le mensonge qu'on veut nous faire avaler !
En fait, la crise qui déferle aujourd'hui sur le capitalisme mondial ne date pas de l'été 2007, avec la crise de l'immobilier aux États-Unis. C'est depuis plus de 40 ans que les récessions se sont succédées les unes aux autres : 1967, 1974, 1981, 1991, 2001. Cela fait des décennies que le chômage est devenu une plaie permanente de la société, que les exploités subissent des attaques croissantes contre leurs conditions de vie. Pourquoi ?
Parce que le capitalisme est un système qui produit non pas en fonction des besoins humains mais pour le marché et le profit. Les besoins non satisfaits sont immenses mais ils ne sont pas solvables c'est-à-dire que la grande majorité de la population mondiale n'a pas de quoi acheter les marchandises produites. Si le capitalisme est en crise, si des centaines de millions d'êtres humains, bientôt des milliards, sont jetés dans une misère intenable et la famine, ce n'est pas parce que ce système ne produit pas assez mais parce qu'il produit plus de marchandises qu'il ne peut en vendre. Chaque fois, la bourgeoisie s'en sort temporairement par un recours massif au crédit et la création d'un marché artificiel. C'est pourquoi ces "relances" préparent toujours des lendemains plus douloureux puisque, au bout du compte, il faut bien rembourser tous ces crédits, faire face à toutes ces dettes. C'est exactement ce qui se passe aujourd'hui. Toute la "fabuleuse croissance" de ces dernières années était exclusivement basée sur l'endettement. L'économie mondiale a vécu à crédit et maintenant que vient le moment de rembourser, tout s'écroule comme un vulgaire château de cartes ! Les convulsions actuelles de l'économie capitaliste ne résultent pas d'une "mauvaise gestion" des dirigeants politiques, de la spéculation des "traders" ou du comportement irresponsable des banquiers. Tous ces personnages n'ont fait qu'appliquer les lois du capitalisme et ce sont justement ces lois qui conduisent le système à sa perte. C'est pour cela que les milliers de milliards injectés sur les marchés par tous les États et leurs banques centrales n'y changeront rien. Pire ! Ils vont rajouter de l'endettement à l'endettement, ce qui revient à vouloir éteindre un incendie avec de l'essence ! Par ces mesures désespérées et stériles, la bourgeoisie fait la preuve de son impuissance. Tous ses plans de sauvetage sont condamnés, tôt ou tard, à l'échec. Il n'y aura pas de relance véritable de l'économie capitaliste. Aucune politique, qu'elle soit de gauche ou de droite, ne pourra sauver le capitalisme car ce système est rongé par une maladie mortelle et incurable.
Partout, nous voyons fleurir des comparaisons avec le krach de 1929 et la Grande Dépression des années 1930. Les images de cette époque sont encore dans les mémoires : les interminables files d'attente de travailleurs au chômage, les pauvres faisant la queue pour obtenir simplement de quoi manger, les usines désespérément fermées... Mais la situation actuelle est-elle vraiment identique ? La réponse est clairement NON. Elle est en fait beaucoup plus grave, même si le capitalisme, instruit par son expérience, a réussi à s'éviter un effondrement brutal grâce à l'intervention des états et à une meilleure coordination internationale !
Mais il y a une autre différence encore. La terrible dépression des années 1930 avait débouché sur la Seconde Guerre mondiale. La crise actuelle va-t-elle déboucher sur une 3e guerre mondiale ? La fuite en avant dans la guerre est la seule réponse que la bourgeoisie soit capable d'apporter à la crise insurmontable du capitalisme. Et la seule force qui peut s'y opposer est son ennemi irréductible, la classe ouvrière mondiale. Celle des années 1930 avait subi une terrible défaite suite à l'isolement de la révolution de 1917 en Russie et elle s'était laissé embrigader dans le massacre impérialiste. Mais le prolétariat d'aujourd'hui a fait la preuve, depuis les grands combats commencés en 1968, qu'il n'était pas disposé à verser son sang une nouvelle fois pour ses exploiteurs. Depuis 40 ans, il a pu subir des défaites souvent douloureuses mais il est encore debout et partout dans le monde, surtout depuis 2003, il se bat de plus en plus. Le déchaînement de la crise du capitalisme va provoquer pour des centaines de millions de travailleurs, non seulement dans les pays sous-développés mais aussi dans les plus développés, de terribles souffrances, le chômage, la misère, voire la famine, mais il va provoquer aussi, nécessairement, des luttes de résistance de la part des exploités.
Ces luttes sont indispensables pour limiter les attaques économiques de la bourgeoisie, pour l'empêcher de plonger les exploités dans une misère absolue. Mais il est clair qu'elles ne pourront empêcher le capitalisme de s'enfoncer toujours plus dans sa crise. C'est pourquoi les luttes de résistance de la classe ouvrière répondent à une autre nécessité, bien plus importante encore. Elles permettent aux exploités de développer leur force collective, leur unité, leur solidarité, leur conscience en vue de la seule alternative qui puisse donner un avenir à l'humanité : le renversement du système capitaliste et son remplacement par une société fonctionnant sur des bases entièrement différentes. Une société non plus basée sur l'exploitation et le profit, sur la production pour un marché, mais basée sur la production pour les besoins humains ; une société dirigée par les travailleurs eux-mêmes et non par une minorité privilégiée : la société communiste.
Pendant huit décennies, tous les secteurs de la bourgeoisie, de droite comme de gauche, se sont entendus pour présenter comme "communistes" les régimes qui dominaient l'Europe de l'Est et la Chine et qui n'étaient qu'une forme particulièrement barbare de capitalisme d'État. Il fallait convaincre les exploités qu'il était vain de rêver à un autre monde, qu'il n'y avait d'autre horizon que le capitalisme. Aujourd'hui que le capitalisme fait la preuve de sa faillite historique, c'est la perspective de la société communiste qui doit animer de plus en plus les luttes du prolétariat.
Face aux attaques d'un capitalisme aux abois ; pour mettre fin à l'exploitation, à la misère, à la barbarie guerrière du capitalisme :
Vivent les luttes de la classe ouvrière mondiale !
Prolétaires de tous pays, unissez-vous !
Courant Communiste International / 25.10.2008
1. Respectivement : Paul Krugman (dernier prix Nobel d'économie), Warren Buffet (investisseur américain, surnommé «l'oracle d'Omaha» tellement l'opinion du milliardaire de la petite ville américaine du Nebraska est respectée par le monde financier), Jacques Attali (économiste et conseiller des présidents français Mitterrand et Sarkozy) et Laurence Parisot (présidente de l'association des patrons français).
La Belgique est l'un des pays où la crise actuelle se fait déjà cruellement ressentir. D'abord, l'inflation a explosé : la Belgique a réalisé de nouveaux records en Europe avec une inflation de 5,2% (contre 3,6% pour la zone euro) et une progression des prix alimentaires de 6,1% (De Morgen, 03.06.2008). Malgré les promesses optimistes que l'inflation est à présent sous contrôle, les prix des denrées alimentaires, des vêtements et d'autres biens vitaux continuent à augmenter (lire De Standaard, 01.11). La conséquence de ceci est une montée sensible du coût de la vie, un recul des salaires et des allocations, une croissance des dettes.
Ensuite, le pays a subi la tornade financière avec rien que chez Fortis plus de 500.000 petits porteurs qui ont vu leur argent fondre comme neige au soleil. En particulier chez Fortis, Dexia et Ethias, traditionnellement les institutions les plus populaires dans la mesure où ils ont absorbé les institutions publiques CGER, le Crédit Communal et la SMAB, ce sont surtout de petits épargnants qui ont écopé. Les institutions publiques ont déjà avancé 42,6 milliards d'euro rien qu'aux 4 plus grandes banques et assurances (Fortis, Dexia, KBC et Ethias), mais les épargnants ne sauront que plus tard ce qu'il subsistera de leur argent. Et n'oublions pas que ce soutien public n'est pas un cadeau : ce qui est avancé aujourd'hui devra être récupéré quelque part. Pire encore : ceux qui ont déposé leur épargne auprès de la banque islandaise Haupting voient leur argent bloqué et pour qui a acquis des produits avec garantie sur le capital auprès de la banque Lehman Brothers, la faillite a fait disparaître leur épargne en fumée, tout comme les 20.000 euros que le premier ministre Leterme avait placés à la Citybank. Par l'avalanche de faillites, les fonds de pension sont également sous forte pression. Cette année, les fonds de pension belge ont perdu en moyenne 15,5% (De Standaard, 01.11). Pour beaucoup de gens, cette perte combinée a signifié l'effondrement de leurs rêves, c'est l'espoir d'une retraite sans soucis qui est parti en fumée.
Enfin, 90.000 ménages n'arrivent plus à sortir de la spirale infernale de l'endettement et sont soumis à une médiation de dette ; des milliers d'autres sont sur les listes d'attente (Métro, 20.10). Les conséquences de la crise sur le marché du crédit et l'effondrement des valeurs hypothécaires aggraveront encore fortement la situation. 20% de la population peut déjà être considérée comme faisant partie des pauvres, 8% sont à situer dans l'extrême pauvreté. Près de 19% des enfants en Belgique vit dans une famille ayant des problèmes financiers. Un enfant sur sept vit dans une famille qui se situe en dessous du seuil de pauvreté. Quels chiffres révoltants !
Il est clair qu'en Belgique, toutes les générations sont touchées par l'uppercut de la crise financière mondiale actuelle : tous ceux qui ont essayé de mettre « quelque chose de côté » se retrouvent Gros-Jean comme devant et se voient confrontés avec la réalité implacable de la pire récession économique depuis les années 1930. Seuls les gens de quatre-vingt-dix et plus se remémorent encore une telle situation.
L'accélération et l'approfondissement de la crise ont des conséquences encore plus importantes pour l'emploi et les conditions de travail. A l'heure actuelle, il n'y a que 62% de la population active qui a du travail. Les investissements extérieurs ont reculé ces derrières années et cela a eu un impact sur le marché du travail. Si en 2006, la création d'emplois s'élevait à 10.000 unités, en 2007, cela n'en représentait plus que 7.800 (Métro, 23.10). Le chômage n'a pas augmenté jusqu'en 2008 mais il faut souligner que le type d'emplois créés représente un recul constant des conditions de vie et de travail de la classe ouvrière.
De nombreuses mesures ont été déguisées comme des solutions au problème du chômage et ont fait baisser fortement les chiffres officiels du chômage: le contrat d'embauche plein temps de durée illimitée cède de plus en plus la place à des emplois aléatoires, sous-payés et à temps partiel. Ils représenteraient aujourd'hui 30% des emplois. Dans les pays périphériques et du tiers-monde, ce phénomène prend de plus en plus la forme de travailleurs journaliers, sans contrats, salaire minimum ou sécurité sociale.
Aujourd'hui, même Frank Vanden Broucke, ministre flamand de l'emploi, reconnaît « que les chiffres du chômage ne continueront pas à baisser ». C'est un euphémisme pour dire : les perspectives pour 2009 annoncent une perte de 200 emplois par jour ! Des sources officielles attendent en effet 70.000 licenciements pour 2009. Fin octobre 2008, on relevait déjà le chiffre record de 6.953 faillites dont quelques entreprises importantes (+7,6% par rapport à 2007). En dix mois, 16.957 emplois se sont envolés en fumée, soit une augmentation de 25% par rapport à l'année précédente ! Rien que depuis août il y en a eu 5.290, ce qui a produit dans les médias des titres du genre ; « La vague de licenciements menace de devenir un tsunami » (De Morgen, 23.10). A côté des nombreux licenciements dans des entreprises importantes il y a aussi les pertes d'emplois dans les entreprises sous-traitantes. Et les contrats temporaires et intérimaires ont connu une chute record de plus de 8%, tandis que le recrutement de nouveaux employés est suspendu. Des licenciements dans le secteur bancaire sont inéluctables, on parle déjà de 15.000 suppressions d'emploi, mais ce n'est sans doute qu'un début. A cela s'ajoute une extension massive du chômage économique parmi les ouvriers, ce qui a justifié une dérogation à la norme légale qui fixe le maximum à 4 semaines de suite. Le phénomène s'est massivement développé en Belgique et ceci dans de nombreux cas sans compensation salariale.
L'approfondissement de la crise fait irrémédiablement sentir ses effets sur les salaires et les conditions de travail.
Le battage autour des primes de licenciements élevées pour les cadres dirigeants dans le secteur bancaire est révélateur. Ces sommes astronomiques provoquent de manière compréhensible la colère des travailleurs mais la bourgeoisie tente par ce battage de mobiliser les travailleurs derrière des propositions pour « mettre le holà à ces excès », elle tente d'exploiter l'occasion pour « déterminer une réglementation des délais et des conditions de préavis » (Pieter Timmerman de l'organisation patronale FEB), d'après l'exemple de l'Autriche, des Pays-Bas ou d'autres pays européens. « La réglementation sur les licenciements et l'ancienneté est la cause d'une mobilité limitée sur le marché du travail » répondent en écho les sociaux-chrétiens du CD&V et le syndicat chrétien CSC. La mobilité, la polyvalence et la flexibilité sont des prétextes pour justifier l'insécurité d'emploi et le recul des salaires et des conditions de travail.
Ces orientations se confirment pleinement dans la réalité, aussi bien dans le secteur public que dans le privé :
- Dans le secteur public, 5.000 emplois sont supprimés au niveau des fonctionnaires fédéraux ; au niveau régional et local, la nouvelle réglementation statutaire est loin d'être favorable aux employés : baisse des primes, flexibilité accrue, allongement de la semaine de travail, réduction des jours de congé. Et ces mesures ne tiennent pas encore compte des pertes de rentrées causées par la crise financière, en particulier chez Dexia et Ethias, dont les communes sont des actionnaires importants. Dès à présent, les communes wallonnes annoncent une perte de 90 millions d'euros (Métro, 24.10). Par ailleurs, le gouvernement fédéral compte transférer le paiement des retraites pour le personnel statutaire vers les pouvoirs régionaux et locaux, ce qui implique aussi que « chaque région ou commune pourrait revoir les réglementations concernant ces retraites » ;
- Dans le secteur privé, la pression sur les salaires est constante : divers exemples démontrent combien la bourgeoisie s'évertue à faire baisser significativement les salaires. Chez Carrefour, une épreuve de force se déroule avec le personnel car dans le nouvel hypermarché de Bruges, les salaires et normes de travail sont en baisse de 25 à 30%, tandis que les groupes les plus vulnérables et désespérés de chômeurs sont utilisés de manière cynique pour remettre en question l'ensemble des conditions salariales et de travail des travailleurs du groupe Carrefour et de tout le secteur de la distribution.
Chez IKEA aussi, les salaires sont attaqués et le système de bonus est remplacé par un système liant les primes aux frais et aux résultats de l'entreprise. De même, chez les entreprises énergétiques on oppose les ‘vieux' et les ‘nouveaux' employés au moyen de barèmes salariaux très différents. Et puis, il y a les secteurs du nettoyage et de l'alimentation où ce type d'opposition est déjà pleinement développé. Dans les hôpitaux ‘autonomisés' du CPAS d'Anvers, le nouveau personnel ne reçoit plus de chèque repas, d'assurance hospitalisation et il aura moins de jours de congé, à travers un engagement en sous-traitance.
Ces exemples ne sont encore que le sommet de l'iceberg.
Gouvernements, patronat et partis politiques de la gauche à la droite crient en cœur depuis septembre qu'il faut arrêter ce pillage. Ils proclament l'innocence du système capitaliste, diffusent une image fataliste et appellent au sens des responsabilités, à resserrer les rangs derrière ‘leurs' mesures qui présentent la note de la débâcle économique à la classe ouvrière. A court terme, il y a de la panique et de l'inquiétude : chacun songe à ses économies, ses traites, les frais de scolarité de ses enfants, son emploi, sa retraite à venir. Mais chacun dans son coin, on ne peut que ressentir un sentiment d'impuissance. Beaucoup se sentent coincés entre un patronat agressif et un syndicat conciliant qui ‘comprend le sérieux de la situation'.
Mais les mouvements de protestation face à une telle situation doivent forcément voir le jour.
Ainsi, il y a eu des mouvements de grève massivement suivis auprès du personnel communal d'Anvers avec des AG largement fréquentées et des discussions houleuses sur la manière de mener la lutte, avec des manifs spontanées. A La Louvière, Willebroek et Bruxelles, le personnel communal et du CPAS est descendu dans la rue. Les services privatisés d'éboueurs ont obtenu des succès dans le Centre et le Borinage, surtout grâce à la solidarité du personnel communal qui a refusé de prendre en charge des tâches impliquées (Solidair n°40). Egalement à Anvers, près de 1.000 employés des hôpitaux ‘autonomisés' du CPAS sont sortis dans la rue pour protester contre les attaques visant le personnel d'entretien. Dans l'entreprise textile Beaulieu ainsi que dans les entreprises énergétiques et les divers sièges de la chaîne IKEA il y a eu de nombreuses actions de grève dans pratiquement tous les sites. Pendant des semaines, il y avait dans tout le pays les actions du personnel des hypermarchés Carrefour contre les conditions salariales scandaleuses au nouvel hypermarché de Bruges.
Beaucoup de mouvements donc et ici ou là aussi des actions de solidarité, dont quelques grèves spontanées en Wallonie. Mais la résistance doit être plus forte et plus unie. Dans ce cadre, il est important de dénoncer les manœuvres syndicales qui freinent et détruisent la lutte. Les syndicats sont conscients du mécontentement au sein de la classe ouvrière et de la nécessité d'y apporter une réponse mais celle-ci ne vise qu'à assurer le contrôle sur ces mouvements, pas à les stimuler.
Il faut reprendre le fil de la dynamique enclenchée avant les vacances et qui est momentanément brisée. Ce qui avait commencé spontanément à la mi-janvier 2008 comme un conflit social local pour ‘un euro de plus' s'est vite transformé en une véritable vague de grèves pour l'augmentation du pouvoir d'achat. Un lien y était établi entre les licenciements, l'attaque contre les conditions de travail et les atteintes au pouvoir d'achat.
Tous les travailleurs ont les mêmes intérêts à défendre face aux attaques contre les conditions de vie et de travail. Mais face à l'agression généralisée que nous subissons aujourd'hui, cette résistance est illusoire si nous restons divisés (lire l'encadré p.5: « comment répondre aux attaques? »).
KS & LAC / 15.11.2008
Pour voir comment répondre aux attaques, il est important d'observer d'abord des mouvements qui ont été capables de repousser de telles attaques. Certes, il faut être conscient qu'au sein du système capitaliste, chaque victoire est temporaire et ne restera valable qu'aussi longtemps que les travailleurs sont vigilants et réagissent lorsque le patronat remet en question les promesses faites. Celui-ci est mû par l'appât du profit et par le besoin d'exclure les concurrents et pour ce faire, il doit comprimer les dépenses sur le dos des travailleurs. Cela, c'est sa logique.
Notre logique est basée sur les expériences qui renforcent notre solidarité. Ainsi, la ‘victoire' (80€ net, payés en chèques-repas) des éboueurs du Centre et de Mons-Borinage n'a été possible que parce qu'ils ont pu compter sur la solidarité de travailleurs d'autres secteurs : les travailleurs communaux ont refusé d'assumer des tâches des grévistes et la tentative de faire assumer la récolte des déchets par une entreprise privée a également échoué. Malgré la menace d'opérer une retenue de 50% sur le salaire des grévistes, il faut constater que le mouvement de grève a réussi grâce à la solidarité des autres travailleurs.
Il est étonnant de relever avec quelle rapidité patrons et syndicats peuvent arriver à un accord lorsque les travailleurs organisent leur lutte d'une telle manière: cela a également été le cas lors du dernier mouvement de grève en Grande-Bretagne. Lorsque les chauffeurs de camion de Shell ont refusé de forcer les piquets des postiers, que des chauffeurs d'autres entreprises leur ont emboîté le pas en refusant de forcer les piquets de Shell, que des employés communaux exprimaient lors d'assemblées générales leur solidarité avec la grève des enseignants du 24 avril, patrons et syndicats se sont tellement inquiétés de cette solidarité qu'ils ont conclu en toute hâte un accord.
Comment expliquer que des succès peuvent être obtenus au moyen de grèves de solidarité spontanées et pas via les actions et grèves syndicales? C'est une question que se posent aujourd'hui de nombreux grévistes. Pourquoi les ‘actions de solidarité' des syndicats contre les conditions d'embauche pour le nouvel hypermarché de Bruges ne payent pas? Pour répondre à cette question, il faut examiner de quelle manière les syndicats ‘(dés)organisent la lutte': tout d'abord, ces organisations agissent au sein du cadre national et légal (des lois capitalistes); ils siègent dans les comités paritaires qui doivent veiller à la ‘position concurrentielle' de l'économie nationale (une fois de plus selon les normes capitalistes). Lorsque la pression de la base devient trop forte et que le mécontentement des militants ne peut plus être contenu dans ce cadre de cette gestion paritaire, ils organisent des ‘actions' qu'ils maintiennent soigneusement dans les limites de l'atelier ou du secteur. Ils argumentent toujours dans le sens de conditions ‘spécifiques' à l'entreprise en question qui n'auraient rien en commun avec ce qui se passe dans d'autres entreprises. C'est un mensonge! Les syndicats sont parfaitement conscients du ras-le-bol au sein de la classe ouvrière et ils font tout pour garder la lutte sous contrôle. Les travailleurs en ont souvent conscience mais ont des difficultés à prendre en main la direction des luttes parce que les syndicats occupent le terrain social et avancent des actions pour canaliser la lutte et pour la désamorcer.
Les travailleurs ne peuvent développer leur force pour échapper à cette logique qu'en se réunissant avec d'autres travailleurs, qu'en s'unissant au-delà de toute division sectorielle ou syndicale afin de discuter de la meilleure manière de s'opposer aux attaques. Il faudra donc prendre en main les luttes et ne pas abandonner leur organisation à des ‘spécialistes', de sorte que tous les travailleurs puissent participer aux décisions sur la manière de développer le mouvement. Il est donc fondamental de s'unir avec d'autres travailleurs qui luttent contre les mêmes attaques dans d'autres entreprises ou secteurs industriels en envoyant des délégations massives vers d'autres assemblées, piquets ou manifs. C'est la seule façon de renforcer le mouvement et de faire avancer la lutte. La solidarité est notre oxygène!
Voilà la seule perspective qui peut nous permettre de défendre nos conditions de vie et de développer notre confiance pour remettre en question ce système capitaliste qui n'a rien d'autre à nous proposer que des crises économiques, des guerres et des catastrophes écologiques et certainement pas un futur digne. Seule la classe ouvrière en se basant sur ses propres forces peut assurer un futur à l'humanité.
KS / 11.11.08
Après avoir célébré la défaite du « communisme » lors de l'effondrement du bloc de l'Est au début des années 1990, la bourgeoisie, gauchistes en tête, célèbre aujourd'hui la défaite du libéralisme. « Place au capitalisme équitable ! », semble nous dire la classe dominante : le capitalisme pour la prospérité, l'intervention de l'État pour la justice sociale. Mensonge ! L'État n'a jamais été absent de l'économie, bien au contraire ! Son intervention massive aujourd'hui n'est que la manifestation de la panique de la bourgeoisie face à la débâcle de son système. Ce qui attend la classe ouvrière, c'est encore plus d'attaques et de misère, plus de chômage et de coupes dans les budgets sociaux, au nom de la crise du capitalisme, qu'aucun sauvetage, aussi massif soit-il, ne pourra sortir de sa spirale mortelle. Ce n'est pas en confiant son sort à l'État que le prolétariat pourra répondre aux assauts de la crise, mais bien en développant ses luttes de façon la plus large possible. Il n'est pas d'autre réponse à l'accélération de la crise et à la gravité de la situation mondiale.
Sarkozy proclame aujourd'hui que « le capitalisme doit se refondre sur des bases éthiques ». Madame Merkel insulte les spéculateurs. Zapatero pointe d'un doigt accusateur les "fondamentalistes du marché" qui prétendent que celui-ci se régule tout seul sans intervention de l'État. Tous nous disent que cette crise implique la mort du capitalisme « néolibéral » et que l'espoir aujourd'hui se tourne vers un « autre capitalisme », débarrassé des requins financiers et spéculateurs qui auraient poussé comme des champignons sous prétexte de « dérégulation », « d'inhibition de l'État », de primauté de l'intérêt privé sur « l'intérêt public », etc. À les entendre, ce n'est pas le capitalisme qui s'effondrerait, mais une forme particulière de capitalisme. Les groupes de la gauche du capital (staliniens, trotskistes, altermondialistes...) exultent en proclamant : « Les faits nous donnent raison. Les dérives néolibérales ont provoqué ces désastres ! » Ils proclament que la solution passe par « le socialisme », un socialisme qui consisterait en ce que l'État remette à leur place « les capitalistes » au bénéfice du « peuple » et des « petites gens ».
Ces explications sont-elles valables ? Un « autre capitalisme » est-il possible ? L'intervention bienfaitrice de l'État pourrait-elle porter remède au capitalisme en crise ? Nous allons tenter d'apporter des éléments de réponse à ces questions d'une actualité brûlante. Il faut cependant au préalable éclaircir une question fondamentale : le socialisme est-il l'État?
Le socialisme véritable défendu par le marxisme et les révolutionnaires tout au long de l'histoire du mouvement ouvrier n'a rien à voir avec l'État. Le socialisme est même la négation de l'État. L'édification d'une société socialiste exige en premier lieu la destruction de l'État dans tous les pays.
L'intervention de l'État pour réguler l'économie, pour la mettre au « service des citoyens », etc., n'a donc rien à voir avec le socialisme. L'État ne sera jamais « au service de tous les citoyens ». L'État est un organe de la classe dominante et est structuré, organisé et configuré pour défendre la, classe dominante et maintenir son système de production. L'État le « plus démocratique du monde » n'en sera pas moins un État au service de la bourgeoisie, qui défendra, bec et ongles, le système de production capitaliste. En outre, l'intervention spécifique de l'État sur le terrain économique n'a pas d'autre objectif que celui de préserver les intérêts généraux de la reproduction du capitalisme et de la classe capitaliste.
Tout au long du XXe siècle, avec l'entrée du capitalisme dans sa phase de décadence, l'État a été son principal rempart face à l'exacerbation de ses contradictions sociales, guerrières et économiques. Les XXe et XXIe siècles se caractérisent par la tendance universelle au capitalisme d'État. Cette tendance existe dans tous les pays, quels que soient leurs régimes politiques. On trouve essentiellement deux voies de réalisation du capitalisme d'État :
L'étatisation plus ou moins complète de l'économie (c'est celle qui existait en Russie et existe encore en Chine, à Cuba, en Corée du Nord...) ;
La combinaison entre la bureaucratie étatique et la grande bourgeoisie privée (comme aux États-Unis ou en Espagne, par exemple).
Dans les deux cas, c'est toujours l'État qui contrôle l'économie. Le premier affiche ouvertement sa propriété d'une grande partie des moyens de production et services. Le second intervient dans l'économie à travers une série de mécanismes indirects : impôts, fiscalité, achats aux entreprises , fixation des taux d'intérêt interbancaires, régulation des prix, normes de comptabilité, agences étatiques de concertation, d'inspection, d'investissements , etc.
Après une relative période de prospérité de 1945 à 1967, le capitalisme mondial est retombé dans des crises récurrentes, les épisodes convulsifs se sont succédés comme des séismes qui mettaient l'économie mondiale au bord de l'abîme. Les différentes étapes de la crise qui se sont succédées tout au long des dernières quarante années sont le produit d'une surproduction chronique et de la concurrence exacerbée. Les États ont tenté de combattre ses effets en usant de palliatifs, le principal d'entre eux étant bien sûr l'endettement. Les États les plus forts ont aussi repoussé les conséquences les plus néfastes en "exportant" les pires effets sur les pays les plus faibles .
Il ne faut pas nous raconter d'histoires sur « l'initiative privée » qu'encouragerait le « néolibéralisme » : ses mécanismes ne sont pas nés spontanément du marché mais ont été le fruit et la conséquence d'une politique économique étatique dans le but de juguler l'inflation. Elle n'a fait que la reporter mais en payant le prix fort : par d'obscurs mécanismes financiers, les dettes se sont transformées en créances spéculatives à haut niveau d'intérêt, rapportant dans un premier temps de juteux bénéfices mais dont il fallait se débarrasser le plus tôt possible car, tôt ou tard, personne ne pourrait plus les payer...
La crise actuelle peut être assimilée à un gigantesque champ de mines. La première à exploser fut la crise des subprimes durant l'été 2007 et on aurait pu croire à première vue que les choses allaient rentrer dans l'ordre, moyennant le versement de quelques milliards. N'en avait-il pas toujours été ainsi ? Mais l'effondrement des institutions bancaires depuis fin décembre a été la nouvelle mine qui a fait exploser toutes ces illusions. L'été 2008 a été vertigineux avec une succession de faillites de banques aux États-Unis et en Grande- Bretagne. Nous en arrivons au mois d'octobre 2008 et une autre des illusions avec lesquelles les bourgeoisies comptaient apaiser nos préoccupations vient de partir en fumée : ils disaient que les problèmes étaient immenses aux États-Unis mais que l'économie européenne n'avait rien à craindre. Soit. Mais les mines commencent à présent à exploser aussi dans l'économie européenne en commençant par son État le plus puissant, l'Allemagne, qui contemple sans réagir l'effondrement de sa principale banque hypothécaire.
Cet aphorisme est une fausse consolation. Les épisodes précédents de la crise avaient pu être « résolus » par les banques centrales en déboursant quelques milliards de dollars (une centaine lors de la crise des "Tigres" asiatiques en 1998). Les États ont aujourd'hui investi 3 000 milliards de dollars depuis un an et demi et ils ne voient toujours pas d'issue.
Par ailleurs, les pires effets de la crise avaient jusqu'ici été circonscrits à quelques pays (Sud-Est asiatique, Mexique et Argentine, Russie), alors qu'aujourd'hui l'épicentre où se concentrent les pires effets se trouve précisément dans les pays centraux : États-Unis, Grande-Bretagne, Allemagne... et irradient forcément le reste du monde.
Ensuite, les épisodes précédents, en général et à l'exception de celui de la fin des années 1970, étaient de courte durée et il suffisait de 6 mois à un an pour apercevoir le « bout du tunnel ». Cela fait un an et demi que nous sommes dans cette crise et on n'aperçoit pas la moindre lueur. Au contraire, chaque jour, la crise est plus grave et la débâcle plus profonde !
Enfin, cette crise va laisser le système bancaire mondial très affaibli. Le mécanisme du crédit se retrouve paralysé à cause de la méfiance généralisée, personne ne sachant vraiment si les « actifs » présentés par les banques (et les entreprises) dans leurs bilans ne sont pas de l'esbroufe. Le capitalisme d'État « libéral » ne peut fonctionner s'il n'a pas des banques fortes et solides, l'économie capitaliste s'est à présent tellement accrochée à la drogue de l'endettement que si le système du crédit s'avère incapable d'apporter un flux d'argent abondant, la production sera paralysée. Le robinet du crédit est fermé malgré les sommes énormes allouées aux banques centrales par les gouvernements. Personne ne voit clairement comment va pouvoir se rétablir un système percé de toutes parts et qui perd ces organes vitaux - les banques - les uns après les autres. La course folle entre les États européens pour voir lequel pouvait donner le plus de garanties aux dépôts bancaires est une sinistre augure qui ne révèle que la recherche désespérée de fonds. Cette surenchère de « garanties » révèle précisément que rien n'est garanti !
Les choses sont donc claires : le capitalisme connaît aujourd'hui sa crise économique la plus grave. L'histoire vient de s'accélérer brutalement. Après 40 années d'un développement de la crise lent et heurté, ce système est en train de plonger dans une récession épouvantable et extrêmement profonde dont il ne se relèvera pas indemne. Mais surtout, dès maintenant, les conditions de vie de milliards de personnes se trouvent durement et durablement affectées. Le chômage frappe de nombreux foyers, 600 000 en moins d'un an en Espagne, 180 000 au mois d'août 2008 aux États-Unis. L'inflation frappe les produits alimentaires de base et la famine ravage les pays les plus pauvres à une vitesse vertigineuse depuis un an. Les coupes salariales, les arrêts partiels de production avec les attaques qui en découlent, les risques qui pèsent sur les pensions de retraite... Il ne fait pas le moindre doute que cette crise va avoir des répercussions d'une brutalité inouïe.
Le capitalisme ne va pas jeter l'éponge. Jamais une classe exploiteuse n'a reconnu la réalité de son échec et n'a cédé son pouvoir de son plein gré. Mais nous constatons qu'après plus de cent ans de catastrophes et de convulsions, toutes les politiques économiques avec lesquelles l'État capitaliste a tenté de résoudre ses problèmes non seulement ont échoué, mais elles ont en plus aggravé les problèmes. Nous n'avons rien à attendre des prétendues « nouvelles solutions » que va trouver le capitalisme pour « sortir de la crise ». Nous pouvons être certains qu'elles nous coûteront surtout toujours davantage de souffrances, de misère et nous devons nous préparer à connaître de nouvelles convulsions encore plus violentes.
C'est pourquoi il est utopique de se fier à ce qu'on nous présentera comme une « sortie » de la crise du capitalisme. Il n'y en a pas. Et c'est le système entier qui est incapable de masquer sa faillite. Être réaliste, c'est participer à ce que le prolétariat reprenne confiance en lui, reprenne confiance en la force que peut lui donner sa lutte comme classe et construise patiemment par ses luttes, par ses débats, par son effort d'auto-organisation, la force sociale qui lui permettra de s'ériger en alternative révolutionnaire face à la société actuelle afin de renverser ce système pourrissant.
CCI / 8.10.08
Nous publions ci-dessous l'exposé à propos de l'art, qui avait été présenté par un contact de notre organisation durant la journée de rencontre et de discussion avec le CCI, en août 2008. La discussion qui a suivi était très vivante et riche. Nous invitons vivement nos lecteurs à donner des commentaires. Un compte-rendu de cette journée a été publié dans le numéro précédent d'Internationalisme (n° 339).
La définition habituelle de l'art ne désigne que les beaux-arts, c'est à dire, la réalisation d'une forme libérée de toute exigence. Comme l'artiste qui donne forme à des couleurs sur une toile en suivant sa propre vision, ou le musicien qui organise des sons dans des concerts selon ses sentiments, ou le poète qui enrichit la page de ses mots, au gré de sa fantaisie. La réalisation dans les beaux-arts exige du travail et recherche une valeur artistique, c'est donc une activité productive. Cette définition des beaux-arts n'existe que comme contrepoids d'un art vil, c'est-à-dire la production qui n'aurait qu'un objectif, la recherche du profit. On peut en effet dire que si l'homme est libéré de toute oppression, comme l'emploi salarié ou les besoins physiques, il poursuit une activité créative et amusante, tous ses produits deviennent des "beaux-arts". Mais cette liberté n'est pas admise par la bourgeoisie; en tant que classe dominante dans le capitalisme, elle impose son mode de production, et avec l'extension de la production de masse, la créativité humaine est de plus en plus réduite et isolée.
Cette introduction a été principalement limitée à l'étude de l'art dans le capitalisme, où son influence dans la société est, suite à la division inégale du travail, complètement différente que dans une société sans classe comme le communisme, dans laquelle toute production peut être artistique et humaine. Comme Trotski le dit dans Littérature et Révolution:
"Il est fondamentalement faux d'opposer la culture bourgeoise et l'art bourgeois à la culture prolétarienne, à l'art prolétarien. Ces derniers n'existeront en fait jamais, parce que le régime prolétarien est temporaire et transitoire. La signification historique et la grandeur morale de la révolution prolétarienne résident dans le fait que celle-ci pose les fondations d'une culture qui ne sera pas une culture de classe mais la première culture vraiment humaine." [https://www.marxistsfr.org/francais/trotsky/livres/litterature/litteratu... [78]
Commençons par poser la question inversée et simplifiée: quelle est l'influence de la société sur l'art? Celle-ci est dominante et existera toujours, elle est une conséquence directe du fait que l'esthétique est fonction des rapports de production et du mode de production. Prenons l'exemple de l'architecture: la pyramide est une glorification du pharaon conquérant, et sa forme simple et monotone reflète le dégoût de son constructeur, l'esclave. Cette influence est si énorme que l'histoire de l'art n'est compréhensible qu'à la lumière de l'histoire des sociétés. Beaucoup de livres sont déjà dédiés à ce sujet, aussi bien dans la littérature prolétarienne que dans celle de la bourgeoisie.
Retournons maintenant le microscope et regardons l'influence, à première vue minuscule, que l'art peut avoir sur la société. Cette influence est en effet plus discrète et indirecte: le constat est évident, un objet d'art ne peut changer la structure d'une société, mais comment ce même objet peut-il influencer le spectateur, c'est un sujet plus compliqué. En tout cas, on peut déjà partiellement répondre à la question: dans une société où la création artistique n'est pas permise dans le mode de production, où elle est réduite à un rôle marginal, son influence est limitée à la conscience, elle ne peut en rien modifier les rapports de production ni le mode de production de la société. Il faut remarquer que cette influence est souvent sous-estimée; le questionnement contient ce préjugé: la question n'est pas comment l'art a de l'influence, mais si il peut en avoir.
La production sous le joug de la vile logique du profit mène naturellement à un travail gris et monotone, à des produits non créatifs. Il y a eu des tentatives dans l'histoire pour contrer cette division du travail, comme l'Arts and Crafts en Angleterre ou la Sécession en Autriche, toutes ont échoué. Le capitalisme a dû isoler sa production artistique parmi un nombre assez réduit de personnes, les artistes. Il serait naïf de penser que comme individus ou comme entité, ceux-ci pourraient changer directement la structure sociale du capitalisme; quelques artistes décident aussi de réduire leur activité à une sphère personnelle, leur capacité d'influencer le monde est donc minime, d'autres artistes décident d'exclure tout contenu social de leur travail (l'art pour l'art), d'autres encore sont persuadés que leurs performances ou objets ont une influence et s'engagent dans un but social; c'est ce dernier groupe qui s'associe aux mouvements sociaux et qui sera étudié ici.
L'objectif social d'une personne dépend évidemment beaucoup de sa position sociale, d'où la question, quelle est la position sociale de l'artiste? Les artistes qui vivent de la vente de leur production ont une position de petit-bourgeois dans la société, ils doivent concurrencer leurs confrères artistes pour améliorer leur position, et cette attitude asociale les rend incapables de défendre un intérêt commun en tant que groupe. La qualité de leur vie est dépendante de la qualité et de la quantité de leur production; ainsi ils doivent - avec ou sans envie - s'exploiter eux-mêmes. Par contre, ceci ne veut pas dire que leur production même a un caractère petit-bourgeois, ce serait une insulte à tous les artistes qui ont dénoncé virulemment l'injustice sociale, mais il est sûr que leur dépendance du marché a une influence sur la nature de leur production. Cette position sociale rend difficile la tâche de viser un but social commun, en effet, c'est un groupe hétérogène uni seulement par l'activité créative de ses membres: chaque individu, de sa propre manière donne une forme à ses émotions, expériences, environnements et espoirs. Il s'agit d'un réseau d'individus, chaotique, et c'est dans cette forme anarchique que l'art se développe le mieux. Chaque mode de vie, chaque forme de contrôle, comme le socialisme réel en ex-URSS ou la révolution culturelle de la Chine maoïste, l'ampute de son caractère libre et la condamne à mourir.
L'artiste engagé socialement ne peut avoir aucune influence sans spectateurs, et donc son influence est totalement liée à la situation sociale de la société. Cependant, les artistes n'attendent pas de bouleversements sociaux pour travailler sur certains sentiments ou certains événements. Comme minorité qui essaie d'influencer la conscience, les artistes ont des points communs avec les minorités politiques, qui analysent et interprètent des événements politiques, en espérant de cette façon renforcer la conscience politique. En fait leur influence est très similaire.
D'abord il y a les périodes de calme social, où l'influence de l'artiste (ou du révolutionnaire) ne se sent pas de manière directe et massive, mais plutôt à un niveau souterrain, dans la conscience de beaucoup de personnes isolées, elle est comme une petite rivière qui coule goutte à goutte dans la conscience et y fait son chemin. Dans les périodes de calme social, il n'y a pas de croissance quantitative importante de l'activité, et cela empêche un saut qualitatif. Jusqu'au moment soudain où, si d'autres conditions sont remplies, un effet multiplicateur fait éclater un mouvement social qui met l'art dans une relation intime avec le mouvement: les fondements sociaux établis sont remis en question et bousculés, les canaux endigués par la censure et les murs du musée sont dépassés, ils laissent passer de plus en plus de courants qui viennent alimenter la conscience. Ainsi surgit la créativité chez de plus en plus de personnes, la petite rivière gonfle et accélère, ce qui en soi tire encore plus de personnes dans son courant. Quantitativement l'activité artistique monte et tire le niveau qualitatif vers le haut.
Intimement impliqué dans ce mouvement social, l'art porte les traces de ce mouvement, cet art se donne alors pour fonction d'habiller le mouvement d'une image qui lui convienne: la musique psychédélique et sexuelle de The Doors plaisait aux hippies et les incitait à ne pas accepter la répression et à critiquer la guerre du Vietnam, un slogan de mai 68 spontané et direct comme la nouvelle génération, il devait ouvrir les yeux et impliquer les personnes immédiatement. Chaque artiste a de sa manière contribué à la prise de conscience en saisissant l'air du temps, en donnant aux émotions une forme appropriée qui encourage le mouvement. Cette interaction, présente lors des grands mouvements sociaux, touche les spectateurs aussi bien que l'artiste: les développements dans l'art ne sont pas par hasard les plus importants autour des mouvements sociaux massifs de 1905, 1917 et 1968. Une fois le caractère massif du mouvement social retombé, il laisse un esprit rafraîchi et passionné qui continue à faire vivre et développer chez chaque participant la créativité artistique; les périodes après 1905, 1917 et 1968 le confirment.
Ce processus est en effet très similaire au développement de la conscience politique, mais il y a une différence fondamentale, comme Trotski le dit:
"Le marxisme offre diverses possibilités : évaluer le développement de l'art nouveau, en suivre toutes les variations, encourager les courants progressistes au moyen de la critique ; on ne peut guère lui demander davantage. L'art doit se frayer sa propre route par lui-même. Ses méthodes ne sont pas celles du marxisme." [La Politique Du Parti en Art, www.marxist.org [79]]
Tandis que l'artiste représente une expression individuelle et artistique, le révolutionnaire défend le point de vue de la classe ouvrière. Les mouvements sociaux dans le capitalisme ont inévitablement une dimension politique, ainsi les mouvements sociaux mettent en contact ces deux minorités et il existe souvent une envie de mélanger l'art et la politique. On essaye souvent de présenter un message politique de façon artistique, ou de mettre son art au service de la révolution prolétarienne, comme par exemple chez Maïakovski, le Proletkult ou les Situationnistes. A mon avis, ce mélange affaiblit les efforts visant à influencer le mouvement social d'une manière positive, car par leur incompatibilité, leur démarche conduit à des compromis honteux. Combien de fois n'est-il pas arrivé qu'une belle oeuvre d'art soit gâchée par un discours politique, ou qu'un texte politique perde en clarté et en force de conviction parce qu'on y a cherché à tout prix un effet artistique.
Quelques exemples: 1) Gorter et d'autres écrivains politiques ont utilisé des effets artistiques dans leurs textes politiques, qui en ont perdu de la clarté et du pouvoir de persuasion. La beauté d'un texte politique - tels que ceux de Marx, Luxembourg et Pannekoek - a été atteinte précisément par la fidélité à leur conception: la formation d'une conscience politique tranchante et claire comme du cristal. 2) Le Guernica de Picasso essaye de résumer la misère du peuple Espagnol en 1936 dans une peinture. Si l'on compare ce tableau avec sa période bleue, la Guernica ne réussit pas à générer la même profondeur d'indignation ni à expliquer la situation politique. Toutefois, la période bleue peut politiser, il est difficile de ne pas être ému par la représentation géniale de la misère autour de lui et en lui. 3) Beaucoup de groupes de musique américains montrent leur mépris envers l'administration Bush pendant leurs tournées européennes, mais les arguments politiques pour ceci ne sont jamais formulés. Personnellement, je pense qu'il y a même des raisons commerciales qui se cachent derrière ce dégoût, car en Amérique ces sentiments ne sont généralement pas exprimés. La musique de Patti Smith est très inspiratrice et stimulante, mais son appel à voter pour Obama est un douloureux affaiblissement de ses textes. 4) A Anvers et à Bruxelles, des concerts pour la tolérance ont été organisés par de nombreux groupes, comme dEUS et Arno, mais je ne vois pas clairement comment cet unique concert, où chaque individu écoute de la musique sans discuter de la tolérance réelle avec d'autres, peut faire avancer la tolérance. Cela me semble plutôt être un coup de la bourgeoisie belge pour faire voter les jeunes pour des partis "tolérants" et "démocratiques".
Dans les milieux gauchistes, ces événements sont vus comme des moments tactiques, il pourrait se passer des choses. Trotski a pris la peine d'analyser dans son livre les grands mouvements artistiques présents pendant la Révolution russe; il montre page après page que tout courant qui essaye de contribuer à la révolution prolétarienne en introduisant un point de vue politique dans l'art, et pense parfois même inventer une sorte d'art prolétarien, affaiblit la valeur artistique de sa production ou échoue dans la défense de l'esprit de la révolution. Parce que la révolution prolétarienne est une révolution prin-cipalement économique et politique, l'art ne peut pas vraiment l'aider sur ce plan. Pour Trotski, l'anarchie propre à la création artistique doit être défendue par les révolutionnaires, et ceux-ci ne peuvent aider l'art qu'en lui offrant une analyse historique, de façon à ce qu'il puisse suivre "sa propre voie" de manière critique.
Il est étrange que les artistes doivent être mis en garde contre l'ingérence politique, qu'on doive protéger l'art d'une démarche politique, pour qu'il ne s'y perde pas. Mais c'est justement de cette manière là que l'art est vraiment libéré de sa longue imbrication dans des sociétés de classes. Dans une telle structure, l'art est toujours contraint de choisir le camp de la classe dominante, alors qu'en fait, l'art est finalement l'expression la plus intime et profonde de chaque individu.
23.08.08
Mi-juin, à l'annonce des résultats électoraux, des confrontations de rue violentes ont eu lieu partout en Iran (lire notre article Manifestations massives en Iran : « Tanks, balles, gardes : rien ne peut nous arrêter ». Des milliers de gens y ont montré leur raz le bol de l’actuel système politique, qui n'engendre qu'oppression et misère. Tout comme en Grèce et dans les luttes en Egypte ou en France, la grogne monte face aux manques de perspectives qu'offre le système capitaliste quelque soient les formes sous lesquelles il se présente. Mais ce dernier pour assurer sa survie ne se prive pas d’utiliser tous les moyens dont il dispose, comme nous pouvons le voir une fois de plus en Iran. La répression violente et les luttes politiques entre fractions de la bourgeoisie sont largement exploitées. Le cirque politique doit renforcer l'illusion que certaines fractions seraient plus en faveur de la défense du peuple que d'autres ; il tente ainsi d’enfermer la contestation dans le carcan de la défense d'une des fractions bourgeoises contre l'autre.
Nous publions ci-dessous deux textes que des lecteurs nous ont fait parvenir à propos de ces événements, et qui défendent clairement une position prolétarienne contre ces mystifications. Nous soutenons ces prises de position qui s’inscrivent dans l’orientation des positions défendues par le CCI.
Depuis déjà un certain nombre de jours, le monde est témoins d’une grande vague de protestations de jeunes, vieux et femmes dans les grandes villes, surtout à Téhéran. Les nouvelles techniques de communications, comme Facebook et Twitter, parfaitement exploitée par la jeune génération, ont pleinement été employées pour organiser les manifestations et permettre au monde de suivre les événements (L’Iran connaît le plus grand nombre de bloggers à l’échelle mondiale). La censure étatique n’a pas réussi à empêcher la diffusion des nouvelles.
Les
manifestants sont mécontents
des résultats des élections présidentielles et se sentent trompés
par la fraction de la bourgeoisie qui s’adjuge la victoire. Si cet
événement a créé l’occasion pour des millions de gens de
descendre dans la rue pour récupérer « leurs voix volées »,
la véritable cause se situe ailleurs.
Depuis un peu plus de trois décennies déjà, la population est réprimée pour le moindre délit, également dans sa vie privée. Et ceci concerne en particulier les femmes. Les conditions de vie des travailleurs se détériorent sans cesse. Tandis que la récession atteint son plus haut niveau, les ouvriers ne sont plus payés déjà depuis des mois. Ils ne peuvent aucunement protester ou convoquer une réunion. Ceci est sévèrement pénalisé. Le chômage touche surtout les jeunes, qui constituent 60% de la population, et il a fortement augmenté. Même s’ils travaillent dur, à la fin de leurs études de second cycle, ils trouvent souvent la porte de l’université fermée. L’université est devenue une grande mosquée surveillée par la milice de Hezballah (le Parti de Dieu). Face à cette situation générale, des protestations dans les usines, les universités et dans la rue ont eu lieu régulièrement, où aussi bien des ouvriers que des étudiants ont pris part. L’année dernière, un grand nombre d’arrestations ont été effectuées parmi les ouvriers.
En
arrière-fond de ce développement, les oppositions au sein de la
bourgeoisie s’aiguisent également. Le conflit entre les deux
fractions les plus importantes de la bourgeoisie a pris une telle
ampleur qu’un espace est apparu où les gens ont fait entendre
leurs voix. La fraction de Ahmadinejad et de Khamenei, qui est au
pouvoir, a encore essayé à l’aide d’un cirque politique et au
moyen de discussions télévisées avec son concurrent, d’attirer
les jeunes mécontents vers les urnes. Via l’emploi des médias de
masse durant les élections et la promulgation de sa victoire face à
l’autre fraction, elle a essayé de stabiliser son pouvoir et de
l’imposer aux ouvriers, de dissimuler la crise économique et le
chômage parmi les jeunes en particulier, mais aussi de réprimer
l’autre fractions (celle de
Rafsanjani, Khatami, Mousavi,…).
Mr Hossein Mousavi, leader de l’autre fraction « libérale », qui maintenant est devenu le « héros » et le centre de protestation pour une partie des manifestants, surtout les jeunes, dispose encore avec sa fraction, non seulement encore de pouvoir derrière les coulisses, mais occupe toujours une fonction importante dans les organes gouvernementaux décisifs. En outre, lorsque sa fraction était au gouvernement, ils ont été les gardiens cruels du système capitaliste et n’ont pris aucune mesure pour améliorer les conditions de vie des ouvriers. Au lieu de cela, pendant les 8 ans de guerre entre l’Iran et l’Irak, ils les ont massivement envoyés au front. Les jeunes et les enfants ont été utilisés comme chair à canon pour leurs intérêts impérialistes ou ont été assassinés aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur des prisons.
Les jeunes, marqués depuis des années par toutes sortes de problèmes comme la pauvreté et l’oppression, sont tombés dans la drogue et la prostitution. Ils en ont marre que le régime se mêle de toutes sortes d’aspects de leur vie privée et ne voient aucune perspective d’une vie meilleure. C’est eux qui forment la plus grande partie des manifestants. Bien que la protestation soit devenue nationale et exprime un grand mécontentement et courage des manifestants, elle reste pour l’essentiel, en l’absence d’une perspective révolutionnaire et d’une avant-garde ouvrière, sous le contrôle et dans l’intérêt de la bourgeoisie.
Ici, il n’est pas important de savoir quelle fraction est gagnante aux élections présidentielles. Car le résultat est le même. Dans ces élections bourgeoises, la bourgeoisie est dès le début la gagnante et les ouvriers avec leurs enfants, qui y ont participé, les perdants. La voie vers les urnes signifie pour les ouvriers un témoignage de soutien à leurs propres exploiteurs et la perte de leur voix pour une vie meilleure, c’est-à-dire: une vie sans exploitation et oppression.
La
plupart des slogans avancés par les manifestants sont très
réactionnaires et superficiels (« Dieu est grand »). Ces
slogans ne contribuent en aucune manière aux intérêts des
ouvriers, qui sont toujours plus attaqués par la bourgeoisie dans
leurs conditions de vie et ne posent eux-mêmes aucune revendication
claire qui remette en question ces conditions. Les slogans et les
discussions révolutionnaires sont interdits dans beaucoup de
régions. Chaque revendication ou discussion, qui remet en question
le système ou le pouvoir de la bourgeoisie, est étouffé dans l’œuf
par les partisans des deux fractions
bourgeoises. Les partisans de l’opposition utilisent en outre
l’argument que toute discussion deviendra possible une fois que Mr
Hossein Mousavi aura gagné. C’est le même argument que celui des
groupements religieux pendant la révolte en 1979, mais à ce
moment-là, les révolutionnaires et les ouvriers conscients s’y
sont opposés et ont essayé avec grande conviction et au moyen de
discussions intensives d’élever et de développer la prise de
conscience de la population. Cela souvent au prix de leurs vies. (Le
but n’est pas ici de comparer tous les différents aspects et
fautes des deux révoltes).
Les groupements ultra-gauches et les fractions de gauche bourgeoises, qui sont excités à chaque agitation sociale, furent aussi cette fois-ci très euphoriques. Avec leur slogan connu « le mouvement est tout, le but n’est rien » , ils défendirent sans critiques les participants dans une stratégie « étape par étape » (selon eux, la victoire de Mousavi est une étape en avant). Ils stimulent la population à choisir entre le pire et le moindre mal. Ceci est une condition inhumaine et un faux argument à soumettre aux gens. Ce point de vue bourgeois, qui domine depuis des années le mouvement ouvrier, est une des causes pour laquelle la classe ouvrière est déviée de son propre terrain de classe et gênée dans sa prise de conscience et le développement de sa force et confiance en soi.
L’autre point de vue qui, tout comme le premier, joue un rôle dangereux dans le mouvement ouvrier, est le suivant : « un mouvement sans un chef puissant est impossible ». Dans ce cas-ci également, toute confiance dans sa propre force et auto-organisation est retirée aux ouvriers qui sont déviés vers le drapeau de leurs exploiteurs et oppresseurs (par exemple sous le commandement de Mousavi).
Nous ne sommes pas des spectateurs passifs et sans aucune solidarité avec les protestataires, qui sont également blessés et tués. Cela ne veut pas dire que nous oublions que la cause de ce mécontentement réside dans le système capitaliste. Nous n’oublions pas non plus que cette première protestation après trente ans est un choc pour la bourgeoisie. Le fait que l’ordre établi est toujours défié, malgré la tentative de Mousavi de calmer les masses et la répression brutale par le régime, montre clairement que les masses commencent à perdre son angoisse envers le régime et sont prêtes à le défier. Nous savons qu’un mouvement de masse peut toujours se radicaliser, mais à présent nous critiquerons fortement ces actions, précisément parce que nous sommes actifs et solidaires.
Ce qui
se passe maintenant dans les villes iraniennes n'est pas dans
l'intérêt de la classe ouvrière aussi longtemps que le mouvement
reste prisonnier d’illusions. Le soutien d’une fraction de la
bourgeoisie (ici Mousavi) ou l’emploi des conflits entre fractions
de la bourgeoisie pour engager une protestation, ne contribuent en
aucune manière à la défense des intérêts des ouvriers. Les
élections, ne sont pas le terrain de la lutte de classe. Qui que
soit le gagnant, le résultat reste le même et les ouvriers seront
encore de plus en plus exploités et opprimés. C’est pourquoi le
soutien d’une fraction de la bourgeoisie ou des actions aveugles ne
constituent qu’un entérinement du système capitaliste. Si les
ouvriers et leurs enfants, qui sont désespérés et furieux,
prennent part à un mouvement bourgeois, ils vont tout droit contre
leurs intérêts de classe. Ils doivent immédiatement quitter ce
mouvement bourgeois et s’orienter vers la
lutte contre tout le système avec des revendications claires, basées
sur leurs propres intérêts de classe.
Si
l’action reste coincée à ce stade, la lutte et la prise de
conscience de la classe ouvrière vont reculer et déboucher sur une
grande déception. Il est important que les révolutionnaires
démasquent les deux partis et insistent sur le fait que la classe
ouvrière est la classe historique et la force unique qui peut amener
une fin à l’exploitation et l’oppression et peut conduire vers
une vraie liberté pour les gens. Ce mouvement de masse doit
décider : ou chercher une solution avec l’aide d’une
fraction de la bourgeoisie, ce qui implique un entérinement de la
misère, de la pauvreté et de l’oppression ; ou chercher une
solution avec l’aide de sa propre classe, la classe ouvrière, ce
qui signifie un monde sans misère, oppression et barbarie ; le
monde du socialisme.
20 juin 2009, D.N
La révolte et la rébellion du peuple iranien a, en particulier à Téhéran, atteint une nouvelle phase. Selon la presse internationale et des sources intérieures indépendantes, plusieurs centaines de victimes seraient tombées et plus de 5000 personnes auraient été arrêtées. Les hôpitaux de Téhéran sont pleins de manifestants blessés durant ces jours de manifestation. Selon des correspondances actuelles, la milice du régime islamiste tient les hôpitaux sévèrement à l’œil, interdisant l’enregistrement de manifestants blessés. Selon les dernières nouvelles, des manifestants blessés sont enlevés dans les hôpitaux et sont retrouvés en tas dans les morgues. D’innombrables séances de torture ont lieu. L’objectif de ces séances est d’arracher de fausses confessions sur les faits et d’obtenir des noms d’opposants. A Kharizaak, un des faubourgs de Téhéran, un camp a été construit qui fait songer à un holocauste islamiste. Des manifestants sont enlevés et y sont menés pour être soumis aux pires des tortures. Les moyens de communication comme le téléphone et internet sont sévèrement contrôlés et une atmosphère d’isolement pèse sur la société.
La fraude électorale a ouvert une nouvelle phase dans les rapports entre les divers partis réactionnaires du régime capitaliste iranien. Depuis sa naissance, le régime capitaliste iranien a fréquemment connu des conflits internes : ainsi, il y a eu les tensions entre les partis ‘libéraux’ sous la direction de Bazargan et le parti politique de la république islamique de Beheshti, entre autres lors de l’évasion de Banisadr, le premier ministre choisi par Khomeiny. Cette lutte interne permanente est un instrument important de conservation du régime. La faute pour les difficultés peut toujours être rejetée sur l’autre et cela permet d’éviter des explosions de colère. La classe ouvrière n’a aucun intérêt à défendre dans ces conflits, qui ont toujours pour objectif une exploitation maximale des travailleurs et une optimalisation des profits.
Avec l’exacerbation de la crise, le gouvernement tente de tenir la tête hors de l’eau. Pour arriver à contrer la menace de soulèvement des affamés, le gouvernement est obligé de renforcer l’unité interne, pour s’engager dans une confrontation sanglante. Le conflit entre les partis gouvernementaux du régime capitaliste iranien a atteint un stade extrême. Ce conflit réactionnaire est une conséquence de la pression constante de la lutte de classe. La crise politique actuelle est directement causée et influencée par la crise du capitalisme.
Toute théorie qui essaie d’expliquer d’une autre façon les événements actuels, sème consciemment de la méfiance entre les gens. Travailleurs, combattants, soyez en alerte et ne tombez pas dans le piège des réformateurs et des réactionnaires, ceci n’est pas notre lutte et ne va surtout pas dans le sens de nos intérêts. Nous sommes en guerre contre l’ensemble de ce système capitaliste pourri et les deux partis en présence sont des défenseurs de ce système. Le clan de Mousavi tente de manière hypocrite de calmer les protestations. Mohtashamipour, un élément expérimenté, un des dirigeants des terroristes islamistes, ex-ministre de l’intérieur, un des commandants et des exécutants des massacres des révoltés de 1982 et de 1988, a proposé au conseil supérieur des gardiens de la révolution de résoudre la crise politique actuelle en désignant un « comité de recherche de la vérité ». Ce comité a vérifié les accusations de fraude électorale. Un autre candidat des réformateurs, Mehdi Karoubi, un célèbre imposteur , avait appelé les gens à participer en masse à la prière du vendredi à Téhéran. Il avançait l’argument fallacieux qu’en participant à la cérémonie, les protestataires pourraient faire entendre leur voix à Khamenei. L’emploi de ces méthodes démontre que le gouvernement est en difficulté et arrive avec peine à contrôler la situation, malgré ses tentatives désespérées. La présence constante de manifestants montre que malgré la répression systématique, la lutte augmente. La résistance s’exprime à travers la participation massive aux manifs. Les gens n’ont pas oublié que deux jours après les élections déjà, Ahmadinejad avait été proclamé vainqueur par Khamenei. Quel message les manifestants pourraient-ils donc vouloir transmettre à ce bourreau de Khamenei ?
Travailleurs, femmes et hommes, les loups se changent en agneau ou, mieux encore, ce sont des renards qui se présentent sous des dehors sympathiques. Pour tromper le peuple iranien, Khamenei avait demandé au conseil supérieur des gardiens de la révolution de « mener une enquête » sur les élections. Le conseil, qui avait déjà félicité Ahmedinejad, a convenu qu’une faute avait été commise. Les médias impérialistes, comme la BBC , les porte-parole fidèles du parti gouvernemental de Mousavi, ont tenté de limiter le mouvement de masse du peuple iranien à un faible mouvement de protestation contre la fraude électorale, alors que les slogans se radicalisaient rapidement : la foule scandait « mort au dictateur ».
Les manifestants niaient l’interdiction malgré les avertissements de la garde islamique, la police dispersait les manifestants à coup de gaz lacrymogène et en tirant dans la foule. Tout montre que le régime (c’est-à-dire les DEUX fractions) est sur ses gardes et mobilise ses troupes pour empêcher les protestations. Nous devons rester vigilants ; cette circonspection momentanée est le résultat des manifestations de masse mêmes. Il faut rejeter toute euphorie et développer une analyse révolutionnaire de la situation, en relevant après chaque pas les forces et les faiblesses du mouvement et en les évaluant de façon critique.
Les partis bourgeois existants, de l’extrême gauche à l’extrême droite, ont mis en évidence lors des derniers événements leur position politique et leur place historique. Par des discours vides et insignifiants, ils ont invité les manifestants à s’affilier à leurs partis politiques, sans la moindre analyse de classe et une réelle perspective pour engager un processus de changement. Ils ont exploité la situation pour faire de la propagande pour leur propre parti et sont incapables de donner au mouvement un caractère révolutionnaire et de l’organiser de manière adéquate.
La prise de conscience, qui est un élément crucial dans une lutte est totalement absente dans les agissements de ces partis. Or, dans le cas d’une explosion sociale, une plate-forme révolutionnaire, au sein de laquelle la prise de conscience occupe une place centrale, est de la plus haute importance. C’est là la tâche d’un parti communiste. C’est le cadre qui doit permettre aux éléments en lutte de voir une perspective, pas celui de la grandiloquence opportuniste. Les principes révolutionnaires marxistes nous apprennent que l’organisation de la révolution est un processus conscient. Une organisation qui n’agit pas selon ces principes s’oppose aux idées des marxistes révolutionnaires.
Manifestants, éléments en lutte, n’attendez pas les ordres de la bourgeoisie, qu’elle soit de gauche ou de droite, mais prenez vous-mêmes l’initiative, constituez des assemblées générales et constituez des cercles pour diffuser les informations. La situation actuelle en Iran n’est pas une lutte prolétarienne, une lutte pour et par la classe ouvrière. C’est une lutte sans perspective ni stratégie. Protestez avec un objectif clair : nous sommes en lutte contre l’ensemble du système et nos slogans doivent donc mettre en question tout le système, la prise de conscience révolutionnaire doit être favorisée. Avec des publications, la diffusion de déclarations et des discussions, il faut tendre vers une prise de conscience collective. Pendant ces discussions, l’importance d’organisations révolutionnaires internationalistes doit être soulignée. Dans les manifestations, nos slogans doivent clairement se distinguer de ceux des réformateurs.
Le conflit actuel est un conflit au sein de la bourgeoisie, n’entretenons pas d’illusions à ce propos et dénonçons la mystification. Le prolétariat, la classe révolutionnaire, doit se battre contre la bourgeoisie ensemble avec son parti révolutionnaire internationaliste. Combattants du prolétariat, notre classe n’a rien à perdre. « Les prolétaires n’ont que leurs chaînes à perdre, ils ont un monde à gagner ».
01 juillet 2009, M.F.
La vision de centaines de milliers d'êtres humains en proie à la panique et au désespoir, fuyant les villes du Nord Kivu à l'est de la République Démocratique du Congo (RDC) vient nous rappeler une guerre qui n'a jamais cessé, un conflit dévastateur plus mortel qu'aucun autre depuis la Seconde Guerre mondiale.
Entre 1998 et 2003, la RDC, avec l'aide de l'Angola, de la Namibie et du Zimbabwe, a repoussé les attaques du Rwanda et de l'Ouganda, et les hostilités ont perduré depuis, particulièrement au Kivu. Elles ont atteint un tel point qu'un accord de paix incluant un cessez-le-feu complet des groupes armés était signé en janvier de cette année.
Il ne fit pas long feu : des combats éclatèrent à nouveau en août provoqués par l'attaque de certaines villes et de camps (à la fois de militaires mais aussi de réfugiés) par le Congrès national de la défense du peuple de Laurent Nkunda, une milice forte de 5.500 hommes. Les déplacements de populations se sont alors aggravés. Il y avait déjà 850.000 personnes déplacées du fait des deux précédentes années de conflit. Depuis le mois d'août, 250.000 autres ont fui les combats, pour nombre d'entre elles pour la deuxième ou la troisième fois. Dans toute la RDC il existe 1,5 million de réfugiés et plus de 300.000 ont fui le pays.
Avec Goma, la capitale du Nord Kivu, assiégée par les forces de Nkunda, mais aussi partiellement terrorisée par les soldats congolais en pleine retraite pillant et saccageant sur leur passage, il existe de sérieux risques d'une reprise de la guerre totale. Déjà, depuis 1998, on dénombre 5,4 millions de morts, par la guerre et les violences qui y sont liées, par la famine et les maladies. Le directeur du Comité international de sauvetage considère que "le Congo est le conflit le plus mortel partout dans le monde depuis les 60 dernières années" (Reuters).
Pour masquer la responsabilité criminelle des grandes puissances, les médias bourgeois présentent systématiquement le sanglant conflit comme une "guerre ethnique" (en somme une guerre de "sauvages"). De fait, le conflit prend des allures d'affrontement revanchard entre ethnies. Laurent Nkunda crie haut et fort que ses forces armées sont au Nord et au Sud Kivu parce que la RDC aurait dû amener différentes fractions hutues devant la justice. Le rôle de groupes tel que celui des Forces démocratiques de libération du Rwanda, dont le rôle dans le génocide de 800.000 Tutsis est bien connu, est en fait le même que celui des propres forces de Nkunda qui pillent systé-matiquement, violent et assassinent sur leur chemin à travers le pays. Ce n'est pas la première fois que l'appel à "défendre le peuple" sert en réalité à terroriser les populations. Au Rwanda et en RDC, l'incitation à la haine ethnique et au désir de vengeance continue à envenimer la situation.
Car en réalité, ce ne sont pas les populations de cette région, misérables, surexploitées et opprimées par leurs gouvernants et les bandes armées, qui se font la guerre, mais c'est bel et bien ceux qui les instrumentalisent, à savoir les grandes puissances impérialistes qui soutiennent les régimes africains en place et leurs opposants. En clair, ce sont les grandes puissances qui téléguident (à ciel ouvert ou en sous-main) les régimes et leurs opposants criminels qui continuent encore aujourd'hui à massacrer massivement les populations.
Soulignons plus particulièrement le cynisme criminel des autorités françaises et belges. En écho à son président Sarcozy qui pousse en coulisse l'Angola à intervenir militairement en faveur du régime congolais (soutenu par Paris), Bernard Kouchner, son ministre des affaires étrangères, s'est une fois de plus distingué en se comportant en cynique politicien va-t-en-guerre. En effet, dès le lendemain du redémarrage des tueries le 29 octobre, il fut le premier à réclamer publiquement l'envoi de renforts militaires (1.500 hommes) au Kivu derrière le motif que "c'est un massacre comme il n'y en a probablement jamais eu en Afrique".
La RDC est un territoire 90 fois plus grand que le Rwanda, pour une population 6 fois plus importante, et elle n'a pourtant qu'une force militaire relativement petite, même avec l'aide des 17.000 hommes de l'ONU. Le retrait rapide de son armée devant une nouvelle offensive ne faisait aucun doute. L'état de cette armée décomposée reflète l'état de la classe dominante qui ne peut contrôler ses frontières ou ce qui les traverse. La réalité de douzaines de groupes lourdement armées, la plupart d'entre eux soutenus par des pays comme le Rwanda et l'Ouganda, certains d'entre eux plus déterminés à agir sur les conflits ethniques, d'autres cherchant plutôt à profiter de l'exploitation des ressources naturelles, est une expression de la gangstérisation de la société capitaliste. Dans un monde dominé par le "chacun pour soi", le gouvernement de la RDC ne peut avoir la situation en main, mais les gangs armés ne peuvent avoir d'autre ambition que de devenir de plus gros gangs, s'ils veulent survivre.
Sous l'égide de l'ONU depuis 1994 (date du "génocide rwandais"), les guerres et les "accords de paix" se succèdent autour des Grands Lacs, malgré les résolutions et interventions de cet organisme. Il est clair que son rôle principal consiste à masquer la vraie raison de l'intervention des grandes puissances dans cette zone et à mystifier les consciences scandalisées par leurs propres crimes. La présence des forces onusiennes en RDC se résume par : "(...) la mission de maintien de la paix la plus ambitieuse de l'ONU, qui a déployé 17.000 hommes dans le pays. D'ailleurs, les résultats obtenus par cette mission sont peut-être plus inquiétants encore. Non seulement les casques bleus se sont montrés incapables de bloquer l'avance rebelle, mais ils ne sont pas parvenus non plus à protéger les populations civiles, ce qui est pourtant leur mandat" (1).
L'ONU n'est pas seulement inutile, elle est tout simplement criminelle. En réalité, les 17.000 hommes sur place ne sont pas là pour "protéger" les populations comme le prétend cette "institution", mais pour couvrir "légalement" les crimes des différents promoteurs qui se cachent derrière "l'aide humanitaire" sous le fallacieux prétexte que les casques bleus n'ont pas mandat d'affronter les groupes armés. Tel fut le cas à la veille des monstrueuses tueries rwandaises, où les hommes de l'ONU (avec à leur tête les Casques bleus belges) se firent évacués par leurs gouvernements dès l'apparition des redoutables "machettes". Plus près de nous, en 2004, c'est au nez et à la barbe des Casques bleus que les populations se sont fait massacrer lors des combats pour le contrôle de la ville de Bukavu.
Dès lors, on comprend mieux pourquoi nombreux sont les habitants qui rejettent ouvertement leurs vrais "faux protecteurs" onusiens en leur lançant sur leur passage des pierres et d'autres projectiles en guise de protestation contre leur passivité criminelle.
Au bout du compte cependant, les populations de la RDC et, avec elles, la classe ouvrière ne sont pas, malheureusement, au bout de leur peine. En effet, bien que totalement délabrée et en totale décomposition après 12 ans de destructions massives, la RDC ne cessera pas pour autant d'attirer plus que jamais les divers vautours assoiffés de sang. D'un coté, parce qu'elle est gorgée de toutes sortes de matières premières notamment les plus recherchées sur le marché mondial (2), de l'autre, parce qu'elle constitue de fait un point stratégique de par son immense territoire (4 fois la France), le Congo Kinshasa, et avec lui toute la région, restera la cible privilégiée de toutes les puissances impérialistes qui se le disputent bec et ongles. Le capitalisme n'est pas seulement en crise économique : il est aussi le champ de mort qui ronge la face de la planète.
Caramina / 21.11.2008
1) Courrier international, 7 novembre 20082) Principalement le diamant, le cobalt, le cuivre, l'or et le coltan (un minerai métallique utilisé dans l'électronique embarquée).
Nous publions ci-dessous la traduction de la prise de position sur les massacres au Proche-Orient et dans la bande de Gaza parue sur notre site internet en anglais dès le 31/12/2008. Les événements ont évolué depuis dans le même sens que notre dénonciation : l'usage systématique d'une terreur brutale contre le population bombardée par les voies terrestres, maritimes et aériennes et l'entrée des troupes israéliennes à Gaza depuis le 3 janvier au soir. Mais nous avons vu aussi, d'un autre côté, se manifester de façon croissante l'indignation de la population mondiale devant le déchaînement de ces atrocités et face à l'hypocrisie des grandes puissances. Un sentiment de solidarité s'est également affirmé envers la population pales-tinienne qui sert d'otage dans ce conflit entre fractions de la classe exploiteuse. En tant que révolutionnaires, nous dénonçons tous ceux qui prétendent dévoyer cette solidarité de classe sur le terrain pourri du nationalisme, de la défense d'une patrie contre une autre, alors que l'unique moyen pouvant libérer l'humanité de l'impérialisme de la guerre et de la barbarie, est, au contraire, le développement de l'internationalisme révolution-naire jusqu'à l'abolition de toutes les nations, de toutes les frontières et l'édification d'une véritable communauté humaine: le communisme.
Après deux ans d'étranglement économique de Gaza - sans essence et sans médicaments, bloquant les exportations et empêchant les ouvriers de quitter Gaza pour trouver du travail de l'autre côté de la frontière israélienne-, après avoir transformé l'ensemble de la bande de Gaza en un vaste camp de prisonniers, duquel des Palestiniens désespérés ont tenté de s'enfuir en cherchant vainement à passer la frontière avec l'Egypte, la machine militaire israélienne est en train de soumettre cette région très peuplée, appauvrie, à toute la sauvagerie des ses bombardements aériens. Des centaines d'entre eux sont déjà morts et les hôpitaux déjà débordés ne peuvent faire face au flot continu et sans fin des milliers de blessés. Les déclarations d'Israël disant que l'Etat essaye de limiter les morts civils sont une farce sinistre alors que chaque cible « militaire » est située près des quartiers d'habitations ; et alors que les mosquées et l'université islamique ont été ouvertement sélectionnées comme cibles, que reste-t-il de la distinction entre civils et militaires ? Le résultat est là : des cibles civiles, la plupart des enfants, tués et estropiés, et un plus grand nombre terrifiés et traumatisés à vie par les raids incessants. Au moment où cet article a été écrit, le premier ministre israélien, Ehud Olmert décrivait cette offensive comme une première étape. Les tanks attendaient donc à la frontière et une invasion totale de la bande de Gaza n'était pas exclue.
La justification d'Israël pour cette atrocité -soutenue par l'administration Bush aux Etats-Unis - est que le Hamas ne cesse de tirer des roquettes sur les civils israéliens en violation d'un prétendu cessez-le-feu. Le même argument a été utilisé pour soutenir l'invasion du Liban il y a deux ans. Et il est vrai qu'à la fois le Hezbollah et le Hamas se cachent derrière les populations palestinienne et libanaise et les exposent cyniquement à la revanche israélienne, présentant faussement le meurtre d'une poignée de civils israéliens comme un exemple de la « résistance » à l'occupation militaire israélienne. Mais la réponse d'Israël est absolument typique de toute puissance occupante : punir la population entière pour l'activité d'une minorité de combattants armés. L'Etat israélien le fait avec le blocus économique, imposé après que le Hamas ait chassé le Fatah du contrôle de l'administration de Gaza ; il l'a fait au Liban et il le fait avec les bombardements sur Gaza. C'est la logique barbare des guerres impérialistes, dans lesquelles les civils servent pour les deux côtés de boucliers et de cibles, et finissent presque invariablement par mourir en plus grand nombre que les soldats en uniforme.
Et comme dans toutes les guerres impérialistes, les souffrances infligées à la population, la destruction des maisons, des hôpitaux et des écoles, n'ont pour résultat que de préparer le terrain à de futurs épisodes de destructions. Le but proclamé d'Israël est d'écraser le Hamas et d'ouvrir la porte à un leadership palestinien plus « modéré » à Gaza, mais même les ex-officiers des services secrets israéliens (au moins un des plus... intelligents) peuvent voir la légèreté d'un tel argument. Au sujet du blocus économique de Gaza, l'ex-officier du Mossad Yossi Alpher déclarait : « Le siège économique de Gaza n'a amené aucun des résultats politiques attendus. Il n'a pas orienté les Palestiniens vers une haine anti-Hamas, mais a été probablement contre-productif. Ce n'est qu'une punition collective inutile. » Cela est encore plus vrai des raids aériens. Comme le dit l'historien israélien Tom Segev: « Israël a toujours cru que faire souffrir les civils palestiniens les rendrait rebelles à leurs leaders nationaux. Il est démontré que cette affirmation s'avère encore et toujours fausse. » (les deux citations sont extraites du Guardian daté du 30 décembre 2008). Le Hezbollah au Liban s'est vu renforcé par les attaques israéliennes de 2006 ; l'offensive contre Gaza aura probablement le même résultat pour le Hamas. Mais qu'il soit renforcé ou affaibli il ne pourra continuer à répondre que par d'autres attaques contre la population israélienne, et si ce n'est pas avec des roquettes, ce sera avec des bombes humaines.
Les leaders mondiaux « concernés » comme le secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon, ou comme le pape, nous ont ressassé que de telles actions d'Israël ne servent qu'à enflammer la haine nationaliste et à alimenter la « spirale de la violence » au Moyen-Orient. Rien n'est plus vrai : le cycle du terrorisme et de la violence d'Etat en Israël/Palestine brutalise les populations et les combattants des deux côtés et crée encore de nouvelles générations de fanatiques et de « martyrs ». Mais ce que le Vatican et les Nations Unies ne nous disent pas, c'est que cette descente aux enfers dans la haine nationaliste est le produit d'un système social qui est partout en pleine décadence. L'histoire n'est pas différente en Irak où Chiites et Sunnites s'entr'égorgent, dans les Balkans où les Serbes font de même contre les Albanais et les Croates, en Inde et au Pakistan avec les conflits entre Hindous et Musulmans, ou encore en Afrique où la myriade de guerres avec les divisions ethniques les plus violentes serait trop nombreuse à énumérer. L'explosion de ces conflits à travers le monde est l'expression d'une société qui n'a plus de futur à offrir à l'humanité.
Et ce qu'on ne nous dit pas non plus, c'est l'implication des puissances mondiales démocratiques et humanitaires dans ces conflits, et c'est à peine si on entend parler de division entre elles. La presse britannique n'a pas gardé le silence sur le soutien de la France aux gangs meurtriers hutus au Rwanda en 1994. Elle est moins éloquente sur le rôle joué par la Grande-Bretagne et les services secrets américains dans les divisions Chiites/Sunnites en Irak. Au Moyen-Orient, le soutien de l'Amérique à Israël et celui de l'Iran et de la Syrie au Hezbollah et au Hamas sont évidents, mais le rôle de soutien « en sous-main » joué par la France, l'Allemagne, la Russie et d'autres puissances pour leur propre compte n'est pas moins réel.
Le conflit au Moyen-Orient a ses propres caractéristiques et ses causes historiques particulières, mais il ne peut être compris que dans le contexte global d'une machine capitaliste qui est dangereusement hors de tout contrôle. La prolifération de guerres sur toute la planète, la crise économique incontrôlable, et la catastrophe environnementale accélérée font de toute évidence partie de cette réalité. Mais alors que le capitalisme ne nous offre aucun espoir de paix et de prospérité, il existe une source d'espoir dans le monde : la révolte de la classe exploitée contre la brutalité du système, une révolte exprimée en Europe ces dernières semaines dans les mouvements de jeunes prolétaires en Italie, en France, en Allemagne et surtout en Grèce. Ce sont des mouvements qui, par leur nature même, ont mis en avant le besoin de la solidarité de classe et le dépassement de toutes les divisions ethniques et nationales. Ils ont été un exemple qui peut être suivi dans d'autres régions de la planète, celles qui sont ravagées par les divisions au sein de la classe exploitée. Ce n'est pas une utopie : déjà dans les récentes années passées, les ouvriers du secteur public de Gaza se sont mis en grève contre le non-paiement de leurs salaires presque simultanément avec ceux du secteur public en Israël en lutte contre les effets de l'austérité, elle-même produit direct de l'économie de guerre d'Israël poussée à son paroxysme. Ces mouvements n'étaient pas conscients l'un de l'autre, mais ils montrent la communauté objective d'intérêts dans les rangs ouvriers des deux côtés de la division impérialiste.
La solidarité avec les populations qui souffrent dans les zones de guerre du capitalisme ne signifie pas choisir « le moindre mal » ou soutenir la clique capitaliste « la plus faible » comme le Hezbollah ou le Hamas contre les puissances plus agressives comme les Etats-Unis ou Israël. Le Hamas a déjà montré qu'il était une force bourgeoisie d'oppression contre les ouvriers palestiniens -spécialement lorsqu'il a condamné les grèves dans le secteur public comme étant contre les « intérêts nationaux » et quand, main dans la main avec le Fatah, il a soumis la population de Gaza au combat d'une faction meurtrière contre l'autre pour le contrôle de la région. La solidarité avec ceux qui sont pris dans la guerre impérialiste signifie le rejet des deux camps belligérants et le développement de la lutte de classe contre tous les dirigeants et les exploiteurs du monde.
World Revolution, organe du CCI en Grande-Bretagne / 31.12.2008
Le début de l'année 2009 a débuté sous les mêmes funestes auspices que la seconde moitié de 2008. Octobre 2008 : «Crash boursier le plus dur depuis 1970 » titrait De Morgen (11.10.08), alors qu'en Belgique, les titres Fortis et Dexia perdaient ¾ de leur valeur boursière. Janvier 2009: «Obama hérite d'une crise aux proportions historiques et met en garde contre une récession qui durera des années» annonce le même quotidien (DM, 20.01.09), pendant que la troisième banque belge, la KBC, voit sa valeur boursière s'effondrer sous l'impact des crédits toxiques. Et l'on est sans doute encore loin de voir la fin de la crise du système bancaire, qui est pourtant au cœur du fonctionnement du mode de production capitaliste : « Il est donc parfaitement possible que les crédits, dont les banquiers affirment aujourd'hui qu'ils sont parfaitement nets, se retrouvent demain parmi les produits toxiques, et que l'ensemble du portefeuille de crédits soit classé comme portefeuille toxique (...). Soyez certains qu'il y aura encore des pertes qui seront notées sur ces portefeuilles de crédits. A cause de la crise, les entreprises parviennent encore difficilement à rembourser leurs dettes ou font faillite. Les particuliers pour leur part connaissent le chômage et ont aussi des difficultés de paiement » (I. Van de Cloot, économiste en chef de l'Institut Itinera) » (DM, 24.01.09)
Les difficultés du système bancaire provoquent de lourdes difficultés de trésorerie des entreprises et grèvent leurs capacités d'investissement. En conséquence, la crise bancaire se double de manière de plus en plus évidente d'un effondrement de la production (recul de la production industrielle dans la zone euro de 5,7% en un an) et de l'explosion du chômage (probablement 51 millions de chômeurs en plus en 2009 par rapport à 2007, d'après l'Organisation Internationale du Travail). Ainsi, rien qu'en un seul jour, des multinationales annonçaient la suppression de 62.000 emplois dans le monde (Corus, Caterpillar, Sprint Nextel, Philips, Pfizer, General Motors, Home depot, cf. DM 27.01.09).
Dans un tel contexte international, confrontée au besoin de défendre ses intérêts vitaux menacés dans la tourmente économique (cf. Fortis ou KBC par exemple), la bourgeoisie belge s'est vu obligée de mettre de côté ses déchirements politiques entre fractions régionales. Après 18 mois d'im-mobilisme politique et de crise des institutions, malgré la perspective paralysante pour elle d'un nouveau round électoral en juin (élections régionales et européennes), elle a mis en place un nouveau gouvernement sous la direction de l'ex-président de la chambre, Herman Van Rompuy. Si elle a amené ce politicien en fin de carrière à accepter « à contrecœur » le poste de premier ministre, c'est qu'elle se rend compte qu'elle ne peut attendre le résultat des manœuvres électorales pour gérer le mieux possible le tsunami économique qui saccage le capitalisme mondial : le nouveau premier ministre a d'ailleurs parlé de « la crise économique la plus grave depuis la seconde guerre mondiale ».
Que des mesures radicales s'imposent pour sauvegarder les intérêts de la bourgeoisie belge ressort clairement des dernières données économiques : produits bancaires toxiques représentant environ encore 62 milliards d'euro en Belgique (!!!) que le gouvernement devrait reprendre à travers par exemple la création d'une ‘bad bank' ; déficit budgétaire de 10 milliards en 2009 (soit 3% du Produit Intérieur Brut) et près de 15 milliards en 2010 (soit 4,3% du PIB ; DM, 20.01.09) ; recul des exportations et croissance négative du PNB de -1,9% (il y a un mois, la Banque Nationale prévoyait encore un recul de -0,2%), chômage technique massif qui risque de se transformer en 100.000 chômeurs supplémentaires en 2009 (DM, 12.01.09). Or, avec un marché intérieur limité et une économie massivement orientée vers les exportations, avec l'endettement le plus important au sein de l'UE en dehors de l'Italie, qui ne permet pas de laisser filer le déficit budgétaire, la bourgeoisie belge a peu de moyens pour mettre en place un plan de relance. La défense de ses intérêts est essentiellement orientée sur deux axes : le sauvetage de son système bancaire et l'amélioration de la position concurrentielle de l'économie nationale en baissant les charges des entreprises. Pour ce faire, elle laisse filer malgré tout l'endettement (l'effort de 10 ans d'austérité imposée à la classe ouvrière est effacé en six mois !), prépare des plans de réduction des dépenses sociales de l'Etat et veut imposer la modération salariale. Bref, que ce soit de manière directe et indirecte, ce sera une fois de plus pour l'essentiel la classe ouvrière qui paiera pour la tentative de sauvetage de la bourgeoisie belge, emportée dans les tourbillons du capitalisme en perdition.
Comment faire avaler à la population, et en particulier à la classe ouvrière, cette énième période d'austérité « incontournable » ? Comment lui faire accepter les sacrifices pour le bien de la « collectivité nationale » ? Voilà la question cruciale pour la bourgeoisie. Cela est d'autant plus délicat qu'il est difficile aujourd'hui d'encore offrir la perspective d'un renouveau du capitalisme : en effet, depuis les années '70, aussi bien le libéralisme ‘reaganien' appelant à moins d'Etat que la politique ‘néo-keynésienne prônant l'intervention de l'Etat ont montré leurs limites. La campagne des médias bourgeois a donc au contraire largement étalé l'ampleur de la catastrophe, dans le but d'effrayer les ouvriers et de leur faire accepter les « sacrifices indispensables » comme un moindre mal. Loin de cacher l'ampleur du désastre qui s'annonce, ils accumulent à longueur de pages les informations inquiétantes et les scénarios catastrophiques pour terroriser les travailleurs. L'objectif de cette politique est double : tout d'abord, le développement de la peur dans la population est un moyen traditionnel pour l'amener à rechercher une protection auprès de l'Etat et de lui accorder sa confiance. Ensuite, elle vise à convaincre les travailleurs de l'inutilité de s'opposer aux attaques et donc à orienter leur colère vers l'impuissance.
Les attaques du gouvernement et des patrons s'accumulent comme les nuages de tempête à l'horizon : réductions des budgets sociaux, chômage technique massif qui menace de devenir permanent, endettement de plus en plus pesant. Face à l'ampleur des menaces, une hésitation, un certain désarroi se manifeste parmi les travailleurs sur la manière d'organiser la résistance. C'est le moment que choisissent les syndicats pour se faire en décembre les principaux avocats d'un accord interprofessionnel garantissant deux années de ‘paix sociale' contre une aumône d'environ 10 euros d'augmentation des salaires au moyen de chèques repas (DM, 09.12.08). Mais surtout, ils appellent l'ensemble des interlocuteurs à « assumer leurs responsabilités pour la sauvegarde du modèle de concertation sociale à la Belge ». Pour le sauvetage de la position concurrentielle de l'économie belge et des profits du capitalisme national, les syndicats sont prêts à collaborer à l'imposition d'une austérité drastique à la classe ouvrière.
D'un point de vue historique, ce n'est pas la première fois qu'ils se positionnent à la tête de la sainte alliance pour la défense du capitalisme. Déjà au moment de l'éclatement de la première guerre mondiale il y a près d'un siècle, ils n'ont pas hésité à se placer du côté des capitalistes pour défendre la « patrie » et à briser toute opposition contre la guerre dans les usines comme de la « haute trahison ». Et il n'en alla pas autrement lors de la dépression des années '30, de la seconde guerre mondiale ou de la période de reconstruction qui s'en suivit. Ils n'agissent pas autrement aujourd'hui : en décembre 2007, tous les syndicats fraternellement unis avaient organisé à Bruxelles une manifestation nationale pour la sauvegarde du"pouvoir d'achat et pour la solidarité (« sauvons le pouvoir d'achat et la solidarité ») ; à l'automne encore, ils roulaient des mécaniques et annonçaient de larges mobilisations contre les attaques. Et aujourd'hui, ils soutiennent la nécessité de sacrifices quand les temps sont durs, saluant par exemple l'extension massive du chômage technique comme un moindre mal, et étouffent dans l'œuf les tentatives de résistance dans les entreprises. Ainsi, ils ont refusé de reconnaître la grève sauvage de plusieurs dépôts des transports communaux bruxellois. Et lorsqu'ils ont remarqué qu'un comité de solidarité ‘interentreprises' avait été constitué par des travailleurs de divers secteurs autour de l'usine Beckaert Hemiksem, menacée de fermeture, qu'ont-ils fait ? Ils l'ont transformé en un comité de protection des droits des délégués syndicaux dans les entreprises menacées ! Bref, cette manifestation de la volonté de com-bativité et de recherche de la solidarité au-delà de l'usine et du secteur et en dehors des canaux syndicaux a été transformée en un instrument de la lutte syndicale. Viser à étouffer toute expression de combativité dans l'œuf et à la transformer en instrument de solidarité avec la démocratie bourgeoise, voilà comment les syndicats complètent à merveille l'ensemble du dispositif bourgeois pour dés-amorcer la combativité ouvrière, la rendre impuissante et ne laisser d'autre choix que de se ranger docilement derrière l'Etat bourgeois.
La crainte de la récession économique peut être inhibitrice, provoquer dans un premier temps un certain désarroi parmi les travailleurs et renforcer le sentiment d'atomisation et d'impuissance face aux ravages de la crise. Mais à terme, elle amènera aussi à se poser les questions sur le mode et les objectifs de la lutte contre les attaques de leurs conditions de vie. Dans ce sens, pour développer un combat massif et uni de l'ensemble des travailleurs, indispensable face à la poursuite inévitable des attaques, il faut tirer les leçons du sabotage syndical. Et une des leçons centrales, c'est que, pour pouvoir se battre efficacement, opposer une riposte unie et solidaire en recherchant toujours plus l'extension de leur lutte, les travailleurs ne peuvent compter que sur leurs propres forces. Ils n'auront pas d'autre choix que de prendre eux-mêmes leurs luttes en mains et de déjouer tous les pièges, toutes les manœuvres de division et de sabotage des syndicats.
Jos / 30.01.09
On commémore cette année le 200e anniversaire de la naissance de Charles Darwin (et les 150 ans de la publication de son livre L'Origine des espèces). Depuis toujours, l'aile marxiste du mouvement ouvrier a salué la contribution remarquable apportée par Darwin à la compréhension par l'humanité d'elle-même et de la nature.
Darwin était, à plusieurs égards, un représentant typique de son époque, intéressé par l'observation de la nature et heureux d'entreprendre des expériences sur la vie de la faune et de la flore. Son étude empirique, notamment des abeilles, des coléoptères, des vers, des pigeons et des bernacles, était scrupuleuse et détaillée. L'attention que portait Darwin à ces dernières était si tenace que ses jeunes enfants «se mirent à penser que tous les adultes devaient avoir la même préoccupation ; l'un d'entre eux demanda même, à propos d'un voisin : où est-ce qu'il s'occupe de ses bernacles ? ' » (Darwin, Desmond & Moore).
Ce qui distinguait Darwin, c'était sa capacité à aller au-delà des détails, à théoriser et à chercher des processus historiques, pendant que d'autres se contentaient de classer les phénomènes par catégories ou se rangeaient aux explications existantes. Un exemple typique de cette attitude est la réponse qu'il a apportée à la découverte de fossiles dans les Andes, à des milliers de mètres d'altitude. Grâce à l'expérience d'un tremblement de terre et aux Principes de la Géologie de Lyell, sa réflexion porta sur l'échelle des mouvements terrestres qui avaient amené des fonds marins dans les montagnes, sans avoir recours au récit biblique sur le Déluge. «Je crois fermement que, sans réflexion spéculative, il ne peut y avoir d'observation qui soit juste et originale» (comme il l'a écrit dans une lettre à AR Wallace, le 22/12/1857).
Il n'avait pas peur non plus d'utiliser des observations faites dans un domaine et de les appliquer à d'autres. Bien que Marx ait fait peu de cas de la plupart des écrits de Thomas Malthus, Darwin a utilisé les idées de ce dernier sur la croissance démographique de la population humaine pour développer sa théorie de l'évolution. «En octobre 1838, il s'est trouvé que j'ai lu pour me distraire le livre de Malthus sur la population et, étant bien préparé à apprécier la lutte pour l'existence qui a lieu partout, grâce à une observation prolongée et ininterrompue des habitudes des animaux et des plantes, j'ai été immédiatement frappé par le fait que, dans ces circonstances, des variations favorables tendraient à être préservées et des variations défavorables à être détruites. Le résultat en serait la formation de nouvelles espèces. A partir de là, je disposai finalement d'une théorie pour mon travail » (Darwin, Souvenirs sur le développement de mon esprit et de ma personnalité). C'était 20 ans avant que cette théorie apparaisse publiquement avec L'Origine des Espèces, mais les bases étaient déjà là. Dans L'Origine des espèces, Darwin explique qu'il emploie «l'expression de Lutte pour l'Existence dans un sens large et métaphorique » et «par commodité » et que, par Sélection Naturelle, il veut dire la «préservation des variations favorables et le rejet des variations nuisibles.» L'idée de l'évolution n'était pas nouvelle mais, en 1838, Darwin développait déjà une explication sur comment les espèces ont évolué. Il compara les techniques des éleveurs de lévriers et des colombophiles (sélection artificielle) à la sélection naturelle qu'il considérait être «la plus belle partie de [sa] théorie » (Darwin, cité par Desmond & Moore).
Trois semaines seulement après la publication de L'Origine des Espèces, Engels écrivait à Marx : «Darwin, que je viens juste de lire, est magnifique. Il y avait un point sur lequel la téléologie n'avait pas été démolie ; maintenant c' est fait. En outre, il n'y a jamais eu, jusqu'ici, d' aussi splendide tentative pour démontrer le développement historique dans la nature, au moins avec autant de succès.» La "démolition de la téléologie" fait référence au coup que L'Origine des espèces a porté à toutes les idées religieuses, idéalistes ou métaphysiques qui cherchent à expliquer les phénomènes par leurs effets plutôt que par leur cause. Ceci est fondamental dans une vision matérialiste du monde. Comme Engels l'a écrit dans L'Anti-Dürhing (chapitre 1), Darwin «a porté le coup le plus rude à la conception métaphysique de la nature en démontrant que toute la nature organique actuelle, les plantes, les animaux et, par conséquent l'homme aussi, est le produit d'un processus d'évolution qui s'est poursuivi pendant des millions d'années».
Dans les documents de préparation à son ouvrage, La Dialectique de la Nature, Engels souligne la signification de L'Origine des Espèces. «Darwin, dans son ouvrage qui a fait époque, est parti de la base la plus large existante du hasard. Précisément, des différences infinies et accidentelles entre les individus d'une même espèce, différences qui s'accentuent jusqu'à ce qu'elles transforment les caractéristiques de l'espèce ,(...) l'ont obligé à mettre en question les bases précédentes de la régularité en biologie, à savoir le concept d'espèce dans sa rigidité et son invariabilité métaphysiques passées.»
Marx lut L'Origine des espèces un an après sa publication et a immédiatement écrit à Engels (19/12/1860) «Voilà le livre qui contient la base, en histoire naturelle, pour nos idées». Plus tard, il écrivit que le livre avait servi «de base naturelle-scientifique à la lutte de classe dans l'histoire» (lettre à Lassalle, 16/1/1862).
En dépit de leur enthousiasme pour Darwin, Marx et Engels n'étaient pas sans critique à son égard. Ils se rendaient bien compte de l'influence de Malthus et, aussi, que la perspicacité de Darwin était utilisée dans le "Darwinisme social" pour justifier le statu quo de la société victorienne, la grande richesse pour quelques-uns et, pour les pauvres, la prison, les foyers de travail, la maladie, la famine ou à l'émigration. Dans son introduction à La Dialectique de la Nature, Engels dégage certaines implications : «Darwin ne savait pas quelle amère satire de l'humanité il écrivait (...) quand il montrait que la libre concurrence, la lutte pour l'existence, célébrée par les économistes comme la plus haute réalisation historique, est l'état normal du règne animal.» C'est seulement «l'organisation consciente de la production sociale» qui peut conduire l'humanité, de la lutte pour la survie à l'extension des moyens de production comme base de la vie, du plaisir et du développement ; et cette "organisation consciente" exige une révolution par les producteurs, la classe ouvrière.
Engels voyait également comment les luttes de l'humanité (et la compréhension marxiste de celles-ci) dépassaient le cadre de Darwin : «la conception de l'histoire comme une série de luttes de classe est déjà bien plus riche dans son contenu et sa profondeur que celle qui se contente de la réduire à des phases de lutte pour l'existence» (La Dialectique de la Nature, notes et fragments).
Cependant, de telles critiques ne remettent pas en cause la place de Darwin dans l'histoire de la pensée scientifique. Dans un discours sur la tombe de Marx, Engels soulignait que «de même que Darwin a découvert la loi du développement de la nature organique, Marx a découvert la loi du développement de l'histoire de l'humanité».
Alors que Darwin a été, tour à tour, à la mode ou démodé dans la pensée bourgeoise (mais pas chez les scientifiques sérieux), l'aile marxiste du mouvement ouvrier ne l'a jamais abandonné.
Plekhanov, dans une note de son livre La Conception moniste de l'histoire (chapitre 5), décrit le rapport entre la pensée de Darwin et celle de Marx : «Darwin a réussi à résoudre le problème de comment se sont créées les espèces végétales et animales dans la lutte pour l'existence. Marx a réussi à résoudre le problème de comment ont surgi différents types d'organisation sociale dans la lutte des hommes pour leur existence. Logiquement, l'investigation de Marx commence précisément là où finit celle de Darwin [...] L'esprit de recherche est absolument le même chez les deux penseurs. C'est pourquoi on peut dire que le marxisme est le darwinisme appliqué à la science sociale.»
Un exemple de l'interdépendance entre le marxisme et les contributions de Darwin se trouve dans le livre Ethique et Conception Matérialiste de l'Histoire de Kautsky. Bien que Kautsky surestime l'importance de Darwin, il s'inspire de son livre La Filiation de l'Homme pour décrire l'importance des sentiments altruistes, des instincts sociaux dans le développement de la morale. Dans le chapitre 5 de La Filiation, Darwin décrit comment « l'homme primitif » s'est socialisé et comment « [les hommes] se seraient mutuellement avertis du danger, et se seraient apportés une aide mutuelle lors des attaques. Tout ceci implique un certain degré de sympathie, de fidélité et de courage ». Il décrit : «quand deux tribus d'hommes primitifs... entraient en compétition, si l'une comprenait (...) un plus grand nombre de membres courageux, bien disposés, et fidèles, toujours prêts à s'avertir du danger, à s'aider et à se défendre mutuellement, nul doute que cette tribu réussirait mieux et vaincrait l'autre. Il faut garder à l'esprit que la fidélité et le courage devaient être de la plus haute importance, dans les guerres incessantes entre sauvages. L'avantage qu'ont des soldats disciplinés sur des hordes indisciplinées provient principalement de la confiance que chaque homme ressent dans ses camarades. (...) Les personnes égoïstes et querelleuses ne s'uniront pas et, sans union, rien ne peut être réalisé.» Sans doute Darwin exagère à quel point les sociétés primitives étaient engagées en guerre permanente les unes contre les autres, mais la nécessité de la coopération comme fondement de la survie n'était pas moins importante dans les activités telles que la chasse et dans la distribution du produit social. C'est l'autre face de la "lutte de pour l'existence", où nous voyons le triomphe de la solidarité et de la confiance mutuelles sur la division et l'égoïsme.
Anton Pannekoek était non seulement un grand marxiste, mais aussi un astronome de renom (un cratère de la face cachée de la lune et un astéroïde portent son nom). Aucune discussion sur "marxisme et darwinisme" ne serait complète sans faire référence à son texte de 1909 du même nom (que nous allons republier dans la Revue internationale).
En premier lieu, Pannekoek affine notre compréhension du rapport entre le marxisme et le darwinisme. «La lutte pour l'existence, formulée par Darwin et soulignée par Spencer, exerce un effet différent sur les hommes et sur les animaux. Le principe selon lequel la lutte conduit au perfectionnement des armes utilisées dans les conflits, mène à des résultats différents chez les hommes et chez les animaux. Chez l'animal, il mène à un développement continu des organes naturels ; c'est la base de la théorie de la filiation, l'essence du darwinisme. Chez les hommes, il mène à un développement continu des outils, des moyens de production. Ceci est, cependant, le fondement du marxisme. Ici nous voyons que le marxisme et le darwinisme ne sont pas deux théories indépendantes, chacune s'appliquant à son domaine spécifique, sans rien avoir en commun avec l'autre. En réalité, le même principe est à la base des deux théories. Elles forment une unité. La nouvelle direction prise par les hommes, la substitution des outils aux organes naturels, fait se manifester ce principe fondamental différemment dans les deux domaines ; celui du monde animal se développe selon les principes darwiniens, alors que pour l'humanité le principe marxiste s'applique.»
Pannekoek a également développé l'idée de l'instinct social sur la base des contributions de Kautsky et de Darwin :
«Le groupe chez qui l'instinct social est le mieux développé pourra se maintenir sur son territoire, alors que le groupe chez qui l'instinct social est peu développé, soit deviendra une proie facile pour ses ennemis, soit ne sera pas en mesure de trouver les endroits favorables à son alimentation. Ces instincts sociaux deviennent donc les facteurs les plus importants et les plus décisifs qui déterminent qui survivra dans la lutte pour l'existence. C'est à cause de cela que les instincts sociaux ont été élevés à la position de facteurs prédominants.»
«Les animaux sociaux sont en mesure de battre ceux qui mènent la lutte individuellement.»
La distinction entre les animaux et l'homo sapiens réside, entre autres, dans la conscience.
«Tout ce qui s'applique aux animaux sociaux s'applique également à l'homme. Nos ancêtres simiesques et les hommes primitifs qui se sont développés à partir d'eux étaient tous sans défense, de faibles animaux qui, comme presque tous les singes, vivaient dans des tribus. Ici, ce sont les mêmes motivations sociales, les mêmes instincts sociaux qui ont dû apparaître, qui, plus tard, se sont transformés en sentiments moraux. Que nos coutumes et notre morale ne soient rien d'autre que des sentiments sociaux, des sentiments que nous rencontrons chez les animaux, est connu de tous ; même Darwin a parlé des " habitudes des animaux qu'on appellerait morale chez les hommes". La différence se trouve seulement dans le niveau de conscience ; dès que ces sentiments sociaux deviennent clairs pour les hommes, ils prennent le caractère de sentiments moraux.»
Pannekoek critique aussi le "Darwinisme Social" quand il montre comment les "darwinistes bourgeois" sont tombés dans un cercle vicieux - le monde décrit par Malthus et Hobbes est, sans surprise, semblable au monde décrit par Hobbes et Malthus ! : «Sous le capitalisme, l'humanité ressemble la plupart du temps au monde des animaux rapaces et c'est pour cette raison même que les darwinistes bourgeois ont recherché le prototype humain chez les animaux qui vivent en solitaires. Ils y étaient conduits par leur expérience. Leur erreur, cependant, a consisté dans le fait qu'ils considéraient les conditions capitalistes comme éternelles. Le rapport qui existe entre notre système capitaliste concurrentiel et les animaux solitaires a été exprimé par Engels dans son livre, L'Anti-Dühring, comme suit :
'En fin de compte, l'industrie moderne et l'ouverture du marché mondial ont rendu la lutte universelle et, en même temps, lui ont imprimé un violence inconnue jusqu'ici. Maintenant ce sont les avantages des conditions, naturelles ou artificielles, qui décident de l'existence ou non des capitalistes individuels ainsi que de toute une série d'industries et de pays. Celui qui échoue, est rejeté sans merci. C'est la lutte darwinienne pour l'existence de l'individu, transposée de la nature dans la société avec une rage décuplée. La condition de l'animal dans la nature apparaît comme l'apogée du développement humain'».
Mais les conditions capitalistes ne sont pas éternelles, et la classe ouvrière a la capacité de les renverser et d'en finir avec la division de la société en classes aux intérêts antagoniques. «Avec l'abolition des classes, l'ensemble du monde civilisé deviendra une grande communauté productive. Au sein de cette communauté, la lutte qui opposait ses membres cessera et se transformera en lutte avec le monde extérieur. Ce ne sera plus une lutte contre notre propre espèce, mais une lutte pour la subsistance, une lutte contre la nature. Mais, grâce au développement de la technique et de la science, on ne pourra pas vraiment appeler cela une lutte. La nature est subordonnée à l'homme et, avec très peu d'efforts de la part de celui-ci, elle le pourvoira en abondance. Ici, une nouvelle vie s'ouvre à l'humanité : le dégagement de l'homme du monde animal et son combat pour l'existence au moyen d'outils arrivent à leur terme, et un nouveau chapitre de l'histoire de l'humanité commence.»
Car
La vague de grèves non-officielles initiée par la lutte des ouvriers de la construction et de l'entretien à la raffinerie du groupe Total de Lindsey a été une des luttes les plus importantes de ces vingt dernières années.
Des milliers d'ouvriers du bâtiment d'autres raffineries et de centrales électriques ont cessé le travail en solidarité. Des meetings de masse ont été organisés et tenus de façon régulière. D'autres ouvriers du bâtiment, de l'acier, des docks ou au chômage, ont rejoint les piquets de grève et les manifestations qui ont eu lieu devant différents sites. Les ouvriers n'étaient pas le moins du monde troublés par la nature illégale de leurs actions car ils exprimaient leur solidarité envers leurs camarades en lutte, leur colère devant la vague grandissante de licenciements et l'incapacité du gouvernement à y remédier. Lorsque 200 ouvriers polonais du bâtiment ont rejoint la lutte, celle-ci a atteint son plus haut point par la remise en cause du nationalisme qui avait marqué le mouvement depuis le début.
Le licenciement de 300 ouvriers sous-traités à la raffinerie de Lindsey, le projet d'engager un autre sous-traitant employant 300 ouvriers italiens et portugais (dont le salaire est inférieur car indexé sur le salaire de leur pays d'origine), et l'annonce qu'aucun ouvrier britannique ne serait inclus dans ce nouveau contrat a propagé la colère comme un traînée de poudre parmi les ouvriers du bâtiment. Depuis des années, on assiste à un recours croissant à l'exploitation d'ouvriers étrangers sous contrat, généralement avec des salaires beaucoup plus bas et des conditions de travail bien pires, avec pour résultat direct l'accentuation de la concurrence entre ouvriers pour avoir du travail, et une pression exercée sur tous les ouvriers vers des baisses de salaires et une détérioration plus forte des conditions de travail. Tout cela, combiné avec la vague de licenciements dans l'industrie du bâtiment et ailleurs du fait de la récession, a généré la profonde combativité qui a trouvé son expression dans ces luttes récentes.
Depuis le début, le mouvement s'est trouvé face à une question fondamentale, non seulement pour les grévistes impliqués aujourd'hui mais pour toute la classe ouvrière maintenant et pour demain : est-il possible de se battre contre le chômage et toutes les autres attaques en s'identifiant comme "ouvriers britanniques" et s'en prendre aux "ouvriers étrangers", ou devons-nous nous considérer comme des ouvriers, avec des intérêts communs avec tous les autres ouvriers, d'où qu'ils viennent ? C'est une question profondément politique, que ce mouvement devait prendre à bras-le-corps.
Dès le début, la lutte est apparue dominée par le nationalisme. On pouvait voir aux actualités des images d'ouvriers avec des pancartes faites-maison réclamant "des emplois britanniques pour les ouvriers britanniques" ("British job for British workers") et les bannières syndicales de chaque corporation déployaient le même slogan. Les syndicats officiels défendaient et reprenaient plus ou moins le mot d'ordre ; les médias parlaient d'une lutte contre les ouvriers étrangers et ont trouvé des ouvriers qui partageaient cette opinion.. Ce mouvement de grèves sauvages aurait potentiellement pu s'engluer dans le poison du nationalisme et s'orienter en défaite cuisante pour la classe ouvrière, les ouvriers s'opposant les uns aux autres, avec des ouvriers défendant en masse les cris de ralliement nationalistes et appelant à ce que le travail soit donné aux ouvriers "britanniques", tandis que les ouvriers portugais et italiens perdaient le leur. La capacité de toute la classe ouvrière à se battre aurait alors été affaiblie et la capacité de la classe dominante d'attaquer et diviser les ouvriers aurait été renforcée.
La couverture médiatique (et ce que certains ouvriers pouvaient dire) a permis de faire croire que les revendications des ouvriers de Lindsey étaient "Des boulots britanniques pour les ouvriers britanniques". Mais ce n'était pas le cas. Ainsi, la BBC a trafiqué et tronqué sans vergogne par exemple l'interview d'un gréviste, ensuite largement diffusée en boucle à l'appui de la thèse de la « xénophobie du mouvement » en lui faisant dire : « On ne peut pas travailler avec des Portugais et des Italiens » alors que sur une autre chaîne de moindre audience, l'interview réelle prenait un tout autre sens : « On ne peut pas travailler avec des Portugais et des Italiens ; on est complètement séparés d'eux, ils viennent avec leur propre compagnie », ce qui signifie qu'il était impossible de les côtoyer parce qu'ils étaient tenus volontairement à l'écart de la main-d'oeuvre locale. En l'occurrence, la BBC a servi de porte-parole servile à un gouvernement et à une bourgeoisie effayés face au renouveau de la combativité et de la solidarité ouvrières et face au danger d'extension de la lutte. Les revendications discutées et votées dans les meetings de masse n'ont pas repris le mot d'ordre ni manifesté d'hostilité envers les ouvriers étrangers, contrairement aux images de propagande largement diffusées et relayées dans les médias à l'échelle internationale..! Ces revendications ont plutôt exprimé des illusions sur la capacité des syndicats à empêcher les patrons de monter les ouvriers les uns contre les autres, mais sans nationalisme manifeste.
Le nationalisme fait partie intégrante de l'idéologie capitaliste. Chaque bourgeoisie nationale ne peut survivre qu'en entrant en compétition avec ses rivales économiquement et militairement. La culture, les médias, l'éducation, l'industrie du sport, toute cette idéologie bourgeoise répand son poison sans cesse de façon à lier la classe ouvrière à la nation. Les ouvriers ne peuvent échapper à l'infestation de cette idéologie. Mais ce qui est crucial dans ce mouvement est que ce poids du nationalisme s'est trouvé remis en question alors que les ouvriers s'attaquaient dans la lutte à la question de de la défense élémentaire de leurs conditions de vie et de travail, de leurs intérêts matériels de classe.
Le mot d'ordre nationaliste " Du boulot britannique pour les ouvriers ritanniques", volé au Parti National Britannique (British National Party, équivalent du FN en France) par le « travailliste » Gordon Brown, a au contraire suscité beaucoup de malaise et de réflexion chez les ouvriers et dans la classe ouvrière. De nombreux grévistes ont déclaré qu'ils n'étaient pas racistes, que leur lutte n'avait rien à voir avec la question de l'immigration ou qu'ils ne soutenaient pas le BNP, qui a même été chassé par les ouvriers, alors qu'il tentait de s'infiltrer dans leur grève.
Tout en rejetant le BNP, beaucoup d'ouvriers interviewés à la télé essayaient de toute évidence de réfléchir à la signification de leur combat. Ils n'étaient pas contre les ouvriers étrangers, ils devaient travailler à l'étranger eux aussi, mais ils se trouvaient au chômage ou voulaient que leurs enfants puissent travailler aussi et donc ressentaient la nécessité que le boulot aille d'abord aux ouvriers "britanniques". Ces mots empoisonnés ont été relancés au visage de Gordon Brown en voulant souligner ironiquement et dénoncer le caractère purement démagogique et mensonger de ses promesses. Mais de telles visions finissent toujours par se retourner contre les ouvriers eux-mêmes en les enfermant dans une division en tant que "britanniques" ou "étrangers", niant leur intérêt commun de classe, et les ligotent dans le piège du nationalisme.
Cependant, des ouvriers ont clairement souligné à cette occasion les intérêts communs à tous les prolétaires, signe qu'un processus de réflexion est en train de naître et ils ont dit qu'ils voulaient que tous les ouvriers, de quelque origine qu'ils soient aient du travail. "J'ai été licencié de mon emploi de docker il y a deux semaines. J'ai travaillé à Cardiff and Barry Docks pendant 11 ans et je suis venu aujourd'hui ici dans l'espoir de secouer le gouvernement. Je pense que tout le pays devrait être en grève alors que nous perdons toute l'industrie britannique. Mais je n'ai rien contre les ouvriers étrangers. Je ne peux les blâmer de venir chercher du travail ici." (Guardian On-line du 20 janvier 2009) Il y a également eu des ouvriers qui défendaient le fait que le nationalisme constituait un réel danger. Un ouvrier travaillant à l'étranger est intervenu sur un forum Internet des ouvriers du bâtiment sur les divisions nationales utilisées par les patrons : "Les médias qui ont attisé les éléments nationalistes se retournent à présent sur vous, montrant les manifestants sous la pire lumière possible. Le jeu est fini. La dernière chose que les patrons et le gouvernement veulent, c'est que les ouvriers britanniques s'unissent avec les ouvriers d'au-delà des mers. Ils pensent qu'ils peuvent nous rendre idiots et nous pousser à nous battre les uns contre les autres. Cela leur donnera froid dans le dos que nous ne le fassions pas." Dans un autre mail, il reliait la lutte avec celles de France et de Grèce et la nécessité de liens internationaux : "Les manifestations massives en France et en Grèce ne sont que des signes précurseurs de ce qui va venir. A-t-on jamais pensé à contacter et construire des liens avec ces ouvriers et renforcer un large mouvement de protestation en Europe contre le fait que des ouvriers se font entuber ? Cela résonne comme une meilleure option que d'avoir les parties réellement coupables, cette cabale de patrons, de vendus de leaders syndicaux, et du New Labour, qui profitent de la classe ouvrière." (Thebearfacts.org). D'autres ouvriers d'autres secteurs sont aussi intervenus sur ce forum pour s'opposer aux mots d'ordre nationalistes.
La discussion parmi les ouvriers engagés dans la grève, et dans la classe en général, sur la question des mots d'ordre nationalistes atteignit une nouvelle phase le 3 février lorsque 200 ouvriers polonais rejoignirent 400 autres ouvriers dans une grève sauvage en soutien aux ouvriers de Lindsey, à la centrale en construction de Langage à Plymouth. Les médias firent leur possible pour cacher cet acte de solidarité internationale : la station télévisée locale de la BBC n'en faisait aucune mention et au niveau national encore moins. Le black-out a été total.
La solidarité des ouvriers polonais a été particulièrement importante car l'année dernière, ils avaient été impliqués dans une grève similaire. 18 ouvriers avaient été licenciés et d'autres ouvriers avaient cessé le travail en solidarité, y compris les ouvriers polonais. Le syndicat avait essayé d'en faire une grève contre la présence de travailleurs étrangers, mais la détermination des ouvriers polonais avait complètement fait avorter cette tentative. Les ouvriers de Langage ont ainsi lancé cette nouvelle lutte en étant avertis de comment les syndicats s'étaient servis du nationalisme pour essayer de diviser la classe ouvrière. Le lendemain du jour où ils avaient participé à un meeting de masse à Lindsey avec une banderole proclamant : "Centrale électrique de Langage - Les ouvriers polonais ont rejoint la grève : Solidarité", ce qui impliquait que quelques ouvriers polonais avaient fait le voyage de 7 heures pour être là, ou qu'au moins un ouvrier de Lindsey voulait mettre en lumière leur action.
Dans le même temps, on put voir une banderole du piquet de grève de Lindsey appelant les ouvriers italiens à se joindre au mouvement de grève - elle était écrite en anglais et en italien - et on sait que certains ouvriers portaient des pancartes où était inscrit : "Ouvriers du monde entier, unissez-vous !" (The Guardian du 5 février 2009). En bref, on a pu voir les débuts d'un effort conscient de certains ouvriers, à l'opposé des réactions nationalistes, racistes et xénophobes qu'on leur prêtait, pour développer et mettre en avant un véritable internationalisme ouvrier, un pas qui ne peut conduire qu'à plus de réflexion et de discussion dans la classe ouvrière.
Tout ceci a posé la question de porter la lutte à un autre niveau, qui devait remettre directement en cause la campagne pour la présenter comme une réaction nationaliste. L'exemple des ouvriers polonais a fait apparaître la perspective de milliers d'autres ouvriers étrangers rejoignant la lutte sur les plus grands sites en construction de Grande-Bretagne, tels ceux de l'Est de Londres pour les Jeux olympiques. Il y avait aussi le danger que les médias ne puissent cacher les slogans internationalistes. Ce qui aurait brisé la barrière nationaliste que la bourgeoisie s'est efforcée de dresser entre les ouvriers en grève et le reste de la classe. Il n'est pas surprenant que la lutte ait été aussi rapidement résolue. En 24 heures, les syndicats, les patrons et le gouvernement se sont mis d'accord alors qu'ils avaient annoncé précédemment que la résolution de ce conflit prendrait des jours, voire des semaines et ont promis non seulement l'embauche de 102 « ouvriers britanniques » mais l'annulation de leur décision précédente du renvoi des travailleurs portugais et italiens vers leur pays d'origine. Comme un gréviste le rapportait, "pourquoi devrions-nous nous battre seulement pour avoir du travail ?".
En une semaine, nous avons vu les grèves sauvages les plus importantes depuis des décennies, les ouvriers tenant des meetings de masse et engageant des actions de solidarité illégales sans un moment d'hésitation. Une lutte qui aurait pu plonger dans le nationalisme a commencé à remettre en question ce poison. Cela ne veut pas dire que le danger soit écarté : c'est un danger permanent, mais ce mouvement a donné aux luttes futures la possibilité de tirer d'importantes leçons. Le fait de voir des banderoles proclamant "Ouvriers de tous les pays, unissez-vous!" devant un piquet de grève supposé nationaliste ne peut qu'inquiéter la classe dominante sur ce qui l'attend dans l'avenir.
Phil / 07.02.2009
"Les économistes n'y comprennent plus rien, ils sont perdus" titrent les médias, à la recherche de réponses et de solutions à la crise économique actuelle qui déferle sur le monde comme un tsunami. Seules des injections massives de crédits sur les marchés financiers et des déficits tout aussi colossaux ont permis à la bourgeoisie de provisoirement éviter une implosion totale du système financier dans la plupart des pays centraux. Mais ceci ne résout pas en fin de compte la crise historique sous-jacente de son système.
Internationalement, elle ne peut plus cacher que le monde est confronté à l'effondrement le plus brutal depuis la Dépression des années 1930. Le Japon et l'Allemagne connaissent des baisses inouïes de leurs exportations et de leur production industrielle. Une grande partie de l'Europe occidentale frise une catastrophe «à l'islandaise»: la Grèce, l'Irlande, l'Italie, l'Espagne, l'Autriche et la Belgique font la queue. Les "marchés émergents" montrent également des signes de tension -rien qu'en Chine, les licenciements se chiffrent en dizaines de millions-, ces économies étant atteintes par le même Tsunami. L'OCDE et le FMI prévoient que l'économie mondiale comme un tout va se contracter cette année; du jamais vu aujourd'hui depuis la seconde guerre mondiale.
Quarante ans après la fin du boom économique d'après-guerre, il s'avère que toutes les formes de politique menées par la bourgeoisie ont échoué. Des décennies d'intervention étatique (le capitalisme d'État) ont eu pour seul résultat de mener la bourgeoisie au gouffre. Le mécanisme le plus important pour maintenir la demande -toujours plus de crédit- face à la surproduction massive a mené l'économie à un état qu'on pourrait comparer à celui d'un patient qui aurait pris trop d'antibiotiques: l'efficacité du traitement est réduit à zéro. Plus grave encore, le crédit est devenu une partie du problème: l'ensemble du système est maintenant littéralement en faillite.
Tous prétendent en chœur qu'il ne s'agit que d'une crise "temporaire", "cyclique". Tous tablent sur une reprise qui devrait arriver dans quelques mois ou quelques années, dépendant de "l'effort" que nous devons consentir «tous ensemble». Le sommet du G20, qui s'est tenu le 2 avril à Londres, a également été présenté comme une étape intermédiaire vers la reprise. "Le jour où le monde s'est réuni pour riposter contre la récession globale, non avec des discours, mais avec un plan pour une reprise globale" (déclaration du premier ministre britannique Gordon Brown). Mais la crise de surproduction actuelle a ses racines, non comme le prétendent les érudits de l'économie dans une sorte de "déséquilibre" temporaire de l'économie mondiale, mais dans les relations sociales fondamentales du capitalisme, où par définition la grande masse de la population est productrice de la "plus-value", qui ne peut se réaliser que par un élargissement constant du marché. Devenu incapable de s'étendre et de conquérir de nouveaux marchés, le capitalisme a contourné le problème pendant des décennies en remplaçant le véritable marché par le marché artificiel du crédit.
Le monde est basé sur la concurrence pour les marchés. Aujourd'hui, un capitaliste ne peut prospérer qu'aux dépens d'un autre, et c'est vrai aussi à l'échelle des nations capitalistes. Bien entendu, elles ont des intérêts communs en tant que classe exploiteuse: elles travaillent ensemble quand il s'agit de maintenir les esclaves salariés dans le rang, et reculent aussi quand des États entiers vont dans le mur, même s'il s'agit de concurrents, surtout parce qu'ils représentent des marchés pour leurs marchandises ou sont leurs débiteurs. Mais elles ne peuvent pas indéfiniment en vase clos continuer à réaliser des profits dans un cercle de ventes réciproques, et c'est pour cela qu'elles sont touchées par le fléau de la surproduction; le marché se grippe et mène à une vague de faillites, d'effondrement de pans industriels, et à une pandémie de chômage. Pour la classe ouvrière, ceci signifie clairement: une attaque inédite sur l'emploi, les salaires et les conditions de vie, auprès de laquelle les quarante dernières années ressemblent à une oasis de bien-être.
Depuis le début de cette récession, chaque jour un nombre croissant de travailleurs perdent leur emploi, et dans beaucoup de cas, tout moyen de subsistance. Les chiffres officiels du chômage sont trafiqués depuis longtemps et ne donnent plus du tout aujourd'hui une image fiable de la réalité. C'est ainsi que le nombre de temps partiels involontaires s'est envolé (y compris suite à des décisions collectives de faire travailler tout le monde à temps partiel). Un quart des travailleurs en Belgique est au chômage temporaire ou économique. De plus en plus de familles s'enfoncent dans l'endettement et s'en sortent de plus en plus difficilement. Le nombre des allocataires du CPAS a augmenté de 10% en cinq mois. De toute évidence, l'augmentation du chômage est liée à l'augmentation du nombre de sans abri et de la fréquentation des soupes populaires dans tous les centres industriels du monde. Et ceux qui ont encore un emploi vivent dans la crainte permanente d'être victimes des prochaines vagues de "restructurations".
Même le mythe des prospères baby-boomers d'après guerre, arrivés à l'âge de la retraite, est de plus en plus une fiction. Les fonds de retraite de beaucoup de travailleurs ont disparu et leurs rêves de vieux jours sans souci partis en fumée. La Belgique connaît déjà les retraites les moins élevées d'Europe, et jusqu'à présent c'était grâce aux taux d'épargne très élevés que subsistait une certaine prospérité, bien que la limite de la misère avait déjà été franchie pour une nombre croissant de seniors. Avec la crise financière, ces taux d'épargne fondent maintenant comme neige au soleil.
Entre-temps, les demandes d'approbation des mesures de restrictions se suivent. Le Haut Conseil des Finances, la Banque Nationale, la coalition gouvernementale, et tant d'autres ténors de la bourgeoisie nationale sont tous d'accord: "une apogée de plans d'austérité va se déferler sur nous de façon ininterrompue et cela pour cinq à dix ans". Les salaires et avantages doivent baisser, la charge de travail doit augmenter. Les retraites, allocations sociales, frais d'études et de soins de santé seront de plus en plus sous pression. Les vacances et autres types d'«absentéismes» rémunérés doivent diminuer ou être remplacés par des absences non payées, tout est dans le collimateur. Et on essaye de vendre tout ça à la classe ouvrière comme une "nécessaire solidarité", où il faudrait partager la misère. Au fond, il s'agit d'une solidarité avec le système capitaliste, et non d'une solidarité réciproque de la classe ouvrière contre les mesures de la bourgeoisie qui veut faire payer sa crise au prolétariat.
Naturellement, nous dit-on, on ne peut pas laisser aller les choses comme c'était le cas dans les dernières décennies. Le "libre marché" va conduire à un effondrement dévastateur comme dans les années 1930. Ce dont nous avons besoin, c'est plus d'intervention étatique: l'avidité des spéculateurs et des banquiers doit être mis sous contrôle, et les banques et d'autres secteurs économiques très importants doivent être nationalisés lorsque les autres moyens échouent. C'est le nouveau "Keynésianisme", présenté comme la solution aux échecs du "néolibéralisme" (voir l'article dans ce journal: L'État est toujours l'ennemi des ouvriers).
Mais croire que le capitalisme peut devenir plus démocratique, plus humain, plus vert grâce à l'intervention de l'État est une illusion. Les relations sociales capitalistes sont par nature inhumaines. Elles sont indissociablement liées à la soif d'accumuler des profits, et là, "les gens ne viennent jamais d'abord". C'est la leçon la plus claire de la crise actuelle: quarante ans d'interventionnisme étatique n'ont pas réussi à résoudre les problèmes inhérents à ce système. La guerre, le chômage massif, la misère et la destruction de l'environnement ne sont pas le résultat de "mauvais gouvernements". Ils sont le produit direct d'un système sénile, un ordre social qui survit depuis longtemps à son utilité pour l'humanité.
"Travailler plus longtemps et plus dur pour moins. Plus vite nous accepterons cela, mieux ce sera" (De Standaard, 15.3.09). Voilà le message que tous les médias adressent à la classe ouvrière en Belgique.
Non! La résistance n'est pas futile! Résister aux attaques économiques et à la répression politique du capitalisme, résister à ses campagnes idéologiques empoisonnées est l'unique point de départ d'un mouvement pour véritablement changer le monde.
Et cette résistance est possible: - la récente vague de mouvements parmi les étudiants, les instituteurs et professeurs, les chômeurs et d'autres parties de la classe ouvrière, qui a vu le jour en Europe ces derniers mois, et qui a culminé en Grèce en décembre; - les grèves sauvages dans les raffineries de pétrole en Grande-Bretagne (voir dans ce journal); - les occupations d'usines contre les licenciements en France, Grande-Bretagne et Irlande; - les grèves massives en Égypte, au Bangladesh, dans les Antilles; - les émeutes de la faim dans de nombreux pays. Autant de signes de mécontentement social réel et massif, à une échelle internationale toujours plus large. Les mêmes signes se retrouvent dans le nombre croissant de jeunes qui discutent des idées révolutionnaires via Internet, forment des cercles de discussion, remettent en question les fausses solutions offertes par les médias dominants et les gauchistes.
Pour les révolutionnaires, il n'existe qu'une solution à la crise, c'est de jeter une fois pour toutes le capitalisme aux poubelles de l'histoire. Mais cela ne se passera pas automatiquement. Une révolution sociale destinée à surmonter l'exploitation de l'homme par l'homme, la division de la société en classes, l'existence de nations... ne peut qu'être le produit d'un effort conscient et collectivement organisé du prolétariat mondial. Confrontés à des attaques impitoyables, les ouvriers doivent répondre en conséquence, au coup par coup en refusant la logique du capitalisme et en développant la lutte de classes jusqu'au bout de ses limites. Ils doivent forger un rapport de forces basé sur l'unité et la véritable solidarité de classe, sous leur propre contrôle.
Lac / 13.4.09
Ces dernières semaines, les annonces successives de parachutes dorés, de stock-options, de primes, bonus ou de salaires versés aux grands patrons ont fait scandale. Il n'y a ici rien de nouveau sous le soleil. Le capitalisme est un système où une minorité exploite la majorité.
Mais il est vrai que, par ces temps de crise, voir d'un côté les ouvriers se serrer la ceinture, être licenciés et jetés comme des kleenex et, de l'autre, des grands patrons se remplir les poches est encore plus révoltant qu'à l'accoutumée. Ces annonces de millions d'euros attribués aux grands patrons ont provoqué, légitimement, un profond sentiment de dégoût.
Une situation aussi révoltante et provocatrice peut très bien pousser les travailleurs à la lutte. La bourgeoisie ne pouvait donc rester sans réagir. Ainsi elle s'est drapé de sa plus belle hypocrisie pour taper du poing sur la table, dénoncer ces "patrons-voyous" et à l'aide du code Lippens, elle veut restreindre les parachutes dorés et brider les indemnités des top managers. "L'indignation sur les bonus n'est pas du populisme mais un tant soit peu une décence sociale élémentaire et un sens de la norme moral"dit-elle.
Bref, l'État vient au secours de la classe ouvrière!
" Plusieurs pays ont déjà pris des mesures pour mettre un frein aux primes et aux bonus élevés que les cadres des firmes financières indigentes s'approprient encore toujours" (edito dans De Standaard, 31/3/09). Cette ritournelle en effet est reprise en chœur par tous les hauts dirigeants de la planète. D'Obama à Merkel, de Zapatero à Brown, tous promettent que les Etats vont intervenir pour "moraliser" l'économie. C'est même l'un des principaux buts affichés par le G20.
Il est donc nécessaire de rappeler une vérité toute simple : pour les prolétaires, l'Etat est depuis toujours le pire des patrons ! Qui mène sans cesse des attaques générales contre les conditions de vie de la classe ouvrière ? Qui a réduit l'accès aux soins, augmenté l'âge de départ à la retraite et diminué les pensions? Qui a rendu impossible la vie aux chômeurs en les culpabilisant, en les radiant massivement des statistiques officielles et en restreignant leurs droits ? Qui a, de plus en plus instauré des contrats"poubelle" précaire? L'Etat, toujours l'Etat et encore l'Etat !
Pourtant, il existe encore aujourd'hui dans les rangs ouvriers beaucoup d'illusions sur la nature de cet organe bourgeois. La raison en est la croyance, inculquée et entretenue par la gauche, les syndicats et tous les gauchistes. Et l'intérêt soudain de la bourgeoisie pour Marx ne sert qu'à entretenir cette illusion : « Karl Marx le disait déjà: L'État est entièrement de retour. Même les néolibéraux les plus acharnés plaident maintenant pour la nationalisation »." (De Standaard 1/3/09). Ainsi après la Seconde Guerre mondiale, l'État aurait pris des mesures pour le bien-être de la classe ouvrière (la création de la Sécurité sociale par exemple). Ainsi s'entretient l'illusion que des nationalisations massives pourraient permettre une amélioration des conditions ouvrières, et c'est d'ailleurs le programme actuel de toute l'extrême-gauche. En voici une poignée d'exemples :"Une banque d'Etat est un premier acte faisable pour contrer la crise à court terme. Tu ne peux pas tout de suite nationaliser l'entièreté du secteur financier- bien que ce soit à terme sûrement une option." (De Standaard, 1/3/09, E. DeBruyn, président Sp.a Rood). "C'est pourquoi nous disons qu'il faut une nationalisation totale du secteur financier. » (Alternative Socialiste, avril 09 PSL), « Le PTB veut une banque publique » (Solidaire, 26 mars 09 PTB). Contrairement à ces mensonges traditionnels de la gauche et de l'extrême-gauche, les nationalisations n'ont jamais été une bonne mesure économique pour le prolétariat. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l'importante vague de nationalisations avait pour objectif de remettre sur pied l'appareil productif détruit en augmentant les cadences de travail. Il ne faut pas oublier les paroles de Thorez, secrétaire général du Parti "communiste" français et alors vice-président du gouvernement dirigé par De Gaulle, qui lança à la face de la classe ouvrière, et tout particulièrement à celle des travailleurs des entreprises publiques : "Si des mineurs doivent mourir à la tâche, leurs femmes les remplaceront", ou : "Retroussez vos manches pour la reconstruction nationale !" ou encore : "La grève est l'arme des trusts". Bienvenue dans le monde merveilleux des entreprises nationalisées !
Les révolutionnaires communistes ont toujours mis en évidence, depuis l'expérience de la Commune de Paris de 1871, le rôle viscéralement anti-prolétarien de l'État : "L'État moderne, quelle qu'en soit la forme, est une machine essentiellement capitaliste : l'État des capitalistes, le capitaliste collectif idéal. Plus il fait passer de forces productives dans sa propriété, et plus il devient capitaliste collectif en fait, plus il exploite de citoyens. Les ouvriers restent des salariés, des prolétaires. Le rapport capitaliste n'est pas supprimé, il est au contraire poussé à son comble" (F. Engels en 1878) (1).
La nouvelle vague de nationalisations, qui a effectivement commencé dans le secteur bancaire et dans l'automobile aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, n'apportera donc rien de bon à la classe ouvrière. Elle ne permettra pas non plus à la bourgeoisie de renouer avec une véritable croissance durable. Au contraire ! Ces nationalisations annoncent des bourrasques économiques à venir encore plus violentes.
En effet, en 1929, les banques américaines qui ont fait faillite ont sombré avec les dépôts d'une grande partie de la population américaine, plongeant dans la misère des millions d'ouvriers. Dès lors, pour éviter qu'une telle débâcle ne se reproduise, le système bancaire avait été séparé en deux : d'un côté, les banques d'affaires qui financent les entreprises et qui travaillent sur les opérations financières en tout genre, de l'autre, les banques de dépôt qui reçoivent l'argent des déposants et qui s'en servent pour des placements relativement sécurisés. Or, emportées par la vague de faillites de l'année 2008, ces banques d'affaires américaines n'existent plus. Le système financier américain s'est recomposé tel qu'il était avant le 24 octobre 1929 ! A la prochaine bourrasque, toutes les banques "rescapées" grâce aux nationalisations partielles ou totales risquent à leur tour de disparaître mais en emportant cette fois-ci les maigres économies et les salaires des familles ouvrières. Aujourd'hui, si la bourgeoise nationalise, ce n'est pas pour suivre un quelconque nouveau plan de relance économique mais pour éviter l'insolvabilité immédiate des mastodontes de la finance ou de l'industrie. Il s'agit d'éviter le pire, de sauver les meubles (2).
Mais, si ce n'est à travers ses plans de relance, l'État peut-il tout de même être LE sauveur en relançant l'économie à coup de milliards de dollars ? Eh bien, non ! Cette espérance se base sur l'idée qu'un Etat ne peut pas faire faillite, qu'il peut donc sortir indéfiniment de l'argent de sa poche (ou plutôt de ses planches à billets). Ben Bernanke, l'actuel président de la Fed (la Banque centrale américaine), avait ainsi prononcé un discours le 21 novembre 2002 qui est resté célèbre : il affirmait qu'en cas de crise aux Etats-Unis, il suffisait d'"imprimer de l'argent à l'infini et le déverser par hélicoptère" .
Quand un particulier fait faillite, il perd tout et il est jeté à la rue. L'entreprise, elle, met la clef sous la porte. Mais un État ? Un État peut-il faire faillite ? Après tout, nous n'avons jamais vu d'État "fermer boutique". Pas exactement, en effet. Mais être en cessation de paiement, oui ! En 1982, quatorze pays africains sur-endettés ont été contraints de se déclarer officiellement en cessation de paiement. Dans les années 1990, des pays d'Amérique du Sud et la Russie ont fait eux aussi défaut. Plus récemment, en 2001, l'Argentine s'est à son tour écroulée. Concrètement, ces États n'ont pas cessé d'exister, l'économie nationale ne s'est pas arrêtée non plus. Par contre, chaque fois, il y eu une sorte de séisme économique : la valeur de la monnaie nationale a chuté, les prêteurs (en général d'autres États) ont perdu tout ou partie de leur investissement et, surtout, l'État a réduit drastiquement ses dépenses en licenciant une bonne partie des fonctionnaires et en cessant de payer pour un temps ceux qui restaient.
Aujourd'hui, de nombreux pays sont au bord d'un tel gouffre : l'Equateur, l'Islande, l'Ukraine, la Serbie, l'Estonie, etc. Plus proche encore l'UE a récemment développé un plan de secours par rapport à la profonde crise finacière de quatre de ses pays-menbre: l'Irlande, la Grèce, l'Autriche et... la Belgique. J. L. Dehaene confirme que « Si on n'y [l'union monétaire européenne] était pas, nous serions comme l'Islande, aujourd'hui, un pays en faillite. » (La Vif/L'Express 27/3/09) Mais qu'en est-il des grandes puissances ? Le gouverneur de Californie, A. Schwarzenegger, a déclaré fin décembre que son État se trouvait en "état d'urgence fiscale". Ainsi, le plus riche des Etats américains, le "Golden State", s'apprête à licencier une bonne partie de ses 235 000 fonctionnaires! En présentant ce nouveau budget, l'ex-star d'Hollywood a averti que "chacun devra consentir des sacrifices". C'est ici un symbole éloquent des difficultés économiques profondes de la première puissance mondiale. Nous sommes encore loin d'une cessation de paiement de l'État américain, mais cet exemple montre clairement que les marges de manœuvre financières sont actuellement très limitées. L'endettement mondial semble arriver à saturation (il était de 60 000 milliards de dollars en 2007 et a encore gonflé de plusieurs milliers de milliards depuis) ; contrainte de poursuivre dans cette voie, la bourgeoisie va donc provoquer des secousses économiques dévastatrices. Tous les économistes de la planète en appellent à un new New Deal, rêvant de voir en Obama le nouveau Roosevelt, capable de relancer l'économie, comme en 1933, par un immense plan de grands travaux publics financé... à crédit. Mais le plan d'Obama annoncé début 2009 est, aux dires mêmes des économistes, "bien décevant" : 775 milliards vont être débloqués pour à la fois permettre un "cadeau fiscal" de 1000 dollars aux foyers américains (95 % de ces foyers sont concernés), afin de les inciter à "se remettre à dépenser" et lancer un programme de grands travaux dans le domaine de l'énergie, des infrastructures et de l'école. Ce plan devrait, promet Obama, créer trois millions d'emplois "au cours des prochaines années". L'économie américaine détruisant en ce moment plus de 500 000 emplois par mois, ce nouveau New Deal (même s'il fonctionne au mieux des prévisions, ce qui est très peu probable) est donc encore vraiment loin du compte.
Des plans d'endettement étatique équivalents au New Deal, la bourgeoisie en lance régulièrement depuis 1967, sans véritable succès. L'endettement des ménages, des entreprises ou des États, n'est qu'un palliatif, il ne guérit pas le capitalisme de la maladie de la surproduction (3) ; il permet tout au plus de sortir momentanément l'économie de l'ornière mais toujours en préparant des crises à venir plus violentes. Et pourtant, la bourgeoisie va poursuivre cette politique désespérée car elle n'a pas d'autre alternative, comme le montre, une énième fois, la déclaration du 8 novembre 2008 d'Angela Merkel à la Conférence internationale de Paris : "Il n'existe aucune autre possibilité de lutter contre la crise que d'accumuler des montagnes de dettes" ; ou encore la dernière intervention du chef économiste du FMI, Olivier Blanchard : "Nous sommes en présence d'une crise d'une amplitude exceptionnelle, dont la principale composante est un effondrement de la demande [...] Il est impératif de relancer [...] la demande privée, si l'on veut éviter que la récession ne se transforme en Grande dépression". Comment ? "par l'augmentation des dépenses publiques".
La montagne de dettes accumulées durant quatre décennies s'est transformée en véritable Everest et rien ne peut aujourd'hui empêcher le capital d'en dévaler la pente. L'état de l'économie est réellement désastreux. Cela dit, il ne faut pas croire que le capitalisme va s'effondrer tout seul d'un coup. La bourgeoisie ne laissera pas SON système disparaître; elle tentera désespérément, et par tous les moyens, de prolonger l'agonie de son système, sans se soucier des maux infligés à l'humanité. Mais ce qui est certain, c'est que la crise historique du capitalisme vient de changer de rythme. Après quarante années d'une lente descente aux enfers, l'avenir est aux soubresauts violents, aux spasmes économiques récurrents frappant non plus les seuls pays du tiers-monde ou de l'ex bloc de l'est mais aussi les États-Unis, l'Europe, et les économies émergentes en Asie...Alors, la bourgeoisie peut bien aujourd'hui tenter de nous bercer de douces illusions en nous faisant croire que les Etats ont l'économie en main et qu'ils vont dorénavant s'attacher à "moraliser" le capitalisme. La réalité, c'est que dans tous les pays, les Etats, de droite comme de gauche, seront les fers de lance des attaques anti-ouvrières à venir
Jennifer&Lac /13.04
1) In l'Anti-Duhring, Ed. Sociales 1963, p.318.
2) Ce faisant, elle crée un terrain plus propice au développement des luttes. En effet, en devenant leur patron officiel, les ouvriers auront tous face à eux dans leur lutte directement l'Etat. Dans les années 1980 et 1990, la vague importante de privatisation des grandes entreprises avait constitué une difficulté supplémentaire pour dévoyer la lutte de classe. Non seulement les ouvriers étaient appelés par les syndicats à se battre pour sauver les entreprises publiques ou, autrement dit, pour être exploités par un patron (l'Etat) plutôt qu'un autre (privé), mais en plus ils se confrontaient non plus au même patron (l'Etat) mais à une série de patrons privés différents. Leurs luttes étaient souvent éparpillées et donc impuissantes. A l'avenir, au contraire, le terreau sera plus fertile aux luttes d'ouvriers unis contre l'Etat.
3) Pour comprendre plus en profondeur la crise économique, lire notre article "La plus grave crise économique de l'histoire du capitalisme".
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Les prévisions économiques de la rentrée se veulent rassurantes: la reprise de l’économie et du commerce pointerait à l’horizon. Concernant la fiabilité des prévisions des experts bourgeois, les deux dernières années nous ont appris combien on pouvait s’y fier. Quant à la réalité de la situation économique et sociale après le tsunami de la récession de 2008-2009, les chiffres sont par contre implacables. Ainsi, la Belgique est confrontée à un déficit budgétaire de 25 milliards d’euros, soit plus de 6% du Produit National Brut (et le bureau du plan prévoit une croissance vers 7,1 % en 2010 et 7,3 du PNB en 2011), à un chômage en hausse de 21% et des dizaines de milliers de travailleurs en chômage temporaire économique (en Flandre, 25% des travailleurs). Alors qu’une dizaine d’années d’austérité sous le gouvernement Dehaene avaient ramené la dette publique de 130% du Produit Intérieur Brut au début des années 1990 à environ 80% en 2007, cette dette frôle à nouveau les 100% et passerait à 110% du PIB en 2010. Les conséquences de cette situation ne laissent planer, selon les dires du Premier ministre Van Rompuy lui-même, aucune équivoque :
“Pour le 20 septembre on doit rendre le plan de stabilisation à la Commission européenne, et puis on passera au budget 2010-2011. (…) Pour soutenir nos acquis sociaux, il faut absolument une infrastructure économique plus solide et plus dynamique qu’aujourd’hui. L’Europe doit travailler et la Belgique aussi. (…) On est à nouveau parti pour une longue période d’adaptation. Tout cela est surmontable hein! [sic, merci pour l’encouragement] … en 1992 le plan Dehaene représentait un effort équivalant à la moitié de celui d’aujourd’hui …Donc aujourd’hui c’est …le double de ce qu’on devait faire en 1992. On va devoir s’adapter. Surtout la population [sic] va devoir s’adapter. On va devoir changer de discours.” (Le Soir, 1.8.2009).
En pleine trêve estivale, voici un discours particulièrement direct. Le sauvetage des banques et le soutien de l’économie chancelante ont en premier lieu annulé 15 années de restrictions budgétaires et de modération salariale ; de plus, le trou à combler est deux fois plus profond et les réductions des dépenses seront deux fois plus fortes que dans les 15 dernières années. Par la bouche du Premier ministre, le gouvernement nous promet donc encore plus de sang et de larmes que pendant les années ’80 et ’90 et cela au moins pendant 10 ans.
Confrontée à l’avalanche de menaces contre ses conditions de vie, la classe ouvrière belge reste pour le moment timide dans sa riposte, ce qui peut paraître surprenant. La majorité des travailleurs choisit une attitude d’expectative et de désarroi, comme nous le voyons chez Opel Anvers ou à la Sonaca à Charleroi. Une petite minorité de travailleurs réagit violemment, parce qu’ils se sentent obligés de «faire quelque chose avant qu’il ne soit trop tard» face à la pression des licenciements qu’ils subissent dans leur entreprise ou région, mais se retrouvent alors souvent isolés (l’exemple de l’occupation chez Brigdestone). Comment expliquer cette relative passivité d’une classe ouvrière, qui, en d’autres occasions (comme encore lors de la rafale de grèves début 2008), a su exprimer sa combativité face aux attaques qu’elle subissait?
- D’abord, par la prudence de la bourgeoisie elle-même dans la mise en oeuvre de ses plans d’attaques. Contrairement aux années ’70 ou ’80, la bourgeoisie ne dispose plus de soi-disant politiques alternatives pour contrer la crise. Elles ont toutes été appliquées et ont toutes fait long feu: la promesse de dizaines de milliers de nouveaux emplois dans le secteur public, la réduction du temps de travail (les 36h), la réduction du joug de l’Etat, la limitation de l’afflux d’étrangers, ... Dès lors, consciente de sa marche de manoeuvre réduite dans un contexte de ras-le-bol généralisé, elle agit avec circonspection, essaie d’éviter toute provocation. C’est pourquoi elle évite pour le moment des mesures frontales contre les salaires, misant plutôt sur l’augmentation de taxes ‘écologiques’ ou la réduction des dépenses de la sécurité sociale, sur la réduction des avantages fiscaux octroyés à l’épargne pension complémentaire, des mesures qui constituent tout autant des attaques contre essentiellement les salariés, mais de manière indirecte. De même, elle tente de justifier l’équité et la légitimité des attaques annoncées en suscitant elle-même un battage sur la nécessité de «faire payer également ceux qui ont provoqué les problèmes»: les projets d’impôt de crise pour les banques, de limitation des bonus pour les cadres supérieurs ou même de taxe sur la spéculation financière (‘taxe Tobin’) doivent convaincre la population, et surtout les salariés, que les sacrifices sont équitablement répartis.
- Ensuite et surtout évidemment par l’ampleur et la brutalité de la crise elle-même, amplement étalée dans les médias au service de la bourgeoisie. Dans un premier temps, il est normal que les travailleurs reculent face à l’ampleur des attaques et au niveau de réponse que celles-ci requièrent: comment à Opel Anvers faire face à la faillite planétaire menaçant GM et au combat de chiffonniers que se livrent direction de GM, gouvernement US et gouvernement allemand? Comment combattre les licenciements à la Sonaca, alors que les commandes d’avions s’effondrent dans le monde? Certes, la nécessité de défendre ses conditions de vie menacées, d’avancer une alternative à un capitalisme qui se révèle incapable d’assurer une perspective décente à l’humanité, s’impose chaque jour plus. Mais pour que la possibilité de le faire soit à son tour largement reconnue par la classe ouvrière, des obstacles importants restent encore à franchir.
Un de ces pas importants que les travailleurs ont à réaliser est sans nul doute le développement de leur capacité à désamorcer les pièges et les mystifications que la bourgeoisie met en place pour entraver leur marche vers l’unité et le développement de leur conscience. De fait, si la bourgeoisie n’a pas caché l’importance de la crise, elle a intensifié ses campagnes en vue de brouiller la réflexion parmi les travailleurs sur le type de riposte à mettre en oeuvre et l’alternative à avancer. Au centre de ces campagnes se trouve le maintien de la crédibilité de la démocratie bourgeoise. Sur le plan international, le battage autour de l’élection d’Obama visait déjà à recrédibiliser l’alternative démocratique. En Belgique, le cirque électoral de juin a été exploité pour le même objectif avec une grande maestria par la bourgeoisie.
A propos des récentes élections de juin 2009, le constat le plus remarquable, largement mis en évidence dans la presse, était que les vainqueurs et les perdants au nord et au sud du pays n’étaient pas les mêmes. Du côté francophone, c’était surtout les verts (Ecolo) qui sortaient gagnants des urnes, tandis qu’en Flandre, c’était les nationalistes flamands ‘modérés’ et ‘fréquentables’ de la NVA qui avançaient fortement au détriment de l’extrême-droite nationaliste flamande xénophobe du Vlaams Belang, qui perd un tiers de ses voix. Ces résultats étaient salués par le monde politique bourgeois comme une grande victoire de la démocratie. De fait, ces résultats ont permis à la bourgeoisie d’exploiter la mystification démocratique contre le développement de la résistance ouvrière sur deux plans:
- en pointant les orientations opposées des élections dans les deux régions («les résultats montrent que nous vivons dans deux pays différents») et la composition différente des gouvernements régionaux («olivier» de ‘gauche’ du côté francophone, centre droit du côté flamand), elle renforce les divisions régionalistes et donc aussi les obstacles au développement de luttes unifiées;
- en soulignant la consolidation du ‘consensus démocratique’ à travers la lourde défaite de l’extrême-droite, elle consolide les illusions démocratiques et entrave la réflexion à propos d’alternatives au capitalisme moribond.
La bourgeoisie belge a une énorme expérience dans l’encadrement du mécontentement de la classe ouvrière et elle dispose d’un instrument syndical particulièrement performant pour éviter que le ras-le-bol débouche sur une remise en question du système. D’un côté, ces syndicats soutiennent des luttes parfois dures (comme les actions des métallos wallons ou la longue occupation de l’usine Brigdestone) mais toujours aussi isolées que possible à l’entreprise, au secteur ou à la région, qui se révèlent généralement inefficaces et mènent au découragement. D’autre part, ils sont en pointe dans la campagne pour une austérité équitable: en effet c’est le syndicat socialiste qui a mis en avant la nécessité d’imposer aux banques une cotisation de crise, non pas pour défendre les travailleurs, mais afin de crédibiliser le discours sur «les sacrifices collectifs» et d’éviter toute explosion sociale incontrôlée: «Nous voulons vraiment aider les entreprises mais d’une manière cohérente et de préférence efficace. ( ...). Le sentiment de ras-le-bol ne doit pas être sous-estimé. Nous ne vivons heureusement pas encore des situations comme en France où des salariés en colère menacent même de faire sauter leur entreprise, mais ne sous-estimez pas la colère qui monte. Je ne dis pas cela en tant que menace mais à partir d’une préoccupation sincère » (R. De Leeuw, président du syndicat socialiste, De Morgen, 02.09.2009).
La classe ouvrière en Belgique est pleinement confrontée au sabotage syndical de sa résistance. Elle est partie prenante de ce long combat de la classe ouvrière internationale, qui devra lui permettre, en tirant les leçons de ses expériences avec les méthodes syndicales d’encadrement des luttes et de conciliation sociale au sein du système démocratique bourgeois, de prendre en main elle-même l’organisation des luttes, de développer l’extension et l’unification de ses luttes et d’avancer ses alternatives. C’est aussi à l’échelle mondiale que s’expriment les premières manifestations des avancées sur ce chemin. Malgré le black-out médiatique, la presse bourgeoise a bien dû signaler ces derniers mois les luttes massives en Afrique du Sud, au Bangladesh et surtout en Egypte, où les syndicats officiels ont été débordés et où les travailleurs ont cherché des formes de lutte alternatives. En Chine il y a quasi quotidiennement des confrontations violentes entre les ouvriers et les forces de l’ordre suite à des licenciements ou des réductions de salaire. En Europe même, des mouvements importants ont souligné la prise de conscience croissante au sein de parties de la classe exploitée des enjeux. Cela s’est exprimé début 2009 dans les émeutes de la jeunesse étudiante en Grèce contre l’absence de perspective et la violence de la répression étatique, soutenue par une large partie de la population ouvrière. De même, en Espagne et en Grande-Bretagne apparaissent les premières expressions de prise en main des luttes, de recherche de solidarité et d’extension de la lutte. Ainsi, dans la raffinerie Lindsey, une campagne infâme propageant des ‘British jobs for British workers’ a été contrée par les ouvriers eux-mêmes, ce qui a permis de reprendre la lutte quelques mois plus tard à un niveau supérieur d’unité des manifestations de solidarité entre ouvriers britanniques et ouvriers immigrés, polonais et italiens (voir article dans ce numéro).
L’aggravation considérable que connaît actuellement la crise du capitalisme constitue un élément de premier ordre dans le développement des luttes ouvrières. Il ne suffit pas à la classe ouvrière de percevoir que le système capitaliste est dans une impasse, qu’il devrait céder la place à une autre société, pour qu’elle soit en mesure de se tourner vers une perspective révolutionnaire. Le chemin qui conduit aux affrontements révolutionnaires et à la remise en question du capitalisme sera encore long et difficile. Seule l’appréhension de la situation de la classe ouvrière en Belgique dans ce cadre mondial des tentatives de la classe ouvrière internationale de contrer les campagnes de la bourgeoisie et de développer ses luttes et sa conscience permet d’éviter de tomber périodiquement dans le scepticisme ou l’euphorie. C’est aussi la seule démarche qui peut permettre, aux éléments conscients des enjeux, de contribuer politiquement à l’accroissement de la capacité de la classe ouvrière à désamorcer les pièges et les mystifications démocratiques que la bourgeoisie met en place, à rompre le carcan syndical et à prendre ses luttes en main, ces pas fondamentaux vers une lutte unifiée contre les horreurs du capitalisme en crise.
J / 05.09.09
Aux quatre coins de la planète, la classe ouvrière subit des conditions d’exploitation et de misère de plus en plus insoutenables. Et dans les pays que la bourgeoise nomme hypocritement “émergents”, les ouvriers sont traités comme du simple bétail.
Mais depuis quelques années, ces esclaves-salariés tendent à résister de façon croissante. En Egypte, à Dubaï, ou au Vietnam, des révoltes grondent et explosent sporadiquement, rassemblant chaque fois des dizaines de milliers d’ouvriers.
L’existence de ces luttes est méconnue dans le reste du monde, voire totalement ignorée. Les médias, aux ordres de la bourgeoisie, opèrent tous un véritable black-out : rien ne filtre, ou presque, ni de ces immenses grèves, ni des terribles répressions qui s’abattent systématiquement sur les ouvriers combatifs.
Ainsi, les journaux ont fait régner un silence de plomb sur les luttes massives qui ont frappé récemment le Bangladesh et la Chine.
Les ouvriers du textile de ce pays détiennent un triste record mondial, celui des plus bas salaires : 0,22 $ de l’heure ! En Inde, où la population vit dans le plus complet dénuement, les salaires sont deux fois plus élevés (soit 0,44 $ de l’heure). Et pourtant, dernièrement, la situation s’est encore dégradée : dans certaines usines, même ces salaires de misère ne sont plus versés !
Alors, après des mois de souffrances et de privations, la massivité et la violence de la réaction ouvrière ont été à la hauteur de ce traitement inhumain. Le 10 mai dernier, dans une usine de fabrication de pulls Rupashi, à Narayanganj (cité portuaire et centre des industries textiles du pays), des ouvriers ont laissé exploser leur colère en s’en prenant physiquement à leur patron. “Le lendemain, les ouvriers de Rupashi se rendant au travail se retrouvèrent face à une usine fermée et cadenassée. Les travailleurs décidèrent alors de se rendre en cortège aux autres usines de la ville en entonnant des slogans contre l’exploitation. Des milliers d’autres travailleurs quittèrent leur poste de travail pour les rejoindre. Des heurts se produisirent avec les agents de sécurité des usines. La violence se répandit comme une traînée de poudre : 20 000 travailleurs se mirent à saccager et à mettre le feu à des dizaines d’usines de textile et de filature de coton.” (1)
Déjà en 2006, des milliers d’ouvriers révoltés avaient ravagé certains sites industriels. Mais cette fois, les grévistes ont agi plus massivement et plus violemment encore. Ils n’ont pas hésité à franchir toutes les barrières de sécurité qui entourent leurs usines pour se regrouper et affronter l’armée, ce qui a donné lieu a des batailles de rue très sanglantes.
Ces sites sont de véritables bagnes industriels, des sortes de camps entourés de barbelés et protégés en permanence par des vigiles en arme. En s’en prenant aux usines et à l’armée, ces 20 000 ouvriers ont voulu à la fois détruire les machines, véritables objets de torture sur lesquelles ils suent sang et eau, jour et nuit, et à la fois affronter leurs geôliers au péril de leur vie.
La Chine est présentée depuis quinze ans comme le nouvel Eldorado capitaliste. à en croire tous les boni-menteurs diplômés en économie, l’Empire du milieu est aujourd’hui censé être épargné par la crise économique. Mieux encore, la Chine permettrait demain à l’économie mondiale de sortir de la récession ! Evidemment, la vérité est tout autre. Ce pays est lui aussi frappé de plein fouet et brutalement par la crise, et là-bas comme ailleurs la classe ouvrière en est la première victime. Par exemple, “rien qu’à Daqing (2), ce sont 88 000 employés dont on a annoncé le licenciement depuis deux ans” (3). Dans tout le pays, environ 30 millions de travailleurs migrants ont perdu leur travail depuis l’été dernier.
Mais peu à peu, la combativité se développe. Malgré la répression impitoyable du Parti communiste chinois, les ouvriers acceptent de moins en moins d’être traités comme des bêtes de somme. Ainsi, depuis le début mars, “des milliers d’ouvriers du nord-est de la Chine manifestent leur mécontentement dans la rue, pour réclamer le versement de leurs allocations et la libération de leurs représentants (4). Les manifestations ont lieu dans les villes de Daqing et de Liaoyang, au cœur du bassin industriel de Mandchourie, frappé par la crise économique. Autour de ces villes, les industries d’Etat font vivre, directement ou indirectement, neuf personnes sur dix. Mais les rendements de ces industries lourdes sont en baisse et les plans sociaux se sont multipliés. Depuis qu’on leur a annoncé qu’ils ne recevraient plus d’allocations pour le chauffage et qu’ils se verraient supprimer leur sécurité sociale après licenciement, les ouvriers de Daqing, par milliers, jusqu’à 30 000 personnes, descendent tous les jours dans la rue depuis le premier mars. Réunis sur la place de l’Homme-de-Fer, du nom d’un héros légendaire du prolétariat dans les années soixante, ils font le pied de grue devant le siège local de Petro China, la compagnie publique qui les emploie. “Les Hommes de fer, ce sont nous”, ont-ils lancé sous les fenêtres de leur employeur. A Liaoyang, des raisons similaires ont poussé les ouvriers à braver le froid et les vents de sable, pour protester par dizaines de milliers devant le siège du gouvernement local” (5).
Cette vague de lutte est représentative de la montée générale de la combativité du prolétariat vivant en Chine face aux ravages de la crise économique. “Au cours des trois premiers mois de cette année, alors que le rythme des pertes d’emploi et le retour des migrants dans leur région d’origine a monté en flèche, la Chine a connu 58 000 “incidents de masse”. C’est le gouvernement lui-même qui parle de grèves, de manifestations de rue, de barrages de route et d’autres formes de lutte populaire. Ces chiffres proviennent des agences de surveillance de la stabilité politique en Chine continentale, situées à Hong Kong. Si cette tendance continue toute l’année, 2009 battrait tous les records précédents avec plus de 230 000 de ces dits “incidents de masse”, comparés aux 120 000 en 2008 et aux 90 000 de 2006” (6).
Du Vietnam à Dubaï, de la Chine au Bangladesh, des grèves de plus en plus importantes et violentes explosent. La question qui se pose alors est : quel est l’avenir de ces luttes ? Pour y répondre, il faut les concevoir comme faisant partie d’un processus international, celui du retour progressif du prolétariat sur le terrain de la lutte de classe, partout dans le monde.
Dans les pays “émergents”, la combativité ouvrière, la massivité des grèves, ainsi que le courage face aux répressions féroces, sont une force qui peut et doit inspirer les prolétaires de tous les pays.
Mais le désespoir qui les pousse, comme au Bangladesh, à saccager les usines tel un exutoire ou à s’affronter aux forces de répression sans nulle autre perspective que de mourir dans un bain de sang, révèle aussi à quel point ces prolétaires ont besoin de la lutte des ouvriers dans les pays centraux, en Europe ou aux Etats-Unis, pour s’approprier la longue expérience des plus vieux bataillons du prolétariat mondial.
Pour que toutes ces luttes se fassent écho, que la combativité des uns encourage les autres et que l’expérience des autres profitent aux uns, il faut briser la chape de plomb médiatique orchestrée par la bourgeoisie, casser le black-out en diffusant et en débattant le plus largement possible, à l’échelle internationale, de chaque nouvelle lutte importante.
Map (1er juillet)
1) Source : “Des nouvelles du front”.
2) Ville d’un million d’habitants située dans la province du Heilongjiang.
3) Source :“Des nouvelles du front [82]”.
4) Ces “représentants” sont a priori les éléments que l’Etat chinois a repérés comme les ouvriers les plus combatifs dès le début du mouvement et sur lesquels elle a concentré ses foudres en les jetant en prison. Néanmoins, compte tenu du peu d’informations dont nous disposons, nous ne savons pas dans quelles conditions et jusqu’à quel point ces “représentants” sont reconnus par l’ensemble des ouvriers en lutte.
5) Source : «Des nouvelles du front”.
6) Source : “Des nouvelles du front [83]”.
Fin
août, une «journée de rencontre et de discussion organisée par le
CCI», se déroulant pour la troisième fois en Belgique à Anvers, a
eu lieu autour de deux thèmes de discussion choisis par les
participants; une première session a traité, à l’occasion de
l’année Darwin, du thème «Darwinisme et marxisme» et une
seconde de «Comment et pourquoi la classe ouvrière
s’organise-t-elle?».
Cette
journée regroupant des participants de tous âges fut
particulièrement marquée par une participation active de tous, par
des discussions animées exprimant la volonté de chacun de vouloir
comprendre et approfondir ce dont il était question. Et ceci dans
une ambiance cordiale et chaleureuse qui a été présente non
seulement lors des discussions mais aussi pendant les pauses,
particulièrement pendant le barbecue qui a clôturé cette journée
et qui a été l’occasion pour beaucoup de poursuivre la
discussion, d’apprendre à se connaître et d’échanger des
idées.
Cette journée est loin d’être un évènement isolé. Elle s’inscrit pleinement dans une dynamique internationale:
-déroulement de rencontres similaires en France (Marseille, Paris), Italie (Naples), Grande-Bretagne (Londres), Etats-Unis (New York), ....;
- apparition de cercles de discussion et de groupes en recherche de clarification politique de part le monde (de l’Allemagne au Brésil, du Nicaragua à la Corée ou au Japon);
- conférence de groupes internationalistes en Amérique Latine.
Comment expliquer une telle dynamique internationale? Elle est née principalement de deux besoins fondamentaux:
- un besoin de comprendre : l’évolution du monde amène à réfléchir aux causes de sa détérioration (catastrophes écologiques, crise économique, chômage, misère, de perspective économique et sociale, guerres, , famines,…), car sans diagnostic précis, pas de remède efficace…;
-
un besoin de faire quelque chose : comment faire pour empêcher
la catastrophe qui s’annonce, pour avancer une alternative à cette
société agonisante? Quelles sont les forces qui peuvent réaliser
cette alternative? Comment s’organiser et établir un rapport de
force en notre faveur? Questions difficiles mais qu’il est capital
d’aborder pour éviter les actions stériles, qui ne mènent qu’à
l’épuisement et au découragement.
Les réponses à ces questions, nous ne pouvons les trouver qu’ensemble et pas chacun dans notre coin, dans l’isolement, l’individualisme, le «chacun pour soi» que cette société veut nous imposer. Réfléchir collectivement, apprendre à tirer les leçons des expériences du passé, des nombreuses réflexions et des contributions théoriques produites car nous ne sommes pas les premiers, loin de là, à chercher ces réponses: ceci n’est possible qu’en créant un espace pour ce processus de réflexion politique. Créer un tel espace signifie:
- aller le plus possible à la rencontre des questionnements existants en abordant un large éventail de sujets;
- que chacun peut, sans obligation, participer et contribuer selon ses capacités et ses intérêts;
- que les participants doivent avoir pleinement l'occasion de discuter librement ensemble, dans un climat ouvert, fraternel où chacun peut sans crainte mettre en avant ses questions, ses réflexions mais aussi ses doutes, et ainsi contribuer au débat de façon consciente et collective;
-
aussi que l’espace en question n’est qu’un maillon d’une
chaîne, qu'un moment de tout un processus de réflexion, et doit
être compris ou conçu dans une continuité à la fois historique et
internationale.
C’est
pourquoi le CCI prend l’initiative d’organiser et de participer
activement à des journées de rencontre et de discussion, comme il
l’a fait dernièrement à Anvers. Dans les numéros
d’Internationalisme, nous aurons l’occasion de revenir sur les
apports de cette journée.
Bien évidemment, une seule journée de discussion ne suffit pas pour traiter et éclaircir toutes les questions posées. Parce que bien d’autres thèmes mis en avant par les invités n’ont pas pu être mis à l’ordre du jour, parce que la situation mondiale pose la question de l’avenir de la société capitaliste, il est nécessaire que le débat se poursuive.
A
cette fin, en plus de nos permanences et réunions publiques
régulières, un autre moment de rencontre et de discussion organisé
par le CCI se déroulera en France, à Lille, au mois d’octobre,
dans la continuité de la journée du mois d’août à Anvers.
DM /8.09.09
On nous dit tous les jours que nous devons nous serrer la ceinture, accepter les suppressions de poste, les diminutions de salaire et de pension de retraite, pour le bien de l’économie nationale, pour l’aider à faire face à la récession qui s’approfondit. L’idée de lutter contre ces attaques incessantes se heurte à la peur terrible du chômage et à la campagne médiatique sans fin qui nous dit que la lutte ne peut empêcher nos conditions de vie et de travail d’empirer.
Mais, dans les premières semaines de juin, un événement est venu clairement démontrer que le poids de la passivité et de la peur n’était pas une fatalité. Les travailleurs du métro londonien ont fait grève pour défendre 1.000 emplois menacés. Les ouvriers de la Poste à Londres et en Ecosse ont lancé des luttes contre les licenciements, les contrats rompus et les suppressions de postes. Et surtout, au même moment, 900 travailleurs du bâtiment de la raffinerie de Lindsey arrêtaient le travail par solidarité avec 51 de leurs camarades qui étaient licenciés. Cette lutte a explosé dans une série de grèves sauvages par solidarité dans les plus grands sites de construction du secteur énergétique en Grande-Bretagne, quand Total a jeté 640 grévistes le 19 juin. Ces luttes montrent que nous ne devons pas accepter notre «destin».
Au début de l’année, les ouvriers de la raffinerie de Lindsey avaient été au coeur d’une vague semblable de grèves sauvages, à propos de licenciements d’ouvriers sur le site. Cette lutte, à ses débuts, était freinée par le poids du nationalisme, symbolisé par le slogan: «Des jobs anglais pour les ouvriers anglais!» et par l’apparition de drapeaux de l’Union Jack dans les piquets de grève. Quelques-uns des ouvriers en grève disaient qu’on ne devait pas employer d’ouvriers étrangers alors que les ouvriers anglais étaient licenciés. La classe dominante a utilisé ces idées nationalistes à plein, exagérant leur impact et en présentant cette grève comme étant dirigée contre les ouvriers italiens et polonais employés sur le site. Cependant, soudainement et de façon imprévisible, il a été mis fin à cette grève quand ont commencé à apparaître des banderoles appelant les ouvriers portugais et italiens à rejoindre la lutte, affirmant: «Ouvriers du monde entier, unissez-vous!» et que les ouvriers polonais du bâtiment ont rejoint les grèves sauvages à Plymouth. Au lieu d’une défaite ouvrière longuement préparée, avec des tensions croissantes entre ouvriers de différents pays, les ouvriers de Lindsey ont obtenu 101 emplois de plus, les ouvriers portugais et italiens gardant leur emploi, gagné l’assurance qu’aucun ouvrier ne serait licencié et sont rentrés unis au travail.
La nouvelle vague de luttes, s’appuyant sur cette bonne dynamique, a pu éclater sur une base d’emblée beaucoup plus claire: solidarité avec les 51 ouvriers licenciés. Au même moment, un autre employeur embauchait des ouvriers. Les ouvriers licenciés ont été avertis qu’on n’avait plus besoin d’eux par des post-it sur leur carte de pointage! Cela a suscité une réponse immédiate de la part de centaines d’ouvriers, arrêtant le travail par solidarité. Il y avait le sentiment que ces ouvriers étaient attaqués à cause du rôle qu’ils avaient joué dans la grève précédente. Le 19 juin, Total, le propriétaire du site, prenait la mesure inattendue de licencier 640 grévistes. Il y avait déjà eu des grèves de solidarité dans d’autres usines, mais avec ces annonces de nouveaux licenciements, des grèves ont éclaté dans tout le pays. «Environ 1.200 ouvriers en colère se rassemblaient aux principales entrées hier, agitant des panneaux qui fustigeaient... les patrons cupides. Des ouvriers des centrales électriques, des raffineries, des usines dans le Cheshire, le Yorkshire, le Nottinghamshire, l’Oxfordshire, en Galles du Sud et Teesside arrêtaient le travail pour montrer leur solidarité” (The Independent du 20 juin). Le Times rapportait «qu’il y avait aussi des signes que la grève s’étendait à l’industrie nucléaire, puisque EDF Energy disait que les ouvriers contractuels du réacteur de Hickley Point dans le Somerset avaient arrêté le travail».
Les journaux de droite tels que le Times et le Daily Telegraph qui, d’habitude, utilisent à plein ce genre de sentiments, n’en faisaient aucune mention et se concentraient plutôt sur l’action engagée par Total et le danger que ces luttes ne s’étendent. La classe dominante est extrêmement préoccupée par cette lutte, justement parce qu’elle ne peut pas la dévoyer si facilement dans une campagne nationaliste. Elle a peur qu’elle puisse s’étendre à tout le secteur de la construction en général et peut-être même au-delà. Les ouvriers peuvent voir que si Total arrive à licencier des ouvriers en grève, d’autres patrons prendront la suite. La question de la grève est clairement posée comme une question de classe, qui concerne tous les travailleurs.
La vision de la solidarité avec les travailleurs étrangers confirme la nature de classe évidente de cette lutte. Comme le dit clairement un ouvrier licencié: «Total réalisera bientôt qu’ils ont libéré un monstre. C’est honteux que cela soit arrivé sans aucune consultation. C’est aussi illégal et ça me rend malade. S’ils (Total) s’en tirent, le reste de l’industrie s’écroulera et fera du dégraissage. Les travailleurs seront décimés et les ouvriers non qualifiés étrangers seront embauchés au moindre coût, traités comme de la merde et renvoyés quand le travail sera fini. Il y a une sérieuse possibilité que l’électricité soit coupée à cause de cela. Nous ne pouvons pas rester passifs et voir des ouvriers jetés comme des habits sales» (The Independent du 20.06.09).
Cette indignation des ouvriers est celle de toute la classe ouvrière. Pas seulement à cause de ce que fait Total, mais de toutes les autres attaques qu’ils subissent ou voient. Des millions d’ouvriers sont en train d’être jetés comme des déchets par la classe dominante. Les patrons s’attendent à ce que les ouvriers acceptent des réductions de salaire ou même travaillent gratis et qu’ils en soient contents! Le mépris de Total est celui de toute la bourgeoisie.
Quoiqu’il arrive dans les prochains jours, cette lutte a démontré que les ouvriers n’ont pas à accepter les attaques, qu’ils peuvent résister. Plus que cela, ils ont vu que la seule façon de nous défendre nous-mêmes est de nous défendre les uns les autres. Pour la deuxième fois cette année, nous avons vu des grèves sauvages de solidarité. Il y a des rapports qui disent que les grèves de Lindsey ont envoyé des piquets volants au Pays de Galles et en Ecosse. Il y a des sites de construction dans tout le pays, en particulier dans la capitale, où les sites olympiques regroupent un grand nombre d’ouvriers de plusieurs nationalités. Envoyer des délégations sur ces sites, appelant à l’action solidaire, serait le message le plus clair que c’est une question qui concerne le futur de tous les travailleurs, quelles que soient leurs origines. Les ouvriers de la poste et du métro de Londres essaient aussi de se défendre contre des attaques similaires et ont tout intérêt à former un front commun.
Le vieux slogan du mouvement ouvrier –travailleurs du monde entier, unissez-vous!–, est souvent tourné en ridicule par les patrons qui ne peuvent pas voir plus loin que leurs intérêts nationaux. Mais la crise mondiale de leur système rend de plus en plus évident le fait que les ouvriers ont les mêmes intérêts partout: chercher à s’unir pour défendre leurs conditions de vie et mettre en avant la perspective d’une autre forme de société, basée sur la solidarité à l’échelle mondiale et la coopération.
Phil / 21.06.2009
Nous publions ci-dessous la Prise de position adoptée en commun par 7 groupes ou organisations présents dans 8 pays d’Amérique latine (1) qui rend compte des travaux d’une rencontre internationaliste qui s’est tenue récemment (2).
Cette rencontre, dont le projet avait été formulé il y a un an, a été rendue possible en premier lieu par l’émergence de ces groupes qui, pour la majorité d’entre eux (tous à part OPOP et le CCI), n’existaient pas encore il y a 3 ans de cela. Ensuite, cet événement n’aurait jamais vu le jour sans la volonté commune des groupes en question de rompre l’isolement et de développer un travail politique en commun (3).
La base d’un tel travail a été l’acceptation par les participants de critères qu’ils considèrent comme constituant une délimitation du camp du prolétariat par rapport à celui de la bourgeoisie et qui sont exposés dans la Prise de position publiée ci-après.
L’activité première de cette rencontre était nécessairement la discussion politique permettant de faire la clarté sur les convergences et les divergences existant entre les participants, afin que soit élaboré un cadre de discussion en vue de la clarification des désaccords.
Nous saluons chaleureusement le fait que cette rencontre ait pu avoir lieu et qu’elle ait été capable d’assumer des discussions importantes comme celles sur la situation actuelle de la lutte de classe internationale ainsi que sur la nature de la crise qui ébranle le capitalisme aujourd’hui. Nous avons pleinement confiance dans la poursuite fructueuse de ce débat (4).
Nous sommes bien conscients que cette rencontre n’a constitué qu’un tout petit pas sur le chemin qui mène à la constitution d’un pôle de référence international dont l’existence, les débats publics et l’intervention soient à même d’orienter les éléments, les collectifs et les groupes qui surgissent dans le monde entier à la recherche d’une réponse prolétarienne internationaliste à la situation toujours plus grave dans laquelle le capitalisme entraîne l’humanité.
Néanmoins, si l’on se réfère aux expériences passées – par exemple aux Conférences internationales de la Gauche communiste qui s’étaient tenues il y a trente ans (5) – cette rencontre a accompli le dépassement de certaines faiblesses qui s’étaient manifestées à l’époque. Alors que les Conférences n’étaient pas parvenues à adopter une déclaration commune face à la guerre en Afghanistan, qui représentait alors une grave menace, aujourd’hui la Prise de position adoptée unanimement par les participants défend de façon très claire des positions prolétariennes face à la crise du capitalisme.
En particulier, nous voulons souligner la ferme dénonciation que fait la Prise de position des alternatives capitalistes de “gauche” actuellement en vogue sur tout le continent américain et qui suscitent, dans le monde entier, des illusions loin d’être négligeables. Depuis les Etats-Unis, avec le phénomène Obama, jusqu’à la Patagonie argentine, le continent est “secoué” par l’arrivée de gouvernements qui prétendent défendre les pauvres, les travailleurs, les exclus et qui se présentent comme les porteurs d’un capitalisme “social”, “humain”, ou qui encore, dans une version plus “radicale” (comme Chavez au Venezuela, Morales en Bolivie et Correa en Equateur), prétendent incarner rien de moins que “le socialisme du xxie siècle”.
Nous pensons qu’il est de la plus haute importance que, face à ces mystifications, se dresse un pôle unitaire, fraternel et collectif de minorités internationalistes, ouvrant la voie à la discussion et à la formulation de positions de solidarité internationale, de lutte de classe intransigeante, de combat pour la révolution mondiale, face au capitalisme d’Etat, au nationalisme, à l’exploitation dont ces “nouveaux” prophètes cherchent à assurer la perpétuation.
CCI (26-04-09)
Prise de position commune
La lutte pour le communisme authentique, c’est à dire pour une société sans classes, sans misère et sans guerres, suscite à nouveau un intérêt croissant de la part de minorités dans le monde entier. En mars 2009, à l’initiative du Courant Communiste International (CCI) et de Oposição Operaria (OPOP), s’est tenue en Amérique latine une Rencontre de discussion internationaliste à laquelle ont participé différents groupes, cercles et camarades individuels de ce continent se situant clairement sur des positions internationalistes et prolétariennes.
Outre le CCI et OPOP, les groupes suivants étaient présents :
• Grupo de Lucha Proletaria (Pérou),
• Anarres (Brésil)
• Liga por la Emancipación de la Clase Obrera (Costa Rica et Nicaragua)
• Núcleo de Discusión Internacionalista de la República Dominicana
• Grupo de Discusión Internacionalista de Ecuador
En outre, des camarades du Pérou et du Brésil ont également participé aux travaux de cette rencontre. D'autres camarades d'autres pays avaient également manifesté leur intention de participer mais n'ont pu le faire pour des raisons matérielles ou administratives.
L'ensemble des participants se reconnaissait dans les principes exprimés par les critères ci-dessous, qui avaient également servi globalement à la tenue des Conférences des groupes de la Gauche communiste à la fin des années 1970 et en 1980 :
1. Se réclamer du caractère prolétarien de la révolution d’Octobre 1917 et de l’IC tout en soumettant ces expériences à un bilan critique permettant d’orienter les nouvelles tentatives révolutionnaires du prolétariat.
2. Rejeter sans réserve toute idée selon laquelle il existe dans le monde des pays à régime socialiste ou avec des gouvernements ouvriers, même qualifiés de “dégénérés” ; de même, rejeter toute forme de gouvernement capitaliste d’Etat, comme ceux basés sur l’idéologie du “socialisme du XXIe siècle”
3. Dénoncer les partis socialistes et communistes, de même que leurs acolytes, comme des partis du capital ;
4. Rejeter catégoriquement la démocratie bourgeoise, le parlementarisme et les élections, armes à travers lesquelles la bourgeoisie a réussi de nombreuses fois à encadrer et dévoyer les luttes ouvrières en mettant la classe ouvrière devant le faux choix : démocratie ou dictature, fascisme ou antifascisme.
5. Défendre la nécessité que les révolutionnaires internationalistes oeuvrent à la constitution d’une organisation internationale de l’avant-garde prolétarienne, arme indispensable de la révolution prolétarienne.
6. Défendre le rôle des conseils ouvriers comme organes du pouvoir prolétarien, de même que l’autonomie de la classe ouvrière par rapport aux autres classes et couches de la société.
L’ordre du jour des discussions était le suivant :
1. Le rôle du prolétariat et sa situation actuelle, le rapport de forces entre les classes ;
2. La situation du capitalisme (au sein de laquelle se déroulent les luttes actuelles) et, comme réflexion plus globale, le concept de décadence et/ou de crise structurelle du capitalisme ;
3. La crise écologique croissante dans laquelle nous plonge le système. Bien que, par manque de temps, ce point n’ait pu être discuté, il fut convenu de mener à bien cette discussion par Internet.
Sur le point 1, des exemples relatifs à l’Amérique latine ont été utilisés pour illustrer les analyses sur l’état actuel de la lutte de classe, mais le souci de la plupart des interventions était de concevoir ceux-ci comme une partie de la situation générale du combat prolétarien à l’échelle internationale. Cela dit, la rencontre a décidé de porter une insistance toute particulière sur la dénonciation des différents gouvernements de gauche qui dirigent la plupart des pays d’Amérique latine en ce moment, comme ennemis mortels du prolétariat et de son combat ; sont également concernés par cette dénonciation ceux qui apportent un soutien, même de façon critique, à ces gouvernement. La rencontre a également dénoncé la criminalisation des luttes ouvrières de la part de ces gouvernements avec une insistance sur le fait que la classe ouvrière ne peut pas se faire d’illusions sur les méthodes légalistes et démocratiques mais qu’elle ne peut compter que sur sa propre lutte autonome. Cette dénonciation s’applique notamment aux gouvernements suivants :
• Kirchner en Argentine,
• Morales en Bolivie,
• Lula au Brésil,
• Correa en Equateur,
• Et, tout particulièrement, à celui dirigé par Chavez au Venezuela dont le prétendu "Socialisme du xxie siècle" n'est pas autre chose qu'un vaste mensonge destiné à prévenir et réprimer les luttes du prolétariat dans ce pays et à mystifier les ouvriers dans les autres pays.
Sur le point 2, les participants sont tombés d'accord sur la gravité de la crise actuelle du capitalisme, de même que sur la nécessité de la comprendre plus en profondeur à partir d'une perspective théorique et historique.
En conclusion des discussions, les participants se sont accordés sur les points suivants :
• la tenue de la rencontre constitue une manifestation de la tendance actuelle au développement du combat et de la prise de conscience du prolétariat à l'échelle internationale ;
• l'aggravation considérable de la crise du capitalisme aujourd'hui ne peut, à terme, que renforcer cette tendance au développement des luttes ouvrières, rendant de plus en plus nécessaire la défense des positions révolutionnaires au sein du prolétariat ;
• en ce sens, l'ensemble des participants estime nécessaire la poursuite de l'effort qui a été engagé avec la tenue de la rencontre afin d'être partie prenante du combat prolétarien international.
Plus concrètement, comme premier pas de cet effort, il a été décidé ce qui suit :
1. l’ouverture d’un site Internet en langue espagnole (éventuellement portugaise) sous la responsabilité collective des groupes participant à la rencontre. De même, est envisagée la possibilité de publier un bulletin en langue espagnole basé sur le contenu du Site internet.
2. la publication sur ce site :
• de la présente prise de position (qui sera également publiée sur les sites des groupes participants) ;
• des contributions qui ont été préparées pour la rencontre ;
• du procès verbal synthétique des différentes discussions qui se sont tenues lors de celle-ci ;
• de toute autre contribution des groupes et éléments présents ainsi que de tout autre groupe ou camarade qui se reconnaît dans les principes et les préoccupations qui ont animé la rencontre.
Parmi ces préoccupations, la rencontre souligne tout particulièrement la nécessité d'un débat ouvert et fraternel entre révolutionnaires et le rejet de tout sectarisme et esprit de chapelle.
1) Mexique, République dominicaine, Costa Rica, Nicaragua, Equateur, Pérou, Venezuela, Brésil.
2) Les participants ont été les suivants : Oposição Operária –OPOP (Brésil), CCI, LECO (Liga por la Emancipación de la Clase Obrera, Costa Rica-Nicaragua), Anarres (Brésil), GLP (Grupo de Lucha Proletaria, Pérou), Grupo de Discusión Internacionalista de Ecuador, Núcleo de Discusión Internacionalista de la República Dominicana, de même que des camarades de ces pays ayant participé à titre individuel.
3) Nous avons rendu compte de cette effervescence en Amérique latine dans notre article Deux nouvelles sections du CCI [85]
4) Une des décisions de la rencontre a concerné la création d'un site Internet où seront publiés la prise de position commune et les débats.
5) Lire par exemple dans la Revue internationale n° 16, l'article 2eme conférence internationale des groupes de la Gauche communiste [86].
Les faits et causes qui ont permis à l'espèce humaine de parvenir à la civilisation constituent un des sujets qui ont le plus préoccupé les philosophes et penseurs au cours des siècles. Il ne s'agit rien de moins que de découvrir le moteur de l'histoire. En 1848, la parution du Manifeste communiste offre une vision révolutionnaire de la question, qui place l'homme et son activité, sur un plan social, au cœur du progrès historique. Cette vision ne peut évidemment satisfaire la nouvelle classe dominante, la bourgeoisie, qui vit avec enthousiasme la pleine ascension du système capitaliste. D'une part, cette ascension se fonde sur une idéologie particulièrement axée sur l'individualisme, et d'autre part, il est bien trop tôt pour la bourgeoisie de concevoir, même sur un plan strictement intellectuel, la possibilité d'un dépassement du capitalisme.
Quand onze ans plus tard, Charles Darwin publie le résultat de ses travaux sur l'évolution des organismes comme résultant de la sélection naturelle, il est dès lors tentant pour la bourgeoisie d'y trouver une piste d'exploration du développement des sociétés humaines qui serait basé justement sur des mécanismes de sélection des individus les plus adaptés. Cette tendance, que l'on regroupe sous le terme « darwinisme social » est toujours active aujourd'hui même si ses hypothèses restent largement encore à démontrer et si son postulat de départ, la lutte compétitive pour l'existence, , sera rapidement écarté par Darwin lui-même pour ce qui concerne l'évolution de l'homme. 1
"Le darwinisme social est une forme de sociologie dont les postulats sont :
a) que, l'Homme faisant partie de la nature, les lois des sociétés humaines sont, directement ou presque directement, celles des lois de la nature;
b) que ses lois de la nature sont la survivance du plus apte, la lutte pour la vie et les lois de l'hérédité;
c) qu'il est nécessaire pour le bien-être de l'humanité de veiller au bon fonctionnement de ces lois dans la société.
Ainsi entendu, le darwinisme social peut être historiquement défini comme la branche de l'évolutionnisme qui postule un écart minimal, ou nul, entre lois de la nature et lois sociales, toutes deux soumises à la survivance du plus apte, et considère que ces lois de la nature fournissent directement une morale et une politique.
On distinguera deux formes différentes du darwinisme social. L'une d'inspiration individualiste, considère que l'organisme social de base est l'individu et que, sur modèle d'une lutte entre individus d'une même espèce, les lois fondamentales de la société sont la lutte entre individus d'un même groupe, dont la lutte entre groupes ethniques (ou races) n'est que l'extension. L'autre, au contraire, d'inspiration holiste, considère que l'organisme social de base est la société, que le moteur de l'histoire est la lutte entre races, et que la lute entre individus d'un même groupe est une loi secondaire, voire un fait préjudiciable à la survie de la race. (…)
Le darwinisme social individualiste se développe dès les années 1850 (donc avant même la parution de L'origine des espèces) et constitue une idéologie importante jusqu'aux années 1880(…) Il est la plupart du temps lié au laissez-faire économique, prône la non intervention de l'État (…) Le darwinisme social holiste, souvent ouvertement raciste, se développe surtout après 1880. il prône la plupart du temps une intervention de l'État dans la société et une pratique protectionniste (protection économique, mais aussi protection de la race (…) La pureté de la race est en danger)" 2
Le représentant le plus connu de cette idéologie est un contemporain anglais de Darwin, Herbert Spencer. Ingénieur, philosophe et sociologue, Spencer voit dans L'origine des espèces la clé qui permettrait de comprendre le développement de la civilisation, en partant du postulat selon lequel la société humaine évoluerait selon le même principe que les organismes vivants.l. Partant de cela, le mécanisme de la sélection naturelle décrit par Darwin serait totalement applicable au corps social. Spencer est un idéologue bourgeois bien ancré dans son époque. Fortement marqué par l'individualisme et l'optimisme propre à la classe dominante à l'époque où le capitalisme est en pleine expansion, il se laissera grandement influencer par les théories « à la mode », comme l'utilitarisme de Bentham. Plekhanov dira de lui que c'est un « anarchiste conservateur, un philosophe bourgeois. » 3 Pour Spencer, la société produit et forme des éléments brillants qui seront sélectionnés pour permettre à cette société de continuer à progresser. Décliné à partir de la théorie de Darwin, le concept de Spencer devient, appliqué à la société, la « sélection des plus aptes ».
Le darwinisme social, tel qu'il sera appelé bien après son exposé par Spencer, pose en principe la supériorité de l'hérédité sur l'éducation, c'est-à-dire la prépondérance des caractères innés sur les caractères acquis. Si les principes de la sélection naturelle sont effectivement à l'œuvre dans la société, il convient simplement de ne pas les entraver pour assurer le progrès social et la disparition à terme des « anomalies » comme la pauvreté ou les différentes inaptitudes.
Dans ses évolutions futures, le darwinisme social sera repris comme fondement de bien des positions et justifications politiques dictées par les nécessités du développement capitaliste.
Aujourd'hui encore, la théorie d’Herbert Spencer continue à servir de caution pseudo scientifique à l'idéologie réactionnaire du winner et de la loi du plus fort.
Du strict point de vue scientifique, les travaux de Spencer inspireront des études plus ou moins variées, comme la crâniologie (l'étude de la forme et la taille du crâne, dont les résultats s'avèreront finalement arrangés), les tentatives de mesure de l'intelligence ou encore l'anthropologie criminelle avec la théorie du « criminel né » de Lambroso, dont les échos se font encore entendre aujourd'hui dans les sphères politiques bourgeoises quand il s'agit de détecter au plus tôt le futur criminel.
La prépondérance de l'inné conduit également Spencer à dessiner les contours d'une politique éducative dont les répercussions sont encore visibles dans le système scolaire primaire britannique, qui cherche à fournir à l'enfant un environnement propre à son épanouissement personnel, à ses propres recherches et découvertes, plutôt que de fournir un enseignement magistral susceptible de développer de nouvelles aptitudes. C'est également le fondement théorique qui sous-tend le concept d' « égalité des chances ».
Mais la descendance la plus réputée du darwinisme social réside avant tout dans l'eugénisme. C'est Francis Galton, cousin de Charles Darwin, qui pose les premiers concepts de l'éugénisme en suivant l'intuition sous-jacente de Spencer selon laquelle si la sélection naturelle doit conduire de façon mécanique au progrès social, tout ce qui l'entrave ne peut que retarder l'accession de l'humanité au bonheur. Plus simplement, Galton craint que les mesures d'ordre social que la bourgeoisie est amenée à prendre, la plupart du temps sous la pression de la lutte de classe, induisent à terme une dégénérescence globale de la civilisation.
Alors même que Spencer serait plutôt adepte du « laisser-faire », de la non intervention de l'État (un de ses ouvrages, paru en 1850, porte le titre Le droit d'ignorer l'État) Galton va préconiser des mesures actives pour faciliter la marche de la sélection naturelle. Il inspirera ainsi longtemps et plus ou moins directement des politiques de stérilisation des malades mentaux, la pratique de la peine de mort pour les criminels, etc. L'eugénisme est également toujours considéré comme caution scientifique centrale dans les idéologies fascistes et nazies, même si déjà chez Spencer, les éléments sont présents pour élaborer des visions racistes conduisant à la hiérarchisation des races. Dès le 19e siècle, les travaux de Spencer sont utilisés pour démontrer les fondements biologiques du retard technologique et culturel de populations dites « sauvages », justifiant scientifiquement les politiques coloniales en leur donnant une caractéristique morale de civilisation, alors même qu'elles sont fondamentalement rendues nécessaires par la contraction des marchés locaux.
Cependant, l'eugénisme permet de franchir un pas supplémentaire en envisageant la suppression de masses d'individus jugés inaptes et donc en mesure potentiellement de retarder le progrès de la société. Alexis Carrel, en 1935, ira même jusqu'à préconiser, et même décrire avec force détails, la création d'établissements où se pratiquerait l'euthanasie généralisée.
Pour autant, il ne faudrait pas voir le darwinisme social que sous l'angle théorique et scientifique. Cette pensée s'inscrit d'abord dans un contexte historique qu'il convient d'apprécier et qu'elle tente d'accompagner et de justifier. L'influence de la période est fondamentale pour comprendre comment ce courant s'est développé, de même qu'il est important de retenir que si les réponses qu'il y apporte sont globalement fausses, les questions qu'il pose constituent toujours le cœur de la compréhension que l'homme doit avoir de son propre développement social.
Quand Darwin publie L’'origine des espèces, l'Angleterre est en pleine période victorienne, et la bourgeoisie européenne s'est installée au pouvoir, prête à conquérir le monde. La société fourmille d'exemples de « self-made men », des hommes partis de rien et qui, portés par l'essor industriel capitaliste, se retrouvèrent à la tête d'entreprises prospères. A l'époque, la classe dominante est toujours traversée de courants radicaux qui remettent en cause les privilèges héréditaires, qui constituent des freins aux nouvelles formes de développement offertes par le capitalisme. Spencer fréquente ce milieu des « dissidents », fortement ancré dans l'anti-socialisme. 4 Il ne voit dans la misère noire de la classe ouvrière anglaise, que les stigmates provisoires d'une société en adaptation et qui, sous l'effet de l'explosion démographique, finira par se réorganiser, constituant ainsi un facteur de progrès. Pour lui, le progrès est inévitable, puisque les hommes s'adapteront à l'évolution de la société, si tant est qu'on les en laisse libres.
Cette euphorie est à peu près partagée par l'ensemble de la bourgeoisie. S'y ajoute un fort sentiment d'appartenance à la nation qui achève sa construction et qui peut être renforcé par les événements guerriers comme en France suite à la défaite contre la Prusse. Le développement de la lutte de classe, qui accompagne le développement du capitalisme, pousse la bourgeoisie à développer une autre conception de la solidarité sociale, fondée sur des données qu'elle espère indéniables.
Tout ceci constitue le terreau d'une théorisation de l'ascendance capitaliste et de ses effets immédiats : la prolétarisation dans la sueur, la colonisation dans le sang, la concurrence dans la boue.
Il s'agit là du caractère fondamental du darwinisme social car du point de vue scientifique, il n'apporte aucune réponse correcte aux questions fondamentales qui traite.
Jamais la science, même parfois avec la meilleure des volontés, n'est parvenue à démontrer les hypothèses de base du "darwinisme social".
Déjà le nom de ce courant de pensée est incorrect : Darwin n'est pas le père de l'eugénisme, ni du libéralisme économique, ni de l'expansion coloniale, ni du racisme scientifique. Darwin n'est pas malthusien non plus. Bien plus encore, c'est lui qui, parmi les premiers, apporte la contradiction la plus développée aux théories de Spencer et de Galton.
Après avoir exposé sa vision du développement et de l'évolution des organismes dansL'origine des espèces , Darwin se penche, douze ans plus tard, sur les mécanismes à l'oeuvre au sein de sa propre espèce, l'homme. En publiant La filiation de l'homme en 1871, il va contredire tout ce que parallèlement, le darwinisme social est en train de construire. Pour Darwin, l'homme est bien le produit de l'évolution et se place donc bien au sein du processus de sélection naturelle. Mais chez l'homme, le processus de lutte pour la survie ne va pas passer par l'élimination des faibles : « Nous autres hommes civilisés, au contraire, faisons tout notre possible pour mettre un frein au processus de l'élimination ; nous construisons des asiles pour les idiots, les estropiés et les malades ; nous instituons des lois sur les pauvres ; et nos médecins déploient toute leur habileté pour conserver la vie de chacun jusqu'au dernier moment. Il y a tout lieu de croire que la vaccination a préservé des milliers d'individus qui, à cause d'une faible constitution, auraient autrefois succombé à la variole. Ainsi, les membres faibles des sociétés civilisées propagent leur nature. » 5
Ainsi, par le principe de l'évolution, l'homme s'extrait du mécanisme de la sélection naturelle en plaçant au-dessus de la lutte compétitive pour l'existence, tout ce qui contribue à favoriser le processus de civilisation, à savoir les qualités morales, l'éducation, la culture, la religion... ce que Darwin nomme les "instincts sociaux". De cette façon il remet en cause la vision de Spencer de la prépondérance de l'inné sur l'acquis, de la nature sur la culture. Par la civilisation, donc sur le plan social, la sélection naturelle n'agit plus comme au niveau des organismes. Elle est au contraire conduite à sélectionner des comportements sociaux qui s'opposent aux lois de la sélection naturelle. C'est ce quemet clairement en évidence Patrick Tort dans sa théorie sur "l'effet réversif de l'évolution" 6.
Alors que le "darwinisme social" ne voit dans l'évolution des sociétés humaines que le résultat d'une sélection des individus les plus aptes, Darwin au contraire y voit la reproduction croissante des instincts sociaux comme l'altruisme, la solidarité, la sympathie, etc. La première conception pose le capitalisme comme cadre le plus approprié au "progrès social" alors que la seconde démontre avec force que les lois économiques du capitalisme, basées sur la concurrence, interdisent à l'espèce humaine de développer pleinement ses instincts sociaux. C'est en éliminant cette dernière entrave historique, en abolissant le capitalisme, que l'humanité pourra construire une société où ces instincts sociaux prendront leur totale mesure et conduiront à leur tour la civilisation humaine à son accomplissement.
GD.
1Cet article emprunte des citations et des cheminements à plusieurs articles et textes, qu'il serait fastidieux de référencer systématiquement. Les voici donc dans le désordre :
Wikipedia (notamment les articles consacrés au darwinisme social, à Herbert Spencer et à Francis Galton)
Dictionnaire de Sociologie, Le Robert / Seuil, 1999 (article « darwinisme social »)
Brian Holmes, Herbert Spencer, « Perspectives » vol. XXIV, n° ¾, 1994
Patrick Tort, Darwin et le darwinisme, Que Sais-je ?, PUF.
Pierre-Henri Gouyon, Jacques Arnould, Jean-Pierre Henry, Les avatars du gène, la théorie néo-darwinienne de l'évolution, Belin, 1997 (partiellement disponible au téléchargement en anglais sur cette page [90]).
2 Dictionnaire du darwinisme et de l'évolution, PUF, pages 1008-1009.
3Dans « Anarchisme et socialisme ».
4« si fort que je haïsse la guerre, je hais tout autant le socialisme, sous toutes ses formes », cité par Duncan, « The Life and letters of Herbert Spencer », 1908.
5Charles Darwin, La filiation de l'homme, 1871.
6Lire notre article [91] sur le dernier livre de Patrick Tort : L'effet Darwin.
La montagne a accouché d’une souris! Voilà la teneur des commentaires de presse après les annonces des plans et des mesures d’austérité budgétaires pour 2010 pris par le gouvernement fédéral et les exécutifs régionaux durant le mois d’octobre. A écouter les communications gouvernementales, la prime d’assurance réclamée aux banques, la contribution d’Electrabel pour le maintien prolongé en activité de centrales nucléaires, combinées avec quelques coupes budgétaires dans la santé, l’enseignement, les transports publics et la radio-télévision publique, devraient permettre de combler un trou de 1,6 milliards d’euros dans le budget prévu. Quant au reste du déficit public, le gouvernement nous assure qu’il sera progressivement comblé dans les années à venir par les revenus découlant de la reprise de l’économie. A croire que les affres de crise économique mondiale ont largement épargné la Belgique!
Le recul de l’économie belge en 2009 est de 3%, le plus mauvais résultat depuis ... 1939! Et l’impact à long terme de l’actuelle récession sur celle-ci, tout comme sur l’ensemble des économies des pays industrialisés, est loin d’avoir montré tous ses effets : « Je crains que le pire est encore à venir » reconnaît le ministre-président flamand Peeters (De Morgen, 03.11.09). Par ailleurs, l’engagement financier de l’Etat pour maintenir à flot l’économie chancelante a été gigantesque. Pour combler le trou financier global de 25 milliards d’euros, on annonce pendant de nombreuses années une austérité pire que dans les années 1990. La confection des budgets n’a d’ailleurs pas été œuvre de dilettante, non pas parce que la bourgeoisie était confrontée au choix d’imposer ou non l’austérité – cette dernière est tout simplement incontournable du point de vue de la logique du capitalisme – mais parce qu’elle a planifié avec soin cette imposition. De fait, la bourgeoisie belge s’est longuement concertée sur les mesures, s’accordant entre gouvernements fédéral et communautaires pour les répartir et les rendre complémentaires, organisant une austérité croissante dans la durée, jusqu’en ... 2015!
C’est donc plutôt la gravité de la récession actuelle et l’impact inévitable qu’elle aura sur l’économie belge qui explique l’extrême circonspection du gouvernement. Tout d’abord, malgré l’effondrement des exportations et la crise financière, l’économie belge a dans un premier temps moins reculé que ses voisins et concurrents européens, grâce à la meilleure résistance de la consommation intérieure (dixit la Commission européenne, DM, 04.11.09). D’autre part, les secousses dans les secteurs des banques et des assurances sont loin d’être terminées (ING, KBC en Belgique, restructuration de RBS et Lloyds Banking Group en Angleterre, faillite de la banque DSB en Hollande et de CIT aux USA). Voilà des premières raisons pour ne pas secouer trop brutalement la consommation intérieure. Mais c’est surtout sur le plan social que l’incendie menace : après la solution provisoire du chômage technique, les entreprises en difficulté par l’effondrement du commerce mondial ont de plus en plus recours à des restructurations (Picanol, UCB, HP, Deroeck, Brussels Airport, Janssens Pharma, la SNCB, etc.). La bourgeoisie sait que l’impact de la récession sur l’augmentation du chômage commence à peine à se faire sentir, soit 200.000 nouveaux chômeurs d’après le bureau du Plan et la Banque Nationale (de 7% de la population active en 2008 à 10,3% en 2011), dont la majorité doit encore tomber dans les mois qui viennent.
S’attaquer aujourd’hui par des mesures gouvernementales directes et massives à la population risquerait sans doute d’accentuer la récession en faisant chuter la consommation intérieure. Par rapport à la classe ouvrière en particulier, qui serait bien évidemment la première touchée par de tels plans, il s’agirait d’une provocation malhabile, alors qu’elle est frappée de plein fouet par les restructurations et le chômage. C’est cette crainte de la classe ouvrière qui explique pourquoi la bourgeoisie met en avant en premier lieu des mesures indirectes, en les présentant de plus comme des mesures « justes », qui visent à faire payer « ceux qui ont provoqué la crise » (les banques) ou qui « bénéficient des temps de crise » (Electrabel qui exploitera au moins 10 ans de plus ses vieilles centrales nucléaires).
La reprise annoncée n’est due qu’aux injections financières des pouvoirs publics et à la reconstitution des stocks. Les travailleurs n’ont donc aucune illusion à se faire: dans le combat à mort pour produire à des prix concurrentiels afin d’être compétitif sur le marché mondial, la bourgeoisie est contrainte de mettre la pression sur le coût de la force de travail. Et si la bourgeoisie belge a jugé nécessaire de mener une telle concertation sur la manière de planifier et de maquiller ses mesures, ce n’est sûrement pas parce que leur impact sera insignifiant!
Les mesures indirectes n’agressent peut-être pas de front, mais vont de plus en plus lourdement peser sur les conditions de vie des salariés: ainsi, Electrabel et les banques tout comme les assurances (+10%) ont d’ores et déjà prévenu qu’elles comptaient facturer le prix de la contribution que l’Etat leur requiert aux ‘citoyens’, donc essentiellement aux salariés. Ce sont eux aussi qui subiront les inconvénients des restrictions dans l’assurance santé, l’enseignement et dans d’autres services publics. Déjà, le recours aux soupes populaires et aux bons alimentaires, les appels à l’aide auprès des CPAS s’accroissent, car plus de 15% de la population vit actuellement sous le seuil de pauvreté. Parmi les travailleurs, on relève la multiplication des dépressions, des cas de ‘burn out’.
Pendant ce temps, la détérioration des finances publiques belges continue à s’accentuer : selon la Commission européenne, le déficit des finances publiques se chiffrerait à 5,8% en 2010 et 2011 et la dette publique passerait de 85% en 2007 à 104% du PNB en 2011 (DM, 04.11.09).
De toute évidence, ces premières mesures ne sont donc que l’avant-garde, préparant le terrain pour des mesures plus radicales. L’austérité « sera plus dure que lors du Plan Global de Dehaene dans les années ’90; l’effort correspondait alors à moins de 1% du produit intérieur brut, alors que la nouvelle austérité comportera plus de 1% du PIB, et ceci dans un contexte moins favorable » (L. Coene, vice-gouverneur de la banque nationale, DM 29.09.09). Il s’agirait de plus de 3 milliards d’économies en 2011 et de plus encore de 2012 à 2015. L’accentuation progressive de l’austérité est donc clairement programmée et diverses idées de mise en pratique ont été lancées ces dernières semaines. Si, pour une part, elles constituent des provocations permettant de faire passer les mesures actuelles comme un « moindre mal », elle sont, pour une autre part, néanmoins révélatrices des pistes que la bourgeoisie prospecte pour le moment.
a) La diminution linéaire des salaires a été évoquée à plusieurs reprises: l’idée d’une diminution de 1% des salaires des enseignants a été lancée par le ministre flamand de l’enseignement. Une mesure identique pour l’ensemble des fonctionnaires belges a été suggérée par un ancien recteur de l’université de Louvain, Oosterlinck (DM, 28.09.09) ;
b) La réduction drastique du nombre de fonctionnaires constitue une autre piste prospectée. Plusieurs rapports récents ont pointé qu’avec 2% du Produit Intérieur Brut et 18,5% du nombre total des emplois nationaux, la Belgique est de loin « l’Etat le plus cher d’Europe » (DM 30.10.09) ;
c) La précarisation accélérée des emplois publics est déjà mise en pratique : ainsi la Poste veut remplacer un certain nombre de ses facteurs par des retraités ou des ménagères, engagés à temps partiel avec des contrats précaires.
d) Enfin, à côté de la restriction de certaines allocations, la suppression de la possibilité de retraite anticipée est de plus en plus ouvertement évoquée et recommandée par les « panels d’experts» de la bourgeoisie;
L’orientation vers la précarisation des emplois, la baisse des salaires et une remise en question générale des conditions et des régimes de retraite, est une tendance générale dans les pays d’Europe (cf. les plans pour le report de l’âge de la retraite aux Pays-Bas et en Allemagne). Cette dernière mesure en particulier constitue un choc pour une génération qui a accepté une augmentation de la flexibilité et des cadences dans la perspective d’une retraite dont elle pourra jouir. En témoigne dernièrement les protestations massives d’auditeurs d’une émission radiophonique discutant de la nécessité de supprimer les retraites anticipées !
Que la bourgeoisie s’est soigneusement préparée se vérifie donc à la manière dont les attaques sont planifiées et organisées en les saucissonnant entreprise par entreprise, secteur par secteur, région par région. Cela se vérifie aussi à la manière dont elle a positionné les syndicats, ses organisations de contrôle du terrain social. Leurs agissements constituent sans nul doute un obstacle majeur au développement de la riposte ouvrière.
Dès l’été, une campagne syndicale était lancée pour exiger que les banques paie un « impôt de crise » pour redresser les finances de l’Etat. En reprenant l’idée dans le budget 2010 sous la forme d’une prime d’assurance imposée aux banques, cela permettait à la bourgeoisie de faire d’une pierre deux coups: d’une part, elle accentue l’illusion que l’Etat est un arbitre au-dessus des groupes sociaux et que donc les travailleurs peuvent avoir confiance en lui. D’autre part, elle instille l’idée, qu’après les banques, tout le monde doit mettre du sien pour surmonter l’impact de la récession. Ces deux idées sont capitales pour renforcer le contrôle syndical quotidien sur le terrain social.
Lorsqu’un point de tension sociale apparaît, ceux-ci prennent une position radicale pour occuper le devant de la scène et éviter que la colère ouvrière ne s’exprime sous des formes qui mettraient en question le cadre de référence de la logique économique bourgeoise. Ensuite, ils amènent les travailleurs, pris dans la nasse de la logique de concertation, au « compromis indispensable ». L’exemple d’Opel Anvers est une tragique illustration de cette tactique : Quand GM est déclaré en faillite et qu’une restructuration drastique s’annonce pour Opel Europe, les syndicats prennent le devant de la lutte en déclarant vouloir lutter jusqu’au bout pour le maintien de l’usine. Leur action consiste en fait en du lobbying avec les patrons la région flamande et l’Etat fédéral auprès de GM et l’Etat allemand pour démontrer que l’usine anversoise est « au moins aussi performante que ses concurrentes allemandes », pour faire respecter les « règles de la concurrence européenne ». Ils n’hésitent pas à opposer la qualité de leur combat aux mouvements « incontrôlés » chez Ford l’année passée: « on est respectable et avec une vision à long terme », « en Belgique, on n’en est pas à séquestrer les patrons comme en France ». En réalité, ce combat « exemplaire » n’est qu’un enfermement dans une voie sans issue corporatiste: « Wir sind Opel ». Il n’est rien d’autre qu’un méprisable marchandage pour répartir équitablement les sacrifices, les victimes, les licenciements, tout en acceptant la logique de la rationalisation capitaliste ; il conduit à l’étouffement de la combativité et au découragement des travailleurs: pas étonnant que, lors de l’action internationale de solidarité avec Opel Anvers le 24 septembre, il y avait bien peu d’ouvriers d’Anvers!
Dans la situation présente, il est clair que le contexte pour développer la riposte est difficile. Face aux attaques, pour retrouver une identité de classe contre le battage sur la « solidarité de tous les citoyens face à la crise », les travailleurs doivent réagir. Et de fait, de multiples réactions s’expriment, confirmant le mécontentement réel et la volonté de faire face: à la Sonaca et la Poste, dans la sidérurgie et la métallurgie liégeoise, à la SNCB. A Charleroi, 10.000 ouvriers ont manifesté contre la crise. En même temps les travailleurs éprouvent de grandes difficultés à trouver une réponse adéquate à la situation, qui se base sur leur identité de classe, la solidarité et qui prenne en compte la dimension intersectorielle et internationale des problèmes. Ce n’est qu’en recherchant l’extension des luttes et en assurant leur prise en main par les assemblées générales que les travailleurs prendront conscience de leur force et qu’ils déjoueront de plus en plus les manœuvres syndicales, écartant ainsi que les frustrations et le découragement qui en découlent.
Jos / 05.11.09
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